key: cord-0911442-89x85z6c authors: Calvas, Patrick title: Liberté et autonomie à l’épreuve de la pandémie: Quand protéger conduit à confiner (1) et quand libérer conduit à surveiller (2) date: 2020-09-04 journal: Ethique Sante DOI: 10.1016/j.etiqe.2020.08.004 sha: c6ec1051d570bfb94d767d4db17647711245d32e doc_id: 911442 cord_uid: 89x85z6c En France, la période épidémique de la COVID 19 a conduit du 16 mars au 11 mai 2020 à la restriction du droit de circulation des individus. Afin de respecter les procédures démocratiques, un état d’urgence sanitaire a été proclamé qui permettait sous le contrôle du parlement d’instaurer transitoirement des lois d’exception. Indépendamment de leur efficacité sanitaire sur la propagation du virus, ces mesures ont révélé des situations très contraignantes pour les résidents des établissements médico-sociaux. Paradoxalement parmi les procédures destinées à autoriser le déconfinement de la population, des solutions de surveillance électroniques ont été mises en avant sans même que ne soient débattu leur cortège de contraintes et de risques insidieux. Ce sont deux aspects de la crise sanitaire qui sont brièvement évoqués ici. In France, the COVID 19 epidemic period led from 16 March to 11 May 2020 to restrict the right of movement of individuals. In order to respect democratic procedures, a state of health emergency was declared, allowing transitional laws to be introduced under the control of parliament. Regardless of their health effectiveness in the spread of the virus, these measures revealed very restrictive situations for residents of medical and social institutions, especially elderly. Paradoxically, among the procedures designed to release lockdown of the population, electronic surveillance solutions have been put forward without even debating their attendant constraints and risks. These two aspects of the health crisis that are briefly related here. La période épidémique COVID 19 a conduit du 16 mars au 11 mai 2020 à la restriction notoire du droit de circulation des individus. L'évaluation du risque général a amené le législateur à adopter ces mesures restrictives sous le prétexte du bien public et de la santé collective. Afin de respecter les procédures démocratiques, un état d'urgence sanitaire a été proclamé qui permettait sous le contrôle du parlement d'instaurer transitoirement des lois d'exception. Dans ce contexte, la cellule de soutien éthique mise en place par l'espace de réflexion éthique de l'Occitanie été saisie de problématiques rencontrées par des responsables d'établissement médicosociaux, confrontés aux difficultés du respect du confinement de personnes dont l'autonomie était déjà restreinte du fait de l'âge ou de la maladie. Le contexte nous a amené à apporter des réponses factuelles, transitoires que nous avons tenté de rendre les plus acceptables possibles pour chaque personne concernée. Ces réponses ont été et resteront imparfaites quelles que soient les circonstances. Néanmoins elles ont permis de révéler des situations que l'organisation des soins et des prises en charge sociales n'avaient jamais anticipées. La période épidémique a plus que jamais révélé l'extrême vulnérabilité des plus démunis mais nous bornerons le propos à l'évaluation de la situation des résidents des établissements médico-sociaux et initierons ensuite une réflexion générale sur l'impact et les enseignements des mesures prises pour chacun des citoyens au moment du déconfinement. (1) Quand protéger conduit à confiner : la situation des résidents en établissements médicosociaux L'ERE Occitanie a été interrogé sur les moyens de faire respecter les modalités de confinement par des résidents. Divers moyens ont été évoqués afin de trouver une solution raisonnable, minimisant le risque épidémique d'une part, et le respect de la liberté et des capacités d'autodéterminantion des résidents d'autre part. La situation est paradigmatique d'un problème insoluble dans la situation de telles structures. L'imposition du confinement en chambre revient, en particulier pour des résidents présentant des troubles cognitifs à transformer leur quotidien en un univers semi-carcéral sans qu'ils puissent être vraiment partie-prenante des décisions. Les solutions trouvées outre l'explication, le dialogue et le tact des soignants, légitimées par des prises de décision collégiales ont pour la plupart aboutit à une contrainte. Certains, sinon tous les établissements, pressés par la situation, ont tenté de réorganiser leurs conditions d'hébergement de manière à préserver la santé des personnes et des personnels encore indemnes en isolant les malades. Il est probable que pour beaucoup cette nouvelle organisation se soit soldée, malgré tout par le maintien aussi strict que possible d'un confinement individuel en chambre. Tous, avons jugé que ces mesures, privaient ces personnes d'une grande partie de la vie sociale qui leur reste, des liens familiaux physiques avec l'extérieur dont la substitution par des communications virtuelles était un pis-aller. Devrions nous réfléchir à de nouvelles dispositions de fonctionnement de ces établissements ? Devrait-on à titre préventif, prévoir des zones de vies modulables qui permettraient de moins réduire la vie sociale de personnes du même statut vis à vis d'une affection contagieuse ? Devrait-on envisager ces établissements comme des lieux plus ouverts, mêlant dans des secteurs distincts des possibilités de séjours plus diversifiés, tel des séjours de répit pour libérer des aidants, des séjours de convalescence ? Une telle voie reviendrait à diversifier les actions d'au moins une partie des établissements d'accueil. Lors d'admission de longue durée ou prévues comme telles devrait-on prendre en compte des dispositions préalables, anticipées ? Elles pourraient exprimer le souhait des résidents de préserver une vie sociale, au moins avec ceux ayant émis le même désir tout en tenant compte des risques consentis au préalable. Devrait-on renforcer l'action des « conseils de la vie sociale » et développer (au plus tard à l'admission dans un établissement médico-social) des directives anticipées élargies aux conditions de vie ? Si le projet est complexe il nous semble qu'il pourrait être un moyen de respecter les libertés du résident et le projet d'autonomie qu'elles sous-tendent. Le projet est en fait de concevoir la création d'espaces de vie que l'on traverse ou que l'on colonise selon ses choix et surtout les circonstances. Des ports d'attache principaux ou secondaires où l'on va et vient et où sont respectées ces directives anticipées. On peut en effet constater qu'une grande part des mesures contraignantes qui ont été prises sont la conséquence directe de carences techniques. On peut évidemment citer l'absence de moyens de protection et de désinfection pour les résidents, les personnels et les visiteurs. On peut raisonnablement tabler sur l'absence de récidive de cette situation. Ne peut-on alors en tirer les leçons sur la conception même de ces espaces de vie ? De la même manière, quand les moyens diagnostiques sont assurés il devient possible de concevoir le maintien consenti, de secteurs « à risque » ou une vie sociale se poursuivrait avec des changements moins radicaux sous couvert de la protection individuelle des résidents, des soignants, des visiteurs. Les mesures de confinement ont été les mêmes pour tous indépendamment des capacités d'autonomie. Aucune distinction n'a été envisagée selon les capacités de individus à gérer des gestes de prévention, leur aptitude à poursuivre leurs activités. Cependant, la diminution des capacités d'assistance s'est trouvée amplifiée par le confinement des aidants. Plus l'aide d'autrui était nécessaire, plus la privation a été marquée. (2) quand libérer conduit à surveiller : l'exemple d'un système de traçage La décision du confinement a indéniablement été prise dans un cadre respectant le fonctionnement démocratique de notre pays. Même en s'appuyant sur la volonté de servir la santé collective et s'appuyant sur l'état d'urgence sanitaire, il s'agit malgré tout d'une procédure d'exception. Notre propos n'est que d'en décrire la portée et de questionner ce qui l'a rendue possible, de cerner ce qui pourrait l'amener à durer ou à disparaître et donc à restaurer dans des proportions variables la liberté de circulation et de réunion qui a été perdue. Un besoin sécuritaire semble s'imposer comme une idée majoritaire dans notre population. La gestion de la crise épidémique en a été un exemple. L'absence d'anticipation de l'importance de l'épidémie et de la crise, les difficultés initiales de sa gestion matérielle ont amené à une vigoureuse critique des autorités. Nous ne reviendrons pas sur l'efficacité discutable de ces technologies de surveillance qui demandent une participation massive sinon obligatoire de la population concernée pour diminuer le risque de contamination. Nous n'envisagerons pas, non plus, le versant économique de l'opération bien que ces points soient extrêmement importants, une défaillance de l'économie mettant elle-même la santé des citoyens en jeu (1). Nous nous interrogerons donc ici uniquement sur les raisons de leur mise en place et le risque élevé de les voir perdurer à d'autres fins que la santé publique. Le parlement a adopté la possibilité d'utilisation de l'outil de surveillance « Stop-COVID » en assurant qu'il minimisait les failles de sécurité, estimant garantir ainsi un compromis entre la diminution du risque collectif et le respect des libertés individuelles. Quels sont les atouts vecteurs d'un succès éventuel d'une surveillance électronique ? Le premier est simple, un attrait pour l'outil technologique lui-même. L'utilisation de son propre smartphone est de nature à rassurer puisqu'aucune manipulation visible ne transparait pour l'utilisateur. Des garanties sont données par les pouvoirs publics et surtout, l'outil est destiné à protéger son utilisateur. Enfin un argument promotionnel supplémentaire consisterait à subordonner le contrôle d'une seconde vague par l'utilisation généralisée de ce traçage. Des informations paraissent dans la presse relatent un regain de circulation du virus en Corée du Sud et l'intention des autorités de Séoul d'utiliser à nouveau le traçage électronique plutôt que le confinement strict. Le but est louable, le discours rassurant et les raisons pour réfuter la méthode apparaissent bien minces. D'ailleurs n'utilisons nous pas les applications qui enregistrent sur nos téléphones le lieu et l'heure de nos déplacements sans même qu'elles nous garantissent l'utilisation que font des données collectées les éditeurs de logiciels « gratuits » dont nous sommes les utilisateurs sinon la proie ? Si l'on en croît des spécialistes de la sécurité informatique, les failles des applications de traçage anonymes sont inhérentes à leur conception et leur utilisation. Pourtant, à aucun moment le débat scientifique sur les propriétés et les limitations de la sécurité offerte par ces applications technologiques n'a réellement eu lieu du fait de l'état d'urgence sanitaire. Il n'est pas possible de considérer qu'il ne faille pas maintenant envisager très sérieusement ce débat. En effet, il y a fort à parier qu'une fois mises en place, et rôdées ces applications permettront de remplir par le truchement de la communication entre les fichiers d'autres bases de données dont la labilité et l'utilisation sont incertaines. En supposant que l'application soit un succès dans la lutte contre l'épidémie, ne peut-on imaginer que le législateur soit tenté de l'utiliser à d'autres fins comme la prévention de la récidive de violence envers les personnes, le vol à la tire… ? Il nous semble que la notion de volontariat pour l'utilisation de l'outil soit un vecteur de l'échec à une réelle efficacité. Par ailleurs il est fort à craindre que la volonté de certains n'aboutisse pour tous à l'abandon du principe général de liberté de déplacement. La sortie progressive et le maintien d'une certaine proportion au contrôle des déplacements fait en ce moment encore débat entre les différents clans politiques et les deux chambres du parlement. L'expérimentation en grandeur réelle sur des clusters très actifs apparaît de plus en plus tentante, restaurant pour une vaste majorité les apparences d'une liberté de mouvement. Pourtant, accepterions-nous collectivement qu'un ou quelques individus dérogent à un principe acquis et que leur acquiescement se transforme en règle applicable à tous ? Il n'apparaît pas logique alors d'accepter dans l'urgence et sous son couvert d'une loi temporaire l'utilisation de logiciels traceurs dont on devine qu'ils risquent de revenir pour d'autres bonnes raisons. Que dire enfin des excès de zèle associés à la restriction du droit de circulation en période de confinement ? Que penser de la mise en place de la surveillance par des drones mise en place sur de simples décrets municipaux ? On se souvient du débat sur la télésurveillance de l'espace public que l'on dépasse largement avec l'utilisation d'engins mobiles capables de surveiller aussi l'espace privé. L'épidémie a été un laboratoire en grandeur réelle pour les utilisateurs et cela sans la moindre concertation, épidémie oblige. Que penser, ici aussi, du futur de ces surveillances, les administrations concernées ayant bien acheté et utilisé les appareils ? Quelle que soit la situation, la pandémie a et aura un impact sur de nombreuses facettes de nos sociétés. Seule une part très visible de modifications temporaires de nos libertés a été survolée dans ce texte concis. Il en ressort deux préoccupations éthiques. L'une est porteuse d'espoir et conduit à une plus grande considération des choix individuels à la condition de les prévoir et de les rendre compatibles avec les libertés collectives. C'est une nouvelle prise de conscience de l'interdépendance des humains. L'autre est plus péjorative et interroge sur la mise en place irréversible de procédés de surveillance automatisée de nos déplacements et nos contacts. Elle porte la question de la définition Autosaisine de l'espace de réflexion éthique Hauts de France Remerciements : Les membres de l'espace de réflexion éthique Occitanie pour les débats menés durant la période de confinement et plus particulièrement le Dr C. Dupré-Goudable et le Pr