'ÛÂ^'^miiSSilSSIÏ f D O X i n < F N . V E R R I È R E S V I> E » LA R É D E M P T I O N A N O T R E - D A M E DE C H A L O N S - S U R - M A R N E PAT. S D I D R O N A I N É DIKECT*EUR DES ANNALES ARCHÉ 0 L 0 GIQ JJE S P A R I S L I B R A I R I E A R C H É O L O G I Q U E DE VICTOR DII>RON 2 3 , R U E S A I N T - D O M I N I Q U E , 2 3 • V E R R I E R E S LA RÉDEMPTION A N O T R E - D A M E D E C H A L O N S - S U R - M A R N E D I D R O N A I N É D I R E C T E U R D E S ANNALES ARCHÉOLOGIQUES P A R I S L I B R A I R I E A R C H E O L O G I Q U E DE VICTOR D I D R O N 2 3 , R U B S A I N T - D . O M I N I Q T J E , 2 3 M D C C C L X 1 1 1 •y.-jr. n a sut DeacWP.ed NOTRE-DAME DE C H A L O N S - S U R - M A R N E V E R R I È R E S D E LA R É D E M P T I O N L'église Notre-Dame de Ghâlons-sur-Marne compte parmi les monuments les plus accomplis que la pre- mière moitié du xm e siècle nous a légués. Simple dans l'ensemble, recherché dans les détails, cet édifice réa- lise dans une bonne mesure l'idéal de la beauté chré- tienne, c'est-à-dire la variété disciplinée par l'unité : la construction en est parfaitement homogène et l'or- nementation infiniment variée. Les intéressés le savent bien ; car, depuis longtemps et surtout depuis la renais- sance de l'art du moyen âge, l'église Notre-Dame sert de modèle aux jeunes artistes qui s'appliquent à repro- duire l'art du x i i i 6 siècle. Lors du concours ouvert pour le projet de la grande église Notre-Dame-de-la- Trèille, à Lille, plus d'un architecte français et même 4' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . anglais s'était inspiré des motifs élégants et sévères à la fois qui abondent dans Notre-Dame de Châlons. Entre autres beautés originales de cette église, on remarque cinq fenêtres percées dans le mur du portail occidental. Ces cinq grandes baies, qui éclairent l'oc- cident plus vivement peut-être que l'abside même ou l'orient, régnent sur trois étages. Au premier, c'est le tympan à jour qui sert d'amortissement à la grande porte. Au second, ce sont les trois grandes fenêtres qui s'alignent sur la grande n e f , à la hauteur de l'orgue. Au troisième, enfin, c'est la rosace à douze rayons, qui s'arrondit à la naissance de la grande voûte. Ces cinq fenêtres, remplies de vitraux blancs, jetaient dans toute l'église une lumière blême qui déco- lorait les autres vitraux du monument. M. l'abbé Champenois, curé de Notre-Dame, a jugé avec raison qu'il fallait avant tout remplir ces cinq baies de ver- rières historiées pour rendre à l'édifice l'harmonie de couleur qu'il avait autrefois et lui donner la significa- tion symbolique dont une église comme Notre-Dame doit porter le cachet. Appelé par la confiance et l'amitié de M. l'abbé Champenois à composer et exécuter ces cinq ver- rières, j'ai fait des efforts pour ne pas me rendre trop indigne du noble édifice qu'il s'agissait de décorer. D'autres diront si j'ai réussi, pour la couleur et le dessin, dans l'imitation du style propre à la fin du xne siècle et au commencement du xiiie, mais je de- V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 5 mande la permission d'indiquer au moins le système iconographique dont j'ai dû faire choix. L'église est une Notre-Dame, et, par conséquent, tous les sujets admis devaient rappeler la sainte Vierge. La vie évangélique de la mère de Dieu étant* avec juste raison, réservée aux verrières de sa cha- pelle particulière de l'abside, à l'orient, j'ai cru qu'à l'autre extrémité, au portail occidental, je pouvais entonner un chant de triomphe en l'honneur de Marie. Dans les églises des xne et xme siècles, les sujets des verrières s'ordonnent assez souvent comme il suit : Les nefs, qui sont comme le vestibule du chœur, oifrent les personnages et les histoires de l'Ancien Testament. Le chœur et le sanctuaire sont consacrés aux personnages et aux histoires de l'Évangile. Les chapelles absidales sont occupées par les saints qui ont constitué l'Eglise et rempli le monde moderne. On s'avance ainsi, par ordre chronologique, depuis les premiers temps de la Genèse jusqu'aux époques actuelles, et l'on se retourne vers le portail de l'occi- dent où se résume par le symbolisme toute l'histoire qui s'est déroulée dans les nefs, le chœur, le sanc- tuaire et l'abside; on s'arrête enfin à la grande rose où, comme à Chartres, se développe le jugement dernier. Dans une Notre-Dame, les sujets devraient s'or- donner à peu près de même. Aux fenêtres des nefs on verrait les ancêtres de Marie, ancêtres selon la chair 6' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . et l'esprit, qui remplissent tout l'Ancien Testament. Les personnages de l'Évangile, qui ont vécu avec la Vierge, à commencer par son père et sa mère, occu- peraient le chœur et le sanctuaire. Dans les chapelles de l'abside se développerait toute l'histoire de Marie : histoire de sa vie terrestre et bienfaits de son existence dans le ciel. Enfin, c'est au portail occidental qu'il faudrait condenser et poétiser, par le moyen du sym- bolisme, tous ces faits épars, mais disposés chrono- logiquement dans toute la longueur de l'édifice. Telle est la tâche que je me suis imposée pour le grand portail dé Notre-Dame de Châlons. Ce thème de l'existence poétique ou surnaturelle de Marie m'était inspiré par le fameux candélabre de Milan connu sous le nom de « l'Arbre de la Vierge » ; j'ai dû seulement le préciser sur certains points et, vu la place importante dont je disposais, le développer presque partout. L'iconographie de ce candélabre, compliquée au premier aspect, est cependant d'une grande sim- plicité. Une femme, Eve,' perd le monde en écoutant les suggestions du démon ; une autre femme, Marie, rachète le monde en écoutant les paroles de l'ange. L'univers physique et moral, corrompu par la faute d'Adam et d'Eve, est revivifié par la vertu de la sainte Vierge qui, mère du Rédempteur, devient ainsi la co- rédèmptrice du genre humain. Tel est le sommaire,de la thèse à laquelle j'ai donné les développements' qui suivent. V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 7 Comme a.u moyen âge, les sujets s'ordonnent de bas en haut, de gauche à droite et de la circonférence au centre. T Y M P A N D E LA P O R T E . E N F A N C E D E L A V I E R G E . En bas, au premier étage, c'est le tympan de l'en- trée principale du portail. Partout ailleurs, dans les églises des xne, xni" et même xive siècles, les tympans qui amortissent les portes sont presque, toujours pleins, en pierre et sculptés. Mais en Champagne, à Notre- Dame de Reims, à Notre-Dame de l'Epine, à Notre- Dame de Châlons, on aime les tympans à jour, qui admettent les vitraux; F occident,' ordinairement si sombre, s'illumine ainsi à l'égal du chevet oriental. Au centre du tympan, la jeune Marie est tenue dans les bras de sa mère, sainte Anne, comme plus tard, devenue mère h son tour, elle tiendra elle-même l'Enfant Jésus. Elle est toute jeune, et cependant, gage de l'avenir glorieux, elle est couronnée ainsi qu'une reine et nimbée ainsi qu'une sainte. En outre, à sa droite et à sa gauche, deux anges portent devant elle un flambeau allumé pour lui rendre l'honneur dû aux plus grandes- créatures, et deux autres anges l'en- censent comme l'être qui approche le plus près de la 8' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . D'ivinité. Les céroféraires sont debout, les thuriféraires sont à genoux. Tout ce groupe se détache en clair sur l'azur plus foncé du verre bleu. Au second étage, à la hauteur des tribunes, s'ou- vrent les trois grandes baies où se déroule en trente- six sujets la coopération de la sainte Vierge à la r é - demption du monde. La fenêtre gauche est occupée par la rédemption de la Nature ; la fenêtre droite, par la rédemption de l'Ame humaine; la fenêtre centrale, par la rédemption de l'Humanité ou plutôt de l'homme vivant en société. F E N t T R E DE G A U C H E . R É D E M P T I O N D E L A N A T U R E . M . ANGIi. 4 2 . A N G E , 9 . É T O I L E S . 1 0 . S O L E I L E T LUNE 7 . É T É . 8 . A U T O M N E . 5 . H I V E R . 6 . P R I N T E M P S . 3 . F E U . 4 . T E R R E . 4 . A I R . 2 . E A U . Ce petit tableau numéroté fera comprendre plus facilement la distribution et la suite des sujets, qui V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 9 s'ordonnent et qu'il faut lire de bas en haut et de gauche à droite. 1. AIR. — Après le déluge, un arc parut dans le ciel, brillant des plus vives couleurs, en signe de l'alliance que Dieu faisait désormais avec son peuple, Marie, arche et arc d'alliance, paraît dans l'air assise sur les nuées. Les fidèles s'agenouillent et l'invoquent en lui tendant les mains. Marie revêt tous les carac- tères que lui donne l'iconographie chrétienne. Elle est nimbée, couronnée, pieds chaussés, coiffée d'un voile, habillée de la robe et du manteau. Elle présente Jésus qui porte le nimbe crucifère et la robe longue, qui a les pieds nus, bénit de la droite et tient de la gauche le livre des Évangiles. Désormais, plus de déluge, paix et bienveillance dans les régions de l'air. En légende explicative du sujet : F O E D E R I S ARCA. 2. EAU. — L'eau du ciel et l'eau de la terre ne doivent plus couler que pour le salut et la prospérité du monde. Marie, fontaine de la vie, émerge d'un bassin que porte la personnification des quatre fleuves du paradis, le Phison, le Géhon, le Tigre et l'Euphrate. Chaque fleuve est accompagné de son nom écrit dans le filet de bordure. Dans le champ du médail- lon, à, la hauteur des épaules de la sainte Vierge, on lit : FONS VIT/E 10' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . 3. FEU. — Plusieurs fois, pour signifier la paci- fication des éléments et pour symboliser la virginité féconde de Marie, le feu apprit à ne pas brûler. Dans le désert, où il gardait son troupeau, Moïse vit un buisson enflammé et cependant aussi vert que si le feu lui eût été de la rosée. Dans le petit désert de la Champagne, aux approches de la nativité de Jésus, un berger vit un buisson brûler; le troupeau, que ce ber- ger faisait paître, s'inclina respectueusement devant les flammes et même les cueillit comme la chèvre cueille et broute les feuilles vertes. Dans ce buisson lumineux apparaissait, blanche comme la neige, une statue de la Vierge tenant sur ses bras l'Enfant Jésus. C'est à la place même de ce petit arbre en feu et cependant tout couvert de vertes feuilles que fut bâtie, à huit kilomètres de Châlons, la belle église de Notre- Dame de l'Épine. Le médaillon du vitrail représente Moïse se déchaussant devant le buisson enflammé du désert égyptien, buisson qui renferme Marie, et la légende suivante indique le sens de cette merveille : RUBUS A R D E N S INCOMBUSTUS. H . T E R R E . — Si le feu, comme une bête féroce qui s'apprivoise, s'est adouci au point de brûler sans rien consumer, la terre, que la justice de Dieu avait condamnée, depuis le péché d'Adam, à ne porter que des ronces et des épines, devint féconde après la rédemption. Marie, comme la Cybèle antique et V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 11 comme elle est figurée au grand portail de Notre- Dame de Paris, est une grande et forte femme dont les mamelles remplies de lait abreuvent l'humanité. De chaque main, toujours comme à Notre-Dame de Paris, elle tient un arbre vigoureux qUi germe et s'élance. En légende : VIRGO MATEK. 5 . H I V E R . — Les saisons pétrissent et fécondent les éléments. L'hiver appartient aux frimas, et c'est en hiver, pour en conjurer en quelque sorte les âpretës, que la Vierge enfanta le Sauveur. Comme il était difficile, pour ne pas dire impossible,'d'exprimer par l'allégorie cette rédemption des glaces et des pluies, on s'est contenté de reproduire le fait histo- rique. Couchée dans l'étable de Bethléem, Marie vient de mettre au monde l'Enfant Jésus que le bœuf et l'âne réchauffent de leur haleine. En légende, la p a r - tie du « Rorate cœli desuper », ce motet de la Nati- vité, qui représente le Rédempteur descendant du ciel comme une rosée, bienfaisante et comme une pluie de vertus : N U B E S P L U A N T J U S T t M . 6 . P R I N T E M P S . — La terre, comme dit encore le motet de Noël, ouverte par les pluies de l'hiver, a fait germer le Sauveur; maintenant, dans cette'sai- son du printemps, elle fait pousser toutes les plantes et toutes les ' fleurs. Marie, que 'ses litanies appellent 12' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . la rose mystique, et à laquelle le lis est comparé, pré- side naturellement à la saison nouvelle et règne sur la végétation. Elle tient une rose à la main droite et, comme une reine sur un trône, elle est assise sur un monceau de fleurs de toute espèce : crucifères, Iilia- cées, campanules, ombellifères, qui brillent de tout l'éclat du verre allumé par le soleil nouveau. En légende : ROSA MYSTICA. — LILIUM P U D I C I T I . E . 7. ÉTÉ. — L'été se résume dans lè mois d'août dont le signe zodiacal est précisément la Vierge. Comme la Cérès antique, mais Gérés convertie au christianisme, la mère de Dieu tient à la main droite une faucille et, à la gauche, une gerbe de blé. Elle est assise sur les nuées du ciel, comme pour tempé- rer les ardeurs torrides du soleil de l'été. En légende ; VIRGO SANCTA C E R E S . 8. A U T O M N E . — Marie, sur un trône, tient l'En- fant Jésus avec le bras gauche. De la main droite elle tend une coupe pleine de vin recueilli sur la vigne qui s'enroule, autour d'un échalas, à la droite et à la gauche. Mais ce vin est surtout mystique et, comme dit la légende de ce médaillon, c'est celui qui en- gendre les vierges : VINUM GERMINANS VIRGINES. 9. É T O I L E S . — Les astres e u x - m ê m e s avaient Z 2 V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 15 dû être atteints par la chute de l'homme, mais la r é - demption purifie leur influence sur l'humanité. Celle qu'on appelle l'Etoile du matin et l'Etoile de la mer luit désormais pour le salut et le bonheur de l'homme. D'ailleurs, aux jours de la nativité du Sauveur, une étoile guida les mages vers l'étable de Bethléem, et le ciel, par les grands corps lumineux, prit part à la rédemption du monde. Marie est figurée assise au centre même d'une étoile colossale dont les rayons débordent dans le champ du médaillon, et elle est cernée d'autres étoiles plus petites qui scintillent au jour naissant et qui justifient la légende : STELLA. M A T U T I N A . 1 0 . SOLEIL ET L U N E . — D'après l'Apocalypse, la Yierge a pour escabeau la lune et pour vête- ment le soleil. Elle est donc représentée les pieds sur le croissant de la lune et le corps enveloppé de rayons solaires qui l'entourent d'une vaste auréole. En légende les paroles mêmes de l'Apocalypse : AMICTA S O L E , LCNA SUB P E D I B C S 1 . 1 1 et 1 2 . D E O X ANGES ADORATECRS. — Ils sortent <1. Les diverses légendes ou inscriptions peintes s u r ces v e r r i è r e s sont e m p r u n t é e s aux livres saints, à la liturgie ou aux prières de [l'Eglise, à la tradition et m ê m e à la fantaisie littéraire. Chaque [lecteur saura bien en d é c o u v r i r là source p a r t i c u l i è r é ; il faudrait [trop de place p o u r i n d i q u e r tous les renvois. 14' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . à mi-corps des nuages, et occupent l'amortissement de l'ogive. Ainsi, dans cette fenêtre* on s'élève des éléments aux saisons et des saisons aux corps célestes ; on embrasse la nature entière dans ses trois étages de la terre, de l'air et du ciel. Gâtée par le péché originel, cette nature est guérie et rachetée par la Vierge, mère du Rédempteur divin. F E N Ê T R E D E D R O I T E . R É D E M P T I O N D E L ' A M E H U M A I N E . Voici l'agencement des sujets qui remplissent cette verrière : 1 1 . A N G E . 1 2 . A N G E . 9 . MUSIQUE. 1 0 . P O É S I E E T L I T U R G I E . 7 . A R C H I T E C T U R E E T S C U L P T U R E . 8 . P E I N T U R E . 5 . A R I T H M É T I Q U E E T G É O M É T R I E . 6 . A S T R O N O M I E E T P H I L O S O P H I E . 3 . FOI E T C H A R I T É . ' 4 . E S P É R A N C E E T R E L I G I O N . 1 . T E M P É R A N C E E T F O R C E . 2 . P R U D E N C E E T J U S T I C E . Avec le péché originel l'âme humaine était tombée dans la plus profonde corruption, et l'histoire an- cienne, surtout celle des peuples orientaux et des V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 15 Romains, est là pour attester la puissance du mal. Toutes les sources de la vertu étaient empoisonnées ou taries, et il fallut qu'un Dieu sauveur, né d'une Vierge, vînt les purifier et les remplir. La seconde fenêtre, celle de droite, tâche de mon- trer à sa manière cette résurrection de l'âme ainsi que la première, celle de gauche, a fait voir la purification du monde physique. La nature se compose d'élé- ments matériels; l'âme humaine, toute simple qu'elle soit, se compose de facultés morales, intellectuelles et affectives, qui sont comme ses.éléments immatériels. 11 ne faut pas chercher dans , ces fenêtres l'analyse de la nature et de l'âme comme: l'établiraient un physi- cien et un philosophe; de nos jours. Il s'agissait ici d'exécuter des,verrières;en style du moyen âge, et de même qu'il fallait être fidèle au style et à l'art de cette époque, on, devait, de même, obéir aux idées morales qui régnaient-alors et ne pas transporter nos idées modernes dans les ;xu" et xm e siècles où elles n'étaient pas nées. Aujourd'hui que nou.s possédons cinquante ou soixante-éléments de la nature physique, on se rit des quatre éléments de l'antiquité et du moyen âge. On' peut;sourire .aussi des quatre vertus cardi- nales, des trois vertus théologales et des sept arts libé- raux qui constituent la morale, la science et l'art du moyen âge; mais cette morale, cette science et cet art sont ceux qui ayajent - cours alors et ceux que nous devons admettre.; par conséquent dans notre ré- 46' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . surrection du passé. La seconde fenêtre montre donc ces facultés morales, intellectuelles et artistiques de l'âme, vivifiées et purifiées par l'incarnation du Sau- veur dans le sein de la vierge Marie. 1 . TEMPÉRANCE E T F O R C E . — Comme le péché originel était, en partie, né de l'intempérance, la vertu cardinale nommée Tempérance fut peut-être celle qui avait le plus souffert dans l'antiquité et que le christianisme tenait surtout à réhabiliter. Suivant une légende que le moyen âge n'a cessé de sculpter et de peindre, la sainte Vierge passa dans le temple tout le temps qui précéda son mariage avec saint Joseph. L à , elle vaquait à la prière et s'occupait de tapisserie. Mais, au lieu de lui donner, comme à ses jeunes compagnes, la nourriture terrestre préparée dans le temple, Dieu lui envoyait des anges qui lui apportaient, chaque jour, une nourriture céleste. On la voit ainsi figurée dans le médaillon ; elle tend' les mains vers les deux anges qui lui présentent le pain et le vin en lui disant : ECCE P A N I S ANGELORUM. Le champ de cette verrière n'offrait de place qu'à dix médaillons, tandis que les sujets s'élevaient à dix- huit ou vingt. 11 a donc fallu en grouper plusieurs dans un même cercle, et la Vierge « tempérante », figurée en même temps que la Vierge « forte », a été représentée foulant aux pieds le dragon, l'ennemi du V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 17 genre humain. En conséquence, elle est appelée la « Yierge puissante » : VIRGO P O T E N S . 2 . PRUDENCE ET J U S T I C E . — De la main droite, Marie tient un écusson timbré du serpent de la Pru- dence; de la gauche un écusson pareil, timbré de la balance de la Justice. Les deux légendes sont tirées des litanies mêmès de la Vierge" : VIRGO P R U D E N S . SPECULUM J U S T I T I / E . 3. Foi ET C H A R I T É . ^ Après les vertus cardi- nales, on monte aux vertus théologales, et les deux premières, la Foi et la Charité, sont réunies sur le même médaillon. La Yierge '« fidèle » est'accompagnée d'un calice surmonté d'une croix; ,1a Yierge « chari- table » est accostée d'une brebis qui donne sa toison, son lait et sa vie pour habiller et nourrir les hommes. Toutes deux, réunies en une seule personne, tiennent une banderole où se lit le premier mot du « Magni- ficat », cet admirable cantique de foi et d'amour com- posé par la Yierge même. En légende, pour les deux vertus, ces invocations des litanies : VIRGO F I D E L Ï S . CONSOLATR1X A F F L I C T O R U M . K . ESPÉRANCE ET R E L I G I O N . — La troisième des vertus, l'Espérance, est accompagnée de la Religion 18' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . qui réunit en faisceau les cardinales et les théologales. Le médaillon représente la Vierge tendant une°cou- ronne à une jeune femme qui figure l'Espérance; tan- dis que la Religion, une autre jeune femme, couronne en téte, étendard de la croix en main,, est assise sur la marche du trône où est posée la sainte Vierge. En légende, ces invocations à Marie : S P E S N O S T R A , SALVE. ' JANUA COELI. 5. ARITHMÉTIQUE ET GÉOMÉTRIE. — Après avoir purifié le cœur par les vertus dont Marie est le mo- dèle, on s'adresse à l'esprit pour l'élever aux con- templations de la science. L'arithmétique est figurée par la Vierge qui redit dans sa pensée les nombres un et trois, dont l'écho retentit déjà dans l'Ancien Testament et d'où jaillit l'unité de Dieu en trois p e r - sonnes. Fille de Dieu le Père, épouse du Saint-Esprit et mère de Jésus-Christ, la Vierge peut porter en légende ou en devise le texte tiré de. la Genèse et a p - pliqué au prophète Abraham donnant l'hospitalité à trois anges devant l'un desquels il se prosterne en adoration : « 11 en vit TROIS, il en adora UN » . De Bethléem, où naquit le Sauveur, à Jérusalem, où il mourut, la Vierge mesure celte route du triom- phe et de l'agonie; elle pratique avec douleur cette géométrie humaine qui s'étend de la vie à la mort et de la crèche au Calvaire. V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 21 Le texte de la Genèse sert de légende unique aux deux sujets du calcul : T R E S V I D I T , UNUM ADORA V I T . 6 . ASTRONOMIE EX P H I L O S O P H I E . — Marie, entou- rée du soleil, de la lune et des étoiles, comme saint Jean l'a vue dans l'Apocalypse, tient à la main droite un astrolabe avec lequel elle prend la forme, la dimension et la distance des corps célestes. De la main gauche elle soutient un livre où est écrit : PHILOSOPHIA. ; livre qui contient l'explication des faits et des idées. Elle est assise sur un siège qui figure celui de la Sagesse ou de la Science, suivant cette invocation des litanies placée au côté gauche du trône : S E D K S S A P I E X T I X » 7 . ARCHITECTURE ET SCULPTURE. — Le cœur, p u - rifié par la vertu, et l'esprit, éclairé par la science, s'élèvent jusqu'à l'art qu'ils vont transformer. Ecrasée par le paganisme, l'architecture se relève et monte jusqu'au ciel avec les cathédrales dont les plus hautes et l'es plus belles portent le nom de Notre-Dame. Pro- vocatrice et déshabillée par l'antiquité grecque et romaine, la sculpture se fait chaste sous le christia- nisme et reproduit indéfiniment ce type vraiment ado- rable de la mère qui porte son enfant. Personnifiée dans une femme grande et forte, couronnée et nim- bée, la Pjastique porte de la main gauche le simu- 20' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . •lacre d'une cathédrale et, de la droite," embrasse un petit groupe qui représente la Vierge tenant Jésus. Une légende, extraite des livres de Salomon et très-fré- quemment appliquée à la Vierge, rattache à l'art la Science ou la Sagesse, en disant : S A P I E N T I A . E D I F I C A V I T SIBI DOMUM. 8. P E I N T U R E . — La peinture inaltérable des mo- saïques et surtout la peinture transparente des vitraux appartiennent en propre au christianisme. Les cen- taines de verrières peintes dans Notre-Dame de Chartres témoignent de l'honneur que la peinture a rendu à la Vierge, honneur auquel, dans les vierges dites de saint Luc, le système antique de la peinture s'est lui-même associé. Dans le médaillon de notre fenêtre, Marie, toujours nimbée et couronnée, tient un simulacre de vitrail, et la légende, pour faire allusion aux vierges noires ou de saint Luc, dit : NIGKA SUM, S E D PULCHRA. 9. MUSIQUE. — Les orgues et les cloches, qui sont d'invention chrétienne, ont renouvelé et perfec- tionné la musique antique : la mélodie s'en est ampli- fiée et l'harmonie multipliée. C'est alors, comme s'exprime ce nouveau médaillon de la verrière, qu'on a pu dire à la musique de chanter des cantiques nou- veaux. La musique vocale y est figurée par une jeune femme qui tient une banderole où se lit le « REGINA V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 21 c q e l i L i E T A R E », et la musique instrumentale par une autre jeune femme qui accompagne en harmonie les paroles de la première avec une basse de viole. Toutes deux sont adossées à une petite statue de la Vierge élevée sur un socle, et la légende leur ordonne d'exé- cuter un chant nouveau : CANTATE CANTICUM NOVUM. 10. P O É S I E ET L I T U R G I E . — La poésie s'associe à la musique et la liturgie les comprend et les complète toutes les deux. A la liturgie, un évêque, précédé et suivi de son clergé, accomplit un office religieux, tan- dis que la Poésie, assise sur un trône, puise des pen- sées à des sources nouvelles d'inspiration. C'est de là que sont sorties les légendes pieuses, les épopées che- valeresques, comme la Chanson de Roland, les Mira- cles de la Vierge qu'a traduits Gautier de Coincy, les Drames liturgiques de Noël, de l'Épiphanie, de l'Assomption, des Trois-Maries. La légende du mé- daillon, tirée du « Sacris solemniis | de saint Thomas d'Aquin, montre bien qu'après la rédemption tout doit être nouveau désormais, les cœurs, les voix et les actions : NOVA S I N T OMNfA : C O R D A , VOCES E T O P E B A - 1 1 et 1 2 . ANGES A D O R A T E U R S . — L ' u n à droite, l'autre à gauche, ils sortent des nuages et remplissent l'amortissement de l'ogive; ils répondent, par leur 2 2 ' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . forme et leur attitude, aux deux anges de la première fenêtre. L'âme humaine s'est complètement renouvelée à la naissance du Sauveur, et, par l'Incarnation, la Vierge a coopéré au rachat de toutes les facultés humaines que la chute de nos premiers parents avaient asser- vies et oblitérées. Maintenant donc on peut s'élever de l'homme abstrait à l'homme concret et montrer que la société humaine a été, comme la nature et l'âme, sauvée par l'intermédiaire de Marie. La troi- sième verrière, celle qui est au centre et la plus grande de toutes, est occupée par cette démonstration. F E N Ê T R E C E N T R A L E . R É D E M P T I O N D E LA S O C I É T É . En voici l'ordonnance et la description : **• Ange- 12. Ange. R E D I M I T U R OHBIS. 9. Arche de Noé. 40. Victoire de Lépante. REDIMITUR P O P D L U S . 7. Esther couronnée. 8. Vœu de Louis XIII. R E D I M I T U R CIVITAS. 5. J u d i t h et Holopherne. 6. Voile de la Vierge. REDIMITUR F Â M I L I A . 3. Rébecca, Isaac et Jacob. 4. E n f a n t r e n d u à sa mère. R E D I M I T U R HOMO. 1. Moïse sauvé. 2. Théophile sauvé. V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 25 Nous procédons, comme toujours et comme l'a fait le moyen âge presque invariablement, de bas en haut et de gauche à droite. En partant de l'élément humain ou de l'homme seul, nous montons successivement à l'homme vivant en famille, à l'homme réuni dans la cité, à l'homme ' groupé en peuple; enfin à l'humanité'entière ou à l'homme disséminé dans le monde. Les exemples de la colonne gauche sont emprun- tés au vieux monde, à l'Ancien Testament ceux de la colonne droite sont tous tirés du monde nouveau. Marie exerce, ainsi sa puissance rédemptrice sur le monde antérieur à Jésus-Christ, par voie de figure ou de sym- bolisme, et, sur le monde postérieur à l'incarnation, par la voie de l'histoire ou de la réalité. 1 . MOÏSE SAUVÉ DES EAUX. — Une femme, la fille de "Pharaon, image de la Vierge, arrache aux eaux du Nil le jeune Moïse flottant dans une corbeille d'osier. Ce Moïse n'est qu'un homme', n'est qu'un enfant; mais cet enfant, devenu homme, sauvera h son tour un peuple tout entier. 2 . T H É O P H I L E SAUVÉ DE L ' E N F E R . — Rien de plus fréquent au moyen âge que la représentation peinte et sculptée de cette légende. Théophile, intendant d'un évêque d'Asie, étant tombé en disgrâce, avait vendu son âme à Satan pour avoir des trésors et se venger de ses ennemis. Revenu à lui, il pria la Vierge de le sauver et d'arracher des mains du démon le pacte 24' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . qu'il avait signé. Marie, pleine de compassion pour cette pauvre àmé; s'arme d'une épée et force Satan à rendre l'acte de vente. Théophile, pénétré de recon- naissance et d'amour, se jette aux pieds d'une petite statue de la Vierge qui tient Jésus. L'inscription explicative, commune aux deux mé- daillons du monde ancien et du monde moderne, an- nonce q u e , par la puissance ou l'intercession de Marie, 1'HOMME est sauvé : REDIMITUR HOMO. 3. JACOB SUBSTITUÉ A SON FRÈRE É S A U . —Instruite de la volonté de Dieu qui voulait confier à Jacob les destinées de son peuple-, Rébecca transporte le droit d'aînesse à son plus jeune fils, en faisant bénir Jacob à la place d'Ésaii par le vieil Isaac. Jacob, vêtu des habits de son frère aîné, reçoit de son père aveugle et sur le point de mourir la bénédiction réservée à son frère. 4 . L'ENFANT RENDU A SA MÈRE. — Dans les «Mi- racles de la Vierge», mis en vers français par Gautier de Coincy, à la fin du XII* siècle, on lit qu'un enfant pauvre s'en allait dans les rues d'une ville d'Angle- terre, chantant pour gagner sa vie le répons ou la prose « Gaude Maria ». Dans cette pièce, les Juifs sont pris à partie, et l'un d'eux, après avoir entendu les ma- lédictions adressées à sa nation, tua l'enfant et l'en- terra dans sa maison. Mais la Vierge ressuscita le V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 25 jeune musicien et le rendit à sa m è r e l . Dans le mé- daillon , la mère passe tendrement son bras droit au- tour du cou de l'enfant qui tient une banderole sur laquelle on lit : GAUDE MARIA. L'inscription commune aux deux médaillons dit : REDIMITUR F A M I L I A . 5. JUDITH DÉLIVRE B É T H U L I E . — Image de la Vierge, Judith délivre ses concitoyens en tuant Holo- pherne qui assiégeait la ville de Béthulie. Le sujet de la. scène est indiqué dans le médaillotf par les légendes : J U D I T H . — H O L O P H E R N E S . 6 . LA. VILLE DE CHARTRES DÉLIVRÉE PAR LE VOILE DE LA V I E R G E . — Chartres s'enorgueillit de posséder le voile de la sainte Vierge. Les Normands avaient assiégé la ville, et les habitants parlaient de se r e n d r e , lorsque l'évêque fit porter en procession le voile sacré. A la vue de cette relique, espèce de pal- ladium chrétien, les ennemis s'enfuirent et la ville fut délivrée. Dans le médaillon, l'évêque, suivi de son clergé, montre lui-même, du haut des murs de la ville, 1. Voir les « Miracles de la sainte Vierge, t r a d u i t s et m i s en v e r s par Gautier de Coincy », publiés par M. l'abbé Poquet, page 357 et suivantes. In-4°, Paris, 1857. 26' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . le voile de la Vierge aux fidèles qui se prosternent. On lit, au bas du tableau : C A R N O T E N S I S CIVITAS. L'inscription, commune à la délivrance de Béthulie et de Chartres, porte : R E D I M I T U R CIVITAS. 7 . ESTHER SAUVE SON P E U P L E . — En présence de Mardochée, Assuérus proclame Esther son épouse et lui met sur la tête la couronne royale. Mardochée, l'oncle d'Esther, monte en faveur et fait mourir Aman qui avait préparé la ruine du peuple hébreu. Esther sauve ainsi sa nation comme Judith avait sauvé sa ville. Des inscriptions désignent les personnages d'As- suérus et d'Esther. Mardochée, qui avait refusé-de se prosterner devant les maîtres et les ennemis de son peuple, est debout en face d'Assuérus. 8. Vœu DE Louis X I I I . — Pour obéir au désir de M. l'abbé Champenois, nous avons figuré le roi Louis X I I I , en manteau royal fleurdelisé, agenouillé devant une grande figure de la sainte Vierge à laquelle il consacre la France. La légende déclare que le royaume de France peut se dire le royaume de Marie : REGNUM GALLI.E, REGNUM M A R L E . L'inscription commune aux deux médaillons de gauche et de droite annonce que, par le couronnement V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 27 d'Esther et le vœu de Louis XIII, tout un peuple est racheté : R E D I M I T U R P O P U L O S . 9 . L ' A R C H E DE N O É . — Le genre humain tout en- tier est sauvé par l'arche, et la 'messagère du salut est la colombe. L'oiseau fidèle revient en rapportant un rameau chargé de feuilles pour annoncer que la terre est sortie des flots, comme un tfiort qui sortirait vivant du linceul. L'arche et la colombe sont regardées toutes deux comme l'image de Marie, qui est appelée « Co- lumba fidelis ». Au sommet de l'arche, où sont placés les oiseaux, Noé tend les mains pour recevoir la colombe qui tient à son bec un rameau. La légende de notre médaillon appelle Marie : ARCA S A L U T I S . 1 0 . VICTOIRE DE L É P A N T E . — Dans le golfe de Lépante, en 1571, fut anéantie ou du moins arrêtée la puissance ottomane qui menaçait d'écraser le monde chrétien. Cette espèce de déluge, qui devait submer- ger le christianisme, disparut dans ses propres ondes, et, nouveau Pharaon, le sultan Selim laissa toutes ses forces dans cette nouvelle mer Rouge qui s'appelle le golfe de Corinthe. Dans le médaillon, les soldats chré- tiens, reconnaissables à leur casque plat et à leur bou- clier droit au sommet, suivant la forme usitée au moyen âge, abordent et tuent les Sarrasins, qui portent 28' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . le casque conique et le bouclier arrondi. Cette victoire, le catholicisme l'a toujours attribuée à l'intercession de la mère de Dieu. Pour inscription commune aux deux sujets de l'an- tiquité biblique et du monde moderne : B E D I M I T U R O R B I S . Grâce à la médiation de la Vierge, la nature, l a m é et l'humanité, gâtées ou perdues par le péché originel, sont revivifiées et sauvées dans chacune des trois verrières par l'incarnation de Jésus-Christ ; les sujets à placer dans la grande rose qui couronne ces ver- rières doivent donc exprimer des actions de grâces à la mère de Dieu. L'univers entier doit concourir à ce témoignage de reconnaissance, puisque tout entier il est l'obligé de la sainte Vierge. C'est le « Te Deum »' qui termine cette espèce d'office que la peinture sur verre vient de célébrer à sa façon. R O S A C E . Cette rose est composée de quatre zones ou cercles concentriques qui se divisent en douze rayons. De même que dans les verrières on a procédé de gauche à droite et de bas en haut, de même ici, dans cette rose, nous avançons de la circonférence au centre, c'est-à-dire de l'inférieur ou du moindre au V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 29 supérièur. Du reste, par le tracé qui suit, on compren- dra plus facilement cette disposition. Saint Joseph. Saint Joachim. Sainte Anne. Virgile. Sibylle. Suzanne. Isaïe. Obéissance. Samuel. Jessé. Ézéchias. Saint Pierre. Humilité. Ange au berceau. Ange à l'arche. . Gédéon. Bethsabée. Prudence. Isaie. David. Ange à l'aigle. VIERGE. Ange au pélican. Salomon. Jésus de Sirach. Virginité. Ruth. * A a r o n " Ange à la Îune. Ange au soleil. Pudeur. Saint Paul- Booz. ' - ° b e d - Ozée. Solitude. Moïse. Marie de Moïse. Eve. Jacob. Abraham. Benjamin. Adam. % C I R C O N F É R E N C E OU P R E M I E R C E R C L E . Dans les douzè médaillons ou quatrefeuilles de la circonférence, les douze principaux ancêtres charnels de la Vierge rendent grâces à leur céleste petite-fille. Il fallait faire un choix pour n'en mettre que douze, 30' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . et nous avons pris trois patriarches, trois justes, trois rois, trois proches. parents. 1. PATRIARCHES. — Adam, à moitié nu, les reins couverts d'une peau de bête. Mains posées sur la bêche avec laquelle il est condamné à labourer la terre pour manger du pain à la sueur de son front. 2. Abraham, vêtu de la robe et du manteau. A sa main gauche la torche ardente qui devait mettre le feu 'au bûcher où il lui était ordonné de sacrifier Isaac, figure de Jésus-Christ. 3. Jj'innocent et jeune Benjamin. 11 porte la coupe d'or que Joseph avait fait mettre dans son sac de blé. II. JUSTES. — Le riche Booz offrant à la mère de Dieu les épis que glana Ruth, qui est à la fois ancêtre et figure de la vierge Marie. 5. Obed, fils de Booz et de Ruth, tenant une ban- derole. 6. Jessé, tenant l'arbre généalogique dont le som- met fut occupé par la Vierge et le Sauveur. 7. Rois. — David, par excellence l'ancêtre de Marie et tenant l'arche dont elle' est la réalité. 8. Salomon, qui porte le temple où fut adoré le vrai Dieu et où la Vierge présenta son fils. 9. Ézéchias, le plus saint des rois de la race de David. Sceptre en main. 1 0 . P A R E N TS. — Joachim, père de la Vierge, riche pasteur et tenant la brebis qu'il voulait offrir en sacri- fice. V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 31 11. Anne, mère de la Vierge, portant une colombe, emblème de pureté comme la brebis est «celui de Ja douceur; colombe et brebis symboles de Marie. 12. Joseph, mari de la Vierge, tenant la baguette fleurie où se repose le Saint-Esprit, en signe de pré- destination. Tous les douze regardant Marie qui est au centre, lui faisant hommage de leur attribut et célébrant ses louanges. D E U X I È M E C E R C L E . Après les ancêtres charnels, on s'élève d'un degré en avançant vers le centre et l'on arrive aux ancêtres spirituels de Marie, c'est-à-dire aux personnages qui ont annoncé ou figuré sa naissance glorieuse et ses destinées divines. Six hommes alternent avec six femmes. 1. Jacob, portant l'échelle qu'il vit en songe et qui faisait communiquer, image de la Vierge, la terre avec le ciel. 2. Ève, couverte d'une.peau de bête, les mains jointes et considérant le serpent qui fut l'auteur de sa faute, mais aussi l'instrument de la rédemption. 3 . Moïse, montrant le buisson ardent, qui est une image de la maternité d'une Vierge. l\. Marie, la sœur de Moïse, dont le nom est celui 32' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . de la sainte Vierge, et qui tient le tympanon sur lequel elle chanta le cantique de la sortie d'Egypte* comme la Vierge chanta le « Magnificat » du salut de l'humanité. 5. Àaron, armé de la branche verdoyante qui figure la Vierge mère, branche qui refleurit plus tard entre les mains de saint Joseph. 6 . Ruth, portant la gerbe qui lui valut la gloire d'entrer dans la famille de la mère de Dieu. 7. Gédéon, vêtu en soldat et tenant la toison qui figure la fécondité d'une vierge. 8. Rethsabée, tenant la couronne que lui donna son fils Salomon, prophétie du diadème que Jésus de- vait donner à sa mère après l'Assomption. 9. Isaïe, tenant le rameau d'où, comme une fleur, s'élève l'Enfant Jésus dont la naissance fut prédite par ce grand prophète. 10. Suzanne, portant la fontaine qui devait être la cause de son opprobre et, grâce au prophète Daniel, devint l'instrument de sa glorification. 11. Virgile, ouvrant le livre de ses Églogues où il annonce qu'une race nouvelle va descendre du ciel sur terre -. JAM NOVA P K O G E N I E S COELO D E M I T T I T U R A L T O . 12.. La Sibylle de Cumes, celle des douze qui pré- dit la nativité du Christ dans la crèche de Rethléem. Tous, hommes et femmes, les yeux vers Marie et lui o f f r a n t l'attribut qui prophétise la maternité divine. V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 33 T R O I S I È M E C E R C L E . Plus on s'approche du centre, plus l'idée se spi- ritualise. Ainsi, dans les neuf chœurs des anges qui entourent la Divinité, le cercle le plus éloigné est oc- cupé par les esprits inférieurs de la hiérarchie, les simples anges. Au contraire, le cercle qui touche au centre est rempli par les esprits sublimes , les plus élevés dans l'ordre des créatures, les premiers après Dieu lui-même. Si l'on peut s'exprimer ainsi, c'est l'étiquette divine que les princes de la terre ont co- piée : auprès du souverain, ses ministres ; loin du sou- verain, les serviteurs subalternes, ceux auxquels arri- vent les dernières lueurs de l'éclat suprême. Au troisième cercle de la rosace, les personnages remplissent un rôle plus élevé que les personnages du deuxième cercle et surtout que ceux du premier ; mais ce rôle est inférieur cependant à ceux du quatrième cercle. Ici, douze médaillons où sont représentées, par des personnages alternativement allégoriques et histo- riques, les six principales vertus de la sainte Vierge. 1. La Solitude, personnifiée dans une jeune femme qui tient sur un disque une chouette, l'oiseau qui aime à vivre seul. Elle dit avec l'Évangile ce texte de la 3 34 N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . Salutation angélique, quand l'archange Gabriel se pré- senta à Marie seule dans la maison de Nazareth : , I N G R E S S U S AD EAM A N G E L U S . 2. Ozée, le prophète de la solitude, y fait écho en disant, par application future à la vierge Marie : « Je la conduirai dans la solitude et je parlerai à sûn cœur » : DUCAM EAM I N S O L I T U D I N E M E T LOQUAR AD COR E J U S . 3. La Pudeur. Femme voilée tenant un disque où la salamandre éteint les flammes de l'impureté. Comme Marie, dans l'Évangile, elle se trouble aux paroles que lui adresse l'archange : TURBATA E S T I N SKRMONE E J D S . 4. Jésus, fils de Sirach et auteur de 1* « Ecclé- siastique », dit qu'une femme chaste et pudique est le " comble de la grâce : GRATIA S U P E R GRATIAM MULIER CASTA E T P U D O R A T A . 5. La Prudence. Une reine, car c'est une vertu cardinale, tient un disque où le serpent s'enroule au- tour d'un bâton, comme on le voit à Notre-Dame de Paris. Elle répète ces parolès de la Vierge à l'archange Gabriel : QUOMODO F 1 E T I S T U D ? 6 . Saint Pierre, les deux clefs du paradis à la V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 35 main gauche, et faisant de la main droite le geste de la discrétion. Il recommande la prudence et la prière : E S T O T E P R U D E N T E S E T V I G I L A T E I N ORATIONIBHS. 7. La Virginité. Une reine encore, tenant sur un disque la licorne qui ne se laisse approcher et prendre que par une vierge. Elle dit avec Marie : VIRUM N O N COGNOSCO. 8. Saint P a u l , tenant à la droite le glaive de son martyre et à la gauche le livre de ses Épîtres, où il or- donne aux vierges de penser aux choses de Dieu : VIRGO, C O G I Î A QU.« DOM1N1 S U N T . 9. L'Humilité, une femme qui pourrait être fière de sa jeunesse, de sa beauté, de sa richesse, et qui tient un écusson où l'aigle, le plus hardi des oiseaux, le plus orgueilleux et celui qui s'élève le plus haut dans l'air, vient néanmoins abaisser humblement son vol. L'Humilité dit avec la Yierge : ECCE ANCILLA D O M I N I . * 10. Isaïe proclame les faveurs que Dieu répand sur celui qui s'humilie; il dit : S U P E R e U E M R E Q U I E S C E T S P I R I T U S N I S I S U P E R H U M I L E M ? * ' ' " T f f l B 11. L'Obéissance, jeune femme douce et voilée, tient un écusson où passe la brebis, la plus douce et la 36' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . plus résignée des créatures. Elle dit avec Marie, comme conclusion de la Salutation angélique : F I A T M I H I SECUNDUM VERBCM TDUM. 12. Le prophète Samuel fait écho à, l'obéissance de la Vierge et semble parler à la Mère de Dieu en déclarant que l'obéissance vaut mieux que le sacrifice : MELIOR E S T O B E D I E N T I A QUAM V I C T I M E . Chacun de ces douze personnages s'agenouille dans son médaillon par respect pour la Vierge, qu'il regarde avec amour et à laquelle chaque Vertu pré- sente son attribut spécial. Mon mérite n'est pas grand pour avoir trouvé ces vertus de la Vierge, les personnages historiques cor- respondants et les inscriptions des unes et des autres ; je les ai pris tout simplement dans les « Miracles de la Vierge » par Gautier de Coincy, déjà cité, et dans le beau manuscrit qui appartient au grand séminaire de Soisgons. » Q U A T R I È M E C E R C L E . Jusqu'à présent, les diverses créatures humaines ont fait hommage à la Vierge. Les anges dont elle, est la reine s'avancent à leur tour et lui présentent les attributs relatifs à la rédemption; ils résument pour V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 37 ainsi dire ce qui est développé dans les trois grandes verrières ouvertes sous la rose. Il n'y a que six lobes et par conséquent que six anges dans ce petit cercle. Pour la rédemption de la Nature, un ange présente le Soleil et un autre la Lune, les deux grands astres de la terre. Pour la rédemption de l'Ame, un ange offre l'Aigle de la foi et le Pélican de la charité, les deux princi- pales vertus. Pour symboliser la rédemption de l'Humanité, un ange tient le Berceau de Moïse et l'Arche de Noé, où furent sauvés un homme et le monde. Ces anges émergent du ciel et ne se voient qu'à mi-corps. C E N T R E . Enfin, au centre de la rose, la créature surhu- maine à laquelle s'adressent tous ces hommages et vers qui montent toutes ces actions de grâces, Marie, mère de Dieu, est assise sur un riche trône, dont le dossier est découpé en plusieurs lobes comiAe sur une mosaïque de Saint-Marc de Venise. Avec plus de place, on aurait fait de ce siège le trône de Salomon, ainsi qu'il est décrit dans le troisième livre des Rois : « Salomon fit un grand trône d'ivoire, couvert 38' N O T R E - D A M E D E C H A L O N S . d'or fauve, monté sur six degrés. Le sommet du trône était rond par derrière. Deux mains, à droite et à gauche, tenaient le siège. Deux lions étaient près des mains. Sur les six degrés, douze petits lions, à droite et à gauche. Jamais rien de pareil n'a été fait dans les royaumes du monde. » Marie, nommée dans les litanies le « Siège de la sagesse », avait droit à ce trône ainsi représenté en sculpture au portail occidental de la cathédrale de Strasbourg. Mais nous n'avions à notre disposition qu'un cercle d'un diamètre de 73 centimètres, et il n'était pas possible d'y faire figurer visiblement les six degrés, les deux mains, mais surtout les quatorze lions et lionceaux qui défendaient l'accès de ce trône; du moins, nous avons pris à tâche de lui donner une forme riche et un éclat puissant. Sur ce trône qui reçoit Marie, la sainte Vierge tient devant elle, à la manière byzantine et à la ma- nière latine du xiie-xm° siècle, l'Enfant Jésus. Le Sauveur bénit de la main droite toutes ces créatures historiques ou symboliques qui célèbrent les louanges de sa mère. Dans le tympan inférieur, Marie est portée toute jeune sur les bras de sainte Anne ; ici, avancée en âge, elle porte à son tour celui qu'elle a conçu pour la ré- demption du monde. Mais, jeune et âgée, elle est couronnée et nimbée, reine et sainte tout à la fois. Dans la rosace, se sont développés quarante-trois V E R R I È R E S D E LA. R É D E M P T I O N . 39 personnages; dans les trois grandes fenêtres, trente sujets, dix par fenêtre, plus six anges dans l'amor- tissement des trois ogives; enfin, dans la fenêtre du tympan, six figures d'une assez forte dimension. En tout quatre-vingt-cinq personnages, groupes ou mé- daillons , qui concourent tous à représenter la ré- demption du monde par la coopération de Marie. Je ne suis que le compositeur de ces vitraux; mais le dessinateur principal est mon chef d'atelier, M. Jules Boulanger, à qui je dois la rosace tout entière et le tympan de sainte Anne portant la sainte .Vierge dans ses bras. M. Boulanger a dessiné l'ornementation des verrières de la Nature et de l'Ame. M. Louis Weber, artiste spécial, n'a dessiné que les médail- lons de ces deux verrières; mais la fenêtre de l'Hu- manité,- ornementation et médaillons historiés, est en entier de sa main. Je devais cette mention de recon- naissance à mes deux habiles collaborateurs, qui ont si bien interprété ma pensée, mais surtout à M. Bou- langer, qui a coloré les cinq verrières avec autant de puissance que d'harmonie. PARIS. — IMPRIMERIE DE J . CLAYE, RUE SAINT-BENOÎT, 7 , fr L Ï B R A R Y O F T B E 1 SAN FRANCISCO Cfll I ME FOR WiMFN J 0 0 6 1 O