key: cord-0740947-jh6k9qe2 authors: Chamoux, A. title: Télétravail contraint en pandémie, nouveau risque psychosocial : Réflexions sur les enjeux santé et l’accompagnement nécessaire date: 2021-07-03 journal: Bull Acad Natl Med DOI: 10.1016/j.banm.2021.05.015 sha: 213170aaa31d2f16cb0980658854a9ab9ef2e618 doc_id: 740947 cord_uid: jh6k9qe2 Avec la pandémie covid-19 les mesures barrières ont aussi concerné le monde du travail. Particulièrement le télétravail a été encouragé sur une longue période en France puis généralisé en Avril 2021 favorisant un isolement social. Le climat anxiogène lié à la pandémie et le caractère précipité de cette décision représentent un nouveau facteur de risque psychosocial. Les manifestations psychologiques liées au stress : troubles anxieux dépressifs et autres justifient sans attendre un plan d’action global avec mesures d’accompagnement systématiques par le management de proximité, dépistage systématique d’éventuelle désadaptation par les services de santé au travail et prise en charge des personnes en difficulté. Pour cela et dans ces circonstances, les autoquestionnaires, questionnaires dirigés et entretiens en vidéo apparaissent comme les moyens les plus adaptés. Le télétravail choisi et à temps partiel permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle restera une solution à certains moment de la vie mais le télétravail à temps complet ne peut constituer une solution univoque et durable. With the covid-19 pandemic, barrier measures also concerned the world of work. In particular, teleworking was encouraged over a long period in France and then generalized in April 2021, promoting social isolation. The anxious climate linked to the pandemic and the precipitous nature of this decision induced a new psychosocial risk factor. The psychological manifestations linked to stress: anxiety, depressive disorders and others justify without delay a global action plan with systematic support measures by local management, systematic screening for possible maladjustment by the occupational health services and support people in difficulty. For this purpose and in these circumstances, self-questionnaires, directed questionnaires and video interviews appear to be the most suitable means. The chosen and part-time teleworking making it possible to reconcile family and professional life will remain a solution at certain times of life, but full-time teleworking cannot constitute an univocal and lasting solution. Avec la pandémie covid-19 les mesures barrières ont aussi concerné le monde du travail. Particulièrement le télétravail a été encouragé sur une longue période en France puis généralisé en Avril 2021 favorisant un isolement social. Le climat anxiogène lié à la pandémie et le caractère précipité de cette décision représentent un nouveau facteur de risque psychosocial. Les manifestations psychologiques liées au stress : troubles anxieux dépressifs et autres justifient sans attendre un plan d'action global avec mesures d'accompagnement systématiques par le management de proximité, dépistage systématique d'éventuelle désadaptation par les services de santé au travail et prise en charge des personnes en difficulté. Pour cela et dans ces circonstances, les autoquestionnaires, questionnaires dirigés et entretiens en vidéo apparaissent comme les moyens les plus adaptés. Le télétravail choisi et à temps partiel permettant de concilier vie familiale et vie professionnelle restera une solution à certains moment de la vie mais le télétravail à temps complet ne peut constituer une solution univoque et durable. With the covid-19 pandemic, barrier measures also concerned the world of work. In particular, teleworking was encouraged over a long period in France and then generalized in April 2021, promoting social isolation. The anxious climate linked to the pandemic and the precipitous nature of this decision induced a new psychosocial risk factor. The psychological manifestations linked to stress: anxiety, depressive disorders and others justify without delay a global action plan with systematic support measures by local management, systematic screening for possible maladjustment by the occupational health services and support people in difficulty. For this purpose and in these circumstances, self-questionnaires, directed questionnaires and video interviews appear to be the most suitable means. The chosen and part-time teleworking making it possible to reconcile family and professional life will remain a solution at certain times of life, but full-time teleworking cannot constitute an univocal and lasting solution. Télétravail, risques psychosociaux, covid-19, santé au travail, mise en oeuvre de programme de santé, isolement social, stress. Teleworking, psychosocial risk, covid-19, occupational health, health plan implementation, social isolation, stress. Parmi les nombreuses décisions visant à réduire la circulation virale, trois épisodes de confinement se sont succédés. La plupart des activités professionnelles en a été fortement impactées. Le télétravail vient d'être systématisé alors que l'on sait que cette mesure décidée en urgence constitue un facteur de risque psychosocial nouveau nécessitant la mise en oeuvre de mesures d'accompagnement innovantes. Il y a 10 ans la loi définissait le télétravail comme : « toute forme d'organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l'employeur est effectué par un salarié hors de ses locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l'information et de la télécommunication » article L 1222-9 du code du travail loi n° 2012-387 du 22 mars 2012. Le télétravail est ainsi directement en rapport avec le développement des télécommunications et notamment du réseau Internet. Il est possible pour toute activité réalisable au domicile ou dans tout autre lieu mis à disposition par l'employeur généralement dénommé tiers-lieu tel qu'un télécentre ou plateforme. L'employeur peut proposer à l'ensemble de ses salariés d'en bénéficier ou simplement à une catégorie d'entre eux selon les fonctions exercées. Il apparaît ainsi que les principaux bénéficiaires en sont bien évidemment les cols blancs plus que les cols bleus. En France, la formalisation du télétravail passe par la mise en place d'un accord collectif ou d'une charte élaborée par l'employeur après avis du comité social et économique. À défaut, dans les toutes petites entreprises notamment (TPE) un accord de gré à gré employeur/salarié en règle les modalités. C'est l'employeur qui accorde ou refuse le bénéfice du télétravail au salarié. Le refus par l'employeur d'accorder le télétravail à un salarié dont le poste est éligible doit être motivé. Le refus par le salarié d'accepter un poste de télétravailleur n'est pas un motif de rupture du contrat de travail. En cas de circonstances exceptionnelles, telle que celles d'une pandémie ou de pollution environnementale, le télétravail peut être mis en oeuvre sans l'accord du salarié. L'accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l'exercice de l'activité professionnelle est présumé être un accident du travail au sens de l'article L4 111-1 du code de la sécurité sociale. L'accord de télétravail précise notamment les conditions de passage et de retour à l'une ou l'autre de ces deux modalités de fonctionnement, les modalités d'acceptation par le salarié, les modalités de contrôle du temps de travail ou de régulation de la charge de travail, la détermination des plages horaires durant lesquelles l'employeur peut contacter le salarié en télétravail et pour les travailleurs handicapés les conditions d'accès aux locaux. La rédaction précise et circonstanciée de ces modalités s'avère très importante pour éviter toute mauvaise interprétation et toute ambiguïté ultérieures. Ainsi même si l'initiative peut relever du salarié, ce sont les employeurs qui ont la main sur le télétravail. La mise en oeuvre offre une part importante de négociation assortie de garanties pour le salarié définies dans une charte ou par un accord de gré à gré. Pour les agents de la fonction publique les enjeux du télétravail ont été définis par le guide télétravail édition 2016 de la direction générale de l'administration publique (DGAFP). Ils sont communs avec ceux du secteur privé. Ce sont « une meilleure qualité de vie au travail, des retombées positives pour le collectif de travail, un outil de protection de l'environnement et d'aménagement du territoire et cela malgré des risques professionnels à prévenir… » : -meilleure qualité de vie au travail en conciliant la vie privée et la vie professionnelle, en supprimant la fatigue et le stress induit par les transports, en augmentant les capacités de concentration, en facilitant la réduction de la fatigue dans certaines situations particulières telles que la grossesse ou la reprise du travail après événements de santé, -les retombées positives pour le collectif de travail sont une modification du management sous une forme participative avec responsabilisation des agents, une plus grande autonomie du travailleur, mais avec en contrepartie le contrôle des résultats et le respect des délais. Il est espéré une plus grande motivation des agents découlant de la souplesse d'organisation du travail. Il est également espéré une réduction de l'absentéisme et des accidents de trajet, -un outil de protection de l'environnement et d'aménagement du territoire avec la réduction des transports, de la pollution, des embouteillages et la décongestion des transports en commun, -un outil d'aménagement du territoire offrant des perspectives de maintien de la population dans les zones rurales et donc un rééquilibrage démographique à l'intérieur du territoire national. Les risques professionnels à prévenir son ceux de tout travail avec toutefois certains risques psychosociaux nouveaux : l'isolement social et professionnel, les difficultés de gestion du temps, le stress du fait d'incohérence entre les objectifs et les moyens. Le paysage ainsi dressé promet une amélioration de la qualité de vie au travail du salarié avec un impact individuel positif pour le salarié, et le même impact positif sociétal et environnemental, dans une logique gagnant-gagnant. Paradoxalement le bénéfice pour l'entreprise, entité économique essentielle n'apparait que sous la forme du management participatif. Les risques psychosociaux (RPS) majorés sont pressentis. Les enjeux pour les entreprises privées sont pratiquement les mêmes que ceux de la fonction publique avec cependant de façon plus explicite la recherche de la performance, la recherche de l'innovation, le déploiement du numérique, la recherche de la flexibilité, de l'agilité voire de l'audace. Bien souvent, les critères d'éligibilité au télétravail ont été définis par leur opposé. C'est ainsi que pratiquement toutes les administrations posent comme principe que toutes les activités sont éligibles au télétravail et formulent les exceptions pour lesquelles la présence sur le lieu travail est nécessaire : accueil du public, utilisation du matériel, application informatique sécuritaire, confidentialité des données. D'autres critères ont pu s'imposer tels que la connexion Internet de l'agent, la qualité des installations électriques au domicile, la situation familiale, la distance domicile travail, l'ancienneté au poste de travail, la formation à l'utilisation des techniques. Certaines administrations distinguent l'éligibilité du poste de travail, l'éligibilité personnelle, l'éligibilité technique, l'éligibilité juridique. -éligibilité du poste de travail : activité professionnelle télétravaillable avec les techniques de la communication, activité quantifiable, zéro papier, compatibilité du poste avec les contraintes et la continuité du service. -éligibilité personnelle : autonomie, rigueur, capacités personnelles d'organisation, ancienneté minimale dans le service (par exemple d'un an), avec au domicile un environnement adapté (hygiène sécurité confidentialité) et un espace spécifique aménagé pour télétravailler. -éligibilité technique : performance du réseau Internet, qualité et conformité des installations électriques au domicile. -éligibilité juridique : déclaration faite à son assureur, signatures de la charte et de la décision portant entrée volontaire dans le télétravail. Il n'y a pas d'obligation à transcrire les termes de l'accord dans une charte. Un accord verbal de gré à gré suffit. Outre les aspects strictement organisationnels, cette charte doit selon nous veiller notamment à la réversibilité, à la formation professionnelle y compris dans la dimension du développement personnel, au droit à la déconnexion et à la surveillance de la santé notamment mentale. Le bilan du déploiement du télétravail dans les trois versants de la fonction publique fut établi par le ministère de l'action des comptes publics en 2018 (rapport de 41 pages). À cette époque on comptait moins de 5 % d'agents en télétravail pour l'administration territoriale de l'État et en moyenne moins de 4 % pour l'administration centrale. Une enquête a permis de décrire la population concernée par le télétravail, comme essentiellement féminine avec 68 % de femmes, celles-ci effectuant un jour de télétravail par semaine (84 % des cas). Il est constaté une dominante le vendredi (35 % des cas) et une activité exercée au domicile (95 % des cas). Le taux d'acceptation des demandes des agents à exercer en télétravail est de 90 %. -Secteur privé L'enquête Malakoff Humanis de septembre 2020 sur le télétravail en France fournit des chiffres comparables. En 2017 environ 6 % des salariés étaient en télétravail régulier. Ce chiffre se stabilise ensuite jusqu'en février 2020 autour de 8 à 10 %. J o u r n a l P r e -p r o o f particuliers de la vie. Il représente alors une option minoritaire mais significative pour la population féminine qui télétravaille à domicile. 6-Avec la pandémie Covid19, apparait un nouvel enjeu sanitaire, celui de la distanciation sociale. Mars 2020 : la pandémie galopante liée au coronavirus SARS-cov19 dite la maladie COVID, touche la France jusqu'à justifier la mise en place de l'état d'urgence sanitaire. La circulation du virus impose de réduire les interactions sociales et notamment celles liées au travail. Il est instauré un confinement national. Rapidement, les conséquences économiques de l'arrêt de nombreuses activités professionnelles sont telles qu'un palliatif devient nécessaire. Le télétravail généralisé est alors préconisé par Elisabeth Borne Ministre du travail. Dès le mois d'avril 2020 la proportion de télétravailleurs bondit à 25%. Les proportions sont très variables selon la catégorie sociale : 60 % chez les cadres et professions intellectuelles contre 5 % chez les ouvriers, 19 % chez les employés et 35 % chez les professions intermédiaires. L'arrêt total de l'activité professionnelle concerne 56 % des ouvriers. La part du télétravail est aussi variable selon les secteurs professionnels : 4 % dans l'hébergement et la restauration, 12 % dans la construction, 20 % dans l'enseignement, la santé humaine et l'action sociale, 38 % dans les services aux entreprises, 53 % dans les activités financières des assurances, 62 % pour l'information et la communication. En juin 2020 à la fin du premier confinement le taux de télétravailleurs s'élève à 33 % sous l'impulsion des mesures gouvernementales. Ces 33 % se répartissent en 14 % de nouveaux télétravailleurs et 19 % d'anciens télétravailleurs ou de télétravailleur bénéficiant déjà d'une expérience antérieure. Il est à noter que les activités occupées par les femmes correspondent plutôt à des emplois d'exécution tandis que les activités occupées par les hommes sont plutôt des activités d'encadrement. Autre fait important le nombre hebdomadaire de jours télétravaillés qui était stable autour de 1 à 1,5 jours par semaine bondit à 3,4 jours par semaine ce qui ne laisse que trois demi-journées sur le lieu de travail jusqu'alors dit habituel. Le lieu d'exercice de l'activité télétravaillée reste le domicile à hauteur de 94 %. 7-l'Accord National Interprofessionnel (ANI) télétravail 2020 Un ANI est une sorte de référentiel ou de guide de bonne conduite en matière de relations sociales au travail. Ainsi un précédent accord a pu être négocié sur le stress professionnel le 4 aout 2008, avant de devenir obligatoire par voie réglementaire. Un autre a suivi le 19 juin 2013 vers une politique d'amélioration de la qualité de vie au travail. La signature d'un accord pour une mise en oeuvre réussie du télétravail est intervenue le 26 novembre 2020 après une difficile négociation entre partenaires sociaux. Cet accord a été étendu par arrêté du 2 avril 2021, publié au JO du 13 avril : il est prévu pour tous les employeurs et tous les salariés compris dans son champ d'application. L'ANI est donc applicable dans toutes les entreprises appartenant à un secteur professionnel représenté par les organisations patronales signataires (Medef, CPME et U2P). L'Accord National Interprofessionnel « télétravail » du 26 novembre 2020 affirme • Le double volontariat du salarié et de l'employeur • La formalisation par un écrit de l'accord entre le salarié et l'employeur. • Le refus à motiver du télétravail. • La période d'adaptation pendant laquelle le salarié retrouve son poste de travail dans l'entreprise. • La réversibilité du télétravail à l'initiative de l'employeur ou du salarié et après accord mutuel. • La fréquence ou le taux du télétravail : un équilibre entre télétravail et travail sur site doit être trouvé, le télétravail à 100% n'étant pas une modalité retenue, notamment du fait des risques psychosociaux et, de l'impact sur le collectif de travail. • Les règles en matière de santé et de sécurité au travail • Le repérage des activités télétravaillables. Cet accord consacre un chapitre entier à la mise en oeuvre du télétravail en cas de circonstances exceptionnelles ou de force majeure. Dans ces situations, le recours au télétravail peut être considéré comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. Dans ce cadre, le télétravail peut être imposé aux salariés et être porté à 100%, y compris pour des salariés n'ayant jamais télétravaillé. Le télétravail devient alors contraint. C'est la situation inédite dans laquelle nous sommes depuis le discours du chef de l'état Emmanuel Macron le 31 mars 2021. La pandémie, l'état d'urgence sanitaire, les restrictions imposées aux déplacements touchent chacun d'entre nous et génèrent un climat d'anxiété. La pandémie et ses nombreux rebondissements : nouveau variant britannique « une épidémie dans l'épidémie », le climat médiatique anxiogène avec le rappel quotidien du nombre de malades hospitalisés, de décès, des pénuries, « manque de masque, manque de vaccin, manque de lits de réanimation » sont autant de facteurs extraprofessionnels de stress. La crainte de la maladie, du virus entraine la perturbation des relations familiales et sociales, voire une crainte pour le futur y compris le devenir de l'entreprise et de l'emploi. Ces facteurs expliquent les taux élevés de symptômes anxieux relevés par diverses enquêtes. La pandémie provoque une véritable crise existentielle. « Ils n'en mouraient pas tous mais tous étaient frappés ». Si chacun n'a pas vécu directement certaines situations dramatiques liées à la maladie, chacun s'interroge sur une situation chaotique dans laquelle il se trouve impliqué. Un exemple : Si l'on s'accorde à prôner la vaccination généralisée dans une vision altruiste, qu'en est-il au plan individuel de la vaccination ? Quels risques ou bénéfices de la vaccination ? Dois-je récuser le vaccin Astra-Zénéca susceptible de provoquer un décès par caillots sanguins ? Je suis informé : le risque esburnt apprécié comme très rare par l'Agence Européenne du Médicament le 7 avril 2021 et même précisément chiffré à 86 cas dont 18 mortels sur 25 millions de personnes vaccinées. Mais cette information est-elle pertinente pour moi ? Chacun est nourri, interrogé, frappé par une surinformation évolutive voire contradictoire. Nous voilà donc plongés dans une crise existentielle. Réglementairement en pandémie, le télétravail contraint associe une durée de télétravail portée à 100 % et pour les activités éligibles une quasi-obligation. Le nouvel article L.1222-11 du code du travail dispose que dans le contexte du risque épidémique le télétravail n'est qu'un simple aménagement de poste imposé au salarié. Il s'agit pour l'employeur de répondre à l'obligation de protéger la santé des salariés. L'initiative échappe alors au salarié. Le « dialogue social de proximité » reste nécessaire par la consultation des délégués syndicaux, représentants de proximité ou comité social économique pour les entreprises d'au moins 50 salariés. Ce dialogue, cette négociation vise à optimiser les dispositions fonctionnelles et maintenir les liens sociaux. Tout arbitrage éventuel relève de l'employeur. Le médecin du travail peut être sollicité en tant que de besoin comme pour tout aménagement du poste du travail. Avec le troisième confinement annoncé pour le 3 avril 2021, le télétravail devient aujourd'hui contraint bien loin du principe initial du double volontariat, ou de la meilleure conciliation recherchée entre vie professionnelle et vie familiale. Il s'agit d'une immersion quasi expérimentale dans un nouvelle forme d'organisation du travail. Cette contrainte s'exerce sans délai aussi bien sur l'entreprise ou l'institution que sur ses salariés. Le motif en est l'état de crise sanitaire alors que cela n'avait pas été envisagé auparavant. Les contraintes pèsent également sur les membres de la famille : époux, épouse, enfants qui ne sont plus scolarisés. Or, le domicile représente 95% des locaux de télétravail. La conjonction de ces perturbations devient très difficile à gérer et les priorités difficiles à établir. Le risque économique est présent. L'impossibilité matérielle peut conduire au chômage partiel ou complet. Parfois l'arrêt de travail pour maladie est la seule solution socialement acceptable. Cette organisation inédite n'a pas que des effets négatifs. Les entreprises constatent une productivité augmentée de 22%, une meilleure utilisation de l'outil informatique, une baisse significative des coûts immobiliers. Nombre d'activités de livraison à domicile se développent. Par un suivi attentif, il convient de faire en sorte que ces progrès ne se fassent pas au détriment de la santé des salariés. Cette troisième phase de confinement débutant un an après la première s'inscrit aujourd'hui dans la durée. Si chacun consent des efforts pour faire face à cette crise exceptionnelle, l'issue doit apparaître comme favorable dans un délai raisonnablement voire humainement proche. Les incertitudes de calendrier, la lassitude, les changements de stratégie ne peuvent être ignorés pour les risques psychologiques qu'ils induisent. Ces risques sont notamment caractérisés par le stress, les troubles anxieux, les troubles de l'humeur, les troubles du sommeil, les conduites addictives, le burnout professionnel, les décompensations psychiatriques sévères. Toutes les enquêtes le soulignent. Les limites de la résilience existent pour chacun et les stresseurs extraprofessionnels actuellement très prégnants contribuent à consommer notre capacité d'adaptation. Le climat général notoirement anxiogène est tel aujourd'hui que ces facteurs intriqués concourent à un risque accru de décompensation. Le stress au travail est aujourd'hui largement considéré comme le précurseur d'affections plus graves selon la progression schématique : stress qui induit anxiété qui induit dépression pouvant conduire à des décompensations psychiatriques sévères. C'est pourquoi le stress doit faire l'objet d'une observation et d'une prévention constantes par un dépistage régulier auprès des actifs. La prise de conscience de ce risque nécessite une politique active et globale de prévention. Il est admis que le stress professionnel résulte d'un déséquilibre entre les ressources individuelles perçues et les demandes exigées par l'activité professionnelle. Simplifié de la sorte c'est dire l'importance du management dans le maintien de la santé mentale des salariés, maintien qui demeure une obligation de résultat pour l'employeur. Les facteurs organisationnels délétères doivent être identifiés et corrigés par le management. Le stress professionnel ne se résume pas à cette balance entre stresseurs professionnels et ressources. La personnalité individuelle avec certaines dimensions bien connues, pattern A (personnalité dynamique, hyperactive, impatiente), locus de contrôle externe (tendance à considérer que l'autorité ou la chance a plus de poids dans son avenir que ses propres décisions) ou certaines formes de vulnérabilité tel que le neuroticisme démontrent que nous ne sommes pas égaux face aux stresseurs. Les facteurs protecteurs sont variés : le coping, l'activité physique modérée, le temps pour soi, l'activité de loisir, le support social, la stabilité dans l'emploi, la sécurité économique. Pour la mise en oeuvre, tous les acteurs sont concernés : la personne elle-même, actrice de sa santé, de ses choix, mais aussi les autres comme son employeur ou l'Etat. Un jeune informaticien, développeur-codeur dans le domaine de la finance se trouve confronté au télétravail à temps complet. Le couvre-feu ajoute à son isolement social. Il est célibataire et performant. Le calme de son appartement transformé en bureau et l'absence de distraction ajoutent à son efficacité. Se sentant seul à porter cette compétence dans l'entreprise, il subit progressivement un glissement des tâches qui lui sont confiées. Incapable de gérer son emploi du temps au quotidien ne s'accordant ni repos ni dérivatif, centré sur son travail, négligeant sommeil et activité physique, il s'effondre. Le 17 mars 2021, l'histoire se termine par un arrêt de travail pour burnout suivi d'une rupture conventionnelle du contrat de travail. L'exigence du travail est accrue, « les livrables dans les délais » sont exigibles selon le langage du management par objectifs. Mais, du fait des circonstances, le soutien social est distant ou absent. Surinvestissement, surmenage durable, absence de reconnaissance ou d'épanouissement caractérisent le burnout professionnel. Ainsi, le burnout, surcharge de travail conduisant à l'épuisement psychologique, peut également relever d'une composante managériale ne serait-ce que par dérive des conditions de travail ou défaut de dépistage précoce. Les conditions de travail délétères sur le plan psychique peuvent avoir pour répercussions : sensation de fatigue ou d'épuisement, irritabilité, troubles du sommeil, voire tristesse et idées noires qui sont autant de signes d'alerte. Le travail a plusieurs effets individuels positifs : -accès à une autonomie financière fournissant un sentiment de sécurité individuelle, -accès à une identité dans les meilleurs cas de manière positive lorsqu'existe une certaine liberté d'initiative, une valorisation par la hiérarchie, un partage de valeurs, -accès à une socialisation quotidienne sur le lieu du travail, qui peut être complétée par un engagement syndical, associatif … A l'opposé le télétravail peut notamment produire : -la mise en cause de la sécurité par la distanciation avec le milieu professionnel ? -une difficulté à percevoir la satisfaction de la hiérarchie du fait de la distanciation ? -une difficulté à appréhender le sens et la finalité du travail ? -à coup sûr un isolement par déprivation des contacts sociaux. A contrario la période pandémique donne l'occasion de renforcer le sentiment d'appartenance au groupe social confronté à une même menace, comme en temps de guerre : c'est ainsi que l'on explique les taux de suicides non modifiés voire abaissés. Pour les personnes porteuses de vulnérabilité psychique voire de troubles psychiques la pandémie est un facteur de déstabilisation qui va au-delà des symptômes anxieux ou dépressifs décrits dans les enquêtes. Les personnes qui sont le plus en retrait de la vie sociale supportent mal un retrait imposé : -décompensation de maladies bipolaires sur un mode dépressif, -de troubles psychotiques stabilisés avec résurgence d'idées de référence voire d'idées délirantes -de troubles addictifs -de trouble de personnalité phobique, anxieux. Le télétravail imposé par la pandémie génère une situation inédite de changement qui sollicite les capacités d'adaptation de la personne avec la nécessité de mettre en place une nouvelle organisation de la vie professionnelle mais aussi familiale. Le télétravail fait en quelque sorte intrusion dans le domaine familial y compris matériellement au domicile. Le lieu du repos devient lieu de travail. Le confinement resserre l'espace autour du noyau familial et nécessite des ajustements, sources possibles de conflits. Les valeurs rassurantes essentielles sont ainsi perturbées. Les personnes vivant seules peuvent être fragilisées par un plus grand isolement ressenti. Certaines enquêtes en mesurent les effets : L'enquête Harris interactive « L'activité professionnelle des Français pendant le confinement, semaine du 2 au 8 novembre 2020 » pour le ministère du travail, de l'emploi et de l'insertion sur 2049 personnes rapporte un sentiment d'isolement dans 41% des cas, une angoisse à cause du télétravail (30%), une augmentation du stress ressenti au travail (29%). Parmi les personnes à 100% en télétravail, 58% préfèreraient venir sur leur lieu de travail au moins un jour par semaine. Une personne sur trois (31%) considère ne pas arriver à être aussi performante en télétravail que sur son lieu de travail. Enfin selon cette enquête 59% des actifs considèrent ne pas pouvoir exercer leur emploi en télétravail. -la nécessaire prise en compte de ce nouveau risque par l'employeur Le télétravail contraint représente un nouveau risque psychosocial. Il s'agit d'un risque aggravé par la période de pandémie. Il doit être considéré comme un signal de danger et pris en considération pour une vigilance accrue. D'un point de vue réglementaire l'employeur reste soumis à une obligation de résultat quant au maintien de la bonne santé mentale de ses salariés. Il en résulte pour lui la nécessité de mettre en oeuvre des moyens nouveaux ou de réorienter les moyens existants et cela de façon agile. Le cas échéant, il pourrait lui être reproché de ne l'avoir pas fait. Son ambition doit être de répondre agilement par des mesures de prévention innovantes mobilisant l'ensemble de la chaîne, salarié, management, DRH, SST. La prévention reste celle des RPS d'est à dire une prévention intégrée, primaire, secondaire, et tertiaire. -la prévention primaire s'adresse à chacun par la correction des facteurs de risque mais aussi par de nouvelles mesures d'accompagnement Un volet interroge sur le statut télétravail ou non, le métier finement décrit, le pourcentage de temps de travail télétravaillé. Près de 25000 questionnaires sont complétés. Si les données télétravail restent en attente de publication (rédaction en cours) les premières tendances montrent un excès de sédentarité et de temps d'écran chez les salariés en télétravail. 13-Les nouvelle formes d'organisation du travail : La crise sanitaire pandémique et le télétravail remettent en question la pérennité de l'emploi, l'habitat, le choix du lieu de domicile, l'immobilier des entreprises, les transports, les échanges sociaux. Il en résultera certainement un après différent. Déjà le flexitravail proposait une organisation différente, le salarié n'étant plus « propriétaire » de son bureau mais de bureaux partagés à des temps successifs. Le coworking se déroule dans des espaces dédiés, souvent des bureaux de location ouverts à des travailleurs partageant la même tâche. La pandémie a précipité la diffusion du télétravail et favorisé une évolution rapide des modes d'organisation. Selon Nicolas Hasson-Fauré, (ouest France du 3 mai 2021), l'entreprise américaine alphabet, maison mère de Google a réduit ses dépenses de 268 millions de dollars au cours du premier trimestre 2021 grâce au télétravail. L'entreprise Ford propose à 30 000 salariés de continuer à télétravailler indéfiniment. Certaines entreprises évoquent un futur modèle hybride. L'entreprise est en perpétuelle évolution, les organisations se transforment. Le télétravail ne restera plus marginal. Il s'effectuera généralement avec un temps partiel accru à 60 % ou 80 %. L'expérience du télétravail modifie aussi la relation au travail et la relation à l'employeur. L'attachement à l'entreprise peut perdre de son sens et de son intérêt. Parfois les salariés expatriés ou travaillant pour des groupes internationaux n'ont que des contacts épisodiques avec le siège ou la hiérarchie et deviennent, au statut près, des travailleurs indépendants. Dans ces grands groupes le concept d'entreprise à mission, (entreprise ayant opté pour des finalités sociales ou environnementales en plus du but lucratif), peut contribuer à maintenir la valeur travail en définissant son objet social. (Rapport de N. Notat et J-D Sénard, 9 mars 2018. L'entreprise, objet d'intérêt collectif). Pour les salariés confrontés brutalement au télétravail contraint, la fin du confinement ne signifiera pas nécessairement le retour immédiat à la situation antérieure. Dans un contexte économique et sanitaire modifié, après l'acquisitions de nouvelles compétences, avec un environnement domestique modifié et des attentes nouvelles, les mesures d'accompagnement et de surveillance de la santé psychologique resteront de mise. La problématique de la fin du télétravail pouvant se révéler tout aussi délicate à gérer pour certains, la même vigilance à l'égard de tous les salariés devra donc être maintenue sans laissé pour compte. 14-Perspectives en guise de conclusion La recherche de bien-être au travail constitue un objectif permanent en matière de santé comme en matière d'adhésion au projet des entreprises. Ce bien-être résulte aussi d'un équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle. La généralisation du télétravail est souhaitée par 71% des français (étude Observatoire Cetelem mars 2021) tandis que d'autres enquêtes indiquent que 60% des La localisation dans un tiers lieu est envisagée pour la moitié d'entre eux. Il s'agira demain pour l'entreprise de faire preuve d'adaptation afin d'accompagner ou de favoriser les ajustements nécessaires tout au long de la vie. Le télétravail généralisé ou à temps complet ne peut être un avenir pour la société. La télévie sociale comporte les dangers de l'individualisme, du repli sur soi L'avenir du télétravail résidera dans le respect de ses principes fondateurs comme un aménagement souhaité et négocié des conditions de travail entre employeur et salarié dans l'intérêt bien compris des deux parties. Un équilibre sera recherché entre les enjeux individuels directs liés au statut familial et les enjeux lointains affichés tels que l L'auteur déclare ne pas avoir de liens d'intérêts Mise à jour et diffusion du Thésaurus des expositions professionnelles aux acteurs en santé au travail. Présentation de la démarche partenariale et de la méthodologie Confinement n'est pas sédentarité Communiqué de l'Académie nationale de Médecine, 30 Mars 2020 Activité physique et sédentarité des adultes pendant la période de confinement lié à l'épidémie de Covid-19 : état des lieux et évolutions perçues (CoviPrev, 2020) An Assessment of the Novel COVISTRESS Questionnaire: COVID-19 Impact on Physical Activity, Sedentary Action and Psychological Emotion. On Behalf of The Covistress Network