:0 - cSiliJ \/m. Kx^ xHS^^^ .^ W^%\ ':^mi, ^^fea.^. '^m'^tmm JSaint >mmmmm xf^tm Berrf)man0. par le Chanoine A. J, D O C^ t^ -^^'^ Professeur a I'Universite Catholique de J-ouvain, ^ SECONDE :^DITION. 1^ -K5^ COLLECTION HISTORIQUE. -f©^-. q I Hoctete oe BaintJlnsnstin, i I ^; DESCLEE, DE BROUWER et O^, ^ " _-. I Imprimeurs des Facultes Catholiques de Lille. LILLE ET BRUGES. i8&g. ^ES^^SSSS^ IB., / bi>6TON COLLEGE UBRAK^ CHESTNUT MILL. MASS ■E lo avril 1875 s'endormait doucement du sommeil du juste un des professeurs les plus almes de TUniversite catholique de Louvain. La penetration et la finesse de son esprit, revetu parfois d'une teinte d'originalite naive, I'amenite de son caractere, la bonte deson coeur qui ne connut jamais ni le ressentimentnila vengeance, son exquise delicatesse, son attention a ne blesser personne, la purete de ses moeurs sacerdotales et son exactitude scrupuleuse a remplir les devoirs du pretre lui avaient gagne I'estime generale et la sympathique affection de ses collegues et de ses eleves qui admi- raient la clarte et la methode de son enseignement, la purete et I'elegance de sa parole et I'art particulier qu'il possedait d'exciter et de soutenir I'attention. Quoique doue de toutes les qualites qui donnent du succes dans la societe, M. le chanoine Adrien Joseph Docq — c'est de lui que nous parlons — aimait la retraite et y vivait, partageant entre I'etude et la priere le temps que n'absorbaient pas ses legons. Mis des le debut de son sacerdoce en contact avec la jeunesse, il I'avait constamment aimee et s'en etait fait aimer. Com- ment en eut-il ete autrement ? II avait toutes les qua- lites qui subjuguent lecoeurdujeunehomme eten retour la jeunesse avec son entrain joyeux, son activite re- muante, sa spontaneite intelligente, genereuse et sans calcul devait plaire a une ame comme la sienne, enne- S. JEAN liERCHMANS. , AVERTISSEMENT DES ^DITEURS. mie de I'artlfice et toute devouee au bicn. Aussi la jeunesse fut-elle I'objet constant de sa sollicitude et 11 a pudire avec verite qu'il n'a connu qu'elle en sa vie. Les devoirs du professorat I'obligeaient de se consa- crer principalement a I'etude des sciences physiques. Ses le9ons comme ses publications prouvent qu'il s'y livra avec succes. Mais son ame sacerdotale compre- nait qu'a I'age ou les passions bouillonnent il faut autre chose que la science pour maintenir le coeur pur. D'ailleurs les sciences physiques sont belles sans doute ; scruter la nature et lui arracher les secrets qui changent le monde, comme la fait notre siecle, c'est beau, c'est ravissant, nous en convenons ; neanmoins si la science reste dans la matiere sans s'elever plus haut, elle finit par fatiguer I'esprit et dessecher le coeur. Le sel beni de la piete la preserve de la corruption du materialisme et I'empeche de s'affadir. Mu par ces pensees, I'auteur, comme il le dit lui- meme, a ecrit pour la jeunesse le livre que nous edi- tons. Voici a quelle occasion. Le 13 aoCit 1865, la ville de Diest celebra par de splendides fetes religieuses la beatification r^cente d'un de ses enfants, saint Jean Berchmans . L'auteur fut au nombre des nombreux pelerins qui visiterent Diest ce jour-la et eurent le bonheur d'etre admis dans la chambre trans- formee en sanctuaire ou le Saint naquit et passa les ann^es de son enfance. La solennite de ce jour impressionna profondement cette ame sensible aux beautes du culte et renllamma d'une ardente devo- tion en vers saint Jean Berchmans. En scrutant les profondeurs de la belle ame du saint enfant de AVERTISSEMENT DES ^DITEURS. Ill DIest, II se sentait devenir meilleur an meme temps qu'il trouvalt pour les jeunes gens, objet constant de ses preoccupations, un modele de leur age et de leur condition, une figure qui n'a pour eux rien de trop austere et une vie qui n'a rien d'inimitable. II resolut des lors de proposer saint Jean Berch- mans a rimitation des jeunes gens en tirant de sa vie des enseignements adaptes a leurs besoins et destines a former leur coeur a la vertu. De la est ne I'ouvrage qui volt maintenant le jour. L'auteur y a travaille depuis 1865. On ne s'etonnera pas qu'il y ait consacre un si grand nombre d'annees, si Ton considere qu'il fut souvent force par ses devoirs de I'interrompre et qu'il mettait un soin infini a son travail, surtout aperfection- ner la forme. Car 11 observait rigoureusement le pre- cepte du poete : Vingt fois sur le metier remettez votre ouvrage, Polissez-le sans cesse et le repolissez. II avait ecrit les premieres lignes du dernier chapitre lorsqu'un mal impr6vu paralysa soudain ses forces et sa memoire. C'est ce qu'il a ecrit lul-meme sur son lit de mort d'une main defaillante en ces termes : « Ces pages etaient ecrites le soir, quand subitementle matin le mal m'a atteint. Le Seigneur, plein de grace et de verite, venait eprouver celui qu'il aimait. Car c'etait vous, c'est bien vous, 6 mon DIeu, qui etiez la. Vous avez d6couvert en moi de sots calculs et de folles illu- sions... J'aldit a la mort: Vous etes ma sceur. » Pendant sa longue maladie, 11 fut constamment preoc- cupe de son ouvrage. A diverses reprises, 11 essaya IV AVERTISSEMENT DES l^DITEURS. d'achever le dernier chapitre ; mais la faiblesse ne lui perinettant pas uii travail soutenu, il dut se resigner. Persuade cependant que son ouvrage pouvait etre utile, il a, dans son testament, charge trois de ses amis de le publier et d'achever les dernieres pages. C'est cette volonte sacree des mourants que nous executons aujourd'hui. Nous avons la confiance que ce livre plaira a la jeu- nesse et fera du bien, si Dieu daigne lui donner cette benediction penetrante sans laquelle la parole humaine, meme la plus eloquente, n'est qu'un vain son et une cymbale retentissante. T. J. Lamy, professeur a la faculte de Theolog'e. F. J. M. Lefebvre, professeur k la faculte de Medecine. F. J. Lefebvre, professeur a la faculty de Philosophie et Lettres. Louvain, le i6juillet 1875. N. B. En pub Hunt celte seconde edition^ nous nvons cm tie devoir y tien chaui^er, smif P expression de Bienheureu.v en celle de Sain/. Les IEditeurs. B: Saint Josept). GRAND SAINT ! y£ depose Immblement ce livre a vos pieds.vous p riant de le bdniret de le faire servir a la gloire de Dieu. /e l\iL compost en mSditant lea premieres pages de la vie de saint Berchma^is, votre enfant prot^gd, qui a ddclar^ li avoir demands anciine grace sans robtenir a partir dn moment oil il vous a choisi pour etre son avocat aupres de Dieu {'). En scrutant les profondeurs de sa belle dme, il me semblait queje croissais en sagesse et j dprouvais le ddsir de partager mon bonheur. fai done pens^ a la g^ndration qui grandit a cot^ de moi, et je me suis surpris a dire : « Pauvres adolescejits ! ils sont a I age de la grande hUte qui d(^cidera de leur vie, de leur mort et de leur ^ternit^. La plupart sans doute ont gardd la foi de leur bapteme et la charitd de leur premiere Communion ; mais au fond d eux-inemes fermentent mi lie germes dont riieiLre est venue, germes de vices et germes de vertus, douds, dujte meme vitality, et se disputant, avec tme avidity dgale, l' empire de leiir cceu-r. Au dehors regnent les sophismes de I'erreur, le souffle impitr du monde et le I. Egli stesso afifermava di non avergli mai chiesta gratia veruna dopo che I'aveva preso (S. Giuseppe) per avvocato, che non I'avesse ottenuta. Vita del Beato Giovaiuii Berclunatis della ciDupagJiia di Gesii serif ia dal P. ViRGlLlO Cepari della medesima compagnia. Edizione corretta e accresciuta, Roma coi tipi della Civiltdcattolica 1865 (p. 136). VI A SAINT JOSEPH. froiddela moi't. Qui les gardera du mat qui les ^treint et les pdneti'e ? Oh ! il leur faut un guide et tui pj^otec- teur. Or voici que Jean BercJimans leur est donnd. lean Bei^chmans ! il etait hier ce quils sont aiijourd'hii, il vient a eux comine un des leurs, par la naissance, par I' age, par la condition. S a figure na rien d austere, sa vie rien diniinitable. II a niarchd avec 7tn doux courage ct tin bonheur visible dans les sentiers qui nienejit selon la vdritd et qin dloignent de la contagion. Alt / si le Seigneur misdricordieux uiaccordait le temps pour Ntudier, lapdndtration pour ddcouvrir les secrets de son intdrieur, le talent pour les /aire connaitre, et,pardessus tout, la grace pour amener et attacker les esprits a son esprit et les cceurs a son coeur ! » Puisjajoutais, songeant toujours a la jeunesse, parce que je nai connu quelle en ma vie : « Tous nont pas gardd intactes leur foi et leurs moeurs. Plusieurs ont failli, mais ils luttent encore. lis luttent, mais ils luttent en hdsitanl. La vdritd et la vertu continuent a leur sourire et a leur plaire, mais I'erreur et le vice les sdduisent et les entrainent. Les malheureux I ils ont I' dme partagde et ils subissent le supplice de rinddcision : semblables au malade qui sagiie sur son lit de douleur et ne salt, ni prendre le baume de vie sans faiblesse, ni regarder la mort sans horreur. Pourtant, si eux aussi allaient a Idcole de Berchmans, ils sentiraient bientot se ranimer, aux ardeurs de sa cliaritd, leur charitd qui languit, et, aux clartds de sa foi, leur foi qui s dteint I » Etfai dit encore : « Peut-ctre plusieurs sont r dso he- me nt descendus dans la fange de Baby lone, et y louent, dans une ivresse sacrilege, des dieux d'un jour. Ah I a A SAINT JOSEPH. VII ceux-ld meme la figure d'lin saint et la voix die Seigneur qui brise les cedres apporteraient remords et bonhenr. Elles leur rappelleraient, comme les caracteres mystd- rieux apparus a Baltkasar et a sa cour ('), que les jours sont coniptds et que la balance incline. Et leur Amotion serait salutaii'e, car sils sont coupables ddj'd, ils ne sont encore ni endurcis, ni abaiidonnds, ni viaudits. » Mu par ces pensdes, fai 7nend ce travail a sa fin. Souvent 7ues devoirs ni ont forcd d [ interronipre ; quel- quefois mime ils niont invito d I' abandonner ; car ma vie est d Dieu et d cetix d qui il ma donne ; elle ne m appartient pas. Mais serais-je coupable pour avoir pris sur elle un peu de temps, pour 7n amdlio7'er moi- meme et pour jeter ensuite dans la meUe oil combattent ceux quefaime, quelques paroles ferventes de salut, ent7'e mille formules firoides et stIi 1572); Louis Bertrand conquiert I'esprit d'oraison et pratique les plus sublimes vertus sous la discipline et le cilice (^ 1580); Charles Borromee apparait comme un nou- vel Esdras, envoye de Dieu pour relever les ruines de son temple, ressusciter la grace du sacerdoce, et rallu- mer les flammes de la charite tendre dont les premiers Chretiens etaient embrases (►I^ 1584); Louis de Gon- zague associe a I'innocence la plus rude penitence, et il rend, bien jeune encore, sa belle ame a Dieu (1591), laissant apres lui des souvenirs que benira la jeunesse chretienne de tous les ages ; Pascal Baylon vit et s'eteint (1592) dans la suavite de la sainte pauvrete; le sang des chretiens coule dans rExtremeOrient{i596) et une premiere execution y couronnevingt-quatre mar- tyrs; Fran9ois de Sales evangelise le Chablais, repan- dant le parfumdelaplusdoucepieteau milieude I'heresie qu'il desarme et arrete; Vincent de Paul s'exerce a la pratique des vertus qui vont faire de lui le modele des pretres en meme temps que la providence de tous les malheureux; Jean Berchmans nait, le siecle finit, et, d'apres les recits du temps, pres de trois millions de pelerins s'acheminent vers Rome, malgre les clameurs des sectaires, pour y gagner I'indulgence du Jubile de I'an 1600. Durant cette periode de quatre-vingts ans, qui pre- cede I'heure ou Jean Berchmans voit le jour, nos pro- vinces eurent a subir une longue serie d'epreuves et de I. Leonard Vechel regut la palme du martyre le iour ou il devait, k Louvain, subir I'^preuve de la licence et recevoir la palme de la science. {Ibid., p. 57.) lO SAINT JEAN BERCHMANS. malheurs. L'heresie naissante n'y etait pas une pure et froide speculation. Elle se traduisait en actes d'insubor- dination et de violence, elle se livrait a des exces et a des cruautes dont le seul recit fait fremir, elle ebran- lait la societe jusque dans ses fondements. Son but avoue etait: la reforme des abus, I'independance de la raison individuelle, une morale accommodante, un dogme simplifie, mal defini, arbitraire; son but veri- table: la licence effrenee, la spoliation, la destruction de toute autorite; ses moyens: le masque du patrio- tisme et de la liberte, la calomnie, les emeutes, I'in- cendie, la terreur. Les circonstances conspiraient avec elle. Le peuple subissait avec depit la domination etrangere. Des edits impopulaires, la presence des soldats espagnols, des impots nouveaux entretenaient une fermentation aigre, aussi favorable a I'irreligion et a la licence qua I'indis- cipline et a la revoke. D'un autre cote les sectaires et les rebelles confondaient ou feignaient de confondre, comme une meme cause, la cause de la religion et la cause de I'etranger, de maniere a les faire envelopper dans une meme haine et a les perdre a la fois I'une et I'autre et I'une par I'autre. Un ambitieux, Guillaume de Nassau, surnomme le Taciturne, aida puissamment, par ses desseins secrets, a entretenir cet etat des esprits. Actif, hypocrite, emi- nemment habile a profiter des evenements, a inventer des pretextes, a choisir des complices, a se servir de dupes, il employa vingt-neuf annees a rendre Philippe 1 1 odieux et impuissant, a se preparer le pouvoir au sein de la defection et de Tapostasie. Son fils Maurice acheva I'oeuvre commencee. De ce concours de causes malheureuses. resulta pour L I^GLISE EN CE TEMPS-LA. I I le pays une longue suite de calamites et d'exces, sur- tout apres la retraite de Charles V en un monastere de TEstramadure et jusqu'a la fin du siecle. On vit alors: I'heresie penetrer dans nos provinces par le levant et le midi (1560); la cupidite et Tambition s'op- poser a I'erection de nouveaux eveches (1560); la calomnie ehontee rendre suspect et finir par ^carter le chef de I'Episcopat (1564); I'autorlte perdre tout pres- tige et toute force; les dignites ecclesiastiques traitees comme chose venale et la justice mise a I'encan. On vit les huguenots et les protestants excitant a la sedi- tion en meme temps qu'ils prechaient I'erreur (1566); des bandes de forcenes, dociles a leur voix, pillant et profanant les abbayes, les couvents et les eglises dans presque toutes nos provinces (1566); un ramassis de forbans, remontant I'Escaut et portant la torche incen- diaire dans les monasteres et dans les fermes (1572); puis, surprenant Brielle, et y devenant les hideux executeurs des martyrs de Gorcum (1572). On vit, dansle Brabant, la soldatesque, mutinee faute de solde, piller les bourgs et les villages (1576); a Maestricht et a Anvers, cette meme soldatesque se venger de I'edit de proscription porte contre elle (1576), par la devas- tation, I'incendie, le tranchant des armes et les noya- des; a Gand, une faction republicaine flatter et laisser faire, le meme peuple embrassant la reforme pour spolier les lieux sacres (1577) ; sur les bords du Demer qui virent naitre Berchmans, les environs de Diest desoles par les allees et les venues des troupes, et par une tourbe de voleurs et d'assassins marchant a leur suite (1578 et annees suiv.) ; Sichem en feu, sa garnison infidele tuee, pendue ou noyee (1578) ; la m^me ville reprise ensuite et reduite en SAINT JEAN BERCHMANS. cendres (') ; enfin, Montaigu surpris et brule par des rebelles accourus de Breda et de Berg-op-Zoom, sa Madone devenue I'objet d'investigations sacrileges que la piete des fideles dejoua, et son sanctuaire livre aux flammes, que Dieu rendit impuissantes (1604) ('). Et pourtant tout n'etait pas perdu. Le peuple, en grande partie, etranger aux intrigues et a la cupidite coupable, gardait precieusement le tresor de la foi et lespreceptes de la morale. II savait qu'il faut, comme le Christ, boire I'eau amere du torrent pour lever ensuite la tete et etre eleve dans la gloire ('). Courbe douloureusement pour laisser passer I'orage, il suppliait le Seigneur dont I'esprit doit renouveler la face de la terre, et il implorait I'intercession de Marie, consola- trice des affliges. Les pelerins affluaient pieusement a tous les sanctuaires de la Mere de Dieu : a Tongres, a Montaigu, a Hanswyck, a Laeken, au Sablon, a Hal, a Cambron, a Chievres, a Lede (^). Marie, puissante et terrible comme une armee rangee en bataille {^), a prie avec les humbles, et I'erreur n'a pu forcer la ligne de ses sanctuaires. Meme les perse- cutions ne firent qu' echauffer les coeurs des croyants, car, pour Dieu et pour les siens, I'obstacle devint moyen. On I'a vu toujours : plus est sinistreet mena- gant I'aspect de I'humanite, plus la figure du Christ s'en detache aimable, radieuse, manifestement divine; et I'histoire des epreuves de son Eglise ne fait, dans les grandes ames, que corroborer la foi, epurer la charite, 1. Numan, Histoire des miracles adveniis h V intercession de la glo- rieiise Vi.rge au lieu dit de Montaigu. Bruxelles, 1613, chap. IV, cah. 42. 2. Numan, cah. 11 et 83. — 3. Ps. cix. — 4- Numan, cap. II. — 5. Paroles du Cant., vi, 9. dans V Office de V Assoniption. l'^gltse en ce temps-lA. tremper les caracteres et attirer tout vers le divin cru- cifie. Eh bien! ce fut la page de cette histoire retracee plus haut, que Jean Berchmans apprit en entrant dans la vie. II put la lire dans des ruines encore fumantes autour de lui, il la connut par des temoins oculaires, et, sans nul doute, il I'entendit rappeler bien des fois, avec de saisissants details, au foyer de ses pieux parents. Quelle influence ces temoignages vivants de drames lamen- tables durent avoir sur son excellent coeur, sur son esprit precoce et eleve, sur ses premieres tendances et ses premieres volontes ! Qui ne se souvient, s'il a cin- quante ans, de I'effet puissant produit sur toutes ses facultes, par les recits des hommes qui avaient vu quatre-vingt-treize ? Or, ces premieres aspirations du jeune Berchmans, ce travail naissant de sa pensee, ces elans secrets de sa volonte, on peut les entrevoir dans les premieres mani- festations de sa belle ame, et, ces manifestations, Dieu en soit loue ! I'histoire les a conservees. II faut les apprendre, et sans plus tarder. Ctjapttre tieuneme PREMIERES ANNEES DE JEAN BERCHMANS. m^^'W^^'m'- I. Lecture: PREMIERES MANIFESTATIONS DE SA BELLE AME. « Cum adJnic junior esscDi, quae- i sivi sapie7itiani palam in oratione inea. Ante tempi iini posticlabam pro ilia... et efflornit ta/nquam praecox nva. » Lorsque j'etais encore jeune, j'ai recherche publiquement la sagesse dans ma priere. Devant le temple je priais pour I'obtenir... Et elle a fleuri comme una vigne precoce. Eccl.AA. 1 8. ||N raconte de Jean qu'il ne pleura jamais dans son enfance, meme lorsqu'il avait la tete et la figure recouvertes de rugo- sites douloureuses, et que jamais il ne fit peine, ni a sa mere, ni aux autres personnes qui I'ele- vaient : ce qui peut etre regarde comme un indice de I'extreme douceur de son caractere. « Ses parents commencerent a I'envoyer al'ecole lorsqu'il n'etait qu'un petit enfant, afin que, comme ils lui avaient inspire la devotion et la piete chretienne, le maitre de son cote lui enseignat, a I'ecole, la lecture et les premiers principes de la grammaire. II n'avait pas plus de sept ans quand sa grand'maman, ayant remar- que qu'il se levait de tres bonne heure, lui demanda pour quelle raison il etait si matinal.Et il repondit avec candeur : Afin de reussir a bien apprendre, je sers deux ou trois messes avant I'ecole. « Quoiqu'enfant, il s'abstint toujours, comme un autre Tobie, de faire quoi que ce soit depueril. Quand il retournait de I'ecole et qu'il frappait a la porte de sa SAINT JEAN BERCHMANS. 1 5 malson, si on ne lui ouvrait pas a I'instant, il ne faisait pas de bruit comme les enfants en ont Thabitude, mais il se rendait dans une eglise volsine avec la gravite d'un age avance, et la il se mettait a reciter le chapelet ('). «Lorsqu'il avait huit a neuf ans, sa mere etant tombee dans une infirmite qui dura pendant de longues annees, il se mit a la consoler, avec tant de resolution, et par des paroles si affectueuses et si agreables qu'il causait aux personnes qui I'entendaient un etonnement qui les mettait hors d'elles-memes. « A dix ans, I'enfant etait d'une beaute et d'une grace incomparables, et il avait tant d'affabilite avec de si belles manieres que les personnes les plus honorables le demandaient a son pere pour le retenir dans leur famille. Et, soit que ce fut instinct naturel ou vertu chez ce tendre enfant, il ne permettait alors a personne au monde de le toucher, pas meme pour reparer les vetements qu'il portait » « II ne sortait de la maison paternelle quequand ses devoirs d'etude ou de piete I'y obligeaient ; et Ton peut dire avec un de ses maitres, qu'il etait aussi rare de le voir dans la rue que de ne pas le voir a I'eglise (^). « Confie par son pere a un autre maitre (^), il fit de 1. II se retirait dans I'eglise la plus voisine, s'agenouillait devant une statue de la sainte Vierge et recitait pieusement jusqu'k cinqou six chapelets de suite. (Vanderspeeten.) 2. Nusquam saepius quam in templo, nusquam rarius quam in plateis. Sum III., p. 46. § 85 ; Vanderspeeten, p. 5.) 3. A Page de onzeTiws, il fut confie par ses parents a un nouveau pro- fesseur, Walter van Stiphout... Ce fut sous sa conduite que le Saint com- menqa les e'tudes latines. Au temoignage de ce maitre, il y fit desi rapi- des progres qu'il eut bientot laisse derriere lui ceux qui I'avaient precede dans la carriere. (Et en note) : Dans les anciens comptes de la ville de Diest on lit la note suivante : (( RI. Wouler Van Stiphout die aengeno- men is om rectoir te syn van der schole alhier den tyt van sesse jaeren waervan dierste begonst is te Jansmisse 1610 om en voor ij^ g. s'jaers (Registre 238, p. 81 v°. » (Vanderspeeten, p. 5.) 1 6 SAINT JEAN BERCHMANS. tels progres dans la grammaire qu'en peu de temps il devanQa ses egaux etrejoignit ceuxquietalent beaucoup plus avances que lui en age et en connaissances. II lui suffisait d'avoir une seule fois entendu ou lu une chose pourlaretenir en memoire et pouvoir la reciter. Aussi son maitre lui portait une grande affection ; il le pronait comme un prodige et il le proposait pourexemple aux autres. « II en fit un jour tant d'eloge a son pere qu'il le combla de joie ; et celui-ci, apres ce rapport si avan- tageux, obtempera au desir de son enfant en le revetant de I'habit ecclesiastique et il le pla^a en pension chez le Reverend Pierre Emmerick, religieux Premontre, alors cure de Sainte-Marie a Diest, lequel tenait un certain nombre de pensionnaires en sa maison. II I'y laissa pendant trois ans. » O saint enfant ! redire vos actions, c'est peu, Je voudrais davantage. Je voudrais avoir le fond de votre ame ; surprendre dans vos demarches, ses elans ; dans vos paroles, ses pensees ; dans chacune de vos oeuvres, son abandon au moteur qui la sollicite. Je voudrais plus encore : je voudrais contempler en vous la lumiere invisible qui eclaire vos pas, le rayon d'en haut qui echauffe votre cceur ; I'esprit qui repand en vous cette vie interieure, secrete, profonde, puissante, qui me saisit d'etonnement ; enfin I'ceuvre ineffable de Dieu, qui habite et opere en votre ame comme dans son temple de predilection. Si vous m'obtenez ces faveurs, 6 bienheureux, je vous en demanderai de plus grandes encore ; car je me souviens de la parole du grand apotre (') : « Quand je I. /Cor.,xui, 1-2. TREMlfeRES MANIFESTATIONS DE SA BELLE AME. I 7 parlerais la langue des anges, si je n'ai pas la charite, je ne suis que comme un airain soiinant et une cym- bale retentissante Quand je penetrerais tous les mysteres..., si je n'ai pas la charite, je ne suis rien. » J'ajouterai done, 6 protecteur bien-aime : Mettez en mon ame une etincelle du feu qui vous consumait et gravez en moi un trait de votre belle figure. Qu'en vous etudiant, je cherche a vous imiter ; qu'en reconnaissant le doigt de Dieu dans vos oeuvres, je reporte jusqu a Lui le tribut de mon admiration, les accents de ma reconnaissance et I'encens de ma priere. Et que je ne retienne au fond de moi et pour moi, que -ette conclusion que je tiens du Christ : Je suis un ser- uiteur inutile, je n'ai fait que ce que je devais faire ('). Quelle page que la premiere page de la vie de Berchmans ! Quelle page et quelle le9on ! En la lisant, je croyais recevoir de notre Saint, comme du pieux auteur du livre de I'Ecclesiastique, ce temoignage et ce grand enseignement: « Lorsquej'etais encore jeune, j'ai recherche publiquement la sagesse dans ma priere. » Admirable enfant ! il n'est qu'au seuil de la vie, et ce que je surprends en lui : dans son maintien, c'est la gravite ; sur seslevres, la priere ; dans ses demar- ches et sa conduite, les exemples des plus grands ser- viteurs de Dieu. Comme le jeune Tobie qui fuit les veaux d'or pour aller adorer le Seigneur d'Israel, il aime a se derober a ses compagnons et a ses jeux pour se retirer devant les autels, en presence de Dieu ('). I. « Cum feceritis omnia quae prsecepta sunt vobis, dicite : servi inutiles sumus : quod debuimus facerefecimus. » {Ltcc, xvil, lo.) 2. {Esech., xxxni, 11.) LA DliCH^ANCE. c'est apres avoir creuse dans la terre ingrate, seme dans la peine, attendu dans les angoisses, et recolte a la sueur de son visage. S'il protege de vetements sa nudite et sa vie, c'est aux animaux que lui, leur roi, les emprunte, apres avoir subi la necessite de les dompter et rhumiliation de les nourrir. Ses annees se comptent par une suite d'esperances trompees, et sa vieillesse s'epuise dans I'infirmite et les douleurs. Une telle condition, on n'en saurait douter, est la condition d'un criminel puni, J'ai scrute jusque dans son ame, et la j'ai decouvert de profondes blessures. Son intelligence est blessee ; elle ne distingue plus qu'avec peine et imperfection le beau, le bon et le vrai, qui sont sa fin et sa loi ; elle hesite,elle divague, elle s'egare; elle est lejouetde mille illusions. Sa volonte est blessee : elle le porte au mal des son enfance. Son energie pour le bien est affaiblie : il succombe par debilite la oil le devoir I'appelle a la peine, a la lutte et au triomphe. Ses appetits se sont deregles : ils ne sont plus en harmonic avec les besoins auxquels ils repondent, ils excitent en dehors ou au dela du but a atteindre et la convoitise triomphe contre la raison. De la un immense cri de douleur. II sort des entrailles de I'humanite, car je I'ai surpris au fond de moi-meme et je I'ai entendu du disciple d'Epicure comme del'apotre de J^sus. L'un se plaint de faire le mal, alors meme qu'il voit le bien et I'approuve; I'autre gemit de la tendance des membres de son corps com- battant la loi de sa raison et le tenant dans une dou- loureuse captivite ('). I. « Video .autem aliam legem in membris meis, repugnantem legi men- tis mex, et captivantem me in lege peccati, quae est in membris meis, Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis hujus. » {Rom.^ vii, 23 et 24.) 24 SAINT JEAN BERCHMANS. O mon Dieu, la foi me le dit, vous n'avez pas cree rhomme ainsi, car il est votre ceuvre de predilection sur la terre, son sang royal se laisse entrevoir, meme par ses blessures, et a ce qu'il est apres sa decheance, on devine quel il fut a son origine. Tout etait en har- monie en lui alors : sa raison vous etait soumise, et tous ses app^tits, sensitif, concupiscible et irascible, obeissaient a sa raison. Vous aviez repandu votre p-race (") dans son ame ; cette ame vous I'aviez elev^e au-dessus de sa nature et au-dessus de toute la creation terrestre, par une illumination qui avait laisse en elle, avec les clartes de la foi, le rayon de I'esperance et la flamme de la charite. Votre oeuvre etait parfaite ; rhomme avait une connaissance des choses surnatu- relles aussi complete qu'il etait necessaire pour sa direction morale, et vous lui aviez donne la science de toutes les choses qu'il est en sa nature de connaitre, comprenant toutes les sciences que I'intelligence hu- maine peut naturellement acquerir ('). Sa descendance devait naitre dans le meme (^tat de grace ou de justice originelle (^), avec I'aptitude pour acquerir la meme science (*). Qui done a frappe la lignee entiere avec son chef, et rendu vils tous ses titres de noblessePSon entendement en le livrant a I'ignorance et a I'erreur ; sa volonte, en I'abandonnant a I'inconstance et a la faiblesse ; ses affections en les inclinant au mal ; son corps en le condamnant a toutes les humiliations d'un labeur inces- sant, d'une vieillesse penible et d'une concupiscence a appdtits inavouables ? I. S. Thomas, Summ., i^p., q. XCV, art. i.— 2. Sum>f2.,q- xciv, art. 3. - 3. Summ., q C, art. i. — 4. Summ., q. Cl, art. i. LA D^CH^ANCE. 25 J'aivoulu sender ce mystere. J'ai interroge la nature vivante ; nulle part je n'ai trouve en elle de plaie sem- blable a mes plaies. J'ai compris que la nature est pure et benie, et que moij'ai ete coupable et maudit. J'ai creuse au fond de moi-meme : aucun sentiment ne m'a r^vele le principe de mes humiliations. J'ai porte mes doutes devant les princes de la raison humaine : ils sont restes muets. J'ai consulte les ecoles antiques: elles ont balbutie quelques souvenirs vagues et defigures ; j'ai interroge les monuments des peuples: ils m'ont repondu, mais j'avais peine a distinguer la vdrite defiguree par la fable. Mais ce que je ne parve- nais pas a saisir, vous me I'avez revele, 6 mon Dieu. J'ai ouvert le livre, j'ai lu, et j'ai tout compris. J'ai lu (') : « Dieu crea I'homme a son image, a I'image de Dieu il crea I'homme et la femme. Et il les benit, et il dit : Croissez et multipliez-vous, remplissez la terre et assujettissez-la, dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tous les animaux qui demeurent sur la terre... « Or le Seigneur avait plante des le commencement un jardin delicieux dans lequel il mit I'homme qu'il avait forme... Et il lui fit un commandement, disant : Mangez de tous les (fruits des) arbres du Paradis, mais ne mangez point (du fruit) de I'arbre de la science du bien et du mal... « Mais le (demon sous la figure du) serpent (qui) etait le plus ruse de tous les animaux que le Seigneur I. Gen., il-ili. — Incapable d'interprdter et de commenter cette page, ^crite ^ une dpoque si eloignde de nous, dans une langue amie du style hardi et image, et dont je ne connais ni les mots ni le genie, je me borne ktraduire littdralement,intercalant entre parentheses ce qui n'appartient pas au texte et quej'emprunte a la paraphrase du R. P. Carriere. 26 SAINT JEAN BERCHMANS. Uieu avait formes sur la terre dit a la femme : Pour- quoi Dieu vous a-t-il ordonne de ne pas manger du fruit de tous les arbres du Paradis ? La femme lui repondit : Nous mangeons du fruit des arbres qui sont dans le Paradis, mais pour ce qui est de I'arbre qui est au milieu du Paradis, Dieu nous a commande de n'en point manger, et de n'y point toucher, de peur que nous ne fussions en danger de mourir. Mais le serpent repondit a la femme : Assurement, vous ne mourrez point. Mais c'est que Dieu sait qu'aussitot que vous aurez mange de ce fruit, vos yeux seront ouverts et vous serezcomme des dieux, connaissant le bien et le mal. La femme done considera que le (fruit de cet) arbre etait bon a manger et qu'il etait beau et agreable a la vue. Elle en prit, en mangea et en donna a son mari qui en mangea. En meme temps leurs yeux furent ouverts a tous deux, et ayant remarque qu'ils etaient nus ils entrelacerent des feuilles de figuier et sen firent des ceintures... Et Dieu dit au serpent : Parce que tu as fait cela, tu es maudit entre tous les animaux et toutes les betes de la terre. Je mettrai I'inimitie entre toi et la femme, entre ta race et la sienne, elle ecrasera ta tete... II dit aussi a la femme : Je vous affligerai de plusieurs maux pendant votre grossesse, vous enfanterez dans la douleur, vous serez sous la puissance de votre mari et il vous dominera. II dit ensuite a Adam... La terre sera maudite a cause de ce que vous avez fait ; vous n'en tirerez de quoi vous nourrir pendant toute votre vie qu'avec beaucoup de peine. Elle vous produira des epines et des ronces, et vous vous nourrirez de I'herbe de la terre. Vous man- gerez votre pain a la sueur de votre visage jusqu'a ce que vous retourniez en la terre d'ou vous avez et6 tir^ ; 808T0M COLLEGE LIBRiO** rHFSTmiT HIM MAPifi LA DECHliANCE. 27 car vous etes poussiere et vous retournerez en pous- siere. » Voila le secret des blessures profondes de Thumanite! la desobeissance a souille sa souche ! L'ignorance, la perversion, la faiblesse, la concupiscence en sont le chatiment. Et ce chatiment, comme un stiemate de honte, imprime au front des generations qui passent, va porter a tous les siecles le temoignage humiliant de la prevarication originelle et de la malediction divine. O sainte Bible, 6 livre inspire, soyez le livre de ma vie. Vous gardez la verite pure, et I'Eglise vous garde intacte. Vous seule m'apprenez d'oi^ije viens etce que je suis, ce que je dois etre et ce que jedeviendrai. Sans vous I'homme semble un songe qui sort du neant et va s'evanouir dans I'inconnu. Je me suis trouve mele a tous les hommes, legislateurs, historiens, poetes, philo- sophes, naturalistes. Je les ai ecoutes sur les grands problemes de mon origine et de mes destinees, lis ne m'ont appris que ce qu'ils avaient appris de vous ou ils ne m'ont rien appris. Quand ils voulaient begayer d'eux-memes, ils se divisaient comme ceux de la vallee deSennaar,n'emportant avec eux que la desolation de I'esprit etle desespoirdu scepticisme. Mais vous, vous rappelez a Dieu ; vous montrez sa grandeur, sa justice, sa misericorde, et I'eternite. Toute autre doctrine que celle que vous enseignez s'obscurcit dans des disputes, toute autre morale se souille dans les passions. Vous instruisez sans eblouir, parce que vous etes la verite eternelle ; vous reprenez sans aigrir parce que vous etes la charite infinie. En vous lisant on retrouve les sentiers de la prudence, les preceptes de la justice, des remedes a la faiblesse, un frein a la concupiscence. 2L SAINT JEAN BERCHMANS. O Dieu de mon salut, je suis a vos pieds, les mains jolntes, et je vous adresse humblement ma priere et mes voeux. Donnez-moi I'intelligence de la sainte Ecriture ; quelle solt la lumiere qui eclaire mes pas ; qu'elle ranime chaque jour la flamme de vie qui lutte, au fond de moi-meme, contre les ombres de la terre. Qu'a ma derniere heure je la presse contre mes levres palies, avec les sentiments de Jean Berchmans pressant sa Regie de vie dans sa main defaillante ; qu'elle re- jouisse mes yeux avant qu'ils se ferment au monde, et qu'elle excite dans mon ame, prete a s'envoler vers vous, un dernier acte de foi, un dernier rayon d'espe- rance et I'elan de I'amour vainqueur. III. LA REPARATION. Sicuf in Adam omnesmoritcntiir^ & Comme tous meurent en Adam ita et in Christo omnes vivijica- | tous revivront aussi dans le Christ. btmtur. ^ / Cor.^ XV, 22. I. J^sus-Christ promis. II fut grand le crime de I'Eden ! Jamais Adam pre- varicateur n'aurait pu I'expier. line satisfaction rigou- reuse envers le Createur infini, offense, est impossible a la creature finie, coupable.Tout ce que I'homme peut donner a Dieu est moindre que ce que sa desobeis- sance tend a lui ravir : son empire et sa gloire. C'etait done justice que le premier homme restat eternellement loin de Dieu : il s'y etait place. Et c'etait justice encore que sa posterite, souillee dans sa souche, partageat son sort : Dieu ne se doit a elle ni par promesse ni par nature. Mais le Seigneur est misericordieux et nous pouvons redire avec le prophete emu des malheurs de Jerusa- lem : « Si nous n'avons point 6t6 perdus entierement LA REPARATION. c'est I'effet des misericordes du Seigneur, c'est parce que nous avons trouve en lui un fond de bonte ine- puisable ('). » Un Sauveur sera donne au genre hu- main. II est annonce et entrevu des les premiers temps. La menace de Dieu au serpent infernal (-) renferme la premiere promesse du Messie Sauveur. D'apres les traditions juives cet oracle fut explique aux exiles de I'Eden apres qu'ils se furent rapproches du ciel par la penitence ('). Noe, institue de Dieu heritier de la foi (^), transmit ces revelations a Sem qui put les redire au pere des croyants. Alors des benedictions myste- rieuses font connaitre que le germe beni promis a Eve serait aussi le germe et le rejeton d'Abraham (5). Puis vient la grande prediction de Jacob. Le patriarche ap- pelle ses enfants et il leur dit : « Assemblez-vous afin que je vous annonce ce qui doit vous arriver dans les derniers temps... Le sceptre ne sera point ote de Juda, ni le prince de sa posterite, jusqu'a ce que celui qui doit etre envoye soit venu ; et c'est lui qui sera I'attente des nations. » Puis apres des allusions im^gees a I'union des peuples dans son Eglise, a son sang verse, a sa beaute incomparable, le patriarche ajoute (^) : « J'at- tendrai le salut que vous devez envoyer, Seigneur. » 1. Thren.^ in, 22. 2. « Inimicitias ponam inter te et mulierem, et semen tuum et semen illius : ipsa conteret caput tuum. » (Ctv/., in, 15.) 3. Basnage, Hist, des Juifs, t. IV, liv. vii. 4. Hebr.., xi, 7. 5. « Vocavit autem angelus Domini Abraham secundo de coelo, dicens: Per memetipsum juravi, dicit Dominus : ... benedicam tibi... et benedi- centiir in semine tuo omnes gentes terrje, quia obedisti voci meee. » {Gen.^ XXII, 15-18.) Cfr. XII, 3. « Abrahae dictas sunt promissiones, et semini ejus. Non dicit et seminibus, quasi in multis : sed quasi in uno, et semini tuo, qui est Christus. » {Gal.., Ill, 16.) 6. Gen., xlix, 10-18. 30 SAINT JEAN BERCHMANS. A mesure que les temps avancent, les visions pro- phetiques s'eclaircissent comme un tableau dont on s'approche, et les traits du Sauveur se dessinent plus nets, plus nombreux et plus reconnaissables. II appar- tiendra a la race de Jesse ('), une vierge le mettra au monde (^), et c'est a Bethleem qu'il verra le jour {^). II sera Dieu ('•), et il aura pour nom Emmanuel, mot qui signifie « Dieu avec nous ». II sort de I'eternite et il est a la droite du Seigneur (^). La Galilee entendra sa parole (^). II est etabli pour etre le reconciliateur du peuple et la lumiere des nations (^), pour parler aux humbles et pour guerir ceux qui ont le coeur brise (^)... Quand il sera venu, les yeux des aveugles verront, et les oreilles des sourds seront ouvertes ; le boiteux bondira comme le cerf, et la langue des muets sera deliee (^). Avec lui se leveront la justice et la paix ('°) : il sera le type de la modestie, de 1 equite et 1. Is., XI, I k 9. 2. i Dabit Dominus ipse vobis signum : Ecce virgo concipiet et pariet filium, et vocabitur nomen ejus Emmanuel. » (Is., vii, 14.) 3. Mi'c/i., V, 2. 4. Is., IX, 6. 5. Mich.., loc. cit. et Ps. cix : « Dixit Dominus Domino meo : sede a dextris meis... ex utero ante luciferum genui te. » 6. Cfr. Is., IX, I et Matth., iv, 13-16. 7.... « Dedi te in foedus populi, in lucem gentium, ut aperires oculos Ccccorum, et educeres de conclusione vinctum... » {Is., XLii, 6, 7.) 8. « Spiritus Domini super me, eo quod unxerit Dominus me : ad an- nuntiandum mansuetis misit me, ut mederer contritis corde, et predica- rem captivis indulgentiam, et clausis apertionem ; ut prc-edicarem annum placabilem Domino, et diem ultionis Deo nostro ; ut consolarer omnes lugentes... » {Is., LXi, i, 2, 3.) Et Luc. iv, 17 et s. 9.... « Deus ipse veniet, et salvabit vos. Tunc aperientur oculi cseco- rum, et aures surdorum patebunt. Tunc saliet sicut cenus claudus, et aperta erit lingua mutoium. » {Is., xxxv, 4, 5, 6.) Cfr. cum Luc.,vn, 21, 22. 10. « Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis. » {Ps. LXXI, 7. LA REPARATION. 31 de la douceur (') ; et, en un jour de triomphe, il fera son entree a Sion, pauvre et monte sur une anesse ('). Puis s'accomplira le plus grand des sacrifices : I'obla- tion volontaire du Juste, et le plus grand des crimes : le deicide! En lisant les prophetes, on croit que I'oeuvre du Golgotha passe sous les yeux. La figure du Christ leur apparait soudainement : ils la saisissent comme au vol et ils la depeignent au milieu de leurs discours. En la considerant, ils semblent distraits de I'ordre des temps : I'avenir, le present et le passe paraissent se confondre dans leur vision et leur description, comme les plans postposes sur les toiles de Rubens et de Van Dyck quand on les regarde de pres. Les moindres cir- constances de la Passion sont rapportees : le prix de la trahison d'un disciple et la restitution des trente pieces d'argent (^), la mort du traitre (*), I'abandon com- plet (5), I'assimilation a des criminels (*^), les raille- ries (7), les traitements indignes (^), la flagellation, le partage des vetements et la robe tiree au sort (5), le 1. « Non clamabit, neque accipiet personam, nee audietur vox ejus foris. Calamum quassatum non conteret, et linum fumigans non extin- guet ; in veritate educet judicium. Non erit tristis neque turbulentus...)) {/s., XLH, 2, 3, 4.) 2. « Exsulta satis, filia Sion, jubila, filia Jerusalem : Ecce rex tuus veniet tibi Justus, el salvator ; ipse pauper, et ascendens super asinam, et super puUum filium asinse. » {Zac/i., ix,9. Matth.^ xxi, 7. Marc, xi, 7.) 3. Zach., II, 12, 13. Matth., xxvi, 15. 4. « Fiant dies ejus pauci ; et episcopatum ejus accipiat alter. » {Ps. cviii, 8.) 5.... « Percutite pastorem et dispergentur oves. » {Zach., xiil, 7.) Voir Matth., xxvi, 3. 6.... « Cum scQleratis reputatus est. » {Is., Llii, 12.) Matth., xxvil, 21 38. 7. Ps. XXI, 7, 8, 9. Matth., xxvii, 39. 8. Is., L, 6. Matth., xxvii, 26, 30. 9. « Dinumeraverunt omnia ossa mea. Ipsi vero consideraverunt, et inspexerunt me : diviserunt sibi vestimenta mea et super vestem meam miserunt sortem. » (Ps. xxi, cit. 18, 19) ; Matth., xxvii, 35. SAINT JEAN BERCHMANS. fiel et le vinaigre ('), les pieds et les mains perces (^), la mort violente a un temps predit {^), le coup de lance (^) et la gloire de son tombeau {^). Et de la part de la victime : I'oblation volontaire, I'innocence, la douceur, la priere pour ses bourreaux (^). Et puis enfin la resurrection (^), I'ascension (^) et la descente du Saint-Esprit {'^). Les siecles et les siecles s'ecoulent, mais les paroles des prophetes ne s'oublient pas. On les redit du Midi au Septentrion et du Couchant a I'Aurore. Le temps et I'espace les alterent la ou elles ne sont pasgardees, mais elles restent reconnaissables. Partout I'espoir d'un 1. « Et dederunt in escam meam fel, et in siti mea potaverunt me aceto. 1> {Ps. Lxvni, 22,) 2. « ... Foderunt manus meas ac pedes meos. » (Ps. xxi, cit., 17 ; Zac/i., cap. XIII, 6.) 3. « Scito ergo et animadverte : ab exitu sermonis, ut iterum sdifi- cetur Jerusalem, usque ad Christum ducem, hebdomades septem et hebdomades sexaginta dute erunt : et rursum jedificabitur platea, et muri in angustia temporum. Et post hebdomades sexaginta duas occi- detur Christus : et non erit ejus populus, qui eum negaturus est. E. civitatem et sanctuarium dissipabit populus cum duce venturo...)) {Dan., IX, 25, 26.) 4. « Aspicient ad me quern confixerunt ; et plangent. . . » (Zac/i., xii, 10.) Wo\r Joan., xix, 36, 2>7 et Luc, xxili, 48. 5. « Radix Jesse, qui stat in signum populorum, ipsum gentes depre- cabuntur, et erit sepulchrum ejus gloriosum. » {Is., xi, jam. cit., 10.) 6. « Non est species ei neque decor... oblatus est quia ipse voluit, et non aperuit os suum, sicut ovis ad occisionem ducetur... Et dabit impios pro sepultura, et divitem pro morte sua : eo quod iniquitatem non fece- rit, neque dolus fuerit in ore ejus... et ipse peccata multorum tulit et pro transgressoribus rogavit. » {Is., Llli, 2, 7, 9, 12.) 7. « Non derelinques animam meam in inferno : nee dabis sanctum tuum videre corruptionem. » {Ps. xv, 10.) V. Act., u, 29, 30, 31 et xiii, 35, 36, 37- 8. « Ascendit Deus in jubilo. » {Ps. XLi, 6.) « Ascendisti in altum, ce- pisti captivitatem. » {Ps. Lxvii, 19.) Voir Ephes., iv, 8, «... Psallite qui ascendit super ccelum coeii. » {Ps. LXVll, -i)})-, 34-) 9. « Effundam spiritum meum super omnem carnem, et prophetabunt filii vestri et filiaj vestrae. » {Joel., 11, 28.) Voir Act., 11, 14 et suiv. LA RliPARATION. Sauveur s'est attache a I'ame de I'humanite a cote de la plaie originelle, indestructible comme elle. Les livres de divers peuples en font foi. Enfin, quand les semaines prophetiques touchent a leur terme et que I'avenement est proche, un frisson de joie, ne du pressentiment, agite le genre humain, et la parole tombee des levres d' I safe vient, apres sept siecles et mille detours, eveiller la lyre du poete d'Auguste. Chacun se rappelle les im- mortels hexametres qui annoncent et depeignent I'enfant merveilleux qui va naitre ('). Qu'on les rap- proche des textes bibliques relatifs au Messie (-), et si quelque autre que lui fut I'objet du chant a Pollion, et I'attente des nations, et le desire des collines eternelles, I'histoire est la, qu'on I'ouvre et qu'on me le montre ! II. Jesus-Christ donne. II est done venu, le Messie ! Le Verbe s'est fait chair et il a habite parmi nous. Je le reconnais dans Jesus- 1. « Sicelides Musae paulo majora canamus ; Ultima Cuma^i venitjam carminis .das; Magnus ab integro sa^clorum nascitur orJo. Jam redit et Virgo, redeunt Saturnia regna; Jam nova progenies coelo dimittitur alto. Tu modo nascenti puero, quo ferrea primum Desinet ac toto surget gens aurea mundo, Casta, fave, Lucina .... lile deum vitam accipiet, divisque videbit Permixtosheroas; etipse videbitur illis; Pacatumque reget patriis virtutibus orbem. ...Nee magnos metuent armenta leones Occidit et serpens, et fallax herba veneni Occidit... Aggredere 6 magnos, aderit jam teinpus, honores, Cara deum soboles, magnum Jovis incrementum... >; 2. Voir plus haut,pag. 29 suivv. i. J KAN BERCHMAXS. 34 SAINT JEAN BERCHMANS. Christ, Je le reconnais, je I'adore, je proclame ses noms etses titres. II est le Messie! il I'a dit lui-meme a la Samari- taine ('). II est Dieu! il a affirme I'etre devant ses disciples, devant le peuple, devant ses ennemis. En voyant ses miracles, la foule le suivait et voulait le faire roi (') et les Pharisiens eux-memes,stupefaits,s'entredisaient « Comment, s'il n'etait qu'un homme pecheur, pour rait-il operer de tels prodiges {^)? » II est homme : semblable au dernier des hbmmes (^), aneanti sous la forme de serviteur {^), et ayant une ame accessible a la douleur (^). II est Homme-Dieu reunissant la nature humaine et la nature divine dans la personne du Verbe ou seconde personne de la Trinite. II est mediateur entre Dieu et les hommes (''), ayant, dans son humanite, le principe par lequel il exerce les ceuvres de la mediation, et, dans sa divinite, le principe qui leur donne la valeur; mediateur actif, priant Dieu pour les hommes, et transmettant aux hommes les preceptes et les dons divins ; mediateur parfait, recon- ciliant le monde avec Dieu (®) par une satisfaction i./oan., IV, 26. 2. « Sequebatur eum multitudo magna, quia videbant signa quaj faciebat super his qui infirmabantur... Jesus ergo cum cognovisset, quia venturi essent ut rapereiit eum et facerent eum regem, fiigit iteram in montem ipse solus. » {Joan, vi, 2, 15.) 3. « Quomodo potest homo peccator hi^c signa facere?)) {/oan., IX, 16.) 4. « Novissimum virorum, virum dolorum et scientem infirmitatem. » (/^.,LIII, 3.)_ 5. « Semetipsum exinanivit formam servi accipiens. » {Philipp., II, 7.) 6. « Tristis est anima mea usque ad mortem. v> {Joan., x, 18.) 7. « Unus... mediator Dei et hominumhomo Christus Jesus, qui dedit redemptionem semetipsum pro omnibus. » (/ Tim., ll, 5, 6.) 8. « Deus erat in Christo, mundum reconcilians sibi. » (// Cor., v, 19.) LA RitPARATION. rigoureuse et surabondante, parce que le Verbe com- munique a chacun de ses actes une valeur infinie, comme la majeste centre laquelle s'est elevee I'offense; mediateur unique, parce que, dans le sens absolu, il n'y a, pour tous les hommes, de salut que par lui ('). Ce qu'il dit de lui-meme se rapporte tantot a sa divinite, tantot a son humanite, tantot a sa qualite de mediateur. Sans cette distinction son langage est incomprehen- sible. II est le Redempteur attendu des le commence- ment (^), et qui a rachete I'homme, par son propre sang, de I'esclavage du peche {^). II est le Sauveur predit par les prophetes (^), an- nonce par un ange (^), reconnu par le peuple (^), acclame par la voix de dix-huit siecles et benijusqu'aux extremites de la terre. II est pontife et victime : pontife dont le sacerdoce est eternel, toujours vivant pour interceder pour nous; pontife saint, innocent, sans tache; pontife des biens futurs, entre dans le sanctuaire avec son propre sang, qui peut purifier notre conscience pour nous aider a 1. « Non est in alio aliqua salus. » {Acf, iv, 12.) 2. '< Scio enim quod Redemptor meus vivit, et in novissimo die de terra surrecturus sum. Et rursum circumdabor pelle mea, et in carne mea videbo Deummeum. » {Jol?., xix, 25, 26.) 3. « In quo habemus redemptionem, per sanguinem ejus, redemptio- nem peccatorum. » {Ephes, I, 7.) 4. « Haurietis aquas in g-audio de fontibus Salvatoris. » {Is., xir, 3.) Et aussi /y., XLV, 8; XLIX, 6; LXII, 11. — • « Egoautem in Domino gaudebo etexsultaboinDeojESUmeo (Salvatore,Septante ; redemptore, Chald.).)) {Hub., Ill, 18.) — « Exsulta satis, filia Sion, jubila, filia Jeiusalem : Ecce rex tuus venit tibi Justus et Salvator; ipse pauper et ascendens super asinam et super pullum filium asin£e. » {Zach., ix, 9.) 5. « Evangelizo vobis gaudium magnum... quia natus est vobis hodie Salvator, qui est Christus Dominus. » {Luc, n, 10, 11.) 6. « Scimus quia hie est vere Salvator mundi. » {Joan., iv,42.) 36 SAINT JEAN BERCHMANS. servir le Dieu vdvant ('). Victime par obeissance, vlc- time sans tache et s'offrant elle-meme a la place des hosties, des oblations et des holocaustes (^), non pour detruire la loi et les prophetes, mais pour les accom- II est le chef de TEgllse (^) ; il domine ses membres par la plenitude de grace et de verite qui est en lui, il les soutient de la force qui nait de la grace et il les dirige par la lumiere qui jaillit dela verite {'). II est le pasteur des ames : le bon pasteur, celui qui connait ses brebis et qui en est connu, qui donne sa vie pour elles, et qui ramene celles qui s'egarent C^). II est notre Maitre, mais un maitre qui daigne nous donner, dans la personne de ses disciples, le nom d'amis et de freres {')] un maitre qui se donne a nous comme nour- 1. « Sempitemum habet sacerdotium... Semper vivens ad interpellan- dum pro nobis... sanctus, innocens, impollutus... pontifex futurorum bonorum... per proprium sanguiaem introivit semel in sancta, seterna redemptione inventa. Si enim sanguis hircorum et taurorum et cinis vitulte aspersus inquinatos sanctificat ad emundationem carnis ; quanto magis sanguis Christi, qui per Spiritual Sanctum semetipsum obtulit iinmaculatum Deo, emundabit conscientiam nostram ab operibus mor- tuis, ad serviendum Deo viventi.? » {Hebr.,\n\, 24 et s.; IX, 11 et s.) 2. « Ingrediens mundum dicit : hostiam et oblationemnoluisti; corpus autem aptasti milii; Holocautomata pro peccato non tibi placuerunt. Tunc dixi : Ecce venio; in capite libri scriptum est de me : ut faciam, Deus, voluntatem tuam. » {Hebr., x, 5 et s.) 3. « Nolite putare quoniam veni solvere legem aut prophetas ; non veni solvere sed adimplere. » {Mailh., v, 17.) 4.«Ipsum dedit caput supra omnemEcclesiam,qu^eest corpus ipsius...)) {Ephes., I, 22, 23 ; V, 23 ; Coloss., i, iS.) 5. « Verbum caro factum est, etliabitavit in nobis : et vidimus gloriam ejus, gloriam quasi Unigeniti a Patre, plenum gratic^; et veritatis... » ijoati., I, 14, 16.) 6. Joan., ^, u et suiv. 7. «Vos vocatis me, Magister et Domine : et bene dicitis : sum etenim. 1> {^Joan., xiii, 13.) -- « Jam non dicam vos servos : quia servus nescit quid facit dominus ejus. Vos autem dixi amicos : quia omnia qucxcumque audivi a Patre meo, nota feci vobis. » {Joan., XV, 1 5.) — Cfr J/a////., XII, 49-50. LA Rl^PARATION. Z1 riture au cenacle, comme prix de rachat sur le Calvaire, comme recompense dans le ciel. II est le cep de la vigne et nous sommes les branches. Celui qui demeure en lui porte un fruit abondant ; celui qui s'en detache sera jete comme un sarment inutile, puis recueilli, jete au feu et brCile ('). II est la porte du salut ; il est la voie hors de laquelle nul ne va au Pere celeste ('). Et cette voie est tracee par ses exemples, par ses merites, par sa doctrine. Quelle doctrine ! « Bienheureux ceux qui sont affames et alteres de la justice... Bienheureux ceux qui ont le cceur pur... Si votre oeil droit vous est un sujet de scandale, arrachez-leet jetez-le loin de vous, car il vaut mieux pour vous qu'un de vos membres perisse que si tout votre corps etait jete dans I'enfer... Faites du bien a ceux qui vous haissent, et priez pour ceux qui vous persecutent et vous calomnient... Soyez parfaits comme votre Pere celeste... Lorsque vous faites I'au- mone, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre main droite... Ne vous faites point de tresors dans la terre, ou la rouille et les vers les consument... mais faites vous des tresors dans le ciel... Cherchez premierement le royaume de Dieu et sa justice... Faites aux hommes tout ce que vous voulez qu'ils vous fassent... Entrez par la porte etroite, car la porte large et la voie spacieuse est celle qui conduit a la perdition (3). » 1. « Ego sum vitis, vos palmites : qui manet in me, et ego in eo, hie fertfruclum multum... Si quis in me non manserit : mittetur foras sicut palmes, et arescet, et coUigent eum, et in ignem mittent, et ardet. » (joan., XV, 5, 6.) 2. « Ego sum ostium. Per me si quis introierit salvabiiur. » [Joan., x.9.) — « Ego sum via et Veritas et vita : nemo venit ad Patrem, nisi per me. » {Joan., XIV, 9.) 3. Sermon sur lamontagne, {Maiih., v, et suiv.) 38 SAINT JEAN BERCHMANS. Jamais on n'avait parle ainsi. Quel enseignement ! Quel maitre ! J'ai beau remonter le cours des siecles, je ne rencontre personne qui lui ressemble. Le juste qu'ont invente les sages n'approche pas de lui. Le type de J^sus reste en dehors de I'histoire et au-dessus de la conception des hommes. S'il n'etait pas Dieu, je ne le comprendrais plus. Toute physionomie humaine a des contours definis et caracteristiques ; lui, presente des lignes infiniment varices, et ses plus zeles imita- teurs n'ont pu reproduire en eux que quelques-uns de ses traits imparfaitement.Meme, quand ils lui ressem- blent, ils ne se ressemblent pas entre eux. Quand la lumiere du soleil filtre a travers les vitraux de nos basiliques, elle vient s'etaler en nuances sans nombre sur les dalles sacrees ; ainsi Tineffable beaute, en rayonnant a travers I'humanite de J^sus, revet des aspects infinis devant lesquels mon ame s'arrete decon- certee, comme devant d'inexplicables contrastes. Quand je vols Jesus verser des larmes sur Jerusa- lem, je lui reconnaisla tendresse d'une mere qui pleure un enfant. Quand je I'ecoute sur la montagne des Beatitudes, je sens en lui une energie que je n'ai meme point rencontree dans les heros legendaires. II m'ap- parait avec une simplicite charmante lorsqu'il appelle a lui les enfants ; il me revele une penetration qui dejoue toutes les duplicites, lorsqu'il repond a ceux qui I'interrogent sur la peine a infliger a la femme adultere {'), ou sur le cens a payer a Cesar ('), ou sur le grand commandement de la loi. S'il se pose en vengeur des droits de Dieu et qu'il chasse les vendeurs du temple, il est terrifiant et nul }.yoan,viu, 5. — 2. il/rt////., xxn,47. LA REPARATION. 39 n'ose lui resister ; si le moment est venu pour souffrir et mourir, il s'aneantit : ce n'est plus un homme, c'est un ver de terre ! A Jerusalem, au milieu d'un peuple qui I'acclame en portant des palmes, je le vois triompher sans semou- voir aucunement; partout et toujours je le vois humble sans s'avilir et doux sans faiblir jamais : non, nulle honte n'a souille sa vie, nulle defaillance n'a atteint son ame. Qui est semblable a lui ? x\vec les docteurs hypocrites, avec les riches au coeur dur il est dune severite inflexible (') ; avec la peche- resse repentante, avec ses disciples grossiers et inin- telligents il est d'une douceur inalterable. Ouand il parle, il attire tout vers lui : des disciples qui accourent, des infirmes qui I'implorent ; une foule qui le suit ; et quand tous sont a lui et pour lui, il fuit sur une mon- tagne pour n'etre pas proclame roi. Qui est semblable a lui ? Tant quel'heure dela predication et du sacrifice est loin, il est soumis a Joseph et a Marie, c'est le plus obeissant des enfants ; quand cette heure est venue, il agit dans la plenitude d'une liberte infinie, et il n'a plus pour regie et moteur que le zele de la maison de Dieu qui le devore. Sa mission, il le proclame, est de sub- juguer le monde, rien de moins : le monde jusqu'aux extremites de la terre et jusqu'a la consommation des siecles ; et le moyen qu'il emploie est la parole, rien de plus. II neglige la faveur des grands ; il renvoie I'epee au fourreau ; il ne veut repandre d'autre sang que le sien ! I. Ala/ih., XXII, 36. 40 SAINT JEAN BERCHMANS. Qui est semblable a lui ? Ou'on le considere au debut ou a la fin de sa vie pu- blique, il est egalement admirable. Ceux qui le voient et I'entendent dans le temple, assis au milieu des doc- teurs,a Tage de douze ans, sont stupefaits de sa sagesse et de ses paroles ('), autant que la foule qui 1 ecoute, la derniere annee de sa vie, quand il repond aux Sad- duceens qui le questionnent sur la resurrection (^). Et jamais, avant de parler ou d'agir, il ne laisse entrevoir ni perplexite, ni essai, ni calcul, ni hesitation. Qui est semblable a lui ? II n'est le disciple de personne, il n'emploie le Ian- gage de personne, il n'emprunte sa doctrine de per- sonne. N'est-il pas le fils du charpentier, sa mere ne s'appelle-t-elle pas Marie ? D'ou lui viennent done sa sagesse et sa puissance ? disent-ils dans leur admiration, a Nazareth meme, quand il y enseigne dans la syna- gogue (3), il est maitre et au-dessus de tous les maitres. 1. Liic, 11,47. 2. Matth., XXII, 33. 3. Maith.,^\\\, 54. J'ai feuillete I'histoire ; j'ai rempli mon imagination de la vie des hcros, antiques et modernes; ga et la j'ai rencontre une parole sublime ou un fait fameux, et je me suis senti epris d'admiration. Mais qui jamais a resume cet ensemble merveilleux ? I. Parler comme sur la montagne des Beatitudes et se taire comme devant Pilate. II. Obeir a un artisan et a une femme comme a Nazareth et comman- der aux vents et aux flots comme sur la barque de Tiberiade. III. Souft'rir comme au Calvaire et aimer comme a Bethanie, et comme au Ccnacle ; I V. Plaire sans flatter et reprendre sans aigrir ; \. Instruire sans orgueil et aimer sans faiblesse ; \'I. Se laisser mdpriser en se faisant petit et se faire croireen sedisant Dieu . Mcpriscr la gloire et devenir pourtant Fcternel entretien du genre humain... Non cette figure, cette physionomie, n'a ricn qui lui ressenible, chez aucun peuple, en aucun temps. LA RI^PARATION. 4 1 O princes de la raison, legislateurs antiques, rheteurs paiens.reveurs de tons les temps, votre parole a expire bientot sur les levres de vos disciples, et votre doctrine git sterile dans des livres fermes, Mais la parole de J^sus passe ets'etend d'age en age,ellepenetre et blesse la nature, mais elleguerit et ennoblit lame, et, partout oil elle passe, elle laisse au front des peuples une cica- trice d'honneur. Qui est semblable a lui ? II a quatre biographes et nul autre biographe ne leur ressemble. Pas de precautions pour paraitre d'accord entre eux, pas un mot pour plaire ou pour emouvoir, nul effort pour persuader ou pour convaincre. Leur recit est serein et simple comme la verite,il sepresente et il s'impose comme elle. On les dirait etrangers a I'Evangile et insensibles comme le burin avec lequel ils legravent. Meme quand ils racontent la Passion, ils ne sindignent ni ne maudissent les bourreaux ; et, lorsque I'un d'eux rapporte sa vocation, il ne s'inter- rompt point pour exhaler une louange vers celui qui I'appelle. Pourtant ils I'aiment ; mais leur pensee est absorbee par lui, et, en le contemplant, ils s'oublient eux-memes : leurs emotions, leurs jugements, leurs personne, tout devant lui s'efface dans leur ame et est comme s'il n'etait pas. O J^sus ! je tombe a vos pieds et vous adore. Vous etes le Dieu des prophetes, I'Emmanuel, le Prince de la paix, le Messie envoye pour tout relever, toutguerir et tout sauver. Vous etes le Christ, Fils du Dieu vivant. A votre nom tout genou doit flechir, au ciel, sur la terre et dans les enfers. Vous etes I'Homme- Dieu, Mediateur puissant entre Dieu offense et I'homme coupable. Vous etes la porte et la voie : on 42 SAINT JEAN BERCHMANS. lie va au Pere, on n'entre dans la Patrle que par vous. Vous etes la Verite ! O eternelle Verite, parlez inte- rieurement a mon ame. Parlez-moi de cette voix douce qui persuade sans disputer, qui transporte sans pas- sionner, et qui repand sans fin les ardeurs ineffables du chemin d'Emmaiis au sein des ames qu'envahit le froid de la torpeur et de la mort. Vous etes mon Maitreet je n'en veux point d'autre. Que vos preceptes marquent les sentiers de ma vie et que votre doctrine soit a jamais la regie de ma foi ; a qui irais-je ? vous avez les paroles de la vie eternelle. Ah! delivrez-moi de la passion des systemes a effet, nes de I'orgueil pour jouir de la vogue d'uu jour et tomber ensuite dans I'oubli des siecles : feux-follets d'un moment, qui brillent a la faveur de la nuit; vagues bruyantes qui se gonflent subitement pour s'abimer bientot en ne laissant qu'un peu d'ecume. Delivrez-moi de I'aveuglement de ces hommes a intelligence servile, qui demandent la verite a tout semblant de science qui pose, a toute passion qui affirme, a tout seducteur qui se pare de quelque eclat, oserais-je le dire ? a des devins qui surviennent, a des spirites, a tout ce que I'imagination cree, a tout ce que le Pere du mensonge suggere... a tout et a tous enfin, excepte a vous, 6 Jesus, mon Dieu, Verite eternelle et immuable ! Je les ai rencontres sur mon chemin, ces contemp- teurs de la parole divine, je les ai consideres, et j ai vu tout entiere la plaie qu'ils ne me montraient qu'a demi. lis ont interroge et juge Ji^sus, m'ont-ils dit. Comment, quand et pourquoi ? Je n'ai pu I'apprendre d'eux, et j'ai songe alors a Caiphe, a Pilate et a I'in- terroo"atoire du Sauveur et comment Barabbas lui a o ete prefere. lis ont cherche la verite, ils ont demande LA R/iPARATION. 43 la foi, m'ont-ils dit encore ; mais ils I'ont demanclee a leur raison seule, a rexclusion de Dieu. Or la raison conduit a la foi, mais elle ne la donne pas ; elleetablit les verites naturelles, mais elle ne sait qu'appuyer les verites surnaturelles; elle peut donnerla conviction du syllogisme enfin, mais jamais I'adhesion de la foi en la parole de Dieu. Et voila pourquoi leur ame reste sceptlque, froide et obstinement fermee quand Dieu frappe; ils etouffent I'inquietude du present et les pres- sentiments de I'avenir par I'abandon complet a des distractions frivoles et a des joies bruyantes. Triste etat d'un sanctuaire abandonne, oil j'ai cru retrouver I'inscription lue par Paul au temple d'Athenes, c'est- a-dire le dernier mot du desespoir de la raison : « Au Dieu inconnu ! » Ah ! loin de moi I'idee de mepriser la science veri- table ou d'humilier la raison humaine. Je rends a la raison le tribut merite de mon respect et de mon admiration ; je veux vouer a la science mon temps et mes forces ; mais ma foi n'est qu'en vous et mon culte n'est que pour vous, 6 J:^sus mon Dieu ! Car la raison est le reflet qui peut produire I'illusion, et vous etes la lumiere qui ne trompe jamais ; la science est chan- geante, et vous etes immuable ; vous etes infaillible et eternel, vous etes la beaute toujours ancienne et tou- jours nouvelle. III. Jdsus-Christ auteur de la grace. Oui, le Verbe incarne a habite parmi nous comme la source de la verite et de la grace. A ce mot de grace, je sens que je touche au principe qui va m'ouvrir le plus profond mystere de moi-meme et me faire 44 SAINT JEAN BERCHMANS. entrer dans le secret de la vie de saint Jean Berch- mans. A cette fin je me recueille et me resume : Adam et Eve ont dechu de leur etat d'innocence en desobeissant. De la les conditions humiliantes de leur vie corporelle ; de la les blessures de 1 ame ; de la la perte de la grace originelle, don surnaturel par lequel Dieu avait, aux clartes de sa revelation, eleve leur ame au-dessus d'elle-meme, porte leurs desirs et leurs espe- rances par delales biens terrestres, et donne a leur ame une beaute qui appelaitspecialement sur elle son affec- tion et ses complaisances. La decheance, avec ses tristes suites, a atteint et frappe leur descendance entiere, Marie exceptee ; et chacun de leurs enfants, incline au mal des le premier age, ajoute ses propres prevarications a la desobeis- sance originelle et aggrave de la malediction de sa person ne la malediction de race qui pesait sur lui. De lui-memel'homme ne saurait se relever et recon- querir la grace perdue, soit par la desobeissance origi- nelle soit par ses peches personnels ; les forces inherentes a sa nature sont impuissantes a produire un eftet surnaturel. Dieu seul peut remettre la peine de I'offense commise contre lui et rendre la grace que seul il a pu donner ('). La grace rendue a I'homme s'appelle justifiante, sanctifiante et habitiielle, parce qu'elle le retablit dans la justice, elle le porte vers la saintete et elle reste inherente a lui par suite de I'lnflux divin qui persevere. La grace habituelle ne suffit pas a I'homme. Sans un secours de Dieu special, qui s'appelle g\:diCQ.acHtelle, il ne saurait longtemps eviter toute faute mortclle. La I. (A-.xi.iii, 25 j LA Rl^PARATION. 45 raison en est dans la condition de I'etat de sa nature. « Bien que celle-ci soit guerie par la grace justifiante relativement a I'esprit, elle n'en est pas moins corrom- pue et souillee relativement a la chair qui « la rend esclave de la loi du peche », selon I'expression de saint Paul ('). II y a d'ailleurs dans I'intellect une ignorance qui I'obscurcit et qui fait, comme dit I'Apotre (''),« que nous ne savons pas ce qu'il faut demander dans la priere pour prier comme il faut. » Car en raison de la variete des evenements et parce que nous ne nous connaissons pas parfaitement nous-memes, nous ne pouvons pleinement savoir ce qui nous convient, suivant cette parole du Sage (^) : « Les pensees des hommes sont timides et nos prevoyances incertaines.)) C'est pourquoi il est necessaire que nous soyons diri- ges et proteges par Dieu, qui sait tout et qui pent tout. C'est aussi pour cette raison qu'il convient de dire a Dieu, a I'egard de ceux qui sont redevenus ses enfants par la grace : «Ne nous laissez pas succomber a la tentation (^). » La grace actuelle est encore necessaire pour faire une oeuvre qui soit salutaire. Une oeuvre salutaire est une oeuvre qui conduit au salut ou a la justification. Elle ne peut etre telle qu'a la condition d'etre surna- turelle par son principe et sa fin. L'aumone faite par un pur sentiment de commiseration, la restitution qui ne procede que de la droiture de la raison ne sont pas des oeuvres surnaturelles. EUes viennent de la nature et elles ne peuvent elever I'homme au-dessus d'elle. Mais que I'homme pose ces actes sous I'impulsion de sa foi et de sa charite, ils deviennent surnaturels et I. Rom., VII, 25. — 2. Rom., VIII, 26. — 3. SaJ>., IX, 14.— 4. S. Thomas, Summ., I. 2, q. Cix, art. 9. 46 SAINT JEAN BERCHMANS. salutaires. Or c'est Dieu qui donne cette impulsion, lui qui opere en rhomme le vouloir et le faire (') ; I'homme abandonne a ses propres forces n'est pasmeme capable de produire une pensee qui soit meritoire pour le ciel ('). La grace habituelle est inherente a I'ame ; la grace actuelle est passagere, transitoire. Celle-ci agit sur I'intelligence par la lumiere suprasensible qu'elle y repand, et sur la volonte par I'impulsion, ordinaire- ment douce et agreable, qu'elle lui donne. C'est la motion de Dieu, excitant, aidant, et operant dans I'homme, avec I'assentiment libre de la volonte qui s'abandonne a elle. Si quelqu'un a vu une mere tendre et aimante relever d'une main son enfant tombe, puis le soutenir, aplanir son chemin, le lui montrer de I'oeil et I'exciter a marcher par un sourire... il a vu une image de la grace de Dieu, elevant et attirant I'homme vers lui ! Ce que c'est que la grace, il faut I'apprendre de Ji^sus lui-meme parlant a la Samaritaine. Elle etait venue puiser de I'eau a la fontaine de Jacob pres de laquelle il etait assis. Or I'entretien fut celui-ci : J^sus. Donnez-moi a boire. La Samaritaine. Comment, vous qui etes juif, me demandez-vous a boire, a moi qui suis Samaritaine... Jiisus. Si vous connaissiez le don de Dieu et qui est celui qui vousdit : donnez-moi a boire, vous lui en au- riez peut-etre demande vous-meme, et il vous aurait donne une eauvive. T.-« Deus est enim qui operatur in vobis et velle, et perficere. » {Phil., II, 13). 2. « Non sutificientes sumus cogitarealiquid a nobis, quasi ex nobis : sed sufficientia nostra ex Deo est. » (// Cor., 111, 5.) LA REPARATION. 47 La Saniaritaine. Seigneur, vous n'avez point de quoi puiser, et le puits estprofond: d'ou pourriez-vous done avoir cette eau vive? Etes-vous plus grand que notre pere Jacob qui nous a donne ce puits ? jEsus. Quiconque boit de cette eau-ci aura encore soif; au lieu que celui qui boira de I'eau que je lui don- ' nerai ii aura phts jamais soif . Mais I'eau que je lui don- nerai deviendra en lui une source qui rejaillira jusque dans la vie dternellc. La Samaritaine. Seigneur, donnez-mol de cette eau... Cette eau vive est la grace. jEsus I'appelle eau parce quelle lave lame de la souillure du peche, et qu'elle eteint ou tempere le feu de la concupiscence. Elle est eau vive, parce qu'au lieu de rester stagnante et inactive, elle ne cesse de stimuler a de bonnes oeuvres par de saints desirs. Elle est une eau qui em- pcche la soif des biens, des honneurs et des voluptes d'ici-bas ; et elle jaillit jusque dans la vie cHenielle, parce qu'elle releve jusqu'a Dieu, qui est le principe du- quel elle descend et la fin a laquelle elle appelle I'ame, — pour une felicite qui exclut tout desir et toute soif et pour une vie absorbee dans la vision et la glorifica- tion eternelles de Dieu. Telle est la grace. Son principe ou sa cause ejfciente est Dieu et ne peut etre que Dieu. Toutes les forces naturelles sont impuissantes a laproduire parce qu'elles sont sans proportion avec elle. De meme, ecrit le doc- teur angelique, qu'il n'y a que le feu qui puisse embra- ser, de meme il n'y a que Dieu qui puisse deifier, en faisant entrer, par la grace, en communication de la nature divine I'homme qu'il admet a participer a sa ressemblance('). Sa cause finale est la gloirede Dieu, I. S. Thomas, Utiinin.^ i . 2. q. cxii, art. i. 48 SAINT JEAN BERCHMANS. car nulle autre fin n'est digne de lui ; mais la gloire de Dieu avec la felicite de Thomme dans une vie ab- sorbee par la vision de I'infinie beaute, par I'amour repondant a I'infinie charite et se consumant dans I'e- ternelle louange. Sdi catcse mdritoire est J^sus-Christ. Lui seul a pu la meriter rigoureusement pour moi a cause de I'union hypostatique du Verbe avec son hu- manite. II est le puissant mediateur entre Dieu et moi; il est le Redempteur, il est le Sauveur, et il n'y a de salut que par lui. Si je me releve du peche, ma justifi- cation se fait par lui : c'est son sang qui lave mon ini- quite ('). Si je pose une oeuvre salutaire, elle decoule de la grace, et la grace me vient par lui et m'est donnee en vertu de ses merites. Si je merite moi-meme la cou- ronne de vie promise, mon merite est I'efTet de la grace, et il tire toute sa valeur de ses merites. II estle cep de la vigne et je n'en suis qu'un rameau, et, de meme que le rameau ne porte de fruit que par le cep, de meme, moi aussi, je ne suis capable d'actes meritoi- res qu'en union avec lui et par lui. Avantqu'il fut venu en ce monde, et de toute eternite, il a offert sa Passion a Dieu son Pere, et la grace a commence a decouler de ses futures plaies pour se repandre, comme un fleuve de vie, sur I'humanite. Ceux-lamemes y ont pul- se qui, sous I'ancienne loi, attendaient sa venue et avaient foi en lui : le Sang de I'Agneau coule depuis I'origine du monde ! J'honore les Anges, mais les Anges ne sont que les ministres de la grace ; ils peuvent me communiquer les secrets de Dieu ; ils peuvent me perfectionner en illu- minant mon ame, mais non en me justifiant par la grace. I. « Sanguis Jesu Christi... emundatnos ab omni peccato,>> {I Joan., 1.7.) LA REPARATION. 49 J'invoque les saints du ciel, je sollicite pour moi la priere et les bonnes oeuvres des justes dela terre et de tous les amis de mon Dieu, mais les saints et les justes ne sont que des causes meritoires secondaires : ils ne meritent pour moi que par les merites de jEsus. Je recours aux Sacrements, mais les Sacrements ne sont que des signes et des instruments de la grace ; et comme instrument n'a de vertu que par celui qui opere, les Sacrements n'ont d'efficacite que par la Passion in- finiment meritoire du Christ. O Verbe fait chair! vous etes mon Redempteur, vous 6tes mon Sauveur, il n'y a de salut pour moi que par vous. J'etablis ma demeureau pied de votre croix, je veux y vivre et mourir a I'ombre de votre couronne d'epines. Vous etes la source a laquelle je puiserai I'eau vive, le foyer ou mon ame s'embrasera du feu des affec- tions pures, le cep auquel j'emprunterai la seve pour porter des fruits imperissables. Bon jEsus ! repandez en moi, ah ! repandez la grace qui coule de vos plaies, et donnez-moi de lui obeir avec le meme abandon que les premiers d'entre les douze quand vous leur disiez pres du lac : Suivez-moi ! La grace ! la grace ! elle seule peut rendre la beaute a mon ame souillee, la lu- miere a mon intelligence obscurcie et la force a ma volonte languissante. Sans elle, 6 juste Dispensateur, je ne suis rien, je ne puis rien pour mon salut et je m'abime en moi. Sans elle, je reste sans volonte, sans sentiment, sans oeuvres : sterile comme une terre dessechee, desole comme un temple sans autel ni chant. Je suis cree pour vivre eter- nellement avec Dieu, et sans lui je ne puis parvenir a ma destinee surnaturelle ! Je suis un pelerin de leter- nit4 et sans elle je tombe de faiblesse et croupis de S. JEAN BERCHMANS. 4 50 SAINT JEAN EERCHMANS. lassitude dans les sentiers immondes du temps. Mais, 6 misericordicux JilSUS ! si vous daignez m'aider inte- rieurement de votre ineffable lumiere et de votre douce impulsion, je reconnais aussitot en moi un nouvel homme, je releve mon front, resplendissant de la no- blesse de sa renaissance par I'Eauet I'Esprit.je cours dans la voie des commandements avec le coeur dilate, et je sens que, moi-meme aussi, je puis tout par Celui qui me fortifie. Gljapitre troisteme* ETUDE DE L'INTERIEUR DU JEUNE BERCHMANS. I. VIE INTERIEURE DU SAINT. Gratia. . . Dei sum id quod sum., ^ C'est par la grace de Dieu que je et gratia ejus in me vacua non suis ce que je suis, et sa grace n'a fuit. I pas ete vaine en moi. ^ / Cor., IV, lo. j' ETUDE qui precede a eleve mon ame et prepare mon intelligence. Les ombres ter- restres, les prejuges mondains sont a mes pieds. Je contemple saint Jean Berch- mans des hauteurs sereines de la foi. En le contem- plant, je le comprends. C'est la grace qui I'a fait ce qu'il est, et cette grace a ete efficace en lui, parce qu'il s'est abandonne a sa douce motion. Dieu est la lumiere de son entendement, le moteur de sa volonte, I'ame de son ame. Sous son influence secrete, benigne et puissante, la raison s'eleve au-dessus des limites tracees par I'age, la concupiscence se taitja faiblesse devient force et I'ange efface I'enfant. Je m'explique tout en lui et ne m'etonne de rien : « II ne pleura jamais dans son enfance. » Ah ! je com- prends le depit et les pleurs, comme la joie folle et I'expansion bruyante, la oil regnent des passions in- domptees et partout oil Dieu n'est pas. Mais la oil la volonte obeit doucement a I'impulsion divine et ecarte le murmure pret a naitre, peut-il y avoir des pleurs } La oil s'exhalent le parfum de la priere avec le parfum de I'innocence, peut-il y avoir des pleurs ? Dans un 52 SAINT JEAN BERCHMANS. temple ou Dieu parle et ou il est ecoute, peut-il y avoir des pleurs ? « Jamais il ne fit peine, ni a sa mere, ni aux autres personnes occupees du soin de I'elever... » C'est que la peine, eprouvee ou infiigee, est fille du peche. C'est lui qui I'appelle, et c'est lui qui la repand. La ou la grace triomphe, la regnent la joie, la paix et la man- suetude du Christ. La parole qui blesse, I'acte qui venge ne saurait sortir de la, L'eau qui sort de la terre peut quelquefois etre empoisonnee, celle qui tombe du ciel, jamais. Or Jean puise la-haut ; ce qu'il est, il Test par la grace du Dieu doux et humble de coeur. O grace, 6 grace ! « II n'avait pas plus de sept ans quand il donna cette reponse : « afin de reussir a bien apprendre je sers deux ou trois messes avant I'ecole. » Intelligent enfant! quipressent, hors de lui etau-dessus de lui, une puis- sance invisible qui stimule, qui dirige et qui couronne les efforts de son esprit. Courageux enfant! qui devance I'aurore, a I'exemple des Israelites dans les solitudes de Sin ('), non pour recueillir une manne qui sustente son corps, mais pour demander la sagesse qui embellit et sanctifie I'ame. Saint enfant ! qui veille et a I'ame alteree de son Dieu comme le psalmiste{'')et qui trouve ses delices, deja, a rep6ter les immortels accents du chantre d' Israel : « Je m'approcherai de I'autel de Dieu, du Dieu qui remplit de joie ma jeunesse {'). » Et d'ou lui viennent cette sagesse precoce et cette piete touchante ? Ah ! son biographe me repond : 1. Exod., XVI et Sa£., XV, 28. 2. « Deus, Deus mens, ad te de luce vigilo. Sitivit in teanima mea. » {Ps. Lxn, 2.) 3. Ps. XLII, 4. VIE INTl^RIEURE DU SAINT. 53 « Quand il retournait de I'ecole et qu'il frappait a la porte de sa maison , si on ne la lui ouvrait pas a I'instant... il se rendait dans une eglise voisine, etlail se mettait a reciter le chapelet.)) Salomon me repond('): « J'ai invoque (le Seigneur) et I'espritde sagesse est venu en moi. » Le psalmiste me repond (^) : « J'ai ete plus intelligent que les vieillards parce que j'ai cherche vos commandements. » Jesus, fils de Sirach, me re- pond (^) : « Lorsque j'etais encore jeune, avant que de m'ecarter bien loin (et de tomber dans les egarements de cet age) j'ai recherche la sagesse dans ma priere avec grande instance. Je I'ai demandee a Dieu dans le temple (et j'ai dit en moi-meme) : Je la chercherai jusqu'a la fin de ma vie. Aussi elle a fleuri en moi comme une vigne precoce. Et mon coeur a trouve sa joie en elle. » « II se rendait a I'eglise. . . et la il se mettait a reciter le chapelet. » Comme le cerf altere court a I'eau des fontaines ; comme la colombe de I'arche, effrayee des eaux devastatrices, revient a la main qui I'a envoyee ; ainsi le jeune Berchmans se porte aux pieds des autels du Dieu qui rejouit sa jeunesse. La, un souffle mysterieux le penetre, souffle inspi- rateur, souffle d'amour pur, celui-la meme qui rem- plissait le psalmiste recueilli pres des tabernacles du Dieu vivant. Sous sa douce influence nait la priere. Or la priere, comme I'encens, aime a s'epandre et a se manifester. Jean prie done, non seulement du cceur, mais des levres et de toute son attitude. II me semble voir le pieux enfant, roulant entre ses petits doigts le rosaire de saint Dominique sous les ogives de I. Sap., VII, 7. — 2. Ps. CXVlii, TOO. — 3. Eccli., LI, 18, 19, 20. 54 SAINT JEAN BERCHMANS. Saint-Sulpice ; et, devant ce spectacle , je m'incline attendri, comme s'il m'etait donne de contempler roint d'Israel, pin^ant religleusement les cordes delaharpe de Sion au milieu des choeurs d'Asaph. La, pres des marches de I'autel, Berchmans se com- plait en son Bien-Aime, et il s'unit a lui de plus en plus et par toute son ame. II est, selon la comparaison saisissante du Christ et de son apotre, le rameau qui s'appuie sur le cep de la vigne(')ou la branche inseree sur I'olivier franc ('), C'est la qu'il puise la seve de cette vie cachee (^) que le monde ne connait point, et une force qui le rend superieur a toute force humaine et a toute faiblesse humaine. Voila pourquoi il vainc la concupiscence avant d'avoir ete vaincu par elle ; pourquoi il sait comprimer les elans de son age, mor- tifier sa curiosite, supporter en silence la douleur ; pourquoi enfin il trouve douces la solitude et la priere, ameres les vanites et toutes les joies des enfants du siecle. EntesurJi^sus-CHRisT,ilpuise la sagesse a laSagesse, et la chariteala Charite. La, son neant et Dieu lui apparaissent de pres : son neant, qui lui apprend I'hu- milite, et Dieu, qui se montre a lui comme son refuge et sa force, sa lumiere et son salut. Neant de I'homme et grandeur de Dieu ! poles de I'infini, desquels jaillit toute verite salutaire et auxquels Jean puise comme a leur source, pres des marches de I'autel, une intelli- gence qui le rend superieur aux maitres alors qu'il est a peine disciple, et une sagesse qui le fait pour jamais la le9on des vieillards, comme le modele des adoles- cents alors qu'il n'est encore qu'un enfant. I. yoati., XV. — 2. Rotn., XI, 1 7. 3. .,\\\, r. A dix ans le pieux enfant de choeur de Saint-Sulpice etait vainqueur dans la grande lutte de I'esprit contre la chair. II savait dominer ladouleur, mepriser le repos, se derober aux jeux, reprimer la curiosite, dompter I'humeur et passer sur ses repugnances. II pouvait deja dire, lui aussi : « J'ai combattu le bon combat... une couronne de justice m'est reservee {'). » Dieu seul sait quelles furent les difficultes et les peines de ce combat, commence en lui des I'epanouis- sement des affections et avec les premieres clartes de I'intelligence. On peut supposer qu'elles ne furent pas bien grandes, car il combattait un ennemi que nulle victoire n'avait rendu fort, avec une volonte que nulle faute n'avait affaiblie. II avait garde intacte lavigueur d'une ame pure dans un corps vierge. Telle n'est pas la condition de tous. Beaucoup ont failli et les plaies originelles se sont elargies chez eux // Tj?noth., IV, 7, 8. LE COMBAT SPIRITUEL. 59 dans la proportion de leurs chutes precoces. lis sentent douloureiisement au fond d'eux-memes deux hommes. L'un est I'enfant d'Adam, I'autre est I'enfant de Jesus- Christ. Le premier homme, Adam, est de la terre et terrestre ; c'est le vieil homme, le foyer de la concu- piscence, portant en lui le germe du peche et de la mort. Le second homme, Jiisus-Christ, est du ciel et celeste ; c'est le nouvel Adam, il a en lui le principe de la regeneration spirituelle, de I'immortalite et de la gloire ('). II enseigne a se depouiller du vieil homme qui se corrompt en suivant ses desirs et a se revetir de I'homme nouveau,qui est selon Dieu, dans la justice et la saintete (''). L'enfant d'Adam ressemble a Adam et I'enfant de J^sus-Christ a J^sus-Christ ; or le chretien est l'un et I'autre. De la au fond de lui-meme, un concours etrange de passions viles et d'aspirations nobles ; de la le tourment du coeur, qui n'a qu'un trone et ne demande qu'un maitre ; de la enfin cette lutte inte- rieure et secrete de la nature et de la grace, lutte quo- tidienne qui fait de la vie un combat continuel ou les defaites et les remords ne balancent que trop les vic- toires et les jubilations, lutte a outranceet dont Tissue finale reste pour tous enveloppee d'une accablante incertitude. L'enfant d'Adam aime les jouissances qui flattent les sens ; l'enfant de Jiisus-Christ recherche les occupations qui sanctifient I'ame. 1 . « Per hominem mors, et per hominem resurrectio mortuorum. Et sicut, in Adam, omnes moriuntur, ita et in Christo omnes vivificabuntur. ...Primus homo de terra, terrenus : secundus homo de ccelo, coelestis. Qualis terrenus, tales et terreni : et qualis ccelestis, tales et ccElestes. » (/ Cor., XV, 21-22 45-48.) 2. £p/ies., IV, 20-42. 6o SAINT JEAN BERCHMANS. L'enfant d'Adam s'abandonne a la concupiscence des yeux ; II ne prend pas garde qu'apres le regard qui s'oublie, vient la pensee qui souille, puis la flamme qui devore. L'enfant de J^sus-Christ s'impose la modestie du regard ; il sait quelle empechera les divagations de son esprit, et qu'elle protegera les avenues de son coeur. L'enfant d'Adam craint le travail et la souffrance ; il s'irrite du mepris et de I'injure. L'enfant de J^sus- Christ sait tout accepter et tout supporter : ressembler au divin Maitre est sa loi et finit par devenir sa joie. L'enfant d'Adam se plait dans les societes brillantes, et il ecoute avec une avidite insatiable (') les discours des hommes ; l'enfant de J^sus-Christ cherit une solitude obscure et il y ecoute avec bonheur les con- fidences de Dieu (^). L'enfant d'Adam aspire a etre connu, a occuper I'attention.a paraitre devant la foule ; l'enfant de J:^sus- Christ apprehende les regards des hommes, il tient pour peu leurs louanges et il les fuit. Cest Nazareth qui fait ses delices, ce n'est pas la voie des palmes ; et, s'il est quelque jour honore et acclame, il aime a se ressouvenir qu'apres I'Hosanna auFilsde David Jj^sus- s'est rendu au Temple (3). L'enfant d'Adam se repand au dehors : il trepigne d'aise parmi les jeux, a la table, au milieu des hon- neurs, dans tous les plaisirs, partout oii il se distrait de lui-meme. L'enfant de J^sus-Christ se recueille devant son ame et recueille son ame devant Dieu. La, comme dans un sanctuaire ferme et inconnu aux mon- 1. « Non saturatur oculus visu, nee auris auditu impletur.)) {Eccle.,i,Z.) 2. « Ducam earn in solitudinem : et loquar ad cor ejus. » {Osee, ll, ii.) 3. Afatt., XXI, 9. LE COMBAT SPIRITUEL. 6 1 dains, il goute une joie superieure a tous les plaisirs, il se sent une dignite au-dessus de tous les honneurs et il fait ses delices de la meilleure des parts, qui est celle de Marie de Bethanie ('). L'enfant d'Adamse passionne pour les richesses et le luxe, parce qu'il ne voit rien au dela du temps et rien au-dessus des hommes. L'enfant de J^sus-Christ vit content quand il a le nccessaire : tout le reste lui parait fugitif devant I'eternite qu'il attend, vil devant Dieu qu'il contemple.et vain devant cette parole qu'il medite: « Que sert a I'homme de gagner le monde entier s'il vient a perdre son ame ('). » L'enfant d'Adam se tourmente devant I'obstacle et il se trouble dans le peril. L'enfant de J^sus-Christ s'abrite sous les ailes du Tres-Haut et se remet a la garde de son ange : il ne s'emeut ni de la parole qui blesse ni du piege qu'on tend, ni de la fleche qui vole, ni du complot qui se trame. L'enfant d'Adam ambitionne les hautes amities, il flatte les puissants, il neglige les petits, il meprise les pauvres. L'enfant de Jiisus-Christ a pour meilleurs amis les amis de Dieu ; il loue peu et il ne blame point; devant lui, celui-la seul est grand qui est humble, celui-la seul est digne qui est juste, et celui-la seul est noble qui n'est pas le serf des prejuges du siecle. L'enfant d'Adam se considere avec complaisance, il s'enorgueillit de la subtilite de resprit,il touche incon- siderement a tout ce qui semble etre le fruit de la science du bien et du mal. L'enfant de JjSsus-Christ s'examine avec componction, il s'humilie de manquer de la simplicite ducoeur; obeira Dieu et marcher pur sur la terre est son bonheur ; cet Eden lui suffit. I, Ltcc.y X, 42. — 2. Matt., XVI, 26. 62 SAINT JEAN BERCHMANS. L'enfant d'Adam se dit fier de ne dependre de per- sonne ; l'enfant de J^sus-Christ se sent heureux de n'etre pas I'esclave de lui-meme. L'enfant d'Adam se glorifie volontiers devantleshommes, qui le meprisent; l'enfant de Jesus-Christ s'interdit sa propre louange et il s'accuse devant DIeu, qui le benit. L'enfant d'Adam presume de ses forces, il se repose sur ses resolutions, il brave les perils ; l'enfant de JiiSUS-CiiRisT se defie de sa faiblesse ; il veille, prie et se confie a la garde de Dieu ; Goliath tombe ignomi- nieusement avec son armure d'airain et de fer, et David est vainqueur au nom du Dieu des combats {'). L'ennemi, le grand ennemi de I'homme, dans le combat spirituel, est done en lui, et c'est lui-meme ! II n'estpas seul ; le monde est son complice, j'en- tends le monde qui s'etourdit sur la terre en oubliant Dieu et en s'oubliant soi-meme. Ce monde pactise avec la concupiscence ; il excuse ses faiblesses et il adule ses vices. Son langage est mensonge et seduc- tion : il appelle amusement ce qui est temps a jamais perdu, inclination ce qui est passion vile, imprudence ce qui est honteux desordre, oubli ce que I'Apotre ne veut pas que les chretiens nomment. Le monde a son honnetete a lui ; I'honnetete mondaine est dans des formes et des formules, elle n'atteint et n'oblige ni I'ame ni meme le corps, elle n'a rien de surnaturel, elle ne pesera pas dans la balance du jugement. Entre elle et I'honnetete du disciple du Christ, il y a la difference d'une apparence a une realite et d'un fruit corruptible a un bien imperissable. « Si quelqu'un aime le monde, I'amour du Pere ce- 1. Reg., XVII. LE COMBAT SPIRITUEL. 63 leste n'est point en lui. Car tout ce qui est dans le monde est, ou concupiscence de la chair, ou concupis- cence des yeux, ou orgueil de la vie ('). » Cette parole est du disciple bien-aime. Elle reste vraie apres dix-huit siecles : le monde demeure serf de I'orgueil, de la con- cupiscence, il le sent, il le veut, mais, il ne I'avoue pas. Je I'ai entendu nommer devoir ce qui etait desir ambi- tieux, fermete ce qui etait vengeance passionnee, hon- neur ou digne d'honneur ce qui, a mes yeux de Chre- tien, n'etait que luxe inconsidere, ostentation puerile, vanite ridicule, ou sensualite meprisable. Et j'ai pense a Dieu, confondant le langage des enfants d' Adam dans la pleine de Sennaar, alors qu'ils voulaient elever leur tour jusqu'au ciel, et celebrer leur nom pour toujours. Malheur a ceux qui aiment les societes mondaines et qui leur pretent une oreille avide et docile ! lis ne resisteront pas a leurs mots trompeurs,a leurssophismes perfides, a leurs maximes decevantes. La, tot ou tard, vient le vertige, les tenebres couvrent 1 ame et la vertu succombe. Que de fois on a vu I'adolescent confiant y entrer, inonde encore de la grace et de la verite du Christ, et en sortir avec une vie relachee et une foi morte ! La loi divine, eternelle, immuable, avait cesse d'eclairer son intelligence et de rechauffer ses affections pures ; et il ne restait plus en son ame, sur les ruines des croyances etouffees et des bonnes moeurs perdues, que des opinions egarees et I'honnetete qui n'oblige pas, et quelquefois meme, qu'un doute desolant et le desespoir de la raison avec I'endurcissement du coeur. C'est chatiment, mais c'est justice. Dieu lui avait dit: « Celui qui aime le peril y perira. » L'adolescent eut I, Joan., II, i6, 64 SAINT JEAN BERCHMANS. d\X le prevoir. On ne touche pas impunement aux lepreux. L'humanite n'est pas seule avec DIeu dans I'univers. Elle n'est qu'un anneau de I'lmmense chaine, elle n'a qu'une voix dans I'imposant concert des etres. La raison devine I'existence d'esprits qui pesent sur les volontes et les destlnees de Thomme; la sainte Ecriture les fait connaitre. « Pensez-vous, ditj^sus a Pierre en lui ordonnant de remettre son epee dans le fourreau, pensez-vous que je ne puisse pas prier mon Pere, et qu'il ne me donnerait pas aussitot plus de douze legions d'anges pour m'arracher des mains de ces enne- mis {') ? ». Ces esprits sont les ministres des volontes divines. C'est un ange qui arrete le bras d' Abraham pret d'im- moler son fils (^), un ange qui precede les Israelites quittant la terre de la servitude (3), un ange qui vient reconforter le prophete Elie sous le genevrier du de- sert (''), un ange qui est donne pour guide et conseiller a Tobie (^), un ange qui garde Judith de toute souil- lure (^), un ange qui ecarte d'Azarias et de ses compa- gnons les flammes de la fournaise de Nabuchodo- nosor (''). Au temps de la Bonne Nouvelle, Zacharie apprend d'un ange qu'il sera le pere du saint Precurseur (^), Marie est pre venue que le grand mystere des temps s'accomplira en elle (^), des pasteurs sont avertis de I'evenement de Bethleem ('°), Joseph est invite a fuir en Egypte ("), Jiisus est servi apres la tentation ("), son tombeau, ouvert et vide, est garde ('^), et ce sont I. Afaft, XXVI, 53.— 2. Gen., XXII, 1 1.— ^.Exod., Xiv, 19.— i^.III Reg., XIX, 5.— 5. lob., V, VI.— d. Judith, XIII, 20.— 7. Dan., ill, 49.— S.Zw^r., I> '3- — 9- L-tic, I, 28. — 10. Luc, II, 9. — II. Matth., II, 13. — 12, Matt., IV, II. — 13. Maith., XXVIII, 2. LE COMBAT SPIRITUEL. 65 encore ces esprits celestes, voiles d'un corps glorieux, qui rempHssent ces fonctions et qui sont les ministres de ses enseignements. Les relations merveilleuses du ciel avec la terre changent avec les temps, mais elles ne se rompent jamais. Dieu a parle d'abord aux hommes par les anges et par les prophetes, ensuite par son Fils et par ses Apotres. Depuis, il a voulu honorer Marie, il I'a asso- ciee aux ministres de ses revelations et c'est elle qui semble choisie, en nos temps benis, pour etre la divine messagere et I'ange de I'humanite. Admirable disposi- tion de la Providence, qui se plait a donner au monde des preuves toujours nouvelles de sa sagesse infinie et de sa misericorde qui ne se lasse pas ! La revoke a eclate j usque dans la milice celeste, et il s'est trouve des anges prevaricateurs ('), Dieu ne leur a point pardonn^ : « II les a precipites dans I'abime, oii les tenebres sont leurs chaines, pour etre tourmentes et tenus comme en reserve jusqu'au juge- ment (^). » Ilssont lesimplacables ennemis du salut del'homme: le peche et la mort sont entres dans le monde par leur envie (^), et ils restent les grands instigateurs du mal. J'entends la parole du prince des apotres {^) : « Soyez sobres et veillez : car le demon, votre ennemi, tourne autourde vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra devorer. » J'entends Paul, I'apotre des Gen- tils (5) : « Revetez-vous de toutes les armes de Dieu, afin de pouvoir vous defendre des embuches et artifices l./od., IV, 18. — 2. II Petr., II, \;JudiE, 6. 3. « Deus creavit hominem inexterminabilem, et ad imaginem simili- tudinis suae fecit ilium. Invidia autem diaboli mors introivit in orbem terrarum. » {Sap., il, 23, 24.) 4. I Petr., V, 6. — 5. Ephes.f vi, 11, 12. S. JEAN BERCHMANS. C 66 SAINT JEAN BERCHMANS. du diable. Car nous avons a combattre, non centre la chair et le sang, mais centre les principautes et les puissances de I'enfer, centre les princes du monde, c'est-a-dire de ce siecle tenebreux, centre les esprits de malice repandus dans I'espace. » Ces revelations centiennent I'explicatien de I'iniquite qui est sur la terre. Cette iniquite est grande et dispre- pertiennee a la faiblesse et a la malice de I'hemme. Car, si exigeante que seitla concupiscence, elle se lasse et s'arrete,et,si violent que soit I'appetit irascible, il finit par avoir horreur de lui-meme. II reste toujours dans I'hemme un fond de pudeur, de justice et de bonte, et, quand on ne le remarque plus, c'est que Dieu est absent et que I'enfer regne. Non, on ne saurait consi- derer ni le blaspheme freidement medite, ni le deses- poir jusqu'au suicide, ni la vengeance sans merci, ni la haine implacable centre ceux quisont deux ethumbles, ni les instruments du martyre : le chevalet et les tenailles a lacerer, les torches ardentes et les lames de fer rougi, la scie et les fouets armes de balles de plomb, le gril de fer et le feu lent, la roue a pointes courbes et les mille meyens qui appellent lenguement la mort au milieu de tourments aigus... sans se surprendre a vouloir excuser la nature et a dire : c'est I'ceuvre de I'esprit de perdition dans I'hemme ! Cet esprit abominable s'oppose par tous les meyens a la sanctificatien et au salut : II repand I'erreuret reste le pere du mensonge; « vous ne mourrez point... vous serez comme les dieux, » telle est toujours sa reponse secrete a teutes les hesitations en facedu mal. II use de tous les artifices : il se transforme en ange de lumiere (') pour tromper et seduire ; il perte les I. II Cor., XI, 14. LE COMBAT SPIRITUEL. 67 hommes aux plaisirs, pour les surprendre quand lis s'oublient dans les transports d'une joie sans retenue ; il les laisse momentanement en repos et leur persuade la securite, pour faire irruption quand ils ne veilleront plus ; il jette le trouble et les tenebres dans les ames, pour les atteindre et les perdre quand elles sont affai- blies par I'incertitude et la desolation. II est I'instigateur de tous les maux. II allume I'en- vie, car I'envie est en lui et ne se lasse point (') : « Lorsque I'esprit impur est sorti d'un homme, il va par des lieux arides, cherchant du repos, et il n'en trouve point. Alors il dit : je retournerai dans la mai- son, d'ou je suis sorti. Et revenant il la trouve vide (des passions qu'il y avait excitees), purifiee (du peche) et paree (des vertus que la grace de Dieu y a formees). II va prendre avec lui sept autres esprits plus mechants que lui, et entrant (dans cette maison) ils y etablissent leur demeure : et le dernier etat de cet homme devient pire que le premier. » II excite I'orgueil : si J^sus- Christ, se prosternant, consent a I'adorer, il lui don- nera tous les royaumes du monde avec leur gloire (^). II inspire I'avarice : quand il est entre dans Judas, le traitre livre son Maitre pour trente pieces d'argent {^). II sollicite a I'impurete : I'ange de Satan qui tente, humilie et soufflette saint Paul, c'est lui. Meme quand il n'apporte pas le peche, il apporte, si Dieu le lui permet, le tourment et le malheur: il frappe I'innocent dans ses biens et dans son corps (^) ; il est le ministre des fleaux du Seigneur {^), et il exerce sur ceux qui sont en sa possession toutes les oeuvres de la cruaute et de la tyrannic. I. Matth., xn, 43-45 ; Luc, xi, 24-26. — 2. MattJu, iv, 9 ; Luc.y iv, 5, 6. — 3. Luc, XXII, 3 ; Matth., XXVI, 15. — ^.Job.^l, 11. — i^. Ps. LXXVii, 49 ; Prov., XVII, II. 68 SAINT JEAN 13ERCHMANS. Mon Dieu, delivrez-moi des embuches des anges prevaricateurs. Mon Dieu, au jour de mon bapteme, j'ai renonce pour toujours au demon, a ses pompes et a ses oeuvres. J'ai grandi au chant de cette promesse et j'ai tressailli devant vos autels aux paroles du can- tique : Je renonce aux pompes de ce monde, A la chair, h. tous ses vains attraits. Loin de moi, satan, esprit immonde, Je m'engage a te fuir pour jamais. Ce chant a rejoui mon enfance et inonde mon ame d'une piete tendre et reconnaissante. Maintenant me voici agenouille en votre presence, plein du souvenir de vos bontes pour moi jusqu'a ce jour, et je renou- velle mon engagement devant vous, devant le ciel et devant ma conscience : je renonce au demon, a ses pompes et a ses ceuvres ; je suis et veux rester votre enfant. Dieu et pere, 6 vraiment mon pere, qui m'avez regenere a ma naissance, qui avez guide mes premiers pas, qui avez protege mon adolescence, qui avez sauve ma jeunesse ; pere tendre, pere misericordieux, aidez- moi a garder ma parole et ma foi, Armez-moi, contre moi-meme, d'une prudente severite ; contre les maxi- mes du monde, d'un dedain profond ; contre les anges des tenebres, d'une aversion eternelle,eternellecomme leur envie, leur reprobation et leur haine. Et que je reste toujours doux, humble et chaste, dans la contem- plation de vous-meme, avec la protection de Marie, de Joseph et de Jean Berchmans et sous la garde de mon bon ange. LES VAINQUEURS. 69 III. LES VAINQUEURS. Cumqiie descenderet Moyses de §1 LorsqueMoisedescenditdumont monte Sinai', tenebat duas tabid as testimonii, et ignorabat quod cor- iiuta esset fades sua ex consortia serinonis Domini. Sinai tenant les deux tables du \.€- moignage, il ignorait que sa face etait rayonnante de lumiere,depuis I'entretien du Seigneur avec lui. ^ Exod., XXXIV, 29. Moise descendant du Sinai, le visage rayonnant de lumiere a la suite de son entretien avec le Seigneur, telle est I'image des vainqueurs dans le grand combat contre la chair, le monde et le demon. lis ont revetu Ji^sus-Christ et ils lui ont emprunte de sa celeste beaute. La grace les a transfigures. La grace ! don ineffable : flamme celeste, qui purifiecequ'elle touche, qui illumine ce qu'elle a purifie, qui echauffe, amollit et transforme ce qu'elle a illumine ; la grace ! trait divin qui transperce I'enfant d'Adam, qui mortifie la chair, qui vivifie I'esprit et qui deifie I'homme en fai- sant reapparaitre en lui I'image et la ressemblance de Dieu son Createur; la grace! eau vive, sortant, comme un fleuve intarissable, du sein de Dieu contemplant les plaies de son fils, et se multipliant en sources jail- lissantes au milieu d'une terre aride, ou elle appelle la vie, la fecondite, I'abondance et des fruits imperissa- bles. L'homme qui obeit a I'invitation de la grace se de- tache de la foule et gravit la montagne sainte au milieu d'eblouissantes fulgurations. A mesure qu'il s'eleve, sa foi augmente, son esperance s'affermit, sa charite de- vient plus ardente, les plaies du peche se ferment, les bruits de la terre meurent dans le lointain, toutes les illusions s'evanouissent. II se voit aux clartes de I'eter- nelle verite, il s'humilie, il se prosterne, il epanche toute son ame devant la divine Majeste et il recoit 70 SAINT JEAN BERCIIMANP. d'elle d'inenarrables confidences. La foule qui adore le veau d'or dans la plaine ignore les merveilles qui s'operent sur ces sommets embrases, et quand I'hom- me de Dieu, transforme par les celestes entretiens, reparait aupres d'elle, elle reste stupefaite a son aspect nouveau : il rayonne de la beaute divine ! Pierre n'etait qu'un pecheur du lac de Galilee. Dieu I'appelle, il le suit. Un rayon d'en haut I'eclaire, et il confesse le Fils de Dieu dans la personnede J^sus; la grace acheve son oeuvre, et le Galileen n'est plus recon- naissable. II jetait naguere son filet au lac, et il est devenu pecheur d'hommes a Jerusalem, a Antioche, a Rome! II etait illettre et sans eloquence, maintenant il defend la doctrine, il enseigne la morale, la foule le suit et la synagogue s'emeut. II etait impuissant, et voila qu'il reconcilie les hommes avec Dieu et qu'il opere des guerisons prodigieuses; et on a foi en lui, et on apporte les infirmes sur son passage. Disciple, il avait la faiblesse de renier son Maitre dans la cour du palais de Caiphe ; prince des apotres, il a le courage de le confesser a la face de la Judee. A Jerusalem, il s'intimide a la parole d'une servante; a Rome, il brave jusqu'a la mort la colere de Neron. Saul 6tait un persecuteur, « ne respirant que mena- ces et que carnage contre les disciples du Seigneur. » Une voix se fait entendre a lui sur le chemin de Damas, ou il va pour saisir les chretiens, c'est la voix de la grace : « Saul, Saul, pourquoi me persecutes-tu .'* » Alors s'accomplit la parole d'Isaie : le loup habite avec I'agneau, et le lion avec la brebis ; et ils ne nuisent pas, parce que la terre est remplie de la connaissance du Seigneur (').« Le persecuteur est appel6 « frere » par I. Js.,x\, 19. LES VAINQUEURS. le disciple Ananie, et Saul, depuis nomme Paul, « porte le nom de Ji-sus-Christ devant les gentils, devant les rois et devant les enfants d' Israel ('). » II ne veut plus se glorifier que dans la croix du Seigneur par qui le monde est mort pour lui comme il est mort au mon- de ("). Pour J^sus-Christ, il sait tout souffrir : la pri- son, le fouet et les verges, tous les perils et tous les travaux, les fatigues et les veilles, la faim et la soif, le froid et la nudite (^). Je vois Augustin de Tagaste. Les sophismes de I'erreur ont trouble son intelligence et les passions de son aofe retiennent, comme des chaines, les elans de son coeur. II doute cruellement, il veut et ne veut pas, et dans le supplicequ'il endure, il dit toujours: demain, demain ! Mais I'heure de Dieu vient, et quand il a obei a la voix inexplicable qui crie: « Prenez et lisez, prenez et lisez, » on ne le reconnait plus. Le gnostique est Chretien et le grand combat a commence ; saint Au- gustin perce sous le vain rheteur qui disparait, et I'in- quiet auditeur d'Ambroise devient le grand eveque d'Hippone et une des grandes lumieres de I'liglise. Dans une petite ville sise au pied des Apennins vivait un jeune homme prodigue, passionne pour les joies foUes, les vanites mondaines et la gloire. Une voix mt6- rieure et secrete, douce et forte, vient le distraire au milieu de ses jouissances fievreuses : c'est Dieu qui frappe a la porte de son coeur. II ecoute, il medite, il se laisse emouvoir et vaincre. Une pensee I'occupe, le poursuit et le presse : il faut tout detruire et tout reedlfier en lui! Ce projet est grand, difficile, surhumain; mais il est dispose a porter de grands coups et Dieu I, AcL, IX, \-i7. — 2. Ga/., VI, 14. — 3. J/ Cor., xi, 25-27, SAINT JEAN BERCHMANS. est avec lui ! Done, pour dompter la vaine gloire et acqu6rir rhumilite, 11 se met a gouter a longs traits et a savourer devant les hommes le calice de la honte et de rignominiemondaines;pourvaincre laconcupiscence et rester pur, il se lie par le voeu de chastete perpe- tuelle ; pour mortifier le vieil homme avec tous ses desirs, il s'allie a la pauvrete evangelique et il s'impose de ne vivre que sur les fonds de la providence. Le vaincu de la grace devient le vainqueur de lui-meme et du monde, et le fils obscur du marchand Bernardone s'appellera desormais saint P>an9ois d'Assise. Voici trois adolescents ; la grace les a fa9onnes des leurs premieres annees ; elle leur a conserve la purete des anges et donne la vigueur des athletes; le monde ne saurait les comprendre: c'est un Kostka qui meurt par terre par esprit d'humilite, c'est un Gonzague qui flagelle sa chair innocente pour ce motif seul qu'elle pourrait devenir coupable, c'est Berchmans qui, pour aller s'agenouiller aux pieds de I'autel, s'arrache au repos du matin, aux jeux de ses compagnons et a tous les appats seducteurs du monde et de I'enfer. Et moi, moi qui observe et medite ces grands coups de la grace, j'etais... ah ! Seigneur, c'est a vous qu'il appartient de juger. . . Maintenant votre droite a frappe I'ennemi {'), vous m'avez porte sur les ailes des aigles, vous m'avez pris pour etre a vous ('), et, si chetif que je sois parmi vos serviteurs, j'unis mon cceur a leur coeur, ma voix a leur voix, et, aid6 par vous, j'irai chanter vos louanges avec eux pendant I'eternite. Les prodiges eclatants de la grace victorieuse dans 1. € Dextera tua, Domine, percussit inimicum. » {E.vod., XV, 6.) 2. « Vos ipsi vidistis qiu^ fccerim ^-Egyptiis, quomodo portaverim vos super alas aquilarum et assumpierim mihi. »{£xoiil., xxix, 4.) LES VAINQUEURS. 73 les grands saints peuvent se compter, I'histoire les a recueillis pour I'exemple et le salut des generations ; mais ses merveilles secretes ne se comptent pas, elles sont infinies commela misericorde. Jiisus vit et opere sans cesse dans I'Eglise ; la verite luit a I'interieur des consciences, le repentir nait, les souillures s'effacent, I'orgueil est vaincu, la chair est crucifiee, Dieu est beni et le Christ se forme dans les ames avec sa mansuetude et son humilite. La tunique du Sauveur est, depuis dix-huit siecles, un manteau royal qui rechauffe le monde, et qui, a chaque heure, transforme des hommes coupables en heritiers du royaume celeste, couvrant toutes les nudites et guerissant les plus hideux ulceres. Maintenant je secoue la poussiere de mes pieds, je laisse au dehors les prejuges et les passions, J'entre en esprit, avec recueillement, dans la paisible demeure du chanoine Emmerick, Jean est la ; ce lieu est beni. Je veux I'y suivre pas a pas, et mediter chacune de ses actions. Elles sont la plus douce occupation de mon esprit et elles marquent la voie de mon salut. O enfant de Diest, saint et sage enfant, enseignez-moi par vos exemples la prudence et la sagesse. Je vous prends pour maitre et pour modele; je suis votre disciple, et puisse- je vous ressembler. Je contemple votre ame embrasee, puisse-je recevoir d'elle, comme Moise du milieu des flammes de I'Horeb, les enseignements de mon Dieu et la regie de ma vie ! Gljapttre quatrieme. JEAN BERGHMANS CHEZ LE CHANOINE EMMERICK. I. Lecture : SES GOUTS POUR LA RETRAITE. Oimque essetjunior... nihil ptie- jfe Bien qu'il fut fort jeune... il ne rile gessit in opere. I fit rien de pu^ril dans ses actions. ^ Tob., I, 4. N put remarquer bientot, au pensionnat « du venerable Emmerich, combien la « solitude etait douce aujeune Berchmans, « Pendant que ses compagnons s'adon- « naient au jeu, lui, se derobait adroitement et il se « retirait dans sa chambre pour s'y livrer a la lecture « ou a la priere. Plus d'une fois son regent se vit dans « la necessite d'aller I'enlever a sa retraite et de lui « ordonner de jouer, dans la crainte qu'il ne se fatiguat « trop la tete par I'etude et I'oraison. Ses compagnons, « qui I'aimaient beaucoup, ne s'offensaient pas en le « voyant eviter leurs jeux, parce qu'ils connaissaient « sa vertu, et ils pensaient bien qu'il ne s'abstenait de « jouer que pour obeir au desir de travailler a sa « sanctification. « Au temps ou il habitait la maison d'Emmerick, « Jean apprit de lui-meme, sans avoir d'autre maitre « que Dieu, a mediter sur la passion de Notre-Seigneur « J^sus-Christ. « Un jour, pendant que ses compagnons etaient a la « recreation, il se renferma dans un coffret propor- « tionne a sa taille et il y resta cache pendant deux « heures. Son superieur, ainsi que d'autres personnes DIEU ET LAME DANS LA SOLITUDE. 75 « I'apprlrent, et ils s'arreterent a la pensee qu'il avait « plusieurs fois employe ce stratageme, et qu'il se « cachait ainsi pour vaquer a la meditation. » II. DIEU ET L'AME DANS LA SOLITUDE. Lactabo earn et diicani earn in ^ Je la nourrirai, je la conduirai solitudinem et loquar ad cor ejus. dans la solitude et je parlerai k ^ son cceur. Osee., ii, 14. La solitude est un element de vie ou un element de mort. L'homme petri de boue s'y affaisse misera- blement dans la concupiscence : vce soli! L'homme de la pensee peut y trouver Dieu et son salut, ou n'y rencontrer que le vide du scepticisme et du desespoir. Mais I'enfant de I'Evangile y converse avec le ciel. Dieu attend le chretien* dans la solitude. C'est la qu'il lui ouvre ses confidences, la qu'il lui prodigue ses tendresses. Voulez-vous apprendre de lui ce qui est verite et ce qui est vanite } voulez-vous jouir d'une paix salutaire et profonde ? E'ntrez dans votre chambre et apres en avoir ferme la porte, priez en secret votre Pere qui est dans le ciel. Cette parole est de J^sus ('), elle definit la voie de la perfection et du bonheur. Aussi longtemps que les bruits du siecle retentissent dans I'ame, ils y etouffent les voix interieures; aussi longtemps que I'eclat des vanites mondaines y penetre, il la distrait de la lumiere des verites eternelles; et Dieu lui-meme y reste inaper9u et delaisse! Dieu! son createur, son maitre et son meilleur bote. Celui qui fuit le monde fait le premier pas qui mene a Dieu. En quittant les hommes, il se trouve en I. Matth., VI, 6. 76 SAINT JEAN BERCHMANS. presence de la nature, ou de lui-meme ou de Dieu. La nature ! elle lui parle. Les cieux racontent la gloire de Dieu, le firmament public les ceuvres de ses mains. . . et il n'y a pas de langage par qui leurs voix ne soient entendues ('). La lumiere et les tenebres, les mon- tagnes et les abimes, I'ocean et ses flots, comme I'espace infini et son silence eternel, ont une voix : voix secrete, voix forte, voix religieuse ; voix qui saisit, qui penetre, qui recueille. L'ame contemplant I'univers sent qu'il y a, en dehors d'elle, une puissance plus grande que la sienne. Car les astres decrivent leurs orbites, les nuages parcourent I'atmosphere, les plantes suivent le cycle des saisons, les jours et les nuits se succedent, enfin I'harmonie terrestre suit son cours perpetuel... sans I'homme et comme s'il n'exis- tait pas ! L'ame le sent, elle se I'avoue, et peut-etre prononce-t-elle le nom de Dieu, que proclame son ceuvre. Si l'ame quitte la contemplation de la nature pour se retourner sur elle-meme, la encore elle rencontre Dieu, car il est atous les confins de sa pensee. Quelle s'interroge sur son avenir, elle aboutit a lui ; quelle medite sur son origine, elle le retrouve. Nul probleme ne se resout sans lui. Qu'elle remonte, dans ses souve- nirs, le cours des ages, elle le rencontre a toutes les pages de I'histoire des hommes, mais elle le rencontre de plus en plus pres et elle le distingue de mieux en mieux. Naguere, en presence de la nature, elle recon- naissait le Dieu de la nature ; maintenant, en face d'elle-meme, elle se sent Invitee a reconnaitre son Dieu. Elle a fait un pas de plus. I. Ps. XVII I, :;, 4. DIEU ET LAME DANS LA SOLITUDE. "]"] A la connaissance succede la contemplation ; de la contemplation nait I'amour; I'amour inspire le sacrifice. Connaitre, contempler, aimer, souffrir pour servir, voila les colonnes de la voie du salut, qui est la vraie voie de I'homme. Pour lame qui commence a se deta- cher du monde, ce sont des haltes oii elle se repose et se complait, etonnee de ce qu'elle voit, et heureuse de ce qu'elle fuit. Pour le chevalier aguerri du Christ, ce sont des etapes connues etaimees, oil il s'arrete et se reconforte chaque jour pour les combats du lendemain. Pour le bienheureux Berchmans, ce furent les delices de la vie et il n'en connut point d'autres. Comme la lampe de I'autel, allumee aux premiers rayons du jour, il a eu la solitude pour sanctuaire et le Tres-Haut pour bien-aime et temoin. II s'est consume et eteint devant lui et pour lui ! Qu'il est difficile de ne point faillir dans le monde ! La, la pensee commence par se disperser sur des frivo- lites, puis la vanite renatt, le plaisir invite, le mensonge seduit, les passions s'allument. Alors les voies sont preparees, Satan peut venir ; il viendra. Chaque fois que j'ai ete parmi les hommes, a dit un sage, j'en suis revenu amoindri. C'est la solitude qui est le lieu des lar- gesses divines. C'est dans la solitude que Fame s'epure, se trempe, qu'elle apprend tout et qu'elle re9oit tout ; parce que c'est la qu'elle se regarde et se juge, la qu'elle ecoute et medite, la que Dieu fait entendre sa voix. Jacob est endormi sur le chemin de Mesopotamie, loin de sa famille, quand il est rejoui par une vision mysterieuse et par des paroles prophetiques. II voit en songe une echelle qui va se perdre dans le ciel, des an- ges y montent et descendent, et il entend la voix du Seigneur : « Je suis le Seigneur... Je te donnerai a toi 78 SAINT JEAN BERCHMANS. et a ta race, la terre ou tu dors ; ta posterite sera nom- breuse comme les .grains de sable... Toutes les nations seront benies en toi et en celui qui sortira de toi. Je serai ton protecteur partout ou tu iras... ('). » Moise reste seul pendant quarante jours et quarante nuits surla montagnede Sinai, et c'est alors qu'il re9oit de Dieu les prescriptions qui regleront le culte des enfants d' Israel ('). C'est dans la solitude de I'exil, c'est sous les ombres de la nuit, c'est dans toute retraite ou mene I'affliction que la lyre d' Israel, I'echo de I'ame sous la main de Dieu, laisse echapper les plus belles hymnes d'amour, le cri de I'expiation etdes accents prophetiques. Ecou- tons (3) : « Comme le cerf soupire apres les Fontaines, ainsi mon ame soupire apres vous, 6 mon Dieu. Mon ame a lasoif du Dieu fort et vivant, quand viendrai-je et quand paraitrai-je devant la face de Dieu ? Mes larmes ont ete mon pain le jour et la nuit lorsqu'on me repete : ou est ton Dieu ? » « Que vos tabernacles sont aimables. Seigneur des armees.Mon ame est dans la defaillance, dans (I'attente de se trouver dans) la maison du Seigneur. Mon coeur et ma chair tressaillent dans le Dieu vivant. Le passe- reau se trouve une demeure et la tourterelle un nid : vos autels ! Seigneur des armees, mon roi et mon Dieu ! » « O Dieu, 6 mon Dieu, je veille a vous des I'aurore. Mon ame brule de soif pour vous. . . Je me suis presente devant vous dans une terre deserte, sans chemin et I. Gen.^ XXVIII. — 2. Exode, xxiv et suiv. 3. Ps. XLI, 1-3; LXXXIII, 1-2; LXII, 1-2 ; XLI, I, 2, 6 : LXXVI, 7; XXI, 6, 7, 16 ; Lxviil, 9. Voyez I'interpretation de Calmet k ces psaumes. DIEU ET L AME DANS LA SOLITUDE. 79 sans-eau, comme si j'eusse 6te dans votre sanctuaire, pour contempler votre puissance et votre gloire. Car votre misericorde est meilleure que la vie. » « Seigneur. . . ne me chatiez pas dans votre colere. Ayez pitie de moi, Seigneur, parce que je suis faible, guerissez-moi, Seigneur, parce que mesossont ebran- les. .. Je me suis epuise a force de gemir (a la vue de mes peches). Je laverai toutes les nuits mon lit (de mes pleurs pour les expier). » « J'ai medite durant la nuit au fond de mon coeur, et m'entretenant en moi-meme. J'agitais et je roulais en mon esprit plusieurs pensees. (Jedisais) : Dieu nous rejeta-t-il pour toujours... oubliera-t-il d'avoir pitie, ou contiendra-t-il dans sa colere ses misericordes ? » « Je suis un ver de terre et non un homme, je suis I'opprobre des hommes et le rebut du peuple. Tons ceux qui me voient se sont moques de moi... ils ont branle la tete (en signe d'insulte et ils ontdit) : ilaes- pere dans le Seigneur, que le Seigneur le delivre... lis ont perce mes mains et mes pieds, ils ont compte tous mes OS. Puis ils se sont mis a me regarder et a me considerer(dans cet etat), et ils ont mis ma robeau sort.» « Le zele de votre maison m'a devore et les outrages de ceux qui vous insultaient sont tombes sur moi. . . Et ils m'ont donne du fiel pour nourriture et, dans ma soif, ils m'ont donne du vinaigre a boire. » Elie, prophete du Seigneur, est effraye des menaces faites contre lui et il s'enfonce seul dans le desert. Son ame est abimee dans la douleur ; il appelle la mort, puis il s'endort a I'ombre d'un genevrier. Soudain une voix se fait entendre qui lui dit : levez-vous et mangez ! Elie regarde. Aupres de sa tete est un pain cuit sous la cendre et un vase d'eau. II mange, il boit, il est fortifie 8o SAINT JEAN BERCHMANS, et il reprend son chemin. Apresquarante jours et qua- rante nuits, il arrive a Horeb, la montagne de Dieu. O touchant symbole ! O merveilles secretes du Dieu cache (') ! Dieu frappera la descendance d' Israel, puis, il la conduira a I'ecart pour la guerir. « Je me vengerai sur elle, dit-il (^), pour les jours quelle a consacres a Baal, lorsqu'elle brulait de I'encens en son honneur, qu'elle se parait de ses pendants d'oreille et de son collier pre- cieux pour lui plaire, qu'elle allait apres ceux qu'elle aimaitet qu'elle m'oubliait. Apres cela neanmoins, je I'attirerai doucement a moi ; je la menerai dans la so- litude et je lui parlerai au coeur, .. et elle chantera des cantiques comme aux jours de sa jeunesse et comme au temps ou elle sortit de I'Egypte. » Les temps sont accomplis, voici le Desire des nations et I'eternel modele des hommes ! II nait dans la solitude d'une etable, il grandit a I'ombre d'un modeste et silen- cieux atelier. Le moment venu de se manifester au monde, il se rend dans la solitude de Judee. L' esprit de Dieu I'y appelle, son Precurseur I'y a precede et ajmonce. II y demeure quarante jours et quarante nuits, tente par Satan, vivant parmi les animaux du desert, et servi par les anges {^) ! Au jour ou on veut I'enlever pour le proclamer roi, il fuit la foule et se rend seul sur la montagne {■*). Quand approche I'heure ou se consommera la trahison, et qu'il faut boire le calice de la passion, il abandonne jusqu'a trois fois ses disciples pour aller prier a I'ecart {^). Pieuse solitude, c'est done vous qui devez, sur la terre, voiler I'oeuvre divine, sanctifier pour le ministere r. Re^., XIX. — 2. Osee, u, 13-15. —3. AJarc, i, 12, 13. — 4. /oan., VI, IS — 5. Matth.^ xxvL DIEU ET L AME DANS LA SOLITUDE. de la parole, proteger contre I'enivrementdu triomphe et aider a subjuguer la souffrance ! Et c'est par vous que rhommepeut, pour I'oeuvre du salut, tout preparer, tout reparer et tout accomplir ! Je vols Pierre fuyant la maison de Caiphe ou il a rougi de reconnaitre son maitre; quand il est seul, son repentir trouve des larmes ameres. Dieu les voit, et il lui donnera les clefs du royaume des cieux. Je vols les premiers chretiens agenouilles dans les secrets detours des catacombes. lis sont reunis au nom de J^sus-Chrlst ; mais leur ame est seule ; elle se pre- pare. A I'heure des persecutions ils sauront aller au martyre. Antoine et Pacome s'enfoncent dans les solitudes du Nil ; a leur suite d'innombrables disciples se repandent des sommets de la Thebaide au desert de Scete ; Hila- rion va porter les exemples d'Antoine jusque dans les retraites ignorees de la Palestine, et il y est bientot entoure de nombreux imitateurs. On est au quatrieme siecle, et deja la vie de recueillement et de priere du Cenacle a envahi I'Orient ; et le monde, qui regarde de loin, voit, presque sans le croire, que du pain et des herbes suffisent au corps, quand la solitude et Dieu font les delices de lame. Jerome, celui qui est appele a devenir une lumiere de I'Eglise, Jerome erre longtemps, cherchant sur la terre une solitude interieure qui lui donne la paix. Quels lieux retires, quel travail secret, quels maitres et quels exemples il faudra pour embraser et illuminer cette ame, pour eteindre I'ardeur de cette chair, pour effacer dans ce coeur les delires tentateurs des delices de Rome {') ! Le monastere d'Aquilee,le desert de Chalcis, r. Epist. 12 ad Eu stock. S. JEAN BERCHMANS. SAINT TKAN BERCIFMANS. saint Paulin a Antioche, saint Gregoire de Nazianze a Constantinople, le pape Daniase dans la Ville Eter- nelle, les cenobites en Egypte le re^oivent tour a tour. Mais c'est a Bethleem, au fond d'une cellule, a cote du rocher qui protegea la premiere nuit du Sauveur enveloppe cle langes,qu'il veut,dit-il, pleurer ses peches en attendant le jugement. Et c'est la que, enseveli dans les silencieux souvenirs de Jesus comnie dans un lin- ceul sepulcral, il finit par mourir a lui-meme pour vivre a Dieu, la qu'il oppose a I'heresie des ecrits qui I'arretent et la confondent, la qu'il adresse aux per- sonnes du monde ses epitres austeres, la enfin qu'il joint a la sainte Ecriture une version et des commen- taires qui ne cesseront d'etre le tresor et la joie de I'Eglise. Pour oublier et etre oublie, Benoit se derobe au monde. Une caverne obscure des montagnes de Su- biac (') devient sa demeure et il ne la quitte que pour aller habiter la cime encore inhospitaliere du Mont- Cassin. Ici, il eprouve sur lui-meme ce que peut I'esprit contre la chair, il eprouve sa force et sa faiblesse, puis, comme Pacome a Tabenne, il laisse aux disciples, qui se pressent autour de lui, une regie ecrite, veritable code de la vie monastique, oeuvre imperissable, parce qu'elle a ete faite sous le regard de Dieu. On I'a mo- difiee suivant les besoins des temps et la mesure de grace donnee aux hommes, mais on ne I'a pas corrigee, on ne la corrigera pas. Le travail, la priere, le silence et la solitude, le jeune et I'abstinence, I'obeissance et rhumilite resteront a jamais la defense et la puissance de ceux qui veulent abattre I'orgueil et crucifier la chair avec ses convoitises. I. Aujourd'hui Subinco. DIEU ET L AME DANS LA SOLITUDE. St, Longtemps apres saint Benoit, un enfant vient gran- dir sous les voutes silencieuses du Mont-Cassin. II s'appelle Thomas d'Aquin. La deja I'oubli du monde fait place dans sa jeune ame a la plus grande des questions, et il la pose avec instance a ses maitres : « Qu'est-ce que Dieu, qu'est-ce que Dieu?» Cette question, lui-meme la creusera, pendant sa vie entiere, dans le secret d'une cellule, aux pieds d'un crucifix, et il lui sera donne de la resoudre, autant qu'il est pos- sible a Thomme. Car I'liomme, de son exil, ne voit son Dieu que par des reflets et dans des enigmes (') ; la vision parfaite aura lieu dans la Patrie. Et quand il I'aura resolue, il lui sera dit : « Thomas, vous avez bien ecrit de moi », et la voix des siecles repetera : Thomas est I'ange de I'Ecole. Fran9ois d' Assise va serenfermer dans une retraite ignoree du mont Alvernia. II y est seul, abime dans la contemplation. II s eleve a Dieu par toute la ferveur de ses desirs, il se transforme en J^sus crucifie paries mouvements d'une compassion tendre et afiectueuse, et, apres trente jours, 1' Alvernia devient un autre Cal- vaire. Francois revolt en son coeur les blessures de I'amour divin, sur son corps les stigmates de la passion, etavantque tout soit consomme, il adresse a J^sus son cantique, qu'on croirait emprunte a une langue du ciel, et echappe du casur d'un seraphin. Bruno s'est retire a la Chartreuse, Bernard a Clair- vaux, Norberta Premontre. Leurs disciples vont peu- pler des solitudes jusque-lainconnues. Des landes, des vallons ingrats, des pics arides deviennent et restent jusqu'a nous I'asile dutravail et des saintes meditations. I. « Videmus nunc per speculum in itnigmate ; tunc autem facie ad faciem. » (I Cor., xni, 12.) SAINT JEAN BERCHMANS. La paix y regne, le silence n'y est interrompu que par les chants sacres. Dieu y est au milieu de ses enfants reunis en son nom. Et le monde appelle ruines ces families seculaires ! O ruines, qui representez parmi nous les justes qui eussent sauv6 Sodome,soyez benies! Ruines, qui traversez debout les generations mobiles et changeantes, que Dieu vous garde encore et toujours! Ignace blesse a Pampelune, entend one voix, c'est cellede Ji^sus misericordieux ; son ame en est profon- dement travaillee et troublee. II va demander la paix a la solitude de Manrese. La, Dieu I'eclaire et le trans- forme : il n'etait qu'un gentilhomme illettre, le voila devenu un penitent;une lumiere longtemps eteinte, une seve delaissee et oubliee renaissent en lui : penetre de la science des saints, il ecrit ses admirables Exercices spiritmls. Des compagnons se joignent a lui ; il leur enseigne a suivre J^sus-Christ, non seulement k Na- zareth et au desert, mais dans les bourgades, dans les villes et jusqu'au Calvaire. Comme Loyola leur maitre, ils se prepareront dans la solitude a combattre les com- bats du Seigneur, et s'ils la quittent un moment pour aller relever ce qui tombe et perit dans Israel, ils y reviendront bientot pour y secouer la poussiere du siecle et pour raviver leur charite et leur foi. Les plus grands saints ont aime a se retirer a 1 ecart avec Dieu seul. La solitude leur est devenue douce, et si douce qu'ils ont appris a se la creer la ou ils ne la trouvaient pas. Ils ont su vivre parmi les hommes comme n'y etant pas, voyant sans regarder, entendant sans ecouter, aimant sans s'attacher, priant avec les anges quand ils ne semblaient que converser avec les p^cheurs. Fran9ois de Sales parlant au milieu des h^retiques, Vincent de Paul visitant les galeres, Al- SOUVENIRS. PRifeRE. 85 phonse evangelisant les campagnes, vivaient interieu- rement avec Dieu seul, preparant ses voies et prechant la penitence au milieu des peuples, comme le saint Precurseur dans le desert de la Judee, occupes des memes penseesque lui, presses du meme zele, endu- rant les memes labeurs, et animes de la meme vie. III. SOUVENIRS. PRifeRE. Cojisolabitur Doinimis St on... et ponet solitudinein ejus quasi hortum Doinini. Gaudiutn et la'ti- tia invenietur in ea, gratiamtn actio et vox laudis. Le Seigneur consolera Sion... il transformera sa solitude ; elle deviendra comme le jardin du Seigneur. On y trouvera la joie et I'allegresse, Faction de grace et la voix de la louange. Isai. Ll. 3. O pieuse solitude, vous etes le trait d'union des benedictionsqui s elevent de la terre et des benedictions qui descendent du ciel. Je veux vous aimer, non par aversion des hommes, mais par amour de mon Dieu et en vue de mon salut. Car j'ai trouv6 en vous, moi-meme aussi, la securite, la componction, une paix sereine, la vraie intelligence et le vrai bonheur, je le dirai a la plus grande gloire de mon Dieu : Mon Dieu ! quand, aux jours de mon enfance,vous m'aidieza mediter les annees eternelles et a comprendre ce que c'est que laviemaitre, pousser un cri de joie trompee suivi d'un cri de douleur, mourir et etre oublie, puis ne laisser rien que ce qu'en passant on a jete dans la balance du jugement, et netre plus rien qu'unelu ou un reprouve... J etais seul. Quand vous rejouissiez ma premiere jeunesse, me faisant tressaillir au chant des psaumes et des can- tiques, et m'y devoilant vos merveilles, vos grandeurs et vos bontes, j etais seul, seul dans ma pensee, avec mon livre, devant vos autels. Ouand votre Providence me mit en mains I'Evangile 86 SAINT JEAN BERCHMANS. et que je me sentis invite a lire par un attrait secret, doux et fort comme la voix qui reveilla Augustin : « Prenez et lisez, prenez et lisez !... » Jetais seul en- core. Vous temperiez ce que la solitude avait d'amer pour mes instincts, vous m'invitiez doucementalapart de Marie de Bethanie, vous poursuiviez en moi, 6 mon Dieu, I'oeuvre de vos bontes ineffables, etje nela devi- nais pas.'Votre parole a penetre comme un glaive dans les profondeurs de moi-meme et elle a grave dans ma jeune ame, comme sur une cire tendre, des souvenirs que le temps n'a pas effaces, et qui, soyez-en loue a jamais, sont restes ma foi, ma force, ma lumiere et mes d^lices. Dieu d' Israel, conduisez-moi dans la soli- tude et parlez a mon coeur. Quand vous parlez, les illusions se dissipent, les passions se taisent, la serenite se fait, le coeur se dilate et on court dans la voie de vos commandements. Quand j'arrivai a I'age ou I'homme choisit ses sentiers ici-bas,je fus en butte aux conseils, aux exemples et aux desirs les plus divers. J'hesitais,inquietet trouble. Dans mon anxiete, je cherchais a m'isoler de tout ce que mon ceil voyait, de tout ce que mon oreille entendait et de tout ce que mon coeur endurait. Une ligne de I'Evangile ou une page de Thomas a Kempis venaient alors fouetter et rappeler a elle-meme mon ame frivole et dissipee. Bientot elle se sentait seule : non, elle etait devant vous, 6 mon Dieu. A ce moment commencait en moi un entretien secret clont Lui etait Tame et le charme. Les voix terrestres se taisaient. Le calme suc- cedait au trouble, la lumiere a I'obscurite ; et... il m'en souvient et j'ensuis emu d'une pieuse reconnaissance, au sortir de ces retours en moi et de ces inenarrables confidences, j'etais comme poursuivi d'une voix douce, SOUVENIRS. PRifeRE. 87 interleure, aimante et persuasive ; nul bruit de la terre ne letouffait ; elle me repetait sans cesse : « Fuyez de la, fuyez de la ; voici le chemin que je vous ai prepare, il vous menera a moi. » Pour lui obeir, il a fallu mepriser des conseils trom- peurs, detourner les yeux d'exemples mortels, abandon- ner des affections perilleuses. Or j'etais faible, et c'est Dieu,oui,c'est vous,6 mon Dieu,qui m'avez derobe aux conseils pervers, aux exemples contagieux etaux affec- tions terrestres. Vous m'avez rendu a moi et a la liberte. Vous m'avez sauve par des moyens qui n'appartiennent qu'a vous et que je ne comprends pas encore. Les liens se sont brises, et j'ai echappe aux pieges comme le passereau au filet des chasseurs ('). Gloire aDieu a cause de sa misericorde ! Puis j'ai rencontre des jours mauvais, il faut que ceux que le Seigneur aime soient eprouves(^). J'ai ete en proie a la tentation, a I'injustice et a I'humiliation. Mais alors encore, je me suis retire et recueilli devant Dieu_ Pour m'encourager, il m'a montre la voie de Gethse- mani au Calvaire et inspire de begayer,moi, tout chetif que j'etais, les paroles du Christ et des saints : « Qu'il en soit, non comme je le veux, mais comme vous le voulez (2) ; » — « brulez, coupez et ne m'epargnez pas ici, afin que vous m'epargniez dans I'eternite ('♦). » Enfin, c'est dans la solitude que j'ai puise une seconde vie, vie latente et spirituelle; vie admirable, dont la foi est la lumiere, dont I'esperance est le soutien, dont la charite est la force, dont Dieu est I'alimentjle moteur et le but ; vie sublime qui detache I'homme de lui-meme, en mettant I'esprit au-dessus de la chair, en portant ses I. Ps. cxv, \b;Ps. cxxill, 7. — 2. Tob., xii, 13. — 3. Maith., xxvi, 39. — 4. Louis Bertrand, Leg. du Brev. 10 octob. SAINT JEAN BERCHMANS. affections loin de la terre, en etendant sa pensee au dela de la tombe comme au dela du berceau, en mouvant son ame entiere dans des orbes ou la sensualite et regoisme n'atteignent point et ou elle se purifie, s'eclaire et s'echauffe aux rayons de la Divinite ; vie de relation invisibles et ineffables : avec I'Eglise militante, pour lui venirenaide par la priere ; avec I'Eglise triomphante, pour implorer son intercession; avec I'Eglise soufTrante, pour adoucir ses epreuves et hater le moment de la delivrance ; avec les anges du ciel, amis, inspirateurs et gardiens de I'homme ; avec le Pere qui est la Toute- Puissance et qui la communique au Fils bien-aime (') qu'il engendre de toute eternite (') ; avec le Fils, quia revetu I'humanite dans Ji^sus, et qui a apporte la pleni- tude de la grace en ce monde (^) ; avec le Saint-Esprit, qui procede du Pere et du Fils, qui est le Paraclet, le Consolateur, et I'Esprit de verite, scrutant tout ce qui est (■) et demeurant avec I'Eglise jusqu'a la fin des temps (5). i./oan.,lu, 3S.— 2.PS.U, l.—l-Joan., I, 14; Xiv, 6.-4. I Cor., ll,lo. — ^.Joan., XIV, 16, 17. Cljapttit cmquieme. SA PREMIERE COMMUNION. 'f^^f^6 I. Lecture: S.\ PREPARATION AU GRAND JOUR. Habehilis ]ninc diem in motui- & Ce jour sera pour vous un monu- mentum. I ment. "c^ Exod.^ XII, 14. EAN avait onze ans quand, a I'approche d'une fete solennelle, il fut amene a s'oc- II cuper de sa premiere communion. II se prepara a se confesser par un examen attentif de sa conscience, puis il s'en alia chez son superieur et il le pria d'entendre sa confession. Le religieux fut tres edifie de cette simplicite de colombe et d'autant plus qu'aucun des autres pensionnaires n'avait encore fait de demarche pareille... « Jean avait garde la robe blanche de I'innocence baptismale et il I'a conservee, jusqua sa mort, nette, pure, exempte de toute tache de peche mortel. On a trouve une note ecrite de sa main, et dans laquelle il avait resume, par reconnaissance, les bienfaits qu'il avait re9us de Dieu. II y avait trace ces mots : « Fecit ckristianujn, socium Jesu, amicum, sponsum, conser- vavit sine peccato mortali : Dieu m'a fait chretien, compagnon de J^sus, son ami et son epoux ; il m'a conserve sans peche mortel ! » « L'innocence gardee fut la cause pour laquelle Jean se trouva aride, sec et sans nulle emotion quand, a son entree dans la Compagnie de J^sus, il fut astreint a uivre les exercices spirituels et a faire la meditation 90 SAINT JEAN BERCHMANS. sur ses peches ; meditation dans laquelle les coeurs les plus dars s'amollissent d'ordinaire dans la componction, les larmes, le repentir et la confusion. II se retrouva dans le meme etat chaque fois qu'il reprit ce sujet de meditation, ainsi qu'il I'a ecrit dans une note ainsi con9ue : « Dans les exercices relatifs aux peches commis dans le monde, je me suis retrouve sec, aride et sans nulle emotion. » Repetant ces memes exercices a Rome, il ecrivit : « Je continue a etre sans aucune emotion. » Et, la derniere fois qu'il les fit : « Je suis reste, dit il, sans aucun sentiment d'affection et, dans le premier et le second point, j'ai eprouve une grande desolation. » C'est qu'il ne trouvait point de motif de douleur et de repentir, n'ayant jamais commis de faute grave. Heureux jeune homme qui, aide des faveurs de la grace divine, a su appuyer I'edifice de la vie spiri- tuelle sur le fondement solide de I'innocence baptismale et qui I'a porte dans la suite, en s'elevant visiblement par degres, a une si eminente perfection. « Jean recut pour la premiere fois, la sainte Eucha- ristie de la main de son superieur, auquel il avait fait sa confession. Ce religieux a affirme qu'en recevant le tres saint Sacrement, le jeune Berchmans exhalait quelque chose d'ineffable et de surhumain, qu'il se tenait dans un recueillement et avec une contenance incomparable, et qu'a partir de ce moment il commenca a se confesser chaque semaine et a communier tous les quinze jours ainsi qu'a toutes les fetes de Notre- Seigneur et de la tres sainte Vierge;et, chaque fois qu'il communiait, il avait coutume de demander auparavant pardon a son superieur des fautes qu'il avait commises, et tous les jours il employait un peu de temps pour se preparer a sa prochaine confession. » LEUCHARISTIE. 9I Jean s'est agenouille a la table sainte ; il s'est recon- forte par lallment de la vie spirituelle, il s'est rechauffe au foyer du chaste amour. Cetait un saint enfant ; il est devenu aujourd'hui un vaillant athlete du Christ. On le verra poursuivre desormais le bon combat avec un surcroit de force et d'abnegation. Toute puissance ennemie sera sous ses pieds. II vaincra le monde en I'oubliant, ses desirs en les deposant, le demon en se tenant pres de Jesus; pres de Jiisus, aujourd'hui son bote, et bientot sa recompense pour I'eternite. Notre vie est sensuelle et vile parce que nous ne savons que mendier,au banquet du temps, les aliments grossiers de la volupte et de I'orgueil, Sa vie, a lui, est angelique et glorieuse, parce qu'il peut dire comme I'ange Raphael aux deux Tobie (') : « Je me sers d'une nourriture invisible et d'une boisson qui est hors de la portee de I'oeil humain ;» et comme I'apotre saint Paul aux Galates: « Je vis, ou plutot ce n'est pas moi qui vis, mais c'est le Christ qui vit en moi ('). » Le Christ vit en lui ! quelle expression ! mais aussi quel homme que celui qui I'em- ploie, et quel esprit que I'esprit qui la lui a dictee ! II. L'EUCHARISTIE. Infiguris pra-sii^nntur, cum Isaac iiniiiolatur, Ai^niis paschce depit- tatiii\ (Jafur manna pali'ibus. II est prefigLire dans I'ancienne loi. C'est Isaac immole en sacrifice ; c'est I'Agneau pascal, c'est !a man- ne donnee k nos peres. (Off. du Saint-Sack.) La grande action de saint Jean Berchams nous reporte au cenacle (') : ", 51- LA PAROLE. 107 a ses accusateurs ; c'est-a-dire a I'heure oii il va faire eclater sa puissance, comme lorsqu'il va subir la plus profonde des humiliations et consommer le plus grand des sacrifices, J^sus se tait (') ! II s'offre volontaire- ment selon ce qui a ete predit et il garde le silence; il est muet comme I'agneau devant celui qui le tond, il n'ouvre pas la bouche. C'est pendant le silence et le repos que 1 ame avance dans la devotion et p^netre le sens cache des saintes Ecritures, c'est alors quelle trouve les larmes de la componction et le pardon, alors quelle re9oit la visite de Dieu et des anges (-). Le silence d'un jour a fait saint Nepomucene ; le silence de la vie a fait saint Antoine, saint Benoit et saint Bruno. Leurs enfants traversent les ages ; on les voit dans les solitudes, sur le Carmel, au mont Cassin, a la Chartreuse, a la Trappe. Une voix se degage de leur silencieux recueillement : « Nos relations sont au ciel ! » C'est la voix du grand Apotre {^) ; elle nous apprend comment ils peuvent avoir la joie dans I'ame, garder la vertu dans des vases d'argile et fouler le monde sous leurs pieds. III. LA PAROLE. Dominus dat sapientiam et ex ^ Le Seigneur donne la sagesse ; ore ejus prudentia et sapientia. I la prudence comme la science -i§ viennent de lui. Prov. ll, 6. « II aimait particulierement a lire les Livres sapien- tiaux. » O bienheureux et tendre maitre, je veux puiser la doctrine celeste de la parole, la ou vous I'avez puisee. Aidez-moi a la comprendre et surtout a en profiter. Mon fils, ecoutez les instructions que je vous donne I. Matt., XV, 23 ; XXVI, 63 ; xxvil, 14. — 2. /;«//., Liv. I, chap. XX, 6. — 3. Phil., Ill, 20. I08 SAINT JEAN BERCHMANS. pour regler la langue ; celui qui les gardera ne p6rira pas par les levres ('). « Faites-vous une balance pour peser vos paroles, mettez a propos un frein a votre langue, et soyez attentif a ce que vous dites, de peur de faillir ('). » Que la verite et la justice, que la charite et la decence soient la regie de vos discours, que la science et la convenance leur donnent du merite et de la grace. Parlez selon la vt^ritd. Vous etes cree a I'image de Dieu, or Dieu est la Verite meme.Faites apparaitre en vous cette image et ne la defigurez point. Vous etes membre du corps mystique de J^sus-Christ, or les membres d'un corps cooperent et s'entr'aident sans se tromper ni se nuire (3). Le mensonge est une tache honteuse dans I'homme, il est sans cesse dans la bouche des gens deregles (4). Parlez selon la justice. Celui qui porte un faux te- moignage contre son prochain est comme un dard, une epee et une fleche aiguisee (5) pour donner la mort ; il ne demeurera point impuni C^). L'esprit du Seigneur remplit I'univers, et comme il contient tout, il connait tout ce qui se dit. C'est pourquoi celui qui prononce des paroles d'iniquite ne peut se cacher a lui et il n'echappera point au jugement qui doit tout punir (7). Qu'on n'entende de vous que de.s paroles de paix f ). L'insense s'embarrasse dans des disputes et s'attire des querelles ; ses levres sont la ruine de son ame (^). Pour vous, souvenez-vous qu'une parole douce multiplie les amis et apaise les ennemis ('°), et ne souillez jamais votre langue par la medisance (") ou par des rapports I. Ecdi., XXIII, 7.— 2. Ecdi., xxviii, 29, 30. — 3. Ephes., iv, 24, 25.— 4. Ecdi., XX, 26. — 5. Pro7'., xxv, 18. — 6. Prov., xix,9. — 7. Sap., i, 7, 8.— S.Eu//.,\\ 12. — 9. Prov., xviii, 6, 7. — 10. Eu/i., vi, 5. — 11. Sap., 1,7,11. LA PAROLE. 109 indiscrets. Le semeur de rapports, comme I'homme qui a deux paroles, jette le trouble parmi ceux qui vivent en paix et il appelle sur lui la malediction {'). Parlez avec ddcence. Ne prononcez le nom de Dieu qu'avec respect et sobriete. L'homme qui jure et qui nomme sans cesse le nom de Dieu n'est pas pur de peche. Et celui qui jure souvent est rempli d'iniquite. Le Seigneur le frappera et la plaie ne sortira pas de sa maison (-). Contentez-vous de dire : cela est, ou cela n'est pas ; car ce qui se dit de plus vient du mal {^). Loinde vous lespropos licencieux : que Ton n'entende, la ou vous etes, ni le nom des crimes impurs ou de quelque obscenite que ce soit, ni des paroles honteuses ou folles, ni des faceties deplacees. Vous etes I'enfant de Jesus-Christ, votre saintete et votre vocation le demandent de vous ("*). Si votre heure est venue, vous pouvez parler ;si votre parole peut etre salutaire, ne la retenez point (^). Mais parlez avec reserve. C'est se rendre odieux que de s'abandonner a discourir avec une temerite empres- see C^); c'est cesser d'etre loyal et fidele que de reveler le secret d'un ami (^) ; c'est se rendre coupable que de s'habituer a une conversation sans retenue (^). Que votre parole soit soignee, sans affectation et at- trayante sans flatterie. Un entretien agreable est une douceur pour Tame, un delassement et une source de sante pour le corps (^) ; mais un langage flatteur et deguise tenu a un ami est un filet tendu a ses pieds ('°) : il trompe, il eblouit, il fait tomber. I. Eccli., V, 16 ;xxvni, 15. — 2. EccH., xxni, 10, 11, 12. — 3. Matf., V, 37. — 4. Ephes., V. 3, 4. — 5. Eccli., iv, 27, 28. — 6. Eccli., ix, 25. — 7. Prov., XI, 13. — 8. Eccli., xxni, 17. — 9. Prov., xvi, 24. — 10. Prov., XXIX, 5. no SAINT JEAN BERCHMANS. Gardez la mesure dans vos discours. Celui qui parle moderement est docte et prudent (') ; celui qui nepeut retenir ses paroles est comme une ville ouverte (^) : il ne s'appartient plus, il va etre a I'ennemi (^). La science de I'insense est un flux de paroles sans suite (''); toutes les petites passions de son ame y trouvent leur satisfaction : la vanite parce qu'il s'y montre, I'orgueil parce qu'il s'y admire, la fatuite parce qu'il s'y loue, le dedain parce qu'il s'y impose, la frivolite parce qu'il s'y amuse de minuties a sa mesure. Quimettra une garde sure a ma bouche, etun sceau inviolable sur mes levres, afin qu'elles ne me fassent pas tomber par mes paroles et que ma langue ne me perde pas {^) ? C'est le Seigneur, mon pere et le maitre de ma vie ; c'est lui qui donne de parler avec conve- nance et avec mesure [^). Car c'est lui qui donne la sagesse ; et la prudence comme la science viennent de lui (^). Le ccEur de celui qui est sage I'instruit de ce qu'il peut dire et les paroles qui sortent de sa bouche sont pleines de sa grace (^). Mettez done, Seigneur, mettez une garde a ma bouche et une protection a mes levres (^). Ah! accordez- moi, s'il faut parler, la prudence ; s'il faut me taire, I'humilite ; s'il faut ecouter, le discernement. Aidez-moi a reconnaitre la voix qui trompe, a supporter le mot qui blesse, a etouffer I'entretien qui souille. Eloignez vous-meme, oh! eloignez de moi, mon Dieu, la bouche maligne, les levres medisantes ('°), et toute langue tiat- teuse ou sans retenue, qui instille le mal et consom- merait ma ruine ("). I. Prov., xvn, 27. — 2. Prov., xxv, 28. — 3. Prov., x, 19 ; Ecch'., XX, 8. — 4. Ecl/i., XXI, 21. — 5. Prov., XVI, I. — 6. Prov., ll, 6. — 7. Prov., XVI, 23 ; Eccli., X, 12. — 8. Ps. CXL, 3. — 9. Eccli., xxii, n. — 10. Prov., IV, 24. — II. Prov., XXVI, 28. LA PAROLE. Que ma parole soit la Hamme qui allume la charite, et jamais le brandon qui seme la discorde (') ; le miel qui rejouit (^), et jamais le venin qui donne la mort ; la priere qui s'eleve pour vous benir, 6 mon Dieu et mon Pere, et jamais la malediction qui se repand pour porter la tristesse dans lame des hommes crees a votre image (^). Votre Apotre me I'a enseigne : <<; Ouand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, je ne serais, sans la charite, que comme un airain sonnant et une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de prophetie, que je penetrerais tous les mysteres, et que j'aurais une parfaite science de toutes choses : et quand j'aurais toute la foi possible, et capable de transporter les montagnes, si je n'ai la charite, je ne suis rien (4). » Malheur a moi si mes levres sont impures et si j'habite au milieu d'un peuple dont les levres sont souillees (-') ! O Seigneur, qui avez envoye un seraphin pour toucher d'un charbon ardent et purifier la bouche de votre prophete Isaie, ah! purifiez et ma bouche et mon coeur. Si je parle aux hommes, que mes paroles se repandent comme une source de vie (°) ; si je con- temple vos ceuvres, que mon intelligence vous y entre- voie et que ma voix retrouve et redise dans le secret de moi-meme quelques-uns des accents du psalmiste ou d'Azarias et de ses compagnons. Le chantre d' Israel vous benissait ainsi (^) : I Benis Jehovah, 6 mon ame ! Jehovah, mon Dieu, ta grandeur est infinie; tu es revetu de gloire et de magnificence. I. /ac, III, 6. — 2. Frov., xvi, 24. — 3. /ac, in, 8, 9. — 4. Cor., Xlll, I, 2. — 5. Is., VI, 5-7. — 6. Frov., X, II. — 7. Fs. cm, traduction d'apres I'h^breu. 12 SAINT JEAN BERCHMANS. 2 II s'enveloppe de la lumiere comme d'un vetement ; il etend les cieux comme un pavilion. 3 II a bati son palais au-dessus des eaux superieures. les nuees lui servent de char ; il est porte sur les ailes des vents. 4 II fait ses Anges, esprits ; ses ministres, flammes ardentes. 5 II a fixe la terre sur ses solides fondements ; elle ne sera jamais ebranlee. 6 L'abime I'enveloppait comme un vetement ; les eaux s'elevaient au-dessus des montagnes. 7 A ta voix, elles ont fui ; au bruit de ton tonnerre, elles se sont ecoulees. 8 Et les montagnes se sont dressees ; et les vallees se sont creusees ; et les eaux se sont retirees au lieu marque. 9 Tu leur as pose des bornes ; elles ne les franchiront pas elles ne reviendront plus couvrir la terre. 10 Tu fais jaillir les sources en ruisseaux ; elles coulent entre les montagnes. 1 1 Les betes des champs s'y desalterent ; I'onagre vient y etancher sa soif. 12 Les oiseaux du ciel habitent sur leurs bords ; du sein du feuillage, ils font entendre leurs voix. 13 Du haut de ton palais tu abreuves les montagnes ; et la pluie, oeuvre de ta puissance, feconde la terre, 14 Tu fais germer I'herbe pour les troupeaux, et les moissons pour I'usage de I'homme ; I'homme tire son pain du sein de la terre. 15 Et le vin rejouit son coeur, et donne a son visage plus d'eclat que I'huile [parfumee] ; et le pain soutient et repare ses forces. 16 Tu fais croitre les arbres des forets, les cedres du Liban que ta main a plantes. 1 7 Les oiseaux y batissent leurs nids : la cigogne fait sa demeure dans les branches des cypres. 18 Le chamois habite les cimes des montagnes ; les trous des rochers donnent asile aux animaux plus timides. LA PAROLE. 113 19 Tu as fait (') la lune pour marquer les temps ; le soleil connait I'heure de son coucher ; 20 Tu amenes les tenebres; la nuit arrive ; c'est le temps ou se mettent en mouvement les betes des Ibrets. 2 1 Le lionceau rugit apres sa proie ; il demande a Dieu sa pature, 22 Le soleil se leve ; tous se retirent ; tous regagnent leur taniere ; 23 Et I'homme sort dans les champs pour son travail, et jusqu'au soir il est a son labeur. 24 Jehovah, que tes ceuvres sont grandes ! dans toutes eclate ta sagesse ; la terre est pleine des effets de ta puissance. 25 Voici la mer immense, qui etend au loin ses bras ; des poissons sans nombre s'y meuvent ; des animaux, grands et petits, y fourmillent. 26 Les vaisseaux y voguent ; Leviathan s'y promeme. Leviathan que tu as forme pour se jouer dans les abimes. 27 Tout ce qui vit se tourne vers toi, pour recevoir sa nourriture au temps marque : 28 Tu donnes ; tes creatures regoivent ; tu ouvres ta main ; elles se rassasient de tes dons. 29 Si tu leur retires le souffle, elles expirent. et retournent dans leur poussiere. 30 Leur rends-tu ton souffle, elles renaissent, et la face de la terre se trouve renouvelee. 31 La gloire de Jehovah subsiste pour toujours. Que Jehovah se glorifie dans ses ceuvres ! 32 Lui qui regarde la terre, et elle tremble, qui touche les montagnes, et elles s'embrasent. 33 Je veux chanter Jehovah, tant que durera ma vie ; je veux benir mon Dieu jusqu'k mon dernier souffle. 34 Puissent mes chants lui complaire ! pour moi, je mets en lui mon bonheur. 35 Que les pecheurs disparaissent de la terre ; que les impies s'evanouissent, sans laisser de traces ! I. Litt. : il a fait. S. JEAN BERCHMAN^: 114 SAINT JEAN BERCHMANS. O mon ame, benis Jehovah 1 Louange a Dieu ! Ainsi chantait le Psalmiste. Et Azarias avec ses com- pagnons, marchant au milieu des flamnies d'une four- naise pour avoir refuse de flechir le genou devant une statue d'or, invitaient la nature entiere a un concert de louanges. Ah ! puisse-je aussi, moi, au sein d'une autre Babylone, puisse-je, 6 mon Dieu, dedaigneux d'un autre or, vainqueur d'autres tlammes, repeter avec eux tous les jours (') : Soleil et luiie, etoiles du ciel, benissez le Seigneur ! Pluies et rosees, benissez le Seigneur ! Froid et chaleur, benissez le Seigneur ! Nuits et jours, benissez le Seigneur ! Lumifere et tenebres, benissez le Seigneur ! Eclairs et nuages, benissez le Seigneur ! Montagues et collines, benissez le Seigneur ! Plantes de la terre, benissez le Seigneur ! Mers, fleuves, sources, benissez le Seigneur ! Baleines et poissons, benissez le Seigneur ! Animaux des champs, oiseaux du ciel, benissez le Seigneur ! Enfants des hommes, benissez le Seigneur ! Louez-le, exaltez-le dans tous les siecles ! IV. LA PAROLE DE DIEU. Beati qui anditmt verbuiii Dei & Heureux ceux qui entendent la et custodiuiit illud I | parole de Dieu et qui la gardent ! ^ {Luc.^ XI, 28.) La parole de Dieu a la verite pour principe, et ses jugements restent eternellement ('). Le ciel et la terre passeront, elle-meme ne passera point (2). Toute parole humaine est exposee a I'erreur et va a I'oubli. Elle est faillible comme I'intelligence de celui qui la prononce ; elle est corruptible comme son coeur. I. Dan.^ III. — 2. Ps. cxvni, 160. — 3. Matt., XXiV, 35. LA PAROLE DE DIEU. II5 Apres I'eclat d'lin jour, elle palit dans les souvenirs et va sommeiller dans les pages fermees de I'histoire. C'est une lueur eteinte, un glaive use. Qui s'occupe aujour- d'hui des doctrines antiques ? Qui va demander la lu- miere et le bonheur aux echos des ecoles d'Alexandrie, d'Athenes ou de Rome paienne ? Non, a moins quelle n'ait re9u le souffle de I'Esprit ou le Fiat lux A^ Dieu, la parole humaine est comme le chaos et restera eter- nellement vaine et vide comme lui. La verite est comme certains astres, elle est voilee sur notre horizon ; elle ne brille de tout son eclat qu'au ciel. L'homme, abandonne a lui-meme ne la voit qu'en partie, de loin avec un ceil trouble et malade, a travers desprejuges et des passions, milieux decevants qui, le plus souvent, I'obscurcissent, la nuancent et la depla- cent. Meme quand l'homme la saisit et la reconnait,il a peine a lui donner son expression adequate. Elle est comme un point qu'il essaie de toucher avec un autre point. De la vient qu'un sage a toujours a cote de lui^un autre sage qui le contredit et quelquefois le meprise. De la vient que I'enseignement d'un siecle vieillit et tombe avec lui. Le progres n'est ni la plenitude de verite regue ni la perfection acquise, il n'est qu'un mouvement vers elles. La verite et la perfection restent immuables ; elles sont la beaute qui ravissait Augustin au retour de ses egarements : beaute sereine et tran- quille, toujours ancienne et toujours nouvelle, rayon- nantde Dieu par ses actes divers et ses aspects infinis. La parole de Dieu est un principe actif et efficace de vie spirituelle : elle eclaire, elle soutient, elle releve Tame dans sa vraie voie. La parole des sages est sans •vertu. On I'a entendue a tous les ages, eloquente et Il6 SAINT JEAN BERCHMANS. diserte, mais incertaine etchangeante, traiterdu devoir, definir le juste, louer le beau, recommander I'utile ('), Et toujours elle a ete suivie et etouffee par ce cri douloureux et humiliant, echappe de la conscience de I'humanite : Je vois et approuve ce qui est mieux, mais j'incline vers ce qui est pire (~). C'est que les sages n'enseignent ni la derniere raison des preceptes, ni leur vraie sanction, ni le secret de la force necessaire a leur accomplissement. lis aident a savoir, mais c'est Dieu qui opere en I'homme de vouloir et de parfaire (^). La morale, independante de lui, suit les aberrations de I'esprit et les defaillances du coeur ; et tout rameau, detache de J^sus-Christ, seul plein de grace et de verite, sera a jamais un rameau sans fruits, desseche et propre au feu. La parole de Dieu ! Le Psalmiste la garde au fond de son coeur pour ne pas pecher. II attend d'elle sa force, il a mis en elle son esperance. Elle I'a console dans son humiliation, elle eclaire les sentiers oii il doit marcher, elle est plus douce a son ame que le miel ne Test a sa bouche (*). La parole de Dieu ! Dans les ecrits des prophetes, elle est comparee a une epee percante (^), a un feu qui devore (^), a une pluie bienfaisante, qui arrose et feconde, pour rendre au sol une nouvelle vigueur, et donner a I'homme son pain (^). Ouand les semaines prophetiques sont ecoulees, le Desire des nations est donne a la terre, le Seigneur parle aux hommes, non par les anges et par le? prophetes (^), mais par son Fils, et le monde re9oit du I. Ciceron,Z?t' ojfficiis. — 2. Video meliora proboque, deteriora sequor. — 3. Philipp., II, 13. — 4. Ps. cxvill, II, 28, 42, 49, 50, 81, 105, 103. — 5. Hcbr., I, ;, 2. — 6. Is., XLlX, 2. — -j.Jerevi., v, 14. — 8. Js., LV, lo, I. LA PAROLE DE DIEU. I I 7 Verbe-Dieu la parole divine. Ah ! voila bien I'^pee aigue nommee par Isaie ; elle va penetrerl'humanit^ jusqu'au coeur et renouveler la face de la terre. J^.sus appelle a lui de pauvres pecheurs du lac de Tiberiade, et ils le suivent aussitot. II commence a parcourir la Galilee, guerissant toute langueur en meme temps qu'il enseigne toute verite, et deja son nom, livre aux quatre vents du ciel, est redit : au septentrion, dans toute la Syrie ; a I'Orient, par dela le Jourdain ; au midi jusque dans la Judee; au couchant jusqu'a la mer. Et les peuples accourent a lui ('),avides d'entendre et de voir, parce que jamais pareille doctrine n'a ete ouie, ni semlolable puissance manifestee en Israel. Quelle doctrine ! II preche la penitence ('), il benit ceux que le monde meprise, il enseigne a pardonner I'injure, il veut qu'on pratique, a I'insu des hommes et sans gloire, le jeune, I'aumone et la priere {^). Cepen- dant sa parole est victorieuse ; le regne de la foi au Messie venu commence, le feu de la charite chretienne s'allume sur la terre, et la Bonne Nouvelle sera redite par les apotres, avec les merveilles et les louanges de Jfisus, jusqu'aux extremites du monde et jusqu'a la consommation des siecles. Vainement les tyrans chargent Paul de chaines ; il ecrit a son disciple : « Je souffre jusqu'a etre dans les liens comme un malfaiteur, mais la parole de Dieu n'est point enchainee (^). » Vainement les autorites de Jerusalem imposent le silence a Pierre et a Jean ; ils repondent (^) : « Nous ne pouvons pas ne point parler des choses que nous avons vues et entendues. » Non possumus ! Ce sera, a tous les a ges, la reponse de tous I. Matt., IV. — 2. Matt., IV, 17. — 3. Matt., Sermon sur la montagne. — 4. // Tim., II, 9. — 5. Act., IV, 20, it8 saint tean berchmans. les saints aux menaces de tous les tyrans. Vainement les Pharisiens prient le Maitre, sur le versant du mont des Oliviers, de faire taire ses disciples qui I'accla- ment (') : « Beni soit le roi qui vient au nom du Sei- gneur !» le Maitre leur repond : «Je vous declare que s'ils venaient a se taire, les pierres memes crieraient. » II est insense et criminel de lutter contre le Verbe du Dieu vivant. Ouoi que fassent les hommes et I'enfer, sa parole et sa doctrine resteront eternellement. Ce que cette parole opere dans les consciences, nulle langue humaine ne saurait le dire, nul livre le contenir. Ca et la seulement quelque page de I'histoire rappelle aux generations qui passent comment elle brise les cedres et comment elle aide I'humble hysope a fleurir. A vingt ans, Antoine d'Egypte entre dans une eglise et entend I'invitation du Christ (^) : « Si vous voulez etre parfait, allez, vendez tout ce que vous avez et donnez- le aux pauvres, et vous aurez un tresor dans le ciel ; puis venez et suivez-moi. » Et il s'en va, il vend son bien, il en distribue le prix aux pauvres, et il se retire bientot apres dans le desert, ou il devient le modele de la vie cachee en Jiisus Christ et. le patriarche des cenobites. Simeon Stylite ale bonheur d'ouir a 13 ans les sen- tences de J]isus sur la montagne (^) : « Bienheureux ceux qui sontdoux... Bienheureux ceux qui pleurent... Bienheureux ceux qui sont affames et alteres de la justice... » Ces paroles le remuent profondement. II en demande I'explication, car il n'a que treize ans encore. Puis il se retire du monde, et, passant de solitude en solitude, il finit par trouver le secret de fixer sa pensee I. Luc.^ XIX, 40. — 2. Matt ^ XIX, 21. — 3. Matt.^ v, 2-1 1. LA PAROLE DE DIEU. IIQ en Dieu par une incessante contemplation, et la force de soumettre la chair a I'esprit par un supplice inimi- table. Augustin marche, loin de Dieu, a travers des voies toutes semees de steriles douleurs, superbe encore au fond de son ignominie, mais inquiet et las de lui- meme ('). Qui abattra son orgueil ? qui amollira son coeur ? Qui fera dire : « Aujourd'hui, aujourd'hui ! » a sa volonte, que Dieu travaille,et qui dit toujours:«Demain, demain ! » Ah ! pendant qu'il traine sa chaine de fer, confus, gemissant et suppliant, mais sans se rendre, une voix mysterieuse s'est fait entendre et Augustin lui obeit ; il prend un livre, il ouvre et il lit (^) : « L'heure est venue de nous reveiller de notre assoupissement. Quittons les oeuvres de tenebres. Marchons avec honnetete... ne passant point la vie dans les festins et I'ivrognerie, dans la dissolution et I'impudicite, dans les querelles et les envies ; mais revetez-vous de Notre- Seigneur Ji^sus-Christ... » Alors c'est fini : la parole divine, jusque-la inefificace, est victorieuse enfin; car l'heure de la priere et des larmes est son heure ; une lumiere et une paix ineffables inondent lame d'Augustin, la pieuse Monique voit avec transport son fils transforme, I'Eglise triomphante est dans la jubi- lation que lui donne un pecheur repentant (^) et I'Eglise militante va trouver en lui un infatigable et invincible athlete du Christ. Un jour Fran9ois d'Assise, assistant a la messe, est frappe de ces paroles de I'Evangile ("*) : « Ne possedez ni or, ni argent, ni monnaie... ni deux tuniques, ni souliers, ni baton... » Ces paroles, il les prend a la I. Confes., liv. ii, chap. xi. — 2. Rom.^ xni 13, 14. — 3. Lvc.^ xv, 7 — 4. Matt.^ X, 9, 10. I20 SAINT JEAN BERCHMANS. lettreet il se les applique a lui-meme. Ilabandonne sa chaussure, sa ceinture de cuir, son baton, son argent; il se revet de I'habit pauvre des bergers de I'Ombrie qu'il lie avec une corde, et il le donne a ses disciples. Vingt generations les ont vus et ont disparu. La mort a tout emporte, Toubli tout efface, le temps tout renou- vele ; car tout ce qui est le monde ou du mondes'use et se renouvelle comme un vetement. Mais la famille d' Assise reste toujours semblable a elle-meme, etran- gere a toutes les vicissitudes humaines, superieure a tous les dedains, jeune comme quand elle se repandait des Apennins sur le monde, semblant dire aux pompes du siecle et aux grandeurs terrestres: « Passez,car vous etes vanite, erreur, mensonge ; je reste, car je suis la pauvrete qu'a aimee Jifisus. » C'est par le souvenir de I'entretien de Ji^sus au puits de Jacob que Therese, encore adolescente, excite de saints elans dans son coeur, repetant la dernande de la Samaritaine : « Seigneur, donnez-moi de cette eau, Seigneur, donnez-moidecetteeau.)) C'est en entendant Ignace qui lui redit avec vehemence : « Que sert a I'homme de gagner I'univers s'il vient a perdre son ime, » que Fran9ois Xavier finit par comprendre le neant des grandeurs humaines, et sent naitre en lui I'amour des choses celestes. C'est a la lecture des saintes maximes des livres sapientiaux et au recit de la passion du Sauveur, c'est en ecoutant la parole de verite des ministres de I'Evangile, que Berchmans au pensionnat se p6netre de la vraie sagesse, et fa9onne sa jeune ame a la ressemblance de Dieu ! Et, aujourd'hui meme et autour de moi, c'est la parole divine seule, jele vois, qui releve ce qui tombe, qui soutient ce qui chancelle, et qui rallume toujours la LA PAROLE DE DIEU. 121 charite que regoisme eteint sans cesse. Malheur a la societe qui la dedaigne, malheur a I'individu qui la neglige! Elle est la parole de Dieu ;laoii elle n'estpas ecoutee commencent les interminables disputes des hommes. Elle est la parole de I'esperance ; sans elle tout est inanite et ennui ; et la vie passe comme un songe decevant et penible, allant du neant au neant. Elle est la parole du salut ; si elle manque a lame, celle- ci dechoit de sa celeste vocation, en s'afifaissant sur elle- meme dans la chair et Torgueil. O parole de Dieu, pain de vie de mon ame; 6 source d'une eau vive qui etanchez la soifbrulante des choses d'ici-bas ! parole douce, qui consolez et rejouissez ; parole forte, qui penetrez et transformez I'esprit, le coeur et la volonte ; semblable en puissance a Dieu lui-meme qui transforme tout : meme le larron du Calvaire en elu, meme la croix du supplice en signe d'honneur, meme le sepulcre en gloire ! parole aimee et mille fois benie, soyez a jamais ma lumiere et ma force, mon esperance et ma joie, ma regie et mon salut ! Cliapitre septieme JEAN BERCHMANS, PELERIN DE N.-D. DE MONTAIGU. I. Lecture : SA DEVOTION ENVERS N.-D. DE MONTAIGU. Quce est ista qtice progreditur quasi aurora cotisurgens, pulchra lit luna, electa ut sol, terribilis ut castrorttm acies ordinata ? Quelle est celle qui s'avance comme I'aurore naissante, belle comma la lune, pure comme le soleil, terrible comme une armde rangee en bataille ? ^ (Caftt., VI, 9 et Off. de PAss.) EAN avait, au temps ou il etudiait chez le II chanoine Emmerick, une devotion parti- culiere a la tres sainte Vierge.Cette devo- tion ne fit que grandir. S'il visitait une eglise, il ne manquait jamais d'aller s'agenouiller devant I'autel de Marie. Ouand il allait avec son superieur visi- ter la Madone de Montaigu, eloignee de Diest d'une heure de chemin, il gardait constamment le silence en route, et il marchait ou en meditant ou en recitant le chapelet. Et, plusieurs fois, on retrouva cachee dans quelque coin de la maison la petite provision qui lui avait ete donnee pour son repas ; il s'en etait prive par devotion a la tres sainte Vierge. » «Je ne puis»,ecrit un auteur moderne('), apres avoir rappel6 les pelerinages de visiteurs illustres de Mon- taigu, « je ne puis passer sous silence le Bienheureux Jean Berchmans. Au temps oi^i il restait chez le cha- I. J. Deckers, Wonderdadig beeld vati Onse- Lievc-V?-ou7u van Scherpenheuvel, weldoenster van hct inenschdoin scdert vijf eeiiwen. Oorsprong en voortgang der godsvrticht tot deze %i'eretdverinaarde bcac- vaart. Loven, 1859. Chap, vn, p. 76. SA DEVOTION ENVFR.S N.-D. DE MONTAIGU. I 23 noine Emmerick, alors cure de I'eglise de Notre-Dame a Diest, il venait presque chaque semaine en pelerinage a Montaigu, occupe a mediterou a reciter son chapelet tout le long du chemin. Ouand, en 1613, il fut envoy^ a Malines, par I'archipretre de Diest, pour y suivre un cours d etudes chez les Jesuites, il vint encore et d'abord faire visite a I'image miraculeuse de Marie, avec son ami Jean Froidmont, chanoine de I'eglise de Saint- Rombaut. A lage de 17 ans, il fit a I'eglise de Montaigu present de 8 florins, partie d'une somme de 25 florins qu'il avait recueillie et gardee depuis ses jeunes annees. » Qui est-elle ? celle que I'humble etudiant de Diest a appris si tota connaitre.a aimer et a venerer; celledevant laquelle s'humilie toute grandeur et se releve toute humiliation ? Car je vois, I'histoire a la main, Albert et Isabelle agenouilles devant son image, comme les plus obscurs des enfants du Hageland, a cote du vieillard afflige, de la mere eploree, de I'orphelin delaisse et du pecheur repentant. J'ai rencontre son image veneree partout ou j'ai porte mes pas ; je I'ai reconnue au haut des autels, a Tangle des rues et a la rencontre des chemins ; au fron- tispice des monuments et contre la cheminee des plus humbles ateliers ; a la cime des collines et sous le feuillage de I'arbre de la vallee; au bord des precipices et sur les falaises de la mer ; au chevet de I'enfant qui dort comme a celui du vieillard qui meurt. La richesse lui prodigue son or, I'art lui voue ses chefs-d'oeuvre, I'Eglise brule devant elle son encens. Ah! quelle est done cette creature ? J'ai vu les populations accourir a elle, reconnais- santes quand Dieu avait beni, suppliantes quand il 124 SAINT JEAN BERCHMANS. frappait. J'ai entendu partout ses louanges, et quelles louanges ! tout ce que la langue peut exprimer, tout ce que la metaphore peut oser, tout ce que le symbolisme peut signifier et ennoblir. Siege de la sagesse, vase d'honneur, Tour de David, Tour d'ivoire, Arche d'al- liance, Porte du ciel, Etoile du matin, Refuge et Salut, Consolation et Secours, Reinedes anges et Reine des saints, Vierge des vierges et Mere de Dieu.... Voilases noms, ses titres, ses louanges ! Quelle est-elle done, 6 mon Dieu? Je veux le demander aux patriarches et aux pro- phetes, a Jtsus et a I'livangile, a I'histoire et a la tradition, a Montaigu et a vous, Bienheureux Berch- mans, a vous qui alliez vers elle, innocent et penitent, son dernier serviteur, a vos yeux, et un enfant de predilection dans son cceur. Mon Dieu, donnez-moi de 1 entrevoir au-dela de la croix dans les promesses et les figures, de retrouver et de baiser ses traces sur la terre de Juda, de decouvrir dans le ciel un rayon de sa gloire et le sceptre de sa puissance. Et puis encore, accordez, 6 accordez-moi : de voir mon chemin a la clarte de ses exemples, d'effacer mes souillures a la flamme de la charite oii se consume sa vie, de confier enfin a sa garde, tous les jours de ma vie, ma foi toujours exposee a languir, et ma charite toujours prete a s'eteindre. MARIE PROMISE. I 25 II. MARIE PROMISE. Ait Douiimes Dctis ad serpen- ^ Le Seigneur Uieu dit au serpent : tein : qiiia fecisti hoc... inimicitias parce que tu as fait cela.... je met- ponam inter le et /nitlierem, et \ trai des inimities entre toi et la semen tuicin et senie/i illius : ipsa I femme ; enire ta posteritc et sa conteret caput iiinm. \ posterite. Elle te brisera la tete. ^ Ge7i. Ill, 14, 15. Dieu dit au serpent (dent le demon avait pris la figure) : Je mettrai des inimities entre toi et la femme, entre ta posterite et sa posterite : elle te brisera la tete. C'est la parole de Dieu ! Elle fut prononcee dans I'Eden, sur le lieu meme de la grande prevarication, en presence des deux coupables, nus, humilies et trem- blants. Done une fille d'Eve devait broyer sous ses pieds I'ennemi du genre humain. Or cette lille etait Marie ; car d'elle devait naitre Celui qui allait tout expier et tout reparer, regenerer I'humanite et confondre I'enfer. La menace contre le serpent infernal renferme le premier oracle messianique. Ouand les exiles de I'Eden se furent rapproches de Dieu par la penitence, il leur fut donne de le comprendre mieux. Leurs enfants I'ap- prirent d'eux ; toutes les generations antediluviennes se le redirent. Puis Noe,qui fut institue de Dieu heritier de la foi ('), le transmit a Sem, qui put I'apprendre au pere des croyants, Abraham. Alors une benediction mysterieuse, ou la promesse du Messie etait renfermee, fit connaltre que le germe beni promis a feve serait le rejeton d'Abraham. Vient ensuite la prediction de Jacob. Le patriarche a vu en esprit, avant d'expirer, I'etat des douze tribus issues de ses enfants, lorsqu'elles seront dans la Palestine, et il annonce a ses fils, assembles autour de son lit de mort, I. Hebr., Xi, 7. 126 SAINT JEAN BERCHMANS. que Judas a ete choisi entre tous ses freres, pour etre la tige des rois d'lsrael et le pere de ce Messle tant promis et que celui-ci surgira des ruines de sa patrie,au temps oil le sceptre passeraaux mains deretranger{'). Les siecles passent, mais les oracles messianiques restent. Le peuple de Dieu les revolt de la tradition ou les volt consignesdans laloi sainte; il attend, il espere, il vit dans la foi de Celui qui doit venir. Aux jours de Salomon, la grande figure de la mys- terieuse fille d'Eve, jusque-la aper9ue dans un vague lointain et a demi effacee dans I'aureole de son Fils, soudain se detache, se rapproche et se dessine toute radieuse. On la reconnait, et I'Eglise se plait a la voir sous les traits de la Sagesse et de I'Epouse du cantique, Elle est con9ue Immaculee : des le premier instant elle est a Dieu (^) ; le Seigneur se Test choisie, sa blan- cheur est comme celle des neiges du mont Liban (5). Jamais rien n'a terni ce miroir, rien n'a souille cette beaute ; c'est la splendeur de I'eternelle lumiere et le soleil palit aupres d'elle ('). Cette loi qui regarde tout le monde n'a pas ete faite pour vous {^). Sa vie se passe dans le silence et le recueillement : elle se derobe a tous les regards et se cache dans sa demeure, comme la colombe qui fait son nid dans le creux des pierres (^). Elle est chaste et pure : tel on voit le lis grandir 1. Gen., XLIX, 10. 2. « Dominus possedit me ab initio viarum suarum antequam quid- quam faceret a principio. » (0_^. Imm. Cone, capit. ad. L.; Prov., Vin). 3. « Electa mea Candida sicut nix in Libano. » ( Off", hum. Concep.) 4. <( Nihil inquinatum in earn incurrit : candor est lucis aeternas et spe- culum sine macula. Est enim hiec speciosior sole. » {Sap.., vn, 25, 26, 29.) Tota pulchra es, arnica mea, et macula non est in te. » {Cant., iv, 7.) 5. Eslhcr, XV, 13. — 6. Cant.., il, 14. MARIE PROMISE, I 27 entre les epines, ainsi on voit selever la Bien-Aimee du Seigneur au milieu des filles de Juda ('). Elle est vierge et elle restera vierge : c'est un jardin ferme, nul souffle n'altere le parfum de ses fleurs; c'est une fontaine scellee (''), rien d'impur n'en trouble les eaux. Le buisson du Sinai incombustible au sein de la damme celeste, comme la porte orientale du sanctuaire, qui demeure close a tout homme parce que le Seigneur Dieu d' Israel est entre par elle, sont les symboles de sa virginite inamissible et inalterable {^). Et pourtant elle deviendra mere, Dieu fera un prodige, dit le prophete (^) : « Une vierge concevra et elle enfantera un fils qui sera appele Dieu avec nous ou Emmanuel. » Ainsi apparaissent, des les premiers ages de I'huma- nite, la fille d'Eve promise dans I'Eden, son divin Fils, et le monde pacific et regenere par lui. Tous trois restent la grande preoccupation de I'humanite dans les temps au-dela de la croix du Calvaire ; ils semblent attaches a la pensee humaine autant que les plaies originelles le sont a son ame. Les generations s'eten- dent et se separent, mais elles emportent avec elles, au midi, au septentrion, et du couchant a I'aurore, la triple attente d'une vierge incomparable, d'un enfant merveilleux et d'un nouvel ordre de choses. La oil reste le peuple choisi et le culte du vrai Dieu, la revelation conserve sa purete primitive ; mais par- tout ou s'elevent les idoles, elle s'altere et se noie dans I. Cant.^ H, 2. — 2. Cant., IV, 12 ; 0^. /mm. Concept., 7. 3. « Rubum quern viderat Moyses incombustum, conservatam agno- vimus tuam laudabilem virginitatem : Dei genitrix, intercede pro nobis. » {Off. Purif., 2 fevr.) « Porta ha;c clausa erit, non aperietur et vir non intrabit per earn. » {Ezech., iv, 4 ; Off. Immac. Concept, ad. Sext.) 4. /$-., vn, 14. 128 SAINT JEAN BERCHMANS. des fables sans fin ; et pourtant eiie reste reconnaissa- ble. Qu'on creuse dans I'histoire des peuples infideles, qu'on consulte leurs theogonies, qu'on relise les oracles de leurs sybilles et les chants de leurs poetes, et Ton retrouve des allusions a un serpent ennemi de rhomme, a une femme d'une beaute sans egale, a une conception mysterieuse, a un roi venant d'en Haut, a un age d'or donne a la terre. Lambeaux epars, mais imperissables, temoignages incorrects, et pourtant invincibles, de la revelation primitive de la Vierge-Mere du Dieu-Homme et de r^vangile de paix ; semblables au bronze enfoui et fruste qui rappelle I'origine des edifices seculaires, et aux ossements disjoints et brises des couches profon- des, qui marquent les ages et les revolutions de la terre. Enfin, apres quatre mille ans, avant que le sceptre soit sorti de Juda, selon la prediction de Jacob, a la fin des semaines qui, d'apres le prophete Daniel, doivent pr^ceder le grand evenement ('); alors que le pressen- timent de I'heure estdevenu universel, que les regards inquiets sont tournes vers I'Orient, que les peuples divers interrogent avec anxiete leurs prophetes ou leurs devins, leurs pretres ou leurs augures... Marie se leve doucement sur I'horizon de la Judee. C'est I'etoile du matin, le jour est proche. 129 III. MARIE SUR LA TERRE D'ORIENT. Ecce ancilla Domini. & Voici la servante du Seigneur. i Luc, I, 38. Elle naquit le 8 septembre (') Tan 733 de Rome, 21 ans avant I'ere vulgaire ('), Ses parents, Joachim et Anne, habitaient Nazareth, ville de la basse GaHlee. Joachim etait de la tribu de Juda et de la race de David (3); tous deux etaient justes devant le Seigneur, marchant dans la voie de ses commandements avec un cceur parfait. La fille de Joachim re9ut le nom de Marie. Apres peu d'annees passees au sein de sa famille, elle fut presentee au Temple par ses parents et admise au nombre des jeunes vierges qu'on elevait a I'ombre sacree de I'autel (*). La, Marie fut elevee dans la stricte observance des lois de Moise, et elle re9ut, on ne peut en douter, une education aussi soignee que le comportaient les con- naissances de I'epoque et les moeurs des Hebreux. Mais, au fond de son ame, que se passa-t-il ? Par quels liens, par quels sacrifices, par quelles prieres s'unit-elle a celui qui I'allait benir entre toutes les femmes et choisir pour etre son temple ? Nous le pouvons savoir, ecrit saint Bonaventure (^), 1. L'Eglise latine cdlebre la Nativity ce jour-lk. 2. Selon Baronius. Mais Le Nain de Tillemont dit que la Vierge na- quit I'an 734, et son opinion est la plus suivie. Cfr. Marie, Mere ^.? jESUS, par Jamar. Bruxelles, 1872, 79-81. 3. Protevangile de saint Jacques, Evangile de la Nativite, Justin, cit^s k I'appui par Orsini : La Vierge Marie, chap. III. 4. C'est ce qui ressort de nombreux tdmoignages de la tradition. Voir La Vierge Marie, par Orsini, chap. IV. 5. Meditation sur la vie de Notre-Seigneicr J ESUS- Christ, livre attribute k saint Bonaventure et traduit par le R. P. Dom Frangois Le 3. JIL.IH BBHe ilil ll ' ll l O. 130 SAINT JEAN BERCHMANS. de ses revelations faites a une sienne devote; Ton croit meme que ce fut sainte ^^lisabeth... En icelles revela- tions sont contenues, entr'autres choses, celles-ci : « Quand, dit-elle, mon pere et ma mere m'eurent laissee au temple ('), je resolus en mon coeur d'avoir Dieu pour pere et je pensais dcvotement et frequem- ment ce que je pourrais faire de plus plaisant a Dieu, a la fin qu'il daignat m'octroyer sa grace... A doncques je veux que tu fasses comme je faisais. Or, je me levais toujours au milieu de la nuit, et allais devant I'autel du temple, et la, me tenant debout, je faisais sept demandes au Seigneur, lesquelles voici : « Premierement, je demandais la grace de pouvoir remplir les preceptes de la dilection ; a savoir : de I'aimer lui-meme de tout mon coeur. « Secondement, je demandais la grace de pouvoir aimer le prochain, suivant la volonte et bon plaisir de mon Dieu, et qu'il me fit aimer toutes les choses qu'il aime et qu'il cherit lui-meme. « Troisiemement, je demandais qu'il me fit hair et fuir tout ce qu'il hait. « Quatriemement, je demandais I'humilite, la pa- tience, la benignite et mansuetude, bref toutes les ver- tus, moyennant quoy je pusse devenir gracieuse devant son regard. « Cinquiemement, je demandais qu'il me fit voir le temps en lequel naitrait cette tres heureuse Vierge qui devait enfanter le Fils de Dieu, et qu'il conservat mes yeux pour que je la pusse voir ; ma langue pour que Bannier, bdnddictin, chap. III. Le traducteur a employe le francais du seizieme siecle qui imite la naivete et la familiarity du langage du disci- ple de Saint-Fran9ois. C'est le frangais qu'apprita parler le bienheureux Berchmans ; je n'y veux rien changer. I. A I'age de treize ans, Ibid., p. 18. MARIE SUR LA TERRE d'oRIENT. 131 je la pusse louer ; mes mains pour que je pusse lui servir ; mes pieds pour que je pusse marcher a son service ; mes genoux pour que je pusse adorer le Fils de Dieu entre ses bras. « Sixiemement, je demandais la grace d'obeir aux commandements et ordonnances du Pontife du temple. « Septiemement, je demandais qu'il daignat conser- ver, pour son service, le temple et tout son peuple. » « ...Ma fille,... je te dirai que nulle grace, don et vertu n'ai eu de Dieu, sans grand labeur, continuelle oraison, ardent desir, profonde devotion, maintes larmes, et mainte affliction, en disant et pensant tou- jours les choses qui plaisaient a icelui, autant que je le savais et pouvais, excepte la grace de sanctification dont je fus sanctifiee, au sein de ma mere. . . » Le bien- heureux Hierome ecrit dela vie d'icelle merede Dieu, en cette sorte : « La bienheureuse Vierge s'etait etabli a soi-meme cette regie, que du matin jusqu'a I'heure de tierce, elle persisterait en oraison : de tierce jusqu'a none, elle s'occuperait de la besogne exterieure. Or, de rechef, depuis none, elle ne se retirait plusde I'oraison, jusqu'a tant que I'ange, de la main de qui elle avait coutume de recevoir sa nourriture, lui vint apparaitre, et elle profitait de mieux en micux en I'oeuvre et amour de Dieu, C'est pourquoi on la trouvait en les veilles, la premiere: en la science de la loi de Dieu, la plus erudite; en I'humilite, la plus humble; en les cantiques de David, la plus melodieuse; en la charite, la plus glorieuse; en la purete la plus pure; en toute vertu, la plus parfaite... Or, en son quatorzieme an, la bienheu- reuse Vierge Marie fut ('), par divine revelation, I. Cfr. Orsini, La Vierge Marie, p. 121, 324. 132 SAINT JEAN BERCHMANS. fiancee a Joseph pour devenir son epouse et puis retourna a Nazareth. Comment la chose se passa- t-elle? C'est ce que tu trouveras en la legende de sa nativite... » Le Dieu cache continua en secret son oeuvre; il fit connaitre par inspiration a Marie que Joseph ne serait pour elle qu'un protecteur, qu'un pere, qu'un gardien de sa chastete {')... Mais quittons ces demi-clartes sous lesquelles se derobent a notre curiosite naturelle les premieres annees de la Mere, comme celles du Fils. Le grand- ceuvre de Dieu va s'accomplir; maintenant I'Evangile s'ouvre, toute lumiere va jaillir et toute ombre dispa- raitre. Nous n'avons qu'a detacher de la divine histoire les episodes qui se rattachent a la nouvelle Eve. Au temps d'Herode {'), le sixieme mois apres qu' Eli- sabeth eut con^u celui, qui devait s'appeler Jean et preparer les voies au Christ, « I'ange Gabriel fut envoye de Dieu en la ville de Galilee appelee Naza- reth, a une vierge qui etait fiancee a un homme de la maison de David, nomme Joseph; cette vierge s'appe- lait Marie. L'ange etant entre dans le lieu ou elle etait, lui dit: Je vous salue, pleine de grace; le Seigneur est avec vous; vous etes benie entre les femmes. » Mais elle, I'ayant entendu, fut troublee de ses paroles, et elle se demandait quelle pouvait etre cette salutation. L'ange lui dit: « Ne craignez point, Marie, car vous avez trouve grace devant Dieu : voici que vous allez concevoir dans votre sein; vous enfanterez un fils, et vous lui donnerez le nom de J^sus. II sera grand, et 1. Vie de la sainte Vierge^ par Descoutures, p. 49. — Vie de Jdsus- Christ, par le P. Valverde, t. I, p. 71 : ouvrages cit^s par Orsini. 2. Luc, I, 26. sqq. MARIE SUR LA TERRE D ORIENT. I 33 sera appele le Fils du Tres-Haut (parce qu'il le sera en effet). Et le Seigneur Dieu lui donnera le trone de David son pere. II regnera eternellement sur la maison de Jacob; et son regne n'aura point de fin ('). » Alors Marie dit a I'ange: « Comment cela se fera-t-il? car je ne connais point d'homme. « L'ange lui repondit: Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Tres-Haut vous couvrira de son ombre (vous concevrez par I'operation du Saint- Esprit). C'est pourquoi le (fruit) saint qui naitra de vous sera appele le Fils de Dieu... » Alors Marie lui dit: « Voici la servante du Seigneur ; qu'il me soit fait selon votre parole: » Et l'ange la quitta. « En ces jours-la, Marie s'en alia en hate au pays des montagnes en une ville de Juda.^ Etant entree dans la maison de Zacharie, elle salua Elisabeth (son 6pouse). Desqu'^lisabeth entendit la voix de Marie qui la saluait, son enfant tressaillit dans son sein et Elisabeth fut remplie du Saint-Esprit. Et s'^criant a haute voix, elle dit (a Marie) : « Vous etes benie entre les femmes et le fruit de vos entrailles est beni. Et d'oii me vient (ce bonheur) que la mere de mon Sei- gneur vienne vers moi? Car votre voix n'a pas plus tot frappe mon oreille, lorsque vous m'avez saluee, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein. Que vous etes heureuse d'avoir cru, car les choses qui vous ont ete dites de la part du Seigneur s'accompliront. » Et Marie dit: « Mon ame glorifie le Seigneur: « Mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur. I. II s'agit ici du regne spirituel de Jesus sur I'Eglise, dont la maison de Jacob fut Timage et dont le trone a pour type et figure le trone de David (Menochius). 134 SAINT JEAN BERCHMANS. « Parce qu'il a jete les yeux sur la bassesse de sa servante : car voici que desormais toutes les generations m'appelleront bienheu- reuse. « Car il a fait en moi de grandes choses, celui qui est puissant, dont le nom est saint, dont la misericorde (se repand) d'age en age sur ceux qui le craignent. « II a deploye la force de son bras: il a dissipd ceux qui s'elevaient d'orgueil dans les pensees de leur cceur. « II a renverse les grands de leurs trones, et il a eleve les petits. « II a rempli de biens les affames: il a renvoye vides les riches. « II a pris soin d'Israel son serviteur, se ressouvenant de sa mise- ricorde. « Selon sa parole qu'il en avait donnee a nos peres, a Abraham et a sa posterite pour toujours. » Devantcette page, la raison, sans la foi, reste humi- liee et confondue. Un ange envoye a une pauvre fille des confins de la vallee d'Esdrelon! une vierge deve- nant mere, et Mere de Dieu; un enfant qui tressaille avant d'etre ne; une obscure Nazareenne qui predit que toutes les generations la proclameront bienheu- reuse! Quel messager! quel cantique et quel predic- tion! Non I'histoire de I'humanite n'a rien de compa- rable a cette page. Ni I'orgueil, ni la folie des hommes n'eussent jamais invente un tel recit; car s'ils I'avaient invente, qui I'aurait ecrit? et si quelqu'un I'avait ecrit, qui I'aurait cru ? Et Marie, humble servante du Seigneur, — c'est le seul titre qu'elle se donne, — Marie ose raconter des choses merveilleuses dont elle est le seul temoiii et le seul acteur! Et il se trouve un historien pour les ecrire, et le monde y croit! Et cette parole jusques-la inouie, qu elle a proferee dans I'extase meme de son humilite « Toutes les generations me proclameront bienheu- reuse » n'a ete oubliee ni dementie! Dix-huit siecles MARIE SUR LA TERRE D ORIENT. I35 se la sont transmise Fun a I'autre. Elle est redite a sa louange des pentes de la Cordiliere aux rivages du Japon. Elle appartient a son cantique, et ce cantique est devenu rhymne de jubilation sur la terre! C'est Dieu qui a opere ces merveilles. L'exclure et les nier serait mettre a la place d'un mystere un fait inexplicable. Pour moi, je crois, Seigneur, et je ne metonne de rien. Mon symbole de foi est ma lumiere; il me donne la premiere et la derniere raison de toutes choses. Vierge Marie, Mere de Dieu, priez afin que ma foi ne defaille jamais. « Marie (') demeura avec Elisabeth environ trois mois, et elle sen retourna (ensuite) en sa maison... Or il arriva qu'on publia un edit de Cesar Auguste, pour faire un denombrement (des habitants) de toute la terre, (soumise a I'empire romain)... et comme cha- cun allait se faire enregistrer dans la ville dont il etait (originairement sorti), Joseph partit aussi de la ville de Nazareth, qui est en Galilee, et monta en Judee a la ville de David, appelee Bethleem, parce qu'il etait de la maison et de la famille de David, pour se faire enre- gistrer avec Marie, son epouse, qui etait enceinte. « Pendant qu'ils etaient la, le temps ou elle devait enfanter s'accomplit. Elle mit au monde son fils pre- mier ne, I'enveloppa de langes, et le coucha dans une creche, parce qu'il n'y avait point de place pour eux dans I'hotellerie. » — II n'y avait point de place pour eux! Les renards ont leurs tanieres et les oiseaux du del ont leurs nids, mais le Fils de I'homme (I'Homme- Dieu) n'a pas ou reposer sa tete (') ! Des pasteurs de Juda etaient venus les premiers, avertis par un ange, reconnaitre le Sauveur promis; I. Luc, I, 56, II, 6. — 2. Matt., VIII, 20. 136 SAINT JEAN BERCHMANS. apres eux vinrent les sages et les grands de la terre, des mages de I'Orient, guides par un astre mysterieux; « et quand (') fut accompli le temps de la purification de Marie selon la loi de Moise (^), ses parents le por- terent a Jerusalem pour le presenter au Seigneur... et pour donner ce qui devait etre offert en sacrifice, selon qu'il est ecrit dans la loi du Seigneur: deux tourtelles ou deux petits de colombes. « Or, il y avait alors a Jerusalem un homme juste et craignant Dieu, nomme Simeon. II attendait (la venue du Messie qui devait etre) la consolation d'ls- rael ; et le Saint-Esprit etait en lui. II lui avait ete revele par le Saint-Esprit qu'il ne mourrait point avant qu'il n'eut vu le Christ du Seigneur. II vint done au temple par (I'impulsion de)r Esprit (de Dieu) et comme le pere et la mere de I'enfant Jjgsus I'y portaient afin d'accomplir a son egard ce qui etait ordonne par la loi, il le prit lui-meme entre ses bras, benit Dieu et dit : Maintenant, Seigneur, vous laisserez mourir en paix votre serviteur selon votre parole, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez, et que vous avezetablipour etre,devant tous les peuples,la lumiere qui eclairera les nations et la gloire de votre peuple d' Israel. Le pere et la mere de J^sus etaient dans I'admirationdes choses que Ton disait delui. Et Simeon les benit, et il dit a Marie sa mere : cet enfant est au monde pour laruineet pour la resurrection deplusieurs dans Israel, et pour etre en butte a la contradiction ; et votre ame meme sera percee d'un glaive (de dou- leur) !... Et apres que (Joseph et Marie) eurent ac- 1. Luc.^ II, 22-39. 2. Levit.^ XII. La purification avait lieu quarante jours apres la nais- sance si I'enfant etait un fils, quatre-vingts, si c'etait une fiUe. MARIE SUR LA TERRE D ORIENT. 1 37 compli tout ce qui etait ordonnepar la loidu Seigneur, ils retournerent en Galilee, a Nazareth, leur ville. » II avaitete predit du Fils, qu'il boirait, dans le che- min de la vie, de I'eau amere du torrent des afflic- tions ('). D'apres la prophetie de Simeon, sa mere devait done lui ressembler. Cette prophetie commenca bientot a s'accomplir, car «un ange du Seigneur apparut en songe a Joseph et lui dit : Levez-vous, prenez I'en- fant et sa mere, fuyez en Egypte et demeurez-y jusqu'a ce que je vous dise (d'en partir), car Herode cherchera I'enfant pour le faire mourir. Joseph s'etant leve prit I'enfant et sa mere durant la nuit, et se retira en Egypte. » Averti semblablement apres la mort d' He- rode, il « prit I'enfant avecsa mere et vint dans la terre d' Israel. Mais, apprenant qu'Archelaus regnait en Ju- dee a la place d'H^rode son pere, il apprehenda d'y aller ; et ayant regu pendant qu'il dormait un aver- tissement (de Dieu), il se retira dans la Galilee et vint demeurer dans la ville appelee Nazareth ("). » « Tous les ans son pere et sa mere allaient a Jeru- salem a la fete de Paques ; et lorsqu'il fut age de douze ans, ils y allerent selon leur coutume au temps de la fete. Quand les jours (de la fete) furent passes, lors- qu'ils sen retournerent, I'enfant J^sus demeura dans Jerusalem, sans que son pere et sa mere s'en aper9us- sent. Pensant qu'il etait avec quelqu'un de la compa- gnie, ils marcherent tout un jour, et (le soir venu) ils le cherchaient parmi leurs parents et parmi ceux de leurs connaissances. Et ne I'ayant pas trouve, ils re- tournerent a Jerusalem pour le chercher. Et apres "trois jours ils le trouverent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les ecoutant et les interrogeant. Tous I., « De torrente in via bibet. » (/$•., Cix, 7.) — 2. Matt., 11, 13-23^ 138 SAINT JEAN BERCHMANS. ceuxquil'entendaientetaient surprisdesa sagesseetde ses reponses. Le voyant, ils furent remplis d'admira- tion. Et sa mere lui dit : Mon fils, pourquoi avez- vous agi ainsi avec nous ? Voila que nous vous cher- chions, votre pere et moi, etant tout affliges. II leur repondit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez- vous pas qu'il faut que je sois (occupe) des choses qui regardentle service de mon pere?... II s'en alia ensuite avec eux et vint a Nazareth; et il leur etait soumis. Or sa mere conservait toutes ces paroles dans son coeur ('). » Ici I'histoire de Marie, comme celle de Jesus, s'in- terrompent subitement. Des annees, et des annees encore, s'ecoulent sur lesquelles I'Evangile ne nous apprend rien. Quelle fut la vie intime des botes de la modeste demeure de Nazareth ? Les ecrivains sacres gardent le silence, mais ce silence lui-meme temoigne du silence pieux et recueilli de laSainte-Famille. J^sus avait ete decrit a I'avance (^) : « II ne jettera point des clameurs ... on n'entendra pas sa voix au dehors ; il ne brisera point le roseau casse... il ne sera pas tur- bulent... » C'est aussi le portrait de Marie et de Joseph. lis avaient ete ses premiers temoins, ils sont ses plus parfaits imitateurs. lis attirent si peu I'atten- tion des hommes qua Nazareth meme, quand Jesus enseignera dans la synagogue, ses auditeurs s'entredi- ront etonnes (') : « D'ou lui viennent cette sagesse et cette puissance ? N'est-ce pas la le fils du charpen- tier ? Sa mere ne s'appelle-t-elle pas Marie ? » Done dans la vie de Marie et de Joseph, comme dans la vie de J^sus, tout porte le meme sceau et est I. Luc, n, 41-52. — 2. /s., XLII, 2-4. — 3. A/a//., xni, 55. — Marc, VI, 3- MARIE SUR LA TERRE D ORIENT. 1 39 a la meme mesure : Nazareth, Bethleem et le chemin de Texil : I'obscurite, lapauvreteet lasouffrance ! Et ce sceau et cette mesure sont de Dieu ! O vie obscure et cachee ! O muette, mais sublime lecon ! Je vous comprends : le silence avec la terre, c'est la conversation avec le ciel ; et vivre ignore dans une pieuse retraite, c'est sculpter le Christ en soi ! Apres le sejour de Nazareth il n'est plus fait mention de Joseph, et I'histoire meme de Marie s'interrompt subitement. Ce n'est qu'accidentellement et sous quel- quesmots quelasainte Ecriture la laisse entrevoir aux noces de Cana ('), a la suite de Jiisus evangelisant (^), sur la voie du Calvaire {^) et au cenacle (^). C'est quelavoix de Jean-Baptistes'est fait entendre au desert {^) : « Faites penitence, car le royaume des cieux est proche : entre le Liban et le Golgotha va se denouer le grand poeme de Dieu ; « le peuple qui mar- chait dans les tenebres a vu une grande lumiere (^) » dans les terres de Zabulon et de Nephthali; des clartes eblouissantes ont jailli de la montagne des Beatitudes sur toute la Decapole ; les quatre ]6vangelistes voient Ji^sus, et, seul, il remplit leur ame ! Joseph sans doute a cesse de vivre, et Marie s'efface comme I'etoile du matin aux rayons du soleil ! Et maintenant elle est dans le paradis. Son corps meme a ete ravi a la terre par une glorieuse Assomp- tion. Le Seigneur a voulu que celle dont la conception avait ete immaculee et la vie sans souillure ne connut I.Jean, il, i. — 2. Matt., XII ; Marc, viii Luc, in. — 2,. Joan, xix, 25. — ^.Act., I, 13. — 5. Matt., Ill, 2. 6. « Primo tempore alleviata est terra Zabulon et terra Nephthali : et novissimo aggravata est via maris trans Jordanem Galilceas Gentium. Populus qui ambulabat in tenebris, vidit lucem magnam: habitantibus in regione umbrae mortis, lux orta est eis. » {Is., ix, 1-2.) 140 SAINT JEAN BERCHMANS. pas la corruption du tombeau. Elevons jusqu'a elle nos esprits et nos coeurs. Pour retrouver et suivre sa trace sur la terre, il nous faudrait interroger des traditions disseminees, souvent obscures, et quelquefois d'une fidelite douteuse. Laissons cette trace plutot, car nous allons, d'ici-bas meme la retrouver la-haut. IV. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE GIEL. Beatain me diccnt omnes gene- * Toutes les generations m'appel- rationes. j leront bienheureuse. ^ Luc, I, 48. Salut, colline benie du ciel et de la terre ! lieu choisi du Tres-Haut pour la misericorde, refuge de la souf- france, port des naufrages ; terre de predilection de la celeste thaumaturge, sanctuaire venere de la Mere de mon Dieu ! Notre-Dame du Mont-Carmel, Madone de Lorette, Marie aux Neiges du mont Esquilin, vous etes ici! Palais immacule du grand Roi, phare qui montrez le portdu salut, Colombe qui portez la branche d'olivier, je vous salue. Tout ce que je vois sur cette colline est symbole, tout vous y rappelle et vous peint, 6 Vierge incompa- rable. Je me complais a vous reconnaitre. Tour d'ivoire, dans ce campanile eleve ; Etoile du matin, dans ce parvis radie ; Jardin ferme,dans cette enceinte close ; Maisond'or, dans ce dome somptueux, resplen- dissant au dehors d etoiles d'or, audedans de lambris et d'arabesques d'or. Les violences de I'heresie ont passe, les revolutions ont passe, les fleaux ont passe, mais vous etes restee en ce lieu, 6 Vierge clemente, salut des infirmes, refuge des pecheurs, consolatrice des affliges. La nuee, I'obs- MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. I4I curite, le tonnerre, Teclair, Forage et la devastation ont leur moment ; quand il est passe, tout s'oublie, et la lune reparait dans le firmament, sereine, radieuse et bienfaisante. Elle est votre image et vous etes belle comme elle, 6 Mere de la grace divine. Mais quand done, misericordieuse Marie, avez-vous choisi cette montagne pour manifester votre puissance et votre bonte ? Quels echos ont pu arriver a I'oreille du jeune Berchmans, et graver votre nom dans son ame si tot et pour jamais ? Ah! j'ai hate de I'apprendre, et je voudrais le redire a tout ce qui a une intelligence pour savoir et un coeur pour aimer. J'ouvre I'histoire etjelis (') : «En Brabant done il y a une place boscaigneuse, montaigneuse et deserte, appelee en langue Thyoise Scherpeii-hetLvel, en Fran9ois Mont aigu ou Mont- aspre, pour I'asperite et la sterilite du quartier, situee sous la ville de Sicken, esloignee d'icelle d'un quart de lieue ou peu d'avantage, et une bonne lieue de la ville de Diest. Sur cette place (estant une colline un peu eslevee) soulait avoir un vieil chesne assez grand, auquel, outre toute memoire d'hommes, estait affichee une Imaigede nostre Dame; et y a bruit et memoire ancienne entre tous ceux qui demeurent audit quartier, que devant cent ans et d'avantage, y avait certain berger, lequel menant paistre ses brebiz au long de ladicte montaigne, trouva a terre ladicte Imaige de nostre Dame : laquelle il delibera porter a la maison, I. Histoiredes Miracles advenus h Pintercession de la giorieuse Vierge Marie, au lieu diet Mont-aigu, prh laville de Sichem, an duche de Bra- bant. Mise en lumilre et tiree hors des acies, instruments publics et infof- mations surce princes, par M. Philippe Numan, greffier de la ville de Bruxelles. Par charge et autorite de Monseigneur I'Archeveque de Ma- lines. Quatriesme Edition. Bruxelles 1613, chap, ix. 142 SAINT JEAN BERCHMANS. mais que ladicte Imaige miraculeusement devint si pesante qu'il ne la pouvoit remuer ni remporter, et que luy-mesme demoura immobile sans se pouvoir bouger ('), de sorte qu'il ne pouvoit ramener ses brebis a lamaison. Et le censier, son maistre, estant esbahy de la tardance de son diet berger oultre sa costume, seroit alle apres luy ; et ayant entendu la cause de la demeure, apperceust quant et quant, que I'lmaigeque le berger pensait emporter, estoit celle que Ton souloit honnorer au chesne audict Mont-aigu. Par quoi la print, et sans aucune dif¥iculte ou peine la remist audict chesne. Et le berger, comme s'il fust este delivre de quelques liens, s'en alia sans difficulte avec ses brebis a la maison. Par le bruit de ce miracle, les voisins, excites a devotion, ont commence de tenir en reverence la place et 1' Imaige, y allant souvent implorer le secours de la benoiste Vierge, specialement centre les fiebvres. Ce que les plus anciens de la place ont tesmoignd soubs serments solemnel, ainsi avoir entendu de leurs parents et ancestres, a sz^iwoxx'.Arnoult Vanden Eynde, eaige de huictante ans, fehan Svvimten, de septante, Jehan Momboirs de soixante, et Albert Vanden Bo- gaerde, eaige semblablement de 60 ans, tous habitants et eschevins de Sicken... » Montaigu etait done, des le XVI* siecle, un lieu celebre et frequente. « On y affluait, ecrit Juste-Lipse ("), de Sichem, de Diest, d'Aerschot, de tous les environs; cetaient des citadins, des paysans, des militaires ; lis y venaient implorer secours et sante, et ils I'obte- naient. » II serait difficile de preciser I'epoque a laquelle ce 1. Cfr. Justus-Lipsius, Diva Virgo Aspricollis, cap. Ill et IV. 2. Ouv. et chap, cites. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. 1 43 lieu beni commen9a a etre le point de concours de la priere confiante des hommes et de la puissance mise- ricordieuse de Dieu. D'apres un manuscrit sur par- chemin, dont I'auteur, chapelain de I'autel de la bienheureuse Vierge Marie a Sichem, vivait en I'an 1503, il y a eu, entre Sichem et Diest un chene qui s'etait developpe en forme de croix et qui etait tenu en grande veneration par le peuple parce qu'on recouvrait frequemment la sante pres de lui. A cet arbre etaient appendus divers batons et bequilles de boiteux, qu'il appelle dans la langue propre du pays alors Scherpen et qu'on a designes ensuite par Cruckeii ('). Ce serait la I'origine du mot Scherpenheuvel, reste pour designer le lieu (^). Revenons au recit de Numan. « II est veritable et tout notoire que ladicte Imaige a este au chesnejusques en I'an 1580; maispeu apres, jusquesen I'an 1587, il n'y eutaulcune Imaige, comme I'ontrouve par les tesmoignaigesdeplusieurspersonnes, qui, durant ce temps (pour estre soulagez des fiebvres) ont, mesme avec manifeste danger, pour les courses des voleurs et brigandz, visite ladicte place, ou bien y mene quelquefois les soldats de la garnison de Diest et 1. On y lit en efifet ces vers entr'autres : Daer dede menigh sijn bedebaerde Tot eene heecke zij u kondt Die als een cruijs ghewasschen stondt Met twee raeijen gaende uit. Daar menigh toe-gingh over-juijt Dier aen hinck scherpen staf En seijde hij, waer ghenesen daar af Soo dat wiert ghehanghen daer Menigh scherpe en staf aen den boom. 2. Brabantia Mariana^ authore Fr. Aug. Wichmans. Antverpiae 1632. Lib. II, p. 511. 144 SAINT JEAN BERCHMANS. Sichen, lorsqu'ils se trouvoient assailliz des fiebvres : dont aussi plusieurs y ont esteguerys, nonobstant qu'il n'y eust point d'Imaige alors, comme diet est. Josse Van Aertryck, vivant pour I'heure, a declare soubs serment qu'il y a este guery d'une fort longue fiebvre quartaine en I'an 1583. Par oi^i et de ce qui suyvra appert que, non seulement I'lmaige, mais la place mesme, est dediee de Dieu au service et rhonneur de sa Sainte Mere. « Par quelle maniere la premiere Imaige ait este perdue ne se sQait encores asseurement jusques a present, mais fait a presumer que ladicte Imaige ait este mise a neant par les Heretiques (qui doiz I'an 1578 jusques en I'an 1586, ont ravaige et devaste ceste place et plusieurs par leurs courreries et brigandaiges). « Mais en I'an 1587, certain bon vieillard, qui par humilite ne desire que son nom soit declaire ('), bour- geois et eschevin de Sichen considerant la frequente visitation et devotion de peuple a ceste place, lequel nonobstant les susdictes dangers y venait pour estre delivre des fievbres : et scaichant que I'ancienne imaige estait perdue se transporta vers une devote et pieuse vefve demourant en la ville de Diest, nommee Agnes Frddrix, gardienne ou coustresse de I'eglise de tous les saints, aux faulxbourgs dudict Diest : qui avoit en sa maison une imaige de bois de Nostre Dame, en une quesze ou petit tabernacle, et fist tant qu'elle lui donna ladicte Imaige : laquelle il porta audit Montaigue, et la fist mettre au chesne devant nommee, au lieu de la premiere : oia que elle a demoure jusques au caresme de I'an 1602. I. Jehan Momboirs. Numan Miracles de N.-D. advemis au Mont-aigu 3= supplement k VHist. des Mir. etc. PrJf. au lecteur. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. 1 45 « Auquel temps sire Godefroy de Thiemvinckele, pas- teurde leglise de Saint-Eustache a Sicheii.O'^x.'d. ladicte imaige du chesne, et la miste dans une petite chapelette de bois, longue de six pieds et large de cinq, tout join- dant la dite chesne, pour la grande devotion qu'il voyait au peuple qui y accourait, pour estre guery d'ung mal vehement de teste, qui lors regnait en cesquartiers, et dont plusieurs receurent allegement. « A laquelle chapelette ladicte Imaige a depuis de- mcure, jusques a ce qu'elle a este mise en la nouvelle chapelle despuis ediffiee de pierres : dont la premiere pierre fut mise le 19 de juillet, en I'an 1603, au nom de leurs Altez serenissimes,''par I'lllustrissime seigneur le compte Fi^^dricq vandeii BergJie, baron de Bocxiner etc... Fut icelle consacree par Monseigneur I'arche- vesque de MalinesX^ 13 de juin, jour de la Sainte- Trinite en Tan 1604 ('). » Entretemps Montaigu etait devenu un lieu de conti- nuelles supplications, et les miracles ('') se multipliaient a son sanctuaire venere. Dieu ne permet pas que I'homme soit tente au-dessus de ses forces : a I'enfer qui s'acharnait a ebranler la foi par des efforts supremes il opposait desprodiges incessantspour la raffermir, et Marie etait I'instrument de sa volonte puissante et misericordieuse. Elle etait done la, la comme a Hal, au milieu des Pays-Bas meridionaux, restes fideles et en face des provinces rebelles a leur Dieu et a leur roi, invincible comme la Tour de David (^) puissante et 1. Numan, ouvrage dh\ chap. IX-X. 2. En donnant ce nom aux gudrisons extraordinaires qui s'y sont faites, je declare ne vouloir aucunement prevenir le jugement de la sainte Eglise romaine, h. laquelle je soumets toutes mes opinions, tous mes Merits et ma personne. 3. Turris davidica. {Cant. IV, 4 dans les Litanies de Lorette.) S. JEAN BEKCHMANS. lO 146 SAINT JEAN BERCHMANS. terrible comme une armee rangee en bataille ('). Elle protegeait la cite de Dieu, elle y gardera tout ce qui n'a point peri en Israel. L'erreurde Luther n'atteindra point les populations qui I'implorent. L'annee 1603 surtoutfut feconde enprodiges accom- plis a I'ombre de 1' image de Notre- Dame de Montaigu. A cette date, I'autorite ecclesiastique les recueillit et examina avec une attention religieuse et circonspecte. De la bouche des temoins ils passerent aux pages de I'histoire. Juste-Lipse (^) relate quarante faits merveil- leux qu'il emprunte aux recueils de Mirseus, eveque d'Anvers, et de Philippe Numan, homme qu'il juge docte, prudent et pieux. Quand la plume tombe de sa main defaillante, Erycius Puteanus {^) la revolt et c'est pour continuer I'oeuvre commencee. « Quand tant de miracles parlent, ecrit-il, je ne puis me taire ; il faut enrichir la couronne faite par Lipse. J'y ajouterai des tresses, 6 Vierge ! afin que vous soyez couronnee autant defoisque vous faites de prodiges... Pourrais- je plus utilement occuper ma plume ou mon esprit ? Treve done d'autres ecrits, arriere toute autre pen- see... » Et il decrit quarante-six miracles, dont le premier date dejuin 1604 et le dernier de mai 1619. La parole de JiiSUS ne passe point. II avait dit aux disciples de saint Jean (■»): Allez rapporter ce que vous avez yu : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lepreux sont gueris, les sourds entendent, les morts ressuscitent... L'Evangile est annonce aux pauvres... 1. « Qu£e est ista qua; ascendit sicut aurora consurgens... terribilis ut aistrorum acies ordinata.)) (Paroles du Cantique VI,9,appliquees t\ Marie dans V Office de la fete de rAssompiiott.) 2. Erycius Puteanus. Dhuivirgo Asptico/ieiisis : Deneficia ejus et mi- racula novissima Lovan. 1622. 3. Ottv. ciie.^prccj. — 4. Matt., xi, 4, 5. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. 1 47 Apres seize siecles, Numan, Lipse et Puteanus la retrouvent au fond d'eux-memes et ils raccomplissent a la lettre. Ils rapportent ce qu'ils ont entendu ou vu ; les personnes, sujets, temoins ou acteurs, sont nom- mees, les infirmites ou maladies sont precisees et cir- constanciees : les guerisons sont etudiees au temps ou elles se produisent et avec le concours de personnes competentes, dignes, nommees ; les faits sont certifies par des personnes dignes, ordinairement nombreuses, souvent avec solennite et sous la foi du serment. Enfin ils sont publics quand leurs temoins sont la, libres de les nier ou d'en changer le caractere. La confiance en Marie de Montaigu allait grandis- sant ; toute douleur cherchait consolation et remede aupres d'elie. En septembre i6o3laville de Bruxelles, desolee par la peste, envoya a son sanctuaire une cou- ronne en vermeil portant cette inscription : « RegincB coelorum SS. Dei nmtri, B. V. M., Bruxella morbo afflicta, siipplex obtulit anno 1603: A la Reine des Cieux, a la Bienheureuse Vierge, Mere de Dieu, la ville de Bruxelles affligee et suppliante, 1603 ('). » Au recit des prodiges accomplis la foule inondait la sainte colline. « II appert par le recit d'aucunes per- sonnes dignes de foi que le huitieme jour du mois de septembre, en I'an 1603, le nombre des pelerins a este d'environ 20,000... et au commencement du mois d'oc- tobrede la meme annee y furent comptees 135 poten- ces et jambes debois de personnes boiteuses, y appor- tees au seul espace de quatre ou cinq mois : sans mettre en compte les liens ou bandes des rompus, et les souliers rembourres des clochetants... lesquelles I. Numan, Onvrage die. Chap. xni. ^ 148 SAINT JEAN BERCHMANS. pieces y out ete laissees indubitablement par ceux qui de leurs maladies ont eu guerison miraculeusement ou allegement notable. » Les savants et les puissants du monde venaient, comme les plus simples et les plus obscurs habitants du Hageland, courber le front et Hechir le genou devant I'image veneree de Marie. Numan,Juste-Lipse et Puteanus etaient de pieux pelerins de Montaigu. Des Tan 1578 Alexandre Farnese, prince de Parme, avait prie a la Sainte Montagne avant d'aller attaquer la ville de Sichem. L'un de nos plus aimes comme de nos plus illustres souverains, I'archiduc Albert etait un humble enfant de Marie ; il se rendait regulierement chaque annee pour venerer I'image miraculeuse de Mont-aigu, avec sa cour ('). L'histoire nous a conserve le souvenir de ses visites de Tan 1603. C'etait apres la delivrance de la ville de Bois-le-Duc, que les rebelles de Hollande avaient assiegee. L'archiduc revenant a Bruxelles « vint au Mont-aigu le 10 de novembre 1603, ou il rendit graces a Notre-Seigneur de sa vic- toire, et honora sa sainte Mere. Et peude jours apres, il y alia une autre fois de la ville de Bruxelles, avec la duchesse sa femme, toute sa famille et plusieurs seigneurs et gentilshommes ('). Etant arrives le 20 du dit mois de novembre, l'archiduc et la duchesse, comme princes tres pieux, firent un long espace de temps leur oraison a genoux, tant pour leur salut que pour celui du pays {^), et dela s'en allerent loger en la ville de 1. Deckers, Oi/vr. d/e, chap. vii. 2. Albert et I sabelle avaient promis le pelerinage a Montaigu, s'ils obtenaient la delivrance de la ville. Leur promesse fut entendue ; le marquis Spinola forga Maurice de Nassau a lever brusquement le siege. (Deckers, chap. ni). 3. La ville d'Ostende dtait assiegee. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. 1 49 Diest, a une bonne lieue dela. Et apres s'avoir prepare par confession et jeune a la sainte Communion, retour- nerent le lendemain, qui etait le jour de la Presenta- tion de Notre-Dame, au dit Montaigu, a pied, avec tout leur train, et y ouirent devotement trois messes. A la premiere communierent les princes seuls ; a la seconde, les dames d'fitat et damoiselles d'honneurde la princesse ; et a la troisieme, tous les autres de la Cour. « Laserenissime infante Isabella trois jours de suite a chasque fois offrit une robbe fort precieuse,ouvragee d'or, argent et pierreries, lesquelles pour la pluspart elle avoit accommode de ses propres mains. Outre ce, le serenissime archiducq Albert y fit donner une no- table aumosne pour le batiment de la chappelle, par- dessus ce que a son retour de Bois-le-Duc, il avait offert. Et le quatrieme jour lesdits princes retourne- rent a Bruxelles, ou ils n'ont cesse de prendre soin a la bonne disposition et embellissement de ladite chap- pelle. Et entre autres, le serenissime Archiducq a, de sa propre invention, ordonne une forte belle figure et maniere, pour faire alentour un plantage d'arbres arranges en proportion, entre lesquels se batiraient quartorze chappelettes ou stations, representant les joies et douleurs de la Sainte Mere de Dieu. Et ce de telle facon que toute la colline aurait forme d'une estoile, qui signifie le nom de la Vierge Marie ; et serait en oultre pourveu de fosses et haies alentour afin d'etre le Jardin ferme,nom que la Sainte- Escriture donne a Notre-Dame ('). » L'enfer mit tout en oeuvre, pendant les premieres I. Numan, Oui'.dte, chap. xiv. I50 SAINT JEAN BERCHMANS. annees du XVII'' siecle, pour hiimilier le sanctuaire de Notre-Dame, ebranler la foi et arreter le concours des pelerins. L'incendie et les mauvais traitements, le men- song-e, I'ironie et le sophisme furent brutalement ou habilement employes. Ce sont ses armes de tous les lieux et de tous les temps. Le septseptembre 1604 « I'ennemi du genre humain excita quelques capitaines et chefs des rebelles, afin qu'a I'imprevu (pendant que notre armee etait pour prendre la ville d'Ostende et aussi devant la ville de I'Ecluse) ils allassent surprendre et bruler et detruire r I mage etla chappelle de Notre Dame au Mont-aigu. II y avait 800 ou 1,000 chevaux, assembles des villes de Breda et Bergues-sur-Soom. Mais on fut advise de leur entreprise, et I'lmage miraculeuse ainsi que les principaux ornements furent sauves. Ils arriverent, blasphemerent, brulerent les bancs, coffres, chaires de confession, sans que la chapelle prist feu, bien qu'ils tachassentde I'y mettre. Ils mirent aussi le feu a toutes les maisons, huttes et baraquesde la montagne. lis pille- rent quelques femmes y venues en pelerinaige, emme- nerent avec eulx quelques hommes ('). » Pendant I'espace de plusieurs mois, «trois meurtriers, se tenant aux bois et passages de Mont-aigu, ont spolie et desvalise les pelerins, et tue et meurtri aucuns d'iceux (^). » Ils s'attachaient de faux temoins, attestant des miracles inventes et feints, pour jeter le discredit surles prodiges veritables (3). ». Entretemps «leshere- tiques ne cessent journellement de blamer, vituperer ct mordre ceste Dame qui nous a produit le salut. lis luy donnent des brocards, surnoms et tiltres si pleins I. Numan, Oiiv. cite, p. 213. — 2. Numan, Oitvr., cite, V supplement, Pref. p. 222. — 3. Ibid., p. 223. MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. I5I de vllonnle que I'enfer mesme ne sauroit desgorger des choses plus detestables. On voit continuellement ung tas de livrets, discours et traictes, venans de noz plus proches voisins les desvoyez de Hbllande auxquels parlant mal et indignement de la religion, ils y entre- meslent ordinairement des invectives, moqueries et blasphemes intollerables centre ceste fleur de purete contre ceste fontaine de benignete et de misericorde, centre ceste humble et hault eslevee Royne, Mere et Espouse, et Fille du Tout-Puissant lindice d'une poison infernale, dont ilz ont le coeur infecte ('). » Vains efforts ! c'est le Seigneur qui opere les merveilles de Montaigu ; il n'y a ni sagesse, ni pru- dence, ni conseil qui puisse prevaloir contre lui (''). Tous les traits lances contre le ciel retombent impuis- sants sur la terre, et I'apostasie est forcee de crier en son d6pit : Galileen, tu as valncu ! Le loruit des prodiges de Montaigu s'etait repandu au loin. De toutes parts arrivaient de nombreux pelerins : c etait des gens du peuple, des nobles, des princes ; ils venaient implorer pardon, secours et guerison aux pieds de la bienfaisante Madone. La colline, jusque-la deserte, commenca a se couvrir d'habitations. La chapelle, recemment construite, se trouva trop etroite pour abriter les legions pieuses qui continuaient a y affluer, et, des I'an 1607, les magna- nimes Albert et Isabelle concurent le projet de lui substituer un temple vaste et somptueux.Le plan en fut confie a I'architecte Koeberger et la premiere pierre fut posee le 2 juillet 1609 par Leurs Altesses Serenis- 1. Numan, Ibid.^ p. 318. 2. Non est sapientia, non est prudentia, non est consilium contra Dominum. Prov., xxi, 30. 152 SAINT JEAN BERCHMANS. simes, en presence de toute la cour et de Monseigneur Hovias, archeveque de Malines. Le monument etait presque termine en 1622 ;il fut consacre a la Reine des Cieux en 1627. C'est I'elegante rotonde que nous admirons aujourd'hui. L'histoire de la lutte, deja seculaire, entre la verite et I'erreur etait necessairement la grande occupation du siecle qui s'ouvrait. On redisait, al'atre des chau- mieres, comme sous les lambris des palais, les violences des sectaires, les epreuves des fideles et les guerisons prodigieuses de Montaigu. Ces recits devaient avoir un retentissement profond dans une ame telle quecelle du jeune Berchmans : ame epanouie au souffle de I'Esprit-Saint, predestinee, innocente, a I'imagination vive, a I'intelligence precoce et eminente. Le monument d' Albert et Isabelle s'elevait lentement quand il venait, lui aussi et lui deja, implorer la celeste Thaumaturge. On se plait a le voir, gravissant a pied, dans une mise modeste, le regard baisse, le chapelet en main, les detours de la voie buissonneuse menant de Diest a Montaigu. Le ciel seul salt les echanges inefFables de I'esprit et da coeur qui se sont passes entre lui et sa bien-aimee Mere celeste. Sa mere... et cette mere est aussi la mienne, car elle est la mere de JiiSUS-CuRiST, dont je suis I'enfant regenere. O ma Mere, me voici a vos pieds. Je vous demande tout ce que vous demandait le jeune et pieux pelerin je voudrais vous donner autant qu'il vous donnait. Jetez sur moi aussi un regard de mere et venez a mon secours aux temps mauvais. Vous voyez mon etat lamentable : la lutte est incessante et terrible ; au dedans I'enfant d'Adam vit toujours en moi : les sens m'importunent ; au dehors le monde me seduit, MARIE A MONTAIGU ET DANS LE CIEL. I53 son esprit entre par toutes les avenues de moi-meme, je suis sur la terre comme une eponge dans la mare immonde des sentiers et j'ai meme centre moi, I'Apotre me I'a appris et je le sens, des puissances invisibles, des esprits de malice, les anges de la revoke ('). lis me surprennent quand je ne veille pas, s'ils ne peuvent me vaincre, ils s'efforcent de me troubler ; s'ils ne me troublent pas, ils tentent de me fasciner et de me decevoir ! Vierge puissante, par votre intercession, aidez-moi a soutenir le combat avec vaillance, et jusqu'a I'heure de la couronne de justice.Je suis chevalier de J^sus- Christ. Chevalier du Christ, c'est mon titre de noblesse, la croix est ma gloire, la modestie de J^sus ma livree d'honneur, aidez-moi a revetir et a garder mes armes ; que la verite soit la ceinture de mes reins, la justice ma cuirasse, la confiance ma chaussure, la foi mon bouclier, I'esperance mon casque, la parole de Dieu mon epee (^). Salut des infirmes, pressez la main sur mes plaies et guerissez-les. Coupez et brulez, humiliez et frappez, s'il le faut. Ou'importe la douleur ? Le royaume des cieux souffre la violence et les violents I'emportent {^) ; un moment d'affliction opere un poids eternel de gloires {^). Cause de notre joie, adoucissez les douleurs de I'exil. Ouand vous venez en aide, la paix regne dans lame, meme pendant les angoisses de la tentation. Et lame I. Ep/ies., VI, 12. — 2. E/>/ies., vi, 14-17 et T/ifss [Fcch., x, 7.) l'hUMILIT^ CHRIiTIENNE. 1^9 ment. Alors il a des yeux et ne voit plus; les avertisse- ments divins sont pour lui comme un livre scelle. II a un coeur et n'aime plus ; son ame egaree loin du Sei- gneur est tombee dans I'assoupissement, le froid de la mort y regne ('). C'est le plus grand des chatiments de Dieu ici-bas. Tant que sa main frappe, sa misericorde est proche, il veut reveiller et guerir ; mais quand il laisse insensible ou aveugle, c'est qu'il abandonne, et I'abandon de Dieu c'est le commencement de I'eter- nelle justice. Pauvre orgueilleux ! II tombe d'humiliation en hu- miliation ("). II est humilite dans sa conscience, car Dieu le livre comme une proie aux desirs de son coeur; Sodome s'est elevee en elle-meme, et elle a commis I'abomination {^). II est humilie dans la conscience des hommes, car cette conscience pressent I'orgueil de loin et a I'avance, elle le devine au premier indice par un instinct prompt et sur, elle le reconnait alors meme que lui s'ignore ; et quand elle I'a reconnu, elle se sent humiliee, elle se revoke et elle se venge. Le mepris est sa premiere arme, et cette arme frappe infailliblement et profondement. J'ai rencontre quelque fois I'humilite cachee et sans gloire, je n'ai jamais vu I'orgueil inapercu ou soustrait.a I'ironie. L'orgueilleux est humilie par I'Eglise, qui le repousse, le desavoue et le condamne, meme quand il semble un soutien indispensable de sa doctrine. Le Christ n'a point chasse les demons avec I'aide de Beelzebub (^). Son Eglise ne garde pas la verite par des appuis isoles de 1. Is., VI, loet XXIX, 10-14. 2. « Ubi fuerit superbia, ibi erit contumelia. » {Prov., Xi, 2.) 3. {AcL^ xvii, 28.) C{)apitre ntnWmt. JEAN BERGHMANS ETUDIANT A MALINES. I. Lecture : SES ETUDES, SES ViZRTUS. Fi'h' ;>h', ne obliviscaris hgis vie(E^ et prcecepta mea cor tiium custodiat... et gratiam invenieset bonam disciplinant coram Deo et hominibiis. Mon fils, n'oublie pas ma loi, et que ton coeur garde mes precep- tes...etta troiiveras grace et bonne regie de vie deviant Dieu et devant i§ les homines. Prov., in, i, 4. 'NTRE a Malines, en I'an 1613, avant d'avoir accompli sa quatorzieme annee, Jean resta avec le chanoine Froymont jusqu'au moment de son entree dans la Compagnie de Jilsus. II frequenta d'abord les cours d'humanites dans I'antique college de la ville, mais quand y vinrent les Peres de la Compagnie {'), il sen alia suivre les le9ons en leur college, au grand deplaisir de plusieurs, meme des notables de la ville, mais par une providence speciale de Dieu, ainsi qu'il le disait lui-meme. Apres examen, il fut juge capable d'entrer dans la classe de rhetorique et il y fut inscrit. « La, le caractere de ce jeune homme commenca a briller de tout son eclat et a montrer une vertu plus qu'ordinaire.Nous I'avons vu dans la maison paternelle, tenir toujours un livre ouvert a cote de lui, meme pendant ses repas ; ici I'avidite d'apprendre le poussa plus loin encore ; il passait des nults entieres sans dor- 4. Les Peres Jesuites, appeles k Malines par les magistrats de cette villa, y ouvrirent un college en 1615. V. Van der Speeten, Vie du Bien- heureicx Jean I'crclunaus^ p. 31, note. 184 SAINT JEAN BERCHMANS. mir, pour se livrer a I'etude ; et si, pendant le jour, il lui arrivait d'accompagner quelque part le chanoine son maitre, il portait avec lui quelque petit livre pour ne pas perdre de temps ('). « Chacun etait emerveille de sa beaute, jointe a une grande suavite de moeurs et a une grande modestie et bonte. Des jeunes gens de haute noblesse ne dedaignaient pas de Her des relations avec lui, bien qu'ils le connussent d'une condition inferieure a la leur. « Si quelquefois la conversation de ses condisciples s'etait ecartee de I'honnetete, on I'abandonnait a son arrivee, comme a I'arrivee d'un saint Bernardin de Sienne ; ou bien lui-meme s'en allait, la rougeur au visage. « II y eut la un enfant d'un mauvais naturel qui plusieurs fois, par de mechantes paroles, se mit a lofTen-ser, a I'injurier, a le nialtraiter ; le bon jeune homme supporta ces injures avec beaucoup d'humanite et patience, sans repondre jamais une parole et sans jamais se plaindre devant les autres (-). « Des son entree aux ecoles de la compagnie il fit instance pour etre re9u dans la Congregation de la Tres Sainte Vierge et il y fut admis du consentement 1. <<> Le bienheureux n'avait pas fiequente le college depuis un mois qii'il obtint constainment les premieres places dans tous les concours, et h la fin de I'annde il rcmporta le premier prix d'cxcellence. ("\^an der Speeten, Oicvragc citc^ p. 33.) 2. Quoique externe,et par consequent plus abandonnca lui-meme, il fut toujours scrupuleusement fidele <\ tous les preccptes et meme aux con- seils de ses su,)erieurs. 11 s'abstenait scrupuleusement de tout jeu qui n'eiit pas I'approbation de sesmaitres. De meme ilnevoulut jamais aller se baigner avec ses camarades. « Ceux-ci, rapporte un temoin, I'cxcu- saient volontiers, parce qu'ils se disaient Fun k I'autre qu'effeclivcment Berchmans etait trop saint pour se permettre de semb'.ables cxercices. )> (Van der Speelcn, O'uvr. a'/., p. 34. > SES ]£tudes, ses vertus. 185 et avec rapprobatlon de tous ; puis, avec ses proc^des ingenieux et sa douce maniere d'agir, il en amena beaucoup d'autres a y entrer, non seulement de I'ecole des Peres, mais encore des ecoles publiques de la ville ; il disait ressentir une affection particuliere pour ceux qu'il savaitetre devouesala Vierge. II etait pour tous, dans la Concrreofation, un miroir de bonte.d'obeissance, de devotion. II jeCmait en I'honneur de Marie chaque samedi et aussi les veilles de ses fetes. II recitait tous les jours le psautier de saint Bonaventure approprie a la louange de la Mere de Dieu. Au commencement de chaque mois il allait trouver le directeur de la congregation pour savoir de lui de quelles fautes il avait a se corriger, quelles penitences il devait s'imposer, a quels exercices de piete il devait s'appliqueren I'honneur de la sainte Vierge et de son nouveau patron du mois. « En ce temps il s'appliqua davantage a I'oraison mentale ; tout le temps qui lui restait apres ses etudes, il I'employait a I'oraison, et le premier coin trouve dans la maison lui servait d'oratoire. Souvent il a 6te trouve par lesdomestiques, apres !minuit,priant a genoux nus par terre, et quelquefois, apres son oraison, il restait sur le pavement pour dormir. « Apres la communion il avait I'habitude de rester deux ou trois heures en oraison. « Tous les vendredis (') a la tombee de la nuit, pour I. Ogni vemrdi, dit le P. Cepari. C'est ainsi qu'il traduit le ferits Chris to p.itienti sacris de la deposition du P. Bauters. Nous n'avons pas voulu le corriger, quoique nous pensions que ce qu'il dit de tous les ven- dredis de I'annee ne doit s'appliquer qu'au vendredi de la Semaine-Sainte puisque le P. Francois Boels, a qui le P. Bauters a sans ,aucun doute em- prunt(f ce detail, se contente ^.^^xxQuocte passionis^<:.&(\vi\ semble devoir s'entendre de la seule nuit du Vendredi-Saint. » (Note du P. Van der Sp3eton, Ouvr. cite, p. yj.) 1 86 SAINT JEAN BERCHMANS. n'etre pas connu, il allait faire les stations, suivant a pieds nus le chemin de la croix en memoire de la Passion ; et pour mieux cacher le fait, il avait ote les semelles a une paire de souliers, de sorte qu'on ne s'apercevait pasqu'il etait dechausse. « Un de ses condisciples, qui s'est fait depuis reli- gieux Premontre, garda des lors de Jean une telle opinion de saintete qu'il a conserve jusqu a cette heure le Salve Regina que Jean avait traduit en vers latins avec beaucoup de soin. « II etait si prompt a obeir a la voix de celui qui lui commandait que, comme I'a dit un de nos Peres, il semblait etre I'ange de Tobie, qui se tenait toujours pret a executer les ordres qui lui etaient imposes .. II cherchait a retirer .du fruit de tout ce qu'il voyait. II y avait dans la maison du chanoineun chien anglais auquel on apprenait a chasser dans I'eau; apres I'avoir fait entrer dans la riviere, on lui montrait un morceau de pain, et le chien, pour si peu de chose, s'animait, se fatiguait, et obeissait aux signes de son maitre. Par la Jean disait d'apprendre comment on doit obeir a Dieu, qui nous promet une recompense eternelle. « Le reverend chanoine, qui connaissait la bonte de coeur de ce jeunehomme.l'aimait comme un fils. S'il lui arrivait de parler de lui, il ne pouvait retenir des larmes de tendresse, et, quand il setrouvait en quelque besoin ou peril, il se recommandait a I'ange gardien de Jean. » Cette page m'ouvre son ame ! J'ai le secret de son innocence et de sa vie entiere ; il a entendu et garde la parole du Maitre a Gethsemani : <,< Veillez et priezafin que vous ne tombiez point dans la tentation, car I'esprit est prompt et la chair est faible ('). » II a veille I. Matih., XXVI, 41, LA VERTU. 187 sur ses sens, sur ses pensees, sur ses affections. II a prie : aupres de la Table sainte ou il passait des heures entieres, aux pieds de Marie ou il amenait ses meilleurs amis.La Vierge est restee sa protectrice et son avocate; Dieu a ete son refuge et sa force. II a resiste au som- meil dans la valleedu Cedron, entre Jiisus souffrant et le monde coupable ! Voila pourquoi il n'a pas connu I'heure du prince des t^nebres, pourquoi nul condis- ciple traitre a Dieu ne s'est approche de lui, pourquoi il n'a ni trahi, ni abandonne, ni renie. Nul souffle n'a terni cette glace, nul nuage n'a obscurci ce rayon, nulle souillure n'aatteint cette ame ! Heureux enfant, saint modele, soyez toujours devant mes yeux, et que votre exemple soit la regie de ma vie. III. LA VERTU. Qui p.itest capere^ capiat. ^ Prenne qui le pe".'t ! 1 J/^?////., XIX, 1 2. Prenne qui le peut ! c'est la parole du Christ invitant a la continence pour conquerir le royaume des cieux, II propose le prix, dit saint Jerome, il excite a la course, il tient en mains la couronne ; il montre la fontaine de purete et il s'ecrie : que celui qui a soif vienne, que celui qui peut atteindre puise. C'est une grande chose que la purete du coeur et du corps ! Celui qui I'a gardee possede un tresor inesti- mable ; celui qui la meprise est dans la voie de la perdition. Rien de souille n'entrera dans la Jerusalem celeste (') ; elle n'est ouverte qu'a I'innocence, a la chastete et a la penitence : a I'innocence ou virginite, i.'^CNon intrabit in earn aliquod coinquinatum, aut abominationem faciens et mendacium... Foris canes, et venefici et impudici. » {Apocal.^ XXI, 27 et XXII, 15.; l88 SAINT JEAN BERCHATANS. qui est restee hors des atteintes de la concupiscence ; a lachastete, qui la chatie et la contient, en chacun, dans les limites imposees par sa vocation ; a la penitence, qui a obtenu le pardon et lave les souillures. Heureux ceux qui ont garde la virginite ! Voici la vision del'apocalypse ('):«Je regardai etje vis I'Agneau debout sur la montagne de Sion, et avec lui cent-qua- rante-quatre mille qui avaient son nom et le nom de son Pere ecrits sur leur front. Et j'entendis alors une voix qui venait du ciel comme la voix des grandes eaux et comme la voix d'un grand tonnerre... et cette voix que j'entendais etait comme le son de joueurs de harpes qui touchent leurs harpes. lis chantaient comme un cantique nouveau... et nul ne pouvait chanter ce cantique hormis ces cent-quarante-quatre mille qui ont ete rachetes de la terre. Ce sont ceux qui ne se sont point souilles avec les femmes, parce qu'ils sont vierges; ceux-la suivent I'agneau partout ou il va. » Ces revelations ne peuvent que se begayer dans la langue humaine, et si un homme les a re9ues et nous les a transmises, c'est celui dont saint Jerome a ecrit (') : « Le Christ I'a trouve vierge et il est reste vierge. » Jean est vierge, aussi il est le disciple bien-aime de JilSUS ; au soir de la cene sa tete repose sur le sein du divin maitre (^) ; seul il le reconnait sur le lac de Genesareth (4), et c'est a lui que le Seigneur mourant confie sa Mere ('). II est vierge et il plonge d'un regard d'aigle dans les profondeurs de Dieu : nul, comme lui, ne decouvre au debut I'eternelle generation du Verbe ei a la fin, son immense amour. II est vierge et avec 1. Apocai., XIV, 1-4. 2. OJ"., Ecd.vi. Mail. Ex libra Huronyini contra Joviniauiim. ^.Joan., XHI, 23. — 4- A'''-) ^^^' 7- — 5- / {Sap.^ VIII, 21.) LA VERTU. 191 Je reste done la bien-aimee de mon Dieu, belle comme les tentes de Cedar et les pavilions de Salomon ! Louange au Seigneur ! — Je suis le Dieu de Daniel ; mon ange ferme la gueule des lions et ils ne font aucun mal. — L'ennemi a rode autour de moi, cherchant a me devorer ; je veillais, j'ai resiste ; mon Bien-aime reste a moi et je reste a lui pour jamais ; louanges au Seigneur. — Je suis le Dieu d'Azarias, de Misael et d'Ananias ; mon ange repand un vent frais et une douce rosee au milieu du feu et il ne nuit point. — Anges, benissez le Seigneur Icieux et terre, benissez le Seigneur ! Soleil, lune et etoiles benissez le Seigneur! Enfants des hommes, benissez le Seigneur ! Ananias, Misael et Azarias, benissez le Seigneur, parce qu'il m'a delivree des flammes ardentes, et sauvee de la puissance de la mort ! Apres un combat terrible et une victoire glorieuse, Dieu a accorde a quelques preux dompteurs du sang, a un saint Benoit, a un saint Thomas, d'etre delivres pour toujours des revokes humiliantes du corps. Le jeune comte d'Aquin venait de revetirl'habit de Saint- Dominique ; il avait seize ans. Sa famille irritee voulait larracher au cloitre et le disputer a Dieu. Elle etait parvenue a le saisir, a le ramener a Rocca-Secca, et elle I'y tenait captif dans une tour de I'antique manoir de ses peres. Mais il restait a vaincre sa resistance, a vivre dans le monde, et c'etait la resistance de la grace. Or on n'y parvenait point : les conseils, les affronts, la violence, I'isolement, I'epreuve de la mollesse lais- saient inebranlable le pieux descendant des Sommacle transforme en novice des Freres-Precheurs. C'est alors que les freres de Thomas imaginent un moyen infernal. Pour faire taire sa vocation, ils livrent sa vertu a la 192 SAINT JFAN BERCHMANS. plus eflroyable epreuve ; ils introduisent dans sa prison une courtisane choisie pour un attentat infame. La lutte fut courte et decisive. « Thomas leve un regard au ciel, et prenant un tison enflamme, il en frappe I'infortunee et la chasse de sa demeure avec une grande indignation. Puis, avec le meme tison, instrument de sa victoire, il trace une croix sur le mur depouille de sa prison, tombe a genoux, renvoie a Dieu I'honneur de son triomphe, et renouvelle en cette glorieuse circonstance le voeu qui le consacrait entierement au Seigneur. « Or, pendant qu'il priait, un doux sommeil s'empara de lui, semblable, comme dit un pieux auteur, le P. Touron, a celui du premier homme dans le paradis terrestre. II y eut en effet dans ce sommeil du chaste novice quelque chose de mysterieux et de fecond. Tous les anciens historiens racontent de concert que les anges le visiterent dans cette extase de la virginite ;et qu'apres I'avoir felicite d'une victoire qui donnaitun guerrierde plus a leurs phalanges immaculees, ils ceignirent ses reins de la ceinture des divins combats en lui disant : Nous venons a toi, de la part de Dieu, te conferer le don de la virginite perpetuelle dont il te fait de ce moment la grace irrevocable. « Admirable jeune homme ! qui, realisant la parole de saint Augustin, triomphe de I'amour par I'amour, repousse le feu par le feu... Heureux pelerin, qui a merit6 par sa victoire, de devenir le concitoyen des anges, pendant qu'il etait encore I'hote du siecle pre- sent ! « Thomas ne fut pas arme chevalier du ciel et de la purete sans un vif sentiment de douleur, qui le rappela tout a coup a la vie exterieure. Au gemissement invo- LA VERTU. 193 lontaire qu'il fit entendre en se reveillant, ses gardes accoururent. Mais il les renvoya, se gardant bien de rien dire a ces hommes grossiers, des faveurs singu- lieres qu'il venait de recevoir. Son humillte profonde les tint absolument cachees durant tout le cours de sa vie. Ce ne fut qu'a I'approche de sa mort qu'il en revela le secret au pere Renaud, son confesseur, et le dernier comme le plus intimede ses amis. II confessa jusqu'au bout les misericordes du Seigneur, en lui declarant que depuis le jour de la lutte et du triomphe, le celeste cordon I'avait mis a I'abri de ces tentations si humi- liantes pour le chretien, de ces soufflets injurieux de I'ange de Satan que le grand Apotre eprouvait tou- jours, malgre la sublimite de ses revelations et I'immen- site de ses travaux. « Le cordon miraculeux que Thomas avait recu des anges et qu'il porta jusqu'a la fin de sa vie, fut donne a la maison des Dominicains de Verceil,.. sur ce cordon furent faits bientot apres d'autres cordons semblables, consacres par la memoire de saint Thomas d'Aquin et par les benedictions de 1' Eglise. lis devinrent la marque distinctive et comme I'arme puissante d'une nouvelle association religieuse, nommee la Milice angdlique, dont le but etait, ou de conserver le tresor sacre de la purete, ou de le reconquerir apres I'avoir perdu. Cette legion sainte, armee pour le triomphe de I'esprit sur la chair, se repandit avec une merveilleuse rapidite dans toutesles contrees de I'Europe, et s'est perpetuee jus- qu'a nos jours ('). » L'esprit qui domine la chair s'eleve, s'epand et s'en- noblit. II se meut avec toute liberte, il voit par-dessus les regions troublees de I'ame, il discerne,promptement I. Hlstoire de saint TJwnias d'Aqiiin, par M. I'abbd Bareille, Chap. v. S. JEAN BERCHMANS. 13 194 SAINT JEAN BERCHMANS. et SLirement, le bien et le mal, la veriteet I'erreur, Dieu et tout ce qui vient de lui ou qui eloigne de lui.C'est cet esprit qui a fait Jean Berchmans et Thomas d'Aquin ; sans lui ils restent incomprehensibles. Qui compren- drait Berchmans a douze ans, meditant sur la Passion de J^sus-Christ, oupuisant dans les Proverbes sacres une sagesse hors de toute proportion avec son age ? Qui comprendrait Thomas, mourant a quarante-huit ans en laissant apres lui cette oeuvre colossale, malheu- reusement inachevee, qu'on appelle la Somme ? oeuvre immense composee aux heures que lui laissaient la priere, la meditation, I'enseignementet la predication ? II faut le reconnaitre : dans la science des choses divines, la chastete, c'est le genie. Celui dont le sort est partage et dont les affections sont terrestres a I'intelligence embarrassee par les choses du monde et le coeur rive a la tribulation ('). Mille nuages empechent ses regards, mille obstacles genent sa marche vers la Patrie ; soucis de toute nature regrets cruels, preoccupations du lendemain et du len- demain encore, sentiments a contraindre, chagrins a dissimuler,contradictions a subir,appetitsacontrarier... et le plus souvent, hors du commerce intime avec le Seigneur qui aide, qui console et qui rejouit. Mon Dieu, votre droite est terrible ! si vous traitez ainsi celui dont le seul tort a ete de ne pas se donner tout entier a vous, comment done frapperez-vous le coupable et I'impie ? L'homme qui a renonce a la volupte a brise la plus lourde chauie d'ici-bas. II est libre et heureux. Pourle sacrifice qu'il s'est impose, Dieu lui rend au centuple. I. T Coj:, VII, 8-34. LA VERTU. 195 Je me suis pris souvent a le considerer au milieu des autres hommes, et toujours je I'ai distingue a sa sere- nite candide, a sa joie prete a se repandre au-dehors parce qu'elle surabonde au-dedans, a son regard lim- pide, a je ne sais quelle jeunesse, quelle beaute et quels charmes. Alors j'ai pense aux lis des champs : « lis ne travaillent ni ne filent,et cependant Salomon dans toute sa gloire n'a jamais ete vetu comme I'un d'eux ('). » Mais quand, aux rayons brulants des jours caniculaires, la poussiere a macule leur blanche fleur, la fletrissure commence, leur tige s'appauvrit, leur calice se des- seche , leur corolle tomlDe. Le voyageur passe et detourne les yeux, ou, s'il regarde encore, c'est pour prononcer ce mot : malediction. O symbole admirable, sublime langage de la nature, je vous comprends et vous traduis : la beaute est I'apanage de la virginite ! Nous portons le tresor de la purete dans des vases d'argile : « Que celui qui croit etre ferme prenne bien garde a ne pas tomber (^). » Qui peut se croire plus saint que David, qui est tombe ? Plus sage, que Salo- mon, qui est tombe ? chacun est tente par sa propre concupiscence;le feu brule jusqu'a lame etne dit jamais: c'est assez (^). Quand la concupiscence a concu par le desir, elle enfante le peche par le consentement et le peche etant accompli engendre la mort spirituelle (^). Un abime appelle un autre abime, A.h! j'entends s'elever en moi le cri de douleur du grand apotre ('): « Malheureux homme queje suis, qui me delivrera de ce corps de mort? » mais je me reponds avec le her athlete du Christ : « La grace de Dieu par Jesus-Christ Notre-Seigneur. » Elle me I. Mali., VI, 28 ; Luc, Xli, 27.-2. /Cor., x, 11. — 3. ProT., xxx, 15. — 4. /ac, I, 14, 15. — 5. Jio'ft; VII, 24-25. 196 SAINT JEAN BERCILMANS. suffira, car elle grandit dans la mesure de la tentation .et de rinfirmite ('). Je pourrai tout eii celui qui me fortifiera (^). Je marcherai dans la voie du salut avec crainte et tremblement, et Dieu operera en moi le vouloir et le faire {^). III. VEILLEZ ET PRIEZ. Vigi/aic et orate ut non intretis « Veillez et priez, afin de ne point in ientationem : spiritus qiddetn proiiiptus est, catv autevi infirnia. entrer en tentation, car I'esprit est prompt, mais la chair est faible. Matf.,^xxi, 41. Je veillerai et je prierai; a I'exemple de saint Jean Berchmans. Je prierai Ji^sus eucharistique, Marie de Montaigu, saint Joseph; je veillerai sur mes yeux, sur mes demarches, sur mon imagination, sur mon coeur. Je m'envelopperai de la modestie, de la dignite et de la douceur de Jesus-Christ comme d'un vetement protecteur. Je lui ferai I'oblation volontaire et conti- nuelle de moi-meme comme d'une hostie vivante, sainte, agreable ("*). La perseverance ne s'obtient que par ces moyens. Celui qui se repose sur sa volonte flechira bientot avec elle. Celui qui ne veille ni ne prie tombera dans des embuches mortelles; car I'ennemi ne dort point et il viendra. II viendra avec sa douceur perfide et ses amorces trompeuses, et, ce que son astuce aura com- mence, sa haine le consommera. Malheur a I'homme, 1. (( Dixit mihi: sufficit tibi gratia mea: nam virtus in infirmitate per- ficitur. » (// Cor., Xll, 9.) 2. « Omnia possum in eo cpi me confortat. » {Phil., IV, 13.) 3. « Cum metu et tremore vestrani salutem operamini. Deus est enim, qui operatur in vobis et velle et perficere. » {Phil., li, 12-13.) 4. « Obsecro... ut exhibeatis corpora vestra lu (A^a/i., i, 2.) 2. « Proferam vobis spiritum meum, et ostendam vobis verba mea. Quia vocavi et renuistis... despexistis omne consilium meum. ))(Prbv., i, 23-31.) 2 24 SAINT JEAN BERCHMANS. II s'est laisseeblouir par tout ce qui eblouit le monde ; il a etouffe la voix de Dieu au milieu des sollicitudes du siecle. La il poursuit le bonheur et il se le promet bien ; il va I'atteindre, il le croit du moins. Illusion, illusion ! Un rival lui dispute ce qu'il desire, un evene- ment lui enleve ce qu'il attend, un malheur lui fait perdre ce qu'il possedait deja, mille obstacles imprevus et renaissants ecartent toujours ce qui lui manque et le tourmentent sans relache. II accuse et maudit ce rival, cet evenement, ce malheur et ces obstacles qu'il voit ; mais c'est Dieu qu'il s'obstine a ne pas voir, Dieu a qui il a resiste, qui maintenant lui resiste, qui se rit de lui, qui se joue de lui, qui se vengede lui. Meme quand cet homme obtient I'objet auquel il court, il est amerement decu ; la possession apporte avec elle dessoucis inattendus, lajouissance effrenee appelle un degout prompt et le bonheur trouv6 n'est plus a ses yeux qu'un fantome perfide, et, pour son coeur, qu'un regret ou un remords. Ainsi punit Dieu et rien ne saurait I'empecher. Quoi que veuillent et quoi que choisissentles hommes, c'est lui qui fait leur voie, selon que le demande sa justice ou sa bonte. Sa justice : il seme les germes du malheur et du depit devant les contempteurs de sa vocation jusque dans des sentiers qu'ils croyaient ouverts a toutes les joies ;sa bonte : avec son aide la croix meme devient un titre de gloire a ses apotres, I'arene couverte de charbons ardents semble un lit parseme de roses a ses martyrs, et a tous ceux qui se donnent resol^iment a lui, son fardeau est leger et son joug agreable. Au mepris d'inspirations saintes et de conseils aux- quels il devait respect et obeissance , celui-la s'est engage dans une voie voluptueuse et s'y est attache par LA VOCATION. 2 25 d'invincibles liens. Or voici quevient raffliction qui en est inseparable et elle est cruelle, car Dieu ne ladoucit pas. Alors le calice de fe, vie se trouve etre plein de fiel, et il faut le boire ; les liens noues par la concupis- cence sont devenus des chaines, et il faut les trainer ; le chatiment de la vocation meprisee vient et revient, et il faut le subir la plaie est large et se rouvre toujours, la douleur est lancinante, et I'epine doit y rester ! Mon Dieu, quel supplice ! Mais vous appeliez cette ame a d'autres affections et a d'autres joies ; elle a voulu contre vous, et votre justice poursuit son cours. Voici celui que le Seigneur destinait a une vie humble et laborieuse. II y eut rencontre des delassements simples, des gouts sobres, une vie calme, le bonheur enfin, dans une vertu obscure. II ne I'a point voulu. La passion I'a appele au-dessus de sa vraie vocation et ses desirs se sont attaches a des fonctions et a des honneurs que Dieu reservait a d'autres que lui. Avec la reflexion, aidee de la priere, il aurait compris la disproportion de ses moyens avec ses volontes et il serait reste dans I'etat de vie auquel la Providence I'avait prepare. L'entrai- nement des passions I'a emporte sur les conseils de la sagesse : il a cede a la vanite, a la concupiscence ou a la cupidite ; il poursuit I'objet cher a son coeur, il veut etre la oii Dieu ne le veut pas. — II appelle sentiment d'honneur son ambition demesuree, et fermete de reso- lution son obstination impie. II se trompe et ne trompe que lui ; c'est deja un chatiment. II se met a son oeuvre et pour atteindre ses fins, il s'agite et se tourmente, car la voie est difficile et ses forces sont sans proportion avec elle ; autre chatiment. S'il manque son but, il s'afflige de son impuissance; s'il I'atteint, il s'en propose un autre et il se retrouve devant de nouveaux labeurs S. JEAN BERCHMANS. jc 2 26 SAINT JEAN BERCHMANS. et de nouvelles deceptions. Sa vie s'ecoule ainsi, inquiete et anxieuse, entre des desirs inefficaces et cruels, des desirs satisfaits, mais vains et vides, et des desirs nais- sants, nombreux, tyranniques, insatiables. Cet homme, rebelle a Dieu et plein de lui-meme, se rencontre a toutes les avenues des honneurs et du lucre, toujours avide et intrigant, toujours declasse et malheu- reux. On devine sur son front les soucis qui le devorent, on comprend par ses demarches les passions auxquelles il est en proie, et on ne saurait douter qu'en son ame I'espoir trompe et le depit aient habituellement toute la place du bonheur absent, et que la confusion y siege au trone de I'orgueil humilie et abattu, mais vivant encore. O vanite, ambition et cupidite, 6 concupiscence de la chair, concupiscence des yeux et orgueil de la vie, voila vos voies et vos oeuvres ; 6 mon Dieu, voila, ici- bas meme, votre justice et vos vengeances. Que seront- elles done quand vous viendrez demander compte de cette vie, qui vous 6tait due, et qui fut enfou.ie dans la terre comme le talent de I'Evangile ? III. LES VOCATIONS. Umisquisque proprhan donuni §s. Chacun regoit de Dieu son don habet ex Deo : alius quidein sic, j particulier, I'un d'une maniere et alms vero sic. \ I'autre de I'autre. ^ / Cor., vn, 7. « Venez a ma suite et je vous ferai devenir pecheurs d'hommes. » Cette parole fut adressee a deux freres qui jetaient leur filet dans le lac de Galilee. Elle est de Jiisus. Apres dix-huit siecles elle reste vivante et irre- sistible. Un individu peut letouffer en lui, mais nulle puissance ne saurait la faire taire devant I'humanite. LES VOCATIONS. 22 7 Elle retentit, quand Dieu le veut, dans lame des riches comme dans lame des pauvres, et on les voit, pour lui obeir, jeter leur or, jeter les plus cheres affections, comme Simon-Pierre et Andre jetaient leurs filets. Et les pecheurs d'hommes, qui n'etaient que douze sur les rives du Jourdain, sont aujourd'hui innombrables sur la terre ; ils obeissent a I'ordre divin : « Allez, instrui- sez tous les peuples, les baptisant au nom du Pere, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant a observer toutes les choses prescrites ('). » L'invitation au sacerdoce s'adresse a un petit nombre d'hommes, choisis et prefer6s pour des raisons imp6- netrables a la sagesse humaine. Nul ne peut s'attribuer a lui-meme cet honneur : « II faut y etre appele de Dieu comme Aaron. Ainsi le Christ ne s'est pas eleve de lui-meme a la dignite de Souverain Pontife, mais il I'a re^ue de celui qui lui a dit : Vous etes mon Fils, je vous ai engendre aujourd'hui ; comme il a dit dans un autre endroit : Vous etes le Pretre eternel selon I'ordre de Melchis6dech ("). » Arriere done et loin des autels ceux qui ne sont pas appeles aux fonctions sublimes du sacerdoce ; ils s'im- poseraient, en se les arrogeant, un fardeau accablant et impossible a porter, ils languiraient de torpeur et d'impuissance dans I'oeuvre commencee, ils apporte- raient le scandale dans le lieu saint et la desolation dans rfiglise, ils provoqueraient la colere et le chati- ment de Dieu. Quiconque, etranger a la tribu de Levi, s'approchait pour toucher au Tabernacle, devait etre i.« Data est mihi omnis potestas in coelo et in terra; euntes ergo docete omnes gentes baptizantes eos in nominePatris,et Filii et Spiritus sancti: docentes eos servare omnia quacumque mandavi vobis. » {MaU., xxvm, 18-20.) 2. I/ei>r., V, 1-6. 2 28 SAINT JEAN BERCHMANS. puni de mort (') ; Ophni et Phinees, pour avoir touche avec impiete aux victimes du sacrifice a Silo, et commis I'abomination a I'entree du Tabernacle, furent punis de mort (') ; Oza, parce qu'il avait etendu la main et soutenu I'arche pres de I'aire de Chidon, fut puni de mort {'). Sous I'ancienne loi, un ordre de Dieu, expres et manifeste, avait appele Aaron et ses fils au sacerdoce {^), et separe des autres tribus la tribu de Levi pour la garde et le service du Tabernacle (^). Sous la loi nou- velle et apres les Apotres, la vocation est interieure, elle se revele secretement et doucement a I'ame. L'elu pour etre pretre du Seigneur se reconnait au don de science qu'il a re9u, au zele de la cause de Dieu qui I'agite, a la purete de son coeur, a I'aversion instinctive qu'il a pour le monde, pour ses plaisirs ephemeres, pour ses voluptes seduisantes, a je ne sais quel attrait doux et fort qui le porte vers les choses de Dieu, qui le pousse vers le sanctuaire, qui I'entraine a s'occuper des ames et du ciel. Les levres du pretre doivent rester les depositaires de la science, et c'est de sa bouche que le peuple doit recevoir la connaissance de la loi, parce qu'il demeure I'envoye du Seigneur des armees (^). II est la lumiere du monde (^). C'est par cette lumiere que les hommes doivent etre eclaires et conduits dans les sentiers de la verite et de la justice. «I1 faut qu'il soit capable d'exhor- ter selon la saine doctrine et de convaincre ceux qui I. A'uffi., I, 51. — 2. / AV^., II, 14, 22 et IV, II. — 3. IParah'p., xill, 10, — 4. Levi'/., VIII. — 5. Niim.^ I, 50. 6. « Labia... sacerdotis custodient scientiam, et legem requirent ex ore ejus: quia angelus Domini exercituum est. » {Malach., II, 7.) 7. « Vos estis luxmundi. » {Mati.,Y, 14.) LES VOCATIONS. 229 s'y opposent ('). » II ne peut etre aveugle sans choir avec ceuxqu'il conduit (') ; il ne peut rejeter la science sans etre rejete lui-meme, comme indigne du sacer- doce, par le Dieu des chretiens comme par le Dieu des enfants d' Israel {^). La science est necessaire au pretre, mais elle ne lui suffit pas. II faut que son coeur soit sans souillure; il faut que ses mains ne connaissent pas le peche, car elles doivent porter le Saint des Saints. Qu'il ecoute le psalmiste: « Qui s'elevera sur la montagne du Sei- gneur, ou qui s'arretera dans le lieu saint? Ce sera celui dontles mains sont innocentes et dont le cceur est pur {'). » Qu'il ecoute le prophete, s'ecriant au milieu des eclairs d'en haut qui lui font entrevoir le Christ, son Eglise et ses pretres : « 6loignez-vous, eloignez-vous, ne touchez rien d'impur, sortez de la cite corrompue et purifiez-vous, 6 vous qui portez les vases du Sei- gneur (5). » Qu'il ecoute J^sus enseignant ses disciples: « Vous etes le sel de la terre ; si ce sel est gate qu'est-ce qui empechera le monde de s'affadir et de se corrom- pre (^) ? » Qu'il ecoute 1' Apotre enumerant les caracteres du Pontife eternel, qui est le modele des pretres: « II fallait que nous eussions un pontife comme celui-ci : 1. « Oportet... ut potens sit exhortari in doctrina sana, et eos, qui contradicunt, arguere. » (Tz'f., I, 9.) 2. « Caucus... si cseco ducatum praestet, ambo in foveam cadunt. » {Matt.^ XV, 14.) 3. Ps. xni, 3, 4 ; Ps. XIV, 1,2. 4. « Audite verbum Domini, filii Israel,... quia tu scientiam repulisti repellam te, ne sacerdotio fungaris mihi. » {Osee., iv, 1-6.) 5. « Recedite, recedite, exite inde, pollutum nolite tangere : exite de medio ejus, mundamini, qui fertis vasa Domini. » (/$•., Lll. 11.) 6. « Vos estis sal terras. Quod si sal evanuerit, in quo salietur? ad nihilum valet ultra, nisi ut mittatur foras, et conculcetur ab hominibus. » (J/.j/'/., V, 13.) 230 SAINT JEAN BERCHMANS. saint, innocent, sans tache, separe des pecheurs ('), » Qu'il ecoute et medite ces paroles, puis qu'il s'observe et se juge; si sa conscience ne lui rend le temoignage d'une continence eprouvee, il est trop indigne d'appe- ler et de tenir a I'autel la victime immaculee. Mais si son coeur est pur, si son esprit est eclair^, s'il pense avec bonheur que Dieu est la part qui lui est echue en heritage et le calice de sa vie (''); s'il eprouveun attrait spontan6, confiant, desinteresse, per- sistant pour vivre a Tombre de I'autel, ah! qu'il choi- sisse d'etre plutot des derniers dans la maison de son Dieu que d'habiter dans les tentes des pecheurs (^): que cette maison devienne sa demeure, et qu'il y repete, entre le vestibule et I'autel, pour arreter les fleaux pro- voques par les crimes des hommes, la supplication dictee par Joel: « Pardonnez, Seigneur, pardonnez a votre peuple, et ne laissez point tomber votre heritage dans I'opprobre en I'exposant aux insultes des nations: souffrirez-vous que les etrangers disent: ou est leur Dieu(^)? » C'est la sa mission en ce monde; elle est grande d6ja. Elle le devient bien davantage si Dieu, en meme temps qu'il I'appelle au sacerdoce, le choisit pour I'apos- tolat. Mais il est necessaire qu'il porte en lui les traits de cette election :il faut que le disciple aime a ressem- bler au Maitre, que le ministre represente Celui qui I'envoie, que celui qui est appele a sauver les hommes rappelle, selon que le comporte sa pauvre nature, les 1. « Talis enim decebat ut nobis esset pontifex, sanctus, innocens, impollutus, segregatus a peccatoribus. » {^Hebr., VU, 26.) 2. « Dominus pars haereditatis me^e et calicis mei. » {Ps. XV, 5.) 3. « Elegi abjectus esse in domo Dei, magis quam habitare in taber- naculis peccatorum. » {Ps. Lxxxni, 11.) 4. Joel., n, 17. LES VOCATIONS. 23 I traits du Sauveur du monde. Or, le grand trait du Sauveur, apres sa puissance, le caractere qui domine et subjugue en lui, c'est ramour: amour de Dieu et amour des hommes. Amour de Dieu: le zele de sa maison le devore {') ; il ne peut souffrir que Ton fasse de son Temple un lieu de ndgoce, et il en chasse dure- ment les vendeurs ('); faire la volont^ de Celui qui I'a envoye et accomplir son oeuvre, voila sa passion, son aliment et sa vie {^). Amour des hommes: il les aime avec tendresse: il s'^meut de voir la foule qui le suit n'ayant rien a manger (^); il pleure devant le tombeau de Lazare, sur quoi les juifss'entredisent: Voyez, com- ment il I'aimalt {^) ! il pleure en voyant la ville de Jerusalem et pensant aux malheurs qui fondront sur elle; enfin, il aime jusqu'a la mort, et il lui tarde de recevoir le bapteme de sang qu'il attend et qui lavera I'iniquit^ de la terre {^). Si I'adolescent, instruit, chaste, appele a I'autel par ses affections, a en lui une 6tincelle du feu de la charit6 de J^sus: s'il est agite du zele de la cause de Dieu, s'il est travaille de I'id^e d'evangeliser et de sauver les hommes, ah! qu'il se tienne attentif, humble et pr^t; car I'invitation adress6e aux deux freres, pres du lac galileen, s'annonce a lui. Qu'il se garde pur, qu'il prie, qu'il consulte le pretre du Seigneur a I'exemple de Samuel, et que sa priere aussi soit: « Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur ecoute (^). » Et le Seigneur lui parlera interieurement, il I'appel- 1. « Zelus domus tu?e comedit me. » (Ps. Lxviii, 10.) 2. Ma^f., XXI. 3. « Dicit... Jesus : Meus cibus est ut faciam voluntatem ejus, qui misit me, ut perficiam opus ejus. » {/oan., iv, 34.) 4. Maii., XV, 32.— s./oan., xi, 35.-6. Liic, xii, 50.— 7. fJ^f^., Ill, 10 232 SAINT JEAN BERCHMANS. lera a sa suite, et il fera en lui de grandes choses pour faire par lui de plus grandes choses encore. II le trans- formera en apotre, le detachant de plus en plus du monde et de ses propres desirs, repandant en lui son Esprit, et imprlmant dans son ame son humlllte avec sa douceur. Alors II I'etablira gardlen sur les murs de la cite sainte pour veiller a sa surete, et 11 lui confiera d'en- selgnersa doctrine, d'exposer les preceptes, de baptiser en son nom, de repandre la charite tout autour de lui, d'y guerir tout ce qui langult et d'y sauver tout ce qui se perd. Malheur a rhomme qui, destine et doue pour ce sublime ministere, dedaigne ou neglige sa vocation. Ici- bas deja, 11 est le jouet de la justice, vengeresse des droits divins meconnus et des talents lalsses steriles: ses efforts restent Impuissants, ses desirs sont trompes et son malaise s'aiguise en remords quand 11 ne s'oublie pas dans une mortelle torpeur. Au jugement de Dieu 11 lui sera demand^ beaucoup parce qu'Il a re9u beau- coup, et le chatlment sera grand parce qu'Il aconnu la volontc de son Maitre et qu'Il ne I'a point accom- Malheur aussi a celul qui, n'ayant pas recu la mission de I'apostolat, ose se I'arroger, en vue de sa gloire, de ses desirs ou de ses Interets. II ne ressemble point au Sauveur, qui n'a cherche ni a se glorifier (^), ni a se complaire en lul-meme {^), ni a garder sa vie au detri- ment des hommes; II est un mercenaire! Or le merce- 1. « Ille autem servus, qui cognovit voluntatem Domini sui, et non prajparavit, et non fecit secundum voluntatem ejus, vapulabit multis:... omni autem cui multum datum est, multum quasretur ab eo: et cui com- mendaverunt multum, plus petent ab eo. » [Life:, xil, 47, 48.) 2. « Ego... non quan-o gloriam meam. » {/oan., vni, 50.) 3. <( Christus non sibi placuit. » [Rom., xv, 3.) LES VOCATIONS. 233 naire ne peut etre bon pasteur: il s'enfuit quand vient le loup et il abandonne les brebis ; et le loup les ravit et disperse le troupeau ; mais que lui importe a lui (')? Hors la milice de I'Eglise les mercenaires et ceux qui leur ressemblent! Judas fut un de ceux-la; on sait le reste. Mieux eut valu pour cet homme qu'il ne fut point ne C). Quel spectacle que celui de I'apostolat dans le monde! un petit nombre d'hommes, souvent sans fortune, sans puissance et sans titres, parlant aux autres hommes au nomde Dieu; exhortant a la vertu et reprenant le vice, meme quand le monde I'excuse ou I'adule; rappelant, sans se lasser, que tous ont un Dieu aglorifier, une ame a sanctifier, des peches a expier, des passions adomp- ter, la mort a prevoir, le jugement a subir, une eternite, heureuse ou malheureuse, a attendre; ne changeant un iota, ni a la doctrine, qui est dans le symbole aposto- lique, ni a la morale, qui est dans les commandements du Sinai et dans les preceptes du Christ, ni au code de la perfection chretienne, qui est dans les epitres des Apotres; souffrant la contradiction et la persecution sans que jamais leur race defaille ou perisse... Quelle saintete, quelle stabilite, quelle vitalite! Et pourtant est-il un sophisme qu'ils n'aient pas oui, une accusation qu'ils n'aient pas subie, un supplice qu'ils n'aient pas souffert ? On a lance les pierres du torrent de Cedron contre Etienne a Jerusalem ; eleve, la croix pour Andre en Achaie, pour Pierre pres du 1. « Mercenarius... videt lupum venientem, et dimittit oves, et fugit : et lupus rapit, et dispergit oves. Mercenarius autem fugit, quia mercena- rius est, et non pertinet ad euni de ovibus. » {Joan., x, 12-13.) 2. « Vse homini illi, per quern Filius hominis tradetur: bonum erat ei, si natus non fuisset homo ille. » {Matt., xxvi, 24.) 234 SAINT JEAN BERCHMANS. Vatican ; frappe Paul du glaive sur la voie d'Ostie ; lach^ centre Ignace d'Antioche les lions du Colysee; active le feu sous le gril du diacre Laurent ; employ^ dans tout I'empire les aiguillons, les torches, les cour- roies, les verges, les scorpions; excite la discorde civile avec toutes ses horreurs dans 1' Europe de Luther et de Calvin ; approche la flamme br{llante et serre le noeud de la strangulation a nos heros de Gorcum ; dresse le pal pour les missionnaires aux extremites du monde; ouvert les prisons, prepare les noyades et ajuste le billot sous le tranchant, pour les pretres, dans la France de Voltaire... Vains efforts de la raison d^lirante et de I'impiet^ en demence ! ils vivent : si leur sang coule, il devient une semence de nouveaux apotres; ils prechent : la parole de Dieu ne peut etre enchainee, pas plus dans les cachots de I'extreme Orient que dans le Vatican cerne de spoliateurs, et pas plus dans le Vatican du temps de Pie IX que dans la prison mamertine du temps de saint Pierre ; ils se succedent : la parole « venez a ma suite et je vous ferai devenir pecheurs d'hommes, » poursuit I'humanit^ a travers les siecles; ils envahissent la terre entiere : c est pour la gagner a Ji^sus, I'ordre leur en est donne, leur extension est irresistible comme le flux de I'ocean et le cours des astres; ils sont la plus grande puissance qui se soit vue au monde : rien ne prevaut contre elle, ni le temps, ni les hommes, ni I'en- fer ; et rien ne pr^vaudra jamais, parce que le Maitre a dit qu'il est avec eux jusqu'a la consommation des siecles ('). I. « Euntes ergo docete omnes gentes... Et ecce ego vobiscum sum omnibus diebus, usque ad consummationem s^eculi. » {Matt.^ xxviii, 19, 20.) LES VOCATIONS. 235 Plusieurs sent appeles au sacerdoce, mais lis se sen- tent eloignes du ministere des ames. Celui-ci n'a pas le zele necessaire a la vie mlHtantede I'apostolat; celui-la s'efTraie des perils que rencontrera sa vertu au milieu dela corruption du monde ; un autre apprehende I'im- petuosite ou la faiblesse de sa volonte abandonnee a elle-meme ; il en est que d^tournent les distractions et les dangers inseparables de la gestion et de I'usage d(;s biens terrestres. La priere et I'avis des amis de Dieu doivent apprendre a chacun si sa crainte est pusillani- mite ou prudence, defaut de confiance en la grice ou juste defiance de soi. Tel aspire a ime vie de saintes meditations, tel autre a une carriere de renoncement universel : une parole de JpIsus le poursuit, I'emeut et le subjugue,c'est celle-ci('): « Si vous voulez etre parfait, allez, vendez ce que vous avez et donnez-le aux pauvres, et vous aurez un tresor dans le ciel » ; ou bien cette autre (') : « Quiconque aura quitte, a cause de mon nom, sa maison, ou ses freres, ou ses soeurs, ou son pere, ou sa mere, ou sa femme, ou ses enfants, ou ses terres, recevra le centuple et il aura pour heritage la vie eternelle. » Or, Dieu a pourvu aux besoins et aux d6sirs de tous, en ouvrant a tous des cites de refuge ou il les appelle. La, leur vertu se trouvera a I'abri des appats ext^rieurs de la seduction, et leur volont6 sera sage- ment dirigee ou empechee par les voeux d'obeissance et de pauvrete. La, toutes leurs aspirations seront satisfaites; la, toutes leurs aptitudes recevront un emploi utile. Voici une solitude retiree, destinee h la vie contemplative et a un travail corporel rude, au I. J/a//., XIX, 21. — 2. A/a^/., XIX, 29. 236 SAINT JEAN BERCHMANS. milieu dun perpetual silence. Voici un cloitre d'une regie moins austere : ceux qui I'habitent mortifient leur corps, mais sans I'extenuer ; ils moderent, dirigent et sanctifient leurs affections, mais ils ne les crucifient pas sans merci ; ils occupent leur esprit de saintes pensees, mais, au milieu de leurs exercices spirituels et avant qu'une vertu ordinaire doive s'en lasser, il leur est donne de se distraire, pour un temps, par les soins de 1 education ou par les oeuvres du saint ministere. Dans ces pieuses demeures, la charite et I'exemple de tous adoucissent pour tous I'aprete de I'abnegation continuelle, et une autorite qui s'inspire de I'esprit de Dieu mesure a chacun son fardeau, afin qu'il soit supportable a sa faiblesse et sufifisant a la grace qui est enlui. Voici des asiles pour ceux qui, sans etre promus au sacerdoce, aspirent a se devouer et a mener, hors du monde, une vie cachee en Dieu avec le Christ : lieux benis du ciel et de la terre, champs ouverts a tous les devouements : devouement a I'enfance pour I'instruire et ledifier, devouement a la jeunesse pour la preparer aux combats de la vie, devouement a la vieillesse pour I'aider a souffrir avec fruit : devouement aux malades, devouement aux alienes, devouement aux mourants, devouement a tous ceux qui sont dans I'affliction, pour les servir, les consoler et les sauver ! Sejours preferes de la charite chretienne fiancee aux douleurs humaines ; champs de luttes obscures, 011 des hommes, au coeur humble et ala volonte energique, viennent faire fructi- fier au double le talent qui leur est donne, garder le depot de la foi et le tresor de la grace dans une pau- vrete oubliee, et conquerir, par des souffrances momen- LES VOCATIONS. 237 tanees et adoucies, le poids eternel d'une souveraine et incomparable gloire ('). Ce sont les grands serviteurs de Dieu : Benoit, Bruno, Norbert, Fran9ois, Dominique, Ignace, Alphonse, Jean de Dieu, Gaetan, Camille, Joseph Calasanz, De la Salle et d'autres qui ont etabli ces demeures, reuni ces families et dicte leurs constitutions. Elles se sont levees au souffle de I'Esprit-Saint et ce souffle reste le principe secret de leur vitalite, de leur expansion et de leur duree. II faut que ces pieuses families restent sur la terre. Elles sont les miroirs vivants de la grace divine ; les enfants du siecle ont besoin d'apprendre, en les voyant, ce que peut I'esprit contre la chair et la charite contre I'egoisme. Elles sont la garde protectrice de I'humanite; il est necessaire qu'elles demeurent tant qu'il y aura des erreurs a com- battre, des pardons a implorer et des infortunes a adoucir. Elles sont des monuments laisses sur la voie ou Dieu conduit I'humanite ; il est utile qu'ils resistent aux coups du temps et qu'ils traversent les generations, en temoignage des luttes, des epreuves et des triomphes de I'Eglise. Or ils resisteront, parce que le Christ est leur pierre angulaire. L'etat ecclesiastique et I'etat religieux sont pour le petit nombre. La plupart sont appeles a glorifier Dieu au milieu du monde. C'est la qu'ils doivent combattre le bon combat et meriter la couronne qui lui est due. Ils le peuvent. Le Seigneur veut le salut de tous ('); il repand en chacun les graces necessaires a sa vocation, 1. « Id... quod in praesenti est momentaneum et leve tribulationis nostrse, supra modum in sublimitate, teternum glorite pondus operatur in nobis. » (// Cor., iv, 17.) 2. « Omnes homines vult salvos fieri. » (/ Timolh., n, 4.) 238 SAINT JEAN BERCHMANS. il empeche les tentations disproportionnees a ses forces, et meme il fait tirer avantage des epreuves ('). Que rhomme done s'abandonne a lui ; qu'il travaille a son salut avec crainte ; qu'il prie de peur que sa volont^ ne faiblisse f ) ; qu'il prenne bien garde k ne pas choir, meme quand il croit etre ferme (^) ; qu'enfin il aime et benisse la voie ou il est appele : elle fera son bonheur. Quelle qu'elle soit, d'autres I'y ont precede qui ont su s'y depouiller des vices du vieil homme et revetir le Christ avec son humilite, sa charite et sa justice. lis furent ses modeles, qu'il les contemple ; ils sont ses patrons, qu'il les implore. C'est une grande chose, c'est un spectacle aime de Dieu et des hommes que mener la vie d'un angedans une enveloppe terrestre ou un germe traditionnel fo- mentela revoke. Que celui quile peut,le veuille! Cette oeuvre est surhumaine, elle exige une grande grace, mais cette grace suffit, le grand Apotre vivait de cette vie ang61ique, il desirait que les fideles de Corinthe vecussent comme lui : « Je voudrais, leur 6crivait-il (''), que vous fussiez tous comme moi : mais chacun a son don particulier, selon qu'il le re9oit de Dieu, I'un d'une maniere etl'autre d'une autre.)) Et il ajoutait: «Si Ton ne se contient pas, qu'on s'assujettisse aux liens de la famille, car il vaut mieux contracter ces liens que d'etre en proie a des ardeursqui tuent(5). )) Ce conseil est de I'Esprit-Saint. Plusieurs sont appeles a exercer une autorite sur les autres hommes. Dieu le veut ainsi. Leur naissance, leurs aptitudes, leur fortune meme deviennent des I. /Cor.,x,i3.— 2.P/ti7.,n, 12,13.-3. / Cor.,x,i2.— 4. /Ccr.,vii,7. 5. « Quod si non se continent, nubant. Melius est enini nubere, quam uri. » (/ Cor., vil, 9.) LES VOCATIONS. 239 signes manifestes de sa volonte. Cette vocation est grande, et il importe beaucoup aux appeles de la com- prendre et d'entrer dans son esprit. Helas, peu d'entre eux ont assez d'humilite pour s'elever a cette hauteur. Le pouvoir les eblouit et ils finissent par oublier de qui ils le tiennent et pourquoi il leur est donne. Les Scribes et les Pharisiens aimaientles premieres places dans les festins et les premieres chaires dans les synagogues ; ils ambitionnaientd etre salues sur les places publiques et d'etre appeles « Maitres » par les hommes. Or le Christ disait aux siens a cote d'eux (') : « Pour vous, ne vous faites pas appeler « maitres », car vous n'avez qu'un seul Maitre, et quant h v^ous, vous etes tous freres... Le plus grand sera le serviteur des autres. Car quiconque s'elevera sera abaisse, et quiconque s'abaissera sera eleve. Voila pourquoi Paul se fait tout a tous les hommes en vue de les sauver tous {'), et pourquoi les successeurs de Pierre s'honorent d'etre « les serviteurs des serviteurs de Dieu. » lis com- prennent qu'ils ne sont rien que par lui, qu'ils ne sont ce qu'ils sont que pour lui, et que tout ce qui ne s'eleve pas vers lui descend au neant. Ni I'aptitude necessaire h I'exercice du pouvoir, ni le pouvoir qui doit utiliser I'aptitude ne viennent de I'homme ni ne doivent se rapporter a lui. Celui qui en use pour lui-meme ravit a Dieu sa gloire et appelle ses chatiments ; celui qui n'en use pas manque a sa vocation et sera traite comme le serviteur qui a enfoui son talent sans utilite pour son maitre. Toute puissance doit descendre de la Toute-Puis- sance et toute autorite doit venir de Dieu. Ouand les hommes la conferent, ils doivent la conferer en son I. Mati., XXIII, 8, 12. — 2. / Cor., ix, igh 22. 240 SAINT JEAN BERCHMANS. nom ; s'ils la transmettent comme d'eux-memes et sans lui, ils blessent les droits et ils derangent les plans divins. Ouand I'individu la reQoit, il doit la recevoir de sa main ; s'il I'usurpe par la force, s'il I'obtient par I'in- trlgue, il la deshonore comme si elle etait un fruit ille- gitime, et elle n'est plus, dans sa personne, qu'une autorite avilie, infirme, impuissante et maudite. Avilie, parce quelle est nee de I'ambition qui est vile et n'ose s'avouer ; infirme, parce que, reposant sur rhomme,elle est caduque et ephemere comme son appui ; impuis- sante, parce que, manquant de la grace necessaire a son action, elle faillit inevitablement a sa tache ; mau- dite, car celui qui I'exerce est coupable au meme titre que les dominateurs d' Israel menaces par le prophete Osee, parce qu'ils regnaient par eux-memes et non par Dieu (0- Les puissants de ce monde, ceux-la meme chez les- quels I'autorite a ete imposee et non usurpee, auront a rendre un compte rigoureux. Le Tres-Haut interrogera leurs oeuvres et sondera le fond de leurs pensees. Un jugement dur, tres dur leur est reserve. Au petit on pardonne misericordieusement, mais les puissants seront puissamment tourmentes. Dieu ne respectera la grandeur de qui que ce soit, parce que c'est lui qui a fait le grand comme le petit, et qu'il a egalement soin de tous (^). 1. « Ipsi regnaverunt, et non ex me : principes exstiterunt, et non cognovi. » {Osee, vill, 4.) 2. « Audite... reges, et intelligite: Quoniam data est a Domino potestas vobis, et virtus ab Altissimo, qui intenogabit opera vestra, et cogita- tiones scrutabitur... Judicium durissimum his, qui prtesunt, fiet ; exiguo enim conceditur misericordia : potentes autem potenter tormenta patientur. Non enim subtrahet personam cujusquam Deus, nee verebitur magnitudinera cujusquam : quoniam pusillum et magnum ipse fecit, et xqualiter cura est illi de omnibus. » (5^/., M, 2, 8.) LES VOCATIONS. 24 I Quelle que soit la condition seculiere a laquelle I'homme se croit appele, son premier soin doit etrede considerer les devoirs quelle impose et les aptitudes dont il est doue, les dangers auxquels elle I'exposera et les defaillances auxquelles il est enclin, Celui qui entre inconsider6ment dans la voie qui lui plait prepare son malheur et sa ruine. L'examen de soi-meme, fait en vue de connattre sa vocation, est difficile ou impossible a la sagesse humaine seule. Qui peut sonder I'abime de sa faiblesse ? qui peut prevoir les merveilles que la divine bonte operera dans son ame ? qui peut prevoir Tissue du combat qui va se livrer en lui, pendant sa vie entiere entre la nature et la grace ? Jusque dans les saints, les dons du ciel et I'humaine misere revetent des nuances infinies. Saint Louis, roi, sait tenir la balance de la justice devant I'Europe ; et saint P'idele deserte letroite enceinte du barreau, parce qu'il redoute d'y commettre I'iniquite dans la plaidoirie. Saint Cesaire sait garder sa foi et sa religion dans I'exercice de I'art medical, malgre I'insidieuse amitie de Julien I'apostat ; et saint Pantaleon, qui pratique le meme art et vit, comme lui, au milieu d'une cour ido- latre, prend gout aux faus-es maximes et renonce mi- serablement a sa premiere vie. Mais un ami le reveille, la grace le touche, il lave son apostasie dans son sang, et il re9oit la palme du martyre ! Dieu, Dieu seul scrutejusqu'au fond les coeurs et les reins ('), et c'est lui que I'adolescent, indecis et inquiet, doit appeler au secours de ses vues bornees et incer- taines. Lui I'eclairera tout a fait, lui tracera surement son sentiersur la terre. Qu'il aille a lui, qu'il le consulte I. « Scrutans corda etrenes Deus. )) {I's. vii, 10. — Apocal^ 11, 23.) S. JEAN TIERCHMANS. '6 SAINT JEAN BERCHMANS. et qu'il le supplie ; qu'il aille aceux a qui il a dontie de Her et de delier, qu'il leur ouvre son ame et qu'il les interroge. Et qu'il entre dans la voie qui lui sera indi- quee avec laconfiance des Mages suivant letoile, et avec I'abandon de Simon-Pierre s'ecriant sur le lacde Genesareth : « Maitre... sur votre parole je jetterai le filet (').» Nul n'echappe a la loi de la vocation, parce que nul n'est par soi, ni asoi, ni poursoi. Chacun est par Dieu, est a Dieu et est pour Dieu ; il doit vivre et mourir comme lui appartenant ('). Le droit du createur est imniuable ; le devoir de la creature est absolu. Si elle ne se voue a lui et a sagloire, elle merite etencourt sa haine. Le riche, comme le pauvre, est appele a se sanc- tifier en se donnant a lui, corps et ame. Or se donner ainsi, c'est lui soumettre sa volonte, lui consacrer ses affections, le benir en toutes choses, se garder de la concupiscence, et rapporter ses actions a sa gloire comme ledemande I'apotre (^). Celui a qui sont echues les richesses n'echappe pas a la grande loi du labeur, ni aux droits imprescriptibles de Dieu. II rendra compte de I'usage fait de lui-meme et de ses biens. Eviter le mal ne suffit pas ; il faut faire le bien. Le figuier maudit par J^sus ne portait pas de mauvais fruits, il n etait que sterile (*). Qui, d'ailleurs, pent se defendre des oeuvres de damnation, s'il ne travaille serieusement a I'oeuvre de son salut ? et qui peut se 1. Lac, V, 5. 2. Nemo... nostrum sibi vivit, et nemo sibi moritur. Sive enim vivi- mus, Domino vivimus : sive morimur, Domino morimur. Sive ergo vivimus, sive morimur, Domini sumus. » {Rom., xiv, 7, 8.) 3. « Sive... manducatis, sive bibitis, sive aliud quid facitis : omnia in gloriam Dei facile. » (/ Cof., x. 31.) 4. Matt.., XXI, 19. LES VOCATIONS. 243 dire pur, s'il reste inoccupe ? L'oisivete enseigne beau- coup de mal ('). « L'iniquit6 de Sodome, dit le pro- phete ('), a ete Torgueil, I'exces de table, I'abondance luxueuse et l'oisivete ou elle etait, elle et les cites voisines. Elles ne tendaient pas la main au pauvre et a I'indigent. Elles se sont devees dans leurs pensees et elles ont commis des abominations devant Dieu etDieu les a exterminees. » Et elles gisent sous les eaux du lac Asphaltite, comme une proie de la corruption sous un linceul d'ignominie. L'homme riche a une part belle, grande et noble. Entoure du respect des hommes, rappele par sa con- dition au respect de lui-meme, invite par les hommages qu'il re9oit, a rendre les hommages qu'il doit, il peut meriter les recompenses du ciel en recueillant les bene- dictions de la terre. Sa parole est puissante ; il peut I'employer efficacement a la cause de Dieu.Son exemple est entrainant ; il peut, par lui, exercer un veritable apostolat. Tout autour de lui, il peut secourir I'infor- tune, adoucir I'affliction, calmer bien des douleurs. II le peut et il le doit. S'il veut ne pas faillir a sa mis- sion, il faut qu'il sache, lui aussi, s'humilier, fiechir le genou et prier ! Car c'est Dieu qui eleve les caracteres, qui rend les ames fortes, qui garde les coeurs purs, qui inspire I'abnegation et qui fait fleurir la saintete jus- qu'au sein de I'opulence et des grandeurs. Et au jour des recompenses, ce puissant de la terre, humble et grand a la fois, sera de ceux auxquels Ji^sus dira (^) : « Venez, vous, benis de mon Pere, possedez le royaume qui vous a ete prepare des le commencement du monde ; car j'ai eu faim et vous m'avez donne a manger ; j'ai eu soif I. £a/i., XXXIII, 29. — 2. Ezec/i., xvi, 49, 5o. — 3- ^^^^^^^-^ xxv, 34-36. 244 SAINT JEAN BERCHMANS. et vous m'avez donne a boire ; j'ai eu besoin de loge- ment et vous m'avez loge ! j'ai et6 nu et vous m'avez vetu ; j'ai ete malade et vous m'avez visite. » Que s'il ne repond pas a I'appel et aux desseins de son createur ; s'il transforme les dons re9us en auxiliaires de Satan ; si I'adulation I'aveugle, si les jouissances le corrompent, si les honneurs le pervertissent ; si son ame est dominee par le respect humain, nonobstant son orgueil et sa fierte ; si son corps est esclave de penchants vils, malgre les airs superbes par lesquels il dedaigne et est dedaigne ; s'il n'est,suivant I'expression du Christ, qu'un sepulcre blanchi plein de pourriture, une coupe nettoyee au dehors et immonde au dedans (') ; s'il est indulgent pour lui-meme et dur pour les autres, s'il vit heureusement et s'il oublie ceux qui ont faim ou qui souffrent,... il ne fait que thesauriser la colere pour le jour des justices, et Lazare prive des miettes de sa table sera a jamais son accusation, son remords et son supplice {'). I. Matt., XXIII, 25-27. — 2. Luc.., XVI, Gl)apttre onsieme JEAN BERCHMANS AU NOVICIAT I. Lecture : DIVERS EXEMPLES DE VERTU. Ibitiit de viriute in virtutoii , -ciidcbitur Deiis dcoruiii in Sion. ^ lis iront de vertu en vertu : le I Dieu des dieux apparaitra sur s^ Sion. Psal.. Lxxxili, 8. IE 14 septembre de I'an 16 16 un jeune homme de i 7 a 18 ans,au regard modeste, a la demarche aisee, traversait rayonnant de bonheur les rues silencieuses de Ma- lines, en compagnie d'un etudiant un peu moins age que lui. Son justaucorps de drap noir, retombant sans art et sans appret sur un haut-de-chausses de meme couleur, dessinait a peine sa taille et cherchait en vain a se cacher sous un manteau gris-cendre flottant libre- ment sur ses epaules. Une espece de large fraise, unie et sans plissure, soutenue d'un porte-collet noir, enca- drait le bas de son angelique visage et faisait ressortir par sa blancheur la vivacite de son teint vermeil et les nuances dorees de sa blonde chevelure ('). I. Void le portrait que, quelques annees apreb, le P. Cepari tragait de lui : « Jean etait d'une taille bien proportionnee, d'une complexion sanguine, d'un aspect vraiment angelique, d'un teint blanc et vermeil. 11 avait le front developpe et les sourcils, comme les cils, si epais qu'ils semblaient de teinte tres foncee. Les yeux etaient tres vifs et tres clairs, mais pleins de pudeur, d'honnetete ec de douceur ; il les tenait toujours baisses. Le nez e'tait bien proportionne et legerement aquilin, les levres petites et vermeilles, la bouche toujours modestement riante. Les joues et les levres etaient parsemees d'un blond duvet, de la meme couleur que sa chevelure. Ses mains reposaient d'ordinaire tranquillement sur 246 SAINT JEAN BERCHMANS. Arrive devant une grande et paisible maison qui servait de noviciat aux jesuites de Flandre, le jeune homme s'arreta, adressa encore quelques mots a son compagnon, saisit avec empressement le cordon de la sonnette et franchit plein de joie le seuil de cette demeure, comme I'enfant qui rentre, apres une longue absence au foyer paternel. Cet ange de paix n'etait autre que Jean Berchmans ('). II venait, en ce lieu, subir les epreuves qui devaient decider de lui et raffermir dans la voie ou il etait deja entre par un voeu. Or, a cette epoque de la vie ou le jeune homme est au seuil de la carriere choisie, il a un immense besoin de lumiere et de courage, car le demon va par tous moyens cherchera le troubler et I'abattre. Comment Jean allait-il meriter ces faveurs et apprendre a la jeunesse a les meriter ? La reponse a cette question, c'est sa biographie. II faut la resumer ici. Parcourons ce parterre et, comme I'abeille, butinons-y ca et la du miel. Toutes ses actions sont des exemples ; toutes ses paroles sont des lecons. II ne vivra plus longtemps sur le sol de ma patrie ter- restre, mais chacun de ses jours y est un grain d'encens qui se consume devant le Seigneur. II faut entrer dans ce temple: il faut ouir les battements de ce coeur, il faut etudier ce modele, a jamais le modele des jeunes Beiges, En I'etudiant, on se sent porte a I'aimer; en I'aimant, on sa poitrine. Sa demarche n'etait ni lente ni press^e, mais moderde et grave. Tout son port etait si modeste qu'il excitait Tadmiration et la decence du maintien chez ceux qui le rencontraient ; et plusieurs s'arre- taient, epris en le voyant : ils voulaient contemplerce modele si extraor- dinaire de modestie. Enfin, nous pouvons dire que Dieu avait uni en lui, ci une ame pure et belle, un corps qui lui repondait parfaitement, car il refldtait sa Ijeautd et il exhalait savertu. {Cepari, p. 171.) I. H. P. Vanderspeeten, Vie du B.Jean Berchmans, p. 56. DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 247 songe a I'lmiter, on le voudrait meme. Or, c'est I'imiter deja que le vouloir, car lui-meme desirait imiter Louis de Gonzague et Stanislas Kostka. Que de traits il y a achoisir dans ce type heureux, rayonnant d'une celeste beaute ! A I'ceuvre ! Si rares que I'adolescent les choi- sisse, si grossierement qu'il les reproduise,si imparfaite que soit la ressemblance, il devient, pour les hommes un objet d'admiration et de respect, et, pour Dieu, un enfant aime et beni. En entrant au noviciat, Jean s'etait rencontre avec un jeune homme de son age, venu comme lui, apres ses humanites, sonder en ce lieu les volontes du ciel et preparer I'avenir. « Plaise a Dieu, mon frere, lui dit-il avec un saint enthousiasme, plaise a Dieu que, de meme que nous entrons ensemble ici pour servir Dieu dans la vie religieuse, de meme aussi il nous soit donne d'arriver ensemble au ciel ! » Ce fut, en ce nouveau sejour, la premiere parole tombee de ses levres et recueillie par I'histoire. Parole touchante et temoignage fecond, puisqu'il nous revele : sa foi, qui lui montre comme a Paul la couronne de justice au bout de sa carriere; son esperance, qui se traduit par I'elan de son coeur, et sa charite, qui sepanche dans lame d'un inconnu, devenu soudain un frere qu'il aime dans le temps, et qu'il desire aimer pendant I'eternite. Le soir de son arrivee dans ce sanctuaire du recueil- lement et de la priere, il se prit a pleurer. Mais ses larmes n'etaient point celles de la douleur; c'etaient les larmes de la reconnaissancepieuse et attendrie;c'etaient les larmes du naufrage qu'une epave a amene sur la greve, et qui se voit hors des fiots ecumants, dans sa patrie, et a I'ombre d'un crucifix ou d'une madone. « Je veux devenir un saint », avait-il dit souvent a 248 SAINT JEAN BERCHMANS. Dieu et quelquefois aux hommes. II avait commence, il ne lui restait quacontinuer a tenir sa promesse. II le fit: non en tentant de grandes choses, ce qui est I'ecueil de la piete naissante, mais en faisant avec perfection les choses communes, ce qui plait a Thumilite et qui a fait saint Francois de Sales. II n'etait que depuis peu de temps au noviciat quand il re9ut des nouvelles alarmantes sur I'etat de sante de sa mere. Le mal etait invetere et profond; I'illusion sur son issue n'etait plus possible. Tenter de rassurer eut ete tenter de decevoir, et trahir, au moment du supreme danger. Que pouvait-il? A I'age de neuf ans il se tenait au chevet de cette bonne mere, deja infirme et souf- frante, et il penetrait d'admiration les temoins de ses efforts pour charmer, distraire et consoler. A 1 age de dix-huit ans, il etait separe d'elle, il ne pouvait que lui ecrire; il le fit. Mais alorsl'enfant etait devenu adoles- cent, I'affection tendre avait fait place a un amour pieux, prevoyant, sage et fort; tout avait grandi, tout s'etait eleve en lui : le corps, le courage, la foi, I'esprit et le coeur. II faut en juger: voici sa lettre, c'est toute son ame ('): Ma toute chere mere dans le Seigneur. Que la paix de J.-C. soit avec nous tous. Quelle n'est pas ma joie et mon bonheur quand je contemple la benediction immense que I'infinie bonte de Dieu — louanges lui soient rendues! — a departie jusqu'a ce jour a toute notre famille, naguere en m'appelant malgre mon indignite a la Societe terrestre de son Fils unique Jesus, et en vous invitant aujourd'hui, vous aussi, ma bien chere mere, a ses noces celestes ! Voila sept ou huit ans que par toutes sortes de maladies vous avez eprouve les miseres de la I. Vanderspeeten, ouvr. cit., p. 70. La mere du Bicnheureux mourut le I" dccembre t8i6. Ouvr. cit., p. 466. DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 249 nature huinaine; vous avez goute avec Jesus le calice amer de sa passion; a present levez vers lui votre regard. Le voila au pied de votre lit, vous tendant les bras, pret a vous embrasser: « Viens, mon epouse, ma bien-aimee; jusqu'a ce jour tu fus attachee avec moi ala croix, desormais tu te rejouiras pour toute I'eternite. » Voyez Marie, la sainte Mere de Dieu; voyez sainte Elisabeth; voyez votre saint Ange et criez avec moi : « O Seigneur Jesus, voici votre pauvre ser- vante se presentant avec Marie, votre tres sainte Mere, et toute a ce que vous voulez. O Jesus, fils de David, soyez-moi misericordieux ! 6 Marie, jetez un regard sur mes pauvres enfants qu'au sein de tant de larmes j'ai eleves dans la crainte du Seigneur. Je vous les offre pour etre vos fils et vos enfants. Soyez leur mere, 6 Marie ! Je vous supplie aussi de tout cceur de m'adopter, moi, mes freres et ma soeur pour vos enfants. » — Allons, ma bien chere mere, combattez cou- rageusement, songez a la couronne qui vous est preparee. J'espere que nous ne vous perdrons point, mais que vous nous porterez encore plus d'amour et d'affection dans le ciel. Je vous prie de tout coeur de ne point me refuser votre benediction maternelle. J'espere que vous ne m'oublierez pas. Combattez courageusement, ma chere mere. Votre enfant cheri et obeissant, Jean Eerchmans. Jean s'etait fait connaitre, des Tabord, a ses nouveaux compagnons, pour ce qu'il etait: innocent, pur, pru- dent, accompli en toutes choses. Tous ceux qui le voyaient et conversaient avec lui le consideraient comme un ange. Un de ses compagnons, le montrant du doigt, disait un jour: « En meme temps que la sainte Vierge a commence a fairedes miracles a Mon- taigu, elle en a opere un a Diest, car elle y a fait paraitre un ange revetu de chair humaine. » Lui, en effet, s^ardait une physionomie et des moeurs angeliques. Malgre son temperament vif et sanguin, il se tenait, al'exemple de I'aimable gentilhomme devenu I'apotre du Chablais, d'une humeur egale, sereine, bonne, inalterable; et plusieurs, par une douce et 250 SAINT JEAN BERCH^rANS. innocente plaisanterie, I'appelaient saint Hilaire ou saint Let ('). Ouand I'eau est pure, qu'aucune vase n'est au fond, et qu'elle coule sur le granit, peut-elle etre troublee? PoLirtant il souffrait souvent, mais, en souffrant il se jouait de la souffrance, allegre et heureux. Pour lui, se tenir loin du feu en hiver, etre mortifie et confus, exercer les fonctions les plus humbles, comme celle de soigner les lampes, porter des vetements uses et rapie- ces, ce n'etaient point des peines, c'etaient des joies. Ainsi est le calice des douleurs: quand on le re9oit de la main de Dieu, la lie en deborde et les levres y trouvent la douceur du miel. Son grand desir etait d'etre repris de ses defauts. Mais ses defauts, ni ses compagnons ni ses maitres ne parvenaient a les decouvrir. Un jour cependant il fut averti dune legere omission qu'il s'etait permise pour vaquer a une oeuvre de charite. II remercia son moni- teur et, emu d'une pieuse gratitude, il recita pour lui trois chapelets! II se rejouissait que le « petit ane », il appelait ainsi son corps, fut exerce et dompte par lui et par les autres. O humilite reconnaissante! 6 ravissant spectacle del'esprit vainqueur et de la nature soumise, dans un jeune homme de dix-huit ans! « L'opinion que ses superieurs avaient de lui ressor de ce fait : il fallait nommer, parmi les novices, un prepose, ayant mission de guider les autres dans la dis- cipline exterieure et de les avertir de ce qu'ils avaient a faire chaque jour: enfin un collaborateur ou adjoint au maitre des novices. On I'appelait portier, parce qu'il tenait la clef d'une porte situee entre le noviciat et le college. Or, ce fut a Jean qu'ils confierent cette fonction, I, Hilaris, gai; Iceius, joyeux. DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 25 1 et il s'en acquitta si bien qu'il n'y eut jamais personne qui seplaignit de lui; et pourtant les novices etaient au nombre de plus de cent. » L'autorite est un fardeau penible a porter chretien- nement. Chez un superieur, elle peut n etre que penible ; dans un egal, elle est toujours difficile et dangereuse. Car, si elle s'oublie ou cede, elle s'avilit et on la meprise ; si elle parait consciente d'elle-meme, elle appelle I'ironie et on est porte a I'humilier; si elle aime a se faire sentir, elle se blesse en blessant.la parole s'aiguise secretement contre elle, et Satan se rejouit f)arce que son ceuvre commence. II faut que celui qui la porte sache paraitre semblable a tous dans ses actions, qu'il se fasse le der- nier par son humilite, qu'il se montre le premier par sa prudence et qu'il devienne le plus puissant par un heureux melange de force et de douceur. D'oii venaienl done a Berchmans tant de rares qualites? « Sa grande perfection, ecnt le P. Cepari, etait le fruit des communications incessantes de son esprit avec Dieu. On peut dire qu'il se tenait toujours recueilli et en oraison. II se mettait en la presence de Dieu sans effort et il conferait avec lui sur les moindres choses qu'il avait a faire. Dans son office de portier, il I'a dit un jour, il ne lui est jamais arrive de faire un rapport a son superieur sans qu'il s'en fut auparavant entretenu avec Dieu devant le Tres-Saint- Sacrement.)) O ineffables relations de la creature avec son Createur! O bontes infinies de la toute-puissance pour la faiblesse, et de Teternelle sagesse pour I'intelligence enveloppee d'obs- curites! Si I'astre du jour a sa lumiere et sa chaleur, et si toute creature terrestre qui s'expose a ses radiations se rejouit et tressaille ; le soleil de justice, lui aussi, a ses clartes et ses ardeurs, et toute creature spirituelle 252 SAINT JEAN EERCIIMANS. qui s'inonde de lul en sa presence s'illumine et se sanc- tifie. Le soleil de la nature est I'image du soleil de justice. L'un donne a la matiere, I'autre donne a I'es- prit. Les dons de l'un repondent aux dons de I'autre, et quels dons, 6 mon Dieu! au lis des champs la blan- cheur, a la jeunesse I'innocence; a la seve son mouve- ment, a la volonte son impulsion: a I'humble violette son parfum, a la piete douce la bonne odeur du Christ; a I'oiseau du ciel ses reflets d'azur et d'or, a I'ame qui se detache de laterre I'eclat de toutes les vertus;apres la tempete I'arc-en-ciel, apres I'epreuve la jubilation; a tout ce qui vit et respire, la chaleur et la vie, a tout ce qui pense et adore, I'amour chaste et I'immortalite! Pendant tout le temps du noviciat, il fit visite au Tres-Saint-Sacrement sept fois le jour, et, quand il quittait I'eglise, il y laissait, pour tenir sa place et jusqu'a ce qu'il revint, les bienheureux Louis de Gon- zague et Stanislas Kostka. ... II medita.it, les yeux legerement fermes, les mains devant la poitrine, tou- jours a genoux et immobile, le visage rayonnant d'un leger sourire. « Ses compagnons devinaient, a son exterieur, le divin amour dont son ame etait enflam- mee; mais, ce qu'il apprenait en ces entretiens secrets, ce qu'il puisait de seve spirituelle en son bien-aime, sur lequel il etait en quelque sorte ente, ce qui lui etait alors prodigue de tendresse, de consolations et d'espe- rances, nul ne le savait; ce sera a jamais le secret de Dieu. Et nous, qui ignoronsles intimites divines, parce que nous restons assoupis dans le limon de notre ori- gine, nous ne connaissons les celestes dialogues que par quelques notes mysterieuses d'une harpe lointaine ('). I. Ps. xc en hebreu xci. Nous suivons la traduction faite sur I'hedreu par M. Mabire. DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 253 LE PSALMISTE. Celui qui habite sous la garde du Tres-Haut, repose tranquille a I'hombre du Tout-Puissant. II dit a Jehovah : « Tu es mon refuge et mon asile ; tu es mon Dieu en qui je me confie. » C'est lui qui te delivre des pieges des chasseurs, de la peste redoutable. II etend sur toi sa main protectrice ; tu t'abrites sous ses ailes ; sa verite est une armure et un bouclier. Tu n'as a redouter ni les terreurs de la nuit, ni la fleche qui vole pendant le jour ; ni la contagion qui se glisse dans les tenebres ni le souffle empeste du midi. Mille tomberont a ta gauche, et dix mille a ta droire ; et le mal ne I'atteindra pas. Tu le verras seulement de tes yeux, et tu seras temoin des chatiments du mechant. Parce que tu as dit a Dieu: « Tu es mon refuge, » et que tu as choisi le Tres-Haut pour ta defense, Le mal n'arrivera pas jusqu'a toi, la contagion n'approchera pas de ta demeure. Car il t'a confie k ses anges, et il leur a ordonne de te garder dans toutes tes voies. Et ils te porteront dans leurs mains, de peur que ton pied ne heurte contre la pierre. Tu marcheras sur le lion et sur I'aspic ; tu fouleras aux pieds le lionceau et le dragon. JEHOVAH. Parce qu'il m'a aime, j'ecoute sa priere, Je le protege, parce qu'il connait mon nom. II m'invoque et je lui reponds ; Je suis avec lui dans la tribulation ; Je le delivrerai et je le glorifierai. Je lui donnerai une longue suite de jours ; Je lui feral voir le salut qui vient de moi. 2 54 SAINT JEAN BERCHMANS. « Berchmans demandait particulierement a Dieu, avec instance, trois choses : une purete angelique, la fidelite a sa vocation et la grace de devenir un instru- ment utile dans la Compagnie. » Une purete angelique: elle lui a ete donnee; n'etait-il pas le pieux protege de Notre-Dame de Montaigu? Une vie utile: Dieu I'a exauce; non en lui imposant le travail et le sacrifice, auxquels il etait pret ; mais en I'appelant a lui et en lais- sant a la terre, sa vie pour exemple et son intercession pour appui. La fidelite a sa vocation : il I'a obtenue. Celui qui songe au vermisseau et lui donne sa pature pouvait-il oublier son enfant? un enfant qui ne lui demandait pour douceurs ici-bas qu'une vie parfaite, et qui avait dit un jour a son pere terrestre : Pere, pour arriver a cette vie sans qu'il vous en coute, je vivrai de pain sec et d'eau pure! Cette fidelite dut couter beaucoup au samt jeune homme. Au temoignage du P. Bauters, son pere n'avait cesse, apres son entree au noviciat, de I'exhorter avec importunite a sortir de la Compagnie, en vue des interets de sa famille. Et il lui avait repondu: « Pour- quoi, 6 mon pere, pourquoi ne levez-vous plutot vos pensees vers les richesses du ciel que Dieu accorde largement aux plus legers efforts? » Ces paroles pen6- trerent comme une epee aigue; Dieu fit le reste. Le pere de Berchmans se decida a consacrer entierement au Seigneur le reste de ses jours ; il se retira quelque temps dans le college que la Compagnie de Jesus possedait a Louvain, et, le 14 avril 1618, il etait promu au sacerdoce, qui lui ouvrit le chapitre de Saint-Sul- pice dans sa ville natale ('). I. Cepari, note de I'edit. de 1865 p. 22 et Vanderspeeten, Ouvt. cit. p. 71. DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 255 « La devotion envers la Mere de Dieu n'avait fait que s'accroitre dans le pieux novice. Tous les jours il recitait le Psautier de saint Bonaventure, le chapelet et I'acte de consecration... Les samedis et les veilles de fetes continuaient a etre consacres aujeune et aux exercices de I'humilite... De Marie, il ne separait point dans son amour I'incomparable epoux de cette chaste Vierge... le coeur du bienheureux lui disait assez haut que rhomme ne doit point separer ce que Dieu a uni, « Un iour que nous nous promenions ensemble, dit le P. Van Schurck, il m'entretint des prerogatives du pere nour- ricierde Jksus. A sa demande, je convins avec lui de chercher autant que possible a enflammer les autres pour le culte de ce grand Saint. Nous nous engageames en particulier a parler de ses grandeurs chaque fois que I'occasion s'en presenterait, et a ne jamais terminer, s'il etait possible, les litanies de la sainte Vierge, sans y ajouter I'oraison a saint Joseph ('). » « Jean avait I'idee la plus humble de lui-meme, Un jour qu'un de ses compagnons lui demandait s'il n'eprou- vait pas des tentations de vaine gloire, il repondit: « Avec la grace de Dieu, je ne crains guere cette bete. » Comment pouvait-il done, lui si perspicace et si attentif a s'observer, comment pouvait-il, seul, ou ignorer ses vertus ou s'en distraire et n'y prendre pas une secrete complaisance? Ah! c'est que I'homme est ainsi: il voit en lui ce qu'il desire y voir, et cela seul. Le vaniteux cherche son merite et il le trouve facilement; I'humble aime a connaitre ses defauts et il sait les decouvrlr. L'un se complait dans ce qu'il a ou croit avoir; I'autre 'occupe de ce qui lui manque et s'en afflige. C'est la tout le secret de I'humilite. Si I'homme vain soup9onne I. Vanderspeeten, Ouvr. ctl., p. 7;^ et suiv. 256 SAINT JEAN BERCIIMANS. ses faiblesses, il les attenue et il les excuse ; si rhomme humble reconnait sa vertu, il en rend gloire a Dieu et il en ecarte la pensee par le sentiment d'une profonde reconnaissance. Le vaniteux se passionne pour I'idee qui le flatte, il en amuse son esprit et son coeur; I'hum- ble accueille la verite qui I'instruit et qui le reprend, il en occupe et il en remplit son ame. Celui-la est le pha- risien del'Evangile qui dit ('): «0 Dieuje vous rends graces de ce que je ne suis point comme le reste des hommes... je jeune deux fois par semaine, je donne la dime de tout ce que je possede... »; celui-ci est le Publicain qui frappe sa poitrine en disant: « Dieu! ayez pitie de moi pecheur. » Le premier s'eblouit et s'aveugle, le second se connait, se corrige et se sanctifie. Qui a sonde I'abime de son propre coeur et la puissance de la grace comprend ces choses, et qui les comprend voit le fond de Fame de I'humble Berchmans. « II avait une grande affection pour I'obeissance, et il etait profondement reconnaissant a saint Ignace pour la belle lettre qu'il a ecrite sur cette vertu. » Obeissance, sainte obeissance, 6 vertu de Nazareth ! qui vous connait et qui vous aime ? Et cependant, pour toutes les societes, vous etes le lien providentiel et necessaire ; sans vous, elles se dissolvent dans I'anarchie, I'impuissance et les haines. Chez le religieux qui vous erige en voeu, vous etes le coup de mort donne a I'orgueil. Chez I'adolescent qui vous observe pour plaire a Dieu (^) et se guider, vous etes le com- mencement de la benediction et la voie de la sagesse. 1. Luc, xvni. 2. « Filii, obedite parentibus per omnia : hoc enim beneplacitum est in Domino. {Coloss. ill, 20.) Filii, obedite parentibus vestris in Domino: hoc enim justum est. Honora patrem tuum et matrem tuam, quod est mandatum primum in promissione : ut bene sit tibi. % {Ephes., vi, 1-3.) DIVERS EXEMPLES DE VERTU. 257 Hors de vous, il s egare et va choir dans les sentiers vulgaires de la presomption et de la concupiscence. II est comme le lierre grandissant ; si celui-ci se con- duit de lui-meme, il rampe toujours a terre, mais s'il rencontre un guide, s'il s'attache au tronc du chene, il monte avec lui, il le suit dans la nue; et le passant qui le voit, admire qu'on puisse, a la fois, etre si faible et s elever si haut. « De toute sa vie on ne remarqna en lui ni geste, ni signe, ni parole, ni action contraire ala purete. Si char- mant qu'il fut habituellement, il se montrait toujours tres severe sur ce point. A la grace parfaite de ses manieres, il joignait une modestie rare qui faisait aimer la chastete a ceux qui le voyaient et I'admiraient. II semblait que de ses yeux sortaient je ne sais quels rayons qui allaient exciter le desir ardent d'une vie pure chez ceux qui le regardaient. « Avant de se coucher, il assignait une place, autour de lui, a divers saints, ses protecteurs et ses defen- seurs. Au milieu d'eux et aux pieds de son lit, il pla9ait J^sus crucifie, afin qu'en s eveillant le matin avec cette pieuse et sainte image dans la pensee, il s'excitat sou- dain a le reverer, a I'honorer et a lui baiser les pieds. « II disait que les religieux ont particulierement a combattre trois vices : la paresse, I'orgueil et la gour- mandise. II ajoutait que la paresse se vainc par la ferveur, I'orgueil par les humiliations et la gourman- dise par la temperance. » Ce que le saint jeune homme disait pour lui, chacun doit le dire pour soi, car, en chacun, la gourmandise est la premiere tyrannie du sang, la tiedeur provoque le rejet de Dieu (') et I'orgueil 1. « Quia tepidus es, et nee frigidus, nee calidus, incipiam teevomere ex ore meo. » {Apocal.^ ni, 16.) S. JEAN ISEKCIIMANS. 258 SAINT JEAN BERCHMANS. marque le commencement de I'oeuvre de Satan ('). Par la gourmandise, cet esprit infame appesantit pour abattre ; par la paresse, il desarme pour vaincre ; par I'orgueil, il souleve pour precipiter. Par tous les vices, il prepare et assure son triomphe. « II s'appliquait tout entier a n'importe quelle action qui lui etait imposee, comme si elle eut ete la princi- pal et la plus importante de toutes, et qu'il n'eut eu a s'occuper que de celle-la seule. » C'est le propre de I'homme sage et courageux d'etre oii il est et a ce qu'il est. Ce que Ton fait a I'heure presente, cela seul est inscrit au livre de vie et sera compte au dernier jour. L'insense et le paresseux negligent le present, lis songent a I'avenir qui ne leur appartient pas encore et au passe qui ne leur appartient plus. Leur temps se passe en regrets steriles et en projets trompes ; le pass6 est irreparable et I'avenir est a Dieu. Pauvre paresseux ! II veut et ne veut pas (^) ; les desirs le tuent et il en remplit sa vie {^). J'ai passe par son champ, dit le Sage, il etait plein d'orties et d'epines {*). Et son champ est I'image de son cceur ! « Au refectoire, quand il s'etait assis apres la bene- diction de la table, il restait immobile et sans toucher a rien pendant I'espace d'un Pater iiostei-; ensuite, et comme s'il avait eu a partager sa portion avec Dieu, 1. « Initium omnis peccati est superbia : qui tenuerit illam adimple- bitur maledictis. » {EccH., x, 15.) 2. « Vult et non vult piger : anima autem operantium impinguabitur. » {Frov., xni, 4.) 3. « Desideria occidunt pigrum : noluerunt enim quidquammanusejiis opcrari. Tota die concupiscit et desiderat. » {Prov., xxr, 25, 26.) 4. « Per agrum hominis pigri transivi et per vineam viri stulti. Et ecce totum repleverant urticze, et o peruerant superficiem ejus spinas, et maceria lapidum destructa erat. Quod cum vidissem, posui in corde meo, et exemplo didici disciplinam. » {Prov., xxiv, 30-32.) zfeLE, CHARIT^, VCEUX. 2^9 il la decoupait et il laissait le meilleur ; puis, aussitot qu'arrivait un nouveau plat, il abanclonnait ce qu'il avait devant lui. » Heureux celui qui se recueille avant d'agir, pour elever bien haut son coeur et son intention, selon la parole de saint Paul (') : « Soit que vous mangiez, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelqu'autre chose, faites tout pour la gloire de Dieu. » Ce que I'homme fait pour glorifier Dieu aura sa recompense de Dieu, ce qu'il fait pour les hommes a droit a la recompense des hommes, ce qu'il accorde a la concupiscence attend sa recompense de la concu- piscence ; mais la concupiscence ne laisse apres elle que le remords et le salaire venant des hommes est incertain et frivole ; Dieu seul est fidele, et il recom- pense en Dieu. II. ze:le, charit]£, vceux. Zelo zelahis swn pro Domino Deoexer^ituntn, quia dereliquemnt pactuni tuuni Filii Israel : altaria tua destruxerunt^ propheias tttos occideruntgladio. Je brule de zele pour le Seigneur Dieu des amides parce que les fils d'Israel ont abandonne votre alliance, detruit vos autels, tue vos proph&tes par le glaive. Ill Re i;., XIX, lo. « 11 parlait frequemment des missions que les Peres eniretenaient aux Indes, au Japon et en Chine, et tou- jours il manifestait un grand desir de prendre part a cette derniere. Ouand il arrivait de ces contrees loin- taines quelque nouvelle edifiante, il s'empressait de la communiquer a nos freres pour leur consolation. Bien qu'il flit tres occupe de ses fonctions, il apprit pendant son noviciat la langue francaise, dont il n'avait nulle connaissance auparavant, et il le fit avec tant de succes qu'on le chargea plusieurs fois de precher au refectoire I. / Cor., X, 31. 2 6o SAINT JEAN BERCHMANS. en cette langue, II I'avait apprise, disait-il, afin de se rendre plus apte au ministere de la Compagnie et aussi dans la crainte que son ignorance de cette langue, si usitee dans quelques parties de la Belgique, fut au detriment de quelque ame. » O Berchmans ! en lisant ces lignes, je crois entrevoir le fond de votre ame et lire ce qui s'y passe, soit quand vous vous interessez aux missions de I'extreme Orient, soit quand vous vous preoccupez de la langue de nos provinces meridionales. La, vos peres vous montrent, comme J^sus a ses disciples ('),des regions jaunissantes et pretes pour la moisson, et vous voudriez y etre, comme eux et avec eux, I'ouvrier du Seigneur. Ici et pres de vous, vous voyez I'heresie mena9ante, et ses mceurs licencieuses s'infiltrant lentement au sein de votre patrie;et votre coeur brule du desir del'evange- liser et de la sauver, 6 pieux enfant de Diest ! La est I'immense champ des labeurs de saint Fran- cois Xavier ; vous etes epris au souvenir de ses con- quetes, et I'idee d'aller baiser ses traces et continuer son oeuvre enflamme vos desirs et vous fait tressaillir dejoie. Ici I'enfer fait les derniers efforts pour recon- qu6rir une terre depuis longtemps a la foi ; votre ame en est emue, vous etes ceint pour la lutte, vous etes prepare a porter le glaive de la parole partout ou I'ont porte nos premiers apotres, Piat, Iileuthere et Servais, et il vous tarde de venger la verite et le Christ, 6 jeune soldat de la cause sainte ! Vous avez grandi au milieu des ruines laissees par I'heresie, votre jeune coeur s'est emu au recit de ses blasphemes, votre volonte s'est familiarisee et raidie a I'idee de ses violences ; maintenant, ni le souvenir des ~ I. Joan., IV, 35. ZfeLE, CHARITY, VCEUX. 26 1 confesseurs martyrises a Brielle, ni I'histoire des mis- sionnaires suppHcies au Japon ne sauraient eteindre la flamme sainte qui vous devore ; votre zele attend ardemment son jour, et vous etes pret au labeur, au combat et a la mort, 6 doux et vaillant athlete de J^:sus-Christ. « Les dimanches et jours de fete, le bienheureux, accompagne d'un frere coadjuteur, parcourait diffe- rents villages des environs de Malines, pour expliquer aux braves habitants de la campagne les elements de la doctrine chretienne ('). » « II les catechisait avec tant de grace qu'ils I'ecoutaient plus volontiers que les predicateurs eux-memes. Un jour qu'il avait appris a reciter le rosaire a de jeunes enfants de la campagne et qu'il leur avait donne des chapelets, il les revit quelques heures apres, en retournant chez lui, occupes a dire le chapelet, a genoux, derriere une haie, et il en eprouva une grandejoie. D'autres fois il arriva que de petits enfants I'accompagnerent en bandejusqu'a la porte du noviciat, au grand etonnement et alajoiedes Peres temoins de ces scenes. » O sublime spectacle ! 6 puissance incomparable de la charite et de la parole de Dieu ! Les rheteurs a la faconde brillante sont delaisses, les declamateurs or- gueilleux sont meprises, et, quand le jeune Berchmans enseigne, le peuple reste comme suspendu a ses levres, et, par une sympathie qui ne peut etre que la sym- pathie de I'innocence pour I'innocence, les enfants vont a lui et lui font cortege. Les enfants ! ils allaient aussi a Ji^sus sur laterre et ils font cortege a I'Agneau dans le ciel. Les mondains a lame superbe, les savants au coeur de glace ne sauraient ni comprendre ces choses I. Van der Speeten, Oiivr. cit., p. 89. 262 SAINT JEAN BERCHMANS. ni meriter ces honneurs. Les merveilles de la vie spirituelle sont pour eux comme un livre clos et scelle. Le Chretien humble a rintelhgencede tout : parce qu'il a la charite en lui, il comprend dans les autres son irresistible eloquence ; parce qu'il a soif de la verite et de la justice qui est dans toute ame simple, il sait combien cette soif rend avide d'ecouter et d'aimer ; et, parce qu'il lui a ete donne de recevoir et d'entendre la parole divine, il a eprouve sa puissance et il ne saurait s'etonner si, apres dix-huit siecles, cette parole garde, sur les levres des saints, une partie de la vertu qu'elle avait, tombant de la bouche du Maitre, devant les populations de la Galilee. Jean parlant de Dieu aux petits et au peuple de la campagne, c'est un des traits les plus touchants de sa belle carriere. Sa ville natale s'en est souvenue et en a fait sesdelices. Ouand le pelerin pieux, visitant les nefs de I'eglise de Saint-Sulpice, est arrive au cote gauche du maitre-autel, soudain son guide I'arrete, lui disant : « Voici la chapelle du Bienheureux Berchmans, » et ils tombent a genoux ensemble. Quand ils se sont rele- ves il ajoute : « Voici la place ou il etait, servant a la messe. » Le visiteur reste quelque temps immobile, dans une admiration respectueuse ; son imagination lui represente le pieux servant, sa pensee le voit au ciel, son cceur prie. Bientot ses yeux se relevent, ils se reposent sur un tableau brillant, ils reconnaissent le plus charmant episode de la plus belle vie : c'est Jean catechisant les enfants ! Les rayons du soleil ont fourni la palette de I'artiste ; ce sont eux qui font revivre dans un vitrail cette magnifique scene, epun^s et vierges comme dans I'arc-en-ciel, et, comme dans I'arc-en-ciel, signes d'une alliance : de I'alliance de la Zi:LE, CHARITY, VCEUX. 263 cite avec celui quelle a vu naitre et qui est devenu son protecteur bien-aime. Puis ces memes rayons vont s'etaler, comme une aureole de gloire, sur les marches d'un autel, a la place meme ou le jeune et tendre enfant priait il y a pres de trois siecles ! Berchmans apportait, dans I'exercice de son zele, un tact rare et une delicatesse extreme. II evitait toute maniere singuliere qui eut pu, soit appeler I'attention sur lui, soit deconsiderer ses freres. « Quand il avait fait son cat^chisme au village, dit le frere Jenin, il n'oyoit (') qu'une partie de la messe qui se faisait envi- ron ce temps-la, me disant une fois qu'il I'eust volon- tiers tout ouy, mais qu'il avait peur de scandaliser les paisans, a raison que ceulx qui avoient la catechise devant luy souloyent faire le mesme ; et s'il euct faict aultrement, es gens eustent pense que les aultres prins occasion de maljuger et des'en scandaliser ('). » « II avait un grand desir d'etre utile et sa charite s'etendait a tous, au dehors comme au dedans. II se rejouissait du bonheur du prochain, il souffrait de ses miseres et de ses peines, et il cherchait son bien-etre avec la meme sollicitude que s'il eut ete question du sien propre. Voyant un jour un novice qui chancelait dans sa vocation et qui cherchait a sortir, il se jeta a genoux devant lui, et le supplia d'attendre encore quel- ques jours, et il excita les autres a prier la tres sainte Vierge pour lui... Un soir qu'un novice venait de mourir, il demanda la permission de rester, apres le coucher des autres, afin de reciter quelques chapelets pour son ame. » « La charite est de Dieu... Dieu est charite (3). » I. N'entendait. - 2. Van der Speeten, Ouvr. cii.^ p. 91. — 3. I Joan. ^ IV, 7, 8. 264 SAINT JEAN BERCHMANS. Elle n'a point de commencement ; et son regne ne doit avoir ni limites, ni repos, ni fin. « Le Pere aime son Fils (') » ; et il I'aime, ainsi qu'il I'engendre ('), de toute eternite, Le Pere aime les hom- mes, et cette charite consiste en ce qu'il les a aimes le premier, avant qu'ils I'aimassent, et qu'il a envoye son Fils, propitiation pour leurs peches (^). Le Fils aime le Pere (•♦) et son amour s'est aussi epanche sur I'humanite : sur ses apotres d'abord, qu'il aime comme lui-meme est aime de son Pere {^), puis surle mondedont il estconstitue le Sauveur. Or J:^sus-Christ a transmis aux hommes le precepte de I'amour. Sur la montagne des beatitudes il avait dit C^): « Vousavez appris qu'il aete dit: Vous aimerez votre prochain et vous hairez votre ennemi. Et moi je vous dis: Aimez vos ennemis, faites du bien a ceux qui vous haissent, et priez pour ceux qui vous persecutent et qui vouscalomnient : afin que vous soyezles enfants de votre Pere qui est dans le ciel, qui fait lever son soleil sur les bons et sur les mediants, et qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes. Car si vous n'aimez que ceux qui vous aiment, quelle recompense aurez-vous ? les publicains ne le font-ils pas ? » Plus tard,apres la Cene et un peu avant la consommation du grand sacrifice il disait (^) : « Je vous donne un com- mandement nouveau : c'est que vous vous aimiez les uns les autres et que vous vous aimiez comme je vous ai aimes. A cela tous reconnaitront que vous etes mes disciples, si vous avez de I'affection les uns pour les autres. )) Peu apres il avait repete (^) : « C'est mon pre- i./flan., Ill, 35 et V, 20. — 2. Ps. 11, 7, Ps. ClX, 3- — 3- ^ Joan., iv, 9, 10. — 4. Joan., XIV, 31. — 5. Joan., XV, 9.-6. Matt., v, 43-46. — 1. Joan.,\.\\\., 34-35. — S.Joan , XV, 12. ZfeLE, CHARITY, VGEUX. 265 cepte, que vous vous entr'aimiez comme je vous ai aimes. » Et enfin s'adressant a son Pere, il avalt dit (') : « J'ai manifeste votre nom aux hommes que vous m'avez donnes... sanctifiez-les... Je ne prie pas seule- ment pour eux, mais encore pour ceux qui doivent croire en moi par leur parole ; afin que tous ensemble ils ne soient qu'un, qu'ils ne soient qu'un en nous, 6 mon Pere, comme vous etes en moi et moi en vous. » Oui, la charite est son precepte a lui et il est nou- veau ; nulle des trois puissances de ce monde n'avait tente de I'imposer : jamais I'autorite ne I'a introduit dans la legislation, ni la raison dans la philosophic, ni le sentiment dans la poesie ; aucune lyre, hormis celle d' Israel, n'avait celebre autre chose que I'amour char- nel, I'orgueil etla vengeance. Aimer Dieu sur toutes choses, aimer son prochain pour Dieu, I'aimer meme quand il hait, telle est la charite. Autant le ciel est au-dessus de la terre autant la charite est au-dessus des affections humaines. Elle les domine par son origine, par son extension, par sa Constance, par son activite et par sa fin. Elle vient de Dieu, elles viennent de la nature ; elle embrasse les etres invisibles, elles ne s'attachent qu'a certaines creatures; elle est stable comme sa raison surnaturelle d'etre, elles sont changeantes comme les interets et les passions ; elle inspire le devouement, elle abonde en paroles vaines; elle va et mene a Dieu, elles courent au neant. La charite transforme I'homme. Elle commence par effacer ses souillures ; beaucoup de peches sont remis a la femme pecheresse de I'^vangile « parce qu'elle a beaucoup aime (") » ; puis elle le mene doucement a \.Joa?i., XVII. 6, 17, 20 et 21. — 2. Lttc, vil, 47. 266 SAINT JEAN BEKCIIMANS. son Createur et elle le met en communication intime avec I'adorable Trinite, car elle est le lien des esprits, comme I'attraction est le lien des corps. « Si quelqu'un m'aime, adit Ji^sus ('), il gardera ma parole, et mon Pere I'aimera, et nous viendrons a lui, et nous ferons en lui notre demeure. » Societe ineffable ou Dieu donne tout et oil I'homme recoit tout ; fournaise ardente ou I'ame s'embrase et se purifie, comme le metal dans la coupelle. C'est par la charite que la foi opere (') et renouvelle la face de la terre. A celui qui doit rester le gardien de la doctrine et le foyer de cette charite il est demande jusqu'a trois fois pres du lac de Tiberiade {^) : « Simon, fils de Jean, m'aimez-vous ? » et c'est sur sa reponse affirmative qu'il lui est dit : « Paissez mes brebis. » Puis cet homme commence a exercer le pouvoir qui lui est confere. On lui defend de parler, on I'incarcere, on le crucifie la tete en bas et on croit que tout est fini. Mais non, tout commence seulement, car il est le premier d'une lignee qui ne peut ni s'eteindre ni faillir. Apres lui ses successeurs parlent ; ils redisent les paroles du Christ, tantot a I'oreille ou dans le secret des catacombes, et tantot a la face des tyrans et des supplices. Malgre I'enfer et les hommes ils repandent le chaste amour sur la terre. Et maintenant qu'on ouvre I'histoire et qu'on deploie la mappe-monde : partout ou leur pouvoir a ete reconnu et leur parole ecoutee, il n'y a plus d'arenes rougies de sang humain, plus de dieux ni de fetiches, plus de temples dedies a des divinites nommees ou inconnues, plus d'infames mysteres ni de honteux sacrifices, plus de pouvoirs T. /fl.in., XIV, 23. Voir aussl Joafi., xvu, 21.— 2. Gal., v, 6.— i. Joan., XXI, 15-17. zfeLE, CHARITl^, VCEUX. 26/ arbitraires et tyranniques sur des peuples serfs et abrutis ; mais riiomme rappele a sa dignite, la femme ennoblie, le vieillard respecte, I'enfant entoure de soins religieux, le vrai Dieu adore, la vierge veneree ; et, ca et la dans I'oubli, des hommes et des femmes, vivant dans leur corps comme n'ayant pas de corps, meditant sans cesse la parole du Maitre : « Aimez-vous, » et rani- mant, dans la contemplation de I'eternelle charite, le zele qui les excite a porter la verite aux peuples, a soutenir les petits et les faibles, a consoler les captifs et les affliges, a pider les pauvres et les mourants, a Clever tous les sentiments au-dessus de la nature et toutes les pensees au-dessus de la terre, a redire a tous sans se lasser : vous etes freres et votre Pere est au ciel, a rendre enfin a Dieu amour pour amour sans songer meme a attendre des hommes ni une louange pendant la vie ni un mausolee apres la mort. La charite est patiente et benigne; elle rejette I'envie, lajactance et I'orgueil qui enfle ; elle n'est ni dedai- gneuse, ni egoiste, ni irritable ; elle n'impute pas le mal, elle nese rejoult point de I'injustice, elle sait tout sup- porter et tout endurer {'). II faut la mettre par-dessus tout, car elle est le lien de la perfection (''),et, sans lien, tout corps se dissout, tout membre se separe, tout edifice croule. Rien ne saurait la remplacer ; ni le don des langues, ni le don de pro- phetie, ni la science, ni I'aumone ; sans elle, on n'est rien (^). Elle est la fin des preceptes (+) : ce qui ne se fait pas pour elle., comme ce qui ne procede pas d'elle, ne saurait ni s'elever au-dessus de la nature ni porter ses fruits au dela du temps. I. / (Tcr.jXni, 4-7. — 2. « Charitatem habete, quod est vinculum per- fectionis. » {Co/oss., in, 14.) — 3. / Cor.,xin, 1-3. — 4. 7 Ti?n., 1, 5. 268 SAINT JEAN BERCHMANS. La charite n'aura pas de fin. Quand tout ce qui passe aura passe, que le temps ne sera plus, que I'hu- manite aura pris sa place dans rimmobile eternite, alors les propheties se seront evanouies, la diversite des langues aura cesse, le don de science en vue d'instruire ne subsistera plus ; il n'y aura plus de foi, car les justes verront Dieu, non en reflet et en enignie, mais face a face, a la clarte de la vie sans fin ; il n'y aura plus d'esperance parce qu'il n'y aura plus de changement : « que I'arbre soit toinbe au midi ou du cote de I'aqui- lon, il y demeurera(') ; » mais la charite persistera ('), douce, calme, inalterable ; et elle fera dans le ciel, avec I'intuition de Dieu, I'ineffable et eternel bonheur de ceux qui auront aime sur la terre. « Berchmans passa ainsi les deux annees du noviciat dans I'exercice de la vertu,donnant tant de satisfaction a ses superieurs, a ses compagnons, aux Peres et aux Freres qu'il etait considere comme I'ange de la maison. Comme nul n'avait pu remarquer de defaut en lui et qu'on le voyait parfait en toutes choses, tous le disaient un saint etl'avaient en veneration : ils I'aimaient et ils cherchaient adroitement I'ozcasion de converser avec lui. Plusieurs novices disaient qu'en le voyant ils se sentaient stimules a la vertu et excites a la devotion : il leur semblait qu'il s'exhalait je ne sais quoi de divm de ses yeux, de son visage et de toute sa personne, qu'enfin il etait plutot une creature celeste que ter- restre. » « C'etait, ecrit le P. Van der Speeten (^), une conso- lation pour ses freres de le rencontrer sur leur route. Les depositions des temoins ne tarissent point sur ce I. Eccl., XI, 3. — 2. I Cor., XI 11, 8-13. — 3. Vie die B. Jean Berch- mans., p. 79. Zf'XE, CHARITY, VCEUX. 269 sujet. «Sa vue seule, dit I'un, donnait une sorte de joie spirituelle a ceux que la nature ou une circonstance particuliere rendait tristes et moroses. » « Son aspect, dit un autre, suffisait a m'egayer quand j'etais en can- didature. » « J'affirme, ajoute un troisieme, que j'ai entendu un candidat demander a un novice quel etait cet ange si modeste, si humble et si affable. » « Le sourire toujours epanoui sur les levres de Berchmans, dit a son tour le celebre pere Sidronius Hoschius, montrait assez la paix de son anie et la tranquillite de sa conscience. Son air gracieux, la douceur de ses manieres attiraient a lui tous les coeurs. J'ai vecu deux ans avec lui au noviciat, he bien ! je suis pret a affirmer sous serment que je n'ai jamais remarque en lui le plus leger mouvement d'impatience ou de colere. » Sera- t-on etonne, apres ces temoignages, d'entendre un bon Frere coadjuteur, Gilles Jenin, deposer « qu'un autre connovice de Berchmans, feu /Egidius de la Rue, ne lisoit pas la vie du B. Louis de Gonzague, /^;t^ que, disoit-il, il t avoit sous lesyeux. » De part et d'autre, en effet, c'etait la meme ardeur, la meme retenue, le meme desir d'obliger tout le monde ; peut-etre avec plus d'amabilite exterieure et plus d'aisance du cote de Berchmans. « Je vous avoue, dit-il lui-meme un jour a Guillaume Stanihurst, qu'il men coute beaucoup plus de lever les yeux que de les tenir baisses. » Meme quand il adressait la parole a quelqu'un, il le faisait les yeux baisses ; ou s'il lui arrivait de regarder son interlocuteur, ce n etait, pour ainsi dire, qu aladerobee et avec toute la pudeur de la Vierge la plus timide. » Le temps du noviciat etait ecoule. Berchmans I'avait employe a 1 etude des sentiers oii il allait s'engager, a I'examen attentif de lui-meme et aux exercices de piete. 270 SAINT JEAN BERCHMANS. Sa vie pure et sainte, preparant I'avenir, est et restera a jamais le modele a proposer a tous ceux qui attendent le mot du ciel pour choisir sur la terre la voie qui doit faire leur bonheur. II etait evident pour tous que le coeur du jeune Berchmans n'etait pas a partager ici-bas, qu'il etait pour Dieu et que sa vie entiere devait se consumer devant lui, comme la lampe du sanctuaire. L'holocauste etait pret ; quelques jours encore et le sacrifice allait s'accomplir. Jean fit part a son pere de cette heureuse nouvelle en ces termes : « Mon venere pere en Jesus-Christ, Que la paix du Christ soit avec vous. Les p^res et les m^res qui sont attaches aux choses du monde et qui ne revent que ravancement de leur famille, se rejouissent outre mesure des alliances que contractent leurs fils aves les grands et les puissants du siecle. Plus ces alliances les elevent au-dessus de leur etat actuel de fortune, plus leur joie est immense Mais le plus souvent cette joie n'est que folie.Plut au ciel que ces parents aveugles n'eussent pas a deplorer un jour, a maudire durant toute une eternite, le sort de ces enfants qu'ils ont si cruellement aimes ! Ce n'est pas une joie pareille, mon bien cher pere, que ma lettre vous apporte : c'est une joie pure, pure comme le cristal d'une onde transparente. Rejouissez-vous, tressaillez d'allegresse ; moissonnez a pleines mains les joies solides du ciel, non les vaines joies de la terre ! — Eh ! (ju'y a-t-il done? — Le voici : votre fils espere mourir le 25 de ce mois. — Mourir? — Oui, mourir ; mais mourir au monde, mourir de la mort des saints. O douce mort, 6 mort, qui n'etes pas une mort, mais la vie la plus suave ! Oui, que mon ame meure de cette mort des justes ! — Mais ou ? par quels tourments ? Sur la croix de Jesus, avec Jesus ; transpercee des trois clous de pauvret^, de chastete et d'obeissance perpetuelles, elle mourra pour Jesus ! Oh ! qu'il est doux de mourir dans la Compagnie de Jesus, entre les bras de J]esus ! Rejouissez-vous, mon bon, mon excellent pere : votre fils vivra dans cette mort ; il vivra et vivra heureux. Qu'y a-t-il done de plus riant, qu'y a-t-il de plus agreable que de passer toute sa vie entre les bras d'un tel epoux ? Oh ! puibse mon ame paraitre dans la presence de ZfeLE, CHARITY, V(T.UX. 27 1 son bien-aime, couverte de la precieuse robe des vertus qui la rende belle a ses yeux! Puisse-t-elle avec amour et decence offrir a I'adorable Trinite, a la bienheureuse Vierge et a tous les anges du paradis, ce somptueux festin de mes vceux ! Pendant le peu de jours qui me restent, je tacherai d'y travailler dans la mesure de mes faibles forces. Mais, helas ! que puis-je faire ? Ah ! je vous en conjure, je vous en supplie instamment, obtenez-moi le secours et la protection de la sainte Vierge ; offrez pour moi trois messes votives du Saint-Esprit sur I'autel de Montaigu. Mon grand-pere, ma grand'mere, mes oncles et mes tantes, tous mes autres amis, j'en suis sur, ne me refuseront pas leurs prieres. C'est de tout coeur que je me recommande en termitant aux saints sacrifices de Votre Reverence. Malines, Noviciat de la Compagnie de Jesus, I'an 161 8, le 2 septembre. De Votre Reverence, le tres humble et tres obeissant fils en Jesus-Christ, Jean Berchmans. Au jour fixe, le 25 septembre 161 8, eut lieu a Malines cette «mort au monde», commencement de « la vie la plus suave ». Le matin pendant la sainte messe, en presence du Tre.s-Saint-Sacrement, le jeune Berch- mans pronon9a ses voeux, se clouant ainsi volontaire- ment « sur la croix de Jesu.s, avec les trois clous de pauvrete, de chastete et d'obeissance perpetuelles. » Apres cet acte solennel, il recut a la Sainte table le Dieu d'amour, auquel il venait de se donner sans reserve. De ce moment il appartenait a la Compagnie de Jesus. [^^^At&^ Ct)apitre liDU5ieme. DERNIERES ANNEES DE JEAN BERCHMANS. I. DERNIERS JOURS EN BELGIQUE. Dilecttis Deo et hominibiis... De fait il se trouva que le Pere Cepari avait, ce jour-la a sa messe et a diverses reprises de la journee, demande au ciel avec de vives instances laguerison de son pieux scolastique. Le docteur Ange Bagnarea, appele comme medecin extraordinaire, fut si frappe de la tranquillite d'ame et de la joie sereine avec laquelle Jean attendait la mort, qu'il ne put retenir ses larmes et dit en sortant : « C'est un autre Louis de Gonzague. Que vous etes heureux d'etre ainsi toujours prets a mourir. Combien peu obtiennent ce rare bon- heur ! » Un leger mieux permit au malade de recevoir durant toute la journee du mercredi plusieurs de ses freres, qui tous se retirerent profondement emus de la piete et de la tranquillite du saint religieux en face de la mort. La nuit fut en grande partie sans sommeil. On entendait le malade renouveler ses oraisons jaculatoires et se recommander a la sainte Vierge. II se fit lire la mort de saint Louis de Gonzague. Arrive au passage ou il est dit que I'angelique jeune homme n'avait, durant sa longue maladie, donne aucun signe d'impatience, il soupira : « Seigneur, si a mon insu j'ai manque en ce point, je vous en prie, pardonnez-moi. » II demanda le MALADIE ET MORT DE S. JEAN BERCHMANS. 297 crucifix, Ota son chapelet de son cou (il avait coutume de dormir ainsi) et I'entrelaca dans les bras du crucifix ; puis il se fit apporter le livre des regies et le serrant entre ses mains avec le crucifix et le chapelet il dit d'un ton qui marquait une joie ineffable : « avec ces trois objets les plus chers a mon coeur, je niourrai volon- tiers, » II put gOLiter un peu de repos le reste de la nuit. Lorsque I'heure du lever approcha il dit a I'infirmier : « Le Pere Recteur demande a Dieu de me conserver a ma province ; mais je crois que ses prieres seront inutiles. » Bientot le Recteur lui-meme arriva. « Mon Frere Jean, dit-il, en recitant mon office j'ai remarque un repons qui me semble s'adresser a vous : « Mon fils, sois sans crainte, dit le Seigneur. Si tu passes a travers le feu, la flamme ne te nuira pas, et I'odeur du feu ne t'infectera pas. Je te delivrerai de la main des mediants et je t'arracherai auxetreintes des forts. » — Jel'espere, repondit Jean, par les merites de la tres sainte Vierge.)) La divine Mere duSauveur etait sa force et son soutien. Lorsqu'il se trouvait seul ou qu'il y avait seulement quelques personnes presentes, on I'entendait au milieu de ses oraisons jaculatoires invoquer Marie : « Marie, 6 ma Mere, ne m'abandonnez pas ; je suis votre fils ; vous savez que je I'ai jure. » Le bruit que le saint avait predit sa mort prochaine amena le jeudi, des le matin, un grand concours de membres de la Compagnie et de personnes de la ville, qui voulaient voir encore une fois celui qu'ils veneraient dejacomme un saint et se recommander a ses prieres. Car, bien qu'il n'eut guere eu jusqu'alors I'occasion de se faire connaitre, cependant sa reputation de modestie etdesaintete s'etait repandue au dehors. A la serenite SAINT JEAN BERCHMANS. de son visage, a sa tranquilllte d'esprit, et a sa facility de parole, on aurait cru qu'il n eprouvait aucun malaise et qu'il ne sentait nullement la mort approcher. Un noble prelat, Ange Cesi, fils du due d'Aqua-Sparta en fut si emerveille qu'il disait en se retlrant : « Ce n'est pas un malade sur son lit, c'est un ange. » Les visites continuerent jusqu'au declin du jour. Alors le P. Recteur craignant pour le malade epuise un exces de fatigue, ordonna qu'on le laissat en repos ; mais le Bienheureux supplia le P. Cepari de laisser entrer un a un ses freres en religion pour recevoir leur dernier adieu. II les embrassa successivement, recom- mandanta chacun trois choses :1a devotion a Marie, le zele de la priere, voie unique pour entrer en union avec Dieu, et I'observance des regies. A quelques-uns il donna des avis si bien adaptes a leur position particuliere qu'il devait en avoir ete instruit par une voix surnaturelle. Ce fut dans ces entretiens que le Saint deter- mina d'une maniere precise I'heure de sa mort. Recevant deux de ses compatriotes les Pere Van Aelst et Van Doorne, il dit au premier : « Ayez bien soin que demain tous mes freres \q.s Juniores soient presents a ma mort. — Est-ce demain que vous mourrez } — Oui, demain. »Et comme les deux Peres insistaient pour connaitre le moment precis : « Ce sera, ajouta-t-il, vers le signal de la classe ou apres. » II dit la meme chose au jeune jesuite Hongrois Radkai, son frere de predilection : « C'est done a present, mon bon Nicolas, dit-il, que je vous fais mes adieux ; je ne vous parlerai plus sur cette terre ; je vous ai aim6 dans cette vie, je vous aimerai dans le ciel. » Radkai tout enlarmes lui demanda d'obtenir de la sainte MALADIE ET MORT DE S. JEAN BERCHMAN S. 299 Vierge le don de chastete et la grace d'etre un vrai fils dela Compagnie. Le Bienheureux, apres un instant de reflexion, leva les yeux au ciel et lui dit : « Mon cher N icolas, je vous obtiendrai I'esprit d'oraison, de chastete et de mortification. » Apres le supreme adieu, Radkai le conjura de lui dire s'il croyait serieusement mourir le lendemain. « Oui, mon cher Nicolas, repondit le malade, je mourrai demain dans la matinee, c'est certain. — Pourrai-je etre present ? — Tachez d'y etre. » Radkai se jeta a genoux demandant sa benediction. Le Saint refusa absolument ; mais enfin vaincu par les instances de son condisciple, il la lui donna. Le P. Recteur craignit que le demon ne profita des nombreuses marques de veneration que Jean recevait pour lui inspirer des sentiments de vaine gloire. Apres avoir fait sortir tout le monde, il lui dit : « Mon Frere, a ce moment, le demon pourrait vous tenter de deux manieres surtout : sur la foi et par la vaine gloire. Armez-vous done courageusement contre ces deux tentations. » « Mon Pere, repondit Berchmans, je me trouve, grace a Dieu, assez blen arme contre les tenta- tions de la foi ; quant a celles de la vaine gloire le Pere spirituel vient de me donner des forces et du secours pour leur resister efficacement, s'il m'en est reserve. » II venait en effet de s'entretenir avec son confesseur. Cependant la nuit avait commence ; il semblait qu'il nela passerait pas. Beaucoup de religieux demeuraient pour assister a ses derniers moments. Le P. Recteur eut peine a les faire retirer. II dut rappeler I'assurance donnee par Berchmans que sa mort arriverait le lendemain et promettre de les eveiller au cas ou il se produirait quelque chose d'imprevu. Ouelques Peres auguraient de la nature de la maladie que Jean pourrait 300 SAINT JEAN BERCHMANS. bien mourir en parlant. Le Saint les entendant : « Pour cela, dit-il, je n'ai pas le moindredoute;carj'ai demande a Dieu une de ces deux graces ou bien de mourir dans les camps au secours des soldats beiges qui combattent centre les heretiques.ou biende conserver a ma derniere heure le sentiment et la parole ; je n'hesite nullement a croire que cette seconde grace me sera accordee. » Trois Peres beiges etaient restes pres de lui pour veiller. Vers dix heures, il engagea le P. Van Doorne a commencer les prieres de la recommandation de I'ame, «parce que, disait-il, il n'y aura peut-etre pas de moment aussi favorable. » Les prieres dites, le P. Alegambe se mit a suggerer a son saint ami de pieuses aspirations et des sentiments de confiance et d'amour envers Dieu. « C'est maintenant, mon Frere, lui dit-il, qu'il faut aimer J^sus, qu'il faut aimer Marie que vousavez aimee durant votre vie et qui vous aimera a la mort. » — « Que je me suis efforce d'aimer durant ma vie, reprit le saint, et qui m'aimera a la mort. — Et vous les aimerez I'un et I'autre pendant toutel'eter- nite ? — Oui. Je I'espere. » Bientot la lutte, dont il avait parle a diverses reprises durant la journee, commen9a. Aux prises avec I'ange des tenebres on I'entendait dire : « Retire-toi, Satan, je ne te crains pas... Non, Seigneur, je ne vous offenserai pas... Marie, moi, offenser votre Fils? Non, non, jamais. Non, je ne le ferai pas... Plutot mourir, mourir mille fois, cent mille fois. » Et saisissant le crucifix, le rosaire et le livre des regies, « voici mes armes, disait-il, avec elles je veux mourir. » Entretemps les religieux a genoux autour de son lit priaient avec ferveur et asper- geaient le malade et son lit d'eau benite. On croyait le malade asa fin.Le P.Recteuraccourut MALADIE ET MORT DE S. JEAN BERCHMANS. 3OI et se mit aussitotalui suggerer de pieuses aspirations: «Je crois, Seigneur. J'espere, Seigneur. J'aime, Sei- gneur. Je me repens, Seigneur. Mon coeur est pret, mon Dieu.mon coeur est pret.» Puis il dit a tous les Peres de sortir un instant et donna a Jean une derniere fois I'absolution. I] etait couche sur le dos tenant entre ses mains le crucifix avec le chapelet entrelace et le livredes regies. Ce precieux bouquet reposait sur ses genoux qu'il avait legerement releves pour ne pas le perdre un instant de vue. Tout mouvement avait cesse sauf celui des pau- pieres. II demeura trois heures en cet etat. Entre- temps les Peres etaient rentres, et recitaient a genoux autour du lit les prieres des agonisants. Plusieurs etaient contraries de voir que le saint jeune homme avait perdu la parole, parce qu'ils craignaient de le voir mourir sans realiser la promesse qu'il avait faite de mourir en parlant. Vers cinq heures du matin on lui vit remuer les levres. Le P. Piccolomini s'approcha de lui et lui demanda : « Jean, desirez-vous quelque chose. ^ Jean fit un effort et repondit avec difficulte en latin :« Je voudrais pou- voir parler. » Le Pere lui ayant dit de repeter de coeur, s'il ne le pouvait de bouche, le saint nom de J^sus, il fit un nouvel effort et le pronon^a plusieurs fois de suite jusqu'a ce qu'il eut entierement recouvre la parole. On recita les litanies de la sainte Vierge et il repondit a toutes les invocations. II eut alors a supporter un nouvel et court assaut de I'enfer qu'il surmonta par I'obeissance.Enfin, tandis que les assistants recitaient les litanies etpriaient autour de lui, le vendredi, i3aout 1 62 i,vers huit heures etdemie du matin, saint Jean Berchmans,age de 22 ans et 5 mois SAINT JEAN BERCHMANS. s'endormit doucement dans le Seigneur, les yeux fixes sur le crucifix pendant que sa bouche achevait de pro- noncer les saints noms de Jesus et de Marie. Ainsi passa de la vie du temps a celle de I'eternite ce saint religieux qui fut, dans le monde comme dans le cloitre, un modele accompli de priere, de chastete et d'humilite; ainsi fut ravie a la terre qui n'etait plus digne d'elle cette fleur de vertu que les anges transplanterent, pour fleurir eternellement sous la douce influence des clartes divines, dans ce sejour dont il est dit : « La Jeru- salem celeste n'a pas besoin du soleil et de lalune pour 1 eclairer, car la clarte de Dieu est sa lumiere et sa lampe est I'agneau ('). » Une telle mort nest pas une mort,c'est un triomphe. « La mort a ete absorbee dans la victoire ("). » Car I'ai- guillon de la mort c'est le peche; et Jean a vaincu le peche par la grace, il a vaincu la concupiscence par la priere et la vigilance, il a vaincu le monde par I'humilite. Aussi son trepas n'eut rien de lugubre, ses funerailles rien de funebre, et sa tombe, couverte de fleurs par la piete des fideles, devint glorieuse par les miracles que Dieu y opera. Aussitot que la cloche du college eut fait entendre son tintement lugubre, tous les religieux se precipiterent dans la chambre mortuaire pour baiser la main du defunt comme celle d'un saint. Chacun voulait avoir quelque objet ayant appartenu au Saint. On se disputait comme de riches depouilles ses pauvres vete- ments. Bientot le bruit : « il est mort un saint au College Romain)) mit en emoi toute la ville. Le corps fut expose dans leglise du Gesu. Mais deja avant que les portes I. Apoc, XXII, 23. — 2. / Cor., XV, 54. MALADIE ET MORT DE S. JEAN BERCHMANS. 3O3 fussent ouvertes pour I'heuredes funerailles, une foule de personnes s'y etaient introduites par la maison. En un instant fleurs, crucifix, bonnet, souliers, tout ce qu'on put prendre , jusqu'aux cheveux du Saint furent enleves, comme de precieuses reliques. Les fune- railles commencerent, mais lorsque la foule eut reussi a penetrer jusqu'au corps et a lui baiser la main ('), une fois surtout que le cri de miracle eut retenti dans I'eglise, il n'y eut plus moyen de la contenir. II fallut renouvelerplusieurs fois le drap mortuaire qu'on enle- vait et depie9ait pour en faire des reliques ; on ne parvint qu'avec mille peines a soustraire le corps a la devotion du peuple et a le renfermer dans la sacristie. "Enfin le samedi ,14 aout, le corps fut depose dans un cercueil de bois dans la chapelle de Saint-Louis de Gonzague, et ensuite par ordre du General, transfere a la chapelle de Sainte-Croix, sepulture commune des Peres. Rien ne put ralentir le concours des tideles attires par les miracles dus a I'intercession du Saint. O saint Berchmans ! a la lumiere de votre mort, faites-moi connaitre ce que c'est que la mort : faites-moi voir en quoi differe le tombeau du juste et celui de I'impie ; mais surtout et avant tout apprenez- moi a bien mourir. 304 SAINT JEAN BERCHMANS. II. LE CHRETIEN ET L'IMPIE DEVANT LA MORT. Morspeccatorum pessimn...Pre- ^ La mort des p^cheurs est ce qu'il tiosa in cotispectii Domini mors ' y a de pire.... Mais la mort des sanctorum ejus. I saints est precieuse devant Dieu. 4 Ps. XXXIII, 22 et cxv, 15. La mort du pecheur est affreuse ; il agonise dans le trouble et les angoisses du desespoir. Dieu I'a en horreur et les hommes en malediction. II eut mieux valu qu'il ne fut pas ne ('). Le juste, au contraire, expire dans le calme de la paix celeste et dans I'allegresse de I'espe- rance. Serviteur fidele il va chercher dans la joie du Seigneur la recompense de sa fidelite (^). O saint Berchmans ! apprenez-moi a mourir de la mort des justes et que ma fin soit semblable a la votre! Apprendre a mourir ! Parole amere, car la mort n'est pas naturelle a I'homme, cree pour vivre tou- jours. C'est le peche qui I'a introduite dans le monde ou elle exerce dans le trouble et I'affliction un empire de chatiment juste mais cruel. Apprendre a mourir ! Dure et douloureuse necessite: I'age commele rang,la puissance comme la fortune, le genie comme la science sont impuissanis en face de la mort. Unissez toutesles ressources de I'art medical, de la jeunesse et du bien- etre, vous pourrez la retarder peut-etre,'rempecher jamais. La sentence de 1' Eden (3) : « Tu es poussiere et tu retourneras en poussiere » pese comme une male- diction et un chatiment sur toute la posterite d'Adam. « L'homme ne de la femme vit peu de jours et il est rassasie de miseres. Comme une fleur, il germe et on le coupe : il fuit sans s'arreter comme I'ombre. » Ensuite, « II tombe en poussiere comme un bois vermoulu, I. Matih., XXVI, 24. — 2. Matth., xxv, 21. — 3. Gen., ill, 19. LE CHRETIEN ET l'iMPIE DEVANT LA MORT. 3O5 comme un vetement devore par les vers ('). » « Sou- viens-toi done de ton Createur au jour de la jeunesse, avant que vienne le temps de I'affliction, et qu'arrivent les annees dont tu diras : Elles ne me plaisent pas ; avant que le soleil, la lune et les etoiles s'obscurcissent, que les nuees se resolvent; avant que le cordon d'argent se rompe et que la bandelette d'or se retire : que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, que la poussiere retourne a la terre d'ou elle etait sortie et que I'esprit retourne a Dieu qui I'a donne ('). » Apprendre a mourir ! Oui, il le faut. La raison me I'insinue et la foi me I'enseigne. L'homme, il est vrai, apparait sur la terre comme le roi de la creation, le monde est son empire. II subjugue les elements les plus rebelles et les tourne a son usage. II s'est fait de nos jours des chars rapides comme le vent. Les mon- tagnes n'arretent plus sa marche precipitee ; il dirige sa course a travers les flots comme sur une plaine facile. Chaquejour se verifie la parole que Dieu a dite au pere du genre humain (^) : « Remplissez la terre et assujet- tissez-la, dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tous les animaux de la terre ; je vous donne toute herbe... et toute plante... pour nour- riture. » Mais ce royal pouvoir, Dieu nous le prete, plutot qu'il nous le donne. Au temps marque dans ses secrets, la main glacee de la mort depouillera nos fronts de ce diademe emprunte. C'est que les destinees de l'homme sont plus hautes et plus vastes que les choses mesurees par I'espace et limitees par le temps. Elevons nos pensees et nos coeurs. Car Dieu nous entr'ouvre \.Job., xni, 28 ; XIV, 1-2. — 2. Eccii., xii, i, 2, 6, 7. — 3. Gen., i, 28. S. JEAN BERCHMANS. 306 SAINT JEAN BERCHMANS. par dela les horizons bornes de ce royaume d'un jour les horizons sans fin de I'eternite : dans des lointains que les pales rayons du soleil cree n'illuminent plus, il nous laisse entrevoir les reflets de la lumiere increee. Cette divine lumiere scintille a travers les creatures, se montre a nous par elles, se reflete au fond de nos ames et nous donne du vrai, du beau et du bien, une soif que rien de changeant, rien de perissable, rien de fini ne peut etancher. Quelque belles que soient les creatures, elles ne peuvent nous suffire ; nos esprits et nos coeurs aspirent vers vous, 6 verite infinie, 6 bonte sans limites, 6 beaute toujours ancienne et toujours nouvelle ! Oui, nous sentons que nous sommes sur cette terre des exiles marchant vers leur patrie. Vous nous avez faits pour vous, Seigneur mon Dieu ! et notre coeur ne trouvera de repos que lorsqu'il se reposera en vous ('). Ecoutons ce que nous dit la foi. Ce corps de mort qui nous accable maintenant de ses appetits terrestres et de ses infirmites deviendra par la resurrection un corps de vie. Comme la semence jetee en terre se reproduit par la mort, « ainsi le corps seme dans la corruption ressuscitera dans I'incorruptibilite ; seme dans rabjection,il ressuscitera dans lagloire,seme dans la faiblesse, il ressuscitera dans la force (^). » Dans cette autre vie le corps sera glorieux et lame sera heureuse par la possession de la verite et du souverain bien. « L'oeil n'a point vu, I'oreille n'a point entendu et le coeur n'a point compris ce que Dieu prepare a ceux qui I'aiment {^). » « Dieu essuiera toutelarme de leurs yeux, et il n'y aura plus ni mort, ni deuil, nicris, I. S. August. Con/es., I, i. — 2. /Cor., xv, 42-43. — 3. /Cor., 11, 9. LE CHRETIEN ET l'iMPIE DEVANT LA MORT. 307 ni douleur... lis verront la face de Dieu et son nom sera sur leur front. II n'y aura plus la de nuit et ils n'auront plus besoin de lampe ni de la lumiere du solell, parce que le Seigneur les eclairera, et ils regneront dans les siecles des siecles {'). » « Les justes vivront dternellement et leur recompense est aupres du Sei- gneur (^). » « Ils ont paru mourir aux yeux des insenses ; leur sortie de ce monde a semble une tris- tesse et leur separation un aneantissement: mais ils sont en paix. Et, si devant les hommes ils ont souffert des tourments, leur esperance est immortelle (^). » Heureux ceux qui, comme vous, 6 saint Berch- mans, ont sans cesse ces verites sous les yeux. Vous avez prefere les biens eternels aux biens perissa- bles ; vous ne vous etes servi des creatures que pour arriver au Createur. Voila pourquoi vous avez passe au milieu des seductions de la terre sans vous laisser surprendre, au milieu de la corruption sans etre souille. Voila pourquoi encore au foyer paternel comme au pensionnat d'Emmerick, chez le chanoine Froymont comme au noviciat, dans le monde comme en religion, nous vous avons vu humble et modeste, chaste et vigi- lant, bon et affectueux, brulant d'amour pour Dieu, de zele pour la priere, de charite pour le prochain. Voila pourquoi enfin I'approche du dernier jour, si amere et si mena9ante pour I'impie, fut pour vous pleine de suavite et d'esperance, pourquoi vous tressailliez de joie et de bonheur devant la mort, pourquoi vous em- brassiez avec effusion celui qui vous I'annon^ait. C'est que pour vous la mort n'etait qu'un sommeil dont le reveil se fait a I'aurore du jour de 1 eternite. Aidez- I. Apoc.^ XXI, 4 ; XXII, 4-5. — 2. Sap., V, i6. — 3. Sap., ill, 2-4. 308 SAINT JEAN BERCHMANS. moi, 6 Saint ! a marcher sur vos traces, a em- ployer comme vous ce qui me reste de vie a faire I'apprentissagedela mort, afin qu'apres m'etreendormi dans les tristesses de la terre, je me reveille dans les joies de I'eternite. Helas ! que I'impie est loin de faire ce saint appren- tissage ! II oublie ses destinees et la mort lui parait une destruction. Au lieu de servir le createur, il s'as- servit aux creatures ; il se laisse prendre aux appats des richesses, aux attraits de la volupte, a I'enivrement des honneurs. Insense ! il oublie qu'a I'heure fataletout lui sera ravi et que les supplices de I'autre vie rempla- ceront les jouissances de celle-ci; il ne pense qu'a jouir, a jouir encore, a jouir toujours, et neanmoins ses desirs ne sont point satisfaits : « Venez, dit-il, jouissons des biens presents. Hatons-nous d'user des creatures pen- dant que nous sommes jeunes. Enivrons-nous des vins exquis", parfumons-nous d'huile de senteur et que la fleur de la saison ne nous echappe point. Couron- nons-nous de roses avant qu'elles se fletrissent... La jouissance est notre partage ('). » Mais lorsque la trompette du jugement aura sonne et que le souverain Juge aura prononce I'irrevocable sentence (^) : « Je ne vous connais pas, retirez-vous de moi, ouvriers d'ini- quite... Allez, maudits, au feu eternel » ; alors, mais trop tard, dans les angoisses et les sanglotsilsdiront(3)- « Nous avonstourne les justes en derision... Insenses ! nous estimions leur vie une folie et leur fin sans hon- neur. Et voila qu'ils sont comptes parmi les fils de Dieu, et que leur sort est au milieu des saints. Nous avons done erre. i> Nous avions sous les yeux de bons I. Sap.y II, 6-9. — 2. Matth., vii, 23 ; XXV, 41. — 3. Sap.^ v, 3-12. LE CHRETIEN ET l'iMPIE DEVANT LA MORT. 309 exemples et nous n'en avons pas profite ; les sacre- ments de I'Eglise nous offralent la reconciliation et la grace et nous les avons negliges ; Dieu nous envoyait le remords et nous avons persevere dans le peche, « nous nous sommes lasses dans la voie de I'iniquite et de la perdition... A quoi nous a servi I'orgueil ? Que nous a rapporte I'ostentation des richesses ? Toutes ces choses ont passe comme I'ombre, comme un courrier rapide, comme un navire qui fend I'eau agitee sans laisser de traces... comme un oiseau qui traverse I'air au vol... comme une fleche lancee vers un but ; I'air qu'elle separe se rejoint aussitot, de sorte qu'on ignore son passage. » O mort, que ton souvenir est amer a I'impie au milieu des grandeurs, des jouissances et des delices, mais qu'il est doux et utile au juste qui eleve son esprit et son coeur au-dessus des biens perissables de ce monde, de ses jouissances trompeuses et de ses volup- tes ephemeres ! Ah ! je comprends maintenant pour- quoi I'Ecriture appelle si souvent I'impie un insense : insense, en effet, car il n'a pas voulu comprendre le sens de la vie ni se preparer a la mort; insense encore, parce que mettant en balance d'une part les ephemeres jouissances de la terre et d'autre part la couronne degloire et d'immortalite qu'il fallalt acheter par les souffrances d'un jour, il a fait pencher la balance du cote dutempsetmeprise I'eternite. Ah ! les angoisses et les terreurs de I'impie a I'heure supreme me sont expliquees : beaute, richesses, honneurs, sante, plai- sirs, tout sera enleve en un instant par la mort. Ce corps dont il faisait une idole deviendra dans le tom- beau la proie des vers. line lui restera rien... rien, sinon ses vices et ses crimes qui le couvriront de honte 3IO SAINT JEAN BERCHMANS. et de confusion, le livreront aux anges de tenebres, lui attireront les severites d'un Dieu devenu inexorable et I'accableront du cruel supplice d'etre prive de la vue et de la possession du souverain Bien. objet naturel ^es desirs et des aspirations de 1 ame ('). II en est tout autrement du juste. S'il sent en lui la nature se defendre contre I'idee de la mort, qui lui rap- pelle sa decheance, ses aspirations I'elevent vers la lumiere increee et le bien souverain, sa foi lui decouvre le ciel et lui fait dire avec le Sauveur (') : « O Dieu mon Pere, si ce calice ne peut passer sans que je le boive, que votre volonte se fasse. » Lorsque la resigna- tion I'a ainsi fortifie, que sa conscience en paix aspire a etre delivree du poids de la chair, qu'il se rejouit d'etre au terme du combat de la vie et de voir cesser les luttes, sources de toutes ses craintes, et disparaitre les obstacles a I'union parfaite avec son Dieu, I'esperance le prend par la main et le presente a la divine mis6ri- corde qui lui montre dans la beatitude celeste la realisa- tion de tous ses voeux. Apres celaje ne m'etonne plusducalme, de la sere- nit6, de la confiance des justes en face de la mort, des transports de Berchmans, du bonheur de saint Louis de Gonzague chantant le Te Deimt parce qu'il va mourir, de I'allegresse des martyrs courant au supplice comme a une fete. La Constance surhumaine des ten- dres vierges, Cecile, Agnes, et tant d'autres, dans la prison, sous les tenailles des bourreaux, au milieu des flammes, n'a plus rien qui me surprend. Je m'explique la joie qu'eprouvent les Apotres d'avoir ete trouves 1. Ces considerations et celles qui suivent sent tirees du Spicileguon ascetictim du B. Berchtnans, 6d\x€ park P^re Vanderspeeten, p, 276-277. 2. Mailh., XXVI, 42. LE CHRltTIEN ET l'iMPIE DEVANT LA MORT. 3 I I dignes de souffrlr pour J^sus-Christ, le desir d'Ignace d'etre promptement moulu par la dent des betes dans I'amphitheatre de Rome, le courage de Laurent invo- quant Dieu et lui rendant graces sur son gril en feu tandis que les flammes consumaient ses chairs ; I'en- jouement de Nicolas Pic et la fermete de ses freres devant les supplices de Gorcum, C'est qu'ils ont com- pris la parole de I'Apotre (') : « Les tribulations si courtes et si legeres de la vie presente produisent en nous le poids eternel d'une sublime et incomparable gloire. » Aussi I'Eglise celebre la mort des Saints comme « leur naissance » a la vie qui ne finit pas. O saint Berchmans ! protecteur et modele de la jeunesse, votre vie m'a enseigne la vertu, obtenez- moi de I'imiter. Mais obtenez-moi surtout d'imiter vos derniers moments, votre supreme agonie, votre mort sainte. Puisse-je soumis et resigne comme vous accepter les souffrances avec joIe,dire, sans trouble, sans crainte et sans regrets, adieu a cette terre ou toute vertu chancelle, et me jeter repentant dans les bras de la misericorde infinie. Puisse-je enfin reconcilie par la penitence, muni du divin viatique du corps de mon Sauveur, fortifie par I'onction sainte, soutenir comme vous les dernieres luttes et, apres avoir repousse I'en- nemi avec le glaive de la foi, le bouclier de I'esperance et I'armure de la charite, m'endormir dans Pesperance tenant entre mes mains glacees le crucifix, le chapelet et I'Evangile regie de ma vie, en pronon^ant les doux noms de J^sus et de Marie ! ' s>fe>^ : Conclusion ( ). A vie de notre Saint est achevee; ses joies et ses souffrances ont pris fin; il ne reste ici-bas qu'un cercueil, des ossements et on -''„:..:^^riA-^( s'occupe d'evenements merveilleux. Des generations passent, passent encore, la plupart dis- traites de la vie qui m'a occupe, mais d'autres pensent a lui, parlent de lui, citent des faits merveilleux. L'Eglise s'en est emue; elle a examine attentivement ces faits, elle les a soumis a I'examen, elle a relu I'histoire du pieux jeune homme. Puis elle a prononc^. Maintenant le proces de canonisation est termine et le culte autorise. Les peuples accourent au sanctuaire de Diest. O tres doux et tres humble enfant de Diest, votre patrie vous invoque, vos freres en religion vous supplient et moi jemejetteavospieds... Protegez-moi. J'ai dit: je com- mence... Je veux reproduire en moi quelques-uns de vos traits: votre devotion envers Ji^sus-Christ et sa bienheureuse Mere, votre affection pour les saintes j^critures, votre soin a conserver I'humilite et la chas- tete, votre assiduite a prier. Puisse-je ne pas rester trop loin demon bien-aime modele! O Bienheureux! benis- sez ces resolutions. I. Cette conclusion est du defunt ; elle a ete ^crite sur son lit de mort, lorsque les forces dejh. lui faisaient defaut et que sa main devenait trem- blante. Bien qu'il n'ait pu la retoucher, comme il avait I'habitude de faire, nous avons cru ne pas devoir la changer. CONCLUSION. 3 I 3 Que rendu a la sante et revoyant les lieux ou se sent passees votre enfance et votre jeunesse, je me sou- vienne de vous, 6 men bien-aime modele! Que visitant la chambre ou vous etes ne, ou vous avez vecu, prie, travaille, le lieu temoin des premieres manifestations de votre ame si candide, si pure et deja si ardente pour la priere et pour Dieu, je me sente penetre de la meme piete, anime du desir de grandir comme vous en piete, en crainte de Dieu et en science, 6 saint protecteur de Diest! Quand je me trouverai sous les voutes de I'eglise de Saint-Sulpice, pres des marches de I'autel ou vous vous etes agenouille puisantasa source I'humilite et la cha- rite, devant la Vierge aux pieds de laquelle vous recitiez votre chapelet, soyez avec moi, 6 enfant modele de tous les ages dans un age si tendre! Quand je me rendrai de Diest a Montaigu, que je suiverai les chemins creux ou vous avez passe, il me semblera vous voir le chapelet a la main ; avec vous je visiterai le sanctuaire de Montaigu, j'invoquerai la Madone et avec vous je demanderai, avant les biens corporels, le detachement du monde, I'humilite et la chastete, 6 pieux pelerin de Montaigu! Quand je visiterai les lieux que vous avez sanctifies, Malines, Lorette, Rome, et que je venererai vos restes mortels a Diest et a Louvain, je me rappellerai I'etu- diant humble, chaste, applique, bon, aimable, le novice s'exer9anta toutes les vertus, le scolastique travaillant a se procurer les connaissances pour se rendre utile et procurer la gloire de Dieu. Obtenez-moi de suivre vos traces, d'imiter vos vertus, de les retracer par mes 314 SAINT JEAN BERCHMANS. actions comme je le fais par ma plume, 6 mon saint et puissant protecteur! Oh! que ma main se desseche, que ma langue se colie a mon palais plutot que de vcus oublier, d'oublier vos exemples, de quitter votre sentier, 6 modele, 6 protecteur de la jeunesse et le mien!... t^h%h%%%hMM^h^^b% HppenDice. v^, p? Plflf^f'pltl t7/o; urn est. I. LE PELERINAGE. Ecce quomodo computati sunt ^ Voila qu'ils sont comptes parm inter filios Dei et inter sanctos'sors I les fils de Dieu et que leur sort est E fut un beau jour pour la Belgique et pour I'Eglise que le 13 aout de I'annee 1865. A peine I'aube, fraiche et riante, avait blanchi les colHnes du Brabant, que des milliers de fideles s'echelonnaient, pleins d'une sainte allegresse, sur les diverses routes aboutissant a la petite ville de. Diest. Les stations des voies ferrees etaient encombrees, tous les chemins etaient couverts d'asso- ciations pieuses, chaque sentier comptait des pelerins, chaque brise portait au loin les echos du saint rosaire ou de cantiques religieux. Du haut des collines qui separent le sanctuaire de Montaigu de la ville de Diest, I'oeil jouissait d'un spectaclequisaisissait lame et la penetrait d'une sainte emotion. Un soleil eblouissant illuminait les hauteurs qui enserrent la plaine ou la Geete conflue avec le Demer, et le regard pouvait scruter le vaste horizon. Or, sur tous les points : du cote des plaines qui rap- pellent sainte Adele et sainte Ragenufle, comme vers les landes ou sainte Dymphne repandit son sang pour sa virginite ; sur les confins qu'ont evangelises saint Servais et saint Lambert, comme sur la montagne benie de Notre-Dame de Montaigu, I'oeil decouvrait des lignes ondoyantes de fideles en prieres, et des ban- nieres etincelant aux feux du ciel. 3l6 SAINT JEAN BERCHMANS. Vers le centre de I'lmmense panorama s'eleve une petite chapelle. La foule se presse a I'entour. Chacun avance lentement, finit par atteindre son seuil, y salue la madone d'un regard suppliant, recite une priere et se retire, laissant sa place a I'heureux visiteur qui le suit. Un peu plus loin la petite ville de Diest laisse apparaitre le faite de quelques edifices et, plus haut, dans les airs, la croix radieuse de leglise de Saint- Sulpice. C etait la manifestement le lieu de rendez-vous de la Belgique emue, la qu'allaient se rencontrer, en ce beau jour, les misericordes de Dieu et la recon- naissance des hommes. Mais quel souffle animait ces pieuses phalanges ? Pourquoi ce concours inusite, ce saint recueillement, cette joie celeste ? Ah ! le titre de ce livre I'a sans doute fait deviner, et, peut-il etre besoin de le redire apres neuf annees de louanges et de supplications adressees a celui qui en etait alors le heros et les delices et qui en reste aujourd'hui le souvenir le plus doux et le moins perissable ? Au declin du xvi^ siecle vivait a Diest « un maitre corroyeur ou tanneur, qui exercait en meme temps la profession de cordonnier. II s'appelait Jean Charles Berchmans et jouissait parmi ses concitoyens d'une consideration assez bien etablie pour se voir confierles fonctions d'echevin de sa ville natale. II fut en outre marguillier et president des conseillers communaux elus par le peuple. Sa femme s'appelait Elisabeth Van den Hove et appartenait, elle aussi, a une maison honorable- Dieu benit cette union en accordant aux prieres des deux epoux un ange de purete et d'innocence ('). » I. Vie du bienheureux Jean Berchmans, par H. P. Vanderspeeten, p. 2. Louvain, 1865. LE PfeLERINAGE. 317 Dieu I'a eleve dans sa gloire, et la journee du 13 aout n'etait que la paraphrase du chant de gratitude que se leguent tous les ages : « Louez le Seigneur, vous qui etes ses serviteurs, louez le nom du Seigneur. « Que le nom du Seigneur soit beni, des maintenant et dans tous les siecles. « Du lever du soleil jusqu'a son coucher le nom du Seigneur doit etre loue... « Qui est comme le Seigneur notre Dieu qui habite les lieux les plus eleves et qui regarde ce qu'il y a de plus abaisse dans le ciel et sur la terre ? « Qui tire de la poussiere celui qui est dans I'indi- gence et qui eleve le pauvre au-dessus de la boue, « Pour le placer avec les princes, avec les princes de son peuple ('). » Cet humble et pauvre enfant, ne a Diest, y passa ses premieres annees, menant la vie d'un ange. Entre a Malines pour y continuer ses etudes, 'il y devint un modele accompli de la jeunesse studieuse. Envoye a Rome, il y rappela les vertus de saint Louis de Gonzague, et il y mourut, bien jeune, en odeur de saintete. Son tombeau fut glorieux. Les dignitaires de I'Egli- se et les grands de Rome vinrent, au milieu de la foule compacte, incliner leur front devant sa depouille mor- telle, qu'un secret pressentiment faisait deja venerer. Tout ce qui avait servi a I'usage de I'angelique jeune homme, tout ce qui avait touche a son enveloppe ter- restre, alors meme que la mort I'avait rendue pale et froide : crucifix, chapelet, bonnet, habits, souliers, drap mortuaire..., tout fut enleve comme precieuse relique. Psaume cxii, 8. 3l8 SAINT JEAN BERCIIMANS. Le bruit de prodiges se repandit, et la ville des Ponti- fes, fille et herltiere de la foi et de la piete de la Rome des catacombes, tressaillit d'une sainte joie jusqu'au fond d'elle-meme. Huit generations depuis lors se sont transmis le nom de I'enfant de Diest, raconte sa vie, redit ses louanges; son nom n'a cesse d'etre invoque, et son image a ete couverte de baisers. Ses ossements sont restes entou- res d'une veneration profonde. La foi qui provoque ces sentiments, c'est la foi qui faisait amener, sur leurs gra- bats, les infirmes al'ombre de Pierre, et cette foi a fait renaitre les prodiges des temps apostoliques. Au con- tact des reliques du saint enfant, plusieurs ont ete gue- ris d'infirmites corporelles ou spirituelles (') ; car Dieu aime toujours les siens, sa puissance est infinie et sa misericorde ne perit point. II. LA VOIX DE ROME. Tti es Petrus ei super hanc pe- ^ Tu es Pierre et sur cette pierre je iram cEdificaho Ecclesiam meam. ^ batirai mon Eglise. Matth.^y.yi, i6. Stupefaites d'apprendre une telle vie, une telle mort et une telle puissance, les generations, tour-a-tour, ont interroge Rome; Rome I'interprete autorisee de Dieu sur la terre, Rome d'oi^i jaillit sur le monde toute parole de verite, de vie et de paix. Rome a repondu. Le ii septembre 1745, le pape Benoit XIV signait la commission d'introduction dela cause du serviteur de Dieu;la Sacree Congregation des Rites a pu entreprendre I'examen approfondi de ses I. On peut lire dans la Vic du bunheuretix Berchmans par H. P. Van- derspeeten, au chap. IV, la relation de miracles nombreux, operes par le iiienheureux, et attestds par des personnes dminemment dii,nies de foi ; et au chap. V, I'histoire plus detaill^e des trois guerisons miraculeuses appruuviies par I'Eglise. LA YOIX DE ROME. 319 vertus et de ses miracles, et, de ce moment, Jean Berchmans a 6te honore du titre officiel de V^nj^.rable. Plus d'un siecle apres, le 28 mai 1865, cette sentence de Pie IX etait prononcee sous les voiites de la basilique du Vatican, pour etre portee bientot, par tous les vents du ciel, aux extremites de la terre : PIE IX, PAPE. En perpdtuel souvenir. « L'adolescence etant en quelque sorte la base sur laquelle s eleve le reste de la vie, et I'homme ne se de- tournant d'ordinaire qu'a grand'peine de la voie ou il est entre des ses premieres annees, afin que nul ne put s'excuser ni sur la faiblesse de 1 age, ni sur la defaillance de ses forces, pour deserter le chemin de la vertu, Dieu, par un decret de son infinie sagesse, a voulu que de temps a autre, il fleurisse dans 1' Eglise un jeune homme remarquable par sa saintete, a qui pulsse s'appliquer cette admirable louange : I I a fourni en pen de temps une longue carriere ; c'est-a-dire, un jeune homme qui compense surabondamment par 1 etendue de ses me- rites les limites etroites de sa vie et enflamme le reste des hommes a marcher sur ses traces, Au nombre de ces jeunes gens doit etre compte un enfant de la Compagnie de Jiisus, le venerable Jean Berchmans, qui mit tant de zele a garder intact son Innocence bap- tismale et a s'entourer de tout I'eclat des autres vertus, qu'Il semble s'etre leve comme un astre nouveau, eclairant de sa lumiere non seulement la societe reli- gieuse qui I'adopta dans son sein, mais I'immense etendue de 1' Eglise universelle. « Ne a Diest, ville du Brabant, il dut le jour ainsi 320 SAINT JEAN BERCHMANS. que le bienfait d'une education entierement dirigee vers la vertu, a des parents moins remarquables par leurs richesses ou leurs revenus que par leur zele pour la religion. Doue d'un excellent caractere, I'enfant repondit on ne peut mieux a ces soins empresses. Des ses premieres annees, il montra une maturite si fort au-dessus de son age qu'il ne fut jamais a charge a personne, qu'il ne trouva jamais de plaisir dans les amusements dujeune age, mais bien dans I'assistance assidue aux offices de TEglise, dans la retraite loin de ses compagnons, dans un pieux isolement si favorable aux celestes meditations. « II avait atteint sa onzieme annee lorsqu'il fut admis pour la premiere fois a la table divine, et il s'approcha du corps tres saint de Jesus-Christ, avec un coeur si brulant d'amour, que ce feu divin brilla sur le visage et dans les yeux de ce tres chaste jeune homme. « Entre a 1 ecole pour s'appliquer aux elements de la litterature, il ne s'adonna pas moins a la piete qu'a I'etude des lettres, si bien qu'en jetant les regards sur lui, ses condisciples se sentaient stimules, comme par une voix secrete, a la purete, a la modestie et a toute sorte de vertus. Afin de se Her plus etroitement a son Dieu, il obtint de son pere, a force de supplications, de pouvoir suivre la carriere ecclesiastique. Neanmoins, trois ans plus tard, il apprit qu'a raison de la gene ou se trouvait sa famille, son pere avait resolu de faire apprendre un metier a son his afin d'y trouver un soulagement a sa misere. Desole d'une semblable nouvelle, Jean pria son pere a deux genoux de ne pas lui faire deserter les rangs du sacerdoce dans les- quels il desirait si ardemment s'enroler, ajoutant qu'il n'avait nul souci des choses humaines et que tout son LA VOIX DE ROME. 321 espoir reposait sur la divine Providence. Ayant obtenu ce qu'il desirait, il continua a s'appliquer a letude des lettres et a marcher d'un pas allegre dans le sentier de la vertu ou il etait entre. Voyant son innocence entou- ree de nombreux perils, afin de la mettre en parfaite surete, il resolut de se faire admettre dans la Compa- gnie de J^sus, a I'imitation de saint Louis de Gonza- gue, dont il avait longuement medite la vie et ardem- ment implore le secours dans cette affaire epineuse. Plus que d'autres, cet institut religieux avait des attraits pour cejeune homme d'une vie irreprochable et d'une ardente charite envers le prochain, parce qu'il avait I'espoir fonde qu'en I'embrassant, il pourrait un jourvoleraux extremites du monde, afin de faire luire, devant les nations barbares, les lumieres de la foi chretienne. « Longtemps il dut lutter pour obtenir la permis- sion de ses parents qui avaient place dans ce fils doue de tant de vertus, tout I'espoir de leur famille et d'un brillant avenir. Enfin neanmoins, apres bien des larmes, il obtint I'autorisation si ardemment desiree et fut re9u a Malines dans la Compagnie de J^sus, a I'age de dix-sept ans. Entre comme dans un port a I'abri du danger et du trouble, il s'elan^a aussitot vers le sommet de la perfection avec une celerite que tous purent voir et admirer, mais que tres peu sont en etat d'imiter et de suivre. II etait un exemple acheve de toutes les vertus, non seulementaux yeux des novices, mais meme pour ses freres plus avances. Commengant, en effet, par la vertu d'humilite, qui est comme la racine ou toutes les autres viennent puiser la vie, il avait la plus basse opinion de lui-meme et s'acquittait volontiers des offices les plus vils ; doux et pacifique a S. JEAN BERCHMANS. 21 SAINT JEAN BERCHMANS. regard des autres, severe et rude envers lui-meme, il dechirait sous le fouet ses membres delicats, ne prenait de nourriture et de boisson que le strict necessaire pour soutenir et reparer les forces de son corps; il observait et defendait avec le plus grand soin les regies, meme les plus petites, de la vie religieuse, ne perdait pas dans I'oisivete le moindre instant de ses journees, mais les employait fidelement ou a lire, ou a prier, ou a con- verser utilement sur les choses du Ciel. Rien n'etait plus cher a son coeur que de fixer sur Dieu toute I'at- tention de son esprit; et dans la contemplation et le service de ce pere tres aimant, il eprouvait de si vives ardeurs que cette flamme celeste ne pouvait se conte- nir dans I'etroite enveloppe de sa poitrine. II honora par toute sorte de pratiques de piete la bienheureuse Vierge, Mere de Dieu, que, des ses premieres annees, il avait choisie pour sa patronne, afin de conserver dans toute sa fraicheur le lis de sa virginite. « Apres deux ann6es passees au noviciat, il fut admis a prononcer les voeux simples de religion, et il le fit avec d'autant plus de ferveurqu'il comprit mieux combien ces liensl'attachaientintimement auSeigneur. Ensuite il fut envoye a Anvers, puis a Rome, pour s'appliquer aux etudes philosophiques. Ce fut un su- preme bonheur pour lui de sejourner dans cette ville, le siege principal et le boulevard de la religion catholique, heureuse depositaire des mausol^es sacres oi^i reposent les cendres des princes des Apotres, de son pere saint Ignace et de son parfait modele saint Louis de Gonzague, dont il pouvait en personne en- tourer le tombeau de son respect et de sa veneration. II arriva done au college romain dans le but de s'adon- ner a la philosophie. La, dans cet asile immortalise lA VOIX DE ROME. 323 par les vertus de Louis, il vecut avec tant de perfec- tion qu'oii crut voir revivre en lui ce celeste jeune homme. Enfin, miir pour le Ciel, il fut atteint d'une maladie qui, assez legere dans les commencements, ne tarda pas a s'aggraver au point de causer la mort a cet ange d'innocence. II succomba, aux ides d'aout (le 13 aout) 1 62 1, avant d avoir acheve la vingt-troisieme annee de sa carriere. « Une vertu si extraordinaire et si constante devait naturellement eblouir les yeux du monde entier. Le bruit de sa saintete, deja repandu de son vivant, s'accrut et se propagea bien plus encore quand le tres chaste jeune homme eut echange cette vie mortelle contre une existence plus heureuse. Aussi, afin qu'on put invoquer le temoignage du Saint-Siege sur Theroi- cite de ses vertus, des proces furent dresses selon I'usage. « Cependant cette cause resta longtemps delaissee ; mais le bruit des miracles par lesquels, disait-on, Dieu confirmait la saintete de son serviteur, reussit a la rap- peler en quelque sorte du tombeau. Ainsi done, sous Gregoire XVI, notre predecesseur, tout ce qui est requis a un jugement de cette nature ayant ete termine, on commen9a dans la Congregation des Cardinaux preposes a la garde fidele des Rites Sacres a discuter les vertus par lesquelles levenerable Jean s'etait distin- gue, et de I'assentiment de cette Congregation, ce meme Gregoire XVI, notre predecesseur, declara, aux nones dejuin {5 juin) 1843, qu'il avait atteint au faite de I'heroicite. Ensuite fut agitee la question des mira- cles qu'on disait avoir ete operes par Dieu, a I'inter- cession de son venerable serviteur, Jean Berchmans; et fort du secours celeste que Nous avions implore, 3^4 SAINT JEAN BERCHMANS. Nous avons enfin porte un clecret sur la realite de trois de ces miracles, le troisieme jour avant les calendes de mars (le 2^ fevrier) de I'annee courante 1865. ^t Nous avons permis de passer outre, sans qu'il fallut s'arreter a I'examen d'un quatrieme miracle. II ne restait plus alors qua demander aux Cardinaux de la susditeCongregation,sironpouvait,aleuravis,proceder entoutesuretea decerner au venerable Jean Berchmans les honneurs desbienheureux. C'est pourquoile sixieme jour avant les ides d'avril (le 8 avril) de I'annee cou- rante, cette Congregation de Cardinaux fut reunie en Notre presence et jugea a I'unanimite, apres avoir entendu les suffrages des Consulteurs, que le venerable Jean pouvait etre declare bienheureux et jouir de tous les privileges attaches a ce titre, jusqu'a ce qu'on cele- breraitla solennite de sa canonisation. Or, Nous, ayant implore d abord le secours celeste du Pere des lumie- res, nous avons porte un decret en cette matiere, le sixieme jour avant les nones de mai (le 2 mai) de I'an- nee courante. ,>*»*^;>k ;i' ■finfi-^' :n #: ^;»ff ^£i <5i^^# :2i^:^'^w/r^-fi^^