T . / £ r\n O- OBSERYATIONS \ DE L’ÉVÊQUE DE PERPIGNAN ' 1 1 . Z / AU SUJET DES ATTENTATS +. é DIRIGÉS CONTRE LA SOUVERAINETÉ TEMPORELLE Dü PAPE. Perpignan, le 10 octobre 1859. L’Église catholique est une famille1 surnaturelle , où , dans les temps d’affliction, toutes les larmes sont des prières. On y verse, sur les souffrances que le monde ne connaît pas , des pleurs que Dieu seul entend. Mais les larmes du Père commun ne sauraient être ni ignorées ni solitaires. D’un bout de la terre à l’autre , chaque église particulière les recueille dans son calice et les offre à Dieu. L’Église universelle n’imite pas les trois disci- ples qui accompagnèrent le Sauveur jusqu’au lieu où s’ou- vrit pour lui la voie douloureuse. Ils n’avaient pas encore reçu les dons de l’Esprit consolateur, et ils ne purent veiller une heure avec Jésus souffrant et priant. Une au- tre conduite a été suivie, depuis que la charité a été ré- pandue par l’Esprit-Saint dans les cœurs fidèles, pour les unir entre eux dans le cœur du même Père. Quand le Vicaire du Christ a ses heures d’angoisses, quand son ora- toire ressemble , sous quelques rapports, à la grotte de Gethsémani , il n’y est pas seul : toute l’Église y veille avec lui, y souffre avec lui, y prie avec lui. 4 Le temps des grandes épreuves a recommencé pour le Saint-Père j lorsque des factieux, relevant à Bologne et dans les contrées voisines le drapeau de la révolte, Pont agité sur des populations qu’intimidaient tout à la fois les souvenirs de ce que les terroristes ont fait chez elles il y a dix ans , et la prévision de ce qu'ils savent faire. Profondément attristé , Pie IX adressa alors à tous les évêques du monde catholique une lettre, bien expressive dans sa brièveté, dont chaque mot semblait être une larme tombée de son cœur paternel. Nous avions eu à peine le temps de la méditer , quand éclata l’annonce d'un événement inattendu, qui sembla devoir donner aux affaires^d'Italie un cours très-différent de celui que les hommes de désordre espéraient. Un signe de sérénité vénait d’apparaître sur les champs de bataille. La pous- sière, soulevée sous les pas de quatre cent mille soldats prêts à s’entre-choquer, s'ouvrant tout à coup, laissa voir un traité de paix. Cet événement fut d'une consolation particulière pour le Saint-Père, qui avait été, comme il le dit lui-même, accablé de douleur à la vue de la lutte sanglante qui divisait les nations catholiques (1). Le titre que les deux empereurs lui offraient était un hommage rendu à sa haute dignité comme Prince temporel, et un lien destiné à rattacher les États de la Péninsule au trône de saint Pierre. On savait, d'ailleurs, que les préliminai- res de Villafranca renfermaient des clauses rassurantes pour la restauration de l’ordre en Italie, et il y avait lieu d'espérer que toutes les rébellions fléchiraient sous le poids de ce grand acte. La nouvelle de cette paix fut ac- cueillie, dans toute la France, avec des témoignages de satisfaction presque unanimes. Dans ces circonstances, nous crûmes nous conformer aux intentions présumées (1) Ad gravissimum, quo cum bonis omnibus propter bellum inter ca- tholicas nationes excitatum premimur, dolorem maximus accessit mœ- ror, etc. (Allocution du 20 juin 1859.) i 5 de Pie IX, en nous abstenant de publier sa douloureuse Encyclique, pour ne pas mêler des accents de tristesse à la joie publique d’autant plus vive qu’elle avait été im- prévue. Mais, depuis lors, des événements sinistres, qui impliquent le renversement des bases de la paix, sont venus attrister et presque décourager l’espérance, La faction révolutionnaire , un moment déconcertée , a re- doublé d’audace; elle a grandi en attentats, particulière- ment dans une des provinces romaines; elle vient d’y consommer ses prévarications sacrilèges. En présence de pareils faits, nous avons dû, pour répondre aux désirs du Saint-Père , recommander aux prêtres et aux fidèles de s’unir à nous dans de ferventes supplications, afin de demander tous ensemble au Dieu de la justice et de la miséricorde , pour le Souverain-Pontife le triomphe du droit, pour ses coupables ennemis la grâce du repentir, et d’exercer ainsi, avec toute l’Église catholique, la noble et chrétienne vengeance de la prière. Mais devons-nous en ce moment nous borner à gémir et à prier? Nous parlerons à Dieu des attentats qui se commettent : est-ce que nous n’en parlerons pas aussi aux hommes ? Laisserons-nous passer sous nos yeux la majesté du Saint-Siège outragé et spolié , sans que d’é- nergiques protestations s’élèvent du sein de l’Épiscopat? Ne semble-t-il pas aux catholiques de notre diocèse que les sentiments dont leurs cœurs sont pleins doivent avoir un organe, et que cet organe doit être la bouche de leur Évêque? Nous ne voudrions pas tromper leur attente ; nous voudrions encore moins manquer à ce qui nous pa- raît être pour nous un devoir. On pense bien que, pour accomplir ce devoir, nous ne nous laisserons pas arrêter par les étranges prétentions de la presse anticatholique , qui voudrait nous condam- ner au silence sur ce qui se passe, sous le singulier pré- texte qu’il s'agit, non de religion, mais de politique? Quoi ! la souveraineté temporelle du Pape, instituée pour 6 garantir la liberté de son ministère universel , n’est pas une question religieuse ? La violation de la foi qui lui a été jurée, des serments de fidélité qui lui ont été faits, n’est pas une question religieuse ? L^exc^mmjmication prononcée par le dernier des conciles généraux , par le concile de Trente, qui fait loi dans toute l’Église , contre les envahisseurs des domaines ecclésiastiques, n’est pas une question religieuse? Les démonstrations impies, que les chefs de la faction spoliatrice provoquent partout où ils mettent le pied, qui éclatent à chaque pas qu’ils font, ne sont pas des questions religieuses ? La propagande protestante, qui marche dans leurs fourgons, n’est pas une question religieuse? Dans ses causes, dans ses effets immédiats , dans ses conséquences futures , la situation actuelle implique les plus grands intérêts de la religion. Elle est un outrage envers le passé, un attentat contre le présent, une effrayante menace pour l’avenir. Les ennemis du Saint-Siège nous répètent, avec une apparente simplicité , que la souveraineté temporelle du Pontife ne tient, en aucune manière, au dogme. Mais d’abord, qu’en savent-ils? Depuis quand sont-ils devenus de si doctes théologiens pour discerner la limite précise où les conséquences du dogme s’arrêtent? Cette souve- raineté est établie sur un principe révélé et sur un fait certain. Le principe révélé, c’est que le chef de l’Église qui dirige l’enseignement de toutes les nations, docete omnes gentes , a droit d’exercer librement le ministère que Dieu lui a confié ; le fait certain, c’est que son indé- pendance politique est le plus sûr moyen de sauvegarder l’application de ce principe. Cette souveraineté n’est ni un article du symbole ni un fait profane : elle est un fait protégé par un dogme. Et puis, outre les dogmes, est-ce qu’il n’y a pas la morale publique^ etjDrivée dont l’Église est dépositaire? Que, dans un siècle où tant d’hommes flottent dans le scepticisme et ne trouvent de point fixe que dans leurs passions, une population égarée, un gou- A À , Î f /VVW- 'La« w VV'i 1 f } / \ A V. cLlt X- vv V'Vv'v â ; :z v w i v V/J ' 2 J * \ 1 A» J /w 1 •vernement avide de provinces, se moquent des règles chrétiennes de la morale politique : nous n'en avons pas moins la mission de proclamer ces règles, particulière- ment lorsque leur violation attaque, par son principe et par ses résultats, un intérêt du premier ordre pour le monde catholique. Et enfin, est-ce que l'Église n’est que dogme et morale ? L’Église catholique est une société divine qui a ses conditions terrestres d’existence et de li- berté. Elle les enseigne, elle les maintient, elle les dé- fend avec une infatigable patience , et c’est ce qui irrite le plus ses ennemis. Ils lui pardonneraient d’être une abstraction religieuse ; ils ne lui pardonnent pas d’être une société vivante. Quand nous leur parlons de l’enfer et du ciel, ils nous disent qu’ils n’ont pas le temps d'en- tendre ces choses de l’autre monde, parce que le siècle est aux choses de ce monde-ci ; et quand nous voulons les entretenir des choses de ce monde-ci, essentiellement liées à la cause de la religion, ils nous répondent : qu’est- ce que vous nous dites là? parlez-nous donc de l’autre monde. Nous leur parlerons , selon qu’il le faudra , de l’un et de l’autre, de l’un par rapport à l’autre. Nous tâ- cherons d’être fidèles à tous nos devoirs , à ceux qu’ils tolèrent et à ceux qui les importunent. Qu’ils se tranquil- lisent sur la seule fonction qu’ils nous recommandent , celle de bénir. Nous aurons assez de bénédictions pour toutes les œuvres que l’esprit du bien inspire; mais nous aurons aussi, autant qu’il sera nécessaire, des protesta- tions contre les attentats qu’engendre l’esprit du mal. Gela ne doit surprendre personne ; il y a dix-huit siècles que le monde est accoutumé à cela. Le plus grand attentat du moment présent est dirigé contre la souveraineté temporelle des Papes. Ce n’est pas en soi quelque chose de nouveau. A diverses époques, cette souveraineté a eu sa part dans les tempêtes qui agitent la barque de saint Pierre. Elle a été attaquée par deux voies différentes, tantôt d’en haut, tantôt d’en bas, tantôtpardes 8 princes ambitieux , tantôt par des populations soulevées. Dans le siècle même où elle a été agrandie par la piété de Charlemagne, elle a eu un ennemi insigne, le Roi des Lombards; il s’appelait alors Didier. Ce Roi des Lom- bards avait d’illustres exemples de vertu dans l’histoire de sa famille. Il avait reçu une éducation chrétienne. Il promit plusieurs fois, par lui ou par son ministre, de res- pecter le territoire des États de l’Eglise. Mais il était tour- menté du besoin d’annexer à son royaume les contrées voisines, dont plusieurs étaient placées sous l’auguste sceptre du Souverain-Pontife. Les émissaires habiles et hardis qu’il y entretenait le servaient bien. Il arriva donc que, tout en protestant de sa profonde vénération pour le Chef de l’Église, le Roi des Lombards s’adjugea la pos- session de Bologne, Ferrare, Faenza, Imola, Ravenne, ainsi que d’autres lieux compris dans l’Exarchat de cette dernière ville, particulièrement dans la province qui s’ap- pelait alors l’Émilie, et qui est aujourd’hui la Romagne. Il fallut que Charlemagne revînt de la Germanie pour le remettre dans l’ordre et punir ses usurpations. Autant le Roi des Lombards était ennemi de l’Église Romaine, au- tant l’Empereur des Francs lui était dévoué. Ces senti- ments de fidélité et d’attachement inébranlable qu’il ma- nifesta, dans cette circonstance, au début de sa longue carrière, qui le dirigèrent dans tout le cours de sa glo- rieuse vie, ont été consignés par lui, d’une manière bien solennelle, dans l’acte de ses dernières volontés. Il y a, dans l’histoire de l’ordre social européen constitué sur la base du christianisme, deux testaments vénérables entre tous : au commencement, celui de Charlemagne ; au dé- clin, celui de Louis XVI. Ce dernier testament regardait particulièrement le passé : le Roi martyr priait son fils de pardonner les crimes sous le coup desquels les antiques dynasties succombent. Le testament du grand empereur regarda l’avenir; il recommanda à ses fils, envers le Saint- Siège, ce dévouement inaltérable qu’il savait être un gage 9 des bénédictions de Dieu sur les dynasties naissantes. « Au-dessus de toutes choses, nous ordonnons que nos « fils prennent la protection et la défense de l'Église Ro- « maine, comme l’ont fait Charles, notre aïeul, le roi « Pépin, notre père, d’heureuse mémoire, et comme nous « l’avons fait nous-même ; qu’avec l’aide de Dieu ils s'ef- « forcent de la défendre contre ses ennemis, et qu'ils « maintiennent ses droits, selon leur pouvoir, et autant « que la raison le demandera (1). » Quelles qu’aient été, depuis cette époque, les vicissitudes des choses humai- nes, cette dernière parole de Charlemagne doit être im- mortelle dans le cœur de tous les princes catholiques, surtout des souverains de France et d’Autriche, qui ont recueilli, en grande partie, la succession de son empire. Dans le douzième siècle, un autre genre d'attaques se produisit contre la monarchie Pontificale. L’Italie vit s’é- lever un tribun, beau parleur, grand fabricateur d’intri- gues, d’artifices et de troubles, également habile à pa- raître au grand jour et à se retirer dans l’ombre. A la voix d’Arnaud de Bresce, toutes les mauvaises passions s’agitèrent, la démagogie reparut, la ruine de la souve- raineté temporelle des Papes fut résolue. Il s’agissait de ressusciter la république romaine, le sénat, le peuple et le forum. Après avoir conspiré dans l’ombre, on fit une constitution. Mais ces fiers républicains surent se disci- pliner pour marcher vers leur but. Ils voulurent placer leur démocratie sous la protection d’un sceptre ; ils offri- rent à Conrad, avec la propriété de tous les biens ecclé- siastiques, l’empire de l’Italie ; Conrad ne refusa pas. C’est à ces révolutionnaires que saint Bernard adressa cette pré- (1) Super omnia aulem jubemus atque præcipimus ut ipsi très fratres curam et defensionem Ecclesiæ sancti Pétri simul suscipiant, sicut quon- dam ab avo nostro Karolo, et beatæ memoriæ genitore nostro, Fippino rege, et a nobis suscepta est, ut eam cum Dei adjutorio ab hostibus de- fendere nitantur, et justitiam suam, quantum ad ipsos pertinet et ratio postulaient , habere faciant. 1 . 10 diction : « Vous êtes près de votre ruine, au moment où a vous vous obstinez dans ce que vous faites (1). » Nous avons tenu à rappeler ces deux exemples, qui sont le type d’autres faits anciens ou rapprochés de notre temps, que nous passons sous silence. Le besoin d’an- nexion qui avait été si vif chez Didier, chez l’ancien roi de la Lombardie, a recommencé aujourd’hui sur une plus grande échelle; les doctrines d’Arnaud de Bresce ont reparu, mais avec l’ampleur et la tournure que les systèmes modernes leur ont données. Ces deux principes se sont unis. L’artisan de l’annexion l’avait préparée de- puis longtemps en faisant la cour à la révolution ; et, de son côté, la N révolution, satisfaite de ses avances, a offert son cœur et sa main en signant le contrat d’annexion. De ce mariage, conclu dans les conciliabules secrets, et cé- lébré sur les places publiques, sont nées les monstruosi- tés que nous voyons. La situation révolutionnaire dè l’Italie se compose sans doute d’éléments divers; mais, dans cette diversité, elle présente un caractère dominant qui constitue l’unité ra- dicale cle toutes les divergences. Cette unité a été parfai- tement comprise et prévue par des hommes supérieurs dans la science du mal, qui avaient la vue longue, qui étaient l'aristocratie des conspirateurs. Dans la première moitié de ce siècle, il se forma en Italie une société se- crète, qui prit le nom de Vente suprême, et qui avait son siège dans les États Romains. Les autres sociétés secrè- tes, bien qu’hostiles à l’Église, se préoccupaient immé- diatement de projets politiques : la Vente suprême, cui altior intellectus , jugeait que ce n’étaient là que des moyens secondaires, qui n’allaient pas droit au but; qu’il fallait frapper plus haut et plus profondément, pour arri- ver à faire de l’Italie le vrai foyer d’une révolution uni- verselle. Elle voulut donc subordonner toutes les vues et (1) Epist. 213. U toutes les manœuvres des conspirateurs à une pensée fon- damentale, la destruction du catholicisme. On peut s’en faire une idée par les extraits suivants, puisés dans ses abominables archives : « Depuis que nous sommes établis en corps d’action, « et que l’ordre commence à régner au fond de la vente la. plus reculée, comme au sein de celle la plus rappro- « chée du centre, il est une pensée qui a toujours pro- « fondément préoccupé les hommes qui aspirent à la « régénération universelle : c’est la pensée de Paffran- « chissement de PItalie, d'où doit sortir, à un jour déter- « miné, l’affranchissement du monde entier, la républi- « que fraternelle et l’harmonie de l’humanité. Cette a pensée n’a pas été encore saisie par nos frères d’au delà « des Alpes. Ils croient que PItalie révolutionnaire ne « peut que conspirer dans Pombre, distribuer quelques « coups de poignards à des sbires ou à des traîtres, et « subir tranquillement le joug des événements qui s’ac- « complissent au delà des monts pour PItalie, mais sans c( l’Italie. Cette erreur nous a été déjà fatale à plusieurs cc reprises. Il ne faut pas la combattre avec des phrases, « ce serait la propager; il faut la tuer avec des faits. c< Ainsi, au milieu des soins qui ont le privilège d'agiter « les esprits les plus puissants de nos Ventes, il en est a un que nous ne devons jamais oublier. La Papauté a « exercé de tous temps une action toujours décisive sur a PItalie. Par le bras, par la voix, par le cœur de ses « innombrables évêques, prêtres, moines, religieuses et a fidèles de toutes les latitudes, la Papauté trouve des « dévouements sans cesse prêts au martyre et à l’enthou- « siasme. Partout où il lui plaît d’en évoquer, elle a des « amis qui meurent, d’autres qui se dépouillent pour elle. « C’est un levier immense dont quelques Papes seuls ont « apprécié toute la puissance (encore n'en ont-ils usé que « dans une certaine mesure). Aujourd'hui, il ne s’agit pas « de reconstituer pour nous ce pouvoir, dont le prestige 12 « est momentanément affaibli; notre but final est celui « de Voltaire et de la Révolution française, PanéantisSe- « ment à tout jamais du Catholicisme et meme de l’idée « chrétienne, qui, restée debout sur les ruines de Rome, « en serait la perpétuation plus tard (1)... » et A mon dernier voyage en France, j’ai vu avec une sa- « tisfaction profonde que nos jeunes initiés apportaient « une extrême ardeur à la diffusion du Carbonarisme ; a mais je trouve qu’ils précipitent un peu trop le mouve- « ment. Selon moi, ils font trop de leur haine religieuse c( une haine politique. La conspiration contre le Siège « romain ne devrait pas se confondre avec d’autres pro- cc jets. Nous sommes exposés à voir germer dans le sein « des sociétés secrètes d’ardentes ambitions ; ces ambi- « tions, une fois maîtresses du pouvoir, peuvent nous cc abandonner. La route que nous suivons n’est pas en- « core assez bien tracée peur nous livrer à des intrigants « ou à des tribuns. R faut décatholiciser le monde, et un « ambitieux arrivé à ce but se gardera bien de nous se- a conder. La révolution dans l’Église, c’est la révolution « en permanence, c’est le renversement obligé des trônes c et des dynasties (2). » Un pareil document ne laisse pas que d’éclairer, quoi- qu’il ne date pas d’hier, les origines de bien des choses qui ont lieu en ce moment. On nous objectera sans doute qu’il a déjà une antiquité de plusieurs années, et que les insurrections politiques, qu’on trouvait alors prématurées et compromettantes, ont pris le pas sur le projet qui avait directement pour but une révolution religieuse. Mais nous ne prétendons point exagérer la portée ac- tuelle du mot d’ordre formulé par la Vente suprême. C’est précisément parce que nous avons de fortes vérités à dire que nous ne sentons pas la tentation de rien ou- (1) L’Église romaine en face de la Révolution , par M. Crétineau. Joly, t. II, p. 82. (2) ibid, } p. 123. 13 trer. Nous sommes loin d’affirmer que cet infernal pro- gramme ait été recueilli, dans toute sa plénitude, dans toute sa profondeur, par tous ceux qui coopèrent, d’une manière plus ou moins active, à la destruction de la sou- veraineté temporelle du Saint-Siège. Nous n’avons point de difficulté à penser que beaucoup d’entre eux, surtout dans les rangs inférieurs, sont, à l’heure qu’il est, prin- cipalement entraînés par des excitations et des passions politiques, dont ils acceptent, il est vrai, les conséquences irréligieuses, sans toutefois qu’on puisse affirmer qu’elles soient le mobile immédiat de leur conduite. Mais en résulte-t-il que le mépris, la haine de la religion catho- lique n’est pas le caractère général de ce parti? Est-ce qu’il ne commence pas à mettre en pratique plusieurs articles du programme dont il n’oserait pas avouer le principe fondamental? Les faits parlent : sans rappeler ici ses prouesses à Turin, à Milan, à Florence, voyez comment il se signale à Bologne. Il met la main sur les fondations pieuses. Il s’efforce de corrompre le peuple par une presse qui sue l’irréligion. Il flagelle de ses ou- trages le Vicaire de Jésus-Christ. Les personnes consa- crées à Dieu sont tournées en dérision sur ses théâtres, comme elles l’ont été à Paris en 93; l’honnêteté des mœurs, la pudeur, la vertu n’y sont pas respectées. Il poursuit de ses sarcasmes les pratiques du culte, les exercices de la dévotion envers la très-sainte Vierge, les plus enracinés dans les respects et les habitudes de la population (1). Malgré Fintérêt évident qu’il aurait à pré- (1) Non dubitarunt autem liujusmodi hommes in ecclesiasticam quo- que invadere potestatem , cum novas de Nosocomiis , Orphanotrophiis atque Piis Legatis, Locis et Institutis leges ediderint Hos inter iamen- tabiles ausus non desinunt hujus factionis moderatores omnem eorom artem in corrumpendis populomm moribus impendere per libros præ- sertim atqne ephemerides tum Bononiæ tum alibi éditas, quibus fovetur quidlibet audendi licentia, et Christi hic in terris Vicarius laceratur, ac religionis pietatisque exercitationes ludibrio habentur, precesque ad Immaculatam Sanctissimamque Dei Genitricem Virginem Mariam co- 14 server de ces turpitudes impies la pose théâtrale qu’il prend en politique, il ne parvient pas à se contraindre. Sa nature remporte : il éclate par des coups d’essai qui le trahissent; il se livre, dans son berceau encore bien fragile et bien mal agencé, à des transports qui jettent une sinistre lumière sur ses gestes futurs. En face de ces faits, qui osera s’inscrire en faux contre nous, lorsque nous affirmons que les idées exprimées dans le programme dont il vient d’être question, ont déteint sur ce parti, sur ses chefs surtout, et qu’elles se sont infiltrées, à des degrés divers, dans ses veines? Qu’importe à cet égard qu’il ait modifié partiellement, au profit d’un royalisme de circonstance, ses tendances politiques? Il n’en est pas moins visible à tous que, sous le rapport religieux, les conspirateurs secrets d’alors ont fait l’éducation des révolutionnaires publics d’aujour- d’hui. *- Après avoir signalé le caractère primitif et général de la faction rebelle qui domine à Bologne, nous allons la décomposer pour la bien connaître. Mais nous élimine- rons d’abord certaines choses qui ne doivent pas être renfermées dans cette analyse, ou sur lesquelles ne doit pas porter le jugement accablant que méritent les vrais éléments de la faction. Que, dans d’autres contrées de l’Italie, des hommes, serviteurs plutôt qu’amis des révolutions, éprouvent, en- vers d’augustes maisons d’origine étrangère, une suscep- tibilité, qui n’est pourtant, d’après la récente et célèbre note du Moniteur , qu’une malheureuse hallucination du sentiment national, ce fait est hors de notre sujet, et nous n’avons pas à l’apprécier ici, quoique nous soyons très- lendam , ejusque potentissimum patrocinium implorandum adhibitæ ir- ridentur. In scenicis xero spectaculis publica morum honestas, pudor virtusque offenditur, et personæ Deo sacræ communi omnium contem- ptioni et irrisioni exponuntur. (Allocution de Pie IX, dans le Consistoire secret du 26 septembre 1859.) 15 convaincu que le Moniteur a parfaitement raison. Nous ne nous occupons en ce moment que de la faction qui usurpe la souveraineté des provinces de la Romagne. Ce motif ou ce prétexte de répulsion n'est pas de mise à l’égard de la Papauté. Depuis plusieurs siècles, les Papes ne sont pas seulement Italiens, ils le sont plus que tous les autres princes de la Péninsule, parce qu’ils le sont doublement, et par leur naissance, et par leur élection, émanant d’un Corps auquel l'Italie fournit la très-grande majorité de ses membres. S’il venait à se former, dans les autres pays de la catholicité, un parti excentrique, qui se laissât aller à de fausses idées en sens inverse de celles qu'on propage en Italie, c'est lui qui serait tenté de se plaindre, non pas que la Papauté ne soit point assez italienne, mais qu’elle le soit trop ; c'est lui qui reproche- rait à l'Italie ce beau privilège, qu’un de ses fds, né dans un château ou dans une chaumière, soit toujours appelé à devenir le souverain du monde catholique. Les nations catholiques comprennent mieux les vraies grandeurs de l'Italie que ne le font ses faux patriotes, parce qu'elles sont dégagées, à cet égard, de ces vues étroites, qui sont presque toujours l'effet des passions fougueuses. De l’aveu même de ses ennemis, la Papauté est la plus grande institution qui existe sur la terre. Or, la plus forte raison pour choisir toujours le Pape parmi les Italiens, c'est que le sujet élu doit monter sur un trône italien. La Papauté spirituelle et temporelle est donc, pour cette partie du monde, une couronne à la fois universelle et nationale. Les tribuns piémontais de Bologne ont la vue si basse qu’ils ne voient plus cela. Nous venons d’écarter ce prétexte de souveraineté étrangère comme étant lui-même très-étranger à la question romaine. Nous devons aussi mettre à part une classe d'hommes qui n’ont pas mérité d’être confondus avec la faction rebelle. Ces hommes croient que des amé- liorations doivent avoir lieu dans l’ordre civil des États 16 de l’Église ; qu’on peut accomplir ce progrès en dévelop- pant les principes posés dans des statuts déjà existants; qu’il importe d’effacer les traces encore plus ou moins profondes de la centralisation française, pour redonner aux municipes, aux provinces, une vitalité qui perpétue- rait les vraies traditions politiques de l’Italie; que l’ins- titution élective, qui siège au cœur de l’État, en recevrait elle-même un nouveau degré de vie; que tout cela peut se faire sans se jeter dans les aventures, les périls et les catastrophes du régime parlementaire, qui assurément va bien moins encore à l’Italie qu’il n’a pu convenir à la France. Quoique nous soyions persuadé, ainsi que nous l’avons déjà dit ailleurs, qu’à bien des égards, la masse du peuple se trouve, sous le sceptre pontifical, dans des conditions meilleures que dans beaucoup d’autres pays, nous concevons et cette manière de voir et ces vœux. Mais les hommes qui forment ces vœux ne font pas à la faction usurpatrice l’honneur de figurer dans ses rangs. Ce ne sont pas eux qui ont travaillé de tout leur pouvoir à entraver les intentions du Saint-Père, en le plaçant dans l’alternative d’ajourner les mesures qu’il médite ou de paraître les accorder à la révolte. Ce ne sont pas eux qui s’agitent pour briser les bases de la paix; qui, en li- vrant la moitié de la Péninsule à un seul gouvernement, rendraient impossible la Confédération italienne, destinée à donner à ce pays une unité qu’il n’a pas eue depuis tant de siècles. Ce ne sont pas eux qui détestent cette prési- dence honoraire de la Confédération, que l’Empereur des Français, de concert avec l’Empereur d’Autriche, a offerte au Pape. Ce ne sont pas eux qui préfèrent aux conseils bienveillants de la France, prodigue de son or et de son sang aux bords du Tessin et du Mincio, les suggestions de l’Angleterre, aussi empressée de mettre la main dans toutes les intrigues révolutionnaires de l’I- talie qu’elle a été revêche à y mettre le pied sur un champ de bataille. Ce ne sont pas eux qui, en annonçant un hi- 17 deux forfait, s’abstiendraient, comme vient de le faire la Gazette de Parme , de prononcer le mot de crime, et qui prépareraient une excuse aux assassins par une théorie officielle des transports irrésistibles. Non, ces hommes n’appartiennent pas à la faction rebelle, ils en sont éloi- gnés de tout l’intervalle qui sépare la loyauté et la félonie, la modération et l’emportement, la Confédération ita- lienne et l’absorption piémontaise. Ne devons-nous pas aussi mettre à part une autre classe d’hommes, bien qu’elle suive le char de la faction? Pie IX nous l’a indiquée lui-même dans une de ses allo- cutions, en parlant de ceux qui ne sont peut-être que misérablement trompés, qui ne savent ce qu’ils font(l). Nous avons, en France, l’expérience de soixante ans de révolutions ; nous avons pu remarquer, à diverses re- prises, surtout dans les rangs de la jeunesse, la contagion de cette ignorance fougueuse, de cette exaltation aveugle, suivie de tristes regrets quand le moment du vertige est passé. La chimère d’une Italie formant un grand Piémont, chimère assez semblable à celle d’une Allemagne deve- nue Prussienne, exerce sur de pauvres têtes une telle puissance de fascination, quelles voient tout dans ce rêve, excepté leur devoir. Ces réserves faites, signalons les principaux éléments de la faction. Nous pouvons y remarquer l’action de six principes divers : la haine de la Religion catholique, dont nous avons déjà parlé, l’ambition, la peur, l’absence du bon sens politique, le concours de tout ce qu’il y a de plus exagéré dans les anarchistes de l’Italie, et enfin les excitations d’un gouvernement qui a fomenté toutes les passions et organisé tous les désordres. Les ennemis jurés du catholicisme ont la haute main dans ce mouvement, parce que, personnifiant les ten- (1) Aberrantes, quorum forsitan aliqui misere decepti nesciunt quid faciunt. (Allocution du 26 septembre 1859.)] 18 . dances irréligieuses, et proclamant les doctrines politi- ques du moment^ ils résument en eux tout le parti, et le tiennent par ses deux principes. Ses chefs ont beau pro- tester, assez rarement toutefois, qu’ils sont catholiques : on juge de leurs paroles par leurs actes. En France, les fabricateurs du schisme de 1791 ont fait cent fois plus de phrases respectueuses envers l’Église. Mirabeau voulait qu’on plantât la croix sur la cime de tous les départe- ments, et il n’en disait pas moins à ses confidents qu'il travaillait à décatholiciser la France. Vient ensuite l’ambition qui s'agite dans tous les rangs et à tous les étages. Nous ne répéterons pas ici une vérité banale surles miracles de patriotisme qu’elle produit dans les temps de révolutionmous ferons seulementremarquer, sous ce rapport, un caractère particulier de la révolution que le Piémont a provoquée. Le droit commun y est l’a- grandissement des situations. Comment voulez-vous que des gens qui ont tout fait pour procurer à un gouverne- ment l’annexion d’une province, ne s’imaginent pas qu’il leur doit à son tour de leur annexer des places ? Leurs journaux qui en savent long lâ-dessus, s’évertuent à nous montrer une longue file de Fabricius et de Cincinnatus, qui se sont révélés tout à coup ; ils accusent d’être Au- trichien tout Français qui ose douter de tant de vertus ci- viques. Pauvresgens, s’ils croient que l’Europe les croit ! La peur, qui est une grande puissance dans les révolu- tions, exerce dans les Romagnes une influence que l’on peut mesurer d’après ce qui s’est passé chez nous. La France est une nation militaire, aguerrie aux troubles politiques, et pourtant, dans les premiers mois de la révo- lution de Février, les proconsuls envoyés dans les dépar- tements parvinrent à tenir sous le joug de l’intimidation une partie de la France. Qu'on se figure donc quel effet doivent produire sur des populations inhabiles à toute résistance, les dictateurs d’un parti bien organisé, escorté de baïonnettes piémontaises, et ayant pour arrière-garde 19 Vies vétérans de Mazzini. La crainte, nous dira-t-on, ne peut régner dans les Romagnes, puisque les gouvernants ictuels se montrent dévoués au maintien de la tranquil- ité matérielle. Mais une population peut être intimidée $ans que les meurtres et les dévastations soient à l’ordre (lu jour, et voici comment les choses se passent. Au-des- /sous des chefs qui publient des proclamations plus ou I moins rassurantes, il y a les subalternes qui propagent des menaces. Les premiers rédigent, dans leurs salons, des églogues constitutionnelles ; les seconds , mêlés à tous les rangs de la population , y murmurent autre chose. Les uns font, autant que possible, patte de velours aux yeux de l’Europe ; les autres, pénétrant dans l’inté- rieur des maisons, y montrent leurs griffes. Le plus ter- rible commissaire du Ministre de l'Intérieur en -48 fut moins effarouchant que ne l’est, pour les paisibles habi- tants des campagnes, le plus petit agent de police du dictateur de Bologne. L’absence du bon sens politique est aussi un élément de la faction. C’est un trait caractéristique de ses ora- teurs. Ces hommes-là, nous les connaissons en France depuis soixante-dix ans. Ils s’appelaient alors, mais avec un autre talentet une autre taille, Lameth, Duport, Target, d’Éprémesnil. Au lieu d’attendre le développement des ré- formes qu’avait entreprises le noble etgénéreuxLouis XYI, ils poussèrent, tout en se disant monarchiques, à la des- truction du pouvoir, et ils frayèrent à la France la route des abîmes. Ces hommes sont toujours nombreux au commencement des révolutions : nous les retrouvons à Bologne. Ils se jettent, tête baissée, dans les aventures et les catastrophes politiques. Leur constitutionnalisme imberbe rêve pour leur province un régime dont la France, instruite par une longue expérience de déceptions, s’est détachée. Dans toutes les contrées de FItalie, où il s'a- gite, ce parti a fait preuve d’un esprit malsain et d’un cerveau troublé. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la fa- 20 ineuse note du Moniteur , qui a essayé de lui faire enten- dre, en termes mesurés, qu’il a perdu la tête. Quant au concours, à la fois sympathique et calculé de tous les séides de l’anarchie, un mot suffit : Mazzini vient de délivrer à l’annexion un certificat de civisme. Mais ces divers éléments, quelque pernicieux qu’ils soient, n’auraient point produit les résultats dont nous sommes témoins, si des excitations externes ne les avaient mis dans un état de fermentation et d’incandescence, si une direction, partant de la même source, n’avait orga- nisé l’insurrection. Avant, pendant et après les actes de révolte, le Piémont a tout mis en œuvre pour les faire naître, les développer, les consommer. Au commence- ment, ses provocations directes, assez visibles à travers les nuages dont il les enveloppait, étaient une iniquité bien odieuse, mais plus ou moins voilée. Sa coopération offi- cielle par l’envoi de ses commissaires a été un mépris public du droit public. La sanction qu’il a donnée der- nièrement, comme une chose toute simple, méritoire, glorieuse, à la déchéance du Pape dans les provinces de la Romagne, est une énormité hors ligne, qui avait été jusqu’ici sans exemple peut-être dans les annales des sociétés chrétiennes. Qu’un roi, qui s’est emparé d’un pays par la force des armes et qui le garde pour lui, ré- ponde pardes paroles flatteuses aux adresses des nouveaux sujets, c’est ce qui s’est vu dans tous les temps. Qu’Une dictature révolutionnaire, qui se déclare en état de guerre contre toutes les monarchies, comme l’a fait en France la Convention, applaudisse publiquement à la destruction du pouvoir légitime dans les pays qu’elle a soulevés, cela s’est vu quelquefois. Mais qu’un gouvernement qui se dit monarchique accepte solennellement, à la face du monde, du haut d’un trône, l’acte qui prononce, à son profit, la déchéance d’un autre gouvernement avec lequel il est en paix, et dont il a promis de respecter l’indépen- dance ; qu’il félicite les auteurs de cet acte, qu’il les ca- S esse, qu’il les glorifie, qu’il les exhorte à persévérer, [u’il leur promette son appui dans les conseils de l'Eu- ope : nous ne nous rappelons rien de pareil dans l'his- oire des peuples civilisés. Si cette énormité pouvait pas- ser impunément, si, par impossible, elle venait à être sanctionnée, on serait tenté de se demander ce qu’est devenue , non plus la loyauté politique , mais la pu- deur sociale. On prétend justifier tous ces méfaits en les couvrant d'un nom souvent équivoque et souvent profané, le nom delà volonté nationale. En droit, nous nions le principe tel qu'il est présenté par les révolutionnaires ; en bonne lo- gique, nous nions que les deux gouvernements, qui met- tent en avant ce principe en faveur des insurgés bolonais, puissent l’invoquer sans se contredire; en fait, nous nions qu’il y ait eu à Bologne une expression de la volonté nationale, en tant que ce grand nom peut s’appliquer à de petites provinces. En droit, nous nions le principe tel qu'il est présenté. Sans doute, un gouvernement ne peut s’établir et se con- server sans un consentement du peuple gouverné : mais tout consentement humain , individuel ou collectif, a besoin d’une vérité régulatrice, qui constitue le titre ra- dical de sa légitimité. Si le consentement est droit, il ne crée pas cette vérité, il 11e fait que la proclamer; s’il est vicieux, tout ce qu’il entreprend contre elle est nul de soi. Dieu lui-même, dit Bossuet, a besoin d'avoir raison, et lui seul a par lui-même toujours raison. Est- ce qu'il ne peut y avoir, pour une ville, une province, un peuple, des moments de vertige, et la raison doit-elle alors adorer toutes les folies? Si un peuple, dit Rousseau, veut se faire du mal, qui est-ce qui a le droit de l’en empêcher? On lui a répondu : tout le monde. Nous ne traitons pas ici ce sujet ; nous disons seulement que présenter la volonté d'une population comme étant, dans tous les cas possi- bles, quelque chose d’essentiellement droit, irréforma- 22 ble, comme étant la règle des règles, devant laquelle toute intelligence, toute conscience doit se prosterner, c'est une superstition absurde, c’est un fétichisme popu- laire. En bonne logique, nous soutenons que les gouverne- ments, les hommes d'État, qui patronnent cette maxime en faveur de îa faction antipapale, n’ont pas le droit de la mettre en avant, qu’ils ne peuvent l'alléguer sans se contredire. Ces gouvernements sont le Piémont et l'An- gleterre. Le Piémont sait parfaitement que, si la Savoie était libre aujourd'hui, *elle serait française demain : se montre-t-il fort touché de ses vœux ? Il invoque, pour attirer à lui les États de la Péninsule, le principe très- élastique des aspirations nationales ; et ce principe, il le comprime, il l'étouffe chez un peuple qui, s'armant des doctrines mêmes proclamées à Turin, voudrait revendi- quer sa nationalité française. Le Piémont ouvre les bras aux insurgés de la Toscane, des Duchés, de la Romagne, én leur disant : Vous êtes Italiens, que votre volonté soit faite; et puis, se retournant vers les Savoisiens, il leur dit : Vous êtes Français, taisez-vous. Vérité au delà des Alpes, erreur en deçà. Les hommes d’État de l'Angleterre pérorent, quand cela lés arrange, sur le respect qu’un gouvernement doit aux aspirations, aux vœux d’un peuple : ils s’en moquent quand cela ne leur convient plus. C'est un argument qu’ils lancem dans le monde, ou qu’ils tiennent sous la remise, au gré de leurs intérêts variables. Comment l’Angleterre a-t-elle accueilli , dans le dernier siècle , la volonté nationale des États-Unis? Elle l’a reçue à coups de canon. Récemment, les îles Ioniennes ont exprimé le vœu d’être réunies à la Grèce ; elles ont prié le gouver- nement britannique d’être leur organe auprès des puis- sances signataires du traité qui avait accordé à l’Angle- terre le protectorat de ces îles. Ce vœu a été* exprimé of- ficiellement, non par une assemblée improvisée sous le 23 S oup d’une révolte, mais par les membres d’un parv- ient régulier, par les représentants légau^dupays, élus sous l’empire de la constitution existante : un mot, un seul mot de refus , froid , sec et dédaigneux , a été la ré- ponse de l’Angleterre. La volonté du peuple Indien, qui prétendait n’être plus exploité par un comptoir de mar- chands étrangers, s’est prononcée, ce semble, d’une ma- nière assez significative, et par malheur cruellement énergique. Les ministres anglais ont eu le droit de dire : ce sont des barbares, il faut les punir ; ils ont dit avant tout : il faut les dompter, ce sont des rebelles. Soit : mais leurs amis de Bologne sont- iis donc autre chose? Nous nions, en fait, qu’il y ait eu l’expression de la volonté d’un peuple. Cette volonté se manifeste par des votes libres : les votes ont-ils été bien libres entre la pression piémontaise et la menace d’être tenu pour sus pect? Cette volonté se manifeste par des signes authenti- ques. En matière d’élections, et surtout d’élections gé- nérales, le droit public prescrit des formalités^ des pré- cautions , des garanties protectrices de l’intégrité et de la sincérité du vote : ces règles, les ont-ils observées? Ils s’en seraient vantés, et ils ne l’ont pas dit. La formation des listes n’a été , de leur aveu, comme on le verra tout à l’heure, qu’une opération arbitraire. La volonté d’un peuple se manifeste toujours sous la condition d’un cer- tain nombre de dissidences, qui se produisent et parmi les électeurs et parmi les élus : l’histoire l’atteste, et la nature humaine l’explique. Cette condition aussi a fait défaut. Leurs journaux ont préconisé l’unanimité mathé- matique de leurs assemblées : les malheureux ! ils au- raient dû la taire. Comment n’ont-ils pas vu que c’est là le signe d’un parti qui obéit à un mot d’ordre ! La vo- lonté d’un peuple se manifeste surtout par la voie du suffrage universel. Il a été beau, leur suffrage universel ! Voici ce qu’on lit dans un rapport officiel adressé au dictateur Cipriani, et reproduit textuellement par les 24 journaux de la haute Italie et de l'Italie centrale : « Dans « toutes les provinces unies on dressa des listes, en con- tt fiant ce travail à la bonne foi d'amis probes et hon- « nêtes, auxquels il fut enjoint de le circonscrire princi- « paiement aux seuls centres populeux (1). » Ainsi, voilà des listes électorales dont la confection n’est confiée qu'à des frères et amis , et qui ont ordre de restreindre les élections à peu près aux seuls centres populeux , c'est-à- dire d’exclure, pour un motif ou pour un autre, la grande majorité du peuple. Tout cela est factice, fre- laté, mensonger, frauduleux. Il y a lieu de s’étonner que des journaux français, défenseurs du gouvernement im- périal, désignent tout simplement, sous le même nom de volonté nationale, ce qui s’est accompli en France et ce qui s’est tripoté dans la Romagne. Est-ce qu’ils ne sen- tent pas qu’un pareil langage semble abaisser le plus grand acte qu’une nation ait fait pour exprimer son opi- nion au niveau d’un escamotage politique ! Tels sont les principaux aspects sous lesquels se pré- sentent à nous les origines, les caractères et les actes de la faction qui a conspiré la ruine de la souveraineté tem- porelle du Chef de l'Église. Ce point de vue diffère assu- rément beaucoup de celui qu'une assez grande partie de la presse offre à ses lecteurs ; mais c’est pour cela même que nous avons cru à propos d’exposer franchement ce qu'elle dissimule, d’éclairer ce qu’elle cache. Nous croyons l’avoir fait sous la seule influence de la vérité et de la justice : ce qui n'empêchera peut-être pas bien des personnes de nous reprocher d'avoir franchi les bornes de la modération. A cet égard, tout dépend de savoir où il faut placer la borne, et tant qu’on ne prend pas la peine de prouver qu'elle doit être posée ici ou là, ce reproche (1) Per tutte le unité provincie, si diramarono le liste, raccomandan- do!e alla fede di probi ed onesti amici, ingiungendo loro di circoserivere principalmente Pazione ai soli oentri popoiosi. 25 / n’est lui-même qu’une récrimination arbitraire. Ce qui nous rassure, c’est que nos jugements les plus sévères sont renfermés, en substance, dans les Encycliques, les Allocutions du Chef de l’Église, et qu’ils ne sont qu’un simple développement de ses graves et solennelles paroles. Mais nous devons écarter un autre reproche qu’on ne manquera pas de nous faire. On nous dira que, dans nos accusations contre les révolutionnaires des États de l’Église, nous n’avons considéré qu’une face de la situa- tion actuelle, et qu’il en est une autre dont, pour être juste, il faut tenir compte. On nous représentera qu’il ne faut p^s attribuer uniquement à des passions mauvaises ce qui peut s’expliquer par des griefs réels, et qu’on peut ressentir vivement des sujets de plainte sans être ni impie, ni insensé, ni pervers. Nous répondons que nous n’avons nullement besoin d’apprécier ici ces griefs pour maintenir tout ce que nous avons dit. Supposons, par forme d’argument, que le ma- nifeste où ils sont exposés soit la vérité même, toute la vérité, rien que la vérité; que tout y soit présenté sous le jour le plus pur; qu’il n’y ait ni exagération, ni artifice, ni réticence : nous disons que , malgré tout cela , nous n’aurions rien à retrancher de nos accusations. Et, en effet, dans quels termes est posée actuellement la ques- tion ? Le manifeste dont il s’agit est-il un cahier de do- léances pour solliciter des mesures réformatrices? Non, il est un plaidoyer en faveur d’un attentat; il est l’œuvre d’une faction révolutionnaire, qui fait l’apologie de son existence. C’est sous ce point de vue qu’il faut le juger. Si ce parti avait suivi une marche régulière, s’il avait témoigné quelque confiance dans l’ascendant, graduel de l’opinion publique, s’il avait conclu , non à la légitimité d’une révolution, mais à la nécessité des réformes, ceux qui n’auraient pas été de son avis se seraient abstenus d’attribuer à des dispositions perverses une conduite que * 26 des sentiments honorables auraient pu expliquer. Mais a- t-il mérité cette explication? Au moment même où ses griefs, quant à l’extérieur, n'avaient plus de base par suite du traité de Villafranca, et où le Souverain exami- nait, de concert avec une puissance amie, ce que les besoins intérieurs de l'État pouvaient réclamer, ces hommes ont renversé , de fond en comble, le principe sur lequel repose l'ordre social , et brisé, par la force, les complications que la sagesse politique travaillait à dénouer. Eh bien! qu'on nous prouve que cette conduite est légitime, loyale, raisonnable; qu'on nous fasse voir une vraie proportion entre ce qu’ils ont fait et ce qu’ils disent, entre leurs attentats et leurs doléances ; qu’on nous démontre qu'ils étaient placés dans une de ces situations extrêmes, irrémédiables, où- une société peut se croire forcée de sortir des voies régulières afin de pourvoir à sa conservation. Tant qu'on ne nous aura pas fourni ces preuves , nous jugerons ces hom- mes , non d’après leurs plaintes , mais d'après leurs actes. Nous persisterons à attribuer leur conduite, non à des sentiments favorables à l’ordre social, mais aux principes désorganisateurs qui l’ébranlent et le ruinent; et si nous admettions leurs griefs, nous n’en serions pas moins en droit dé condamner les passions qui leur ont fait chercher à ces griefs un affreux remède. En un mot, leurs griefs pourraient expliquer des instances pour une réforme; leurs passions seules expliquent une révolu- tion. S’il y a, parmi eux, un nombre plus ou moins grand d’individus qui se soient fait illusion sur la culpabilité de leur conduite, c’est qu’il y avait au fond de leurs âmes des dispositions préexistantes qui ont été complices de cette illusion; c'est que leur volonté a été de moitié dans les éga- rements de leur esprit, et il ne faut pas oublier que, dans les temps de révolution surtout, il y a des erreurs qui sont des crimes. C’est une grande misère de ce temps, que cette facilité à plaider la bonne foi en faveur des révo- / 27 lutionnaires politiques. Est-ce qu’il n’y a pas aussi des convictions chez les révolutionnaires sociaux, chez les publicistes du communisme , qui trouvent mauvais un système fondé sur la transmission héréditaire de la! pro- priété, sur une distribution des biens de ce monde, réglée, non par la loi du mérite, mais par l’aveugle fata- lité de la naissance? Est-ce qu’ils n’ont pas déroulé une suite d’arguments si spécieux , que l’Académie des scien- ces morales et politiques s’est crue obligée de publier coup sur coup je ne sais combien de traités, pour dissi- per ou affaiblir l’illusion de ces sophismes? Qu’on y prenne garde : cette disposition à expliquer, par des con- victions sincères, ce qu’il y a de plus extrême dans les commotions politiques, le renversement du pouvoir, ne laisse pas que d’avoir des conséquences qui portent encore plus loin, et, avant de se laisser aller sur cette pente, il serait prudent d’attendre que la société ébran- lée fût tout à fait raffermie sur ses bases. Du reste, les avocats de l’insurrection bolonaise visent à autre chose quê ce qu’ils plaident. Les arguments con- tenus dans leur mémoire en* faveur d’une révolution dans la Romagne ont une portée plus vaste : ils seraient vala- bles, en grande partie, pour les autres provinces des États de l’Église, pour Rome comme pour Ravenne. Les con- séquences prévues de ce manifeste dépassent ses conclu- sions restreintes. Ce qu’il demande, c’est la soustraction d’une province à la souveraineté temporelle du Pape ; ce c^u’il veut, c’est l’anéantissement complet de cette souve- raineté. Personne ne peut s’y tromper : la séparation de la Romagne et son annexion au Piémont seraient les pré- liminaires d’une invasion que l’on se flatte d’opérer, sous une forme ou sous une autre, dans l’État Romain tout entier. Le but, c’est l’Italie soumise, avec Rome pour capitale, à un gouvernement qui serait révolutionnaire par son origine, anticatholique par son usurpation, et le ' manifeste , rédigé à Bologne ou dicté à Turin , n’est qu’une préface hypocrite du programme de Mazzini. Nous nous arrêtons, pressé par le temps , quoique nous ayons encore beaucoup de choses à dire. Que se- rait-ce si, au lieu de nous renfermer, comme nous avons dû le faire, dans l’État romain, nous portions nos regards sur ce qu’ont eu à supporter d’autres contrées de la Pé- ninsule? Mais , sans entrer à ce sujet dans des considé- rations politiques, qu’il nous soit permis, du moins, de protester contre l’indignité avec laquelle des hommes, qui sont plus que des insurgés , ont foulé aux pieds les sentiments qu’inspire la double majesté des grands sou- venirs et des grandes infortunes. La descendante de trente Rois, dans son berceau orpheline d’un père, et dans sa jeunesse veuve d’un époux, tombés tous deux sous le poignard des factions, avait, sous le soleil de l’I- talie, un coin de terre royale, où elle retrouvait une ombre de ses destinées évanouies, et où elle mettait tous ses soins à préparer à son fils un peuple heureux. Ils ne lui ont pardonné ni ses aïeux, ni ses vertus importunes, ni ses espérances. Ils ont été brutalement insensibles à tout ce qu’ils ont fait souffrir à la princesse, à la femme, à la mère. Ils n’ont pas su prétexter , au moins par pu- deur, que le sentiment était contraint de fléchir devant les duretés de la politique. Us n’ont pas pu trouver un mot de vénération et de compatissance dans un cœur qu’ils n’ont pas. Mais faut-il s’étonner que la faction in- grate, qui n’avait pas rougi de condamner à un exil forcé Pie IX, dont la clémence venait d’ouvrir à ses chefs les portes de la patrie, se soit moquée de l’émotion euro- péenne qu’a excitée le sort delà duchesse de Parme? Il y a des hommes qui ne respectent pas plus , chez les autres, la sympathie, qu’ils n’ont pu supporter en eux- mêmes la reconnaissance. Cette absence , ce mépris de sentiments qui ne sont jamais entièrement étouffés dans des âmes honnêtes est un triste présage pour l’Italie. Ce symptôme suppose bien 29 â'autres dégradations. Il ne se produit que là où le mal est déjà étendu et profond. Le dix-huitième siècle de la France passant au delà des Alpes , les doctrines qui ont préparé chez nous la démagogie et le socialisme accep- tées avec une imprudence aveugle ou une sinistre pré- voyance , l’irréligion enseignée au peuple, les droits sa- crés de la famille sur l’éducation envahis par l’État, les coups portés au principe de la monarchie héréditaire sur lequel repose l’ordre social européen, les attentats contre la grande et sainte institution qui constitue la liberté vitale du monde catholique, voilà les éléments du terrible orage qui vient de fondre sur l’Italie , et d’y creuser des abîmes. Gomment finira-t-il? Que sortira-t-il de ce chaos? Nous attendons la lumière , et nous conservons l'espé- rance. Nous ne saurions croire que le moment soit arrivé où la France , fille aînée de l'Église , sera impuissante à remplir la mission séculaire que Dieu lui a confiée dans l’intérêt du monde chrétien. Nous ne doutons pas , ainsi que l’a dit un de nos plus vénérables collègues , qui a donné le signal des protestations de l’Épiscopat (1), nous ne doutons pas de la sincérité des paroles de l’Empereur qui ont rassuré les catholiques, ni de la force des moyens dont il dispose pour en amener l’accomplissement. Nous prions Dieu de lui accorder une de ces inspirations qui font reculer le désordre , comme il lui en a déjà envoyé une qui a refoulé la guerre. Le moment est solennel et décisif. Deux cents millions de catholiques , disséminés dans toutes les contrées de la terre, ont les yeux fixés sur Rome et sur la France. Si la souveraineté temporelle du Chef de l’Église, sur laquelle s’appuie la liberté né- cessaire à l'exercice de son pouvoir spirituel , venait à (1) Monseigneur l’évêque d’Arras. (Note de Monseigneur l’évêque de Perpignan.) * On trouvera en appendice la lettre pastorale de Monseigneur l’évêque d’Arras à laquelle renvoie Monseigneur Gerbet. (Note des éditeurs.) / 30 être brisée ou mutilée, ils croiraient tous que Taxe de la situation religieuse et politique a changé. En attendant que l’issue se déclare , restons calmes , nous enveloppant de notre foi, nous retirant dans la prière. Dieu n’a pas donné aux événements de ce monde, qui nous affectent le plus sensiblement, le pouvoir de nous troubler dans cet asile. Est-ce beaucoup pour nous, catholiques, qu’un orage de plus dans une tourmente de dix-huit siècles? Nous croyons, d’une foi ferme et sur la parole de Dieu, que la papauté est la seyle puissance qui ait reçu la promesse de n’être pas vaincue par le temps. Nous savons qu’elle emportera avec elle, dans le cours de ses immortelles destinées, l’indépendance dont elle aura besoin. Un jour viendra où elle sera la survivante de toutes les choses agitées ou immobiles qui sont autour de nous. Les dômes de Bologne et de Turin auront été usés par les âges; les événements qui remuent l’Italie se- ront relégués dans un coin reculé de l’histoire ; la de- meure funèbre des princes de la maison de Savoie ne sera plus que le caveau infréquenté d’une race éteinte : alors, il y aura, dans la ville éternelle, un homme qui s’appellera le Pape, qui gardera le tombeau de saint Pierre et qui bénira le berceau de nouveaux peuples. Et quand, dans quelques moments de loisir, il se fera relire les annales du vieux temps, il distinguera à peine, parmi les flots des siècles, la vague d’aujourd’hui. Voilà les pensées où nos esprits se reposent au bruit de cette va- gue qui gronde. Nos ennemis, qui n’ont pas cette foi, nous l’envieraient, s’ils pouvaient comprendre la paix et la sérénité qu’elle nous donne au milieu de toutes les choses qu’ils troublent, et qui, par un juste retour, leur rendent, à eux, plus d’agitations qu’elles n’en ont reçu. C’est à vous surtout, ô Saint-Père, que cette paix ap- partient. Cette sérénité est une de vos vertus. Le monde le sait, et nous l’avons vu par nous-même. Lorsqu’il y a dix ans, nous eûmes le bonheur de recevoir votre béné- 31 diction, de recueillir quelques-unes de vos paroles sur le rocher de Gaëte, nous sentîmes, en vous écoutant, que les eaux de son port tranquille ne pouvaient jamais être aussi calmes que Fêtait votre âme. De nouveaux orages vous retrouvent inaccessible à ces tourmentes intérieures, qui sont, quoi qu'ils puissent dire, le partage des pertur- bateurs de Tordre et leur première punition. Vous res- sentez toutes les impressions de cette parole du Sauveur, non turbetur cor vestrum , parce que votre cœur est plus haut que votre trône, et qu’il se tient tout près du Dieu qui seul enseigne à souffrir. Vous êtes dans la paix, non pas seulement malgré vos tribulations, mais aussi à cause de vos tribulations ; vous goûtez ce bien-être surnaturel que le Christ dont vous êtes le Vicaire a renfermé dans sa croix, dont il vous a légué une si grande part ; vous savez jouir de vos souffrances. Pour nous, ô Père bien- aimé, nous aspirons à jouir des consolations que nous prions Dieu de vous accorder; nous aspirons à vous en donner autant qu’il nous sera possible. Les Évêques de France redoublent de vénération, d’obéissance, d’amour pour vous. La méchanceté de quelques-uns de vos fils produit un surcroît de piété filiale dans les autres parties de votre immense famille. Les liens qui unissent au Saint-Siège les églises des diverses régions du globe se resserrent de tous les efforts qui sont faits pour briser une souveraineté que toutes ces églises savent être le bras temporel de la Providence dans le gouvernement spirituel du monde. Vous êtes le seul Roi pour qui Ton forme des vœux jour et nuit, et maintenant avec une fer- veur croissante, dans les sanctuaires de l’Europe, les tentes de l’Orient et les huttes des tribus sauvages qui vous doivent leurs apôtres et leurs bienfaiteurs. Puissent les prières de la France, soutenues par cette prière uni- verselle, contribuer beaucoup à obtenir bientôt la fin de vos épreuves ! Fasse le ciel qu’à toutes ces souffrances, si dignement supportées, succède une longue suite d’an- 32 nées meilleures, où vous puissiez dire que, sauf des ves- tiges trop durables du mal qui a été fait, il ne reste plus, de tant d’amertumes, que le repentir dans le cœur de vos ennemis, et le pardon dans le vôtre ! FIN. \ / APPENDICE. LETTRE DE MONSEIGNEUR L’ÉVÊQUE D’ARRAS. Pierre-Louis Parisis, par la miséricorde divine et la grâce du Saint- Siège apostolique Evêque d’Arras, de Boulogne et de Saint-Omer, au clergé et aux fidèles de notre diocèse, salut et bénédiction en Notre-Seigueur Jésus- Christ. Nous devons avant tout, Nos Très-Chers Frères , vous expliquer com- ment nous ne promulguons qu’aujourd’hui ces paroles solennelles du Prince visible des Pasteurs , destinées par leur nature à être connues de tous les enfants de la sainte Église de Dieu. C’est à Paris, où nous avait appelé la session du Conseil impérial de l’instruction publique, que nous avions préparé le Mandement qui devait accompagner cette promulgation prescrite, et comme l’impression de toutes nos communications au diocèse se fait dans notre ville épiscopale , il en est résulté des retards durant lesquels furent annoncés d’abord l’armistice, puis f la paix, et l’on jugea que ces événements subits, en changeant la situation des choses , ôtaient toute opportunité au Mandement et même à l’Encyclique. On pouvait croire , en effet , que les désordres, dont le Saint-Père se plaignait à si juste titre, étaient occasionnés uniquement par l’effervescence que communique toujours une grande guerre aux pays qui en sont le théâ- tre, et même aux contrées voisines. Cette circonstance semblait tout ex- pliquer, et il nous était facile de comprendre qu’au milieu des innombra- bles préoccupations qu’exige le commandement en chef d’une grande armée conduite si rapidement à des batailles effroyables et à des victoires gigan- tesques, on ne pouvait pas, de quelque génie que l’on fût doué, toujours tout prévoir ni tout contenir au loin. Yoilàce nous aimions à nous dire. La guerre étant donc terminée, et le résultat ordinaire de la paix étant de tout faire rentrer dans l’ordre , puisque le désordre , c’est encore la guerre, nous devions croire que les provinces soulevées contre l’autorité temporelle du Souverain-Pontife reviendraient à l’obéissance qu’elles lui doivent, que la puissance à laquelle le Saint-Père attribue surtout ces agi- tations serait obligée de suivre une autre voie, et qu'ainsi, les plaintes ex- primées dans les Lettres encycliques du 18 juin n’ayant plus d’objet, il n’y aurait plus lieu d’ordonner à cette occasion des prières spéciales. Yoilà pourquoi nous avions attendu. Mais, à notre grande douleur , des espérances si naturelles et si fondées se trouvent déçues. Loin de se calmer, l’insurrection de ces provinces, dé- pendantes de l’autorité pontificale, continue, s’accroît et comble la mesure. A la révolte on ajoute l’outrage; on cherche à couvrir l’ingratitude par les accusations les plus injustes et par les plus odieux mensonges ; on repré- sente comme tyrannique et comme incapable le gouvernement le plus sage et le plus paternel , et dans des assemblées dont il est impossible , sous aucun rapport, de reconnaître ni la compétence ni la légitimité, on pousse l’audace jusqu’à prononcer la déchéance de la puissance souveraine la plus ancienne et la plus sainte qu’il y ait au monde. Or, remarquez-le bien, N. T.-C. F., ce qu’il y a de plus triste dans ces coupables égarements, ce ne sont même pas les atteintes portées aux droits temporels du Saint-Siège, quelque criminelles et maudites qu’elles soient ; ce sont les pensées malveillantes, ce sont les sentiments hostiles répandus, fomentés, et, pour ainsi dire, naturalisés pour la première fois, dans ces populations chrétiennes, contre le Chef de l’Eglise, qu’elles étaient ha- bituées à vénérer non-seulement comme la plus haute puissance humaine , mais comme le dépositaire auguste et suprême de la puissance de Dieu. On se demande avec effroi ce que pourront respecter des peuples catho- liques qui auront été dressés à braver et à bafouer un tel Souverain # et comment il sera jamais possible d’établir un gouvernement quelconque dans ces belles provinces de l’Italie , quand on les aura enivrées de toutes les folies de l’insubordination, de toutes les passions de la haine et de toutes les joies infernales du sacrilège. Ce qui ajoute encore à notre tristesse et à nos alarmes à la vue de la décomposition sociale qui s’opère en ce moment dans ces contrées si com- blées des bienfaits du Ciel , c’est que, par une coïncidence malheureuse, elle se rattache malgré nous à la gloire de nos armes, puisqu’une guerre entreprise avec un noble désintéressement , pour donner à cette brillante partie de l’Europe une organisation plus en rapport avec certaines idées modernes, n’y aurait produit jusqu’à cette heure qu’une désorganisation où tous les calculs se perdent, et puisqu’une paix, qui, par une de ses clau- ses fondamentales, tendait à mettre comme un rayon de plus sur le dia- dème pontifical, a été suivie d’un redoublement d’outrages, de trahison et de blasphèmes précisément contre cette couronne trois fois bénie. Assurément, nous n’en croyons pas moins à la droiture des intentions et à la sincérité des paroles; aujourd’hui, comme il y a quatre mois, nous sommes bien sûr que la France n’est pas allée en Italie pour *omenter le désordre, ni pour ébranler le pouvoir du Saint-Père, qu elle avait replacé sur son trône (1), et nous espérons toujours fermement que cette parole souveraine triomphera tôt ou tard des obstacles qui s’opposent à son entier accomplissement. Mais enfin ces obstacles subsistent, puisque les affaires ont marché dans un sens tout contraire et que la sagesse humaine est aux abois. Or, tant qu’ils subsistent, le mal se fait, les esprits se pervertissent, le respect de (i) Proclamation du 3 mai.