Lettre sur le futur concile œcuménique addressée / par Mgr. l'eveque d'Orleans au clergé de son C. h -Cdi/ncW: LETTRE SUR LE FUTUR - '. ABP5744 CONCILE ŒCUMÉNIQUE ADRESSÉE PAR Mgr L’EVEQUE D’ORLEANS AU CLERGÉ DE SON DIOCÈSE ET EXPÉDIÉE A SA GRANDEUR MONSEIGNEUR l’ARCHEVÊQUE DE QUÉBEC AVEC LES HOMMAGES DE l’AUTEUR QUÉBEC RÉ-IMPRIMÉE PAR AUGUSTIN COTÉ ET (?• N* 1 , RUE PORT DAUPHIN, 1868 CIRCULAIRE AU CLERGÉ. Archevêché de Québec, 20 décemhre 1868. Messieurs, J'ai cru que vous recevriez avec •plaisir Hadmirable Lettre sur le futur Concile" que VEvêque d'Orléans a adressé à son Clergé, le \er de novembre dernier. L'Illustre Prélat a eu la bonté de m'en envoyer deux exemplai/res, avec les mots : Hommage de l'auteur, " écrits de sa main, et suivis de sa signature. Après avoir lu cette lettre, fai •pensé que vous seriez heureux de l'avoir, et que vous la liriez vous-même avec admiration et grande édification. Hest pourquoi je me suis décidé sur le champ à la faire imprimer pour vous ; et, aujourd'hui, je vous l'envoie comme vos ÉTRENNES pour le prochain jour-de-Van, avec ma plus fervente bénédiction, que je vous donne en toute affection en Notre- Seigneur, à vous et à votre peuple. Demeurant bien cordialement Votre tout dévoué serviteur, t G. F., Archevêque de Québec. TABLE Pages. Introduction 5 I. — Le Concile 7 IL — Le programme du Concile 16 III. — Les Causes du Concile 20 IV. — Retour sur le passé 27 V. — Le secours offert par le Concile 31 VI. — Les craintes mal fondées au sujet du Concile 36 VII. — Le Concile et les Églises séparées 43 VIII. — L’Église catholique 54 Conclusion 58 QUÉBEC. —IMF. A. CÔTÉ ET G‘* LETTRE SUR LE FUTUR CONCILE ŒCUMÉNIQUE Depuis une année déjà, Messieurs, une grande attente occupait l’Eglise et le monde. Devant les Evêques catholiques, réunis à Eome pour le dix-huitième centenaire du martyre de saint Pierre, et pour la canonisation solennelle des Saints, le Souverain Pontife avait tout à là fois proclamé la nécessité d’un Concile œcuménique, et déclaré sa résolution de le con- voquer prochainement. La Bulle d’indiction vient de paraître. Le 29 juin dernier, jour de la fête des saints apôtres Pierre et Paul, le Saint-Père, par des lettres adressées à tous les Evêques du monde chrétien, a fixé la date du futur Concile, et convoqué à Eome l’Episcopat de toute la terre. Depuis cette époque, par deux Lettres vraiment paternelles, le Saint-Père a successivement invité les Evêques grecs non unis et nos Frères séparés de toutes les communions protes- tantes, à profiter du futur Concile, pour reprendre l’œuvre d’unité plusieurs fois déjà essayée par l’Eglise, et interrompue par le malheur des temps. Ainsi, ce n’est plus seulement une espérance. Le premier acte nécessaire pour la tenue du Concile, sa convocation cano- nique, est accompli ; et les Lettres apostoliques, connues déjà du monde entier, et partout reçues avec joie, au milieu des préoccupations et des tristesses du temps présent, ont fait tressaillir les âmes : les regards se tournent de nouveau vers Eome ; les indifférents, les ennemis eux-mêmes, attentifs, étonnés, sentent que quelque chose de grand se prépare. — 6 — Et en effet, Messieurs, ce qui se prépare à Eome et dans l’Eglise est un fait rare et solennel, dont nul ne saurait mé- connaître la souveraine importance, et ce sera peut-être le plus grand évènement du siècle. Qu’oil ne s’étonne pas de ce langage. Je le sais, des évè- nements, d’une portée immense, ont marqué le début du XIXe siècle, et sa course orageuse ; de profondes révolutions ont passé sur lui, et hier encore nous voyions renverser un des plus vieux trônes de l’Europe ; des conflagrations, des guerres ont agité les nations 5 des problèmes redoutables sont posés à l’heure qu’il est dans le nouveau et l’ancien monde. Toutefois, il est, même en ce siècle, quelque chose de supérieur aux ambitions terrestres et à Tardent intérêt des passions poli- tiques : ce sont les intérêts spirituels des peuples, et ces questions suprêmes dont la solution importe à la paix des âmes et aux destinées éternelles de l’humanité. Et c’est pour cela. Messieurs, que l’Eglise,— qui paraît si peu de chose à certains hommes, et leur semble occuper, dans nos modernes sociétés, une si petite place, qu’on entend aujourd’hui des politiques conseiller sérieusement de n’en plus tenir compte, — l’Eglise est et demeure la plus noble puissance du monde, parce qu’elle est la Puissance spirituelle, et Kome, centre de cette Puissance, Eome, qui bientôt verra dans ses murs ces grandes assises de la Catholicité, sera toujours, selon la parole de son poète, la plus belle et la plus sainte des choses qui soient sous le soleil : Rerum pulcJierrima Roma, Qu’est-ce donc. Messieurs, que cette Eglise catholique, et qu’est-ce que ce Concile qui va, dans quelques mois, présenter un si grand spectacle au monde ? A l’exemple de plusieurs de mes vénérés Collègues, qui ont déjà, en France et dans les diverses parties de la chrétienté, publié des instructions pastorales sur ce sujet, je viens à mon tour vous en entretenir. Je vous rappellerai ce que sont les Conciles œcuméniques, auxquels depuis longtemps nous ne sommes plus accoutumés; je vous dirai quels motifs, inspirés d’en haut, ont décidé le Saint-Père à cet acte le plus extraor- dinaire, le plus considérable du gouvernement pontifical ; puis nous verrons s’il y a quelque fondement aux alarmes que l’an- nonce d’un tel acte a fait naître chez quelques esprits malveil- lants ou mal éclairés ; je vous ferai connaître enfin ce que nous, Évêques, Prêtres, et Fidèles, avons droit d’espérer. I Le Concile. Dieu, dit Bossuet, a fait un ouvrage au milieu de nous, qui, détaché de toute autre cause, et ne tenant qu’à lui seul, remplit tous les temps et tous les lieux, et porte par toute la terre avec l’impression de sa main, le caractère de son autorité : c’est Jésus-Christ et son Eglise.” Il existe donc en ce monde, au-dessus des choses humaines, et toutefois profondément mêlée à elles, une société spirituelle, un empire des âmes : empire d’un ordre à part et divin, plus des deux que de la terre, et * cependant empire véritable ici-bas, société complète, ayant, comme toute société, son or- ganisation, ses lois, son action, sa vie ; société fondée non de main d’homme, mais par Dieu même, et n’ayant besoin pour exister de l’autorisation de personne ; car elle a une mission comme une origine sacrée, et tient de là tous ses droits essentiels ; voyageuse sur la terre et divine étrangère, comme dit encore Bossuet, et pourtant souveraine, souveraine des âmes, où elle a un siège inviolable ; n’empiétant pas sur les pouvoirs humains, mais n’abdiquant pas devant eux ses droits divins ; heureuse de rencontrer leur concours, et ne repoussant pas leur alliance, mais sachant, s’il le faut, s’en passer ; ne gênant pas leur mission terrestre, mais ne pouvant consentir à ce qu’ils gênent la sienne : société universelle, qui ne connaît point de limites dans le temps, ni de barrières dans l’espace ; dépositaire des biens célestes, et chargée de communiquer aux hommes jusqu’à la fin des âges la vérité évangélique, et pài* cette mission, comme par cette origine’ et cette expansion, tenant dans le monde, civilisé par elle, une place que nulle autre puissance ne remplira jamais. Oui, il y a cette merveille sur la terre : au milieu de tous les gouvernements humains, temporels, limités, changeants, il y a cette société spirituelle, ce gouvernement des âmes, partout répandu, immuable et sans frontières, l’Eglise. Si nous regardons de plus près sa constitution, — et il faut y jeter au moins un regard rapide, pour bien com- prendre le plus solennel de ses actes, le Concile œcuménique, — nous verrons avec quel art divin Jésus-Christ y a propor- tionné les moyens à la fin. Le Fils de Dieu, c’est notre foi, a donné aux hommes, non pour un temps, mais pour toute la durée des temps, omnibus diehus, usque ad consummationem sœculi, un ensemble de vérités, de commandements, et d’insti- tutions sacrées. Ces révélations divines, la société chrétienne que Notre-Seigneur nommait son Eglise, Ecclesiam meam, en a le dépôt : société visible, la religion ne devant pas être une chose occulte ; et perpétuellement visible, puisque la perpétuité lui a été promise ; enfin société universelle, puisque tous les hommes, sans exception, y sont appelés et admis. Mais le dépôt des révélations, divines ne se pouvait trans- mettre sans altération à travers les âges, s’il eût été livré aux interprétations mobiles et capricieuses du sens privé : il était donc indispensable d’instituer une autorité doctrinale, souve- raine, c’est-à-dire infaillible ; car une autorité ne peut être souve- raine en matière de foi, et obtenir l’assentiment intérieur, sans être infaillible. Et c’est ce qu’a voulu et fait le fondateur du Christianisme, lorsque, donnant aux apôtres leur mission, il prononça ces paroles, les dernières qui soient sorties de sa bouche : Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie. Allez donc : Enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père, et du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur “ à observer tous les commandements que j’ai faits aux hommes : et voici queje suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consommation des siècles.” Tel est donc le caractère essentiel de TÉglise : c’est une au- torité doctrinale, providentiellement infaillible par l’assistance divine, dans les choses révélées de Dieu. De l’infaillibilité, on le comprend, naît l’unité ; non pas une unité accidentelle et de fait simplement, mais une unité néces- saire et permanente, puisque le principe d’unité est permanent dans l’Eglise. Le principe, et de plus le centre d’unité : cela •était encore dans la nature des choses, dans les indispensables conditions d’une Eglise ainsi fondée. En effet, à cette Eglise en- seignante, répandue dans tout l’univers, il fallait, pour la rallier en un seul et unique corps, un centre, une tête, un chef : à cette nécessité Jésus-Christ n’a pas manqué, et parmi ses apô- tres, il en choisit un, qu’il investit de privilèges spéciaux, auquel il confia, selon sa divine expression, les Clefs du royaume des GieaXy qu’il établit la base, la Pierre fondamentale de l’édifice, qu’il chargea de confirmer ses frères dans la foi^ qu’il nomma le pasteur des hrehis comme des agneaux, c’est-à-dire, le Pasteur et le Chef de tout le bercail. Yoilà la hiérarchie de l’Eglise. Pour donner un perpétuel démenti au temps qui détruit tout, et le secours nécessaire à l’esprit humain qui change sans cesse, il fallait une société reli- gieuse ainsi constituée. Mais il fallait aussi une main divine pour constituer de la sorte une société composée d’hommes ; et ces grands caractères d’autorité et d’unité, dans la perpé- tuité et la catholicité, sont sur l’Eglise comme l’empreinte éclatante de la puissante main qui l’a fondée. Elle demeure ainsi parmi les hommes, stable au milieu de la mobilité universelle. En vain l’inquiétude naturelle de l’esprit humain se heurtera à tous ses dogmes, et les hérésies succéderont aux hérésies (1) : cet inévitable mouvement ne pourra rien contre sa ferme constitution, et elle restera, comme dit l’Apôtre, la colonne et le fondement de la vérité : Golumna etfirmamentum Yeritatis (2). Telle est l’Eglise catholique. (1) Oporiel hæreses esse (Paul. 1 Cor. xi, 19.) Terrible oporiet, dit quelque part Bossuet. (2) I Tim., III, 13. Eh bien ! Messieurs, un Concile œcuménique, c’est cette Eglise catholique assemblée pour faire avec plus d’éclat l’œuvre que, dispersée, elle accomplit chaque jour sur la terre, à savoir, la transmission aux hommes et l’interprétation authentique des vérités dogmatiques et morales contenues dans la révélation évangélique. Et voilà. Messieurs, ce que je voudrais bien expliquer en ce moment, et faire entendre à nos contemporains, trop désaccoutumés de ces choses. Mon dessein n’est pas, toutefois, vous le comprenez, de traiter à fond des Conciles : on pourrait écrire et on a écrit sur ce sujet des volumes. Mais il y a ici du moins quelques notions nécessaires, qu’il est essentiel d’exposer avec précision^ puisque ces matières sont aujourd’hui peu familières, et qu’en toutes choses d’ailleurs les notions simples et fondamentalei sont les plus utiles. On appelle donc Concile, une assemblée d’ Evêques réuni- pour traiter de la foi, de la morale, et de la discipline. Un Concile est particulier ou général : particulier, s’il ne représente qu’une partie de l’Eglise ; général ou œcuménique s’il représente l’Eglise universelle. Un Concile général, paî cela même qu’il représente toute l’Eglise, a le privilège d’in faillibilité doctrinale et d’autorité suprême donné par Jésus Christ à l’Eglise elle-même, au corps des pasteurs uni à leui Chef : un Concile particulier ne l’a pas. Le Chef suprême de l’Eglise, le Pape, seul, a le droit de convoquer les Conciles généraux. Par la même raison, c’est aussi au Pape seul qu’appartient le droit de les présider. Et de fait, ce sont toujours les Papes, par eux-mêmes ou par leurs Légats, qui ont présidé les Conciles œcuméniques. Ainsi, à Nicée, à Constantinople, à Ephèse, à Chalcédoine, de même qu’au Concile de Trente, les Papes présidèrent par leurs Légats. Aux Conciles de Latran, de Lyon, de Vienne, de Florence, ils présidèrent en personne. Très-Saifit Père, — écrivaient à saint Léon les Pères du “ Concile de Chalcédoine,— au milieu des Evêques, juges de — 11 — la foi, vous présidiez, comme le chef aux membres, en la per- sonne de ceux qui tenaient votre place (1).” De même qu’il appartient au souverain Pontife de convoquer et de présider le Concile général, c’est à lui qu’il appartient de le clore, de le dissoudre au besoin, comme de le confirmer. L’accord des Evêques avec le Pape est manifestement néces- saire à l’issue œcuménique d’un Concile. Kéunis en Concile de toutes les parties du monde, et ayant le Pape à leur tête, soit par lui-même, soit par ses Légats, les Evêques décident les questions, comme témoins de la foi de leurs églises, comme juges de droit divin : Episcopis judicihus^ disaient tout à l’heure les Pères de Chalcédoine. Definiens subscripsi ; suhscripsl pronuntians cum sanctâ synodo^ c’est ainsi que les Evêques signaient à Chalcédoine et à Ephèse, et aussi à Trente. Le droit a réglé les formes extérieures de ces assemblées. On distingue les sessions solennelles, où sont promulgués les décrets ; et les congrégations , où ils sont élaborés. Avec quels soins, quels scrupules, quelles recherches ! l’histoire du Concile de Trente l’atteste, et le prochain Concile de Kome en sera une preuve non moins éclatante. Le Pape, en effet, dès qu’il a eu pris cette grande résolution de convoquer un Concile, s’en est occupé avec une activité proportionnée à l’importance de la future assemblée, et comme il convient au rôle du Chef de l’Eglise dans un Concile œcumé- nique. Plusieurs commissions ou congrégations, composées de savants Cardinaux, et de théologiens choisis dans tous les pays, ont été immédiatement nommées par lui, et travaillent avec ardeur à préparer les matières qui seront traitées au Concile. Il y a une congrégation spéciale pour le Dogme, une pour le Droit Canon, une pour ce qui concerne les Ordres religieux, une pour les rapports de l’Eglise et de l’Etat, une pour les Eglises d’ Orient. C’est l’usage dans l’Eglise, quand le Pape veut cortvoquer un (I) Epücopis jiididhus, sicut membris caput, prœeras in his qui tuum ienebanl Jocum. (Epist. ad Leon Conc. coll. R. t. IX, p. 204.) — 12 — Concile œcuménique, d’avertir d’avance et solennellement les Evêques qui doivent y apporter, avec l’autorité qu’ils tiennent de leur caractère, les conseils de leur expérience, et ce que leur dispersion dans tous les pays du monde leur donne de lumières et de compétence spéciale pour l’intelligence des temps et des besoins des peuples. Aussi, dès l’année dernière. Pie IX, dans deux allocutions adressées aux Evêques assemblés à Eome, leur annonçait le futur Concile ; et il vient, par sa dernière bulle, de les y appeler tous, et d’en fixer la date précise, afin que les Prélats, avertis et convoqués d’avance, aient le temps d’étudier à loisir les questions, et d’arriver parfaitement préparés pour l’époque indiquée par le Souverain-Pontife. Je n’ai pas besoin d’ajouter que, si le Pape et les Evêques assemblés peuvent porter des lois disciplinaires et modifier plus ou moins dans le Droit Canon ce qui n’est pas de sa nature immuable, la mission des Conciles, en matière de foi, n’est pas de faire le dogme ; on ne fait pas le dogme dans les Conciles, mais on le constate. Ce qui leur appartient et ce qu’ils ont toujours fait, c’est d’interroger les écritures et la tradition, ainsi que les interprètes autorisés de l’Ecriture et de la tradition ; et c’est à l’aide de toutes ces lumières rassemblées, après les débats les plus approfondis, et le secours longtemps invoqué de r Esprit-Saint, que le Concile prononce, et qu’on définit, selon les nécessités des temps et les besoins des âmes, ce qui a été, ce qui est la croyance de l’Eglise. L’histoire compte jusqu’ici 18 Conciles œcuméniques (1). Et (l) Voici la liste de ces 18 Conciles œcuméniques : 1“ Nicée, en 325, contre Arius, qui niait la divinité du Verbe; 2“ Constantinople, en 381, contre Macédonius, qui attaquait la divinité du Saint-Esprit ; 3“ Éphèse, en 43l, contre Nestorius, qui errait sur l’incarnation et refusait à la Vierge Marie le titre de Mère de Dieu ; 4“ Chalcédoine, en 451, contre Eutychès, qui s’était jeté dans une erreur contraire à celle de Nestorius ; 5“ Constantinople, en 553, contre les trois fameux Chapitres qui prolongeaient l’erreur des Nestorius sur l’incarnation ; 6° Constantinople, en 680, contre les Monothélites, qui prolongeaient l’erreur d’Eutychès, en refusant à Jésus-Christ une volonté humaine ; 7® Nicée, en 787, contre les Iconoclastes, ou briseurs d’images ; 8® Constantinople, en 869, contre Photius, l’auteur du schisme grec ; 9® Latran, en 1 123, pour la promulgation de la paix entre Je Sacerdoce et l’Empire, après les longues — 13 — il serait difficile de fixer le nombre infini des Conciles particu- liers.—Eien ne met plus en lumière que ces assemblées conci- liaires la puissante vitalité de l’Eglise et la force qu’elle porte en elle pour se défendre, soit contre les erreurs que l’esprit humain ne cesse d’enfanter, soit contre les corruptions et les abus, inévitables par l’infirmité de l’humaine nature. C’est la seule société sur la terre où les révolutions ne soient pas nécessaires, et où les réformes sont toujours possibles. Pas un de ces mille Conciles, en effet, qui n’ait statué sur la discipline en même temps que sur la foi ; et le grand Concile de Trente lui-même, sans avoir peur de ce mot de réforme qui avait embrasé l’Europe, le reprit, parce qu’il lui appartenait, et accompagna toutes ses définitions sur la foi de décrets sur la réformation : De reformaüone. Assemblés en Concile œcumé- nique, le Pape et les Evêques sondent d’un regard ferme tout l’ensemble de la situation des choses dans la république chré- tienne, et portent courageusement le remède aux blessures et aux souffrances. Par là l’immortelle jeunesse de l’Eglise se renouvelle, un souffle de vie plus active et plus forte se répand dans ce vaste corps, et la société elle-même en ressent l’heu- reuse influence. C’est donc, Messieurs, une de ces assemblées œcuméniques que le Pape vient de convoquer. Après avoir profondément médité sur les besoins des temps, et longuement prié devant Dieu, le chef de l’Eglise catholique a dit une parole, fait un signe solennel : c’en est assez, et de l’Occident et de l’Orient, du Nord et du Midi, de tous les points du monde habité, de toute tribu, de toute langue, de toute nation, les chefs de cette querelles des Investitures, et pour les croisades; 10“ Latran, en 1139, pour la réunion des Grecs, et contre les erreurs des Albigeois; 11“ Latran, en 1179, pour diflerentes questions de discipline et contre les hérésies du temps, Vaiidois, etc. ; 12“ Latran, en 1215, encore contre les mêmes hérétiques ; 13“ Lyon, en 1245, pour la Croisade et les démêlés avec l’empereur Frédéric ; 14“ Lyon, en 1274, pour la Croisade et la réunion des Grecs ; 15“ Vienne, en 1311, pour la Croisade et diverses questions de discipline, et pour l’affaire des Templiers ; 16“ Florence, en 1439, pour la réunion des Grecs ; 17“ Latran, en 1511, contre le con'ciliabule de Pise ; 18“ Trente, en 1545 contre le protestantisme. — Plusieurs sessions du Concile de Constance sont aussi regardées comme œcuméniques. —14— grande société spirituelle, tous les membres dispersés de ce gouvernement des âmes, qui prennent leurs noms des premières villes de l’univers où ils siègent, les Evêques vont partir, et se réunir au lieu marqué par le Souverain*Pontife, pour traiter ensemble, non pas, comme dans les congrès humains, de la paix et de la guerre, de conquêtes et de frontières, mais des âmes et de leurs intérêts sacrés, des choses spirituelles et éternelles ; pour obéir à cette parole divine, qui a fondé l’Eglise : Euntes ergo, Docete omnes Genies ; Allez, Enseignez toutes les Nations ; pour accomplir le devoir le plus auguste de leur souveraine mission ; pour proclamer, dans une assemblée générale de l’Eglise, en face des erreurs humaines, les vérités dont le dépôt sacré leur a été confié par Celui qui est la Vérité même : telle est l’œuvre d’un Concile œcuménique : en est-il sur la terre une plus grande ? Il y a trois cents ans que le monde n’avait vu de ces assem- blées, et au commencement de ce siècle encore, on les croyait impossibles. Dans les temps modernes, — écrivait J. de Maistre, il n’y a pas encore cinquante ans,—depuis que l’univers policé s’est trouvé, pour ainsi dire, haché par tant de souverainetés, et qu’il a été immensément agrandi par nos hardis navigateurs, un ‘ Concile œcuménique est devenu une chimère. ” On se souvenait aussi des difficultés politiques qui entra- vèrent si tristement le Concile de Trente, et les temps nou- veaux paraissaient plus défavorables encore : on croyait les pouvoirs modernes plus défiants et plus hostiles, et la liberté de l’Eglise plus entravée, son action plus amoindrie que jamais. Mais on avait tort de calomnier notre temps, et au lieu de por- ter des défis à la Providence, nous ferons mieux d’admirer sa puissante main, qui, comme le disait l’antique proverbe, écrit droit sur des lignes courhes, et force les évènements à se plier, malgré les hommes, à ses éternels desseins. Missionnaire et voyageuse, l’Eglise a besoin de voir abréger les chemins. Prê- cheuse et libératrice, elle profite et se réjouit de la chute de toutes les entraves. Or, notre âge a accompli ces deux œuvres, —15— la suppression des distances, rabaissement des barrières, j’en- tends les distances et les barrières dans le sens politique et social, aussi bien qu’au point de vue matériel. On a cru servir par là les intérêts, on a servi les croyances ; et tout ce mouve- ment, qui semblait s’être fait en sens inverse de l’Eglise et contre Elle, tourne à son profit. L’esprit des temps nouveaux oblige bon gré mal gré les gouvernements à plus d’équité envers l’Eglise, et fait tomber les vieux préjugés qui naguère encore gênaient son action ; et voici que la tenue d’un Concile œcumé- nique est, politiquement, plus facile aujourd’hui qu’elle ne l’eût été aux temps de Philippe II, de Louis XIY, ou de Joseph II. “ Pour convoquer seulement tous les Evêques, disait encore J. de Maistre, et pour faire constater légalement de cette con- vocation, cinq ou six ans ne suffiraient pas.” Et il suffit aujourd’hui à Pie IX de faire afficher sa bulle sur les murs du Latran ; la publicité moderne, en dépit même des volontés contraires, la porte aux extrémités du monde ; bientôt, grâee aux merveilleux progrès des sciences et de l’industrie, sur les ailes que la vapeur prête à nos vaisseaux et sur ces chars de feu qui dévorent l’espace, des continents les plus opposés, des îles les plus lointaines, les Evêques viendront, à l’appel du Pontife. Ils viendront des pays libres, et, nous l’espérons, de ceux même qui ne le sont pas ; et ainsi, j’aime à le redire, ce double courant des idées et des industries de notre temps, va servir non plus seulement à la vie matérielle, mais au gouvernement des âmes, à la plus haute manifestation de la vie spirituelle dans l’huma- nité, à la plus grande œuvre de l’esprit de Dieu sur la terre. Comme il est juste, comme l’a voulu la Providence, par cette harmonie secrète cachée au fond des choses et dans l’unité de l’œuvre divine, la matière aura été mise une fois de plus au service de l’esprit, et les pensées des hommes à l’ordre des conseils de Dieu. Trois fois déjà. Messieurs, vous le savez, depuis quelques années, les Evêques catholiques avaient pu se rassembler autour du Vicaire de Jésus-Christ : mais aucune de ces trois grandes réunions n’a eu le caractère d’un Concile. La gloire — 16 — de renouer, par la tenue d’une véritable assemblée œcuménique, les anciennes traditions de l’Eglise si longtemps interrompues, était réservée encore à ce magnanime Pontife, si fort dans sa douceur, si plein de sérénité dans ses épreuves, et si confiant au Dieu qui le soutient, et qui pour l’œuvre du Concile l’a manifestement inspiré. Il Le programme du Concile. Et pourquoi, dans quelles pensées, le Chef de l’Eglise con- voque-t-il à ces assises de la Catholicité ceux qu’il nomme ses vénérables Frères, tous les Évêques du monde catholique, ‘‘ que leur caractère sacré apjpelle à partager ses sollicitudes ? ” Omnes venerahiles fratres totius catholici orhis sacrorum antis- tites, qui in solUcitudinis nostræ partem vocati sunt. Les Lettres apostoliques nous le disent clairement : il faut les lire, et juger l’Eglise avec équité, sur ses propres paroles, et non pas sur de haineux ou de vains commentaires. Voici comment le Saint-Père trace dans sa bulle le programme du futur Concile : Ce Concile œcuménique, dit le Pape, aura donc à examiner avec le plus grand soin et à déterminer ce qu’il convient le mieux de faire, en des temps si difficiles et si durs, pour la plus grande gloire de Dieu, pour l’intégrité de la foi, pour l’honneur du culte divin, pour le salut éternel des hommes, pour la discipline du clergé régulier et séculier, pour son instruction salutaire et solide, pour l’observance des lois ecclésiastiques, pour la réfor- mation des mœurs, pour l’éducation chrétienne de la jeunesse, pour la paix commune et la concorde universelle. Il faudra aussi travailler de toutes nos forces, avec l’aide de Dieu, à éloigner tout mal de l’Eglise et de la société ; à ra- mener dans le droit sentier de la vérité, de la justice et du salut, les malheureux qui se sont égarés ; à réprimer les vices et à repousser les erreurs, afin que notre auguste religion et sa doc- trine salutaire acquièrent une vigueur nouvelle dans le monde entier, qu’elle se propage chaque jour de plus en plus, qu’elle reprenne son empire, et qu’ainsi la piété, l’honnêteté, la justice, la charité et toutes les vertus chrétiennes se fortifient et fleu- rissent pour le plus grand bien de l’humanité (1). ” Tout le programme, tout le travail du futur Concile est dans ces paroles. Il y aura donc là deux grands objets, le hien de VEglise, le hien de la société humaine. Il y a cela, et il n’y a que cela. Avant tout, l’Eglise s’assemble pour ranimer sa vie inté- rieure, et comme dit l’Apôtre, ressusciter la grâce de Dieu qui est en nous. C’est que l’Eglise, Messieurs, a ce privi- lège admirable que j e vous ai dit ; elle est le seul corps qui soit doué de cette puissance d’un perpétuel rajeunissement au sein d’une perpétuelle existence. En vertu de sa divine consti- tution, rien, dans les vérités quelle garde, rien ne change, rien ne se crée, rien ne se perd, pas une syllabe, pas un iota ! Iota unum, aut unus apex non jprœteribit (2), dit Jésus-Christ. Mais, institution vivante, composée d’hommes, empruntant ses chefs et ses membres à toutes les nations, à tous les rangs, toujours ouverte à qui veut venir à elle, et sans cesse accrue de nouvelles races,—comme un fleuve qui reçoit des rivières dans son sein, réfléchit les objets placés sur ses rivages, et adapte son cours aux climats, aux lieux et aux pentes, — (1) « In OEcumenico enim hoc Goncilio ea omnia accuratissimo examine sunt perpen- denda, ac statuenda, quæ hisce præserlim asperrimis lemporibus majorem Dei gloriam, et fidei integritatem, divinique cultus decorem, sempiternaroque hominum salutem, et utriusque Gleri disciplinam, ejusque salutarem, solidamque culturam, atque ecclesiasti- carum legnm observantiam, morumque emendationem, et christianam juventutis institm- tionem, et communem omnium pacem et concordiam in primis rescipiunt. Atque etiam intentissimo studio curandum est, ut Deo bene juvante, omnia ab Ecclesia, et civili societate amoveantur mala, ul miser! errantes ad rectum veritatis, justitiæ, salutisque tramitem reducantur, ut vitiis, erroribusque eliminatis, augusta nostra religio ejusque salutifera doctrina ubique terrarum reviviscat, et quotidie magis propagetur, et dominetur, atque ita pietas, honestas, probitas, justitia, caritas omnesque christianæ virtutes cum maxima humanæ societatis utilitate vigeant et efflorescaiit. > (2) S. Malth., V, 18. — 18— l’Église a le don de s’accommoder aux temps, aux institutions, aux besoins des générations qu’elle traverse et des siècles qu’elle civilise. De plus, elle est ici-bas dans un perpétuel labeur, afin de se rendre toujours plus digne de parler de Dieu aux hommes, et de manière à en être écoutée et comprise. Elle examine sans cesse, avec respect, mais avec une souveraine autorité, ses livres disciplinaires, ses lois, ses institutions, ses oeuvres, et surtout ses membres, répartis dans les divers degrés de la hiérarchie. Ah ! certes, nous ne nous croyons pas sans défauts, ni sans taches. Eh ! faut-il s’étonner, disait autrefois Eénélon, de trouver dans l’homme des restes de l’humanité ! ” Mais, grâces immortelles en soient rendues à Dieu, nous portons dans l’impérissable trésor des vérités et des lois divines dont nous sommes les dépositaires, le moyen de toujours reconnaître nos fautes et de nous réformer. C’est donc contre nous, ou plutôt c’est pour nous, avant tout, que le Concile s’assemble. Il n’y en aura pas un seul parmi nous qui, venant prendre séance dans cette auguste Assemblée, n’ait, le matin, plié le genou sur la dernière marche de l’autel, incliné son front, frappé sa poitrine, et ne se soit dit : “ Si Dieu n’est pas mieux connu, n’est pas mieux servi autour de moi, si la vérité souffre violence, si les pauvres ne sont pas assistés, si la justice est en péril, ô Dieu, c’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très-grande faute ! ” Kois de la terre, qui disposez quelquefois, avec une si effrayante liberté, du sort des nations, ah ! qu’un tel examen vous serait hon, à vous aussi, si vous pouviez le supporter ! O assemblées humaines, parle- ments, tribunaux, conventions populaires, pensez-vous que ce sévère regard porté sur soi-même, ces aveux, ces scrupules et ces habitudes courageuses de discipline et de réforme, seraient inutiles pour apaiser les agitations aveugles, les passions arro- gantes, ou secouer la somnolente routine ? Chacun de nous s’étant donc examiné, interrogé, accusé sévèrement, nous nous demanderons quels sont aujourd’hui les obstacles à la propagation de la foi parmi les peuples qui ne —19 — Font pas reçue, à son établissement parmi ceux qui l’ont perdue ; nous réviserons les réglements, nous réformerons les abus, nous rétablirons les lois oubliées, nous modifierons ce qui a besoin de l’être. Sous l’autorité suprême du Père commun, de l’Evêque des évêques, l’expérience des vieillards, l’ardeur des plus jeunes, l’inspiration des plus saints, la sagesse des plus savants, tout concourra à cette généreuse et sincère vérification de notre propre état, de notre mission sur la terre et de nos devoirs ; et cet examen sera fait dans la plus libre et la plus fraternelle discussion, et bientôt suivi de résolutions solides, qui deviendront dès lors, et pour des siècles, la règle de notre vie. Tel sera donc le premier objet de l’assemblée des Evêques: objet sublime et humble, qu’admirent avec respect les enfants de l’Eglise, et qui frappe ses ennemis eux-mêmes d’un étonne- ment qu’ils cherchent en vain à déguiser. Oui, notre ministère est si beau, nos assemblées si élevées au-dessus des autres assem- blées, que la langue des hommes contient l’involontaire aveu de cette supériorité. Dès qu’ils veulent définir une noble fonction, une mission supérieure, un rôle à part, ils le nom- ment, souvent même avec exagération, un Sacerdoce ; et s’ils veulent parler d’une réunion imposante, solennelle, qui mar- quera dans l’histoire, ils disent : c’était comme un Concile de rois ou de législateurs. Les langues humaines n’ont pas de mots plus élevés, sans que nous ayons. Prêtres ou Evêques, à nous enorgueillir ici ; car nos mains n’ont pas fait ces choses ; elles viennent de Dieu, et la hauteur des mots qui les expri- ment rappelle à notre humilité, avec la majesté de notre voca- tion,.la redoutable étendue de nos devoirs. Mais enfin pourquoi, de nos jours, à l’heure qu’il est, cette retraite de tout l’épiscopat catholique au sein d’un nouveau cénacle ? Si j’ose le dire ainsi, pourquoi cette sainte veillée des armes ? Pourquoi ces préparations, tout cet appareil et ce travail d’un grand Concile ? Pourquoi sous l’inspiration et sous l’œil de Dieu, le souverain Pontife a-t-il jugé bon de le réunir à ce moment, dans cette seconde moitié du xixe siècle ? 20— Il est dit de notre Maître, le divin Sauveur du monde : Yul- neratus est propter inquitates nostras. Eh bien ! c’est pour les iniquités des hommes, et pour les nôtres, que nous allons nous imposer tant de travaux. Plus les temps sont difficiles, plus il nous faut être purs pour de plus redoutables épreuves, armés pour des combats plus rudes, savants à la veille de discussions plus ardentes. Et si les hommes nous demandent pourquoi nous allons nous efforcer ainsi d’augmenter au milieu de nous la lumière et la charité, nous leur répondrons que, sans nous oublier nous-mêmes et nos besoins, nous le faisons à cause d’eux aussi, en contemplant leur état, ’ leurs aspirations et leurs souffrances, et dans le désir de leur faire plus de bien. III Les causes du Concile. Quelle est donc aujourd’hui la situation des âmes et l’état des peuples répandus sur la face de la terre ? Qui n’en est préoccupé ? Le Pape, en jetant son regard sur le monde et en prêtant de loin l’oreille aux bruits de la société contemporaine, n’a pas pu ne pas voir, comme tous le voient, ditdl, la crise profonde, ou, comme s’exprime la Bulle, la tourmente qui agite à la fois l’Eglise et la société : Jam vero omnibus comjpertum explora- tumque est qua horribili tempestate nunc jactetur Ecclesia, et quitus quantisque malis ijpsa affligatui' /Societas. Quelle est. Messieurs, cette crise de l’Eglise et du monde ? Si vous embrassez du regard la suite de l’histoire, et ce vaste océan des âges sur lequel nous sommes portés un instant, puis engloutis à notre tour, vous répondrez d’abord, il’ est vrai, que cette crise n’est qu’un incident de la crise perpétuelle, une scène du drame ininterrompu, qui compose la destinée du genre humain. Les passagers novices se croient toujours embarqués par un gros temps et s’imaginent que la mer n’a d’écueils et -21— de soulèvements que pour eux. Mais les vieux navigateurs savent bien que le flot est toujours incertain, et que la tem- pête du jour qui se lève avait été précédée par d’autres tem- pêtes. Et si nous sommes justes autant qu’attentifs, nous reconnaî- trons encore que cette crise du temps présent ne va pas au hasard, et n’échappe pas plus que les autres à la conduite de Dieu. Je dirai même, en considérant les desseins profonds de la Providence, que cette crise n’est pas sans grandeur, et qu’elle a sa beauté, ses lois, et sa fin, comme les phénomènes en apparence les plus confus et les plus désordonnés de la nature. A travers les luttes et les obstacles sans cesse renouvelés, l’Eglise, qui sait où elle va, et les hommes, souvent à leur insu, poursuivent l’idéal évangélique ; et l’Église, dont la mission est d’y élever les âmes, gémit ici-bas, parce que cet idéal n’est jamais assez réalisé pour le bonheur et la gloire de l’humanité. Sans doute, il faut reconnaître les efîbrts de travail, de savoir et de courage, que les hommes déploient aujourd’hui; ils ont, depuis quelques siècles, accumulé des trésors de science, de richesse et de puissance, et il s’est levé dans les deux mondes une surprenante moisson d’hommes de talent, artistes et orateurs, savants et militaires, administra- teurs et publicistes, dont les noms et les travaux seront salués par la postérité avec une légitime reconnaissance. Mais tout cela ne suffit pas à l’humanité : et, après avoir été justes envers le bien, soyons justes devant le mal, regardons en face notre siècle lui-même, et convenons, avec l’auguste et véridique Pie IX, que les sociétés humaines sont en ce moment profondé- ment troublées. Et ne croyez pas. Messieurs, que j’entende parler ici des troubles de la politique et de la guerre. Je le sais, l’Europe a plus d’une fois retenti, dans ces der- nières années, du bruit des batailles, et, à l’heure qu’il est, une sourde inquiétude agite encore les esprits ; les peuples arment, et se préparent, dirait-on, à des chocs gigantesques. Est-ce de ces puissants intérêts de la politique, de ces questions de « nationalités, d’équilibre et de frontières, que le Pontife veut parler ? Sans doute, l’Eglise n’est pas indifférente à la paix ou à la guerre parmi les nations, et ses prières montent chaque jour au ciel pour la concorde entre les Princes et entre les peuples chrétiens. Mais enfin, j’ai dû déjà le dire, ce n’est pas pour régler de telles questions qu’elle réunit son Concile, et la pacifique assemblée convoquée à Rome ne méditera ni révolu- tions ni conquêtes, ni ligues des peuples ou des souveraine, ni élévation ou renversement de dynasties. Tandis que toute l’Europe, et si nous jetons plus loin nos regards, tandis que le nouveau monde comme l’ancien, tremblent à des bruits de guerre ou de révolutions, là, à Rome, dans ce centre auguste, en ce lieu réservé, réunis auprès du Successeur de Pierre, autour de la chaire de vérité, les pasteurs des peuples, les pieds sur la terre et sur le roc immobile, mais les yeux au ciel, s’occuperont des âmes, des besoins des âmes, du salut éternel des âmes, en un mot, des intérêts supérieurs et permanents de l’humanité. Et certes ils feront bien ; car, qui peut le dissimuler ? les âmes ne sont-elles pas en péril, et la foi des peuples me- nacée ? Quelle hérésie nouvelle a donc surgi, me direz-vous ? Quelle hérésie. Messieurs ? Du sein de l’Eglise, aucune ; jamais le Clergé n’a été plus uni sur la foi, d’un bout à l’autre du monde. Hors de l’Eglise, au contraire, non-seulement les mêmes at- taques, cent fois repoussées, cent fois renouvelées, se reprodui- sent, sous des formes et avec des colères nouvelles, contre tous les points de la doctrine chrétienne : il y a plus que cela ; avec une impiété qui dépasse celle du xviiie siècle, les vérités naturelles elles-mêmes, ces vérités primordiales sur lesquelles tout ici-bas repose, sont niées et audacieusement discutées ; la science, elle aussi, a ses hérésies ; il y a schisme parmi les phi- losophes ; et la raison subit à son tour les assauts qui sem- blaient réservés à la foi. Chose étrange ! C’est la foi qui garde aujourd’hui les trésors de la raison, et lui sert de rempart. C’est vous, aujourd’hui, ô savants, ô penseurs, c’est vous qui —2B— svez besoin de nous 1 Vous nous accusez tous les jours de n'avoir ni la science ni l’intelligence ; mais vous, mes pauvres frères, si savants, si intelligents, vous n’avez presque pas su garder une seule vérité stable ! Et vous qui avez voulu réfor- mer l’Eglise, ô Protestants, c’est vous, aujourd’hui, qui avez besoin de réforme, et qui sentez combien le bienfait de l’auto- rité vous manque. Voyez, en effet, quel est l’état des intelligences^ Où s’en vont, de toutes parts, les philosophies séparées ? Depuis trois siècles, dans cette Allemagne, qui aujourd’hui s’entre-choque et s’ébranle si profondément, de violents esprits ont surgi, qui, rejetant le frein de la foi, et se livrant à toutes les témérités de la pensée, ont fait voir au monde étonné toutes les audaces, et en même temps toutes les défaillances de la raison, bientôt suivies, comme toujours, des audaces et des défaillances de la conduite De ces prodigieux efforts d’esprits et d’érudition, qu’est-il sorti ? La résurrection de toutes les erreurs antiques, le panthéisme, l’athéisme, le scepticisme, et dans la religion même, les fantaisies les plus contradictoires d’une exégèse où périrait tout Christianisme : voilà où ont abouti, sous nos yeux, dix-huit siècles après Jésus-Christ, les plus grands labeurs intellectuels peut-être dont le monde ait été témoin. Et, aujourd’hui, chez nous, que voit-on ? Les croyances religieuses battues en brèche, la dissolution de toute foi, même philosophique, l’écroulement de toutes les vérités rationnelles, et les envahissements d’une prétendue science enivrée d’elle- même, qui renie la raison, et veut, au nom du matérialisme et de l’athéisme, ravir aux hommes la foi en l’âme immortelle et la foi en Dieu. Par toutes les voies de la presse, journaux, pamphlets, romans, les doctrines les plus funestes sur Dieu, l’âme, la morale, la vie future, la famille, la société, sont ardemment répandues. Beaucoup de nos contemporains, ou sombrent dans ces erreurs, ou flottent, sans boussole et sans guide, à tous les vents du doute : de toutes parts d’orageuses — 24 — ténèbres se font dans les âmes, et pénètrent jusqu’au fond des masses populaires (1). En même temps, de grands malentendus se sont élevés (1) Quand j’ai publié, il y a deu« ans, VAlhéisme et le Péril social, et plus récemment les Alarmes de VEpiscopat, écrits dans lesquels je dénonçais les efforts de l’athéisme et de l’impiété contemporaine, quelques personnes^nt paru douter, malgré les preuves positives accumulées par moi, que le mal eût fait tant de progrès, et aussi que les doctrines impies pussent avoir des conséquences sociales si désastreuses. Eh bien ! dej)uis, les progrès de l’irréligion ont été si rapides qu’aujourd’hui le mal éclate de toutes parts. Il s’est tenu cette année, en Europe, trois principaux congrès internationaux d’ouvriers, à Bruxelles, à Nuremberg, et à Gênes. Dans ces congrès, qu’a-t-on entendu ? Des cris d’impiété et de guerre- sociale.- Guerre à Dieu ! Guerre aux gouvernements ! Guerre au capital ! L'Association internationale des travailleurs, réunie en congrès à Bruxelles, congrès formé par les délégués des associations ouvrières qui couvrent l’Europe, dans son rapport disait : € Aujourd’hui, l’homme a enfin- pu reconnaître son seul et véritable ENNEMI : en t politique, cet ennemi s’appelle LA LOI, symbolisé par le monarque ; en morale, DIEU, i symbolisé par les popes et les Papes ; en économie politique, L’INÉGALITÉ DES t CONDITIONS, symbolisé par le crédit (1). j Or, ce qu’il faut bien savoir, c’est que cette association internationale des travailleurs, née depuis quatre ans seulement, a déjà des ramifications dans toute l’Europe, et jusqu’en Amérique. Je lis, en effet, dans le discours du Président (séance du 6 septembre) : » En Amérique les ouvriers se sont organisés et affiliés... Ils comptent s’emparer bientôt J du pouvoir législatif, qui appartient actuellement aux bourgeois. » En Angleterre, la lutte des classes est également commencée et se poursuit avec c succès. € En Allemagne, en Suisse, l’association fait également des progrès. Cent et vingt c associations ouvrières sont en ce moment réunies à Nuremberg. i Les idées de l’association font aussi du chemiin en Italie > Nous venons de voir quelles étaient ces idées : le même Président, dans la même séance, les exposait ainsi : « L’ouvrier salarié est aussi malheureux que l’était autrefois le nègre d’Amérique... J plus malheureux encore... I II y a inévitablement guerre entre l’ouvrier et le patron. » L’ouvrier doit aujourd’hui devenir son propre patron. • Et le Président terminait ainsi son discours ; * Dans nos congrès antérieurs, nous avons I discuté nos théories : aujourd’hui, il faut agir. » Et les cent et vingt sociétés ouvrières réunies à Nuremberg ont, bien entendu, adressé leur adhésion au congrès de Bruxelles. Et parfaitement intelligents des moyens, les ouvriers du Congrès de Gênes ont résolu de fonder, selon la méthode des ligues d'enseignement qui s’organisent activement en France à l’iieure qu’il est, et que les gens qui n’y voient goutte prétendent inoffensives, des écoles pour l'instruction du peuple, mais des écoles sans religion. (1) Cité par l’Univers, du 3 octobre 1868. —25 — sur toutes les questions qui concernent l’Eglise, et, par suite, un combat acharné est livré aujourd’hui contre elle. Quand éclata en France la révolution, qui fait maintenant le tour de l’Europe et du monde, l’Eglise, attachée par des liens que le temps avait faits à l’ancien ordre politique, fut emportée avec lui dans la tempête, et on ne sut pas distinguer, dans cette lutte alors engagée contre elle, ce qui tenait à un état de choses légitime, sans être nécessaire, et ce qui constituait les principes essentiels et l’esprit immuable du Christianisme. Quand j’ai cité cette effroyable explosion de matérialisme et d’athéisme qui se fit, il y a deux ans, au congrès des étudiants à Liège, et ces cris d’impiété et de barbarie sauvage : I Guerre à Dieu ! Plaine à la bourgeoisie ! Haine aux capitalistes ! » € La révolution, c’est le triomphe de l’homme sur Dieu !... Il faut crever la voûte du ciel comme un plafond de papier !... > I Si la propriété fait obstacle à la révolution, il faut, par décrets du peuple, anéantir la c propriété !... Si cent mille têtes font obstacle, qu’elles tombent ! Nous n’avons d’amour t que pour la collectivité humaine ! > Quand j’ai cité ces paroles, et bien d’autres, les journaux impies de bonne tenue ont cru répondre en nous disant : < Ce sont des enfants ! » Eh bien ! sont-ce des enfants que les deux mille individus d’un côté et les trois mille individus de l’autre, qui se réunissent en ce moment même à Paris? Or là, on ne peut prononcer le nom même de Dieu, ni le nom de Jésus-Christ, ni nommer la foi chrétienne, sans soulever les plus violents orages ; au point q-ue, dans rime de ces réunions, un orateur s’étant oublié jusqu’à dire: A Dieu ne -plaise! ce mot excita de telles clameurs que l’orateur dut descendre de la tribune ; et, dans une autre réunion, un autre ayant simplement dit : A dater de Jésus-Christ,... descendit également de la tribune au milieu du tumulte et sous le coup des cris menaçants. Et je n’ai pas ouï dire qu’on ait fait descendre de la tribune celui qui disait dernière- ment : € L’épargne est une des formes de l’assassinat. i II n’y a pas jusqu’à la Charité qui n’ait été là honnie et bannie. Le président ayant proposé une quête pour les victimes de l’horrible accident de Metz, l’explosion de la poudrière, l’assemblée refusa, parce que cela eût été de la charité ; et la charité, s’est écrié un orateur, est d'essence catholique, et non pas d'essence démocratique. Que les choses aillent quelque temps de ce train, et le monde, on peut le prédire sans être prophète, verra des catastrophes comme il n’en a jamais vues. J’ai dit un jour dans un écrit que de telles doctrines nous conduisaient à la barbarie. On m’a reproché cette parole. Eh bien, la barbarie, on ne s’en défend plus : on l’affiche; je reçois ce matin même le prospectus d’un nouveau journal t matérialiste et littéraire, j qui va paraître à Paris précisément sous ce nom : LE BARBARE, et se déclare fondé pour le triomphe de l’athéisme. Ce prospectus professe que Robespierre ne fut qu’un arriéré et un réactionnaire, et que la Révolution n’est arrivée à son apogée qu’avec l'athéisme de la commune de Paris, avec les réquisitoires de Chaumette, avec le journal spirituel et profond d'Hébert. Eh bien, je le demande, est-ce donc un rêve que l’athéisme et le péril social? Ai-je eu tort de voir dans ces jeunes athées les Hébert et les Chaumette de l’avenir? — 26 — La haine, chez certains hommes, a survécu, aveugle, impîa- cable : oubliant dix-huit siècles de bienfaits, on a continué une guerre ingrate ; et comme ce flot de la révolution roule pêle- mêle en son cours vérités et mensonges, vertus et crimes, bienfaits et désastres, et que TEglise, qui ne pactise jamais avec l’erreur et le mal, persiste à signaler aux hommes de ce temps-ci rillusion des mots trompeurs et le dang'er des fausses doctrines ; disons tout, parce qu’on s’obstine à mettre sur le compte de l’Eglise des pensées et diBS prétentions qui ne sont pas les siennes, une presse impie ou égarée blasphème contre l’Eglise, cherche à soulever les peuples contre elle ; et nous entendons, dans de prétendus congrès sans mandat, dans les écrits des journalistes qui les inspirent, au milieu des cris de guerre sociale, des blasphèmes à la fois stupides et sanguinaires, contre l’Eglise ; et nous voyons même porter jusqu’^au sein de nos assemblées législatives cet antagonisme sans cause, au nom duquel on vient demander une séparation violente de l’Eglise et de la société. Et naguère, quand la voix du Souverain-Pontife s’éleva pour signaler le débordement des théories impies ou immorales qui nous inondent, que de clameurs encore, que d’accusations imméritées retentirent de toutes parts î Sans comprendre son langage, on le calomnia ; et nous vîmes avec douleur des hommes politiques, sous le coup d’une émotion précipitée, et sans de- mander ou attendre les explications nécessaires, se hâter aussi de proclamer un antagonisme qui, grâce à Dieu, n’existe pas. Ces hostilités contre l’Eglise, en éloignant d’elle les peuples abusés, rendent plus redoutable encore le péril où les erreurs contemporaines nous entraînent ; car les doctrines ne sont pas inoffensives, et c’est une loi de l’histoire, confirmée par une expérience constante, que M. de Bonald promulguait, quand il écrivait ces fortes paroles : ^^11 y a toujours de grands désordres là où il y a de grandes erreurs, et de grandes erreurs là où il y a de grands désordres.” Ce sont les idées qui enfantent les faits ; c’est d’en haut que viennent les orages. Et je le demande aux hommes de bonne foi : Vous avez — 27— voulu fonder le gouvernement des peuples et la conduite de la vie sur la raison seule. Il 7 a trois quarts de siècle que cette expérience se poursuit. Où en est-elle ? Les mœurs sont-elles meilleures ? L'autorité est-elle stable? La liberté est-elle fondée ? La guerre a-t-elle disparu? Et la misère ? Et l’igno- rance ? Et ces questions, que la raison pose avec une rare fertilité d’invention, mais qu’elle ne résout pas, ces questions qui touchent à l’organisation même des sociétés, au travail, aux salaires, aux ouvriers, où en sont-elles ? Je n’exagère rien en affirmant que, depuis que la raison prétend régner seule, elle règne, comme l’astre des nuits, sur des ombres qu’elle ne peut vaincre, et que la terre est devenue, même dans les sociétés les plus civilisées, un séjour d’inquiétude, de malaise, de division et d’effroi. Le dix-neuvième siècle va finir, agité, las, stérile, incontestablement malade. Bien téméraire serait celui qui oserait affirmer qu’il finira dans la gloire et non dans les abîmes. IV Retour sur le passé. Cependant, je supplie mes amis et mes frères dans la foi de ne rien exagérer. Il est permis d’être triste, en face de l’heure actuelle, je le répète, et j’estimerais peu fier un cœur qui ne se sentirait pas triste. Fils du xixe siècle, les hommes de mon âge avaient fait de beaux rêves, nous avions nourri de géné- reuses espérances ; nous allons mourrir, et mourrir déçus. Mais quoi ! notre courte vie est-elle toute l’histoire ? Nous ne vivions pas au xvie siècle, nous ne vivrons plus au xxe, mais l’Eglise vivait hier, et elle vivra demain. Si j’avais à dire ce qu’elle espère, toutes mes prophéties ne seraient pas lugubres, et, si je l’interroge sur ses souvenirs, le temps présent gagnera à être rapproché du passé. Keportons, en effet, nos regards vers les temps qui ne sont plus : verrons-nous beaucoup —28— de siècles qui n’uient pas eu leurs misères et leurs périls ? Ah ! devant les découragements de certains catholiques, j e me sou- viens de cette parole d’un des Livres sapientiaux : Ne dicas : Quid jputas causœ est quod priora temjpora meliora fuêre quàm nunc sunt ? Stulta est enim hujuscemodi interrogatio. Ne dites pas : Pourquoi les temps anciens étaient-ils meilleurs que ceux d’aujourd’hui ? Insensée est cette demande (1)/’ Je relisais ces jours-ci les huiles de convocation des anciens Conciles du moyen-âge : les gémissements des Papes sur les malheurs de leur époque dépassent ce qu’aujourd’hui pour- raient faire entendre les plus effrayés. Et pour ne pas remonter au-delà du Concile de Trente, que l’Eglise nous parle de ces temps, car elle y était. Que voyait-elle alors ? Un siècle assez semblable au nôtre par les grandes décou- vertes, par le goût des Lettres et la renaissance des Arts ; sem- blable aussi par le mauvais usage de ces dons. Le xvie siècle peuplait l’Amérique récemment découverte, s’y livrait à de monstrueux excès d’avarice et de cruauté, et y introduisait la honte de l’esclavage. Il en recevait des trésors, et il les tournait à la corruption des mœurs. Si nous regardons sur les trônes et au sein des peuples, et jusque dans l’Eglise elle-même, le spectacle a encore bien des tristesses. Ce siècle a vu Henri VIII, Elisabeth, Christiern II, Yvan le terrible, les Médicis, Charles IX et Henri III. Ce siècle a vu le sac de Kome et le siège de Paris. Ce siècle a vu la prétendue réforme déchirer l’Eglise, bouleverser l’Europe, couper en deux la Chrétienté. Qu’on lise les vies des grands et saints personnages de ce temps-là, de dom Barthélemi, des Martyrs, de saint Charles Borromée, de saint François de Sales, quelles révélations sur les maux de l’Eglise et de la société ? J’ai rappelé les bulles des Papes du moyen-âge : qu’on lise celles des Pontifes qui ont convoqué le Concile de Trente, et on verra si Adrien YI, Paul III, Pie lY, ne poussaient pas, sur les périls de la république chrétienne, des cris plus alarmés que ceux de Pie IX. Des (1) Eccl. VII, 11. — 29 — relâchements, des désordres, des scandales ; un clergé mal formé, des ordres religieux abaissés ; et puis les princes divisés, les peuples foulés, la guerre tous les jours, en tous les pays. Et pour ne parler que du Concile, assemblé dans des con- jonctures si tristes, il a fallu le réunir en une petite ville cachée dans les montagnes du Tyrol, attendre, six années, la bonne volonté des princes, le suspendre, le reprendre, et subir d’in- cessants et injustes combats. Mais, vains obstacles ! la vertu de l’Eglise triompha de tout ; et après le Concile, tout à coup quel spectable ! Quels grands hommes et quelles grandes œuvres sortis précisément du Concile, et du souffle régénérateur qu’il avait fait passer sur la société chrétienne ! Saint Charles Borromée, saint Philippe de Néri, saint Pierre d’Alcantara, sainte Thérèse, saint Jean de la Croix, saint François de Sales, sainte Jeanne de Chantal, saint Vincent de Paul, saint François de Borgig^, et saint François Bégis, héritiers de l’esprit des saint Ignace et des saint François Xavier ; puis, à la suite des Saints canonisés, les hommes apostoliques qui régénèrent les peuples, le bien- heureux Pierre Fourrier, le cardinal de Bérulle, M. Olier, M. Eudes, M. Bourdoise, l’abbé de Eancé et tant d’autres ; puis ces congrégations multiples, ces fécondes institutions qui font refleurir la vie cléricale et la vie religieuse, et raniment partout l’étude, la régularité, la charité : tout ce mouvement rénovateur enfin dont l’Eglise est travaillée ; puis Bossuet, Fénelon, et la majestueuse unité du xviie siècle. Et malgré tous les abîmes que cette mère immortelle des hommes a eus à franchir, l’Eglise a maintenant des temples à Jérusalem, la liberté a Pékin et à Constantinople, la hiérarchie épiscopale en Angleterre et dans les Pays-Bas, des Conciles à Baltimore, des missionnaires en Afrique, en Océanie et au Japon ; elle se réjouit au fond de l’âme de voir en tous lieux, malgré tout ce que la religion a encore à souhaiter et tout ce qu’elle déplore, des lois les plus équitables, des armées moins oppres- sives, les petits mieux protégés, les pauvres mieux assistés, les esclaves affranchis. Lorsqu’elle regarde en face la prétendue —30— réforme qui se dressait, pleine d’audace, appuyée sur la poli- tique au XYie siècle, l’Eglise aujourd’hui la voit doctrinalement défaillante, ayant parcouru son cycle et épuisé ses armes. Tout au contraire, l’Eglise catholique, dont on ne pouvait plus, dit-on, supporter les abus, se présente avec un Pape dont l’éminente vertu force le respect, des Evêques plus nombreux et zélés, des prêtres pieux, unis, dévoués, des Ordres savants et vertueux, retrempés dans la persécution et la pauvreté. Et lorsque cette Eglise veut assembler un Concile, c’est à Kome même qu’elle le convoque, avec le secours d’une immense publicité, des chemins sûrs, des transports rapides, et des facilités de tout genre qu’elle doit à l’esprit, à l’équité, et aux ressources du temps présent. On le sait assez, je ne suis pas de ceux qui ferment les yeux et se taisent sur les maux de notre époque et sur les périls des âmes. Mais je ne veux pas non plus répondre en ingrat aux bienfaits de Dieu, et ne pas voir les forces qu’il ménage toujours à son Eglise, et les facilités qu’il donne au bien dans les temps les plus mauvais. Il ne faut pas d’ailleurs l’oublier, c’est le devoir des hommes en tout temps de lutter, et à chaque siècle sa tâche et sa peine. Je plains, je ne maudis pas le temps présent : je ne désespère pas des peuples, et je ne jette pas non plus l’anathème aux princes : ils ne sont pas tout- puissants, et ils doivent compter eux-mêmes avec bien des difficultés. Je prie donc pour eux, comme le fait l’Église : et autant que ma faible voix le peut, je les avertis, et à tous, princes et peuples, je demande un concours loyal et sincère pour la grande œuvre de l’Eglise, qui est la sanctification et la civilisation du monde. Ce qui doit surtout nous donner, à nous, hommes du temps présent, sujet de gémir amèrement, ce sont ces trois maux arrivés aujourd’hui à l’état aigu : la ruine des croyances, préci- pitée par la direction impie des études scientifiques et philoso- phiques ; le débordement des mœurs accéléré par mille moyens nouveaux de propagande corruptrice ; et enfin les malentendus injustes que les ennemis de la religion se plaisent à perpétuer —si- entre l’Eglise et les peuples modernes. Voilà les trois maladies à guérir, s’il plaît à Dieu. Il est certaines personnes, aux yeux de qui ces trois fléaux ne sont que les résultats partiels de c ' qui est pour elles, dans le présent comme dans le passé, le plus grand de tous les fléaux, la révolution. Je n’aime pas ce mot vague, mal défini, qui se dresse et grandit à volonté comme un spectre ; mais ce qui est très-vrai, c’est que les maux dont je parle entretiennent au sein des sociétés une division des esprits, un mépris de Dieu et de toute autorité, un orgueil et une haine, qui menacent ces sociétés d’un retour continuel aux révolutions. Y Le secours offert par le Concile. Voilà donc pourquoi. Messieurs, l’Eglise, qui est l’amie des âmes, et qui ne fut jamais indifîerente aux maux de la société, s’est émue. Sans doute l’Eglise et la société sont distinctes ; mais cheminant côte à côte dans ce monde, et renfermant dans leur sein les mêmes hommes, elles sont nécessairement solidaires dans leurs périls et leurs douleurs. Et l’Eglise veut s’assembler, parce que, pour guérir les maux communs, elle sent qu’elle peut beaucoup. Ici, toutefois, gardons-nous encore d’exagérer comme d’atté- nuer la vérité. Dépend-t-il de l’Eglise de détruire tous les maux humains ? Non. Mais dans ce grand labeur, dans ce rude com- bat du bien contre le mal, elle a son rôle, un rôle immense, et elle vient le remplir. L’homme est libre et il fait le bien libre- ment. Mais il est assisté par la grâce divine, qui l’aide sans nuire à sa liberté ; car, comme le disait le grand Pape saint Célestin : Auxilio Del liherum arhitrium non aufertur^ sed lihe- ratuT. Dépositaire des biens célestes, l’Eglise est la divine assis- tante de l’homme, et lui prête, dans l’ordre temporel même, une assistance surnaturelle. Et si aujourd’hui elle s’assemble —32 — et se recueille, c’est, encore une fois, pour mieux accomplir sa tâche, et travailler avec plus d’efficacité et de puissance au bien de l’humanité. Qui peut douter, s’écrie le Saint-Père, que la doctrine de l’Eglise catholique ait cette vertu, que non-seulement elle peut servir au salut éternel des hommes, mais encore au bien tem- porel des sociétés, à leur vraie prospérité, bonne ordonnance et tranquillité ? Nemo enim inficiari unquam ^oterit catholicœ Ecclesiœ ejusque doctrinœ mm non solum œternam hominum salutem s^ectare, verum etiam prodesse temporali populorum honOj eorumque vçrœ prosperitati, ordini ac tranquillitati. ” Et qui pourrait contester cette puissance sociale et civilisa- trice de l’Eglise ? La religion ! la religion! s’écriait naguère un homme d’Etat éminent (1), cest la vie de V humanité, en tous lieux, en tous temps, sauf quelques jours de crises terribles et de décadences honteuses. La religion, pour contenir ou combler l’ambition humaine ; la religion, pour nous soutenir ou nous apaiser dans nos douleurs, celles de notre condition ou celles de notre âme ! Que la politique, la politique la plus juste, la plus forte, ne se flatte pas d’accomplir sans la religion une telle œuvre. Plus le mouvement social sera vif et étendu, moins la politique suffira à diriger Thumanité ébranlée. Il y faut une puissance plus haute que les puissances de la terre, “ des perspectives plus longues que celles de la vie. Il y faut “ Dieu et l’éternité.” Aussi le Saint-Père, après avoir rappelé l’influence bienfai- sante de la religion dans l’ordre temporel, proclame de nouveau l’accord, si souvent affirmé par lui, entre la foi et la raison, et le mutuel secours que, dans les vues de la Providence, elles sont appelées à se prêter Tune à l’autre : De même, dit-il, que l’Eglise soutient la société, de même la vérité divine soutient la science humaine ; elle affermit le terrain sous ses pas, et en l’empêchant de s’égarer, elle favorise ses progrès : Et humanarum quoque scientiarum yrogressui ac “ soliditati, ” (l) M. Guizot. 33— Entendez bien ces paroles, vous qui essayez vainement d'éri- ger la science en antagoniste de la foi ! Le Chef de l’Eglise ne craint pas la science, il l’aime, il la préconise, et il rappelle que les vérités chrétiennes servent à ses progrès et à sa solidité. Les plus illustres savants qui aient paru sur la terre, Leibnitz, Newton, Kepler, Copernic, Pascal, Descartes, auprès desquels nos savants, si leur orgueil n’est pas trop aveugle, se sentent bien petits, le pensaient comme lui. C’est là, ajoute le Pape, ce que l’histoire de tous les temps démontre avec une irrécusable évidence : Veluti sacræ ac fanæ historiœ annales splendidissimisr factis clare a^erteque ostendunt. Et c’est le sens du mot si connu de Bacon : Un “ peu de science éloigne de la religion ; beaucoup de science y ramène. ” La science, en effet, portée à sa plus grande hauteur, embrasse tout l’ensemble des vérités, et en découvre l’ordre total. L’ignorance présomptueuse ou les passions aveugles de notre époque peuvent l’oublier ; mais les plus grands esprits ont toujours reconnu cet accord entre la foi et la science, cette harmonie entre l’Eglise et la société, et repoussé cet antago- nisme de nouvelle date, contraire aux témoignages de l’histoire et aux intérêts de la vérité. Mais ne laissons pas ici. Messieurs, prise aux attaques par des expressions équivoques. Comment l’Eglise s’y prend-elle pour transformer les sociétés ? L’histoire répond, et la prévention seule peut imaginer ici des fantômes d’empiètement sur les libertés légitimes de l’esprit humain. Le Concile de Kome sera le dix-neuvième-Concile général, et les quarante ou cinquante peuples qui y seront représentés ont tous été convertis, de la même façon, c’est-à-dire portés de la barbarie à la civilisation, par l’autorité de la parole, par la vertu des Sacrements, par l’enseignement des Pasteurs, par l’exemple des Saints : telles sont les voies de Dieu et l’action de l’Eglise, tantôt secondées, plus souvent combattues, par les pouvoirs humains. Institutrice des âmes, l’Eglise se sert de la méthode de toute bonne éducation, l’autorité et la patience. Pendant qu’on doute, elle affirme ; on dément, elle insiste ; on obscurcit, elle éclaire ; on divise, elle unit ; elle répète toujours et toujours les mêmes leçons, et quelles leçons ! La vraie nature de Dieu, la vraie nature de Thomme, la liberté et la responsabilité morale, l’immortalité de l’âme, la règle sacrée du mariage, la loi de la justice, la loi de la charité, l’inviolabilité du droit et de la propriété, le devoir du travail, le besoin de la paix. Cela toujours, cela partout, cela à tous, aux rois et aux pâtres, aux Grecs et aux Eomains, à l’Angleterre et à la France, à l’Europe et à l’Australie, sous Charlemagne ou devant Washington. La continuité de ces affirmations, j’ose le dire, fait aussi cer- tainement l’ordre des sociétés et des esprits que le lever du même soleil fait l’ordre des saisons et la prospérité des travaux de la terre. O philosophes qui dédaignez l’Eglise, soyez francs, que serait devenue sans elle, parmi les peuples, la notion du Dieu vivant ? O protestants, ô grecs, convenez que sans l’Eglise, vous auriez vu s’effacer devant vos yeux l’image de Jésus- Christ ! O moralistes et politiques, qu’auriez-vous fait, sans elle, de la famille et de la sainteté du mariage ? Eh bien ! ce que l’Eglise de Jésus-Christ a fait, elle va le refaire ; ce qu’elle a dit, elle va l’affirmer de nouveau ; elle continuera sa vie, sa marche, son œuvre, dans le même esprit de sagesse et de charité ; elle continuera à faire passer les grandes vérités dont elle est la gardienne dans la raison des hommes, et c’est par là, par là seulement, par là fortement, qu’elle agit sur les sociétés. On l’a dit : la religion des peuples est toute leur morale. Or, la morale étant la source vraie de la bonne politique et des bonnes lois, tout le progrès d’un peuple consiste à faire des- cendre de plus en plus dans la vie privée et publique les prin- cipes primordiaux de la justice. Donc tout peuple qui marchera dans le sens chrétien marchera au progrès, et tout siècle qui voudra résoudre contre l’Evangile les questions qui agitent l’humanité, fera fausse route, et ira à la décadence. Interrogez encore ici le passé et il vous répondra. Qui a expulsé du monde la corruption païenne, qui a civilisé les barbares en les conver- 35 — tissant? Voyez l’Orient, quand le Christianisme y était floris- sant : et voyez-le sous la domination de l’Islam ! L’influence du Christianisme sur les civilisations est un fait éclatant comme le soleil. Mais les principes de l’Evangile sont loin d’avoir donné tout ce qu’ils contiennent, et le temps même ne les épuisera jamais, parce qu’ils sont d’une profondeur infinie. Ainsi, bien que les siècles aient tiré du principe chrétien de la charité, de l’égalité et de la fraternité des hommes, des con- séquences qui ont changé l’ancien monde, toutes les appli- cations sociales de cette belle doctrine sont loin d’être faites ; et c’est même, selon moi, la mission propre des sociétés mo- dernes, de faire pénétrer de plus en plus ce fécond principe dans les lois et dans les mœurs, et d’en tirer des conséquences politiques, économiques et sociales, qui seront l’honneur de ce siècle, s’il ne sort pas des voies chrétiennes. Mais c’est la mission de l’Eglise et de ses Conciles de maintenir les principes évangéliques purs de toute interprétation qui les fausse. Donc, toute grande manifestation des vérités évangéliques, tout éclaircissement des obscurités et des méprises, toute en- tente des peuples avec le Christianisme, est une œuvre de progrès à la fois social et religieux. Et voilà précisément l’œuvre du Concile. Voilà pourquoi l’Eglise va faire ce grand effort, et déployer, comme dit le Saint-Père, toutes ses forces, ut omnes nostras magis magisque exaremus vires ; voilà pourquoi les Evêques catholiques viendront de tous les points du monde, pour se consulter avec leur chef : Sua nohiscum communicare et conferre consilia. Vainement, dites-vous dans vos injustes et ignorantes pré- ventions, que l’Eglise est vieille, et que les temps sont nou- veaux. Les lois du monde sont vieilles aussi, et toutes les nouvelles inventions, dont vous êtes justement fiers, n’existent et ne réussissent que par l’application de ces lois. Ah ! vous ignorez de quels éléments à la fois souples et résistants son divin Fondateur a formé l’Eglise, et quelle orga- nisation à la fois stable et progressive il lui a donnée. Telle est la profondeur et la fécondité de ses dogmes et tel aussi 36 — le caractère expansif de sa constitution, qu’elle ne sera jamais dépassée par aucun progrès de la société humaine, et qu’elle peut vivre sous tous les régimes politiques. Sans rien altérer de son symbole, elle tire, de son trésor, comme dit Notre- Seigneur, de siècle en siècle et selon les besoins des temps, des choses anciennes et des choses nouvelles, de tliesauro suo profert nova et vetera : et vous la trouverez toujours prête à s’adapter à toutes les grandes transformations sociales, et à suivre l’humanité dans toutes les phases de son existence. L’Evangile est la lumière du monde, et le sera toujours, et c’est pourquoi, croyez-le bien^ le prochain Concile sera une aurore, et non pas un couchant. VI Les craintes mal fondées au sujet du Concile. Que craignez-vous donc, catholiques timides ou politiques ombrageux? Ah! que plutôt l’humanité se réjouisse de la magnanime résolution de Pie IX : car elle doit être pour ceux qui croient, comme pour ceux qui n’ont pas le bonheur de croire, une solennelle espérance. Si vous avez la foi, vous savez bien que l’Esprit de Dieu préside à de telles assemblées. Sans doute, il y aura là des hommes, et par conséquent des faiblesses possibles. Mais il y aura là aussi de saints dévouements, de grandes vertus, de hautes lumières, un zèle pur et courageux pour la gloire de Dieu et le bien des âmes, un admirable esprit de charité : et, au-dessus de tout, une force supérieure et divine, et Dieu, là comme toujours, fera son oeuvre. Dieu, dit Fénelon, veille, afin que les Evêques s’assem- blent toujours librement au besoin, qu’ils soient suffisamment instruits et attentifs, et qu’aucun motif corrompu n’entraîne jamais contre la vérité ceux qui en sont dépositaires. Il peut y avoir dans le cours d’un examen des mouvements irréguliers. Mais Dieu en sait tirer ce qu’il lui plaît : il les amène à sa fin,