key: cord-0791384-hmc0z76l authors: Gachet-Mauroz, T.; Cros, F.; Maillot, A.-S.; Delobbe, N.; Vayre, E. title: Incidences de la (ré)organisation du (télé)travail en temps de crise du point de vue de l’encadrement intermédiaire date: 2022-05-24 journal: nan DOI: 10.1016/j.prps.2022.03.001 sha: 3691a5298bbf2a92da441808dea73c3cba03a3a0 doc_id: 791384 cord_uid: hmc0z76l Introduction La pandémie Covid-19 a bouleversé l’organisation du travail et a marqué un tournant dans le déploiement du travail médiatisé et distant. Partout où la continuation de l’activité était possible à distance, le télétravail s’est imposé. Néanmoins, il s’exerce dans des conditions inédites et l’organisation des modalités de travail se définit au gré de l’évolution de la situation et des mesures sanitaires gouvernementales. Objectif Dans ce contexte, l’objectif de cette étude est de comprendre quelles sont, du point de vue des managers intermédiaires, les incidences du télétravail en confinement puis lors de la reprise progressive de l’activité sur site, d’une part, sur le travail, son organisation et ses conditions de réalisation et, d’autre part, sur les collectifs de travail, le rapport au travail et la qualité de vie des salariés. Méthode Dans cette perspective, nous avons mené une étude exploratoire et compréhensive par entretiens semi-directifs auprès de 17 directeurs de service en poste en France dans un organisme public. Résultats L’analyse lexicale et morphosyntaxique réalisée montre que les modalités d’organisation/réorganisation du travail à différents moments de la crise, leur impact sur l’activité de travail, l’expérience psychosociale du télétravail au sein des services et les pratiques managériales déployées (3 classes) ont pu constituer des opportunités mais aussi générer des risques. Conclusion Les résultats de cette étude permettent d’identifier les bénéfices mais aussi les retombées potentiellement délétères du recours au télétravail en période de crise et fournissent des éléments de réflexions quant à son déploiement post-pandémie. Introduction The Covid-19 pandemic disrupted the organization of work and represented a turning point in the deployment of mediated and remote work. Wherever the continuation of the activity was possible at a distance, telework was imposed. Nevertheless, it is exercised in new conditions and the organization of work modalities is defined according to the evolution of the situation and governmental health measures. Objective In this context, the objective of this study is to understand what are, from the point of view of middle managers, the impacts of telework in confinement and then during the progressive re-establishment of the activity on site, on the one hand, on the work, its organization and its conditions of realization and, on the other hand, on the work collectives, the relationship to work and the quality of life of the employees. Method In this perspective, we carried out an exploratory and comprehensive study through semi-structured interviews with 17 directors of service in a French public organization. Results The lexical and morphosyntactic analysis performed shows that the modalities of work organization/reorganization at different moments of the crisis, their impact on work activity, the psychosocial experience of telework within the services and the managerial practices deployed (3 classes) could constitute opportunities but also generate risks. Conclusion The results of this study allow us to identify the benefits but also the potentially deleterious effects of the use of telework in times of crisis and provide elements for consideration in its post-pandemic deployment. Introduction. -La pandémie Covid-19 a bouleversé l'organisation du travail et a marqué un tournant dans le déploiement du travail médiatisé et distant. Partout où la continuation de l'activité était possible à distance, le télétravail s'est imposé. Néanmoins, il s'exerce dans des conditions inédites et l'organisation des modalités de travail se définit au gré de l'évolution de la situation et des mesures sanitaires gouvernementales. Objectif. -Dans ce contexte, l'objectif de cette étude est de comprendre quelles sont, du point de vue des managers intermédiaires, les incidences du télétravail en confinement puis lors de la reprise progressive de l'activité sur site, d'une part, sur le travail, son organisation et ses conditions de réalisation et, d'autre part, sur les collectifs de travail, le rapport au travail et la qualité de vie des salariés. Méthode. -Dans cette perspective, nous avons mené une étude exploratoire et compréhensive par entretiens semi-directifs auprès de 17 directeurs de service en poste en France dans un organisme public. L'organisation du travail a été profondément bouleversée pendant la pandémie Covid-19, en particulier lorsque les pouvoirs publics ont décidé de confiner la population pour endiguer le coronavirus. Dans ce contexte de crise sanitaire mais aussi sociale et économique, nombre d'entreprises et de structures publiques ont eu recours au télétravail. Les dirigeants, les responsables des ressources humaines, les managers et les salariés, ont ainsi dû, dans des conditions inédites et des délais très courts, déployer de nouvelles modalités de travail 100 % à distance. Les organisations et les collectifs ont été contraints de réaménager et de repenser tant le contenu de l'activité que la manière d'exécuter 2 les tâches assignées (Fana et al., 2020) . Les cadres dirigeants, intermédiaires et de proximité, comme les salariés ont dû, en outre, « faire le deuil » d'une pratique bien ancrée du management par supervision directe et apprendre à travailler en équipe à distance (Frimousse et Peretti, 2020) . Le télétravail, permanent puis partiel, est alors devenu la norme dans toutes les structures où la continuation de l'activité était possible à distance. Plusieurs sondages réalisés entre fin mars et début avril 2020, estiment que 25 % des salariés franç ais ont été amenés à télétravailler pendant la période de confinement (e.g., Enquête Flash de la DARES, 2020). Or, d'après la Direction de l'Animation de la Recherche, des études et des statistiques (DARES, 2019) , seuls 3 % des salariés télétravaillaient de manière régulière et au moins un jour par semaine en 2017. Cette augmentation spectaculaire du recours au travail à distance dépasse toutes les projections réalisées avant la pandémie qui anticipaient une augmentation progressive et continue du télétravail. Les données disponibles au premier semestre 2021 indiquent que la proportion de télétravailleurs est demeurée relativement constante depuis : entre 24 et 28 % des salariés ont télétravaillé au moins un jour par semaine entre janvier et juin 2021 (voir les enquêtes flash successives de la DARES « Activité et conditions d'emploi de la main-d'oeuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 »). Toutefois, le travail médiatisé et distant tel qu'expérimenté en situation de crise et de confinement est très éloigné du télétravail tel que défini avant la pandémie (i.e., anticipé, volontaire, formel ; Vayre, 2019) . Il a, en effet, pour spécificité d'avoir été décrété dans l'urgence, brutalement imposé et non négocié. Cette organisation du travail a impliqué une mobilisation rapide et massive d'outils, applications, de solutions technologiques, plus ou moins préconisés par les organisations employeuses. Les télétravailleurs ont été amenés à exercer au sein de leur lieu de confinement et en présence de leur entourage personnel (en mars-avril 2020). Aussi, si certains salariés avaient déjà expérimenté le télétravail au préalable, aucun ne l'avait exercé dans de telles conditions. Depuis, la gestion et la régulation des activités au sein des organisations sont rythmées par les périodes de confinement et de déconfinement (« stop and go »). La reprise de l'activité sur site étant fortement réglementée, les organisations de travail ont continué à faire usage du télétravail à domicile à temps partiel. La crise sanitaire a donc profondément modifié le télétravail, tant dans ses contours, son organisation, sa mise oeuvre que dans son articulation aux autres pans de vie des salariés. Il paraît de ce fait indispensable d'en considérer les incidences à l'aune des caractéristiques exceptionnelles inhérentes à la pandémie de Covid-19. En mars 2020, toutes les entreprises et structures publiques n'ont pu réagir de faç on semblable face à la soudaineté des mesures prises par le gouvernement. Certaines ont ainsi été contraintes d'interrompre leur activité alors que d'autres ont pu la maintenir, totalement ou partiellement. Les entreprises qui avaient déjà mis en place le télétravail ont été davantage préparées à l'extension de cette modalité de travail (Tokarchuk et al., 2021) . Il en est de même pour les salariés qui pratiquaient le télétravail avant la crise sanitaire : plus nombreux à disposer d'un environnement technique et matériel adapté au travail à domicile (Anact, 2020 (Anact, , 2021 Barrero et al., 2020 ; Pennequin, 2020) ils se sont plus facilement ajustés à cette nouvelle forme de travail, ce qui a généré une certaine satisfaction (Ono & Mori, 2021) . Si l'implémentation des technologies de l'information et de la communication (TIC) a été essentielle, cette nouvelle organisation a nécessité un temps d'appropriation et de formation par les différents acteurs de l'entreprise, ainsi qu'un appui technique et un soutien organisationnel (Bellini & de Carvalho, 2021) . Aussi, pour celles et ceux qui n'ont pu bénéficier d'une phase « d'apprentissage » et de la mise en place de formes de régulation, l'utilisation massive des TIC et des outils collaboratifs comme la démultiplication des informations reç ues a pu générer un surinvestissement de la sphère professionnelle, un « stress technologique » ainsi qu'une fatigue accrue et de l'anxiété (Estrada-Muñoz et al., 2021 ; Fuhrer et al., 2021) . À la complexification de la gestion du travail s'est adjoint une fragmentation de l'activité professionnelle en raison des contraintes et des interruptions multiples liées à la vie domestique (Clouet, 2021 ; Mercier & Boisson, 2020) . L'espace professionnel s'est immiscé dans l'espace privé, a pris le (Fuhrer et al., 2021) . Si l'on considère la période du premier confinement sur laquelle l'essentiel des études portent, une grande partie des salariés a exprimé être parvenue à concilier ces deux sphères de vie en instaurant des règles intrafamiliales concernant le partage des espaces et des outils (Anact, 2020 ; Boboc, 2020) . Les salariés qui déclarent une bonne conciliation sont majoritairement des hommes, qui n'occupent pas de fonction managériale et qui sont âgés de plus de 45 ans (Anact, 2020) . En revanche, Barthou et Bruna (2021) comme Vaziri et al. (2020) notent, de leur côté, que l'organisation d'une « double journée » (professionnelle et domestique) a généré des tensions voire des conflits qui ont lourdement pesé sur ceux qui travaillaient au domicile. À ce propos, les études repèrent que les télétravailleurs ayant des enfants scolarisés rapportent plus de conflits intrafamiliaux et moins de satisfaction professionnelle en raison du temps accordé aux enfants (école à la maison, repas, soin, etc.) (Fana et al., 2020 ; Moens et al., 2021) . La configuration et les caractéristiques des espaces disponibles au domicile ont également affecté la manière dont le télétravail a été vécu, rendant plus saillantes les inégalités sociales (Lambert et al., 2020a (Lambert et al., , 2020b . Mais la réorganisation du travail en temps de crise a aussi été génératrice d'opportunités. Du fait de la pandémie et de la crise sociosanitaire, l'augmentation de la charge de travail constatée chez certains travailleurs à distance a pu revêtir une connotation positive (Carillo et al., 2021) . Pour certains, elle a été interprétée comme un gage d'efficacité professionnelle et d'engagement. Pour d'autres, elle est venue renforcer le sentiment de sécurité dans l'emploi signifiant que la structure employeuse ne subissait que peu, voire pas du tout, les effets de la crise Covid-19. Par ailleurs, le recours au télétravail -même opéré de manière abrupte -a permis aux travailleurs de maintenir une activité. En effet, lorsqu'on compare leur niveau de bien-être à celui des chômeurs sur la même période, ils rapportent un bienêtre supérieur (Escudero-Castillo et al., 2021) . Le (télé)travail, même en temps de crise, a révélé sa fonction préservatrice de la santé au travail (Delicourt, 2021) . Plusieurs mois après le début de la crise sanitaire et de la mise en oeuvre d'un télétravail imposé au gré des évolutions des mesures sanitaires, on peut s'interroger sur les effets potentiellement délétères, à court et moyen termes, des adaptations à répétition et des efforts consentis, au travail et en dehors, pour répondre à la fluctuation des exigences organisationnelles et professionnelles. Les incidences de la réorganisation du travail pendant la crise Covid-19 sur les pratiques managériales et les collectifs de travail sont partiellement documentées et relativement ambivalentes. En contexte de pandémie, les managers se sont confrontés à plusieurs défis, dont celui du maintien d'un esprit d'équipe, de la mobilisation de chacun de ses membres, de la collaboration, du partage d'informations, de l'entraide, de la confiance, du bien-être individuel et collectif (INRS, 2020) . Les études réalisées, centrées sur la première période de confinement, montrent que les modes de management se sont adaptés au contexte et ont été associés à une accentuation des relations de proximité et à une augmentation des marges de manoeuvre accordées aux équipes pour réaliser leur travail (Fana et al., 2020) . En effet, 77 % des salariés interrogés dans la grande enquête de l'Anact (2020) expriment le soutien de leur manager pendant cette période de confinement. Selon l'étude d'Abdulibeh (2020), 88 % des managers interrogés ont augmenté la fréquence et la quantité des communications avec leurs équipes en télétravail afin de leur donner des informations sur la santé et la sécurité en lien avec la Covid-19. Abord de Chatillon et al. (2020) rapportent, en outre, une diminution globale du contrôle exercé par les managers lors de cette période. Ces derniers ont, en effet, privilégié un management par objectif aux dépens d'une supervision et d'un contrôle stricts (Kniffin et al., 2020) . Aussi, lorsqu'elle s'est traduite par un soutien actif fourni aux équipes, par l'établissement de dynamiques plus participatives et par une fréquence élevée d'interactions, cette redéfinition des pratiques managériales a permis un meilleur ajustement à la situation de télétravail confiné et a positivement influencé le niveau de bien-être psychologique des collaborateurs (Delicourt, 2021 ; Moens et al., 2021 ; Tokarchuk et al., 2021) . Mais d'autres études menées sur la même période montrent que l'absence de contact, de feedback régulier et informel avec le manager est l'un des obstacles majeurs rencontrés dans l'adaptation des salariés au télétravail contraint (Carillo et al., 2021) . Dolce et al. (2020) comme Pennequin (2020) révèlent, par ailleurs, que certains managers ont pu développer des pratiques de management intrusives voire toxiques altérant l'autonomie que les salariés avaient pu acquérir en présentiel, diminuant leur possibilité de mobiliser des stratégies de récupération et favorisant l'épuisement professionnel. Ils ont dans ce cas été conduits à renforcer le contrôle à distance, à se montrer envahissant, à solliciter leur équipe dans l'urgence et en dehors des heures prévues de travail (Fana et al., 2020 ; Kniffin et al., 2020) . Du point de vue de la qualité des relations et de la dynamique des collectifs, plusieurs auteurs soulignent que les outils et dispositifs numériques ont permis de maintenir les échanges même s'ils sont jugés de moindre qualité (Barthou & Bruna, 2021 ; Fana et al., 2020) . Pour exemple, la visioconférence, largement utilisée lors du premier confinement, a permis conjointement de poursuivre le travail en équipe et de maintenir un lien social (Boboc, 2020) . Le mail a rempli un rôle de « couteau suisse » et les échanges via messageries, asynchrones comme instantanées, ont significativement augmenté (Boboc, 2020 ; Guesmi & Rallet, 2012) . Ces modalités ont satisfait de multiples finalités : maintenir le contact, soutenir les salariés, fédérer le collectif, informer sur l'évolution de la situation sanitaire, préserver l'organisation et le bien-être au travail (Barthou et al., 2020 ; Bellini & de Carvalho, 2021 ; Carillo et al., 2021) . Contrairement aux travaux précédents, de Corbières et al. (2021) constatent, pour leur part, une réduction de la quantité et de la qualité des interactions en période de pandémie, les systèmes de visioconférences affectant le caractère spontané des échanges (caméra et/ou micro éteints, double tâche, etc.). En ce sens, ils notent une de dégradation de l'ambiance et de la convivialité au sein de certains collectifs. Car si les conditions techniques sont nécessaires au télétravail, elles ne suffisent pas à fournir de bonnes conditions de travail à distance (Fana et al., 2020) . Si les réunions à distance se sont ainsi multipliées, elles n'ont pas été à même de compenser totalement l'absence de rencontres en présentiel (Reisenwitz, 2020) . Selon Barthou et Bruna (2021) , les relations sociales ont d'ailleurs représenté la dimension la plus difficilement vécue par les télétravailleurs lors du premier confinement. En effet, la fonction socialisatrice du travail ne peut plus être exercée lorsqu'il n'existe plus de temps de travail collectif ou d'espaces de délibération informels sur le travail (Pennequin, 2020) . Or, ces temps sont utiles, tant pour le salarié en termes de bien-être psychologique, que pour l'organisation du travail car ils génèrent de l'innovation et de la cohésion sociale et permettent la régulation des conflits et la résolution des problèmes relationnels et professionnels (Sarthou-Lajus, 2020). Afin d'étayer la littérature scientifique du domaine, nous avons réalisé une étude qualitative et exploratoire à visée compréhensive. En effet, les résultats issus des travaux menés demeurent ambigus voire contradictoires. La très grande majorité d'entre eux s'est centrée sur la première période de la pandémie en France, et en particulier sur le confinement de mars-avril 2020. Or, depuis, les pouvoirs publics franç ais n'ont jamais eu recours à des mesures aussi restrictives (confinement de la population, télétravail à 100 %, fermeture des écoles et des commerces, etc.). Qui plus est, ces travaux ne permettent pas d'identifier les répercussions potentiellement différenciées des vagues pandémiques et des mesures gouvernementales sur l'organisation du travail et les télétravailleurs. Par ailleurs, les incidences des réorganisations successives du travail (« stop and go ») demeurent encore méconnues. Il est également important de souligner que les travaux menés dans le champ interrogent la plupart du temps les salariés en télétravail et, dans une moindre mesure, l'encadrement de proximité. Or, pour rendre compte des incidences de l'organisation/réorganisation du (télé)travail en temps de crise, il nous a paru important d'appréhender le point de vue de l'encadrement intermédiaire. À l'interface des instances de directions et des équipes de terrains, la vision haute des managers intermédiaires permet d'enrichir la compréhension des dimensions socio-organisationnelles en jeu au cours de cette période et de contribuer à étoffer la littérature scientifique du domaine. Aussi, notre étude vise à répondre aux questions suivantes : Quelles ont été les conditions de (télé)travail au domicile et les modalités d'organisation/réorganisation du travail depuis le début de la pandémie ? Quels sont les effets du télétravail et de la reprise progressive sur site propres aux Cette étude a été effectuée auprès de 17 directeurs de service, en poste dans un organisme public franç ais, sur la base du volontariat (soit un taux de participation d'environ 15 %). 5 d'entre eux dirigent des services propres aux fonctions supports (RH, service financier, service informatique, . . .). Les 12 autres dirigent des services qui réfèrent à des fonctions caractéristiques de l'activité de la structure, nous les nommerons « services opérationnels ». La taille de ces services varie de 20 à 390 salariés. La quotité d'activités télétravaillables diffère grandement entre ces services. Dans la majorité d'entre eux (n = 11), certaines activités n'étant pas télétravaillables, elles ont dû être totalement interrompues pendant la période du premier confinement. L'ensemble des informations sont regroupées dans le Tableau 1. Concernant les managers intermédiaires, nous comptabilisons 10 hommes et 7 femmes. Leur moyenne d'âge est de 53 ans. Ils sont 4 à avoir des enfants de moins de 12 ans et 3 à avoir des enfants entre 13 et 16 ans à charge au domicile pendant la période du premier confinement. Les informations pertinentes les concernant sont présentées dans le Tableau 2. En accord avec nos objectifs d'étude, le guide d'entretien se compose de trois rubriques thématiques (voir en Annexe). La première appréhende les effets perç us de la crise sanitaire sur le travail et ses conditions de réalisation (gestion et coordination du travail, organisation temporelle, modes de fonctionnement, nature des activités, missions, objectifs, contraintes spécifiques, motivation et engagement des managers de proximité et des équipes). La deuxième interroge les incidences de la crise sanitaire sur les relations professionnelles et les modalités de communication au sein du service, entre pairs et avec les managers. La dernière a pour objectif de recueillir les réactions et représentations des membres du service quant aux exigences et règles émanant des instances de direction. Les questions du guide étaient orientées de sorte à recueillir, dans un premier temps, la perception, du point de vue des directeurs de service, de l'expérience vécue par les membres du service puis, L'étude s'est déroulée entre janvier et février 2021. Les directeurs ont été sollicités par mail, par l'intermédiaire du service des ressources humaines pour participer à un entretien semi-directif approfondi. Un formulaire de consentement leur a été adressé avant la réalisation des entretiens. Les entretiens ont été menés pour moitié en présentiel et pour l'autre moitié en distanciel (visioconférence) en fonction des disponibilités des répondants. Ils ont duré en moyenne une heure et demie. Notre recherche ayant une visée exploratoire nous avons réalisé une analyse lexicale et morphosyntaxique à l'aide du logiciel IRaMuTeQ (Reinert, 1990) . L'un des intérêts majeur de cette technique d'analyse de données textuelles réside dans le caractère inductif de la démarche. Le logiciel permet d'identifier les principaux univers lexicaux présents dans le corpus en mettant l'accent sur les similarités et les dissemblances du vocabulaire et en rendant compte de sa distribution dans les propositions qui constituent le texte étudié. Il permet de repérer la présence de classes qui sont chacune constituée d'ensembles d'énoncés (unités de contexte élémentaires, u.c.e.) homogènes du point de vue de la cooccurrence du vocabulaire qui les compose. Classes qui, conjointement, se distinguent significativement entre elles. Le logiciel catégorise, dans un premier temps, les réponses des sujets à partir d'une Classification Hiérarchique Descendante (CHD). Puis, dans un second temps, il tente d'établir une correspondance entre les réponses de ce sujet et celles d'autres individus ou groupes d'individus à partir de variables illustratives (caractéristiques sociobiographiques des répondants, caractéristiques du service qu'ils dirigent). La CHD issue de l'analyse montre que notre corpus se divise en 3 classes (voir Fig. 1 vs reprise du travail sur site). Les deux dernières classes réfèrent aux reconfigurations imposées par la crise sanitaire, l'évolution des relations à autrui, les modes de régulation mis en place par la hiérarchie ainsi que les conditions de réalisation des activités. Des indices tels que le vocabulaire spécifique ( 2 ), les unités de contexte élémentaires (u.c.e.) les plus représentatives et les variables illustratives significativement associées à chacune de ces classes permettent de les décrire plus précisément. La bascule en télétravail contraint lors du premier confinement a été mise en place et perç ue de deux faç ons. Un premier sous-groupe de directeurs de service explique qu'ils étaient relativement préparés à cette transition, en raison d'une veille rigoureuse de la situation sanitaire et de l'antériorité des habitudes de télétravail au sein des équipes. Ils sont principalement représentés par les services dont les activités sont majoritairement télétravaillables, mais restent minoritaires (n = 4). « Effectivement ç a s'est accéléré le lundi et tout était déjà pratiquement prêt. Toutes les mises en sécurité des activités avaient déjà été bien préparées » (Joséphine). « La moitié des personnes étaient équipées d'ordinateurs portables, une partie des personnes étaient déjà habituées au télétravail une journée par semaine » (Louise) Le second sous-groupe quant à lui (n = 13), réfère en majorité aux services dont les activités sont peu compatibles avec le télétravail. Dans ce cas, la réorganisation du travail est décrite comme nonanticipée et fortement préjudiciable pour la poursuite des activités au sein du service. « On a dû tout arrêter, tout mettre en pause » (Michel). Le début de ce premier confinement est marqué par une période de sidération lors de laquelle les activités et réunions se sont interrompues. À l'issue de cette période, la reprise des activités, à distance, deux semaines après le début du confinement, se focalise sur la continuation des activités, la gestion de crise et la préservation des salariés. En ce sens, des réunions et discussions, mais aussi des espaces de relaxation sont proposés à l'échelle du service. Les encadrants de proximité, en parallèle, organisent des réunions régulières de fonctionnement avec leur équipe. À l'initiative de certaines équipes, des réunions informelles visant à maintenir les relations au sein du collectif de travail ont également été instaurées. « Je crois qu'il y a eu généralement toutes les équipes qui ont mis en place des réunions à distance une fois par semaine » (Bertrand). La période de déconfinement est quant à elle marquée par des difficultés relatives à l'organisation du plan de reprise de l'activité en présentiel. Les injonctions au retour sur site, émises par les directives gouvernementales puis relayées par les instances de direction de l'organisation, se sont heurtées, sur le terrain, au manque de moyens matériels, pourtant nécessaires au retour sur site dans le respect des règles sanitaires édictées. « Il y a eu un moment où on nous a dit : "Oui, il faut que les gens viennent" et on ne trouvait pas de masque alors je vois pas comment on pouvait obliger les gens à venir » (Bernadette) D'après les managers intermédiaires, la majorité des salariés s'est montrée enthousiaste à l'idée d'un retour sur site. Ils sont principalement motivés par le besoin de retrouver des liens sociaux et des conditions de travail jugées plus adaptées qu'au domicile. Néanmoins, presque à l'unanimité (n = 15), les participants expliquent avoir au sein de leur service une minorité de travailleurs réfractaires au retour en présentiel. Ces résistances étant souvent liées à la perception de risques accrus d'exposition au virus. « Il y en a qui sont revenus parce qu'on leur a demandé de revenir, il y en a qui sont venus avec plaisir, et il y en a qui aurait préféré rester en télétravail » (Gersandre). « Donc là, les collègues viennent, certains viennent tous les jours, d'autres viennent rarement, certains ne viennent jamais, c'est très variable » (Éric). En outre, des différences de traitement quant aux modalités de poursuite du télétravail versus aux modalités de retour sur site ont émergé. Dans les services où les activités sont majoritairement compatibles avec le télétravail, le retour en présentiel s'est voulu progressif, pour renouer « en douceur » avec le travail et le collectif de travail. Dans les services où les activités sont peu télétravaillables, certains directeurs de service (n = 7) ont fait le choix d'une régulation collective des présences sur site et/ou d'optimisation des capacités d'accueil en fonction des besoins individuels. « C'est à dire que j'ai laissé les gens qui veulent venir être en présentiel, car j'ai confiance que le système s'auto-équilibre » (Joséphine). « On n'a pas travaillé en fonction d'une jauge, on a travaillé à partir de qui a absolument besoin de travailler » (Antoine). Dans ce cadre, l'accès aux locaux des salariés qui subissent des conditions de télétravail au domicile plus précaires, plus jeunes, isolés et/ou confinés dans des logements plus petits et moins bien équipés, est apparu comme une priorité. « Lui, il est bloqué dans un appartement, seul, à ne pas bouger du matin au soir » (Éric) « Parce que j'en ai vu à la limite du burn out. Deux petits et les deux qui bossent dans 70m 2 , l'enfer quoi. Les gosses tout le temps au milieu (Céline) Pour leur part, les managers intermédiaires évoquent à l'unanimité, l'extension de leur temps de travail et une baisse des temps de récupération depuis le début de la crise sanitaire. À cela, s'adjoint le sentiment de devoir se rendre disponible dans un contexte éprouvant pour les membres des services. « Ç a fait qu'on fait plus (. . .) on répond à plus de sollicitations, on a tendance à dire "oui, je suis disponible". Donc ç a fait plus de temps passé en réunion, en visioconférence, du coup moins de temps à soi » (Pierre). Pourtant, seuls 3 directeurs de services décrivent un gain de productivité pour leurs activités professionnelles. L'augmentation de la charge de travail paraissant désorganiser l'activité et les submerger. « On est occupé tout le temps, mais on ne sait pas trop ce qu'on a fait » (Céline) Aussi, le déséquilibre entre vie professionnelle et vie privée se fait ressentir. Si la vie familiale en paraît peu impactée (n = 2), l'omniprésence du travail entache la réalisation des activités personnelles et de loisirs, et renforce les comportements de sédentarité. « Sauf que du coup je ne sors pas, alors que je devrai sortir » (Clément) « Je suis assise sur une chaise pas top, on a une vidéo la plupart du temps, on ne fait plus rien, on fait plus de sport, je pouvais plus marcher » (Céline) Malgré ces difficultés, les directeurs de service mentionnent également les avantages qui se dégagent de l'expérimentation du télétravail et les limites de certaines activités en présentiel. Ils considèrent que ces nouvelles modalités de travail sont susceptibles de soutenir l'activité professionnelle tout en préservant le bien-être des salariés, à condition de trouver le juste équilibre entre travail à distance et travail en présentiel. Pour terminer, le discours des managers intermédiaires souligne à quel point l'enchaînement et le cumul des périodes de confinement-déconfinement-reconfinement et la réorganisation permanente du (télé)travail qu'elles ont impliqué, comme la confrontation des process et des règles instaurées au réel de l'activité au sein des services, érodent progressivement leur motivation, leur engagement et leur énergie, comme ceux des membres de leur service/équipe. « Ç a a ralenti, on a pris du retard sur tout, ç a, c'est très clair » (Joséphine) Malgré un fonctionnement marqué par une désorganisation du travail, les managers intermédiaires mentionnent leur souhait, tout au long de cette période, de maintenir des objectifs de travail élevés. « Les objectifs de travail ont été maintenus, on continue à travailler dans un mode dégradé certes, mais on continue à produire » (Auguste) Cependant, le maintien des activités et des objectifs de travail alors que le travail devait se faire à distance a eu un coût non-négligeable tant sur la charge de travail que sur la qualité du travail. « C'est un travail qui n'aura pas la même qualité (. . .) que si la personne était allée sur place, ç a c'est sûr (. . .) C'est une tâche qu'on a dû gérer autrement, donc ç a a pu créer une surcharge de travail » (Gersandre) Mais cette période a aussi été l'occasion de terminer des travaux inachevés, de se concentrer sur des tâches délaissées à l'accoutumée (car jugées moins essentielles) ou pour repenser l'activité en fonction de sa compatibilité avec le travail médiatisé et distant (n = 8). « Certains ont réussi quand même à profiter de cette période comme je le disais pour prendre du recul sur des dossiers, faire des choses qu'ils reportaient toujours » (Michel) La réorganisation des modalités de travail n'a pas affecté de manière homogène l'activité au sein des services. Certains salariés ont été privés d'une partie de leur activité et ont pu se sentir démuni. D'autres ont vu leur charge de travail considérablement augmenter. La manière dont ces disparités ont été vécues diffère et a pu générer un sentiment de malaise entre les membres d'un même service. T. Gachet-Mauroz et al. Pratiques psychologiques xxx (xxxx) xxx-xxx « Donc les gens quand même n'étaient pas très à l'aise avec l'idée de se dire bon on a des collègues qui continuent leur boulot et puis y en a d'autres qui ne peuvent rien faire » (Bernadette) Du point de vue des relations professionnelles au sein des collectifs de travail, les directeurs de service soulignent l'intérêt du recours aux outils numériques, et notamment à la visioconférence, qu'il s'agisse d'organiser le travail au sein des équipes, de réguler l'activité, ou de maintenir des relations de proximité. « Globalement les gens ont pu continuer pour beaucoup leur mission en télétravail et ont pu garder une dimension collective grâce à des visios régulières » (Sofiane) « On a une réunion hebdomadaire d'échange complètement informelle sur quels sont les difficultés que rencontrent les uns et les autres » (Pierre) Mais les managers intermédiaires (n = 5) pointent aussi les inconvénients de ce mode de communication et les dérives de la multiplication des réunions médiatisées et distantes. « C'est que la participation à des réunions en visio accentue le multitâche, on fait fréquemment plusieurs choses en même temps et évidemment ç a aussi ç a nuit à la qualité de l'écoute et de l'échange (. . .) je crois aussi que ç a les stress, il y a un sentiment peut-être de trop plein numérique » (Éric) L'ensemble des interviewés expriment leur inquiétude face aux risques de fragmentations des collectifs et de dégradation des relations de travail. D'après eux, les technologies de communication altèrent tout autant la quantité, la qualité que la nature des interactions. « Je pense qu'on perdra notre sociabilité si on généralise ç a » (Clément) À l'unanimité les directeurs de service mentionnent la fonction fédératrice des échanges formels ou informels, et le rôle majeur des dynamiques collectives au travail. « Même si vous avez un coup de moins bien, vous vous inscrivez dans une dynamique de groupe qui vous porte » (Éric) Les directeurs de service (n = 9) rapportent également à quel point, le télétravail contraint en confinement a exacerbé les comportements sociaux et polarisé la nature des relations. Ils constatent néanmoins des formes de solidarité, de partage et de soutien au sein des équipes confrontées à une situation de crise majeure. « Les gens qui tissent du lien en ont tissé plus et ceux dans la contradiction refusent plus » (Abel). « Il y avait un énorme collectif, on est face à une crise, on va la passer » (Clément). Pour ce qui les concerne plus directement, les managers intermédiaires témoignent des effets du télétravail en temps de crise d'une part, sur leurs pratiques managériales et, d'autre part, sur leurs modes de relations avec les instances de direction. Ils expliquent (n = 12) leur changement de posture et le soutien social qu'ils ont pris soin d'apporter dans ce contexte inédit, aux niveaux collectif et individuel, tout en restant dans le cadre du rôle qu'ils estiment devoir tenir. « Il faut aussi être dans un rapport individualisé aux personnes pour prendre en compte les cas particuliers de chacun, tout en ayant quand même en tête qu'on est dans une relation professionnelle avec des jeux et des attentes qui continuent à s'exprimer » (Abel) En revanche, de leur point de vue, la pandémie et la réorganisation du travail n'ont modifié ni la qualité, ni le contenu, ni les modes de communication et les échanges avec leurs instances de direction de l'organisation de travail. Les directeurs de service paraissent d'ailleurs regretter qu'elles ne se soient pas davantage adaptées au contexte spécifique et qu'elles aient été peu sensibles aux remontées de l'expérience vécue sur le terrain, y compris de leur propre engagement. T. Gachet-Mauroz et al. Pratiques psychologiques xxx (xxxx) xxx-xxx Catégories associées au relevé du vocabulaire spécifique de la classe 3. « Je trouve qu'il n'y a eu absolument aucune prise en compte de la part des directions de l'impact des demandes faites, qui elles-mêmes devaient venir de la couche au-dessus » (Michel) Or, d'après les directeurs de service, le télétravail et les nouveaux modes d'organisation de travail impliquent nécessairement des changements dans la manière de concevoir le travail et son appréciation, autrement dit une transformation des politiques et de la culture managériales. « Cette expérience de changement de paradigme dans nos modes de travail va peut-être faire réaliser que des choses ne sont plus à faire comme avant » (Michel) « Il va falloir que nos infrastructures et nous-mêmes et nos administrations en particulier réfléchissent à la souplesse du travail » (Auguste) 6.3. Classe 3 : gestion managériale de la réorganisation du (télé)travail en période de crise Covid-19 La classe 3 contient 1030 u.c.e (22,48 % du corpus analysé). Le discours des hommes ( 2 = 26,78 ; p < 01) y est surreprésenté, sans pour autant exclure celui des femmes. Les éléments de discours significativement associés à cette classe renvoient à la gestion managériale de la crise aux différents niveaux de l'encadrement organisationnel (voir Tableau 5). Les managers intermédiaires (n = 9) expliquent d'emblée le rôle primordial joué par les managers de proximité et la manière dont ont été coordonnés les rôles et les périmètres d'activité des divers niveaux d'encadrement au sein des services. « On a discuté, on a regardé avec les chefs de pôles, les chefs d'équipes quelle était la meilleure organisation possible, qui on pouvait prioriser, etc. » (Bertrand). « Heureusement, les responsables de pôle aussi ont fait un gros travail d'animation, d'organisation des pôles, des réunions, pour être solidaire et veiller les uns sur les autres » (Bernadette) Pour s'assurer d'être au plus près du réel de l'activité et du vécu des membres du service, les directeurs de service ont délégué et se sont fortement appuyés sur les managers de proximité, quitte à pâtir d'une baisse d'interaction directe avec les salariés de leur service. 13 « On s'est reposé sur nos responsables d'équipes qui ont continué l'organisation du travail » (Pierre) « C'est principalement là pour moi le gros changement, je pense que ç a m'a éloigné de la majorité des personnes parce que le lien est indirect à travers les animateurs d'équipe » (Antoine) Les managers intermédiaires (n = 6) pointent en particulier l'importance de la dimension humaine et sociale du travail des managers de proximité, sur laquelle, à leur sens, ils doivent se (re)centrer dans le contexte traversé. Mais ils expriment tout autant l'exemplarité dont ils doivent faire preuve dans ce cadre et le rôle moteur qu'ils peuvent jouer. « Ce suivi-là, l'humanité ou l'empathie du chef de pôle peut aider » (Céline). « Juste d'être un peu gentil, je trouve que ç a a manqué, après nous avec nos chefs d'équipes, on l'a fait, on l'a fait pour nos salariés » (Joséphine). Les directeurs de service décrivent d'ailleurs l'organisation du travail médiatisé et distant au sein des collectifs et les supports de communication mobilisés en fonction de la taille du collectif et du niveau considérés (service/pôle/équipe/). « Chaque équipe avait des réunions une fois par semaine à distance. Et en plus de cela on a suivi les salariés pour qu'il y ait des visioconférences ou des appels téléphoniques de faç on très régulière » (Bertrand) « Et en fait ces outils à l'échelle de l'équipe et du service ont fortement eu de la résonance, au niveau du service on a pu garder la rythmicité » (Auguste) Il est intéressant de noter que, malgré le passage au télétravail, les directeurs de service (n = 13) ont souhaité préserver le cadre et les habitudes de fonctionnement antérieurement élaborées en présentiel. « Non, on a continué à fonctionner de la même manière » (Sofiane) « Les réunions, donc les responsable et chefs d'équipes, on a essayé de maintenir » (Maîté) Mais la réorganisation du travail afin d'assurer la continuation de l'activité et lors de la préparation du retour partiel sur site, a également été mise en place en étroite collaboration avec d'autres services et d'autres interlocuteurs (service de santé au travail, syndicats, service de prévention). Il s'agissait, en outre et dans ce cadre, d'assurer la coordination du signalement et du suivi des salariés en difficulté. « Avec l'assistant de prévention du service, on a réalisé un plan de continuité » (Louise) « L'équipe du comité d'hygiène et de sécurité était là pour faire le fléchage quand on est revenu » (Maîté) Les managers intermédiaires (n = 11) évoquent également les exigences et injonctions auxquelles ils ont dû répondre et leur difficile confrontation aux réalités du travail au sein de leur service. Ils relatent le caractère peu précis et peu opérationnel de l'application de certaines directives, leur absence à certaines périodes ou encore la divergence voire l'incompatibilité de certaines injonctions émanant des différentes instances de direction. « Je ne vous cache pas que cela était au début franchement compliqué, les messages partiellement congruents, ç a c'est vraiment dur à gérer » (Antoine) « Ce n'est pas le confinement en lui-même, c'est l'incohérence des consignes qu'on recevait, un sentiment d'incommunication entre nos directions sur des sujets qui nous concernent tous » (Michel) Cette étude exploratoire visait à appréhender les incidences du déploiement du télétravail en confinement puis lors du retour sur site sur l'activité individuelle et collective, les pratiques managériales et la qualité de vie au travail. L'analyse des 17 entretiens menés auprès de directeurs de service a permis de repérer les opportunités dont se sont saisis les travailleurs et les managers lors de la mise 14 en oeuvre du télétravail, mais aussi les écueils du travail à distance et des réorganisations successives du travail. Tout d'abord, nos résultats nous permettent de voir que le rapport au télétravail et ses effets sur l'activité ont évolué au fil de la crise sanitaire et des périodes de réorganisation du travail. Lors du premier confinement, mais aussi lors de la reprise du travail sur site, les facteurs tels que l'expérience antérieure du télétravail, les habitudes dans l'usage des outils technologiques ou leur appropriation, l'adaptation des pratiques managériales ou encore le caractère « télétravaillable » de certaines activités ont facilité la mise en place du télétravail d'abord permanent puis à temps partiel. Ces résultats confirment et prolongent ceux émanant des travaux réalisés en début de pandémie de Covid-19 (Abdulibdeh, 2020 ; Barrero et al., 2020 ; Bellini & de Carvalho, 2021 ; Moens et al., 2021 ; Pennequin, 2020) . La mise à disposition et la mobilisation des technologies numériques ont permis la continuation de l'activité professionnelle lorsque cela était possible (Fana et al., 2020 ; Fuhrer et al., 2021) mais aussi le maintien d'une certaine forme de lien social en palliant la distance physique et en permettant la poursuite du travail en équipe (Boboc, 2020 ; Hauret & Martin, 2020) . Les technologies digitales ont tout autant été opportunes pour envisager et assurer une reprise très partielle et progressive sur site. Le rôle primordial des managers de proximité et des managers intermédiaires depuis le début de la crise sanitaire ressort également de nos résultats. Quelle que soit la période considérée, ils ont dû adapter leurs pratiques en facilitant l'activité à distance, ou l'accès au travail sur site, en accordant plus d'autonomie aux équipes, en recentrant certains objectifs, en encourageant et favorisant le maintien de la motivation, en s'assurant du maintien des liens et de la cohésion au sein des équipes. Si l'importance des pratiques managériales lors du premier confinement avait fait l'objet de travaux antérieurs (e.g., Tokarchuk et al., 2021) , notre étude démontre l'importance du maintien de ces pratiques lors de la reprise des activités de travail sur site et des périodes qui ont suivi. Elle souligne, en outre, que le renforcement du rôle des encadrants de proximité a, d'une part, était soutenu, voire initié par les managers intermédiaires et, d'autre part qu'il s'est parfois instauré au détriment du management intermédiaire. Les résultats de ce travail révèlent également que le maintien de la cohésion et des liens de proximité à distance a été perç u comme plus aisé au sein des équipes de petite taille. Les managers intermédiaires et les managers de proximité ont ainsi eu un rôle facilitateur, en proposant de co-construire de manière flexible les réorganisations successives de l'activité avec les membres de leurs services, mais aussi les interlocuteurs d'autres services. Ils montrent que les évolutions des postures managériales telles qu'identifiées lors du premier confinement (Frimousse & Peretti, 2020) ont été prolongées par la suite pour accompagner une reprise progressive du travail sur site, articulant travail en présentiel et travail en distanciel. Nos résultats indiquent, enfin, que dès le début de la crise, au même titre que leurs collaborateurs, les managers intermédiaires et de proximité se sont engagés dans une dynamique collective inédite, portant attention aux difficultés de chacun et prenant soin de s'assurer de la préservation du bien-être de tous. Cependant, si de nombreux facteurs ont facilité le déploiement du télétravail dans un cadre contraint et 100 % à distance, puis dans le cadre du travail réglementé sur site, la réorganisation du (télé)travail en période de crise sociosanitaire a été génératrice de difficultés et de risques. Nos résultats font apparaître qu'au fil de l'évolution de la pandémie Covid-19 des prescriptions ont émergé de part et d'autre, complexifiant en particulier les modalités d'organisation du retour sur site et les conditions d'exercice des activités. Les injonctions qui émanent tantôt du gouvernement, tantôt des instances de direction, se sont heurtées au « réel » de l'activité en venant le contraindre voire le contredire. De ce fait, les managers ont été les premiers à devoir contourner cette prescription. Ces nouvelles faç ons de faire « imaginées » afin d'adapter la prescription aux attendus du terrain peuvent être analysées à la lueur de la théorie de la Régulation sociale (Reynaud, 1997 • des régulations dites de contrôle qui émanent du gouvernement et qui sont transmises par la direction de l'institution ; • des régulations mises en oeuvre par les managers de proximité et leurs équipes, qui résultent de l'inadéquation voire l'inefficacité de certaines de ces injonctions pour les collectifs de terrain. Nos résultats permettent également de repérer certains risques inhérents au télétravail contraint et aux réorganisations qu'il a nécessité au fur et à mesure de l'évolution de la crise sanitaire. Dans un premier temps, et de faç on concomitante aux régulations autonomes et de contrôle qui se sont mises en oeuvre, les directeurs de service rapportent une désorganisation globale de l'activité. Ce phénomène se traduit pour eux par : • une extension des journées de travail avec une possibilité de récupération amoindrie ; • une augmentation de la charge de travail en lien avec une fragmentation de l'activité ; • des difficultés à s'extirper du travail et des sollicitations multiples via les technologies, et ce, même en dehors des horaires traditionnels de travail. Ces éléments ont eu pour effet d'affecter négativement la qualité de vie et la santé des managers intermédiaires, comme l'avaient montré de précédents travaux menés auprès d'autres échantillons de télétravailleurs (Anact, 2021 ; Dolce et al., 2020 ; Fuhrer et al., 2021) . La qualité des relations et du travail au sein des collectifs a aussi été altérée du fait de la médiatisation des relations. Si ce résultat n'est pas nouveau (de Corbières et al., 2021 ; Reisenwitz, 2020) , notre étude montre néanmoins que les échanges à distance paraissent surtout exacerber les tensions et conflits préexistants à la situation. Comme l'évoquaient Bellini et de Carvalho (2021) , les rencontres en face-à-face ainsi que les temps de convivialité et moments informels n'ont pu jouer leur rôle régulateur des relations de travail. Et ce tant pendant la période de confinement que par la suite. Le collectif a subi les contreparties de la démultiplication des réunions à distance qui a contribué, selon les directeurs de service, à la diminution de la quantité, de la qualité ou encore de la nature des interactions. Les interactions à distance lors du premier confinement ont également favorisé l'augmentation des risques de fragmentation des collectifs, la diminution de la cohésion au sein des services, ainsi que le renforcement d'un sentiment d'iniquité de traitement (Barthou & Bruna, 2021) . Mais comme en témoignent les propos des directeurs de service, la fragilisation de la cohésion sociale, la perception d'injustice ou d'inégalité de traitement ont tout autant été saillantes lors de l'organisation de la reprise du travail en présentiel. Ces processus psychosociaux, encore mal identifiés et peu étudiés, méritent toute l'attention des investigations à venir dans ce domaine. Malgré la richesse des données recueillies et des résultats issus de nos analyses, cette étude comporte certaines limites. Même si l'on tient compte des difficultés d'accès aux managers intermédiaires, difficultés renforcées par le contexte spécifique dans lequel s'est déroulée notre recherche, le nombre d'entretiens demeure restreint. De plus, les managers interrogés exerç aient tous au sein d'une seule et même organisation de travail. Par ailleurs, cette étude se concentre sur des périodes temporelles distinctes (confinement, déconfinement, reconfinement) mais les aborde de manière rétrospective. Le recours à une approche longitudinale, basée sur des entretiens répétés au cours des périodes de « stop and go » (premier confinement, retour sur site, reconfinement, etc.), nous aurait permis d'aborder avec plus de précision les caractéristiques et les incidences propres à chacune de ces périodes. Au regard de ces constats, nos résultats doivent être maniés avec précautions. Les connaissances préalables et actuelles sur le télétravail tout comme les résultats issus de ce travail, invitent à concevoir et déployer des investigations complémentaires. Elles pourraient s'attacher à comprendre les enjeux du télétravail et ses effets, directs et indirects, sur le travail, son organisation, les pratiques managériales, la qualité de vie au travail et le rapport au travail. En ce sens, les recherches 16 T. Gachet-Mauroz et al. Pratiques psychologiques xxx (xxxx) xxx-xxx futures gagneraient à adopter une approche par triangulation des méthodes (e.g., entretien, questionnaire, analyse de l'activité) et croisement des points de vue (direction, management intermédiaire et de proximité, salariés. . .). Une approche systémique des situations de (télé)travail permettrait, en effet, d'en identifier plus exhaustivement les enjeux et les retombées, tant au plan organisationnel, managérial, qu'au niveau des collectifs et des personnes. Une telle perspective permettrait, en outre, d'appréhender la réorganisation du travail dans son ensemble, le déploiement du télétravail n'étant pas exempt d'une réorganisation des environnements et des espaces de travail (e.g., flex office, open space, coworking, bureaux satellites). Ces investigations revêtent un intérêt majeur au regard de l'évolution de la situation sanitaire qui laisse à penser que le télétravail est une pratique qui sera amenée à se répandre durablement à l'avenir, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Il est donc nécessaire que la communauté scientifique, notamment en psychologie du travail et des organisations, continue à développer des travaux dans ce champ en étroit partenariat avec les acteurs de terrain. Au plan pratique, les résultats émanant de notre étude sont susceptibles de nourrir les réflexions et l'élaboration de dispositifs de déploiement et d'accompagnement des modes d'organisation du travail de demain. Ils permettent d'identifier les leviers sur lesquels agir et les risques à prévenir pour concevoir et expérimenter des modes d'organisation du travail favorables à la qualité du travail et au bien-être des managers et des équipes. Ils montrent que le télétravail et ses modalités de réorganisation réfèrent à des enjeux majeurs tant du point de vue de l'organisation du travail, des modes de management, de la vie et des modes de fonctionnement des collectifs de travail, que de la charge de travail, de la durée du travail, de la santé au travail et de l'égalité professionnelle (égalité d'accès ou de traitement). L'un des enseignements majeurs de l'expérimentation du télétravail à différentes périodes de la crise Covid-19 renvoie au rôle primordial des managers. Ces derniers ont démontré qu'ils étaient capables de laisser la liberté à leurs subordonnés d'organiser comme ils l'entendent leurs activités de travail, de déléguer et d'adopter une gestion décentralisée du travail (Mello, 2007) . Mais ils doivent aussi être en mesure de consolider, au sein de leur organisation employeuse, leur propre positionnement managérial et de développer des compétences de management des équipes distantes, afin de proposer de nouveaux repères et objectifs aux équipes dispersées, de renforcer leur identité collective, de favoriser les interactions, de conserver les liens sociaux, d'entretenir un sentiment de proximité et d'appartenance, tout en tenant compte des enjeux de santé et d'équilibres de vie associés au télétravail (Ruiller et al., 2017 ; Seely, 2016) . Ce qui implique un changement culturel au sein des structures de travail et une re-centration du rôle des managers sur des enjeux d'animation, de coordination, d'organisation, mais aussi d'accompagnement, d'instauration d'un dialogue sur le travail, de co-construction d'un travail qui a du sens et de reconnaissance du travail. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Comment la crise sanitaire que nous traversons a affecté l'organisation du travail de votre service depuis le premier confinement en mars 2020 En tant que manager comment avez-vous vécu ces changements d'organisations ? Comment la crise sanitaire que nous traversons a modifié la réalisation des objectifs de travail de votre service ? De quelle manière le télétravail a modifié les conditions de réalisation du travail au sein de votre service ? Comment la crise sanitaire a modifié vos missions ? 17 Pratiques psychologiques xxx (xxxx) xxx-xxx De quelle manière la crise que nous traversons a fait évoluer vos relations avec les membres du service ? Comment avez-vous géré la distance physique avec les membres du service ? Comment avez-vous vécu l'évolution des relations avec les membres de votre service ? Comment avez-vous géré la distance physique avec vos propres direction/département d'affiliation ? Suite au premier confinement, quelle a été la réaction des membres de votre service face à la possibilité de retourner sur site ? Quelle a été celle de vos direction/département de rattachement ? Quelle a été votre réaction face à la possibilité de retourner sur site ? Comment le retour sur site, suite au premier confinement, a modifié la gestion et la direction de votre service Comment les effets de la crise sanitaire se traduisent aujourd'hui dans les activités de travail au sein de votre service ? Quels sont les changements que vous observez ? De quelle manière ces différentes périodes de confinement-déconfinement ont fait évoluer votre opinion vis-à-vis du télétravail ? Si vous deviez faire un premier bilan et par rapport à votre propre expérience, quelles sont selon vous les principales difficultés ou contraintes associées au télétravail ? Et quels sont, pour vous, les principaux avantages du télétravail ? Références Abdulibdeh Quelles conditions de travail et d'exercice du management en télétravail confiné? Résultats de l'enquête réalisée en avril et mai 2020 Télétravail contraint en période de confinement. Agence nationale pour l'Amélioration des Conditions de Travail Télétravail de crise en 2021: quelles évolutions? Quels impacts? Rapport de résultats COVID-19 is also a reallocation shock Le travail en période de confinement : tensions, accélérations et opportunités (hal-03094957) Enquête (dé)confinement et Covid19. Synthèse des premiers résultats (hal-02613500) Télétravail et confinement. Étude exploratoire des effets du télétravail sur les régulations sociales (hal-03191376) La frontière entre vie privée et vie professionnelle à l'épreuve du confinement : télétravail et déconnexion. La Revue Des Conditions de Travail Adjusting to epidemic-induced telework: empirical insights from teleworkers in France Le surtravail ou la fragmentation ? Transactions familiales et temps de travail en période de Covid-19 Conférences à distance, oui Mais Quels sont les salariés concernés par le télétravail ? DARES Analyses n • 051, Ministère du Travail, de l'Emploi Activité et conditions d'emploi de la main-d'oeuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 : Enquête Flash. Ministère du Travail, de l'Emploi, de la Formation Professionnelle et du Dialogue Social PRPS-559; No. of Pages 19 Pratiques psychologiques xxx (xxxx) xxx-xxx Rôles protecteurs de l'activité de travail, du soutien social perç u et des stratégies de coping en période de confinement et de crise sanitaire Far away, so close? The role of destructive leadership in the job demands-resources and recovery model in emergency telework Furloughs, teleworking and other work situations during the COVID-19 lockdown: Impact on mental well-being Technostress of chilean teachers in the context of the COVID-19 pandemic and teleworking Telework, work organisation and job quality during the COVID-19 crisis: A qualitative study Concilier distance et proximité, nouveau défi managérial. Question(s) de management, 4(30 Usage des outils digitaux pendant le confinement et évolution du bien-être et de la productivité des télétravailleurs. LISER, Policy Brief Un entrelacement des sphères privées et professionnelles. Revue franç aise de gestion L'impact du télétravail imposé par le confinement du printemps 2020 sur l'usage des outils digitaux et les compétences digitales. LISER, Policy Brief Le télétravail. Quels risques ? Quelles pistes de prévention ? ED 6384, INRS COVID-19 and the workplace: Implications, issues, and insights for future research and action Logement, travail, voisinage et conditions de vie: ce que le confinement a changé pour les Franç ais Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de Covid-19 a changé pour les Franç ais Managing telework programs effectively Quel avenir pour le télétravail après le confinement ? L'observatoire du bien-être au travail The COVID-19 crisis and telework: a research survey on experiences, expectations and hopes Covid-19 and telework: an international comparison L'irruption du télétravail pendant la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 Alceste, une méthodologie d'analyse des données textuelles et une application: Aurélia de Gérard de Nerval How COVID-19 is impacting workers' calendars Les règles du jeu. L'action collective et la régulation sociale Comment maintenir le sentiment de proximité à distance ? Le cas des équipes dispersées par le télétravail En « télétravail » ou en « présentiel »? Etudes -Revue de Culture Contemporaine Strategic Management and Leadership for Systems Development in Virtual Spaces Teleworking during the Covid-19 crisis in Italy: Evidence and tentative interpretations Les incidences du télétravail sur le travailleur dans les domaines professionnel, familial et social Changes to the work-family interface during the COVID-19 pandemic: Examining predictors and implications using latent transition analysis