key: cord-0897756-c1t67r8l authors: Hazif-Thomas, Cyril title: Le silence des questions sur la mort des aînés liée au Covid19 date: 2020-04-20 journal: nan DOI: 10.1016/j.npg.2020.04.002 sha: 27b409b8a09e75c7610b2e4ebc999bb797f35ebb doc_id: 897756 cord_uid: c1t67r8l nan Silence around the issues of COVID 19 deaths among the elderly Dr Cyril Hazif-Thomas, Directeur de l'espace de réflexion éthique de Bretagne (EREB) Hôpital de la Cavale Blanche, Bd T. Prigent -29609 Brest Cedex Correspondance : cyril.hazifthomas@chu-brest.fr Placée dans le peloton de tête des pays avec plus de 15 000 morts dus au Covid19 à la fin du week-end pascal, la France traverse une des plus graves crises sanitaires de son histoire, au sens de ce besoin impérieux d'« une action publique rapide et efficace en cas de déclenchement d'une crise pouvant causer des désastres sanitaires » (1). Cette période de pandémie mondiale inédite n'épargne évidemment aucune région de France. La lutte contre cette maladie nouvelle qui assiège le pays de Pasteur et tant d'autres contrées ne doit pas être seulement une construction politique d'ordre administratif. Le fossé culturel entre les milieux les plus aisés et les plus cultivés s'accentue en pareille circonstance tragique (2) et la situation épidémique le creuse. L'espace de réflexion éthique de Bretagne (https://www.espace-ethique-bretagne.fr/) -comme les autres espaces de réflexion éthique régionaux -a mis en conséquence en place un réseau de cellules éthiques de soutien (CES) pour les professionnels de santé et les citoyens, pour qui la vie face au Covid19 est devenue le nouveau lieu de l'éthique. C'était d'ailleurs l'une des recommandations phares du Comité Consultatif National d'Ethique (3). Qu'il s'agisse d'angoisses non entendues face à la disparition d'un proche, de l'impact terrible du confinement ou du tri des malades, de sentiment d'impasse soignante ou de dilemmes éthiques quant à l'interdiction des visites en Ehpad ou en Foyer de vie…, les CES de Brest, Rennes et Vannes ont été les premières à avoir répondu présentes en Bretagne. L'Observatoire éthique de l'Ile-de-France (https://www.espace-ethique.org/) joue également cet indispensable rôle de vigie éthique quant à la valeur de l'accompagnement au quotidien des plus fragiles. Parmi les interrogations, l'une d'elles est récurrente et renvoie à ce qui fonde l'identité entre les hommes : la sympathie (au sens de ce qui fait solidarité empathique entre les hommes), mais aussi l'égale inquiétude face à la mort. C'est la conscience d'une nécessaire construction humaine, orientée par la pleine conscience des enjeux éthiques de cette crise d'ampleur inédite, qui doit nous guider dans tous les milieux de vie :  Milieu familial, avec l'appréhension empathique de la douloureuse expérience du confinement pour les plus vulnérables et les sujets isolés, sans ignorer la recrudescence des violences conjugales et intrafamiliales liée à la souffrance psychique non entendue, à la pression psychosociale, à son impact psychologique.  Milieu éducatif, avec la nécessité impérative de maintenir un accès aux connaissances scolaires des plus jeunes et des futurs bacheliers…  Milieu culturel, avec l'accès salutaire aux nourritures intellectuelles et sportives, aux médiations artistiques pour le plus grand nombre et avec la prise de conscience de notre interdépendance planétaire et des limites à poser à la mondialisation non maîtrisée.  Milieu professionnel, avec l'éprouvante bataille sanitaire à mener tant dans nos hôpitaux qu'au sein de nos villes et nos campagnes où les soignants hospitaliers et libéraux et autres spécialistes en soins premiers payent parfois de leur propre santé mentale et physique la non prise en compte de leur souffrance éthique face aux choix douloureux qu'ils ont à faire, sans compter les risques constants de tomber eux-mêmes malades de la pathologie qu'ils tentent de juguler au quotidien, ceci parfois sans équipements de protection individuelle. C'est aussi une construction humaine à accomplir dans le milieu religieux : on apprend ainsi que « A l'occasion d'une réunion avec les représentants des principaux cultes, le Président de la République a souhaité donner suite à une proposition commune de ces derniers, visant à faciliter la mise en relation des patients qui en éprouvent le besoin avec une personne à même d'assurer un soutien spirituel. » (4). De sorte que « Face à la propagation de l'épidémie de Covid19, les malades, leurs proches, et tous ceux qui sont mobilisés pour lutter contre la maladie peuvent éprouver le besoin d'un soutien spirituel. Les mesures prises pour lutter contre l'épidémie, qui limitent les regroupements et encadrent les déplacements, ne sont pas un obstacle à l'exercice par les ministres du culte de leurs responsabilités. Pour autant, pour faciliter la mise en relation de ceux qui le souhaitent avec un représentant des cultes », les téléphones des principales familles religieuses sont proposés afin d'orienter les demandes. De telles initiatives sont évidemment les bienvenues car « le rôle de l'Etat n'est pas d'assumer par lui-même cette construction, mais de favoriser celle-ci en veillant à l'accord entre les initiatives par l'exercice d'une justice visant la paix » (5). Et d'abord la paix qui est due aux défunts et à leurs familles, ainsi que l'apaisement à laisser vivre dans les soins donnés aux malades en fin de vie. La dignité de l'être humain est au-delà de la vie et de la mort. Les marques de respect du corps du décédé et ce qu'il représente pour ceux qui l'ont aimé et qui doivent faire leur deuil, passent par une ritualisation signifiante de l'espace social, dont le contenu est le témoignage de la valeur que la société accorde à la personne humaine, indifféremment de toutes considérations sociales. Le corps du décédé mis en bière sans autres formes de cérémonie, sans présentation aux siens, est une souffrance supplémentaire qui leur est infligée. A l'évidence, nous sommes nombreux à questionner aujourd'hui la cohérence du décret n°2020-384 du 1er avril 2020 (6) qui avalise une conduite interdisant les ultimes soins de reconnaissance de la dignité de nos frères en humanité : « les défunts atteints ou probablement atteints du Covid19 au moment de leur décès font l'objet d'une mise en bière immédiate. La pratique de la toilette mortuaire est interdite pour ces défunts ». On comprend bien l'interdiction des soins de conservation, déjà actée par la législation sanitaire en raison du risque de contamination : peste, certaines tuberculoses, rage, maladie de Creutzfeld-Jakob, tout état septique grave... Mais qu'en est-il de l'extension à la toilette mortuaire ? Il s'agit de l'un des gestes les plus universels chez les êtres humains. La ritualité funéraire des sociétés occidentales ne peut faire abstraction de la toilette. Celle-ci reste incontestablement le dernier des gestes soignants. Cet interdit relève d'une précaution disproportionnée et par son versant deshumanisant s'avère singulièrement « soi-niante ». La société doit ce respect absolu au malade qui vient de décéder. La toilette funéraire, les pratiques cultuelles, les rites religieux, les mises en adieu à nos morts rendent compte d'un invariant anthropologique indépassable : les humains ne pourront jamais être de purs événements biologiques. Ils sont des êtres sociaux, la naissance et la mort étant accueillies dans ces deux limites par l'amour des leurs et les rites qui en rendent compte. L'éthique implique le respect de cette limite qui dit quelque chose de précieux, d'intime, qu'on croit au Ciel ou qu'on n'y croit pas. Elle dit quelque chose de l'homme réel si cher au coeur de chacun. La mort n'est pas une banalité et on ne dira jamais assez la souffrance qu'il y a d'apprendre le décès d'un parent par un texto des pompes funèbres… La mise en place d'une limite plus respectueuse, c'est ce qu'avait tenté le Haut Conseil de Santé Publique (HCSP) qui rappelait dans son avis du 24 mars (7) que « dans la prise en charge des personnes décédées, il convient de respecter la stricte observance des règles d'hygiène et de mesures de distance physique, mais aussi de respecter dans leur diversité les pratiques culturelles et sociales autour du corps d'une personne décédée, notamment en ce qui concerne la toilette rituelle du corps par les personnes désignées par les proches, ainsi que la possibilité pour ceux-ci de voir le visage de la personne décédée avant la fermeture définitive du cercueil ». Mais les juristes savent bien qu'un avis, fut-ce celui du HCSP, n'a pas préséance sur un décret gouvernemental qui l'emporte assurément en termes de hiérarchie des normes. Les proches ont le droit d'être tristes et de le manifester lorsqu'ils perdent une personne aimée. Vision du corps et accueil de la tristesse sont nécessaires au travail de deuil, et ce serait ne rien comprendre au besoin de sens de nos concitoyens que d'en décréter la négation. A défaut de quoi le législateur devra procéder à une nouvelle construction juridique, celle de la catastrophe anthropologique, alors même qu'il vient de procéder à un dédoublement normatif : « aux côtés de « la menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence » (art. L. 3131-1), existe maintenant la « catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population » (art. L 3131-12 nouv.) justifiant la déclaration de l'état d'urgence sanitaire » (8). Le rapport de l'homme moderne à la mort doit plus que jamais être pensé dans une perspective d'humilité que la Science, fusse-t-elle administrative, a bien du mal à adopter alors même qu'il n'a jamais été autant nécessaire de permettre à chacun de s'approcher humblement de la mort et de son mystère... Souvenons-nous, en total accord avec la déontologie de nos collègues infirmiers, qu'il demeure indispensable d'exercer notre profession dans le respect de la vie, notamment psychique, et dans celui du respect de la dignité et de l'intimité des patients et de leurs familles, malgré le danger auquel ils s'exposent. Quoiqu'on pense du risque infectieux, bien réel, auquel la pandémie actuelle nous assigne, ne laissons pas le Covid19 dicter sa loi et acceptons de gérer l'ingérable dans le périmètre de nos limites existentielles. C'est qu'avec ou sans Evidence Based Medicine, il n'en reste pas moins vrai que « Toute connaissance provient de la perception externe », comme l'écrivait Freud dans « Le Moi et le ça » en 1923 (9) . Espérons qu'on pourra encore le comprendre en 2020… Déclaration d'intérêts : L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt en rapport avec cette publication. Projet de loi relatif à la politique de santé publique : tome 1, rapport. Chapitre II, Prévention et gestion des menaces sanitaires graves et des situations d'urgence, Article 10 Gestion des menaces sanitaires grave Où en sommes-nous ? Une esquisse de l'histoire humaine 4-Message d'alerte Rapide Sanitaire N°2020_26. Relations avec les représentants du culte Dieu n'est pas un assureur -Décret n° 2020-384 du 1er avril 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire Avis relatif à la prise en charge du corps d'un patient cas probable ou confirmé COVID-19 Covid-19 : crise sanitaire et crise des normes