HISTOIREV SE * MAY 191910 LA SECTE DES AMIS, suiviE d'une notice sur MADAME FRY ET LA PRISON DE NEWGATE, A LONDRES. Tar MADAME ADELE DU TIION. DEDIEE AVEC PERMISSION A SON ALTESSE ROYALE MONSEIGNEUR I.E FRINGE LEOPOLD DR SAKE COBOURG. LONDRES : Chez TrEUTTEL & WuRTZ & TREOT-fEI, fils & RiCHTK*, a Paris; Chez Treottel & WuRTZ,ruede Bourbon, N* 17; a Straibourg, a la meme maison de Commerce. 182L \V. Phillipi, Iroprimeiir. Digitized by tine Internet Archive in 2015 https://archive.org/details/lnistoiredelasectOOdutln A SON ALTESSE ROYALE MONSEIGNEUR LE PRINCE LEOPOLD DE SAXE COBOURG. MoNSEIGNEWR / Comment ne pas espeier h succes, quand le nom illustre de VoTRE Altesse Roy ale se trouve a la tete de mon ouvrage. Ce nam revere des Anglais, qui est uni a Icurs plus chers, a leurs plus tristes souve- nirs, et quHls repetent avec amour et respect. L'histoire de la secte des Amis est peu connue sur le continent, et cepen- dant merite de I'etre. J'ai dit leur Doctrine, leur Legislation, leurs Mceurs et leurs Coutumcs: puis j'ai cru devoir joindre une Notice sur Madame Frj/, comme pour juslijier par un beau re- sultut dc !a fJortrine des Amis, la par- tialite que peut-etre j'ai montre pour cette sezle inter e&sante. 0)1 me coth-<('illoit d'ajouter itn cha- pitre d' exceptions. Mais je n'ai vu que le bien, je n'ai dit que le bien. J'ai saisi avec enipreisement I'occa- sion de rendre justice a cette noble et philantrope nation, a ces Anglais qui savent apprecier et recompenser le me- rite, et qui surtout I' out prouve en adoptant pour leur Prince^ Votre Alt ESSE Roy ale. DaignesK agreer, MoNSEiGNXvn^ ['expression du profond respect et de la r econnoissance de celle qui a I'honneur d'etre de Votre Altesse Royale, la tres humble et tres oheissante Servante, ADELE DU THON. PoiEi, Janvier J 1821, TABLE DES MATI^IRES. Page Introduction 1 Premiere Partie. Doctrine 19 Seconde Partie. Legislation 133 Moeurs et Coutumes 166 Madame Fry 223 Newgate 235 INTRODUCTION. liE commencement du dix-septiemc siecle fut une epoque remarquable en Angleterre par les dissensions re- ligieuses qui I'agiterent. L'etablissement de I'Eglise Angli- cane avoit ete desaprouve par quelques uiis, ce qui donna naissance aux non conformisteSj qui se diviserent et se subdiviserent dans la suite en tant de sectes diflerentes.* lis prouverent leur foi par la patience avec laquelle ils souffroient les persecutions que leur * Je ne doniie ici I'histoire que des non coa- formistes qui embrassereut la doctrine de Georges Fox, et fornierent la secte des Amis. A ii INTUODLCTION. siiacitoit rintoleraiice de ceux, qui etoient a la tete des affaires de I'eglise dominante. Cependant ces non conformistes sembloient s'etre arretes dans leiirs re- cherches de la verite^ et etre retombes dans l incertitude ; les plus eclaires d'entre eux sentirent le besoin d'une religion phis adaptee au coeur, que celle que la politique venoit de dieter aiix hommes. Un guide leur etoit ne- cessaire^ qui sut les conduire a cette connoissance de la verite qu'ils pres- seutoient, mais qu'ils ne s'expliquoieut pas bien. Ainsi ils etoient disposes a recevoir les instructions dc quiconque leur paroitroit capable de les dinger, lis s'attacherent successiveinent a plu- gieurs ; mais ne trouvant en aucun ce qu'ils cherchoient, ils abandonnerent la communion de toute eglise visible et vecurent retires^ s'etudiant a con- iioitre I'etat intericur dc leurs ames; INTRODUCTION. iii eprouvant souvent ime douleur pro- i'onde, causae par I'idee que leurs efforts lie sufRsoieiit pas pour arriver a cette religion spiritnelle, qui leur senibloit la seule voie du salut. Dans ces temps d'agitations, ou la politique etoit pour ainsi dire insepa- rable de la religion^ ou la guerre faisoit au nom de Dieu^ il n'est pas etonnant que quelques liommes se- rieu.x, efirayes de la bruyante et guer- riere religion du teinps^ ayent con9US dans le silence de la retraite et de la meditation une religion toute spiri- tuelie^ et qui par le contraste de celle qui etoit alors etablie, fixoit leur esprit et saisisoit leur ame. Mais ces individus_, quoique animes des nieines sentiincnSj ne s'etoient pas communiques les uns aux antres, la plupart d'entre-eux ne se connoissoi- ent pas ; il leur falloit un lien qui les A 2 ir INTRODUCTION. reiinit, et qui devint comnie le centre ou ils devoient se retrouver. Un homme extraordinaire parut alors ; sans naissance, sans education, sans fortune, sans autre soutien que la foi vive qui I'inspiroit, il s'ofFrit aux hommes comme I'exeinple vivant de la doctrine qu'il annon^ait. II etablissoit pour principe, que I'in- fluence spirituelie doit seule diriger Thomme ; que pour arriver a la con- noissance de la verite, les sciences hu- maiiies ne sont pas necessaires ; et a I'appui de cette opinion, cet liomrae, prive de toute instruction, ne connois- sant rien du monde, developpoit son nouveau systeme avec une force, une perseverance, qui seules sembloient annoncer une mission divine, et un pouvoir superieur. 11 avoit comme devine ou pressenti la sagesse des hommes de I'antiquite, et souvent dans sa doctrine et dans INTRODUCTION. V son systeme de gouvernement, on re- trouve les sentiiiiens des plus grands philosophes, et les pi eceptes des ^avans legislateurs. On ne pouvoit attiibuer a rainl)ition ce desir de se faire con- noitre; il piechoit I'humilite, lemepris des richesses^ et I'abolition des dignites ecclesiastiqiies, et cet homme religieux ne reconnoissoit d 'autre chef, d 'autre maitre^ que Dieu 11 ue donna point son nom a cette nouvelle societe ; il appelloit ses disciples Arnis ; il nom- moit ainsi tous les homnies^ et de la est venue la denomination de la secte des Amis. Le nom de Quakers sous lequel ils sont plus generalement connus, leur fut doiuie par derision ; il signifie en Anglais, irembleurs On prtleiidoit qu'ils eprouvoient une agitation phy- sique ([uand ils parloient, et qu'ils exhorterent un niagistrat de- Derby, a3 vi INTRODUCTION. et ceux qui etoient presents, a trembler ail nom de Dieii. Georges Fox, ce fondateur de la secte des Amis, riaquit a Drayton dans le comte de Leicester, en 1624. Son pere etoit un honnete tisserand, connu par sa piete et ses vertus ; il eleva son fils dans des principes relig-ieux. Le jeune Fox fut mis en apprentissage chez un cordonnier, mais il paroit qu'il passoit la plus grande partie de son temps a garder les moutons, ce qui convenoit a son gout pour la solitude et la meditation. A I'age de dix-neuf ans, se trouvant avec quelques per- sonnes qui passoient generalement pour etre religieuses, il fut tres affecte de les voir se livrer a I'intemperance, et il lui sembla qu'il entendoit la voix de Dieu qui lui disoit, " Fuis ces hommes, jeunes et vieux ; abandonne- les, et garde toi d'eux tons." Frappe de ces paroles, il quitta ses parens, ses INTRODUCTION. vii amis^ se vetit cl'uii habit fait de cuir cornme plus simple et plus durable, et erra de lieu en lieu. Enlin ses parejis apprireut cpi'il etoit a Loudres ; ils furent aupres de lui, et lui persuaderent de retourner chez lui, od ils esperoieiit le fixer en I'engaoeant a choisir un etat. Mais il ne demeura que peu de temps dans sa famille, et il recommenca sa vie errante. II faisoit de lon2:s jeunes, n'alloit que dans des lieux ^cartes, n'ayant avec lui qu'une bible qu'il lisoit sans cesse, et sou vent se reposant dans un arbre creux, livre tout entier a la meditation et a la con- templation. Quelquefois il assistoit aux cours publics des differens professeurs do son teuips. Mais rien ne le satisfaisoit, et il perdit I'espoir d'acquerir par le moyen de ces lemons, les secours spi- rituels necessaircs a son ame. II n'al- loit plus dans les eglises ; il etoit per- viii INTRODUCTION. suade qu'iine science d'universite ne donnoit pas la coiinoissance de la ve- I'lte, et ne qnalifioit pas un ininistre de I'evangile Vers la fin de I'annee 1647, oii au commencement de 1648, il se crut ap- pelle a repandie les opinions qn'il avoit embrasse ; il enseigna alors pub- liquemeiit, dans le voisinage de Duck- enfield et de Manchester ; il insistoit snr la certitude et la conviction intiines qu'il avoit, de la pnissauce interieure des influences de I'esprit de Dieu, qui font sentir au coeur la venue de Christ, et qui seules, sans le secours des choses exterienres, doivent guider Thomme et lui faire discerner I'erreur de la yerite. II lui senibla aussi que ces marques de respect que les homnies se rendent entre-eux, etoient encore comma un reste de pagan isme ; de la il ne se decouvroit jamais, meme devant les magistratSj ne s'adressoit a tons les INTRODUCTION. ix liommes, sansaucune distinction, qu'en les tutoyantj et refusait de preter ser- ment. Ces usages si diftereiis, liii at- tirerent nombre de persecutions, mais son courage et sa patience ne se de- mentirent jamais. Un jour se trouvant a Nottingham et assistant au service religieux, en en- tendant le pretre cnseigner que toute doctrine devoit venir des saintes ecri- tures, il prit la parole et s'ecria, " Oh " non, ce n'est pas seulem6nt des ecri- " tures que vient la doctrine, maisaussi " du Saint esprit, qui est la lumiere " qui eclaire les hommes." II vouloit poursuivre, inais on I'interrornpit, et il flit conduit cn prison ; ledesordre qu'il occasiona, ernpecha les magistrats de pouvoir contenir la multitude qui I'as- saillit a coups de pierres et a coups de baton. Des scenes semblables so rcnouvcUe- rent souvent, et Georges Fox fut ton- xii INTRODUCTION. magistrats, et a rester en prison jusqu'a, ce qn'il eut execute son jugeinent. Mais d'apres ses principes. Pox ne pouvoit payer cette amende ; c'eut ete en quelque sorte reconnoitre qu'il avoit ete coupable ; il refusa et resta en pri- so]X ; on le jetta dans un trou infecte, destine aux inalfaiteurs^ ou on lui re- fusa nieme un pen de puille pour se coucher. Apres une ca'ptivite de huit mois il s'adressa a. Cromwell et obtint enfin sa liberte. Arrive a Londres en 1656 dans une eiitrevue qu'il eut avec le protecteur il lui fit connoitre les soufFrances et les persecutions des Amis. Mais il ne put obtenir tout ce qu'il demandoit. Plus la societe des Amis etoit con- nue et s'augmentoit, et plus la rage des prctrcs et des magistrats etoit forte. Georges Fox voulant preveuir les pre- ventions qui pourroient s'elever contre societe si elle n 'etoit pas bien con- INTRODUCTION. xiii nue, forma le desseiii de voyager dans tout le royaiime afin d'enseigner lui meme sa doctrine. A Edimbourg il fut cite devant les magistrats qui lui or- donnerent de quitter I'Ecosse, mais sans s'embarasser de cet ordre il con- tinua son voyage sans etre maltraite. De retoiir a Londres, il eut une vive discussion avec un Jesuite qui accom- pagnoit Tambassadeur d'Espagne ; il y raontra une grande connoissance des ecritures, et une subtilite et une saga- cite peu communes. Georges Fox, apprenant que le pro- tecteur alloit prendre le titre de roi^ lui remontra vivement le tort qu'il alloit se faire, en jettant sur lui et sa famille la honte et le ridicule. Depuis 1656 jusqu'en 1666^ I'his- toire de Georges Fox n'est que le rccit des difi'erentes missions qu'il entreprit pour propager sa doctrine, et des per- secutions qu'il eut a souftrir : refusant 6 xiv INTRODUCTION. de preter le sermentde fidelite^ il resta en prison pendant deux ans, mais enfin le roi Charles II. liii fit rendre sa li- berie. Alors (en 1666) Fox s'occupa d'organiser un espece de gouverne- ment pour les Amis. Une constitution devenoit neccssaire ; il fut decide qu'on s'assembleroit tous les mois pour traiter des affaires de la societCj et ces reunions &e nommerent assemblees du mois. Georges Fox voyagea en difFerens comtes en 1667^ pour etablir sa con- stitution, il ecrivit aussi dans ce but aux Amis d'Irlande et d'Amerique. En 1669 il visita l lrlande, et a son retour il «pousa Marguerite la veuve du juge Fellj qui avoit ete une des premieres a embrasser sa doctrine, lors de son voy- asre a Lancastre. La ceremonie du mariage fut telle que les Amis la celebreijt encore au- jourd'hui. Georges Fox fit connoitre aux Amis son intention, et apres qu'il INTRODUCTION. XT Cut obteiiii leur approbation^ lui et jVfarguerite, a utie asseinblee tenue ex- pres a cotte occasion a Bristol, declare- rent publiquemcnt qu'ils se prenoient pour mari et feinme. Georges Fox avoit eii soin de reg-fer le sort des enfans du premier lit de JMarguerite, afin qu'ils ne souffrissent pas de cc second inariago. Dans I'annee 1671 Fox s'embarqua pour TAmerique ; la il visita les Amis^ et precha sa doctrine aux Indieiis as- scmbleSj par le moyen d'un interprete. Bientot apres son retour en Angle- terre il fut emprisonne a Worcester^ accuse d'avoir voulu seduire les sujets du roi. II alloit repondre a cette accu- sation et en montrer I'absurdite, lors- qu'on lui demanda de preter le sermcnt de fidelite ; il le refusa, et fut alors condamne par le Jury. Fox souffrit beaucoup dans sa prison ; sa feinme vint a Londres pour solliciter b2 xvi INTRODUCTION. sa liberie ; le roi etoit pret a I'accorder corn me grace, mais Fox la voiiloi t comine justice ; il demanda a etre tra- duit a la bar du banc dn roi^ et la enfisi il obtint un jiigement qui Tacquittoit honorablement, apres avoir ete qua- torze mois en prison ; les juges ayant declare a I'unanimite " que le pre- " nriier jugement devoit etre considere " comnie nul et non avenu." Ensuile Fox passa deux ans a Swarthmore, et dans I'annee 1677 il fit une visite religieuse dans quelques parties de la Hollande, toujours dans le but de repandre sa doctrine. En 1681 uii proces fut instruit contre Fox et sa femme, pour avoir refuse de payer la dime ecclesiastique. Ne reconnois- sant point Tautorite d'un ministre etabli, il ne voulut point se soumettre a cette contribution. Mais les loix n'ayant point fait d'exception pour les scrupuleSj Georges Fox fut condamne. INTRODUCTION. XVH En 1684, il visita de nouveau la Hollande, il n'y passa que qiielques semaines, puis il reviiit en Angleterre. II avoit beaucoup soulfert pendant ses frequens emprisonnemens, sa sante s'affoiblissoit chaque jour, enfin il ex- pira en 1690, ayant continue de pre- cher jusqu'a la fin de ses jours. Ses ecrits forment trois volumes in folio. Le premier contient son Jour- nal, imprime en 1694; le second una collection d'Epitres, 1698; et le troi- sieme un tableau de sa doctrine, 1706. b3 PREMIERE PARTIE. DOCTRINE. Au commencement Dieu crea les cieux et la terre, " et son esprit s'agitait " sur la surface des eaux." Cet esprit de Dieu, ce principe vrvant, qui crea I'univers, crea aussi I'liomme, et lui donna la raison ou entendementj in- telligence, et ainsi il fut I'etre le plus parfait de la creation. " Dieu crea " I'homine a son image." Indepcndamment de la raison, Dieu donna a I'liomme une faculte spiri- tuelle, une portion de la vie de son propre esprit, et c'est ainsi qu'il le creait a son image.'' Cette faculte 20 DOCTRINE. spirituelle eleve rhomine au dessus de ses facLiltes animales ; elle lui fait connoitre les choses que sa raison toute seiile ne pourroit comprendre; elle lui donne des pen#ees spiiituelles, lui apprend son devoir eiivers Dieu, et pour aiusi dire, le rend capable d'entretenir un commerce divin avec son create ur. Cette faculte spirituelle n'est pas le priucipe vital ; I'homme pent exister et en etre prive ; c'est ainsi que les amis expliquent les paroles de I'ecri- ture : " lorsqu' Adam eut peche, il " mourut;" cependant il ne perdit pas la vie, mais la jouissance de la faculte spirituelle. II plut au Tout-puissant de ne pas Tabaadoimer entierement dant cet etat de tenebres, ou le peche I'avoit jette ; il le consola, et lui promitque le fruit de la femme soumettrait le peche.et briseroit la tete du serpent/' DOCTRINE. 21 Ainsi Dieii repandit son esprit sur la posterite d'Adain ; tous n'eii rc^urerit pas la ineme mesiire ; I'esprit se deve- loppoit davantage a ceux qui obeis- soient a ses influences et se laissaient guider par elles. Les anciens patri- arches^ tels que Noe et Abraham, et les premiers ecrivains, Moise et les propheteSj ressentireutparticulierement les effets de I'esprit divin, et les com- niuniquerent aux hommes dans ces propheties qui sont rcconuues comme des verites inspirees. Enfin a la suite des temps, la parole revetit la chair, comme dit St. Jean revangeliste. " Et la parole a ete " faite chair, et a habite parmi nous " pleine de grace et de vcrite."* Jesus, qui est la parole, comme homme, re9ut I'esprit " sa)is mesure." St. Paul dit: Eu lui, toute la plenitude " de la divinite habite corporelle- * St. Jean, ch. 1. v. 14. 2^ DOCTRINE. ment."* Christ par sa raort vint nous raclieter du peclie ; et c'est ainsi qii'eu lui fut accomplie la promesse faite a Adain^ ''que le fruit de la femme " briseroit la tete du Seipent," Apres Jesus Christ vinrent les evan- gelistes et les apotres. lis eurent aussi leur portion de ce nieme esprit que Jesus avoit possedy si complettement ; et quoiqu'ils fussent "liuiites/'f ce- pendant ils recevoicnt les lumieres necessaires pour propager I'evangile ; et Ton reconnoisoit a leurs paroles I'autorite divine qui les guidait, " Apres done que Jesus fut eleve au " ciel, et qu'il fut a la droite de Dieu^ " et qu'il re^ut de son pere le saint " esprit qui avoit cte promis^ il a re- pandu ce que vous voyez et que " vous entendez maintenant.";}! Les amis croyent qu'il ne pent y avoir * Colossiens, ch.l 1. v.l9. f 2de. Ep.Corinthiens, ch. x. v. 13» \ Actes, ch. 11. V. 33. DOCTRINE. 23 aucunc connoisance spiritnelle de Dieu que par le rnoyeii de son .caint esprit, ou en d'autres mots, qu'il faut posseder line portion de I'esprit comnie les saints tiommes de I'ecriture, les evan- gelistes et les apotres, pour avoir une religion eclairee. En faveur de cette opinion ils alleguent ces paroles re- marquables de I'apotre Paul : * " Car " qui est-ce qui connoit ce qui est en I'homme, si ce n'est I'esprit de " I'homme qui est en lui V' " De " meme aussi personne ne connoit ce •' qui est en Dieu, si ce n'est I'esprit " de Dieu. Nous n'avons pas re9u " I'esprit de ce monde ; mais nous " avons re^u I'esprit qui vient de Dieu ; " afin que nous connoissions les chose'«5 " qui nous ont ete donnees de Dieu/' et plus loin le meme apotre dit : " L'homme animal ne comprend point les choses qui sont de I'esprit de * lore Ep. aux Corinthient, Ch. II. t. 11. 12. 14. 24 DOCTUINE. " Dieu ; car elles lui paroissent uwe " folie^ et il ne les peut entendre " parceqiie c'e st spirituellement qu'on en jiigc." De ces expressions les amis con- 9oivent que la faculte vjtale n'est point la menie que la puissance spiritueile ou la lumiere ; et que le tout-puissant a donne a I'liomnie cette luuiiere, pour le guider dans ses interets spiritueis, comme il lui a accorde la raison pour le diriger dans ses interets temporels. Cette opinion semble etre confirmee aux amis, par d'aulres paroles du meme apotre ; dans sa premiere epitre aux Corintliiens il dit: Ne savez " vous pas que votre corps est le temple du saint esprit, qui est en " vous, et qui vous a ete donne de " Dieu." Et dans son epitre a Timothee, il lui marque le desir qu il " f garde le bon depot par le saint * 1 ere aux Corinthiens, Ch. vi. v. 19. f '-'cmc Ep. a Timotliec, Ck. i. y. 14. DOCTRINE. 25 " esprit qui habite en nous." Or ces expressions de I'apotre, se rapportent trop bien a la doctrine de la formation spirituelle de rhomme, pour qu'on puisse en douter. Et si le tout-puissant a donne a I'liomine une emanation de son esprit, qui agit dans son corps mortel pour des desseins spirituels; on peut dire avec raison que la divinite reside en lui, ou que son corps est le temple du saint esprit. Ces memes paroles de I'apotre don- nent aux amis le sentiment qu'il y a dans I'homme deux principes bien difFerens I'un de I'autre ; savoir, Tesprit de I'homme et i'esprit de Dieu. Lc premier, (disent les amis), se rap- porte a I'entendement ou a I'intelli- gence, le dernier a I'entendement et au coeur. On peut se scrvir du premier en tout temps, a toute heure, si le corps est en sante ; mais le dernier n'est pas a la disposition de riiomme ; il doit 26 DOCTRINE. attendre ses inspirations. Tel que Ic vent il souffle quand il lui plait. L'homme sent Ja presence de cette divine inflnence, il la sent distincte d« fsa raisois oa de son autre esprit; quand ellen'agit plus, il le sait, il I'v'prouve, «t cependant ses facultes derneurent les memes. Ceux/' dit Alexandre Arscott, un ecrivain unVi, "qui out cette connois- " sance, ce sentiment de TinHuence " de I'esprit divin, l eprouvent dans le " silence de la retraite et de la inedi- " tation, iis rc^oivent comme nne " commission de la volonte de Dieu " qui se rapporte a leurs devoirs, a leur etat present; et cette intelligence " est si claire, qu'elle ne laisse aucun " doute ; puis, quand cette lurniere se " retire, on retombe dans robscurite, " et on se retrouve comme avant, "• ignorans et dec}iu>>." Les paroles de I'apotre ciiees plus DOCTRINE, 97 haiit, paroissent aiix amis etablir efe prouver qu'il est mie Ji,iaude difference tntre les denx esprits. Et on pent dire qu'ils font ici une subdivision spiritnelle. L'esprit de I'honime^ reside en lui, fait partiede \m; l'esprit divin, la linniere, visi(e I'homme seulement^ et alors habite en lui comme dans son temple. Pour anisi dire, l'esprit de rhoinme est en Thomme, le temple spiritucl qui re^oit l'esprit de Dieu. Enfin la raison n'embrasse pas les memes sujets que la faculte spirituelle. Les amis, malgre la superiorite qu'ils reconnoissent a l'esprit de Dieu, ne nient point pour cela !a puissance de la raison humaine, dans les choses qui sont de son ressort. La raison peut decouvrir dans la belle structure de I'univers, et dans I'harmonie de toutes ses parties, la main du grand maitre. Elle voit I'utilite de la vertu et en tire des consequences morales. Ce que DOCTRINE. les amis ne lui accordent pas, c'est le ponvoir tie la penetration spiri- tuelle. L'esprit de Dieii, par le moyen de I'inspiration, se communique a I'esprit de Vhomme^ et pour ainsi dire, il revet la parole. La raison ne pent etre enseig-nee directement des choses spiritueiles sans le secours de I'esprit divin. *''Car " les choses de Dieu sont seulement " visibles par I'esprit de Dieu, " et f I'esprit sonde toutes choses, meme " ce qu'il y a de plus profond en Dieu." Cette doctriue, qu'il n'y a point de connoissance des choses divines que par le moyen de I'esprit de Dieu, " qui " habite le temple de rhomme," n'est point particuliere a George Fox et a SOS sectateurs ; les premiers peres de I'eglise la considerent comme la base • lere. aux Corinthiens, Ch. II. v. xi. } lere. aux Corinthiens, Ch. 11. v. 10. DOCTRINE. 29 .1' ■ ^ J- du cliristianisme, et surtout Justin le martyr. D'apres le principe qu'on ne pent connoitre les choses spirituelles que par le moyen de I'esprit divin^ aucun, a moins qu'il n'ait une portion de cet esprit, ne pent entendre spirituellement lesecritures^ni lesfaire seryiraravance- ment de ses progres spirituels. On peut, disent les amis, attribuer I'origine divine des saiutes ecritures aux propheties qu'elles contiennent, et dont beaucoup ont ete accomplies; a I'excellence de leurs doctrines, qui sent SLiperieures a toutes celles conte- nues dans les autres livres qui sont I'ouvrage des hommes, a leur preser- vation miraculeuse dcipnis tant de siecles, et a bien d'autres sig-nes encore qui pourroient etre expliques. La divine autorite des ecritures, ainsi prouvee par la raisou, se fait sentir spirituellement a I'homme par Tin- 30 DOCTRINE. fluence de I'esprit diviii : car Tesprit de Dieu pent seul douner cette con- noissance spiiituelle. Quaiid I'apotre Paul prechoit devant plusieiirs femmes pres de Philippi, il est dit de Lydia seulement, " * Que le seigneur ouvrit son coeur, afin quelle " put comprendre les choses que Paul " disoit." Les autres femmes sans doute entendoient I'evangile aussi^ mais leuts oreilles seulement I'enten- doient ; et d'apres la distinction qui est faite de Lydia, il ne paroit pas qu'elles fussent preparees a le recevoirj et que I'esprit leur eut accorde cette grace, car il n'est point dit d'elles, " que leurs coeurs fussent ouverts." Quand Jesus Christ prechoit aux Juifs dans leur temple plusieurs croyoient en liii, mais d'autres blas- phemoient ; ceux la n'entendoient que Actes, Ch. svi. v. 14. DOCTRINE. SI les mots et ne compreiioient pas ''la parole." Jesus Christ etablissolt dans sa doc- trine sa mission divine, mais ces hom- mes tout materiels, n'avoient pas re9U cette lumiere divine qui est la foi, et qui ne vient que de Dieu. Ainsi I'on pent entendre sermons apres sermons sans en rctirer aucuii benefice spirituel On arrive a la con- noissance historique de recriture en comparant les passages les ims avec les autres, et en considerant I'usage et Tacceptiou des mots ; on pent aussi en receuillir la morale la plus pure, mais cette coiuioissance exacte et lit- terale des ecritures, quoique tres im- portante ne pent donner la connoiss- ance spirituello des choses divines qui conduisenl a la vie tternelle. C'est seulerruMit le monieur spirituel qui •visite riioiniue, qui |,eut appliquer le vrai senSj la morale des ecritures aux 32 DOCTRINE. sentimens de liiomme, et qui, prenant alors I'accent de la conscience \m, dit : C'estainsi qu'il faut agir; voila quelle est ta situation ; puis lui faisant pies- sentir I'eternite comme la recompense de ses devoirs, le soutient et I'encou- rage a perseverer dans la vertu. Ainsi, et seulement ainsi, et par le inoyen de I'esprit, les ecritures sont expliquees. Si les ecritures suffisoient sans le se- cours de I'esprit divin, les Amis disent qu' alors la connoissance des choses spiritutlles ne consisteroit que dans la science des mots. Ceux qui sau- voient par coeur un grand nombre des maxinies de l ecriture, seroient done les plus habiles spirituellement ; ainsi I'homme le plus instruit, dont I'esprit seroit le plus cultive, seroit le plus avance dans la religion. Mais ceci ne pent etre et n'a jamais ete. Car ce ne sont pas les plus savans, qui sont loujours les plus Chretiens. , Et si les DOCTRINE, 33 ecritures n't'toieiit eiitendues que des esprits snperieurs, que devicndroit dciic cette multitude d'espiits bornes, aiiisi privee des consolations^ et des moyeiis qui conduisent au salut eternel ? Ceite opinion des Amis a ete con- sideree comme susceptible d'etre com- battue, parcequ'elle semble vendre la raison au moins secondaire en tlieolo- gie. Cepeudent les Amis affirment qu'ils considerent la raison coinme un des plus grands bienfaits de Dieu ; ils I'ap- precient dans son emploi, si je puis m'exprimer ainsi ; ils ne I'excluent pas de la religion, puisque par son moyen la divinitc des ecritures est prouvee. L' 'Apologie' de Robert Barclay, qui presente une suite de raisonnemens de cette espece depuis le commencement jusqu'a la fin, est une preuve que les Amis sont bien loin de nier la puiss- 34 DOfTRlKE. ance de I'esprit d.e rhomme, qui est la raison. Mais scnletiient ils iie lui at- tribuent pas le pouvoir, qii'ils pensent appartenir exclusivemeiit a I'esprit de Dieu. Les Levites font, pour ainsldire^ une reconuoissance de I'e prit de Dieu en ces terrnes : * " Ki tn le'^r donnas ton " hon esprit, pour les rendre sages." Les pseaumes de David parlcit le meuiP la'!g-n-.^e : " s'-tcMiel. fiais moi " couuoitre es voies^ enseig'ne moi tes " sentiers." II Je sais/' dit Jeremie, " que la " voie de I'lioinrne, ne depend pas de " lui, et (ju'i! n est pas au pouvoir de " rhomme qui marches de diriger ses " pas." Ce pouvoir de I'esprit divin^ est aussi la d ctiine de I'evaugile. Jesus lui menie dit ; T II est cent dans les * Nehemie, ix. 20. ;j: Pseaumes, xxv. 4- [] Jeremie, x. 23. 1 St. Jean, vi. 44, 45. 3» " propheties : ils seront tons enseignes " de Dien ; quiconqiie doDC i qui agit par la cliarite.' " Tout ce qui a etc dit touchant le bateme, s'applique a cette ceremonie telle qu'elle etoit administree primi- * Galates, ch. v. v. 6. DOCTRINE. 75 tivement par iminorsion ; et telle <|ue nous concevons qu'elle etoit d'uiio obligation religieuse. Mais c'est une etrange bizarerie que les plus zcles partisans du bateme^ et ceux qui nous attaquent le plus pour ne pas nous soumettre a cette ceremonie, soient precisenient ccux (jui ont aussi aban- donne I'usagc du bateine tel qu'il a ete enseifjue dans Pontine : car a rimmersion ils ont substitue I'asper- sion d'un pen d'eau jettee sur le vi- sage de la personne pretendue ba- tisee, et cette ceremonie s'applique plutot aux ealans qu'aiix adultes. Je pense qui cette aspersion des enfans est un usage dont on ne trouve aucun precepte dans les saintes ecritures. Et vraiment il est singulier, pour ne pas dire plus^ d'etre censures par ceux qui ont imagine un bateme de fantaisie, si je puis m'exprimer ainsi ; c'est un« g2 70 DOCTRINE. " inconscMjuence qui n'est pas permisc " quand il s'agit d'iiitevets religieux. Surement la ccieinouie du ba- ••' teme est tres iniiocente pour ceux qui la considerent conune un devoir '• religieux ; mais cependant quelques • lines des circoiistaiices qui accom- " pagiient son administration (au rnoins '• dans I'eglise Anglicane) nous semb- " lent dangereuscs. Par exemplej apres que Tenfant a " ete batise, le pretre dit : ' Nous te " rendons des actions de graceSj pere "■ tout-puissantj de ee qu'il t'a plu de " regeuerer cet enfant avec ton saint •^'esprit; de I'adopter et de lincor- " porer dans ta sainte eglise.' Ce dis- " cours est purement d'invention hu- " maine, et n'est justitic par aucune " revelation. S'il est serieuseinent " considere et cru, par ceux qui ont " re^u le bateme^ quand ils sont arrives " a I'age de raison, il pent leur donner DOCTRINE. 77 " line idee tres faiisse de leur situation. L'engageinent que preunent les par- " rains et marraines nous semble aussi " dangereux, en ce qu'il est souvent " aussi legerement viole qu'ii est con- " tracte, et cependant c'est a Dieu " qu'on a promis. Enfin nous pensons " avoir des raisons assez bonnes pour " croire que le bateme n'est pas une partie essentielle du Christianisme, " et que ses abus excedent son uti- " lite. " Loin de nous cependant^ la pensee " que I'abus d'une chose en elle meme bonne et utile, soit une raison suffi- , " sante pour la faire rejetter ; ce n'est " point la que reposent nos argumens, " C'est maintenant aux lecteurs a con- " siderer si le bateme est necessaire au Christianisme, ou s'il ne peut pas " etre regarde com me une de ces ** * * diverses ablutions' qui t'urent ♦ Hebreux, ch. is. v. 10. g3 78 DOCTRINE. seulement teinporellement imposces, " et qui devoient cesser graduellement. " ' * Christj le souverain sacrificateuf " des bieris a venir, est entre une seule " fois dans le lieu tres saint ; nous ay- " ant obtenu une redemption eter- " nelle/ ainsi, ' ;}; il a efface I'obliga- tion qui etoit contre nous, et nous " etoit contraire, et il Ta entierement " annullee en I'attachant a la croix.' Apres ce qui a ele dit des cere- " monies religieuses, et du bateme en " particulier, il n'est pas necessaire " d'ajouter beaucoup sur ce qu'on " nomme la communion. Nous ad- mettons que celte ceremonie etoit " en usage dans I'eglise primitive, et " qu'elle doit son origine au dernier " repas que fit notre Seigneur avec ses " disciples, maisnous ne pouvons con- " cevoir que de cette circonstance par- ticuliere se suive une obligation * Hebreux, ch. is. v. 1 1. 12. \ Colossiens, ch. ii. v. 14. DOCTRINE. 79 geiierale a tons les Chretiens d ob- server cette cereinonie. Elle etoit comme le bateme derivce d'une cou- tume Juive;* et quand I'ancienne dispensation vint a etre remplacee par celle de revangile, il paroit comme deja je I'ai observe, que ce changement fut graduel et que la premiere dispensation ne fut pas a- bandonnee toute-a-coup. Ainsi-quoi, qu'admettant toutes les circonstances relatives a la communion, nous ne pouvons cependant croire qu'une re- commandation de Christ a ses plus intimes amis et disciples, constitue une obligation qui doive porter sur tons les Chretiens. Nous pensons que le desir exprime par notre Seigneur, que ses disciples boivent de cette ^ coupe en memoire de lui, n'est pas VoyezExode, ch. xii. v. I a 28. Nombres, cli. ix. v. I <^ Deuteronome, ch. xvi. 80 DOCTRINE. " snffisant pour justifier l'u.sag*c qui en " est resultc.* " La ceremonie du lavement des " pieds etoit fortement recommandee " par notre Seionenr^ et devroit done " etreaussid'une obligation religieuse, " On pent se rapeller que Jesus Christ " apres avoir lave les pieds de ses dis- " ciples lenr dit : ' f Savez vous ce " que je vous ai fait ? vous m'appcUez " maitre et Seigneur ; et vous dites " vrai car je le suis. Si done je vous " ai lave les pieds, moi qui suis le Seig- " neur et le maitre, vous devez aussi " vous laver les pieds les uns aux au- " tres. Car je vous ai donne un ex- * Les Catholiques ne communient pas sous les denx especes du pain et du vin ; I'hostie consacree (substituee au pain) est seule donnee aux laiques; ce ne sont que les pre- tres qui font usage du vin et de I'hostie; cette alteration est purement I'ouvrage des hommes. Et certes oser changer ce qu'on pense etre une institution de Christ est plus irre- ligieux, que ne pas adopter ce qu'on ne croit pas positive- Kjcnt enseigne. * Jean, ch. xiii. v. 12 a 15. DOCTRINE. 81 ' ample afin qitc vous fassiez comme ' jc vous ai fait.' " * Peut-on citer des paroles aussi ' claires et aussi posi fives toiichant le ' bate me et la communion? Neaii- ' moins les protestans out renonce au ' lavement des pieds, pensant comme ' nou.s^ par rapport aux autres cere- ' monies, quelles etoient locales et ' temporelles. Et certes si une eglise, ou une congregation de Chretiens, • peut dans un cas se dispenser de ' telle on telle ceremonie^ chacun a le ' meme droit. " Le lavement des pieds etoit une ' oeuvre d'humilite^ comme la commu- ' nion etoit une oeuvre d'amour. jNIais ' qu'importent ces signes exterieurs, 'si le coeur n'est pas d'accord avec les actions ; et si le cceur est penetre • Les Catholiques plus consequents que les Protestans continuent d'observer Ja ctrenionie du lavement des pieds. 82 DOCTRINE. que peuvent ajouter les signes ex- " terieiirs. " Nous nensons que 1' usage de ces " cei emouies est dangereux, parce- " qu'il place toujours uu intenuediaire " entre Dieu et I'homme, et que la " pensee n'arrive plus directement ; I'esprit de I'lionime est fixe sur des formes inutilcs, et u'aspire plus aux " pratiques d'uu pur christianisme. " L'iniportance attachee a la com- munioii justiHe nos reflexions, et les " abus qu'eiitraiue cette ceremonie excedent aussi de beaucoup son uti- " lite. Nous ne voulons point douter " de la sincerile et de la piete de ceux " qui donnent et re9oivent la commu- " nion ; cependant nous croyons que la " communion reelle de notre Seigneur, " n'a pas besoin d'accessoires tels que " le pain et le vin, et que la seule " maniere d'y participer, nous est re- " velee par ces paroles de Jean le the- DOCTRINE. 83 ologien : ' * Voici je me i\e\\s a la portc et je frappe : si quelqu'un eu- tend ma voix^ et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi.' " La participation interieiire et spi- rituelle a la communion est celle que nous desirous etablir parmi les Chre- tiens ; croyaut avec I'apotre, ' ^ Que le royanme de Dieu ne consiste point dans Ic boire et le manger ; mais dans la justice, dans la paix, et dans la joie par le saint esprit. Car celui qui sert Jesus Christ de cette ma- niere est agreable a Dieu, et il est approuve des hommes.' " Notre opinion difi'erente de celle des Chretiens en general touchant le bateme et la communion, nous a attire des censures et des persecu- tions ; on a meme ete jusqu'a dire, * Apocalypse, ch. iii. v. 20. ; Roniiiins, ch. xiv. v. 1". 18. 84 DOCTKINE. " que nous n'ctions pas Chretiens, et a nous en dispnter le nom ; notre " abandon des ceremonies ne vient pas " d'un inanque de foi au christian- " isme ; nous ne les pensons pas assez " dignes de leur objct, et nous ne pou- " vons concilier ces rites exterieurs " avec la spiritualite de la dispensation " de I'evangile. Nous croyons, ' * en ** Christ Jesus le Sauveur des hommes, ^' nous croyons qu'il nous a laves de nos pechts par son sang ' f qu'il " est notre paque, qui a ete immole " pour nous ;' ' [j; et qu'il a detruit par " sa chair I'inimitie qui etoit la loi " des preceptes, laquelle consistoit en des ordonnances ; car c'est par lui " que nous avons acces aupres du Pere dans un ineine esprit.' " Main ten ant, que nous avons vu les operations de I'esprit de Dieu, dan.^ * Apocalypse, cli. i. v. 4, 5. f lerc Corinthiens, ch. v. v. 7. J Ephesicns, cli. ii. v. 15 et 18. DOCTRINE. 85 tout ce qui concerne riiisti uction et la redemption de riioimne (selon I'opi- nion desAmis). Nousallons con; et viennent visiter leurs freres Anglais. Les femmes prennent part aussi a ces missions evangeliques, * " Car " hommes et femmes ne sont qu'MW en " Christ." * Galates, ch. iii. v. 23. DOCTRINE. 101 II n'en est pas des anciens comme des ministres; ce n'est pas aux paroles qu'on pent les coiinoitre ; leurs actions, leur conduite privee, les fait designer pour remplir leur einploi spirituel. On s'attache surtout a choisir ceux dont le jugement est le plus droits afin qu'ils puissent mieux discerner le vrai du faux, et reprendre les Amis qui pourroient se laisser egarer par leur imagination. Cette institution des an- ciens doit son origine a Georges Pox. De son temps beaucoup de personnes prechoient sans y etre appellees ; et sont decrites par lui comme efant " en trainees par leur imagination;" et dans ce cas il recommandoit qu'un Gu deux Amis, charges particuliere- ment de ce soin, fissent sentir aux Amis- ainsi hors de la bonne route. Tabus de leur conduite et les consequences qu'elle pouvoit avoir, en propageant Terrcur au lieu de la verite. 108 DOCTRINE. L'institiition des anciens s'est con- servee la meme jusqu'a present. Non plus que les ministres, les anciens n'ont ni privileges ni autorite. Les anciens et les ministres s'assem- blent une fois tous les mois ; on pour- roit appeller ces assemblees des re- unions philantropiqueSj on s'y occupe uniquement du bien a faire ; les anciens et les ministres s'exhortent les uns les autres, et s'encouragent mutuellement a la piete et a la vertu. Ces assem- blees n'ont aucun rapport avec les anciens synodes ou convocations da clerge, dont emanoient souvent des loix, plus poliliques que religieuses. Les Amis ne soufFriroient pas que leurs ministre!* s'initiassent dans les affaires publiqueSj et voulussent y exercer une autorite qui ne s'allieroit pas avec les principes de leur republique evan- gelique. DOCTRINE. 103 Dans ces assemblees dcs questions sont faites relatives a la couduite des ministres et des anciens ; ils doivent y donner leurs reponses ecrites aux as- semblees de quartier desquelles ils font partie. Telles sont ces questions : J" Y a t'il parmi vous quelqu'ami qui voyage dans I'oeuvre du rninist^re, sans etre muni de certificate et sans le consentement de I'assemblee du nioi& dont il fait partie ? 2* Les ministres et les anciens^ as- sistent-iis regiilierement aux assem- blees religieuses et de discipline^ et ont-ils soin que leurs families y assist- ant aussi ? 3" Y a t-il quelque ministre qui soit telleinent occupe d'affaires pub- liques ou particulieres^ qu'il neglige ses devoirs spirituels ? 4* Les ministres et les anciens^ sont- ils unis entre-eux; travaillant d'un 104 DOCTRINE. commiin accord a Tavancement et a la propagation de la verite ? 5° Les ministres et les anciens, reg- lent-ils bien ieiirs maisons ; et font-ils observer dans leurs families, la sim- plicite de costume et de langage qui convient aux principes que nous pro- fessons ; donnent-ils eux-memes le bon exemple ? 6* Les ministres et les anciens, e«- hortent-ils, avec tendresse et bienveil- lance^ ceux d'entre-euxdont la conduite ne seroit pas ce quelle doit etre ? 7° Les avis de I'assemblee annuelle aux ministres et aux anciens, sont-ils lus, au moins une fois I'aimee, dans vos asserablees de quartier et du mois ? D'apres le principe des Amis, qu'il ne peut y avoir de vrai ministre de I'evangile que ceux qui y sont ap- pelles par I'influence de I'esprit de Dieu, ainsi ils pensent qu'il ne peut y DOCTRINE. 1C5 avoir de vrai service religieux que par I'influence du meme esprit. Ordinairement tout culte religieux cousiste eu prieres, sermons^ et cere- iHonies. Lcs Amis croyent que la puissance de la priere n'est pas dans les mots qui la composent, mais dans le sentiment qui I'inspire. * " Et I'esprit nous sou- lage dans nos foiblesses ; car nous " ne Savons pas ce que nous devons " demander, pour prier conime il faut ; " mais I'esprit lui meme intercede pour " nouSj par des soupirs qui ne se peu- " vent exprimer." La predication est la transmission de la parole de Dieu aux hommes ; mais il ne suffit pas d'un rapport litteral et exact, il faut encore avoir re9u de Dieu le pouvoir de bien comprendre les textes sacreSj avoir ete eclaire par I'es- prit ; St. Paul dit en parlant de lui Romaini, ch. viii . "iC. DOCTRINE. meme, * " Et ma parole et ma predi- cation n'a point consiste dans des " discours patlietiques de la sagesse . " humaine ; mais dans line demonstra- tion d'esprit et de puissance ; afin " que votre foi fut fondee, non sur la " sagesse des hommes, mais sur la " puissance de Dieu " De ces paroles de I'apotre, les Amis coucluent que quelques sages que puissent etre les discours des hommes, pour qu'ils produisent un effet spirituel sur le cceur, ils doivent etre inspires par I'esprit. Jesus Christ a dit^ " Dieu est un esprit et ceux qui Tadorent, doivent I'adorer en esprit et en ve- " rite." L'adorer en esprit, c'est lui rendre un culte de pensees, si je puis m'exprimer ainsi. L'adorer en verite c'est suivre les impulsions du coeur, et se laisser guider par les influences de I'esprit divin^ sans se soumettre a des • lere Ep. aux Corinthiens, ch. xi. 4 st 5. DOCTRINE. 107 formules ecrites^ a de certains jours preteudus consacreSj coiniiie si Dieu n'etoit la qu'a certain temps^ et si nos anaes n'etoient pas toujours a lui. " Dieu est partout." Les Amis n'ont ni liturgie^ ni priere ecrite ; leurs discours ne sont point prepares. lis entrent dans le lieu de leurs assemblees religieuses avec de- cence et receuillement ; ils s'asseyent ; un profond silence regne daus I'assem- blee. Ils tachent d'eviter toute dis- traction, surtout toute exaltation, et ainsi tout ce qu'il y a de mortel en rhomme devient passif ; alors la faculte spirituelle agit seule, c est elle qui anime les paroles, et qui viville les pensees. Si un ami se sent inspire par I'esprit de Dieu, il se leve et parle. II ■y a quelque chose de singulier, d'ini- mitable, dans la maniere de precher et de prier des Amis; meme en les ecou- tant attentiveinent on nc peut saisir 108 DOCTRINE. leurs acceiiSj toujours quelques sons echappent. Ce lang'aoe, qiioiqu'inimi- table, n'a cependant rien d'afFecte ; on diroit line melodie sans notes. Je crois que riiomme le plus iiicredule, en en- tendant les prieres des Amis, s'il n'etoit pas entiereinent persuade, seroit au moins bien emu. La voix des Amis, quand ils prechent ou qu'ils prient, est si solemnelle qu'elle dit encore plus la meditation que les paroles. II est possible dans une assemblee religieuse des Amis, en les observant individu- ellement, de deviner lequel d'entre-eux va parler ; celui qui est visite" par I'esprit de Dieu, re9oit comme une commotion d'electricite spirituelie, qui lui donne une sorte d agitation ner- veuse, mais je le repete encore, pour s'en appercevoir, il faut une grande at- tention ; les Amis sont trop vrais, trop tVanchement persuades de la puissance de rinsj>iration, pour avoir recours a DOCTKINK. des signes exterieurs comme stiinu- lans. Beaucoiip de ces assemblees religi- euses sont silencieuses ; car dans I'opi- itlon des Amis, parler sans etre inspire ou visite par I'eprit, leur sembleroit se jouer de la divinite, et ce ne seroit pas Tadorer en esprit et en verite. Ces assemblees silencieuses pene- trant I'ame d'mie emotion religieuse ; il semble qu'on soit plus rapproche de Dieu^ et qu'on fasse silence pour I'en- tendre mieux. 11 y a une magie religi- euse, dans ce culte des Amis, qui s'empare de toutes les facultes, et sus- pend toutes pensees elrangeres au grand objet qui doit seul occuper. L'opinion des Amis est, que rien ne peut les distraire dans leurs assemblees religieuses,qui etant toutes spirituelles, sont hors du pouvoir des hommes ; car aucun ne peut rompre le lien qui unit I'esprit de riiomme a I'esprit dc Dieu ; K ilO DOCTRINE. cette chaine spirituelle est invisible. 11 n'en est pas ainsi avec un culte de ceremonies et de paroles. " Comment/* dit Barclay, " les Catholiques, diront- " ils leur messe, si on emporte le livre " de messe, le caiice, ou I'hoslie I Otez " aux Lutheriens leur liturgie, leiirs prieres ecrites, leur service religieux " est fini. Otez aux Calvinistes le " pupitrc, la bible, ou le sablier, il ne reste plus rien.'* Jesus Christ etant assis pres du puits de Jacob en parlant a la femme de Samarie, se servit de ces expressions : * " Femme, croyez moi ; le temps vient " que vous n'adorerez plus le pere, ni " sur cette montagne, ni a Jerusalem. " Mais le temps vient, et il est deja venu, que les vrais adorateurs adore- " rout le pere en esprit et en verite." Les Amis expliquent ces paroles de cette maniere: " Je vous dis^ qu'une • St. Jcin, ch. iv. v. 21 et 23, DOCTRINE- 111 nouveile dispensation est maintcnanfe pres. Le ciilte rendu a Dicn, dans toute autre place que Jerusalem^ liii sera egalement agreable ; ces acces- soires inutiles, tels que les ornemens d'or et d 'argent, les habits somptueux du grand pretre, la inusique, &c. &c. ne feront plus partie du culte relig-i- eux." Les Amis croyent que la venue de Jesus Christ a mis fin a toutes ees ceremonies. Les Amis pcusent que les hommes n'ont pas le pouvoir de sanctifier telle ou telle place, et ainsi ils ne permet- tent pas que le lieu destine a leurs as- semblees religieuses, soit consacre par les ceremonies des hommes. Leurs chapelles sont tres simples, I'interieur n'est point decore, des bancs de bois servent de sieges ; un de ces bancs est un ])eu plus eleve que les autres, il est destine aux ministres et aux anciens. Ce banc est plus eleve k2 DOCTRINE. cjue les autres afin que les ministrea soient mienx enteiidus. Du reste il ii'y u point tie distinctions ; egaux devant les homraes^ comme devant Dieu^ les Amis ne s'eloignent jamais de ce prin- cipe. Les liommes sont places d un cote, et les femmes de I'autre ; les hommes-ministreSj et les femmes-mi- nistres s'asseyent pres les uns dcs au- tres. Les ministres Amis, ne sont pas distingues par un costume particulier. II n'est pas dit que Jesus Christ, quand il prechoit a la multitude, eut un habit different que dans les autres occasions. Les Amis croyent que les ministres de I'evangile ne doivent pas, d'apres la nouvelle dispensation, etre un peuple separe, comme etoient les Levites ; ou €tre distingues des autres hommes a cause de leur office. Les Amis different aussi des autres sectes de Chretiens, en ce qu'ils n'a- doptent pas le chant ou psalmodie. DOCTRINE. 113 coinme faisant partie du service reli- gieux^ a moins qu'on ne puisse dire avec I'apotie;, * " Je chanterai dans mon esprit^ mais je chanterai aussi " d'une inaniere qu'on m'entende ou f " S'entretenantpar des pseaumes, " par des hyinnes, et par des cantiques " spirituels ; chantant et psalmodiant " au Seigneur." A ces cliants inspires les Amis ne font aucune objection ; mais ils pensent que la musique in- strumentale, introduite dans le service religieux au temps des Juifs, devoit cesser lors de la nouvelle dispensation ; parceque le precepte de I'evangile est, que Dieu soit adore " en esprit et en " verite/' qu'on n'agisse que sous I'in- fluence spirituelle. Or, est-il probable cju'une congregation entiere soit pe- netree, precisement au meme instant, du meme sentiment, et I'exprime dans * lere Ep. Corinthiens, ch. xiv, v. 15. II Ephesiens, ch. v. ver. 19. k3 114 DOCTRINE, les memes mots, et que ce sentiment convienne atous? Combien peu pour- roient chanter avec David, * " Comme " un cerf altere cherche les eaux cou- " rantes, ainsi mon ame soupire apres " toi, O Dieu ! " La musique est le plaisir de Thomme mortel, la croire agieable a Dieu se- roit done le considerer comme une substance corporelle qui se plait aux delices de la chair, et non plus comme nn esprit qui ne veut que le culte qui lui est rendu " en esprit et en verite/' Je traduirai litteralement I'opinion des Amis touchant 1' usage de certains jours fixes pour le service religieux. f " Nous pensons a ce sujet," disent- ils, " pouvoir etre exempts de la cen- " sure, et nous nous appliquons ces " paroles que Tapotre adressoit aux * Pseaumes, xlii. f Henry Tuke, Principles of religioa. DOCTRINET. 115 '* Colossiens : * ' Que personne done " ne vous condamne au snjet du man- " g;er et dii boire, ou pour la distinc- " tion d'un jour de fete ou de nouvelle " lune, ou de sab bat. Car ces choses " ne sont que I'ombre de celles qui " devoient venir^ mais le corps en est " en Jesus Christ.' " " Par la loi de Moise de certains jours etoient destines a la commemo- " ration d'evenetnens extraordinaires, " qui avoient uniqueinent rapport a cette loi. Mais I'apotre Paul etoit " charge particulierement d'annoncer la liberie de la nouvelle dispen- " sation ; et de la viennent ces pa- " roles, que personne n'a droit de " condamner ceux, qui n'observent pas tels jours consacres par I'usag'e/"^ &c. &c. II paroit encore bien claireinent " dans I'epitre de Paul aux Galate* * Colossiens, ch. ii. v. 16, 17. 116 DOCTRINE. qu'il n'approuve pas cette siipersti- " tion de jours et de temps : * ' Mais " inaintenant que vous avez counu " Dieu/ dit-il, ' ou plutot que Dieu " vous a connus, comment retournerez " vous encore a ces foibles et misera- " bles rudimenSj auxquels vous voulez vous assujettir de nouveau ? vous " observez les jours, les temps, et les " annees ; je crains pour vous que je n'aye travaille en vain a votre egard/ " A moins qu'on ne puisse nous mont- " rer quelques passages du nouveau testament, qui autorisent I'usage de " ces jours consacres, nous continuer- " ons a dire, que ces ceremonies de I'ancien testament ne s'adoptent pas " au pur christianisme, ct qu'elles ser- " vent peu a propager la piete et la " vertu. Quoiquenous ne pensions pas que • Galates ch. iv. v. 9, 10,^ 11.- DOCTRINE. 117 " * premier jour de la scinaine soit " plus saint qu'un autre, cependant " depuis la formation de notre societe " nous en avons toujours garde Tob- " servance. " Une autre raison qui nous em- peche encore de nous soumettre a r usage de certains jours fixes, c'est " que lie reconnoissant pour chef que Jesus Christ, nous ne devons pas ccder aux loix des hommeSj quand elles viennent se meier aux loix di- " vines ; et quand les hommes ordon- " nent des actions de graces, des te- " deums, pour celebrer des victoires " ou en d'autres mots, la mort de leurs " freres, nous, d'apres les principes de notre societe, nous ne pouvons nous "joindre a eux. Pour justifier notre " opinion, je citerai les paroles de I'a- " potre Paul, qui sont comme une • Dimanchc. Dans le langage des Amis, ii est appeHc le fremicr joirr. 118 DOCTRINE. " exhortation de tolerance ; * ' L'uii " met de la difference entre un jour et " nn autre ; I'aulre juge que tons les ''jours sont egaux ; que chacuu agisse " selon qu'il est pleinement persuade " dans son esprit. Celui qui observe " les jours, les observe, ayant egard " an Seigneur ; et celui qui ne les ob- " serve pas, ne les observe pas, ayant " aussi egard au Seigneur. Ne nous " jugeons done plus leg uns les autrcs." Les Amis, s'expriment ainsi sur la necessite d'un culte public. f " Nous considerons comme un de- " voir indispensable de nous reunir " publiquement pour le service de " Dieu ; de ne pas abandonner " nos assemblees comme quelques uns ont coutume de le faire.' Ce n'est " pas seulement un devoir raisonable. » Romains, ch. xiv. v. 5, 6, 13. f Henry Tuke. Principles of relig-ion. * Hebreux, ch. s. v. 25. DOCTRINE. 1^9 " mais encore un devoir utile et avau- tageux ; raisonable, parceque c'est ^' un temoignage public de notre sou- " mission a I'etre supreme ; et utile et " avantageux, parceque si nos esprits " sorit bien disposes^ nos pensees ce , qu'elles doivent etre^ nous nous rap- prochons de Dieu par le moyen du " saint esprit qui ' habite' en nous, et " ainsi nous participons a cette com- muiiion spirituelle du pere et du fils, " qui est ia recompense du vrai Chre- " tien." Lcs Amis se reunissent publique- ment pour leur service religieux, non seulement le Dimanclie, mais aussi un autre jour dans la semaine. L'opinion des Amis toucliant I'usage du serment et de la guerre, formant un dogme important de leur doctrine, je terminerai cette premiere partie, en faisant connoitre leurs idees et leurs argumens a ce sujet. 120 DOCTRINE. C'est d'apres les passages suivaiis tire^ de St. Matthieu, que les Amis etablis- sent leur opinion. * " Vous avez en- " core entcndii qu'il a ete dit aux an- " ciens : tu ne paijureras pas, mais tu t'acqiiitteras envers le Seigneur de " ce que tu auras promis avec ser- " ment : mais moi je vous dis, ne "^'jurez pas du tout; ni par le ciel, " car c'est le trone de Dicu ; ni par la " terre^ car c'est son marche-pie — mais " que votre parole soit^ oui^ oui ; non^ non ; ce qu'on ajoute de plus est " mal. Vous avez entendu qu'il a ete dit, oeil pour ceil, et dent pour dent : " mais moi je vous dis de ne pas re- " sister a celui qui vous fait du mal. " Vpus avez entendu qu'il a ete dit : " tu aimeras ton prochain et tu liairas " ton ennemi. Mais moi je vous dis, " aimez vos ennemis, benissez ceux " qui vous maudissent, faites du bien • Matthieu, cli. v. v. 33, 34, 35, 37, 3'8, 39, -13, i i, '15. DOCTRINE. 121 " a ceux qui vous haissent, et priez " pour ceux qui vous outragent et qui vous persecutent ; afin que vous " soyez enfans de votre pere qui est " dans les cieux ; car il fait pleuvoir sur les justes et les injustes^ et il fait ^' lever son soleil sur les medians et sur les bons. * II semble apres avoir cite ces paroles si positives de I'apotre, qu'il " n'y ait plus rien a dire pour justifier " notre opinion^ cependant je repond- " rai a plusieurs objections qui nous ont ete faites. " L'usage du serment ne presente " aucune utilite reellcj tandis que ses " consequences sont dangereuses, puis- " que souvent le nom de Dieu est pro- " fane. Un des principaux argument " dont on s'est servi centre nous, est " celui-ci : Dieu, dans les ecritures, " nous dit-on, est represente comme « Heiiry Tukc. Principles of tcligion. h 122 DOCTIMXE. " faisant usage dii serrneut. A cela " il pent etre repondu; que le tout- " puissant ne peut jurer a la maiiierc " des hommes, puisqu'il n'y a aucun " ctre au dessus de lui a qui il puisse on appellcr, ou auquel il puisse etre responsable de la verite. De plus " nous miserables et dependantes crea- " tures, pouvons nous agir conune le " souverain maitre ; el le plus haut " degre de perfectioa pour nous^ n'est- " ii pas uae souniission enticre a sa " volonte ? " Notre Seigneur^ nous dit-on eu- " core, quaiid il fut conduit devant le souverain sacrificateur, ne rcpondit que quand il fut adjure au nom du " Dieu vivajit. Mais il seroit je peuse assez diiiicile de prouver, que le " grand sacrificateur pretendit^, par ces ^' paroles exiger ou dernander un ser- " ment a Clniei; il est je crois pins ''juste de penscr, qu irrite du silence DOCTRINE. 123 " dc Notre Seigneur^ dans s*. colere, " il fit usage de ces expressions; et " d'ailieurs, la reponse simple de notre " scig'neur, scmble venir a I'appui de " notre opinion: * " Tu I'as dit," " repondit-il. Certes ces mots n'ont " rien de la nature du sernnent. " Un autre argument en faveur de " I'usage du serment, est tire de quel- " ques expressions de I'apotre Paul^ " telles que, f ' Dieu rn'est temoin " I ' je te conjure done devant Dieu/ " &c. &c. Ces expressions ne nous " semblent point constituer un ser- " ment, ni elles ne seroient admises " comme sermens dans une cour de " justice. Dans les premiers temps do " notre societe, c'est ainsi que nous " temoignions devant les magis(ra(s, " ne voulant pas nous soumeltre a la " formule da sei'inent, mais toujours * Matthieu, ch. xxvi. v. G4. f Romains, ch. i. v. 5. \ 'i«'n» Xiniothee, ch. iv. v. 1. L 2 124 DOCTRINE. " ils refttsoient ces temoignages, quoi- " que 00119118 dans le ineme sens que " les paroles de I'apotre." * Inconsequence bien grande ! pour justifier Tusage du serment^ c'est sur les paroles de I'apOtre que les honimes s'appuient ; mais cependant ils refusent les sermens qui ne sont pas selon leurs ordonnanceSj et qui sont seulement conformes aux textes de Tecriture. Enfin la plus forte preuve en faveur de Topinion des Amis^ sont ces paroles * Les Amis ont obtenu la permission, par un Acte du Parlement, de temoigner sans jurer, cet acte est appelle atFirmation et est congu en ces rernies: A. B. Soleninelicment, sincerement et veritablement declare et affirnie, que, &c. &c. [Here is to follow, without any other addition, the subject matter to be affirmed.] By an Act, 2'J Geo. II. cap. 40, our affirmation is to operate in all eases wherein an oath is required by any Act or Acts of Parliament now in force, or liereafter to he made, although no particular or express mention be made lor that purpose in such Act or Acts, with the same force ae an oath, except in criminal cases, to serve on juries, or to bear any office or place of profit in the government. A false or corrupt affirmation is subject to the same penal- ties 0* perjury. (Tearlij Meeting Minutes). DOCTRINE. 125 (Te St. Jaqiies : * " Mes freres^ ne jurez point, ui par le ciel, ni par la terre, " ni par quelqn' autre serment, mais " que votre non soit non^, et votre oui^ " oui, de peur que vous ne toinbiez " dans la condamnation." Nous ne reconnoissons aucune " guerre comme legitime/' disent les " Amis ;"f on dit la guerre un mal ine- " vitable et uecessaire ; certes elle n'est " inevitable^ que tant que les hommes " se laisseront conduire par leurs pas- " sions; et d'ailleurs y a t-il une seule " nation qui ait essaye d un etat de " paix perpetuelle^ et qui I'ait trouve " impracticable? Ou est le pays qui " soit dirige par cet amour, par cette "justice et cette douceur, qu'euseigne " que veut le Christianisme Si Ton " nous cite un tel peuple, et qu'on " nous le montre en guerre avec les * Jaques, cli. v. v. 12. \. Henry Tuke. Principles of religion. 126 DOCTRINE. " autres liommes^ alors nous convien- drons que nos principes sout mal " fondes. " Nous citons un exemple de paix ; " la Pensilvaiiie, gouvernee par un " Ami, William Penn, sut eviter toute " guerre soit offensive ou defensive, " pendant les soixante ans qu'elle de- " ineura soumise a Penn. Et de la " nous pouvons conclure, que pour defi " hommes vraimeut Chretiens et se " conduisant comme tels, la guerre " n'est pas inevifable. Rappellons la venue du fils de Dieu, et les paroles de paix de I'ange qui I'annon^ait aux hommes, " les esprits celestes proclamoient ainsi " et la gloire du pere et la bonte du fils : * ' Gloire a Dieu aiix plus haut " des cieux ; paix sur la terre ; bonne volonte envers les hommes." On nous oppose quelqnes passa- * LuCj ch. li. V. 13, 14. DOCTRINE. [':17 ' ges tiVes des ecritures ; il est boii de ' les considerer. * ' Que celui qui n'a 'pas d'epee/ dit notre Seigueur, ' ' vende sa robe, et en achete une.' " Ces paroles paroissent a quelques ' uns etre une autorite en faveur de ' le guerre, puisque Christ iui meiue ' semble rrdonner I'usage des armes. " jNlais nous ne peusons pas qu'il ' s'agisse ici de l epee visible, et nous ' croyous ces paroles paraboliques. ' Les disciples repondirent ; | ' Seig- '' neur voici deux epees. Et Christ ' dit : cela suffit.' ' Or s'il ent ete ' question d'arincs pour defend re Ic ' corps, comment deux epees auroi- ' ent elles suflfi pour tons les disciples ' attaqucs par une multii'ide furieuse ' armee d'epees et de batons? Ce ' meme jour, nous voyons Pierre re- ' pris par son maitre, pour avoir voulu • Luc, ch. xiii. V. 38. \ Id. ch. xxvi. v. .'S. DOCTRINE. le defendre de son epee. * " Re- mets/ dit le Seigneur^ ' ton epee dans le fourreau ; car tons ceux qui prcndroiit I'epee, peiiront par I'e- pee. " II peut etre encore rappelle que ce fut a la meuie epoque que notre Seigneur dit a Pilate : 1^ ' Mon roy- aume n'est pas de ce inonde ; si moa regne etolt de ce monde mes gens combattroient,, afin que je ne fusse pas livre aux Juifs.' Et d'apres ces^ paroles^ est il encore possible de croire que Jesus Christ eut vrai- ment I'intention de recoinmander a ses disciples 1' usage de Tepee mor- telle? " Les consequences de la guerre nous semblent blesser I'humanite^ detruire la moralite, afFoibiir les in- fluences religieuses, et etre la source * Matthieu, ch. xxvi. r. 5^i. \ Jean, ch. xviil. v. 36. DOCTRINE. 129 de maux incalculables. Si rhiima- nite I'emportoit enfin sur I'aiTibitioTij la guerre seroit a jamais proscrite, bientot nous receuillerions les fruits de cette disposition Chretienne^ et la prediction d'Isaie s'accompliroil : * ' lis forgeront de leurs epees des hoi'aux, et de leurs halebardes des serpes; una nation ne levera plus I'epee contra I'autre, et ils ne s'a- donneront plus a la guerre.' ♦ IiaVe, ch. ii. v. 4. riiy nr. r.A PREMIERE PARTIC. SECONDE PARTIE. DIVISLE EN. DEUX CHAPITRES. LE pki;mieii Til \itera o;: la LEGISLATION, Lr SECOM) DES MQEUIUS KT jJES COUTUMES. SECONDE PARTIE. CHAPITRE I. LEGISLATION. Georges Fox recommandoit aiix Amis de suivre le precepte de Jesus Christy dans revangile selon St. Mat- thieii. * Si votre fiere vous a of- " fense, allez le troiiver et repreiiez- " le en particulier ; s'il vous ecoute, " ulors vous aurez gagiic votre frere. Mais s'il ne vous ecoute pas^ preuc:5 * 5i. MalthieOych. xriil. v. 15, 16, 17. 131 LEGISLATION. avco votis uiie on deux persofiues ; " a fill que tout soit appiiye sur la pa- " role de deux ou trois teinoiiis. Que " s'il ue dai<^ue pas non plus les ecou- ter, dites-le a I'eglise ; et s'il ne veut " pas ecouter reglise, regardez - le comme un payen et comme uii pub- licain." Pour mettre ce precepte en pratique, Georges '^"'ox ctablit des reunions ou assemblees, ou devoient se traiter les affaires de la societe ; on examinoit si les fautes des individus etoient de na- ture a venir a la connoissance de I'e- glise, et si Ton tiendroit acte du ra[)- port des surveillans. Dans ces assernblees le pauvre jouit des memes droits que le ricbe, il donne aussi sa voix ; il n y a de distinction que pour le plus vertueux. Georges Fox, avoit un desir si vif que la justice fut bien administree, qu'il u'adoptoit par? I'usage general*- / LKGISLATION. 135 incr\t rccu, de decider a la majority (k's voix. Les jugeiiiens devoient rciulre d'aprcs I'evideiite voloiite des mcmbres les plus vertaeux de I'asseni- bloe. Comine I'acte de desaveu ei^t considere la plus grande punition que les Amis, comrne corps religieux^ pn- issent infliger, le coupable a la per- mission d'appeiler du jug'einent pro- nonce coiitre lui aux autres reunions; et dans ce cas, ces asseinblees de- vienijent tribunaux de cassation ; on y receuille les voix decisives, c'est*a' dire, celles des plus vertueux. Georges Fox accorda aux feinmes de grands privileges. II voul&t qu'elles joiiissent du pouvoir qu'elles peuvent excrcer, et conunc il les croyoit tres capables d'etre utiles a la societe, il leur donna presque autant d'autorite tju'aux hommes. Par rapport au devoir general de veillcr les uns sur les autresj il reconi- M 2 136 LEGISLATION. raandoit surtout aiix femines de I'ob- server. II les reunit en assemblees^ pour traiter de leurs institulioiis; elles enregistroieut, et conservoient leurs actes. Aiiisij les asseniblees des femmes, sout sernblablcs a celles des homines. Georges Fox elevoit les femmes de la societe^ bieti au dessus des aiitres femines ; et il pent etre regarde comme la cause premiere, de cettc force d'es- pritj de cette dignite^ et de cette eton- iiante capacite pour les affaires^ qui disUnguent les femmes de la societe des Amis. Les iiidividus qui exercent les em- plois necessaiies aux institutions, iie ie9oivent aucun appointement. La constitution de Georges Fox est aujourd'hui telle qu'il la crea; seule- ment, quelques cliangemens y oat ete faits. Dans les premiers temps de la so- ciete, lo* Amis devoient veiller les uns t LECISLATIOJ*. 137 sjir les autres. Mais, pensant que ce qtii etoit I'aflairefle tous, poiirroit bien finir par n'etre le devoir d'aucun, en 1698 les Amis desiguerent des mem- bres dorit remploi etoit de surveiller la inoralite de leurs freres ; et cet usage qui s'observe toujonrs, remplit parfaite- ment le but du fondateur. Ces inspecteurs moraux sont nom- mes surveiltans (overseers). Les femmes eurent d'abord des as- semblees de chaque mois, et des assem- blees de tous les trois mois, mais il fut dt'cide qu'ellcs auroient aussi des as- semblees annuelles comme les hom- mes. Au temjjs de Georges Pox, il n'y avoit que les membres les plus ages de la societe qui fussent aux assemblees Legislatives ; mais depuis, les jeunes gens y ont ete admis. Ponrroit-on reprocher aux Amrs, cet espece de droit d'espionnage moral qirils ont les iras stir les autres ; s'ils K 3 ]38 LEGI.SLATION. cherchent le rnal c'est pour le corriger, pour I'arreter ; dans le monde, sou- vent on le cherche pour l aggiaver ; rinspection inutuelle qu'on sc perinet, ii'est pas toujours iiispirce par la chari- te^ tandls que les Amis se conforment au principe de Tevangile. lis vont trouver leur frere, et le reprennent en particulier, * avec un esprit de dou- cenv." Si un ami viole les reglemens de la societc, s'il se livre au vice, s'il neglige le culte public, alors le devoir des snr- veillans est de le visiter^ de lui faire sentir les consequences de sa conduite^ et de tacher de le ramener au bien, Cet acte de la part du surveillant, se iiomme admonilion (admonishing). Les details de I'admonition et I'acte lui meme, sont counus seiilement des parties interessees ; le secret est garde rcligicusement par les surveillans. Ain- * Galates, ch. vi. v. 1. . LEGISLATION \H9 si il pent arriver^ que plusieurs des nicinbres de la societe, adrnoiietent la rnSme personne sans le savoir. L'ad- monition pent se continiier pendant des niois. Aucun temps n'est fixe^ aii- cune peine n'est epargnee pour sauver le coupable. L'admonition doit se faire avec ten- dresse^ avec douceur^ et jamais avec nne dure austerito. Si apres avoir tout essaye pour ra- mener le pecheur, le surveillant voit que ses efforts ne sutfisent pas^ alors il a recours a d'autres surveiliaus, et re- clame leur assistance ; iis se reimis- sent, et employeiit tous les moyens de persuasion pour engager le pecheur a s'amender. Cet acte quoique plus pub- lic demeure cependant toujours secret, pour le reste de la societe, et conserve Ic nom d 'admonition. 11 arrive souvent que pendant le temps des admonition'^j le coupable HO LEGISLATION. reconnoit-son erreur et se corrige ; le» surveillans alors cessent leurs visites^ et comnie la societe a ignore qu'un de ses membres eut subi radinonition, il n'eprouve aucune humiliation. Les feinmes exerceiit la m^me au- torite entre elles, et admoiietent comine les hoitimes. Si les surveillans trouvent le pecheur trop endurci, et enfin s'ils renoncent a I'espoir de le corriger, ils en instrui- aent les membres de la reunion de 4otis les moiSjle jour oii ils sont assem- blees. Dcs qu'on a prouve la verite ties falts qu'on allegue, alors I'assem- blee du mois se saisit de la question. Cette assemblee du mois dresse un proces verbal de I'acte d'accusation^ et nomme une commission coiivpo^ee quelques membres^, qui sont char- ge§ de visiter I'aecuse, de I'examiner, de s'ocGuper de lui. Cet acte est coiisidere alors comme / LEGISLATION. 141 public, ou comme acte de I'egUse ; il n'est plus noinme admonition^ mais IruiUmcnt* (dealing). Lc conpable, pendant que la com- mission traite avec lui, assiste anx as- semblees religieuses, mais il ne vient pas aux assemblees legislatives ou de discipline. Si les membres de la com- mission apres avoir traite avec le cou- pable, voyent qu'il se repent, et qu'il veut se conduire d'une maniere Chre- tienne, alors ils font un rapport a I'as- semblce du mois ; un acte est dresse, dans lequel il est dit^ que le coupa- ble a donne satisfaction. Quelquefois inem€', il envoye un ecrit dans lequel il exprime son repentir. Depuis ce moment, il prend part a\ix as:scmblces legislatives, et se retrouve dans la so- • L'expresbion Anglaise, to deal with, ni'a serable ne pouvoir itre rendue que par le mot traiter. Les membres de la commission sont comme les medecins de I'ame du coupable, c'ett un traitemenl moral qu'iU font. Je crois cette traduction juste. 142 LEGISLATION. cielCj comme si rien ne lui etoit arrive ; il n'cst permis a persomie de iai re- procher ses fatite!«. passees. Mais si an contraire tons les efforts ont ete \ainSj et si la connnission con- sidere le coupable comme incorrigible^ elle fait son rapport a I'assemblee du mois. Le coupable est alors desavoue publiquement de la societe. Get acte se nomme desaveu ( disownment ). Le desaveu est constate par un titre appelle temoignage de desaveu (tes- timony of disownment), dans lequel on relate la nature de roffense, et les moyens qui ont ete employes pour sauver le coupable ; on y cxprime aussi le desir que le pecheur sc repentC;, et qu'il puisse rentrer dans la societe. Si le condamne considere le juge- nient comme etant injustCj il pent en appeller a I'assemblee de quart ier. Les membres de cette asscmblee nom- ment une commission, qui ne peut etrc 4 LEGISLATION. 143 c'oniposeo d'aucun des membres de I'asseinblee da mois, qui a prononcc ia sentence. Cctto commission revoit I'afFaire ; si elle confirme le jugement, le condamne peut'en appeller a I'assem- blee annuelle, qui se tient a Londres. Cette assemblee nomme une commis- sion de vingt six membres, qui sont deputes des asscmblees de quartier ; inais aucun ne doit avoir etc de I'as- semblee qui a prononce la sentence dc desaveu. Ces vingt six deputes examinent la cause ; s'ils confirment les j)remiers jugemens, le condamne peut encore en appeller a I'assemblee annu- elle en masse. Aprcs cela, il n'y a plus d'appel. Meme apres le jngcment de I'assem- blee annuelle, si Ic condamne donne des preuves satisfaisantes de sa bonne conduite, il peut redevenir membre dc la societe. Mais il faut que cette admission se fasse par le moyen des 114 LEGISLATION. meinbres de rassemblee du inois qui ont proiionce la premiere sentence. Les femmes, quoiqu'elles puisseiit admoneter, n'ont pas le pouvoir de trai- ler, avant d'en avoir consulte Tassem- blee des homines. Elles ne peuvent pas non plus desavouer. Les hommes sont seuls investis de ce pouvoir. Si les surveillans ne remplissent pas leur charge avec douceur et justice, lis sont eux-memes admonetes, et sont soumis a la meme discipline que les autres membres. Le pauvre a aussi le droit d'admone- ler; ilquitte sachaumiere^et vient faire entendre la voix de la verite dans la maison du riche ; il est re9u comme un frere ; les Amis n'admettent pas les distinctions du monde ; le puissant pour eux c'est Dieu. La fortune, ils ne 4'estiment que parcequ'elle sert a sou- lager les malheureux. Les Amis, voila Icur titre ; ils dcdaignent torn les autres. LEGISLATION. 145 Lcs Amis out dcs assemblees qui se tieniient tous les mois, tons les trois mois, et annuellement. 11 suffira d'expliquer une de ccs as- semblees du mois, elles sont loiites or«janisees de meme. Les Amis divi- sent un comle en iin nombre de parties, selon leur population. Duns cbacune de ces divisions, il y a plusieurs niai- sons pour lcs assemblees religieuses et les assemblees legislatives, et ces mai- sons servent a une congregation. Aiii- si naturellement. les Amis qui babi- tent le nord d'un comle sont attaches a la maison d'assemblee ou de reunion qui est etablie dans le nord du comte : il en est de meme pour les habitans du centre et du midi. Les assemblees du mois sont com- posees des membres des congregutioiis parliculicres des districts. Au jour fixe poiir Tassemblee, les liommcb et Ica femmes deputes se reii- N J4G LEGISLAtEON. tlcnt a la maison assignee a Icur sion. Une assemblee religieu-e pre- cede toujours I'assemblee legislative ; Ics hommes et les feinrnes y assistent ensemble ; mais apres ils se separent, ct vont dans des salles dif^erentes pour Iraiter des affaires confiees a leiirs soiiis. Les fenimes s'occupent particuliere- ment de tout ce qui a rapport a Icur sexe. Le premier acte de I'assemblee dii mois, est de lire les proces verbaux dc sa derniere assemblee ; de cette manierc on salt si rien n'a ete oublie_, et s'il nc reste pas quelqu'affaire a terminer ; dans ce ca«, cette affaire devient Ic premier objet dont on s'occupe. L'as- semblee examine les reclamations^ ct les demandes des congregations par- ticulieres. La plupart de ces demandes ont rapport aux pavivres. On provient a leurb besoiiib^ on s'occupe de I'edu- LEGISLATION. 147 cation de leurs enfaus ; on cnrcgistt e les naissances, les manages, les moi tK ; les propositions de maiiage sont re- vues, et une commission est nommeo pour les examiner. C'est aussi datis ces assemblees qu'on nomme mie com- mission, chargee de visiter les mem- bres coupables qui ont resiste a I'ad- monition ; on prend en consideration les demandes de ceux qui veulent faire partie de la societe. On se prepare pour repondre aux questions au temps convenable ; dcs instructions sont donnees aax reunions particulieres, et des certificats delivres aux ministres, qui vont faire des visites dc famillc. Dans ces assemblees, tous les mcm- brcs indistinctement, ont le droit de prendre la parole. Le pauvre qui re9oit les aumones du riche, peut aussi donncr son opinion, ouvrir des ques- us LEGISLATION. approiiver et rejeter; et aucun ne peut I'intcrrompre. Les jcunes gens qui sont presens, apprennent a connoitve les afiaires de la societe, se preparent a deve.iir des inembres utiles^ et a respecter les pau- vres. Les Amis dans leurs assemblees, examinent nne matiere a I'exclusion de toute autre ; et ce n'est que quand elle est entierement terminee, qu'on s'occupe d'une autre affaire. Le Secretaire de Tassemblee dresse uu proces verbal qui contient la sub- stance et la decision de la questiou. Ce prores verbal est lu a haute voix 1 Tasseinblee, qui juge s'il est exact. Quand un second point est discute, on precede de ineine, et ainsi de suite^ jusqu'a ce que les afFaires de rasseni- blte soient linies. Cette manierc dc proceder est la meuse dans rassemblce des t'emme«. LEGISLATION. IM) il y a aussi des femmes-secretaires qui lisent les proces verbaux ; elles discii- teiit, deliberent et enregistreiit leurs conclusions ou jugemens. Les jeuiies personnes sont presentes aux asscm- blees. 11 est d'lisage, qiiand les femine* ont tenniue les affaires de ieur assem- blee, qu'elles euvoyent uue d'elles, comme messager, dans la Salle ou sont les homines, pour savoir s'ils n'ont rien a Icur coininuniquer. Le messager ayant rempli sa mission, et chaque chose etant reglee et enregistree dans Tassemblee des homines, et dans celle des femmes, alors I'assemblee du mois est dissoute ; et chaque mem- bie est libre de retourner chez lui. Les assemblees de quartier, ou de trois mois, sont bcaucoup plus impor- lantes que les assemblees du mois^ qui u'iuspectent que les affaires de qucl- n3 150 LEGISLATION. ques coiigrej^ations ou reunions par- ticiilieres. Les assemblees de quartier ont la smintendance de toutes les assemblees du moiSj qui envoyent chacune plii- sieiirs deputes, homines et femmes, qui torment I'assemblee de quartier. Ces deputes doivent etre instruits des affaires de I'assemblee qui les eii- voicj et de tout ce qui a rapport aux institutions de la societe. Ces assemblees de quartier sont toujours precedeeSj comme celles du inois^ par des reunions religieuses ; puis ensuite, les liomnies et les femmes se separent pour s'occuper des affaires publiques. Lc secretaire 176 M(EURS ET COLTUMES. ni pretreSj iii avocats, ainsi il ne reste giiere que le conivnerce. La traite des noirs est defendue aux Amis, ils la considerent comme contraire aux loix divines et humaines. Les Amis n'usent pas du droit de guerre et ne s'emparent pas des vais- seaux de commerce, cette capture leur semble un vol manifeste. Ils ne fabri- quent point la poudre a canon^, ni au- cune arme, ne voulant pas aider a la destruction des hommes. Ils ne font pas la contrebande, ils ne voudroient pas priver le roi de ses droits ; il faut " rendre a Cesar ce qui est a Cesar/' disent-ils, et ils ne s'ecartent jamais de ce principe de I'evangile. lis n'ai- ment pas les eiitreprises hazardees, ils pensent qu'il vaut mieux se conteiiter d'un gain modere^ que risquer ce qu'on a, et s'exposer aiusi a ne pas remplir ses engagemens. Les Amis sout d'une probite scru- MCBURS ET COUTUMES. 177 puleuse dans leiir coininerce^ et ne returdeiit letirs payenieiis sous aucuii pi e text e. Les Ainis doivent faire leui* bilau utie fois par annee, afiri de savoir si les depeiises n'excedent pas les reve- nus. Si apres I'inspection annuelle de ses affaires, un Ami se trouve dans I'im- possibiiile de remplir ses engagemens, il doit iinmediatement declarer sa po- sitiou a quelques rnembres de la so- ciete, et a ses piincipaux creancierSj et demander leur avis, afin de savoir comment il doit agir, surtout, il iie doit pas payer uu creancier de preference a nn autre. Quaiid la banqueroute est declaree, une commission est nommee par I'assemblee du mois, pour examin- er les affaires du banqueroutier. Si son malheur est la suite de sa mau- vaise conduite, il est desavoue de la 178 MffiURS ET CeUTUMES. ' societe. II peut y etre admis de noii- veau s'il se repent sincerement de ses t'autes^ et s'il paye toutes ses dettes. Si le banqueroutier a pris des arrange- mens avec ses creancitrs, et si la com- mission les approuve, alois avant Ten- tier payement de ses dettes^ il peut redevenir membre de la societe. Mais on ne re9oit de lui aiicun secours pour les pauvres tant qu'il doit quelque chose. liC refus d 'accepter ses con- tributions charitableSj est fonde sur le principe que I'argent d'un banque- routier appartient a ses creaiicierSj et qu'il doit avant tout les salisfaire. II n'y a jamais prescription, disent les Amis, pour payer ce que Ton doit. Aussi on a vu pliisieurs fois des mem- bres de la societe, apres un laps de temps considerable, payer d'ancienncs dettes, que les creanciers eux memes avoient presqiie oubliees. M(£LKS ET COUTUMES. 179 Les Amis peuvent surement comine les autres homines etre divises d'iii- teret, mais jamais ils n'en viennent a des moyens violeiis, jamais ils ne font retentir les tribunaux de leurs plaintes. Georges Fox vouloit que tous les differends qui s'eleveroieiU entre les Amisj fussent soumis a des arbitres ; que ces arbities fussent choisis panni les membies de la societe. Cette forme de justice lui sembioit selon I'esprit de I'evangile, et s'accorder avec ce que dit I'apOtre Paul, " que tous les " dift'erends qui pourroient survenir " entre des Chretiens^ devoient etre " soumis a, la decision des hommes les " plus vertueux." Cette justice etablie par Georges Fox est toujours suivie par les Amis. Les aflaires les plus importantcis concemant des grands interels ne se decident (juc par abitres, Ainsi les 180 M(EURS ET COUTIJMES. jugemens s'obtiennent plus vite, sans frais, et sans cette malhenreuse pub- licite des tribunanx, qui nuit toiijours aux deux parties. Si les difficultes ne sont pas de na- ture serieuse^ les Amis doivent tacher de les terminer sans avoir meme re- cours aux arbitres ; niais s'il en faut venir la, et si les parties divisees nc se pressent pas assez d 'arranger leurs affaireSj les surveillans et les autres membres de la societe qui ont connois- sance du cas, doivent offrir leurs avis aux parties ; si elles rejetent ces avis, une plainte en est portee devant I'as- semblee du mois, qui represente la congregation dont les membres divises font partie. Cette assemblee s'etant saisie de la question, les parties se trouvent soumises aux loix de la so- ciete ; et si apres avoir ete admonetees €t traitees, elles persistent a refuser W(EUKS ET COUTUMES. 181 I'arbitrage, alors elles sont dcfiavouees de la societe. Les arbitres doivent juger coimnc des Chretiens, et dans la craiiite du Seigneur, Avant de rendre leurs jugc- ment, les arbitres demandent aux par- ties un certificat qui constate qu'ils sc sont bien iiiformes de leur affaire. Quand un differend s'eleve eiitre uu Ami et un individu qui n'est ])as de la societe, I'Ami commence toujonrs par proposer I'arbitrage ; si I'auire le rcf'ij?eme qu'il etait en 1653. Ainsi depuis plus de cent cinquantc ans, I'usage etabli par Georges Fox a etc observe ; ni rexem|)le du monde, ni le ridicule qu'on a voulu jeter sur les Amis, rien n'a pu les corrompre ; ils nont resits deboui au milieu des an- MtEuas ET couruMEs, 193 / iK^es, conitne la date vivante de leur institution, et pour rappeller a la pos- terite les intieurs simples des preiiiiei-s Get espece d'uniforme des Amis est comme uii droit de surveillance, qu'ils ont donne au monde ; car aucun Ami lie peut se trouver dans les lieux qui lui sout interdits par ses institutioiw,' sans etre trahi par son habit. Mais ce n'est pas I'opinion des hornmes que les Amis craig'uent, ce monde qui jug'tj n'est pas le leur ; cleves dans des priii- cipes religieux, pour eux la voix d« la conscience ne sc fait pas entendre en vain. lis sont homines, i!s peuvcnt etre agites par les passions, mais ils tachent d'y resister. Le luxe est aussi interdit^ux Avni^ dans I'anieuhleuient de leurs nuiisons;. De beaux meubies auroient les mSme^? inconvenieTJS que de beaux habiti? ; ils cucourageruient et enlrtliendroiea! 194 MOEURS ET COLTUMES. I'oro'ueil et la vanite. Les Amis^ queF- ques riclies qu'ils soient, savent sacri- fier leur amour piopie a I'ordre et au bieu public. On ne voit chez eux iii etofFes brillautes, ni dorures, ni ces ornemens superflus, qui n'ajoutent rieu au bonheur de la vie. II est rare qu'un Ami consente a se laisser peiti- dre ; ils se coiisidcrent comme des pau- vres et miserablos creatures, d'uu pen plus de valeur seuleuient que la pous- siere et la ceudre; ils ne veuleut pas de ces images qui nc represeutent que le corps ; le souvenir qu'ils desirenl qu'on conserve d'eux est d'une autre nature ; ils laissent a leurs enfans, a leurs Amis, leurs vertus pour modele. Georges Fox qui scrutoit tout avec I'oeil d'uu reformateur, crut apperce^ voir dans le langage usite des abus qu'il voulut reprimer. Plusieui s expressions lui semblerent tontenir des flatteries basses; d'autres MCEURS ET COUTUMES. 195 ^tre contraires a la veiite. Une des premieres conditions du christianisme c'est la verite. Et les Amis comme de purs Chretiens^ devoient changer un Jang-age qn'ils croyoient s'en eloigner. Leur premiere innovation fut de siibstituer le pronom toi, au proiiom V'Ous. Le tutoyement sembla plus na- turel a Georges Fox, et il I'adopta pour lui et ses sectateurs. En suivant les regies de la gram- inairCj c'est sans doute une faute d'em- ployer le mot vous au singuiier. Aussi les Amis, pour justifier leur opinion, firent paroitre une apologie du tutoye- ment. Cet ouvrage, aussi-tot qu'il fut pnblie, fut presente au roi Charles IL et a son conseil, Le roi convint que les Amis avoient raison, et que le pro- nom vous employe au singuiier, n'etoit pas I'expression propre. Ce livre fut tr^s repandu, et I'efFet qu'il produisit fut de diminuer les preventions.; les 196 M. u que c etoit le meme que Mercure. \ Thor ou Taran, noms sous lesquels les Celtes aSpftient Jupiter, a qui ib iounoiaient d£s victimes hutHaiucj. MOCURS ET C0UTUME9. qiiatrieme jour — ct ainsi de suite jnsqu'a, Sauiedi qui naturellement se trouvc le scptieme jour. Pour la lueme raison qu'ils ont change les nonis des jours, les Amis ont aussi change ceux des mois qui ont une origine paycnne. lis desig- nent Janvier le premier mois ; Fev- rier, le second mois ; Mars, le troi- sieme mois — et ainsi de suite jusqu a Deceinbre le douzieme mois. En parlant des apotres, les Amis n'etnployent pas I'expression de saint ; ne reconnoisant pas I'autorite papale, ils n'admettent pas la canoriisation. Les Amis ne disent point ces mots d'usage — un heurenx hasard ; ils ne croyent pas au hasard. Ils n'ont pas I'exageration de langage .qui donne lieu a ces petites fausseles de societe qui nuisent taut au naturel, et nieme au caractere. lis ne dcmandent pas mille pardons pour de legeres fiiutes ; 202 M(EURS ET COUTUM'ES. ils disent;, Je suis fache d'avoir agi ainsi ; et ils sont faches. Ils ne disent paSj Je suis desole^ on enchaiite pour • des riens ; leurs paroles sont simples, parcequo leurs pensees sont elevees, at que I'habitnde de la reflexion leur a donne cette mesurCj et ce tact^ qui sont le charme et la surete de la so- ciete. Jamais non plus ils ne disent^ bofi jour, hon soir, bonne nuit ; ils pensent que toHS les jours, toutes les nuits, tons les soirs, sout egalement bon*, que le souhait des hommes ii'y pent rien^ et qu'ainsi ces phrases d'usage sont vuides de sens et inutiles* lis s'informent avec beaucoup de bien- veillance de votre sante. En partant, r«xpression dont ils se servent est celle- ci. Farewell, que nous traduisons par Adieu, mais qui signiftej Vivez hien. On a reproche aux Amis, comme un ^ibws de motSj de donner a tout le M(EU11S ET COUTUMES. SOS monde indistinctement le nom d'Ami. 11 est facile il me semble de les justi- fier ; et pour cela il ne faut. que les expliquer. Entre eux ils s'appelleiit Amis^ parcequ'ils trouvent cette ex- pression bienveillante ; ils ne croiroient pas juste de faire une difference pour ceux qui ne font pas partie de leur societe ; car leur tolerance est vraie comme leur piete. Toujours ils se- roient prets a secourir, a aider celui qu'ils appellent Ami, non seulement comme hommc^ mais comme chretien. Aiiisi ce nom d'Ami n'est point uu abus, car ils en remplisscnt tous les devoirs, aussi bien qu'ils en profcssent les sentimens, Georges Fox ne se sournit point a I'usiige d'oter son chapeau en signe de respect^ ni de saluer en iuclinant le corps. 11 trouvoit que les hommes compromettoient leur dignity par 204 MffiURS ET CDUTUMES. vains honneurs qu'ils se rendent les uns aux autres. Dans leurs asseinblees relioieuscs, Itis Amis^ soit qu'ils prechent ou qu'ils prient^ ont la tete decouverte, aiusi ils penscnt qu'ils ne doivent pas rendre le meme honneur aux hommeSj et con- fondre ainsi le Createur et la creature. En generalj ceux qui ne connoissent des Amis que Icur raepris pour les usages re^us^ les croyent un peuple grossier, Mais coinbien cette erreur est grandc. J'ai visite les Amis, depuis le pauvre jusqu' au riche, et chez tuus j'ai trouve cette bienveillaiiie bonte qui est la vraie politesse. Ils riennent a vous en vous teiidant la main, ils vous entourent de soins ai- enables ; ils ont ia bonne maniere en- iin, car on est vite a I'aise chez etix, on se croit cliez soi. Les Amis aiment qu'on soit libre chez ea\, et ils y au- txHiseot par \eur coiiduite. lis vaquetu MffiURS ET C0LTUME8. '205 a leui-s affaire3 comme s'ils etoieiit seiils; ils rie font point d'excuscs de cctte rnaiiiere d'agir ; mais il y a tant de natiirol, de simplicite, dans ce qii'ils font, que nieme les gens les plus sm- ceptibles ne poarroient s'en ofFenser. On pourroit croire aussi qu'il y a peu de ressources de conversation chez les Amis, puisqu'ils out renoncc aux plai'^irs du monde. Mais beau- coup d'entre-eux soiit instruits, par- lent j^lusieurs langues, connoisscnfc bien I'histoire et la litteraturc ; ik ai- nicnt en general I'bistoire naturtlic. Enfin jc ne crois pas que chez lc3 Amis on puisse regret ter la musiquc, la dansc, les spectacle, on n'y penso pas; mais revenu dans le mondc, io souvenir dcs Amis occupc, distrait, et c'est avec bonheur qu'on se retrouve parmi cux. Quclqucfois dans imc scciele ou re trouvcnt plui^ietii s Anii'^ rcunis^ la ccn^ s "206 MGEURS ET COUTUMES. versation s'interrompt subitement^ ct le recueilleiTient devient general ; ce si- lence se coiiununiquej on n'auroit pas le desir, ni meme je crois, le pouvoir de parler, tant est viaie Tinfluence leligieuse. Un des Amis a ete saisi d'une pensee religieuse ; I'expression de sa figure^ sa contenance^ revelent, ce qu'il eprouve. Alois par -'respect, pour ne pas le detourner de^Sa medi- tation,, on sc tait. Ces pensees, ces reveries religieuses, quelquefois s'ex- priment par la parole. Quand Toratcur a fiiii, un silence de quelques iiistans Buit encore, puis on reprend la con- versation qui avoit ete interrompue. Au reste, cette circonstance est assez rare, et n'arrive guere que dans les visites de famille des ministres. Avant les repas, les Amis se recue- illent un instant, ils rendent grace raentalement ; quelquefois ils parlent, maia seulement quand ils se sentent MGEUUB ET COUTUMES. 9.01 bien penetres, et non pas machinaW- ment comme qiielques iiiis le tout bie^i souveiit en lepetaiit leur btiiedicite, qui est !e incme pour tous, quelles que pnisseiit etre les differentes pen- sees. " Les dispositions du cosur/' disent.Ies Amis, " ne sent pas aujourd - " hui ce qu'elles etoient hier; doit-on " avoir des mots prepares pour remer- ^' cier D'leu." Les Amis n'ont point d'affectation ; tout est simple chez eux, parcequ'ils sout vraiment persuades. Aussi leurs usages, quoique bien differens des au- ties, ne pcuvent preter au ridicule ; il y a quel que chose de Irop serieux de troj) religieux pour exciter le rire ; on peut surement les couihattre, mais la critique des iiomnies lexers et su- ])erticiels ne sauroit les atteindre. Georges Fox bannit de sa societe la musique, la danse, les spectacles, le jeu, et la chasse ; considerant ces pki- SOS MtEVRS ET COLTLftiES. sirs lion seuleinent comme einployaut ct perdarit uii temps precieux, inais aussi comme darigereux pour les mceiirs et pout* la morale. Les Amis considerent le calme dc I'ame comme une des premieres con- ditions du christianisme^ c'est ponr- quoi iis craignent tout ce q^ii pent u^itcr I csprit et exci^er^ ]c:-s pa^^sions. Qiiaiid i-iatoti forma ce qu'il aj)[)elloit sa pure republique, il en cxclut la iiiusique. Georges Fox pensoit que la mu- sique^ coiiune faisant partie du culto rciig'ieiix, etoit une cou.pable distrac- tion ; SOS sectataires partagerent son opinion, et de p!us^ conslderefit la nm- fcique comme dangereuse, parcequ'elle entrains dans le monde ; car celui qui posst'de un talent veut Ic faire bri!!er; les rcsultats de ect art, sembleut aux Amis devoir produire I'cnvie, I'amom- proprc^ I'orgueil, lis j^enseut aussi MCEURS ET COUTUfiVIES. 209 que la musique iie tend pas an but le plus important tie I'education, qui est le devcloppeinent et les progres de I'esprit ; si elle a quelque efFet dans la civilisation, disent-ils, ces effets se inontrent dans les formes, et n'influent pas sur le moral. La musique, quoi- qu'elle inspire de doux sentimens, n'enseigue pas la vertii ; peut-etre elle pent adoucir les sauvages. chez qui les impressions sout tout; mais une com- munaute chretienne^ dans I'opinion des Amis, ne pent admettre de civili- sation que celle prodnite par les prin- cipes du christiauisme. La musique n'a rien de solide, de durable, elle peut agiter comme les liqueurs fortes, mais quand cette ivresse est passee, les sens s'engourdissent de nouveau. La musique n'a point de but, elle ne peut consoler I'ame quand I'ame est triste, et si les Amis croyoient a la musique le pouvoir de consoler, c'esfe f 3 210 MOiLUS ET C0UTUMP^. 1 surtOLit alors qu'ils la peiiseroient dan- gereuse, puis qu'elle tletourneroit 1'- hoiTinie de son vrai, de sou unique consolateur. La musique ne peut produire des pensees qui eleveiit Tame aux choses sublimes Les sous les plus nneiodieux que puisseat rend re les instrumeus sout terrestres^ ils sont I'ouvrage des houimes. La vraie elevation ne peut \enir que de la source divine. Ainsi done les Amis^ ne voyant point d'u- tilite morale dans I'etude de la mu- sique, I'excluent de leur societe. Je demandois un jour a uu Ami, si cependant il ne pensoit pas qu'il y auroit de la musique dans le ciel? je le crois, rtpondii-il, mais il n'y aura pas d'instrumeiis. Oui;, la pure union des ames pro- duira la celeste harmonie, les anges rediront ees sons d'immortalite, lou- MCEURS ET COUTUMES. 21 L J anges de I'eternel, qui proclameroiit et sa puissance et sa bonte. Georges Fox protestoit contra tous les spectacles, 11 n'est pas permis aux Amis d'aller au spectacle. lis ne sont point d'avis que la coniedie soit une ecolc de moeurs ; car quand elle croit enseigner la morale, c'est plutot les vertiis fa- ciles du paganisnie qu'elle montre, que les loix douces mais severes de I'evangile ; et quand elle veut corriger le vice, c'est platOt en le rendant ridi- cule qu'odieux ; elle le fait fuir par la crainte des hommes, et non par la crainte de Dieu. Les Amis croyent que les spectacles sont contraires au bouheur des horn- mes, en ce qu'ils distraisent leurs pensees des pratiques et des devoirs religieux, qui, selon eux, sont les seules jouissanees du vrai chreticn. 212 MtEURS ET taUTLMES. lis lie permettent pas que leurs eii- faiis apprennent a danser ; ils conside- rent cet exercise comme futile et in- digne dc rhomine. Pour les Amis, I'action d'apprendre a quelque chose de serieuX;, dont les resultats doivent servir au perfection- nement des facultes. II est tout simple que des hommes qui consacrent a la meditation et a la reflexion, meme les courts instans qui separent leurs oc- cupations, prennent I'habitude et le besoin des clioses serieuses et utiles. La danse entraine les bals, les bals c'est le monde, et le moude des Amis est un monde religieux. Georges Fox n'avoit rien oublie de ce qui pouvoit etre utile a sa societe. II recommandoit sartout que les Amis ne lussent point de romans ; disant, qu'ils avoient une pernicieuse influ- ence sur I'esprit. Le danger des ronians, disent les HCEtUJS ET CaUTUMES. 213 Amis, Gst" de faire croire aux liomnies our pourvoir a lear i-nnrrif ^ Dieu donna a Noe et .-;cend- aus la permission d'nser tie ce privi- lege; il n'y a sureuieut aucime ex- ception ; les animaux sauvages, aussi Iwcn que les aniiuaux apprivoises, peu- \ent servir aux besoins des hoinmcs. Miiis il ue s'ensuit j)as parceque les hommes out ce droit sur les animaux, ♦prils doivent les sacrificr a leurs bar- 1214 MOSURS F.T COBTUMES. bares plaisirs ; et ici conimencent les objections de Amis contre la chasse. La chassCj disent-ils^ comine amiise- meut seuleinent, est iin plaisir cruel. Un pauvre animal est quelquefois poursuivi pendant des heures, on pro- longe son agonie, car ses souffrances commencent avec sa premiere crainte. Ce n'est pas pour pourvoir a sa de- fense ou a sa nourriture qu'on le dq-- truitj mais uniquement pour s'amuser. Ce plaisir inhumain ne peut etre ap- prouve des Amis. lis ne considerent pas les animaux comme des creatures ^gales a I'homme, mais aussi comme des creatures de Dieu^ crees par lui, et pour lesquelles ils doivent avoir cette pitie et ce sentiment de protec- tion que le fort eprouve pour le foible. D'apres cette opinion, les Amis se font des devoirs envers les aninjaux. Ils veuLeut que toujours on se rappelle. Mucins ET COUTUMES. 215 que cette espece cliOcTente de la notre a cependant la meme origine, que Dieu nous I'a dqnnee dans sa prevoy- ante bonte, que nous pouvons user de v^ce bienfait uiais ne pas meconnoitre 1^;. le but du createur en fourmentant sa creature;, et en troublant I'harmonie de la nature. Nous craignpns de detruire I'ou- vrage des lionnneS;, nous respectons le niarbre et le bois, et nous ne craind- rions pas de faire souftVir ce qui e- prouve la douleur^ dont les geinisse- meus se font eulendre et reclament notre pitie. Oh ben is, niille fois benis, soient les Amis dont la religieuse hu- manite epargne la souffrance inutile. Peut-etre y a t'il ^es objections k opposer aux Amis sur leur mode d'edu- cation ; mais comment se servir avec eux de froids raisonnemens, ils repon- dent par des seytimens. D'ailleurs, ils 8e croyent guides par des revela- 2i6 M^URS ET OOBTUMES. tions divines, et ils asrissent d'anres cette id6<3. On peut detmire les so- pbisjp.es, les raisonnernens spccieux de I'esprit, mais poiirquoi attaquer dcs gens de bonne foi, francheuient per- suades, et combattre des principes qui servant a leur vertu a leur bonheur ? Ce n'est pas une opinion individuelle dont il s'agit, c'est une societe toulc enticre qui se dirige d'aprcs les m^mes scntimens, et qui offie des resultata suffisans pour satisfaire le philantrope. Cliez les Amis rien n'est brillanf^ tout est serieux, on ne pent ^tre seduit, entraiiie par des formes austeres, des habitudes rigides ; mais la piense sini' plicite dont ils s'entourent, la purele de lieur morale, penetreut I'ame ; en entendant Icurs prieres, en voyant leur recueiUement, on eprouve une emotion religieuse qu'eux seals, peut-etrc, pau- vcnt exciter ar.ssi vivemcnt ; on diroit qu'ils vivcnt famili^Tement avcc Dicu, MCEUUS ET COUTUMES. 217 ils le melent a toutes lenrs pensees ; et pour se lendre digues de ces rapports divins, ils observent scrupuleusemcnt leur conduite^ et ainsi ils se rapproch- ent du ciel par leurs verlus. FIN. T MADAME FRY ET LA PRISON DE NEWGATE. MADAME FRY. Comment parler de Newgate sans faire mention de Madame Fry ; d'ail- leurs ellc s'oftre ici i,atiirellement, comme un beau resiiltat de hi societe des Amis, dont elle est membre et ministre. On pent loner le conrage, exalter la gloire, niais pour dire ia piete, la vertu, rhumilite, il faiit un autre lan- gage, et ;;eroit-ce avoir compris Ma- dame Fry, que lui douner un dc ces froids eloges, circulaire academique, T 3 222 MADAME FRY. lieux communs qui s'appliqiieiit a tout le monde, parcequ'ils n'expriment au- cun sentiment. Ici ma tache est facile, je n'ai qu'a raconter, seulement je crains de n'oser tout dire ; admise dans I'interieur de Madame Fry, une sorte de pudeur m'emp^cliera de trahir ses vertus do- mestiques ; mais son caractere public fera comprendre ce que je tairai. Elizabeth Gurney, troisieme fille de John Gurney * d'Earlham Hall dans le comtc de Norfolk, naquit en 1780; elle perdit sa mere de bonne heure, et fut ainsi tres jeune livree a elle meme. Son pere, quoique membre de la so- * La noble et ancieniie famille de Gournay ou Gurney est originaire dc Ncrmandie. Ici surement in;e note chro- nologique pourroit p.iroltrc dcplacee. La vertu n'est-elle pas le plus b. au de^ tiires ! mais on me pirdonnera un peu d'orgiieil n;'t'i>n il, er jV , ^ fieie de trouver uae origine fran^oise a cette famille Gurney, si cminenimer.t superieure, ou les homnies et les lemmes sont egalemenc distiiigues ; qni rcunit les vertus et les talents, et dcpiiis le phiiantrope jusqu'au savant, et au legislateur, offre de beaux et honor- ablcs cxeniples. MADAME FRY. 223 ciete des Amis, n'etoit pas ties stricte, et laissoit a ses enf'ans une ^raiide li- berte. Elizabeth Gni ney, elevee dans le monde, y jouit de tons !es avantages que donnent la naissance, la fortune, et I'education. On la conduisif a Lon- dres ; elle voulut tout voir, essaya des plaisirs bruyans, puis revint en Nor- folk ; a cette epoque clle avoit dix- sept ans. Peu de temps apres son retour, selon I'usage des Amis, et comme cela arrivoit souvent, quelques ministres vinrent a Earlham pour y faire une visile de famdle. Alors la maison sembloit changer d'aspect ; les figures etoieiit plus graves; tout se ressentoit de la sainte visite. Cette fois surtout, Elizabeth Gurney fut tres frappee et [)enetree des lemons evan- geliques qu'elle entendit. Dans une ame comme la sienne, une impression religieuse ne pouvoit etre passagere ; trop pieuse et trop eclairee pour se 224 MADAME FRY. bonier a line inutile devotion^ elle proiiva sa foi par ses oeuvres; et bientSt apres elle pria son pere de lui per- meltre de convertir un des sallons d'Earlhani en chambre d'ecole. Elle y recut quatrevingt pauvres enfans ; cbaque jour elle alloit passer qiielques heures avec eux ; elle lenr lisoit la bible, et la leur expliquoit. Elle prit le cos- tnme simple des Amis, et renon9a aux fetes et aux plaisirs. En 1800, elle epousa Monsieur Fry ; sa bonte sa generosite justificnt bien la preferance que Madame Fry lui donna ; jamais il ne s'est oppose a ses bonnes oeuvres; au cfuitraire il lui facilite, il lui donne les moyens de souiager les maiheia'eux, en la laissant disposer chaque annee d'une somme considerable, qu'elle consacre entierenient aux besoins des pauvres. La vie de Madame Fry est reglee par les bonnfcs actions ; son temps est divise par ses visites charitables et MADAME FRV. 225 joiiriialieres. EUe iie fait auciine dis- tinction, les malheureux sont freres ; qu'iinportent les differences de pays, de religion ; la doulcar est partoiit la ineme, la bienfaisance doit done etre iiniversello. Madame Fry est toute a la fois et ie inedecin de I'ame, et le medecin du corps ; elle console, elle nourrit, elle donne et la bi})le et le vetement, et c'est aiiisi qsTelle ex- plique, qu'elle enseigvie I'evangile. Elle lie refuse pas ses siecours aux coupables ; elle ne comprend le vice que comme une maladie, et jamais elle ne s'eloigna des malades. Toujours occupee des malheureux et du bien qu'elle pent leur faire, Ma- dame Fry, instruite de I'etat deplorable de la prison des femmes a Newgate, resolut de la visiter. Elle s'adrcssa au gouverneur pour obtenir la permission d'y etre admise ; il repondit qu'elle courrcroit de vrais dangers en entrant 226 MADAME FRY. dans cet asyle du vice et du desordre, et que lui meme il n'osoit en approch- er; que les propos qu'elle entendroit et les horreurs dont elie seroit temoin, la revolteroient, et qu'il croyoit de son devoir de I'engager a abaridonner son dessein. Madanie Fry dit qu'elle savoit bien a quoi elle s'exposait^ et qu'elle desiroit seulemcnt la permis- sion d'entrer dans la prison, Le g'ou- verneur lui conseilia de ne prendre avec elie ni ta bourse ni sa inontre. La reponse de Madame Fry fut; Je te remercie ; je n'ai auciine crainte, je garderai ma bourse et ma montre." Elle fut conduite dans une chambre de la prison, ou se trouvoient a-peu- pres cent soixante femmes ; celles qui etoient condamiiees, celles qui n'etoi- ent pas encore jnuees, totites etoient confondues Les enfans eleves a I'e- cole du vice, n'etitendant, ne pro- ferant que des blasphemes, ajoutoient MADAME FRY, 227 encore a I'horreur de ce tableau. Les prisonnieres mangeoient, faisoient leur cuisine, couchoient dans la meme chambre ; enfin on eut dit que New- gate etoit un ant re de sauvages. Ma- dame Fry ne fut point decouragee ; la grace de Dieu est infinie, le vrai Chre- tien ne desespere jamais. Malgre une sante tres delicatCj et qui I'etoit sur- tout alors, elle persevera dans son pieux dessein. Ces femmes I'ecoutai- ent, la contemploient avec etonne- ment, cette belie figure si pure, si calme, sembloit deja avoir adoucie leur ferocite. Si la vertu se rendoit visible on ne pourroit lui resister^ a t'on dit, et pour moi c'est ainsi que j'explique cet ascendant extraordinaire que Ma- dame Fry exerce sur tons. Oui, la vertu s'est rendue visible, elle a pris les traits de cette femme bienfaisante ; qui, telle que la priere, console et guide les hommes. Madame Fry s'addressa 22S MADAME FRY. aux prisoniiieres, vous semblez mal- heureuses/' lenr dit-elle, vous man- quez de vetemens ; n'aimeriez vous pas qu'un ami s'occupat de vous, vint sou- lager votre misere ?" " Certainement," repondireiit-elles, " nous ne deman- derions pas inieux, mais personne ne se soucie de nous et ou trouverions nous un ami?" Je suis venue avec le desir de vous servir^ reprit Madame Fry, " et je crois que si vous voulez m'aider, je pourrai vous etre utile." Alors elle leur dit des paroles de paix, , leur fit entrevoir resperance ; elle ne parla point de leurs crimes ; ministre d'un Dieu " tout amour/' elle etoit la pour consoler et pour prier, et non pour j'.iger et condamner. Quand elle voulut partir, ces femines se presserent autour d'elle comme pour la retcnir, " vous ne reviendrez plus/' disoient- elles; mais Madame Fry promit de revenir. En cffet, bicntot elle fut au MADAME FRY. 2"^^ milieu d'clles ; elle cntra dans la pri- son avec I'intention cl'y passer la jour- nee; les portes sc feanerent sur elle, et elle dcmeura seule avec les prison - nieres. " Vous ne pouvez penscr/' leur dit-elle, " que je sois venue ici " sans en avoir re9U la commission ; ce " livre (elle tenoit une bible ), le guide " de ma vie, m'a conduit vers vous ; " il m'ordonne de visiter les prisou- " niers, et d'avoir pitic des paiivres et des atHigcs ; je suis prete a I'aire tout ce qui est en mon pouvoir, mais mes efforts seroient vains si vous ne vou- liez pas les seconder." Elle leur demanda si elles ne desiroient pas qu'elle leur lut quelques passages de ce livre qui I'avoit envoye vers elles. Elles y consentirent. Madame Fry choisit la parabole du pere de famillcj St. Matthieu, cii. 20; et quand elle en vint a cet homme qui fut loue a la onzicme heure^ elle s'tcria^ " Voici u 230 MADAME FRY. " maintenant la onzieme heiire soniie pour vous, la plus grande paitie tie " Tos vies a ete perdue, mais Christ " est venu pour sauver les pecheurs ! " Quelques unes emanderent qui etoit Christ! d'autres disoient que surement il n'etoit pas veuu pour elles ; que le temps etoit passe, et qu'elles ne pou- voient plus etre sauvees. Madame Fry repliquoit, que Christ avoit souffert, qu'il avoit ete pauvre aussi, et que c'etoit surtout pour sauver le pauvre et l afflige, qu'il etoit venu. ISIadame Fry obtint que les enfans fussent reunis dans une ecole qui s'e- tablit dans la prison meme, et qu'on s'occupat de leur instruction religieuse. Les prisonnieres, malgre leurs vices et leurs desordres^ saisirent avec joic la pensee d'ameliorer le sort de leurs eufans. En rendaiit ces femmes au preuiier sentiment de la nature, I'a- «l MADAME FRY. 231 mour maternel, c'ctoit deja avoir beau- coup fait. Une feinine qu'on noinme la ma- tronCj eut la direction des prisonniereSj sous la surveillance des dames de la societe des Amis qui composent le co- mite de Newgate. Quand Madame Fry eut redige une regie de conduite pour les prisormieres^ un jour fut fixe^ et le Lord Maire et uii des Altlermeu etant presens a Newgate, Madame Fry lut a, haute voix chaquo article, en demandant aux prisonnicres si elles les auoptoicnl; elles devoient alors lever la main en signe d'approbation. La constitution de Madame Fry fut re9ue a I'unanimi- te, tant etoient vrais le respect et la confiance qu'elle inspiroit. Grace a la pieuse perseverance de Madame Fry, aux annees qu'elle y a consacrees, la Prison de Newgate a u2 MADAME FRY. diange tl'aspect ; I'influence de la ver- tii a aciouci I'horreur du vice; New- ^ate est de venue I'asyle du vepentir. Les veiidredis sent les jours publics on Ton peut visiter la prison ; on en- tend Madame Fry lire la bible aux prisonnieres, et souvent Icur en ex- pliquer des passages ; sa voix est bien belle, on sent qu'elle n'a jamais ex- prime que la vertu^ le son en est si pur 1 La feiie reine voultit voir ^tladams Fry, et lui ttmoigtsertoute I' ad miration que sa conduite lui inspiroit. La cite de Londres lui vota des remercimens ; cnfiu il n'est pas un Anglais qui ne bcnisse le nom de Madame Fry. Mais aussi dans quel autre pays que I'Angleterre, auroit-on permis a une femme, et surtout a une femme qui ne professe pas la religion dominante, de se meler des prisons^ d'y donner des MADAME FRY. 233 loix ? Partout ailleurs, des interets per- sonnels, des haines de partis, se seroient opposes aux grands resultats de la ver- tu perseverante. Dans ces temps de revolutions et de demoralisation, il est doux d'avoir a loner la noble indepen- dance d'nne nation, qui, forte de ses loix et de sa morale, ose donner au merite d'eclatantes distinctions sans etre retenue par aucun prejuge. Aussi utile a sa sectc qu'elle Test a Newgate, Madame Fry porte dans son ministere evangeliquc cette indulgence qui provient d'une vraie piete, et d'une conscience pure. Son eloquente mo- rale penetre I'ame ; on se croit meil- leur en I'entendant, ou du moins on sent qu'on peut le devenir ; on ne la craint pas, on I'ainie; enfin, elle est I'exemple de ses paroles ; comment ne pas les ecouter, les respecter. Que de details touchans je pourrai donner. u 3 234 MADAME FRY. Mais ici je terminerai cette notice ; heureuse de penser que Madame Fry est la^ qu'elle est jeune encore^ et que long-temps sa famille^, les pauvresj. et ses amiSj peuvent esperer la coiv- seiTer. NEWGATE, Parmi tarit de choses interessanfes a voir a Londres^ la prison de Newgate peut etre mise au premier rang. L'interieur de la maison a plutot I'air d'une manufacture que d une pri- son. Point de cachotS;, point de chaines, toutes les portes de commu- nications sont ouvertes ; le plus grand ordre regne dans la prison ; les pri- sonnieres sonmises aux loix qu'elles ont adoptees, n'essayent pas de s'en ecarter. Madame Fry a forme un comite compose de vingt quatre dames de la societe des Amis. Chaque jour quel- 236 NEWGATE. ques uiies d'elles viennent visiter les prlsonnieres, leur lire la bible, enfin passer une partie de la jouriiee avec elles; rien n'arrete leur zele, rien ne s'oppose a leur pieuse perseverance. IjCS dames du comite fournissent de I'ouvrage aux prisonnieres, et le leur payent quand il est fini. Puis ces ouvraiies se vendent les Veudredis, jours ou le public est admis a visiter la prison. L'argent qui provient de cette vente, sert a rembourser les dames du comite. La maison fournit le feu, le pain, le diner, le dejeuner, et deux onces de savon par semaine. Si les prisonnieres desirent quelque chose de plus, elles doivent I'acheter a leurs frais. On ne ieur donne point de lumiere ; elles peuvent en avoir, mais elles doivent aussi se la procurer. Je donnerai le detail de I'emploi du temps des prisonnieres. NEWGATE. 237 Elles se levent a six heures, se la- ventj font leurs lits, et baleyent lenrs chanibres. Puis ia femaie snrveillante (the ward-woman) vient voir si tout est en ordie, et distrihne une livre de ])ain a. chacjue prisonnierc, qui est la ration pour la journee. A hait heures^ chaciine re^oit une piute de gruaii pour son dtjcuner; apres elles net- toyent les ustensiles du dejeuner, et airangcnt leiu's chanibres. A neuf licures elles se nieiiont a I'onvrage. Tons les jours k dix heures et demic, quelques dames du coinite viennent lire la bible aux prisonnicreS;, qui se reunissent toutes alors dans la salle appellee chajnbre du comile. Apres la lecture elles retournent a leur ou- vragc. A midi le diner. Tons les deux jours, elles ont de la viande et une deniie livre de pommes de tcrre. L'au- tre jour, une pinte de soupe et des pommes de terre. Si elles veulent 238 NEWGATE. avoir de la biere ou du porter^ qui sont les seules boissons perniises, elles doi- veut I'acheter de leur argent. Elles lie peuveiit avoir que deux pintes de biere par jour. Apres le diner elles se remettent a I'ouvrage jusqu'a la nuit. A sept heures du soir en tte^ ct a cinq heurcs en hiver, le porte-clef vient les enfer- mer dans leurs chanibres ; la elles peuvent encore travailler si elles le desirent. Un monitcnr esttoujours avec elles. Ces moniteurs sont obliges de faire chaque jour un fidele rapport de la conduite des prisonnieres de leurs classes, aux dames du comite ou a la matrone. Le moniteur est choisi parmi les prisonnieres. L'election se fait ainsi : les dames du comite designent celle dont la conduite est la meilleure ; puis on retmit toutes les prisonnieres^ et on NEWGATE. 239 la leiir propose. Si elles n'ont aiicune raisonable objection a opposer^ le mo- niteur desigiie est elu. Ces moniteurs portent au cou una plaque en cuivre, sur laquelle est ecrite Moniteur/' et le numero de leur classe. Toutes les prisonnieres por- tent line plaque semblable^ sur la- quelle est marque le numero qu'on leur donne en entrant, qui sert a les designer, et aussi le numero de la classe ou elles sont placees. Les enfans des prisonnieres, legi- times ou illegitimes, sont recus dans la maison jusqu'a I'age de sept ans. 11 y a une ecole efablie pour eux dans la prison ; la inaitresse d'ecole est aussi une des prisonnieres Celle qui rem- plit cet emploi maintenant avoit ete condamnee a mort pour vol. Elle a obtenu sa grace, et a ele clioisie pour inaitresse d'ecole parcequ elle lisoit et 240 NEWGATE. ecrivoit bien. La conduite de cette femme est exem])laire ; et Ton peut dire que Madame Fry a opeue en elle une resurrection morale. II y a encore une autre ecole dans la prison, pour celles des prisonnieres qui ne savent ni lire ni ecrire, et qui desirent apprendre. La maitresse de cette ecole, ainsi que celle des enfans, re9oivent ^chacune des dames du co- mite, une livre sterling- tons les trois mois (vingt quatre francs.) Le comite, aide des * magistrats et des f dons particuliers, tburnit les * Je saisis avec empressement I'occasian de rendre jus- tice au bier.faisant magistral ie sheriff Williams, qui seconde si bien Madame Fry. Quand I'auiorile est placee en de si bonnes mains, I'obt'issance t'evient facile; ii est touchant de voir le respect et la confiauce que les piisonnieres de New- gate tdmoignent au SherifF Williams ; il leur parle avec tant de bont^ que loin de le redouter et de Ic craindre, ces mal- lieureuses femmes I'ccouceat avec une grande attention, et semblent ponetrees de ses paroles de paix ei de justice. ^ Ces d( ns particuliers sont tres considerables. Madame Fry eut besoin de londs pour ameliorer le sort des prison- nieres, et avant dc former le comite, elle s'adressa a un de bcs pateus, membra du Parlement, et lui dit le triste sort NEWGATE. 241 livres, le papier, les plumes, tout ce qui est necessaire aux rnalades, et aux femmes en couches et la layette des enfans. II y a une chapelle dans la maison ; les piisonnieres y entendent le service divin deux fois par semaine. Les niag'istrats ont investi les dames du comite du pouvoir de punir comme elles Ic jugeroient ccnvenable, les pri- sonnieres qui ne se couformeroient pas aux reglemens. Bien rarement on est oblige d'user de rigueur ; et cependant la plupart de ces fenimes ont commis de grands crimes ; mais I'ordre, la per- des prisonnieres. Get homme bienfaisant, lui remit de suite cent livres sterlings, quelque temps apres il renouvella le meme don en engageant Madame Fry a venir a lui quand elle desireroit d'autres secours. Les Anglais mettent au rang de leurs depenses necessaires le bien qu'ils font aus pauvres, et il est juste de le dire ils font un noble usage de leurs fortunes. Tons les etablissemens de charite en Angleterre; sont supportc", par des dons volontaires. Les Anglais savent donner non seulement avec generosite, maie aussi avec delicatesse, et on voit que pour tux donner t>t un plaisir aussi bien qu'un devoir. X S42 NEWGATE. severance, la justice, et la bonte^ sont des puissances auxquelles il est diffi- cile de lesister. La vertu etonne d'a- bord, puis subjugue^ et persuade enfin. Ainsi done, grace aux soins de Ma- dame Fry et des dames du comite^ ces malheureuses femmes, vouees a I'op- probre et a la misere, peuvent encore esperer un avenir ; on leur donne les moyens de se corriger ; on les aide^ on les soutient, et I'esperance leur est ofFerte comme la recompense du re- pentir. REGLEMENS POUR LA CONDUITE DES PRISONNIERES A NEWGATE. I. — Lamatrone, an nom ''de I'asso- ciation pour I'amelioration de la prison des femmes a Nevvf^atc," a I'inspec- tiou generale des prisonniercs ; tant eii ce qui regarde leur conduite, que par rapport a leurs ouvrages^ dont elUj doit tenir un compte exact. II. — Les prisonnieres etant divisees en classes, un moniteur, choisi parmi celles qui se conduisent le mieux, a I'inspectiou d'une classe. II est re- coinmande a chaque prisonniere dt x2 2U NEWGATE, porter const arament une plaque desig- naiit sa classe, et la place qu'elle y occupe. III. — Une des prisonnieres jugee pro- j^re a cet office, est nommee gardienne de la cour de la prison ; elle doit pre- venir les desordres^ et avertir ses com- pagnes quand leurs parens on leurs amis viennent les visiter ; elle doit veiller aussi a ce qu'elles ue restent pas a la grille au de-la du temps ne- cessaire^ c cst a dire apres que ks visi- teurs sont partis. IV. — II est defendu aux prisonnieres de rien demander a ceux qui visitent la prison ; si on leur offVe de Targent, eiles doivent refuser d'une maniere respectueuse, et prier que cet argent soit depose dans le tronc destine a re- cevoir les aumones qu'on veut bien leur faire, et qui sent ensuite partagees entre-elles. NEWGATE. V. — II est recommande aux pHson- nieres d'eviter tout sujet de querelles, et de ne point se reprocher leiir con- duite passee ; mais au contraire dc s'aider mutuellement. VI. — Ne jurez en aucune maniere en prenant le sacre nom " en vain." Toutes les mauvaises paroles^ les con- versations immoraleSj les actions et les gestes indecens, doivent surtout etre evites. VII. — Les cartes et tons les antres jeux, et aussi la lectures des pieces de theatre et autres livres pernicieux, et les chants immoraux, sont defcndus. VIII. — Les prisonnieres doivent se rendre dans la chambre du comite, matin et soir, pour entendre lire les saintes ecritures, excepte les jours ou elles vont a la chapelle. Aux premiers sons de la cloche, dix minutes avant que la lecture commence, les moniteurs 246 HEVVGATE, doivent rassembler les prisonni^rea dans leiirs quartiers, afin qu'elles soient toutes pretes quand la cloche se fait entendre pour la seconde fois. Alors elles doivent venir avec ordre prendre leurs places (chaque moniteur con- duisant sa classes) et quand la lecture est finie^ il faut qu'elles se retirent en silence. IX. — Les prisonnieres doivent ob- server la plus grande proprete, et mu- tuellement s'en faciliter les moyens. II leur est defend u de mettre en gages aucun de leurs vetemens. X. — Les moniteurs non seulement doivent surveiller et inspecter leurs classes^ mais aussi quand I'occasion s'en presente, etendre leurs soins et leur vigilance sur toutes leurs cotiipagnes. Les moniteurs doivent, si le cas le re- quiert, s'adresser a la matrone et re- clamer son assistance ; et aussi faire NEWGATE. chaque jour aux dames dii comitOj im fidele rapport de la conduite des pri- sonnieres. XI. — Si un raoniteur manque aux reglemenSj il perd sa place^ et est rem- place par celle des prisonnieres qu'on juge meriter le mieux cet emploi. XII. — Toute prisonniere qui croit avoir a se plaindre d'un inoniteur, est eu droit de porter ses plaintes a une des dames du comite ou a la matroue : mais si les prisonnieres se condiiisent mal envers les moniteurs quand ils exerceut leur empsoi avec justice et douceur, cette infractiou aux regle- mens est consideree comnie une faute grave. 248 NEWGATE. Pour encourager les prisonnieres a se bien conduire, le comite leur doiine comme recompense difFereiites choses utiles^ telles que vetemens, livres de piete, &c. &c. et cela plusieurs fois dans raunee. FIN. W. Phillips, -Jpipruneur.