7b 85-B 1886 A / m m LES ARTISTES CELEBRES JOSHUA REYNOLDS PAR ERNEST CHESNEAU OUVRAGE ACCOMPAGNE DE 18 GRAVURES 0^ LIBRAIRIE DE L'ART PARIS J. ROUAi, ÉDITEUR 2Q, CITÉ d'aNTIN LONDRES GILBERT WOOD 4 C* 175, STRAND DÉPOSÉ. — Tous droits de traduction et de reproduction re'servés. Digitized by the Internet Archive in 2014 https://archive.org/details/joshuareynoldsOOches LES r \ ARTISTES CELEBRES JOSHUA REYNOLDS PAR ERNEST CHESNEAU LIBRAIRIE DE 1/ ART PARIS J. ROUAM, EDITEUR LONDRES GI LBERT WOOD & O 29, Cité d'Antin. 1 Strand. SIR JOSHUA REYNOLDS — 1723-1792 — CHAPITRE PREMIER 1723- 1740. — La vocation. — Premières études. — Premier portrait. Nul artiste, en Angleterre, n'occupe dans l'estime de ses compatriotes un rang égal à celui où l'opinion britannique a placé sir Joshua Rey- nolds : non, pas même Gainsborough, son contemporain, comme lui portraitiste de l'aristocratie, et de plus que lui, grand paysagiste, en outre bien autrement genuine ; ni Turner non plus, véritable créateur, pour- tant, celui-là, et, en ses aquarelles surtout, l'un des plus admirables peintres de la lumière, — cette universelle joie des êtres et des choses, — que le monde ait jamais vus et sans doute verra jamais. Rien, avec la même clarté que la cause déterminante de sa vocation, ne caractérise exactement le genre de génie qui fut celui du peintre le plus célèbre de l'ancienne école anglaise, — le plus célèbre, disons-nous, mais, à nos yeux du moins, non le plus illustre. Le père de sir Joshua, le Rev. Samuel Reynolds, était clergyman et dirigeait l'école libre de grammaire à Plympton St. Mary, à quatre milles de Plymouth , dans le Devonshire. Quoique d'église , il n'était pas exempt de quelque superstitieuse confiance dans le destin, car, s'il en faut croire un des biographes de l'artiste, Edmond Malone, il aurait donné à son dixième enfant (il en eut douze) le nom biblique, mais point très commun, de Joshua (Josué), dans le singulier espoir que la conformité d'un prénom rare attirerait sur celui-ci la bienveillante sollicitude de quelque personnage baptisé sous l'invocation du même ANGLETERRE. — PEINTRES. SIR JOSHUA REYNOLDS. — I 4 LES ARTISTES CÉLÈBRES patron '. On peut conclure de l'anecdote que le revenu de l'école répon- dait insuffisamment aux lourdes charges d'une si nombreuse famille, sans que celle-ci cependant fût vraiment malheureuse. Le jeune Joshua était né le 16 juillet 1723, quatre mois avant la mort de sir Godfrey Kneller, élève habile de Ferdinand Bol et qui avait été le portraitiste favori de la société anglaise pendant la première partie du xvm e siècle. Bien qu'il reçût l'enseignement paternel, comme il témoignait d'un fort médiocre enthousiasme pour les lettres latines et grecques, il déçut le premier vœu de ses parents : leur désir qu'il fût médecin. On a conservé des feuilles de devoirs où l'écolier traçait des croquis enfantins. L'un d'eux est une copie maladroite d'une fenêtre à meneaux. Le père, ne soupçonnant pas que l'original fût une planche d'un traité de perspective (Jesnifs Perspective), ni par suite que la copie fût un effort sérieux, avait, à côté, écrit de sa main, dans sa sainte indi- gnation d'ancien bon élève de Balliol Collège : « Joshua a dessiné ceci, en classe, en un jour d'absolue paresse. » — Un autre croquis montre l'intérieur d'une bibliothèque. Celui-ci n'est pas annoté; non apparem- ment que le Rev. Samuel Reynolds ne l'ait pas vu, mais sans doute l'effort renouvelé commence à l'intéresser; il se tait, regarde curieuse- ment. — En effet, voici un dernier croquis représentant un perchoir, et cette fois, flatté dans son amour-propre de père, le respectable clergyman écrit : « Dessiné non d'après un autre dessin, mais d'après nature. » Dans le même temps qu'il illustrait de la sorte ses cahiers d'écolier, Joshua lisait et étudiait avec ardeur le traité de peinture de Jonathan Richardson, un portraitiste également, — les peintres d'alors ne pra- tiquaient pas d'autre art que le portrait, — artiste d'un talent honnête, au témoignage d'Horace Walpole, mais de qui Ton peut redire, après le D 1 ' Johnson, qu'il « est moins connu par ses tableaux que par ses livres », au moins par leurs titres, ajouterons-nous aujourd'hui -. De l'accord de 1. Northcote a réfuté E. Malone d'après le témoignage même de Reynolds. Celui-ci avait un oncle portant ce prénom de Joshua, et qui fut son parrain. Mais, habitant Exeter, et ne pouvant assister à la cérémonie du baptême, cet oncle fut représenté par M. Aldcvin. — Par méprise, le registre de l'église de Plympton porte le prénom de Joseph, à la date du 3o juillet 1723; l'erreur fut rectifiée sur une autre page, après la mort de l'artiste (17(12). 2. J. Richardson ( 1 665- 1 745) a publié : An Essay on the ivhole art of Criticism in relation to Painting, en 1719; An Argument in behalf of tlic science of a con- naisseur, la même année; An Account of some Statues, Bas-reliefs in Italy, etc., SIR JOSHUA REYNOLDS KNT, Président of the Royal Academy. — D'après la gravure de J. K. Sherwi 6 LES ARTISTES CÉLÈBRES tous les biographes, il résulte que la lecture de ce traité décida de la vocation de Reynolds. Quand nous pénétrerons plus avant dans la vie et dans l'œuvre de l'artiste, le fait nous sera confirmé par la tendance constante de son esprit à s'éclairer au contact des maîtres qui l'ont précédé, plutôt qu'à celui de la nature. Evidemment le meilleur du génie de Reynolds réside dans son cerveau, dérive d'une vive intelligence servie par une volonté résolue. ïl le sentait bien lui-même quand, plus tard, au sommet de sa renommée, il disait au peintre Northcote que s'il avait, conformément au désir de sa famille, opté pour la carrière médi- cale, « il aurait apporté à devenir le plus grand médecin de son temps une résolution égale à celle qu'il avait déployée pour en être le premier peintre ». En un mot, dans la pensée de Reynolds, le génie n'était, sous un autre nom, autre chose que l'intelligence très développée ; il croyait que le travail incessant et bien dirigé est le générateur de toutes les belles œuvres. Il en jugeait sans doute d'après lui-même. Encore faut-il ajouter que cette opinion est justifiée seulement dans le cas où l'intelligence et le travail agissent concurremment avec les aptitudes innées du sens spé- cial d'où procède chacune des formes d'art : la vue en peinture, l'ouïe en musique. Dans la formation du talent de Reynolds d'autres éléments vinrent s'ajouter à ceux que nous connaissons déjà, c'est-à-dire à l'étude de la Perspective des Jésuites, — qu'il poursuivit jusqu'à ce qu'il l'eût achevée, de telle sorte, avec une si patiente persistance, qu'elle le mit de fort bonne heure et pour la vie en possession de cette science, — et à la lecture du traité de Richardson qui, protestant énergiquement contre la nullité de la peinture anglaise à cette date, invoquait l'avènement d'un art national. (On sait que ce généreux appel, qui échauffait sans doute l'imagination ambitieuse de l'enfant, ne resta pas sans réponse.) Joshua Reynolds, en outre de ces études purement théoriques, s'exerçait l'esprit à la composition et la main au dessin en copiant, peut- en 1722; Explanatory Notes and Remarks on M Mon' s « Paradise Lost », en 1734, son livre de prédilection, dont il infligeait l'audition, souvent renouvelée, à ses amis. Dans tous ses travaux littéraires il était largement assisté par son fils, ce qui fournit à Hogarth un sujet de caricature, et lui attira une vive épigramme de Mathieu Prior un jour qu'il le consultait sur le titre à donner à l'un de ses ouvrages : « Appelez-le Mémoires de J. Richardson et de son fils Jonathan avec un mot ou deux sur la peinture », répondit le poète du Chant séculaire, des Odes, de Contes en vers assez légers et des poèmes philosophiques de Salomon et à' Aima. JOHN HllNTER, Chirurgien,- professeur d'anatomieji l'Académie. — D'après la gravure de William Sharp. 8 LES ARTISTES CÉLÈBRES être même en calquant les planches gravées d'une édition du Plut arque de Dryden, puis celles du Livre des Emblèmes de Gat. Il n'avait pas treize ans, en IJ35, quand, à l'instigation d'un de ses camarades, le jeune Richard Edgcumbe — d'une grande famille du comté, les Mount Edgcumbe, qui vivaient en d'amicales relations avec le directeur de l'école de Plympton, — il peignit son premier portrait, celui d'un digne clergyman, du nom de Thomas Smart, tutor de Maker Church ; il le représenta, — probablement à l'insu du modèle, — en chaire et prêchant. Le dessin terminé, les deux enfants, en se promenant au bord de la Plymouth, trouvèrent et ramassèrent un vieux morceau de toile à voile qu'ils convertirent en toile à peindre. Tel fut dans le portrait le début du futur président de la Royal Academy. L'œuvre existe encore; elle a été, en outre, sauvée de l'oubli par une mezzo-tinte de S. W. Reynolds ( 1 774- 1 835), l'habile artiste qui a gravé un grand nombre de peintures de son célèbre homonyme, dont il n'était d'ailleurs parent à aucun degré. Qu'est-ce qui détermina le Rev. Samuel Reynolds, non seulement à ne point contrarier, mais à favoriser la vocation de son fils Joshua? Il n'est pas impossible que la réputation de Thomas Hudson (1 701- 1779), le portraitiste préféré de la Gentry de ce temps, y ait concouru. Hudson, en effet, était du Devonshire. Ses succès y étaient connus. On savait qu'il avait frayé sa voie sans aucune aide ou à peu près, et rapidement gagné beaucoup d'argent. Quand Joshua, sans prétendre à de telles faveurs de la fortune, suivrait dans une certaine mesure les traces du grand homme, et parviendrait à un talent suffisant pour léguer à leur postérité les traits des Squires du Devon et des Aldermen de Plymouth ? Eh bien, était-ce là vraiment, au jugement d'un père sur les aptitudes de son fils, se flatter d'une ambition excessive? Non, sans doute. En tout cas, la perspective méritait qu'on l'envisageât, l'idée, qu'on l'étudiât et qu'on s'enquît des moyens de la réaliser. En conséquence, M. Reynolds s'informa et apprit bientôt que Hudson demandait 120 livres à ses élèves. Cent vingt livres, grand Dieu! Où donc un pauvre ecclésiastique avec dix enfants eût-il trouvé pareille somme (3, 000 francs, valeur du temps) ? Cependant les choses s'arrangèrent le mieux du monde. Par l'entre- mise d'un ami commun, un M. CutclirTe, attorney de Bideford, dont le 1. Le « Dick Edgcumbe », de la Correspondance de Walpole. SIR JOSHUA REYNOLDS 9 nom pour cela seul doit être cité,. Hudson consentit à recevoir le jeune homme dans des conditions plus accessibles, et une de ses sœurs donna l'argent 1 . Joshua Reynolds, « après un voyage des plus pros- pères », comme il l'écrit lui-même, fit son entrée dans la ville de Londres, le i3 octobre 1740, et le même jour prit logis dans la maison même de Thomas Hudson, une grande construction en brique rouge portant aujourd'hui les numéros 5 5 et 56 dans Great Queen's Street, Lincoln's Inn. 1. Hudson consentit à ne recevoir que la moitié du prix (60 1. s.) en espèces: l'autre moitié devant être remboursée ultérieurement par l'artiste sur ses premiers gains. CHAPITRE II 1 740-1746. — Premier séjour à Londres. — L'atelier de Thomas Hudson. — Rupture Retour en Devonshire. — Portraits. — Nouveau séjour à Londres. On est en général très sévère pour Hudson. S'il est vrai que Télève a distancé le maître de beaucoup, il n'en conserva pas moins pendant de longues années l'empreinte de son enseignement. Hudson, qui avait succédé à l'Irlandais Charles Jervas {1670-1 ;3g) dans les sympathies de la noblesse, se rattachait à la même tradition. Il avait appris son métier dans l'atelier de ce Richardson dont nous avons déjà parlé et qui avait été le condisciple de Jervas précisément chez Godfrey Kneller. Cette école, il est vrai, n'attachait guère d'importance dans le portrait qu'à la ressemblance, aux traits du visage, considérant tout le reste du corps, même les mains, comme un accessoire qu'on abandonnait à l'exécution subalterne des praticiens (joumejymen). Néanmoins il faut déjà savoir quelque chose pour peindre convenablement une tête, dans la vérité de son caractère. Hudson y ajoutait quelques autres qualités que nous rap- pellerons, quand nous les rencontrerons dans les premières œuvres de Reynolds. Il y a de lui un bon portrait de l'illustre musicien Haendel, à la National Portrait Gallery. L'engagement de Joshua auprès de Thomas Hudson avait été con- tracté pour une durée de quatre ans ; mais la seconde année n'était pas encore accomplie quand ils se séparèrent. Pourquoi ? L'élève était-il las du maître ? Croyait-il avoir épuisé son enseignement ? C'est l'opinion de quelques-uns. Le maître était-il jaloux des progrès de son élève, crai- gnait-il de concourir à former le talent d'un prochain et dangereux rival ? C'est l'opinion commune. Toutefois les deux hypothèses sont en contradiction évidente avec l'esprit des lettres que le Rev. Samuel, à diverses dates, écrit à son ami Cutclirle. Trois mois après l'entrée de son fils chez Hudson, il dit : « Joshua est très sensible au bonheur de vivre sous un tel maître, dans une telle famille, dans une telle ville, en un tel travail. » A la vérité, en trois mois, ni d'une part ni de l'autre, la lassitude n'a eu le temps de se produire. Mais en août 1742, c'est-à-dire AH Y ISA BELL A, DUC HE S S OF RUTLAND. D'après la gravure de J. K. Sherwin. 12 LES ARTISTES CÉLÈBRES quelques semaines avant la séparation, qu'on ne pouvait croire si pro- chaine, le père écrit de nouveau : « Quant à Joshua, jamais personne d'après les lettres qu'il m'adresse — n'a été plus charmé de son genre d'occupation, de son maître, et de toutes choses en général. « Tant que « je travaille" ainsi je suis la créature vivante la plus heureuse », ce sont ses propres paroles. » Et quand la rupture est déclarée, fidèle au senti- ment qu'il exprimait deux ans auparavant, lorsqu'il disait qu'il serait « toujours rhumble et reconnaissant serviteur de M. Hudson », l'honnête maître d'école déclare qu'il « persiste dans sa résolution de ne se point mêler de la querelle survenue entre Joshua et son maître », il ajoute même : « Je bénis en même temps et Dieu et M. Hudson pour le très grand succès qui a jusqu'à présent accompagné les efforts de Joshua. » En réa- lité, le motif apparent de la brouille est trop futile pour avoir été autre chose qu'un prétexte. Hudson renvoya le jeune Joshua à son père parce qu'il avait différé d'apporter ou d'emporter — ■ je ne sais trop — en tout cas de promener une toile à travers les rues de la ville, un jour qu'il pleu- vait à verse. Instruit maintenant de la technique essentielle de son art, ayant acquis une expérience suffisante de la brosse et de la palette, Reynolds n'eût rien gagné à demeurer davantage auprès du vieil élève de Richardson ; il y pouvait perdre — prompt comme il l'était aux habi- letés du métier — la sincérité, la conscience, qui sont les dons de la jeunesse et qu'il est le plus précieux comme le plus rare de conserver. De retour dans son comté natal, il choisit pour y résider un lieu qu'on nommait alors Plymouth Dock ou le Dock tout court, et qui porte aujourd'hui le nom de Devonport. Il y réussit d'abord au delà de toute attente. Il n'y eut pas dans la région une personne notable qui ne voulût passer par son atelier. Mais l'engouement n'eut qu'un temps ; le jeune peintre, fort expéditif, eut tôt fait d'épuiser le cercle du voisinage ; et il est permis de croire qu'il arriva sans le moindre déplaisir à cette convic- tion, que Londres seulement lui réservait, avec les moyens de se perfec- tionner dans son art, un public et une publicité à la taille de son génie. C'est pourquoi, deux ans après son départ de la métropole, Reynolds y rentrait — en décembre 1744. Il allait y rester deux ans, jusqu'en dé- cembre 1746. Ses querelles avec Hudson étaient oubliées, le maître et l'élève réconciliés ; ils se montraient mutuellement tout ce qu'ils fai- saient, mais le meilleur service que l'aîné rendit au plus jeune fut qu'il SIR JOSHUA REYNOLDS i3 le présenta à YArtists' Clab, où se réunissaient en effet tous les artistes de quelque renom. La seule peinture authentiquement de cette époque, l'une des plus anciennes par conséquent — on ne connaît, d'une date plus lointaine, que le portrait de M. Smart — est un tableau réunissant dans un même groupe Edward Gordon, de Rromley, la sœur de celui-ci, Mrs. Miles, et son mari, causant sur la terrasse du jardin, à Bromley, où le peintre était reçu dans l'intime amitié de cette famille. L'œuvre n'a rien de remarquable, les petites figures en pied sont exécutées avec une minu- tieuse, une laborieuse timidité et un excès de soin qui semblent dénoncer la surveillance exigeante du maître. Il y a loin de la facture pénible de ce portrait de la famille Gordon à celle du Boy reading de 1747 et du portrait de Mrs. Field de 1748. C'est que, dans l'intervalle, il s'est produit un événement dont les suites exercèrent une action sensible sur le talent du peintre et sur sa vie. CHAPITRE III. 1740-174S. — Mort du père de Reynolds. — Reynolds quitte Londres et s'établit à Plymouth Dock. — Influence de W. Gandy. — Portraits. En décembre 174b, en efïet, le Rev. Samuel Reynolds, appelait son cher lils Joshua auprès de son lit de mort et s'éteignait, après l'avoir revu, le jour même de Noël. M. F. S. Pulling, l'auteur de la plus récente biographie de Reynolds, fait remarquer avec beaucoup de tinesse et de justesse que ce modeste clergyman, avec ses sentiments de reconnais- sance sincère et cependant très digne à l'égard de Th. Hudson, avec le tendre intérêt qu'il porte à la carrière de son fils, avec son bon caractère et son humeur aimable, est un type intéressant et excellent du bon ecclé- siastique au xviu c siècle. Il le compare à quelque humble héros d'un roman de Fielding, au curé Adams ; c'est la même chaleur de cœur, la même simplicité, la même franchise et aussi la même pauvreté 1 . Ea mort du père dispersa la famille du maître d'école de Plympton et, non sans un soupir de regret, Joshua, renonçant au séjour de Londres, résolut de tenter à nouveau la fortune à Plymouth Dock, où il s'établit avec deux de ses sœurs. En effet, la fortune l'y vint trouver, sous une forme particulière autant qu'imprévue. Qui jamais eût supposé que, dans le Devonshire, Reynolds se fût rencontré avec un homme, un maître capable de l'instruire bien au delà de ce que Hudson et tout VArtists' Club réuni l'eussent pu faire jamais? Cet homme, ce maître était William Gandy, un maître méconnu, j'ai hâte de le dire, et méconnu par sa propre faute. William Gandy était le fils et l'élève de ce James Gandy (16 19- 1689) 1. Un portrait du Rev. Samuel Reynolds, peint par sir Joshua, après avoir appar- tenu au doyen de Cashel, se trouve aujourd'hui dans la Cottonian Library, à Plymouth. C'était le plus distrait des hommes et il se piquait d'humour. C'est ainsi que sur le diminutif familier du prénom de sa femme, Theophy pour « Théophila », il risqua le quatrain suivant : Quand je prononce Thé, Tu dois faire le tlié, Et quand je dis Offey, M'apporter le café. , COUNTESS OF HARRINGTON, LORD VISGOUNT PETERSHAM AND THE HONBLE LINCOLN STANHOPE. D'après la gravure de F. Bartolozzi. i6 LES ARTISTES CÉLÈBRES qui, ayant fait son éducation de peintre dans l'atelier de Van Dyck, était devenu le peintre attitré du duc d'Ormond qu'il accompagna en Irlande, où il faut aller pour retrouver ses meilleurs portraits, qui sont excel- lents. Mais William, le fils, avait quelque chose de plus, une sorte de génie qui prenait plaisir à se nuire à lui-même. Les portraits de sa main té- moignent d'une grande science et d'une rare beauté de conception ; seu- lement la facture en est visiblement hâtive et négligée. Un effort de plus, un peu plus de patience et de persévérance eussent suffi ; Gandy fût devenu l'un des plus illustres peintres de l'école anglaise. Loin de là, à peine a-t-on retenu son nom, et seulement parce qu'il fut de bon con- seil à Reynolds, en dépit de ses mœurs insouciantes, dissipées, qui ne lui laissaient prendre la palette que s'il était pressé par la nécessité, en dépit de son mauvais caractère, en dépit de son orgueil, qui l'avait, à l'en croire, fait impliquer dans la rébellion irlandaise de 171 5, avec le duc d'Ormond, ce qui lui interdisait d'habiter Londres. Il passa de longues années à Plymouth, où Reynolds le retrouva en 1747; il mourut à Exeter, croit-on, à une date restée inconnue. Parmi ses préceptes, il en est un, fort juste d'ailleurs, mais qu'il expri- mait d'une façon familière et singulière. « La peinture, disait-il, doit avoir une riche texture, comme si les couleurs étaient composées d'une pâte de crème et de fromage. » Du jour où il rencontra Gandy, très sen- siblement Reynolds subit et accepta son influence. Ses œuvres en témoi- gnent. On n'y trouve plus la façon rude, âpre et sèche de l'école de Hudson, la raideur conventionnelle des attitudes qui caractérise ses anciens portraits ; on y reconnaît au contraire l'aisance naturelle des mouvements, la vigueur et la beauté. Je ne sais pas d'image qui, mieux que le « fromage » de Gandy, malgré sa vulgarité, rende la facture grasse, consistante et souple de certaines œuvres de Reynolds parmi ses plus belles, le portrait de Nelly O'Brien notamment, non pas celui qui appar- tient à sir Richard Wallace, mais l'autre, le chef-d'œuvre qui parut à l'Exposition universelle de 1862, à Londres, et qui appartenait alors à M. E. Mills. (Il est aujourd'hui en la possession de Mrs. Cooper, qui Ta prêté à l'Académie royale, pour son Exposition d'hiver, en 1886.) Le Boy reading (Y Enfant lisant), appartenant à lord Normanton et exposé récemment ( 1 883) à la Royal Academy, est daté de 1747, et peint dans l'esprit de Gandy, ainsi que le portrait de Mrs. Field (peint en 1748) FRANCIS BARTOLOZZI, ESQ. D'après la gravure de Robert Marcuard. ANGLETERRE. — PEINTRES. SIR JOSIIUA REYNOLDS. i8 LES ARTISTES CÉLÈBRES exposé à la Grosvenor Gallery en 1883-1884. Mrs. Field était la belle- sœur du Rev. J. Reynolds, rector de Stock Charity, et oncle de l'artiste. Elle est représentée dans un ovale, jusqu'à la ceinture, coiffée d'un chapeau blanc, une large garniture également blanche occupant tout le de- vant du corsage; le reste du vêtement est gris. Outre la belle manœuvre de ces blancs (la crème, le fromage de Gandy), l'œuvre justifie l'enthousiasme de William Cotton, motivé par la lumineuse délicatesse des carnations et la précision des traits. Cet effort marqué vers la lumière est le témoignage d'une direction beaucoup plus large que celle de Hudson. Mais Cotton se trompe absolument en attribuant l'exécution des portraits de la famille Gordon à la même influence de Gandy. Celui-ci conservait les dernières traditions du passage de Van Dyck en Angleterre, dont on ne trouve pas la moindre trace dans le style hudsonien ou pré-hudsonien de Reynolds. De la même année 1748, date un beau portrait de lui-même qu'il donna à sa sœur lady Thomond, le premier que l'artiste fit de sa propre image, de face, la tête légèrement tournée vers l'épaule gauche, en buste, vêtu de noir, dans un ovale. Bien que d'une époque reculée — le peintre avait vingt-trois ans — l'œuvre montre que le jeune homme fut bien réellement le précurseur de l'homme fait. L'aspect est sensi- blement le même que celui du portrait en cheveux gris, qu'il peignit en 1788, quarante ans plus tard, et qui appartient, comme le premier, à Mrs. Gwatkin, une de ses petites nièces par alliance. Il n'y a pas une grande différence de technique entre l'un et l'autre. L'exposition de la Grosvenor Gallerjr, en 1 883- 1 884 1 , avait réuni dix portraits de Reynolds par lui-même. Le dernier, qu'il fit en 1789, y était; c'est entre tous le plus remarquable par le parti pris de lumière à la Rembrandt, la parfaite harmonie de la couleur, du ton, des ombres et des clairs. Le peintre James Northcote, qui fut son élève, rapporte que le maître peignait alors sous une très haute fenêtre dans l'atelier de Leicester Square, où fut exécuté ce portrait, qui est une fort noble peinture en dépit des 1. Je désignerai désormais cette Exposition capitale par les mots Grosvenor Gallery, suivis du numéro de l'œuvre quand il y aura lieu. Sir Coutts Lindsay n'avait pas réuni moins de 210 tableaux du maître. L'Exposition d'hiver de la Royal Aca- demy montrait aussi quelques-unes de ses meilleures œuvres cette année-là, qui fut vraiment glorieuse pour la mémoire de Reynolds. SIR JOSHUA REYNOLDS 19 lunettes. L'artiste se servait alors de brosses dont la hampe avait près d'un mètre de long; il se tenait debout, fort éloigné par conséquent du chevalet, et allait et venait devant la toile. Cette façon de peindre est apparente dans le portrait dont nous parlons et doit rester présente à l'esprit de tous ceux qui cherchent à pénétrer la facture de haute con- vention, mais toujours charmante de Reynolds. Le procédé inséparable de cette méthode est celui des glacis qui exige beaucoup d'adresse et de soin, et dont Reynolds importa dans l'école l'habile pratique, après en avoir surpris le secret dans les ouvrages du Guerchin, de Véronèse, de Titien et surtout du Gorrège. Mais le procédé a ses périls et Reynolds lui-même ne s'en est pas toujours garanti. Le fait est assez grave pour que nous y insistions ici. Aussi bien .cela nous fournit l'occasion de revoir quelques-unes des œuvres célèbres de l'artiste. CHAPITRE IV La technique de Reynolds. — Emploi dangereux des glacis. — Les esquisses. Il en est peu dont la célébrité soit plus grande que celle du portrait de Mrs. Pclham feeding chickens [Grosvenor Gallery, n° 9), appartenant au comte de Yarborough. La jeune femme posa devant Reynolds en 1770, elle était alors miss Aufrère; l'année suivante, elle épousa M. C. Andcr- soh, qui fut créé, en 1794, baron de Yarborough et avait pris le nom de Pelham en héritant de la fortune d'un grand-oncle ainsi nommé. Le por- trait en pied, de grandeur nature, la montre en robe fleurie, tenant dans le bras gauche un crible où elle puise pour jeter du grain à des poules, poussins et pigeons; dans le fond du paysage on voit les fabriques d'une ferme. Le tableau a été gravé deux fois, la belle mezzo-tinte de W. Diekin- son est aujourd'hui ce qu'il en reste de meilleur. Reynolds n'y est pour rien. C'est le fait d'un restaurateur féroce qui a lessivé, gratté, récuré tous les glacis de cette peinture exquise, qu'on avait pu voir en bon état à Manchester encore, en 1837, et, depuis, en 1875, à la Royal Academy. Mais la disparition des glacis dans les ouvrages de Reynolds ne peut pas être toujours attribuée au vandalisme des restaurateurs. Parfois il arrive qu'ils s'évanouissent d'eux-mêmes. Horace Walpole, un contem- porain, a remarqué dans l'espace de deux ans des changements irrémé- diables dans la peinture de sir Joshua. Le portrait jadis charmant de Lady Selina Hastings [Grosvenor GaU lery, n° 169) offre un cruel exemple d'une transformation de ce genre. L'aimable enfant, qui mourut à vingt-deux ans, la veille même de son mariage avec son cousin, le capitaine George Hastings, fut peinte lors- qu'elle avait dix-huit ans (175g). Elle est représentée jusqu'à mi-taille, penchée sur les bras qu'elle croise, des perles aux oreilles, une tresse de cheveux tombant sur l'épaule droite, un bouquet de roses au corsage. Toute la coloration se réduit aujourd'hui aux bleus et aux blancs du fond. L'état des carnations est aussi triste que celui de la robe d'an- cienne indienne dans le portrait de Mrs. Pelham. Les glacis de carmin, de diverses laques et probablement de Cambodge, ont complètement disparu. Lù encore il faut se reporter à l'excellente gravure de R. Houston. MISS GWATKIN ( S I M P L I C I T Y) . D'après la gravure de F. Bartolozzi. 22 LES ARTISTES CÉLÈBRES Le même accident a dû arriver, à une époque déjà ancienne, au tableau connu sous le titre de Saint Jean enfant [Grosvenor Gallery, n° 18) et qui est le portrait d'un fils de sir Watkin William Wynn, assis près d'un agneau et tenant une coupe dans laquelle il reçoit de l'eau tombant d'un rocher. C'est en réalité une esquisse largement traitée et qui, sans doute, ne fut jamais poussée beaucoup au delà. Elle est main- tenant remarquable ' x charme des colorations très fines et d'un gris d'argent dans les chairs. Il est probable que l'étude ne fut jamais poussée plus avant. On dirait un camaïeu à peine modelé. Mais elle a le charme. Ici le mal n'est donc pas grand. A propos de ce Master Wynn, déguisé en saint Jean, on rapporte que son propre petit-fils posant à son tour, enfant lui-même, devant sir Thomas Lawrence, déjà sensible aux premières atteintes de l'âge, vexa singulièrement le peintre vieillissant en lui disant, avec le sang-froid de l'enfant terrible : « Est-ce vous, monsieur, qui avez peint mon grand- père ? » Il existe d'autres et rares esquisses de Reynolds qui méritent une mention particulière. Tel est le portrait de Miss Gwatkin, qui est en réalité l'esquisse du tableau plus important, connu sous le titre de Sim- plicité, un type adorable de bonheur, de joie, d'innocence et d'insou- ciance enfantine. La fillette, assise au pied d'un arbre, comme pour reprendre haleine après quelque chasse aux papillons de la prairie, est coiffée d'un chapeau de dentelles, le visage tourné de profil à droite, le corps de face, vêtu d'une robe blanche qui découvre le haut de la poi- trine et le col où retombent d'épaisses boucles de cheveux. Dans tout ce blanc tranchent la note puissante d'une ceinture de soie noire et la teinte délicate des bras reposant sur la jupe, les mains à plat, renversées, ouvertes, d'un joli dessin où se mêle l'extrémité rose de petits doigts que l'on a ignominieusement comparés à un plat de crevettes. L'esquisse, qui appartient à M. E. Façon Watson, est un joyau sans prix à raison de sa pureté, de l'éclat et de la richesse des tons; elle est plus libre, plus spontanée que l'œuvre définitive; le paysage est au moins égal à ce que Reynolds a fait de meilleur en ce genre, au point de vue du sentiment, de la couleur et de l'expression i. Quoique les fonds de paysage qui se rencontrent si souvent dans les portraits de Reynolds soient peints avec une grande souplesse de brosse et bien composés, l'art'ste lit très peu d'études d'après nature. On n'en connaît que trois. L'une est la SIR JOSHUA REYNOLDS 2 '3 Quelques esquisses semblables figurèrent aux ventes posthumes de Reynolds et de la marquise de Thomond. Elles appellent l'attention, car elles sont « la première pensée » de quelques-unes des plus belles œuvres de l'artiste. C'est d'après elles, alors qu'il avait exécuté, d'après nature, la tête et le visage du modèle dans ses grands portraits, que ses praticiens peignaient les accessoires, c'est-à-dire tout le reste de la toile. Outre l'esquisse de Simplicity (Grosvenor Gallery, n° 12), on a pu voir celles du Col. Keppel [Grosvenor Gallery, n° 14) et de John, third Earl of Bute (Grosvenor Gallery, n° 59). Le nombre relativement restreint de ces projets, de ces maquettes en quelque sorte, dont l'esprit, la spon- tanéité et la franchise ont assuré la conservation, semble prouver qu'il n'entrait pas dans l'habitude de Reynolds de recourir à ce procédé. S'il s'en était servi plus souvent, on en connaîtrait plus d'exemples. On sait que Rubens le pratiqua fréquemment et Reynolds l'avait remarqué, attentivement étudié pendant son voyage dans les Pays-Bas, en 1 78 1 . Il vit à Bruxelles une telle maquette de V Enlèvement des Sabines et, à Malines, celle du maître-autel. Et il écrit : « Rubens, comme je le pensais, mettait ces projets aux mains de ses élèves pour préparer et avancer le plus possible l'exécution de ses grandes peintures; puis il retouchait et finissait. » Il raconte une anecdote à ce sujet : « La personne qui commanda le tableau du maître-autel de Malines, un citoyen de cette ville, désira, pour éviter les périls du transport, qu'il fût peint à Malines même; le peintre y consentit d'autant plus volontiers qu'il avait très près de là, à Steen, sa résidence de campagne. Rubens, ayant terminé l'esquisse peinte, la confia, selon son habitude, à un de ses élèves (Van Egmont) et envoya celui-ci à Malines pour qu'il peignît effectivement le tableau. Mais Te gentilhomme auteur de la commande, voyant cette façon d'agir, se plaignit, dit qu'il avait demandé une peinture de la main du maître, non d'un élève, et suspendit le travail de- ce dernier. Cependant Rubens ayant affirmé qu'il ne procédait jamais autrement, et que cette peinture serait aussi complètement son œuvre que s'il l'avait prise à l'origine, le citoyen de Malines se déclara satisfait. — Je n'y ai trouvé nulle part, conclut Reynolds, aucune trace de négligence. » vue de sa maison de campagne, à Richmond Hill, plutôt une combinaison de colora- tions éclatantes qu'un paysage proprement dit, et qui fut achetée par le poète Samuel Rogers à la vente posthume de lady Thomond, en 1821. A la même vente parurent aussi un paysage boisé appartenant aujourd'hui à M. James Knowles, et un autre paysage tumultueux, avec figures dans le goût de Salvator Rosa. CHAPITRE V 1747-1752. — Second séjour à Plymouth Dock. — Voyage et séjour de trois ans en Italie. Malgré le petit nombre d'ouvrages que produisit Reynolds pendant son second séjour à Plymouth Dock, ces deux années 1747- 1748 ne furent pas, néanmoins, perdues pour son talent. Nous avons vu qu'il y rencontra William Gandy. D'autre part, c'est là qu'il étudia le paysage dans la mesure suffisante pour meubler ses fonds de portraits. Au commence- ment de l'année 1749, ayant peu travaillé, — soit qu'il fût empêché par des affaires de famille, soit qu'il manquât d'encouragements, disons de commandes, — ayant en outre la charge de deux sœurs, il paraissait peu probable qu'il pût, dans l'année même, faire le voyage d'Italie. Il le fit cependant, par rare fortune. Le célèbre amiral Kcppel, — alors âgé de vingt-quatre ans et seulement capitaine, — venait d'être nommé au com- mandement de l'escadre de la Méditerranée. Parti de Spithead, il dut faire relâche à Plymouth pour réparer quelques avaries. C'est là, chez lord Edgcumbe, dont l'amitié pour Reynolds nous est déjà connue, que le marin fit la connaissance du jeune peintre. Il reconnut bientôt que le plus vif désir de celui-ci était de visiter la patrie de Raphaël, de Titien, et d'étudier les galeries romaines et florentines. Il lui offrit gracieuse- ment de le prendre à bord de son propre vaisseau; la proposition fut aussitôt acceptée, et, en mai 1749, Reynolds embarquait sur le Cen- turion. La mission du capitaine Keppel était d'en finir avec les pirates d'Alger. L'affaire, par voie de négociation ou autrement, dura deux années. Pendant ce temps, Reynolds, descendu à Port-Mahon, en août, était devenu l'hôte du général Blakeney, gouverneur de l'île de Minorque, où il resta jusqu'en décembre; sa visite s'était prolongée par suite d'une chute de cheval, dont il garda pour la vie une marque à la lèvre supérieure. De Minorque, Reynolds passa à Livourne, puis enfin à Rome. On s'imagine aisément ^quelle était sa hâte de voir de ses propres L A D Y S M Y T H . D'après La gravure do F. Bartolozzi. 26 LES ARTISTES CÉLÈBRES yeux ces chefs-d'œuvre de Raphaël, dont il avait si souvent révé. Mais sa première impression fut celle d'un amer désappointement Etait-ce là Raphaël? Où étaient ces teintes moelleuses, ces riches colorations qu'il avait si longuement aspiré à voir ? Tout était sombre, pâle, fade. Quoi, ce n'était que cela ? Raphaël n'était-il vraiment qu'un peintre médiocre, étrangement surfait, ou bien était-ce lui, Reynolds, qui igno- rait les premiers principes de l'art ? A quoi Reynolds répondait lui- même, plus tard, lorsqu'il disait à Northcote : « Tout peintre, en matière d'art, a une prédilection, et, selon que ce qu'il préfère est bien ou mal traité dans un tableau, il se prononce sur l'ensemble. Tel artiste n'a d'attention que pour la couleur, tel autre pour le dessin, un troisième pour la composition. » Or, c'est uniquement au point de vue de la couleur que Reynolds avait considéré les Raphaël. Sa déception, dès lors, s'explique. En somme, l'éducation d'un peintre est rarement com- plète. Joshua avait appris quelque chose à l'école de Hudson, quelque chose aussi de Gandy, et sans doute aussi en ses études dans Londres et dans le Devonshire. Cependant son goût n'était pas entièrement formé; les beautés saisissantes de la couleur et du ton, du clair-obscur surtout, le frappaient beaucoup plus que la grâce d'un beau contour ou la grande ordonnance d'une composition; et, malgré ses efforts, c'est à quoi toujours, jusqu'à la fin de sa carrière, il s'est montré le plus sensible. i. « Il est arrivé souvent, dit-il lui-même plus tard, ainsi que j'en ai été informe par le garde du Vatican, que ceux à qui il en faisait parcourir les différents apparte- ments lui ont demandé en sortant à voir les ouvrages de Raphaël, ne pouvant se persuader qu'ils avaient déjà passé par les salles où ils se trouvent, tant ces tableaux avaient fait peu d'impression sur eux. Un des premiers peintres français de nos jours me conta que la même chose lui était arrivée, quoiqu'il porte aujourd'hui à Raphaël la vénération que lui doivent tous les artistes et tous les amateurs de l'art. Je me rappelle fort bien que j'éprouvai moi-même ce désappointement lors de ma première visite au Vatican; mais en faisant part de mon erreur à cet égard à l'un de mes compagnons d'étude, de qui la franchise m'était connue, il m'assura que les tableaux de Raphaël avaient produit le même effet sur lui, ou plutôt qu'il n'avait pas éprouvé à leur vue l'effet qu'il en avait attendu. Cet aveu tranquillisa un peu mon esprit, et, en consultant d'autres élèves qui, par leur ineptie, paraissaient peu propres à appré- cier ces admirables productions, je trouvai qu'ils étaient les seuls qui prétendissent avoir été saisis de ravissement au premier coup d'œil qu'ils y avaient jeté Ayant, depuis cette époque, réfléchi plusieurs fois sur cet objet, je suis à cette heure pleine- ment persuadé que le plaisir que nous causent les perfections de l'art est un goût que nous n'acquérons que par une longue étude et avec beaucoup de travail La peinture en cela ne diffère pas des autres arts. Un goût sûr en poésie, une oreille parfaitement musicale, ne s'obtiennent qu'à la longue. » SIR JOSHUA REYNOLDS 27 Reynolds n'était pas venu à Rome pour critiquer les maîtres consa- crés, mais pour compléter son éducation personnelle. Son bon sens lui fit comprendre que si l'intelligence de Raphaël lui était si entièrement fermée, il y avait dans ce qu'il croyait savoir quelque lacune qu'il était nécessaire de combler, sous peine de rester à un rang inférieur. Il avait beaucoup à apprendre, il en convenait, mais beaucoup à désapprendre aussi : « Toutes les connaissances indigestes que j'avais apportées d'An- gleterre avec moi, disait-il plus tard, j'avais à les oublier, à les arracher de mon esprit. » Il passa deux années à Rome, étudiant, et à l'occasion, faisant des copies sur commande f . Son carnet de voyage a été conservé; il contient beaucoup de remarques critiques, d'observations, qui montrent à quel point il était attentif à tout ce qu'il voyait et expliquent la rapidité de ses progrès. Mais il ne semble pas qu'il ait fait autre chose que d'étudier, qu'il ait rien produit de personnel. On ne connaît guère de lui, à cette époque, que la Sainte Famille, croit-on, qui est à Petworth, et très authentiquement certaines caricatures peintes, dont l'une appartient au duc de Devonshire [Grosvenor Gallery, n° 188) et l'autre au comte de Wicklow. La dernière fut exposée à la British Institution en 1 8 5 3 , où elle avait déjà paru vingt-deux ans plus tôt comme la propriété de lord George Gavendish; elle était intitulée: Portraits de Connaisseurs distingués, faits à Rome. La toile, — car ces caricatures sont peintes effectivement, — représente M. Ralph Howard, plus tard vicomte Wicklow, pendant un « grand tour » à Rome, où il était accompagné par son précepteur, son bear-leader, le D r Benson. Il est sur le point de monter en voiture, quand son compagnon de voyage appelle son attention sur une querelle qui vient de s'élever entre l'hôtelier et le courrier; un autre domestique monte un cheval rétif et essaie en vain de prendre les devants pour remplir ses fonctions d'avant-courrier. Cette peinture a été gravée. 1. Reynolds avait acquis la plus grande habileté comme copiste chez Hudson, qui lui fit faire de très nombreuses copies en fac-similé de dessins du Guerchin. En 1763, le « chevalier Van Loo » (Carie, qui avait reçu le cordon de Saint-Michel en 1 7 5 1 ), étant en Angleterre, se vantait un jour, devant Reynolds, de son expérience infaillible en matière d'originaux et de copies. Celui-ci montra peu après au peintre français une tête de vieille femme et lui en demanda son opinion. Le chevalier déclara que l'œuvre était un Rembrandt original, incontestable. Elle n'était qu'une copie de la main de Reynolds. 28 LES ARTISTES CÉLÈBRES Reynolds fit plusieurs caricatures de cette sorte, et, dans le nombre, une parodie de Y Ecole d'Athènes, contenant, dit la Vie de Reynolds, par C. R. Leslie et T. Taylor, des charges de gentlemen anglais, habi- tant Rome à l'époque, dans les attitudes des personnages de la célèbre composition de Raphaël, rendus ridicules par l'exagération comique du costume moderne. J. Farington, un paysagiste (1747-1821) qui a écrit une vie de l'artiste, tenait de Marchi, le domestique nègre de Reynolds à Rome et plus tard à Londres, que ces caricatures furent faites à la requête personnelle des modèles. Le digne Farington ajoute que cet indigne emploi de son talent ne l'occupa que peu de temps. Je croirais plutôt Northcote et Malone disant seulement que les charges furent exécutées « du consentement » des voyageurs, et non à leur requête. Elles ont un certain intérêt, parce qu'elles montrent un aspect comique du caractère de Reynolds, mais aussi une âpreté satirique très évidente, au moins dans celles que possède le duc de Devonshire. Un grand et gauche citoyen de la Grande-Bretagne examine attentivement une pierre précieuse ou un bibelot antique tiré d'un écrin que tient dans ses mains un assez laid personnage, évidemment le nommé Baron, paraît-il, quelque Shylock, dont la probité était fortement suspectée par Horace Walpole. Le visage du connaisseur est tout à fait remarquable, car il exprime à merveille la suffisance d'un homme qui affecte de posséder une science et un goût qu'il n'a pas. Une plaisante figure en habit rouge et talons rouges, dans l'attitude d'un professeur de maintien, et un quatrième vilain personnage, son vis-à-vis, complètent le groupe. Si les modèles de telles charges se sont laissé traiter de la sorte, il est à présu- mer qu'ils y ont consenti comme on consent à se faire arracher une dent. Ce Giuseppe Marchi, ce factotum que Reynolds avait engagé à Rome et qui resta longtemps à son service, a eu l'honneur de poser plusieurs fois pour son maître. Au retour, celui-ci étant à court d'argent, il fit à pied le voyage de Marseille à Paris. C'était un brave homme qui, une fois en sa vie, pourtant, lui attira une aventure désagréable. Un jour, à son grand étonnement, Reynolds lit dans un journal qu'un homme, prisonnier à Newgate, vient d'être condamné à être pendu pour vol et que le volé était son nègre. Il s'informe, et apprend que Mrs. Williams, la vieille amie de son propre ami, le D r Johnson, ayant dîné avec miss Reynolds à Leicester Square, Marchi avait reconduit chez elle, à 1. Cette miss Reynolds était sa sœur Fanny, une étrange fille, nerveuse, dans une M 1V 6 B A L D W I N . D'après la gravure de P, Rajon. (Le tableau fait partie de la collection de M™ W. T. Blodgett.) 3o LES ARTISTES CÉLÈBRES Boit Court, la dame, qui était aveugle. Mais, en revenant, il avait ren- contré certains camarades qui l'avaient retenu trop tard pour qu'il rentrât chez son maître. Il erra dans les rues, quelque peu ivre, et, finalement, fut recueilli dans un corps de garde, où, s'étant endormi, il fut volé. Le voleur, aussitôt découvert et encore nanti des objets dérobés, puis jugé et reconnu coupable, fut condamné. Reynolds employa l'in- fluence de son ami Edmond Burke, l'auteur de YEssai sur le sublime et membre du Parlement (dont il lit plus tard un beau portrait, non daté), pour obtenir que la peine de mort fût commuée en une sentence de transportation. Ayant réussi, il subvint à toutes les nécessités de l'homme pour quitter l'Angleterre. Avant de passer au service de Reynolds, à Rome, et de devenir valet de pied sous les ordres de Ralph, le valet de chambre de confiance de l'artiste, Marchi avait été esclave d'un M. Morris, de Piercefield. On le retrouve dans quelques tableaux du maître, notamment dans le portrait du marquis de Cranby, où il tient le cheval. La première peinture que Reynolds montra à son ancien maître, Hudson, à son retour de Rome, était précisément une brillante étude de la face noire — lucus a non lucendo — de Giuseppe Marchi, plus connu sous le surnom de Franck, qui, je ne sais pourquoi, lui avait été donné. Hudson fit la grimace : « Reynolds, dit-il, vous ne peignez plus aussi bien que vous le faisiez avant d'aller en Italie. » A son point de vue, Hudson avait raison : Reynolds peignait autrement. Il Fallait bien montrer dans l'admirable portrait de son ami, l'ancien commandant du Centurion, maintenant le commodore Keppel, promu à ce grade en 1752. L'artiste était resté pendant deux ans à Rome, travaillant de préférence dans la chapelle Sixtine, étudiant surtout les œuvres de Michel-Ange *. Ces études eurent, par contre, un triste résultat. En ses longues stations par un hiver rigoureux dans les corridors glacés du Vatican, il fut saisi par un refroidissement, des suites duquel il resta sourd, au point d'être habituelle perplexité d'esprit, toujours irrésolue, dont l'agitation contrastait singuliè- rement avec la placidité et la bonne humeur de l'artiste. Elle faisait des copies des tableaux de son frère. « Ce qui fait rire les autres me fait pleurer », disait-elle parfois. 1. Tous les témoignages sont d ; accord sur ce point. Dans la pratique, cependant, Reynolds est bien plus préoccupé du coloris de Titien, de la lumière de Rembrandt que du style grandiose de Michel-Ange. SIR JOSHUA REYNOLDS 3i forcé de recourir à un cornet acoustique, quand il se trouvait dans une compagnie un peu nombreuse. Cependant, Rome n'avait donné qu'une satisfaction fort incomplète à son penchant pour la lumière. Quittant la Ville-Eternelle en avril 1752, il se dirigea vers Venise en visitant Parme, Florence et les autres cités italiennes, prenant partout des notes dans un excellent esprit critique Mais un soir d'octobre, à Venise, l'orchestre de l'Opéra ayant exécuté une ballade anglaise qui lui était familière, il se surprit à pleurer, et, le lendemain, il reprit le chemin du pays natal. Je dis bien « pays natal », car il passa la fin de l'année parmi ses vieux amis du Devonshire, et ne s'installa définitivement à Londres qu'en janvier 1753. 1. « Lorsque je remarquais, dit-il, quelque effet extraordinaire de clair-obscur dans un tableau, je prenais une feuille de papier dont je noircissais toutes les parties dans la même gradation de clair-obscur que présentait le tableau, en laissant intact le papier blanc pour représenter la lumière et sans faire aucune attention au sujet ni au dessin des figures Un petit nombre d'épreuves me fit voir que le papier était toujours tacheté à peu près de la même manière, et il me parut que la pratique générale des maîtres vénitiens était de donner plus d'un quart du tableau à la lumière, en y comprenant le principal clair et les clairs secondaires, un autre quart aux plus fortes ombres possibles et le reste aux demi-teintes Tandis que, dans les ouvrages de Rembrandt, par exemple, la masse des bruns est huit fois plus impor- tante que la masse des clairs » « Le bel effet que produisent les tableaux vénitiens, dit Charles Blanc, analysant les écrits du peintre, Reynolds en trouve la raison dans l'application de cette règle, qui lui paraît sûre : que les tons chauds, tels que le jaune et le rouge, doivent être réservés pour les masses de lumière, et que les tons froids, tels que le gris, le bleu et le vert, doivent être tenus en dehors de ces masses pour les mieux faire valoir. Mais comme le tableau ne doit pas non plus être divisé en deux parties distinctes, l'une chaude et l'autre froide, il est nécessaire de rappeler les couleurs fières dans les masses fuyantes ou rembrunies, et de mêler quelques couleurs tendres à la masse des tons chauds qui colorent le principal groupe. Règle lumineuse! Et si les Véni- tiens l'ont connue, c'est qu'eux-mêmes ils l'avaient puisée dans la nature, où l'on voit toujours les parties éclairées d'un objet présenter un ton plus chaud que celles qui se trouvent dans l'ombre. C'est pour cela que le blanc pur n'a guère été employé pour la principale lumière par les coloristes qui, à l'exemple du Titien, la supposent réchauffée et dorée par un rayon du soleil couchant. » CHAPITRE VI i'7'53. — Etablissement définitif à Londres. — Premiers succès. Portrait du commodore Keppcl. Le succès. de Reynolds comme portraitiste était d'avance assuré. Son ancien ami et protecteur lord Edgcumbe allait le recommander à tous ses amis; il était rentré dans l'intimité de Hudson, VArtists' Club retrouvait avec joie un de ses membres. Nous n'aurons pas, en racontant la vie du peintre désormais, à décrire les luttes en vue de la renommée, les dénis de justice, le défaut d'encouragement qui sont la monnaie courante des biographies d'artistes. Tout, au contraire, le favorise, la prospérité vient au devant de lui; il n'a pas à se plaindre que des rivaux d'un mérite inférieur lui soient préférés ni que la jalousie proteste contre les hon- neurs qui lui arrivent. A la vérité il était le fondateur d'une école nouvelle, l'apôtre d'une nouvelle foi, et les novateurs, d'habitude, sont vus d'un mauvais œil; mais le vieux style ne comptait plus que de rares admirateurs, et parmi les amateurs qui prétendent à une certaine culture artistique, personne n'osait plus affirmer qu'un Hudson ou un Cotes représentât le peintre par excellence. En tout cas y avait-il place auprès d'eux pour un peintre nouveau, qui dédaignait la convention régnante et se réclamait des maîtres d'Italie plutôt que de Kneller. Le seul grand peintre alors vivant, William Hogarth, avait depuis longtemps renoncé à peindre ses contemporains; son génie était humoriste, caricatural, satirique, excessif plutôt que porté à cet équilibre de la réalité qu'exige l'art du portrait. Entre lui et Reynolds, il n'y avait pas de rivalité possible. Malgré les charges qu'il avait peintes à Rome, et qui sont une exception dans sa vie, Reynolds tendait à poétiser ses modèles, par où il différait essentiellement de Hogarth; en outre il cherchait la beauté de la facture, le tableau, alors que Hudson et son école s'en tiennent le plus souvent à la banale ressem- blance du personnage au moment où il pose devant le peintre, exacte- ment comme le fait aujourd'hui la photographie { . 1. Reynolds, dit Cotton, tenait le simple mérite de la ressemblance en très THE HONOU RABLE MISS B I N G H A M. D'après la gravure de F. Bartolozzi. ANGLETERRE. — PEINTRES. JOSHUA REYNOLDS. 34 LES ARTISTES CÉLÈBRES Avant de s'installer dans son atelier de Saint-Martin's Lane, avant de quitter le Devonshire, Reynolds avait voulu, en faisant le portrait du docteur John Mudge, médecin distingué à Plymouth, donner un témoi- gnage de reconnaissante déférence au père du docteur, à son ancien ami le Rev. Zachariah Mudge, prébendaire d'Exeter et vicaire de Saint- Andrew de Plymouth. Ce respectable pasteur, également vénérable pour ses vertus et sa haute intelligence, avait non seulement concouru avec la famille Edgcumbe à lui assurer la protection du capitaine Keppel ; mais plus anciennement il avait contribué à former son esprit. Edmond Burke écrit à Malone que le peintre «devait sa disposition à généraliser, à considérer le côté abstrait des choses, au vieux Mudge, le père du célèbre mécanicien de ce nom » (Thomas Mudge, un autre fils). Burke dit encore ailleurs : « En causant avec M. Mudge, j'ai retrouvé en lui des similitudes profondes avec sir Joshua Reynolds et, si je puis dire, beau- coup de ses façons de penser. » Le portrait de l'excellent homme, dont la mémoire reste chère à tous les admirateurs de Reynolds, fut peint par celui-ci trois ans avant la mort de cet ami, en 1766. [Grosvenor Gai- lery, n° 206.) L'année ij53 est donc celle où Reynolds commence à s'imposer à l'Angleterre. Il fera tout à l'heure (i/58) — ce qui mettra le seau à sa réputation — le portrait des très belles misses Gunnings, qui furent, depuis, l'une duchesse de Hamilton', l'autre comtesse de Goventry. Mais la grande œuvre de l'année, celle qui établit sa renommée et le place hors de pair, est le portrait du commodore Keppel. Il avait bien connu le brave marin, alors qu'il naviguait avec lui sur le Centurion; il avait été témoin de son courage et de sa résolution. Il savait que, midshipman à quinze ans sur ce même Centurion, il avait fait le tour du monde avec la flotte de cet amiral Anson que Reynolds médiocre estime. Il disait volontiers qu'il enseignerait facilement en six mois, au premier enfant venu, à rendre la ressemblance. « Mais saisir l'expression juste et le caractère, ou peindre comme Velazquez, sont deux choses absolument distinctes. Ce que tous, tant que nous sommes, nous nous efforçons de faire à grand'peine, lui, il le fait au premier coup. » 1. Les folies qu'inspira la beauté de celle-ci, miss Elisabeth, sont fameuses dans la chronique anglaise. C'est elle qui épousa le duc de Hamilton. Celui-ci était si impatient qu'il envoya chercher un prêtre à minuit et, comme on ne s'était pas muni de bague, il passa au doigt de sa femme un anneau arraché à un rideau de lit. Son renom de beauté était tel qu'à la cour, jusque dans le salon où se tenait la reine, la foule aristocratique grimpait sur les sièges, escaladait les tables pour la contempler. SIR JOSHUA REYNOLDS 35 connaissait aussi et dont il allait faire le portrait deux ans plus tard, en 1755. [Grosvenor Gallery, n° 6.) Le Centurion est célèbre dans l'histoire de la marine anglaise; l'art en témoigne : Hogarth a placé sur l'impériale de la voiture dans son tableau le Relais du coche, « The stage Coach », un matelot dont le paquet porte le nom du glorieux bâtiment. C'est à la suite d'une blessure grave, reçue à la prise de Païta, que l'offi- cier avait été nommé au commandement de l'escadre de la Méditerranée et que, déjà célèbre, rencontrant quelque part dans le Dock (comme pour abréger on appelait alors Devonport) le jeune peintre qui peignait des portraits à trente shellings, il s'était pris pour lui d'amitié et avait réalisé le rêve de l'artiste : voir l'Italie. Les deux sœurs de Reynolds, qui vivaient avec lui, engagèrent bravement leur petit bien pour lui fournir l'argent de poche nécessaire à un long voyage. Déjà l'aînée de ces bonnes filles, Mary Palmer, avait avancé quatre ans auparavant le prix demandé par Hudson. Avec le temps, ce prêt revint à sa fille, accru d'intérêts accumulés, quand celle-ci, qui s'appelait comme sa mère Mary Palmer, étant devenue marquise de Thomond, "vicomtesse Inchiquin, hérita lar- gement de sir Joshua. La fière attitude du commodore Keppel vis-à-vis du dey d'Alger, qui avait eu la forfanterie de le menacer du « cordon » ; les excuses et la restitution de sommes énormes volées par les corsaires barbaresques, que l'officier anglais avait vaillamment obtenues: tout cela, dans l'esprit de Reynolds, avait grandi son ami à la taille des héros. C'est à cette mesure qu'il voulait le représenter. Un épisode de la propre carrière de Keppel lui fournit le motif pittoresque qu'il cherchait et qu'il a si noble- ment réalisé. Quelques années auparavant, le marin avait fait naufrage sur les côtes de France et, dans les circonstances les plus difficiles, avait gardé une présence d'esprit et un sang-froid suffisants pour sauver la plus grande partie de son équipage. C'est pourquoi son portrait nous le montre de grandeur nature, en pied, en grand uniforme, tête nue, marchant rapide- ment, la main gauche sur la garde de son épée, le bras droit étendu, tout le corps animé, dans l'attitude du commandement, le visage déterminé, l'expression résolue, tenant tête à la mer qui fait rage. Le person- nage s'encadre entre une haute roche à droite et la mer en furie à gauche. On s'explique, en voyant cette énergique effigie de soldat, que tous 36 LES ARTISTES CÉLÈBRES les médiocres rivaux du jeune peintre — il avait alors trente ans — aient baissé pavillon devant l'homme qui était capable de camper sur ses pieds une figure de grandeur nature dans un tel mouvement d'élan, et de la dessiner en même temps dans toutes ses parties avec une patience et un soin qui n'avaient fléchi nulle part. Peut-être un tel effort surprendrait-il moins aujourd'hui. Mais que l'on se rappelle le néant de la peinture anglaise à cette date; que l'on réfléchisse même que les élèves praticiens de Van Dyck, aussi bien que ceux de Velazquez, quoique travaillant sous les yeux du maître, ne suffisaient pas à une telle tâche. Les demi-figures qu'ils montrent — car ils n'osent pas au delà — sont piteuses, mal cons- truites; tandis que celle du commodore Keppel, non seulement est bien équilibrée, mais se meut avec une facilité, une liberté également accom- plies, paraît animée d'une grâce en quelque sorte apollonienne et, bien qu'affectant l'allure d'un loup de mer, est néanmoins, à tous égards, parfaitement noble. Pourquoi ? Parce que l'artiste s'est rendu maître de tout le mécanisme de la machine humaine et, je répète le mot, possède cette science, très rare en tout temps, de planter une figure debout, d'aplomb et à l'aise. L'attitude de Keppel est vraiment statuaire. On l'a remarqué avant nous. Les Notes de G. R. Leslie affirment que cette attitude est due à ce fait tout simple que Reynolds l'aurait sans scrupule empruntée d'une statue antique dont il avait fait une étude peinte. Il insinue même que nul peintre ne s'est permis plus d'emprunts à ses devanciers. En repro- duisant l'accusation, M. F. S. Pulling répond : « Reynolds cependant n'est pas un plagiaire, à moins en vérité que nous n'appliquions le même titre à Shakespeare, parce qu'il a tiré les éléments de la plus charmante de ses comédies : Asyou Like It, de la fastidieuse pastorale de Lodge, ou à M. Tennyson, qui a extrait l'or des scories de la Mort d'Arthur et l'a fondu et ciselé dans les nobles Idylles du roi. » En tout cas, nous voyons là jusqu'à quel point Reynolds fut impressionné par les sculp- tures antiques qu'il avait vues au Vatican et dans les autres palais romains. Si l'influence de l'antique est sensible en cette œuvre, celle du temps même où le peintre vivait, l'esprit du sujet, la personnalité aussi de l'artiste n'y sont pas moins apparents. Et ne doit-on pas rendre hommage à l'initiative désintéressée d'un artiste qui, risquant son avenir — il ne faut pas oublier que Reynolds jouait avec ce portrait une partie capitale, — eut le courage de mettre en pratique les principes qu'il 38 LES ARTISTES CÉLÈBRES avait dégagés de ses études sur la statuaire d'il y a près de deux mille ans ? Largement, glorieusement la partie fut gagnée, et le portrait du Com- modore Keppel fit plus pour la fortune de Reynolds que toutes les recommandations du monde. La noblesse, en foule, envahit son atelier. Avoir son portrait de la main de Reynolds fut désormais, pendant près de quarante ans, c'est-à-dire jusqu'à sa mort, l'ambition de chacun. CHAPITRE VII j 754- 1 755. — La facture de Reynolds. — Époque de transition. On n'a pas — comme on l'a pour beaucoup d'autres années — la liste des modèles qui posèrent devant Reynolds en 1754. Mais nous savons que, dans le nombre, il n'y eut rien moins que le secrétaire d'État à l'Intérieur, lord Holderness, dont la face rougeaude exigea du peintre une grande dépense de temps et d'efforts. Mason — à qui l'on doit la connaissance de beaucoup de faits curieux dans la carrière de l'artiste — était un ami personnel du secrétaire d'Etat; ayant été autorisé à assister à chacune des séances, il a laissé un récit intéressant sur le mode de travail pratiqué par Reynolds à cette époque : « Sur le fond légèrement coloré, écrit-il, il avait préparé un espace blanc où la tête allait prendre place et qui n'était pas encore sec. Il n'avait sur sa palette qu'un peu de blanc, de la laque et du noir. Puis, sans aucune esquisse ni trait préa- lables, il commença à mêler vivement ces couleurs sur la toile, jusqu'à ce qu'il eût obtenu, en moins d'une demi-heure, une ressemblance suffi- samment intelligible ; mais, comme on devait s'y attendre, d'un aspect froid et décoloré dans l'ensemble au dernier degré. A la seconde séance, il ajouta, je crois, un peu de jaune de Naples; mais je n'ai pas souvenir qu'il ait fait aucun usage de vermillon, ni ce jour-là ni à la troisième séance; cependant il faut qu'on le sache, Sa Seigneurie avait le teint très illuminé par une éruption de scorbut. La laque seule pouvait fournir le ton juste de la carnation. Néanmoins le portrait aboutit en une ressem- blance frappante; l'attitude, autant que le permettait une toile de trois quarts 1 , était parfaitement naturelle et particulière à sa personne, qui en tout temps révélait un gentleman accompli. Le vêtement, de velours cramoisi, fut copié d'après l'habit qu'il portait à cette époque, et appa- remment, non seulement peint, mais glacé de laque qui jusqu'à présent a fort bien résisté; pourtant, le visage qui, de même que tout le tableau, avait été fortement verni avant que celui-ci fût livré, souffrit bientôt, et 1. A three-quarters canvas, une toile où le modèle est représenté jusqu'aux genoux ou un peu au-dessous. 4 o LES ARTISTES CÉLÈBRES presque tout de suite le front particulièrement se craquela, presque jusqu'à s'écailler, ce qui serait arrivé depuis longtemps, si un élève de Reynolds, Doughty, ne l'eût habilement restauré. » Combien d'autres tableaux de la môme main se sont craquelés, écaillés 4 , et combien — ce qui est pire encore — ont été ravagés par les prétendues restaurations ! L'artiste lui-même avait bien conscience de ce défaut de son procédé; les nombreuses expériences qu'il fit en vue d'assurer la -durée de sa peinture en témoignent surabondamment ; mais ses efforts furent inutiles, et à la fin il y renonça sur ce paradoxe, que toute bonne peinture se craquelait. Déjà même année 1754 est le beau portrait — aux trois quarts aussi — de lord- Cathcart (Grosvenor Galîèry, n° 137), en uniforme et en cuirasse. Cet officier avait été l'aide de camp du duc de Cumberland à la bataille de Fontenoy (11 mai 1745),, où son frère fut tué et où lui-même reçut au visage une si terrible blessure que, depuis, il dut abriter la glorieuse cicatrice sous une demi-lune de soie noire, qu'il portait avec la -martiale fierté dont Reynolds a si bien rendu l'expression. Trois ans après; en 1748, il avait été, avec le comte de Susscx — peint aussi par Reynolds en 17D9 [Grosvenor Gallety, n° 72), — l'un des otages exigés de l'Angleterre par la France, en garantie de l'exécution du traité d'Aix- la-Chapelle. Il y était venu gaiement, le vaillant soldat, et, sur sa i. Je retrouve à ce sujet et reproduis un passage intéressant d'une des lettres adressées à un journal disparu, le Courrier artistique, par M. A. de Coucy, soii cor- respondant à Londres en 1862, au moment de l'Exposition internationale, où figu- raient beaucoup d'oeuvres de sir Joshua : « Même de .son vivant, on s'aperçut que son coloris s'effaçait, et que bientôt ses tableaux n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Si le fameux Nelly O'Brien, appartenant au marquis d'Herfort (et l'une de ses œuvres les mieux conservées!, figurait à l'Exposition de Londres, on verrait combien a perdu la toile exposée en ce moment sous le même titre. Toute sa vie, Reynolds fît des expériences, — il détruisit même un grand nombre d'ouvrages précieux, — pour découvrir les secrets de l'école vénitienne. Afin, d'obtenir immédiatement les tons les plus séduisants, il employait en glacis dés rouges et des jaunes végétaux,, et autres couleurs fugitives du même genre; pour donner du corps et un empâtement crémeux, il se servait de la cire et d'autres ingrédients qui faisaient sécher promptement la" couleur; c'est ce dernier procédé qui a compromis la conservation de la plupart de ses tableaux. » Nous reparlerons de l'autre variante du portrait de Nelly O'Brien; mais c'est ici le lieu de dire qu'en ce tableau, en effet, la disparition des glacis a fait baisser considérable- ment la tonalité des carnations, à ce point que la chair a pris une teinte livide, jau- nâtre, et que les -ombres, devenues noires, sont en désaccord absolu avec les parties lumineuses. Toutes les valeurs sont ainsi bouleversées. SIR JOSHUA REYNOLDS 41 demande, la bourse légère cependant, n'emportant que 1,000 livres sterling, d'après ce que lady Betty Germaine écrit à lady Suffolk, en SIR WALTER BLÂCKETT, Bl. j D'après la gravure de J. Fittler. ^--j lui annonçant le départ des otages. Ce portrait, d'une grande richesse de ton, peint d'une main puissante, audacieux par le parti pris des 42 LES ARTISTES CÉLÈBRES ombres et des lumières, atteste l'influence de l'analyse que Reynolds avait faite, à Parme, des œuvres du Gorrège qu'il estimait si haut. C'est un précieux exemple de sa façon de peindre à cette date. L'année suivante, en 1755, il fit le portrait de Jane Hamilton, lady Cathcart, précisément, avec sa fille Jane, plus tard duchesse d'Athole. [Grosvenor Gallery, n° 71.) Elle soutient de la main gauche un des bras de la fillette, qui tient elle-même un chapeau de baby. Un grand lévrier complète le groupe. Ce tableau, qui fut peint deux ans après le retour d'Italie, est aussi intéressant que le précédent au point de vue de la tech- nique de Reynolds. Il montre clairement l'action que l'art italien exerçait sur son style et sur son goût, qui se modifièrent de nouveau un peu plus tard. Il témoigne alors de la recherche d'un dessin beaucoup plus rapide, pleinement réalisée dans cet exemple à la fois solide, brillant et soigné. Dans le groupe des deux figures, le style de la composition est en quelque sorte classique dans son élégance, très étudiée en ce sens. De même, la combinaison, ici très complexe, et de la ligne, et de la lumière, et de l'ombre, est absolument italienne et spécialement mila- naise. Evidemment, à rapprocher les uns des autres les divers tableaux de l'année 1755, il apparaît que Reynolds n'a pas encore pris le parti résolu d'en finir avec son propre passé, de renoncer sans retour à la tradition de Hudson. Cette hésitation nous est clairement révélée par le portrait de lady Elisabeth Montaigu [Grosvenor Gallery, n° 77), qui est de la même année que celui de lady Cathcart. La poursuite de la ligne est poussée, dans ce portrait de l'aïeule du duc actuel de Buccleuch, aussi loin que dans les œuvres les plus délicates et les plus précises des pri- mitifs italiens. Comme celui de lady Cathcart, il est daté de 1755 et signé des initiales J. R., détail rare à cette époque, et qui devint de plus en plus rare dans l'habitude de l'artiste, quoiqu'il ait également signé celui, d'ailleurs si charmant, de lady Cockburn avec ses enfants, bien connu sous le titre de Cornélia, et celui de Mrs. Siddons, en muse de la tragédie. On a souvent accusé Reynolds de ne savoir pas dessiner. Nous avons entendu si souvent adresser le même reproche à Eugène Delacroix et nous l'avons si souvent réfuté, que nous ne l'aurions même pas relevé si nous ne rencontrions fort à point cette œuvre, où la minutie des détails SIR JOSHUA REYNOLDS 4 3 est réalisée avec une adresse qui fait songer à un Antonello de Messine clair avec des chairs rosées. L'attitude précieuse, quelque peu affectée de la jeune fille, la maigreur de la poitrine, le regard immobile, fixé sur le spectateur, sont, à ne pas s'y méprendre, des réminiscences de l'ensei- gnement de Hudson, qui sans doute luttait pied à pied auprès de son ancien élève. Lady Elizabeth, plus tard duchesse de Buccleuch, fut la mère de ce petit comte de Dalkeith, duc de Buccleuch (Grosvenor Gal- lery, n° i32), que Reynolds peignit exactement dans le même style, à vingt-trois ans de là, par un curieux retour sur lui-même, et bien que sa manière se fût très sensiblement élargie. Mais, sans doute, au moment de peindre le fils, il avait revu, soit effectivement, soit dans sa pensée, le portrait qu'il avait fait de la mère en 1755. L'amateur ou l'artiste, intéressé à suivre dans leur succession les efforts de Reynolds à ce moment décisif de sa carrière, s'arrêterait avec curiosité à un autre portrait de cette féconde année. Je veux parler de celui de l'excentrique fille de sir Charles Hanbury Williams : Frances, comtesse d'Essex (Grosvenor Gallery, n° 83). Le dessin et la facture en sont bien quelque peu timides encore; mais il réunit à la fois l'éclat du portrait de lady Elizabeth Montaigu et la belle ordonnance de la lumière et de l'ombre qui distingue celui de lady Cathcart. On dirait d'un bel Hudson ; ce qui prouve, après tout, que Reynolds devait bien quelque chose à son ancien maître, avec qui il vécut toujours en bonne intelli- gence, après qu'ils eurent l'un et l'autre oublié la futile querelle sur laquelle ils s'étaient séparés; et par le fait, avant que l ; atelier de Hudson, pressé par l'abondance des commandes, fût devenu une espèce de fabrique de portraits, il était un peintre brillant, nullement dépourvu de science, et à l'occasion dessinait ses figures avec une réelle habileté. Artiste moins que secondaire, parce que son talent acquis, reçu de tradi- tion et sans personnalité, dégénéra en tours de main, pratiques et recettes de métier, il pouvait être cependant un bon professeur. Inca- pable de mener un élève très loin, capable au contraire de le jeter à certain moment dans une voie mauvaise, il se peut que tout débutant trouvât auprès de lui un enseignement non seulement suffisant, mais profitable. De tels hommes — car il y en a dans chaque école — sont dangereux et utiles en même temps : il ne s'agit que de leur attribuer la fonction à laquelle ils sont propres. Prêtres, des esprits de cette sorte sont de bons catéchistes, des confesseurs excellents ; ils enseignent, ils 44 LES ARTISTES CÉLÈBRES avertissent aussi des fautes que l'on a pu commettre; ils n'en sont pas moins tout à fait impropres à diriger les consciences. Au nombre des portraits de 1/55 il ne nous reste plus à citer que la sœur de l'héroïque Keppel, lady Caroline, qui épousa le célèbre chirurgien Robert Adair, charmante sous sa mantille noire, con- trastant avec le blanc de sa robe; et le portrait en pied du Créole ou de Alderman Sucre de Canne, comme les amis de lord Bute avaient surnommé Alderman William Beckford, le richissime parvenu du com- merce des Indes, le soutien de Wilkes, l'ami de Pitt, et deux fois lord- maire. L'année même où il posa devant Reynolds, une grande partie du somptueux château de Fonthill, qu'il avait construit à grands frais et rempli de tableaux de maîtres, fut brûlée. Horace Walpole rapporte qu'en apprenant le désastre, Beckford dit froidement : « Oh ! j'ai là 3o,ooo livres sterling dans un tiroir; je reconstruirai Fonthill. Cela ne fera qu'une différence de i ,000 livres sterling pour chacun de mes trente enfants. » J'avoue que je n'ai pas eu la curiosité de contrôler Walpole et de m'assurer du nombre réel d'enfants du « Créole ». Je sais que Reynolds fit, en 1782, le portrait de l'un d'eux, le plus jeune, mais le seul légitime, William Beckford, qui fut membre du Parlement, hérita de Fonthill, l'agrandit, en augmenta les richesses d'art, qui passèrent dans la famille de Hamilton par le mariage de sa fille Suzan Euphemia, et dont le plus grand nombre fut vendu, il y a trois ans, parmi les collec- tions de Hamilton Palace. CHAPITRE VIII Les amis de Reynolds. — Leurs portraits. La quantité de portraits que Reynolds a laissée est littéralement stupéfiante. J'en ai déjà nommé beaucoup de l'année IJ55. D'après son livre de commandes, il n'en fit pas moins de cent vingt cette année-là. M. F. S. Pulling a relevé, d'après ce livre, la liste de ses modèles au mois de mars 1757, en faisant suivre le nom d'un chiffre, qui est celui des séances données à chacun. Elle est curieuse; la voici : Mrs. West, 2; col. Griffin; M. Darby, 5; col. Vernon, 3; Mrs. Mor- ris, 3; miss Pelham, 6; Mrs. Watson, 5; lord R. Bertie, 9; duc et duchesse d'Ancaster, 0; Mrs. Charlton ; M, et Mrs. Jubb, 10; M. Hay- ward ; lord Guildford, 4; lady G. Fox, 6; capit. Tryal, 3; lord Mid- dleton, 4; Mrs. Lethulier, 4; Mrs. Douglas; lord Abergavenny, 2; M. Lloyd, 8; Mrs. Lloyd, 8; sir J. Ligonier; col. Trapaud; sir H. Grey, 2 ; Mrs. Philipps, 4; lord Pembroke, 3. En tout, vingt-huit modèles et cent six séances ! Et, d'après Northcote, l'année suivante fut encore plus « affairée » ; il nomme i5o modèles dans le cours de 1738, parmi lesquels le duc de Cumberland, le prince Edouard, lady Mary Coke, lady Caroline Fox; ce qui n'empêchait pas Reynolds de faire gracieusement, comme nous l'avons déjà dit, et d'envoyer à son vieil ami, malade, le Rev. Zacharias Mudge, le portrait de son fils, le doc- teur John Mudge. Ses amis étaient nombreux, d'ailleurs. Il y avait quelques mois qu'il était de retour à Londres, quand il rencontra dans un salon un homme qui allait devenir son ami le plus intime, Samuel Johnson, le fondateur déjà connu du Rambler (le Flâneur), de Y hier (l'Oisif) lauteur pro- chainement célèbre de Rasselas et surtout des Vies des grands poètes 1. Le Flâneur (1750-1754) et YOisif (1758- 1760), deux revues pe'riodiques fondées à l'imitation du Spectateur, d'Addison, et du Bavard, de Steele, mais sans succès. Dirai-je incidemment que l'on ne cite jamais, parmi les œuvres dignes de mémoire de Samuel Johnson, son Voyage aux iles Hébrides, qui est cependant l'un de ses meilleurs ouvrages. 46 LES ARTISTES CÉLÈBRES anglais. C'est à la première page de ce livre, dans la Vie de Cowley, qu'il dénonce l'origine de la vocation de son ami. « Le vrai génie, dit-il, est un ensemble de vastes facultés générales accidentellement dirigées dans une voie particulière. C'est ainsi que sir Joshua Reynolds, le grand peintre de ce siècle, vit sa première passion pour son art enflammée par la lecture du traité de Richardson. » On a souvent raconté comment une plaisanterie de l'artiste, sur « le bien-être qu'on éprouve à être soulagé du fardeau de la reconnaissance)), attira l'attention de l'écrivain. La plaisanterie, dont le cynisme avait choqué les femmes présentes, frappa le docteur Johnson, au contraire, comme le témoignage d'un esprit original et observateur; il reconduisit le peintre chez lui, toujours causant, et ils soupèrent ensemble le même soir. Il serait difficile de rencontrer deux hommes de caractères plus diffé- rents que Reynolds et Johnson. La distinction du premier, sa parole aimable, sa bonne humeur imperturbable, étaient en contradiction sin- gulière avec les façons rudes, le discours brusque, le caractère irascible et toujours maussade du second. Il faut croire que l'amitié vit de con- trastes. Cependant, il y avait bien entre eux aussi quelque chose de commun. Si Johnson n'avait aucune notion de l'art, non plus qu'aucun goût pour lui, Reynolds n'était nullement dénué du goût littéraire, ni même du talent d'écrire ; en outre, ils étaient également sociables, aimant le monde, les réunions intelligentes, et professaient une égale haine pour le mensonje. Malgré le ton de parole agressif qu'il se permettait envers chacun, Johnson n'essaya jamais qu'une seule fois de rudoyer Reynolds, qui le rappela d'un mot digne aux convenances, et le docteur, « rentrant en lui-même et, je crois, rougissant, s'excusa », dit Boswell. Quelque amis qu'ils fussent, et si impatient que fût Johnson dès qu'on différait d'avis avec lui en quelque point, il en est un cependant où Rey- nolds se séparait du docteur; il ne pouvait approuver cette adoration de soi-même précisément ni l'allure tranchante de ses opinions, qui ren- daient l'écrivain insupportable à tout le monde; et pourtant on le sup- portait, et partout on le recherchait. Le peintre avait trop d'esprit et de bon sens pour s'incliner aveuglément et ne pas garder son propre jugement en toutes choses; mais il était trop affectueux pour heurter de front l'irritable personnage. Quand Johnson poussait trop loin l'arbi- SIR JOSHUA REYNOLDS 47 traire et l'exagération, Reynolds se bornait à éloigner de l'oreille son cornet acoustique et concentrait toute son attention sur sa tabatière. SIR GEORGE YONGE, D'après la gravure de P. ftajoll; Cette tabatière et ce cornet jouaient un grand rôie, d'ailleurs, dans la mimique du peintre : He shifted his trumpet, and only took snuff, 4% LES ARTISTES CÉLÈBRES dit le dernier vers de l'épitàphfi plaisante écrite pour Reynolds dans The Retaliation de Gokhsmith'. — On sait que cette pièce de vers fut composée a.u lit de mort (1774 et laissée inachevée par l'auteur du Vicaire de Wakefield et du Village abandonné . Un jour, que la duchesse mère de Marlborough se plaignait devant le peintre de ce que le portrait d'une de ses tilles ne fût pas ressem- blant, le malicieux artiste se ht plus sourd que jamais; la duchesse ayant de nouveau crié sa protestation à l'orifice du cornet : « Pas ressemblant! — dit-il paisiblement. — Eh bien, nous le ferons ressembler », et il puisa une large prise de tabac dont, selon l'usage, il dispersa la plus grande partie sur son jabot et de là sur le tapis, un tapis magnifique et tout neuf. La duchesse, irritée, sonna pour qu'un domestique vînt balayer et enlever le tabac répandu. Sur quoi Reynolds : « Non, non; laissez cela, mon tabac salira beaucoup moins votre tapis que la poussière ne salirait ma peinture. » Reynolds, qui ne se maria pas, fut toute sa vie le clubman par excel- lence. Dès les premiers temps de leur amitié, il fonda, sous la prési- dence de Johnson, « le Club » à la taverne de la Tête de Turc. A l'ori- gine, le Club 1 ne se composait que de neuf membres, tous connus déjà dans le monde des Lettres, et quelques-uns, deux d'entre eux au moins, destinés à associer la durée de leur nom à celle de la littérature anglaise. L'un de ces deux hommes est Edmond Burke, dont j'ai déjà parlé; l'autre est cet étrange bohème, Olivier Goldsmith, qui n'avait encore publié que le Citoyen du monde, essai médiocre, dans le genre des Lettres persanes; mais il allait faire paraître son petit poème du Voyageur, et déjà le manuscrit de l'immortel Vicaire de Wakefield était prêt. C'est en 1756 que Reynolds fit le premier portrait de Samuel Johnson (Grosvenor Gallery, n° 97), qui le donna à James Boswell. Il l'a com- posé un peu solennellement, en vue d'une gravure destinée à la publi- cité. L'écrivain, assis dans un fauteuil recouvert d'une étoffe en damier, est placé devant sa table, la plume en main; l'autre main repose sur une feuille de papier. Un' encrier et un volume de son Dictionnaire de 1. Le Club devint quelques années plus tard le Club littéraire. Les membres de la fondation nommés dans YHistoire de la littérature anglaise, de Thomas B. Shaw, sont : Johnson, Reynolds, Burke, Garriek, Bishop Percy, Goldsmith, Bennet Langton, Beauclerc et James Boswell. OLIVIER GOLDSMITH, D'après la gravure de Robert Newton. ANGLETERRE. — PEINTRES. JOSHUA REYNOLDS. 5o LES ARTISTES CÉLÈBRES la langue anglaise occupent la table. Le portrait est plein d'expression et donne une idée beaucoup plus fidèle et bien meilleure du « prince de la critique » que le portrait plus connu, celui de 1775, où Reynolds le montre ayant presque perdu la vue et lisant dans un livre qu'il tient à un pouce des yeux. Parmi les amis du peintre, c'est Goldsmith qui nous parait le plus charmant. Goldsmith était aimable, insouciant, affectueux, de cœur droit et simple, comme l'était Reynolds lui-même; mais, en outre, extra- vagant comme un enfant, ne connaissant ni Tordre ni l'économie, joueur comme les cartes, portant allègrement la pauvreté qui l'avait poursuivi dans toutes ses aventures à travers l'Europe et l'accompagna jusqu'à sa mort. Il aima tendrement l'artiste, qui lui rendait bien sa tendresse et a laissé de cet astre errant un admirable portrait, où nous est montré en Goldsmith l'homme même, aussi loyal, aussi simple, aussi modeste que Sterne était artificiel, vain et bas. La noblesse du visage porte les traces de souffrances patiemment supportées, et en le voyant on comprend le mot de Johnson : « Il fut vraiment un grand homme. » De son côté, dans son poème inachevé des Représailles [Retaliation), qui est une suite de portraits de ses amis, d'esquisses satiriques sans aigreur ni fiel, tracées sous la forme singulière d'épitaphes, Goldsmith avait fait de son cher Reynolds le plus grand éloge en dix vers, dont j'ai cité l'un des derniers un peu plus haut. Par une ironie familière au destin, l'auteur de l'épitaphe mourut bien avant celui pour qui elle était faite, en 1774. H avait quarante-six ans. Le portrait de Sterne est également caractéristique; il démasque tout le contraire de l'ouverte franchise de Goldsmith, malgré l'évidente intel- ligence, malgré l'expression fine et moqueuse de ce maigre visage. En effet, quel que soit tout son talent, beaucoup plus remarquable dans le Voyage sentimental que dans Tristram Shandy, on ne peut oublier que la vie de Laurence Sterne fut quelque peu honteuse. Sterne affirme que Reynolds refusa d'être payé pour ce portrait, que celui-ci supplia le célèbre humoriste de l'accepter comme un hommage au génie. L'histoire peut être vraie, quoique, provenant d'une telle source, elle paraisse sujette à caution; mais si elle n'est pas contraire à la généreuse manière d'être de l'artiste envers ses amis, nous avons vu cependant, par ses rapports avec Johnson, qu'il ne se laissait pas facilement éblouir par la vanité et ne rendait hommage au génie qu'à bon escient. SIR JOSHUA REYNOLDS 5i Garrick, l'acteur célèbre, avait été J'élève de Johnson en 1736, quand celui-ci tenait une école dans le voisinage de Litchfieîd, sa ville natale; DAVID GARRICK. D'après la gravure de P. Viel. ils étaient venus ensemble à Londres, l'année suivante, pour y chercher la fortune, qui leur fut diverse. Reynolds devint naturellement l'ami de 52 LES ARTISTES CELEBRES Garrick. Chez l'acteur, la vanité se traduisait par le désir poussé jusqu'à la manie de faire passer son image à la postérité. Il est vrai que du plus merveilleux talent, dans cet art du comédien, il ne reste, l'homme mort, qu'un souvenir bientôt effacé, puis rien, un nom. Grâce à cette circons- tance, il existe des portraits de Garrick à profusion. Reynolds ne l'a pas fait moins de sept fois. Gainsborough Angelica KaurTmann, Zoffany, nombre de moindres artistes le représentèrent dans les rôles les plus variés. Il posa pour Hogarth lui-même dans de singulières conditions ; par l'extraordinaire puissance de sa mimique, il put faire revivre sur son masque les traits de Henry Fielding, quand le grand peintre satirique eut à faire le portrait posthume de l'auteur de Tom Jones et d'Amélie. Mais de toutes les effigies de l'acteur, la plus connue et la plus importante, — non la meilleure pourtant, — est celle où Rey- nolds représente Garrick entre la Tragédie et la Comédie, hésitant entre l'une et l'autre muse. Telle est en effet l'histoire de la carrière de Garrick. 11 fut tout d'abord attiré par la tragédie; mais, alors que les attraits de la comédie l'eurent subjugué, il ne put cependant renoncer à la première. — L'œuvre est de 1761. Nous ne partageons que faiblement l'admiration que cette toile inspire à nos voisins. Le mélange de figures réelles et de figures allégo- riques produit en général une impression de désaccord dont Ingres n'a pas triomphé dans son portrait de Gherubini, Delacroix non plus dans la Barricade de i83o, et Rubens à peine dans la Galerie de Médicis. Cette réserve se complique chez Reynolds d'un manque absolu de style dans la conception des figures tragiques. C'est le reproche essentiel que comporte également le célèbre portrait de Mrs. Siddons appartenant au duc de "Westminster. t. Garrick, qui ne goûtait pas à sa valeur le talent de Gainsborough, prit plaisir, en Tune des séances, à modifier à tout instant l'expression de son visage. Chaque fois que l'artiste, après l'avoir bien observé, tournait ses regards vers la toile, le comédien fixait sur, son masque une différente expression de physionomie. Tellement qu'à la longue, déconcerté, irrité, Gainsborough jeta ses pinceaux au loin en s'écriant : « Décidément, ce n'est pas le portrait d'un homme que je fais; c'est bien plutôt celui du diable ! » CHAPITRE IX Le portrait de Mrs. Siddons en Muse de la Tragédie. Tout ce qui se rapporte à l'exe'cution de ce tableau fameux a été fixé par Mrs. Jameson, d'après le récit même de Mrs. Siddons. L'auteur d'une Histoire de V Europe moderne, très lue à l'époque, un M. Russell, par- lant de la grande comédienne, l'avait nommée « la Muse de la Tragédie », The Tragic Muse ; c'est ce fait qui suggéra à Reynolds la conception de son sujet. Elle est représentée en pied, de grandeur nature, assise de face dans un vaste fauteuil en forme de trône ; les bras sont noyés dans de larges manches blanches, le droit étendu sur l'appui du fauteuil et le gauche reposant sur le coude, mais renversé dans le vide; un diadème orne les cheveux relevés haut sur le front et retombant en de longues tresses, par devant, de chaque côté du corsage, jusqu'à la ceinture ; des cordons de perles multiples contournent le cou et vont se perdre au bas de la poi- trine ; une ample et double draperie descend des genoux jusqu'aux pieds que soutient un tabouret posé sur des nuages. Derrière, debout dans les ombres fuligineuses du fond, on distingue, hélas! deux ombres mélo- dramatiques, moins sinistres que ridicules : l'une, emblème du Crime, les cheveux tout debout sur la tête, elle-même toute droite sur le corps à moitié nu, les yeux tout ronds, bouche bée, et tenant à deux mains contre sa poitrine, comme un enfant porterait une tasse de chocolat trop chaud où il vient de se brûler le palais, une coupe (de poison sans doute) en forme de sucrier; l'autre figure, symbole du Remords, a les cheveux ébouriffés par mèches éparses dont l'une s'incline avec la tête sur l'épaule droite ; les yeux à demi fermés glissent un regard oblique vers un poi- gnard que le personnage tient d'une façon étrange, la pointe en bas et en avant, la main en quarte comme dans le salut de l'épée. Dans les fumées du fond passent vers ces ombres des lueurs de lycopode enflammé dans la coulisse, derrière la toile, à hauteur de leur tête. N'insistons pas davantage sur ces deux malencontreuses figures et ne voyons que la figure essentielle, vraiment grande, de noble et royale allure dans la cpn- 54 LES ARTISTES CÉLÈBRES vention adoptée, c'est-à-dire sous le grossissement obligé de l'optique théâtrale. La composition était arrêtée dans l'esprit de Reynolds quelques semaines avant que Mrs. Siddons vînt poser, pendant l'automne de 1783 ou au printemps de l'année suivante. La première fois que l'actrice entra dans son atelier de Leicester Field, sir Joshua la prit par la main et la conduisit à l'estrade où l'atten- dait le fauteuil à modèle, tout différent du fauteuil aux lignes rigides et d'architecture monumentale qui paraît dans le tableau. Le fauteuil d'usage, qui appartient aujourd'hui à l'Académie royale, a lui-même une histoire assez intéressante pour que nous la redisions ici. James Barry, le médiocre peintre d'histoire et le confrère de Reynolds à l'Académie, avait été pendant toute la vie de celui-ci un de ses adver- saires les plus persistants et personne n'ignorait que l'attitude de Barry à son égard l'avait blessé. Cependant, à la mort de sir Joshua, Barry publia une chaude apologie de Reynolds. En guise de remerciement, lord et lady Inchiquin (plus tard marquis et marquise de Thomondj, héritiers de feu le président de l'Académie, lui firent don de ce fauteuil. Barry remercia. (Voir sa lettre dans la biographie de ce peintre par le D r Fryer.) « Ce siège, hélas! » écrit-il avec son habituelle emphase, « de quelle glorieuse carrière n'a-t-il pas été l'instrument, soit qu'il assurât l'heureux équilibre des grâces d'une lady Sarah Bunbury 1 ou d'une Waldegrave, soit qu'il perpétuât l'image honnête et négligée des auteurs du Flâneur, du Voyageur » (Johnson et Goldsmith) « et de tous ceux qui occupaient l'admiration publique par le talent, la beauté, le rang ou la mode! Le siège qui est immortalisé dans le portrait de Mrs. Siddons en Muse de la Tragédie aura une célébrité égale à celle du siège de Pindare, qui pendant tant de siècles fut montré sous le portique du temple d'Olympie. » Après la mort de Monsieur Prudhomme Jacques Barry, le fauteuil passa aux mains du biographe de celui-ci, le D r Fryer. A la vente posthume de ce dernier, il allait être adjugé pour une demi-guinée, quand sir Thomas Lawrenee, survenant enfin, poussa les enchères et 1. Reynolds a représenté lady Sarah Bunbury « sacrifiant aux Grâces » d'une façon peut-être voisine du ridicule, mais non à ce point que de mériter les plaisan- teries de Mrs. Piozzi, affirmant qu'elle ne sacrifiait jamais à la moindre Grâce, mais jouait au cricket et mangeait des beefstacks sur la Steyne, â Brighton. THE R T HOiNbu COUNTESS SPENCER. D'après la gravure de F. Bartolozzi. 56 LES ARTISTES CÉLÈBRES l'acheta à un assez gros prix. Sir M. Archer See, qui remplaça sir Thomas à la présidence de la Royal Academy, s'en rendit acquéreur à la vente de son prédécesseur. De président en président, dans les mêmes conditions, il devint la propriété de sir G. Eastlake, de sir Francis Grant et finalement de sir Frederick Leighton, l'honorable président actuel, qui l'a payé 70 livres et, pour le mettre à l'abri des aléas de l'avenir, l'a déposé dans le salon des Reliquiœ de la Royal Academy. Sir Frederick Leighton possède, de la même provenance, le curieux tableau laissé inachevé par Reynolds, où il a commencé le double por- trait du marquis de Rockingham et de son secrétaire Edmund Burke, œuvre remarquable par l'énergie de l'expression et le mouvement des lignes. Le fameux fauteuil y figure, mais peint dans un autre ton. Il nous faut redire ici que Mrs. Siddons l'occupa effectivement pendant toutes les séances; mais que ce n'est pas celui du tableau même, qui fut fabriqué décorativement pour la circonstance. En conduisant Mrs. Siddons à l'estrade à modèle, Reynolds lui dit : « Montez sur le trône qui vous est incontesté et suggérez-moi l'idée de la Muse de la tragédie. » — « Je fis quelques pas, dit l'actrice, et pris tout de suite l'attitude dans laquelle la Muse est restée. » Et, en effet, d'après les témoignages contemporains, cette attitude appartient si par- faitement au jeu de Kemble (dont Mrs. Siddons était la fille aînée) que tout y confirme la déclaration du principal comparse de la scène. La suite est digne du début. Sir Joshua, au cours des séances, se plaisait à répéter, dans le style galant du temps, qu'il était réellement aux pieds de la tragédienne, et, quand l'œuvre fut terminée, il ajouta gracieusement : « Je ne puis renoncer à l'honneur qui se présente de passer à la postérité sur le bord de votre vêtement. » En conséquence, Reynolds, qui ne signait pour ainsi dire jamais ses tableaux, peignit son nom tout au long avec la date, en façon de broderie, tel qu'on le voit aujourd'hui dans la bordure de la draperie de dessus qui passe en diagonale un peu plus bas que les genoux. Mrs. Siddons, d'autre part, a dit aussi au peintre Phillips que, à l'origine, la tête était posée différemment; mais « pendant que Reynolds, un jour, préparait quelque ton, elle changea de position pour regarder un tableau suspendu à la muraille de l'atelier. Quand il releva les yeux vers elle et vit le mouvement qu'elle avait pris, il lui demanda de ne pas le changer. C'est ainsi, conclut M. Phillips, que fut conçue la belle et SIR JOSHUA REYNOLDS 5 7 pathétique expression de la figure que nous connaissons aujourd'hui. » Un dernier détail : à la fin d'une séance, Reynolds fit à haute voix la remarque qu'il avait encore beaucoup à travailler au visage. Mrs. Sid- dons, comme il parlait, regarda, dit-elle, et répondit qu'elle ne pensait pas qu'il pût l'améliorer. Sur quoi, depuis, il n'y retoucha plus jamais. M. de Calonne, collectionneur éminent de cette époque, paya ce tableau à sir Joshua 800 guinées, le plus haut prix que celui-ci eût encore reçu pour un tableau contenant si peu de figures. En 1795, l'ouvrage fut vendu à M. Smith, de Norwich, pour 100 guinées de moins, puis à M. G. Watson Taylor, de Liverpool, pour 900 guinées. En dernier lieu, lord Grosvenor l'acheta 1,760 guinées (près de 5o,ooo francs), en 1822, plus du double du prix original. Depuis, la Muse de la Tra- gédie est restée dans la même famille. Il y en a une réplique dans la galerie du collège de Dulwich (peinte par Score, un des élèves praticiens de sir Joshua), provenant de la galerie de M. Noël Desenfans, qui l'avait payée 700 guinées. Lord Normanton en possède également une réplique, et Mrs. Combe aussi, mais seulement de la moitié supérieure du tableau. CHAPITRE X L'œuvre de Reynolds de 17G8 à 1790. — Sa mort en 1792. — Ses œuvres littéraires. Après une très courte résidence dans Saînt-Martin's Lane, où il s'était loge en revenant d'Italie, et un séjour de huit ans environ dans Great Newport Street, Reynolds acheta, en 1760, une maison, sur le côté Est de Leicester Square, au n° 47, y ajouta un atelier, puis une galerie, et l'habita jusqu'à sa mort. Allan Cuningham nous apprend que l'atelier de sir Joshua était octogonal, long de 20 pieds (le pied anglais est de 3o centimètres environ), large de 16 et haut de i5. La fenêtre était petite, carrée, percée à 9 pieds du sol. Le fauteuil de pose était monté sur des roulettes et placé sur une estrade élevée de 1 pied 1/2. Le peintre tenait sa palette au moyen de poignées. La hampe de ses brosses avait 18 pouces de longueur. Il peignait debout et avec une grande agilité, se levait de bonne heure, déjeunait à neuf heures, entrait dans l'atelier à dix, examinait des dessins ou retouchait des tableaux inachevés jusqu'à onze, où l'on introduisait le premier modèle, peignait jusqu'à quatre, s'habillait et consacrait sa soirée au monde. Vers cette époque, il éprouva sans doute quelque mortification à n'être pas nommé à l'office de « peintre du roi », qui devint vacant. 11 dut en prendre son parti, car il ne fut jamais en faveur à la cour. Georges II de Brunswick-Hanovre professait un dédain suprême pour la « Beinture et la Boésie », et George III ne posa jamais qu'une seule fois pour lui, en 1779. En 1755, le nom de Reynolds figure sur le registre de Saint-Martin s Lane Academy. L'artiste fut un des premiers membres de the lncorpo- rated Society of Artists, écrivit la préface du catalogue de l'Exposition de 1762, et envoya régulièrement aux expositions de la Société jusqu'en 1768, date de la fondation de la Royal Academy, qui donna lieu à de nombreux débats. A l'unanimité des votes, la présidence de la jeune Académie fut confiée à Reynolds. A cette occasion, le roi Georges III, pour ajouter à l'honneur de la fonction, anoblit le président. La tradition s'est perpétuée jusqu'au SIR JOSHUA REYNOLDS 5y président actuel, sir Frederick Leighton. Plympton, le « bourg » où sir Joshua était né, l'élut en 1773 maire de la ville; l'artiste était plus fier VÉNUS GRONDANT CU PI DON. D après la gravure de F. Bartolozzi. de cet honneur que de son titre de Knight et faillit en faire l'aveu au roi lui-même, un jour que celui-ci, l'ayant rencontré dans les jardins 6o LES ARTISTES CÉLÈBRES de Hampton Court, le félicitait sur l'élection de Plympton, alors toute récente. Reynolds confirma le fait au roi et ajouta qu'il éprouvait « plus de joie d'un tel honneur que d'aucun autre qu'il eût jamais reçu en sa vie »; mais le sentiment de la situation lui revenant, il eut la présence d'esprit de prolonger la phrase en disant aussitôt: « excepté de celui qu'il a plu gracieusement à Votre Majesté de me conférer ». Et Reynolds était sincère dans la première partie de sa déclaration, car lorsqu'il fit son propre portrait pour la Galerie du grand-duc de Florence, il eut bien soin de rappeler ce titre de maire de Plympton en l'inscription latine qu'il traça au dos du tableau : Nec non oppidi natalis, dicti Plympton, Comitatu Devon prœfectus, Justiciarius, morumque Censor. Les dîners de l'Académie, institués par le nouveau chevalier (knight), sir Joshua, sont renommés dans l'histoire des banquets de société en Angleterre. Il s'était imposé la charge de prononcer, à chaque réunion, un discours sur une question d'art. Ces discours sont célèbres. Je n'en dirai qu'un mot ici pour rappeler l'imputation qui eut cours pendant quelque temps. On prétendait que Reynolds avait recours à Johnson et à Burke pour les rédiger. Ils protestèrent l'un et l'autre avec énergie; il suffit de citer une des réponses de Johnson à ce sujet : « Sir Joshua ! Monsieur..., mais ne savez-vous pas qu'il me chargeait également de peindre ses tableaux et d'écrire ses discours? » Pendant les quinze années qui suivirent la fondation de l'Académie, le président envoya à son Exposition annuelle cent quarante-sept pein- tures, des portraits pour la plupart, mais parfois aussi des tableaux composés, comme, en 1773, son Ugolin, une composition d'effort méri- toire, mais d'une exécution inférieure ; la Fillette aux fraises (the Strawberry-Girl) , un chef-d'œuvre de grâce que lord Herford paya 2,100 guinées à la vente Rogers, en 1 856 ; la Petite Diseuse de bonne aventure (the Youn g Fortune Teller), en 1777, double et charmant portrait du jeune lord Henry et de la petite lady Charlotte Spencer, sa sœur (c'est le tableau qui eut le don d'irriter si vivement la duchesse- mère de Marlborough) ; et, en 1779, la Nativité ou plutôt Y Adoration des bergers, dont Jervais, le verrier, fit, pour la chapelle de New Collège, à Oxford, un grand vitrail très admiré, quoiqu'il soit un formi- dable barbarisme dans l'esthétique de l'art du verre. Pendant cette longue suite d'années, sir Joshua avait travaillé presque sans aucune interruption avec la prodigieuse activité dont nous avons SIR JOSHUA REYNOLDS 61 cité maint exemple, quand, en 1782, il éprouva une légère attaque de paralysie. On eut peur de la paralysie générale; mais sa robuste consti- tution triompha du mal. Il retourna promptement à son chevalet, plus vif, plus ardent que jamais. La même année, il exposait quinze tableaux et peignit le portrait du fils du noble Edmond Burke, Richard Burke, à qui, en mourant, il légua sa plus chère relique, la miniature d'Oli- vier Cromwell, par Cooper, dont Walpole et Cunningham nient l'ori- ginalité, pour n'y voir qu'une copie médiocre. Le portrait, lui, est une œuvre capitale, pleine de vie. Elle a été admirablement gravée par James Ward. Richard mourut en 1794, deux ans après Reynolds, et le père écrivit sur le cadre : O Dolor atque Decus. En 1783, il expose dix tableaux et peint miss Fanny Kemble, la troisième sœur de Mrs. Siddons, et la comtesse d'Errol, la belle-fille du plus bel homme des trois royaumes, ce magnifique et colossal lord High, constable d'Ecosse, qui oublia de se découvrir au couronnement de Georges III, celui que Johnson appelait « Sarpedon » et que Reynolds avait peint en 1763, dans le costume de son office, en robe de drap d'or. Nous avons vu que le portrait de Mrs. Siddons est de 1784. L'artiste peint aussi l'adorable Muscipula (la Fillette à la souricière), une de ces exquises études de couleur et de lumière qu'il multipliait à la fin de sa vie, en y ajoutant les motifs d'expression les plus gracieux; la physionomie de Muscipula est celle-là même d'une petite souris blanche. Il expose, en outre, quinze autres tableaux; seize en 1785; treize en 1786, dont la charmante Robinetta avec son rouge-gorge, et dont il fit plusieurs répliques; autant en 1787, et dix-huit enfin en 1788. Mais, en 1789, il subit une seconde attaque de paralysie, ne s'occupa plus que de terminer les œuvres en cours d'exécution, et exposa une dernière fois en 1790 1 . Il avait perdu l'usage de l'œil gauche. Dès lors, il renonça à peindre, passa l'année 1791 dans une retraite peuplée d'amis, et, après trois mois de maladie, mourut le 23 février 1792, dans sa chère maison de Leicester Square. Il fut inhumé en grande pompe dans la cathé- drale de Saint-Paul. 1. En cette année 1790, sir Joshua rompit avec l'Académie, dont il avait été le président pendant vingt et un ans. Blessé au vif de voir le peintre suisse Fuseli élu de préférence à l'architecte italien Bonomi, dont il avait soutenu la candidature avec ardeur, il donna sa démission, que rien, même l'intervention du roi, ne put lui faire retirer; il consentit seulement à en adoucir les termes. 2 LES ARTISTES CELEBRES Burkc a dit de lui : « Sir Joshua Reynolds fut le premier Anglais qui ajouta le mérite d'un art élégant aux autres gloires de la patrie. Par le goût, la grâce, la facilité et le bonheur de l'invention, comme par la richesse et l'harmonie de la couleur, il est l'égal des plus grands maîtres dans les écoles les plus renommées *. » Comme président de l'Académie royale, Reynolds composa quinze Discours, qui ont été traduits en français par Janssen (1788 et 1806, 2 vol. in-8°), et écrivit des Notes sur la traduction anglaise, par Mason, de l'Art de la peinture de Dufrénoy, sur l'édition de Shakspeare du D r Johnson, sur un voyage en Hollande et dans les Flandres qu'il fit en 1 7 S 1 . Il existe une édition complète de ses œuvres littéraires. On n'estime pas à moins de sept cents ses œuvres peintes : il en avait exposé deux cent cinquante à l'Académie. 1. Un siècle plus tard, l'illustre John Ruskin dira : « Titien a fait de plus nobles tableaux, Van Dyck a peint de plus nobles sujets; mais aucun d'eux n'a pénétré si subtilement jusqu'aux moindres nuances du cœur et du caractère de la personne humaine. Et quand je considère que, malgré l'effrayante convention des mœurs dans le milieu social où il vivait, il a cependant conçu les types les plus simples de la grâce, de la beauté chez la femme et chez l'enfant; — que dans un climat du Nord, où les couleurs dominantes sont le gris, le blanc et le noir, il est cependant devenu un coloriste égal aux plus grands, même parmi les Vénitiens; — et qu'en un temps où la peinture hollandaise et la porcelaine de Saxe étaient les types régnants du goût dans les salons, il se jeta spontanément aux pieds des grands maîtres italiens et de leurs pieds s'éleva jusqu'à partager leur trône, — je déclare qu'on ne saurait trouver dans toute l'histoire de l'art un autre exemple d'un sentiment inné plus fort, plus original et plus infaillible de tout ce qui est vrai, simple et élevé. » {The Two Patlis, Lcct. 2.) — Quelques années plus tard, il est vrai, M. Ruskin, en uu jour de mauvaise humeur avouée, écrira que sir Joshua est toujours affecté, — sou- vent négligent, — parfois vulgaire, — et sublime, jamais. {The Art of En gland, i8cS-|, Appendix, p. '248.) CHAPITRE XI Caractère du talent de Reynolds. — L'homme, la femme, l'enfant dans son œuvre. Pour terminer cette étude sur sir Joshua, je demande au lecteur la permission de mettre sous ses yeux le passage de mon Histoire de la Peinture anglaise 1 , où j'ai essayé de caractériser son talent. « Ce que Reynolds est forcé d'apprendre, et ce qu'il apprend sans difficulté, car il est doué d'une vive intelligence, Gainsborough, dans ses forêts du comté de SurTolk, le devine, le crée pour les besoins de sa pensée. Aussi laisse-t-il dans ses œuvres un enseignement plus fécond que celui que Reynolds essaie de formuler dans la collection de ses discours à l'Académie, quelque judicieux et savants qu'ils puissent être. « Devant la plus élégante lady, devant le boy le plus anglais, c'est-à- dire doué de la plus éblouissante fraîcheur, Reynolds n'oublie pas tou- jours les maîtres pour ne voir que son modèle : par exemple, dans l'écolier qui rappelle Murillo, dans le portrait de Mrs. Harley en bacchante (tableau connu sous le nom de V Amour maternel), où l'artiste s'est trop souvenu de Léonard de Vinci, et dans cet autre portrait de la galerie de l'Ermitage (Y Amour détachant la ceinture de Vénus), réplique de celui de la National Gallery, où il complique de maniérisme ses réminiscences de Titien. De semblables réminiscences sont plus visibles encore dans le portrait allégorique de Mrs. Siddons et dans le tableau de Cymon et Iphigénie (sujet tiré de Boccacej, souvenir affaibli de Titien. « Mais il serait injuste de s'arrêter trop longuement à ces taches légères, que nous avons signalées seulement afin de faire toucher du doigt, pour ainsi dire, les parties factices d'un talent construit de toutes pièces. Reynolds n'en est pas moins un peintre qui mérite les plus grands éloges, précisément parce qu'il a le plus souvent réussi à dissimuler, à i. Bibliothèque de l'enseignement des Beaux-Arts : La Peinture anglaise, i vol. in-4 J anglais, orné de nombreuses gravures. 2° édition. Librairie Quantin. — The English School of Painting translated by Lucy N. Etheringhton with a Préface by professor Ruskin. 2° édition. Cassell and Co. 64 LES ARTISTES CÉLÈBRES fondre dans une unité qui lui appartient les nombreux emprunts de sa palette. « Ses portraits sont des tableaux, et il nous importe peu de connaître le personnage qu'ils représentent ; ils nous suffisent par eux-mêmes et comme œuvres d'art. « Reynolds a le secret de toutes les distinctions, de toutes les grâces delà femme et de l'enfant. Il rend avec une aisance merveilleuse les caprices les plus fugitifs de la mode et sait leur donner le caractère éternel, celui de l'art. La chaste volupté des mères, la candeur et aussi la secrète ardeur des vierges, les étonnements, les naïves gaucheries, les révoltes, les câlineries de l'enfant et ses chairs fermes et roses, il en a cueilli le charme et exprimé le parfum. « Et de même pour l'homme. Habituellement il le choisit jeune, élancé, toujours de grande race et ne mentant point à son renom de per- fection aristocratique et de hautaine élégance. Tous ses personnages, il les met dans leur milieu de vie active, nullement immobilisés, poursui- vant le geste interrompu par l'arrivée du peintre. Voyez cet admirable portrait de lord Heathfield (n° m de la National Gallery). Lord Heath- field, alors lord Elliott, en grand uniforme de lieutenant général, est debout, téte nue, parmi les fumées du combat et tient dans ses mains la lourde clef de la forteresse de Gibraltar qu'on aperçoit dans le fond du tableau. C'est une allusion à la célèbre défense (1779-83) dont il fut le héros. L'attitude du général, ferme comme le roc, l'accessoire de la clef, si heureusement trouvé, voilà des traits de génie parce qu'ils caractéri- sent le personnage. Là est le secret de l'intérêt durable de tant d'œuvres qui ne sont que des portraits. « Mais quels portraits! Et auquel s'arrêter de préférence ? Lequel plutôt que tel autre nous retiendra davantage? Est-ce le jeune et noble marquis de Hastings, si naturellement à l'aise dans son uniforme rouge, l'épée au côté, le doigt aux lèvres, dans l'attitude d'une méditation vague, d'une sorte d'indécision qui va cesser et le rendre à l'action ; est-ce cette fillette effarée, ou cette autre (l'Age d'innocence), se laissant vivre, sans mouvement au sein de la nature protectrice ; — ou cette der- nière, la petite princesse Sophia Matilda, se roulant avec un griffon sur les épais gazons d'un parc ? N'est-ce pas plutôt la belle duchesse de Devonshire en lutte, du bout du doigt, contre les attaques de sa fille, à moitié nue, levant sur sa mère une main qui va ravager l'harmonie de sa VÉNUS. D'après la gravure de A. Raimbach. ANGLETERRE. — PEINTRES. JOSHUA REYNOLDS. — 5 66 LES ARTISTES CÉLÈBRES coiffure ; — ou l'actrice Kitty Fisher, en Cléopâtre, aux yeux langou- reux, au nez relevé, aux lèvres amoureuses, déposant d'un geste plein d'adorable coquetterie une perle dans une coupe ciselée, trop lourde pour sa main 4 ; ou Mrs. Robinson, l'actrice de Covent-Garden, dont le prince de Galles, fils de George III et de la reine Charlotte, fut éperdu- ment amoureux ; ou la tragédienne Mrs. Siddons? « Quelle vie et quel entrain dans cette autre composition représentant lady C. Spencer en costume d'amazone : jupe et basquine rouges, gilet blanc, brodé rouge et or; la tête vive, mutine, éveillée, résolue; le visage animé par la course; les yeux grandement ouverts et pleins de feu ; les cheveux frisés court, ébouriffés comme ceux d'un jeune garçon; elle tient de sa main gantée, caressante, le chanfrein d'un cheval ; celui-ci plus rapide sous ce poids léger, si charmant, glissait tout à l'heure parmi les arbres de la forêt où la noble pairesse fait une halte d'un moment! — On ne sait, en réalité, entre tous ces portraits de femmes dire quel est le chef-d'œuvre. « Cependant si, nous le savons ; c'est celui de Nelly O'Brien, que nous n'avons pas encore nommé. J'ai cherché, j'ai vu bien d'autres com- positions de Reynolds, ces beaux portraits que je viens de nommer ; le Banni, figure dramatique; une Sainte Famille, sans élévation ; je n'ai trouvé, dans l'œuvre de l'artiste, rien de comparable à cette étonnante figure. Là, Reynolds se place incontestablement au rang des maîtres, et, n'eût-il achevé que celte peinture, son nom serait nécessairement de ceux qu'on ne doit plus oublier. « Au point de vue de l'exécution, il n'y a dans cette toile aucune fai- blesse, et, loin de là, c'est avec une science consommée que l'artiste a marié, nuancé et fait valoir alternativement les blancs, les teintes neutres et les tons roux dont se compose uniquement son tableau. En passant, je ferai remarquer que Reynolds évite dans ses peintures le grand nombre des couleurs ; trois ou quatre tons lui suffisent, et souvent moins, indé- finiment rompus et variés ; il a une affection particulière pour le rouge ; mais dans le portrait de Nelly O'Brien il a même sacrifié cette couleur de prédilection. i. Reynolds a peint cinq portraits différents de Kitty Fisher, «la Phryné du jour », Célèbre par son esprit, ses aventures et sa beauté. 11 en a fait une Cléopâtre, une Danaé notamment, et aussi, comme par ironie, un type d'innocence et de fidélité dans le portrait où il la représente tenant entre ses bras enlacés une tourterelle que son tourtereau, posé dans le voisinage, salue en roucoulant. SIR JOSHUA REYNOLDS 67 « Quelle est cette Nelly O'Brien ? Je ne sais, une actrice, à coup sûr, une impitoyable, une buveuse d'or et de santé. Mais ici la question est ÉTUDE DE JEUNE FEMME. D'après la gravure de F. Milius. secondaire. Nelly est comme la Monna Lisa de Léonard de Vinci : il se peut qu'elle ait existé, cela est indifférent ; elle existe désormais pou? l'éternité, mais effectivement elle n'existe que par la puissance de l'artiste, qui en a fait un type éternel. Je la rapproche à dessein de la Joconde, 68 LES ARTISTES CÉLÈBRES cette figure de Reynolds ; non pour comparer les deux œuvres, qui ? dans la pratique, n'ont rien de commun — mais parce que la création du peintre anglais est aussi énigmatique, aussi troublante que celle du plus profond des maîtres italiens. » Que de belles et curieuses toiles nous pourrions ajouter encore à l'énumération qui précède ! Quand ce ne serait que le portrait de lady Worsley, dans le même costume rouge que celui dont son mari s'est revêtu pour son propre portrait (1776) : singulière livrée d'amour, chez une femme qui devait le quitter, ce mari, sir Charles Worsley, quelques années plus tard et s'enfuir avec un certain major Blisset, au profond rancœur d'un jeune gentleman, qui faisait lire à qui voulait, en plein café Saint-James, une lettre où la dame lui disait : « J'ai aimé Windham, j'ai aimé Graham, mais maintenant, c'est vous seul que j'aime, by God! » Ce jeune gentleman est lord Cholmondeley, neveu de ^Valpole, qui fut très contrarié de l'aventure. Le poète satirique Peter Pindar n'a pas ménagé « Lady Worsley, chaste as many a nun », ni le mari, qu'il accuse d'avoir renouvelé l'indiscrétion de Candaule, roi de Lydie, en faveur de Gygès. Reynolds nous montre la jeune femme, la cravache en main, portant un hausse-col d'officier sur son amazone rouge à revers d'uni- forme et un chapeau noir à plumes. Le costume était un témoignage de l'ardeur des sentiments patriotiques que provoquaient alors (1 776-1 779) les menaces d'une invasion de la part de la France. Je voudrais dire encore quelques mots d'un autre portrait, le plus beau peut-être des portraits d'enfants que Reynolds ait jamais peints, et en même temps sa dernière œuvre complètement achevée : le portrait de miss Frances Harris, qui devint lady France? Gole. Le tableau, exécuté en 1789, est populaire aussi sous les noms de Fanny et son ami, et de la Fillette au chien. Miss Frances était la fille de sir James Harris, comte de Malmesbury (1800). Elle mourut en 1842, un des derniers modèles survivants de Reynolds. Debout, en pied et de face, l'enfant, aux beaux traits réguliers, fixe sur le spectateur le regard de grands et doux yeux; les boucles épaisses de ses cheveux couvrent le front et des- cendent sur les épaules nues qui se dégagent, ainsi que les bras, d'une robe blanche au large col de dentelles, relevée sur une jupe de dessous en soie verte et coupée à la taille par le satin de la ceinture où s'appuie la main gauche, tandis que la droite repose sur la tête d'un énorme chien du Saint-Bernard, assis sur son séant aux pieds de la fillette SIR JOSHUA REYNOLDS 69 qu'il regarde tendrement. Ce groupe charmant s'enlève en lumière sur une masse centrale de vieux arbres, qui s'alignent d'un côté au bord d'une allée tournante et s'ouvrent de l'autre sur une lointaine perspec- tive de plaines, de bois, de rivières enjambées par des ponts aux arches multiples et de collines se découpant sur un ciel nuageux. Au moment de conclure, si j'évoque cette grande somme d'œuvres, et si, m'interrogeant en conscience, je cherche à résumer l'impression finale qu'elle me laisse, je suis toujours forcé d'en revenir à la conclusion qui suit : Ce vif, studieux et persistant esprit était ouvert très largement à l'intelligence des formes et des couleurs ; mais, avec une évidence égale, c'est l'art lui-même et sa dogmatique qui l'attirent vers l'art, et non le besoin inné, impérieux de célébrer les phénomènes naturels, d'exprimer les sentiments qu'ils accompagnent si la personne humaine est en jeu, qu'ils inspirent dans le cas contraire; il voit le moyen de l'art et non son objet; il songe bien plus à faire des tableaux qui rappelleront égale- ment ou dépasseront ceux de ses devanciers qu'à rendre son émotion propre en face de la réalité. En un mot, c'est son cerveau qui s'échauffe à l'étude des théories et des règles et non son regard qui s'illumine des splendeurs de la couleur et de la ligne, telles que les eaux du ciel, les monts, les vallées, la végétation, les inventions de l'homme et l'être humain lui-même, créature complexe, de matière et de passion, apportent à nos yeux enivrés. Il est, ce cerveau, d'une exquise sensibilité au sujet des beautés de la peinture, mais le regard non plus que l'âme ne sont profondément sensibles aux beautés de la nature. Ce n'est pas la qualité de la fleur en soi qui le touche, la fraîcheur de son coloris, la délicatesse de ses contours, ni l'élégance de son port; c'est l'effet que produira dans le tableau la tache claire ou sombre qu'elle fournit combinée avec d'autres valeurs ou d'autres tons. En un mot, il s'exhale plus souvent des œuvres de sir Joshua Reynolds une odeur d'atelier, d'huile et de vernis, qu'un parfum de réalité. CATALOGUE ET BIBLIOGRAPHIE The Works of Sir Joshua Reyno'ds, Kniglit. In three volumes, to which is prefixcd an Account of the Life and Writings of the Author. By Edmond Malone, Esq. Second édition, corrected. London, 1798. Memoirs of Sir Joshua Reynolds, Knight, etc. By James Northcote, Esq., R. A. London, 1 8 1 3 . Memoirs of the Life of Sir Joshua Reynolds, with some Observations on his Talents and Character. By Joseph Fa- rington, R. A. London, 1819. The Complète Works of Sir Joshua Reynolds, with an Original Memoir and Anecdotes of the Author. In three volu- mes. London, 1824. The Literary Works of Sir Joshua Reynolds. To which is prefixed a Memoir of the Author, with some Remarks on his Professional Character, illustrative of his Principles and Practice. By Wil- liam Beechey, R. A. London, 1 835. Sir Joshua Reynolds and his Works. Gleanings from his Diary, unpublished Manuscripts, and from other Sources. By William Cotton, M. A.; edited by John Burnet, F. R. S. London and Ply- mouth, 1 856. Life and Times of Sir Joshua Reynolds, with Notices of some of his Contempo- Les Œuvres de sir Joshua Reynolds, chevalier. En trois volumes, précédés d'une Notice sur la Vie et les Écrits de l'auteur. Par Edmond Malone , Esq. Seconde édition, corrigée. Londres, 1798. Mémoires sur sir Joshua Reynolds, chevalier, etc. Par James Northcote, Esq., R. A. Londres, 1 8 1 3 . Mémoires sur la vie de sir Joshua Reynolds, avec quelques observations sur ses Talents et son Caractère. Par Joseph Faiington, R. A. Londres, 1819. Les Œuvres complètes de sir Joshua Reynolds, avec un Mémoire original et des Anecdotes sur l'auteur. En trois vo- lumes. Londres, 1824. Les Œuvres littéraires de sir Joshua Reynolds. Précédé d'un Mémoire sur l'auteur, avec quelques Remarques sur le caractère de son Talent, expliquant ses Principes et sa Pratique. Par Wil- liam Beechey, R. A. Londres, 1 835. Sir Joshua Reynolds et ses Œuvres. Extraits de son Journal, de Manuscrits inédils et d'autres sources. Par William Cotton, M. A.; édité par John Burnet, F. R. S. Londres et Plymouth, 1 856. La Vie et le Temps de sir Joshua Reynolds, avec des Notices sur quelques- SIR JOSHLL raries. Commencée! by Charles-Robert Leslie, R. A.; continuée! and concluded by Tom Taylor, M. A. In two volumes. London, i8ô5. Histoire des Peintres de toutes les par Ch. Blanc. Paris, veuve Renouard. Sir Joshua Reynolds. By F. S. Pul- ling, M. A., Exeter Collège, Oxford. Lon- don, 1880. Sampson Low. The Grosvenor Gallery, 1883-1884. Exhibition of the Works of Sir Joshua Reynolds, P. R. A., with Historical Notes. By F. G. Stephens. English Children as painted by Sir Joshua Reynolds. By F. G. Stephens. London, 1884. Anecdotes Lives of Painters. By John Timbs, F. S. A. [Sir Joshua Reynolds, P. R. A., p. g5-i 55. London, 1881. Ri- chard Bentley. Voir aussi les remarquables articles (n 08 des 29 décembre 1 883, 5, 12, 19 janv: L REYNOLDS ?r uns de ses contemporains. Commencé par Charles-Robert Leslie, R. A., conti- nué et terminé par Tom Taylor, M. A. En deux volumes. Londres, 1 865. Ecoles. Ecole anglaise. Joshua Reynolds, Sir Joshua Reynolds. Par F. S. Pul- ling, M. A., Exeter Collège, Oxford. Londres, 1880. Sampson Low. Catalogue de VExposition des œuvres de sir Joshua Reynolds, P. R. A., à la Grosvenor Gallery, 1 883-1 884, avec des Notes historiques, par F. G. Stephens. Les Enfants anglais dans l'œuvre de sir Joshua Reynolds, par F. G. Stephens. Londres, 1884. Biographies anecdotiques des Peintres, par John Timbs, F. S. A. Londres, 1881. Richard Bentley. (Ces peintres sont : Hogarth, Reynolds, Gainsborough, Fu~ seli, Lawrence et Turner.) publiés dans le journal The Athenœum r, 2 et 9 février 1884). CHRONOLOGIE DE SIR JOSHUA REYNOLDS 1723. Sa naissance à Plymouth (16 juillet). — 174c. Son entrée comme élève chez Hudson. — 1744- Premier établissement à Londres. — !746- Mort de son père. — 1749. Départ pour l'Italie. — 1752. Retour d'Italie. — 1753. Établissement à Londres. — 1760. Première Exposition. — 1762. Visite dans le Devonshire avec Johnson. — 1764. Établissement du Club. — 1768. Fondation de la Royal Academy. — 1769. Rey- nolds est nommé chevalier. — 1773. Il est nommé maire de Plympton. — 1781. Premier voyage dans les Pays-Bas. — 1782. Attaque de paralysie. — 1783. Seconde visite aux Pays-Bas. — 1789. Cécité partielle. — 1790. Rupture avec l'Académie. — 1792. Sa mort à Londres (2 3 février). MUSÉES ET COLLECTIONS OU SE TROUVENT LES PRINCIPALES ŒUVRES DE SIR JOSHUA REYNOLDS, P. R. A. 1723-1792. National Gallery : Vingt-trois peintures, parmi lesquelles son propre portrait. — Celui de Lord Heatlifield tenant les clefs du fort de Gibraltar. — Le portrait équestre de Lord Ligonier. — Le Banni. — Sainte Famille. — Têtes d'anges. — Samuel enfant. (Il y a de nombreuses variantes du petit Samuel, notamment chez le comte de Darnley et à Dulwich Collège.) — L' 'Age d'innocence. — Le Serpent sous l'herbe, ou plutôt V Amour dénouant la ceinture de la beauté. — Les Grâces ornant Vimage de l'Hyménée. Duc de Westminster : Mrs. Siddons en Muse de la Tragédie. (Il existe au moins deux re'pliques de ce tableau : l'une à Dulwich Collège; l'autre à sir R. B. Harvey, à Langley Park.) Collection de S. M. la Reine : Portrait de la Princesse Sophia Matilda. — Cymon et Iphigénie. — Portraits des Marquis de Hastings et de Buckingham. — Mort de Didon. Duc de Devonshire : Portraits de Georgiana Spencer, duchesse de Devonshire, et de sa fille. — Georgiana Dorothy Cavendisch (1786). — Caricatures. Comte de Morley : Kitty Fisher en Cle'opâtre. Comte de Spencer : Lady Georgiana Spencer en Amazone. — Margaret-Geor- giana, ne'e Poyntz, comtesse Spencer et sa fille Georgiana, plus tard duchesse de Devonshire (1769). — Portrait de Richard Burke. Comte de Warvvick : L'Écolier. Mrs. Cooper : Nelly O'Brien. J. Bentley, Esq. : V Amour maternel. Sir Richard Wallace (Herford-House) : Douze tableaux de premier ordre, dont : la Petite Fille aux fraises. (Le colonel Wray et le marquis de Lansdowne possèdent, l'un et l'autre, une réplique de ce tableau.) Portrait de Miss Bowle. — Portrait de Mrs. Braddyl. — Portrait de Mrs. Robinson dans le rôle de Perdita {Nuit d'hiver). — Nelly O'Brien. Stafeord-House : UEspérance consolant l'Amour. — Jeune Fille endormie. — Portrait de Lawrence Sterne. Comte de Yarborough : Mrs. Pelham jetant du grain à de jeunes poussins. E. Façon 'Watson, Esq. : Miss Gwatkin, esquisse pour Simplicité. Sir Warkin Williams Wynn, Bar 1 : Master Wynn, en Saint Jean enfant. Société des Dilettantes : Deux groupes de portraits de membres de la Société (1777-1779). Duc de Hamilton, K. T. : Elisabeth Gunning, duchesse de Hamilton et d'Argyll. SIR JOSHUA REYNOLDS 7 3 Lord Caringford : Les trois sœurs Waldegrave, plus tard Élisabeth-Laura, comtesse Waldegrave; Charlotte-Maria, comtesse d'Euston; Anna-Horatia, lady Hugh Seymour. (Cette œuvre célèbre devait passer en vente publique à Londres, le 22 mai 1886; elle a été retirée avant la vente.) Lady Holland : Muscipula ou Fillette à la souricière. Comte d'Albemarle : Le Commodore Augustus, plus tard amiral et vicomte Keppel. (La National Gallery possède une réplique de ce portrait.) Duc de Marlborough : Lord Henry et lady Charlotte Spencer ou la Petite Diseuse de bonne aventure. William Maxted, Esq. : Portrait d'Edmond Burke. (A appartenu à Gainsbo- rough.) Comte Cathcart : Jane Hamilton, lady Cathcart et sa fille Jane, plus tard duchesse d'Athole. Comte de Darnley : Miss Frances Harris ou Fillette au chien. Mrs. Gwatkin : Offie Palmer, Mrs. L. Gwatkin, nièce de Reynolds. — Mary Palmer, marquise de Thomond, vicomtesse Inchiquin, autre nièce de Reynolds. Charles Morrison, Esq. : Portrait du D c Johnson. (A appartenu à Boswell.) Comte d'Erroll : James, i3° comte d'Erroll, lord haut-constable héréditaire d'Ecosse et maréchal de ce royaume. R. Hon. Georges Cavendish-Bentinck, M. P. : Miss Fanny Kemble, soeur de Mrs. Siddons. Louis Huth, Esq. : Portrait du célèbre acteur David Garrick, dans le rôle de Kitely. William Agnew, Esq., M. P. : Portrait d'Edmond Malone, l'un des biographes de Reynolds. Lady Castletown, douairière de Upper-Ossory : Lady Gertrude Fit^-Patrick enfant ou La Collina. — Vénus et l'Amour. (Légué par Reynolds au comte de Upper- Ossory.) Duc de Leeds : Moïse enfant dans les roseaux. Comte Fitzwilliam, K. G. : L'Adoration des bergers. (Peinture à l'huile d'une partie de la grande verrière placée dans l'avant-chapelle de New Collège, à Oxford.) Comte de Northbrook : Paysage; vue des prairies de Petersham et de Twicken- ham, prise de Richmond-Hill. (A appartenu à Samuel Rogers.) Vénus grondant l'Amour pour lui apprendre à compter. Sir Frédéric Leighton, P. R. A. : Le 2 e marquis de Rockingham et Edmond Burke, son secrétaire. Madame A. B. Blodgett (New-York) : Mrs. Baldwin, femme du consul anglais, à Smyrne, en costume grec. Galerie de l'Ermitage, a Saint-Pétersbourg : Réplique du Serpent sous l'herbe et Hercule enfant. (Le comte Fitzwilliam possède une réplique de ce dernier.) Baron Alphonse de Rothschild, a Paris : Master Hare et Contemplation. M. Secretan, a Paris : La Veuve et son enfant. TABLE DES GRAVURES Pages. Sir Joshua Reynolds, Président of the Royal Academy. D'après la gravure de J. K. Sherwin 5 John Huntcr, chirurgien, professeur d'anatomie à rAcade'mie. D'après la gravure de William Sharp 7 Mary Isabella, Duchess of Rutland. D'après la gravure de J. K. Sherwin ... 11 Jane, Countess of Harrington, Lord Viscount Petersham and the honourable Lincoln Stanhope. D'après la gravure de F. Bartolozzi i5 Francis Bartolozzi, esq. D'après la gravure de Robert Marcuard 17 Miss Gwatkin (Simplicity). D'après la gravure de F. Bartolozzi 21 Lady Smyth. D'après la gravure de F. Bartolozzi 25 Mrs. Baldwin. D'après la gravure de P. Rajon. (Le tableau fait partie de la collection de M" 10 W. T. Blodgett.) 29 The Honourable Miss Bingham. D'après la gravure de F. Bartolozzi 33 Charles Rogers, esq. D'après la gravure de S. W. Reynolds 37 Sir Walter Blackett B l . D'après la gravure de J. Fittler 41 Sir George Yonge. D'après la gravure de P. Rajon 47 Olivier Goldsmith. D'après la gravure de Robert Newton 49 David Garrick. D'après la gravure de P. Vicl 5i The R l Honourable Countess Spencer. D'après la gravure de F. Bartolozzi ... 55 Vénus grondant Cupidon. D'après la gravure de F. Bartolozzi 59 Vénus. D'après la gravure de A. Raimbach 65 Etude de jeune femme. D'après la gravure de F. Milius 67 FIN DE LA TABLE DES GRAVURES TABLE DES MATIÈRES Pages. CHAPITRE PREMIER 1 723-1 740. — La vocation. — Premières études. — Premier portrait 3 CHAPITRÉ II 1740-1746. — Premier séjour à Londres. — L'atelier de Thomas Hudson. — Rupture. — ■ Retour en Devonshire. — Portraits. — Nouveau séjour à Londres 10 CHAPITRE III 174(5-1748. — Mort du père de Reynolds. — Reynolds quitte Londres et s'établit à Plymouth Dock. — Influence de W. Gandy. — Portraits 14 CHAPITRE IV La technique de Reynolds. — Emploi dangereux des glacis. — Les esquisses. . 20 CHAPITRE V 1747-1752. — Second séjour a Plymouth Dock. — Voyage et séjour de trois ans en Italie 24 CHAPITRE VI 1753. — Etablissement définitif à Londres. —- Premiers succès. — Portrait du commodorc Keppel 32 CHAPITRE VII 1 7Ô4- 1755. —* La facture de Reynolds. — Époque de transition . . . 3g CHAPITRE VIII Les amis de Reynolds. — Leurs portraits » . . . * . • . » . * . * 4^ CHAPITRE IX Le portrait de Mrs. Siddons en Muse de la Tragédie * . . . . 53 CHAPITRE X L'œuvre de Reynolds de 1768 à 1790. — Sa mort en 1792. — Ses œuvres littéraires ...... » ; .... 1 .... . 58 Pa^es. CHAPITRE XI Caractère du talent de Reynolds. — L'homme, la femme, l'enfant dans son œuvre 63 Catalogue et bibliographie 70 Chronologie de Sir Joshua Reynolds 71 Musées et Collections ou se trouvent les principales œuvres de Sir Joshua Reynolds, P. R. A 72 Table des gravures 74 fin de la table des matières Paris. — Imprimerie de l'Art. E. Ménard et J. Augry, 41, rue de la Victoire. LIBRAIRIE DE L'ART PARIS J. ROUA M, ÉDITEUR 20, CITÉ d'aNTIN, 2 Q LONDRES GILBERT WOOD & O 17 5, STRAND, I75 LES ARTISTES CELEBRES BIOGRAPHIES, NOTICES CRITIQUES ET CATALOGUES PUBLIÉS SOUS LA DIRECT10»N DE M. EUGÈNE MUNTZ OUVRAGES PUBLIES : DONATELLO, par M. Eugène MUNTZ. Ouvrage illus- tré de 48 gravures. Prix : broche', 5 fr.; relié, 8 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 15 rr. FORTUNY, par M. Charles YRIAItTE. Ouvrage illus- tré de 17 gravures. Prix: broché, 2 fr.; relié, 4 fr. 50; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 4 fr. 50. BERNARD PALISSY, par M. Philippe BURTY. Ou- vrage illustré de 20 gravures. Prix : broché. 2 fr. 50; relié, 5 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 6 fr. JACQUES CALLOT, par M. Marius VACHON. Ou- vrage illustré de 5i gravures. Prix : broché, 3 fr. ; relie, 6 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Ja- pon, avec double suite de gravures, 7 fr. 50. PIERRE PAUL PRUD'HON, par M. Pierre GAUTHIEZ. Ouvrage illustré de 34 gravures. Prix : broché, 2 tr. 50; relié, 5 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 6 fr. REMBRANDT, par M. Emile MICHEL. Ouvrage illus- tré de 41 gravures. Prix : broché, 5 fr. ; relié, 8 fr.; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 15 fr. FRANÇOIS BOUCHER, par M. André MICHEL. Ouvrage illustré de 44 gravures. Prix : broché, 5 fr.; relié, 8 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 15 fr. ÉDELINCK, par M. le Vicomte Henri DELAB0RDE. Ou vrage illustré de 34 gravures. Prix : broché, 3 fr. 50; relié, 6 fr 50; 100 exemplaires numé- rotés sur Japon, avec double suite de gravures. 10 fr. 50. DECAMPS, par M. Charles CLÉMENT. Ouvrage illus- tré de 57 gravures. Prix: broché, 3 fr. 50; relié, 6 fr. 50; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 10 fr. PHIDIAS, par M. Maxime C0LLIGN0N. Ouvrage illustré de 45 gravures. Prix : broché, 4 fr. 50; relié, 7 fr. 50; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 12 fr. HENRI REGNAULT, par M. ROGER MARX. Ouvrage illustré de 40 gravures. Prix : broché, 4 fr. ; relié, 7 fr.; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 12 fr. JEAN L AMOUR, par M. Charles C0URNAULT. Ou- vrage illustré de 26 gravures. Prix : broché, 1 fr. 50; relié, 4 fr.; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 4 fr. FRA BARTOLOMMEO DELL A PORTA et MA- RIOTTO ALBERTINELLI, par M. Gustave GRUYER. Ouvrage illustré de 21 gravures. Prix: broché, 4 f r. ; relié, 7 fr. ; 100 exemplaires Jai avec double suite de numérotes sur gravures, 12 fr. LA TOUR, par M. CHA'IPFLEURY. Ouvrage illustre de i5 gravu r es. Prix: broché, 4 fr. ; relié, 7 fr. ; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gra /urcs, 12 fr. LE BARON GROS, par M. G. DARGENTY. Ouvrage illustré de 25 gravures. Prix : broché, 3 fr. 50; relié, 6 fr. 50. 100 exe^; . î ai -mmérotés sur Ja- pon, avec double s .ite de gr, ares, 10 fr. PHILIBERT DE L'ORME, par M. Marius VACHON. Ouvrage illustré de 34 gravjrcs. Prix : broché, 2 fr. 50; relié, 5 fr.; 100 exemp'aires - umérotés sur Japon, avec double suite de gravu •es, 6 fr. LIGIER RICHIER, par M. Charles C0URNAUL1. Ou- vrage illustré de 22 gravures. Prix : broché, 2 fr. 50; relié, 5 fr.; 100 exemplaires numérotés sur Japon, avec double suite de gravures, 6 fr. E TXT PREPARATION : LES AUDRAN, par M. Georges DUPLESS1S. LES BOULLE, par M. Henri HAVARD. ANDREA DEL SARTO, par M. Paul MANTZ. VIOLLET-LE-DUC, par M. DE BAUDOT. MINO DA FIESOLE, par M. C0URAJ0D. TURNER, par M. P. G. HAMERTON. COROT, par M. Albert W0LFF. KOTTICELLI, par M. Georges LAFENESTRE. .IORDAENS, par M. Paul LER0I. DIAZ, par M. René MÉNARD. PUGET, par M. DE M0NTAIGL0N. POLYCLETE, par M. DE R0NCHAUD. EUGÈNE DELACROIX, par M. Eugène VÉRON. JOHN CONSTABLE, par M. Robert HOBART. LE CORRÈGE, par M. André MICHEL. PAUL VÉRONÈSE, par M. Charles YRIARTE. KAULBACH, par M. GRAND-CARTERET. M m « V1GÉE-LEBRUN, par M. Charles PILLET. JEAN BOLOGNE, par M. Maurice GÉRARD. RUDE, par M. Alexis BERTRAND. VELAZQUEZ, par M. Paul LEFORT. Paris —Imprimerie .le l'Art. E. Miînard et J Augrv, j i, rue de la Victoire.