p f f i p i fJîilfi LA VRAIE FORME PRIMITIVE ET ACTUELLE DU SAIXT SÉPULCRE DE H JÉSUS-CHRIST PAR l e R . P . C Y P R I E N , F r a n c i s c a i n S Commissaire de la Terre Sainte à Venise DISSERTATION TRADUITE DE L'ITALIEN mjM par . L'abbé LAURENT DE SAINT-AIGNAN Chevalier du saint Sépulcre de Jérusalem, Membre de : l'Académie des Arcades de Rome • et de la Société Asiatique de Paris.. Se vend au profit des Œuvres Catholiques HIde Jerusalem. S \ 9 " • P A R I S LIBRAIRIE DES LJEUX SAINTS) '. 70, rue Bonaparte, 70 CH. BILLET LIBRAIRE - ÉDITEtÎR 15, rué de Sèvres, 15 1879. Aspect actuel du S. Sépulcre. LA VRAIE FORME PRIMITIVE ET ACTUELLE Dû SAINT SÉPULCRE DE M , J I S U M M I S T l e R . P . C Y P R I E N , F r a n c i s c a i n DISSERTATION TRADUITE DE L'ITALIEN L'abbé LAURENT DE SAINT-AIGNAN Chevalier du saint Sépulcre de Jérusalem, Membre de l'Académie des Arcades de Rome et de la Société Asiatique de Paris. Se vend au profit des Œuvres Catholiques de Jérusalem. PAR Commissaire de la Terre Sainte à Venise PAR P A R I S LIBRAIRIE DES LIEUX SAINTS, 70, rue Bonaparte, "0 - CH. 1JILLET LIBRAIRE - ÉDITEUR 15, rue de Sèvres, 15 1879 AYANT-PROPOS. Le Rév. Père Cyprien de Trévise a publié dernièrement une savante dissertation sur le saint Sépulcre. C'est la plus complète qui existe. Elle renferme une description claire et détaillée de la forme ancienne de ce précieux monument, et de l'état actuel auquel l'ont ré- duit les modifications successives qu'il a dû subir dans le cours des siècles. L'auteur a fait son travail l'Evangile à la main et le saint Sépulcre sous les yeux ; car il a habité Jéru- salem pendant plusieurs années, étant au nom- bre de ces pieux enfants de saint François d'Assise qui gardent le tombeau du Sauveur, depuis le xiif siècle, avec une constance et un courage invincibles. Aussi cette descrip- tion est-elle d'une parfaite exactitude. Le Rév. Père Cyprien nous a exprimé le désir de voir traduire son opuscule en fran- çais, et nous y avons répondu avec empres- sement. Il nous a semblé utile d'en faciliter la lecture à nos compatriotes, car peu de per- sonnes se font une idée exacte de la forme que le saint Sépulcre avait dans son état pri- — 4 — mitif. La plupart des dessins qui le représen- tent en donnent une fausse idée. Non-seulement le palestinologue qui étudie à fond cette Terre sainte, illustrée à jamais par la vie et la mort du divin Rédempteur, mais encore le chrétien fervent qui veut lire le texte Evangélique avec intelligence, et qui aime à se transporter, au moins en esprit, sur ces lieux sacrés, trouvera dans ce tra- vail de quoi satisfaire sa légitime curiosité. Et comment pourrait-on ne pas s'intéresser à ce tombeau, le plus vénérable de tous ceux qui existent dans le monde? Il a eu l'honneur incomparable de recevoir le corps inanimé du Fils de Dieu fait homme ! Il a été témoin de sa Résurrection glorieuse 1 Aussi c'est à juste titre qu'il [reçoit, depuis dix-huit siècles, les hommages incessants du monde chrétien. Nous avons eu pour but de rendre la pen- sée de l'auteur d'une manière très-précise ; c'est dire que notre traduction est aussi litté- rale que possible. L'Abbé Laurent de Saint-Aignan. Orléans, le 19 mars 1879. LA VRAIE FORME Dû SAINT SÉPULCRE Le désir de connaître la vraie forme, que les plus antiques monuments avaient dans l'origine est devenu aujourd'hui universel. Grâce aux diligentes recherches d'érudits ar- chéologues, on peut avoir une idée exacte de la forme primitive d'un très-grand nombre de monuments qui ne sont plus reconnaissables à présent, parce qu'ils ont été plus ou moins usés par le temps, ou maltraités par le vandalisme, ou modifiés et souvent encore gâtés, soit par des réparations successives, soit par des adjonctions qu'on y a faites. Entre tous les anciens monuments chré- tiens, celui qui l'emporte sur tous les autres c'est le saint Sépulcre dans lequel le corps de Notre-Seigneur Jésus-Christ a été déposé, est resté pendant trois jours, ét est ressuscité à une vie nouvelle; sépulcre qui a acquis pour cela une gloire immortelle, comme l'avait pré- dit le prophète Isaïe : « Et son tombeau sera glorieux; Et erit sepulcrum ejus qlorioswm. » (Isaïe, XI, 10.) Aussi est-il d'un grand intérêt pour les âmes pieuses de savoir quelle forme avait dans — 6 — le principe ce monument sacré, et quelles mo- difications il a subies dans la suite. Afin donc de satisfaire la religieuse curiosité de beau- coup de personnes, nous voulons tenter de donner ici une idée exacte spécialement de la forme primitive du saint Sépulcre de Notre- Seigneur, en nous servant des études que nous avons faites à son sujet sur le lieu-même. Nous n'omettrons pas, néanmoins, de décrire aussi son état actuel. La peinture qui, entre les différents buts qu'elle se propose,a celui de représenter les ob- jets tels qu'ils sont en réalité, a joué assez sou- vent d'imagination en traitant des choses an- tiques ou lointaines» Dans les tableaux qui rappellent la résurrection du Sauveur, elle a toujours falsifié la forme de son vénérable Sépulcre, en le représentant généralement comme un cercueil, pour ne rien dire des di- verses autres figures qu'elle lui a attribuées; tandis que sa véritable forme est toute diffé- rente. Un coffre quelconque est facile à retra- cer dans un tableau ; c'est pour cela peut-être que cette idée a prévalu même parmi les artistes les plus érudits, tandis qu'au contraire la vraie forme primitive du saint Sépulcre se prête mal à être reproduite. Quoi qu'il en soit, en le dessinant continuellement sous l'apparence d'un cercueil, on a généralisé cette erreur. Le Sépulcre de Jésus-Christ, comme le dit clairement l'Evangile, n'avait pas été fait ex- près pour lui, mais c'était le tombeau de Jo- seph d'Àrimathie, noble sénateur juif, lequel — 11 - s'estima très-heureux de pouvoir le céder au Sauveur mort qui y fut, en effet, enseveli se- lon la coutume des Juifs : « Sicut mos est Ju- dtzis sepelire. » (Jean, XIX, 40.) Il sera donc utile à notre but de placer en tête de cette étude une courte recherche sur les sépulcres hébraïques en général, dans laquelle nous ne ferons que décrire l'un ou l'autre des nom- breux tombeaux antiques que nous avons vus en Palestine, et spécialement en dehors des murs de Jérusalem. CHAPITRE I. LES TOMBEAUX HÉBRAÏQUES EN GÉNÉRAL. Les habitants de la Judée, comme tous les autres Hébreux de la Palestine, faisaient usage, depuis les temps les plus anciens, de deux sortes de sépulcres assez différentes l'une de l'autre; c'est-à-dire qu'ils avaient les tom- bes vulgaires et celles des nobles. C'était, il est vrai, une chose commune aux pauvres et aux riches d'envelopper avec soin le cadavre dans un ou plusieurs linceuls qui étaient ser- rés comme un maillot; mais les corps des pauvres étaient généralement déposés dans des fosses creusées horizontalement dans la terre ou dans la roche vive, lesquelles étaient ensuite recouvertes de terre, et on y plaçait une pierre, habituellement sans aucune ins- cription (1). (1) Le rit hébraïque ne permet pa s qu'un cadavre soit Les riches, au contraire, avaient coutume le plus souvent de se faire préparer durant leur vie des sépulcres très-dispendieux, et d'un genre tou t -à - fa i t différent. Ceux-ci étaient invariablement creusés à coups de ciseaux dans les entrailles des rochers dont abonde la Palestine, et spécialement la Ju- dée qui est montagneuse dans sa plus grande partie. Ordinairement pour faire un sépulcre noble on préparait une paroi en aplanissant perpendiculairement un flanc ou le penchant d'un rocher; sur cette paroi on ouvrait à fleur de terre une porte qui était communé- ment de forme orbiculaire, et d'un diamètre si restreint qu'à peine une personne pouvait y entrer en marchant sur ses genoux et sur ses mains ; puis, en pénétrant dans le roc, on tail- lait un petit passage souterrain de la même forme que la porte; après quoi on creusait, dans les entrailles mêmes de la montagne, une ou plusieurs cellules rectangulaires dans chaque sens et ayant quelquefois une voûte cintrée. Quand le tombeau avait plusieurs cellules, elles communiquaient entre elles par le moyen d'autant de petites portes. Tels étaient les sépulcres de famille dans lesquels enseveli dans l'endroit où un autre a déjà été inhumé, bien que les os de ee dernier soient réduits en poussière. Il en resuite que les cimetières des Juifs exigent des es- paces immenses. En dehors des murs de Jérusalem, il y a un nombre énorme de tombeaux hébraïques indiqués par de simples pierres étendues sur la terre Ceux qui ont quelque inscription ne remontent pas au-delà du moyen âge. — 9 — il y avait place pour beaucoup de membres dé la même famille. Ensuite, pour clore en son temps le mo- nument, on préparait une grosse pierre qui s'adaptait à sa porte d'entrée; et, s'il y avait plusieurs cellules, les petites portes intérieures de communication restaient ordinairement ouvertes. Ceci regarde les chambres sépulcrales en général. Si nous considérons maintenant l'endroit précis dans lequel on y plaçait les cadavres, nous trouvons que les Hébreux ne faisaient usage que de deux manières seulement. Dans quelques sépulcres on remarque, à l'intérieur des cellules, le long, des murailles, des bancs de pierre placés à fleur de terre sur lesquels étaient déposés les corps emmaillotés de la tête aux pieds, et oints d'une grande quantité ^aromates. Pour obtenir de tels bancs de pierre on n'avait besoin d'aucune maçonnerie, puisqu'ils n'étaient que la masse du rocher même dans lequel on avait,creusé le sépul- cre, masse que l'on avait exprès laissée saillir en dehors comme des degrés adhérents à la paroi. Quelques-uns de ces bancs se trouvent un peu plus enfoncés dans les murailles, et ceux-ci ont tous leur arcosolium (petite ar- cade) en-dessus ; d'autres ont un léger sillon dans leur partie supérieure, afin de recevoir et de mieux reteñirle cadavre. Yoici la seconde manière de placer les corps dans les cellules sépulcrales : dans la roche 2 — 10 — vive constituant les parois de chaque cham- bre, on pratiquait, à line hauteur convenable, un ou plusieurs trous en guise dé iours longs et étroits ; chaque trou était plat en dessous et voûté en dessus, et il pénétrait dans l'épais- seur du rocher de toute sa longueur qui était capable de contenir un corps humain étendu. Quand, dans un de ces loculi, on avait intro- duit (ordinairement par la tête) le cadavre, on en fermait hermétiquement l'ouverture au- près des pieds avec une dalle de pierre, ce qui représentait dans la paroi intérieure de la chambre sépulcrale une espèce de petite fe- nêtre murée. En dehors des murailles de Jérusalem, il existe toujours des antiques tombeaux hébraï- ques qui ont jusqu'à douze et quatorze loculi à fours ainsi faits, et, dans quelques-uns, ces loculi sont disposés à deux étages tout au- tour. Les anciens Juifs de Jérusalem se sont-ils servis de coffres funéraires fixes ou mobiles, en forme de cercueils qui se recouvrent et se ferment avec une pierre étendue dessus ? C'est une chose qu'on ne peut démontrer. Cepen- dant il semble plutôt qu'on devrait rejeter cette conclusion, puisqu'il est très-vrai que dans le monument qui contient les sépulcres royaux de la famille d'Hélène, reine de l'Adia- bène, et qui est placé à la distance d'un mille au nord de Jérusalem, M. de Saulcy a trouvé deux sarcophages mobiles dont l'un a été transporté au Louvre, à Paris; mais cette — 11 - découverte n'indiquerait qu'une exception à la règle générale, s'il s'agissait de tombeaux vrai- ment hébraïques, elle a donc d'autant moins d'importance que ces sépulcres appartenaient au contraire à une famille de prosélytes, et par conséquent étrangère Du reste, dans toute la vaste nécropole hié- rosolymitaine on n'a jamais rencontré d'au- tres vestiges de coffres funéraires proprement dits. Pareillement dans les mausolées ou mo* numents sépulcraux construits au-dessus de la terre, et dont lés Juifs faisaient usage, on voit que les cadavres y étaient déposés sous le pavé, dans des cellules creusées exprès dans le rocher, tandis que toute la partie su- périeure ne servait qu'à une démonstration de faste et de grandeur (2). Ces notions sur les tombeaux hébraïques en général nous ouvrent la voie pour con- naître plus facilement quelle forme avait ori- ginairement le Sépulcre du Christ, tandis que, d'un autre côté, elle nous est révélée par (1) Cette Hélène, reiae de l'Adiabène (partie du Kurdis- tan à l'est du Tigre) se rendit, vers l'an 44 de l'ère chré- tienne, à Jérusalem où elle embrassa le judaïsme avec d'autres membres de sa famille. (Voir Flavius Josèphe, Antiq. Jud., livre xx, 2.) C'est par erreur que ce monu- ment d'Hélène, qui contient 37 sépulcres, a été regardé comme le tombeau des rois de Juda, puisqu'il est certain qu'ils ont été ensevelis sur le Sion, m cwitate. David. (2) Tels sont les sépulcres de Josaphat, d'Absalon et de Zacharie, fils de Barachie, tous les trois monolithes, situés dans la vallée de Josaphat. — 12 — la forme actuelle du monument, par l'histoire et par la tradition. CHAPITRE II. LA FORME PRIMITIVE DU SAINT SÉPULCRE. L'Evangile, en nous disant que le Sépulcre de Notre-Seigneur était creusé dans la roche vive, et qu'il appartenait à Joseph d'Arima- thie, nous indique clairement qu'il faisait partie de la classe des tombeaux Juifs possé- dés par des personnes nobles et riches (1). Autant qu'on peut le savoir par les plus anciens historiens, le saint Sépulcre consis- tait en deux seules grottes ou petites cham- bres (2). Elles communiquaient l'une avec l'autre par le moyen d'une petite porte creusée dans l'épaisse paroi qui les divisait (figure I); elles n'avaient aucune maçonnerie, mais elles étaient entièrement fouillées, à coups de ci- seaux, dans la masse calcaire d'un rocher qui s'unissait au Calvaire, dont le saint Sépulcre était voisin, comme dit l'Evangile (3). (1) Dans eette même basilique du saint Sépulcre, il y a quelques tombeaux antiques creusés horizontalement ; on croit qu'ils étaient aussi la propriété de Joseph d'Arima- thie. Ils étaient destinés aux personnes inférieures de sa famille, ou bien, comme on le pense plus communément, ils furent construits par lui pour lui-même et pour les siens dans une forme ainsi plus humble, après qu'il eut cédé son propre sépulcre au Rédempteur. (2) Saint Jérôme, Eusèbe, saint Antonin de Plaisance, Itinéraire, etc. (3) « Dans le lieu où (Jésus) avait été crucifié, il y — m — l e lieu pour déposer les cadavres dans ce tombeau' était préparé indubitablement d'a- près la première manière décrite plus haut, c'est-à-dire non avec des loculi ou des fours creusés dans les parois, car on n'en a trouvé vestige ni souvenir ; mais bien avec des bancs de pierre, l'un desquels reste encore aujour- d'hui intact dans la< cellule la plus intérieure, et c'est précisément celui sur lequel (une tra- dition constante nous l'atteste) fut déposé le corps de Jésus-Ghrist, privé de son sang, em- baumé et enveloppé dans le saint suaire (1) ( f ig . I I ) . Dans ce Sépulcre y a-t-il eu à l'origine plu- sieurs bancs de pierre, comme dans les tom- beaux de famille, et avaient-ils au-dessus d'eux l'arcosoliuml C'est ce qu'on ne peut avait un jardin, et dans cejardin un monument nouveau.» [Jean, XIX, 41.) ; . '/ : . ; j '. i s j„. ' ; ? . (.1) Voici comment Pascase Ratbert décrit la seconde cellule intérieure (Lib. XII, in Matt:) : « ... Ut dontus fuerit rotunda,post ostium monumenti intùs infrà rupem vastissimam prœcisa, tanice altitudinis ut intra stans homo vix, manu extentâ, possit ejus culmen attingere... Illuc ingredientibus est à dexiris ille locus in parte aqui- lonis qui specialiter Dominici corporis. receptui pœratus est, septem quidern pedibus longus, trium verô mensurA palmarum reliquo pavimento eminéntior. Qui non vulga- rium sepulcrorum more desuper patulus idem factus est locus, sed à latere meridiano per totu,m, à quâ parte cor- pus posset imponi. (D'après ces paroles, il semblerait qu'il y avait là un arcowlium, petite voûte.) Eoo quo manifes- tius potest intelUgi quod Marcus ait (XVI, 5), quia « in- « troeuntes in monumentum multerei viderunt juvenem « sedentem in dextrii; » nec tamen divisa er nt ibi loca ab imicem, sed continuata utpotè in unâ eAdemque petrà excisa. » 3 — u — démontrer. D'ailleurs l'étroitesse des cellules qui est certaine, parce qu'elle est encore visi- ble actuellement, n'aurait pas permis d'y lais- ser plus de deux bancs funéraires, c est-à- dire un par . cellule. Si on veut soutenir avec divers érudits que la première cellule n'a pas été autre chose que le vestibule du monu- ment,- dans ce cas, on devrait dire qu'il n'y avait place que pour un seul cadavre. La porte extérieure de ce saint monument était ou entièrement ronde ou semi-circulaire, comme le sont presque toutes celles des anti- ques tombeaux hébraïques toujours existants dans la nécropole de Jérusalem (1). Mais cette porte devait se fermer, et l'Evan- gile nous marque clairement qu'elle fut close par une grosse pierre, laquelle, comme nous le démontrerons mieux plus bas, était de forme orbiculaire, et ressemblait précisément à une meule de moulin (fig. III). Heureusement dans la nécropole de Jérusa- lem il y a des traces évidentes de la manière dont de semblables pierres étaient appliquées pour clore le monument. Dans le pavé qui donnait accès à la porte extérieure, on avait coutume de creuser, au pied de cette porte, un petit canal horizontal (1) Faisons y attention, l'Evangile dit expressément que le saint Sépulcre avait une porte, et que cette porte fut fermée par une grande pierre : « Et advolmt saxurn magnum ad ostium monumenti (Malt-, XXVII, 00) ; » cela seul interdit de croire que ce monument ait été fait en forme de cercueil recouvert en dessus par une pierre. — 15 — adhérent à la paroi extérieure, et qui devait servir à diriger verticalement la pesante pierre destinée à fermer l'entrée. Par ce moyen, cette pierre, si énorme qu'elle fût, attendu sa forme, pouvait facilement rouler dans le canal de droite à gauche, ou vice-versâ. Le volume de cette pierre mobile déterminait la profon- deur du canal; ordinairement elle avait un diamètre d'une grandeur double de l'orifice de la porte, et une épaisseur d'un quart de son diamètre, ce qui la rendait très-pesante, et garantissait l'inviolabilité du sépulcre. Une telle pierre était infailliblement prépa- rée dans la construction de chaque tombeau, et, tant qu'il restait ouvert, sa place était au flanc de la porte. Quand on.voulait fermer le monument, on ne devait donc faire autre chose que de rouler, par le moyen d'un levier, ou bien à force de bras, cette même pierre, en la poussant de côté, jusqu'à ce que tour- nant sur elle-même, elle arrivât à se placer devant l'ouverture ou porte, où non-seulement elle restait enchâssée entre les bords du petit canal, mais encore elle entrait par un de ses flancs dans une cavité verticale faite à des- sein pour la recevoir du côté opposé ; et, dans ce but, on avait coutume de laisser de cé côté sur la façade du monument un morceau du rocher lui-même, saillant en guise de pilas- tre, sur lequel venait battre la pierre obstruc- tive. En outre, quoique par le lourd poids de cette pierre, qui ordinairement était énorme, - m chaque monument fût suffisamment protégé, on faisait aussi usage d'un moyen pour empê- cher que cette pierre qui le fermait ne fût ôtée. Après que le monument avait été clos de la manière expliquée ci-dessus, on couvrait avec des dalles de pierre toute la partie du pe- tit canal qui était restée découverte; à cette fin, on avait pratiqué sur ses bords une can- nelure à battant, destinée à recevoir et à con- tenir lesditss dalles, et ainsi la grande pierre orbiculaire ne pouvait plus être roulée dans aucun sens, et elle restait ensevelie dans le pe- tit canal, à peu près pour un tiers de son pro- pre rayon. Maintenant il nous reste à voir si la porte du Sépulcre du Christ, et la pierre qui le fer- mait avaient véritablement la forme jusqu'ici décrite. Que cette porte ait été très-étroite et basse, comme celles des autres tombeaux hébraï- ques, sans parler de la tradition recueillie par un grand nombre d'écrivains qui l'attestent unanimement, cela s'établit clairement par l'Evangile. Il déclare, en effet, que lorsque Pierre et Jean se transportèrent au Sépulcre pour vérifier ce que les femmes avaient ra- conté de la résurrection du Sauveur qui s'é- tait accomplie, ils voulurent regarder dans le monument dont la pierre avait été déjà ôtée, mais pour faire cela ils durent se courber (1). (1) Là même chose arriva à Marie Madeleine : « Elle s'inclina et regarda dans le monument. »—« Ht .(Jean) s'é- — 17 — Qu'ensuite ladite porte ait eu une forme circulaire, ou bien, si l'on veut, seulement semi-circulaire, cela se prouve par la confi- guration de la pierre qui la fermait, laquelle, sans aucun doute, était circulaire, comme il résulte aussi de l'Evangile avec une plus grande évidence. Effectivement, l'Evangile, lorsqu'il parle de cette pierre, emploie à plusieurs reprises le mot advolvere pour indiquer l'action de clore avec elle le monument, et le terme revolvere pour marquer l'action de l'ouvrir. Or, ces deux verbes latins et leurs correspondants dans le texte grec, montrent manifestement que pour ouvrir ou fermer le tombeau on de- vait manœuvrer un corps fend qui tournait sur lui-même, car ils se rapportent parfaite- ment au latin volvendo adducere et retrorsùm volvete, ce que nous dirions en italien : roto- lare (rouler). Si la pierre qui fermait la porte du sépul- cre n'eût pas été circulaire mais quadrilatère, ou (puisque la porte était verticale) simple- ment cintrée au sommet, il est clair que, pour en indiquer l'application ou l'éloigne- ment, les Evangélistes auraient trouvé beau- coup de mots plus propres et plus expressifs • que les verbes advolvere et revolvere. Mgr Martini lui-même, dans sa traduction italienne de la Bible, paraît l'avoir remarqué. *ant incliné, il vit les linceuls placés à terre, mais il n'en- tra pas (Jean, XX, 11 et 5).»—« Pierre courut au monu- ment, et, se baissant, il vit (Luc, XXlY, 12). » 4 - 18 — De là, pour concilier avec le texte de la Vul- gate l'idée qu'on entretient â ce sujet d'une pierre plate, ou d'un couvercle qui aurait fermé la tombe du Rédempteur, il n'a pas trouvé de meilleur moyen que de rendre constamment lesdits verbes-par le terme n - baltare (renverser), qui n'est pas un mot de bon aloi, excepté une fois où il traduit revol- vet par « volgerà sossôpra » (fera tourner sens dessus dessous) (1). Des quatre Evangélistes, saint Jean est le seul qui, pour indiquer l'éloignement de cette pierre, use du verbe tôliere, en disant au chapitre xx, 4 : « Marie Madeleine... vit la pierre ôtée (sublatum) de devant le sépulcre, » — lequel verbe, comme le grec correspon- (1) Pour plus de clarté, rapportons ici tous les textes parallèles relatifs à notre sujet : « Et il mit (le corps) dans son sépulcre neuf qu'il avait fait tailler dans le roc ; et il roula (advolvit) une grande pierre à la porte dû monu- ment (Math., XXVII, 60). » — « Un ange du Seigneur descendit du ciel, et s'approchànt il fit rouler frevolmtJ la pierre, et s'assit dessus flbid., XXVIII, 2). » — « Il le plaça dans un Sépulcre qui était taillé dans le rocher, et il roula (advtilvit) une pierre à l'entrée du tombeau (Marc, XV, 46). » —- « Elles disaient entre elles : Qui nous ferâ rouler (revolvetj la pierre de devant la porte du mo- nument ? Mais en regardant elles virent cette pierre rou- lée (rewlutumj; elle était, fort grande (Ibid.-, XVI, 3, 4).» — «• Et elles trouvèrent rouiêe (revolutûm) la pierre qui était au-devant du sépulcre (Luc, XXIV, 2). » Le grec se sert constammént des verbes nporyy.vliu (rouler auprès de) et ¿nomïm (rouler loin de). Ajoutons que kj\îm dans le sens de rouler est aussi employé par Homère dans l'Odyssée {livre XI), où il raconte le châti- ment de Sisyphe condamné à rouler son fameux rocher. — 19 — darrt (t) pouvant signifier soulever autant que ôter, par la confrontation des textes parallè- les, on établit qu'il doit se prendre dans cette seconde signification; mais non pour cela dans le sens strict du mot, parce que, dans ce cas, il indiquerait -que la pierre fut emportée, tandis qu'au contraire il résulte clairement du même parallélisme qu'elle était restée là, et que l'ange s'assit dessus ; ce verbe montre sim- plement que la pierre avait été éloignée de la place qu'elle pccupait d'abord. C'est pourquoi ce participe — sublatùm—s'il n'est point en faveur de notre opinion, ne lui est pas non plus opposé : saint Jean n'a fait que marquer l'effet de l'action, au lieu que les autres ont voulu en exprimer aussi la manière. Saint Àntonin de Plaisance, qui écrivit son Itinéraire de Terre Sainte au commencement du vi* siècle, dit expressément que la pierre qui avait fermé le saint Sépulcre, et sur la- quelle l'ange s'était assis, avait la forme d'une « meule ite moulin (2). » D'autres écrivains postérieurs attestent la même chose. Enfin un gros morceau authentique de cette pierre qui est toujours conservé à Jéru- salem (3), démontre bien qu'elle avait une (1) Aipw d'où vient le participe rippévov. (2) Itinerarium. B. Antonini Piacentini, martyris, ex Musœo Menardi, Angers, 164-0; se trouve aussi dans les Bollandïstes, Acta Sanctorum, mai, t. II ; et dans Ugdlini, Thesaur., t. VII. (3) Il est encastré dans la partie postérieure de la table d'autel dans la chapelle érigée sur le lieu ou s'élevait la — 20 — forme circulaire, puisqu'elle présente d'un côté l'aspect manifeste d'un segment de cercle. Ainsi la forme même de la pierre qui fer- mait la porte du Sépulcre du Christ concourt « prouver que ce monument était en tout semblable à beaucoup d'autres tombeaux hébraïques encore visibles, consistant en des cellules ou grottes entièrement creusées dans la roche vive, et qu'il avait, comme eux, pour entrée une ouverture perpendiculaire, romle, ou du moins semi-circulaire, ' Il nous semble que tout cela suffit pour donner une idée de la forme primitive du saint Sépulcre; nous allons maintenant dire brièvement quelque chose des modifications que ce monument sacré a éprouvées dans la suite, et de son état actuel. CHAPITRE III. LES MODIFICATIONS QUE LE SAINT SÉPULCRE A SUBIES. 11 est indubitable que les premiers chré- tiens ont vénéré dès le commencement les Lieux Saints de Jérusalem, c'est-à-dire les sites où se sont accomplis les augustes mys- tères de notre très-sainte religion, et entre lesquels le Sépulcre du Seigneur l'emporte toujours sur les autres. maison du pontife Çaïphe, et qui est occupée par les Ar- méniens non unis. — 25 - Maisl'empereur Adrien, voulant en empêcher les fidèles, fit cacher, en l'année 134, le saint Sépulcre sous un amas de terre et de pierres, et de plus il fit construire au-dessus un petit temple dédié à Júpiter, comme il en érigea un autre à Vénus sur le Calvaire, afin d'en éloi- gner beaucoup mieux les chrétiens. Tandis qu'il croyait par cette profanation faire perdre le souvenir de ces sanctuaires, il en conserva plutôt l'authenticité. En effet, Constantin le Grand ayant, deux siècles après, accordé la liberté du culte aux chrétiens, sainte Hélène, sa mère, se trans- porta à Jérusalem, en l'année 326, et voulant remettre en honneur le saint Sépulcre, elle en trouva aussitôt le signalement dans le temple de Jupiter, qu'elle fit promptement démolir, en abattant l'idole qui souillait ce Lieu Saint. La pieuse impératrice, selon le désir de son fils Constantin, voulut édifier au-dessus du Sépulcre une majestueuse basilique qui l'en- tourât tout entier, et le protégeât contre les injures du temps. Mais, pour atteindre ce but, on devait avant tout préparer le terrain. La position du saint Sépulcre était très-difficile; car, tandis que le mont dans les entrailles duquel il était creusé n'offrait par devant qu'une pente scabreuse, au-dessus, et surtout derrière les épaules de ce monument sacré, la montagne s'élevait à une hauteur considérable. En un mot, le ter- rain nécessaire pour une basilique très-vaste manquait complètement, et pour l'obtenir il — 22 — fallait un travail immense, un de ces travaux que les Romains seuls étaient capables d'ima- giner et d'exécuter. On conçut l'idée d'isoler du resle de la montagne l'énorme rocher qui contenait dans ses entrailles les deux cellules constituant le saint Sépulcre. Pour arriver à ce résultat, on fut forcé de tailler du haut en bas le mont sur plus des deux tiers autour du monument qui devint par-là un grandiose mo- nolithe (fig. IV) (1). Ayant ainsi obtenu au- tour de lui un espace libre considérable, on érigea sur son extrême limite ,1a majestueuse basilique ronde qui fut ensuite couverte par une seule coupole très-large, dont le centre s'élevait exactement au-dessus du saint Sépul- cre. On vit alors celui-ci surgir comme par enchantement, en manière de mausolée, au milieu de cette basilique qui prit le nom à'Anastasis ou Résurrection (2). Le saint Sépulcre proprement dit dut cer- tainement recevoir, à cette époque, une forme architecturale ; il y en a qui pensent qu'on a (1) La plus grande hauteur de cette coupe est d'environ 30 mètres, sa largeur de 11 mètres, l'extrême limite tout autour est de 90 mètres ; de sorte qu'on peut calculer que pour obtenir un tel espa.ce on a dû tailler et transporter à peu près 25,000 mètres cubes de roche calcaire. (2) La construction de ce temple dura dix ans. Quoique la coupole ait été plusieurs fois détruite, les murailles de la basilique existant actuellement sont encore celles du temps de sainte Hélène. On peut constater toujours la coupe perpendiculaire du mont, auquel est adossé le côté Est de la rotonde, depuis les fondements jusqu'à la première corniche. Voir le plan de ce temple que nous avons publié. (Se vend à la Librairie des Lieux Saints.J — 2$ — "donné à ce saint monolithe la forme d'une py- ramide. Saint Cyrille, évêque de Jérusalem, qui vécut au rv" siècle, s'exprime de manière à faire croire que sainte Hélène, par des rai- sons d'architecture, fit alors démolir entière- ment la première cellule du Sépulcre, qui lui servait comme de vestibule(l). Le même saint Cyrille, né à Jérusalem en l'année 315, vit la pierre qui avait servi à fer- mer le saint Sépulcre ; mais il en parle comme si déjà elle avait été brisée en deux mor- ceaux. On ne sait pas précisément si le saint Sé- pulcre, après avoir été isolé de la montagne, â été revêtu de marbre dès le temps de sainte Hélène ; mais on n'ignore point qu'un tel re- vêtement décoratif fut fait à l'époque des Croisés, entre 1099 et 1180. De plus, nous trouvons que dans ce temps on reconstruisit en pierre le vestibule de la tombe sacrée, au- quel, pour rendre l'entrée plus commode, fu- rent données trois portes, c'est-à-dire une par devant et deux aux côtés. Depuis lors, le ro- •cher du saint monument, soit par les divers incendies qui survinrent, soit par les dévas- tations des Perses, des Carismiens et des Turcs, avait été détruit en grande partie; aussi ne pouvait-on lui conserver une forme régulière qu'en y suppléant par des construc- tions artificielles en pierre ou en marbre. En 1555, ces marbres qui revêtaient et dé- (1) S. Cyrilli JUieros. Catéchisés. — 24 — coraient au-dedans et au-dehors le saint Sé- pulcre étaient déjà en partie désunis, et en partie tombant, c'est pourquoi dans cette même année, le Révérendissime Père Roniface de Raguse, Mineur Observantin, custode de Terre-Sainte, le fît revêtir entièrement de marbres nouveaux. Au-dessus de l'endroit précis où avait été déposé le corps du Sau- veur, il fit élever une petite coupole soutenue par de gracieuses eolonnettes de porphyre; il reconstruisit complètement le vestibule en forme de chapelle qui fut nommée la Chapelle de l'Ange, et il lui donna une seule porte ex- térieure parallèle à celle par laquelle on passe dans l'intérieur du Sépulcre. Ainsi ce dernier, dans tout son ensemble, représentait, au mi- lieu même de la rotonde qui venait d'être ré- parée, un élégant petit temple orné de bas- reliefs et d'inscriptions latines, (fig. V.) Voici comment le Père Roniface de Raguse rapporte l'inspection du saint Sépulcre et la restauration qu'il en fit : « Comme il était nécessaire de démolir cette construction pour donner plus de soli- dité à celle qu'on devait lui substituer, on en- leva le revêtement, et le Sépulcre de Notre- Seigneur Jésus-Christ s'offrit à découvert à nos ySux tel qu'il avait été taillé dans le roc. On y voyait (à l'intérieur) deux anges peints ; l'un portait une bandelette où étaient écrites ces paroles : « Surrexit, non est hic, t> (Il est ressuscité, il n'est pas ici) ; et l'autre, mon- trant avec le doigt le tombeau sacré, tenait m 25 — cette inscription : « Ecce locus ubi posuerunt eum, » (Voici le lieu où ils l'ont placé.) Ces deux images eurent à peine senti le contact de l'air qu'elles s'effacèrent en très-grande partie. « La nécessité nous avait contraints de dé- placer une des tables d'albâtre que sainte Hé- lène avait fait mettre sur le Sépulcre pour le couvrir, et afin qu'on pût célébrer dessus la sainte Messe ; alors nous vîmes manifestement ce lieu ineffable où le Fils de l'Homme reposa pendant trois jours. Il nous semblait voir les cieux ouverts devant nous. « On y distinguait encore tout autour les traces du sang de Notre-Seigneur confondues avec celles des parfums qui avaient servi à l'embaumer, et cet endroit resplendissait comme aux rayons du soleil; et nous, avec de pieux gémissements, et avec la joie spiri- tuelle de l'âme, nous l'avons vu et baisé, en présence de beaucoup de chrétiens des na- tions orientales et occidentales (1). » Le saint Sépulcre resta dans l'état où l'a- vait mis le Père Boniface de Raguse jusqu'en 1808, où éclata le vaste incendie (dont la cause est toujours inconnue) qui détruisit la (1) Boniface de Raguse, Liber de perenni cultu Terree Sanctœ, 1573. (Ce livre réimprimé à Venise, en 1875, est en vente à la Librairie des Lieux Saints, 4 fr.) La lettre où se trouve le texte que nous venons de rapporter n'était pas dans ce volume, mais elle nous a été conservée par Gretser : Apud Jacob. Gretserum in Apologiâ pro S. Cruce. —Voyez aussi : Quaresmius, Elucidatio Terrœ Sanctas, lib. V, cap. xin, peregr. ii. — 26 — grande coupole de la Basilique, et plusieurs autres parties de ce temple vénérable. Malgré cela le petit temple intérieur était demeuré intact, comme par miracle, mais les Grecs schismatiques ayant obtenu, à prix d'or, du gouvernement Turc, la faculté de réparer à leurs frais les dégâts causés parle feu,ils dé- molirent l'antique revêtement de beaux mar- bres du saint Sépulcre, et le rétablirent en plaques de pierre jaune du pays, avec un des- sin le plus baroque que l'on puisse imaginer, comme on le voit toujours' (4). Par là dispa- rurent alors toutes les inscriptions latines que le Père Boniface y avait fait graver, et les Grecs y substituèrent autant d'inscriptions en langue grecque, pour s'assurer la possession exclusive du monument sacré. Les Franciscains, qui seuls à cette époque représentaient le Catholicisme à Jérusalem, voyant cette usurpation des Grecs, receuru- rent aussitôt à tous les Potentats catholiques de l'Europe; mais l'Europe, alors agitée et bouleversée par Bonaparte, ne leur prêta pas attention, et les Grecs firent à leur aise tout ce qu'ils voulurent; aussi doit-on regarder comme un miracle de la Providence que les Latins ne furent pas dorénavant exclus de ce premier sanctuaire du monde. (1) Voir la figure au frontispice, et la grande lithogra- phie que nous avons publiée. (Se vend à la Librairie des Lieux Saints.) — 27 CHAPITRE IV. L'ÉTAT ACTUEL DU SAINT SÉPULCRE. Le saint Sépulcre demeure actuellement dans l'état où les Grecs l'ont réduit. Il représente un édicule long de 8m26, large de5m67, et haut de 7 mètres. Son toit, plat en dessus, est défendu par une balustrade de pierre vers l'extrémité de laquelle, et préci- sément sur la cellule la plus intérieure, s'é- lève une petite coupole soutenue par des co- lonnettes, en forme de lanterne. Le grand ta- bleau qui se voit sur la façade du monument est la propriété des Latins, qui maintiennent aussi en avant quatre cierges avec quelques lampes. Les Grecs et les Arméniens font de même. A l'intérieur, le saint Sépulcre présente tou- jours deux cellules [fig. VI). La première, qui a été entièrement reconstruite, ainsi que nous l'avons dit, est appelée la Chapelle de l'Ange, et sert de vestibule. A son centre elle a un pe- tit pilier isolé sur lequel est enchâssé un mor- ceau de la vraie pierre qui fut écartée par l'Ange, au moment de la Résurrection du Christ; tous ceux qui entrent vont la baiser par dévotion. Dans cette chapelle brûlent con- tinuellement quinze lampes, savoir : cinq aux Franciscains, cinq aux Grecs, quatre aux Ar- méniens et une aux Coptes, (ces trois derniè- res communions sont schismatiques) ; elle est — 28 — toute pleine d'inscriptions grecques et de des- sins de mauvais goût. On y voit, sur les côtés, deux trous ronds dont les Grecs se servent pour distribuer au peuple le feu qu'ils font croire descendu du Ciel, la veille de leur Pâques. Enfin, aux flancs de la porte d'entrée il y a deux étroits escaliers de pierre, cachés entre les murs, et par lesquels on monte sur le toit du monument. De la Chapelle de l'Ange, par une petite porte resserrée, haute de lm20 (1), on passe dans la cellule qui servit de sépulcre à Notre- Seigneur Jésus-Christ. Elle est haute de 3 mètres, longue de 2 mètres et large de lm75; elle est toute revêtue de marbre avec des des- sins et des inscriptions grecques. Le long de la paroi septentrionale de cette chambre, on voit le banc de pierre, élevé de 60 centimètres au-dessus du sol, et sur lequel précisément a reposé pendant trois jours le corps inanimé de Notre divin Rédempteur. Ce banc, qui est tout recouvert de marbre (2), a la lar- geur d'un mètre, et dans sa longueur il touche les deux parois latérales ; il occupe donc un (1) Cette porte est le seul endroit où l'on puisse voir à nu le rocher sacré. (Note du traducteur.) (2) Ce marbre est blanc et n'a aucun dessin ni inscrip- tion. Mgr Misjin .dit que la table de marbre qui recouvre la partie supérieure « est brisée par le milieu, » c'est une erreur. La iente, que l'on voit dans le sens de la largeur, a été simulée par les chrétiens pour arrêter la convoitise des mahométans, qui voulaient enlever ce marbre et le pla- cer dans leur mosquée d'Omar. [Note du traducteur.) - 29 — peu plus de la moitié de la cellule dans la- quelle trois personnes peuvent se tenir com- modément. A une petite hauteur dudit banc, tourne autour de lui une corniche saillante de marbre sur laquelle se mettent des vases de fleurs et des chandeliers, et sur les bords de laquelle les Franciscains appuient une table, avec la pierre sacrée et les nappes qui s'y rapportent, ce qui leur sert d'autel portatif, ainsi qu'à tout autre prêtre du rit latin, pour y célébrer la sainte Messe (1 ). Dans cet endroit brûlent continuellement quarante-trois lampes d'argent qui, par l'é- troitesse de l'espace, tapissent littéralement la voûte ; il y en a treize aux Franciscains, treize aux Grecs, treize aux Arméniens, et quatre aux Coptes. Les trois premiers ont aussi là trois images du Christ ressuscité, une pour chaque rite. Avant de terminer, nous dirons encore qu'après les plus soigneuses observations faites par nous sur le lieu même, en compa- gnie d'hommes experts, nous sommes entrés dans l'intime conviction que, sous le revête- ment intérieur et extérieur du saint Sépulcre, il reste assez peu de la vraie roche calcaire qui constituait le monument primitif. Il est bien vrai que les murs actuels du saint Sépulcre ont plus d'un mètre d'épais- (1) Les Latins peuvent célébrer dans le saint Sépulcre trois Messes par jour, à la fin desquelles on enlève l'autel portatif, pour faire place aux autres communions. — 30 — seur (1), ce qui, pour un édifice aussi petit, est énorme ; mais nous avons pu constater qu'ils sont artificiels pour la plus grande par- tie, comme la voûte tout entière est artifi- cielle. Très-probablement les antiques parois du monolithe calcaire primitif s'élèvent à peine à un mètre au-dessus de terre ; mais il est abr solument certain que le banc de pierre sur lequel fut déposé le corps du Sauveur existe toujours intact, ayant été continuellement tenu avec soin recouvert de plaques de mar- bre, comme on le voit maintenant ; ce qui sert non-seulement à le protéger contre les dégâts occasionnés par les incendies que la Basilique a subis plusieurs fois, mais aussi à le défendre de la dévotion indiscrète des pè- lerins (2). Tel est le saint Sépulcre de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Il reçoit toujours la vénération du monde chrétien, puisque de toutes les par- ties de la terre accourent vers lui constam- ment les pieux pèlerins, non-seulement ca- (1) C'est-à-dire les murs de la cellule la plus intérieure ou du saint Sépulcre proprement dit, puisque la Chapelle de l'Ange est plus légère et toute artificielle, comme nous l'avons dit. (2) Les petits morceaux de pierre qui se distribuent avec des authentiques, aux pèlerins à Jérusalem, ont été détachés du rocher continu adhérent au saint Sépulcre. Les Souverains Pontifes ont lancé la sentence d'excommu- nication contre ceux qui brisent ou emportent quelque mi- nime parcelle que ce soit des Lieux Saints proprement dits. — 31 — tholiques, mais encore de toutes les sectes chrétiôDnôs (1 )• Elle est incroyable la dévotion excitée par ce lieu sacré 1 A la pensée de se trouver dans le Tombeau même qui a renfermé le corps inanimé de Jésus, mort pour le salut des hommes, à la pensée que de cette Tombe il est ressuscité glorieusement, après trois jours, de la mort à la vie, il n'y a pas de cœur qui puisse retenir ses larmes. Le marbre qui recouvré l'endroit précis où fut déposé le corps du Sauveur est tout usé par les baisers qu'y impriment les pèlerins, quoiqu'il y ait à peine soixante-six ans qu'il a été renouvelé. Il est bien vrai que l'âme d'un catholique reste grandement affligée en voyant les héré- tiques et les schismatiques fonctionner dans ce célèbre sanctuaire, et encore plus en con- sidérant le tumulte de leurs pèlerins aux épo- ques de grand concours ; mais en dépit de cela, rien qu'à contempler en ce lieu la pompe des ornements et la majesté du culte, rendu à l'envi toujours plus splendide, rien qu'à en- tendre louer le Seigneur, le jour et la nuit, dans toutes les langues, chacun reconnaît l'ac- complissement de la prophétie d'Isaïe (XI, 10) annonçant que ce Sépulcre devait devenir glorieux : « Et erit Sepulcrum ejus glorio- sum. » (1) La moyenne du pèlerinage à Jérusalem est calculée à 60,000 étrangers par an. — 32 — NOTE DU TRADUCTEUR. Un docte palestinologue Anglais, M. Conder, qui a étudié longtemps la Terre Sainte sur les lieux mêmes, a donné, au sujet de la clôture et de la forme du saint Sépulcre, des rensei- gnements qui sont parfaitement d'accord avec ceux du Rév. Père Cyprien. Il nous semble donc utile d'ajouter ici cette note que nous avons traduite textuellement du Bulletin An- glais publié par The Palestine Exploration Fund : « La pierre roulante n'est pas une méthode très-com- mune d'assurer l'entrée des sépulcres creusés dans le roc, et il est naturel de supposer, de ce progrès considérable dans la simplicité mécanique, que c'est une invention tar- dive. La grande majorité des tombeaux taillés dans le roc, dont nous avons examiné environ 500 dans le cours de l'arpentage (pour lever la carte de la Palestine), n'est pas disposée avec la rainure nécessaire pour l'usage de cette pierre. Ils sont fermés, dans quelques exemples, par une sorte de herse de pierre, mais le plus fréquemment par une porte de pierre sur pivots s'adaptant dans des trous placés au- dessus et au-dessous de l'entrée, et close par une serrure. La serrure était probablement de métal, toutefois elle a disparu dans chaque spécimen qui a été examiné. t La pierre roulante mesure généralement 3 pieds en- viron de diamètre (le pied anglais vaut 0,m30479), et est quelquefois épaisse d'un pied; elle ressemble à un fromage posé sur son bout. Elle roule à droite ou à gauche de l'en- trée de la porte qui est large d'à peu près 2 pieds, et elle est maintenue par un rebord du rocher qui a une rainure dans laquelle cette pierre est poussée en arrière pour ou- vrir la tombe. Le fond de cette rainure est légèrement en - 33 pente dans quelques cas, de manière que la pierre puisse rou- ler en bas par son propre poids pour fermer la porte. Ainsi, non-seulement il est complètement impossible d'ouvrir le tombeau d'en dedans, mais encore il est difficile de le faire du dehors. Un choc de tremblement de terre ne pourrait pas être cause, comme on l'a suggéré dernièrement, que la pierre remonterait en arrière sur la colline, et elle ne resterait pas dans cette position à moins qu'elle soit arrê- tée en dessous. « Le principal point à noter, c'est que ce genre de porte semble appartenir aux plus récentes tombes juives. Ceci s'accorde parfaitement avec son usage dans le sépulcre nouveau de Joseph d'Arimathie. Le seul exemple daté que l'on en connaisse est celui du tombeau d'Hélène, reine d'Adiabène, qui fut enterrée à Jérusalem dans le premier siècle (après J.-C., Ant., XX, 4, 3). De plus, on peut ob- server que dans la campagne au nord de Césarée, où il y a beaucoup de modèles de ce genre de porte, les tombes sont à leculi (bancs), et non pas à kokim (fours). La même remarque s'applique au sujet d'une tombe J>rès d'Endor et, dans d'autres cas, les sépulcres contiennent à la fois des loculi et des kokim ; mais nous n'avons re- cueilli aucun exemple d'un tombeau à hokim. seulement qui soit fermé par une pierre roulante. Dans le Talmud (Mischna, Baba Bathra, VI, 8) on donne la description d'une tombe ayant des kokim,, mais on n'ajoute aucune mention d'une porte roulante, et la forme de l'antichambre qui est prescrite exclut la possibilité d'une semblable mé- thode pour clore l'entrée; or cette description s'applique exactement à la majorité des plus anciens sépulcres juifs. « La conclusion que l'on peut tirer des notés ci-dessus paraît être que le saint Sépulcre était, selon toute proba - bilité, une tombe à loculi (bancs). Cette déduction s'ac- corde bien avec la narration du quatrième évangile (XX, 12) : « Elle vit deux anges en blanc, assis l'un à la « tête et Vautre aux pieds, où le corps de Jésus avait été « placé; » disposition tout-à-faitimpossibledansle cas d'une tombe avec un koka (four), qui est une sorte de boulin s'enfonçant dans la muraille de la chambre sur une lon- gueur de 5 à 7 pieds, et sur une largeur de 2 pieds 6 pou- ces à 2 pieds ; les pieds du cadavre étant au bout le plus proche, et la tête au plus éloigné. Le koka était clos par une plaque large de 2 pieds et haute de 2 à 3. La tombe à loculi a une espèce de sarcophage sous un toit voûté far» - 3 4 X . cosoliwnj, et le corps y repose parallèlement au mur de la cellule. « Une preuve de l'authenticité du site actuel du saint Sépulcre a été tirée par MM. de Vogué et Ganneau de l'existence d'un ancien tombeau à kokim dans cette église. Cet argument a été considérablement fortifié par la cita- tion suivante du Talmud (Mischna, Baba Balhra, II, 9) : « Les cadavres, les sépulcres et les tanneries sont séparés « de la ville de cinquante coudées. » IQuarterly statement, July, 1877.) TABLE Chapitre I. - L e s tombeaux hébraïques en général.. 1 Chapitre II. — La forme primitive du saint Sépulcre. 12 Chapitre III. — Les modifications que le , saint Sé- , , . < 20 pulcre a subies . . . . . . . . . > • • • • Chapitre IV. — L'état actuel du saint Sépulcre.... . 27 32 Note du traducteur. Orléans» — Imp . Ern«st Colas. Le S. Sépulcre ouvert dans son état primitif. Le S. Sépulcre isolé et réduit à la forme de petit temple par S.te Hélène, en 326. P V ; M M i i a p M p i l p f « I , mëêèêêêmm WmmmÊÊM i « Ä i p l i p i l p Ä i i P • ' • i • i m I O U V R A G E S DE L'ABBE LAURENT DE SAINT-AIGNAN LA TERRE SAINTE, description topographique, histo- rique et archéologique ; avec carte, plans et gra- ' vure. .' . , ... . . . . . . . . . . . . 5 fr, LA SYRIE. L'EGYPTE ET L'ISTHME DE SUEZ, avecC carte, plans et Lettre autographe d'Abd-el- Kader. . . . . . . . . . », (Ces livres sont précédés de lettres de N. S. P . le Pape, et de "Mgr Dupanloup, Evêque.d'Orléans.) : - Recherches sur la Rose de Jéricho . y 0 fr. 50 ' Ld Tombeau d'Adani et . d'Eve. • . . . •'. . . í < 1. ; » L'Egypte et les Hébreux, d'après les dépouver- :< tes récentes. . .. .. . . .. fôlw . : . ' . ,.-; 1. L'Egypte et Moïse, v V . , i . ' - .- 1 Le Texnple do Salomon, mf ' . .;./.'.. ; l Le Temple- de Jérusalem recoùstruit par Hér j rpde i . v 1 Une Inscription du Temple dé Jérusalem; ' . . ï Le Sépulcre d'Abraham et celui de Josué . i La Tribu des Réehabites retrouvée en Arabie. 1 La Tribu des Réehabites, nouveaux reriseigne- jj • ments , \ g g . ,.1':.;. | » La Pierre de Mésa, roi de Moab. 1 .'v' 25" Découvertes récentès en Palestine . .: . . . . » 60 La Topographie ancienne do Jérusalem. . .. . 1 .25 Découvertes récentes en Terre-Sainte. . . . . ' 60 25 25 25 . Sous presse : L'Egypte ot le Pentateuque. Orléâus — Imp Ernest Coi«^