Microsoft Word - Art 07.doc 99 ŞTEFAN NENIŢESCU, Scrieri de istoria artei şi de critică plastică, Institutul Cultural Român, Bucarest, 2009 Résultat de l’attentif travail d’édition d’Adina Nanu, la parution du choix de chroniques et d’articles sur l’art de Ştefan Neniţescu (1897–1979) – esthéticien, poète, diplomate, collaborateur de Nicolae Titulescu – peut être considérée un véritable événement éditorial. Mais pourtant, Ştefan Neniţescu n’est pas un inconnu. Son traité d’esthétique a été de nouveau édité en 1985, et Andrei Pleşu s’est penché sur son activité de critique d’art à Ideea europeană dans une étude de référence parue en 1979 dans Studii şi Cercetări de Istoria Artei. Il avait 20 ans lorsqu’il a commencé sa collaboration à Ideea europeană par un commentaire sur le dessin de la première page choisi, d’habitude, de l’art universel, ancien et surtout moderne. Il continuait ainsi un format de rubrique initié déjà par Nae Ionescu, entre 1919 et 1916 (voir Nae Ionescu, Opere, VI, Crater, Bucureşti, 1999) dans la publication Noua revistă română. À cause de la guerre, la parution de la revue s’interromp, mais la même équipe ayant Radulescu Motru à sa tête édite dès 1919 Ideea europeană. C’est ici que Neniţescu va avoir sa rubrique bimensuelle Notre dessin. L’intention de continuité est évidente. Nae Ionescu avait publié sous pseudonyme de nombreux profils concis et substantiels d’artistes importants tels que Toulouse-Lautrec, Gauguin, Van Gogh, Rodin, Kokoschka, Matisse. Il est peut-être le premier à parler du cubisme et du dadaïsme dans la presse roumaine. Neniţescu continue avec un plus de conséquence à informer le public roumain sur l’art européen, moderne et contemporain surtout, et sur ses problèmes. Il a l’intuition de la valeur et sa sélection comprend des artistes des plus problématiques, aujourd’hui célèbres, des impressionnistes jusqu’à Picasso, Kandinsky, Chagall, Archipenko, de nouveau Kokoschka, des russes, des allemands, ainsi que des thèmes tels que celui de «l’art pour la foule» qui témoignent d’une curiosité et peut-être même d’un attachement pour les idées de gauche. Après ces feuilletons qui ont sans aucun doute été une initiation dans les dilemmes de l’art européen de son époque, Neniţescu revient à l’art roumain et pendant une décennie il en devient un attentif chroniqueur. Un chroniqueur ayant des options claires sur certains artistes qu’il suit attentivement d’une exposition à l’autre, sinon, même d’un ouvrage à l’autre. Intéressé par “la cuisine de l’art”, Neniţescu fréquente les ateliers, et lie des amitiés avec les artistes. Il soutient avec ferveur certains d’entre eux – Sabin Popp, Miliţa Petraşcu – pendant toute sa vie. Il développe, à l’esprit de l’époque, une critique de configuration, convaincu que la forme est contenu, selon les théoriciens de la pure visualité. Avec ce point de départ encré dans les certitudes de la forme en tant que messager de la signification, Neniţescu s’implique dans les dilemmes esthétiques du temps, dans le conflit entre COMPTES RENDUS le réalisme et l’abstraction, autrement dit, avec ses propres mots, entre nature et concept. Il se place sur une ligne moyenne, prétendant à l’artiste une distance par rapport à la nature et son interprétation, sans accepter sa totale négation, telle qu’il la voyait dans le constructivisme. Dans la pratique courante de l’acte critique, Neniţescu ne voit aucun inconvénient à soutenir un artiste comme Sabin Popp qui regardait vers l’art byzantin et en même temps vers l’art occidental, en établissant des ponts entre les deux, aussi bien qu’entre l’art sacré et l’art profane, entre des artistes comme Marcel Iancu et Miliţa Petraşcu, dont le modernisme était clairement assumé, sans atteindre une implication idéologique radicale, comme dans le cas de Maxy ou Victor Brauner. Ce qui d’ailleurs explique la réserve de Neniţescu à commenter plus amplement l’exposition d’avant- garde de Contimporanul de 1924, qu’il ne mentionne que sommairement dans le final du médaillon dédié à Archipenko (Ideea europeană, 14–21 décembre 1924), en la recommandant à ceux désireux de mieux comprendre le constructivisme. Neniţescu soutient avec le même enthousiasme autant le nouveau classicisme qu’il appelle «classicisme expressif, non anonyme» que les artistes d’avant-garde, orientations que l’histoire de l’art, dès les années 50 jusqu’à présent, n’a pas encore séparées d’une manière tranchante, non seulement par les études écrites, mais aussi par les expositions qu’il a organisées en qualité de conseiller de la galerie activant dans la librairie Hasefer où on a pu assister à de nombreuses expositions mémorables par leur non-conformisme. Il soutient aussi la nécessité d’un «contrôle artistique», mais, dit-il, «ce n’est pas le courant qui intéresse, mais l’art uniquement. Nous choisissons et nous allons choisir des artistes différents et très différents entre eux, mais toujours représentant un certain niveau. Ce serait donc la garantie d’un cours artistique. Le marché artistique a, lui aussi, ses lois et ses influences sur l’art. Chez nous, à cause du mélange trop grand et trop inégale, il est dans un état indéfini, anarchique. C’est à cet état que nous nous opposons, Oscar Cisek et moi- même, et c’est depuis plus longtemps que nous avons commencé le combat» (p. 211). REV. ROUM. HIST. ART, Série BEAUX-ARTS, TOME XLVII, P. 99–104, BUCAREST, 2010 100 En effet, parallèlement, Oscar Cisek girait la salle Grigorescu, rue Paris, de la fondation du Prince Carol. Les deux critiques, qui partageaient de nombreuses affinités, ont influencé en bonne mesure, par leurs écrits et par l’organisation d’expositions très sélectives, la structure de l’art roumain de l’entre-deux-guerres, le goût du public et des collectionneurs. Les expositions de synthèse sur l’art roumain, organisées par Neniţescu en 1927, à l’occasion du Congrès de la Presse Latine, en 1931 à l’occasion de la Conférence de l’Union Intereparlementaire, l’exposition d’art roumain de 1930 de Bruxelles ont établi des hiérarchies en grandes lignes valables jusqu’à présent. Après 15 ans de détention, entre 1949 et 1964, Neniţescu retrouve miraculeusement son souffle et son intérêt pour les préoccupations de jeunesse. Sa communication au deuxième colloque international Brancusi de Bucarest de 1976, inédite, est une analyse digne d’intérêt aujourd’hui encore concernant La sculpture pour les aveugles, œuvre plutôt ignorée par la bibliographie brancusienne. Les rencontres avec les artistes ont été pour Neniţescu de véritables expériences de vie. C’est pourquoi les souvenirs sur Miliţa Petraşcu, Pallady et Catargi, les pages sur Sabin Popp (il y a sur lui un texte de 300 pages qui n’a pas été publié) sont vifs et pleins de couleurs. Adina Nanu dresse dans son introduction un portrait émouvant du critique, tandis qu’une Chronologie offre de brèves données biographiques. Un index de noms propres aurait été utile. Le volume paru à l’Institut Culturel Roumain complète la série plus ancienne des restitutions des ouvrages d’historiens, critiques d’art, philosophes ou esthéticiens fameux – Sirato, Cisek, Arghezi, Blaga, Vianu, Aurel Broşteanu, Alexandru Busuioceanu, Petru Comarnescu, Theodor Enescu, etc., la plupart, parus avant 1989. La publication de ce volume sera peut-être de bon augure et mènera à l’édition d’autres. Ioana Vlasiu ADRIANA ŞOTROPA, Visuri şi himere. Ecouri simboliste în sculptura românească, Ed. Compania, Bucarest, 2009 Dans son étude, bien documentée, Rêves et chimères. Echos symbolistes dans la sculpture roumaine, Adriana Şotropa réalise une recherche solide dans un domaine encore peu fréquenté par l’histoire de l’art roumain – la sculpture symboliste en Roumanie. L’auteur établit un écart judicieux en plaçant le symbolisme dans la sculpture dans les termes de l’influence, des «échos» en tant que partie d’un courant artistique qui s’est amplement manifesté en Europe Occidentale et en Europe Centrale et qui a transmis son message vers la zone Sud-Est européenne. Son étude pose également un problème d’ordre méthodologique de la manière dont est tracé le rapport centre-périphérie ; c’est pourquoi établir les coordonnées essentielles du phénomène symboliste en même temps que les modèles exemplaires est un problème important. Peut-on discuter d’une génération symboliste dans la sculpture roumaine ? Adriana Şotropa continue à s’interroger dans le chapitre dédié à un groupe d’artistes plastiques qui évidemment assument une nouvelle esthétique. Étant donné que la Roumanie se trouve à la périphérie du phénomène symboliste et ses institutions ont commencé plus tard leur modernisation, notre pays se situe à côté de la Grèce ou la Bulgarie. L’identification d’une génération symboliste basée sur l’identification d’une pareille sensibilité au niveau des beaux-arts, aussi bien que sur les opinions des critiques de l’époque, se réalise en tant que reconstruction en partant d’un contexte favorable au symbolisme, mais tenant compte du manque d’intérêt au niveau des études, peu nombreuses, consacrées à ce phénomène. À la place d’une hiérarchie à laquelle elle ne renonce pas totalement, l’auteur, plus sagement, nous propose une géométrie du phénomène. Si l’on parle de l’existence d’un représentant capable à incarner entièrement, à une haute tension esthétique, le courant symboliste dans la sculpture, alors on doit mentionner le nom de Dimitrie Paciurea, auquel Adriana Şotropa dédie un chapitre à part, en même temps qu’une monographie de l’œuvre de ce sculpteur, monographie qui se trouvait parmi les projets de l’Institut Culturel Roumain et qui malheureusement n’a pas encore été publiée. À son envergure artistique, on peut ajouter Constantin Brancusi, qui se détache de la zone de sensibilité symboliste, après une brève étape rodinienne. Frederick Storck et Oscar Spaethe constituent un deuxième niveau, les deux sculpteurs d’origine allemande et ayant une sérieuse formation académique, se réjouissent du concours de la maison royale et pénètrent dans une zone de la reconnaissance et de la visibilité publique. Mais ce qui tient de la démarche archéologique d’ Adriana Şotropa et, peut-être, la partie la plus intéressante de cette étude, sont les sculpteurs qui, par des raisons différentes, sont restés dans l’anonymat : Horia Boambă, Filip Marin, Alexandru Călinescu, Sava Savargin, Anghel Chiciu, Teodor Burcă, Alexandru Severin. Leurs œuvres, en grande partie perdues ou peu nombreuses, ne sont récupérables qu’à travers les reproductions des journaux et des revues de l’époque, aussi bien que leurs noms, certains d’entre eux ayant une gloire éphémère, (comme, par exemple, Filip Marian) qui gagnent une autre dimension par l’intermède des articles qui leur sont consacrés à l’époque. Pratiquement, Adriana Şotropa a entrepris une ample activité de recherche visant les dépôts des musées des principales villes du pays, en identifiant également des œuvres - monuments funéraires, certaines d’entre elles retrouvées au cimetière Bellu, dans la capitale. Sondée à son sommet par Dimitrie Paciurea et à la périphérie par ce groupe de sculpteurs, la sensibilité symboliste n’apparaît plus diffusément, mais relève une esthétique pareille à une carte de la circulation des idées dans les arts 101 plastiques de la Roumanie de cette époque-là. L’intérêt vis-à-vis de Dimitrie Paciurea est également motivé par le fait que ce sculpteur de sensibilité symboliste constitue l’homologue d’artistes tels que Bohumil Kafka, Stanislav Sucharda, Frantisek Bilek de la République Tchèque, Boleslas Biegas, Xavery Dunikowski de Pologne, Ivan Mestrovic de Croatie, mais confère aussi la note spécifique, un langage propre, une identité au symbolisme roumain dans la sculpture. Adriana Şotropa identifie deux grandes directions, celle de l’esthétique rodinienne et celle de l’esthétique munichoise de facture Secession qui se trouvent à la base de la formation d’un nouveau goût avec une esthétique de l’intimité et du sentiment et de l’abandon des conventions académistes dans la sculpture. Ce qui n’élimine pas d’autres zones d’influence telle que la sculpture d’Antoine Bourdelle ou Aristide Maillol, George Minne ou Medardo Rosso, mais la différence se trouve dans le fait d’assumer soit des modèles qui déclinent aussitôt un style, la Secession, soit des figures représentatives illustrant une esthétique en soi, comme dans le cas de Rodin. Il s’agit également d’une manière de mettre en ordre une production ayant un haut niveau de prolixité dans l’absence d’une configuration théorique du phénomène. Dans le creuset de la nouvelle sensibilité modelée par l’esthétique rodinienne se réunissent les états d’âme profonds et toute une gamme de sentiments, du désespoir et la douleur jusqu’à l’extase, l’intérêt pour la capacité de symboliser, de transcender la matière plastique, la préférence soit pour l’anonymat exemplaire de l’humanité gouvernée par une destinée implacable, et d’ici, une note tragique de certaines sculptures ou l’intérêt pour les figures des artistes, des personnalités marquées en égale mesure par des turbulences ou par un destin grandiose. Ce qui s’en détache surtout c’est la figure du poète ou de l’artiste exemplaire dont la biographie est marquée par le dramatisme survenu de la coïncidence entre sa souffrance et l’acte de la création, ou une maladie ou un narcissisme recomposés sur les coordonnées d’une hypersensibilité exprimée dans l’œuvre d’art, etc. C’est pourquoi des figures comme celles de Chopin, Balzac (la statue que Rodin lui a consacré provoquait un scandale révélateur pour la nouvelle direction dans la sculpture), Beethoven, et chez nous, Eminescu, s’imposent, souvent, jusqu’à l’obsession, comme dans le cas de Dimitrie Paciurea, obsédé par le projet non accompli d’un monument public du poète national. Une autre dimension concernant le caractère autochtone de l’art intervient également, sur le fonds de la Secession chez des sculpteurs ayant une formation académique solide, comme Friedrich Storck et Oscar Spaethe, mais qui se laissent influencer par le courant qui unifiait temporairement le goût public en Europe. Leo Bachelin, dans une suite d’articles publiés dans L’Indépendance Roumaine, parmi lesquels La nationalité dans l’art, article cité par Adriana Şotropa, constatait une adaptation de l’Art Nouveau au spécifique national, en identifiant l’agent catalyseur de la symbiose artistique dans l’art byzantin des fresques sur les murs des églises, dans l’art des maîtres créateurs d’icônes, ou dans les stylisations de l’art populaire. Le néo-byzantinisme soutenu aussi par la reine Marie trouve son écho dans la sculpture des deux artistes d’origine allemande et du bagage thématique symbolique-décadent, Storck extrait des personnages tels que Salomée, dans la création duquel le sculpteur se laisse influencer jusqu’à un certain point par l’esthétique rodinienne également, en dépit d’un tempérament autre que celui qui acceptait la sensibilité symboliste. Dans Rêves et chimères, le dernier mot du titre explicitement dû à Paciurea avec sa série de Chimères, Şotropa présente l’artiste comme une personnalité «atypique» de l’art roumain, créateur de «nouvelles formes» non seulement dans l’art roumain, mais aussi dans celui européen. La biographie assez pauvre du sculpteur, un solitaire pareil au peintre belge Fernand Khnopff, un sacerdoce de son art, isolé, distant, mystérieux se confondant avec son œuvre qui ouvre d’une manière visionnaire des voies vers un univers intérieur fantasque exemplairement illustré par ses Chimères. Dimitrie Paciurea est proche des artistes tels que Gustave Moreau par la thématique, Odilon Redon par «la force de la suggestion et d’une forme d’ambiguïté visuelle», Alfred Kubin par le pouvoir de l’angoisse et la pression du sous-conscient, mais également placé dans le contexte d’un intérêt spécial accordé à la monstruosité, en soulignant l’ambiguïté sexuelle qui se trouve au centre de la sensibilité décadente, circonscription destinée à créer, par des similitudes et des différences, la matrice propre de l’art du sculpteur roumain. Le chercheur passe en revue les principales études concernant le sculpteur de l’ouvrage déjà invoqué de G. Oprescu, méfiant vis-à- vis du symbolisme, jusqu’aux études de Ion Frunzetti, Dimitrie Paciurea. Studiu monografic (1971), avec le concours de Petre Oprea, ou la monographie légèrement romancée signée par Mircea Deac, Himera : viaţa şi opera sculptorului Paciurea (1970), auxquelles s’ajoutent les contributions de Ioana Vlasiu et Sanda Miller, sans que Adriana Şotropa mentionne ici ses propres études. Correctement répertoriée avec quelques détails documentaires supplémentaires, la carrière de Dimitrie Paciurea fait place à l’interprétation de l’œuvre avec quelques observations intéressantes issues de la parallèle faite par l’auteur entre Paciurea et Brancusi dans la première étape de leur création, lorsqu’aucun d’entre eux ne se détache d’une manière définitoire de l’influence du modèle, et ces tensions de la recherche de sa propre dimension artistique deviennent évidentes. Un exemple en est celui des sculptures intitulées pareillement par les deux sculpteurs, Rugăciunea (La prière), sculptures exposées la même année, 1914. Mais les Chimères sont la partie de l’œuvre qui met en évidence Dimitrie Paciurea, et Adriana Şotropa vient avec un important matériel documentaire en partant d’une 102 analyse des esquisses et des dessins qui se trouvent dans le dépôt du Musée National d’Art de Roumanie et qui témoignent d’une extension des préoccupations de l’artiste au-delà de la face visible de l’œuvre. En tant qu’hypothèse intéressante est la tentative de rapporter les chimères de Paciurea au fonds et aux figures représentatives de la mythologie autochtone du folklore roumain par l’intermède de Mihai Eminescu qui sélectait l’une de ces figures de la mythologie populaire, «le chien de la terre». D’autre part, en suivant la filière des études de Ioana Vlasiu, Adriana Şotropa rapproche également le sculpteur du contenu et des thèmes de la poésie eminescienne qui joue un rôle significatif, de filtre sensible dans l’œuvre du sculpteur, et quoique la parallèle s’y arrête, la possibilité d’aller plus loin existe, en partant de la polysémie de ce symbole : «Les chimères de Paciurea, loin de véhiculer un sens précis et univoque, en dépassant les frontières des mythologies, sont ouvertes à d’interprétations nombreuses. L’indétermination de leur sens est également valable dans la sculpture et les dessins. Symbole de l’Idée, de l’Inspiration, incarnation de l’Idéal ou du tourment créateur, la chimère est une sorte de muse ou de gardien toujours présent auprès du poète». Le livre d’Adriana Şotropa réussit à offrir une perspective sur une génération perdue, celle des sculpteurs roumains symbolistes ou influencés par le symbolisme, en complétant un tableau de famille dans lequel sont présents les écrivains et les peintres, mais qui configure également un esprit du temps récupérable seulement par la mise ensemble de toutes les facettes du phénomène artistique. Angelo Mitchievici ROLAND PRŰGEL, Im Zeichen der Stadt. Avantgarde in Rumänien 1920-1938, Böhlau Verlag, Köln-Weimar-Wien, 2008. Si la littérature d’avant-garde roumaine a fait l’objet de plusieurs ouvrages de synthèse, l’histoire de l’art s’est tenue à l’écart de ce genre d’écrits en préférant plutôt l’investigation dédiée soit à une personnalité, soit à une certaine problématique. Cette absence a été cependant compensée par de grandes expositions qui ont proposé un regard synthétique sur l’avant-garde historique et son contexte culturel. À mentionner, la première dans cette série d’expositions Bucureşti anii 1920–1940: între avangardă şi modernism (Bucarest 1920–1940: entre avant-garde et modernisme, Galerie Artexpo, Bucarest, 1994) a marqué essentiellement le procès de récupération de l’avant-garde après les changements politiques de 1989. Son catalogue, qui joint des études sur les étapes successives de l’avant-garde artistique aux articles sur le théâtre, la littérature et la musique avant-gardiste, reste encore un point de départ fiable pour les spécialistes. Donc, malgré des intentions précedentes similaires, le livre de Ronald Prügel Im Zeichen der Stadt. Avantgarde in Rumänien 1920– 1938 [Sous le signe citadin. L’avant-garde en Roumanie 1920–1938] comble une lacune importante dans l’historiographie de l’art à l’époque moderne en Roumanie, car il s’agit de la première tentative de présenter d’une manière synthétique la contribution des artistes à l’avant-garde roumaine. L’auteur, né à Timişoara en Roumanie, a étudié à Freiburg et à Paris et son activité de recherche, articles et participations aux conférences est connue aux spécialistes roumains de l’avant-garde. Sa position à la fois intérieure et extérieure par rapport à la communauté roumaine de recherche, avec sa tradition, son histoire, ses lacunes, est parfois transparente dans la structure de son exposé. Conçu initialement comme thèse de doctorat à l’Université de Freiburg, Im Zeichen der Stadt est principalement destiné aux lecteurs dont l’intérêt pour l’histoire de l’avant-garde doit être soutenu avec des informations sur la scène socio-politique et culturelle de la Roumanie moderne. C’est le rôle du premier chapitre et de quelques autres insertions dans le livre. D’un autre côté, les questions qu’il se pose et le projet de présenter l’avant-garde au-delà d’une histoire fermée sur elle-même situent sa démarche dans la proximité d’une nouvelle vague d’études sur le phénomène de l’avant-garde déclanché en Roumanie il y a quelques années. Un premier stade du processus de remise en valeur de l’avant-garde est déjà surmonté car la nouvelle direction ne se contente plus à ramasser des informations pour établir les bornes chronologiques et factuelles de l’avant-garde, mais se penche avec vigilance sur son contexte culturel et politique. L’avant-garde devient ainsi un nœud dans le réseau imbriqué de la culture roumaine de l’entre deux- guerres dont la configuration est étroitement réglée par des rapports avec les autres tendances de l’époque. Il s’agit d’une mise en question des concepts d’avant-garde et de modernisme autant dans le champ littéraire que dans celui des arts, qui ouvre sur une structuration différente de l’histoire culturelle et sur une réfléxion nuancée de la récéption. Mentionnons le livre de Paul Cernat, Avangarda românească şi complexul periferiei [L’avant-garde roumaine et le complexe de la périphérie, Bucarest, 2007], qui analyse la position de l’avant-garde littéraire et de ses acteurs en partant de leur présence dans la revue Contimporanul pendant les dix années de parution et celui de Dan Gulea, Domni, tovarăşi, camarazi. O evoluţie a avangardei române [Messieurs, camarades, copins. Le développement de l’avant-garde roumaine, Pitesti, 2007], qui décèle les orientations politiques traversant les activités éditoriales de l’avant-garde tout au long de son histoire d’avant la deuxième guerre mondiale et de son héritage après 1945. D’une manière similaire, l’exposition Culorile avangardei. Arta în România 1910–1950 [Les couleurs de l’avant-garde. L’art en Roumanie entre 1910– 1950, commissaire Erwin Kessler, Musée Bruckenthal, Sibiu – Musée National de l’Art, Bucarest, 2008] a milité pour la perméabilité de l’avant-garde et du modernisme et a mis en exergue des rencontres significatives entre deux factions apparemment 103 opposées, avant-garde et traditionalisme. Sans disolver totalement cette opposition, Ronald Prügel examine dans Im Zeichen der Stadt les collisions, les intersections et les coïncidences entre les deux. L’histoire de l’avant-garde roumaine renferme, pour Roland Prügel, l’ensemble des histoires des artistes qui y ont participé. Chacune des deux décennies qui fait l’objet d’étude de son livre circonscrit un stage de l’avant-garde, constructiviste/ cubiste pour les années 20 et surréaliste pour les années 30. Chacune est introduite par un petit chapitre qui s’occupe d’une façon concise des activités communes des groupes artistiques, comme les publications et les expositions. Ils précèdent les monographies compréhensives sur M.H. Maxy, Victor Brauner, Marcel Iancu, Corneliu Michăilescu, Hans Matttis-Teutsch et Jules Perahim. Victor Brauner est le seul artiste discuté également par les deux sections en soulignant son trajet du cubisme et constructivisme au surréalisme. De plus, la carrière de Brauner avant la coagulation du premier groupe d’avant-garde en Roumanie y est integrée et récontextualisée. La contribution majeure de Prügel consiste dans l’identification des sujets tirés de l’Ancien Testament par Brauner pour une série de peintures connues jusqu’ici sous des titres banales. Cette perspective « personnalisée » sur l’histoire suppose, à l’encontre de celle axée sur les groupes et les publications – plus ou moins éphémères – , qu’il y a une continuité sans fracture dans l’attitude avant- gardiste en Roumanie depuis son début dans les années ’20 jusqu’à l’instauration du régime communiste quand naît et tout de suite disparaît le dernier groupe surréaliste. Par conséquant, Ronald Prügel considère l’esprit d’avant-garde plutôt un trait individuel que le résultat d’un effort commun de le définir par la conjuration du travail théorique et de la pratique artistique. La section médiane du livre approche les débats sur la spécificité nationale dans l’art et la littérature qui marquent la modernité roumaine en choisissant quelques études de cas parmi les artistes et les critiques ou historiens d’art situés du côté du traditionalisme. Malgré son titre, Avant-garde et nation, on est confronté à un chapitre trop autonome pour servir de préambule pour la partie finale sur la récéption de l’avant-garde, tel qu’a sans doute été l’intention de l’auteur, et trop concis pour configurer un thème secondaire du livre. Le dernier segment collationne les atittudes des cercles traditionalistes envers l’avant-garde, dont les ressorts associent des motivations esthétiques, politiques, thématiques et éthniques. Les imputations remontées vers l’avant-garde, que Prügel inclut à la fin de son exposé, ne sont pas inconnues aux spécialistes, d’autant plus qu’elles ne sont pas particulières à l’espace roumain seul, mais c’est la première fois qu’elles sont jointes dans une recherche indépendante. La réception de l’avant-garde est commentée à l’aide de nouveaux documents dénichés dans la presse d’époque. Les conclusions attenuent l’opposition nette entre l’avant-garde et la tradition en faisant preuve que celles-ci ont partagé certains intérêts comme celui pour l’art folklorique et que la notion même de tradition n’est pas étrange à l’avant-garde. Nous espérons que Im Zeichen der Stadt. Avantgarde in Rumänien 1920–1938 avec son excellente bibliographie va servir non seulement un public qui n’a pas d’accès direct aux ouvrages en roumain, mais aussi, par une traduction rapprochée, celui de la Roumanie. Irina Cărăbaş RUZSA GYÖRGY, Bronzba zàrt áhitat. Az orosz fémikonok muvészete és teologiája. Ed. Pest Megyei Muzeumok, 2009 Héritant d’une ancienne tradition iconographique orthodoxe, initialement encrée dans la maîtrise des couvertures métalliques et des émaux, l’art des icônes russes tournées ou estancées reste jusqu’à présent un apanage des collectionneurs, des antiquaires et des experts. Longtemps considéré – y compris dans les milieux artistiques et scientifiques russes – un type d’art tardif (du XVIIIe siècle – début du XXe) et secondaire, descendant de l’icône peinte en tempera sur bois ou des objets de culte réalisés en métaux précieux (or ou argent), l’art des icônes en bronze, airain, cuivre ou laiton n’a pas tenu la tête des affiches des expositions et n’a pas eu un impact sur les artistes européens d’avant-garde comparable à celui d’autres genres de l’art religieux russe. Peu nombreuses sont aussi les études monographiques dédiées à ce type spécifique et extrêmement démocratique de l’art orthodoxe. C’est pourquoi la parution de l’album-catalogue du chercheur hongrois Ruzsa Gyorgy est d’autant plus appréciée. Dévotion incorporée en bronze. L’art et la théologie des icônes russes en métal se constitue d’une introduction, six chapitres et 34 planches illustrées en couleurs ; le catalogue contient la description de 163 objets d’art orthodoxe russe réalisés en bronze, en airain et en cuivre – des objets qui se trouvent actuellement dans des collections diverses sur le territoire d’Hongrie, y compris dans la collection privée de l’auteur du livre. Les objets les plus anciens et, sans doute, les plus précieux de ce catalogue sont les encolpions en bronze datant des XI–XIIe siècles, provenus de Kiev. Il y a ensuite un nombre imposant de croix et de crucifix provenant de divers centres culturels médiévaux russes (Iaroslavl, Moscou, Kostroma, etc.). Certains d’entre ces crucifix conservent et nous font connaître le nom de leurs artisans (I.V. Kozin, A.N. Maloskov, A.I. Tchiouvileaiev, V.A. Ogorodnikov, D.D. Kapoustin, M.I. Roukavichnikov, I.N. Mnekin, K.G. Tchioulkov, K.I. Konov, etc.). Les icônes en bronze des autres compartiments du catalogue se distinguent autant par la variété des types iconographiques présentés que par la diversité des techniques d’exécution. Nous avons ici de petites icônes et des crucifix en cuivre ou en bronze 104 encastrés au cadre d’icônes séparées ou de polyptiques en bois, peints en tempera ; il s’agit d’icônes tournées en métal et émaillées dans la technique champlevé ; nous avons aussi des œuvres réalisées dans la technique des émaux filigranés ; on trouve aussi des exemples d’iconostases portatifs ou de polyptiques estancés, développés sur plusieurs volets, distincts au point de vue thématique. La variété des types iconographiques des œuvres en métal reproduites dans le catalogue est similaire à la variété des types iconographiques attestés dans les icônes russes peintes sur bois. Nous trouvons ici les traditionnelles images de Saint Nicolas (cat.115, 121) et de la Trinité de l’Ancien Testament (cat.79), nous trouvons les images à cheval de Saint Georges (cat.107) et des premiers saints-martyrs russes Boris et Gleb (cat.133) ou de la Vierge de Tihvin (cat.54, 85). Des témoignages d’une élaboration d’ordre iconographique spécifiquement russe sont les images complexes de la Vierge – Joie de tous les endoloris (cat.94, 96) et du Sauveur Silence Béni (cat.56). Ce catalogue est utile non seulement aux collectionneurs d’art russe ancien, mais aussi à tous ceux qui s’intéressent à l’iconographie orthodoxe, à l’art byzantin et à ses métamorphoses, dans l’univers que Nicolae Iorga appelait Byzance après Byzance. Constantin I. Ciobanu