key: cord-0063067-helhlnnn authors: Kantor, G.; Schlienger, M.; Eschwège, F.; Giraud, P. title: Alain Laugier (1930–2020) date: 2021-05-13 journal: Cancer Radiother DOI: 10.1016/j.canrad.2021.05.001 sha: 06ea6c893dc3348bf55db4a1805c825e2e783506 doc_id: 63067 cord_uid: helhlnnn nan Le professeur Alain Laugier est décédé à l'âge de 90 ans, le 25 décembre 2020, à Paris. Dans le contexte de la Covid 19, les obsèques se sont tenues dans la plus stricte intimité, en présence de ses fils Alexander, Adrien et Antoine. Une information a été donnée dans le carnet du journal Le Monde par l'Association des alumni & amis de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AAA-APHP), dont il a été le fondateur en 2003 et le secrétaire pendant de nombreuses années. Cette grande discrétion contraste avec le souvenir que gardent beaucoup d'entre nous d'un patron communiquant, haut en couleurs, très emblématique d'une cancérologie hospitalière moderne, et regrettent un hommage plus collectif. Dans ses « Réflexions d'un professeur de cancérologie (1982) (1983) (1984) (1985) (1986) (1987) (1988) (1989) (1990) (1991) (1992) (1993) (1994) », Alain Laugier a bien résumé ainsi cette période exaltante : « Il faut commencer à écrire l'histoire et les historiettes des trente glorieuses de la radiologie et des trente radieuses de la cancérologie ». C'est dans ce sens que nous avons souhaité présenter et partager ce modeste texte (Fig. 1) . Après un internat à Paris et un clinicat en radiologie, Alain Laugier s'engagea en radiothérapie. Il découvrit cette spécialité dès le début de son internat en 1954 à l'hôpital Necker dans le service de Robert Coliez, puis rejoignît à Villejuif, à l'institut Gustave-Roussy, « le sillage » de Maurice Tubiana, Jean Dutreix et Bernard Pierquin. Il partagea pendant cette période de nombreux temps amicaux et collégiaux avec Franç ois Eschwège, avec qui il resta en contact tout au long de sa vie. En outre, un séjour à Stanford en 1962 et 1963 dans l'équipe de Henry S. Kaplan fut déterminant pour lui pour deux raisons. D'abord, sur le plan personnel, parce qu'il y rencontra et épousa Yvonne Werth. Le parcours d'Alain Laugier est très lié à celui de son épouse qui l'initia à une culture américaine ouverte et moderne. Yvonne fit une carrière à l'administration centrale de l'AP-HP à la direction du Plan. Ensuite, sur le plan professionnel, parce qu'il y découvrit aussi une cancérologie naissante, multidisciplinaire, médicale et technique, organisée et évaluée autour de programmes de recherche clinique et d'innovations technologiques. Professeur agrégé en 1966, Alain Laugier choisit une carrière hospitalière à l'Assistance publique (AP) et arriva, après un bref séjour à Necker, à l'hôpital Tenon dans le service du Dr Charles Proux. Il resta toute sa vie attaché à l'AP de Paris, pour qui il voua un véritable sentiment de filiation et, à titre d'exemple, contribua activement à la commémoration des 150 ans de l'APHP, en 1999. Sous l'impulsion d'Alain Laugier, la modernisation d'une cancérologie clinique et technologique à l'AP de Paris, à l'hôpital Tenon, Fig. 1 . Le Professeur Alain Laugier pose sous le collimateur d'un appareil de radiothérapie, un accélérateur linéaire de type Saturne 20 construit en France par la société CGR-MeV et dont le premier exemplaire a été installé à l'hôpital Tenon en 1978. Alain Laugier porte la blouse blanche de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (logo et badge), institution pour laquelle il exprimait un véritable sentiment de filiation. Ce portrait a été utilisé en portrait funéraire. Document transmis par les enfants du professeur Alain Laugier ; la Société franç aise de radiothérapie oncologique les remercie de cette association symbolique à la fois professionnelle mais aussi personnelle. a bénéficié de plusieurs atouts. L'histoire de la lutte contre le cancer était déjà ancienne dans cet Est populaire parisien. Depuis la création d'un service d'électroradiologie en 1921, par Robert Grâce à sa connaissance du monde de la radiologie (« les imagiers », comme il les citait souvent) et de l'industrie, il facilita les liens avec les industriels franç ais, notamment la CGR-MeV, branche de la Compagnie générale de radiologie (CGR), une filiale de la fusion Thomson-CSF. Une nouvelle unité de production de la CGR-MeV pour les accélérateurs linéaires de radiothérapie venait d'être crée à Buc en 1973. L'hôpital Tenon devint alors une « vitrine » technique de la radiothérapie franç aise. De nombreux visiteurs franç ais, européens et du monde entier vinrent voir les nouveaux prototypes des accélérateurs linéaires franç ais aux bizarres noms de planètes comme le Neptune 6MV (1971), le Saturne 20 MV (1974), l'Orion 5MV (1983). L'enjeu était aussi d'être présent dans un marché mondial dominé par les américains (société Varian) et deux autres entreprises européennes (Philips et Siemens). Les échanges étaient constants entre les cliniciens et les industriels au sein du « comité des praticiens conseils de la compagnie CGR-MeV », qu'il présidait. Ces réunions conseils nombreuses permirent des développements importants pour la dosimétrie et la sécurité des appareils, pour l'adaptation des collimateurs, préfigurant les collimateurs multilames et la radiothérapie conformationnelle, pour l'électronique et l'informatique, préfigurant la radiothérapie avec modulation d'intensité et les systèmes actuels sécurisés et asservis. À Buc, en 1981, Alain Laugier reç ut sa promotion d'officier de la légion d'honneur des mains de Jacques Barrot, alors ministre du Travail et des Affaires sociales. Cette distinction récompensa ainsi l'engagement désintéressé d'un médecin continuant la tradition des ingénieurs que furent les premiers électroradiologistes des hôpitaux. Il fut promu au grade de commandeur en avril 2012. Le rachat de la CGR (dont la CGR-MeV) par la compagnie General Electric en 1988, puis l'arrêt de la production à Buc d'équipements de radiothérapie en 1991 contribuèrent à la perte de notre indépendance nationale dans ce secteur technique et compétitif de la radiothérapie. Aujourd'hui, et comme dans bien d'autres secteurs de la santé, cette perte d'autonomie industrielle reste d'une actualité cruelle. Dans le domaine de l'ingénierie médicale, la contribution d'Alain Laugier fut déterminante pour la création du centre de protonthérapie d'Orsay (CPO) en 1990. L'appareil, un synchrocyclotron produisant des protons de haute énergie pour la physique des particules, avait été conç u sous la direction d'Irène et Frédéric Joliot-Curie à l'Institut de physique nucléaire d'Orsay, avec un premier faisceau produit en 1958. Après les chocs pétroliers de 1974 et 1979, les réductions financières pour la recherche prévoyaient de démonter cet appareil. La force de conviction d'Alain Laugier fut nécessaire pour faire accepter le principe de médicalisation de cet équipement et de faire de financer les transformations nécessaires pour pouvoir utiliser des protons de haute énergie. Un syndicat interhospitalier réunissant l'AP-HP et les trois centres de lutte contre le cancer d'ÎIe-de-France (institut Curie, institut Gustave-Roussy et centre René-Huguenin) fut constitué en juillet 1990 et les premiers traitements effectués en 1991. Plusieurs milliers de personnes ont pu ainsi être traités par des protons de haute énergie pour des tumeurs profondes. Grâce à cette médicalisation intelligente d'un équipement de recherche, les équipes franç aises de radiothérapie purent participer à l' évaluation de l' « hadronthérapie » pour les tumeurs profondes et oculaires avec les quelques autres groupes disposant d'un tel équipement dans le monde. À la fin de l'année 1971, le service de radiothérapie de l'hôpital Tenon fut installé dans les locaux actuels du pavillon Lucien-Mallet et dont Alain Laugier a largement contribué à la conception. En lien étroit avec l'administration centrale de l'AP-HP, Alain Laugier apporta de nombreuses adaptations architecturales comme, par exemple, dans le plateau technique une circulation adaptée pour les personnes traitées, une salle d'attente cloisonnée par des éléments décoratifs et un immense aquarium pour offrir plus d'intimité aux patients, comme à proximité des postes de traitement, des lieux de consultations pour faciliter la surveillance des personnes traitées, comme des lieux protégés de préparation radiologique, ou encore une unité dédiée de radiophysique avec des moyens modernes de calcul, et enfin des ateliers pour les équipements de curiethérapie et la confection de caches personnalisés. Des panneaux d'informations sur les appareils de traitements et quelques objets historiques étaient également accessibles au public. Dans le secteur d'hospitalisation, une petite cuisine et des locaux pour l'accueil des familles furent aménagés, ainsi que des locaux d'accueil pour une information et de nombreux éléments décoratifs. La vie sociale de l'équipe soignante fut organisée autour d'un petit salon de bonne qualité faisant office d'atrium, d'une case courrier commune centrale, de plusieurs salles de réunions, de locaux dédiés à la gestion. Une grande partie de ces adaptations a été rendue possible grâce à une association de patients, crée en 1984 : l'Association des amis du centre de Tenon (Fig. 2) . Alain Laugier garda bien longtemps de nombreux contacts personnels avec d'anciens patients, avec les parents et les aidants. Le centre des tumeurs de Tenon s'adapta progressivement aux évolutions de la cancérologie. En oncologie médicale, depuis 1980, le professeur Victor Izraël développa l'hospitalisation conventionnelle et l'hôpital de jour (1987) et fut relayé par le professeur Jean-Pierre Lotz en 2002. En 1987, le professeur Alain Laugier scinda son service en trois (permettant ainsi à ses deux plus proches collaborateurs d'accéder à la chefferie de service) tout en gardant une cohérence en cancérologie pour les activités, les lieux dédiés et un dossier médical commun. Cette mesure a préfiguré de l'évolution hospitalière des départements. Le centre des tumeurs de Tenon a aussi été une référence en matière de gestion hospitalière : l'analyse des activités, la mise en place de moyens de comptabilité analytique, l'ébauche d'un dossier commun informatisé et standardisé, les premiers logiciels de prescription contribuèrent ainsi aux premières applications informatiques et à la reconnaissance d'une activité en plein développement. Au centre des tumeurs de Tenon, le professeur Laugier pratiqua aussi un véritable prosélytisme auprès des médecins en formation pour la promotion de la radiothérapie et de la cancérologie. De nombreux internes de spécialité mais aussi de nombreux médecins en formation (certificat et diplôme d'études spécialisées) et de résidents étrangers s'y formèrent. Cette formation était partagée avec les autres centres universitaires d'Île-de-France et y occupait une place très prisée. Des nombreux étudiants hospitaliers (« les externes ») participèrent aux stages et assistèrent aussi aux différentes réunions du service. Leur accueil était plus personnalisé que d'ordinaire, avec un badge bleu gravé à leur nom dès le premier jour. Les étudiants pouvaient participer à des discussions sur les grandes questions de l'époque, comme les innovations en cancérologie, la place nouvelle de la chimiothérapie et des associations thérapeutiques, mais aussi sur des questions sociétales comme la vérité à dire au patient (le mot cancer était encore bien tabou), le prix de la guérison et les séquelles thérapeutiques, l'acharnement théra- imageries médicales en France (Acrim). Dans un contexte national puis régional de la carte sanitaire du parc des appareils de radiothérapie, cet outil, réactualisé jusqu'en 1996, apporta de nombreuses informations pour le suivi démographique, l'évolution et la modernisation du parc des appareils. Toutes ces démarches servirent aussi d'argumentaire pour les discussions professionnelles autour de la nomenclature des actes médicaux, et du besoin défendu par Alain Laugier d'une lettre-clé en radiothérapie distincte de celle de la radiologie (le Z) et plus orientée vers les actes de soin par les rayonnements ionisants que vers les actes diagnostiques. Le goût des unités et de la nomenclature était particulièrement important pour Alain Laugier qui défendit le principe d'universalité, soutenu par l'assemblée législative de 1792, de donner, « pour tous les hommes et pour tous les temps » une mesure universelle [1] . L'introduction du gray, comme unité de mesure intégrée dans le système international fut pour lui l'occasion de présenter cet événement aux Journées de radiologie, le 5 novembre 1980, sous la forme d'un pastiche de la tirade des nez (Fig. 3) . « Laissons le rad en rade, il nous faut adopter La nouvelle unité et le gray de bon gré » [2] . Cette présentation devant un public ébahi confirma son éloquence, son panache et aussi son sens de la théâtralisation. D'autres poèmes suivirent pour le plaisir de tous (par exemple, le poème dosimétrique « Les trois facteurs : dose, volume, temps » publié dans la revue Radioprotection, facilement accessible sur Internet avec les mots clés : tirade des grays, Laugier [2] ). Depuis 1999, Alain Laugier présidait la commission spécialisée de terminologie et de néologie compétente dans le domaine de la santé. Dans un autre registre de communication médicale, il était un adepte de la philatélie dont il aurait adoré être le premier titulaire de la chaire de philatélie médicale ! Au vu de la multiplicité des activités associées, nous citerons également sa fonction d'expert auprès de la cour d'appel de Paris, un mandat d'administrateur à la Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants (CICPR, 1988 (CICPR, -1991 , ainsi qu'un mandat d'administrateur de Radio France (1988) (1989) (1990) (1991) , coïncidant avec la création du « Téléphone sonne » et du développement des rubriques médicales de France Culture et de Radio Bleue. Un aspect moins connu de son parcours était son souci de participation au dialogue entre les armées et la société civile en tant que colonel de réserve, en suivant la 35e session de l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) en 1982-1983 et en tant que membre du conseil de perfectionnement de l'école navale et de l'école militaire de la flotte. Enfin, Alain Laugier contribua en 1983 à la création d'une section spécialisée de radiothérapie de la Société franç aise de radiologie (SFR). Après le congrès mondial de radiologie, en 1989, une discussion importante s'ouvrit sur la création d'une société savante en radiothérapie. L'option d'une société savante propre à la radiothérapie fut ardûment défendue par Francois Eschwège, Jean-Paul Le Bourgeois, Francois Reboul et Francois Baillet. À l'opposé, Claude Maylin et Bernard Pierquin défendirent le principe d'une société savante de cancérologie commune avec l'oncologie médicale. Alain Laugier, initialement favorable à un statu quo avec les radiologues, adhéra ensuite à la création de la Société franç aise de radiothérapie oncologique (SFRO) en 1990. Après Michel Schlienger qui fut le premier président de la SFRO, il en fut le président en 1991. Toutes ces facettes illustrent bien la prestance, la richesse et la complexité d'un acteur important de la cancérologie hospitalière moderne. La mesure du monde. La méridienne. Paris: Robert Laffont Les trois facteurs : dose, volume, temps poème dosimétrique, suivi de la tirade des grays Les auteurs remercient les enfants d'Alain Laugier pour leur relecture attentive et les documents transmis, le professeur Jean-Pierre Lotz, Jacques Loustik (ancien infirmier) et Marie-Cécile Mérigot (ancienne secrétaire) pour les témoignages et documents transmis.