M. JULES FAVRE MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE (Septembre-Novembre 1870) N° Exemplaire tiré pour M M. JULES FAVRE MINISTRE DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE SEPTEMBRE-NOVEMBRE 1870 PARIS IMPRIMERIE JOUAUST RUE SAINT-HONORÉ, 338 I CIRCULAIRE ADRESSÉE AUX AGENTS DIPLOMATIQUES DE FRANCE PAR LE VICE-PRÉSIDENT DU GOUVERNEMENT DE LA DEFENSE NATIONALE, MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. Monsieur, Les événements qui viennent de s'accomplir à Paris s'ex¬ pliquent si bien par la logique inexorable des faits, qu'il est inutile d'insister longuement sur leur sens et leur portée. En cédant à un élan irrésistible, trop longtemps contenu, la population de Paris a obéi à une nécessité supérieure, celle de son propre salut. Elle n'a pas voulu périr avec le pouvoir criminel qui con¬ duisait la France à sa perte. Elle n'a pas prononcé la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie : elle l'a enregistrée au nom du droit, de la justice et du salut public. Et cette sentence était si bien ratifiée à l'avance par la con¬ science de tous, que nul, parmi les défenseurs les plus bruyants du pouvoir qui tombait, ne s'est levé pour le soutenir. _ 6 — Il s'est effondré de lui-même, sous le^oids de ses fautes, aux acclamations d'un peuple immense, sans qu'une goutte de sang ait été versée, sans qu'une personne ait été privée de sa liberté. Et l'on a pu voir, chose inouïe dans l'histoire, les citoyens auxquels le cri du peuple conférait le mandat périlleux de combattre et de vaincre, ne pas songer un instant aux ad¬ versaires qui la veille les menaçaient d'exécutions militaires. C'est en leur refusant l'honneur d'une répression quel¬ conque qu'ils ont constaté leur aveuglement et leur im¬ puissance. L'ordre n'a pas été troublé un seul moment ; notre con¬ fiance dans la sagesse et le patriotisme de la garde nationale et de la population tout entière nous permet d'affirmer qu'il ne le sera pas. Délivré de la honte et du péril d'un gouvernement traître à tous ses devoirs, chacun comprend que le premier acte de cette souveraineté nationale, enfin reconquise, est de se commander à soi-même et de chercher sa force dans Irres¬ pect du droit. D'ailleurs, le temps presse : l'ennemi est à nos portes; nous n'avons qu'une pensée, le repousser hors de notre ter¬ ritoire. Mais cette obligation, que nous acceptons résolûment, ce n'est pas nous qui l'avons imposée à la France; elle ne la subirait pas si notre voix avait été écoutée. Nous avons défendu énergiquement, au prix même de notre popularité, la politique de la paix. Nous y persévé¬ rons avec une conviction de plus en plus profonde. Notre cœur se brise au spectacle de ces massacres hu- — 7 — mains dans lesquels disparaît la fleur des deux nations, qu'a¬ vec un peu de bon sens et beaucoup de liberté on aurait pré¬ servées de ces effroyables catastrophes. Nous n'avons pas d'expression qui puisse peindre notre admiration pour notre héroïque armée, sacrifiée par l'impé- ritie du commandement suprême, et cependant plus grande par ses défaites que par les plus brillantes victoires. Car, malgré la connaissance des fautes qui la compromet¬ taient, elle s'est immolée, sublime, devant une mort cer¬ taine, et rachetant l'honneur de la France des souillures de son gouvernement. Honneur à elle! La Nation lui ouvre ses bras! Le pouvoir impérial a voulu les diviser; les malheurs et le devoir les confondent dans une solennelle étreinte. Scellée par le pa¬ triotisme et la liberté, cette alliance nous fait invincibles. Prêts à tout, nous envisageons avec calme la situation qui nous est faite. Cette situation, je la précise en quelques mots; je la sou¬ mets au jugement de mon pays et de l'Europe. Nous avons hautement condamné la guerre, et, protestant de notre respect pour le droit des peuples, nous avons de¬ mandé qu'on laissât l'Allemagne maîtresse de ses destinées. Nous voulions que la liberté fût à la fois notre lien com¬ mun et notre commun bouclier; nous étions convaincus que ces forces morales assuraient à jamais le maintien de la paix. Mais, comme sanction, nous réclamions une arme pour chaque citoyen, une organisation civique, des chefs élus; alors nous demeurions inexpugnables sur notre sol. Le gouvernement impérial, qui avait depuis longtemps séparé ses intérêts de ceux du pays, a repoussé cette poli- _ 8 — tique. Nous la reprenons, avec l'espoir qu'instruite par l'ex¬ périence, la France aura la sagesse de la pratiquer. De son côté, le roi de Prusse a déclaré qu'il faisait la guerre non à la France, mais à la dynastie impériale. La dynastie est à terre. La France libre se lève. Le roi de Prusse veut-il continuer une lutte impie qui lui sera au moins aussi fatale qu'à nous? Veut-il donner au monde du XIXe siècle ce cruel spec¬ tacle de deux nations qui s'entre-détruisent, et qui, ou¬ blieuses de l'humanité, de la raison, de la science, accumu¬ lent les ruines et les cadavres? Libre à lui : qu'il assume cette responsabilité devant le monde et devant l'histoire! Si c'est un défi, nous l'acceptons. Nous ne céderons ni un pouce de notre territoire, ni une pierre de nos forteresses. Une paix honteuse serait une guerre d'extermination à courte échéance. Nous ne traiterons que pour une paix durable. Ici, notre intérêt est celui de l'Europe entière, et nous avons lieu d'espérer que, dégagée de toute préoccupation dynastique, la question se posera ainsi dans les chancelleries. Mais, fussions-nous seuls, nous ne faiblirons pas. Nous avons une armée résolue, des forts bien pour¬ vus, une enceinte bien établie, mais surtout les poitrines de trois cent mille combattants décidés à tenir jusqu'au dernier. Quand ils vont pieusement déposer des couronnes aux pieds de la statue de Strasbourg, ils n'obéissent pas seule¬ ment à un sentiment d'admiration enthousiaste, ils prennent — 9 — leur héroïque mot d'ordre, ils jurent d'être dignes de leurs frères d'Alsace et de mourir comme eux. Après les forts, les remparts; après les remparts, les bar¬ ricades. Paris peut tenir trois mois et vaincre; s'il succom¬ bait, la France, debout à son appel, le vengerait; elle con¬ tinuerait la lutte, et l'agresseur y périrait. Voilà, monsieur, ce que l'Europe doit savoir. Nous n'a¬ vons pas accepté le pouvoir dans un autre but. Nous ne le conserverions pas une minute si nous ne trouvions pas la population de Paris et la France entière décidées à partager nos résolutions. Je les résume d'un mot devant Dieu, qui nous entend, devant la postérité, qui nous jugera : nous ne voulons que la paix. Mais, si l'on continue contre nous une guerre funeste que nous avons condamnée, nous ferons notre devoir jus¬ qu'au bout, et j'ai la ferme confiance que notre cause, qui est celle du droit et de la justice, finira pas triompher. C'est en ce sens que je vous invite à expliquer la situation à M. le ministre de la cour près de laquelle vous êtes accré¬ dité , et entre les mains duquel vous laisserez copie de ce document. Agréez, monsieur, l'expression de ma haute considération. Le 6 septembre 1870. le Ministre des Affaires étrangères, Jules FAVRE. II CIRCULAIRE ADRESSÉE AUX REPRESENTANTS DE LA FRANCE A L'ÉTRANGER POUR EXPLIQUER LA CONVOCATION IMMEDIATE DES ÉLECTEURS. Monsieur, Le décret par lequel le Gouvernement de la défense na¬ tionale avance les élections a une signification qui certaine¬ ment ne vous aura pas échappé, mais que je tiens à préciser. La résolution de convoquer le plus tôt possible une assem¬ blée résume notre politique tout entière. En acceptant la tâche périlleuse que nous imposait la chute du gouvernement impérial, nous n'avons eu qu'une pensée : défendre notre territoire, sauver notre honneur et remettre à la Nation le pouvoir qui émane d'elle, que seule elle peut exercer. Nous aurions voulu que ce grand acte s'accomplît sans transition ; mais la première nécessité était de faire tète à l'ennemi, et nous devions nous y dévouer : c'est là ce que comprendront ceux qui nous jugent sans passion. Nous n'avons pas la prétention de demander ce désinté¬ ressement à la Prusse; nous tenons compte des sentiments que font naître chez elle la grandeur des pertes éprouvées et l'exaltation naturelle de la victoire. Ces sentiments expli¬ quent les violences de la presse, que nous sommes loin de confondre avec les inspirations des hommes d'État. Ceux-ci hésiteront à continuer une guerre impie dans laquelle ont déjà succombé plus de 200,000 créatures humaines, et ce serait la continuer forcément que d'imposer à la France des conditions inacceptables. On nous objecte que le gouvernement qu'elle s'est donné est sans pouvoir régulier pour la représenter. Nous le re¬ connaissons loyalement ; c'est pourquoi nous appelons tout de suite une assemblée librement élue. ~ Nous ne nous attribuons d'autre privilège que de donner à notre pays notre cœur et notre sang et de nous livrer à son jugement souverain. Ce n'est donc pas notre autorité d'un jour, c'est la France immortelle qui se lève devant la Prusse, la France dégagée du linceul de l'empire, libre, généreuse, prête à s'immoler pour le droit et la liberté, dés¬ avouant toute politique de conquête, toute propagande vio¬ lente, n'ayant d'autre ambition que de rester maîtresse d'elle- même , de développer ses forces morales et matérielles, de travailler fraternellement avec ses voisins aux progrès de la civilisation. C'est cette France qui, rendue à sa libre action, a immédiatement demandé la cessation de la guerre, mais qui en préfère mille fois les désastres au déshonneur. Vainement ceux qui ont déchaîné sur elle ce redoutable fléau essayent-ils aujourd'hui d'échapper à la responsabilité qui les écrase, en alléguant faussement qu'ils ont cédé au vœu du pays. Cette calomnie peut faire illusion à l'étranger, où l'on n'est pas tenu de connaître exactement notre situa¬ tion intérieure ; mais il n'est personne chez nous qui ne la repousse hautement comme une œuvre de révoltante mau¬ vaise foi. Les élections de 1869 ont eu pour mot d'ordre : paix et liberté. Le plébiscite lui-même s'est approprié ce programme, en confiant au pouvoir impérial la mission de le réaliser. Il est vrai que la majorité du Corps législatif a acclamé les dé¬ clarations belliqueuses de M. le duc de Gramont, mais, quelques semaines avant, elle avait accordé les mêmes accla¬ mations aux déclarations pacifiques de M. Ollivier. Il faut le dire sans récrimination : émanée du pouvoir per¬ sonnel, la majorité se croyait obligée de le suivre docile¬ ment, même dans ses pftis périlleuses contradictions. Elle s'est refusée à tout examen sérieux et a voté de confiance ; alors le mal a été sans remède. Telle est la vérité. Il n'y a pas un homme sincère en Europe qui puisse la démentir et affirmer que, librement consultée, la France eût fait la guerre à la Prusse. Je n'en ai jamais tiré cette conséquence que nous ne soyons pas responsables. Nous avons eu le tort, et nous l'expions cruellement, d'avoir toléré un gouvernement qui nous perdait. Maintenant qu'il est renversé, nous reconnais¬ sons l'obligation qui nous est imposée de réparer, dans la mesure de la justice, le mal qu'il a fait. Mais, si la puissance avec laquelle il nous a si gravement compromis se prévaut de nos malheurs pour nous accabler, nous lui opposerons une résistance désespérée, et il demeurera bien entendu que c'est la Nation, régulièrement représentée par une assem¬ blée librement élue, que cette puissance veut détruire. La question ainsi posée, chacun fera son devoir. La for¬ tune nous a été dure : elle a des retours imprévus. Notre — 13 — résolution les suscitera. L'Europe commence à s'émouvoir, les sympathies nous reviennent. Celles des cabinets nous consolent et nous honorent. Ils seront vivement frappés, j'en suis sûr, de la noble attitude de Paris, au milieu de tant de causes de redoutables excitations. Grave, confiante, prête aux derniers sacrifices, la Nation armée descend dans l'arène, sans regarder en arrière, ayant devant les yeux ce simple et grand devoir : la défense de son foyer et de son indépen¬ dance. Je vous prie, monsieur, de développer ces vérités au re¬ présentant du gouvernement près duquel vous êtes accrédité ; il en saisira l'importance, et se fera ainsi une juste idée des dispositions dans lesquelles nous sommes. Recevez, etc. Paris, le 17 septembre 1870. Le Vice-Président du Gouvernement de la défense nationale, Ministre des affaires étrangères. Jules FAVRE. Ill RAPPORT DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES AU GOUVERNEMENT DE LA DÉFENSE NATIONALE. A MM. les Membres du Gouvernement de la défense nationale. Mes chers Collègues, L'union étroite dq tous les citoyens, et particulièrement celle des membres du gouvernement, est plus que jamais une nécessité de salut public. Chacun de nos actes doit la cimenter. Celui que je viens d'accomplir de mon chef m'é¬ tait inspiré par ce sentiment; il aura ce résultat. J'ai eu l'honneur de vous l'expliquer en détail. Cela ne suffit point. Nous sommes un gouvernement de publicité. Si à l'heure de l'exécution le secret est indispensable, le fait, une fois consommé, doit être entouré de la plus grande lumière. Nous ne sommes quelque chose que par l'opinion de nos concitoyens; il faut qu'elle nous juge à chaque heure, et pour nous juger elle a le droit de tout connaître. J'ai cru qu'il était de mon devoir d'aller au quartier géné¬ ral des armées ennemies; j'y suis allé. Je vous ai rendu — 15 — compte de la mission que je m'étais imposée à moi-même; je viens dire à mon pays les raisons qui m'ont déterminé, le but que je me proposais, celui que je crois avoir atteint. Je n'ai pas besoin de rappeler la politique inaugurée par nous, et que le ministre des affaires étrangères était plus par¬ ticulièrement chargé de formuler. Nous sommes avant tout des hommes de paix et de liberté. Jusqu'au dernier moment nous nous sommes opposés à la guerre que le gouverne¬ ment impérial entreprenait dans un intérêt exclusivement dynastique, et, quand ce gouvernement est tombé, nous avons déclaré persévérer plus énergiquement que jamais dans la politique de la paix. Cette déclaration, nous la faisions quand, par la crimi¬ nelle folie d'un homme et de ses conseillers, nos armées étaient détruites, notre glorieux Bazaine et ses vaillants sol¬ dats bloqués devant Metz; Strasbourg, Toul, Phalsbourg, écrasés par les bombes; l'ennemi victorieux en marche sur notre capitale. Jamais situation ne fut plus cruelle; elle n'in¬ spira cependant au pays aucune pensée de défaillance, et nous crûmes être son interprète fidèle en posant nettement cette condition : pas un pouce de notre territoire, pas une pierre de nos forteresses. Si donc à ce moment, où venait de s'accomplir un fait aussi considérable que celui du renversement du promoteur de la guerre, la Prusse avait voulu traiter sur les bases d'une indemnité à déterminer, la paix était faite; elle eût été ac¬ cueillie comme un immense bienfait; elle fût devenue un gage certain de réconciliation entre deux nations qu'une politique odieuse seule a fatalement divisées. Nous espérions que l'humanité et l'intérêt bien entendus — 16 — remporteraient cette victoire, belle entre toutes; car elle aurait ouvert une ère nouvelle, et les hommes d'État qui y auraient attaché leur nom auraient eu comme guides : la phi¬ losophie, la raison, la justice; comme récompense : les béné¬ dictions et la prospérité des peuples. C'est avec ces idées que j'ai entrepris la tâche périlleuse que vous m'aviez confiée. Je devais tout d'abord me rendre compte des dispositions des cabinets européens et chercher à me concilier leur appui. Le gouvernement impérial l'avait complètement négligé, ou y avait échoué. Il s'est engagé dans la guerre sans une alliance, sans une négociation sé¬ rieuse; tout, autour de lui, était hostilité ou indifférence : il recueillait ainsi le fruit amer d'une politique blessante pour chaque État voisin, par ses menaces ou ses prétentions. A peine étions-nous à l'Hôtel-de-Ville qu'un diplomate, dont il n'est point encore opportun de révéler le nom, nous demandait à entrer en relations avec nous. Dès le lendemain, votre ministre recevait les représentants de toutes les puis¬ sances. La République des États-Unis, la République helvé¬ tique, l'Italie, l'Espagne, le Portugal, reconnaissaient offi¬ ciellement la République française. Les autres gouverne¬ ments autorisaient leurs agents à entretenir avec nous des rapports officieux, qui nous permettaient d'entrer de suite en pourparlers utiles. Je donnerais à cet exposé, déjà trop étendu, un dévelop¬ pement qu'il ne comporte pas, si je racontais avec détail la courte mais instructive histoire des négociations qui ont suivi. Je crois pouvoir affirmer qu'elle ne sera pas tout à fait sans valeur pour notre crédit moral. Je me borne à dire que nous avons trouvé partout d'ho- _ ,7 — norables sympathies. Mon but était de les grouper, et de déterminer les puissances signataires de la ligue des neutres à intervenir directement près de la Prusse en prenant pour base les conditions que j'avais posées. Quatre de ces puis¬ sances me l'ont offert; je leur en ai, au nom de mon pays, témoigné ma gratitude, mais je voulais le concours des deux autres. L'une m'a promis une action individuelle dont elle s'est réservé la liberté, l'autre m'a proposé d'être mon inter¬ médiaire vis-à-vis de la Prusse. Elle a même fait un pas de plus : sur les instances de l'envoyé extraordinaire de la France, elle a bien voulu recommander directement mes dé¬ marches. J'ai demandé beaucoup plus, mais je n'ai refusé aucun concours, estimant que l'intérêt qu'on nous montrait était une force à ne pas négliger. Cependant le temps marchait ; chaque heure rapprochait l'ennemi. En proie à de poignantes émotions, je m'étais promis à moi-même de ne pas laisser commencer le siège de Paris sans essayer une démarche suprême, fussé-je seul à la faire. L'intérêt n'a pas besoin d'en être démontré. La Prusse gardait le silence, et nul ne consentait à l'inter¬ roger. Cette situation était intenable ; elle permettait à notre ennemi de faire peser sur nous la responsabilité de la conti¬ nuation de la lutte; elle nous condamnait à nous taire sur ses intentions. Il fallait en sortir. Malgré ma répugnance, je me déterminai à user des bons offices qui m'étaient offerts, et, le io septembre, un télégramme parvenait à M. de Bis¬ marck, lui demandant s'il voulait entrer en conversation sur des conditions de transaction. Une première réponse était une fin de non-recevoir tirée de l'irrégularité de notre gouvernement. Toutefois, le chancelier de la Confédération du Nord — .8 — n'insista pas, et me fit demander quelles garanties nous pré¬ sentions pour l'exécution d'un traité. Cette seconde diffi¬ culté levée par moi, il fallait aller plus loin. On me proposa d'envoyer un courrier, ce que j'acceptai. En même temps, on télégraphiait directement à M. de Bismarck, et le premier ministre de la puissance qui nous servait d'intermédiaire disait h notre envoyé extraordinaire que la France seule pouvait agir; il ajoutait qu'il serait à désirer que je ne reculasse pas devant une démarche au quartier général. Notre envoyé, qui connaissait le fond de mon cœur, répondit que j'étais prêt à tous les sacrifices pour fajre mon devoir, qu'il y en avait peu d'aussi pénibles que d'aller au travers des lignes ennemies chercher notre vainqueur, mais qu'il supposait que je m'y résignerais. Deux jours après, le courrier reve¬ nait. Après mille obstacles, il avait vu le chancelier, qui lui avait dit être disposé volontiers à causer avec moi. J'aurais voulu une réponse directe au télégramme de notre intermédiaire, elle se faisait attendre. L'investissement de Paris s'achevait. Il n'y avait plus à hésiter, je me résolus à partir. Seulement il m'importait que, pendant qu'elle s'accomplis¬ sait, cette démarche fût ignorée; je recommandai le secret, et j'ai été douloureusement surpris, en rentrant hier soir, d'apprendre qu'il n'a pas été gardé. Une indiscrétion cou¬ pable a été commise. Un journal, l'Électeur libre, déjà dés¬ avoué par le Gouvernement, en a profité; une enquête est ouverte, et j'espère pouvoir réprimer ce double abus. J'avais poussé si loin le scrupule de la discrétion que je l'ai observée même vis-à-vis de vous, mes chers collègues. Je ne m'y suis pas résolu sans un vif déplaisir. Mais je con¬ naissais votre patriotisme et votre affection ; j'étais sûr d'être — i9 — absous. Je croyais obéir à une nécessité impérieuse. Une première fois, je vous avais entretenus des agitations de ma conscience, et je vous avais dit qu'ellé ne serait en repos que lorsque j'aurais fait tout ce qui était humainement possible pour arrêter honorablement cette abominable guerre. Me rap¬ pelant la conversation provoquée par cette ouverture, je re¬ doutais des objections, et j'étais décidé; d'ailleurs, je vou¬ lais, en abordant M. de Bismarck, être libre de tout engage¬ ment, afin d'avoir le droit de n'en prendre aucun. Je vous fais ces aveux sincères, je les fais au pays pour écarter de vous une responsabilité que j'assume seul. Si ma démarche est une faute, seul j'en dois porter la peine. J'avais cependant averti M. le ministre de la guerre, qui avait bien voulu me donner un officier pour me conduire aux avant-postes. Nous ignorions la situation du quartier gé¬ néral. On le supposait à Gros-Bois. Nous nous acheminâmes vers l'ennemi par la porte de Charenton. Je supprime tous les détails de ce douloureux voyage, pleins d'intérêt cependant, mais qui ne seraient point ici à leur place. Conduit à Villeneuve-Saint-Georges, où se trou¬ vait le général en chef commandant le 6e corps, j'appris as¬ sez tard dans l'après-midi que le quartier général était à Meaux. Le général, des procédés duquel je n'ai qu'à me louer, me proposa d'y envoyer un officier porteur de la lettre suivante, que j'avais préparée pour M de Bismarck : « Monsieur le Comte, « J'ai toujours cru qu'avant d'engager sérieusement les hostilités sous les murs de Paris, il était impossible qu'une transaction honorable ne fût pas essayée. La personne qui a 2 0 eu l'honneur de voir Votre Excellence, il y a deux jours, m'a dit avoir recueilli de sa bouche l'expression d'un désir ana¬ logue. Je suis venu aux avant-postes me mettre à la disposi¬ tion de Votre Excellence. J'attends qu'elle veuille bien me faire savoir comment et où je pourrai avoir l'honneur de conférer quelques instants avec elle. « J'ai l'honneur d'être, avec une haute considération, « De Votre Excellence « Le très-humble et très-obéissant serviteur, « Jules Favre. « 18 septembre 1870. » Nous étions séparés par une distance de 48 kilomètres. Le lendemain matin, à six heures, je recevais la réponse que je transcris : « Meaux, 18 septembre 1870. « Je viens de recevoir la lettre que Votre Excellence a eu l'obligeance de m'écrire, et ce me sera extrêmement agréable si vous voulez bien me faire l'honneur de venir me voir, de¬ main, ici, à Meaux. « Le porteur de la présente, le prince Biron, veillera à ce que Votre Excellence soit guidée à travers nos lignes. « J'ai l'honneur d'être, avec la plus haute considération, de Votre Excellence le très-obéissant serviteur, « De Bismarck. » A neuf heures, l'escorte était prête, et je partais avec elle. Arrivé près de Meaux vers trois heures de l'après-midi, j'é¬ tais arrêté par un aide-de-camp venant m'annoncer que le — 11 — comte avait quitté Meaux avec le roi pour aller coucher à Ferrières. Nous nous étions croisés; en revenant l'un et l'autre sur nos pas, nous devions nous rencontrer. Je rebroussai chemin, et descendis dans la cour d'une ferme entièrement saccagée, comme presque toutes les mai¬ sons que j'ai vues sur ma route. Au bout d'une heure, M. de Bismarck m'y rejoignait. Il nous était difficile de causer dans un tel lieu. Une habitation, le château de la Haute-Maison, appartenant à M. le comte de Rillac, était à notre proximité ; nous nous y rendîmes, et la conversation s'engagea dans un salon où gisaient en désordre des débris de toute nature. Cette conversation, je voudrais vous la rapporter tout entière, telle que le lendemain je l'ai dictée à un secrétaire. Chaque détail y a son importance. Je ne puis ici que l'a¬ nalyser. J'ai tout d'abord précisé le but de ma démarche. Ayant fait connaître par ma circulaire les intentions du Gouverne¬ ment français, je voulais savoir celles du premier ministre prussien. Il me semblait inadmissible que deux nations con¬ tinuassent, sans s'expliquer préalablement, une guerre ter¬ rible qui, malgré ses avantages, infligeait au vainqueur des souffrances profondes. Née du pouvoir d'un seul, cette guerre n'avait plus de raison d'être quand la France rede¬ venait maîtresse d'elle-même; je me portais garant de son amour pour la paix, en même temps de sa résolution iné¬ branlable de n'accepter aucune condition qui ferait de cette paix une courte et menaçante trêve. M. de Bismarck m'a répondu que, s'il avait la conviction qu'une pareille paix fût possible, il la signerait de suite. Il a 22 reconnu que l'opposition avait toujours condamné la guerre. Mais le pouvoir que représente aujourd'hui cette opposition est plus que précaire. Si, dans quelques jours , Paris n'est pas pris, il sera renversé par la populace Je l'ai interrompu vivement pour lui dire que nous n'a¬ vions pas de populace à Paris , mais une population intelli¬ gente, dévouée, qui connaissait nos intentions et qui ne se ferait pas complice de l'ennemi en entravant notre mission de défense. Quant à notre pouvoir, nous étions prêts à le déposer entre les mains de l'assemblée déjà convoquée par nous. « Cette assemblée, a repris le comte, aura des desseins que rien ne peut nous faire pressentir. Mais, si elle obéit au sentiment français, elle voudra la guerre. Vous n'ou¬ blierez pas plus la capitulation de Sedan que Waterloo, que Sadowa, qui ne vous regardait pas. » Puis il a insisté lon¬ guement sur la volonté bien arrêtée de la nation française d'attaquer l'Allemagne et de lui enlever une partie de son territoire. Depuis Louis XIV jusqu'à Napoléon III, ses ten¬ dances n'ont pas changé, et, quand la guerre a été annoncée, le Corps législatif a couvert les paroles du ministre d'accla¬ mations. Je lui ai fait observer que la majorité du Corps législatif avait quelques semaines avant acclamé la paix ; que cette majorité, choisie par le prince, s'était malheureusement crue obligée de lui céder aveuglément, mais que, consultée deux fois, aux élections de 1869 et au vote du plébiscite , la na¬ tion avait énergiquement adhéré à une politique de paix et de liberté. La conversation s'est prolongée sur ce sujet, le comte 2 3 maintenant son opinion , alors que je défendais la mienne ; et, comme je le pressais vivement sur ses conditions, il m'a répondu nettement que la sécurité de son pays lui com¬ mandait de garder le territoire qui la garantissait. Il m'a répété plusieurs fois : « Strasbourg est la clef de la mai¬ son, je dois l'avoir. » Je l'ai invité à être plus explicite encore : « C'est inutile, objectait-il, puisque nous ne pouvons nous entendre, c'est une affaire à régler plus tard.» Je l'ai prié de le faire de suite; il m'a dit alors que les deux départements du Bas et du Haut-Rhin, une partie de de celui de la Moselle, avec Metz, Château-Salins et Sois- sons , lui étaient indispensables, et qu'il ne pouvait y re¬ noncer. Je lui ai fait observer que l'assentiment des peuples dont il disposait ainsi était plus que douteux, et que le droit pu¬ blic européen ne lui permettait pas de s'en passer. « Si fait, m'a-t-il répondu; je sais fort bien qu'ils ne veulent pas de nous ; ils nous imposeront une rude corvée, mais nous ne pouvons pas ne pas les prendre. Je suis sûr que, dans un temps prochain, nous aurons une nouvelle guerre avec vous. Nous voulons la faire avec tous nos avantages. » Je me suis récrié, comme je le devais, contre de telles solutions. J'ai dit qu'on me paraissait oublier deux éléments importants de discussion : l'Europe, d'abord , qui pourrait bien trouver ces prétentions exorbitantes et y mettre ob¬ stacle; le droit nouveau ensuite, le progrès des moeurs, en¬ tièrement antipathique à de telles exigences. J'ai ajouté que, quant à nous, nous ne les accepterions jamais. Nous pou¬ vions périr comme nation, mais non nous déshonorer. D'ailleurs, le pays seul était compétent pour se prononcer _ 24 _ sur une cession territoriale. Nous ne doutons pas de son sentiment, mais nous voulons le consulter. C'est donc vis-à- vis de lui que se trouve la Prusse ; et, pour être net, il est clair qu'entraînée par l'enivrement de la victoire, elle veut la destruction de la France. Le comte a protesté, se retranchant toujours derrière des nécessités absolues de garantie nationale. J'ai poursuivi : « Si ce n'est pas de votre part un abus de la force, cachant de secrets desseins, laissez-nous réunir l'assemblée, nous lui remettrons nos pouvoirs, elle nommera un gouvernement définitif qui appréciera vos conditions. — Pour l'exécution de ce plan, m'a répondu le comte, il faudrait un armistice, et je n'en veux à aucun prix. » La conversation prenait une tournure de plus en plus pé¬ nible. Le soir venait. Je demandai à M. de Bismarck un se¬ cond entretien à Ferrières, où il allait coucher, et nous partî¬ mes chacun de notre côté. Voulant remplir ma mission jusqu'au bout, je devais re¬ venir sur plusieurs des questions que nous avions traitées, et conclure. Aussi, en abordant le comte vers neuf heures et demie du soir, je lui fis observer que, les renseignements que j'étais venu chercher près de lui étant destinés à être communiqués à mon gouvernement et au public, je résumerais, en termi¬ nant, notre conversation, pour n'en publier que ce qui se¬ rait bien arrêté entre nous. « Ne prenez pas cette peine, me répondit-il, je vous la livre tout entière, je ne vois au¬ cun inconvénient à sa divulgation. » Nous reprîmes alors la discussion, qui se prolongea jusqu'à minuit. J'insistai parti¬ culièrement sur la nécessité de convoquer une assemblée. — 25 — Le comte parut se laisser peu à peu convaincre et revint à l'armistice. Je demandai quinze jours. Nous discutâmes les conditions. Il ne s'en expliqua que d'une manière très-incom¬ plète, se réservant de consulter le roi. En conséquence, il m'ajourna au lendemain onze heures. Je n'ai plus qu'un mot à dire : car, en reproduisant ce douloureux récit, mon cœur est agité de toutes les émotions qui l'ont torturé pendant ces trois mortelles journées, et j'ai hâte de finir. J'étais au château de Ferrières à onze heures. Le comte sortit de chez le roi à midi moins le quart, et j'en¬ tendis de lui les conditions qu'il mettait à l'armistice ; elles étaient consignées dans un texte écrit en langue allemande et dont il m'a donné communication verbale. 11 demandait pour gage l'occupation de Strasbourg, de Toul et de Phalsbourg, et comme, sur sa demande, j'avais dit la veille que l'assemblée devrait être réunie à Paris, il voulait, dans ce cas, avoir un fort dominant la ville... celui du Mont-Valérien, par exemple... Je l'ai interrompu pour lui dire : « Il est bien plus simple de nous demander Paris. Comment voulez-vous admettre qu'une assemblée française délibère sous votre canon ? J'ai eu l'honneur de vous dire que je transmettrais fidèlement notre entretien au Gouvernement, je ne sais vraiment si j'o¬ serai lui dire que vous m'avez fait une telle proposition. — Cherchons une autre combinaison », m'a-t-il répondu. Je lui ai parlé de la réunion de l'assemblée à Tours, en ne prenant aucun gage du côté de Paris. Il m'a proposé d'en parler au roi, et, revenant sur l'occu¬ pation de Strasbourg, il a ajouté : « La ville va tomber entre nos mains, ce n'est plus qu'une affaire de calcul d'in- 26 — génieur. Aussi je vous demande que la garnison se rende prisonnière de guerre. » A ces mots, j'ai bondi de douleur, et, me levant, je me suis écrié : « Vous oubliez que vous parlez à un Français, mon¬ sieur le comte; sacrifier une garnison héroïque, qui fait notre admiration et celle du monde, serait une lâcheté ; — et je ne vous promets pas de dire que vous m'avez posé une telle condition. » Le comte m'a répondu qu'il n'avait pas l'intention de me blesser, qu'il se conformait aux lois de la guerre ; qu'au surplus, si le roi y consentait, cet article pourrait être modifié. Il est rentré au bout d'un quart d'heure. Le roi acceptait la combinaison de Tours, mais insistait pour que la garnison de Strasbourg fût prisonnière. J'étais à bout de forces et craignis un instant de défaillir. Je me retournais pour dévorer les larmes qui m'étouffaient, et, m'excusant de cette faiblesse involontaire, je prenais congé par ces simples paroles : « Je me suis trompé, monsieur le comte, en venant ici ; je je ne m'en repens pas, j'ai assez souffert pour m'excuser à mes propres yeux; d'ailleurs, je n'ai cédé qu'au sentiment de mon devoir. Je reporterai à mon Gouvernement tout ce que vous m'avez dit, et, s'il juge à propos de me renvoyer près de vous, quelque cruelle que soit cette démarche, j'aurai l'honneur de revenir. « Je vous suis reconnaissant de la bienveillance que vous m'avez témoignée, mais je crains qu'il n'y ait plus qu'à laisser les événements s'accomplir. La population de Paris est cou¬ rageuse et résolue aux derniers sacrifices ; son héroïsme peut — 37 — changer le cours des événements. Si vous avez l'honneur de la vaincre, vous ne la soumettrez pas. La nation tout entière est dans les mêmes sentiments. Tant que nous trouverons en elle un élément de résistance, nous vous combattrons. C'est une lutte indéfinie entre deux peuples qui devraient se tendre la main. J'avais espéré une autre solution. Je pars bien mal¬ heureux, et néanmoins plein d'espoir. » Je n'ajoute rien à ce récit, trop éloquent par lui-même. Il me permet de conclure et de vous dire quelle est, à mon sens, la portée de ces entrevues. Je cherchais la paix, j'ai rencontré une volonté inflexible de conquête et de guerre. Je deman¬ dais la possibilité d'interroger la France représentée par une assemblée librement élue, on m'a répondu en me montrant les fourches-caudines sous lesquelles elle doit préalablement passer. Je ne récrimine point. Je me borne à constater les faits, à les signaler à mon pays et à l'Europe. J'ai voulu ar¬ demment la paix, je ne m'en cache pas, et, en voyant pendant trois jours la misère de nos campagnes infortunées, je sentais grandir en moi cet amour avec une telle violence que j'é¬ tais forcé d'appeler tout mon courage à mon aide pour ne pas faillir à ma tâche. J'ai désiré non moins vivement un armistice, je l'avoue encore; je l'ai désiré, pour que la nation pût être consultée sur la redoutable question que la fatalité pose devant nous. Vous connaissez maintenant les conditions préalables qu'on prétend nous faire subir. Comme moi, et sans discus¬ sion, vous avez été unanimement d'avis qu'iî fallait en re¬ pousser l'humiliation. J'ai la conviction profonde que, mal¬ gré les souffrances qu'elle endure et celles qu'elle prévoit, la France indignée partage notre résolution, et c'est de son — 28 — cœur que j'ai cru m'inspirer en écrivant à M. de Bismarck la dépèche suivante, qui clôt cette négociation : « Monsieur le Comte, v J'ai exposé fidèlement à mes collègues du Gouverne¬ ment de la défense nationale la déclaration que Votre Ex¬ cellence a bien voulu me faire. J'ai le regret de faire con¬ naître à Votre Excellence que le Gouvernement n'a pu ad¬ mettre vos propositions. Il accepterait un armistice ayant pour objet l'élection et la réunion d'une Assemblée natio¬ nale; mais il ne peut souscrire aux conditions auxquelles Votre Excellence le subordonne. Quant à moi, j'ai la con¬ science d'avoir tout fait pour que l'effusion du sang cessât et que la paix fût rendue à nos deux nations, pour lesquelles elle serait un grand bienfait. Je ne m'arrête qu'en face d'un devoir impérieux, m'ordonnant de ne pas sacrifier l'honneur de mon pays déterminé à résister énergiquement. Je m'as¬ socie sans réserve à son vœu ainsi qu'à celui de mes collè¬ gues. Dieu, qui nous juge, décidera de nos destinées. J'ai foi dans sa justice. « J'ai l'honneur d'être, monsieur le Comte, « De Votre Excellence « Le très-humble et très-obéissant serviteur, « Jules FAVRE. « 2 i septembre 1870. » J'ai fini, mes chers collègues, et vous penserez comme moi que, si j'ai échoué, ma mission n'aura pas été cependant tout à fait inutile. Elle a prouvé que nous n'avons pas dévié. Comme les premiers jours, nous maudissons une guerre par nous condamnée à l'avance; comme les premiers jours aussi, — 29 — nous l'acceptons plutôt que de nous déshonorer.—Nous avons fait plus : nous avons tué l'équivoque dans laquelle la Prusse s'enfermait, et que l'Europe ne nous aidait pas à dissiper. En entrant sur notre sol, elle a donné au monde sa parole qu'elle attaquait Napoléon et ses soldats, mais qu'elle res¬ pectait la nation. Nous savons aujourd'hui ce qu'il faut en penser. La Prusse exige trois de nos départements, deux villes fortes, l'une de cent, l'autre de soixante-quinze mille âmes, huit à dix autres également fortifiées. Elle sait que les populations qu'elle veut nous ravir la repoussent : elle s'en saisit néanmoins, opposant le tranchant de son sabre aux protestations de leur liberté civique et de leur dignité morale. A la nation qui demande la faculté de se consulter elle- même elle propose la garantie de ses obusiers établis au Mont-Valérien et protégeant la salle des séances où nos dé¬ putés voteront. Voilà ce que nous savons, et ce qu'on m'a autorisé à vous dire. Que le pays nous entende, et qu'il se lève, ou pour nous désavouer quand nous lui conseillons de résister à outrance, ou pour subir avec nous cette dernière et décisive épreuve. Paris y est résolu. Les départements s'organisent et vont venir à son secours. Le dernier mot n'est pas dit dans cette lutte, où maintenant la force se rue contre le droit. Il dépend de notre constance qu'il appartienne à la justice et à la liberté. Agréez, mes chers collègues, le fraternel hommage de mon inaltérable dévouement. Le Vice-Président du Gouvernement de la Défense nationale, Ministre des Affaires étrangères, Jules FAVRE. Paris, ce 21 septembre 1870. IV CIRCULAIRE adressée par m. jules favre , ministre des affaires étrangères , vice-président du gouvernement de la défense nationale, aux représentants diplomatiques de la france a l'étranger Monsieur, je ne sais quand cette dépêche vous parvien¬ dra. Depuis trente jours Paris est investi, et sa ferme réso- 1 Voici le document auquel répond la circulaire de M. Jules Favre. Il a été publié sur le texte allemand, traduit par le North German Correspondant : Ferrières, 27 septembre 1870. Le rapport adressé par M. Jules Favre à ses collègues, le 21 courant, relati- ment à l'entretien qu'il a eu avec moi, m'engage à faire à Votre Excellence une communication qui vous permettra de donner une idée exacte de la marche de ces entretiens. Il faut avouer qu'en général M. Jules Favre s'est efforcé de faire un récit exact de ce qui s'est passé entre nous. S'il n'y a pas toujours entièrement réussi, il faut l'attribuer à la longueur de notre conférence et aux circonstances particulières dans lesquelles elle a eu lieu. Je dois pourtant élever des objections à la tendance générale de son exposé, et insister sur ce fait que le sujet principal que nous avions à discuter n'était point celui de la conclusion d'un traité de paix, mais la conclusion d'un armistice qui devait précéder ce traité. Relativement aux demandes que nous devions faire avant de signer un traité de paix définitif, j'ai déclaré expressément à M. Jules Favre que je me refusais à entamer le sujet de la nouvelle frontière réclamée par nous jusqu'à ce que le prin¬ cipe d'une cession de territoire eût été ouvertement reconnu par la France ; comme conséquence de cette déclaration, la formation d'un nouveau département de la Moselle, contenant les circonscriptions de Sarrebourg, Château-Salins, Sarregue- mines, Metz et Thionville, fut mentionnée par moi comme un arrangement con¬ forme à nos intentions ; mais en même temps je n'ai nullement renoncé à notre — 3i — lution de résister jusqu'à ce qu'il ait obtenu la victoire peut prolonger quelque temps encore la situation violente qui le droit de faire de nouvelles stipulations, dans un traité de paix, proportionnées aux sacrifices qui nous seraient imposes par la prolongation de la guerre. Strasbourg, place désignée par M. Jules Favre comme « clef de la maison » , expression qui laissait toujours douter si la France était la maison en question, fut expressément déclarée par moi être « la clef de notre maison», que nous ne désirions pas laisser, par conséquent, entre des mains étrangères. Notre première conversation au château de la Haute-Maison, près Montry, ne dépassa pas les limites d'une discussion académique sur le présent et le passé, dont la substance s'est trouvée renfermée dans la déclaration de M. Jules Favre qu'il était prêt à nous céder « tout l'argent que nous avons », tandis qu'il se refusait à admettre l'idée d'une cession de territoire. Quand j'ai parlé d'une cession comme étant tout à fait indispensable, il a déclaré que les négociations de paix n'auraient aucune chance de succès, et a soutenu que céder une portion quelconque du ter¬ ritoire serait humiliant et déshonorant pour la France. Je n'ai pu le convaincre que des conditions que la France avait imposées à l'Italie et demandées à l'Allemagne sans avoir été en guerre avec l'un ou l'autre de ces pays (conditions que la France nous aurait imposées à nous si nous avions été vaincus, et qui ont été la conséquence inévitable de presque toutes les guerres, même dans les temps modernes) ne sauraient être honteuses pour un pays ayant succombé après une courageuse résistance, et j'ai ajouté que l'honneur de la France ne différait pas essentiellement de celui des autres nations. Je n'ai pu réussir non plus à persuader à M. Favre que la restitution de Strasbourg n'impli¬ querait pas davantage un déshonneur à la France que la cession de Landau et de Sarrelouis, et que les conquêtes violentes et injustes de Louis XIV n'étaient pas plus étroitement liées à l'honneur de la France que celles de la première répu¬ blique ou celles du premier empire. Notre conférence prit un tour plus pratique à Ferrières, où nous avons discuté exclusivement la question d'un armistice, fait qui réfute l'allégation d'après la¬ quelle j'aurais déclaré que je n'accepterais un armistice dans aucune circonstance. La manière dont M. Jules Favre me fait dire , relativement à cette question et à d'autres : « Il faudrait un armistice, et je n'en veux à aucun prix » , et autres choses analogues, me forcent à rectifier ces assertions, et à ajouter que, dans des conversations pareilles, je ne me suis jamais servi ét je ne me sers jamais d'une locution indiquant que moi je désire personnellement, exige ou approuve quoi que ce soit. Je parle toujours des intentions et des demandes du gouvernement dont je suis le représentant. Dans cette conversation , les deux parties ont convenu de considérer la néces¬ sité de donner à la nation française une occasion de choisir des représentants qui seuls seraient en position d'accorder au gouvernement actuel les pouvoirs suffi¬ sants pour lui permettre de conclure une paix sanctionnée par le droit internatio¬ nal comme motif d'un armistice. J'ai appelé l'attention sur le fait qu'un armistice était toujours un désavantage militaire pour une armée engagée dans une marche victorieuse; que, dans le cas actuel, c'est un gain des plus importants en fait de temps pour la défense de la France et la réorganisation de son armée, et que, par conséquent, nous ne pouvions accorder un armistice si on ne nous offrait pas des avantages militaires équivalents. A ce propos, j'ai mentionné la reddition des forteresses qui empêchaient nos communications avec l'Allemagne, car, une trêve devant prolonger la période pen¬ dant laquelle nous devions alimenter notre armée, des concessions pour faciliter 32 sépare du reste du monde. Néanmoins, je n'ai pas voulu re¬ tarder d'un jour la réponse que mérite le rapport rédigé par le transport des vivres devaient en être les conditions préliminaires. Strasbourg, Toul et d'autres places de moindre importance formèrent le sujet de cette discus¬ sion. En ce qui concerne Strasbourg, j'ai fait remarquer que, les glacis ayant été entamés, la prise de la ville ne pourrait tarder, et que nous pensions que la situa¬ tion militaire rendrait la reddition de la garnison nécessaire, tandis que l'on per¬ mettrait à ceux qui gardaient les autres places d'en sortir avec les honneurs de la guerre. Une autre question difficile se rapportait à Paris. Comme nous avions entière¬ ment cerné la ville, nous ne pouvions permettre l'entrée de nouveaux approvi¬ sionnements qu'à condition qu'ils n'affaibliraient pas notre position militaire et ne prolongeraient pas le temps nécessaire pour réduire la ville par la famine. Après avoir consulté les autorités militaires, j'ai offert par ordre de S. M. le roi les alternatives suivantes relativement à Paris : Ou la position de Paris doit nous être concédée par la reddition d'une partie dominante de la défense, et dans ce cas nous sommes prêts à permettre la libre communication avec Paris et à ne pas empêcher l'alimentation de la ville ; Ou on pourrait ne pas nous concéder la position devant Paris ; mais, dans ce cas, nous ne pourrions consentir à abandonner l'investissement, et nous devrions insister sur la continuation du statu quo militaire devant cette ville, puisque au¬ trement nous nous trouverions en face de Paris approvisionné de nouveau en ar¬ mes et en vivres. M. Favre a expressément rejeté la première alternative, relative à la reddition d'une partie des défenses de Paris, ainsi que la condition de garder comme pri¬ sonnière de guerre la garnison de Strasbourg. Il a promis de consulter ses collègues sur la seconde alternative, relative au maintien du statu quo militaire devant Paris. Le programme que M. Favre a rapporté avec lui à Paris comme le résultat de nos conversations, et qui y a été discuté, ne contient donc rien au sujet des ter¬ mes d'une paix future, mais seulement au sujet de l'accord d'un armistice de quinze jours ou de trois semaines pour préparer les voies à l'élection d'une as¬ semblée nationale dans les conditions suivantes : i° La continuation du statu quo dans ou devant Paris; 2° La continuation des hostilités à Metz et autour de Metz dans un certain rayon dont l'étendue sera déterminée ; 3° La reddition de Strasbourg, dont la garnison deviendrait prisonnière de guerre, et celles de Toul et de Bitche, dont on permettrait aux garnisons de sortir avec les honneurs de la guerre. Je crois que notre conviction que nous avons fait des offres très-conciliantes sera partagée par tous les cabinets neutres. Si le gouvernement français s'est décidé à ne pas profiter de l'occasion présen¬ tée de procéder à l'élection d'une assemblée nationale, même dans les parties de la France occupées par nous, cela démontre sa résolution de ne pas se débarras¬ ser des difficultés qui empêchent la conclusion d'une paix conforme au droit in¬ ternational, et à ne pas écouter l'opinion publique du peuple français. Des élec¬ tions libres et générales tendraient à des résultats favorables à la paix : telle est la conviction qui s'impose à nous, et qui n'a pu échapper à l'attention de ceux qui exercent le pouvoir à Paris. Je prends la liberté de prier Votre Excellence de porter la présente circulaire à la connaissance du gouvernement auprès duquel elle est accréditée. De Bismarck. — 33 — M. le comte de Bismarck sur l'entrevue de Ferrières; je con¬ state d'abord qu'il confirme en tous points mon récit, sauf en ce qui concerne un échange d'idées sur les conditions de la paix, qui, suivant M. de Bismarck, n'auraient pas été débattues entre nous. J'ai reconnu que sur ce sujet le chancelier'de la Confédé¬ ration du Nord m'avait opposé dès les premiers mots une sorte de fin de non-recevoir tirée de ma déclaration absolue : « que je ne consentirais à aucune cession de territoire » ; mais mon interlocuteur ne peut avoir oublié que, sur mon insistance, il s'expliqua catégoriquement, et mentionna, pour le cas où le principe de la cession territoriale serait ad¬ mis, les conditions que j'ai énumérées dans mon rapport : l'abandon par la France de Strasbourg avec l'Alsace entière, de Metz et d'une partie de la Lorraine. Le chancelier fait observer que ces conditions peuvent être aggravées par la continuation de la guerre. Il me l'a, en effet, déclaré, et je le remercie de vouloir bien le mentionner lui-même. Il est bon que la France sache jusqu'où va l'am^- bition de la Prusse; elle ne s'arrête pas à la conquête de deux de nos provinces, elle poursuit froidement l'œuvre systématique de notre anéantissement. Après avoir solennel¬ lement annoncé au monde par la bouche de son roi qu'elle n'en voulait qu'à Napoléon et à ses soldats, elle s'acharne à détruire le peuple français. Elle ravage son sol, incendie ses villages, accable ses habitants de réquisitions, les fusille quand ils ne peuvent satisfaire à ses exigences, et met toutes les ressources de la science au service d'une guerre d'exter¬ mination. La France n'a donc pas d'illusion à conserver. Il s'agit 3 - 34 - pour elle d'être ou de n'être pas. En lui proposant la paix au prix de trois départements qui lui sont unis par une étroite affection, on lui offrait le déshonneur. Elle l'a repoussé. On prétend la punir par la mort. Voilà la situation bien nette. Vainement lui dit-on : Il n'y a pas de honte à être vaincu, encore moins à subir les sacrifices imposés par la défaite. Vainement ajoute-t-on encore que la Prusse peut reprendre les conquêtes violentes et injustes de Louis XIV. De telles objections sont sans portée, et l'on peut s'étonner d'avoir à y répondre. La France ne cherche pas une impuissante consolation dans l'explication trop facile des causes qui ont entraîné son échec. Elle accepte ses malheurs, et ne les discute pas avec son ennemi. Le jour où il lui a été donné de reprendre la direction de ses destinées, elle a loyalement offert une répa¬ ration. Seulement, cette réparation ne pouvait être une ces¬ sion de territoire. Pourquoi? parce que c'était un amoindris¬ sement? Non; parce que c'était une violation de la justice et du droit, dont le chancelier de la Confédération du Nord ne semble tenir aucun compte. Il nous renvoie aux conquêtes de Louis XIV. Veut-il revenir au statu quo qui les a immédiatement précédées? Veut-il réduire son maître à la couronne ducale placée sous la suzeraineté des rois de Pologne? Si, dans la tranformation que l'Europe a subie, la Prusse est devenue d'un État insignifiant une puissante monarchie, n'est-ce pas à la conquête qu'elle le doit? Mais avec les deux siècles qui ont favorisé cette vaste recomposition s'est opéré un changement plus profond et d'un ordre plus élevé que — 35 — celui qui déterminait jusqu'ici les morcellements de territoire. Le droit humain est sorti des régions abstraites de la philo¬ sophie. Il tend de plus en plus à prendre possession du monde, et c'est lui que la Prusse foule aux pieds quand elle essaye de nous arracher deux provinces en reconnaissant que les populations repoussent énergiquement sa domination. A cet égard, rien ne précise mieux sa doctrine que ce mot rappelé par le chancelier de la Confédération du Nord : « Strasbourg est la clef de notre maison ». C'est donc comme propriétaire que la Prusse stipule, et cette propriété, elle l'ap¬ plique à ces créatures humaines dont elle supprime par ce fait la liberté morale et la dignité individuelle. Or, c'est pré¬ cisément le respect de cette liberté, de cette dignité, qui in¬ terdit à la France de consentir à l'abandon qu'on lui de¬ mande. Elle peut subir l'abus de la force, elle n'y ajoutera pas l'abaissement de sa volonté. J'ai eu le tort de ne pas faire sur ce point suffisamment comprendre ma pensée quand j'ai dit, ce que je maintiens, que nous ne pouvons sans déshonneur céder l'Alsace et la Lorraine. J'ai caractérisé par là non l'acte imposé au vaincu, mais la faiblesse d'un complice qui donnerait la main à l'op¬ presseur et consommerait une iniquité pour se racheter lui- même. M. le comte de Bismarck ne trouvera pas un Français digne de ce nom qui pense et agisse autrement que moi. Et c'est aussi pourquoi je ne puis reconnaître qu'une pro¬ position d'armistice sérieusement acceptable nous ait été faite. Je désirais avec ardeur qu'un moyen honorable nous fût offert de suspendre les hostilités et de convoquer une as¬ semblée. Mais, j'en appelle à tous les hommes impartiaux, le Gouvernement pouvait-il accéder au compromis qui lui était — 36 — proposé? L'armistice n'eût été qu'une dérision s'il n'avait rendu possibles de libres élections. Or, on ne lui donnait qu'une durée effective de quarante-huit heures. Pendant le surplus de la période de quinze jours ou trois semaines, la Prusse se réservait la continuation des hostilités, en sorte que l'assemblée eût délibéré sur la paix et la guerre pendant la bataille qui aurait décidé du sort de Paris. De plus, l'ar¬ mistice ne s'étendait pas à Metz. Il excluait le ravitaillement et nous condamnait à consommer nos vivres pendant que l'armée assiégeante aurait largement vécu par le pillage de nos provinces. Enfin, l'Alsace et la Lorraine n'auraient pas nommé de députés, par la raison vraiment inouïe qu'il s'a¬ gissait de prononcer sur leur sort : la Prusse, ne leur recon¬ naissant pas ce droit, nous demandait de tenir la poignée du sabre avec lequel elle le tranche. Voilà les conditions que le chancelier de la Confédéra¬ tion du Nord ne craint pas d'appeler « très-conciliantes », en nous accusant « de ne pas saisir l'occasion de convoquer une Assemblée nationale, témoignant ainsi notre résolution de ne pas nous débarrasser des difficultés qui empêchent la conclusion d'une paix conforme au droit national, et de ne pas écouter l'opinion publique du peuple français. » Eh bien ! nous acceptons devant notre pays comme devant l'histoire la responsabilité de notre refus. Ne pas l'opposer aux exigences de la Prusse eût été à nos yeux une trahison. J'ignore quelle destinée la fortune nous réserve. Mais, ce que je sens profondément, c'est que , ayant à choisir entre la situation actuelle de la France et celle de la Prusse, c'est la première que j'ambitionnerais. J'aime mieux nos souf¬ frances, nos périls, nos sacrifices, que l'inflexible et cruelle — 3y — ambition de notre ennemi. J'ai la ferme confiance que la France sera victorieuse. Fût-elle vaincue, elle resterait encore si grande dans son malheur, qu'elle demeurerait un objet d'admiration et de sympathie pour le monde entier. Là est sa force véritable, là sera peut-être sa vengeance. Les cabinets européens, qui se sont bornés à de stériles témoignages de cordialité, le reconnaîtront un jour; mais il sera trop tard. Au lieu d'inaugurer la doctrine de haute mé¬ diation, conseillée par la justice et l'intérêt, ils autorisent, par leur inertie, la continuation d'une lutte barbare qui est un désastre pour tous, un outrage à la civilisation. Cette san¬ glante leçon ne sera pas perdue pour les peuples. Et qui sait? L'histoire nous enseigne que les régénérations humaines sont, par une loi mystérieuse, étroitement liées à d'ineffables malheurs. La France avait peut-être besoin d'une épreuve suprême ; elle en sortira transfigurée, et son génie brillera d'un éclat d'autant plus vif qu'il l'aura soutenue et préservée de défaillances en face d'un puissant et implacable ennemi. Lorsque vous pourrez, monsieur, vous inspirer de ces réflexions dans vos rapports avec le représentant du gouver¬ nement près duquel vous êtes accrédité, la fortune aura pro¬ noncé son arrêt. En voyant cette grande population de Paris assiégée depuis un mois si résolue, si calme, si unie, j'attends avec un cœur ferme et confiant l'heure de sa déli¬ vrance. Recevez, etc. Jules Favre. V Le dimanche 3o octobre, à deux heures, les maires des départements de la Seine, de Seine-et-Oise, de Seine-et-Marne et de l'Oise, pré¬ sents à Paris, se réunirent à l'Hôtel-de-Ville. Ils avaient tous répondu avec empressement à la convocation qui leur avait été adressée, et l'on ne comptait pas moins de 3oo repré¬ sentants municipaux des communes de la banlieue dans la salle Saint- Jean, préparée pour les recevoir. A deux heures et quart, M. Jules Favre, Ministre de l'intérieur par intérim, assisté de M. Jules Ferry, membre du Gouvernement de la défense nationale, chargé de l'administration du département de la Seine, et de M. Etienne Arago, maire de Paris, arriva salué par des bravos unanimes. Peu d'instants après, les délégués des maires des divers dépar¬ tements prenaient à leur tour place à l'estrade, où se trouvaient déjà MM. Emile Durier, secrétaire du gouvernement, Antonin Proust, délégué du ministère de l'intérieur auprès des départements réfugiés, et Jules Mahias, secrétaire-général de la mairie de Paris. — 3g — Après un discours de M. Étienne Arago, discours fréquemment applaudi (i), M. Jules Favre se leva et s'exprima en ces termes : Messieurs les Maires, La séance pourrait s'ouvrir naturellement après les géné¬ reuses paroles que vous venez d'entendre : elle doit être con¬ sacrée à l'examen de notre situation et aux rapports faits sur les travaux qui doivent la déterminer; mais vous me permet¬ trez de vous dire en quelques mots quel est le sentiment qui doit présider à cette réunion. Il a été très-clairement exprimé par M. le Maire de Paris. Ce sentiment, c'est celui de la so¬ lidarité dans la défense. Nous sommes unis par une même douleur patriotique, et j'ai le droit d'ajouter par les mêmes légitimes espérances. (Applaudissements.) (i) Voici le discours prononcé par M. Ét. Arago : Messieurs les Maires, Je voulais laisser d'abord la parole à l'illustre orateur dont le nom signifie éloquence patriotique; mais il veut que le maire de Paris vous parle avant lui, et je cède à son désir. Elle est belle la langue que nous parlons ; elle est empreinte plus qu'aucune autre d'un sentiment de fraternité que je remarque aujourd'hui, quand je vous appelle à l'Hôtel-de-Ville. En effet, la langue française confond dans la même qualification celui qui reçoit l'hospitalité et celui qui la donne. Vous qui êtes venus avec confiance, vous êtes mes hôtes; et je suis votre hôte, moi qui vous accueille avec bonheur. Messieurs les maires des communes suburbaines et des "départements circon- voisins, soyez les bienvenus. Vos villes étaient la parure gracieuse et luxuriante de la capitale ; elles en for¬ ment aujourd'hui la glorieuse ceinture. Ces champs dévastés, ces maisons écroulées, ces murs brûlés et troués par les bombes, sont autant de cicatrices faites aux flancs de la patrie. Proscrits de vos foyers par le barbare, c'est dans la ville proclamée le centre de la civilisation que vous êtes accourus. Vous y êtes moins encore pour y trouver un abri que pour la défendre. Vous êtes venus unir vos poitrines aux poitrines des Parisiens pour protéger la grande cité, le coeur de la France. Merci ! Poussons donc ensemble ce cri à la fois de guerre et de paix : Mort aux Prus¬ siens ! Vive la République ! — 40 — Quant à nos douleurs, qui pourrait les peindre? Il n'est pas de mot dans la langue humaine qui puisse être assez élo¬ quent. Aussi, dans l'impuissance où je suis, j'aime bien mieux vous dire que ce qui fait à la fois la grandeur et la ressource de notre douleur patriotique, c'est que nous la supportons sans l'avoir méritée. (Applaudissements.) Nous sommes les victimes innocentes, mais viriles, de fautes que nous n'avons pas commises. J'en appelle non-seulement à ceux qui m'en¬ tendent, mais à tous ceux qui, au dehors, se sont plu à nous calomnier. Est-ce que nous avons voulu la guerre? Est-ce que c'est nous qui avons déchaîné sur notre pays tant de fu¬ nestes calamités? Non, certes; l'histoire impartiale ne fera pas à la France cette injure imméritée! Non, depuis que la Révolution a fait luire sur elle les clartés souveraines de la raison, la France, par ses philoso¬ phes, par ses écrivains, par ses artistes, par ses hommes d'État, a proclamé une loi nouvelle, dont nous apercevons l'aurore bienfaisante, mais cachée encore par un nuage de sang qui obscurcit nos regards : c'est la loi de la fraternité !... (Applaudissements) de la fraternité qui ne s'enferme pas seu¬ lement dans le rayon étroit du pays, mais qui s'étend aux fa¬ milles européennes, qui doit les grouper toutes dans un fais¬ ceau puissant, pour en faire disparaître les dominateurs et les tyyans, et ne laisser de place qu'à la volonté des peuples, qui se cherchent pour commercer, et non pour s'entre-détruire. (Applaudissements.) Voilà ce que la France a pensé, ce qu'elle a voulu, tant qu'elle a été maîtresse d'elle-même. Je ne veux pas, vous en comprenez les raisons, reporter mes souvenirs vers une épo¬ que lugubre où tous ses droits lui ont été brusquement enle- — 4' ~ vés. Il y eut, à ce moment fatal pour le pays, bien des er¬ reurs, bien des malentendus, que nous devons déplorer sans récrimination ; mais, j'en atteste les souvenirs qui sont pré¬ sents à la mémoire de tous, ce que nous avons voulu, à cette époque, c'était l'affermissement et le maintien de la paix. Ce mot fameux qui ne pouvait être qu'un mensonge, puisqu'il était prononcé par celui qui n'a jamais respecté la vérité (.Applaudissements) ce mot : « L'empire c'est la paix! » n'a été acclamé dans le pays que parce qu'il traduisait exactement le sentiment national. La paix sans faiblesse, sans concession, sans l'abandon de ceux qui peuvent légitimement réclamer notre secours, mais la paix sans conquêtes au dehors, et surtout sans agitations stériles qui ne peuvent avoir pour but que de satisfaire de criminelles ambitions : voilà ce que voulait le pays, et, per¬ mettez-moi de le dire, il l'a suffisamment prouvé par sa con¬ duite, son attitude, ses tendances et ses préférences non dissi¬ mulées. Je ne puis prendre de meilleur exemple que la pro¬ spérité inouïe qui a marqué les progrès de cette capitale et ceux de la banlieue. A une époque déjà éloignée de nous, on avait aussi en vue ces fortifications qui semblaient une sorte de défi à l'Europe; mais, dans la pensée commune, elles ne devaient jamais ser¬ vir à nous protéger. En effet, si nous avions été sages et li¬ bres, jamais il ne se serait rencontré dans le monde une ar¬ mée qui eût osé se risquer à notre patriotisme. Eh bien! oui, Paris s'est épanoui dans le sentiment de sa force et dans son espérance pacifique; autour de lui, comme on vous le disait très-bien, ses fraîches et riantes campagnes n'ont jamais in¬ terrogé d'un regard l'avenir ; ses enfants, grandissant sur ce — 4» — sol, avaient toute confiance dans ceux qui gouvernaient le pays, et ils ne pouvaient croire qu'on pousserait jamais la folie et l'oubli du devoir jusqu'à le livrer à des avalanches telles que celles que nous voyons se déchaîner sur nous. C'est ainsi que ces fortifications dont je parlais, à l'utilité desquelles personne ne pouvait croire, qui étaient détestées au fond du cœur comme une gène imposée aux travaux de tous, ces fortifications ont été traitées avec une sorte de sub¬ lime dédain. Ne croyant pas qu'elles pourraient servir un jour à nous protéger, nous nous sommes mis les uns et les autres à les tenir en oubli ; nous les avons entourées d'une ceinture de bâtiments pacifiques, d'usines, de charmantes villas. La population tout entière protestait ainsi de son sen¬ timent et de son respect pour la paix. C'est bien là ce que nous savons tous, et nous pouvons dire que, si la paix a été troublée, nous n'y sommes pour rien. Il y a deux choses qu'il importe sans cesse de rappeler, non pas pour fortifier nos courages, nous n'en avons pas besoin, mais pour nous faire apercevoir la route dans laquelle nous nous engagerons, je l'espère, avec sécurité. La guerre n'est pas l'œuvre de la France, quoiqu'on l'ait dit : elle est l'œuvre de ceux qui ont trompé la France pour ressaisir un pouvoir qui leur échappait. Si je jette les yeux du côté de ceux qui nous la font avec une si inexorable barbarie, je leur réponds, et je leur ré¬ ponds bien haut, qu'ils trompent le monde quand ils affir¬ ment que, dans les secrets desseins de leurs hommes d'Etat, ils n'ont pas préparé notre perte. Ah! certes, s'ils avaient eu devant eux un peuple vraiment libre, ils auraient été dans la nécessité de le respecter et surtout de l'imiter, et alors leurs - 43 - desseins se seraient écroulés devant ce grand exemple d'un peuple libre et pacifique, qui ne veut pas attaquer ses voisins, mais qui est assez puissant pour les anéantir sur sa frontière, s'ils tentent de la franchir. Nous avons été les victimes des crimes et des folies de ceux qui gouvernaient la France et de ceux qui dirigent la Prusse. Pris à l'improviste, alors que nous croyions être armés, et qu'en réalité nous manquions de tout ce qui était nécessaire pour repousser une formidable agression, nous avons vu, chose sans exemple dans l'histoire, s'évanouir en quelques jours comme un brouillard toutes nos ressources militaires. Ce qui nous semblait être des armées restait anéanti, brisé. C'est à quelques chefs de notre armée, que nous n'avons pas besoin de nommer, que revient ce déshonneur sans nom ; et, soyez-en sûrs, elle ressent avec toute la vivacité d'un cœur patriotique la douleur de voir, malgré ses efforts, ses rangs éclaircis, et 123,000 des siens rejetés du côté de la frontière comme prisonniers de guerre. Qu'est-il arrivé de nous, de vous, messieurs les maires? Nous voyons, comme un redoutable ouragan, s'avancer les armées ennemies, et, quand elles ont fait tomber devant elles les rangs de nos braves soldats, elles s'avancent sur les villes sans défense ; elles accablent les villages de réquisitions ; elles mettent à mort les magistrats municipaux et les pasteurs qui ne peuvent satisfaire leurs criminelles exigences ; elles mar¬ quent leur passage par la violence, le meurtre, la rapine. L'ennemi venait ainsi sous nos murs, faisant le vide, dé¬ valisant vos maisons, vous condamnant à vous retirer devant. lui, puisque, grâce à la criminelle défiance du pouvoir, vos — 44 — mains étaient dépourvues des armes que vous auriez dirigées contre lui. Voilà les malheurs immenses qui nous accablent tous ! Devant ces malheurs nous n'avons pas faibli ; nous sommes restés debout, et nous avons compris que nous pou¬ vions nous relever, non-seulement en face de l'histoire, mais en face de ceux qui nous envahissaient, en faisant unique¬ ment appel à la vertu civique, à ce qui restait au milieu de nous de vertu et de dévouement. (Applaudissements.) Vous avez délaissé vos champs ravagés, vos foyers aban¬ donnés, vos maisons détruites; je puis vous en parler, car je les ai vus, et je n'ai pu retenir mes larmes à un spectacle aussi navrant (Vive sensation); j'ai traversé ces lieux, naguère flo¬ rissants, aujourd'hui déserts. J'ai vu la chaumière du pauvre qui n'était pas plus respectée que la demeure du riche, et, en entrant dans ces maisons devenues ainsi la proie de l'en¬ nemi , j'ai saisi les dernières traces de l'absent qui avait fui devant les violences auxquelles il ne pouvait rien opposer. Mais, en venant au milieu de nous, il nous a apporté son courage, sa résignation, la détermination de vaincre ou de périr {Vive approbation) : car c'est là notre mot d'ordre , et vous l'avez fortifié par votre présence. Vous êtes venus, nous vous avons accueillis avec joie. Vous avez compris qu'en franchissant l'enceinte de la ville de Paris vous étiez notre honneur et notre consolation. Cette grande cité, le rendez-vous de toutes les forces sociales, n'a de vigueur qu'autant qu'elle étend ses artères au dehors pour y puiser, avec la substance qui la nourrit , la force mo¬ rale qui, sans cesse, sert à la revivifier. Dans un commun malheur, une hospitalité commune vous était due ; vous êtes aujourd'hui nos frères du dedans comme vous étiez hier nos _ 45 - frères du dehors. (Applaudissements.) Cependant votre pré¬ sence à Paris soulevait un grand problème que le despotisme aurait considéré comme insoluble, ou dont il se serait servi comme d'un instrument de corruption et de dissolution. Deviez-vous être confondus dans la population qui vous tend les bras ? Il a paru meilleur de vous garder au milieu de nous et de conserver à chacun de vous son individualité municipale ; c'est ainsi que les uns et les autres nous avons compris cette hospitalité. Des délégués sortis de votre sein ont représenté dans cet exil cruel la patrie absente. Nous avons aujourd'hui l'honneur de les réunir ici. Ils vous feront entendre les rapports de leurs travaux : celui de l'assistance, celui de la garde nationale, celui des écoles, celui du travail administratif. Les rapports des chefs militaires sont là pour apprendre que les soldats civiques de la banlieue ont été les premiers au feu, les plus intrépides éclaireurs aussi, car ils connais¬ sent les chemins par lesquels passent les ennemis qui foulent notre sol. En les accueillant, ces soutiens de la France et de la République, on a fait un acte de bon sens, je dirai même d'égoïsme militaire. Car leur patriotique concours a été pour nous une force de plus. Quant aux écoles, est-il rien de plus digne de sollicitude que ces jeunes enfants arrachés au f®yer paternel, privés de leurs camarades ordinaires, livrés à toutes les chances de la grande ville? Si on les avait confondus dans cette grande foule, peut- être les aurait-on compromis ; mais non, vous les avez con¬ servés sous votre aile , et, avec une tendresse toute mater¬ nelle , vous les avez pour ainsi dire couvés, n'en laissant _ 46 — échapper aucun du cercle de vos regards, afin qu'aucun n'eût à souffrir. Grâce au patriotisme intelligent de M. le Mi¬ nistre de l'instruction publique , vos écoles sont rouvertes , et, dans ces souffrances de l'exil, au sein de cette ville assiégée, nous voyons s'exercer les vertus les plus mo¬ destes et les plus utiles. Les instituteurs et les institutrices continuent leurs leçons, et l'enfant désolé, redevenu joyeux comme tous ceux qui accomplissent leur devoir, se laissera tout doucement consoler, pour mieux consoler ensuite ses parents. Enfin, et cela n'a pas été certainement la partie la moins ardue de votre tâche, vous vous êtes efforcés de ne laisser au¬ cune misère qui ne fût soulagée. Il a fallu pour cela, il faut encore et il faudra toujours, avant d'avoir raison de l'ennemi, des prodiges d'intelligence et d'abnégation. Rien n'est au- dessus de ce que peut faire un peuple livré à lui-même, quand il a le sentiment de sa propre grandeur. Ce qu'ont fait MM. les maires de Paris est au-dessus de tout éloge, et, si je vous disais que vous les dépassez, j'éta¬ blirais peut-être entre vous une émulation qui ne serait pas opportune. Mais ce que je dois dire, et je ne saurais les mieux louer, c'est que les uns et les autres sont dignes du mutuel exemple qu'ils se donnent. (Applaudissements.) Vous vous êtes évertués à combattre, à consoler, à forti¬ fier; vous avez conservé pour cela votre indépendance ad¬ ministrative et municipale, et vous avez donné ainsi une fois de plus l'exemple de cette grande vérité, que c'est dans la vie civique que l'homme se fortifie pour accomplir le plus difficile devoir. Maires de la banlieue, vous êtes restés avant tout des ci- — 47 — toyens français, et, quand je dis des citoyens français, je veux dire des soldats. Il ne peut y avoir, en effet, aujourd'hui de distinction entre ces deux titres. Quels que soient les mal¬ heurs qui accablent la patrie, la patrie est représentée par vous; quant à la province, nous la devinons. La France tout entière ne peut ni ne veut fléchir; elle résistera : elle peut être brisée, mais elle ne se laissera pas humilier. (Ap¬ plaudissements répétés et vive sensation.) Nous n'avons pas voulu suivre les leçons de froids et égoïstes docteurs qui nous disaient : « Vous êtes vaincus, sachez être vaincus; c'est de votre part un détestable orgueil que de conserver des prétentions quand la fortune les re¬ pousse. » Tel n'est point le mobile de nos inspirations. Nous ne le cherchons pas dans le sentiment d'un vain or¬ gueil national. Non! non! ne nous faisons aucune illusion, ne ressemblons pas à ces fanfarons qui, à l'avance, se décla¬ raient invincibles et disaient les ennemis incapables de résis¬ ter à leurs efforts ; non, nous serions insensés si nous agis¬ sions ainsi, et nous proclamerions que les leçons de l'expé¬ rience sont pour nous sans efficacité. Nous comprenons le péril, nous en mesurons l'étendue, et nous sentons en même temps quelle est la grandeur morale de nos devoirs. Nous ferons notre devoir sans arrière-pensée. Et quand on dit qu'il serait plus commode d'abandonner deux pro¬ vinces, quand on nous dit que, grâce aux alliances qu'un plus sage gouvernement nous donnerait dans un espace très- court, nous les arracherions à l'ennemi, repoussons un pacte semblable. (Applaudissements.) C'est un sentiment plus élevé que notre intérêt qui nous dirige. Nous comprenons qu'il nous est impossible de transiger avec le devoir, qui - 48 - nous ordonne de défendre ceux qui se sont sacrifiés pour nous. (Applaudissements unanimes.) Les aigles prussiennes ont beau couvrir les remparts de Strasbourg, de Toul, et de ces ces autres vaillantes cités qui ont succombé après avoir laissé réduire en cendres leurs mo¬ numents et leurs maisons, ces remparts, comme les coeurs de ceux qui les ont défendus, n'ont pas cessé d'être français, et nous devons tous mourir avant de les abandonner à l'étran¬ ger. (Applaudissements unanimes.) Messieurs les maires, dans les épreuves cruelles imposées aux nations comme aux individus, ce qui est difficile sou¬ vent n'est pas de faire son devoir, c'est de le connaître. Grâce à ^Dieu, nous n'avons point à éprouver d'hésitation de ce genre; le devoir est impérieux, et il est simple : c'est de défendre le pays, d'aller aux remparts; et comme l'en¬ nemi semble les regarder avec respect, sans oser les appro¬ cher, le devoir maintenant, c'est de franchir les remparts, c'est d'aller à l'ennemi, et de le percer pour tendre la main à nos frères de province. (Triple salve d'applaudissements.) Sans violer aucun secret, sans parler ici ni de stratégie ni de plan militaire, je dois vous dire que les chefs dont vous avez raison d'être fiers, car à la science du soldat ils joignent un sentiment profond de civisme patriotique, ces chefs ont compris cette grande résolution. Ce qu'ils vous deman¬ dent, c'est la confiance, c'est la discipline sérieuse, c'est l'o¬ béissance, c'est la patience, mais la patience à court terme. (Vive sensation. —Applaudissements prolongés.) Nous verrons bientôt l'aurore du jour où tous nous nous précipiterons au devant de l'ennemi ; dans l'accomplissement de ce devoir, je le dis encore une fois, il ne s'agit pas d'être — 49 — victorieux, ma conscience me dit que nous le serons, il s'a¬ git de vouloir l'être, de sacrifier toutes nos existences pour toucher ce noble but, et c'est ce que vous voulez. (Oui, oui, nous le voulons ! — Vive approbation.) Or, permettez-moi de le dire, rien ne paraît meilleur, pour fortifier nos âmes, que le spectacle que vous donnez par ce gouvernement de vous-mêmes dans la grande cité qui vous a accueillis. Quant à moi, je terminerai par ce cri qui nous est cher : Vive la France! Vive la République ! Cette improvisation a profondément ému l'assemblée. Au moment où l'orateur a affirmé l'inébranlable résolution du Gouvernement prêt à tous les efforts pour lutter à outrance contre l'envahisseur, l'au¬ ditoire entier s'est levé dans un même élan d'enthousiasme. ( Journal officiel. ) VI Après le vote du 3 novembre, qui, à Paris, donna au Gouvernement de la défense nationale 557,996 oui contre 62,638 non, M. Jules Favre adressa aux habitants la proclamation suivante : Mes chers Concitoyens, Je vous remercie, au nom de notre amour commun de la patrie, du calme avec lequel vous avez procédé au vote que le Gouvernement vous demandait. Ce calme est l'œuvre de votre patriotisme et de votre bon sens. Il prouve que vous comprenez toute la valeur du suffrage universel, et que vous êtes dignes de le pratiquer dans toute sa liberté. Ce suffrage substitue la raison à la violence, et, montrant où est le droit, il enseigne le devoir. Il réduit au silence ceux qui, en méconnaissant son auto¬ rité, deviendraient des ennemis publics. — 5i — Que ce jour solennel marque donc la fin des divisions qui ont désolé la cité. N'ayons tous qu'un cœur et qu'une pensée : la délivrance de la patrie. Cette délivrance n'est possible que par l'obéissance aux chefs militaires et par le respect des lois ; chargé du soin de maintenir leur exécution, je fais appel à votre intelligent concours, et je vous promets en échange tout mon dévoue¬ ment, toute ma fermeté. Vive la République! vive la France! Jules FAVRE. Jeudi, 3 novembre 1870. VII CIRCULAIRE ADRESSÉE AUX AGENTS DIPLOMATIQUES DU GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE. Monsieur, La Prusse vient de rejeter l'armistice proposé par les quatre grandes puissances neutres, l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie, ayant pour objet la convocation d'une assemblée nationale. Elle a ainsi prouvé, une fois de plus, qu'elle continuait la guerre dans un but étroitement per¬ sonnel, sans se préoccuper du véritable intérêt de ses sujets, et surtout de celui des Allemands qu'elle entraîne à sa suite. Elle prétend, il est vrai, y être contrainte par notre refus de lui céder deux de nos provinces. Mais ces provinces, que nous ne voulons ni ne pouvons lui abandonner, et dont les habitants la repoussent énergique- ment, elle les occupe, et ce n'est pas pour les conquérir qu'elle ravage nos campagnes, chasse devant ses armées nos — 53 — familles ruinées, et tient, depuis près de cinquante jours, Paris enfermé sous le feu des batteries derrière lesquelles elle se retranche. Non : elle veut nous détruire pour satis¬ faire l'ambition des hommes qui la gouvernent. Le sacrifice de la nation française est utile à la conservation de leur puis¬ sance. Ils le consomment froidement, s'étonnant que nous ne soyons pas leurs complices en nous abandonnant aux dé¬ faillances que leur diplomatie nous conseille. Engagée dans cette voie, la Prusse ferme l'oreille à l'opi¬ nion du monde. Sachant qu'elle froisse tous les sentiments justes, qu'elle alarme tous les intérêts conservateurs, elle se fait un système de l'isolement, et se dérobe ainsi à la con¬ damnation que l'Europe, si elle était admise à discuter sa conduite, ne manquerait pas de lui infliger. Cependant, malgré ses refus, quatre grandes puissances neutres sont in¬ tervenues et lui ont proposé une suspension d'armes dans le but défini de permettre à la France de se consulter elle-même en réunissant une assemblée. Quoi de plus rationnel, déplus équitable, de plus nécessaire? C'est sous l'effort de la Prusse que le gouvernement impérial s'est abîmé. Le lendemain, les hommes que la nécessité a investis du pouvoir lui ont proposé la paix, et, pour en régler les conditions, réclamé une tiève indispensable à la constitution d'une représentation na¬ tionale. La Prusse a repoussé l'idée d'une trêve en la subordon¬ nant à des exigences inacceptables, et ses armées ont entouré Paris. On leur en avait dit la soumission facile. Le siège dure depuis cinquante jours, la population ne faiblit pas. La sé¬ dition promise s'est fait attendre longtemps, elle est venue à une heure propice au négociateur prussien, qui l'a annoncée - 54 - au nôtre comme un auxiliaire prévu; mais, en éclatant, elle a permis au peuple de Paris de légitimer par un vote impo¬ sant le Gouvernement de la défense nationale, qui acquiert par là aux yeux de l'Europe la consécration du droit. Il lui appartenait donc de conférer sur la proposition d'ar¬ mistice des quatre puissances; il pouvait, sans témérité, en espérer le succès. Désireux avant tout de s'effacer devant les mandataires du pays et d'arriver par eux à une paix hono¬ rable, il a accepté la négociation et l'a engagée dans les ter¬ mes ordinaires du droit des gens. L'armistice devait comporter : L'élection des députés sur tout le territoire de la Répu¬ blique, même celui envahi; Une durée de vingt-cinq jours; Le ravitaillement proportionnel à cette durée. La Prusse n'a pas contesté les deux premières conditions. Cependant elle a fait, à propos du vote de l'Alsace et de la Lorraine, quelques réserves que nous mentionnons sans les examiner davantage, parce que son refus absolu d'admettre le ravitaillement a rendu toute discussion inutile. En effet, le ravitaillement est la conséquence forcée d'une suspension d'armes s'appliquant à une ville investie. Les vi¬ vres y sont un élément de défense. Les lui enlever sans com¬ pensation, c'est lui créer une inégalité contraire à la justice. La Prusse oserait-elle nous demander d'abattre chaque jour, par son canon, un pan de nos murailles sans nous permettre de lui résister? Elle nous mettrait dans une situation plus mauvaise encore en nous obligeant à consommer un mois sans nous battre, alors que, vivant sur notre sol, elle atten¬ drait, pour reprendre la guerre, que nous fussions harcelés — 55 — par la famine. L'armistice sans ravitaillement, ce serait la ca¬ pitulation à terme fixe, sans honneur et sans espoir. En refusant le ravitaillement, la Prusse refuse donc l'ar¬ mistice. Et cette fois ce n'est pas l'armée seulement, c'est la nation française qu'elle prétend anéantir en réduisant Paris aux horreurs de la faim. Il s'agit, en effet, de savoir si la France pourra réunir ses députés pour délibérer sur la paix. L'Europe demande cette réunion. La Prusse la repousse en la soumettant à une condition inique et contraire au droit commun. Et cependant, s'il faut en croire un document pu¬ blié sans être démenti, et qui émanerait de sa chancellerie, elle ose accuser le Gouvernement de la défense nationale de livrer Paris à une famine certaine ! Elle se plaint d'être forcée par lui de nous investir et de nous affamer! L'Europe jugera ce que valent de telles imputations. Elles sont le dernier trait de cette politique qui débute par engager la parole du souverain en faveur de la nation française et se termine par le rejet systématique de toutes les combinaisons pouvant permettre à la France d'exprimer sa volonté! Nous ignorons ce qu'en penseront les quatre grandes puissances neutres, dont les propositions sont écartées avec tant de hauteur : peut-être devineront-elles enfin ce que leur réser¬ verait la Prusse, devenue, par la victoire, maîtresse d'accom¬ plir tous ses desseins. Quant à nous, nous obéissons à un devoir impérieux et simple en persistant à maintenir leur proposition d'armistice comme le seul moyen de faire résoudre par une assemblée les questions redoutables que les crimes du gouvernement impérial ont permis à l'ennemi de nous poser. La Prusse, qui sent l'odieux de son refus, le dissimule sous un déguise- - 56 — ment qui ne peut tromper personne. Elle nous demande un mois de nos vivres : c'est nous demander nos armes. Nous les tenons d'une main résolue, et nous ne les déposerons pas sans combattre. Nous avons fait tout ce que peuvent des hommes d'honneur pour arrêter la lutte. On nous ferme l'is¬ sue : nous n'avons plus à prendre conseil que de notre cou¬ rage , en renvoyant la responsabilité du sang versé à ceux qui, systématiquement, repoussent toute transaction. C'est à leur ambition personnelle que peuvent être im¬ molés encore des milliers d'hommes ; et quand l'Europe émue veut arrêter les combattants sur la frontière de ce champ de carnage pour y appeler les représentants de la nation et essayer la paix, oui, disent-ils, mais à la condition que cette population qui souffre, ces femmes, ces enfants, ces vieil¬ lards, qui sont les victimes innocentes de la guerre, ne re¬ cevront aucun secours, afin que, la trêve expirée, il ne soit plus possible à leurs défenseurs de nous combattre sans les faire mourir de faim. Voilà ce que les chefs prussiens ne craignent pas de ré¬ pondre à la proposition des quatre puissances. Nous prenons à témoin contre eux le droit et la justice, et nous sommes convaincus que, si, comme les nôtres, leur nation et leur ar¬ mée pouvaient voter, elles condamneraient cette politique inhumaine. Qu'au moins il soit bien établi que jusqu'à la dernière heure, préoccupé des immenses et précieux intérêts qui lui sont confiés, le Gouvernement de la défense nationale a tout fait pour rendre possible une paix qui soit digne. On lui refuse les moyens de consulter la France. Il inter¬ roge Paris, et Paris tout entier se lève en armes pour mon- — 57 — trer au pays et au monde ce que peut un grand peuple quand il défend son honneur, son foyer et l'indépendance de la patrie. Vous n'aurez pas de peine, monsieur, à faire comprendre des vérités si simples et à en faire le point de départ des ob¬ servations que vous aurez à présenter lorsque l'occasion vous en sera fournie. Agréez, etc. Le Ministre des Affaires étrangères, Jules FAVRE. Paris, le 7 novembre 1870. VIII CIRCULAIRE ADRESSÉE A TOUS LES AGENTS DE LA FRANCE A L'ÉTRANGER * Paris, ce 21 novembre 1870. Monsieur, Vous avez eu certainement connaissance de la circulaire par laquelle M. le comte de Bismarck explique le refus op¬ posé par la Prusse aux conditions de ravitaillement propor¬ tionnel que comportait naturellement la proposition d'armi- I La circulaire de M. Jules Favre répond à la suivante, de M. de Bismarck : Versailles, 8 novembre. II est à votre connaissance que M. Thiers avait exprimé le désir de pouvoir se rendre, pour négocier, au quartier général, après qu'il se serait mis en commu¬ nication avec les différents membres du Gouvernement de la défense nationale à Tours et à Paris. Sur l'ordre de Sa Majesté le Roi, je me suis déclaré prêt à avoir cet entretien , et M. Thiers a obtenu de se rendre d'abord, le 3o du mois der¬ nier, à Paris, d'où il est revenu, le 3 t, au quartier général. Le fait qu'un homme d'État de l'importance de M. Thiers, et ayant son ex¬ périence des affaires, eût accepté les pleins pouvoirs du Gouvernement parisien, — 59 — stice émanée des puissances neutres. Ce document rend une rectification d'autant plus nécessaire que, par une préoccupa¬ tion très-conforme d'ailleurs à toute sa politique antérieure, le représentant de la Prusse y a négligé des faits importants, dont l'omission ne pourrait manquer d'induire l'opinion pu¬ blique en erreur. En lisant son travail, on doit croire que me faisait espérer que des propositions nous seraient faites dont l'acceptation nous fût possible et aidât au rétablissement de la paix. J'accueillis M. Thiers avec les égards et la déférence auxquels sa personnalité éminente, abstraction faite même de nos relations antérieures, lui donnait pleinement le droit de prétendre. M. Thiers déclara que la France, suivant le désir des puissances neutres, était prête à conclure un armistice. Sa Majesté le Roi, en présence de cette déclaration, avait à considérer qu'un armistice entraine nécessairement pour l'Allemagne tous les désavantages qui ré¬ sultent d'une prolongation de la campagne pour une armée dont l'entretien re¬ pose sur des centres de ressources fort éloignés. En outre, avec l'armistice, nous prenions l'obligation de faire rester stationnaires, dans les positions qu'elles au¬ raient eues au jour de la signature, les masses de troupes allemandes rendues dispo¬ nibles par la capitulation de Metz, et de renoncer ainsi à occuper de nouvelles portions du territoire ennemi, dont nous pouvons actuellement nous rendre maî¬ tres sans coup férir, ou du moins en n'ayant à vaincre qu'une résistance peu sé¬ rieuse. Les armées allemandes n'ont pas à attendre, dans les prochaines semaines, un accroissement essentiel de leurs forces. Au contraire, la France, grâce à l'ar¬ mistice , se serait assuré la possibilité de développer ses propres ressources, de compléter l'organisation des troupes déjà en formatio'n, et, — si les hostilités de¬ vaient recommencer à l'expiration de l'armistice, — de nous opposer des corps de troupes capables de résister, qui aujourd'hui encore n'existent pas. Malgré ces considérations, le désir de faire le premier pas pour la paix pré¬ valut chez Sa Majesté le Roi, et je fus autorisé à aller immédiatement au devant de ce que souhaitait M. Thiers, en consentant à un armistice de vingt-cinq, ou même, comme il le désira plus tard, de vingt-huit jours, sur le pied du slatu quo militaire pur et simple, à partir du jour de la signature. Je lui proposai : qu'une ligne de démarcation à tracer arrêtât la situation des troupes allemandes et fran¬ çaises, telle que, de part et d'autre, elle serait au jour de la signature ; que, du¬ rant quatre semaines, les hostilités restassent suspendues; que, pendant ce temps, fût élue et constituée une représentation nationale. Pour les Français, de cette suspension d'armes il ne devait résulter militairement, pendant la durée de l'ar¬ mistice, que l'obligation de renoncer à de faibles sorties, toujours malheureuses, et à un gaspillage inutile et incompréhensible des munitions d'artillerie par le tir des forts. Relativement aux élections en Alsace, je pus déclarer que nous n'insisterions sur aucune stipulation qui dût, avant la conclusion de la paix, mettre en question que les départements allemands fissent partie de la France, et que nous ne deman¬ derions pas compte à un de leurs habitants de ce qu'il eût figuré, comme repré¬ sentant de ses compatriotes, dans une assemblée nationale française. Je fus étonné lorsque le négociateur français rejeta ces propositions, qui étaient tout à l'avantage de la France, et déclara ne pouvoir accepter un armistice que si — 6o — M. Thiers a demandé au nom du Gouvernement de la dé¬ fense nationale l'ouverture d'une négociation, et que la Prusse l'a acceptée par un sentiment d'égard pour le carac¬ tère personnel de notre envoyé et par le désir d'arriver, s'il était possible, à une conciliation. Le chancelier de la Confé¬ dération du Nord paraît oublier, et il est indispensable de l'on y comprenait la faculté pour Paris de s'approvisionner sur une grande échelle. Je lui répondis que cette faculté contiendrait une concession militaire excédant à tel point le statu quo et toute exigence raisonnable, que je devais lui demander s'il était en situation de m'ofîrir un équivalent, et lequel. M. Thiers répondit qu'il n'avait pas pouvoir de faire aucune contre-proposition militaire, et qu'il devait poser la condition du ravitaillement de Paris, sans pouvoir offrir en compensation rien autre chose que le bon vouloir du Gouvernement parisien pour mettre à même la nation française d'élire une représentation d'où vraisemblable¬ ment sortirait une autorité avec laquelle il nous serait possible de négocier la paix. Dans cette situation, j'eus à soumettre au roi et à ses conseillers militaires le résultat de nos négociations Sa Majesté le Roi fut justement surprise des demandes militaires si excessives et déçue dans ce qu'Ile avait attendu des négociations avec M. Thiers. L'incroyable exigence d'après laquelle nous aurions dû renoncer aux fruits de tous les efforts faits depuis deux mois, à tous les avantages acquis par nous, et remettre les choses au point où elles étaient lorsque nous commençâmes à investir Paris, ne pouvait fournir qu'une nouvelle preuve qu'à Paris on cherchait des prétextes pour refuser à la France des élections, mais non pas une occasion de les faire sans empêche¬ ment. D'après le désir que j'exprimai d'essayer encore, avant la continuation des hos¬ tilités, de s'entendre sur d'autres bases, M. Thiers eut, le 5 de ce mois, aux avant- postes , un nouvel entretien avec les membres du Gouvernement de Paris, pour leur proposer ou un court armistice sur la base du statu quo, ou la simple con¬ vocation des électeurs, sans armistice conclu par une convention, auquel cas je pouvais promettre que nous accorderions toute liberté et toute facilité compati¬ bles avec la sûreté militaire. % M. Thiers ne m'a point donné de détails sur son dernier entretien avec MM. Favre et Trochu; il n'a pu que me communiquer, comme résultat de cette conférence, l'instruction qu'il avait reçue de rompre les négociations et de quitter Versailles, puisqu'un armistice avec ravitaillement de Paris ne pouvait être obtenu. Il est reparti pour Tours le 7 au matin. Le cours des négociations n'a fait que me convaincre d'une chose, c'est que les membres du Gouvernement actuel en France, dès leur avènement au pouvoir, n'ont pas voulu sérieusement laisser l'opinion du peuple français s'exprimer par la libre élection d'une représentation nationale ; qu'ils avaient tout aussi peu l'intention d'arriver à conclure un armistice, et qu'ils n'ont posé une condition dont l'inadmissibilité ne pouvait être mise en doute par eux que pour ne pas ré¬ pondre par un refus aux puissances neutres dont ils espèrent l'appui. Je vous prie de vouloir bien vous exprimer conformément au contenu de cette dépêche, dont vous êtes autorisé à donner lecture. De Bismarck. — 61 — rappeler, que la proposition d'armistice sur laquelle M .Thiers est venu conférer appartient aux puissances neutres, et que l'une d'elles a bien voulu faire auprès de la Prusse la démar¬ che qui a donné à notre négociateur l'occasion d'entrer en pourparlers. Ce bon office n'était point un fait isolé. Dès le 20 octobre, lord Granville adressait à lord Loftus une dé¬ pèche communiquée au cabinet de Berlin et dans laquelle il exposait, avec une grande autorité, les raisons d'intérêt eu¬ ropéen qui devaient amener la cessation de la guerre. Parlant de la continuation du siège et de l'éventualité de la prise de Paris, le chef du Foreign-Office disait : « 11 n'est « pas déraisonnable de mettre dans la balance les avantages « et les désavantages qui accompagneront un-tel fait; et ces « désavantages touchent tellement aux sentiments de l'hu- « manité, que le Gouvernement de la Reine se croit obligé « de les signaler au Roi et à ses ministres. Le souvenir amer « des trois derniers mois peut être un jour effacé par le « temps et par le sentiment de la bravoure de l'ennemi sur « les champs de bataille. Mais il y a des degrés dans l'amer- « tume, et la probabilité d'une guerre nouvelle et irrécon- « ciliable.sera considérablement augmentée si toute une gé- « nération de Français a devant les yeux le spectacle de la « destruction d'une capitale, accompagnée de la mort de « personnes sans armes, de la destruction de trésors d'art et « de science, de souvenirs historiques d'un prix inestima- « ble, impossibles à remplacer. Une telle catastrophe sera « terrible pour la France et dangereuse pour la paix future « de l'Europe; en même temps, elle ne sera, comme le « Gouvernement de la Reine le croit, à personne plus pé- « nible qu'à l'Allemagne et à ses princes. Le Gouvernement « français a décliné les négociations de paix depuis l'entre- « vue de M. de Bismarck et de M. Jules Favre; mais le « Gouvernement de la Reine a pris sur lui d'insister auprès « du Gouvernement provisoire pour qu'il consente à un ar¬ ec mistice qui pourrait aboutir à la convocation d'une As- « semblée constituante et au rétablissement de la paix. Le « Gouvernement de la Reine n'a pas omis de faire sentir à « Paris la nécessité de faire toutes les concessions compati- « bles, dans la situation actuelle, avec l'honneur de la France. « Le Gouvernement de la Reine ne se croit pas autorisé à « l'affirmer, mais il ne peut pas croire que les représentations « faites par lui resteront sans effet. Pendant cette guerre, « deux causes morales ont, à un degré incalculable, « servi l'immense puissance matérielle des Allemands : ils te ont combattu pour repousser l'invasion étrangère et affir- ee mer le droit d'une grande nation à se constituer de la ma¬ te nière la plus propre à développer ses aptitudes. La gloire et de leurs efforts sera rehaussée si l'histoire peut dire que le « Roi a épuisé tous les moyens pour rétablir la paix, et que