:f^«^f £ibrar^ of ^he theological ^tminary PRINCETON • NEW JERSEY •3^^I)< Castel, E. b. 1829. I Les Huguenots et la constitution de I'Eglise .>t5 '''"■^^: ^f^iri wm rxmM:^ LES HUGUENOTS. ^W OF P(,M^ LES HUGIIEN ^o: ^lOhi %m ET LA CO.\STITUTM DE L tLISE IFORMi DE FRANCE EN ^559 PAR E. CASTEL AUMONIER DU LYCEE IMPERIAL LOUIS - LE - GRAND A PARIS. PIBLIE A L'OCCASIO\ DU JUBILE DE 18o9. PARISi, GRASSART, LIBRAIRE-EDITEUR 3, rue de la Paix, et rue Saint-Arnaud , 4. E. BEROUD, LIBRAIRE. 1859. PREFACE. Le dimanche 29 mai 1859 sera pour le protes- tantisme de notre patrie iine fete religieuse d'line exceptionnelle solennite : le premier Jubile , trois fois seculaire, de la Reformation francaise. Les commu- nautes evangeliques celebreront ce jour-la Tanniver- saire de leur reunion en une seule Eglise , demo- cratiquementorganisee. Le premier synode national , qui realisa cette grande oeuvre , s'ouvrit a Paris , dans une maison du faubourg Saint -Germain, le 25 mai 1559, sous le feu de la plus terrible per- secution. Quatre jours apres, sa mission etait accomplie. II avait uni les Eglises reformees de France par le lien officiel d une meme confession de foi et d'une commune discipline ecclesiastique. II n'etait point permis de laisser passer I'anni- versaire de cette memorable epoque , sans rappeler — VI — aux protestants de France et au petit nombre d'esprits independants qui , sans partager les doc- trines de la Reforme, ne sont pas entierement indifFerents a ses destinees , les circonstances au milieu desquelles fut tenu le synode constituant du protestantisme frangais , I'oeuvre qu'il consomma et I'esprit dans lequel il organisa I'Eglise naissante. G'est la tache que nous avons essaye de remplir dans la seconde partie du volume que nous publions. Gent autres etaient mieux qualifies que nous pour I'accomplir. Mais pour nous cette etude se deta- chait, en quelque sorte d'elle-meme, de travaux plus etendus ; et nous avons pense d'ailleurs qu'en raison meme de son caractere tout individuel et independant, elle pourrait avoir sa raison d'etre et se faire une place modeste a cote de la publication promise et preparee par la commission du Jubile. A ce travail nous avons cru pouvoir ajouter quelques recherches sur le fameux sobriquet de huguenots si longtemps porte par les reformes, et popularise peu de temps apres le premier synode — YII — national. Cette epithete nous a fourni Toccasion de passer en revue la plupart des attaques dont le protestantisme de notre pays fut I'objet des son origine. Peut - etre aurons - nous reussi a mettre ainsi en lumiere quelques - uns des procedes per- fides qui , par la persecution morale qu'ils consti- tuaient et par la persecution materielle qu'ils engendraient , conserverent au catholicisme la majorite du peuple frangais. II est facile d'apercevoir le lien qui rattache intimement Tun a I'autre ces deux morceaux , et les raisons de I'ordre qui leur a ete assigne. Si Tun nous apprend le triste secret des haines religieuses et de la persecution, I'autre nous montre I'admi- rable spectacle d'une Eglise s'organisant paisible- ment au milieu des gibets, pour ainsi dire, et sur la cendre brulante des buchers. Grande et profonde legon que la Providence toute-puissante de notre Pere qui est aux cieux donnait pour la seconde fois au nionde Chretien : la conscience est plus forte que la mort! — VIII — Si cetle verite, (Jui ressort clairement de 1' en- semble des faits que nous avons rappeles, pouvait servir a reveiller quelques ames endormies,^ for- tifier quelques esprits timides et craintifs, a rani- mer le zele et a soutenir les esperances de quelques disciples de TEvangile de Christ, notre etude au- rait atteint son but. II he nous resteraiit ^liis qu'a benir Dieu , auquel tout honneur soit rendu pour la grande oeuvre de Reformation religieuse et mo- rale accomplie, il y a trois siecles, dans notre pays, et pour la conservation merveilleuse dont elle a ete I'objet! E.G. Paris, avril 1859. LES HIGUEP^OTS. ORIGIXE HISTORiaUE ET ETYMOLOGIQIE DE CE MOT. Ce serait une histoire peu edifianle a la verite, mais curieuse et instructive, que celle des^obriquets illustres. lis furent longtemps I'expression la plus energique peut-etre du sentiment populaire. En attendant qu'elle put conquerir le droit de jeter plus regulierement son influence dans la balance des choses bumaines, I'opi- nion publique avait compris quel usage efficace elle pouvait faire du sobriquet. Elle s'y exer^a de bonne beure, et I'epitbete de parti devint entre scs mains une arme d'un redoulable pouvoir. Une des plus fines fleurs de I'esprit gaulois au seizieme siecle, le jurisconsulte Etienne Pasquier, a fait a cet egard la reflexion suivante : « Le plus grand malheur qui puisse advenir en une republique, c'est lors(jue, — ,2 — soit par fortune, soit par discours, Ton voit un peuple se bigarrer en mots de partialites. » Puis enumerant les querelles meurtrieres des Guelfes et des Gibelins, de la Rose rouge et de la Rose blanche, des Arma- gnacs et des Bourguignons , il rappelle a I'esprit du lecteur les mines sanglantes accumulees sous ces mots de partialites. Etienne Pasquier n'a pas ete le seul a eprouver la frayeur des epithetes de parti. A la meme epoque, un autre ami de la tolerance et de la paix religieuse , le chancelier del'Hopital, en comprenaitaussi et en signa- lait solennellement les dangers. Le 13 decembre 1560, aux etats generaux d'Orleans, en presence de Fran- cois II, du roi de Navarre, de Catherine de Medicis, des princes et des princesses de la famille royale, et des cardinaux de Bourbon, de Tournon, de Lorraine, de Ghatillon et de Guise, il rappelait, de meme que Pas- quier , (des maux apportes en Italic par les noms de Guelfes et de Gibelins)), et il pronon^ait avec chaleur ces memorables paroles : ((La douceur profitera plus que la rigueur. Otons ces mots diaboliques, noms de par- tis, factions et seditions : lutheriens, huguenots, pa- pistes; ne changeons le nom de Chretiens. » A la tribune nationale de 1789, organe des memes frayeurs et saisi peut-etre tout a coup d'une remi- niscence de I'Hopital, le courageux et honorable Caza- les poussait a son tour du fond de sa poitrine agitee — 3 — cette genereuse exclamation: ((Parlez quelquefois a ce peiiple de ses devoirs. Bannissez, proscrivez ces mots afYreux d' aristocratic et de democratic ; ils servent de ralliement a des factieux. Prechez 1' union a tous les Frangais; reunissez-les de sentiments et de pensees, d'interet et d'affection; que tous les interets se confondent dans I'interet public; vous verrez alors ce que vous pouvez.)) II suffit de ces citations. Dans tous les temps, sans doute, les plus sages esprits doivent avoir considere les mots de partialites avec la meme epouvante et la meme reprobation. lis offrent, il est vrai, I'avantage d'accuser plus nettement la diversite des tendances. Quelquefois ils resument admirablement des systemes differenls et s'implantent, a ce titre, dans la langue de I'histoire ou de la philosophie; temoin ces mots d'aristocratie et de democratic que voulait bannir Cazales. 11 est meme des cas ou ils portent avec eux de grands jugements populaires, aussi incapables de se taire que de s'exprimer d'une autre fafon; temoin cette epithete que rappelle suffisamment le nom de Loyola et qui, depuis les Petites lettres de Pascal, a justementfletriune morale indigne, sans doute, d'etre appelee de ce nom. Qui ne voit cependant combien ces avantages sont depasses par les plus graves in- convenients? Trop synthetique de sa nature, I'epithete de parti detourne I'homTne de la reflexion et de I'ana- lyse, veritable grandeur de I'esprit, seule base legitime de la plupart de ses jugements. Une fois en possession de repithete, il se croit dispense du soin penible d'exa- miner les choses avec calme el d'en juger avec im- partialite. Expression de passions populaires plutot que de convictions profondes, elle envenime tous les debats et entretientparmi les hommes beaucoup moins les bonnes que les mauvaises raisons qu'ils peuvent avoir de se partager en camps opposes. Produit natu- rel de la division, a son tour elle en devient le germe le plus fecond. Elle irrite, elle ameule les turbulents des partis contraires; elle sert de ralliement a des faclieux; elle devient pour la societe le drapeau de la discorde; elle perpetue fatalement le prejuge avec la passion. Le progres, qui se realise en grande parlie par la diffusion des lumieres et du sentiment de I'equite, n'a peut-etre pas de plus dangereux ennemi. Les pe- tites societes surtout, et les societes ecclesiastiques plus que les autres, souffrent cruellement des atteintes per- nicieuses des denominations blessantes. Le plus sou- vent au service des mauvaises causes, ces epithetes sont des barrages par lesquels I'esprit de routine ou de temerite essaie d'arreter et relarde souvent la marcbe tranquille de la verile. Esperons que ces vieilles macbines de guerre, trop dangereuses pour tous et trop deloyales, n'auront bicntot plus de place que dans I'liistoire du passe; ct puissions-nous les - 5 — par voir toutes remplacer dans un procliain aveiiir pa Tesprit de justice, d'iniparlialite el de cliarile! * II. Entre ces noms divers, inventes et propages par ranimosite des partis, il en est pen qui tiennent une plus large place dans notre histoire nationale moderne, peu qui offrent un plus interessant objet d'etudes que celui de hxigiicnols. Ce nom que si longtemps les peres de la Reforme francaise ont transmis en heritage a leurs enfants comme le mysterieux drapeau de la foi et de la conscience persecutees, ce nom dans lequel on sent vaguement une tradition de reprobation, mais que les victimes de I'intolerance ont instinctivement adopte .comme un titre de noblesse, nom populaire encore peut-etre en certains lieux illustres par de nombreux martyrs , et tons les jours popularise davantage par cette grande ceuvre musicale qu'il a inspiree , qui ne serait desireux d'en connaitre Torigine veritable ? Quelles furent I'epoque precise et les circonstances historiques de son apparition ? A quelles dispositions I. Etienne Pasquier, Recherclies de la France. 1723; iii-fol. , liv. YUI, ch. 55. — Beze, Histoire eccleslastique. 1841 ; iii-S", 1. 1, p. 256 et 266. — La Place, Commeiitaircs sur letatde la religion, etc. 1565; in-12, fol. 1 1 1 et 122. — Magasin de librairie, 1858; in-S", t. I, p. 75. — 6 — repondait-il dans I'esprit du peuple frangais, et quel sentiment dut-il reveiller au cceur de la fraction re- ibrmee? En peut-on fixer retymologie premiere, et a quelles causes faut-il attribuer la vogue immense dont il a joui? Est-il possible enfm de determiner avec quelque probabilite la signification qu'a travers plus de deux siecles la conscience nationale a successive- ment attachee a cette expression ? Toutes ces questions debordent de beaucoup une simple rechercbe grammaticale et ne sauraient pa- raitre sans doute denuees d'interet. Les etudes phi- lologiques ont d'ailleurs aussi leur importance, et d'illustres exemples prouvent suffisamment que si, au premier abord, on est tente de leur attribuer un air d'ennui , de leur cote elles n'ont pas toujours cru trop temeraire de pretendre aux vives allures de la re- creation. Le lecteur nous permettra-t-il de lui rap- peler quel'cas en a fait toute sa vie I'eloquent Vinet? Pascal avait dit avant lui : ((Les mots sont inseparables des choses.)) L'histoire inlime d'une expression est done necessairement celle d'une idee. D'apres ce prin- cipe, tout nom fameux et en possession de regner SUV les masses doit repondre a quelque grand mou- vement dc I'opinion. Or, toute manifestation generale ou partielle du sentiment populaire, si elle n'esl pas la voix de Dieu, presente du moins quelque grande legon liistorique ou providenlielle a recueillir. — 7 — Quellcs que soient, du reste, les induclions histo- riques et morales auxquelles nos recherches pourront nous conduirc, Ics circonslances presenles devraient suffire a jusliiier ce travail. A-t-il meme besoin de juslificalioii en un temps oii les annales du protestan- lisme sont la matiere de si palientes investigations, egalement precieuses et pour les auleurs qui s'y consacrent avec une pieuse perseverance et pour ceux de leurs lecteurs qui les accueillent avec une reconnaissance bien meritee? Nous en appellerions au besoin a I'exemple de ces consciencieuses recherches pour legilimer les details un peu minutieux a travers lesquels nous aurons a promener notre attention avant d'arriver a formuler une conclusion. Desireux avant tout de mettre le lecteur en mesure deprononcerlui- meme un jugement, nous n'avons le droit de derober a son examen aucune des pieces du proces. Mais, nous I'avons deja dit, les circonstances actuelles nous ont paru reclamer d'une maniere toute particuliere un semblable travail. Les Eglises reformees de France vont pour la premiere fois celebrer un Jubile de la Reformation de 1559. Ce Jubile, quf sera I'anniver- saire du premier synode national, doit aussi corres- pondre presque exactcment a I'apparition du mot huguenot. Fallait-il differer davantage I'etude appro- fondie de cet illustre sobriquet? nous ne I'avons point pense; c'est le cas ou jamais. — 8 — III. A quelle epoque precise le mot de Imgucnols a-t-il fait son apparition sur la scene de I'histoire ? II est facile de repondre a cette premiere question. Les historiens s'accordent generalement a designer I'an- nee 1560 comme celle de sa naissance ou du moins de sa divulgation. Sous les regnes de Francois P^ et de Henri II, les reformes etaient appeles par leurs adversaires, dans un sens defavorable, soli sacramen- taires, soit lutheriens; sacramentaires, ((a cause, dit Mezeray, qu'ils niaient la realite du corps de notre Seigneur au saint sacrement.)) C'est, au rapport de Theodore de Beze, le crime sur lequel se fondaient ordinairement les sentences de mort. Ce fut aussi le point sur lequel porta principalement la controverse dans les premieres annees de la Reformation. Le plus souvent cependant, jusqu'en 1560, s'il faut en croire Mezeray, c'est la denomination de lutheriens dont furent qualifies en France ((ceux qui professaient les nouvelles opinions, quoique en plusieurs points ils ne suivissent pas les dogmes de Luther.)) * L'assertion de Mezeray est parfaitement fondee. Ouvrez tons les historiens du seizieme siecle, aux i. Mezeray, Abr. chronol. 16G8; in-4°, t. Ill, p. 999. — Beze, Hist. eccl. , 1. 1, p. 106, — Edit de Compiegne , 1 557, dans la France protestante. Pieces jiistificatives , n" IX. — 9 — repfiies des deux premiers Valois-Angoulenie, et vous vous convaiiicrez qu'en France, aussi bien qii'eii Suisse, les adversaires de la Reforme employaicnt Ic plus souvent a I'egard des iiovateurs la qualification de lullieriens. C'est I'observation de presque tous les ecrivains contemporains. Theodore de Beze, Regnier de la Planche, le president la Place, Jean de Serres, Aubery, Tavanes, la Popeliniere, de Thou, Pierre iMatthieu, Antome Froment, Jean Crespin, etc., out bien soin de laire observer, pour la plupart , que le noni de lutheriens qu'ils emploient frequemment pour designer les retbrmes de langue frangaise, ils Tempruntent au langage vulgaire, c'est-a-dire aux adversaires de la Reformation \ Ouant a ceux d'entre eux qui se rattachaient ou qui inclinaient ouvertement aux idecs nouvelles , ils ne I'employaient jamais a leur propre compte. Avec 1. Beze, Hist. eccl. ISil ; in-S", t. \,2>c(s.sim. — R. delaPlaiiclic, 1836; ill-S^ 2 vol., passim. — La Place, Commentaircs , etc. l^nO; iu-12, p. o, 6, 8, 10, 12, 15, IG, 17, etc. — Jean de Serres, Hlstoire des choses memor. , etc. 1599; in-8° p. 7, 20, etc. — Aiibery, PJaidoyer pour la dame du Cental. 1645; in-S", passim. — Tavanes, Memoires, ch. 14. — La Popeliniere, Hist, de France. 1581 ; in-fol., 2evoL, p. 162. — De Thou, Hist, des choses arrivees de son temps. 1659; in-fol., 2« vol., p. 99. — Matthien, Hist, des derniers troubles. 1610; in-8», p. 2. — Froment, Actes et Gestes, etc. Geneve, 1854; hi-S'', passim. — Extraits, a la suite, IV, XIH, etc. — Crespin , Actiojies et monimenta mai-tyrum. 1 5G0 ; in-4", p. 45, 57, 89, 102 et passiyn. — 10 — line grande ferniete de conviction et una parfaile se- curite de conscience, tres-fortement persuades que les doctrines et les cerenionies de TEgiise de Rome n'aboulissaient a rien de moins qn'au renversement de I'Evangile et des bases de la religion , ils s'appe- laient eux-memes les evangeliques en Suisse^ et en France le plus sou\enl ceux de la j^elig ion ^. Au dehors regnait universellement I'epilhete de lutheriens. A defaut d'autres lemoignages, qnelques grands fails suffiraient pour mcttre en lumiere le triste genre de popularite dont elle jouit jusqu'a la fin du regne de Henri II : je veux parler plus specialement dii massacre de la rue Saint-Jacques, en 1557, et de la condamna- tion du conseiller du Bourg, en 1559. Ce fut, dit Beze, au cri frenelique de lutheriens pousse par quelques pretres de la faculte de theologie, que dans la nuit funeste du 4 septembre 1557 le quarlier de la Sor- bonne fat reveille en sursaut pour assister ou partici- per a Textermination d'une paisible assemblee de nobles reformes. Nul n'ignore que des 1535 la memo accusation de liitJteranisme avail signale au sangui- 1. Froment, Actes, etc., p. 47, 119, 127, 159. Registres du Con- seil, du 28 mars 1533 et du 22 fevrier 1534, dans Gabcrel, Hist, de TEglise de Geneve. 1858; m-8°, t. I, p. 128, 1G7. 2. Beze, Hist, eccl., t.I, p. 39, 42, 43, 53, 62, etc. — La Place, p. 15, etc. — Jean de Serrcs, p. 7, 13, 54, 61 , 67, 70, etc. — La Koiie, Meinoircs, passim. — Turennc, Memoires , j^a^^m. — 11 — naire parlemcnt do Toulouse un professcui' habile, liceiicie en droit, Jean de Caturce. Ce fut elle aussi qui designa aux rigueurs du roi Henri 11 les coura- izeux conscillcrs de la Tournelle, a la tete desquels le raartyre a place Anne du Bourg; et le roi lui-mcme, a son tour, quelques jours avant sa mort (juin 1559), dans I'edit d'Ecouen, triste monument des fureurs de I'inlolerance, faisait usage de I'epitliete populaire. II deplorait raccroissement des lutheriens pendant la guerre, ordonnait aux juges des provinces d'en de- truire entierement la race, et protestait que desor- mais il emploierait tout son temps a les exterminer. Ge temps fut court. Dans ces cruelles dispositions, il fut lui-meme, avant la fin de ce mois, miserablement extermine par la lance de Montgommery, le capitaine des gardes qui avait saisi du Bourg. Enfin celte qua- lification de lutheriens, familiere au peuple depuis longtemps, avait ete particulierement repetee quel- ques jours apres le traite de Cateau-Gambresis (avril 1559), lorsque le bruit trop bien fonde courait de toutes parts que les deux monarques n'avaient conclu la paix entre eux que pour mieux faire la guerre aux lutheriens. Ge fut done la I'epithete la plus populaire avant le regne de Francois \\\ 1. Bcze, Hist, eccl., t. I, p. 7, 73, 122. — La Place, Commcn- taires, etc., p. 15, 17. — Casteliian, Memoircs, liv. I, chap. 3. — ill — IV. II lie serait pas juste d'en conclure que la Refor- mation frangaise, inspiree de la Reforme allemande et calquee sur die, fut depourvue du caractere de la spontaneile. Mezeray reconnaitlui-meme le contraire, et nous n'aurions aucune peine a etablir que le grand mouvement religieux et moral du seizieme siecle fut marque dans notre patrie , aussi Lien qu'en Alle- magne, en Suisse et en Anglelerre, d'un cachet emi- nemment national. II faut avouer neanmoins que la Reformation avait debute avec bien plus d'eclat au dela du Rhin, et que la renommee de Luther rem- pHssait deja le monde inonde de ses ecrits religieux, que le nom de Calvin commengait a peine a etre connu. En 1520-, Glarean ecrit a Zwingle: ((Nul livre n'est achete avec plus d'empressement que ceux de Luther)), et en 1521: eC'est surtout son traite Dc la captivite de Babylone qui est lu a Paris, i La meme annee ce livre etait condamne par la Sorbonne, et la docte compagniefaisait composer par Josse Clicthou un Antl-Liither. A peu pres a la meme epoque, le moine Lambert d'Avignon, plus tard professeur evangeliquea Marbourg, meditait dans la cellule de son convent les Iraites du reformateur allemand. C'etait aussi le temps oulecomte Sigismond dellohenlohe, doyen du grand chapilre a Strasbourg, se ratlachait aux idees luthe- — 13 — rienncs et, plein d'un zcle sincere de proselylisme, concevait le projet de gagner la France a la cause de la nefornialion. Dans ce but, il parvenait en 1525 a nouer unc currespondancc avec raimable soeur dn royal caplifdc Madrid, ct Marguerite, sensible a toutes ies idees grandes et genereuses, obtenait du roi dclivre qu'il entrat direclement en rapport avec le noble doyen de Strasbourg. Les eflbrls de Hobenlobe ecbouerent aupres de Francois F, niais ils conlri- buereiit a rendre plus populaire encore parnii les Francais le noni de Lulher. Marguerite, d'ailleurs, ne laissait pas que d'entretenir le roi son frere « des lutheriens et des arlicles de leur religion.)) Elle lui explifjuait la Mcsse a sept points et tachait de lui in- spirer quelque douceur a I'egard des retbrmes. Elle obtint nicnie de lui qu'il engagcat, en 1534, Pliilippe Melancbthon a passer en France pour y discourir avec lui des moyens de ramener la pai>: dans I'Eglise. Des djfficultes divcrseinent appreciees empecberent la rea- lisation de ce projet. Peu.de temps apres, un parent de Philippe, Andre Melancbtbon, arrivait en France et precbait I'Evangile dans I'Agenais, particuliereinent a Tonneins. Quelques annees auparavant, en 1528, un autre auditeur de Martin Lutber au pays de Saxe, Etienne Macbopolis, avait annonce la parole de Dieu a Nonnay , comnie on disait cilors , en Vivarais. Les Eglises de France et la France elle-meme ne pou- — 14 — vaient done que se familiariser avee lenom du Refor- mateur allemand. Les cireonslanees poliliques avaient contribue a ee resultat. En guerre conlre Cliarles-Quint, le roi de France et son peuple devaient etre vivement preoccu- pes des evenements interieurs de I'Empire. Les princes protestants d'Allemagne etaient les allies du roi depuis la ligue de Smalkalde (1531), et il recevait meme de leur part, en 1535, des remontrances pleines de fermete au sujet de la persecution qui fiit la suile de la Procession generalissime, apres la inal- heureuse affaire des placards. Ainsi les relations avee FAllemagne, egalemenl actives au double point de vue politique et religieux, sans porter la moindre atteinle au caractere original et spontane de la Re- forme fran^aise, expliquent cependantl'epithetepopu- laire que les reformes de France ont si longtcmps portee: les lutheriens de Mecmx\ Dans la bouche de tons les partisans de Tancien ordre de choses , cette epithete etait une grossiere l.Zwinglii Epistolce. Zurich, 1829, sq.; t. I, p. 151-176. — G6niii , Lettr. de Marguerite d'Angoulcme. 1 841 ; in-8°, 1. 1, p. 1 5. — F. de Rciiiond, Hist, de la naissancc de rii^resic, etc. 1G23 ; in-i", liv. 7. — B6ze, Hist, cccl., 1. 1, p. 3, 6, 14, 17, 18. — Mezeray, Abr. chron., ia-4°, t. U, p. 899.— Gerdes , Hist, refor., t. IV, Doc, p. 2 1 -28. - 15 — injure. Les preuves dece faitabontlent; nous n'eprou- vons d'autre embarras que cclui du choix. Ou'on se rappelle Ics paisibles el laborieux habitants de Cabrieres et de Merindol depossedes, poursuivis, traqucs, cloues aux rochers des Alpes, et leur pays livre aux flanimcs. On les accusait de vouloir faire du midi de la France une republique federative, mais avant tout d'etre lutheriens. Qu'on se rappelle I'assem- blee nocturne de la rue Saint-Jacques : ces genlils- honimes, ces nobles dauiesqui la composaient, frappes et traines dans la boue par une populace fanalique et alteree de sang. La bataille de Saint -Quentin venait d'etre perdue ; on les accusait de se rejouir en secret de cette defaite, mais avant tout d'etre luthe- riens. L'annee suivante, 1558, un maitre precheur, surnomme Ydme de feit Picarcl, occupait la chaire de Saint-Eustache a Paris. II se dechainail un jour contre les heretiques et encourageait les Parisiens a faire justice des innovations religieuses, le fer a la main. Pendant le sermon, un pauvre ecolier, surpris par une distraction soudaine, laisse echapper innocemment un eclat de rire. Une vieille bigote, dit I'historien, I'entend et s'ecrie : « G'est un lutherien qui se moque du pre- cheur! » Ce mot suffit; lepeuple se leve, traine Tecoher hors de Teglise et le massacre impunement. Un an plus tard, memes predications, pendant le careme, a I'eglise de Saint-Innocent, memes appcls a la justice — 16 — clu pcuple, plus prompte encore que celle dcs magjs- trats. Les auditeurs sorlaienl du preclie la lete en feu. Deux d'enlre eux, apres un de ces violents sermons^,, se prirenl de querelle dans le cimeliere de Saint-Inno- cent. L'un d'eux, ne potwcmt (aire pis a V autre,, J'appela lut/ierien. II n'en fallut pas davantage. Le peuple furieux se jeta sur lui et le poursuivit jusque dans Teglise on il croyait trouver un refuge contre le poignard. Un ecclesiastique passait en ce moment meme devant reglise avec un gentilliomme qui etait son frere. lis s'enquierent de I'evenement, et le gentilliomme, penetrant dans la foule, intercede avec bonte en faveur de la victime: c(G'est a toi qu'on en voudra, s'ecrie aussilol un pretre, puisque tu oses t'opposera la mort d'un lutherien!)) A ces mots, la multitude loyrne contre lui sa fureur. II parvient a s'echapper, mais convert de blessures de tons cotes. Son frere, qui avait tente de le defendre, fut moins heureux encore. 11 eut beauinvoquer les saints, reclamerla confession, s'epuiseren demonstrations d'attacbement pour I'Eglise romaine, une dague le frappa mortellement. A peine eut-il expire, que cbacun vint avec un empressemenl feroce lui « bailler son coup , » et tremper ses mains dans ses plaies saignantes , afin de se glorifier de les avoir teintes du sang d'un lutberien. ' Voila pour Paris et la France. Que dire de Geneve? En 1520, d'humbles colporteurs y arrivcnt penible- — 17 — ment, charges du Livre, interdit sur la terre franc^aise. Pour toule injure et toute menace, les pretres, a ce qu'il semble, les accueillent par ce cri: ((Ge sont des gens de Luther!)) Bientot apres, au milieu de la revo- lution genevoise, on joue une sottie (une farce) sur les evenements du jour. Le monde et son medecin s'entretiennent ensemble. Cclui-ci demande cpi'on punisse les meurtriers, les larrons, les querelleurs, ^les eveques simoniaques et immoraux. — ((Propos du pays de Luther, reputes si faux, )) lui repond le monde; et finalement le medecin est oblige de se retirer sans succes, en adressant a la foule ces paroles significa- lives : «Parlez maintenant des defauts du monde, et vous serez transmis a Luther. )) Le 23 mai 1525, les etats du pays de Vaud sont reunis a Moudon. L'eveque de Lausanne et le prince de Savoie y assistent et s'entendent pour proscrire, sous peine de trois estrapades de corde en public, de I'emprisonnement et de grosses amendes pour les delinquants, (des damnables opinions et les hvres du deloyal et maudit heretique, Martin Luther. » On pent comprendre quelle fut, des ce jour, pour les calho- liques du pays, la signification du mot lutheriens. L'horreur de la nouveaute etait, a cette epoque, un des plus forts arguments de I'ancienne Eglise, et quand on avait dit : « I'abominable secte lutherienne, » la demonstration elait achevee. — 18 -- Aussi lorsqu'en 1532 Farel, apportant la doctrine reformee, se presente a Geneve, mille voix Tassaillent ^ avec ces mots : « Au Rhone! au Rhone! II faut en finir avec ce chien; tue, tue ce Luther, etc.!)) A sa suite apparail Froment. Quelques-uns ecoutent ses leco7is | d'ecriiure avec plaisir; mais lesplus avises s'en defient. lis disent : « G'est un de ces mechants lutheriens qui nous veut abuser. )) Pendant son fameux discours du | Molard, le premier manifesto public de la Reforme, a Geneve, les pretres arrivent en armes. Quelques amis I'entrainent etle cachent pour le derober a leurs coups. Sa retraite est decouverte et son bote, Amy Perrin, menace d'avoir sa maison brulee ou ruinee « s'il ne bailie conge a ce lutherien. » En 1533, le parti pretre est encore assez fort a Geneve pour y exciter des plus grandes mutinations.)) II donne d'ordinaire le signal de I'emeute au son du tocsin de la grosse cloche de Saint-Pierre et par ce cri repete : c( aux lutheriens! aux lutheriens! j Bientot arrive un chanoine fribourgeois nomme Verly. Arme de pied en cap, il s'avance un jour fierement sur la grande place de la ville et provoque les evangelistes (ainsi s'appelaient-ils eux-memes) par les mots les plus blessants : (iChar-dey , dit-il en sa langue fribur- gine, ou sont cestoux lutheriens?)) Une emeute s'en suit et Verly est tue. Quelques jours apres, ses parents viennent et emportent son corps. Fribourg lui fait de - 19 — magiiifiques funerailles, Le peuple raccompagne an sepulcre, et pleins d'horreur pour cette Geneve ou il est alle perdre la vie, Ton se dit Tun a I'autre : ((G'est celui qui a ete tue a Geneve des lulheriens.)) A Verly succede, en 153-4, un dominicain, docteur de Sorbonne, Guy Furbity, venu de France pour sou- tenir ou plutot pour achever d'ebranler le catholi- cisme genevois, deja plus qua demi deracine. La reputation qui a precede le docteur fait attendre de lui une dialectique vigoureuse et redoutable a I'here- sie. Un docteur de Sorbonne ! un predicateur domi- nicain! II monte en chaire, et ce nest pas un docteur que Ton entend, c'est un insense. ((Le pretre, dit-il, est plus digne que la Vierge Marie; car elle n'a enfante Jesus-Cbrist qu'une fois, mais le pretre le reproduit tous les jours ; et il est si digne qu'en disant les paroles sacramentelles dans un four plein de pain ou dans une cave, sur le vin et sur le pain, le pain est converti au precieux corps de Jesus-Christ et le vin au sang, ce que la Vierge n'a jamais fait.)) Quant aux lutheriens : (ices mechants lutheriens, dit-il, ne sont-ils pas bien mechants de dire et nier que le precieux corps de Jesus-Christ, en chair et en os, ne soit dans I'hostie quand le pretre a dit les paroles sacramentelles ? lis sont pires que des Juifs, des Turcs. Ce ne sont que meurtriers, larrons, vendus au diable.)) Telle etait pour Furbity I'exacte definition d'un lulherien. — 20 — Dans une de ses predications, apres une accumula- tion d'outrages que nous n'oserions reproduire, il s'arrete tout a coup. Quel incident se prepare? Est-ce un retour de prudence, ou le docteur couve-t-il quel- que nouvelle tempete ? Ce n'esl qu'une reprise de souffle. Bientot, en effet, la voix du predicateur eclate plus tonnante que jamais : « Qu'ils s'avancent mainte- nant ces malheureux lutheriens,heretiques mediants, pires que Juifs, Turcs et pa'iens. Ha! ha! lis s'en gar- deront bien de se montrer a present, sinon dessous les cheminees pour tromper les pauvres femmes et ceux qui ne savent rien.)) Soudain un de ses auditeurs se dresse sur un banc , et d'une voix aussi puissante que celle du docteur: « Je veux etre brule vif, s'ecrie-t- il, si je ne prouve pas par les Ecritures que toutes les paroles du docteur sont menteries et inventions de I'Antechrist » ; et Froment, anime d'une chaleureuse inspiration, etonne son auditoire et accable son pre- dicateur sous les coups repetes de la Parole de Dieu. Le docteur demeure muet, et, soit confusion, soit calcul, il se dcrobe au fond de sa chair e a la vue du public. Incontinent, chanoines et prctres, degainant leurs epees (les ecclesiastiques genevois etaient amies), se precipitant vers Froment en s'ecriant : ((Tue,tue ce Luther! » Mais les luthcriens etaient en nombre cc jour-la dans TEglise. lis lui firent de leur corps un gencreux rempart, et I'intrepide Beaudichon de la Ql Maisonneuve, brandissaiit son epee, s'ecria a son tour : « S'il y a personne qui le louche, je letuerai. » En 1535 et 1536, s'accomplit defmitivemcnt et le- galement la Reformation genevoise.Ligues etroitement ensemble, Ic parti pretre et celui de I'oppression, c'est-a-dire du due de Savoie, s'etaient retires dans les chateaux forts de Peney, Jussy et Gaillard. De ces postes fortifies, ils surveillaient le pays, ranconnant les voyageurs et « mettant a mort ceux qu'ils pouvaient prendre comme heretiques et lutheriens.)) Leur cri d'alarme etait celui-ci: « Aux cagnes, auxcagnes, aux mediants lutheriens qui mangent la chair le vendredi!)) Nous pourrions multiplier longuement ces cita- tions. Mais elles sont d'un tel caractere que nous avons plutot hate d'y mettre fin. II importait nean- moins de se rendre un compte exact du veritable sen- timent auquel repondait , en France et en Suisse, le mot de lutheriens dans la bouche des adversaires de la Reformation. Froment I'a fait observer dans son naif langage que nous sommes oblige de gater un pen : « On pensait faire grandc injure y dit-il, en nous ap- pelant lutheriens ; mais c'est un mot d'honneur et non de vitupere (de deconsideration) en Allemagne ; car Luther, en langue germanique, veut autant dire que clair ; aussi n'y a-t-il rien plus clair que I'Evan- dle de Jesus-Christ.)) Malgre cette ingenieuse justiticalion , I'epithete de lutherieris n'en coiiserva pas moins son sens outra- geant , et les reformes de la Suisse n'echangerent pas centre elle celle dievan'geliques ou evangeUstes qu'ils avaient adoptee, en meme temps que ceux de France s'appelaient eux-memes reformes ou religionnaires , ou plus souvent encore cetix de la religion^ VI. D'ou pouvait done venir au mot de lutheriens , a ce mot d'une signification si fraternelle aujourd'hui dans la bouche des reformes de France, et tout au moins si honorable dans celle des catholiques equi- tables et tolerants , a ce mot en realite si honore par la foi , la sincerite et la purete de vie du reformateur allemand et de la plupart de ses sectateurs, d'ou pouvait, dis-je, lui venir I'acception si particuliere- ment injurieuse que le sentiment catholique de la France et de la Suisse lui pretait si volontiers ? G'est une question que I'historien de profession , qui saitce qu'etait I'heretique pour le catholique au seizieme siecle, n'eprouve pas meme le besoin de se poser. 1. Aiibery, Plaidoyer, passim, dans THistoire de la mine de Ca- brieres et de Merindol. — Crcspin, les Martyrs, ^as^m. — Beze, Hist.' eccL, 1. 1, p. 73, 105, 106. — Gaberel, Hist, de TEglise de Geneve. 1858; in-8", t. V, p. 8G-89, 82, 115, 148 sq. — Froment,. Actes et Gestes de la cite dc Geneve. Geneve, 185i ; in-8°, ch. 1 , 2, 4, 7, 8, 10, il et 53. — 53 — iMais le lecteur sera peut-eLre un pen plus exigeant. Nous la formulons cki reste en ces termes : pourquoi cette epithete fut-elle si specialement outrageante? II en existait d'autres , \esheretiques, \essacramentaires, \eschristaudms, en France. Pour quelles raisons celle (Je lutheriens leur fut-elle generalemcnt preferee? La verve satirique et mordante des traites- pam- phlets de Luther explique-t-elle suffisammentrhorreur qui s'attacha a son nom ? Je ne le pense pas. Nous venons de voir avec quelle facilite les docteurs on predicaleurs du seizieme siecle prodiguaient les ex- pressions injurieuses. Les auteurs ne les epargnaient pas davantage. La soeur de Sainte-Claire, Jeanne de Jussie, ne craint pas de manquer a la pudeur ou a la convenance naturelle a son sexe, en qualifiant les evangeliques de Geneve de « faux chiens heretiques-... faux deloyaux satellites du diable, affubles en forme d'hommes)), et le reformateur Martin Luther de (( dragon pestifere voulant, avec sa queue venimeuse , tirer apres lui gens de tons etats et pourchasser de faire marier gens sacres et dedies au service de Dieu par le saint voeu de cliastete. » La regente de France, Louise de Savoie, dans ses lettres palentes de 1525, appelait les opinions nouvelles : « la malheureuse et damnee secte et heresie de Luther. » Deux ans aupa- ravant , les cardinaux , diacres, sous-diacres , arche- veques et eveques de I'Eglise de Rome, ecrivaient au roi FrariQois P'': « Qu'il te plaise de dinger ies fails d'armes invincibles contre Ies chiens ennemis de notre sainte foi Ies chiens inhiimains Ies faux chiens infi- deles, barbares , Turcs et Sarrazins.)) Enfin le souve- rain pontife Pie V moderait lui-meme assez peu son langage pour ne pas hesiter a appeler Thomme de foi et de vertu entre tons, Gaspard de Coligny, ((un fils de la perdition , un homme infame par toute es- pece de crimes, de trahisons, d'heresies et d'abomi- nations.)) ■ Qui done aurait eu le droit de s'etonner, en un temps ou tel etait le langage de I'Eglise , du vocabulaire satirique de Luther? II est probable neanmoins que, sans faire exception, rinvectivedontilpoursuivit si long- temps le chef supreme de I'Eglise de Rome, contribua pour sa part a provoquer I'universel anatheme qui s'attacha a son nom. Ce coeur si tendre, en effet, cet ami des plus aimables, ce citoyen devoue fut pour I'Eglise qui refusa d'ouvrir ses portes aria Reforme d'une rigueur que nous appellerions impitoyable, si , dans sa conscience, la rigueur dont nous parlous eut ete autre chose qu'une sincere etcandide fidelite. Dans ses puissants elans vers Tayenir, ce redoutable athlete terrasse , ecrase I'adversaire sous un deluge bruyant de bons mots tour a tour finement ironiques ou terribles ; et toujours le plus jovial entrain preside a celte quotidienne execution de la'papaute. Rien n'e- - — ^5 — gnle renergique impeluosile avec laqnelhi il culbute Tedificcides vieux ages, impnissanl a contenir legeant naissani des temps moderncs, la liberie de la foi. Aussi le paeifique Erasnie disail-il liardiment de lui : a G'est iin Achillc donl la colere est invincible. » Bien phis encore. En depit des plus fortes repu- gnances de son siecle, ne se prenait-il pas en quelque sorte corps a corps avec le diable lui-nieme conime avec un ennemi personnel? II est evident qu'a un pared aniagonisto, I'Eglise deRome, inquiele, agilee, bors d'elle-meme, ne pouvait repondre que par un analbeme obslinc,.el cet ai*atheme, ce devait etre le nom meme du reformateur ; ainsi plus tard le monde a-t-il cbalie de leur propre nom les disciples de Loyola. Ebquoi ! un simple morlel, un pelil mojne, trailer de la sorte le cbef supreme de la cbrelienle! vouloir ren- verser la papaule! Heresiarque deja condamne! En- fant du demon dont il se pretend Tadversairel Figure eflrayanle-! Qui nous apprendra sous quels traits le populaire, autour du presbytere eflraye, S€ represen- tait eel audacieux perlurbateur de rinlaillibilile? Qui nous redira les recits et les conies de la veillee , dont le moine defroque entretenait la naive fecondile ? Au reste, les esprils demeures fideles a I'Eglise du moyen age n'elaient-ils pas bien prepares a fou- droyer de leur colere la colere de Luther? Le Juif, le Turc ne les avaient-ils pas egalement formes a la tcr- i* — 26 — reur et a Tin dig nation ? lis n'ont done qu'a toiirner vers un nouvel objet leur habituelle inloleranee. On a defendu le Juif. 11 sera remplace par Luther. Le Turc et Luther! Ces deux mols, bientot rapprocbes, de- viennent promptement la double formule du grand effroi de I'ancien esprit au seizieuie siecle, et le rap- prochement nous apprend a lui seul comment I'epi- thete de lutheriens fut rapidement transformee en une insulte qui renferma et depassa toutes celles de Luther. Bossuet a depense contre ces outrages deLuther toute I'energie de son indignation. II en est offusque, il en est meme embarrasse. Au beau milieu du parallele qu'il trace entre les deux grands reformateurs , pour les rabaisser d'un seul coup au meme niveau, il s'ecrie : « L'un et I'autre n'ont pu soufTrir qu'on les contredit, et leur eloquence n'a ete en rien plus feconde qu'en injures. » En fletrissant de la sorte la violence de langage du reformateur allemand , Bossuet oubliait sans doute qu'en elle residait pour une grande part le secret du sens outrageant qui, dans la bouche des defenseurs de Rome, s'attacha au nom meme de lulherien. Gette epithele n'etait insultante qu'en raison directe, si Ton pent ainsi dire, de I'liorreur qu'exci- tait le reformateur. En I'employant pour fletrir en France et en Suisse les partisans des idees nouvelles, I'Eglise romaine s'est done enlevele droit de condam- — 57 -^ ner Ics propos de Luther. Bossuct Taurait pu com- prendre. Aprcs avoir si longtemps doniie rexcmple des siipplices et de roiilrage a I'egard de I'heresie , a inoins d'avoir fait double preuve de repentance et d'amendement, on n'est bien venu a seplaindre ni de la condamnalion de Servet ni de I'ironie des refor- maleurs. II faut laisser a d'autres le soin de blamer de pareils exces. Une raison encore du sens injurieux qui fut dans le principe celui du mot lutherien , c'est que le fait meme du schisme general du seizieme siecle fut attribue surlout a Luther. Or, I'idee si puissante et si enracinee de Tunite visible de I'Eglise, idee non moins incontestee par les reformes que par les catho- liques, rencontrait la devant elle une pierre d'achrn- pement contre laquelle elle devait heurter avcc violence; et le nom du premier heresiarque schisma- tique, eut-il ete celui d'un anlagoniste plus benin que Luther, ne pouvait qu'inspirer a tout ce qui cherchait Ic refuge de sa rehgion dans I'unite brisee de I'an- cienne catholicite romaine la plus violente repulsion. Une fois ce nom prononce et applique a I'Eglise nou- velle, combien plus encore ne devait-il pas devenir odieux! Quoi! la grande Eglise, I'EgHse universelle, infaillible, renversee pour faire place a une societe de sectaires , appeles du nom d'un docteur humain ! Qui est done Paul? Qui est Apollos? Et qui est Luther? — 28 — Tel etait le senliment general du seizieme siecle. Aussi lorsque, en reponse aux outrages qu'ils recevaient lous les jours, les reformes voiiliirent atlacher a leur tour iin ecriteau sur les epaules de leurs antagonisteS, ils choisirent le nom meme du pape qui pour eux naturellement ne devait etre, vis-a-vis de I'Evangile, que rheureux seclaire de sa propre infaillibilite ; et le mot de paplstes , fort irritant pour ses fideles, devint rantithese du mot hUheriens. Nous pourrions ajouter, et nous reviendrons plus tard sur cette observation, que I'unite nationale de la France, d'une si laborieuse formation, paraissait a la plupart des esprits necessairement dependante de Tunite ecclesiastique. Grace meme a cette circonstance, les reformes furenl de bonne heure habilement accu- ses d'etre les ennemis de YEM et d'en preparer, par le schisme, la dissolution. Ge point de vue, Ires-con- siderable en lui-meme et par ses consequences fu- nestes, peut servir aussi a nous faire comprendre la triste fortune du mot lulhericns, que celui de calvi- nistes, venu a une dale posterieure, ne devait point partager. * 1. Jeanne de Jussie, Relation de Tapostasie de Geneve. 1682; in-12, p. 50 et 51. — Haag, France protestante. Pieces justifica- tives n" 1. — Du Bellay, Momoires. 1753 ; in-12, t. VI, p. 281. — Lettres de Pie V. Trad, de Potter. Paris, 1826; in-S". Lettre 23«. — Bossuet, Hist, des variations. Liv. 2 et 9. 20 VII. L'epithele dontnous venous d'eUidier el d'expliquer le sens defavorable fut presque seule d'nsage en France, nous I'avons dcja dit, jusqu'en 1560. Mais a cette dale la pinparl des hisloriens contemporains signalenl I'ap- parition du mot huguenots. G'est aussi le moment auquel tous les hisloriens poslerieurs s'accordcnt a rapporter I'apparition generale de celte expression. Sur ce point, les histoires des diverses provinces du royaume sont en parfaite harmonie avec les histoires generates. En Touraine, dans le Poitou, en Langue- doc, en Provence, dans le Dauphine, a Lyon, les his- loriens du Chesne, Lievre, dom Vaissette, Bouche, Long et Sainl-Aubin ont fait la meme observation. Les deux documents, officiels en quelque sorte, qui, a noire connaissance, ont les premiers renferme le nouveau sobriquet, sontune lettre du cardinal de Lor- raine, en date du 10 juin 1560, sur laquelle nous au- rons I'occasion derevenir, et une lettre de Caylus, colonel des legionnaires du Languedoc, adressee au due de Guise le 18 novembre de la meme annee. «11 marque dans sa lettre, dit dom Vaissette, qu'il n'y a plus de ces sedilieux Hugenaulx rassembles. On voit ici pour la premiere fois, ajoule Thistorien, le nom d'lluguenots employe dans les monuments de la pro- vince pour designer les calvinistes ou pretendus re- — 30 — formes de France; et il est certain que ce lermc no commenga a etre en usage que cette annee.i> * Plusieurs ties bistoriens du seizicme sieclesontplus precis encore, et ils indiquent I'execution d'Amboise (mars 1560) comme le moment meme auquel la nou- velle epilbete recut la vogue donl elle devaitdemeurer si longtemps en possession. G'estraffirmation de Tbeo- dore deBeze, de Regnier de la Plancbe, confident in- time du connetable de Montmorency, de Gastelnau, d'Etienne Pasquier dont les renseignements paraissent dignes d'une grande confiance et qui dil avec son ton de parfaile bonne Ibi : cdl n'y a celui de nous qui ne reconnaisse francbement (jue la premiere fois que ce mot commenga d'etre connu par toute la France, ce fut apres la faction d'Amboise;)) de la Popeliniere, de Piguerre, de Gayet, de Le Ducbat,etc. Quelques-uns vont meme plus loin, ainsi que nous le vcrrons dans la suite, lis ne se bornent pas a rap- procber ravenement du mot huguenots de la conju- ration d'Amboise. lis ratlachent elroitement I'un a ]. Du Cliesne, Aiitiquites des villes de France. 1 GOS ; in-1 2 , 1. 1, p. iO.j — Lievrc, Hist, des protestaiits du roitou. I856;in-8°; t. I, p. 81. — Dom Vaissette, Hist, du Languedoc. 1745; in-fol. , t. V, liv. 38. — Eouche, Hist, de rroveuce. 1GG4; iu-fol. , t. U, p. 628. — Long-, Ics Giierres de la relig-ion ea Dauphiue. In-8". — Saint-Aubin, Histoire de Lyon. IGOG; in-fol. — Lettre du cardinal de Lorraine, manuscrite. Bibl. imper., ancien fonds, n° 8GJ5, lol. 80. ol I'aiitre ces deux evencments. Mais il nous sulTit pour Ic moment de constatcr d'unc maniere corlaine et desormais inconleslable que rapparition du mot hu- i:uenols est de Tannee lofiO. Uu autre fail non moins assure, c'est que cette epilhete prit naissance en Touraine. Outre les liisto- riens deja cites, le president la Place, P. Matlhieu et du Chesne I'affirment categoriquement , sans meme supposer que cette circonstance puisse etre sujclte a i contestation. «Ge nom, dit la Place, commenQa peu de jours avant ['affaire d'Amboise en la ville de Tours.)) Ce peu de jours avant I'affaire d'Amboise s'expliquera plus lard. XIV. Supposons neanmoins que ce sobriquet eut ete conserve a Geneve. Par quelle voie se fuL-il introduit en France? Les uns veulent, nous le savons, que ce soit par les reformes eux-memes. Cette opinion ne repose que sur le temoignage de Tavanes, et le voici: (( Ayant toujours desire, les premiers ministres venus en France , d'y etablir I'etat populaire (la re- publique), userent de ce terme A' eidgenossen parmi les Huguenots , qu'ils ne voulaient que tout le monde 1. Lacretelle, Guerres de religion; 1. 1, p. 29. — Saint - Aubin , Hist, de Lyon. Paris, 1666; in-fol. — Crespin, Actiones et moni- menta viartyrum. Geneve, 1560; m-i". — Le Duchat, dans Me- nage, art. Huguenots. — Mezeray, Abr. chr. 1755; in-I2, t. YUI, p. 404, suppose done sans aucun fondement que les reformes francais etaient, en Suisse, appeles eidgnols. — 54 — entendit; et les premiers de cette religion teiiaient a honneur ce que leurs successeurs ont estime a honte.» Dans cet acte d'accusation de I'implacable ennemi des huguenots, il est facile de reconnaitre celui qui avait si bien reussi au cardinal Duprat, et auquel les Guises se cramponnerent avec une si invincible obstination et un si deplorable succes. Ilrenferme, du resle, juste autant d'erreurs que de pensees. M. Soldan a daigne le refuter, et rien n'etait plus facile que d'en montrer la faussete , car en aucun lieu les reformes frangais ne se sont appeles eux-memes du nom de huguenots avant de I'avoir recu de leurs adversaires. Cette epilhete, qui n'avait eu qu'une couleur politique en Suisse, ne leur convenait a aucun egard; leur point de vue, malgre I'opinion de quelques auteurs fort respectables, mais mal renseignes, ayant ete sans aucun doute exclusivement religieux, Supposerons-nous , ce quenul n'a fait encore, qu'ilait pu prendre envieaux etu- diants de Geneve de se dire confederes pour le triomphe de la foi? Ce serait une hypothese temeraire. Tous les etudiants de cette epoque n'elaient point dans le feu de la jeunesse; et leurs professeurs, Calvin en tete, ne leur auraient point laisse commettre une im- prudence de cette gravite. En effet , en s'appliquant I'epithete dieidgnots, ils n'eussent fait que fortifier dans I'esprit de leurs adversaires la plus injuste prevention qu'on avait pu repandre sur leurs sentiments a Tegard — 55 — de la royaute. lis s'evertuaient tous les jours a la re- pousser; niais de quel droit I'eussent-ils declaree calomnieuse apres avoir eux-menies adopte le signe de ralliement des anciens radicaux genevois? Ainsi, le raisonnement et I'histoire s'accordenl egalement pour ecarter une si invraisemblable supposition. Aussi M. Soldan veut-il que le mot huguenot ait ete introduit en France par les Guises. Cette liypothese a au moins le merite de la vraisemblance. M. Soldan I'appuie principalement du pamphlet guisard de 1562, que nous avons deja cite. Le triumvirat, qui I'avait inspire sans doute , s'y efforgait habilement d'enlacer le prince de Conde dans I'accusation de rebellion, en platan t I'etymologie du mot huguenots dans Yeidgnots des Genevois et en donnant pour parrains ((aux sedi- tieux d'Amboise » les confederes de Geneve et de Fri- bourg. Le pamphlet declare ouvertement que la reh- gion des heretiques frangais « tend a s'exempter de la subjection des hommes pour vivre en la liberie des Siiisses et se falre cantons.)) G'etait bien la, nous en convenons , I'habile et perfide accusation des Guises. Mais pour avoir tire parti, comme ils le firent, du mot huguenot , il n'est pas juste d'en conclure qu'ils en aient ete necessairement les inventeurs. Bien loin des'en attribuereux-memesl'importation, ils la mettent au contraire, et c'elait leur inleret, a la charge des reformes. C'est des Guises, n'en doutons pas, ~ 56 — queTavanes avail appris cetteadroite tactique; etnous devons ici leur en restituer tout I'honneur. Le libelle lui-meme, en affirmant faussement que le titre d'eid- gnots ((avait ete usurpe par les Eglises difformees » , nous ramene done ainsi a toutes les impossibilites que nous avons tout a I'heure signalees. Mais il y a plus. Si les Guises eussent reellement decouvert les premiers cette epithete genevoise, c'est en 1560, lorsqu'elle parvint tout a coup a la popula- rite, qu'ils se seraient empresses d'en reveler le sens avec la veritable etymologie. Ne poursuivaient-ils pas immediatement apres I'affaire d'Amboise le prince de Gonde? Pourquoi doncretarderjusqu'en 1562 I'expli- cation de cette expression foudroyante, surlout quand il s'agissait d'en attribuer le premier usage aux refor- mes? Evidemmenl parce que I'analogie lointaine du sobriquet huguenots et du mot Suisse eidgnots ne les frappa qu'un peu tard. Ge n'est pas tout encore. S'il etait vrai que le parti guisard eut eu le premier I'idee d'emprunter aux Suisses I'ancienne epithete des radi- caux pour I'appliquer aux reformes de France, cette idee devait remonter a 1551 ou 1552, puisque Pasquier affirm e que des cette epoque il avait entendu le sobriquet dans la bouche de squelques siens amis tourangeaux.)) Gette consideration a frappe M. Soldan, et I'habile historien n'hesite pas a faire remonter jusqu'a ce mo- ment I'introduction en France; par les Guises, dumot — 57 — huguenot. II releve meme rimporlance de I'epoque: 1551, c'est I'edit de Chateaubriant qui inlerdisait, sous les peines les plus severes, toute importation des livres de Geneve , et c'est aussi quelque peu le mar- tyre des cinq jeunes prisonniers deLyon, quoique, par malheur pour la these de M. Soldan, ce martyre ne remonte qu'a 1553. Admettons toutefois I'impor- tance de la date. Que prouve-t-elle, sinon que les Guises, introduisant le mot huguenot, eussent eu les plus grandes faciUtes pour le propager? Et cependant nul n'en a connaissance que Pasquier. Qu'en ont done fait les Lorrains durant ces huit ou neuf annees? Ne devrait-il pas se trouver partout, a la cour, dans les provinces, a Lyon principalement? Mais les proces- verbaux du conseil municipal de cette ville sont impi- toyables : ils ne donnent le nom de huguenauU qu'en 1561. Les Guises, malgreleur grand pouvoir, auraient done ete neuf ans impuissants, tout armes qu'ils fus- sent d'une etymologic historique, a fletrir d'un nou- veau sobriquet ces lutheriens qu'on envoyait si facile- ment au supplice! N'en doutons pas, ils I'auraient meme ete en 1560, apres la conjuration d'Amboise, s'ils n'avaient eu que leur etymologic allemande et le 'souvenir de la revo- lution genevoise. Qui est-ce done qui connaissait alors en France les anciens eidgnotsl Les Guises eussent pu, suivant ringenieuse hypothese de M. de Sismondi, — 58 — invoquer a I'appui de leur etymologie le nom de Be- sanQon Hugues. Qui est-ce qui connaissait Besan^on Hugues? Et qui est-ce qui nous assure que ce Hugues et les eidgnots etaient alors parfaitement ignores de la masse des Frangais? C'est M. de Sismondi lui-meme. De toute necessite, les Guises eussent done ete obliges de faire donner a la cour aussi bien qu'a la province une IcQon d'histoire et de grammaire allemande pour | enfanter et populariser enfin les huguenots. I Au reste, les Guises auraient repandu cette epi- thete sous une autre forme. Interesses a conserver le sens du mot Suisse, ils n'en auraient pas si profonde- ment modifie la prononciation. Nous en avons pour preuve le pamphlet guisard de 1562. L'orthographe du mot Suisse n'y est que tres-legerement alteree et en quelque sorte dans I'interet de la prononciation j primitive. L'auteur ecrit toujours aignos ou aygnos : ^ «les aygnos, dit-il, s'efforcent decirconvenirle prince de Gonde. )) A I'inspection de cette double ortho- graphe, il ne peut pas etre douteux que le nom ne fut prononce comme s'il eut porte le trema, et cette' prononciation est identique a celle de I'allemand eidgnots. Le sobriquet frangais, au contraire, a toujours of- fert une orthographe et des sons bien dilTerents. Dans ses formes diverses (huguenots, huguenos, hugue- naux, huguenaulx, huguenauds), dont les variations — 59 — orthographiques sont vraiment aussi insignifiantes qu'elles etaient inevitables, nous trouvons trois syl- labes et deux sons bien peu en harmonie avec le vocable allemand. Sans beaucoup appuyer, comme I'a fait avec raison Barthold, sur ce que le mot Suisse ne presente aucune analogie avec I'aspiration reguliere de I'H dans le mot frangais, quelle diversite ne re- marquons-nous pas entre les deux premieres syl- labes! Comment Eid aurait-il pu se ti^ansformer en Hu? Hic n'a dans le frangais aucune signification; Eid , au contraire , est toute une pensee , celle du serment , du lien sacre par lequel s'unirent les con- federes. Singuliere destinee qu'en passant la frontiere de France, I'epithete des confederes eut perdu toute sa raison d'etre avec la physionomie qui en rappelait le sens ! Le peuple, je le sais bien, ne raisonne pas de cette maniere : il prend un nom, I'adapte a son oreille et a son gout ; aux savants ensuite de subir I'orthographe qui en depend. Mais ce n'est pas le peuple, ne Tou- blions pas, qui, dans Thypothese que nous discutons, aurait apporte en France I'epithete de Geneve. Ce se- raient des hommes intelligents et habiles , trop politi- ques, leur pamphlet le prouve, pour substituer a la forme primitive et naturelle une prononciation in- compatible avec la veritable tradition du mot. A peine pourrait-on admettre de si graves alterations pour — 60 ^ une expression arbitraire et recente; combien raoiris encore dans un terme historique, rempli des glo- rieux souvenirs de la double lutte pour I'independance de I'Helvetie et pour celle des Genevois. II est vrai qu'en Suisse meme, I'epithete des libe- raux varia d'orthographe avec certains ecrivains. M. Mignet attribue a Bonivard et a Michel Roset la forme de eidguenots, qui ne change pas du reste la prononciation.. II nous est impossible de verifier I'as- sertion pour Michel Roset. Quant a Bonivard, que nous n'avons pas nonplus entre les mains, Thistorien si interessant de I'Eglise de Geneve, M. Gaberel, nous assure qu'il ecrit toujours eidgnots. lly aurait done erreur dans M. Mignet. Ce ne serait pas impossible. M. Louis Paris n'a-t-il pas ir^nscnl hucquenots la oule cardinal de Lorraine ecrit tres-lrsiblement huguenosf Au demeurant, ralteration, assez peu grave, n'aurait. d'autre effet que de renforcer un son muet. La pre- miere syllabe serait toujours intacte. . Plus importante paraitra pent etre la modification de Jeanne de Jussie. Elle dit quelquefois : les Engnots. Mais il est evident pour nous que la bonne religieuse de Sainte-Claire ne porte si loin la licence orthogra- phique que parce que, peu versee proLablement dans la langue allemande, elle avail indistinctement saisi , du fond de son cloitre, I'epithete que la voix popu- laire repetait confusement dans la rue. A part ces — 61 — legeres variations, elle ilemeure toujours semblable a elle-meme, et nous ne savons sur quelle autoriie in- Irouvable a pu s'appuyer M. Soldan pour afiirmer que le sobriquet en question se rencontrait a Geneve sous la double forme de eidgnots et de huguenots. II nous est impossible, en ce qui nous concerne, de voir autre chose dans cette assertion qu'une hardiesse d'induction qu'aucun fait ne saurait justifier. M. Soldan a fait tons les efforts imaginables pour donner a sa these quelques appuis. 11 ne s'est pas borne a invoquer Tassistance hypothetique du nom de Besangon Hugues et a imaginer que la satire peut avoir trouve plaisant de le reduire au diminutif hugue- not. II a invoque, avec une trompeuse apparence de raison , le mot' de Fribourgs ou Frihours, dont les reformes du Poitou furent quelques temps fletris; et n'hesitant pas, avec la Popeliniere , Favin et Diodati, a y voir le nom de la ville des Suisses, il en a tire natu- rellement une conclusion tres-favorable a son etymo- logie. Cependant^ cette ville etait catholique, et les etudiants frangais la visitaient rarement. II est done peu probable qu'elle ait ete Forigine de I'epithete poitevine. Mais nous avons plus encore qu'une proba- bilite. Pasquier, dans ses Recherches de la France, nous decouvre ailleurs la source authentique de ce mot. II avail pris naissance, nous dit-il, dans le Poitou lui-meme, a roccasion d'une fausse monnaie qu'on y 2* — 62 — avail fabriquee. Gette monnaie ayant ele par hasard , dans la langue du pays, appelee fribours, ce nom fut bientot applique aux lutheriens, assimiles de la sorte a une monnaie de mauvais aloi. Encore une observation, et nous aurons termine rexamendel'argumentationdeM.Soldan. Get bistorien pense que le terme d'eidgnots portait en Suisse un cachet de raillerie. G'est la evidemment une erreur hislorique. Le mot provenait du Grutli. M. Gaberel, dans les quelques renseignements qu'il a eu I'aimable com- plaisance de nous communiquer , nous assure que le fait n'est pas douteux. II a trouve cette expression' nationale dans une Chronique manuscrite des dues de Savoie, duquinzieme siecle. Ellene sauraitdonc avoir ete injurieuse. M. Gaberel pense que c'etait sirapleraent la designation d'un parti sans expression de blame ni de louange. Nous avons vu que Jean Savyon allait plus loin et tenait ce terme pour notoirement honori- fique. Toujours est-il incontestable qu'il n'etait ni railleur, ni outrageant, car du moment que les ma- meluz vaincus eurent devant eux la Reformation et eprouverent le besoin de la fletrir, ce n'est plus, nous Favons vu, le sobriquet d'eidgnots qu'ils employerent, mais celui de lutheriens. Le premier convenait done mal aux desseins des Guises, et, nous le repetons d'ailleurs sur la pariaite assurance que nous en donne M. Gaberel, frequent encore en 1534-, pendant la - 63 -- guerre civile, il disparait en 1535; puis, dans I'his- toire de la Suisse, on ne le retrouve plus*. XV. II est temps de clore par quelques reflexions gene- rales celte longue et aride discussion. Imbue des principes de Gregoire VII, portee par les maximes d'un grand nombre de ses docteurs,par les tendances de I'episcopat et par son organisation elle-meme, a confondre ou a rapprocher le plus possible le tempo- rel et le spirituel, tentee de se faire la maitresse des empereurs et des rois, TEglise romaine au moyen age n'avait cesse de vouloirappuyer I'un contrel'autre le Irone de Cesar et I'autel de Jesus-Christ. Elle savait ce quelle y pourrait gagner dans mi moment de danger. Ce moment vint au seizieme siecle. Aussitot TEglise, menaceedans son organisation par le schisme 1. Beze, Hist. eccL; 1. 1, p. oG. — De Thou, Hist, miiv.; 1. 1, p. 674. — Crespin, Actiones martyrum; 1560; in-4°, fol. 185. — Memoires de Conde ; t. UI, p. 242. — Bulletin de I'hist. du protest, franc., 6^ annee, p. 287. — Mignet, Memoires sur la reformation a Geneve. — DeSismondi, t. XVIII, p. 117. — Pericaud , dans Soldan. — Pasquier, Recherches de la France. Liv. VIII, ch. 55. — Faviu, Hist, de Navarre. 1612; iu-fol., p. 831. — La Popeliniere, Hist, de France. 1581 ; in-fol., 2" vol., p. 162. — Chronique ma- nuscrite des dues de Savoie. Biblioth. publiqiie de Turin ; consultee par M. Gaberel. — 64 — et dans son dogme par I'heresie, se tourne vers le pouvoir civil, et parait plus preoccupee encore du salut du trone que de celui de I'autel. Rome est attaquee. On ose nier la valeur de ses indulgences; on deplore I'impunite, la securite funeste du peche , achelees au prix d'un vil metal. Temerite ! n'est-ce pas ebranler la puissance des rois de la terre avec celle du pontife de Jesus-Christ? — On refuse d'admettre que quelques oeuvres toujours imparfaites d'un etre toujours pecheur, lui puissent valoir Teter- nelle felicite du ciel , et on la reclame comme un don. Rebellion ! secouer le joug des venerables traditions de I'Eglise , n'est-ce pas briser en meme temps celui des pouvoirs humains ? — On refuse au pretre de Rome la puissance d'enfanter par sa parole et d'im- moler de nouveau le Fils de Dieu dans I'Eucharistie. Blaspheme et revolte! Quelle autorite subsisterait encore, quand les mains sacerdotales auraient perdu leur pouvoir createur? — On a exhume de la poudre le livre sacre des Chretiens , et on I'abandonne aux mains de toute creature humaine, en faisant appel a la conscience individuelle pour en recevoir et en ap- phquer les divins enseignements. Juste ciel ! I'autorite de la parole des apotres et celle de la conscience substituees a I'autorite de la papaute! N'est-ce pas le renversement de toutes choses et le commencement du chaos? Une foi, une loi, un roi! La revolte contre — 65 — la foi, c'est la revolte contre la loi, la revoke con I re le roi ! Je n'exagere rien. C'est au nom de ce principe que la Reforme fut atlaquee. La compagnie de Jesus, creee lout expres en quelque sorte, se montra surtout ja- louse de faire valoir contre les novateurs ce vieux simulacre d'argument que les paicns avaient tourne contre les chretiens, parce que ceux-ci refusaient d'encenser I'empereur romain. A peine fondee, cette societe celebre parut croire que le point essentiel de sa mission d'aneantissement de la personnalite liumaine etait, pour mieux dompter Fheresie, de populariser contre elle I'accusation de rebellion. Cette imputation ne pouvait tarder a porter ses fruits. Sou vent trompes, quelquefois cruels a force de timidite, nos rois se lais- serent aveugler, et les sophisraes de la peur unis aux entrainements de la faiblesse et du despotisme egare- rent les plus sages et les mieux disposes. Malgre une foule de raisons propres a le rassurer sur les senti- ments des reformes, dont il meconnut les intentions en depit des bienveillantes dispositions de son aimable sceur Marguerite, Francois F'" pretal'oreille a ce legat du pape qui lui disait aqu'une nouvelle religion mise parmi le peuple n'attendait plus que le changement du prince.)) 11 ecouta ce concile de Paris qui, en 1528, sous la presidence du cardinal Duprat, invilaitinstam- ment tous l-es souverains de I'Europe a a poursuivre — 66 — les heretiques comme ennemis capitaux de leur cou- ronne et a recourir aux supplices memes pour les delruire.)) II ne sut register avec assez de Constance ni aux fureurs des theologastres de la Sorbonne recla- mant contre les heretiques le fer et le feu (1521 et 1527), ni a I'aveuglement inoui du parlement, per- suade par le pape Clement VII ( 1525) que les nova- teurs ne voulaient pas seulement (tbrouiller et detruire la religion, mais aussi toute principaute, noblesse, lois, ordres et degres. » Aussi, lorsqu'en 1535 les princes protestants d'Al- lemagne, emus de voir condaraner les reformes de France a titre de lutheriens , intercederent en leur fa- veur, Francois P^, repetant I'accusation de I'Eglise, s'excusa ((en disant qu'il avait ete contraint d'user de celte rigueur seulement contre certains rebel! es voulant troubler I'Etat sous ombre de religion. » Tant de voix repetaient avec la sienne cette impu- tation calomnieuse que dans la preface de son Institu- lion chretienne adressee au roi lui-meme, Calvin ne dedaigna pas de la refuter. On sait qu'elle atteignit bientot, au sein des paisibles labeurs de I'agriculture, les honnetes et pieux Vaudois de Cabrieres et de Me- rindol. lis se justifierent contre les eveques acharnes a leur perte , en declarant dans I'exposition de leurs principes, de 1541, qu'ils etaient pleins de soumission envers les magistrals, les princes et les lois, et qu'ils i I i — 67 — leur portaienthonneuretobeissance ((entoutes choses qui ne sont contre Dieu.)) Le cardinal de Tournon ne discontinua cependant pas de les poursuivre, el en 1543 il osait les accuser aupres du roi lui-meme de s'etre niis en marche au nombre de i 5,000 pour aller prendre la ville de Marseille et en faire un canton Suisse. La calomnie ne pouvait que se developper de plus en plus, a mesure que sous le successeur de Fran- cois P, et malgre le conseil de son pere, les Guises prenaient pied dans la cour de France. Aussi les edits de 1549, 1551 et 1557 ne firent-ils qu'ofTrir de nou- velles facilites a la persecution contre ce pauvre peu- ple qui, disait le roi dans I'edit de 1557, den se detournant de I'obeissance de I'Eglise, se detournait de la justice temporelle, tendant d'heresie a blaspheme, scandale et sedition. » Grave imputation elevee contre I'Eglise biblique ! Cependant, lorsqu'au mois de sep- tembre de la meme annee les reformes s'assembleront dans une maison de la rue Saint-Jacques pour cele- brer la Gene, toujours sous le coup de I'accusation perfide de rebellion , ils prendront I'inutile mais sage precaution dd'excommunier les seditieux et desobeis- sants a leurs superieurs » , non moins queleshommes de mauvaise vie et les larrons; et lorsque, en 1559, ils reuniront a Paris leur synode constituant, ils n'ou- blieront pas de mettre au nombre des articles de leur — 68 — confession de foi le devoir ((d'obeir aux superieurs el de maintenir I'ordre de la justice.)) Le grief imaginaire , mais terrible, que le clerge de France faisait peser de plus en plus sur I'Eglise re- formee etait devenu si general et si mena^ant que cette meme annee, plus encore qu'en 1535, les deputes allemands se plaignirent aupres du roi de France de voir leurs coreligionnaires faussement accuses d'etre (( des seditieux et des perturbateurs du repos public. » Pour la meme raison, le vertueux et magnanime du Bourg, martyr dans le cours de cette annee funeste, s'ecria avant sa mort: ((Cette gent veut que nous per- mettions qu'on blaspheme notre Dieu; elle veut que nous lui soyons traitres , et pour (nous) ne le vouloir, on nous deteste, on nous laxe de sedition. Nous sommes desobeissants aux princes, d'autant que nous n'offrons rienaBahal.OnotrebonDieulest-cedesobeissance^ est- ce deloyaute a son prince et seigneur que de lui bailler ce qu'il nous demande, voire jusques a nos chemises, s'il avait besoin en cela de nous ? Est-ce desobeissance a notre roi que de prier Dieu pour sa prosperite, que son regne soit gouverne en paix et que toutes super- stitions soient bannies de son royaume? etc. d Mais I'accusation avait, pour ainsi parler, pris racine dans le sol, et les justes plaintes de du Bourg n'empeche- rent pas que les epithetes de sacramentaires et de lii- iheriens, usitees jusqu'en 1560, ne demeurassent en — 69 — quelque sorle synonymes de seditieux. Deux vers me- morables d'un grand poete ont a jamais illuslre cette triste verite : Des longtemps notre amour pour la religion Est traite de revolte et de sedition. G'est la toute I'histoire de la Reforme frangaise et tout le secret de la persecution.* XVI. II est facile de saisir la consequence qui , relative- ment aux huguenots, decoule de cette longue digres- sion. Telles etant en France les dispositions du pouvoir et du clerge catholique a I'egard des reformes , il pa- rait impossible que ceux-ci aient apporte de Geneve une epithele politique, d'un sens radical et democra- tique, peu en harmonic avec leurs sentiments etleurs desseins, bien moins encore avec leurs veritables interets; ou s'ils eussent pu commettre cette faute 1. Poirson, Precis de Tliist. de France pendant les temps mo- dernes. 1852; in-I2, 2^ vol. — Labbe, Collection des conciles ; t. XIV, p. 462. — De Felice, Hist, des protest, de France. 1850; in-S", p. 28. — Haag, France protestante. Pieces justific. n° I, II, IX et X pour la Confession de foi des Eglises reformees de France. ■— B6ze, Hist, eccl.; 1. 1, p. 14, 26, 28, 74. — De Thou, Hist, de son temps. 1659; in-fol., liv. 22. — Geruzez, Essai d'histoire lit- teraire. H^ serie; in-12, p. 295. — 70 — d'imprnclence , I'histoire n'aurait-elle pas quelcjue cer- titude a nous donner sur un fait de cette gravite ? Cette premiere hypothese est done denuee de toute vraisemblance. Celle qui attribue aux adversaircs de la Reformation importation du mot huguenots offre-t- elle plus de probabilites en sa faveur? Je ne le pense pas. Cette importation, nous I'avons vu, devrait remon- ter jusqu'a 1551 environ, puisque ce fut a cette epo- que que Pasquier entendit I'epithete pour la premiere fois. Or, les circonstances eussent ete des plus favo- rables a sa divulgation. L'edit de Chateaubriant venait de paraitre. Les reformes subissaient autant que jamais I'accusation de rebellion. L'epithete arrivant de Ge- neve, rattachee qu'elle etait a de grands evenemenis historiques, apparaissant d'ailleurs au milieu de si solennelles circonstances, tout a la fois dans une si entiere harmonic et dans une si complete opposition avec les sentiments et les interets des deux partis reli- gieux, cette epithete, dis-je, si elle n'eut pas acquis une soudaine popularite, n'eul point echappe du moins aux hommes intelligents des deux partis, et les his- toriens les mieux informes en eussent retrouve la trace anterieurement a 1560. Mais Pasquier est le seui qui I'ait entendue, et commeun sobriquet exclu- sivement local. Pour tout le reste de la France, il de- meure jusqu'en 1560 dans la plus complete obscurite. Get isolement meme demontre done, selon nous. L — 71 -^ I jusqii'a Tevidence, que ce n'est pas a Geneve qu'il en \ faut chercher la veritable etyraologie. On pent repondre, je le sais, que le seizieme siecle , lui-meme presenle bien d'autres sobriquets d'une origine difficile a decouvrir. Mais ils ne furcnt guere que locaux, et les ecrivains contemporains en eurent peu de souci. Celui qui nous occupe, au contraire, se repandit avec une rapidite extraordinaire par tout le royaume en 1560, et les auteurs de I'epoque furent, en general, assez desireux d'en decouvrir I'etymologie. II est bien vrai que, meme tout pres de nous, un surnom a pris naissance et a joui d'une popularite tres-etendue, duquel cependant I'origine parait demeu- rer inconnue, celui de Chouans. Mais quelle diffe- rence entre les deux! Ce dernier est tout arbitraire; il est sorti probablement de la langue du peuple et de Fobscurite des campagnes, dans une province reculee. Celui d'eidgnots, au contraire, avait derriere lui des annees nombreuses d'une existence brillante, et portait en lui-meme une signification grammaticale propre a le fixer aisement dans I'intelligence de tout homme d'etude. Par quel hasard eut-il done echappe aux recherches des historiens contemporains? Enfin, si nous demandons comment il eut pu se faire que les reformes de Geneve n'eussent jamais repu , meme en France, une epitbete que nous leur aurions em- pruntee, la lisle des difficultes que souleve le point — 72 — de vue des historiens de Sismondi, Mignet et Soldan, paraitra sans doute assez longue, et nous aurons peiit-etre quelque droit, de conclure en repoussant una etymologie qui nousserable, a tant de titres, si impar- faitement justifiee. On ne saurait nier, cependant, qu'une fois invo- quee dans le pamphlet guisard de 1562, et admise par quelques-uns des adversaires de la Reforme , elle n'ait contribue pour sa part a populariser davantage encore le mot huguenots. Mais elle fut loin d'etre elle-meme tres-populaire. Parmi les contemporains , Tavanes seul a essaye de la defendre. M. Soldan n'a pas pu decouvrir d'autre autorite avant d'arriver a Diodati , Spon et Mezeray, dont les deux premiers par patriotisme et le troisieme par catholicisme etaient interesses a la reproduire. Quant a Sponde et a I'abbe de Longuerrue, qui Font aussi adoptee, ils n'ont fait que ceder sans doute a la meme seduction. Des con- siderations d'un autre ordre ont evidemment deter- mine la conviction des historiens modernes. L'ety- mologie allemande, au double point de vue historique et grammatical, a paru de beaucoup la plus serieuse. D'accord , d'ailleurs , avec les accusations du parti guisard , elle devait naturellement etre preferee. Elle est commode , et il est probable qu'elle ne perdra pas aisement le credit qu'elle s'est acquis. II est neanmoins incontestable, selon nous, qu'elle — 73 — ne fat invoquee qu'apres coup et pour les besoins de raccusation de rebellion sur laquelle nous nous sommes suffisamment elendu. Ces besoins elaient si ardents que quelques-uns de ceux qui voulaient tirer du Suisse le terme de huguenots lui assignaient pour etymologie les deux mots hens quenaux , qui, selon eux , avaient la signification de mutins , seditieux. Gette assertion de Menage est confirmee par Pasquier : a Les derniers, dit-il, qui ont voyage en pays etran- gers estiment que c'est un mot emprunte du Suisse , quasi comme Hens que naiix, qui signifie en ce pays-la gens seditieux. y> Est-il besoin d'une autre demonstration pour prou- ver que les eidgnots, decouverts un peu tard par le parti guisard, ne furent donnes pour ancetres aux huguenots, grace a une sensible consonnance, que parce qu'ils portaient en quelque sorte avec eux la grande accusation du seizieme siecle cathoHque? Cela dit, nous donnons relache de discussion au lecteur et conge a cette etymologie. * 1. Menage, de la Bibl. imp, , note manuscrite sur les chouans. — Pasquier, Recherches de la France. Liv. 8, ch. 55. — Longuerrue, Description de la France. 1722; in-fol. , 2« partie, p. 314. — Dio- dati , dans sa traduction du Concile de Trente , de Sarpi. Geneve , 1621 ; in-4°, p. 523. — Spon, 1. 1, p. 140. — Sponde, Continua- tion des annales de Baronius, ann^e 1560, n° XI. 3 74 ^ XVII. Apres elle, il s'en presente plusieurs autres que nous allons passer rapidement en revue, avant d'ar- river a celle qui reunit en sa faveur les temoignages les plus nombreux et les arguments les plus concluants. La plus singuliere peut-etre est tiree de Jean Hus, dont les reformes, au dire de quelques historiens, auraient suivi ou imite la doctrine. G'est la raison pour laquelle on les aurait appeles d'abord Huguenons , En fait d'inventions , Caseneuve en a imagine une beaucoup plus ingenieuse et plus avantageuse aux reformes. Son opinion est que les huguenots ont ete ainsi appeles du verbe flamand heghenen , que les Flamands, dit-il, ^vox\ox\(^^T\ilnigiienen , et qui signifie purifier. Or, ajoute-t-il, ce mot repond parfaitement a celui de puritains , porte par les calvinistes , et s'accorde a merveille avec celui de cathares ou purs, qui fut celui des anciens Albigeois. M. Charles Villers a un peu modifie cette explication, a Le nom de hu- guenots, dit-il , parait devoir son origine a celui de Hmjtgenooten , dont se servaient les predicateurs fla- mands, en adressant dans leurs sermons la parole aux auditeurs, et qui signifie : meine Hebe Haiisgenossen , meschersmem6?'^5 de lafamille.D Caseneuve et M. Ch. Villers voulaient evidemment trop de bien aux hugue- nots ; mais nous leur devious au moins ce lemoi- — 76 — gnage de reconnaissance, de conserver leurs etymo- logies. Une autre, d'un caractere different, se rattache aux circonstances suivantes: En 1559, ainsi que nous I'a- vons dit, Henri II re^ut a sa cour des ambassadeurs allemands iui apportant des lettres autographes de quelques electeurs de I'Empire. Ayant appris qu'un grand nombre de leurs coreligionnaires de France etaient jetes en prison comma seditieux et perturba- teurs du repos public, les princes lutheriens priaient le roi de France de faire murement examiner, par des hommes amis de la paix, les griefs que les reformes elevaient contre Rome et, en attendant, demettre un terme aux rigueurs de la persecution. Le bruit courut que leur harangue, dont I'historien de Thou ne rap- porte que la substance , commengait par ces mots : ffNous venons aupres de vous, grand roi, etc., hue nos, serenissime princeps , venimus. » Or, les courti- sans, mal instruits du latin, malgre le regne de Fran- cois P^, auraient pris les deux premiers mots, hue nos, pour la denomination des deputes et en auraient par fantaisie qualifie les partisans de la doctrine re- formee. De la, avec une addition et un leger change- ment, le mot de huguenots. Sur ce theme on broda, comme toujours, d'inge- nieuses variantes. Selon les uns, apres avoir debute avec beaucoup de vehemence et de gravite par ces — 11 — mots hue nos , Tambassadeur qui portait la parole se serait trouve court, et son commencement etant de- meure dans la bouche de quelques rieurs, aurait ete ironiquement applique aux reformes. D'apres le bruit rapporte par Pasquier, ce n'eut plus ete un depute , mais un jeune gentilhomme allemand, qui, saisi pen- dant Taffaire d'Amboise et conduit devant le cardinal de Lorraine, aurait prononce les mots en question. Cette etymologic etait tres-connue au seizieme siecle. A pen pres tons les historiens en font mention. Le sieur des Accords I'a epousee avec chaleur, et un anonyme a laisse en marge sur un des ouvrages que nous avons consultes, une note manuscrite congue en ces termes : « Cette etymologic parait la meilleure. C'est ainsi qu'on appelle en Espagne les Perses , le parti qui protesla contre la revolution de Cadix , parce que leur adresse au roi commen^ait par ces mots: c(Les Perses avaient pour coutume dans les troubles civils , etc. )) Pasquier, au contraire , traite ce hue nos de ridicule. II est probable que cette plaisanle invention ne fut pas de beaucoup posterieure a 1560, et, comme Telymologie tiree des eidgnots , elle contribua dans une certaine mesure a populariser le mot huguenot.* 1 . De Thou , Hist, de son temps. Liv. 22. — Favin , Hist, de Navarre, d. 832. — Menage, Dictionnaire. — P. Matthieu , Hist, de France sous Francois I«^ etc. 1631 ; in-fol., p. 19. — Maimbourg, Hist, du Calvi- nisme ; in-4°, p. 60. — Pasquier, Recherches de la France. L. 8, ch. 55. — 78 — Plusieurs ont soutenu que les reformes s'etaient donne eux-memes leur propre sobriquet, mais non pas cetle fois par emprunt fait aux Suisses. lis I'auraient pris de Hugues Capet , tige des Bourbons , et se seraient de la sorte signales comme les defenseurs des Valois contreles Lorrains, qui pretendaient descendre par fes femmes de Charlemagne, et posseder ainsi des droits a la couronne anterieurs a ceux des princes du sang. II est sur que les Guises aimaient a se vanter de la descendance carlovingienne. Les reformes, de leur cote, cruellement persecutes par ces etrangers, ne tarderent pas a se ranger derriere le roi de Na- varre etle prince de Conde. La conjuration d'Amboise, dans laquelle plusieurs d'entre eux s'etaient engages, avait ete dirigee contre les Lorrains. On voulait deli- vrer de leurs mains une royaute mineure, et captive , et ramener sur le trone la dignite royale, legitimement soutenue par I'assistance des princes du sang. C'etait embrasser les veritables inlerets de la dynastic cape- tienne et I'arracher a I'insatiable , a la tyrannique ambition des etrangers. Ainsi raisonneyent les hu- guenots contreles Guises qui , apres J'affaire d'Am- boise, les accusaient plus que jamais de rebellion, lis se vanterent d'avoir pris le parti de la justice et de la legitime autorite de leur roi. Vous nous appelez huguenots, dirent-ils; eh bien! oui, nous sommes huguenots, defenseurs des droits de Hugues — 79 — Capet , contre vous qui n'etes que des usurpateurs etrangers. Ecoutez comment un des leurs s'en exprime dans un des nombreux pamphlets ou cette querelle se re- produisait tous les jours : c'esl le Brief discours des gesles memorahles des Guisards. L'auteur adresse a Dieu cette priere, que la couronne de France ne soit de ceiix transferee , Que les Guisards, du roi tant souteniis, Appellant huguenots , comme etant provenus Du roi Hugues Capet, afin d'etre remise Entre les mains de ceiix de la maison de Guise : Lesqiiels pour davantage accroitre leur renom, Vantent de Charlemagne et lem' race et leur nora, Ne pouvant aux Fraucais donner mieux a entendre Que la couronne doit de leur c6te descendre. line si vive querelle , entretenue par I'audace inouie des Guises, a fait prendre au serieux a divers ecrivains cette etymologie politique. Le Duchat la juge tres - vraisemblable : « II y a bien de I'apparence , dit-il, que ce sobriquet fut donne aux reformes de France environ le temps de Fentreprise d'Amboise par rapport a Hugues Capet, dont ils soutenaient les droits en la personne de ses successeurs.)) Guy Co- quille affirme egalement « qu'ils furent ainsi nommes a cause de Hugues Capet, dont la maison de Valois de laquelle ils avaient pris la protection contre celle de Guise , est descendue. ^ L'auteur de V Accord parfait — 80 — trouve celte raison excellente , et M. Lacretelle ne semble pas fort eloigne de penser quil ait pu y avoir quelque chose de vrai dans cette etymologie. On ne pent contester, nous le repetons, que les reformes, la decouvrant apres coup , comme les Guises celle de Geneve , n'aient essaye d'en tirer parti pour repondre a la premiere : <( Vous pretendez que notre sobriquet nous accuse de sentiments seditieux ; il nous proclame, au contraire, les defenseurs de la royaute legitime que vous tenez en captivite.)V Tel fUt a peu pres leur raisonnement. Mais ce fait ne tranche nulle- ment la question de la veritable origine du mot ; loin de la. L'auteur des vers que nous venous de citer dit, au contraire, que le sobriquet venait des Guises (v. 2 et 3). II est vrai qu'a Ten croire, ceux-ci I'eus- sent, par derision, tire de Hugues Capet lui - meme. Mais il cede ici a la passion. Jamais les Guises, tout audacieux qu'ils fussent, n'eussent ose faire cette injure a leur souverain. Les reformes seuls pouvaient rapprocher leur sobriquet du nom de Hugues Capet. Aux Guises ensuite de prendre leur revanche, et c'est ce qu'ils ne manquerent pas de faire , comme on va le voir. . ■ '. lis repondirent dans le sens que yoici: On disait aussi : it sent la vache a Colas, ou il est de la vache a Colas, comme dans ce couplet de I'opera du Pre- aux-Clercs : Dun poiilet il se regale Un vendi'edi , qiiel scandale ! II est de la vache a Colas. L'Estoile nous apprend encore que la chanson dont il parle oiTensait tellement les reformes quelle devint I'occasion d'une foule de querelles quelquefois san- glantes; et il cite pour exemple un archer des gardes de M. de la Force , qui paya d'un coup d'epee et etendit mort sur le pave un des chanteurs de la vache a Colas. ((Cela fut cause, dit-il, qu'on trompetta (le •10 septembre 1605) des defenses par la ville de Paris de plus chanter par les rues la chanson de Colas. » Cette chanson en avait provoque une autre en reponse de la part des huguenots. ((Puis, comme il arrive en pareil cas, sur la meme donnee et sur le meme air, avaient paru des suites , des imitations dans I'un et I'autre sens. En un mot , la vache a Colas designa tout un petit cycle populaire ou les deux parties de- poserent leurs rancunes. » Les defenses faites de chanter la vache a Colas n'empecherent pas I'aventure suivante que le marquis de la Force , protestant , raconte dans ses Jlemoires : — 102 — (( Le marquis de la Force etait de quartier aupres du roi (Louis XIII) comme capitaine des gardes; un jour (en 1615) qu'il accompa'gnait SaMajeste dans laforet de Saint-Germain, voila que tout a coup un laureau fu- rieux court par un sentier droit a la personne du roi ; la Force se jette aussitot entre Sa Majeste et le tau- reau , lequel il fait tomber roide mort d'un coup d'epee On loua extraordinairement Faction du marquis de la Force , et tons ceux qui etaient pre- sents en parlerent beaucoup le soir, au retour de la chasse. « Ayant entendu ce recit, le comte de Grammont, impatiente des louanges qu'on donnait au marquis de la Force, qu'il n'aimait pas, jaloux du merite qu'on lui attribuait, et railleur de son naturel, comme tous ceux de sa maison, se plut a tourner la chose en ridi- cule, et meme fit, sur un air alors en vogue, le cou- plet suivant : Le marquis de la Force A tue par sa force La grand' vache a Colas, La, la, deri, dera. « II voulait dire par la qu'on faisait grand bruit de peu de chose , et se moquait en meme temps de ceux de la religion, que les catholiques designaient sous le nom de vache a Colas, ce qui etait regarde comme une injure. — 103 — 4 Cette boutade fut racontee le jour meme an mar- quis de la Force , qui , trouvant le sieur de Grammont dans rantichambre du roi, lui dit: je viens d'apprendre que vous etiez poete; eh bien! moi, je le suis aussi. Vous avez fait ce couplet : Le marqijis de la Force , etc. Moi , j'ai compose celui-ci sur le meme air : Des cornes de la vache Je fais faire un panache Pour Grammont que voila ! La, la, deri, dera. « D'abord Grammont ne dit que : pourpoint has ! qui etait le terme dont on se servait quand on voulait se battre. Cette querelle, se passant si proche du roi, fut aussitot rapportee a Sa Majeste, qui envoya a cha- cun d'eux un exempt des gardes du corps, avec ordre de les garder en leur maison jusqu'a ce que cette affaire fut accommodee. » Les deux adversaires ne se battirent pas moins. Le comte de Grammont futblesse et dut demander la vie. Tristes et inevitables con- sequences des epithetes de parti. Cela dit, revenons aux huguenots. * 1. Pasquier, Recherches de la France. Liv. 8, ch. 55; of. B6ze, t. I, p. (52. — Faviu, Hist, de Navarre. 1612 ; in-fol., p. 831. — Lievre, Hist, des protest, du Poitou. 1856; in-8°, t. I, p. 129. — Manuscrit anonyme, communique par M. le past. Rosselet. — L'Estoile, Journal. Ed. Michaiid. 2^ partie, p. 3S7. — Bulletin de THist. du protest, franc.; 7« annee, p. 216 et 364. — 104 — XXII. Telle etant en France la disposition pour le sobri- quet, n'est-il pas rationnel de chercher plutot a Tin- terieur qu'a I'etranger I'origine du mot huguenot? N'a-t-il pas ete plus naturel a ce peuple caustique et frivole de s'accrocher a un revenant de Tours que d'aller emprunter aux Genevois une locution vieillie, plus facile enfin de ramasser sur le pave d'une ville de France une etymologie populaire que d'en deman- der une savante a la langue de I'etranger*? Mais, s'il en est ainsi , pourquoi cette multiplicite d'etymologies plus ou moins singulieres qui furent assignees au mot huguenot? II est probable que les Guises ont ete les premiers a innover, et leurs interets politiques expliquent suffi- samment la tentative de 1562 en faveur des eidgnots. lis trouvent dans ce mot une consonnance et un sens historique favorables a leurs desseins. lis s'en empa- rent, I'impriment, I'expliquent au peuple franjais, bien assures, s'ils parviennent a I'enfoncer dans les esprits , d'avoir porte a la Reforme le plus rude coup, en raison meme de la multiplicite des sens facheux accumules ainsi dans le sobriquet huguenot. 1. Voir ce point et sur le siijet en general les observations ires- judicieuses de M. Albaric (Bulletin, 6^ annee, p. 302), avec lequel nous nous trouvions d'accord de tous points avant m6me d'avoir pris connaissauce de son article sur M. Soldan. — 105 — Une fois I'exemple donne, rien n'etait plus facile que de le suivre. Les reformes , pour repondre aux Guises, etaient naturellement entraines a se reclamer de Hugues Capet. Les courtisans qui ne cherchaient qua multiplier les occasions de se divertir , invente- rent peut-etre le hue nos , a moins que la harangue des ambassadeurs allemands ne commengat en realite par ces expressions. Quelque theologien pretentieux prononga le nom de Jean Hus. Ghacun se passa la fantaisie de decouvrir une nouvelle etymologic. On y gagnait au moins de populariser davantage encore I'epithete de huguenots. Les esprits s'aiguisaient a cet exercice : la malice, I'amour-propre y avaintleur part. Cinq ou six etymologies ont ete sauvees de Toubli. Combien d'autres, sans doute, qui ont du s'arreter des leurs premiers pas ! Rien n'egale la fecondite de I'ima- gination populaire. Elle a fait plus de drames et cree plus de poemes epiques et plus de fables , et mis au jour plus d'inventions ingenieuses que tons les penseurs reunis. Que de legendes durent se succeder sur le compte des vieux huguenots! Quelles grimagantes figures, etformi- dables ala fois, ne devaient-ils pas faire dans les esprits emus, peuples du fantomeHugon multiplie sous toutes les formes de la terreur et de I'heresie ! Aujourd'hui meme encore n'est-il pas tel coin recule de I'empire ou Ton trouve des Francais qui commencent a peine a savoir faire la difference du cyclope et du huguenot ? — 106 — XXIII. De toutes les epithetes de parti que nous trouvons dans l'histoire,iln'en estpeui-elrepoinl une seule qui ait eu tout a la fois un plus profond et plus durable retentissement que celle dont nous venous d'etudier I'extrait de naissance. Les guerres de religion et la ligue devaient naturellement la mettre en scene avec prodigalite. 11 semble que le regne du fils de Jeanne d'Albret eut pu lui etre defavorable. Mais la messe qu'il adopta laissa les esprits a leurs anciens pen- chants , et la vache a Colas elle-meme obtint grand succes durant sa royaute. Les nombreux historiens catholiques du commencement du dix-septieme siecle sont remplis du mot huguenots ;c'estrinevitable echo des longuesluttesqui onttermine leseizieme. S'il y eut un moment de ralentissement dans I'emploi du fameux sobriquet, on serait tente de croire que ce fut pendant les annees d'eclat du regne de Louis XIV. Le grand style litteraire du dix-septieme siecle semblait fait pour bannir des esprits polis et cultives I'usage d'un sobriquet insultant. Aussi bien ne le rencontre- t-on guere dans les ecrivains de premier ordre, et Maim- bourg, autant sans doute par pudeur litteraire que par affectation de justice, a eprouve le besoin d'en jusiifier I'emploi. Mais il nous apprend lui-meme que de son temps il etait encore d'un usage general. Les — 107 — litterateurs seuls et le Pouvoir ecrivaient : cettx de la religion pretendne reformee. Le peuple avail conserve la denomination de huii^uenots. Apres la revocation de Tedit de Nantes, le reten- tissement de cette epithete ne pouvait prendre qu'un nouveau degre d'intensite, et les affaires des Gevennes n'etaient pas de nature a y apporter le moindre ra- lentissement. Entin, durant presque tout le cours du dix-huitieme siecle,le parti de la persecution , quoique si rudement baltu par celui de lei tolerance, devait trouver dans les assemblees du desert line occasion des plus propices de rajeunir la vitalite du fameux so- briquet des religionnaires. II n'eut garde de la negli- ger. Le style officiel qui n'a jamais adopte 1' epithete de 1560, portait bien toujours : ceux de la religion pretendne reformee; mais les huguenots n'en subsis- taient pas moins. Lisez le fameux manifeste de I'eveque d'Agen, en 1751. G'est un veritable requisitoire contre « la tolerance des huguenots.)') Comment I'Eglise romaine aurait-elle pu laisser tomber cette epithete en desuetude? N'avait-elle pas I'immense avantage d'etre de toutes les controverses populaires la plus efficace, celle de I'injure? Ce mot ne valait-il pas alui seul, aux oreilles du peuple, beau- coup plus que les plus solides arguments; et Teveque d'Agen , imputant aux religionnaires le crime de rebellion, n'avait-il pas donne la plus puissante sinon _ 108 — la meilleure de ses preuves, apres les avoir iiommes huguenots? G'a ete tout a la fois h bonne fortune et la grande iniquite du eatholicisme romain , a I'egard dt3s dissidents du seizieme siecle , de pouvoir, dans la controverse populaire, substituer aux arguments un outrage qui renfermait les plus odieuses accusations. Son succes a ete a ce prix. Pour exciter la haine d'une grande partie du peuple francais contre les huguenots, il a fallu lui froisser la conscience, en lui representant dans les religionnetires la double fiction de Pimmora- lite et de la rebellion. L'heresie n'eut pas suffi ; car I'heresie, c'etaitl'Evan- gile mis entre les mains de tons, la conscience reveil- lee, les moeurs retablies, la liberte unie a la regie; .et le peuple francais , plus d'une fois en desaccord avec les sentiments de la cour de Rome , en lutte contre rultramontanisme, liberal de sa nature autant que respectueux pour I'autorite, ami des lumieres, franc au-dessus de tons les autres, le peuple frangais eut trouve dans la Reforme la satisfaction de ses plus nobles instincts, reuni# dans cette franchise precieuse que les desaslreux progres de rultramontanisme ne lui ont pas encore toute ravie. Pour echapper a cet imminent danger, que fallait-il a TEglise de Rome? Les arguments pouvaient la trahir; done point de concile national, point de serieux, ni de sincerite, ni de pubhcite dans ces rares passe- — 109 — (,1'armes theologiques dii seizieme siecle, impuissantes fictions d'equile dans le parti persecuteur. II fallait au catholicisme romain le peuple, iin peiiple arme; et la ligue ne fut que Texpression logique et necessaire du mouvement retrograde du siecle de la Renaissance et de la Reforme. Comment le clerge parvint-il a garder et a soulever le peuple? Toute cette etude repond a cette question. Le peuple, auquel nous ne voudrions pas adresser une seule parole flatteuse , s'il a les plus has instincts de la nature humaine, en a aussi les plus nobles et les plus genereuses passions. Sachez faire appel a sa conscience, et sa conscience repondra. Montrez-lui le mal, hideux ou raffine, sous les voiles hypocrites de la religion , vous enflammerez sa haine et souleverez son indignation : temoin le sentiment po- pulaire a Tegard des disciples de Loyola. La Reforme frangaise , que les buchers n'ont pu devorer que pour la voir renaitre de ses cendres, a ete victime d'urh sentiment analogue, produit d'une grande calomnie. La haine du peuple fran^ais du seizieme siecle contre la Reforme n'a done rien qui me surprenne. Que lui avait-on appris a soupgonner, a craindre, a hair dans les reformes? Des vices mon- strueux, caches dans les mysteres des assemblees nocturnes, et fespritderebeUion. Sous le poids de ce double fantome, ce qui m'etonne, c'est que le peuple fran^ais ait si souvent et en tant de lieux brise les chaines de la superstition, et qu'il ait donne a la Re- forme un si grand nombre de martyrs. Quand Theure de la Irberte a eu sonne, les preoc- cupations generates ont trouve devant elles d'autres grands objets que ceux de la religion. Les problemes politiques, les questions sociales ont absorbe les esprits; et cette grande question religieuse posee devant la France au seizieme siecle , et ajournee seu- lement par la conspiration de la cnlomnie et de la terreur, qu'a-t-elle obtenu? La conjuration du silence, un froid respect, une attention fugitive et distraite. Mais il y a la plus que de I'indifTerence ; un mouve- ment immense , capable d'enfanter tant de martyrs , n'avorte pas ainsi dans le vide au grand jour de la liberie. Qu'y a-t-il done? L'accusation la plus odieuse n'a-t-elle pas disparu? I'heretique aujourd'hui n'est-il pas tenu pour aussi honnete homme que le croyant ? Oui, celui du present, parce qu'on le connait, mais non celui de I'histoire, parce qu'on I'ignore ou qu'on ne le laisse entrevoir au peuple que sous les tra- . vestissements de la passion. Lisez le Catechisme pro- I testant a Vusage des gens de bonne foi, publie sous les auspices de I'eveque de Troyes. ((Que faut-il penser, dit-il, d'une religion qui a commence j9ar le liberti- nagef Que faut-il penser d'une religion qui permet de faire tout ce qu'on veut comme vraie morale de I'Evan- ( gile ?» De cette revoltante accusation , il reste done tout — HI — ce qui pent rcster en presence de la loi : la calomnie pour les morts, a cole du respect force pour les vivanls. Mais de Taccusation politique tout demeure. Revohi- tion, Reformation, mots synonymes; on I'ose dire encore en presence des grands Etats prolestants; et jusque devant les marches sacrees du giorieux trone de la France, ily a peu de jours qu'un predicateur etranger faisait retentir contre la minorite religieuse le mot creux et sonore de rebellion. Le pere Ventura appartient a une Egiise nombreuse qui envoie ses predicateurs et ses pedagogues dans les derniers hameaux du pays. Au- jourd'hui le prolestantisme y est connu, parce que la liberte I'a de nouveau rendu redoutable a la supersti- tion. Mais sous quels traits y est-il connu? C'est la tout le secret de I'impuissance a laquelle on pretend sou- vent encore que ses formes, ses principes et son esprit I'ont condamne parmi nous. Dans cet etat de choses, que pent demander le pro- lestantisme? L'indulgence? II n'en a nul besoin. Une bienveillance gratuite, en memoire de ses martyrs ? Pas davantage. Que demande-t-il done? Un peu de cetle attention que Ton accorde si volontiers aux impures religions et aux moindres philosophies de I'an- tiquite; avec elle, la facilite de faire entendre pour sa defense une voix Iranquille , equitable , pleine de charite, parlout ou il y a des oreilles disposees — 112 — a Tecoiiter. Voila tout ce que le protestantisme desire; peut-on se montrer moins exigeant? Et qu'on veuille bien le remarquer : cette attention que la Reforme reclame, ce n'est point pour ses confes- sions, ni pour son organisation, ni pour ses effets ci- vilisateurs seulement , c'est avant tout et en defniilive pour I'Evangile qu'elle la demande. N'ayant d'autre regie que lui seul , elle acceple d'etre jugee en son nom, mais a la condition qu'il soit examine serieuse- ment, sonde, etudie; et quand on lui repond avec I'Eglise romaine que ce n'est pas a la conscience iiidividuelle de prononcer, elle demande comment done on pent savoir que les enseignements de cette Eglise sont conformes a I'Evangile , si on ne se reserve pas le droit d'en juger; a moins qu'on ne s'expose volon- tairement a la possibilite de sacrifier I'Evangile , que la pretention a I'infaillibilite acceptee sur une simple parole humaine, ne saurait garantir : sacrilege ou contradiction ! Ainsi done, le protestantisme, frangais ne pent ad- mettre a aucun litre cette fin de non-recevoir indigne de tout esprit sincere et serieux, a savoir^ que le peuple fran^ais a juge la cause de la Reforme, I'a trouvee mauvaise et I'a rejetee. En serait-il ainsi, qu'encore toute conscience independanle devrait in- struire de nouveau pour son propre compte ce grand proces. La voix du peuple n'est pas toujours la voix — 113 — dc Dieu. iMais en ce cas, rieii de semblable. La France n'a pas apprecie la Reformc , parce qu'elle ne I'a pas connue; ou lorsqu'clle I'a connue, le plus souvent elle la embrassie, et elle a couru au martyre ou a I'exil. Quant an pretendu jugementdu peuple fran^ais, il n'a ete que celui d'une passion aveugie arrachee a ses entrailles par la violence de la calomnie, le juge- ment d'une compagnie religieuse qu'il ne faut que nom- mer pour pouvoir se dispenser de la refuter, et d'un cardinal de Lorraine qu'il suffit de connaitre pour lui preferer meme Catberine de Medicis. XXIV. L'Eglise reformee ne redoute aucun examen. Elle a des plaies sans doute et des imperfections. Ou n'y en a-t-il pas? Loin de les voiler jamais, elle les a peut- etre meme exagerees. Le sentiment de sa force mo- rale, de son avenir assure I'a rendue moins circonspecte que les devoirs de la prudence ne I'eussent ordonne. Mais malgre ces miseres qu'aucune pretention a I'in- faillibilite ne lui commande de nier, elle appelle sur elle un examen equitable et approfondi, celui de la justice et de la verite. Des signes non douteux d'une appreciation plus impartiale lui font esperer en I'avenir. N'est-il pas deja reconnu par tout ce qui pense, a quel eminent — 114 — degre I'element moral a de tout temps domine dans son sein ? Un ecrivain des plus apprecies , M. de Re- musat, n'a-t-il pas fait ju&ticederaccusation si souvent repetee contre elle, de ne presenter qu'un caractere negatif, tandis qu'elle apparait au contraire conime une epuration et un accroissement de la foi? Enfm, cette epithete qui Fa si longtemps fletrie , ce vieux mot de huguenots n'a-t-il pas lui-meme revetu mi sens nou- veau , et ne revele-t-il pas dans I'opinion publique une tendance bien prononcee a un retour d'equite? Quel est-il, en effet, ce huguenot qui tons les ans refait si triomphalement son tour du monde avec la superbe musique de Meyerbeer: ce huguenot rigide, inflexible , type accompli du puritain , « Des dogmes de Calvin Feffet inevitable ; » ce huguenot qui s'indigne a la pensee d'une union nuptiale que ne sanctifiera pas une meme foi , refuse un signe de respect au cortege qui se rend a Tautel , et dit : « Dieu n'est pas la , je pense ; » ce huguenot « A son cnlte fidele et fidele a Thonneur ; » ce huguenot, enfm, dont la supreme joie, a I'aspect du fer homicide, eclate dans ces mots : '« Nous mourrons tons en priant TEternel ! » Quel est-il? Vous avez repondu : c'estla foi et la — 115 — conscience. La conscience , voila pour lui Tlionneur et la vie; la foi , voila son esperance et sa retraile : Seigneur! rempart et seul soutien Du faible qui t'adore , Jamais dans ses maux un Chretien Vainement iie t'implore. L'eternel tentateur S'arme aiijourdhui, Seigneur, De ruse et de fureur : Yiens nous sauver encore. Tel est le chant, telle est la priere, telle la devise du huguenot. Le voila done. Est-il parfait? Loin dela; mais il est grand , et on I'admire. 11 porte Dieu dans son coeur, et on sent en lui le souffle de I'avenir. En face de ces hbertins joyeux qui versent a I'envi le sang et le vin, il ne redoute ni le nombre ni la raillerie. II est severe , il est sombre ; purilanisme , fanatisme meme, si vous voulez, un peu exagere par I'artiste; mais au-dessous, quelle conscience! et quelle foi ! On commence done a connaitre aujour- d'hui, ne fut-ce que par ces types imparfaits de I'oeuvre scenique , le veritable huguenot , et son histoire peut etre appreciee. Ces cultes de la nuit, ces reunions dans I'ombre, si vivement accusees : la conscience ! la Parole de Dieu ! Ces rassemblements du Pre-aux-Clercs et ces chants austeres des psaumes montant vers le ciel avec — 116 — I'accusation de rebellion : la conscience ! la parole de Dieu! Ces assemblees du desert, defendues mais per- severantes, derriere un rennpart de rochers, sous les feux du soieil, ou sous les torrents de la pluie, ou a J I'abri des voutes d'une caverne , tristes et glorieux souvenirs : la conscience ! la Parole de Dieu ! Ces maximes qu'un historien moderne a trouvees inquie- iantes pour les rois, et qui cependant legitiment bien toute autorite humaine, a en toules choses qui ne sont j contre Dieu,))- et (( moyennant que I'empire souve- rain de Dieu demeure en son entier » : la conscience encore et la Parole de Dieu ! Oui, la Reforme, dans le retour a la foi et au regne de la conscience, a ete profondement jalouse du droit de Dieu. Mais , en mettant la Parole et la conscience , au-dessus de toutes choses , elle n'a eu d'autre esprit i de rebellion que celui de saint Pierre et de saint Jean disant au sanhedrin : « Jugez vous-memes s'il est juste de vous obeir plutot qua Dieu. » Voila son crime. Dans ce double sentiment de foi et de conscience individuelle, que tout croyant pourrait alleguer comme excuse de ses exces, n'y a-t-il pas eu exageration ? C'est a I'histoire de le dire, mais a I'histoire eclairee par I'Evangile, non a I'histoire aveuglee par le prejuge. La foi a-t-elle degenere en fatalisme, ce fanatisme glace des consciences endormies? On pourrait le croire en hsant les maximes de la Reformation sur la pre- desliiialion. Ouclque enlrcprise religicusc vienl-ellc a se dissoudre : « le Gouveriieur du monde en avail autrement dispose/ » Reussit-on dans ses justes des- seins : a Dicu loiite gloire , car tout vient de lui. En 153C , les Savoyards sont defaits par les Genevois. Au point du jour, le peuple monte a la cathedrale pour rendre grace, et le premier syndic s'exprime en ces mots: ((Citoyens! Notre Dieu, a qui tout honneur soil rendu, a repousse I'ennemi par nos mains ^p) paroles dignes de memoire jusqu'a la derniere poste- rite. Enfin la formule de la Reforme est celle-ci: <( Encore que I'liomme pense et delibere, c'est a Dieu de donner accomplissement a I'oeuvrequ'il entreprend.S Mais ceprofond sentiment religieux, entrelenu sans cesse et developpe par la Parole de Dieu , developpe a son tour, loin de I'aneanlir, la conscience indivi- diielle et I'energie de la personnalite. Aussi , dans la Reforme , point de falalisme pratique : une grande foi el un grand sentiment de la responsabilite individuelle; riiarmonie des contrastes ; c'est le triomplie de la Parole de Dieu et de la communion de Christ. Y a-t-il eu exces dans les resistances de la con- science? Ah! ce n'est pas nous qui blamerions nos ancetres de n'avoir jamais ete que martyrs, et de 1. Jean dc Serres, Recueil des choses memorables, p. 44. 2. Gabercl, Histoire de TEglise de Geneve; t. I, p. 240. 3. La >'ouc, Mcmoires; chap. P^ — 118 — n avoir pas su revetir la cuirasse du soldat. Mais qui ne voit que ce fut uniquement par I'alteinte au droit de Dieu, tous les jours renouvelee, et par la lassitude d'un long martyre, que la Reforme nationale se laissa mallieureusement entrainer dans les guerres de reli- gion ? Qui ne sait avec quel empressement , avec quelle avidite de Concorde elle acceptait toutes les occasions de poser les armes pour lapriere, et de quitter les champs de bataille pour les parvis de rEternel? Qui n'a lu que Catherine de Medicis se vantait assez haut d'en faire ce quelle voudrait en les rassasiant de preches? Au demeurant, quon en juge par des noms propres : les Coligny, les d'Andelot, les la None, les Duplessis-Mornay, les Sully, lumieres de la Reforme, e(aient-ils des hommes portes a la rebelh'on ? Non ; si FEtat eut respecte la conscience reveillee dans le sentiment du droit de Dieu ; s'il n'avait pas mis le huguenot en demeure de faire son choix entre les commandements du Maitre et les interdictions de la loi humaine, le huguenot, pour parler le langage de Mazarin, ne se fut jamais ecarte. Plus directement dependant de Dieu, il n'eut ete que plus fidele dans la soumission. L'autorite divine , en effet , obeie sans intermediaires humains et sans injonctions legates , si elle releve I'homme dans le sentiment de sa dignite, le modere dans celui de I'humilile , et la fidelite du citoyen ne peut etre qu'en — Ill) — raison diiecle do la pureLe cL de riiidividualile dc sa foi. Ge soiit la pour tout homme impartial et sincere dcs verites banales qui n'ont plus bcsoin dc demon- stration. L'homme se doit avant lout a sa conscience pcrsonnelle eclairee et reglee par la voix de Dieu , et cette conscience intelligente et droite est le plus sur fondement de la societe. Tel est desormais le double sens du mot huguenot. La belle definition de Sully lui convient parfaitement : « Le vrai huguenot , c'est rhomme entierement desireux de conserver la religion et I'Etat;)) chretien evangehque et bon citoyen. On disait dans le principe : herelique infame et sedi- tieux. Les termes ont ete renverses et la verite reta- blie. L'epithete injurieuse est devenue un litre d'hon- neur. ' 1 . ^'olls ne saurioiis oublier d'indiqiier ici les belles pages ecrites sur le point de viie moral dii protestantisme francais par M. Gaiifres. BulletiQ de THist. du protestantisme francais; 3« anuee, p. 681. -«H3j040-0- CONSTITUTION DE L'EGLISE REFORMEE DE FRANCE EN 1559. Ces huguenols qii^ nous venous tie voir en butte, pendant plus de deux siecles , a la proscription d'une epithele populaire, calomnies, persecutes, prives du droit commun, declares abolis, reduits a chercher, quand ils le pouvaient,un genereux asile hors du sein de la patrie, tranquilles aujourd'hui, reconnus, pro- leges, reliabilites par la loi et par la saine partie de la nation, ces huguenots desquels tant de persecuteurs ont cru la race a jamais eteinte, le 20 mai 1859 vont celebrer solennellement, aux quatre coins de la France, et pour la premiere fois, un Jubile de la Reformation. Unis dans un meme sentiment de gratitude profonde pour le Dieii qui les a sauves, de reconnaissance en- vers les pouvoirs qui ont contribue a la conquete ou au maintien de leur liberie civile, d'une sainte vene- ration pour la memoire de leurs martyrs, animes d'une — 121 — niutuellc fralernilc clirctieniic cL, ii regard de Lous leurs compalrioles, d'line large et sincere cliarite, ils seront unanimes sans doute dans la llbre expression de leurs communes actions de graces et dans la mani- festation pacitique du sentiment evangelique protes- lant. Le dimanchc designe pour la celebration de cette nouvelle fete chretienne (29 mai 1859) correspond au jour ou, en 1559, les deputes des Eglises reformees de France reprenaient leur cliemin vers leui's trou- peaux, apres avoir tenuaParis, sous la presidence du pasteur Francois Morel, leur premier synode national. Cette assemblee avait accompli deux grandes ceuvres: elle avait donne a la Reforme francaise une meme base dogmatique et une commune organisation. Dispersees jusqu'a ce jour par tout le royaume, sans relations regulieres les unes avec les autres, les Eglises nou- velles avaient desormais une seule Confession de foi et une seule Discipline ecclesiastique. Le protestan- lisme francais forma des ce moment une meme fa- mille et il put rendre graces a Dieu de son unite. II. Quelque important que ce fait paraisse, il est permis neanmoins de se demander si la date de1559 est bien celle a laquellc doit correspondre le Jubile. On peut „ 422 — etre teiUe d'en douter. Longtemps avaiit 1559 la Re- forme etait consommee. Dans I'etude qui precede, nous avons suffisamment dehionlre, sans doute, combien aclifs et efficaces furent en France les travaux des reformateurs sous Francois P et sous IJenriII(1515- 1559). La liste des Eglises fondees pendant ces deux regnes viendrait a nous faire defaut, que celle des edits de persecution et celle des martyrs de cette pe- riode suffiraient amplement pour attester la presence de la Reformation accomplie. « Francois P^ dit I'au- ieuv deV Accord par fait, tres-exact en general dans ses appreciations , Frangois P^ rendit contre les Re- formes six ou sept edits des plus severes des les annees 1524, 1525 et 1528. II les fit bruler par douzaines, il en envoya aux galeres par centaines , et il les bannit par milliers. II en fit faire de grands feux, dit Bran- tome, et n'en epargna aucun de ceux qui vinrent a sa connaissance. Des la fin de son regne neanmoins, le protestantisme avait fait de nombreuses conquetes a Meaux, a Paris, a Viviers, a Vienne, a Orleans, a Bourges, a Issoudun , a Toulouse, a Rouen, a Corbi- gny, a Dijon, a Senlis, a Langres, a Caen, a Yssoire, a Riom, a Lyon, a Angers, a Poitiers, a Bordeaux, a Sancerre, a Allevert, a Agen, a Blois, a Tours. Les conseils de sang et I'horreur des supplices n'em- pecherent pas sous Henri II (1547-1559) que ces etablissements ne prissent un certain degre de con- I - 123 — siblaiicc, et en parLiculicr, en 1555, on vit une Eglise rcformec en tres-bonne regie a Paris » (I. V'^, p. 146 et 151). Le nombrc des Eglises, petites et grandes, fondees au milieu des supplices , avant la mort d'Henri II, etait, d'apres le meme auteur, de 2150 au moins, ((ayant chacuneleurs pasteurs etune forme dc gouvernement.)) Meme en n'admettant ces appreciations que sous benefice d'inventaire, ilest constant queles deux pre- miers Valois-Angouleme furent incessamment preoc- cupes du protestantisme de leur royaume, et que le travail des esprits etait, avant la mort de Francois P, assez general et assez profond pour qu'il ne fut plus au pouvoir d'aucun evenement exterieur d'en arreter les developpements. II faut etre bien voltairien pour perdre son temps a se figurer que telles circonslances arrangees, vers 1560, a la guise de quelques mo- dern es historiens, eussent epargne a la France un schisme declare. G'est d'ailleursuneerreur bislorique. Le schisme etait ouvertement accompli, non-seule- ment depuis 1559, mais depuis 1535. ^Institution chretienne de Calvin en etait tout a la fois un signe et un gage; et si ce livre eut ele pour la premiere fois public a Paris ^ ce serait peut-etre au jour de son apparition qu'il eut convenu de rapporter I'anni- versaire de I'etablisscment de la Reforme dans noire pays. _ 124 — III. Mais ces considerations' le cedent a de plus puis- santes encore en faveur de I'annee 1559, qui est celle de I'apparition officielle de la Reformation frangaise. Sans doute, la doctrine de V Institution chretienne etait regue des diverses Eglises reformees ; mais elles ne s'etaient pas entendues pour I'adopter et la proclamer de concert. Sans doute, ces Egiises, toutes locales qu'elles fussent, etaient unies par des liens spirituels puissants et par des rapports aussi fre- quents que possibles; elles etaient anirnees d'une meme foi et d'un meme esprit, et regies a peu pres de la meme maniere ; mais elles ne formaient pas un corps d'une harmonie visible a tous. En 1559, au con- traire, rapprochees par une seule Confession de foi et une seule Discipline, les Eglises deviennentwne Eglise. Que prouvent-elles par cette double manifestation de leurs sentiments? P qu'elles ont une foi positive; que, loin d'etre la negation dela verite chretienne, lemou- vement dela Reforme n'en est que le relevement, et qu'au lieu de renverser le principe de I'autorite en matiere de foi, il ne fait que le replacer sur sa veri- table base, la Parole de Dieu ; 2^ que par consequent, la Reformation est essentiellement une oeuvre reli- gieuse, qui n'affranchit la conscience d'une autorile ecclesiastique cxorbitante et egarec que pour la sou- — 125 — mettre plus entierernent et plus librement a I'autorite supreme de la Parole de Dieu; qu'ainsi loute accusa- tion de point de vue politique et de rebellion porte a faux contre une Egiise a laquelle Vautorite qu'elle proclame ordonne do ((rendre a Cesar ce qui appar- tient a Cesar)) aussi bien qua Dieu ce qui appartient a Dieu; S"" eniin, la Discipline de 1559 demontre que, loin de dissoudre et de pulveriser I'Eglise, la Reforme en conserve et en realise I'unite, la veritable catholi- cite spirituelle, sur le seul fondement qui puisse etre pose, a savoir Christ et sa Parole. En deux mots, VEvangile et VEgllse officiellement retablis et procla- mes, telle est la grande oeuvre de 1559. C'est done ici la veritable origine de VEgllse reformee. IV. Mais cette epoque a aussi une autre importance , et il semble que les destinees memes de la Reforme I'eussent indiquee d'avance comme le moment histo- rique au dela duquel il n'etait guere possible de remonter, sans s'exposer a ne celebrer que I'anniver- saire du martyre. Des les annees 1559 et 1560 com- mence pour la Reforme fran^aise la periode d'action commune et militante. Les annees qui precedent offrent une tout autre physionomie et se distinguent par un cachet particulier. 11 y a la une periode d'un — 126 — demi-siscle environ durant laquelle, ainsi que I'a dit fort juslement un ancien auleur, « ceux qui nous ont pre- cedes n'ont su que mourir et non se defendre; qua- rante ans, pendant lesquels nous n'avons participe aux maux de I'Etat qu'a litre de partie soufTrante. Aux calomnies, aux persecutions, a tant de miseres qui se renouvelaient tous les jours et auxquelles ils ne voyaient point de fin, les protestants n'opposaient alors que la fuite ou la patience. Nul, pendant un si long intervalle, ne songea a prendre les amies pour sauver sa vie.)) Ge sontdonc quarante annees de mar- tyre, sans murraureet sans resistance, noble et fidele primitive Eglise de la Reforme frangaise. En 1560, avec I'apparition du mot huguenot, la scene change d'aspect. A I'occasion ou par la faute des illustres maisons, des families princieres qui adoptent la Reforme, la paix de son fecond martyre est troublee. Malgre elle, malgre ses principes, par une triste ne- cessite de sa position , elle se trouve entrainee dans la resistance aux usurpateurs de la royaute et dans la legitime defense de ses princes conlre les princes etran- gers qui ont reduit en servitude la justice royale et la dignite du trone frangais. Des ce moment les destinees de la Reforme sont fixees : communion militante par la force des choses et contre son gre, elle ne cessera de lutter ou de fairs entendre ses reclamations pour la liberie de la conscience, et, par ses efforts autant que — 127 — par son marlyre, elle coiilribuera eflicacemeiit a la tar- dive proclamation de ce grand principe acliele au prix de tant de douleurs. Ainsi, 1560 commence en quel- que sorte une ere nouvelle. L'eminent liistorien que nous avons deja cite, M. Mignet, amemedit, avecquel- que exageration peut-etre, que la Reforme ne fut se- rieusement entreprise en France qu'a la date dont nous parlous. A ne consuller que nos sentiments , nous aurions prefere sans doute comme origine de la Reforme choisie pour la fixation du Jubile une epoque de martyre plutot qu'une epoque de combat. Mais I'histoire designait trop clairement I'annee 1559. Au reste, cette annee, inler- mediaire enlre la phase du martyre et celle de la resis- tance, appartient bien plutot a la premiere. Elle est sur le seuil, il est vrai, et comme au debut de la grande lutte ; des reclamations plus vives commencenta s'elever; mais le combat n'est pas encore engage. 11 n'y avail done pas matiere a hesitation. La cloture du premier synode national imposait aux Eglises reformees de France la date de leur Jubile. V. Abordons maintenant et rappelons avec quelques details les traits saillants de Fannee 1559 et de I'oeuvre memorable quelle vitaccomplir par les Eglises reformees de notre palrie. — 128 — On voudrait pouvoir dire que cette annee fut excep- tionnellement cruelle pour le protestanlisme fran^ais. Mais, helas! I'exception, -c'etail la clemence; il n'y avail de regie que la cruaute. 1559 fut done dans la regie; mais la regie fut plus rigou reuse et plus impitoyable encore qu'auparavant. L'annee s'etait ouverte par la honteuse paix de Gateau-Cambresis , ou le cardinal de Lorraine et celui de Granvelle avaient fait prendre au roi de France et a celui d'Espagne, en une clause se- crete , le commun engagement d'exterminer I'heresie. Ces odieux desseins transpirerent aussitot parmi le peuple, et le bruit se repandit que les deux moiiarques ne cherchaient que la guerre par la paix. Henri II fut fidele a la parole donnee. La paix avait ete signee le 3 avril; desle 12, des lettres patentes furent expedieesen province, signees de la main du roi, etportantau sujet des reform es : « Je ne desire rien plus que de les ex- terminer du tout (entierement), et en couper si bien la racine que par ci-apres il n'en soit nouvelles. A quoi je vous prie faire si bonne diligence que vous les puis- siez chatier comme ils meritent, sans avoir aucune pitie ni compassion d'eux, etc.*)) Gurieux monument i de la fureur des Guises, ajoute M. Louis Paris; I'aveu est juste et n'est pas suspect. Les ordres du roi furent executes. Nous n'enumere- 1. Lettres, negociations , etc., sous Francois II. Paris, 1841; iii-i", p. 342. — 150 — rons pas tons les mnrtyrs dc cette annee funesto. Citons- cn pourtani qiielques-uns. .lean Morel elait on jenne homnie d'environ vingt ans. II avail Iravaille pendant nnc grande partie de sa jeunesse dans line imprimerie; puis un des ministres de I'Eglise de Paris I'avail pris a son service. On le saisit. II fut jete en prison , « pro- mene de siege en siege jusqu'a etre ebranle par la ten- tation, et cependant merveilleusement constant en ses souffrances. » II monrut des mauvais trailemenls qui lui furent infliges pendant sa reclusion. Nous avons raconte, dans Tarticle des huguenots, le meuftre qui se commit, le 5 mars 1559, au cimetiere de Saint- Innocent. II trahissait la soif du sang. On la satisfit aussitot. Lelendemain raeme, un magon, normand de naissance, Jean Barbeville, fut juge, condamne « et comme livre au peuple altere de sang humain, afm de I'apaiser par cette curee.)) II mourut sur le bucher. Les flammes ayant consume ses liens, il eleva ses mains libres au ciel, ((et ainsi doucement, sans grands signes de douleur, il rendit son ame a Dieu. » * Apres la mort de Barbeville, quatre jeunes gens res- taient encore detenus a la conciergerie du Palais'. 1 . Histoire des martyrs ; liv. VII. 2. Au nombre de ces detenus s'en trouvait un, Meric Fabre, qui avail ete pris a Fassemblee de la rue Saint-Jacques (sept. 1557). Calvin leur ecrivit le 18 fevrier 1559 pour les fortilier. II etait lui- mSme raalade de la lievre depuis quatre mois. Quelle humilite dans — 130 — C'etait a la Tournelle (une des fractions du parlement) ' d'instruire leur proces. Les juges, mieux disposes que ceux de la grand'chambre (autre fraction), connais- saient les sentiments religieux, la droiture de con- science, I'humilite chretienne des prevenus. Emus de compassion, ils avaient differe longtemps le proces. Mais ils furent contrainls d'y pourvoir. On commenga par demander aux prisonniers quelques concessions. lis refuserent tout coupable accommodement, prolestant (( qu'ils avaient de long temps remis leurs ames entre J les mains de Dieu pour plutot mourir que de faire chose qui fut tant soit peu devoyante d'une pure et entiere confession. » L'interrogatoire porta sur la Gene, nulle mention n'etant faite de messe ni de transsubstantiation. Leurs reponses parurent satisfaisantes. Sans admettre aucune presence corporelle , les jeunes prisonniers avaient cependant appuye avec force sur ce que « les fideles participent au corps et au sang de Jesus -Christ pour etre nourris de sa substance en la vie eternelle , et ce par I'operation secrete du Saint-Esprit, condam- la maniere dont il parle de ses douleurs, et quelle sympathie pour celles qu'ils voiidrait adoucir! « En faisant comparaison, dit-il, du petit mal auquel je languis, qui n'est quasi rien, avec les facheries dont vous etes oppresses, pensant aussi comme je suis secouru et vous a Topposite cruellement molestes et trait6s, non-seule- raent j'ai occasion de prendre patience et m'alleger, mais d'etre louche de plus grande pitie , et de g6mir pour les tentations dont vous pouvez 6tre assaillis. » Lettres de Calvin, t. II, p. 253. i — 131 — linn I tons cenx qni imaginent les signes elre nus aux sacrements institues de Dieu. » Cette reponse, qui admettait dans le sacrement la presence spiritucllement reelle de Jesus - Christ , fut immediatement commnniquee a la cour. On esperait leur delivrance. Mais la cour fut plus severe que la Tournelle. Elle exigea que les inculpes fussent expres- senient interroges sur la messe elle-meme. Invites a s'expliquer sur ce point, ils le firent avec une franchise et une puissance de conviction dont la foi seule a le secret. L'un demontra que la messe est veritahlement en opposition avec la Gene; un autre qu'il ne pent y avoir d'autre sacrifice propitiatoire que celui de la croix ; un troisieme « que la divinite et humanite se- raient aneanties si I'article de la transsubstantiation etait re^u , et que c'est idolatrie d'adorer le Tout-Puis- sant en un monceau depate corruptible;)) le quatrieme enfin c: que les fruits du sacrement ne peuvent etre recus la oii la parole n'est conjointe au signe, la ou l'un des signes est retranche, ou il n'y a aucune com- munion. )) Cette confession arracha a quelques-uns des juges des aveux qui justifiaient les accuses, et dans un langage que le peuple ne pouvait entendre, ils recon- naissaient entre eux les abus de la messe. Neanmoins Farret porta la peine de I'exil dans le delai d'une quin- zaine. Pour I'epoque, c'etait un arret de mansuetude, et c'est ainsi qu'il fut juge. — 132 — En pareille circonstance , la grand'chambre appli- quait invariablement la peine de mort. Aussi fut-elle i vivement mecontente de la Tournelle, et elle manifesta son deplaisir par un exemple de rigueur. A cinq lieues environ de la capilale, au village de Villeparisis, sur le chemin de Meaux, yivait un pauvre vieillard , gagnanl j encore sa vie au travail de la vigne. II se nommait Pierre ^ Chenet. C'etait„un des piremiers disciples de la Reforme. (dlavaitiappris, ditBeze, tout son Nouveau Testament, ei prenait bien la peine de venir de son village jusques a Paris, pour etre instruit avec les aulres. » II avait deja souffert une fois pour le nom de Christ. On le saisit, et il supporta le martyre avec une admirable Constance. * VI. * La grand'chambre ne s'en tint pas a cet acte de cruaute. Inquiete des tendances de quelques conseillers de la Tournelle, elle vit avec plaisir demander par les gens du roi la convocation d'une mercuriale, c'est-a- dire d'une assembliee .generale de la cour. Cette idee fut surtout appuyee par le cardinal de Lorraine, cdl - faut, dit-il au roi dans son conseil, tendre un piege a ces hommes dangereux, les inviter a parler et a pro- duire leurs sentiments, et les punir ensuit^ jd'apres leur t. B^ze, Hist, eccl.; t. I, p. 104-108. — 133 — propre confession. » Puis il propose nn lit tie justice dans lequel le roi viendra lui-nieme consulter le parle- mentsur lesmesuresa prendre relativ^ment aux herc- liques. Get avis est appuye par le connetable. Mais Vieilleville y repugne; I'honneur fran^ais fremit dans sa poitrine de soldat. Cependant le cardinal devient pres- sant. ft II faut, dit-il au roi dans son indecent Ian- gage, donner curee a tous ces" grands et seigneurs d'Espagne qui ont accompagne le due d'Albe pour solenniser et honorer le mariage de leur roi avec Mar dame votre fille, d'une demi-douzaine de conseillers pour le naoins qu'il faut bruler en place publique comme heretiques-lutberiens qu'ils sont et qui gatent ce tres- sacre corps de parlement. » Ces execrables paroles avaient produit une profonde impression sur I'ame du roi. Aussi vainement le brave marechal de Vieilleville essaya-t-il de lui persuader, avec la liberte D'un soldat qui sait mal farder la verite, que ce n'jetait pas a lui ((d'aller faire Toffice d'un Iheologien inquisiteur de la foi ; » le credit du cardinal I'avait emporte sur les avis de I'honneur. Le roi se rend done au parlement. (dl deliberait sur les moyens de ramener une jurisprudence uniforme dans les jugemcnts sur les heretiques. A I'aspect du monarque, qui d'abord ne pent dissimuler I'agitation de son — 134 — ame; du cardinal de Lorraine, dont le sourire n'a jamais ete plus sinistre; du connetable, donl le visage parait avoir une expression plus dure que de cou- tume; du due de Guise, qui a perdu la noble serenite de ses traits, la terreur se repand dans toutes les ames. » Cependant la parole du souverain rassure les esprits craintifs. 11 ne voudrait, dit-il, qu'amener la paix des consciences ; et il invite chacun des magis- trats a s'exprimer en liberie. Confiants en son equite, qu'ils supposaient encore celle d'un roi- chevalier, quelques-uns d'entre eux prirent parti pour la moderation et la clemence; d'autres plaiderent plus hardiment la cause des accuses. (( Commen^ons, s'ecria Louis Dufaur, par examiner quel est le veritable auteur des troubles, de peur qu'on ne soit oblige de faire la meme reponse qu'Elie fit autrefois a Achab : Cesl voiis qui trouhlez Israel. » Du Bourg ne s'cxprima pas avec moins de force. II dis- serta sur la Providence et sur les conseils de Dieu, auquel nul ne saurait resister; puis, faisant un retour sur les iniquites de la justice humaine : a. Tandis que Ton traine au buclier, dit-il, des hommes qui ont I'unique tort de prier pour leur prince, une honleuse licence entretient et multiplie les blasphemes , les par- jures, les debauches et les adulteres. On voit com- rnettre tous les jours des crimes qu'on laisse impunis, i tandis qu'on invcnte de nouveaux supplices conlre des — 135 — honimes qui n'ont commis auciin crime. Ce n'est pas chose dc petite importance decondamncr ceux qui, du milieu des fla'Vnmes, invoquent le nom de Jesus-Christ. » La discussion terminee , le roi se leve en colere et entre en conseil avec ses cardinaux. Bienlot, au milieu du silence de I'asscmhlee, le connetable s'avance, met la main sur Dufaur et sur Anne duBom^g, et les remet au capilaiiie des gardes, Monlgommery, pour les con- duire a la Bastille. Henri II se flaltait a haute voix de les voir bruler de ses deux yeux. Mais, quelques jours apres,la lance de Montgommery le frappait dans le tournoi de la rue Saint-Antoine, et il mourait en s'ecriant, a la pensee des conseillers enfermes a la Bastille : « lis sont innocents , et Dieu me punit de les avoir persecutes.)) Le cardinal de Lorraine le rassura, lui disant, selon sa coutume, qu'il fallait repousser ces suggestions du demon. Cependant, a Tissue de la mercuriale, le peuple de Paris n'avait pas vu sans un fi'emissement d'indignation , qui avait froisse le roi dans I'ame, trainer a la Bastille le conseiller du Bourg. Arretons-nous quelques instants devant cette noble figure, et recueillons quelques- unes des pieuses et belles paroles qu'il pronon^a pendant son proces. VII. Ne, en 1521, a Riom , en Auvergne, d'une famille considerable, Anne du Bourg etait le neveu d'un ancien — 136 — chancelier de France. 11 etudia la tlieologie, legiit les ordres, professa le droit a Orleans, et vintenfin, en 1557, occuper un siege ati parlement de P^Tfis. Eloquent et integre, il jouissait de I'estime generale ; sa religion faisait tout son crime. II avait lu les Ecritures, reconnu les erreurs de I'Eglise romaine et communie avec les reformes. Son proces, malgre la mort du roi, se poursuivit avec activite. Mais il se prolongea par la Constance et la multiplicite des moyens de defense de I'accuse. « Incompetence , recusation , appel comme d'abus , il employa tous les moyens legitimes pour defendre jusqu'au bout les droits de sa conscience et sa dignite d'homme etde magistrat.)) Apeineincarcere, I'eveque de Paris avait delivre contre lui une sentence d'he- resie , et I'avait degrade des ordres. Du Bourg appela de ce jugement. Le cardinal Bertrand, archeveque de Sens, confirma purement et simplement la sentence. II n'en avait pas le droit; car il avait preside au pre- cedent jugement. Mais le cardinal de Lorraine, qui menait I'affaire, avait peu de souci de la legalite. Du Bourg en appelle encore comme d'abus. Contre toute justice, quelques magistrats seulement sont charges dejuger ce nouvel appel; etquels sont-ils? Ses propres ennemis politiques ou religieux. Du Bourg se hate de presenter contre eux des causes de recusation. Aussitot le cardinal de Lorraine mene au parlement — r^7 — Ic cliancclier Olivier el plusicurs mailres des requcles clioisis a sa devotion. Avec line calme et ferme dignite qui les siirprend, du Bourg- mainlient son appel, et, s'adressant ail cardinal: « Je m'etonne, lui dit-il, comment vous, qui etes mon ennenii mortel, parti accusateur et principal solliciteur, vous rangcz ainsi au nombre de mes juges.)) Le cardinal, blemissantde colere, s'excuse et lui donne I'assurance qu'il est son meilleur ami. Get incident ful suivi d'un arret d'Olivier, declarant admissibles les recusations de du Bourg, et kii accor- dant un conseil de defense, a la confusion du cardinal. Mais il ne fut pas juge, comme il aurait du I'etre, par toiites les chambres assemblees. Lors done que la commission cbargee d'instruire le proces se presenta pour I'interroger, du Bourg refuse de repondre, alleguant son privilege de magistral, membre de la cour souveraine , et disant qu'il n'avait de compte a rendre qii'a ses pairs, qui etaient ses juges naturels. La difficulte fut portee au roi, et celui- ci, par un arret, declara que I'inculpe, s'il s'obslinait, serait tenu coupable de lese-majeste et de rebellion. Du Bourg se soumit, et subit son premier inlerroga- toire. II etait prevenu de culpabilite sur un double clief, religieux et politique: riieresle et Vatteinte a I'antorite royale. On I'accusait d'avoir dit dans son discours que «les ordres du roi et de la puissance — 138 -- politique n'etaienl pas obligatoires en matiere reli- gieuse. » II nia positivement avoir tenu iiii pareil Ian- gage , et en appela sur ce point a la memoire de tons les conseillers presents a Taudience. Quant au fait d'heresie , qui sufTisait amplement pour le perdre, du Bourg repondit qu'il admettait tout le contenu du livre du Seigneur, et rejetait tout ce que les hommes avaient introduit de contraire a la sainte Parole. ((M'appuyant sur la seule Parole de Dieu, dit-il, je rejette toutes les constitutions du pape , comme de celui qui voudrait se montrer plus savant que Jesus -Christ et ses apolres, et qui lui voudrait tolalement contrarier. Le Seigneur Dieu avait dit en I'Exode : « Six jours tu travailleras et au septieme tu te reposeras; mais le pape, pensant etre plus sage, defend de travailler a certains jours par lui limites, Jesus -Christ permet a toutes les creatures qui out connu la verite d'user de toutes viandes en tout temps avec actions de graces; mais le pape le defend. Jesus- Christ dit que ceux qui n'auront le don de continence se peuvent marier, et le pape le defend aux pretres, encore qu'il y en ait eu beaucoup de maries en la primitive Eglise et jusqu'a Cahxte, pape. Aussi Dieu defend de mettre images aux temples; le pape le per- met. Au moyen de quoi , il est a bonne cause dit Antechrist. )) Apres avoir combattu I'invocalion des saints, la mulliplicite des sacrements et la croyance — 130 — ail pLirgatoire, il leniiiua par ces paroles : <.( Moi done, connaissant les grands erreiirs, abus ct superstilions auxquels j'ai ete plonge par ci-devant, niaiiilenant je renonce a loules idolatries el fausses doctrines qui sont contraires et contrevenantes a la doctrine de mon niaitre Jesus -Christ, qui est la sainte et pure Parole de Dieu. Jepromets, pour I'avenir et residu de nia vie , cheminer et vivre selon sa doctrine le niieux que sera en moi possible, moyennant I'Esprit de Dieu qui m'assistera et dirigera en toutes mes voies, sans lequel je ne puis rien , avec lequel je puis tout. Je le prie, au nom de son Fils, notre Seigneur, me vouloir conserver et entretenir en cette foi, jusques a la fin, et me donner grace, vertu et puissance de la con- fesser de coeur et de bouche tant devant fideles qu'in- fideles, tyrans et bourreaux de I'Antechrist, jusques a la derniere goutte de mon sang. Voici la foi en laquelle je veux vivre et mourir, et ai signe cette presente mienne Confession de foi de mon seing, pret de la sceller de mon propre sang , pour mainlenir la doc- trine du Fils de Dieu. » II n'y avait pas a s'y trompcr; c'etait bien un lutherien. Du Bourg n'avait pas flechi un seul instant; mais il n'avait pas avoue dans les premiers moments qu'il eut fait la Cene avec les reformes. Frappee de ces retards et.de tons les moyens qu'il opposait a ses juges, une jeuue femme, enfermee dans un cachol — 1//.0 — voisin du sien, et deslinee au buchcr, M"'*^ Lacaille, lui reprocha par une ferietre « que ses fuites sentaieiit le renard du monde,et nonTagneau de Jesus-Clirist.)) ((II prit des lors toutes longueurs a contre-coeur , ajoute d'Aubigne , et reforma sa Confession , etc. » Nous en connaissons I'energique sincerite. Grande et salulaire est I'influence de la femme chretienne ; elle a le secret des plus heroiques devouements. VIII. Du Bourg fut assiste par I'avocat Marillac. Le defen- seur fit ressortir les nombreuses irregularites du proces, un emprisonnement contraire a toutes les traditions de la justice, les etranges procedes du cardinal Berlrand, presidant sans vergogne a trois jugements successifs, abus evidents entrainant de plein droit la nullite des sentences et la cassation d'un proces ou nulle forme de justice n'avait ete observee. Et cependant il n'osa conclure par un appel. 11 se borna a recourir a la misericorde du roi et de la Cour, confessant que sa partie avait grievement offense Dieu et sainte mere Eglise, irrite le roi, montre des- obedience a son eveque, auquel, ajoutait-il, eta la sainte Ealise romaine il desirait etre reconcilie. A ces mols, du Bourg voulut repondre, mais la parole lui fut refus(3e et on le renvoya dans sa prison. — 141 — Sa conversion alluil elre annoncee au roi, quanil arriva un bulletin ecrit et signe de sa main. 11 y desavouait les singulieres conclusions de son avocat , persistait en ses causes d'appel, maintenait sa confes- sion de foi , se declarait encore pret a la confirmer par I'effusion de son sang, et implorait tres-humble- ment le pardon de Dieu , tant pour n'avoir pas inter- ronipu son avocat, que pour avoir ete un moment induit a mitiger I'expression de sa foi. Averti de ces declarations, le roi manda de le juger incontinent. La Cour prit done un arret c(debienjuge et mal appele.)) Mais du Bourg eut encore recours a un appel devant le primat de Lyon. U s'ensuivit le bruit qu'il s'etait dedit. A peine eut-il connaissance de cette fausse nouvelle, qu'il ecrivit une epitre aux membres de I'Eglise de Paris, ses freres, pour leur expliquer son affaire et les rassurer sur sa fermete. II se justifiait de recourir ainsi « au jugement des suppots du pape » , par la simple intention ou il etait de se menager les occasions les plus nombreuses possibles de faire con- naitre sa religion et ((d'oter toute occasion de penser qu'il se precipitat et qu'il fut cause de sa mort avanl le temps.))* I. Cette declaration ii'a pas empeclie M. Louis Paris de dire : « Anne Dubourg, sans la persecution qu'il a recherchde et obte- mie, serait anjoiird'hiii parfailcraent ignore. Samort a fait sa cele- brite. » M. Geuiu accuse aussi fort a sou aisc Sigismoud de Ho- — 142 ~ Cependanl son appel au primal tie Lyon , qui etait alors le cardinal de Tournon , differa de quelque temps encore le jugement defmitif, et d'autant plus que les vacations de la Cour, etant survenues sur ces enlrefailes, empecherent que la sentence ne put etre immediatement confirmee. Neanmoins, le cardinal de Lorraine fit toute diligence pour obtenir des juges delegues du primat une prompte confirmation de la declaration primitive. Cette poursuite precipitee fut cause que les reformes de I'Eglise de Paris, qui s'e- taient deja adresses a la reine mere, lui ecrivirent pour la seconde fois. lis lui rappelaient leur modera- tion et ses promesses, dont les effets se faisaient en- core attendre : les poursuites dirigees contre duBourg n'etaient qu'une oeuvre d'iniquite, et Dieu ne pouvait laisser I'injustice impunie. Quelque obeissance, du reste, qu'elle dut attendre des reformes evangeliques, auxquels Dieu commande toute soumission, ne pou- vait-il pas arriver que les hommes, bien plus nom- breux, a qui ne connaissaient encore que les abus du henlohe d'lin zele outre de proselytisme et Luther de je ne sais quels exces de conscience pour avoir simplement formule une foi con- traire a celle de Leon X. Telle est la justice des libres penseurs. Quant a M. Louis Paris , qui n'a pas toujours fait preuve d'une scrupuleuse fldelite dans son travail d'editeur par ordonnance du roi, on s'etonne de son jugement sur les causes de la celebrite de du Bourg; le martyre vaut bien sans doiite, aux yeux de la posterite, lei autre sujet de renoinniec. — 143 — pape, sans s'etre ranges a la discipline ecclesiaslique,» pousses par la violence de la persecution, ne vinssent a ressembler aux eauxd'iin etang, qui rompentla chaussee et n'apportentpar leur inipetuosite que ruine et dom- mage aux terres voisines? En prevision de tels malheurs, ils eprouvaient d'avance le besoin de s'en justifier. La reine mere, trouvant cette lettre fort dure, re- pondit simplement en ces termes: a Eh bien! on me menace, croyant mefaire peur;mais ils n'en sont pas encore ou ils pensent » ; et le proces de du Bourg sui- vil son cours. A chaque seance , il redoublait de fer- veur pour le martyre , et quelquefois sa parole s'ani- mait d'accents propheliques. Un jour, excede du ton de menace dont le president Minart usait avec lui : ((Tremble toi-meme, lui dit-il; crois-en la parole d'un homme qui va paraitre devant Dieu. Tu ne tarderas point a y paraitre toi-meme, toi qui verses le sang des hommes de paix, et peut-etre ne vivras-tu point assez pour voir mon supplice dont tu fais ta joie, et dont je fais aussi la mienne.)) On trouva ces paroles coupables, quand pen de jours apres le president Minart fut assas- sine en rentrant chez lui le soir. Rien ne prouvait ce- pendant queduBourgeutpu avoir aucune intelligence avec les meurtriers, etson caractere eut dule defendre contre un tel soupcon. Mais on lui imputa la pensec du crime, et son arret ne fut plus differe. On le con- damna a ctrc pendu. — 1-M — IX. C'est apres ce moment soleniiel que duBourg mon- Ira surtout, dit M. Geruzez, la fermete de son ame et la noblesse de son eloquence, (dl commen^a par rendre graces a Dieu d'une si heureuse journee, que ses voeux appelaient depuis longlemps, et il le pria de pardonner a ses juges qui , s'ils ne I'avaient pas con- damne selon la science et la sagesse divine , n'avaient du moins ecoutequeleur conscience. Ensuite, comme transportedel'esprit deDieu, il celebra la renaissance de I'Evangile. » «Laisserons-nous, dit-il, fouler aux pieds notre redemption et le sang de Celui qui I'a si liberalement repandu pour nous ? N'obeirons-nous point a noire roi qui veut que nous le defendions, qui nous cherche, qui nous soutient et qui est le premier en la presse? Quoidonc! la peur nous peut-elle faire chanceler ; nous doit-elle ebranler? Ne serons-nous pas plutot bardis, voire invincibles, connaissant une si petite' resistance contre nous, comme est celle des bommes! Helas ! vermine miserable, cette gent veut que nous permettions qu'on blaspheme notre Dieu, elle veut que nous lui soyons traitres , et pour (nous) ne le vouloir, on nous deteste, on nous taxe de sedition. Nous sommes desobeissants aux princes, d'autant que nous n'offrons rien a Bahal. notre bon Dieu! permettras- — U5 — tu regner toujours un desir deborde de gloire et ou- trecuidance en la fantaisie des hommes, le voiilant servir a leiir guise , sans se vouloir ranger ct soumettrc a ta volonte, seule juste et raisonnable! Aie seulement pitie de nous , o notre bon pere ! Aide-nous et con- duis-nous par ta grace a soutenir constamment ta verite. Montre, montre-leur, Seigneur, que ce sont eux-memes qui sont deloyaux a leur prince. Est - ce desobeissance , est-ce deloyaute a son prince et sei- gneur que de lui bailler ce qu'il nous demande, voire jusques a nos chemises, s'il avait besoin en cela de nous? Est-ce desobeissance a notre roi que de prier Dieu pour sa prosperite, que son regne soit gouverne en paix, et que toutes superstitions soient bannies de son royaume ? De requerir a Dieu qu'il le remplisse , et tons ceux qui sont sous lui nos superieurs, de sa connaissance en toute prudence et intelligence spiri- tuelle, afm qu'ils cheminent dignement au Seigneur et lui soient agreables? N'estimera-t-on pas plutot etre desobeissance de deshonorer Dieu, le courroucer par tant de manieres d'impietes, endurer que Ton transfere sa gloire aux creatures, et au reste nous accommoder a I'invention des hommes, lesquels ne sont que mensonge; faire vertu de blasphemer son nom, approuver la debauche et autres mille insolences qui ne sont point reprises ? » Du Bourg depeint ensuite les vengeances des per- — 146 — secuteurs: ((Vous nous allongez tellement les membres, dit-il, que vous-memes en avez pitie et compassion. » A ces mots, des larmes fi-appent ses regards : « Je vols pleurer aucunsdevous, s'ecrie-t-il,pourquoipleurez- vous? Que denonce cet ajournement, sinon que vous ressentez voire conscience chargee , et que les piteux cris contraignent de lamenter vos yeux de crocodile? Ores done , vous apprenez comment vos consciences sont poursuivies du jugement de Dieu, et voila! les condamnes se rejouissent du feu, et il leur semble qu'ils ne vivent jamais mieux que lorsqu'ils sont au milieu des flammes. Les rigueurs ne les epouvantent point , les injures ne les affaiblissent point, recompen- sant leur honneur par la mort Qu'ai-je a me con- trister d'etre guinde ?... Non, non , Messieurs, rien ne pourra nous separer de Christ, quelques laqs qu'on nous tende et quelque mal que nos corps endurent. Nous savons que nous sommes des longtemps destines a la boucherie comme brebis d'occision. Done qu'on nous tue, qu'on nous brise: pour cela les morts du Seigneur ne delaisseront de vivre, et nous ressuscite- rons ensemble. Quoiqu'ilyait, je suis chretien, voire, je suis Chretien ! Je crierai encore plus haut, mourant pour la gloire de mon Seigneur Jesus-Christ. Et puis- qu'ainsi est, que tarde-je? happe-moi, bourreau, mene-moi au gibet.)) L'assemblee subissait en silence le charme funebre — 147 — (le cette voix eloquente qui allait bientot se laire dans les feux dii biicher. L'audiloire I'ecoiitait sans oser I'interrompre, et fondait en larmes : puissance de la foi sur le seuil de I'eternite! Profitant de ces dispositions favorables, du Bourg adresse a ses collegues quelques paroles d'exhortalion , un appel solennel, fidele et melancolique temoignage de son amour. « Gessez , dit-il, cessez vos brulements et relournez au Sei- gneur en amendement de vie, afin que vos peches soient effaces; que le mechant delaisse sa voie et ses pensees perverses , et qu'il retourne au Sei- gneur , et il aura pitie de lui : vivez done et me- ditez en icelui , 6 senateurs , et moi je m'en vais a la mort. )) Elle etait deja preparee. Par precaution, dans la crainte d'une emotion populaire, des potences avaient ete dressees et du bois transporte dans tous les carre- fouFS de la capitale, ou se faisaient d'ordinaire les executions. Celle de du Bourg eut lieu le 23 de- cembre 1559, avant-veille de la Noel. Le tom- bereau qui le conduisit au supplice etait escorte par 400 hommes de pied et 200 cavaliers , tous armes a blanc. Pendant le trajet de la prison a la place de Greve, la fermete du martyr ne se de- mentit pas un instant. Arrive au lieu de I'execution , il voulut se depouiller lui-meme de ses vetements, et il dit au peuple: Lettres de Calvin, t. 11, p. 274 sq. — 153 — Casteliiau, etaient si opiniatres et si resolus en leur religion que, lors memo que Ton etait plus determine a les faire mourir, ils ne laissaient pour cela de s'as- sembler, et plus on en faisait de pimition, plus ils mnlUpliaient » (liv. P', ch. A). Dans un langage diffe- rent, Theodore de Beze exprime plusieurs fois la meme pensee. a Quelques difficultes, dit-il, qui se presentassent de toutes parts contre les pauvres fideles, tant s'en fal- lut pour cela qu'ils perdissent courage, qu'au contraire ce flit en ce temps que Dieu, par sa singuliere grace, inspira toutes lesEglises chretiennes dressees en France de s'assembler pour s'accorder en unite de doctrine et de discipline, confurmement a la parole de Dieu » (1, p. 108). ((Or, ajoute-t-il un pen plus loin, si les ennemis de la verite s'efforgaient de miner I'oeuYre du Seigneur, le Seigneur, au contraire, ne se montrait pas moins puissant a la maintenir, envoyant toujours de nouveaux ouvriers dans sa moisson)) (p. 127). ((En- tin, dit-il encore, a I'occasion de la mort de Henri II, pendant que les ennemis de la verite, comme etonnes de ce coup que nul n'attendait, penserent a radouber leurs affaires, Dieu avanga son oeuvre d'une merveil- leuse fagon. t> (Page 130.) La mort du vertueux du Bourg surtout produisit une impression favorable a la Reforme. (dl alia a la mort, dit xMezeray, avec tant de joie et tant d'apparence de piete que son supplice, bien loin de donner de la ter- — 154 — reur, donna de la compassion a tout le monde, et inspira a plusieurs cette persuasion que la croyance que professait un si homme de bien et si eclaire ne pouvait etre mauvaise. » Florimond de Remond, alors ecolier, avoue que tous fondaient en larmes dans les colleges, qu'ils plaidaient la cause du martyr apres sa mort, et que ce bucher fit plus de mal a I'Eglise ro- maine que cent ministres n'auraient pu faire avec leurs preches*. Enfin, pour parler de nouveau avec Theodore de Beze, « les Eglises s'afTermissaient sur les promesses de Dieu, etant en priere, et s'assuraient que Dieu se montrerait fmalement secourable a son Eglise. » De quelle maniere les fails confirment-ils ces decla- rations? Sous le feu de la persecution, de nouvelles Eglises furent fondees et d'anciennes fortifiees et pour- vues de pasteurs : a Ghartres et dans les villages voi- sins; a Gyen, ou Ton s'assemblait dans les bois; aux environs d'Orleans, a la Huestre, a Gergueau, a Cer- cotes, a Gidy, a la Prenanchere, a Pithiviers, a Chi- lemy, a Neuville, a Beaugency, ou Jean Bonneau, natif du lieu, formula le premier en France la liberie de i. « La mort et la Constance d'un homme tant signale, ditSarpi, eveilla en plusieurs la curiosite de savoir (juelle etait cette doc- trine pour laqnelle ce personnage , admire de tous , justifie et quasi envie par ses juges , avait si courageusement souiTert le supplice: et fut cause, avec plusieurs autres choses, d'en faire grandcment accroitre le uombre. « Histoire du CoucUe de Trente, p. 487. — 155 — conscience dans luulo sun clendue, suntenanl iju'il n'etait loisible an magistral de punir Ics Itcretiques. A pen pres loutes ces figlises eurent cliacune son pasteur. En Provence, celles de Cabrieres et deMerindol furenl rclevees et d'aulres fondees, au nombre descpielles celle de Marseille; tellenient qu'aii mois de mars de I'annee suivante (1560) il s'y en trouva au moins 60. En Sain- tonge, les asscmblees continuerent avec courage a tra- vers mille difTiculles, et Ton vit commencer les Eglises des lies de Re et d'Oleron, ainsi que celle de Saujon, Eglises qui, par consequent, celebreront leur jubile particulier en nienie lemps que le jubile general de TEqlise reforniee.* Mais ces fondalions de nouvelles conimunautes eccle- siastiques, cette continuation des asseniblees raalgre une infatigable persecution, ne sont pas les fails les plus remarquablcs de I'annee 1559. L'evenement tout a la fois le plus important et le plus surprenant, c'est la reunion a Paris, au mois de mai, du premier synode national. La plupart des Eglises, il est vrai, ne s'y purent faire representer. Mais il n'en fut pas moins re(;u par 1. Si nous etions raoiiis avaiices dans le dix-neuvieme siecle, il serait peut-ctre perniis d'exprimer le voeu qua cote du jubile ge- neral, chaque Eglise cclcbrat son jubile particulier, correspondant a I'annee de sa fondation. Quelques-unes y seraient encore a temps. Mais pour un assez grand nombre, ce voeu sera enseveii dans un profond oubli quand revieudi'a Tepoque de leur jubile. — 156 — toutes, et c'est de lui, nous I'avons assez dit, que date pour nous la constitution de la Reformation. Voici quel- ques details relatifs a celte assemblee et a ses delibe- rations. XII. Vers la fin de 1558, Antoine de Chandieu, pasteur a Paris, fut envoye par I'Eglise de cette cite a celle de Poitiers, ((pour quelque affaire, ditBeze, et nieme pour rendre temoignage de certain personnage dont ceux de Poitiers etaient en peine.)) Pendant son sejour dans cette ville, la Cene y fut celebreepar I'Eglise reformee au milieu d'un grand concours (( non-seulement de peuple, mais aussi de ministres circonvoisins. )) Apres la celebration de la Cene, les ministres s'entretinrent de la doctrine et de la discipline de leurs Eglises, et ils conclurent d'une voix unanime que ce serait un bien immense, ((s'il plaisait a Dieu que toutes les Eglises de France dressassent d'un commun accord une con- fession de foi et une discipline ecclesiastique, » tandis qu'au contraire il y aurait grand malheur a ce que, n'etant liees ensemble par aucun ordre ecclesiastique, elles vinssent a tomber en divisions « tant en la doctrine qu'en la discipline. )) En consequence de ce voeu, I'as- semblee donna charge au pasteur Antoine de Chandieu d'en conferer avec I'Eglise de Paris. Des difficultes con- siderables, que nous connaissons pour la plupart, scm- — 157 — blaient devoir empecher rexeculion de ce projet. Mais les Eglises, consultoes par leltres, rappuyerent avec un grand courage, et il fut resolii que, pour la premiere fois, le synode national serait tenu aParis, cinon pour atlribuerquelque preeminence oudignite a cetteEglise- la, mais pour etre lors la ville plus commode pour re- cevoir secretement beaucoup de ministres et anciens. » (Beze, I, p. 109.) C'est le 25 mai 1559 que I'assemblee fut ouverte en une maison du faubourg Sain t-Gei main, appele pour lors la petite Geneve (la Place, p. 19). Elle fut presidee par FrauQois Morel, sieur de Collonges, un des pasteurs de Paris. Ooze Eglises seulement avaient pu s'y faire representer : celles d'Angers, de Chatellerault, de Dieppe, deMarennes, d'Orleans, de Paris, de Poitiers, de Saint-Jean d'Angely, de Saint-L6, de Saintes et de Tours. En quatre jours, Toeuvre constitutionnelle de I'Eglise reformee de France fut consommee. Les dangers etaient pressants; les Eglises avaient besoin de la pre- sence de leurs conducteurs spirituels; on comprend done I'empressement laborieux avec lequel s'accomplit ce grand travail. Nous allons en donner un resume. XIII. La confession de foi, marquee au coin du genie de Calvin, secomposait de quarantc articles etreufcrraait — 158 — tous les dogmes conrius des lors, dans I'Egiise refor- mee, sous le nom de calvinisme: Dieii, ses attributs et sa revelation par ses oeuvres et par sa parole ecrite, c( regie de toute verite » (art. 1 a 6); la Trinite, la Crea- tion et la Providence (6 a 9); la chute de riiomme, son asservissement universel au peche et son etat de con- damnation (9 a 12); le decret gracieux de misericorde du Seigneur envers les elus et le don de la grace en Jesus-Christ, vrai Dieu et vrai homme (12 a 16); la reconciliation avec Dieu par la mort de Christ, et la justification par la foi en lui (16 a 21); la regeneration par le Saint-Esprit, dans la communion du Pere, au nom du Fits, sans autres mediateurs (21 a 25); I'ordre et les caracteres de la veritable Eglise, une, fondee sur la seule parole de Dieu et pourvue des sacrements, conditions auxquelles ne repond pas I'Eghse romaine qui a fausse les sacrements et banni la parole de Dieu (25 a 34); le nombre et la signification des sacrements, le Bapteme et la Cene (34 a 39); enfin la legitimite des autorites humaines. (39 et 40.) * La discipline, qui ne porte pas avec moins d'evi- dence le cachet du puissant esprit de Calvin, renfer- mait egalement quarante articles : sur la lenue des synodes (1 a 5); sur felection des pasteurs et sur leurs rapports avec les Eglises (6 a 14); sur la discipline 1, France protcstantc. Pieces justilicatives, n° 10. — 159 — dogmatique et morale des Eglises (15 a 19); sur les anciens et les diacres (20 a 25); sur les publications, rexcommunication, Tabjuration, les solennites extraor- dinaires (26 a 32); sur les unions nuptiales (33 a 38); enfin sur la subordination des Eglises particulieres a Tensemble, etsur la possibilite d'ameliorer la discipline. (39 et 40.)* Elle a regu de grands developpements des synodes ulterieurs, et a fini par sediviser en 14 chapitres com- prenant 252 articles, 57 pour les ministres, 5 pour les ecoles, 10 pour les anciens et les diacres, 4 pour le diaconat, 33 pour les consistoires, 5 pour Tunion des Eglises, 6 pour les colloques, 16 pour les synodes provinciaux, 12 pour le synode national, 6 pour les exercices sacres des fideles, 19 pour le bapteme, 14 pour la cene, 32 pour le manage et 33 pour des reglements particuliers.^ Cette discipline a organise dans I'Eglise reformee de France ce que nous appellerions volontiers la demo- cratic ecclesiastique : a la base, I'Eglise proprement dite ou paroisse, placee sous la direction d'un consis- i. Beze, I, p. 118. 2. Conformite de la discipline des Eglises reformces de France avec ceUe des anciens Chretiens, par Matthieu de Larroque. Lau- sanne, 1846; in-12 de 460 pages. Ce volume renferme les 252 articles de la discipline avec une conformite a la suite de chacun d'eux. Matthieu de Larroque uaquit en IG19 a Clairac et mourut en 1GS4. — 160 — toire nomme pour la premiere fois par la commune voix du peuple, et complete ensuite a chaque vacance par les suffrages de ses propres membres. Au-dessus des consistoires, ej, forme par la reunion d'un certain nombre d'entre eux, le colloque, ou chaque Eglise est representee par un pasteur et un ancien. Au-des- sus des colloques , les synodes provinciaux , de meme composition que les colloques. Enfm, au-dessus des synodes provinciaux , le synode national forme au moyen da deux pasteurset de deux anciens de chaque ' synode provincial. Nulle aijtre condition que les conditions religieuses et morales pour efre elu'membre d'un consistoire; ces elections soumises a I'approbation de I'Eglise en- tiere; celle des pasteurs, une foisfaite par le colloque ou'par le synode provincial, egalement notifiee au troupeau qui, apres avoir entendu le nouvel elu pen- dant trois dimanches consecutifs, pent arlicu,ler ses reclamations; les difficultes ecclesiastiques portees successivement du consistoire au colloque, du col- loque au synode provincial etdu synode provincial au synode general; celui-ci decidant enfm en dernier ressort, et ayant droit a I'obeissance : qui ne recon- naitrait, au premier coup d'oeil, dans cette hierarchic de pouvoirs electifs, plongeant par leurs racines dans les entrailles memes de I'Eglise, un heureux essai d association des deux grands elements de toute or- — 161 — ganisation sociale equitable et complete : la sponta- neite et la regie, la liberie et I'autorite? «G'etait, dit M. de Felice, le regime presbyterien dans ses donnees essentielles.... Le principe de I'ega- lite des croyants, pasteurs ou laiques, grands ou petits, en etait la base.)) Enfm, cet qrdre Scclesias- tique reposait sur I'ordre moral, etcelui-ci etait place sous la sanction d'une surveillance el de peines disciplinaires telles que I'admonition particuliere, la remontrance en consistoire, la suspension de la cene, et, pour les grands scandales,^ rexcommunication ou le retranchement de I'Eglise. (J Les tetesjes plus hautes, dit encore I'historien des Eglises reformees de France, devaientse courber^ comme les plus humbles, sous cette penalite religieuse*, et, en certains cas, faire confession publique de leurs desordres. Henri LV, deja roi de Navarre, s'y soumit en plus d'une ren- contre. )) Tons ces principes etaient dans la redaction primi- tive, et nous appuyons d'autant plus sur cette obser- vation qu'elle repond, comme nous le verrons dans la suite, a un grand nombre d'accusalions, que cer- tains adversaires de la Reforme n'ont pas cesse de lui adresser, pas meme de nos jours. Mais il est temps de revenir au premier synode national. Apres avoir redige la confession de foi et la disci- pline, il eut a trailer di verses questions spcciales, -- 162 — presque toutes soulevees par des cas de conscience. Les plus interessantes et les plus importantes , sans con- tredit, etaient relatives- au bapteme et aux manages raixles. Pour les baptemes, il fut decide que dl'enfant devrait etre baptise au temple » , que cd'enfant d'ex- communies ne serait pas re^uau bapteme », et (iqu'un pere qui laisserait baptiser son enfant dans une eglise catholique serait excommunie.» Quant aux manages mixtes,ils furent purement et simplement prohibes; « ceux qui prendront, fut-il dit, des dispenses de pre- tres catholiques pour se marier seront soumis a une penitence.)) Excessives pour les uns, salutaires aux yeux des autres, ces rigour euses decisions meritent un seriQux examen. On pent se demander, en effet, si le frein qu'elles imposaient a la Reforme , aussi bien que I'ensemble de la discipline morale a laquelle elles se rattachaient , n'apas servi puissamment a maintenir dans les mauvais jours la cohesion du corps protes- tantj'et dans ce corps lui-meme cet esprit d'austerite huguenotte qui a fait tout a la fois sa gloire et sa force, et ne s'est relache qu'au detriment des Eglises reformees. XIV. Telle fut I'oeuvre accomplie par le premier synode national, en 1559. Lors done que le 29 mai de cette annee memorable, les deputes des Eglises reformees — 163 — de France reprirenl le chemin de leurs Iroupeaux, ils purent se rejouir et louer Dieu d'avoir en quelques jours, au milieu des plus imminents dangers, orga- nise la Reforme nationale sur la double base d'une foi positive, claire et determinee, et d'une discipline se- vere mais salutaire, qui, devangant les temps, main- tenait Tordre dans la liberte et repondait aux plus profondes aspirations du caractere frangais. A la vue de ce grand ouvrage et des circonstances vraiment perilleuses au milieu desquelles il fut con- somme, sans entraves, sans tiraiilements, quelle con- science intelligente n'y sentirait la main de Dieu et n'en recueilleraitdesalutaireslegons? Quelle puissance de la foi ! Quelle impuissance de la persecution I Que pent contre I'Evangile le demon de I'intolerance tant que Dieu ne lui a pas en quelque sorte, comme a celui de Job, donne lui-meme carriere pour I'epuiser par ses propres exces et le faire rougir de ses crimes en face de la conscience humaine indignee ! Mais il est necessaire de considerer plus froidement et ad'autres points de vue I'oeuvre du premier synode national. Essayons de la juger sans preventions d'au- cune espece, avec un esprit egalement libre des en- traves d'un trop rigoureux attachement a la tradition et des susceptibilites ombrageuses d'un individualisme mesquin. A qui n'admet dans aucun sens le fata- lisme liistoriquc , en presence de tout evenement dont — 16^ — Fhomme a pris la responsabilite, une question est permise : Elait-il necessaire, ou du moins, entre plu- sieurs, etait-il preferable? Nous la posons hardiment en face du grand ouvrage que nous considerons en ce moment. Nous n'en voulons point examiner attentivement les details; c'est I'ensemble qui nous importe. Voici done comment nous formulons la question: le systeme presbyterien convenait - il aux Eglises reformees ? Eut-il ete preferable de laisser a chacune d'elles son independance a peu pres complete, dans le sein d'une sorte de confederation ecclesiastique , ou le fut-il de soumettre tout le corps a une meme et unique direc- tion, le synode general? Une observation qui se presente avant toute autre et d'elle-meme, c'est queTorganisationpresbyterienne etait reellement en harmonic avec les besoins du ca- ractere national. Liberie, egalite, unite, ce triple principe , qui n'est point a repudier parce qu'il a pu etre profane , fut grave par la main de Dieu meme dans le coeur franpais. Ses developpements historiques exigeraient le renversement des termes qui I'expri- xnent, et il serait plus vrai de dire: unite, egalite et liberie. Ainsi formule, il pent mieux faire ressortir la convenance del'organisationpresbyterienne, telle que nous I'avons exposee, avec les aspirations nationales les plus prononcees. Une organisation congregationa- — 165 — liste n'eut evidcmmenl pas satisfait I'intimc besoin d'unite qu'eprouvait Ic peuple fran^ais. Des privileges en faveur de positions exceptionnelles eussent froisse rinslinct d'egalite que Vesprit national portail avec lui. Enfin, moins de liberie dans les Eglises et davantage dans I'individii eussent mal repondu sans doute aux besoins d'une nation egalemenl hostile a une domi- nation episcopale trop etendue et a une excessive liberte individuelle. L'organisation de I'Eglise reformee etait done em- preinte d'un caractere eminemment national ou fran- cais. n falluttoute la perfidie et Timplacable obstination de puissants ennemis pour persuader a la majorite de la France, incapable de comprendre la Reforme, que son ceuvre etait subversive de I'etablissement national. Aujourd'hui meme encore cette accusation, repro- duite par plus d'un historien, trabit clairement dans leur esprit une complete inintelligence du caractere original de la Reforme frangaise, ou une mecon- naissance etrange des besoins les plus essentiels du peuple au milieu duquel elle s'accomplit et s'organisa. A un point de vue plus interieur , celui des desti- nees particulieres de I'Eglise reformee, est-il permis d'ajouter la meme importance et le meme prix a son organisation ? G'est la seconde question que nous sommes naturellement amene a nous adres»er. Quelles devaient done etre ces destinees du prolestantisme — 166 — en France ? Nul ne I'ignore : une lutte de deux siecles, formidable combat de la superstition et de la foi, durant lequel les Eglises reformees furent longtemps censees n'avoir plus aucune existence que dans les souvenirs de quelques rares individus obstines dans i I'heresie. Qu'est-ce qui maintenait cependant I'Eglise reformee et prolongeait sa vie, dans les cavernes, au desert, au milieu des instruments de supplice, malgre I'exil, les confiscations, la mort civile ettous les maux que I'imagination pent concevoir ? Une simple orga- nisation ecclesiastique ne produit certainement pas de tels effets. Ou la foi et la vie chretienne viendraient a manquer , avec elles ils disparaitraient. Mais dans ces jours de deuil et de martyre, dirai-je, ou de triomphe dans le sang, Torganisation des Eglises fut- elle sans aucun heureux resultat? Moins unies, moins soutenues ou encouragees les unes par les autres, les Eglises de France eussent-elles offert cette resistance contre laquelle la persecution devait enfin briser son glaive impuissant ? II est tout au moins permis d'en douter. La discipline ecclesiastique, il faut le repeter, n'eut pas fait la vie de I'Eglise. Mais elle a tres-certaine- ment contribue a son union et a son unite. Or, nous devons le redire aussi, que fussent devenus les trou- peaux epars de la Reforme, s'ils n'avaient pu, en freres toujours sympathiques et appuyes les uns sur les — 167 — autres, traverser courageusement la grande arene de la persecution? Opposera-t-on la primitive Eglise? Mais que devint-elle apres I'ere du martyre? Et quelles alterations, dont peut-etre le monde chretien portera longtemps encore la peine, I'absence d'une commune discipline ecclesiastique ne laissa-t-elle pas, des les premiers temps, se glisser dans son sein ! Les pasteurs de la Reforme avaient prevu le danger. Quels grands maux, avaient-ils dit a Poitiers , ne pourrait-il pas survenir, « et divisions tant en la doctrine qu'en la discipline , les Egiises n'etant liees ensemble et ran- gees sous un meme joug d'ordre et de police eccle- siastique!)) lis connaissaient leur temps sans doute aussi bien que nous-memes, les perils qui les menagaient, les meilleurs moyens de conservation qu'ils y pouvaient opposer ; nous croyons qu'ils avaient aussi , qu'ils avaient plus que nous sans doute Tesprit du Seigneur. En face de I'unanimite de sentiments et de la calme grandeur de foi qui leur inspirerent leur oeuvre, comment pourrions - nous done nous empecher de penser que cette oeuvre fut tout ensemble celle de la sagesse de leur foi et de la providence de leur Dieu ? XV. 11 est enfm , dans I'histoire intime de la Reforme , un point de vue particulier qui merite une attention — 168 — particLiliere : c'est le point de vue moral. N'est-il pas frappant de predominance et de grandeur nieme pom' les yeux les plus defavorablement prevenu5 ? On le retrouve, du reste, partout ou laReforme s'est intro- duite et organisee. « La discipline morale qu'il a etablie, dit M. Geruzez en parlanl de Calvin, a laisse une forte empreinte sur le caractere de ses partisans. C'est par la que Geneve garde cette physionomie austere qui la distingue entre les societes modern es. Grace a Calvin, elle a ete preservee de la corruption. De la cette bourgeoisie d'aspect severe et de difficile acces qui cultive au foyer domestique de solides vertus; cette caste de financiers d'une probite inalterable qui con- serve la simplicite au nombre de ses tresors; ce patri- ciat que I'opulence ne pousse pas a I'ostentation ni les loisirs a la mollesse, et qui sait maintenir, dans une societe organisee democratiquement, son autorite morale et son influence politique par la science , par I'activite desinteressee et par la consideration qui s'at- tache a la pratique du bien.S) Pour I'accomplissement de cette oeuvre difficile, on sait assez de quel secours furent a Calvin les prescriptions d'une puis^ante organisation. Meme observation sur I'armee de Cromwell. Ecou- tons M. Macaulay : « Ce qui dislinguait sur tout I'armee de Cromwell de toutes les autres , c'etait I'austere I. Essais d'hist. Iitt6raire, t. I, p. 253. — 169 — moralite cl la craintc de Dieu , qui avaicnt penetre dans tons les rangs. Les plus ardents royalistes avouent que, dans ce camp singulicr, on n'entendit jamais un juron. On n'y vit ni jeu ni ivrognerie. Durant la longue domination du soldat, la propriete du citoyen paisihle et I'honneur de la femme lui furent toujours sacres.... Pas une servante n'eut a se plaindre de la grossiere galanterie des habits rouges. Pas une once d'argen- terie ne fut enlevee aux boutiques des orfevres — Ces hommes sobres , moraux, diligents, habitues a reflechir se faisaient reraarquer par leur regula- rite, leur esprit d'ordre et leur prompte obeissance au poste, a la manoeuvre et sur le champ de bataille.H lis avaient ete disciplines. On en pent dire autant des troupes du prince de Conde, reunies, en 1562, au camp de Saint-Cloud. Voici comment I'bistorien de Thou s'exprime sur le compte de ces soldats huguenots : « D'abord ils mon- trerent beaucoup de moderation et observerent exac- tement la discipline ; car , comme Ton avait distribue des ministres dans les compagnies. Ton s'assemblait tons les jours a de certaines heures pour prier , et le matin et le soir, lorsqu'on posait des sentinellcs, on faisait des prieres publiques^ On n'entendait ni blas- 1. History of England. Edition Taucbnitz, vol. I, p. 119 et 120. 2. Voici I'liiie des prieres du soir : « Seigneur Dieu, disaicnt ces braves gueri'iers le geuou en terre et les maios jointes , nous te — 170 — phemer, ni disputer parmi les soldats; el tout le camp ne resonnait que des psaumes qu'on y chantait de tous coles. L'on n'y voyail rii cartes ni des ; il n'y avait point de femmes; les marchands , les paysans et les botes ne recevaient aucunes injures ; le soldat ne quitlait point ses enseignes, et ne faisait point de courses, comme Ton fait aujourd'hui, ou pour aller au fourrage ou pour piller. Enfin Ton punissait seve- rement les mechanics actions , et il n'y en eut qu'un i qui se sauva de la peine qu'elles meritent. ^ » Que n'y aurait-il pas a dire, si Ton voulait, comme I'a fait un historien du siecle dernier, porter un juge- ment comparatif sur la Reforme et sur le parli con- Iraire, d'apres les chefs et les femmes illustres des deux camps ! D'un cote, le due de Guise et le cardinal de Lorraine , le connetable de Montmorency, le mare- chal de Saint- Andre, Cosse, Montluc, Catherine de prions de tout notre coeur pour notre jeune roi et prince souverain apres toi (ce jeune roi, c'etait Charles IX, couvert depuis de leur sang); qu'il te plaise benir sa jeunesse; et, le preservant au mi- lieu des perils qui renvironnent aujourd'hui par les maudites en- treprises des ennemis de sa couronne et du repos de ce royaume, til lui fasses la grace de favoriser ses vrais et loyaux sujets , et de chcrcher ton honneur et ta gloire sur toutes choses ; veiiille aussi donner toute grace a Messieurs ses freres , a la reiiie sa mere, aux princes du sang , aux vrais seigneurs du conseil , afin que toute foi et tout hommage te soient reiidus de grands et de petits, comme tu cs le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. » 1. Histoire de son temps ; in-fol.; liv, 30. — 171 — Medicis, sa fille Marguerite de Valois; de rautrc, les Bourbons, Coligny, d'Aiidelot, le prince de la Uoclie- sur-Yon, La None Bras-de-fer , Jeanne d'Albrel , Renee de France , la princesse de Conde , Mesdan:ies de Coligny, tant d'autres dont les noms rappellent de orandes vertus et arrachent a I'liistorien ces excla- mations : ((Quelle piete! quelle science! quelle clias- tete ! quelle douceur ! » Ah ! il y avail autre chose dans ces nobles et belles ames qu'une froide et mathe- niatique soumission a une discipline severe. Mais, a cote des pieuses inspirations du coeur et des chre- tiennes ardeurs de Fame , la conscience , la discipline morale avait sa place , encouragee et reveillee sans ccsse par cette disciphne commune sous la sauve- garde de laquelle I'Eglise reformee avait juge prudent et sage de placer un certain nombre de ses vertus. Ainsi , au triple point de vue de I'accord des prin- cipes de la Reform e frangaise avec le caractere natio- nal , de la conservation des Eglises pendant la longuc periode de la persecution, et , enfm , du developpe- ment de I'element moral dans la nouvelle institution ecclesiastique, I'oeuvre de 1559 nous parait avoir ete de nature a produire les plus heureux resultats. , XVI. Hatons-nous dc le dire cependant , cette ccuvre n'etait pas- com|tletc et elle nc pouvait I'etre ; mais , — 172 — par la plus remarqiiable des coincidences, la meme annee, presqiie le meme mois, huit jours seulement apres la cloture du premier synode national, elle so completait en quelque sorte aux portes de la France , en attendant qu'elle put le faire sur le sol de la patrie. Le synode n'avait pu que proclamer I'Evangile et orga- niser I'Egiise ; restait a creer I'enseignement theolo- gique et a fonder I'Academie. Ce fut I'oeuvre de Calvin a Geneve, le 5 juin 1559*. Ici nous laissons la parole a M. le professeur Sardinoux , qui , dans un langage bien digne du sujet, a recemment raconte et apprecie cet important evenement. ((Que se passait-il a Geneve, dit I'eminent professeur, le 5 juin 1559? Voici : les portes de I'eglise de Saint-Pierre etant grandement 1. Senebier, Hist. litt. de Geneve. 1786; in-8°, 1. 1, p. 230 et 270. — Gaberel, Hist, de I'Egiise de Geneve; 1. 1, p. 500. — En cette meme annee 1559, an moment on se fondait I'Academie, fut public a Rome, par les ordres du pape Paul IV, le premier Index remain de livres prohibes. « Sous conleur de foi et de religion etaient defendus les livres et condamnes les auteurs qui avaient maintenu Tautorite et le droit des princes et magistrats temporels centre les usurpations des ecclesiastiques.... Passant plus outre, Pinquisition fit un catalogue de soixante-deux imprimeurs , et de- fendit tous les livres par eux imprimes, de quelque auteur, art on langue qu'ils fussent; avec une addition encore plus grave, comprenant tous livres imprimes par autres semblables impri- meurs qui eussent imprime des livres d'lieretiques. De sorte qu'il ne restait plus de livres a lire.... En somme, jamais ne fut trouve plus beau secret pour employer la religion a rendre les hommes insenscs. » Sarpi, Histoire du Concile de Trente, 1621, p. 552. — 178 — ouverles , on viL siiccessivenieut ciilicr magistrals , ecclesiastiques, savants, families distinguees et 600 eleves. Et quand la nef fut remplie, Calvin, se levant, pr^nonca en fran^ais une harangue , dans laquelle il recommandait I'utilite des ctablissements scientiliques. Apres liii, un secretaire d'Etat, Micliel Roset, lut aussi en francais les lois et les statuts dii grand college que Ton instituait au moment meme, fit connaitre les per- sonnes choisies pour occuper les cliaires, ctproclama le recteur. C'etait Theodore de Beze qui, a son tour, celebra I'institution par un discours en latin. Calvin termina par une priere , et le lendemain les classes furent ouvertes. La htterature classique, grecque et Icitine, I'hebreu, la philosophic et la theologie y etaient enseignes par Beze, Antoine Chevalier, Berauld, Tagaut et Calvin. ((Cela montre, dit Senebier, combien ce grand homme voulait unir la foi avec rEghse, et sanctilier le savoir par la foi! » Ainsi se trouvaient realisees ces remarquables paroles des lois academiques : « ahn que la meme ville puisse etre consideree comme la mere et de la piete et de la science. » Robert Estienne fit don a I'ecole d'un exemplaire de tous les ouvrages sortis de ses presses. Bonivard legua tous ses biens a la seigneurie pour etre appli- ques a I'entretien du nouveau college. Et Calvin mit le sceau a ces magnifiques oeuvres en publiant, cette — 174 — meme annee 1559, la derniere edition de son InstitU' lion chretienne, ce monument toujours admire de la foi protestante! Ainsi, ajoute M. Sardinoux, la foi et la science, la piete et le savoir, la vie et les lumiere^se donnerent la main autom' du berceau de notre Eglise. Elles enfanterent ensemble FEglise et 1' Academic. Voila I'esprit createur de nos peres et la valeur pratique de leurs principes *. » Le temps devait venir ou la France, a son tour, verrait naitre et fleurir dans son sein des academies reformees. La premiere, si nous pouvons nous per- metlre d'annexer a I'avance le Beam a la France, fut celle d'Orthez, instituee en 1566 par une ordonnance de Jeanne d'Albret, portant les paroles suivantes: ((Pour ce que nous desirous infmiment donner tons les moyens que nous pourrons a ce que la jeunesse de notre diet pays soit mieux instruite quelle n'a ete par le passe,. .. d voila pour la preoccupation des lumieres; et plus loin: (( il sera cherche un personnage... pour enseigner aux enfants les lettres, bonnes mmirs et discipline, les- quels nous voulons etre examines par les ministres de notre diet pays de leur foy et doctrine,)) voila pour la preoccupation de la foi et de la vie chretiennes .^ Ce fut la, disons-nous, la premiere academic pro- 1. Esperance, du 4 f^vrier 1859. 2. Bulletin, 3« annee, p. 281 sq. — 175 — testante renfermee dans les limites acluelles de la France. Toutefois, des 1560, les conducteurs des Eglises reformees s'etaient vivement preoccupes, au synode de Poitiers, de la necessite de faire donner a des jeunes gens une instruction solide en vue du mi- nistere evangelique; et un an plus tard seulement I'Eglise de Nimes instituait des lemons de theologie. Peu de temps apres, la ville de Montpellier fondait aussi une ecole de theologie. Mais ces deux etablissements etaient destines a n'en former qu'un seul. En effet, en 1617, celui de Montpellier etait reuni a celui de Nimes qui, en 1598, avait pris rang d'academie, grace aux secours que lui accorderent des cette epoque les sy- nodes nationaux. M. le professeur Michel Nicolas, a qui nous empruntons ces renseignements, poursuit ainsi: sLa meme annee (1598) qui vit la transformation des deux petites ecoles de theologie de Montpellier et de Nimes en academies fut temoin de la fondation de deux autres etablissements semblables, I'un a Saumur ct Tautre a Montauban... L'academie de Saumur acquit rapidement une grande celebrite... Celle de Montauban ne fut guere moins prospere... «Quand Tacademie de Montpellier eut etc reunie a celle de Nimes, on fonda a Die une nouvelle ecole qui, quoique moins connue que les precedentes, rendit ce- pendant des services aux nombreuscs populations pro- testantes du Daiiphine... — 176 — ((Celle de Sedan fiit bien autrement reiiiarquable. Fondee vers 1580 par le due de Bouillon, souverain de celte principaute, peu de temps apres qu'il eut em- brasse le protestantisme, elle fut conservee par son fils,... et quand Sedan fut reunie alaFrance, en 1642, un edit de 1644 donna aux nombreux protestants de cette ville Fassurance que I'academie serait maintenue a toujours, ce qui n'empecba pas qu'ellc ne fut sup- prim ee en 1681. c( Telles furent les ecoles dans lesquelles se formerent, pendant un siecle environ, les pasteurs des eglises protestantes de France. Ces six academies (nous ne comptons pas celle deMontpellier, dont I'existence fut de courte duree) ne furent pas egalement florissantes; celles de Montauban, de Saumur et de Sedan I'empor- lerent toujours, soil par la renommee de leurs profes- seurs, soit par le nbmbre de leurs etudiants, sur celles de Die, de Nimes et d'Orthez. Gependant I'etat des moins favorisees etait encore satisfaisant*. » On pent juger, d'apres ce court apergu, de I'impor- tance que I'Eglise reformee de France attacha des ses premiers jours a la solide instruction de sa jeunesse et au developpement des etudes tbeologiques. On pour- rait se convaincre aussi, en examinant de pres la ques- tion, que la fondation et les progres de ces institutions I. Bulletin, 2^ aiinee, p. 43 sq. — 177 — academiques furent dus, en graiide partie, a rinitialive el a rimpulsion des synodes nalionaux. Enfin il n'est pas douteux pour nous que le controle, aussi bien que le concours de ces grandes assemblees officielles, nail ete necessaire tout a la fois a leur existence et a leurs succes. De sorte que cette organisation presbylerienne, dont les resuUats moraux furent si beaux, n'a pas laisse de cooperer aussi aux resultats intellectuels de la Reforme fran^aise. XVII. On nous taxera peut-etre d'engouement pour le systeme presbyterien et d'exageration quant a I'in- fluence que I'organisation ecclesiaslique pent exercer sur le maintien et le developpement de la vie. Rien n'est cependant plus loin de noire pensee que d'ac- corder a Telement disciplinaire et officiel une part d'action qui ne lui appartient pas. Nous savons que ce ne sonl pas les reglements qui regencrent et qui sanc- tifient. Mais nous ne craignons pas de leur laisser dans la vie ecclesiaslique la place qui leur appartient, et pour elre entierement juste, apres avoir conslate I'influence de la grande oeuvre de 1559 sur toute la suite de la Reforme frangaise, nous croyons devoir ajouter que la France lout enliere a recueilli les fruits de ce travail organisateur. Personne ne mcconnail plus aujourd'hui Taction — 178 — eminemment bienfaisante que la Reforme, a bieii des points de vue, a exercee sur les destinees de la patrie et sur celles du catholicisme lui-meme. Notre intention ne saurait etre de refaire a cet egard un travail delicat deja plus d'une fois accompli, et avec succes. La plu- part de nos lecteurs ont appris sans doute, dans la petite Histoire de la Re formation ^ de W. Meiners^ et dans VEssai, de Charles Villers, sur l' esprit et l' influence de la Reformation de Luther^, a quel point I'Europe moderne, pour les sciences, la philosophic, la littera- ture, les arts eux-memes, les moeurs surtout et le sen- timent religieux, est redevable de ses progres a la Re- formation. 11 ne pent entrer dans les convenances de notre travail d'en faire la preuve. Aussi bien, nous. la tenons pour faite aux yeux de tous, si ce n'est a ceux des aveugles. Qui ne voit, par exemple, I'influence inappreciable que la Reforme a exercee sur la morahte generale du clerge catholique dans les pays protestanls? L'observa- tion en a ete faite a satiete. Qui n'aper^oit du premier coup d'oeil la revolution salut aire que la renovation re- ligieuse du seizieme sieclea faitsubir a la theologie, et I'immense mouvement qu'elle n'a cesse de lui commu- niquer? Le catholicisme s'en est aussi ressenti de la 1. Paris, iii-12, 1825, tic 407 pages. 2. Paris, iii-12, 1820, du 493 pages. — 170 — maniere la pins favorable a ses ilestinees. f.e seizieme siecle etail gros du dix-scptieme, et le seizieme appar- tient bien moins a la renaissance qu'a la Reformation. Mais laissons plutot parler un ecrivain qui ne soil pas suspect de huguenolerie. (( Le dix-septieme siecle, dit-il , c'est le seizieme calme , range, converti, abritant toutes les conquetes de sa jeunesse sous I'egide de la foi de ses peres. Son carac- tere particulierement original, cette foi severe tout ensemble et raisonnee, qui ne craint ni la discussion ni la lumiere, qui s'appuie sur I'intelligence convaincue sans I'asservir, qui eclaire le dogme par le raisonne- ment et contient le raisonnement par le dogme, c'est le fruit lie I'epreiwe a laqiielle la sage politique de I' edit de Nantes condamna pendant cinquante ans les defenseurs du catholicisme francais. Forces chaque jour de repondre aux attaques d'une secte ennemie, de lui disputer pied a pied le terrain des ames, de la suivre sur celui de l' erudition et de la logique, de se lenir en eveil el en sentinelle sur tons les postes avan- ces de la foi, cette rude gymnastique developpa chez eux une virilite morale dont la seve s'est communiquee a la litterature, aux arts, au developpement intellectuel lout entier de cette grande epoque. Une foi, d'abord laborieusement conquise, puis solidement etablie sur un roc fortifie de toutes parts, c'est la qualite domi- nante du dIx-septieme siecle, dont I'empreinte se re- — 480 — Irouve dans toutes ses oeuvres. Gelui qui en represente le mieux Tensemble aux yeux de la posterite, rhomme qui pent e(re appele le • dix-septieme siecle incarne, avec ses grandeurs et quelques-unes meme de ses fai- blesses, Bossuet, quelques dons qu'il eut regus de Dieu, ne serait pas le Bossuet que nous connaissons si sa jeimesse n' avail rencontre les Paul Ferry a Metz^ et les Jurieu a Charenton'^ Get idiom e national que Calvin avail forge dans sa retraite par la puissance d'une apre logique, il semble que I'auteur des Variations soil venu le lui derober pour lui en enfoncer dans le sein la lame trancbante. » Quel est Tecrivain qui, sous ce langage discret mais energique, rend un si bel hommage a I'influence de la Reformation? On le devine en le lisant. Ce n'est ni un libre penseur, ni un demi-protestant , c'est un fervent catholique, I'auteur de I'Eglise au quatrieme siecle, M.Albert deBroglie^ Un tel jugement dispense de toute plus ample demonstration. La conclusion, d'ail- leurs, en ressort d'elle-merae quant a I'ceuvre orga- nisatrice de 1559, qui est I'objet special de ce travail. II est evident qu'ayant si puissamment concouru au 1. Paul Ferry, savant ministre, ne a Metz en 1591, mort dans la mfime ville, en 1669. 2. Jurieu, professeur a Tacademie de Sedan , en 1674, a peut- 6tre ete confondu icl avec Claude , ministre de Charenton. 'i. Correspondant, du 25 Janvier 1858, p. 45 el 4G. — 181 — maintien et au developpement de la Refonne, cclle oeuvre a eu sa part d'aclion dans tous les evenemeiUs oil celle-ci a fait scnlir son influence. Si done M. A. dc Broglie convient que la seve morale et intellec- luelle (lu calholicisme au dix-seplieme siecle est due en grande partie a la presence ((dela secte ennemio), il doit benir avec nous le jour qui I'a fortement orga- nisee et lui a multiplie, parTorganisation, cette ener- gie de resistance contre laqiielle le catholicisme n'a pu lutter que grace a une savante et salutaire gym- nastique de I'intelligence. Si, en oulre, quiconque pense avec impartialite, reconnait tout ce que le pro- testantisme fran^ais a depense de sa plus pure sub- stance pour Tenfantement de la liberte de conscience, fut-ce un libre penseur hostile a nos plus cheres con- victions, il doit aussi benir avec nous le jour ou fut organise ce nouveau pouvoir de la conscience et de la foi, contre lequel le fer de I'intolerance devait se briser. S'il est preferable enfin pour le monde nio- derne d'avoir echappe aux etreintes impures du uioyen age, de s'etre fait au soleil une place dont il pent jouir en liberte, d'avoir conquis le droit au deve- loppement et au progres, quiconque jouit avec recon- naissance de ces bienfaits immenses du ciel doit , s'il est juste, eprouver quelque sentiment de gratitude pour ceux qui les premiers assurerent en France le triomphe defmitif de I'emancipation des consciences. G — 182 — Ainsi le Jubile de la Reformation frangaise, particuliere- ment cher etprecieux aux croyants, devrait etre pour les libres penseurs quelqiie chose de plus encore qu'une fete chretienne digne seulement d'un froid respect. XVIII. Mais les libres penseurs ontgeneralement contracte I'habitude de considerer la Reformation comme fort etrangere a tous les progres de I'esprit moderne. lis ne peuventluipardonner d'avoirproclameet maintenu ce qui fait son essence, a savoir: un christianisme po- sitif et un Evangile determine ; ni d'avoir place la foi et la vie de I'Eglise sous le controle d'une discipline gardienne et protectrice des interets spirituels et moraux de la communaute. Quelques-uns, il faut le reconnaitre, et ce ne sont pas des reveurs a dedaigner, professent des principes beaucoup plus larges et plus respectueux a I'egard de lafoi.Distinguant, ainsi qu'il convient de le faire, entre la religion, qui est un sentiment individuel , et I'Eglise , qui est une societe religieuse, ils ne reclament pour la premiere la liberie, qui est son droit, que pour accorder a la seconde I'ordre interieur, qui est le sien. Non-seulement ils ne con^oivent pas celle-ci sans une foi positive, mais ils ne sauraient meme se la figurer sans I'autorite necessaire pour maintenir, au besoin, I'unite dogmatique dans son — 183 — sein. Et, comme pour mieiix accentuer ce principe de droit ecclesiaslique, ils I'appellent d'un nom dont I'energique expression semble faite , au premier abord , pour inspirer de Teffroi : Xintolerance eccle- siastlqne. * Mais telle n'est pas Fopinion de tous les libres pen- seurs. Moins jaloux, en general, de maintenir dans un juste ecpiilibre, quand il s'agit de I'Eglise, les deux grands principes sur lesquels repose toute societe bien organisee, ils sacrifient volontiers I'ordre a I'indepen- dance illimitee. De ce point de vue exclusif, ils ne peuvent considerer la grande oeuvre de la Reformation que comme un catholicisme ou un liberalisme egale- ment inconsequents, le premier par ses protestations, le second par son intolerance ecclesiastique ; et tel est frequemment leur langage. Peu consequents eux- memes d'ailleurs, ils ne s'apergoivent point qu'un liberalisme et un catholicisme veritablement inconse- quents ne sauraient jamais constituer un meme eta- blissement ecclesiastique. Aussi leur double accusation tourne-t-elle, en definitive, a la justification de I'Eglise reformee, en prouvant qu'elle a su allier, dans une certaine mesure, I'autorite et la liberte. Cela pose, il nous en coutera peu de reconnaitre I. Jules Simon, liberte de conscierice , p. 66. — LaboulayC; liberte religieuse , article sur M. J. Simon et passim. — 18-4 — qu'en un temps ou le monde moderne ne faisait que de naitre, celte alliance dut etre nalurellement a Tavanlage de rautoriteTUn degre plus avance de civi- lisation reclame un nouvel equilibre. C'est un point que nous accordons volontiers. Mais il est de trop haute importance pour que nous n'ayons pas occasion d'en faire encore le sujet de quelques observations. i Bornons-nous pour le moment a epuiser, dans notre rapide examen , les principaux griefs des libres pen- seurs. II en est un principalement qui merite d'etre releve. Presque aussi aucien que la Reforme elle- J meme , les disciples de Voltaire ont la bonne fortune, qu'ils ne fuient pas toujours, de le partager avec les disciples de Loyola. Mais les efforts reunis de ces deux esprits contraires ne sauraient donner la realite a un fantome; et Ton pent croire (tel est du moins notre cspoir) que le temps de ce fameux argu- ment commence a passer. II suffit, en effet, de le considerer en face et de lui appliquer un instant le scalpel de I'analyse bistorique pour le voir aussitot s'evanouir. Voici comment il se formule dans sa generalite : a La Reformation frangaise a compromis, au seizieme siecle, le grand principe de Funite nationale. » Mis habilement en relief par Chateaubriand, c'est egale- ment la le systeme d'accusation de deux des plus remarquables ecrivains de notre age, M. Geruzez et — 185 ~ M. le comte Louis tie Game'. On citcra, nous ne figno- rons pas, bien iraulres auteurs encore. Mais sous quelque autoiile politique, hislorique ou liUeraire que se presente cette accusation, nous I'avons deja dit, pour la reduire a n'etre plus qu'un vain fantome, il nc faut que lui demander ce quelle signifie. Veut-on parler d'unitc religieuse? Le proteslan- tisnie, nous I'avouons, ne Ta pas seulement compromise, il I'a brisee. II n'est plus permis de repeter I'ancien adage: une foi. Mais, en dehors de TEgliseromaine, il nous semble que la generation actuelle n'en est plus au point de faire un grief a la Reforme d'avoir scinde Tuniteecclesiastique, fonde une nouvelle communion, et etabli entre les deux fractions religieuses de la France cette salutaire emulation de lumieres et de vertus qui est un des elements les plus actifs et les plus feconds de la civilisation moderne. M. le prince Albert de Broglie ne I'a-t-il pas lui-meme reconnu ? S'agit-il de V unite socialc ou territorude de la France? Oui; c'est la la grande accusation. ccLes cal- vinistes, dit Chateaubriand, reverent pour la France une espece de gouvernement a principautes federates, qui I'aurait fait ressembler a I'empire germanique. On eiit vu renaitre la feodalite par le protestantisme. » Mcme langage dans M. de Came : « Quelques efforts 1. Geruzez, Essais d'Hist. litt., 1. 1, p. 260 et 284. — L. de Cariic , Les foudateurs de riiuitc IVaiiraise, t. II, p. 16. — 186 — qu'aient tentes pendant pres d'un siecle les chefs suc- cessifs des reformes, depuis le premier prince de Condejusqu'au dernier due de Rohan, pour provoqiter le morcellement du territoire, leurs projets de fede- ralisme n'en ont jamais altere I'integrite. » Langage analogue dans M. Geruzez : « Lorsque le parti calviniste tenta de s'organiser en France, il se produisit sous la forme aristocratique. Coligny et le Bearnais furent les chefs des gentilshommes. La democratic etait du cote de la Ligue , et Henri ne devint le veritable represen- tant de I'unite nationale et des interets populaires que par la transaction qui fut la condition de son avene- ment.)) Toujours meme langage dans M. Th. Lavallee : (( C'etait en France qu'apres quarante ans de guerres acharnees qui devaient remuer de fond en comble le sol etla societe, allait se decider lalutte entre le fede- ralisme feodal du protestantisme et I'unite monar- chique du catholicisme/ » On dirait d'une verite historique incontestable; et il doit y avoir necessairement, aux yeux de bien des gens , une facheuse apparence de temerite a oser heurter de front de si respectables autorites. XIX. Qu'on nous permette toutefois de demander aux historiens que nous venons de citer sur quel principe 1. Histoire des Fraiicais; 2^ vol., sect, i , ch. 8, p. 398. — 187 — du protestanlisme fran^ais ils croient pouvoir asseoir leur assertion. M. Geruzez accuse ouvertement la Iheo- logie de Calvin. C'est elle qui a compromis I'unite nationale (p. 257 et 384) ^ M. Lavallee est un peu plus clair: il signale I'organisation qicme des Eglises reformees , « leur profession de foi , leurs reunions consistoriales , I'election libre de leurs pasteurs, I'eta- blissement de subsides reguliersp) et il s'ecrie triom- plialement : <( G'elait tout un Etat qui se formait dans TEtat. Du consistoire de chaque eglise, les affaires allaient au synode provincial , et de la au synode national, compose des deputes des synodes provin- ciaux. )) C'est la ce que ^1. Lavallee appelle un Etat dans I'Etat; et tout parait dit. En verite , devant une telle assertion , on serait aisement tente de se demander si Thislorien pent etre serieux. Quoi ! un Etat dans I'Etat, parce qu'on possede une organisation ecclesiastique, des consistoires , des synodes ! Un Etat dans I'Etat, parce que I'Eglise a son gouvernement distinct du pouvoir civil ! Mais comment appellerez-vous done alors le catholicisme avec ses conciles provinciaux et ses conciles cecumeniques : Etat dans I'Etat aussi, et bien plus encore : Etat autour 1 . On est confondu quand on se voit condamne a lire des phrases telles que celle-ci : « L'infaillibilite de Calvin a ete au seizieme siecle I'une des causes de nos guerres civiles. » Pourquoi u'en pas accuser plutot le peche dAdam ? — 188 — de TElat. Mais, a ce comple, il est bien a craindre que, taut que subsistera un dernier vestige de gou- vernement ecclesiastique independant du pouvoir civil, on n'ait le droit de repeter encore : Etat dans I'Etat ! , Au reste , ce singulier raisonnement ne prouve nullement I'assertion commune aux ecrivains que nous avons cites, a savoir : la tendance feodale du protestan- tisme frangais. L'organisation democratique de 1550 est, au contraire, la plus eclatante condamnation de cette enorme erreur historique. Memes formes eccle- siastiques dans toutes les Eglises du royaume ; egalite de tons les reformes en presence de la discipline ; memes droits; memes obligations; nul privilege pour la naissance ou pour le rang; les synodes toujours presides par les ecclesiastiques , et tons soumis au synode national; nulle predominance, en aucun cas, de I'element laique, qui eut ete I'element feodal. Nous I'avons deja dit, le premier grand principe de I'oeuvre de 1559, c'est VuniU, (d'unite de I'Eglise reformee de France par le souffle organisateur d'une foi soli- daire et d'une vie chretienne commune. » (M. Sardi- noux.) Le federaiisme feodal , nous I'affirmons hardi- ment, ne pouvait pas sortir de cette unite. On se rabattra done sur les guerres de religion et sur I' organisation militaire du parti protestant. Mais a qui faut-il avant tout faire remonter la responsabi- — 180 — lite de cc long' el douloureux accident de notic liistoirc nationale? L'inipartialite cUe-meme va repondre par la bouche d'uii auteur qui ne sail point flatter les rcformes : (iLa lutte, dil M. Mennecliet, Rit politique plus encore que Tc\ii^iouse,etl'aUi(}re domination dcs Guises fit plus de huguenots (c'esl-a-dire de confe- deres) qtie les predications de tons les apotres du protestantisme/)') G'esl un point qui ne pent plus etre aujourd'hui sujel a contestation. L'usurpation du pou- voir par les Guises fut la seule cause reelle desgucrres de religion. Or, dans ces guerres a jamais deplorablcs, quels furent les roles respeclifs du paiti catliolique el du parti pro- testanl? Le premier representait (qui pourrait le nier?) I'espril de Fetranger, de Rome el de I'Espagne , de Pie V et de Philippe II ; le second demandait a I'espril francais la justice frangaise, par la royaute fran^^aise retablie dans son independance el dans sa dignite? Pouvait-elle etre verilablement nationale la cause des usurpateurs lorrains et de I'italienne Catherine de Medicis? Et pouvait-elle n'etre pas nationale celle de ces seigneurs et de ces princes qui au plus pur sang de' la France avaienl I'avantage de joindre I'indepen- dance religieuse vis-a-vis de lout pouvoir etranger? Aussi I'a-t-on dil avec raison: les reformes frangais 1. Regiiier de la Piauclic; iii-S^ ISuG, 1. 1, p. viu. — 190 — furent les veri tables royalistes de leur temps. Qu'ils en aient jamais voulu a I'unile monarchique ou terri- toriale de la France, c'est done une pure hypothese qu'aucun fait ne saurait jiistifier. Ne sont-ce pas eux, aucontraire, qui ontportesurletrone le Bearnais, un des plus illustres fondateurs de I'unite nationale? Et qui oserait imputer son systeme politique a la modifi- cation de ses idees religieuses? Eut-il seulement a les modifier jamais ? Quant a I'organisation militaire du parti protestant, qu'avait-elle ete? Ge qu'elle pouvait etre. lis prirent leurs chefs ou ils les trouverenl ; et nous n'avons vu nulle part qu'ils se fussent jamais propose de se defaire avec eux de la royaute pour leur partager le royaume. L'accusation ne repose done sur aucun principe, sur aucun systeme inherent a la Reforme elle-meme. A peine pent - elle se faire une arme impuissante de quelques circonstances accidentelles de la grande lutte entre le parti absolutiste et le parti reforme. Mais fhis- toire est plus forte que tons les systemes et que toutes les preventions, et la verite qu'elle mettra de plus en plus cnlumiere, c'est, sans aucun doute, queledeses- poir de la justice ne mit aux protestants les armes a la main que pour la defense du droit le plus sacre de la conscience: celui d'adorer Dieu en paix et en liberie. «Les huguenots, a dit excellemment M. de Fehce, — 191 — ont purlc la peine, nun Junial qu'ils onl fail, mais de celui qu'on lour a fait. Apres Ics avoir separes violcni- ment du rcstc de la nation fran^aise , on les a tenus pour des etrangcrs dont les malheurs nc meritaient pas un regard de s^mpathie, et leur isolement a per- niis a leiirs adversaires de debiter contre enx, de generation en generation , des calomnies qui ont trouve una facile creance jtisque dans I'esprit des liommes cultives. ^)) On ne pent s'expliquer, en eflbt, que par la puissance de la tradition et par les habi- tudes vulgaires des jugements frangais sur le protes- lanlisme, les assertions surannees de quelques auteurs contemporains. " 1. Hist, des pmtestants de France, p. 53G. 2. On comprendra aisenieiit qu'ii nous ait ete impossible d'entrer dans les details que cet important sujet eut merites. M. Aignan, de TAcademie francaise, a prcsente ca et la , an point de vuc qui nous a occupe, quelques interessantes observations dans son : Etat des protestants en France depiiis le seizieme siecle jusqu'a nos jours. Un onvrage bien plus profond est celui du D'"Tzscliiruer: Le catholicisme et le protestantisme consideres sous le point de vue politique (Strasbourg, 1823; in-8°). Enfin, nous signalerons snrtout , dans le Bulletin de I'Hist. du protestantisme francais {V^ annee, p. 331 sq. et 2^ annee, p. G14 sq.), unrapport deM. le professeur Cbastel et des extraits d'nn travail de M. T. Albaric sur la question meme que nous avons rapidement examinee, et qui fut mise au concours par la venerable compagjiie des pasteurs de Geneve, en 1851 : « Le protestantisme a-t-il compromis en France le principe de F unite nationale? » 19^2 XX. Malgre toul ce qu'il a du y avoir de necessairement incomplet dans les observations que nous venons de presenter, il nous sera neanmoins permis de conclure , et notre conclusion sera celle de Samuel Vincent lui-meme: « Le gouvernement synodal, dit-il, remplit a peu pres toutes les conditions que Ton pent exiger d'un bon gouvernement ecclesiastique. II a toule la force necessaire pour maintenir le bon ordre et les bonnes mceurs. II peut s'adapter parfaitement a tous les progres de I'esprit humain et de I'intelli- gence de nos saints livres. II existe en lui une vie , une activite qui ne se trouve point ailleurs, et qui tend a cbasser sans cesse I'ennemi le plus dangereux de la religion, I'indifference et I'oubli. Dans ses rap- ports avec I'autorite civile, il peut accorder tout ce dont cette derniere a veri tablemen t besoin, sans rien perdre de son essence, sans affaiblir sa vie interieure, sans compromettre la fm excellente pour laquelle il a regu I'existence. « Chaque pasteur est libre dans son eglisc. II n'est point inquicte par une surveillance minutieuse et genante, qui souvent paralyse les forces au lieu de les ranimer ; mais il ne peut point tomber dans I'oubli do lui-meme et de ses devoirs, parce qu'il doit rendre compte a ses voisins, a ses amis, a ceux dont I'estime — 193 — lui est chore, tloiiL les lepiuclieb Ic blesseraienl an cocur. C'est la un ressort dont la puissance est incal- culable. II y a done dans ce gouvernenicnt surveil- lance sons inspection , sans inquisition , et nieme sans denoncialion. Cliacun est juge par ses pairs; ct on no so moque point de la censure qui ernane d'une assein- blee nombreuse d'honimes eclaires , ct qui represente rigoureusement I'opinion publique, comme on se moque de la censure d'un seul hommej que Ton se plait presque toujours a Iraiter d'ignorant ou de pas- sionne. «L'homme qui croit n'avoir a repondre qu'a un liomme ou a quelques-uns, finit promptement par ne faire que ce qu'il faut pour n'cn etre point blame.... •i Dans ses rapports avec I'esprit de I'Evangile, avec les progres du chrislianisme et de I'intelligence hu- maine et avec la vraie liberte religieuse, ce gouver- nement presente done des ressources qu'on ne trouve dans aucun autre gouvernement colleclif. C'est celui qui a le plus de liberte dans sa marche, le plus de moyens de reconnaitrelavcrile dans toutes les phases de ses progres, de sentir les besoins du temps, et d'y pher aussilot I'enseignement religieux pour le rendre vraiment profitable.... «:Dans ses rapports avec Fautorite civile, le gou- vernement synodal presente aussi de grands avantages. S'il ne recoil rien du gouvernement civil, pas mcme la — 104 — protection, comme il est arrive a I'Eglise de France pendant plus d'un siecle, il marche fort bien par lui- meme et possede toute la force necessaire pour main- tenir la discipline , I'enseignement et les bonnes moeurs. II ne regne que par I'empire de la persuasion, que par la force d'une organisation sage, que par son respect pour I'opinion generate. La liberie de con- science est complete , et pourtant I'etablissement reli- gieuxexerce une action puissante.s* Cette derniere pensee, qui resume les divers deve- loppements dans lesquels est entre Samuel Vincent pour justifier le gouvernement synodal , explique la longue citation que nous en avons faite. C'est la meme idee que nous avions exprimee nous -meme sur I'ceuvre ecclesiastique de 1559: union de la solidaritc et de I'individualisme , de I'ordre et de la liberte. XXI. Cetle union a-t-elle eu lieu dans une juste mesure? Nous avons deja fait notre reponse a cette question. A une epoque ou la liberte faisait ses premiers pas , et ou les protestants etaient de toutes parts accuses de n'emanciper la conscience que pour emanciper la pas- sion, le principe d'autorite, dans une confession de foi el une constitution ecclesiastique, devait necessai- 1, Samuel Vincent, Yues sur le protestantisrae ; 1. 1, p. !02 sq. - 195 — rement remporter sur celui de la lil)ei le individuelle. Dii point de vue ou la marche des choses nous a places, nous ne pouvons plus dire que Tequilibre des deux principes nous paraisse con venable, dans le double mo- numenl de la foi et de I'administration ecclesiaslique de nos peres. Les Egiises reformees de France en ont elles-memes juge de la sorte. II n'en est plus une seule qui songe a faire une application rigoureuse de toutes les prescrip- tions de la discipline, ni a proposer integralement les quarante articles de la confession de foi a la signature de ses pasteurs. C'est un point qu'il importerait de mettre generalenient hors de toute discussion pour eviter des malentendus et des apprehensions funestes, et pour echapper a la fiction, palliatif impuissant d'une situation anormale. La question qui se pose desormais ou plutot qui s'impose d'elle-meme au protestantisme fran(;ais, n'est done pas celle d'une stricte application de la confession de foi et de la discipline, mais celle de leur modifica- tion en vue de I'harmonic dans laquelle elles doivent etre sans cesse avec les besoins reels de I'Egiise, selon les temps et selon les lieux ou elle est appelee a deve- lopper sa bienfaisante activite. Mais ici, on nous arrete et Ton nous demande : (.(modification, ou abolition? S'agira-t-il de garder les principes et de changer seu- lement Ics consequences , ou les principes eux-memes — 196 — ne doivent-ils pas etre sensiblement alteres?)) Ce que roil enlend par la, ce n'est rien de moins que I'abro- gation de toute confession de foi et celle du regime synodal, c'esL-a-dire le bouleversement de fond en comble des traditions qui ont tant contribue a faire la force , la grandeur et la vie de I'Eglise reformee. En d'autres termes,au double point de vue dogmatique et ecclesiastique, c'est le principe d'autorite qui est con- teste. Une notable fraction du protestantisme fi'anQais pousse jusque-la son liberalisme. A la confession de foi elle se propose de substituer simplement la liberie illimitee, et augouvernement synodal, par la nccessite meme des choses, I'administration consistoriale avec la direction du ministere de I'instruction publique et des cultes. Cette derniere forme de gouvernement n'est en realile qu'une sorte de congregationalisme consis- torial, et pent conduire fort aisement au congregatio- nalisme ecclesiastique. Nous sommes done naturelle- ment amene a nous poser cette nouvelle question : le congregationalisme conviendrait - il aux Eglises refor- mees de France? 11 faut, pour etreenmesure de resoudre cette grave question , se mettre bien au clair sur un principe duqucl depend la solution cherchee. La societe ecclesiastique doit -elle etre en harmonie avec les principes sociaux essentiels qui ont leur expression dans la societe civile? L'une et I'autre doivent-elles repondre, par — 197 — leur organisation , anx besoins piofonds el bien connus (Ics populations qu'ellcs sont nppelees a diriger dans la voie do la justice ou de la foi? En d'autres termes, un gouvernement ecclesiastiquc , aussi bien qu'un gouvernement civil , doit-il etre marque d'un cachet populaireetrevetu d'un caractere national? Pour nous, cette question porte en elle-meme sa reponse , et la voici : Quand les aspirations sociales les plus caracte- ristiques d'une nation ne sont point en opposition di- recte avec un principe de fidelite evangelique, au point de vue ecclesiastiquc , I'Eglise doit mettre son organisation en harmonic avec I'esprit national. C'est I'interet meme de la verite qui rexige. Un peuple, en effet, ne voit pas, comme le penseur, la verite reli- gieuse en elle-meme a travers les diverses formes ecclesiastiques. C'est dans ces formes surtout qu'il I'aperQoit etd'apreselles qu'il enjuge. Si done I'Eglise, par sa constitution, heurte violemment le sentiment populaire ou national, ce ne pent etre qu'au detriment de la verite religieuse dont elle est depositaire. D'ou il est permis de conclure que c'est pour elle une obliga- tion sacree de mettre ses institutions d'accord avec les besoins sociaux des peuples que Dieu I'appelle a evan- geliser. Pourrait-on, sans recourir a cet ordre de consi- derations, s'expliquer d'une maniere suffisamment satisfaisante la grande liberte que le divin fondateur _ 498 — du christianisme et ses apotres ont laissee a TEgiise sous le rapport de I'organisation? Pour nous, ce que nous aimons a considerer surtout dans cette liberie , c'est la facilite offerte a I'Eglise de s'adapter, autant que possible , aux caracteres divers des nationalites, et I'obligation de faire effort pour ouvrir ainsi a I'Evan- gile un plus facile acces aupres des populations. XXII. De ce principe il est aise de tirer la consequence qui en decoule relativement au protestantisme fran^ais. Un des sentiments les plus vivants au coeur de noire nation, c'est incontestablement celui de son unite. Une et indivisible, telle est et telle veut etre la France en toutes choses ; c'est la sa grande devise. Nous sommes de ceux qui accordent volontiers que cette tendance est excessive, que la centralisation absorbe outre mesure I'elenient local, et que I'individualite souffre de la predominance partout sensible de I'Etat. Mais un exces ne detruit pas un principe; et celui de I'unite nationale , qui n'a triomphe qu'apres bien des siecles du plus laborieux enfantement, restera longtemps sans doute populaire au sein de cepays, si lent a oublier I'antique domination de I'Anglais sur les rives de la Guvenne et de la Normandie. lis connaissaient bien la puissance irresistible de ce — 199 — senliment, ces defenseurs de TEglise romaine , qui les premiers jeterent a la face du protestantisme I'epi- lliete de desorganisateur de la nation; et cette accu- sation habilement exploitee a ete plus efficace, nous en avons la conviction, que les buchers de Henri II , les poignards de Catherine de Medicis, les dragons de Louis XIV et les arguments de Bossuet. S'il est done un point par lequel il nous semble que le protestan- tisme puisse enlrer efficacement en contact avec la nation frangaise, qui ne le connait point encore en tant de lieux on qui le connait mal, c'est par son itnite spirltuelle et ecclesiastique. Cette unite est-elle une consequence naturelle de I'esprit evangelique? II nous parait impossible de le nier. En d'autres temps il eut ete inutile de le demon- trer. Aujourd'hui que I'individualisme chretien trahit une tendance bien reelle a I'emporter sur I'esprit de solidarite ecclesiastique, il est peut-etre necessaire de rappeler les fondements evangeliques de 1' unite des enfants de Dieu. Au point de vue purement spirituel, I'obligation sainte de cette unite n'est sans doute contestee par personne. Cette memorable priere du Sauveur : « qu'ils soient un comme nous sommes un;)^ « que tous ne soient qu'im;)) ((qu'ils soient consommes en U7i » (Jean XVII, li, 21, 22, 2o); et ces exhortations de saint Paul: « conservez Vunite de I'esprit par le lien de la paix » — 500 — (Eph. IV, 3); «marchons suivant line me^ne regie... et ayons un meme sentiment)) (Philip. Ill, 16); ((je vous prie, mes freres, par le nom de notre seigneur Jesus- Christ,... qu'il n'y ait point de divisions entre vous, mais que vous soyez bien unis dans un meme senti- ment el dans un meme avis)) (1 Cor. 1,10 ), etc.; et cette charite partout prechee, commandee, inspiree au Chretien dans les ecrits aposloliques; et enfm cet esprit de, fraternite evangelique si hautement professe et si saintement mis en oBuvre par le Maitre et par ses pre- miers, disciples : tons ces enseignements et tons ces exemples n'attrihuent-ils pasau principede I'unitespi- rituelle des enfants de Dieu le regne qui a si longtemps et si exclusivement appartenu a celui de I'unite purc- ment exterieure, froide et morte , d'une F]ghse petrifiee dans un formalisme officiel ? Etmainlenant, quel est le but de cette unite d'esprit que Jesus-Christ demandail au Pere de realiser entre tons ses enfants? II est double: le developpement de la sanctification individuelle par les communications reciproques operees dansle sentiment de la solidarite on de Tunion chretienne (Rom. XII, 4, 5; 1 Cor. XII, 21); et la predication du temoignage de I'amour fraternel, par laquellc il est au pouvoir de TEglise de frapper et d'atlirer le monde avec plus d'efficace encore peul-etre que n'en sauraient avoir tons les appels individucls. Cette dernierc tin de I'unite des enfants de Dieu est claire- — 501 — ment signalee dans leslivres saints. Quand Jesus-Clirist implore du Pere la parfaite union dc ses disciples, c'est, dil-il, ((afin que le nionde croie et connaisse que cx'st lui qui I'a envoye)) (Jean XVII, 21, 23); el quand ses disciples, selon sa requete, ne sont plus, sous I'in- lluence du meme Esprit, « qu'un coeur et qu'une ame; » quand la priere, le culte public, les sentiments intimes, les repas, les biens eux-memes, tout leur est devenu commun (Act. II, 42, 47), qu'en resulte-t-il? Us sont, nous dit I'auteur sacre, agreables a tout le peupl^, et chaque jour de nouveaux elus viennent s'ajouter .a rEglise. Puissant effet du temoignage rendu par Tunite des enfants de Dieu ! Pour produire de tels fruits, il est evident que I'union doit etre visible, et nul ne le nie. Mais si nous deman- dons sous quelle forme il est preferable quelle se ma- nifeste, les reponses varient; et Kunion elle-meme (inevitable consequence de notre faiblesse), trouve peut- etre un ennemi passager dans la trop grande diversite des eflbrts tentes pour en accelerer et en assurer le succes. Pour les uns, la multiplicile des communautes eccle- siastiques, diversement nommees et organisees, n'est pas de nature a porter atteinte au grand principe delunite spirituelle des enfants deDieu, ni au temoignage qui en doit decouler. lis seraient plutot disposes a voir dans cetle diversite elle-meme une beureuse necessite pour — 202 ~ les Chretiens de se temoigner et de faire ressortir avec plus d'evidence leurs sentiments intimes de support et de charite fraternelle, en- meme temps qu'ils croient y trouver des facilites et des garanties speciales pour le developpement de la personnalite. Nous comprenons tout ce qu'il y a de vrai dans un tel raisonnement. II est necessaire que I'unite spirituelle et le temoignage qui en est le resultat soient possibles independamment des diversites ecclesiastiques, car ces diversites sont inevitables. Ne fussent-elles que la consequence de la difference des nationalites, elles auraient toujours une grande realite. Ne faut-il pas cependant qu'a travers les frontieres que la main de I'homme a tracees, tous les enfants de Dieu se puissent tendre la leur pour rendre a leur Dieu-Sauveur un temoignage commun? Et n'y a-t-il pas dans cette alliance evangelique dont les rivieres, ni les mers, ni les montagnes, ni la diver- site dulangage, ni toutes les circonstances qui divisent les peuples n'arretent I'expansion generale et spontanee, une sorte de grandeur et de beaute particulierement touchantes et salutaires ? Mais cette part faile aux necessites nationales de la diversite ecclesiastique, reste a savoir si dans le sein d'une memepatrie, dans I'atmosphere d'une commune nationalite, dans I'enceinte des memes cites, aux foyers des memes families , I'unite ecclesiastique n'est pas preferable a la diversite. Tout le monde accordera — 503 — que cclle-ci, pour etre legilirne, doit reposer sur la divei'gence des principcs et des tendances ecclesias- tiques. De simples preferences instinctives, des gouts personnels ne justifieraient aux yeux de personne I'institution de nouvelles communautes. La diversile ecclesiastique, c'est done la division dans les principes; et la division dans les principes, c'est la division dans les esprits, la division dans les denomina- tions, dans les organes periodiques de I'Eglise, etc., etc. Ces consequences sont naturelles et connues. On n'est done plus spiriluellement une Eglise, mais pliisieurs , verite banale qui n'aurait pas besoin d'etre exprimee si le gout de la diversite n'allait parfois jusqu'a sup- poser qu'il est licite aux Chretiens d'edifier des Eglises differentes a pen pres comme aux citoyens des habi- tations variees. Mais I'analogie n'existe point: ici, c'est le gout qui produit la diversite; la, ce sont des prin- cipes qui engendrent la division. XXIII. Quelles sont, au double point de vue de la sanctifi- cation individuelle et du temoignage ecclesiastique, les consequences de cette division? Nous allons examiner cette serieuse question. « hiutile, me dites-vous pent- etre; quelles que soient les consequences dela division, quand les circonstances et les principes la rendent — 204 — inevitable, il faut s'y resigner sans laredoufer; c'est le meiHeur moyen d'en attenuer les inconvenients. » Nous comprenons cette objection. 11 est certainement des circonstances ou la separation est une obligation de striate fidelite. Ge fut le cas de la Rel'orme au seizieme siecle, et g'a ete peut-e>'6 depuis cette epoque celui d'autres dissidences. Mais de memequela Reforme eut evite volontiers ie schisnne si le grand corps de I'Eglise eut pu consentir a une renovation, et que, depuis le schisme accompli^ elle ne s'est jamais refusee a aucune tentative de reunion, de meme il est permis, et avec bien plus d'esperances de succes, de recbercher si, dans le sein de la Reforme evangelique d'une meme patrie, les divisions sontineffagables, et avant tout si elles pro- duisent de bons effets. Nous revenons done a la ques- tion : Quelles sont, au double point de yue de la sanc- tification individuelle et du temoignage ecclesiastique , les consequences de la division ? On a mis en relief, avec une justice qui n'a pas manque de largeur, les avantages des positions ecclesiastiques independantes les unes des autres, pour le developpe- menl des diverses faces de la verite et de la vie. Chaque Eglise, a-t-on dit, s'attacbant de preference a un prin- cipe et a un cote parliculier de la vie cbretienne, en presse da vantage les consequences, et du rapproche- ment de ces diversites resulte une complete ef puissante harmonic. Sans doute; mais si cette harmonic, qui ne — 205 — pent se manifestcr qu'a de trop rares intervalles, est complete, lesindividualites ecclesiastiques, toujours en action, resient incompletes par I'exces meme du deve- loppement de leurs principes parliciiliers, souvent ex- cliisifs. On pent se demander, d'ailleurs, si la mission d'une Eglise n'est que de developper un cote de la ve- rile. La verite est une comme la vie, et I'une et I'autre sont en Christ. Chaque Eglise, aussi bien que chaque individualite chretienne, est appelee a se I'approprier Xout entiere. G'est done avant tout dans I'individu lui- meme, et par consequent en chaque Eglise particuliere, que doit regner I'harmonie, qui est le caractere de la perfection. D'ou il semble resulter que la sanctification personnelle trouve, avec de grands avantages, de graves inconvenienls dans ce que Samuel Vincent appelle le systeme incUviduel. En outre, ce systeme n'est peut-etre pas le plus fa- vorable aux relatioi^s fraternelles un pen etendues. La discussion qu'il entretient le plus souvent sur les points secondaires, les difficultes qu'il multiplie dans la vie pratique, mille points de contact qu'il efface entre des freres, deviennent tout autant de causes de refroidisse- ment, si meme les difficultes inherentes aux caracteres personnels ne les transforment point en sujets d'amer- tume et d'eloignement. Enfin, au point de vue du temoignage, le morcelle- ment ecclesiastique, adopte volontiers par quelques pen- 6* — 206 — seurs, n'est point compris du plus grand nombre des hommes eclaires, dans un pays ou le sentiment de I'unite est I'instinct meme de la" nation. On invoque les droits de la liberte; ils repondent qu'on pourrait s'accorder et rester suffisamment independants. On fait valoir ses principes ecclesiastiques ; ils disent: de deux cboses Tune; ou ces principes sont essentiels, et alors ne vous flottez pas de conserver I'unite; ou ils ne sont que se- condaires, et alors subordonnez-les au principe de I'union. Quant a la foule, nous I'avons deja dit, elle demande surtout a voir I'unite. La multiplicite des Eglises ne lui represente le plus souvent que la confu- sion, et le temoignage evangelique est serieusenient compromis. Est-ce a dire pour cela qu'en un pays ou le senti- ment de I'unite domine, il faille demander au croyant evangelique le sacrifice de son individualite? Gette consequence est bien loin de notre pensee. Nous reconnaissons le droit de separation ; nous en respec- tons fraternellement I'usage partout ou la conscience I'a reclame. Mais nous deplorons cette necessite , et plus encore toute disposition a la subir sans cbercber activement a la conjurer. S'en defera-t-on jamais? dira- t-on peut-etre. Et pourquoi non ? Les cbretiens evan- geliques seraient-ils condamnes, au dix-neuvieme siecle, a ne plus trouver encommun, sur le sol d'une meme patrie , un regime ecclesiastique tout a la fois — 507 — assez complet pour avoir tons Ics elements d'un bori gouvernemeiit , et assez ample pour laisser rindivi- dualite se developper a son aise sur les bases positives de TEvangile eternel ? Cette Eglise renouvelee, qui ouvrirait son large sein a toute ame chretienne, et ne laisserait hors d'elle (|ue les sectaires obstines; cette Eglise de I'avenir, que tant de coeurs fideles ont appelee deja de leurs voeux, ne pourrait - elle pas renfermer tous les avantages des Eglises particulieres qui viendraient se rejoindre dans ses bras? A un gouvernement plein de vigilance et de force ne pourrait-elle pas associer une large respon- sabilite, par consequent une grande independance de la commune ecclesiastique et de son conducteur spiri- tuel ? Respectueuse pour les libres rapports du pasteur et du troupeau, ainsi que pour leurs droits reciproques, ne serait-il pas cependant bien avantageux qu'elle put les proteger Tun et I'autre dans leur independance respective et dans leur dignite, conlre leurs mutuelles faiblesses? En un pays ou le gouvernement de soi- meme, la responsabilite personnelle , le respect du droit d'autrui, la bonne individualite , en un mot, fait si generalement defaut, et ou les exces memes du besoin d' unite provoquent si aisement I'esprit de coterie pour la satisfaction de besoins comprimes, n'est-il pas plus necessaire encore qu'ailleurs de pre- parer a la personnalite des conducteurs spiriluels des — 208 — troupeaux un abri pour leurindependanceetun refuge pour leur dignite dans une hierarchie de pouvoirs democratiques de plus en plus desinteresses ? Cette organisation ne pourrait-elle pas etre calculee de ma- niere a favoriser I'education de I'individualite , bien loin de la uiutiler, tout en la preservant cependant et de ses propres ecarts et des dangers reels que peuvent lui faire courir les caprices de I'esprit de parti? Enfin, dans la vaste sphere de cet etablissementreligieux, objet de tous nos voeux, que de places pour les aptitudes les plus diverses et pour la cooperation des dons les plus dissemblables! De la sorte, harmonie sans division. Et quant a I'exercice de la charite fraternelle, qui semble, au premier abord , si particulierement favorise par I'existence des s6ctes , combien ne I'est-il pas davan- tage encore par les frottements incessants qui resultent de la collaboration des caracteres les plus divers dans la meme ceuvre ecclesiastique ! 11 est plus facile, en effet, de se supporter a distance et au dela des limites de la petite societe a laquelle on appartient, que de s'accorder ou de s'aimer veritablement dans I'enceinte d'une meme communaute, ou toutes les oppositions et toutes les rivalites de la nature humaine sont pro- voquees incessamment a se manifester. L'amour est plus profond peut-etre dans la secte; il est plus etendudans a grande communaute. Nous sommes done conduit , par tous les chemins — 200 - (Ju raisonncmeiit et tic rcxpericnce, u la itrelerencc do Tunitc ecclesiaslique dans le sein d'une nationalite conipacle ct liomogenc; et, sans allribuer a aucune %lisc particulicrc le monopole de I'espi'it de secLe, dispose plutot a le signaler parloiit ou 11 se rencontre sous la forme de I'etroitesse du cocur, nous le tenons pour un des plus dangereux ennemis des interets evangeliques , aux regards d'un peuple qui attend comnie premier lemoignage de la verite chrclienne I'unite visible des croyants. XXIV. N'etait-elle pas dans les exhortations de saint Paul, cette unite visible, quand ce grand apotre, bannissant les diverses denominations ecclesiastiques , s'ecriait : « Christ est-il divise ? » « Les oeuvres de la chair sont evidentes : les disputes, les divisions, les secies, etc. » Ue vous prie, mes freres, au nom de notre Seigneur Jesus-Christ, que vous parliez lous un meme langage, et qu'il n'y ait point de divisions entre vous.)) (I Cor. I, 10.) Et n'est-clle point aujourd'hui, cette meme unite, dans les voeux secrets ou avoues, instinctifs ou raisonnes, de la plupart des enfanls de Dieu ? Ecoutcz M. le pasteur Grand-Pierre : « Si les protes- tants franQais etaient plus unis, s'ils ne formaient tons qu'un coeur et qu'une arae, les triomphes de I'Evan- — 210 - gile seraient plus nombreux et plus considerables. II n'est pas impossible que, par le progres de la cha- rite, ils n'arrivent, si ce n'est a efTacer (et pourquoi pas?), du moins a diminuer I'efTet de leurs differences respectives, en se serrant tons ensemble autour de la banniere de la croix/ » Ecoutez M. le pasteur Jean Monod : « Le moment est done venu ou les Eglises doivent s'accorder a reconnaitre que I'Egllse est une, non en al)andonnant frematuremcnt leurs etendards particuliers , mais en les tenant assez bas pour qu'ils puissent tons etre converts par Fetendard de Jesus- Christ. ^ » Ecoutez M. le pasteur Verny : « Nous pre- vaudrons-nous de I'imperfection attachee a toute chose humaine et du peche nieme de Thumanite, pour con- sentir a voir I'Eglise de Jesus -Christ perpetuellement divisee? Loin de nous cette pensee! Universelle inte- rieurement , en ce quelle est la communion de tons les vrais enfants de Dieu , ne doit-elle pas tendre a le devenir exterieurement aussi, de maniere a ce qu'un seul bercail renferme loutes les brebis du divin pas- teur? Ob! jour glorieux, jour heureux que celui oii Ton n'entendrait plus dire : « Pour moi , je suis de Paul, et moi d'Apollos, et moi de Cephas; d ou Ton t. Conferences de TAlliance evangelique a Berlin, 1857. Paris, 1858; in-S°, p. 132. 2. Conferences de 1' Alliance evangelique a Londres , 1851. Paris, 185?; in-S", p. 26. — 211 - reconnaitrait que ((Christ ue saiirait etre divise;D ou il n'y aurait plus iii grec iii romain , ni lullicrien ni calviniste , ni baptisle ni wesleyen , mais « ou tous seraient un en Christ!' » Ecoutez M. le pasteur Horace Monocl : « II serait difficile de calculer tout le mal que fait aujourd'hui la division au sein des Eghses protes- tantes. EUe a pour effet immediat de diniinuer I'amour fraternel ; car il est impossible que le lien de Tamour fraternel ne soit pas affaibli entre des chreliens qui s'eloignent les uns des autres, et qui ne s'approcbent pas ensemble de la table du Seigneur'. » Ecoutez I'eloquent historien de la Reformation, M. le pasteur et professeur Merle d'Aubigne : «Ah! moi aussi, j'ai soif de Concorde, j'ai soif d'unite!.... Si le Seigneur voulait des rapprochements parmi nous, en face de I'ennemi commun; si le Seigneur nous donnait une Eglise , une seule Egiise , qui confessat hautement Dieu manifeste en chair ; une Eglise qui fiit un corps vivant de la vie de Jesus-Christ ; une Eglise qui fit retentir partout la predication de la Parole et repandit le parfum de I'Evangile ; une Eglise qui ne reconnut d'autre chef que Jesus, sans les liens de I'Etat; une Eglise qui n'aurait pas sans doute la discipline un peu despotique du seizieme siecle , mais la discipline delaverite, de la saintete et de I'amour — alors. 1. L'unite de rEg-lisc; sermon. Paris, 1854; in-8°, p. 2i. 2. L'Eglise; sermon. Marseille, lbJ3; in-8°, p. 31. - 212 — Messieurs, pour moi, je le declare, je saluerais cette Egiise avec respect el je la recevrais avec joie ! ^ » Ecoutez cet apotre fidele. enlre lous et qui, quoique mort, nous parle encore par sa parole puissante : « Oh ! vienne , vienne I'Eglise de I'avenir , hatee par les prieres de tons ceux qui ont appris du disciple bien-aime a dire : ((Seigneur Jesus, viens ! » Qu'elle vienne, et qu'elle secoue sur nous, de ses ailes enflees par le souffle de Dieu, une nouvelle rosee de la vertu d'en liaut, une nouvelle onction d'union fraternelle et une nouvelle moisson murissant pour le ciel ! Qu'elle vienne , et qu'elle amene ces jours de grace ou les noms de calvinisle, de lutherien, d'angiican , de morave, de national, d'independant, et pourquoi n'ajouterais-je pas les noms de protestant, de catbo- lique , de grec , tomberont absorbes dans un seul nom, celui de leur Seigneur et du notre, Jesus-Gbi'ist ! Qu'elle vienne, et que les Prophetes I'appellent, que les Apotres la saluent, {|ue les Peres la louent, que les Reformateurs labenissent, que tons les saints I'ac- cueillent avec joie, sans compter les anges qui attendent sa venue pour entonner avec elle un nouveau cantique a la gloire de celui dont elle porteralenometTimage! Qu'elle vienne Mais plutot toi, ((Seigneur J(3sus, viens !^) 1. Vie et doctrine. Geiicivc, 1858; iii-8°, p. 21. 2. A. Moiiod, la Pai'ole vivautc; sermon. 1857; iii-S^ p. 52. — 213 — Ecoutez la voix de ces vastes alliances evangeliques, solennelles assises de Tamour diretien , ou de loutes les bouches et de tous les coeurs ne s'echappe qu'un seul voeu : I'unite vivante des enfants de Dieu*. Ecoutez enfin la voix des peuples ; ecoutons avant tout celle de ce peuple qui est notre peuple, et au milieu duquel le Dieu de nos peres nous a places pour faire briller la lumiere evangelique a travers les ombres super- posees de Tignorance , du prejuge , de I'incredulite et de la superstition, cachant peut-etre les plus nobles et les plus genereuses aspirations. Avec trop peu d'in- telligence des besoins legitimes de I'individualite et des feconds resultats de la discussion, mais avec un sentiment profond de ses propres besoins et des droits de la verite, que nous demande-t-il ? L'unite. Ettrop souvent nous ne lui donnons que le scandale de la division ! XXV. Le voeu de I'union n'est-il cependant pas au fond de tous les coeurs? Ne sentons-nous pas tous que la est veritablement lagrande tradition de I'Eglise reformee? Cette fraction du prolestantisme frangais qui a inscrit sur son drapeau le mot de Uberalisme, el qui a porte a un si haut degre d'exageration les droits de I'indivi- I. Voy. : Ad. Monod, Exclusisme, Les fondements renverses, etc, — 214 — dnalite dansTEglise, tendance qui est en desharmonie avec les besoins complets et ponderes de I'esprit na- tional, et dont iin ecrivain bien distingue, si totenleve aux lettres frangaises, a condamne le principe exclusif par Lin mot qui merite de rester : Visolement enervant et superhe de la pensee individuelle^ ; cette fraction elle-meme n'a-t-elle pas conserve un tres-vif sentiment del'unitenationale du protestantisme dans notre pays? Et ceux de nos freres qui ont cru devoir prendre vis-a-vis de la majorite reformee une position inde- pendanle, ne regrettent-ils pas souvent la necessite de conscience qui les a portes a cette extremite? Ne sou- pirent-ils point, pour la plupart, apres un meilleur etat de choses qui permette a toutes les dissidences raisonnables de se fondre de nouveau dans I'unite de I'Eglise reformee, dont elles sont sorties? Quels sont done les obstacles les plus redoutables qui 1. Rigault, Debats du 28 octobre J 858. Le passage auquel nous avons emprunte notre citation, merite, par la preoccupation qu'il revele , d'etre cite tout entier. M. Rigault vient de relever cet air majestueux d'unite et d'harmonie qui caracterise la litterature du dix-septieme siecle. II ajoute : « Rien de cette anarchic des opinions modernes sur toutes les questions remuees par Tesprit humain ; rien de ces divisions profondes , irremediables , qui se trahissent partout aujourd'liui, memo dans Tart; rien de cet isolement ener- vant et superbe de la pensee individiielle. Toutes les forces de I'esprit francais travaillent de concert, sous une regie reconnue, et crcent cet art simple et grand , monument cternel du genie mcme de la France. » — 215 — s'opposent a la realisation de cetle unite nalionale evangelique, tradition et voeu tout a la fois du pro- testantisme fran^ais, esprit de la Reforme tout en- tiere, esperance et gage del'avenir? Nous signalerons en premier lieu la situation anornnale de I'Eglise re- formee, au double point de vue confessionnel et disci- plinaire. Las reformes attaches aux traditions positives du protestantisme francais, ne nous semblent meme pas s'accorder suffisamment sur la necessite de mettre un terme a cet etat de choses, ou domine une deplorable fiction. De la, deux consequences des plus facheuses: la dissidence qui, par I'esprit de secte qu'elleengendre trop souvent, ne pent qu'etre hostile parfois et malgre elle au retabhssement de I'unite; et, par reaction contre une confession de foi et une discipline qui n'ont pas eteofficiellementabolies,parce qu'elles n'ont pas ete remplacees, par crainte aussi de voir certains csprits en demander purennent et simplement la con- firmation , les exces de I'opinion liber ale, que nous considerons, en fait et en principe, comme I'adversaire le plus reel de I'unite, dont elle sent pourtant la necessite. Mais une cause de desunionqui engendretoutes les autres et qui nous parait digne d'etre particulierement signalee,c'estrafraiblissement de I'originalite nalionale du protestantisme frangais. «La France, a dit M. Mi- gnet, placee entre les Etats restes catholiques au midi et les Etats devenus protestants au nord de I'Europe, ~ 216 — servit longtemps de champ de bataille aux deux cultes qui se disputerent sa foi, et qui semblaient y com- battre avec acharnement pour I'empire du monde.)) ' Meme idee, sous une forme a peu pres semblable, dans M. Theophile Lavallee: « II s'agissait de savoir si la France serait emportee ou par le mouvement de reforme lutherienne qui avait entraine tout le nord de I'Europe, ou par le mouvement de restauration catholique qui s'etait fait dans le midi. C'etait dans cette contree , intermediaire de toutes les autres par son genie social et sa position geographique, que la question religieuse allait etreportee))l II y a la, selon nous, une erreur et une verite: I'erreur, c'est que le mouvement de la Reforme en France n'ait pas ete essentiellement spontane et national^; la verite, c'est que la reaction qu'il euta subirfut avanttout inspiree et soutenue par I'esprit de I'etranger, de Rome et de Madrid. Voila le veritable pouvoir qui conspira le pre- 1. Memoires, Paris, 1854, iii-lS; p. 256. 2. Histoire des Francais; 1850, in-i8; t. II, p. 397. 3. Nous avons eu deja Toccasion d'exprimer cette pensee. II importerait, nous le sentons bien, d'en demontrer la verite. Mais les preuves historiques qu'elle comporte nous entralneraient dans une trop longue digression. Qu'il nous suffise de dire que, malgr6 le titre de hUheriens , donne aux reformes de France avant 1560, il ne doit paraitre strange a personne que la patrie des Albigeois et des Yaudois ait pu produire spontanement , au seizieme siecle, un mouvement de reformation. — 517 — niier la mine et, a- force de mauvaise foi et tlecruaute, consomma la diminulion ct rafTaiblisseiiicnt du pro- testantisme francais. Mais si laReformefraiiQaise, au seizieme siecle, fiit, a tons les points de viie, empreinte du caractere natio- nal, la multiplicite des relations avec I'etranger n'a-l- elle pas , de nos jours , altere Toriginalite de ces premiers temps, et, sous le seul rapport religieux, denationalise a quelque degre I'oeuvre de nos refor- mateurs? Ne sommes-nous pas devenus, «par notre genie social et notre position geographique » , une sorte de champ de bataille de la theologie du monde entier; et sous le flot de cet envahissement incessant, avons-nous su toujours rejeter ou ecarter tout ce qui n'etait point ou n'etait pas encore assimilable a notre caractere national ? II est permis peut-etre de se poser cette question. Notre litterature religieuse est-elle marquee d'un cachet de spontaneite suffisamment pro- nonce ? Notre theologie ne fait - elle pas a I'etranger des emprunts un peu trop frequents peut-etre et qui ne sauraient toujours repondre exactement a I'etat des esprits au milieu de nous ? La predication elle- meme est-elle generalement assez inspiree de I'esprit francais et de ses besoins ? N'y pourrait-on jamais si- gnaler ce que nousappellerionsvolontiers unnouveau genre de style refugie, je ne sais quelle maniere em- prunlee qui, fut-elle la traduction de Vinet, ne peul 7 — 518 — fenir lieu sans doute d'nne vive ei piiissante origina- lite? Quant aux sectes proprement dites, leurs com- mencements, leurs noms" eux-memes ne nous sont-ils pas venus de I'etranger? Enfm, sous Tinfluence con- stante de ces importations religieuses et ecclesiastiques, mal assimilables par I'esprit national et en desaccord avec nos traditions, importations dont la plus dange- reuse a nos yeux est sans contredit I'unitarisme congregationaliste , n'avons-nous pas deja perdu quelque chose de nos traits les plus caracteristiques , entre autres de cette nettete de principes, de cette franchise de situation , de cette energie d'initialive, et meme aussi de ce besoin d'unite , qui sont quel- ques-unes des qualites les plus sensibles du caractere fran^ais ! Deja naturellementportes vers les extremes par les entrainements de principes exclusifs , qui se disputent le plus souvent en France les esprits, aulieu decher- cher a se concilier dans une synthese superieure pour constituer I'equilibre religieux et moral de la nation , combien ne devons-nous pas ceder plus aisement en- core a ces forces centrifuges, quand elles se develop- pent sous I'infiuence de systemes opposes qui out deja regu a I'etranger leur expression pratique, et quand les salutaires habitudes d'nne initiative com- mune font place a un besoin exagere d'importations ou d'imitations opposecs ! — 519 — Que Ton veuille bien nous comprendre cependant. Nous n'accusons en aucune maniere le proteslantisme frangais , sous aucune de ses formes, d'un affaiblisse- ment quelconque, au point de vue civil, du sentiment national qui Fa toujours distingue. Si telle avail pu elre notre pensee, il se leverait tout entier sans doute pour nous dementir et nous condamner. Mais une pareille intention ne saurait nous etre imputee. Le point de vue duquel nous avons exprime nos craintes, est purement religieux. Une seconde reserve, a laquelle nous n'attachons pas une moindre importance, est relative a nos rapports fraternels avec nos coreligion- naires non francais. Nous avons parle de principes ge- neraux et de tendances, au double sens dogmatique et ecclesiastique. Mais aurions-nous pu meconnaitre tout ce que la sympathie chretienne, les prieres , le concours des freres etrangers ont pu nous communiquer ou pourront nous apporter a Tavenir de precieux encou- ragements? Serious- nous dispose a relacher les liens d'affection ou a ralentir les relations qui nous unissent a eux? En aucune facon! Resserrons-les plutot au con- traire, et entrons deplus en plus avec empressement dans cette vaste alliance fraternelle, ou notre faible piele se ranimera peut-etre au contact de I'esprit qui vit dans I'Eglise evangelique universelle, et sous I'influence de la priere commune de tons les enfants de Dieu. Mais soyons nous-memes , et cberchons a ecarter soigneu- — 220 — sement toiite cause etrangere de divisions intestines, germe d'affaiblissement et de dissolution. XXVI. Quels seront les moyens les plus efficaces de rame- ner la Reforme francaise a I'unite spirituelle et eccle- siastique? C'est la question qui se pose d'elle-meme, a la suite des reflexions dans lesquelles nous venons d'entrer. Nous avons signale plusieurs raisons de I'etat actuel de division du protestantisme fran^ais : en premier lieu, la situation anormale de I'Eglise reformee; se- condement, les dissidences qui sont la consequence de cette situation; ensuite, la presence du radicalisme theologique; enfin, Taction d'influences etrangeres divergentes et peu en ijarmonie avec notre caractere national. II est facile de voir, en consequence de cette appre- ciation, que tout le mal semble venir de ce que I'Eglise reformee qui a renonce, en fait, aux formules du seizieme siecle, n'a point voulu se decider encore a leur substituer une nouvelle expression de sa foi. Forte, en effet,d'unecroyanceevangelique nettement et hautement confessee , non-seulement elle enleverait a la separation le plus plausible de ses motifs, mais elle mettrait naturellenient un terme a la defense du — 221 — principe fuiieste de la liberie illimitee d'enscignemcnt dans I'Eglise, puisqu'en droit cctlc liberie n'exislerait plus; el eiifiii, elle puiserail, sans doute, dans I'nnile plus grande de ses membres, uneplus grande energie de resistance con Ire tons les principes elrangers de dissolution. Le probleme veritable est done de ramener dans TEglise I'unile de la foi , selon la prtrole de saint Paul : ((il y a une seule foi.» Mais comment parvenir a cet immense resultat ? Nous nous batons de le dire : selon nous, ce ne pent etre que par la creation ou par le reveil de la vie evangelique el ecclesiastique au sein des troupeaux. Ce moyen est lent, nous le savons, mais il est sur, el il est nccessaire. Quelle tentative d'amelioration religieusepourraitetreefficace et benie sans la vie, cet element esscnliel de toute activite feconde, cette ame indispensable de toute organisation bien ordonnee? El quand la vie fut-elle plus neces- saire a I'Eglise que lorsqu'elle doit etre appelee a con- courir tout entiere a I'oeuvre de sa propre renovation ? Or, n est-il pas probable qu'il faut qu'il en soil ainsi de nos jours? Serait-il encore possible que I'Eglise ful reedifiee sous I'influence ou sous la direction exclusive de quelque nouveau genie tbeologique et organisaleur? II semble qu'il soil permis d'en douter. Peut-etre n'y a-t-il plus de place aujourd'bui pour un tel homme , et Tceuvre qu'il etit pu accomplir en d'autres temps, peut-etre n'est-il plus reserve a une seule personnalite de la realiser. Le grand genie , le profond theologien , le- puissant organisaleur de Tavemr, ne serait - ce point I'Eglise elle-meme, I'Eglise formant dans le desir de son propre relevement ccun coeur et une ame » , I'Eglise appelant a raccomplissement de cetle ceuvre difficile toutes ses forces vivantes, unissant dans une action commune les efforts de ses laiques a ceux de ses pasteurs, respectant I'ordre legitime, laissant un libre developpement a toutes les superio- rites, mais ne livrant plus ses destinees a la direction d'aucun clerge ni d'aucun chef de parti, refusant plutot a qui pourrait etre tente de le rever un role trop dangereux tout a la fois et pour I'humilite de I'homme et pour la tranquillite des troupeaux? Si telle doit etre desormais la belle mission de I'Eglise, resumes dans cet adage vulgaire d'une impe- rissable verite : a I'union fait la force » , de quelle me- sure de vie, de fidelite, de charite, n'a-t-elle pas besoin d'etre remplie! Combien n'importe-t-il done pas de developper et de multiplier dans son sein tous les appels a la vie, predications, publications, confe- rences, reunions de priere, alliances evangeliques , ceuvres et institutions chretiennes! Au prix de cette regeneration, ne pouvons-nous pas esperer de nous retrouver avec des freres d'une autre position eccle- siastique, ranges un jour autour du meme drapeau ? 223 — Quelle que soil cepeiidaiitrimportance preeminente du nioyen que nous venons d'indiquer, il en .est d'au- tres qu'il ne faut sans doule pas negliger. Le rappro- chement des conferences diverses organisees parmi les Eglises, serait peut-elre un des plus eflicaces. Au- tant elles peuvent, par un constant isolement et par des tendances trop divergentes , porter de graves at- teintes au principe de I'unile de la Reforme frangaise, aulant, par leur action commune, sur les fondements de cette charite qui « espere tout » , elles pourraient avancer- dans I'esprit evangelique le travail d'unili- cation spirituelle et ecciesiastique des divers elements du protestantisme national. La reconstitution des synodes, expression reguliere et legitime de I'Eglise reformee, serait aussi un grand moyen de relevement^et favoriserait sans doute le retour d'un esprit commun au milieu de nous. J'en- tends affirmer le contraire. On apprehende des debats irritants. Mais pourquoi si peu de confiance? N'avons- nous done fait aucun progres ? Nous redouterons-nous toujours les uns les autres ? Ne pourrons - nous nous rapprocher parce que nous ne saurions encore nous accorder? Et ou serait done I'amour ou seulement le support fraternel? Une telle defiance n'honore per- sonne, et elle est peut-etre elle-meme le plus puissant element de nos divisions. Un troisieme moyen de reedification de la Reforme — 224 — dans I'linite d'une tendance en harmonie avec le ca- ractere national, serait, a nos yeux, si elle pouvait etre obtenue, I'institu lion d'une grande facultede theologie protestante au ccBur meme de la France. Nous savons eslimer a leur haute valeur les etudes faites a I'etran- ger ; a peine meme est-ce a I'etranger. Mais enfin il est aussi une sorte de patriotisme religieux; et qui pourrait s'etonner de nous voir preferer a tout autre, si excellent soit-il, un enseignement theologique ex- clusivement national ? Qui pourrait surtout se refuser a penser avec nous que , malgre la divergence tou- jours possible des principes, la reunion des futurs conducteurs de I'Eglise dans un meme etablissement d'etudes deviendrait au moins le gage d'une union des coeurs, que la dispersion ne permet pas? Ne serait -il pas normal d'ailleurs que I'Eglise de France elle-meme sufTit enfm al'education des pasteursde ses troupeaux? Ge voeu, bien naturel si Ton consent al'^pprecier sans prejuge, provoquera sans doute, et nous nous y atten- dons, des susceptibilites respectables; mais il est per- mis a tout homme de parler selon son coeur, et nous osons compter nous -meme sur le respect d'un senti- ment personnel. II y aurait encore bien d'autres moyens de rappro- chement a mettre en jeu. Mais la liste en serait fort longue. Nous n'oublierions pas d'y mentionner quelque part la reproduction, tres-desirable a notre avis, soil — 225 — par Line des societes deja existantes, soil par une societe nouvelIe,delanieilleure parliedenotre ancienne litterature protestante iiationale. L'histoire, la theologie et la vie chretienne poiirraieiit a coup sur en tirer encore d'utiles secours. II est vrai qu'au point de vue historique , ToeLivre de la Societe de l'histoire dii pro- testantisme francais et celle des eminents auteurs de la France protestante sont de nature a repondre a bien des besoins. Mais peut-etre, h leur tour, auront- elles besoin I'une et I'autre d'etre completees un jour par les publications dont nous parlons. XXVII. Quoi qu'il en soitacet egard, ce qui importe le plus en ce moment, c'est de ranimer, avec les tendances re- ligieuses, le sentiment protestant. Que de causes mul- tipliees et puissantes conspirent aujourd'hui pour I'affaiblir! Les precieux benefices de Tegalite civile ont cree bien des sources de dangers pour la foi de la minorite. Dissemines au sein d'une masse encore guidee par le catholicisme, enveloppes de toutes parts, dans toutes les carrieres et dans toutes les in- stitutions , d'une influence hostile a leurs principes , attaques, dans certaines feuilles publiques, avec une violence qui ne se lasse jamais, recherches par une active propagande dont nous ne saurions pas plus — 226 — contesterle droit que nous n'en pourrions peut-elre toujours approuver les moyeiis, deshabitues, en bien des lieux, de I'ausiere mais bienfeisant usage, si soi- gneusement entrclenu par nos pares, des unions nupliales avant tout basees sur la communaute de la foi, les enfants de laReforme ontpartoutbesoin d'etre premunis contre quelque danger. Le dirons-nous ? Parfois meme une excellente disposition, donl Fabus seul est a craindre, engendre pour eux de graves perils. Qui pourrait ne point accueillir avec approba- tion et avec empressement cette juste largeur de principes et de sentiments que le nionde moderne connait sous le nom de tolerance ? Qui pourrait ne point la trouver bien legitime, ou meme se refuserait a la proclamer obligatoire en ceux la surtout qui en reclamerent si longtemps les equitables effets? Mais les meilleurs sentiments ontleurs exces, et tout exces est un grand danger. D'ailleurs, sur les confms flottants et nuageux de la tolerance regne un sentiment fort different dans ses principes, mais fort liabile a se deguiser sous la deno- mination favorable que nous venons de prononcer; on a deja nomme I'indifTerence. Qui ne I'a cent fois repete : c'est le mal du siecle present. Plus general peut-etre, au jugement des esprits eclaires , dans I'Eglise de la majorite, il doit lui etre cependant moins funeste au simple point de vue ecclesiastique, en raison meme — 227 ~ ties facililet> obligaloiies (jirdle prcsenle au paresseux fornialisme dcs indifTerents. Dans rKglisc de la niiiioi'ite, au coiUraire, mil commandemenl huniain qui oblige riiidiiTercnl a chercher dans (juelqucs maigi'cs pra- tiques de devotion le racbat illusoire de son incredu- lite. Ici plus de sincerite, sans douie; mais une sincerite qui niainles fois, inconsequcnte avec elle-meme, aboutil a ne signaler que des pertes nunieriques pour I'Eglise reformee. Combien souvent, en effet, des formes interessees d'adbesion au culle de la majorile ne viennent-elles pas faire passer cette indilTerence a I'etat de defection! Repousserions-nous le principe si naturel du prosely- tisme, ou en redouterions-nous les libres et reciproques effets? Bien au contraire! Rien ne nous parait plus respectable que les conversions consciencieuses d'un culte a un autre culte. Ellcs sont le temoignage d'un travail spirituel qui, s'il venait a se generali^er, pour- rait et devrait exercer les meilleurs effets sur la so- ciete tout entiere. Mais les conversions de I'indifference, enlrainees par le poids de la majorite, presentent un autre caractere, et ce sont elles surtout que nous de- plorons. Fondees generalcment sur des considerations que resume assez bien, traduit a I'usage de chacun, le mot celebre du Bearnais : Paris vaut blcn une messe, elles ne sauraient trouver aucun contrc-poids de la mcme nature dans dcs conversions reciproques en fa- — 228 — veur d'une Eglise qui n'est pas en mesure et ne serait jamais dans la volonte d'offrir a I'ambition de prose- lytes inleresses des primes de reconnaissance pareilles a celles que peut presenter la majorite. II importe done au protestantisme frangais de ranimer dans son sein le sentiment de ses devoirs religieux et de chercher, par la paisible propagande de la con- science, a reparer les pertes inevitables que lui impose sa situation. Nul, si hostile et si incredule fut-il au principe et aux heureuses consequences du prosely- tisme, ne saurait lui refuser sans doute cet equitable moyen de compensation. Son premier but, dans les efforts dont nous parlous, est bien moins, en effet, de se donner une grande extension que d'assurer sa propre conservation. Au surplus, cette oeuvre modeste de pro- selytisme, qui se justifie d'elle-meme par les conside- rations dans lesquelles nous venons d'entrer, le pro- testantisme ne I'accomplit generalement qu'aupres des populations qui I'appellent spontanement a les evan- geliser. Or, que supposent ces appels? Qu'en fait, les populations dont nous parlous n'appartiennent plus au catholicisme, mais au materialisme, a I'indifference ou a I'incredulite, sans avoir perdu cependant tout senti- ment religieux. Gontester au protestantisme le devoir de se rendre a leurs appels, c'est done vouloir les condamner elles-memes a vivre privecs de la legitime et libre satisfaction de leurs besoins spirituels, triste OQO condition pleine de dangers pour Tame et, a la loogue, aussi pour la sociele. Onredoute, dil-on, le peril qui resulte des cliange- menls de religion. Accordons-nous pour les respecter; quels dangers alors pourront-ils oftrir? Qu'ils s'operent sans obstacles et sans illegitimes oppositions; quels ebranlements facheux pourront en resulter ? Le mou- vement desinteresse des consciences et des esprits n'ofTre-t-il pas des chances bien preferables a celles de la passion desordonnee des ambitions cupides et des jouissances de la chair? Presenterait-il moins de gran- deur ou moins de securite que I'indifference ou que I'impiete? Ainsi done, sans meme avoir besoin d'invoquer les principes generaux du proselytisme, celui des Eglises protestantes de France pent se justifier par les seules exigences de la situation. Nous nous sommes arrete d'autant plus volontiers sur ce point que Tesprit evan- gelique de propagation de la verite, quand il est fidele sans zele amer, respectueux et paisible sans timidite, est tout a la fois le signe non equivoque de la regene- ration d'une EgUse et Tun des elements les plus effi- caces de ses progres. Tels nous apparaissent, en resume, les plus pres- sants besoins et les principaux devoirs actuels du pro- testantisme frangais. Ces besoins satisfaits et ces devoirs accompliS; I'union de toutes les Eglises evangeliques — 230 — ne sera point encore realisee, mais elle sera peut-etre mieux preparee; c'est, du moins, notre ferme espoir. Avant tout, aspirons-y; le meilleur moyen d'en hater la realisation, comme pour tout evenement qui reclame notre concours, c'est d'y croire d'une foi inebranlable et d'en exprimer franchement le desir. Qu'elle soit ve- ritablement pour nous un objet de foi. Fideles et con- sciencieux au poste ecclesiastique ou nous avons ete appeles par le Dieu de qui depend tout accomplissement de nos desseins, attaches sincerement, en serviteurs devoues, a I'Egiise que nous preferons, ecartons cepen- dant loin de nous tout esprit d'etroitesse et de secte, et au-dessus des divisions actuelles conteniplons avec con- fiance, dans un avenir promis a la foi et connu deDieu seul, I'unite a laquelle nous aspirons. Gette precieuse esperance unie a ces sentiments de largeur n'implique nullement FindifTerence ecclesiastique, oscillation per- peluelle entre toutes les Eglises qui professent I'Evan- gile de Christ. Mais les preferences les mieux fondees ne doiventpas non plus tellement borner notre horizon, retrecir nos esperances et river nos pensees au statu quo, I'ennemi de tons les progrcs, que nous perdions la salutaire aptitude a attendrc, a vouloir et a demander de meilleures choses. Enfants de I'Egiise reformee, mere de tant de mar- tyrs, nous pouvons avec une sainte gratitude lui rester des soutiens fideles et devoues; membres de I'Egiise — 531 — soeur qui porte sur son drapeau le nom glorieux de Luther, vous pouvez vous consacrer avec une joyeuse predilection a I'oeuvre speciale qui vous a etc donnee a faire; freres de touteslcsEglises evangeliques, comme nous fondes sur la parole du salut et marcliant sous la croix du meme Redempteur, vous pouvez accomplir, avec I'ardeur feconde de la jeunesse, la mission qui vous est echue. Et cependant ne pouvons-nous pas tons aspirer a un meme avenir? Unis dans bien des ceuvres communes au sein d'une commune patrie, rapproches par nos prieres, nous nous rencontrons sans cesse, nous nous touchons dans nos travaux. Et les simples," inhabiles a comprendre nos divergences, nous confondent, majgre nos denominations; et les coeurs qui soupirent apres I'Evangile que nous pre- chons, nous demandent de montrer notre foi dans notre unite spirituelle par quelque grande ceuvre ecclesias- tique d'unite. L'ennemi seul se rejouit de nos divi- sions, parce que seul il y trouve son profit. Cette union d'une poignee d'enfants de la Reforme, a la suite de si precieuses traditions d'homogeneite, et dans une patrie si avide d'unite, ne serait-ce done qu'un reve, une illusion de I'imagination abusee? Illu- sion bienfaisante sans doute, nous nous y attacherions encore comme a une des plus salutaires conditions du progres. Mais le Dieu qui a garde et delivre nos peres, sait dequoi nous avons besoin, et si I'unite nous est necessaire, nous avons cette confiance qu'en depit de toutes nos lenteurs, il saura nous la donner lui-meme quand il le trouvera bon. . XXVIII. Puisse du moins le Jubile qui se prepare elre pour toutes les Eglises evangeliques de France 1' occasion d'un intime rapprochement! Depuis le jour qu'il leur rappelle et auquel elles confondirent leurs glorieuses destinees sous les plis du meme drapeau, cette solen- nelle circonstance ne s'etait point encore presentee. Un siecle s'etait ecoule^ puis deux siecles, et comme si la famille protestante poursuivie etpersecutee, mais non divisee , n'avait eu nul besoin d'une reunion speciale, les difficultes des temps n'eussent point permis la celebration de I'anniversaire de la grande oeuvre de 1559. Aujourd'hui, les buchers, les gibets, les poignards de la France ne nous semblent plus que des iantomes d'une lointaine antiquite. Reparation a ete faite ; toutes les carrieres sont ouvertes devant nos pas; nos temples s'elevent en -tons lieux; nos voix se font entendre , respectees. Mais une chose nous manque: I'unite, condition essentielle peut-etre de succes dans notre patrie, qui ne nous a pas juges sans retour. Accepter cette lacune, quelques propor- tions qu'elle affecte, et s'y resigner en tout etat de cause , la proclamcr consequence inevitable de la 233 liberie , comme si la liberie ne pouvait pas comluire aussi a Tunite, c'esl se debarrasser commodement , trop commodement peut-elre, d'un incommode argu- menl. Et il y a danger aussi a eluder toujours les diffi- culles au lieu de les resoudre par des efforts desinleresses. Quoi qu'il en soil, elle sera longue sans doute Tobstination du senliment populaire a nous demander, avec une legitime et large diversite, une legitime et necessaire unite. L'occasion s'offre pour nous , sans discuter les conditions de cette ceuvre capitale, d'en faire au moins I'objet d'un voeu solennel. Ce voeu ne repond-il pas tout a la fois et aux besoins du temps present et aux traditions de ce temps passe dont nous allons commemorer le souvenir? Et pourrions-nous plus dignement, plus fralernellement celebrer cette fete chretienne , la premiere que I'Eglise reformee de France ait instituee en memoire de 1559 ? La premiere^ ai-je dit: que faisaient done nos peres un siecle plus tard , au debut de ce grand regno qui devait leur etre si funeste et allait detruire tous les bienfaits de Henri le Grand ? lis tenaient a Loudun leur vingt-neuvieme et dernier synode national. Pre- side par Jean Daille, pasteur a Paris, a cote du vice- president Jean-Maximilien del'Angle, pasteur a Rouen, et des secretaires Jacques de Brissac, seigneur des Loges, pasteur a Loudun , et Pierre Loride, seigneur de Galiniere, ancien de Paris, il entendait le commis- — 234 — saire royal , La Madeleine, conseiller au parlement de Paris, declarer qu'il etait charge de s'opposer a touie demande d'une assembles generale , sous quelque prelexte qu'elle fut presentee, etenfin proclamer que, vu \ insolence des religionnaires, on ne lolererait plus desormais que les synodesprovinciaux. Dejale Conseil d'Elat avail confirme, au debut de la meme annee 1659, un arret de la chanibre de I' Edit de Grenoble , portant defense de chanter des psaumes en fran^ais dans les maisons et dans les boutiques, de maniere a ce qu'ils fussent entendus au dehors. Belle annee pour celebrer un jubile ! * Serons-nous plus heureux un siecle plus tard? inconsequence des hommes et contradiction des choses! Le 11 juillet 1759, le roi Louis XV instituait I'ordre du Merite miHtaire pour recompenser les etrangers, de son armee, qui n'appartenaient pas a la communion legale de la nation, et se trouvaient par consequent inaptes a recevoir I'ordre du Saint-Esprit. II leur donnait une croix d'or emaille, portant lur un cote une epee en pal , avec ces mots : pro virtute hel- Ilea, et sur le revers, une couronne de lauriers avec cette legende: Ludovicus XV instituit il59^. De 1. Charles Drioii, Histoire chroiiologiquc de FEgUse protestaiite de France, 1. 1, p. 52. — De Felice, p. 340. — President Henault , Abrege chronologique , annee 1069. 2. I'resident Plenault, Gontinuateur, 17J9. — 235 — quelle maniere, la meme annee, surlameme terre de France, les reformes etaient-ils tiaites? Un fait enlre inille. Le lendemain dii jour ou Louis XV insliluait Tordie du Merite mililaire, le 12 juillet 1759, etait rendu unjugementqui condamnail « les habitants nou- veaux convertis des communautes de Gastres (Tarn) et son taillable, cornposant I'arrondissement de Gastres , a une amende de 2400 livres pour une assemblee illicite, tenue la nuit du 4 au 5 juin precedent, et a 264 livres, 3 sols, 9 deniers de frais*.)) Ainsi en tous lieux. Pas meme la possibilite d'un Jubile a la lueur des etoiles et au fond des bois ! Malgre des difficultes , dont plus d'une fois notre impatience a gemi, faisons done monter vers le ciel nos prieres en actions de graces pour les delivrances dont nous avons ete les objets. Et si ce premier Jubile que nous allons celebrer en memoire de la reunion des Eglises reformees de France, en 1559, et de leur edification sur un meme fondement, ne pent etre un retour pur et simple a la tradition dogmatique et ec- clesiastique de nos peres, gardons-nous cependant de la mettre de cote, sans piete filiale ni respect. Gonser- vons-en les grands et imperissables principes : la foi et r unite de VEglise fondees sur la Parole de Bieu, librement acceptee. Gonservons surtout, retrouvons 1. Affiche de Tcpoque. — 236 — I'esprit de nos peres, esprit de foi et de vie, de lu- mieres et d'activite, de droiture et de devouement, d'humilite et de fidelite. Elargi , coniplele , amende , selon les besoins des temps nouveaux , puisse-l-il se developper en nous avcc une energie nouvelle , pour repondre aux aspirations d'un siecle qui semble com- mencer a sentir vaguement que Tavenir religieux doit appartenir a TEglise ou sauront le mieux se concilier et s'unir I'ordre et la spontaneite , I'autorite et la liberte, la solidarite et I'individualite, la diversite et I'unite, sur le fondement de Jesus-Christ crucifie, re- vele dans la Parole inspiree ! Et puissent nos descen- dants, quandilsrenouvellerontapres nous la memoire des jours dont nous allons celebrer Fanniversaire , unis en un seul troupeau, ne formanl qu'un coeur et qu'une ame, comptant derriere eux d'eclatants temoi- gnages de leur fidelite, ne pas craindre d'entendre retentir a leurs oreilles cette question trop souvent importune : Vos peres, ou sont-ils? TABLE DES MATIERES. LES HUGUENOTS. Pages. Lcs sobriquets de parti : leiir importance; leurs dangers. Celui de huguenots; interet particulier et actuel qui sy rattache 1 a 8 Sobriquets anterieurs : sacramentaires , lutheriens, etc.; popularite de ce dernier; faits en preuves. — Pourquoi les rel'ornies de France et de Suisse d'abord nonimes lutheriens 8 a 14 Cotte epithete, une injure; anecdotes a Tappui : les pre- cheurs etlo peuple de Paris; les chanoines,les precheurs et le peuple de Geneve; Verly, Furbity,les Peneysans; leur cri de guerre 14 a 22 Pourquoi le mot de lutheriens une injure : habitude de rinsulte au seizieme siecle; Luther, grand effroi; ses propos bouifons; terreurs de la papaute; plaintes de Bossuet, refutees par elles-memes ; Tunite brisee ... 22 a 2y Apparition generale du mot huguenots, 15G0; moment de sa divulgation; la Touraine, son berceau. — Son sens injurieux ; pourquoi nie par Maimbourg et Sainte-Palaye. — Chansons; pamphlets; m^moires; temoignages ; une interdiction royale du sobriquet 29 a 41 Etymologies : eidgenossen ; origine historique de ce mot; ri^volution de Tindt^pendance genevoise; eidgnots et mamehiz. — Duree des eidgnots. — Opinion de Sis- mondi, Mignet et Soldan; relations de la France avec Geneve, avant 1 JGO — Pourquoi le mot de huguenots venu si tard? 41a 53 Par qui introduit? Par les reformes? Par le parti guisard? DitTicultes multiples; invraisemblances; les oz/j/wos du pamphlet guisard; le eid et le hu; orthographe diverse des eidgnots; cette epithete fut-elle ironique? .... 53 a G3 Pages. Esprit politique du catholicisme romain; accusations, de couleur politique , adressees priraitivement aux reformes. — Consequences qui en d^coulent pour r^tymologie Suisse 5 pourquoi si g^n^ralemeht adoptee 63a 74 Autres etymologies : les guenons de Hus; la raonnaie eap6tienne; Hugues le sacramentiiire 5 huyfgenooten; le hue nos; Hugues Capet 74 a SI L'^tymologie tourangeaude; 6tat de TEglise de Tours avant 1 560 5 asseniblees de la porte fougon; le roi Hugon; les Huguonistes ou Huguenaux. — Temoignages pour cette etymologie; est-elle vraisemblable? pouvait-elle ais6ment valoir au sobriquet sa popularite ? Quelle signi- fication lui donnait-elle? Encore les accusations centre la R^forme; formule du sens de Tepithete 81 a 97 Autres sobriquets : Christaudins ; Fribours; Dagots; Guillebedoms ; Parpaillois; Vache a Colas. Une induc- tion relativement aux huguenots ; de la popularity dans les sobriquets. — Court apergu historique; interet que TEglise romaine avait a perp^tuer T^pithete de huguenots; les moyens les plus efficaces par lesquels elle pouvait rendre le peuple hostile a la R^forme. Ce qui reste des accusations primitives ; sommes-nous juges sans appel ? 97 a 1 1 3 Retour dMmpartialit^; nouveau sensdu fameux sobriquet; les Hiiguenots de Meyerbeer ; le droit de Dieu ; Provi- dence et fatalisme; conscience et rebellion; Findividua- lit6 ^vang^lique et les vertus sociales; Sully a donn6 la definition du vrai huguenot n3all9 LA CONSTITUTION DE 1559. Les temps sont changes ; un premier Jubil6; 29 mai 1559 et 29 mai 1859. — La R^forme frangaise avant 1559; V Institution de Calvin. — Ce que devient la R^forme en 1559; VE'vangile et VEglise otficiellement ^tablis. — Un autre point de vue : la p6riode du martyre silencieux jus- qu'en 1560; laR^formemilitanteapartirdecette^poque. 119 a 127 — 230 — Pages L'ann^e 1 559 rpaixdu Gateau; lettres patentes du 12 avril. Jean Morel et Jean Barbeville, martyrs. Les quatre pri- sonniers de la Conciergerie , exiles. Pierre Chenet. martyr. — La mercuriale et le cardinal de Lorraine ; oppo- sition de Vieilleville. Le lit de justice ; les avis sur le chS- timentdos h^retiques; conseill^rs saisis. Mort d'Henri II. 1 27 a 1 35 Anne du Bourg a la Bastille; ses appels; ses recusations; son interrogatoire ; les deux chefs d'accusation; sa con- fession de foi ; les admonestations de Mad. Lacaille. — Plaidoyer de Marillac; billet de du Bourg; la lettre a TEglise de Paris. Epitre de celle-ci a la reine mere et la reponse; du Bourg et Minart; condamnation de du Bourg; ses derniers moments; son discours; ses der- nieres paroles 135 a 149 Autres victimes; predications incendiaires; les vierges des coins de rue; diffamations; difficultedetenir des assem- blies. Le cardinal de Lorraine. L'annee 1559 depeinte par Olhagaray 149 a 152 Le sang des martyrs, semence de TEglise : progres du protestantisme en France, en 1559; nouvelles Eglises fondees. Antoine de Ghandieu a Poitiers ; un voeu des Eglises, et un premier synode national a Paris 152 a 1S7 Abrege de la confession de foi et de la discipline eccle- siastique; jugement sur cette derniere. Travaux supple- mentaires du synode 157 a 162 Convenance de la constitution de TEglise reformee de France, de 1559, avec le caractere francais, avec les besoins des Eglises pour leur conservation , et avec le d^veloppement moral de la Rcforme; temoignages ecla- tants, a ce dernier point de vue; effets moraux de la discipline ecclesiastique 1G2 a 171 Etablissement de FAcademie reformee de Geneve, 5 juin 1559; les academies protestantes de France; influence du sytenie synodal sur leur developpenient. Son action mediatesiir Fetat moral etintellectueldupeuple francais. 171 a 182 — 240 — • Pages. Ces effets salutaires meconnus par les libres penseurs. line grande accusation : le protestantisme a-t-il compromis, en Francq^ Tunit^ nationale? En voulait-il k Tunit^ territoriale ? — De Torganisation ecclesiastique de la Reforme frangaise ; de Forganisation militairo des hu- guenots. Du parti vraiment national , au seizieme si6cle. Conclusion : le regime synodal juge par Samuel Vincent 182 a 194 Union de Tordi'e et de la liberte ; qu'elle est progressive. Du congregationalisme ; serait-il en harmonie avec le caractere national? Des fondements evangeliques de Tunite ecclesiastique. Points de vue spirituel et exterieur 194 a 203 Consequences dfi la division pour la sanctification indivi- duelle et pour le ti^moignage ecclesiastique. L'unite et Tindividualite. Saint-Paul, sur Tunite. Du besoin d'unite cbez les chr^iens contemporains 203 a 213 Obstacles a Tunite : une situation anormale; la separation; la reaction Uherale; Faflaiblissement de Toriginalite nationale au point de vue religieux ..213a 220 Des moyens de ramener Tunite : du grand moyen spiri- tuel; du d^veloppement de la vie; rapprochement des conferences; les synodes; une grande academic natio- nale; reproduction de notre ancienne litterature pro- testante 220 a 225 De la n^cessitc^ de ranimer le sentiment protestant; causes d'affaiblissement. Du pros6lytisme. L'uhion, unobjetde foi; de Tindifference ecclesiastique 225 k 232 Le Jubil6, moyen de rapprochement, Pourquoi le premier, >en 1859; annee 1G59; annee 1759. Sujets d'actions de grkces; un dernier voeu 232 a 23G FIN. Date Due '"-"H .^^-^^^WB^f*. ■■■.^'^:-'' ^ ^ ^m m^ >,'^ f^?? 8 £ 1 ^ f^^^ « ^ ^TtH ^ ^ ^ i .-.At ^ ^m kS^ W. ^ ^ m ^ PRINTED IN U. S. A. i "■ -' • r^;x'^r--^'}^ mmC' BW5830 .C34 . Les Huguenots el la constitution de Princeton Theological Semmary-Speer Library 1 1012 00037 5164