b'\xe2\x80\xa2 \', \xc2\xbb \n\n\n\niftj % fi; if \n\n\n\n\n\n\n\n\n\n\n\n\n. ^,1 \n\n\n\n\n\n\n\xc2\xa5\'. \n\n\n\n\xc3\xaf: \n\n\n\n\n^>fc \n\n\n\n\xc2\xbb \n\n\n\n\n#: \' \n\n\n\nTV**. \n\n\n\n1 \n\n\n\nm. \n\n\n\n\nDE \n\n\n\nLA PSYCHOLOGIE \n\nD\'ARISTOTE. \n\n\n\n\n\n\nPARIS. - IMPRIM\xc3\x89 PAU E. THl\'NOT ET L* \nKue Racine , 28. \n\n\n\n\n\n\n(ifojhd - \n\n\n\nDE \n\n\n\nLA PSYCHOLOGIE \n\n\n\nD\'ARISTOTE. \n\n\n\nPAR \n\nC. WADDWGTON-KASTUS, \n\nANCIEN \xc3\x89L\xc3\x88VE DE L\'\xc3\x89COLE NORMALE , \n\nPROFESSEUR AGR\xc3\x89G\xc3\x89 DIL PHILOSOPHIE, \n\nDOCTEUK \xc3\x88.s LETTRES. \n\n\n\nPARIS. \nJOUBERT, LIBRAIRE-\xc3\x89DITEUR, \n\nRUE DES BR\xc3\x88S, 14. \n\n1848 \n\n\n\nTaWe. \n\n\n\n55b o\xc3\xbbQd \n\n\n\n\n\n\nM. DUBOIS (DE NANTES) , \n\n\n\nCONSEILLER TITULAIRE DE L UNIVERSITE \nDIRECTEUR DE L\'\xc3\x89COLE NORMALE. \n\n\n\n\n\n1 \n\nI \n\nr \n\n\n\nDE \n\n\n\nLA PSYCHOLOGIE \n\nD\'ARTSTOTE. \n\n\n\nLa connaissance de soi-m\xc3\xaame est la condition de \ntoute sagesse et le premier fondement de la philoso- \nphie. \n\nCette v\xc3\xa9rit\xc3\xa9, tant c\xc3\xa9l\xc3\xa9br\xc3\xa9e de nos jours, n\'\xc3\xa9tait pas \ninconnue aux anciens. Socrate , pour l\'avoir admira- \nblement comprise, m\xc3\xa9rita d\'\xc3\xaatre appel\xc3\xa9 par l\'oracle le \nplus sage des Grecs ; et, sans chercher d\'autres exem- \nples, concevrait-on que l\'homme, toujours pr\xc3\xa9sent \xc3\xa0 sa \npropre pens\xc3\xa9e, se f\xc3\xbbt toujours ignor\xc3\xa9 lui-m\xc3\xaame, jus- \nqu\'aux temps de Descartes et de Locke , de Reid et de \nKant ? Les anciens n\'\xc3\xa9taient pas plus que nous destitu\xc3\xa9s \nde cette lumi\xc3\xa8re int\xc3\xa9rieure que nous appelons la con- \nscience. C\'est un attribut essentiel de l\'homme de pou- \nvoir se conna\xc3\xaetre, d\'avoir \xc3\xa0 chaque moment de son \nexistence le sentiment intime de ses propres actes et de \nson existence m\xc3\xaame. On ne saurait donc sans absurdit\xc3\xa9 \nrefuser aux libres penseurs de l\'antiquit\xc3\xa9 cette science \ninstinctive de la nature humaine que chacun de nous \nporte en lui-m\xc3\xaame. On doit m\xc3\xaame convenir, pour \xc3\xaatre \njuste, que les philosophes grecs en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral accor- \ndaient \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude de l\'homme une assez grande place \n\nt \n\n\n\n!2 INTRODUCTION. \n\ndans leurs syst\xc3\xa8mes , et qu\'ils nous ont l\xc3\xa9gu\xc3\xa9 un cer- \ntain nombre de th\xc3\xa9ories ing\xc3\xa9nieuses ou profondes sur \nla nature et les facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me. Mais il faut bien l\'a- \nvouer, la science exp\xc3\xa9rimentale de l\'\xc3\xa2me humaine, \ncette \xc3\xa9tude que toute philosophie suppose et \xc3\xa0 laquelle \ntoute vraie m\xc3\xa9thode nous ram\xc3\xa8ne, la psychologie n\'a- \nvait point alors la forme scientifique qui lui convient : \nelle ne reposait pas uniquement sur l\'observation; sur- \ntout elle n\'\xc3\xa9tait pas assez nettement distingu\xc3\xa9e des au- \ntres parties de la science, elle qui les doit pr\xc3\xa9c\xc3\xa9der et \ndominer toutes, puisqu\'elle contient en germe la so- \nlution de tous les grands probl\xc3\xa8mes et touche \xc3\xa0 toutes \nles questions qui int\xc3\xa9ressent l\'humanit\xc3\xa9. La psycho- \nlogie n\'a \xc3\xa9t\xc3\xa9 v\xc3\xa9ritablement constitu\xc3\xa9e que dans les \ntemps modernes, lorsque , plac\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'entr\xc3\xa9e de la phi- \nlosophie , elle a \xc3\xa9t\xc3\xa9 \xc3\xa9tudi\xc3\xa9e \xc3\xa0 la fois pour elle-m\xc3\xaame \net pour la philosophie tout enti\xc3\xa8re ; et sans doute \ncette attention sp\xc3\xa9ciale accord\xc3\xa9e aux questions psy- \nchologiques a d\xc3\xbb en avancer la solution. \n\nToutefois, ce progr\xc3\xa8s n\'a pas \xc3\xa9t\xc3\xa9 l\'\xc5\x93uvre d\'un \njour : les philosophes de tous les temps y ont contri- \nbu\xc3\xa9. Il nous a paru int\xc3\xa9ressant de rechercher dans les \ngrands syst\xc3\xa8mes de l\'antiquit\xc3\xa9 les premiers \xc3\xa9l\xc3\xa9ments \nd\'une science qui \xc3\xa9tait alors sans nom , mais qui ne \npouvait manquer enti\xc3\xa8rement \xc3\xa0 ceux qui connaissaient \net mettaient en pratique cette grande maxime : Yv&Qi \nceavTov. Aristote entre tous nous offrait un beau sujet \nd\'\xc3\xa9tude. Il a \xc3\xa9t\xc3\xa9 le pr\xc3\xa9cepteur du genre humain en pres- \nque toutes les autres sciences ; partout ailleurs il est \nfacile de retrouver la trace de ses id\xc3\xa9es et jusqu\'\xc3\xa0 son \nlangage. Ses opinions sur la nature de l\'homme ont \naussi exerc\xc3\xa9 une grande influence , et le tableau des \n\n\n\nINTRODUCTION. \xc3\xa0 \n\nemprunts qui lui ont \xc3\xa9t\xc3\xa9 faits dans cette partie de sa \ndoctrine ne serait pas le chapitre le moins curieux de \nl\'histoire du p\xc3\xa9ripat\xc3\xa9tisme. Notre intention n\'est pas \nde suivre les d\xc3\xa9veloppements de la psychologie apr\xc3\xa8s \nAristote et sous son influence. Nous nous sommes \nsimplement propos\xc3\xa9 de constater \xc3\xa0 quel point en \xc3\xa9tait \ncette science dans le vaste syst\xc3\xa8me du p\xc3\xa9ripat\xc3\xa9tisme \net d\'appr\xc3\xa9cier dans la mesure de nos connaissances la \nth\xc3\xa9orie des facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me, telle qu\'on peut la \nreconstruire d\'apr\xc3\xa8s tous les ouvrages d\' Aristote que \nle temps a respect\xc3\xa9s. \n\nLes notions psychologiques occupent une plus \ngrande place qu\'on ne pourrait le croire dans la phi- \nlosophie d\'Aristote. Sa logique n\'est qu\'une suite et \nune cons\xc3\xa9quence de l\'analyse des proc\xc3\xa9d\xc3\xa9s intellec- \ntuels ; sa rh\xc3\xa9torique et sa po\xc3\xa9tique sont tir\xc3\xa9es de la \nconnaissance des instincts et des passions de l\'homme; \nsa morale repose sur l\'\xc3\xa9tude de la volont\xc3\xa9 et des ha- \nbitudes de l\'\xc3\xa2me; sa politique prend pour point de d\xc3\xa9- \npart la nature humaine et se rattache \xc3\xa0 nos penchants \nsociaux; enfin sa m\xc3\xa9taphysique elle-m\xc3\xaame fait appel \n\xc3\xa0 la conscience sur la question de l\'essence et sur \nl\'important probl\xc3\xa8me des attributs de Dieu. Ainsi , en \nbien des parties de cette vaste encyclop\xc3\xa9die qui porte \nson nom , Aristote emprunte ses principes \xc3\xa0 la science \nde l\'\xc3\xa2me et souvent il en traite les points les plus d\xc3\xa9- \nlicats. Ce n\'est pas tout : non content de ces analyses \npartielles , il a esquiss\xc3\xa9 dans son trait\xc3\xa9 De l\'\xc3\xa2me un \nsyst\xc3\xa8me presque complet de nos facult\xc3\xa9s. On trouve \ndonc dans ses \xc3\xa9crits tout ensemble une th\xc3\xa9orie g\xc3\xa9- \nn\xc3\xa9rale des facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me et une analyse particu- \nli\xc3\xa8re de chacune d\'elles. N\'allons pas nous imaginer \n\n\n\nIX INTRODUCTION. \n\ncependant qu\'Aristote ait compris la science de l\'\xc3\xa2me \ncomme les philosophes modernes , comme l\'\xc3\xa9cole \n\xc3\xa9cossaise par exemple. Loin de l\xc3\xa0 : alors m\xc3\xaame qu\'il \nobserve et qu\'il analyse , il se place toujours \xc3\xa0 un \npoint de vue g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et synth\xc3\xa9tique. La psychologie \nn\'a m\xc3\xaame pas re\xc3\xa7u de lui un nom ; \xc3\xa0 vrai dire , elle \nn\'est pas une partie distincte de son syst\xc3\xa8me ; les \xc3\xa9l\xc3\xa9- \nments en sont \xc3\xa9pars dans la physique et dans la m\xc3\xa9ta- \nphysique, dans la logique et dans la morale, en un \nmot dans toutes les sciences qu\'Aristote a cultiv\xc3\xa9es , \nhonor\xc3\xa9es, perfectionn\xc3\xa9es. C\'est une grave difficult\xc3\xa9 \ndans l\'exposition de ses th\xc3\xa9ories psychologiques que ce \nm\xc3\xa9lange d\'id\xc3\xa9es de toutes sortes dont il les faut d\xc3\xa9- \ngager. Une fois cette s\xc3\xa9paration op\xc3\xa9r\xc3\xa9e , quand on a \nsous les yeux et l\'ensemble et le d\xc3\xa9tail de ces th\xc3\xa9o- \nries, bien souvent on a lieu d\'en admirer la profon- \ndeur; on admire cette analyse \xc3\xa0 la fois savante et \nhardie, une sagacit\xc3\xa9 merveilleuse et une incomparable \npr\xc3\xa9cision. On s\'\xc3\xa9tonne de voir un philosophe ancien \naussi avanc\xc3\xa9, plus avanc\xc3\xa9 parfois que les plus grands \nphilosophes modernes ; et d\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , \xc3\xa0 de nom- \nbreuses, \xc3\xa0 de graves imperfections, on reconna\xc3\xaet \naussi la diff\xc3\xa9rence des temps et surtout des m\xc3\xa9thodes. \nSoit donc que l\'on expose , soit que l\'on discute poul- \nies appr\xc3\xa9cier ces doctrines un peu vieillies , on doit \nse garder \xc3\xa0 la fois d\'un aveugle enthousiasme et d\'un \nm\xc3\xa9pris irr\xc3\xa9fl\xc3\xa9chi , et la justice veut qu\'on ait pr\xc3\xa9sente \n\xc3\xa0 l\'esprit cette pens\xc3\xa9e de La Bruy\xc3\xa8re : \xc2\xab On se nourrit \ndes anciens ; on les presse , on en tire le plus qu\'on \npeut ; et quand enfin on croit marcher tout seul , on \ns\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve contre eux , on les maltraite , semblable \xc3\xa0 ces \nenfants drus et forts d\'un bon lait qu\'ils ont suc\xc3\xa9 , qui \n\n\n\nINTRODUCTION. 5 \n\nbattent leur nourrice (1). \xc2\xbb Je veux que la science ait \nfait des progr\xc3\xa8s depuis Aristote; encore faut-il songer, \ncomme il Ta dit lui-m\xc3\xaame, que \xc2\xab ce qui importe le plus \nen toute chose, c\'est le commencement, et que c\'est \naussi le plus difficile (2) . \xc2\xbb Il s\'agit d\'\xc3\xa9tudier dans cet \nesprit les commencements de la psychologie, alors \nque s\'ignorant presque elle-m\xc3\xaame, elle proc\xc3\xa8de tant\xc3\xb4t \npar l\'observation directe, tant\xc3\xb4t par des inductions \nemprunt\xc3\xa9es au langage ou \xc3\xa0 la conduite ext\xc3\xa9rieure des \nhommes , au moment o\xc3\xb9 d\xc3\xa9j\xc3\xa0 elle repousse les hypo- \nth\xc3\xa8ses des premiers sages, au nom des faits qu\'elle \nne conna\xc3\xaet pas tous encore. Rechercher dans tous les \nouvrages d\' Aristote les traits \xc3\xa9pars de cette psychologie \n\xc3\xa0 moiti\xc3\xa9 instinctive et traditionnelle , \xc3\xa0 moiti\xc3\xa9 scienti- \nfique et personnelle , les rassembler et en faire un tout \nconforme aux id\xc3\xa9es g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales d\' Aristote, tel est l\'ob- \njet de la premi\xc3\xa8re partie de ce travail. Dans la se- \nconde, qui sera consacr\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'appr\xc3\xa9ciation des m\xc3\xaames \ndoctrines, nous essayerons d\'en indiquer les d\xc3\xa9fauts \net les m\xc3\xa9rites , pratiquant le plus fid\xc3\xa8lement qu\'il nous \nsera possible cette sage et \xc3\xa9clectique impartialit\xc3\xa9 qui \nest le caract\xc3\xa8re \xc3\xa9minent du xix e si\xc3\xa8cle, \n\n\n\n(1) Des ouvrages de l\'esprit. \n\n(2) R\xc3\xa9fut\xc3\xa2t, des soph., ch. 34 , \xc2\xa7 6. Je me conforme aux divisions adop- \nt\xc3\xa9es par M. Barth\xc3\xa9l\xc3\xa9my Saint-Hilaire, dans ses savantes traductions de la \nLogique, de la Politique, du trait\xc3\xa9 De l\'\xc3\xa2me et des Parva naturalia. Pour \ntous les autres livres d\'Aristote, je les citerai toujours d\'apr\xc3\xa8s l\'\xc3\xa9dition de \nBerlin. \n\n\n\nPREMI\xc3\x88RE PARTIE. \n\n\n\nEXPOSITION. \n\n\n\nCHAPITRE I. \n\nDE L\'\xc3\x89TUDE DE LAME ET DES QUESTIONS QU\'ELLE COMPREND, \nSUIVANT ARISTOTE. \n\nAvant d\'exposer la doctrine d\'Aristote sur l\'\xc3\xa2me et \nses facult\xc3\xa9s, il est indispensable de consid\xc3\xa9rer quelle \nplace il a donn\xc3\xa9e, quelle importance il a attribu\xc3\xa9e \xc3\xa0 \ncette partie de la science. \n\nAristote a reconnu express\xc3\xa9ment l\'utilit\xc3\xa9 de cer- \ntaines recherches psychologiques et de l\'\xc3\xa9tude de \nl\'\xc3\xa2me en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , non-seulement pour la conduite de \nla vie (1 ) , mais encore et surtout pour l\'art et pour \nla science. Ainsi , il fonde l\'art de persuader sur la \nconnaissance de l\'\xc3\xa2me. Pour inventer les preuves \ndont se sert la rh\xc3\xa9torique, il faut, dit-il, conna\xc3\xaetre le \ncaract\xc3\xa8re et les passions de l\'homme (2). \n\nIl en est de m\xc3\xaame de la morale et de la politique : \nelles supposent une \xc3\xa9tude approfondie des passions , \n\n\n\n(I) Rh\xc3\xa9t.,1. II, ch. 21, p. 1395, col.a; Mor. \xc3\xa0 Nieom., IV, 9, p. 1 125, a, \n(2)Rhct., 1,2, p. 1356, a. \n\n\n\n8 de l\'\xc3\xa9tude de l\'ame. \n\nde la volont\xc3\xa9, de l\'\xc3\xa2me tout enti\xc3\xa8re. En effet, la vertu \nmorale nous fait supporter avec calme la peine et la \ndouleur; elle nous fait \xc3\xa9viter l\'exc\xc3\xa8s du plaisir. \nTraiter de la vertu n\'est donc pas autre chose au fond \nque traiter des plaisirs et des peines (1) : car l\'homme \nvertueux est celui qui sait en faire un bon usage, et le \nvicieux celui qui en fait un mauvais. Des observations \nde d\xc3\xa9tail ne peuvent manquer de r\xc3\xa9pandre plus de \nlumi\xc3\xa8re sur le sujet des m\xc5\x93urs (%). De plus, l\'\xc3\xa9loge \net le bl\xc3\xa2me dont la vertu et le vice sont l\'objet, ne \ns\'adressent qu\'\xc3\xa0 ce qu\'ils contiennent de volontaire ; \nil est donc n\xc3\xa9cessaire , quand on traite de la vertu , \nd\'expliquer la diff\xc3\xa9rence du volontaire et de l\'invo- \nlontaire (3). D\'ailleurs, c\'est la vertu purement hu- \nmaine que l\'on consid\xc3\xa8re en morale; or on entend \npar vertu purement humaine, non celle du corps, \nmais celle de l\'\xc3\xa2me (4). Enfin , de m\xc3\xaame que pour \ngu\xc3\xa9rir les maladies des yeux ou de tout le corps , un \nm\xc3\xa9decin distingu\xc3\xa9 a d\'abord observ\xc3\xa9 la nature des \nyeux ou du corps tout entier , de m\xc3\xaame il faut qu\'un \npolitique habile ait fait une \xc3\xa9tude particuli\xc3\xa8re de l\'\xc3\xa2me. \nIl n\'est pas permis d\'ignorer l\'homme, quand on veut \nd\xc3\xa9terminer le but supr\xc3\xaame des individus et de la so- \nci\xc3\xa9t\xc3\xa9 (5). \n\nLa science de F \xc3\xa2me sert encore et surtout \xc3\xa0 faire \ncomprendre la nature ; car l\'\xc3\xa2me est en quelque sorte \nle principe des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s (6). En effet, \xc2\xab l\'animal \nest ou une \xc3\xa2me, ou une partie de l\'\xc3\xa2me, ou quelque \n\n\n\n(l) Mor. \xc3\xa0Nicom., II, 2 , p. 1104, b. \xe2\x80\x94 (2) Ibid. , IV, 13, p. 1127, a. \xe2\x80\x94 \n(3) Ibid., III, 1, p. 1109, b. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nicom., I, 13, p. 1102, a.\xe2\x80\x94 \n(5) Ibid. \xe2\x80\x94 (G) De l\'\xc3\xa2me, I, l, \xc2\xa7 l. \n\n\n\nde l\'\xc3\xa9tude de l 9 ame. 9 \n\nchose qui n\'est point sans \xc3\xa2me. Celui qui \xc3\xa9tudie la \nnature doit donc discuter et conna\xc3\xaetre l\'essence de \nl\'\xc3\xa2me ; au moins doit-il savoir quelle est l\'\xc3\xa2me ou la \npartie de l\'\xc3\xa2me en vertu de laquelle tel animal est ce \nqu\'il est (1). \xc2\xbb De l\xc3\xa0 l\'\xc3\xa9vidente n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 d\'\xc3\xa9tudier \nl\'\xc3\xa2me et les affections qui lui sont propres ou qui ap- \npartiennent aux \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s \xc3\xa0 cause d\'elle (2). \n\nL\'importance d\'une telle \xc3\xa9tude n\'est \xc3\xa9gal\xc3\xa9e que \npar sa difficult\xc3\xa9 (3) . Il faut d\'abord savoir quelle est \nl\'essence de l\'\xc3\xa2me (4) : car l\'\xc3\xa2me et l\'essence de l\'\xc3\xa2me \nc\'est la m\xc3\xb4me chose (5). Cette question de l\'essence \ntoujours si difficile l\'est ici peut-\xc3\xaatre plus que pour \ntout autre sujet. En effet , on ne voit pas , on ne touche \npas l\'\xc3\xa2me comme on fait le corps (6). Sans doute il \nn\'est pas impossible que l\'\xc3\xa2me se connaisse elle- \nm\xc3\xaame (7) ; mais peut-\xc3\xaatre sommes-nous plus en \xc3\xa9tat \nd\'observer ceux avec qui nous vivons que de nous ob- \nserver nous-m\xc3\xaames (8) ; peut-\xc3\xaatre m\xc3\xaame est-il plus fa- \ncile de savoir ce qu\'est le feu que de savoir ce qu\'est \nl\'\xc3\xa2me (9) . Il faut pourtant d\xc3\xa9terminer si l\'\xc3\xa2me est une \nsubstance , ou si elle n\'est qu\'une qualit\xc3\xa9 ou une ma- \nni\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre (1 0) . L\'\xc3\xa2me est-elle l\'animal , ou tout \xc3\xaatre \nanim\xc3\xa9 , ou la vie de chaque \xc3\xaatre 1 ou bien n\'est-elle \npas l\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9 (1 1) ? Est-elle ou non divis\xc3\xa9e en par- \nties (1 2) ? Quelles sont ses facult\xc3\xa9s ? Comment les d\xc3\xa9- \nterminer? Dans quel ordre les \xc3\xa9tudier (1 3) ? On devra \n\n\n\n(1) Part, des anim.,I, 1 , p. 641, a. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, I, 1, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., \n\xc2\xa7 1,\xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (4) Ibid., \xc2\xa72, \xc2\xa73.\xe2\x80\x94 (\xc3\xb4)M\xc3\xa9taph.,VII, 6 et 10, p. 1036, a, 1. 1.\xe2\x80\x94 \n(6) Mor. \xc3\xa0 Nicom., I, 13. \xe2\x80\x94 (7) Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 14.\xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Nicom., \nIX, 9, p. 1169, b. - (9) Topiq., V, 2, \xc2\xa73, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (10) De l\'\xc3\xa2me, I, 1,\xc2\xa73. - \n(ll)M\xc3\xa9taph., VII, 10, p. 1036, a, 1. 16; VIII, 3.\xe2\x80\x94 (12) De l\'\xc3\xa2me, I, 1,\xc2\xa7 4, \n\xe2\x80\x94 (13) Ibid., \xc2\xa7 6 et suiv. \n\n\n\n10 DE l\'\xc3\xa9tude de l\'ame. \n\naussi rechercher si les mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre de l\'\xc3\xa2me lui \nsont toutes communes avec le corps auquel elle est \nunie , et s\'il n\'y en a pas quelqu\'une qui lui appar- \ntienne en propre et exclusivement. Questions difficiles \nassur\xc3\xa9ment , mais dont la solution est indispensable \npour la connaissance de l\'\xc3\xa2me (1 ) . \n\nAjoutez \xc3\xa0 cela qu\'on ne peut se borner , comme \nles premiers philosophes, \xc3\xa0 \xc3\xa9tudier l\'\xc3\xa2me de \nl\'homme (2). Il est bien vrai que l\'homme est n\xc3\xa9ces- \nsairement celui de tous les animaux qui nous est le \nmieux connu (3). Mais toutes les \xc3\xa2mes ne sont pas de \nm\xc3\xaame esp\xc3\xa8ce, et l\'\xc3\xa9tude d\'une seule esp\xc3\xa8ce ne saurait \nfournir une science g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale (4). D\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , on \nne saurait s\'en tenir \xc3\xa0 d\'inutiles g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralit\xc3\xa9s sur l\'animal \nen soi, terme vague et insignifiant par son univer- \nsalit\xc3\xa9 m\xc3\xaame (5). \n\nCe n\'est pas tout : on ne peut s\xc3\xa9parer l\'\xc3\xa9tude de \nl\'\xc3\xa2me de celle du corps. Chaque \xc3\xa2me est unie \xc3\xa0 un \ncertain corps , qui est dispos\xc3\xa9 d\'une certaine mani\xc3\xa8re \npour la recevoir, et rien n\'est plus singulier que les \nr\xc3\xaaveries des pythagoriciens , qui s\'imaginaient que les \n\xc3\xa2mes peuvent entrer dans toutes sortes de corps. \nOn ne peut ainsi jeter l\'\xc3\xa2me au hasard dans un \ncorps, sans en rendre raison. L\'\xc3\xa2me se sert du corps \ncomme l\'artiste de ses instruments; de m\xc3\xaame qu\'un \nart a ses instruments propres, chaque \xc3\xa2me a son \ncorps (6) . \n\nLe philosophe doit aussi s\'inqui\xc3\xa9ter de savoir si \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa0me , 1 , 1 , \xc2\xa7 9 et suiv.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) Hist. des anim. \n1, 6, p. 491, a.- (4) De l\'\xc3\xa0me, I, l,\xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me \nI, 3, S 22, S 23. \n\n\n\nde l\'\xc3\xa9tude de l\'ame. il \n\nl\'\xc3\xa2me est absolument ins\xc3\xa9parable du corps ; car dans \ncette hypoth\xc3\xa8se, elle serait tout enti\xc3\xa8re du domaine de \nla physique, et peut-\xc3\xaatre n\'y aurait-il plus de philoso- \nphie en dehors de cette science , attendu que la phy- \nsique s\'occupe de l\'\xc3\xa2me en tant qu\'ins\xc3\xa9parable d\'un \nsujet mat\xc3\xa9riel (1). \n\nOn voit \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s de quelle mani\xc3\xa8re Aristote a \ncompris la science de l\'\xc3\xa2me. Il la place en quelque \nsorte sur la limite de la physique et de la m\xc3\xa9taphy- \nsique , et il y rattache diverses questions qu\'il n\'est \nplus d\'usage de traiter en psychologie. Pour conserver \n\xc3\xa0 la doctrine d\' Aristote son caract\xc3\xa8re propre et origi- \nnal , nous devrons tenir compte de ce point de vue \nsynth\xc3\xa9tique o\xc3\xb9 il s\'est plac\xc3\xa9; mais nous glisserons \xc3\xa0 \ndessein sur tout ce qui ne se rapporte pas directement \n\xc3\xa0 la psychologie proprement dite. \n\nLe plan de notre exposition nous est fourni par \nAristote lui-m\xc3\xaame. Sa m\xc3\xa9thode constante est d\'aller \ndu g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral au particulier , de l\'ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9 au d\xc3\xa9ter- \nmin\xc3\xa9; il s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve du moins parfait au plus parfait, de la \nmati\xc3\xa8re \xc3\xa0 la forme et des formes inf\xc3\xa9rieures \xc3\xa0 la forme \nla plus pure , \xc3\xa0 l\'acte le plus d\xc3\xa9gag\xc3\xa9 de toute mati\xc3\xa8re, \nc\'est-\xc3\xa0-dire de toute contingence et de toute imper- \nfection (2). D\'apr\xc3\xa8s cette m\xc3\xa9thode , qu\'il recommande \nexpress\xc3\xa9ment lui-m\xc3\xaame (3) , l\'\xc3\xa2me en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , l\'\xc3\xa2me \nind\xc3\xa9termin\xc3\xa9e en quelque sorte doit \xc3\xaatre consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e \navant ses esp\xc3\xa8ces o\xc3\xb9 se trouvent la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 , la vie et \n\n\n\n(i) M\xc3\xa9taph., VI, 1, p. 1026, a, 1. 5, et pass.; Part, des anim., I, l , \np. 641, a, 1. 33.\xe2\x80\x94 (2) Voyez Ritter, Hist. del\xc3\xa0 phil.,I re partie, 1. IX, ch. 4, \np. 217 de la trad. Voyez surtout M. F. Ravaisson , Essai sur la m\xc3\xa9taph, \nd\'Arist., 1. 1, p. 482 , et t. II, p. 394, p. 466. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, I, 1, pass- ? \nPhysique, I, 1, 6 et ailleurs. \n\n\n\n12 de l\'\xc3\xa9tude de l\'ame. \n\nla perfection. Puis viennent les parties ou puissances \nde l\'\xc3\xa2me, la nutrition, la sensibilit\xc3\xa9, la force motrice \net la raison. La puissance nutritive est n\xc3\xa9cessairement \nla premi\xc3\xa8re : c\'est la premi\xc3\xa8re forme de la vie ; elle se \nrencontre chez tous les \xc3\xaatres vivants et jusque dans \nles plantes ; elle a deux fonctions , la nutrition et la \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ration. La puissance sensitive est commune \xc3\xa0 \ntous les animaux, mais \xc3\xa0 des degr\xc3\xa9s divers. Les uns \nn\'ont que le toucher , seul sens indispensable; le plus \ngrand nombre y joint le go\xc3\xbbt. Presque tous les ani- \nmaux dou\xc3\xa9s de locomotion ont en outre l\'odorat, \nl\'ou\xc3\xafe et la vue. A ces sens particuliers il faut ajouter \nle sens commun. Aristote rapporte encore \xc3\xa0 la sensi- \nbilit\xc3\xa9 le sommeil et les songes , l\'imagination , la m\xc3\xa9- \nmoire , les passions et les d\xc3\xa9sirs. Il semble faire de la \npuissance de mouvoir le corps une facult\xc3\xa9 g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale \nde l\'\xc3\xa2me. Ensuite viennent les facult\xc3\xa9s de la puissance \nraisonnable, et d\'abord l\'opinion, premier fruit de \nl\'entendement appliqu\xc3\xa9 aux donn\xc3\xa9es des sens et de \nl\'imagination , enfin l\'entendement lui-m\xc3\xaame , facult\xc3\xa9 \ntoute spirituelle, sans mati\xc3\xa8re et s\xc3\xa9parable du corps. \nL\'entendement conna\xc3\xaet seul les principes des choses , \net fonde sur cette connaissance le raisonnement, la \nscience et l\'art ; il change la passion et le d\xc3\xa9sir en la \nvolont\xc3\xa9 r\xc3\xa9fl\xc3\xa9chie ; il r\xc3\xa8gle les passions par la vertu \nmorale , et nous rend capables de bonheur en nous \napportant la sagesse. Tel est, ce semble, l\'ordre le \nplus conforme \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e d\' Aristote : c\'est celui qu\'il \na observ\xc3\xa9 lui-m\xc3\xaame , ou \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s , dans le trait\xc3\xa9 \nDe l\'\xc3\xa2me; c\'est aussi celui que nous nous proposons \nde suivre , non que ce trait\xc3\xa9 nous paraisse contenir \ntoute la psychologie d\' Aristote, loin de l\xc3\xa0 ; mais c\'est \n\n\n\nde l\'\xc3\xa9tude de l\'ame. 13 \n\nle seul ouvrage o\xc3\xb9 il ait trac\xc3\xa9 comme un cadre de la \nscience g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale de l\'\xc3\xa2me. Il y a donc obligation pour \nnous de nous conformer en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral au plan de ce \ntrait\xc3\xa9 , et de justifier, \xc3\xa0 mesure que l\'occasion s\'en \npr\xc3\xa9sentera , les divers changements que nous aurons \ncru devoir y apporter. \n\n\n\nCHAPITRE II. \n\nCE QUE C\'EST QUE L\'AME. \xe2\x80\x94 SES RAPPORTS AVEC LE CORPS, \n\nL\'\xc3\xaatre est proprement ce qui peut agir ou p\xc3\xa2tir. \nTelle est sa d\xc3\xa9finition, sinon au point de vue de l\'acte, \ndu moins au point de vue de la puissance (1). \n\nTous les \xc3\xaatres de la nature paraissent avoir en eux- \nm\xc3\xaames un principe de mouvement et de repos : les \nuns se meuvent d\'un lieu \xc3\xa0 un autre; les autres \ncroissent et d\xc3\xa9clinent; chez d\'autres le mouvement \nconsiste parfois en de simples alt\xc3\xa9rations (2) . Cepen- \ndant ils ne sont pas tous anim\xc3\xa9s, mais les uns ont la \nvie, les autres ne l\'ont pas (3). Ceux-l\xc3\xa0 seulement \nont la vie, qui prennent nourriture et que l\'on voit \ncro\xc3\xaetre et d\xc3\xa9choir, par l\'effet d\'un principe qui est en \neux (4). Or tout ce qui a une \xc3\xa2me est vivant (5). Tout \n\xc3\xaatre naturel dou\xc3\xa9 de la vie est donc une substance , \nmais une substance compos\xc3\xa9e de corps et d\'\xc3\xa2me (6). \nL\'homme, aussi bien que tout \xc3\xaatre anim\xc3\xa9, est un \ncompos\xc3\xa9 dont l\'\xc3\xa2me est le principe (7) ; car l\'\xc3\xa2me pa- \nra\xc3\xaet \xc3\xaatre la cause de la vie (8) , le principe et la sub- \nstance m\xc3\xaame des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s (9) : de quelle mani\xc3\xa8re \net en quel sens? c\'est ce qu\'il s\'agit de d\xc3\xa9terminer. \n\n\n\n( l ) Topiq. V, 9 , \xc2\xa7 2 ; VI , 7 , \xc2\xa7 G. \xe2\x80\x94 (2) Physique , II , 1 . - (3) De l\'\xc3\xa2me, \n1,4, \xc2\xa721;I, 5,\xc2\xa7\xc2\xa7 11, 18, 20.\xe2\x80\x94 (4) lbid., II, 1, \xc2\xa7 3 ; II, 2, \xc2\xa73.\xe2\x80\x94 (5) lbid., \n\xc3\xaf, 5, \xc2\xa7 20. \xe2\x80\x94 (6) lbid., II , 1 , \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (7) lbid., 1 , 5, \xc2\xa7 G. \xe2\x80\x94 (8) lbid., \xc2\xa7 23, \n\xc2\xa7 24.- (9) De l\'\xc3\xa2me, I, 1 , \xc2\xa7 1 ; M\xc3\xa9taph., Y, 8. \n\n\n\nDE l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. 15 \n\nLa substance est un des genres de l\'\xc3\xaatre. Elle se \nprend en trois sens : premi\xc3\xa8rement comme mati\xc3\xa8re , \nce qui en soi n\'est point d\xc3\xa9termin\xc3\xa9; secondement \ncomme forme et essence par quoi l\'on d\xc3\xa9finit les \n\xc3\xaatres ; enfin, ce qui est compos\xc3\xa9 de ces deux choses \nest aussi appel\xc3\xa9 substance (1). C\'est dans ce dernier \nsens que nous appelons substances les animaux ; les \nplantes et leurs parties , en un mot tous les corps na- \nturels (2). Dans l\'\xc3\xaatre r\xc3\xa9el compos\xc3\xa9 de forme et de \nmati\xc3\xa8re, le corps \xc3\xa9videmment remplit le r\xc3\xb4le de sujet ; \nil est la mati\xc3\xa8re qui a ou qui n\'a pas telle forme , qui \nest ou qui n\'est pas capable de recevoir la vie (3). On \nvoit donc en quel sens l\'\xc3\xa2me est principe et substance ; \nelle ne l\'est ni comme un compos\xc3\xa9 , ni comme une \nmati\xc3\xa8re , mais bien comme forme d\'un corps naturel \ncapable de recevoir la vie , et qui la poss\xc3\xa8de en puis- \nsance (4). A ce titre, elle est le principe de la vie dans \nl\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9; c\'est par elle que l\'homme est vivant (5). \n\nLa forme en s\'ajoutant \xc3\xa0 la mati\xc3\xa8re la d\xc3\xa9termine \net lui donne son nom , car la mati\xc3\xa8re n\'est qu\'une \nsimple puissance ; mais la forme , qui en elle-m\xc3\xaame \nn\'est susceptible ni de plus ni de moins, est une r\xc3\xa9a- \nlit\xc3\xa9 parfaite, une ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie (6). L\'\xc3\xa2me est donc la \nforme et l\'essence , Tent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie premi\xc3\xa8re , le parfait \nach\xc3\xa8vement d\'un corps naturel dou\xc3\xa9 d\'organes et qui \na la vie en puissance : Eonv yi ^ujp\xc3\xae IvreX\xc3\xa9^eta npmn \nowaaTo\xc3\xa7 cpuauoO op-j-avixoO \xc3\x87co>\xc3\xaev \xc3\xb4uva^ei e^ovro; (7). \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9taph., VIII, 2, pass.; De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa7 3. \n\n\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, l,\xc2\xa74.- (4) Ibid., \xc2\xa75; M\xc3\xa9taph., XIII, 2, p. 1077, a, 1.32. \n\n\xe2\x80\x94 (5) Ibid., V, 18 ; V, 26. \xe2\x80\x94 (G) De l\'\xc3\xa2me ,11,1, \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9taph., VIII , 3 \xe2\x80\x9e \np. 1043, b. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa7\xc2\xa7 5, 6; II, 2, \xc2\xa7 13; M\xc3\xa9taph., VIII , 2; \nVIII, 3, p. 1043, a, 1. 36. \n\n\n\n16 DE l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. \n\nIl ne faut pas demander si l\'\xc3\xa2me et le corps sont \nune m\xc3\xaame chose, pas plus qu\'on ne demande si la \ncire et la figure qu\'elle re\xc3\xa7oit sont identiques (1). \nL\'\xc3\xa2me est l\'essence de l\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9 , de la m\xc3\xaame ma- \nni\xc3\xa8re que la propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 de couper pour la hache et la \nfacult\xc3\xa9 de voir pour l\'\xc5\x93il. Supposons que la hache f\xc3\xbbt \nun corps naturel : son existence serait son essence \nm\xc3\xaame , qui est de couper , et ce serait l\xc3\xa0 son \xc3\xa2me ; \ncelle-ci venant \xc3\xa0 dispara\xc3\xaetre , ce qui reste n\'est plus \nune hache, si ce n\'est d\'une mani\xc3\xa8re figur\xc3\xa9e (2). Il \nest vrai que l\'\xc3\xa2me n\'est pas l\'essence d\'un corps tel \nque la hache, mais bien d\'un corps naturel , ayant en \nlui-m\xc3\xaame le principe du mouvement et du repos. Mais \nprenons pour exemple quelque partie de l\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9. \nSi l\'\xc5\x93il \xc3\xa9tait un animal , son \xc3\xa2me serait la vue : car \ntelle est l\'essence de l\'\xc5\x93il d\'apr\xc3\xa8s sa d\xc3\xa9finition. L\'\xc5\x93il \nest la mati\xc3\xa8re de la vue, et ce sens venant \xc3\xa0 manquer, \nl\'\xc5\x93il n\'existe plus que par homonymie , comme un \n\xc5\x93il de pierre ou un \xc5\x93il en peinture. Ce que nous di- \nsons de la partie se doit entendre de tout le corps vi- \nvant. L\'\xc3\xa2me est dans le corps ce qu\'est la vue en son \norgane. Le corps n\'est un animal qu\'en puissance , et \nde m\xc3\xaame que l\'\xc5\x93il r\xc3\xa9sulte de la pupille et de la facult\xc3\xa9 \nde voir, ainsi l\'\xc3\xa2me et le corps font l\'animal (3). \n\nL\'\xc3\xa2me ne saurait quitter le corps, qu\'aussit\xc3\xb4t il ne \ncesse de respirer et ne se corrompe ; car c\'est elle qui \nen fait la vie et l\'unit\xc3\xa9 (4). La main, dans un corps \nsans \xc3\xa2me , n\'est plus une main v\xc3\xa9ritable : on ne peut \nlui donner ce nom que par homonymie et comme on \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa77.\xe2\x80\x94 (2) Ibid.,\xc2\xa78.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., \xc2\xa7\xc2\xa78, 9, Il ; Topiq., \nIV, 5, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \xc2\xa7 24. \n\n\n\nde l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. 17 \n\ndit une inain de fer ou de bois. Ainsi , l\'homme mort \nn\'est plus un homme (1 ) . \n\nProprement , l\'homme , comme tout animal , para\xc3\xaet \n\xc3\xaatre double (2) : c\'est un compos\xc3\xa9 d\'\xc3\xa2me et de corps : \nl\'une est sa forme substantielle et l\'autre sa ma-^ \nti\xc3\xa8re (3). Cependant, \xc3\xa0 vrai dire , l\'homme est un et \nnon plusieurs (4). \n\nD\'un c\xc3\xb4t\xc3\xa9, en effet, il est un par son \xc3\xa2me, unit\xc3\xa9 \nsimple et indivisible , essence individuelle (5). Il serait \nabsurde de supposer qu\'une substance unique se par- \ntage\xc3\xa2t entre tous les hommes : comment tant d\'\xc3\xaatres \ndiff\xc3\xa9rents pourraient-ils n\'avoir qu\'une m\xc3\xaame sub- \nstance, et comment la substance de tous ces \xc3\xaatres \npourrait-elle devenir chacun d\'eux (6)? Comment com- \nprendre que l\'animal en soi, par exemple, r\xc3\xa9side dans \nle cheval au m\xc3\xaame titre que tu es en toi-m\xc3\xaame , warap \nau <7ai>Tw? Comment serait-il un dans des \xc3\xaatres qui \nexistent s\xc3\xa9par\xc3\xa9ment (7) ? Tout \xc3\xaatre r\xc3\xa9el est un (8) ; un \net individuel sont la m\xc3\xaame chose (9). Il n\'y a point \nd\'unit\xc3\xa9 en soi , point d\'\xc3\xaatre en soi qui existe r\xc3\xa9elle- \nment (10). Ce qui existe r\xc3\xa9ellement, c\'est tel homme, \nc\'est Callias, par exemple (M). L\'unit\xc3\xa9 indivisible \nen tant qu\'homme, c\'est un seul homme (12). Donc \npar son essence , c\'est-\xc3\xa0-dire par son \xc3\xa2me , l\'homme \nest un , simple et indivisible (1 3) . \n\n\n\n(I ) Part, des anim., 1 , 1 , p. 640, b, 1. 34 ; p. 641 , a ; M\xc3\xa9taph., VII ,11, \np. 1136, b. \xe2\x80\x94 (2)Ibid., V, 15; VII, 11. \xe2\x80\x94 (:i) Topiq., V,3, \xc2\xa7 1 ; V, 1, \xc2\xa7 4.- \n(4) M\xc3\xa9taph, VIII, 6, p. 1045, a. \xe2\x80\x94 (5)Ibid., VIII, 6 pass. \xe2\x80\x94(6) Ibid., III, \n4, p. 999, b. \xe2\x80\x94 (7) lbid., VU, li. - (8) Ibid., X, 1,2, pass. \xe2\x80\x94 \n(9) Ibid., 111,4, p. 999, b; p. 1000, a. \xe2\x80\x94(10) ibid., 111,4, pass. Cf. 1. I, \nch. 6, 7 pass.\xe2\x80\x94 (Il) Ibid., VII, 13, pass. \xe2\x80\x94 (12) Ibid., V, 6, p. 1015, b, \n\xe2\x80\x94 (13) Ibid., V, 26 ; VII, 17 , XII, 5 ? \n\n2 \n\n\n\n18 DE l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. \n\nD\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, le corps est en vue de l\'\xc3\xa2me (1). \nDieu et la nature ne font rien en vain (2). Tout ce qui \nest l\'\xc5\x93uvre de la nature vient de quelque chose et tend \n\xc3\xa0 quelque chose. Or ce n\'est pas de son point de d\xc3\xa9- \npart que le mouvement tire son nom , mais bien de sa \nfin. Tout \xc3\xaatre naturel se meut donc vers ce qui est sa \nfin et son but , c\'est-\xc3\xa0-dire vers sa forme ou son es- \nsence (3). Car la cause finale et la cause formelle sont \nidentiques (4). L\'\xc3\xa2me est donc la cause finale et le but \ndu corps , le principe qui en fait l\'unit\xc3\xa9 et sans le- \nquel il n\'y aurait que pluralit\xc3\xa9, dissolution sans \nfin (5). Quand l\'\xc3\xa2me s\'unit au corps, c\'est une forme \nqui s\'ajoute \xc3\xa0 une mati\xc3\xa8re capable de la recevoir; ce \nqui \xc3\xa9tait en puissance ne fait plus qu\'un avec l\'acte \ndont il \xc3\xa9tait la puissance. C\'est que la mati\xc3\xa8re imm\xc3\xa9- \ndiate et la forme sont une seule et m\xc3\xaame chose : l\'\xc3\xaatre \nen puissance et l\'\xc3\xaatre en acte ne font ainsi en r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 \nqu\'un seul \xc3\xaatre. C\'est ainsi que l\'homme est un, \nlorsque la mati\xc3\xa8re, qui par elle-m\xc3\xaame est ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9e \net ne saurait entrer dans une d\xc3\xa9finition, se trouve \nd\xc3\xa9termin\xc3\xa9e par la forme qui s\'y ajoute (6). Donc \nl\'homme est un en lui-m\xc3\xaame; il n\'est double que par \naccident (7), \n\nL\'\xc3\xa2me est l\'essence premi\xc3\xa8re des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s ; c\'est \npar elle qu\'on les d\xc3\xa9finit : la d\xc3\xa9finition de l\'\xc3\xa2me hu- \nmaine est une d\xc3\xa9finition de l\'homme (8) . La facult\xc3\xa9 \nde voir entre dans la d\xc3\xa9finition de l\'\xc5\x93il ; chaque \n\n\n\n(I) Gr. Mor., II, 10. \xe2\x80\x94 (2) Du ciel, I, 4 ; De la marche des anim., II, \np. 704, b; Polit., I, 1, \xc2\xa75, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 $) Physique, 11, 1, p. 193, b; V, 1 , \np. 224, b. - (4) Polit, L, t, \xc2\xa7 8; M\xc3\xa9tapfo., VIII, 4 , p. 1044, b, 1.1. \xe2\x80\x94 \n(5)Ibifl., XIII, 2.\xe2\x80\x94 (<;)Ibid.,VlII,6,p. 1045.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., V, 15.- (8)Ibid., \nVU, 11, p. 1037, a. Cf.Topiq.,V, 1,\xc2\xa74. \n\n\n\nde l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. 19 \n\nfacult\xc3\xa9 doit entrer de m\xc3\xaame dans la d\xc3\xa9finition de la \npartie du corps qui lui sert d\'organe. L\'\xc3\xa2me par ses \nparties a donc la priorit\xc3\xa9 sur les parties du corps ; il \nen est de m\xc3\xaame de l\'\xc3\xa2me tout enti\xc3\xa8re par rapport au \ncorps tout entier (1). \n\nOn le voit donc: l\'\xc3\xa2me n\'est pas le corps, mais \nquelque chose du corps (2) . \n\nElle n\'est pas le corps, puisque le corps est mati\xc3\xa8re, \net qu\'elle est forme (3) et essence immat\xc3\xa9rielle (4). Le \ncorps est sensible et visible ; mais le sensible et le vi- \nsible ne sont point les genres de l\'\xc3\xa2me (5). Le corps \npar lui-m\xc3\xaame est multiple, divers et sujet \xc3\xa0 une disso- \nlution sans fin (6) . L\'\xc3\xa2me lui donne l\'unit\xc3\xa9 et la vie , \nparce qu\'elle est une, simple, indivisible, dou\xc3\xa9e de \nvie (7) et m\xc3\xaame imp\xc3\xa9rissable comme essence (8). Le \ncorps est sujet au mouvement, \xc3\xa0 l\'alt\xc3\xa9ration , au chan- \ngement; l\'\xc3\xa2me est immobile comme acte (9) , bien \nqu\'elle paraisse sujette \xc3\xa0 certaines alt\xc3\xa9rations (10). \nElle est principe de mouvement , mais elle n\'a point \nde mouvement en soi-m\xc3\xaame et n\'est mue que par acci- \ndent (11). L\'\xc3\xa2me n\'a point de lieu (1 2) ; elle n\'est point, \ncomme le corps, une grandeur (13), ni un \xc3\xa9l\xc3\xa9ment, \nni un compos\xc3\xa9 d\'\xc3\xa9l\xc3\xa9ments (14) ; elle n\'est donc pas \nun corps , pas m\xc3\xaame un corps subtil et d\xc3\xa9li\xc3\xa9 (1 5) . \n\nPourtant elle est quelque chose du corps. En effet, \n\n\n\n(i)M\xc3\xa9taph.,VII, 10, p. 1035, b. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., \nIl, 1, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (4) M\xc3\xa9taph., 1. c. p. 1035, b; p. 103G, a. \xe2\x80\x94 (5) Topiq., IV, 5, \n\xc2\xa75. \xe2\x80\x94 (6)M\xc3\xa9taph.,XlII, 2. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., VIII, 6 pass. ; IX, 8; Topiq., IV, \n3, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (8) M\xc3\xa9taph., VIII, 3 ; VII, 8.\xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, I, 4, \xc2\xa7 15 el pass.\xe2\x80\x94 \n(10) M\xc3\xa9taph., XI, 12; Phys., VII, 3, p. 24G, a; p, 248, a. - (il) De l\'\xc3\xa2me, \nI, 3, \xc2\xa7 10; ch. 4, $9; Topiq ,1V, t , \xc2\xa7 :3. \xe2\x80\x94 (12) De l\'\xc3\xa2me, I, 3, g 3. -, \n(13) Ibid., \xc2\xa7 12; Mouv. comm. des anim., IX , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (14) De l\'\xc3\xa2me, \n1, 5, pass. - (15) Ibid., 1, 5, \xc2\xa7 4; I, l, \xc2\xa77, De la jeun., etc., !, \xc2\xa72, \n\n\n\n20 DE l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. \n\nelle en est la cause , l\'essence et la fin, en un mot l\'en- \nt\xc3\xa9l\xc3\xa9chie. Or, dans la nature aussi bien que dans les \n\xc5\x93uvres de Fart, autre chose est la forme consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e \nen elle-m\xc3\xaame, autre chose est cette forme m\xc3\xaal\xc3\xa9e avec \nsa mati\xc3\xa8re; ainsi la forme d\'une sph\xc3\xa8re est autre chose \nqu\'une sph\xc3\xa8re d\'airain ou de bois (1). En elle-m\xc3\xaame, \nla forme ne na\xc3\xaet pas , mais seulement se r\xc3\xa9alise dans \nun objet; ce qui na\xc3\xaet , c\'est l\'ensemble de la mati\xc3\xa8re et \nde la forme : c\'est l\'homme, ce n\'est pas l\'\xc3\xa2me. L\'\xc3\xa2me \nest donc \xc3\xa9ternelle comme essence (2). Mais si on la \nconsid\xc3\xa8re comme unie \xc3\xa0 un corps , elle lui appartient \nen quelque sorte , comme un principe interne d\'exis- \ntence, puisque sans elle il ne saurait exister (3). \nD\'ailleurs l\'\xc3\xa2me est l\'essence et l\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie, non du \npremier corps venu , mais d\'un certain corps (4) , rem- \nplissant certaines conditions (5). De m\xc3\xaame qu\'un seul \ncorps ne saurait avoir plusieurs \xc3\xa2mes (6), de m\xc3\xaame \naucune \xc3\xa2me ne peut \xc3\xaatre en un autre que celui dont \nelle est l\'\xc3\xa2me (7); car la nature fait chaque chose pour \nune seule fin (8), un seul corps pour une seule \xc3\xa2me. \nDe plus l\'\xc3\xa2me r\xc3\xa9side en une certaine partie du corps \navec lequel elle est en soci\xc3\xa9t\xc3\xa9 , et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , c\'est au \nc\xc5\x93ur qu\'elle a son si\xc3\xa8ge (9). Par suite de cette union, \nil semble que l\'\xc3\xa2me et le corps p\xc3\xa2tissent l\'un avec \nl\'autre : une alt\xc3\xa9ration vient-elle \xc3\xa0 se produire dans \n\n\n\n(l) Du ciel, I, 9, p. 277, b. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9taph., VII, 8; VIII, 3. \xe2\x80\x94 (3) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, \ndesanim., II, l,p. 735, a. \xe2\x80\x94(4) Ibid., II, 4med.; De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa723; \nPhysiogn., ch. 1 init. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa7 6; M\xc3\xa9taph., XIII, 2. \xe2\x80\x94 \n((;) De l\'\xc3\xa2me, I, 4, \xc2\xa7 6, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (7) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., II, 1, p. 735, a. \xe2\x80\x94 \n(8) Polit., I, 1,\xc2\xa75: ev Ttpb\xc3\xa7lv. \xe2\x80\x94 (9) De la jeun, et de la vieill., I, \xc2\xa72; III, \n\xc2\xa7 9 ; De la long, et de la bri\xc3\xa8vet\xc3\xa9 de la vie, II, \xc2\xa7 3 ; Mouv. corn, des anim., \nIX, \xc2\xa7 5; De la respir\xc3\xa2t., XVI, \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9taph., VIII, 4, p. 1044, b. \n\n\n\nde l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. 21 \n\nl\'\xc3\xa9tat de l\'\xc3\xa2me, un changement se produit dans la \nforme du corps ( 1 ) , et r\xc3\xa9ciproquement , l\'esprit se \nressent de T\xc3\xa9tat du corps et n\'est point \xc3\xa0 l\'abri de ses \nchangements ; c\'est ce que prouvent l\'ivresse et la ma- \nladie^). Il y a donc des atfections de l\'\xc3\xa0me qui sont \nengag\xc3\xa9es dans la mati\xc3\xa8re et communes au corps. \nVoil\xc3\xa0 pourquoi c\'est au physicien d\'\xc3\xa9tudier l\'\xc3\xa0me, \nsinon tout enti\xc3\xa8re , au moins \xc3\xa0 ce point de vue parti- \nculier (3). Si l\'\xc3\xa2me a quelqu\'une de ses affections ou \nquelqu\'un de ses actes qui lui soit sp\xc3\xa9cialement pro- \npre , elle peut \xc3\xaatre isol\xc3\xa9e du corps ; mais si elle n\'a rien \nqui lui appartienne exclusivement, elle en est abso- \nlument ins\xc3\xa9parable (4). \n\nIl est ais\xc3\xa9 de voir que l\'\xc3\xa0me ne saurait \xc3\xaatre s\xc3\xa9par\xc3\xa9e \ndu corps dont elle est l\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9ehie. Il en est de m\xc3\xaame \ndes parties ou puissances g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales de l\'\xc3\xa2me : car \nquelques-unes de ces parties ont le caract\xc3\xa8re d\'ent\xc3\xa9- \nl\xc3\xa9chie. Pour d\'autres parties cependant, qui ne sont \nl\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie d\'aucun corps , rien n\'emp\xc3\xaache qu\'elles \naient une existence s\xc3\xa9par\xc3\xa9e (5). C\'est d\'ailleurs une \nquestion assez obscure de savoir si l\'\xc3\xa2me est dans le \ncorps comme un pilote en son navire (6). \n\nQuoi qu\'il en soit, et lors m\xc3\xaame qu\'il serait vrai de \nl\'\xc3\xa2me tout enti\xc3\xa8re qu\'elle cesse d\'exister en m\xc3\xaame \ntemps que la vie est \xc3\xb4t\xc3\xa9e \xc3\xa0 la chair et aux autres par- \nties du corps anim\xc3\xa9 (7) , il est une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 indubitable, \n\n\n\n(0 Physiogn., IV, p. 808, b.- (2) \xc3\xafbid.,1 , p. 805, a. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa0me, I, \n\xc2\xbb, SS 9. 10, 11. \xe2\x80\x94 (4) lbid., \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (5) C\'est une r\xc3\xa9serve que fait Aristole \nen faveur de l\'entendement. \xe2\x80\x94 [H) De l\'\xc3\xa0me, II , 1, \xc2\xa7\xc2\xa7 12 , 13. Cf. Des- \ncartes, Dise, de la m\xc3\xa9thode, p. 180, \xc3\xa9dit. de M. Cousin. \xe2\x80\x94 (T) De l\'\xc3\xa0me, \n1.4, \xc2\xa78. \n\n\n\n22 DE l\'ame en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. \n\nc\'est que dans l\'homme comme dans tout \xc3\xaatre vivant, \nl\'\xc3\xa2me est faite pour commander et le corps pour \nob\xc3\xa9ir (1 ) ; car l\'\xc3\xa2me est ce qu\'il y a de plus pr\xc3\xa9cieux \net de plus excellent (2). \n\n\n\n(1) Polit., 1,2, \xc2\xa710; IV, 1, \xc2\xa7 4 ; VI, 3, \xc2\xa7 13; Topiq., V, 1,\xc2\xa72.~ (2) De \nl\'\xc3\xa2me, 1,5, \xc2\xa7 11, Topiq., III, 1, \xc2\xa7 11 ;Gr. Mor.,1, 2,init.; I, 3. \n\n\n\nCHAPITRE III. \n\n\xc2\xa9ES PARTIES OU PUISSANCES DE L\'AME. \n\nL\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9 se distingue de l\'\xc3\xaatre inanim\xc3\xa9 en ce \nqu\'il a la vie, par la vertu de l\'\xc3\xa2me. Mais vivre se \nprend en plusieurs sens (1). Peut-on se borner \xc3\xa0 une \nseule d\xc3\xa9finition , qui ne s\'appliquerait qu\'\xc3\xa0 l\'animal \nen soi? Ne doit-on pas plut\xc3\xb4t donner une d\xc3\xa9finition \ndiff\xc3\xa9rente pour chacun des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s, pour le \ncheval et le chien, par exemple, pour l\'homme et pour \nDieu? L\'animal en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, comme tout autre terme \ncommun, ou n\'est rien, ou n\'a qu\'une existence ul- \nt\xc3\xa9rieure par rapport aux individus {%). D\'ailleurs on \nn\'a m\xc3\xaame pas dit le genre de l\'animal , quand on a \ndit que le propre de l\'animal est d\'avoir une \xc3\xa2me (3) . \n\nL\'\xc3\xa2me peut \xc3\xaatre compar\xc3\xa9e aux figures g\xc3\xa9om\xc3\xa9tri- \nques. Essayez de donner une d\xc3\xa9finition commune de \ntoutes ces figures : elle leur conviendra \xc3\xa0 toutes, mais \nne sera propre \xc3\xa0 aucune. Il en est de m\xc3\xaame des diff\xc3\xa9- \nrentes \xc3\xa2mes : il est ridicule , ici comme ailleurs , de \nchercher une commune d\xc3\xa9finition , qui ne repr\xc3\xa9sente \nen particulier aucun objet r\xc3\xa9el , tandis qu\'on n\xc3\xa9glige \nl\'essence propre et indivisible des \xc3\xaatres qu\'on pr\xc3\xa9tend \nd\xc3\xa9finir (4) . De plus , la s\xc3\xa9rie des \xc3\xa2mes de divers ordres \na quelque ressemblance avec la s\xc3\xa9rie des figures g\xc3\xa9o \n\n\n\n(l)De l\'\xc3\xa2me, 11,2, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (2jlbid.,l, l,\xc2\xa76. \xe2\x80\x94 (3) Topiq., V, \n(4) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa75. \n\n\n\n24 DES PARTIES DE L\'AME. \n\nm\xc3\xa9triques ; car de m\xc3\xaame que les figures qui suivent le \ntriangle le contiennent au moins en puissance, et \nqu\'ainsi le triangle est contenu dans le quadrilat\xc3\xa8re, de \nm\xc3\xaame dans la suite des formes ou fonctions de la vie, \nle terme sup\xc3\xa9rieur implique le terme inf\xc3\xa9rieur, et la \nsensibilit\xc3\xa9, par exemple, ne va point sans la puissance \nde nutrition ; il r\xc3\xa9sulte de l\xc3\xa0 qu\'il faut chercher pour \nchaque \xc3\xaatre quelle est pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment l\'\xc3\xa2me dont il est \ndou\xc3\xa9 , et ainsi quelle est l\'\xc3\xa2me de l\'homme ou celle de \nla b\xc3\xaate(1). En effet, il ne suffit pas de savoir de \nl\'homme que c\'est un \xc3\xaatre anim\xc3\xa9 : il faut dire ce qu\'est \ncet \xc3\xaatre anim\xc3\xa9, s\'il est sensible ou non, raisonnable \nou priv\xc3\xa9 de raison (2) . \n\nDeux choses surtout , le mouvement et le sentiment, \nsemblent faire toute la diff\xc3\xa9rence de ce qui est anim\xc3\xa9 \n\xc3\xa0 ce qui ne l\'est pas. Du moins ce sont l\xc3\xa0 \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s \nles seuls caract\xc3\xa8res que les anciens philosophes aient \nattribu\xc3\xa9s \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me (3). L\'\xc3\xa2me semble donc \xc3\xaatre \xc3\xa0 la \nfois quelque chose qui meut et quelque chose qui \nconna\xc3\xaet (4). Cependant ceux qui l\'identifient avec \nla puissance de conna\xc3\xaetre et de sentir, ne parlent \npoint de toute \xc3\xa2me, non plus que ceux qui la d\xc3\xa9fi- \nnissent par la locomotion. En effet, les \xc3\xaatres m\xc3\xaames \nqui sentent n\'ont pas tous la puissance de se mouvoir \nd\'un lieu \xc3\xa0 un autre. D\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , beaucoup d\'ani- \nmaux n\'ont point la raison , et les plantes qui n\'ont ni \nsentiment ni mouvement local ne laissent pas d\'avoir \nune \xc3\xa2me et de vivre (5). Pour affirmer d\'un \xc3\xaatre qu\'il \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, g G. \xe2\x80\x94 (2) Dern. Anal., II, 8, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, \n1,2, \xc2\xa72etpass.; I, 2, \xc2\xa720; 1,5, \xc2\xa7 4 ; III, 3, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (4) lbid., I, 2, \xc2\xa78; \nIII, 9, \xc2\xa71. - (5) lbid., 1,5, \xc2\xa7 12. \n\n\n\nDES PARUES DE l\'ajVIE. 25 \n\nVit , il suffit qu\'on lui reconnaisse un seul des attri- \nbuts suivants : l\'entendement , la sensibilit\xc3\xa9 , le rnou^ \nvement dans l\'espace, ou cet autre mouvement qui se \nrapporte \xc3\xa0 la nutrition , \xc3\xa0 l\'accroissement et au d\xc3\xa9- \np\xc3\xa9rissement ; et c\'est pour cela que nous accordons \nla vie m\xc3\xaame aux v\xc3\xa9g\xc3\xa9taux (4 ) . \n\nLa diff\xc3\xa9rence n\'est pas toujours tranch\xc3\xa9e, d\'une part \nentre les \xc3\xaatres inanim\xc3\xa9s et les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s , d\'autre \npart entre les \xc3\xaatres vivants eux-m\xc3\xaames. La nature ne \npasse que peu \xc3\xa0 peu d\'une esp\xc3\xa8ce \xc3\xa0 une autre , et \nsouvent dans cette s\xc3\xa9rie continue on ne sait \xc3\xa0 quel \ngenre rapporter les interm\xc3\xa9diaires. Compar\xc3\xa9 \xc3\xa0 tant de \ncorps priv\xc3\xa9s de la vie , le genre tout entier des plantes \nsemble presque compos\xc3\xa9 d\'animaux ; compar\xc3\xa9 \xc3\xa0 ces \nderniers, il semble inanim\xc3\xa9 (2). C\'est par un insen- \nsible progr\xc3\xa8s que certains \xc3\xaatres s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8vent , par-dessus \nd\'autres , jusques \xc3\xa0 la vie et au mouvement. Il en est \nde m\xc3\xaame des fonctions et des actes de la vie. Les \nplantes paraissent n\'avoir d\'autre fonction que de re- \nproduire leur semblable. Il est des animaux chez qui \nl\'on ne d\xc3\xa9couvre au premier abord aucune autre \npuissance ; mais la sensibilit\xc3\xa9 intervenant , la vie de \nces animaux est tout \xc3\xa0 fait chang\xc3\xa9e par les plaisirs \nqui r\xc3\xa9sultent pour eux de l\'union des sexes , puis par \nl\'enfantement et l\'\xc3\xa9ducation de leurs petits (3). Ainsi, \ntandis que les plantes vivent , les animaux ont avec \nla vie le sentiment; et parmi eux quelques-uns, par \nleur nature , participent non-seulement de la vie * \nmais du bien vivre : telle est l\'esp\xc3\xa8ce humaine (4). \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (2) Hist. des anim., VIII, 1 , p. 588, b. \xe2\x80\x94 - \n(3) Ibid., 1. 11 suiv.; 1, 23 suiv. - (4) Part, des anim., II* 10 init, \n\n\n\n26 DES PARTIES DE L^AM\xc3\x8b. \n\nTout corps naturel a un principe de mouvement (1 ) ! \non pourrait donc croire que tout animal , que tout \n\xc3\xaatre anim\xc3\xa9 a la facult\xc3\xa9 de se mouvoir soi-m\xc3\xaame d\'un \nlieu \xc3\xa0 un autre (2). Mais il est des \xc3\xaatres vivants ab- \nsolument d\xc3\xa9pourvus du mouvement local et qui n\'en \nont point les organes , par exemple les plantes et \nplusieurs esp\xc3\xa8ces d\'animaux (3). \n\nQuant \xc3\xa0 la raison , bien que plusieurs animaux \naient comme des traces de cette facult\xc3\xa9, ainsi que \ndes dispositions ou habitudes qui s\'y rapportent (4) , \non peut dire qu\'elle est proprement le partage de \nl\'homme (5) , dont elle constitue v\xc3\xa9ritablement l\'es- \nsence (6). \n\nLe bonheur est aussi une sorte de vie propre \xc3\xa0 \nl\'esp\xc3\xa8ce humaine , et parmi les hommes \xc3\xa0 ceux-l\xc3\xa0 \nseulement qui poss\xc3\xa8dent et pratiquent la vertu (7). \n\nTous ces actes , toutes ces formes de la vie se \nrapportent \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me et en d\xc3\xa9pendent. Conna\xc3\xaetre -, sentir \net croire sont des actes qui appartiennent \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me , \ntout comme l\'app\xc3\xa9tit , le d\xc3\xa9sir et la volont\xc3\xa9 ; c\'est \nbien par l\'\xc3\xa2me que les animaux sont mus d\'un lieu \n\xc3\xa0 un autre; c\'est elle encore qui les fait cro\xc3\xaetre et \nd\xc3\xa9choir et qui les entretient en leur vigueur. Cha- \ncune de ces fonctions est-elle donc dans l\'\xc3\xa2me tout \nenti\xc3\xa8re ? Est-ce par toute notre \xc3\xa2me que nous pen- \nsons, que nous sentons, que nous agissons en \ntoute circonstance , ou bien chacun de nos actes \n\n\n\n(1 ) Du ciel, III, 5. (2) Physique, VIII, 14 ; VIII, 8 ; Topiq., IV, 2, \xc2\xa7 1 3. \n\n\xe2\x80\x94 (3) Phys., VIII, 10 ; De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (l\\) Hist. des anim., VIII, 1 . \n\n\xe2\x80\x94 (5) Polit., IV, 12, \xc2\xa77; Mor. \xc3\xa0 Nie., IX, 9, p. 1170, a; V, 15, p. 1138, b; \nTopiq., II, 5, \xc2\xa7 2 ; V, 1 , \xc2\xa7 4 ; V, 3, \xc2\xa7 7 ; V, 4, \xc2\xa7 G. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie. IX, 4, \np. 1166, a; IX, 8, etc.\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., IX, 8, p. 1050, b; Polit,, IV, 12, \xc2\xa7 2. \n\n\n\nDES PARTIES DE l\'aME. 57 \n\nse rapporte - 1 - il \xc3\xa0 une puissance distincte (I)? \nIl est bien difficile de dire quelles sont les puis- \nsances de l\'\xc3\xa2me qui diff\xc3\xa8rent naturellement entre \nelles (2) , quels noms il leur faut donner, et combien \nil y en a. Il semble qu\'on n\'en puisse d\xc3\xa9terminer le \nnombre , ni surtout le restreindre , comme font ceux \nqui divisent l\'\xc3\xa2me en trois facult\xc3\xa9s , le raisonnement , \nla passion et les d\xc3\xa9sirs (3) , ou bien comme ceux qui \nne distinguent que deux parties , l\'une qui a la raison , \nl\'autre qui en est d\xc3\xa9nu\xc3\xa9e (4). En effet, les diff\xc3\xa9rences \nsur lesquelles on \xc3\xa9tablit ces distinctions sont loin \nd\'\xc3\xaatre les plus saillantes. Comment faire rentrer dans \nces divisions la nutrition , facult\xc3\xa9 commune aux \nplantes et aux animaux , puis la sensibilit\xc3\xa9 , qu\'il \nest bien difficile de rapporter tout enti\xc3\xa8re ou \xc3\xa0 la \npartie raisonnable ou \xc3\xa0 la partie irraisonnable ? A \nlaquelle de ces deux parties de l\'\xc3\xa2me rapportera-t-on \nl\'imaginative ? Que faire de l\'app\xc3\xa9tit , si diff\xc3\xa9rent de \ntoute autre facult\xc3\xa9 par sa vertu et son essence ? Il serait \nabsurde de le distribuer dans les diverses parties de \nl\'\xc3\xa2me : or cela est in\xc3\xa9vitable dans l\'hypoth\xc3\xa8se dont \nil s\'agit. En effet , l\'app\xc3\xa9tit comprend la volont\xc3\xa9 , la \npassion et les d\xc3\xa9sirs. La volont\xc3\xa9 suppose le raisonne- \nment ; le d\xc3\xa9sir et la passion se produisent dans la \npartie irraisonnable : l\'app\xc3\xa9tit sera donc partout. \nVient ensuite la locomotion , mouvement bien dif- \nf\xc3\xa9rent de celui que nous rapportons \xc3\xa0 la puissance \nnutritive. Je n\'insiste pas sur les mouvements dont \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \xc2\xa7 23. \xe2\x80\x94 (2) lbid., I, 1, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (3) Xt^tonxdv, Srujxixdv, \n\xc3\xa8ra0ujj.TiTixdv. Voyez le Ph\xc3\xa8dre de Platon.\xe2\x80\x94 (4) Xdyov \xc3\xab^ov, \xc3\xa0XoYov. Voy. Gr. \nMor.,I, l,p. 1182, a. \n\n\n\n28 DES PARTIES \xc3\x8f)E L\'AME; \n\nse compose la respiration , non plus que sur la veille \net le sommeil , sujets qui offrent de grandes diffi- \ncult\xc3\xa9s (1). \n\nOn voit donc le vice des divisions dont nous venons \nde parler. Si l\'on divise l\'\xc3\xa2me d\'apr\xc3\xa8s ses puissances \nen raisonnement, passion et d\xc3\xa9sir, on rencontre un \ngrand nombre de facult\xc3\xa9s , nutrition , sensibilit\xc3\xa9 , \nintelligence , volont\xc3\xa9 , app\xc3\xa9tit , qui offrent entre elles \nbien plus de diff\xc3\xa9rences que le d\xc3\xa9sir et la passion (2). \nQuant \xc3\xa0 la division de l\'\xc3\xa2me en deux parties, l\'une \nraisonnable , l\'autre priv\xc3\xa9e de raison , ce qui a pu en \nfaire na\xc3\xaetre l\'id\xc3\xa9e , c\'est qu\'on a consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 une partie \nde l\'\xc3\xa2me comme ma\xc3\xaetresse et l\'autre comme es- \nclave (3). Il est vrai d\'ailleurs que l\'\xc3\xa2me contient des \npuissances non rationnelles et des puissances ration- \nnelles, telles que les sciences (4). Mais bien que cette \ndivision paraisse suffisante et m\xc3\xaame excellente en \nmorale et dans la th\xc3\xa9orie des vertus humaines (5), on \nne saurait l\'admettre dans la science de l\'\xc3\xa2me : car en \nelle-m\xc3\xaame elle est vague et exol\xc3\xa9rique (6) . \n\nIl y a quatre puissances auxquelles toutes les au- \ntres se ram\xc3\xa8nent j et qui, r\xc3\xa9parties in\xc3\xa9galement entre \ntous les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s, expliquent par cela m\xc3\xaame leurs \ndiverses natures (7). Ces puissances ou facult\xc3\xa9s natu- \nrelles qui embrassent toute mani\xc3\xa8re de vivre et qui \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7\xc2\xa7 i,2, 3, 4. Cf. Topiq., V, 4, \xc2\xa7 7; V, I, \xc2\xa7 5;V, \n\xc2\xa7 15;M\xc3\xa9tapb., IX, 2; Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 5, p. 1140, b ; Gr, Mor., 1,1. \n(2) De l\'\xc3\xa2me, III, |0, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, V, 15, p. 1138, b; Polit., I. \n\xc2\xa75;Gr.Mor.,II, 10.\xe2\x80\x94 (4) M\xc3\xa9taph., IX, 2.\xe2\x80\x94 (5) Gr. Mor., I, 1, p. 1182, \n\xc3\xae, 5; I, 35; Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 13 pass.; II, 1, p. 1103, a; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, \nPolit., 1,5, $5; IV, 1 pass., etc. \xe2\x80\x94 (6) Moi\\ \xc3\xa0 Nie, 1 , 13, p. 1102, a. \n(7) De l\'\xc3\xa2me, il, 2, \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 1 1 ; H, 3, \xc2\xa7 1> \xc2\xa7 2. \n\n\n\nDES PARTIES DE L\'AME. 29 \n\nsuffisent pour la d\xc3\xa9finition de l\'\xc3\xa0me, sont la nutrition, \n\nla sensibilit\xc3\xa9, la locomotion et la raison (1 ) . \n\nLes plantes n\'ont que la puissance nutritive. D\'au- \ntres \xc3\xaatres ont en outre la sensibilit\xc3\xa9 , et par cons\xc3\xa9- \nquent l\'app\xc3\xa9tit et les d\xc3\xa9sirs. Quelques animaux ont \nla locomotion ; d\'autres enfin , comme l\'homme , ont \nde plus la raison et l\'entendement, et toute autre fa- \ncult\xc3\xa9 (s\'il en est) qui serait analogue ou m\xc3\xaame sup\xc3\xa9- \nrieure \xc3\xa0 celles-l\xc3\xa0 (2). \n\nLa puissance nutritive a deux fonctions distinctes, \nla nutrition proprement dite et la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration (3). \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 comprend d\'une part cinq sens ext\xc3\xa9- \nrieurs, le toucher, le go\xc3\xbbt, l\'odorat, l\'ou\xc3\xafe et la vue; \npuis le sens commun auquel les sens particuliers se \nrapportent comme \xc3\xa0 leur point de d\xc3\xa9part et \xc3\xa0 leur \ncentre; enfin la m\xc3\xa9moire et la partie de l\'imagination \nqui est \xc3\xa9trang\xc3\xa8re \xc3\xa0 la raison. D\'autre part, le plaisir \net la peine , la passion et les d\xc3\xa9sirs , les m\xc5\x93urs et les \nvertus morales , paraissent \xc3\xaatre des modifications ou \ndes habitudes de la sensibilit\xc3\xa9. Il est en outre certains \nph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes , tels que le sommeil et la veille , qui d\xc3\xa9- \npendent plus sp\xc3\xa9cialement de la puissance sensitive \nque de toute autre (4) . \n\nLa locomotion suppose toujours l\'app\xc3\xa9tit et la sen- \nsibilit\xc3\xa9 , souvent la raison et la volont\xc3\xa9 (5). Nous dirons \nplus tard les conditions , les organes et les effets de \ncette puissance de l\'\xc3\xa2me. \n\n\n\n(1) 8peircixdv, ataO\xc3\xafjTixdv, xtvtjxix\xc3\xb4v xai\xc3\xa2 t\xc3\xb4v tottov, 8iavo\xc3\xaf)Tixdv. De l\'\xc3\xa0me* \nII, 2, S 6; II, 3, \xc2\xa7 1, etc. - (2)Ibid.,lI,3, \xc2\xa7\xc2\xa72,3,4. \xe2\x80\x94 (3 Ibid., Il, 4, \n\xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat., 1 , \xc2\xa7 1 suiv. ; Du somm. et de la veille , pass. \xe2\x80\x94 \n(5) De 1 \xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7 5 ; ch. 10, pass. \n\n\n\n30 DES PARTIES DE L\'AME. \n\nLa puissance raisonnable ou entendement (1 ) com- \nprend l\'opinion (2) et la partie de l\'imagination qui \nest accompagn\xc3\xa9e d\'opinion et de raisonnement (3) , \npuis l\'entendement pur (vou\xc3\xa7) , bien pr\xc3\xa9cieux (4) , fa- \ncult\xc3\xa9 supr\xc3\xaame et essentielle de l\'homme (5) ; la science \nqui r\xc3\xa9sulte de la d\xc3\xa9monstration (6) , et suppose l\'in- \nduction et la d\xc3\xa9finition (7) ; la volont\xc3\xa9 ou app\xc3\xa9tit \nraisonnable (8) ; enfin les vertus intellectuelles dans \nlesquelles surtout consiste le bonheur auquel l\'homme \nest appel\xc3\xa9 par sa nature (9) . \n\nIl ne faut confondre les facult\xc3\xa9s ou puissances de \nl\'\xc3\xa2me (cWfjiei\xc3\xa7) ni avec les passions (ndttn) ni avec \nles dispositions acquises ou habitudes ( sHst; ) . Ce \nsont l\xc3\xa0 les trois ordres de faits qui se produisent dans \nl\'\xc3\xa2me (10). \xc2\xabJ\'appelle passions le d\xc3\xa9sir, la col\xc3\xa8re, la \ncrainte, l\'audace, l\'envie, la joie, l\'amour et la haine, \nle regret , l\'\xc3\xa9mulation , la piti\xc3\xa9 et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral tout ce \nqui est suivi de plaisir ou de peine. Par facult\xc3\xa9s, \nj\'entends les pouvoirs en vertu desquels nous \xc3\xa9prou- \nvons ces divers sentiments , par exemple la capacit\xc3\xa9 \nd\'\xc3\xa9prouver de la col\xc3\xa8re, de la tristesse ou de la piti\xc3\xa9. \nEnfin j\'appelle habitudes les dispositions bonnes ou \nmauvaises de l\'\xc3\xa2me \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard des passions : par \nexemple, \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard de la col\xc3\xa8re, si elle a en nous \ntrop de violence ou si nous n\'en sommes pas assez \nsusceptibles, c\'est une mauvaise disposition; si \nnous n\'y sommes port\xc3\xa9s qu\'avec la mod\xc3\xa9ration con- \n\n(1) T\xc3\xb4 SiavoTjTixdv.\xe2\x80\x94 (2) Moi. \xc3\xa0 Nie, VI, 5, p. 1140, a.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, \n\n3, \xc2\xa7 5; ch. \xc3\x8e0, \xc2\xa7 9, etc. \xe2\x80\x94 (4) TijxLov. Gr. Mor., I, 2.\xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, \n\n4, 8,9, pass.\xe2\x80\x94 (G) Gr.Mor., I, 35,p. 1 197, a. \xe2\x80\x94 17; M\xc3\xa9taph., XIII, 4, p. 1078, b. \n\xe2\x80\x94 (8)Gr. Mor., I, 13, etc. \xe2\x80\x94(9) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 8, p. 1 178, b.\xe2\x80\x94 (10) Ibid., \nII, 4 ; Gr. Mor., I, 7; De la sensat., I, \xc2\xa76. \n\n\n\nDES PARTIES DE i/AME. 31 \n\nvenable , c\'est une bonne mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre (1). \xc2\xbb \nLes facult\xc3\xa9s sont en nous l\'\xc5\x93uvre de la nature (2) : \ntels sont les sens ; mais les dispositions ou habitudes \nse contractent \xc3\xa0 la suite de certains efforts, ou elles \nsont le fruit de l\'\xc3\xa9tude, par exemple les arts. Les \npuissances naturelles, au contraire, et celles qui sont \nsujettes aux passions , ne supposent aucun exercice \nant\xc3\xa9rieur (3). Elles n\'exigent ni effort ni fatigue (4). \nIl peut y avoir puissance et facult\xc3\xa9, lors m\xc3\xaame qu\'il \nn\'y a pas acte. L\'essence de celui qui construit , c\'est \nd\'avoir le pouvoir de construire. S\'il cesse d\'agir, on \nne doit pas dire qu\'il a perdu son art : car il peut se \nremettre imm\xc3\xa9diatement \xc3\xa0 b\xc3\xa2tir. Il se peut de m\xc3\xaame \nqu\'un \xc3\xaatre qui a le pouvoir de marcher ne marche \npas, ou bien qu\'il marche ayant le pouvoir de ne pas \nmarcher (5). Toutes les facult\xc3\xa9s que nous devons \xc3\xa0 la \nnature sont d\'abord \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat de puissances : elles pas- \nsent ensuite \xc3\xa0 l\'acte , comme cela se voit pour les \nsens. Mais pour les habitudes et les vertus , nous ne \nles acqu\xc3\xa9rons qu\'apr\xc3\xa8s en avoir produit les actes (6) : \nen effet, aucune vertu n\'est inn\xc3\xa9e (7), quoique les \nhommes apportent en naissant le germe de leurs dis- \npositions morales (8). \n\nToutes les modifications passag\xc3\xa8res sont de simples \naffections et non des qualit\xc3\xa9s (9). 11 en est pourtant \nqui sont communes \xc3\xa0 tous les hommes (10) , comme, \n\n\n\n(l)Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 4, p. 1105, b. Cf. Gr. Mor., I, 7; 1,8; Mor. \xc3\xa0 Eud\xc3\xa8me, \nII, 2. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 4. \xe2\x80\x94 (3) M\xc3\xa9taph., IX, 5. Cf. Gr. Mor., I, t. \n\xe2\x80\x94 (4) Rh\xc3\xa9tor., I, 7, p. 1365. \xe2\x80\x94 (5) M\xc3\xa9taph., IX, 3 pass. \xe2\x80\x94 (g) Mor. \xc3\xa0 \nNie, II, 1. Cf. Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 2, et surtout Mor. \xc3\xa0 Eud., II, 1. \xe2\x80\x94 (7) Mr. \n\xc3\xa0 Nie, If. l,p. 1103, a.\xe2\x80\x94 (8) Ib d., VI, 13, p. 1141, b. Polit., IV, 12 , \xc2\xa7 G, \n\xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (9) Cat\xc3\xa9g., VIII, \xc2\xa712\xc2\xbb -r (10; Herm\xc3\xb4n., I,\xc2\xa7 2 suiv. \n\n\n\n32 DES PARTIES DE L\'AME. \n\npar exemple , celles qui r\xc3\xa9sultent de la musique (1). \nMais en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral le plaisir et la peine varient suivant \nles individus , et c\'est m\xc3\xaame par l\xc3\xa0 qu\'on reconna\xc3\xaet la \ndiff\xc3\xa9rence de nos penchants (2). \n\nOn le voit donc : l\'\xc3\xa2me est pour ainsi dire partag\xc3\xa9e \nentre certaines facult\xc3\xa9s naturelles , qui sont d\'abord \nen puissance, mais qui tendent \xc3\xa0 l\'acte et qui n\'ont de \nprix que par l\'usage que nous en faisons (3) : car \nc\'est par l\'acte seulement que nous existons (4). Ces \nfacult\xc3\xa9s, dont quelques-unes sont sujettes aux pas- \nsions , peuvent contracter certaines dispositions ou \nhabitudes, par la r\xc3\xa9p\xc3\xa9tition de certains actes (5). \nC\'est donc par les puissances naturelles, ou par leurs \nmodifications , ou par leurs habitudes, que s\'explique \ntout ce qui se passe dans l\'\xc3\xa2me. Or chaque puissance \nest la cause imm\xc3\xa9diate de ses actes : l\'\xc3\xa2me elle-m\xc3\xaame \nen est aussi la cause en un autre sens. Ainsi on peut \nentendre de deux fa\xc3\xa7ons la cause de la vie et de la \nsensation, comme de la science. Nous savons en effet, \nou par la science ou par l\'\xc3\xa2me, puisque nous attri- \nbuons \xc3\xa0 l\'une et \xc3\xa0 l\'autre l\'acte de savoir. Mais de \nces deux causes, l\'une est la forme m\xc3\xaame et l\'essence \nde ce qui est capable de savoir. L\'autre principe, \nc\'est-\xc3\xa0-dire l\'\xc3\xa2me , est ce par quoi nous avons pre- \nmi\xc3\xa8rement la vie, le sentiment et la raison (6). \n\nC\'est une grave question de savoir jusqu\'\xc3\xa0 quel \npoint chacune des puissances ou parties de l\'\xc3\xa2me est \n\n\n\n(1) Polit., V, 7, \xc2\xa7\xc2\xa75, 6, 7.\xe2\x80\x94 (2)Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 2, p. 110i,b.\xe2\x80\x94 (3) Gr. \nMor., I, 3 ; M\xc3\xa9taph., IX, 8.\xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 7, p. 1 I6S, a. \xe2\x80\x94 (5) Phy- \nsique, VII, 4 fin; Gr. Mor., I, 1; M\xc3\xa9taph., IX, 5, p. 1047, b, 1. 31 ; De la \nsensat., I, \xc2\xa7G. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa0me, II, 2, \xc2\xa7^ 12, 13. \n\n\n\nDES PARTIES DE L\'AME. 33 \n\ndistincte de toutes les autres. N\'y a-t-il entre elles \nqu\'une distinction rationnelle , ou bien peuvent-elles \n\xc3\xaatre aussi s\xc3\xa9par\xc3\xa9es mat\xc3\xa9riellement ? C\'est ce qu\'il est \nais\xc3\xa9 de d\xc3\xa9terminer, du moins pour quelques-unes ; \nmais pour d\'autres il y a de grandes difficult\xc3\xa9s (1 ) . \nEn effet , pour les parties de l\'\xc3\xa2me autres que l\'en- \ntendement , les faits prouvent bien qu\'elles ne sont \npoint s\xc3\xa9parables, ainsi qu\'on le soutient quelquefois. \nIl est vrai qu\'elles diff\xc3\xa8rent en essence , et m\xc3\xaame que \ncertains \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s n\'en ont que quelques-unes, ou \nm\xc3\xaame une seule (2) ; mais aucune des puissances su- \np\xc3\xa9rieures ne va sans les puissances inf\xc3\xa9rieures (3). \nAinsi , la nutrition se trouve dans les plantes sans la \nsensibilit\xc3\xa9 ; mais celle-ci n\'est jamais s\xc3\xa9par\xc3\xa9e de la \nnutrition. De m\xc3\xaame , sans le toucher aucun des autres \nsens n\'existe , quoique le toucher puisse exister sans \nles autres. Tous les \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de sensibilit\xc3\xa9 ne pos- \ns\xc3\xa8dent pas la locomotion , mais eux seuls la poss\xc3\xa8dent. \nEnfin tr\xc3\xa8s- peu d\'animaux ont le raisonnement et la \nraison ; mais ceux qui , parmi les \xc3\xaatres p\xc3\xa9rissables , \nont le raisonnement , ont aussi toutes les autres fa- \ncult\xc3\xa9s ; il n\'en est aucun qui poss\xc3\xa8de le raisonnement \ncomme facult\xc3\xa9 unique (4). Il n\'en est pas de m\xc3\xaame de \nl\'entendement pur et de la puissance sp\xc3\xa9culative ; car \nl\'entendement , chose divine (5) , semble \xc3\xaatre un genre \nd\'\xc3\xa2me \xc3\xa0 part , et le seul qui puisse \xc3\xaatre isol\xc3\xa9 du reste , \ncomme l\'\xc3\xa9ternel du p\xc3\xa9rissable (6) . \n\nIl importe encore de savoir si l\'on doit \xc3\xa9tudier les \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (2)lbid.,\xc2\xa7\xc2\xa7 10, 11.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., II, 3, \xc2\xa7fi. \xe2\x80\x94 \n(4) Ibid., II, 3,\xc2\xa7 7. Cf. Il, 2, \xc2\xa7\xc2\xa74, 5, 11.\xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nic.,X, 7, p. 1177, a. \n\xe2\x80\x94 {0) De l\'\xc3\xa2me, II, 2,\xc2\xa79; 1I,3,\xc2\xa7 7 ; M\xc3\xa9taph.,XlI, 3, p. 1070, a, \n\n3 \n\n\n\n34 DES PARTIES DE L\'AME. \n\nparties de l\'\xc3\xa2me avant leurs actes 9 ou bien s\'il faut \nconna\xc3\xaetre la pens\xc3\xa9e avant l\'entendement , et la sen- \nsation avant la sensibilit\xc3\xa9. Certainement il para\xc3\xaet utile \nde conna\xc3\xaetre l\'essence d\'une chose pour se rendre \ncompte de ses accidents ; et ainsi dans les math\xc3\xa9ma- \ntiques , il faut savoir ce que c\'est que droit et non \ndroit , ligne et surface , pour voir \xc3\xa0 combien d\'angles \ndroits sont \xc3\xa9gaux les angles du triangle ; mais , d\'un \nautre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , la connaissance des propri\xc3\xa9t\xc3\xa9s acciden- \ntelles est aussi pour beaucoup dans la connaissance \nde l\'essence. Quand nous pouvons expliquer d\'apr\xc3\xa8s \nl\'exp\xc3\xa9rience tous les accidents d\'une chose ou du \nmoins la plupart, alors et seulement alors, nous pou- \nvons d\xc3\xa9finir exactement l\'essence , principe de toute \nd\xc3\xa9monstration. Si au contraire on d\xc3\xa9finit une chose \nsans en conna\xc3\xaetre les mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre , sans pouvoir \nm\xc3\xaame s\'en faire une id\xc3\xa9e par conjecture , toute d\xc3\xa9fi- \nnition ainsi donn\xc3\xa9e est de pure dialectique et tout \n\xc3\xa0 fait vide (I). On peut se demander encore s\'il faut \n\xc3\xa9tudier les facult\xc3\xa9s avant ou apr\xc3\xa8s leurs objets : par \nexemple , faut-il \xc3\xa9tudier l\'objet senti avant ce qui sent , \nl\'objet pens\xc3\xa9 avant l\'entendement qui le pense (2)? \n\nTelles sont les questions que soul\xc3\xa8ve l\'\xc3\xa9tude de nos \nfacult\xc3\xa9s. \n\nS\'il est n\xc3\xa9cessaire de savoir ce qu\'est en particu- \nlier chacune des parties de l\'\xc3\xa2me , il est tout aussi n\xc3\xa9- \ncessaire de conna\xc3\xaetre leurs op\xc3\xa9rations , avant que de \nles \xc3\xa9tudier elles-m\xc3\xaames. Ainsi , pour comprendre ce \nque c\'est que la raison, la nutrition ou la sensibilit\xc3\xa9, \nil faut de n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 savoir ce que c\'est que raisonner, \n\n\n\n(1)Del\'\xc3\xa0m ^ c P UT \xc3\xaf* )V ^Wx. 7 ^ x ^ SrpeitTixdv, T \xc2\xb0 cputixo\'v. \xe2\x80\x94 (2) De \nl\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., 11, 4, \xc2\xa7 3 et suiv. \xe2\x80\x94 (.) Ibid., II, 4, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 \n(6) Ibid., H, 2, \xc2\xa7 12 ; Gr. Mor., I, 4. \xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9taph., IX, 8, p. 1050, b, 1. I. \n\xe2\x80\x94 (7) Gr. Mor., 1, 4. \n\n\n\nDE LA NUTRITION. 37 \n\nen elles aucune autre facult\xc3\xa9 de l\'\xc3\xa2me. C\'est donc par \nce principe que vivent tous les \xc3\xaatres vivants , puis- \nqu\'il para\xc3\xaet bien \xc3\xaatre une sorte d\'\xc3\xa2me, qu\'il pr\xc3\xa9c\xc3\xa8de \ntoutes les autres formes de la vie , et qu\'enfin il est \ncommun aux animaux et aux plantes (1). \n\nNous appelons nutritive cette partie de l\'\xc3\xa2me dont \nparticipent les plantes elles-m\xc3\xaames , et en vertu de la- \nquelle tout ce qui a la vie prend nourriture , cro\xc3\xaet et \nd\xc3\xa9cline (2). Pour comprendre la nature de cette fa- \ncult\xc3\xa9 , il faut savoir ce que c\'est que se nourrir, \ncro\xc3\xaetre et d\xc3\xa9choir , et pour cela il faut d\xc3\xa9terminer ce \nqu\'est l\'aliment ou la nourriture, objet de ces op\xc3\xa9ra- \ntions (3). \n\nDans les corps simples , comme sont ceux des \nplantes (4), il faut distinguer deux choses : l\'aliment \net le corps qui en est nourri. L\'aliment (5) para\xc3\xaet \xc3\xaatre \nun contraire agissant sur son contraire ; mais ce n\'est \npas au hasard un contraire quelconque , car le feu , \npar exemple, n\'est pas un aliment pour l\'eau ; c\'est un \ncontraire qui non-seulement engendre son contraire , \nmais encore le peut accro\xc3\xaetre (6). Pourtant il y a l\xc3\xa0 \nquelque difficult\xc3\xa9; car tandis que nous soutenons \nque c\'est le contraire qui nourrit son contraire , nous \nfondant sur ce qu\'un changement se fait toujours \nsoit en l\'oppos\xc3\xa9, soit en l\'interm\xc3\xa9diaire, il est des \nphilosophes qui pensent que c\'est le semblable qui \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, 1,5, \xc2\xa727; II, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 2, 3, 4 ; ch. 3, \xc2\xa7\xc2\xa7 2, 6, 7 ; 111,9, \xc2\xa7\xc2\xa72, 4; \nDu somm., I, \xc2\xa7 6; De la jeun., I, \xc2\xa73; G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des anim. ,1, 23 fin. \xe2\x80\x94 \n(2) Del\'\xc3\xa0me, II, 1, \xc2\xa73; 11,2, \xc2\xa75; Gr. Mot., 1,4. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \n$1, \xc2\xa7\'9. \xe2\x80\x94 (0 It>id., III, 13, \xc2\xa7 1. Cf. ch. 12, \xc2\xa7$ 2, 5, etc. \xe2\x80\x94 (h) Aristote \navait fait un trait\xc3\xa9 sp\xc3\xa9cial itzpl xpo^\xc3\xa7, auquel il renvoie dans le livre du \nsommeil et de la veille.\xe2\x80\x94 (t>) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7 9. \n\n\n\n38 DE LA NUTRITION. \n\nnourrit et accro\xc3\xaet son semblable (4). Ces deux expli- \ncations sont peut-\xc3\xaatre vraies en partie et en partie \nfausses. Il importe en effet de savoir si Ton entend \npar nourriture le dernier \xc3\xa9tat o\xc3\xb9 elle arrive , ou bien \nson \xc3\xa9tat primitif. La nourriture subit une action de la \npart du corps qu\'elle nourrit; elle se transforme par \nla digestion. S\'il s\'agit de la nourriture non encore \ndig\xc3\xa9r\xc3\xa9e , c\'est bien le contraire qui nourrit son con- \ntraire ; mais si Ton veut parler de la nourriture dig\xc3\xa9- \nr\xc3\xa9e, c\'est le semblable qui nourrit le semblable (2), \ncar alors l\'aliment est assimil\xc3\xa9 au corps nourri , il est \ndevenu en quelque sorte le corps nourri lui-m\xc3\xaame , \npuisqu\'il en a pris la forme particuli\xc3\xa8re (3). \n\nDe m\xc3\xaame que la direction d\'un vaisseau doit \xc3\xaatre \nattribu\xc3\xa9e non-seulement au gouvernail, mais encore \n\xc3\xa0 la main qui meut le gouvernail , de m\xc3\xaame il faut \ndistinguer deux choses dans la nutrition , \xc3\xa0 savoir \nla nourriture qui est dig\xc3\xa9r\xc3\xa9e et la chaleur qui pro- \nduit la digestion ; et en effet , tout corps anim\xc3\xa9 a de \nla chaleur (4). C\'est l\xc3\xa0 peut-\xc3\xaatre ce qui a fait penser \xc3\xa0 \nquelques philosophes que le feu est la cause absolue \nde la nutrition et de la croissance. Mais la vraie cause \nest bien plut\xc3\xb4t l\'\xc3\xa2me : c\'est elle qui unit et qui or- \ndonne des \xc3\xa9l\xc3\xa9ments divers. Le feu par lui-m\xc3\xaame \ns\'accro\xc3\xaetrait ind\xc3\xa9finiment, sans autre limite que celle \ndu combustible ; mais dans tous les corps form\xc3\xa9s par \nla nature , l\'accroissement est soumis \xc3\xa0 une r\xc3\xa8gle et \n\xc3\xa0 une mesure ; or un tel caract\xc3\xa8re convient \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me \nplut\xc3\xb4t qu\'au feu, \xc3\xa0 l\'essence plut\xc3\xb4t qu\'\xc3\xa0 la ma- \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, 4, \xc2\xa7\xc2\xa7 10, 11, 16 ; G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, et cor- \nrupt., I, 7, pass. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., \xc2\xa7 16. \n\n\n\nDE LA NUTRITION. 39 \n\nti\xc3\xa8re (1). Il est certain d\'ailleurs que nul \xc3\xaatre ne se \nnourrit qui ne participe \xc3\xa0 la vie (2), qui par cons\xc3\xa9quent \nn\'ait une \xc3\xa2me, et l\'on pourrait d\xc3\xa9finir le corps anim\xc3\xa9 \ncelui qui se nourrit en tant qu\'anim\xc3\xa9 : la nourriture \nest donc en elle-m\xc3\xaame quelque chose de relatif au \ncorps anim\xc3\xa9, et suppose essentiellement une \xc3\xa2me (3). \n\nAu reste, qui dit nourriture ne dit pas croissance. \nL\'aliment peut ne pas contribuer \xc3\xa0 l\'accroissement : il \npeut n\'\xc3\xaatre que nutritif, et alors il assure simplement \nla conservation du corps vivant (4). \n\nL\'\xc3\xa2me emploie les aliments et les met en \xc5\x93uvre \xc3\xa0 \nl\'aide de certaines parties du corps qu\'elle anime ; car \ntous les corps naturels sont les instruments de l\'\xc3\xa2me , \naussi bien ceux des plantes que ceux des animaux (5). \nDans les animaux , c\'est la bouche qui est l\'organe \npropre de la nutrition ; dans les plantes , ce sont les \nracines (6). Les animaux parfaits ont, sous le rapport \nde la nutrition , trois parties distinctes , l\'une sup\xc3\xa9- \nrieure , par laquelle l\'aliment est re\xc3\xa7u et introduit ; \nune autre inf\xc3\xa9rieure, par laquelle est rejet\xc3\xa9 l\'excr\xc3\xa9- \nment , et une troisi\xc3\xa8me qui est interm\xc3\xa9diaire , et qui \nest la poitrine dans les animaux les plus grands : c\'est \nl\xc3\xa0 \xc3\xa9videmment que se fait le travail de la nutrition (7) . \n\nDans les animaux , la facult\xc3\xa9 nutritive s\'exerce sur- \ntout pendant le sommeil (8); elle trouve aussi dans \nles sens de puissants auxiliaires , et elle est surtout \nservie par le sens du go\xc3\xbbt (9). \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me , II, 4, \xc2\xa7 7, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7\xc2\xa7 6, 7, 12. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., \xc2\xa7 13 ; \nG\xc3\xa9n\xc3\xa9\xc3\xaf., des anim., II, 6. \xe2\x80\x94 (4) Ibid.; De l\'\xc3\xa2me, II, 4,\xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, \nII , 4 , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (6) Ibid-, II , 1 , \xc2\xa7 6 ; II , 4 , \xc2\xa7 7 ; De la respir\xc3\xa2t., XI , \xc2\xa7 l . \xe2\x80\x94 \n(7) Del\xc3\xa0 jeun, et de la vieill., II , \xc2\xa71. \xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1, 13, p. 1102, b; \nDu somm., I, \xc2\xa7 11. \xe2\x80\x94 (9) De la sensat., I, pass.; IV, \xc2\xa7 1 1 suiv.; V, pass. ; \nDe l\'\xc3\xa2me, III, 12, $3, \xc2\xa77, etc. \n\n\n\n40 DE LA NUTRITION. \n\nEn r\xc3\xa9sum\xc3\xa9, il y a trois choses \xc3\xa0 consid\xc3\xa9rer dans la \nnutrition : le corps vivant qui est nourri , ce par quoi \nil est nourri et ce qui le nourrit. Ce qui le nourrit , \nc\'est la premi\xc3\xa8re \xc3\xa2me , et ce par quoi il est nourri , \nc\'est l\'aliment (1). \n\nMais la nutrition n\'est ni la seule ni la plus impor- \ntante fonction de la vie v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative ; elle est subordon- \nn\xc3\xa9e \xc3\xa0 un acte sup\xc3\xa9rieur, qui consiste pour chaque \n\xc3\xaatre \xc3\xa0 engendrer un \xc3\xaatre pareil \xc3\xa0 soi (2) . En effet , \nl\'acte le plus naturel aux \xc3\xaatres vivants qui ne sont ni \navort\xc3\xa9s ni produits par g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration spontan\xc3\xa9e, c\'est \nd\'engendrer un autre \xc3\xaatre pareil \xc3\xa0 eux , l\'animal un \nanimal , la plante une plante , afin de participer de \nl\'\xc3\xa9ternel et du divin autant qu\'ils le peuvent. Tous les \n\xc3\xaatres, en effet, aspirent \xc3\xa0 l\'immortalit\xc3\xa9, et leurs actes \nse rapportent naturellement \xc3\xa0 ce but supr\xc3\xaame. Il est \nvrai qu\'ils n\'y sauraient atteindre par leur propre \ncontinuit\xc3\xa9, puisque aucun d\'eux ne demeure identique \net absolument le m\xc3\xaame; chacun d\'eux pourtant par- \nticipe plus ou moins de cette perfection suivant sa na- \nture ; s\'il ne demeure lui-m\xc3\xaame , il laisse du moins un \n\xc3\xaatre \xc3\xa0 son image ; s\'il n\'est un en nombre , il est un en \nesp\xc3\xa8ce (3) C\'est ainsi que la nature tend \xc3\xa0 reproduire \nles \xc3\xaatres tels qu\'ils sont (4); aussi les plantes ont-elles , \ncomme les animaux , la puissance de se reproduire. \nC\'est leur acte essentiel, leur fin et leur bien propre (5). \nCette puissance de g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration r\xc3\xa9side dans la se- \nmence (6), et les plantes n\'ont pas d\'autre fonction \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 15. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) Gr. \nMor., 1, 10. \xe2\x80\x94 (5) Ibid.; Hist. des anim., VIII, 1 ; G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t. desanim.,II, t. \n\xe2\x80\x94 (6) G\xc3\xa9n. des anim., 11,3. \n\n\n\nDE LA NUTRITION. &1 \n\nque la production d\'une semence. Cet acte r\xc3\xa9sultant \ndu rapprochement des deux sexes , la nature les a \nr\xc3\xa9unis et n\'a donn\xc3\xa9 aux plantes qu\'un seul sexe, m\xc3\xa2le \net femelle \xc3\xa0 la fois sans distinction (1). Les animaux , \nquelque sup\xc3\xa9rieurs qu\'ils soient aux plantes, ont \naussi la vie , et quand il en faut remplir les fonc- \ntions, ils s\'unissent et confondent leur \xc3\xaatre , devenant \nsemblables \xc3\xa0 des plantes (2). Chez l\'homme , comme \nchez les animaux , il se fait un rapprochement n\xc3\xa9ces- \nsaire des deux sexes pour la conservation de l\'esp\xc3\xa8ce ; \nil n\'y a l\xc3\xa0 ni choix ni r\xc3\xa9flexion : c\'est la nature seule \nqui pousse chacun \xc3\xa0 la production d\'un \xc3\xaatre fait \xc3\xa0 \nson image (3). \n\nLa nutrition et la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration , tels sont donc les \ndeux actes essentiels de la puissance nutritive (4); et \ncomme il convient de d\xc3\xa9finir chaque chose par sa fin , \non peut dire que cette puissance , dans tout \xc3\xaatre na- \nturel arriv\xc3\xa9 \xc3\xa0 sa perfection , consiste \xc3\xa0 produire un \n\xc3\xaatre pareil \xc3\xa0 soi (5). \n\nTelle est la facult\xc3\xa9 nutritive , qui para\xc3\xaet \xc3\xaatre une \nsorte d\'\xc3\xa2me (6), et qui est du moins une des quatre \nparties essentielles de l\'\xc3\xa2me (7), la premi\xc3\xa8re de toutes \ndans l\'ordre chronologique (8), la quatri\xc3\xa8me et la \nderni\xc3\xa8re au point de vue de la perfection (9). En ef- \nfet, son action est faible et para\xc3\xaet \xc3\xaatre unique (10); \nelle ne poss\xc3\xa8de pas m\xc3\xaame en puissance le mouve- \nment local (11). Elle agit fatalement, sans \xc3\xa9prouver ni \n\n\n\n(1) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anirn., I, 23, p. 731, a.- (2) ibid., I, 23 fin.\xe2\x80\x94 (3) Polit. T \n1, 1, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa7\xc2\xa72,9; III, 9, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., II, 4, \xc2\xa7 1 5 ; \nG\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., II, 1 , p. 732, a.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me , I, 5, \xc2\xa7 27.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., \nII, 2, \xc2\xa76; II, 3,\xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (8) Ibid., II, lx, \xc2\xa714, \xc2\xa7 15.- (9) Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 13, \n\xe2\x80\x94 (10) Du ciel, II, 12.\xe2\x80\x94 (11) De l\'\xc3\xa2me, 111, 9, \xc2\xa75. \n\n\n\n42 DE LA NUTRITION. \n\nplaisir ni peine, sans \xc3\xaatre capable par cons\xc3\xa9quent \nd\'aucune vertu (1). Le sommeil et la veille ne d\xc3\xa9pen- \ndent m\xc3\xaame pas d\'elle (2) . Enfin , il est facile de voir \nqu\'il y a plus de diff\xc3\xa9rence entre cette facult\xc3\xa9 et toutes \nles autres qu\'entre la partie raisonnable et la partie \nirraisonnable de l\'\xc3\xa2me (3). \n\nLa puissance nutrive fait \xc3\xa0 elle seule toute la vie \ndes plantes (4) ; mais elle est commune \xc3\xa0 tous les \n\xc3\xaatres anim\xc3\xa9s , depuis les germes des corps vivants \njusqu\'aux \xc3\xaatres m\xc3\xaames qui sont parvenus \xc3\xa0 leur en- \ntier d\xc3\xa9veloppement (5). \n\nLa vie ne se r\xc3\xa9duit pas , comme le pr\xc3\xa9tend Denys , \nau mouvement naturel et continu d\'un genre capable \nde nutrition ; elle est autre pour les animaux que \npour les plantes (6), mais elle a pour premier degr\xc3\xa9, \npour point de d\xc3\xa9part et pour commencement la nu- \ntrition. \n\n\n\n(l)Mor. \xc3\xa0Nic, VI, 13, p. 1144, a ; Du somm., I , \xc2\xa76. \xe2\x80\x94 (2) Du somm., \nibid. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (4) Ibid., II, 3, \xc2\xa7 2; Mor. \xc3\xa0 Nie, 1,13, \np. 1102, a. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 6, 13, pass.; De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7\xc2\xa72, 4; \nch. 12, \xc2\xa7 1 et pass.j M\xc3\xa9taph., V, 5. \xe2\x80\x94 (6) Topiq., VI, 10, \xc2\xa7 4. \n\n\n\nCHAPITRE V. \n\nDE LA PARTIE SENSITIVE OU SENSIBILIT\xc3\x89 EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL \n\n(r) at(j6rixixT) \xc3\xb4\xc3\xb9vaju\xc3\xa7, to ata\xc3\xb4rjTixdv). \n\nTandis que les plantes n\'ont que la nutrition , il est \ndes \xc3\xaatres qui ont la puissance nutritive \xc3\xa0 la fois et la \nsensibilit\xc3\xa9 ou puissance de sentir (1). Cette puissance \nest une des parties essentielles de F \xc3\xa2me , et l\'on ne \npeut douter qu\'elle lui appartienne : car c\'est bien \npar l\'\xc3\xa2me que nous sentons premi\xc3\xa8rement (2). \n\nLa sensation est une connaissance (3) et consiste \nen une certaine mani\xc3\xa8re de p\xc3\xa2tir de la part des \nobjets (4). Pour comprendre ce que c\'est que sentir, \nil nous faudra donc avant tout \xc3\xa9tudier les objets \nsensibles (5). Il y a cinq sens, qui sont le toucher, \nle go\xc3\xbbt, l\'odorat , l\'ou\xc3\xafe et la vue : chacun d\'eux r\xc3\xa9- \nside en un organe et per\xc3\xa7oit les objets qui par leur \nnature sont propres \xc3\xa0 l\'affecter (6) . Mais de plus il y \na un sens commun , qui est le premier sensitif , qui \nr\xc3\xa9side en l\'organe central de la sensibilit\xc3\xa9 , et qui \ncompare les donn\xc3\xa9es des sens particuliers (7). \n\nC\'est la sensibilit\xc3\xa9 qui communique aux animaux \nles mouvements contraires qui produisent la respira- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (2) Ibid. , II, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 6, 12; ch. 3, \xc2\xa7 i.- \n\n\xe2\x80\x94 (3) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., I, 23, p. 731, a. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 l. \n-* (5) Ibid., II, 4, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 1, \xc2\xa7 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 4.- \n\n\xe2\x80\x94 (7) Du somm. , II, \xc2\xa7 3 ; De la jeunesse, 1 , pass. ; III, \xc2\xa7 G. \n\n\n\n44 DE LA SENSIBILIT\xc3\x89. \n\ntion (1). 11 semble m\xc3\xaame qu\'on lui doive rapporter la \nsant\xc3\xa9 et la maladie , la jeunesse et la vieillesse , la vie \net la mort dans les animaux (2). C\'est elle encore qui \nest la cause du sommeil et de la veille , des d\xc3\xa9fail- \nlances, de l\'\xc3\xa9vanouissement et du d\xc3\xa9lire (3). \n\nL\'imagination et la m\xc3\xa9moire supposent la sensation \net en r\xc3\xa9sultent , et par cons\xc3\xa9quent les songes doivent \n\xc3\xaatre aussi attribu\xc3\xa9s \xc3\xa0 la puissance sensitive (4). \n\nD\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , la sensation est accompagn\xc3\xa9e de \npeine ou de plaisir, et l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 se trouve le plaisir, on \nvoit na\xc3\xaetre les d\xc3\xa9sirs , par exemple la faim et la \nsoif (5). Or le d\xc3\xa9sir est une sorte d\'app\xc3\xa9tit, puisque \nl\'app\xc3\xa9tit est d\xc3\xa9sir, passion ou volont\xc3\xa9 (6). L\'app\xc3\xa9tit \nsemble donc \xc3\xaatre une partie de la sensibilit\xc3\xa9 (7) , \nmais non l\'app\xc3\xa9tit tout entier ; car la volont\xc3\xa9 ne se \nproduit qu\'avec la raison (8) . \n\nEnfin les peines et les plaisirs du corps donnent \nnaissance \xc3\xa0 des vices et \xc3\xa0 des vertus (9) qui se rap- \nportent \xc3\xa0 l\'app\xc3\xa9tit et \xc3\xa0 des facult\xc3\xa9s non raisonnables, \net qui par l\xc3\xa0 appartiennent \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 (10). \n\nQuoique la locomotion suppose toujours quelque \nimagination et quelque app\xc3\xa9tit (1 \\ ) , ce n\'est pour- \ntant pas la sensibilit\xc3\xa9 qui meut les animaux ; car il \ny a des animaux qui ont la sensation et qui n\'ont \nni la puissance de se mouvoir, ni les organes n\xc3\xa9ces- \n\n\n\n(l)De la sensat. , 1, \xc2\xa73; M\xc3\xa9taph.,V, 5. \xe2\x80\x94 (2) De la sensat., I, \xc2\xa73. \xe2\x80\x94 \n(3) Du soram., I, pass. ; II, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 11 , \xc2\xa7 13; Del\xc3\xa0 \nm\xc3\xa9m. , I , pass. ; Des songes, I, pass. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa0me, II , 2 } \xc2\xa7 S ; II , 3, \xc2\xa7 2, \n\xc2\xa7 3 ; III , 1 1 , \xc2\xa7 i ; Du somm. , I , \xc2\xa7 1 1 . \xe2\x80\x94 (G) De l\'\xc3\xa2me , 11, 3, \xc2\xa7 2 ; De la \nsensat., I, \xc2\xa7 2; Mouv. commun des anim. , VI, \xc2\xa7 4, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 3, \xc2\xa7 2; 111,7, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (8) lbid. , III, 9, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (9) Physique, VII, 4 \nmed.\xe2\x80\x94 (10)Mor. \xc3\xa0 Nie, 111, 13; Mor. \xc3\xa0 Eud., Il, 4.\xe2\x80\x94 (Il) De l\'\xc3\xa2me, III, \n\xc3\xaf), \xc2\xa7 5 ; Mouv. commun des anim. , VI , \xc2\xa7 8. \n\n\n\nDE LA SENSIBILIT\xc3\x89. 45 \n\nsaires pour se transporter d\'un lieu \xc3\xa0 un autre (1 ) . \nL\'app\xc3\xa9tit n\'est m\xc3\xaame pas absolument ma\xc3\xaetre de tous \nnos mouvements , mais l\'entendement y a aussi sa \npart (2). \n\nIl ne faut pas non plus attribuer \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 \nl\'action morale , car elle en est incapable (3) , ni la \nscience , car celle-ci porte sur l\'universel , et la sen- \nsation sur le particulier (4). \n\nCependant la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 ne nous est connue que par \nces deux facult\xc3\xa9s : la sensibilit\xc3\xa9 et l\'entendement (5) . \nLa sensation est en soi un acte excellent , et elle est \nune fin pour tout ce qui en est dou\xc3\xa9 essentielle- \nment (6). Elle ne na\xc3\xaet dans l\'\xc3\xaatre vivant qu\'apr\xc3\xa8s la \nnutrition , et ainsi elle est d\'abord en puissance avant \nque d\'\xc3\xaatre en acte. En effet, l\'animal qui vient d\'\xc3\xaatre \nengendr\xc3\xa9 a d\xc3\xa9j\xc3\xa0 en puissance la sensibilit\xc3\xa9 , puisqu\'il \nest fait pour la poss\xc3\xa9der plus tard ; mais en acte il n\'a \nque la nutrition (7). La semence des animaux vit et \nengendre aussi bien que les plantes : elle contient donc \n\xc3\xa9videmment la puissance v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative. Il est certain du \nreste que la partie sensitive s\'y ajoute avec le temps. \nC\'est qu\'un \xc3\xaatre anim\xc3\xa9 ne devient pas tout d\'un coup \nanimal et homme , ni m\xc3\xaame animal et cheval ; la fin \nne se produit qu\'en dernier lieu (8). La sensation ne \nna\xc3\xaet donc qu\'avec l\'animal qui sent (9). Il faut d\'ail- \nleurs plusieurs conditions pour qu\'elle se produise. \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, 1,5, \xc2\xa7 13:11, 2 , \xc2\xa7 4; III , 9, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (2) Ibid. , III, 9 , \xc2\xa7 8. - \n(.3) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 2, p. 1139, a.\xe2\x80\x94 (4) Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 7. \nCf. Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 13, etc. \xe2\x80\x94 (S) De l\'\xc3\xa0ine, III, 9, \xc2\xa7 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie , \n\nVI, 2; Des songes, I, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (6) Du somm. , II , \xc2\xa7 7. - (7) De i\'\xc3\xa0me, \nII, 5, \xc2\xa7 5 suiv. \xe2\x80\x94 (8) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., II, 3, p. 7 30, a. \xe2\x80\x94 ^9) Cat\xc3\xa9g,, \n\nVII, \xc2\xa721. \n\n\n\n46 DE LA SENSIBILIT\xc3\x89. \n\nCe qui est purement terrestre est incapable de toute \nsensibilit\xc3\xa9 , comme on le voit par certaines parties \ndes animaux , telles que les os , les nerfs , et les poils , \nqui paraissent \xc3\xaatre absolument insensibles (1). De \nm\xc3\xaame , ce qui est tout \xc3\xa0 fait priv\xc3\xa9 de chaleur est ab- \nsolument incapable de sentiment (2). Enfin la sensi- \nbilit\xc3\xa9 ne pouvant s\'exercer sans le corps (3), quelle \nsera la partie du corps qui lui devra servir d\'organe? \nC\'est \xc3\xa0 tort que certains philosophes ont log\xc3\xa9 la fa- \ncult\xc3\xa9 de sentir dans le cerveau. En effet , si dans les \nanimaux le principe de la vie est \xc3\xa9videmment au c\xc5\x93ur, \nil faut bien que le principe sensitif y r\xc3\xa9side \xc3\xa9gale- \nment , puisque c\'est par lui seul qu\'un \xc3\xaatre vivant est \nanimal (4). D\'ailleurs ce qui est premi\xc3\xa8rement ca- \npable de sentir dans l\'animal , c\'est ce qui est pre- \nmi\xc3\xa8rement sanguin , c\'est-\xc3\xa0-dire le c\xc5\x93ur (5). C\'est \ndonc au c\xc5\x93ur que r\xc3\xa9side la sensibilit\xc3\xa9 comme en un \norgane premier qui ne fait qu\'un avec elle , mais \ndont l\'essence est bien diff\xc3\xa9rente, car la sensation \nn\'est pas quelque chose d\'\xc3\xa9tendu , mais elle est pour \nainsi dire l\'\xc3\xa2me et la facult\xc3\xa9 propre de cet organe (6) . \nElle se communique de l\xc3\xa0 \xc3\xa0 tout l\'animal, et l\'on \npeut dire que la sensibilit\xc3\xa9 tout enti\xc3\xa8re est par rap- \nport au corps entier, en tant que sensible , ce que la \nvue est par rapport \xc3\xa0 l\'\xc5\x93il (7). \n\nTel est le principe par lequel tous les animaux ont \nla sensibilit\xc3\xa9 (8) , c\'est-\xc3\xa0-dire la facult\xc3\xa9 qui les con- \n\n\n\n(i) De T\xc3\xa0me, I, 5, \xc2\xa7 9.- (2) Ibid. , III, 1 , \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (3) Ibid. , III, 4, \xc2\xa7\xc2\xa74, \n5. \xe2\x80\x94 (4) De la jeunesse, III, pass.; Du somm., II, \xc2\xa7 10; Mouv. commun \ndes anim-, X, \xc2\xa7 8 ; XI, etc. \xe2\x80\x94 (. r ; ) Part, des anim. , III , 4 , pass. Cf. III , 5. \n\xe2\x80\x94 (h) Del\'\xc3\xa0me, II, 12, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., II, I , \xc2\xa79.\xe2\x80\x94 (S) Ibid., III, 2 ,\xc2\xa7\'15. \n\n\n\nDE LA SENSIBILIT\xc3\x89. I\\l \n\nstitue essentiellement : car de m\xc3\xaame que le principe \nnutritif fait les \xc3\xaatres vivants , c\'est la sensation qui fait \nprimitivement l\'animal (1 ) , de telle fa\xc3\xa7on que sentir \nlui est plus propre que vivre (2) , ou plut\xc3\xb4t pour lui , \nvivre c\'est sentir (3) . La vie sensitive nous est donc \ncommune avec tous les animaux (4) , et si l\'homme \nsent , c\'est en tant qu\'il participe de l\'animal : car \nsentir est le propre de l\'animal au m\xc3\xaame titre que \nsavoir est le propre de l\'homme (5). \n\nToutefois cette facult\xc3\xa9 n\'est pas tout enti\xc3\xa8re dans \nchacun des \xc3\xaatres dont elle constitue l\'essence. Il \nsemble d\'abord qu\'on doive leur attribuer les qua- \nlit\xc3\xa9s les plus consid\xc3\xa9rables de la vie animale , les sens \net la m\xc3\xa9moire , l\'app\xc3\xa9tit , le plaisir et la peine (6). \nMais tous les sens ne leur appartiennent pas en com- \nmun ; le toucher est le seul que poss\xc3\xa8dent tous les \nanimaux. En g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , ils ont aussi le go\xc3\xbbt, except\xc3\xa9 \nquelques animaux imparfaits. Beaucoup sont priv\xc3\xa9s \nde l\'odorat, de l\'ou\xc3\xafe et de la vue (7). Ils paraissent \ntous avoir quelque app\xc3\xa9tit et quelque imagination , \xc3\xa0 \ndes degr\xc3\xa9s divers (8) ; mais cela m\xc3\xaame est bien \ndouteux (9). Quant \xc3\xa0 la m\xc3\xa9moire , il est certain que \nchez plusieurs elle n\'existe pas du tout (10). \n\nOn le voit donc : la puissance de sentir est tellement \nr\xc3\xa9partie entre les \xc3\xaatres vivants, que quelques-uns \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, II . 2, \xc2\xa7 4 ; III, 12 , \xc3\x87\xc2\xa7 2, 3, 6 ; M\xc3\xa9taph. ,1,1; Topiq. V, 5, \n\xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (2) Topiq. , V, 8, \xc2\xa711. Cf. V, 2, \xc2\xa7 8; ch. 3, \xc2\xa77; ch. 4, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(3)Mor. \xc3\xa0 Nie. , IX , 9, p. 1110, a. \xe2\x80\x94(4) Ibid., 1,6, p. 1097, b. \xe2\x80\x94 (5) To- \npiq., V, 5, \xc2\xa74; ch. S, \xc2\xa7 G. \xe2\x80\x94 (G) De la sensat., I, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 2, \xc2\xa7 5; ch. 3, \xc2\xa7 2; Du somm. , II, \xc2\xa7 1; Hist. des anim. , IV, \n8,pass., etc. - (8) De l\'\xc3\xa2me, III, 11, \xc2\xa7 1, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (9) Ibid., 11, 3, \xc2\xa73; IIK \n3, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (!0) Dem. Anal., IL 19, \xc2\xa75; M\xc3\xa9taph., I, 1. \n\n\n\n\xc3\x9b8 DE LA SENSIBILITE. \n\nn\'en ont pas de trace, d\'autres paraissent sentir l\xc3\xa9g\xc3\xa8- \nrement ou m\xc3\xaame tr\xc3\xa8s-obscur\xc3\xa9ment (1). Quoi qu\'il en \nsoit , et lors m\xc3\xaame qu\'il serait possible de vivre et de \nsentir plus ou moins (2) , on doit accorder que la \nsensation , qui est par excellence l\'acte de la sensibi- \nlit\xc3\xa9 (3) , est commune \xc3\xa0 tous les animaux et propre \n\xc3\xa0 eux seuls (4) ; et que c\'est par l\xc3\xa0 que l\'animal doit \n\xc3\xaatre d\xc3\xa9fini par opposition \xc3\xa0 tout ce qui n\'est pas \nlui (5). En effet , les plantes vivent ; mais les animaux \nont avec la vie la sensation (6) , qualit\xc3\xa9 excellente ou \nm\xc3\xa9prisable , suivant qu\'on la compare avec la pens\xc3\xa9e \npure ou avec la vie purement v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative. En regard \nde l\'intelligence , en effet , il semble que ce ne soit \nrien de ne participer qu\'aux sens du toucher et du \ngo\xc3\xbbt; mais en regard des \xc3\xaatres insensibles c\'est un \nprivil\xc3\xa8ge excellent , et il para\xc3\xaet d\xc3\xa9sirable alors d\'avoir \nen partage cette conuaissance , au lieu de rester \ncomme mort et comme sans existence. C\'est donc par \nla sensation que les animaux se distinguent des \xc3\xaatres \nqui ont simplement la vie (7). Au reste, ils ont aussi \nla vie et en remplissent les fonctions ; car la sensi- \nbilit\xc3\xa9 ne va jamais sans la facult\xc3\xa9 nutritive (8) : elle \ns\'en distingue en raison et en essence (9) , aussi bien \nque du corps o\xc3\xb9 elle r\xc3\xa9side (10), mais elle est indis- \nsolublement unie \xc3\xa0 l\'une et \xc3\xa0 l\'autre ; elle en est in- \n\n\n\n(1) Hist. des anim., VIII, I. Cf. Part, des anim., IV, 5, p. G81, i . \xe2\x80\x94 \n(2) Topiq. , V, 8 , \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa0me , II , 4 , \xc2\xa7 1 ; Des songes , I , \xc2\xa7 1 . \xe2\x80\x94 \n(4) De la sensat., I, \xc2\xa7 7 ; Part, des anim., II , 1 ; De l\'\xc3\xa0me, III, 3, \xc2\xa7 7; \nM\xc3\xa9taph. ,1,2, etc. \xe2\x80\x94 (5) De la jeunesse , I , \xc2\xa7 3 ; Part, des anim., 111, 4 ; \nG\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des anim., II , 3. \xe2\x80\x94 (ti) Part, des anim. , II , 10 init. ; G\xc3\xa9n\xc3\xa9ration \ndes anim. , II, 1. \xe2\x80\x94 (7) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des anim., 1, 23. \xe2\x80\x94 (S) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \n\xc2\xa727 ; II, 3,\xc2\xa77; Dusomm., I, \xc2\xa7C.~(9)Du sommeil, l.c \xe2\x80\x94 (10) Mouv. \ncomm. des anim. , IX , \xc2\xa7 5. \n\n\n\nDE LA SENSIBILIT\xc3\x89. 49 \n\ns\xc3\xa9parable ( I }. Mais de m\xc3\xaame que la nutrition est la \ncondition de la sensibilit\xc3\xa9, celle-ci \xc3\xa0 son tour est \nsuppos\xc3\xa9e par les facult\xc3\xa9s sup\xc3\xa9rieures. Sans la sensibi- \nlit\xc3\xa9 , la pens\xc3\xa9e elle-m\xc3\xaame est impossible , au moins \ndans les \xc3\xaatres mortels (2). La partie sensitive semble \nm\xc3\xaame jusqu\'\xc3\xa0 un certain point participer del\xc3\xa0 raison, \net \xc3\xa0 vrai dire , il est aussi difficile de la supposer ab- \nsolument d\xc3\xa9nu\xc3\xa9e de raison que de la rapporter tout \nenti\xc3\xa8re \xc3\xa0 la partie raisonnable de F \xc3\xa2me (3). \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, 111, 4 , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (2) lbid. , III, 12, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (8) Ibid. , III, 9 \n\xc2\xa72,.\xc2\xa73. \n\n\n\nCHAPITRE VL \n\nDES SENS EN GENERAL ET DE LEURS OBJETS, \n\nLa sensation et son objet sont dans une relation \nr\xc3\xa9ciproque (1). L\'objet sensible n\'est ainsi nomm\xc3\xa9 \nque parce qu\'il est per\xc3\xa7u par la facult\xc3\xa9 de sentir (g). \nMais la sensation et les sens pr\xc3\xa9supposent l\'objet sen- \nsible (3) , et pour comprendre ce que c\'est que sentir, \nil importe de conna\xc3\xaetre auparavant les objets auxquels \ns\'applique la sensation (4) , et d\'apr\xc3\xa8s lesquels on la \ndivise en esp\xc3\xa8ces (5). \n\nIl y a trois sortes d\'objets sensibles. Il en est qui \nsont propres \xc3\xa0 un certain sens , et qui ne sauraient \n\xc3\xaatre connus directement par aucun autre ; il en est \nensuite qui , tout en \xc3\xa9tant connus en eux-m\xc3\xaames , \nsont communs \xc3\xa0 tous les sens ; enfin d\'autres sont \nper\xc3\xa7us par accident et non plus en eux-m\xc3\xaames (6). \nMais les objets propres des sens doivent \xc3\xaatre par \nexcellence appel\xc3\xa9s sensibles , puisque c\'est \xc3\xa0 eux que \ns\'applique naturellement chaque sens (7). \n\nLes accidents ou qualit\xc3\xa9s des corps , tels que la \ncouleur, la saveur, le son et l\'odeur, la pesanteur, \n\n\n\n(1) Cat\xc3\xa9g. v VII, \xc2\xa7 9-, X, \xc2\xa7 4 ; M\xc3\xa9taph., IV, 5 ; V, 5, 15.\xe2\x80\x94 (2) De la sensat., \nVI, \xc2\xa7 1 ; M\xc3\xa9taph. , 1 , 7 fin. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie. , X , 4 med.; M\xc3\xa9taph., V, \n15 fin. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me , II , 4 , \xc2\xa7 1. - (5) Ibid. , III , 8 , \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., \nII, G, \xc2\xa7 1 suiv.jIII, 3,\xc2\xa7 12. - (7) Ibid., II, 6, \xc2\xa74. \n\n\n\nDES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 51 \n\nle froid et le chaud , le dur et le mou , le sec et \nl\'humide , produisent des sensations (1). On peut les \nramener \xc3\xa0 cinq sortes d\'objets perceptibles par des \nsens particuliers , savoir : la couleur, le son , l\'odeur, \nla saveur et le contact , ou ce qui est senti par con- \ntact (2). A chacun de ces genres de qualit\xc3\xa9s se rap- \nporte un sens sp\xc3\xa9cial (3) ; car la nature a donn\xc3\xa9 des \nsens diff\xc3\xa9rents pour des objets diff\xc3\xa9rents (4). Il y a \ndonc cinq sens , qui sont la vue , l\'ou\xc3\xafe, l\'odorat, \nle go\xc3\xbbt et le toucher (5). La vue conna\xc3\xaet la couleur, \nl\'ou\xc3\xafe le son , et l\'odorat l\'odeur ; le go\xc3\xbbt s\'applique \naux saveurs et le toucher \xc3\xa0 tout ce qui est per\xc3\xa7u par \ncontact , c\'est-\xc3\xa0-dire aux qualit\xc3\xa9s distinctives des corps \nen tant que corps (6). Chaque genre d\'objets sensi- \nbles comporte une opposition premi\xc3\xa8re , \xc3\xa0 laquelle se \nram\xc3\xa8nent toutes les nuances ou diff\xc3\xa9rences secon- \ndaires : telle est dans les couleurs l\'opposition du \nblanc et du noir, celle du grave et de l\'aigu dans les \nsons , le doux et l\'amer dans les saveurs et les odeurs , \net enfin parmi les objets tangibles , les diverses op- \npositions du froid et du chaud , du dur et du mou , \ndu rude et du poli , du sec et de l\'humide (7). \nTout sens est apte \xc3\xa0 juger des diff\xc3\xa9rences de ses \nobjets propres (8) , et l\'on peut dire que le plus par- \nfait est celui qui saisit le mieux les nuances les plus \n\n\n\n(1) De la sensat., VI, \xc2\xa7 1 ; M\xc3\xa9t\xc3\xa9orol., IV, 8 pass.\xe2\x80\x94 (2) De la sensat., III, \xc2\xa7 l. \nIl faut remarquer cet emploi du mot &pvi dans le sens d\'objet du toucher. \nCf. M\xc3\xa9t\xc3\xa9orol., IV, 10. \xe2\x80\x94(3) M\xc3\xa9taph., IV, 2, p. 1003, b; Topiq., I, 15, \n\xc2\xa74; De la sensat. , VII, \xc2\xa73. \xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor., I, 35. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa0me, \nIII, 1, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6)Gr. Mor,I, 35; Del\'\xc3\xa0me, II, 6, \xc2\xa7 2; ch. il, \xc2\xa7 10? \nIII, 12, \xc2\xa7 6; Hist. des anim., I, 11. \xe2\x80\x94 (1) De l\'\xc3\xa0me, II, li, \xc2\xa7 2 ; De la \nsensat., IV, \xc2\xa7 13; VI, \xc2\xa7 5.\xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa0me, III, 2, \xc2\xa710. \n\n\n\n52 DES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nd\xc3\xa9licates (1 ) . Un m\xc3\xaame sens porte donc sur les con- \ntraires , bien que peut-\xc3\xaatre il ne les connaisse point \nde la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re (2). \n\nLes objets communs des sens sont l\'\xc3\xa9tendue, la \nfigure, le mouvement et le repos, le nombre et \nl\'unit\xc3\xa9 (3). Ces qualit\xc3\xa9s ne sont point l\'objet propre \nd\'un sens , mais elles sont communes , sinon \xc3\xa0 tous \nles sens , du moins au tact et \xc3\xa0 la vue. Il n\'y a donc \npoint pour elles de sens propre , et elles nous sont \ndonn\xc3\xa9es par une sensation commune (4). Ces qualit\xc3\xa9s \ndiff\xc3\xa8rent encore des objets propres , en ce que pour \nceux-ci il y a des contraires comme le blanc et le noir, \nle doux et l\'amer, tandis qu\'une figure par exemple \nne para\xc3\xaet pas \xc3\xaatre contraire \xc3\xa0 une autre figure (5). \n\nQuant aux objets connus par accident , ce sont \nceux qui sont connus par un sens autre que celui \ndont ils sont les objets propres. Ainsi quoique la sa- \nveur soit invisible , aussi bien que le son (6) , la vue \npeut par accident conna\xc3\xaetre les choses douces (7). \nElle peut , tout en percevant directement la blancheur \ndans un corps , conna\xc3\xaetre par accident que cet objet \nest le fils de Diar\xc3\xa8s ou de Cl\xc3\xa9on , parce qu\'en effet \nc\'est un accident de la blancheur de se rencontrer en \ntel ou tel individu (8). Les qualit\xc3\xa9s sensibles con- \nnues par accident se rapportent donc aux cinq sens \n\xc3\xa9num\xc3\xa9r\xc3\xa9s, mais d\'une mani\xc3\xa8re indirecte et sans \nqu\'ils en soient affect\xc3\xa9s (9). \n\nSi les qualit\xc3\xa9s des corps pouvaient \xc3\xaatre divis\xc3\xa9es \xc3\xa0 \n\n\n\n(l)De lasensat., IV, \xc2\xa7 16. \xe2\x80\x94 (2) Topiq., I, 10, \xc2\xa7 4 ; VIII, 1, \xc2\xa7 15, etc. \n\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 6, \xc2\xa7 3; 111,1, \xc2\xa7 5, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 \n(5) Del\xc3\xa0 sensat., IV, \xc2\xa7 16. \xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9laph., XI, 10. - (7) De l\'\xc3\xa2me, \nIII, l,\xc2\xa75. -(8)Ibid., III, !,\xc2\xa7\xc2\xa7 6,7. \xe2\x80\x94 (9).Ibid. , II , 6, \xc2\xa7 4. \n\n\n\nDES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 53 \n\nl\'infini , i\xc3\xaf faudrait admettre des sens en nombre in- \nfini (1). Si l\'on suppose avec Platon des objets sen- \nsibles interm\xc3\xa9diaires , il faut par la m\xc3\xaame raison sup- \nposer des sens interm\xc3\xa9diaires pour les percevoir (2) . \nD\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , si tous les objets sensibles \xc3\xa9taient \ntangibles , ainsi que le veulent la plupart des physi- \nciens , il faudrait que tous les sens fussent des esp\xc3\xa8ces \ndu toucher (3). Mais \xc3\xa0 moins qu\'il n\'y ait d\'autres \ncorps possibles et d\'autres qualit\xc3\xa9s que celles qui ap- \npartiennent aux corps d\'ici-bas , on peut affirmer \nqu\'il y a cinq sens , et qu\'il n\'y en a que cinq (4). \n\nIl faut faire une distinction importante entre l\'acte \net la puissance. En effet , ce qui a le son ne r\xc3\xa9sonne \npas toujours , et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral chaque objet des sens \nest de deux fa\xc3\xa7ons : en acte et en puissance (5) . Il en \nest n\xc3\xa9cessairement de m\xc3\xaame des sens (6). A l\'objet \nen puissance r\xc3\xa9pond le sens en puissance , et \xc3\xa0 l\'ob- \njet en acte le sens en acte (7). Voil\xc3\xa0 pourquoi un \nm\xc3\xaame sens porte sur le sensible et le non-sensible \ndans chaque genre , la vue par exemple connaissant \nle visible et l\'invisible, le toucher ce qui est tangible et \nce qui ne l\'est pas, et de m\xc3\xaame pour les autres sens (8). \nCependant les exc\xc3\xa8s des qualit\xc3\xa9s sensibles \xc3\xa9chappent \n\xc3\xa0 la sensation ou en d\xc3\xa9truisent les organes (9). \n\nToute sensation se produit dans l\'\xc3\xa2me par le moyen \ndu corps (1 0). Chaque sens a dans le corps un organe \n\n(1) De la sensat. , VI, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9taph. , III, 2. \xe2\x80\x94 (3) De la sensat. , \nIV, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa0me, III, 1, \xc2\xa7\xc2\xa71, 4 ; Hist. des anim., IV, 8.\xe2\x80\x94 (5) De \nl\'\xc3\xa2me, III, 2,\xc2\xa7 4; Del\xc3\xa0 sensat., III, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa0me, II, 5, \xc2\xa7 2 et suiv. ; \nIII, 2,\xc2\xa7 4suiv.,\xc2\xa78;III,7, \xc2\xa7 1; Del\xc3\xa0 sensat , IV.\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, III, 8, \n\xc2\xa7\xc2\xa7 I, 2. \xe2\x80\x94 (8) Ibid. , 11, 10, \xc2\xa73; ch. 11, \xc2\xa712. -(9) Ibid. , III, 2, \xc2\xa7 9; \nch. 13, \xc2\xa73. \xe2\x80\x94 (10) De la sensat. , I, \xc2\xa7 6; Dusomra., I,\xc2\xa7 1; De l\'\xc3\xa0me. \nIII, 4, \xc2\xa7 5. \n\n\n\n54 DES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\ndouble : il y a deux yeux pour la vue , pour l\'ou\xc3\xafe \ndeux oreilles , pour l\'odorat deux narines ; on peut \nm\xc3\xaame distinguer deux parties dans la langue, qui \nest l\'organe du go\xc3\xbbt ; quant au toucher, l\xc3\xa0 chose est \nplus difficile \xc3\xa0 constater, parce que son organe n\'est \npoint la chair, mais qu\'il est plac\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'int\xc3\xa9rieur du \ncorps (1). Quoique l\'ou\xc3\xafe et l\'oreille soient sur le c\xc3\xb4t\xc3\xa9? \nles organes des sens , comme les narines , les yeux , \nla langue , sont plac\xc3\xa9s par-devant (2) , et c\'est l\xc3\xa0 ce \nqui a servi \xc3\xa0 distinguer dans les animaux une partie \nant\xc3\xa9rieure et une partie post\xc3\xa9rieure. En effet , comme \nils ont tous la sensation , la partie o\xc3\xb9 elle se produit \nd\'abord et d\'o\xc3\xb9 elle est communiqu\xc3\xa9e au reste du \ncorps , a \xc3\xa9t\xc3\xa9 appel\xc3\xa9e le devant de l\'animal (3\\ Quel- \nques philosophes s\'efforcent de rapporter ces organes \naux \xc3\xa9l\xc3\xa9ments , et ne pouvant ramener les cinq sens \naux quatre \xc3\xa9l\xc3\xa9ments , ils ne savent que faire du cin- \nqui\xc3\xa8me sens. On peut cependant assigner un \xc3\xa9l\xc3\xa9ment \n\xc3\xa0 chacun des organes des sens : l\'eau \xc3\xa0 la partie de \nl\'\xc5\x93il qui voit , l\'air \xc3\xa0 l\'ou\xc3\xafe , \xc3\xa0 l\'odorat le feu ; le \ntoucher se rapporte \xc3\xa0 la terre , et le go\xc3\xbbt n\'est , sous \nce rapport , qu\'une esp\xc3\xa8ce du toucher (4). \n\nAu del\xc3\xa0 de ces organes il est pour chaque sens un \norgane premier o\xc3\xb9 il a son principe et son si\xc3\xa8ge ; \npour le go\xc3\xbbt et le toucher, cet organe est dans le \nvoisinage du c\xc5\x93ur, pour les autres sens il est au cer- \nveau (5); aussi la t\xc3\xaate est surtout faite en vue du \ncerveau : la nature y a plac\xc3\xa9 plusieurs sens , parce \n\n\n\n(1) Part, des anim , II , 10. \xe2\x80\x94 (2) Hist. des anim,, I, 15. \xe2\x80\x94 (3) De la \nmarche des anim., IV, p. 705, b.\xe2\x80\x94 (4) De !a sensat., II, pass. Cf. De l\'\xc3\xa2me , \nIII, 1 , \xc2\xa7 3 - (5) De la sensat., II , \xc2\xa7 13; Part, des anim. , II , 10. \n\n\n\nDES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 55 \n\nque le sang y \xc3\xa9tant d\'une chaleur temp\xc3\xa9r\xc3\xa9e , est pro- \npre d\'une part \xc3\xa0 \xc3\xa9chauffer mod\xc3\xa9r\xc3\xa9ment le cerveau , \net d\'autre part \xc3\xa0 assurer la tranquillit\xc3\xa9 et l\'exacti- \ntude des perceptions sensibles (1). Mais le c\xc5\x93ur est \nle centre o\xc3\xb9 aboutissent tous les organes : il est l\'or - \ngane de la sensibilit\xc3\xa9 m\xc3\xaame ; il est par cons\xc3\xa9quent le \nsi\xc3\xa8ge dernier et commun de tous les sens particu- \nliers (2). \n\nL\'objet sensible ne meut pas directement le pre- \nmier organe du sens auquel il se rapporte. En effet , \nsi on venait \xc3\xa0 le placer imm\xc3\xa9diatement sur cet or- \ngane, il n\'y causerait aucune sensation (3). Il y a \ndonc entre chaque sens et son objet un interm\xc3\xa9diaire \nqui est mu par l\'objet et qui meut \xc3\xa0 son tour l\'or- \ngane du sens (4). Cet interm\xc3\xa9diaire est la chair elle- \nm\xc3\xaame pour le toucher et le go\xc3\xbbt ; c\'est l\'air pour les \ntrois autres sens (5) . Ainsi le go\xc3\xbbt et le toucher ne \ns\'exercent point \xc3\xa0 l\'aide d\'un corps \xc3\xa9tranger, tandis \nque le milieu commun de l\'ou\xc3\xafe , de la vue et de \nl\'odorat est bien distinct de notre corps (6). \n\nIl en est des sens \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s comme des puis- \nsances g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales de l\'\xc3\xa2me. Il y a des animaux qui ont \ntous les sens ; d\'autres n\'en ont que quelques-uns ; \nd\'autres enfin n\'en ont qu\'un seul , le plus n\xc3\xa9cessaire \nde tous , \xc3\xa0 savoir le toucher (7). Sans le toucher en \neffet nul autre sens n\'existe , mais il peut exister sans \nles autres : ainsi beaucoup d\'animaux n\'ont ni la vue \n\n\n\n(1) Part, desanim., II, 10. \xe2\x80\x94 (2) Mouv. cc-mm. des anim., XI, \xc2\xa7 5 ; \nDe la jeunesse, III, \xc2\xa76; Du somm., II; Del\'\xc3\xa0me, II, 12, \xc2\xa72; I, 4, \n\xc2\xa7 13. -(3) Del\'\xc3\xa0me, I!, 7, \xc2\xa78; II, 9, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. , III, 12, \xc2\xa78. \n\xe2\x80\x94 (5) Ibid., Il, 11, \xc2\xa74, \xc2\xa75.- ((>) Ibid., II , 10, \xc2\xa7 1 ; III, 12, \xc2\xa7 0; De te \nsensat., I, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa0mc, 11,2, \xc2\xa7 : l . \n\n\n\n56 DES SENS EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nni l\'ou\xc3\xafe , et sont totalement priv\xc3\xa9s du sens de l\'odorat, \ntandis que tous participent du toucher (1). C\'est que \nla perte du toucher entra\xc3\xaene la mort de l\'animal ; les \nautres sens au contraire lui sont donn\xc3\xa9s non pour \n\xc3\xaatre simplement , mais pour \xc3\xaatre bien (2). Le go\xc3\xbbt \npara\xc3\xaet cependant lui \xc3\xaatre indispensable pour la nour- \nriture , o\xc3\xb9 il distingue l\'agr\xc3\xa9able et le d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able. \nLes trois autres sens , qui s\'exercent \xc3\xa0 l\'aide de mi- \nlieux ext\xc3\xa9rieurs , ont \xc3\xa9t\xc3\xa9 donn\xc3\xa9s aux animaux dou\xc3\xa9s \nde locomotion , afin que percevant \xc3\xa0 distance , ils \npuissent d\xc3\xa9couvrir de loin leur nourriture et \xc3\xa9viter \nce qui leur serait nuisible ou dangereux. Ces m\xc3\xaames \nsens dans les \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de r\xc3\xa9flexion , ne sont point \ninutiles soit pour la connaissance, soit pour l\'ac- \ntion (3). \n\nTous les animaux parfaits ont les cinq sens (4). \nL\'homme par cons\xc3\xa9quent les poss\xc3\xa8de (5). C\'est lui \nd\'ailleurs qui a dans la plus grande perfection le sens \ndu toucher (6) et qui est le mieux dou\xc3\xa9 en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \npour la sensibilit\xc3\xa9 (7) . \n\n\n\n(l)De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, 5; ch. 3, \xc2\xa7 7 ; III, 12, \xc2\xa7\xc2\xa7 2,7; ch. 13, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 \n(2) Ibid. , III , 1 2 , \xc2\xa7 8 ; III , 1 3, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (3) De la sensat., I, \xc2\xa7\xc2\xa7 8 , 10. \xe2\x80\x94 \n(4) De l\'\xc3\xa2me, III , 1 , \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (6) Hist. des anim., IV, 8. \xe2\x80\x94(6) De la sen- \nsat. , IV, \xc2\xa7 1; Hist. des anim., I, 15. \xe2\x80\x94 (7) E\xc3\xb9aw87)TdTaxo\xc3\xa7. Part, des \nanim., II, 17. \n\n\n\nCHAPITRE VII. \n\nDU TOUCHER (\xc3\xa0\'fr), \xc3\xa0l\xc3\xafTlxdv). \n\nLa th\xc3\xa9orie du toucher pr\xc3\xa9sente une double diffi- \ncult\xc3\xa9 , relativement \xc3\xa0 ses objets et \xc3\xa0 son organe. \n\nIl v a lieu d\'abord de se demander si le toucher est \nun ou plusieurs sens (1). En effet, on remarque dans \nles objets tangibles plus de diversit\xc3\xa9 que dans les ob- \njets des autres sens (2) . Chacun de ceux-ci semble \nn\'avoir qu\'une sorte de contrari\xc3\xa9t\xc3\xa9 entre ses objets : \nla vue n\'a que celle du blanc et du noir, l\'ou\xc3\xafe celle \ndu grave et de l\'aigu , le go\xc3\xbbt celle du doux et de \nl\'amer. Mais pour le toucher il y a plusieurs de ces op- \npositions : ainsi le chaud et le froid , le sec et l\'hu- \nmide , le dur et le mou et toutes les autres qualit\xc3\xa9s \nde ce genre. On peut bien dire, il est vrai, qu\'il y a \naussi de nombreuses nuances entre les donn\xc3\xa9es de \nchacun des autres sens , par exemple , entre les cou- \nleurs , objet propre de la vue , ou bien entre les sons, \nobjet propre de l\'ou\xc3\xafe. Mais encore faut-il avouer que, \nmalgr\xc3\xa9 cette diversit\xc3\xa9 , chacun de ces sens a un objet \nunique , facile \xc3\xa0 reconna\xc3\xaetre et \xc3\xa0 d\xc3\xa9finir , tandis qu\'on \nne saurait dire clairement quel est l\'objet unique du \ntoucher , comme on dit que le son est l\'objet de \n\n(i) De l\'\xc3\xa2me* II r 1 1 , \xc2\xa7 1 . \xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, 6, \xc2\xa7 2. \n\n\n\n58 bu TOUCHER. \n\nl\'ou\xc3\xafe (1). Quoi qu\'il en soit, on peut remarquer que \nle toucher s\'applique proprement aux caract\xc3\xa8res dis- \ntinctifs des corps en tant que corps : je veux parler \ndes caract\xc3\xa8res par lesquels se d\xc3\xa9finissent les \xc3\xa9l\xc3\xa9ments , \nsavoir le chaud et le froid, le sec et l\'humide {%). Le \ntoucher per\xc3\xa7oit aussi tout ce qui a du poids et de la \nl\xc3\xa9g\xc3\xa8ret\xc3\xa9 (3); il juge des angles (4); il conna\xc3\xaet, en \ncommun avec la vue , l\'\xc3\xa9tendue et la figure, le rude et \nle poli , l\'aigu et l\'obtus , qualit\xc3\xa9s qui se rencontrent \ntoutes dans les angles (5) . Les objets communs , par \nexemple certains mouvements, doivent \xc3\xaatre aussi \nrang\xc3\xa9s parmi les donn\xc3\xa9es du toucher (6). Enfin ce \nsens donne \xc3\xa0 la fois la connaissance du tangible et de \nce qui ne l\'est pas. Par objets non tangibles , on en- \ntend d\'un c\xc3\xb4t\xc3\xa9 ceux qui n\'ont qu\'en une faible mesure \nles qualit\xc3\xa9s tangibles, par exemple l\'air, et d\'un autre \nc\xc3\xb4t\xc3\xa9 les exc\xc3\xa8s de ces m\xc3\xaames qualit\xc3\xa9s , qui d\xc3\xa9truisent \nla sensation par leur violence m\xc3\xaame (7) . \n\nTout corps est tangible (8) , et l\'objet tangible pa- \nra\xc3\xaet presque se confondre avec l\'objet sensible (9) ; au \nmoins semble-t-il qu\'on doive rapporter au toucher la \nd\xc3\xa9finition du vide et du plein , le vide \xc3\xa9tant l\'absence \nde tout corps tangible (10). \n\nProprement , le tangible est ce dont on a la percep- \ntion par contact (11). La d\xc3\xa9finition du contact se tire \ndes choses qui ont une position (12). Il ne faut con- \n\n(i)De l\'\xc3\xa2me, II, 11, \xc2\xa72. Cf. G\xc3\xa9n. etcorr., II, 2, p. 329, b.\xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, \n11, 11, \xc2\xa7 10; II, 3, \xc2\xa7 3; II, 10, \xc2\xa7 1, \xc2\xa7 4 ; Part, des anim., II, 1. Voyez \nsurtout M\xc3\xa9t\xc3\xa9orol., IV, 8 et 10.\xe2\x80\x94 (3) Physique, IV, 9. \xe2\x80\x94 (4) Topiq., 1 , 15, \n\xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (5) De la sensat., IV, \xc2\xa7 15.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, II, 6, \xc2\xa73.\xe2\x80\x94 (7) Ibid.. \nII, il, \xc2\xa712; II, 12, \xc2\xa73. - (8) lbid., II, 12, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (9) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. et conupt, \nIl, 2.\xe2\x80\x94 (10) Physique, IV, 9.\xe2\x80\x94 (11) De l\'\xc3\xa2me, II! , 12, \xc2\xa76; De la sensat., \n\xc3\xaell -, \xc2\xa7 1 ; G\xc3\xa9n. et corr., II, 2. \xe2\x80\x94 (J2) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. et conupt., 1, 6. \n\n\n\nDU TOUCHER. 59 \n\nfondre le contact ni avec la limite , ni avec la conti- \nnuit\xc3\xa9 , ni avec une \xc3\xa9tendue homog\xc3\xa8ne. En effet , tou- \ncher et \xc3\xaatre limit\xc3\xa9 sont deux choses bien distinctes (1 ) ; \nune \xc3\xa9tendue homog\xc3\xa8ne implique le contact des par- \nties dont elle se compose , mais le contact ne sup* \npose pas n\xc3\xa9cessairement l\'homog\xc3\xa9n\xc3\xa9it\xc3\xa9. D\'un autre \nc\xc3\xb4t\xc3\xa9 , tout contact a lieu entre choses continues (2) ; \nmais deux choses continues ne sont pas toujours en \ncontact, par exemple deux nombres qui se sui- \nvent. Il suffit pour la continuit\xc3\xa9, qu\'il n\'y ait au- \ncune interposition de parties semblables ; mais deux \nobjets sont dits en contact quand leurs extr\xc3\xa9mit\xc3\xa9s sont \nensemble ; ils sont de plus homog\xc3\xa8nes , quand leurs \nextr\xc3\xa9mit\xc3\xa9s sont une seule et m\xc3\xaame chose (3). \n\nIl ne saurait y avoir d\'action ni de passion entre \nchoses qui ne se touchent point ; et l\'objet mu n\'est \npas seulement touch\xc3\xa9 , il touche \xc3\xa0 son tour ce qui le \nmeut (4). Cependant nous frissonnons plut\xc3\xb4t lors- \nqu\'un objet nous touche , que lorsque nous le tou- \nchons (5) , et nous ne disons pas d\'un objet d\xc3\xa9s- \nagr\xc3\xa9able que nous le touchons , mais nous disons de \npr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence qu\'il nous touche (6) . \n\nIl ne faut pas non plus exag\xc3\xa9rer cette id\xc3\xa9e du con- \ntact dans l\'exercice du toucher. Il est bien vrai que ce \nsens per\xc3\xa7oit les objets directement, et c\'est m\xc3\xaame pour \nce motif qu\'il a re\xc3\xa7u le nom de toucher , parce que \nseul il para\xc3\xaet sentir imm\xc3\xa9diatement par lui-m\xc3\xaame (7). \nMais il ne faut point s\'y tromper, ni croire que la chair \n\n\n\n(i) Phys., III, 13. \xe2\x80\x94 (2)Ibid., V, 5.- (3) Ibid., VI , I ; Du ciel, I, !. - \n(4) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. et co\xc3\xaft., I, 6 pass. \xe2\x80\x94 (5) Probl., XXXV, 1. \xe2\x80\x94 (6) G\xc3\xaaner. etcorr, f \nI, 6 fin. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa0me, III, 13, \xc2\xa71. \n\n\n\n60 DU TOUCHER. \n\nsoit l\'organe du toucher : elle en est plut\xc3\xb4t l\'interm\xc3\xa9- \ndiaire (I ). Sans doute la chair et les parties qui y cor- \nrespondent dans les animaux qui n\'ont point de chair \nsont capables de sensation (2). Mais comment com- \nprendre qu\'un organe per\xc3\xa7oive un objet qui le tou- \ncherait directement (3)? Il doit y avoir quelque milieu \nentre le toucher et son objet , de m\xc3\xaame que pour tous \nles sens, quoique cela soit ici un peu moins \xc3\xa9vident (4). \nLa chair est plac\xc3\xa9e pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment de mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 em- \np\xc3\xaacher un contact imm\xc3\xa9diat ; elle sert donc de milieu \nentre l\'objet tangible et l\'organe primitif du toucher, \nqui est \xc3\xa0 l\'int\xc3\xa9rieur (5) . \n\nOn objectera peut-\xc3\xaatre que d\xc3\xa8s que la chair entre \nen contact avec un objet , une sensation se produit \naussit\xc3\xb4t ; et il faut avouer qu\'il y a quelque diff\xc3\xa9rence \nsous ce rapport entre le toucher et les autres sens. Ici \nen effet ce n\'est pas le milieu qui nous modifie : nous \nsommes modifi\xc3\xa9s en m\xc3\xaame temps que lui. Mais il ne \ns\'ensuit pas de l\xc3\xa0 que la chair soit l\'organe m\xc3\xaame du \ntoucher. En effet , supposons qu\'on recouvre la chair \nd\'une membrane, la sensation se produira encore \ninstantan\xc3\xa9ment ; cependant il est bien clair que cette \nmembrane n\'est point l\'organe du sens : ajoutons que \nsi cet interm\xc3\xa9diaire \xc3\xa9tait de m\xc3\xaame nature que la \npeau, la sensation le traverserait encore plus vite. Il \nen est ici comme d\'un homme frapp\xc3\xa9 \xc3\xa0 travers son \nbouclier : ce n\'est pas le bouclier qui , \xc3\xa9tant frapp\xc3\xa9 , \na port\xc3\xa9 le coup, mais l\'homme et le bouclier ont \xc3\xa9t\xc3\xa9 \ntous les deux frapp\xc3\xa9s en m\xc3\xaame temps (6). D\'ailleurs , \n\n(l)De l\'\xc3\xa2me, II, 11, \xc2\xa7 l, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (2) Part, des anim.,II, 5, 8.\xe2\x80\x94 (3) De \nTame, H, 1 1, \xc2\xa7 9.\xe2\x80\x94 (4) Ibid., II, 7, \xc2\xa7 8. -(5) Ibid., II, 1 1 , \xc2\xa7 1, \xc2\xa7 9.\xe2\x80\x94 (fi) !bid., \n\nIl, 11, ^3, 7, 8. \n\n\n\nDU TOUCHER. 61 \n\nde m\xc3\xaame que l\'air est un milieu commun pour l\'o- \ndorat , pour l\'ou\xc3\xafe et pour la vue, certaines parties de \nla chair servent \xc3\xa0 la fois d\'interm\xc3\xa9diaire pour le tou- \ncher et pour le go\xc3\xbbt (1). Quant \xc3\xa0 l\'organe int\xc3\xa9rieur et \npremier du toucher, on ne lui a point donn\xc3\xa9 de nom, \nparce que ce sens \xc3\xa9tant commun \xc3\xa0 tous les animaux , \nil n\'y avait pas lieu de les distinguer par l\xc3\xa0 , et parce \nqu\'il \xc3\xa9tait difficile de d\xc3\xa9couvrir l\'organe du toucher , \ncomme \xc3\xa9tant plus int\xc3\xa9rieur que ceux des autres \nsens (2). Cependant il est certain que le toucher a son \nprincipedans le voisinage du c\xc5\x93ur(3) ; car il tend \xc3\xa9vi- \ndemment vers ce si\xc3\xa8ge commun de tous les sens (4). \nAu reste, l\'organe du toucher est relatif aux qua- \nlit\xc3\xa9s tangibles , c\'est-\xc3\xa0-dire au chaud et au froid, au \nsec et \xc3\xa0 l\'humide , et la partie o\xc3\xb9 r\xc3\xa9side ce sens est en \npuissance ce que les tangibles sont en acte. En effet \nsentir c\'est \xc3\xa9prouver un certain changement ; or ce \nqui rend une chose semblable \xc3\xa0 soi , ne le fait que \nparce que cette chose est d\xc3\xa9j\xc3\xa0 telle en puissance. Yoil\xc3\xa0 \npourquoi nous ne sentons pas ce qui est chaud ou \nfroid , dur ou mou au m\xc3\xaame degr\xc3\xa9 que nos organes ; \nnous ne sentons que l\'exc\xc3\xa8s de ces qualit\xc3\xa9s , comme \nsi le sens \xc3\xa9tait une sorte de moyenne entre les qualit\xc3\xa9s \ncontraires des objets qui agissent sur lui, et que ce \nf\xc3\xbbt l\xc3\xa0 pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment ce qui le rend capable d\'en faire le \ndiscernement. En effet, c\'est surtout le moyen ternie \nqui est propre \xc3\xa0 juger de chacun des extr\xc3\xaames, parce \nqu\'il peut devenir l\'un ou l\'autre. Aussi l\'organe du \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa2me, II, il, \xc2\xa7> 4, 5.\xe2\x80\x94 (2) Hist. des anim., I, 3; Part, des anim,, \nII, 10, p. 656, h, 1.34.\xe2\x80\x94 (3) Part, des anim. , II, 10, p. 656, a, 1. 30 ; De la \nscmsat., II, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (4) Del\xc3\xa0 jeunesse, etc., III, \xc2\xa76. \n\n\n\n62 DU TOUCHER. \n\ntoucher ne doit-il \xc3\xaatre ni chaud ni froid pour \xc3\xaatre en \n\xc3\xa9tat de percevoir ces deux qualit\xc3\xa9s (1). Un juste tem- \np\xc3\xa9rament des qualit\xc3\xa9s sensibles nous est d\'ailleurs plus \nagr\xc3\xa9able que leur exc\xc3\xa8s. La sensation \xc3\xa9tant comme \nun rapport et une mesure , tout exc\xc3\xa8s la rend p\xc3\xa9nible \nou m\xc3\xaame impossible (2). \n\nS\'il est vrai que le toucher s\'applique \xc3\xa0 ses objets \ncomme une sorte de moyen terme , et que son organe \nre\xc3\xa7oive toutes les qualit\xc3\xa9s distinctives de la terre , le \nchaud, le froid et toutes les qualit\xc3\xa9s tangibles , il est \nimpossible que cet organe se puisse r\xc3\xa9soudre en un \nseul \xc3\xa9l\xc3\xa9ment , et qu\'il ne soit compos\xc3\xa9 que de feu , \nd\'air ou terre (3) , quoiqu\'il se rapporte plus particu- \nli\xc3\xa8rement \xc3\xa0 la terre (4) . \n\nTous les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s dont le corps est simple sont \ndonc priv\xc3\xa9s du toucher, et tout animal a un corps \ncompos\xc3\xa9 , car il ne peut y avoir d\'animal sans le tou- \ncher (5). Il est des animaux imparfaits qui n\'ont pas \nd\'autre sens (6); mais il n\'en est point qui soient pri- \nv\xc3\xa9s de celui-l\xc3\xa0 , parce qu\'il est la condition de tous \nles autres (7) . Il est le plus commun de tous ; il est \naussi le plus n\xc3\xa9cessaire (8). Les autres sens servent \nau bien-\xc3\xaatre de l\'animal : le toucher seul lui est indis- \npensable. Sans lui , l\'animal serait incapable de s\'at- \ntacher \xc3\xa0 certains objets ou de les \xc3\xa9viter, et par con- \ns\xc3\xa9quent de se conserver lui-m\xc3\xaame (9). Il est \xc3\xa9vident \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 11, \xc2\xa7 10, \xc2\xa7 11. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., III, 2, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., III, \n13, \xc2\xa7 l pass. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat. , II, \xc2\xa7 13 \xe2\x80\x94 (5) De l\'ame, III, 12, \n\xc2\xa7\xc2\xa72,5,7; III, 13, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, ll.,|l. - (7) Ibid., II, 3, \xc2\xa77; \nIII, 13, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (s) Ibid., II, 2, \xc2\xa7 1 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie. , III, 13, p. 1118, a; De \nla sensat., I , \xc2\xa7 8 ; Hist. des anim., I, 3; IV, 8 init. ; VIII , 12 init. \xe2\x80\x94 \n(9) De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa7\xc2\xa7 fi, 7, 8. \n\n\n\nDU TOUCHER. 63 \n\nque ce sens est le seul dont la perte entra\xc3\xaene la mort. \nLes objets des autres sens , les couleurs , les sons , les \nodeurs ne sauraient tuer l\'animal lui-m\xc3\xaame, si ce n\'est \npar accident , lorsque , par exemple , un coup violent \naccompagne le son ou que les sensations de la vue \net de l\'odorat mettent en mouvement d\'autres parties, \nde mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 d\xc3\xa9truire l\'animal par le toucher. De \nm\xc3\xaame , si les saveurs le peuvent tuer, c\'est que l\'or- \ngane du go\xc3\xbbt est en m\xc3\xaame temps tactile. Au contraire, \nla violence et l\'exc\xc3\xa8s des qualit\xc3\xa9s tangibles, comme \nle chaud, le froid ou la duret\xc3\xa9, peuvent causer la mort, \nparce que l\'exc\xc3\xa8s de toute qualit\xc3\xa9 sensible d\xc3\xa9truit \nl\'organe qui sert \xc3\xa0 la percevoir, et que le toucher est \nce qui constitue essentiellement l\'animal (1). C\'est le \npremier de tous les sens ; tout dans le corps , les os , \nles nerfs, la peau, les veines, tout est dispos\xc3\xa9 en vue \nde ce sens (2). \n\nLe toucher est proprement le sens de l\'alimenta- \ntion. Tous les animaux, en effet, se nourrissent de \nchoses s\xc3\xa8ches ou liquides , chaudes ou froides , et ce \nsont l\xc3\xa0 les objets propres du toucher. S\'il s\'applique \naux autres qualit\xc3\xa9s des corps , c\'est indirectement. \nNi le son , ni la couleur, ni l\'odeur ne contribuent en \nrien \xc3\xa0 la nourriture de l\'animal , mais seulement la \nsaveur, qui est en quelque fa\xc3\xa7on une chose tan- \ngible (3). \n\nC\'est parce que tous les animaux ont la facult\xc3\xa9 in- \nn\xc3\xa9e de sentir les changements qui se font du chaud au \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa0me, III, 13, \xc2\xa7 2,\xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (2) Part, des anim .,. II, 8.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 3, \xc2\xa7 3; II, 10, \xc2\xa7 1, \xc2\xa74. \n\n\n\n64 DU TOUCHER. \n\nfroid et du froid au chaud, qu\'ils se choisissent des \ndemeures (1). \n\nDu moment qu\'un animal a le toucher, il est ca- \npable de plaisir et de peine , et par cons\xc3\xa9quent de \nd\xc3\xa9sir et m\xc3\xaame de fantaisie jusqu\'\xc3\xa0 un certain point (2) . \n\nBien que le toucher ne repr\xc3\xa9sente point la partie \nmorale de l\'\xc3\xa2me (3), c\'est cependant par rapport aux \nplaisirs du toucher et du go\xc3\xbbt qu\'un homme est dit \ntemp\xc3\xa9rant ou intemp\xc3\xa9rant (4) . \n\nLe toucher est tr\xc3\xa8s-parfait chez l\'homme. Pour les \nautres sens , l\'homme est au-dessous de bien des ani- \nmaux ; mais pour le toucher, il leur est sup\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 \ntous (5). C\'est pour cela que sa chair est de toutes la \nplus molle (6) . C\'est aussi pour cela qu\'il est le plus \nintelligent des animaux. M\xc3\xaame dans l\'esp\xc3\xa8ce humaine, \nc\'est d\'apr\xc3\xa8s l\'organe du toucher que l\'on peut recon- \nna\xc3\xaetre ceux qui sont bien ou mal dou\xc3\xa9s par la nature. \nEn effet , ceux qui ont la chair dure sont mal partag\xc3\xa9s \npour l\'esprit, ceux qui ont la chair molle sont au con- \ntraire bien dou\xc3\xa9s (7). \n\nTelle est l\'importance de ce premier sens, le seul \nqui soit commun \xc3\xa0 tous les animaux. O\xc3\xb9 manque le \ntoucher, tous les autres sens manquent \xc3\xa9galement. \nMais , de m\xc3\xaame que la facult\xc3\xa9 de nutrition peut s\'iso- \nler de toutes les autres facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa0me et m\xc3\xaame de \nla sensibilit\xc3\xa9 , de m\xc3\xaame le toucher se rencontre seul \nchez certains animaux (8). \n\n\n\n(i)Hist. desanim., VIII , 12. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa0me, III, 11, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (3) Polit., V, \n5, \xc2\xa7 T. - (4) Mor. \xc3\xa0 Nie., III, 10 ; Gr. Mor. , 1 , 22 ; Probl. , XXVIII , 7. \xe2\x80\x94 \n\n(5) De l\'\xc3\xa0me ; II , 9, \xc2\xa72 ; De la sensat., IV, \xc2\xa72; Hist. des anim., I, 15. \xe2\x80\x94 \n\n(6) Part, des anim., II, 16 fin. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (8) Ibid., II, 2, \n\xc2\xa7 4, \xc2\xa711; III, 13, \xc2\xa7 1. \n\n\n\nCHAPITRE VIII. \n\nDU GOUT ( fevcTTixciv , ye\xc3\xbbffi\xc3\xa7). \n\nLe go\xc3\xbbt a pour objet propre la saveur (f). La sa- \nveur ne se rencontre que dans un corps humide, \ncomme dans une mati\xc3\xa8re (2) : le go\xc3\xbbt para\xc3\xaet donc \ns\'appliquer \xc3\xa0 l\'humide (3); mais l\'aliment dont la sa- \nveur est une qualit\xc3\xa9 (4) ne se rapporte exclusivement \nni au sec ni \xc3\xa0 l\'humide ; il est plut\xc3\xb4t un m\xc3\xa9lange de \nces deux choses , en sorte que la saveur ne se rap- \nporte au sec et \xc3\xa0 l\'humide qu\'en tant qu\'ils sont nutri- \ntifs (5). La faim est un d\xc3\xa9sir du sec et du chaud , la \nsoif un d\xc3\xa9sir du froid et de l\'humide, et la saveur est \npour ainsi dire l\'assaisonnement de tout cela (6). Mais \nle corps sapide ne saurait produire de sensation sans \nhumidit\xc3\xa9 ; il lui faut toujours de l\'humidit\xc3\xa9 , soit en \nacte, soit en puissance, comme pour le sel qui fond si \nfacilement , et qui en m\xc3\xaame temps liqu\xc3\xa9fie pour ainsi \ndire la langue (7). \n\nIl y a entre les saveurs , comme entre les objets de \nchaque sens, une opposition fondamentale : les sa- \nveurs sont douces ou am\xc3\xa8res (8). Les premi\xc3\xa8res sont \ngrasses-, les autres sont sal\xc3\xa9es ou piquantes, et pa- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 6, \xc2\xa7 2; II, 10, \xc2\xa7 2 ; De la sensat., III, etc.\xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 10, \xc2\xa71.\xe2\x80\x94 (3)Ibid., II, 9, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat., V, pass. \xe2\x80\x94 \n(5) Ibid., IV, \xc2\xa7 11. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., II, 10, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 \n(8) Ibid., II, 9, \xc2\xa73; ch. 11, \xc2\xa7 2; III, 2, \xc2\xa7 10; De la sensat., iV,V\xc3\x8f. \n\n5 \n\n\n\n66 DU GOUT. \n\nraissent dans les aliments comme assaisonnement et \npour diminuer l\'effet du doux , qui est trop nourris- \nsant (1). Il faut ajouter les exc\xc3\xa8s de ces qualit\xc3\xa9s, sa- \nvoir le fade et l\'\xc3\xa2pre, l\'acide , l\'aigre et l\'acre, ce qui \nfait en tout sept esp\xc3\xa8ces de saveurs (2); car il ne faut \npas s\'imaginer que les esp\xc3\xa8ces de saveurs soient en \nnombre infini (3), \n\nOutre les objets qui ont de la saveur, le go\xc3\xbbt juge \nencore de ceux qui sont insipides, c\'est-\xc3\xa0-dire qui ont \npeu de saveur, comme l\'eau, ou qui ont une saveur \nmauvaise et capable de d\xc3\xa9truire le sens lui-m\xc3\xaame (4). \n\nTels sont les objets auxquels s\'applique le go\xc3\xbbt , et \ndont le principe para\xc3\xaet \xc3\xaatre dans l\'humide ou dans ce \nqui est ou n\'est pas potable (5) . La facult\xc3\xa9 de go\xc3\xbbter \nse trouve dans ce qui poss\xc3\xa8de en puissance ces quali- \nt\xc3\xa9s, et elle a pour objet tout corps qui produit en acte \nces m\xc3\xaames qualit\xc3\xa9s (6). Si ce corps est humide , il faut \nque l\'organe du go\xc3\xbbt ne soit ni humide ni incapable \nde le devenir ; car, pour qu\'il soit modifi\xc3\xa9 par l\'objet \nsapide en tant que sapide, il faut que l\'organe, tout \nen restant le m\xc3\xaame , soit capable de s\'humecter sans \n\xc3\xaatre humide en acte. Ce qui le prouve, c\'est qu\'en ef- \nfet la langue ne per\xc3\xa7oit les saveurs ni quand elle est \ns\xc3\xa8che ni quand elle est trop humide , car elle ne sent \nalors que le premier humide qui l\'a affect\xc3\xa9e , comme \ncela arrive quand on veut go\xc3\xbbter une saveur apr\xc3\xa8s \nen avoir senti une autre tr\xc3\xa8s-forte ; de m\xc3\xaame , lors- \nqu\'on est malade, tout semble amer, parce que la \n\n\n\n(1) De la sensat., IV, \xc2\xa7 12. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., IV, \xc2\xa7 13; De l\'\xc3\xa2me, II, 10, \n\xc2\xa75; II, 11, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) De la sensat., IV, \xc2\xa7 1 fi. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II , 10, \xc2\xa73. \n\n\xe2\x80\x94 (5) Ibid., \xc2\xa73. \xe2\x80\x94 (C) Ibid., \xc2\xa75. \n\n\n\nDU GOUT. 67 \n\nlangue est pleine d\'une humidit\xc3\xa9 qui a cette amer- \ntume (1). \n\nL\'acte du go\xc3\xbbt, comme celui des autres sens, para\xc3\xaet \ns\'accomplir, non en \xc3\xa9mettant quelque chose de nous- \nm\xc3\xaames, mais en recevant quelque chose du dehors (2). \nChaque sens, en effet, subit l\'action, de la qualit\xc3\xa9 qu\'il \nposs\xc3\xa9dait en puissance, et la saveur est la qualit\xc3\xa9 sen- \nsible qui a la propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 de faire passer le go\xc3\xbbt de la \npuissance \xc3\xa0 l\'acte (3). On appelle proprement go\xc3\xbbt \n(yevai\xc3\xa7) l\'acte de la facult\xc3\xa9 de go\xc3\xbbter (y\xc3\xa7ucrwov) , mais \nl\'acte de la saveur n\'a point re\xc3\xa7u de nom (4). \n\nTout exc\xc3\xa8s dans les saveurs \xc3\xa9chappe au sens du \ngo\xc3\xbbt, parce que la sensation est en quelque sorte un \nrapport et une moyenne. Aussi , quoique le doux et le \nsal\xc3\xa9 soient agr\xc3\xa9ables dans leur puret\xc3\xa9, l\'harmonie \nconsiste plut\xc3\xb4t dans un m\xc3\xa9lange des qualit\xc3\xa9s con- \ntraires ; la sensation en est comme la r\xc3\xa8gle et la me- \nsure : l\'exc\xc3\xa8s de ces qualit\xc3\xa9s la rend p\xc3\xa9nible ou la \ncorrompt (5). \n\nC\'est par le moyen de la langue qu\'on per\xc3\xa7oit les \nsaveurs (6) . Cet organe a deux parties distinctes (7) , \net c\'est surtout dans sa partie post\xc3\xa9rieure qu\'il est \npropre \xc3\xa0 sa fonction ; car c\'est au moment de la d\xc3\xa9- \nglutition que nous discernons les qualit\xc3\xa9s des mets \ngras , doux ou sal\xc3\xa9s (8) . Dans tous les animaux la \nlangue est plac\xc3\xa9e par-devant (9) . Chez plusieurs , elle \nsert \xc3\xa0 la fois \xc3\xa0 percevoir les saveurs et \xc3\xa0 se faire en- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, iO, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (2)Topiq., I, 14, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (a) De la sensat, \nIV, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (5) lbid., \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (6) Hist. des \nanim. , I, 15; IV, 8; Part, des anim., II, 16; De l\'\xc3\xa2me, II , 8, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 \n(7) Part, des anim. , II, 10.\xe2\x80\x94 (8) lbid-, IV, 11.\xe2\x80\x94 (9) Hist. des anim., I, 15, \n\n\n\n68 DU GOUT. \n\ntendre (4); la langue de l\'homme en particulier est \nd\'une nature d\xc3\xa9li\xc3\xa9e et de la chair la plus molle, et \npar suite admirablement appropri\xc3\xa9e \xc3\xa0 ces deux fonc- \ntions^). \n\nLe go\xc3\xbbt , comme le toucher, semble s\'exercer par \nun contact imm\xc3\xa9diat (3)*, mais nous percevons la sa- \nveur par un interm\xc3\xa9diaire , aussi bien que le son , \nl\'odeur et la couleur (4). Peut-\xc3\xaatre m\xc3\xaame, si nous \nvivions dans l\'eau , la saveur serait-elle comme l\'o- \ndeur : elle serait per\xc3\xa7ue de plus loin et avant d\'\xc3\xaatre en \ncontact avec notre corps (5). Mais ce n\'est ni l\'air ni \nl\'eau, c\'est la chair qui est le milieu commun du tou- \ncher et du go\xc3\xbbt ; et si toutes les parties de la chair \npouvaient, aussi bien que la langue, sentir \xc3\xa0 la fois \nles qualit\xc3\xa9s tangibles et les saveurs , ces deux sens \nn\'en feraient qu\'un peut-\xc3\xaatre , car la saveur, comme \nqualit\xc3\xa9 de l\'humide , est une chose tangible (6) ; mais \nle go\xc3\xbbt porte sur ce qui est \xc3\xa0 la fois tangible et nu- \ntritif (7), et il y a lieu d\'en faire un sens distinct du \ntoucher (8) . \n\nL\'organe principal de ces deux sens est au c\xc5\x93ur ; \nils y tendent \xc3\xa9videmment comme vers l\'organe cen- \ntral et commun de tous les sens (9). \n\nApr\xc3\xa8s le toucher, dont il semble n\'\xc3\xaatre qu\'une par- \ntie ou une esp\xc3\xa8ce (10), le go\xc3\xbbt est le plus parfait des \n\n\n\n(l)De la respiral., XI, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (2) Part, des anim., I\xc3\xae, 17. Pour com- \npl\xc3\xa9ter la th\xc3\xa9orie physique et physiologique du go\xc3\xbbt, voir la section XXXIV \ndes Probl\xc3\xa8mes. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 10, \xc2\xa7 1 ; ch. 11, \xc2\xa7 7 ; De la sensat., \nV. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, H, 11, \xc2\xa77; ch. 7, \xc2\xa78. \xe2\x80\x94 (5) Ibid. , II, 10, \xc2\xa7 1 ; Del\xc3\xa0 \nsensat., VU \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, 11, 3, \xc2\xa73; II, 10, \xc2\xa7 1, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., III, \n12, \xc2\xa77. - (8) Ibid., II, 11, \xc2\xa74, \xc2\xa75; III, 13, \xc2\xa72; \xe2\x80\x94 (9) De la sensat., II, \n\xc2\xa7 13; Part, des anim., II, 10; De la jeunesse, III.\xe2\x80\x94 (10) Part. des anim., \n11,17; De la sensat., II, \xc2\xa7 1 3 ; De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \xc2\xa72. \n\n\n\nDU GOUT. 69 \n\nsens de l\'homme (1). Il est commun, du reste, \xc3\xa0 la \nplupart des animaux (2), peut-\xc3\xaatre m\xc3\xaame \xc3\xa0 tous (3). \nEn effet , il para\xc3\xaet leur \xc3\xaatre n\xc3\xa9cessaire pour la nutri- \ntion, dont il est le sens sp\xc3\xa9cial (4); il leur permet de \ndistinguer dans les aliments l\'agr\xc3\xa9able et le d\xc3\xa9sa- \ngr\xc3\xa9able , de mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 \xc3\xa9viter l\'un et \xc3\xa0 rechercher \nl\'autre (5). \n\nLes donn\xc3\xa9es du go\xc3\xbbt sont aussi \xc3\xa9trang\xc3\xa8res que \ncelles du toucher aux affections morales de l\'\xc3\xa2me (6); \nmais la temp\xc3\xa9rance et l\'intemp\xc3\xa9rance sont relatives \naux plaisirs et aux peines de ces deux sens (7) . \n\n\n\n( 1) Hist. des anim. , 1 , 15; De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (2) De P\xc3\xa2me , II, 8 , \n\xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94(3) De lasensat.,I,\xc2\xa78; De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, \n1. c\xe2\x80\x94 (5) Delasensat. I; De l\'\xc3\xa2me, III, 13, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (6) Polit., V, 5, \xc2\xa77. \n- (7) Gr. Mor, 1 , 22; Probl. XXVIII, 7. \n\n\n\nCHAPITRE IX. \n\n\n\nDE L\'ODORAT ( \xc3\xb4acppavxtxo\'v, \xc3\xb4ucppriai\xc3\xa7 ). \n\n\n\nL\'objet de l\'odorat est l\'odeur (1). Il est plus diffi- \ncile d\'en d\xc3\xa9terminer la nature que de dire ce qu\'est \nla saveur, le son ou la couleur (2). L\'objet odorant \nest-il fum\xc3\xa9e, air ou vapeur ? c\'est ce qu\'on ne saurait \nd\xc3\xa9cider du premier coup (3). Assur\xc3\xa9ment ce n\'est pas \nun corps, mais une qualit\xc3\xa9 ou un mouvement d\'un \ncorps (4) . Cette qualit\xc3\xa9 a beaucoup d\'analogie avec la \nsaveur , mais elle ne se rencontre point dans les \nm\xc3\xaames objets (5). En effet, tandis que la saveur est une \npropri\xc3\xa9t\xc3\xa9 de l\'humide , l\'odeur est une propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 du \nsec (6); elle para\xc3\xaet n\'\xc3\xaatre autre chose qu\'une exha- \nlaison fumeuse provenant du feu (7), et que d\xc3\xa9truisent \nle froid et la cong\xc3\xa9lation (8). \n\nLes odeurs sont comme les saveurs , acres, douces, \n\xc3\xa2pres , aigres et grasses ; les odeurs infectes res- \nsemblent , jusqu\'\xc3\xa0 un certain point , aux saveurs \nam\xc3\xa8res (9). \nL\'odorat ne per\xc3\xa7oit pas seulement ce qui est odo- \n\n\n\n(0 De l\'\xc3\xa2me, 11,9, \xc2\xa74; Hist. des anim., 1,1 1. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, ib.,\xc2\xa7l; \nDe la sensat., IV, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) Probl. XII, 10. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat., VI, \xc2\xa7 13. \n\xe2\x80\x94 (5) Ibid. , IV, \xc2\xa7 2 ; V, \xc2\xa7\xc2\xa7 2, 3, etc.- (6) De l\'\xc3\xa2me , II, 9 , \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (1) De \nla sensat. , II , \xc2\xa7 12. \xe2\x80\x94 (8) Ibid. , V, \xc2\xa7 6. - (9) Ibid,; De l\'\xc3\xa2me , II , 9, \xc2\xa7 3. \n\n\n\nDE L\'ODORAT. 71 \n\nrant, mais aussi ce qui est inodore, c\'est-\xc3\xa0-dire ce \nqui a peu ou point d\'odeur (1 ). \n\nLe sens qui per\xc3\xa7oit ces objets est l\'odorat (2), et la \nsensation de l\'odeur agr\xc3\xa9able ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able est \nl\'odoration (3). Tout corps ne saurait donc \xc3\xaatre affect\xc3\xa9 \npar l\'odeur (4) , mais seulement celui o\xc3\xb9 se trouve \nla facult\xc3\xa9 d\'odorer, et l\'odeur ne fait autre chose que \nproduire une certaine sensation ; hors de l\xc3\xa0 , elle ne \npeut pas plus que le son agir sur les corps : ce qui \nagit sur eux , en effet , ce n\'est ni le son ni l\'odeur, \nmais seulement les choses dans lesquelles se trouvent \nces qualit\xc3\xa9s ; ainsi ce n\'est pas le tonnerre, c\'est l\'air \nqui l\'accompagne qui fend le bois (5). \n\nL\'organe de l\'odorat a sa place marqu\xc3\xa9e dans le \ncorps de l\'animal, comme ceux des autres sens ; il est \ndouble (6) : ce sont deux ouvertures ou narines (7) . \nChez certains animaux, l\'appareil olfactif a une sorte \nde rempart ou de fourreau qui est pour lui ce que la \npaupi\xc3\xa8re est pour l\'\xc5\x93il. De m\xc3\xaame qu\'on ne voit point \nquand les paupi\xc3\xa8res sont baiss\xc3\xa9es, mais seulement \nlorsqu\'elles sont lev\xc3\xa9es , ainsi l\'on n\'odore que lors- \nqu\'en aspirant, les veines et les pores venant \xc3\xa0 s\'ou- \nvrir, on \xc3\xa9carte l\'obstacle qui bouchait en quelque \nsorte le sens (8). Yoil\xc3\xa0 pourquoi les animaux qui res- \npirent n\'odorent point dans l\'eau , parce que la res- \npiration y est impossible (9). \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa0me, II , 9, \xc2\xa7 4. Pour compl\xc3\xa9ter cette th\xc3\xa9orie , voir la section XII \ndes Probl\xc3\xa8mes. \xe2\x80\x94 (2) Hist. des anim. ,1,11; IV, 8 \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me , II , 9, \n\xc2\xa7 6.\xe2\x80\x94 (4) Ibid. , ch. 12 , \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (6) Hist. des anim., IV, 8 ; \nDe l\'\xc3\xa0me, II, 9, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (7) Part, des anim. , II, 10. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa0me, II , 9, \n\xc2\xa7 7 ; De la sensat., V, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa0me , II, 9, \xc2\xa7 8. Sur les organe\xc2\xbb \nde l\'odorat, voyez la sect. XXXIII des Probl\xc3\xa8mes. \n\n\n\n72 de l\'odorat. \n\nC\'est une condition commune \xc3\xa0 tous les sens que \nsi un objet est plac\xc3\xa9 imm\xc3\xa9diatement sur l\'organe, on \nn\'en a point la sensation (1). De l\xc3\xa0 la n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 d\'un \ninterm\xc3\xa9diaire entre l\'objet sensible et l\'organe. Gela \nest vrai de l\'odorat aussi bien que des autres sens. \nL\'odeur ne touche point l\'organe , mais elle agit sur \nun milieu qui agit \xc3\xa0 son tour sur l\'organe (2). L\'odo- \nration a lieu ainsi \xc3\xa0 distance, tant\xc3\xb4t dans l\'air et tant\xc3\xb4t \ndans l\'eau (3). En effet , les animaux qui vivent dans \nl\'air et qui respirent, l\'homme par exemple, odorent \nen aspirant , et cessent d\'o dorer quand au lieu d\'aspi- \nrer ils rejettent ou retiennent leur souffle (4) ; mais \nles animaux priv\xc3\xa9s de sang per\xc3\xa7oivent aussi l\'odeur, \net les animaux aquatiques paraissent poss\xc3\xa9der l\'odo- \nrat (5). Ce sens per\xc3\xa7oit donc \xc3\xa0 l\'aide d\'un milieu autre \nque le corps lui-m\xc3\xaame (6) , et quoique ce milieu n\'ait \npoint re\xc3\xa7u de nom, on peut dire que c\'est quelque \nchose qui participe de l\'air et de l\'eau (7). Il ne faut \npas croire que tout l\'acte de l\'odorat soit renferm\xc3\xa9 \ndans la modification du corps qui lui sert de milieu ; \nen effet, odorer c\'est sentir; il faut que l\'air soit \nd\'abord modifi\xc3\xa9, mais il faut de plus que nous le \nsentions (8). \n\nLe sensorium de l\'odorat est proprement au cer- \nveau (9), parce que le cerveau \xc3\xa9tant froid est propre \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \xc2\xa7 6.-(2) Ibid., II, 7, \xc2\xa7 8.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., II, 9, \xc2\xa7 5 ; ch. i 1 , \n\xc2\xa7 4 ; III , 12 , \xc2\xa7 8 ; De la sensat., V, VI. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me , II, 9, \xc2\xa7 6, \xc2\xa7 8 ; II, \n7, \xc2\xa7 9; De la sensat., V; De la respir\xc3\xa2t., VII; Part, des anim., II, 7. \xe2\x80\x94 \n(5) De l\'\xc3\xa2me, II, 9 } \xc2\xa7 5, \xc2\xa7 6.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 12, \xc2\xa7 6.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., II, 7, \xc2\xa7 9.\xe2\x80\x94 \n(8) Ibid ; II, 12, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (9) De la sensat., II , \xc2\xa7 12; V, \xc2\xa7 11; Part, des \nanim., II, 10. \n\n\n\nDE l\'odora\xc3\xaf". 73 \n\n\xc3\xa0 devenir chaud et par cons\xc3\xa9quent \xc3\xa0 percevoir l\'odeur, \nqui est une propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 du feu (1 ) . \n\nDans les sensations de l\'odorat , nous n\'\xc3\xa9mettons \nrien de nous-m\xc3\xaames ; nous recevons au contraire quel- \nque chose du dehors (2). En effet, l\'odorat \xc3\xa9tant en \npuissance l\'odeur, l\'objet sensible agit sur lui de \nmani\xc3\xa8re \xc3\xa0 le faire passer de la puissance \xc3\xa0 l\'acte (3) . \n\nUne certaine mesure est requise dans les objets \nodorants , comme dans toutes les qualit\xc3\xa9s sensibles. \nUne odeur trop forte , qu\'elle soit agr\xc3\xa9able ou d\xc3\xa9s- \nagr\xc3\xa9able, \xc3\xa9chappe \xc3\xa0 l\'odorat, comme si la sensation \n\xc3\xa9tait Une sorte de rapport et de moyen terme (4). Les \nodeurs trop fortes peuvent m\xc3\xaame, en d\xc3\xa9truisant le \nsens de l\'odorat et en attaquant les organes du tou- \ncher , causer la mort de l\' animal : tels sont les effets \ndu soufre, de l\'asphalte et autres corps de ce genre (5). \n\nNous avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 remarqu\xc3\xa9 l\'analogie frappante qui \nexiste entre l\'odorat et le go\xc3\xbbt. On peut dire, en g\xc3\xa9- \nn\xc3\xa9ral , que ce que la saveur est dans l\'eau , l\'odeur \nl\'est \xc3\xa0 la fois dans l\'eau et dans l\'air (6) . Aussi , les \nsaveurs nous \xc3\xa9tant mieux connues que les odeurs (7), \non a donn\xc3\xa9 \xc3\xa0 celles-ci le nom de celles-l\xc3\xa0 (8). Ces \ndeux sortes de qualit\xc3\xa9s vont ordinairement ensemble : \nles pierres sont inodores , parce qu\'elles sont insi- \npides; les bois sont odorants, parce qu\'ils ont une \nsaveur ; bien d\'autres corps sont dans le m\xc3\xaame cas (9). \n\n(1) De la sensat. , II , \xc2\xa7 il. Pour la physiologie de l\'odorat , voir G\xc3\xa9n. des \nanim. 1. V, la seconde moiti\xc3\xa9 du ch. 2.\xe2\x80\x94 (2) Topiq., I, 14, \xc2\xa7 2 ; Probl., XII\xc2\xab \n10.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa7 8 ; II, 12, \xc2\xa7 5 ; III, 2, \xc2\xa7 7, De la sensat., ibid.; \nPhys.,VlII,3,pass.\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa7 4 ; III, 4, \xc2\xa7 5. - (5) Ibid., II, \n9, \xc2\xa76; III, 13, \xc2\xa72. -(6) De la sensat., V, \xc2\xa76 etpass. \xe2\x80\x94(7) Ibid., IV, \xc2\xa72. \n- (8) De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \xc2\xa7 2, - \xc2\xa7 3 ; De la sensat., V, \xc2\xa7 6\xe2\x80\x94 (9) De la sensat,, V, \n3 et pass. \n\n\n\n74 de l\'odorat. \n\nCependant \xc3\xa0 une saveur agr\xc3\xa9able ne correspond pas \ntoujours une odeur agr\xc3\xa9able (1 ). 11 y a plus : quoi \nqu\'en disent certains philosophes, il y a des odeurs \nde deux esp\xc3\xa8ces bien diff\xc3\xa9rentes , les unes qui d\xc3\xa9- \npendent des saveurs et les autres qui ne s\'y rap- \nportent nullement. Les premi\xc3\xa8res ne sont agr\xc3\xa9ables \nou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ables que par accident et non par elles- \nm\xc3\xaames : en effet, l\'odeur des aliments apporte bien \nquelque plaisir \xc3\xa0 ceux qui ont faim ou soif; mais \npour ceux qui sont rassasi\xc3\xa9s et qui n\'ont besoin de \nrien , elle n\'a plus rien d\'agr\xc3\xa9able , parce que l\'ali- \nment qui la contient a cess\xc3\xa9 de leur plaire. Il est \nd\'autres odeurs qui sont agr\xc3\xa9ables en elles-m\xc3\xaames , \npar exemple l\'odeur d\'une fleur ; elles n\'invitent pas \n\xc3\xa0 prendre comme aliment l\'objet odorant , et ne con- \ntribuent en rien \xc3\xa0 provoquer l\'app\xc3\xa9tit : ce serait plut\xc3\xb4t \nle contraire. Ceux qui m\xc3\xaalent ces odeurs aux bois- \nsons , tourmentent le plaisir en quelque sorte, jusqu\'\xc3\xa0 \nce que par l\'accoutumance ils ressentent comme un \nseul plaisir r\xc3\xa9sultant d\'une seule sensation. On com- \nprend que les premi\xc3\xa8res odeurs , celles qui d\xc3\xa9pendent \ndes saveurs, se divisent comme celles-ci, parce qu\'elles \nne sont agr\xc3\xa9ables ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ables que par accident \net par leur rapport \xc3\xa0 la saveur et \xc3\xa0 la nutrition ; mais \nles autres odeurs ne se divisent point de la m\xc3\xaame \nmani\xc3\xa8re, parce qu\'elles sont agr\xc3\xa9ables ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ables \npar elles-m\xc3\xaames {%). D\'ailleurs, \xc3\xa0 dire vrai, l\'odorant \ncomme tel ne contribue pas \xc3\xa0 la nutrition , mais seu- \nlement \xc3\xa0 la sant\xc3\xa9. Ce que la saveur est dans les ali- \nments , l\'odeur l\'est par rapport \xc3\xa0 la sant\xc3\xa9 , et c\'est \xc3\xa0 \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, $ 3. \xe2\x80\x94 (2) De la sensat. i V, pas?. \n\n\n\nDE l\'odorat. 75 \n\ntort que certains pythagoriciens ont pr\xc3\xa9tendu que \nquelques animaux se nourrissent d\'odeurs (1). \n\nL\'odorat semble tenir le milieu entre les deux pre- \nmiers sens , qui s\'exercent par contact imm\xc3\xa9diat , et \nles deux sens qui per\xc3\xa7oivent par un milieu et qui sont \nl\'ou\xc3\xafe et la vue. En effet , les animaux odorent dans \nl\'air ou dans l\'eau. Le corps odorant semble donc \xc3\xaatre \ndans les deux genres : dans le genre des choses tan- \ngibles, puisque l\'humide est tangible, et dans le genre \ndu sonore et du visible , puisqu\'il est surtout per\xc3\xa7u \ndans l\'air (2). \n\nComme la vue et l\'ou\xc3\xafe , l\'odorat per\xc3\xa7oit \xc3\xa0 distance, \nparce qu\'il sent \xc3\xa0 l\'aide d\'un interm\xc3\xa9diaire autre que \nle corps de l\'animal (3). Aussi se peut-il faire que plu- \nsieurs individus sentent \xc3\xa0 la fois la m\xc3\xaame chose odo- \nrante, par exemple de l\'encens (4). \n\nL\'odorat n\'appartient pas \xc3\xa0 tous les animaux, mais \nseulement \xc3\xa0 ceux qui se meuvent d un lieu \xc3\xa0 un autre; \nil n\'est point n\xc3\xa9cessaire \xc3\xa0 leur existence ; mais il leur \nconf\xc3\xa8re une plus grande perfection ; il leur est donn\xc3\xa9 \npour que , sentant de loin leur proie , ils puissent la \nrechercher, et qu\'au contraire ils puissent \xc3\xa9viter les \nobjets nuisibles ou dangereux (5). \n\nCe sens est tr\xc3\xa8s-inf\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 la vue (6) ; il est le pire \nde nos cinq sens (7) , et l\'homme est de tous les ani- \nmaux le moins bien dou\xc3\xa9 pour l\'odorat (8). Il est \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa77; De lasensat., V, \xc2\xa7\xc2\xa7 18, 19.\xe2\x80\x94 (2) De la sensat., \nV, \xc2\xa7 16; Part, des anim., Il, 10; De l\'\xc3\xa0me, II, 11, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) De \nl\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa78; II, 9, \xc2\xa7 5; De lasensat., V,\xc2\xa7 1G; VI , \xc2\xa7 9.\xe2\x80\x94 (4) De \nla sensat. , VI, \xc2\xa7 12. - (\xc3\xb4) De l\'\xc3\xa2me, 11,3, \xc2\xa7 7; III, 12, \xc2\xa78; III, 13, \xc2\xa73? \nDe la sensat. , I , \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (6) Rh\xc3\xa9t. , 1 , 7, p. 1364 , b, 1. 38. - (7) De la- \nsensat. , IV, \xc2\xa7 2; Hist. des anim., IV, 8. \xe2\x80\x94 (8) Probl., XXXI1L 10; De \nl\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa7 i. \n\n\n\n76 de l\'odorat. \n\nvrai que seul il per\xc3\xa7oit les odeurs ind\xc3\xa9pendantes de \nla saveur, tandis que les odeurs nutritives sont com- \nmunes \xc3\xa0 tous les animaux (1). Mais ce qui prouve \ninvinciblement notre inf\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 sous ce rapport et \nl\'imperfection de nos organes olfactifs, c\'est que toute \nperception de l\'odeur est pour nous accompagn\xc3\xa9e de \nplaisir ou de peine. C\'est ainsi que les animaux qui \nn\'ont point de paupi\xc3\xa8res , ne paraissent discerner les \ncouleurs qu\'en tant qu\'elles leur donnent un sujet de \ncrainte ou de s\xc3\xa9curit\xc3\xa9 (2). \n\nAu reste , les plaisirs qui r\xc3\xa9sultent des odeurs sont \npour l\'homme sans m\xc3\xa9lange de peine (3), et l\'odorat \nest sup\xc3\xa9rieur au go\xc3\xbbt et au toucher par les notions \nqu\'il fournit, et dont l\'entendement tire tant\xc3\xb4t des \nconnaissances sp\xc3\xa9culatives , tant\xc3\xb4t des motifs d\' ac- \ntion (4). \n\n\n\n(i) De la sensat. , V, pass, \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \xc2\xa7\xc2\xa7 1 , 2. \xe2\x80\x94 (3) Mor, \xc3\xa0 \nNie , X, 2, p. 1173, b. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat., I, \xc2\xa79. \n\n\n\nCHAPITRE X, \n\nde l\'ou\xc3\xafe ( \xc3\xa0y-oi) ). \n\nL\'ou\xc3\xafe a pour objet propre le son (1 ) , lequel est \nen acte ou en puissance , car les corps sonores , \ncomme l\'airain et tous les corps rudes et lisses , ne \nr\xc3\xa9sonnent pas toujours (2). Le son en acte r\xc3\xa9sulte \nd\'une percussion de corps solides qui se choquent \nentre eux et qui frappent l\'air (3) : c\'est le mouve- \nment de ce qui rebondit sous le choc d\'un corps lisse, \nen faisant rebondir l\'air \xc3\xa0 son tour (4). Le son peut \n\xc3\xaatre r\xc3\xa9fl\xc3\xa9chi : il produit alors un \xc3\xa9cho (5) ; il peut \naussi \xc3\xaatre bris\xc3\xa9 et r\xc3\xa9fract\xc3\xa9 tout comme la lumi\xc3\xa8re (6). \n\nJl ne faut pas confondre le son , la voix et la pa- \nrole. La voix est un son propre \xc3\xa0 certains animaux ? \net qui suppose la respiration ; elle ne se produit que \npar le gosier et chez les animaux qui ont des pou- \nmons (7) . La parole est un certain emploi de la voix \nqui se fait au moyen de la langue (8). \n\nLe son se divise en deux esp\xc3\xa8ces principales r \nd\'apr\xc3\xa8s l\'opposition fondamentale du grave et de \nl\'aigu (9). La voix semble bien pr\xc3\xa9senter d\'autres \n\n\n\n(l) Del\'\xc3\xa0me, II, 6, \xc2\xa72; II, 8, \xc2\xa7l; Des songes ,1, \xc2\xa72.- (2) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 8,\xc2\xa71;III,2, \xc2\xa74, \xc2\xa75.-(3) Ibid., II, 8, \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 3- - (4) Ibid., \xc2\xa77. \n\xe2\x80\x94 (5) Ibid. , \xc2\xa72, \xc2\xa7 \xc2\xbb. \xe2\x80\x94 (G) Ibid., \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (:) Hist. des anim., IV, 9. VoyezL \nTrait\xc3\xa9 del\'\xc3\xa0me, 1. II, ch. 8, \xc2\xa7\xc2\xa7 9 et suiv. Tout ce chapitre 8 est \xc3\xa0 consulter \npour la th\xc3\xa9orie physique du son. \xe2\x80\x94 (8) Hist. des anim., ibid. \xe2\x80\x94 (9) De- \nl\'\xc3\xa0me, II, 8, \xc2\xa78. \n\n\n\n78 DE l\'ol\xc3\xafe. \n\noppositions : elle est forte ou faible , douce ou rude , \net elle offre encore d\'autres nuances (1). Mais le \nnombre des esp\xc3\xa8ces de sons est limit\xc3\xa9 (2) , et toutes \nse peuvent r\xc3\xa9duire \xc3\xa0 l\'aigu et au grave , expressions \nemprunt\xc3\xa9es par m\xc3\xa9taphore aux objets du toucher (3). \n\nL\'ou\xc3\xafe fait conna\xc3\xaetre et ce qui est sonore et ce qui \nne l\'est pas , comme de la laine ou une \xc3\xa9ponge , ou \nbien comme une pointe qui frappe une autre pointe (4). \nElle juge en effet du bruit et du silence : car, comme \nle disent les pythagoriciens , l\'un est connu par le \nmoyen de l\'autre (5). C\'est encore au m\xc3\xaame sens que \nl\'on rapporte la connaissance d\'un bruit excessif , \nbien qu\'\xc3\xa0 vrai dire , on ne le per\xc3\xa7oive point (6) , \nAjoutons que les nombres en tant que nombres pa- \nraissent \xc3\xaatre des qualit\xc3\xa9s propres du son (7). \n\nTels sont les objets de cette partie de la sensibilit\xc3\xa9 \nqu\'on appelle l\'ou\xc3\xafe ou facult\xc3\xa9 d\'entendre (8) , et \ndont l\'acte est l\'audition (9). \n\nSi le corps r\xc3\xa9sonnant \xc3\xa9tait plac\xc3\xa9 imm\xc3\xa9diatement \nsur l\'organe de l\'ou\xc3\xafe, on ne l\'entendrait point (10). \nL\'ou\xc3\xafe per\xc3\xa7oit les sons \xc3\xa0 distance et \xc3\xa0 l\'aide d\'un mi- \nlieu , qui est l\'air ou m\xc3\xaame l\'eau (1 1), Le corps so- \nnore meut d\'abord le milieu , lequel \xc3\xa0 son tour \nmeut l\'organe (12). Aussi pourrait-on croire qu\'il \nn\'y a pas simultan\xc3\xa9it\xc3\xa9 entre la production d\'un son \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa0me, II, 1 1, \xc2\xa7 2. - (2) De la sensat., III, \xc2\xa7 20.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, \nH, 8, \xc2\xa78.\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa0me, II, 8, \xc2\xa7 1, \xc2\xa7 7 ; ch. 9, \xc2\xa7 4 ; ch. 1 1, \xc2\xa7 12.\xe2\x80\x94 \n(5) Ibid., ch. 10, \xc2\xa7 3 ; Du ciel, II, 9. Cf. M\xc3\xa9taph., X, J. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, \nibid. \xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph. , XIII , 3. \xe2\x80\x94 (8) Gr. Mor. , 1 , 19; Topiq., V, G, \xc2\xa7 5, \xe2\x80\x94 \n(9) Des songes, I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (10) De l\'\xc3\xa2me, II, 7, \xc2\xa78. \xe2\x80\x94 (11) Ibid., \xc2\xa79; \n11,8, \xc2\xa73etpass. ; cm 11, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, 7,9; III, 12, \xc2\xa7\xc2\xa76, 8; De la sensat., I, \xc2\xa7 10,- \nII, \xc2\xa7 1 1 ; V, \xc2\xa7 16 ; VI, \xc2\xa7 9 ; Part, des anim., II , 10 ; Phys., VII, 3. \xe2\x80\x94 \n(12) De l\'\xc3\xa0me, II, 7, \xc2\xa78. \n\n\n\n\n\n\nDE l\'ou\xc3\xafe. 79 \n\net la perception de ee m\xc3\xaame son (1). Au reste , \nl\'audition a lieu nou-seulement en ligne droite > mais \nencore de tous c\xc3\xb4t\xc3\xa9s et dans tous les sens (2). \n\nL\'ou\xc3\xafe s\'exerce par le moyen de l\'oreille , organe \ndouble comme ceux de l\'odorat et de la vue (3) , et \nappropri\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'audition par l\'air qui y est contenu , \nqui le constitue comme organe , et qui lui transmet \nles mouvements de l\'air ext\xc3\xa9rieur (4). Il faut que \nl\'air int\xc3\xa9rieur soit \xc3\xa0 l\'abri de toute variation pour que \nl\'organe au fond duquel il est log\xc3\xa9 per\xc3\xa7oive avec \nexactitude toutes les nuances des sons. Si l\'on entend \nm\xc3\xaame dans l\'eau , c\'est qu\'elle ne p\xc3\xa9n\xc3\xa8tre pas jusqu\'\xc3\xa0 \nl\'air int\xc3\xa9rieur ; car d\xc3\xa8s qu\'elle vient \xc3\xa0 s\'introduire dans \nl\'oreille , on ne peut plus entendre. On n\'entend pas \ndavantage quand la membrane est malade. L\'air qui \nest dans les oreilles est toujours m\xc3\xbb d\'un mouve- \nment qui lui est particulier, mais qui n\'est pas un son ; \nle son lui vient du dehors et quand l\'oreille bruit tou- \njours comme lorsqu\'on en approche une corne , c\'est \nun signe que l\'organe est en mauvais \xc3\xa9tat et incapable \nd\'entendre (5). On le voit donc, l\'ou\xc3\xafe se rapporte \nessentiellement \xc3\xa0 l\'air, et son organe ext\xc3\xa9rieur en est \ncompos\xc3\xa9 (6) ; mais le sens lui-m\xc3\xaame a son principe \nau cerveau , ainsi que l\'odorat et la vue (7). \n\nDans le ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne de l\'audition , nous n\'agissons \npoint au dehors , mais nous recevons quelque chose \ndu dehors (8) . Le sens est passif; il est m\xc3\xbb par l\'objet , \n\n\n\n(1) De la sensat. , VI, \xc2\xa79.\xe2\x80\x94 (?) Part, des anim., II, 10, p.656,b, 1. 28. \n\xe2\x80\x94 (3) Ibid., 1. 32.\xe2\x80\x94 (4) Ibid. , 1. l G ; De la sensat. , II, \xc2\xa7 1 1 ; De l\'\xc3\xa2me, II, 8^ \n\xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, ibid. \xe2\x80\x94 (6) Prc-bl., XXXI , 30.\xe2\x80\x94 (7) Part, des anim. , \nII, 10. Pour la physiologie de l\'ou\xc3\xafe, voyez G\xc3\xa9n des anim., 1. V, la premi\xc3\xa8re \npartie du chap. 2. \xe2\x80\x94 (8) Top., I, 14, \xc2\xa7 2. \n\n\n\n80 de l\'ou\xc3\xafe. \n\net l\'ou\xc3\xafe devient semblable au son en acte parce qu\'elle \nle contenait en puissance, On peut, tout en ayant l\'ou\xc3\xafe, \nne pas entendre , de m\xc3\xaame que ce qui a le son ne r\xc3\xa9- \nsonne pas toujours; mais quand la facult\xc3\xa9 d\'entendre \net l\'objet qui peut r\xc3\xa9sonner sont tous deux en acte \ndans l\'organe m\xc3\xaame de l\'ou\xc3\xafe, l\'un devient l\'audi- \ntion, l\'autre la r\xc3\xa9sonnance (1). Au point de vue de \nl\'acte , le son et l\'ou\xc3\xafe sont continus et se confondent \nde telle sorte , malgr\xc3\xa9 leur diff\xc3\xa9rence de nature , qu\'ils \nsont d\xc3\xa9truits ensemble ou subsistent ensemble, ce qui \nn\'a pas lieu pour l\'ou\xc3\xafe et le son en puissance (2). \nDu reste , pour ce sens comme pour tous les autres , \nl\'acte est pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rable \xc3\xa0 la puissance , et chaque facult\xc3\xa9 \nnous est donn\xc3\xa9e , non pour rester \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat de simple \ndisposition , mais pour \xc3\xaatre employ\xc3\xa9e \xc3\xa0 un certain \nusage (3). \n\nLa voix est une harmonie ; la voix et l\'ou\xc3\xafe sont \njusqu\'\xc3\xa0 un certain point une m\xc3\xaame chose (4); l\'harmo- \nnie (5) \xc3\xa9tant une mesure et un rapport , l\'ou\xc3\xafe est aussi \nune sorte de mesure. C\'est pourquoi tout exc\xc3\xa8s dans \nle grave ou dans l\'aigu \xc3\xa9chappe \xc3\xa0 l\'ou\xc3\xafe , et si un son \ntrop l\xc3\xa9ger est pour ainsi dire imperceptible , il ne \nnous est pas moins impossible d\'entendre un bruit \nextr\xc3\xaame et par trop violent (6) . \n\nLe son \xc3\xa9tant per\xc3\xa7u \xc3\xa0 distance, comme l\'odeur, \npeut \xc3\xaatre entendu par plusieurs individus \xc3\xa0 la fois (7;. \nPar une autre analogie de l\'ou\xc3\xafe avec l\'odorat , nous \n\n\n\n(I) Axoust\xc3\xa7, ^o\'cp\xc3\xafjat\xc3\xa7, De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 4, \xc2\xa75; Topiq., V, 2, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 \n(2) De l\'\xc3\xa2me, III , 2 , \xc2\xa7 7 ; Phys., VIII , 3. \xe2\x80\x94 (3) Gr. Mor., I, ?. \xe2\x80\x94 (4) Probl., \nXI \xc2\xab 1 ; De l\'\xc3\xa2me, III , 2 , \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (5) Sur l\'harmonie , voyez la section XIX \ndes Probl\xc3\xa8mes. \xe2\x80\x94 (G) De l\'\xc3\xa2me, II, 10, \xc2\xa73; III, 2, \xc2\xa7 9; III, 4, \xc2\xa75. \xe2\x80\x94 \n(7) Delasensat., VI, \xc2\xa7 12. \n\n\n\nDE L\'OU\xc3\x8fE. 81 \n\nentendons mieux quand nous retenons notre respi- \nration que lorsque nous rejetons notre souffle (1). \nGomme l\'odorat et la vue , l\'ou\xc3\xafe ne se trouve que \nchez les animaux dou\xc3\xa9s de locomotion (2). Ce sens \nne sert en rien \xc3\xa0 la nutrition (3). Il n\'est point n\xc3\xa9ces- \nsaire \xc3\xa0 l\'existence et \xc3\xa0 la conservation de l\'animal ; \nmais il contribue \xc3\xa0 sa perfection , car il est la condi- \ntion de la m\xc3\xa9moire et un des \xc3\xa9l\xc3\xa9ments du langage (4). \nC\'est peut-\xc3\xaatre \xc3\xa0 cause de ses rapports intimes avec \nle langage que l\'ou\xc3\xafe est de tous nos sens le plus sujet \n\xc3\xa0 la destruction ; car le langage est d\'une formation \nbien difficile (5). Mais c\'est de l\xc3\xa0 aussi que vient \n\xc3\xa0 ce sens une sup\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 accidentelle sur la vue. Par \nelle-m\xc3\xaame en effet , l\'ou\xc3\xafe ne donne que les pro- \npri\xc3\xa9t\xc3\xa9s du son , et \xc3\xa0 quelques animaux seulement \nelle fait conna\xc3\xaetre la voix et les signes. Mais par \naccident elle contribue puissamment au d\xc3\xa9veloppe- \nment de la pens\xc3\xa9e et de la r\xc3\xa9flexion : car le langage ? \n\xc3\xa0 l\'aide duquel on \xc3\xa9tudie, tombe sous le sens de \nl\'ou\xc3\xafe , sinon comme acte intellectuel , du moins en \ntant que compos\xc3\xa9 de mots dont chacun est un sym- \nbole. C\'est pourquoi entre ceux qui sont priv\xc3\xa9s d\xc3\xa8s \nleur naissance de la vue ou de l\'ou\xc3\xafe , les aveugles \nsont plus intelligents que les sourds-muets (6). \n\n\n\n(l)Probl., XI, 41. \xe2\x80\x94 (2) Delasensat., I, \xc2\xa7 9 ; De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa78.\xe2\x80\x94 \n(3) De l\'\xc3\xa2me, 1. c, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. , III, 13, \xc2\xa7 3 ; M\xc3\xa9taph. , 1 , 1; Hist. des \nanim.,IX, 1. \xe2\x80\x94 (5) Probl.,XI, 1.\xe2\x80\x94 (6) De la sensat., I, \xc2\xa7 10. \n\n\n\nCHAPITRE XL \n\nDE LA VUE (tyi\xc3\xa7). \n\nTous les corps ont une couleur (1 ) , qui nous sert \xc3\xa0 les \ndistinguer et \xc3\xa0 les comparer par la vue (2). La cou- \nleur est en effet l\'objet propre de ce sens (3) , et \nnous lui r\xc3\xa9servons en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral le nom de visible (4) , \nquoique le visible ne se r\xc3\xa9duise pas \xc3\xa0 la couleur (5) , \ncomme on va bient\xc3\xb4t le voir. \n\nLa couleur n\'est visible que dans la lumi\xc3\xa8re et elle \ny est bien seule visible ; mais il est des choses qu\'on \nne voit pas \xc3\xa0 la lumi\xc3\xa8re et qui dans les t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres pro- \nduisent une sensation visuelle : tels sont certains corps \nqui semblent ign\xc3\xa9s et brillants , comme le champignon, \nla corne , les t\xc3\xaates des poissons , leurs \xc3\xa9cailles et leurs \nyeux. Il est vrai qu\'on ne voit dans les t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres la \ncouleur propre d\'aucun de ces corps. La couleur en \neffet est par essence ce qui meut le diaphane en acte, \net par cons\xc3\xa9quent elle ne saurait \xc3\xaatre vue sans lu- \nmi\xc3\xa8re (6). \n\nLa lumi\xc3\xa8re para\xc3\xaet \xc3\xaatre le contraire des t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres ; \nelle n\'est ni le feu , ni un corps , ni une \xc3\xa9manation ; \nelle est pour ainsi dire la couleur du diaphane , car \n\n\n\n(1) De la sensat., I, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (2)Topiq., I, 15, \xc2\xa7 18. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, \n11,6, \xc2\xa73; De la sensat., 111, \xc2\xa7 3; Des songes, I,\xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 7, \xc2\xa71 ; ch. 10, \xc2\xa7 2; III, 2, \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9taph., V, 15. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, II , 7, \npass. ; M\xc3\xa9taph., XI, 9. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, ibid. , \xc2\xa7\xc2\xa7 l, 2, 4, 5. \n\n\n\nDE LA VUE. 83 \n\nelle r\xc3\xa9sulte de la pr\xc3\xa9sence du feu ou de quelque chose \nde pareil , dont la privation constitue les t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres (1). \nElle n\'est pas non plus un mouvement , mais une es- \nsence, \xc3\xa0 savoir l\'essence du diaphane en tant que \ndiaphane (2). Au reste, la lumi\xc3\xa8re, non plus que les \nt\xc3\xa9n\xc3\xa8bres , ne change rien \xc3\xa0 la nature m\xc3\xaame des \ncorps (3). \n\nLe feu \xc3\xa9tant visible tout \xc3\xa0 la fois dans les t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres \net dans la lumi\xc3\xa8re (4) , la vue doit donc \xc3\xaatre rap- \nport\xc3\xa9e au feu , dont la lumi\xc3\xa8re n\'est qu\'une manifes- \ntation (5). \n\nChaque sens a dans ses objets une opposition prin- \ncipale : les qualit\xc3\xa9s contraires pour la vue sont le \nblanc et le noir (6). Mais il y a entre les couleurs , \naussi bien qu\'entre les sons , plusieurs diff\xc3\xa9rences \nsecondaires , et comme il y a sept esp\xc3\xa8ces de saveurs , \non remarque \xc3\xa9galement sept esp\xc3\xa8ces de couleurs (7). \nLe blanc para\xc3\xaet \xc3\xaatre par excellence l\'objet de la \nvue (8) ; il recueille en quelque sorte la vision , \ntandis que le noir la disperse (9) et semble n\'\xc3\xaatre \nautre chose que l\'absence m\xc3\xaame du visible (10). \n\nLa vue s\'applique d\'ailleurs , non-seulement au vi- \nsible, qui est en acte ou en puissance (11), mais en- \ncore \xc3\xa0 l\'invisible et aux t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres, bien qu\'elle en juge \nd\'une autre mani\xc3\xa8re (12). \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 7, \xc2\xa7 2, \xc2\xa73. Cf. II, 10, \xc2\xa7l,\xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (2) De la sensat., VI, \npass. ; De l\'\xc3\xa2me, ibid. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 12, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. , ch: 7, \xc2\xa7 7. \n\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \xc2\xa7 2, \xc2\xa73; Probl., XXXI, 30.- (6) De l\'\xc3\xa2me, II, 11, \xc2\xa72; ch. 10, \n\xc2\xa75; III, 2, \xc2\xa710; De la sensat., IV, \xc2\xa713; VI, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (7) De la sensat, IV, \n\xc2\xa7 13 ; M\xc3\xa9taph., I, 7. \xe2\x80\x94 (\xc3\xa0) Topiq., III, 5, \xc2\xa7 11. \xe2\x80\x94 (9) Ibid., VII, 3, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 \n(10) M\xc3\xa9t\xc3\xa9orol.,lII,4,p. 374, b; Des couleurs, ch. I.\xe2\x80\x94 (Il) De l\'\xc3\xa2me, II, 7, \n\xc2\xa74;M\xc3\xa9taph., IX, 6; XIII, 3.\xe2\x80\x94 (12) De l\'\xc3\xa2me, 11,9, \xc2\xa7 4 ; ch. 10, \xc2\xa73; \nch. 11, \xc2\xa712; M, 2, \xc2\xa7 3. \n\n\n\n84 DE LA VUE. \n\nOutre son objet propre , et sans parler des choses \nqu\'elle conna\xc3\xaet par accident (1 ) , la vue per\xc3\xa7oit les \nobjets communs , tels que le mouvement et le repos , \nle nombre, la figure, les lignes et l\'\xc3\xa9tendue (2). Ce- \npendant la fonction de ce sens est unique : il ne peut \nque voir, comme l\'ou\xc3\xafe ne peut qu\'entendre (3). \n\nL\'\xc5\x93il est l\'organe de la vue , organe double comme \nceux de l\'ou\xc3\xafe et de l\'odorat (4) ; mais dans l\'\xc5\x93il , \nc\'est surtout la pupille qui sert \xc3\xa0 la vision (5) : la \npeau qui la recouvre est-elle malade , aussit\xc3\xb4t l\'on \nperd la vue (6). L\'\xc5\x93il n\'est point la vue (7) , mais \nil en est la mati\xc3\xa8re, et de m\xc3\xaame que l\'union de l\'\xc3\xa2me \net du corps fait l\'animal , l\'\xc5\x93il est constitu\xc3\xa9 tout en- \nsemble par la pupille et par la vision qui en est l\'\xc3\xa2me \net l\'essence (8). \n\nTandis que par son objet la vue se rapporte au \nfeu , par ses organes elle se rapporte \xc3\xa0 l\'eau : car d\'un \nc\xc3\xb4t\xc3\xa9 son organe imm\xc3\xa9diat, la pupille, est compos\xc3\xa9 \nd\'eau essentiellement (9) , et d\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 le cer- \nveau , organe sup\xc3\xa9rieur dont l\'\xc5\x93il lui-m\xc3\xaame pro- \nc\xc3\xa8de , est la partie du corps la plus froide et la plus \nhumide (10). \n\nL\'organe de la vue est plus parfait chez l\'homme \nque chez d\'autres animaux. En effet, tandis que les \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me , II, 6, \xc2\xa7 4 ; III, 1 , \xc2\xa7 5 suiv. - (2) Ibid., Il , 6, \xc2\xa7 3 ; III , 1 , \n\xc2\xa7 8 ; De la sensat , I, \xc2\xa7 10; IV, \xc2\xa7 15. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 2; Gr. \nMor., 1,19; Topiq., V, 6, \xc2\xa7 6 ; Des songes, I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II , 9, \n\xc2\xa7 7 ; Part, des anim. , II, 10. \xe2\x80\x94 (5) Part, des anim., II , 8 med. ; De l\'\xc3\xa2me, \nII, 1,\xc2\xa7 11 ;ch. 8, \xc2\xa76; 111,1, \xc2\xa73.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, 11,8, \xc2\xa76.- (7) Cat\xc3\xa9g., \nX,\xc2\xa713; De l\'\xc3\xa2me, I, 4, \xc2\xa713.\xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, I\xc3\xaf, 1, \xc2\xa7\xc2\xa7 9, 11 ; Topiq., I, 17, \n\xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (9) Part, des anim., II, 10; De la sensat., II, pass.; De l\'\xc3\xa2mp, II, \n8, \xc2\xa7 6 ; III , 1, \xc2\xa7\xc2\xa7 2 , 3.\xe2\x80\x94 (10) Part, des anim., 1. c. ; De la sensat., II, \n\xc2\xa7 12; G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des anim., V, 1 fin. \n\n\n\nDE LA VUE. 85 \n\nyeux de l\'homme ont une sorte de rempart et de \nfourreau (je veux parler des paupi\xc3\xa8res qui l\'em- \np\xc3\xaachent de voir s\'il ne les meut et ne les ouvre point), \nil est des animaux qui n\'ont rien de pareil et qui \nre\xc3\xa7oivent sans pouvoir s\'en emp\xc3\xaacher l\'impression des \nobjets plac\xc3\xa9s dans le diaphane (1). \n\nLa couleur, pour \xc3\xaatre per\xc3\xa7ue, n\'a pas besoin comme \nla saveur de se combiner avec le milieu qu\'elle tra- \nverse ; elle n\'arrive pas non plus aux organes de la \nvue par voie d\'\xc3\xa9manation (2) ; mais un milieu lui est \nn\xc3\xa9cessaire , car si l\'on venait \xc3\xa0 poser l\'objet visible \nsur la surface m\xc3\xaame de l\'\xc5\x93il , il n\'y auraii point de \nperception (3). La vue per\xc3\xa7oit donc , comme l\'odorat \net l\'ou\xc3\xafe , \xc3\xa0 l\'aide d\'un milieu , qui est le plus sou- \nvent l\'air ou l\'eau (4) , non pas en tant qu\'ils sont \nl\'air et l\'eau , mais en tant qu\'ils sont diaphanes ; car \nc\'est le diaphane que la couleur met en mouvement , \net le diaphane est quelque chose de commun \xc3\xa0 l\'air, \n\xc3\xa0 l\'eau , et m\xc3\xaame \xc3\xa0 beaucoup de corps solides (5). A \nl\'aide de ce milieu , qui est comme son premier or- \ngane (6) , la vue per\xc3\xa7oit \xc3\xa0 distance ^(7) , mais seule- \nment en ligne directe (8). Gependant les rayons vi- \nsuels et les rayons lumineux peuvent \xc3\xaatre bris\xc3\xa9s et \nr\xc3\xa9fract\xc3\xa9s par l\'air et par l\'eau , surtout par l\'eau qui \ncommence \xc3\xa0 se former (9). Sans cette r\xc3\xa9fraction , il \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa77. - (2) Ibid. , II, 10, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 2. \xe2\x80\x94 (}i) Ibid., \neh. il, \xc2\xa79. \xe2\x80\x94 (4) De la sensat., I, \xc2\xa79 ; II, \xc2\xa79, \xc2\xa710; VI, \xc2\xa79; Phys., VII, \n2 med. ; De l\'\xc3\xa2me , II, il, pass.; III, l,\xc2\xa72;ch. 12, \xc2\xa76, \xc2\xa79; ch. 13, \xc2\xa7 3. \n\n\xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, II, 7, \xc2\xa7 2 et pass. ; III, 1, \xc2\xa7 2 ; De la sensat., II. \xe2\x80\x94 (6) Part. \ndes anim , II, 8 med.\xe2\x80\x94 (7) De la sensat., VI, pass. ; De l\'\xc3\xa2me, II, il, pass* \n\n\xe2\x80\x94 (8) Part, des anim., 11,10, p. G66 , b , 1, 30. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, II , 8 , \n\xc2\xa7 4 : M\xc3\xa9t\xc3\xa9orol., 111, 2, 4. \n\n\n\n86 DE LA VUE. \n\nn\'y aurait que t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres pour tout ce qui ne serait pas \nau soleil (1). \n\nLa vision ne r\xc3\xa9sulte pas d\'une \xc3\xa9mission de l\'organe \nvers l\'objet , mais bien plut\xc3\xb4t d\'une action de l\'objet \nou du milieu sur l\'organe (2). Il est certain en effet \nque la vue d\xc3\xa9pend de son objet (3) , et que la vision \nne se produit qu\'avec une modification du sens (4). \nCependant dans certains cas, la mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre du \nsens influe sur ses perceptions. Si , par exemple, nous \navons longtemps consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 du blanc ou du vert , tout \nce que nous regardons ensuite a pour nous cette cou- \nleur (5). \n\nOn doit remarquer que les perceptions de la vue , \ncomme celles de l\'ou\xc3\xafe, sont primitivement accompa- \ngn\xc3\xa9es de quelque sensation douloureuse, mais que \nbient\xc3\xb4t l\'habitude , comme on dit , nous emp\xc3\xaache de \nnous en apercevoir (6) . \n\nGomme en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral un corps p\xc3\xa2tit par l\'effet d\'un \ncorps du m\xc3\xaame genre, mais qui lui est contraire \nen esp\xc3\xa8ce , il n\'y a qu\'une couleur qui puisse subir \nl\'action d\'une couleur (7). Ce qui voit est donc en \nquelque fa\xc3\xa7on rev\xc3\xaatu de couleur (8). Sans doute \nce qui doit percevoir le blanc et le noir ne doit \xc3\xaatre \nen acte ni l\'un ni l\'autre , mais il doit \xc3\xaatre tous les \ndeux en puissance (9). En effet, de m\xc3\xaame que le \nvisible est ou ce qui est vu ou ce qui peut \xc3\xaatre vu , \nil faut distinguer aussi la vue qui est une puis- \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, 11,8, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (2)Ibid.,II, 6, \xc2\xa75; II, 11, \xc2\xa7 8 ; Top., I, 14, \xc2\xa72; \nDe la sens\xc3\xa0t., II; Phys., VII , 2 med. \xe2\x80\x94 (3) M\xc3\xa9taph., V, 15. \xe2\x80\x94 (4) De \nl\'\xc3\xa2me, II, 7, \xc2\xa76. \xe2\x80\x94 (5) Des songes, II, pass. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie., VII, 14.\xe2\x80\x94 \n(7) G\xc3\xa9n. et coir., I, 7 init. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, 111, 2,-\xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (9) Ibid., II, il, \n\n\n\nDE LA VUE. 87 \n\nsance , del\xc3\xa0 vision qui est l\'acte et par suite le but et \nla fin de cette facult\xc3\xa9 (1). Or la vue en acte suppose \nun objet vu en acte (2) ; les deux actes sont simul- \ntan\xc3\xa9s et corr\xc3\xa9latifs (3) ; aussi ne peut-on sentir \xc3\xa0 la \nfois le blanc et le noir (4). Il y a plus : quoique les \npremiers physiciens aient eu tort de pr\xc3\xa9tendre d\'une \nmani\xc3\xa8re g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale et sans restriction que le blanc et le \nnoir n\'existent pas en dehors de nos perceptions , il \nest certain n\xc3\xa9anmoins qu\'il n\'y a de couleur en acte \nque celle qui est vue actuellement (5). \n\nLa lumi\xc3\xa8re pour \xc3\xaatre per\xc3\xa7ue ne doit pas \xc3\xaatre par \ntrop \xc3\xa9clatante ; car l\'exc\xc3\xa8s de lumi\xc3\xa8re est tout aussi \ninvisible que les t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres, quoique par une autre \ncause. Les couleurs trop vives et trop brillantes nui- \nsent \xc3\xa0 la vue et en peuvent d\xc3\xa9truire l\'organe : perte \nirr\xc3\xa9parable , puisqu\'on ne saurait recouvrer la vue \nune fois perdue (6). Nous ne pouvons pas non plus \nvoir au del\xc3\xa0 d\'une certaine distance , \xc3\xa0 cause de la \nfaiblesse de nos organes. Quand la vue contemple les \nplan\xc3\xa8tes, elle y atteint, encore ma\xc3\xaetresse d\'elle-m\xc3\xaame; \nmais quand elle cherche \xc3\xa0 voir les \xc3\xa9toiles , elle tremble \n\xc3\xa0 cause de l\'extr\xc3\xaame \xc3\xa9loignement; et ce tremblement \nest m\xc3\xaame cause que nous attribuons aux \xc3\xa9toiles une \nlumi\xc3\xa8re scintillante : car la sensation est la m\xc3\xaame, que \nle mouvement soit dans la vue ou qu\'il soit dans \nl\'objet. C\'est ainsi qu\'en s\'effor\xc3\xa7ant de voir trop loin , \nla vue se trouble et s\'affaiblit (7). \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 6 ; ch. 3, \xc2\xa7 7 ; Des songes, I , \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9taph., IX , \n6, 8 ; Cat\xc3\xa9g. , X, \xc2\xa7 19 ; Gr. Mor., 1,3. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 6\xe2\x80\x94 (3) De \nlasensat., VI,\xc2\xa79,\xc2\xa7 15.\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (b) Ibid., III , 2, \n\xc2\xa78. \xe2\x80\x94(6) Ibid., II, 10, \xc2\xa73; III, 2, \xc2\xa7 9; ch. 13, \xc2\xa7 2; Cat\xc3\xa9g., X, \xc2\xa720\xc2\xbb \n\xe2\x80\x94 (7) Du ciel , II , 8 ; M\xc3\xa9t\xc3\xa9or. , III, 4 ; De la sensat. , VII , \xc2\xa7 10. \n\n\n\n88 DE LA VUE* \n\nCe sens est pourtant le premier, le plus noble et le \nplus excellent de tous (1). Ce n\'est que par accident \nque l\'ou\xc3\xafe sert davantage \xc3\xa0 notre instruction, comme \nnous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit. \n\nBeaucoup d\'animaux sont priv\xc3\xa9s du sens de la \nvue (2) ; mais on ne doit appeler aveugles que ceux \nqui en sont priv\xc3\xa9s apr\xc3\xa8s l\'avoir poss\xc3\xa9d\xc3\xa9e, ou qui \n\xc3\xa9taient faits pour la poss\xc3\xa9der (3). \n\nLa couleur ne sert pas plus que les sons et les \nodeurs \xc3\xa0 nourrir l\'animal (4). La vue n\'est donc pas \naussi indispensable que le toucher ou m\xc3\xaame que le \ngo\xc3\xbbt. Mais elle a \xc3\xa9t\xc3\xa9 donn\xc3\xa9e aux animaux qui mar- \nchent, dans l\'int\xc3\xa9r\xc3\xaat de leur conservation \xc3\xa0 la fois et \npour leur plus grande perfection (5) . Les mouvements \nd\'un animal , de quelque vigueur qu\'il soit dou\xc3\xa9 , ne \npourraient que l\'exposer \xc3\xa0 des chocs tr\xc3\xa8s-funestes , \ns\'il \xc3\xa9tait priv\xc3\xa9 de la vue (6) , et pour user de compa- \nraison , nous dirons que la vue est la lumi\xc3\xa8re du \ncorps, comme l\'entendement est la lumi\xc3\xa8re de \nl\'\xc3\xa2me (7). \n\nL\'homme est dou\xc3\xa9 du sens de la vue (8) et pr\xc3\xa9f\xc3\xa8re \nles connaissances qu\'il lui doit aux donn\xc3\xa9es de tous \nles autres sens , parce que tous les corps ayant une \ncouleur, la vue nous en d\xc3\xa9couvre les diff\xc3\xa9rences en \ngrand nombre et dans la plus grande perfection (9). \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa2me, III , 3, \xc2\xa7 14; M\xc3\xa9taph., I, 1 init. ; De la sensat, I, \xc2\xa7 10 ; \nG\xc3\xa9n\xc3\xa9r. etcorr., II 5 2fin;Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 5, p. 117 6, a, 1. 1; Rh\xc3\xa9t. , I, \n7. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 7 ; Du sommeil, II, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) Topiq., \nV, fi, \xc2\xa7 6; R\xc3\xa9fut. dessoph., XXII, \xc2\xa7 3; Cat\xc3\xa9g., X, \xc2\xa7 19 ; M\xc3\xa9taph., IX, \n10 fin. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa7 7. - (5) Ibid., III, 12, \xc2\xa78 ; III, 13, \xc2\xa73; \nDe lasensat.,I, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 13, p. 1144 , b. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., \nj 5 6. \xe2\x80\x94 (8) Topiq., V, 8, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94 (9) M\xc3\xa9taph., I , 1 init.; De la sensat., \nI. SIC- \n\n\n\n\xc3\x8e>\xc3\x88 LA VUE. 89 \n\nIl arrive m\xc3\xaame que la vue corrige le toucher (1 ) . De \nplus, c\'est \xc3\xa0 elle surtout, sinon uniquement, que nous \ndevons la connaissance des objets communs, tels que \nl\'\xc3\xa9tendue , le mouvement et le nombre (2). C\'est parce \nque la vue est le principal de nos sens , que l\'imagi- \nnation a re\xc3\xa7u son nom des images que la lumi\xc3\xa8re nous \nr\xc3\xa9v\xc3\xa8le (3). Enfin, quoique la couleur ne puisse deve- \nnir que par accident l\'objet de la pens\xc3\xa9e (4) , nous \ntirons cependant un grand parti des donn\xc3\xa9es de la \nvue, soit pour notre conduite, soit pour notre instruc- \ntion (5). Nous y trouvons d\'ailleurs un plaisir pur, \nsans m\xc3\xa9lange et tout \xc3\xa0 fait ind\xc3\xa9pendant de leur uti- \nlit\xc3\xa9 (6) : aussi les images de la vue sont-elles capables \nd\'exprimer \xc3\xa0 nos yeux , sinon les passions elles-m\xc3\xaames \net les caract\xc3\xa8res, du moins leurs signes ext\xc3\xa9rieurs et \nleurs manifestations corporelles (7) . \n\n(i) Des songes, II, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (2) De la sensat., I, \xc2\xa7 10; IV, \xc2\xa7 15. \xe2\x80\x94 \n\n(3)*\xc3\xb4>\xc3\xa7,cpa(vo), \xc5\x93avToca\xc3\x89a. De l\'\xc3\xa2me, III, 3,\xc2\xa7 14.\xe2\x80\x94 (4) Pli ys., V, 1. \xe2\x80\x94 (5) De \nla sensat., I, \xc2\xa79, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9taph., I, 1 init. ; Mor. \xc3\xa0 Nie., X, 3 ; \np. 1173, b. - (7) Polit., V, 5, \xc2\xa77. \n\n\n\nCHAPITRE XII. \n\n\n\nDU SENS COMMUN OU PREMIER SENSIT1F \n( xoivr\xc3\xa7 afa6iri<7i\xc3\xa7 , Ttpwxov aia\xc3\x94TiTixdv ). \n\n\n\nChacun des cinq sens que nous avons \xc3\xa9tudi\xc3\xa9s, r\xc3\xa9sir \ndant en un organe particulier capable de le recevoir, \ns\'applique \xc3\xa0 un certain genre d\'objets sensibles et en \nper\xc3\xa7oit les qualit\xc3\xa9s distinctives ; c\'est ainsi que la vue \nconna\xc3\xaet le blanc et le noir, le go\xc3\xbbt conna\xc3\xaet le doux et \nl\'amer, et de m\xc3\xaame pour les autres sens(1). Il y a \nplus : non-seulement nous voyons et nous entendons, \nmais encore nous sentons que nous voyons et que nous \nentendons ; une m\xc3\xaame sensation nous fait conna\xc3\xaetre \nl\'acte de la vue et la couleur qui en est l\'objet (2) . \n\nMais s\'il s\'agit de deux objets de diff\xc3\xa9rentes natures , \ncomment jugeons-nous que le blanc n\'est pas le doux, \nque le noir n\'est pas l\'amer (3) ? C\'est assur\xc3\xa9ment par \nquelque sens , car ce sont l\xc3\xa0 des choses sensibles ; mais \nce n\'est ni par la vue seule ni par le seul sens du go\xc3\xbbt , \nni m\xc3\xaame par tous les deux ensemble, puisqu\'il s\'agit \nd\'une perception unique donn\xc3\xa9e par un sens unique. \nEn effet comment des sens s\xc3\xa9par\xc3\xa9s pourraient-ils \njuger que le doux est autre que le blanc? Pour faire \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 1 suiv. Cf. Phys. VII, 2 med. \n\xe2\x80\xa2 (3) De l\'\xc3\xa0me-, ibid.; Physique, VII , &. \n\n\n\nD\xc3\x9b SENS COMMUN. 91 \n\nce jugement , il est n\xc3\xa9cessaire qu\'un seul et m\xc3\xaame \nsens per\xc3\xa7oive ces deux qualit\xc3\xa9s. Si je connais une \nchose et toi une autre, il est clair que ces deux choses \nseront diff\xc3\xa9rentes ; mais il faut que ce soit un seul \nsujet qui connaisse cette diff\xc3\xa9rence, \xc3\xa0 savoir que le \ndoux est autre que le blanc; il faut, dis-je, que ce \nsoit un m\xc3\xaame \xc3\xaatre qui porte ce jugement , pour \nqu\'il puisse le penser et le sentir , en m\xc3\xaame temps \nqu\'il le dit (1). 11 est donc impossible \xc3\xa0 des sens s\xc3\xa9- \npar\xc3\xa9s d\'embrasser en une seule et m\xc3\xaame notion des \nchoses s\xc3\xa9par\xc3\xa9es. Cette connaissance ne pourra pas da- \nvantage avoir lieu en des moments diff\xc3\xa9rents; mais \ncomme c\'est le m\xc3\xaame \xc3\xaatre qui dit que le bien et le mal \nsont diff\xc3\xa9rents , c\'est aussi dans un m\xc3\xaame temps qu\'il \nporte ce jugement , que le bien est une chose et que \nle mal en est une autre. Et ce n\'est point par accident \nqu\'il associe ces deux choses dans un m\xc3\xaame temps , \ncomme lorsque maintenant je dis que ces deux choses \ndiff\xc3\xa8rent , sans qu\'elles diff\xc3\xa8rent maintenant m\xc3\xaame en \nr\xc3\xa9alit\xc3\xa9. Mais il affirme maintenant, parce qu\'elles diff\xc3\xa8- \nrent maintenant. Le jugement est donc contemporain \ndes choses m\xc3\xaames : il est donc un et indivisible en \nlui-m\xc3\xaame et dans le temps (21). \n\nA quel sens rapporter une telle connaissance, puis- \nqu\'elle n\'est fournie par aucun des sens particuliers ? \n\xc3\x89videmment il faut admettre que les objets des divers \nsens sont compar\xc3\xa9s par quelque puissance qui leur \nest commune \xc3\xa0 tous , qui les accompagne tous et ei\xc3\xaf \nvertu de laquelle chacun d\'eux per\xc3\xa7oit ses objets \n\n\n\n(l)De l\'\xc3\xa0me, 111, 2, \xc2\xa7 10, \xc2\xa7 11. - (2) Ibid., % 12. \n\n\n\nD2 DU SENS COMMUN; \n\npropres. Cette puissance n\'est autre que la sensibilit\xc3\xa9 \nelle-m\xc3\xaame consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme premier sensitif , en son \norgane centrai (1). En effet, outre les organes parti- \nculiers des sens , il y a un organe ou sensorium con> \nmun o\xc3\xb9 se rendent et concourent les donn\xc3\xa9es de tous \nles sens en acte (2) . C\'est le c\xc5\x93ur, chez tous les ani- \nmaux sanguins, qui est l\'organe commun de tous les \norganes et qui contient le principe de tous les \nsens (3) : car dans tout animal, ce qui est premi\xc3\xa8rement \nsensitif, c\'est ce qui est premi\xc3\xa8rement sanguin > c\'est- \n\xc3\xa0-dire le c\xc5\x93ur (4), puisqu\'il est le principe de tout le \nsang (5). Plac\xc3\xa9 au milieu du corps, il sert d\'interm\xc3\xa9- \ndiaire entre les parties ant\xc3\xa9rieures o\xc3\xb9 se produit la \nsensation , et les parties post\xc3\xa9rieures de l\'animal qui \nsont oppos\xc3\xa9es \xc3\xa0 celles-l\xc3\xa0 (6) . \n\nTelle est la facult\xc3\xa9 qui compare entre elles les per- \nceptions de nos sens. C\'est parce que tous les sens y \naboutissent et s\'y rencontrent qu\'elle peut, en leur \nservant de commune limite , r\xc3\xa9unir leurs impressions \net juger de leurs divers objets , tout en restant elle- \nm\xc3\xaame indivisible (7). Ce principe juge de tout ce qui \nvient de chaque sens, et ses jugements donnent lieu \n\xc3\xa0 l\'entendement de concevoir des opinions (8). \n\nNous devons \xc3\xa0 ce m\xc3\xaame sens g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral la notion de \ntemps (9) , et nous lui attribuons la connaissance des \nqualit\xc3\xa9s communes des corps, telles que le mouve- \n\n\n\n(1) Du somm., II, \xc2\xa7 3; Mouv. comm. des anim., IX, \xc2\xa7 3, suiv. Cf. \nPart, des anim., III, 5. \xe2\x80\x94 (2) De la jeun., etc., I , \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) lbid., III , \n\xc2\xa76, et pass.; Mouv. commun des anim., XI, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (4) Part, des anim., III, \n4, p. 666, a. \xe2\x80\x94 (5) Du somm., III, \xc2\xa7 17. \xe2\x80\x94 (6) De la jeun., I, \xc2\xa7 5. \n\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa0me, III, 2 , \xc2\xa7 13 suiv.; cb. 7, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (8) Des songes, II, \n\xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (9) De la m\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 11. Cf. De la sensat., VII, \xc2\xa7 5, \xc2\xa76. \n\n\n\nDU SENS COMMUN. 93 \n\nment et le repos, l\'\xc3\xa9tendue, la figure, le nombre et \nl\'unit\xc3\xa9. En effet ces qualit\xc3\xa9s n\'\xc3\xa9tant l\'objet propre \nd\'aucun des cinq sens et \xc3\xa9tant per\xc3\xa7ues par chacun \nd\'eux , il est \xc3\xa9vident que nous les percevons par un \nsens commun (1), puissance unique par laquelle \nl\'\xc3\xa2me sent toutes choses , mais qui , pour les objets \nparticuliers, se sert de sens particuliers (2). \n\nChaque sens participe de cette puissance commune \nqui s\'ajoute \xc3\xa0 sa fonction particuli\xc3\xa8re pour lui faire \npercevoir et les objets communs et m\xc3\xaame ses objets \npropres (3). Aussi les impressions des sens particuliers \nsont-elles transmises au si\xc3\xa8ge du sens commun , aussi \nbien pendant le sommeil que pendant la veille (4). Il \ny a deux sens , le go\xc3\xbbt et le toucher , qui tendent \n\xc3\xa9videmment au c\xc5\x93ur: et il en est de m\xc3\xaame des autres, \ncar c\'est l\xc3\xa0 seulement qu\'est le principe de leurs mou- \nvements (5). Tous les organes en effet d\xc3\xa9pendent de \ncelui-l\xc3\xa0, quoiqu\'il soit surtout en rapport avec l\'organe \ndu toucher; de l\xc3\xa0 vient qu\'aussit\xc3\xb4t qu\'il est modifi\xc3\xa9, \ntout le reste l\'est avec lui , tandis que la fatigue ou \nl\'impuissance d\'un des sens particuliers ne l\'atteint \npas lui-m\xc3\xaame (6). Voil\xc3\xa0 pourquoi nous rapportons le \nsommeil au sens commun, et non aux sens particuliers. \n\nLe sommeil et la veille \xc3\xa9tant dans une opposition \nr\xc3\xa9ciproque, doivent \xc3\xaatre rapport\xc3\xa9s \xc3\xa0 une m\xc3\xaame partie \nde l\'animal (7) . Or nous consid\xc3\xa9rons la veille comme \nun \xc3\xa9tat de l\'\xc3\xaatre qui sent. Elle n\'est autre chose en \neffet que le libre exercice de la sensibilit\xc3\xa9 (8) : elle en \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (2) De la sensat., VII, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (3) Du \nsommeil, II, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (4) Des songes, III, \xc2\xa7\xc2\xa7 2 , 6 , 8. \xe2\x80\x94 (5) De la jeun., III, \n\xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (e) Du sommeil, II, \xc2\xa7 4, \xc2\xa75.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., 1,\xc2\xa7 4.\xe2\x80\x94 (8) Ibid., I,\xc2\xa7\xc2\xa75, 8, \n\n\n\n94 DU SENS COMMUN. \n\nest l\'acte et l\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie : elle est donc dans l\'animal \ncomme un principe de vie et comme une fin ; car sentir \nest une fin excellente pour qui en a la puissance (1) . \nLe sommeil au contraire est une impuissance r\xc3\xa9sultant \nde l\'exc\xc3\xa8s de la veille ; il appartient donc comme elle \n\xc3\xa0 la facult\xc3\xa9 de sentir ; et en effet les plantes qui n\'ont \npoint cette facult\xc3\xa9 , sont incapables tout \xc3\xa0 la fois du \nsommeil et de la veille (2). Le sommeil, il est vrai , \npara\xc3\xaet plut\xc3\xb4t leur convenir, parce qu\'il est comme un \ninterm\xc3\xa9diaire entre vivre et ne pas vivre ; l\'animal vit \nsurtout par la sensation \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat de veille; mais d\xc3\xa8s \nqu\'il est endormi, il ne vit plus que de la vie des plantes. \nCependant celles-ci n\'ont point de sommeil , car il n\'y \na pas plus de sommeil sans r\xc3\xa9veil qu\'il n\'y a de veille \nsans fatigue et sans repos; or cet \xc3\xa9tat des plantes \nqui para\xc3\xaet analogue au sommeil est absolument sans \nr\xc3\xa9veil (3). \n\nLe sommeil et la veille ne sont point des actes volon- \ntaires (4). Tant que nous veillons, il y a quelque \nmouvement dans les organes de nos sens (5) ; pendant \nle sommeil , nos sens sont en repos et ne sauraient \nrien percevoir en acte (6). Le sommeil a surtout lieu \napr\xc3\xa8s les repas , \xc3\xa0 cause des vapeurs qui montent \xc3\xa0 la \nt\xc3\xaate ; il a lieu aussi apr\xc3\xa8s certaines fatigues et dans \ncertaines maladies. Il r\xc3\xa9sulte d\'un mouvement qui fait \nmonter au cerveau, par le moyen des veines, le sang \nle plus chaud et le plus grossier. Comme c\'est surtout \npendant le travail de la digestion que le sang se \n\n(1) Du somm., II, \xc2\xa7 7; De l\'\xc3\xa2me, II, 1, \xc2\xa7 11 ; Probl., XVIII, 1, 7. \xe2\x80\x94 \n(2) Du somm., I, pass. \xe2\x80\x94 (3) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., V, 1 ; Du somm., I, \xc2\xa7 6. \n\xe2\x80\x94 (4) Mouv. commun des anim. , XI , \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (5) Probl., XVIII, 1 ; XXXIII , \n\xc3\x8e5. \xe2\x80\x94 (6) Des songes , I, \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 7; Probl., XXXIII, 15. \n\n\n\nDU SENS COMMUN. 95 \n\ntrouble et s\'\xc3\xa9paissit, le sommeil vient alors, et il dure \njusqu\'\xc3\xa0 ce que le sang le plus clair et le plus pur re- \nmontant aux parties sup\xc3\xa9rieures , le sang le plus \ntrouble soit refoul\xc3\xa9 vers les parties inf\xc3\xa9rieures (4). Le \ncerveau retirant \xc3\xa0 lui la chaleur du c\xc5\x93ur, il se pro- \nduit une catalepsie du premier sensitif , qui n\'est autre \nchose que le sommeil (2) . Ce ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne a donc pour \ncause un certain \xc3\xa9tat du cerveau dans les animaux qui \nont cette partie (3) ; mais il consiste proprement en une \nmani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre du premier sensitif (4) ; car le sommeil \net la veille sont communs \xc3\xa0 tous les animaux (5). \n\nNous ne pouvons ni toujours dormir ni veiller tou- \njours, et le sommeil est destin\xc3\xa9 \xc3\xa0 r\xc3\xa9parer nos forces \n\xc3\xa9puis\xc3\xa9es (6) : aussi y a-t-il un certain plaisir attach\xc3\xa9 \n\xc3\xa0 cet \xc3\xa9tat (7). Au reste , ce sont les enfants surtout \nqui y sont sujets (8) , et l\'homme dort moins \xc3\xa0 mesure \nqu\'il avance en \xc3\xa2ge (9j. \n\nLe sommeil et la veille \xc3\xa9tant des affections du sens \ncommun (10), on ne doit point confondre le sommeil \navec l\'\xc3\xa9vanouissement, les d\xc3\xa9faillances ou le d\xc3\xa9lire, \nparce que ces \xc3\xa9tats n\'affectent que les sens particuliers \nsans causer dans le premier sensitif ni impuissance \nni fatigue, tandis que l\'impuissance du sens commun \nd\xc3\xa9termine celle de tous les sens particuliers dont il \nest le principe et auxquels il commande (41). \n\n\n\n(l) Du somm., III, pass ; Cf. Probl., XXXIII, 15. \xe2\x80\x94 (2) Du somm., \nIII , \xc2\xa7 20 . \xe2\x80\x94 (3) Part, des anim., Il , 7 ; Du somm., III , \xc2\xa7\xc2\xa7 14 , 16. \xe2\x80\x94 \n(4) Du somm., II, \xc2\xa7 12, \xc2\xa73. - (5) Ibid., II , \xc2\xa7 7 ; De la sensat., I, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(6) Du somm-, I, pass. ; III , \xc2\xa7 20 \xe2\x80\x94 (7) Mor. \xc3\xa0 Eud., I, 5. \xe2\x80\x94 (8) Ibid. ; Du \nsomm., III, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (9) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., V,l. \xe2\x80\x94 (10) Du somm., I, \xc2\xa711; \nII, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, 7. \xe2\x80\x94 (11) Ibid., II, \xc2\xa7\xc2\xa73,4, 5; III, \xc2\xa7 3. Pour compl\xc3\xa9ter cette \nth\xc3\xa9orie du sommeil et de la veille, voyez Hist. des anim., IV, 10, et sur- \ntout G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim.,1. V, le eh. I tout entier. \n\n\n\n96 DU SENS COMMUN. \n\nDans le sommeil la sensibilit\xc3\xa9 a des retours qui se \nmanifestent par les r\xc3\xaaves et le somnambulisme (1). \nLes songes semblent d\xc3\xa9pendre du m\xc3\xaame principe que \nle sommeil (2) , et de fait ils appartiennent \xc3\xa0 la sen- \nsibilit\xc3\xa9, en tant que celle-ci contient l\'imaginative (3). \nOr l\'imagination et la m\xc3\xa9moire, comme nous allons \nle montrer , se rapportent au premier sensitif et \xc3\xa0 la \nfacult\xc3\xa9 \xc3\xa0 laquelle nous devons la notion de la du- \nr\xc3\xa9e (4). \n\n\n\n(1) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., V, 1, p. 779, a. \xe2\x80\x94 (2) Des songes, I, \xc2\xa7 2, \nsuiv. \xe2\x80\x94 (3) Ibid,, I, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (4) De la m\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 11. \n\n\n\nCHAPITRE XIII. \n\n\n\nDE L\xc3\xa0 PUISSANCE IMAGINATIVE ( t6 tpavTOWTlxdv ) ; \n\n\xe2\x80\xa2IMAGINATION ( \xc2\xabpaVTOKjfol), SONGES (\xc3\xa8v\xc3\xbbltvwt), M\xc3\x89MOIRE (pVT\xc3\x8eR ), \n\nATTENTE (\xc3\xab^JU\xc3\xa7). \n\n\n\nParmi les puissances de l\'\xc3\xa2me on remarque l\'ima- \nginative, qui par ses actes se distingue de toutes les \nautres. O\xc3\xb9 la faire rentrer? comment la mettre abso- \nlument \xc3\xa0 part? C\'est ce qui pr\xc3\xa9sente de grandes dif- \nficult\xc3\xa9s (1). \n\nTant\xc3\xb4t l\'imagination est accompagn\xc3\xa9e de raisonne- \nment et de volont\xc3\xa9 , tant\xc3\xb4t elle est purement sensi- \n\xe2\x80\xa2tive (2). Dans le premier cas , elle semble \xc3\xaatre une \nmani\xc3\xa8re de penser (3) et ne se rencontre que chez \nles \xc3\xaatres raisonnables (4). Dans le second, elle est \ncommune \xc3\xa0 tous les animaux (5), et se r\xc3\xa9duit \xc3\xa0 une \nsorte de sensation affaiblie, premier fondement de \nl\'esp\xc3\xa9rance et du souvenir (6). \n\nL\'imagination ou fantaisie est proprement le pou- \nvoir que nous avons de nous repr\xc3\xa9senter une image \nquelconque (cpayre^a n) (7). Cet acte ne saurait se \nproduire sans la sensation , et il est \xc3\xa0 son tour la con- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa73. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., 111,10, \xc2\xa79;ch. 11, \xc2\xa72; Mouv. des \nanim., VIII, \xc2\xa7 4. - (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., ch. 11, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 \n(5)Ibid.,ch. 10, \xc2\xa79; ch. 11, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 2. \xe2\x80\x94 (6.) Rh\xc3\xa9t., I, 11, p. 1370, a, I. 28. \n\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, III, 3,\xc2\xa7 6. \n\n7 \n\n\n\n98 DE l\'imagination. \n\ndition de nos concepts ; mais il se distingue et de la \nsensation proprement dite et de la pens\xc3\xa9e (1 ). \n\nPour que l\'imagination se confond\xc3\xaet avec la sensa- \ntion , il faudrait qu\'elle f\xc3\xbbt toujours sensation en acte , \ncomme la vision , ou en puissance , comme la vue. \nOr il peut arriver, par exemple dans l\'\xc3\xa9tat de r\xc3\xaave , \nqu\'une image se pr\xc3\xa9sente \xc3\xa0 nous sans qu\'il y ait exer- \ncice actuel ou m\xc3\xaame possible d\'un de nos sens. Il est \ncertain que les objets de la vue , entre autres , nous \napparaissent m\xc3\xaame quand nous fermons les yeux (2) . \nD\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, quand nous percevons distinctement \nun objet sensible, nous savons fort bien que nous \nvoyons en effet cet objet ou que nous l\'entendons , et \nil ne nous arrive jamais de dire que ce soit un effet de \nl\'imagination (3). C\'est que la fantaisie nous donne \nmoins la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 m\xc3\xaame qu\'une peinture de la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9; \nelle nous laisse dans l\'\xc3\xa9tat de simples spectateurs , et \nne saurait nous \xc3\xa9mouvoir au m\xc3\xaame degr\xc3\xa9 que la sen- \nsation ou m\xc3\xaame que l\'opinion (4). De plus, il ne \nsemble pas que l\'imagination se rencontre partout o\xc3\xb9 \nil y a sensibilit\xc3\xa9. La sensation est certainement chez \ntous les animaux ; mais quant \xc3\xa0 l\'imagination , il est \ndouteux qu\'elle leur appartienne \xc3\xa0 tous (5). Enfin, les \nsensations sont toujours vraies (6), tandis que les \nimages de la fantaisie sont mensong\xc3\xa8res pour la plu- \npart (7). \n\nL\'imagination \xc3\xa9tant susceptible de fausset\xc3\xa9, ne sera \npas davantage l\'une de ces deux facult\xc3\xa9s \xc3\xa9ternelle- \nment vraies, \xc3\xa0 savoir l\'entendement et la science (8) . \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 7.\xe2\x80\x94 (3) Ibid.- (4) Ibid., III, 3, \n\xc2\xa7 4 fin.\xe2\x80\x94 (5) Ibid., \xc2\xa7 7.\xe2\x80\x94 (6) Voyez plus loin , chap. XIV, p. 135.\xe2\x80\x94 (7) De \nl\'\xc3\xa2me ,1. c\xe2\x80\x94 (8) Ibid., III, 3, \xc2\xa7 8. \n\n\n\nDE l\'imagination. 99 \n\nOn ne doit pas m\xc3\xaame la confondre avec quelque \nconception que ce soit , et ainsi elle n\'est pas l\'opi- \nnion. La fantaisie en effet d\xc3\xa9pend de nous (\xc3\xa8^\' ^h) \net de notre volont\xc3\xa9 , et l\'on peut toujours s\'en mettre \nles objets devant les yeux , comme font ceux qui \ns\'occupent de mn\xc3\xa9motechnie et qui ont recours \xc3\xa0 \ndes images. Nos opinions au contraire ne sont pas \nen notre pouvoir, et nous ne sommes pas libres de \nporter ou de ne pas porter tel jugement (1 ). De plus , \nl\'opinion suppose la croyance et cette conviction qui \nr\xc3\xa9sulte du raisonnement , tandis que l\'imagination se \nrencontre dans certains \xc3\xaatres qui ne sont capables ni \nde raisonner, ni d\'\xc3\xaatre persuad\xc3\xa9s , ni de croire (2). Il \nest donc bien clair que la fantaisie n\'est pas plus une \nopinion qu\'une sensation ; elle n\'est pas davantage \nune combinaison de l\'opinion et de la sensation (3). \nS\'il en fallait donner quelque preuve, il suffirait de \nrappeler que certaines choses dont nous avons une \nopinion vraie peuvent cependant nous appara\xc3\xaetre sous \nde fausses images : eu vain notre esprit se sera-t-il fait \nune id\xc3\xa9e juste de la grandeur du soleil, jamais nous ne \nnous repr\xc3\xa9senterons cet astre avec un diam\xc3\xa8tre de \nplus d\'un pied (4). \n\nQu\'est-ce donc que l\'imagination? L\'imagination \npara\xc3\xaet \xc3\xaatre une sorte de mouvement (5) qui d\xc3\xa9pend de \nla puissance sensitive , et qui ne se produit que dans \nles \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de cette puissance et pour les choses \nseulement dont il y a sensation. Si donc il existe un \ntel mouvement r\xc3\xa9sultant de l\'acte de la sensation , et \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 4.- (2) Ibid., \xc2\xa7 8.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., \xc2\xa7\xc2\xa7 9, 10.\xe2\x80\x94 (4) Ibid. , \n\xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (5) Phys., VIII, 3, p. 254, a. \n\n\n\n100 DES SONGES. \n\nqui lui soit pareil , on pourra dire que c\'est l\xc3\xa0 l\'ima- \ngination, principe de tant d\'actes divers et de tant de \nmodifications passives , source de v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 et d\'erreur \npour qui la poss\xc3\xa8de (4). Or il est certain que lors- \nqu\'un objet sensible agit sur nous, la modification \nqu\'il produit dans nos organes y persiste non-seule- \nment pendant l\'acte de la sensation , mais m\xc3\xaame lors- \nqu\'elle a cess\xc3\xa9 (2). Apr\xc3\xa8s l\'\xc3\xa9loignement de l\'objet \nsensible , quelque chose demeure encore dans l\'\xc3\xa2me , \net ce n\'est ni la sensation elle-m\xc3\xaame ni l\'objet , mais \nla forme de cet objet , c\'est-\xc3\xa0-dire une id\xc3\xa9e sensible, \nqui est elle-m\xc3\xaame un objet de perception (3). Ainsi \ndonc nous pouvons nous repr\xc3\xa9senter un objet ab- \nsent, ou qui \xc3\xa9tant pr\xc3\xa9sent ne produit point actuelle- \nment en nous une sensation. La cause en est que ce \nqui para\xc3\xaet ne para\xc3\xaet pas seulement par le mouvement \nde l\'objet , mais aussi lorsque le sens lui-m\xc3\xaame est \nm\xc3\xbb comme l\'objet sensible le meut d\'ordinaire (4) . \nL\'imagination peut donc \xc3\xaatre d\xc3\xa9finie : le mouvement \nqui succ\xc3\xa8de \xc3\xa0 la sensation en acte et qui en r\xc3\xa9sulte (5); \net comme la vue est notre sens par excellence , l\'ima- \ngination a tir\xc3\xa9 son nom des objets de la vue (6). \n\nQuelquefois la fantaisie s\'exerce dans le som- \nmeil (7) , et c\'est elle qui constitue essentiellement \nl\'\xc3\xa9tat de r\xc3\xaave ; car si l\'on fait abstraction des sensa- \ntions r\xc3\xa9elles qui viennent par fois interrompre le som- \nmeil^), aussi bien que des jugements et des actes de \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa711. \xe2\x80\x94 (2) Des songes, II, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) lbid., \xc2\xa711; \nDe la m\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 6 ; Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 5 ; M\xc3\xa9taph., I, 7 ; VII, 10, 15. \n\xe2\x80\x94 (4) Des songes, II, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (5) lbid., I,\xc2\xa7 9; De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 \n(6) lbid., \xc2\xa7 14 : epavrasta \xc3\xa0itb xoO cp\xc3\xa0ou\xc3\xa7. \xe2\x80\x94 (7) Des songes, III, pass. \xe2\x80\x94 \n(8) lbid., \xc2\xa713, \xc2\xa715. \n\n\n\nDES SONGES. 101 \n\nraison qui s\'y produisent accidentellement (I ) , un \nsonge n\'est autre chose qu\'une repr\xc3\xa9sentation cpaVracua, \nc\'est-\xc3\xa0-dire une image de la fantaisie aper\xc3\xa7ue pen- \ndant le sommeil (2) . En effet , c\'est surtout dans le \nsommeil que paraissent les mouvements qui r\xc3\xa9sultent \ndes impressions sensibles. Durant le jour, ces mou- \nvements sont \xc3\xa9touff\xc3\xa9s par les sensations et les pens\xc3\xa9es \npr\xc3\xa9sentes : ils s\'\xc3\xa9clipsent en quelque sorte comme un \nfeu moindre devant un feu plus brillant; mais pen- \ndant la nuit , gr\xc3\xa2ce \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat d\'inertie et d\'impuissance \nde nos sens particuliers , ces mouvements int\xc3\xa9rieurs \ndescendent, pour ainsi dire, au si\xc3\xa8ge de la sensibilit\xc3\xa9, \net dans l\'absence de toute agitation , ils se font con- \nna\xc3\xaetre \xc3\xa0 nous (3). Le songe est donc une repr\xc3\xa9senta- \ntion qui se produit dans le sommeil; mais comme \nnous l\'avons dit, tout ce qui se pr\xc3\xa9sente alors n\'est \npas toujours un songe. Ainsi il peut arriver \xc3\xa0 une \npersonne endormie de voir et d\'entendre d\'une mani\xc3\xa8re \nvague et comme dans le lointain ; et si cette personne \nvient \xc3\xa0 s\'\xc3\xa9veiller, elle reconna\xc3\xaet que c\'\xc3\xa9tait par exemple \nla lumi\xc3\xa8re d\'une veilleuse qu\'elle apercevait vague- \nment , que c\'\xc3\xa9tait le cri d\'un coq ou les aboiements \nd\'un chien qu\'elle entendait confus\xc3\xa9ment. Quelques- \nuns m\xc3\xaame , en dormant , r\xc3\xa9pondent aux questions \nqu\'on leur adresse. C\'est qu\'alors il y a quelque veille \nm\xc3\xaal\xc3\xa9e au sommeil. Aucun de ces ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes n\'est un \nr\xc3\xaave, non plus que les vraies pens\xc3\xa9es qui peuvent se \nm\xc3\xaaler aux repr\xc3\xa9sentations ; mais le r\xc3\xaave se compose \nde ces images aper\xc3\xa7ues pendant le sommeil , et qui \n\n\n\n(l) Des songes, I, \xc2\xa73, \xc2\xa7 6. - (2) Ibid., I, \xc2\xa79; III, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (3) Ibid.,111, \n>1, 2. Cf. Divinat., II, \xc2\xa7\xc2\xa76, 6. \n\n\n\n102 DE LA M\xc3\x89MOIRE. \n\nr\xc3\xa9sultent du mouvement produit par les impressions \nsensibles (\xc3\xae). \n\nAu reste , le mouvement dont nous parions ici peut \naussi bien \xc3\xaatre per\xc3\xa7u \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat de veille; car d\xc3\xa8s qu\'il \narrive au sens commun , et qu\'il atteint le si\xc3\xa8ge de la \nsensibilit\xc3\xa9, il y produit une repr\xc3\xa9sentation, et nous \ncroyons voir, entendre ou sentir l\'objet dont l\'image \ns\'offre \xc3\xa0 nous (2). \n\nLa repr\xc3\xa9sentation Imaginative est donc un mode \nou une impression du sens commun (3). Nous allons \nmontrer qu\'il en est de m\xc3\xaame de la m\xc3\xa9moire et du \nsouvenir (4). \n\nD\xc3\xa9terminons d\'abord avec soin Fobjet de la m\xc3\xa9moire, \ncar on s\'y trompe souvent. L\'avenir, par exemple, ne \nsaurait \xc3\xaatre l\'objet d\'un souvenir, mais seulement \nd\'une opinion ou d\'une esp\xc3\xa9rance. Il n\'y a pas non \nplus souvenir, mais perception d\'un fait actuel et pr\xc3\xa9- \nsent; la m\xc3\xa9moire ne porte que sur le fait accompli. \nNul ne peut dire, par exemple, qu\'il fait acte de m\xc3\xa9- \nmoire , quand il voit un objet blanc , ou quand il \nexerce sa pens\xc3\xa9e et sa r\xc3\xa9flexion ; mais dans le pre- \nmier cas il dit qu\'il a une sensation , et dans le second \nqu\'il sait. C\'est seulement quand la sensation et la \npens\xc3\xa9e ne sont pas en acte qu\'il peut y avoir souvenir, \net cela pour les choses qui ont d\xc3\xa9j\xc3\xa0 \xc3\xa9t\xc3\xa9 connues ; car \ntoutes les fois qu\'on se souvient d\'une chose , on se \ndit en soi-m\xc3\xaame (|y zn ^v^\xc3\xa7 X\xc3\xa9yei) qu\'on a d\xc3\xa9j\xc3\xa0 ou\xc3\xaf \ndire cette m\xc3\xaame chose , ou qu\'on l\'a per\xc3\xa7ue ou qu\'on \n\n\n\nCi) Des songes , III, \xc2\xa7\xc2\xa7 14 , 15. \xe2\x80\x94 (2) I bld -, \xc2\xa716. \xe2\x80\x94 (3) De la m\xc3\xa9m., F, \n\n\xc2\xa7 /j. \xe2\x80\x94 (i) Les d\xc3\xa9veloppements qui vont suivre ne sont qu\'une traduction,\xc2\xbb \nquelquefois paraphras\xc3\xa9e, du chapitre I du trait\xc3\xa9 De la m\xc3\xa9moire. \n\n\n\n\n\n\nDE LA M\xc3\x89MOIRE. 10S \n\nl\'a pens\xc3\xa9e. La m\xc3\xa9moire n\'est donc ni une sensation \nni une conception , mais elle en est une mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre \net une habitude. Elle s\'applique au pass\xc3\xa9 , et par con- \ns\xc3\xa9quent elle suppose toujours l\'id\xc3\xa9e de dur\xc3\xa9e ; en sorte \nque , parmi les animaux , ceux-l\xc3\xa0 seulement qui ont \nla notion du temps seront capables de m\xc3\xa9moire, en \nvertu de la facult\xc3\xa9 m\xc3\xaame \xc3\xa0 laquelle ils doivent cette \nnotion. \n\nLa m\xc3\xa9moire semble donc \xc3\xaatre un acte plut\xc3\xb4t qu\'une \nfacult\xc3\xa9 , et elle a son principe dans la sensibilit\xc3\xa9 et \nle sens commun. Si nous avons dit qu\'elle reprodui- \nsait les pens\xc3\xa9es aussi bien que les sensations , nous \nn\'avons parl\xc3\xa9 des pens\xc3\xa9es qu\'autant qu\'elles suppo- \nsent les images de la fantaisie. Il n\'y a donc point de \nsouvenir, m\xc3\xaame des choses intelligibles , sans une re- \npr\xc3\xa9sentation. Ce n\'est que par accident que la m\xc3\xa9moire \nse rapporte \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e; en soi elle appartient au \npremier sensitif. C\'est m\xc3\xaame pour cela qu\'elle se ren- \ncontre chez un si grand nombre d\'animaux ; car si \nelle faisait partie de la raison, elle ne serait le partage \nd\'aucun autre que de l\'homme. Que si tous les ani- \nmaux ne la poss\xc3\xa8dent point , c\'est que tous n\'ont pas \nla notion du temps. \n\nLa m\xc3\xa9moire appartient donc \xc3\xa9videmment \xc3\xa0 la m\xc3\xaame \npartie de l\'\xc3\xa2me que la fantaisie; ses objets sont pro- \nprement ceux de la fantaisie , et par accident ceux \nqui supposent quelque image. \n\nOn demandera comment, en l\'absence de l\'objet, \nl\'impression seule nous \xc3\xa9tant pr\xc3\xa9sente , nous pouvons \nnous souvenir de l\'objet absent. Mais il est \xc3\xa9vident \nque l\'on doit comparer a une sorte de peinture l\'im- \npression produite par la sensation dans l\'\xc3\xa0me et dans \n\n\n\n104 DE LA M\xc3\x89MOIRE. \n\nla partie du corps o\xc3\xb9 r\xc3\xa9side l\'\xc3\xa2me , impression dont \nl\'habitude constitue suivant nous la m\xc3\xa9moire. En \neffet , le mouvement qui a lieu alors marque pour \nainsi dire en nous une empreinte de la chose sentie , \ncomme on marque sur la cire l\'empreinte d\'un ca- \nchet. Voil\xc3\xa0 pourquoi ceux qui sont livr\xc3\xa9s \xc3\xa0 une \ngrande agitation par l\'effet de la jeunesse ou d\'une \npassion qui les trouble n\'ont point de m\xc3\xa9moire , pas \nplus qu\'une eau courante ne conserve la trace du ca- \nchet qu\'on y a laiss\xc3\xa9 tomber; d\'autres au contraire \npeuvent \xc3\xaatre compar\xc3\xa9s \xc3\xa0 d\'antiques \xc3\xa9difices que le \ntemps a durcis et qui ne sauraient garder une em- \npreinte. C\'est ainsi que les jeunes enfants et les vieil- \nlards manquent de m\xc3\xa9moire. Chez les uns , c\'est le \nmouvement de croissance qui fait que l\'impression \ns\'\xc3\xa9coule ; chez les autres , c\'est le d\xc3\xa9p\xc3\xa9rissement. \nMais supposons que l\'impression demeure, de quoi se \nsouvient-on ? Est-ce de cette impression? N\'est=ce pas \nplut\xc3\xb4t de l\'objet auquel nous la rapportons? Comment \ndonc se peut-il faire qu\'en percevant cette impres- \nsion, nous nous souvenions de l\'objet absent que nous \nne percevons pas ? On comprend bien que celui qui \nse souvient actuellement consid\xc3\xa8re l\'impression qui \nlui est rest\xc3\xa9e, et qu\'il en ait actuellement aussi le sen- \ntiment. Mais comment se souviendra-t-il de ce qui \nn\'est point l\xc3\xa0? Employons encore ici notre comparai- \nson. Un animal repr\xc3\xa9sent\xc3\xa9 dans un tableau y est \xc3\xa0 la \nfois comme animal et comme portrait : un seul et m\xc3\xaame \nobjet se trouve donc \xc3\xaatre deux choses, et deux choses \ndont l\'essence n\'est pas la m\xc3\xaame , car on peut consi- \nd\xc3\xa9rer ici ou l\'animal ou la peinture. Eh bien , il faut \nconcevoir de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re l\'image qui se forme \n\n\n\nDE LA M\xc3\x89MOIRE. 105 \n\nen nous; elle est en soi un objet de pens\xc3\xa9e et en \nm\xc3\xaame temps elle repr\xc3\xa9sente autre chose. En soi, dis-je, \nc\'est un objet de pens\xc3\xa9e ou d\'imagination ; et comme \nrepr\xc3\xa9sentant autre chose , c\'est une ressemblance et \nun souvenir. Ainsi donc, lorsque ce mouvement a \nlieu, si l\'\xc3\xa2me en le percevant ne consid\xc3\xa8re que lui \nseul, il n\'est pour elle qu\'un objet de pens\xc3\xa9e ou d\'i- \nmagination. Si au contraire elle le consid\xc3\xa8re dans son \nrapport \xc3\xa0 autre chose , alors c\'est une ressemblance \nqu\'elle contemple , de m\xc3\xaame qu\'en pr\xc3\xa9sence d\'un ta- \nbleau on peut , sans avoir vu Coriscus, voir le portrait \nou l\'image de Coriscus : seulement ici l\'image , qui en \nelle-m\xc3\xaame \xc3\xa9tait un acte de la fantaisie , devient un \nsouvenir et un acte de m\xc3\xa9moire. Nous nous souve- \nnons ainsi de l\'objet absent, et parfois m\xc3\xaame nous ne \nsavons si le mouvement qui se produit en nous n\'est \npas l\'effet d\'une sensation actuelle. Quelquefois encore \nnous sommes embarrass\xc3\xa9s pour dire s\'il y a ou non \nm\xc3\xa9moire. Il nous arrive aussi , en y pensant bien , de \nnous ressouvenir que nous avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 auparavant \nentendu ou vu quelque chose : cela se pr\xc3\xa9sente lors- \nque, apr\xc3\xa8s avoir consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 une repr\xc3\xa9sentation en \nelle-m\xc3\xaame, nous sommes amen\xc3\xa9s par un changement \nd\'id\xc3\xa9es \xc3\xa0 la consid\xc3\xa9rer comme repr\xc3\xa9sentation d\'autre \nchose. D\'autres fois c\'est le contraire qui a lieu, quand \non voit une image et une ressemblance l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 il n\'en \nexiste aucune , et c\'est ce qui est arriv\xc3\xa9 \xc3\xa0 divers ex- \ntatiques qui donnaient leurs fantaisies pour des \xc3\xa9v\xc3\xa9- \nnements r\xc3\xa9els et dont ils avaient souvenir. Au \nreste , la m\xc3\xa9moire se conserve et se perfectionne par \nl\'exercice assidu et le rappel de nos id\xc3\xa9es, lequel \nconsiste \xc3\xa0 consid\xc3\xa9rer souvent nos repr\xc3\xa9sentations \n\n\n\n106 de l\'attente. \n\nnon en elles-m\xc3\xaames , mais comme images des objets. \n\nNous avons donc expliqu\xc3\xa9 ce que c\'est que la m\xc3\xa9- \nmoire et l\'acte de se souvenir : c\'est la conservation et \nl\'emploi d\'une repr\xc3\xa9sentation comme image de ce \nqu\'elle repr\xc3\xa9sente. Nous avons dit aussi dans quelle \npartie de l\'\xc3\xa2me se trouve la m\xc3\xa9moire : elle se rapporte \n\xc3\xa0 la facult\xc3\xa9 par laquelle nous avons la notion du \ntemps. Elle appartient donc \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 dans le \npremier sensitif et par le moyen de l\'imagination. \n\nTandis que par la m\xc3\xa9moire on retrouve le pass\xc3\xa9 \ndans les donn\xc3\xa9es de la fantaisie , de m\xc3\xaame on peut y \nvoir l\'avenir par l\'esp\xc3\xa9rance ou attente : car l\'avenir \nappartient \xc3\xa0 l\'esp\xc3\xa9rance , comme le pass\xc3\xa9 \xc3\xa0 la m\xc3\xa9- \nmoire , et le fait pr\xc3\xa9sent \xc3\xa0 la sensation (1 ). Si m\xc3\xaame \non adoptait l\'id\xc3\xa9e que se font quelques personnes de \nla divination , il y aurait par le moyen de l\'esp\xc3\xa9rance \nune science de l\'avenir (%). Mais il faut bien avouer au \nsujet de cette divination qui a lieu dans le sommeil et \nqui , dit-on , r\xc3\xa9sulte des songes , qu\'il est aussi peu \nraisonnable d\'y croire que d\'en faire fi (3). Il est bien \nvrai que les commencements de chaque chose sont in- \nsensibles. De m\xc3\xaame que ceux qui doivent faire, qui \nfont ou qui ont fait quelque chose , le plus souvent y \npensent la nuit et la font pour ainsi dire en r\xc3\xaave, parce \nque les occupations du jour pr\xc3\xa9parent la voie en \nquelque sorte \xc3\xa0 un tel mouvement (4); de m\xc3\xaame et \nr\xc3\xa9ciproquement la plupart des mouvements qui s\'of- \nfrent pendant le sommeil deviennent le principe de \n\n\n\n(1) Rh\xc3\xa9t., I, il, p. 1370, a; II, 12, p. 13S9, a; II, 13, p. 1380, a; Del\xc3\xa0 \nm\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (2) De la m\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) De la divinat., 1, \xc2\xa7 l. \xe2\x80\x94 \n(4) Voyez Cic\xc3\xa9ron, Somn. Scip., init. \n\n\n\nPUISSANCE IMAGINATIVE. 107 \n\nnos actions pendant le jour, parce que la pens\xc3\xa9e s\'y \nest arr\xc3\xaat\xc3\xa9e d\'abord et en a pr\xc3\xa9par\xc3\xa9 l\'ex\xc3\xa9cution dans les \nrepr\xc3\xa9sentations de la nuit. C\'est ainsi que certains \nr\xc3\xaaves sont des causes ou des signes. Mais la plupart \ndu temps ce sont choses fortuites , surtout ces r\xc3\xaaves \nextraordinaires et qui d\xc3\xa9passent les bornes de la foi \nhumaine , et tous ceux qui , se passant ainsi en nous, \nont pour objet par exemple un combat naval ou je ne \nsais quel \xc3\xa9v\xc3\xa9nement qui se passe bien loin de nous (1 ) . \n\nL\'avenir (2) , avons-nous dit, est l\'objet de l\'esp\xc3\xa9- \nrance , mais c\'est aussi un objet d\'opinion (3). Or \nl\'esp\xc3\xa9rance n\'est pas l\'opinion ; car celle-ci appartient \n\xc3\xa0 la raison (4) , celle-l\xc3\xa0 fait partie de la sensibilit\xc3\xa9 et \nrepose sur l\'imagination (5). \xc3\xafl y a du reste entre ces \ndeux actes une relation in lime : on croit fermement \nce qu\'on esp\xc3\xa8re , et d\'autant plus que la chose qu\'on \nesp\xc3\xa8re est plus agr\xc3\xa9able (6). \n\nTels sont les principaux actes de l\'\xc3\xa2me que l\'on doit \nrapporter \xc3\xa0 la puissance imaginative (7). Cette fa- \ncult\xc3\xa9 , on l\'a vu , d\xc3\xa9pend du m\xc3\xaame principe que la \nsensibilit\xc3\xa9 et ne fait qu\'un avec elle (8). Comme elle \nen effet , elle est li\xc3\xa9e au corps et r\xc3\xa9side au si\xc3\xa8ge du \npremier sensitif (9). Mais combien d\xc3\xa9j\xc3\xa0 les donn\xc3\xa9es \nde la fantaisie sont au-dessus de la sensation ! Les im- \npressions qui succ\xc3\xa8dent \xc3\xa0 celle-ci sont encore sen- \nsibles (40) : elles ont une mati\xc3\xa8re; les repr\xc3\xa9sentations \n\n\n\n(1) Divinat., I, \xc2\xa7 6 suiv. \xe2\x80\x94 (2) Qu\'il ne faut pas confondre avec le \nfutur: O\xc3\xb9Ss t6 oc\xc3\xb9t\xc3\xb4 \xc3\xa8so\'[j.evov xot t\xc3\xb4 jiiX),ov. Divinat., II, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) De la \nm\xc3\xa9m., 1, \xc2\xa72. - (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 3,\xc2\xa7 5, \xc2\xa78. \xe2\x80\x94 (5) Rh\xc3\xa9t., I, il, p. 1370, a ; \nMor. \xc3\xa0 Nie, X, 2, p. 1173, b. \xe2\x80\x94 (6) Rh\xc3\xa9t., II , 1, p. 1378, a. \xe2\x80\x94 (7) To \n\xc2\xabpavTaycixdv. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me , II, 2, \xc2\xa7 8 ; III, 3, pass. \xe2\x80\x94 (9) Voir plus haut , \np. 92,%, 100. 106. \xe2\x80\x94 (10) Des songes, II, \xc2\xa72, \xc2\xa711, etc. \n\n\n\n108 PUISSANCE IMAGINATIVE. \n\nn\'en ont plus (1). C\'est en elles que la raison pense \nles formes intelligibles (2). Elles sont la condition des \nconcepts et par suite de la conception et de la pen- \ns\xc3\xa9e ; et \xc3\xa0 ce point de vue , on a pu souvent consid\xc3\xa9rer \nl\'imagination comme une sorte de pens\xc3\xa9e (3). Mais \nles repr\xc3\xa9sentations, bien loin d\'\xc3\xaatre des pens\xc3\xa9es, ne \nsont pas m\xc3\xaame des concepts, car entre autres preuves, \non n\'y trouve point cette combinaison qui fait l\'erreur \nou la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 dans l\'entendement (4). \n\nL\'imagination tient une grande place dans la vie ani- \nmale. C\'est elle qui le plus souvent , sous la forme d\'un \nsouvenir ou d\'une esp\xc3\xa9rance, produit dans le corps des \nalt\xc3\xa9rations (5) , d\'o\xc3\xb9 r\xc3\xa9sultent le plaisir et la peine et \ndivers mouvements (6) . Sans elle point d\'app\xc3\xa9tit, point \nde locomotion (7)*, et bien qu\'elle ne soit pas absolu- \nment ma\xc3\xaetresse de certains mouvements , tels que ceux \nqui d\xc3\xa9terminent le sommeil (8), comme elle est toujours \nen quelque mesure chez tout animal , ne f\xc3\xbbt-il dou\xc3\xa9 \nque du toucher (9), et comme elle a de plus le double \nprivil\xc3\xa8ge de demeurer dans l\'\xc3\xa2me en l\'absence des ob- \njets et de se comporter comme la sensation (1 0), c\'est \nd\'apr\xc3\xa8s ses donn\xc3\xa9es que se gouvernent la plupart du \ntemps les animaux , soit que priv\xc3\xa9s de facult\xc3\xa9s sup\xc3\xa9- \nrieures, ils n\'aient pas d\'autre lumi\xc3\xa8re que celle-l\xc3\xa0, qui \nleur tient lieu et de la pens\xc3\xa9e et du raisonnement , soit \nque leur raison , s\'ils en ont, soit obscurcie par quel- \nque passion , par la maladie ou par le sommeil (11). \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, III, 8, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94(2) Ibid., III, 7, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., ch. 3, \xc2\xa75. \xe2\x80\x94 \n(4) Ibid., III, 8, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (5) Mouv. des anim., VII, \xc2\xa79; VIII, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \nXI, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, III , 10, \xc2\xa7 9 et pass.; III, 1 1 , \xc2\xa7 l . \xe2\x80\x94 (8) Mouv. des \nanim., XI, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa79; ch. 11, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 2. \xe2\x80\x94 (10) Ibid., \n111, 3, \xc2\xa715. \xe2\x80\x94 (11) Ibid., ch. 3, \xc2\xa7 15; ch. 10, \xc2\xa7 1; M\xc3\xa9taph., I, 1, init,; \nMor. \xc3\xa0 Nie, VII, 3. \n\n\n\nCHAPITRE XIV. \n\n\n\nTH\xc3\x89ORIE G\xc3\x89N\xc3\x89RALE DES CONNAISSANCES SENSIBLES. \n\nCe que c\'est que la sensation en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. De la nature de la connaissance \nsensible; ses degr\xc3\xa9s; ses conditions; ses rapports avec les objets ext\xc3\xa9- \nrieurs. L\xc3\xa9gitimit\xc3\xa9, certitude et importance de la connaissance sensible. \n\n\n\nSentir, en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , est une mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre m\xc3\xbb et \nde p\xc3\xa2tir (1). C\'est un mouvement dont la cause est \nhors de nous (2) et qui arrive jusqu\'\xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me par le \nmoyen du corps (3). Cette modification , commune \xc3\xa0 \nl\'\xc3\xa2me et au corps , est une sorte d\'alt\xc3\xa9ration (4), mais \nune alt\xc3\xa9ration qui consiste uniquement \xc3\xa0 faire passer \nla facult\xc3\xa9 de sentir de la puissance \xc3\xa0 l\'acte (5). \n\nEn effet , la sensibilit\xc3\xa9 est tant\xc3\xb4t en acte et tant\xc3\xb4t \nen puissance (6) , et dans ce dernier cas , si elle \nn\'existe point comme mouvement et comme acte, elle \nexiste du moins comme facult\xc3\xa9 (7). A en croire les \nphilosophes de M\xc3\xa9gare , il n\'y aurait point de puis- \nsance l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 il n\'y aurait point d\'acte, et aucun \xc3\xaatre \nne poss\xc3\xa9derait la facult\xc3\xa9 de sentir, s\'il ne sentait r\xc3\xa9el- \nment, s\'il n\'avait une sensation en acte. Mais dans \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa0me, II, 5, \xc2\xa7 1 ; II, 11, \xc2\xa7 11 ; Probl., XXXI, 13. Cf. M\xc3\xa9taph., \nV, 15 lin. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, I, 4, \xc2\xa7 12; II, 5, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94(3) De la sensat., I, \n\xc2\xa76; Phys., VII, 2, p. 244, b.\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa76; ch. 5, \xc2\xa7 1 ; Mouv. \ndes anim., VII, \xc2\xa79 ; Phys., VII, 2, 3, pass. (5) De la sensat., IV, \xc2\xa7 10. \n\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 2; III, 2, \xc2\xa7 8; ch. 3, \xc2\xa7 7 ; ch. 8, \xc2\xa7 2, etc. \xe2\x80\x94 \n(7)Topii., IV, 5, \xc2\xa71. \n\n\n\n110 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\ncette hypoth\xc3\xa8se, le m\xc3\xaame \xc3\xaatre serait sourd, aveugle \net m\xc3\xaame insensible plusieurs fois par jour. Bien plus, \nsi cet \xc3\xaatre n\'avait point la puissance de sentir dans le \ntemps m\xc3\xaame qu\'il ne sent point , il demeurerait \xc3\xa0 ja- \nmais incapable de sentiment; car tout ce dont il n\'y \na pas puissance est impossible (1 ) . Donc , m\xc3\xaame sans \npasser \xc3\xa0 l\'acte , la sensibilit\xc3\xa9 ne laisse pas d\'\xc3\xaatre d\'une \ncertaine mani\xc3\xa8re (%). On peut avoir la sensation et ne \ns\'en point servir (3); on peut, tout en ayant Poule, \nne pas entendre (4) , et la sensation ne fait point d\xc3\xa9faut \npour n\'\xc3\xaatre qu\'en puissance (5). Aussi disonsnuous de \ntout \xc3\xaatre qui a la puissance d\'entendre et de voir, \nqu\'il voit et qu\'il entend , encore qu\'il soit endormi , \ntout comme nous le disons de celui qui entend et qui \nvoit en effet (6). Au reste , quand nous disons que la \nsensibilit\xc3\xa9 est en puissance , cela peut signifier deux \nchoses diff\xc3\xa9rentes. En premier lieu , l\'animal qui vient \nd\'\xc3\xaatre engendr\xc3\xa9 et qui ne vit d\'abord que de la vie \nv\xc3\xa9g\xc3\xa9tative , doit \xc3\xaatre consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 comme ayant d\xc3\xa9j\xc3\xa0 en \npuissance la sensibilit\xc3\xa9 , puisqu\'il est fait pour la pos- \ns\xc3\xa9der plus tard (7); et en effet, avec le temps, la \npartie sensitive vient s\'ajouter \xc3\xa0 la partie nutritive (8). \nEn second lieu , lorsqu\'un \xc3\xaatre a en lui la sensation \ncomme facult\xc3\xa9 et comme disposition, on peut dire \nencore qu\'elle n\'est qu\'en puissance, tant qu\'elle \nn\'est point pass\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'acte sous l\'influence de l\'objet \nsenti (9). \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9taph., IX, 3.\xe2\x80\x94 (2) Del\xc3\xa0 sensat., VI, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (3) Topiq., V, 2, \xc2\xa7 5. \n\xe2\x80\x94 (\xc3\xbb) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 4 et suiv. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., III, 3, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (G) Ibid., II, \n5, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., II, 5, \xc2\xa7\xc2\xa7 5, G, 7. \xe2\x80\x94 (8) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, des anim., II, 3, \np. 73G, b. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 4, 6. \n\n\n\n\xc3\x8e)E LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 111 \n\nComme dans les individus la puissance est chrono- \nlogiquement ant\xc3\xa9rieure \xc3\xa0 l\'acte (1), la connaissance \net la sensation en puissance et comme facult\xc3\xa9 pr\xc3\xa9c\xc3\xa8de \nla sensation et la connaissance en acte (2). Pour tout \nce qui est en nous l\'effet de la nature , nous appor- \ntons d\'abord les facult\xc3\xa9s et nous produisons ensuite \nles actes. On le voit clairement par les sens : ce n\'est \npas \xc3\xa0 force de voir et d\'entendre que nous avons \nacquis les sens de la vue et de l\'ou\xc3\xafe ; nous ne les \navons pas parce que nous en avons fait usage , mais \nau contraire nous en avons fait usage parce que nous \nles avions (3). D\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, la puissance n\'est \ntelle que parce qu\'elle peut agir; un \xc3\xaatre n\'est dou\xc3\xa9 \nde la vue, par exemple, qu\'autant qu\'il peut voir en \neffet. L\'acte est donc ant\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 la puissance au point \nde vue rationnel ; il l\'a pr\xc3\xa9c\xc3\xa9d\xc3\xa9e g\xc3\xa9n\xc3\xa9riquement , si \nce n\'est en nombre (4) ; il lui est d\'ailleurs pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rable : \nl\'acte de voir vaut mieux que la puissance de voir ; \naussi en est-il la fin et le but (5). La sensibilit\xc3\xa9, qui \nest d\'abord en puissance dans l\'homme , tend vers ce \nbut (6), qui n\'est autre que l\'exercice de sa propre puis- \nsance (7). Mais pour qu\'elle puisse passer \xc3\xa0 l\'acte , il \nlui faut le concours de quelque objet dont l\'impres- \nsion l\'excite et la d\xc3\xa9termine (8). \n\nCet objet que la sensation suppose et auquel elle \nse rapporte (9) , lui est ant\xc3\xa9rieur, ou du moins cor- \n\n\n\n(l) M\xc3\xa9taph., V, 11, p. 1019, a; IX, 8, pass.-(2)De l\'\xc3\xa2me, III, 7,\xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 \n(3) Mor. \xc3\xa0 Nie, 11,1, p. 1103, a.-(4) M\xc3\xa9taph., IX, 8, p. 1049, b.\xe2\x80\x94 (5) Ibid.; \nGr. Mor., I, 3.\xe2\x80\x94 (6) El; to\xc3\xb9to &yei. De la sensat., IV, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., \nIX, 8, p. 1050, a. Cf. Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 4. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 5 j \nDe la sensat., IV, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (9) Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 Il ; M\xc3\xa9taph., V, 15. \n\n\n\n11*2 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nrelatif et simultan\xc3\xa9 ; il doit \xc3\xaatre en acte et mouvoir \nle milieu , l\'air par exemple , lequel \xc3\xa0 son tour meut \nl\'organe du sens et lui fait percevoir la qualit\xc3\xa9 par \nlaquelle il a \xc3\xa9t\xc3\xa9 modifi\xc3\xa9 lui-m\xc3\xaame (1). Mais la modi- \nfication du sens est autre que celle du milieu qui lui \ntransmet passivement les qualit\xc3\xa9s des corps (2). \n\nLa sensation r\xc3\xa9sulte d\'une impression de l\'objet \nsensible , qui met en acte la facult\xc3\xa9 de sentir (3). \nMais \xc3\xa0 vrai dire , cette facult\xc3\xa9 demeure jusqu\'\xc3\xa0 un \ncertain point impassible et sans alt\xc3\xa9ration (4) , ou du \nmoins si c\'est l\xc3\xa0 un mouvement, ce n\'est pas celui que \nnous avons d\xc3\xa9fini l\'acte de l\'imparfait : c\'est au con- \ntraire l\'acte de ce qui est d\xc3\xa9j\xc3\xa0 parfait (5) . C\'est donc \n\xc3\xa0 d\xc3\xa9faut d\'un terme sp\xc3\xa9cial que nous appliquons ici \nle mot d\'alt\xc3\xa9ration (6). Il y a d\'ailleurs une diff\xc3\xa9rence \nessentielle entre l\'alt\xc3\xa9ration qui se produit dans un \n\xc3\xaatre inanim\xc3\xa9 et celle que subit l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de senti- \nment : le premier est modifi\xc3\xa9 sans le savoir, le second \nne saurait ignorer qu\'il p\xc3\xa2tit (7). \n\nDisons maintenant ce qu\'est la connaissance sen- \nsible, et partons de ce principe d\xc3\xa9sormais bien \xc3\xa9vi- \ndent , que pour la sensation , p\xc3\xa2tir, \xc3\xaatre m\xc3\xbb et \xc3\xaatre \nen acte sont la m\xc3\xaame chose (8) . \n\nTout ce qui est m\xc3\xbb suppose un moteur en acte (9), \net les choses se passent dans le mouvement d\'alt\xc3\xa9ra- \ntion comme dans tout autre mouvement , si ce n\'est \nque le sujet reste toujours un seul et m\xc3\xaame sujet (1 0) \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 3 et pass.;ch. 7, pass.;ch. 11, \xc2\xa7 8, etc.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., \nII, 12, \xc2\xa76. -(:i) Ibid., II, 5, \xc2\xa7 1 ; II, 11, \xc2\xa711; III, 4, \xc2\xa7 2; III, 7,\xc2\xa7 1.- \n(4) Ibid., III, 4, \xc2\xa7 5; III, 7, \xc2\xa7 1. - (5) Ibid., III, 7, \xc2\xa7 1. - (6) Ibid., II, \n\n5\xc2\xbb \xc2\xa7 T. \xe2\x80\x94 C?) Ph y s -> VII, 2 i P- 244 > b > !\xe2\x96\xa0 15 - \xe2\x80\x94 ( 8 ) De l,\xc3\xa2me \xc2\xbb ll > 5 \xc2\xbb \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(9) Phys., III, 2, p. 20l,b,; De l\'\xc3\xa2me, l. c. \xe2\x80\x94 (10) G\xc3\xa9n. etcorr., I, 1. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 113 \n\ni3t ne change point de lieu. Ainsi la cire, sans changer \nde lieu ni de nature , est modifi\xc3\xa9e dans toute la pro- \nfondeur o\xc3\xb9 p\xc3\xa9n\xc3\xa8tre le cachet ; une pierre en pareil \ncas ne subirait point de changement; au contraire \nl\'alt\xc3\xa9ration de l\'eau pourrait aller fort loin; enfin l\'air, \nle plus mobile de tous les corps , agit et p\xc3\xa2tit en toute \nson \xc3\xa9tendue, l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 il offre une surface une et continue : \nd\'un c\xc3\xb4t\xc3\xa9 il est affect\xc3\xa9 par les figures et les couleurs , \nles sons et les odeurs , et de l\'autre il meut \xc3\xa0 son \ntour la vue , l\'ou\xc3\xafe et l\'odorat , l\'empreinte marqu\xc3\xa9e \nsur sa surface ext\xc3\xa9rieure \xc3\xa9tant pour ainsi dire transmise \njusqu\'\xc3\xa0 l\'extr\xc3\xa9mit\xc3\xa9 oppos\xc3\xa9e (1). Ainsi l\'interm\xc3\xa9diaire \nest affect\xc3\xa9 et mis en mouvement par l\'objet sensible , \net il meut \xc3\xa0 son tour l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9 (2) , \net en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral il y a simultan\xc3\xa9it\xc3\xa9 et continuit\xc3\xa9 entre \nl\'acte de ce qui est alt\xc3\xa9r\xc3\xa9 et l\'acte de ce qui l\'alt\xc3\xa8re \nimm\xc3\xa9diatement (3). La sensation en acte suppose \ndonc un objet qui soit en acte lui-m\xc3\xaame. C\'est par \nl\'acte seulement qu\'une chose se fait conna\xc3\xaetre (4); \nles propri\xc3\xa9t\xc3\xa9s des figures g\xc3\xa9om\xc3\xa9triques , par exemple , \nne nous deviennent \xc3\xa9videntes que lorsque nous avons \nr\xc3\xa9duit \xc3\xa0 l\'acte ces figures par notre conception \nm\xc3\xaame (5). C\'est donc en m\xc3\xaame temps que l\'objet \nse fait sentir et que le sens le per\xc3\xa7oit (6). Il y a \nplus : c\'est dans la chose mue que sont \xc3\xa0 la fois l\'ac- \ntion , le mouvement et la passion , car l\'acte de ce \nqui meut se produit en ce qui est mu ; l\'acte de \nl\'objet sensible et celui de la sensibilit\xc3\xa9 se pas- \n\n\n\nCi.) De rame, m, 13, \xc2\xa79; II, 12, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (2)Ibid., III, 12, \xc2\xa7 8.\xe2\x80\x94 (3)Phys., \nVII, 2, p. 244 , b. \xe2\x80\x94 0) M\xc3\xa9taph., IV. 5,pass. ; IX, 9, p. 1051; a.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \nIX, &.\xe2\x80\x94 (6) Phys., VII, 2, p. 244, b ; p. 245, a ; De la sensat., II , \xc2\xa7 12, etc, \n\n8 \n\n\n\n114 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nsent donc tous les deux en l\'\xc3\xaatre qui sent (1), \nLes anciens philosophes vont encore plus loin : ils \nsupposent tous , et Platon pense avec eux (2) que \nc\'est le semblable qui conna\xc3\xaet son semblable (3). \nC\'est ce qu\'a voulu exprimer Emp\xc3\xa9docle dans ces \nvers c\xc3\xa9l\xc3\xa8bres : \xc2\xab Par la terre , dit-il , nous voyons la \nterre , l\'eau par l\'eau ; par l\'air, l\'air divin; par le feu , \nle feu qui consume ; par l\'amour, l\'amour, et la dis- \ncorde par la discorde funeste (4). \xc2\xbb Mais dans cette \nhypoth\xc3\xa8se , il faudrait que l\'\xc3\xa2me f\xc3\xbbt en quelque sorte \nles choses elles-m\xc3\xaames , et qu\'elle cont\xc3\xaent non-seule- \nment les principes et les \xc3\xa9l\xc3\xa9ments , comme l\'admet- \ntaient ces philosophes , mais encore la multitude in- \nfinie de compos\xc3\xa9s que forment ces principes , et \nm\xc3\xaame les divers rapports qui pr\xc3\xa9sident \xc3\xa0 leurs com- \nbinaisons. Est-il besoin de dire que cela est de toute \nimpossibilit\xc3\xa9 (5) ? D\'apr\xc3\xa8s la m\xc3\xaame th\xc3\xa9orie , tout ce \nqui para\xc3\xaet sera n\xc3\xa9cessairement vrai , ou bien si l\'er- \nreur peut se produire, il n\'y en aura qu\'une explica- \ntion possible , \xc3\xa0 savoir le contact du dissemblable au \nlieu du semblable ; or, cette explication ne supporte \npoint l\'examen , car de m\xc3\xaame que les contraires sont \nl\'objet d\'une m\xc3\xaame connaissance , ils doivent \xc3\xaatre \naussi l\'objet d\'une m\xc3\xaame erreur (6). D\'ailleurs, si \nc\'est le semblable qui per\xc3\xa7oit son semblable , il en \nr\xc3\xa9sulte in\xc3\xa9vitablement que le semblable est affect\xc3\xa9 et \nmis en mouvement par son semblable, ce qui est \ncontraire \xc3\xa0 la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 et ce que ces philosophes \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (2) Tbid. , I, 2, \xc2\xa7 7.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., III, 3, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 \n(4)Ibid.,I, 2,\xc2\xa76; M\xc3\xa9laph.,111, 4, p. 1000, b, 1. 6. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \n\xc2\xa7\xc2\xa7 5, 6 et suiv. \xe2\x80\x94 (6) Ibid. , III, 3, \xc2\xa7 2. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 11.5 \n\neux-m\xc3\xaames se refusent \xc3\xa0 admettre (1). En effets tous \nles objets ne peuvent pas agir les uns sur les au- \ntres , mais seulement les objets qui sont contraires ou \noppos\xc3\xa9s entre eux : ce qui agit et ce qui p\xc3\xa2tit sont \nde m\xc3\xaame genre , mais diff\xc3\xa9rents et contraires en \nesp\xc3\xa8ce (2). \n\nIl y a pourtant du vrai dans cette th\xc3\xa9orie. En ef- \nfet, p\xc3\xa2tir n\'est pas un terme simple; tant\xc3\xb4t il signifie \nla destruction d\'une chose par son contraire, et tan- \nt\xc3\xb4t il exprime la conservation , la confirmation de ce \nqui est en puissance par le moyen de quelque chose \nqui est en acte, mais qui lui est semblable, sauf l\'u- \nnique diff\xc3\xa9rence qui existe entre la puissance et l\'acte. \nAinsi passer de la science que l\'on poss\xc3\xa8de \xc3\xa0 l\'acte de \nla contemplation scientifique , ce n\'est pas une alt\xc3\xa9ra- \ntion , mais un d\xc3\xa9veloppement dans le sens de la na- \nture ; et si absolument on y veut voir une alt\xc3\xa9ration , \non ne la doit confondre avec aucune autre (3). Or la \nsensation en acte a lieu de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re que la \ncontemplation scientifique (4). Donc en un sens on \npeut dire que le semblable agit sur son semblable , \ntandis qu\'en un autre sens c\'est le dissemblable. Ce \nqui p\xc3\xa2tit est diff\xc3\xa9rent de ee qui agit : au contraire ce \nqui a p\xc3\xa2ti lui ressemble. Au commencement de l\'ac- \ntion , ce qui agit et ce qui p\xc3\xa2tit sont dissemblables ; \nmais l\'action accomplie, ils sont rendus semblables (5). \nDans toutes nos sensations , ou du moins dans la plu- \npart, on ne remarque aucune autre modification , au- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \xc2\xa7 8.\xe2\x80\x94 (2) G\xc3\xa9n. et corrupt., I, 7, p. 323, b; De l\'\xc3\xa2me, \nII, 4, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., \xc2\xa7 6 ; De la sensat., IV. \n\xc2\xa710. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, 11,5, \xc2\xa73. \n\n\n\n116 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\ncnn autre mouvement que ce simple changement d\'\xc3\xa9- \ntat (1). Ce qui sent est en puissance \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s ce que \nl\'objet sensible est d\xc3\xa9j\xc3\xa0 en acte; il ne lui est pas encore \nsemblable quand il en subit l\'action, mais cette action \nune fois subie, il lui est fait semblable et il est ce qu\'est \nson objet (2). Celui-ci fait donc passer le sens \xc3\xa0 l\'acte, \n\xc3\xa0 un acte tel qu\'il est lui-m\xc3\xaame, et cela parce que le \nsens est en possession d\'y passer (3). Ce n\'est point l\xc3\xa0 \np\xc3\xa2tir ni \xc3\xaatre alt\xc3\xa9r\xc3\xa9 : c\'est l\'acte, non de ce qui est im- \nparfait, mais de ce qui est d\xc3\xa9j\xc3\xa0 parfait (4). Le m\xc3\xaame \n\xc3\xaatre peut d\'ailleurs voir et avoir vu : la continuit\xc3\xa9 de \ncet acte en montre assez la perfection (5). \n\nLa sensation est donc en puissance la chose m\xc3\xaame \nqui est sentie (6); mais il faut bien d\xc3\xa9terminer de \nquelle mani\xc3\xa8re. En effet , il peut \xc3\xaatre ici question ou \ndes objets eux-m\xc3\xaames , ou seulement de leurs formes. \nDe dire que le sens devient l\'objet lui-m\xc3\xaame, il n\'y \na point d\'apparence; car ce n\'est pas la pierre qui est \ndans l\'\xc3\xa0me , c\'est seulement son id\xc3\xa9e ou sa forme (7). \nLes sens ne per\xc3\xa7oivent pas non plus les objets ext\xc3\xa9- \nrieurs dans toute leur grandeur. Le soleil, par \nexemple , est perceptible pour la vue , mais non dans \nsa grandeur r\xc3\xa9elle (8). Les sens ne re\xc3\xa7oivent donc \npas mat\xc3\xa9riellement les choses sensibles , et l\'on peut \nsous ce rapport les comparer avec la cire qui re\xc3\xa7oit \nl\'empreinte d\'un anneau sans la mati\xc3\xa8re dont il est com- \npos\xc3\xa9; elle prend bien la figure de l\'or ou de l\'airain, \nmais non pas en tant que c\'est de l\'or ou de l\'airain. \n\n\n\n(!) Cat\xc3\xa9g., XIV, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa0me, H, 5, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., II, 11, \xc2\xa7 11. \n\xe2\x80\x94 (4) Ibid., III, 7, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9taph., IX, 6, p. 1048, b. \xe2\x80\x94 (fr) De l\'\xc3\xa2me, \nIII, 8,\xc2\xa7\xc2\xa7 l, 2. \xe2\x80\x94 (7) Ibid. ,\xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (8) De la sens ..VII, $6. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 117 \n\nChaque sens particulier se comporte de la m\xc3\xaame ma- \nni\xc3\xa8re \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard de ce qui a couleur, son ou saveur ; il \nre\xc3\xa7oit chaque objet non en tant qu\'il est tel objet in- \ndividuel , mais en tant qu\'il a telle qualit\xc3\xa9 et telle \nforme ; et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral il faut admettre que le sens est \nce qui peut recevoir les formes sensibles sans leur \nmati\xc3\xa8re (I ). Voil\xc3\xa0 pourquoi la sensibilit\xc3\xa9 ne saurait se \ntrouver dans des \xc3\xaatres dont le corps serait simple, \npuisqu\'ils ne pourraient s\'assimiler les qualit\xc3\xa9s des \nobjets sans leur mati\xc3\xa8re (2). La sensibilit\xc3\xa9 ne re\xc3\xa7oit \ndonc ni les choses elles-m\xc3\xaames , ni leur mati\xc3\xa8re , ni \nm\xc3\xaame de petites images des choses sensibles , suivant \nla singuli\xc3\xa8re hypoth\xc3\xa8se de D\xc3\xa9mocrite (3), mais uni- \nquement leur forme , et c\'est en ce sens qu\'elle est en \npuissance et devient en acte les objets sensibles : elle \nles re\xc3\xa7oit comme la main , notre instrument par ex- \ncellence , re\xc3\xa7oit et s\'approprie tous les instruments ; et \nde m\xc3\xaame que la main est l\'organe des organes , de \nm\xc3\xaame la sensibilit\xc3\xa9 est Informe des choses sensibles (4). \nL\'acte de l\'\xc3\xaatre qui sent et celui de l\'objet senti \n\xc3\xa9tant un seul et m\xc3\xaame acte (5) , il est facile de com- \nprendre comment nous pouvons conna\xc3\xaetre tout en- \nsemble la qualit\xc3\xa9 sensible et l\'acte m\xc3\xaame du sens qui \ns\'y applique. En effet , non-seulement nous voyons \net nous entendons, mais encore nous sentons que nous \nvoyons et que nous entendons (6). Tout homme qui \nvoit, qui entend ou qui marche, sent qu\'il voit, qu\'il \nentend ou qu\'il marche, et il en est ainsi de toutes nos \n\n\n\n(l) De F\xc3\xa0rae, II, 12, \xc2\xa7 I. Cf. III, 2, \xc2\xa7 3, \xc2\xa7 G init. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., III, 12 , \n\xc2\xa7 2;ch. 13, \xc2\xa7 1. Cf. II, 12, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (3) Divinat., II, \xc2\xa75. \xe2\x80\x940) De l\'\xc3\xa0me \nIII, 8, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., III, 2, \xc2\xa76. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., \xc2\xa71. \n\n\n\nM 8 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nautres actions. Il y a donc quelque chose en nous qui \nsent que nous agissons (1). Quel est le principe qui \nsent que nous sentons, qui voit que nous voyons? \nLa connaissance de notre propre vision nous est \ndonn\xc3\xa9e ou par la vue ou par quelque autre sens ; mais \nquel que soit ce sens , il est \xc3\xa9vident qu\'il conna\xc3\xaetra et \nla vue et la couleur qui en est l\'objet. Si l\'on n\'accorde \npas que la vue se conna\xc3\xaet elle-m\xc3\xaame , il faudra donc \nadmettre qu\'il y a deux sens pour un m\xc3\xaame objet, ce \nqui est impossible. De plus , si l\'on suppose pour con- \nna\xc3\xaetre la vue un autre sens que la vue elle-m\xc3\xaame, il \nfaudra aller ainsi \xc3\xa0 l\'infini, ou bien on rencontrera \nquelque sens qui s\'apercevra lui-m\xc3\xaame, et alors autant \nvalait accorder tout de suite cette connaissance au pre- \nmier sens? Ici pourtant s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve une difficult\xc3\xa9. L\'objet de \nla vue \xc3\xa9tant la couleur ou bien ce qui a de la couleur r \nsi la vue s\'aper\xc3\xa7oit elle-m\xc3\xaame, n\'est-ce pas qu\'elle est \nune couleur ou quelque chose qui en a ? A cela nous \nr\xc3\xa9pondrons que conna\xc3\xaetre par la vue se dit en plus \nd\'une mani\xc3\xa8re ; ainsi c\'est bien par la vue que nous \njugeons des t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres, cependant ce n\'est pas par une \nperception actuelle. D\'ailleurs ce qui voit en acte \ndevient en quelque sorte la couleur qu\'il voit, puis- \nque le sens re\xc3\xa7oit l\'objet sensible sans sa mati\xc3\xa8re , et \nque l\'acte de l\'objet et celui de la sensation ne font \nqu\'un seul et m\xc3\xaame acte ; leur \xc3\xaatre , il est vrai , n\'est \npas identique, mais tous les deux se produisent dans \nl\'\xc3\xaatre qui sent (2). Le m\xc3\xaame sens nous fait donc con- \nna\xc3\xaetre et son objet et son acte propre. C\'est ainsi que \nnous pouvons sentir que nous sentons ; et, pour l\'\xc3\xaatre \n\n\n\n(l) Mor. \xc3\xa0 Nie. IX, 9, p. 1170, a. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 1-6. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 119 \n\ndou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9, sentir qu\'il sent, c\'est \xc3\xaatre (1). \nIl est \xc3\xa9vident par la nature de la connaissance sen- \nsible que chaque sens ne peut conna\xc3\xaetre qu\'un seul \nobjet \xc3\xa0 la fois. En puissance , la sensation est ind\xc3\xa9- \ntermin\xc3\xa9e , mais en acte elle porte sur un objet parti- \nculier ; unique et d\xc3\xa9termin\xc3\xa9 {%). Il n\'est donc pas pos- \nsible que l\'\xc3\xa2me, par un seul sens, per\xc3\xa7oive \xc3\xa0 la fois deux \nchoses, \xc3\xa0 moins qu\'elles ne soient m\xc3\xa9lang\xc3\xa9es : car le \nm\xc3\xa9lange m\xc3\xaame est comme un seul objet , et peut \xc3\xaatre \nper\xc3\xa7u en une seule sensation (3). Mais en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, de \ndeux mouvements qui se produisent ensemble , le plus \ngrand \xc3\xa9touffe le plus petit : ainsi l\'on n\'aper\xc3\xa7oit pas \nles objets que l\'on a sous les yeux , lorsqu\'on m\xc3\xa9dite \nprofond\xc3\xa9ment, ou qu\'on est effray\xc3\xa9, ou qu\'on entend \nun grand bruit: le mouvement le plus fort lui-m\xc3\xaame, \nquoiqu\'il absorbe le plus faible , s\'aper\xc3\xa7oit moins bien \nque s\'il se f\xc3\xbbt produit seul. Deux mouvements \xc3\xa9gaux, \ns\'ils ne se confondent point en un seul par le m\xc3\xa9lange, \nse d\xc3\xa9truisent, et on ne les sent ni l\'un ni l\'autre. Les \nobjets simples d\'ailleurs s\'aper\xc3\xa7oivent mieux que les \ncompos\xc3\xa9s (4). Un seul sens ne peut m\xc3\xaame pas rece- \nvoir \xc3\xa0 la fois les deux formes oppos\xc3\xa9es de son objet \npropre , par exemple la forme du blanc et celle du \nnoir (5). Cependant la vue conna\xc3\xaet l\'un par l\'autre , \net m\xc3\xaame quand nous ne voyons pas, nous jugeons \nencore par la vue des t\xc3\xa9n\xc3\xa8bres et de la lumi\xc3\xa8re, quoi- \nque ce soit d\'une autre mani\xc3\xa8re que quand nous \nvoyons (6). Il nous suffit d\'un seul des termes d\'une \n\n\n\n(1) Mor.\xc3\xa0 Nic.,1. c. \xe2\x80\x94 (2)M\xc3\xa9taph. XIII, 10; Del\xc3\xa0 sensat., VII, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(3) De la sensat., VII, \xc2\xa7 3 et pass. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 14. \n\xe2\x80\x94 (G) Ibid. \xc2\xa7 3. \n\n\n\n120 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE, \n\nopposition pour conna\xc3\xaetre et ce terme et. son con- \ntraire : ainsi , par le moyen de ce qui est droit nou& \njugeons et du droit et du courbe (1) , et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \ntout contraire a cette propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 de donner la connais- \nsance de son contraire , en m\xc3\xaame temps qu\'il se fait \nconna\xc3\xaetre (2). Un m\xc3\xaame sens porte donc sur les con- \ntraires, et il les atteint tous les deux par un seul \nacte (3). Le sens tient pour ainsi dire le milieu entre \nles qualit\xc3\xa9s oppos\xc3\xa9es de son objet propre, et c\'est \nparce qu\'il est en quelque sorte un terme moyen qu\'il \npeut juger des extr\xc3\xaames. Mais par la m\xc3\xaame raison , \nce qu\'il y a d\'excessif dans les qualit\xc3\xa9s sensibles \n\xc3\xa9chappe \xc3\xa0 sa nature moyenne et temp\xc3\xa9r\xc3\xa9e; si m\xc3\xaame \nl\'organe re\xc3\xa7oit un trop grand choc , aussit\xc3\xb4t se rompt \ncette proportion qui \xc3\xa9tait le sens lui-m\xc3\xaame , de m\xc3\xaame \nque l\'harmonie et l\'accord sont d\xc3\xa9truits lorsqu\'on \nfrappe trop rudement les cordes d\'une lyre (4). \n\nInd\xc3\xa9pendamment de la contrari\xc3\xa9t\xc3\xa9 premi\xc3\xa8re qui se \nrencontre en chaque genre d\'objets sensibles (5) , \nchaque sens per\xc3\xa7oit des diff\xc3\xa9rences secondaires et des \nnuances diverses en grand nombre (6) , et le plus par- \nfait de tous est celui qui per\xc3\xa7oit le plus distinctement \nles plus petits d\xc3\xa9tails de son objet propre (7). Mais \nl\'acte le plus excellent de la sensibilit\xc3\xa9 est celui du \nmeilleur de nos sens s\'appliquant au plus beau des \nobjets auxquels il se rapporte (8). \n\nNous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit, chacun de nos sens s\'applique \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \xc2\xa7 16.\xe2\x80\x94 (2) Rh\xc3\xa9t., I, 9, p. 1368, a,\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 3 T \n\xc2\xa72;Topiq. I, 10, \xc2\xa7 4 ; I, 14, \xc2\xa7 2; VIII, 1, \xc2\xa7 15. - (4) De l\'\xc3\xa2me, II, 12, \xc2\xa7\xc2\xa73, \n4; 1II T 2, \xc2\xa7 9; ch. 4, \xc2\xa75; De la sensat., VI, \xc2\xa7 8, etc. \xe2\x80\x94 (5) De la sensat., \nVI, \xc2\xa7 6.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, II, 11 , \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (7) De la sensat., IV, \xc2\xa7 16. \xe2\x80\x94 (8) tfoiy \n\n\xc3\xa0 Nie, X r 4\xe2\x80\x9e \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 121 \n\n\xc3\xa0 un seul genre d\'objets propres \xc3\xa0 agir sur lui (1), et \nr\xc3\xa9ciproquement un objet sensible ne saurait \xc3\xaatre connu \nque par un seul sens et non par deux (2). Ainsi aucun \n\xc3\xaatre priv\xc3\xa9 du sens de l\'odorat ne peut \xc3\xaatre affect\xc3\xa9 par \nl\'odeur, et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral rien ne peut \xc3\xaatre affect\xc3\xa9 par un \nobjet , s\'il n\'a le sens propre \xc3\xa0 percevoir cet objet ; \nbien plus, ce qui peut sentir ne sent jamais que del\xc3\xa0 \nfa\xc3\xa7on dont il est sensible (3). La vue ne peut que voir \net l\'ou\xc3\xafe qu\'entendre (4). Nous ne jugeons donc pas \npar le m\xc3\xaame sens du clair dans la voix et du clair \ndans la couleur ; mais nous jugeons de l\'un par l\'ou\xc3\xafe \net de l\'autre par la vue (5). Gomment donc se fait-il \nque parfois un sens per\xc3\xa7oive, m\xc3\xaame par accident, les \nobjets propres d\'un autre sens, comme quand nous \njugeons des choses douces ou am\xc3\xa8res par la vue (6) ? \nL\'\xc3\xa2me peut conna\xc3\xaetre un objet dans ses diff\xc3\xa9rentes \nqualit\xc3\xa9s par plusieurs sens \xc3\xa0 la fois. Supposons donc \nque deux sens, le go\xc3\xbbt et la vue, s\'exer\xc3\xa7ant \xc3\xa0 la fois \nsur un m\xc3\xaame objet , y constatent en un m\xc3\xaame instant \nl\'un une certaine couleur , l\'autre une saveur parti- \nculi\xc3\xa8re. Si les perceptions de ces deux sens co\xc3\xafn- \ncident , et que nous sentions ainsi un m\xc3\xaame objet \xc3\xa0 \nla fois comme ayant une couleur jaune et une saveur \nam\xc3\xa8re, il suffira que l\'un des deux sens vienne \xc3\xa0 \ns\'exercer de nouveau sur cet objet, pour qu\'\xc3\xa0 ses \ndonn\xc3\xa9es propres nous ajoutions celles de l\'autre sens. \nC\'est ainsi qu\'\xc3\xa0 voir simplement un corps jaun\xc3\xa2tre , \nnous le supposons amer et nous croyons voir de la \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 6 pass.; De la sensat., VII, \xc2\xa7 7 ; Mor. \xc3\xa0 Nie. X, 4.\xe2\x80\x94- \n(2) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 1 , \xe2\x80\x94 (3) lbid. , II, 12, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor., I, 19. \n\xe2\x80\x94 (6)Topiq., I, 15, \xc2\xa74 ; Ph\\s\xe2\x80\x9e III, 6. - ((;) De l\'\xc3\xa2me, 111, l,\xc2\xa7 5. \n\n\n\n122 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nbile (1). Ce n\'est que par accident qu\'un sens nous \ndonne la connaissance de qualit\xc3\xa9s sensibles qui lui \nsont \xc3\xa9trang\xc3\xa8res ; et comme il ne les conna\xc3\xaet point direc- \ntement, il n\'en est pas non plus affect\xc3\xa9 (2). \n\nLes sens particuliers connaissent aussi , mais d\'une \nautre mani\xc3\xa8re, les qualit\xc3\xa9s sensibles communes. Ces \nqualit\xc3\xa9s n\'\xc3\xa9tant l\'objet propre d\'aucun sens particu- \nlier, chaque sens les per\xc3\xa7oit \xc3\xa0 son point de vue, c\'est- \n\xc3\xa0-dire en tant qu\'elles se rencontrent en son objet \npropre. C\'est pourquoi il est bon que ces qualit\xc3\xa9s \nnous soient connues par plusieurs sens. En effet si la \nvue, par exemple, \xc3\xa0 laquelle on serait tent\xc3\xa9 d\'attri- \nbuer sp\xc3\xa9cialement ces perceptions (3), si la vue, dis-je, \n\xc3\xa9tait seule \xc3\xa0 conna\xc3\xaetre l\'\xc3\xa9tendue , nous serions expos\xc3\xa9s \n\xc3\xa0 nous tromper gravement et \xc3\xa0 croire que l\'\xc3\xa9tendue \net la couleur sont une m\xc3\xaame chose , parce que nous \nles percevrions toujours ensemble ; mais comme l\'\xc3\xa9- \ntendue accompagne aussi d\'autres objets sensibles, \nnous connaissons par l\xc3\xa0 que la couleur et l\'\xc3\xa9tendue \nsont choses diff\xc3\xa9rentes (4). Si donc cette classe d\'ob- \njets appartenait en propre \xc3\xa0 un seul de nos cinq sens, \nnous ne les sentirions que par accident, \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s \ncomme nous percevons la saveur d\'une chose par la \nvue (5). Mais telle n\'est pas notre connaissance des \nqualit\xc3\xa9s sensibles communes , puisqu\'elles sont sen- \nsibles par elles-m\xc3\xaames (6). Ces qualit\xc3\xa9s sont le mou- \nvement et le repos , l\'\xc3\xa9tendue , la figure , l\'unit\xc3\xa9 , le \nnombre et le temps (7). Or tout cela nous est counu \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa7 7.- (2) Ibid., II, 6, \xc2\xa7 4; III, 1, \xc2\xa7 6.\xe2\x80\x94 (3) De la \nsensat., \xc3\xaf,\xc2\xa7 10; IV, \xc2\xa715; M\xc3\xa9taph., X11I, 3. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 1,\xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 \n(5) Ibid., \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., 11, 6, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 4. - (7) Ibid., II, 6, \xc2\xa7 3; De la \nsensat., I, \xc2\xa710; IV, \xc2\xa7 15. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 125 \n\npar le moyen du mouvement : ainsi c\'est le mouve- \nment qui nous fait conna\xc3\xaetre l\'\xc3\xa9tendue et par suite la \nfigure qui en est une esp\xc3\xa8ce. Nous percevons le repos \npar l\'absence du mouvement , le nombre par la solu- \ntion de la continuit\xc3\xa9 , et aussi par l\'unit\xc3\xa9 des objets \npropres, attendu que chaque sens per\xc3\xa7oit quelque \nchose d\'un (1). Quant au temps, c\'est ou le mouve- \nment lui-m\xc3\xaame, ou un mode du mouvement (2). \nCes choses communes n\'\xc3\xa9tant propres \xc3\xa0 aucun \nsens particulier, il en faut rapporter la perception \nau sens commun (3) , auquel appartient en propre la \nnotion du temps (4) , quoique chacun de nos sens \ns\'exerce \xc3\xa9galement en une certaine partie de la du- \nr\xc3\xa9e (5). \n\nC\'est encore le sens commun , comme nous l\'avons \nd\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit, qui conna\xc3\xaet la ressemblance et la diff\xc3\xa9rence \ndes objets propres de tous nos sens. Mais il y a l\xc3\xa0 \nune difficult\xc3\xa9 qu\'il importe de r\xc3\xa9soudre. Comment un \nm\xc3\xaame sujet peut-il recevoir tout ensemble les mouve- \nments contraires, en demeurant lui-m\xc3\xaame indivisible \net sans succession de temps ? L\'impression d\'une sa- \nveur douce agit d\'une certaine fa\xc3\xa7on sur la sensibi- \nlit\xc3\xa9; une saveur am\xc3\xa8re produit sur elle l\'effet con- \ntraire, et un objet blanc la meut encore d\'une autre \nmani\xc3\xa8re. Ce qui juge de ces diverses impressions est-il \ndonc \xc3\xa0 la fois divisible et indivisible, indivisible en \n\xc3\xaatre et en dur\xc3\xa9e , divisible par ses mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre ? \nS\'il en \xc3\xa9tait ainsi, le m\xc3\xaame principe percevrait des ob- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa75.\xe2\x80\x94 (2)M\xc3\xa9taph.XI, 10,p.l067, a; XII, 6, p.l071,b, \n- (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (4) De la mcm.,J, \xc2\xa7 il. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, \nX, 3, p. 1174, a. \n\n\n\n12ft DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\njets s\xc3\xa9par\xc3\xa9s. Or il se peut bien qu\'un m\xc3\xaame sujet soit \nmultiple et divers dans ses mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre ; et n\'en \nsoit pas moins un et indivisible en \xc3\xaatre , en espace et \nen dur\xc3\xa9e (1). Mais peut-\xc3\xaatre n\' accordera- t-on pas \nqu\'il en soit ainsi pour le sens commun. On admettra \nsans doute qu\'en puissance il peut \xc3\xaatre consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 \ncomme indivisible \xc3\xa0 la fois et comme divisible , puis- \nqu\'il peut devenir les contraires ; mais on dira peut- \n\xc3\xaatre qu\'en essence il en est autrement , et que dans le \nmoment qu\'il passe \xc3\xa0 l\'acte , il devient r\xc3\xa9ellement \ndivisible, ne pouvant \xc3\xaatre \xc3\xa0 la fois blanc et noir : il \nne saurait dans cette hypoth\xc3\xa8se recevoir les formes \ndu noir et du blanc, et comme c\'est en cela que con- \nsiste la sensation , il ne saurait percevoir ces deux \nchoses (2). \n\nPour r\xc3\xa9soudre cette objection, il nous suffira de \ncomparer le sens commun au point qui unit deux li- \ngnes. Consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 en lui-m\xc3\xaame ce point est un et indi- \nvisible ; mais en tant qu\'on peut l\'employer deux fois \nen deux mani\xc3\xa8res diff\xc3\xa9rentes , comme appartenant \xc3\xa0 \nl\'une et \xc3\xa0 l\'autre de ces deux lignes, il est double et par- \ntant divisible. Il en est absolument de m\xc3\xaame de cette \nfacult\xc3\xa9 qui juge des donn\xc3\xa9es diverses des sens. En \nelle-m\xc3\xaame elle est indivisible et par cons\xc3\xa9quent une et \nidentique ; mais \xc3\xa0 un autre point cle vue elle est en \nquelque fa\xc3\xa7on divisible et multiple. En effet, en tant \nqu\'elle se sert de deux sens, elle peut bien percevoir \ndeux choses sensibles \xc3\xa0 la limite o\xc3\xb9 elles se rencon- \ntrent , et elles sont s\xc3\xa9par\xc3\xa9es pour lui comme apparte- \nnant \xc3\xa0 des sens s\xc3\xa9par\xc3\xa9s. Mais en tant qu\'elle est une \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, 111, 2, \xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 14. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 125 \n\nfacult\xc3\xa9 unique elle ne se sert que d\'un sens et juge \nd\'un seul coup (1). C\'est ainsi que le sens commun \nest tout \xc3\xa0 la fois une puissanee simple et indivisible \nen soi, et la commune limite des sens particuliers qui \ny aboutissent et dont il r\xc3\xa9unit les sensations diverses \nen une seule connaissance (2). \n\nLe sens commun est en effet le principe par lequel \nchaque sens voit , entend ou per\xc3\xa7oit \xc3\xa0 sa mani\xc3\xa8re (3) ; \nil est modifi\xc3\xa9 par toutes nos sensations (4), et c\'est \n\xc3\xa0 lui que l\'opinion emprunte ses jugements sur tout \nce qui vient de chaque sens (5). Ainsi l\'\xc3\xa2me voyant \nun flambeau juge par le sens commun que c\'est du \nfeu , et voyant quelqu\'un qui s\'avance , elle juge par \nle sens commun que c\'est un ennemi (6). \n\nQuand nous avons cess\xc3\xa9 de voir en acte des objets \nparticuliers, ils sont pour nous comme s\'ils n\'\xc3\xa9taient \nplus; cependant nous conservons une notion de ces \nobjets, non point de leur mati\xc3\xa8re, puisque nous ne \npercevons point la mati\xc3\xa8re, mais de leur forme, parce \nque les sens re\xc3\xa7oivent la forme des choses sans leur \nmati\xc3\xa8re (7). Voil\xc3\xa0 comment l\'imagination venant \xc3\xa0 la \nsuite de la sensation en acte (8) , nous peut fournir \nles repr\xc3\xa9sentations des objets absents, soit \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat de \nveille, soit pendant le sommeil (9). La sensation se \nrapporte toujours au pr\xc3\xa9sent, et c\'est m\xc3\xaame le seul ob- \njet de la connaissance (10). L\'imagination est donc \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, 111,2, \xc2\xa7 15.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., III, 7, \xc2\xa74; Del\xc3\xa0 sensat., VII, \xc2\xa7\xc2\xa7 7, \n8, 9; Du somm.,11, \xc2\xa73suiv. \xe2\x80\x94 (3) Du somm , II, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (4) Des songes, III, \npass. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., I, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, 111, 7, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., VII, \n10 ; De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7 3 ; Des songes r II, pass.\xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me , III, 3, \xc2\xa7 13. \n\xe2\x80\x94 (9) Ibid., III, 2, \xc2\xa7 3 ; Des songes, 1, pass. \xe2\x80\x94 (10) De la m\xc3\xa9m., I, pass, \n\n\n\n126 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE* \n\ndistincte de la sensation , mais elle ne se produit ja- \nmais sans la sensation (1). \n\nIl en est de m\xc3\xaame de la m\xc3\xa9moire : elle succ\xc3\xa8de \xc3\xa0 la \nsensation et en r\xc3\xa9sulte (2). Or c\'est de la m\xc3\xa9moire \nque na\xc3\xaet l\'exp\xc3\xa9rience, laquelle \xc3\xa0 son tour fonde \nchaque science , en lui fournissant ses principes sp\xc3\xa9- \nciaux (3). \n\nTelle est la nature , tels sont les divers degr\xc3\xa9s de \nla connaissance sensible. Il faut maintenant en rap- \npeler les conditions , expliquer la nature des objets \nauxquels elle s\'applique et le degr\xc3\xa9 de confiance qu\'on \nlui doit accorder. \n\nLa facult\xc3\xa9 sensitive est dans le corps , d\xc3\xa9pend du \ncorps et n\'agit point sans lui (4). Elle a des organes \ndont elle est ins\xc3\xa9parable , et sans lesquels elle ne \nsaurait conna\xc3\xaetre : un organe commun et premier dont \nelle est l\'\xc3\xa2me et l\'essence (5) , et des organes particu- \nliers o\xc3\xb9 r\xc3\xa9sident les sens particuliers (6). Aussi, sentir \nse dit-il de l\'\xc3\xa2me et du corps (7) , et c\'est bien en \nquelque sorte une chose corporelle (8) . Toute sensa- \ntion s\'op\xc3\xa8re \xc3\xa0 l\'aide d\'un milieu qui est tant\xc3\xb4t une \npartie m\xc3\xaame du corps et tant\xc3\xb4t un corps \xc3\xa9tranger (9), \npar le moyen duquel nous pouvons percevoir de plu- \nsieurs c\xc3\xb4t\xc3\xa9s (1 0) et de plus loin (11); mais la distance \nd\'o\xc3\xb9 nous percevons est finie , celle d\'o\xc3\xb9 nous ne \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (2) Dern. Anal., 11, 19, \xc2\xa7 5; M\xc3\xa9taph., I, 1.\xe2\x80\x94 \n(3) M\xc3\xa9taph., I, 1, pass.; Prem. Anal., I, 30, \xc2\xa7 3 j Dern. Anal., I, 24, \xc2\xa7 15. \n\xe2\x80\x94(4) Cat\xc3\xa9g., VII, \xc2\xa720; De l\'\xc3\xa2me, III, 4, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, 5; Del\xc3\xa0 sensat., I, \xc2\xa72,\xc2\xa76; \nDu somm. , I, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, I, 4 , \xc2\xa7 13; II, 12, \xc2\xa7 2 ; Du somm., II, \n\xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (6) Voyez plus haut les ehap. VI , VII et suiv. \xe2\x80\x94 (7) Topiq. ,1, 15, \n\xc2\xa79; Du somm., I, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (8) Del\'\xc3\xa0me, III, 3, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (9)Ibid., II, 7, \xc2\xa78 ; \nch.9, \xc2\xa76;ch. 11,\xc2\xa7\xc2\xa77, 8, 9; III, 12, \xc2\xa7\xc2\xa7 6, S, 9. \xe2\x80\x94 (10) Part, des anim., \nII, 10. \xe2\x80\x94 (11) De l\'\xc3\xa2me, III, 12, \xc2\xa78. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 427 \n\npercevons pas est infinie (I). Les sens ne sauraient \natteindre les parties trop petites de leurs objets (2) , \net l\'exc\xc3\xa8s des qualit\xc3\xa9s sensibles leur \xc3\xa9chappe (3). \nEnfin la sensation est susceptible de plus et de moins : \nelle est plus ou moins \xc3\xa9nergique , plus ou moins claire \net distincte (4). Elle ne se conna\xc3\xaet pour ainsi dire \nqu\'en passant (5) : son objet diff\xc3\xa8re d\'elle-m\xc3\xaame et \nlui vient du dehors (6). Elle ne conna\xc3\xaet pas non plus \ntoute seule et par elle-m\xc3\xaame (7) ; elle est essentielle- \nment relative \xc3\xa0 un objet (8) et ne passe point \xc3\xa0 l\'acte \nsans son concours (9) , en sorte que la destruction de \nla chose sensible entra\xc3\xaene celle de la sensation (1 0). \nIl y a entre l\'objet sensible et la sensation le rapport \nde ce qui agit \xc3\xa0 ce qui p\xc3\xa2tit , et par cons\xc3\xa9quent un \nrapport du plus au moins (1 \\ ). Il est vrai que les objets \nsensibles \xc3\xa0 leur tour d\xc3\xa9pendent jusqu\'\xc3\xa0 un certain \npoint de la sensation (4 2 y ; ils ne sauraient \xc3\xaatre connus \nque par elle (1 3), et les premiers physiciens n\'avaient \npas tout \xc3\xa0 fait tort de pr\xc3\xa9tendre que les couleurs et \nles saveurs n\'existeraient point sans le go\xc3\xbbt et sans la \nvue (1 4). Sans doute on ne peut soutenir que ces qua- \nlit\xc3\xa9s n\'existent pas en puissance dans les objets avant \n\n\n\n(l) Delasensat., VII, \xc2\xa7 10; Du ciel, II, 8 ; M\xc3\xa9t\xc3\xa9or., III, 4 med.\xe2\x80\x94 (2) De \nlasensat., VI, \xc2\xa7 7, \xc2\xa78.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, 111,2, \xc2\xa79; III, 4, \xc2\xa75; III, 13, \xc2\xa73. \n\n\xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 4, p. 1174, b; De l\'\xc3\xa2me, III, 3 , \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (5) M\xc3\xa9 \nlaph., IV, 5, p. 1010, b ; XII, 9.-(6) Ibid., XII, 9, p. 1074, b; De l\'\xc3\xa2me \n1,4, \xc2\xa7 12; II, 5, \xc2\xa7 6 ; Topiq., I , 14, \xc2\xa7 2; Probl., XII, 10.- (7) De l\'\xc3\xa2me, II \n5, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (8) Cat\xc3\xa9g. , VII, \xc2\xa7 9; X, \xc2\xa7 4 ; Topiq. , IV, 4, \xc2\xa7 1 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, X \n4 ; M\xc3\xa9taph., V, 15 pass. \xe2\x80\x94 (9) Cat\xc3\xa9g., VII, \xc2\xa7\xc2\xa7 18, 19; De l\'\xc3\xa2me, II, 5, \xc2\xa76 \n\n\xe2\x80\x94 (10) Cat\xc3\xa9g., VII, \xc2\xa720; Top. I, 13, \xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (1 1) M\xc3\xa9taph., V, 15 fin. Cf. De \nl\'\xc3\xa2me, III, 7, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (12) M\xc3\xa9taph., IV, 5, p. 1010, b; Cat\xc3\xa9g., VII, \xc2\xa7 9 \nX, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (13) M\xc3\xa9taph., 1, 7 fin; Topiq., V, 3, \xc2\xa7 5; De la sensat., VI, \xc2\xa7 i, \n\xc2\xa73. Cf. Phys., V, 1 med.\xe2\x80\x94 (lu) De l\'\xc3\xa2me, HT, 2, \xc2\xa7 8. \n\n\n\n128 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nm\xc3\xaame que d\'\xc3\xaatre senties (1); mais l\'acte de l\'objet \nper\xc3\xa7u et celui de l\'\xc3\xaatre qui per\xc3\xa7oit \xc3\xa9tant un seul et \nm\xc3\xaame acte, l\'un ne saurait subsister sans l\'autre (2), \net les objets sensibles , comme tels , n\'existent que \npar la sensation (3). Aussi une m\xc3\xaame th\xc3\xa9orie em- \nbrasse-t-elle les sens et les objets sensibles (4). \n\nA chaque genre d\'objets sensibles la nature a fait \ncorrespondre un sens (5); et \xc3\xa0 moins qu\'il n\'y ait \nd\'autres corps possibles que ceux qui nous entourent \net d\'autres qualit\xc3\xa9s que celles qui appartiennent aux \ncorps d\'ici-bas, on peut affirmer qu\'aucun sens ne \nnous manque et que nous connaissons toutes les \nchoses sensibles (6) ; et en effet il n\'y a point d\'\xc3\xaatres \nparticuliers en dehors de ceux que nous voyons dans \nl\'univers (7). On ne saurait supposer les objets sen- \nsibles divisibles \xc3\xa0 l\'infini , sans admettre la divisibi- \nlit\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'infini de la sensibilit\xc3\xa9 , \xc3\xa0 moins qu\'un objet \nsensible ne soit compos\xc3\xa9 de parties non sensibles , ce \nqui est absurde ; car un corps n\'est point compos\xc3\xa9 \nde notions math\xc3\xa9matiques (8). D\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, si \ntoutes les choses sensibles \xc3\xa9taient tangibles , comme \nle veulent D\xc3\xa9mocrite et la plupart des physiciens , il \nfaudrait consid\xc3\xa9rer tous les sens comme des esp\xc3\xa8ces \ndu toucher (9). \n\nParmi les objets des sens , les uns ne sont sensibles \nque par accident , comme nous l\'avons dit ; les autres, \npropres ou communs , sont sensibles en soi ; mais \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 7, 8 ; Cat\xc3\xa9g., VII, \xc2\xa7\xc2\xa718, 19. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, III, \n2,\xc2\xa7 4,\xc2\xa7 8.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., II, 12, \xc2\xa7 5 ; M\xc3\xa9taph., IV, 5.\xe2\x80\x94 (4) Part, des anim., 1, 1, \np. 641, b. \xe2\x80\x94 (5)Gr. Mor., I, 35. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, III, 1, \xc2\xa74. - (7) M\xc3\xa9taph., \nIII, 2, p. 997, b.- (8) De la sensat., VI, \xc2\xa7 2. - (9) Ibid., IV, \xc2\xa7 14. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 129 \n\nceux-l\xc3\xa0 le sont par excellence qui sont propres \xc3\xa0 \nchaque sens (1 ). \n\nLa sensation en acte ne porte que sur les choses \nparticuli\xc3\xa8res (2) et engag\xc3\xa9es dans la mati\xc3\xa8re (3) , \nquoique la mati\xc3\xa8re ne soit pas perceptible en elle- \nm\xc3\xaame (4). Les objets sensibles sont choses indivi- \nduelles et ext\xc3\xa9rieures (5). La sensation n\'atteint jamais \nl\'universel (6), si ce n\'est par accident, c\'est-\xc3\xa0- \ndire en tant que l\'universel est contenu dans chaque \nobjet particulier : ainsi l\'\xc5\x93il per\xc3\xa7oit accidentellement \nl\'universel , en ce que telle couleur qu\'il voit est une \ncouleur en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , de m\xc3\xaame que cet \xc3\x80 particulier \nqu\'\xc3\xa9tudie le grammairien est un A en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral (7). En \nsoi l\'universel est chose intelligible et d\'\xc3\xa9vidence ra- \ntionelle; le particulier, au contraire, est l\'objet propre \nde la sensation et il est d\'\xc3\xa9vidence sensible (8). Sui- \nvant les sens et \xc3\xa0 notre point de vue individuel, qui \nest loin d\'\xc3\xaatre absolument vrai (9) , le particulier est \nant\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 l\'universel (10). \n\nL\'\xc3\xaatre n\'est jamais s\xc3\xa9par\xc3\xa9 de l\'unit\xc3\xa9 ; l\'\xc3\xaatre et l\'unit\xc3\xa9 \ns\'accompagnent toujours (1 1). L\'\xc3\xaatre particulier est \ndonc un et indivisible num\xc3\xa9riquement (1 2). Mais autre \nest l\'indivisibilit\xc3\xa9 rationnelle , autre est l\'indivisibilit\xc3\xa9 \nsuivant les sens (1 3) ; et sans soutenir avec Parm\xc3\xa9nide \nque la pluralit\xc3\xa9 est donn\xc3\xa9e par les sens et l\'unit\xc3\xa9 \n\n\n\n(l) Der\xc3\xa2me,II,6,pass.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., II,5,\xc2\xa7 6; Dern.Anal., I, 18,\xc2\xa7 1;I, 31, \n\xc2\xa73; M\xc3\xa9taph., VII, 10, p. 1036, a. \xe2\x80\x94 (3) Du ciel , I, 9, p. 278, a, l. 11. \xe2\x80\x94 \n(i) M\xc3\xa9taph., VII, 10.\xe2\x80\x94 (S) DeT\xc3\xa0me, II, 5, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 ((;) Dern. Anal., I, 31, \xc2\xa7 1 \nsuiv. \xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., XIII, 10, p. 1087, a. Cf. Dern. Anal., I, 31, \xc2\xa7 l. \xe2\x80\x94 \n(S) Phys., I, 6; Dern. Anal., I, 24, \xc2\xa7 15. \xe2\x80\x94 (9) Phys., I, 1 init. \xe2\x80\x94 (10) M\xc3\xa9- \ntaph., V, 11; Dern.Anal., I, 2, \xc2\xa711; I, 3, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (11) M\xc3\xa9taph., IV, 2, \np. 1003, b; X, 1,2, pass. \xe2\x80\x94 (12) Ibid., X, 1, p. 1052, a. Cf. Ibid., III, 4, \np. 999, b fin. \xe2\x80\x94(13) Ibid., XIV, l,p. 108K, a, 1. 3. \n\n9 \n\n\n\n130 DE L\xc3\x80 CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\ncon\xc3\xa7ue par la raison (1) , on peut dire que la plura- \nlit\xc3\xa9 tombe plut\xc3\xb4t sous les sens que l\'unil\xc3\xa9 , le divi- \nsible plut\xc3\xb4t que Findivisible ; en sorte que sous le rap- \nport de la connaissance sensible , la pluralit\xc3\xa9 et le \ndivisible sont ant\xc3\xa9rieurs \xc3\xa0 l\'indivisible et \xc3\xa0 l\'unit\xc3\xa9 (2). \n\nTout ce qui est sensible a une \xc3\xa9tendue , et il est \nimpossible de sentir ce qui est absolument indivi- \nsible (3). On ne saurait non plus percevoir un corps \ninfini; tous les corps sont limit\xc3\xa9s par des plans et \ntous sont en quelque lieu. Rien d\'infini dans les choses \nsensibles ; le nombre lui-m\xc3\xaame n\'est pas infini , car \ntout nombre se peut compter (4). \n\nIl y a des substances sensibles \xc3\xa9ternelles (5) : tels \nsont les astres et le ciel, qui ne sont sujets qu\'\xc3\xa0 une \nseule esp\xc3\xa8ce de mouvement ; savoir le changement de \nlieu (6). Mais d\'une mani\xc3\xa8re g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale, toutes les sub- \nstances sensibles particuli\xc3\xa8res , telles que les plantes \net les animaux , sont p\xc3\xa9rissables (7). Toutes sont dans \nun perp\xc3\xa9tuel mouvement , et l\'ind\xc3\xa9termination est \nleur caract\xc3\xa8re commun (8). \n\nLe spectacle de ces diversit\xc3\xa9s et de ces change- \nments a donn\xc3\xa9 naissance, chez quelques philosophes, \n\xc3\xa0 des doutes s\xc3\xa9rieux sur la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 des choses sen- \nsibles. D\'abord ils ont cru \xc3\xa0 l\'existence simultan\xc3\xa9e \ndes contraires dans le m\xc3\xaame \xc3\xaatre (9). Puis ils ont \npens\xc3\xa9 que tout ce qui para\xc3\xaet \xc3\xa0 chacun est vrai (10). \nSuivant ces philosophes , ce n\'est pas au grand nom- \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9tapH., I, 5, p. 88fi, b.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., X, 3 mit.\xe2\x80\x94 (3) De la sensat.,VII, \n\xc2\xa7 10. Cf. VI, \xc2\xa7 ?, suiv.\xe2\x80\x94 (4) Du ciel, I, 7 ; M\xc3\xa9taph., XL 10.\xe2\x80\x94 (5) M\xc3\xa9taph., \n1, 9, p. 991, a ; X\xc3\xael, H\xe2\x80\x94 (6) Ibid., 111, 2, p. 997, b ; 998, a; XII, 8; Du ciel, \nI, 9.\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., VII, 15; XI, 1, p. 1059, a; XII, 1. \xe2\x80\x94 (8) Ibid., IV, 5, \np. 1010, a. \xe2\x80\x94 (s\xc2\xbb) Ibid., IV, 4, 5, p. 1009, a. - (10) Ibid., p. 1009, b. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 151 \n\nbre, ce n\'est pas non plus au petit nombre qu\'il ap- \npartient de juger la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9. Si nous go\xc3\xbbtons de la \nm\xc3\xaame chose, elle para\xc3\xaetra douce aux uns, am\xc3\xa8re aux \nautres. Si tout le monde \xc3\xa9tait malade ou avait perdu \nla raison , et que deux ou trois seulement fussent en \nbonne sant\xc3\xa9 ou poss\xc3\xa9dassent encore leur bon sens, \nces derniers seraient alors les malades et les insens\xc3\xa9s , \net non pas les autres. D\'ailleurs les m\xc3\xaames choses pa- \nraissent \xc3\xa0 la plupart des animaux autres qu\'elles ne \nnous paraissent, et chaque individu , malgr\xc3\xa9 son iden- \ntit\xc3\xa9, ne juge pas toujours de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re par \nles sens. Quelles sensations sont donc vraies? quelles \nsensations sont fausses? C\'est ce qu\'on ne saurait \nvoir : ceci n\'est en rien plus vrai que cela ; tout est \n\xc3\xa9galement vrai. Tels sont les motifs pour lesquels D\xc3\xa9- \nmocrite, entre autres, pr\xc3\xa9tend qu\'il n\'y a rien de vrai , \nou du moins que nous ne connaissons aucune v\xc3\xa9rit\xc3\xa9. \nIl faut remarquer d\'ailleurs que dans son syst\xc3\xa8me la \nsensation constitue la pens\xc3\xa9e, et qu\'en cons\xc3\xa9quence \nce qui para\xc3\xaet aux sens de chacun est n\xc3\xa9cessairement \nselon lui la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 (1). Les anciens philosophes en \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ral consid\xc3\xa9raient la sensation comme la mesure \ndes choses dont elle donne la connaissance ; et quand \nProtagoras disait que l\'homme est la mesure de toutes \nchoses (2), il entendait par l\xc3\xa0 sans doute l\'homme qui \na la science ou plut\xc3\xb4t la connaissance sensible (3). La \ncause des opinions que nous venons de rapporter est \ndonc que ces philosophes , qui pla\xc3\xa7aient toute v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 \n\n\n\n(i) M\xc3\xa9taph., IV, 5, p. 1009, b. \xe2\x80\x94 (2) Voyez dans le Th\xc3\xa9\xc3\xa9t\xc3\xa8te de Platon \nl\'exposition et la critique de cette c\xc3\xa9l\xc3\xa8bre th\xc3\xa9orie. \xe2\x80\x94 \xe2\x96\xa0 (3) M\xc3\xa9taph., X, i, \np. 1053, a, b. \n\n\n\n132 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE, \n\ndans les \xc3\xaatres , n\'admettaient comme \xc3\xaatres que les \nchoses sensibles. Comme ils voyaient la nature sen- \nsible soumise \xc3\xa0 un mouvement perp\xc3\xa9tuel et ind\xc3\xa9ter- \nmin\xc3\xa9, ils pens\xc3\xa8rent qu\'on ne peut rien \xc3\xa9tablir de vrai \nsur ce qui change sans cesse , et il faut bien convenir \nqu\'en cela l\'opinion qu\'ils professaient a quelque vrai- \nsemblance; mais elle ne saurait \xc3\xaatre accept\xc3\xa9e comme \nla v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 m\xc3\xaame (4 ). \n\nD\'abord, pourquoi juger de la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 d\'apr\xc3\xa8s les ob- \njets sensibles que nous voyons changer sans cesse et \nne jamais persister dans le m\xc3\xaame \xc3\xa9tat? Chercher la \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9 dans des objets p\xc3\xa9rissables , dont l\'existence \nm\xc3\xaame ne saurait \xc3\xaatre affirm\xc3\xa9e d\xc3\xa8s qu\'ils sont hors de \nla port\xc3\xa9e de nos sens (2), n\'est-ce pas vouloir atteindre \ndes ombres qui s\'envolent? C\'est sur les \xc3\xaatres qui \nrestent toujours les m\xc3\xaames et qui ne sont susceptibles \nd\'aucun changement, qu\'il faut \xc3\xa9tablir la science (3). \n11 y a un monde c\xc3\xa9leste auquel on ne saurait appliquer \ndes observations faites sur un petit nombre d\'objets \nsensibles. Les choses terrestres et p\xc3\xa9rissables ne sont \nqu\'une portion nulle pour ainsi dire de l\'univers; de \nsorte qu\'il serait plus juste d\'absoudre ce bas monde \nen faveur du monde c\xc3\xa9leste , que de condamner celui- \nci \xc3\xa0 cause du premier (4). Il y a d\'ailleurs d\'autres \n\xc3\xaatres que des \xc3\xaatres sensibles (5) , et la science est \nautre chose que la sensation (6). \n\nEnsuite, devons-nous convenir, avec les partisans de \nce syst\xc3\xa8me, que l\'objet qui change leur donne, alors \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9taph., IV, 5, p. 1010, a.\xe2\x80\x94 (2) Topiq., V, 3, \xc2\xa7 5; M\xc3\xa9taph., VII, 15. \n(3) M\xc3\xa9taph., XI, 6, p. 1063, a. - (4) Ibid., IV, 5, p. 1010, a. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., \nI,P,p. 988, b; 9, p. 991, a; IV, 5. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 4. \n\n\n\nDE LA COIN NAISSANCE SENSIBLE. 133 \n\nqu\'il change, une juste raison de ne pas croire \xc3\xa0 son \nexistence ? Certes, l\'on pourrait discuter sur ce point ; \ncar ce qui cesse d\'\xc3\xaatre participe encore de ce qu\'il a \n\xc3\xa9t\xc3\xa9, et n\xc3\xa9cessairement participe d\xc3\xa9j\xc3\xa0 de ce qu\'il de- \nvient (1). De plus, si nous-m\xc3\xaames nous changeons \ncontinuellement , si nous ne restons pas un seul in- \nstant les m\xc3\xaames , qu\'y a-t-il d\'\xc3\xa9tonnant \xc3\xa0 ce que nous \nne portions pas toujours le m\xc3\xaame jugement sur les \nobjets sensibles , \xc3\xa0 ce qu\'ils nous paraissent diff\xc3\xa9rents \nquand nous sommes malades ? Les objets sensibles , \nbien qu\'ils ne paraissent pas aux sens les m\xc3\xaames \nqu\'auparavant, n\'ont pas pour cela subi un change- \nment ; ils procurent des sensations diff\xc3\xa9rentes aux \nmalades, parce que ceux-ci ne sont ni dans le m\xc3\xaame \n\xc3\xa9tat ni dans les m\xc3\xaames dispositions qu\'au temps de \nla sant\xc3\xa9. La m\xc3\xaame chose arrive pour d\'autres chan- \ngements. Si nous ne changions pas, si nous restions \ntoujours les m\xc3\xaames, les objets persisteraient pour \nnous (2). \n\nSi l\'homme \xc3\xa9tait la mesure de toutes choses , et si \ntoutes choses \xc3\xa9taient en r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 ce qu\'elles paraissent \n\xc3\xa0 chacun , il en r\xc3\xa9sulterait , ce semble , que la m\xc3\xaame \nchose serait et ne serait pas tout \xc3\xa0 la fois (3) ; car les \nm\xc3\xaames choses ne paraissent pas \xc3\xa0 tout le monde ni au \nm\xc3\xaame individu toujours les m\xc3\xaames (4). Ce qui para\xc3\xaet \npara\xc3\xaet \xc3\xa0 quelqu\'un ; la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 de ce qui para\xc3\xaet est donc \nrelative \xc3\xa0 tel individu. Dire que toute la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 est \ndans ce qui para\xc3\xaet , c\'est dire que tout est relatif ; or \nil y a certainement des \xc3\xaatres en soi (5). Oui , tout ce \n\n\n\n(l)M\xc3\xa9taph., IV, 5. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., XI, 6, p. 1063, a, b. \xe2\x80\x94 (3) Ibid. \n(4) Ibid , IV, 5, pa&s. ; 6, p. 101 1 , a. \xe2\x80\x94 (S) lbid. , IV, 6. \n\n\n\n134 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nqui para\xc3\xaet est vrai , mais pour celui \xc3\xa0 qui il para\xc3\xaet , \nquand il para\xc3\xaet, o\xc3\xb9 et comme il para\xc3\xaet : sinon les con- \ntraires seraient vrais \xc3\xa0 la fois (1). \n\nDans ces limites , on peut soutenir la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 de ce \nqui para\xc3\xaet : on peut dire que la sensation ne nous \ntrompe jamais sur son objet propre. On a donc le \ndroit de s\'\xc3\xa9tonner que des philosophes restent dans le \ndoute sur des questions comme celles-ci : \xc2\xabLes gran- \ndeurs et les couleurs sont-elles r\xc3\xa9ellement telles qu\'elles \napparaissent \xc3\xa0 ceux qui sont \xc3\xa9loign\xc3\xa9s, ou telles que \nles voient ceux qui en sont pr\xc3\xa8s ? Lequel est le plus \ncapable de les bien percevoir, de l\'homme bien por- \ntant ou du malade ? La pesanteur est- elle ce qui para\xc3\xaet \npesant aux hommes de faible complexion , ou ce qui \nl\'est pour les hommes robustes ? La v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 est-elle ce \nqu\'on voit en dormant ou ce qu\'on voit pendant la \nveille ? \xc2\xbb Personne \xc3\xa9videmment ne croit qu\'il y ait \nsur ces points la plus l\xc3\xa9g\xc3\xa8re incertitude. Y a-t-il quel- \nqu\'un , s\'il r\xc3\xaavait qu\'il est \xc3\xa0 Ath\xc3\xa8nes , alors qu\'il \nserait en Afrique , qui s\'imagin\xc3\xa2t , sur la foi de ce \nr\xc3\xaave , de se rendre \xc3\xa0 l\'Od\xc3\xa9on (2!) ? On ne saurait se de- \nmander s\xc3\xa9rieusement si l\'on est endormi ou \xc3\xa9veill\xc3\xa9 (3). \nPersonne non plus n\'est assez insens\xc3\xa9 pour prendre le \nfeu et la glace pour une m\xc3\xaame chose (4). Douter si \nla neige est blanche ou noire , annonce une lacune \ndans la sensation (5). \n\nC\'est ici surtout qu\'il faut rappeler la distinction \ndes objets propres et des objets communs des sens (6). \n\n\n\n(i)M\xc3\xa9taph., ibid. \xe2\x80\x94 (2) Ibid. , IV, 5, p. 1010, b. \xe2\x80\x94 (3) Ibid. , IV, G, \np. 1011, a. \xe2\x80\x94 (4) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r\xc3\xa2t, et comipt., 1, 8. \xe2\x80\x94 (5) Topiq., I, 11, \xc2\xa79. \xe2\x80\x94 (6) De \nla scnsat,, IV, \xc2\xa7 15. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 135 \n\nChaque sens juge avec v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 de ses objets propres , \net ne s\'y trompe jamais (1). Mais nous pouvons \xc3\xaatre \ninduits en erreur au sujet des qualit\xc3\xa9s communes (2) \net de tout ce qu\'un sens per\xc3\xa7oit par accident, Ce n\'est \npas quand nous percevons une couleur ou un son \nqu\'il y a erreur, mais lorsque nous jugeons du sujet \net du lieu o\xc3\xb9 se produisent le son et la lumi\xc3\xa8re (3). \nQuand on dit \xc3\xa0 l\'aide de la vue que telle chose est \nblanche, on ne peut se tromper; mais si l\'on ajoute \nque cette chose blanche est ceci ou cela , le fils de \nDiar\xc3\xa8s ou de Cl\xc3\xa9on , alors on est expos\xc3\xa9 \xc3\xa0 tomber \ndans l\'erreur (4). On suppose souvent une cons\xc3\xa9cu- \ntion r\xc3\xa9ciproque entre deux choses dont l\'une seule- \nment implique l\'autre , et c\'est ainsi que se forment \ncertaines erreurs de la sensation. Ainsi il se peut faire \nque l\'on prenne de la bile pour du miel . parce que la \ncouleur jaun\xc3\xa2tre est un cons\xc3\xa9quent du miel. De m\xc3\xaame, \ncomme il arrive quand il pleut que la terre devient \nglissante , si elle est glissante , aussit\xc3\xb4t on suppose \nqu\'il a plu ; mais cela n\'a rien de n\xc3\xa9cessaire , et quand \nles sens jugent ainsi par accident , ils sont tr\xc3\xa8s- sujets \n\xc3\xa0 l\'erreur (5). Le t\xc3\xa9moignage d\'un sens sur un objet \nqui lui est \xc3\xa9tranger, n\'a donc pas une valeur \xc3\xa9gale \n\xc3\xa0 son t\xc3\xa9moignage sur son objet propre. C\'est la vue \nqui juge des couleurs, et non le go\xc3\xbbt; c\'est le go\xc3\xbbt \nqui juge des saveurs, et non la vue. Jamais aucun de \nnos sens , quand on l\'applique \xc3\xa0 une m\xc3\xaame chose , \nne nous dit que cette chose a et n\'a pas \xc3\xa0 la fois telle \n\n\n\n(l)Delasensat., ]. c; De l\'\xc3\xa0me, H, 6, \xc2\xa72; 111, 3, \xc2\xa73, \xc2\xa7 12.\xe2\x80\x94 (2) Del\xc3\xa0 \nsensal., ibid. ; De l\'\xc3\xa0me, III, 3, \xc2\xa7 12. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa0me, il, 6, $ 2, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(4) lbid., II! , 1, \xc2\xa7G; III, 3,$ 12; 111,6, \xc2\xa77.\xe2\x80\x94 (5) R\xc3\xa9\xc3\xafut. des soph. , V,\xc2\xa7G; \nDe l\'\xc3\xa0me, 111, 1, \xc2\xa7 7. \n\n\n\n136 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\npropri\xc3\xa9t\xc3\xa9. Je vais plus loin encore. On ne peut con- \ntester le t\xc3\xa9moignage d\'un sens , parce qu\'en des temps \ndiff\xc3\xa9rents il est en d\xc3\xa9saccord avec lui-m\xc3\xaame ; il en \nfaut rejeter la faute sur l\'\xc3\xaatre qui \xc3\xa9prouve la sensa- \ntion. Le m\xc3\xaame vin , par exemple , soit parce qu\'il aura \nchang\xc3\xa9 lui-m\xc3\xaame de qualit\xc3\xa9 , soit parce que notre \ncorps aura \xc3\xa9t\xc3\xa9 modifi\xc3\xa9 , nous para\xc3\xaetra doux dans un \ninstant et amer dans un autre. Mais ce n\'est pas le \ndoux qui cesse d\'\xc3\xaatre ce qu\'il est ; jamais il ne perd \nsa propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 essentielle; il est toujours vrai qu\'une \nsaveur douce est douce , et ce qui sera une saveur \ndouce aura toujours pour nous ce caract\xc3\xa8re es- \nsentiel (1). Jamais \xc3\xa0 vrai dire, une m\xc3\xaame chose ne \npara\xc3\xaet douce aux uns, am\xc3\xa8re aux autres, \xc3\xa0 moins \nque pour les uns le sens ou l\'organe qui juge des \nsaveurs ne soit vici\xc3\xa9 ou alt\xc3\xa9r\xc3\xa9 (2) , soit par la maladie \nou par un accident qui emp\xc3\xaache l\'exercice r\xc3\xa9gulier \nde la sensibilit\xc3\xa9 , soit par l\'influence des passions. En \neffet , lorsque nous sommes sous l\'empire de nos pas- \nsions, agit\xc3\xa9s par la crainte ou par l\'amour, nous nous \ntrompons ais\xc3\xa9ment dans nos perceptions. Un l\xc3\xa2che \ncroit toujours voir l\'ennemi , et un amant l\'objet \naim\xc3\xa9. Plus la passion est forte , plus on est tent\xc3\xa9 de \nprendre pour les choses elles-m\xc3\xaames une faible res- \nsemblance (3). Les malades sont sujets \xc3\xa0 une foule \nd\'erreurs par suite d\'une alt\xc3\xa9ration survenue dans \nleurs organes sensitifs (4). M\xc3\xaame en bonne sant\xc3\xa9 , \nnous pouvons \xc3\xaatre induits en erreur, si nos sens ne \nper\xc3\xa7oivent point directement leurs objets propres avec \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9laph , IV, 5. \xe2\x80\x94 (2) Ibid. , XI, 6, p. 1063, a. \xe2\x80\x94 (3) Des songes, II, \n\xc2\xa7 12. - (4) M\xc3\xa9taph., I. e. ; Des songes, I,\xc2\xa76; II,\xc2\xa7 12. \n\n\n\nD\xc3\x89 LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 137 \n\nclart\xc3\xa9 et distinction (1 ). Quand, par exemple, nous pas- \nsons subitement du soleil \xc3\xa0 l\'obscurit\xc3\xa9 , il arrive que \nnous ne voyons rien d\'abord , \xc3\xa0 cause de la persis- \ntance du mouvement que la lumi\xc3\xa8re avait produit \ndans les yeux. De m\xc3\xaame, si nous avons longtemps \nconsid\xc3\xa9r\xc3\xa9 du blanc ou du vert , les objets que nous \nregardons ensuite nous paraissent de la m\xc3\xaame cou- \nleur (2) . Un objet peut para\xc3\xaetre double \xc3\xa0 la vue , ainsi \nqu\'au toucher (3). En pressant du doigt la paupi\xc3\xa8re \ninf\xc3\xa9rieure , on croit voir deux objets l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 il n\'y en a \nqu\'un (4) . De m\xc3\xaame lorsque les doigts sont entre- \nlac\xc3\xa9s , un objet unique para\xc3\xaet double au toucher (5). \nLa cause de ces erreurs et de beaucoup d\'autres du \nm\xc3\xaame genre , c\'est que l\'apparence est la m\xc3\xaame pour \nun sens , d\xc3\xa8s qu\'il est m\xc3\xbb comme son objet le meut \nd\'ordinaire. Il n\'importe m\xc3\xaame pas pour l\'apparence \nque ce soit le sens qui soit m\xc3\xbb ou que ce soit l\'objet , \net c\'est pour cela que nous attribuons aux \xc3\xa9toiles le \ntremblement qui se produit dans notre vue , et que \nceux qui naviguent croient voir le rivage en mouve- \nment (6). Telles sont les seules erreurs de la sensa- \ntion , \xc3\xa0 moins qu\'on n\'y ajoute celles qui peuvent r\xc3\xa9- \nsulter de ses limites m\xc3\xaames : ainsi , quoi que nous fas- \nsions , nous ne percevrons jamais la grandeur r\xc3\xa9elle \ndes objets , et le soleil nous para\xc3\xaetra toujours grand \nd\'un pied (7). Ajoutons \xc3\xa0 cela que les contraires sont \nl\'objet d\'une seule erreur, aussi bien que d\'une seule \nconnaissance (8). Nous pouvons corriger les erreurs \n\n\n\n( i ) Des songes, I, \xc2\xa7 6 ; De l\'\xc3\xa0me, III , 3, \xc2\xa7 7 . \xe2\x80\x94 (2) Des songes, II, \xc2\xa7 4 et \npass. \xe2\x80\x94 (3) Pi obi., XXXI, 18. \xe2\x80\x94 (4) M\xc3\xa9taph., XI, G. \xe2\x80\x94 (5) Des songes, H, \n\xc2\xa7 13. \xe2\x80\x94 (<>) Ibid.; Du ciel , II, 8. \xe2\x80\x94 (7) De la sensat., VII, \xc2\xa7 G ; Des songes, \nI, \xc2\xa7 0. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa0me, III, 3, \xc2\xa7 2. \n\n\n\n138 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nque nous cause un de nos sens , si une facult\xc3\xa9 sup\xc3\xa9- \nrieure vient \xc3\xa0 s\'exercer en m\xc3\xaame temps. Dans l\'exemple \ncit\xc3\xa9 plus haut, si le toucher \xc3\xa9tait seul , nous juge- \nrions qu\'il y a deux objets ; mais la vue redressant le \ntoucher, nous affirmons qu\'il n\'y en a qu\'un , parce \nque la vue est sup\xc3\xa9rieure au toucher (1). Il suffit \nm\xc3\xaame , pour \xc3\xa9viter de telles erreurs , que nous soyons \npr\xc3\xa9venus et que nous nous tenions sur nos gardes. \nPar exemple , si l\'on presse l\'\xc5\x93il du doigt sans y faire \nattention , non-seulement deux objets para\xc3\xaetront au \nlieu d\'un , maison en verra deux en effet , tandis que \nsi l\'on s\'en aper\xc3\xa7oit , l\'objet aura beau para\xc3\xaetre dou- \nble , on ne le verra plus double. 11 en est de m\xc3\xaame \nde l\'\xc3\xa9tat de r\xc3\xaave ; car il arrive que tout en dormant \non reconna\xc3\xaet que ce que l\'on voit est un songe. Si \ndonc on s\'aper\xc3\xa7oit que l\'on dort, on aura beau sentir \nla modification qui appartient \xc3\xa0 tel sens , il pourra \nbien se produire une apparence, une repr\xc3\xa9sentation, \nmais on se dira : \xc2\xab Quoique ce soit l\xc3\xa0 l\'image de \nGoriscus, ce n\'est point Coriscus lui-m\xc3\xaame (2). \xc2\xbb \n\nA part ces quelques exceptions, les sensations sont \ntoujours vraies (3), pourvu qu\'elles se produisent dans \nune \xc3\xa2me tranquille : car le calme est n\xc3\xa9cessaire pour \nla perception comme pour la pens\xc3\xa9e et la science (4). \nQuand donc nos sens aper\xc3\xa7oivent clairement et dis- \ntinctement ( Ivapyw; v.al er/pi\xc3\xaaw; ) leurs objets propres , \nnous ne disons point que nous nous imaginons voir \nou entendre (5) , mais nous voyons et nous enten- \n\n\n\n(l) Des songes, II, \xc2\xa7 13; M\xc3\xa9taph., IV, 6. Cf. Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 5 ; G\xc3\xa9n. et \ncoirupt., Il, 2. \xe2\x80\x94 (2) Des songes, 111, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, 111, 3, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 \n(4) Probl., XXX , i4. Cf. Pliys., VII, -i. - (5) De l\'\xc3\xa2me, 111, 3, \xc2\xa7 7. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 139 \n\ndons en effet quelque chose qui existe v\xc3\xa9ritablement. \nLa sensation qui porte sur les objets propres de \nchaque sens est donc toujours vraie , ou si l\'on veut , \nelle contient le moins d\'erreur possible (lj. Aussi \nvoyez ceux-l\xc3\xa0 m\xc3\xaame qui professent le doute sur les \nsens et sur les objets sensibles : ils ne peuvent s\'em- \np\xc3\xaacher d\'y croire. Pourquoi, quand leur m\xc3\xa9decin leur \na ordonn\xc3\xa9 certaine nourriture, prennent-ils en effet \ncette nourriture? Pourquoi cet objet est-il du pain? \nPourquoi ne serait-ce pas tout autre chose ? Il est in- \ndiff\xc3\xa9rent, ce semble, de manger ou de ne pas man- \nger. Et cependant, ils prennent leur nourriture, dans \nla conviction que le m\xc3\xa9decin a dit vrai et que tel \naliment est bien celui qui a \xc3\xa9t\xc3\xa9 ordonn\xc3\xa9. Ils ne de- \nvraient pas le croire pourtant , s\'il n\'est pas de nature \nqui reste invariable dans les \xc3\xaatres sensibles , et si tous \nsont dans un mouvement, dans un flux perp\xc3\xa9tuel (2). \nC\'est que clans les limites que nous avons trac\xc3\xa9es, la \nsensation est bien la mesure des choses sensibles (3] , \nou, pour parler plus exactement, elle se mesure sur \nles choses m\xc3\xaames dont elle nous donne la connais- \nsance (4). \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 est avec l\'entendement la seule facult\xc3\xa9 \nde juger et de conna\xc3\xaetre (5) ; car il n\'y a au monde \nque deux sortes d\'objets , les objets sensibles et les \nobjets intelligibles (6) , et comme ceux-ci appartien- \nnent \xc3\xa0 l\'entendement, ceux-l\xc3\xa0 ne sont connus que \npar la sensibilit\xc3\xa9 ; la pens\xc3\xa9e elle-m\xc3\xaame ne saurait at- \n\n\n\n(!) De l\'\xc3\xa2me, 111, 3, \xc2\xa7 12. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9iaph., XI, f>, p. 1063, a. \xe2\x80\x94 (3) lbid., \npass. \xe2\x80\x94 (4) lbid., X, l,p. 1053, a; X, 0, p. 1067, a.\xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie., VI, \n2 ; De l\'\xc3\xa2me, III , 3, \xc2\xa7 1 ; eh. 9, \xc2\xa7 l ; Des songes, I, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (G) De l\'\xc3\xa2me, \nIII, 8,\xc2\xa7 1 ; Gr. Mor., I, 35. \n\n\n\n140 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nteindre les choses ext\xc3\xa9rieures que par le moyen de la \nsensation (1 ). L\'une est jw rapport au sensible ce que \nl\'autre est par rapport \xc3\xa0 l\'intelligible (2). C\'est donc \nbien \xc3\xa0 tort que la plupart des anciens philosophes \nont identifi\xc3\xa9 la connaissance sensible avec la pen- \ns\xc3\xa9e (3). La sensation a pour objet le particulier, ce \nqui est dans une mati\xc3\xa8re (4). Or c\'est bien dans les \nchoses mat\xc3\xa9rielles que sont en puissance les choses \nintelligibles ; mais c\'est dans l\'intelligence seulement \nqu\'elles sont en acte (5). La sensibilit\xc3\xa9 ne conna\xc3\xaet que \nle fait et n\'atteint point la cause (6). Elle peut bien , \npar exemple, distinguer le chaud et le froid et tous les \n\xc3\xa9l\xc3\xa9ments qui entrent de quelque mani\xc3\xa8re dans la \ncomposition del\xc3\xa0 chair; mais elle s\'arr\xc3\xaate l\xc3\xa0, et c\'est \n\xc3\xa0 une autre facult\xc3\xa9 qu\'il appartient de d\xc3\xa9terminer ce \nqu\'est proprement la chair (7). La sensation n\'est donc \nni la science ni le genre de la science (8). Cette con- \nnaissance acquise sans effort et commune \xc3\xa0 tous les \nanimaux , n\'a rien de philosophique (9) ; mais d\'un \nautre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, un \xc3\xaatre qui n\'aurait point la sensation ne \nsaurait ni apprendre ni comprendre quoi que ce \nsoit (1 0). Dans tout \xc3\xaatre anim\xc3\xa9, mobile et engendr\xc3\xa9 , \nla pens\xc3\xa9e suppose la sensibilit\xc3\xa9 (11). Les sens nous \napportent les donn\xc3\xa9es premi\xc3\xa8res d\'o\xc3\xb9 se tire la r\xc3\xa9- \nflexion (1 2) , et la connaissance sensible contient la \n\n\n\n(1) De la sensat., VI, \xc2\xa7 3. Cf. Phys., V, 1. - (2) De l\'\xc3\xa2me, III, 4, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 \n(3) M\xc3\xa9taph., IV, 6, pass.; De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (4) Dern. Anal y t., \n1, 18, \xc2\xa7 1 ; I, 31 pass. ; Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 3. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, III, 4 , \xc2\xa7 12. \n\n\xe2\x80\x94 (6) Dern. Analyt., I, 31, \xc2\xa7 4 et pass.; M\xc3\xa9taph., I, 1 ; Du ciel, II, 14. \n\n- (7) De l\'\xc3\xa2me, III, 4, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (8) M\xc3\xa9taph., III, 4, p. 999, b; Topiq., I, \n16, \xc2\xa7 2; II, 8, \xc2\xa74; IV, 4, g 13. \xe2\x80\x94 (9) M\xc3\xa9taph., I, 1, 2; Dern. Anal., II, \n19, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (10) De l\'\xc3\xa2me, III , 8 , \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (1 1) Ibid., ch. 12 , \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (12) De \nla sensat., I, \xc2\xa7 9. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. 1/|1 \n\nscience en puissance (1). En effet l\'exp\xc3\xa9rience qui \nr\xc3\xa9sulte des perceptions sensibles sert \xc3\xa0 trouver la \nconception g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale, premier d\xc3\xa9but de l\'art; sans \nl\'exp\xc3\xa9rience , l\'art et la science pratique ou sp\xc3\xa9cu- \nlative seraient impossibles (2). C\'est l\'exp\xc3\xa9rience qui \nfournit \xc3\xa0 chaque science ses principes sp\xc3\xa9ciaux, et ce \nn\'est qu\'apr\xc3\xa8s avoir longtemps observ\xc3\xa9 les ph\xc3\xa9no- \nm\xc3\xa8nes qu\'on est arriv\xc3\xa9 aux d\xc3\xa9monstrations scientifi- \nques (3). Si un sens venait \xc3\xa0 manquer, quelque \nscience deviendrait par l\xc3\xa0 m\xc3\xaame impossible (4) ; car \nl\'universel s\'obtient \xc3\xa0 l\'aide de la sensation (5) , et \npour qui ne conna\xc3\xaet point par les sens induire est im- \npossible (6). Il va plus : nous ne pouvons nous former \nm\xc3\xaame une opinion sur les- choses sensibles sans la \nsensation (7). Du reste , nous ne cherchons jamais que \nce que nous ne percevons point par les sens , et cer- \ntaines difficult\xc3\xa9s n\'existeraient point pour nous, si nos \nsens \xc3\xa9taient plus parfaits. En effet, il nous suffirait de \nvoir certaines choses pour que nous n\'eussions rien \xc3\xa0 \nchercher, non pas que la sensation nous e\xc3\xbbt donn\xc3\xa9 la \nscience , mais il nous aurait suffi de voir pour passer \nde cette connaissance sensible \xc3\xa0 la conception de l\'u- \nniversel (8). \n\nLa sensation fournit aussi des motifs d\'action, tout \ncomme la pens\xc3\xa9e (9). Les animaux qui n\'ont point la \nraison en partage agissent le plus souvent d\'apr\xc3\xa8s \nl\'imagination et les sensations : il en est de m\xc3\xaame de \n\n\n\n(0 G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. etcorr.,I, 3, p. 318, b, 1.23. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9taph.,I, \xc3\xae.pass. et fin. \n\xe2\x80\x94 (3) Prem. Anal., I, 30, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (4) Dern. Anal.,1 , 18, \xc2\xa7 1. - (5) Ibid., \nII, 2, \xc2\xa74; II, 19, \xc2\xa7\xc2\xa76, 7. \xe2\x80\x94(6) Ibid., I, 18, \xc2\xa7 I.\xe2\x80\x94 (7) Des songes , I , \n\xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (8) Dern. Anal.,1, 31, \xc2\xa7 7; II, 2, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (9) Mouv. des anim., VI, \n\xc2\xa7 4 ; VII , \xc2\xa7 5. \n\n\n\nl/j2 DE LA CONNAISSANCE SENSIBLE. \n\nl\'homme, quand son intelligence est obscurcie par \nquelque passion, par la maladie ou par le som- \nmeil (1). \n\nLa connaissance sensible est en elle-m\xc3\xaame la plus \nfacile et la plus accessible (2). Elle est chez tous les \nanimaux : elle est pour eux un privil\xc3\xa8ge , un bien et \nune fin excellente (3) , et conna\xc3\xaetre par les sens est le \npropre de l\'animal , comme savoir est le propre de \nThomme (4). \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me , III , 3, \xc2\xa7 15.\xe2\x80\x94 (2) Topiq., VIII , 1, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (8) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des \nanim., 1 , 23 , p. 731, b; Du somm., II, \xc2\xa77. - (4) Topiq., V, 8, \xc2\xa7 6. \n\n\n\nCHAPITRE XV. \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE LA PEINE EN GENERAL; \nPLAISIRS ET PEINES SENSIBLES EN PARTICULIER, \n\n\n\nLe plaisir est un fait saillant et m\xc3\xaame caract\xc3\xa9ristique \nde la nature humaine (1 ) , mais il est commun en une \ncertaine mesure \xc3\xa0 tous les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s (2) , et par- \ntout o\xc3\xb9 il y a sensation , on est assur\xc3\xa9 de rencontrer \naussi le plaisir et la peine (3). \n\nIl est impossible d\'\xc3\xa9prouver \xc3\xa0 la fois du plaisir et \nde la peine : ce sont deux affections contraires qui \ns\'excluent (4). L\'une en effet trouble et corrompt \nl\'exercice de nos facult\xc3\xa9s naturelles (5) , l\'autre ne \nfait rien de pareil , mais se rencontre en toute action \nconforme \xc3\xa0 notre nature (6), On peut d\'une mani\xc3\xa8re \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9rale d\xc3\xa9finir le plaisir un certain mouvement de \nl\'\xc3\xa2me qui , par un changement soudain et sensible , \nnous met en l\'\xc3\xa9tat que comporte notre nature. La \ndouleur est tout le contraire (7) . \n\nToute action, toute passion est pour nous accom- \npagn\xc3\xa9e de plaisir ou de peine (8). \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nic.,X, l,p. 1172, a. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, 2, p. 1104, b,l. 34. \xe2\x80\x94 \n(3) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 8 ; H, 3, \xc2\xa7 2 ; Du somm., I, \xc2\xa7 1 1 . \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie,, \nIX, 4, p. 1 166, b.\xe2\x80\x94 (5) Ibid., III, 12.\xe2\x80\x94 (6) Polit., V, 7, \xc2\xa7 7 ; Hist. des anim., \nVIII, I fin ; Mor. \xc3\xa0 Nie., X, 7. \xe2\x80\x94 (7) Rh\xc3\xa9t., I, 11, p. 1369, b. \xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 \nNie., II, 2, p. 1104, b. \n\n\n\n144 DU PLAISIR ET DE LA. PEINK. \n\nCe qui nous pla\xc3\xaet par-dessus tout, c\'est l\'action. \nEn effet, un objet ne nous peut donner du plaisir \nqu\'en l\'une de ces trois fa\xc3\xa7ons : ou quand il nous est \nconnu actuellement et que nous en jouissons en r\xc3\xa9a- \nlit\xc3\xa9; ou quand il nous souvient qu\'autrefois nous en \navons joui ; ou enfin quand nous avons l\'espoir d\'en \njouir quelque jour(l). Or c\'est parce qu\'elles sont \ndes actions, que la veille, la sensation, la pens\xc3\xa9e sont \nnos plus grandes jouissances; l\'espoir et le souvenir \nne sont des jouissances que par leur rapport avec \ncelles-l\xc3\xa0 (2). Si le produit de notre travail nous est \ntoujours agr\xc3\xa9able , si nous nous complaisons dans le \nspectacle de nos \xc5\x93uvres (3), si surtout nous nous at- \ntachons \xc3\xa0 celles qui nous ont co\xc3\xbbt\xc3\xa9 le plus de \npeine (4), c\'est qu\'elles t\xc3\xa9moignent d\'un exercice de \nnos facult\xc3\xa9s, c\'est que rien ne nous est plus d\xc3\xa9licieux \nque ce sentiment de notre activit\xc3\xa9 , c\'est que sentir \nque l\'on vit et que l\'on agit est en soi-m\xc3\xaame une chose \nagr\xc3\xa9able (5). Ce qu\'on aime avant toute autre chose, \nc\'est l\'existence; or nous existons surtout par l\'ac- \ntion (6). De l\xc3\xa0 le plaisir que nous go\xc3\xbbtons dans l\'exer- \ncice actuel de notre activit\xc3\xa9 : on en trouve jusque \ndans l\'espoir de l\'exercer un jour , et le souvenir des \nactions pass\xc3\xa9es a quelque chose de doux ; mais ce \nqui charme le plus , ce qu\'il y a de plus aimable , \nc\'est l\'acte lui-m\xc3\xaame (7). Le repos, il est vrai, le \nsommeil ont leurs charmes (8) ; ils nous offrent du \nmoins un rem\xc3\xa8de \xc3\xa0 la peine qui r\xc3\xa9sulte de nos fati- \n\n\n\n(l)Rh\xc3\xa9t.I, 11, p. 1370, a; Phys. VII, 3 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 7, p. 11 68, a.\xe2\x80\x94 \n(2) M\xc3\xa9taph. , XII, 7. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, IV, 1 med. ; IX, 7, pass.; Rh\xc3\xa9t.,I, \n1 1 , p. 1 37 1 , b.\xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 7 fin. - (5) Ibid. , IX, 9, pass.\xe2\x80\x94 (h) Ibid., \nIX, 7, p. 1168, a; IX, 12. \xe2\x80\x94(7) Ibid. \xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Eud., I, 5. \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE LA PEINE. 145 \n\ngu\xc3\xa9s (1 ) , et un grand nombre de plaisirs n\'ont d\'autre \nm\xc3\xa9rite que de nous distraire du travail et des soucis \nqui les ont pr\xc3\xa9c\xc3\xa9d\xc3\xa9s (2). Mais le d\xc3\xa9lassement a pour \nbut de nous pr\xc3\xa9parer \xc3\xa0 l\'action (3), et jusque dans \nces intervalles de repos , nous cherchons \xc3\xa0 occuper \nnotre loisir : nos amusements eux-m\xc3\xaames sont une \npreuve de notre besoin d\'activit\xc3\xa9 (4) ; en sorte qu\'on \npeut dire qu\'il n\'y a point de plaisir qui ne suppose \nl\'action (5). \n\nIl faut du reste distinguer avec soin le plaisir de \nl\'action m\xc3\xaame avec laquelle il est si intimement uni : \nil serait absurde de confondre par exemple le plaisir \navec une pens\xc3\xa9e ou avec une sensation (6). \n\nL\'agr\xc3\xa9able, ou ce qui para\xc3\xaet tel, est ce qui pro- \nduit le plaisir (7) , et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral ce qui est propre \xc3\xa0 \nla nature de chaque \xc3\xaatre est aussi ce qu\'il y a de plus \nagr\xc3\xa9able pour lui et de plus pr\xc3\xa9cieux (8). \n\nCe qui est agr\xc3\xa9able en soi et non par accident tant\xc3\xb4t \napporte du plaisir \xc3\xa0 tous les \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de sentiment, \net tant\xc3\xb4t n\'a de prix que pour l\'homme ou certaines \nraces d\'hommes ou pour certaines esp\xc3\xa8ces d\'ani- \nmaux (9) . Il y a en effet des plaisirs qui par leur nature \net par leur degr\xc3\xa9 sont propres \xc3\xa0 la nature humaine ; \nil y en a d\'autres qui appartiennent \xc3\xa0 la nature \nanimale , et qui ne se font sentir \xc3\xa0 l\'homme que par \nsuite de quelque d\xc3\xa9sordre dans l\'organisation ou \xc3\xa0 \ncause d\'un \xc3\xa9tat maladif (1 0). Ces plaisirs, qui ne sont \n\n\n\n(1) Polit., V, 5,\xc2\xa71.\xe2\x80\x94 (2)Ibid., \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 6 , p. 1176, \nb. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, IV, 14 ; Polit., V, 2, \xc2\xa7 h. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 5, \ninit. \xe2\x80\x94 (6) Ibid. , X, 5, p. 1175, b. \xe2\x80\x94 (7) Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 2 ; VI, 8, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 \n(8) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 7 fin, \xe2\x80\x94 (9) Ibid., VII, 0, p. 1148, b. \xe2\x80\x94 (10) Ibid., VII, \n6; 7, p. 1149, b. \n\n10 \n\n\n\n146 DU PLAISIR ET DE LA PEINE. \n\ntels que par accident , sont toujours l\'effet ou d\'une \nl\xc3\xa9sion des organes , ou de l\'habitude , ou d\'une d\xc3\xa9pra- \nvation de nos go\xc3\xbbts naturels (1 ). Il y a donc une dif- \nf\xc3\xa9rence sp\xc3\xa9cifique de plaisirs entre les animaux qui \nappartiennent \xc3\xa0 des esp\xc3\xa8ces diff\xc3\xa9rentes , et l\'on a lieu \nde croire que pour une m\xc3\xaame esp\xc3\xa8ce les plaisirs sont \naussi les m\xc3\xaames (2). \n\nEntre les plaisirs qui sont propres \xc3\xa0 notre esp\xc3\xa8ce , \nil en est qui sont n\xc3\xa9cessaires , c\'est-\xc3\xa0-dire qui r\xc3\xa9sultent \nde quelque besoin et de quelque n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 de notre \nnature : ce sont les plaisirs du corps , tels que ceux \nqui r\xc3\xa9sultent de la nourriture , du commerce entre les \nsexes et d\'autres circonstances de ce genre. Mais il y \na d\'autres plaisirs , pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rables en eux-m\xc3\xaames , et qui \nn\xc3\xa9anmoins ne sont pas n\xc3\xa9cessaires , par exemple la \nvictoire , l\'honneur , l\'estime ou la consid\xc3\xa9ration pu- \nblique, la richesse, etc. (3). \n\nLes plaisirs du corps , parce qu\'on s\'y attache le \nplus souvent et parce qu\'ils sont le partage de tout \nce qui est anim\xc3\xa9 , ont pour ainsi dire usurp\xc3\xa9 l\'h\xc3\xa9ritage \ndu nom , et l\'on croit que ce sont les seuls , parce que \nce sont les seuls que l\'on consid\xc3\xa8re (4). Mais nous ne \nsommes pas r\xc3\xa9duits \xc3\xa0 ces jouissances m\xc3\xa9prisables (5) , \net nous \xc3\xa9prouvons certaines \xc3\xa9motions qui n\'affectent \npoint les sens (6). En effet, tout ce \xc3\xa0 quoi nous \nporte l\'app\xc3\xa9tit est agr\xc3\xa9able (7) , et l\'app\xc3\xa9tit n\'est pas \ncontenu tout entier dans la sensibilit\xc3\xa9 (8). Par cela \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, VU, 6 init. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., X, 5, p. 1 175, b.-(3)Ibid., VII, G ; \n8, p. 1150, a; Rh\xc3\xa9t., 1,11, pass. \xe2\x80\x94 (\xc3\xbb) Mor. \xc3\xa0 Nie, VU, 14. - (5) Mor. \xc3\xa0 \nEud.,I, 5, p. 1215, b; p. 1216, a.\xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nic.,I, 10, pass.\xe2\x80\x94 (7) Rh\xc3\xa9t., \nI, 1 1 , p. 1 370, a, \xe2\x80\x94 (8) Ibid. , I. 25, \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE Lk PEINE. 147 \n\nm\xc3\xaame que nous agissons de diverses mani\xc3\xa8res , les \nplaisirs ne sauraient \xc3\xaatre tous de m\xc3\xaame esp\xc3\xa8ce ; mais \nils diff\xc3\xa8rent comme les actes auxquels ils sont unis (1 ). \nInd\xc3\xa9pendamment des sens , l\'imagination , l\'attente et \nl\'esp\xc3\xa9rance , la m\xc3\xa9moire (2) , surtout le souvenir de \nnos bonnes actions (3) , l\'habitude (4), l\'opinion (5) , \nla pens\xc3\xa9e pure (6), l\'amiti\xc3\xa9 (7), la vertu (8) , l\'art (9), \nla science (10) et la sagesse (11) sont autant de \nsources de jouissances de plus en plus \xc3\xa9lev\xc3\xa9es , nobles \net pures. \n\nIl faut donc distinguer deux sortes de plaisirs : ceux \ndu corps et ceux de l\'\xc3\xa2me , tels que les honneurs et l\'in- \nstruction; pour ceux-ci en effet , ce n\'est pas le corps , \nce semble , mais c\'est bien plut\xc3\xb4t l\'intelligence qui en \nre\xc3\xa7oit les impressions (1 2) ; et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral en toute affec- \ntion , c\'est \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me qu\'appartient et que doit toujours \n\xc3\xaatre rapport\xc3\xa9 le sentiment du plaisir ou de la peine (1 3). \nC\'est donner par cons\xc3\xa9quent une mauvaise d\xc3\xa9finition \nde la douleur que de dire, comme font quelques- \nuns , que c\'est une s\xc3\xa9paration violente des parties con- \nnexes (14). Ce ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne tout corporel n\'est pas la \ndouleur, mais tout au plus ce qui fait la douleur (1 5). \n\nCependant n\'oublions pas que le corps a toujours \nsa part dans les passions de l\'\xc3\xa2me , et qu\'il jouit et \nsouffre pour ainsi dire avec elle (16). Que ce soit la \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 5. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa74; Rh\xc3\xa9t., 1. c., ; II, 2, \np. 1378, b. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 4, p. 11G6, a.\xe2\x80\x94 (4) Rh\xc3\xa9t.,1, 10, 11, pass. \n\xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie., X, 4, 5. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (7) Rh\xc3\xa9t., \xc3\xaf, 11, \np. 1371, a ; Mor. \xc3\xa0 Nie., 1. VIII, IX, pass. \xe2\x80\x94 (8) Rh\xc3\xa9t. I, 7 ; Mor. \xc3\xa0 Nie., I, \n8, pass. \xe2\x80\x94 (9) Rh\xc3\xa9t., 1, 11 ; Po\xc3\xabt., IV, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (10) Part, des anim., I, 5 \nmed.; M\xc3\xa9taph., XII, 7, p. 1072, b. \xe2\x80\x94 (il) Mor. \xc3\xa0 Nie., X, 7, p. 1177, a. \n\xe2\x80\x94(12) Ibid. , III, 10.\xe2\x80\x94 (l3)Ibid.,l,8.-(i4)Topiq.,VI,6,^26.-(t5)Ibid. \xc3\xae \n\xc2\xa7 27. - (16) Physiognom., I, p. 805, a. \n\n\n\n148 DU PLAISIR ET DE LA PEINE. \n\nsensation , le souvenir ou la pens\xc3\xa9e qui nous apporte \ndu plaisir ou de la peine , ces impressions sont tou- \njours accompagn\xc3\xa9es de chaud et de froid (1) ; et c\'est \nainsi que s\'expliquent ces changements de figure et \nde couleur (2), la rougeur et la p\xc3\xa2leur, les frissons \net les tressaillements qui accompagnent certaines pas- \nsions (3). Par l\xc3\xa0 le plaisir et la peine semblent \xc3\xaatre des \naffections communes \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me et au corps , appartenant \n\xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 , comme modes ou habitudes de la sen- \nsation (4) , et r\xc3\xa9sultant de cette puissance de l\'\xc3\xa2me que \nPlaton appelait concupiscible (5), \n\nAu reste , le plaisir et la peine sont choses fatales, \ncomme la sensation. Il ne d\xc3\xa9pend pas de nous d\'\xc3\xa9prou- \nver ou de ne pas \xc3\xa9prouver les sensations du chaud , \ndu froid ou de la faim , ou quelque autre impression \nde ce genre (6). \n\nTous les hommes ne recherchent pas la m\xc3\xaame vo- \nlupt\xc3\xa9 (7). Les uns ont naturellement plus de penchant \npour une chose , les autres pour une autre , et c\'est \nce qui se reconna\xc3\xaet pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment par le plaisir ou par \nla peine qu\'on ressent (8). \n\nCertains objets qui nous plaisaient dans leur nou- \nveaut\xc3\xa9 ont ensuite cess\xc3\xa9 de nous plaire (9) ; nous \ntrouvons m\xc3\xaame du plaisir \xc3\xa0 ne pas toujours faire la \nm\xc3\xaame chose et \xc3\xa0 changer parfois. En effet, tout chan- \ngement semble conforme \xc3\xa0 la nature , tandis que faire \ntoujours la m\xc3\xaame chose engendre un certain d\xc3\xa9go\xc3\xbbt \net t\xc3\xa9moigne je ne sais quel exc\xc3\xa8s dans l\'habitude con- \n\n\n\n(1) Mouv. des anim., VIII, \xc2\xa7\xc2\xa71,2; VII, \xc2\xa7 11. \xe2\x80\x94 (2) Polit., V, 5,\xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 \n(3) Mouv. des an., VII, \xc2\xa79, \xc2\xa7 H.\xe2\x80\x94 (4) De la sens., I, \xc2\xa7 2, \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (5) \xc3\x89m6ui\xc2\xabi- \nxixdv. Topiq,, IV, 5,\xc2\xa7 4 ; De l\'\xc3\xa2me, III , 1 1, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 7, \np. 1113,b. \xe2\x80\x94 (7) Ib., VII, 14 ; X, 5.\xe2\x80\x94 (8) 1b., II, 9.- (9) lb., X, 4, p. 1 175, a. \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE LA PEINE. 149 \n\ntract\xc3\xa9e; ce qui a fait dire \xc3\xa0 un po\xc3\xabte qu\'en toute chose \nle changement nous est agr\xc3\xa9able (1) : le nouveau, \nl\'\xc3\xa9trange sont en effet pleins de charmes pour nous (2). \nOr cet amour de la nouveaut\xc3\xa9 et du changement tient \n\xc3\xa0 une double imperfection de notre nature. En effet, \nsi nul plaisir n\'est durable , cela r\xc3\xa9sulte d\'abord de ce \nque l\'activit\xc3\xa9 de l\'homme ne saurait s\'appliquer con- \ntinuellement avec une \xc3\xa9gale \xc3\xa9nergie (3) , et cela vient \naussi de ce que notre nature n\'\xc3\xa9tant pas simple, ne \npeut toujours se complaire en une m\xc3\xaame chose , tandis \nque pour un \xc3\xaatre dont la nature serait enti\xc3\xa8rement sim- \nple, la m\xc3\xaame activit\xc3\xa9, purement contemplative , serait \ntoujours la source des plus vives jouissances (4). \n\nLe plaisir varie non -seulement dans ses objets, \nmais aussi en lui-m\xc3\xaame et dans sa propre intensit\xc3\xa9 : \nil est en effet susceptible de plus et de moins (5) ; il y \na de petites joies et de petites douleurs , et il y en a \naussi de grandes qui \xc3\xa9touffent les premi\xc3\xa8res (6). Pro- \ndicus prenait m\xc3\xaame ces nuances d\'un m\xc3\xaame fait pour \ndes faits d\'esp\xc3\xa8ces diff\xc3\xa9rentes , et il divisait fort mal \nles plaisirs en joie, amusement et contentement (7). \n\nIl semble donc que le plaisir soit quelque chose \nd\'imparfait, comme une g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration ou un mouve- \nment (8) , et qu\'il soit toujours inf\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 l\'acte qui \nnous le procure (9). Mais \xc3\xa0 vrai dire, il n\'en est rien. \nQu\'y a-t-il en effet de commun entre le plaisir et un \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, H fin; Rh\xc3\xa9t.,.I, 11. \xe2\x80\x94 (2) Rh\xc3\xa9t., III, 2, p. 1404, \nb; Po\xc3\xabt., XXIII, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 4, pass. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., VII, 15, \np. 1154, b. - (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 3; Polit., V, 7, \xc2\xa7\xc2\xa7 5, G; Cat\xc3\xa9g., IX, \xc2\xa7 3. \n\xe2\x80\x94 (C) Des songes, 111, \xc2\xa72; Mor. \xc3\xa0Nic.,X, 5. \xe2\x80\x94 (7) Tophj., II, 6, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 \n(8)Dern. Anal.,1, 29, \xc2\xa72 ;Topiq., IV, 1,\xc2\xa7 8} Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, lV; X, 3,\xe2\x80\x94 \n(9)Prem Anal., II, 22, \xc2\xa7 9. \n\n\n\n150 DU PLAISIR ET DE LA PEINE. \n\nmouvement ? O\xc3\xb9 est leur commune mesure de vitesse \nou de lenteur ? Ces attributs essentiels du mouvement \nsont incompatibles avec la nature du plaisir (1 ) . Il y \na plus : loin d\'\xc3\xaatre une g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration ou d\'\xc3\xaatre toujours \naccompagn\xc3\xa9 de g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration , le plaisir est bien plut\xc3\xb4t \naction et fin ; car la fin n\'est pas toujours autre chose \nque l\'action. On a donc tort de dire que le plaisir est \nune g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration sensible ; il e\xc3\xbbt mieux valu le d\xc3\xa9finir \nl\'\xc3\xa9nergie ou l\'acte d\'une habitude conforme \xc3\xa0 la na- \nture (2)* Le plaisir est en soi quelque chose d\'achev\xc3\xa9 \net de complet (3) ; il ach\xc3\xa8ve et rend parfait l\'acte au- \nquel il succ\xc3\xa8de , que ce soit un acte de l\'intelligence \nou un acte des sens (4). C\'est le but et l\'objet de nos \nd\xc3\xa9sirs (5) , le mobile de la plupart de nos actions (6) . \nS\'il n\'est pas le bien (7) , il en est du moins le signe, \ncomme la douleur est le signe du mal (8) , et il est \nune des conditions , un des \xc3\xa9l\xc3\xa9ments essentiels du \nbonheur supr\xc3\xaame (9). La peine rendrait insuppor- \ntable le bien lui-m\xc3\xaame; le plaisir au contraire, en \ns\'ajoutant au bien, lui donne plus d\'attrait (10). \n\nC\'est gr\xc3\xa2ce \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 que les animaux s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8vent \nau-dessus des plantes , m\xc3\xaame dans les fonctions qui \nleur sont communes avec elles ; leur vie est en effet \ntout autre par suite du plaisir qui accompagne chez \neux l\'union des sexes (11). C\'est parce qu\'ils ont la \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, X* 3, 4. Cf. Ibid., VII, 14.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., VII, 13.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., \nVII, 6; X, 4, pass. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., X, 4, 5. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., VII, 14 ; X, 2 ; Rh\xc3\xa9t., I, \n6 ; Topiq., VI, 8, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (6) Rh\xc3\xa9t., I, 1 i pass.\xe2\x80\x94 (7) Mor. \xc3\xa0 Nie, III , 6 ; VII, \n13; X, 3; Rh\xc3\xa9t., I, 6; Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 6; De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa76; Mouv. \ndes anim., VI, \xc2\xa75.*-(8) Topiq., II, 9, \xc2\xa7 2 ; De l\'\xc3\xa2me, III, 7, g 2.\xe2\x80\x94 (9) Mor. \n\xc3\xa0 Nie, VII, 14 ; Polit., V, 5, \xc2\xa7 I. \xe2\x80\x94 (10) Mor. \xc3\xa0 Nie., IX, 9, p. 1170, a; \nX, 2. \xe2\x80\x94 (11) Hist. des anim., VIII, 1. \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE LA PEINE. 151 \n\nsensibilit\xc3\xa9 que tout ce qui est suivant la nature leur \nest agr\xc3\xa9able et que tous ils recherchent le plaisir dont \nils sont capables (1). Les plaisirs et les peines du \ncorps sont en effet des alt\xc3\xa9rations de la sensibilit\xc3\xa9 (2), \net les actes propres de cette partie de l\'\xc3\xa2me en pr\xc3\xa9- \nsence du bien et du mal (3). \n\nJ\'entends par plaisirs et peines du corps tous ceux \nqui se rapportent \xc3\xa0 la nourriture , au commerce des \nsexes ; et en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral ceux que font na\xc3\xaetre nos divers \nsens du toucher et du go\xc3\xbbt, de l\'odorat, de l\'ou\xc3\xafe et \nde la vue (4) . \n\nChacun de nos sens est capable d\'\xc3\xa9prouver du \nplaisir, en s\'appliquant \xc3\xa0 l\'objet qui lui est propre ; \nc\'est m\xc3\xaame le plaisir qui rend l\'action parfaite , non \npas sans doute de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re qu\'un objet rend \nle sens parfait , ni comme une disposition inn\xc3\xa9e , mais \ncomme une fin ou un compl\xc3\xa9ment qui survient pour \nainsi dire comme la beaut\xc3\xa9 chez ceux qui sont \xc3\xa0 la \nfleur de l\'\xc3\xa2ge (5). \n\nLes animaux les moins parfaits , du moment qu\'ils \nont le sens du toucher, \xc3\xa9prouvent du plaisir et de la \ndouleur (6). \n\nLe go\xc3\xbbt discerne aussi l\'agr\xc3\xa9able et le d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able \ndans les objets auxquels se rapportent la faim et la \nsoif , et dont la saveur est pour ainsi dire l\'assaison- \nnement (7) . C\'est pendant l\'acte de la d\xc3\xa9glutition (8), \ncomme nous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 vu , que les aliments nous \n\n\n\n(i) Hist. des anim., VIII, l ; Rh\xc3\xa9t., I, 6. - (2) Phys., Vil, 4. - (:}) De \nl\'\xc3\xa2me, III, 7, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, Vil, 4, 7 ; Rh\xc3\xa9t., I, 11. - (\xc3\xb4)Mor. \xc3\xa0 \nNie., X, 4.\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me , II, 3, \xc2\xa72; III, 11, \xc2\xa71. Sur les plaisirs du sexe* \n\\oycz G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. des anim., I, 20, pass.\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 3 ; III , 1 3, \xc2\xa7 3 $ \nDe la sensat., I, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (8) Part, des anim. , IV, 1 1 . \n\n\n\n152 DU PLAISIR ET DE LA PEINE. \n\nparaissent doux ou amers (1 ) , agr\xc3\xa9ables ou d\xc3\xa9sa- \ngr\xc3\xa9ables (2). \n\nLes plaisirs du toucher et du go\xc3\xbbt sont ceux qui \ndonnent naissance aux app\xc3\xa9tits les plus serviles et \nqui nous rapprochent le plus de la b\xc3\xaate (3). C\'est \n\xc3\xa0 ces plaisirs que se rapportent sp\xc3\xa9cialement la tem- \np\xc3\xa9rance et l\'intemp\xc3\xa9rance (4). \n\nLes odeurs sont , comme les saveurs , agr\xc3\xa9ables ou \nd\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ables (5) ; c\'est m\xc3\xaame l\xc3\xa0 le fait saillant en ce \nqui concerne notre odorat , et ce qui d\xc3\xa9montre l\'in- \nf\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 de l\'homme sous ce rapport : en effet , il ne \npeut percevoir par ce sens aucun objet odorant sans \nen \xc3\xaatre affect\xc3\xa9 d\'une mani\xc3\xa8re agr\xc3\xa9able ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able, \nce qui prouve bien que l\'organe de ce sens est loin \nd\'\xc3\xaatre parfait (6). Nous avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 remarqu\xc3\xa9 l\'union \n\xc3\xa9troite de l\'odorat et du go\xc3\xbbt : les donn\xc3\xa9es de l\'odorat \nsupposent le plus souvent celles du go\xc3\xbbt, et c\'est \npour cela que certaines odeurs que nous associons \naux saveurs ont une propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 app\xc3\xa9titive et produi- \nsent une impression agr\xc3\xa9able sur ceux qui ont faim ou \nsoif (7) . Ces odeurs , o\xc3\xb9 l\'habitude nous fait d\xc3\xa9couvrir \nun agr\xc3\xa9ment nouveau , ne procurent point de plaisir \naux animaux , mais seulement \xc3\xa0 l\'homme (8). \n\nOn prend plaisir aux objets de l\'ou\xc3\xafe et de la vue, \ncomme les sons et la musique , les couleurs , les \nfigures et les tableaux (9). Cependant nous avons d\xc3\xbb \nremarquer dans nos livres sur l\'histoire naturelle que \nles premi\xc3\xa8res impressions de la vue et de l\'ou\xc3\xafe sont \n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, II, 9, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, 10, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, 5.\xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, \n1 3.\xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor., 1, 22. (5) De I\'\xc3\xa0me, II, 9, \xc2\xa7 3 ; III, 2, \xc2\xa7 9.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \nII, 9, \xc2\xa7 1 .\xe2\x80\x94 (i) De la sensat., V, \xc2\xa7 3, \xc2\xa7 7.\xe2\x80\x94 (8) Ibid. ; Mor. \xc3\xa0 Nie. , III, 13. \n(9) Mor. \xc3\xa0 Nie., III, 13. \n\n\n\nDU PLAISIR ET DE LA PEINE. 153 \n\nchez tous les animaux accompagn\xc3\xa9es de quelque sen- \nsation douloureuse ; mais bient\xc3\xb4t l\'habitude , comme \non dit ? nous emp\xc3\xaache de nous en apercevoir (1) , et \nle plaisir que nous procurent ces sens n\'est plus m\xc3\xaal\xc3\xa9 \nd\'aucune peine (2). \n\nL\'habitude en effet, en nous accoutumant \xc3\xa0 certains \nobjets qui nous \xc3\xa9taient d\'abord peu agr\xc3\xa9ables , nous \ny fait trouver du plaisir \xc3\xa0 la longue (3). \n\nAu reste , le plaisir r\xc3\xa9sulte tant\xc3\xb4t des choses m\xc3\xaames , \ntant\xc3\xb4t de leur image et de leur imitation (4). La mu- \nsique par exemple, qui est une imitation de nos sen- \ntiments moraux , est un d\xc3\xa9licieux plaisir pour tous \nles hommes (5) : elle agit sur tous avec plus ou moins \nde puissance et purifie les \xc3\xa2mes par ses divins ac- \ncords (6). Tous les arts t\xc3\xa9moignent combien l\'imita- \ntion a de charme pour nous. Nous voyons avec plaisir \ndans un tableau des objets qui par eux-m\xc3\xaames excitent \nnotre d\xc3\xa9go\xc3\xbbt , comme les animaux les plus vils ou \ndes cadavres : et plus la ressemblance est exacte , \nplus ce spectacle nous captive (7). \n\nLa m\xc3\xa9moire et l\'esp\xc3\xa9rance ont aussi leurs jouis- \nsances. Il y a du plaisir \xc3\xa0 se souvenir parfaitement \nd\'une chose agr\xc3\xa9able et \xc3\xa0 concevoir une tr\xc3\xa8s-grande \nesp\xc3\xa9rance de la poss\xc3\xa9der ; car c\'est en jouir alors en \nquelque sorte et l\'avoir pr\xc3\xa9sente \xc3\xa0 ses sens. La m\xc3\xa9- \nmoire ne nous repr\xc3\xa9sente m\xc3\xaame jamais rien qu\'elle ne \nnous apporte du plaisir, m\xc3\xaame quand elle retrace les \nimages de choses qui nous causaient autrefois de la \n\n\n\n(I) Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, 15, p. 115/1, b.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., X, 3. \xe2\x80\x94 (3) Rh\xc3\xa9t, 1, m \nil,pass.\xe2\x80\x94 (4) Polit., V, 5, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., \xc2\xa7\xc2\xa7>, 8.\xe2\x80\x94 (fi) Ibid., \xc2\xa7 8; V, 7, \n\xc2\xa7\xc2\xa75,6. \xe2\x80\x94 (7) Poct., IV, \xc2\xa7 I. \n\n\n\n154 DU PLAISIR Et DE LA PEINE. \n\npeine : il y a en effet du plaisir \xc3\xa0 se sentir hors de tout \ndanger (4). \n\nQuelque diff\xc3\xa9rence que Ton observe entre ces der- \nni\xc3\xa8res impressions dont nous venons de parler et celles \nqui appartiennent proprement au corps , il faut bien \nreconna\xc3\xaetre que tous les plaisirs et les peines de cette \nnature ont pour cause les objets sensibles , et sont \neux-m\xc3\xaames des alt\xc3\xa9rations de la sensibilit\xc3\xa9 (2) . \n\nLes plaisirs du corps sont recherch\xc3\xa9s \xc3\xa0 cause de \nleur vivacit\xc3\xa9 , mais le plus souvent ils n\'ont d\'autre \neffet que de bannir momentan\xc3\xa9ment le chagrin (3). \nIls sont toujours m\xc3\xaal\xc3\xa9s de soucis et de peines , et sont \nun signe de besoin , et par cons\xc3\xa9quent d\'imperfec- \ntion (4). D\'ailleurs tout plaisir accompagn\xc3\xa9 de peine \nn\'est pas un v\xc3\xa9ritable plaisir et n\'en a que l\'appa- \nrence (5). \n\nMalgr\xc3\xa9 leur nature basse et vulgaire , les plaisirs \ndes sens jouent un r\xc3\xb4le consid\xc3\xa9rable dans la vie hu- \nmaine; ils sont le signe de nos dispositions int\xc3\xa9- \nrieures (6) et le point de d\xc3\xa9part des vertus mo- \nrales (7) . En effet , les bonnes et les mauvaises m\xc5\x93urs \nd\xc3\xa9pendent de la recherche ou de la fuite des plaisirs \net des peines (8) , et la vertu r\xc3\xa9sulte du bon usage que \nnous en savons faire (9) , comme le vice de l\'empire \nque nous leur laissons prendre sur nos \xc3\xa2mes (10). Nos \njugements m\xc3\xaames sont livr\xc3\xa9s \xc3\xa0 cette influence ; car \nnous ne pouvons juger avec impartialit\xc3\xa9 des objets \n\n\n\n(1) Rh\xc3\xa9t., I, 11, p. 1370, a, I. 27 ; b, 1. 1.\xe2\x80\x94 (2) Phys., VII, 3. \xe2\x80\x94 (3) Mon \n\xc3\xa0 Nie, VII , 14, 15, pass.\xe2\x80\x94 (4) Ibid. , III , 14 fin ; VII, i4 ; X, 3.\xe2\x80\x94 (5) Ibid. , \nVII ,13.\xe2\x80\x94 (G) Ibid. , II , 3. - (7) Phys., VII, 3. \xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Eud., II , 4. \xe2\x80\x94 \n\n(9) Mor. \xc3\xa0 Nie. , II, 2, pass. ; Mor. \xc3\xa0 Eud., II , 2 , 5; Gr. Mor., I, 6, 8. \xe2\x80\x94 \n\n(10) Mor. \xc3\xa0 Nie. ,11, 2, pass.; III, 15; Rh\xc3\xa9t., I, 12 init. \n\n\n\nDU PLAISIR Et DE LA PEINE. 155 \n\nqui nous causent du plaisir (1 ). Ce n\'est donc pas une \nchose de peu d\'importance que nos sentiments de \nplaisir ou de peine soient ou non conformes au \nbien (%). Or les enfants surtout sont agit\xc3\xa9s par des \nd\xc3\xa9sirs continuels , et rien n\'\xc3\xa9gale le penchant qui les \nporte vers tout ce qui est agr\xc3\xa9able (3) . Voil\xc3\xa0 pour- \nquoi le plaisir et la peine sont les moyens dont on \nse sert dans l\'\xc3\xa9ducation de la jeunesse , pour la gou- \nverner. Le plus important pour la vertu morale est \nqu\'on aime ce qui doit plaire et qu\'on ha\xc3\xafsse ce qui \nest digne d\'aversion ; car ces sentiments s\'\xc3\xa9tendent \nsur l\'existence tout enti\xc3\xa8re et ont une grande influence \nsur la vertu et le bonheur de la vie , puisque d\'or- \ndinaire on pr\xc3\xa9f\xc3\xa8re ce qui donne du plaisir et qu\'on \nfuit ce qui cause de la peine (4). \n\n\n\n(l)Mor. \xc3\xa0 Nie. ,11,9. - (2) Ibid., II, 2.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., III, 15. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. \nX, J. \n\n\n\nCHAPITRE XVI. \n\nDE LA PUISSANCE APP\xc3\x89TITIVE (t6 \xc3\x94peXTlXo\'v). \n\n3De l\'app\xc3\xa9tit en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral (\xc3\xb4pe\xc3\x87i\xc3\xa7) ; du d\xc3\xa9sir (\xc3\xa8iuOujx\xc3\x89a); de la passion (Oujjlo\'\xc3\xa7); \ndes \xc3\xa9motions ou passions (tox\xc3\x94\xc3\xafi). \n\nLa puissance app\xc3\xa9titive est une des facult\xc3\xa9s les plus \nconsid\xc3\xa9rables de l\'\xc3\xa2me (1). Si Ton se refuse \xc3\xa0 en faire \nune facult\xc3\xa9 \xc3\xa0 part , on est contraint de la morceler et \nd\'en rompre l\'unit\xc3\xa9. En effet, elle est li\xc3\xa9e intimement \n\xc3\xa0 toutes les autres parties de l\'\xc3\xa2me , \xc3\xa0 la raison par la \nvolont\xc3\xa9 , et \xc3\xa0 la partie non raisonnable par le d\xc3\xa9sir et \nla passion (2). \n\nD\xc3\xa8s qu\'un \xc3\xaatre est dou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9 , n\'e\xc3\xbbt- il que \nle sens du toucher, il poss\xc3\xa8de par cela m\xc3\xaame l\'app\xc3\xa9tit; \ncar la sensation est accompagn\xc3\xa9e de plaisir et de \npeine, et partout o\xc3\xb9 se produisent ces deux affec- \ntions, on rencontre \xc3\xa9galement le d\xc3\xa9sir (3). Il suffit \nque l\'\xc3\xa2me , en percevant un objet sensible , en soit af- \nfect\xc3\xa9e agr\xc3\xa9ablement ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ablement pour qu\'aus- \nsit\xc3\xb4t elle recherche cet objet et s\'y attache, ou pour \nqu\'elle y r\xc3\xa9pugne et l\'\xc3\xa9vite. Or jouir et souffrir sont \nles actes de la sensibilit\xc3\xa9 en pr\xc3\xa9sence du bien et du \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 1;111, 10, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., 111 ,9, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (3) lbid. \nil,2 v \xc2\xa78jch. 3,\xc2\xa72,\xc2\xa73;l\xc3\xae\xc3\xaf, 11, \xc2\xa7J. \n\n\n\nde l\'app\xc3\xa9tit. 157 \n\nmal; la r\xc3\xa9pugnance et l\'app\xc3\xa9tit en acte ne paraissant \npas \xc3\xaatre autre chose , il s\'ensuit que le principe de la \nr\xc3\xa9pugnance et celui de l\'app\xc3\xa9tit (to ^&ma\xc3\xa2if nul rb \n6piy.TLY.6v) ne font qu\'un entre eux et avec la sensi- \nbilit\xc3\xa9, et que leur mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre seule est diff\xc3\xa9- \nrente (1). Les deux contraires d\'ailleurs doivent tou- \njours \xc3\xaatre rapport\xc3\xa9s \xc3\xa0 une m\xc3\xaame facult\xc3\xa9 (2). \n\nL\'app\xc3\xa9tit en acte est un mouvement (3) dont la \ncause , l\'objet ou le but est le d\xc3\xa9sirable (operrov), \nc\'est-\xc3\xa0-dire le bien (4), ou le meilleur (5), ou le \nbeau (6), ou l\'utile (7), ou l\'agr\xc3\xa9able (8), en deux \nmots le bon ou l\'agr\xc3\xa9able (9). Au reste, il n\'est pas n\xc3\xa9- \ncessaire que l\'objet soit r\xc3\xa9ellement bon ou agr\xc3\xa9able \nen soi : il suffit qu\'il nous le paraisse (1 0). Une chose \nm\xc3\xaame qui n\'existe point peut \xc3\xaatre l\'objet de notre \napp\xc3\xa9tit aussi bien que de notre pens\xc3\xa9e (1 1). \n\nTant\xc3\xb4t l\'app\xc3\xa9tit s\'adresse au but lui-m\xc3\xaame, et tan- \nt\xc3\xb4t il s\'arr\xc3\xaate aux moyens. Tous les \xc3\xaatres, par exemple, \naspirent \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9ternel et au divin -, et comme aucun d\'eux \nne saurait atteindre \xc3\xa0 ce but supr\xc3\xaame, chacun s\'ap- \nplique \xc3\xa0 perp\xc3\xa9tuer du moins l\'esp\xc3\xa8ce \xc3\xa0 laquelle il ap- \npartient , et la production d\'un \xc3\xaatre semblable \xc3\xa0 lui- \nm\xc3\xaame lui devient un but et un objet d\'app\xc3\xa9tit (1 2). \n\nIl y a deux sortes d\'app\xc3\xa9tit dans l\'homme : l\'un \nraisonnable , qui est la volont\xc3\xa9, c\'est-\xc3\xa0-dire un app\xc3\xa9tit \ndu bien conduit et r\xc3\xa9gl\xc3\xa9 par la raison ; l\'autre sensuel \n\n\n\n(1)De l\'\xc3\xa2me, III, 7, \xc2\xa72. -(2) Topiq., II, 7, \xc2\xa7 4.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \n\xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (4) Ibid. , III, 10, \xc2\xa7\xc2\xa7 2, 3, 4; Topiq., V, 6, \xc2\xa72; Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 1.- \n(5) De l\'\xc3\xa2me, III, 1 1 , \xc2\xa7 2 ; Topiq., III, 1 , \xc2\xa7 h et pass.\xe2\x80\x94 {(>) M\xc3\xa9taph., XII, 7 ; \nMor. \xc3\xa0 Nie, III, 6, pass. \xe2\x80\x94 (7) Mor. \xc3\xa0 Nie, ibid. \xe2\x80\x94 (8) Mouv. des anim., \nVIII, \xc2\xa7l. \xe2\x80\x94 (9) Rh\xc3\xa9t. , 1 , 11.\xe2\x80\x94 (10) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa74; Topiq., VI, 8, \n\xc2\xa75 \xe2\x80\x94(il) M\xc3\xa9taph., IX, 3. \xe2\x80\x94 (12) De l\'\xc3\xa2me , II , 3, \xc2\xa7\xc2\xa7 2 , 5. \n\n\n\n158 de l\'app\xc3\xa9tit, \n\nou animal , qui se partage en deux et comprend d\'une \npart le principe de la passion , et d\'autre part le d\xc3\xa9- \nsir ou concupiscence (1). Il y a donc trois app\xc3\xa9tits : la \nvolont\xc3\xa9, la passion et le d\xc3\xa9sir (2). Mais la volont\xc3\xa9 \n\xc3\xa9tant toujours accompagn\xc3\xa9e de raisonnement (3), \nnous ne parlerons ici que du d\xc3\xa9sir et de la passion. \n\n\xc2\xa7 2. \n\nEn g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , tout ce \xc3\xa0 quoi nous porte l\'app\xc3\xa9tit est \nagr\xc3\xa9able (4) ; mais si on ne le recherche qu\'en tant \nqu\'agr\xc3\xa9able , l\'app\xc3\xa9tit devient alors proprement le d\xc3\xa9- \nsir, c\'est-\xc3\xa0-dire l\'app\xc3\xa9tit de l\'agr\xc3\xa9able (5), ou plut\xc3\xb4t \ndu plaisir (6). \n\n-Les animaux recherchent tous le plaisir avec ar- \ndeur (7). L\'homme y est port\xc3\xa9 par un penchant inn\xc3\xa9 (8), \ninsatiable (9). Rien n\'\xc3\xa9gale la vivacit\xc3\xa9 des d\xc3\xa9sirs dont \nles enfants sont agit\xc3\xa9s (1 0). Partout o\xc3\xb9 il y a plaisir, \nle d\xc3\xa9sir se produit n\xc3\xa9cessairement (11): le seul sou- \nvenir du plaisir que l\'on a go\xc3\xbbt\xc3\xa9 nous fait souhaiter \nde le go\xc3\xbbter encore (12), et d\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, nous \nne pouvons souffrir sans souhaiter aussi quelque \nchose (13). Les d\xc3\xa9sirs sont donc des mouvements de \nnature (1 4) sans choix ni r\xc3\xa9flexion de notre part (1 5), \n\n\n\n(l)Rh\xc3\xa9t., I, 10, 11.\xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II, 3,\xc2\xa72;Gr. Mor. , I, 13;Mouv. \ncommun des anim., VI, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (3)Topiq., IV, 5, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (4) Rh\xc3\xa9t., \n1 , 1 1 .\xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me , II , 3, \xc2\xa7 2 ; Topiq., VI, 3, \xc2\xa7 !x ; R\xc3\xa9f. des soph., XIII , \n$ 2 ; Rh\xc3\xa9t., I, 10, 1 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 4. \xe2\x80\x94 (G) Topiq., VI , 8, \xc2\xa7\xc2\xa7 2 , 5. \xe2\x80\x94 \n(7) Rh\xc3\xa9t.,1, 6; Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, 12.- (8) Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 3,8.\xe2\x80\x94 (9) Ibid., \nIII, 12; Polit., II, 4,\xc2\xa7 7, \xc2\xa711.\xe2\x80\x94 (10) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 15; VII, 12.\xe2\x80\x94 (Il) De \nl\'\xc3\xa2me, 11,2, \xc2\xa78; 11,3, \xc2\xa72; 111,1 !,\xc2\xa71 ; Du somm., I, \xc2\xa711. \xe2\x80\x94 (12)Hist. \ndes anim., VII, l. \xe2\x80\x94 (13) Rh\xc3\xa9t., II, 2. -(14) Prem. Anal., II, 27, \xc2\xa712. \n\xe2\x80\x94 (15) Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, S; Rh\xc3\xa9t.,1, 11. \n\n\n\nDE l\'app\xc3\xa9tit. 159 \n\nne regardant qu\'au moment pr\xc3\xa9sent (1), et allant \xc3\xa0 \nleur but par les moyens que sugg\xc3\xa8re la n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 elle- \nm\xc3\xaame^). \n\nTout d\xc3\xa9sir t\xc3\xa9moigne d\'un besoin , puisqu\'il se porte \ntoujours \xc3\xa0 quelque chose qu\'on n\'a pas et qui est ab- \nsent (3); aussi est-il toujours accompagn\xc3\xa9 de souci \net de peine (4) , et le plaisir auquel il nous conduit \nn\'est souvent que l\'affranchissement de cette souf- \nfrance (5). \n\nNos d\xc3\xa9sirs naturels (6) sont de plusieurs sortes. Il y \na d\'abord les besoins serviles et grossiers qui naissent \ndes sensations du toucher et du go\xc3\xbbt (7) : la faim , qui \nest un app\xc3\xa9tit du sec et du chaud ; la soif, qui re- \ncherche le froid et l\'humide (8) ; puis les d\xc3\xa9sirs qui \nont pour objet les plaisirs de F amour sensuel et de la \nbonne ch\xc3\xa8re (9) ; enfin tous ceux qui flattent les autres \nsens et contentent l\'odorat, l\'ou\xc3\xafe et la vue (1 0). \n\nParmi les d\xc3\xa9sirs , il en est qui semblent communs \xc3\xa0 \ntous les hommes , et il en est d\'autres qui sont comme \naccidentels et propres \xc3\xa0 chaque individu. Ainsi le d\xc3\xa9- \nsir de la nourriture est naturel. Le besoin d\'une com- \npagne se fait aussi sentir, comme dit Hom\xc3\xa8re, dans la \nfleur de la jeunesse (11). Mais tous les hommes ne \nd\xc3\xa9sirent pas telle ou telle nourriture ni les m\xc3\xaames \nchoses. Ainsi il y a dans le d\xc3\xa9sir quelque chose qui \nest naturel et commun \xc3\xa0 tous les hommes, et quel- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (2) Polit., IV, 9, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (3) Rh\xc3\xa9t., II, 13, \n25. \xe2\x80\x94 (4)Mor. \xc3\xa0 Nie, 111, 4, 13; VII, 13.\xe2\x80\x94 (.S) Ibid., VII, 14, 15, pass. \xe2\x80\x94 \n(G) Rh\xc3\xa9t., I, 11 ; Mor. \xc3\xa0 Nie., VI f , 7.\xe2\x80\x94 (7) Mor. \xc3\xa0 Nie., 111, 13; VII, 8: De la \nsensat., I, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 3 ; Rh\xc3\xa9t., 1, 1 1 ; Mor. \xc3\xa0 Nie., 111 , 13\xc2\xbb. \n\xe2\x80\x94 (9) Rh\xc3\xa9t. , ibid. ; Mor. \xc3\xa0 Nie. III, 13; De l\'\xc3\xa2me, II , 3, \xc2\xa7 2. Cf. G\xc3\xa9n. des \nanim.,1,20, pass. \xe2\x80\x94 (10) Rh\xc3\xa9t., iid. \xe2\x80\x94 (11) Iliade, XXIV t 129, \n\n\n\n160 DE l\'app\xc3\xa9tit. \n\nque chose qui est propre \xc3\xa0 chacun de nous; car les \nuns trouvent une chose agr\xc3\xa9able et les autres une \nautre, et il en est \xc3\xa0 qui certains objets plaisent par- \ndessus tout le reste (1). C\'est que nos penchants natu- \nrels diff\xc3\xa8rent d\'un individu \xc3\xa0 l\'autre (2), et que cette \ndiversit\xc3\xa9 est encore accrue par l\'habitude qui parfois \ndonne plus de vivacit\xc3\xa9 \xc3\xa0 certains d\xc3\xa9sirs (3), et parfois \nles\xc3\xa9mousse (4). Enfin il est des objets qui , sans rien \navoir d\'agr\xc3\xa9able par eux-m\xc3\xaames , ne laissent pas de \nplaire \xc3\xa0 quelques hommes et d\'exciter leurs d\xc3\xa9sirs \nnon-seulement par suite de quelque habitude prise , \nmais aussi d\'une alt\xc3\xa9ration des organes ou d\'une d\xc3\xa9- \npravation des go\xc3\xbbts naturels (5). \n\nLe d\xc3\xa9sir, de m\xc3\xaame que le plaisir, n\'est pas toujours \nn\xc3\xa9cessaire (6). Il n\'est pas toujours l\'expression d\'un \nbesoin naturel et recherche souvent le superflu (7). \nIl faut consid\xc3\xa9rer comme non n\xc3\xa9cessaires les d\xc3\xa9sirs , \nsi naturels cependant, de la propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 et de la ri- \nchesse (8) , de la sup\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 et de la domination sur \nnos semblables (9), des honneurs (10), de l\'estime et \nde la consid\xc3\xa9ration (1 1 ). La vivacit\xc3\xa9 de ces d\xc3\xa9sirs est , \npour l\'ordinaire , en proportion avec la grandeur de \nleurs objets (12). \n\nLe d\xc3\xa9sir ou concupiscence (\xc3\xaamOu^a) est un acte et \nr\xc3\xa9sulte d\'une habitude accompagn\xc3\xa9e de quelque souf- \nfrance (1 3). C\'est pour les animaux une cause de mou- \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 13.- (2) Ibid., II, 9.\xe2\x80\x94 (3) Hist. des anim.,VII, 1. \xe2\x80\x94 \n(4) Mor. \xc3\xa0 Nie, VII , 8.\xe2\x80\x94 (b) Ibid., III, 13 ; VII, 6, pass. ; VII, 7.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \nVII, 8.- (7) Polit., II, 4,\xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (S)Rh\xc3\xa9t., I, 11, p. 137 1, b, 1. 21 ; Mor. \xc3\xa0 \nNie, VII , 5 ; Polit. , II , 2, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (9) Rh\xc3\xa9t. , I , 11, pass. \xe2\x80\x94 (10) Mor. \xc3\xa0 \nNie, I, 7.\xe2\x80\x94 (il ) Ibid., VIII, 9.\xe2\x80\x94 (12) Rh\xc3\xa9t-, I, 7, p.1364, b, 1. 5. -(13) Mor. \n\xc3\xa0 Nie, VII, 5, 13. \n\n\n\nDe l 1 app\xc3\xa9tit. 161 \n\nvement (1) : c\'est pour nous un principe d\'action , \ntant par l\'attrait du plaisir qu\'il nous fait esp\xc3\xa9rer qu\'\xc3\xa0 \ncause de la douleur dont il est accompagn\xc3\xa9 (2). Mais \nce principe, essentiellement irraisonnable et impr\xc3\xa9- \nvoyant (3) , est souvent en lutte avec la raison (4) : \nil est cause d\'un grand nombre de mauvaises actions \net m\xc3\xaame de crimes (5). On parle souvent en politique \nde niveler les propri\xc3\xa9t\xc3\xa9s : il serait bien plus important \nde niveler nos d\xc3\xa9sirs (6) ; car on peut dire que c\'est \nla partie animale de notre nature , et que , compar\xc3\xa9 \xc3\xa0 \nla raison, le d\xc3\xa9sir, c\'est la b\xc3\xaale (7). \n\nLa passion est un app\xc3\xa9tit , tout comme le d\xc3\xa9sir (8). \nComme lui elle fait partie de l\'app\xc3\xa9tit sensitif (9). Il \ny a donc moins de diff\xc3\xa9rence entre la passion et la \nconcupiscence qu\'entre l\'app\xc3\xa9tit et les autres puis- \nsances de l\'\xc3\xa2me ; et Ton voit ici clairement le vice de \nla th\xc3\xa9orie qui divise Fam\xc3\xa9 en trois parties , la raison , \nla partie passionn\xc3\xa9e et la partie concupiscible (1 0). La \npassion en effet, de m\xc3\xaame que le d\xc3\xa9sir, d\xc3\xa9pend de \nla sensation et se produit avec elle ou par elle (11). \nAussi se trouve-t-elle chez les animaux autres que \nl\'homme (12). De plus, on ne peut aimer une chose \nsans y trouver du plaisir (13), et l\'amour est , aussi \n\n\n\n(1) Mouv. des anim., VI , \xc2\xa7 4 ; VII , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, Vil, 7, etc. \n\xe2\x80\x94 (3) Ibid., VII, 6; De l\'\xc3\xa2me, 111,10, \xc2\xa7 3, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, VII, 3; \nDe l\'\xc3\xa2me , III , 9, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (6) Polit., II, 4, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 \\%) Ibid., \xc2\xa7 5. - (7) Ibid., \n111, 1 1 , \xc2\xa7 4.\xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 2 ; III, 9, \xc2\xa7 3 ; De la sensat., I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 \n(9) Rh\xc3\xa9t., 1, 10, p. 1369.\xe2\x80\x94 (10) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (i 1) De la sensat \xe2\x80\xa2 \n1 \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (12)Probl.,XXX, 12. \xe2\x80\x94 (13) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1,9, p. 1099, a. \n\n11 \n\n\n\n162 DE l\'app\xc3\xa9tit. \n\nbien que le d\xc3\xa9sir, une source de plaisirs et de peines (1 ). \nOr c\'est la passion, c\'est la partie passionn\xc3\xa9e de l\'\xc3\xa2me \nqui est le principe de la puissance d\'aimer (2), et par \ncons\xc3\xa9quent de son contraire (3). Faire du bien \xc3\xa0 ses \namis et du mal \xc3\xa0 ses ennemis , rendre le bien pour le \nbien et le mal pour le mal, ces actes et leurs con- \ntraires partent du m\xc3\xaame sentiment. Aimer, ha\xc3\xafr sont \ntous deux les effets de la passion (4). \n\nAimer quelqu\'un , c\'est souhaiter qu\'il lui arrive \ntout ce qu\'on croit lui devoir \xc3\xaatre avantageux , et cela \nnon pour soi-m\xc3\xaame ni dans aucune vue d\'int\xc3\xa9r\xc3\xaat per- \nsonnel , mais en sa seule consid\xc3\xa9ration (5). \n\nOn peut du reste avoir du go\xc3\xbbt m\xc3\xaame pour les choses \ninanim\xc3\xa9es (6). \n\nSi l\'on entend par amour une affection de l\'\xc3\xa2me , \nelle a pour contraire la haine ; mais si l\'on ne consi- \nd\xc3\xa8re dans l\'amour que l\'acte corporel , on n\'y trouvera \npoint de contraire (7). \n\nC\'est une grave erreur de r\xc3\xa9duire l\'amour \xc3\xa0 un \nd\xc3\xa9sir de la cohabitation; car ce n\'est pas celui qui \naime le plus qui a ce d\xc3\xa9sir au plus haut degr\xc3\xa9 (8). On \npeut m\xc3\xaame dire que le plaisir des sens n\'est rien en \namour, ou du moins qu\'il est uniquement en vue de \nl\'affection (9). Mais d\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, il faut bien recon- \nna\xc3\xaetre que le corps a sa part dans les affections de \nl\'\xc3\xa2me , dans l\'amour aussi bien que dans le simple \nattachement (10). Les mouvements imp\xc3\xa9tueux de \n\n\n\n(1) Rh\xc3\xa9t., 1,11, pass. \xe2\x80\x94 (2) Polit., IV, 6, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) Topiq., II , 7, \xc2\xa7 4. \nCf. Ibid.,1, 15, \xc2\xa7 5.\xe2\x80\x94 (4) lbid-, II, 7, \xc2\xa7 1 ; Prem. Anal., II, 27, \xc2\xa7l;Mor.\xc3\xa0 \nNie, IV, 9. \xe2\x80\x94 (5) Rh\xc3\xa9t., II, 4 , p. 1380, b. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie, VIII , 6. \xe2\x80\x94 \n(7) Topiq., I, 15, \xc2\xa75. - (8) lbid., VI, 7, \xc2\xa723; VII, 1, \xc2\xa711. - (U) Prem. \nAnal., II, 22, \xc2\xa79.\xe2\x80\x94 (10) Physiogn., I , init. \n\n\n\nde l\'app\xc3\xa9tit. 163 \n\nl\'amour agissent fortement sut le corps , et s\'y ma- \nnifestent par des impressions qui ressemblent quel- \nquefois \xc3\xa0 de la folie (1). \n\nLa passion est donc, comme le d\xc3\xa9sir, une cause de \nmouvement, un principe d\'action (2), mais surtout \nchez les animaux autres que l\'homme (3) ; car elle est \n\xc3\xa9trang\xc3\xa8re \xc3\xa0 tout choix , \xc3\xa0 toute r\xc3\xa9flexion; elle appar- \ntient \xc3\xa0 la partie non raisonnable de l\'\xc3\xa2me (4). Mais la \npartie passionn\xc3\xa9e diff\xc3\xa8re de la partie concupiscible en \nce qu\'elle est bien plus capable d\'\xc3\xa9couter et de suivre \njusqu\'\xc3\xa0 un certain point les ordres de la raison (5). \n\nLa passion et le d\xc3\xa9sir sont les deux formes de \nl\'app\xc3\xa9tit proprement dit, c\'est-\xc3\xa0-dire de cet app\xc3\xa9tit \nsensitif qu\'on retrouve chez les b\xc3\xaates , et qui se dis- \ntingue si bien de la volont\xc3\xa9 ou app\xc3\xa9tit raisonnable , \nque souvent il la combat (6). \n\nL\'app\xc3\xa9tit sensitif ou animal ne va jamais sans ima- \ngination (7) ; il est un des principes de la locomo- \ntion (8) , et il d\xc3\xa9termine le mouvement par le moyen \ndu chaud et du froid qu\'il produit dans le corps , et \nd\'o\xc3\xb9 r\xc3\xa9sultent les passions (9). \n\n\xc2\xa7 *\xe2\x80\xa2 \n\nJ\'appelle passion ou \xc3\xa9motion en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, tout chan- \ngement ou mouvement de rame qui trouble le juge- \nment et qui est accompagn\xc3\xa9 ou suivi de douleur ou \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie , VII, 3.\xe2\x80\x94 (2) Mouv. des anim., VII, \xc2\xa7 5; Rh\xc3\xa9t., I, 11.\xe2\x80\x94 \n(3) Probl. , XXX, 12. \xe2\x80\x94 (4) Rh\xc3\xa9t., 1, 11 ; Mor. \xc3\xa0 Nie., III, 3. \xe2\x80\x94 (5) Mor. a \nNie., I, \xc2\xab3. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa7 6 ; De la sensat., I, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (7) De \nl\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa79. \xe2\x80\x94(8) Mouv. commun des anim., VI, \xc2\xa7 5; VII, \xc2\xa7 5,\xe2\x80\x94 \n(9)Ibid.,VIII, \xc2\xa7 1. \n\n\n\n164 DE L ? APP\xc3\x89T1T. \n\nde plaisir (1) : tels sont d\'abord le d\xc3\xa9sir et la passion, \npuis l\'amour et la haine, la col\xc3\xa8re, l\'animosit\xc3\xa9, l\'au- \ndace, la crainte, l\'\xc3\xa9mulation, l\'envie, l\'indignation y \nla piti\xc3\xa9, la joie , le regret, et autres mouvements sem- \nblables , en y ajoutant leurs contraires (2). \n\nToute passion est dans la partie non raisonnable de \nl\'\xc3\xa2me , et d\xc3\xa9pend soit de la puissance concupiscible , \nsoit de la partie passionn\xc3\xa9e (3). \n\nL\'\xc3\xa9tude de chaque passion , comme mani\xc3\xa8re d 7 \xc3\xaatre \nde l\'\xc3\xa2me, et ind\xc3\xa9pendamment de ses rapports avec \nle corps , comprend trois parties ; on doit consid\xc3\xa9rer \nd\'abord la disposition morale o\xc3\xb9 nous met cette pas- \nsion , puis les objets auxquels elle s\'adresse , et enfin \nsa cause et sa raison d\'\xc3\xaatre. Pour expliquer, par \nexemple, ce que c\'est que la col\xc3\xa8re , il faut montrer en \npremier lieu en quel \xc3\xa9tat sont ceux qui s\'y laissent \naller; en second lieu, contre quelles personnes ils se \nf\xc3\xa2chent ; troisi\xc3\xa8mement enfin \xc3\xa0 quelle occasion et pour \nquelle raison (4), \n\nVoici la description abr\xc3\xa9g\xc3\xa9e de quelques-unes de \nnos passions les plus importantes : \n\nLa col\xc3\xa8re est un app\xc3\xa9tit plus ou moins violent de \nvengeance, qui s\'adresse \xc3\xa0 quiconque a montr\xc3\xa9 du \nm\xc3\xa9pris pour nous , et qui r\xc3\xa9sulte du chagrin que nous \ncause ce m\xc3\xa9pris : la douleur en effet n\'est pas le genre \nde la col\xc3\xa8re , comme on l\'a soutenu \xc3\xa0 tort , mais elle \nen est la cause. Si la col\xc3\xa8re \xc3\xa9tait du m\xc3\xaame genre \nque la douleur, elle serait dans la partie concupis- \n\n\n\n(I) Rh\xc3\xa9t., IF, 1, p. I378,a,1.20. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 4, p. 1105, b; \nRh\xc3\xa9t.,11, 1, 12; III, 19, p. 1419, h.\xe2\x80\x94 (3) \xc3\x89mOujx\xc3\xafixixdv, 0ujjlixo\'v.\xe2\x80\x94 (4) Rh\xc3\xa9t., \nII, 1, p. 1378, a, 1. 23. \n\n\n\nde l\'app\xc3\xa9tit. 165 \n\ncible , tandis qu\'elle se rapporte essentiellement \xc3\xa0 la \npassion et se confond presque avec elle (I). \n\nLa haine est une passion distincte de la col\xc3\xa8re, \nquoiqu\'elle en soit souvent l\'effet; elle consiste \xc3\xa0 \nsouhaiter qu\'il arrive du mal \xc3\xa0 ceux que nous ha\xc3\xafs- \nsons , tandis que l\'amour consiste \xc3\xa0 souhaiter du bien \n\xc3\xa0 ceux que nous aimons (2) . \n\nLa crainte est un sentiment p\xc3\xa9nible qui trouble \nl\'\xc3\xa2me, dans l\'attente d\'un mal qu\'elle se repr\xc3\xa9sente \ncomme un danger. L\'assurance est l\'\xc3\xa9tat con- \ntraire (3). \n\nLa honte est une peine relative aux maux pr\xc3\xa9sents, \npass\xc3\xa9s ou \xc3\xa0 venir, d\'o\xc3\xb9 peut r\xc3\xa9sulter pour nous un \nd\xc3\xa9shonneur ; l\'impudence est une sorte d\'insensibilit\xc3\xa9 \nou de m\xc3\xa9pris pour les malheurs de ce genre (4). \n\nLa piti\xc3\xa9 ou compassion est l\'affliction que nous \ncause la vue d\'une infortune imm\xc3\xa9rit\xc3\xa9e (5). \n\nL\'indignation, au contraire, consiste en un malaise \nproduit par le bonheur d\'une personne qui n\'en est \npas digne (6). \n\nL\'envie est le chagrin que l\'on ressent des avan- \ntages que l\'on reconna\xc3\xaet \xc3\xa0 ses \xc3\xa9gaux (7). L\'\xc3\xa9mulation \nsuppose ce m\xc3\xaame d\xc3\xa9plaisir, mais avec un retour sur \nnous-m\xc3\xaames qui l\'ennoblit et en fait une passion diff\xc3\xa9- \nrente de l\'envie (8). \n\nCes passions et celles qui leur ressemblent sont \n\n\n\n(1) Cat\xc3\xa9g., VIII, \xc2\xa7 13 ; Topiq., II, 7, \xc2\xa7 4 ; IV, 5, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 4 ; IV, 6, \xc2\xa7 8; VIII, \n\nI, \xc2\xa712;R\xc3\xa9fut. des soph., XV, \xc2\xa7 4 ; De l\'\xc3\xa2me, I, 1, \xc2\xa7 10, \xc2\xa7 11 ; I, 4, \xc2\xa7 12; \nDe la m\xc3\xa9m., II, \xc2\xa7 18 ; Des songes, II, \xc2\xa7 12 ; Mor. \xc3\xa0 Nie. , III , 2, 8 ; VII , 3, \n6, pass. ; Rh\xc3\xa9t. , I, 13; II, 2,3, etc.\xe2\x80\x94 (2) Rh\xc3\xa9t., II, 4, etc., etc.\xe2\x80\x94 (3) Ibid. , \n\nII , 5, etc. - (4) Ibid., ch. 6, etc. \xe2\x80\x94 (5) Ibid. , ch. 8 , etc. ~ (6) Ibid. , \neh. 9, etc. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., ch. 10, etc. \xe2\x80\x94 (\xc2\xab) Ibid, , ch. 11, etc. \n\n\n\n166 DE i/app\xc3\xa9tit. \n\nles \xc3\xa9l\xc3\xa9ments des m\xc5\x93urs et du caract\xc3\xa8re (f). \n\nOn a consid\xc3\xa9r\xc3\xa9 jusqu\'ici les passions comme des \nmodes de l\'\xc3\xa2me , sans tenir compte des modifications \nqu\'elles produisent dans le corps. Cependant les effets \ncorporels des passions sont si \xc3\xa9vidents et si consid\xc3\xa9- \nrables (2) , qu\'il y a lieu de se demander si c\'est bien \nF\xc3\xa2me qui \xc3\xa9prouve ces diverses passions , et si au lieu \nde dire que l\'\xc3\xa2me s\'irrite, qu\'elle prend confiance, \nqu\'elle s\'indigne , qu\'elle s\'effraye , etc. , il ne serait \npas mieux de dire que c\'est l\'\xc3\xaatre anim\xc3\xa9 , l\'homme ? \npar exemple, qui fait tout cela avec son \xc3\xa2me, non \npas qu\'il ressente ces divers mouvements dans son \n\xc3\xa2me f mais parce qu\'ils r\xc3\xa9sultent pour lui de la pr\xc3\xa9- \nsence et de l\'action de cette \xc3\xa2me (3). La v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 est que \nles passions sont communes \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me et au corps (4)> \net que leurs d\xc3\xa9finitions, pour \xc3\xaatre compl\xc3\xa8tes , doivent \n\xc3\xaatre tir\xc3\xa9es de la mati\xc3\xa8re o\xc3\xb9 elles sont engag\xc3\xa9es (5). Le \ndialecticien ne consid\xc3\xa8re que la forme , abstraite de la \nmati\xc3\xa8re ; mais \xc3\xaee physicien ( et ce sont ici choses de \nson domaine ) a toujours \xc3\xa9gard \xc3\xa0 la mati\xc3\xa8re, parce \nque tout ce dont il s\'occupe a en effet une mati\xc3\xa8re (6). \n\nL\'app\xc3\xa9tit lui-m\xc3\xaame qui produit les passions d\xc3\xa9pend \nde l\'imagination et appartient \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me (7) ; mais il \nsuppose toujours le corps et n\'en est point s\xc3\xa9pa- \nrable (8). \n\nL\'homme a des facult\xc3\xa9s plus hautes ; mais la vie \nanimale est constitu\xc3\xa9e surtout par l\'app\xc3\xa9tit , la passion \n\n\n\n(l) Nous parlerons des fj\xc3\xb4r) en traitant de l\'habitude et de la vertu mo- \nrale. \xe2\x80\x94 (2) Physiogn., I, init.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, 1,1, \xc2\xa7 10; I, 4, \xc2\xa7\xc2\xa710, 11, 14. \n\n\xe2\x80\x94 (4) De lasensat.,I,\xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, I, 1, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., \xc2\xa7 11. \n\n\xe2\x80\x94 (7) Ibid., I, 5, \xc2\xa7 2 i ; III , 9, \xc2\xa7 3;Mouv. desanim., VIII, \xc2\xa7 1, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 \n(8) De la sensat. , I , \xc2\xa7 2; De l\'\xc3\xa2me, !,!,\xc2\xa7\xc2\xa7 8, 9, 10, etc. \n\n\n\n167 \n\net le d\xc3\xa9sir. L\'app\xc3\xa9tit est pour les animaux la cause de \ntout mouvement , le principe de toute action (1). Sans \nla tendance app\xc3\xa9titive, aucun acte n\'est possible (2). \nChez l\'homme , l\'app\xc3\xa9tit pr\xc3\xa9sente un autre caract\xc3\xa8re : \naux yeux de la raison, il est bon ou mauvais (3). \nC\'est ce que nous verrons en traitant des habitudes et \ndes vertus. \n\n\n\n(1) Probl., XXX, 12; De l\'\xc3\xa2me, III, 9,\xc2\xa7 5; III, 10,\xc2\xa79;Mouv. desanim., \nVII, \xc2\xa7 5.\xe2\x80\x94 (2) Gr. Mor., I, 4, p. 1 185, a, 1. 34 : o\xc3\xb9b\xc3\xaf \xc3\xa8v\xc3\xa9pyeia ou pifa \xc3\xb4pjj.7). \n\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa74. \n\n\n\nCHAPITRE XVIL \n\n\xc3\xaefE LA LOCOMOTION ( *c\xc3\xb4 xtvrjxixbv , i\\ xivr\xc3\xa7ai\xc3\xa7 xar\xc3\xa0 t6v to\'-jtoV\' V \n\nLa philosophie premi\xc3\xa8re nous enseigne que le mou- \nvement en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral est l\'acte du possible en tant que \npossible (1 ). C\'est , e:i d\'autres termes , l\'acte de tout \nce qui, \xc3\xa9tant imparfait, tend \xc3\xa0 devenir plus par- \nfait (2). Mais, tandis que les \xc3\xaatres inanim\xc3\xa9s sont mus \npar autrui (3), les \xc3\xaatres naturels, les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s \nont en eux-m\xc3\xaames le principe de leur mouvement (4). \nOr quelle est la cause qui les meut? Est-ce le corps, \nest-ce l\'\xc3\xa2me ? \xc3\x89videmment , ce n\'est pas le corps qui \nmet l\'\xc3\xa2me en mouvement, c\'est bien plut\xc3\xb4t l\'\xc3\xa2me qui \nmeut le corps (5) , et si l\'on admet que ce qui dis- \ntingue surtout les \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s ce sont ces deux \nchoses, la sensation et le mouvement (6), il faut bien \nadmettre par cons\xc3\xa9quent que c\'est l\'\xc3\xa2me qui meut l\'a- \nnimal , et qu\'elle a en elle-m\xc3\xaame le principe du mou- \nvement qu\'elle lui communique (7). Mais est-ce l\'\xc3\xa2me \ntout enti\xc3\xa8re ou l\'une de ses parties qui est la cause \ndu mouvement (8), et par cons\xc3\xa9quent du repos (9) ? \nC\'est ce qu\'il s\'agit d\'examiner. \n\n\n\n(i)M\xc3\xa9taph., XI, 9, p. 1065, b; Phys., III, 1. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, III, 7, \xc2\xa7 1. \n\xe2\x80\x94 (3) Mouv. des anim. , IV, \xc2\xa7 9; VI , \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (4) Phys., II, 1 init. ; \nVII, 2; VIII, 8, 14; Du ciel, III, 5 fin.- (5) De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa720.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., \n1 , 2 , \xc2\xa7 2. Cf. III , 9, \xc2\xa7 1 .\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., IX, 2 ; De l\'\xc3\xa2me , I, 4, \xc2\xa7 3 ; II, \xc3\xa8, \n\xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me , III , 9, \xc2\xa7 I ; Mouv. des anim., VI, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, \n1,3, \xc2\xa710; Phys., VIII, 4. \n\n\n\nDE LA LOCOMOTION. 169 \n\nIl y a quatre sortes de mouvement , suivant le lieu, \nla qualit\xc3\xa9, la quantit\xc3\xa9 et la forme (1) : suivant la \nforme , c\'est la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration et la destruction de l\'\xc3\xaatre \nlui-m\xc3\xaame (2); suivant la quantit\xc3\xa9, c\'est l\'accroisse- \nment et le d\xc3\xa9p\xc3\xa9rissement , dont la cause doit \xc3\xaatre rap- \nport\xc3\xa9e \xc3\xa0 la puissance nutritive (3); suivant la qualit\xc3\xa9 , \nc\'est l\'alt\xc3\xa9ration , qui a lieu dans la respiration , dans \nle sommeil et dans la sensation , et qui par cons\xc3\xa9quent \nappartient \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 (4); reste le mouvement \ndans l\'espace , qui est le premier de tous par l\'impor- \ntance et la dignit\xc3\xa9 des \xc3\xaatres chez lesquels il se ren- \ncontre ; car il est le mouvement propre d\'\xc3\xaatres d\xc3\xa9j\xc3\xa0 \nparfaits (5) : les plantes et m\xc3\xaame plusieurs animaux \ndou\xc3\xa9s de sensibilit\xc3\xa9 en sont totalement priv\xc3\xa9s (6). \nL\'\xc3\xa2me est la cause de ce mouvement aussi bien que \ndes mouvements d\'alt\xc3\xa9ration et de nutrition (7) ; mais \nil s\'agit pour nous de savoir par quelle puissance elle \nle produit, et si cette puissance est distincte de toutes \nles autres facult\xc3\xa9s essentielles de l\'\xc3\xa2me (8), \n\nTout ce qui meut meut par quelque moyen (9), et \nde plus il meut quelque chose dans un certain temps, \n\xc3\xa0 partir d\'un certain point et vers un certain but (1 0). \nTout mouvement suppose donc trois choses sans les- \nquelles il ne saurait se produire : premi\xc3\xa8rement un \nmoteur immobile, premier principe du mouvement ; \nsecondement un moteur mobile , c\'est-\xc3\xa0-dire qui meut \n\n\n\n(l) M\xc3\xa9taph., XII, 2, p. 1069, b., 1. 9; Phys., III, 1; Cat\xc3\xa9g., XIV, \xc2\xa7 1 ; De \nl\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa7 3. - (2) M\xc3\xa9taph. , ibid. ; Phys., III, t. \xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \n\xc2\xa74.\xe2\x80\x94 (4) Ibid.; Phys., VII, 1. \xe2\x80\x94 (5) Phys., VII, 2; VIII, 10, 11. - (6) De \nl\'\xc3\xa2me, 1,5, \xc2\xa713; 11,2, \xc2\xa74j III, 9 ,\xc2\xa75, \xc2\xa76; Phys., VIII, 10. \xe2\x80\x94 (?) De \nl\'\xc3\xa2me, 1 , 5, \xc2\xa7 13, \xc2\xa723.\xe2\x80\x94 (8) Ibid., 111, 9, \xc2\xa7\xc2\xa71,4, 5. -(9) Phys., VIII, 5.- \n(10) M\xc3\xa9taph., XI, 11. \n\n\n\n170 DE LA LOCOMOTION. \n\napr\xc3\xa8s avoir \xc3\xa9t\xc3\xa9 m\xc3\xbb lui-m\xc3\xaame ; enfin un objet m\xc3\xbb qui \nn\'en meut aucun autre (1). Le moteur mobile est l\'in- \nterm\xc3\xa9diaire n\xc3\xa9cessaire entre le moteur immobile et \nl\'objet m\xc3\xbb ; mais il peut y avoir plusieurs de ces in- \nterm\xc3\xa9diaires. Ainsi une pierre est mise en mouvement \npar un b\xc3\xa2ton , le b\xc3\xa2ton par la main , la main par \nl\'homme , et celui-ci seul meut sans \xc3\xaatre m\xc3\xbb par autre \nchose. Tous ces moteurs sont dits mouvoir, mais sur- \ntout le premier moteur, puisqu\'il meut tous les autres \nsans en d\xc3\xa9pendre lui-m\xc3\xaame. Sans lui en effet , ils ne \nsauraient mouvoir ; mais lui le peut sans leur secours : \nle b\xc3\xa2ton, par exemple, ne mouvra pas si l\'homme ne \nlui donne le mouvement , tandis que l\'homme peut \nmouvoir autrement qu\'\xc3\xa0 l\'aide de ce b\xc3\xa2ton (2). \n\nNous avons donc \xc3\xa0 rechercher quels sont, pour la \nlocomotion en particulier , ces trois \xc3\xa9l\xc3\xa9ments de tout \nmouvement : savoir ce qui meut , ce par quoi il meut \net ce qui est m\xc3\xbb. \n\nLa locomotion r\xc3\xa9sulte de plusieurs causes, et pr\xc3\xa9- \nsente des circonstances diverses. D\'abord tout ani- \nmal se meut en vue de quelque bien, qui est le but \net le terme de son action (3). Le premier moteur pa- \nra\xc3\xaet donc \xc3\xaatre le beau \xc3\xa9ternel et le vrai bien , qui meut \nsans\xc3\xaatrem\xc3\xbb (4), comme objet du d\xc3\xa9sir et de l\'amour (5). \nLa pens\xc3\xa9e et l\'imagination apportent les id\xc3\xa9es et les \nformes des choses d\xc3\xa9sirables qui invitent \xc3\xa0 agir ; il \nfaut donc aussi leur attribuer la production des pas- \n\n\n\nCi) De l\'\xc3\xa2me, III, \xc2\xab0, \xc2\xa7 7; Phys., VIII, 5, pass.; Mouv. des anim.,VI, \xc2\xa7 7. \n\xe2\x80\x94 (2) Phys M VIII , 5; De l\'\xc3\xa2me, III , 12 , \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (3) Mouv. des anim, , VI, \n\xc2\xa7 3; M\xc3\xa9taph., XI, 1, p. 1059, a fin.\xe2\x80\x94 (4) Mouv. des anim., VI, \xc2\xa77\xe2\x80\x94 (5) M\xc3\xa9- \ntaph.,XII, 7, pass. \n\n\n\nDE LA LOCOMOTION. 171 \n\nsions qui pr\xc3\xa9parent le mouvement (1). La sensation \nnous fait aussi conna\xc3\xaetre les biens particuliers (2), et \ntout animal se meut \xc3\xa0 la suite d\'une sensation re\xc3\xa7ue \ndirectement ou indirectement par le premier organe \ndes sens ; les mouvements m\xc3\xaame que l\'on fait quel- \nquefois en dormant n\'ont point lieu sans quelque re- \npr\xc3\xa9sentation ou quelque impression sensible (3) . L\'ap- \np\xc3\xa9tit est , sans difficult\xc3\xa9 , le terme moyen qui meut \n\xc3\xa9tant m\xc3\xbb (4) ; car l\'animal se meut par app\xc3\xa9tit ou par \npr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence, apr\xc3\xa8s qu\'une alt\xc3\xa9ration est survenue dans \nsa sensibilit\xc3\xa9 ou dans son imagination (5) : or le choix \nou pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence, qui dans l\'homme est la principale \ncause de mouvement , est un app\xc3\xa9tit accompagn\xc3\xa9 de \npens\xc3\xa9e ou de r\xc3\xa9flexion (6). \n\nLes choses qui meuvent l\'animal sont donc la pens\xc3\xa9e, \nla sensation , la fantaisie , la pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence , la volont\xc3\xa9, \nla passion et le d\xc3\xa9sir : or, si l\'on veut consid\xc3\xa9rer la \nsensation et la fantaisie comme des mani\xc3\xa8res de pen- \nser, toutes ces choses peuvent \xc3\xaatre ramen\xc3\xa9es \xc3\xa0 deux, \nl\'app\xc3\xa9tit et la pens\xc3\xa9e (7) : je veux dire la pens\xc3\xa9e pra- \ntique (8) , car l\'entendement contemplatif demeure \n\xc3\xa9tranger \xc3\xa0 Faction et au mouvement (9). L\'app\xc3\xa9tit \n\xc3\xa9tant ce qui meut apr\xc3\xa8s avoir \xc3\xa9t\xc3\xa9 m\xc3\xbb , la pens\xc3\xa9e sera \nle premier moteur immobile en tant qu\'elle repr\xc3\xa9sente \nl\'objet m\xc3\xaame de l\'app\xc3\xa9tit ; car c\'est la notion de cet \nobjet qui meut l\'app\xc3\xa9tit (10) Quant \xc3\xa0 ce qui est m\xc3\xbb \nsans rien mouvoir, c\'est \xc3\xa9videmment le corps ; mais, \n\n\n\n(1) Mouv. des anim., XI, \xc2\xa7 4.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., VI, VII, pass.- (3) Des songes, \nIII, \xc2\xa7 12, etc. Cf. Phys,, VIII, 2 fin. \xe2\x80\x94 (4) Mouv. des anim., VI, \xc2\xa7 8; \nX , \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., VI , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (G) Mor. \xc3\xa0 Nie., VI, 2 ; De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa7 10. \n\xe2\x80\x94 (7) Mouv. des anim., VI, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, III, 10, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (9) Ibid. r \nIII, 9, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (10) Ibid., III, 10, \xc2\xa7\xc2\xa72, 3,7. \n\n\n\n17*2 DE LA LOCOMOTION. \n\npar accident, l\'\xc3\xa2me elle-m\xc3\xaame qui habite le corps \nparticipera de ce mouvement , comme un pilote est \ntransport\xc3\xa9 par le navire qu\'il dirige (1). L\'\xc3\xa2me ne \nsaurait \xc3\xaatre mue en aucune autre fa\xc3\xa7on , car elle n\'est \npoint par elle-m\xc3\xaame sujette au mouvement , surtout \nau mouvement local (2) ; elle ne se meut pas non plus \nelle-m\xc3\xaame , si ce n\'est par accident , comme nous \nvenons de le dire (3) , et parmi tant d\'hypoth\xc3\xa8ses dont \nl\'\xc3\xa2me a \xc3\xa9t\xc3\xa9 l\'objet , la plus d\xc3\xa9raisonnable de beaucoup \nest de pr\xc3\xa9tendre que l\'\xc3\xa2me est un nombre qui se meut \nlui-m\xc3\xaame (4). Suivant certains philosophes, l\'\xc3\xa2me \n\xc3\xa9tant ce qui meut le corps, il faut bien qu\'elle se \nmeuve d\'abord d\'elle-m\xc3\xaame (5). Mais il n\'est point \ndu tout n\xc3\xa9cessaire que le moteur soit en mouve- \nment (6). D\'ailleurs, veut-on soutenir que l\'\xc3\xa2me ne \npeut communiquer au corps que les mouvements \nqu\'elle a en elle-m\xc3\xaame? Il faudra donc lui attribuer \nla locomotion : si elle peut changer de lieu , qui l\'em- \np\xc3\xaacherait de quitter le corps et d\'y rentrer apr\xc3\xa8s en \n\xc3\xaatre sortie ? Il suit de l\xc3\xa0 que les \xc3\xaatres morts pourraient \nfort bien ressusciter (7). De plus , il faut consid\xc3\xa9rer \nque si l\'\xc3\xa2me se meut par sa nature, elle pourra aussi \n\xc3\xaatre mue par contrainte : quels seront donc ses mou- \nvements et ses repos forc\xc3\xa9s ? C\'est ce qu\'il n\'est pas \nfacile de dire, m\xc3\xaame en se bornant \xc3\xa0 des \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s (8). \nEnfin , si l\'\xc3\xa2me meut le corps parce qu\'elle se meut \nelle-m\xc3\xaame et de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re qu\'elle se meut , je \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa7 2; I, 4, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (?) lbid. , I, 3, \xc2\xa7\xc2\xa712 suiv. Cf. ibid., \n\xc2\xa77;I,4,\xc2\xa7\xc2\xa710suiv. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., I, 3, \xc2\xa7 3; I, 4 ,\xc2\xa7 9; Topiq., IV, t, \xc2\xa7 3.- \n(4) De l\'\xc3\xa2me, 1 , 4 , \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., 1, 2, \xc2\xa7 2, \xc2\xa74; 111, 2, \xc2\xa7 5 \xe2\x80\x94 (fi) Ibid., \nI, 3,\xc2\xa7?.~ (7) Ibid., I, 3, \xc2\xa7 G. -(8) Ibid., 1, 3, \xc2\xa74. Cf. Du ciel, III, ?, \np. 300, ci, 1. ??. \n\n\n\nDE LA LOCOMOTION. 175 \n\nd\xc3\xa9fie qu\'on explique comment elle fait succ\xc3\xa9der le \nrepos au mouvement (1). Ce n\'est donc pas ainsi \nqu\'elle meut le corps , mais c\'est par la pens\xc3\xa9e et par \nun certain choix (2). La pens\xc3\xa9e fait conna\xc3\xaetre quelque \nbien r\xc3\xa9el ou apparent , et c\'est l\xc3\xa0 ce qui meut l\'app\xc3\xa9tit, \nlequel \xc3\xa0 son tour meut l\'animal (3). \n\nDe m\xc3\xaame que dans les causes du mouvement local \nil faut distinguer le moteur immobile qui est le bien \npens\xc3\xa9 , imagin\xc3\xa9 ou senti , et le moteur mobile qui est \nl\'app\xc3\xa9tit , de m\xc3\xaame l\'organe du mouvement dans l\'ani- \nmal, l\'instrument par lequel l\'app\xc3\xa9tit imprime au corps \nle mouvement, est compos\xc3\xa9 de deux parties, l\'une \nimmobile, l\'autre mobile, la premi\xc3\xa8re servant de point \nd\'appui \xc3\xa0 la seconde , comme clans un gond l\'une des \ndeux parties demeure en place , et c\'est de l\xc3\xa0 que part \nle mouvement (4). \n\nToutes ces causes sont li\xc3\xa9es de mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 agir si- \nmultan\xc3\xa9ment. C\'est tout \xc3\xa0 la fois pour ainsi dire que \nnous pensons \xc3\xa0 marcher et que nous marchons. Les \norganes du mouvement sont pr\xc3\xa9par\xc3\xa9s par les pas- \nsions , les passions par l\'app\xc3\xa9tit et l\'app\xc3\xa9tit par l\'ima- \ngination, laquelle r\xc3\xa9sulte de la sensation ou de la \npens\xc3\xa9e. Tout cela est simultan\xc3\xa9, tant l\'action et la \npassion se succ\xc3\xa8dent rapidement , \xc3\xa0 cause de la rela- \ntion directe de l\'agent et du patient (5). En effet, \nc\'est dans la chose mue que sont \xc3\xa0 la fois le mouve- \nment, l\'action et la passion ; l\'acte de ce qui agit et \nde ce qui meut se produit en ce qui le re\xc3\xa7oit ; et voil\xc3\xa0 \n\n\n\n(l) De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa7 9, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (3) Ibid.,111, 10, \xc2\xa7\xc2\xa72suiv. \n\n\xe2\x80\x94 (4) Ibid., III, 10, \xc2\xa7 8 ; Pbys.i" VIII , 6 ; Mouv. des anim., IV, \xc2\xa7 8 ; IX, \xc2\xa7 4. \n\n\xe2\x80\x94 (5) Mouv. des anim., VIII , \xc2\xa7 3. Cf. Phys., VIII, 2, pass. \n\n\n\n174 DE LA LOCOMOTION. \n\npourquoi il n\'est pas n\xc3\xa9cessaire que le moteur soit m\xc3\xbb \nlui-m\xc3\xaame (1). \n\nNous avons parl\xc3\xa9 jusqu\'ici des mouvements volon- \ntaires ( Ixovatbu\xc3\xa7) . Or quelques-unes des parties du \ncorps accomplissent aussi des mouvements forc\xc3\xa9s \n( \xc2\xabxouGiou\xc3\xa7 ) , et la plupart m\xc3\xaame de leurs mouvements \nsont involontaires (o\xc3\xb9^ Izouatbu\xc3\xa7). J\'appelle forc\xc3\xa9s les \nmouvements du c\xc5\x93ur et des parties g\xc3\xa9nitales ; j\'ap- \npelle involontaires le sommeil et la veille , la respira- \ntion et tous les mouvements de ce genre ; car la fan- \ntaisie et l\'app\xc3\xa9tit n\'en sont pas absolument ma\xc3\xaetres (2). \n\nMaintenant, quelle est la facult\xc3\xa9 ou la partie de l\'\xc3\xa2me \nqui meut l\'animal d\'un lieu \xc3\xa0 un autre? D\'abord, ce \nn\'est ni la puissance nutritive ni la sensibilit\xc3\xa9; car si \nc\'\xc3\xa9tait la puissance nutritive, les plantes devraient \navoir aussi la locomotion et les organes de la loco- \nmotion (3) ; et si c\'\xc3\xa9tait la sensibilit\xc3\xa9 en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , on \nne saurait dire pourquoi certains animaux qui ont la \nsensation et qui ne sont ni avort\xc3\xa9s ni incomplets sont \nabsolument priv\xc3\xa9s du mouvement local (4). Ce n\'est \npas davantage la partie raisonnable qui est la cause \nde la locomotion; car les animaux qui en sont dou\xc3\xa9s \nn\'ont pas tous la raison (5); l\'intellect sp\xc3\xa9culatif est \nd\'ailleurs \xc3\xa9tranger au mouvement (6), et l\'entende- \nment pratique lui-m\xc3\xaame ne le produit jamais sans le \nconcours de l\'app\xc3\xa9tit , tandis que celui-ci meut sou- \nvent sans \xc3\xaatre dirig\xc3\xa9 par la raison (7). Reste l\'app\xc3\xa9tit , \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, 111, 2, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (2) Mouv. des anim., XI, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (3) De \nl\'\xc3\xa2me, 111, 9, \xc2\xa75.\xe2\x80\x94 (4) Ibid., I, 5, \xc2\xa713; 11, 2, \xc2\xa7 4 ; II, 3, \xc2\xa7 7 ; 111,9, \n\xc2\xa7 6; Phys., VIII, 10. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, 11 , 3, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 9, \xc2\xa7 7; \nch. 10, \xc2\xa7 3; ch. 11, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., 111 , 10, \xc2\xa73. \n\n\n\nDE LA LOCOMOTION. 175 \n\nqui para\xc3\xaet seul n\xc3\xa9cessaire \xc3\xa0 la production du mouve- \nment dans l\'animal , et il semble bien que ce soit la \nfacult\xc3\xa9 motrice par excellence , puisqu\'il meut et que \ntout mouvement le suppose. Cependant, quoique l\'ani- \nmal ne se meuve lui-m\xc3\xaame qu\'autant qu\'il poss\xc3\xa8de la \npuissance app\xc3\xa9titive (1 ) , on admet g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralement une \npuissance sp\xc3\xa9ciale de locomotion; on la consid\xc3\xa8re \ncomme une des formes essentielles de la vie animale, \net l\'une des facult\xc3\xa9s qui doivent entrer dans la d\xc3\xa9fi- \nnition de l\'\xc3\xa2me (2). \n\nLa force motrice \xc3\xa9tant intimement li\xc3\xa9e \xc3\xa0 la puis- \nsance sensitive , et n\'\xc3\xa9tant qu\'une suite de l\'app\xc3\xa9tit , \ndevra r\xc3\xa9sider au c\xc5\x93ur aussi bien que la sensibilit\xc3\xa9 \nelle-m\xc3\xaame (3). En effet, lorsqu\'une sensation a pro- \nduit une alt\xc3\xa9ration et un changement dans cette \npartie principale du corps , les parties avoisinantes \nsont modifi\xc3\xa9es du m\xc3\xaame coup et s\'\xc3\xa9panouissent ou se \ncontractent ; de sorte qu\'il en r\xc3\xa9sulte in\xc3\xa9vitablement \nun d\xc3\xa9placement pour l\'animal (4) , et souvent il suf- \nfit d\'un faible changement survenu \xc3\xa0 l\'origine pour \nproduire des effets consid\xc3\xa9rables (5). C\'est dans \nl\'\xc3\xa9pine dorsale que commence le mouvement qui de \nl\xc3\xa0 se communique aux bras et aux jambes (6) : on \ny remarque , comme on l\'a d\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit , une partie im- \nmobile et une partie mobile (7). Au reste, chacun des \norganes qui servent au mouvement est naturellement \nappropri\xc3\xa9 \xc3\xa0 une fonction sp\xc3\xa9ciale , en sorte qu\'il est \ninutile que l\'\xc3\xa2me intervienne dans chacun ; mais l\'\xc3\xa2me \n\n\n\n(j)Del\'\xc3\xa0me, III, 10, \xc2\xa7 9. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, 2,\xc2\xa72,\xc2\xa7 6; II, 3, \xc2\xa7 I.\xe2\x80\x94 \n(3) Du somm., II, \xc2\xa7 10. - (4) Mouv. des anim., IX, \xc2\xa7 3. - (5j Ibid., \nVil, \xc2\xa7 10. - (6) Ibid. , IX, \xc2\xa7 2. - (7) De l\'\xc3\xa2me , III, 10, \xc2\xa7 8, \n\n\n\n176 DE LA LOCOMOTION. \n\n\xc3\xa9tant dans une partie principale du corps , le reste vit \net agit parce qu\'il y est annex\xc3\xa9 et fait son \xc5\x93uvre \npropre par l\'effet de sa nature (1). \n\nDe m\xc3\xaame que d\'apr\xc3\xa8s la place des organes des \nsens on a pu d\xc3\xa9terminer dans les animaux la partie \nant\xc3\xa9rieure et la partie post\xc3\xa9rieure , de m\xc3\xaame la loco- \nmotion a servi \xc3\xa0 distinguer la droite de la gauche : \ncar c\'est du c\xc3\xb4t\xc3\xa9 droit que part le mouvement local (2) , \net d\'ailleurs la cause du mouvement \xc3\xa9tant au milieu \ndu corps , Je haut et le bas, la gauche et la droite \ndans l\'animal y ont leur principe commun (3). Il y a \ntrois mouvements de translation , savoir en avant ou \nen arri\xc3\xa8re, en haut ou en bas , \xc3\xa0 droite ou \xc3\xa0 gauche (4) \xc2\xab \nMais tous ces mouvements se d\xc3\xa9composent en deux \nmouvements \xc3\xa9l\xc3\xa9mentaires, qui consistent \xc3\xa0 pousser \net \xc3\xa0 tirer : tout mouvement local r\xc3\xa9sulte de ce double \neffort , et ce sont les deux actes essentiels de la lo- \ncomotion (5). Quant \xc3\xa0 la marche , c\'est un mouve- \nment des pieds qui est propre \xc3\xa0 certains animaux , \net entre autres \xc3\xa0 l\'homme (6) . \n\nIl ne faut point confondre les organes de la loco- \nmotion avec le principe qui les emploie , je veux dire \nl\'\xc3\xa2me qui r\xc3\xa9side dans cette chose \xc3\xa9tendue , mais qui \nen est profond\xc3\xa9ment distincte (7) . Toutefois cette as- \nsociation du corps et de l\'\xc3\xa2me qui fait que l\'un est m\xc3\xbb \net que l\'autre meut , est toute sp\xc3\xa9ciale et ne se ren- \ncontre pas entre les premiers \xc3\xaatres venus (8). 11 faut \n\n\n\n(I) Mouv. des anim., X, \xc2\xa7 8. Cf. Phys.,VIII, 2, pass. \xe2\x80\x94 (2) Marche des \nanim.,lV, p. 105, a, b,l. iti. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., VI, p. 706, b. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, \nIII, 11, \xc2\xa73; Rh\xc3\xa9t. (?). \xe2\x80\x94(5) Marche des anim., II, p. 704, b, 1.22, 23. \n\xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, I, 3, \xc2\xa7 2. - (7) Mouv. des anim., IX, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, \nII, 2, \xc2\xa710. \n\n\n\n\xc3\x8f>E LA. LOCOMOTION. 177 \n\n^uss\xc3\xae entre l\'\xc3\xa2me et les organes de la locomotion \nun corps qui serve d\'interm\xc3\xa9diaire. C\'est le souffle \n{mti>{jLa) qui est ce moyen terme. En effet , si pousser \net tirer sont les deux fonctions de la puissance mo- \ntrice , c\'est l\xc3\xa0 aussi le double r\xc3\xb4le du souffle : tous \nles animaux ont un souffle inn\xc3\xa9 , et y puisent toute \nleur force (1). \n\nLa locomotion est ins\xc3\xa9parable du corps (2). Cette \nfacult\xc3\xa9 ne va pas non plus sans la nutrition et la sen- \nsibilit\xc3\xa9 (3). M\xc3\xaame dans les animaux imparfaits qui \nn\'ont que le sens du toucher, la locomotion est tou- \njours accompagn\xc3\xa9e d\'imagination et de d\xc3\xa9sir (4). 11 \nest d\'ailleurs indispensable que l\'animal qui se meut \nait la connaissance sensible , pour distinguer ce qu\'il \nlui est bon de rechercher ou de fuir (5). Il est m\xc3\xaame \nn\xc3\xa9cessaire qu\'il per\xc3\xa7oive \xc3\xa0 distance , et par cons\xc3\xa9quent \nqu\'il poss\xc3\xa8de les trois sens qui se servent de milieux, \nsavoir Fodorat, l\'ou\xc3\xafe et la vue; ces sens, comme \nnous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit, ont \xc3\xa9t\xc3\xa9 donn\xc3\xa9s exclusivement \naux \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de locomotion (6). \n\n\n\n(i) Mouv. des anim. , X,\xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa710. \xe2\x80\x94(3) Ibid., \nII, 3, \xc2\xa7 3. \xe2\x80\x94(4) Ibid., III, il. - (5) Ibid., III , 12,\xc2\xa7\xc2\xa7 3, 4, 6,8: III, 13, \nS 3. \xe2\x80\x94 <6) Ibid., AI, 12, S 8. \n\n\n\nn \n\n\n\nCHAPITRE XVIII. \n\nDE L\'ENTENDEMENT OU PUISSANCE RAISONNABLE EN G\xc3\x89N\xc3\x89RAL \n\n( AiavoY|Tixo\'v , \xc3\x94idvota). \n\nNous devons \xc3\xa9tudier maintenant la puissance de \npenser ou de raisonner, la plus importante de celles \nqui entrent dans la d\xc3\xa9finition de l\'\xc3\xa2me (1). \n\nIl y a en effet dans l\'\xc3\xa2me humaine une puissance \nde penser et de conna\xc3\xaetre , bien distincte de la sensi- \nbilit\xc3\xa9 , et qui seule poss\xc3\xa8de la raison , X\xc3\xb4yov (2) . En \neffet , si la sensibilit\xc3\xa9 est parfois susceptible de r\xc3\xa8gle \net de mesure , c\'est parce qu\'elle se soumet \xc3\xa0 une \npartie sup\xc3\xa9rieure de l\'\xc3\xa2me , et non parce qu\'elle com- \nprend ou poss\xc3\xa8de par elle-m\xc3\xaame la raison (3) ; car \nil y a entre l\'intelligence et les sens la m\xc3\xaame diff\xc3\xa9- \nrence qu\'entre l\'intelligible et le sensible (4) , et la \nraison n\'est proprement que dans la partie pensante \nde notre \xc3\xa2me (5). \n\nC\'est donc \xc3\xa0 juste titre que Platon , d\'une mani\xc3\xa8re , \nil est vrai , un peu exot\xc3\xa9rique (6) , a divis\xc3\xa9 l\'\xc3\xa2me en \ndeux parties , l\'une raisonnable , l\'autre priv\xc3\xa9e de \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 6; II, 3, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94(2) Ibid., III, 10, \xc2\xa7 5; Des songes, \nI,\xc2\xa71,\xc2\xa73; M\xc3\xa9taph., IX, 2, init, ; Gr. Mor., I, l,p. 1182, a.\xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 \nNie, I, 13, p. 1102, b, 1103, a; V, 11, fin; Mor. \xc3\xa0 Eud\xc3\xa8me, 11,1, p. 1219, \nb, 1.28. Cf. De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor.,I, 35, p. 1196, b. \xe2\x80\x94 \n(5) Ibid., I, 1, p. 1182, a, 1. 18 ; Mor. \xc3\xa0 Nie. , 1. c.\xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie., I, 13, \np. 1 102, a ; 1. 26 suiv. ; De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa7 2 suiv. \n\n\n\nDE LA PUISSANCE RAISONNABLE. 179 \n\nraison, et qu\'il a attribu\xc3\xa9 \xc3\xa0 chacune d\'elles les vertus \nqui lui conviennent (i). \n\nMais, de m\xc3\xaame que Ton distingue les sens de l\'in- \ntelligence en partant de la diff\xc3\xa9rence du sensible et \nde F intelligible (2) , de m\xc3\xaame on doit admettre dans \nla partie raisonnable de l\'\xc3\xa2me deux puissances , l\'une \ns\'appliquant \xc3\xa0 ce qui ne peut pas ne pas \xc3\xaatre , l\'autre \nportant sur les choses contingentes et qui tombent \nsous l\'action ; nous appellerons scientifique la pre- \nmi\xc3\xa8re de ces deux puissances , et d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative ou lo- \ngistique la seconde : car d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rer et calculer sont la \nm\xc3\xaame chose (3). \n\nDans la partie scientifique de l\'\xc3\xa2me , il faut placer \nd\'abord l\'intellect , ou entendement pur , vov\xc3\xa7 , fa- \ncult\xc3\xa9 sup\xc3\xa9rieure \xc3\xa0 toute autre et qui est comme une \nsubstance \xc3\xa0 part dans notre \xc3\xa2me (&). Il y a , du reste, \nun intellect patient et un intellect actif (5). La pens\xc3\xa9e \npure, sp\xc3\xa9culative ou pratique (6) , est toujours vraie, \nquand elle porte sur des objets simples et indivi- \nsibles (7) ; l\'erreur ne se rencontre que dans une com- \nbinaison de concepts et de pens\xc3\xa9es (8). Or cette \npens\xc3\xa9e discursive qui admet l\'erreur (9) et qui res- \nsemble fort \xc3\xa0 un mouvement (1 0), suppose l\'entende- \nment , mais n\'en est pas l\'acte propre (11). En soi- \nm\xc3\xaame , l\'intellect est \xc3\xa9ternellement vrai (1 2). Il en est \n\n\n\n(I) Gr. Mor., I, 1, 1. c. ; Polit., I, 5, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (2) Gr. Mor., 1,35, \np. 1196, b, 1.25 suiv.\xe2\x80\x94 (:j).Mar. \xc3\xa0 Nie, VI, 2, p. 1139, a, 1. 6-15; Gr. Mor., \nI, 35, p. 1 196, b, 1. 16 et 1. 27 suiv.; Dern. Anal, , II , 19, \xc2\xa7 8. Cf. Mor. \xc3\xa0 \nNic.,VI,5,pass ; De l\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa77; cli. 10, \xc2\xa7 5.\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, I, 4, \xc2\xa7 13. \n\n\xe2\x80\x94 (5) Ibid., III, 5, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., 11!, 7, \xc2\xa7 1 ; ch. 9, \xc2\xa7 7 ; ch. 10, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 2. \n\n\xe2\x80\x94 (7)Ibid., ch. 6, \xc2\xa7 1, \xe2\x80\x94 (8) Ibid., III, 6, \xc2\xa7\xc2\xa71, 2, 7.\xe2\x80\x94 (9) Ibid., III, 3, \xc2\xa73. \n\n\xe2\x80\x94 (10) Ibid., 1,4, \xc2\xa7\xc2\xa710, II.\xe2\x80\x94 (11) Ibid., I, 4, \xc2\xa7 14. - (12) ibid., 111,3, \n\xc2\xa7 8; Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa78. \n\n\n\n180 DE LA PUISSANCE RAISONNABLE. \n\nde m\xc3\xaame de la science , puisqu\'elle est la forme et Tes- \nsence del\xc3\xa0 partie scientifique de l\'\xc3\xa2me (1). La science, \ncomme l\'entendement pur, porte sur un objet \xc3\xa9ternel \net qui ne saurait \xc3\xaatre autrement qu\'il n\'est {%) ; mais \nelle ne conna\xc3\xaet qu\'au moyen del\xc3\xa0 d\xc3\xa9monstration, tandis \nque l\'intellect contemple les principes qui sont ind\xc3\xa9- \nmontrables (3). Au reste, la d\xc3\xa9monstration ne doit \xc3\xaatre \nconfondue ni avec l\'induction et la d\xc3\xa9finition , qu\'elle \nsuppose (4) , ni surtout avec la division dialectique (5) . \n\nDans l\'autre partie de l\'entendement , qui porte \nsur le contingent , on remarque avant tout l\'opinion \nqui a en effet un autre objet que la science et que \nl\'intellect (6). L\'opinion est proprement la concep- \ntion vraie ou fausse (7) d\'une proposition contingente \net non d\xc3\xa9montr\xc3\xa9e (8). Il y a du reste des opinions \nqui r\xc3\xa9sultent de syllogismes (9) . La prudence se rap- \nporte \xc3\xa0 l\'opinion et s\'applique aux actions dont le prin- \ncipe est dans la volont\xc3\xa9 et dans un choix raisonn\xc3\xa9(10). \nLa volont\xc3\xa9 est l\'app\xc3\xa9tit transport\xc3\xa9 dans la partie lo- \ngistique ou d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative de l\'\xc3\xa2me (11), et le choix est \nun effet de la pens\xc3\xa9e et de la volont\xc3\xa9 (1 2). \n\nLa r\xc3\xa9miniscence suppose toujours la facult\xc3\xa9 d\xc3\xa9li- \nb\xc3\xa9rative , et n\'existe que par elle et avec elle (1 3) , \nc\'est-\xc3\xa0-dire chez l\'homme seulement (14). \n\n\n\n(l)Dern.Anal.,ib,; De l\'\xc3\xa2me, II, 2,\xc2\xa7 12.\xe2\x80\x94 (2)Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 3, p. 1139, \nb, 1. 20suiv.- (3) Gr. Mor., 1, 35, p. 1196, b,1.38 ; p. 1 197, a, 1. 21 suiv,; \nDern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 8. \xe2\x80\x94 (4) Dern. Anal., II, ?, pass.; H, 19, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 \n(5)Ibid., II, 5, \xc2\xa7\xc2\xa7 1, 6. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., I, 33, \xc2\xa7\xc2\xa7 1 suiv.\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \n\xc2\xa7\xc2\xa74,6, 8 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 3 init. \xe2\x80\x94 (8) Dern. Anal., I, 33 , \xc2\xa7 1 fin. \xe2\x80\x94 \n(9) De l\'\xc3\xa2me, III, 1 1, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (10) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI , 5, 13 pass, \xe2\x80\x94 (il) De \nl\'\xc3\xa2me, III, 9, \xc2\xa73; III, 10, \xc2\xa73; Topiq., IV, 5, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94(12) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, \n2 init. ; VI , 2 ; Mouv. des anim., VI, \xc2\xa7 5; Phys. , II , 5.\xe2\x80\x94 (13) De la m\xc3\xa9m., \nII , \xc2\xa7 16. - (1A) Hist. des anim., I, 1 fin. \n\n\n\nDE LA PUISSANCE RAISONNABLE. 181 \n\nLa parole \xc3\xa9tant faite pour transmettre la science et \npour exprimer le bien et le mal , le juste et l\'injuste , \na \xc3\xa9t\xc3\xa9 accord\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'homme exclusivement (I). \n\nL\'action doit \xc3\xaatre distingu\xc3\xa9e de la production (2) , \nqui dorme naissance \xc3\xa0 Fart , tandis que l\'action donne \nnaissance aux vertus (3) , c\'est-\xc3\xa0-dire \xc3\xa0 celles de nos \nhabitudes qui m\xc3\xa9ritent des louanges (4). Il y a des \nvertus propres \xc3\xa0 chacune des deux facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me \nqui participent de la raison ; mais les passions et les \nm\xc5\x93urs pouvant aussi \xc3\xaatre r\xc3\xa9gl\xc3\xa9es par la raison , il \nfaut reconna\xc3\xaetre encore tout cet ordre de vertus qui \nd\xc3\xa9rivent des moeurs , et que pour ce motif on appelle \nmorales (5). \n\nC\'est par l\'\xc3\xa2me que nous vivons ; c\'est par la vertu \nque nous vivons bien (6). Le bonheur r\xc3\xa9side dans \nl\'action la plus parfaite (7) , et ne se rencontre que \nchez les \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de raison et capables de vertu (8). \n\nTelles sont les principales fonctions et les princi- \npaux actes de la facult\xc3\xa9 de penser. Cette facult\xc3\xa9 con- \nna\xc3\xaet et juge comme la sensation (9) , mais avec cette \ndiff\xc3\xa9rence que la pens\xc3\xa9e porte sur l\'universel , et la \nsensation sur le particulier (10). Tout jugement, toute \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9 d\xc3\xa9pend pour nous de la sensation ou de la \npens\xc3\xa9e (11). \n\n\n\n(1) Polit., I, 1, 10; Probl., 11, 1, 55 ; Del\xc3\xa0 sensat., I, \xc2\xa7 10.\xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 \nNie, VI, 4 init. , 5 ; Gr. Mor., I, 35 ; Polit., I, 2, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (3) Gr. Mor., I, 35, \np. 1197, a, 1. 3; Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa75. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0Nic.^I, 13 fin; Mor. \n\xc3\xa0 Eud., 11,6. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie ,11, 1 , etc. ; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, 4. \xe2\x80\x94 (6) Gr. \nMor.,. I, 4 init. ; Part, des anim., II, 10. \xe2\x80\x94 (7) Mor. \xc3\xa0 Nie., I, 7, 9, 13. \xe2\x80\x94 \n(8) Ibid., I, 9 fin. - (9) De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7\xc2\xa7 1 , 6 ; III, 9, \xc2\xa7 1 . \xe2\x80\x94 (10) Phys., \nI, G ; M\xc3\xa9taph., V, il. \xe2\x80\x94 (11) Mor. \xc3\xa0 Nie,, VI, 2, p. 1139, a; De l\'\xc3\xa2me, \nIII, 9, \xc2\xa71; Des songes, I, \xc2\xa7 1. \n\n\n\n182 DE LA PUISSANCE RAISONNABLE. \n\nDes deux parties de l\'\xc3\xa2me que nous avons distin- \ngu\xc3\xa9es, l\'une, \xc3\xaea partie raisonnable, est faite naturel- \nlement pour commander \xc3\xa0 l\'autre (1); elle en est \nm\xc3\xaame le but et la fin , comme l\'\xc3\xa2me est le bien et la \ncause finale du corps (2). Nous aurons \xc3\xa0 examiner si \n\xc3\xaea partie de l\'\xc3\xa2me qui est dou\xc3\xa9e de raison est s\xc3\xa9pa- \nrable de la partie irraisonnable , ou si elles sont ins\xc3\xa9- \nparables comme la partie concave et la partie convexe \nd\'une m\xc3\xaame circonf\xc3\xa9rence (3). Il est certain que le \nraisonnement, la pens\xc3\xa9e, la science et la prudence ne \nse rencontrent que chez un petit nombre d\'ani- \nmaux (4) et qu\'ils sont m\xc3\xaame le propre de l\'homme (5), \nsi bien qu\'un homme priv\xc3\xa9 de raison serait semblable \n\xc3\xa0 une plante (6); mais il est \xc3\xa9galement certain que le \nraisonnement ne se trouve chez aucun \xc3\xaatre mortel \nqui n\'ait en m\xc3\xaame temps toutes les autres parties \nde l\'\xc3\xa2me (7). L\'\xc3\xa2me pensante n\'est pas impun\xc3\xa9ment \nunie au corps; elle se ressent de ses mouvements (8). \nL\'esprit ne se d\xc3\xa9veloppe qu\'apr\xc3\xa8s le corps et la raison \napr\xc3\xa8s les habitudes (9). L\'esprit, comme le corps, a \nses moments de fatigue (1 0) ; il a m\xc3\xaame aussi sa \nvieillesse (14). Mais il conserve sa vigueur assez \ntard (1 2) , et de tous les actes de l\'\xc3\xa2me , le plus ind\xc3\xa9- \npendant des organes, c\'est la pens\xc3\xa9e (13). Si l\'\xc3\xa2me \n\n\n\n(1) Polit., T, 2, \xc2\xa710 ; 1,5, \xc2\xa7 5 ; IV, 12,\xc2\xa77.\xe2\x80\x94 (2) Gr. Mor., II, 10.\xe2\x80\x94 (3) Mor. \n\xc3\xa0Nic, I, I3med.; De l\'\xc3\xa0me, IJI, 4, \xc2\xa7 i.\xe2\x80\x94 (4)De l\'\xc3\xa2me, I, 5, \xc2\xa7 13; II, 3, \xc2\xa7 7 ; \nIII, 3, \xc2\xa73; Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 5. Cf. De l\'\xc3\xa0me, I, 2, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 \nNie., 1,7; Polit., IV, 12, \xc2\xa7 7; De l\'\xc3\xa0me, III, 3, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 8, 15; Part, des \nanim., 1,1, p. 641, h; Topiq., I, 7, \xc2\xa7 7 ; V, 1, \xc2\xa7 4; V, 3, 4, 5, pass.\xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9- \ntaph.,lV, 4, p. I006,a;p. 1008, b.\xe2\x80\x94 (7) De l\'\xc3\xa2me, II, 3, \xc2\xa7 7 ; III, 12, \xc2\xa74.\xe2\x80\x94 \n(8) Physiogn., I.\xe2\x80\x94 (9) Polit., V, 3, \xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (I0)lbid ,V, 4, \xc2\xa72.\xe2\x80\x94 (Il) Ibid.,II, \n6,\xc2\xa7 17.\xe2\x80\x94 (12) Rh\xc3\xa9t., Il , 14, p. 1390, b-; Polit., IV, 13, \xc2\xa7 23; ch. 14, \xc2\xa711.\xe2\x80\x94 \n(1.3) De l\'\xc3\xa2me, 1, 1, \xc2\xa7 9. \n\n\n\nDE LA PUISSANCE RAISONNABLE. 183 \n\ntout enti\xc3\xa8re ne survit pas au corps, on ne peut \ndouter du moins de l\'immortalit\xc3\xa9 de l\'entendement \npur actif et impassible (1). \n\n(1) M\xc3\xa9taph., XII, 3 fin; De l\'\xc3\xa2me, II, 2, \xc2\xa7 9; III, 4, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 5; III, 5, \n\xc2\xa7\xc2\xa71,2. \n\n\n\nCHAPITRE XIX. \n\nl\'intellect ou entendement pur (No\xc3\xbb\xc3\xa7). \n\nLes actes de nos diverses facult\xc3\xa9s sont ant\xc3\xa9rieurs \nen raison \xc3\xa0 ces m\xc3\xaames facult\xc3\xa9s (1). Donc, pour expli- \nquer la nature de l\'intellect ou entendement pur, il nous \nfaut dire pr\xc3\xa9alablement ce que c\'est que penser (2). \nD\'un autre c\xc3\xb4t\xc3\xa9, la pens\xc3\xa9e est relative \xc3\xa0 l\'intelligible \ncomme la sensation \xc3\xa0 l\'objet sensible (3) ; par cons\xc3\xa9- \nquent , pour comprendre ce que c\'est que penser, il \nfaut avoir d\xc3\xa9termin\xc3\xa9 ce qu\'est l\'intelligible, c\'est-\xc3\xa0-dire \nl\'objet auquel se rapporte la pens\xc3\xa9e (4) . \n\n\xc2\xa7 i- \n\nDes objets de l\'intellect (x\xc3\xa0 vo^t\xc3\xa2)\'. \n\nI/intel\xc3\xafect, facult\xc3\xa9 immat\xc3\xa9rielle de l\'intelligible (5) r \nfournit seul la connaissance des principes ind\xc3\xa9montra- \nbles de la science (6). Les principes et les causes (7) 7 \ncar toutes les causes sont des principes , tels sont donc \nles objets propres de l\'intellect (8).. \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, I, I, \xc2\xa76; M\xc3\xa9taph., IX,8.-(2) Ibid., II, 4, \xc2\xa7 1. Cf. 1, 1,\xc2\xa76~ \n\xe2\x80\x94(3) Ibid.,111, 8, \xc2\xa72; Part, des anim.,I, 1, p. 641, a, 1. 36; M\xc3\xa9taph., V, 15; \nTopiq M VI, 9, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (/\xc2\xbb) De l\'\xc3\xa2me, II, \xc3\xbb, \xc2\xa7 1. Cf. I, l, \xc2\xa7 7. -(5) Ibid., III, \n4, \xc2\xa7 12. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 6 pas?.; Gr. Mor., I, 35, p. 1197, 1. m \nsuiv. \xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., V, I.\xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI\xe2\x80\x9e6. \n\n\n\nde l\'entendement puk. 185 \n\nLes principes , tant des choses intelligibles que des \n\xc3\xaatres r\xc3\xa9els (1 ) , sont de deux sortes : il y a les principes \npropres et les principes communs (2). Les premiers \nsont les d\xc3\xa9finitions imm\xc3\xa9diates et ind\xc3\xa9montrables qui \nse rapportent exclusivement \xc3\xa0 l\'objet de chaque \nscience (3) , et comme il n\'y a qu\'une seule science \nqui traite d\'un genre unique (4) , il n\'y a aussi dans \nchaque genre qu\'une seule proposition premi\xc3\xa8re et \nind\xc3\xa9montrable (5) ; cette proposition ou th\xc3\xa8se est le \npoint de d\xc3\xa9part d\'une science ind\xc3\xa9pendante (6) . \n\nLes principes communs au contraire s\'appliquent \xc3\xa0 \ndivers objets , et sont employ\xc3\xa9s dans des sciences dif- \nf\xc3\xa9rentes. Telles sont les propositions suivantes : si de \ndeux choses \xc3\xa9gales on retranche une m\xc3\xaame quantit\xc3\xa9 , \nles restes sont \xc3\xa9gaux ; deux choses \xc3\xa9gales \xc3\xa0 une troi- \nsi\xc3\xa8me sont \xc3\xa9gales entre elles, etc. (7). De tels prin- \ncipes sont v\xc3\xa9ritablement universels : ce sont les axiomes \nde l\'\xc3\xaatre en tant qu\'\xc3\xaatre (8). Ils n\'appartiennent \xc3\xa0 \naucun genre en propre ; ils sont sup\xc3\xa9rieurs \xc3\xa0 toutes \nles sciences , quoique chacune en fasse un usage ap- \npropri\xc3\xa9 \xc3\xa0 son objet. Ils ne sont point les \xc3\xa9l\xc3\xa9ments de \nla d\xc3\xa9monstration : ils en sont la r\xc3\xa8gle et la loi (9). \n\nLe premier de tous les axiomes , l\'axiome par ex- \ncellence est le principe de contradiction , qui se for- \nmule ainsi : la m\xc3\xaame chose ne peut pas \xc3\xa0 la fois , dans \nle m\xc3\xaame temps et dans le m\xc3\xaame sens, \xc3\xaatre et n\'\xc3\xaatre \n\n\n\n(1) Gr. Mor., I. 35. \xe2\x80\x94 (2) Dern. Anal., I, 9, S l ; eh. 10, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., \n1, 32, \xc2\xa710; I, 33, \xc2\xa7 1 ; II, 3, \xc2\xa7 10. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., II, 3, \xc2\xa79. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., I, 32, \n\xc2\xa711. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., I, 10, \xc2\xa76, \xc2\xa77. \xe2\x80\x94 (7; Ibid., I, 9, pass.; ch. 10, \xc2\xa7 3 ; \ncM. 11, \xc2\xa7 2; M\xc3\xa9laph., IV, 3, p. 1005, a, b, ; XI , 5 pass.\xe2\x80\x94 (8) Ibid., IV, 3, \n1\xc2\xbb c. ; III, 2, p. 990, b. \xe2\x80\x94 (9) Ibid. ; Dern. Anal., I, 9, \xc2\xa7 1 suiv. \n\n\n\n186 de l\'entendement pur. \n\npas (I ) . Cette proposition, dont d\xc3\xa9pendent tous les au- \ntres axiomes , ne saurait \xc3\xaatre ni r\xc3\xa9fut\xc3\xa9e ni d\xc3\xa9montr\xc3\xa9e ; \nelle est ant\xc3\xa9rieure et sup\xc3\xa9rieure \xc3\xa0 toute d\xc3\xa9monstra- \ntion (2). Il y a plus : c\'est une conception n\xc3\xa9cessaire \nque tout \xc3\xaatre pensant poss\xc3\xa8de, qu\'aucun ne peut \nignorer; principe infaillible et condition indispen- \nsable de toute pens\xc3\xa9e , je veux dire de toute affirma- \ntion et de toute n\xc3\xa9gation de l\'\xc3\xaatre qui pense (3). En \nvertu de ce principe , toute affirmation , toute n\xc3\xa9gation \nest n\xc3\xa9cessairement vraie ou fausse (4) , et l\'esprit ne \nsaurait admettre de milieu entre l\'affirmation et la n\xc3\xa9- \ngation contraires (5). \n\nToute affirmation, toute n\xc3\xa9gation, en un mot toute \nproposition, imm\xc3\xa9diate ou non, principe ou non, peut \n\xc3\xaatre d\xc3\xa9compos\xc3\xa9e en termes indivisibles, que l\'esprit \nunit ou s\xc3\xa9pare de mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 former des propositions \no\xc3\xb9 se rencontre tant\xc3\xb4t la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 et tant\xc3\xb4t l\'erreur (6). \nOn ne pourrait rien savoir, toute connaissance serait \nimpossible , si l\'esprit ne rencontrait quelque chose \nde simple et d\'indivisible qui sert de point d\'arr\xc3\xaat \xc3\xa0 \nsa pens\xc3\xa9e (7) : et en tout il faut s\'arr\xc3\xaater, dvdyy.m \nGTYjwi (8). Il faut donc expliquer la nature de ces indi- \nvisibles, objets propres et premiers de la pens\xc3\xa9e \npure (9). \n\nL\'indivisible se prend en deux sens : il peut \xc3\xaatre tel \nen acte ou seulement en puissance. Si, par exemple, \nnous pensons une \xc3\xa9tendue sans y concevoir aucune \n\n\n\n(t) M\xc3\xa9taph., IV, 3; XI , 5.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., IV, 4 init. ; Part, des anim., 1, 1, \np. 639 suiv.\xe2\x80\x94 (3) M\xc3\xa9taph., IV, 3 ; Dern. Anal., I, 10, \xc2\xa7 7.\xe2\x80\x94 (4) Cat\xc3\xa9g. , IV, \n\xc2\xa73. \xe2\x80\x94 (5) Phys., V, 5. \xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9taph., VI, 3, pass.; De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \n\xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., H, 2. \xe2\x80\x94 (8) Ibid., XII , 3 ; Prem. Anal., I, 27, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, \n4. \xe2\x80\x94 (9) De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \xc2\xa77. \n\n\n\nde l\'entendement PUR. 187 \n\ndivision , c\'est r\xc3\xa9ellement un indivisible que nous pen- \nsons, et cela dans un temps indivisible; si, au contraire, \nnous concevons cette \xc3\xa9tendue comme divis\xc3\xa9e en deux \nparties \xc3\xa9gales, le temps pendant lequel nous la pense- \nrons pourra aussi \xc3\xaatre distingu\xc3\xa9 en deux moiti\xc3\xa9s (1 ) . \nLes qualit\xc3\xa9s des corps, m\xc3\xaame consid\xc3\xa9r\xc3\xa9es en des \nparties suppos\xc3\xa9es indivisibles , ne sont point intelli- \ngibles en soi , et l\'intellect ne con\xc3\xa7oit pas les objets \next\xc3\xa9rieurs sans le secours de la sensation, mais bien \navec elle (2). C\'est donc un accident pour les choses \nsensibles d\'\xc3\xaatre pens\xc3\xa9es (3). Au reste, il ne faut pas s\'y \ntromper : ce n\'est pas proprement l\'indivisible en \nquantit\xc3\xa9 qui est con\xc3\xa7u en un temps indivisible ; c\'est \nl\'indivisible en id\xc3\xa9e ou en esp\xc3\xa8ce. L\'esp\xc3\xa8ce et le genre, \nvoil\xc3\xa0 ce qui fait l\'unit\xc3\xa9 des objets de la pens\xc3\xa9e , et du \ntemps o\xc3\xb9 on les pense (4). Ces termes simples dont \nl\'existence et la conception sont ant\xc3\xa9rieures \xc3\xa0 toute \ncombinaison (5) , mais dont l\'esprit forme des propo- \nsitions (6), rentrent tous dans dix genres irr\xc3\xa9ducti- \nbles (7) comprenant tous les attributs que l\'enten- \ndement peut affirmer d\'un sujet ; ces genres supr\xc3\xaames \nou cat\xc3\xa9gories (8) de l\'\xc3\xaatre sont : l\'\xc3\xaatre proprement dit \nou la substance, la quantit\xc3\xa9, la qualit\xc3\xa9, la relation, le \nlieu, le temps , la situation , la possession , l\'action, la \npassion (9) . En dehors de la substance et des autres \n\n\n\n(l>De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \xc2\xa73.\xe2\x80\x94 (2) Del\xc3\xa0 sensat., VI, \xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (3)Phys.,V, 1 \nmed. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \xc2\xa7 i ; Mor. \xc3\xa0 Nie, V, 7 fin; M\xc3\xa9taph , X, 1, \np. 1052. \xe2\x80\x94 (6) Cat\xc3\xa9g, , IV, \xc2\xa7 3 : Kaz\xc3\xa0 [jnri8ep.(av aup/rc\'XoxYiv ^eyo\'^va^ \nM\xc3\xa9taph., VI, 4, p. 1027, a. \xe2\x80\x94 (6) De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9taph., V, \n7, 28. \xe2\x80\x94 (8) De l\'\xc3\xa2me, I, 1, \xc2\xa7 3; Cat\xc3\xa9g., VIII, \xc2\xa7 14; Dern. Anal., I, 22 v \n\xc2\xa71, \xc2\xa74; M\xc3\xa9taph., V, 7, p. 1017, a;X, 12; XI, p. 218 (Brandis); XIV\xc2\xbb \np. 296 (ibid.)- \xe2\x80\x94 (9) Cat\xc3\xa9g., IV, \xc2\xa7 i ; Topiq., I, 9, \xc2\xa7 2 ; Dern. Anal., \nI, 22, \xc2\xa76. \n\n\n\n188 \n\ncat\xc3\xa9gories , il n\'y a rien qui soit commun \xc3\xa0 tous les \n\xc3\xaatres (1 ). Ce sont l\xc3\xa0 toutes les acceptions de l\'\xc3\xaatre (2) , \ngenres supr\xc3\xaames dont on ne peut rien affirmer ni \nnier, mais qui se peuvent affirmer ou nier de toutes \nchoses (3) , points de vue essentiels en dehors des- \nquels rien n\'est intelligible (4). De ces dix cat\xc3\xa9gories, \nil y en a neuf qui n\'ont d\'existence r\xc3\xa9elle que dans un \nsujet diff\xc3\xa9rent d\'elles-m\xc3\xaames. Une seule existe par \nelle-m\xc3\xaame, celle que nous avons nomm\xc3\xa9e la premi\xc3\xa8re, \net c\'est celle-l\xc3\xa0 qui sert de sujet \xc3\xa0 toutes les autres. \nLa cat\xc3\xa9gorie de l\'\xc3\xaatre renferme donc toutes les sub- \nstances, dont toutes les qualit\xc3\xa9s, quantit\xc3\xa9s, rela- \ntions, etc., ne sont que les accidents (5). On le voit \ndonc : l\'esprit ne peut remonter sans fin de genre en \ngenre ; il rencontre toujours une limite o\xc3\xb9 il doit s\'ar- \nr\xc3\xaater (6). \n\nDe m\xc3\xaame que l\'\xc3\xaatre en tant qu\'\xc3\xaatre a ses genres \npremiers et irr\xc3\xa9ductibles , il a aussi ses causes pre- \nmi\xc3\xa8res et universelles (7) qui sont au nombre de \nquatre : d\'abord la mati\xc3\xa8re et la forme , \xc3\xa9l\xc3\xa9ments n\xc3\xa9- \ncessaires , principes internes de toute substance sen- \nsible; puis les deux principes externes qui expliquent \nle mouvement dans tout \xc3\xaatre qui se meut , \xc3\xa0 savoir le \nprincipe m\xc3\xaame du mouvement et la cause finale, c\'est- \n\xc3\xa0-dire le but o\xc3\xb9 il tend et o\xc3\xb9 il doit s\'arr\xc3\xaater (8). Ces \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9taph., XII, 4. \xe2\x80\x94 (2) \xc3\xafbid., IV, 7. \xe2\x80\x94 (3) Prem. Anal. , I, 27, \xc2\xa72; \nCat\xc3\xa9g., II, \xc2\xa7 2.- (4) M\xc3\xa9taph., IV, 6; XI, 12; Phys., V.\xe2\x80\x94 (5) Cat\xc3\xa9g., V, \xc2\xa7 5 ; \nM\xc3\xa9taph., VII, p. 128 (Brandis). Voyez M. Ravaisson , Essai sur la M\xc3\xa9taph. \nd\'Aristote, t. I , p. 357, 358. - (6) Prem. Anal., I, 27, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 4.\xe2\x80\x94 (7) M\xc3\xa9- \ntaph, V, 2, p. 1013, a. \xe2\x80\x94 (8) Ibid., 1,3, pass. ; V, 2; VIII, 4; Phys., \n11,3, p. 194, b; Dern. Anal., II, 11, \xc2\xa7 1; M\xc3\xa9taph,, V, 2, p. 1013, a, b; \nXII, 5, p. 1071, a. \n\n\n\nde l\'entendement PUR. 189 \n\npremiers principes sont \xc3\xa0 la fois le terme de la con- \nnaissance et des choses (I). Mais entre les causes, la \npremi\xc3\xa8re sans contredit est la cause finale (2). \n\nL\'\xc3\xaatre ne se r\xc3\xa9duit pas \xc3\xa0 ce qui est sensible (3) . S\'il \nn\'y avait que des objets sensibles, il n\'y aurait plus ni \nprincipe, ni ordre , ni harmonie (4) , en un mot il n\'y \naurait plus rien d\'intelligible: la sensation serait toute \nla science , ou plut\xc3\xb4t il n\'y aurait plus ni science ni \npens\xc3\xa9e (5) ; car ce qui se trouve dans les choses sen- \nsibles, c\'est l\'ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9 (6), et la pens\xc3\xa9e serait im- \npossible sans un objet un et d\xc3\xa9termin\xc3\xa9 (7). Mais il est \ndes \xc3\xaatres incorporels et non sensibles (8) , au-dessus \ndesquels nous concevons une substance immobile et \nimp\xc3\xa9rissable (9). \n\nIl y a donc des principes \xc3\xa9ternels et n\xc3\xa9cessaires et \npar cons\xc3\xa9quent sans contingence (1 0), sans mal, sans \np\xc3\xa9ch\xc3\xa9 ni destruction (41). \n\nCes principes \xc3\xa9tant causes de la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 de toutes les \nautres choses, et n\'ayant rien au-dessus d\'eux \xc3\xa0 quoi \nils empruntent leur v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 , sont n\xc3\xa9cessairement eux- \nm\xc3\xaames l\'\xc3\xa9ternelle v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 (12). Aussi est-ce par eux que \nnous connaissons tout le reste (13). Ghaque principe \nest \xc3\xa9vident de soi-m\xc3\xaame , et tous les arts emploient \nles principes comme bien connus (1 4). \n\nDans l\'ordre de l\'intelligible , l\'essence tient le pre- \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9taph., V, 17.\xe2\x80\x94 (2) Dern.Anal., I, 24, \xc2\xa7 8, Part, des anim., I, \n1. \xe2\x80\x94 (3) M\xc3\xa9taph., 1,8, p. 989, a; IV, 3, p. 1004, a.\xe2\x80\x94 (4) Ibid., XII, 10. \n\xe2\x80\x94(5) Ibid , III, 4. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., IV, 5, p. 1010, a.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., IV, 4, p. 1006, \nb; p. 1008, b; p. 1009, a \xe2\x80\x94 (8) Ibid-, 1 , 1, pass. ; III, 1 p. 995, b; III, 2, \np.997,b.\xe2\x80\x94 (9) Ibid., IV, 5, p. 1009, a, fin. - (10) Ibid., IX, 8, p. 1050, b.\xe2\x80\x94 \n(11) Ibid., IX, 9. \xe2\x80\x94 (12) Ibid., II, 1, p. 993, b. \xe2\x80\x94 (13) Ibid., I, 2, p. 982, b. \n\xe2\x80\x94 (lu) Ibid., III, 2, p. 997, a. \n\n\n\n190 de l\'entendement pur. \n\nmier rang , et entre les essences la premi\xc3\xa8re est l\'es- \nsence simple et actuelle (1 ). Le principe par excellence \nest le premier moteur irnmobile, acte pur et ind\xc3\xa9- \npendant, s\xc3\xa9par\xc3\xa9, \xc3\xa9ternel (2), bien supr\xc3\xaame de tout \nce qui est , but de nos actions , de nos v\xc5\x93ux , de nos \nrecherches (3) , premier d\xc3\xa9sirable et premier intelli- \ngible (4) : car c\'est le propre de la Divinit\xc3\xa9 d\'\xc3\xaatre in- \ntelligible (5). \n\nEnfin la pens\xc3\xa9e en acte , lorsqu\'elle est devenue \nidentique \xc3\xa0 son objet, est elle-m\xc3\xaame un objet d\'intel- \nlection pure (6). Que l\'intellect soit intelligible de \nsoi-m\xc3\xaame comme tout autre intelligible , ou qu\'il le \nsoit par la vertu de quelque autre chose (7) , il est cer- \ntain qu\'il se pense lui-m\xc3\xaame (8) , et il serait impos- \nsible de dire pourquoi l\'\xc3\xa2me ne pourrait pas se con- \nna\xc3\xaetre elle-m\xc3\xaame (9). \n\nLes principes et les causes sont en puissance ou en \nacte (10). \n\nEn acte, les principes sont s\xc3\xa9par\xc3\xa9s et existent en \nsoi \xc3\xa9ternellement (1 1). L\'intelligible proprement dit est \ndonc sans aucune mati\xc3\xa8re (1 2). Mais en puissance, les \nprincipes sont dans les faits m\xc3\xaames (1 3) , et les intel- \nligibles sont dans les choses mat\xc3\xa9rielles (1 4). Les gran- \ndeurs sensibles ne deviennent des objets d\'intellection \nque par le moyen de quelque chose qui est en eux et \n\n\n\n(1) M\xc3\xa9taph., XII, 7. - (2) Ibid., IV, 5, p. 1010, a; 8, lin; VII, 17; \n\nXI, 2, 7 ; XII , 1, 6 suiv. \xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie. ,1,1, pass. \xe2\x80\x94 (4) M\xc3\xa9taph.. \n\nXII, 7. \xe2\x80\x94 (.s) Topiq., V, 6, \xc2\xa7 12. - (G) De l\'\xc3\xa2me, III , h, \xc2\xa7 G. - (7) Ibid., \nIII, 4, \xc2\xa710.\xe2\x80\x94 (8) Ibid., \xc2\xa76.\xe2\x80\x94 (9) Topiq., IV, 4, \xc2\xa7 14. \xe2\x80\x94(10) M\xc3\xa9taph., V, \n2. Cf. 111,6, p. 1003, a.\xe2\x80\x94 (il) M\xc3\xa9taph., VI, I, p. 1026, a; XI, 2, p. 1060, a. \n\xe2\x80\x94 (12) De l\'\xc3\xa2me, III, 6, \xc2\xa77 fin.- (13) Mor. \xc3\xa0 Nie., I, 2, p. 1095, a, b. - \n(14) De l\'\xc3\xa2me, III, 4,\xc2\xa7 12. \n\n\n\nDE L\'ENTENDEMENT PUR\xc2\xbb 191 \n\nqui leur donne de l\'unit\xc3\xa9 (I). Comme d\'ailleurs , \xc3\xa0 ce \nqu\'il semble, il n\'y a rien en dehors des grandeurs \nsensibles qui en soit absolument s\xc3\xa9par\xc3\xa9 ; c\'est donc \ndans les formes mat\xc3\xa9rielles que r\xc3\xa9sident premi\xc3\xa8re- \nment les intelligibles, les choses dites abstraites, et \ntout ce qui appartient aux objets sensibles comme ha- \nbitude ou comme modification^). En effet, s\'il est vrai \nque la pens\xc3\xa9e n\'atteigne son objet propre, c\'est-\xc3\xa0-dire \nles principes et les causes , que par le moyen de l\'uni- \nversel, comme l\'universel n\'exprime que les modes \nou les attributs des individus et n\'a point en dehors \ndes individus une existence s\xc3\xa9par\xc3\xa9e (3) , il faut bien \nreconna\xc3\xaetre que les intelligibles sont en puissance dans \nles choses mat\xc3\xa9rielles. \n\nVoyons donc comment des impressions et des \nimages qui demeurent dans l\'\xc3\xa2me apr\xc3\xa8s la sensation , \nl\'esprit passe \xc3\xa0 la conception actuelle des principes. \nEn d\'autres termes , apr\xc3\xa8s avoir dit ce qu\'est l\'in- \ntelligible, disons ce qu\'est la pens\xc3\xa9e. \n\n\xc2\xa72. \n\nDe la pens\xc3\xa9e ou intellection (vo\'tici\xc3\xa7). \n\nLa science, comme la sensation, se divise d\'apr\xc3\xa8s \nses objets : la science en puissance se rapporte aux \nobjets qui ne sont qu\'en puissance ; \xc3\xa0 ceux qui sont \nen acte correspond une science actuelle (4). La pens\xc3\xa9e \nest donc, comme l\'intelligible auquel elle se rapporte, \n\n\n\n(1) De lame, III, 6, \xc2\xa74. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., 111,8, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (3) Metaph.,1, 7; VII, \n10, 13, 16 init. ; IX, 7 ; XI, 1, 2; XIII, pass. ; R\xc3\xa9fut. des soph., XXII, \xc2\xa717. \n\xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa0me, III, 8, \xc2\xa72. \n\n\n\n192 de l\'entendement pur. \n\ntant\xc3\xb4t en puissance et tant\xc3\xb4t en acte. Aussi ce mot de \npens\xc3\xa9e est-il employ\xc3\xa9 pour d\xc3\xa9signer deux actes bien \ndiff\xc3\xa9rents : l\'un, l\'imagination, portant sur les images \nqui demeurent dans l\'\xc3\xa2me apr\xc3\xa8s la perception des \nobjets sensibles (1); l\'autre, la conception, compre- \nnant la science, l\'opinion vraie, la prudence et leurs \ncontraires (2) . C\'est sans doute \xc3\xa0 cause des rapports \nqui les unissent , que la fantaisie et la pens\xc3\xa9e propre- \nment dite sont ainsi assimil\xc3\xa9es. Nous avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 fait \nvoir combien ces deux actes diff\xc3\xa8rent entre eux (3) : \nnous n\'avons pas \xc3\xa0 y revenir; mais sans l\'imagination \nil n\'y aurait point de conception (4) , et c\'est ce que \nnous allons montrer. L\'imagination, d\'ailleurs, r\xc3\xa9sulte \ntant\xc3\xb4t de la sensation et tant\xc3\xb4t de la pens\xc3\xa9e (5) . \n\nC\'est avec raison qu\'on a dit de l\'\xc3\xa2me qu\'elle \xc3\xa9tait \nle lieu des id\xc3\xa9es et des formes : mais cela n\'est par- \nfaitement vrai que de l\'\xc3\xa2me pensante , et encore faut- \nil bien comprendre qu\'elle n\'est les id\xc3\xa9es qu\'en puis- \nsance , tant qu\'elle ne les pense pas en effet (6). Pour \nles penser, c\'est-\xc3\xa0-dire pour passer de la puissance \xc3\xa0 \nl\'acte , il faut qu\'elle subisse quelque impression de \nl\'objet con\xc3\xa7u. La pens\xc3\xa9e consiste, comme la sensa- \ntion , \xc3\xa0 p\xc3\xa2tir en quelque fa\xc3\xa7on et \xc3\xa0 recevoir l\'id\xc3\xa9e ou \nla forme de la chose \xc3\xa0 laquelle elle se rapporte : elle \nest du moins quelque chose de tel (7). Et voil\xc3\xa0 sans \n\n\n\n(l) Le nombre des passages o\xc3\xb9 v\xc3\xb4-r\\au, est pris dans le sens de cpavxaa\xc3\x89a est \nincalculable. En voici quelques-uns qui sont d\xc3\xa9cisifs : De l\'\xc3\xa2me, III, 3, \xc2\xa7 5; \nPhys., III , 7 (vcnr/cov appliqu\xc3\xa9 \xc3\xa0 un corps) ; Phys., III, 13 ; Du ciel, I, 7. \xe2\x80\x94 \n(2) De P\xc3\xa2me, III, 3, pass., surtout \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94(3) Voyez plus haut, p. 98. \xe2\x80\x94 \n(\xc3\xbb) De l\'\xc3\xa2me, III , 3, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 (5) Mouv. commun des anim., VIII, \xc2\xa7 4. \xe2\x80\x94 \n(6) De l\'\xc3\xa2me, III, \xc3\xbb, \xc2\xa7 4.\xe2\x80\x94 (7) Ibid., III, 2, \xc2\xa7 14 ; III, 4, \xc2\xa7\xc2\xa7 2, 3, 9- Cf. I, \n5, \xc2\xa78. \n\n\n\nDE l\'entendement PUR. 193 \n\ndoute pourquoi les anciens ont pu croire et affirmer \nque penser et sentir sont la m\xc3\xaame chose :* car dans \nl\'un et l\'autre de ces actes l\'\xc3\xa2me discerne et conna\xc3\xaet \nquelque chose (1). Mais ils supposent \xc3\xa0 tort que la \npens\xc3\xa9e est un acte corporel comme la sensation (2). \n\nChaque intelligible, avons-nous dit, est en puis- \nsance dans les choses mat\xc3\xa9rielles. Or la chose mat\xc3\xa9- \nrielle n\'est point elle-m\xc3\xaame dans l\'\xc3\xa2me , mais seule- \nment son image ou son id\xc3\xa9e (3) , qui du reste se \ncomporte dans l\'\xc3\xa2me comme la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 elle-m\xc3\xaame (4). \nL\'intelligible est donc en puissance dans l\'id\xc3\xa9e sen- \nsible, dans l\'image ou repr\xc3\xa9sentation que produit la \nfantaisie et que relient la m\xc3\xa9moire. La pens\xc3\xa9e \xc3\xa0 son \ntour est en puissance dans l\'acte de l\'imagination. En \neffet , il est certain que nous ne pensons les id\xc3\xa9es ou \nformes des choses que dans leurs images. Les images \nsont pour la pens\xc3\xa9e comme des objets de perception , \net jouent le m\xc3\xaame r\xc3\xb4le dans la connaissance ration- \nnelle que les objets ext\xc3\xa9rieurs dans la connaissance \nsensible (5) : elles n\'en diff\xc3\xa8rent qu\'en ce qu\'elles \nn\'ont point de mati\xc3\xa8re (6). \n\nDisons d\'abord comment l\'esprit con\xc3\xa7oit l\'uni- \nversel ; car l\'universel est le point de d\xc3\xa9part de la \nscience : c\'est lui qui fait conna\xc3\xaetre les principes, et au \npoint de vue de la connaissance sensible , il est plus \nnotoire que les principes (7). De m\xc3\xaame que la sensation \npart de l\'individuel , la pens\xc3\xa9e a l\'universel pour pre- \nmier objet (8) . J\'entends par universel ce qui par sa \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me , III, 3, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., III , 3, \xc2\xa7 2.\xe2\x80\x94 (3) lbid., 1, 5, \xc2\xa7 6 ; \nIII, 8, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (4) Mouv. commun des anim., VII , \xc2\xa7 9 \xe2\x80\x94 (5) De l\'\xc3\xa2me, \nIII, 7, \xc2\xa73; ch. 8,\xc2\xa7 3.\xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 8, \xc2\xa7 3. - (7) Dern. Anal., I, 31, \n$6; II, 19,pass. ;Phys , I, 1. \xe2\x80\x94 (s) Mctaph., V, il, p. 1018, b. \n\n13 \n\n\n\n194 de l\'entendement pur. \n\nnature peut \xc3\xaatre attribu\xc3\xa9 \xc3\xa0 plusieurs , et par indivi- \nduel ce qui ne le peut pas (1). Or l\'universel n\'est \nque la mati\xc3\xa8re des principes con\xc3\xa7us par l\'entende- \nment. En effet, le genre est ce par quoi sont iden- \ntiques deux choses qui diff\xc3\xa8rent quant \xc3\xa0 l\'essence (2). \nLes genres sont, si l\'on veut , les principes des esp\xc3\xa8ces \net des d\xc3\xa9finitions (3) , mais seulement comme ma- \nti\xc3\xa8re (4) : car l\'universel est essentiellement ind\xc3\xa9ter- \nmin\xc3\xa9 (5) ; il ne d\xc3\xa9signe que la mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre des \nobjets , et non point ce qu\'ils sont (6). L\'essence dit \nseule ce qu\'est proprement un \xc3\xaatre (7) , et la diff\xc3\xa9- \nrence a l\'ant\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 d\'\xc3\xaatre par rapport au genre (8). \nL\'essence \xc3\xa9tant retranch\xc3\xa9e, il ne reste plus que le \ngenre et la mati\xc3\xa8re ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9e (9). \n\nOn comprend maintenant de quelle mani\xc3\xa8re et \ndans quel sens l\'individuel est d\'\xc3\xa9vidence sensible et \nl\'universel d\'\xc3\xa9vidence rationnelle (10). La sensation, \nil est vrai , a pour objet propre l\'individuel , et non \nl\'universel (11). Mais en m\xc3\xaame temps qu\'elle per\xc3\xa7oit \nle particulier et l\'individuel , elle porte aussi par ac- \ncident sur le g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et l\'universel (1 2) , puisque le \ngenre n\'existe point v\xc3\xa9ritablement hors des indi- \nvidus (1 3) , et que par cons\xc3\xa9quent cette couleur par- \nticuli\xc3\xa8re que j\'aper\xc3\xa7ois est en m\xc3\xaame temps une cou- \nleur en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral (14). La question est donc uniquement \n\n\n\n(1) Herm\xc3\xa9n. , VII , \xc2\xa7 \xc3\xaf ; Prem. Anal., I, 27, \xc2\xa7\xc2\xa72, 3. \xe2\x80\x94(2) M\xc3\xa9taph., \nX, 3. - (3) Ibid., III, 3 init. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., VIII, 3, p. 1043, b. \xe2\x80\x94 \n(5) Ibid., XIII, 10. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., III, 0, p. 1003, a. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., III, 6; \nIV, 4; VII, 4, pass.;ch. 6, 14. \xe2\x80\x94 (8) Ibid., VII, 15.\xe2\x80\x94 (9) Ibid., VIII, 3. \n\xe2\x80\x94 (10)Phys., I, 6.\xe2\x80\x94 (ll)Dern. Anal., 1,18, \xc2\xa7 1 ; ch. 31, \xc2\xa7 l suiv. ; M\xc3\xa9taph., \nVII, \xc2\xa7 10; p. 1036, a. \xe2\x80\x94 (12) Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (13) M\xc3\xa9taph., \nVU, 10, 16; R\xc3\xa9fut. des soph., XXII, \xc2\xa7 17. \xe2\x80\x94 (lu) M\xc3\xa9taph., XIH, 10. \n\n\n\nde l\'entendement PUR. 195 \n\nde savoir comment nous pouvons penser comme s\xc3\xa9- \npar\xc3\xa9 de toute mati\xc3\xa8re ce qui en r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 n\'en est point \ns\xc3\xa9par\xc3\xa9 , tandis que nous le pensons (1 ) - \n\nTous les animaux sans exception ont en com- \nmun la sensibilit\xc3\xa9 , puissance inn\xc3\xa9e de conna\xc3\xaetre , \nau/xcpvrov xptrr/^v(2).Maisles uns sont r\xc3\xa9duits \xc3\xa0 la sen- \nsation , tandis que chez d\'autres la persistance de \nl\'impression sensible rend possible une connaissance \nd\'un degr\xc3\xa9 plus \xc3\xa9lev\xc3\xa9 (3). En effet , d\xc3\xa8s qu\'on est ca- \npable de conserver dans l\'\xc3\xa2me quelque chose de la \nsensation, \xc3\xa0 savoir l\'impression sensible (4) , qui \ndevient une image ou une repr\xc3\xa9sentation de la fan- \ntaisie (5) et par suite un objet de m\xc3\xa9moire (6), quand \nil s\'est produit ainsi un certain nombre de sensa- \ntions, d\'impressions sensibles et de souvenirs , il arrive \nque nous en discernons l\'\xc3\xa9l\xc3\xa9ment diff\xc3\xa9rentiel : or c\'est \nla notion de ces diff\xc3\xa9rences qui donne naissance \xc3\xa0 la \nraison, Xoyo\xc3\xa7 (7) , quand plusieurs souvenirs se sont \nfondus en une seule exp\xc3\xa9rience (8) par Taperception \ndu tout qui embrasse dans son unit\xc3\xa9 et la multitude \ndes individus et leurs diff\xc3\xa9rences (9). Ce tout, cet \nensemble (1 0) , qui n\'est pas un en nombre , mais qui \n\xc3\xa9tant le m\xc3\xaame chez tous les individus et par con- \ns\xc3\xa9quent sans diff\xc3\xa9rence (1 1 ;, a l\'unit\xc3\xa9 de la notion (1 2), \nce tout, dis-je , n\'est autre chose que l\'universel (4 3). \n\n\n\n(I) De l\'\xc3\xa2me, III, T, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (2) Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (3) Ibid. \xe2\x80\x94 \n(4) M\xc3\xa9taph., I, 7 ; VII, 10, 15. \xe2\x80\x94 (5) Des songes, II, pass. \xe2\x80\x94 (6) De la \nm\xc3\xa9m., I, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (7) Dern. Anal., II, 19, \xc2\xa7 5. Cf. De la sensat., I, \xc2\xa7 9 : \n\xc2\xab Les sens ext\xc3\xa9rieurs donnent de nombreuses diff\xc3\xa9rences, dont se forme la \n \nl\'intellect patient (6). Mais \xc3\xa0 c\xc3\xb4t\xc3\xa9, ou m\xc3\xaame au-des- \nsus de ces puissances primitives de l\'\xc3\xa2me , il faut \nplacer les habitudes, que nous produisons nous-m\xc3\xaames \n\n\n\n(1) Voyez plus haut , eh. II , p. SO suiv. \xe2\x80\x94 (2) \xc3\x89\'\xc3\x87t\xc3\xa7 Ixepoc tp\xc3\xb9ai\xc3\xa7. \xc3\x8afo et \nnon pas \xc3\xabOo\xc3\xa7.\xe2\x80\x94 (3) De l\'\xc3\xa2me, Il , 5, \xc2\xa7 5 fin. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie., II , 1 , p. 1 10?, \na, 1. 26. (5) E\xc3\xb9{jL) Probl., \nXXX, 5, p. 955, b, 1.26. \n\n\n\n2A8 DES HABITUDES DE L\'AME. \n\npar l\'exercice. Telle est la science, dont nous avons \nd\xc3\xa9j\xc3\xa0 parl\xc3\xa9, et qui n\'est qu\'une habitude de d\xc3\xa9mons- \ntration; tels sont les arts (I): tel est en quelque \nfa\xc3\xa7on l\'intellect agent lui-m\xc3\xaame (2) ; tels sont enfin les \nvertus et les vices : car toute habitude para\xc3\xaet \xc3\xaatre \nun objet d\'\xc3\xa9loge ou de bl\xc3\xa2me, un vice ou une \nvertu (3). \n\nC\'est une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 d\'exp\xc3\xa9rience journali\xc3\xa8re , que la \nr\xc3\xa9p\xc3\xa9tition fr\xc3\xa9quente de certains actes produit une ma- \nni\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre conforme \xc3\xa0 ces actes eux-m\xc3\xaames; et c\'est \nen vue de ce r\xc3\xa9sultat que ceux qui s\'adonnent \xc3\xa0 un \nexercice quelconque le pratiquent sans cesse (4). En \neffet, par cela seul que nous avons fait une m\xc3\xaame \nchose plusieurs fois , il arrive que nous nous y accou- \ntumons de telle sorte , que nous la faisons de nous- \nm\xc3\xaames et avec plaisir. J\'appelle coutume ou accoutu- \nmance (\xc3\xafBoz) le principe en vertu duquel nous prenons \nplaisir \xc3\xa0 faire certains actes par cela seul que nous les \navons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 faits souvent. C\'est une mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre qui \na pass\xc3\xa9 pour ainsi dire en nature; car il n\'y a rien \nqui ressemble plus \xc3\xa0 ce qui se fait toujours que ce qui \nse fait souvent (5). Au reste la coutume , en succ\xc3\xa9- \ndant \xc3\xa0 la d\xc3\xa9lib\xc3\xa9ration et au choix , leur substitue une \naction irr\xc3\xa9fl\xc3\xa9chie ; et c\'est ainsi qu\'apr\xc3\xa8s avoir d\xc3\xa9bit\xc3\xa9 \ncertains vers ou certaines paroles avec intention et \npar suite d\'un choix, il nous arrive de les r\xc3\xa9p\xc3\xa9ter \nplus tard sans intention (6). \n\n\n\n(i) Probl., XXX, 5. - (2) De l\'ame, III, 5, \xc2\xa7 1. \xe2\x80\x94 (3) Phys., VII, 3, \np. 240, a; Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 2; Rh\xc3\xa9t., II, 12 init. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 7, \np. 1114, a, 1.7 suiv. \xe2\x80\x94 (5) Rh\xc3\xa9t, I, 10, 11, pass.; De lam\xc3\xa9m., II, \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 \n(0 Probl., XI, 27; De la m\xc3\xa9m., 11 , \xc2\xa7 18. \n\n\n\nDES HABITUDES DE l\'\xc3\xa0ME. 249 \n\nTant que l\'accoutumance n\'est point port\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'ex- \nc\xc3\xa8s, de mani\xc3\xa8re \xc3\xa0 causer quelque d\xc3\xa9go\xc3\xbbt (I), elle est \nessentiellement agr\xc3\xa9able , et nous fait trouver du \nplaisir jusque dans des choses qui , avant qu\'on y fut \naccoutum\xc3\xa9, n\'avaient aucun attrait (2). Tant\xc3\xb4t elle \naccro\xc3\xaet les jouissances naturelles (3) , et tant\xc3\xb4t elle en \nprocure qui n\'\xc3\xa9taient point dans la nature ou qui m\xc3\xaame \nla contredisent (4). \n\nLa coutume a sur nous un tel empire qu\'elle peut \nchanger notre opinion sur l\'honn\xc3\xaate et sur le de- \nvoir (5). C\'est elle qui fonde les m\xc5\x93urs et leur donne \nl\'accroissement , et le mot y;0o\xc3\xa7 , par lequel nous d\xc3\xa9si- \ngnons le caract\xc3\xa8re et les m\xc5\x93urs , est \xc3\xa9videmment d\xc3\xa9- \nriv\xc3\xa9 d\'eOo: (6). \n\nA proprement parler, les m\xc5\x93urs ne sont que des \ncoutumes (7) relatives au plaisir et \xc3\xa0 la peine , ou \xc3\xa0 \nl\'usage que nous en faisons (8). Les m\xc5\x93urs, qui consti- \ntuent le caract\xc3\xa8re distinctit de chaque homme (9), d\xc3\xa9- \npendent avant tout de l\'\xc3\xa9ducation (1 0), et varient sui- \nvant les passions, les \xc3\xa2ges et les fortunes , et surtout \nsuivant les habitudes contract\xc3\xa9es , c\'est-\xc3\xa0-dire suivant \nles vertus et les vices (11). \n\nLes passions dont j\'entends parler ici , sont la co- \nl\xc3\xa8re, le d\xc3\xa9sir et tous ces autres mouvements de l\'\xc3\xa2me \nqui d\xc3\xa9pendent de la sensibilit\xc3\xa9 et se rapportent au \nplaisir et \xc3\xa0 la peine (12). Quand on conna\xc3\xaet la nature \n\n\n\n(l) Rh\xc3\xa9t., I, 11, p. 1371, a, 1. %(> suiv. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., I, 10 et ll.pass. \xe2\x80\x94 \n(3) Hisl. des anim., VII, l med. ; Probl., XIX, 41.\xe2\x80\x94 (4) De la sei.sat., \nV, \xc2\xa7 7. \xe2\x80\x94 (5) G\xc3\xa9n. et corr.,, I, 8. \xe2\x80\x94 (6) Mon. \xc3\xa0 Eud., II, 2 ; Gr. Mor. 1,0; \nMor. \xc3\xa0 Nie, 11, l. \xe2\x80\x94 (7) Gr. Mor., 1, G. \xe2\x80\x94 (8) Phys., VII, 3, 1. c. \xe2\x80\x94 \n(9) Po\xc3\xa8t., V, \xc2\xa7 6. \xe2\x80\x94 (10) Mor. \xc3\xa0 Eud., 1, 6.\xe2\x80\x94 fil) Rh\xc3\xa9t., Il, 12, init. - \n(12) Ibid. Voyez plus haut, ch. XVI, p. 103 suiv. \n\n\n\n250 DES HABITUDES DE \n\n\n\nAME. \n\n\n\net les effets de ces diverses passions , on con\xc3\xa7oit ai - \ns\xc3\xa8ment la diff\xc3\xa9rence des m\xc5\x93urs auxquelles elles \ndonnent naissance. La col\xc3\xa8re a ses allures , qui ne \nsont point celles du d\xc3\xa9sir, et chaque passion porte \nceux qui en sont anim\xc3\xa9s \xc3\xa0 certains actes qui les ca- \nract\xc3\xa9risent et les distinguent les uns des autres (1). \n\nLes m\xc5\x93urs diff\xc3\xa8rent encore suivant les \xc3\xa2ges , qui \nsont la jeunesse , la vieillesse et l\'\xc3\xa2ge m\xc3\xbbr. Les traits \ndistinctifs de la jeunesse sont surtout d\'aimer le plaisir, \nl\'honneur et la victoire , de n\'observer aucune mesure \nsoit dans ses d\xc3\xa9sirs soit dans ses affections, de se \nconduire d\'apr\xc3\xa8s les notions morales plut\xc3\xb4t que par \nle raisonnement qui va toujours au profit , ou du \nmoins \xc3\xa0 l\'utile, de s\'apitoyer facilement, et d\'avoir \nbonne opinion de tout le monde (2). Les vieillards \nau contraire n\'ont plus l\'assurance de la jeunesse : \nils sont soup\xc3\xa7onneux et d\xc3\xa9fiants , born\xc3\xa9s dans leurs \nd\xc3\xa9sirs , froids dans leurs affections , avares et \xc3\xa9go\xc3\xafstes, \nvivant par leurs souvenirs plus que par l\'esp\xc3\xa9- \nrance (3). L\'\xc3\xa2ge m\xc3\xbbr tient ordinairement le milieu \nentre ces exc\xc3\xa8s : l\'homme fait est exempt d\'avarice \net de prodigalit\xc3\xa9 ; son courage ne manque point de \nmod\xc3\xa9ration , et sa mod\xc3\xa9ration n\'est point de la timi- \ndit\xc3\xa9 ; il consulte \xc3\xa0 la fois l\'honn\xc3\xaate et l\'utile , et ne \nsacrifie ni l\'un ni l\'autre. Au reste , le corps est dans \ntoute sa vigueur depuis trente ans jusqu\'\xc3\xa0 trente-cinq , \nl\'esprit jusqu\'\xc3\xa0 quarante-neuf (4). \n\n\n\n(l) Rh\xc3\xa9t. , liv. II , pass. Les 1 1 premiers chapitres de ce livre donnent \xc3\xa0 \nce sujet des d\xc3\xa9tails du plus grand int\xc3\xa9r\xc3\xaat, mais que nous ne pouvons re- \nproduire ici. \xe2\x80\x94 (2) Rh\xc3\xa9L, II, 12, pass. \xe2\x80\x94(3) Ibid., en. 13, pass. \xe2\x80\x94(4) Ibid., \neh. 14. rass. \n\n\n\nDES HABITUDES DE l\'\xc3\xa0ME. 251 \n\nLa diff\xc3\xa9rence des fortunes, sous le rapport de la \nnaissance , de la puissance et de la richesse , se tra- \nduit aussi par une diff\xc3\xa9rence dans les caract\xc3\xa8res. \nAutre est le caract\xc3\xa8re du noble ou de l\'homme puis- \nsant , autre celui du roturier ou de l\'homme qui n\'a \nni pouvoir ni cr\xc3\xa9dit (1 ). Surtout comment ne pas \nremarquer l\'opposition si tranch\xc3\xa9e des m\xc5\x93urs du \npauvre envieux et m\xc3\xa9content , et du riche dont le ca- \nract\xc3\xa8re insolent et fantasque tient \xc3\xa0 la fois de la folie \net du bonheur (2) ? \n\nEnfin les m\xc5\x93urs sont utiles ou nuisibles , bonnes \nou mauvaises , et c\'est l\xc3\xa0 leur diff\xc3\xa9rence essentielle \npar rapport \xc3\xa0 nos habitudes (3). \n\nLes habitudes se contractent , comme nous l\'avons \nvu , par un exercice ant\xc3\xa9rieur, et chaque habitude \nse rapporte \xc3\xa0 un certain genre d\'actes , dont la cou- \ntume nous a rendu l\'ex\xc3\xa9cution plus facile (4). Or il \nfaut bien comprendre que cette qualit\xc3\xa9 ne s\'acquiert \npoint par voie de g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration. Il y a g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration de \nl\'homme par l\'exemple , mais non du musicien ; car \nen devenant musicien , l\'homme reste le m\xc3\xaame : il y a \ntout au plus une alt\xc3\xa9ration , un \xc3\xa9tat de sant\xc3\xa9 ou de \nmaladie. C\'est ainsi qu\'un m\xc3\xaame corps est tant\xc3\xb4t sain \net tant\xc3\xb4t malade , et qu\'un m\xc3\xaame airain est rude ou \npoli (5). Quand un homme qui a la science sort du \nsommeil , de l\'ivresse ou de la maladie , pour revenir \n\xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat contraire , nous ne disons pas qu\'il est rede- \nvenu savant , et pourtant il n\'\xc3\xa9tait pas capable tout \n\n\n\n(l) Rhct., Il, 12 init. -, 15, 17, pass. \xe2\x80\x94 (2) lbid. , th. 1(5, pass. ; Polit., \nVIII, \xc2\xa7 2. \xe2\x80\x94 (;i) Rh\xc3\xa9t., I, 10, p. i3G9, a. \xe2\x80\x94 (\'\xc2\xbb) M\xc3\xabLaph., IX, 5 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, \n111, 7, p. 1U4, a; 113, l fin, etc. \xe2\x80\x94 (h) G\xc3\xa9n. et co\xc3\xaft,, I, 4. \n\n\n\n252 DES HABITUDES DE L\'AME. \n\n\xc3\xa0 l\'heure de se servir de sa science. Eh bien , nous \nne devons m\xc3\xaame pas dire qu\'il devient savant , lors- \nqu\'il acquiert pour la premi\xc3\xa8re fois cette habitude ; \ncar pour que la prudence et la science se produisent \ndans l\'\xc3\xa2me , il suffit qu\'elle soit en repos par l\'effet de \nla vertu morale (1 ). Bien plus, on ne doit consid\xc3\xa9rer \ncomme des alt\xc3\xa9rations ni les habitudes elles-m\xc3\xaames , \nni la perte ni l\'acquisition des habitudes , soit du \ncorps , soit de l\'\xc3\xa2me (2). En effet , toute habitude \nest une vertu ou un vice ; or ni la vertu ni le vice ne \nsont des alt\xc3\xa9rations pour ceux qui les contractent , \nmais l\'une est le perfectionnement et l\'ach\xc3\xa8vement de \nla nature , l\'autre est une simple absence de cette \nperfection (3). \n\nComme nous ne traitons ici que des habitudes de \nl\'\xc3\xa2me , nous n\'avons aussi \xc3\xa0 nous occuper que de la \nvertu qui est dans l\'\xc3\xa2me (4) , c\'est-\xc3\xa0-dire de celle qui \nest le principe du bien-vivre (5), juste sujet d\'\xc3\xa9loge \ncomme le vice est un juste sujet de bl\xc3\xa2me (6), parce \nque l\'un et l\'autre sont choses volontaires , d\xc3\xa9pendant \nde nous et de notre choix (7) . \n\nEntre les vertus , les unes sont dites intellectuelles, \ncomme la sagesse et la prudence, et se rapportent \xc3\xa0 \nla partie raisonnable ; les autres sont morales , comme \nla temp\xc3\xa9rance et la lib\xc3\xa9ralit\xc3\xa9 , et d\xc3\xa9pendent de la \npartie irraisonnable de l\'\xc3\xa2me (8). Ces derni\xc3\xa8res por- \n\n\n\n(l)Phys., VII, 3, p,247, b, 1. 1 suiv.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., VII, 3 pass.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., \np. 246, a, 1. 10.\xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor, I, 4 , pass. Cf. Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 13, p. 1102, \na. \xe2\x80\x94 (5) Gr. Mor., I, 4 init. \xe2\x80\x94(6) Ibid., I, 9, 20; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, 6. \xe2\x80\x94 \n(7) Mor. \xc3\xa0 Nie, III , 7 pass.; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, G. \xe2\x80\x94 (8) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1,13; \nII, 1 init. ; Gr. Moi., I, 5; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, h. Cf. Rh\xc3\xa9t , I, 10, p. 136\xc3\x8e), a, \n). 15 suiv. \n\n\n\nDES HABITUDES DE l\'\xc3\xa0iYIE. .2\xc2\xa33 \n\ntent sur le plaisir et la peine , les passions et les m\xc5\x93urs \ndont elles tirent leur nom (1). Elles ne se rattachent \ndonc \xc3\xa0 la partie irraisonnable que par la sensibilit\xc3\xa9 , \nen sorte que nous n\'attribuons , ce semble , aucune \nvertu \xc3\xa0 la partie nutritive de l\'\xc3\xa2me ; et en effet cette \npuissance n\'est capable d\'aucune vertu proprement \ndite (2). La sensibilit\xc3\xa9 elle-m\xc3\xaame n\'en est capable \nque parce qu\'elle participe de la raison en quelque \nmani\xc3\xa8re , non qu\'elle la poss\xc3\xa8de , mais elle est ca- \npable de l\'entendre et de lui ob\xc3\xa9ir, comme un fils \nob\xc3\xa9it \xc3\xa0 son p\xc3\xa8re (3). \n\nLes vertus morales r\xc3\xa9sultent de la coutume con- \ntract\xc3\xa9e et d\'un exercice ant\xc3\xa9rieur ; et de m\xc3\xaame que \nc\'est en construisant qu\'on apprend \xc3\xa0 construire \\ \nc\'est en faisant des actes de justice et de courage que \nl\'on devient juste et courageux (4). Le vice a la \nm\xc3\xaame origine , et comme c\'est en jouant de la lyre \nqu\'on devient ou un bon ou un mauvais musicien , \nc\'est aussi par l\'usage des m\xc3\xaames passions qu\'on \ndevient temp\xc3\xa9rant ou d\xc3\xa9bauch\xc3\xa9 , juste ou injuste , \ncourageux ou l\xc3\xa2che (5). En un mot, c\'est toujours \nde la r\xc3\xa9p\xc3\xa9tition de certains actes que naissent les ha- \nbitudes , et tels sont nos actes , telles sont aussi nos \nhabitudes : ce n\'est donc pas une chose indiff\xc3\xa9rente \nque de s\'accoutumer d\xc3\xa8s l\'enfance \xc3\xa0 agir de telle ou \ntelle mani\xc3\xa8re; la chose est au contraire de haute \nimportance, ou , pour mieux dire, tout est l\xc3\xa0 (6). \n\n\n\n(l)Phys., VII, 3 pass.;Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 1 ; Gr. Mor., I, G, 8 ; Mor. \xc3\xa0 Eud., \nII, 2,5.\xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1,7, 13, p. 1 102, b; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, l,p. 1219, b, \n1. 32.- (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, p. 1103, a.- (4) Ibid., II, 1, 2,pass. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., \np 1 103, b, 1. 7. \xe2\x80\x94 {\xc2\xbb) Ibid., II, 1, 2; Polit., liv. V, pass. \n\n\n\n254 DES HABITUDES DE L\'AME. \n\nOn doit surtout consid\xc3\xa9rer comme signe de nos \nhabitudes le plaisir ou la peine qui s\'attache \xc3\xa0 nos \nactions. Celui-l\xc3\xa0 est v\xc3\xa9ritablement temp\xc3\xa9rant qui \ns\'abstient avec joie des plaisirs des sens ; celui qui le \nfait \xc3\xa0 regret est port\xc3\xa9 \xc3\xa0 la d\xc3\xa9bauche. Il en est de \nm\xc3\xaame du courage et de la l\xc3\xa2chet\xc3\xa9 et de toutes les \nhabitudes de ce genre (1). A vrai dire , la vertu mo- \nrale n\'a point d\'autre objet que les plaisirs et les \npeines. Toute action , toute passion est accompagn\xc3\xa9e \nde plaisir ou de peine ; c\'est l\'attrait du plaisir qui \nnous porte aux mauvaises actions , c\'est la crainte de \nla douleur qui nous emp\xc3\xaache de bien agir (2) : c\'est \ndonc par l\'effet du plaisir et de la peine que nos ha- \nbitudes peuvent devenir vicieuses , en nous faisant \nrechercher ou fuir ce qu\'il ne faut pas , ou dans un \nautre temps et d\'une autre mani\xc3\xa8re qu\'il ne faudrait. \nLa vertu , au contraire , est une habitude qui sait faire \ndes plaisirs et des peines l\'usage le plus conforme au \nbien et \xc3\xa0 la droite raison (3). \n\nOr on peut p\xc3\xa9cher de deux mani\xc3\xa8res, par exc\xc3\xa8s \nou par d\xc3\xa9faut, et il en est ici des choses de l\'\xc3\xa2me \ncomme de la force et de la sant\xc3\xa9 du corps , qui se \nperdent par des exercices outr\xc3\xa9s aussi bien que par \nl\'absence de tout exercice (4). La vertu morale se \nmaintient et se conserve en gardant un certain milieu \nentre les vices oppos\xc3\xa9s. Ce milieu du reste n\'est pas \nune moyenne de toutes les passions , mais une cer- \ntaine mod\xc3\xa9ration indiqu\xc3\xa9e par notre nature elle- \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 2, p. I ;04 , b. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., III, 1 init. \xe2\x80\x94 (3) Ibid n II, \n2, 4, h, pass.j VI, 1, 13. \xe2\x80\x94 (4) Ibid., II, 2, p. 1105, a; ch 5. \n\n\n\nDES HAB1TUDLS Dl^ LAME. 255 \n\nm\xc3\xaame (1). Ajoutons \xc3\xa0 cela que la vertu \xc3\xa9tant un \nobjet d\'\xc3\xa9loge et le vice un objet de bl\xc3\xa2me (2), il \ns\'ensuit de l\xc3\xa0 que l\'un et l\'autre sont volontaires et \nr\xc3\xa9sultent de notre choix (3). Si donc nous voulons \nd\xc3\xa9finir la vertu morale, nous dirons que c\'est une \nhabitude contract\xc3\xa9e librement de faire , avec la mo- \nd\xc3\xa9ration qui convient \xc3\xa0 notre nature , les actes d\xc3\xa9- \nfinis par la raison la plus exacte (4). Elle tient donc \npour ainsi dire le milieu entre deux vices , dont l\'un \np\xc3\xa8che par exc\xc3\xa8s et l\'autre par d\xc3\xa9faut (5). Gardons- \nnous cependant d\'exag\xc3\xa9rer ce caract\xc3\xa8re par lequel \nles vertus morales se distinguent des vertus intel- \nlectuelles (6). S\'il est bien vrai en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral que par \nessence et comme habitude, la vertu morale est \ncomme un milieu , elle est , elle doit \xc3\xaatre au contraire \nun extr\xc3\xaame si on l\'envisage par rapport au bien (7). \nD\'ailleurs, il faut bien l\'avouer, il est des actions et \ndes passions qui ne sont pas susceptibles de ce milieu, \net qui par elles-m\xc3\xaames doivent \xc3\xaatre \xc3\xa9vit\xc3\xa9es comme un \nmal ou un crime : ainsi , parmi les passions, l\'envie, \nla malveillance et l\'impudence ; parmi les actions , \nl\'adult\xc3\xa8re , le vol et le meurtre (8). Cependant , en \nrestant dans la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralit\xc3\xa9 , on peut dire que chacune \ndes principales vertus morales est plac\xc3\xa9e entre deux \nvices, qui ont presque toujours un nom dans la lan- \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, II, 2, 4, 5. Voyez plus haut les ch. V et XIV, pass. \nOn ne doit pas oublier qu\'il s\'agit ici des vertus de la sensibilit\xc3\xa9. \xe2\x80\x94 \n(2) Ibid., 1 , 13 fin ; II, 4. \xe2\x80\x94 (3) IbidL, II , 7 suiv. ; Mor. \xc3\xa0 Eud., II, 6 ; Gr. \nMor., 1,2, 20. \xe2\x80\x94 (i)Mor. \xc3\xa0 Nie., II, 6 init. \xe2\x80\x94 (5) Ibid., ch. 2, p. 1104, a, \n1.25. \xe2\x80\x94 (6) Ibid., Il, 5, p. 1106, h.l. 16;I, l\xc3\xa2fin; VI, 1, 13 . \xe2\x80\x94 (7) Mor. \n\xc3\xa0 Nie, II, 6. (8) Ibid., p. 1107, a, 1. 18 suiv. \n\n\n\n256 \n\n\n\nDES HABITUDES DE L AME. \n\n\n\ngue, comme on peut s\'en assurer par le tableau sui- \nvant (6) : \n\n\n\nVERTUS. \n\nCourage. \n\nTemp\xc3\xa9rance. \n\nMagnanimit\xc3\xa9. \n\nMagnificence. \n\nLib\xc3\xa9ralit\xc3\xa9. \n\nAmiti\xc3\xa9. \n\nPudeur. \n\nRespect de soi-m\xc3\xaame. \n\nSinc\xc3\xa9rit\xc3\xa9. \n\nHonn\xc3\xaate gaiet\xc3\xa9. \n\n\n\nVICES. \n\nTachet\xc3\xa9. \n\nIntemp\xc3\xa9rance. \n\nRassesse. \n\nL\xc3\xa9sinerie. \n\nAvarice. \n\nMalveillance \n\n\xc3\x89tonnement stupide. \n\nAdulation. \n\nModestie affect\xc3\xa9e. \n\nRusticit\xc3\xa9. \n\n\n\nT\xc3\xa9m\xc3\xa9rit\xc3\xa9. \n\nInsensibilit\xc3\xa9. \n\nOrgueil. \n\nOstentation. \n\nProdigalit\xc3\xa9. \n\nFlatterie. \n\nImpudence. \n\nInsolence. \n\nJactance. \n\nBouffonnerie. \n\n\n\nIl faut distinguer avec soin dans les habitudes \nmorales ce qui est un don de la nature et ce qui est \nl\'effet de la vertu. Certaines qualit\xc3\xa9s morales nous \nsont en effet comme inn\xc3\xa9es, ou du moins nous les \ncontractons de bonne heure ; mais nous n\'en restons \npas \xc3\xa0 ces germes de vertus qui , sans la raison , nous \nseraient tout \xc3\xa0 fait nuisibles. La vertu proprement \ndite n\'existe qu\'avec la raison et suppose la pru- \ndence \\ et c\'est pour cela que certains philosophes , \nentre autres Socrate, ont pr\xc3\xa9tendu que toutes les \nvertus \xc3\xa9taient des esp\xc3\xa8ces de la prudence (2). \n\nTandis que les habitudes morales d\xc3\xa9pendent uni- \nquement de la coutume et ont pour fonction de r\xc3\xa9gler \nbien ou mal nos passions, les habitudes intellectuelles \nqui se rapportent \xc3\xa0 une partie plus excellente de \nl\'\xc3\xa2me, s\'acqui\xc3\xa8rent et s\'accroissent par voie d\'ensei- \ngnement (3). \n\n\n\n(1) Ce tableau est tir\xc3\xa9 de la Morale \xc3\xa0 Eud\xc3\xa8me, H, 3, p. 1220, b. \n(2) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI , 1.3, p. 1 144, b, pass. \xe2\x80\x94 (3) Ibid. , II , 1 inii. \n\n\n\nDES HABITUDES DE I^AME. 357 \n\n\xc3\xael faut faire entre les vertus intellectuelles la m\xc3\xaame \ndistinction qu\'entre les puissances de la partie raison- \nnable de l\'\xc3\xa0me, et puisqu\'il y a dans cette partie deux \npuissances, Tune scientifique, l\'autre logistique ou \nd\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative , il faut attribuer \xc3\xa0 chacune d\'elles les \nvertus qui lui sont propres (1 ) . \n\nLes habitudes de la facult\xc3\xa9 scientifique sont la \nscience et la sagesse ; celles de la facult\xc3\xa9 d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative \nsont la prudence et l\'art , l\'exp\xc3\xa9rience , l\'adresse et la \nsagacit\xc3\xa9 : ces derni\xc3\xa8res habitudes ou vertus doivent \n\xc3\xaatre appel\xc3\xa9es pratiques , quand leur effet se borne \xc3\xa0 \nagir d\'une certaine mani\xc3\xa8re , et po\xc3\xa9tiques, lorsque \nleur action aboutit \xc3\xa0 une \xc5\x93uvre qui lui survit (2). \n\nL\'art est une habitude po\xc3\xa9tique , c\'est-\xc3\xa0-dire d\'ex\xc3\xa9- \ncution , dirig\xc3\xa9e par un raisonnement vrai : il est bien \n\xc3\xa9vident d\'ailleurs que l\'art ne s\'applique \xc3\xa0 produire \nque les choses qu\'il est en notre pouvoir de faire ou \nde ne pas faire. Le d\xc3\xa9faut d\'art est une habitude \nd\'ex\xc3\xa9cution qui porte sur les m\xc3\xaames objets, mais qui \nse r\xc3\xa8gle sur un faux raisonnement (3). \n\nLa prudence semble \xc3\xaatre la vertu par excellence : \nc\'est une habitude pratique de bien d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rer sur les \nactions qui peuvent nous apporter quelque avantage, \nnon pour la sant\xc3\xa9 ou la force du corps , ou toute autre \nqualit\xc3\xa9 particuli\xc3\xa8re , mais en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral pour le bien et \nle bonheur. La prudence n\'est donc pas une science, \npuisqu\'elle porte sur le contingent pratique , c\'est-\xc3\xa0- \ndire sur les objets de l\'opinion ; et elle n\'est pas non \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, l ; Gr. Mor., I, 35 ; Mot. \xc3\xa0 Eud., If, l. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 \nNie, VI, 4, p. 1140, a, 1. 1 suiv. \xe2\x80\x94 (3) Ibid., 1. 10 et pass. \n\n17 \n\n\n\n258 DES HABITUDES DE L\'AME. \n\nplus un art, puisqu\'elle ne se propose aucun r\xc3\xa9sultat \nmat\xc3\xa9riel et qu\'elle ne produit rien autre chose qu\'une \naction (1 ). \n\nLa prudence a pour condition cette habilet\xc3\xa9 qui \nsouvent se rencontre sans la vertu , et qu\'on appelle \nl\'adresse (2). \n\nL\'exp\xc3\xa9rience est la facult\xc3\xa9 qui fournit \xc3\xa0 l\'art ses \nprincipes g\xc3\xa9n\xc3\xa9raux : elle suppose plusieurs souvenirs \net en r\xc3\xa9sulte (3). \n\nEnfin la sagacit\xc3\xa9 est l\'habitude de d\xc3\xa9couvrir en \ntoute question le terme moyen du syllogisme (4). \n\nTelles sont les habitudes de l\'entendement pratique. \nQuant \xc3\xa0 la partie scientifique et contemplative, son es- \nsence et sa forme propre , nous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 dit, c\'est \nla science. Mais on doit se souvenir que la science est \nune habitude de d\xc3\xa9monstration qui ne saurait em- \nbrasser les principes ind\xc3\xa9montrables. Or il n\'y a de \nsagesse achev\xc3\xa9e que celle qui conna\xc3\xaet les principes. \nLa sagesse para\xc3\xaet donc tenir \xc3\xa0 la fois de l\'intellect et \nde la science : c\'est la science premi\xc3\xa8re , et la posses- \nsion en est peut-\xc3\xaatre plus qu\'humaine (5). \n\nIl suit \xc3\xa9videmment de tout ce que nous venons de \ndire que la sagesse, la science et l\'intellect sont ce \nqu\'il y a de plus pr\xc3\xa9cieux et de plus digne d\'admi- \nration (8). \n\nLes autres habitudes intellectuelles sont, comme \nles habitudes morales, des objets d\'\xc3\xa9loge ou de \n\n\n\n(i) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 7, pass.; ch. 13; Mor. \xc3\xa0 Eud., liv. V, pass. ; Gr. \nMor., 1 , 35. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI , i % p. 1144 , a. \xe2\x80\x94 (3) M\xc3\xa9taph. ,1,1, \np. 980, b; p. 981, a. \xe2\x80\x94 (i) Dern. Anal., I, 34, \xc2\xa7 1.\xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI , \n7, pass.; Gr. Mor., I, 35; M\xc3\xa9taph., I, I pass.\xe2\x80\x94 (fi) T\xc3\xaejiiov. Mor. \xc3\xa0 Nie, \nVI, 7, p. 1141, b, 1.2, 3. Cf. Gr. Mor., I, 2 init. \n\n\n\nDES HABITUDES DE L\'AME. 259 \n\nbl\xc3\xa2me, par cela seul qu\'elles sout vicieuses ou ver- \ntueuses (1). Toute vertu est louable , tout vice m\xc3\xa9rite \nqu\'on le bl\xc3\xa2me -, et la raison en est que ce sont choses \nvolontaires et propres \xc3\xa0 l\'homme (5); mais il nous \nfaut expliquer commeut et dans quel sens nos habi- \ntudes sont dites volontaires. \n\nA en croire Socrate , il ne serait pas en notre pou- \nvoir d\'\xc3\xaatre vertueux ou vicieux : \xc2\xab Car, dit-il , jamais \nun homme \xc3\xa0 qui l\'on demanderait s\'il aime mieux \xc3\xaatre \njuste qu\'injuste, ne pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rera \xc3\xaatre injuste (3). \xc2\xbbUn po\xc3\xa8te \na dit aussi : \xc2\xab Nul n\'est m\xc3\xa9chant \xc3\xa0 dessein, ni heureux \nmalgr\xc3\xa9 lui (4). \xc2\xbb Cette pens\xc3\xa9e nous para\xc3\xaet vraie sous \nun certain rapport , et fausse sous un autre : car sans \ndoute nul homme n\'est heureux malgr\xc3\xa9 lui ; mais le \nvice est volontaire ainsi que la vertu. En effet, dans \ntous les cas o\xc3\xb9 il d\xc3\xa9pend de nous d\'agir, nous pou- \nvons aussi ne pas agir : en sorte que si nous sommes \nma\xc3\xaetres de faire ce qui est bien , nous le sommes aussi \nde faire ce qui est mal. Or, si nous sommes ma\xc3\xaetres \nde faire de bonnes ou de mauvaises actions , il d\xc3\xa9- \npendra donc de nous d\'\xc3\xaatre bons ou m\xc3\xa9chants, dignes \nd\'\xc3\xa9loge ou de bl\xc3\xa2me. Dire que le vice n\'est pas vo- \nlontaire, c\'est nier que l\'homme ait en soi le principe \nde ses \xc5\x93uvres et qu\'il en soit pour ainsi dire le \np\xc3\xa8re (5). \n\nIl est vrai que les habitudes ne sont pas volontaires \nde la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re que les actions particuli\xc3\xa8res , et \nque, par exemple, lorsqu\'on est devenu injuste par \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Eud., II, 1, p. 1220, a, 1. 5.\xe2\x80\x94 (2) Ibid., II, G, 11 ; Gf. Mor., \n1,2; Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 13 fin. \xe2\x80\x94 (3) Gr. Mor., I, P. \xe2\x80\x94 (4) Mor. \xc3\xa0 Nie, III, 7, \np. 1 1 13 , b. \xe2\x80\x94 (5) Ibid. : ipyr t xo\xc3\xb9 ys.vvwzy\\<; xwv irptit\xc3\xa9ctov. \n\n\n\n260 DES HABITUDES DE L\'AME. \n\nla pratique volontaire de l\'injustice, on ne saurait \ncesser tout d\'un coup de l\'\xc3\xaatre, pas plus qu\'un \nhomme qui se sera rendu malade par son intemp\xc3\xa9- \nrance , ne pourra recouvrer instantan\xc3\xa9ment la sant\xc3\xa9 , \nquand il le voudra. Mais toutes nos habitudes d\xc3\xa9pen- \ndent de nous dans leurs commencements , puisqu\'elles \nr\xc3\xa9sultent de la r\xc3\xa9p\xc3\xa9tition de certains actes voulus et \nchoisis librement (4). \n\nNous sommes donc jusqu\'\xc3\xa0 un certain point cause \nde nos dispositions ou habitudes , et par cons\xc3\xa9quent \nde nos vertus et de nos vices. Rejeter sur la nature \nla responsabilit\xc3\xa9 de nos fautes et de nos vices , c\'est \nnous m\xc3\xa9conna\xc3\xaetre nous-m\xc3\xaames, comme auteurs de \nnos propres actions : c\'est oublier que ce que nous \navons fait suivant un choix libre et raisonn\xc3\xa9, il d\xc3\xa9- \npendait de nous de ne le point faire (2). \n\n(i) Mor.\xc3\xa0Nic, III, 7, p. Ilt4,a. \xe2\x80\x94 (2) Ibid., p. 1113, b;p. 1114, Jb, \n\n\n\nCHAPITRE XX1I1, \n\n\n\nDU BI15N ET DU BONHEUR \n\n(t\xc3\xa8 oj cvexa, xb x\xc3\xa9^o\xc3\xa7, t6 \xc3\xa0yaQdv, t5 eu , tj e\xc3\xb9Saijxovia). \n\n\n\nTout ce que font les hommes est en vue du bien. \nC\'est l\'objet unique et dernier de tous leurs d\xc3\xa9sirs , \nde tous leurs v\xc5\x93ux , de toutes leurs actions, de \ntoutes leurs pens\xc3\xa9es (1). \n\nLe bien doit \xc3\xaatre entendu de deux mani\xc3\xa8res et en \ndeux sens diff\xc3\xa9rents , suivant que l\'on consid\xc3\xa8re le \nbien lui-m\xc3\xaame et la fin v\xc3\xa9ritable et derni\xc3\xa8re , ou ce \nqui est en vue de la fin et du bien et qui , \xc3\xa0 cause de \ncela , est appel\xc3\xa9 du m\xc3\xaame nom (2). \n\nLe bien par excellence , le bien souverain , c\'est \nDieu, acte pur et immobile, essence s\xc3\xa9par\xc3\xa9e, imma- \nt\xc3\xa9rielle et \xc3\xa9ternelle, \xc3\xaatre vivant, pens\xc3\xa9e parfaite, \nbonheur supr\xc3\xaame , premier intelligible et premier d\xc3\xa9- \nsirable. Dieu est le bien du monde comme un g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \nest le bien de son arm\xc3\xa9e. De lui d\xc3\xa9pendent, \xc3\xa0 lui se \nrattachent tous les \xc3\xaatres. Tous aspirent \xc3\xa0 ce bien \nsouverain, les uns le sachant et le voulant, les autres \nsans le savoir, par l\'effet de ce d\xc3\xa9sir immense qui \nanime toute la nature et la met en mouvement vers \nl\'acte et la perfection (3). \n\n\n\n(I) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1,1; Polit., 1 , 1 , \xc2\xa7 1 ; Rh\xc3\xa9t., 1,5.\xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II , \n, \xc2\xa7\xc2\xa7 \'2,5. \xe2\x80\x94 (3) Mclaph. , XII , 7, 9, 10 ; Topiq., III , 1 , \xc2\xa7 4 ; etc., etc. \n\n\n\n262 DU BIEN ET DU BONHEUR. \n\nPour les \xc3\xaatres qui sont en mouvement , le bien , c\'est \nl\'action par laquelle ils tendent \xc3\xa0 se rapprocher du \nbien supr\xc3\xaame et s\'efforcent de participer en quelque \nmesure de la perfection supr\xc3\xaame, de l\'\xc3\xa9ternit\xc3\xa9, du \nbonheur et de la science (1). \n\nDans les plantes , Faction est faible et unique peut- \n\xc3\xaatre. La nutrition est leur seule puissance; leur acte \ndernier est de contribuer par la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration \xc3\xa0 la con- \nservation et \xc3\xa0 la perp\xc3\xa9tuit\xc3\xa9 de l\'esp\xc3\xa8ce (2). \n\nLes animaux ont en partage la sensibilit\xc3\xa9, dont les \nfonctions sont plus nombreuses et plus excellentes. \nLa sensation est d\xc3\xa9j\xc3\xa0 une connaissance , et les \xc3\xaatres \nqui en sont dou\xc3\xa9s paraissent en possession d\'un mer- \nveilleux privil\xc3\xa8ge , quand on les compare \xc3\xa0 la nature \npour ainsi dire morte des v\xc3\xa9g\xc3\xa9taux ; mais que devient \ncette perfection , si on la met en regard de la pens\xc3\xa9e, \nde la sagesse et de la science (3) ! \n\nL\'homme , r\xc3\xa9sum\xc3\xa9 de la nature , poss\xc3\xa8de seul la \nraison , le raisonnement, la science et la pens\xc3\xa9e. Il \nest capable de toutes sortes d\'actions (4). Sa fin, son \nbien par excellence sera sans doute celle de toutes \nces actions qui exprimera le mieux sa nature. \n\nTrois genres de vie s\'offrent \xc3\xa0 nous : la vie de \nplaisir , qui r\xc3\xa9pond \xc3\xa0 notre sensibilit\xc3\xa9 ; la vie politique \net active , qui met en \xc5\x93uvre la puissance d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative \nde la partie raisonnable ; enfin la vie contemplative \nde l\'intellect ou entendement pur (5) . \n\n\n\n(I) M\xc3\xa9taph., XI, l,p. 1059, a, 1.36; De l\'\xc3\xa2me, II, 4, \xc2\xa72. \xe2\x80\x94 (2) Voyez \nplus haut, ch. IV. \xe2\x80\x94 (3) Voyez plus haut, ch. V, p. 48 ; ch. XIV, p. 139 \nsuiv.; ch. XIX, p. 206 suiv. \xe2\x80\x94 (4) Du ciel, II, 12, p. 292, b, 1. 3 suiv. \xe2\x80\x94 \n(6) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1 , 3, p. 1095, b ; Mor. \xc3\xa0 Eud., 1 , 4. \n\n\n\nDU BIEN ET DU BONHEUR. 263 \n\nLaissons de c\xc3\xb4t\xc3\xa9 le premier de ces genres de vie. Si \nle bien consistait dans les plaisirs des sens, s\'il r\xc3\xa9sidait \ndans le boire et dans le manger, nous en serions r\xc3\xa9- \nduits \xc3\xa0 envier le sort du b\xc5\x93uf Apis : ce n\'est pas l\xc3\xa0 le \nbien de l\'homme (1) , \xc3\xaatre raisonnable, pour qui le \nsouverain bien doit \xc3\xaatre d\xc3\xa9fini : l\'activit\xc3\xa9 de l\'\xc3\xa2me \nraisonnable dans une vie parfaite (2). Tout an plus \npeut-on accorder aux biens ext\xc3\xa9rieurs (cW\'asi\xc3\xa7) une \ncertaine utilit\xc3\xa9 pour nous procurer le loisir sans lequel \nil ne semble pas que nous puissions nous livrer \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9- \ntude et contempler la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 (3). \n\nA consid\xc3\xa9rer l\'homme dans sa nature complexe, \ndeux actes lui paraissent surtout essentiels, la volont\xc3\xa9 \net la pens\xc3\xa9e , dont l\'union compose le choix ou pr\xc3\xa9f\xc3\xa9- \nrence , principe de toutes les vertus auxquelles nous \ndonnons des \xc3\xa9loges (4). Il semble donc que l\'on doive \nproposer la vertu comme but \xc3\xa0 l\'activit\xc3\xa9 humaine , \nsoit la vertu morale , soit plut\xc3\xb4t les vertus de l\'enten- \ndement pratique ou d\xc3\xa9lib\xc3\xa9ra tif : la prudence surtout pa- \nra\xc3\xaet \xc3\xaatre la vertu propre de l\'homme(5). La vie politique \ndont elle est l\'\xc3\xa2me et l\'essence s\'adresse en effet \xc3\xa0 la \nvolont\xc3\xa9 et \xc3\xa0 la partie raisonnable de l\'\xc3\xa2me (6). Mais \nelle n\'emploie que la facult\xc3\xa9 d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative ; elle n\'a pour \nobjet que le contingent et le p\xc3\xa9rissable (7). Au-dessus \nde la lutte morale, objet de nos \xc3\xa9loges, se trouve le \nprix de la lutte (8) ; au-dessus de la prudence la sa- \n\n\n\n(I) Mor. \xc3\xa0-Eud., I, 5, p. 1215, b.\xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 5, 10, 13; Gr \nMor., I, 4; Mor. \xc3\xa0 Eud. , II, 1.\xe2\x80\x94 (3) Gr. Mor., 1,2; Mor. \xc3\xa0 Nie, I, 8 ; \nPolit., V, 2 , \xc2\xa7 5. \xe2\x80\x94 (4) Ta \xc3\xa8itaivex\xc3\xa0. Gr. Mor., 1 , 2 , p. 1183, a. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \n\xc3\xa0 Nie, I, 5,7; Polit., IV, 1. \xe2\x80\x94 (6) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 5 et pass. \xe2\x80\x94 (7) Ibid., \nVI , 5, 13 ; Gr. Mor., 1 , 35.\xe2\x80\x94 (8) Ta t\xc3\xaajmoc au-dessus des \xc3\xa8itaiveTd. Gr. Mor., \n1, 2,5, p. 1185, b, 1. 9; Mor. \xc3\xa0 Nie.X, 7. Voyez M. Ravaisson , Essai sur la \nM\xc3\xa9tapb. d\'Aristote, t. I , p. 478 , 479. \n\n\n\n264 DU BIEN ET DU BONHEUR. \n\ngesse (1), au-dessus de l\'opinion et du raisonnement \nqui s\'ignorent eux-m\xc3\xaames , la pens\xc3\xa9e parfaite qui est \nla pens\xc3\xa9e de la pens\xc3\xa9e (2) . \n\nMais, dira t-on, la vie de l\'entendement pur est- \nplus qu\'humaine (3) : Dieu seul est sup\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 la \nvertu (4). Oui, sans doute, c\'est l\'intellect divin qui \nbrille dans l\'humanit\xc3\xa9 (5) , et la vie de l\'entende- \nment est la vie divine dont l\'homme ne para\xc3\xaet jouir \nque d\'une mani\xc3\xa8re fugitive (6) . Mais l\'essence et la \nfin de chaque \xc3\xaatre , c\'est l\'acle le meilleur et le plus \nexcellent que comporte sa nature. Puisque l\'homme, \nseul entre tous les animaux, participe du divin (7), il a \nle droit et le devoir d\'agir conform\xc3\xa9ment \xc3\xa0 cette partie \nla meilleure de lui-m\xc3\xaame , et c\'est l\xc3\xa0 son bien (8) . \nL\'intellect , il est vrai , est venu du dehors (9), mais il \nest en nous comme une lumi\xc3\xa8re qui nous \xc3\xa9claire et \nqui nous dirige, nous rend capables de la pens\xc3\xa9e et \nde la science (1 0). C\'est donc v\xc3\xa9ritablement l\'essence \nde notre \xc3\xa2me , son bien souverain (11); et notre fin \nnaturelle est de vivre conform\xc3\xa9ment \xc3\xa0 l\'entendement \npur (12). \n\nL\xc3\xa0 est le bien : l\xc3\xa0 est aussi le bonheur, c\'est-\xc3\xa0-dire \nl\'activit\xc3\xa9 de l\'\xc3\xa2me qui jouit du bien souverain (13). \n\nEn effet, s\'il n\'est pas vrai de dire en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral que \nle plaisir soit le bien , il est certain cependant qu 1 il \n\n\n\n(1) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 13, p. 1145, a. \xe2\x80\x94 (?) M\xc3\xa9taph , XII, 9, p. 1074, a. \n\n\xe2\x80\x94 (3) Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 7, p. 1177, b, I. 20.-\xe2\x80\x94 (4) Gr. Mor., 11,5, p. 1200, b, \n]. 14. \xe2\x80\x94 (5) Mor. \xc3\xa0 Nie, 1. c. ; Part, des an., IV, 10.\xe2\x80\x94 (\xc2\xab0 Mor. \xc3\xa0 Nie, X, \n7;M\xc3\xa9laph.,XlI, 9.- (7) Part, des anim,, II, 10, p, 656, a, 1. 78.\xe2\x80\x94 (8) Mor. \n\xc3\xa0 Nie, X, 7 fin.\xe2\x80\x94 (9) G\xc3\xa9n. des anim., II, 3,6.- (10) De r\xc3\xa0mc.III, 5,\xc2\xa7\xc2\xa7 1, 2. \n\n\xe2\x80\x94 (Il) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 4, 8; X, 7 fin. \xe2\x80\x94 (12) G\xc3\xa9n. des anim., If, 3, \np. 736, b, 1. 4. \xe2\x80\x94 (13) Polit., IV, i,pass.; Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 6, pass. \n\n\n\nDU BIEN ET DU BONHEUR. 265 \n\naccompagne tous les actes conformes \xc3\xa0 notre nature, \nqu\'il en est le compl\xc3\xa9ment et l\'ach\xc3\xa8vement (1). Il n\'est \ndonc pas un mal, et m\xc3\xaame on doit convenir que la no- \ntion du bien souverain implique une certaine satisfac- \ntion accord\xc3\xa9e \xc3\xa0 nos facult\xc3\xa9s naturelles (2). 11 est des \nplaisirs m\xc3\xa9prisables; il en est qui sont naturellement \nd\xc3\xa9sirables; d\'autres sont pour ainsi dire interm\xc3\xa9diai- \nres (3). Le plaisir le plus pur s\'attache \xc3\xa0 l\'acte le plus \nparfait (4), et si la fin de toutes nos actions est le \nbien, c\'est aussi le bonheur (5). \n\nDieu , l\'acte pur et parfait , est souverainement heu- \nreux par la possession m\xc3\xaame du bien souverain (6). \nLe bonheur dont il jouit \xc3\xa9ternellement dans la contem- \nplation ne nous est point refus\xc3\xa9 : nous rencontrons \naussi \xc3\xa0 de rares intervalles cette f\xc3\xa9licit\xc3\xa9 supr\xc3\xaame (7) , \net la connaissance des principes nous procure d\'inef- \nfables jouissances (8). \n\nLe bonheur est donc une action de l\'\xc3\xa2me, et il d\xc3\xa9- \npend de nous d\'y atteindre (9), \xc3\xa0 la double condition, \nil est vrai, de l\'exp\xc3\xa9rience et de la vertu (10). Pour \nqu\'il soit complet d\'ailleurs , le loisir para\xc3\xaet indispen- \nsable , et par cons\xc3\xa9quent l\'aisance et les biens de la \nvie et du corps (11). Mais comme la vertu de l\'homme \nest essentiellement dans son \xc3\xa2me , son bien est aussi \nle bien de l\'\xc3\xa2me (1 2). Il doit donc embrasser et ch\xc3\xa9rir \n\n\n\n(0 Polit., V, 7, \xc2\xa7 7 ; Hist. des amm.,VHI, 1 fin.\xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, VIII, \n7, p. 1158, a, 1.24, 25; X, 7, p. 1177, a.\xe2\x80\x94 (3) Ibid., Vil, 6, p. 1148, a. \xe2\x80\x94 \n(4) Ibid , X, 5, p. 1175, b. \xe2\x80\x94 (5) Ibid.; I, 1 ; X, 7.\xe2\x80\x94 (6) M\xc3\xa9laph., X!I, 7, 9. \n\xe2\x80\x94 (7) Ibid.; Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 8, pass.\xe2\x80\x94 (8) Part, des anim., I, 5.\xe2\x80\x94 (9) Polit., \nIV, 3, \xc2\xa75; Gr. Mor., I, 4; Po\xc3\xa8t.,V, \xc2\xa77. - (\xc3\xaeOj Polit., IV, 1,\xc2\xa75; Mor. \n\xc3\xa0N\xc3\xafc.,1, 10, etc.\xe2\x80\x94 (Il) Polit., Il, 8, \xc2\xa7 G; Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 3, p. H78,a,b. \xe2\x80\x94 \n(H) Gr. Mor., 1,4, pass.; Mor. \xc3\xa0 Nie, X, 7 fin. \n\n\n\n26) DU BIEN ET DU BOMIEUK. \n\ncette partie essentielle de lui-m\xc3\xaame, qui seule survit \xc3\xa0 \nla dissolution du corps (1) : car seule elle est ind\xc3\xa9- \npendante , s\xc3\xa9parable , \xc3\xa9ternelle (2) . \n\n\n\n(I) M\xc3\xa9taph., XII, 3 fin. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, II , 2, \xc2\xa7 9; 111 , 4 , \xc2\xa7 4; eh. 5, \n\xc2\xa7$ 1, 2; etc. \n\n\n\nSECONDE PARTIE. \n\nCRITIQUE. \n\n\n\nCHAPITRE I. \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\n\n\nNous avons parcouru, dans l\'ordre qu\'Aristote \nlui-m\xc3\xaame nous indiquait, le cercle entier des ques- \ntions relatives \xc3\xa0 la nature et aux facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me. \nNous y avons r\xc3\xa9pondu au nom d\'Aristote , ses ou- \nvrages \xc3\xa0 la main, et nous croyons avoir reproduit \nfid\xc3\xa8lement sa pens\xc3\xa9e, sa m\xc3\xa9thode et jusqu\'\xc3\xa0 son \nlangage. \n\nL\'exposition qui pr\xc3\xa9c\xc3\xa8de fait conna\xc3\xaetre, au moins \ndans son ensemble et dans ses principaux d\xc3\xa9tails , le \nsyst\xc3\xa8me psychologique \xc3\xa9pars dans les divers \xc3\xa9crits de \nce grand philosophe. Il s\'agit maintenant de nous \nrendre compte de ce syst\xc3\xa8me et de l\'appr\xc3\xa9cier \xc3\xa0 la fois \ndans son id\xc3\xa9e g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale et dans ses th\xc3\xa9ories essen- \ntielles. Nous allons en retracer bri\xc3\xa8vement les traits \nles plus saillants , en nous effor\xc3\xa7ant dans ce r\xc3\xa9sum\xc3\xa9 \nrapide de concilier l\'exactitude et la clart\xc3\xa9. \n\nLa science de l\'\xc3\xa2me , suivant Aristote , ne doit point \nse borner \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude de l\'homme. C\'est une grave er- \n\n\n\n268 ilESUM\xc3\x89 GENERAL. \n\nreur des premiers philosophes d\'avoir cru qu\'on pou- \nvait fonder une science g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale sur l\'\xc3\xa9tude d\'une \nseule esp\xc3\xa8ce. Tout \xc3\xaatre anim\xc3\xa9, par cela seul qu\'il v\xc3\xaet, \na une \xc3\xa2me : chacun a la sienne, qui est son essence \net sa forme propre. Toutes ces \xc3\xa2mes ne sont point de \nm\xc3\xaame esp\xc3\xa8ce , et celui qui n\'en consid\xc3\xa8re qu\'une seule \nignore toutes les autres. Pour donner une d\xc3\xa9finition \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9rale de l\'\xc3\xa2me, il faut avoir devant les yeux non- \nseulement l\'homme , mais tous les autres animaux , \nnon-seulement tous les animaux, mais encore les \nplantes, en un mot tout ce qui participe de la vie.. \n\nTout corps naturel organis\xc3\xa9 pour vivre, et poss\xc3\xa9dant \nainsi la vie en puissance , la re\xc3\xa7oit en acte et vit r\xc3\xa9el- \nlement, d\xc3\xa8s que l\'\xc3\xa2me pour laquelle il est fait vient \ns\'unir \xc3\xa0 lui et lui imprimer sa forme. L\'\xc3\xa2me est donc \nla premi\xc3\xa8re ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie de ce corps , c\'est-\xc3\xa0-dire son \npremier but et son premier acte. En d\'autres termes , \nl\'\xc3\xa2me est le principe de la vie. \n\nChaque \xc3\xaatre anim\xc3\xa9 est compos\xc3\xa9 d\'\xc3\xa2me et de corps, \nj\'entends d\'une certaine \xc3\xa2me et d\'un certain corps \nqui sont faits l\'un pour l\'autre, et dont l\'union con- \nstitue la vie et la forme propre de cet \xc3\xaatre. Or la d\xc3\xa9fi- \nnition g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale que nous venons de donner, par cela \nm\xc3\xaame qu\'elle convient \xc3\xa0 toutes les \xc3\xa2mes , n\'en d\xc3\xa9signe \naucune en particulier. Pour rendre compte d\'une \n\xc3\xa2me d\'une certaine esp\xc3\xa8ce, il ne suffit pas de dire \nqu\'elle est un principe de vie , puisque cela ne lui est \npoint particulier; il faut ajouter \xc3\xa0 cette notion g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale \nle caract\xc3\xa8re ou la mani\xc3\xa8re de vivre qui distingue cette \n\xc3\xa2me de toutes les autres. \n\nTant que le principe de vie qui est dans un \xc3\xaatre ne \ns\'est pas manifest\xc3\xa9 par ses actes propres, on peut \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 269 \n\ndire que ses puissances sont dans un \xc3\xa9tat de sommeil. \nL\'\xc3\xa2me est pr\xc3\xa9sente, mais comme une simple disposi- \ntion \xc3\xa0 la vie et \xc3\xa0 l\'action. C\'est l\'usage qu\'on fait de \nla vie qui lui donne tout son prix; c\'est seulement \nlorsqu\'elle s\'\xc3\xa9veille et agit que F \xc3\xa2me fait usage de la \nvie qui est en elle et par ses actes fait conna\xc3\xaetre sa \nnature. \n\nLa premi\xc3\xa8re fonction de la vie est la nutrition , \nc\'est-\xc3\xa0-dire l\'acte par lequel l\'\xc3\xa2me convertit en ali- \nments les substances \xc3\xa9trang\xc3\xa8res et par l\'action de la \nchaleur vitale les assimile \xc3\xa0 la substance du corps \nqu\'elle anime : telle est la vie chez la plante. Dans \nl\'animal , l\'\xc3\xa2me agit par sensation et par locomotion ; \ndans l\'homme elle s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve jusqu\'\xc3\xa0 la raison et \xc3\xa0 la \npens\xc3\xa9e. \n\nAinsi, nutrition, sensation et locomotion, pens\xc3\xa9e, \ntelles sont les formes essentielles de la vie dans les \n\xc3\xaatres de la nature. L\'\xc3\xa2me est donc ou v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative, ou \nsensitive, ou raisonnable, suivant que l\'on consid\xc3\xa8re \nla plante, l\'animal ou l\'homme. Telles sont les trois \nparties ou puissances qui distinguent essentiellement \nles diff\xc3\xa9rentes esp\xc3\xa8ces d\'\xc3\xa2mes. \n\nLa puissance v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative , qui a pour acte la nutri- \ntion et pour but la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration et la reproduction de \nl\'esp\xc3\xa8ce, se rencontre seule dans la plante ; mais elle \nse retrouve \xc3\xa9galement dans les \xc3\xaatres naturels qui ont \nen partage des facult\xc3\xa9s plus hautes. De m\xc3\xaame que \ndans la s\xc3\xa9rie des figures g\xc3\xa9om\xc3\xa9triques , le triangle \nest contenu au moins en puissance dans le quadri- \nlat\xc3\xa8re , le quadrilat\xc3\xa8re dans le pen agone , et ainsi de \nsuite, chaque terme sup\xc3\xa9rieur impliquant le terme \ninf\xc3\xa9rieur, de m\xc3\xaame dans la s\xc3\xa9rie des \xc3\xaatres vivants , \n\n\n\n270 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nla puissance sensitive ne va point sans la nutritive , \nni la puissance raisonnable sans la sensibilit\xc3\xa9. Mais \nchaque \xc3\xa2me est d\xc3\xa9finie par sa facult\xc3\xa9 la plus excel- \nlente. \n\nLa puissance sensitive constitue l\'essence de rani- \nmai. Son acte propre est la sensation qui a pour \nobjet les choses sensibles. Ses parties sont les cinq \nsens particuliers et le sens premier ou commun , qui \nest le si\xc3\xa8ge de l\'imagination et de la m\xc3\xa9moire. Les \nactes de la sensibilit\xc3\xa9 sont termin\xc3\xa9s et caract\xc3\xa9ris\xc3\xa9s \npar le plaisir ou par la peine , d\'o\xc3\xb9 r\xc3\xa9sultent pour \nl\'animal les d\xc3\xa9sirs et la passion, en un mot l\'app\xc3\xa9tit, \nprincipe imm\xc3\xa9diat de la locomotion. Si tels sont tous \nles effets de la puissance sensitive , on peut dire que \nl\'\xc3\xa2me des animaux est d\xc3\xa9finie surtout par deux \nchoses : la connaissance et le mouvement. \n\nMais il est un animal, l\'homme, chez qui ces deux \nactes se produisent sous une forme plus parfaite. La \nconnaissance pour lui n\'est pas uniquement l\'\xc5\x93uvre \nde la sensation : elle r\xc3\xa9sulte aussi de la pens\xc3\xa9e. De \nm\xc3\xaame le mouvement chez l\'homme n\'est plus seule- \nment l\'effet spontan\xc3\xa9 , mais machinal , de l\'app\xc3\xa9tit \nsensitif : c\'est une action qui a son principe dans \nla volont\xc3\xa9, et qui part d\'un choix libre et moral. \nL\'homme donc, seul entre tous les animaux, est dou\xc3\xa9 \nd\'entendement et de volont\xc3\xa9. Or la volont\xc3\xa9 n\'est que \nl\'app\xc3\xa9tit gouvern\xc3\xa9 ou du moins \xc3\xa9clair\xc3\xa9 par l\'enten- \ndement : c\'est donc en cette derni\xc3\xa8re partie de notre \n\xc3\xa2me que r\xc3\xa9side notre v\xc3\xa9ritable essence. \n\nL\'homme est le but et le r\xc3\xa9sum\xc3\xa9 de la nature. Il \nposs\xc3\xa8de toutes les puissances et les facult\xc3\xa9s des \xc3\xaatres \ninf\xc3\xa9rieurs , et il y ajoute celle-l\xc3\xa0 m\xc3\xaame qui le con- \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 271 \n\nstitue. \xc3\x89tudier l\'homme c\'est donc \xc3\xa9tudier toute la \nnature. \n\nAttachons-nous \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude de l\'\xc3\xa2me humaine , et \nlaissant de c\xc3\xb4t\xc3\xa9 la partie par laquelle nous ressem- \nblons aux derniers des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s, aux v\xc3\xa9g\xc3\xa9taux, \nconsid\xc3\xa9rons en nous l\'homme et l\'animal, c\'est-\xc3\xa0-dire \ntout \xc3\xa0 la fois la connaissance que fournit la sensa- \ntion et celle qui consiste dans la pens\xc3\xa9e, le mouve- \nment qui r\xc3\xa9sulte de l\'app\xc3\xa9tit et l\'action dont la volont\xc3\xa9 \nest la cause. \n\nToute connaissance est relative \xc3\xa0 quelque objet dont \nelle d\xc3\xa9pend. Aussi est-ce d\'apr\xc3\xa8s leurs objets que les \nconnaissances doivent \xc3\xaatre divis\xc3\xa9es. \n\nAutant il y a d\'objets essentiellement diff\xc3\xa9rents , \nautant il faut admettre de puissances distinctes dans \nl\'\xc3\xa2me : car la nature nous a donn\xc3\xa9, pour entrer en \nrelation avec chaque objet, une propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 qui s\'y rap- \nporte et y ressemble en quelque fa\xc3\xa7on. Or tout objet \nest n\xc3\xa9cessairement ou sensible ou intelligible. Il y a \nclone deux connaissances, l\'une sensible, l\'autre in- \ntelligible, et par cons\xc3\xa9quent deux parties de l\'\xc3\xa2me es- \nsentiellement distinctes, savoir la sensibilit\xc3\xa9 et l\'intel- \nligence ou entendement. \n\nLes objets sensibles sont ou particuliers ou com- \nmuns. De l\xc3\xa0 dans la sensibilit\xc3\xa9 la distinction des sens \nparticuliers et d\'un sens commun. \n\nLes sensibles propres ou particuliers sont de cinq \nesp\xc3\xa8ces , savoir : la couleur, le son , l\'odeur, la sa- \nveur et le contact par lequel sont connus le froid et le \nchaud , le dur et le mou , le sec et l\'humide , c\'est-\xc3\xa0- \ndire les qualit\xc3\xa9s \xc3\xa9l\xc3\xa9mentaires des corps en tant que \ncorps. A ces cinq objets diff\xc3\xa9rents correspondent cinq \n\n\n\n272 \n\n\n\nRESUME GENERAL. \n\n\n\nsens particuliers : le toucher, le go\xc3\xbbt, l\'odorat, l\'ou\xc3\xafe \net la vue. \n\nLes sensibles communs sont l\'\xc3\xa9tendue et le nombre, \nle mouvement et le temps. Ces qualit\xc3\xa9s communes ne \nsont connues en elles-m\xc3\xaames par aucun sens parti- \nculier, mais par un sens g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et premier. \n\nLes objets sensibles, propres ou communs, sont en \npuissance ou en acte De l\xc3\xa0 aussi pour la sensibilit\xc3\xa9 \ndeux \xc3\xa9tats bien diff\xc3\xa9rents, suivant qu\'elle est simple- \nment en puissance par rapport \xc3\xa0 son objet, ou qu\'elle \ns\'y applique en effet par une sensation actuelle. \n\nOr la sensibilit\xc3\xa9 peut \xc3\xaatre en puissance de deux \nmani\xc3\xa8res. Elle est d\'abord en puissance dans l\'animal \nqui vient d\'\xc3\xaatre engendr\xc3\xa9 et qui n\'a encore que la vie \ndel\xc3\xa0 plante, la vie nutritive. Puis, lorsque l\'animal \nproprement dit est form\xc3\xa9 , c\'est-\xc3\xa0 dire lorsqu\'il pos- \ns\xc3\xa8de au moins le sens du toucher , la sensibilit\xc3\xa9 est \ndite en puissance, toutes les fois qu\'elle ne s\'exerce \npoint. C\'est ce dernier \xc3\xa9tat seulement que nous avons \nen vue , quand nous disons que la sensation est en \npuissance par rapport \xc3\xa0 son objet. \n\nL\'acte est sup\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 la puissance; l\'usage actuel \nde la vue par exemple est pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rable \xc3\xa0 la possession \nsans l\'usage. Toute puissance est en vue d\'un acte \nqui lui donne son prix , qui est sa fin et son bien. La \nsensibilit\xc3\xa9 a donc, par sa nature m\xc3\xaame, une tendance \n\xc3\xa0 l\'acte (1). Mais pour passer de la puissance \xc3\xa0 l\'exer- \ncice de cette puissance , elle a besoin de quelque objet \nqui agisse sur elle et la mette en mouvement ; car \n\n\n\n(1) Et? to\xc3\xbbto \xc3\xa0yzi. De la sensat. , IV, \xc2\xa7 10. \n\n\n\nRESUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 273 \n\ntout ce qui est m\xc3\xbb suppose un moteur en acte ; rien \nde ce qui est en puissance ne passe \xc3\xa0 l\'acte sans le \nconcours de quelque chose qui est pr\xc3\xa9sentement en \nacte. \n\nCe qui d\xc3\xa9termine \xc3\xa0 l\'action la puissance de sentir, \nc\'est l\'objet sensible en acte. \n\nL\'objet sensible meut le sens et y produit la sen- \nsation, mais par un interm\xc3\xa9diaire. La sensation est \nune affection commune au corps et \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me : elle ne \nse produit dans l\'\xc3\xa2me que par le moyen du corps et \ndes organes. \n\nLa puissance sensitive est r\xc3\xa9pandue dans le corps \ntout entier ; mais elle r\xc3\xa9side particuli\xc3\xa8rement au c\xc5\x93ur : \nl\xc3\xa0 est le principe de toute sensation , le si\xc3\xa8ge du pre- \nmier sensitif , et le centre o\xc3\xb9 aboutissent les impres- \nsions des sens particuliers. Mais chacun de ceux-ci \nposs\xc3\xa8de en outre un organe propre , auquel il est in- \ntimement uni , et dont il est l\'\xc3\xa2me et l\'essence. Le \ntoucher et le go\xc3\xbbt ont leurs organes dans le voisinage \ndu c\xc5\x93ur, les trois autres sens sont log\xc3\xa9s clans la t\xc3\xaate^ \nau cerveau. \n\nSi l\'objet sensible \xc3\xa9tait plac\xc3\xa9 imm\xc3\xa9diatement sur \nl\'organe du sens , il n\'y produirait point de sensation. \nIl n\'a de prise sur le sens que par un milieu , qui est \nla chair pour le toucher, l\'air ou l\'eau pour les au- \ntres sens. Ce milieu , qu\'il soit dans notre corps lui- \nm\xc3\xaame , ou qu\'il soit un corps \xc3\xa9tranger, \xc3\xa9tant mis en \nmouvement par l\'objet sensible , transmet ce mouve* \nment \xc3\xa0 l\'organe du sens qui entre alors seulement en \nexercice. Toutefois l\'action est continue et simultan\xc3\xa9e. \nL\'acte de l\'objet sensible et l\'acte de la sensation ont \nlieu tout ensemble. \n\n18 \n\n\n\n274 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nL\'acte de ce qui agit et l\'acte de ce qui p\xc3\xa2tit se \npassent tous deux en l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9 , et s\'y \nconfondent en un seul acte o\xc3\xb9 la sensation est devenue \npour ainsi dire semblable \xc3\xa0 son objet. \n\nFaut-il donc croire avec les anciens philosophes \nque, chaque chose \xc3\xa9tant connue par son semblable \net ne pouvant \xc3\xaatre connue que par lui , c\'est l\'union \ndu sensible avec ce qui lui ressemble en nous qui \nproduit la sensation et la connaissance ? Il n\'en est \nrien. Avant l\'acte , le sens ne ressemble point \xc3\xa0 son \nobjet ; tant qu\'il est en puissance , il est en quelque \nsorte indiff\xc3\xa9rent pour les qualit\xc3\xa9s contraires qu\'il est \nsusceptible de recevoir et qu\'il comporte \xc3\xa9galement. \nL\'organe du toucher par exemple n\'est ni chaud ni \nfroid , mais sa nature est dans une situation moyenne, \nqui lui permet de devenir l\'un ou l\'autre , pourvu qu\'il \nn\'y ait point d\'exc\xc3\xa8s dans la qualit\xc3\xa9 sensible et dans \nl\'impression dont elle est la cause. Donc, avant que \nl\'objet soit en acte et qu\'il ait fait impression , le sens \nlui est comme \xc3\xa9tranger ; c\'est dans l\'acte et par l\'acte \nseulement qu\'il lui est rendu semblable; et comme \nce changement n\'est pour la sensibilit\xc3\xa9 que l\'exercice \nde sa propre puissance et un ach\xc3\xa8vement de sa na- \nture , on peut dire du sens avec une \xc3\xa9gale v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 , \nqu\'il p\xc3\xa2tit en quelque fa\xc3\xa7on , qu\'il subit une sorte de \nmouvement et d\'alt\xc3\xa9ration , et en m\xc3\xaame temps qu\'il ne \nsubit ni passion , ni mouvement , ni alt\xc3\xa9ration propre- \nment dite. C\'est en effet sans sortir d\'elle-m\xc3\xaame , sans \ncesser d\'\xc3\xaatre elle-m\xc3\xaame que la puissance sensitive de- \nvient les objets en passant \xc3\xa0 l\'acte. Je le r\xc3\xa9p\xc3\xa8te, c\'est \nen elle que se produit son acte propre et l\'acte de \nl\'objet. \n\n\n\nRESUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 275 \n\nAu reste , quand on dit que la sensibilit\xc3\xa9 en acte est \nsemblable aux objets, ou qu\'elle re\xc3\xa7oit les objets, il est \nclair que l\'on ne parle pas des objets eux-m\xc3\xaames, mais \nbien de leurs formes ou qualit\xc3\xa9s ; car de m\xc3\xaame que la \ncire re\xc3\xa7oit la figure du cachet qu\'on y imprime , et non \nla mati\xc3\xa8re , l\'or ou l\'argent dont est fait ce cachet , de \nm\xc3\xaame on peut d\xc3\xa9finir le sens : ce qui re\xc3\xa7oit les formes \nsensibles sans leur mati\xc3\xa8re. La mati\xc3\xa8re en effet n\'est \npas perceptible par elle-m\xc3\xaame ; on ne conna\xc3\xaet un objet \nquelconque que par sa forme et par son acte. La sen- \nsibilit\xc3\xa9 en acte \xc3\xa9tant semblable \xc3\xa0 la forme de son objet, \non peut dire qu\'elle est elle-m\xc3\xaame la forme des choses \nsensibles. \n\nChaque sens portant sur un genre d\'objets propres, \nest capable des contraires dans ce genre , et quoiqu\'il \nne puisse les recevoir tous les deux \xc3\xa0 la fois , il lui \nsuffit d\'en conna\xc3\xaetre un pour juger de l\'autre. Chaque \nsens est ainsi comme la limite commune des opposi- \ntions que pr\xc3\xa9sente son objet, ou comme le moyen \nterme qui compare et mesure les esp\xc3\xa8ces et les formes \ncontraires. C\'est ainsi que la vue conna\xc3\xaet le blanc \net le noir et les diff\xc3\xa9rences secondaires comprises \nsous cette opposition premi\xc3\xa8re. L\'ou\xc3\xafe conna\xc3\xaet le \ngrave , l\'aigu et les sons interm\xc3\xa9diaires ; l\'odorat \net le go\xc3\xbbt jugent des odeurs et des saveurs douces \net am\xc3\xa8res. \xc3\xafl en est de m\xc3\xaame du toucher, quoiqu\'on ne \npuisse exprimer en un seul terme l\'opposition unique \net premi\xc3\xa8re de son objet propre. Mais aucun sens ne \nsaurait percevoir l\'exc\xc3\xa8s des qualit\xc3\xa9s sensibles, parce \nque cet exc\xc3\xa8s, en rompant l\'\xc3\xa9quilibre et l\'harmonie \nessentielle du sens, rend par l\xc3\xa0 m\xc3\xaame la sensation im \npossible. \n\n\n\n276 R\xc3\x89SUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL, \n\nAutre chose est voir une couleur, autre chose est con- \nna\xc3\xaetre qu\'on voit. On pourrait donc penser que cette se- \nconde connaissance vient d\'une autre source que la per- \nception elle-m\xc3\xaame. Mais si l\'on r\xc3\xa9fl\xc3\xa9chit que l\'acte de \nl\'objet senti est identique \xc3\xa0 l\'acte du sujet qui sent, on \ncomprendra que c\'est un m\xc3\xaame sens qui, en percevant \nson objet , per\xc3\xa7oit sa propre op\xc3\xa9ration. Le sens deve- \nnant semblable \xc3\xa0 ce qu\'il conna\xc3\xaet en acte , devient \npar cela seul perceptible \xc3\xa0 lui-m\xc3\xaame en quelque fa\xc3\xa7on f \net c\'est alors qu\'il y a connaissance v\xc3\xa9ritable, acte \ncomplet de la sensibilit\xc3\xa9 : car pour l\'\xc3\xaatre qui en est \ndou\xc3\xa9 , sentir qu\'il sent , c\'est \xc3\xaatre. \n\nDe m\xc3\xaame que chaque sens particulier compare les \noppositions , les diff\xc3\xa9rences et les nuances diverses de \nson objet propre , parce qu\'il est la limite commune \no\xc3\xb9 elles se rencontrent, de m\xc3\xaame le sens premier \net commun , dont le si\xc3\xa8ge est au c\xc5\x93ur, \xc3\xa9tant la li- \nmite commune o\xc3\xb9 aboutissent tous les sens particu- \nliers , est aussi le terme moyen qui les mesure ; seul \nil peut comparer les donn\xc3\xa9es diverses de nos sens ; \nseul il en conna\xc3\xaet les ressemblances et les diff\xc3\xa9rences ; \nseul enfin il en extrait les \xc3\xa9l\xc3\xa9ments communs, et con- \nna\xc3\xaet en elles-m\xc3\xaames ces qualit\xc3\xa9s communes que les \nsens particuliers n\'aper\xc3\xa7oivent que par certains c\xc3\xb4t\xc3\xa9s, \nsavoir : l\'\xc3\xa9tendue , le mouvement , le temps et le \nnombre. \n\nLe premier sensitif n\'est pas seulement le centre des \nsens particuliers ; il en est le principe. Toutes nos sen- \nsations l\'affectent et le modifient , et chaque sens par- \nticulier lui communique toutes ses impressions. C\'est \nlui qui touche par le toucher et qui voit par la vue. \nSon action est aussi plus continue que celle des sens \n\n\n\nRESUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 277 \n\nparticuliers , et tandis que ceux-ci, c\xc3\xa9dant \xc3\xa0 la fatigue, \nnous abandonnent dans l\'inertie du sommeil , la sen- \nsibilit\xc3\xa9 agit encore dans le premier sensitif , et vit du \nmoins par l\'imagination. \n\nLa sensation est souvent accus\xc3\xa9e d\'erreur. Pour \nappr\xc3\xa9cier ce reproche \xc3\xa0 sa juste valeur, il faut \xc3\xa9tablir \nentre les objets de nos sens une distinction impor- \ntante. \n\nParmi les objets sensibles , les uns , propres ou \ncommuns , sont sensibles par eux-m\xc3\xaames ; d\'autres \nne le sont que par accident. J\'appelle sensible par \nsoi-m\xc3\xaame un objet que je per\xc3\xa7ois actuellement par le \nsens qui s\'y rapporte , la couleur que je vois, le son \nque j\'entends. J\'appelle sensible par accident un \nobjet dont je juge par un sens autre que celui auquel \nil se rapporte proprement , comme cela nous arrive \nquand nous avons associ\xc3\xa9 ensemble deux faits sen- \nsibles : l\'un des deux venant \xc3\xa0 se produire et un seul \nde nos sens \xc3\xa9tant affect\xc3\xa9 , nous jugeons n\xc3\xa9anmoins \ndes deux faits , comme si tous les deux nous \xc3\xa9taient \nconnus actuellement. Si par exemple un corps a \xc3\xa9t\xc3\xa9 \nconnu \xc3\xa0 la fois par la vue comme blanc et par le \ntoucher comme froid , la vue s\'y appliquant seule \nen un moment donn\xc3\xa9, nous ne jugeons pas seule- \nment que ce corps est blanc, nous disons encore \nqu\'il est froid , quoique le sens qui juge du chaud et \ndu froid n\'ait pas \xc3\xa9t\xc3\xa9 consult\xc3\xa9. La vue ne peut juger \ndu froid que par accident , et ce sont les objets ainsi \nconnus d\'une mani\xc3\xa8re indirecte que j\'appelle sen- \nsibles par accident. \n\nOr la sensation , quand elle porte sur les sensibles \npar accident, peut \xc3\xaatre tant\xc3\xb4t vraie, tant\xc3\xb4t fausse. \n\n\n\n278 RESUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nMais quand elle porte sur ses objets propres et en \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ral sur ce qui est sensible de soi-m\xc3\xaame , elle esl \ntoujours vraie , pourvu que Ton consulte , non pas \nun homme priv\xc3\xa9 de ses sens par la maladie ou par \nquelque accident f mais l\'homme bien portant et dont \nles sens sont en bon \xc3\xa9tat. On ne peut pas non plus \nopposer s\xc3\xa9rieusement les r\xc3\xaaveries de celui qui dort \xc3\xa0 \nla connaissance claire et distincte de l\'homme qui \nveille ; et quant \xc3\xa0 supposer qu\'on n\'est jamais bien \ns\xc3\xbbr de ne pas r\xc3\xaaver alors qu\'on voit et qu\'on entend \nen acte , cette objection est sans valeur contre le t\xc3\xa9- \nmoignage de nos sens ; car personne ne saurait se \nfaire s\xc3\xa9rieusement cette question : Suis-je endormi? \nsuis-je \xc3\xa9veill\xc3\xa9? \n\nLorsqu\'un de nos sens a \xc3\xa9t\xc3\xa9 induit en erreur, soit \nparce qu\'il jugeait d\'un objet sensible par accident r \nsoit parce qu\'il \xc3\xa9tait dans un \xc3\xa9tat de maladie ou d\'im- \nperfection, son jugement peut \xc3\xaatre corrig\xc3\xa9 par une \nfacult\xc3\xa9 sup\xc3\xa9rieure. C\'est ainsi que la vue redresse le \ntoucher, et qu\'elle peut \xc3\xa0 son tour \xc3\xaatre redress\xc3\xa9e par \n\xc3\xaee sens commun ou par l\'entendement. \n\nA la sensation proprement dite succ\xc3\xa8de\' un acte \nqui en r\xc3\xa9sulte et qui lui est pareil : c\'est l\'imagina- \ntion ou fantaisie. Apr\xc3\xa8s l\'\xc3\xa9loignement de l\'objet sen- \nsible que nous avons per\xc3\xa7u , quelque chose demeure \ndans l\'\xc3\xa2me , et ce n\'est ni la sensation elle-m\xc3\xaame ni \nl\'objet , mais la forme de cet objet , c\'est-\xc3\xa0-dire une \nid\xc3\xa9e sensible qui persiste au premier sensitif et qui \npeut devenir un objet de perception. Nous pouvons \ndonc nous repr\xc3\xa9senter un objet absent, si le sens \ncommun s\'applique \xc3\xa0 son id\xc3\xa9e sensible : car alors il \nse produit dans la sensibilit\xc3\xa9 un mouvement pareil \xc3\xa0 \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 279 \n\ncelui qu\'y produirait l\'objet lui-m\xc3\xaame. Lorsque l\'id\xc3\xa9e \nsensible est ainsi devenue repr\xc3\xa9sentation ou image de \nson objet , il y a , non pas sensation , mais fantaisie \nou imagination. Cet acte, on le voit, d\xc3\xa9pend de la \nsensibilit\xc3\xa9 et s\'y rapporte essentiellement. \n\nLorsque les repr\xc3\xa9sentations ont lieu pendant le \nsommeil , la perception de ces images constitue pro- \nprement l\'\xc3\xa9tat de r\xc3\xaave. \n\nUn des caract\xc3\xa8res distinctifs de la fantaisie , com- \npar\xc3\xa9e \xc3\xa0 la sensation , c\'est qu\'elle peut porter sur des \nchoses absentes et sur des faits accomplis , tandis que \nla sensation n\'a pour objet que le pr\xc3\xa9sent. Tant que \nl\'imagination ne fait que contempler une image , elle \nn\'offre rien de particulier et ne change point de nom ; \nmais si \xc3\xa0 cette perception elle ajoute la double notion \nde l\'objet que repr\xc3\xa9sente cette image et du temps \n\xc3\xa9coul\xc3\xa9 depuis que nous l\'avons connu , alors l\'ima- \ngination prend le nom de souvenir, et l\'habitude du \nsouvenir constitue la m\xc3\xa9moire. \n\nLa fantaisie , le r\xc3\xaave et le souvenir sont des modes \ndu premier sensitif, et par cons\xc3\xa9quent ils appar- \ntiennent \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9. C\'est pourquoi on les fait \nrentrer dans la vie sensitive de l\'animal , bien que \ntous les animaux n\'en soient pas \xc3\xa9galement pourvus. \n\nL\'imagination , sous ses diff\xc3\xa9rents aspects , est \nl\'acte le plus \xc3\xa9lev\xc3\xa9 de la puissance sensitive et de la \nvie animale. La repr\xc3\xa9sentation en acte est le dernier \nr\xc3\xa9sultat de la sensation , et d\xc3\xa9j\xc3\xa0 ce n\'est plus une \nchose sensible. Elle est sup\xc3\xa9rieure \xc3\xa0 l\'id\xc3\xa9e sensible , \nen ce que celle-ci a une mati\xc3\xa8re , tandis que la re- \npr\xc3\xa9sentation en acte est sans aucune mati\xc3\xa8re en elle- \nm\xc3\xaame. Mais compar\xc3\xa9e \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e , l\'image ne con- \n\n\n\n280 K\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\ntient en acte et dans sa puret\xc3\xa9 que la forme sensible \nde l\'objet particulier et individuel. La forme intelli- \ngible et la pens\xc3\xa9e n\'y sont encore qu\'en puissance. \n\nTelle est la nature , tels sont les degr\xc3\xa9s de la con- \nnaissance sensitive , c\'est-\xc3\xa0-dire de celle qui se ren- \ncontre chez les animaux autres que l\'homme. C\'est \npar l\xc3\xa0 que d\xc3\xa9bute l\'homme lui-m\xc3\xaame. Car de m\xc3\xaame \nque l\'animal commence par la vie nutritive, de m\xc3\xaame \nl\'\xc3\xa2me humaine ne vit d\'abord que par les sens et par \nla puissance sensitive. L\'entendement n\'y para\xc3\xaet que \nplus tard, et c\'est du dehors que l\'intellect vient s\'y \najouter. \n\nL\'entendement diff\xc3\xa8re de la sensibilit\xc3\xa9 , comme la \npens\xc3\xa9e diff\xc3\xa8re de la sensation ou l\'objet intelligible \nde l\'objet sensible. \n\nLa sensation a pour objet les choses particuli\xc3\xa8res ? \nindividuelles, qui ont une mati\xc3\xa8re et qui sont ext\xc3\xa9- \nrieures. Elle ne conna\xc3\xaet que le fait et n\'atteint pas la \ncause. \n\nL\'objet intelligible au contraire est g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, uni- \nversel , pr\xc3\xa9sent dans l\'\xc3\xa2me , et l\'intelligible par excel- \nlence, c\'est la cause et l\'essence immat\xc3\xa9rielle, ce \nsont les principes. \n\nParmi les principes , les uns ne sauraient \xc3\xaatre au- \ntrement qu\'on ne les con\xc3\xa7oit , ils sont n\xc3\xa9cessaires; les \nautres pourraient \xc3\xaatre autrement qu\'ils ne sont pens\xc3\xa9s, \nils sont contingents. II y a donc lieu de diviser l\'en- \ntendement comme son objet en deux parties, l\'une \ns\'appliquant au n\xc3\xa9cessaire , l\'autre portant sur le \ncontingent : la premi\xc3\xa8re de ces deux parties est dite \nscientifique , c\'est l\'entendement pur ou intellect \ncontemplatif ; la seconde est dite logistique ou d\xc3\xa9- \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 281 \n\nlib\xc3\xa9raiive , et comprend l\'entendement pratique. \n\nDe plus , les principes sont en acte ou en puis- \nsance; ces deux \xc3\xa9tats de l\'intelligible d\xc3\xa9terminent \ndeux \xc3\xa9tats semblables dans l\'entendement : il est aussi \nen puissance ou en acte. \n\nL\'entendement, comme la sensibilit\xc3\xa9 , peut \xc3\xaatre en \npuissance de deux mani\xc3\xa8res. Il est en puissance dans \nl\'homme , tant que celui-ci ne vit que par la puis- \nsance sensitive. Puis lorsque plus tard la facult\xc3\xa9 de \npenser lui est donn\xc3\xa9e en partage , elle est encore \nen puissance par rapport \xc3\xa0 son objet, tant qu\'elle ne \nle pense point en acte. Essayons d\'expliquer ce double \npassage de la puissance \xc3\xa0 l\'acte : nous aurons expli- \nqu\xc3\xa9 par cela m\xc3\xaame en quoi la connaissance intelli- \ngible diff\xc3\xa8re de la connaissance sensible , et comment \nl\'homme succ\xc3\xa8de en nous \xc3\xa0 l\'animal , sous le rapport \nde la connaissance. \n\nLes principes , dont l\'acte constitue l\'intelligible , \nne sont qu\'en puissance dans l\'universel : car l\'uni- \nversel est mati\xc3\xa8re par rapport \xc3\xa0 la cause et \xc3\xa0 l\'es- \nsence. \n\nL\'universel \xc3\xa0 son tour est en quelque fa\xc3\xa7on dans \nles objets sensibles : il est par cons\xc3\xa9quent accessible \nen une certaine mesure \xc3\xa0 la sensation. En effet , cette \ncouleur particuli\xc3\xa8re que je per\xc3\xa7ois est une couleur \nen g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , en sorte que ma sensation qui ne conna\xc3\xaet \ndirectement qu\'un objet individuel , atteint n\xc3\xa9anmoins \nl\'universel en tant qu\'il est contenu dans le particu- \nlier. Ajoutons \xc3\xa0 cela que l\'universel n\'a point d\'exis- \ntence s\xc3\xa9par\xc3\xa9e en dehors des individus , et que sans la \nconnaissance des individus il serait impossible de \ns\'\xc3\xa9lever \xc3\xa0 la notion du genre. On peut donc dire que \n\n\n\n282 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\njusqu\'\xc3\xa0 un certain point la sensation contient la \nscience en puissance. Mais s\'il est vrai que dans \nl\'homme la pens\xc3\xa9e pr\xc3\xa9suppose la sensation , com- \nment encore une fois peut-on expliquer le passage de \nl\'une \xc3\xa0 l\'autre? \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 , nous l\'avons vu , ne per\xc3\xa7oit point la \nmati\xc3\xa8re de son objet , mais seulement la forme ou la \nqualit\xc3\xa9 dont elle a \xc3\xa9t\xc3\xa9 affect\xc3\xa9e et \xc3\xa0 laquelle elle a \xc3\xa9t\xc3\xa9 \nrendue semblable. Lorsque l\'objet de la sensation a \ndisparu, ou lorsqu\'il a cess\xc3\xa9 d\'agir sur nous, le sens \ncommun en conserve la form\xc3\xa9 ou l\'id\xc3\xa9e , encore tout \nindividuelle , et par cons\xc3\xa9quent mat\xc3\xa9rielle et sensible. \nCette forme ou id\xc3\xa9e sensible d\xc3\xa9gag\xc3\xa9e de sa mati\xc3\xa8re \npar l\'effet de l\'imagination , devient ce que nous avons \nappel\xc3\xa9 une repr\xc3\xa9sentation ou une image , et c\'est \ncette image qui est le premier objet de la pens\xc3\xa9e. En \neffet , quand plusieurs sensations se sont produites , \nlaissant dans l\'\xc3\xa2me apr\xc3\xa8s elles des images immat\xc3\xa9- \nrielles d\'objets particuliers , nous sommes d\'abord \nfrapp\xc3\xa9s des diff\xc3\xa9rences qui les s\xc3\xa9parent , et nous ne \nnous arr\xc3\xaatons \xc3\xa0 aucune de ces notions , parce que \nnous n\'avons pas encore aper\xc3\xa7u un point fixe o\xc3\xb9 nous \npuissions les rattacher. Mais si par l\'abstraction nous \n\xc3\xa9cartons les diff\xc3\xa9rences , alors , par un mouvement na- \nturel qui porte l\'esprit du particulier au g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , \nnous nous \xc3\xa9levons \xc3\xa0 la conception du caract\xc3\xa8re com- \nmun \xc3\xa0 tous ces objets ; nous apercevons ce qui en \nfait la ressemblance et l\'unit\xc3\xa9, c\'est-\xc3\xa0-dire le genre \nou l\'universel. C\'est alors que l\'image devient un objet \nde pens\xc3\xa9e (vor^.a). Or le proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 par lequel nous \nnous \xc3\xa9levons du particulier \xc3\xa0 l\'universel est l\'induc- \ntion , premier point de d\xc3\xa9part de la science. Nous \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 GENERAL. 283 \n\npouvons ainsi concevoir plusieurs genres ou univer- \nsels , et en op\xc3\xa9rant sur eux de la m\xc3\xaame mani\xc3\xa8re , \narriver \xc3\xa0 quelque terme premier et indivisible qui ne \nse puisse ramener \xc3\xa0 aucun autre. C\'est ainsi que par \ndegr\xc3\xa9s l\'esprit s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve jusqu\'\xc3\xa0 la conception des dix \ngenres premiers ou cat\xc3\xa9gories qui pr\xc3\xa9sident \xc3\xa0 toute \npens\xc3\xa9e, \xc3\xa0 tout raisonnement. \n\nL\'universel est donc aper\xc3\xa7u par le moyen de l\'in- \nduction ; mais l\'universel est encore quelque chose \nd\'ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9. Il est le point de d\xc3\xa9part et la mati\xc3\xa8re \nde la science ; il n\'en devient le principe propre que \nlorsqu\'il a \xc3\xa9t\xc3\xa9 d\xc3\xa9termin\xc3\xa9 par la d\xc3\xa9finition qui fait \nconna\xc3\xaetre la forme et l\'essence. L\'induction n\'est donc \npas le seul fondement de la connaissance scientifique : \nil y faut ajouter la d\xc3\xa9finition. \n\nL\'universel \xc3\xa9tant plus voisin de la sensation , est \nplus accessible et plus notoire que les principes \xc3\xa0 \nnotre point de vue. Mais d\'une mani\xc3\xa8re absolue , rien \nn\'est plus notoire que les principes. La pens\xc3\xa9e par \nexcellence , la pens\xc3\xa9e en acte est donc celle qui porte \nsur les principes. \n\nOn voit par ce que nous venons de dire que sans \nla sensation la pens\xc3\xa9e serait impossible; car on ne \npeut induire l\'universel que du particulier, et le par- \nticulier ne nous est connu que par la sensation. L\xc3\xa0 \ndonc o\xc3\xb9 la sensation est accompagn\xc3\xa9e d\'imagination \net de m\xc3\xa9moire , l\xc3\xa0 seulement , dis-je , la pens\xc3\xa9e est \npossible : l\xc3\xa0 seulement il y a entendement en puis- \nsance , parce que la sensation et l\'exp\xc3\xa9rience sont la \ncondition indispensable de l\'induction, laquelle \xc3\xa0 son \ntour peut seule atteindre l\'universel. \n\nMais quoi , les principes ne sont-ils pas ce qu\'il y \n\n\n\n284 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\na de plus notoire ? Leur \xc3\xa9vidence est-elle donc d\xc3\xa9- \nriv\xc3\xa9e de celle des choses sensibles? N\'avons-nous \npas dit aussi que rien ne passe de la puissance \xc3\xa0 \nl\'acte sans le concours de quelque chose qui soit en \nacte? O\xc3\xb9 est donc l\'intelligible en acte qui fait que \nl\'entendement passe de la puissance \xc3\xa0 l\'acte ? \n\nTant que l\'intellect n\'est devenu aucun des intelli- \ngibles, il est toujours en puissance : il ne pense point. \nPour penser en acte , il lui faut le concours de l\'in- \ntelligible en acte , c\'est-\xc3\xa0-dire de l\'intellect lui-m\xc3\xaame \nqui est le principe des principes , j\'entends de l\'in- \ntellect divin , qui est en acte et qui se pense \xc3\xa9ternel- \nlement lui-m\xc3\xaame. C\'est cette lumi\xc3\xa8re \xc3\xa9ternelle et di- \nvine , venue du dehors en nous , qui ach\xc3\xa8ve notre \nnature et constitue d\xc3\xa9finitivement notre essence , en \napportant l\'unit\xc3\xa9 dans nos conceptions , en \xc3\xa9clairant \nles objets de notre pens\xc3\xa9e , et en faisant ainsi passer \xc3\xa0 \nl\'acte et ces objets et notre pens\xc3\xa9e elle-m\xc3\xaame (1 ). Alors \nseulement l\'intellect est en nous comme une habitude \nqui nous est propre ; alors seulement il pense en acte , \net devenu intelligible il se pense lui-m\xc3\xaame; alors seu- \nlement il est l\'organe spirituel de l\'\xc3\xa2me (2) et la \nforme des formes (3). L\'intellect en acte est \xc3\xa9ternel et \npense toujours (4) , et sa pens\xc3\xa9e , identique \xc3\xa0 son \nobjet , se pense elle-m\xc3\xaame. \n\nC\'est par cette partie divine de notre \xc3\xa2me que nous \nconcevons les principes , par lesquels seuls nous \npouvons conna\xc3\xaetre tout le reste. \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 5, \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9laph., XII, 7, 9; XIII, 2; G\xc3\xaaner, des \nanim., II, 3, p. 736, b, 1. 28 , et ch. 6, p. 744, b, 1. 21 ; Mor. \xc3\xa0 Nie, \nVI, 13, p. 1144, b, 1. 10 suiv. ; X , 7, p. 1 177, b, 1. 28, 30.-(2) Probl., \nXXX, 6. - (3) De l\'\xc3\xa2me, III, 8, \xc2\xa7 2. - (4)lbid., ch. 5, \xc2\xa72. \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. -285 \n\nLes objets propres de l\'intellect sont les essences et \nles notions indivisibles , que nous concevons en une \npens\xc3\xa9e et en un temps \xc3\xa9galement indivisibles. L\'er- \nreur ne s\'attache jamais aux objets et aux pens\xc3\xa9es de \nce genre. L\'intellect qui pense les principes et les es- \nsences indivisibles est \xc3\xa9ternellement vrai. L\'erreur ne \nse produit que l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 il y a combinaison (ffu/^ovo?) de \ntermes , c\'est-\xc3\xa0-dire affirmation ou n\xc3\xa9gation. \n\nLes termes indivisibles de notre pens\xc3\xa9e s\'expriment \ndans le langage par des mots sans lien entre eux. \n\nLes affirmations et les n\xc3\xa9gations s\'expriment par \ndes propositions. Toute proposition , affirmative ou \nn\xc3\xa9gative , est vraie ou fausse. \n\nLorsque deux propositions \xc3\xa9tant admises , il en \nr\xc3\xa9sulte n\xc3\xa9cessairement une troisi\xc3\xa8me diff\xc3\xa9rente des \ndeux premi\xc3\xa8res , mais qui a un terme commun avec \nchacune d\'elles , une telle \xc3\xa9nonciation s\'appelle syl- \nlogisme. Le syllogisme est d\xc3\xa9monstratif, lorsqu\'il \nproduit la science , c\'est-\xc3\xa0-dire , lorsqu\'il nous fait \nconna\xc3\xaetre une chose par sa cause , en sorte que cette \nchose ne saurait \xc3\xaatre autrement que nous ne la con- \ncevons. \n\nLa proposition et le syllogisme du contingent , du \nprobable et de l\'apparence , appartiennent \xc3\xa0 la partie \nlogistique de l\'entendement. Cette partie en effet \na pour actes principaux l\'opinion , la r\xc3\xa9miniscence et \nla d\xc3\xa9lib\xc3\xa9ration. \n\nL\'opinion n\'est autre chose que la conception \nd\'une proposition imm\xc3\xa9diate , se rapportant propre- \nment au contingent et par accident au n\xc3\xa9cessaire , \nquand il n\'est point connu pour tel. \n\nLa r\xc3\xa9miniscence est le mouvement de l\'esprit qui \n\n\n\n286 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. \n\nrecherche \xc3\xa0 l\'aide de la m\xc3\xa9moire une impression , \nune opinion ou une pens\xc3\xa9e scientifique d\xc3\xa9j\xc3\xa0 connue. \nCette recherche se fait par voie de syllogisme et se \nfonde sur les rapports de succession , de contigu\xc3\xaft\xc3\xa9 , \nd\'opposition ou de ressemblance qui existent entre \nles objets de la connaissance. \n\nEnfin le principal usage du syllogisme du contin- \ngent a lieu dans la d\xc3\xa9lib\xc3\xa9ration , syllogisme qui se \nfonde sur les deux id\xc3\xa9es du bien et du possible. Le \nbien r\xc3\xa9el ou apparent nous \xc3\xa9tant propos\xc3\xa9 par la \npens\xc3\xa9e pure 7 ou par l\'opinion , ou par la fantaisie , d\xc3\xa8s \nque l\'id\xc3\xa9e de ce que nous pouvons faire nous a \xc3\xa9t\xc3\xa9 \ndonn\xc3\xa9e par une opinion particuli\xc3\xa8re , par la fantaisie \nou par la sensation , nous tirons de l\xc3\xa0 comme con- \nclusion la n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 d\'agir conform\xc3\xa9ment \xc3\xa0 ces prin- \ncipes j| et le terme o\xc3\xb9 s\'arr\xc3\xaate notre pens\xc3\xa9e est le point \nde d\xc3\xa9part et le commencement de l\'action. \n\nMais il est temps d\'expliquer ce second fait qui , \navec la connaissance, caract\xc3\xa9rise la vie de l\'animal et \ncelle de l\'homme : je veux parler du mouvement et \nde l\'action. \n\nTout acte de l\'\xc3\xa2me, soit dans sa partie sensitive, \nsoit dans sa partie intellectuelle, est termin\xc3\xa9 ou carac- \nt\xc3\xa9ris\xc3\xa9 par un sentiment de plaisir ou de peine. Le \nplaisir est un mouvement de l\'\xc3\xa2me qui , par un effet \nsoudain et sensible , nous procure un \xc3\xa9tat conforme \xc3\xa0 \nnotre nature pr\xc3\xa9sente. La douleur est tout le contraire. \nLe plaisir est donc l\'ach\xc3\xa8vement de tout acte con- \nforme \xc3\xa0 la nature et au bien. Le plaisir et la peine \nsont les mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre de la sensibilit\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard \ndu bien et du mal ; et c\'est le propre du plaisir de \nprovoquer dans l\'\xc3\xa2me un app\xc3\xa9tit ou mouvement de \n\n\n\nRESUME G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 287 \n\nrecherche , comme c\'est le propre de la peine de \nnous inspirer de la r\xc3\xa9pugnance pour son objet. L\'ap- \np\xc3\xa9tit est m\xc3\xbb par le bien ou par le plaisir, r\xc3\xa9el ou ap- \nparent , et il meut \xc3\xa0 son tour l\'animal en vue de cette \nfin : aussi est-il le principe de tout mouvement et de \ntoute action. \n\nL\'app\xc3\xa9tit est de trois esp\xc3\xa8ces : il comprend le d\xc3\xa9sir, \nla passion et la volont\xc3\xa9. \n\nLe d\xc3\xa9sir est l\'app\xc3\xa9tit de l\'agr\xc3\xa9able ou du plaisir. \nTant\xc3\xb4t il exprime un besoin naturel et se rapporte \xc3\xa0 \nquelque chose qui nous est n\xc3\xa9cessaire , tels sont les \nd\xc3\xa9sirs de la faim , del\xc3\xa0 soif, etl\'app\xc3\xa9titdu sexe. Tant\xc3\xb4t \nles d\xc3\xa9sirs , sans cesser d\'\xc3\xaatre naturels , s\'attachent au \nsuperflu , \xc3\xa0 ce qui n\'est pas indispensable pour notre \nconservation et celle de l\'esp\xc3\xa8ce : tels sont les d\xc3\xa9sirs \nde la propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 et de la richesse , de la domination ou \ndel\xc3\xa0 sup\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 sur nos semblables, de l\'estime et \ndes honneurs. Mais qu\'ils aient pour objet le n\xc3\xa9ces- \nsaire ou le superflu , nos d\xc3\xa9sirs t\xc3\xa9moignent tous d\'un \nbesoin et sont accompagn\xc3\xa9s d\'une certaine souffrance, \nen sorte que le plaisir o\xc3\xb9 ils nous conduisent para\xc3\xaet \nbien moins d\xc3\xa9sirable pour lui-m\xc3\xaame que comme \nmoyen d\'\xc3\xa9chapper \xc3\xa0 la douleur. \n\nLa passion est , aussi bien que le d\xc3\xa9sir, une source \nde plaisirs et de peines. Elle est le principe de deux \naffections contraires , l\'amour et la haine. Elle n\'est \npoint l\'effet du choix et de la r\xc3\xa9flexion : aussi se ren- \ncontre-t-elle chez les animaux autres que l\'homme; \nmais elle diff\xc3\xa8re du d\xc3\xa9sir en ce qu\'elle est bien plus \ncapable que lui d\'entendre jusqu\'\xc3\xa0 un certain point \nles ordres de la raison. \n\nLa passion et le d\xc3\xa9sir sont les deux formes de \n\n\n\n288 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL\xc2\xbb \n\nl\'app\xc3\xa9tit sensitif et non raisonnable , c\'est-\xc3\xa0-dire de \nl\'app\xc3\xa9tit proprement dit. \n\nCet app\xc3\xa9tit animal est toujours accompagn\xc3\xa9 de fan- \ntaisie, car c\'est l\'imagination qui lui donne la con- \nnaissance de son objet, et lorsque cet objet lui est \nconnu , l\'app\xc3\xa9tit dispose le corps au mouvement par \nle moyen des passions. \n\nLes passions sont tous les mouvements de l\'\xc3\xa2me qui \ntroublent le jugement et qui sont accompagn\xc3\xa9s ou \nsuivis de plaisir ou de peine. Tels sont le d\xc3\xa9sir, la \npassion et les \xc3\xa9motions qui sont l\'effet de l\'un ou de \nl\'autre, comme la col\xc3\xa8re , l\'audace , la piti\xc3\xa9, la crainte, \nl\'indignation, la pudeur, la joie , la tristesse , la com- \npassion et l\'envie. Toute passion est accompagn\xc3\xa9e de \nchaud et de froid dans le corps , et c\'est ainsi que par \nles passions l\'app\xc3\xa9tit agit sur les organes de la loco- \nmotion et les dispose au mouvement. \n\nLe mouvement , de quelque nature qu\'il soit , sup- \npose toujours trois choses : un moteur immobile, un \nobjet m\xc3\xbb et quelque chose d\'interm\xc3\xa9diaire qui est m\xc3\xbb \net qui meut tout ensemble. Dans le mouvement de \nlocomotion qui se produit chez l\'animal , l\'objet qui \nest m\xc3\xbb , c\'est le corps -, le moteur immobile , c\'est le \nd\xc3\xa9sirable ou la notion du d\xc3\xa9sirable ; et le moteur mo- \nbile, la cause imm\xc3\xa9diate de la locomotion , c\'est l\'ap- \np\xc3\xa9tit qui est m\xc3\xbb par la fantaisie et qui meut \xc3\xa0 son tour \nl\'animal. \n\nLe mouvement local se rencontre chez les animaux \nautres que l\'homme , parce que tous ont quelque ap- \np\xc3\xa9tit ; mais l\'homme seul a le privil\xc3\xa8ge de l\'action , \nparce que l\'action r\xc3\xa9sulte de la volont\xc3\xa9 et suppose la \nraison. \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL, 289 \n\nLa volont\xc3\xa9 n\'est autre chose que l\'app\xc3\xa9tit dans la \npartie logistique de l\'\xc3\xa0me humaine. C\'est un app\xc3\xa9tit \nraisonnable qui recherche le bien pour lui-m\xc3\xaame. \n\nLa volont\xc3\xa9 combin\xc3\xa9e avec le raisonnement produit \nla d\xc3\xa9termination libre , le choix ou pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence rai- \nsonn\xc3\xa9e. Le choix est un acte tout \xc3\xa0 fait propre \xc3\xa0 \nl\'homme, puisqu\'il suppose \xc3\xa0 la fois la volont\xc3\xa9 et la \npens\xc3\xa9e : il ne r\xc3\xa9sulte pas de l\'une ou de l\'autre ex- \nclusivement, mais toutes deux concourent \xc3\xa0 le pro- \nduire , et il n\'est que deux mani\xc3\xa8res de le d\xc3\xa9finir : \nc\'est ou l\'app\xc3\xa9tit r\xc3\xa9gl\xc3\xa9 par la pens\xc3\xa9e, ou la pens\xc3\xa9e \nd\xc3\xa9termin\xc3\xa9e par l\'app\xc3\xa9tit. En un mot le libre choix \nexprime toute notre nature dans ce qu\'elle a d\'es- \nsentiel , et l\'on peut dire que le choix , c\'est l\'homme \ntout entier ( 1 ) . \n\nEn effet , si nous voulons nous rendre compte de ce \nqui nous \xc3\xa9l\xc3\xa8ve au-dessus de tous les autres animaux , \ndou\xc3\xa9s comme nous de connaissance et de mouvement, \nnous trouverons que le caract\xc3\xa8re distinctif de l\'homme \nconsiste dans la forme la plus \xc3\xa9minente de ces deux \nactes. A ne prendre que l\'app\xc3\xa9tit , l\'homme seul pos- \ns\xc3\xa8de l\'app\xc3\xa9tit raisonnable , la volont\xc3\xa9. A consid\xc3\xa9rer la \nconnaissance, l\'homme a seul en partage la raison, \nl\'intellect, la pens\xc3\xa9e pure. La nature tout enti\xc3\xa8re de \nl\'homme se r\xc3\xa9sume dans ces trois mots : corps , ap- \np\xc3\xa9tit, intelligence (2). Mais s\'il est de bonne logique \nde d\xc3\xa9finir un \xc3\xaatre par son essence et de regarder \ncomme son essence la partie la plus excellente de lui- \nm\xc3\xaame, nous d\xc3\xa9finirons l\'homme par la partie scienti- \n\n\n\n(i)Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 2, p. 1139, b, 1. 5. \xe2\x80\x94 (2) Polit., IV, 13, \xc2\xa723. \n\n19 \n\n\n\n290 R\xc3\x89SUM\xc3\x89 GENERAL. \n\nfiqne de l\'entendement , et nous dirons de lui que c\'est \nun animal capable de science (1). \n\nC\'est parce que l\'homme a seul la raison et la vo- \nlont\xc3\xa9, et par suite le choix de ses actions, qu\'il est \nseul capable de la vertu soit intellectuelle , soit m\xc3\xaame \nmorale. \n\nOn trouve bien, il est vrai , dans les enfants et dans \ncertains animaux des semences de certaines vertus \nmorales , telles que le courage , la douceur, la tem- \np\xc3\xa9rance et autres de ce genre ; mais il n\'y a vertu \net vice que l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 l\'on peut appliquer l\'\xc3\xa9loge et le \nbl\xc3\xa2me. Or on ne peut louer ou bl\xc3\xa2mer que les actions \nou les habitudes dont le principe est dans la volont\xc3\xa9 \nou dans le choix de l\'homme. Ce n\'est que sous l\'in- \nfluence de la volont\xc3\xa9 et de la raison que se contracte \nune habitude vertueuse ou vicieuse. L\'habitude ver- \ntueuse est celle qui est conforme \xc3\xa0 notre nature et \xc3\xa0 \nnotre bien ; l\'habitude vicieuse est celle qui n\'y est \npas conforme. \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 et l\'entendement ont leurs habitudes \npropres. Les vertus de la sensibilit\xc3\xa9 sont celles qui \nnaissent de nos coutumes et de nos m\xc5\x93urs , et qui \npour cette raison sont appel\xc3\xa9es morales. Elles se rap- \nportent \xc3\xa0 nos sentiments de plaisir et de peine , et \nconsistent en une certaine mod\xc3\xa9ration dans l\'usage \nque nous en faisons ; de telle sorte qu\'elles tiennent \npour ainsi dire le milieu entre le trop et le trop peu , \nentre l\'exc\xc3\xa8s et le d\xc3\xa9faut en chaque genre. \n\nLes vertus intellectuelles ou de l\'entendement sont \n\n\n\nCl) Top., V, 1, \xc2\xa7 4. Voyez la critique que fait Descartes de cette d\xc3\xa9fini- \ntion , dans la II e M\xc3\xa9dit. \n\n\n\nR\xc3\x89SUM\xc3\x89 G\xc3\x89N\xc3\x89RAL. 291 \n\nde deux sortes : les unes se rapportent \xc3\xa0 la partie d\xc3\xa9- \nlib\xc3\xa9rative et se r\xc3\xa9sument dans l\'art et la prudence , ou \nsagesse pratique ; les autres se produisent dans la \npartie scientifique : ce sont la sagesse proprement \ndite et la science. \n\nLe plaisir accompagne l\'exercice de chacune de \nnos habitudes ; le plaisir le plus pur et le plus noble \nest celui qui r\xc3\xa9sulte du plus grand bien. \n\nSi l\'homme est par essence capable de la science, \nson bien consistera dans la possession et l\'usage ac- \ntuel de la science , c\'est-\xc3\xa0-dire dans la contemplation \net dans le bonheur indicible qui s\'y attache. \n\n\n\nCHAPITRE 11. \n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME , TELLE QUE l\'a COMPRISE ARISTOT\xc3\x89. \n\nLe r\xc3\xa9sum\xc3\xa9 qu\'on vient de lire indique clairement \nl\'objet et les limites de la critique que nous allons es- \nsayer. En rattachant \xc3\xa0 quelques points principaux la \ndoctrine d\'Aristote , notre intention a \xc3\xa9t\xc3\xa9 de circon- \nscrire \xc3\xa0 l\'avance notre nouvelle t\xc3\xa2che. \n\nLe but principal de ce travail \xc3\xa9tant de faire con- \nna\xc3\xaetre l\'\xc3\xa9tat de la science psychologique dans Aris- \ntote, il ne s\'agit dans cette seconde partie que d\'ache- \nver en quelque sorte notre exposition, en montrant la \ndistance qui nous s\xc3\xa9pare de ce philosophe , en faisant \nressortir la diff\xc3\xa9rence des temps et des m\xc3\xa9thodes, et en \nindiquant les progr\xc3\xa8s qui se sont accomplis en cer- \ntaines parties de la science. Soit que nous exprimions \nun \xc3\xa9loge sommaire, soit que nous \xc3\xa9mettions quelques \ndoutes , nous aurons \xc3\xa0 c\xc5\x93ur de parler au nom du \nsens commun interpr\xc3\xa9t\xc3\xa9 par la philosophie moderne \net surtout par la grande doctrine de Descartes. \n\nLa premi\xc3\xa8re question qui se pr\xc3\xa9sente est de savoir \nquel est l\'objet propre de la science de l\'\xc3\xa2me. Aris- \ntote attribue \xc3\xa0 cette science un tr\xc3\xa8s-vaste domaine , \nquoique ce ne soit \xc3\xa0 ses yeux qu\'un chapitre de la \nscience universelle. Je trouve ici d\xc3\xa8s le d\xc3\xa9but une op- \nposition flagrante entre l\'esprit analytique de la \nscience moderne, qui va toujours se divisant et se \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L*AME. 295 \n\nsp\xc3\xa9cialisant pour ainsi dire , et le caract\xc3\xa8re synth\xc3\xa9- \ntique de l\'entreprise d\' Aristote. Ce n\'est pas assez \npour lui d\'embrasser en une m\xc3\xaame \xc3\xa9tude l\'\xc3\xa2me et le \ncorps et de confondre ainsi la physiologie et la psy- \nchologie. Je n\'insiste pas tout d\'abord sur cette con- \nfusion : peut-\xc3\xaatre aurait-elle encore aujourd\'hui des \npartisans, pourvu (bien entendu) qu\'elle e\xc3\xbbt lieu au \nprofit de la physiologie. Mais Aristote va bien plus \nloin : il ne lui suffit pas d\'\xc3\xa9tudier notre nature morale , \nnotre organisation physique et les rapports de P\xc3\xa2me \net du corps. L\'homme n\'est qu\'une esp\xc3\xa8ce dans le \ngenre immense des \xc3\xaatres anim\xc3\xa9s, et la science g\xc3\xa9n\xc3\xa9- \nrale de l\'\xc3\xa2me ne saurait se tirer de l\'\xc3\xa9tude d\'une seule \nesp\xc3\xa8ce. En cons\xc3\xa9quence , Aristote se propose de con- \nsid\xc3\xa9rer \xc3\xa0 la fois l\'homme, l\'animal, la plante, en un \nmot tous les \xc3\xaatres dou\xc3\xa9s de vie. \n\nCe n\'est pas tout : cette science si \xc3\xa9tendue et si g\xc3\xa9-. \nn\xc3\xa9rale n\'est pour Aristote qu\'un fragment de sa vaste \nencyclop\xc3\xa9die. C\'est un d\xc3\xa9tail assez important , il est \nvrai , qu\'il s\'agit de rattacher \xc3\xa0 son syst\xc3\xa8me , et dont \nl\'explication est donn\xc3\xa9e d\'avance par sa grande th\xc3\xa9orie \nde l\'acte et de la puissance. Tout dans cette th\xc3\xa9orie \nest puissance, acte ou mouvement. La puissance, c\'est \nle possible, ce qui peut \xc3\xaatre; l\'acte, c\'est le possible \nr\xc3\xa9alis\xc3\xa9, c\'est ce qui est ou doit \xc3\xaatre*, le mouvement \nest le passage du non-\xc3\xaatre \xc3\xa0 l\'\xc3\xaatre , de la puissance \xc3\xa0 \nl\'acte. Cela pos\xc3\xa9, il est \xc3\xa9vident que l\'\xc3\xa2me sera en puis- \nsance ou en acte (1). Je ne m\'arr\xc3\xaate pas \xc3\xa0 faire re- \nmarquer combien ces hypoth\xc3\xa8ses pr\xc3\xa9alables , ces th\xc3\xa9o- \nries pr\xc3\xa9con\xc3\xa7ues , ces points de vue abstraits , \xc3\xa9tran- \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, I, l r \xc2\xa73, \n\n\n\n294 DE LA SCIENCE DE L\'AME. \n\ngers au sujet m\xc3\xaame auquel on les applique , sont peu \nconformes \xc3\xa0 une sage m\xc3\xa9thode exp\xc3\xa9rimentale. Sui- \nvons le raisonnement d\'Aristote. Si l\'\xc3\xa2me est en puis- \nsance , si elle est dans le corps un principe de mou- \nvement ins\xc3\xa9parable de la mati\xc3\xa8re et de la puissance , \nelle rentre parmi les objets dont traite la physique; \nsi au contraire elle est un acte s\xc3\xa9parable du corps, elle \nest du domaine de la m\xc3\xa9taphysique. Or il n\'y a dans \nl\'\xc3\xa2me qu\'une partie qui soit par elle-m\xc3\xaame un acte : \nc\'est l\'intellect ou entendement pur; cette partie sera \ndonc seule renvoy\xc3\xa9e \xc3\xa0 la science de l\'\xc3\xaatre en tant \nqu\'\xc3\xaatre, \xc3\xa0 la m\xc3\xa9taphysique. La cons\xc3\xa9quence est rigou- \nreuse ; mais que dire des principes qui nous condui- \nsent \xc3\xa0 un pareil r\xc3\xa9sultat? Notre \xc3\xaatre moral, si pro- \nfond\xc3\xa9ment un et simple, sera donc r\xc3\xa9parti entre deux \nsciences diff\xc3\xa9rentes et presque oppos\xc3\xa9es par leur objet : \nla m\xc3\xa9taphysique s\'occupera de la pens\xc3\xa9e pure, tandis \nque nos passions et nos d\xc3\xa9sirs , nos sensations, notre \nimagination et notre m\xc3\xa9moire sont rel\xc3\xa9gu\xc3\xa9es dans la \nphysique. Que devient l\'unit\xc3\xa9 de notre \xc3\xa2me dans cette \ndivision arbitraire? Certes, j\'admire autant qu\'un \nautre la distinction aristot\xc3\xa9lique de l\'acte et de la puis- \nsance : je la tiens pour vraie et profonde en m\xc3\xa9taphy- \nsique , dans le domaine des hautes abstractions; mais \nquand il ne s\'agit que d\'observer des \xc3\xaatres r\xc3\xa9els et \ndes faits d\'un certain genre, appliquer ces hautes \nformules sans aucune restriction ni modification , ce \nn\'est plus de la profondeur : c\'est plut\xc3\xb4t le contraire. \nProc\xc3\xa9der par voie d\'hypoth\xc3\xa8se et de raisonnement l\xc3\xa0 \no\xc3\xb9 l\'observation est seule de mise, c\'est assur\xc3\xa9ment \nune m\xc3\xa9thode dangereuse. Nous en avons ici une \npreuve bien frappante ; les vues g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales d\'Aristote \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME. 295 \n\nsur l\'\xc3\xa9tude de l\'\xc3\xa2me l\'ont conduit \xc3\xa0 ce double r\xc3\xa9sul- \ntat : il a mis l\'\xc3\xa2me et le corps dans une m\xc3\xaame science, \net il a rapport\xc3\xa9 \xc3\xa0 deux sciences diff\xc3\xa9rentes deux fa- \ncult\xc3\xa9s de la m\xc3\xaame \xc3\xa2me. \n\nMais consid\xc3\xa9rons la science de l\'\xc3\xa2me en elle-m\xc3\xaame , \nabstraction faite de ses rapports avec la physique et \nla m\xc3\xa9taphysique , et de la place qui lui est assign\xc3\xa9e. \n\nSuivant \xc3\x80ristote , on ne doit pas se renfermer dans \nT\xc3\xa9tude de l\'homme ; aucune \xc3\xa2me ne doit \xc3\xaatre laiss\xc3\xa9e \nde c\xc3\xb4t\xc3\xa9. Rien de plus vrai au point de vue de la science \nuniverselle; mais il faut bien en convenir, ce sont l\xc3\xa0 \nd\'immenses questions, et un philosophe n\'a que sa \nraison pour y r\xc3\xa9pondre. Or, quand la raison naturelle \nest ainsi livr\xc3\xa9e \xc3\xa0 ses propres forces en pr\xc3\xa9sence de pro- \nbl\xc3\xa8mes si consid\xc3\xa9rables , c\'est pour elle un devoir et \nune n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 de s\'appuyer sur une sage m\xc3\xa9thode ; et \nd\'abord, plus la difficult\xc3\xa9 est grande, plus il importe, \nsuivant le pr\xc3\xa9cepte de Descartes , de la \xc2\xab diviser en au- \ntant de parcelles qu\'il est requis pour la mieux r\xc3\xa9- \nsoudre (I ) \xc2\xbb . \n\nAristote , g\xc3\xa9nie essentiellement m\xc3\xa9thodique, ne pou- \nvait m\xc3\xa9conna\xc3\xaetre la n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 d\'observer un certain \nordre dans une question si complexe. Voici donc \nde quelle mani\xc3\xa8re il dispose les parties de la science \nde l\'\xc3\xa2me : il part de la d\xc3\xa9finition de l\'\xc3\xa2me en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \\ \npuis du genre ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9 il passe aux esp\xc3\xa8ces , en \ns\' \xc3\xa9levant de la forme la moins d\xc3\xa9termin\xc3\xa9e \xc3\xa0 la forme \nla plus parfaite, c\'est-\xc3\xa0-dire de la plante \xc3\xa0 l\'animal, \nde l\'animal \xc3\xa0 l\'homme et de l\'homme \xc3\xa0 Dieu. \n\nCette division est conforme \xc3\xa0 la m\xc3\xa9thode ordinaire \n\n(1) Disc, de la m\xc3\xa9thode, 2 e partie. \n\n\n\n296 DE LA SCIENCE DE L\'AME. \n\nd\'Aristote. Il n\'admet de science que du g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, aussi \nbien que Platon ; mais \xc3\xa0 la diff\xc3\xa9rence de Platon , il \nplace les principes dans les esp\xc3\xa8ces ou caract\xc3\xa8res dis- \ntinctifs, et non plus dans les genres ou caract\xc3\xa8res \ncommuns des \xc3\xaatres. La science , qui proc\xc3\xa8de unique- \nment par voie de d\xc3\xa9monstration (4), doit donc tirer \ndu genre , qui est sa mati\xc3\xa8re , les esp\xc3\xa8ces qui y sont \ncontenues : en passant ainsi du genre aux esp\xc3\xa8ces , \nla pens\xc3\xa9e va de la mati\xc3\xa8re \xc3\xa0 la forme et de la puis- \nsance \xc3\xa0 l\'acte. \n\nCette mani\xc3\xa8re synth\xc3\xa9tique convient merveilleuse- \nment au ma\xc3\xaetre qui enseigne; c\'est la forme la plus \nsimple et la plus claire de la science une fois achev\xc3\xa9e \net suppos\xc3\xa9e infaillible. Mais la science humaine, n\'en \nd\xc3\xa9plaise au dogmatisme d\'Aristote, est toujours \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tat \nde travail et de recherche , et la m\xc3\xa9thode dont elle \na surtout besoin est une m\xc3\xa9thode d\'observation et \nd\'analyse. Aristote consid\xc3\xa8re toujours la science \ncomme une chose faite : c\'est une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 qu\'il ne s\'agit \nque d\'enseigner, en passant des vues d\'ensemble \xc3\xa0 \nl\'examen des d\xc3\xa9tails (2). Les philosophes modernes , \ninstruits par l\'exp\xc3\xa9rience et par l\'histoire , ont sub- \nstitu\xc3\xa9 \xc3\xa0 cette m\xc3\xa9thode synth\xc3\xa9tique la m\xc3\xa9thode con- \ntraire. Un des pr\xc3\xa9ceptes essentiels de Descartes est \nde \xc2\xab conduire par ordre nos pens\xc3\xa9es , en commen\xc3\xa7ant \npar les objets les plus simples et les plus ais\xc3\xa9s \xc3\xa0 con- \nna\xc3\xaetre , pour monter peu \xc3\xa0 peu comme par degr\xc3\xa9s \njusqu\'\xc3\xa0 la connaissance des plus compos\xc3\xa9s (3). \xc2\xbb \n\nCe principe une fois admis , dans quel ordre doit-on \n\n\n\n(1) Gr. Mor. , I, 35 , p. H 97, a. \xe2\x80\x94 (2) De l\'\xc3\xa2me, 1 , 1 pass. ; Phys. , I, 1 .\xe2\x80\x94 \n(3) Disc, de la m\xc3\xa9thode, 1. c. \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME. 297 \n\n\xc3\xa9tudier les diverses parties de la science ? Quel est ici \nlobjet le plus ais\xc3\xa9 \xc3\xa0 conna\xc3\xaetre? Parmi tous les \xc3\xaatres \nvivants , quel est celui dont l\'\xc3\xa9tude est pour nous la \nplus facile et la plus simple? Aristote lui-m\xc3\xaame nous \nl\'enseigne : \xc2\xab L\'homme, dit-il, est de tous les ani- \nmaux celui qui nous est le mieux connu, \xc2\xbb D\'ailleurs, \nd\'apr\xc3\xa8s sa propre th\xc3\xa9orie , l\'homme n\'a-t-il pas en lui \ntoutes les puissances des \xc3\xaatres moins parfaits que lui ? \nLa connaissance de l\'homme contient donc en germe \nla connaissance de tous les \xc3\xaatres vivants. On aurait \nbeaucoup \xc3\xa0 dire, si l\'on voulait exposer toutes les \nraisons qui font un devoir au philosophe de placer \nl\'\xc3\xa9tude de l\'homme au d\xc3\xa9but non-seulement de la \nscience de l\'\xc3\xa2me , mais de toute science. \n\nNous ne saurions donc approuver ni l\'\xc3\xa9tendue ex- \ncessive qu\'Aristote attribue \xc3\xa0 la science de l\'\xc3\xa2me, ni \nl\'ordre dans lequel il en dispose les parties , ni surtout \nla place o\xc3\xb9 il rel\xc3\xa8gue la psychologie proprement dite. \nMais prenons l\'\xc3\xa9tude de l\'homme telle qu\'il l\'admet et \nla comprend, c\'est-\xc3\xa0-dire comme une partie tr\xc3\xa8s-peu \nconsid\xc3\xa9rable de la science universelle, et dans une \ndes divisions de la science de l\'\xc3\xa2me , non pas m\xc3\xaame \ndans la premi\xc3\xa8re. L\xc3\xa0 encore une curiosit\xc3\xa9 mal r\xc3\xa9gl\xc3\xa9e \npeut nous perdre , en nous faisant confondre des ques- \ntions fort diff\xc3\xa9rentes. \n\nL\'homme, comme tout \xc3\xaatre anim\xc3\xa9, est compos\xc3\xa9 de \ncorps et d\'\xc3\xa2me. Or ces deux \xc3\xa9l\xc3\xa9ments dont r\xc3\xa9sulte la \nvie de l\'homme ne nous sont point connus de la m\xc3\xaame \nmani\xc3\xa8re. L\'un tombe sous l\'observation des sens; \nl\'autre leur \xc3\xa9chappe et nous est connu par quelque \nautre moyen. Je vois et je touche mon corps; toutes \nses propri\xc3\xa9t\xc3\xa9s sont sensibles et palpables. Mais l\'\xc3\xa2me \n\n\n\n\'298 DE LA -SCIENCE DE L\'AME. \n\net ses actes, la pens\xc3\xa9e, l\'amour, la volont\xc3\xa9, qui peut \ndire qu\'il en doive la connaissance au toucher ou \xc3\xa0 la \nvue? Ce qui dit moi en nous se conna\xc3\xaet soi-m\xc3\xaame \ndans ses propres actes dont il a le sentiment vif in- \nterne (1). Il y a donc en nous deux ordres de faits \ndont la connaissance rel\xc3\xa8ve de deux sortes d\'observa- \ntion, celle des sens et celle de la conscience {%). Or, \ns\'il est vrai de dire que pour conna\xc3\xaetre l\'homme tout \nentier, il faut l\'avoir \xc3\xa9tudi\xc3\xa9 sous le double aspect de \nson corps et de son \xc3\xa2me , il me para\xc3\xaet \xc3\xa9galement in- \ncontestable que ces deux \xc3\xa9tudes doivent \xc3\xaatre distin- \ngu\xc3\xa9es l\'une de l\'autre et que chacune d\'elles doit \xc3\xaatre \ninstitu\xc3\xa9e \xc3\xa0 part. Voil\xc3\xa0 du moins ce qu\'une sage m\xc3\xa9- \nthode prescrit, et l\'autre voie est pleine de dangers. \nSupposez en effet qu\'on m\xc3\xaale ces deux \xc3\xa9tudes, au \nlieu de les faire s\xc3\xa9par\xc3\xa9ment, pour en combiner plus \ntard les r\xc3\xa9sultats g\xc3\xa9n\xc3\xa9raux; il arrivera, ou du moins il \npourra arriver de deux choses l\'une : suivant les pr\xc3\xa9- \ndilections et les habitudes de chacun , l\'\xc3\xa2me sera sa- \ncrifi\xc3\xa9e au corps ou le corps \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me ; et malheureuse- \nment le premier parti a souvent paru le plus simple. \nNous aurons \xc3\xa0 examiner plus tard si Aristote a \n\xc3\xa9chapp\xc3\xa9 \xc3\xa0 ce double danger : nous constatons seule- \nment ici que sa m\xc3\xa9thode l\'y exposait , et r\xc3\xa9tablissant \npour notre compte cette distinction trop n\xc3\xa9glig\xc3\xa9e par \nlui entre l\'\xc3\xa9tude de l\'\xc3\xa2me et celle du corps , nous lais- \nsons de c\xc3\xb4t\xc3\xa9 celle-ci pour ne nous occuper que de la \npremi\xc3\xa8re. \n\nAristote a-t-il appliqu\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me et \xc3\xa0 ses actes le \n\n\n\n(1) Descaries, Princ. de la phil., I,\xc2\xa7 6, \xc2\xa77 ; II e M\xc3\xa9dit. - (2) Voyez la \nPr\xc3\xa9face des Esquisses de Dug. Slewart, par M. Jouffroy. \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME. 299 \n\nproc\xc3\xa9d\xc3\xa9 qui leur convient , je veux dire l\'observation \nde conscience? Telle est la derni\xc3\xa8re forme sous la- \nquelle nous agiterons cette grande question de la \nm\xc3\xa9thode. \n\nSi Aristote, dans son exposition de la science, \ndescend toujours du genre aux esp\xc3\xa8ces, il ne faut \npas croire pour cela qu\'il pose ainsi des id\xc3\xa9es g\xc3\xa9n\xc3\xa9- \nrales comme hypoth\xc3\xa8ses arbitraires. La science pour \nlui ne consiste que dans la d\xc3\xa9monstration , mais elle \nsuppose l\'induction et la d\xc3\xa9finition; elle ne commence \nv\xc3\xa9ritablement qu\'avec le g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et l\'universel, mais elle \nest pr\xc3\xa9par\xc3\xa9e par le travail de l\'esprit qui du particu- \nlier s\'est \xc3\xa9lev\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'aide de l\'exp\xc3\xa9rience et de l\'induction \njusqu\'\xc3\xa0 la notion du g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. L\'observation est pour \nnotre philosophe le point de d\xc3\xa9part et la condition in- \ndispensable de l\'induction et par suite de la science ; \net sons ce rapport la science de l\'\xc3\xa2me ne saurait \xc3\xaatre \nmise en dehors de la r\xc3\xa8gle g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale. Aristote veut \nque l\'on consulte l\'exp\xc3\xa9rience, aussi bien dans les \nsciences morales que dans les sciences physiques et \nnaturelles (1). \n\nMais de quelle exp\xc3\xa9rience entend-il parler? Est-ce \nla conscience , est-ce l\'observation sensible qui doit \nnous faire conna\xc3\xaetre l\'\xc3\xa2me ? En v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 , quand je songe \nque dans le p\xc3\xa9ripat\xc3\xa9tisme la science de rame fait \npartie de la physique, j\'h\xc3\xa9site \xc3\xa0 r\xc3\xa9pondre -\xc3\xa0 ma propre \nquestion. Il est vrai que les anciens n\'attachaient pas \n\xc3\xa0 ce mot de physique le sens que nous y attachons \nnous-m\xc3\xaames; il est vrai que chez Aristote en particu- \nlier la physique ne traite que des corps qui ont en eux \n\n(I) Mor.\xc3\xa0 Nie, IV, 13, p. 1127, a, 1. I5suiv. \n\n\n\n300 DE LA. SCIENCE DE l\'\xc3\xa0ME. \n\nun principe de mouvement , et que par cons\xc3\xa9quent \nc\'est pour lui une tout autre science que pour nous, \npuisqu\'il lui attribue comme objets les corps vivants, \nla vie et l\'\xc3\xa2me elle-m\xc3\xaame. Mais encore une fois \nsur quelle sorte d\'observation repose la physique? \n\xc3\x89videmment elle ne s\'appuie que sur la sensation ; \ncar elle n\'\xc3\xa9tudie que les ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes sensibles, to \nyouvouevov del xupcar\xc3\xa7 v.a-zx tyjv oi\xc3\xafaQr,aiv (1). Aristote Te dit. \nexpress\xc3\xa9ment , et je ne sache pas que le mot aat\xc3\xa2tai\xc3\xa7 \nait \xc3\xa9t\xc3\xa9 employ\xc3\xa9 par lui une seule fois pour signifier \nautre chose que la sensation ou la perception sensible. \nLa cons\xc3\xa9quence est facile \xc3\xa0 tirer : si la sensation est le \nseul proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 applicable \xc3\xa0 l\'objet de la physique , l\'\xc3\xa9- \ntude de l\'\xc3\xa2me qui fait partie del\xc3\xa0 physique ne saurait \nemployer une autre observation que celle des sens : \nainsi le veut la logique, et pourtant l\'\xc3\xa2me et la pens\xc3\xa9e \nne sont pas choses qu\'on puisse sentir et toucher. \nAussi Aristote a-t-il la pr\xc3\xa9caution d\'ajouter \xc3\xa0 l\'ob- \nservation sensible quelques autres proc\xc3\xa9d\xc3\xa9s , quand il \ns\'agit de l\'\xc3\xa2me. Ainsi, il constate volontiers l\'opinion \ncommune ; il s\'appuie sur le langage ; mais sur- \ntout il recommande d\'observer les actes d\'autrui: \ncar, dit-il , il est plus ais\xc3\xa9 de conna\xc3\xaetre autrui que de \nse conna\xc3\xaetre soi-m\xc3\xaame (2). Quant \xc3\xa0 l\'observation di- \nrecte de conscience, s\'il lui arrive de la pratiquer, il \nne la recommande jamais, et ce n\'est pas pour moi \nun petit sujet d\'\xc3\xa9tonnement , quand je me rappelle \nqu\'Aristote a \xc3\xa9t\xc3\xa9 vingt ans \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9cole de Platon, de \nne trouver que deux fois dans tous ses \xc3\xa9crits et en \n\n\n\n(l) Du ciel, III, 7, p. 30o, a, 1. 17. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xbbr. \xc3\xa0 Nie., IX, 9, p. 1169, & \nCf. Ibid. , VIII, 1, sur l\'utilit\xc3\xa9 des voyages. \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME. 30l \n\ndeux passages insignifiants les mots yyw\xc3\xb4t cexvTov. \n\nJe con\xc3\xa7ois qu\'en suivant cette m\xc3\xa9thode d\xc3\xa9tourn\xc3\xa9e* \nAristote ait rencontr\xc3\xa9 de tr\xc3\xa8s-grandes difficult\xc3\xa9s et \nqu\'il ait dit en passant : \xc2\xab Il est plus ais\xc3\xa9 de savoir \nce qu\'est le feu que de savoir ce qu\'est l\'\xc3\xa0me(1). \xc2\xbb \n\nCombien nous sommes loin de Descartes donnant \n\xc3\xa0 sa II e M\xc3\xa9ditation ce titre sublime : \xc2\xab De la nature de \nl\'esprit humain, et qu\'il est plus ais\xc3\xa9 \xc3\xa0 conna\xc3\xaetre que le \ncorps ! \xc2\xbb C\'est que Descartes avait puis\xc3\xa9 sa philosophie \n\xc3\xa0 la m\xc3\xaame source que Socrate, c\'est-\xc3\xa0-dire dans la \nconscience. Ce proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 unique et merveilleux que le \nphilosophe seul emploie avec r\xc3\xa9flexion, mais dont \nchacun de nous fait usage \xc3\xa0 chaque instant, nous fait \napercevoir du m\xc3\xaame coup nos propres actes et la \ncause qui les produit , tandis que les sens ne donnent \nque l\'apparence et le ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne et ne sauraient par \neux-m\xc3\xaames atteindre une seule cause. O\xc3\xb9 trouver \nparmi les faits sensibles une seule v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 dont l\'\xc3\xa9vi- \ndence puisse \xc3\xaatre compar\xc3\xa9e \xc3\xa0 cette r\xc3\xa9v\xc3\xa9lation de la \nphilosophie et du sens intime : Je pense, donc je suis ? \nOui, malgr\xc3\xa9 les imperfections et les lacunes de la \nscience moderne , malgr\xc3\xa9 la lenteur des progr\xc3\xa8s si \nsouvent interrompus de la psychologie, quand nous \nsongeons \xc3\xa0 la facile et imm\xc3\xa9diate \xc3\xa9vidence de la lu- \nmi\xc3\xa8re int\xc3\xa9rieure , nous r\xc3\xa9p\xc3\xa9tons avec Descartes que \nl\'esprit humain est plus ais\xc3\xa9 \xc3\xa0 conna\xc3\xaetre que le corps. \nNous en prenons \xc3\xa0 t\xc3\xa9moin Aristote lui-m\xc3\xaame; car \nnous soutenons , quoi qu\'il en dise , qu\'il conna\xc3\xaet in- \nfiniment mieux la nature de l\'\xc3\xa2me et surtout de ses \n\n\n\n(l)Tipiq., V, 2, \xc2\xa7\xc2\xa7 3, 4. \n\n\n\n302 DE LA SCIENCE DE L\'AME. \n\nop\xc3\xa9rations que la nature du feu et de la chaleur (1). \nQu\'il ait fait, si l\'on veut, de la psychologie sans le sa- \nvoir; encore est-il qu\'il en a fait souvent d\'une ma- \nni\xc3\xa8re admirable et comme il fallait en faire, et pour ne \nciter qu\'un exemple , son analyse de la m\xc3\xa9moire est \nune des plus exactes et des plus ing\xc3\xa9nieuses qui se \npuissent voir. \n\nTelle est donc l\'autorit\xc3\xa9 de la conscience qu\'elle \ns\'impose \xc3\xa0 nous presque \xc3\xa0 notre insu; telle est son \n\xc3\xa9vidence , qu\'elle appara\xc3\xaet m\xc3\xaame aux aveugles volon- \ntaires. Voil\xc3\xa0 pourquoi nous maintenons la pr\xc3\xa9\xc3\xa9mi- \nnence de la psychologie sur toute autre \xc3\xa9tude , et voil\xc3\xa0 \naussi pourquoi nous la pla\xc3\xa7ons \xc3\xa0 l\'entr\xc3\xa9e de la philo- \nsophie. \n\nL\'homme qui veut tout conna\xc3\xaetre et qui commence \npar s\'ignorer lui-m\xc3\xaame me rappelle in\xc3\xa9vitablement \nl\'astrologue de la fable. \n\nLe philosophe qui aspire \xc3\xa0 tout savoir ne peut ima- \nginer d\'autre objet d\'\xc3\xa9tude que des \xc3\xaatres et leurs ma- \nni\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre, des causes et leurs effets, des forces et \nles actes qu\'elles produisent. Qu\'il commence donc \npar voir en lui-m\xc3\xaame ce que c\'est que l\'\xc3\xaatre , je ne dis \npas l\'\xc3\xaatre en soi , mais un \xc3\xaatre r\xc3\xa9el , dou\xc3\xa9 de vie et \nd\'activit\xc3\xa9 , cause libre et agissante. \n\nJe crois avoir prouv\xc3\xa9 qu\'Aristote a compl\xc3\xa8tement \nm\xc3\xa9connu le r\xc3\xb4le de la psychologie consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme \nintroduction \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude de la philosophie tout enti\xc3\xa8re. \nQuant \xc3\xa0 l\'utilit\xc3\xa9 imm\xc3\xa9diate de certaines questions \n\n(1) Aristote a donn\xc3\xa9 de la chaleur la m\xc3\xaame d\xc3\xa9finition que Bacon \n(Voyez les OEuvres philosophiques de Bacon, \xc3\xa9dit. de M. Bouillet , t. II, \np. 119 suiv.). La chaleur, suivant ces deux philosophes, est un mouve- \nment d\'expansion qui a lieu de bas en haut. \n\n\n\nDE LA SCIENCE DE L\'AME. 303 \n\npsychologiques pour la morale et la politique , pour \nla rh\xc3\xa9torique, pour la logique et la m\xc3\xa9taphysique elle- \nm\xc3\xaame , il n\'a pu la m\xc3\xa9conna\xc3\xaetre; il Ta m\xc3\xaame procla- \nm\xc3\xa9e. Mais en aucun cas il n\'a appliqu\xc3\xa9 sciemment \n\xc3\xa0 ces questions l\'instrument qui leur convient , c\'est- \n\xc3\xa0-dire la conscience ou la r\xc3\xa9flexion op\xc3\xa9rant sur les \ndonn\xc3\xa9es de la conscience. \n\nAristote a-t-il donc ignor\xc3\xa9 le fait de conscience? \nNon sans doute ; il l\'a tr\xc3\xa8s-express\xc3\xa9ment remarqu\xc3\xa9 \nen passant; il lui a m\xc3\xaame attribu\xc3\xa9 une haute impor- \ntance dans quelques passages malheureusement trop \nrares et que nous rappelons. \n\n\xc2\xab Non-seulement nous touchons, nous voyonset nous \nentendons , mais encore nous sentons que nous voyons \net que nous entendons (1 ). \xc2\xbb \n\n\xc2\xab Pour l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9, sentir qu\'il sent, \nc\'est \xc3\xaatre (2) . \xc2\xbb \n\n\xc2\xab Il y a quelque chose en nous qui sent que nous \nsentons et que nous pensons (3). \xc2\xbb \n\n\xc2\xab La pens\xc3\xa9e en acte se pense elle-m\xc3\xaame (4). \xc2\xbb \nNous reviendrons tout \xc3\xa0 l\'heure sur la vue syst\xc3\xa9- \nmatique contenue dans ces divers passages. Conten- \ntons-nous pour le moment d\'\xc3\xa9tablir comme chose d\xc3\xa9- \nmontr\xc3\xa9e qu\'\xc3\x80risloten\'a pas entrepris pour elle-m\xc3\xaame \nl\'\xc3\xa9tude psychologique de l\'homme, qu\'il ne para\xc3\xaet pas \nen avoir compris l\'importance g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale, et qu\'il n\'y a \npas appliqu\xc3\xa9 d\'une mani\xc3\xa8re constante le genre d\'ob- \nservation que cette \xc3\xa9tude comporte. \n\nJ\'ai insist\xc3\xa9 longuement et non sans quelque viva- \n\n\n\n(1 ) De l\'\xc3\xa2me , 111 , 2, \xc2\xa7 1 suiv. \xe2\x80\x94 (2) Mor. \xc3\xa0 Nie, IX, 9, p. 1170, \n(3) Ibid., 1. 3. 1. \xe2\x80\x94 (4) De l\'\xc3\xa2me, III, G, \xc2\xa7 G; M\xc3\xa9taph., XII, 7. \n\n\n\na. \n\n\n\n504 de la science de l\'ame\xc2\xbb \n\ncit\xc3\xa9 sur ce premier d\xc3\xa9faut de la psychologie d\'Aris- \ntote , parce que j\'ai cru y trouver la cause de plusieurs \nerreurs tout \xc3\xa0 fait regrettables. Une fois qu\'un philo- \nsophe n\xc3\xa9glige l\'observation de conscience , in\xc3\xa9vita- \nblement il perd la connaissance des choses de l\'\xc3\xa2me ; \nune attention exclusive accord\xc3\xa9e au monde ext\xc3\xa9rieur \n\xc3\xa9touffe en lui le sentiment de la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 spirituelle , \nde son \xc3\xaatre propre , de son unit\xc3\xa9 , de son activit\xc3\xa9, de \nson initiative morale. En attaquant la m\xc3\xa9thode d\'Aris- \ntote , je crois donc avoir mis en lumi\xc3\xa8re le vice capital \nde sa doctrine ; il me reste \xc3\xa0 en montrer les princi- \npales cons\xc3\xa9quences. \n\n\n\nCHAPITRE III, \n\nDE LA NATURE ET DES FACULT\xc3\x89S DE L\'AME\xc2\xbb \n\nAvant d\'aborder l\'examen de la doctrine d\' Aristote \nsur les facult\xc3\xa9s ou puissances de l\'\xc3\xa2me humaine , nous \nne pouvons nous dispenser de dire quelques mots de \nla d\xc3\xa9finition qu\'il a donn\xc3\xa9e de l\'\xc3\xa2me en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \n\nSuivant cette d\xc3\xa9finition c\xc3\xa9l\xc3\xa8bre , \xc2\xab l\'\xc3\xa2me est la pre- \nmi\xc3\xa8re ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie d\'un corps naturel dou\xc3\xa9 d\'organes \net qui a la vie en puissance. \xc2\xbb Certes , je ne suis pas \nde ceux qui reprochent \xc3\xa0 Aristote de s\'\xc3\xaatre servi de \nt\xc3\xaees abstractions et en particulier du mot ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie. \nIl avait bien le droit d\'employer des termes qu\'il a \nd\xc3\xa9finis , et qui d\'ailleurs sont tr\xc3\xa8s-clairs dans leur \nabstraction m\xc3\xaame. Je ne viens donc pas accuser Aris- \ntote d\'obscurit\xc3\xa9 ; un tel reproche serait injuste. Mais \nje le demande, comment nous appliquer \xc3\xa0 nous- \nm\xc3\xaames une pareille formule ? Il faut bien en convenir, \nelle n\'a rien de commun avec notre nature , elle n\'en \nrappelle aucun caract\xc3\xa8re essentiel. On y cherche en \nvain quelque chose de l\'\xc3\xa2me : l\'activit\xc3\xa9 pure, la spiri- \ntualit\xc3\xa9, la pens\xc3\xa9e surtout, sans laquelle l\'\xc3\xa2me est \nquelque chose d\'inintelligible pour quiconque l\'a ob- \nserv\xc3\xa9e en soi-m\xc3\xaame \xc3\xa0 l\'aide de la conscience. \n\nAristote \xc3\xa9tudie l\'\xc3\xa2me non en psychologue, mais en \nphysicien ; il la consid\xc3\xa8re dans un corps en mouve- \nment , et par suite, il ne la d\xc3\xa9finit point en elle-m\xc3\xaame,, \n\n20 \n\n\n\n306 DE LA NATURE DE L\'AME. \n\nmais dans son rapport avec le corps : il les voit unis \nen un tout , et prenant ce tout pour quelque chose de \nparfaitement un , il l\'envisage seulement sous le double \npoint de vue de sa philosophie , c\'est-\xc3\xa0-dire sous le \ndouble aspect de l\'acte et de la puissance. L\'\xc3\xa2me re- \npr\xc3\xa9sente l\'acte , la puissance est dans le corps : l\'\xc3\xa2me \nest l\'acte ou \xc3\xaf\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie du corps. \n\nAristote explique ce mot d\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie , en disant que \nl\'\xc3\xa2me est le bien , la cause et l\'essence du corps. Or \nce d\xc3\xa9veloppement nous permet de marquer par une \nsimple distinction jusqu\'\xc3\xa0 quel point nous acceptons, \njusqu\'\xc3\xa0 quel point nous rejetons la d\xc3\xa9finition p\xc3\xa9ripa- \nt\xc3\xa9ticienne. \n\nOui , le corps est en vue de l\'\xc3\xa2me ; il est fait pour \nelle ; elle est son but , sa cause finale , son bien , sa rai- \nson d\'\xc3\xaatre : voil\xc3\xa0 ce que nous admettons , ce que nous \nproclamons avec Aristote. Nous admettons encore \navec lui qu\'il y a des rapports intimes entre le corps \nconsid\xc3\xa9r\xc3\xa9 comme moyen et l\'\xc3\xa2me consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme \nfin , et que par cons\xc3\xa9quent une \xc3\xa2me ne peut pas rev\xc3\xaatir \nindiff\xc3\xa9remment tous les corps. \n\nMais Aristote ne se contente pas de rejeter bien loin \nla folie de la m\xc3\xa9tempsycose. Il attache si bien l\'\xc3\xa2me \nau corps qu\'elle habite , qu\'il ne craint pas de dire \nqu\'elle en est l\'essence et l\'acte ; et voil\xc3\xa0 ce que nous \nne pouvons admettre ; car si nous accordions ce point, \nnous nous croirions oblig\xc3\xa9s de dire non-seulement \nque \xc2\xab l\'\xc3\xa2me est quelque chose du corps , \xc2\xbb ce qui est \nbeaucoup dire, mais aussi qu\'elle est le corps lui-m\xc3\xaame. \n\nEn effet , que pourrait \xc3\xaatre l\'acte d\'une chose , si- \nnon ce que cette chose est en puissance ? Si l\'\xc3\xa2me est \nl\'acte du corps , le corps est donc l\'\xc3\xa2me en puis- \n\n\n\nDE LA NATURE DE I^AME, 307 \n\nsanee. Je ne comprends plus alors comment l\'\xc3\xa2me \nest ce qui poss\xc3\xa8de le corps j h ^st ro cw//a , ce qui \ns\'en sert comme d\'un instrument. Le grand dis- \nciple de Platon a beau rappeler ses souvenirs : les \nparoles de son ancien ma\xc3\xaetre lui reviennent , mais il \nsemble qu\'il en ait perdu le vrai sens. \n\nNe nous h\xc3\xa2tons point cependant de condamner \nAristote. Peut-\xc3\xaatre avons-nous mal compris nous- \nm\xc3\xaame ces mots d\'acte et d\'essence. En y pensant \nbien, nous nous rappelons que dans son langage \nl\'essence est identique \xc3\xa0 la fin (1). Nous savons aussi \nque dans toutes les parties de son syst\xc3\xa8me l\'acte est \nsup\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 la puissance \\ et que la puissance n\'\xc3\xa9tant \nqu\'une simple possibilit\xc3\xa9 ou r\xc3\xa9ceptivit\xc3\xa9 , l\'acte qui \nlui est ant\xc3\xa9rieur d\'une mani\xc3\xa8re absolue et par na- \nture, y intervient de par lui-m\xc3\xaame ou de par un prin- \ncipe plus \xc3\xa9lev\xc3\xa9, et non comme un effet de la puis- \nsance. Si Aristote \xc3\xa9chappe au mat\xc3\xa9rialisme , comme \nc\'est en effet son intention (2), c\'est par l\xc3\xa0 seulement, \nc\'est-\xc3\xa0-dire encore par une abstraction et une hy- \npoth\xc3\xa8se qui corrige V hypoth\xc3\xa8se et l\'abstraction pre- \nmi\xc3\xa8re. \n\nL\'\xc3\xa2me consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie peut donc \xc3\xaatre \nincorporelle, mais \xc3\xa0 coup s\xc3\xbbr elle n\'est pas ind\xc3\xa9- \npendante du corps : elle en est ins\xc3\xa9parable. Que \ndevient donc l\'immortalit\xc3\xa9, ce besoin du c\xc5\x93ur, cette \nesp\xc3\xa9rance du sens commun , cette vue supr\xc3\xaame de \nla raison? Pour l\'admettre, Aristote fera une nou- \nvelle hypoth\xc3\xa8se : il supposera, outre l\'\xc3\xa2me qui est \nent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie , un autre genre d\'\xc3\xa2me (frepov ye\'yoc ^u^;) \n\n(l) Polit., I, l, \xc2\xa7 8; M\xc3\xa9tap., VIII, k. \xe2\x80\x94 (2) Voy. plus haut, p, 19. \n\n\n\n308 DE LA NATURE DE i/AME; \n\nqui, n\'\xc3\xa9tant l\'ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie d\'aucun corps, sera se-* \nparable et par cons\xc3\xa9quent immortelle. On aurait \nde la peine \xc3\xa0 se rendre compte de cette nouvelle \n\xc3\xa9volution , et Ton pourrait l\'attribuer \xc3\xa0 une incons\xc3\xa9- \nquence, si l\'on ne faisait r\xc3\xa9flexion que l\'\xc3\xa2me qui est \nune ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie est celle qu\'\xc3\xa9tudie le physicien , et que \ncelle qui n\'est point ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie est du domaine de la \nm\xc3\xa9taphysique, et que par cons\xc3\xa9quent la d\xc3\xa9finition \ndonn\xc3\xa9e dans le trait\xc3\xa9 De l\'\xc3\xa2me est relative aux \xc3\xaatres \nnaturels et en mouvement. On pourrait sans doute \n\xc3\xa9lever ici plus d\'une difficult\xc3\xa9; mais du moins la di- \nvision de la science de l\'\xc3\xa2me en deux parties \xc3\xa9tran- \ng\xc3\xa8res l\'une \xc3\xa0 l\'autre \xc3\xa9tant admise, il n\'y a plus lieu \nde reprocher \xc3\xa0 Aristote une incons\xc3\xa9quence. \n\nD\'ailleurs , en posant l\'\xc3\xa2me s\xc3\xa9parable \xc3\xa0 c\xc3\xb4t\xc3\xa9 et en \ndehors de sa d\xc3\xa9finition g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale , Aristote n\'a point \nd\xc3\xa9truit pour cela l\'id\xc3\xa9e principale qui y est contenue. \nEn effet , si l\'on veut traduire en langage moderne \nces mots : \xc2\xab ent\xc3\xa9l\xc3\xa9chie du corps naturel qui a la vie \nen puissance, \xc2\xbb on verra bient\xc3\xb4t que cela veut dire en \nfran\xc3\xa7ais : L\'\xc3\xa2me est le principe de la vie du corps. \nOr qu\'est-ce que l\'\xc3\xa2me s\xc3\xa9parable, sinon l\'entendement \npur? Et qu\'est-ce que l\'entendement, sinon une des \nformes de la vie (1)? Il est vrai que cette vie est la \nplus excellente et qu\'elle est ind\xc3\xa9pendante du corps \net des organes, et c\'est par l\xc3\xa0 qu\'elle constitue un \nautre genre d\'\xc3\xa2me; mais elle a quelque chose de \ncommun avec les autres \xc3\xa2mes , et si nous disons que \nl\'\xc3\xa2me en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral c\'est ou la vie ou le principe de la \nvie, nous aurons dans sa plus haute et dans sa plus \n\n(\xc3\xae) De l\'\xc3\xa2me, II , 2, \xc2\xa7 2 ; M\xc3\xa9taph., XII, 7, p. 1072, b, 1. 24, 25. \n\n\n\nDE LA NATURE DE L\'AME* 309 \n\nexacte expression la pens\xc3\xa9e intime d\'Aristote. Il nous \nreste \xc3\xa0 examiner cette nouvelle d\xc3\xa9finition , qui cette \nfois para\xc3\xaet s\'appliquer \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me elle-m\xc3\xaame sans que \nl\'id\xc3\xa9e du corps y soit directement m\xc3\xaal\xc3\xa9e. \n\nLa vie et l\'\xc3\xa2me sont-elles choses identiques ? L\xc3\xa0 est \ntoute la question. \n\nPrenons invariablement pour exemple la seule \xc3\xa2me \nque nous puissions , avec autant de s\xc3\xbbret\xc3\xa9 que de \nfacilit\xc3\xa9 , soumettre \xc3\xa0 nos exp\xc3\xa9riences : je veux dire \nl\'\xc3\xa2me humaine. S\'il est un principe sur lequel tout le \nmonde \xc3\xa0 peu pr\xc3\xa8s soit d\'accord aujourd\'hui, c\'est \nque nous n\'avons en nous qu\'une \xc3\xa2me. On diff\xc3\xa8re, il \nest vrai , sur sa nature : on s\'accorde en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral \xc3\xa0 \nn\'en reconna\xc3\xaetre qu\'une. Or il est \xc3\xa9vident , suivant \nnous , que si l\'on confondait l\'\xc3\xa2me avec la vie , il fau- \ndrait nons attribuer au moins deux \xc3\xa2mes. \n\nD\'abord on ne saurait se refuser \xc3\xa0 admettre cette \nforce libre , intelligente et passionn\xc3\xa9e qui dit moi en \nnous, et que nous appelons proprement notre \xc3\xa2me. \nPenser, aimer, vouloir, tels sont les actes essentiels de \nce principe qu\'on ne saurait nier sans nier l\'homme \nlui-m\xc3\xaame. Or il est bien clair que ces actes n\'\xc3\xa9puisent \npas ce qu\'on appelle la vie , et qu\'il y faut ajouter la \ncirculation du sang , la s\xc3\xa9cr\xc3\xa9tion de la bile , la diges- \ntion et toutes les fonctions de ce genre. La question \nmaintenant est celle-ci : Est-ce un seul et m\xc3\xaame prin- \ncipe, est-ce une seule et m\xc3\xaame cause qui produit \nd\'une part la volition , la pens\xc3\xa9e , l\'amour , et de \nl\'autre la circulation du sang , la digestion, etc. ? En \nd\'autres termes , la force vitale et le moi sont-ils un \nm\xc3\xaame \xc3\xaatre, une m\xc3\xaame force? C\'est ce qu\'on ne sau- \nrait dire , s\'il en \xc3\xa9tait de nous comme de toutes ces \n\n\n\n310 DE LA NATURE DE L 7 AME. \n\ncauses de la nature dont nous apercevons les effets T \nmais qui en elles-m\xc3\xaames nous \xc3\xa9chappent et ne nous \nsont connues que par voie d\'hypoth\xc3\xa8se. Sommes-nous \ndonc r\xc3\xa9duits \xc3\xa0 des conjectures quand il s\'agit de la \ncause de nos propres actes? Non , lorsque je m\'attri- \nbue mes propres actes , lorsque je dis que c\'est mol \nqui veux , qui pense , qui aime ou qui d\xc3\xa9sire , je ne \nfais ni une hypoth\xc3\xa8se ni m\xc3\xaame un raisonnement sus- \nceptible d r erreur. Ce que je dis, je le sais avec une \nenti\xc3\xa8re certitude. Il ne s\'agit pas ici de la cause pr\xc3\xa9su- \nm\xc3\xa9e d\'un effet connu; il ne s\'agit m\xc3\xaame pas d\'une \ncause que je con\xc3\xa7oive \xc3\xa0 la suite et en vertu de son \neffet; l\'effet et la cause me sont donn\xc3\xa9s en une seule \nnotion , en un seul et m\xc3\xaame t\xc3\xa9moignage de ma con- \nscience. Il y a plus : cette cause \xc3\xa0 laquelle je rapporte \nmes actes intellectuels et moraux m\'est connue avant, \npendant et apr\xc3\xa8s son effet; car cette cause, c\'est moi* \net rien ne m\'est plus \xc3\xa9vident que moi-m\xc3\xaame. \xc2\xab Voil\xc3\xa0 \ndonc dans l\'homme une cause individuelle qui certai- \nnement existe : celle-l\xc3\xa0 n\'est pas une hypoth\xc3\xa8se, elle \nest un fait que je saisis imm\xc3\xa9diatement , comme je \nsaisis les effets des autres causes (1). \xc2\xbb Si maintenant \nnous rencontrons quelques ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes de la vie \ndont nous n\'ayons pas conscience d\'\xc3\xaatre la cause , ces \nph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes n\'\xc3\xa9manent pas du moi. Or tels sont pr\xc3\xa9- \ncis\xc3\xa9ment les ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8nes dont nous parlions tout \xc3\xa0 \nl\'heure : la circulation du sang , la digestion , etc. La \nconscience fait donc en nous la diff\xc3\xa9rence , la s\xc3\xa9para- \n\n\n\n(1) M. Jouffroy, M\xc3\xa9moire sur la l\xc3\xa9gitimit\xc3\xa9 de la distinction de la psy- \nchologie et de la physiologie. \xe2\x80\x94 Nous ne faisons gu\xc3\xa8re ici qu\'analyser ce \nm\xc3\xa9moire , qui est une des derni\xc3\xa8res et des plus admirables productions \nde M. Jouffroy. \n\n\n\nDE LA NATURE DE L\'AME. 311 \n\ntion de deux sources de vie , le moi et un principe in- \nconnu qu\'on appellera si Ton veut force vitale, force \nphysiologique, animale ou v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative, peu importe : \nquelque nom qu\'on lui donne , ce principe nous est \ntellement inconnu que nous ne saurions d\xc3\xa9cider s\'il \nest un ou plusieurs , tandis que le moi , c\'est-\xc3\xa0-dire \nnotre \xc3\xa2me v\xc3\xa9ritable, nous appara\xc3\xaet avec une telle \n\xc3\xa9vidence dans tous ses actes , que nous affirmons avec \nune \xc3\xa9gale certitude son existence et sa nature , son \nunit\xc3\xa9 indivisible et son identit\xc3\xa9 aussi bien que son ac- \ntivit\xc3\xa9 m\xc3\xaame. C\'est l\xc3\xa0 , c\'est dans la vie intellectuelle et \nmorale qui a le moi pour sujet et pour centre que \nnous pla\xc3\xa7ons notre \xc3\xa2me et notre essence. Que si l\'on \nveut attribuer aussi le nom d\'\xc3\xa2me \xc3\xa0 la cause peut-\xc3\xaatre \nmultiple de la vie physiologique, on admet donc dans \nl\'homme plusieurs \xc3\xa2mes , au moins deux , et il y a \nentre ces \xc3\xa2mes une telle diff\xc3\xa9rence , je dirai m\xc3\xaame \nune telle opposition de nature , que malgr\xc3\xa9 l\'union et \nla d\xc3\xa9pendance actuelle de ces deux principes de vie , \nje ne comprends pas qu\'on les puisse r\xc3\xa9unir sous un \nm\xc3\xaame terme. Pour dire toute ma pens\xc3\xa9e, l\'un repr\xc3\xa9- \nsente la vie de l\'\xc3\xa2me , l\'autre la vie du corps. \n\nAristote a beau protester au nom du r\xc3\xa8gne v\xc3\xa9g\xc3\xa9tal \net de l\'\xc3\xa2me rudimentaire qu\'il y croit d\xc3\xa9couvrir, lui- \nm\xc3\xaame il semble reconna\xc3\xaetre que la vie physiologique \nou nutritive ne fait point partie de nous-m\xc3\xaames et que \nla vie de l\'homme est d\'un autre ordre. Il le dit ex- \npress\xc3\xa9ment : Vivre, pour l\'homme, c\'est sentir ou pen- \nser (1). Ainsi notre grand naturaliste lui-m\xc3\xaame, en \nd\xc3\xa9pit de son syst\xc3\xa8me, se prend \xc3\xa0 dire comme plus \n\n(I) Mor.\xc3\xa0Nic, IX, 9, p. 1170, a, 1. 17, 19. \n\n\n\n512 DES FACULT\xc3\x89S DE i/AME. \n\ntard Descartes : Je suis une chose qui pense. Il a donc \nreconnu , lui aussi , la diff\xc3\xa9rence de la vie physiolo- \ngique et de la vie humaine , celle-ci que la conscience \nnous fait conna\xc3\xaetre dans ses actes et dans sa cause , \ncelle-l\xc3\xa0 dont nous apercevons -\'es effets, mais dont nous \nignorons la nature et la cause. Sans doute la vie de \nnotre \xc3\xa2me est unie \xc3\xa0 cette vie myst\xc3\xa9rieuse du corps : \nmais celle-ci est avec nous sans faire partie de nous. \nNotre \xc3\xa2me , encore une fois , c\'est le moi (1 ) , c\'est-\xc3\xa0- \ndire le principe de la vie morale , la cause des actes \ndont la conscience est l\'infaillible et assidu t\xc3\xa9moin. \n\nC\'est sans doute parce qu\'\xc3\x80ristote avait compris \ntoute la diff\xc3\xa9rence de la vie v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative et de la vie \npsychologique , qu\'il a distingu\xc3\xa9 dans l\'\xc3\xa2me des puis- \nsances tellement diff\xc3\xa9rentes, qu\'il ne craint pas de les \nappeler des parties , et qu\'il se pose \xc3\xa0 leur sujet des \nquestions comme celles-ci : \xc2\xab Les parties de T\xc3\xa2rne \nsont-elles s\xc3\xa9parables les unes des autres? Est-ce par \nl\'\xc3\xa2me tout enti\xc3\xa8re ou par une seule de ses parties que \nnous pensons ou que nous sentons? \xc2\xbb Pour nous qui \nne raisonnons point sur toute esp\xc3\xa8ce d\'\xc3\xa2me et qui \nprenons toujours le sens intime pour r\xc3\xa8gle et pour \njuge , nous ne comprenons point la division de l\'\xc3\xa2me \nen parties s\xc3\xa9parables les unes des autres : une telle \nhypoth\xc3\xa8se nous para\xc3\xaet en contradiction manifeste \navec la notion de l\'unit\xc3\xa9 et de la simplicit\xc3\xa9 inviolable \ndu moi : on peut distinguer entre ses actes, et par \nsuite entre ses puissances ; mais cette distinction est \nune hypoth\xc3\xa8se commode pour mieux embrasser l\'\xc3\xa9- \ntude d\'un principe f\xc3\xa9cond en applications; ce n\'est \n\n(l) \xc2\xab Moi, c\'est-\xc3\xa0-dire mon \xc3\xa2me. \xc2\xbb Desc, Princ, \xc3\xaf, 11. \n\n\n\nDES FACULT\xc3\x89S DE \xc3\xaf/AME. 31 S \n\npas une division r\xc3\xa9elle, puisque le principe dont il \ns\'agit est en lui-m\xc3\xaame absolument indivisible. Notre \nr\xc3\xa9ponse aux questions d\'Aristote que nous venons de \nrappeler est donc tout enti\xc3\xa8re dans ces paroles de \nDescartes (VI e M\xc3\xa9ditation) : \xc2\xab Je ne puis distinguer en \nmoi aucunes parties , mais je connais et con\xc3\xa7ois fort \nclairement que je suis une chose absolument une et \n\nenti\xc3\xa8re , et les facult\xc3\xa9s de vouloir, de sentir, de \n\nconcevoir, etc. , ne peuvent \xc3\xaatre dites proprement \ndes parties, car c\'est le m\xc3\xaame esprit qui s\'emploie \ntout entier \xc3\xa0 vouloir, et tout entier \xc3\xa0 sentir et \xc3\xa0 con- \ncevoir, etc. \xc2\xbb \n\nAristote ne maintient pas ainsi l\'unit\xc3\xa9 de l\'\xc3\xa2me : il \nla suppose au contraire divis\xc3\xa9e en parties essentielle- \nment distinctes , et dont chacune remplit isol\xc3\xa9ment sa \nfonction propre. Cependant nous croirions manquer \nde justice \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard de ce grand philosophe , si nous \nl\'accusions \xc3\xa0 ce propos d\'avoir fait l\'\xc3\xa2me corporelle et \ndivisible comme le corps. A ce compte, il faudrait en \ndire autant de Platon; on devrait m\xc3\xaame traiter avec \nune plus grande s\xc3\xa9v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 cette singuli\xc3\xa8re invention \ndes trois \xc3\xa2mes dont chacune a son si\xc3\xa8ge \xc3\xa0 part dans le \ncorps. Du moins Aristote n\'assigne aux diverses puis- \nsances de l\'\xc3\xa2me animale qu\'un seul organe central , le \nc\xc5\x93ur. Quant \xc3\xa0 son hypoth\xc3\xa8se des parties de l\'\xc3\xa2me, \nelle vient tout simplement de ce qu\'ayant d\'abord \nconfondu l\'\xc3\xa2me avec la vie , il lui a fallu ensuite in- \ntroduire dans l\'\xc3\xa2me les divisions tr\xc3\xa8s-r\xc3\xa9elles de la vie \nv\xc3\xa9g\xc3\xa9tative , de la vie animale et de la vie humaine. \n\nApr\xc3\xa8s avoir adress\xc3\xa9 un si grand nombre de critiques \n\xc3\xa0 la m\xc3\xa9thode d\'Aristote , nous sommes heureux de re- \nconna\xc3\xaetre qu\'il a appliqu\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude des facult\xc3\xa9s ou \n\n\n\n31 k DES FACULT\xc3\x89S DE L\'AME. \n\npuissances de l\'\xc3\xa2me la m\xc3\xa9thode qu\'il convient d\'y ap- \npliquer. C\'est par l\'acte, dit-il, qu\'on conna\xc3\xaet la puis- \nsance; c\'est donc en consid\xc3\xa9rant ce que c\'est que \nsentir que nous apprendrons ce qu\'est la sensibilit\xc3\xa9 , \net la nature de l\'entendement ne nous sera connue \nque lorsque nous saurons ce que c\'est que penser. \nRien de plus vrai , rien de plus conforme \xc3\xa0 une sage \nlogique. S\'il est vrai que la science doive emprunter \nsa m\xc3\xa9thode \xc3\xa0 la nature (1 ) , comme c\'est en agissant \nque nous avons acquis naturellement le sentiment de \nnotre propre activit\xc3\xa9 , c\'est aussi sur l\'\xc3\xa9tude de nos \nactes et de nos op\xc3\xa9rations que nous devons fonder \nl\'\xc3\xa9tude de nos facult\xc3\xa9s. \n\nNous ne pouvons souscrire de m\xc3\xaame au pr\xc3\xa9cepte \npar lequel Aristote veut qu\'avant l\'acte de nos facult\xc3\xa9s \non \xc3\xa9tudie l\'objet auquel cet acte se rapporte, l\'objet \nsensible , par exemple , avant la sensation et l\'objet \nintelligible avant la pens\xc3\xa9e. Nous rejetons un pareil \nprincipe , non-seulement parce que cette m\xc3\xa9thode , en \nnous obligeant d\'\xc3\xa9tudier toutes choses avant nous- \nm\xc3\xaames 5 serait le renversement de toute vraie philo- \nsophie , mais encore et surtout parce que le pr\xc3\xa9cepte \nd\' Aristote semble impliquer un assujettissement com- \nplet de l\'\xc3\xa2me \xc3\xa0 la nature. Pourquoi supposer ainsi que \ntoute activit\xc3\xa9 a un objet dont elle d\xc3\xa9pend, sans le- \nquel elle ne serait rien, et par lequel elle devient tout \nce qu\'elle est? Les actes de l\'\xc3\xa2me ne sont plus, dans \nune telle hypoth\xc3\xa8se, qu\'un r\xc3\xa9sultat des forces de la na- \n\n\n\n(i) Bacon a dit : \xc2\xab Natura nonnisi parendo vincitur. \xc2\xbb Longtemps \navant lui , Aristote avait dit : \xc2\xab Notre m\xc3\xa9thode nous est indiqu\xc3\xa9e par la \nnature. \xc2\xbb Phys., I, 1, p. 184, a, 1. 16. \n\n\n\nDES FACULT\xc3\x89S DE L\'AME. 315 \n\nture et qu\'un reflet de la r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 sensible ou intelli- \ngible , au lieu d\'\xc3\xaatre les effets d\'une puissance intime \net v\xc3\xa9ritablement active. On le voit : plus nous avan- \n\xc3\xa7ons , plus nous avons sujet de regretter qu\'Aristote \nait n\xc3\xa9glig\xc3\xa9 l\'\xc3\xa9tude sp\xc3\xa9ciale de l\'\xc3\xa2me humaine par le \nmoyen de ce sens intime qui nous r\xc3\xa9v\xc3\xa8le \xc3\xa0 nous- \nm\xc3\xaames notre unit\xc3\xa9 et notre activit\xc3\xa9 propre. \n\nNous ne dirons qu\'un mot de la th\xc3\xa9orie g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale \ndes facult\xc3\xa9s ou puissances de l\'\xc3\xa2me , suivant Aristote. \nNous la croyons bonne et vraie en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , comme \ntableau des degr\xc3\xa9s de la vie dans la cr\xc3\xa9ation. Il faut \nm\xc3\xaame avouer que le spiritualisme d\' Aristote, qui \nnous para\xc3\xaet si imparfait en psychologie , prend un \ntout autre aspect en histoire naturelle ; et quand on \nle compare \xc3\xa0 tant de naturalistes qui ont chancel\xc3\xa9 l\xc3\xa0 \no\xc3\xb9 lui-m\xc3\xaame est demeur\xc3\xa9 si ferme , on ne peut s\'em- \np\xc3\xaacher de se rappeler qu\'il \xc3\xa9tait soutenu par le souffle \nde Socrate et de Platon dans ces difficiles et p\xc3\xa9ril- \nleuses \xc3\xa9tudes. \n\nMais revenons au point de vue plus restreint et plus \ns\xc3\xbbr de la psychologie. Si nous mettons de c\xc3\xb4t\xc3\xa9 la vie \nphysiologique ou v\xc3\xa9g\xc3\xa9tative , il reste dans l\'\xc3\xa2me hu- \nmaine deux puissances irr\xc3\xa9ductibles entre elles et es- \nsentiellement distinctes ou m\xc3\xaame s\xc3\xa9parables l\'une de \nl\'autre, savoir la sensibilit\xc3\xa9 et l\'entendement. Ces \npuissances diff\xc3\xa8rent entre elles comme l\'intelligible \ndiff\xc3\xa8re du sensible. A la sensibilit\xc3\xa9 Aristote attribue \nla connaissance qui r\xc3\xa9sulte de la sensation propre- \nment dite , de l\'imagination et de la m\xc3\xa9moire ; d\'un \nautre c\xc3\xb4t\xc3\xa9 , la sensibilit\xc3\xa9 est capable de plaisir et de \npeine et par suite d\'app\xc3\xa9tit. M\xc3\xaame distinction dans \nl\'entendement : il conna\xc3\xaet par sa partie scientifique et \n\n\n\n316 DES FACULT\xc3\x89S DE L\'AME. \n\npar sa partie logistique , et par cette derni\xc3\xa8re il est \ndou\xc3\xa9 d\'app\xc3\xa9tit raisonnable ou de volont\xc3\xa9 (1). Quant \n\xc3\xa0 la locomotion , dont on pourrait croire qu\'Aristote \na fait une puissance distincte , il la consid\xc3\xa8re comme \nun effet de l\'app\xc3\xa9tit , raisonnable ou non , d\xc3\xa9termin\xc3\xa9 \npar la fantaisie , \xc3\xa0 la suite d\'un acte de la sensation \nou de la pens\xc3\xa9e. \n\nD\'apr\xc3\xa8s cette th\xc3\xa9orie , l\'\xc3\xa2me humaine ne comprend \nque deux puissances irr\xc3\xa9ductibles, l\'entendement et \nla sensibilit\xc3\xa9 , en vertu de ce principe que les objets \nde nos actes sont de deux sortes , intelligibles ou sen- \nsibles , et que nous devons distinguer dans l\'\xc3\xa2me au- \ntant de puissances qu\'il y a d\'objets au monde. Nous \navons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 fait nos r\xc3\xa9serves contre ce principe qui r\xc3\xa9- \nduit l\'\xc3\xa2me \xc3\xa0 une sorte de miroir de la nature, abstrac- \ntion faite de son activit\xc3\xa9 propre ; si l\'\xc3\xa2me est essentiel- \nlement une cause , une force active , ce n\'est pas du \ndehors qu\'il faut observer ses actes ; les objets aux- \nquels ils se rapportent sont choses secondaires , du \nmoment que c\'est l\'\xc3\xa2me que l\'on veut \xc3\xa9tudier. A la \nm\xc3\xa9thode tout objective ou ontologique d\'Aristote \nnous substituons volontiers la m\xc3\xa9thode purement \npsychologique de Descartes , et nous distinguons \napr\xc3\xa8s lui dans l\'\xc3\xa2me , d\'une part Y action , c\'est-\xc3\xa0-dire \ntout ce qu\'elle fait d\'elle-m\xc3\xaame, telle qu\'est la volition, \net d\'autre part la passion, c\'est-\xc3\xa0-dire tout ce qui est \npour elle une mani\xc3\xa8re d\'\xc3\xaatre mue ou de p\xc3\xa2tir, comme \nl\'intellection ou la vision (2). C\'est l\xc3\xa0 en effet la dis- \n\n\n\n(1) Je ne m\'arr\xc3\xaate pas \xc3\xa0 faire remarquer que cette division de la puis- \nsance raisonnable est l\'origine de la c\xc3\xa9l\xc3\xa8bre division des facult\xc3\xa9s de l\'en- \ntendement et des facult\xc3\xa9s de la volont\xc3\xa9. \xe2\x80\x94 (2) Lettres, t. VIII, p. 549, \xc3\xa9dit. \nde M. Cousin. \n\n\n\nDES FACULT\xc3\x89S DE i/AME. M 7 \n\ntinction capitale , quand il s\'agit d\'un \xc3\xaatre essentielle- \nment actif. \n\nNos principaux actes , tels que la consience nous \nles fait d\xc3\xa9couvrir, sont la connaissance , l\'amour et \nle mouvement par lequel nous traduisons au dehors \nnos sentiments et nos id\xc3\xa9es. Or nous produisons ces \nactes de deux mani\xc3\xa8res tr\xc3\xa8s-diff\xc3\xa9rentes : tant\xc3\xb4t notre \nactivit\xc3\xa9 est d\xc3\xa9termin\xc3\xa9e par la nature , la fatalit\xc3\xa9 ou \nla Providence; tant\xc3\xb4t nous agissons par nous-m\xc3\xaames , \nind\xc3\xa9pendamment de toute autre cause et dans la pl\xc3\xa9- \nnitude de notre libre arbitre. \n\nPens\xc3\xa9e, amour, volont\xc3\xa9, puissance, tels sont les \ntrois ou quatre faits saillants que nous offre l\'observa- \ntion de notre nature intellectuelle et morale. Nous al* \nIons interroger successivement sur chacun d\'eux la \ndoctrine psychologique d\'Aristote , en laissant n\xc3\xa9an- \nmoins de c\xc3\xb4t\xc3\xa9 le fait de locomotion comme le moins \nimportant et le moins universellement reconnu de nos \njours (1). \n\n\n\n(l) Voyez dans les M\xc3\xa9langes de M. Jouffroy, le morceau intitul\xc3\xa9 : Des \nFacult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa2me. \n\n\n\nCHAPITRE IV. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. \n\n\n\nL\'homme, dit Aristote, ne vit que par la sensation \net par la pens\xc3\xa9e : or sentir ou penser, c\'est conna\xc3\xaetre. \nLa connaissance est le fait saillant aux yeux d\' Aristote ; \ndans toutes ses analyses l\'\xc3\xa9l\xc3\xa9ment intellectuel est celui \nauquel il s\'attache de pr\xc3\xa9f\xc3\xa9rence ; aussi la th\xc3\xa9orie d\xc3\xa9 \nla connaissance est-elle de beaucoup la plus consid\xc3\xa9- \nrable de toutes celles qui composent son syst\xc3\xa8me \npsychologique. A la sensation se rapportent les sens \nparticuliers , le sens commun , l\'imagination et la m\xc3\xa9- \nmoire ; la pens\xc3\xa9e se manifeste dans l\'induction et la \nd\xc3\xa9finition , l\'intellection pure , la d\xc3\xa9monstration , \nl\'opinion , la r\xc3\xa9miniscence et le syllogisme du con- \ntingent. Chacune de ces mani\xc3\xa8res de sentir ou de \npenser est l\'objet d\'une th\xc3\xa9orie sp\xc3\xa9ciale qui m\xc3\xa9rite \nd\'attirer l\'attention des psychologues modernes. Nous \nindiquerons d\'une mani\xc3\xa8re sommaire les principaux \nm\xc3\xa9rites de ces diverses analyses. Mais il est un point \nsur lequel il importe de d\xc3\xa9terminer avant tout le vrai \ncaract\xc3\xa8re de la doctrine d\' Aristote : je veux parler de \nl\'origine des connaissances humaines. C\'est l\xc3\xa0 une \ndes questions fondamentales par lesquelles on peut \njuger de toute une philosophie. Suivant qu\'on la r\xc3\xa9sout \ndans un sens ou dans l\'autre , on est dit partisan de \nl\'exp\xc3\xa9rience et des sens ou d\xc3\xa9fenseur de la raison ; on \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 319 \n\nest rang\xc3\xa9 dans Tune ou dans l\'autre de ces deux \ngrandes familles de philosophes : on est sensualiste \nou id\xc3\xa9aliste , empirique ou rationaliste. \n\nDans tous les temps Aristote a \xc3\xa9t\xc3\xa9 l\'objet de juge- \nments contraires et peut-\xc3\xaatre \xc3\xa9galement erron\xc3\xa9s. Sa \ndoctrine a paru aux uns tellement pure et \xc3\xa9lev\xc3\xa9e, \nqu\'ils l\'ont consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme une sorte d\'orthodoxie \nen philosophie ; les autres ont mis \xc3\xa0 l\'attaquer autant \nde passion qu\'on en mettait \xc3\xa0 le d\xc3\xa9fendre , et ils l\'ont \ntax\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'envi de sensualisme , de mat\xc3\xa9rialisme , presque \nd\'ath\xc3\xa9isme. Aujourd\'hui encore , malgr\xc3\xa9 l\'impartialit\xc3\xa9 \nplus grande de notre si\xc3\xa8cle , les historiens de la phi- \nlosophie l\'abaissent ou l\'exaltent outre mesure; en \nsorte que le public , qui n\'est point philosophe et qui \nn\'\xc3\xa9pouse volontiers aucun parti extr\xc3\xaame, demeure \nen suspens et ne sait s\'il doit admirer ou bl\xc3\xa2mer. \nPeut-\xc3\xaatre aurons-nous contribu\xc3\xa9 \xc3\xa0 \xc3\xa9claircir cette ques- \ntion d\xc3\xa9licate ; peut-\xc3\xaatre aussi nous accusera-t-on de \nl\'avoir embrouill\xc3\xa9e davantage en apportant une so- \nlution qui s\'ajoutera \xc3\xa0 toutes les autres et ne les rem- \nplacera pas. Quoi qu\'il en soit , examinons avec calme \net impartialit\xc3\xa9 ce qu\'a enseign\xc3\xa9 v\xc3\xa9ritablement notre \nphilosophe sur le probl\xc3\xa8me de l\'origine des connais- \nsances humaines. \n\nToute connaissance, sensation ou pens\xc3\xa9e, est re- \nlative \xc3\xa0 quelque objet : c\'est donc d\'apr\xc3\xa8s leurs ob- \njets que les connaissances doivent \xc3\xaatre divis\xc3\xa9es. Tel \nest le point de d\xc3\xa9part d\' Aristote , tel est aussi le \nn\xc3\xb4tre , et cela par une double raison. La premi\xc3\xa8re \nest que pour d\xc3\xa9terminer l\'origine de nos id\xc3\xa9es et de \nnos connaissances , c\'est-\xc3\xa0-dire pour savoir si elles \nd\xc3\xa9rivent de plusieurs facult\xc3\xa9s ou d\'une seule , il est \n\n\n\n320 DE LA CONNAISSANCE. \n\nd\'une sage m\xc3\xa9thode de commencer par les classer. \nEn second lieu une telle classification , pour offrir un \ncaract\xc3\xa8re scientifique , doit se fonder sur la nature \nm\xc3\xaame des v\xc3\xa9rit\xc3\xa9s auxquelles se rapportent nos id\xc3\xa9es. \n\nTout objet de connaissance est ou n\xc3\xa9cessaire ou \ncontingent. Toute connaissance peut donc \xc3\xaatre ap- \npel\xc3\xa9e n\xc3\xa9cessaire ou contingente , suivant qu\'elle se \nrapporte \xc3\xa0 une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 de l\'un ou de l\'autre ordre. \nCette distinction fondamentale se retrouve dans toute \nphilosophie s\xc3\xa9rieuse ; mais elle est surtout en faveur \naupr\xc3\xa8s des philosophes qui reconnaissent dans l\'\xc3\xa2me \nhumaine la raison au-dessus de l\'exp\xc3\xa9rience , et dans \nla r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 l\'intelligible au-dessus du sensible. C\'est la \nth\xc3\xa9orie de Platon aussi bien que de Parm\xc3\xa9nide : c\'est \n\xc3\xa9galement la th\xc3\xa9orie d\'Aristote. Suivant lui, nos con- \nnaissances sont de deux sortes , parce que leurs objets \nsont de deux sortes , intelligibles ou sensibles. Or ces \ntermes expriment , chez Aristote comme chez Platon -, \nla diff\xc3\xa9rence que nous mettons entre l\'absolu et le re- \nlatif, entre le n\xc3\xa9cessaire et le contingent. En effet, \nles objets sensibles sont particuliers -, engag\xc3\xa9s dans la \nmati\xc3\xa8re , soumis au changement et \xc3\xa0 la destruction ; \nles v\xc3\xa9rit\xc3\xa9s intelligibles sont universelles , immat\xc3\xa9rielles \net \xc3\xa9ternelles. \n\nUne fois que l\'on a reconnu deux ordres de v\xc3\xa9- \nrit\xc3\xa9s et de connaissances , la question de l\'origine des \nid\xc3\xa9es est facilement r\xc3\xa9solue. En effet, si l\'on admet \nque l\'homme est en rapport par sa pens\xc3\xa9e avec deux \nmondes diff\xc3\xa9rents et m\xc3\xaame oppos\xc3\xa9s , cette double di- \nrection de son activit\xc3\xa9 prouve assez qu\'il faut distin- \nguer en lui un double pouvoir de conna\xc3\xaetre, et pour \nainsi dire une double nature intellectuelle ; et si \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 321 \n\nl\'homme est capable de percevoir les \xc3\xaatres contin- \ngents et de concevoir les v\xc3\xa9rit\xc3\xa9s n\xc3\xa9cessaires , il est \n\xc3\xa9vident que l\'origine de nos id\xc3\xa9es sera double , sui- \nvant qu\'elles auront \xc3\xa9t\xc3\xa9 fournies par la facult\xc3\xa9 du \nn\xc3\xa9cessaire ou par celle du contingent , c\'est-\xc3\xa0-dire \npar la raison ou par l\'exp\xc3\xa9rience. Ce raisonnement , \nque nous tenons pour irr\xc3\xa9futable , est celui de Platon \net de tous les philosophes qui, apr\xc3\xa8s avoir pos\xc3\xa9 d\xc3\xa8s le \nd\xc3\xa9but la distinction du n\xc3\xa9cessaire et du contingent , \nfont d\xc3\xa9river toutes nos id\xc3\xa9es de deux sources diff\xc3\xa9- \nrentes. \n\nAristote n\'est pas d\'un autre avis : \xc2\xab Il y a en nous, \ndit- il , deux puissances de conna\xc3\xaetre, et il n\'y en a \nque deux : la sensibilit\xc3\xa9 et l\'entendement (1 ) \xc2\xbb . Platon \nlui-m\xc3\xaame n\'est pas plus explicite, et nous ne voyons \npas jusqu\'ici qu \'Aristote ait abandonn\xc3\xa9 la tradition de \nson ma\xc3\xaetre. Mais, dira-t-on peut-\xc3\xaatre, c\'est une sim- \nple r\xc3\xa9miniscence et non une conviction arr\xc3\xaat\xc3\xa9e ; c\'est \nun d\xc3\xa9tail , une concession faite en passant , et non \nune th\xc3\xa9orie essentielle. \n\nAristote attache tant d\'importance \xc3\xa0 cette distinc- \ntion de la sensibilit\xc3\xa9 et de l\'entendement , que c\'est \xc3\xa0 \npeu pr\xc3\xa8s la seule qu\'il maintienne toujours dans les \nnombreux endroits de ses \xc3\xa9crits o\xc3\xb9 il parle des puis- \nsances ou facult\xc3\xa9s de l\'\xc3\xa8me. Il lui arrive de confondre \nla volont\xc3\xa9 avec l\'app\xc3\xa9tit et avec la pens\xc3\xa9e; il voit \ndans la locomotion un effet de l\'app\xc3\xa9tit ; il ram\xc3\xa8ne \nl\'app\xc3\xa9tit lui-m\xc3\xaame \xc3\xa0 la sensation par l\'interm\xc3\xa9diaire \ndu plaisir et de la peine ; l\'imagination , l\'opinion , et \ntant d\'autres puissances de l\'\xc3\xa2me sont ainsi r\xc3\xa9duites \n\n(i) Des songes, 1 , \xc2\xa7 1. \n\n21 \n\n\n\n32*2 DE LA CONNAISSAIS GE. \n\n\xc3\xa0 r entendement on \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 : mais quant a ces \ndeux facult\xc3\xa9s , elles sont irr\xc3\xa9ductibles et premi\xc3\xa8res , \net plus d\'une fois elles nous sont donn\xc3\xa9es comme ies \nseules parties essentielles de l\'\xc3\xa2me humaine (1 ). Toutes \ndeux , il est vrai , ont la puissance de discerner et de \nconna\xc3\xaetre; mais elles diff\xc3\xa8rent par leurs objets et par- \nleurs actes , par leur essence et par leur origine. \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 a pour objet les choses sensibles, c\'est- \n\xc3\xa0-dire des \xc3\xaatres individuels, engag\xc3\xa9s dans la mati\xc3\xa8re, \ntoujours en mouvement, changeants et p\xc3\xa9rissables ; \nelle porte sur des faits et des apparences, et n\'atteint \njamais l\'essence et la cause. L\'entendement au con- \ntraire, en s\'appliquant \xc3\xa0 l\'universel, conna\xc3\xaet les prin- \ncipes et les causes , les essences \xc3\xa9ternelles , l\'acte pur \net imp\xc3\xa9rissable. \n\nLa sensibilit\xc3\xa9 a pour acte la sensation ; l\'\xc5\x93uvre de \nl\'entendement, c\'est la pens\xc3\xa9e. La sensation attach\xc3\xa9e \n\xc3\xa0 des organes , d\xc3\xa9pend \xc3\xa0 la fois du corps et d\'un ob- \njet plac\xc3\xa9 hors de nous; sans cet objet elle ne peut \npasser \xc3\xa0 l\'acte une seule fois; elle na\xc3\xaet avec lui et cesse \nd\xc3\xa8s qu\'il s\'\xc3\xa9loigne ; comme lui elle est sujette au mou- \nvement et au changement. La pens\xc3\xa9e au contraire \ntrouve son objet dans P\xc3\xa2me; elle s\'y applique au gr\xc3\xa9 \nde notre volont\xc3\xa9 ; elle n\'a besoin d\'aucun organe et \ns\'exerce ind\xc3\xa9pendamment du corps ; enfin elle est une \net d\xc3\xa9termin\xc3\xa9e comme son objet m\xc3\xaame (2) . \n\nL\'entendement est une habitude qui constitue l\'es- \n\n\n\n(1) Voyez surtout Gr. Mor., I, 35. \n\n(2) \xc2\xab C\'est ce qui a fait dire \xc3\xa0 Aristote que le sensible le plus fort offense \nle sens , mais que le parfait intelligible r\xc3\xa9cr\xc3\xa9e l\'entendement et le fortifie. \xc2\xbb \nBossuet, Connaiss. de Dieu et de soi-m\xc3\xaame, ch. 1, \xc2\xa7 17. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE, 323 \n\nsence de l\'homme comme la sensibilit\xc3\xa9 est l\'essence \nde l\'animal ; mais tandis que cette derni\xc3\xa8re puissance \nest dans les animaux et dans l\'homme d\xc3\xa8s leur nais- \nsance et par l\'effet de la nature , l\'entendement se forme \nplus tard dans l\'homme par l\'effet d\'un principe divin \net qui vient du dehors. \n\nEnfin la sensibilit\xc3\xa9 d\xc3\xa9pend tellement du corps qu\'elle \nen est ins\xc3\xa9parable et meurt avec lui; mais l\'intellect \nen acte, cette partie divine de nous-m\xc3\xaames, est v\xc3\xa9ri- \ntablement un autre genre d\'\xc3\xa2me , et se s\xc3\xa9pare du corps \net de nos autres puissances comme l\'\xc3\xa9ternel se s\xc3\xa9pare \ndu p\xc3\xa9rissable. \n\nYoil\xc3\xa0 sans aucun commentaire , et sous sa forme \npropre , la doctrine constante d\'Aristote sur l\'origine \nde nos connaissances et sur la nature des deux facul- \nt\xc3\xa9s essentiellement distinctes auxquelles il veut qu\'on \nles rapporte. \n\nQuelque d\xc3\xa9fiance que l\'on ait pu concevoir contre \nle p\xc3\xa9ripat\xc3\xa9tisme , quelque pr\xc3\xa9jug\xc3\xa9 que l\'on ait form\xc3\xa9 \ncontre le syst\xc3\xa8me g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et les directions d\'esprit \nd\'Aristote, on est bien oblig\xc3\xa9 de convenir qu\'autant \nqu\'on en peut juger par ces principes g\xc3\xa9n\xc3\xa9raux , l\'in- \ntention d\'Aristote est enti\xc3\xa8rement conforme \xc3\xa0 celle de \nPlaton dans la grande question qui nous occupe. Il \nest vrai que nous ne trouvons plus ici l\'\xc3\xa9lan de la foi, \ncette conviction du c\xc5\x93ur ; Aristote est froid comme \nune id\xc3\xa9e : ce n\'est pas un homme, c\'est une pure \nraison. Aussi refuse-t-il \xc3\xa0 sa pens\xc3\xa9e toute parure. Il \nraisonne et dogmatise ; il d\xc3\xa9daigne les m\xc3\xa9taphores \npo\xc3\xa9tiques et les brillantes images. Mais si son langage \nest plus aust\xc3\xa8re et pins froid que celui de Platon , il est \naussi \xc3\xa9lev\xc3\xa9, et surtout il est plus ferme, \xc2\xab Aristote a \n\n\n\n\xc3\xa2 w 24 DE LA CONNAISSANCE\xc2\xbb \n\nparl\xc3\xa9 divinement dans ce qu\'il a dit de l\'entendement" \net de sa s\xc3\xa9paration d\'avec les organes. \xc2\xbb Tel est le \nt\xc3\xa9moignage que lui rend Bossuet dans le Trait\xc3\xa9 de la \nconnaissance de Dieu et de soi-m\xc3\xaame; et ce t\xc3\xa9moi- \ngnage est m\xc3\xa9rit\xc3\xa9 , car la pens\xc3\xa9e d\'Aristote est ici \xc3\xa0 la \nhauteur de la pens\xc3\xa9e de son ma\xc3\xaetre. Il reconna\xc3\xaet et \nmaintient aussi bien que lui l\'existence distincte de la \nraison ou de l\'entendement et sa pr\xc3\xa9\xc3\xa9minence sur les \nsens. \n\nCependant ne nous arr\xc3\xaatons point \xc3\xa0 ces g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralit\xc3\xa9s; \ndescendons dans les d\xc3\xa9tails , et voyons s\'ils confirment \nou contredisent la doctrine g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale que nous venons \nde rappeler. Voyons si \xc3\x80rislote a \xc3\xa9t\xc3\xa9 fid\xc3\xa8le \xc3\xa0 ses pro- \npres principes dans le d\xc3\xa9veloppement qu\'il leur a \ndonn\xc3\xa9. Examinons si , apr\xc3\xa8s avoir pos\xc3\xa9 deux facult\xc3\xa9s \nde conna\xc3\xaetre absolument irr\xc3\xa9ductibles , il ne lui est pas \narriv\xc3\xa9 par une incons\xc3\xa9quence involontaire de r\xc3\xa9duire \nen fait les sens \xc3\xa0 la raison ou plut\xc3\xb4t la raison aux sens. \nIl se pourrait en effet qu\'il e\xc3\xbbt expliqu\xc3\xa9 la succession \net la g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration des faits intellectuels de telle sorte , \nque la pens\xc3\xa9e sortant par degr\xc3\xa9s de la sensation, il \nn\'y e\xc3\xbbt pas lieu pour s\'en rendre compte de remonter \n\xc3\xa0 une facult\xc3\xa9 autre que la sensibilit\xc3\xa9 , si bien que la \ndoctrine de l\'entendement pur devenant une hypoth\xc3\xa8se \ngratuite et enti\xc3\xa8rement inutile, se trouverait ainsi rui- \nn\xc3\xa9e contre l\'intention d\'Aristote lui-m\xc3\xaame. C\'est l\xc3\xa0, si \nje ne me trompe , le point d\xc3\xa9licat de la question. \n\nRetra\xc3\xa7ons avant tout en quelques mots la th\xc3\xa9orie \nde notre philosophe sur les rapports de la connais- \nsance sensible et de la connaissance rationnelle , et \nsur la mani\xc3\xa8re dont l\'une succ\xc3\xa8de \xc3\xa0 l\'autre dans l\'es- \nprit. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 325 \n\nLa pens\xc3\xa9e dans l\'homme est pr\xc3\xa9c\xc3\xa9d\xc3\xa9e et pr\xc3\xa9par\xc3\xa9e \npar la sensation ; car l\'intelligible est en puissance \ndans les formes sensibles et la sensation contient la \nscience en puissance. La sensation vient donc la pre- \nmi\xc3\xa8re , d\'abord en puissance elle-m\xc3\xaame, puis en acte \nsous l\'influence et par l\'effet de l\'objet sensible en \nacte. Ce que la sensation conna\xc3\xaet dans l\'objet, ce n\'est \npas sa mati\xc3\xa8re ou sa quantit\xc3\xa9, mais seulement sa forme \nou sa qualit\xc3\xa9 , \xc3\xa9l\xc3\xa9ment premier de toute ressemblance \ncomme de toute diff\xc3\xa9rence. Quand l\'objet sensible s\'est \n\xc3\xa9loign\xc3\xa9, la sensation s\'\xc3\xa9vanouit ; mais il demeure quel- \nque chose dans l\'\xc3\xa2me, au si\xc3\xa8ge du sens commun, \xc3\xa0 \nsavoir une impression sensible dont on se forme une \nimage ou repr\xc3\xa9sentation , et cette image \xc3\xa9tant rap- \nport\xc3\xa9e \xc3\xa0 son objet devient le souvenir. Lorsque plu- \nsieurs sensations se sont ainsi succ\xc3\xa9d\xc3\xa9 dans l\'\xc3\xa2me , \nl\'universel qui y \xc3\xa9tait contenu se d\xc3\xa9gage des cas pai \nticuliers, gr\xc3\xa2ce \xc3\xa0 l\'induction , et il appara\xc3\xaet \xc3\xa0 l\'espm \nqui y discerne les principes par la vertu de l\'entende- \nment, principe des principes. \n\nAu premier abord , apr\xc3\xa8s un coup d\'oeil jet\xc3\xa9 sur \ncette th\xc3\xa9orie des degr\xc3\xa9s de la connaissance, apr\xc3\xa8s la \nlecture superficielle de tel passage d\'Aristote, du der- \nnier chapitre des Derniers Analytiques par exemple , \non pourrait croire que la pens\xc3\xa9e n\'est gu\xc3\xa8re pour Aris- \ntote, comme pour Condillac, que la sensation trans- \nform\xc3\xa9e et pour ainsi dire quintessenci\xc3\xa9e. Pourquoi en \neffet cette d\xc3\xa9pendance de la pens\xc3\xa9e vis-\xc3\xa0-vis de la sen- \nsation ? Que si la sensation contient la science en puis- \nsance , et si l\'intelligible est en puissance dans le sen- \nsible, pourquoi ne pas dire que toute connaissance est \nou une sensation ou une cons\xc3\xa9quence de la sensation? \n\n\n\nS26 DE LA CONNAISSANCE. \n\nTelle est l\'objection qui semble s\'offrir naturellement \n\xc3\xa0 l\'esprit ; telle est la difficult\xc3\xa9 qu\'on \xc3\xa9l\xc3\xa8ve contre le \nrationalisme d\'Aristote , et sur laquelle se fonde le \npr\xc3\xa9jug\xc3\xa9 ordinaire qui condamne ce philosophe \xc3\xa0 n\'\xc3\xaatre \nque le plus grand et le plus sage des sensualistes. De \ngrands philosophes ont partag\xc3\xa9 ou partagent encore \ncette mani\xc3\xa8re de voir. Mais la premi\xc3\xa8re autorit\xc3\xa9, quand \nil s\'agit d\'interpr\xc3\xa9ter la doctrine d\'Aristote, c\'est Aris- \ntote lui-m\xc3\xaame, et le seul commentaire qu\'il soit permis \nd\'employer, ce sont ses propres \xc3\xa9crits. Je n\'h\xc3\xa9site \npas \xc3\xa0 le dire : pour qui se place sur ce terrain, non- \nseulement la difficult\xc3\xa9 dont il s\'agit n\'a point de va- \nleur en elle-m\xc3\xaame , mais au contraire elle indique ou \nrappelle un nouveau m\xc3\xa9rite d\'Aristote dans cette \ngrande th\xc3\xa9orie de la connaissance. \n\nEn effet, sur quoi repose l\'objection que nous ve- \nnons de pr\xc3\xa9senter? Pourquoi accuse-t-on Aristote \nd\'avoir fait d\xc3\xa9river toutes les id\xc3\xa9es des sens ? Par cette \nunique raison que, suivant lui, la sensation vient en \npremier lieu , et que par cons\xc3\xa9quent la pens\xc3\xa9e na\xc3\xaet \nde la sensation qui, comme le d\xc3\xa9clare Aristote , con- \ntient la science en puissance. \n\nOn commet ici une double confusion tout \xc3\xa0 fait pr\xc3\xa9- \njudiciable \xc3\xa0 ce philosophe : la premi\xc3\xa8re , entre la \npuissance telle qu\'il l\'entendait et la puissance telle \nque nous la comprenons nous-m\xc3\xaames ; la seconde , \nentre l\'ordre chronologique et l\'ordre logique de nos \nid\xc3\xa9es. Un double \xc3\xa9claircissement est donc indispen- \nsable pour r\xc3\xa9futer l\'objection propos\xc3\xa9e. \n\nPremi\xc3\xa8rement, en ce qui concerne la puissance \nd\'Aristote , on doit toujours se souvenir que l\'acte \nn\'en est pas le r\xc3\xa9sultat mais le but ; qu\'il n\'en est pas \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 327 \n\nl\'effet mais la cause, \xc3\xa0 proprement parler. La puis- \nsance n\'est pas une cause qui enveloppe son effet et \nle produise par sa force propre ; c\'est une simple pos- \nsibilit\xc3\xa9 qui n\'est rien , tant que l\'acte ne vient pas lui \ndonner l\'\xc3\xaatre. Donc, lorsque Aristote dit que la sen- \nsation contient en elle la puissance, c\'est \xc3\xa0 dire la \npossibilit\xc3\xa9 de la science, il ne veut dire autre chose , \nsinon que la science est le but de la sensation et que \nla sensation nous met en \xc3\xa9tat de recevoir la science \ndont elle n\'est point capable par elle-m\xc3\xaame. Et en g\xc3\xa9- \nn\xc3\xa9ral toute cette th\xc3\xa9orie des degr\xc3\xa9s de la connaissance \nne signifie autre chose , sinon que nos id\xc3\xa9es se suivent \ndans un ordre tel , que la connaissance intelligible \na pour condition la connaissance sensible et lui \nsucc\xc3\xa8de. \n\nEn second lieu, quand on argue de cette succes- \nsion pour en conclure une g\xc3\xa9n\xc3\xa9ration v\xc3\xa9ritable de la \npens\xc3\xa9e par la raison , on attribue \xc3\xa0 Aristote une con- \nfusion que l\'on commet soi-m\xc3\xaame entre l\'ordre chro- \nnologique et l\'ordre logique ; et en v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 l\'on a grand \ntort : car Aristote est pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment le premier philo- \nsophe que je sache qui ait fait cette distinction si \nimportante en psychologie (1) de deux ant\xc3\xa9riorit\xc3\xa9s : \nl\'une relative \xc3\xa0 nous et \xc3\xa0 la sensation qui nous est \ninn\xc3\xa9e , l\'autre absolue et rationnelle. Suivant la pre- \nmi\xc3\xa8re, le particulier est ant\xc3\xa9rieur \xc3\xa0 l\'universel et plus \nnotoire que lui, de m\xc3\xaame que l\'universel est ant\xc3\xa9rieur \naux principes et plus notoire qu\'eux. Mais suivant \nl\'ant\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 logique et rationnelle, les principes sont \nplus notoires que l\'universel et l\'universel plus notoire \n\n(i) Voyez M. Cousin , Cours, 2 e s\xc3\xa9iie, t. III , p.. 1 10 suiv. \n\n\n\n328 DE LA CONNAISSANCE. \n\nque le particulier (1 ). On le voit donc , en tra\xc3\xa7ant dans \nles derniers Analytiques l\'ordre de succession des faits \nintellectuels , Aristote ne peut avoir en vue que l\'ordre \npurement chronologique suivant lequel nos facult\xc3\xa9s \nde conna\xc3\xaetre passent de la puissance \xc3\xa0 l\'acte. Quant \xc3\xa0 \nl\'ordre logique et rationnel, il est pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment le con- \ntraire de celui-l\xc3\xa0. Il ne faut m\xc3\xaame pas croire que l\'an- \nt\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 chronologique appartienne sans restriction \xc3\xa0 \nla sensation par rapport \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e et \xc3\xa0 la science : \nrien ne serait plus oppos\xc3\xa9 \xc3\xa0 la th\xc3\xa9orie essentielle de \nla puissance et de l\'acte. Dans l\'individu , il est vrai , \nla puissance pr\xc3\xa9c\xc3\xa8de; mds d\'une mani\xc3\xa8re absolue \nc\'est le contraire , puisque rien ne saurait passer de la \npuissance \xc3\xa0 l\'acte sans le concours de quelque chose \nqui soit en acte. Dans l\'individu (lv tw ivt), la science \nest d\'abord en puissance , et elle n\'arrive que plus tard \n\xc3\xa0 la contemplation actuelle; mais elle y arrive en ap- \nprenant , ce qui suppose un ma\xc3\xaetre qui enseigne , c\'est- \n\xc3\xa0-dire la science en acte : celle-ci est donc ant\xc3\xa9rieure \nm\xc3\xaame chronologiquement , d\'une mani\xc3\xa8re absolue \n\n(o/co\xc3\xa7) . \n\nIl est donc bien clair que suivant Aristote, si \nl\'homme qui a la sensation , l\'imagination et la m\xc3\xa9- \nmoire est en puissance d\'avoir la science , il ne l\'ac- \nquiert qu\'\xc3\xa0 la condition d\'apprendre et d\'\xc3\xaatre en- \nseign\xc3\xa9. Or quel est le ma\xc3\xaetre qui l\'enseigne ? c\'est \n\xc3\xa9videmment l\'intellect en acte , sans lequel l\'intellect \npatient ne pense rien (2). L\'intellect en acte , venu du \ndehors en nous , apporte l\'unit\xc3\xa9 dans nos connais- \n\n\n\n(1) Dern. Anal., 1 , 31, \xc2\xa7 6 ; II, V , \xc2\xa7 2, \xc2\xa7 5 init., etc.\xe2\x80\x94 (2)DeI\'\xc3\xa0me, \n111,5, $2. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 329 \n\nsances , et d\xc3\xa9gage de l\'universel tes principes dont il \nest le principe lui-m\xc3\xaame (I). Voil\xc3\xa0 ce qu\'on trouve \ndans le passage m\xc3\xaaxe des Derniers Analytiques , o\xc3\xb9 \nl\'on croit surprendre Aristote en flagrant d\xc3\xa9lit de sen- \nsualisme. Je con\xc3\xa7ois qu\'\xc3\xa0 examiner ce passage isol\xc3\xa9- \nment, on ait pu se m\xc3\xa9prendre sur l\'intention d\'Aris- \ntote, et croire que cette s\xc3\xa9rie de faits qu\'il nous ex- \npose, depuis la sensation la plus grossi\xc3\xa8re jusqu\'\xc3\xa0 la \npens\xc3\xa9e pure, est destin\xc3\xa9e uniquement \xc3\xa0 m\xc3\xa9nager la \ntransition et \xc3\xa0 montrer comment le sensible donne \nnaissance \xc3\xa0 l\'intelligible et la sensation \xc3\xa0 la science. \nMais il est une autre mani\xc3\xa8re d\'interpr\xc3\xa9ter le soin que \nmet Aristote \xc3\xa0 expliquer le passage de la sensibilit\xc3\xa9 \xc3\xa0 \nl\'entendement. De l\'une \xc3\xa0 l\'autre , la distance est im- \nmense \xc3\xa0 ses yeux et \xc3\xa0 jamais infranchissable pour la \nsensation. Tous ces interm\xc3\xa9diaires qu\'il appelle \xc3\xa0 son \naide, l\'id\xc3\xa9e sensible, l\'image et le souvenir, et la r\xc3\xa9- \np\xc3\xa9tition m\xc3\xaame des souvenirs, tout cela ne comble \npoint l\'ab\xc3\xaeme; mais toutes ces op\xc3\xa9rations successives \npr\xc3\xa9parent la mati\xc3\xa8re de la pens\xc3\xa9e , et disposent la \npuissance que l\'intellect divin fait seul passer \xc3\xa0 l\'acte \nen l\'illuminant (2). \n\nCertes , si Aristote est sensualiste , il faut convenir \nque c\'est un singulier sensualiste. Il est vrai qu\'il \nplace le point de d\xc3\xa9part de la connaissance dans la \nsensation , et en cela il semble donner les mains \xc3\xa0 \ncette philosophie pr\xc3\xa9tendue positive, qui s\'enferme \ndans les faits sensibles et pr\xc3\xa9tend y trouver toute \nscience et toute v\xc3\xa9rit\xc3\xa9. Mais tel n\'est pas son dessein. \nA peine a-t-il fait cette concession aux partisans de \n\n(l) \xc3\x80p^ \xc3\xa0p/wv. Dcrn. Anal., II, 19 fin.\xe2\x80\x94 (2) De rame , III, 5,\xc2\xa7 l. \n\n\n\n330 DE LA CONNAISSANCE. \n\nla sensation , qu\'il rompt avec eux brusquement. Il \ndit en propres termes que s\'il n\'y avait que des choses \nsensibles , il faudrait renoncer \xc3\xa0 toute science, \xc3\xa0 toute \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9, mais qu\'au-dessus du sensible il y a l\'intel- \nligible, et la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 immuable au-dessus des ph\xc3\xa9no- \nm\xc3\xa8nes et des \xc3\xaatres variables auxquels s\'applique la \nsensibilit\xc3\xa9; point de science des choses p\xc3\xa9rissables, \npoint de science des choses particuli\xc3\xa8res, domaine \nvague de la contingence et du hasard; les sciences \nles plus rigoureuses et les plus parfaites sont celles \nqui ne portent point sur les objets sensibles. Suivant \nle vrai sensualiste , \xc3\xa0 mesure qu\'on s\'\xc3\xa9loigne des sens , \non perd la certitude, on n\'a plus qu\'une ombre de la \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9 , on s\'\xc3\xa9gare le plus souvent dans les abstractions \net les chim\xc3\xa8res. Aristote, sans m\xc3\xa9conna\xc3\xaetre la certi- \ntude relative des sens, d\xc3\xa9clare que plus on s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve \nau-dessus d\'eux , plus on se rapproche de la science, \nde la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9, de la certitude absolue. Tout le travail \nde la sensibilit\xc3\xa9 n\'aboutit qu\'\xc3\xa0 une sorte de g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralit\xc3\xa9 \nvague et ind\xc3\xa9termin\xc3\xa9e dont elle ne nous donne m\xc3\xaame \npas la connaissance. C\'est par ces notions obscures et \nconfuses que d\xc3\xa9bute la science. Puis , lorsque l\'en- \ntendement s\'applique \xc3\xa0 ces notions premi\xc3\xa8res, il y fait \nluire la lumi\xc3\xa8re et en fait sortir la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 intelligible , \xc3\xa0 \nlaquelle seule appartient l\'\xc3\xa9vidence par sa nature. A \nne consulter que la sensation, ce seraient les premi\xc3\xa8res \nid\xc3\xa9es et les inductions fond\xc3\xa9es sur elles qui seraient \nles connaissances les plus \xc3\xa9videntes et les plus no- \ntoires. Mais ce n\'est l\xc3\xa0 qu\'une illusion ; cette pr\xc3\xa9ten- \ndue \xc3\xa9vidence n\'est qu\'apparente et passag\xc3\xa8re ; la v\xc3\xa9- \nritable \xc3\xa9vidence est celle de la raison, celle de la pens\xc3\xa9e. \nLes causes et les principes nous \xc3\xa9taient d\'abord obscurs, \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE* 331 \n\nparce que les sens n\'y sauraient atteindre ; mais lors- \nque l\'intellect en acte nous les a fait conna\xc3\xaetre , nous \nsavons que l\xc3\xa0 seulement est l\'\xc3\xa9vidence premi\xc3\xa8re , celle \nqui s\'attache \xc3\xa0 l\'intelligible , \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9ternel , \xc3\xa0 l\'im- \nmuable. \n\nAristote va plus loin : jaloux de montrer l\'excel- \nlence de la pens\xc3\xa9e et sa sup\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 sur la sensation , \nil affirme que la premi\xc3\xa8re est un acte immat\xc3\xa9riel , in- \ntelligible , et la seconde un acte corporel et sensible, \naupoLuxovxi. Exag\xc3\xa9ration \xc3\xa9vidente, mais qui est la con- \ns\xc3\xa9quence in\xc3\xa9vitable de la vieille maxime : \xc2\xab Le sem- \nblable conna\xc3\xaet son semblable , \xc2\xbb transform\xc3\xa9e par Aris- \ntote en la th\xc3\xa9orie plus profonde de l\'identit\xc3\xa9 de la con- \nnaissance avec son objet. En effet , s\'il est vrai que le \nsens qui avant l\'acte \xc3\xa9tait diff\xc3\xa9rent de son objet , lui \ndevient semblable en passant \xc3\xa0 l\'acte , s\'il est vrai que \nla sensibilit\xc3\xa9 , qui en puissance tenait le milieu entre \nles qualit\xc3\xa9s contraires, devient en acte l\'une des deux, \ncomment ne pas accorder que la sensation en acte est \nchose sensible comme la qualit\xc3\xa9 m\xc3\xaame qu\'elle per\xc3\xa7oit \net \xc3\xa0 laquelle elle s\'est assimil\xc3\xa9e ? Comment admettre \ndans une pareille th\xc3\xa9orie la spiritualit\xc3\xa9 du sujet qui \nper\xc3\xa7oit? Je le r\xc3\xa9p\xc3\xa8te, Aristote a \xc3\xa9t\xc3\xa9 cons\xc3\xa9quent lors- \nqu\'il a dit que la sensation est chose corporelle et \nsensible comme son objet, puisque comme lui elle de- \nvient chaude ou froide (1). Il n\'a pas \xc3\xa9t\xc3\xa9 moins cons\xc3\xa9- \nquent, lorsqu\'il a exalt\xc3\xa9 la nature spirituelle et imma- \nt\xc3\xa9rielle de la pens\xc3\xa9e qui porte sur l\'intelligible, et \nlorsqu\'il a proclam\xc3\xa9 ce que bien peu de philosophes \noseraient soutenir aujourd\'hui , savoir que l\'\xc3\xa2me rai- \n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, III, 4, \xc2\xa74. \n\n\n\n33 w 2 DE LA COIN NAISSAIN CE. \n\nsonnable non-seulement est s\xc3\xa9parable du corps , mais \nm\xc3\xaame ne lui est point unie, et qu\'elle agit d\xc3\xa8s \xc3\xa0 pr\xc3\xa9- \nsent en lui comme si elle en \xc3\xa9tait actuellement s\xc3\xa9pa- \nr\xc3\xa9e : en sorte qu\'elle n\'est attach\xc3\xa9e \xc3\xa0 aucun organe, \net n\'en d\xc3\xa9pend pas m\xc3\xaame dans le sens o\xc3\xb9 l\'on dit \nqu\'un artiste d\xc3\xa9pend de son instrument. \n\nC\'est encore \xc3\xa0 cette m\xc3\xaame th\xc3\xa9orie de l\'identit\xc3\xa9 de la \nconnaissance avec son objet, qu\'Aristote sacrifie l\'ac- \ntivit\xc3\xa9 de la pens\xc3\xa9e aussi bien que de la sensation, mais \nen marquant l\xc3\xa0 aussi la diff\xc3\xa9rence qui s\xc3\xa9pare ces deux \nactes. Par la sensation en effet, nous sommes sou- \nmis \xc3\xa0 l\'irr\xc3\xa9sistible action d\'un objet sensible qui nous \nrend semblables \xc3\xa0 lui , et ainsi nous sommes en quel- \nque sorte une mati\xc3\xa8re o\xc3\xb9 la nature vient imprimer sa \nforme. Aristote reconna\xc3\xaet bien, il est vrai, quelque \nactivit\xc3\xa9 dans le sens qui , ayant pour but la sensa- \ntion, y tend de lui-m\xc3\xaame (ei\xc3\xa7 to\xc3\xbbto \xc3\xa0ya) : mais il \ninsiste davantage sur le caract\xc3\xa8re presque exclusive- \nment passif de nos sensations , et il lui arrive d\'\xc3\xa9ta- \nblir entre l\'objet et le sens une relation du plus au \nmoins , parce que , suivant lui , ce qui agit est sup\xc3\xa9- \nrieur \xc3\xa0 ce qui p\xc3\xa2tit. Aristote est ici en faute, et \nc\'est lui-m\xc3\xaame qui nous en fournit la preuve : \xc2\xab Ce \nqui est inanim\xc3\xa9 , dit-il , est m\xc3\xbb et alt\xc3\xa9r\xc3\xa9 sans le sa- \nvoir ; mais l\'\xc3\xaatre qui a la sensation ne peut ignorer \nqu\'il p\xc3\xa2tit (1 ) , \xc2\xbb et ailleurs il montre tout le prix de \ncette connaissance , quelque infime qu\'elle puisse pa- \nra\xc3\xaetre (2). \n\nL\'intellect n\'est gu\xc3\xa8re moins passif que la sensibi- \n\n\n\n(l)Phys., Vil, 2, p. 244, b, l. 15; p. 545, a, 1. 1.\xe2\x80\x94 (2) G\xc3\xa9n\xc3\xa9r. desanim., \nI, 23 fin. Voy. plus haut , ch. V, p. 48. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 333 \n\nlit\xc3\xa9 ; il n\'est pas moins fatalement identifi\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'intelli- \ngible. Sans doute, une fois qu\'il est devenu les choses, \nil a par lui-m\xc3\xaame le pouvoir de penser (1 ) ; mais tant \nqu\'il est en puissance, il ne peut ni penser l\'intelli- \ngible ni se penser lui-m\xc3\xaame sans le concours actif et \nd\xc3\xa9terminant de l\'intellect divin en acte. Sans Dieu , \nsans le divin, la pens\xc3\xa9e est donc impossible en nous. \nC\'est presque la th\xc3\xa9orie de Malebranche , disant plus \ntard en d\'autres termes : \xc2\xab Nous ne sommes point \xc3\xa0 \nnous-m\xc3\xaames notre raison et notre lumi\xc3\xa8re (2). \xc2\xbb Notre \nesprit \xc3\xa9tant passif \xc3\xa0 ce point , l\'on con\xc3\xa7oit qu\' Aristote \nl\'ait absorb\xc3\xa9 dans la pens\xc3\xa9e divine, et que pour \nlui poss\xc3\xa9der la raison soit synonyme de \xc2\xab partici- \nper du divin (3). \xc2\xbb Mais j\'y trouve, je l\'avoue, quel- \nque difficult\xc3\xa9. Certes, je suis loin de vouloir nier la \npr\xc3\xa9sence myst\xc3\xa9rieuse de Dieu dans nos \xc3\xa2mes ; son \nconcours , je le sais, est indispensable \xc3\xa0 l\'ach\xc3\xa8vement \nde tous nos actes de pens\xc3\xa9e et d\'amour ; nous tenons \nde lui toutes nos perfections ; rien n\'est possible sans \nlui, par lui tout est possible. Mais quoi? N\'est-il \npas vrai aussi que nous sommes , gr\xc3\xa2ce \xc3\xa0 lui , \ndes \xc3\xaatres actifs , ayant par cons\xc3\xa9quent une cer- \ntaine initiative en tous nos actes, et jusque dans \nces connaissances , que nous ne nous donnons pas \npeut-\xc3\xaatre, mais qui ne seraient point sans nous ? \nD\'ailleurs que dire de la th\xc3\xa9orie m\xc3\xaame de l\'identit\xc3\xa9 \ndu sujet pensant avec l\'objet pens\xc3\xa9, qui a \xc3\xa9t\xc3\xa9 le point \nde d\xc3\xa9part d\' Aristote? Comment y voir autre chose \nqu\'une hypoth\xc3\xa8se? Oui, sans doute, l\'objet que nous \n\n\n\n(i) De l\'\xc3\xa2me, II, 6, \xc2\xa7\xc2\xa7 4, G. \xe2\x80\x94 (2) M\xc3\xa9ditations chr\xc3\xa9tiennes, l re M\xc3\xa9dit. \xe2\x80\x94 \n(3) Part, desaninv, H, 10, p. 656, a, 1. 7, 8. \n\n\n\n334 DE LA CONNAISSANCE. \n\npensons est rendu en quelque sorte semblable \xc3\xa0 nous, \npar cela seul qu\'en le pensant nous le faisons n\xc3\xb4tre ; \nen un sens donc il devient notre pens\xc3\xa9e ; mais de l\xc3\xa0 \n\xc3\xa0 une identit\xc3\xa9 absolue il y a loin. Oui, sans doute, \nnotre pens\xc3\xa9e , en s\'arr\xc3\xaatant \xc3\xa0 un certain objet , lui \ndevient semblable en quelque sorte, puisqu\'elle nous \nle repr\xc3\xa9sente et l\'exprime en nous comme une parole \nint\xc3\xa9rieure qui nous enseigne , et contre laquelle nous \nne saurions nous \xc3\xa9lever (1 j. Mais de l\xc3\xa0 \xc3\xa0 l\'identit\xc3\xa9 \nabsolue il y a toute la distance qui s\xc3\xa9pare un fait \ncertain d\'une hypoth\xc3\xa8se gratuite; et pour arriver \njusqu\'\xc3\xa0 cette hypoth\xc3\xa8se , il faut renoncer \xc3\xa0 la spiri- \ntualit\xc3\xa9 du sujet dou\xc3\xa9 de sensation, supprimer en g\xc3\xa9- \nn\xc3\xa9ral l\'activit\xc3\xa9 intime de notre intelligence , et n\'y \nplus voir qu\'un pale reflet des choses ext\xc3\xa9rieures, ou \nune empreinte plus ou moins vive de l\'esprit divin en \nnous. Or, s\'il est beau de participer du divin, sui- \nvant l\'expression d\'Aristote, il est encore plus beau \nd\'en participer librement et de s\'en distinguer alors \nm\xc3\xaame qu\'on s\'unit \xc3\xa0 lui. \n\nOn peut maintenant se faire une id\xc3\xa9e juste et com- \npl\xc3\xa8te de la doctrine d\'Aristote sur la connaissance \nhumaine, sur sa nature et ses esp\xc3\xa8ces, ses causes et \nson origine. On peut juger maintenant si cette doc- \ntrine est sensualiste, ou si elle incline au sensualisme. \nPour nous , si nous n\'avions la crainte d\'avaucer un \nparadoxe , nous dirions que non-seulement les th\xc3\xa9o- \nries d\'Aristote sont empreintes d\'un caract\xc3\xa8re de ra- \ntionalisme, mais que m\xc3\xaame elles ne sont pas exemptes \nde tout exc\xc3\xa8s dans cette direction. L\'entendement \n\n(1) Dern. Anal., I , 10, \xc2\xa77. \n\n\n\nDE L\xc3\x80 CONNAISSANCE. ooO \n\nen puissance et l\'entendement en acte d\'Aristote, \nbien loin de ressembler \xc3\xa0 la R\xc3\xa9flexion de Loke , ne \nsont pas aussi \xc3\xa9loign\xc3\xa9s qu\'on le pourrait croire de la \nVision en Dieu de Malebranche et du Ma\xc3\xaetre int\xc3\xa9rieur \nde F\xc3\xa9nelon. Mais n\'exag\xc3\xa9rons rien ; contentons-nous \nd\'avoir r\xc3\xa9tabli sans hypoth\xc3\xa8se , sans interpr\xc3\xa9tation \nhasard\xc3\xa9e, suivant le texte m\xc3\xaame d\'Aristote, le vrai \ncaract\xc3\xa8re de sa th\xc3\xa9orie g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale de la connaissance. \nCompl\xc3\xa9tons seulement cette partie de notre travail \npar une revue rapide des th\xc3\xa9ories particuli\xc3\xa8res rela- \ntives aux divers actes ou proc\xc3\xa9d\xc3\xa9s de nos deux fa- \ncult\xc3\xa9s de conna\xc3\xaetre, l\'exp\xc3\xa9rience et la raison. \n\nLa th\xc3\xa9orie de la sensation ou perception ext\xc3\xa9rieure \ndans Aristote r\xc3\xa9unit , j\'ose le dire , tous les m\xc3\xa9rites. \nElle est aussi exacte que profonde, et aussi originale \nque vraie. Elle atteste de longues et patientes \xc3\xa9tudes, \nun rare talent d\'observation , une sagacit\xc3\xa9 merveil- \nleuse ; en un mot , elle est digne de l\'auteur de l\'His- \ntoire des animaux. Qu\'on se rappelle en effet cette \ndescription savante de la connaissance sensible, dans \nses objets , en elle-m\xc3\xaame et dans toutes ses circon- \nstances : chaque sens particulier est l\'objet d\'une \n\xc3\xa9tude compl\xc3\xa8te et achev\xc3\xa9e ; ses objets , son organe , \nle milieu o\xc3\xb9 il agit, ses donn\xc3\xa9es propres, tout est \nanalys\xc3\xa9 avec une ing\xc3\xa9nieuse d\xc3\xa9licatesse. La division \ndes sensibles propres et des sensibles communs m\xc3\xa9- \nrite d\'\xc3\xaatre conserv\xc3\xa9e , et je remarque qu\'elle a \xc3\xa9t\xc3\xa9 \nreprise par les philosophes \xc3\xa9cossais , et d\'abord par \nHutcheson(l). Il en est de m\xc3\xaame de l\'excellente dis- \ntinction entre ce qui est sensible par soi-m\xc3\xaame et ce \n\n(l) Metaph. synopsis. \n\n\n\n-336 DE LA CONNAISSANCE. \n\nqui ne l\'est que par accident. Aristote en a tir\xc3\xa9 l\'ex- \nplication des erreurs attribu\xc3\xa9es aux sens , et sur ce \npoint il a devanc\xc3\xa9 les psychologues modernes et le \ndocteur Reid lui-m\xc3\xaame. \n\nSi des d\xc3\xa9tails nous passons \xc3\xa0 la th\xc3\xa9orie g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale , \nnous y remarquons des vues originales et profondes, \net , chose remarquable , nous n\'y rencontrons point \nd\'hypoth\xc3\xa8se. La sensation nous est donn\xc3\xa9e , suivant \nsa vraie nature , comme la connaissance des qualit\xc3\xa9s \ndes corps ; elle ne porte point sur la mati\xc3\xa8re , dit \nAristote en son langage , mais bien sur la forme ; elle \nse l\'assimile en quelque sorte par la connaissance , et \nl\'on peut dire que la sensibilit\xc3\xa9 en acte est la forme \ndes choses sensibles. Si l\'on d\xc3\xa9gage la pens\xc3\xa9e conte- \nnue dans cette formule, on s\'assurera facilement que \nc\'est l\'explication la plus profonde et la plus vraie , \nou plut\xc3\xb4t la seule qui ait \xc3\xa9t\xc3\xa9 donn\xc3\xa9e de la connais- \nsance sensible. Telle est la th\xc3\xa9orie qu\' Aristote est \nvenu substituer aux vieilles et na\xc3\xafves hypoth\xc3\xa8ses qui \navaient cours avant lui et dont il a fait justice. Il a \nd\xc3\xbb combattre , pour le rectifier , le fameux axiome \ndes philosophes de la p\xc3\xa9riode cosmologique : \xc2\xab Rien \nn\'est connu que par son semblable (1 ) . \xc2\xbb Il a rejet\xc3\xa9, \nm\xc3\xaame un peu d\xc3\xa9daigneusement, les petites images \nde D\xc3\xa9mocrite (2) , et pourtant les m\xc3\xaames critiques \nqui lui rapportent le nihil est in intellectu , etc., ne \nmanquent pas de lui attribuer la th\xc3\xa9orie des id\xc3\xa9es- \nimages. Nous ne nous arr\xc3\xaaterons pas \xc3\xa0 combattre \nces assertions dict\xc3\xa9es par la passion ou par l\'igno- \nrance, mais nous r\xc3\xa9p\xc3\xa9terons que l\'analyse de la sen- \n\n(1 ) De l\'\xc3\xa2me, I, 2 fin ; I, 7 , etc. \xe2\x80\x94 (2) De la divination, II , \xc2\xa7 5. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. &37 \n\nsation donn\xc3\xa9e par Aristote nous para\xc3\xaet \xc3\xaatre encore \naujourd\'hui la plus savante et la plus simple. \n\nQuant aux d\xc3\xa9fauts qui d\xc3\xa9parent encore cette th\xc3\xa9o- \nrie, nous les avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 indiqu\xc3\xa9s, et nous les rap- \npellerons en deux mots. L\'activit\xc3\xa9 , la spiritualit\xc3\xa9 et \nl\'unit\xc3\xa9 du sujet qui per\xc3\xa7oit nous y semblent un peu \neffac\xc3\xa9es. Nous avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 fait voir qu\' Aristote avait \ntrop restreint la part de l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de sensibilit\xc3\xa9 dans \nla production du fait de connaissance , et qu\'il avait \nexag\xc3\xa9r\xc3\xa9 le caract\xc3\xa8re passif de la sensation. Il en a \n\xc3\xa9galement m\xc3\xa9connu parfois la nature spirituelle, \ncomme nous aurons encore occasion de le montrer \nen examinant son opinion sur la conscience, Enfin, \n\xc3\xa0 force de distinguer les cinq sens particuliers et de \nregarder chacun d\'eux comme l\'\xc3\xa0me et l\'essence \nd\'une certaine partie du corps, \xc3\xa0 laquelle il est at- \ntach\xc3\xa9 et o\xc3\xb9 il r\xc3\xa9side , Aristote les a tellement isol\xc3\xa9s \nles uns des autres , que l\'unit\xc3\xa9 du moi qui en est le \nprincipe commun semble lui \xc3\xa9chapper. \n\nC\'est pour r\xc3\xa9tablir et marquer cette unit\xc3\xa9 de la \npuissance sensitive qu\'il imagine ce premier sensitif \nou sens commun , principe et centre de toutes nos \nsensations. Cette hypoth\xc3\xa8se, longtemps re\xc3\xa7ue en phi- \nlosophie et reproduite par Bossuet dans le Trait\xc3\xa9 de la \nconnaissance de Dieu et de soi-m\xc3\xaame (chap. I , \xc2\xa7 4), \nnous para\xc3\xaet inutile du moment que l\'on admet l\'unit\xc3\xa9 \ndu principe qui voit par les yeux , entend par les \noreilles et per\xc3\xa7oit par tous les sens , et qui par con- \ns\xc3\xa9quent est en \xc3\xa9tat d\'en comparer les donn\xc3\xa9es di- \nverses. A vrai dire, le premier sensitif n\'a pas d\'autre \nfonction , et Aristote a sans doute voulu tout sim- \nplement d\xc3\xa9signer par l\xc3\xa0 la puissance g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale de \n\n22 \n\n\n\n338 DE LA CONNAISSANCE. \n\nsentir r\xc3\xa9sidant en son organe central. Du reste , il \nmet habilement \xc3\xa0 profit cette hypoth\xc3\xa8se du sens com- \nmun pour expliquer de la mani\xc3\xa8re la plus ing\xc3\xa9nieuse \nle sommeil , les songes , les actes de l\'imagination et \nla m\xc3\xa9moire. La th\xc3\xa9orie de l\'imagination est longtemps \ndemeur\xc3\xa9e classique en philosophie. Descartes lui- \nm\xc3\xaame s\'y conforme et dit dans le langage m\xc3\xaame d\'A- \nristote : \xc2\xab Imaginer n\'est rien autre chose que con- \ntempler la figure ou l\'image d\'une chose corpo- \nrelle (1). \xc2\xbb Les philosophes modernes distinguent en \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ral deux \xc3\xa9l\xc3\xa9ments dans le fait de m\xc3\xa9moire, sa- \nvoir la conception d\'un objet absent et le jugement \npar lequel nous affirmons avoir d\xc3\xa9j\xc3\xa0 connu cet objet. \nCette distinction est pr\xc3\xa9cis\xc3\xa9ment celle qu\'Aristote \xc3\xa9ta- \nblit entre l\'imagination et la m\xc3\xa9moire. On voit par l\xc3\xa0 \nque nous vivons encore sur les id\xc3\xa9es des anciens , et \nqu\'Aristote est toujours notre ma\xc3\xaetre \xc3\xa0 notre insu. \n\nJ\'ai d\xc3\xa9j\xc3\xa0 lou\xc3\xa9 plusieurs fois l\'excellente analyse de \nla m\xc3\xa9moire que contient le trait\xc3\xa9 de ce nom. Sans par- \nler de la distinction importante que je viens de rap- \npeler, on doit remarquer la diff\xc3\xa9rence que met Aristote \nentre la m\xc3\xa9moire involontaire et la m\xc3\xa9moire volon- \ntaire ou r\xc3\xa9miniscence. L\'association des id\xc3\xa9es, dont \nl\'\xc3\xa9tude a fait tant d\'honneur aux psychologues de l\'\xc3\xa9- \ncole \xc3\xa9cossaise , et en particulier \xc3\xa0 Dugald Stewart , \nl\'association des id\xc3\xa9es elle-m\xc3\xaame est analys\xc3\xa9e dans le \nsecond chapitre du Trait\xc3\xa9 de la m\xc3\xa9moire , et l\'on y \ntrouve une sorte de classification des principaux rap- \nports suivant lesquels nous rappelons nos id\xc3\xa9es. Il y a \nplus : la th\xc3\xa9orie d\' Aristote met en lumi\xc3\xa8re une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 \n\n(1) II* M\xc3\xa9dit., p. 252, \xc3\xa9dit. de M. Cousin. Cf. VI e M\xc3\xa9dit., init. \n\n\n\nIDE LA CONNAISSANCE* 339 \n\nque les psychologues modernes paraissent avoir \nignor\xc3\xa9e et dont ils ne font aucun usage, \xc3\xa0 savoir que \nla m\xc3\xa9moire ne porte directement que sur les choses \nd\'exp\xc3\xa9rience, et non sur les id\xc3\xa9es de la raison. \n\nEnfin , pour faire appr\xc3\xa9cier par un dernier trait le \ntalent d\'observation dont Aristote a donn\xc3\xa9 tant de \npreuves dans toute cette th\xc3\xa9orie de la connaissance \nsensible, disons qu\'il a tr\xc3\xa8s-bien connu et m\xc3\xaame ex- \npliqu\xc3\xa9 la fameuse distinction du fait intellectuel et du \nfait de sensibilit\xc3\xa9 dans le ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne complexe de la \nsensation. La langue grecque ne lui fournissait qu\'un \nseul terme pour exprimer, d\'une part la perception \nou connaissance sensible , et de l\'autre la sensation \nde plaisir ou de peine dont cette perception est ac- \ncompagn\xc3\xa9e. Il a donc \xc3\xa9t\xc3\xa9 oblig\xc3\xa9 d\'employer ce mot \n(ata0r;(ji\xc3\xa7) dans deux sens tr\xc3\xa8s- diff\xc3\xa9rents , mais sans \njamais confondre une seule fois dans tous ses \xc3\xa9crits^ \ndu moins \xc3\xa0 ma connaissance , l\'impression de plaisir \nou de peine avec le fait intellectuel. Il y a pourtant une \nopinion assez g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralement r\xc3\xa9pandue, qui attribue cette \nconfusion \xc3\xa0 tous les philosophes anciens : cette opi- \nnion n\'est qu\'un pr\xc3\xa9jug\xc3\xa9 injuste \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9gard d\'Aristote. \n\nDe la sensibilit\xc3\xa9 passons \xc3\xa0 l\'entendement et \xc3\xa0 la \npens\xc3\xa9e. \n\nLe premier proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 que l\'on rencontre dans l\'a- \nnalyse de l\'entendement , c\'est l\'induction qu\' Aristote \nd\xc3\xa9finit : le passage du particulier \xc3\xa0 l\'universel, et \xc3\xa0 \nlaquelle en cons\xc3\xa9quence il rapporte l\'acquisition de \ntoutes nos id\xc3\xa9es g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales. Or, nos id\xc3\xa9es g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales sont \nde plusieurs sortes , et il importe de les bien discer- \nner, pour comprendre toute l\'importance du proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 \ninductif dans le svst\xc3\xa8me d\'Aristote. \n\n\n\n340 DE LA CONNAISSANCE. \n\nIl y a d\'abord les genres , qui nous sont connus pat \nla comparaison des individus, par l\'abstraction de \nleurs diff\xc3\xa9rences et la conception de leurs ressem- \nblances. C\'est ainsi que nous arrivons \xc3\xa0 ces id\xc3\xa9es g\xc3\xaan\xc3\xa9* \nraies : un livre, un arbre, uncorps. Nous appelons volon- \ntiers abstraction , ou g\xc3\xa9n\xc3\xa9ralisation proprement dite, \nl\'ensemble du travail intellectuel par lequel nous nous \n\xc3\xa9levons \xc3\xa0 ces points de vue abstraits sur les caract\xc3\xa8res \ncommuns des choses. Aristote, apr\xc3\xa8s avoir analys\xc3\xa9 \nce premier proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 , l\'appelle induction , dans le der- \nnier chapitre des Derniers Analytiques. \n\nLorsque nous avons ramen\xc3\xa9 sous une seule notion \ntout un groupe de faits semblables, et que nous avons \nobserv\xc3\xa9 en un certain nombre de cas particuliers les \ncirconstances dans lesquelles se produisent ces faits , \nil arrive que notre esprit , qui aspire \xc3\xa0 l\'universel , fait \nsortir de ces quelques observations la notion g\xc3\xa9n\xc3\xa9rale \nd\'une loi qui s\'applique \xc3\xa0 tous les faits du m\xc3\xaame genre. \nC\'est ainsi qu\'apr\xc3\xa8s avoir vu tomber plusieurs corps , \nnous sommes conduits \xc3\xa0 dire de tout le genre ce que \nnous n\'avons v\xc3\xa9rifi\xc3\xa9 que pour quelques individus ; de \nl\xc3\xa0 cette loi que nous recevons dans notre esprit : Tous \nles corps tombent. Si l\'induction est le passage du \nparticulier au g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral , c\'est ici surtout qu\'il convient \nd\'employer ce mot: aussi le r\xc3\xa9servons-nous d\'ordinaire \npour d\xc3\xa9signer le proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 par lequel nous nous \xc3\xa9levons \nde l\'observation des faits \xc3\xa0 la conception des lois qui \nles r\xc3\xa9gissent. Aristote applique \xc3\xa9galement \xc3\xa0 ce pro- \nc\xc3\xa9d\xc3\xa9 le nom d\'induction , et comme on pourrait voir \nl\xc3\xa0 un raisonnement ou un syllogisme, il a soin de \nmontrer dans un chapitre de ses Premiers Analytiques*, \nque l\'induction est un syllogisme de la proposition \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. Sftl \n\nind\xc3\xa9montrable, c\'est-\xc3\xa0-dire qu\'elle n\'est pas un syllo- \ngisme : en quoi il a grandement raison. \n\nCe n\'est pas tout : au-dessus de ces lois g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales \nque l\'on appelle empiriques , parce qu\'elles ont \xc3\xa9t\xc3\xa9 \nadmises apr\xc3\xa8s un certain nombre d\'exp\xc3\xa9riences, nous \ndistinguons des principes n\xc3\xa9cessaires , tels que ceux- \nci : Tout ph\xc3\xa9nom\xc3\xa8ne a une cause, Tout corps est dans \nun espace ; Il y a un \xc3\xaatre n\xc3\xa9cessaire et parfait, etc. Ces \nprincipes, d\'une v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 \xc3\xa9ternelle et absolue, diff\xc3\xa8rent \ndes lois empiriques en ce qu\'ils se retrouvent dans \ntoute intelligence humaine, et en ce que, pour les \nconcevoir, nous n\'avons pas besoin d\'un grand nombre \nd\'observations : il nous suffit d\'une seule , parce que \ntout fait est l\'application d\'un de ces principes ant\xc3\xa9- \nrieurs \xc3\xa0 toute r\xc3\xa9flexion , et toujours pr\xc3\xa9sents \xc3\xa0 notre \npens\xc3\xa9e dont ils sont la condition immuable. Ici le pas- \nsage du particulier au g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral est tellement naturel et \nrapide , qu\'on peut \xc3\xa0 peine appeler du nom de pro- \nc\xc3\xa9d\xc3\xa9 l\'acte spontan\xc3\xa9 de l\'esprit par lequel nous avons \nl\'intuition de ces v\xc3\xa9rit\xc3\xa9s n\xc3\xa9cessaires. C\'est pour mar- \nquer la promptitude et la facilit\xc3\xa9 de cet acte , qu\'on \nlui a donn\xc3\xa9 le nom d\'abstraction imm\xc3\xa9diate (1). Cette \nfois la sagacit\xc3\xa9 d\'Aristote est en d\xc3\xa9faut : il ne fait pas \nde diff\xc3\xa9rence entre les lois empiriques et les principes \nn\xc3\xa9cessaires, et pour expliquer ces derniers, il n\'a tou- \njours que l\'induction. \n\nNous sommes loin de vouloir justifier Aristote sur ce \npoint : cette confusion des id\xc3\xa9es abstraites avec les v\xc3\xa9- \nrit\xc3\xa9s n\xc3\xa9cessaires nous para\xc3\xaet une erreur dangereuse , \net quoiqu\'il soit fort inexact de dire , en quelque cir- \n\n(1) Voyez les Cours de M. Cousin , et particuli\xc3\xa8rement le t. I er de la \npremi\xc3\xa8re s\xc3\xa9rie , p. 55 suiv. \n\n\n\n342 DE LA CONNAISSANCE. \n\nconstance que ce soit , que le g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral se tire du parti- \nculier (1), il ne s\'ensuit pas del\xc3\xa0 qu\'on puisse jamais \nassimiler aux v\xc3\xa9rit\xc3\xa9s n\xc3\xa9cessaires des notions qui sou- \nvent sont entach\xc3\xa9es d\'erreur et qui, fussent-elles tou- \njours vraies, n\'exprimeraient encore que la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 \ncontingente \xc3\xa0 sa plus haute puissance. Cependant il \nfaut bien reconna\xc3\xaetre que la confusion que nous re- \nprochons \xc3\xa0 \xc3\x80ristote avait \xc3\xa9t\xc3\xa9 commise avant lui par \ntous les philosophes et par Platon lui-m\xc3\xaame. Or, on \nen doit convenir, il y a un ab\xc3\xaeme entre ignorer une \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9 et la nier apr\xc3\xa8s qu\'on Ta connue. \n\nQuoi qu\'il en soit, nous devons regretter qu\' Aris- \ntote ait fait rentrer dans le domaine de l\'induction les \ntrois sortes de connaissances g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales que nous ve- \nnons de distinguer, et il est surtout f\xc3\xa2cheux qu\'il \nn\'ait point \xc3\xa9tabli de diff\xc3\xa9rence entre les lois induites \nde l\'exp\xc3\xa9rience et les principes n\xc3\xa9cessaires qui sont \nl\'objet d\'une conception imm\xc3\xa9diate de la raison. Quant \n\xc3\xa0 la confusion des id\xc3\xa9es abstraites de genres et d\'es- \np\xc3\xa8ces avec les jugements qui expriment des lois em- \npiriques , nous en sommes beaucoup moins frapp\xc3\xa9s , \net pour plusieurs raisons. D\'abord ces deux sortes de \nnotions ont entre elles des rapports \xc3\xa9troits et suppo- \nsent \xc3\xa9galement l\'exp\xc3\xa9rience. Ensuite Aristote en a fait \nla distinction, en traitant de la pens\xc3\xa9e qui, suivant \nlui, porte sur les indivisibles ou sur les compos\xc3\xa9s. \nEnfin cette distinction , utile en logique , nous para\xc3\xaet \nmoins importante en psychologie. Il y a bien peu \nd\'actes intellectuels qui ne soient des jugements , et \n\n\n\n(1) C\'est ce qu\'a fort bien montr\xc3\xa9, suivant nous, M. J. Denis, ancien \n\xc3\xa9l\xc3\xa8ve de l\'\xc3\x89cole normale , dans un travail r\xc3\xa9cent sur le Rationalisme \nd\'Aristote, p. 124 et suiv. \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 343 \n\nqui par cons\xc3\xa9quent ne contiennent une affirmation. \nLes indivisibles d\' Aristote , les id\xc3\xa9es des philosophes \nmodernes , bien loin d\'\xc3\xaatre les intelligibles par excel- \nlence, ne sont pas m\xc3\xaame des pens\xc3\xa9es compl\xc3\xa8tes ; elles \nn\'en sont que des fragments isol\xc3\xa9s par l\'abstraction, \ninintelligibles en soi et ne comportant pas plus la v\xc3\xa9- \nrit\xc3\xa9 que Terreur, attendu qu\'il n\'y a ni erreur ni v\xc3\xa9- \nrit\xc3\xa9 l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 nous ne trouvons ni jugement ni connais- \nsance. Aristote lui-m\xc3\xaame l\'a fort bien reconnu, quand \nil a dit que la pens\xc3\xa9e des objets compos\xc3\xa9s est seule \nsusceptible d\'erreur, parce que toute affirmation est \nn\xc3\xa9cessairement vraie ou fausse. Mais au lieu de mettre \nla perfection de l\'acte intellectuel clans l\'affirmation \nvraie , il a mieux aim\xc3\xa9 la faire consister dans la con- \nception ou l\'intuition de ces termes simples , qu\'il ap- \npelle des indivisibles et des primitifs , et qui , \xc3\xa0 nos \nyeux , ne sont que des r\xc3\xa9sultats de l\'abstraction , et \npar cons\xc3\xa9quent des notions d\xc3\xa9riv\xc3\xa9es et ult\xc3\xa9rieures. \nL\'esprit ne d\xc3\xa9bute point par de telles abstractions , \nmais bien par des connaissances r\xc3\xa9elles. Ses premiers \nactes sont des jugements concrets, et par cons\xc3\xa9quent \ntr\xc3\xa8s- complexes. Il ne va donc pas du simple au com- \npos\xc3\xa9; sa marche naturelle est plut\xc3\xb4t du concret \xc3\xa0 l\'abs- \ntrait, c\'est-\xc3\xa0-dire du compos\xc3\xa9 au simple. Ce n\'est pas \nun des moindres m\xc3\xa9rites de l\'\xc3\xa9cole \xc3\xa9cossaise d\'avoir \nr\xc3\xa9tabli la v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 sur ce point , et d\'avoir d\xc3\xa9barrass\xc3\xa9 la \npsychologie d\'une erreur aussi vieille que la science \nlogique , et que les logiciens de toutes les \xc3\xa9coles sem- \nblaient prendre \xc3\xa0 t\xc3\xa2che de perp\xc3\xa9tuer. \n\nNotre dessein n\'est pas de suivre Aristote dans ses \nth\xc3\xa9ories de la d\xc3\xa9finition , de la d\xc3\xa9monstration et en \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ral du syllogisme. Ces analyses , plut\xc3\xb4t logiques \n\n\n\n344 DE LA CONNAISSANCE. \n\nque psychologiques, sont d\xc3\xa9sormais acquises \xc3\xa0 la \nscience et ne pourraient \xc3\xaatre l\'objet que de critiques \ninsignifiantes. Il est pourtant indispensable de faire \nremarquer dans quel esprit et de quelle mani\xc3\xa8re Aris- \ntote a con\xc3\xa7u et pratiqu\xc3\xa9 l\'\xc3\xa9tude de ces divers proc\xc3\xa9d\xc3\xa9s. \nEn g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral, ce qui para\xc3\xaet attirer son attention , c\'est \nmoins l\'acte m\xc3\xaame de l\'esprit que sa traduction ext\xc3\xa9- \nrieure , c\'est moins la pens\xc3\xa9e pure que la pens\xc3\xa9e par- \nl\xc3\xa9e ou \xc3\xa9crite. Toute sa logique implique le langage^ \nil n\'a pas d\'autre mot que cuXXoyw^\xc3\xb4\xc3\xa7 pour exprimer \nle raisonnement , et il le d\xc3\xa9finit comme une \xc3\xa9noneia- \ntion ou un discours d\'une certaine esp\xc3\xa8ce. Cette m\xc3\xa9- \nthode , en ce qui concerne le raisonnement , a plus \nd\'avantages que d\'inconv\xc3\xa9nients : si elle emp\xc3\xaache les \ngrandes sp\xc3\xa9culations sur la nature de ce proc\xc3\xa9d\xc3\xa9 , elle \nexclut par cela m\xc3\xaame les hypoth\xc3\xa8ses dangereuses; \nelle oblige \xc3\xa0 une plus grande pr\xc3\xa9cision ; elle rend plus \nfacile une analyse \xc3\xa0 la fois subtile et exacte , et c\'est \nl\xc3\xa0 sans doute ce qui fait la solidit\xc3\xa9 in\xc3\xa9branlable de la \nlogique d\' Aristote. Mais si la science logique y a gagn\xc3\xa9^ \non n\'en saurait dire autant peut-\xc3\xaatre de la psycholo- \ngie; car il faut avouer que, si la th\xc3\xa9orie du syllo- \ngisme n\'a fait aucun progr\xc3\xa8s notable depuis Aristote , \nen revanche les travaux de Port-Royal , de Leibniz , \nd\'Euler et de l\'\xc3\xa9cole \xc3\xa9cossaise ont beaucoup ajout\xc3\xa9 \xc3\xa0 \nla philosophie du raisonnement et contribu\xc3\xa9 \xc3\xa0 \xc3\xa9claircir \nla th\xc3\xa9orie de la d\xc3\xa9monstration. \n\nPour terminer cette revue des op\xc3\xa9rations de l\'en- \ntendement dans le syst\xc3\xa8me d\' Aristote, nous ne pou- \nvons nous dispenser de dire un mot de ce qu\'il appelle \nla puissance d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative ou logistique. L\'acte princi- \npal de cette facult\xc3\xa9 , celui qui sert de point de d\xc3\xa9par \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 345 \n\n\xc3\xa0 toutes ses op\xc3\xa9rations , c\'est l\'opinion , c\'est-\xc3\xa0-dire \n\xc2\xab la conception de la proposition imm\xc3\xa9diate du con- \ntingent. \xc2\xbb Le contingent est en effet l\'objet de la par- \ntie logistique comme le n\xc3\xa9cessaire est l\'objet de la \npartie scientifique de l\'entendement. Cette distinction \ndu n\xc3\xa9cessaire et du contingent pourrait faire croire \nque nous avons adress\xc3\xa9 \xc3\xa0 Aristote un reproche in- \njuste en l\'accusant d\'avoir confondu les r\xc3\xa9sultats a \nposteriori de l\'induction avec les conceptions a priori \nde la raison. Il n\'en est rien cependant : nous ne \npr\xc3\xa9tendons pas qu\' Aristote ait absolument m\xc3\xa9connu \nla diff\xc3\xa9rence du n\xc3\xa9cessaire et du contingent, mais \nbien qu\'il a rapport\xc3\xa9 \xc3\xa0 une m\xc3\xaame origine des no- \ntions de l\'une et de l\'autre esp\xc3\xa8ce ; or cela est in- \ncontestable. De plus , la distinction que fait Aristote \nentre le n\xc3\xa9cessaire et le contingent n\'entra\xc3\xaene pas in- \nfailliblement cette cons\xc3\xa9quence, qu\'il aurait entendu \ncomme nous ces termes de n\xc3\xa9cessaire et de contin- \ngent. Dans la langue des philosophes modernes , la \nv\xc3\xa9rit\xc3\xa9 n\xc3\xa9cessaire est celle qui ne peut pas ne pas \xc3\xaatre , \ncomme par exemple l\'existence de Dieu et les axiomes \n\xc3\xa9ternels de la raison ; le contingent est ce qui pour- \nrait ne pas \xc3\xaatre, comme par exemple nos propres \nactes ou comme les faits sensibles qui s\'accomplissent \nautour de nous. Suivant Aristote, le n\xc3\xa9cessaire est ce \ndont la cause ne saurait \xc3\xaatre autrement que nous ne \nla pensons : en d\'autres termes , tout ce qu\'on con- \nna\xc3\xaet par la science est n\xc3\xa9cessaire. Or la science a pour \nobjet non-seulement ce qui est toujours, mais encore \nce qui est le plus souvent tq w\xc3\xa7 Ito to ttoXu (1 ) : ce \n\n(l) Mor. \xc3\xa0 Nie, VI, 5 ; M\xc3\xa9taph., XI, 8 ; D. Anal., I, 25. \n\n\n\n346 DE LA CONNAISSANCE. \n\nqui est le plus souvent, c\'est-\xc3\xa0-dire ce qui fait pr\xc3\xa9- \ncis\xc3\xa9ment l\'objet des lois dont nous parlions tout \xc3\xa0 \nl\'heure et que d\xc3\xa9couvre l\'induction ; en sorte que \npour confirmer notre reproche , nous n\'avons qu\'\xc3\xa0 \nd\xc3\xa9velopper la d\xc3\xa9finition m\xc3\xaame du n\xc3\xa9cessaire tel que \nl\'entend Aristote. L\'objection que nous avions \xc3\xa9lev\xc3\xa9e \ncontre la th\xc3\xa9orie de l\'induction subsiste donc dans \ntoute sa force. \n\nApr\xc3\xa8s l\'opinion , on ne trouve plus gu\xc3\xa8re dans la \npartie d\xc3\xa9lib\xc3\xa9rative de l\'entendement que la r\xc3\xa9minis- \ncence , dont nous avons dit un mot \xc3\xa0 propos de la \nm\xc3\xa9moire , et le syllogisme du probable dont nous n\'a- \nvons rien \xc3\xa0 dire , si ce n\'est que les Topiques en con- \ntiennent la th\xc3\xa9orie longuement et ing\xc3\xa9nieusement d\xc3\xa9- \nvelopp\xc3\xa9e. Quant \xc3\xa0 la d\xc3\xa9lib\xc3\xa9ration, nous y reviendrons \nen traitant de la volont\xc3\xa9. \n\nNous avons examin\xc3\xa9 dans son ensemble et dans \nses d\xc3\xa9tails la doctrine d\' Aristote sur la connaissance. \nNous avons essay\xc3\xa9 d\'en montrer avec une stricte im- \npartialit\xc3\xa9 les d\xc3\xa9fauts et les m\xc3\xa9rites. Il ne nous reste \nplus qu\'\xc3\xa0 expliquer comment cette doctrine , qui pa- \nra\xc3\xaet si compl\xc3\xa8te et o\xc3\xb9 figurent toutes les op\xc3\xa9rations \nintellectuelles , accorde si peu de place au fait de con- \nscience. Chose singuli\xc3\xa8re , tous les actes intellectuels \nont re\xc3\xa7u d\'Aristote un nom, except\xc3\xa9 celui-l\xc3\xa0. Cette \nlacune est trop regrettable pour que nous n\'ayons \npas \xc3\xa0 c\xc5\x93ur d\'en rechercher les causes. \n\nQue fait Aristote de la conscience , c\'est-\xc3\xa0-dire de \nla facult\xc3\xa9 de nous conna\xc3\xaetre nous-m\xc3\xaames? Nous avons \nvu d\xc3\xa9j\xc3\xa0 qu\'il n\'ignorait pas que nous avons une cer- \ntaine connaissance de nos propres actes , de nos sen- \nsations, de nos pens\xc3\xa9es. Il le dit lui-m\xc3\xaame en pro- \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 347 \n\npr\xc3\xa8s termes : \xc2\xab Il y a en nous quelque chose qui a le \nsentiment de tout ce que nous faisons (I). \xc2\xbb Pour- \nquoi donc ne pas donner de nom \xc3\xa0 ce quelque \nchose ? Pourquoi n\'en pas faire une facult\xc3\xa9 dis- \ntincte? Si je ne me trompe , ce n\'est pas sans dessein \nqu\'Aristote en a agi ainsi : il y a l\xc3\xa0 une intention \nsyst\xc3\xa9matique, et cette omission apparente est \xc3\xa0 elle \nseule toute une th\xc3\xa9orie. Qu\'on se rappelle en effet \ndans quels termes Aristote d\xc3\xa9crit la connaissance que \nnous avons de nos mani\xc3\xa8res d\'\xc3\xaatre. C\'est la vue qui \nconna\xc3\xaet que nous voyons ; chaque sens per\xc3\xa7oit tout \nensemble et l\'acte de son objet et son acte propre ; et \nquant \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e , elle se pense elle-m\xc3\xaame toutes les \nfois qu\'elle est en acte. Ainsi nous sentons que nous \nsentons et nous pensons que nous pensons. L\'opi- \nnipn d\' Aristote sur la conscience n\'est pas difficile \n\xc3\xa0 tirer de l\xc3\xa0, et si l\'on veut la traduire en langage \nmoderne , on trouvera qu\'elle est identique \xc3\xa0 celle \nqu\'un illustre interpr\xc3\xa8te d\' Aristote, M. William Ha- \nmilton, a exprim\xc3\xa9e en disant que \xc2\xab la conscience n\'est \npas une facult\xc3\xa9 particuli\xc3\xa8re, mais la condition uni- \nverselle de l\'intelligence (2). Il est \xc3\xa9vident pour nous , \ncomme pour le c\xc3\xa9l\xc3\xa8bre philosophe \xc3\xa9cossais que nous \nvenons de citer, que la conscience , aux yeux d\'Aris- \ntote , n\'est autre chose qu\'un mode de toutes nos fa- \ncult\xc3\xa9s, et voil\xc3\xa0 pourquoi il ne lui a pas donn\xc3\xa9 de nom \net ne l\'a pas fait figurer parmi les puissances de l\'\xc3\xa2me. \nM. Hamilton ne craint pas de dire que cette opinion \nd\' Aristote sur la conscience est aussi celle de Des- \n\n\n\n(1) De l\'\xc3\xa2me, NI, 2, \xc2\xa7 1 suiv. ; Mor. \xc3\xa0 Nie., IX, 9, p. 1170, a. \n\xc2\xa32) Fragments de philosophie , trad. par M. Louis Peisse, p. 65 suiv. \n\n\n\n348 DE LA CONNAISSANCE. \n\ncartes, de Locke et de tous les philosophes en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral. \nNous ne le pensons pas ; mais nous n\'avons \xc3\xa0 nous \noccuper ici que d\'Aristote , et son autorit\xc3\xa9 suffit pour \nque cette question soit pour nous l\'objet d\'un examen \ns\xc3\xa9rieux. \n\nLa premi\xc3\xa8re difficult\xc3\xa9 qui se pr\xc3\xa9sente , si l\'on nie la \nconscience comme facult\xc3\xa9 sp\xc3\xa9ciale , c\'est qu\'il y aura \ndans l\'\xc3\xa2me humaine un fait capital dont la psycholo- \ngie ne rendra point compte. En effet , nous savons \nnon-seulement par une abstraction logique, mais \ncomme un fait psychologique , que l\'action et la con- \nnaissance de l\'action sont deux choses distinctes. \nNon-seulement j\'agis, mais je sais que j\'agis. Or, de \nm\xc3\xaame que mon action suppose en moi un pouvoir \nd\'agir qui suffit \xc3\xa0 l\'expliquer, de m\xc3\xaame la connais- \nsance que j\'ai de mes actes suppose en moi un pou- \nvoir de conna\xc3\xaetre mes propres actes : c\'est ce pouvoir \nque j\'appelle conscience , et qu\'on ne peut nier sans \nnier du m\xc3\xaame coup que je connaisse mes propres \nactes. Mais, dira-t-on, il n\'est pas une de nos facul- \nt\xc3\xa9s qui ne soit accompagn\xc3\xa9e de conscience, et le fait \nde conscience n\'a jamais lieu que lorsqu\'une de nos \nfacult\xc3\xa9s s\'exerce actuellement : il n\'en est donc pas \ndistinct et ne saurait \xc3\xaatre rapport\xc3\xa9 \xc3\xa0 un pouvoir sp\xc3\xa9- \ncial. Cette cons\xc3\xa9quence n\'est pas l\xc3\xa9gitime. Le fait \nqu\'on all\xc3\xa8gue , et qui est v\xc3\xa9ritable , prouve seulement \nque la conscience n\'est point s\xc3\xa9parable de toutes nos \nautres facult\xc3\xa9s; mais on n\'a jamais pr\xc3\xa9tendu qu\'elle \nen f\xc3\xbbt s\xc3\xa9parable : on la reconna\xc3\xaet seulement comme \nun pouvoir distinct , parce qu\'en effet son acte est \ndiff\xc3\xa9rent de tous les autres. Si l\'on se refuse \xc3\xa0 cette \nl\xc3\xa9gitime distinction , je ne vois pas pourquoi l\'on ne \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. ol\\9 \n\nram\xc3\xa8nerait pas \xc3\xa0 un seul fait, \xc3\xa0 la pens\xc3\xa9e par exemple, \ntous les faits psychologiques; la volont\xc3\xa9, qui ne \ns\'exerce jamais sans l\'intelligence , serait ainsi r\xc3\xa9duite \n\xc3\xa0 cette facult\xc3\xa9 ; et l\'on aurait beau objecter que vou- \nloir est autre chose que penser : pourquoi cette ob- \njection aurait-elle plus de force en ce qui concerne \nla volont\xc3\xa9 que lorsqu\'il s\'agit du fait de conscience? \nOn retournerait ainsi \xc3\xa0 l\'unit\xc3\xa9 confuse qui est le point \nde d\xc3\xa9part de l\'analyse psychologique, et l\'on abouti- \nrait \xc3\xa0 la n\xc3\xa9gation de la science. \n\nExaminons ce que devient la conscience envisag\xc3\xa9e \ncomme un simple mode de nos diverses facult\xc3\xa9s , et \nprenons pour exemple la sensation. Pour qu\'il y ait \nv\xc3\xa9ritablement sensation ( ou perception sensible), il \nfaut que je connaisse que je sens ; car comment \n\xc3\xa9prouver une sensation sans le savoir? Apr\xc3\xa8s avoir \n\xc3\xa9tabli ce point, Aristote se demande par quelle facult\xc3\xa9 \nnous connaissons par exemple que nous voyons , et il \nd\xc3\xa9cide que c\'est par la vue : car, dit-il , la sensation \nen acte est semblable \xc3\xa0 son objet, et par cons\xc3\xa9quent \nla vision , au moment o\xc3\xb9 elle porte sur une couleur en \nacte, est visible elle-m\xc3\xaame. Yoil\xc3\xa0 ce que devient la \nconscience consid\xc3\xa9r\xc3\xa9e comme mode de la sensation : \nelle est elle-m\xc3\xaame une sensation. Aristote a fort bien \nvu cette cons\xc3\xa9quence , et il l\'a accept\xc3\xa9e. Or, je le de- \nmande , n\'est-ce pas se faire une id\xc3\xa9e tr\xc3\xa8s-grossi\xc3\xa8re \nde la sensation , que de pr\xc3\xa9tendre qu\'elle est quelque \nchose de sensible comme son objet? Non , l\'\xc3\xa2me qui \npar les sens per\xc3\xa7oit le chaud et le froid , ne devient \npas froide ou chaude suivant l\'objet qu\'elle per\xc3\xa7oit. \nNotre connaissance , qu\'elle s\'applique \xc3\xa0 la mati\xc3\xa8re ou \n\xc3\xa0 l\'esprit , qu\'elle s\'attache \xc3\xa0 Dieu lui-m\xc3\xaame , ou qu\'elle \n\n\n\n350 DE LA CONNAISSANCE. \n\ndaigne s\'occuper de cette boue^ comme dit Platon dans \nle Parm\xc3\xa9nide , notre connaissance est toujours une \npens\xc3\xa9e , un acte immat\xc3\xa9riel : car c\'est l\'acte ou le mode \nd\'un \xc3\xaatre qui se sert du corps , mais qui n\'est point le \ncorps ; ni m\xc3\xaame quelque chose du corps. La connais- \nsance ne peut donc \xc3\xaatre l\'objet d\'une sensation ou \nd\'une perception : c\'est donc encore une fois par une \nfacult\xc3\xa9 distincte de la perception que nous avons con- \nscience de nos connaissances sensibles. \n\nD\'ailleurs , pour peu quon aille au fond des choses, \non trouvera que cette th\xc3\xa9orie, qui attribue la con- \nscience comme mode \xc3\xa0 toutes nos facult\xc3\xa9s intellec- \ntuelles , suppose une autre th\xc3\xa9orie plus \xc3\xa9lev\xc3\xa9e, mais \nqui n\'est qu\'une hypoth\xc3\xa8se , comme nous l\'avons d\xc3\xa9j\xc3\xa0 \nmontr\xc3\xa9 , \xc3\xa0 savoir l\'identit\xc3\xa9 de la pens\xc3\xa9e et de son ob- \njet. En effet, comment attribuer \xc3\xa0 une m\xc3\xaame facult\xc3\xa9 \nde conna\xc3\xaetre la pens\xc3\xa9e d\'un objet, quel qu\'il soit, et \nla connaissance de cette pens\xc3\xa9e, sans soutenir en \nm\xc3\xaame temps que la pens\xc3\xa9e et la chose pens\xc3\xa9e ne font \nqu\'un ? Or si cette assertion n\'est pas une erreur com- \npl\xc3\xa8te , encore est-il qu\'elle offre un caract\xc3\xa8re d\'hypo- \nth\xc3\xa8se et que par cons\xc3\xa9quent la th\xc3\xa9orie qui s\'appuie \nsur elle p\xc3\xa8che par la base. \n\nEnfin , si la th\xc3\xa9orie d\' Aristote , que M. Hamilton a \nreproduite avec tant d\'habilet\xc3\xa9 et de force , peut s\'ap- \npliquer avec quelque vraisemblance \xc3\xa0 la conscience \nde nos actes intellectuels, il faut convenir qu\'elle se- \nrait insoutenable , si l\'on consid\xc3\xa9rait d\'autres facult\xc3\xa9s \nque l\'intelligence. Pour quiconque admet comme des \nfaits essentiellement distincts la pens\xc3\xa9e, le d\xc3\xa9sir, la \nvolont\xc3\xa9 , il y a n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 de rapporter la connaissance \nintime de nos d\xc3\xa9sirs et de nos actes libres \xc3\xa0 une facult\xc3\xa9 \n\n\n\nDE LA CONNAISSANCE. 351 \n\nautre que le d\xc3\xa9sir et que la volont\xc3\xa9 : or c\'est cette fa- \ncult\xc3\xa9 distincte que nous appelons conscience. \n\nEn r\xc3\xa9sum\xc3\xa9 , la conscience nous para\xc3\xaet \xc3\xaatre un pou- \nvoir sp\xc3\xa9cial de nous conna\xc3\xaetre nous-m\xc3\xaames , et nous \nregrettons qu\'Aristote en ait fait un mode g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral de \nnos diff\xc3\xa9rentes facult\xc3\xa9s de conna\xc3\xaetre. Mais nous n\'h\xc3\xa9- \nsitons pas \xc3\xa0 dire que la faute en doit \xc3\xaatre attribu\xc3\xa9e \njusqu\'\xc3\xa0 un certain point \xc3\xa0 son ma\xc3\xaetre Platon. C\'\xc3\xa9tait \xc3\xa0 \nPlaton, le fid\xc3\xa8le disciple et l\'h\xc3\xa9ritier de Socrate, qu\'il \nappartenait de l\xc3\xa9guer \xc3\xa0 la philosophie une th\xc3\xa9orie de \nla conscience. Mais Platon , qui connaissait si bien le \nfait complet de conscience , n\'en a gu\xc3\xa8re parl\xc3\xa9 qu\'\xc3\xa0 \nl\'occasion de la pens\xc3\xa9e , de telle sorte qu\'Aristote en \nmontrant ce m\xc3\xaame fait dans l\'acte de la perception ex- \nt\xc3\xa9rieure , semble avoir plut\xc3\xb4t agrandi que diminu\xc3\xa9 la \ndoctrine de son ma\xc3\xaetre (1). \n\n\n\n(I) \xc2\xab Aristote , dit Tennemann , observa le premier le fait de conscience \navec quelque clart\xc3\xa9. \xc2\xbb Manuel , etc., trad. de M. Cousin , 1. 1, p. 188. \n\n\n\nCHAPITRE V, \n\n\n\nDES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. \n\n\n\nA c\xc3\xb4t\xc3\xa9 des id\xc3\xa9es et des op\xc3\xa9rations de l\'intelligence, \nl\'analyse psychologique d\xc3\xa9couvre dans l\'\xc3\xa2me humaine \ntout un ordre de faits qui se peuvent r\xc3\xa9sumer en deux \nactes principaux : l\'amour et la haine , et que nous \nrapportons \xc3\xa0 une facult\xc3\xa9 sp\xc3\xa9ciale de l\'\xc3\xa2me, la sensi- \nbilit\xc3\xa9. Aristote range en un seul groupe et ram\xc3\xa8ne \xc3\xa0 \nun seul principe toutes les affections et passions de \nl\'\xc3\xa2me. Nous pouvons donc, sans d\xc3\xa9naturer sa pens\xc3\xa9e, \nd\xc3\xa9tacher cette partie de son syst\xc3\xa8me et en faire une \n\xc3\xa9tude sp\xc3\xa9ciale. \n\nPersonne n\'ignore combien l\'analyse des passions \npr\xc3\xa9sente de difficult\xc3\xa9s. Rien de plus mobile ni de plus \nvariable que les divers sentiments qui nous animent ; \nrien de plus individuel que nos affections de toute es- \np\xc3\xa8ce ; rien qui d\xc3\xa9pende davantage des dispositions de \nchacun , de son caract\xc3\xa8re , de son \xc3\xa9ducation , des cir- \nconstances o\xc3\xb9 il est plac\xc3\xa9. Gomment donc soumettre \xc3\xa0 \nl\'analyse un objet qui y \xc3\xa9chappe par sa nature ? Gom- \nment d\xc3\xa9terminer un caract\xc3\xa8re constant l\xc3\xa0 o\xc3\xb9 toutes \nles m\xc3\xa9tamorphoses sont possibles? Gomment d\xc3\xa9finir et \nclasser ce qui n\'a rien de fixe et de durable , et ne se \nressemble m\xc3\xaame pas \xc3\xa0 soi-m\xc3\xaame? \n\nPour peu que l\'on fasse quelque attention \xc3\xa0 l\'im- \nmense difficult\xc3\xa9 d\'une \xc3\xa9tude aussi d\xc3\xa9licate, on ne nous \n\n\n\nBES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. 353 \n\naccusera point d\'avancer un paradoxe, si nous disons \nque la th\xc3\xa9orie des passions a fait tr\xc3\xa8s-peu de progr\xc3\xa8s \ndepuis Aristote. Quelques observations de d\xc3\xa9tail ont \npu lui \xc3\xa9chapper; mais il a connu les faits essentiels, \nles divisions principales et les grands principes. \nReid et Dugald Stewart , dont les classifications pas- \nsent \xc3\xa0 bon droit pour les plus exactes dans cette \npartie de la psychologie, n\'ont gu\xc3\xa8re fait qu\'em- \nprunter les r\xc3\xa9sultats des travaux d\' Aristote , et ils \nont conserv\xc3\xa9 en g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral les divers groupes form\xc3\xa9s par \nce philosophe , en leur imposant seulement d\'autres \nnoms. \n\nPour faire appr\xc3\xa9cier tous les m\xc3\xa9rites de cette th\xc3\xa9orie \nd\'Aristote , il nous faut exposer en quelques mots les \nfaits auxquels elle s\'applique et les principales ques- \ntions qu\'elle comprend. \n\nL\'homme \xc3\xa9prouve tant\xc3\xb4t du plaisir et tant\xc3\xb4t de la \npeine; il est donc capable de jouir et de souffrir. \nNous nommons sensibilit\xc3\xa9 la facult\xc3\xa9 par laquelle il est \nappel\xc3\xa9 essentiellement au bonheur et par accident au \nmalheur, de m\xc3\xaame que par l\'intelligence il s\'\xc3\xa9l\xc3\xa8ve \xc3\xa0 \nla science et tombe quelquefois dans l\'erreur. \n\nLe plaisir et la peine sont donc les deux actes op- \npos\xc3\xa9s d\'une m\xc3\xaame facult\xc3\xa9 , qui est d\xc3\xa9termin\xc3\xa9e \xc3\xa0 l\'un \nou \xc3\xa0 l\'autre par l\'objet auquel elle s\'applique et qui \nlui est agr\xc3\xa9able ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able. Quand l\'\xc3\xaatre dou\xc3\xa9 de \nsensibilit\xc3\xa9 a \xc3\xa9prouv\xc3\xa9 du plaisir dans son commerce \navec un objet quelconque , il s\'attache \xc3\xa0 cet objet et \ncon\xc3\xa7oit pour lui de l\'affection : en un mot il l\'aime. Si \nl\'objet s\'\xc3\xa9loigne , \xc3\xa0 l\'amour succ\xc3\xa8de un penchant plus \nvif, le d\xc3\xa9sir, par lequel on recherche l\'objet agr\xc3\xa9able, \nen ressentant quelque peine de son absence. \n\n23 \n\n\n\n354 DES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. \n\nDeux affections contraires \xc3\xa0 l\'amour et au d\xc3\xa9sir se \nproduisent , quand l\'objet est d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able : on y r\xc3\xa9- \npugne par la haine, on le repousse par l\'aversion. \n\nAinsi, d\'une part le plaisir, suivi d\'affections bien- \nveillantes , de l\'autre la peine suivie d\'affections mal- \nveillantes , tels sont les faits essentiels de la sensibi- \nlit\xc3\xa9 ; tel est aussi l\'ordre dans lequel nous les donne \nla conscience (4). \n\nUne question se pr\xc3\xa9sente tout d\'abord \xc3\xa0 l\'esprit. \nCet ordre suivant lequel les affections ou passions suc- \nc\xc3\xa8dent \xc3\xa0 des impressions agr\xc3\xa9ables ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9ables , \nnous donne- t-il seulement la succession d\'un premier \nfait et d\'un second fait, ou bien ces deux faits sont- \nils l\'un une cause et l\'autre un effet? L\'affection est- \nelle la cons\xc3\xa9quence et le r\xc3\xa9sultat de la sensation, ou \nbien doit-on dire qu\'elle se manifeste \xc3\xa0 son occasion, \nmais par l\'effet d\'un penchant naturel de l\'\xc3\xa2me ? Y \na-t-il en un mot des affections inn\xc3\xa9es ? Il en est de la \nsensibilit\xc3\xa9 comme de la facult\xc3\xa9 de conna\xc3\xaetre : avant \nd\'agir elle est riche d\'inn\xc3\xa9it\xc3\xa9s , elle est pourvue de \ncertaines dispositions g\xc3\xa9n\xc3\xa9rales qui contiennent au \nmoins en germe toutes ses affections. Ces penchants \nvagues et primitifs pr\xc3\xa9existent au plaisir et \xc3\xa0 la peine \net en sont \xc3\xa0 la fois cause et effet. Ils en sont la cause, \nen ce sens qu\'ils nous pr\xc3\xa9parent \xc3\xa0 jouir ou \xc3\xa0 souffrir \\ \net ils en sont l\'effet en cet autre sens , qu\'ils ne pren- \nnent une forme d\xc3\xa9termin\xc3\xa9e et ne deviennent amour \nou haine par rapport \xc3\xa0 un certain objet, qu\'apr\xc3\xa8s que \ncet objet a fait impression sur l\'\xc3\xa2me. \n\n(1) Tout homme lettr\xc3\xa9 conna\xc3\xaet l\'admirable description qu\'a donn\xc3\xa9e \nM. Jouffroy de la sensibilit\xc3\xa9 dans ses M\xc3\xa9langes. Voyez le morceau intitul\xc3\xa9 ; \nAmour de soi. \n\n\n\nD\xc3\x88S AFFECTIONS ET DES PASSIONS. 355 \n\nAu reste nos penchants primitifs ne sont pas tons \nde m\xc3\xaame nature : les uns sont \xc3\xa9go\xc3\xafstes , et ceux-l\xc3\xa0 se \nrapportent au corps ou \xc3\xa0 l\'\xc3\xa2me ; les autres sont d\xc3\xa9sin- \nt\xc3\xa9ress\xc3\xa9s : ce sont des besoins du c\xc5\x93ur ou de l\'esprit. \nL\'amour de nous-m\xc3\xaames et l\'amour d\xc3\xa9sint\xc3\xa9ress\xc3\xa9, voil\xc3\xa0 \nles principes de toutes les affections inn\xc3\xa9es, que l\'on \nreconna\xc3\xaet \xc3\xa0 ce signe quelles se retrouvent chez tous \nles hommes. La sensibilit\xc3\xa9 est donc primitivement la \nfacult\xc3\xa9 d\'aimer. La haine et les sentiments haineux \nsont par rapport \xc3\xa0 l\'amour ce que la n\xc3\xa9gation est par \nrapport \xc3\xa0 l\'affirmation dans la facult\xc3\xa9 de conna\xc3\xaetre. \nLa n\xc3\xa9gation para\xc3\xaet \xc3\xaatre le contraire de l\'affirmation , \net en r\xc3\xa9alit\xc3\xa9 elle la suppose , elle en d\xc3\xa9rive , elle n\'en \nest qu\'une forme d\xc3\xa9tourn\xc3\xa9e. Il en est de m\xc3\xaame des \naffections malveillantes : quelque oppos\xc3\xa9es qu\'elles \nsoient \xc3\xa0 l\'amour, elles d\xc3\xa9rivent de la m\xc3\xaame source et \ny puisent toute leur \xc3\xa9nergie. La haine n\'a point le \ncaract\xc3\xa8re d\'universalit\xc3\xa9 que pr\xc3\xa9sente l\'amour; elle \nn\'est donc pas inn\xc3\xa9e au m\xc3\xaame titre , et je repousse de \ntoute mon \xc3\xa0me les doctrines sauvages qui veulent que \nl\'homme soit un loup (1 ) , et qu\'il naisse ennemi de \nThomme (2). \n\nS\'il est vrai de dire que certaines affections ou \npassions nous sont naturelles et inn\xc3\xa9es , il faut re- \nconna\xc3\xaetre aussi qu\'un tr\xc3\xa8s-grand nombre de senti- \nments , propres \xc3\xa0 chaque individu , lui sont venus de \nson \xc3\xa9ducation , de ses habitudes , de ses opinions, de \nson caract\xc3\xa8re ou m\xc3\xaame de sa volont\xc3\xa9. Telles sont en \neffet les principales causes qui tendent \xc3\xa0 changer le \ncours de nos penchants naturels, et qui par l\xc3\xa0 don- \n\n(i) Hobbes. \xe2\x80\x94 (2) Pascal , Pens\xc3\xa9es, \n\n\n\n356 DES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. \n\nnent naissance \xc3\xa0 mille affections diverses. Telles son! \nles origines de nos go\xc3\xbbts d\xc3\xa9prav\xc3\xa9s ou factices , et en \ng\xc3\xa9n\xc3\xa9ral de toute passion qu\'on ne saurait expliquer \nuniquement par une disposition inn\xc3\xa9e et commune \xc3\xa0 \ntous les hommes. \n\nMais de quelque nature qu\'elles soient , bienveil- \nlantes ou malveillantes , inn\xc3\xa9es ou acquises , toutes \nnos affections ont un principe et un but communs : le \nbonheur et le besoin , ou , comme dirait Aristote , \nl\'app\xc3\xa9tit du bonheur. \n\nLa th\xc3\xa9orie de la sensibilit\xc3\xa9 dont nous venons d\'es- \nquisser quelques traits , en nous conformant autant \nque possible aux analyses des philosophes de l\'\xc3\xa9cole \n\xc3\xa9cossaise , nous servira de r\xc3\xa8gle dans notre appr\xc3\xa9- \nciation de la doctrine d\' Aristote : nous allons faire \nvoir qu\'il n\'y a entre sa pens\xc3\xa9e et la n\xc3\xb4tre sur ce \npoint qu\'une diff\xc3\xa9rence de forme. \n\nD\'abord Aristote n\'h\xc3\xa9site pas \xc3\xa0 rapporter \xc3\xa0 une \nm\xc3\xaame facult\xc3\xa9 ou puissance de Fam\xc3\xa9 le plaisir et la \npeine. Il existe entre ces deux faits une relation \nintime. La m\xc3\xaame cause peut leur donner naissance ; \nle m\xc3\xaame objet nous est tour \xc3\xa0 tour agr\xc3\xa9able et \nd\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able. Socrate, dans le Ph\xc3\xa9don , regrette \nqu\'\xc3\x89sope n\'ait point compos\xc3\xa9 une fable , o\xc3\xb9 il au- \nrait suppos\xc3\xa9 que Jupiter, voulant r\xc3\xa9concilier le plai- \nsir et la peine, jusque-l\xc3\xa0 ennemis irr\xc3\xa9conciliables, \nles avait attach\xc3\xa9s l\'un \xc3\xa0 l\'autre par une cha\xc3\xaene si \n\xc3\xa9troite, que lorsque l\'un arrive, on est bien s\xc3\xbbr que \nl\'autre n\'est pas loin. Aristote reconna\xc3\xaet cette v\xc3\xa9rit\xc3\xa9 \napr\xc3\xa8s Socrate et Platon , et il fait du plaisir et de la \npeine deux modes d\'une puissance unique : ce sont , \ndit-il , les actes de la sensibilit\xc3\xa9 , en pr\xc3\xa9sence du \n\n\n\nDES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. 357 \n\nbien et du mal, du bonheur et du malheur (1). \n\nNon-seulement la sensibilit\xc3\xa9 jouit en pr\xc3\xa9sence du \nbien et souffre en pr\xc3\xa9sence du mal , mais encore elle \nrecherche l\'un et \xc3\xa9vite l\'autre. L\'app\xc3\xa9tit et la r\xc3\xa9pu- \ngnance partent donc du m\xc3\xaame principe. \n\nLa premi\xc3\xa8re forme sous laquelle se produit l\'ap- \np\xc3\xa9tit , suivant Aristote , c\'est le d\xc3\xa9sir ou app\xc3\xa9tit \xc3\xa9go\xc3\xafste \nde l\'agr\xc3\xa9able. Le d\xc3\xa9sir na\xc3\xaet \xc3\xa0 la suite du plaisir; mais \nil t\xc3\xa9moigne d\'un besoin , s\'adresse \xc3\xa0 un objet absent \net est toujours accompagn\xc3\xa9 de quelque souffrance. \n\nAristote distingue entre les d\xc3\xa9sirs naturels ou inn\xc3\xa9s \net communs \xc3\xa0 tous les hommes , et les d\xc3\xa9sirs acci- \ndentels , propres \xc3\xa0 chaque individu , et r\xc3\xa9sultant soit \ndu caract\xc3\xa8re , soit de l\'habitude , soit de la maladie \nou d\'une alt\xc3\xa9ration des organes. \n\nParmi les d\xc3\xa9sirs naturels , les uns sont des besoins \nserviles et grossiers qui ont le corps pour objet : tels \nsont la faim , la soif, l\'amour sensuel , et tous les ap- \np\xc3\xa9tits qui tendent \xc3\xa0 la satisfaction de nos sens. Les \nautres , non moins naturels , ne s\'attachent point di- \nrectement \xc3\xa0 la conservation des individus ou de l\'es- \np\xc3\xa8ce , mais leur objet n\'est pas de n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 absolue : \ntels sont les d\xc3\xa9sirs de la propri\xc3\xa9t\xc3\xa9 , de la sup\xc3\xa9riorit\xc3\xa9 , \nde la domination , de l\'estime , de la consid\xc3\xa9ration et \ndes honneurs. \n\nIl m\'est impossible de ne pas remarquer la ressem- \nblance ou , pour mieux dire , l\'identit\xc3\xa9 de cette divi- \nsion avec celle que Reid et Dugald Stewart ont \xc3\xa9tablie \nentre les app\xc3\xa9tits et les d\xc3\xa9sirs. Je fais de plus cette re- \nmarque , que les philosophes \xc3\xa9cossais , apr\xc3\xa8s avoir \n\n(t) Voyez plus haut , premi\xc3\xa8re partie, chap. XV. \n\n\n\nS58 DES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. \n\nfait cet emprunt \xc3\xa0 Aristote , peut-\xc3\xaatre sans le savoir, \nont eu le tort de g\xc3\xa2ter cette division en introduisant \ndans le groupe des d\xc3\xa9sirs int\xc3\xa9ress\xc3\xa9s le penchant \xc3\xa0 la \nsoci\xc3\xa9t\xc3\xa9 et le besoin de conna\xc3\xaetre. Aristote, que ces \nphilosophes ont aussi le tort d\'attaquer trop souvent , \nn\'a pas du moins commis cette erreur psychologique , \nqui est en m\xc3\xaame temps une faute contre la logique. \n\nLa seconde forme de l\'app\xc3\xa9tit , suivant Aristote , \nc\'est la passion (Qv^o\xc3\xa7) , principe de l\'amour et de la \nhaine , et par suite de toutes les affections bienveil- \nlantes et malveillantes. Ici encore il y a identit\xc3\xa9 entre la \nclassification d\' Aristote et celle des philosophes \xc3\xa9cos- \nsais. La d\xc3\xa9finition s\'applique des deux c\xc3\xb4t\xc3\xa9s \xc3\xa0 toute \naffection d\xc3\xa9sint\xc3\xa9ress\xc3\xa9e qui a pour objet le bien ou le \nmal d\'autrui. \n\nApr\xc3\xa8s les affections qui ont pour principe l\'amour \nou la haine , Reid et Dugald Stewart , comme s\'ils \navaient toujours les yeux sur la th\xc3\xa9orie d\' Aristote , \nmentionnent les passions , 7ra9rj , et la description qu\'ils \nen donnent est enti\xc3\xa8rement conforme aux id\xc3\xa9es de \nnotre philosophe. Lorsqu\'il y a passion , dit Dugald \nStewart dans ses Esquisses de philosophie morale (\xc2\xa7 \\ 58), \n\xc2\xab une agitation ou commotion sensible se fait remar- \nquer dans le corps ; notre raison est troubl\xc3\xa9e , etc. \xc2\xbb \n\xe2\x96\xa0 \xe2\x80\x94 \xc2\xab J\'appelle passion , dit Aristote , tout mouve- \nment de l\'\xc3\xa2me qui trouble le jugement , agit sur le \ncorps et est accompagn\xc3\xa9 de plaisir ou de peine. \xc2\xbb \n\nL\xc3\xa0 ne s\'arr\xc3\xaatent point les ressemblances ; mais \ncomme Aristote consid\xc3\xa8re les d\xc3\xa9sirs et la passion et \ntoutes les affections qui s\'y rattachent comme des \nprincipes de mouvement ou d\'action qui se rencon- \ntrent chez la b\xc3\xaate d\xc3\xa9pourvue de raison aussi bien que \n\n\n\nDES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. 359 \n\nchez r homme , Reid r\xc3\xa9unit aussi toutes les affections \nou passions \xc3\xa9num\xc3\xa9r\xc3\xa9es jusqu\'ici sous ce titre g\xc3\xa9- \nn\xc3\xa9ral : principes animaux d\'action. \n\nEnfin , au-dessus de l\'app\xc3\xa9tit non raisonnable , \nAristote distingue un app\xc3\xa9tit dirig\xc3\xa9 par la raison , et \nqu\'il appelle volont\xc3\xa9 : c\'est aussi \xc3\xa0 ses yeux un prin- \ncipe d\'action , le seul principe d\'action digne de ce \nnom , et qui nous pousse \xc3\xa0 agir par l\'amour du bien \nou de l\'utile. Au-dessus des principes animaux , Reid \nadmet des principes rationnels d\'action , qui sont ou \nla consid\xc3\xa9ration de notre utilit\xc3\xa9 v\xc3\xa9ritable et de notre \nint\xc3\xa9r\xc3\xaat bien entendu , ou la contemplation et l\'amour \ndu bien moral et du devoir. \n\nOn le voit donc : si l\'on attribue quelque m\xc3\xa9rite \xc3\xa0 \nla classification des faits de sensibilit\xc3\xa9 par les philo- \nsophes \xc3\xa9cossais , il en faut rapporter le premier hon- \nneur \xc3\xa0 Aristote. Ce n\'est pas encore assez \xc3\xa0 notre gr\xc3\xa9. \nSuivant nous , il faut de plus reconna\xc3\xaetre qu\'il y a \nchez lui une vue d\'ensemble qui donne beaucoup plus \nde port\xc3\xa9e \xc3\xa0 ses th\xc3\xa9ories , et qu\'il a appliqu\xc3\xa9 \xc3\xa0 l\'\xc3\xa9tude \nmorale des passions dans sa Rh\xc3\xa9torique un ordre et \nune m\xc3\xa9thode dont les philosophes \xc3\xa9cossais eux-m\xc3\xaames \nn\'ont pas toujours donn\xc3\xa9 l\'exemple. \n\nNous n\'avons que deux critiques s\xc3\xa9rieuses \xc3\xa0 adres- \nser \xc3\xa0 la doctrine d\' Aristote sur les affections et les \npassions de l\'\xc3\xa2me qu\'il explique par l\'app\xc3\xa9tit. Encore \nserons-nous oblig\xc3\xa9s d\'y faire nous -m\xc3\xaame quelque res- \ntriction. \n\nPremi\xc3\xa8rement il ne nous semble pas qu\' Aristote \nait distingu\xc3\xa9 d\'une mani\xc3\xa8re suffisante ce qu\'on ap- \npelle la sensibilit\xc3\xa9 physique et la sensibilit\xc3\xa9 morale , \nou , si l\'on veut , la sensation et le sentiment. J\'appelle \n\n\n\n360 DES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. \n\nsensation l\'impression agr\xc3\xa9able ou d\xc3\xa9sagr\xc3\xa9able que \nnous fait \xc3\xa9prouver un objet sensible par son action \ndirecte sur nos organes; et j\'appelle sentiment l\'\xc3\xa9mo- \ntion agr\xc3\xa9able ou p\xc3\xa9nible qui r\xc3\xa9sulte pour nous de la \nconscience d\'un fait psychologique. Ces deux ph\xc3\xa9no- \nm\xc3\xa8nes moraux me paraissent diff\xc3\xa9rer entre eux d\'une \nmani\xc3\xa8re essentielle en eux-m\xc3\xaames , dans leurs causes \net dans leurs circonstances. La sensation provient \nd\'une cause mat\xc3\xa9rielle , soit d\'un corps \xc3\xa9tranger, soit \nde notre \xc3\xa9tat physiologique ; elle est toujours loca- \nlis\xc3\xa9e , c\'est-\xc3\xa0-dire , que nous la rapportons toujours \n\xc3\xa0 une certaine partie du corps o\xc3\xb9 elle se fait particu- \nli\xc3\xa8rement sentir; sa vivacit\xc3\xa9 est toujours en propor- \ntion avec Faction plus ou moins directe de l\'objet \nsensible sur nos organes ; enfin elle ne suppose pas \nautre chose en nous que la capacit\xc3\xa9 de jouir et de \nsouffrir par nos sens. Au contraire ? le sentiment r\xc3\xa9- \nsultant d\'une cause toute spirituelle , savoir la con- \nscience de notre \xc3\xa9tat int\xc3\xa9rieur, pr\xc3\xa9sente un caract\xc3\xa8re \nmoral qui n\'est pas dans la sensation ; nous ne loca- \nlisons point un sentiment , ou du moins le c\xc5\x93ur est le \nseul organe qui en soit affect\xc3\xa9 : encore le mouvement \nqui s\'y produit est-il souvent inappr\xc3\xa9ciable. Par une \nautre opposition avec la sensation, le sentiment est \nsouvent d\'autant plus vif que l\'objet auquel il se rap- \nporte est absent , car cette absence laisse toute libert\xc3\xa9 \n\xc3\xa0 l\'imagination et \xc3\xa0 la] pens\xc3\xa9e , c\'est-\xc3\xa0-dire aux v\xc3\xa9ri- \ntables causes de cette impression toute morale ; enfin \nle sentiment repose toujours sur la conscience de \nnotre \xc3\xa9tat intime , et par cons\xc3\xa9quent ne saurait s\'ex- \npliquer, comme la sensation, par la sensibilit\xc3\xa9 phy- \nsique. Aristote ne m\xc3\xa9conna\xc3\xaet pas la distinction que \n\n\n\nDES AFFECTIONS ET DES PASSIONS. 06I \n\nnous venons de rappeler. Il dit m\xc3\xaame en passant , \ncomme Platon dans le Phil\xc3\xa8be , qu\'il y a des plaisirs \nd\'une nature sup\xc3\xa9rieure , et qui se rapportent \xc3\xa0 la \npartie la plus excellente de l\'\xc3\xa2me , \xc3\xa0 l\'entendement \nlui-m\xc3\xaame. Mais tout en reconnaissant parfois des \nplaisirs autres que ceux du corps , il semble attribuer \nen g\xc3\xa9n\xc3\xa9ral et sans restriction toutes nos peines et tous \nnos plaisirs \xc3\xa0 la sensibilit\xc3\xa9 , c\'est-\xc3\xa0-dire , \xc3\xa0 une fa- \ncult\xc3\xa9 qui dans sa th\xc3\xa9orie tient \xc3\xa0 la fois de l\'\xc3\xa2me et du \ncorps : ce qui revient \xc3\xa0 supprimer en principe ce qui \n\xc3\xa9tait reconnu comme fait, savoir l\'existence dans l\'\xc3\xa2me \nde ces impressions morales que nous appelons des \nsentiments. \n\nCependant Aristote admet aussi dans la partie rai- \nsonnable de l\'\xc3\xa2me un certain app\xc3\xa9tit , la volont\xc3\xa9 , et \npar cons\xc3\xa9quent une source de plaisirs et de peines , et \nc\'est ici que se place notre seconde objection. Pour- \nquoi n\'avoir pas fait de la puissance app\xc3\xa9titive , seule \ncause v\xc3\xa9ritable du plaisir et de la peine , une facult\xc3\xa9 \ndistincte de toutes les autres ? Pourquoi s\'\xc3\xaatre mis \ndans la n\xc3\xa9cessit\xc3\xa9 qu\'il a lui-m\xc3\xaame signal\xc3\xa9e , de mor- \nceler (