W WwW A S.'ttvi ' ' i* v.^r z t' /- RELATION HISTO RIS^U E D E L’EXPÉDITION, CONTRE Les INDIENS de l’OHIO e N MDCCLXIV* *(.9 t % VV3\ . ■ ri \ i” ; iyv.i 4r il l' /I '0 ) ' ; i y I ' : : . : : ! ; " ■;/ î i o ;> i-.i . : ; RELATION HISTORIQUE L’EXPEDITION, Les INDIENS de l’O H I O Commandée ‘par le Chevalier Henry B ou que t s Co- lonel d'infanterie , if enfuit e Brigadier - Général en Amérique ; contenant fes Tranfattions avec les Jh± diens , relativement à la délivrance des Prifonhiers £? aux Préliminaires de la Paix ; avec un Récit introduffioire de la Campagne précédente de l'an 1763* (f de la Bataille de Bushy-Run. 0n y a joint des Mémoires Militaires contenant des. Réflexions fur la guerre avec les Sauvages : une Mé- thode de former des établifîemens fur la Frontière: quelques détails .concernant la contrée des Indiens: avec une lifte de nations , combattans , villes , diftan- cçs, & diverfes routes. Le tout enrichi de Cartes & Tailles-douces, Traduit de T Anglois , Par C. G. F. DUMAS, A A M S T E R D A M, Chez MAR C-M I C H E L R E Y» M, D G C. LXIX, D E CONTRE en MDCCLXIV. • Digitized by the Internet Archive ' in 2015 https://archive.org/details/relationhistoriq00smit_0 PRÉFACE D U TRADUCTEUR Avec une Ebauche de la Vie de feu Mr. Bouquet. X^/Accueil qui a été fait à ma Traduc- tion des Voyages des Ruffes au Nord- Eft de l’Afie, & le jugement favorable qu’en ont porté divers Journaux (i), m’encouragent à préfenter au public la piece dont on vient de lire le titre. Si j’ai fu atteindre à la moitié feule- ment de l’élégance & du pathétique de l’original Anglois , ma copie doit plai- re & toucher. C'eft déjà beaucoup: il y a plus. Si j’ai rendu fidèlement ce qu’il y a d’inftru&if, elle fera utile ; & peu de feuilles feront ce que des volu- mes ne font pas toujours, de renfermer l’agréable avec le folide. N’oublions pas de faire remarquer une autre grâce particulière à ce Livret, Ç i ) La Bibliothèque des Sciences , qui s’imprime à La Fluie , & le Journal Allemand de Gottingue . Ce font les feuls que j’aie vus. * 3 VII PREFACE celle de la nouveauté. Un ouvrage rem- pli dégoût, de fentiment & de vues, écrit imprimé originairement en J? en - fylvanie (naguère (2) un Défert), a réellement de quoi piquer la curiofité , (2) Vers la fin du fiecle paffé le Chev. Penn s’y établit à la tête d’une forte Colonie de Quacres, que l’oppreiïion chafia d’Angleterre. Il leur donna des loix admirables, bâtit Philadelphie , qui contient aujourdhui 3 à 4000 maifons & au moins 20000 ha- bitans, rendit le Gouvernement de la Province hé- réditaire dans fa famille, & languit enfin lui même dans les prifons de Londres, pour avoir dérangé fes affaires à force de faire des heureux. On ne lais- fa pas long tems les Quacres feuls dans ce beau pays. La douceur du climat, celle fur-tout du Gouvernement, la richefle du fol, & les avantages qu’on y faifoit à ceux qui venoient s’y établir, y attirèrent un concours étonnant d’étrangers. En 1729 il y arriva 6201 tant paffagers qu’engagés, la plupart Irlandois. Dans le cours de l’année 1750 on y tranfporta 4317 Allemands , & environ un millier d’Emigrans Anglois, Ecoffois ou Irlandois.. Aujourdhui l’on compte dans la Province au moins 250000 âmes, & parmi ce grand nombre 6 à 700a Negres au plus. Malgré ce mélange de nations , les Penfyhaniens ont déjà un cara&ere national qui leur efl propre. Ils font généralement hardis, in- duftrieux, & il efb allez commun de les entendre fe diftinguer avec une certaine complaifance des nouveaux venus, en avertiflant qu’ils font Penfyl- yaniens nés. Ils ont bien raifon d’aimer une Pa- du TRADUCTEUR vnt exciter même la furprife, de ceux qui, n’ayant qu’une connoiffance imparfai- te ( 3 ) des Colonies Septentrionales de rAmérique Angloife, ignorent que quel- trie oh tout Citoyen des villes , tout Planteur de la Campagne effc un petit Roi chez lui. Tous font à leur aife; avec cette différence, que l’on peut di- re en gros des citadins qu’ils font riches , & des cultivateurs que rien ne leur manque. Ces derniers font tous bien logés, bien nourris, &, félon leur condition, bien habillés; le petit- peuple fabriquanc lui même fon linge & fes habits de laine. Account of tbe Europe an feulements in America . Roger S Acc • of N. Am. Voyages du Prof Calm. (3) Tranchons le mot : il y a beaucoup de gens qui n’en ont pas de connoiffance du tout. J’eu fai qui s’imaginent , qu’on ne voit là que des Nè- gres, & par- ci par «là quelques blancs, travaillants pour des maîtres qui mangent leurs revenus en Eu- rope: que la réfiftance qu’oppofent depuis quelques années ces parties de l’Empire Brictannique aux voloatés de leur métropole, eft à peu près dans le goût de la révolte des Efclaves aux Berbices , & fe terminera comme çelle-ci par garnir les gibets & les roues. Re&ifions , autant que le lieu le permet, les idées de ces perfonnes. Il y a une grande diffé. rence entre les divers établiffemens des Européens dans les autres parties du monde. Ceux en Afie & en Afrique y fans en excepter les plus pompeux, ne font dans le fonds que des fa&ories ou des entre, pots: Surinam & les If es ne font que des Négreries: "Les Nouveaux Ang lois font un Peuple; mais un peu- VIII PREFACE ques-unes de celles-ci ne font plus qu’im- proprement appellées du nom modefte de Colonies ; que ce font déjà des peu- ples nombreux (4), des Etats croiflants, qui ont leurs Villes du premier & du fe- pie de Laboureurs, animés de Pefprit républicain, accoutumés dès leur enfance à la fatigue, aux inju- res de Pair, & au maniement des armes; & leur mi- lice, rien moins que méprifable, avec notre fubor- dination & notre difcipline, ne le céderoit pas à nos meilleures troupes réglées. Voyez Pexcellenû - Account of tbe Europ. Settlements in Am. Tom . //. fart. 6 . cb 7. Quant aux caufes & aux effets pré- fents & futurs de la méfîntelligence qui régné entre la mere & fes enfans, leur détail nous méneroic trop loin. Ceux qui veulent s’inftruire, doivent lire les papiers périodiques Anglois, tels que le 'Gentlemans Magazin & le London Ma g a zi n , & y joindre le jugement impartial & f'cnfé du Prof. Sué- dois Caîm dans fon Voyage en Am. Tom . JT. p. 399 & fuw. de la Trad. Ail. (4) On compte au delà de 350C00 âmes dans les quatre Gouvernemens de la N. Angleterre , & 4 à 5000 maifons dans Boflon , qui en eft la principale ville. Entre cette Province & la Petifylvame fe trouvent encore la N. Tork dont on fait monter les habitans à icoooo ; & la Nouv. Jerfey , 011 Pon en compte 60 à 70000. Je paffe fous filence les Colonies plus méridionales , uniquement parce que le nombre des uegres y eft déjà plus confidérable; ainfi que celles plus au Nord, parce qu’elles foac çncore dans leur enfance. du TRADUCTEUR ix cond ordre, leurs Bourgs & Villages, des formes de Gouvernement calculées pour le plus grand bonheur des ci- toyens, des Ecoles publiques, des Biblio- thèques, des Gazettes & des Journaux. Je pourrois entrer là deflus dans un détail auiTi étendu qu’intérefiant , fi c’é- toit ici fa place. D'ailleurs une longue préface figureroit mai à la tête d’un fi petit volume ; & j’ai encore à parler de feu Mr. Bouquet, le principal perfon- nage de la piece. J’avois delfein d’écri- re fa vie; & pour le faire avec fuccès, j’avois compté fur le fecours des Lettres de Mr. Bouquet même, écrites en dif- férens tems à divers de fes parens & amis. 11 manioit la plume aufii bien que les armes; & c’eft beaucoup dire: ainfi je ne defespérois pas, en me fervant de fes propres couleurs , de le peindre d’u- ne maniéré digne de lui. Mais ce qui a confervé à k poftérité les papiers de tant d’autres grands hommes, leur va- leur intrinfeque, a porté malheur à ceux de Mr. Bouquet. Tout le monde vou- lok lire fes lettres: à mefure qu’elles ar-. * 5 * ’ X PREFACE rivoient on fe les arrachoit : elles ont paffé dans les mains les plus refpeéta- bles : ceux à qui elles s’adreffoient n’ont pu les ravoir: enfin elles ont difparu, & quelque mouvement que je me fois don- né, je n’en ai pas pu recouvrer une feu- le. Tout ce que j’ai pu obtenir, ce font quelques dates des principaux événe- mens de fa vie, que je vais inférer ici, avec le peu que je me rappelle avoir en- tendu rapporter en compagnie par quel- ques-uns de fes amis. Henry Bouquet avoit la taille avantageufe, l’efprit fupérieur, &, fous un air froid & impofant , le cœur fenfi- ble. 11 ne prétendoit pas à la bonne opinion des autres: il ne la mendioit pas non plus. On étoit forcé de l’efti- mer; & à caufe de cela bien des gens du métier croy oient pouvoir fe difpenfer de l’aimer, La fermeté, l’intrépidité , le calme, la préfence d’efprit dans les plus grands dangers , ces vertus fi elTentiel* les dans un Commandant, lui étoient comme naturelles. Sa préfence infpi- roit la confiance, & imprimoit lç rel- I du TRADUCTEUR xr peél ; elle rafluroit , & elle terraffoit. Il naquit à Rolle au Canton de Berne en Suiffe. En 1736 (âgé alors de 17 ans) il fut reçu comme Cadet dans le Régiment de Confiant au fervice de LL. HH. PP.; & en 1738 il obtint le Brevet d’Enfeigne au même Régiment. Delà il paffa dans celui de Roguin au fervice du Roi de Sardaigne , & fe dis- tingua d’abord comme Premier -Lieute- nant, enfuite comme Aide-Major , dans les Savantes & mémorables Campagnes de la guerre que ce grand Prince foûtint contre les forces combinées de la France & de l’Efpagne. A la Bataille de Cony, commandé pour aller occuper un terrain terminé par un précipice ,il y conduifiqfes gens de maniéré que pas un de la troupe ne s’apperçut, qu’ils n’étoient qu’à deux pas de la mort au cas que l’ennemi vînt à les forcer là : en attendant , fpeélateur tranquille des mouvemens de l’une & de l’autre Armée , il leur fit obferver , pour les amufer, que l’on difcernoit ces mou- vemens beaucoup mieux au clair de la lune qu’au grand jour. XII PREFACE Les Relations , auffi exa&es qu’inté- reflantes, qu’il faifoit paffer en Hollande des opérations de ces Campagnes, par- vinrent à la connoiiïance de S. A. S. feu Mgr. le Prince d’Orange, & l’enga- gèrent à attacher cet Officier au fervice de la République. En conféquence Mr. Bouquet entra en qualité de Capitaine Commandant, avec rang de Lieutenant- Colonel, dans le Régiment des Gardes Suiffes nouvellement formé à La Haie en 1748: & tout de fuite il fut choifi pour aller, conjointément avec les Généraux Burmannia & Cornabé , recevoir des mains des François les Places des Pays- Bas que ces derniers dévoient évacuer, & régler le retour des Prifonniers de guerre que la France rendoit à la Répu- blique en conformité du Traité d’Aix-la- Chapelle. Quelques mois après , Milord Middleton l’engagea de l’accompagner dans fes voyages en France & en Italie. De retour à La Plaie , il confacra tous les momens que lui laifl'oit le fervice du Régiment, à l’étude réfléchit? de l’Art militaire, & furtout aux Mathématj- du TRADUCTEUR, xili ques , qui en font la bafe. Les liaifons intimes qu’il contra&a avec Mrs. les Profeffeurs Hemfterhuis, Kônig, Alla- mand, & avec plu fieu rs autres Savans en tout genre, lui facilitèrent beaucoup l’acquifition des profondes connoiffan- ces, qui le firent encore plus diftinguer dans la fuite , & paroître avec tant d’a- vantage fur le valfe théâtre de la Guer- re, qui s’alluma en 17-54 entre l’Angle- terre & la France. Cette Guerre obligeant l’Angleterre à faire pailler des troupes en Amérique, on propofa de lever un Corps , fous le nom de Roy al- Américain , compofé de 3 Bataillons fous les ordres d’un feul Chef, & dont les Officiers feroient indifférem- ment ou Américains ou Etrangers, mais de capacité & expérimentés. Ce pro- jet, protégé par le Duc de Cumber- land, s’exécuta, mais mutilé & altéré par un parti contraire. Mr. Bouquet & fon ami intime Mr Haldimand furent les premiers fur qui l’on jetta les yeux , & que l'on follicita pour fervir dans cette Brigade en quauté de XIV PREFACE Lieutenants-Colonels. L’un & l’autre ils fe trouvoient déjà élevés à ce gra- de à La Haie ; & , par une bizarrerie affez fmguliere de la fortune , celui qui devoit être à leur tête en Amérique, étoit leur inférieur en Europe. Cela les fît balancer quelque tems. Cependant à la forte perfuafion de S. E. Mr. le Chevalier York, & fur la promette qui leur fut faite d’être mis immédiatement comme Colonels- Commandants fur le pied d’égalité avec le Colonel en Chef de la Brigade, ils fe lailferent gagner. Sitôt que leur réfolution fut prife, on les chargea d’attirer dans le Corps un nombre fuffifant d’autres bons fujets, foit pour la partie du Génie, foit pour le fervice de l’Artillerie. On n’eut pas lieu de fe répentir de s’en être remis à eux à cet égard. La plupart de ces fujets furent tirés du fervice de la République, & ont répondu à l’attente de ceux qui les choifirent , d’une manière qui leur a fait honneur aux uns ôc aux autres ( 5 ). (5} Entre autres Mr. Holland , ci devant Lieute- nant dans le Corps des Ingénieurs de la République du TRADUCTEUR xv Je ne fuis point entré dans le détail hiftorique du projet, qui donna lieu à l’exiltence de la Brigade dont je viens de parler: il m’eût mené trop loin. Je me contenterai de dire, qu’un pur hazard le fit naître & prendre faveur ; mais que fon heureufe exécution n’eft due qu’au discernement de S. E. Mr. le Cheva- lier York, & à fon zele pour fa patrie. C’elt donc à lui, principalement, que l’Empire Brittannique eft redevable des fervices diftingués que lui ont rendus ces braves Officiers. Pour revenir à Mr. Bouquet, arrivé en Amérique, fon intégrité autant que fa grande capacité lui acquirent bientôt un immenfe crédit dans les Colonies, notamment en Penfylvanie & en Virgi- nie. Refpefté des troupes , confidéré de tous ceux qui avoient part au Gouver- nement intérieur de ces Provinces , efti- mé & aimé des uns & des autres , il n’a- voit qu’à demander , & il obtenoit tout ce qu’il étoit poffible d’accorder , parce des Prov. Un., préfentement Ingénieur -Général ds tout le Continent Brittannique méridional. XVI PREFACE & c. qu’on étoit perfuadé qu'il ne demandent que ce qui étoit à propos & néceflaire, & que le tout feroit réellement employé au fervice du Roi & des Provinces. Cet- te bonne intelligence entre les parties civile & militaire , a bien autant contri- bué à fes fuccès que fon habileté. Immédiatement après la paix conclue avec les Indiens , le Roi le nomma Bri- gadier-Général & Commandant de fes troupes dans toutes les Colonies méri- dionales du Continent Brittannique. Il eft mort à Penfacola, pleuré de fes amis & univerfellement regretté. Je fouhait- te aux Colonies, que j’aime fincérement, une longue fucceiïion de pareils Défen- feurs. Les jeunes Militaires qui liront ceci, me permettront de le leur pro* pofer comme un modèle à imiter, & un exemple très propre à exciter en- tre eux une noble émulation. C’eft à fon honneur que j’ai entrepris cette Traduûion: & c’eft à fa mémoire que je la dédie. « INT R O- INTRODUCTION. jLâ paix générale conclue entre la Grande- Bretagne, la France & l’Efpagne, en 1762* envifjgée fous des points de vue fi oppofés par des perfonnes différemment affectées dans la métropole de l’Empire Britannique, fut uni- verfJlement regardée en Amérique comme le plus heureux des événemens. Voir les François , ces boutefeux des guerres deflruétives que nous faifoient les Indiens, & des cruelles déprédations que ces barbares com- mettoient fur nos frontières, forcés enfin à éva- cuer tout le Canada, & relégués à foueft du Mitliflipi; c’eft ce qui faifoit depuis long tems f objet de nos vœux : mais à peine ofions - nous efpérer de vivre aff;z pour en voir l’accomplis- fement. La précifion avec laquelle nos limites furent déterminées, detruifoit jufqu’au moindre germe de futures querelles , & fatisfaifoit plei- nement ceux qui connoiiïbient & avoient à cœur les intérêts de ces Colonies. Enfin nous nous flattions (*) ,, de n’avoir plus rien à craindre „ de la part de nos fauvages voifins, puifque „ les intrigues de nos rivaux ne pouvoient (*) Les endroits diftingués par des guillemets dans cette In- troduction fonc tirés de Ÿ Annual Reg ; Jîer , année 1763, écrie avec élégance 8c marque au coin de la vérité , pour autant du moins qne l’auteur parole avoir été muni de matéraiux, A t INTRODUCTION. „ p'us les induire à nous molefter, ni leurs fe- „ cours les rendre redoutables. „ Malheureufement nous fumes trompés dans „ notre attente. Le péril naquit du côté où „ Ton fe croyoit le plus en fûreté ; & dans le „ tems même où nous nous repréfentions les „ Indiens comme humiliés devant nous & pres- „ que afliijettis à notre pouvoir , ils fe rucrent „ fur les établiffemens les plus importans de nos 3 ', frontières, & fur tous nos Forts écartés, avec 3, une unanimité dans le deffein, & une fureur 3, dans fon exécution, que nous n'avions jamais 3, éprouvées de leur part dans aucune des guer- 33 res précédentes ”. On a pris la peine d’alléguer diverfes raifons d’un procédé fi perfide, telles que l’omiffion des préfens qu’il étoit d’ufage de leur envoyer, & quel- ques établiffemens faits fur des terrains qu’on n’a- voit pas encore acquis d’eux: mais ces raifons, fi tant eft qu’elles leur foient venues dans l’es- prit, n’affeéioient qu’un petit nombre de leurs tribus, & n’eulfent jamais occafionné une com- binai fon fi générale contre nous. Le vrai motif paroît avoir été la jaloufie que leur caufoit l’ac- croiiïement de notre pouvoir, & l’allarme qu’ils prirent, en voyant entre nos mains tant de Forts commandants les grand* lacs & les rivières qui communiquent avec ceux-ci, & capables de tenir en bride toute leur contrée. Probablement INTRODUCTION. 3 ces peuples croyoient voir „ dans chaque petite garnifon, le germe d’une future colonie & dans cette fuppofition ils crurent devoir fe hâter d’étoufer notre pouvoir fur eux dans fa nais- fance. On peut fe former fur les pièces de l’Appen- dix une idée générale de la force des différentes nations qui entourent nos établiflemens, & de leur fltuation les unes par rapport aux autres. Les Shivanefes , Delawares & autres tribus de Y Ohio furent les arcs-boutants de cette guerre: il paroît même qu’ils fe preflerent trop de la commencer , avant que les autres tribus confé- dérées fufLnt prêtes à entrer en aétion. Une intention délibérée de faire beaucoup de mal , fe découvre dans leur projet : & une intel- ligence plus qu’ordinaire frape dans le plan d’opé- rations qu’ils s’étoient fait, de former une atta- que générale & imprévue contre nos établiflemens fur la frontière ; & cela précifément dans le tems delà moiflbn: de détruire tout, hommes, bétail, récoltés, auiîi avant qu’il feroit poilible de pé- nétrer ; & de faire tomber nos poftes avancés , en leur coupant les convois & toute communi- cation avec les provinces. Dans l’exécution de ce deflein , aufli hardi que fanguinaire, ils débutèrent par fe jetter fur nos. trafiquans, qu’ils a voient invités de venir négo- cier avec eux, en maflacrerent pluûears, & À s 4 INTRODUCTION. pillèrent généralement tous leurs effets , dont la valeur étoit immtnfe. Immédiatement après ceci , les frontières de Penfylvanie , de Maryland & de Virginie , fu- rent infeftées de leurs partis meurtriers , qui parcoururent les terres en marquant leur chemin de fang & de dé vacation , & commettant par- tout ces horribles fcenes d’une cruauté barbare, qui accompagnent toujours une guerre avec les Indiens. Tous nos Forts éloignés, quoiqu’à une dis- tance confidérable les uns des autres, furent at- taqués en même tems; & l’ennemi fe rendit ra- pidement maître de ceux du Bœuf , de Venan- go , de Prefqu - ifle , fur les bords ou aux envi- rons du Lac Erie : de la Baye, fur Je Lac Mi- chigan : de St. Jofeph , fur la riviere de ce nom: de Miami s , fur la riviere de M tamis: d'Ouachtanon , fur YOuabache : de Sandusky , fur le Lac Jumndat : & de Michiiimachnac. Les garnifons dans tous ces Forts étoient foi- bles , parce qu’on s’étoit livré à la fécurité que juftifioit une paix générale fi récemment con- clue. Hors d’état de fe procurer la moindre intelligence, foit des colonies, fait les unes des autres , & trompées par les afTaillants rufés , qui perfuaderent à chacune féparément que les autres s’étoient rendues, il n’eft pas étonnant qu’elles n’aient pu tenir long-tems dans ces pe- INTRODUCTION. S tics portes. La relation de leur tragique fore fait drefler les cheveux. La nouvelle de la perte de ces places, & les ravages que l’ennemi continuait d’exercer, ré- pandirent la confternation par toute (*) l’Améri- que, & dépeuplèrent une partie confidérable de nos frontières. On fe voyoit charte, dans le tems qu’on y penfoit le moins, de ces mêmes portes qui avoient été l’objet principal de la der- nière guerre, & l’un des plus grands avanta- ges obtenus par la paix. Les feuls Forts de Nia* gara , du Détroit & de Pitt , nous rertoient de tout ce qui avoit coûté tant de fang & de tré- fors. Mais c’étoient auiîi les plus importans de tous : l’événement l’a prouvé ; & nous efpé- rons que l’on s’en fou viendra toujours , pour avoir l’attention de les tenir conrtamment en bon état de défenfe: car c’ert ces places feules qui tinrent encore en refpeét les forces réunies des fauvages, & qui balancèrent le fort de la guerre entre eux & nous. Ce s Forts étant plus grands que les autres, étoient aufîi mieux pourvus de troupes & de tout ce qu’il faloit pour fou tenir un fiege de quelque durée. Niagara ne fut point attaqué, l’ennemi le jugeant trop fort. Les officiers qui commandoient dans les deux (*) C’eft-à-dire , par tout le Continent de l’Amérique Angloi- fe, félon l’ufage de parler des Anglois. N. du T. A 3 (î INTRODUCTION. autres, ont mérité les plus grands éloges par la fermeté avec laquelle ils les défendirent , & pour les incommodités qu’ils fupporcerent plu- tôt que de rendre des places de cette importance. Le Major Gladwin en particulier eut à foute- nir les attaques les plus furieufes de toutes les nations, qui vivent autour des Lacs, réunies. Le fujetde cet ouvrage, & les matériaux que j’ai en main , m’engagent à entrer dans un plus grand détail fur le fiege du Fort Pitt & fur fa délivrance. Les Indiens avoient de bonne heure inverti cette place , & coupé fi bien toute communi- cation , qu’il n’y avoit pas moyen d’y rien en- voyer ni d’en recevoir des nouvelles. Sans avoir de canon , & ignorant l’art de faire un fiege dans les formes , ils ne laiflerent pas , avec une témérité incroyable ,, de prendre porte fous les bords de l’une & de l’autre riviere (*) tout près des remparts , & d’y refter comme enterrés d'un jour à l’autre avec une patience incroyable, fai- fant un feu continuel de leur mou fquet rerie fur le Fort, décochant des fléchés enflammées, & efpérant de venir enfin à bout de la garnifon har- raifée & îéduite aux abois par la faim, par le feu & par la fatigue. Le Capitaine Ecuyer , qui commandoit dans la (*) De YOhio & du Menovgahela , à la jonction desquels eft fitué le Fort Pitt. INTRODUCTION. 4 place , manquoit de plufieurs ehofes nécefTaires pour fou tenir un fiege , & les fortifications avoient été endommagées par le courant de la. rivière : il appella au fecours l’art & le jugement pour obvier à ces inconvéniens , conllrver le porte , & repouffer l’ennemi. Sa garnifon , fou- tenue par les habitans du lieu, & par ceux des trafiquans qui avoient échapé à la boucherie & qui étoient venus fe réfugier ici, féconda fes ef- forts avec beaucoup de réfolution. Avec tout cela il y a voit dequoi s’allarmer dans leur fitua- tion: privés de tout fecours, de toute rertburce, hors celle qu’ils pouvoient trouver en eux -mê- mes, ils avoient à faire à une ennemi dont ils n’avoient point de quartier à attendre. Le Général Amherfi , qui commandoit en chef dans ces contrées, hors d’état de pourvoir à tems à la confervation des portes éloignés , tourna toute fon attention fur celle des Forts Détroit , Niagara & Put. La communication des deux premiers avec la nouvelle York étant ouverte par eau, il étoit plus aifé d’y jetter du fecours. Le détachement envoyé au Fort du Détroit y arriva le 29 Juillet 1763: cependant le Capitaine Da- lycll, qui le commandoit, y perdit la vie avec 70 de fes hommes dans une rencontre qu’il eut avec les Indiens tout prés du Fort. Avant ce defL- tre il avoit parte par Niagara , & kiffe là le ren- fort dont on y avoit befoin. A 4 s INTRODUCTION. Pendant tout ce tems le Fort Put étoit dans la fituation la plus critique. On n’avoit aucune nouvelle de 1 état de la garnifon , & elle ne pou- voit être fecourue que par une marche longue & tédieufe à travers une étendue de 200 miles au- delà de nos établiffemens , & par ces défilés il funeftes à Braddok , & à d’autres qui s’y étoient engagés, que la mémoire ne s’en éfacera pas de long- tems. Le Colonel Bouquet eut ordre de marcher au fecours de ce Fort, avec une grande quantité de munitions & de provifions, fous l’efeorte d’un corps de troupes, foibl s reftes des 42 & 77T e regimens , retournés depuis peu des Indes - occi- dentales dans un pitoyable état, & rien moins que rétablis des fatigues du fiege de Ja Havane. Telles étoient les troupes que le Général /hnherfi put fournir alors pour un fervice, qui demandoit des hommes alertes & de la meilleure conftitution. Les ordres avoient été donnés de bonne heure pour préparer un convoi de vivres fur les fron- tières de Penfylvanie: mais telle étoit la terreur générale des habitans , & leur confternation , que lorfque le Colonel Bouquet arriva à Carlijle , il n’y avoit encore rien de fait. Grand nombre de plantations avoient été pillées , faccagées , bru- 1 ies par les fauvages , & plufieurs moulins dé^ truits. La moiffon dans fa complette maturité , flottant dans les champs au gré du vent , ap- 9 INTRODUCTION. peJJoit le moiflbnneür, qui ne paroHToit point. La plus grande partie de la Comté de Citmber* land , que l’armée devoir traverfer, étoit défer- te, & les chemins couverts de familles mi fer a- bles , qui fuyoient de leurs manoirs , deftituées de tous les befoins de la vie. Au milieu de cette confufion , le fourniffement des chofcs néceffaires pour l’expédition devenoit de plus en plus incertain & précaire. Il n’étoit pas moins difficile de procurer les chevaux & le charroi qu’il faloit pour lufage des troupes. Au lieu d’attendre des fecours d’un peuple ré- duit à la derniere mifere, le Commandant fe vit fommé par la voix de l’humanité à lui faire part de fes propres provifions , pour l’empêcher de périr. Cependant en 1 8 jours de tems après fon arrivée à Carlijlc , grâce à fon aélivité, aux pru- dentes mefures qu'il prit, à la connoifiance qu’il avoit du pays, à la diligence des perfonnes qu’il employa , & à l’affîftance de ceux de l’intérieur de la province, convoi, charroi, tout fut prêt; & l’armée fe mit en mouvement. Sa marche ne raffiira point les habitans décou- ragés. Ils connoiiïoient la force & la férocité de l’ennemi ; & fe rappellant la ruine & la défaite de nos meilleures troupes employées précèdent ment pour la même expédition , ils perdoient tout efpoir de fuccès en voyant le petit nombre, & l’état maladif des troupes regulieres qu’on en- A 5 IO INTRODUCTION. voyoit pour le coup: enfin ils fe tenoient prêt* à abandonner tout le terrein au-delà du Sus- quebannab , à la première nouvelle qui leur par- vienJroit du fatal événement qu ils appréhen- doient. Dans un tel abandon d’eux -mêmes, il n’eft pas furprenant que pas un de ces gens , qui voyoient tout ce qu’ils avoient au monde dépen- dre du deftin de cette petite armée, ne voulût la fu ivre pour la défenfe commune. Ils euffent pourtant été d’un grand fervice , parce qu’ils connoifloient les ,bois , étant généralement grands chafieurs & bons fufiliers. On ne fauroit difconvenir que la défaite des troupes régulières , dans cette conjonélure, n’eût expofé la province de Pcnfyhanie en particulier âu plus imminent danger, de la parc d’un en- nemi viftorieux , entreprenant & barbare: car, à l’exception de ceux de la Comté de Cumber- land , qui fait la frontière, le gros de fes indus- trieux habitans eft compofé de marchands, de trafiquans & de fermiers, fans milice, & ne fâ- chant eux -mêmes ce que c’eft que de manier les armes. Le Gouvernement, il efi: vrai, avoit ordon- né la levée de 700 hommes pour couvrir les frontières durant la moififon: mais que pouvoit- on fe promettre d'un corps de troupes nouvelle- ment enrollces & fins difeipline ? Au milieu do / INTRODUCTION. rt tant de circonftances défolantes , le Colonel privé de toute autre aftiftance de la part des provin- ces, & n’en ayant point à attendre du Général, qui lui avoit envoyé ju (qu’au, dernier homme en état de quitter l’hôpital , n’eut de reffourcc9 qu’en Tes 500 hommes environ de vieilles trou- pes, bien que d’un courage & d’une bravoure éprouvés , infirmes cependant , & connoifiant auffi peu les forets qu’il faloit traverfer, que le nouveau genre de guerre qu’ils allaient appren- dre: encore y en eut il plufieurs fi foibles enco- re, qu’ils ne furent pas en état de marcher; & l’on en mit 60 fur des chariots, pour être em- ployés du moins à renforcer les garnirons, dans les petits poftes de communication qu'il faloit établir fur la route. Sur ces entrefaites le Fort Ligonier , fitué , au-delà des monts Alleghcny , fut en grand dan- ger de tomber entre les mains de l’ennemi avant que l’armée y pût arriver. Son efhcade étoit mauvaife, & la garnifon très foible, lorfque les fauvages vinrent l’attaquer vigoureufement. Ils furent pourtant repoufles par la bravoure & la bonne conduite du Lieutenant Blanc qui comman- doit là. La confervation de ce pofle étoit de la der* niere conféquence, eu égard à fa fituation & à la quantité de munitions qui étoient là en mag-izin; car fi l’ennemi avoit pu s’en rendre maître, il au- 12 INTRODUCTION. roit continué le fiege du Fort Pitt avec plus de fuccès , & l’armée eût été extrêmement génée. Dans cette extrémité il importoit de fecourir la place à quelque prix que ce fût; & le Colonel fe détermina en conféquence à faire prendre les de- vants à un parti de 30 hommes accompagnés de bons guides , avec ordre de joindre la garnifon à travers les bois qui couvrent la contrée. L’en- treprife , toute temeraire qu’elle parut , réufïit au moyen de quelques marches forcées; & nos gens n’ayant été découverts par l’ennemi que lorfqu’ils furent à la vue du Fort , ils eurent le tems de s’y jetter nonobflant quelques coups de mousquet qui furent tirés fur eux. Avant que ce renfort de troupes régulières fût parvenu au Fort Ligonier , 20 volontaires, tous bons batteurs -de- bois , y avoient été envoyés par le Capitaine Ourry , Commandant du Fort Bedford , autre Magazin confiderable de provi- fions & de munitions , & l’entrepôt principal & central entre Carlijle & le Fore Pitt ; étant fitué fur la route, à environ 100 lieues de l’un & de l'autre. Ce Fort, ainfl que l’autre, étoit dans un pauvre état, & défendu par une garnifon tout auffi foible, même après qu’on eut abandonné, pour la renforcer, les poftes de communication entre la Juniata & Stony Creek. C’efl; ici où les pauvres familles difpcrfées de 1 2 à 15 miles à la ronde, fe réfugièrent pour INTRODUCTION. 13 fe mettre à couvert , laiffant tous leurs effets en proie aux fauvages. L’Officier Commandant prit toutes les précau- tions néceffaires, foit pour prévenir une furpri- fe , foit pour repouffer l’ennemi s’il en venoic à une attaque ouverte, comme aufli pour rendre inutiles fes fléchés entiamées. Il donna des armes à tous ceux qu’il trouva capables de les manier, & en forma deux compagnies de volontaires, qui montèrent la garde avec la garnifon jufqu’à l’ar- rivée de deux compagnies d’infanterie legere, dé- tachées fitôt qu’il fut poffibîe de la petite armée du Colonel Bouquet . Après avoir pourvu à la fureté de ces deux Magazins, le Colonel avança jufqu’à l’extrémité de nos établiffemens les plus reculés, où il ne lui fut pas poffible de fe procurer la moindre intel- ligence ni du nombre, ni de la pofition, ni des mouvemens de l’ennemi; pas même au Fort Bed- ford, où il arriva avec tout le convoi le 25 Juil- let: car quoique les Indiens n’ofaffent rien entre- prendre fur le Fort , ils avoient pourtant tué , jufqu’au tems dont je parle ici, (*) fcalpé ou (*) On emprunte ce mot de l’Anglois, où il exprime la cou- tume barbare des Indiens d’enlever la peau du crâne de leurs prifonniers, morts ou vifs, avec la chevelure, pour s’en faire un eipece de trophée. L’introdu&ion de ce terme dans la Langue Françoife doit faire d’autant moins de peine, qu’elle efi déjà en pofiefiion de celui de Scalpel, Infiniment de Chi- rurgie qui fert a des opérations a peu près fcmblables. N, du T , 1 N T R O D U C T I O N. H pris 1 8 perfunnes du voifinage ; & leurs partis étoient fi bien difpofés en embufcade, qu’à Ja fin aucun meffager allant ou venant ne pou voit leur échaper. ,, Cette ignorance de ce qui fe pnfle „ eft fouvent une circonftance très-embarraffan- „ te dans la conduite d’une campagne en Amé- „ rique. Les ennemis avoient de meilleures in- „ telligences; & dès qu’ils furent informés de îa ,, marche de notre armée, ils levèrent le fiege „ du Fort Pitt , & prirent la route par laquelle „ ils favoient que nous paierions , réfolus de ,, faifir la première occafion favorable pour nous „ attaquer dans la marche ”, Le Colonel , toujours dans l’incertitude fur l’état des chofes, partit du Fort Bedford le 8 juillet. Lorfqu'il fut arrivé au Fort Ligotiïer , il fe détermina prudemment à biffer là fes char- rions , & à faire le refte du chemin avec fes che- vaux de charge feulement. Ayant cet embarras de moins , l’armée pourfuivic fa route. Elle avoit devant elle, vers Turtle Creek , un dangereux défilé de plufieurs miles en longueur, & com- mandé partout de collines hautes & efearpées. L’intention étoit de faire enforte d’avoir franchi le pas la nuit fuivante par une marche double ou forcée, afin de tromper par- là, s’il étoit pofli- ble, la vigilance d’un ennemi alerte; & de ne faire qu’une petite halte à Busby-Run : pour biffer refpirer & rafraîchir les troupes. INTRODUCTION. IJ étoic environ une heure après midi , ( 5 Août 17^3) Jorfqu’à un demi -mile de ce ruif- feau,où nos gens, après une marche fatiguante d® 17 miles , fe propofoient de reprendre haleine, notre avant - garde fut fubitement affiillie par les Indiens : cependant ils furent bientôt culbutés , & même pourfuivis jufqu’à une diftance confidé- rable, au moyen des renforts que Ton avoit fait avancer promptement. „ (*) Mais la fuite de ces barbares eft fouvenc ,, partie de rengagement (fi je puis m’exprimer „ ainfi) plutôt qu’un abandon du champ de ba- taille. Dès qu’ils ne fe virent plus pourfuivis, „ ils revinrent à la charge avec une nouvelle vi- „ gueur. Divers autres de leurs partis , cachés „ en embufeade fur quelques hauteurs qui flan- „ quoient notre armée, fe montrèrent tout d’un „ coup, & avec une réfolution égale à celle de „ leurs compagnons ils incommodoient nos trou- „ pes par un feu des plus obftiné. „ On fut obligé de ranger tout le corps en ba= „ taille contre ces hauteurs, pour en déloger l’en- „ nemi par une attaque générale , qui produire „ l’effet defiré. Mais ce fuccés même ne déci- ( *) Ce qui fuit entre des guillemets eft: tiré, comme on en % déjà averti , de l’auteur mentionné. Sa defcnpticn eft fi élégant® & fi exa&ement conforme à la relation de cette adion envoyés aux Miniftres de ia Majefté, qu’on n’a cru mieux faire que de la rapporter dans fes propres paroles, a la referve d’uue ou de deux petites méprifos qui fe trouvent corrigées ici. 1 6 INTRODUCTION. doit encore de rien: car les fauvages n’étoient pas plutôt chartes d’un polie, qu’ils reparoif- foient à un autre, jufqu’à ce que, par les ren- forts continuels qui leur venoient, ils fe trou- vèrent enfin portés tout autour de nous , & prêts à fe jetter fur notre convoi qui étoit à l’arriéré garde. „ Cette manœuvre força l’armée entière à fe replier en arriéré. L’aétion , devenant plus chaude de moment en moment, fut enfin gé- nérale. Les nôtres fe virent attaqués de tout côté , avec une ardeur de la part des fauvages qui fe foutint jufques au bout: mais la conte- nance ferme de nos troupes Angloifes , que la nouveauté d’un fer vice, auffi décourageant par fa nature que celui-ci , ne jetta pas dans la moindre confufion, l’emporta enfin fur l’opiniâ- treté de l’ennemi: il fut repouffé partout, & délogé de tous fes portes avec la bayonnette au bout du fufil. „ Le combat ne finit qu’avec le jour , ayant duré depuis une heure après midi jufqu a la nuit fans intermifilon. „ Le terrain où l’on fe trouva à la fin de l’ac- tion n’étoit pas mal approprié pour y camper On plaça le convoi & les blefies au centre , & „ les troupes furent difpofées en cercle tout au* 5 , tour. Dans cette pofition ils partirent une ,3 nuit fort inquiette , & fans, pouvoir goûter tel „ dou 55 5 » 55 55 55 55 55 55 8 . J'rcmùre d'ositzon- des Tîvufcs . □ □ JTosscs . INTRODUCTION. i ? - douceurs du repos, obligés à veiller exaéle- „ ment l’ennemi entreprenant qui les tenoit envi- „ ronnés. ,, Ceux qui n’ont expérimenté que les peines 3 , & les dangers d’une campagne en Europe , „ peuvent à peine fe form r une idée de ce qu’il „ y a à foiifrir & à furrnonter dans une guerre 5 , Américaine. Agir dans un pays cultivé & ha- 3, bi:é , où les routes font faites , où l’on a pour- 3, vu d’avance à l’établiflement de magafins & 3, d’hôpitaux, où l’on eft toujours à portée de 3, quelque bonne ville pour s’y retirer en 3, cas d’accident , où enfin le pis aller eft de 3, fe rendre à un ennemi généreux, difpofé à 3, vous accorder toutes fortes de douceurs excep- „ té celle de la viéboire: c’eft ce qui eft l’exerci- „ ce des âmes nobles & entreprenantes , plutôt 3, qu’une conteftation rigide où il y va de tout , „ & qui a pour objet la totale deftruôlion de „ f un des partis: c’eft une contention de rivaux > 3, à qui aura l’honneur & la gloire de vaincre „ l’autre , plutôt qu’un acharnement d’ennemis ,3 altérés de fang. Mais tout eft terrible dans 3, une campagne en Amérique : l’afpeôl de la contrée , le climat, l’ennemi. Point de ra« 3, fraichiflemens pour ceux qui fe maintiennent en fanté, point de foulagetnens pour les mala- 3, des. Un défère vafte, inhofpicable, les envi- ü ronne, où l’appréhenfion les précédé, la fur- B „ prife iS INTRODUCTION. „ prife les côtoie & les fuit fans ceffe; où les ,, victoires ne font point décifives, & les défai- „ tes à coup fur ruineufes ; où la fimple mort ,, eft la moindre infortune qui puiffe arriver à „ celui qui fuccombe. On m’avouera quertout „ ceci forme un fervice vraiment difficile & cri- „ tique , dans lequel toute la vigueur du corps „ & toute la fermeté de famé foiit mifes à la „ plus rude épreuve , & où l’homme efb appelle „ à montrer tout le courage & toute l’adrefle „ dont fa nature eft capable. Si les operations ,, de ces rudes campagnes figurent avec moins „ de dignité dans 1 hiftoire, les événemens qu’el- „ les font naître intereflent bien plus le cœur, ,, tiennent l’imagination plus en haleine, que „ ceux d’une guerre régulière. „ Mais revenons à nos Anglois, trop mal à „ leur aife dans le fonds de ces bois pour les y „ foufrir longtems. Au point du jour les Sauva- „ ges commenceront à fe faire voir tout autour „ du camp a la diftance d’environ 500 verges, „ tiraillant & faifant retentir, tout à la ronde ,, d’horribles hurlemens , afin de répandre la ter- ,, reur parmi nos gens par l’oftentadon de leur ,, nombre & de leur férocité. „ Après ce prélude effrayant ils attaquèrent „ tout de bon le camp, & firent, à la faveur „ d’un feu continuel, plufieurs tentatives trèshar- v dies pour y pénétrer. Toujours repouffés, ils INTRODUCTION. 19 „ revenoient toujours à la charge ; & nos fol- dats, continueliement viétorieux, étoient con- 3, tinuülement en danger : fatigués d’ailleurs 5 , d’une longue marche, & de faétion également ,, longue du jour précédent, ils étoient, pour fur- „ croît de maux, réduits aux abois par un man- s , que total d’eau , & par une foif plus infuppor- „ table encore que le feu de l’ennemi. „ Cloués , pour ainfi dire , à leur convoi , ils „ ne pou voient le perdre de vue un moment , „ fans expofer non - feulement cet objet intéres- „ fant de leur confervation , mais auiïi leurs bles- „ fés , à devenir la proie des barbares , qui les 5 , prefloient de tous côtés. En un mot, il leur ,, étoit impoffble de bouger de la place. On 3, perdit plufieurs chevaux ; & leurs conduéleurs , „ à qui la peur avoit ôté Je lens commun , s’é- ,, toient cachés dans les buiffons , incapables d’é- 5 , coûter , encore moins d’exécuter les ordres „ qu’on leur donnoit. ,, Enfin notre fituation devenoit des plus cri- 3, tique & des plus embarraffante , depuis que ,, l’on fefut apperçu que les plus vigoureux efforts „ ne faifoient aucune impreflion fur un ennemi, 3, pliant tant qu’on vouloit lorfqu’il fe fentoit pres- ,3 fé, mais revenant à la charge dès qu’il ne fe 3, voyoit plus pourfuivi. Affiégés plutôt qu’en- 33 gagés au combat , attaqués fans interruption & 33 fans ilfue décifiv.e, ne pouvant ni avancer ni B 2 20 INTRODUCTION. „ fe retirer, nos Anglois fe voyoient trirtement ,, à la veille de tomber un par un , & dépérir ,, tous, fans revenehe & fans honneur, au milieu ,, de ces affreüx défères. Le fort de Braddock ,, étoit fans ceffe à leurs yeux. Une feule cir- confiance pouvoit les raflurer, c’étoit la capa- „ cité fupérieure de l’habile Chef qui les condui- „ foit. „ Celui-ci fe perfuada de plus en plus , que le ,, fort de cette journée dépendoit du moment où ,, l’on pourroit engager les Sauvages à combattre ,, de près , en les amenant au point de ne pouvoir ,, reculer comme ils faifoient lorfqu’ils étoient attaqués. Leur audace , augmentant avec ,, leurs fuccès, lui parut fa vorifer fon defTein, & ,, il fit tout ce qu’il put pour les rendre encore y, plus entreprenants. ,, Pour cet effet il imagina le rtratageme que 5 , voici. Nos troupes, portées fur une éminen- ,, ce , confer voient toujours le cercle qu’elles „ avoient formé autour du convoi dès la nuit ,, précédente. Le Colonel Bouquet ordonna à ,, deux compagnies des plus avancées, de fe re- y, tirer en dedans de l’enceinte, & aux troupes à ,, droit & à gauche, d’ouvrir & d’étendre leurs „ files pour remplir l’efpace que les autres avoient ., laifie vuide, afin de paroître couvrir la retrai- „ te de ceux-ci. Deux autres compagnies, fu- „ ne d’infanterie legere, l’autre de grenadiers , fa- INTRODUCTION. 21 9 , rent portées en embufcade pour foutenir les „ deux premières compagnies de grenadiers qui ,, marchoient comme pour faire retraite, & qui ,, étoient dertinées à commencer réellement fat- ,, taque. Ces difpofitions étoient au mieux, & ,, le plan fut exécuté fans la moindre confufion. ,, Les Sauvages donnèrent dans Je panneau. „ La ligne claire des troupes qui avoienc pris 3, la place que les deux compagnies legeres ve- ,, noient de quitter, ayant été reculée plus vers „ le centre du cercle , les Barbares prenant ce ,, mouvement pour une retraite, quittent les ,, bois qui les couvroient, accourent tète baùTée, 3, avancent fur les Anglois avec l’intrépidité la 3, plus déterminée, & font pleuvoir fur eux leur ,, feu accoutumé. Déjà, certains du fuccès, i!$ fe croient maîtres du camp, lorfque ]es deux ,, premières compagnies ayant fait volte face, 3, paroiffent tout- à -coup de derrière une partie ,, de la colline qui ne pouvoit être obfervée de ,5 loin , & tombent avec furie fur leur flanc ,, droit. ,, Les Sauvages , quoique trompés dans leur at- ,, tente & expofés aux coups des nôtres, ne per- 3, dirent point contenance , & réfolument répon- 3, dirent au feu qu’on venoit de faire fur eux. ,, Ce fut alors que parut la fupériorité des forces „ combinées, & de la difeipline. A la fécondé â> charge les Barbares ne foutinrent plus le choc B 3 22 INTRODUCTION. „ irrcTiTible des troupes régulières, qui, fe jet- 3 , tant fur eux, en tuèrent plufieurs, & mirent le „ relie en fuite. ,, Au même inllant où les Sauvages fe mirent „ à fuir , les deux autres compagnies , polices ,, pour féconder les premières, fortent de l’em- ,, bufeade, marchent à l’ennemi, & font fur lui „ une décharge générale. Ceci acheva la défai- 3 , te. Les quatre compagnies jointes ne laiffe- ,, rent pas le tems aux fuyards de fe reconnoî- ,, tre, & les pourfuivirent jufqu’à-ce qu’ils les 3, eurent totalement difperfés. ,, Les autres corps de Sauvages n’avoient point ,, branlé pendant l’aélion. Le refte des troupes „ Britanniques, poflé de maniéré à leur tomber 3, deffus au moindre mouvement, les avoit te- ,, nus en refpeél ; & après avoir été témoins de 3, la défaite de leurs camarades, fans avoir fait ,, d’effort pour les foutenir ni aider, ils fuivirent 3, leur exemple & départirent. ,, Telle fut fheureufe & judicieufe manœuvre 3, qui délivra l’armée du plus éminent danger. 3, La victoire ramena la fureté dans les environs 3, du champ de bataille, & nettoya tous les bois ,, adjacents. Mais toujours la marche étoit fi 3, difficile, l’armée avoit tant fou fier t , tant de „ chevaux étoient perdus , qu’avant de pouvoir „ quitter ce lieu- iis furent obligés , malgré eux , ,3 de détruire la partie de leur convoi & de leurs I N T R O D U C T I O N. ^3 99 provisions, qui ne put être emportée faute de ,, chevaux. Allégés par ce facrifice fâcheux „ mais néceflaire , ils pafferent jufqu’à Bushy - „ Run , où trouvant de l’eau ils y campèrent”* On a joint ici un plan de l’aèlion; & la raifon d’en avoir inféré le détail particulier, c’efl que c’eft aux manœuvres nouvelles (*) & à la con- duite de l’habile chef de cette expédition, que, de l’aveu de tous , l’armée a du non - feulement fon falut dans la Situation la plus critique , mais auffi la viftoire complette qu’elle a remportée. Les ennemis perdirent environ foixante hom- mes dans ce combat, entre lefquels étoient plu- sieurs de leurs principaux guerriers : ce qu’ils confidererent comme un très rude coup pour eux. Il y en eut auiîi beaucoup de bielles, Surtout dans la pourfuite. La perte du côté des Anglois fe mofitoit à environ cinquante morts & foixante bielles. Les Sauvages, après leur defaftre , qui leur fit perdre l’efpoir de détruire cette armée auxiliaire (*) Une autre raifon pour nous d’être entré dans ce détail , c’eft que les mémoires militaires annexés à cet Ouvrage, & le plan de conduite pour nos guerres futures avec les fauvages, ont été compofés, d’après l’expérience de cette aétion, par un officier longtems employé dans le (èrvice dont il traite. Il n’avoit deffii- ce d’abord ces pièces que pour ton propre ufage : mais fur ce qu’on lui répréfenta, que les avis utiles qu’elles contenoient pour- roient être d’un grand fervice s’ils étoient publics, il ne fit point difficulté de nous les communiquer, pour en faire ufage à cet effet. B 4 INTRODUCTION. 24 dans fa marche, ne penferent plus à aftiéger le Fort Pitt , & fe retirèrent avec la dernière pré- cipitation jufqu’à leurs habitations les plus éloi- gnées. Le Colonel , de Ton côté , arriva heureufe- ment au Fort avec Ton convoi quatre jours après l’aélion, fans avoir été molefté fur la route, fi ce n’eft de quelques coups de fufil lâchés par-ci par* là de la part d’un ennemi conflerné & fuyant. Ici le Colonel ne fe voyant pas aiïez de forces pour fuivre les ennemis au - delà de Y Ohio, & re- cueillir les avantages que la viètoire venoit de lui acquérir fur eux, & n'ayant pas lieu de s’at- tendre à ravoir fit ôt des renforts de la part des provinces dans la détrefle où elles fe trou- voient elles- mêmes, crut devoir malgré lui met- tre fin aux opérations de cette campagne, & fe contenter de pourvoir deprovifions, munitions & autres neceffités, le Fort P;tt & les places de communication : après quoi il diflribua fa petite armée le plus avantag.ufement qu’il put contre les approches de l’hiver. Nous allons entrer dans le détail des tranfac- tions de l’année fuivante, après avoir rapporté, • pour clôture de cette introduèlion , le jugement favorable qu’il a plu à Sa Majefté de porter fur la conduite & la valeur des officiers & de l’armée dans cette occafion fi délicate. D U 25 QUARTIER GENERAL À N E W - Y O R K, 5 'Janvier 1764 . Ordre. „ Ï1 a plu gracieufement à SaMajcflé, „ de fignifk'r au Commandant en chefîa' „ royale approbation concernant lacon- „ duite & la bravoure du Colonel Bou- „ qaet , & des Officiers & troupes fous „ fon commandement, dans les deux ac- „ tions du 5 & du 6 Août ; dans lesqueî- „ les, nonobftant la difficulté & le mal- „ heur des circonflances qui les pres- „ foient, non obftant auffi l’audace & la „ rcfolution extraordinaire des Indiens, „ ils Ont fruhré les deffeins de ces fau- A 5 £ 6 „ vages, en repouflant leurs attaques „ reitérées, & conduifant heureufement „ leur convoi au Fort Pitt. „ Etait figné Moncreif, „ Major de Brigade Au Colonel Bouquet , ou à l’Officier Commandant au Fort Pitt. Am. 17. RELATION HISTORIQUE D E ^EXPÉDITION D U COLONEL B O U dû E T , E N I 7 64. Contre les INDIENS de L’OHIO. On a rendu compte, dans l’introduclion , de rinvafion brufque & perfide des frontières de la Penfylvanie , du Maryland & de la Virginie , entre- prife par les Indiens fans aucune provocation de notre part, peu après la publication de la paix générale, & dans le tems précifément où nous commencions à nous refaire de nos calamités paf- fées , & à nous abandonner au repos que l’on croyoit afiiiré de toutes parts. On y a pareille- ment récapitulé les principales tranfaétions de h campagne de 1763 , & l’on a informé le Le 6 l.nr des moyens par kfquels l’éditeur a obtenu les pièces précieufes, qui l’ont mis en état d’achever l’hiftoire de cette guerre des Indiens, en lui four- nifiant les matériaux dont il s’eft fervi à la com* pofition de ce qu’on va lire. EX PE’DITION du Le Colonel Bouquet , comme on l’a déjà dit, n'ayant pas affez de troupes pour garnir les diffé" rens portes fous Ton commandement, & pour tra- verfer en même tems Y Ohio , & profiter de la conrternation qu’avoit répandu parmi les ennemis leur défaite à Bushy-Run , fut obligé de berner fes operations à pourvoir les Forts de provifions, munitions & autres chofes néceflaires. L’ennemi le laifla faire tranquillement, & ne voyant aucune chance à rien entreprendre contre le Fort Pitt , il s’éloigna de Y Ohio, abandonnant fes villes & toute la contrée entre Bref que - JJle & Sandusky , & ne fe croyant en fureté que lorfqu’il eut atteint les bords du Muskingham . Ici ces peuples s’appliquèrent à former de nou- veaux établifiêmens , & cette occupation leur ôta la penfée de remuer pendant l’hiver. Mais ils ne laififerent pas , dans cet intervalle , de fe pourvoir çl’une nouvelle provifion de poudre que leur ap- portèrent des trafiquans François; & fe flattant qu’après s’être transplantés à une fi grande dirtan- çe de nos établifiêmens, leurs retraites feroient inaccefiibles à nos troupes, le printems fuivant (1764) ramena ces fauvages ennemis fur nos frontières, ravageant, mafiacrant à leur ordinai- re tout ce qu’ils trouvoient dans leur chemin. Pour châtier une telle perfidie , le Général Gj- ge réfolut de les attaquer de deux différens cô- tés , & en même tems de les écarter de nos Jimi- 29 COLONEL BOUQUET. tes, en portant la guerre au cœur de leur propre pays. Dans cette vue il défigna un corps de troupes fous les ordres du Colonel Bradftreet > pour agir contre les JViandots , les Ottawas , les Chipwas & autres nations accoles des Lacs ; tan- dis qu’un autre corps fous le commandement du Colonel Bouquet attaqueroit les Delawares , les Shawanefes , les Mingoes , les Mohickons & autres peuples établis entre Y Ohio & les Lacs. Ces deux Corps avoient ordre d’agir de con» cert ; & comme celui du Colonel Bradjlr eet pou- voit être prêt beaucoup plutôt que l’autre, il de- voit avancer jufqu’au Détroit , à Michilimackinac , & à d’autres places, & à fon retour s’arrêter à Sanduski & y camper, afin d’intimider par cette pofition les nombreufes tribus des Indiens de fOiieil, & les empêcher de fecourir ceux de l’G- hio , pendant que le Colonel Bouquet feroit occupé au milieu de ceux-ci à les réduire. L’expédition de ce dernier devoit s’effeêiuer toute par terre; & elle étoic par cette raifon fu- jette à de grandes difficultés. Il avoit à pénétrer avec fon Corps par une continuité de forêts pro- fondes , & à fe hazarder dans un pays fauvage & inconnu, fans routes, fans places fortes, & fans reflources en cas d’infortune. Une fois engagé dans ces déferts , il n’avoit plus ni convoi ni affiflance à efpérer. Il faloit emporter avec foi munition, bagage , inftrumens, prçviûons, tout en un mot 30 EXPEDITION di i ce qui étoit néceffaire pour tout le tems que dure- roic P expédition. Outre cela, l’armée pouvoit fe trouver expofée à des embarras , à des difficul- tés, qu’à peine aucune prudence pouvoit prévoir, ni aucune précaution prévenir : Ce qui ajoûte un nouveau prix à des relations de la nature de celle- ci, en ce qu’elles font penlér à bien des choies que dans la méthode ordinaire de conduire les opéra- tions militaires on ne juge pas dignes du détail , & qui néanmoins peuvent être d’un grand ufige pour ceux qui dans la fuite feront employés à un genre de guerre, li nouveau pour des Européens, qu’il n’y a que l’expérience & jufqu’aux Sauvages- mêmes qui puiffent les y rendre experts. Partie des 42 & 6o me . Régimens reçut ordre de marcher pour cette expédition. Ceux-ci dé- voient être joints par 200 des Indiens amis & al- liés du Peuple Brittannique , & par les troupes re- quiles de la Virginie & de la Penfylvanie. Les In- diens ne vinrent point ; & les Virginiens , pour ne pas envoyer leur contingent , alléguèrent l’impuif- fance où ils fe trouvoient de lever de nouvelles troupes, ayant déjà 700 militiens à payer pour la défenfe de leurs frontières. La Penfylvanie avoit paffé un bill du 30 May pour la levée de iooq hommes: ce Corps, quelque diligence que l’on fît, ne put être complet qu’au commencement du mois d’Août. Le 5 du même mois , toute l’Armée étant a f* COLONEL BOUQUET. 3I femblée à Car lifte, 118 miles à l’Ouefl de Phila- delphie, le Gouverneur Penn, qui accompagna le Colonel jufque-là , dans un difcours qu’il adreffa aux deux bataillons de Penfylvanie , leur expofa la néceffité indifpenfable où l’on étoit de châtier les Indiens „ pour les barbaries reïtérées & non ,, provoquées qu’ils avoient exercées contre les a , habitans de la province: qu’il ne doutoit pas 3 3 que le jufte reflentiment que tous en commun 33 dévoient avoir de l’injure reçue , joint au fou- 3 3 venir de la loyauté & de la bravoure dont nos 3, troupes provinciales avoient fait montre dans 3, d’autres occurrences, ne les animât à foutenir ,, dans celle-ci l’honneur de leur patrie; & qu’ils 3, avoient tout fujet de s’attendre à voir leurs „ généreux efforts couronnés de fuccès , puif- ,, qu’ils alloient combattre à côté de ces mêmes ,3 troupes régulières, & fous la conduite du mê- 3, me chef, dont la valeur & la capacité avoient „ fuffi feules, en ce même jour (mémorable à ja- „ mais) de l’année précédente , à repoufler les „ attaques obftinées des Sauvages , & à rempor- 3, ter enfin fur eux une viêtoire complette II eut foin après cela de leur rappeller „ les pei- 3, nés exemplaires prononcées contre le crime 3, énorme de défertion, & quel feroit le lot de 3, ceux qui pourroient fe réfoudre à trahir ainfi „ leur ferment, leur Roi & leur patrie”. Torique le Gouverneur eut fini de parler , le 32 EXPEDITION DU Colonel Bouquet prie le commandement en chef des troupes tant régulières que provinciales ; & les quatre jours fuivants furent employés aux pré- paratifs de la marche : le Colonel ayant donné les ordres les plus rigoureux, tant à 1 Officier qu’au Soldat , d’obfcfver la difeipline la plus exaéte, pour éviter jufqu’à la moindre violation des droits civils & de la fur- té des habitans ; & prenant en même terns les arrangemens les plus fenfés & les plus prudens pour L* tranfport fur & aifé du ba- gage , fe défaifant le prémier , pour donner l’ex- emple, de tout ce dont il crut pouvoir fe palier. Le 13 Août la petite Armée arriva au Fort Loudoun , mais déjà confiderablement diminuée: car malgré toutes les précautions prifes pour pré- venir la défertion , le Corps des Pènfylvùniens fe trouva réduit à environ 700 hommes. Cela mit le Colonel dans la néceffité de s’adreffer au Gou- vernement de la Province , afin d’en obtenir le nombre de recrues qu’il faloit pour completter ce Corps: ce qui fut généreufement accordé par une Réfolution du Gouverneur & des Commiffaires da- tée du 16 Août; & l’Armée, en avançant tou- jours, ayant laide derrière eile la partie habitée de la Penfylvanic , il s’adrella à la province de Virginie , où, par le crédit du Gouverneur Fau - quier , les Recrues dont on avoit befoin furent bientôt levées & envoyées à Piitsbourg , où elles joignirent l’Armée fur la fin de Septembre, II COLONEL BOUQÜET. s ÿ Il ne leur arriva rien d’extraordinaire pendant leur marche du Fort Loudoun au Fort Pitt (ci- devant Fort Du-Quesne * fur Y Ohio, à trois cetiü vingt miles Oueft de Philadelphie ,) où le Colonel Bouquet arriva Je 17 Septembre. Durant cet intervalle on fit partir en diligence,^ & fous forte efcorte, divers grands convois; & bien que les ennemis pendant tout ce terns conti- nuaffent de ravager les frontières , ils n’eurent pas la hardiefle d’attaquer un feul de ces convois* qui arrivèrent tous heureufement au Fort Pitt. Le Colonel Bouqi»et avoit mçu au Fort Loudoun un Exprès, avec des dépêches de la part du Colo- nel Bradjlreet datées de Prefque- JJle le 5 Août, par lefquelles cet Officier finformoit de la paix qu’il avoit conclue avec les Delawares & les Shaivanc* fes : mais le Colonel Bouquet ne pouvant douter de la mauvaife foi de ces barbares, puifqu’ils ne difeonlinuoient pas leurs meurtres & leurs dépré» dations ; il avoit pris le parti de fuivre toujours fon plan, jufqu’à-ce qu’il eût reçu d’autres infime» tions du Général Gage; & celui-ci, pour la mê- me raifon , réitéra Tes ordres à l’une & à l’autro armée d’attaquer l’ennemi. Dans le tems environ de l’arrivée du Colonel Bouquet au Fort Pitt , dix Indiens fe montrèrent fur le bord feptentrional de Y Ohio , délirant une conférence: rufe , dont ces Sauvages s’étoient fervi çi- devant, pour fe procurer des lumières C EXPEDITION du 34 fur notre nombre & fur nos intentions. Trois de la troupe confen tirant , quoiqu’avec une répu- gnance vifible, à palier la riviere pour fe rendre au Fort; & fur ce qu’ils ne purent donner de raifon fatisfaifante de leur venue, on les retint comme des efpions , & leurs camarades reprirent le chemin de leurs villes. Le 20 Septembre le Colonel les fit fuivre par un de ces trois Indiens, avec un meflage portant en fubftance ce qui fuit. „ J’ai été informé de la 3 , part du Colonel Bradftreet que vos nations ont 3, demandé de faire la paix , laquelle il avoit con- „ fenti de vous accorder , fur falîurance que vous „ lui aviez donnée d’avoir rappellé vos gens de „ guerre de nos frontières; & en conféquence de ,, ceia je n’aurois point continué de marcher con- 3, tre vos villes, fi je n’avois appris qu’en viola- „ tion manifefte de vos engagemens vous avez „ tué plufieurs des nôtres. ,, C’eft pourquoi j’avois déterminé , fitôt que 3, le relie de l’Armée , que j’attends inceflanv „ ment , m’auroit joint , de vous attaquer corn- „ me un peuple fur les promefïes duquel on ne „ peut plus fe fier. Mais je veux remettre enco- „ re une fois entre vos mains le pouvoir de vous 3, fauver vous & vos familles d’une totale deflruc- 3, tion , en nous donnant la fatisfaftion due pour 3 , les hoftilités commifes contre nous. Avant ?, tout vous devez laiffer le chemin libre pour mes COLONEL BOUQUET. 35 Exprès d’ici au Détroit : & comme je me pro- „ pofe d’envoyer deux hommes avec des dépe- 3, ches au Colonel Bradftreet , qui commande fur les Lacs , je defire de favoir fi vous voulez en „ envoyer deux des vôtres avec eux, pour les ,, ramener fains & faufs avec la réponfe; vous „ avertifiant que s’il leur eft fait quelque mal, „ foit en allant, foit en revenant, ou fi les let^ „ très dont ils feront porteurs leur font enlevées , „ je mettrai immédiatement à mort les deux In- ,, diens que j’ai en mon pouvoir, & ne ferai plus „ grâce à l’avenir à qui que ce foit de votre na- „ tion qui tombera entre mes mains. Je vous „ donne dix jours pour faire rendre mes lettres „ au Détroit , & dix autres jours pour m’appor- 3 , ter la réponfe”. Il ajoûta „ qu’il avoit été dernièrement en fort ,, pouvoir , Jorfqu’ils s’étoient arrêtés de l’autre „ côté de la riviere , de les exterminer tous, 3, comme ils le méritoient à caufe de toutes leurs 3 , perfidies; & que s’ils ne profitoient pas de la „ clémence qu’il vouloir bien encore leur mon- „ trer , en revenant le plutôt poffible avec tous „ leurs prifonniers, ils alloient fentir tout le poids >, de la vengeance d’un ennemi juflement irrité”. Je me fuis un peu étendu fur ce commencement des négociations avec les Indiens , parce que la conduite ferme & fou-tenue du Colonel dès l’ou- verture de la Campagne , fut fuivie des plus heu- C z EXPEDITION du fr/î 5 ° reux effets, & montre comment il faut s’y pren- dre pour mettre à la raifon ces nations auffi per- fides que fauvages. Le i Oêtobre deux Indiens, l’un Onondago l’au- tre Onéida , députés de la part des deux tribus de ce nom qui font partie de celles qu’on appel- le les Six-Nations* vinrent au Fort Pitt , &, fous couleur de fancicnne amitié qui fubfiftoit entre eux & les Anglois, firent de leur mieux pour dif- fuader le Colonel de paffer outre avec l’Armée. Ils lui firent entendre que fes forces n’étoient pas fuffifuntes pour réfiffer à celles des nations nom- breufes dont il vouloit parcourir le pays; l’affu- rant que pour peu qu’il voulût attendre encore, elles viendroient toutes conclurre la paix avec lui; & lui recommandant en particulier de ren- voyer les deux Indiens arrêtés comme efpions. Il étoit clair que tout cela n’étoit qu’artifice , & ne tendoit qu’à faire perdre du tems, jufqu’à-ce que l’approche de l’hiver réduifit la Campagne à rien : ainfi les difeours de ces gens firent peu d’im- prefiion. Le Colonel leur déclara qu’il ne pou- voit plus fe fier fur les promeffes des Delawares & des Shawanefes , & qu’il étoit réfolu de mar- cher à Tuscarowas , où il écouteroit leurs propofi- tions s’ils avoient à lui en faire. En attendant il ufa de la plus grande diligence pour hâter les préparatifs de la Marche , & re- nouvella fes ordres pour entretenir la plus févere 37 COLONEL BOUQUET. diîbipline. Il ne fut permis d’emmener qu’une femme pour le fervice de chaque Corps , & deux gardes du même fexe pour celui de l’hôpital général. Toutes les autres femmes qui avoient fuivi le camp , celles même qui fe trou voient de trop au Fort , eurent ordre de fe retirer immédia- tement dans les colonies. Deux foldats furent pafles par les armes pour avoir défercé : exemple qui étoit devenu d’une néceffité indifpenfable , pour arrêter un crime dont les fuites, dans une expédition de la nature de celle-ci , enflent été fatales , en diminuant une armée déjà trop foibh par elle- même. Enfin le Colonel Bouquet ayant, en dépit de toutes les difficultés , aflemblé fes troupes, formé fes magazins, & pourvu à la fureté des poftes qu’il alloit laifler derrière lui, fe vit en état de marcher du Fort Pitt le 2 Oélobre , avec envi- ron 1500 hommes, y compris les guides 6 c autres gens néceflaires à la fuite d’une armée. Four donner une judo idée de cette expédi- tion , 6 c des grandes précautions que i’on y prit pour prévenir toute fur.prife , on a inféré ici l’ordre de la Marche de l’Armée, avec un Plan gravé pour pouvoir le fuivre des yeux , & une Carte exaéte de la route qu’à tenu l’Arrnée & de la contrée adjacente, le tout drefle fur les mefures faites par les arpenteurs employés dans ce fer vice. , • es 38 EXPEDITION du Le Colonel, en témoignant à Tes troupes la grande confiance qu’il avoit en leur bravoure, leur dit „ qu’il ne doutoit point que cette guerre 5, ne fût bientôt terminée , avec le fecours de 3 , Dieu, à leur honneur & à la fureté future de 3, leur patrie , pourvu qu’ils fuflent toujours ,, promts à obéir exadlement aux ordres qu’on 3 , leur donneroit, & en garde contre toute fur- 3, prife de la part d’un ennemi traitre, qui n’a- ,, voit pas le courage de faire face aux troupes „ Brittanniques en rafe campagne : que la diflan- „ ce des villes ennemies, & lanéceffité de frayer 3 , la route , confumeroit néceflàirement beaucoup 3 , de tems: qu’à la réferve des munitions & des ,3 provifions que l’on portoit avec foi, l’Armée 33 dans ces déferts n’avoit point de fecours à at- „ tendre; & que pour cette raifon il feroit né- ,, ceflfaire d’en ufer avec tout le foin & la fruga- ,, lité poffible”. Pour appuyer cette dernière partie de fon difeours , il décerna des peines très féveres contre ceux qui feroient trouvés coupables d’en avoir volé, diftrait ou laifle pé- rir la moindre partie. Enfin il régla l’ordre de la Marche de la maniéré fuivante. Un Corps de Volontaires de Virginie ( *) mar- choit devant, & détachoit toujours trois partis à (*) On a appelle ainfi le Corps levé en Virginie pour com- pléter celui de Penfyl'vanU i pour le compte & à la folde de la derniere de ces Provinces. 1 jPgyc -3P- s^aosiaon,^ ’our recewir £ <£nnerw> COLONEL BOUQUET. 39 la découverte, dont l’un, accompagné d’un gui- de, tenoit le chemin du milieu que l’Armée de- voit fuivre : les deux autres s’étendoient à droit & à gauche fur une même ligne avec le premier , pour reconnoître les bois. Ce Corps couvroit les charpentiers & autres ouvriers , tous armés de haches , qui fuivoient avec deux compagnies d’infanterie legere en trois divifions , fous la direftion de l’Ingénieur en chef, pour préparer trois différens chemins pour les troupes & pour le convoi qui venoient après : ra- voir | Le front du quarré , compofé. d’une partie du 42 n,e . Régiment, & qui marchoit en une colom- ne, fur deux hommes de hauteur , dans le chemin du mili 11. Le flanc droit du quarré, compofé du refte du 42 me . & du 6o me . Régiment, marchant en une feule file dans le fentier de la droite. Le premier Bataillon de Penfylvanie formant le flanc gauche, & fuivant en ligne parallèle à l’au- tre le fentier de la gauche. Le Corps-de-réferve, confiftant en deux P. lot- tons de Grenadiers , fuivoit les flancs droit & gauche du quarré. Le fécond Bataillon de Penfylvanie formoit Bar- rière du quarré, & fuivoit le Corps- de- réferve en deux files Amples dans les fentiers à droit & à gauche. Toutes ces troupes couvroient le con- C 4 EXPE’DIT ION du 4 ° voi , qui avançoic par le chemin du milieu, Un gros de Cavalerie legere couvroic l’arriéré du quarré, fuivi d’un auire corps de Volontaires de Virginie , qui formoit l’arriére garde. Les Volontaires de Penfylvanie , partages cga-^ lement en deux files (impies , flanquoient à une certaine diftance la droite & la gauche du quarré. Tel étoit l’ordre général de la Marche. On ne donna pas moins d’attention aux autres chofes d’un ordre inférieur. Les munitions , inftrumens & outils étoient à la queue de la premi re colom- ne, ou du front du quarré , fuivis du bagage des Officiers , & des tentes. Le gros & menu bétail venoit après en troupeaux féparés, avec leurs con- ducteurs. Immédiatement après le bagage mar- choient aufiî les provifions , en quatre divifions ou brigades de chevaux de charge, & à la tete de chacune un Piquèur. Les troupes avoient ordre d’obferver le plus profond filence, & chaque foldat de marcher à deux verges de diftance l’un de l’autre. Lorfqu’u- ne file ou partie d’une file s’arrêtoit, le tout de- voit faire front au dehors; & s’il leur arrivoit d’être attaqués dans leur marche, ils dévoient fai- re halte à l’inftant, & fe tenir prêts à former le quarré dès que l’ordre en feroit donné. Alors la Cavalerie legere devoit fe retirer dans le quarré, avec le bétail , les provifions, les munitions & le bagage. L’on avoit aufli fait d’avance les dilpoft* 4i COLONEL BOUQUET. rions en cas d’attaque pendant la nuit , ainfi que pour les campemens , guardes, communications entre les fentineîles, fignaux & autres exigences de cette nature. Tout étant ainfî arrêté, l’Armée décampa du Fort Pitt le mercredi 3 Oftobre , & marcha en- viron un mile & demi à travers un pays riche & uni, couvert de bois de haute-futaie, pour cam- per à la place marquée dans la Carte au N°. 2 , fur un terrain gras , fort agréablement fitué , abondant en eau & en pâturage pour les be£ tiaux. Jeudi 4 Oêlobre, après avoir fait deux miles, ils fe trouvèrent près de Y Ohio à l’entrée d’un dé- filé; & delà ils fuivirent le cours de la riviere le long d’une rive platte & gravelleufe, l’efpacc environ de fix miles & un quart , ayant à leur gauche deux îles, dont l’inférieure avoit autour de fix lieues de long, & étoit traverfée au milieu par une éminence , qui s’abaisfoit doucement de part & d’autre jufqu’aux bords hauts & perpen- diculaires de l’île. Vers le bas- bout de cette île 1 l’Année s’éloigna de la riviere , & s’avança par de très bonnes terres entrecoupées de petites ca- vités jufqu’au Camp N°, 3. La marche de ce jour fut de neuf miles & un quart. Vendredi 5 Oêlobre, l’Armée pafla par Loggs * towi, place fituée à dix-fept miles & demi cin- quante fept perches du Fort Pitt en fuivant la C 5 42 EXPEDITION DIT route, & notable, avant la derniere guerre, par le grand commerce qui s'y faifoic entre les An* glois & les François. Ses habitans les Shawane - fes & les Delawares 1 abandonnèrent en 1750. La ville-baffe s’étendoit par une riche vallée d’envi- ron foixante perches en long jufqu’au pié d’une pe- tite hauteur efcarpée , contre le fommet de la- quelle étoit adoffée la ville-haute, d’où l’on a une vue admirable par-deffus la ville- baffe & par-def- fus Y Ohio , large ici de 500 verges à-peu-près, & dont le cours paifible & majeftueux n’ajoûte pas peu à l’embelliffement du lieu. De Loggs- îown on traverfa un pays charmant orné de monti- cules & de vallées fertiles, arrofé p r quantité de ruiffeaux, couvert de bois fuperbes; & l’on affit le camp , au N°. 4 , fur un terrain uni, ayant une toufe d’arbres à l’arriere, un petit pré- cipice à l’avant, au fond duquel couloit un tor- rent , & bon fourrage tout autour. La Marche de ce jour fut de neuf miles & demi cinquante- trois perches. Samedi 6 Oélobre, à environ trois miles du dernier Camp, ils fe rapprochèrent de Y Ohio , & ïe côtoyèrent jufqu’à un demi - mile plus loin , où quittant cette riviere ils pafferent une hauteur difficile à grimper, & enfuite Big-Beavcr-creek (*) 9 dont on trouva le lit large de 20 perches, pier- (*) C’tft - a- dire t la Grande Crique des Cafers. 43 COLONEL BOUQUET. reux & aflez profond ; le cours , à travers une belle vallée, aflez rapide; les bords élevés; les terres, tout en remontant, excellentes, & cou- vertes de beaux arbres hauts quoique jeunes. A environ un mile au - deflous de la jonètion de cette Crique avec Y Ohio, il y avoit eu ci «devant une grande ville bâtie par les François de troncs d’ar- bres équarris , avec des cheminées de pierre , pour quelques tribus des nations Shatoanefe , Dz- laware & Mingo , qui fe retirèrent de-là en 1758, lorfque les François abandonnèrent le Fort Du - Quefne . Il y avoit encore près du gué de Bea- ver-creek fept à huit maifons défer tes, ruinées par les Indiens lorfqu’après leur malheur à Bushy-run ils renoncèrent à toutes leurs habitations dans cette partie de la contrée, comme on la dit plus haut. L’Armée étoit encore à deux miles de Beaver- creek , lorfqu’un de nos gens enlevé la femaine d’auparavant près du Fort Bedfort par un parti de fix Delawares , & qui avoit trouvé moyen de s’é- chaper , vint informer le Colonel , que le jour précédent ces Indiens s’étoient trouvés dans le che- min de l’ Armée , mais que furpris de notre nom- bre ils s’étoient tenus foigneufement cachés. A deux miles au-delà de Beavcr-creek , près de deux petites four ces , on apperçut le crâne d'un enfant expofé fur une perche. On découvrit aufîi ce jour-là les veftiges de 15 Indiens. Le lieu, 44 EXPEDITION* du N°. 5 , où Ton campa , eft à fept miles un quart & cinquante - fept perches de Bcaver- creek. La marche entière de ce jour fut de douze lieues environ. Dimanche 7 Oétobre, en paflant une monta- gne allez haute, ils eurent la vue à main droite fur une grande étendue de pays très beau , géné- ralement uni, & abondant en grands arbres. Le Camp N°. < 5 . étoit fitué au pié d’une defeente rapide, dans une vallée abondante, fur un ter- rain gras, entouré de trois côtés par une cavité creufe, & borné du quatrième côté par une pe- tite colline, que l’on fit occuper par une garde détachée. On avoit marché ce jour-là lix miles & foixante-cinq perches. Lundi 8 Oélobre , l’Armée palTa (*) Lit t le Bcavcr-creek , & une de fes branches. Cette Cri- que, large de huit perches, a un bon gué, & parcourt un pays entremêlé de monticules, ruifleaux & vallées riantes , femblable à ceux qu’on a déjà décrits. Le Camp N V 7. fut affis près d’une petite eau-courante, à côté d’une mon- tagne qui commande les environs, dans un éloi- gnement de onze miles un quart & quarante-neuf perches du dernier Camp. Mardi 9 Octobre. Dans la Marche de ce jour le chemin fe partageoit en deux branches, dont (*) Ou la petite Crique des Cajlws, 45 COLONEL BOUQUET. î’une, tendant au fud-oueft, conduit vers les vil- les Indiennes de la partie inferieure du Musking- ham. A fendroit où ces routes fe féparent, on y (voit plufieurs arbres peints par les Indiens d’u- ne maniéré hiéroglyphique, pour marquer le nom- bre , les particularités & le fuccès des guerres dans lefquelles ils ont éqé engagés, les prifonniers qu’ils ont faits , & les crânes qu’ils ont fcalpés. Le Camp N°. 8. fut drefle fur un terrain uni, Tellow-creck (O rafant fon côté gauche, & une éminence bordant l’arriere du flanc droit. Après la féparation des routes , celle que tint l’Armée fe trouva raboteufe &. couverte de broflailles : il falut fe faire jour la hache à la main , & jetter divers ponts pour donner paflage aux chevaux. Cela fut caufe qu’on n’avança ce jour-là que cinq miles trois quarts & foixante-dix perches. Mercredi io me , ayant Yeliow - creek à la gau- che , après l’avoir côtoyée l’efpace d’un mile, l’Armée ayant trouvé un endroit guéable, large de cinquante piés, pufla , & traverfa une fucces- fion continuelle de petites collines & de riches vallées, abbreuvées de ruifleaux charmans, jus- qu’au Camp N°. 9 , après avoir fait ce jour fept miles & foixante perches. Jeudi n rae , on paffa une branche de la riviè- re de Muskingham , large d’environ 50 piés; le (*) (*) Ou la Crique jaune , 4 6 EXPEDITION du fol étant tout- à- fait le même que ceux que Ton a décrits , & renfermant dans fon fein bonne quantité de pierre- de- taille. Le Camp N°. io avoit cette branche de la ri viere à fa gauche , & étoic à la diftance de dix miles un quart & qua- rante perches du précédent. Vendredi I2 rae , en gardant toujours la dite Crique à main gauche, on marcha par un beau pays bien arrofé de petites rivières & d’eaux vi- ves: on traverfa aufli plufieurs Savannahs ou prairies naturelles d’une beauté à ravir ; la fécon- dé, furtout, qu’on pafla, eft une plaine magnifi- que de près de deux miles en longueur , entre une belle éminence, qui forme un demi -cercle autour de la droite , & un agréable ruifleau coulant à gauche à la diftance d’un quart de mile. Le Camp N°. il. a la dite branche du Muskingham à fa gauche , & eft éloigné du dernier Camp de dix miles trois quarts. Samedi i3 me , on pafla Nemenshehelas - creek , à la largeur d’environ 50 pieds, un peu au-defliis de fa jonftion avec la fufdite branche du Mus - kingham. Chemin - faifant l’Armée eut la vue agréable d’une grande plaine d’environ deux mi- les à gauche. Un peu plus loin elle pafla une autre petite riviere à environ cinquante perches de l’endroit où elle fe jette dans le même bras du Aluskingham. Ici une hauteur à droite , & la Crique à gauche , forment un défilé fort étroit COLONEL BOUQUET. 4? d'environ foixante & dix perches de long, au forcir duquel on marcha par un pays des plus fertile jufqu’à la grande branche du Muskingham , où l’on trouva un bon gué large autour de foi- xante & dix verges. Un peu plus bas, au-deflus de la jonétion des deux bras de la ri vitre, efl Tufcarowas , lieu d’une beauté raviflante par fa fituation; la terre des deux côtés de la riviere étant d’une richefle furprenante , & le côté Nord-Ouefl: en remontant la riviere formant une vafle plaine de paffé cinquante miles de circon- férence. A juger des maifons ruinées qu’on voit ici, l’on fuppofe que les Indiens qui y demeu- roient, & qui fe font joints depuis aux Delawa - res , pouvoient avoir autour de cent cinquante hommes portant armes. Ce Camp N°. 12 eft éloigné de celui de la veille de huit miles dix- neuf perches. Dimanche I4 me , l’Armée refia dans ce Camp, Deux hommes, dépéchés du Fort Put par le Co- lonel Bouquet avec des lettres pour le Colonel Bradftreet , rejoignirent ici le Colonel & lui rap- portèrent : „ qu’à quelques miles de ce lieu ils „ avoient été faits prifonniers par les Dclawares 9 5 , & conduits à une de leurs villes éloignée de „ feize miles , où l’on les garda jufqu’à- ce que 3 , les Sauvages , ayant eu avis de l’arrivée de 5 , l’Armée ici, les mirent en liberté, & les char- j j gèrent d’aller dire au Colonel, que les Chefs 48 EXPEDITION du „ des Del&wares & des Sbawanefes étoient en „ chemin pour venir le plutôt poftible traiter de „ la paix avec lui Lundi i5 mc > l’Armée avança deux miles & quarante perches en defeendant le Muskingham jufqu’au Camp N°. 13, fitué fur une hauteur confidérable, au pié de laquelle coule la riviere, large ici de 100 verges & au-delà, au milieu d’u- ne belle contrée, de niveau avec le bord de la riviere jufqu’à une certaine diftance, couverte de beaux bois fans broflailles, & abondante en ex- cellent pâturage pour les beftiaux. Le lendemain fix Indiens vinrent informer le Colonel, que tous leurs chefs étoient aflemblés à environ 8 miles du Camp, & prêts à traiter avec lui de la paix, qu’ils défiroient fincérement de conclurre. Il leur fît dire, qu’il leur donneroit audience fous une Feuillée que l’on drefîeroit à quelque diftance du Camp. En attendant il or- donna d’élever ici un petit Fort palifî'aJé, afin d’y dépofer les provifions dont l’Armée a voit befoin pour fon retour, & de la débarrafler ainfi d’une grande partie de fon convoi : & comme on fe trouvoit voifins maintenant , à peu de miles du Camp, de plufieurs Corps confidérabjes de ces mêmes Indiens, qui, malgré leurs protefîations de défirer fincerement la paix, n'avoient que trop donné lieu, par leur conduite précédente, à fe méfier des beaux dehors qu’ils montroient, le Colo- 'a 40. 49 COLONEL BOUQUET. Colonel donna les ordres les plus rigides pour pré- venir toute furprife. Mercredi i7 me , le Colonel, avec la plus gran- de partie des troupes régulières, les Volontaires de Virginie & la Cavalerie legere , s’avança du Camp à la Feuillée dr rtee pour le Congrès. A peine ces troupes , difpofées à faire le plus de pa- rade poffible, eurent- elles pris porte, que les Indiens fe prëfentérent. On les conduifit à la Feuillée. Après avoir pris place, ils fe prefie- rent de fumer leur pipe, ou calumet, conformé- ment à leur ufage. Cette cérémonie étant fi- nie, leurs Orateurs pofant la pipe, ouvrirent les poches où étoient leurs cordons & ceintures de JVampum (*). Les Indiens préfents étoient, de la part des Senecas , Kiyafchuta leur Chef avec (*) Au lieu de jerter, comme on fait en Europe, les coquil- les d’une efpece de moules appel] ées Clams par les Anglois , on les recueille foigneufement en Amérique pour en faire de petites perles cylindriques, qui fervent aux Sauvages de monnoie 8c d’ornement.* c’eft-là leur Wampum. Ces coquilles, allez épaifles, font blanches partout, à la réfèrve de la pointe, qui eft violet- te ou pourprée tant en dehors qu’en dedans. C’eft de cette partie colorée de la coquille dont les Sauvages font Je plus de cas, 8c dont les tourneurs des Colonies : fabriquent le Wàmpum* Tout voyageur ou Trafiquant, qui va chez les Indiens muni de cette marchandée, eft fur de s’en défaire avec grand profit. Pour l’or 8c l’argent, monnoyé ou non monnoyé, ces peuples ne s’en fondent point. En revanche ils font aufii friands, que les Européens, du poifTon renfermé dans, ces coquilles. Voyage du Prof. Cahn dans V Amérique. Sept. Tara. II. p 385. c^r* Tom é III . p. $8 r. ds la Traduïïim Allemands. N. du Trad. D EXPEDITION d ti 5 $ 15 guerriers: de la part des Delawares , Cufla - loga chef de la Tribu des Loups ( IVolfe tribe) & Bcaver ou Cajlor , chef de la Tribu des Din- dons ( Turky-tribe ) avec 20 guerriers: de la part des Shawaneses , KeiJJïnautchta l’un de leurs chefs avec 6 guerriers. Kiyajbuta , Cœur * de -Tortue (Turtle-heart), Cu • Jlaloga & Cajlor furent les Orateurs. Ce qu’ils avoient à dire, confiftoit fommaire- inent en excufes , par lefquclles ils prétendoient pallier la conduite .perfide & brutale qu’ils avoient tenue à notre égard, en rejettant tout le blâme fur l’imprudente témérité de leurs jeunes gens, & fur les nations plus reculées vers l’Oueft: après quoi ils demandèrent la paix de la maniéré la plus humble & la plus abjeèle , promettant , chacun en particulier , de rendre tous les prifon: niers qu’ils avoient. Lorfqu’ils eurent fini , le Colonel leur dit en les congédiant , qu’ils auroient fa réponfe le lendemain; & l’Armée rentra dans le Camp. Mais le mauvais tems les empêcha de renouer la conférence jufqu’au 2o me ; & voici en fubftance ce qu’il leur dit alors. „ Que le prétexte dont ils prétendoient cou- „ vrir leur faute, en rejettant le blâme fur les ,, nations de l’Oueft & fur l’infolence de leurs ,, jeunes gens, étoit frivole & de nulle valeur; 5 , puifijue d’un côté il étoit en notre pouvoir de „ les protéger contre toutes ces nations s’ils 51 COLONEL ROUQUET. „ avoient imploré notre feconrs contre elles, & „ que de l’autre il étoit de leur devoir de conte- ,, nir , de châtier même leurs jeunes gens lors- 3, qu’ils faifoient mal, au lieu de fe laiffer diri- „ ger par eux Il leur Cappella pluGeurs exemples de leur, per- ,, fidie : ,, le maffucre ou la captivité de nos 3 , trafiquans, en pillant tous leurs effets, après ,, avoir demandé eux mêmes qu’on envoyât ces 5 , gens chez eux: le fiege mis devant le Fort ,, Pitt, bâti de leur confentement exprès: la 5 , violation énorme d’un droit regardé comme fa- 3, cré parmi toutes les nations, même les plus ,, Barbares, commife dans la perfonne de qua- ,, tre Envoyés publics, qu’ils avoient mis â 3, mort : l’attentat d’ofer attaquer les troupes du 5 , Roi l’année paffée dans les bois, &, malgré 3, le châtiment qu’ils en avoient reçu alors, d’ê- „ tre tombé de nouveau fur nos frontières , & d’y ,, avoir continué les hoftilités jufqu’à ce jour en 3, maffacranc nos gens”, &c. Il releva la mauvaife foi avec laquelle ils avoient rompu jufqu’aux derniers engagemens qu’ils avoient pris avec le Colonel Bradjtreet , lui promettant de rendre les prifonnîers Je io Septembre dernier , & de rappdler tous leurs partis de nos frontières : promeffe qu’ils n’a voient nullement accomplie, les prifonnîers étant toujours entre leurs mains, & plufieujrs des leurs étant, D ^ 5 * EXPEDITION dit au moment où il leur parloit, encore occupés â infefter les frontières. Il ajouta, que tout ce qu’il leur alléguoit là n’étoit qu’une petite partie des meurtres & des trahifons dont ils s’étoient rendus coupables, & que toute leur conduite en- vers nous avoit toujours été conftamment perfi- de. „ Vous avez promis, dit-il, à chaque Trai- té qu’on a fait avec vous, comme vous le ,, promettez maintenant , de nous livrer tous „ les prifonniers ; & à cette confidération vous 5 , avez reçu chaque fois des preTens d’un grand ,, prix : mais jamais vous n’avez rempli cet ,, article de vos engagemens; ou, pour mieux ,, dire , vous n’en avez rempli aucun. Cela ,, étant, je dois vous avertir que nous ne vou- ,, Ions plus être trompés par vos belles pro- 3 , méfiés. Cette Armée ne quittera pas votre , , pays, jufqu’à ce que vous ayiez fatisfait à tou- „ tes les conditions, fans exception, qui doivent ,, précéder un traité avec vous. „ J’ai avec moi les parens de ceux que vous „ avez maflacrés ou faits prifonniers. Ils s’impa- ,, tientent de tirer vengeance du mal que vous „ leur avez fait ; & ce n’eft qu’avec peine que je ,, puis les contenir, & vous protéger contreJeur ,, jufte reffentiment , qui n’eft retenu que par les ,, aflurances qu’on leur a données, qu’il n’y aura ,, de paix avec vous qu’autant que préalablement vous nous aurez donné fatisfaétion complette. - 5 . 3 , COLON EL BOUQUET. „ Les Ottawcis , les Chipwas , les Wyandots & „ autres Alliés que vous avez eu, ont fait leur ,, paix particulière avec nous. Les Six-Nations „ ont fait caufe commune avec nous contre vous. „ Aujourd’hui notre empire vous environne de „ toutes parts, puifque nous fournies en poffies- „ fion de toutes les eaux de Y Ohio , du MiJJîJJî - ,, pi , du Mîamis & des Lacs. Tous les Fran- ,, çois demeurants dans ces contrées font devenus 5, fujets du Roi de la Grande-Bretagne, & n’o- ,, feroient plus vous affilier. Il efl donc en notre ,, pouvoir de vous extirper de maniéré que vous ,, ne foyez plus un peuple — . Mais les Anglois 3) font une nation humaine & généreufe, ayant ,, en averfion l’effulion du fang même de leurs ,, plus cruels ennemis; & s’il vous étoit poffible „ de nous convaincre que vous vous repentez ,, finccrement de vos trahifons paffées , & que ,, nous pouvons nous repofer fur votre bonne ,, conduite à l’avenir, vous pourriez encore ef- ,, perer d’obtenir votre grâce & la paix — Si „ je m’apperçois que vous exécutiez fidèlement 3, les conditions préliminaires que vous allez en- „ tendre, je ne vous traiterai pas avec la fevéri- ,5 té que vous avez méritée. ,, A douze jours d’ici vous livrerez entre mes ,3 mains à JVaukaîamike tous les prifonniers , „ fans exception, que vous avez : Anglois, Fran» 5 , çois , femmes , enfans ; adoptés , mariés dans D 3 54 EXPE’DITI ON du „ vos tribus, enfin vivants parmi vous fous quel- ,, que dénomination ou a quelque titre que ce 3 , foit ; & avec eux tous les Negres : vous 5 , fournirez auffi à ces prifonniers les habits, les 3 , provifions & les chevaux qu’il leur faudra juf- qu’au Fort Pitt . „ Lorfque vous aurez accompli ces conditions 3, à la lettre, alors on vous fera favoir fur quel ,, pié vous pourrez obtenir la paix pour laquelle ,, vous follicitez — Ce difcours fit une impreflion fur leç Sauvages, qui probablement ne s’éfacera pas de long-tems. La rlob le fierté. & la fermeté avec laquelle le Co- lonel s’énonça; les reproches qu’ils avoient à fe faire eux - mêmes des torts auffi énormes que fré- quens où ils s’étoient mis vis-à-vis de nous; la préfence de ce même Chef & de cette même Ar- mée, qui les avoient fi févérement châtiés l’année précédente à Bushy - Run , avancés maintenant jufqifau cœur de leurs établiiïemens les plus recu- lés, fans avoir été arrêtés dans Ipur paflage par des D^ferts réputés impénétrables pour des trou- pes régulières: tout cela fit defcendre l’efprit hautain de ces Barbares jufqu’à l’abaiflement le plus rampant. C’eft ce qu’on remarque encore en jettant les yeux fur les difcours qu’ils pronon- ' cerent: on y diftingue peu de c es traits d’une éloquence male & féroce que leur infpiroit ci-de- vant l’infiexible efprit d’indépendance qui anime 55 * COLONEL BOUQUET. ces peuples. Et quoiqu’il ne fût pas douteux qu’ils n’euflent faifi avec joie l’occafion , fi elle fe fût préfente'e , de fe jetter fur notre Armée avec leur férocité ordinaire ; cependant la vigilance & la contenance fiere qu’ils remarquoîent à nos trou* pes , en leur ôtant tout efpoir de pouvoir ni les les attaquer ni les furprendre avec quelque ombre de fuccès , leur en impofa jufqu’à les faire paffer d’un extrême à l’autre, d’une arrogante hardiefle à une lâche pufillanimité. Heureux, & nous auiïi , fi les preuves que nous leur avons don- nées , dans la fituation vraiment critique où ils fe trouvèrent pour- lors , de notre humanité & de notre clémence , laifTent des traces auiïi pro- fondes dans leur cœur , que celles que notre va- leur & notre puiffance doit avoir laifiees dans leur mémoire: fi nous craignant comme un peu- ple redoutable, & nous aimant comme une na- tion bienfaifante , leurs efprits contenus par no- tre pouvoir , & leurs cœurs dilatés par nos bien- faits, fe difpofent peu-à-peu à goûter les douces diélces de la paix & de la vie civilifée. Le Lecteur me pardonnera , j’efpere , cette di- greffion , s’il penfe que c’en efc une. Je reprens ma narration. Les deux Chefs des Delawares , en terminant leur difcours le 1 7 me , produisent dix-huit prifonniers blancs, & quatrevingt - trois petits bâtons repréfentant le nombre des autres prifonniers qu’ils avoient en leur pouvoir , & D 4 f 56 EXPEDITION do qu’ils promirent d’amener le plutôt pofiible. Au- cun des Rois des Shawancfes ne parut au Con- grès ; & Keiffinautcbta leur Député s’excufa de parier jufqu’à - ce que le Colonel eût répondu aux Delawares : alors il promit en réchignant , mais d’un air découragé , que fa nation fe fou- mettroit aux termes de raccommodement preferit aux autres Tribus. Malgré facquiefcement apparent des Barbares à cti article, le Colonel, convaincu que la préfen- ce de l’Armée feroit le moyen le plus efficace de leur faire accomplir leurs prometTes , réfolut de marcher en avant, & demanda à chaque nation quelques-uns des leur pour l’accompagner. Avant que l’on fe féparât, K y aj buta s’adrefTa aux diverfes nations ,, les exhortant à remplir exaftement l’engagement qu’ils venoient de con- traéler, afin de fe laver du reproche de perfidie que leur avoit attiré leur conduite paffée, & de convaincre leurs freres les Anglois, qu’ils favoient dire vrai ; ajoûtant qu’il fe propofoic de conduire ] ai même l’Armée au lieu défigné pour l’exhibi- tion des prifonniers. Lundi 2 2 me , l’Armée accompagnée des Dépu- tés Indiens pafla Margaict’s - creek (*) large d’en- viron cinquante piés , & campa au N°. 14, après 9 miles de Marche. Le jour fuivant elle (*) ka Crïqus Marguerite» 57 COLONEL BOUQUET. fit feize miles un quart & foixante & dix-fept perches jufqu’au Camp N°. 15, où il y eut halte d’un jour. Jeudi 25 me , on marcha fix miles & demi fei- ze perches jufqu’au Camp N°. 16, ficué à un mi- Je à peu près de la jonction des bras du Musking - ham : & ce lieu fut choifi , par préférence à celui de JVaukatamike , comme le plus convenable à la réception des prifonniers ; car 011 fe trouvoit * là au centre des villes Indiennes , disantes depuis fept jufqu’à vingt miles, excepté la ville baffe des Shawanefes fur la riviere de Scioto, éloignée d’en- viron quatre-vingt miles; en forte qu’il étoit au pouvoir de l’Armée de tenir en échec tous les établiffemens de J’ennemi , de tomber fur leurs villes & de les détruire, s’ils ne fe montroient pas ponéluels à remplir leurs engagemens. On con- ftruifit quatre Redoutes aux quatre angles du Camp. On en dégagea les devans , en coupant le bois qui l’offusquoic. ■ On érigea un magafin pour les provifions , & une maifon pour y rece- voir les Indiens & traiter avec eux à leur retour. Enfin on éleva encore trois autres bâtimens, di* vifés en appartemens féparés les uns des autres, pour y loger les captifs des provinces refpeftives; 6 c l’on établit dans chacune un Intendant , & une femme pour avoir foin de fon fexe & des en fans.. Tout cela, avec les maifons où mangeoient les Officiers, les Fours &c. donnoit au Camp l’air D 5 EXPEDITION dit 53 d’une petite ville, dans laquelle on voyoit regner le plus grand ordre & la régularité la plus parfaite. Samedi 27 me , il arriva un meflager du Roi Cujïaloga , portant avis qu’il étoit en chemin avec fes prifonniers ; & un autre de la part des villes- baffes des Shawanefes , avec la même nouvelle. Cependant le Colonel , à qui la bonne volonté de ces derniers étoit un peu fufpeête, trouva bon de leur envoyer quelqu’un des leurs, pour les exhor- ter ,, à être ponêluels par rapport au tems limité,* „ à fournir la quantité de provifions fuffifante 3) pour la fubfi (lance des prifonniers ; & à lui 5 , apporter les lettres que lui avoic écrites J’hiver „ pafle le Commandant François du Fort Char - ,, très, & que quelques-uns de leurs gens a voient ,, retenues”. Il ajouta, que „ comme leur na- „ tion avoit témoigné quelque inquiétude, fur ce „ que nous avions refufé de leur toucher dans la ,, main, on leur faifoit favoir, que jamais les An- 5 , glois ne donnoient la main à leurs ennemis „ avant l’cntiere conclufion de la paix Le jour fuivant ce meflager Shawanefe revint , difant qu’après avoir été jufqu’à Wankatamïke , le Chef de cette ville s’étoit chargé d’aller faire le meflage lui- même, voulant que l’autre s’en re- tournât pour dire aux Anglois que tous fes pri- fonniers étoient prêts à partir, & qu’il alloit prefler les villes inférieures d’accélérer le départ des leurs. I i COLONEL BOUQUET. 59 Le 2 8 O&obre arriva de Sandasky Pierre y Chef des Caugbnawagas , avec vingt hommes de fa nation, chargé d’une lettre du Colonel B/azi- /frm en réponfe de celle que le Colonel Bouquet lui avoit écrite du Fort Put par deux des In- diens, qui, comme on l’a rapporté, étoient ve- nus les premiers lui parler en faveur des Shawa - ■ nefes. „ La lettre du Colonel Bradflreet portoit en ■ ,, fubftance, qu’il n’avoit rien réglé avec les Sha- ,, wanefes , ni avec les Ddcmares , & qu’ils ne lui ,, avoient point livré de prifonniers: qu’il avoit ,, fait part à toutes les nations, jufqu’aux Ihnois , ,, à la Baie &c. des inftruélions qu’il avoit re- ,, çues du Général Gage par rapport à la paix ,, conclue dernièrement : qu’il étoic entré dans le ,, Lac de Sandusky , & que de-là il avoit remon- 5 , té la riviere, autant qu’elle fe trouvoit naviga- 5 , ble pour les canots Indiens, pendant près d’un ,3 mois : qu’enfin il lui avoit été impoflible de fé- 3, journer plus longtems dans cette contrée , Fab- s 3 , folue nécefîité l’ayant oblige de Ven retourner 3, par un autre chemin &c. Il n’y a pas de doute que le Colonel Bradflreet: ne fît dans fon département tout ce que les con- jonélures lui permirent d’exécuter : mais la cir- conflance de ne pouvoir camper près du Lac San - dusky, conformément au plan général, jufqu’à ce que tout fût réglé avec les Indiens de Y Ohio 9 eût 6o EXPEDITION du pu produire des incidens fâcheux , fi par bonheur le Colonel Bouquet n’eût pas eu avec lui les Chefs des diverfes tribus , & fi les Indiens , le voyant à leurs portes, euflent eu d’autres reflources pour fe garantir de la deftruétion , que celle de fe fou- mettre de bonne grâce aux conditions qui ve- noient de leur être impofécs. Les Caughnawagas rapportèrent , que les In- diens des Lacs avoient livré très peu de prifon- niers ; que les Ottawas avoient fait mourir une grande partie des leurs ; & que les autres na- tions avoient auffi ou tué ou gardé ceux qu’ils avoient. Depuis ce jour jufqu’au 9 Novembre les Mef- fagers ne firent qu’aller & venir entre le Camp & les villes des Indiens pour ce qui regardoit les prifonniers: & il en venoit tous les jours de ceux- ci par petites troupes, à mefure que les différen- tes nations arrivoient , au pouvoir de qui ils étoient. Quant au Colonel , il tint 11 ferme fur cet article , que lorfque les Rois des Delaw ti- res , Cafior & Cujlaloga , eurent amené tous les leurs à la réferve de douze, qu’ils promirent: de livrer en peu de jours , il refufa de leur tou- cher la main & d’avoir aucun entretien avec eux , tant qu’il refleroit un feul captif entre leurs mains. Le 9 Novembre la plupart des prifonniers que l’on avoit à attendre dans cette faifon étoient arri- COLONEL BOUQUET. <5i vés, montant à 206 (*) en tout : fans compter encore une centaine de plus appartenant aux Sha - wanefes , & que ceux-ci promirent de livrer au printems. Parmi ceux qui furent amenés pour le coup, étoit Mr. Smallman , ci-devant Major dans les troupes de Pevfyhanie , & qui avoit été pris- l’Eté dernier près du Détroit par les Wyanàots , & livré par ceux-ci aux Shawanejes. Il apprit au Colonel pour quelle raifon on n’avoit pas amené le relie des prifonniers; c’eft que pîufieurs des chefs de famille , à qui ils appartenoient , étoient allés trafiquer avec les François, & ne pouvoient être de retour que dans fix femaines: mais tous les autres, dit-il, de la nation, qui fe trouvoient chez eux, ont envoyé ou amené les leurs. Il ajoûta , qu’à l’entrée de l’Armée dans le pays, & fur le bruit qui fe répandit parmi les Sbawansfes que notre intention étoit de les exterminer tous , ils prirent la réfolution de maliacrer leurs prifon- niers & de nous combattre: qu’un trafiquant François qui étoit chez eux , & qui avoit plulieurs barriîs de poudre & de balles , leur fit préfent de toute la partie fitôc qu’il eut appris qu’ils en étoient venus à cette réfolution: qu’heureufement pour les (*) Virgmens J? Hommes. . . . e Femmes 6c Enfans. P enfy haïtiens Hommes. . . . v. Femmes 6c Enfans. . 3* . 50 . 49 . 67 t 20$ En tou: 62 EXPEDITION dü pauvres captifs , dans le tems où les Shawanefes fe préparoicnt déjà à exécuter cette fanglante tra- gédie, ils reçurent le meflage du Colonel, qui les informa que fon intention n’étoit que de délivrer les prifonniers , & de faire la paix avec eux aux mêmes conditions qu’il accorderoit aux Delà - wares. Cette nouvelle, continua le Major, fit fufpen- dre aux Sauvages l’exécution de leur cruel def- fein; & ils fe mitent à raffembler tous les prifon- niers qui pou voient être livrés préfentement. Mais ayant ouï dire peu après, qu’un de nos Soldats avoit été tué proche du Camp à Mus- kingham , & que l’on accufoit quelqu’un de leur nation d’avoir commis ce meurtre, ils s’imaginè- rent déréchef que nous allions faire tomber fur eux notre relfentiment , & refolurent encore une fois de fe battre contre nous à toute outrance. Dans ce deffein , étant déjà à Waukatamïke avec les prifonniers lorfque cet avis leur parvint/ ils les raflemblerent tous à la campagne, prêts à les égorger, lorfque la divine providence , & la pru- dente prévoyance du Colonel Bouquet , firent ac- courir un fécond exprès, qui les afllira que leur nation , loin d’être accufée , n’étoit pas même foupçonnée d’avoir eu aucune part au meurtre en queftion. Sur quoi ils s’acheminèrent au Camp avec les captifs, qui échaperent ainll deux fois de fuite au péril le plus imminent d’être les trilles viêtimes de la férocité de ces Barbares. COLONEL BOUQUET. Vendredi 9 Novembre, le Colonel , accompagné de prefque tous les principaux Officiers de l’Ar* mée, fe rendit à la maifon deftinée pour y tenir les conférences. On commença par traiter avec les Senecas & avec les Delawares. Kiyashuta , avec dix guerriers, repréfentoit les premiers; Cuftalo - ga , à la tête de vingt guerriers , les autres. Kigafhuta porta la parole. „ Avec ce cordon ,, de JVampum , dit-il, j’efiliie les larmes de vos „ yeux. Nous vous remettons ces trois prifon- ,, niers, les derniers de votre chair & de votre ,j fang qui foient reftés parmi les Senecas , & par- „ mi la Tribu Delaware de Cnjîaloga . Avec cet- „ te ceinture (*) nous aflemblons, réunifions & „ enféveliffons les ofiemens de ceux qui ont été 3, tués dans cette malheureufe guerre , que le ma- „ lin Efprit a excitée entre nous. Nous couvrons ,, ces os enfeveîis , afin qu’il n’en foit jamais plus ,, queilion. Encore une fois nous couvrons de 3, feuilles le lieu de leur fépulture, afin qu’on ne 3, puifife plus le voir. Et comme nous avons été „ longtems détournés les uns des autres, & que „ le chemin entre vous & nous a été bouché ; 3, nous étendons cette ceinture ici , afin qu’il foit ,, rouvert & nettoyé , & que nous puiffions voya- „ ger en paix pour aller voir nos freres, comme „ nos ancêtres om fait : tant que vous la tiendrez (*) Une ceinture ou cordon eü: toujours remis entre les mains éîe l’autre partie, lorfqu’il en eil ainii fait mention. 64 EXPEDITION du „ ferme par un bouc , & nous par l’autre, nous 3 , ne faurions manquer de découvrir & prévenir 5) tout ce qui pourroit troubler notre amitié Le Colonel répondit „ qu’il avoit écouté avec „ plaifir ce qu’ils venoient de lui dire; qu’il ac- „ cepeoit les trois prifonniers comme les derniers 3 , qu’ils avoient à lui remettre ; & qu’il fe joignoit „ à eux pour enterrer les os de ceux que la guer- 5 , re avoit confumés, enforte que le lieu même ,, de leur tombeau fût éfacé de devant les yeux des vivants. Quant à la paix, continua- 1 - 5 , il , vous l’aurez , je ne m’y oppofe plus. Le ,, Roi, mon maître & votre pere, ne m’a en- ,, voyé que pour faire la guerre : il a d’autres ,, ferviteurs employés aux affaires de la paix. Le ,, Chevalier Guillaume JuknJon eft muni du plein- ,, pouvoir de traiter avec vous. C’efl à lui qu’il faudra vous adrefli-r. Mais avant que je vous ,, donne congé d’aller vers lui, nous avons deux 3) chofes à régler enfemble. „ i. Comme la paix ne fauroit être finalement 3 , conclue ici, vous me remettrez deux otages 3, pour les Senecas, & deux autres pour la Tribu „ de Cujlaloga , afin de refter entre nos mains au 3, Fort Pitt , comme une fûreté pour nous, que „ vous ne commettrez plus aucune hoftilité ni 3 , violence contre qui que ce foit des fujets de „ Sa Majdté : & lorfque la paix fera faite & ar- „ rétée , ces otages , dont on aura tout le foin „ imagi- COLONEL BOUQUET. 65* ,, imaginable, vous feront rendus fidèlement* „ 2. Il faut que les Députés que vous en ver- „ rez au Chevalier Guillaume JohnJon , foient plei- j, nement autorifés de votre part à traiter pour 3 , vos Tribus , & vous devez vous engager à ,, vous en tenir à ce qu’ils auront fiipulé. Dans ,, le Traité qu’on fera avec vous, tout ce qui „ concerne le trafic & autres matières, fera ré- „ glé par le Chevalier Guillaume de maniéré à „ rendre la paix durable à jamais: & les Dépu- „ tés que vous lui enverrez, auffi bien que les j, otages que vous me remettrez , vous les nom- „ merez devant moi , & me les préfenterez pour „ avoir mon approbation ”. Enfin le Colonel promit de leur renvoyer les deux Indiens, Capitaine Pipe & Capitaine 'Jean , qu’il avoit retenus au Fort Pitt : après quoi , pour la première fois , il leur donna la main, qu’ils reçurent avec beaucoup de joie. Le jour d’après, 10 Novembre, on tint une autre conférence avec les Tribus Delawares des Dindons & des Tortues : Je Roi Caflor , accompa- gné de trente guerriers , repréfentant les pre- miers, dont il étoit le Chef; & Kelappama, fre- re (*) du Chef des autres, avec vingt-cinq guer- riers, repréfentant les derniers. Les Senecas & ia Tribu Delaware de Cufialoga furent préfents (*) Le Chef même de la Tribu des Tortues, pour certaines gaifons, ayoit jugé à-propos de s’abfenter. E 66 EXPEDITION do suffi. Leur difcours, & la réponfe qu’ils reçu- rent , revenoient à ceux de la veille : fi ce n’efl que le Colonel infifta pour qu’on lui livrât un Anglois , qui , après avoir tué une perfonne fur nos frontières , leur en avoit apporté le péricrane avec la chevelure. Ils dévoient auffi , pour cha- cune de leurs Tribus, nommer le même nombre de Députés, & remettre le même nombre d’ota- ges, de la maniéré qu’on l’avoit réglé pour la Tri- bu de Cufialoga. Dimanche 11 e Novembre, le Roi Cajlor pré- fenta fix otages pour refier avec le Colonel Bou- quet , & cinq Députés pour traiter avec le Che- valier Guillaume Johnfon , qui furent tous approu- vés. Ce même jour le Colonel fit part aux Chefs qui fe trouvoient préfents, des raifons qu’il avoit d’être mécontent de la conduite de Nettowhatways , chef de la Tribu des Tortues , qui n avoit point paru , & que pour cette raifon il dépofa, ordonnant à la Tribu d’en élire un au- tre, & de le lui préfenter pour avoir fon ap- probation : ce qui fut fait peu de jours après. Vous fouriez, Leêteur, en lifant ceci. Il eft vrai que l’on ne voit point ici l’éclat ni les autres circonfiances capables de flatter le Commandant quidépofeun Nabab des Indes - Orientales. Con- venons cependant qu’il eft des grandeurs de diffé- rente efpece; que de pénétrer dans les Deferts où les farouches Américains font leur réfidence. COLONEL BOUQUET. 67 & d’an regard d’indignation les faire defcendre du tronc informe qui leur fert de trône , ce n’efl pas l’ouvrage d’une réfolution ni d’une fermeté com- mune; & que leur foumiffion à la volonté fuprê- me du vainqueur , montre à quel degré d’humi- liation ces efprits jufqu’alors indomtables fe fen- toient réduits. Pourfuivons. Il refloit encore à traiter avec les Shawanefes. Cette nation , tout en fe foumettant aux mêmes conditions que les autres Tribus fes alliées , n’a- voit pas lailîe de faire paroître dans toute fa con- duite une lenteur & un air réfrogné, qui ren- doient fes intentions très fufpeêles. Le 12 Novembre fut le jour du congrès avec eux. Ils étoient repréfentés par KeiJJïnautchtha & Nimwha , deux de leurs chefs, accompagnés du Faucon - rouge , de Lavtjfhno , de Benfivafica , d ’ Evoeecunwce , de Keigleighque , & fuivis de qua^ rante guerriers. Les chefs des Caughnawagas , des Senecas & des Delawares furent préfents , avec environ foixante guerriers. Le Faucon -rouge fut l'Orateur; & comme fon difcours fut un mélange fingulier de fierté brutale & d’humble foumiffion , j’en rapporterai quelques lambeaux, pour mettre le Leêlcur en état d’en juger. Frere. „ Ecoutez vos jeunes freres. Comme nous „ découvrons dans vos yeux un certain méconH E 2 6 $ EXPEDITION dit ,, tentement par rapport à nous, nous effuyons „ & éfaçons maintenant toute chofe mauvaife >, qui a été entre vous & nous, afin que vous „ puifiiez voir clair. Vous avez entendu beau- ,, coup de mauvais rapports de nous: nous en „ nettoyons vos oreilles, afin que vous puifiiez ,, nous écouter. Nous balayons tout ce qui efi: „ mauvais de votre cœur, afin qu’il foit comme „ le cœur de vos ancêtres, quand ils ne pen- „ foient rien que de bon ”. ( Ici il remit un cordon au Colonel.) ,, Frere, lorfque nous vous vimes marcher ,, vers ces quartiers, vous avanciez contre nous „ le Tomahawk en main : mais nous , vos jeunes ,, freres, le pre.nons de vos mains, & le jettons ,, en haut vers Dieu (*) , afin qu’il en difpofe ,, félon fon bon plaifir; moyennant quoi nous eP „ pérons de ne jamais plus le voir. Permettez- ,, nous donc, Frere, de vous prier, vous qui ,, êtes un guerrier, de prendre cette chaîne d’a- ,, mitié (tendant un cordon) & de la recevoir „ de nous,' qui femmes guerriers aufii. Ne pen- „ fons plus à nous faire la guerre , par pitié pour (*) La figure ufitée dans leurs difcours en concluant une paix, eft cf enterrer le Tomahawk ou la hache d’armes : mais comme il eft poftible de déterrer une relie hache, l’Orateur s’a> vifa de l’expreftion neuve de la jetter en haut 'vers Dieu, ou *vers le ion Efprit , comme d’un emblème plus fort, félon lui, de la durée 5c de la fiabilité de la paix qu’il s’agifioi; de eon- clurre. COLONEL BOUQUET. 6 t) „ nos vieillards , nos femmes & nos enfans Il donnoit à entendre par ce dernier trait , que ce n’étoit que par pure compaffion pour fimbécil- licé de l’âge & du fexe que fa nation defiroit .la paix. Après cela, ayant produit le Traité fubfiftant entre eux & le Gouvernement de Penfylvanie de- puis 1701 , avec trois miffives de différentes da- tes de la part du même Gouvernement, il finit en difant. „ Maintenant, Frere, oublions, je vous prie, ,, vous & nous, tout guerriers que nous fommes, „ nos querelles, & renouvelions l’amitié que ces ,, papiers nous rappellent avoir fubfiflé encre nos ,, peres Il promit enfuite, pour ceux de la nation qui étoient à la chaffe , & à une trop grande diflance de chez eux pour pouvoir être avertis de venir affilier au Traité, qu’ils fe ren- droient certainement au Fort P ht le printems prochain avec le refie des prifonniers. La faifon déjà fort avancée ne permettant pas au Colonel de s’arrêter plus long-tems dans ces lieux écartés , force lui fut de fe montrer fatisfoic de ce que les Shawanefes lui avoient amené de prifonniers , & de fe fcrvir des moyens les plus ef- ficaces qu’il put pour s’affurer de leur fidélité, en fe faifant remettre des otages , & leur fai fa ne prendre les engagemens les plus forts pour la dé-* livran ce du refie. E 3 7® EXPEDITION du Il les cenfura févcrement de leur conduite pas- fée, leur difant „ que leur difcours lui eût été „ plus agréable , fi leurs aâions avoient répondu ,, à leurs paroles. Vous avez beaucoup parlé, ,, leur dit -il, de paix: mais vous avez négligé ,, de remplir la feule condition qui peut vous la 3, faire obtenir. Keijfinautchtha , fun de vos 3 , Chefs , me vint trouver il y a un mois k y> Tufcarowas , & accepta pour votre nation les ,, mêmes articles préliminaires de paix qui fu- 3 , rent preferits aux Scnacas & aux Deîawares , 3, promettant de me rejoindre ici à dix jours de- „ là avec tous vos prifonniers. Après m’avoir ,, fait attendre jufqu’à préfent , vous venez à la ,, fin avec une partie feulement de ces prifon- ,, niers, & vous renvoyez au printems de met- ,, tre en liberté ce qui vous en relie. Quel droit 3 , avez -vous de prétendre à être diftingués en , ceci des Ddawares , &c. qui m’ont donné fa- ,, tisfa&ion entière par leur promte foumifiion à ,3 tout ce que j’ai exigé d’eux '? Mais pour ne ,, pas perdre le tems en vaines altercations, & ,, avant que d’aller plus avant avec vous, j’in- ,, fifte pour que vous répondiez fur le champ ,, aux questions fuivantes. i. „ Vous engagez-vous à raflembler & livrer „ tous les captifs que vous avez encore en main, ,, ainfi que les François qui vivent parmi vous, ,, avec tous les negres que vous nous avez enle- COLONEL BOUQUET. 71 „ levés dans cette guerre & dans les précéden- „ tes; & cela fans exception ou défaite quelcon- „ que, par laquelle vous pourriez elpérer de „ fruftrer notre attente ? 2. ,, Confentez - vous à remettre entre mes „ mains fix otages , qui me répondront de votre ,, exactitude à exécuter l’article précédent, & de ,, la fureté immédiate des fujets de Sa Majefté , „ & de leurs biens quelconques, contre les hofti- ,, îités de vos Tribus? ” Benevijfico prit alors la parole , pour dire ,, qu’ils acquiefçoient à donner les otages requis : ,, qu’il alloit lui - même faire le tour des villes du ,, pays d’en -bas, pour raffembler notre chair & „ notre fang qui refloit parmi eux ; & que nous ,, les verrions arriver au Fort Pitt le plutôt qu’il , , feroit poffible (*): que pour ce qui regardoit ,, les François, ils n’avoient aucun pouvoir fur ,, eux ; que ces gens étoient fujets du Roi d’An- ,, gleterre, & que nous en pouvions faire ce qui ,, nous plaifoit ; mais qu’il fuppofoit qu’ils s’en „ étoient retournés actuellement tous dans leur „ pays Ils préfenterent enfuite leurs otages; & le Co- lonel leur dit „ que quoiqu’il fût venu avec le Tomahawk „ levé dans fa main, néanmoins, „ puifqu'iîs avoient pris le parti de fe foumettre, (*) On peut voir par l’Apoftille ajoutée à cette Relation, que les S&awanefes ont rempli fidèlement leur promefle. E 4 7 * EXPEDITION du „ il ne le feroit point tomber fur leurs têtes, „ mais qu’il le laifleroit tomber à terre pour n’ê- ,, tre plus vifible : qu’il les exhortoit à témoigner ,, de la bonté aux captifs, & à ne les plus con- „ fidérer comme prifonniers, mais comme leurs ,, frtres Il ajoûta „ qu’il fe propofoit de lais- „ fer aller avec les Indiens quelques-uns des pa- „ rens de ces captifs, qui s'impatientaient de les ,, voir raflembler & conduire au Fort Put *\ Enfin il leur promit „ de leur donner des lettres 9 , pour le Chevalier Guillaume JohnJon pour avan- ,, cer & faciliter l’ouvrage de la paix , les exhor- „ tant d’être de leur côté exaêts dans l’exécution 5 , de ce qui avoit été ftipulé d’avance Les Caughnavoagas , les Delawares & les Sene- cas éleverent alors la voix , & chaque nation à fon tour traitant les Shawanefes de petits-fils ou de neveux, leur recommandèrent „ d’accomplir „ leurs promeffs , & d’être aêtifs à faire le „ bien , afin que cette paix pût être durable à „ jamais Je vais préfentement ébaucher une fcene réfer- vée à deffein pour cet endroit ici , afin de ne point interrompre le fil de la narration qui la pré- cédé : fcene qu’aucun langage ne fauroit exprimer que foiblement ; qui eût fourni au Poète , au Pein- tre, matière à renchérir fur le coloris le plus vif qui fe foit jamais broyé des paffions humaines; au Phiiofophe, l’ample fujet de fes réflexions Jes \ 73 COLONEL BOUQUET. plus férieufes ; & à l’Homme, dequoi exercer toute la tendre compaffion dont Ton ame eft fuf- ceptible. La fcene dont je veux parler, c’eft l’arrivée des prilonniers au Camp Là fe voyoient des peres & des meres, reconnoifTant , puis tour-à- tour ferrant dans leurs bras , prenant contre leur fein , les tendres gages de leur amour , dont la perte leur avoit coûté tant de larmes ; des maris au cou des cheres moitiés qui leur étoient enfin rendues ; des freres & des fœurs , furpris de fe rencontrer ici après une longue féparation , à- peine capables de comprendre le langage les uns des autres, & doutant d’abord s’il étoit pofiible qu’ils fufient enfans des mêmes parens. Tandis qu’autour des uns fe aiverfifioient à l’infini les expreffions touchantes de la joie & du raviffe- ment , des mouvemens bien différens fe pei- gnoient dans les regards égarés des autres: Fin- quiétude donnoit des ailes à ceux-ci; ils voloient de place en place, demandant avec emprefie- ment où étoient donc ceux qu’ils ne trouvoient pas? tremblants d’avoir réponfe à leurs qu.: (lions; miférablenient partagés entre le doute, l'fefpërance & la crainte , lorfqu’ils ne pou voient rien appren- dre de ceux que leurs yeux cherchoient ; ou im- mobiles d’horreur & de douleur profonde à la terraffante nouvelle de leur tragique fin. Les Indiens, qui l’eût cru, les Indiens, ou- E 5 74 EXPEDITION du bliant leur férocité , relevèrent encore l’intérêt de ce tableau mouvant. Il en coûtoit à ces cœurs , crus fi durs , ils fouffroient , de devoir livrer leurs chers captifs ; ils verfoient fur eux des torrens de larmes , prioient , conjuroient , fupplioient rOfficier commandant, de les prendre fous fa proteêtion & d’en avoir un foin tout particulier. Leurs attentions fe foûtinrent pendant tout le tems qu’ils reflerent au Camp. Chaque jour on les voyoit venir leur apportant du blé & des peaux de bêtes fauvages, leur amenant les che- vaux & tous les autres effets qu’ils leur avoient donnés, les forçant même à accepter de nou- veaux préfens , & leur donnant toutes les mar- ques qu’ils purent imaginer, de l’affeêtion la plus fincere & la plus tendre. Que dis- je, ils ne s’cn tinrent pas là. Quand l’Armée fe mit en mar- che , plufieurs de ces Indiens folliciterent la per. miffion d’accompagner leurs bons amis jufqu’au Fort Pitt ; & fur toute la route ils ne firent que chaffer & chercher toutes fortes de provifions pour eux. Un jeune Mingo fut celui de tous qui porta le plus loin la fenfibilité ; & la preuve d’amour qu’il donna , paroîtroit avec avantage même dans un Roman. Parmi les captifs de Vir- ginie étoit une jeune perfonne à laquelle il s’étoit fi fortement attaché, qu’il ne l’appelloit plus que fa femme. Sourd à toutes les remontrances qu’on put lui faire, fur l’éminent danger où il 75 COLONEL BOUQUET. s’expofoit en approchant des frontières , il pafla outre , & perfifta dans le defiein de la fuivre , au rifque d’être tué par les parens de ceux qui avoient été pris ou mutilés par fa nation. Sa vie étoit de voir, de contempler, de fervir Fanny- fa mort d’être féparé d’elle. Ces qualités dans des hommes fi fauvages, ont droit à notre eftime. Elles nous apprennent à confidérer charitablement leurs barbaries comme les feuls effets d’une mauvaife éducation, & des faillies notions de bravoure & de héroïfine dont ils font imbus dès leur naiflance ; à diftinguer dans leurs vertus le foin qu’a pris la nature d'en faire des fujets au fil capables de culture que nous; & à penfer que les avantages que nous avons fur eux , nous appellent à leur prêter à cet égard tous les fecours qui dépendent de nous. Tout cruels & impitoyables qu’ils fe montrent à la guerre par l’habitude & par la force de l’exem- ple , ils ne laiflent pas , lorfque la voix de l’humani- té a pénétré jufque dans leurs cœurs durs, de pra- tiquer des vertus que des Chrétiens peuvent imi- ter fans rougir. Quand une fois ils ont donné la vie , ils donnent avec elle tout ce qui dans leurs idées doit l’accompagner. Quelque perquifition qu’on ait faite, on n’a pas trouvé un feul exem- ple, qu’ils ayent épargné la vie d’une femme dans des vues malhonnêtes, ni qu’ils ayent rien entrepris fur l’honneur d’aucune. L’enfant cap- EXPEDITION du 76 tif eft traité , par ceux qui l’adoptent , com- me l’enfant de la famille. L’efclavage perpé- tuel des prifonniers de guerre, eft une notion que leur barbarie feule n’a pu leur fuggérer en- core. Tout captif que leur affe&ion , leur ca- price, ou telle autre raifon les porte à laifler vi- vre, eft bientôt incorporé avec eux, & parta- ge leur fort. Je me fuis un peu arrêté fur ces exemples in- attendus de tendrefle & d’humanité de la part de ces Indiens fauvages. Je pourrois citer grand nombre de pareils traits de nos gens: mais comme on ne les trouveroit pas fi rares de leur part, il fuffira d’en rapporter un feui, qui pourra faire ju- ger des autres. Dans une des troupes de captifs qui furent ame- nées fucceftivement au Camp à Muskingham , il y eut une femme ayant un enfant de trois mois à fon fein. Un Volontaire de Virginie la recon- nut d’abord pour être fa femme. Elle lui avoic été enlevée fix mois auparavant par les Indiens. On la lui rendit fur le champ. L’Epoux en ex- tafe la reçoit dans fes bras, vole avec elle à fa tente, & la couvre ainfi que l’enfant de vête- mens convenables. Mais leur joie , après les premiers tranfports, ferallentit tout d’un coup au fouvenir d’un autre enfant pris avec la mere , & féparé d’elle. Il ne paroiffoit point, quoiqu’il fut arrivé divers autres enfans. r COLONEL BOUQUET. 77 Peu de jours après on amena d’autres prifon- xiiers , & bon nombre d’enfans avec eux. On fe hâta d’appeller la femme, & on lui en produifin un , qu’on fuppofoit pouvoir être le fien. A la première vue elle douta; bientôt fon œuil atten- tif démêla & fe remit fes traits. Alors l’excès de fa joie lui ôte la parole, elle oublie l’enfant qui pend à fa mamelle , le lailîe échaper , fai- lle l’autre , le prefTe contre ion fein , fond en lar- mes , & l’emporte. Le pere ramafle le petit in- nocent qui avoit gliffé à terre, & fuit fa femme, affeêlé , hors de lui comme elle. Divers autres enfans , ayant été enlevés très- jeunes , avoient cru & grandi parmi les Indiens. Pour ceux-ci on ne pou voit s’attendre à leur voir témoigner quelque joie d’être rendus à leurs parens ou proches. Accoutumés à regarder les Indiens comme les feuls au monde qui les tou- choient de près , ayant toujours été traités d’eux avec tendreiïe, & ne parlant que leur langage, il n’eft pas étonnant qu’ils regardaient leur nouvel état comme un efclavage , & que leur féparation d’avec les Sauvages leur coûtât des larmes. Avouons cependant qu’il y a eu même des gens faits & d’un certain âge, qui témoignèrent de la répugnance à revenir parmi nous. Les Shawane - fes fe virent obligés d’en lier plufieurs, & de les traîner tout le long du chemin jufque dans le Camp. Quelques femmes , après avoir été li- EXPEDITION du 78 vrées, trouvèrent moyen de fe fauver, & de re- tourner dans les villes des Indiens : d’autres, qui ne purent fe dérober à la vigilance de leurs furveil- lans , fe tenoient collées au cou de leurs fauvages amis lorfqu’il falut fe quitter, ne pouvoient en être arrachées, & pafferent des jours entiers à fe défoler, fans vouloir prendre de nourriture. Suppofons , pour l’honneur de l’humanité , que ces perfonnes ont été du plus bas étage, élevées dans l’ignorance & dans la mifere : fuppofons du moins qu’elles ont vécu allez longtems parmi les Indiens, pour avoir oublié toute la connexion quelles ont pu avoir avec des peuples civilifés. Car quelqu’indépendante , quelqu’exemte de con- trainte que foit la vie fauvage , elle ne fauroit af- furémenc entrer en comparaifon avec la douceur, avec la félicité de la vie fociale éclairée par une religion faine , dans tout efprit qui a eu le bon- heur de goûter , & la capacité d’apprécier cette derniere. Toutes chofes étant réglées avec les Indiens, l’Armée décampa le Dimanche 18 Novembre, & reprit le chemin du Fort Pitt , où elle arriva le 28 me . On envoya tout de fuite les troupes ré- gulières en garnifon dans les divers portes de com- munication ; & l’on fit partir les troupes provin- ciales , avec les captifs , pour leurs provinces ref- pe&ives. C’ert ainfi que finit cette expédition , re- marquable fur- tout en ce que, nonobftant les dif- COLONEL BOUQUET. 79 ficultés qui raccompagnèrent , les troupes ne man- quèrent jamais du néceffaire, & qu’elles furent confervées en parfaite fanté pendant toute la cam- pagne , qui ne coûta la vie qu’au feul homme qui, comme on l’a rapporté , fut tué dans les environs de Muskingham. Au commencement de Janvier 1765 le Colonel Bouquet arriva à Philadelphie , recevant, par -tout oùilpaffa, les acclamations pleines de témoigna- ges d’eflime & de gratitude du peuple en géné- ral , & des parens en particulier de ceux qu’il avoit délivrés 11 heureufement , & fans effufion de fang, de la captivité, pour les faire rentrer dans le fein de leur patrie & de leurs familles. Le Gouvernement ne fut pas moins empreffé que la voix publique à honorer fes importuns fervices : & l’Aflemblée de Penfyhanie , à fa première féan- ce, lui vota unanimément l’adrefTe fuivante. En Assemblée, 15 Janvier 1765. A. M. A l’Honorable Henry Bouquet, Chev. Commandant en Chef des Forces de Sa Majes- té dans le Département de l’Amérique méridionale Adrefle des Répréfentants des Francs -Hom- mes de la Province de Penfyhanie dans FAf- femblée générale. Monsieur, „ Les Répréfentants des Francs- Hommes de la j, Province de Penfyhanie en leur afïembîée géné- EXPE’DITI ON du So „ raie, ayant été informés de l’intention où vous „ êtes de vous embarquer dans peu pour l’Angle- ,, terre, & reflentant comme ils doivent les fer- 3 , vices importans que vous avez rendus à Sa 3, Majefté, à fes Colonies Septencrionales en gé- ,, néral , & à cette province en particulier , dans 3 , le cours de nos dernicres guerres avec les Fran- „ çois, & avec les barbares Indiens, par la vic- ,, toire fignalée remportée fur ces fauvages enne- ,, mis, unis pour vous attaquer près de Bushy - 3 3 Run au mois d’Août 1763, laquelle n’eft due, ,, après Dieu, qu’à votre intrépidité & capacité 33 fupérieure dans le commandement , fécondée „ par la bravoure de vos Officiers & de votre , 5 petite Armée ; comme auffi par votre derniere ,, Marche dans le pays des nations fauvages ,, avec les troupes qui étoient fous vos ordres, 3 , par laquelle vous avez répandu la terreur parmi 3, les tribus nombreufes des Indiens tout autour 3, de vous, jetté les fondemens d’une paix auffi „ folide qu’honorable, & délivré de la captivité ,, des Sauvages au-delà de deux cent de nos freres 3, chrétiens retenus prifonniers parmi eux : Ces 5, éminens fervices, & les égards auffi que vous 3, avez eus contaminent aux droits civils des 3, fujets de Sa Majefté dans cette province, im- 3, pofent à tous les gens de bien le jufte tribu de ,, la gratitude qui vous eft due : c’eft pourquoi 3, nous, les Repréfentants des Francs-Hommes de Pen- U COLONEL BOUQUET. jj Penfyfoanie , unanimement , tant pour nous- ,, mêmes qu’au nom de tout le peuple de cette 5) province, vous remercions fincérement, & de ,, tout notre cœur, de tous vos grands fervices, ,, vous fouhaittant un heureux & agréable voyage ,, en Angleterre, avec une réception gracieufe ,, & pleine de bonté de la part de Sa Majefté. „ Signé, par ordre de la Chambre., „ Joseph Fox, Orateur Suit la réponfe du Colonel, Aux Honorables Représentants des Francs- Hommes de la Province de Penfylvanic dans l’Aflemblée générale. Messieurs, „ Le cœur rempli d:s plus vifs fentimens de ,, reconnoiflance , je vous rends mes humbles & 5 , finceres allions de grâce , de l’honneur que ,, vous m’avez fait par votre obligeante adrefle 3, du 15 Janvier , que m’a fait parvenir votre ,, Orateur. „ Immédiatement après l’approbation de Sa ,, Sacrée Majefté & des Officiers mes Supé- ,, rieurs, rien ne pouvoic me caufer plus defatis- 3, faftion, que l’opinion favorable que vous avez 3 , de ma conduite, dans l’exercice des comman- demens militaires qui m’ont été confiés. F 82 EXPE’DIT ION du „ La gratitude, aufïï bien que la juflice, me M follicite à reconnoître, que les fecours que m’a accordé cette Province, & la confiante affi- „ fiance & fupport des Honorables Gouverneur & Commiflaires , dans la derniere expédition, „ m’ont mis état de retirer d’une cruelle cap- ,, tivité tant de fujets de Sa Majeflé , & ,, d’etre l'heureux inflrument du recouvrement ,, de leur liberté: C’efl donc vous, Meilleurs, „ qui avez droit de revendiquer la plus grande 5 , part du mérite , qu’il vous plait généreufe- ,, ment dans cette occafion d’imputer à mes fer- „ vices. ,, Le favorable témoignage que vous rendez à ma confiante attention aux droits civils des ,, fujets de Sa Majeflé dans cette Province, me ,, fait bien de l’honneur , & mérite mes plus vifs 5 , remercimens. ,, Qu’il me foit permis de faifir cette occafion „ publique qui m’efl fournie de rendre juftice aux ,, Officiers des troupes tant régulières que pro- 3, vinciales & des Volontaires qui ont fervi avec ,, moi , en déclarant , qu’avec le fecours de la 3, providence, le fuccès confiant des armes de Sa ,, Majeflé contre le fauvage ennemi, efl dû prin- 3, cipalement à leur courage & réfolution , & à „ leur perfévérance malgré les peines, les tra- 3, vaux & les fatigues les plus rudes. 3, Je fouhaitte fincérement bonheur & profpé- COLONEL BOUQUET. 83 j, nié à la Province, & ai l’honneur d’être avec „ le plus grand refpeét, Messieurs, 4 Février , 1765. Votre très humble & très obéijjant ferviteur , Henry Bouquet. Peu après ceci le Colonel reçut une lettre des plus polie & des plus affeétueufe du Gouverneur Fauquier, datée du 25 Décembre, renfermant les Réfolutions des Honorables Membres du Confeil de Sa Majefté, & de la Chambre des Députés des Colonies & Domaines de Virginie . Ces refpeflables Corps lui rendoient grâce una- nimément, de i’aélivité, du courage & du zele , avec lefquels il avoit réduit les Indiens à deman- der la paix , & forcé ces fauvages à rendre la li- berté à tant de fujets de Sa Majefté qu’ils rete- noient captifs : réquérant en outre le Gouverneur de le recommander aux Miniflres de Sa Majefté , comme un Officier d’un mérite diftingué dans ce fervice & dans tous les autres où il avoit été em- ployé. Le Colonel, dans fa réponfe, reconnut la prom- titude avec laquelle il avoit été conftamment af- filié & foutenu de la part du Gouverneur & de la Colonie de Virginie dans l’exécution du fervice du Roi; & il exalta les obligations particulières qu’ii F 2 EXPEDITION dit 84 avoit au Colonel Lewis , pour Ton zele & fa bonne conduite durant toute la Campagne. C’efl ainfi que fa modeftie fit paffer l’honneur & la gloire dont on le combloit , aux Officiers & à l’Armée qu’il avoit commandés, & en effet la mutuelle confiance & l’harmonie qui régna entre lui & eux, fait leur éloge & le fien. En toute occafion il s’eft fait un plaifir de rendre jiiftice au mérite particulier du Colonel Reid , fon fécond dans le Commandement, ainfi qu’à tous les Offi- ciers qui avoient fervi dans cette expédition, tant réguliers que provinciaux (*). Le Lecteur obfervera, que l’intention des Corps publics, en préfentant ces adrefles au Colonel, étoit non feulement de témoigner leur gratitude , mais encore de contribuer par leur recommanda- tion à l’avancement que méritoient fes fervices: & certainement rien ne fauroit arriver de plus heureux, ni de plus flatteur à un homme, que de fe voir élevé aux honneurs non feulement fans en- vie, mais même avec l’approbation & par les vœux de tout un public. Difons pourtant , que dès qu’on eut rendu compte au Roi de cette ex- pédition , & longtems avant que ces témoignages puflent parvenir en Angleterre , il plut à Sa Majefté, du propre mouvement de fa bonté roya- ( * ) Les troupes de Penfylvanie éroient commandées par les Lieutenants- Colonels Francis & dayton . COLONEL BOUQUET. 85 Je, de récompenfer les' mérites du Colonel, en l'élevant au grade de Brigadier - Général , & de Commandant du dijlrift méridional de ï Amérique. Et comme les vertus privées de ce digne Officier le rendent auffi cher à ceux qui ont l’honneur d’être liés particulièrement avec lui, qu’il l’efl au pu- blic par la grandeur de Tes fervices ; on efpere que nous le pofiederons longtems au milieu de nous, dans des contrées où Ton habileté reconnue le met en état , & où Ton amour pour la conftitution Angîoife lui donne le droit, de remplir quelque Polie qu’il plaira à Sa Majefté de lui confier. VJ/, APOSTILLE. On a obfiervé à la page 71 de cette Relation, que les Shaivanefes n’avoient amené qu’une partie de leurs prifonniers au Colonel Bouquet à Mus - kingham en Novembre; & que la faifon trop avan- cée l’obligea de fe contenter de leurs otages, pour lui répondre de leur fidélité à livrer le relie au Fort Pitt le printems fuivant. L’évafion de ces otages, qui arriva peu de tems après , & la conduite équivoque que la na- tion en général avoit tenue précédemment , ne jullifioit que trop le doute où l’on étoit de la fin- cérité de leurs intentions par rapport à l’éxecu- tion de leurs promeffes. On leur faifoit tort ce-» o 85 EXPEDITION dü pendant ; & nous leur devons le témoignage d’a- voir exactement rempli leurs engagemens. Le 9 du mois de May 1 765. dix de leurs Chefs, à la tête de cinquante guerriers, fuivis d’une troupe de leurs propres femmes & enfans , joignirent le Chevalier George Croghan Agent - Député du Che^ valier Guillaume JohnJon au Fort Pitt ; iis étoient accompagnés d’un Corps confidérable de Delawa - res, de Senecas 9 & d’indiens Sanduskys & Mun- fys ; & là ils livrèrent le refiant des prifonniers , tendirent la chaîne d’amitié , & donnèrent toute affurance de la ferme intention où ils étoient de garder inviolablement la paix. Il y a quelque chofe de remarquable dans le nom qu’ils donnèrent à cette occafion aux An- glois, les appellant Peres au lieu de Freres. JLawaughquci , orateur pour les Shawanefes , s’ex- prima dans ces termes. ,, Peres, car c’eft ainfi que nous vous nom- „ merons d’ors- en-avant ; écoutez ce que nous al- „ Ions vous dire. „ Ce fut un grand plaifir hier pour nous de „ nous entendre nommer les Enfans du grand Roi „ d’Angleterre ; & cela nous a convaincu que ,, vos intentions envers nous font droites: car ,, nous favons qu’un Pere effc tendre pour fes En- ,, fans , & que ceux - ci obéifTent plus volontiers „ à un Pere qu’à un Frere. C’eft pourquoi nous ,, efpérons que notre Pere aura plus de foin à l’a- COLONEL BOUQUET. 87 „ venir de Tes Enfans, qu’on ne l’a faic par le „ pafle. „ Vous nous rappeliez la promefle que nous 5 , avons faite au Colonel Bouquet , qui étoic d’a- ,, mener votre chair & votre fang pour vous ,, être remis ici. Pere, vous n'avez pas parié „ en vain. Voyez, les voici avec nous, à la ,, réferve d’un petit nombre encore , qui font de- , , hors avec nos chafîeurs , mais qui vous feront ,, remis auffi d’abord après leur retour. „ Ils ont tous été unis à nous par adoption; & ,, quoique nous vous les livrions préfentement , nous les regarderons toujours comme nos chers ,, parens, toutes les fois qu’il plaira au Grand Ef- „ prit que nous les vifitions. ,, Pe re, nous avons pris autant de foin d’eux 3, que s’ils a voient été de notre chair & de notre ,, fang. Ils ont oublié vos coutumes & vos ma- „ nieres: c’efl: pourquoi nous vous prions de les ,, traiter avec tendreffe & douceur ; ce qui les 3, engagera à vivre contents ayec vous. ,, Voici une ceinture avec la figure de notre 5) Pere le Roi à l’un des bouts , & celle du Chef „ de notre nation à l’autre. Ils font repréfentés ,, tenant la chaîne d’ Amitié ; & nous efpérons ,. qu’elle n’échapera ni à l’un ni à l’autre , auili , s longtems que le Soleil & la Lune répandront „ la lumière ”. Le Leéleur fe rappellera auiïi, que l’un des F 4 85 EXP. dv COL. BOUQUET. articles de la Convention du Colonel Bouquet avec les différentes Tribus des Indiens fut , qu’ils enverroient des Députés pour conclurre la paix avec le Chevalier Guillaume Johnfon . C’eft aufîi ce qu’ils ont exécuté à la lettre: & nous appre- nons „ que le Congrès s’eft terminé à l’entiere fa- tisfa&ion du Chevalier Guillaume , & qu’il a „ même furpaffé Ion attente”. C’efl ainfi que cette importante expédition a eu toutes les bonnes fuites que nous pouvions nous promettre de la va- leur éprouvée & du génie de l’habile Chef qui l’a conduite: & nous avons encore une fois le plaifir dans ce monde occidental , d’y voir fermer les portes du temple de Janus . a* $f O O 4 r S> 45s, * 0 * c ' H 7i U § REFLEXIONS Sur la Guerre avec les Sauvages de T Amérique Septentrionale . Ï-Æs ravages exercés depuis fi longtems par les Indiens fur les frontières des Colonies Brittan- niques en Amérique, & le malheureux fort que nos troupes les mieux difciplinées ont eu contre eux en diverfes rencontres, fpécialement au com- mencement de la derniere guerre , ont fait de ces Barbares un objet pour nous de confidération très- férieufe , même du côté de leur capacité militai- re : & comme il n’y aura toujours que très peu des Officiers qu’on employera contre eux , qui ayent pu avoir occafion d’obferver les véritables caufes des avantages qu’ils ont dans leurs bois fur des troupes Européennes; c’eft avec un très- grand plaifir que j’entre à préfent dans l’expofi- tion des précieux papiers dont j’ai fait men- tion (*), & qui me viennent d’un Officier très- habile & très expérimenté dans nos guerres avec les Indiens. On n’a prefque rien publié encore fur ce fujet, devenu fi important (f) pour nos Colo- nies : c’eft ce qui doit rendre au public le préfent (*) Dans l’Introduétion page 25.’ (t) On verra par la lifte des tribus & des villes Indiennes, ajoutée à la fuite de ces pièces, que les ennemis à qui nous avons à faire ne font nullement a méprifer, ni du. côté de Ieiu 0 nombre, ni par rapport à leur force. F 5 c 90 RE’ FLEXIONS qu’on lui fait ici d’autant plus agréable. Les re- marques contenues dans ces pièces , enrichies , perfeélionnécs par les foins & l’attention d’autres gens capables , pourront enfin former un fyftême complet pour la conduite de cette efpece parti- culière, de guerre. SECTION I. Du naturel & du génie des Sauvages . Le Sauvage naît avec l’amour de la liberté, paillon dominante de l’état de nature. Ses defirs & fes befoins, en petit nombre, font aifés à fa- tisfaire, & lui laifleroient bien du tems de refie, qu’il pafleroit dans l’oifiveté, û la faim ne le forçoit d’aller à la chafle. Cet exercice le rend fort, aftif & hardi, rehaufle fon courage, & le difpofe à la guerre, dans laquelle il ufe des mê- mes ftratagêmes , répand le fang humain avec la même indifférence , avec laquelle il elt accoutu- mé de répandre celui des bêtes fauvages , em- ployant fans fcrupule la perfidie & la trahifon pour vaincre l’ennemi. Jaloux de fon indépendance & de fon droit de propriété , il ne veut pas qu’on porte la moindre atteinte ni à l’une ni à l’autre; & fur le moindre foupçon qu’il a qu’on lui en veut, ou qu’on lui fait tort , plein de reffentiment il devient ennemi im* MILITAIRES. 91 placable, vole aux armes, & ne refpire que ven- geance. Les avantages de ces Sauvages fur les nations civilifées, font naturels & acquis tout enfemble. Ils font grands , proportionnés , & bien décou- plés, remarquables par leur aêlivité, ayant l’œil perçant & l’preille alerte : ce qui leur eft d’un grand fervice dans les bois. Semblables aux bêtes carnaffieres , ils font pa- tients , remplis de rufes , & l’habitude leur a ôté prefque tout fentiment de pitié. La coutu- me barbare qu’ils ont de fcalper (*) leurs enne- mis dans la chaleur du combat ; les tourmens, inouïs qu’ils font foufrir à ceux qui font réfervés à un fuppîice plus recherché ; la férocité qui pa- roît dans toutes leurs maniérés; divers fuccôs , qui ont augmenté leur audace : tout cela a rendu leur nom formidable, jufqu’à remplir quel- quefois de terreur panique nos troupes les plus aguerries & les mieux difciplinées. Leurs avantages acquis font d’être endurcis aux extrêmes du froid & de la chaleur. Dès leur enfance, en hiver comme en été, ils fe plongent dans la riviere, & vont prefque nuds , expofés au foleil brûlant, ou au froid le plus piquant, jus- qu’à -ce qu’ils deviennent hommes faits. Quel- ques-uns détruifent toute la fenfibilité de leur peau, (*) Voyez, l’explication de ce mot ci-deflus page 13. 92 RE’ FLEXIONS à force de la racler & de l’égratigner avec les dents courtes & pointues de quelque animal , dif- pofées en forme d’étrille; ce qui leur fait traver- fer les hâliers , fans craindre les ronces ni les épi- nes. Une riviere ne les embarraffe point dans leurs courfes: ou ils s’y jettent à la nage, ou ils la paffent fur des radeaux, ou dans des canots d’une conflruêlion facile & prompte. Dans leurs expéditions ils vivent principale- ment de ce qu’ils attrapent à la chafle , ou des fruits & des racines fauvages , qu’ils trouvent prefque partout dans les forêts. Ils endurent la faim & la foif pendant plufieurs jours , fans renoncer pour cela à l’entreprife qu’ils fe font propofée. L’exercice continuel de la chaffe leur apprend à tirer avec beaucoup de juftefle, foit de leurs arcs, foie des armes à feu ; à furprendre leur proie fans en être apperçus , fichant diflinguer des traces d’hommes & de bêtes qui feroient imperceptibles à un Européen. Lorfqu'ils fuyent devant l’en- nemi, ou quand on les envoie faire quelque mefla- ge, ils font capables de courir tout un jour fans s’arrêter. L’inftinft, mieux qu’une bouiTole, les conduit à travers les bois les plus folitaires & les moins fréquentés. La patience avec laquelle iis peuvent refier en embufeade des jours entiers , fans mouvement, fans bouger , en attendant le moment favorable de furprendre l’ennemi , eft une MILITAIRES. 93 chofe qu’il faut avoir vue pour la croire. En un mot, il n’eft peine qu’ils ne prennent, il n’eft gêne à laquelle ils ne fe foumettent , pour parve- nir à leurs fins. La graille d’ours, dont ils fe frottent 3e corps, les défend contre la pluie & l’humidité, comme auffi contre les piqueures des Mosquitos & des Moucherons; elle donne outre cela de la fou- plefle h leurs membres, & les rend auffi gîiÏÏants, auffi difficiles à faifir que ceux des anciens gladia- teurs. Une nourriture fimple, un exercice continuel , & le plein air dans lequel ils vivent, les confer- vent fains & vigoureux. Ils font puiflamment excités à la guerre par h coutume établie chez eux de rendre des honneurs diltingués aux guerriers. Ils ne fe battent que quand ils croyent avoir l’avantage: & l’on ne fauroit les forcer à un com- bat foûtenu, étant toujours fûrs, par leur vî- teffe, d’éluder la pourfuite des troupes les plus alertes. Leur vêtement eft la peau de quelque animal fauvage, ou un morceau d’étofe ; une chemife de toile ou de peaux apprêtées ; des drapeaux ou braies autour des cuiffes & du derrière; des bas tronqués vers le pied , qui vont jufqu’à la moitié de la cuifle, où ils font arrêtés par une courroie , avec des fandales aux pies. Ils ne fe 94 RE’ FLEXIONS fervent d’aucune ligature qui puiffe empêcher chez eux la circulation libre du fang, ou gêner l’agilité de leurs membres. Ils fe rafent la tête, à la réferve d’une petite toufe de cheveux qu’ils laiffent au fommet. Ils fe fendent l’oreille en dehors , & lui donnent une forme circulaire au moyen des poids qu’ils y fufpendent, de manié- ré qu’elle s’étende le plus qu’il fe peut^vers l’é- paule. Pour fe parer ils portent des bagues au nez & aux oreilles, des braffelets d’argent & de Wam m puni (*) & le vifage eft peint de diverfes cou- leurs. A la guerre ils fe peignent en noir, & combattent nuds. Leurs armes font un fufil court, un cornet a poudre , un fac à balles , un Tomahawk ou hache d’armes, & un coûteau à fcalper fufpendu à leur cou. Lorfqu’ils manquent d’armes à feu, ils y fup* pléent par un arc, une lance, un cafie-tête, ou maffue courte faite du bois le plus dur. Leurs utenfiles font un chaudron, une cuillère, un miroir, une alêne, un briquet pour battre du feu, quelques drogues à peindre, une pipe & une bourfe à tabac. Quand ils n’ont pas du tabac, ils ufent de certaines feuilles , ou de l’écorce de faule; car ils fument prefque toujours. (*) Voyez plus haut, page 49, MILITAIRES. 95 Ainfi légèrement équipé , le Sauvage , embuf- qué autour de quelque paflage difficile, guette le foldat Européen pefamment accoûtré , harrafle d’une marche pénible, embarrafle d’un convoi lourd & volumineux. L’expérience nous a convaincus que notre inté- rêt n’eft pas d’être en guerre avec ces peuples. Mais fi, après avoir tenté tous les moyens poffi- bles de l’éviter , ils nous forcent à la leur faire (ce qui probablement arrivera fouvent,) nous de- vrions nous appliquer à rendre la partie plus éga- le, en réglant nos manœuvres fur celles de l’en- nemi que nous avons à combattre , & fur la na- ture du pays où il eft queflion de manœuvrer. Il ne paroît point par les relations de nos guer- res avec les Indiens, que ces Barbares fuifenc aufti braves ci-devant que nous les avons trouvés dernièrement. L’on ne peut imputer cela qu’aux fuccès inattendus qu’ils ont eus quelquefois vis-à- vis de nos troupes , fur-tout en 1 755 , & au peu de réfiftance qu’ils ont trouvé de la part de nos habitans , rien moins qu’aguerris. Il eft certain qu’à-préfent même iis s’expofent rarement au danger. Leur unique reffource du- rant l’aftion, c’eft d’être toujours à couvert des coups. Ils ne fe montrent que lorfque la terreur & la confufion de l’ennemi leur ofrent une vic- toire aifée. On peut inférer de là , que s’ils étoient battus deux ou trois fois de fuite, ils per- RE* FLEXIONS 9<5 droient cette confiance que leur infpirent leurs fuc« cès pafles , & qu’ils ne s’engageroient pas fi lé- gèrement dans des guerres dont l’ilTue pourroit leur être fatale, & qui opéreroient enfin leur tota- le deftruêlion. Mais on ne fauroit raifonnable- ment s’attendre à cela , fi Ion ne fe procure des troupes dreflees à les attaquer à leur maniéré, & ayant fur eux l’avantage de la bravoure & de la difcipline Européenne. Il n’y auroit rien à changer au fyfteme militai- re établi, fi la valeur, la bonne volonté, l’ordre & la conduite fuffifoient pour venir à bout d’un ennemi fi foupîe & fi léger à la courfe. On ne fauroit difeonvenir que nos troupes ont dans un dégré éminent les qualités que nous venons de dire: mais elles font trop pefantes , & suffi trop précieufes, pour être employées feules dans un fervice deftruêlif pour lequel elles n’ont pas été formées. Elles ont befoin du fecours d’un Corps plus léger, habillé, armé, exercé d’une manié- ré analogue à ce nouveau genre de guerre. Cette opinion efi confirmée par l’exemple de plufieurs nations guerrières. Qu’il me foit per- mis d’entrer là-deffus dans quelque détail. Le favant Jéluite qui a fait le (*) Traité du mili- (*) J oh, Antonii Valtrini Liber de re militari ueterum Rma- vorum. MILITAIRES. 97 militaire des anciens Romains , nous apprend d’a- près Sallujle (*) , que ces fages conquérans , nos maîtres dans l’art de la guerre, ne fe laiflèrent ja- mais aveugler par l’orgueuil qu’infpire fouvenc l’empire qu’on exerce fur les autres , au point de ne pas vouloir adopter les maximes , ni imiter les ufages des nations étrangères , lorfqu’ils les croyoient utiles : qu’au contraire ils obfervoient avec foin, & introduifoient chez eux, tout ce qu’ils voyoient pratiquer avec fuccès à leurs alliés ou à l’ennemi ; en forte que s’appropriant ce qu’ils trouvoient de bon de côté & d’autre, ils parvin- rent à perfeèlionner encore un fyfteme déjà ex- cellent dans fon inflitution. La défaite d'Antoine & de CraJJus par les Par - thés , de Curion par les Numides , & tant d’autres exemples, apprirent aux Romains que leurs lé- gions, viélrices de tant de peuples , n’étoient point faites pour combattre des troupes légères : & fi Jules Cêfar n’eût pas été affafliné, lorfqu’il fe préparoit à aller laver dans le fang des Parthes la honte des défaites précédentes , il eft probable qu’il auroit joint à fes légions un plus grand nom- bre de troupes légères , drelfées fur les principes (*) Jdeque enim Romanis fuperbia nnquam objlitit , quo minus aliéna in (lit ut a , (i modo proba fuijfent , imitarentur > & quod ubi- que apud focios vel hojles idoneum r Cavalerie & l’Infanterie légèrement armée des „ ennemis, fortanc fubitement d’une embufcade, „ parurent fur les collines les plus proches , & „ tombèrent fur fon arriéré - garde : Ses légions, ,, bientôt formées, n’eurent pas de peine à cul- „ buter la' cavalerie, & à déloger l’ennemi des „ collines dont il s’étoit faifi. Alors fe croyant „ débarrafle d’eux, Cefar fe remit en marche. „ Mais l’ennemi ne tarda pas de fe reproduire de „ deflus les collines voifines ; & les Numides , ad~ ,, mirablement fécondés de leurs fantaflins légé- „ rement armés, qui avec une agilité étonnante ,, fe meloient avec la cavalerie, attaquoient & ,, fe retiroient avec elle, furent de nouveau aux ,, troufles du légionnaire. C’eft ainfi que reve- ,, liant toujours à la charge, ils fe retiroient „ toujours , dès qu’on vouloit engager le com- ,, bat avec eux. Du côté de Céfar, trois ou „ quatre vétérans n’avoient qu’à fe tourner, lan- fus ad aciem pajjîm , converps equis , fe colligebant , atque in fpa- tio confequebantur , & jacula in legionarios conjiciebant . G* far centra ejufmodi hojUurn généra copias fias , non ut imper- rat or exercitum veteranum , viBoremque maximis rébus g fis , fed ut lanifa tirones gladiatores condocejacere : quo pede fefe reciperent ab hope , &c. Miripce enim hop'mm levis armatura anxium exeràtum ejus atque follicitum habebat : quia (f équités deterrebaî prahum in ire , pr opter equorum interitnm , quod eos jaculis inter - ficiebat • & legionarium militem defatigabat , propter e velocitatem . Gravis enim armatura miles pmul atque ab his in [éclat us conpi- terat , in eojque impetum fecerat , illi vélo à curfu facile pericu* lum vitabant . G 2 100 RE’ FLEXIONS „ cer avec force leurs javelots ; & des milliers ,, d’ennemis étoient en fuite : mais ils fe rallioient „ d’abord , revenoient harraffer fon arriere-gar- „ de , & fuivant les Romains toujours à une „ certaine diftance, les incommodoient fans ceffe ,, de leurs dards. ,, Céfar voyant â quel ennemi il avoit à faire, parcourut fes rangs, non comme Général d’u- „ ne Armée tant de fois vi&orieufe fous fes auf- „ pices , mais tel que le maître d’une Galle de ,, gladiateurs, qui drefle fes difciples, leur mon- ,, trant quand, jufqu’où, de quel pié ils dévoient ,, avancer ou reculer, de quelle maniéré ils de- ,, voient lancer le javelot. Enfin il n’omit rien ,, de ce qu’il crut pouvoir raffurer fes troupes, ,, défolées par cette infanterie légère; fa cavale- ,, rie ne voulant plus retourner à la charge, par- ,, ce qu’on lui tuoit fes chevaux à coups de ja- ,, velines ; fon infanterie ne fachant plus quelle ,, contenance tenir : car dès que ce corps pefant „ faifoit front, les autres par leur vélocité efqui- f , voient le choc Mais fans remonter jufqu’aux anciens, n’avons- nous pas vu cette maxime adoptée de nos jours? Le Maréchal de Saxe voyant l’Armée Françoife harraffée par les Iloufards & autres troupes légè- res Autrichiennes , créa de fon côté différens corps femblables , pour avoir dequoi leur oppo- fer. Le Roi de PruJJc , dans la première guerre MILITAIRES. loi qu’il fit à Ja maifon d’Autriche, les introduit dans fon Armée; & depuis- lors il les a augmen- tés & toujours employés avec fuccès. Nous- mêmes en avons fait ufage dans nos dernieres guerres en Europe. Mais les troupes légères dont nous avons befoin en Amérique , doivent être dreffées fur des principes différens. L’enne- mi que nous avons à réduire eft infiniment plus aftif & plus dangereux que ni les Houfards , ni les Pandoures , ni même les Africains dont on vient de parler. Nos fauvages Américains , après avoir rapidément parcouru un diftriêt le fer deftru&eur à la main , fe retirent dans leurs villes, à une très- grande diftance de nos établiffe- mens. Les épaiffes forêts, à travers lefqueîles ils fe coulent fans peine pour aller & venir , font im- pénétrables à nos Corps pefants & lents à mou- voir, compofés de foldats furchargés d’habits, de bagage & de provifions, & qui, fatigués d’u- ne longue & pénible marche, ne fauroient tenir contre les alertes & agiles Sauvages dans le fonds, des bois, où ceux-ci font comme dans leur élé- ment. Il y a un autre défavantage inévitable dans nos expéditions , caufé par les provifions & par le bagage qu’il faut charrier avec foi , la route qu’il faut leur frayer, les ponts qu’il faut jetter fur les rivières, les chauffées qu’il faut élever pour lem;. faire paffer les marais. Cela donne beaucoup de G 3 102 RE’ FLEXIONS peine, retarde & dérange l’ordre delà marche, attache pour ainfi dire les troupes à leur convoi , qu’ils ne fauroient perdre de vue fans l’expofer à devenir la proie d’un ennemi vigilant, voltigeant continuellement tout autour, & guettant l’occa- fion de fondre deflus. Un Européen ne fauroit être juge compétent de cette efpece de guerre, s’il n’a point pratiqué quelque tems les immenfes forêts de l’Amérique ; s’il n'a pas vu de fes yeux ce qu’on a de la peine à concevoir, une continuité de bois fans fin. On aura beau lui répéter cent fois le fait; fon imagi- nation , s’enfonçant avec lui dans ce vafte & fom- bre Dédale, s’ennuyera, lui fera entrevoir quel- que folution de cette continuité , quelque ifiue , quelque plaine, quelque terrain découvert par ci par-là: il calculera là-defius fes manœuvres, un peu trop félon les règles de la guerre en Europe; & il ne fera rien qui vaille. Suppofons par exemple un homme, à qui la nature de ce fervice ne foit point connue, mis à la tête d’une expéditiou en Amérique. Suppo- fons encore qu’il ait fait les meilleures difpofitions ufitées en Europe pour la marche & pour rece- voir l’ennemi. Le voila attaqué par les Sauva- ges. 11 ne les voit point; mais de chaque arbre, de chaque tronc, de chaque buifibn, partent fans difeontinuer des coups de feu; & il obferve que la plupart portent coup. Il n’héfitera pas d’aller MILITAIRES. 103 charger cet ennemi invifible; mais il le chargera en vain : il le trouvera auffi foigneux d’éviter une mêlée, qu’opiniâtre & infatigable à harraffer fans ceffe fes troupes ; & nonobfbant tous fes efforts il fe trouvera toujours entouré d’un cercle de feu, qui, femblable à un horizon artificiel, le fuivra partout. Incapable de fe défaire d’un ennemi qui ne fou- tient jamais fes attaques, & qui ne plie, lorfqu’il fe fent preffé , que pour revenir fondre fur lui avec la même agilité & un nouvel acharnement, il verra enfin fes foldats, n’en pouvant plus fous leur pefant accoûtrement , perdre courage, & refufer de faire inutilement de nouveaux efforts. Il faudra donc penfer à la retraite , s’il ne trouve quelque moyen de fe faire jour à tra- vers l’ennemi. Mais comment l’effectuera- 1 - il ? Bagage, provifions, tout eft déchargé, délabré; plufieurs des chevaux & de leurs conducteurs tués; la peur a fait chercher quelque azile aux autres; & le foîdat aux abois après une longue & fatigante action , ayant peine à fe traîner lui- même , doit encore porter les bleffés. Les enne- mis témoins de fa détrefîe ne manqueront pas d’augmenter le défordre, le prefferont de tout côté avec une fureur redoublée; tout autour de lui rétentira de leurs affreux hurlemens; ils vont profiter de la plus petite ouverture, pour tom- ber fur lui le rédoutable Tomahawk à la main. G 4 io4 RE' FLEXIONS Alors notre Commandant, pour repoufler un ennemi fi entreprenant , formera probablement un quarré , ou un rond ; mais cette reffource , paffa- blement bonne pour la défenfe, n’eft propre ni pour attaquer , ni pour marcher par les bois. Dans tout ce que je fuppofe ici il n’y a rien d’imaginaire ; c’efl la peinture au naturel d’une aftion engagée avec les Indiens, d’après l’expé- rience des troupes qui ont eu à faire à eux. Il n’y a rien non plus de nouveau , ni d’extraordi- naire dans cette maniéré de combattre : il paroît que ç‘a été de tout tems celle de la plupart des nations barbares * Que s’agit -il donc de faire pour fauver notre petite Armée de la totale deflruétion qui la menace? C’eft-là un problème que je ne prétends point à réfoudre. Mais comme tout homme dans de femblables circonflances fe détermineroit à quel- que chofe, prendroit un parti ; je hazarderai mon fentiment , fondé fur quelques obfervations que je crois invariables dans tout combat avec les Sau- vages. Leur première maxime générale eft d’entourer l’ennemi. La fécondé , de combattre épars , jamais ferrés. La troifieme , de ne jamais difputer le terrain {*) V. Cœfar, Cowm. Lib. V. de bello gallico , à* Lié. II. de beliv civrli . MILITAIRES. 105 lorfqu’on les attaque, mais de lâcher le pié d’a- bord, quitte à revenir à la charge. Ces principes étant admis , il s’enfuit 1 . Que les troupes deftinées à agir contre les Indiens doivent être légèrement équipées & armées. 2. Que fûrs de ne point rencontrer de réfiftan- ce ni dans l’attaque , ni dans la défenfe , leurs rangs ne doivent point être ferrés : ce qui ne fe- roit que les expofer fans néceflité à une plus grande deflruêtion. 3. Que toutes leurs évolutions doivent fe faire avec beaucoup de rapidité ; & qu’il faut que les hommes foient état , par un exercice habituel , de ferrer l’ennemi de près lorfqu’il eft en fuite, le pourfuivant à toute outrance, & ne lui donnant pas le tems de fe rallier. Ces remarques rendront raifon des changemens que l’on va propofer dans la formation d’un Corps pour le fer vice des bois. Il ne faut pas s’atten- dre , au refte , que la méthode qu’on indiquera lèvera tous les obftacles ; ni que ces troupes lége. res pourront égaler les Sauvages en patience , en aêlivité: mais il n’en eft pas moins vrai qu’une exafte difcipline , jointe à l’expérience acquife par la pratique, fuppléera chez eux aux avanta- ges que les Sauvages conferveront fur eux ; & qu’en tenant toujours l’ennemi à une certai- ne diftance du gros de l’Armée , celle - ci fera G 5 10 6 RE’FLEXIONS fcs opérations avec bien plus d’aifance & de fûreté. SECTION II. Idée générale de T établi]]} ment d'un Corps de Troupes légères pour le ferme e des bois. Je ne donne ici qu’un petit nombre de notions que l’expérience a fuggérées fur ce fujet , dans la vue de les foumettre à l’examen & à la confidé- ration de perfonnes appellées à propofer une mé- thode propre pour la formation d’un tel établifle- ment. Pour me faire mieux comprendre, je fup- poferai un Corps de 500 hommes à lever & à difeipliner pour les bois, outre deux compagnies de Chevaux - légers ; à quoi l’on pourroit ajouter une compagnie d’artifans. Les gens les plus pro- pres pour ce fervice feroient les natifs d’Améri- que élevés fur les frontières. Il faudroit les en- rober à l’âge de 15 à 20 ans, pour être licenciés à celui de 30 à 35 ans. Habillement. L’habillement du Soldat , pour faire la campa- gne, confifteroit en un juft’aucorps de drap brun à bavaroifes & fans plis ; une chemife d’un tan- MILITAIRES, 107 né obfcur ; des chauffes courtes à la matelotte (*); des bas tronqués vers Je pied; des fandales ou fouliers plats ; un bonnet de matelot ; un blanchet ou couverte; un havre- fac pour Tes provifions , & un furcout huilé (f) pour le garantir de la pluie. A cela l’on pourrait ajouter pendant les (*) Ou, fi l’on veut, à l’Ecoïïoife , car c’efl: des Montagnards d’Ecoiïe que prefque tous ces vêtemens , 8c les termes - mêmes qui les défignent dans l’original , font empruntés. N. du Trad. (f) Un Officier, dont le nom m’efl: échapé, a inventé la ca- faque fiuvante pour les Soldats en faction. J’obferverai feule- ment, qu’un capuchon vaudroit mieux que la piece de toile qu’il veut qu’on mette fous le chapeau. „ Comme la guerre avec les Indiens nous obligera fouvent à „ marcher dans des déferts où un homme blette ou malade ,, fait plus de tort au fervice qu’un homme tué , tout ce qui ,, peut contribuer à préferver la fanté ett: digne de notre at- „ tendon. „ Dans cetre vue je propofè un efpece de furtout, propre à ,, garantir le Soldat d' la pluie 8c du froid. „ Prenez une grande chemifé de toile rayée à carreaux, d’en- „ viron un demi écu fterling la verge > -car il efi bon qu’elle „ foit attez fine: coupez-en les poignets, 8c achevez de la fen- „ dre de l’ouverture qui efi: à la poitrine jufqu’en-bas : cou fez „ les pans enfemble des deux côtés : découfez les plis de der ,, vant du collet jufqu’aux épaulettes , 8c recoufez le tout fans „ plis au collet. Alors la chemifè fera changée en une Cafaque ou efpece „ de robe- de-chambre à larges manches. „ Prenez une certaine quantité d’huile de lin , que vous fe- „ rez bouillir doucement jufqu’à la diminution de la moitié : „ mêlez y alors une petite quantité de litharge d’or, laquelle „ étant bien incorporée avec l’huile, vous en mettrez une cou- „ che fur la cafaque avec un pinceau, en ayant foin que la „ toile prenne également par-tout. „ Je fuppofe la cafaque fufpendue dans un galetas, ou dans „ quelque autre lieu couvert, 8c tellement étendue, au moyen RE’ FLEXIONS 108 quartiers d’hiver, ou en tems de paix, trois che- mifes blanches & autant de cols, avec une che- mifette de flanelle. Armes. Leurs armes , les meilleures poflibles , feroient de crochets 8c de ficelles, par les extrémités des manches, 8c „ par les bouts du collet, qu’aucune de Tes parties ne puifte „ toucher l’autre. En peu de tems, s’il fait beau, cette premie- „ re couche fera féchée; 8c vous en mettrez, une fécondé, de „ la même mixture, comme auparavant. Celle-ci étant fechc „ aufiî, la peinture ne s’en ira jamais; 8c vous aurez une cx- „ cellente cafaque contre la pluie, légère, 8c qui, par fon am- „ pleur par derrière, couvrira l’homme, fa beface 8c fes mu- „ nitions. „ Les manches longues 8c larges ferviront à y faire entrer ,, la crotte du fufil jufque patte la platine, 8c à l’y tenir à cou- „ vert. La cafaque déborde des deux côtés par devant, pour „ s’enveloper dans le meme fens que le vent chatte la pluie; „ 8c celui qui l’a fur le corps eft tenu fcc jufqu’aux genoux. „ S’il eft défendu, à caufe de la proximiré de l’ennemi, d’al- ,, lumer des feux pendant la nuit , le foldat pofera fa beface „ fur une pierre, s’aflira dettus, changera de fouliers 8c de „ bas, envelopera fes jambes 8c fes piés de fon blanchet, met- „ tra fa cafaque autour de fon corps, qui le tiendra au chaud „ parce que l’air ne fauroit patter à travers, 8c s’appuyant con- „ tre quelque tronc d’arbre , repofera paflablement fans être iu- „ commodé du froid ni de l’humidité. „ Il feroit bon autti d’avoir un morceau de linge huilé pour „ mettre fous le chapeau ou bonnet, au moyen duquel la pluie „ découleroit le long de la cafaque: fans quoi toute l’eau, qui „ pénétreroit enfin de ce côté -là, couleroit le long du cou,- „ 8c l’homme feroit mouillé malgré fa cafaque. „ Il ne feroit pas mal non plus de mêler quelque couleur „ obfcure ou verdâtre dans l’huile de la fécondé couche, afin „ de rendre la cafaque moins remarquable dans les bois MILITAIRES. 109 des fufils courts & quelques carabines rayées (*), avec des bayonnettes à l’Ecoflbife , pour fervir aufii de couteau; on y joindroit des puj vérins & des gibernes , de petites haches, & des bouteilles de cuir pour y mettre de l’eau. Exercices. Les foldats étant enrollés , habillés & formés en compagnies fous leurs officiers ; il faudra , avant que de les armer, leur apprendre à fe tenir pro- pres , & à s’habiller à la foldatefque. Cela les con- fervera en fanté , leur donnera bonne opinion de leur profeffion , & une contenance fiere. La pre- mière chofe qu’il faudra leur enfeigner, c’eft de bien marcher, & puis de courir: & pour mettre en jeu leur émulation, on diffcribuera de tems en tems quelques petits prix à ceux qui fe feront dis- tingués. Alors on les fera courir par rangs , fans ferrer les files. Ils tourneront dans le même or- dre, d’abord lentement, & par dégrés plus vite: cette évolution eft difficile, mais de la derniere conféquence pour tomber fur le flanc de l’ennemi lorfqu’il y penfe le moins. Ils fe difperferont & fe rallieront à de certains fignaux. Chaque com- pagnie aura fon drapeau différent, pour faciliter le ralliement. On les accoutumera à fauter par- (*) Je ne fais fi je rends bien le mot Anglais ou Ecoflfois RJ- fs. N. du Tr. 1IO Il E’ F L £ X I O N S dcffus les troncs d’arbres & les fottés , & à por- ter des fardeaux proportionnés à la force de chacun (*J. Lorfque les jeunes Soldats feront habitués à ces exercices , on leur donnera leurs armes , avec les- quelles on leur fera faire les mêmes évolutions fur toutes fortes de terrains. On leur enlèignera après cela à manier ces armes avec dextérité, fans per- dre le tems à des bagatelles ; fur- tout à charger & faire feu promptement , debout , à genoux ou couchés par terre. Ils tireront au but fans fourchette ni appui quelconque, & fans vifer long- tems. Quelques petits prix diftribués à - propos , & l’exercice affidu de la Chatte, les rendront ti- reurs experts en peu de tems. Il faudra autti qu’ils apprennent à nager en pouttant devant eux un petit radeau chargé de leurs habits, armes & munitions; & à courir à patins fur la neige & fur la glace. Après cela on leur fera faire toutes fortes de travaux , comme (#) Nous apprenons de Végece y que les Romains avoient intro- duit de fcmblables exercices dans leurs Armées. Miles Jyl040 acres. maifon - - - 5° Cent lots de cinq acres & demi chacun - - 550 1 Les quatre côtés du quarré contiennent enfem- ble 7040 verges ; ce qui donne à chaque maifon environ 70 verges d’efpace en profondeur , c’efL à- dire du devant de la maifon jufqu’à l’enceinte du Quarré; & le terrain deftiné à y bâtir, fera de 210 pieds de front fur environ 100 de profon- deur. Un acre de terre produit au moins 30 bois- feaux de Maïz ou blé des Indes. C’eft pourquoi deux acres fuffiront à nourrir cinq perfonnes , en comptant douze boifleaux par tête. On fera un pré de deux autres acres pour y faire paître les vaches & les moutons de la famille ; & de plus un acre pour faire du foin : on enfemencera ce- lui- ci de trefle rouge. Le demi acre reftant fera converti en jardin. H 2 ntf RE’FLEXIONS Tout autour de la ville font les Communes de trois miles en quarré , contenant 5120 acres, dédu&ion faite des Lots fufdits. Sur trois des cô- tés de la ville on mefurera 5 autres Quarrés de trois miles en quarré, contenant chacun 5760 acres. L’un de ces cinq Quarrés reliera tel qu’il eft : ce fera la forêt de la ville, où l’on prendra le bois dont on aura befoin. Les quatre autres feront divifés chacun en 25 plantations d’environ 230 acres; en forte que les quatre Quarrés con- tiendront cent de ces plantations pour les 100 familles. On pourra fur le même plan , fur le même al- lignement, & fans perdre du terrain, fonder une fécondé ville tout près de celle-ci, & tant d’au- tres de fuite qu’on voudra. L’efquiffe fui vante, toute groffiere qu’elle eft , fuffira pour me faire entendre. Dans cette efquifle la Ville A a fes Communes, fa forêt, & fes 4 Quarrés marqués 1 , chacun contenant 25 plantations de 230 acres , comme on l’a propofé ci - deffus : & les autres villes B , C , D , y ont leurs territoires refpeélifs défignés de la même maniéré. Suppofons maintenant ce plan éxécuté , & di- vers de ces Corps de troupes établis , dreffés , difciplinés de la maniéré propofée: Quel Officier, chargé d’une expédition contre les Sauvages, ne defirera pas de les avoir dans fon Armée ? Je puis Ville & Territoire A. Ville & Territoire B. Ville & Territoire C. Ville & Territoire D. MILITAIRES. Forêt | de la Ville ] D 'sautuu 11103 8 a s 8 0 •saunui 11103 CO •s3iinuuuo3 a r, s s. " , 0 Ç3UÏUUUI03 CO CO Forêt de la Ville C co Forêt de la Ville j B c* c* •S3UUUIUI03 S a ü û “ S cs?»fsç» •s3umnuio3 c^ Ht •S3unuuui03 Ga.SÆ&J 0 < Q ü 0 's3ummuo3 M M l - vo « . ^ 9 ^ o eu O Z £ a -g s n» . IIS RE’FLEXIONS répondre hardiment, pour tous ceux qui ont été employés dans ce fervice-là, qu’ils les préféreront au double des meilleures troupes Européennes. Et lorfque ces gens auront férvi le tems limité , fa- voir depuis l’age de 15 jufqu’à celui de 35 ans , avec quelle fatisfaétion ne leur payera- t-on pas de la caifle publique leurs épargnes ? Quel avantage de pouvoir récompenfer , fans qu’il en coûte, les fideles travaux de ces défen- feurs de l’Etat , & les inviter à en devenir de braves citoyens, qui ajoûteront encore à fes for- ces , en les inveftiflant eux & leurs defcendants de leurs plantations refpeêïives , que leurs mains ont défrichées, & .qu’ils vont avoir le plaifir, la fé- licité de cultiver, de faire valoir comme leur bien propre & le patrimoine de leurs enfans, fi hono- rablement acquis par les peres? Ce point de vue engagera nombre de gens à faire recevoir leurs fils dans de tels Corps : & les vétérans , fi honorable- ment + fi avantageufement licentiés , non feule- ment animeront & formeront les autres par leur exemple; mais en cas de guerre ils fauront dé- fendre leurs poffeffions par eux -mêmes, & fans autre fecours, avec la vigueur qui les leur aura acquis ; & par là-même ils couvriront la frontiè- re de la province où ils feront établis. MILITAIRES. up Préparatifs pour une Campagne contre les Sauvages dans les Bois. Ce feroit entreprendre une chofe impraticable que d’employer de gros Corps de troupes contre les Indiens : les convois néceffiaires à leur fubfi- ftance , feroient trop embarraflants , également difficiles à tranfporter & à defendre contre un en- nemi entreprenant & alerte. Il vaudroit mieux faire agir plufieurs petits Corps, qu’une Armée trop lente à fe mouvoir. Cela étant, je fuppole qu’un tel Corps, deftiné à agir offenfivement, n’excédera pas les proportions fui vantes. Deux Régimens dTnfanterie - - çoo Un Bataillon de Chaiïeurs - - » 500 Deux Compagnies de Chevaux - légers 100 Une Compagnie d’Artifans. 20 Voituriers & autres gens néceffaires à la fuite du Corps. - - - 280 En tout 1800 Le premier article auquel il faudra penfer, ce font les provifions: le fécond, leur tranfport. La ration journalière du foldat dans les Bois fe- ra d’une livre & demi de viande (article qui ne demande point de charroi,) & une livre de fari- ne , avec un quarteron de fel par femaine. H 4 120 RE’ FLEXIONS A ce compte 1800 hommes confumeront en 6 mois ou 182 jours. ... 327600 liv. de farine. Ajoutez un quart en fus pour les accidens imprévus - 81900 Pour fix mois - 409500 liv. de farine. Viande pour le même efpace de tems , avec un quart en fus en cas d’accident ; ou 2048 boeufs de 300 liv. pe- fants - - ^ 614400 liv. de viande. Sel poür 26 femaines. - 182 Boiffeaux. Les quantités fusdites fuffiroient pour le fervice de toute une Campagne : mais la moitié fuffiroit pour pénétrer du dernier entrepôt jufqu’au cœur du pays ennemi ; c’eft pourquoi nous ne calcule- rons le tranfport que de cette derniere quantité. Un cheval porte environ 150 liv. pefant. Par conféquent le tranfport de 3 mois de Farine, ou de 204750 liv. , exigera - - 1365 chevaux. Pour pi Boiffeaux de fel - 4 6 Munitions - 50 Tentes - 50 Outils - 50 L’Hôpital - - 20 Bagage des Officiers Etat-Major , & 150 i73i Pour réduire ce nombre exorbitant de chevaux^ & la dépenfe qu’ils occafionneroient , je propofe- rois de fe fervir , du moins là où la chofe feroit praticable, de charrettes tirées chacune par qua- MILITAIRES. i2ï tre bœufs, & chargées d’environ 1300 liv. ou fix barrils de farine. En ce cas la quantité fus- dite de 204750 liv. fera charriée fur 160 char- rettes, tirées par .... 640 bœufs. Bœufs de referve pour la nourriture de l’Armée • . . .384 Nombre total des Bœufs requis 1024 Cette méthode ne fera pas tout» à* fait fi expé- ditive que celle des chevaux de charge: elle exi- gera plus de tems & d’attention à frayer la rou- te , combler les endroits marécageux , jetter des ponts, élever des chauffées &c. Mais, de l’au- tre côté, quelle dépenfe de moins! Bien plus, en tuant les Bœufs à mefure que la farine dimi- nue , & abandonnant les charrettes qui en étoient chargées, le convoi diminuera journellement de volume , & l’herbe autour des Campemens ne fera pas fi vite confumée: ce qui n’efl pas Je cas des chevaux, qu’il faut nourrir quand même ils ne portent plus rien. Ceci efi; un objet de gran- de conféquence, fur-tout vers la fin d’une Cam- pagne, lorfque la difette de fourage oblige fou- vent, que dis-je, tous les jours, à faire changer de place au Camp , & à l’afieoir quelquefois dans des terrains bas & défavantageufement fitués. Ces raifons me détermineraient à faire ' ufage des charrettes , que l’on pourroit faire fabriquer d’avance , & en quantité, par les Chaffeurs & par leurs Artifans. H 5 122 RE’ FLEXIONS L'on achetteroit les Bœufs dans les provinces où le cultivateur les fait fervir à l’ouvrage de la campagne. Un ou deux foldats conduiroient la charette & auroient foin de fes quatre Bœufs. Il y a peu de rivières dans l’Amérique fepten- trionale qui foient profondes en Eté, & que ces charrettes ne puflent palier à gué, fi elles étoient montées fur des roues hautes & à large bord. Si cependant il s’en rencontroit dans la marche qui ne fût point guéable, on en feroit quitte pour fai- re un pont , ou des radeaux , fur lefquels on met- troit les charettes avec provifions , bagage & tout. Jamais riviere n’arrêterà longtems une Ar- mée, compofée de troupes faites au travail, dans un pays couvert de bois. En prenant le dernier parti , 3 à 400 chevaux fuffiront pour porter bagage, munitions , tentes, outils &c. Explication des quatre Plans ( * ) de la Planche II. répréfentants les différentes pofitions de notre Armée dans les Bois . Campement. Le Camp {Fig. 1.) forme un Parallélogram- me de mille piés de long fur fix - cent de large. Huit-cent hommes de troupes régulières (1) cam- (*) Voyez, cette Planche ci-devant page. 39, MILI T AIRE S. 123 pent fur fes quatre côtés : ce qui donne 24 pies à chaque tente contenant fix hommes. Les Che- vaux- légers (3) campent dans l’intérieur du Pa- rallélogramme. Le Corps - de - réfer ve ( 7 ) au centre. Les provifions , munitions , outils &c. ( 8 ) avec le bétail (9) font placés entre les deux troupes de Chevaux - légers & le Corps de réfer- ve. Les Chaffeurs (2) campent en dehors du Parallélogramme , diagonaîement à fes quatre an- gles , & font couverts par des Redoutes (5) for- mées de barils & facs de farine , ou de fafcines. Outre ces quatre Redoutes, il y en a une pla- cée en front , une en arriéré , & deux autres devant chacun des longs côtés du Camp; faifant en tout dix Gardes avancées de 22 hommes cha- cune, & 7 Sentinelles, couvertes s’il eft pofïible de parapets de fafcines ou provifions. Avant que l’Armée quitte les armes , on enverra recon- noître le terrain, & l’on pofera les Gardes, qui ouvriront tout de fuite une communication de l’une à l’autre, pour relever les fentinelles & faci- liter le paflage des Rondes. Les Sentinelles à pofer devant les munitions, provifions, quartier- général, & par tout l’intérieur du Camp, font tirées du Corps-de-réferve. Les Officiers, hormis l’Etat-major & les Comman- dants du Corps, ont leurs tentes allignées avec celles du fôldat. 124 RE’ FLEXIONS Les feux fe font entre les Gardes & le Camp^ & on les éteint en cas d’attaque noélurne. Ordre de la Marche ( Planche IL fig. 2.) Une troupe de Chafleurs (2) en trois divifions, détachant en avant, ainfi qu’à droit & à gauche, de petits partis (5. 6.) pour fouiller les Bois & découvrir l’ennemi , s’il y étoit caché. Les Charpentiers & autres Ouvriers (4) armés de haches pour frayer la route au convoi, avec deux fentiers à droit & à gauche pour les troupes. Cent cinquante hommes de troupes régulières (1) en deux files , qui doivent former le front du Quarré , marchant dans le chemin du milieu. Deux- cent cinquante hommes de troupes régu- lières ( 1 ) en une file fur le fentier de la droite, & autant ( 1 ) fur celui de la gauche , pour for- mer les longs côtés. Ceux-ci font fuivis par cent cinquante hommes de Troupes régulières (1) pour former l’arriere du Quarré. Le Corps- de- réferve ( 7 ) en deux files. Le refie des Chafleurs ( 2 ) en deux files. Les Chevaux - légers ( 3 ). L’ Arriéré- Garde (5), compofce de Chafleurs, fuit l’Armée à quelque diftance , & ferme la Mar- che. Les partis détachés pour battre l’Eflra- de (6), flanquant la Marche, font pris du Corps MILITAIRES. 125* des ChafTeurs & de la Cavalerie legere dans l’or- dre qu’on voit à la fig. 2. Quelques-uns des meilleurs Cavaliers accompagnent toujours le Gé- néral & les Hauts-Officiers qui commandent les grandes divifions pour porter ça & là leurs or- dres. Deux Gardes de Chevaux - légers veillent fur le bétail (9). Le Convoi ( 8 ) s’avance dans l’ordre fuivant. Les Outils & Munitions fuivent la colonne du Front. Le Bagage. Les Beftiaux. Les Provifions. Le tout divifé en Brigades ; & les Chevaux, deux de front. Défilés. À l’entrée d’un Défilé, tout fait halte jufqu’à- ce qu’on ait fait reconnoître le pafTagq & fes envi- rons , & que les ChafTeurs ayent pris polie fur les hauteurs qui le commandent. Alors la Colonne du centre s’engage dans le Défilé, fuivie de celle qui forme le côté droit : après cela vient le Con- voi; enfuite la colonne de la gauche, puis celle de l’arriéré du Quarré , avec la Réferve , les Chevaux- légers, & T Arriéré- Garde. Tout reprend fa place, pour continuer la Mar- che dans l’ordre décrit , dès que le terrain le permet. 12Ô RE’ FLEXIONS Dispositions pour recevoir l’ennemi. C Fig. 3-) Tout fait halte pour former le Quarré ou Paral- lélogramme : ce qui fe fait de la maniéré fui van te. Les deux premiers hommes de la Colonne du mi- lieu relient immobiles à deux verges de dirtance. Les deux hommes qui les fuivent avancent pour fe mettre à droit & à gauche des deux premiers toujours à la dillance de deux verges. Les au- tres viennent faire front de la même maniéré , jufqu’à ce que les deux Files ayent formé un Rang, qui efh le Front du Quarré. Pour former l’ Arriéré du Quarré ou Reéïangle, les deux Chefs-de-file tournent vers le chemin du centre , s’y placent à deux verges de diftance , & font face en dehors : ils font fuivis par leurs files , chaque homme fe portant à leur droite & à leur gauche , à deux verges de fon voifin , & faifant face à l’ennemi du moment qu’il eft arrivé à fon porte. Sitôt que l’avant & l’arriere fe font déployés & formés, les deux longs côtés, qui dans cet in- tervalle ont fait face en dehors , fe joignent par les extrémités aux deux Fronts & ferment le Reétan- gle (*)• (*) Ces évolutions doivent fe faire avec la. plus grande cé- lérité. MILITAIRES. 127 Pour induire le Quarré ou Rectangle. La droite & la gauche du Front font face au centre, où les deux hommes du centre s’arrêtent. Au mot marchez , ceux-ci avancent & font rem- . placés par les deux hommes qui les fuivent , & ainfi de fuite: moyennant quoi ce Front redevient Colonne. L’ Arriéré tourne à droite , & les deux hommes du centre, fuivis des autres, reprennent chacun fon fentier à droit & à gauche du chemin dm centre. Tandis que les troupes fe forment , les Che- vaux- légers & chaque divifion du Convoi occu- pent le terrain qui leur effc afligné en dedans du Quarré, comme s’ils aîloient camper; & les che- vaux étant déchargés, les facs & barils de pro- vifions feront placés de maniéré à former deux lignes parallèles pour couvrir les bleffés, & tous ceux qui ne font point propres au combat. Les Chafllurs prennent porte en dehors fur le terrain le plus avantageux , efcarmouchant avec l’ennemr jufqu’à-ce que le reftangle foie formé; & alors, attentifs à l’ordre, ils fe retirent en dedans de la figure, & s’y placent comme on le voit marqué à la Figure 3 e . Les petis partis détachés pour battre l’ertrade (5) le long des flancs de l’Armée en Marche, reftent dehors pour empêcher fennemi d’avancer, & pour obferver fes mouvemens. RE’ FLEXIONS. 128 En commençant le feu les troupes ont ordre de s’agenouiller, afin d’étre moins expofées, juf- qu’à-ce qu’on juge à propos de commander l’at- taque. Les quatre faces, formées par les troupes ré- gulières , font divifées en pelotons difpofés en échiquier. La moitié, compofée des foldats les meilleurs & les plus aélifs, eft appellée le pre- mier-feu , & l’autre moitié le fecond-feu. Les huit pelotons des angles font compofés du fecond-feu, & deftinés à conferver la forme du Reétangle durant l’attaque. 11 eft évident que par cette difpofîtion le Con- voi eft bien couvert, & que les troupes legeres, deftinées pour la charge , reftent mafquées : & comme tout événement imprévu durant une ac- tion eft propre à répandre la terreur & la confu- fion parmi l’ennemi , il eft naturel de s’attendre, que les Sauvages fe trouveront fort déconcertés par l’éruption foudaine & brufque qui va fondre fur eux de l’intérieur du Reétangle ; & que fe voyant vigoureufement attaqués de front & en flanc à la fois , ils perdront contenance , & ne feront capables ni de réfifter , ni de fc rallier lors- qu’une fois on les aura mis en déroute. Ceci pourra s’effe&uer de la maniéré fuivante. A r- MILITAIRE Si 129 Attaque générale. Fig. 4. Les Troupes régulières (1) reftent immobiles» Les ChafTeurs (2) font la fortie en 4 Colon- nes par les intervalles du Front & de l’Arriere du Reftangle, fuivis des Chevaux - légers (3) & de leurs dogues. Les intervalles des deux Colonnes qui attaquent en front & de l’arriéré, feront rem- plis par les petits partis de batteurs d’eflrade (5) poftés aux angles du Rectangle $ chaque attaque formant ainfl les trois côtés d’un parrallelogram- nie. Dans cet ordre ils fe jettent fur l’ennemi (X) , & ayant forcé le pafiage à travers le cercle qu’il forme, ils tombent fur fes flancs en tournant à droit & à gauche, & le chargent avec impétuo- fité. Au moment ou ceux-ci prennent l’ennemi en flanc, le premier- feu de nos troupes régulières avance brufquement, & attaque l’ennemi de front. Les pelotons détachés ainfl des deux petits côtés du Reétangle, n avancent qu’environ une centai- ne de verges de leur front, où ils font halte pour couvrir le Rectangle, tandis que le refle des trou- pes qui ont attaqué pourfuit l’ennemi jufqu’à-ce qu’il foit totalement défait & difperfé, fans lui donner le tems de fe reconnoître. Les malades & les blefles , incapables de mar- cher ni d’aller à cheval , font tranfportés fur des îittieres faites de facs de farine , à travers les- quels on a paffé deux longues perches , jointes à I RE’ FLEXIONS * 3 ° diftance égale par deux bâtons en travers qu’on y a attachés au-deflus de la tête & au-deffous des pies pour étendre le fac. Chaque littiere eft portée par deux chevaux. On auroit pu étendre ces Remarques à beau* coup d’autres cas qui peuvent fe préfenter dans le cours d’une Campagne ou d’une Aêlion: mais on efpere que cette efquifle fuffira , pour démon- trer la néceffité de faire quelque changement dans notre méthode ordinaire de faire la guerre aux Indiens. I. ADDITION. Construction de Forts contre les Indiens. Comme nous n’avons pas befoin de nous mu- nir ici contre le canon , on peut laiffer de côté le Syftême de fortifications Européen, comme trop coûteux & ne répondant point au but. Les Forts contre les Indiens, ordinairement éloignés de nos habitations, doivent être fpacieux, pour y placer toute forte de magafins & provifions: en même tems il f ait qu’ils puiffent fe défendre avec la moitié feulement de leur Garnifon complette, en cas qu’il faille affaiblir celle-ci par des déta- chemens, ou par des convois à efeorter. Cela étant, je fuis d’avis qu’un Quarré ou un MILITAIRES. 131 Pentagone , ayant un Fort de brique ou de pier- re (*) à chaque angle, & entouré d’un mur flan- qué de ces Forts, feroit la meilleure défenfe con- tre de tels ennemis. O11 pourroit ajoûter un Fos- fé profond de fept à huit piés , avec des ouver- tures dans les caves des Forts à fix piés de ter- re, pour défendre le Folié. Le long de l’intérieur des Courtines , les trafi- quai peuvent y bâtir leurs maifons & maga. fins, couverts ainfi que les Forts de tuile ou d’ardoife, contre les fléchés enflammées. Il réité- ra un grand vuide au milieu , qui fervira aux h a- bitans à y prendre l’air , à y faire des jardins , à y creufer des puits, ainfi que dans les Foffés. Les Magazins à poudre feront placés au cen- tre de cette aire : & l’on ne gardera qu’une pe- tite quantité de cartouches dans chaque Fort pour le befoin fubit. Les Garnifons de tels Forts feroient à couvert de toute furprife, quand même il n’y auroit point de Sentinelles : car rien ne fauroit venir jufqu’à elles, tant que les portes feroient bien verrouil- lées & barricadées. (*) L’Expérience a démontré eue les fortifications de bois, fujettes à décheoir bien vite, font par la -meme d^une depenfé excefâve. I S 13 * RE’ FLEXIONS Diverfes raifons qui doivent nous engager a garder £? maintenir les grands Forts que nous pqffc- dons dans le pays des Indiens. Comme ces Forts ont été Tune des caufes de la derniere guerre , & que c’effc eux fur - tout que les Sauvages regardent de mauvais œil, c’efl: contre eux auffi qu’ils ont dirigé leurs plus grands ef- forts : mais par là-même ces Forts ont occafionné une puifiante diverfion des forces de l’ennemi , qui en a été moins en état de réduire à l'extré- mité nos établiflemens. Nos Forts tiennent les villes Indiennes éloignées de nous jufqu’à une grande diftance. Le Fort Fitt les a chalfés de f Ohio , & obligés de reculer leurs demeures au moins de 60 miles plus à l’Ouefl:. Sans ces Forts ils viendroient s’établir jufque fur nos confins, prêts à nous infefter tous les jours, & en tel nombre, en tems de guerre, que les habitans, dis- perfés & clair- femés le long de nos vaftes frontiè- res, en feroient accablés. Le Fermier ne pouvant: plus ni femer ni recueillir, feroit bientôt obligé y ou de fe réfugier jufque dans nos principales villes, ou de quitter le pays faute de pain. Dans l’un & l’autre cas , quel feroit le fort de nos grandes vil- les chargées de tout le peuple de la contrée, & privées de la fubfiftance & de tous les articles de commerce & d’exportation qu’elles en tirent! La deflruftion de ces Forts étant en tems de guerre le principal but des Sauvages, ils s’aflem- M I L I T A I R E S. 133 blent autour pour réduire aux abois les garnirons, & intercepter les convois & les fecours qu’on y envoyé. Par là ils nous fourniflbnt l’occafion de les combattre en corps , & de leur porter un coup fatal: ce qui, fans cela, ne feroit jamais cil notre pouvoir ; leur principal avantage confiflant en furprifes , qui ne s’effeêluent jamais mieux que par petites troupes. L’expérience les a convain- cus qu’il n’efl pas en leur pouvoir de rompre ce? chaînes ; par conféqucnt il n’eft pas probable qu’ils faflent fitôt une autre tentative , & ces places, les tenant en bride , nous épargneront la peine & la dépenfe de remettre le pié chez eux. Ces mêmes Forts font aufli les vrais entrepôts du négoce avec ces barbares, lequel étant veil- lé de près , il nous fera aifé de limiter ce qui s’im- portera chez eux, d’empêcher fintroduélion de tout ce dont ils pourroient tourner J’ufage contre contre nous , & de prévenir tout jufle fujet de plainte, en redreflant immédiatement ce qui peut y donner lieu. Je penfe que peu de Forts, pourvusse for- tes garnifons, feroient d’une plus grande utilité qu’un grand npmbre de places foiblement gardées. Dans la derniere guerre nous perdimes tous nos petits Pofles: mais les plus considérables, com- me ceux du Detroit & du Fort Put , réfifterent à tous les efforts des Sauvages par la force de leurs garnifons. I 3 J34 RE’ FLEXIONS II. ADDITION. Cfitte piece ici a été compofée par un Officier très inftruit des lieux qu’il décrit : & comme el- le peut nous faire mieux connoître les vaftes con- trées qui nous ont été cedées , & les diverfes na- tions qui y habitent, on l’a crue eflentiellement digne d’être inférée dans cet Ouvrage. Etat des Forts François cédés à la Grande-Brétagne dans la Louisiane. Les Ilinois demeurent au 4o n . le Degré de Lati- tude, à 500 lieues de la Nouvelle-Orléans par eau, & à 350 lieues par terre. Le tems le plus propre de l’année pour aller chez eux eft le commencement de Février. Le MiffîJJîpi inondant alors la contrée du iuperflu de fes eaux , on y a moins à craindre de la part des Sauvages , qui font à la chaile dans cette faifon. Les campemens feront à la gauche de la riviè- re , fi l’ennemi eft à la droite, & fi, fe trouvant en grand nombre, il na pas affez de batteaux pour la traverfer. Ces peuples attaquent généralement au point du jour, ou dans le tems d’un embarquement. Les habitans apporteroient des provifions jus- qu’à moitié chemin , s'ils étoient affurés d’être bien payés. MILITAIRES. 135 Les Delawarcs & tes Shawanefes font près du Fort Du-Quefne (*), éloigné des Ilinois d’envi- ron 500 lieues. Les Wiandots & les Ottavoas (qui vivent près du Détroit) font à environ 250 lieues des Ilinois par terre : les Miamis à environ 200 lieues, suffi par terre. Néanmoins comme tes avis fe communiquent très rapidément entre tes Saiivages, & que tou- tes tes nations avec qui nous fommes en guerre peuvent venir fur Y Ohio (f), nous devons être attentifs & vigilants pour prévenir toute furprife. L’embouchure de Y Ohio, dans 1e MiJJijJïpi, eft à 35 lieues des Ilinois. A treize lieues du Miffiffipi , du côté gauche del’Ohio, eft 1 e Fort de MaJJiac ou àe,Y4JjGm~ pion , bâti en 1757, un peu au-deftous de la bou- che de la riviere de Chcrokeé (+). C’eft une fim- (*) C’eft ainfi que les François appeîloient le Fort Pitt. (f) Une partie de la navigation fur l 'Ohio, en partant du Fort Pitt, eft décrite de la maniéré fuivante. La partie diffi- cile de la riviere eft de 50 à 60 fieues en descendant du Fort Pitt. Il y a 52. îles entre le Fort Pitt 8c la ville inférieure des Shawanefes fur le Scioto : toutes fè pafient fans difficulté pen- dant la nuit, hormis une à l’embouchure du Muskmgham , oc- cafionnée par un grand nombre d’arbres renverfés ou arrêtes clans le canal. De la ville inférieure des Shaw^nefes jufqu’aux chûtes il n’y a que 8 ou 9 îles. A ces chûtes la riviere eft très- large, n’ayant qu’un feul pafiage, du côté oriental, où il y ait affiez d’eau dans toutes les faifons de l’année pour y pafficr fans difficulté. Au-deftous des chûtes, la navigation eft faine 8c aifée partout jufque -dans le MiffiJJipi. (+) Le Cherokeé tombe dans YOhio à environ 800 miles au- deftous du Fort Pitt* Cette riviere, généralement large 8c bas® 1 4 PvE’ FLEXIONS 13 6 pie eftacade , avec quatre baftions & huit pièces de canon. II peut contenir ioo hommes. On peut en quatre jours aller de ce Fort chez les Uinois. Il importe aux Anglois de le conferver, parce qu’il afïure la communication entre les Ilinois & le Fort Pitt. Le Fort Vincennes , qui effc le dernier de la Louïfiane , efl fur YOuabache (*) à 60 lieues du confluent de cette riviere & de YObio. C’eft un petit Fort pallifladé, dans lequel il peut y avoir environ 20 Soldats. Il n’y a aufli que peu d’ha- bitant Le terroir de la contrée eft extrêmement fertile, & produit abondance de blé & de tabac. La diflance de ce Fort aux II mois efl: de 155 lieues par eau. On y va par terre en fix jours. La nation de Sauvages établie ici s’appelle Tianquicha. Elle peut fournir 60 guerriers. Quoique nous n’occupions pas préfentement le Fort Vincennes , il feroit cependant de la derniers importance pour nous d’y faire un établiflement , à caufe de la communication qu’il y a avec le Canada en remontant YOuabacke . De ce pofte jufqu’aux Ouachtanons il y a 60 lieues: de-là aux Miamis (toujours en remontant i'Quabache ) encore 60 lieues : alors vous trouvez fé, n’eft navigable, en remontant jufqu’au mont du Sud, que peur des canots d’écorce; après quoi elle fe rétrécir beaucoup. (*l L 'Ouabache fè décharge dans Y Ohio à environ 60 irul«s fUrdefTus chi Ckerokeét du côté oppofé ou occidental. MILITAIRES. T 3? un portage de fix lieues jufqu’à la riviere de Mia- mis ; & en defcendant celle-ci l’efpace de 24 lieues, vous entrez dans le Lac Eric. Mr. Daubry fit cette route en 1 759 , allant des lîinois à V mcingo (*) , avec au-delà de 400 hom- mes , & deux cent mille Livres pelant de farine. A trente-cinq lieues de l’embouchure de Y Ohio, en remontant le MiffiJJipi , à main droite, effc la riviere de Kaskasquias ; & vis-à-vis d’elle l’habita- tion des Kaskasquias , la plus confidérable de cel- les des Ilinois . (*) Le Mémoire ci-defius indique la route qu’il faut prendre en remontant le MijJîJJipi y une partie de YOuabache jus- qu’au Fort Vincennes • 8c de-meme ju (qu’aux 11 in si s ; de plus, de T’incemies & des Ouachtanons par eau , du côté de la communi- cation avec l’Oueft jufqu’au Portage du Miamis ; enfuite par eau en defcendant cette riviere par la route de PEft dans le La cErie, 6c avançant jufqu’à Prefquîle: puis par le Portage de i $ miles dans la riviei e du Bœuf, appellée dernièrement la Crique Françoi- fe-, 8c continuant de defeendre la même Crique , jufqu’à Venan- go fur Y Ohio. C’eft pourquoi, 8c pour pouffer cette route plus loin , nous la continuerons de Venango jufqu’à l’embouchure de la Juniata dans la Sujquehannah , qui la fait aboutir au milieu de la partie habitée de la Penfylva:iie> (avoir : De Fenango à Lickivg Creek , io miles j à la Crique de Tobie , 1 3 3 'a une autre petite Crique, i $ à l’endroit où la route fè par- tage, 5 3 à un grand ruiïïeau, 53 à Leycuumeyhoning , 9 3 à U Crique du Pin, 73 à Chuckcauting , 83 a Weeiing Creek , 43 à la traverfée delà même, 43 à un Marais bourbeux, 8 3 à la four- ce de la Sufquehannah , 10 3 à Meytaming Creek , 183 à Clear - Field Creek y 63 au fommet de YAllegheny, 13 à l’autre côté de ce mont, 65 à Beaver ■? dams , 53 à Franks-town, 53 à la phee des Canots , à l’embouchure de la Juniata, 110; To-* tal 239. miles. 1 5 RE’ FLEXIONS iS S Il y a Jà un Fort bâti fur une hauteur de l’autre côté de la riviere, vis-à-vis Kaskas - quias , qui commande & protégé la ville , fans que la riviere, qui eft étroite, y mette obftacle. Je ne fai combien de canons il peut y avoir, ni combien d’hommes il contient. Le nombre des habitans peut monter à environ 400. Les Indiens Uinois , appellés Kaskasquias , font établis à une demi- lieue de la ville , & en état de mettre fur pié environ 100 combattans. Ils font très fainéans , & de grands ivrognes. A fix lieues de Kaskasquias , fur le bord du MiJJiJJipi) eft le Fort Chartres , bâti de pierre, & contenant 300 Soldats. Il peut y avoir au plus 20 canons , & environ 100 habitans autour du Fort. Les Indiens Ilinois du lieu , appellés Metcbis , peuvent mettre fur pié 40 combattans. Entre Kaskasquias & le Fort Chartres il y a un petit village appelle la Prairie du Rocher , conte- nant environ 50 habitans blancs: mais il n’y a là ni Fort ni Sauvages. Près du Fort Chartres on trouve un autre villa- ge, auffi fans Fort ni Sauvages, dans lequel il y a une vingtaine d’habitans. A quinze lieues du Fort Chartres , en remon- tant le MiJJîJJipi , eft Je village de Cajquiars . Ici il y a un petit Fort de palliffades : mais je ne fais s’il eft pourvu de canon. Il peut y avoir là 100 habitans. MILITAIRES. * 139 Les Indiens IJinois qui demeurent près de ce village font appelles Cafqiitars , & peuvent mettre en campagne 60 Combattans. Je compte qu’il y a environ 300 Negres chez les Ilinois. Le pays des Ilinois eft fertile, produifant du blé & du froment en perfection. Toute forte de fruit Européen y vient extrêmement bien; & ils ont des grapes fauvages, dont ils font du vin paftable. Leur bierre eft allez bonne. Il y a chez eux des mines de plomb, & du fel. Ils font du fucre d’érable, & leurs carrières leur fournifient de bonnes pierres. III. ADDITION. Route de Philadelphie au Fort Pitt. De Philadelphie à Lancafter ♦ à Carlifle . . à Slippensbourg! au Fort Lou- do un . . 2u Fore Little- ton . . . au Pafiage de la Junisfa . . | au Fore Bedford ajj Paflage de Stoney Creek au Fore Ligo- nier . . . au Fore Pitt Miles. Quarts. Perches. 66 0 3 B 5 S 0 00 22 O 00 24 3 | 00 17 3 00 18 3 00 14 3 co 29 0 39 20 1 43 5 6 0 i 00 i 524 i 2 1 40 1+0 RE’FLEXIONS C3S)S3æS35X MlîœîJ IV. ADDITION. de Villes Indiennes, fituécs fur ou près la Riviere d'O hio &f de fes Branches , /éw diflances du Fort Pitt 5 6? kj diflances des prin- cipales de ces Branches lune de T autre à leurs em- bouchures dans l'Ohio. Première route, environ N. N. Ou. Du Fort PlTT à Kushuskies Town fur Big Beaver-Creek. . < . en remontant la Branche orientale de Beavcr-Crèck à Shaningo en remontant la dite , à Pe matuning à Mohoning / fur la Branche occidentale de Beaver- Creek en remontant la Branche, à Sait Lick à la Rivière de Cayahoga à la ville des Ottawa* fur. le Cayahoga . . . . . . Seconde route, Ou. N. Ou, s > Du Fort Pitt à l’embouchure de Big Bea rc l’autre. Pitt. Miles. Miles. 40 228 33 26 l 8 269 40 ! 309 40 349 30 379 20 399 r JMiavtmev (*) river 55 a Big Miammee ou JRocky river . , 30 à Big Boues (f) . . 20 à Kentucky riv. . . 55 aux Chiites de VOhio 50 à l 'Ouahache . . . 131 à Cherokee river . .1 60 au MiJfiJJipi . . J 40 ! i 454 484 504 559 609 740 800 840 Il faut noter que les lieux mentionnés dans les trois premières Routes fofît exprimés & détermi- (*) Ces rivières, appcllées le petit & le grand Mincamie ou Miammée , tombent dans VOhio entre le Scioto & VOuabachi ; 8c il ne faut pas les confondre avec celle de Miamis , qui entre l’Oueft dans le Lac Erie , au-deflous du Fort Mia?xis. (f) C’eft-à-dire aux gros os. Le lieu eft ainft nommé à eau- fc des os d’Elephant qu’on y a trouves, à cc que 1 on d:t. MILITAIRES. i43 nés dans la Carte qui eft à la tête de cet Ouvra* ge , faite par un Officier expérimenté , & qui a une connoiflance exaête du pays, pour avoir long- teins fervi contre les Indiens. La quatrième Route, en defcendant Y Ohio 9 a été donnée par une perfonne qui trafique depuis long-tems avec les Indiens, & qui a fou vent été du Fort Pitt aux Chûtes : ainfi l'on peut fort bien s’en rappor- ter à lui par rapport aux embouchures des di- verfes rivières qui tombent dans YObio. Les Car- tes publiées jufqu’ici placent très -mal quelques- unes de ces Rivières. V. A D D I T I O N. Noms de différentes Nations Indiennes qui habitent /’Amériq.ue Septentrionale, avec le Nombre de leurs Combattans ; dont gïi a fait mention dans une note de la -page 89. La lifte fuivante a été dreflee par un Trafi- quant François, perfonnage très notable, qui a ïéfidé longues années parmi les Indiens , & qui demeure encore au Détroit , devenu fujet du Roi de la Grande-Bretagne , à qui il a prêté ferment de fidélité. Entant qu’il eft poffible d’approcher RE’FLEXIONS * 44 - de la vérité dans des matières de la nature de cel- le-ci, on peut faire fonds fur le compte qu’il en rend, dont la plus grande partie efl: le fruit de fa propre expérience. Combattanî. Les Conavoaghrunas , près des Chûtes de St. Louis 200 • 350 . 703 Abe naquis *) Michmacs * Atnalijles. f * Chai as J Indiens de St. Laurent NipiJJtns, ") 1 demeurants vers les fources de la riv. ■ à' Ottawa. 550 1^0 400 Algonquins,) . . . .300 Têtes de Boules , près des précédents . . 2500 Six Nations , fur les frontières de la Nouvelle Tork , &c. ÎÇ50 Wiandots , près du Lac Erie . I l 300 Chipwas 3 : 3 : ï ; 5000 p* près des Lacs Supérieur & Michigan . Ottavjas^j ..... 900 Mcjfefagues , ou Indiens des rivières , Tribus ambulantes fur les Lacs Huron 8c Supérieur 2009 Vovjtevjatamis , près de 5 /. Jofeph 8c du Z>/- Tuants , ^ I x * . * * * r près de la des Puant s Toile- Avoine ^ j , . . : * Mechecouaquis 3 . g a fc s |> au Sud de la Baie des Puants. Mafcoutens , J 1 . . Ouifcon/ins , fur une riviere de ce nom qui tombe dans le MiJJijJipi du côté de l’Eft . 350 700 3 1 l • • 600 Canfes , . . • * 4 • 1600 1 Fanis blancs , b au Sud du MiJJoun . i 2000 * * • . 1700 Fadoucas , . .** . « . . çoo Ajoues , au Nord du même Fleuve . . 1100 Arkanfes , fur la Riviere qui porte leur nom, & qui tombe du côté de l’Oueft dans le MiJJîjJïpi . . • 2000 Alibamous , Tribu des Criques . * 600 * Ouanakina , "> 3 °° f Cbiakanejfov , j . • * 35 ° Inconnus, à moins que l’Auteur n’entende par -la les Tribus ' des Criques. * Mâche cous , . * 800 * Caouitas , . . 700 * SouikilaSy .J . I . . 200 Miamis , fur la Riviere de ce nom, qui entre dans le Lac Brie 350 Delawares ( les Loups ) fur Y Ohio „ , 600 (f) Ils demeurent au Nord-Ôueft ; 8c lorfque les François les virent pour la première fois, ils crurent que c’éto.ient des Ef* pagnols. K 146 U F F L E X I 0 N S J - . Combattans Les Shaivanefes , fur le Scioto . , '■a 0 c Kickapoux , . . . . ; . 300 Ifur YOuabache. Ouachtenons , [ • • . ■> » > • -» 400 Tanqnichas , J ! . • I 250 Kaskafquias , ou Ilinois en général, fur la Ri- viere des Ilinois .... * f 600 * Piajtria . . 800 Cata^bas , fur les frontières de la Caroline Sep - tentrionale ..... . 150 Cherokees , derrière la Caroline méridionale . 2Ç0O Chickafa 11. Le Fort Pitt affiégê , 6 & fuiv. Ligonier, 11. Bedford, 12. Cow- Jlruftion des Forts contre les Indiens , rso, 131. Combien importe la confervation des grands , 132, 133. Etat des Forts François cédés à la Gran- de-Bretagne dans la Louïfiane , 134 & fuiv. G. &. dw in (Maj.) ajjiêgé dans le Fort Dé- troit , 6. Guerre en Amérique bien différente de celles en Eu- rope , 17. La meilleure maniéré de la faire aux Américains , 95 & fuiv. 10 1 & fuiv. 104 & fuiv. V. Campagne, Troupes légères. H. JrÏAche-d’ Armes. V. Tomahawk. Hiéroglyphes des Sauvages , 45. I. iNdiens. Voyez Sauvages. L. X^Ogg’s-town, Ville des Indiens , décrite , 41, 42. 'K 5 Man- table M. ]VXAnœuvres, V \ Evolutions. Stratagème. Marche du Col. Bouquet dans le pays des Sauvagei y 38 & fuiv. Ordre de la Marche pour le Corp de troupe propofé \ 124. Meflagers du Col. Bouquet pris par les Sauvages , £? remis en liberté , 47. N. Ouvelle Angleterre. Réflexions fur le nombre £? la force de fes habit ans , Préf. pag. v. &? vi. Nouvelle Jerfey. Nombre de fes habit ans , Préf. pag.' vi. Nouvelle York. Nombre de fes habit ans , Préf pag. vi. P. £ n N. (Gouv. ) Son difecurs aux troupes affenu blées à Car lift e , 31. Penfylvanie. Réflexions fur fa population , le nom - bre y le caradtere & la fltuation de fes habitans , Préface pag . iv. Prifonniers, V. Captifs. fuiv. de s MATIERES. R. JR^Econnoiflance entre une femme captive , fon mari y &? leurs enfans , 7*5, 77. Reélangle. F. Quarré,. Réflexions fur la maniéré de faire la guerre aux Américains y 95 & fuiv. 10 1 Sc fuiv. 104 & fuiv. Voyez Campagne. Troupes légères. Romains. Comment ils fe perfectionnèrent dans T art de la guerre y 97, 110. Routes par l'intérieur de î Amérique Sept, y 137, 139 & fuiv. S. §Auvages. Motifs de la guerre qu'ils firent aux Co- lonies après la paix conclue y 2. Leur plan d'o- pérations y 3. Forts dont ils fe rendirent maî- tres y 4. Ils ajfiegent le Fort Pitt, 6 . lèvent le fiege y 14. attaquent le Col, Bouquet y 15 & fuiv. leur défaite y 22. perte y 23. & entière re- traite y 24. 28* Ils continuent d'infefler les fron- tières y 28* fe préfentent devant le Fort Pitt fous prétexte d'une Conférence y 33. font retenus com- me efpions , 34 . font prifonniers les mejfagers du Col . Bouquet y 6? les lui renvoyenty 47. lui en - voyent des Députés y 36, 48. entrent en confé- rence avec lui y 49. Leurs Chefs demandants la paix y 50. Effet que produit fur eux le difeours du Colonel , 54 , 55. Ils commencent à rendre TABLE les Captifs , f5. Meffages entre eux &? le Colo* nel y 58. Ils veulent majfacrer les captifs , 61, 62. Difcours de leurs Chefs , 63, 65, 65, 67, 68, 69, 71, 86 & fuiv. Un de leurs Chefs dépofé , 66, 67. «SVtfWtf touchante de leur fépara- tion d'avec les prifonnicrs , 73 & fuiv. Comment ils en ufent envers leurs captif s , 75, 76. Leur fidélité à remplir les conditions du Traité , 85. Du naturel & du génie des Sauvages , 90. Dé leurs avantages naturels acquis fur les na- tions civilifées , 91 & fuiv. 101 & fuiv. Leur vêtement 9 93, 94. ût enfile s , 94. maximes de guerre, , 104. Dénombrement de leurs nations & comhattans , 143 & fuiv. Scalper. Signification du mot , 13. Smallman (Maj.) prifonnier chez les Sauvages , fon récit 9 61. 62. Stratagème gwf eau fa la défaite des Sauvages ci Bushy-Run, 20 & fuiv. T. Omahawk, 00 Hache d'armes , 68. Troupes légères. Lear utilité 95 & fuiv. Sar quels principes elles doivent être drejfées en Amérique , 101 , 106 & fuiv. Z.0ar habillement , 106. , 108. Exercices , 109 & fuiv. 113. & fuiv. Chevaux légers & chiens , m, 112. tifans , 11 3. Comment on pourvoit récompenfer ces troupes y 114 & fuiv. 118. Préparatifs pour 4 des MATIERES. ? les faire entrer en Campagne , 119 & fuiv» Ration du Soldat , 119. Campement , 122 & fiiiv. Ordre de la Marche , 124. Défilés à paj - fer , 125. Dfpofitions pour recevoir ï ennemi , 125 . former £? réduire le qaarré ou rec- tangle , 126 & fuiv. Attaque générale , 129 & fiiiv. Tuscarowas, Ville Indienne , décrite , 47. Vifc à fonder dans V intérieur dè T Amérique , 114 & fuiv. w. \V^Ampum. Explication du mot , 49 not. V. E?/z de la Table , GFFTY CRNTER LI8RARY \ , - V » • . ■ , . . . v ; ■ ■