key: cord-0752618-jerovngt authors: Postel-Vinay, N.; Chemardin, J. title: La communication sur le SRAS : un outil essentiel de santé publique date: 2004-12-31 journal: Revue des Maladies Respiratoires DOI: 10.1016/s0761-8425(04)71577-6 sha: 0436d82f9624f02d501dd6e71f760abe715e1bc6 doc_id: 752618 cord_uid: jerovngt nan Pour le grand public, le rideau s'est levé le 12 mars 2003 lorsque l'organisation mondiale de la santé (OMS) lança une alerte mondiale portant sur une épidémie de « pneumopathie atypique » dont l'origine se situait en Chine [1] . Trois à quatre mois auparavant, les autorités sanitaires chinoises avaient signalé la survenue de syndromes aigus respiratoirespossiblement des pneumopathies à Chlamydiae -qui avait touché 305 cas, dont près d'un tiers concernait le personnel de santé [2] . Par ailleurs, on savait aussi qu'à l'hôpital français de Hanoi (Vietnam) sévissaient depuis le début de mois de mars plus d'une dizaine de cas graves de pneumopathies touchant le personnel hospitalier ayant été en contact avec une seule personne en provenance de Hong Kong ; le nombre de malades augmentait et le tableau clinique était souvent sévère avec évolution parfois mortelle. Enfin, autre fait notable, les 19 et 20 février 2003, 2 cas de grippe H5N1 chez des personnes revenant du sud de la Chine avaient été également signalés par l'OMS [1, 2] . En France, le lendemain de l'alerte de l'OMS, soit le 13 mars, la direction générale de la Santé (DGS), annonçait par communiqué de presse qu'elle avait pris la décision de conseiller à toute personne présentant un syndrome grippal en provenance de Hanoi ou de Hongkong de se rendre dans un service d'urgence hospitalière. Vigilante, sinon inquiète, la DGS avait en mémoire l'épisode de grippe aviaire de 1997 (Hong Kong) et prenait en compte les 2 cas A H5N1 chinois. La DGS savait qu'il fallait faire vite, même en l'absence de données établies sur la nature de l'affection en cause. À ce moment, le virus grippal H5N1 n'était qu'une « hypothèse non établie » selon les termes du communiqué de la DGS du 13 mars. L'incertitude n'empêcha pas la décision et le principe de précaution prévalut. Le 15 mars, la DGS augmenta encore le niveau de prévention : elle informa le public et les médecins, de façon synchrone, que les personnes présentant fièvre et toux devaient contacter le SAMU pour rejoindre un service hospitalier le cas échéant. De plus, elle préconisa de différer les voyages dans les régions affectées, ce que l'OMS recommanda plus tard, pour la première fois de son histoire, le 31 mars [3] . La gestion de l'alerte vis-à-vis d'une infection respiratoire grave et contagieuse fut délicate pour les autorités de santé de chaque pays. Les difficultés provenaient non seulement du caractère inconnu de l'agent causal et de son mode de contagion, mais aussi du très important flux de population de notre monde moderne. L'épidémie se répandit particulièrement vite du fait du transport aérien. Au 31 mars 2003, 17 pays répartis sur trois continents étaient déjà affectés [4] . Depuis la province chinoise de Guangdong (75 millions d'habitants) vers Hong Kong, et de là vers Paris, San Francisco ou Toronto, des centaines de milliers de personnes montaient et descendaient des avions pour prendre les transports en commun, rejoindre leur famille, rencontrer leurs collègues de bureaux, réintégrer leur école lorsqu'il s'agissait d'enfants, assister à des manifestations collectives (concerts, congrès, manifestations sportives, etc.). En France, l'aéroport de Roissy recevait quotidiennement plus de 5 000 personnes au départ ou en provenance de l'Asie du Sud-Est (tableau I). Les questions de gestion se multipliaient : comment repérer les personnes susceptibles de véhiculer le virus parmi la population insaisissable et grouillante des aéroports ? quelle conduite fallait-il tenir vis-à-vis des personnes symptomatiques qui voulaient voyager ? vis-à-vis des sujets contacts ? des professionnels en contact des sujets symptomatiques ? des voyageurs qui voudraient se rendre dans les zones affectées ? de ceux qui voulaient en revenir ? Il fallut trouver des réponses à chaque situation et les communiquer. Au-delà du périmètre du monde de la santé, chacune de ces questions interpellait des pans entiers de la société (santé, tourisme, économie, sécurité civile, éducation) qui avaient parfois des points de vue différents, sinon des intérêts divergents. De fait, le SRAS mit en tension le respect des libertés individuelles et les exigences de la protection collective [5] . Autant d'oppositions sociales, économiques ou culturelles que les pandémies mondiales passées (choléra et peste, par exemple) avaient déjà provoquées. Des éléments imprévus et des revendications irrationnelles pointèrent. Des personnes déjouèrent sciemment les consignes de police sanitaire, par exemple en dissimulant leur toux et leur fièvre à l'embarquement ou à l'arrivée des avions (ce que fit par exemple un malade du SRAS qui se rendit en dehors de tout contrôle de l'Hôpital français de Hanoi, à Roissy puis dans le nord de la France). D'autres voulaient « par précaution » aller au-delà des recommandations du ministère de la Santé : ainsi quelques élèves, ou personnels d'entreprises, virent se fermer la porte de leurs établissements au motif qu'ils revenaient de la zone affectée. Une famille inquiète pour un parent français malade du SRAS à l'étranger envoya même une lettre ouverte à l'AFP (Agence France Presse) en interpellant les autorités sanitaires. Dans les aéroports, certaines catégories professionnelles exigèrent de disposer de masques alors même qu'elles n'en avaient pas besoin. L'homme de la rue, volontiers adepte du « il n'y a qu'à », suggérait d'interdire les vols en provenance des zones affectées, sans même penser que des milliers d'expatriés émettaient le souhait de rentrer en France et qu'un pays n'a pas le pouvoir réglementaire de contrôler le mouvement de ses ressortissants à l'embarquement dans un aéroport situé à l'étranger. Enfin, un ostracisme vis-à-vis de la communauté asiatique pouvait être redouté. Heureusement, l'OMS, les Centers for Disease Control d'Atlanta (CDC) et le ministère de la Santé pour la France eurent la crédibilité suffisante pour faire connaître les mesures de gestions, les expliquer et les appliquer en urgence. En France au ministère de la Santé, une cellule de gestion réunissait quotidiennement les différents acteurs concernés pour régler les divergences et apporter une cohérence accrue aux messages sanitaires. Depuis l'alerte mondiale du 12 mars, il fallut moins de 24 heures pour que le ministère de la Santé français (notamment la direction générale de la Santé en collaboration étroite avec l'Institut de veille sanitaire) rende publiques les premières mesures de gestion de l'épidémie. À partir d'un communiqué de presse, radio et télévision furent en mesure de relayer une information concernant à la fois le grand public, les profes- Le 17 mars, le ministère de la Santé ouvrait un centre d'appel téléphonique destiné aux personnes concernées par les séjours dans les zones affectées (famille d'expatriés, médecins et dirigeants d'entreprises, voyagistes, touristes). Il donnait des réponses aux questions posées, lesquelles étaient également accessibles en ligne sur le site Internet du ministère de la Santé. Le 18, le site Internet de l'Institut de veille sanitaire mettait en ligne un bulletin épidémiologique quotidien concernant la situation française, c'est-à-dire les signalements des cas suspects, probables ou avérés de SRAS ; une information dont la transparence a été appréciée par les médias. Fait nouveau, dans le monde comme en France, le partage en temps réel des données épidémiologiques et la diffusion immédiate des mesures validées devinrent un moyen de lutte contre l'épidémie. Pour la première fois, la coordination internationale scientifique se joua en direct sur le Net. Partagés, les avis émanant d'institutions faisant autorité ont contribué à la bonne crédibilité des consignes de prévention. Leur diffusion active auprès des médias et du public contribua à la lutte contre la contagion si bien que la communication prît le statut de véritable outil de lutte contre l'épidémie. Par exemple, le Bejing center for disease prevention and control de Pékin (BCDC) estime que la diffusion de l'information (Hot line et documents imprimés) permit de réduire le temps d'hospitalisation des cas suspects 1 [6] . En France, un communiqué de presse fut nécessaire pour retrouver le chauffeur de taxi qui avait conduit un malade du SRAS depuis Roissy jusqu'à Roubaix. Le 24 mars, soit seulement 12 jours après les premières investigations microbiologiques, les scientifiques annonçaient depuis Hong Kong et Atlanta qu'un nouveau virus du type coronarovirus avait été isolé chez des patients victimes du SRAS. « Encore plus impressionnant que la découverte fut le caractère instantané de la communication et des échanges » commenta le CDC [4] . De façon compréhensible, les titres des journaux qualifiaient l'épidémie de « mystérieuse », d'« étrange » et de « menace » [7-9]. Heureusement, simultanément les mêmes journaux évoquaient des éléments rassurants comme la « mobilisation » des chercheurs et la « mise en alerte » des autorités de santé contre une « épidémie mortelle qui fait peur à l'OMS ». Cette inquiétude véhiculée par les médias a été utile car elle a participé à la prise de conscience du risque et a donc facilité l'acceptation des mesures de gestion. En mars 2003, tenter de faussement rassurer la population aurait été une erreur que les autorités de Santé, dont l'OMS, n'ont pas commise ; c'est à bon escient qu'elles n'ont pas dissimulé les informations, (dans un premier temps, les autorités chinoises prirent le parti inverse, ce qui fut préjudiciable au contrôle de l'épidémie). Cependant, au travers du prisme des médias, l'inquiétude peut vite alimenter des préjugés susceptibles de favoriser des attitudes irrationnelles (peut-être compréhensibles pour le grand public, mais inadmissibles quand elles émanaient du corps médical). Syndrome d'aspect clinique peu spécifique et banal (fièvre, toux, essoufflement), le SRAS prit de vitesse le circuit habituel de diffusion des connaissances médicales. Les revues scientifiques à comité de lecture, gardiennes du savoir médical établi, ne pouvaient pas suivre le même rythme que les télévisions, les radios et les quotidiens. Tandis que les médias grand public plaçaient la pneumopathie atypique en haut de l'affiche (parfois avant la guerre en Irak), la presse médicale professionnelle ne disposait pas encore de données scientifiques publiables. Le 31 mars, soit deux semaines après l'alerte mondiale, Le New England Journal of Medicine mit en ligne sur son site, en publication anticipée, deux cas cliniques de pneumopathie, l'un en provenance de HongKong, l'autre de Toronto. Le 2 avril, ils furent complétés d'un éditorial du CDC [10] . À cette époque, on ne trouvait en recherchant sur Pubmed avec le mot-clé SRAS que des « brèves », des « news » ou des courriers de lecteurs mais pas encore d'articles documentés. Où les médecins devaient-ils trouver les réponses à leurs questions concernant le pouvoir de contagiosité du virus, les moyens de protection, les thérapeutiques ? Pour comprendre l'épidémie et ces incertitudes, les médecins devaient-ils, en mars 2003, se contenter de suivre le traitement médiatique de l'épidémie ? Comme évoqué plus haut, les autorités de santé s'exprimèrent sur la toile très rapidement et sans traitement journalistique de l'information. Les sites Internet des CDC d'Atlanta de l'OMS, et pour la France du ministère de la Santé et de l'Institut de veille sanitaire étaient actualisés chaque jour. Soumis au devoir d'actualisation de leurs connaissances, les médecins ne devaient pas se contenter d'images télévisées [11] . De fait, des images ou des interviews de personnes masquées dans les aéroports ne constituaient pas une information médicale : ce n'étaient que des clichés sociologiques. Il fallait que chaque praticien consulte les sites Internet des autorités de santé et restitue auprès de leurs patients une information expertisée. Combien l'ont fait les deux premières semaines de mars 2003 ? La consultation d'Internet est facilitée par les systèmes d'alertes électroniques qui « poussent » l'information (push list) dans la boîte aux lettres d'abonnés. Les professionnels de la sécurité sanitaire sont connectés à des systèmes d'information spécialisés, tel le GOARN (Global outbreak alert and response network) de l'OMS qui joua en amont de l'alerte mondiale un rôle déterminant [3] ; mais qu'en était-il des praticiens ? Pour les médecins français, dès le 17 mars, un protocole de prise en charge médicale décrivant les mesures d'isolement et de protection était disponible sur Internet. Par sa longueur, ce document technique était inadapté pour un relais par les médias. Il fut diffusé auprès des centres 15, ainsi que par Internet en partenariat avec la Société de pneumologie de langue française (SPLF) le jour même de sa rédaction par la DGS. Le site de la SPLF disposait d'un listing électronique d'abonnés permettant l'émission d'une alerte électronique. Avec les urgentistes et les médecins du réseau de surveillance de la grippe (Grog), les pneumologues furent ainsi les premiers professionnels de santé directement informés. Le New England Journal of Medicine a été lui-même très étonné de la rapidité de l'information électronique : « notre expérience illustre le pouvoir d'Internet ; sans la communication électronique, la révision des articles aurait pris plusieurs semaines » [10] . Et le New England d'inviter ses lecteurs à s'abonner au « Journal's -mail alerts » [12]. Si la transparence des autorités de santé a été appréciée des médias, la rapidité (sinon parfois la précipitation) de com-munication de certains hôpitaux français n'a pas été sans inconvénient. Lorsqu'un communiqué de presse émis de source locale annonçait en temps réel l'hospitalisation d'un cas suspect de SRAS, il contribuait à la confusion vis-à-vis de la comptabilité des cas suspects, probables ou confirmés. Ce suivi, rendu public au niveau national par l'InVS, n'avait pas besoin d'une information parallèle régionale souvent mal validée ; de fait, un cas probable (c'est-à-dire le plus souvent un syndrome respiratoire viral banal) pouvait être déclassifié dès le lendemain. D'autre part, indiquer la profession, le sexe, ou l'âge d'une personne habitant dans telle ville de province revint parfois à lever le secret médical. En rédigeant un communiqué de presse, il faut impérativement veiller à ne pas donner d'information indirectement nominative. Toutes les informations qui circulaient sur la toile n'étaient pas exactes. Pas moins d'un demi-million de nouveaux sites Internet ont éclos sur le SRAS [13] . Par exemple, d'innombrables publicités proposaient la vente de systèmes de protection contre le SRAS ; masques, désinfectants, aromates respiratoires et même suppléments nutritifs stimulant le système immunitaire. Pour contrecarrer cette désinformation, les autorités de santé nord américaines émirent des mises en garde contre ces allégations [13] . Rappelons-nous qu'elles firent la même chose au XVIII e siècle lors des épidémies de peste 2 . Un jugement a posteriori : « on en a trop fait ? » Au plus fort de la médiatisation de l'épidémie, mais également au décours, certains ont estimé « qu'on en avait trop fait », notamment en France où « seulement » 7 cas de SRAS ont été déplorés. Ils regrettaient l'agitation des pouvoirs publics pour si peu de patients, arguant qu'il y a chaque année plus de 60 000 morts par tabagisme ou plus de 8 000 tués sur les routes. « Pourquoi tant de bruit autour du SRAS » disaientils ? À ceux-là, il faut rappeler la réalité épidémiologique : alors qu'entre novembre 2002 et février 2003 l'épidémie est restée à l'intérieur des frontières chinoises, il a fallu qu'un seul malade -un seul -se rendît à Hongkong pour que le SRAS se répande dans le monde. Cette personne a séjourné 48 heures dans le désormais célèbre hôtel Métropole de Hongkong, contaminant là au moins 14 personnes, lesquelles diffusèrent à leur tour le virus à Hanoi, Toronto, Singapour. Au total plus Le 28 février 2003, le relevé épidémiologique hebdomadaire de l'OMS précise que le ministère de la santé chinois a signalé une « flambée de pneumonie sortant de l'ordinaire » dans la province de Guangdong. On pense alors à Chlamydia pneumoniae. 2 En 1665 la peste ravageait Londres, faisant 70 000 morts. En 1720 elle fut de nouveau à Marseille. La notification des cas aux autorités existait déjà, tout comme pour le SRAS. Pour lutter contre les charlatans, on faisait de la communication comme l'expliquait Defoe dans son journal* : « Le lord maire ordonna la publication par le collège des médecins d'indications concernant les remèdes peu coûteux. C'était une des choses les plus judicieuses que l'ont put faire à ce moment car elle détourna les gens d'assiéger les portes de tous les distributeurs de notices et d'avaler aveuglément, sans la moindre réflexion, le poison en guide de médecine. Ces indications furent établies par délibération de tout le collège. On les publia de façon que chacun pût en avoir connaissance, et l'on distribua des exemplaires à tous ceux qui le désiraient ». * Daniel Defoe. Journal de l'année de la peste. 1722 (trad. française 1959. Gallimard ed). de 8 000 cas de SRAS ont été recensés, avec au moins 800 décès dans 27 pays [14] . Quand on considère les pertes humaines et les retombées économiques du SRAS dans les zones affectées, il est clair qu'on ne saurait minimiser l'enjeu des dispositifs de prévention. OMS/22, bureau de l'information : L'OMS lance une alerte mondiale à la suite de cas de pneumonie atypique Syndrome respiratoire aigu sévère Faster…but Fast enough? Responding to the epidemic of severe acute respiratory syndrome Ethical and legal challenges posed by Severe Acute Respiratory Syndrome implications for the control of severe infectious disease threats Evaluation of control measures implemented in the severe acute respiratory syndrome outbreak in Beijing Sars, the Internet and the Journal Code de déontologie médicale : Article 11 : « tout médecin doit entretenir et perfectionner ses connaissances Explosion on Internet advertisements for protection against Sars Planning for Epidemics; the lessons of the Sars Chronique pour une pandémie grippale annoncée