key: cord-0983734-yw6ac0n8 authors: Sansonetti, Philippe title: Peut-on concrètement définir la notion de barrière d’espèce à la diffusion des pathogènes ? date: 2006-03-31 journal: Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine DOI: 10.1016/s0001-4079(19)33294-7 sha: 7de7559296a5f349dec98749b43ccfd7d15ab31c doc_id: 983734 cord_uid: yw6ac0n8 SUMMARY A given microbial pathogen usually targets a restricted number of animal species. Some pathogens can be transmitted to humans from another animal species, either directly (rabies, brucellosis, etc.) or through a vector (Lyme’s disease, West Nile fever, etc.). Few infectious agents with animal reservoirs infect humans, and even fewer are capable of human-human transmission. This is attributed to the “ species barrier “, a simplistic concept that in fact involves a series of conditions for successful inter-species transmission. These include access to an infectable surface, multiplication on that surface, colonisation, invasion, multiplication inside the new host, and resistance to innate and adaptive immune mechanisms. Each of these steps requires a specific ligand-receptor interaction. The full series of events must be “ reprogrammed “ for efficient implantation in a new host. These changes occur through mutations or genetic exchanges. Direct human-to-human transmission often requires additional adaptive modifications. Les microorganismes pathogènes, bactéries, virus, champignons et parasites, n'infectent, en général, qu'un nombre restreint d'espèces, souvent une seule [1] . Il existe certes nombre d'anthropozoonoses dont l'agent infectieux peut être transmis à l'homme directement (brucellose, rage), ou indirectement par des vecteurs (Maladie de Lyme, Virus West Nile). Cependant, en règle générale, les agents infectieux présents dans le monde animal ne sont pas capables de causer une infection transmissible à l'homme, et à fortiori de donner lieu à une transmission interhumaine. Il faut cependant modérer cette affirmation. En effet, les grands primates sont porteurs de virus et leur parenté avec l'espèce humaine facilite les passages, exigeant probablement un minimum d'adaptation de la part du pathogène pour sauter d'une espèce à l'autre. C'est le cas des VIH-1 et 2, des filoviridés comme le virus Ebola, et de la vaccine du singe. De plus, l'identification récente chez l'homme d'HépaDNAvirus et de nouveaux Herpes virus, à l'évidence d'origine simienne, prouve que le réservoir viral chez les primates est énorme et préoccupant et, de ce fait, représente une priorité de recherche si l'on désire à terme anticiper sur l'émergence de ces virus chez Homo sapiens [2] . pandémies grippales ont décimé la population humaine, les virus responsables étant d'origine aviaire. Le réassortiment génétique nécessaire à cette émergence peut se faire chez un mammifère intermédiaire comme le porc, mais des épisodes récents montrent qu'il peut s'effectuer directement chez l'homme, comme ce fut le cas pour le virus H5N1 à Hong Kong en 1997 [3] . Dans ces situations où nous ne sommes plus dans le contexte d'un échange entre « proches cousins », une condition tout à fait particulière est requise pour que cet événement survienne : le franchissement de la barrière d'espèce. Ce fut le cas ces dernières années pour des virus comme le virus Hantaan transmis par les rongeurs, le virus de la Fièvre de la Vallée du Rift transmis par des arthropodes et des ongulés, le virus Nipah transmis de la chauve-souris au porc puis à l'homme et du Coronavirus du SRAS transmis de la civette à l'homme. Le franchissement de la barrière d'espèce est donc au centre du concept d'émergence des agents infectieux. Notons que ce n'est pas une problématique strictement humaine, les animaux sont eux aussi frappés par des infections nouvelles, comme ce fut le cas des infections à morbillivirus mortelles acquises par les populations [22] . Au total, on peut conclure de ces deux modèles que la spécificité d'espèce est dictée par la reconnaissance de récepteurs spécifiques chez l'hôte. Dans le cas du virus grippal, HA joue un rôle majeur en se liant à l'acide sialique exprimé à la surface des cellules de l'hôte. HA de la souche aviaire se lie à l'isoforme d'acide sialique lié en alpha 2,3 au sucre (Galactose) de la glycoprotéine ou du glycolipide porteur. Cet isoforme est exprimé dans la partie haute de l'appareil respiratoire de la poule, mais pas chez l'homme où il n'est exprimé qu'à relativement faible niveau à la surface de l'épithélium trachéo-bronchique et plus abondamment à la surface de l'épithélium intestinal. La souche humaine, lie l'isoforme alpha 1, 6 exprimé à la surface des voies aériennes supérieures chez l'homme. Il est donc difficile de comprendre comment la souche H5N1 infecte l'homme, car une étape de réplication efficace est exigée au niveau des voies aériennes supérieures. On peut penser que ceci représente un élément important dans la non complétion du phénomène d'émergence. De plus, les cas démontrés de grippe aviaire humaine suggèrent que la voie intestinale pourrait jouer un rôle important, probablement en se contaminant oralement avec des poulets lourdement infectés. Ceci donnerait du sens au niveau élevé d'expression de l'isoforme 2,3 de l'acide sialique dans l'intestin humain. L'absence de transmission interhumaine est peut être liée à cette voie d'entrée non aéroportée ou au fait que le virus n'a pas encore suffisamment maturé pour franchir les étapes nécessaires [23] . Il serait cependant erroné de se concentrer exclusivement sur HA. Si l'on considère les souches H5N1 responsables de cas humains mortels en 1997, d'autres modifications significatives ont été notées : -les souches humaines et aviaires contenaient toutes une délétion de 19 aa dans NA, diminuant très probablement l'activité de clivage de HA et affectant le pouvoir infectieux du virus. -Les souches les plus pathogènes présentaient par ailleurs une mutation Glu627Lys dans PB2, une sous-unité de l'ARN polymérase, donnant lieu à un phénotype hypervirulent associé à un fort potentiel de replication et à une létalité plus élevée chez la souris. Un certain nombre des souches isolées au Viet Nam depuis 2004 ont cette même mutation Lys627. Cette observation est extrêmement importante, car elle n'est pas associée à un changement de tropisme pour un récepteur, mais à une plus grande capacité de se développer chez un hôte mammifère, souris ou homme. -Enfin, la souche H5N1 Hong Kong était inhabituellement résistante aux IFNs et au TNFalpha du fait de la présence d'une forme particulière d'un gène codant pour une protéine non structurale (NS1) capable de réguler la réponse innée à l'infection virale. Cette souche H5N1 est capable d'induire l'expression de taux plus élevés de cytokines proinflammatoires donnant lieu, particulièrement au niveau du poumon, à une maladie aux symptômes plus sévères. Le déchiffrage moléculaire de la pathogénicité du virus H5N1 permet donc de clairement définir un certain nombre de paramètres dont la résultante contribue à tracer les contours de la barrière d'espèce : nécessité d'un couple ligand récepteur hautement spécifique, possible importance de la vitesse de maturation du ligand participant éventuellement à la rétention ou à la libération du virus, capacité de modifier la vitesse de réplication au sein du nouvel hôte essentielle au développement local et systémique efficace du virus. Par ailleurs, comme observé dans un certain nombre d'infections bactériennes, un paramètre essentiel de l'expression clinique est la capacité pro-inflammatoire du pathogène. Il est clair qu'une plus grande inflammation pulmonaire va certes contribuer à éradiquer ce pathogène, mais va dans un premier temps aboutir aussi à une déstabilisation du tissu, à une plus grande diffusion du pathogène et, bien sûr, à des dégâts irrémédiables chez l'hôte, ce qui est mortel pour un organe unique et vital comme le poumon [24] . montrer que cette seule étape de franchissement d'une barrière ou d'envahissement d'une ou de plusieurs populations cellulaires n'est pas suffisante à reproduire l'ensemble de la maladie, confirmant la nature complexe et multifactorielle de cette barrière d'espèce. Les principaux modèles de souris humanisées sont marqués en caractères gras dans le Tableau 1. L'exemple historique fut la construction, dès 1990, d'un modèle de souris transgénique exprimant CD155 (hPVR), une molécule de la superfamille des immunoglobulines identifiée comme le récepteur humain du virus polio [25] . Ce modèle a permis de progresser considérablement dans la compréhension de la physiopathologie de la polio dans la mesure où l'inoculation intracérébrale des trois sous-types de virus permettait enfin de reproduire la maladie chez la souris : symptômes et létalité. . Ces modèles reproduisent plus ou moins complètement certains aspects de la maladie, en particulier sa composante neurologique et immunosuppressive. Encore une fois, ils ne permettent pas de reconstituer l'intégralité de la maladie [26] , soulignant la nécessité de développer, étape par étape, des modèles complexes. Cela fut le cas de l'analyse physiopathologique de l'infection VIH chez la souris. Des souris transgéniques exprimant à la fois le récepteur CD4 et le co-récepteur CCR5 humains ont été produites [27] . Elles sont permissives à l'infection par le virus, validant la fonction essentielle de ces deux récepteurs dans la phase précoce d'invasion. Elles sont par contre incapables d'assurer la réplication virale à un degré significatif. Il existe donc, à l'évidence, des barrières postérieures à la phase invasive initiale. L'association de Tat viral avec la cycline-T1 semble un facteur important de promotion de la réplication in vitro. Cependant, les triple transgéniques hCD4, hCCR5, et h-cycline-T1 ne permettent toujours pas de réplication efficace. Il est clair que seule une analyse détaillée des bases moléculaires et cellulaires de l'infection permettra de définir les facteurs additionnels devant être introduits. Des approches similaires ont été poursuivies avec des bactéries comme Listeria monocytogenes où l'expression de la E-cadhérine identifiée in vitro comme le récepteur à l'Internaline A de la bactérie a permis de rétablir la phase d'invasion intestinale [28] et comme Neisseria meningitidis et Neisseria gonorrhoeae où la co-expression d'isoformes de hCD66 et de hCD46 restaure une partie de la maladie, en particulier sa phase invasive initiale [13] . Le monde vit dans la crainte justifiée d'une nouvelle pandémie dont l'irruption chez une population humaine essentiellement naïve pourrait donner lieu à une très forte mortalité. Sera-ce la grippe aviaire H5N1 [29] ? Les pathogènes spécifiques de l'espèce humaine nécessitent le plus souvent un inoculum très faible pour causer une infection, idem pour les pathogènes spécifiques d'autres espèces. En l'absence d'adaptation à l'espèce, il est clair qu'un pathogène nécessite généralement un inoculum considérablement supérieur à celui de l'infection naturelle pour éventuellement causer tout ou partie d'une infection. Je voudrais vous demander si ces études sur la barrière d'espèce n'ont pas déjà des conséquences thérapeutiques ? Vous avez montré que, dans la listériose, toute la spécificité repose sur un acide aminé. Cela ne pourrait-il pas être utilisé dans la prévention ou la vaccination ? Pour l'instant, il est très difficile de répondre à cette question, bien sûr essentielle. Quoi qu'il en soit, une bonne connaissance des récepteurs des agents infectieux sera essentielle dans le futur au développement de stratégies anti-infectieuses innovantes visant à empêcher le pathogène de suivre des étapes clés de son cycle dans l'hôte. Le virus H5N1 est actuellement essentiellement impliqué au niveau des espèces aviaires migratrices. Y a-t-il une barrière d'espèce qui empêcherait sa transmission aux espèces sédentaires, notamment aux pigeons, corbeaux, pies, etc. ou faut-il envisager que ces derniers soient également infectés par ce virus, ce qui impliquerait des mesures de prévention beaucoup plus étendues que celles préconisées actuellement ? Il semble que H5N1 et les virus grippaux de type A en général, ne connaissent pas vraiment de barrière entre différentes espèces aviaires. Le réservoir potentiel est donc énorme. De plus, le fait que certains animaux (en particulier oiseaux aquatiques, comme les canards) soient porteurs souvent asymptomatiques rend la situation du dépistage encore plus complexe. La réponse est oui, en tout cas dans les rares espèces où cela a été étudié. Je tiens à remercier Gérard Orth pour ses avis éclairés et Marc Lecuit pour m'avoir fourni un certain nombre de références indispensables à la rédaction de cette revue -Factors in the emergence of infectious diseases Catastrophes after crossing species barriers The natural host range shift and subsequent evolution of canine parvovirus resulted from the virus-specific binding to the canine transferrin receptor The natural history of Hendra and Nipah Virus Climatic and environmental patterns associated with Hantavirus pulmonary syndrome. Four Corners region, United States Evolution and ecology of Influenza A Virus -Migratory birds and the spread of West Nile Virus in the Western Hemisphere Recent insights into poliovirus pathogenesis The CD4 (T4) antigen is an essential component of the receptor for the AIDS retrovirus -CC CKR5 : a RANTES, MIP-1alpha, MIP-1beta receptor as a fusion cofactor for macrophage-tropic HIV-1 Binding of Hepatitis C Virus to CD81 Genetically-modified-animal models for human infections : the Listeria paradigm On the nature of virus quasi-species Insertion of cellular sequences in the genome of bovine viral diarrhoea New viral diseases. A real potential problem without boundaries The global spread and replacement of canine parvovirus strains No evidence for a role of modified live virus vaccines in the emergence of canine parvovirus Structure of SARS coronavirus spike receptorbinding domain complexed with receptor Evidence of an absence : the genetic origins of the 1918 pandemic Influenza virus The continued pandemic threat posed by avian influenza viruses in Hong Kong Influenza : lessons from past pandemics, warnings from current incidents War and Peace at mucosal surfaces Transgenic mice expressing the human poliovirus receptor : a new model for poliomyelitis Model systems : transgenic mouse models for measles pathogenesis -Mice transgenic for human CD4 and CCR5 are susceptible to HIV infection A transgenic model for listeriosis : role of internalin in crossing the intestinal barrier Crossing the species barrier : the threat of an avian Influenza pandemic