key: cord-0805211-alvnwhl9 authors: Rodhain, François title: Chauves-souris et virus : quelles relations ? Quelles conséquences ? date: 2014-10-31 journal: Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine DOI: 10.1016/s0001-4079(19)31238-5 sha: 4dfbb29da5681c80044203a55edec9b7b8574d2b doc_id: 805211 cord_uid: alvnwhl9 On connaît plus de 1 240 espèces de chauves-souris ; beaucoup sont insectivores, d’autres frugivores et quelques espèces américaines sont hématophages. Ces mammifères peuvent héberger plus de 100 virus différents, en particulier des Rhabdoviridae (des Lyssavirus, dont le virus rabique), des Paramyxoviridae (comme les virus Nipah et Hendra), des Filoviridae (virus Ebola et Marburg) et des Coronaviridae (agents du SRAS et du MERS). Ces infections sont généralement asymptomatiques chez les chauves-souris mais le mécanisme de cette tolérance n’est pas encore bien compris. Quoi qu’il en soit, les chauves-souris apparaissent pour ces virus comme des réservoirs et des disséminateurs efficaces ; elles représentent donc un risque important en santé publique humaine et vétérinaire, justifiant la mise en place d’une surveillance spécifique et de programmes de recherche portant notamment sur les mécanismes de l’immunité propres à ces animaux. SUMMARY: More than 1 240 species of bats are known ; many of them are insectivorous, others are frugivorous and some american species are haematophagous. More than 100 different viruses are associated with these mammals, particularly Rhabdoviridae (Lyssavirus like rabies virus), Paramyxoviridae (like Nipah and Hendra viruses), Filoviridae (Ebola and Marburg viruses) and Coronaviridae (viruses causing SARS and MERS). These infections are usually asymptomatic in bats but the mechanism of this tolerance is not yet understood. For those viruses, bats are efficient reservoirs and disseminators. So, they represent a significative risk for human and animal public health, that justifies to set up surveillance of batassociated viruses and research programs about the particular immunity mechanisms of bats. For those viruses, bats are efficient reservoirs and disseminators. So, they represent a significative risk for human and animal public health, that justifies to set up surveillance of batassociated viruses and research programs about the particular immunity mechanisms of bats. Les chauves-souris sont des animaux mal connus et généralement mal aimés. À tort, ils sont souvent considérés comme mystérieux, inquiétants, malfaisants ; ils sont accusés de porter malheur. Ils suscitent la crainte, mais, comme nous le verrons, pas pour de bonnes raisons. Les écologistes nous apprennent en effet que les chauvessouris s'avèrent très utiles dans le fonctionnement de la biosphère, notamment en contribuant à réguler les populations d'insectes ou comme pollinisateurs. De plus, dans de nombreux pays, les gens les consomment avec délectation. Mais ce qui nous intéresse ici chez les chauves-souris, et qui, pour le coup, serait une bonne raison de les redouter, est le rôle que ces animaux jouent dans la circulation de nombreux virus. Quelques données générales sur les chauves-souris ne sont pas inutiles pour comprendre leur importance épidémiologique. L'Ordre des Chiroptères constitué par ces mammifères volants est répandu sur tous les continents sauf les régions polaires et certains archipels du Pacifique. Il regroupe plus de 1 240 d'espèces (soit 20 % des espèces de Mammifères) réparties en 18 familles ; il s'agit donc du deuxième Ordre de Mammifères après celui des Rongeurs. Par commodité, on distingue souvent les Microchiroptères (ou Yangochiroptères), les plus nombreux (env. 800 espèces), nocturnes, généralement insectivores et doués d'écholocation, et les Mégachiroptères (ou Yinptérochiroptères, env. 170 espèces), crépusculaires et généralement frugivores. Les plus grands spécimens atteignent jusqu'à 2 m d'envergure alors que les plus petites pipistrelles ne pèsent que 3,5 g. Notons qu'en France métropolitaine, quelque 33 espèces de chauves-souris sont connues, toutes insectivores. Outre l'aptitude au vol et le phénomène de l'écholocation surtout développé chez les insectivores, on retiendra plusieurs traits de vie importants à connaître pour l'épidémiologiste: leur longévité, leurs régimes alimentaires, leur comportement grégaire, l'hibernation et les migrations, ainsi qu'un fonctionnement particulier de leur système immunitaire. Beaucoup d'espèces de Chiroptères présentent une longévité de plusieurs dizaines d'années, inhabituelle pour des animaux de petite taille. Ainsi, certaines espèces tempérées de microchiroptères vivent 25 ans, voire 35 ans. Par ailleurs, ces Mammifères sont globalement peu prolifiques : en moyenne un jeune par femelle et par an. Les régimes alimentaires des chauves-souris sont variés. La plupart d'entre elles sont insectivores ou frugivores mais d'autres sources d'alimentation existent ; certaines se nourrissent du nectar des fleurs, d'autres sont hématophages, voire carnivores prédateurs d'oiseaux. Beaucoup vivent en colonies, se regroupant soit dans des environnements naturels (grottes, crevasses, creux d'arbres, termitières, frondaisons de certains arbres), soit dans des sites créés par l'Homme (carrières, conduits de mines, granges, combles et greniers). En Europe, les accouplements ont lieu en début d'automne, les naissances à partir du début juin. Durant l'été, alors que les mâles restent isolés et se déplacent constamment, les femelles se regroupent souvent en nurseries. Lorsque le froid survient et que les ressources alimentaires viennent à manquer, mâles et femelles peuvent se regrouper pour hiberner, parfois en quantités considérables (plusieurs millions d'individus). La température interne de l'animal peut alors s'abaisser fortement et le rythme cardiaque diminuer à moins d'un battement par minute. Toutefois, les Mégachiroptères n'hibernent pas. Alors que les distances parcourues lors de la recherche de nourriture sont de l'ordre quelques kilomètres par nuit, les migrations entreprises par certains Chiroptères peuvent se faire sur de grandes distances, plusieurs milliers de kilomètres parfois. Au sein de la faune sauvage, rares sont les groupes d'animaux susceptibles d'être infectés par autant d'agents viraux ; plus de 100 virus ont été mis en évidence dans le sang, les excrétas ou les organes des Chiroptères [1, 2] . Ceci conduit les épidémiologistes à se pencher sur les raisons de cette situation, sur les risques qu'elle présente pour les hommes et les animaux domestiques et sur ce qu'il est possible de faire pour en limiter l'importance. Il n'est pas question de dresser ici une liste exhaustive de tous les virus hébergés par les chauves-souris. Nous ne ferons qu'en citer les principaux groupes à l'origine de zoonoses virales. Parmi les Rhabdoviridae, on connaît aujourd'hui une douzaine de génotypes différents de Lyssavirus (et trois de statut encore douteux) qui se différencient par l'analyse de leur génome, leurs distances génétiques, leur composition antigénique, leur écologie. Le principal est le virus de la rage (génotype 1), présent dans le monde Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198, n o 7, 1423-1436, séance du 9 octobre 2014 entier mais observé chez les chauves-souris insectivores ou hématophages en Amérique seulement. Il s'agit du seul Lyssavirus connu sur le continent américain. À l'opposé, aucun virus de ce génotype n'a été isolé de chauve-souris dans l'Ancien Monde. Parmi les autres Lyssavirus figurent notamment les virus « European bat virus 1 » (EBLV-1, génotype 5), et « European bat virus 2 » (EBLV-2, génotype 6), apparemment non pathogènes pour les chauves-souris mais susceptibles d'entraîner chez l'homme un syndrome comparable à la rage mais les observations en sont très rares [3] . D'autres Lyssavirus ont été isolés plus récemment, mais tous ne sont pas encore définitivement définis et classés. [3] . Sur le continent américain, où le seul Lyssavirus présent est le virus rabique classique, une lignée particulière circule à la fois chez les Carnivores et les Chiroptères insectivores ou hématophages [4] . Bien tolérée par les chauves-souris, l'infection pourrait se transmettre d'un animal à un autre par morsure, grooming, léchage ou inhalation d'aérosol. L'existence d'espèces hématophages pose bien entendu des problèmes bien spécifiques. Des trois espèces de vampires (Phyllostomidae), la principale est Desmondus rotundus ; sa densité et sa répartition géographique sont en augmentation. Ici encore, les cas de contamination humaine restent très rares (une vingtaine par décennie) mais il n'en est pas de même pour les animaux domestiques qui ont avec les vampires des contacts fréquents puisqu'ils constituent pour eux une source de sang habituelle. Chacun de ces virus semble préférentiellement associé à un hôte réservoir ; les franchissements des barrières d'espèces existent mais ils ne doivent pas être fréquents et ils ne permettent généralement pas la maintenance chez un hôte inhabituel [5] . Ce sont le plus souvent des culs-de-sac évolutifs. Les lyssaviroses transmises par les Chiroptères entraînent habituellement chez l'Homme une maladie comparable dans son incubation, sa présentation et sa durée d'évolution à l'encéphalite provoquée par le virus de la rage classique. La diversité des Lyssavirus pose évidemment la question de l'efficacité des vaccins, tous dirigés contre le virus rabique classique ; contre les virus des génotypes 2 et 3 notamment, éloignés antigéniquement des virus du génotype 1, ces vaccins ne sont pas, ou pas assez, protecteurs. Cette famille de virus comprend notamment le genre Henipavirus qui comporte deux virus zoonotiques : les virus Nipah (NiV) et Hendra (HeV). Le virus Nipah est connu depuis son émergence en 1998 sous la forme d'une épidémie / épizootie en Malaisie (283 cas humains, 109 décès). Il cause chez les porcs des syndromes respiratoires (bronchopneumonie avec toux sévère, détresse respiratoire, parfois signes méningés), chez l'Homme des syndromes encéphalitiques (avec des séquelles neurologiques chez 15 % des sujets « guéris ») ou respiratoires (pneumonies atypiques) et une létalité élevée. Rapidement, le réservoir naturel de NiV fut identifié comme étant des chauves-souris frugivores du genre Pteropus et les conditions de transmission ont été éclaircies : le facteur majeur était la proximité des porcheries avec des arbres fruitiers fréquentés par les Pteropus, la transmission d'un hôte à l'autre étant assurée par aérosol, par la salive ou les urines. Pour tenter d'expliquer les raisons de l'émergence à ce moment, on a suspecté le rôle qu'auraient pu jouer des déplacements de populations de chauves-souris à la suite d'une sécheresse marquée et des énormes incendies de forêt survenus peu auparavant à Sumatra ; il convient également de considérer le rôle de l'accroissement de l'élevage porcin dans la région. À partir de 2001, le virus Nipah a été impliqué au Bangladesh dans de petites épidémies saisonnières et localisées mais avec une létalité atteignant 75 % ; toutefois, les porcs, très peu nombreux dans ce pays, n'ont pas été impliqués. Le virus Nipah est également présent en Inde, au Cambodge et en Thaïlande. Il paraît clair aujourd'hui que la principale voie de contamination de l'Homme est la consommation de jus de palmier non cuit contaminé par l'urine ou la salive des chauves-souris. La survenue de ces petites épidémies localisées est probablement liée à la densité élevée de la population humaine, à la fragmentation des massifs forestiers globalement favorable aux Pteropus et à la présence, dans les villages, les vergers, les jardins, d'espèces d'arbres constituant des dortoirs pour ces Pteropus [6] . Plus généralement, les émergences du virus Nipah résultent certainement des multiples changements écologiques liés aux activités humaines et de leurs conséquences en termes de contacts entre les réservoirs naturels de virus (Chiroptères Pteropodidae), les animaux domestiques (porcins) et les populations humaines [7] . Quant au virus Hendra, il fut découvert en 1994 à l'occasion d'une épizootie de pneumopathie survenue chez les chevaux au Queensland (21 chevaux atteints, Ces deux virus admettent donc pour réservoirs différentes espèces de chauves-souris frugivores du genre Pteropus qui, une fois infectées, tolèrent bien ces virus et les éliminent, notamment dans la salive et l'urine. Toutefois, une bonne compréhension des facteurs d'émergence nécessiterait que l'on dispose de meilleures connaissances sur l'écologie des quelque 60 espèces de Pteropodidae. Les porcs et les chevaux servent d'hôtes-relais entre les chauves-souris et l'Homme, ce dernier étant un cul-de-sac épidémiologique. Lors d'une épidémie d'Ebola, tous les individus paraissent également exposés, quels que soient l'âge, le sexe ou le type d'activité, ce qui est en faveur d'une source de virus située dans le village. Même si le cas initial résulte généralement d'un contact avec un singe malade ou mort, on estime, sans que cela ait pu être formellement prouvé, que des Pteropodidae, chauves-souris frugivores très abondantes dans les zones forestières, y compris dans les villages, constituent le réservoir naturel. Plusieurs espèces sont impliquées (Epomops, Hypsignathus, Myonycteris). Beaucoup de ces chauvessouris sont porteuses d'anticorps spécifiques et chez elles l'infection est vraisemblablement asymptomatique ; leur salive et leurs déjections seraient contaminantes pour les animaux sauvages (singes) ou domestiques (porcs) comme pour les humains. De plus, les grandes chauves-souris frugivores sont couramment consommées en Afrique ; le contact avec les fluides biologiques (sang, urine, etc.) lors de la manipulation et du dépeçage de ces animaux est aussi une source de contamination possible. Il en est de même pour le virus Marburg, dont le génome a été détecté chez une roussette de forêt au Gabon [9] , des anticorps spécifiques en Ouganda et au Congo chez le même animal et certains cas humains sont survenus chez des personnes ayant visité des grottes hébergeant des chauves-souris dans le massif du Mont Elgon (Kenya). Actuellement, les mécanismes d'émergence de ces virus zoonotiques ne sont pas connus. On ignore pourquoi certaines régions demeurent apparemment épargnées. Les épidémies dues aux virus Ebola pourraient être liées à des épisodes de fructification de certains arbres attirant en nombre les Chiroptères ; la raréfaction des ressources alimentaires en saison sèche pourrait aussi être à l'origine de contacts étroits entre primates et chauves-souris fréquentant les mêmes arbres à la recherche de fruits ; les singes pourraient se contaminer en mangeant des fruits contaminés par L'attention des épidémiologistes fut de nouveau attirée sur la famille des Coronaviridae en avril 2012, lorsqu'émergea, en Arabie saoudite, le virus MERS-CoV, un nouveau Betacoronavirus responsable du syndrome respiratoire du Moyen-Orient (MERS) [12] . De septembre 2012 à septembre 2014, on a recensé 854 cas humains confirmés, dont 334 mortels. Même si ces cas, le plus souvent sporadiques, survenus dans la péninsule arabique n'ont pas eu l'ampleur de l'épidémie de SRAS, le déroulement des événements et des recherches qui les ont accompagnés rappelle celui qui prévalu lors de l'émergence du SRAS. Ici, c'est le dromadaire qui est incriminé ; un faisceau d'éléments indique que le dromadaire est un hôte habituel de ce virus au Moyen-Orient : isolements du virus à partir d'hôtes non humains provenant tous de dromadaires, infections chez les dromadaires n'entrainant que des signes respiratoires bénins, prévalences très élevées d'anticorps observées dans certains pays (Oman, Arabie saoudite, Égypte). La plupart des humains ayant contracté le MERS ont eu d'étroits contacts avec les dromadaires, mais pas tous (la transmission inter-humaine est possible dans les centres de soin ou dans le cadre familial mais ne semble guère intervenir dans les conditions naturelles). Il parait vraisemblable que les dromadaires ne sont, pour le virus, qu'un hôte-relais entre un réservoir naturel sauvage et l'Homme. Forts de l'expérience acquise lors de l'épidémie de SRAS, les virologistes se sont rapidement intéressés aux chauvessouris, d'autant plus qu'au sein des Betacoronavirus, le virus MERS-CoV est proche de deux autres virus (HKU4 et HKU5) isolés de Chiroptères. Cependant, jusqu'à présent, les résultats des recherches demeurent médiocres. Un segment de quelques nucléotides identique au segment homologue du MERS-CoV a été retrouvé chez une chauve-souris insectivore (Taphozous perforatus) en Arabie [13] . Notons également que d'autres Betacoronavirus ont été isolés de Chiroptères en Asie, en Afrique et en Europe : Allemagne, Pays-Bas, Roumanie, Ukraine. Malgré l'absence de preuve permettant de considérer les Chiroptères comme les réservoirs du virus MERS-CoV, cette hypothèse reste vraisemblable. Au total, il existe donc, partout dans le monde, une grande diversité de Coronaviridae chez les Chiroptères qui en constituent souvent les réservoirs et les agents disséminateurs. Les quelques essais de transmission expérimentale de Coronavirus à des chauves-souris frugivores maintenues en captivité n'ont pas révélé de pathogénicité chez ces animaux. Enfin, la présence d'un grand nombre d'autres virus a été observée chez des Chiroptères et il est bien certain que nombre d'autres virus sont encore hébergés par ces animaux à notre insu, dont certains pourront peut-être dans l'avenir s'avérer pathogènes pour l'Homme ou les animaux domestiques ou sauvages. Les ancêtres des Lyssavirus, des Coronaviridae, des Paramyxovirus sont probablement des virus de chauves-souris. Nous sommes donc en présence de phénomènes de co-évolution, qui ne datent pas d'hier, entre des familles entières de virus et les chauves-souris. Les Chiroptères sont, aujourd'hui, capables d'héberger de manière persistante un grand nombre de virus, apparemment sans en souffrir alors que certains au moins de ces agents s'avèrent très pathogènes pour l'Homme et les autres Mammifères. Quelles sont les raisons de cette tolérance ? Celle-ci est-elle en rapport avec ces millions d'années de coexistence entre Chiroptères et virus ? Est-ce en relation avec un fonctionnement particulier de leur système immunitaire ? Comment celui-ci peut-il maitriser le niveau de la réplication virale et éviter ainsi des réponses immuno-pathologiques sans pour autant éliminer les particules virales infectieuses ? Nous ne savons malheureusement que très peu de choses sur l'immunité chez les chauves-souris, de sorte que nous ne sommes pas en mesure d'apporter de réponses aux nombreuses questions que pose cet état de fait. Les mécanismes du système immunitaire des chauves-souris ne paraissent pas fondamentalement différents de ceux que l'on connait chez les autres Mammifères mais le fonctionnement du système est particulier. Il semble notamment que leur immunité innée (récepteurs « Toll-like », interférons et autres cytokines, etc.) et les caractères de leur réponse en anticorps comportent d'une part des mécanismes de reconnaissance, d'autre part une régulation de la réplication et de la réponse antivirale évitant des réactions immunitaires extrêmes, conduisant ainsi au caractère asymptomatique des infections et à la persistance des virus. Selon certains auteurs, la réponse immune serait, chez ces animaux, étroitement liée aux variations de la température corporelle ; le vol, qui augmente la température quelques heures chaque jour, pourrait accroître l'efficacité de la réponse immunitaire [14] . L'aptitude au vol serait alors un élément clé de l'adaptation des virus aux Chiroptères. À l'appui de cette thèse, une équipe de chercheurs a remarqué, en séquençant le génome entier de deux espèces de Chiroptères asiatiques (l'une insectivore : Myotis davidii, l'autre frugivore : Pteropus alecto), des gènes particuliers, impliqués dans la détection et la réparation des dégâts provoqués sur l'ADN par les dérivés réactifs de l'oxygène produits par l'élévation considérable de l'activité métabolique durant le vol ; supprimant ou atténuant les effets nocifs de ces radicaux libres, ces gènes seraient également liés à la capacité de vol mais sans doute aussi au vieillissement, deux caractéristiques majeures des Chiroptères [15] . Devons-nous voir ici un lien entre le vol, la longévité et le contrôle des infections virales ? Il est encore trop tôt pour le dire mais la piste est des plus intéressantes. Il a d'autre part été suggéré également qu'en ralentissant le métabolisme et en créant une hypothermie, l'hibernation serait favorable à la maintenance d'agents viraux, notamment de Lyssavirus, dans les populations de chauves-souris des pays tempérés. Il parait vraisemblable en tout cas que l'hibernation entraîne des incubations très prolongées, sans doute plusieurs mois. Y a-t-il ensuite, au printemps, réactivation des virus ? Quoi qu'il en soit, le rôle exact des chauves-souris dans la maintenance, la transmission et l'évolution de ces virus est complexe et demeure très mal compris et le fait que Bull. Acad. Natle Méd., 2014, 198 , n o 7, 1423-1436, séance du 9 octobre 2014 ces animaux ne puissent être entretenus en élevages permanents et qu'ils soient, dans de nombreux pays, dont ceux de l'Europe, intégralement protégés rend très difficiles les recherches expérimentales. Les études de terrain sur l'écologie des chauves-souris ne sont pas simples non plus à mettre en oeuvre. Il en résulte que nos connaissances quant à la bio-écologie des Chiroptères sont encore très préliminaires. Plusieurs traits de la bio-écologie des chauves-souris sont importants en épidémiologie en favorisant l'acquisition, la maintenance, le transport et la transmission de virus. C'est le cas notamment de leur vie en colonies denses parfois considérables (parfois jusqu'à plusieurs millions d'individus) avec d'étroites interactions entre les individus et de leurs capacités d'hibernation qui sont en faveur d'un rôle de réservoir, de leur immunité particulière qui leur permettrait de contrôler et d'amplifier les virus, ou encore de leur mobilité avec d'importantes migrations chez certaines espèces qui peuvent les amener à jouer un rôle de disséminateurs d'agents infectieux. Rôle de réservoir : La fréquence des infections virales enzootiques persistantes et asymptomatiques (ou paucisymptomatiques) chez les Chiroptères conduit à penser que ces animaux peuvent constituer des réservoirs naturels. Les infections abortives semblent fréquentes, pour ne pas dire la règle, avec réplication virale contrôlée dans les organes profonds et présence d'anticorps neutralisants dans le sang. Cependant, nous l'avons vu, les mécanismes permettant à ces agents infectieux de persister dans les populations de chauves-souris ne sont pas encore bien compris. On conçoit aussi qu'une longue durée d'infectivité, résultant d'une infection persistante associée à une grande longévité augmente donc fortement le rôle d'hôtes de maintenance de ces animaux. De plus, beaucoup de virus peuvent infecter de manière persistante les Chiroptères hibernants qui, dès lors, peuvent en assurer la maintenance durant plusieurs mois sans présenter de maladie. A la remontée de la température, des virémies transitoires peuvent être observées avant l'apparition d'anticorps circulants, ce qui suggère la possibilité d'une remise en circulation des virus. Des titres élevés de virus ont été obtenus à partir de la graisse brune de chauves-souris inoculées avec du virus rabique puis gardées à basse température. Il faut aussi préciser que plusieurs espèces peuvent hiberner dans les mêmes sites, favorisant ainsi les transmissions inter-espèces. Enfin, on a pu démontrer, dans certains cas, une transmission trans-placentaire du virus rabique (chez Tadarida brasiliensis). Modes directs de transmission : En théorie, la transmission directe d'agents infectieux à d'autres vertébrés peut avoir lieu par contact, léchage, griffure ou morsure, voire à l'occasion de la consommation. En raison de leur biologie, ces mammifères volants et nocturnes que sont les Chiroptères n'ont, en règle générale, qu'assez peu de contacts directs avec l'Homme, hormis le cas des biologistes qui les étudient et sont amenés à les manipuler (virologistes et chiroptérologistes, soit environ 350 personnes en France), celui des chasseurs qui les tuent et les préparent pour les consommer, enfin celui des récolteurs de guano. Il ne faut pas oublier d'autre part que certaines espèces se sont bien adaptées au milieu urbain. Qu'en est-il des risques de transmission par aérosol ? Certains ont émis l'hypothèse que la production des ultra-sons lors du processus d'écholocation pouvait s'accompagner d'émission de gouttelettes de fluides oropharyngés susceptibles de contenir des particules virales (des virus rabiques ont été isolés de mucus provenant de chauves-souris infectées). Dans ce cas, une transmission de chauve-souris à chauvesouris, voire de chauve-souris à l'Homme dans les circonstances évoquées ci-dessus ne serait pas à exclure. Les fluides biologiques des chauves-souris infectées contiennent généralement des particules virales. Nous avons vu que, dans le cas des Henipavirus, la contamination des animaux domestiques et de l'Homme avait sans doute lieu par ce moyen ; la consommation des jus de palmiers souillés par les déjections ou l'urine des Pteropus constitue probablement le mode habituel de la contamination humaine. Il en est sans doute de même avec les Coronaviridae dont la circulation doit être assurée par l'intermédiaire des fluides oropharyngés, des déjections ou de l'urine. Les Filovirus seraient aussi transmis par les déjections de Pteropus ou par leur salive lors de la consommation de fruits par les singes ou par les humains. Par ailleurs, les Arthropodes hématophages associés aux Chiroptères sont le plus souvent spécifiques et ne s'aventurent guère sur d'autres hôtes. De nombreuses espèces d'Arthropodes hématophages, parfois même des familles entières de punaises, de pupipares, de tiques, de puces, sont spécifiquement associées aux Chiroptères et servent probablement de vecteurs pour beaucoup d'agents infectieux propres aux chauves-souris mais ne semblent guère impliqués dans la transmission de virus à l'Homme ou à d'autres animaux. La transmission par griffure ou morsure est, elle, bien réelle, soit entre chauvessouris (on sait que l'infection par un Lyssavirus qui peut rendre une chauve-souris agressive pour les individus d'autres espèces), soit de chauve-souris à un autre animal ou à l'Homme. La manipulation de chauves-souris conduit souvent à de tels micro-traumatismes accidentels. En Europe, les cas contractés à partir de chauvessouris sont rares : Certains épidémiologistes ont émis l'hypothèse que, chez les vampires d'Amérique Latine, l'introduction d'individus d'une colonie à une autre pourrait s'avérer importante pour expliquer la persistance du virus rabique dans une région. Dans ce cas, malgré les taux très faibles de reproduction des vampires, les tentatives d'extermination parfois entreprises dans le cadre de la prévention de la rage seraient non seulement inefficaces mais sans doute contre-productives car favorisant les déplacements des chauves-souris cherchant à occuper de nouveaux sites [16] . Ceci est probablement vrai pour toutes les espèces de Chiroptères. Changements écologiques : Les nombreuses modifications introduites par l'Homme dans les écosystèmes naturels ont mis en relation des espèces animales qui n'avaient que peu de contact, voire aucun, entre elles. Ainsi, l'intrusion des humains dans certains écosystèmes les met en relation avec des éléments de la faune sauvage habituellement éloignés des populations humaines. Il parait vraisemblable que les modifications naturelles (changements climatiques) ou anthropiques (déforestation) de l'environnement sont de nature à rapprocher les populations de chauvessouris des établissements humains ou des élevages d'animaux domestiques. Quelques espèces, se regroupant dans des caves, des greniers, ont même développé un certain degré d'anthropophilie. Ces comportements et les contacts écologiques qu'ils ont pu entrainer depuis le Néolithique sont évidemment favorables au franchissement de barrières d'espèces. La menace constituée par l'émergence de maladies virales est permanente en santé publique tant humaine que vétérinaire. On sait que l'origine de la plupart des virus émergents est à rechercher dans la faune sauvage. Certains des virus hébergés par les Chiroptères sont connus comme hautement pathogènes pour l'Homme et les animaux domestiques. Pour beaucoup d'autres, la pathogénicité est encore inconnue et, jusqu'à preuve du contraire, on doit les considérer comme des virus éventuellement dangereux et potentiellement émergents. Les Pteropodidae sont à surveiller en priorité en raison de leur caractère migrateur et de leur présence dans les plantations d'arbres fruitiers entrainant des contacts avec les humains et certains animaux Cependant, on prête relativement peu d'attention aux chauves-souris. Elles représentent d'importants risques sanitaires potentiels et on ne s'en méfie pas assez. Ce manque d'intérêt reflète bien sûr un manque chronique de moyens mais sans doute aussi une ignorance profonde des modalités de circulation des agents infectieux et des cycles épidémiologiques. Actuellement, ce n'est que lorsqu'une émergence survient que l'on peut mettre la main sur le virus responsable qui, le plus souvent, nous était jusqu'alors inconnu. Attendre la survenue d'un tel événement n'est évidemment pas une attitude satisfaisante. C'est la négation d'une politique de prévention. Dès lors, que faire ? En premier lieu, beaucoup mieux surveiller les populations de chauves-souris et détecter de manière plus rapide et plus fiable les virus qu'elles hébergent. Pour ce faire, un système de surveillance standardisé, impliquant vétérinaires, médecins, spécialistes de la faune sauvage et la populations est nécessaire. En Europe, et notamment en France, il existe, au sein du réseau d'épidémiosurveillance de la rage, un réseau spécial de surveillance des Lyssavirus des Chiroptères ayant pour principal objectif de mieux cerner les risques pour l'Homme. Même si cela est difficile et parait même quelque peu illusoire, nous devons nous efforcer de recueillir partout toutes les données sur les virus en circulation chez Chiroptères et diffuser rapidement ces informations [2] . C'est dans cette surveillance permanente que résident nos seules chances d'isoler des agents infectieux, qu'ils soient « nouveaux » ou non, de comprendre les mécanismes de leurs émergences et de les prévoir afin d'intervenir à temps, c'est à dire avant l'émergence. En second lieu, il faut en parallèle développer une recherche plus fondamentale, en particulier sur le fonctionnement du système immunitaire de ces animaux. Il faut que nous arrivions à saisir les raisons qui font des Chiroptères des réservoirs aussi efficaces. Des pistes de recherche ont été proposées pour ce faire [1] . Il nous faut en effet comprendre les mécanismes immunitaires mis en jeu lors des infections virales chez les chauves-souris. Des modèles d'infection doivent être trouvés pour ces agents de zoonoses mais, en l'absence d'élevages en continu de chauves-souris (en raison notamment de leurs exigences écologiques et nutritionnelles, de leur faible taux de reproduction et de leur longévité), des cultures cellulaires et des observations physiopathologiques sur des colonies de Chiroptères en captivité devraient être développées en laboratoire de sécurité, logistique évidemment beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre qu'avec des rongeurs. Bats: Important Reservoir Hosts of Emerging Viruses Public Health Awareness of emerging zoonotic Viruses of Bats: a European Perspective Bat Rabies in France: a 24-year Retrospective epidemiological Study Molecular Phylogenetics of the Lyssaviruses. Insights from a coalescent approach Genetic divergence of rabies viruses from bat species of Colorado, USA. Vector-borne Zoon Dis The Role of Landscape composition and configuration on Pteropus giganteus Roosting Ecology and Nipah virus spillover Risk in Bangladesh Interdisciplinary approaches to understanding disease emergence: the past, present and future drivers of Nipah virus emergence Bats host major mammalian paramyxoviruses Marburg Virus Infection detected in a common African Bat. PLOS One La vengeance de la civette masquée Bats are natural reservoirs of SARS-like coronaviruses Middle East respiratory syndrome Coronavirus in Bats, Saudi Arabia Bat Flight and Zoonotic Viruses Comparative Analysis of Bat Genomes provides Insight into the Evolution of Flight and Immunity Resolving the roles of immunity, pathogenesis and immigration for rabies persistence in vampire bats