key: cord-0803061-50s0in3p authors: Hirsch, Françoise; Bourdette, Mélanie; Barfety-Servignat, Véronique title: Confinements et patient douloureux chronique date: 2021-08-08 journal: Douleurs : Évaluation - Diagnostic - Traitement DOI: 10.1016/j.douler.2021.06.005 sha: f1648c3cfeda2c4a0cea9c3d6c2b251fad8602c2 doc_id: 803061 cord_uid: 50s0in3p La propagation de l’épidémie du COVID-19, dans le monde, a conduit les gouvernements à adopter des mesures extraordinaires et à imposer une mise en quarantaine de la population. Les contraintes quotidiennes, imposées par ces confinements et vécues soudainement par des millions de personnes, peuvent être rapprochées à certains égards, des contraintes quotidiennes que connaît un patient douloureux chronique : rythme de vie perturbé avec augmentation des restrictions et amoindrissement des activités, insécurité et incertitude concernant l’avenir… Cependant, nous avons pu remarquer que les confinements, dus au COVID-19, sont venus compliquer l’organisation quotidienne du patient douloureux chronique. Déjà confiné de par leur douleur, les conditions de quarantaine enferment d’avantage ces patients dans une situation contraignante en rupture avec leur mode de vie antérieur à l’épidémie, pouvant aggraver chez certain l’intensité de leur douleur et réactiver une fragilité psychique souvent associée. The spread of the COVID-19 epidemic throughout the world has driven governments to adopt extraordinary measures and to impose a quarantine on the population. The daily restrictions imposed by this confinement, experienced abruptly by millions, could in some ways be likened to those already experienced by patients with chronic pain: a disrupted lifestyle with increased restrictions and fewer activities, and insecurity and uncertainty about the future… However, we have been able to observe that the COVID-19 confinement has complicated the organisation of chronic pain patients’ daily lives. Already confined due to their pain, quarantine conditions shut these patients up even more, in restrictive conditions that are out of keeping with their pre-epidemic lifestyle, resulting in increasing pain intensity for some, and reactivating frequently associated mental health vulnerability. La propagation de l'épidémie du COVID-19, dans le monde, a conduit les gouvernements à adopter des mesures extraordinaires et à imposer une mise en quarantaine de la population. Les contraintes quotidiennes imposées par ces confinements et vécues soudainement par des millions de personnes, peuvent être rapprochées à certains égards, des contraintes quotidiennes que connaît un patient douloureux chronique : rythme de vie perturbé avec augmentation des restrictions et amoindrissement des activités, insécurité et incertitude concernant l'avenir. . . Cependant, nous avons pu remarquer que les confinements, dus au COVID-19, sont venus compliquer l'organisation quotidienne du patient douloureux chronique. Déjà confiné de par leur douleur, les conditions de quarantaine enferment d'avantage ces patients dans une situation contraignante en rupture avec leur mode de vie antérieur à l'épidémie, pouvant aggraver chez certain l'intensité de leur douleur et réactiver une fragilité psychique souvent associée. Les confinements obligatoires dans le contexte de la crise sanitaire, provoquée par la Chez les patients douloureux chroniques, l'apparition de la douleur est considérée comme un phénomène désorganisateur de leur fonctionnement habituel : elle amène une rupture existentielle, car elle constitue un puissant effet modificateur de contexte, provoquant une rupture dans leurs relations avec leur environnement. Pour nos patients douloureux, la perte d'autonomie est synonyme d'exclusion ; vie sociale, activité de loisirs, vie professionnelle deviennent vite difficiles. Cette exclusion est renforcée par l'isolement volontaire d'un grand nombre d'entre eux [1] , dans le but d'éviter les événements stressants déclencheurs de la douleur. Ainsi, la douleur chronique contraint le patient à subir un rapport particulier au temps. Pierre Ancet [2] , à propos de la douleur physique et de ce rapport particulier au temps, parle d'itération, qu'il entend comme « une sorte de répétition absurde, sans progrès, sans autre effet cumulatif de la souffrance qu'elle produit ». La temporalité appauvrie s'inscrit dans une forme de répétition de la situation douloureuse, avec les obstacles qu'elle engendre, tant sur le plan organisationnel que relationnel et social. Finalement, la véritable difficulté est de voir « cette situation se répéter sans cesse dans une même journée chaque jour de sa vie » [2] . Les obstacles à surmonter sont en lien avec la répétition de l'expression du symptôme douloureux chronique, qui limitent les déplacements et les mouvements. Cette répétition engendre une accumulation de frustrations, susceptible d'user la résistance du patient. Son quotidien est marqué par des résistances externes, qu'a priori les autres (en bonne santé) ne subissent pas. « La douleur est un enfermement, elle réduit l'espace vécu de celui qui l'éprouve : elle restreint le temps vécu à celui de la répétition subie » [2] . Ainsi, le patient est constamment rappelé aux incapacités générées par son handicap, qu'elles soient réelles ou supposées. L'ensemble de ses éléments n'est pas sans rappeler les caractéristiques des confinements imposées par l'épidémie du COVID-19. En effet, l'individu comme chez le patient douloureux chronique, est constamment rappelé aux contraintes générées par la présence, non pas ici de la douleur chronique, mais du virus : privation du corps social, temporalité suspendue, dilatée, voire arrêtée, impuissance par rapport au virus, vécu d'inutilité, sensation de perdre pied et de ne plus rien contrôler s'installent dans l'enchaînement des jours, entament l'élan vital dans un repli déjà imposé et un avenir incertain. Dans ces deux situations, chacun va se retrouver dans une situation de vie modifiée, où les possibilités d'action sont largement diminuées et restreintes. Pendant ces périodes de confinement, la vie de chacun d'entre nous se trouve modifiée par l'existence du virus et de sa dangerosité. Cette situation singulière depuis un an a imposé une transformation des habitudes de vie et mis à l'épreuve les capacités réactives et adaptatives des individus [3] . Comme dans le confinement qu'impose la maladie chronique, nous avons pu noter une affectation sensible de nos modes de vie et de nos habitudes socioprofessionnelles (réaménagement du travail, rupture des rythmes et horaires habituels). La douleur chronique, comme dans les confinements, ralentie l'existence, désocialise et impose largement l'amoindrissement de tout ce que trouvait possible et réalisable le patient, avant l'apparition de sa douleur. En situation de confinement lié au COVID-19, l'insécurité induite se retrouve de la même façon chez nos patients douloureux chroniques, au travers d'une déstructuration des éléments qui construisaient l'environnement du quotidien. Le confinement et la douleur chronique entraînent la peur de l'avenir, la peur économique, la peur de la mort. Si ces circuits sont sur-sollicités, associés à une impuissance et une perte de contrôle de la situation actuelle, il y a un risque important de voir apparaître dans les deux situations, des troubles anxieux pouvant déboucher sur une chronicisation de cette anxiété, un état dépressif ou un état de stress posttraumatique. Dans la population générale, pour beaucoup, ce risque est devenu une réalité si l'on considère aujourd'hui l'augmentation significative de la symptomatologie anxiodépressive qui touche plusieurs catégories d'individus souvent indépendamment de leurs antécédents et de leur âge. La peur, l'incertitude, les rumeurs, le manque de clarté, sont autant d'éléments qui favorisent la mise en lumière des vulnérabilités et fragilités physiques et psychiques d'une population confinée par un virus ou une douleur chronique. Dans les cas des confinements, nous avons pu constater dans nos pratiques cliniques que l'isolement a suscité des sentiments négatifs, un état de nervosité, de pessimisme et des manifestations psychosomatiques comme des troubles du sommeil et une asthénie associée. Nous avons également relevé des perturbations de l'humeur caractérisées par de l'irritabilité avec de possibles passages à l'acte, ou bien de la colère avec recherche d'un bouc-émissaire [4] . Dans ce contexte ont été également retrouvés une augmentation des violences domestiques et des comportements à risques, de par une surconsommation d'alcool et de médicaments [5] . L'ensemble de ces éléments tient certainement au fait que si, pour certains, le confinement peut être vécu comme un contenant sécurisant, pour d'autres, il est synonyme de contention. De fait, le confinement est d'actualité lorsqu'il s'agit de protéger, d'isoler ou de mettre en retrait des individus dans une situation donnée. Mais plus qu'une séparation des individus entre eux, le confinement impose une situation de contrainte sociale, légale, caractérisée par un état de soumission, un quotidien rythmé par des restrictions [3] et le sentiment d'être piégé [6] par des mesures contraignantes. Cette expérience désagréable qui peut vite être associée à une perte des libertés, peut amener à un sentiment d'incompréhension et de frustration, entraînant des attitudes autocentrées de survie et de maintien des besoins individuels à travers des mouvements de fuite et d'évitement et dans une recherche de refuge face à l'agressivité de son environnement. C'est ainsi que par exemple lors du premier confinement certaines personnes ont voulu disposer d'une réserve de produits de consommation par peur de privation, d'autres ont eu et ont toujours un comportement transgressif des mesures de confinement [1, 7] , dans le but de se réapproprier une liberté de mouvement. Si l'on revient à présent à considérer la situation du patient douloureux chronique confiné par l'épidémie de COVID-19, plusieurs éléments sont remarquables : force est de constater que, chez la majorité de ses patients, les confinements dus au COVID-19 ne sont pas une situation nouvelle a fortiori contraignante. Chacun des patients, interrogés dans notre consultation sur cette situation particulière, s'entend sur le fait que la privation de liberté (caractéristique de la mise en confinement) n'est pas un fait nouveau pour lui et que s'y adapter n'a pas occasionné de difficultés particulières. Les restrictions, imposées par les confinements, ont déjà été adoptées par le patient douloureux chronique. Dans son expérience de la douleur, il se vit déjà empêcher dans les actes de la vie quotidienne comme ceux, par exemple, impliquant mobilité et capacités à décider, de façon autonome, d'un emploi du temps et d'une conduite spécifique adaptée à celui-ci. Au même titre que le confinement, la douleur est un frein puissant aux possibilités d'agir, selon sa volonté, aux interactions sociales et professionnelles et, plus largement, à toutes possibilités, au sens propre comme au sens figuré, de vivre en relative autonomie. De fait, les patients qui vivent avec une douleur chronique ne semblent pas en ressentir les effets délétères de façon soudaine et aiguë comme la majorité de la population en bonne santé. Ce contexte singulier, ne revêt pas chez eux le même caractère d'étrangeté : le confinement n'aggrave pas, de façon notable, le vécu quotidien du patient douloureux, qui se sent déjà confiné de par ce que lui impose sa maladie douloureuse chronique. Ainsi, il est déjà parfaitement familiarisé et au fait des restrictions qu'impose le confinement dû au COVID-19. Certains d'entre eux nous dirons même qu'ils se perçoivent en quelque sorte comme « normalisés ». En revanche, ce que l'on a pu observer, de façon récurrente, chez les patients douloureux chroniques, c'est le fait que les confinements, dus à la pandémie, viennent compliquer l'isolement forcé ; en effet, ils imposent une rupture des habitudes quotidiennes souvent matérielles en désorganisant les stratégies mises en place pour faire face de façon efficace à la douleur. Ils exigent alors une surcharge d'éléments à gérer, comme la présence continue des enfants, du conjoint ou de la conjointe et des contraintes que cela suppose. L'équilibre aussi précaire qu'il a pu être jusqu'à présent se trouve significativement perturbé. En réactivant les difficultés et les problématiques affectives, la situation de confinement est susceptible d'aggraver l'intensité de la douleur et d'épuiser les ressources des patients douloureux chroniques [1] . Dans ce contexte, on a pu noter une recrudescence de l'anxiété associée à un déséquilibre des aménagements psychiques, qui avaient été élaborés jusqu'alors. Parallèlement, l'accès aux soins rendu plus difficile perturbe aussi l'équilibre du patient douloureux chronique et menace d'aggraver l'intensité de sa douleur. Certains d'entre eux n'ont pas hésité, lors du premier confinement, à parler d'abandon pour qualifier cette situation particulière, qui n'a pu être compensée entièrement par les téléconsultations, aussi contenantes et rassurantes qu'elles ont voulu et veulent l'être encore aujourd'hui. Probablement, cela concerne-t-il les patients plus particulièrement investis et demandeurs de diverses prises en charge (kinésithérapie, réentraînement à l'effort physique, ostéopathie. . .). La consultation, la prise en considération et le souhait d'amélioration de leur condition physique sont pour certains un défi, une preuve de leur volonté à faire évoluer leur état de santé et surmonter la douleur mais qu'il n'est pas possible de mobiliser seul. La rupture dans la continuité de l'ensemble de ces soins externalisés peut alors constituer un véritable écueil, une entrave au sentiment d'efficacité personnelle [8] , susceptible de par les contraintes qu'elle impose, de perturber le maintien des stratégies d'adaptation mises en place jusqu'alors, et en conséquence d'intensifier la symptomatologie. Pour conclure et en synthèse de cette réflexion, nous pouvons dire que le 1 er confinement du COVID-19, qui s'est imposé avec une violence liée à l'effet de surprise et l'absence de préparation à cet événement terriblement anxiogène [9] , est venu compliquer le confinement qui existait déjà chez le patient douloureux chronique, de par la nature même de ses symptômes. Finalement, ce n'est pas le confinement en tant que mesure de retrait et d'évitement social, mais plutôt l'intrusion d'éléments et d'événements nouveaux, qui ont provoqué la rupture et le déséquilibre d'un rythme établi dans les habitudes quotidiennes de ces patients douloureux chroniques, aggravant l'intensité de leur douleur et les manifestations psychopathologiques associées. Toutefois, la répétition des confinements a accentué ces premiers effets : elle s'inscrit, depuis un an, dans une crise sanitaire pandémique qui nous maintient aux prises avec une situation virale à durée de vie indéterminée, modifiant toutes nos perspectives à moyen terme. Nous avons quitté les zones de certitude sanitaire pour entrer dans des moments d'incertitude qui ont des conséquences massives sur la santé mentale en général, notamment lorsque les éprouvés traumatiques ne cessent d'être alimentés [4] . Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d'intérêts. Vivre avec une maladie chronique Handicap et violence sous la direction de A. Ciccone, 8. ERES The psychological impact of quarantine and how to reduce it: rapid review of the evidence COVID-19 : ébranlement collectif et éprouvés individuels An increasing risk of family violence during the COVID-19 pandemic: strengthening community collaborations to save lives The psychological effects of quarantining a city COVID-19 : crise sanitaire ou crise de société Le syndrome mental du confinement [idées pour aujourd'hui et pour demain Conséquences psychopathologiques du confinement