LI B R A I R I E Raymond clavreuil 37.RUE S'ANDRÈ DES ARTS PARIS VI! r© 1 % a JOURNAL DE LA GUERRE OPERATIONS MILITAIRES FORMANT LA DEUXIÈME PARTIE DE LA GUERRE EN 1870 PAR LE CTE DE LA CHAPELLE CORRESPONDANT MILITAIRE DU STANDARD. & LONDRES JOSEPH RUELENS, IMPRIMEUR 28, Leicester-square. 1871 & JOURNAL DE LA GUERRE. /-S" REPRODUCTION INTERDITE. JOURNAL DE LA GUERRE OPERATIONS MILITAIRES FORMANT LA DEUXIÈME PARTIE DE LA GUERRE EN 1870 PAR LE CTE DE LA CHAPELLE CORRESPONDANT MILITAIRE DU STANDARD. LONDRES JOSEPH RUELENS, IMPRIMEUR 28, Leicester square. 1871 PREFACE. Quelques semaines venaient de s'écouler depuis la première bataille d'Orléans ; le général de Lamotte-Eouge avait été rem¬ placé par le général d'Aurelles de Paladine dans le commandement de l'armée de la Loire, des renforts étaient arrivés de plu¬ sieurs points de la France et la campagne allait entrer dans une phase nouvelle. Les hommes de tous les partis se réunis¬ saient sous le drapeau de la Défense natio¬ nale. Malheureusement, ils ne furent pas II PRÉFACE. tous acceptés et nombre d'entre eux se voyant privés de l'honneur de servir leur pays les armes à la main, durent chercher à se rendre utiles par d'autres moyens. C'est ainsi qu'après une campagne de trois mois comme correspondant militaire du Standard, j'entrepris la tâche difficile d'écrire et d'apprécier chaque jour dans le journal L'International de Londres, les événements de la guerre, de suivre les mouvements des armées sur des cartes d'état-major, et d'indiquer ce qui me parais¬ sait devoir être des erreurs fatales pour l'avenir, ou ce qui pouvait nous éviter de nouveaux désastres. Ayant vu mon travail reproduit sans cesse par les principaux journaux de France et de l'étranger, j'ai pensé qu'il pourrait être de quelque utilité pour ceux qui cherchent à approfondir les faits (histori- PRÉFACE. in ques) et je me suis décidé à reproduire mes opérations militaires, telles que je les ai écrites, au jour le jour et sans le moindre changement. Quoique sous une autre forme, cette pu¬ blication est la suite de mon ouvrage " la guerre de 1870 " et les deux volumes complètent sans interruption le récit des faits principaux, depuis la bataille de Saare- bruck jusqu'à la conclusion de la Paix. Cte de La Chapelle. OPERATIONS MILITAIRES. PREPARATIFS DE TROCHU. - COMBAT A SAINT LAURENT LES-BOIS. Londres, 9 novembre 1870. Jamais l'armée du général Trochn n'a été dans des conditions plus favorables pour effec¬ tuer une sortie : l'organisation est complétée, les troupes sont aguerries et bien commandées, leur confiance dans le Gouvernement de la Défense nationale vient d'être cimentée par un vote remarquable, le terrain a été sondé sur tous les points. D'un autre côté, les points faibles des assié- 1 2 OPÉRATIONS MILITAIRES. géants sont connus, et on peut affirmer que leurs travaux pour l'attaque ne sont pas encore terminés. Déjà, à la date du 2 novembre, l'armée de Paris a opéré une feinte du côté du Mont-Yalé- rien, puis est rentrée dans les murs de la capitale sans avoir attaqué les Prussiens. Trochu exerce évidemment ses corps d'armée et, si nous ne nous trompons pas, les sorties partielles qui ont eu lieu dernièrement sont le prélude d'une attaque générale dont l'impor¬ tance ne peut être dissimulée et dont les résultats sont appelés à changer le cours des événements. Châteaudun a été repris par les Français. Ce fait d'armes pourrait placer l'armée du général von der Tann dans une position critique et, si Chartres et Dreux sont également occupés par des forces considérables, le général prussien sera évidemment placé dans l'alternative, soit de livrer bataille, soit de voir ses communications avec Paris momentanément coupées. OPÉRATIONS MILITAIRES. 3 Dans la journée du 7, un engagement impor¬ tant, dont le résultat est resté en faveur des Français, a eu lieu à Saint-Laurent-des-Bois. Saint-Laurent-des-Bois est situé à l'ouest d'Orléans et au sud de Châteaudun. Dans la matinée, une colonne allemande composée de deux bataillons d'infanterie, 1,500 hommes de cavalerie, dix canons, déboucha de la route de Baron et attaqua vivement les avant-postes français à Poisly. Les Français se replièrent d'abord devant le nombre, mais, ayant eu du renfort, ils répondirent bientôt à l'attaque par une résistance vigoureuse ; un second combat eut lieu à Saint-Laurent-des-Bois, et les Prus¬ siens, au bout de quelques heures, furent rejetés sur Vallière et Villeclair, abandonnant dans leur retraite leurs morts et leurs blessés. La cavalerie française, poursuivant l'ennemi fit 64 prisonniers. Dans cet engagement victorieux, les pertes éprouvées par les Français s'élevèrent à 31 blessés et 6 hommes tués. 4 OPERATIONS MILITAIRES. Il n'y a pas le moindre doute que la colonne ennemie avait pour objectif d'éclairer le général von der Tann sur les mouvements de l'armée de la Loire. Ainsi que nous le disions plus haut, la position des Prussiens à Orléans peut devenir critique ; leurs forces ne s'élèvent guère qu'à 25,000 hommes, et, à moins que le 3e corps d'armée prussien ne s'avance de Troyes pour renforcer les troupes du général von der Tann, l'armée de la Loire a des chances presque cer¬ taines d'écraser le général prussien, qui ne peut guère compter, dans le moment actuel, sur une aide quelconque de l'armée de Paris. Tout nous donne lieu d'espérer que le général d'Aurelles de Paladine ne laissera pas échapper une aussi bonne occasion de remporter un avan¬ tage sérieux sur les bords de la Loire. Le général Manteuffel, à la tête d'un corps d'armée allemand, menace Amiens, et il est probable que l'occupation de cette ville ne se fera pas attendre longtemps. Bourbaki, n'étant pas encore prêt pour la lutte, ne peut accourir OPÉRATIONS MILITAIRES. 5 au secours de cette ville, et il est à craindre que sa résistance ne puisse arrêter les Prus¬ siens, qui se trouveront ainsi avoir couvert du côté du nord les communications entre leurs différents corps d'armée. Il est également probable que l'armée du prince Frédéric-Charles, tournant Lyon, s'avan¬ cera sur Bourges et opérera sa jonction avec von der Tann, pour combiner une attaque contre l'armée de la Loire. Cette hypothèse n'a pas pu échapper au commandant en chef de l'armée française, et nous espérons qu'une action immédiate contre le corps d'armée de von der Tann viendra paralyser les mouvements straté¬ giques du prince Frédéric-Charles. 6 OPÉRATIONS MILITAIRES. CAPITULATION DE VERDUN.-POSITION DE L'ARMEE DE LA LOIRE. Londres, 10 novembre 1870. La capitulation de Verdun, quoique d'une im¬ portance secondaire au milieu des événements actuels, ne laisse pas que d'être d'un grand intérêt au point de vue stratégique. La posses¬ sion de cette forteresse ouvre aux Allemands une nouvelle voie de communication entre leurs armées autour de Paris et leurs points de ravi¬ taillement et de renforts au-delà du Rhin ; en effet, les voilà maîtres des deux lignes de chemin de fer de Metz à Châlons, et leurs convois sur Paris peuvent également être expédiés par Prouard ou par Verdun, et le transport de leurs troupes et matériel peut-être opéré jusqu'au cœur de leurs lignes militaires, à l'est et au nord-est de Paris» OPÉRATIONS MILITAIRES. 7 Verdun a capitulé après une longue et brave résistance rendue plus héroïque par le fait même, que ses fortifications à la Vauban étaient faibles et peu en état de soutenir un siège. Dominée par des collines, elle offrait aux assié¬ geants des points d'attaque tellement forts, qu'on est presque étonné qu'elle ait pu résister deux mois et demi à l'artillerie prussienne. La France, peut faire levée sur levée, deux millions d'hommes pourraient être enrôlés, et la face des choses changer entièrement, mais pour C9la il faut d'abord une organisation mili¬ taire plus efficace. Il faut un ministre de la guerre compétent, qui sache se procurer des armes, des équipements, qui soit assez ferme et qui ait assez d'expérience pour faire un choix d'officiers de valeur, qui sachent comment former les régiments et habituer les hommes à la discipline la plus sévère. Toutes ces belles ressources de la France, la levée en masse, ces leviers qui furent si puis¬ sants dans les mains des généraux de la pre- 8 OPERATIONS MILITAIRES. mière République, risquent beaucoup de devenir inutiles, si un nouveau Carnot, un nouvel orga¬ nisateur de la victoire, ne surgit pas. Nous ne voulons pas désespérer encore, mais nous attendons cet homme qui, dans presque toutes les grandes phases de l'histoire du monde, arrive au moment opportun, pour diriger d'une main ferme, et par les conceptions de son génie, un grand peuple passant par une crise qui peut décider de son sort et de sa fortune. L'armée allemande autour de Paris est main¬ tenant renforcée par le 10e corps d'armée, venant de Metz ; les 1er et 3e corps sont à Troyes. Le 7e reste à Metz pour tenir garnison, et le reste de l'armée du prince Frédéric-Charles s'avance sur Lyon, dans le but évident de rejoindre l'armée de von der Tann et d'isoler le midi de la France. A la combinaison prussienne, nous pouvons opposer l'armée de Lyon et l'armée de la Loire, et nous devons nous attendre simultanément à OPÉRATIONS MILITAIRES. 9 un conflit général autour de Paris et à une grande bataille sur la Loire. L'armée de la Loire est forte de 120;000 hommes et 200 canons ; elle est échelonnée depuis la forêt de la Marchenoir jusqu'à Mer, où est placé, pour le moment, son quartier-général. Mer est une petite ville située au nord de la Loire entre Blois et Orléans et à soixante kilomètres de cette dernière ville ; Marchenoir est à douze kilomètres au nord de Mer. Ainsi que nous le disions, bî le général d'Au- relles de Paladine attaque vigoureusement le corps d'armée du général von der Tann, il a la plus grande chance de l'écraser et de couper sa retraite 3ur Versailles. Mais s'il tergiverse, s'il perd un temps précieux, il verra cette chance compromise par l'arrivée de l'armée du prince Frédéric-Charles qui s'avance par Lyon pour opérer sa jonction avec von der Tann. Le 9, les Allemands sont entrés dans Mont- béliard, l'occupation de cette ville leur facilitant les opérations sur Belfort ; le général von 1res- 10 OPÉRATIONS MILITAIRES. cow, qui dirigé le siège de cette ville, est parvenu, après plusieurs combats avec les francs-tireurs à ouvrir ses communications par la voie ferrée de Yesoul avec le général von Werder. Dimanche dernier, un engagement a eu lieu sous les murs de Thionville entre les troupes de la garnison et le 8e corps d'armée prussien venant de Metz ; les résultats ont été sans im¬ portance, mais on doit s'attendre à une affaire plus sérieuse d'un moment à l'autre. Au Nord, entre Boulogne et Chaumont, un dé¬ tachement prussien et un bataillon de mobiles ont eu une rencontre plus grave; d'après une dépêche prussienne, les Français auraient eu le dessous et auraient eu soixante-dix hommes tués ou hors de combat. L'engagement a eu lieu à la jonction de la ligne ferrée de Neufchâteau avec le chemin de fer de Paris, Châlons et Chaumont. Nous doutons fort que ce combat ait été aussi favorable aux Prussiens qu'ils le prétendent, et nous pouvons affirmer que les volontaires et les francs-tireurs continuent à harasser les corps OPÉRATIONS MILITAIRES 11 d'armée allemands sur toutes les lignes et à s'opposer efficacement aux progrès de leur mar¬ che et de leurs excursions de ravitaillement. LE GENERAL D'AURELLES DE PALADINE ET SON ARMEE. Londres, 11 novembre 1870. Le nouveau décret du Gouvernement de la Défense nationale, ordonnant la formation immé¬ diate de trois nouveaux corps d'armée, nous démontre que les divers contrats passés avec plusieurs manufacturiers étrangers ont été remplis et que le département de la guerre est amplement muni d'armes et de munitions pour l'armement de ces troupes et des autres corps, dont l'équipe¬ ment laissait beaucoup à désirer. L'Angleterre, la Belgique, la Suisse, l'Amérique, et chose bien 12 OPÉRATIONS MILITAIRES. plus extraordinaire, une fabrique allemande, nous ont prêté le concours de leur industrie en ce genre, ot nos millions ont su lever les barrières les plus insurmontables. La France est armée, il faut espérer qu'elle sera bientôt dignement commandée et que ses nombreuses légions auront acquis cette stricte discipline indispensable pour la lutte. Tout en constatant que la diplomatie astucieuse de M. de Bismark nous a moralement forcé à continuer la guerre, nous n'entrerons pas dans les hautes questions à résoudre, sur lesquelles l'avenir seul est appelé à nous éclairer, savoir : s'il eut mieux valu pour la France se soumettre aux circonstances, plier momentanément sous le poids de ses désastres, et se résigner à des sacri¬ fices, pour avoir le temps de s'organiser à nou¬ veau au point de vue civil et militaire ; ou bien, s'il est préférable de continuer la guerre à outrance, la lutte du désespoir, de se lancer dans de nouveaux sacrifices, et de redoubler les sublimes efforts tentés depuis Sedans Si le Grouver- OPÉRATIONS MILITAIRES. 13 nement de la Défense nationale a pn s'assurer qne l'esprit qui animait les héroïques légions de 1792, pouvait être ravivé, s'il croit pouvoir ressusciter la vigueur de nos pères, la force morale et virile du grand peuple, il peut avoir raison ; mais tout gouvernement sage doit peser ses décisions bien plus au point de vue pratique que de celui de l'enthousiasme pour les grandes époques ; le gouvernement actuel l'aura fait sans doute, et en analysant les faits militaires, nous chercherons à nous rendre compte des progrès du départe¬ ment de la guerre, de l'efficacité de ses décrets, et à nous convaincre qu'ils sont dans le vrai. Le général d'Aurelles de Paladine est un vieux soldat, dont les brillantes qualités ont été re¬ connues en Afrique; c'est un stratégiste distin¬ gué. Comme général en chef de l'armée de la Loire, les yeux se portèrent naturellement sur lui. Nommé à ce commandement après la défaite d'Orléans, le 11 octobre dernier, il a su rétablir parmi les troupeB un système de discipline mal¬ heureusement inconnu depuis des années. Sa sévé- 14 OPÉRATIONS MILITAIRES. rité est extrême, inflexible, et la victoire seulement pourra le rendre populaire auprès de ses soldats ; la manière efficace avec laquelle il a organisé son armée, les réformes qu'il a introduites, donnent au Gouvernement les plus grandes espérances dans ses moyens d'action ; nous allons le voir à l'œuvre. Hier, nous annoncions la probabilité d'un enga¬ gement du côté d'Orléans, et les chances presque certaines de remporter un avantage sur le corps d'armée du général von der Tann, si l'armée de la Loire attaquait sans retard et avant la jonc¬ tion du prince Frédéric-Charles. En effet, un combat a eu lieu dans cette direction et si le succès du général d'Aurelles de Paladine n'est pas exagéré, nous pouvons affirmer que la victoire d'Orléans est de la plus grande impor¬ tance à plusieurs points de vue ; elle rétablira la confiance, encouragera le soldat, et nous aura remis en possession d'un centre d'opérations dont les avantages sont immenses. Le général victorieux, à la tète de son armée OPÉRATIONS MILITAIRES. 15 de 120,000 hommes, composée de douze batail¬ lons d'infanterie venant d'Alger, trois régiments d'infanterie légère, plusieurs bataillons de chas¬ seurs et de la légion étrangère, d'un grand nombre de régiments de marche, d'une belle cavalerie et d'une artillerie dont le matériel vient d'être augmenté, prouve tout à coup à la France que tout n'est pas perdu, et que le dra¬ peau français va flotter encore à la tête de glorieuses colonnes marchant à la victoire. L'homme que nous attendons est peut-être tout trouvé dans le général d'Aurelles de Pala- dine ; à de grandes connaissances militaires, le général joint une grande prudence et beaucoup de fermeté. Il a discipliné son armée, il a aguerri ses divisions, et il donne tout à coup à la France une armée redoutable de 120,000 hom¬ mes qu'il place, après un brillant engagement, sur un point dangereux pour l'ennemi, et d'où il ne cessera de le menacer jusqu'au jour d'une action générale. Qu'il joigne donc à cette première armée toutes 16 OPÉRATIONS MILITAIRES. les ressources disponibles de la France, et la Prasse commencera à douter du succès. MOUVEMENTS DES ARMEES. Londres, 12 novembre 1870. La nouvelle de la victoire remportée par les Français à Orléans, s'est confirmée, mais nous ne pouvons nous empêcher de manifester nos craintes, que les résultats de l'engagement ne soient exagérés. L'armée de la Loire, victorieuse après une bataille importante autour d'Orléans, aurait été à même de couper la retraite du général von der Tann sur Versailles, et par sa force numérique même, elle aurait anéanti le corps du général prussien. OPÉRATIONS MILITAIRES. 17 Le mouvement était indiqué; le général d'Au- relles de Paladine s'appuyant sur l'aile droite de son armée et lançant son aile gauche en avant, occupait la route de Paris entre Chevilly et Toury, barrait la retraite de von der Tann et plaçait son armée dans une position où elle ne pouvait éviter un désastre. Ce mouvement eut été la conséquence d'une bataille gagnée par le général français ; mais il est plus probable que les troupes bavaroises se sont retirées devant l'armée française, qu'un combat a été livré avec l'arrière-garde ennemie, et que la ville d'Orléans a été occupée sans coup férir, par l'armée de la Loire. Si, comme tout nous porte à le croire, le gé¬ néral von der Tann s'est replié sur Pithiviers, sa tactique nous paraît clairement expliquée; re¬ traitant devant une armée bien organisée et trois fois supérieure en nombre à la sienne, il aura pris la route de Châteauneuf et Montargis, et en continuant sa marche dans la direction du Nord-Est, il ne peut manquer d'opérer sa jonc- 2 18 OPÉRATIONS MILITAIRES. tion avec le corps d'armée du prince Frédéric- Charles; tel est son but évident. Toutefois, nous sommes heureux de constater que l'évacuation d'Orléans et le combat victorieux livré par les Français, ont une importance réelle, et si, de ce point stratégique, le général d'Aurelles de Paladine poursuit vivement l'en¬ nemi et parvient à le forcer à livrer bataille avant qu'il ait pu faire sa jonction avec l'armée du prince, les Bavarois de von der Tann seront infailliblement exterminés. Si, au contraire, un temps précieux est perdu, si on tergiverse, si on laisse avancer les trois corps d'armée de Frédéric-Charles, ce ne sera plus 25,000 hommes qu'on aura à combattre, mais une armée de 100,000 hommes, traînant après elle une artillerie formidable et dont l'objectif est de marcher à la rencontre de l'armée de la Loire, pour paralyser ses mouvements et chercher à l'anéantir. Que le général français poursuive sa victoire, que von der Tann soit complètement battu au» OPÉRATIONS MILITAIRES. 19 près d'Orléans, et les chances en faveur de la France deviennent de plus en plus sérieuses. L'armée de la Loire doit s'avancer hardiment sur Paris et, combinant ses mouvements avec une sortie générale de 400,000 hommes, com¬ mandés par le général Trochu, engager une action générale décisive qui peut sauver Paris et la France. Si cette combinaison est réalisable, et elle nous le paraît, les succès des Prussiens, l'arro¬ gance de leurs généraux, de leurs hommes d'Etat, les conquêtes en perspective pourraient se changer en désastres tout au moins aussi grands, que ceux qui nous ont été infligés. Mais si l'armée française est impuissante, nous devons faire la paix. Aujourd'hui plus que jamais, l'Europe est in¬ téressée au sort de la France, elle ne peut re¬ garder avec indifférence l'abaissement ou la dé- gration de ce grand pays; la politique de M. de Bismark, les aspirations des descendants d'Albert de Brandebourg poursuivant leurs conquêtes à 20 OPÉRATIONS MILITAIRES. travers tous les obstacles, ne sont pas faites pour la rassurer sur ses destinées futures. Les négociations de paix ne sont pas seulement d'un intérêt réel pour la France seule, c'est l'Europe entière qui est en cause. L'influence morale des grandes puissances doit être mise en œuvre, l'intérêt de chaque nation l'exige. La France qui a toujours pesé d'un si grand poids dans les destinées du monde, doit conserver sa grandeur et son prestige ; elle est indispensable à l'équilibre européen, et sa chute entraînerait des catastrophes incalculables pour le monde civilisé. Le général d'Aurelles de Paladine, après un brillant engagement qui a duré deux jours, s'est emparé d'Orléans et a remporté une victoire signalée, dont les conséquences sont appelées à changer la face des choses. Dans la matinée du 9, l'aile droite de l'armée de la Loire s'avançant par la rive nord du fleuve, livra un premier combat à une colonne du corps de von der Tann, qui avait pris position au OPÉRATIONS MILITAIRES. 21 village de Coulmiers, situé entre Meung et Orléans. Le gros de l'armée bavaroise renforça bientôt cette colonne et l'engagement devint général et acharné sur toute la ligne ; vers la fin de la journée, les Français occupèrent les positions et les Bavarois se replièrent sur Orléans. La lutte recommença le second jour avec le même acharnement, et dans la soirée, après un combat des plus meurtriers et des plus héroïques de part et d'autre, les Français victorieux chas¬ sèrent l'ennemi de la ville d'Orléans et les for¬ cèrent à se retirer en déroute sur Toury, après leur avoir fait plus de mille prisonniers et s'être emparés de deux canons, de vingt wagons rem¬ plis de poudre et d'un grand nombre de fourgons d'approvisionnements. Dans ces deux journées, environ deux mille Français ont été tués ou mis hors de combat ; les Allemands, qui ont soutenu la lutte avec la plus grande fermeté, ont éprouvé des pertes bien plus sérieuses; leur position est tellement pré- 22 OPÉRATIONS MILITAIRES. caire que le roi a fait immédiatement partir des renforts à leurs secours; 40,000 hommes sous les ordres du duc de Mecklembourg, du général Wittich et du princo Albert, ont quitté Chartres et ses environs en toute hâte et ont déjà opéré leur jonction avec le général von der Tann. Ces troupes allemandes réunies aux 21,000 hommes qui doivent rester au général bararois, forment donc un effectif de 61,000 hommes qui attendront probablement entre Toury et Pithi- viers, une nouvelle attaque de l'armée de la Loire. La victoire eut été complète si le général d'Au- relles de Paladine eut traversé la Loire en amont d'Orléans et attaqué les derrières et le flanc gauche de l'ennemi ; s'appuyànt sur le fleuve, il aurait pu, par un mouvement rapide de son aile gauche, couper la retraite des Bavarois sur Toury, pendant qu'une autre de ses colonnes traversant la Loire, aurait coupé la route de Pithiviers et fermé également cette ligne de re¬ traite. OPÉRATIONS MILITAIRES. 23 Le corps d'armée de von der Tann ne pouvait alors échapper à une ruine totale. Nous pouvons espérer de voir se réaliser bien¬ tôt une grande opération militaire : L'attaque simultanée des armées du roi Guil¬ laume, par les légions du général Trochu et par l'armée de la Loire, à laquelle le général d'Aurelles de Paladine vient de tracer le chemin de la victoire. Encouragés par les succès, les Français qui furent longtemps les premiers soldats du monde, prouveront bientôt qu'ils n'ont pas dégénéré au milieu de désastres sans précédent. BATAILLE D'ORLEANS. Londres, 12 novembre. Après l'engagement qui a eu lieu la semaine dernière à Marchenoir, l'armée de la Loire occupait une ligne militaire s'étendant de Yen- 24 OPÉRATIONS MILITAIRES. dôme à Beaugency. Dans la journée du 9, cette longue ligne s'était resserrée, et un mouvement, dans le but d'envelopper .les forces du général von der Tann, fut exécuté avec précision par une armée de 50,000 hommes environ, divisée en trois corps. L'aile droite de cette colonne, après avoir suivi la rive de la Loire jusqu'à Ormes, situé à neuf kilomètres d'Orléans, s'avança au nord du fleuve depuis Beaugency. Pendant ce temps-là l'aile gauche, sous les ordres du général Reyan, se dirigeait sur Saint- Peravy-la-Colombe, et le centre, commandé par le général Chanzy, prenait position à Guinguy. Au moment même où le général en chef faisait opérer ces mouvements, le général des Pallières, à la tête d'un corps de cavalerie, marchait sur Cercottes, dans la forêt d'Orléans, dans le but de compléter l'investissement du corps d'armée allemand. A l'approche de l'aile droite française, le gé¬ néral von der Tann concentra ses troupes sur OPÉRATIONS MILITAIRES. 25 Caulmiers, entre Orléans et Meung, mais rece¬ vant tout à coup avis des mouvements opérés par les Français, et comprenant qu'il était sé¬ rieusement menacé de voir couper sa ligne de retraite sur Toury et Pithiviers, il ordonna l'é¬ vacuation d'Orléans par ses troupes, ne laissant dans la ville que son arrière-garde. Par un mouvement rapide, il se jeta sur Saint-Péravy, attaqua le général Reyan et le força à se replier; le centre de l'armée fran¬ çaise fut également obligé de rétrograder sur Chemigny. Dans la matinée du 10, les Français recom¬ mencèrent l'attaque, ils bombardèrent Orléans, et entrèrent dans la ville au bout de trois heures de résistance ; en même temps, le général des Pallières s'était avancé au sud-est, et après plusieurs brillantes charges de cavalerie et un vaillant combat, il força le général von der Tann à retraiter sur Toury ; c'est dans cette brillante opération que l'arrière-garde du corps d'armée bavarois fut coupée, que 2,000 hommes furent faits 26 OPÉRATIONS MILITAIRES. prisonniers, et que deux canons et plusieurs wa¬ gons furent capturés. Si les généraux Reyan et Chanzy avaient pu maintenir ou reprendre leurs positions de la veille, le corps entier de von der Tann était annihilé et les résultats étaient immenses; mais il paraîtrait que l'aile gauche et le centre de l'armée fran¬ çaise n'étaient pas assez forts pour mener à bonne fin le plan remarquable du général d'Au- relles de Paladine. Sans nous laisser aller à un sentiment d'exa¬ gération, nous pouvons affirmer que dans cette affaire, les pertes des Prussiens ont été bien plus considérables qu'on ne l'avait d'abord pensé ; 2,500 homme sont été faits prisonniers ; 2,300 au¬ tres ont été tués ou mis hors de combat. On ne peut s'empêcher d'admirer la décision rapide du général von der Tann, qui, en portant tout à coup toutes ses forces sur le point le plus menacé, entre l'aile gauche et le centre des Français, pendant que son arrière-garde maintenait l'aile droite, est parvenu à déjouer la OPÉRATIONS MILITAIRES. 27 combinaison si habile dn général français, et à sauver une partie de son corps d'armée. Le soir même, il avait effectué sa retraite ; il occupait Toury, il avait fait une marche de 80 kilomètres presqu'en combattant et poursuivi par un ennemi victorieux. La victoire d'Orléans arrive à un moment opportun pour le Gouvernement de la Défense nationale ; une bataille gagnée immédiatement après la rupture des négociations de l'armistice, par une armée qui doit son organisation aux efforts de ce gouvernement, est de la plus grande importance tant au point de vue moral que militaire. C'est la première fois depuis l'invasion qu'un succès, paraissant devoir amener des résultats sérieux, vient ranimer le courage des Français et renouveler des espérances qui avaient failli devant les événements. C'est la première fois qu'il nous soit donné des preuves matérielles que la France a de nouvelles armées, qu'elle peut compter sur elles, et d'es- 28 OPERATIONS MILITAIRES. pérer que la glorieuse renommée de ses soldats peut être rétablie. Cent cinquante mille hommes, dont l'avant- garde vient de mettre en déroute tout un corps d'armée prussien, ont inauguré brillamment leurs opérations par la prise d'Orléans, et après deux jours de combat tiennent en échec toute l'armée allemande du prince de Mecklembourg, de von der Tann, et entravent les exploits de ces hordes pillardes qui depuis deux mois ont ravagé toute la Beauce et les pays environnants. Que d'Aurelles de Paladine, le vaillant géné¬ ral qui vient de conduire ses bataillons à la vic¬ toire, poursuive ses succès, qu'il agisse prompte- ment avec la même vigueur, et le prince Frédé¬ ric-Charles, qui B'avance par Troyes avec une armée de 75,000 hommes, arrivera trop tard pour secourir les autres corps d'armée ennemis \ concentrés sur Toury. L'audace est de rigueur dans certaines circon¬ stances ; le moindre délai peut priver le général d'Aurelles des fruits de cet avantage signalé. OPÉRATIONS MILITAIRES. 29 Qu'il attaque les 60,000 hommes de von der Tann et du duc de Mecklembourg, qu'il les écrase, les jette en déroute sur Paris, qu'il Be précipite sur les derrières de l'armée prussienne à Versailles, pendant que Trochu fera une sortie à la tête de 400,000 hommes, et il délivrera Paris et la France, si c'est encore possible. Ce plan audacieusement conçu nous paraît réalisable, et nous ne serions pas étonnés si au moment où nous écrivons, il eut déjà reçu un commencement d'exécution ; les chances de réus¬ site seraient grandes ; mais nous le répétons, si un temps précieux est perdu, un jour, deux jours peut-être, et il ne sera plus possible. En effet, le prince Frédéric-Charles B'avance rapidement, il est à Troyes ; une marche forcée peut le rapprocher encore, et l'expérience nous a cruellement appris combien les Prussiens ex¬ cellent dans la rapidité des mouvements et la vigueur de leur action. Si le général français n'y prend garde, il aura devant lui une armée numériquement égale à la 30 OPÉRATIONS MILITAIRES. sienne, supérieure en artillerie, et il se verra placé dans l'alternative de livrer bataille dans des conditions désavantageuses, ou de se replier sur l'Ouest ou sur le Midi, après avoir aban¬ donné le point d'opérations qu'il vient de con¬ quérir sur la Loire. Nous le répétons hardiment : les destinées de la France, si elles doivent être décidées par la force des armes, ne nous semblent avoir qu'une chance en leur faveur ; une sortie générale de l'armée du général Trochu et sa jonction avec le généra d'Aurelles de Paladine. Les Prussiens ayant tout à coup à combattre les efforts simultanés de deux armées redoutables, seraient forcés de porter toutes leurs forces contre les assaillants et peut-être de lever le siège de Paris. Dans un moment aussi critique, au milieu de nos désastres, lorsque ja France entière est appelée à être ravagée, nous devons porter un coup décisif ou penser à la paix : loin de nous les défaillances ou les demi-mesures, elles nous ont plongé dans l'abîme, elles ne sauraient nous en retirer. OPÉRATIONS MILITAIRES. 31 Si le général Trochu parvenait à couper les lignes prussiennes, à opérer sa jonction avec l'ar¬ mée de la Loire, Paris se trouverait, il est vrai, privé de la plus grande partie de son armée, mais les mobiles, les gardes nationaux, les marins des forts, les artilleurs, suffiraient amplement à la défense de la capitale en cas d'un bombardement, qui du reste deviendrait fort douteux, les Prussiens se trouvant tout à coup avoir à lutter en rase campagne contre une grande armée. L'armée de Lyon, Bourbaki dans le Nord, Kératry dans l'Ouest, Garibaldi et les différents corps de volontaires de la Normandie, agiraient simultanément de leur côté et une phase nou¬ velle s'ouvrirait dans la campagne de 1870. 32 OPÉRATIONS MILITAIRES. OU EST LE SALUT. - L'ARMEE DE PARIS- Londres, 15 novembre. En apprenant que le général d'Aurelles de Paladine n'ait pas cru devoir poursuivre l'ennemi au-delà de Chevilly et continuera on mouvement en avant de Toury, nous nous demandons si l'armée de la Loire est aussi forte que nous l'avons an¬ noncé nous-mêmes, d'après des documents qui nous avaient paru authentiques. En effet, il nous paraît inexplicable qu'un gé¬ néral victorieux, pouvant disposer de 150,000 hommes, dont l'avant-garde remporte une victoire signalée, abandonne tout à coup des chances presque certaines d'annihiler son ennemi, et qu'il lui laisse au contraire un temps précieux pour opérer sa retraite et se renforcer. Il nous est également difficile de comprendre comment il se ferait que le général eût compro¬ mis la réussite de son plan, dans la journée du OPÉRATIONS MILITAIRES, 33 9, en ne donnant pas anx généraux Reyan et Chanzy les forces nécessaires pour investir com¬ plètement le corps d'armée du général von der Tann. L'habileté stratégique du général d'Aurelles de Paladine nous est connue. La conception même de son plan d'attaque sur Orléans, prouve qu'elle n'a pas dégénéré, et il est plus que probable que nous nous trouverons dans le vrai, en en con¬ cluant que les forces actuelles de l'armée de la Loire ont été exagérées, et que ce n'est qu'à cette raison seule que nous devons attribuer la ligne de prudence que le général français est peut-être obligé de suivre. S'il est vrai qu'une partie des forces qui compo¬ saient l'armée de la Loire, il y a de cela trois semai¬ nes, ait été envoyée comme renfort à l'armée de Lyon et au corps d'armée du général Bourbaki à Lille, une grande faute a été commise. On aurait suivi les mêmes errements qui nous ont été si fatals dès le début de la guerre, c'est- à-dire, disséminer les ressources militaires sur plu- 3 U OPÉRATIONS MILITAIRES. sieurs points, au lieu de suivre cette tactique dont l'efficacité nous est prouvée par les succès même de l'ennemi, concentrer toutes les - forces sur un point et agir en masse ; Reischoffen et Forbach sont de douloureux exemples que nous ne pouvons oublier, et qui devraient nous guider dans l'avenir. Que l'armée de Lyon, que Kératry, que l'ar¬ mée du Nord même, envoient des renforts au général d'Aurelles de Paladine ; qu'Amiens, que Rouen, que Lyon soient menacés ou occupésj peu importe pour le moment. Tout devient d'une considération secondaire devant une grande opé¬ ration nécessitée par un moment des plus criti¬ ques. Qu'une grande armée de la Loire, parfai¬ tement renforcée, s'avance sur Toury, repousse l'ennemi avant qu'il ait le temps de disposer de toutes ses forces, et que, en même temps, le général Trochu fasse une trouée avec 200,000 hommes de son armée de Paris et opère sa jonction avec le commandant en chef de l'armée de la Loire ; le salut est là, nous en sommes convaincus. OPÉRATIONS MILITAIRES. 35 Le moment d'agir est arrivé ; il ne peut être retardé sans danger sérieux; le prince Frédéric- Charles et le général von "Werder s'avancent d'un côté contre l'armée de la Loire, pour l'attaquer après avoir rejoint von der Tann et ses ren¬ forts ; s'ils arrivent à temps, ils formeront ensemble une armée de 170,000 hommes ; d'un autre côté, Trochu est menacé par la fa¬ mine et par le bombardement de la capitale. Nous le répétons avec insistance, c'est le mo¬ ment d'agir ou jamais. Du reste, les Prussiens semblent pressentir le danger qui les menace, ils semblent com¬ prendre qu'ils n'ont pas de temps à perdre; un jour ils font annoncer par l'organe de leurs journaux qu'ils sont prêts pour le bombarde¬ ment et qu'ils vont le commencer, puis tout à coup on annonce leur intention de prendre Paris par la faim, et qu'ils attendront patiem¬ ment les effets de la famine. Nous avons quelque raison de croire que leur position n'est pas aussi rassurante qu'ils le pré- 36 OPÉRATIONS MILITAIRES. tendent; leur matériel de siège n'est pas complété, leurs troupes souffrent beaucoup du froid et de la maladie. Dans quelques jours probablement leur énergie aura surmonté ces obstacles si on leur en laisse le loisir. " That is the question." Le Gouvernement de la Défense nationale a, avec raison, tenu secret l'effectif et les futurs mouvements de l'armée de la Loire, ce ne fut même que quarante-huit heures après la victoire, que la bataille d'Orléans fut annoncée. Ce sys¬ tème est indispensable et nous voyons avec plaisir qu'il eat suivi dans toute sa rigueur; nous ne pouvons donc que nous livrer à des conjectures sur les intentions du général d'Au- relles et sur les raisons qui lui ont fait re¬ tarder sa marche en avant. A Paris, des préparatifs semblent indiquer une opération prochaine, de larges corps de troupes manœuvrent chaque jour dans la plaine sous la protection du Mont-Valérien, et la gar¬ nison a été divisée en trois armées distinctes. La 1'® armée, commandée par le général Clé- OPÉRATIONS MILITAIRES. 37 ment Thomas, est formée de 266 bataillons de la garde nationale sédentaire, une division entière d'artillerie et un corps de cavalerie. La 2" armée, commandée par le général Ducrot, est composée de trois corps; le 1", sous les ordres du général Knoy, le 2', sous le général Renault, et le 3e, sous le général d'Exea. Ces deux premiers corps ont chacun trois di¬ visions d'infanterie et une division de cavalerie de troupes régulières, dont le nombre peut être évalué à 120,000 hommes. La 3e armée, composée des troupes de la ma¬ rine, des gardes mobiles, est forte de 17 bri¬ gades, divisées en sept divisions d'infanterie et une de cavalerie. Le général Troehu en a pris le commandement. La 2® armée serait destinée à faire des sorties et à un moment donné, de s'ouvrir un passage à travers les lignes, pendant que la lre armée défendrait l'enceinte de la capitale. La garde nationale sédentaire est forte de 38 OPÉRATIONS MILITAIRES. 300,000 hommes, et elle est sur le point d'être mobilisée. Dans des conditions pareilles, et si l'artillerie de campagne est suffisante, ce dont nous n'avons pu nous assurer, un suprême effort peut être tenté avec des chances sérieuses de réussite. L'armée prussienne autour de Paris n'est pas aussi forte qu'elle l'était, les corps d'armée dé¬ tachés vers le Nord, l'Ouest et le Sud l'ont con¬ sidérablement affaiblie. C'est donc le moment propice de frapper un grand coup. Le général Trochu faisant une feinte sur un point avec 25 ou 30,000 hommes, peut au même instant attaquer sur un autre point avec une force de 220,000 hommes, couper les lignes en¬ nemies et donner la main à l'armée de la Loire. Nous le répétons encore, là nous semble être le salut. OPÉRATIONS MILITAIRES. 39 CONCENTRATION DE NOS ARMEES. Londres, le 16 novembre 1870. Cinq jonrs se sont écoulés depuis la victoire d'Orléans, et le général d'Aurelles de Paladine ne paraît pas avoir opéré son mouvement en avant sur Toury ; il est donc probable qu'il ren¬ force son armée dont l'effectif était bien au- dessous, sans doute, du chiffre qui avait été donné môme officiellement. Le succès obtenu par le général n'a pas été aussi important, nous le craignons bien, que l'enthousiasme naturel de nos compatriotes et les dépêches qui nous sont parvenues nous l'a- vaiënt fait espérer. Sans vouloir diminuer en rien les avantages gagnés par notre armée, nous devons analyser froidement les faits militaires, et les apprécier bien plus au point de vue de leurs résultats que de leur héroïque valeur. 40 OPÉRATIONS MILITAIRES. Ne nous laissons pas bercer par des espérances trop ardenteB, pas plus que décou¬ rager par la grandeur de la tâche à remplir et rendons-nous bien compte de nos ressources et de notre force. Trochu, d'Aurelles de Paladine, Bourbaki, ont compris que ce n'était qu'en établissant la dis¬ cipline la plus sévère parmi les troupes, que ce n'était qu'en leur montrant la voie qui conduit aux vertus militaires, qu'on pouvait espérer de tirer un parti de ces nombreuses recrues, levées à la hâte, indisciplinées quoique pleines d'une vaillante ardeur ; les généraux français ont réussi dans leurs efforts, ils ont su sur¬ monter les obstacles; en deux mois ils ont créé des armées. Nous ne cesserons de le répéter: qu'ils réunis¬ sent ces armées, qu'ils concentrent leurs forces sur un point, que l'armée de la Loire, renforcée de 80,000, de 100,000 hommes s'avance sur Toury, que le général en chef poursuive enfin le pre. mier succès gagné par la bataille d'Orléans, OPÉRATIONS MILITAIRES. 41 qu'il extermine le corps de von der Tann avant l'arrivée de l'armée du prince Frédéric-Charles, qu'il prenne une position décidée sur leB der¬ rières de l'armée prussienne, en combinant son action avec les mouvements de l'armée du gé¬ néral Trochu, et alors nous pourrons annoncer que les chances de la fortune peuvent tourner en faveur de la France. Le moment sera peut- être venu d'obtenir une éclatante victoire sur ces Allemands enivrés par le succès et dont l'inso¬ lence ne connaît plus de bornes. Il nous semble que le général Trochu pourrait exécuter le plan suivant qui consisterait à lancer à travers les lignes ennemies et dans la direction d'Orléans, une armée de 170,000 hom¬ mes, l'élite de ses troupes, qui serait soutenue par un corps de 60,000 mobiles qui auraient reçu l'ordre de se replier sur Paris après le combat, agissant en même temps qu'un autre corps de 25,000 à 30,000 hommes qui ferait une démonstration sur un autre point. L'armée de Trochu occupant les lignes inté- 42 OPÉRATIONS MILITAIRES. rieures, le général pourrait attaquer sur un point donné avec une force de 280,000 hommes, pendant que les Prussiens ne pourraient dans le même espace de temps réunir plus de 85,000 hommes sur ce même point. Nous tenons de bonne source que les Allemands ne sont pas sans appréhensions sur un mouvement de ce genre, et si on leur en laisse le temps, ils trouveront moyen de le rendre impossible. Un nouveau décret du Gouvernement de la Défense nationale ordonne la formation d'une nouvelle armée du Sud-Ouest ; un camp d'ins¬ truction doit être établi près de Toulouse, et cette armée doit être composée des éléments sui¬ vants : les dépôts des gardes mobiles, la garde nationale mobilisée et les francs-tireurs du Gers, de la Haute-Garonne, du Tarn-et-Garonne, des Hautes-Pyrénées, de l'Ariège, de l'Aude et du Tarn. M. Demay, commandant les gardes na¬ tionales de la Haute-Garonne, doit prendre la direction de ce nouveau camp de formation; le titre de général de division vient de lui être OPÉRATIONS MILITAIRES. 43 conféré, et comme l'élément civil est introduit partout dans le département de la guerre, MM. Lissagaray et George Perrin lui sont adjoints comme délégués de la guerre avec pleins pou¬ voirs auprès de la nouvelle armée du Sud- Ouest. Nous sommes loin d'être partisans de ce sys¬ tème suivi par M. Gambetta ; quoique les com¬ missaires civils puissent être d'une grande uti¬ lité pour le recrutement, l'équipement et l'orga¬ nisation d'une armée, nous doutons fort que leurs services et leur autorité soient efficaces dans une armée entrant en campagne. Sous la première République, ils entravèrent souvent la stratégie des généraux en chef, et les erreurs du passé devraient être un avertissement pour l'avenir. Cette mesure anti-militaire ne peut produire un effet bien favorable auprès des offi¬ ciers de l'armée qui ont besoin d'encouragement et qui ont mérité d'être traités avec plus de considération. Nous apprenons que le prince Frédéric-Charles 44 OPÉRATIONS MILITAIRES. a continué sa marche et est arrivé dans l'Yonne. Le flanc droit de son armée est protégé par le 9e régiment d'infanterie prussienne, qui est déjà arrivé à Chaumont ; ses éclaireurs et une partie de son avant-garde, après avoir traversé Nemours et Malesherbes, ont oceupé Souppes et Château- Landon. Un corps de 40,000 hommes suit cette avant- garde, et le reste de l'armée du prince se met en communication avec les troupes du général von "Werder. Un corps allemand de 15,000 hommes a été détaché de Versailles pour renforcer von der ' • Tann; on peut donc porter à 160,000 hommes les forces qui viennent confronter l'armée de la Loire sur deux côtés différents. S'il est vrai, ce dont nous doutons fort, que le général d'Aurelles ait pu réunir 150,000 hom¬ mes, il aurait dû déjà attaquer von der Tann, et empêcher sa jonction avec les renforts qui lui sont envoyés. Il est du reste fort possible que ce délai n'ait OPÉRATIONS MILITAIRES. 15 pour cause que de combiner un nouveau plan qui consisterait à faire avancer le corps d'ar¬ mée réuni au Mans, d'abord sur Chartres par la voie ferrée, et de là dans la campagne, entre la route d'Orléans et Paris, la ligne de ce corps d'armée s'étendant jusque sur une des ailes de l'armée de la Loire qui n'aurait qu'à s'avan¬ cer à gauche pour soutenir ce corps d'armée. Par ce mouvement, le général d'Aurelles chan¬ gerait sa base d'opérations, il viendrait s'appuyer sur le Mans au lieu d'Orléans, et éviterait pour le moment le danger dont il est menacé, par l'approche simultanée d'une armée de 160,000 hommes dont les généraux semblent avoir pour but de le cerner. En effet, le prince Frédéric-Charles s'avance d'un côté, le général von der Tann et ses ren¬ forts s'avanceront d'un autre, et l'armée de la Loire pourrait être écrasée entre ces deux forces. Ainsi que nous le disions hier, chaque jour de délai peut changer la face des choses -, quel 46 OPÉRATIONS MILITAIRES. que puisse être le plan du général d'Aurelles de Paladine, il doit être exécuté promptement; s'il tergiverse, il sera trop tard et de nouveaux désastres viendront accabler la France. Que toutes les forces dont la France peut disposer se concentrent sur un point, nous ne ces¬ sons de le répéter, et surtout que le Gouverne¬ ment se pénètre bien qu'il n'y a pas un mo¬ ment à perdre. MOUVEMENTS STRATEGIQUES DU PRINCE FREDERIC-CHARLES. Londres, le 17 novembre 1870. Le grand jour de la lutte suprême approche. Les têtes de colonne de l'armée du prince Fré¬ déric-Charles s'avancent à marches forcées, son armée entière séra bientôt sur la Loire ; d'un OPÉRATIONS MILITAIRES. 47 autre côté les corps réunis de von der Tann et du grand-duc de Mecklembourg, renforcés par de nouvelles troupes, semblent attendre à Toury le signal qui doit décider de leurs mouvements. Un plan stratégique, habilement conçu par les généraux prussiens, nous paraît être indiqué par la route même suivie par les Allemands. Ce n'est plus une armée qu'ils veulent tenir en échec; leurs vues sont autrement ambitieuses, ils s'avancent pour cerner l'armée de la Loire, le but de leur tactique est d'essayer un nou¬ veau Sedan. D'un autre côté, nous savons que des renforts importants sont arrivés au général d'Aurelles de Paladine ; de Tours, de Nevers, du Mans, des corps nombreux sont arrivés et les prépa¬ ratifs ont été poussés, paraît-il, avec la plus grande vigueur. Nous ne pouvons qu'établir des conjectures sur la force numérique de l'armée de la Loire et sur les plans de son général en chef; le gouvernement a pris la sage mesure d'envelop- 48 OPÉRATIONS - MILITAIRES. per tous ses projets du plus grand mystère, et de tenir secrets les moindres détails militaires. Nous ne pouvons que l'en féliciter, et, nous iden¬ tifiant avec ses idées, nous nous bornons à établir nos hypothèses sur les raisonnements les plus élémentaires de la stratégie. Il est évident qu'à l'approche de deux armées imposantes qui viennent menacer son point d'appui, son centre d'opérations, le premier de¬ voir d'un général en chef est de changer sa po¬ sition, s'il n'est assuré de pouvoir résister avec avantage et s'il n'est presque certain du succès ; c'est ce qui nous fait penser que le général d'Aurelles viendrait s'appuyer sur le Mans et éviterait ainsi une attaque immédiate combinée par les deux corps ennemis formant une armée formidable. Ainsi que nous l'avons sans cesse répété ces jours-ci, un temps précieux ne devrait pas être perdu ; il ne l'est peut-être pas, nous ne censu¬ rons pas à l'avance, nous nous bornons à indiquer. Les renseignements qui nous parviennent do OPÉRATIONS MILITAIRES. 49 Versailles nous démontrent clairement que les Prussiens s'attendent à nne sortie importante de l'armée de Paris. Il serait puéril de se faire des illusions à ce sujet; les mouvements inusités des différents corps français, l'artillerie de campagne mise en mouvement sous le Mont-Valérien, la nouvelle organisation des troupes n'ont pas échappé à l'ennemi, et le général von Moltke est livré tout à coup à des appréhensions graves, auxquelles il n'était pas préparé et qui étaient loin d'entrer dans ses plans. Il se préparera sans nul doute ; les exemples du passé nous prouvent avec quelle rapidité le général sait agir et profiter de la moindre hésitation, de la moindre faute de ses adver¬ saires; lui laissera-t-on le temps de remédier au côté faible de sa position? Attendra-t-on qu'il ait rappelé autour de Paris les différents corps allemands disséminés dans le Nord et l'Ouest de la France? Nous espérons que non; nous comptons sur une action prompte et déci¬ sive. 4 50 OPERATIONS MILITAIRES. Si le général d'Aur elle s parvenait à combattre et à annihiler l'armée dn duc de Mecklembourg et de von der Tann avant l'arrivée du prince Frédéric-Charles, nous ne doutons pas un ins¬ tant que le général Trochu ne tente immédia¬ tement de s'ouvrir une route à travers l'armée prussienne, avec une partie de ses troupes. Il réussirait peut-être à opérer sa jonction avec l'armée de la Loire, et alors nous serions assez forts pour attaquer avec succès les forces alle¬ mandes tenant la campagne, et nous forcerions les assiégeants à abandonner l'investissement de Paris pour courir au secours de leurs armées de la province. Si, au contraire, le général d'Aurelles de Pala- dine était refoulé et vaincu, le général Trochu n'aurait guère amélioré sa position par une trouée réussie à travers les lignes ennemies ; il serait bientôt poursuivi par des forces égales aux siennes, et ses soldats jeunes et enthou¬ siastes, peu habitués aux longues marches, auraient à confronter une armée composée de OPERATIONS MILITAIRES. 51 vétérans aguerris encore par les succès de la campagne. C'est donc la réussite complète qu'il nous faut, une victoire signalée sur la Loire, et pres¬ que en même temps une sortie victorieuse qui permette à l'armée de Paris d'opérer sa jonction avec l'armée du général d'Aurelles de Paladine ; plus la tâche est grande, plus les efforts doivent être inouïs; la France haletante attend ces événements, qui sont appelés à décider de son sort, le moment suprême est arrivé. On annonce que les Français ont occupé Dreux. Evidemment ces troupes font partie de l'armée de Kératry ou du Mans, et ceci nous prouverait d'une manière presque positive que nous étions dans le vrai en avançant qu'il était possible que le général d'Aurelles eût l'inten¬ tion d'opérer sur le flanc droit de l'armée prussienne. Par ses mouvements, le prince Frédéric-Charles continue à menacer notre armée, son aile droite s'avance sur Auxerrej avec l'intention de 52 OPÉRATIONS MILITAIRES. traverser la Loire du côté de Châtillon. L'ob¬ jectif du prince nous paraît être Bourges, mais il est plus que probable qu'il fera une feinte pour cacher le but réel de sa marche. SITUATION MILITAIRE. - MARCHE DE FREDERIC-CHARLES. - PARIS RAVI¬ TAILLE, Londres, 18 novembre 1870. La marche du prince Frédéric-Charles sur Auxerre, l'occupation de cette ville par l'aile gauche de son armée, l'objectif fort accentué qu'il semble poursuivre en se dirigeant sur Châtillon pour traverser la Loire et se jeter sur Bourges, nous donneraient à penser qu'il exécute un plan d'opérations sur la Loire. OPÉRATIONS MILITAIRES. 53 Nous ne devons pas perdre de vue que le prince est un des plus brillants stratégistes de l'armée prussienne, le premier peut-être après le général von Moltke, qu'il a établi sa réputation d'habileté à masquer ses mouvements, que dès le début de la guerre il s'est fait remarquer par son activité et une précision d'attaque qu'il a su dissimuler jusqu'au moment décisif; aussi nous est-il difficile d'indiquer exactement la mar¬ che de ses troupes. On n'a pas oublié, sans doute, comment par une habile feinte, il trompa la vigilance du ma¬ réchal Bazaine, et amena la bataille de Borny, lorsque la plus grande partie de l'armée du Rhin avait déjà traversé la Moselle pour retrai¬ ter sur Verdun. Nous n'entrerons pas dans ces détails qui appartiennent désormais à l'histoire, nous les signalons pour sauvegarder l'avenir, pour nous prémunir contre de faux calculs. Sous peu nous connaîtrons le plan du prince ; nous saurons si l'avance de son aile gauche sur Si OPERATIONS MILITAIRES. la Loire avait pour objet de tracer la route de son armée dans la même direction, ou si ce mouvement n'était qu'une feinte pour couvrir 8a marche sur Paris ; nous aurons appris si la stratégie que nous lui prêtons de vouloir combi¬ ner une attaque générale contre l'armée de la Loire après l'avoir cernée, était fondée, si nos prévisions étaient justes. Il est un fait bien certain, c'est que son ar¬ mée s'est rapidement avancée; deux jours de marche environ la séparent des corps du duc de Mecklembourg et de von der Tann, et il peut opérer sa jonction d'un moment à l'autre, si cela fait partie de son programme. Nous aimons à croire quo le général d'Aurel- les a pris toutes ses précautions, qu'il a suivi avec précision la ligne de marche de l'ennemi ; du reste de nouveaux mouvements de l'armée française que nous tenons à tenir secrets, nous prouvent que des combinaisons habiles sont mises en œuvre pour contrecarrer les efforts du géné¬ ral prussien. OPÉRATIONS MILITAIRES. 55 Des voyageurs qui viennent de quitter Paris assurent que la capitale est approvisionnée' en vin, farine, viande salée, en quantité suffisante jusqu'au mois de mars, et que la viande fraîche ne fera pas défaut jusqu'au 1er février ; ils ajoutent que les Parisiens regardent leur position comme inexpugnable, et qu'ils ont la ferme con¬ viction de pouvoir passer à travers les lignes prussiennes, lorsqu'ils le voudront. Sans nous prononcer sur le plus ou moina d'exactitude de ces renseignements, nous pou¬ vons affirmer que les appréhensions les plus sé¬ rieuses ont remplacé à Versailles l'enthousiasme des jours passés, et que depuis la bataille d'Or¬ léans la marche du prince Frédéric-Charles et ses opérations sont suivies avec une impatience qui semblerait indiquer qu'elles sont d'un inté¬ rêt vital pour l'issue de la campagne. Ils comprennent combien elle est menaçante cette armée de la Loire, qui surgit tout à coup victorieuse, et avec laquelle ils semblent ne pas avoir compté, qu'ils se sont trompés en pensant 56 OPÉRATIONS MILITAIRES. qu'après avoir annihilé l'armée de Mac-Mahon, l'armée du Rhin, il ne restait plus à la France qu'à subir le joug du vainqueur. Aussi, n'en doutons pas, dans leur persévérance innée, ils combinent tous les moyens pour tenter un grand coup sur nos nouvelles armées; ils savent qu'ils ne peuvent attendre des succès dé¬ finitifs que lorsqu'ils auront privé Paris d'une armée de secours. Ils ajournent le bombardement, ils s'occupent surtout du général d'Aurelles, des armées du Nord, de l'Ouest; c'est à nos généraux à le comprendre, c'est à eux de voir, de bien peser la situation, et à être prêts pour la lutte su¬ prême, qui ne peut se faire attendre long¬ temps. Les forces françaises qui se sont avancées sur Dreux et sur Chartres, menaçant le flanc de l'armée du duc de Mecklembourg, pourraient obtenir d'importants résultats si elles parvenaient à remporter une victoire; poursuivant leur suc¬ cès, elles seraient à même d'attaquer l'armée du OPÉRATIONS MILITAIRES 57 prince royal, affaiblie par les maladies et les rigueurs de la température, et elles rendraient fort dangereuse la position des Prussiens sur la rive gauche de la Seine. On continue à voiler du plus grand mystère les mouvements de l'armée de la Loire; d'un autre côté, on assure que le général von der Tann et le duc de Mecklembourg se sont repliés, et qu'ils ont abandonné Toury. De deux chose l'une, ou ils retraitent sur Etampes, ou ils opèrent une marche de flanc sur la droite. Dans ce dernier cas, il est fort probable que les Français exécutent la manœuvre dont nous avons parlé, qu'ils s'avancent sur leur gau¬ che. Nous apprenons également que, pendant que le 10e corps de l'armée du prince Frédéric-Char¬ les traverse Auxerre, le reste de ses troupes est divisé en trois colonnes qui marchent parallèle¬ ment sur la Seine, par Montereau, Nogent et Fontainebleau, une quatrième colonne, qui a tra- 58 OPÉRATIONS MILITAIRES. versé l'Yonne à Sens, nous parait devoir être l'avant-garde du corps qui s'avance par Nogent- sur- Seine. Depuis quelque temps nous n'avons pas parlé du général von Manteuffel qui semblait menacer le Nord de la France, nous nous sommes exclu¬ sivement occupés de Paris et de l'armée de la Loire ; nous exposerons les mouvements de cette armée, appelée à entrer dans la lice contre les troupes du général Bourbaki. Il nous paraît presque certain que Eouen est l'objectif du gé¬ néral allemand ; par l'occupatien de cette ville, où il espérerait se maintenir, il étendrait la ligne militaire prussienne qui enveloppe une partie du Nord de la France de Boissons à Beau vais, jusque dans la riche province de Nor¬ mandie, au milieu de ce pays fertile dont Rouen est le centre. La proie est belle et tentante pour la convoi¬ tise des envahisseurs, pour ces horribles van¬ dales ; mais le général Bourbaki, qui semble s'être effacé complètement, surgira tout à coup OPÉRATIONS MILITAIRES. 59 et refoulera, nous l'espérons, les colonnes de réquisition du général von Manteuffel. L'ARMEE DE MANTEUFFEL.-DANGERS DE RETARDER NOS MOUVEMENTS. Londres, 19 novembre 1870. Il est difficile de préciser les mouvements de l'armée du général von Manteuffel ; les divers dé¬ tachements qu'il envoie dans toutes les direc- % tions, soit pour ravitailler ses troupes, soit pour masquer leur marche, tendent à dérouter toutes les suppositions. Cependant, il nous paraît probable qu'il a l'intention de se porter sur Rouen, sur le centre de cette belle province de Normandie, dont la richesse lui procurerait de nouvelles ressources 60 OPÉRATIONS MILITAIRES. et dont l'occupation au nord agrandirait la ligne militaire allemande qui s'étend déjà de Soissons à Beauvais. Les forces commandées par le général von Manteuffel s'élèvent à environ 50,000 hommes, et que leur objectif soit Amiens, comme on l'a cru d'abord, ou la Normandie, elles ne peuvent évi¬ ter de venir en contact avec l'armée de Bourbaki. Cette armée est forte de 70,000 hommes en¬ viron, elle est composée de plusieurs bataillons de mobiles parfaitement disciplinés, bien équipés et manœuvrant comme de vieilles troupes, d'un régiment complet d'infanterie de marine échappé de Sedan, de 6,000 hommes de troupes régulières et d'environ 800 officiers, dont la plupart se sont échappés de Metz après la capitulation. Après des efforts dignes des plus grands éloges, le général Bourbaki est parvenu à organiser son artillerie, elle est complète ; son armée entière est prête à prendre la campagne ; couvrant Amiens et Rouen, elle est appelée à contrecarrer les forces de von Manteuffel, aussi devons-nous nous OPÉRATIONS MILITAIRES. 61 attendre à nne bataille entre Amiens et Beauvais. Pour en revenir à l'armée de la Loire et aux évolutions qu'on lui prête, soit qu'on la fasse s'avancer en droite ligne sur Paris, soit qu'on la montre se retranchant autour d'Orléans, soit en¬ core, hypothèse que nous admettons volontiers, qu'elle ait été renforcée près de Chartres par l'armée de Kératry et qu'elle s'approche d'Etam- pes, nous ne pouvons que rappeler] nos deman¬ des incessantes de concentration et attendre pa¬ tiemment le cours des événements. Mais pour nous, le fruit de la victoire a été perdu par de trop longs délais ; les chances réelles que le général d'Aurelles avait en atta¬ quant von der Tann avant qu'il eût reçu ses renforts, ont été compromises maladroitement, l'attaque simultanée avec Trochu sortant de Paris a été ajournée indéfiniment; peut-être est-elle désormais impossible. Nous avons essayé de nous tromper nous- mêmes en cherchant des raisons atténuant l'hé¬ sitation du général en chef de l'armée de la 62 OPÉRATIONS MILITAIRES. Loire, nous avons recherché avec anxiété quels pouvaient être les dangers ou les avantages de ses combinaisons, et nous l'avouons franchement nous sommes loin de trouver que la position de l'armée de la Loire se soit améliorée. En effet, pendant que le général français semble avoir gardé sa même position auprès d'Orléans, ou pendant qu'il cherche peut-être un nouveau point d'appui sur le Mans, ou même encore qu'il marche sur Paris dans une autre direction, nous voyons par les télégrammes, que le duc de Mecklembourg et von der Tann cher¬ chent à cerner l'armée française en combinant leurs mouvements avec ceux du prince Frédéric- Charles. Non-seulement l'armée du prince occupe toute la ligne de l'Yonne, mais les colonnes de son avant-garde ont pénétré sur la droite vers No- gent et Fontainebleau, dans la direction d'Orléans, et d'autres troupes se sont avancées sur la gauche par Troyes, Saint-Florentin et Nevers, menaçant sérieusement de couper les OPÉRATIONS MILITAIRES. 63 communications de l'armée française avec la Loire et de la refouler sur l'Ouest. En perdant un temps précieux, les généraux français ont permis aux Allemands de com¬ pléter leur nouvelle ligne militaire, qui, en s'étendant aujourd'hui de Versailles à la fron¬ tière suisse, menace jusqu'au centre de la France. Ce vaste territoire, ce long réseau stratégique est envahi par une force de 180,000 Prussiens, divisés en divers corps communiquant ensemble : au Sud, de Versailles à Joinville et Toury, puis à l'Est, et en arrière de ces deux villes, sur Pithiviers, Nemours, Fontainebleau et Montereau par Sens, Joigny, Àuxerre, Semur, jusqu'à Dijon. Le prince Frédéric-Charles a établi son quar¬ tier-général à Troyes ; de ce point il peut obser¬ ver tous les mouvements et diriger ses opéra¬ tions, par la droite sur Fontainebleau et Orléans, en passant par Auxerre et Nevers ; sur la gauche il communique par Cbaumont et Châtillon avec 64 OPÉRATIONS MILITAIRES. le général von Werder, qui s'est avancé d'Epinal sur Dijon. En examinant la carte de France, il est facile de s'expliquer le système stratégique des Prus¬ siens. Prenant leur armée de Paris comme pivot, leurs forces s'étendent à droite et à gauche dans lo but de paralyser toutes les ressources militaires de la France. Tout en rendant un hommage éclatant aux prodiges accomplis dans la formation rapide, l'équipement, l'armement de nouvelles armées, tout en admirant l'énergie qui a été déployée par le Gouvernement et les chefs de ces armées, nous ne pouvons nous empêcher d'exprimer encore notre conviction, c'est que le Gouverne¬ ment ou le général en chef de l'armée de la Loire ont laissé échapper leur meilleure chance, qui consistait à poursuivre l'ennemi après la bataille d'Orléans et à s'avancer sur Paris avec rapidité et sans perdre un instant. Huit jours se sont écoulés, et sur les mêmes points où l'armée de la Loire aurait eu à com- OPÉRATIONS MILITAIRES. 65 battre 30,000 ou 40,000 hommes, elle en trou¬ vera 150,000 ; Trochu lui-même en faisant une trouée aurait désormais à affronter une armée presque égale à la sienne en dehors des assié¬ geants. Un télégramme du roi de Prusse à la reine Augusta, en date du 17 courant, annonce que le duc de Mecklembourg a repoussé les Français sur toute la ligne jusqu'à Dreux ; un second télégramme de la même source confirme la nou¬ velle et ajoute que le général von Trescow a fait évacuer la ville de Dreux à un corps de 7,000 mobiles et qu'il les a rejetés sur le Mans. Nous n'avons encore des nouvelles que par Versailles, aussi devons-nous être assurés que l'exagération est grande, et qu'une affaire, pro¬ bablement d'avant-postes est donnée par les Prussiens comme une défaite sérieuse de l'armée de la Loire. Par les télégrammes mêmes, nous nous aper¬ cevons qu'il n'y a eu d'engagé dans ce combat qu'un corps de mobiles, l'avant-garde probable- 5 66 OPÉRATIONS MILITAIRES. ment du corps d'armée du général Fierck, et la victoire que le roi de Prusse, en annonçant que l'armée française a été battue sur toute la ligne dans la direction de Dreux, nous paraît maté¬ riellement impossible, car nous tenons de source officielle qu'à la date de ce combat, l'armée de la Loire était concentrée entre Orléans et Ar- tenay, c'est-à-dire à 90 kilomètres de Dreux à vol d'oiseau. Nous réservant de donner de longs détails et d'éclairer nos lecteurs sur l'importance de ce combat, auquel les Prussiens semblent vouloir donner tant de valeur, nous répéterons que nous ne pensons pas que cela puisse avoir été autre chose qu'un engagement d'avant-postes, et que l'occupation de Dreux ne nous parait pas devoir faire partie de la ligne stratégique suivie par l'armée de la Loire. En même temps, ce mouvement offensif semble devoir nous prouver une fois de plus que le général d'Aurelles de Paladine a perdu un temps précieux, qu'une attaque générale par les OPÉRATIONS MILITAIRES. 67 Prussiens ne tardera pas à avoir lieu, et que la position de l'armée de la Loire devient de plus en plus périlleuse. Cependant nous espérons toujours ; peut-être les armées françaises se sont-elles concentrées, peut-être l'inaction du général en chef n'est-elle qu'apparente j apprendrons-nous bientôt la réu¬ nion de tous les corps d'armée sur un point stratégique ? C'est là notre seule chance de salut, nous ne cessons de le répéter m COMBAT DE DREUX. GRAVES APPREHENSIONS! - LA FERE. Londres, 21 novembre 1870. Quoique nous soyons convaincus que l'enga¬ gement qui vient d'avoir lieu aux environs de Dreux, n'ait pas eu l'importance que lés dépè- 68 OPÉRATIONS MILITAIRES. ches du roi de Prusse semblent vouloir lui attribuer, nous avons des appréhensions graves sur le cours des événements qui sont appelés à lui succéder. Sans vouloir nous ranger parmi les pessi¬ mistes, et tout en conservant le plus grand espoir en la Providence sur l'avenir de la France, quoique nous restions persuadés que le grand peuple est appelé à se relever de ses désastres, nous ne pouvons nous empêcher de manifester nos craintes, hélas ! peut-être trop fondées sur les résultats que doit amener infailliblement, d'après nous, la tactique suivie par le commandant en chef de l'armée de la Loire. , Tout en reconnaissant que toutes les difficultés à surmonter ont été grandes, tout en notant chaque jour les efforts héroïques de nos soldats, l'énergie de leurs chefs, la tâche immense qu'ils ent eue à remplir, leur persévérance à vaincre tout obstacle pour créer des armées au milieu même de l'invasion, pour discipliner leurs sol- OPÉRATIONS MILITAIRES. 69 data en quelques semaines presque sous le feu de l'ennemi, nous ne pouvons déguiser notre pensée, et nous empêcher de poursuivre froide¬ ment notre but, qui est d'éclairer autant que possible l'opinion publique, et de nous préparer contre des déceptions qui deviennent plus amères, lorsqu'elles ont à faire place à des illusions nourries secrètement. Les faits militaires, la probabilité de leurs effets ne doivent pas être discutés ou tracés au point de vue de nos désirs, de nos espérances ; ils doivent être enregistrés et suivis d'après les règles mathématiques de la stratégie, d'après les lois des forces qui se rencontrent. Aussi, lorsque nous ne cessions de répéter, depuis la bataille d'Orléans surtout, que le gé¬ néral d'Aurelles de Paladine n'aurait pas dû perdre un instant pour attaquer von der Tann, et rendre possible sa jonction avec l'armée de » Paris, s'ouvrant un passage à travers l'armée allemande, nous n'ignorions pas que quelques 70 OPÉRATIONS MILITAIRES. jours de retard changeraient forcément la face des choses. Nous suivions sur nos cartes géographiques, la marche de ces armées nouvelles s'avançant à grands pas ; le prince Frédéric-Charles à la tête de 75,000 hommes, le duc de Mecklembourg avec 40,000 autres, le général von Werder avec un corps important et de nouveaux renforts venant de Versailles pour appuyer le corps d'armée du général von der Tann. Nous prédisions ce plan gigantesque du général prussien portant ses troupes sur des points donnés, massant ses forces sur ses lignes staté- giques, essayant d'envelopper l'armée de la Loire dans un cercle de fer, menaçant nos braves colonnes d'une nouvelle catastrophe. Tristes prévisions ! Nous sommes aujour¬ d'hui en face du danger ; nous avons déjà décrit les points occupés par les Prussiens, et quelles que soient les mesures qui aient été prises par le général en chef français, la position de l'armée de la Loire nous semble des plus critiques. OPÉRATIONS MILITAIRES. 71 On a laissé à l'ennemi le temps de se masser, de réunir toutes ses forces dans un rayon de quelques lieues, et plus de 150,000 hommes viennent affronter l'armée française, l'artillerie prussienne prend sanB doute ses positions, et le drame de Sedan que nous vîmes se dérouler devant nos yeux, se présente malgré nous à notre esprit. Loin de nous la pensée injuste de censurer le brave et énergique général qui est à la tête de notre vaillante armée ; il serait téméraire de commenter ses intentions sans en connaître le mobile, de lui reprocher son inaction lorsque peut-être des circonstances que nous ne sommes pas à même de connaître ou d'apprécier, ont motivé sa prudence, lorsque peut-être il va révéler au monde une de ces savantes combi¬ naisons qui marquent dans l'histoire des guerres. Espérons qu'il aura réuni autour de lui des forces plus considérables que celles de l'ennemi, que l'Ouost, que la Bretagne, que Kératry, lui 72 OPÉRATIONS MILITAIRES. auront fourni un contingent qui lui permettra de combattre avec succès les forces réunies des Allemands. Pour en revenir au combat de Dreux, il paraî¬ trait que l'attaque sur les mobiles a été faite par la 17e division du corps du duc de Meck- lembourg, et le télégramme même du roi de Prusse, qui oublie de remercier la Providence, ainsi qu'il a l'habitude de le faire dans les grandes occasions, nous prouverait, par sa teneur même, que cet engagement n'a eu qu'une impor¬ tance secondaire; le Roi ne fait mention ni de nos grandes pertes, ni de capture de canons, et Dreux paraît avoir été occupé presque sans ré¬ sistance, la colonne française s'étant repliée sur le corps d'armée dont elle fait partie. Le bruit a couru qu'à la date du 17, l'avant- garde de l'armée de la Loire était arrivée à Etampes, à 40 kilomètres de Paris. Cette rumeur nous paraît peu fondée. D'un autre côté, ou nous assure que le 14, le gros de l'armée de la Loire étaif massé entre Orléans et Artenaj» OPÉRATIONS MILITAIRES, 73 que deux vastes camps retranchés avaient été assemblés sur la Loire. Est-ce une feinte de guerre pour masquer le mouvement des troupes? Est-ce un centre de résistance pour conserver la ligne de la Loire ? C'est ce que nous saurons très-prochainement. Les Prussiens reconnaissent eux-mêmes qu'a¬ près la victoire remportée à Orléans, la marche en avant de l'armée de la Loire les aurait fortement gênés en les forçant de dégarnir leurs lignes autour de Paris pour venir au secours de leurs corps bavarois ; et par contre, cet affaiblissement d'un de leurs points d'investis¬ sement aurait donné à Trochu une occasion favorable d'opérer une sortie. Mais puisqu'ils l'avouent, c'est qu'évidemment ces éventualités sont aujourd'hui prévues et rendues impossibles. Chaque jour de délai est en leur faveur, et le langage qu'ils tiennent à ce sujet, ne doit laisser aucun doute sur l'effica¬ cité de leurs combinaisons. Le général allemand 'qui commande l'armée 74 OPÉRATIONS MILITAIRES. de Toury, a évidemment changé la position de son aile droite, qui s'appuiè à l'Ouest d'Anger- ville, pendant que son aile gauche occupe la ligne du chemin de fer de Paris à Orléans. La position prise par cette armée prussienne tendrait à nous indiquer que les Français effectuent un mouvement tournant sur leur propre gauche. Enfin, les armées sont presque face à face, con¬ vergeant à quelques lieues de distance les unes des et autres le choc suprême ne peut tarder à avoir lieu. Dans le Nord, les Prussiens, après avoir oc¬ cupé Chauny et Comy-le-Château, assiègent la Fère, dont ils chercheront à s'emparer rapide¬ ment. La possession de cette place forte est importante à plusieurs points de vue; elle a un dépôt d'artillerie, et se trouve être la clé de la Picardie et de la Normandie ; elle servirait comme base d'opérations à une armée envahis¬ sant la Normandie, et sa prise ouvrirait aux Allemands une nouvelle ligne de retraite. Là encore, nous retrouvons le génie de von Moltke ; OPERATIONS MILITAIRES. 75 mais La Fère se défendra vaillamment, et l'armée qui s'avance de ce côté viendra se heur¬ ter contre l'armée du Nord. MOUVEMENTS STRATEGIQUES. MONTMEDY. Londres, 22 novembre. Le Gouvernement de la Défense nationale ayant avec juste raison prohibé la publication de toute nouvelle relative au mouvement des troupes, nous devons nous attendre à rester dans le va¬ gue, et nous contenter de guider nos lecteurs sur des probabilités basées sur les faibles télé¬ grammes qui nous parviennent. Il semblerait que le général d'Aurelles de Pa* ladine, qui occupait ces jours^-ci une ligne mi- 76 OPÉRATIONS MILITAIRES. litaire entre Artenay et Chartres, ait opéré de ce dernier point un mouvement sur son aile gauche dans la direction d'Etampes. Le général von der Tann aurait abandonné Toury et se serait porté sur cette même ville. Le mouvement du général français s'explique¬ rait naturellement de la manière suivante, et son plan serait facilement compris : par une marche de flanc des plus rapides et des plus audacieuses, il se serait placé tout à coup entre le corps de von der Tann se repliant sur Paris, et celui du duc de'Mecklembourg s'avançant sur sa droite, du côté de Dreux. Les Bavarois se trouveraient ainsi coupés du côté de Paris et dans une position critique qui ne leur laisserait d'autre alternative que de se retirer du côté de l'Est pour rejoindre l'armée du prince Frédéric-Charles entre Fontainebleau et Auxerre. Pour opérer cette marche, le général d'Au- relles, après avoir maintenu les Allemands près de Toury, avec son aile droite, aurait insensi- OPÉRATIONS MILITAIRES. 77 blement poussé son aile gauche et le centre de son armée dans la direction de Chartres, et se repliant tout à coup sur Ablis par une marche de flanc, il serait revenu au Sud-Est sur Etam- pes par la route d'Orsonville à Boutervillers ; les Bavarois se voyant ainsi menacés auraient aban¬ donné Toury, ainsi que nous le disons plus haut, pour éviter d'être cernés sur ce point-là par les deux ailes de l'armée française, tout en se lais¬ sant couper de leurs communications avec Paris. Si le mouvement dont nous parlons a eu réel¬ lement lieu, le général d'Aurelles a gagné un grand point ; par sa marche rapide, il aura évité d'être attaqué ou gêné dans ses projets, et sa position actuelle lui permettra peut-être un engagement sur Paris avec une sortie du géné¬ ral Trochu. D'un autre côté, il se sera exposé à un grand danger, en laissant sur ses derrières l'armée du prince Frédéric-Charles réunie à celle du duc de Mecklembourg, qui pourrait l'attaquer avec suc¬ cès et lui couper la retraite. 78 OPÉRATIONS MILITAIRES. D'autres renseignements tendraient à nons prouver que l'armée de la Loire s'est portée sur le Nord pour se joindre à Kératry s'avan- çant de l'Ouest, et à Bourbaki venant du Nord- Est. Ces mouvements masqués avec habileté au¬ raient pour but de se concentrer, puis de se porter sur Paris avec toutes les forces réu¬ nies. Si en avançant l'une ou l'autre de ces théories, nous nous trouvons dans le vrai, l'inaction ap¬ parente du général en chef de l'armée de la Loire aurait caché des combinaisons qui sont appelées à amener d'importants résultats et, comme nous le disions hier, nous pourrions nous attendre à des opérations qui marque¬ raient dans les annales de la stratégie. La ligne de frontière du Luxembourg belge, entre Longwy et Montmédy, est occupée depuis quelques jours par des colonnes prussiennes assez fortes; Montmédy, cette petite forteresse qui depuis Sedan a été assiégée à plusieurs reprises et sans succès, vient d'être investie OPÉRATIONS MILITAIRES. 79 par un corps de 6,000 Allemands; plusieurs sorties des braves mobiles qui forment la gar¬ nison ont été victorieuses puis repoussées par le nombre, et, dans une de ces dernières af¬ faires, ces braves soldats ont perdu plusieurs des leurs, et ont laissé des prisonniers dans les mains de l'ennemi. Ces drames de chèque jour à nos extrêmes frontières, ceB héroïques défenses, ces luttes dé¬ sespérées, sont à peine signalés; ils disparais¬ sent devant des préoccupations plus graves, de¬ vant le siège de Paris, devant les évolutions des grandes armées, et cependant que de pages à écrire sur tant de nobles dévouements pas¬ sant inaperçus ! Après la bataille de Sedan, nous eûmes l'oc¬ casion de passer à Montmédy et d'être témoins de la première attaque dirigée contre la ville par les Prussiens, et si nous relatons ce fait déjà noyé dans notre esprit, au milieu de tant d'événements, c'est parce qu'il était bien fait pour nous frapper. 80 OPERATIONS MILITAIRES. Sept batteries prussiennes dirigèrent pendant une journée entière un feu incessant contre la forteresse, les coups de canon des assiégeants se répétaient sans relâche, douze obus à la minute étaient dirigés sur la place, de trois à quatre boulets lancés par les canons des remparts ré¬ pondaient à ce feu, pendant le même espace de temps. Nous crûmes à une résistance impossible, les dégâts causés par le feu de l'ennemi devenaient de plus en plus effrayants; la préfecture, la mairie, plusieurs des maisons étaient déjà la proie des flammes, la garnison composée de mo¬ biles, qui voyaient le feu pour la première fois, avait faibli. Seuls, le brave commandant de place, le capi¬ taine Rebaul, son second, l'ex-capitaine au long cours Loirée, aidés par un zouave et le sous- préfet, ne désespéraient pas; ils servaient eux- mêmes les canons, pointaient les pièces avec précision, et lorsque le parlementaire allemand se présenta pour la seconde fois, ils lui décla- OPÉRATIONS MILITAIRES. 81 rèrent qu'ils s'enveliraient sous les ruines de la place, plutôt que de rendre. Ter s le soir, une batterie prussienne fut dé¬ montée et l'ennemi se retira après un essai infructueux. Tels sont les hommes résolus que des troupes allemandes viennent de nouveau assaillir, et si elles réussissent, ce ne sera pas certainement sans qu'il leur en coûte cher. Parmi les différents combats sans grande im¬ portance qui nous sont annoncés par divers télégrammes, il en est un que nous ne pouvons passer sous silence. Ricciotti Garibaldi a surpris et défait à Châ- tillon, une colonne allemande de sept à huit cents; hommes tous ont été tués ou faits prison¬ niers. C'est un brillant début qui inaugure en France l'entrée en scène de ces vaillants volon¬ taires accourus pour nous aider. 6 82 OPÉRATIONS MILITAIRES. MESURES PRISES PAR LE GENERAL VON MOLTKE. - POSITIONS DE L'AR. MEE DE ï REDERIC-CHARLES ET DU GENERAL D'AUR ELLES DE PALA- DINE. - SOUVENIRS RETROSPEC¬ TIFS. Londres, 23 novembre. Nous ne nous étions pas trompés dans nos prévisions; le général von Moltke, en reconnais¬ sant le nouveau danger presque inattendu qui venait le menacer dans l'armée de la Loire , a pris des mesures promptes et, nous le craignons, fort efficaces pour résister à toute combinaison menaçante. Semblant abandonner tout à coup les travaux qu'il faisait construire autour de Paris, il paraît n'avoir eu d'autres préoccupations que de com¬ biner un nouveau plan et de s'occuper de ses OPÉRATIONS MILITAIRES. 83 lignes extérieures et de la marche de ses armées de campagne. Il a concentré ses troupes, les a massées autour de la capitale avec plus d'ensemble que jamais; il a envoyé deux corps de .renfort et doux divisions de cavalerie pour appuyer le duc de Mecklembourg et lui permettre de tenir ses communications avec le corps d'armée du gé¬ néral von der Tann. Les forces réunies ou plutôt communiquant ensemble de ces deux généraux, s'élèvent à un effectif de 94,000 hommes, auquel il faut ajouter un corps de réserve de 70,000 hommes formé de Bavarois et des divisions de Wurtemberg, soit 164,000 hommes. On dit que l'avant-garde du prince Frédéric- Charles est arrivée à Etampes ; c'est donc au¬ jourd'hui une nouvelle armée de 240,000 hommes, qui couvre l'armée prussienne de Paris et fait face à l'armée de la Loire. Il paraîtrait que les troupes réunies aujour¬ d'hui sous le commandement du général d'Au- 84 OPÉRATIONS MILITAIRES. relies de Paladine, et composant son armée, ont été augmentées d'un nombre considérable de soldats de toute arme, expédiés des divers dépar¬ tements. On assure même que son chiffre atteint 200,000 hommes et que l'artillerie est forte de 200 canons. Les mobiles en forment le plus grand élément, et leur supériorité sur les troupes régulières est aujourd'hui parfaitement établie. C'est, en effet, l'élite de la jeunesse française, les représentants de la vigueur et de l'intelligence de la nation. Au point de vue physique et moral, c'est peut-être la plus belle armée que la France ait jamais eue ; le corps des officiers est composé de propriétaires, de négociants et de jeunes gens appartenant aux professions libérales; ils se sont fait soldats par devoir, et leurs rapides progrès dans l'art militaire, leur activité ont été puisés dans la raison et le savoir. A côté d'eux, les régiments de marohe, com¬ posés des dépôts de bataillons de la ligne, ont OPERATIONS MILITAIRES. 85 été épurés par la discipline stricte et sévère du général d'Aurelles ; leurs commandants ont été choisis parmi les capitaines les plus distingués de l'armée et ils forment aussi une partie remar¬ quable de l'armée de la Loire. D'après les différents mouvements qui ont eu lieu pendant le cours de la semaine dernière, nous allons chercher à établir la position des armées allemandes et françaises. Le grand-duc de Mecklembourg occuperait une ligne s'étendant de Châteauneuf au sud-ouest de Dreux, sur la droite, jusqu'à Chartres et à gauche jusqu'à Etampes ; von der Tann aurait été poussé sur cette même ville par une partie de l'armée de la Loire, pendant que l'autre partie de cette armée se serait appuyée sur Chartres, et que le général Fiereck se serait avancé sur Château- neuf. La marche des Français indiquerait un plan d'attaque sur le flanc de l'armée allemande, ou peut-être une feinte habile pour dérouter l'en¬ nemi. 86 OPÉRATIONS MILITAIRES. Vainement nous cherchons à nous expliquer ce plan, c'est un problème à résoudre dont la clé est dans les mains du général d'Aurelles de Paladine. Si le général livre bataille en maintenant sa position sur la Loire à Orléans, l'aile droite de son armée sera fortement appuyée sur les camps retranchés et les ouvrages armés d'artillerie qui ont été construits près de la ville ; mais sa gauche devra s'étendre jusqu'à Dreux, et sera ainsi exposée à être coupée. Nous ne croyons guère à cette tactique qui serait plutôt défensive qu'offensive. Cependant, si l'armée de la Loire parvenait à écraser les troupes de von der Tann, du grand- duc de Mecklembourg et l'aile droite du prince Frédéric-Charles au nord-ouest d'Orléans, avant que l'aile gauche et le centre de l'armée du prince aient le temps de se porter sur le sud-est de la ville, ce plan entraînerait probablement d'heu¬ reux et importants résultats pour nos armes. Mais les délais, qu'à tort ou à raison le général OPERATIONS MILITAIRES. 87 d'Aurelles a apporté dans son action, ne nous permettent guère d'établir nos hypothèses sur les données que nous avons eues depuis la bataille d'Orléans; la réalité des choses nous sera bien¬ tôt dévoilée par la force des événements; cette question vitale pour la France peut être tranchée d'un moment à l'autre ; nous ne devons plus comp¬ ter par jours, mais bien par heures. Que la grande bataille, qui nous paraît inévi¬ table, ait lieu, soit à Orléans, soit à Chartres, soit près d'Etampes, si d'Aurelles de Paladine est vaincu, chose que nous craignons fort, à moins que Trochu n'ait pu combiner une sortie et, faire une diversion, les dernières espérances militaires de la France se seront évanouies. L'armée de Paris sera plus que jamais cernée et se trouvera forcément dans une position identique et aussi grave que l'armée du Rhin, lorsqu'elle était étreinte impitoyablement à Metz par les forces du prince Frédéric-Charles. Dans les moments suprêmes on a vu souvent la témérité la plus outrée opérer des miracles, 88 OPÉRATIONS MILITAIRES lorsque la prudence et l'inaction basées sur une sage stratégie, auraient pu conduire à la ruine. O'est ce qui nous avait rendu si partisans de ce mouvement rapide'sur Paris de l'armée de la Loire, c'est ce qui nous avait fait espérer que Trochu, profitant de la victoire remportée à Orléans, aurait coupé les lignes prussiennes après une vaillante sortie, et aurait fait sa jonction avec le général d'Aurelles. Là était le salut ; puisse-t-il n'être pas trop tard pour qu'une combinaison semblable ait encore des chatfces d'être exécutée. Les rapprochements sont inévitables ; dans ce drame si soudain, au milieu de ces péripéties qui se suivent et semblent se répéter fatalement, nous ne pouvons chasser de notre esprit les comparaisons sur les événements. Mac-Mahon dans les Ardennes, courant à la délivrance de l'armée du Rhin, aurait probable¬ ment réussi dans les plans audacieux qui parais¬ sent lui avoir été dictés, si un retard, un malen- OPERATIONS MILITAIRES. 89 contreux délai dont l'histoire expliquera la cause, n'était survenu, et n'eût donné le temps au prince royal de Prusse d'atteindre son armée et de le forcer à livrer bataille dans une position désavantageuse. Bazaine faisant à tout prix une sortie pour se joindre à Mac-Mahon, avait alors plus de chances de quitter Metz, de rompre le cercle de fer qui l'entourait, qu'il n'en eût depuis. Sedan et Metz, tels sont les résultats de cette hésitation, de cette ligne de prudence peut- être. Et dire qu'aujourd'hui, séparés par quelques semaines seulement de ces terribles désastres par lesquels la pauvre France a perdu plus de 300,000 de ses vaillants soldats, nous nous trou¬ vons dans une position presque semblable, et dire que nos généraux semblent suivre fatale¬ ment les mômes errements. Les leçons du passé ne profiteront donc jamais ! Suivons la marche des Prussiens, et 90 OPERATIONS MILITAIRES. l'analogie entre ces événements nous frappera encore davantage. Toujours la même stratégie du général von Moltke, simple comme la vérité, allant au but comme la ligne droite, sans broncher devant des détours oiseux ; comme dans une vaste partie d'échec, ses armées s'avancent sur un point ; les obstacles peuvent les arrêter un instant, mais ils ne les font pas dévier. La scène est transportée sur la Loire au lieu de la Meuse, l'objectif est Paris au lieu de Metz; c'est le prince Frédéric-Charles qui accourt au lieu du prince royal de Prusse ; c'est Trochu, c'est Aurelles de Paladine, au lieu de Mac-Mahon et de Bazaine ; mais c'est toujours la France, sublime dans ses derniers efforts, la France attendant dans son agonie le grand capitaine qui doit surgir pour la sauver. Qu'il arrive ce sauveur de la patrie, que la Providence fasse s'arrêter là les rapprochements que nous venons de citer; espérons avec con¬ fiance, mais loin de nous les illusions. OPÉRATIONS MILITAIRES. 91 PRESSENTIMENTS. - MARCHE SRATE- GIQUE ET PROJETS DE L'ENNEMI. Londres, 24 novembre 1870. Nous sommes souvent obligés de faire des res¬ trictions sur les mouvements opérés par l'armée française , quelquefois même nous pouvons paraître vagues, mais nos lecteurs voudront bien comprendre que nous devons user de la plus grande prudence et éviter de fournir à nos ennemis des renseignements qui pourraient nuire à notre cause. Nous avons parlé plusieurs fois de la force numérique de l'armée de la Loire et nous sommes à même aujourd'hui d'en donner le chiffre exact et d'indiquer la position que les différents corps occupaient à la date du 20 courant. Les forces entre Orléans et Toury s'élevaient t 92 OPÉRATIONS MILITAIRES. à 150,000 hommes, 25,000 couvraient le Mans, 35,000 étaient à Vendôme, 30,000 à Bourges. De plus, 50,000 hommes occupaient Nevers et 40,000 autres étaient échelonnés entre Autun et Chagny. Nous ne reviendrons pas sur la description des divers éléments qui ont concouru à former cette armée, nous en parlions hier ; nous nous contenterons d'ajouter que le général d'Aurelles a sur la Loire 15,000 hommes de cavalerie, 100 mitrailleuses, plusieurs batteries d'artillerie et, en outre, 150 petites pièces de campagne qui peuvent être transportées à dos de cheval ou de mulet. La discipline est aussi solidement établie que dans l'armée prussienne et les officiers ne per¬ dant pas un instant de vue leurs soldats, parta¬ gent avec eux les travaux et les privations de la campagne. Le moral de l'armée ne laisse plus rien à désirer, la confiance la plus entière dans l'avenir OPÉRATIONS MILITAIRES. 93 et dans leurs forces a remplacé le découragement d'autrefois. Sans nul doute, les opérations ont été retar¬ dées par les pluies torrentielles qui n'ont cessé de tomber depuis quelques jours, la marche des colonnes a été entravée par le transport de l'artillerie à travers des routes effondrées. Mais nous restons toujours persuadés que les camps retranchés d'Orléans ne sont pas destinés à soutenir une attaque générale, ainsi que nous l'avons déjà expliqué dans de précédents articles, cette position de notre armée serait fort dange¬ reuse ; nous serions plutôt disposés à regarder la Loire comme devant être la seconde ligne d'opérations du général d'Aurelles, qui ne s'étant pas avancé sur Paris, serait forcé de se replier sur l'Ouest devant les forces menaçantes de l'ennemi. Ce mouvement de retraite que nous prêterions à l'armée de la Loire, nous paraît être le plus probable, dès que nous admettons que le général d'Aurelles no s'est pas avancé sur Paris et qu'il 94 OPÉRATIONS MILITAIRES. n'a pas opéré sa marche de flanc dont nous avons parlé et dont nous avons signalé tous les dangers. Si nous en croyons les derniers télégrammes qui nous sont parvenus, Chateaudun était occupé, il y a deux jours de cela, par une colonne de l'armée française, et les Prussiens s'étaient avancés au Nord-Ouèst jusqu'à Yèvres, au Nord jusqu'à vingt-deux kilomètres de Meslay-le-Vidame et de Bonneval, et à l'Ouest ils n'étaient plus qu'à treize kilomètres de la route d'Orléans et tout près du village de la Boudinière. Ces différentes excursions de l'ennemi, ces poin¬ tes poussées par son avant garde, ne seraient- elles que le prélude d'une attaque sur le flanc gauche des Français, dans le but de les rejeter sur Orléans, pendant que l'aile gauche du prince Frédéric-Charles, traversant la Loire au-dessus de la ville, s'emparerait des alentours, de l'Ouest au Sud, et couperait la retraite de notre armée sur le Cher ou sur Tours ? En examinant la carte, nous voyons que les OPÉRATIONS MILITAIRES. 95 divers points dont nous avons parlé se trou¬ vent sur les trois voies qui convergent de Cha. teaudun, et sur les routes de Dreux à Chartres ; c'est par là que les troupes du duc de Meck- lembourg devraient s'avancer pour tourner l'armée française. Un combat qui vient d'avoir lieu à Breton- celles et l'occupation par les Prussiens de No- gent-le-Botrou, nous donnent à penser que cette théorie pourrait bien être la vraie. Lé corps allemand qui a pris cette dernière ville, est composée de 30,000 hommes, * il me¬ nace le Mans, et sa marche rapide sur l'Ouest, nous fait déduire la fatale conséquence, qu'il est l'avant-garde d'une armée qui court à l'investis¬ sement des troupes du général d'Aurelles de Paladine. En effet, la ligne militaire du duc de Meck- lembourg et du prince Frédéric-Charles paraît s'étendre de Nogent-le-Rotrou à Dreux, Etampes, Malesherbes, Montargis et Anxerre, elle est ap¬ puyée sur l'armée qui assiège Parisj et à moins 96 OPÉRATIONS MILITAIRES. qu'elle ne soit coupée promptement sur un de ses points par le général d'Aurelles, elle par¬ viendra, nous le croyons, à envelopper l'armée de la Loire. N'oublions pas, cependant, que ce plan straté¬ gique peut venir échouer aussi contre les forces réunies entre Nevers et Bourges, 80,000 hommes environ, dont Bourbaki vient de prendre le com¬ mandement ; si ce nouveau corps d'armée e3t aussi bien discipliné et organisé que le gros de l'armée de la Loire, il opposera une barrière sérieuse à l'approche de l'ennemi, et s'il parve¬ nait à remporter une victoire sur les Prussiens, il les placerait dans une position périlleuse tout en déjouant leur plan de campagne. Le roi de Prusse n'a pas été sans inquiétude sur la marche de nos troupes, des mesures promptes ont été prises, le général von Man- teuffel a reçu l'ordre de se hâter de joindre l'armée de Paris, et la concentration des troupes jointes aux mouvements dont nous venons de parler, a été poursuivie avec vigueur. OPÉRATIONS MILITAIRES. 97 Les efforts suprêmes de la France les ont surpris, la lutte est tout à coup redevenue sé¬ rieuse, lorsqu'ils pensaient toute résistance im¬ possible; et quel que soit le sort que les événements leur réservent, nos nouvelles armées ont bien mérité de la patrie. Enfin nous sommes à la veille d'un grand conflit; l'attitude héroïque de la nation, l'éner¬ gie avec laquelle les préparatifs ont été faits, l'abnégation de nos soldats, leurs progrès rapides dans le maniement des armes, le succès rem¬ porté à Orléans, ont rétabli la confiance et ramené l'espoir. Qu'une nouvelle victoire nous arrive, et nous serons vraiment forts, et le cours des choses changera en notre faveur ; de nouvelles armées seront formées, de nouvelles légions viendront combattre auprès de nos braves colonnes et l'avenir de la France reparaîtra radieux. Le canon ne peut tarder à gronder, le mo¬ ment décisif approche, jamais peut-être l'heure ne fut plus solennelle pour un grand pays. 7 98 OPÉRATIONS MILITAIRES. LE GENERAL TROOHU. - MARCHE DE FLANC DU DUC DE MECKLEM- BOURGSURLE MANS. - REFLEXIONS STRATEGIQUES. Londres, 25 novembre 1870. Nous en sommes à nous demander quelle peut être la raison qui a empêché jusqu'ici le général Trochu d'opérer une sortie, et de profiter des occasions qui se sont présentées pour attaquer l'armée prussienne autour de Paris; à ce sujet, les opinions paraissent être divisées. D'un côté, on prétend que le général ne s'est arrêté à aucune combinaison sérieuse, qu'il n'a pas le moindre plan de campagne, et qu'il attend du hasard le soin de guider une grande opéra¬ tion contre l'ennemi ; d'un autre côté, on assure que le gouverneur de Paris est loin d'avoir l'au- OPERATIONS MILITAIRES. 99 torité indispensable pour agir à sa volonté et avec vigueur. On doit reconnaître ses efforts, et la manière efficace avec laquelle il a su co-ordonner les res¬ sources qui étaient à sa disposition pour la dé¬ fense de la capitale ; l'armement des remparts, la construction d'ouvrages avancés, l'organisation de son armée, la discipline introduite parmi ses soldats et ses volontaires, sont autant de titres en fiveur de sa renommée; mais là ne doit pas s'arrêter la tâche d'un grand capitaine ; il doit chercher à tirer profit de ses forces lorsqu'il les a créées. Loin de nous la pensée de vouloir censurer des actes que nous ne connaissons que vague¬ ment ; nous n'avons pas la prétention de juger nos vaillants soldats de Paris et leur chef, lors¬ que le récit de leurs actions ne nous parvient qu'à travers la mitraille des canons prussiens. Nous nous bornons à rechercher quelle a pu être la cause d'une inaction que les stratégistes semblent blâmer et que les raisonnement s 100 OPÉRATIONS MILITAIRES. les plus simples nous font apparaître sous un faux jour. On prétend qu'à plusieurs reprises, le général a été entraîné par des influences qu'il n'a pas eu la fermeté de combattre, qu'il a faibli devant des tribuns ou devant l'opinion d'une majorité de ses gardes nationales. Nous ne connaissons pas assez le gouverneur de Paris pour nous prononcer sur sa force de caractère ; nous savons que sa position est dif¬ ficile, pleine d'écueils et nous nous rappelons la haute réputation dont il jouissait dans l'armée française. Mais nous ne pouvons admettre qu'un gé¬ néral en chef se laisse contrôler devant l'ennemi ; s'il a un plan, il doit le suivre, et nul gouvernement raisonnable ne viendra contre¬ carrer les dispositions prises par un chef mili¬ taire, lorsque surtout elles auront été acceptées dans un conseil de guerre. L'art militaire est spécial, il ne peut être régi par les mêmes lois qui gouvernent soit un pays OPERATIONS MILITAIRES. 101 entier, soit une ou plusieurs classes de la so¬ ciété ; en guerre surtout, un général qui connaît sa valeur, qui a de l'expérience, qui a du savoir, doit être muni de pouvoirs illimités. La dictature dans l'armée est indispensable sous n'importe quel gouvernement, c'est cepen¬ dant ce qu'on paraîtrait avoir oublié à Paris, si nous en croyons quelques renseignements qui nous parviennent. Trochu et son brave lieutenant, le général Ducrot, auraient, paraît-il, à plusieurs reprises manifesté leur désir d'effectuer une sortie géné¬ rale, ils en auraient démontré l'urgence et les conseils de guerre assemblés auraient partagé leur avis ; maiB les citoyens, les maires et les influents parmi les gardes nationaux, auraient été loin d'être de leur avis. Nous ne pouvons croire que les habitants de Paris se soient mis à discuter les plans des gé¬ néraux, que les avocats aient voulu diriger les mouvements stratégiques, que les penseurs et les tribuns se soient crus tout à coup chefs d'armée, 102 OPERATIONS MILITAIRES. au moment surtout où la malheureuse France attend haletante que Paris décide de ses des¬ tinées. On ne combat pas l'ennemi à coups d'éloquence et d'arguments, le canon appelle le canon, la direction d'une armée appartient de droit au chef et non à ceux qui l'ont nommé; les ordres d'un général doivent être donnés de son quartier- général, et non d'une tribune ou d'un cabinet d'affaires. Paris est une forteresse, ce n'est plus la capi¬ tale ; devant les forces ennemies qui la cernent, elle doit être régie par les lois militaires en vigueur dans toute place forte. Le Gouvernement de la Défense nationale a dû le comprendre, et s'il en était autrement, un chef énergique, un général courageux devrait essayer d'imposer sa volonté ; au risque même de perdre sa position, il devrait faire comprendre par ses actes même que, pour réussir, un géné¬ ral doit conserver toute son initiative, que son autorité ne peut être amoindrie sans encourir OPERATIONS MILITAIRES. 103 les plus grands dangers pour les troupes qu'il commande. Le roi de Prusse continue d'envoyer à Berlin des télégrammes sur des faits d'armes isolés et sur l'occupation des différentes villes où arrivent ses soldats ; aujourd'hui, c'est à Bretoncelles, puis à la Loupe, puis à Nogent ; il. semblerait au premier abord, que ces nouvelles soient en¬ voyées dans le but d'excuser des retards, ou de pallier l'effet produit en Allemagne par la dé¬ faite d'Orléans. Mais il nous semble plus probable que le but du Eoi, en faisant connaître des rencontres qu'on dédaignait presque d'enregistrer dans le com¬ mencement de la campagne, est d'indiquer la marche de ses armées sur des points stra¬ tégiques et de calmer l'impatience des Alle¬ mands. En suivant ces mouvements, nous en voyons la portée ; les Prussiens sont arrivés à Yernon, sur la route d'Argentan à Alençon ; cette colonne ennemie opère, d'après nous, une 104 OPÉRATIONS MILITAIRES. marche de flanc dans la direction de la Mayenne. L'occupation de Nogent-le-Rotrou par les Prus¬ siens, nous parait être une étape dans la direc¬ tion du Mans; Nogent se trouve sur la route de Chartres au Mans, à égale distance entre ces deux villes et sur les confins du département d'Eure-et-Loir. Les lignes allemandes se trouveraient ainsi passer du Mans à Chartres, Angerville ou Etam- pes, Pithiviers, Montargis, enveloppant dans un demi-cercle l'armée de la Loire; leur but serait de la rejeter sur Orléans, pendant que l'armée du prince Frédéric-Charles, traversant la Loire au-dessus de cette ville, lui couperait sa retraite sur le Midi. Quel que puisse être le grand événement que nous prépare le général d'Aurelles, quelque inat¬ tendue que puisse être son action générale, si nous analysons les télégrammes, si nous suivons la marche des armées sur nos cartes militaires, nous trouvons le résultat suivant : Les Allemands exécutent une marche de flanc 106 OPÉRATIONS MILITAIRES. feete facilement, mais au lieu de regarder en face ses malheurs, l'idée lui vient bientôt qu'il ne doit pas s'y arrêter, et il reprend sa vie dans le domaine des rêves et des illusions. Que de fois, pendant les événements qui vien¬ nent de se succéder si rapidement, nous avons dé¬ mérité aux yeux de nos compatriotes, que de fois nous nous sommes exposés aux soupçons de passer pour des pessimistes de la pire espèce, lorsque, venant des champs de bataille, nous annoncions les tristes résultats dont nous ve¬ nions d'être les témoins oculaires. Le Français a besoin de reposer son esprit dans le bonheur; il ne peut, il ne veut penser aux désastres probables du lendemain, il éloigne toute appréhension, et par des raisonnements insensés, il s'endort dans une fausse sécurité qu'il n'aime pas à voir troubler. Il vit par le cœur dans une sphère élevée qui le porte à l'enthousiasme, il aime à se sentir crédule, il déteste la vérité lorsqu'elle doit déranger la quiétude bien-aimée. OPÉRATIONS MILITAIRES. 107 Et c'est pourtant ainsi, à cause même de ce parti-pris, sans qu'il s'en rende compte, qu'il poursuit souvent un but chimérique et qu'il s'égare dans les faux sentiers de l'illusion. Pour lui, le moindre petit avantage en temps de guerre, compense dix revers ; une bataille gagnée à Orléans fait oublier dix provinces ra¬ vagées, les frères, les amis disparus, la capitale assiégée, et le nombre toujours croissant des dangers qui l'entourent. Pour nous, qui jugeons froidement les faits, qui sommes à l'abri de l'éloquence des tribuns et des vantardises coupables qui égarent le bon sens de tout un peuple, nous avons pris la triste mission do combattre ces erreurs en exposant l'état des choses dans leur brutale réalité. Nous suivons les événements, notre espérance est réduite aux proportions de celle d'un con¬ damné, et, quoique nous admirions les sublimes efforts de la lutte, que nos vœux, que nos prières ne cessent d'êtres ardentes et Bincères pour notre 108 OPÉRATIONS MILITAIRES. pauvre France, nous nous demandons à chaque nstant : où allons-nous ? Sans gouvernement reconnu, sans chef mili¬ taire, désorganisés par la révolution intérieure dans nos systèmes administratifs, nous marchons en téméraires ; nos sageB ont ont été écartés des conseils, nos hommes de valeur éloignés devant l'ambition politique. Et cela devant l'ennemi, lorsque le roi de Prusse habite tranquillement au milieu de son état-major de princes, la ville de Louis XIV, lorsque le prince Frédéric-Charles s'avance pour cerner notre nouvelle armée, lorsque les colon¬ nes allemandes occupent nos villes sur presque jous les points de la France. Après cette digression, nous reprenons notre travail mathémathique, et nous allons continuer à citer les faits militaires, à établir nos hypo¬ thèses et à suivre la marche des armées. Ainsi que nous le disions hier, le duc de Mecklembourg continue sa marche de flanc sur la Mayenne, retardée par le mauvais état des OPÉRATIONS MILITAIRES. 109 routes depuis les dernières pluies ; il est à trente kilomètres du Mans. Se heurtera-t-il à Kératry, dont les troupes occupent le camp de Conlie, aux portes de cette ville, ou prendra-t-il une autre route ? C'est ce que nous ne pouvons manquer d'apprendre dans le cours de la journée peut-être. D'Aurelles de Paladine, le nouveau généralis¬ sime de toutes les armées en dehors de Paris, a peut-être envoyé des renforts à l'armée du Mans, et dans ce cas, une bataille nous paraîtrait inévitable sur ce point. Les mouvements de l'armée de la Loire opérés la semaine dernière, semblaient indiquer l'inten¬ tion de tourner l'aile droite prussienne ; mais ce plan ayant été abandonné pour des motifs qui nous sont inconnus, il nous paraît évident que le gros des troupes est massé entre Orléans, Toury et Cbateaudun. Chartres sera probablement le centre des grandes opérations, et le point stratégique qui sera disputé si, comme nous le pensons, 110 OPÉRATIONS MILITAIRES. one bataille est engagée sur toute la ligne à la fois. Des ouvrages importants ont été construits par les Français au nord d'Artenay, à Artenay même et devant Orléans. Ils sont armés et dé¬ fendus par d'excellentes pièces d'artillerie, leur utilité deviendrait immense pour s'appuyer en avançant sur Chartres, et pour protéger une retraite ; tel est évidemment le but qu'ils sont appelés à remplir. L'armée de la Loire est aussi forte et plus nombreuse peut-être que l'armée allemande qui lui fait face, elle est admirable dans les élé¬ ments qui la composent ; née du patriotisme des classes intelligentes qui y ont apporté leur contingent sans distinction de partis, elle représente la jeunesse, la vigueur de ce grand pays. Nous nous sommes étendus déjà sur ce sujet intéressant, nous avons reconnu qu'en élan, qu'en courage, qu'en détermination, qu'en discipline, cette armée atteignait, si elle ne dépassait pas, OPÉRATIONS MILITAIRES. Ill tout ce que nous pouvons avoir eu pendant l'Empire. Mais nous le craignons fort, quoique ample¬ ment munie d'armes de précision, quoique son artillerie soit importante, elle doit pécher par la pratique; le maniement des armes ne s'apprend pas dans un mois, il faut des années pour faire un bon artilleur. Ne nous ne le dissimulons pas, la guerre mo¬ derne est barbare, c'est une lutte d'engins plus ou moins forts, plus ou moins bien servis, les temps chevaleresques ont disparu, le matérialisme des races du Nord a remplacé l'idéal des races latines, le sang-froid et l'habileté de précision ont pris la place du courage et de l'énergie des combats d'autrefois. L'élan de ceux qui étaient appelés à juste titre les premiers soldats du monde est venu s'échouer devant les obus et les boulets qui, à trois et quatre kilomètres de distance, peuvent à coup sûr décimer leurs rangs. Que peut-on espérer devant ces foudres de guerre dirigées par 112 OPÉRATIONS MILITAIRES. des hommes qui ont passé leur vie à en étudier la précision et les effets, et qui sont protégés par la distance ? Ah ! qu'on nous mette en champ clos, que nos braves soldats aient à combattre à armes égales, que la fameuse attaque à la baïonnette des Français soit encore possible, et nous ne doute rons plus de nos succès, nous annoncerons la victoire. Mais ces temps sont passés, ils ne revien¬ dront pas, nous suivrons les progrès barbares de l'art de la guerre, nous deviendrons comme nos ennemis, des instruments habiles à servir les pièces formidables que nous construirons, nous nous préparerons à lutter à armes égales, et alors nous pourrons vaincre ; mais il nous faut du repos, il nous faut du temps. Au début de la campagne, les armées alle¬ mandes, imbues de la discipline la plus sévère, semblaient vouloir donner au monde un exemple d'humanité ; le pillage, la mauvaise conduite OPERATIONS MILITAIRES. 113 des soldats étaient sévèrement réprimandés par les chefs. Nous nous félicitions dans notre impartialité, de voir inaugurer par les Prussiens une ère nouvelle qui devait adoucir les malheurs de la guerre ; mais hélas ! cet esprit de modération n'a pas duré longtemps, les excès ont bientôt remplacé les actes d'humanité. Aujourd'hui, le meurtre, le viol, le pillage or¬ ganisé, le vandalisme le plus outré semblent être le seul mobile qui fasse agir les soldats allemands, la brutalité de Blùcher semble re¬ naître, viendra-il un nouveau Wellington pour arrêter les orgies des soudards ? Le monde civilisé ne peut tarder à envoyer aux envahisseurs une protestation efficace; au dix-neuvième siècle, on ne peut tolérer les prin¬ cipes du mal, des actes renouvelés des hordes barbares du moyen-âge. 8 114 OPÉRATIONS MILITAIRES. LES ARMEES SONT FACE A FACE! LA BATAILLE EST COMMENCEE. Londres, 28 novembre 1870. Nous venons d'apprendre qu'on se bat dans la direction du Mans, qu'on se bat à Artenay et aussi dans le Nord du côté d'Amiens. Nous annoncions depuis plus d'une semaine qu'une bataille était imminente sur la Loire, et les rumeurs qui nous parviennent nous parais- sent fondées. En attendant des nouvelles avec la plus vive impatience, au milieu de l'anxiété bien naturelle que nous éprouvons devant cette heure solennelle qui va décider si la France est encore à même de lutter ou si elle doit s'a¬ vouer vaincue, nous supputons dans notre esprit les chances que nous pouvons avoir, nous cher- OPERATIONS MILITAIRES. 115 chons à nous rendre compte de la position des armées. Elle nons paraît claire ; nous basant sur les documents reçus par les derniers courriers, nous croyons pouvoir l'établir d'une manière presque certaine. Prenant Paris comme point extrême d'un triangle rectangle sphérique, dont les deux côtés seraient formés par les armées prussiennes, et l'bypotbénuse par l'armée de la Loire, nous allons développer les opérations probables et celles qui ont eu lieu. Au sud-ouest de Paris, les Allemands ont une ligne militaire partant de Versailles, pour aboutir au Mans par Dreux, Nogent-le-Rotrou, Vendôme ; c'est le duc de Mecklembourg et von der Tann qui s'avancent pour couper l'armée de Kératry et de Fiereck de ses communications avec l'armée de la Loire. Il est presque certain qu'un engagement est inévitable do ce côté-là ; la marche du général allemand est audacieuse, il peut être attaqué 116 OPÉRATIONS MILITAIRES. simultanément sur ses deux flancs par le général d'Aurelles et l'armée du Mans ; ses forces s'élè¬ vent à un effectif de 60,000 hommes, et les généraux français peuvent lui opposer de 70,000 à 80,000 hommes environ. Sur ce point, l'avantage stratégique est en faveur des Français, aussi nous attendons-nous à voir cette marche de l'ennemi combinée avec une attaque générale sur les points dont nous allons parler. Au Sud-Est, le prince Frédéric-Charles, avec ses 100,000 hommes, occupe Etampes, Fontaine- t f bleau, Montargis, Gien ; il s'avance pour tourner l'armée de la Loire et couper ses communica¬ tions avec Bourges. Pendant qu'il exécute sa marche, un de ses corps d'armée, venant d'Etampes, attaquera les Français entre Artenay et Toury. L'armée de la Loire formant l'hypothénuse de ces deux lignes triangulaires, est fortement retranchée sur Orléans ; l'aile droite s'étend à OPÉRATIONS MILITAIRES. 117 Artenay, le centre vers Chateaudan, l'aile gauche entre Chateaudun et Vendôme. Trois lignes de défense ont été établies, elles sont fortifiées par divers ouvrages armés d'artil¬ lerie; la première de ces lignes est sur Arte- nay, la seconde sur Chateaudun, la troisième sur Orléans ; il semblerait que le but principal de oe plan stratégique du général français eût été de former des lignes de retraite en s'avan- çant vers Paris et en tenant sur les derrières une force assez imposante pour faire face à l'ennemi s'il parvenait à attaquer sur les flancs de droite et. de gauche. Mais le mouvement offensif qu'on préparait, a probablement été déjoué par les marches ra¬ pides de l'ennemi, par ses audacieuses manœuvres, et la défensive a dû être prise sans plus d'hé¬ sitation. Cependant, n'oublions pas que nous parcourons le domaine des hypothèses, que nous pouvons nous tromper, qu'un plan savamment conçu va être exéouté peut-être au moment même où tout 118 OPÉRATIONS MILITAIRES. nous paraît compromis, n'oublions pas que c'est 200,000 hommes environ qui sont concentrés dans un rayon de quelques lieues, sous les ordres du général d'Aurelles de Paladine. La bataille se livre probablement dans ce moment-ci, et, si nous ne nous trompons, elle doit avoir lieu presque en même temps entre lo Mans et Vendôme, entre Chartres et Chateaa- dun, et entre Orléans et Artenay. Les plus grands efforts des Français doivent être dirigés sur la défense de la ligne du Mans; la possession de cette ville par les Allemands séparerait l'armée de la Loire, de l'Ouest et du Nord de la France, laisserait à découvert le flanc gauche de d'Aurelles et menacerait sérieusement Tours, la capitale provisoire du Gouvernement. Pensant avoir saisi le but de l'armée prus¬ sienne, nous nous expliquons facilement les com¬ bats d'avant-postes qui ont eu lieu à Maizières, petit village près de Chateaudun, à Neuville, au nord-est d'Orléans, sur la route de Pithiviers et au Bois-Cramieu, dans la direction de Château- OPÉRATIONS MILITAIRES. 119 neuf et de Montargis ; ces mouvements d'attaque nous démontrent d'une manière positive le plan des Prussiens d'envelopper l'armée française dans un demi-cercle dont les extrémités aboutiraient à la Loire. Le général d'Aurelles doit avoir compris la stratégie de l'ennemi ; il doit avoir pris de sages mesures, les camps retranchés autour d'Orléans semblent l'indiquer; mais nous l'avouerons fran¬ chement, ses chances de succès nous paraissent faibles devant l'imminence du danger qui le menace. Nous résumerons ainsi les chances auxquelles nous faisons allusion : premièrement une atta¬ que vigoureuse et rapide sur l'aile droite prus* sienne pourrait annihiler le duc de Mecklem* bourg, pris entre un corps d'armée de la Loire et les forces des généraux Fiereck et Kératry. Secondement, une concentration formidable de ses troupes entre Chateaudun et Artenay lui donnerait un avantage marqué sur le centre allemand, qui doit nécessairement avoir été af- 120 OPERATIONS MILITAIRES. faibli par le mouvement des troupes marchant pour cerner l'armée française. Il est facile de comprendre que la grande ba¬ taille ept inévitable, elle ne peut être ajournée, il est même probable qu'elle a eu lieu et qu'un télégramme va nous en apporter les résultats. La position est des plus critiques; si nous sommes vaincus, les dernières espérances de la France se seront évanouies devant la destruction de notre nouvelle armée, car il ne serait guère possible de penser à la retraite qui probablement serait coupée. Peut-être des mesures de prudence ont-elles été prises, peut-être le gros de la Loire s'est-il déjà replié vers l'Ouest et la Bretagne, nous lais¬ sant supposer que les combats dont nous avons parlé, les ouvrages fortifiés autour d'Orléans, ne sont que des ruses de guerre pour protéger l'ar- rière-garde et couvrir la retraite des corps d'ar¬ mée d'Aurelles de Paladine. Ces engagements ont eu lieu près d'Amiens, la ligne du chemin de fer de Rouen à Caen et OPÉRATIONS MILITAIRES. 121 au Mans a été coupée par les Prussiens à Ser- quigny, le général von Manteuffel paraît s'être dirigé en toute bâte sur Compiègne, l'armée allemande autour de Paris se resserre davan¬ tage dans son oercle d'investissement. Le canon gronde dans toutes les directions, au Nord, au Midi, à l'Ouest et à l'Est ; la lutte est engagée ou est sur le point de l'être; la bra¬ voure de nos volontaires, le dévouement pa¬ triotique de nos jeunes colonnes vont subir une rude épreuve; tout est possible à la Provi¬ dence. Nous pouvons sortir viotorieux de cette lutte inégale; conservons un peu d'espoir, mais ne nous faisons pas d'illusions sur la gravité des événements qui nous menacent. 122 OPERATIONS MILITAIRES. DISSERTATION MILITAIRE. - LE JOURNAL OFFICIEL. - BATAILLE D'AMIENS. Londres, 29 novembre 1870. Les armées sont face à face, des combats d'avant-postes ont eu lieu, tout indique une grande bataille ; les dépêches venant de Tours et l'organe officiel du Gouvernement nous annoncent de grands succès remportés par les Français. Malgré toute la déférence que nous devons aux efforts du Gouvernement de la Défense nationale, nous n'ajoutons qu'une croyance fort bornée à l'exactitude de leurs nouvelles ; il nous semble même puéril de leur part de parler de victoire, lorsque la position est aussi grave qu'elle puisse l'être, lorsqu'ils doivent savoir, s'ils consultent OPÉRATIONS MILITAIRES. 123 leurs cartes stratégiques, que l'armée de la Loire est en péril. Péril extrême en effet, s'il est vrai, comme dit le Moniteur, que la ligne française s'étend depuis Ghateaudun jusqu'à Gien, une distance de plus de trente lieues. Mais nous n'admettons pas la haute fantaisie de ces renseignements, nous ne pouvons pas croire qu'en présence des armées prussiennes qui s'avancent en masses compactes à l'extrémité de cette ligne militaire, et qui, d'un autre côté, menacent le centre de nos opérations, le général en chef ait pu commettre l'erreur de s'affaiblir en s'étendant sur un si long parcours. Nous ne verrions pas le moindre avantage dans cette manœuvre, qui au contraire, tourne* rait forcément contre nous ; d'Aurelles de Pa* ladine ne s'exposerait pas à se faire couper sur plusieurs points, il aura calculé les difficultés presque insurmontables que le mauvais état des terrains offrirait au transport rapide de son ar¬ tillerie sur un point donné. La plaine est 124 OPÉRATIONS MILITAIRES. détrempée, les routes sont effondrées par les dernières pluies ; comment pourrait-il livrer bataille sur une ligne immense, lorsqu'on quelques heures il pourrait avoir besoin de concentrer ses forces sur un grand centre de résistance. Nous croyons être dans le vrai en nous en tenant à la position que nous avons indiquée déjà : l'armée de la Loire est concentrée dans un rayon de quelques kilomètres autour d'Orléans, l'armée du prince Frédéric-Charles opère son mouvement pour tourner les positions françaises du côté de Montargis et Gien, pendant que le duc de Mecklembourg poursuit la même opération du côté de Vendôme, avec cette diffé¬ rence toutefois qu'il cherche en même temps à couper Kératry et Fiereck et à isoler leurs corps d'armée. Les escarmouches qui ont eu lieu n'ont été évidemment que des engagements sans impor¬ tance entre les Prussiens et les postes avancés français, les premiers ayant pour but de OPÉRATIONS MILITAIRES. 12S sonder nos forces, d'en apprécier les positions, et les derniers de reconnaître le plan et la marche de l'ennemi. Le Moniteur ajoute qu'une bataille est immi¬ nente, en ceci nous sommes de son avis, nous ne voyons pas comment elle pourrait être évitée, et il est même probable qu'elle a eu lieu ou qu'elle a tout au moins commencé. Une chose nous frappe surtout dans le journal officiel, c'est que tout en établissant les succès de nos armes, il prétend que le général d'Au- relles a été tellement pressé sur l'aile gauche de son armée, entre Chateau-du-Loir et Vendôme} qu'il a jugé prudent de se replier sur le centre de son armée ; il aurait donc abandonné Cha- teaudun, il aurait donc renoncé à attaquer ou à se défendre sur la ligne qui nous paraissait lui être la plus favorable. Car, d'après nos calculs, combattre d'abord le duc de Mecklembourg sur le Loir, pendant que l'armée de Kératry le prenait en flanc, était une des premières combinaisons à suivre, et il sem- 126 OPÉRATIONS MILITAIRES. blait les avoir adoptées, aussi nous est-il impos¬ sible de nous rendre compte de ce mouvement annoncé par le Moniteur. En effet, comment admettre que le général français, après un succès ou même une marche habile dans la direction de Château-du-Loir, se serait tout à coup replié sur Chateadun, puis à plusieurs lieues de cette ville sur le centre de son armée. Il aurait donc abandonné Tours, il aurait donc fait pendant deux journées entières, une marche de flanc sous les yeux même de l'ennemi. Admettons encore qu'il se soit retiré sur Tours pour couvrir cette ville et protéger le Gouverne¬ ment ; mais dans ce cas-là, loin de se concen¬ trer, il s'écarterait entièrement de la partie de son armée laissée à Orléans, et serait assuré d'être battu en détail. Devant l'imminence du danger, nous le répé¬ tons, la seule chance sérieuse qui nous parais¬ sait militer en sa faveur était précisément de OPÉRATIONS MILITAIRES. 127 masser ses troupes en avant de Chateaudun, d'établir fortement sa droite dans les camps re¬ tranchés d'Orléans, pour contenir le prince Frédéric-Charles, et se jeter sur l'armée du duc de Mecklembourg. Par une attaque rapide et bien combinée avec Kératry, il coupait la retraite de l'ennemi sur Versailles, se rejetait sur la Normandie ou sur la Bretagne, et accourait avec ses troupes victorieuses affronter le prince Frédéric-Charles. Il pourrait très-bien se faire qu'après des feintes sur plusieurs points, le général d'Au- relles suivît le plan que nous indiquons , mais il n'a pas de temps à perdre. Il n'a pas oublié sans doute que la triste expérience nous a prouvé que nous ne devions pas compter nos marches sur celles des Prussiens, que nous sommes bien plus lents à nous mouvoir, que lorsque nous ferons trois ou quatre lieues, ils en font six ou sept. Qu'il se rappelle bien comment le duc de Magenta fut surpris par la marche extraordi- 128 OPÉRATIONS MILITAIRES. naire du prince royal de Prusse sur Sedan : Mac-Mahon quittait Reims lorsque le prince n'était pas encore arrivé à Châlons, et ce der¬ nier le dépassa dès le troisième jour. Qu'il ne se fie pas à ces lignes intérieures pour mesurer les distances, il doit compter les heures qui s'écoulent et non les milles à par¬ courir par l'ennemi. Avant qu'il puisse le cerner, qu'il comprenne bien que déjà il n'est plus le maître, qu'on le resserre de plus en plus. Hélas! n'avons-nous pas que trop deviné ce qui allait avoir lieu, n'avons-nous pas prévu quels seraient les résultats des délais apportés dans les opérations de notre armée depuis la bataille d'Orléans? Nous n'avons cessé de répéter qne si on per¬ dait un temps précieux, quels que fussent du reste les avantages qu'on espérait pouvoir en tirer, on courait à la ruine en laissant avancer l'armée du prince Frédéric-Charles. Si on vou¬ lait frapper un grand coup, on avait alors dix chances contre celle qui peut rester aujour- OPERATIONS MILITAIRES. 129 d'hni ; nous ne pressentions que trop ce plan presque infaillible suivi par les Prussiens et qui est toujours le même. Comme à Gravelotte, comme à Metz, comme à Sedan, comme à Paris, suivez la carte de notre pauvre France et voyez si ces masses som¬ bres ne s'avancent pas toujours comme le destin vers ce but bien arrêté, presque immuable, d'en¬ vironner nos vaillantes colonnes dans un cercle de fer. Dans quelques heures peut-être nou3 appren¬ drons de grands événements, nous attendons avec impatience, nos vœux les plus ardents sont tournés vers la Loire, puissions-nous avoir à dé¬ crire de grands et solides succès. Encore un désastre pour les armes françaises. L'armée du général von Manteuffel vient de rem¬ porter une victoire sur notre armée du Nord. Le champ de bataille s'étendait entre Villers- Bretonneux et Boves, à quelques kilomètres au sud d'Amiens; les résultats de la bataille qui a duré toute la journée, semblaient être en fa- 9 130 OPERATIONS MILITAIRES. veur des Français. Ils se sont vaillamment battus, ils ont maintenu leurs positions jusqu'à quatre heures et demie, puis ils ont été forcés de se replier sur la Somme et vers leurs camps retran¬ chés; hier, Amiens a été occupé par les Alle¬ mands. L'engagement a commencé dès huit heures du matin et ne s'est terminé que vers six heures du soir; une force de 30,000 hommes formait l'ar¬ mée assaillante. C'étaient de vieux soldats aguer¬ ris de l'armée prussienne, et lorsque nous nous rendons compte de l'héroïque résistance de nos jeunes colonnes, nous ne pouvons nous empê¬ cher de nous demander où était leur ancien commandant. Il y a dix-huit jours de cela, nous prédisions qu'une bataille était inévitable de ce côte-là, mais nous ajoutions que le général Bourbaki, le brave commandant d'Afrique qui avait créé l'armée du Nord, saurait arrêter von Manteuffel et protéger le nord de la France. Aussi grand a été notre étonnement lorsque OPÉRATIONS MILITAIRES. 131 nous avons appris, il y a de cela peu de jours, le rappel du brave général qui avait toute la confiance de ses soldats, qui était doué de l'ha¬ bileté nécessaire pour tirer parti de leur ardeur. Mais non, le Gouvernement de la Défense na¬ tionale a jugé que les précédents politiques de¬ vaient être nuisibles à l'action du général; les tribuns croient devoir étendre leurs mesures dic¬ tatoriales jusque sur nos illustrations militaires, sur nos chefs de corps, alors même qu'abandon¬ nant leurs sympathies privées ils ont loyalement prêté leurs concours à la patrie en danger, alors même qu'ils rendent de nouveaux services. On n'a jamais vu, même sous les gouverne¬ ments les plus despotiques, un pareil état de de choses ; révoquer un général qui fait son devoir, lui ôter son commandement lorsqu'il a pris toutes ses mesures, lorsque l'ennemi s'a¬ vance. Ce n'est pas le premier exemple de ce genre; dans l'Est, le général Cambriels a eu le même sort. Que le triumvirat de Tours prenne garde, la 182 OPÉRATIONS MILITAIRES. France a las yeux sur lui, il assume une res¬ ponsabilité bien sérieuse ; il oublie trop que c'est la France qu'il faut sauver d'abord et non la République que personne ne songe à menacer. Ab ! nous l'avouons sincèrement, notre courage faiblit, notre espoir disparaît en voyant nos in¬ térêts les plus chers compromis par l'inexpé¬ rience et les préoccupations politiques du Gou¬ vernement. Où est donc le sauveur qui pourrait surgir pour nous sauver de l'abime qui menace de nous engloutir ? OPÉRATIONS MILITAIRES. 133 DETAILS SUR LA BATAILLE D'AMIENS TACTIQUE PRUSSIENNE. - ENGAGE¬ MENT A BEAUNE-LA-ROTONDE. - LE MOMENT APPROCHE. Londres, 1 décembre 1870. Ainsi que nous l'annoncions hier, l'armée du Nord a subi un échec sérieux après une bataille qui a duré toute la journée du 27 ; quelques détails compléteront la triste nouvelle que nous avons eue à enregistrer. L'armée française, sous les ordres du général Faidherbe, de l'infanterie de marine, occupait uno position retranchée entre la Somme et la rivière Celle ; elle se composait de 40,000 hom¬ mes environ, mobiles, régiments de marche, ar¬ tillerie servie par les marins. L'aile gauche s'appuyait sur Yillers-Breton- 134 OPÉRATIONS MILITAIRES. neux, le centre sur Boves et l'aile droite sur Dury ; l'ergagement, qui devenait de plus en plus vif, s'étendit bientôt sur toute la ligne, des prodiges de valeur furent accomplis de part et d'autre, le terrain fut disputé pied à pied et l'avantage se dessina en faveur de nos armes. Cependant, l'artillerie prussienne qui n'avait cessé de diriger un feu soutenu et meurtrier contre nos braves colonnes, avait pris de nou¬ velles positions ; les ravages qu'elle faisait dans nos rangs augmentaient d'heure en heure, et bientôt notre aile gauche et le centre de notre armée commencèrent à faiblir. Ce fut alors que le commandant prussien, le général von Manteuffel, suivant une tactique devenue traditionnelle depuis les dernières ba¬ tailles, fit avancer sous le couvert de son artil¬ lerie son corps de réserve de 20,000 hommes, qu'il avait tenu à l'abri de nos obus, pendant qu'il lançait à l'attaque 15,000 de ses soldats sous les ordres du général von Goeben. Nos malheureuses troupes qui avaient essuyé OPÉRATIONS MILITAIRES. 135 pendant toute la journée le feu de l'ennemi, qui avaient accompli des prodiges de valeur, se virent tout à coup, et au moment même où la victoire leur souriait, assaillies par un corps d'armée formidable et composé de troupes fraîches. Notre aile gauche et notre centre furent re¬ poussés, mais l'aile droite, faisant bonne conte¬ nance jusqu'au dernier moment, protégea la retraite, et se replia en combattant dans le camp retranché d'Ovens. La nuit survint, le combat avait cessé et l'armée du Nord, après un conseil de guerre, reçut l'ordre de la retraite ; cette retraite paraît avoir été exécutée en bon ordre, et ce n'est que le lendemain que les Prussiens ont pu occuper Amiens, cette belle capitale de la Picardie. Malgré les renseignements contradictoires qui ne manqueront pas de nous être fournis sur les forces des deux armées, nous nous baserons sur les données que nous possédions avant la ba- 136 OPÉRATIONS MILITAIRES. taille pour juger approximativement l'effectif des troupes engagées. Les Français n'étaient pas moins de 40,000 hommes, et l'armée de von Manteuffel peut être évaluée à 70,000. Mais, quoique nous ayons à reconnaître une défaite, nous devons faire re¬ marquer, que jamais peut-être pendant la cam¬ pagne, la résistance n'a été plus grande et la retraite mieux combinée. C'est loin d'être une déroute, et les Prussiens ont payé chèrement l'occupation de la ville d'Amiens si longtemps convoitée ; ils n'ont pas pris de canons, et par les télégrammes mêmes qui annoncent leur victoire, ils avouent que leurs pertes ont été grandes. Dans cette bataille comme dans tous les en¬ gagements importants de la oampagne auxquels nous avons assisté, la même manière de procéder des Prussiens nous frappe de plus en plus : elle consiste à attaquer avec toute l'artillerie, à n'ex¬ poser qu'une faible partie des troupes et à tenir les masses en réserve jusqu'à ce que les colonnes OPÉRATIONS MILITAIRES. 137 françaises soient épuisées, puis tout à coup par une manœuvre rapide, ils jettent toutes leurs forces sur l'ennemi et ébranlent les divisions par un choc irrésistible. C'est certainement une des raisons qui nous ont fait regretter l'absence du général Bourbaki à la tète de l'armée qu'il avait en partie formée, qu'il avait disciplinée ; son expérience gagnée à Borny, à Mars-la-Tour, à Gravelotte, lui aurait fait juger de la position et peut-être, au lieu d'une douloureuse défaite, nous aurions le bon¬ heur de signaler une victoire. Revenons maintenant à l'armée de la Loire ; c'est là surtout, dans le bassin de ce fleuve, que va se dérouler le grand drame qui doit décider du sort de la France; tous les esprits sont tendus vers ce beau pays jadis si riant, aujourd'hui si tristement éprouvé. La grande bataille n'a pas encore été livrée, mais des combats importants ont eu lieu ; on dit qu'ils sont favorables à nos armes, que nous sommes vainqueurs sur plusieurs points ; mais 138 OPÉRATIONS MILITAIRES. ne nous laissons pas emporter par un enthou¬ siasme trop hâtif, examinons froidement notre position, et préparons-nous à supporter succès ou revers avec calme et fermeté. N'oublions pas que de Versailles aux rives du Loir et de la Sarthe, que d'Etampes à Montar- gis et Gien, un demi-cercle de feu nous menace, que les armées du duc du Mecklembourg et du prince Frédéric-Charles cherchent à entourer notre vaillante armée, que von der Tann s'avance sur le centre, que le général von Werder, culbu¬ tant Garibaldi, cherche à gagner Nevers et Bour¬ ges pour nous couper la retraite. Cependant prenons courage, la partie est en¬ gagée, il n'y a plus à reculer ; enhardis par des succès, les enfants de la France peuvent tout, les fils des héros de Valmy ne sont pas encore vaincus. Des dépêches de Versailles et de Tours nous annoncent un combat victorieux pour nos armes contre le 10e corps d'armée allemand et une di¬ vision de cavalerie prussienne j plus de mille OPERATIONS MILITAIRES. 139 ennemis ont été tués ou mis hors de combat. Cet engagement a eu lieu hier à Beaune-la- Rolande, entre Montargis et Pithiviers; l'enne¬ mi a été repoussé et a laissé des canons entre nos mains. Sans nous étendre sur cette affaire, nous en concluons que les deux armées étant en présence, la grande bataille va se livrer; d'Aurelles de Paladine a évidemment concentré le gros de son armée entre Orléans et Artenay, les avant-postes de son aile droite occupant Beaune-la-Rolande, pendant que l'extrême de son aile gauche semble toucher vers Vendôme, au corps de Kératry et du général Fiereck. L'objectif évident des Prussiens est de res¬ serrer leur demi-cercle autour de l'armée de la Loire, d'un côté près de Blois et de l'autre vers Gien; le duc de Mecklembourg arriverait par Vendôme, Frédéric-Charles par Montargis, pendant que von der Tann s'avancerait au centre pour former un demi-cercle» Les engagements partiels qui viennent d'avoir 140 OPÉRATIONS MILITAIRES. lieu nous prouvent que le général d'Aurelles de Faladine ayant parfaitement saisi le plan de l'ennemi, a lancé son aile droite sur Frédéric- Charles pour entraver sa route à la hauteur de Montargis, pendant qu'une partie de son aile gauche opère sur Vendôme pour arrêter le duc de Mecklembourg. En même temps,f_il aura probablement renforcé son centre et l'aura concentré derrière les ou¬ vrages fortifiés d'Orléans, où il attendra l'attaque de von der Tann ; l'avantage des lignes inté¬ rieures lui permettra, s'il en est besoin, de se¬ courir à volonté l'une ou l'autre des ailes de son armée. Résamant ainsi la position stratégique des deux armées, nous serions portés à conclure que le général d'Aurelles aurait des chances de succès ; mais il faut admettre pour cela que son artillerie soit aussi forte que celle de l'ennemi, qu'elle soit aussi bien servie, et que ses jeunes troupes soient en état de lutter avec la môme vigueur que les troupes aile- OPERATIONS MILITAIRES. 141 mandes aguerries par les victoires successives de la campagne. Nous n'osons pas espérer, tellement les résul¬ tats d'une victoire seraient inouïs; nous pou¬ vons les résumer en ces quelques mots : Le prince Frédéric-Charles et le duc de Meck- lembourg battus par l'aile droite et l'aile gauche de l'armée française, d'Aurelles de Paladine pour¬ rait annihiler les forces de von der Tann avec le gros de son armée, Trochu sortir de Paris, et la France radieuse se relever de ses désastres. Quant aux dangers que nous courons, ils sont grands et sérieux, nous les avons déjà signalés plusieurs fois, et nous nous abstenons d'y reve¬ nir aujourd'hui. 142 OPÉRATIONS MILITAIRES HYPOTHESES ET PROBABILITES. - NOS VOLONTAIRES. - PROJET DE MARCHE AU SECOURS DE PARIS. - CONCENTRATIONS DES FORCES ALLEMANDES. Londres, 2 décembre 1870. Il est difficile de se rendre nn compte bien exact du résultat de l'engagement qui a eu lieu dans la journée du 28 à Beaune-la-Rolande ; mais on peut juger d'après les télégrammes quel a dû être le mobile des deux commandants en chef. Les renseignements qui nous parviennent sont contradictoires ; le prince Frédéric-Charles s'at¬ tribue une victoire que les faits même semblent récuser; il prétend avoir été attaqué par des forces supérieures aux siennes, avoir conservé ses positions après avoir reçu des renforts, en n'élé- OPÉRATIONS MILITAIRES. 143 vaut ses pertes qu'à 1,000 hommes, tandis que les nôtres sont importantes et qu'il a fait plusieurs prisonniers. Les Français annoncent d'un autre côté que, dans une série d'engagements sérieux entre Montargis et Pithiviers, ils ont repoussé les Prussiens sur tous leurs points d'attaque, qu'ils leur ont fait subir de grandes pertes, qu'ils ont pris un canon et un matériel im¬ portant. Ces dépêches nous laissant dans une certaine obscurité, nous essaierons de nous éclairer au¬ tant que possible en suivant le domaine des hypothèses et des probabilités. Les forces des Prussiens s'élevaient à 60,000 hommes fournis par le 10e corps, et par deux divisions qui arrivèrent pendant le combat ; les Français avaient environ 50,000 soldats concen¬ trés près de Beaune-la-Rolande. C'est sur ce point-là que l'action s'est développée dans toute son importance, jusqu'à cinq ou six heures du soir. 144 OPERATIONS MILITAIRES. Beaune-la-Rolande est une petite ville située à trente kilomètres d'Orléans ; la forêt s'étend dans cette direction ; les deux armées se sont évidem¬ ment avancées sous le couvert des bois, et il nous paraît presque certain que ni l'un ni l'autre des deux généraux ne cherchait la bataille dans cette position ; ils poursuivaient leurs plans stra¬ tégiques, mais ils n'étaient pas prêts pour un engagement décisif. C'est ce qui doit nous expliquer le tâtonne¬ ment qui a eu lieu, et l'indécision qui semble percer dans les dépêches de Versailles et de Tours, nous porte à conclure que les ré¬ sultats sont presque négatifs de part et d'autre ; auBsi nous ne croyons pas plus à une victoire prussienne qu'à un succès pour les Français. Des engagements ont eu lieu sur toute la ligne, entre Montargis et Beaune ; mais il n'y a eu, nous le répétons, ni victoire ni défaite, des pertes presque égales ont dû être essuyées par les combattants, et l'armée de la Loire a OPÉRATIONS MILITAIRES. 145 démontré une seconde fois à l'ennemi qu'elle pouvait entrer en lutte avec des chances sérieuses. Car, ne l'oublions pas, ce sont nos mobiles, nos volontaires, nos jeunes troupes, qui sont en¬ trés dans l'arène contre les vétérans de Frédéric- Charles, contre les soldats qui ont combattu au¬ tour de Metz, contre les vainqueurs de l'armée du Rhin; non-seulement nos recrues ont résisté avec vaillance, mais elles sont presque victo¬ rieuses. Elles nous donnent de grandes et solides espé¬ rances pour le conflit sérieux qui se prépare, elles nous prouvent que, quels que puissent être les événements qui vont avoir lieu, elles ajouteront de nouvelles pages d'héroïsme aux annales de la gloire française. Rentrons dans notre sphère stratégique et cherchons à pénétrer les intentions de nos géné¬ raux ; continuant la théorie que nous avons avancée depuis deux jours Bur le plan du prince Frédéric-Charles et du duc de Mecklembourg, 10 146 OPÉRATIONS MILITAIRES. dont l'objet serait, d'après noue, de cerner l'armée de la Loire, rappelant la position que nous fai¬ sons prendre à d'Aurelles de Paladine, nous ajouterons quelques réflexions puisées à la source des faits de guerre qui viennent de s'accomplir. Le général français s'appuyant sur les ouvrages fortifiés d'Orléans, lancerait son aile gauche sur Vendôme et Blois pour arrêter la marche du duc de Mecklembourg ; le centre da ses forces ferait face à von der Tann et son aile droite, beaucoup plus forte, s'avancerait résolument sur Fontai¬ nebleau ; une victoire remportée sur Frédéric- Charles, dont l'avant-garde doit avoir dépassé Montargis, lui permettrait de rallier le centre de son armée et de prendre une position solide au sud-est de Paris et sur les derrières même des assiégeants, Trochu opérerait sa sortie dans la même direc¬ tion et les deux armées réunies changeraient entièrement la face des choses; de vaincus nous deviendrions vainqueurs. Mais pour arriver à l'exécution de ce grand OPERATIONS MILITAIRES. 147 mouvement stratégique, il faudrait surmonter de grandes difficultés, la tâche serait lourde, elle est peut-être au-dessus de nos forces. Il faudrait frapper un grand coup, remporter une victoire décisive sur l'armée de Frédéric- Charles, et s'avancer sans délai dans la direction de Choisy-le-Roi, pendant que l'armée de Paris s'ouvrant un passage à travers les lignes prus¬ siennes, se joindrait à l'armée de la Loire. Les deux armées attaqueraient alors simultanément les colonnes allemandes qui tiennent la cam¬ pagne, et de là les troupes ennemies retran¬ chées à Versailles, et nos chances seraient grandes. Tout semble nous indiquer que tel est en effet le plan du général d'Aurelles de Paladine et du général Trochu, ef si nous en parlons si ouverte¬ ment c'est que nous savons que, s'il est possible, il doit avoir été exécuté au moment où nous écrivons, autrement tout retard, tout ajourne¬ ment le rendrait fatal. Après l'engagement de Beaune-la-Rolande, 148 OPÉRATIONS MILITAIRES. après la sortie d'un corps de l'armée de Paris, qui vient d'avoir lieu au sud-est de la capi¬ tale, les Prussiens ne tarderont pas à se ren¬ forcer sur les points menacés, il est même à craindre qu'ils n'aient saisi trop tôt la tactique suivie par nos généraux. Ainsi nous venons d'apprendre qu'après un combat victorieux de l'aile gauche de notre armée, le duc de Mecklembourg s'est retiré sur Chateaudun, dans le but évident de ren¬ forcer le centre de l'armée allemande comman¬ dée par von der Tann et d'appuyer les troupes de Frédéric-Charles. Ceci nous 'prouve d'une manière évidente que, loin d'avoir été victorieux, le prince Fré¬ déric-Charles se voit sérieusement compromis, et qu'il appelle à son secours l'aile gauche et 16 centre de l'armée prussienne. OPÉRATIONS MILITAIRES. 149 D'AURELLES DE PALADINE SUR LA LOIRE. - SORTIE DE T'ARMEE DE PARIS-POSITIONS CONQUISES SUR LA MARNE. Londres, 3 décembre 1870. Nous étions dans le vrai, lorsque nous refu¬ sions d'ajouter foi aux dépêches prussiennes an- nouçant une victoire complète à Beaune-la- Rolande ; l'éclaircissement se fait petit à petit, chaque télégramme nous porte de nouvelles preuves que l'armée de la Loire, bien loin d'être vaincue dans cet engagement, a réussi à contre¬ carrer le plan stratégique des généraux prus¬ siens. Le prince Frédéric-Charles, voyant sa position sur Montargis compromise par la marche et le combat de la journée du 28, a abandonné 150 OPERATIONS MILITAIRES. Beatme et s'est concentré dans la direction de Fontainebleau. L'aile droite de l'armée allemande, commandée par le duc de Mecklembourg, après quelques escarmouches avec le corps d'armée du Mans, s'est repliée à la hâte vers Chartres, abandon¬ nant Saint-Calais, Mondoubleau, Nogent-le-Rotrou et même Châteaudun. Les deux généraux prussiens, entravés dans leurs combinaisons, dans leur course audacieuse sur Blois et Gien, se sont vus forcés de resser¬ rer leurs lignes, et de se replier devant l'ap¬ proche rapide de l'armée de la Loire. Leur aile droite accourt pour renforcer le centre, leur aile gauche vient s'appuyer sur le gros de leurs troupes, c'est un succès stratégique remporté par le général d'AurelIes de Paladine, c'est peut-être le commencement de la victoire, c'est en tout cas une ligne de retraite restant libre en cas de désastres. En s'avançant dans la direction de Paris, notre général en chef va donc avoir à livrer ba* OPERATIONS MILITAIRES. 151 taille aux trois armées réunies du prince Frédé¬ ric Charles, du duc de Mecklembourg et du gé¬ néral von der Tann, formant un effectif de 160,000 hommes environ. Ce sont des forces imposantes que nos jeunes troupes vont affronter; leur courage, leur entrain,' leur patriotisme auront à subir une rude épreuve ; plus la tâche est grande, plus les ■ efforts seront inouïs, nous n'en doutons pas. Les opérations du général d'Aurelles sont habilement exécutées jusqu'ici, leur succès défi¬ nitif dépendra beaucoup de l'action du général Trochu, et les dernières dépêches que nous re¬ cevons, nous portent à croire que nos deux géné¬ raux agissent simultanément. Une sortie de Paris a eu lieu dans la journée du 28, presqu'au moment où l'armée de la Loire dessinait sa marche sur Fontainebleau et s'ar¬ rêtait pour combattre le prince Frédéric-Charles. L'attaque des Parisiens a été dirigée sur les ouvrages avancés des Prussiens au Sud et au Sud-Est; le combat parait avoir duré plusieurs 152 OPERATIONS MILITAIRES. heures et avoir été des plus meurtriers; les Allemands se proclament vainqueurs. Nous manquons de renseignements à ce sujet; tou¬ tefois, nous ne devons pas perdre de vue que les différentes sorties opérées dans ce moment-ci par l'armée de Paris, nous rendent de signalés services; elles doivent aider à déjouer les plans du général von Moltke. En effet, pendant que les troupes de Trochu tiennent en échec et menacent l'armée assié¬ geante, le grand stratégiste prussien est obligé d'abandonner à ses propres ressources son armée de campagne ; Frédéric-Charles ne peut être renforcé, et les chances du général d'Aurelles deviennent de plus en plus grandes. Une sortie générale de l'armée de Paris a eu lieu dans la journée du 30 ; le gros de notre armée s'est porté à l'est de la capitale sur la Seine et la Marne, entre Vineennes et Charenton, pendant que d'autres corps ont opéré des diver¬ sions au Nord-Ouest sur Saint-Denis et attaqué la garde et le 4e corps prussien. OPERATIONS MILITAIRES. 153 Le général Ducrot, à la tête de cent mille hommes, s'est précipité sur les corps des Wur- tembergeois et des Saxons, et, après avoir tra¬ versé la Marne, il a occupé Conneuil-sur-Marne, Champigny et Villiers. Succès glorieux pour nos armes! Les détails nous manquent encore sur cette bataille ; mais nous savons qu'après avoir commencé à 11 heures du matin, elle a duré jusqu'à six heures du soir, que le conflit a été sanglant, que les pertes des prussiens sont énormes. ; L'armée de von Manteuffel, qui occupait Amiens, accourt pour renforcer l'armée de Paris, la ba¬ taille continue, le roi de Prusse est toujours à Versailles, il se trouve sur le flanc de l'action, l'engagement s'étend de plus en plus. Que d'Aurelles de Paladine B'avance de son côté, et les prodiges de nos armées vont peut-être rame¬ ner la victoire parmi nous et chasser l'ennemi de notre territoire. La bataille de Paris sera probablement déci^ sive; nos troupes, s'avançant sous le couvert 15i OPÉRATIONS MILITAIRES. des forts et sous la protection des feux bien nourris des canonnières de la Seine, doivent lutter avec avantage contre les forces prussien¬ nes dont les ouvrages et les colonnes sont bat¬ tus en brèche par notre artillerie. L'attaque sur plusieurs points à la fois empê¬ chera von Moltke de masser ses corps d'armée, et si Trochu sait profiter d'un premier succès, nous devons nous attendre à ce bonheur im¬ mense, presque inespéré, de voir le siège de Paris levé par l'ennemi, et la retraite des armées prussiennes sur leurs routes stratégiques du Nord et de l'Est. Pour nous, il n'y a pas le moindre doute que la bataille a dû recommencer dans la journée d'hier sur la Marne, sur la Seine et sur la Loire, que nos braves troupes marchent peut-être à la victoire. Quel que puisse être le résultat définitif de ce gigantesque conflit, l'armée française a retrouvé sa gloire, notre antique bravoure reprend tout son éclat, et les Prussiens ont à combattre au- OPÉRATIONS MILITAIRES. 155 jourd'hui les vrais soldats de la France, les descendants et les éranles des conquérants d'au¬ trefois. Le général Trochu, dans une proclamation qui a électrisé l'armée de Paris, rejette la responsabilité du terrible massacre qui va avoir lieu sur l'ambition du roi de Prusse et de ses conseillers, qui ont foulé aux pieds tous les principes de justice et de droit des nations. Il rappelle à ses soldats qu'ils vont combattre pour une sainte cause, que le salut de la France est dans leurs mains. Ces nobles paroles sont suivies d'un ordre du jour du général Ducrot, qui se termine par ces mots: "Je jure de ne rentrer dans Paris que mort ou victorieux." Sublime résolution digne des temps héroï¬ ques; le brave général ne s'en tiendra pas au programme, il marchera vaillamment à la vic^ toire, son armée a passé la Marne, et après une bataille glorieuse, après des faits d'armes mul¬ tiples» une grande partie de l'armée de Paris 156 OPERATIONS MILITAIRES. occupe les positions conquises à Champigny-sur- Marne, a Brie et à Villiers. Au Sud, le général Vinoy a également opéré une attaque vigoureuse; cette diversion doit avoir pour but d'occuper les troupes qui pour¬ raient s'avancer de Versailles. SUCCES DU GENERAL TROCHU. - L'ARMEE PRUSSIENNE AVANT LA SORTIE. - NOUVEAUX DETAILS. Londres, 4 décembre 1870. Malgré les dépêches ambiguës de S. M. le roi Guillaume, la sortie générale de Paris est un fait accompli, les succès des Français sont in- contestablesj de nouveaux télégrammes viennent OPÉRATIONS MILITAIRES. 157 confirmer les bonnes nouvelles et nous annoncer d'autres victoires. Recueillons-nous dans notre bonheur, restons calmes devant la fortune qui semble devoir nous sourire, et examinons froidement notre po¬ sition sans oublier les périls qu'il nous reste à surmonter. Analysons les progrès immenses que nous ve¬ nons de faire, renfermons soigneusement en nous-mêmes un enthousiasme légitime, admirons du plus profond de notre cœur, nos frères, nos amis qui sacrifient leur vie pour sauver notre France, et gardons un souvenir de douleur et de regret pour nos braves compatriotes tombés héroïquement sur les champs de bataille. Ainsi que nous l'avons déjà dit, la première sortie de Paris, qui était évidemment une feinte dans le but de dérouter l'ennemi, eut lieu le 29 au matin, du côté de Choisy-le-Roy, l'Hay et Chevilly. Le combat continua pendant une partie de la journée, et dans la nuit du 29 au 30, le général Ducrot, à la tête de 125,000 158 OPÉRATIONS MILITAIRES hommes, et sous les ordres supérieurs du gé¬ néral Trochu, passa la Marne et occupa succes¬ sivement, dans la matinée, Mesly et Mont- Mesly. Dès onze heures, l'engagement devenu plus vif, s'étendit bientôt entre Champigny et Brie- sur-Marne contre les 2e et 3e divisions du Wur¬ temberg, le 7e corps prusssien, et les Saxons ; l'armée de Paris, après avoir traversé la Marne sur huit ponts, conquit les différentes positions de l'ennemi jusqu'à Villers, et à la nuit tom¬ bante, elle se trouva maîtresse de la rive gauche de la rivière. Pendant que cette sanglante bataille se livrait au sud-est de la capitale, le général Yinoy attaquait avec son corps d'armée dans la direction du Sud-Ouest, et l'artillerie des forts balayait de tous les côtés les forces prussiennes et démantelait leurs ouvrages avancés. Les Prussiens soutenaient l'attaque avec la plus grande fermeté, le carnage était horrible de part et d'autre, 2,000 de nos officiers et OPÉRATIONS MILITAIRES. 159 soldats étaient tombés sur le champ de bataille, le général Trochu parcourait nos lignes d'attaque, il excitait ses braves divisions et, leur donnant l'exemple, il les poussait à de nouveaux efforts qui furent couronnés de succès. Avant la bataille, la position des armées prussiennes autour de Paris était à peu près celle-ci : L'armée du prince royal de Saxe, s'étendait entre les deux bras de la Seine, son aile droite touchant à l'armée du prince royal à Saint-Germain, le 4* corps continuait la ligne militaire jusqu'à Margencey. La garde royale de Prusse était échelonnée à la gauche du 4e corps. Auprès des gardes royaux, le 12e corps saxon, sous le commandement du prince Georges de Saxe, occupait avec l'armée de Wurtemberg l'espace compris entre la Seine et la Marne. On n'a pas oublié qu'au sud-est de Paris, la Marne décrit plusieurs courbes avant de se jeter dans la Seine, et c'est sur un de ces points, entre Neuilly-sur-Marne et le parc de Vin- 160 OPERATIONS MILITAIRES. cennes, que la rivière a été passée par notre armée sous le couvert de l'artillerie du fort de Nogent. C'est de là que nos braves colonnes s'avan¬ cèrent à la conquête de ces villages dont ils chassèrent les Allemands après une résistance opiniâtre. Il est un fait bien certain, c'est que les Prussiens ont dû se concentrer et que la bataille a probablement recommencé. Aussi ce n'est que par une série d'engagements successifs et meurtriers que notre armée peut espérer de se dégager entièrement ; mais nous avons grand espoir, le premier pas est victorieusement fait. Quel que soit le point sur lequel l'armée de Paris doive opérer sa jonction avec d'Aurelles de Paladine, il nous semblerait prudent de s'éloi¬ gner à tout prix de Paris, de tenir la campagne et de chercher à gagner le flanc de l'armée de la Loire, d'où on pourrait attaquer avec avantage le prince Frédéric-Charles, s'il n'avait pas déjà OPÉRATIONS MILITAIRES. 161 été repoussé par les colonnes de l'aile droite de notre armée. Il paraît évident que la sortie principale qui a eu lieu au sud-est de Paris est le résultat d'une combinaison stratégique dictée par les cir¬ constances du moment et par la disposition des forces prussiennes. Dès le premier abord, une sortie au Midi aurait paru offrir beaucoup plus de chances de réussite, elle aurait rapproché la distance à par¬ courir pour opérer la jonction des deux armées; mais il est aussi probable que les difficultés au¬ raient été bien plus grandes, car si nous ne nous trompons, c'est précisément sur ces points-là qu'étaient concentrées les plus grandes forces prussiennes. Suspendons le cours de nos théories, et, en attendant de nouveaux événements qui nous per¬ mettent d'apprécier le plan du général Trochu et les raisons qui ont pu le dicter, revenons à l'armée de la Loire, car c'est surtout de son action que nous devons devons attendre le salut. 11 162 OPÉRATIONS MILITAIRES. Les dernières dépêches nous avaient annoncé que l'armée du duc, le corps de von der Tann et l'armée du prince Erédéric-Charles s'étaient repliés devant la marche hardie de l'armée de la Loire, et qu'ils occupaient une double ligne de bataille formant une courbe sur le front même de notre armée. La première ligne partant de Chateaudun, s'étendait par Barmainville, Orgères, Janville, Toury, Pithiviers, jusqu'à Beaune-la-Rolande. La deuxième ligne, de Chartres à Fontainebleau, et de là par Montereau, jusqu'à Villeneuve, l'Archevêque et Troyes. Le danger qui menace nos armées, celle de Trochu comme celle de d'Aurelles, est évident. Nous croyons en effet que la réunion ne pourrait se faire que par Fontainebleau ou dans cette direction, mais la dépêche annonçant le succès sur la Marne vient nous donner un nouvel espoir. OPERATIONS MILITAIRES. 163 LIGNE DE CONDUITE INDIQUEE PAR LES EVENEMENTS. - PLAN DE FREDERIC-CHARLES - ECHEC DES FRANÇAIS, s Londres, 5 décembre 1870. Nous avons déjà parlé assez longuement de la sortie de Paris, de l'occupation de Champigny et de Brie par nos troupes, des efforts glorieux qui avaient été couronnés de succès ; nous avons décrit la position de notre armée sur cette courbe sinueuse formée par la Marne, nous avons parlé de victoire tout en rappelant la position périlleuse dans laquelle notre armée de Paris se trouve par l'objectif même qu'elle se propose. Resserrée de plus en plus par les colonnes prussiennes qui se massent sur les points les plus vulnérables, la seule des chances qui restent 164 OPERATIONS MILITAIRES. à notre brave armée c'est d'agir avec prompti¬ tude et décision et sans perdre un seul instant. Aux grands maux, les grands remèdes ; jamais peut-être ce vieil adage ne fut plus applicable dans toute sa valeur; le général Trochu l'aura certainement compris, et dans ces graves mo¬ ments où l'abnégation est de rigueur, où tout sentiment d'humanité doit être mis de côté au profit d'une grande cause, le général en chef, ne comptant plus avec son cœur, ne doit pas re* culer, s'il le faut, devant le sacrifice d'une partie de son armée, pour sauver la patrie, pour remplir sa noble mission quelque triste quelle soit. Il doit lancer ses colonnes en avant, coûte que coûte, il doit passer à travers le cercle de fer qui l'investit, sans hésiter, sans reculer ; plus il attendra, plus les obstacles grandiront; car nous suivons d'ici les masses allemandes se concentrant de plus en plus, le fatal drame qui eut lieu sous Metz se déroule encore une fois devant nos yeux; mais notre général con- OPÉRATIONS MILITAIRES. 16S naît aujourd'hui la tactique prussienne, il saura la déjouer par des combinaisons héroïques. La rentrée dans Paris de notre armée serait le suicide, ce serait la perte des résultats ob¬ tenus par nos glorieux efforts. Ne vaut-il pas mieux affronter la mort, courir droit au but, que de se laisser succomber sous le poids de misères incalculables ? C'est ce que le chef de notre grande armée a calculé, c'est ce mobile qui a entraîné nos braves légions, qui les a conduit sur la route d'une gloire immortelle qu'elles poursuivront jusqu'au bout. Ainsi que nous le disions hier, tout en étant fiers et heureux d'avoir à enregistrer de si beaux débuts, nous ne nous sommes pas dissimulé la gravité de notre position, les obstacles à vaincre; nous savons que plusieurs batailles seront infailliblement livrées avant la jonction des deux armées françaises. L'ennemi est formidable, nos mouvements lui indiquent clairement quels peuvent être nos plans, 166 OPERATIONS MILITAIRES. il prend ses mesures et nous ne sommes que trop certains que l'énergie et la persévérance ne lui manqueront pas. Déjà, nous voyons les Saxons, les Wurtem- bergeois recevant des renforts considérables, le prince royal se concentrant sur le Midi, le prince Frédéric-Charles se repliant sur lui-même pour s'avancer de nouveau avec plus de forces, von Manteuffel accouru du Nord avec 50,000 hommes pour prêter son concours à l'armée des assiégeants. Dans la journée du 2, une seconde bataille a été livrée, elle a continué jusqu'au soir avec un acharnement qui indique la résolution bien prise des Français de vaincre ou de mourir ; le roi de Prusse s'attribue comme d'habitude, le succès; il prétend que Champagny et Brie ont été abandonnés par les nôtres ; mais comme il ne parle pas de retraite sur Paris, la nouvelle de sa victoire nous paraît contestable. Aussi devons-nous attendre pour nous prononcer d'avoir reçu les dépêches du Gouvernement de Tours. OPÉRATIONS MILITAIRES. 167 Nous n'avions que trop prévu cet engage¬ ment, et nous le répétons avec tristesse, ce n'est qu'après une série de batailles que nous pouvons espérer de voir nos armées réunies, ce n'est qu'au prix de notre sang le plus précieux que nous pouvons espérer de vaincre un ennemi qui s'est montré si persévérant et si fort. D'un autre côté, l'effectif de l'armée de la Loire a atteint des proportions extraordinaires ; les amiraux, les capitaines de notre marine, ont reçu des commandements ; les troupes ont été aguerries par les derniers combats ; l'armement paraît être complet, et les principaux corps s'avancent résolûment sur Paris. Les forces prussiennes se replient de plus en plus devant ce torrent inattendu, l'aile droite a été repoussée, le centre est tenu en échec j mais l'aile gauche, commandée par ce redoutable prince Frédéric-Charles, s'appuie et se masse sur cette seconde ligne dont nous avons déjà parlé j cette aile gauche de l'armée allemande B'étend de Nemours jusqu'à Malesherbes, convre It58 OPÉRATIONS MILITAIRES. Fontainebleau et menace la route de Pithiviers. Prenant Chartres comme point extrême de cette ligne stratégique, il nous paraît évident que le duc de Mecklembourg a rallié von der Tann ; par lui, il touche à Etampes et fait face à Toury, pendant que Frédéric-Charles se meut sur le flanc de notre armée, tout en communiquant par Fontainebleau avec les forces prussiennes qui tiennent l'est de la France. Sa position est des plus fortes ; il peut, à un moment donné, renforcer le centre commandé par von der Tann ou se rejeter sur Beaune-la- Rolande et s'avancer en droite ligne sur les côtés faibles de notre ligne de retraite, si nos corps d'armée se sont trop éloignés d'Orléans et d'Artenay. Or, il paraîtrait d'après les derniers engage¬ ments qui ont eu lieu, que notre armée a pour objectif Etampes et Fontainebleau, et c'est ce qui nous explique la retraite provisoire de Fré¬ déric-Charles, sa concentration, puis sa marche de flanc. OPERATIONS MILITAIRES. 169 Nous retombons dans la théorie que nous n'avons cessé de soutenir tous ces jours der¬ niers ; cependant nous ne serions pas étonnés d'apprendre que le général d'Aurelles de Pala- dine eût changé ou modifié son plan. Il comptait évidemment sur la réussite com¬ plète des sorties de l'armée de Paris, il pouvait espérer de surprendre l'ennemi par une marche forcée, et d'opérer sa jonction par ce mouvement rapide. Mais les hasards de la guerre, la résistance de l'ennemi sur la Marne, doivent avoir déjoué une partie de ses plans ; les délais forcés qu'il a été obligé de subir ont donné aux généraux prussiens le temps d'opposer des forces considé¬ rables à ses colonnes d'attaque; ils ont malheu¬ reusement compris notre objectif, et ils se sont concentrés sur les points menacés. Quoiqu'il en soit, d'Aurelles de Paladine a déjà gagné un avantage immense sur l'ennemi, il a entièrement contrecarré ses premiers plans, le nombre imposant des troupes dont il dispose 170 OPÉRATIONS MILITAIRES. peat lui permettre d'opérer ses évolutions sans recourir aux chances toujours si précaires d'une bataille rangée ; la stratégie de notre nouveau général en chef vient enfin arrêter les progrès du génie de von Moltke. Il peut, tout en B'avançant sur Paris, conser¬ ver et fortifier sa ligne de retraite, il peut maî¬ triser la droite et le centre de l'ennemi jusqu'à la hauteur d'Etampes, et profiter d'un engage¬ ment de son aile gauche pour précipiter sa droite et une partie de son centre dans la direc¬ tion de Fontainebleau. Il peut à la rigueur, en surmontant des diffi¬ cultés innombrables dont la moindre ne serait pas de battre Frédéric-Charles, s'avancer par Melun pour débloquer l'armée de Paris. Laissons la voix aux événements et attendons avec confiance. Le canon ne cesse de gronder, nos destinées sont sur le point d'être tranchées, la France peut-être sauvée. Sa grande renommée lui est déjà revenue, sa gloire, un moment ter¬ nie, a retrouvé tout son éclat, et aujourd'hui, OPÉRATIONS MILITAIRES. 171 même si nous avions le malheur d'une défaite, nous resterions devant le monde les illustres soldats des temps antiques. Sedan disparaît devant la conduite héroïque de l'armée de Paris; Forbach et Reisehoffen sont effacés par les volontaires français formant l'armée de la Loire. Les dernières nouvelles qui nous arrivent à l'instant même sont loin d'être rassurantes; ce¬ pendant nous devions les prévoir, elles se résu¬ ment ainsi : Pendant la journée de jeudi, les Prussiens ont renouvelé attaque sur attaque pour s'emparer de nos positions à Brie et Champigny sur la rive gauche de la Marne ; mais ce ne fut que vendredi, après une bataille qui a duré huit heures, qu'ils ont réussi à occuper ces villages. Les pertes sont énormes de part et d'autre, et malgré tous les efforts de l'ennemi, les Français, quoique obligés d'abandonner les villages, occupent tou¬ jours la rive gauche de la Marne. L'armée de la Loire, aprèB des engagements 172 OPÉRATIONS MILITAIRES. dont nous parlerons pins au long demain, s'est vue forcée de retraiter sur Chevilly et Orléans; attaqué simultanément par von der Tann et Frédéric-Charles, notre général en chef a cru prudent d'abandonner son mouvement sur Paris, et de se retirer sur la ligne fortifiée dans la forêt d'Orléans. Quoique la partie soit bien loin d'être com¬ promise, nous devons reconnaître que la combi¬ naison de d'Àurelles et de Trochu, ayant pour but la jonction de leurs armées, vient de rece¬ voir un échec sérieux ; mais nous espérons encore que de promptes mesures de concentra¬ tion permettront à nos généraux d'opposer avec efficacité des forces nouvelles aux masses alle¬ mandes. OPÉRATIONS MILITAIRES. 173 BATAILLE D'ORLEANS. - DEFAITE DE L'ARMEE DE LA LOIRE. - RETRAITE DE L'ARMEE DE PARIS. Londres, 6 décembre 1870. Les jours néfastes pour les armées de la France sont revenus, et sans vouloir désespérer encore, nous devons avouer que les événements des deux derniers jours de la semaine ont con¬ sidérablement diminué nos chances et notre confiance dans l'avenir. Ce plan, si habilement conçu, qui devait réunir nos deux armées, a complètement échoué danB son exécution, en présence des mouvements rapides des forces allemandes et devant cette artillerie puissante qui nous a vaincu tant de fois. Nour aurions mauvaise grâce de venir censurer 174 OPÉRATIONS MILITAIRES. nos braves généraux, après les héroïques efforts qu'ils ont faits, après les difficultés inouïes qu'ils ont eues à surmonter. Pleurons nos pauvres soldats tombés sur les champs de bataille, déplorons nos nouveaux malheurs, mais restons calmes devant l'avenir, et ayons le courage de continuer notre triste tâche, de signaler les faits dans toute leur réalité. L'armée de la Loire s'avançait sur Paris, les Allemands s'étaient d'abord repliés sur eux- mêmes ; mais dès jeudi dernier, après s'être concentrés sur une double ligne, dont nous avonB déjà parlé plusieurs fois, le centre de leur armée occupait les villages de Terminiers, Nonneville, Yillepain et Ruan, à l'ouest de la route de Paris à Orléans. Après un combat qui dura quelques heures, les Français s'emparèrent de ces positions et les occupèrent toute la nuit. Le jour suivant, les Bavarois de von der Tann, renforcés par une partie du corps du duo de Mecklembourg, prirent l'offensive, et la ba- OPERATIONS MILITAIRES. 175 taille fat bientôt engagée, entre Allâmes et Jan- ville, puis entre Orgères et Chateaudun. Pendant que le 15' et le 16' corps français défendaient vaillamment les villages conquis la veille et couvraient Toury et Artenay, notre aile gauche opérait une diversion sur Chateaudun, dans l'espoir de couper les communications existant entre le duc de Mecklembourg et von der Tann. Mais ici encore la vigilance prussienne avait prévu nos intentions, les forces du duc étaient liées au centre d'opérations à la hauteur d'Orgè- res et la ligne de l'ennemi s'étendait sans inter¬ ruption de Chateaudun à Orgères et à Janville jusqu'aux abords d'Artenay. Le centre de l'armée de la Loire s'était avancé avec rapidité, en droite ligne sur Allaines, Jan¬ ville et Toury, nos troupes attaquèrent les Alle¬ mands avec un entrain admirable; ce fut une bataille acharnée, des faits d'armes incroyables, qui ne finirent qu'à la nuit pour recommencer dès la première heure le samedi matin. 176 OPÉRATIONS MILITAIRES. Le champ de bataille s'étendait sur tout l'es¬ pace oompris entre Chateaudun, Artenay et Toury, les troupes engagées de part et d'autre formaient un effectif d'environ 160,000 hommes, les résultats da la journée demeurèrent indécis. Pendant que cette bataille se livrait dans la journée de vendredi, le prince Frédéric-Charles opérait cette marche de flanc que nous prédi¬ sions hier, et que nous indiquions comme offrant le plus grand danger pour notre armée. Après s'être replié pour mieux concentrer ses forces et combiner son action avec le centre et la droite de l'armée allemande, le prince s'avança en masse compacte sur le flanc de notre aile droite, et samedi matin il se jeta d'abord sur Chévilly, village situé entre Artenay et Orléans et à 14 kilomètres de cette dernière ville, puis sur Chilleurs-au-Bois, sur la route et à l'est de Pithiviers. Ce fut un gigantesque conflit qui eut lieu dans cette journée du 3 ; l'armée de la Loire dispu¬ tant pied à pied le terrain, s'opposa longtemps OPÉRATIONS MILITAIRES. 177 à la marche en avant des Prussiens; mais, vers la fin de la journée, nos valeureux soldats furent forcés de battre retraite dans la forêt d'Orléans et de se retrancher dans les ouvrages avancés construits par les soins du général d'Aurelles de Paladine. Les pertes des deux côtés sont énormes. Les détails nous manquent encore, mais nous appre¬ nons que le colonel de Charette a été grièvement blessé à la tête de son fameux bataillon des zouaves pontificaux, le colonel Fielding et les généraux de Sonnis et Gathelinean ont été faits prisonniers. Pendant qu'on se battait sur la Loire, le gé¬ néral Ducrot était assailli de nouveau dans les positions qu'il occupait sur la Marne. Dans un engagement qui a eu lieu vendredi, nous avons perdu, d'après les dépèches prussiennes, les vil¬ lages que nous occupions sur la rive gauche de la Marne et un nombre considérable de nos soldats. Les Allemands reconnaissent du reste avoir été fort maltraités, puisqu'ils évaluent 12 178 OPERATIONS MILITAIRES. leurs pertes de 6 à 7,000 hommes tués ou hors de combat. Les nouvelles qui nous sont parvenues hier se confirment. Notre armée de Paris s'est retirée derrière la Marne après avoir fait sauter les ponts qu'elle avait construits sur la rivière. Une dernière dépêche nous arrive et nous avons la douleur d'annoncer qu'après trois jours d'une bataille sanglante, notre armée de la Loire a été entièrement repoussée, l'aile gauche et le centre ont surtout souffert. Dans la nuit de dimanche à lundi, le duc de Mecklembourg a poussé jusque dans les faubourgs d'Orléans; le faubourg Saint-Jean a d'abord été évacué, puis le reste de la ville. Nos pertes sont immenses. Devant les désastres qui viennent de frapper notre brave armée de la Loire, devant les dé¬ pêches extraordinaires du Gouvernement de Tours, nous nous demandons comment il est possible qu'un aveuglement coupable nous fasse subir un pareil état de choses. OPERATIONS MILITAIRES. 179 Un gouvernement irrégulier, des tribuns sans valeur politique, sans connaissances adminis¬ tratives, B'emparent, au nom de la République, de nos destinées. Non contents de réléguer dans l'ombre, nos hommes d'Etat, nos illustrations, ils accaparent et paralysent toutes nos res¬ sources. Ils commettent des énormités dont l'histoire ne nous offre aucun exemple : un jeune avocat devient tont-à-coup ministre de la guerre, et s'érigeant en maître, il commande de son bureau à nos divisions, il fait de la stratégie et surtout de la tactique; par le télégraphe il ordonne une marche en avant, une attaque sur tel ou tel point, il fait sonner la retraite, il donne l'ordre de défendre une ville, puis de l'évacuer. Gela ne lui suffit pas, il destitue les généraux au moment même de l'action les remplace par des employés subalternes, il prend, enfin, avec une aud?.ce dont notre postérité rougira, la res¬ ponsabilité de faire sacrifier l'élite de la France, sans se rendro compte des obstacles à vaincre. 180 OPÉRATIONS MILITAIRES. C'est avec le génie militaire et non avec l'éloquence éphémère qu'on organise la victoire, c'est sous le feu de l'ennemi qu'on peut, par une résolution subite, par une manœuvre habile sauver une armée et empêcher la défaite. C'est surtout par des plans stratégiques qu'on peut espérer d'être vainqueur et non par des décrets intempestifs. Que la délégation du Gouvernement y prenne garde; ils s'accusent par leurs propres paroles, la France a les yeux fixés sur eux; notre pays ne peut être sacrifié à une cause; nous ne pou¬ vons admettre que la France soit immolée en faveur du triumvirat de Tours; de tels faits doivent entraîner un appel à la nation. C'est là notre dernier espoir. OPERATIONS MILITAIRES. 181 M. GAMBETTA ET NOS DESASTRES. - HONNEUR AU GENERAL D'AURELLES DE PALADINE. Londres, 8 décembre 1870. La dernière proclamation des délégués du Gou¬ vernement au sujet de nos désastres sur la Loire, est empreinte d'un tel accent d'égoïsme et de préoccupation personnelle, que nous ne pouvons nous empêcher d'exprimer les sentiments d'irri¬ tation que ce document nous inspire. Vouloir répudier la responsabilité de ses actes, fut de tout temps une marque de faiblesse et d'impuissance; mais rejeter sur des généraux l'odieux des mesures que l'on a ordonnées, ac¬ cuser presque le général d'Aurelles de Paladine, lorsque peut-être son seul tort fut de se sou¬ mettre à une juridiction incapable, dépasse, selon 182 OPÉRATIONS MILITAIRES. nous, les bornes de la justice la plus large et la plus élastique. L'opinion publique ne s'y trompera pas; les hommes de bon sens, sans distinction de parti, chercheront à s'expliquer comment on a cru pos¬ sible de diriger une armée de plus deux cent mille hommes au moyen de dépêches dictées par trois avocats siégeant en permanence à trente lieues de distance du champ de bataille. On se demandera, s'il ne faut pas avoir com¬ plètement perdu la raison sous l'influence des grandeurs, pour ordonner tel ou tel mouvement à des corps d'armée, lorsque le canon ennemi décime les colonnes, et forcer les généraux à prendre telle ou telle résolution subite qui peut sauver d'une défaite. En tactique militaire, il est de règle absolue que le général en chef ait plein pouvoir pour se guider selon les circonstances. Lorsque la partie est engagée, nul gouvernement au monde ne saurait intervenir sans un danger sérieux de paralyser le libre arbitre du chef de l'armée. OPÉRATIONS MILITAIRES. 183 Sous la grande République, l'initiative de Moreau sauva l'armée française par cette fameuse retraite à travers les défilés de la forêt Noire; à Novi, par une conception rapide, le même général parvint à rallier les troupes ébranlées par la mort de Joubert. A Magenta, le général Mac-Mahon, mettant de côté les ordres qu'il avait reçus, accourut pour remporter une victoire qui créa l'unité de l'Italie. Et cependant, à des époques si éloignées l'une de l'autre, ces deux généraux obéissaient à des gouvernements tout aussi jaloux de leurs pré- rogatives que la Délégation de Tours. Le Directoire et Napoléon III jugeaient autre¬ ment l'art militaire que MM. Gambetta, Crémieux et Glais-Bizoin. La proclamation maladroite de ce triumvirat restera dans l'histoire, comme une preuve fla¬ grante de l'état d'abaissement de la France pendant cette triste période. Revenons à nos causeries stratégiques, et es- 184 OPÉRATIONS MILITAIRES. sayons de nous rendre compte des faits accom¬ plis et de la situation de notre armée de la Loire. En évacuant Orléans, le général d'Aurelles de Paladine a sauvé notre armée d'une ruine to¬ tale, et malgré l'opinion exprimée par le ministre de la guerre français, nous croyons pouvoir prouver ce que nous avançons. Suivant avec soin les évolutions de l'ennemi, il est facile de se rendre compte du plan qu'ils se proposaient. Pendant la bataille de samedi, l'aile droite, le centre et l'aile gauche de l'armée prussienne s'étaient de plus en plus concentrés, nos posi¬ tions furent successivement enlevées et vers le soir, le duc du Mecklembourg s'avança au nord- ouest d'Orléans ; le centre commandé par von der Tann, occupa Chevilly, le prince Frédéric- Charles continua sa marche de flanc sur Artenay et Neuville, en même temps qu'il se portait sur le Nord-Ouest par Chilleurs-aux-Bois et Bellegarde. OPERATIONS MILITAIRES. 185 Le dimanche, ces masses imposantes recom¬ mencèrent l'attaque et vers le soir, 40 de nos canons et 1,000 prisonniers étaient tombés dans les mains des Allemands. Le duc de Mecklembourg, convergeant sur Orléans, occupa dans la soirée le faubourg Saint- Jean et la station du chemin de fer, pendant que le centre et l'aile gauche de l'armée se rapprochaient sur tous les points et cherchaient à cerner la ville et l'armée de la Loire. Le général d'Aurelles de Paladine, après s'être défendu avec vigueur, après avoir combattu pendant trois jobrs contre des troupes aguerries à la suite de leur victoire sur l'armée du Rhin, après avoir vu ses vaillants soldats décimés par une artillerie supérieure, se souvint de Sedan. Il comprit que la même tactique qui renversa l'Empire et détruisit les légions du duc de Ma¬ genta, le menaçait sérieusement, et mettant de côté les ordres reçus de Tours, en évacuant la ville, il opéra la retraite et sauva l'armée de la Loire. 186 OPERATIONS MILITAIRES. Honneur au brave général ! Quoi qu'on puisse en dire, quoi qu'il advienne, il a bien mérité de la patrie, et si les intrigues politiques ne l'en¬ gloutissent pas, il peut encore relever la France de ses désastres. En consultant nos cartes militaires, nous serions enclins de tracer de nouveaux plans, d'indiquer une nouvelle route par laquelle, en tournant l'armée prussienne, on pourrait encore gagner Fontainebleau et renouveler avec Trochu, l'attaque simultanée qui vient d'échouer, mais en présence d'un insuccès, la ligne de prudence semble la plus logipue. En opérant sa retraite sur la rive gauche de la Loire, notre armée peut être renforcée par de nouvelles troupes venant de Tours, du Mans, de Lyon ; s'appuyant sur Bourges, notre général en chef peut méditer un nouveau plan, et comme il est évidemment en correspondance avec Paris, il peut combiner un nouveau mouve¬ ment stratégique avec Trochu. On nous assure que l'effectif de l'armée "de là OPERATIONS MILITAIRES. 187 Loire s'élève à 350,000 hommes. Les pertes que nous venons d'éprouver, quoique grandes et dou¬ loureuses, no diminuent pas sensiblement nos forces. Que le patriotisme de M. Gambetta se réveille, qu'il fasse abnégation d'une autorité pour la¬ quelle il est incompétent, qu'il donne pleins pouvoirs à celui qui a sauvé nos braves soldats d'une déroute complète, et la confiance et l'es¬ poir nour reviendrons. REFLEXIONS RETROSPECTIVES. ERREURS STRATEGIQUES. OCCUPATION DE TOURS PAR LES PRUSSIENS, Londres, 9 décembre 1870. Le 9 novembre dernier, lorsque la victoire de Coulmiers révéla tout-à-coup à la France qu'elle avait une nouvelle armée, lorsque, du désespoir 188 OPÉRATIONS MILITAIRES. causé par la capitulation de Metz, nous pas* sâmes subitement à un enthousiasme d'autant plus grand, que le succès qui le provoquait était inattendu, nous fûmes presque les seuls à com¬ battre cet entraînement, et à prédire les nou¬ veaux dangers qni ne tarderaient pas à nous menacer. Que de fois, nous avons pu paraître pessi¬ mistes, en signalant la marche de l'armée du prince Frédéric-Charles, le plan probable qu'il se proposait et la vigueur avec laquelle les Prussiens chercheraient à prendre une éclatante revanche. Jour après jour, nous suivions avec nos amis les progrès de ces colonnes s'avançant comme le destin vers un but immuable, nous prédisions les résultats qui devaient survenir, nous pen¬ sions que la seule chance de salut pour l'armée de la Loire était de poursuivre le premier suc¬ cès, de culbuter von der Tann, le duc de Meck- lembourg et de s'avancer hardiment sur Paris. C'était à ce moment-là une armée de 70,000 OPERATIONS MILITAIRES. 189 hommes à combattre; trois semaines plus tard, le général d'Aurelles de Paladine avait devant lui une force de 180,000 ennemis, qui avaient eu tout le loisir d'opérer leurs mouvements. Il est vrai que nos recrues avaient eu plus de temps pour s'organiser, que notre effectif s'était augmenté, que nos préparatifs se complé¬ taient, que des retranchements étaient construits dans la forêt d'Orléans. L'histoire seule pourra nous apprendre si cette inaction fut nécessitée par les circon¬ stances, et si les mesures prises depuis la ba¬ taille de Coulmiers étaient assez importantes pour compenser la perte d'un temps aussi pré¬ cieux. Mais si nous en jugeons d'après les résultats de ces engagements de trois jours qui ont dé¬ généré en une défaite pour notre armée, nouB serions portés à croire qu'il eût mieux valu poursuivre un premier succès, aussi hasardeuse que pût être cette résolution. Nous avons été éblouis en apprenant la force, l'organisation et les ressources de l'armce de la 190 OPÉRATIONS MILITAIRES. Loire ; les dépêches de Tours nous ont égaré ; la sortie audacieuse du général Ducrot, la pre¬ mière victoire sur la Marne, combinée avec la marche sur Paris du général d'Aurelles de Paladine, nous ont impressionné, nous avons cru à un miracle du génie français. Aujourd'hui nous retombons dans la réalité, mais avec plus d'espoir peut-être que nous n'en avions d'abord ; nos vaillants soldats ont vengé, par leur héroïque résistance, l'honneur de nos armes compromis par nos premiers revers. Trochu et le général d'Aurelles ne sont pas encore vaincus, ils ont fait subir à l'ennemi des pertes irréparables, ils lui ont appris qu'il fallait encore compter avec la France, ils ont pu sauver leurs armées d'une catastrophe. Si nous nous sommes laissé aller dans nos deux précédents articles à censurer un gouverne¬ ment qui a rendu certains services, ç'a n'a pas été chez nous une pensée d'opposition, nous comprenons trop notre devoir devant les mal¬ heurs de notre pays pour nous laisser égarer par OPÉRATIONS MILITAIRES. 191 de3 intérêts devenus secondaires; dous ne nous occupons que de la France, que des moyens de la sauver de l'invasion ennemie. Mais lorsque nous lisons ces manifestes qui nous annoncent la victoire, lorsque nous voyons des erreurs militaires, n'est-il pas de notre de¬ voir, de notre patriotisme, d'essayer de nous éclairer sur la vérité des choses, sur l'exactitude des faits ? Comment pouvons-nous comprendre qu'on ait laissé l'avant-garde du duc de Mecklembourg s'avancer impunément jusqu'à Vendôme et se replier sur Chateaudun, lorsque nous avions 60,000 hommes au Mans et deux ou trois corps d'armée près de Tours? Est-il possible de s'expliquer pourquoi on n'a pas attaqué simultanément avec les 850,000 hommes dont on pouvait disposer sur la Loire, lorsque l'aile gauche de l'armée prussienne s'a¬ vançait jusqu'à Gien, et lorsque le centre du général von der Tann était isolé de l'aile droite allemande ? 192 OPÉRATIONS MILITAIRES. Et alors même qu'on avait laissé les trois armées se concentrer entre Châteaudun, Toury et Artenay, pourquoi n'avons-nous pas déployé toutes nos forces dans la forêt d'Orléans et au¬ tour de cette ville ? Il était inutile de sacrifier nos malheureux soldats en détail. Si on avait reconnu l'urgence de la retraite, il fallait l'opérer de suite; si, au contraire, on croyait pouvoir livrer bataille avec quelques chances de succès, ce n'étaient pas deux ou trois corps d'armée qu'on devait engager, mais toute l'armée de la Loire. Mais non, si nous en croyons les dépêches, le général d'Aurelles de Paladine n'était pas maître de ses actions, il avait l'ordre de consulter le gouvernement, il ne pouvait agir que sur ses données. On lui télégraphie, au milieu même de la ba¬ taille, qu'on va mettre des troupes qui sont en¬ core à Tours à sa disposition. Douze heures s'écoulent avant qu'on lui réponde de Tours s'il doit oui ou non abandonner Orléans, et OPERATIONS MILITAIRES. 193 pendant ce temps-là, le dnc de Mecklembourg s'empare d'an des faubourgs de la ville, Frédéric- Charles menace de cerner l'armée de la Loire. Quoi qu'il en soit, cette dernière a été sau¬ vée ; nos soldats se sont vaillamment conduits, ils ont fait subir des pertes sérieuses à l'ennemi, et si on sait profiter de l'expérience si triste¬ ment acquise, si on a le courage de laisser à nos généraux la faculté d'initiative qui leur est indispensable, nous pouvons espérer encore beaucoup. Un autre événement vient de nous frapper. Le général von Manteuffel a occupé Rouen après un combat qui est loin de faire honneur à la résistance tant promise par les habitants de la capitale de la Normandie. Dans une rencontre au petit village de Buchy situé à la bifurcation de la route et du chemin de fer d'Amiens à Rouen, les Allemands ont mis en complète déroute un corps de 7,000 hommes qui avait été envoyé pour garder ce point stra¬ tégique. 194 OPÉRATIONS MILITAIRES. Après une faible défense, nos soldats se reje¬ tèrent en débandade sur Rouen, où tout fut bientôt désordre et confusion ; les autorités, impuissantes à rallier les fugitifs, perdirent tout contrôle, et le général von Manteuffel entra dans la ville, sans coup férir. On ajoute qu'une colonne de ce corps d'armée allemand marche sur Dieppe et une autre sur le Havre. L'occupation de la Normandie est un fait grave à plusieurs points de vue ; elle donne à l'ennemi des ressources énormes pour se ravi¬ tailler, elle le rend maître de la Seine et de la ligne de chemin de fer jusqu'à la mer. Le Havre s'organise pour résister, mais, hélas! nous savons à quoi nous en tenir sur ce que peuvent nos malheureuses cités contre les canons prussiens. OPÉRATIONS MILITAIRES. 195 RETRAITE DE L'ARMEE DE LA LOIRE. Londres, 10 décembre. Après leurs succès à Orléans, les Prussiens ont continué leur marche en avant dans la direction de Tours, espérant couper la retraite à une par¬ tie de l'armée de la Loire, et profiter du décou¬ ragement qui s'empare de jeunes troupes après une défaite, pour essayer d'annihiler notre armée. Avant d'examiner jusqu'à quel point ils ont réussi dans leur nouvelle entreprise, nous allons essayer de nous rendre compte, avec l'aide des télégrammes qui nous sont parvenus, des diffé¬ rentes évolutions opérées par nos corps d'armée. Il est un fait parfaitement avéré aujourd'hui, c'est que la victoire remportée par les Prussiens 196 OPERATIONS MILITAIRES. a été exagérée dans son importance, les dépê¬ ches sont contradictoires comme à l'ordinaire, et elles font ressortir de plus en pins la vail¬ lance de nos soldats, la résistance héroïque de leurs chefs. La retraite a été effectuée en excellent ordre, fait extraordinaire après une bataille qui a duré trois jours, surtout si l'on considère les diffi¬ cultés immenses de se replier sans confusion sous la mitraille ennemie, et dfàvoir à traverser un fleuve sur plusieurs points. Les faits nous ont prouvé que l'armée fran¬ çaise n'était pas concentrée autour d'Orléans; nous ne rentrerons pas dans les observations sur lesquelles nous nous sommes étendus hier, et nous nous bornerons à expliquer les mouve¬ ments qui ont dû être effectués par nos corps d'armée après la bataille. Notre aile droite, formée du 20e corps, sous les ordres du général Crouzat et du 18e, assigné » à Bourbaki, s'étant repliée devant la marche du prince Frédéric-Charles, traversa la Loire à Jar- OPÉRATIONS MILITAIRES. 197 geau et à Sully, et se dirigea probablement vers La Ferté-Saint-Aubin. Le 15® corps, commandé par le général Martin de Pallières, évacua Orléans, passa le fleuve et se rejeta sur Clary et Saint-Laurent. Les 16e et 17' corps qui forment notre aile gauche et qui eurent à soutenir le principal engagement dans les journées de vendredi et samedi, contre le duc de Mecklembourg, opérè¬ rent leur retraite sur Meung et Beaugency, et durent à l'habileté du général Chanzy et la bravoure du général de Sonis, leurs chefs res¬ pectifs, de se dégager d'un péril imminent et d'éviter une perte presque certaine. Nous concluons d'après ces mouvements que le général d'Aurelles de Paladine a dû rallier son armée entre Meung et Beaugency, sur la rive droite de la Loire et La Ferté-Saint-Aubin et Saint- Laurent-des-Bois sur la rive gauche. Quant aux autres corps d'armée, nous igno¬ rons complètement B'ils sont restés à Tours ou s'ils ont été dirigés sur l'armée du Mans. 198 OPÉRATIONS MILITAIRES Les dernières dépêches nous montrent l'armée allemande s'avançant en toute hâte dans la di¬ rection de Tours et, au moment même où nous écrivons, la nouvelle nous parvient que la ba¬ taille est de nouveau engagée. DanB la journée d'hier, nous avons été atta¬ qués sur toute notre ligne entre Meung et Saint-Laurent-des-Bois, sur la rive droite de la Loire. Les efforts de l'ennemi ont été surtout dirigés vers Beaugency. Les forces allemandes se composaient de deux divisions bavaroises, d'une colonne prus¬ sienne et de 2,000 hommes de cavalerie ; elles étaient soutenues par une grande partie de l'armée du prince Frédéric-Charles et du duc de Mecklembourg. Malgré les attaques répétées et un feu d'artillerie vomi par 86 canons, qui n'ont cessé de nous mitrailler, nos troupes ont fait bonne contenance, l'ennemi a été repoussé et nous avons conservé nos positions. Cet engagement a duré jusqu'à la nuit, et comme il est plus que probable qu'il a recom- OPÉRATIONS MILITAIRES. 199 mencé aujourd'hui même, nous allons essayer de signaler notre position, les chances que nous pouvons avoir et les dangers qui nous menacent. Nous sommes loin de partager l'enthousiasme empreint dans la dépêche de Tours qui semble nous annoncer une victoire ; nous craignons que le combat d'hier n'ait eu d'autre motif, de la part du prince Frédéric-Charles, que de tenir notre armée en échec, d'entraver notre retraite, et de nous forcer à livrer une bataille dans des conditions peu favorables. En effet, pendant que le centre de l'armée allemande et les avant-gardes de l'aile droite et de l'aile gauche, nous forcent à combattre tout un jour; Frédéric-Charles, par un de ces mou- nements rapides dont il a le secret, a dû jeter ses forces entières sur la rive gauche de la Loire, à la hauteur du village de Clary, pendant que le duc de Mecklembourg, mû par le même plan stratégique, renforce sur la rive droite du t fleuve le centre de l'armée et se concentre dans la direction de Mcung. 200 OPERATIONS MILITAIRES. Nous devons donc nous attendre à apprendre d'un moment à l'autre, qu'aujourd'hui même l'armée de la Loire subit une épreuve décisive. Devant un pareil danger, le général d'Aurel- les de Paladine ou le Gouvernement de Tours n'auront pas hésité à prendre des mesures effi¬ caces, ils auront eu le temps pendant la jour¬ née d'hier et la nuit, de concentrer leurs troupes, ou de continuer leur mouvement de retraite. Nous aimons à croire qu'ils auront profité de le leçon terrible qui vient de leur être infligée il y a de cela trois jours, et qu'ils éviteront de commettre de nouvelles erreurs. L'hésitation n'est plus permise, le sort de notre armée de la Loire doit inévitablement êtr décidé sur les rives du fleuve entre Meung, Beaugency et Saint-Laurent-des-Bois, car nous ne croyons guère qu'il soit possible d'effectuer la retraite devant l'activité du prince Frédéric- Charles. Comme à Gravelotte, le général prussien ne reculera pas devant un sacrifice do plusieurs OPERATIONS MILITAIRES. 201 milliers de ses hommes pour arriver à son but ; il lui faut détruire l'armée de la Loire pour B'avancer plus au Sud, c'est donc une question de vie ou de mort entre les deux armées. Il est également possible que le prince Frédéric- Charles ait continué sa marche sur Blois et sur Tours, pendant que le duc de Mecklembourg et von der Tann s'avancent en combattant sur la rive droite de la Loire. Les nouvelles de la journée ne manqueront pas de nous édifier à ce sujet et elles nous per- mettront de voir clair dans le nouveau plan conçu par le prince. Dans une proclamation, en date du 4 dé¬ cembre, le général Ducrot annonce à ses soldats que, quoique ayant été obligés de se replier de l'autre côté de la Marne devant les forces supé¬ rieures de l'ennemi, la partie n'est qu'ajournée, que l'offensive sera bientôt reprise avec plus de vigueur. On signale, du reste, dans Paris un mouve- 202 OPÉRATIONS MILITAIRES. ment inusité de troupes, et nous devons nous attendre à une grande sortie d'ici à deux ou trois jours. Si Aurelles de Paladine parvenait à tourner l'armée de Frédéric-Charles et à s'avancer com¬ plètement sur l'Est, on pourrait espérer encore de voir réussir ce plan gigantesque dont nous avons si souvent parlé ; la jonction'; de nos deux armées. AVANCE DES PRUSSIENS. - RETRAITE DE CHANZY.- MOUVEMENTS STRA¬ TEGIQUES. - DIEPPE OCCUPE. Londres, 11 décembre 1870. Pendant que les divisions bavaroises du gé¬ néral von der Tann soutenues par les avant- gardes des ailes de droite et de gauche de OPERATIONS MILITAIRES. 203 l'armée prussienne arrêtaient les progrès de notre retraite et forçaient le général Chanzy à livrer bataille, le prince Frédéric-Charles diri¬ geait une partie de ses troupes sur Bourges, et concentrait le reste sur les rives de la Loire, à la hauteur de la Ferté-Saint-Aubin. Le duc de Mecklembourg continuait son mouvement sur Blois, après avoir renforcé par plusieurs de ses divisions, les colonnes qui com¬ battaient au centre entre Meung, Beaugency et Saint-Laurent-des-Bois. Dans la journée du 8, le général Chanzy, commandant les 16e et 17e corps de notre armée, auxquels s'étaient réunies de nouvelles troupes arrivées pendant la nuit, s'est vu de nouveau attaqué par les Prussiens et, si nous en croyons les dépêches qui nous arrivent à l'instant, nos braves colonnes, victorieuses la veille, ont subi un échec des plus graves. Vivement poussée par les divisions de von der Tann, notre armée a été assaillie après une marche de flanc des plus audacieuses par le 204 OPERATIONS MILITAIRES. gros de l'aile droite du duc de Mecklembourg, le combat a été des plus acharnés et l'héroïsme de nos soldats a prouvé une fois de plus de quels éléments extraordinaires notre brave armée de la Loire était formée. Organisée en quelques semaines, composée de jeunes gens de toutes les classes de la société, mobiles, volontaires, pris dans les rangs de la noblesse, de la bourgeoisie, ou parmi la popula¬ tion industrielle de nos villes et les travailleurs de nos campagnes, cette armée a accompli en quelques semaines des prodiges de valeur et a glorieusement relevé l'honneur des armes fran¬ çaises. Cependant, nos héroïques soldats ont eu encore à succomber devant la savante stratégie du prince Frédéric-Charles, devant la supériorité de l'artillerie du duc de Mecklembourg et l'entrain prodigieux de ses vétérans. Dans ce dernier engagement, nous avons perdu six canons et près de mille prisonniers, les dé¬ tails nous manquent encore, et, si nous ne nous OPÉRATIONS MILITAIRES. 205 trompons, la bataille aura recommencé le len¬ demain. Hélas! en censurant le Gouvernement de la délégation de Tours, dans un de nos précédents articles, nous n'étions que trop dans le vrai. Il nous faut un certain courage au milieu des malheurs qui ne cessent de frapper notre bien- aimé pays, pour blâmer les actes de ceux qui le gouvernent ; nous nous rendons d'autant plus compte des difficultés énormes qu'ils ont eu à surmonter, que nous avons été à même de juger de nos propres yeux, le triste état de notre po¬ sition après Sedan. Nous avons suivi les armées depuis Sarre- bruck jusqu'à Sedan, nous avons parcouru les champs de bataille, nous avons assisté à l'agonie, aux désastres de notre pauvre France; plus tard nous avons observé, jour par jour, la levée de nos nouvelles armées, nous avons été présent à la formation des premières colonnes de l'armée de la Loire, nous avons assisté au baptême de de feu de nos jeunes troupes. 206 OPERATIONS MILITAIRES. Nous avons espéré beaucoup, nous espé¬ rerions encore, si des fautes énormes ne ve¬ naient détruire constamment nos chances les plus sérieuses et diminuer la confiance du soldat. Généraux après généraux se succèdent dans les commandements, un système qui a été peu efficace au temps même de la grande Républi¬ que, nous conduit aujourd'hui à une perte cer¬ taine. Le génie de Carnot a pu organiser la victoire, mais les époques sont changées, l'issue de la guerre n'est plus une question d'élan et de bra¬ voure ; au milieu du progrès moderne, la science militaire se résume en deux expressions mathé¬ matiques : stratégie, artillerie. Où sont, du reste, les succeseurs de ces hommes si vigourensement trempés parmi les¬ quels brillèrent les Dumouriez, les Kellermann, les Moreau? N'avons-nous pas perdu la sève, la vigueur, qui distinguaient notre race à cette grande époque? Les idées d'intérêt mesquin OPÉRATIONS MILITAIRES. 207 n'ont-elles pas remplacé le patriotisme de nos pères ? Nous ne nous étendrons pas aujourd'hui sur un sujet aussi élevé, et retombant dans la réalité vulgaire, nous continuerons à con¬ stater que l'homme qui doit sauver la France tarde bien à paraître, l'agonie est trop pro¬ longée. Est-il possible de lire sans frémir les dépêches qui nous parviennent de Tours ? La destitution du général d'Aurelles de Paladine de son commandement nous frappe de stupeur, nous n'avons pas oublié que c'est à lui que nous de¬ vons d'avoir une armée disciplinée. Le vainqueur de Coulmiers ne peut avoir déchu tout à coup après une série de services aussi signalés que ceux qu'il vient de rendre. Les énormités se succèdent, et nous n'avons plus le cœur de les discuter ; devant nous défilent les noms de ces glorieux chefs de nos armées, qui, après avoir mis de côté tout senti¬ ment politique, ont servi la patrie avec dévoue- 208 OPÉRATIONS MILITAIRES. ment, sans compter avec les périls, avec l'ingra¬ titude. Le triumvirat de Tours assume une responsa¬ bilité dont il ne peut ignorer la gravité; si le ministre de la guerre se croit doué du génie militaire, s'il est convaincu qu'il peut mieux que personne juger de la conduite des généraux sur les champs de bataille, qu'il brave donc tous les dangers, qu'il se nomme général en chef et qu'il vienne se mesurer avec Frédéric- Charles. Nous avons été des premiers à nous rallier à son drapeau lorsqu'il a pris des mesures éner¬ giques ; mais en présence des décrets subversifs qui ne cessent d'émaner de ses bureaux, notre devoir est de signaler sans faiblir l'imminence du danger. Les dernières dépêches reçues du Havre nous montrent que des ] d'armée prussien qui marche directemeut sur notre port de mer, ont été faits pour résister OPERATIONS MILITAIRES. 209 Les mobiles, les gardes nationaux, des marins venant de Cherbourg composent la gàrnison et paraissent décidés à se défendre à tout prix, ce qui nous donne lieu d'espérer que le général von Manteuffel sera arrêté devant les efforts coura¬ geux des habitants de cette ville importante. Dieppe a été occupé sans coup férir dans la matinée d'hier ; une autre colonne se dirige vers Cherbourg par la voie d'Evreux. CHANZY SE RETIRE EN COMBATTANT. STRATEGIE PRUSSIENNE. Londres, 13 décembre 1870. Pendant que les corps d'armée du générai Chanzy entravaient la marche du duc de Meck- lembourg, et que quatre engagements héroïques étaient successivement livrés par nos soldats sur 14 210 OPERATIONS MILITAIRES. la rive droite de la Loire, le prince Frédéric- Charles repoussait vigoureusement sur la rive gauche du fleuve les autres corps de notre armée et les coupait entièrement de toute com¬ munication avec nos principales forces. Se divisant en deux colonnes, l'aile gauche prussienne occupait Vierzon d'une part et conti¬ nuait, d'un autre côté, sa marche sur Blois, dont elle paraît avoir pris possession dans la journée d'hier. Ces évolutions ont été effectuées de la ma¬ nière suivante : dès vendredi, un corps prussien se dirigeait en ligne droite sur le Cher, pendant qu'une seconde colonne, passant par Saint-Dié, arrivait sur les coteaux de Montlivault, d'où elle pouvait dominer le cours de la Loire ; après un combat dont nous ne connaissons pas l'impor¬ tance, Frédéric-Charles a dû repousser nos troupes sur Bourges et se rejeter sur le fleuve d'où il a gagné les faubourgs de Blois. Cette ville n'est éloignée, si nous ne nous trompons, que de 2ê kilomètres de Beaugency, OPÉRATIONS MILITAIRES. 211 et, en examinant la carte, il nous est facile de notis rendre compte du péril que nous courons, péril immense; car nous sommes menacés de voir les corps du général Chanzy attaqués simultanément par le duc de Mecklembourg et par Frédéric-Charles s'avançant sur leurs der¬ rières après avoir traversé la Loire à Blois. Le prince, ayant laissé sur la rive gauche du fleuve, la colonne qui, en occupant Yierzon et Chambord, a entièrement isolé cette partie de notre armée qui avait opéré sa retraite dans cette direction, se trouve parfaitement libre de ses mouvements, soit qu'il veuille marcher sur Tours, soit qu'il ait l'intention, ce qui est plus que probable, de couper la retraite sur le Mans au général Chanzy. Malgré toute la vaillance que nos braves troupes ne manqueraient pas de déployer, si ce malheur nous arrivait, nous serions infaillible¬ ment cornés comme à Sedan, ou obligés de livrer bataille dans les plaines de la Beauce. Notre général en chef doit concentrer toutes 212 OPÉRATIONS MILITAIRES. 863 forces sur un seul et même point, et si cela n'est pas possible, abandonner la rive droite de la Loire et se replier sur Vendôme, Saint- Calais et la Bretagne. N'est-il pas trop tard aujourd'hui pour opérer ce mouvement ? Nous avons encore quelque espoir ; par une marche rapide, le général Chanzy peut s'être dégagé avant l'occupation de Blois par Frédéric-Charles ; mais, nous le répé¬ tons, si nos troupes sont restées dans les mêmes positions sur la Loire, nous devons nous attendre à de sublimes efforts de nos braves soldats, mais nous devons craindre aussi # une catastrophe. Après les glorieuses batailles livrées par le général Chanzy contre le duc de Mecklembourg, nous pouvons hardiment affirmer que si tous nos différents corps étaient parvenus à se réunir, nous aurions pu lutter avec succès, nous aurions eu de grandes chances de remporter une victoire décisive. Mais plus nous étudions les opérations mili- OPÉRATIONS MILITAIRES. 213 taires, plus nous demeurons convaincu qu'il ne nous reste plus que les chances d'une retraite pour notre armée de la Loire ; cependant, guidés par des chefs d'élite, tels que les généraux Chanzy et Bourbaki, nos soldats, qui ont déjà accompli des prodiges de valeur, pourront peut-être, par de miraculeux efforts de bravoure, lever tous les obstacles et repousser l'armée du prince Frédéric- Charles. Londres, 14 décembre 1870. Nous apprenons à l'instant que l'armée du général Chanzy se replie, depuis le 12, dans la direction de Blois et de Tours ; ce mouvement rétrograde était indiqué, ainsi que nous le disions hier ; la position de nos troupes à Beau- gency devenait de plus en plus dangereuse depuis l'arrivée des troupes allemandes à Blois. m OPÉRATIONS MILITAIRES. La retraite de notre armée s'est opérée dans le meilleur ordre, mais nous ne pouvons pas encore prévoir si le général Chanzy cherche à gagner de vitesse Frédéric-Charles, ou s'il marche à sa rencontre pour lui offrir la bataille. S'il a pu se renforcer des troupes qui étaient au Mans et à Tours, il sera peut-être assez fort pour courir les chances d'un engagement géné¬ ral ; dans cas le contraire, la prudence doit l'enga¬ ger à se replier sur le péninsule de Bretagne ou même sur le Mans. Nous n'avons pas la moindre nouvelle de Bourbaki et de la partie de notre armée qui occupait la rive gauche de la Loire. Nous ne serions pas étonné d'apprendre de ce côté-là, quelque marche audacieuse tentée par le brave général dont les exploits ont été si brillants pendant les campagnes d'Afrique. Nous ne sommes pas de ceux qui désireraient la paix à tout prix, loin de là; devant la résis¬ tance de Paris,devant les victoires remportées sur la Marne par le général Ducrot, devant les bril- OPERATIONS MILITAIRES. 215 lantes qualités que nos soldats viennent de dé¬ ployer sur la Loire et sous les murs de Paris, nous restons convaincu que la France pourrait repousser l'invasion, que nous pourrions sortir victorieux d'une longue lutte. Mais nous manquons de chefs en dehors de ceux qui sont enfermés dans la capitale, nous n'avons pas de Gouvernement pour soutenir nos espérances, nous n'avons pas pour nous guider des hommes élus par la nation, nos généraux sont refoulés dans l'ombre, nos hommes d'Etat sont presque mis hors de la loi, et de là vient que notre confiance faiblit malgré nous. 216 OPÉRATIONS MILITAIRES. VICTOIRES DE CHANZY. - BOURBAKI. - CAPITULATION DE PHALSBOURQ ET DE MONTMEDY. Londres, 15 décembre 1870. Les Prussiens occupent Blois depuis avant- hier, et l'armée du général Chanzy a abandonné ses positions sur la rive droite de la Loire pour opérer sa retraite probablement sur Vendôme et le Mans. Notre nouveau général, qui paraît être doué d'une grande énergie et d'une activité extraordi¬ naire, n'aura pas hésité, devant la position dan¬ gereuse qui lui est faite par la marche rapide du prince Frédéric-Charles, de prendre des mesures efficaces pour sauver ses braves troupes d'un désastre aussi menaçant. OPERATIONS MILITAIRES. 217 Il s'est replié tout-à-coup, et nous avons le plus grand espoir qu'il ait pu gagner de vitesse sur les colonnes ennemies. Après avoir vaillamment défendu Beaugency et entravé l'approche des Allemands par cette rive du fleuve, après avoir livré quatre batailles suocessives et forcé le duc de Mecklembourg à renoncer à ses projets, il a dû abandonner une ligne militaire devenue doublement difficile à conserver par les manœuvres et la tactique du du général prussien. Cependant la noble résistance de ses colonnes, l'élan et l'intrépidité de ses soldats ont prouvé, dans ces brillants engagements, que la 2* armée de la Loire était un obstacle sérieux élevé tout- à-coup contre l'invasion. L'ennemi a pu juger, à ses propres dépens, de quels éléments formidables nos nouvelles lé¬ gions étaient formées, et s'apercevoir que l'exé¬ cution de ses plans trouverait désormais des difficultés sur lesquelles il était loin de compter. Les services signalés qui viennent d'être ren- 218 OPÉRATIONS MILITAIRES. dus à la France par les corps d'armée sous les ordres du général Chanzy, ont ranimé le cou¬ rage abattu de la nation, et tout en relevant glorieusement l'honneur de nos armes, ils ont donné une nouvelle preuve des ressources im¬ menses dont notre noble pays est doué. Ce ne sont plus de vieux soldats d'Afrique qui combattent, ce n'est plus une armée régu¬ lière qui se mesure contre les soudards prus¬ siens, c'est l'élite de la population, la jeu¬ nesse de toutes les classes de la société, des hommes sortis de leurs châteaux, de leurs comptoirs, de leurs ateliers, de leurs champs, qui, sans avoir jamais appris le métier des armes, viennent affronter les canons de l'en¬ nemi et mourir avec dévouement pour sauver la patrie. Miraculeux efforts ! cet héroïsme de notre race marquera dans l'histoire du monde un des traits les plus saillants de la valeur française, ce sera une de nos gloires. Après avoir payé un juste tribut à nos OPÉRATIONS MILITAIRES. 119 héroïques légions, nous devons reprendre froide¬ ment le cours de nos observations straté¬ giques. Le prince Frédéric-Charles, s'appuyant sur Blois, lancera évidemment des forces considé¬ rables pour couper la retraite de notre 2e ar¬ mée ; le duc de Mecklembourg, quoique surpris d'abord par des mouvements de retraite aux¬ quels il ne s'attendait pas, n'aura pas manqué de déployer ses colonnes et de s'avancer entre Beaugency et Vendôme. Nous avons, d'après nos calculs, une journée de marche sur l'ennemi, soit que nous ayons l'intention de nous replier hors de son atteinte immédiate, soit que nous voulions livrer bataille après nous être renforcés des troupes du Mans et de Tours. Nous sommes toujours sans nouvelles de Bour- baki, mais nous restons persuadés qu'après avoir rallié ses corps d'armée, il cherchera à tirer profit de la position momentanée de l'ennemi, qui a dû s'affaiblir considérablement 220 OPERATIONS MILITAIRES. sur ses derrières, pour opérer sa marche en avant. Nous ne serions pas étonné d'apprendre que le général eût accompli le plan que nous lui prê¬ tons depuis trois jours, qui serait de marcher par Grien, Montargis et Fontainebleau à l'attaque de l'armée assiégeante ; nous ne serions pas étonné non plus qu'il pût opérer sa jonction avec les 30,000 hommes du général Faidherbe, qui, après avoir passé La Fère, paraît se diriger vers le Sud. Quelque hasardeux que ce plan puisse être, il est fort possible qu'il ait été conçu, et que par une vigoureuse exécution il ne parvienne à changer entièrement la face des choses autour de Paris. Phalsbourg et Montmédy viennent de capi¬ tuler, et quoique ces événements soient d'une importance secondaire, nous ne pouvons nous empêcher de signaler cette résistance de plu¬ sieurs mois, au milieu de privations, de malheurs, de dangers de toutes sortes. OPÉRATIONS MILITAIRES. 221 Ces drames lointains disparaissent devant la grandeur des opérations militaires de chaque jour ; mais plus tard, lorsque l'histoire revien¬ dra examiner en détail les péripéties de la guerre, que de hauts faits, que de traits héroïques qui sont aujourd'hui passés sous silence ! Le siège de ces deux petites forteresses aura sa glorieuse page auprès de Strasbourg, de Belfort, de Bitsche, de Toul. REMARQUES SUR LA GUERRE. Londres, 17 décembre 1870. Malgré les pluies torrentielles qui viennent de tomber, malgré les difficultés sans nombre pour le transport de l'artillerie et la marche des con- 222 OPÉRATIONS MILITAIRES. vois militaires, notre 2e armée de la Loire est parvenue à effectuer sa retraite avec une rapidité et un ordre remarquables. Se repliant devant les colonnes du duc de Mecklembourg, et devinant l'habile tactique déployée par Frédéric-Charles, pour nous tourner par une marche forcée sur Blois, le général Chanzy est parvenu à déjouer les projets de l'ennemi, il a pu se rejeter sur Tours et proba¬ blement rallier les corps d'armée du Mans et de l'Ouest. Les engagements successifs qu'il a, quoi qu'en disent les dépêches du roi de Prusse, victorieu¬ sement soutenus à Beaugency, sa retraite exé¬ cutée avec ensemble, ses mouvements contre¬ carrant les desseins de Frédéric-Charles, nous prouvent d'une manière évidente que dans le jeune général nous avons un nouveau chef qu promet beaucoup pour notre cause et qui doit ranimer nos espérances. On nous dit que des renforts, qui sont égale¬ ment divisés entre l'armée de Bourbaki et celle OPÉRATIONS MILITAIRES. 223 du général Chanzy, ne cessent d'êtro expédiés de l'est et de l'ouest de la France, que ces nouvelles troupes sont destinées à rendre plu¬ sieurs de nos positions imprenables ; ceci nous ramène malgré nous aux souvenirs de ces camps retranchés qui devaient défendre Orléans, de ces préparatifs formidales dont on berçait notre cré¬ dulité, et qui n'ont pas même arrêté quelques heures les progrès de l'armée prussienne. Dans la guerre moderne, la meilleure défense consiste dans des mouvements stratégiques habilement combinés, et lorsque deux armées en viennent aux mains, c'est surtout Bur la puissante manœuvre de l'artillerie, sur les rapides évolutions que cette arme doit exécuter pour protéger les colonnes d'attaque, qu'on peut le plus compter. Les ouvrages avancés autour d'une ligne mili¬ taire sont de peu d'importance, à moins toute¬ fois qu'ils soient élevés aux alentours d'une forteresse, ou d'accidents de terrains exception¬ nels } mais dans une plaine, dans un bassin 224 OPÉRATIONS MILITAIRES. immense où toute une armée peut amplement se mouvoir, ils ne deviennent utiles que tout autant qu'ils sont défendus par des troupes aussi efficaces, aussi fortes que les assaillants. Nos armées de province vont bientôt atteindre, comme nombre, des proportions extraordinaires, il est même certain que nous sommes déjà en mesure d'opposer à l'ennemi sur les rives de la Loire, une proportion de trois contre un. Mais nous avouerons que nous sommes loin de partager les idées du Gouvernement à ce sujet, nous ne cessons, il est vrai, de demander la concentration de toutes nos forces, mais à la condition que les soldats soient équipés, armés, pourvus du plus nécessaire, et initiés aux pré* miers principes de l'art militaire. Il ne suffit pas de décréter des armées et d'expédier par une voie quelconque des milliers de recrues sur les champs de bataille; nous ne sommes plus à ces glorieuses époques où une arme> quelle qu'elle fut, devenait terrible dans les OPÉRATIONS MILITAIRES. 225 mains d'un dévoué patriote ; ces temps où de jeunes soldats marchaient sans armes à la vic¬ toire ne peuvent plus revenir; l'artillerie, les nouveaux engins créés par la science, ont détruit à jamais la puissance du courage et de l'élan français. En nous laissant entraîner par cette légère digression, nous n'avons eu d'autre but que de faire bien comprendre à nos lecteurs, qu'il serait puéril et dangereux de compter sur les résultats que nous devrions obtenir en comparant notre effectif avec celui de l'ennemi et en nous fiant entièrement aux chiffres présentés. Dans les dernières batailles, la valeur fran¬ çaise s'est montrée plus digne que jamais de la haute renommée qu'elle a acquise par tant d'ex¬ ploits; la lutte, telle qu'elle est engagée aujour¬ d'hui, est sublime dans les efforts tentés, dans l'abnégation, dans l'héroïque dévouement dont nos soldats ne cessent de donner des preuves; aussi un gouvernement sage doit-il ménager d'aussi précieuses ressources, et son premier de- 15 226 OPÉRATIONS MILITAIRES. voir doit-il être de s'occuper surtout de l'orga¬ nisation matérielle de nos troupes. Or, si nous en croyons des rapports détaillés qui nous arrivent, si nous nous rappelons ce que nous avons vu nous-même, des corp3 d'armée entiers, assemblés depuis plusieurs semaines, sont négligés entièrement à tous les points de vue. Des milliers d'hommes errent de ville en ville, mal vêtus, mal approvisionnés, la plupart sans armes ; leB chemins de fer les transportent d'un camp à un autre, leurs chefs sont changés à chaque instant, on ne s'occupe même pas de leur éducation militaire ; puis, tout à coup, sur un ordre du ministre de la guerre, ils sont expédiés sur un point menacé, on les envoie sur le champ de bataille, ils sont voués, terrible holocauste, à une perte certaine, ils ser¬ vent à alimenter l'œuvre de destruction, le car¬ nage vomi par les canons prussiens. Le ministre de la guerre a cru devoir se priver des services éminents de généraux tels OPERATIONS MILITAIRES. 227 que Lamotte-Rouge, d'Aurelles de Paladine, etc., qui ont créé l'armée de la Loire, qui ont disci¬ pliné les troupes nombreuses qui leur avaient été confiées. Ils ont sacrifié, nous ne craignons pas de le dire, l'intérêt de la nation à leurs idées politiques, ils immolent notre organisation militaire en faveur d'une cause. Et cependant, dans notre armée, parmi nos vaillants généraux, nous ne manquons pas d'ha¬ biles organisateurs, qui sauraient tirer parti de ces immenses ressources dont nous disposons; l'autorité de leur nom, l'expérience acquise dans une longue carrière, pourraient en peu de temps discipliner de nouvelles légions qui viendraient augmenter notre contingent à l'armée de la Loire, et renforcer nos troupes d'une manière efficace. Alors nous aurions raison de compter sur nos masses ; notre armée d'opérations n'aurait plus à se replier devant Frédéric-Charles ; nos canons habilement servis ne tarderaient pas à repousser les envahisseurs; Bourbaki, Chanzy, victorieux 228 OPERATIONS MILITAIRES. prendraient la route de Paris avec une grande armée. ERREURS MILITAIRES. - LA VERIETE DEVOILEE, Londres, 19 décembre. C'est un triste devoir que nous avons à remplir : chroniquer jour par jour les incidents de la guerre, renfermer au sein de notre cœur les élans d'enthousiasme pour notre sainte cause, et n'avoir qu'à porter le découragement peut-être dans l'esprit de nos lecteurs. Mais ne serions-nous pas bien coupables si nous déguisions la vérité ? N'est-ce pas servir notre pays que d'éclairer nos compatriotes sur les faits militaires ; n'est-ce pas rendre justice à la France que de signaler les erreurs de ceux qui dirigent ses armes ? Pourquoi nous bercer de funestes illusions ? OPÉRATIONS MILITAIRES. 229 Pourquoi nous endormir sur de prétendus suc¬ cès ? N'est-il pas plus raisonnable, n'est-il pas plus juste d'envisager la position en face, ne vaut-il pas mieux être au courant des faits dans toute leur exactitude ? Nos armées de la province, mues par un pa¬ triotisme qui n'a de parallèle dans l'histoire que la grande épopée de 1792, ont fait des prodiges de valeur ; nos jeunes soldats se sont montrés dans plusieurs occasions les égaux des vétérans prussiens. Quelques-uns de nos corps d'armée ont pu résister aux efforts de l'artillerie allemande. Les combats de Beaugency resteront dans l'his¬ toire, à côté de la bataille de Coulmiers, des preuves éclatantes de l'héroïsme français. Mais nous ne devons pas nous le dissimuler, nous continuons à être vaincus en détail par la stratégie de von Moltke, par l'organisation supérieure des armées du vieux roi, par la puis¬ sances des forces mathématiques et des engins de guerre. Nous reculons devant l'ennemi, nos provin- 230 OPERATIONS MILITAIRES. ces sont de plus en plus envahies, nos villes les plus importantes sont abandonnées, nulle part nous ne parvenons à tenir tête à ces co¬ lonnes qui s'avancent au Nord, à l'Ouest, .au Midi. Le ministre de la guerre proclame, il est vrai, que nous nous replions pour mieux nous renforcer, que notre retraite est la conséquence d'un vaste plan, que nous devons nous attendre à de grandes victoires, que la position de notre armée est excellente. # Hélas ! nous est-il possible d'avoir confiance en l'avenir tant que nous verrons les magni¬ fiques ressources dont la France dispose gaspil¬ lées par des incapables? Pouvons-nous espérer devant les actes d'un jeune tribun qui, en assu¬ mant la dictature, semble avoir perdu le souve¬ nir même de ses bonnes intentions ? Ce ne sont pas ses décrets multipliés, ses plans insensés, son appel à toute la nation, nos pauvres volontaires lancés sans armes devant la mitraille ennemie, qui peuvent sauver la OPÉRATIONS MILITAIRES. 231 France, mais bien des généraux habiles, condui¬ sant l'élite de notre armée de la Loire d'après les règles de la tactique militaire. En guerre, il vaut mieux, disait le grand Napoléon, un troupeau de moutons commandé par des lions qu'un troupeau de lions commandé par des moutons. Que M. Gambetta ait le plus grand de tous les courages, celui d'abdiquer, de confier à des mains plus habiles un pouvoir pour lequel il n'a aucune aptitude ; qu'il cesse de nous donner ce lugubre spectacle de la destitution de nos généraux au moment où ils remplissent brave¬ ment leur mission. Que ce soient des lions qui commandent à nos lions et qu'ils aient plein pouvoir pour agir d'eux-mêmes, au lieu d'être entravés au milieu de leur action par une autorité civile incompé¬ tente à juger les faits militaires. Que Bourbaki, que Ghanzy aient leur libre arbitre, et quoiqu'il soit peut-être bien tard, ils accompliront encore des merveilles, ils arrêteront 232 OPÉRATIONS MILITAIRES. les progrès de Frédéric-Charles, ils refouleront ses colonnes, ou les placeront dans le plus grand péril. Autour de Paris comme sur la Loire, des en¬ gagements décisifs ne peuvent tarder d'avoir lieu, et nous pouvons nous attendre à un conflit suprême de part et d'autre. Un combat a été livré le 13, près de Quecques et de Maves, entre l'avaut-garde du duc de Mecklembourg et les troupes du général Chanzy. Ces villages sont situés entre Chateaudun et Blois sur la route de Vendôme, et comme nous venons d'apprendre l'occupation de cette dernière ville par les Prussiens, nous devons conclure que nos corps d'armée ont encore une fois été forcés de se replier. Comme on tient dans le plus grand mystère tout ce qui se passe sur la Loire, nous ne pou¬ vons établir que des hypothèses , et il nous est impossible de savoir si ces engagements ont été sérieux, si le général Chanzy a été vaincu, ou s'il entrait dans ses plans de con- OPÉRATIONS MILITAIRES. 233 tinner sa retraite soit sur le Mans, soit sur la Flèche. Nous serions porté à opter pour cette der- nière théorie, car, en prenant ses positions entre ces deux villes, notre général conserverait ses communications avec le Midi par Angers et il pour¬ rait, après avoir organisé ses nouveaux renforts, se porter de nouveau sur Vendôme et Château- Renault, couvrir le Mans et Tours et empri¬ sonner le corps du duc de Mecklembourg entre la Loire et sa propre armée. Bourbaki est probablement toujours sur la rive gauche du fleuve, entre Bourges et Nevers, à moins toutefois qu'il n'exécute la marche sur Paris, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. D'après des dépêches de Versailles, on s'attend à une nouvelle attaque par l'armée de Paris ; les Prussiens signalent une grande activité et des mouvements extraordinaires de la garnison. Trochu fait occuper par l'élite de ses soldats les points qui deviendraient les plus importants 234 OPÉRATIONS MILITAIRES. pendant une sortie ; notre ligne de défense du côté du Sud-Est a été fortifiée par des batteries placées sur la péninsule formée par la Marne, et à l'est d'Avron, devant le fort de Rosny. De leur côté, les Allemands trompés dans leurs calculs sur l'approvisionnement de Paris, sembleraient se préparer avec vigueur pour le bombardement, dont ils croyaient pouvoir se dis¬ penser en vue d'une capitulation causée par la famine. Mais les difficultés qu'ils ont à surmonter dans leurs travaux sont considérablement aug¬ mentées par l'état boueux des terrrains, par la gelée, par la neige et par le feu incessant de nos forts. Les dernières batailles livrées à Champigny nous montrent l'efficacité de l'armée du général Trocbu, elle est dans un état splendide, les ressources en vivres et munitions sont encore considérables, la population est plus que jamais animée du meilleur esprit, sa confiance est illi¬ mitée et elle paraît ne redouter en rien les OPERATIONS MILITAIRES. 235 menaces de bombardement dont M. de Bismark ne cesse de l'accabler. NOUVELLE COMBINAISON. Londres, 20 décembre 1870. Le général Chanzy continne à disputer le ter¬ rain pied à pied, et quoiqu'il ait été encore forcé d'abandonner ses positions à Vendôme, cela n'a pas été sans faire éprouver des pertes sérieuses aux Prussiens. Nous en sommes à nous demander si notre général ne finira pas par remporter un avantage signalé sur l'ennemi qu'il no cesse d'épuiser depuis les combats de Meung et de Beaugency. Les pertes nombreuses en hommes, ajoutées 236 OPÉRATIONS MILITAIRES. aux retards que nous faisons subir à leurs opé¬ rations, doivent contribuer à décourager les sol¬ dats allemands, qui avaient compté sur des vic¬ toires promptes et faciles et sur des promenades militaires à travers nos belles provinces avec le pillage en perspective. Ce n'est que le 14 qu'ils mit pu atteindre nos troupes, qu'ils ont recommeireé l'attaque et pris Freteval après avoir été forcés de masser des troupes considérables pour s'emparer de cette position importante. Freteval est situé sur le Loir, à 35 kilomètres de Meung, à la jonction des routes d'Orléans au Mans, et de Chartres et Chateaudun à Vendôme et Tours, ce qui en fait un point stratégique de la plus grande importance ; de hautes collines dominent le village bâti sur la rive même de la rivière, et ce sont ces hauteurs qui ont été si vivement disputées. Enlevées le 14 par les Prus¬ siens, elles furent reprises le lendemain par nos troupes, puis abandonnées après la bataille qui fut livrée le 16 aux environs de Vendôme. OPERATIONS MILITAIRES. 237 Car en même temps que le combat de Frete- val avait lieu, le duc de Mecklembourg, renforcé d'une partie des forces de l'aile gauche alle¬ mande, portait le gros de son armée en avant, attaquait nous positions autour de Vendôme, et après un vif engagement, qui dura jusqu'à la nuit, nos soldats évacuèrent la ville. Nous allons essayer d'expliquer à nos lecteurs les résultats probables de ces derniers engage¬ ments, tout en leur faisant observer qu'ils sont plus importants qu'il le semblerait au premier examen. Chaque pas en avant de l'ennemi lui coûte des centaines de ses meilleurs soldats, chacun de ses progrès est marqué au prix de son sang le plus précieux, mais nous avons la douleur de voir notre brave général forcé de se replier de plus en plus et perdre ses lignes de communi¬ cation et de retraite. Rejeté au-delà de Vendôme, il ne peut plus penser à se diriger sur Tours ; il commettrait une erreur des pluB sérieuses en exécutant cette 238 OPÉRATIONS MILITAIRES. marche de flanc devant l'enemi, qui occupe les passages de la Loire à Blois, il s'exposerait à un danger qu'il nous semblerait presque impos¬ sible de conjurer. Aussi, nous n'en doutons pas, le général Chanzy sera obligé d'opérer sa retraite à l'ouest du Loir, dans la direction de Savigny et de Saint-Calais. Frédéric-Charles a tellement compris l'impor¬ tance de ces derniers engagements de Freteval et de Vendôme, qu'il n'a pas craint, en portant ses corps d'armée à l'aide du duc de Mecklem- bourg, de laisser Bourbaki presque libre de ses mouvements. En effet, la première armée de la Loire, dont l'effectif doit se monter à 100,000 hommes envi¬ ron, n'a plus devant elle que le 9' corps d'ar¬ mée prussien et une partie du corps bavarois, ensemble 24,000 soldats. Et nous ne serions pas surpris d'apprendre que Bourbaki a accompli ce plan que nous avons été les premiers à lui prêter, de marcher sur OPERATIONS MILITAIRES. 239 Fontainebleau par Montargis et d'attaquer les derrières de l'armée assiégeante. En y réfléchissant bien mûrement, nous en¬ trevoyons un plan nouveau et gigantesque qui nous parait être en bonne voie d'exécution. Que les mouvements accomplis soient un effet des circonstances ou qu'ils soient le résultat d'une savante combinaison de nos deux généraux, il n'en est pas moins vrai qu'une nouvelle chance de réussite nous apparaît. Il est évident que le général Ch\nzy, en ar¬ rêtant la marche des Prussiens, en les forçant à combattre sur leurs parcours d'Orléans à Beau- gency et à Vendôme a non-seulement gagné un temps précieux, mais par l'ardeur de ses vail¬ lants soldats, a forcé Frédéric-Charles à porter presque toutes ses forces aux environs de Ven¬ dôme. Ne serait-ce pas pour donner le temps à Bourbaki de s'avancer sur Paris? Ne serait-ce pas pour lever les obstacles les plus sérieux qui se seraient opposés à sa marche que Chanzy 240 OPÉRATIONS MILITAIRES. tient en échec l'armée de Frédéric-Charles et l'éloigné de plus en plus d'Orléans? Quel que soit le plan arrêté par nos généraux, il est un fait certain, c'est que Bourbaki se trouve avoir la route presque libre jusqu'à Fontainebleau, et nous connaissons trop la hardiesse et l'activité du général pour ne pas être assuré qu'il ne mette à profit une aussi belle occasion de se signaler. Il nous paraît tellement impossible que Bour- soit reste inactif devant des chances pareilles, que nous nous attendons à recevoir d'un mo¬ ment à l'autre, la nouvelle de sa marche au¬ dacieuse ou de quelque haut fait d'armes. Nous ne pouvons croire que la première armée de la Loire soit retranchée entre Bourges et Nevers, pendant que la deuxième armée livre presque chaque jour bataille aux forces réunies des généraux prussiens. OPERATIONS MILITAIRES. 241 CHANZY SE REPLIE SUR LE MANS. - LE GENERAL WERDER A NUITS. - FREDERIC-CHARLES CONTRECARRE Londres, le 23 décembre 1870. Nous apprenons que le 10* corps d'armée alle¬ mand a poursuivi 10,000 hommes du général Chanzy jusqu'à Epinsay, à l'intersection des routes de Morie et de Vendôme, et que le gros / de notre armée se replie sur le Mans. Malgré cela, nous ne pensons pas que Frédéric-Charles ait l'intention de continuer son mouvement dans cette direction. Certains faits nous indiquent clairement que le général prussien a compris la position critique dans laquelle il se plaçait en abandonnant la ligne de la Loire, ou en n'y laissant que des forces insuffisantes pour contenir Bourbaki. 16 2*2 OPÉRATIONS MILITAIRES Ainsi nous voyons par les dernières dépêches de Versailles que les troupes allemandes se con¬ centrent sur la rive gauche de la Loire, que des camps retranchés sont établis entre Vierzon et Blois, et qu'une partie de l'aile gauche de Fré¬ déric-Charles a déjà repassé le fleuve. D'un autre côté, le général von Werder vient de reprendre Nuits après une attaque si vivement disputée qu'elle semblerait indiquer de la part du général des projets de sortir de son poste d'observation en Bourgogne et de marcher sur l'arrière-garde de l'armée de Bourbaki. Nous résumerons en quelques lignes la posi¬ tion stratégique des armées et le but probable que les généraux français et allemands ont cherohé à atteindre. Le général Chanzy, en se repliant sur le Mans avec le 2* armée de la Loire, a obtenu un certain succès atténué, il est vrai, par quelques pertes en hommes et la privation de sa ligne directe de communication avec le Sud. Il s'est rallié à l'armée du Mans et aux OPERATIONS MILITAIRES. 243 troupes qui étaient au camp de Conlie, et, si nos calculs sont exacts, il a dû doubler son armée. Occupant une position retranchée auprès de cette dernière ville, raffermissant les nouvelles colonnes avec lesquelles il vient d'opérer sa jonction, il ranimera leur courage et les inspirera de cette énergie dont il vient de donner de si grandes preuves. S'il est attaqué par Frédéric-Charles, il aura pour lui l'avantage du terrain et du nombre, et ainsi que nous le disions hier, il permettra à Bourbaki de prendre l'offensive et d'exécuter le plan que nous persistons à lui prêter, de mar¬ cher sur Fontainebleau ou sur l'Est en se rap¬ prochant de Paris. Mais'nous le répétons, nous avons entrevu dans les derniers télégrammes prussiens un chan¬ gement de tactique qui nous donne à penser que l'ennemi a malheureusement saisi nos intentions et que loin de se laisser entraîner sur le Mans, il laissera auprès de Vendôme un corps d'obser- 244 OPÉRATIONS MILITAIRES. vation, et portera tous ses efforts sur la Loire pour contrecarrer Bourbaki. Il est facile, ce nous semble, d'expliquer l'er¬ reur stratégique qui paraîtrait avoir été com¬ mise par Frédéric-Charles, et qui n'est en réalité qu'un manque de réussite causé par la résis¬ tance héroïque qu'il a rencontrée dans l'armée , de Chanzy. Le prince croyait pouvoir anéantir d'abord sur le Loir notre 2e armée et se rejeter sur Blois pour assaillir Bourbaki ; nous savons que son plan est venu échouer devant cette résistance inattendue de nos soldats, et son aile droite n'ayant pas été assez forte pour soutenir la lutte, il a été obligé de dégarnir le centre et l'aile gauche, puis, ne réussissant pas encore, il s'est vu forcé de faire rétrograder ses colonnes de ren¬ fort dans la direction de Blois pour parer à un nouveau danger. Il nous serait difficile d'évaluer l'effectif qu'il a dû laisser sur le Loir avec le duc de Mecklem» bourg, mais nous ne pensons pas que son aile OPERATIONS MILITAIRES. 245 droite, épuisée par les divers combats qu'elle vient de livrer, soit en état de se porter sur le Mans et d'attaquer nos troupes, concentrées et prêtes à livrer bataille. Il est donc probable que Frédéric-Charles va de nouveau commencer ses opérations sur la rive gauche du fleuve et concentrer la majorité de ses forces sur la ligne de Blois à Vierzon et Orléans. Mais il est possible que notre première armée soit déjà hors de son atteinte, et nous aurions de la peine à nous expliquer comment il pour¬ rait en être autrement, car Bourbaki n'a pas dû rester inactif depuis quinze jours. Il reste encore cettre hypothèse, que les Alle¬ mands attaquent simultanément nos deux ar¬ mées ; mais nous ne pouvons pas croire qu'ils puissent le faire avec efficacité devant la supé¬ riorité de nos forces. En effet, en déduisant les troupes qu'ils sont obligés de laisser pour maintenir leurs lignes et conserver leurs points les plus importants, ils ne 246 OPERATIONS MILITAIRES. peuvent guère opposer plus de 40,000 hommes à chacune de nos armées. Pendant que près du Mans ils auront à combattre un effectif de 160,000 hommes, composé des 15e, 16e et 17e corps de Chanzy et des troupes de Tours, du Mans, de Conlie, sur la rive gauche de la Loire ils ren¬ contreront Bourbaki avec ses 100,000 soldats. Nous en concluons que les chances de nos armées de la Loire sont presque aussi grandes qu'elles l'aient jamais été, à la condition, toute¬ fois, que nos généraux aient leur libre arbitre et qu'ils puissent effectuer leurs mouvements sans crainte d'être contrecarrés par une administra¬ tion maladroite. Dans le Nord, le général Faidherbe, à la tête de 40,000 hommes, occupe une position assez forte sur le chemin de fer d'Amiens à Arras, entre Longeau et Corbie, et comme une dépêche de Lille nous apprend que 25,000 Allemands ont été signalés à Montdidier au sud-est d'Amiens, nous devons nous attendre à une bataille de ce côté-là. OPERATIONS MILITAIRES. 247 OCCUPATION DE TOURS.-SORTIE DE PARIS. Londres, 24 décembre 1870. Nous devons insister sur l'urgence de la marche du général Chanzy sur Chartres ; nous lui prê¬ tons ces intentions. Le nouveau commandant de la 2e armée de la Loire a donné, depuis la bataille d'Orléans, des preuves irrécusables d'une grande science straté¬ gique ; il nous a fait assister à une retraite dont chaque phase a été marquée par une habileté de combinaisons auxquelles nous n'étions plus habi¬ tués. Il a vaincu en tactique, en précision mili¬ taire, en rapidité de mouvements, le célébré général prussien, le prince Frédéric-Charles. Lorsqu'un homme surgit tout à coup et fait de 24:8 OPÉRATIONS MILITAIRES. grandes choses, au milieu d'obstacles innombra¬ bles, on peut, en règle presque absolue, être assuré que dans lui se trouve l'étoffe d'un de tes êtres privilégiés qui arrivent au génie. Aussi, c'est avec pleine confiance que nous persistons à prêter à ce jeune général des plans gigantesques et que nous croyons qu'il pourra les exécuter. Chanzy s'est rendu maître de la situation malgré la poursuite de l'armée allemande. Après avoir déjoué les projets des généraux prussiens, il s'est replié sur le Mans ; mais, nous le répé¬ tons, il ne sera pas arrêté devant cette dernière ville. Il aura compris à temps que les nouvelles évolutions du prince tendaient à le cerner, et après avoir sacrifié Tours dès le principe, il aura abandonné le Mans, comme Vendôme, pour se porter sur Chartres et se rapprocher de Paris. Nous sommes loin de conclure qu'il ait pu réussir complètement. Le duc de Mecklembourg se sera jeté sur le flanc de son armée et Frédé¬ ric-Charles aura rétrogradé pour soutenir son OPERATIONS MILITAIRES. 249 aile droite ; mais nous espérons que nos troupes auront eu le temps d'effectuer un long parcours, qu'elles auront dépassé la Ferté-Bernard, peut- être même Nogent-le-Eotrou, avant que les Alle¬ mands soient arrivés aux portes du Mans. Notre 2e armée sera, il est vrai, entièrement coupée, non-seulement dans ses communications avec le Midi par Angers, mais aussi dans celles de l'Ouest. Cette position ne laisserait pas que d'être grave ; en cas de défaite, la retraite ne serait plus possible que par le Nord-Ouest, mais si le général Chanzy est résolu à marcher sur la capitale, à opérer sa jonction avec une partie de l'armée de Paris, ce n'est que par des mouvements auda¬ cieux qu'il peut espérer de réussir. Dans les cas extrêmes, dans les grands périls, n'est-il pas excusable de brûler ses vaisseaux ? N'est-ce pas là souvent le seul moyen d'accomplir de grandes choses. Audaces fort una juvat. Nous restons toujours sans le moindre rensei¬ gnement sur l'action de Bourbaki, à qui nous 250 OPERATIONS MILITAIRES. prêtons vers l'Est un plan analogue, concerté à l'avance avec son compagnon d'armes. Nous allons plus loin même, nous sommes convaincus que le général Faidherbe, à la tête de l'armée du Nord, s'avance également sur les derrières de l'armée assiégeante. Après avoir quitté Lille, Arras, il pourra peut-être gagner Châlons par Laon et Reims, quoique, d'après les derniers télégrammes, des forces allemandes convergent sur Laon et la Fère, dans le but évident d'attaquer le flanc de l'armée du Nord. Si notre théorie était vraie, nous aurions trois armées distinctes marchant simultanément au secours de Paris. La lre armée, dont l'objectif serait Chartres, s'approcherait du Sud-Ouest ; la 28, se dirigeant sur Fontainebleau, occuperait les positions du Sud-Est, et enfin l'armée du Nord arriverait par l'Est, sur la grande ligne de retraite des Prussiens. Le simple bon sens et la moindre notion de l'art militaire nous font voir de suite la portée et la force d'une pareille combinaison. Il ne peut OPÉRATIONS MILITAIRES. 251 nous échapper quel immense parti Trochu ne manquerait pas de tirer de cette aide puissante; combinant ses sorties avec les mouvements des troupes de la province, il placerait tout à coup les Prussiens entre deux feux. Il est vrai de dire que les généraux allemands qui tiennent la campagne, accourant sur ces divers points, nous presseraient vivement, mais, obligés de tenir tête à un ennemi bien supérieur en nombre et ayant l'avance sur eux, il leur se¬ rait impossible de se concentrer et d'avoir recours à leur grande tactique de masser leurs troupes pour écraser des colonnes beaucoup plus faibles que les leurs. La canonnade des forts s'est de nouveau fait entendre autour de Paris ; des fausses attaques ont déjà eu lieu et nous ne serions pas étonnés qu'elles fussent le prélude de grandes opérations qui ne peuvent se faire attendre. Du reste, on nous télégraphie de Bordeaux, à la date du 22, que les opérations militaires contre les Prussiens ont recommencé. Les géné- 252 OPERATIONS MILITAIRES. raux Vinoy et Ducrot auraient eu un certain succès sur deux points différents, et le roi de Prusse, tout en l'admettant dans ses dépêches, conclut en annonçant que nous avons fini par être repoussés. Nous ne tarderons pas, sans doute, à avoir de plus amples détails sur ces dernières affaires. Tours vient d'être occupé par l'ennemi après un bombardement qui a duré plusieurs heures et qui a causé de grands dégâts. La ville paraît s'être bien defendue. L'occupation de Tours n'offre plus une grande importance, elle était rendue inévitable par la retraite des armées de la Loire et l'abandon des rives du fleuve par nos troupes. Devant des com¬ binaisons qui semblent avoir un but bien des¬ siné, nous ne pensons pas que les Allemands puissent longtemps tenir une ligne militaire qui les éloigne tant de Paris, et ce ne serait qu'au cas d'une défaite de l'armée de Chanzy que la prise de cette ville nous deviendrait funeste, en OPERATIONS MILITAIRES. 263 continuant à nous fermer la retraite sur le sud de la France. NOTRE PLAN DE CAMPAGNE. Londres, 28 décembre 1870. Nous avons déjà parlé d'un plan gigantesque que nous prêterions à ceux qui ont la haute direction de nos armées, mais qui n'est, nous l'avouerons franchement, qu'une théorie avancée par nous et basée sur les mouvements que nous voyons exécuter par nos généraux. Nous prétendons que la première armée, sous les ordres de Chanzy, devrait marcher sur Char¬ tres et s'approcher de l'armée assiégeante par le Sud-Ouest ; que la deuxième armée, com¬ mandée par Bourbaki, devrait se diriger sur Fontainebleau et prendre ses positions au sud- 2Si OPERATIONS MILITAIRES. est de Paris, et enfin, que l'armée du Nord du général Faidherbe arriverait par le Nord-Est sur la grande ligne de retraite des Prussiens. Trochu exécuterait une manœuvre simultanée sur deux ou trois points de Paris, en combinant ses évolutions et ses attaques avec l'approche de nos trois armées de province. Nous devons d'abord examiner quelles seraient les forces que nous pourrions lancer sur les assié¬ geants , quelles seraient celles qui pourraient sortir de Paris, et les obstacles divers qui pour¬ raient arrêter ces combinaisons , ou tout au moins qui les combattraient avec vigueur. Cbanzy peut disposer de 140,000 hommes an moins de troupes qui se sont montrées égales en valeur et en activité aux soldats allemands; il a devant lui l'aile droite prussienne du duc de Mecklembourg, et sur son flanc droit l'aile gauche qui essaye de le tourner par le Mans, en tout un effectif de 70,000 soldats convergeant autour de lui, sous la direction du prinee Fré¬ déric-Charles. OPÉRATIONS MILITAIRES. 255 Mais notre général, par sa marche rapide, s'est rendu maître de la situation, et à moins qu'il ne Boit décidé à s'arrêter au Mans, pour livrer une bataille générale dans les environs de la ville, il aura rpu gagner Nogent-le-Rotrou et culbuter, par la supériorité de son nombre, les colonnes du duc de Méeklembourg ; il aura pu laisser en arrière un corps d'armée pour pro¬ téger sa marche contre l'approche de l'aile gauche allemande, opérant sans doute par le nord de la ville. Il est fort possible que Chanzy ait l'intention de chercher à disposer de son ennemi sur la Sarthe, ou de l'affaiblir avant de poursuivre l'exécution de son plan, les circonstances peu¬ vent même ne lui offrir d'autre alternative, mais son objectif doit être Chartres et Paris. La 2e armée de la Loire, sous les ordres de Bourbaki, a les plus grandes chances d'effectuer la part qui lui est dévolue dans ce gigantesque programme. Il eBt parfaitement clair que le prince Frédéric - Charles a réuni presque toutes ses 25G OPÉRATIONS MILITAIRES. forces entre Blois, Vendôme et le Mans; il s'est concentré pour écraser Chanzy ; mais comme il a été pour ainsi dire forcé de prendre la défensive, nous ne voyons pas comment il pourrait entraver Bourbaki opérant entre Bourges, Gien et Mon* targis. Le commandant de notre 2* armée ne ren¬ contrerait donc sur son passage que quelques divisions de l'aile gauche prussienne et les Bava¬ rois de von der Tann, et, comme il a sous ses ordres 100,000 hommes environ, une brillante cavalerie d'Afrique, il peut, ce nous semble, marcher hardiment et sans encombre sur Fon¬ tainebleau et Paris ; nous sommes même étonnés de n'avoir pas déjà appris ses progrès en avant sur Fontainebleau. Nous ne pouvons pas croire qu'il soit resté à Bourges dans une inaction que nous ne pour¬ rions nous expliquer. En effet, pendant que Chanzy livrait combats sur combats , qu'il for¬ çait l'ennemi à dégarnir la rive gauche de la Loire, serait-il admissible que notre brave OPÉRATIONS MILITAIRES, 257 général n'eût pas profité du champ libre ouvert sur sa ligne militaire ? Pouvons-nous admettre que les 24,000 Bavarois et Prussiens disséminés entre Vierzon, Gien et Orléans, lui aient barré le passage? Bourbaki, après avoir reçu ses renforts, orga¬ nisé ses nouvelles troupes, aura certainement pris la route de Paris, et notre 2e armée a assurément les meilleures chances d'arriver la première à l'attaque de l'armée assiégeante au sud-est de la capitale. Nous passerons maintenant à notre 3e armée, qui vient de livrer bataille près d'Amiens ; c'est la moins forte et sa tâche est peut-être encore plus difficile à remplir. Le général Faidherbe, qui la commande, ne porte son effectif qu'à 40,000 hommes, et il a devant lui les corps d'armée de von Manteuffel, dont les divisions sont composées de troupes fraîches, bien équipées, et dont les exploits se sont bornés jusqu'ici à lever des contributions sur nos belles provinces du Nord-Ouest et de la Normandie, et à attaquer 17 258 OPÉRATIONS MILITAIRES. nos bataillons disséminés pendant l'organisation de l'armée du Nord. Toutefois, le mouvement du général Faid- herbe est bien indiqué dans notre sens ; sa marche sur Paris, par le Nord-Est, vient d'être arrêtée, il a livré bataille à Pont-Noyelles, près d'Amiens, il a pu conserver ses positions, mais tout nous porte à croire qu'un nouvel engagement aura eu lieu le lendemain, et que von Manteuffel n'avait qu'une partie de ses troupes engagées, aussi regardons-nous la position de notre armée du Nord comme sérieusement menacée. Nous avons parlé avant-hier de divisions al¬ lemandes qui menaçaient le flanc de nos colon¬ nes ; 20,000 hommes s'approchaient de la Fère et le but de von Manteuffel ne peut nous échap¬ per; pendant qu'il attaque nos troupes à Pont- Noyelles et à Corbie, son corps d'armée, venant de la Fère, cherche à tourner notre aile gau¬ che et à nous couper la retraite sur les places fortes du Nord. Cependant nous avons eu un avantage signalé OPERATIONS MILITAIRES. 259 dans la première action, et nous espérons que la marche de notre 3e armée ne sera pas com¬ promise, quoique ce soit celle des trois qui ait le plus de difficultés à surmonter. Nous avons, aussi clairement que possible, expliqué la position de nos armées et cherché à raisonner leurs mouvements au point de vue du plan que nous avons annoncé ; mais que. nos lecteurs ne perdent pas de vue que nous par¬ courons le domaine des hypothèses, que nous basons nos calculs sur les données des télégram¬ mes qui nous parviennent, et que la seule au¬ torité que nous ayons, est une faible expérience acquise, il est vrai, en faisant la guerre dans des pays lointains. Pendant que nos héroïques colonnes de la province marcheraient, d'après nous, au secours de Paris, le général Trochu et ses deux lieute¬ nants, Vinoy et Ducrot, se prépareraient à des sorties générales sur trois points différents de la capitale. Ici, il ne nous appartient pas de nous pronon- 260 OPÉRATIONS MILITAIRES. cer. Nous n'avons pas qualité pour parler d'une manière quelconque des projets de l'armée as¬ siégée, d'ailleurs nous n'avons pas le moindre indice; les dernières attaques sur lesquelles le roi de Prusse semble tant compter pour rassurer les esprits inquiets en Allemagne, ne sont pour nous que des reconnaissances. Il n'y a eu ni victoire, ni défaite. Mais nous restons convaincus que le gouver¬ neur de Paris a mûri une combinaison defini¬ tive et que, dans une sortie générale, l'armée qui au commencement du mois s'est montrée si su¬ périeure sous tous les rapports à tout ce que nous pouvions attendre, l'armée qui, sur la Marne, a infligé une si terrible leçon aux troupes alle¬ mandes, fera un effort suprême pour opérer sa jonction avec Chanzy, Bourbaki et peut-être même Faidherbe. Trois fois cent mille hommes peuvent attaquer au Midi, au Nord, à l'Est ; cent mille soldats français sur chaque point peuvent culbuter trois armées de 80,000 Prussiens chacune. OPÉRATIONS MILITAIRES. 261 Les volontaires, les mobiles, les recrues de 1870, se sont déjà montrés les dignes descen¬ dants des grands guerriers d'autrefois et des héros de la grande République et du Premier Empire, la gloire est de nouveau notre juste titre, et le monde a appris depuis quelques se¬ maines que les nobles enfants de la France n'a¬ vaient pas dégénéré. Endormis un moment sous la pression des idées modernes, sous l'influence des progrès de la civilisation, nous avons pu croire que la guerre à outrance n'appartenait plus qu'aux temps de la barbarie ; nous avons pu être sur¬ pris, lorsque nous n'étions pas prêts, nous pou¬ vons même succomber momentanément; mais ce ne sera plus sans cette gloire qui nous appar¬ tient, qui nous a été léguée par nos ancêtres. Que les conquérants du dix-neuvième siècle ne l'oublient pas, qu'ils sachent une fois de plus qu'il faut compter avec la France, et que, dans l'avenir, ils auront à Regretter d'avoir été sans merci pour ce grand peuple, lorsqu'il était prêt 202 OPERATIONS MILITAIRES. à s'avouer vaincu et à accepter des conditions honorables et compatibles avec sa dignité. CONCENTRATION DE FREDERIC-CHARLES ENTRE BLOIS ET ORLEANS. On serait porté à croire, en parcourant les dépêches de Bordeaux et de Versailles, que les autorités françaises et prussiennes ont résolu d'égarer entièrement l'opinion publique en don¬ nant des comptes-rendus qui se contredisent les uns les autres et en la tenant systématiquement dans l'ignorance de ce qui se passe. Il est facile de comprendre que le roi de Prusse soit obligé de re&ourir à ces moyens; la guerre est loin d'être aussi populaire qu'elle OPÉRATIONS MILITAIRES. 263 l'était parmi ses sujets et ses grands vassaux. L'Allemagne, habituée à des victoires inatten¬ dues, ne peut aisément admettre des revers momentanés. On commence à craindre que le fruit d'une campagne si prospère ne soit compromis par de futurs événements ; on ne peut se rendre compte de la résistance de Paris, on ne peut s'expli¬ quer comment le vainqueur de l'armée du Rhin est arrêté tout à coup et obligé de se concen¬ trer, voire même à se résigner à la défensive, devant cette armée de la Loire qui devait être anéantie en un seul coup. De là ce besoin im¬ modéré de l'état-major de Versailles d'annoncer des avantages sérieux, lorsqu'il n'y a eu que de simples combats ou des actions indécises. Mais le Gouvernement de la Défense natio¬ nale ne doit pas adopter pour lui-même une pareille ligne de conduite dans les moments suprêmes comme ceux par lesquels nous passons ; la nation a le droit d'être informée de l'état réel des affaires; lorsqu'elle ne craint pas de 264 OPERATIONS MILITAIRES. faire les sacrifices les plus étendus, elle peut et doit exiger la vérité. Elle a montré qu'elle était assez virile pour supporter avec calme les bonnes et les mauvaises nouvelles. Nous n'avons, du reste, rien que de bon à annoncer. Depuis quelques semaines, la position s'est tellement améliorée que nous pouvons es¬ pérer des résultats sur lesquels nous n'osions plus compter. La 2e armée de la Loire a changé nos pers¬ pectives, et si le général Chanzy est secondé par nos autres généraux, la glorieuse campagne de nos troupes de la province ramènera la vic¬ toire sous nos drapeaux et contribuera puissam¬ ment à sauver la France. Non-seulement le prince Frédéric-Charles a été obligé de se tenir sur la défensive après l'affaire de Vendôme, mais nous apprenons à l'instant même qu'il a été forcé d'abandonner sa marche en avant et ses combinaisons pour tourner l'ar¬ mée de Chanzy et que, justement alarmé de sa OPÉRATIONS MILITAIRES. 265 position périlleuse, il se replie sur la Loire et se rejette sur Blois et Orléans. Il est vrai que de ce points-là le général alle¬ mand menacera le flanc de nos deux armées et pourra se porter également sur la rive droite ou sur la rive gauche du fleuve, et qu'il est maître d'une ligne stratégique de la plus haute impor¬ tance, mais il est exposé à de plus grands dangers. En effet, le prince se trouve, par ce nouveau plan, occuper le centre de nos opérations, et il est par conséquent exposé sur la droite et sur la gauche à être assailli par des forces de beaucoup supérieures aux siennes. Nous ne pouvons nous dissimuler que, si Bour- baki n'a pas pris l'avance, il aura laissé passer une opportunité qui ne se représentera pas ; nous avons répété chaque jour combien il était urgent qu'il ne perdit pas un temps précieux, nous avons indiqué ce qui arrive aujourd'hui, le mouvement rétrograde de Frédéric-Charles sur la Loire. 266 OPERATIONS MILITAIRES. Aussi, ce rie sera plus 24,000 hommes environ qui viendront s'opposer à son passage, mais l'ar¬ mée entière du prince prussien. Nous croyons cependant que le mouvement de Bourbaki se fait probablement plus à l'Est, et il est à espérer que, par une marche rapide, il dé¬ joue^ cet obstacle formidable ; peut-être même a-t-il déjà une avance de deux ou trois jours sur les colonnes allemandes. Il est vrai aussi que Chanzy restera libre de ses mouvements, et en supputant le pour ou le contre des nouvelles manœuvres du général prus¬ sien, nous regardons notre situation comme s'étant de beaucoup améliorée eu égard à notre 2® armée. Nous devons nous attendre à un nouvel enga¬ gement du côté d'Amiens. Il est parfaitement clair que le résultat de la bataille du 28 est resté indécis ; les télégrammes du roi de Prusse sont vagues, et ceux de Bordeaux sont incomplets à l'heure où nous écrivons. Nous aurons demain sans doute des documents OPERATIONS MILITAIRES. 267 qui nons permettront d'éclairer nos lecteurs à ce sujet. BOMBARDEMENT DU MONT-AVRON. PARIS ATTEND DES SECOURS. Londres, 30 décembre 1870. Les Prussiens ont bombardé un de nos ou¬ vrages avancés autour de Paris, la redoute établie sur le Mont-Avron, à une distance de près de 3,000 mètres du fort de Rosny, à l'est même de la capitale. Le Mont-Avron est situé près de Villemomble, à 8 kilomètres du mur d'enceinte ; ses batteries sont composées de canons de haut calibre de la marine, et les ouvrages, quoique ayant été 268 OPERATIONS MILITAIRES. établis provisoirement, sont très-bien fortifiés. Mais ils n'ont pu résister à l'artillerie prussienne, la redoute a été évacuée après deux jours de résistance. Il y a de cela plus de deux mois, après nous être livré à quelques études sur les fortifications de Paris, après avoir examiné avec soin la pro¬ babilité des différentes attaques, nous restâmes convaincu que les efforts principaux des Prus¬ siens se porteraient sur le sud-ouest de la capitale ; nous écrivîmes longuement sur ce sujet dans un journal anglais, et quoique nous n'ayons pas l'intention de reproduire encore nos argu¬ ments à l'appui, nous persistons dans cette croyance : que si jamais les Allemands sont en mesure de bombarder Paris, leur plus forte artillerie prendra ses positions au Sud-Ouest, et que ce sera cette zone de nos forts qui aura à soutenir la plus vive attaque. A un autre point de vue, la destruction de la redoute du Mont-Avron ne laisse cependant pas que d'être fort importante pour les Allemands; OPERATIONS MILITAIRES. 269 cet ouvrage avancé a déjà protégé plusieurs de nos sorties, et si Troehu avait eu l'intention de saillir du côté de l'Est pour couper les commu¬ nications des Prussiens et leur principale ligne de retraite, ce fort eut été d'un avantage in¬ calculable ; aussi nous ne serions pas étonné que von Moltke ait voulu, avant de commencer des opérations plus générales, s'assurer d'une ma¬ nière effective du point dominant sur sa ligne de l'Est et conjurer le plus grand danger qui l'aurait menacé en cas de défaite. Nous nous sommes si longuement étendu depuis deux jours sur le plan de campagne que nous prêtons aux généraux qui commandent nos armées de la province, qu'il serait oiseux de revenir encore sur ce sujet ; cependant tout paraît devoir nous indiquer que nous sommes dans le vrai. Les nouvelles positions prises par Frédéric- Charles, sa concentration rapide sur la Loire, nous confirment dans l'opinion que nous nous sommes faite, que le prince attend et guette nos 270 OPÉRATIONS MILITAIRES. mouvements sur Paris, et se prépare pour arrêter notre marche. Le centre de son armée s'appuie sur Orléans, son aile droite, commandée par le duc de Meck- lembourg, touche à Ohâteauneuf ; son aile gauche s'étend au midi de la Loire ; il occupe presque les mêmes points conquis par la bataille gagnqo sur d'Aurelles de Paladine. Notre -position, sans être aussi forte qu'elle l'était avant cet engagement, s'est cependant améliorée sous d'autres rapports ; nos soldats sont mieux disciplinés, mieux organisés, plus aguerris et plus nombreux. Nous avons deux armées au lieu d'une, et le prince ne peut plus les attaquer simultanément, car elles agissent sur un plus grand rayon, et son aile droite ou son aile gauche ne suffiraient plus pour entraver le progrès des deux à la fois. Si Bourbaki le force à se rejeter sur la rive gauche de la Loire, il est forcé de laisser le champ libre à Chanzy. Si, au contraire, il se porte sur Chanzy, notre lr0 armée n'aura plus OPÉRATIONS MILITAIRES. 271 encore une fois d'obstacle sérieux qui arrêtera sa marche. Nous attendons avec impatience l'avance de nos armées sur Paris. Malgré les explications qui nous viennent de France, nous avons de la peine à nous rendre compte des re¬ tards apportés dans l'exécution de plans quel¬ conques. L'inaction de Bourbaki nous paraît incompré¬ hensible ; la route lui a été ouverte pendant plus de quinze jours, et quelles que soient les améliorations qu'il a pu porter dans la composi¬ tion de ses troupes, nous craignons qu'elles aient de la peine à compenser des avantages qui ne se présenteront peut-être plus. Les Prussiens se renforceront, ils se remet¬ tront de leurs fatigues, ils répareront les pertes qu'ils ont éprouvées, et, avec la ténacité qui les distingue, ils attendront patiemment une occa¬ sion de frapper un nouveau coup, après avoir mûrement réfléchi et après avoir profité de nos fautes. 272 OPÉRATIONS MILITAIRES. Nous ne devons pas hésiter; la prndence est quelquefois mauvaise conseillère; il est des mo¬ ments suprêmes où il faut agir avec hardiesse. Paris est investi depuis plus de trois mois, et quel que soit le patriotisme de ses habitants, ne serail-il pas dangereux de lasser leur patience, de mettre leur abnégation à une trop longue épreuve? Ils attendent le secours de la province; peut-on le retarder sans crainte qu'il soit trop tard, sans s'exposer à perdre une occasion fa¬ vorable. BATAILLE D'AMIENS. - CONCENTRA¬ TION DE FREDERIC-CHARLES- • Londres, 29 décembre 1870. Ainsi que nous le disions hier, l'armée du Nord n'a pas été battue comme le prétend le roi de Prusse, et, quoique dans la soirée du 23, OPERATIONS MILITAIRES. 273 les Prussiens soient parvenus à s'emparer de plusieurs villages voisins du champ de bataille, nous avons aujourd'hui acquis la certitude que nos troupes n'ont pas été défaites dans le der¬ nier engagement près d'Amiens. L'aile gauche du général Faidherbe était sur le point de gagner Montdidier, et l'aile droite occupait Poix; la première de ces deux villes est située au sud-est d'Amiens, la seconde au sud-ouest ; mais en apprenant l'avance des Prussiens, qui s'approchaient du nord de Rouen, nos troupes se replièrent au-delà de la Somme. Le 23, notre ligne de bataille s'étendait sur les rives de l'Hellue jusqu'aux villages de Daours et de Yecquemont, au confluent de cette rivière avec la Somme ; nous occupions des hauteurs naturellement fortes, et notre général, après s'être concentré, attendit l'attaque de l'ennemi. Notre aile droite, s'appuyant sur Contay et Beaucourt, dominait la route d'Acheux, le centre occupait Pont-Noyelles, à l'intersection des routes d'Albert et d'Àrras, pendant que notre gauche 18 274 OPÉRATIONS MILITAIRES. avait pris ses positions entre Bassy et Daours, de manière à protéger la route de Péronne. Le général Faidherbe maintint jusqu'au soir, les points importants défendus par son aile droite ; de ce côté là il fut complètement vic¬ torieux ; mais le centre et l'aile gauche de son armée paraissent avoir faibli et il fut obligé d'abandonner les villages du bord de la ri¬ vière. Le lendemain, après avoir vainement attendu une nouvelle attaque, le général français se re¬ plia sur Arras. Yon Manteuffel n'a pu s'opposer aux mouve¬ ments de retraite de notre armée du Nord, ce qui nous donne à penser qu'il n'a pas gagné le moindre avantage dans la journée du 23, et qu'il manœuvrait dans le but évident de retenir nos troupes près d'Amiens jusqu'à l'arrivée de ses renforts. Nous avions, du reste, parfaitement prévu ce mouvement, nous avons compris tout d'abord que l'engagement de Pont-Noyelles ne pouvait OPERATIONS MILITAIRES. 275 être que le prélude d'une attaque régulière des Allemands contre l'armée du Nord. Von Manteuffel nous attaquera de nouveau et son principal et premier objectif sera de couper notre ligne de retraite sur Lille, mais nous aurons eu le temps de prendre l'offensive et de parer à ces éventualités menaçantes. La bataille de Pont-Noyelles a eu le double avantage de ramener la confiance ébranlée dans le Nord, après la chute d'Amiens ; nous avons acquis des preuves incontestables que ces nou¬ velles troupes se sont tellement raffermies qu'elles peuvent désormais lntter avec succès contre les meilleurs soldats prussiens. Cependant, nous ne pouvons pas nous expli¬ quer pourquoi le général Faidherbe n'a pas pro¬ fité des succès obtenus par son aile droite ; il lui était facile de se jeter sur les villages placés sur la route, entre Acheux et Doullens, d'enta¬ mer le flanc gauche de l'armée de von Manteuffel et de pousser ses colonnes disséminées jusque sur la citadelle d'Amiens. 276 OPÉRATIONS MILITAIRES. Assuré de sa ligne de retraite sur les places fortes du Nord, il pourra, ce nous semble, pren¬ dre désormais l'offensive avec les plus grandes chances de réussite, et conserver cette base d'opérations pour s'élancer de nouveau dans la direction de Paris. En tout cas, notre armée du Nord tiendra occupée, pendant quelques jours, la plus grande partie des forces de von Manteuffel ; par là, elle dégagera entièrement la route de Cherbourg vers la Loire, en éloignera l'ennemi et permettra aux nouvelles troupes qui se sont réunies sur ce point, d'opérer leur jonction avec Chanzy. Nous avons laissé le prince Frédéric-Charles concentrant son armée entre Blois et Orléans ; le duc de Mecklembourg s'est replié sur Main- tenon, et de ces points stratégiques, les généraux prussiens vont probablement attendre la marche en avant de nos armées. Leurs corps d'armée, considérablement épuisés par les derniers combats, par les maladies, par la fatigue des longues marches, ont été con- OPERATIONS MILITAIRES. 277 traints de rétrograder, de se concentrer de nou¬ veau. Ils viennent d'être renforcés par une partie considérable du contingent nouvellement arrivé d'Allemagne, et l'effectif de l'armée prussienne d'opération doit s'élever à 150,000 hommes en¬ viron. Les généraux allemands pourront à volonté jeter le gros de leurs forces sur Chanzy ou sur Bourbaki, et essayer d'entraver leur marche sur Paris. Mais si nos armées agissent simultanément, avec un ensemble bien calculé, nous devons être à même d'exécuter nos plans. Plus que jamais leur réalisation est possible. Chanzy est à la tête de colonnes aguerries qui se sont mesurées avec avantage contre les troupes allemandes ; il a tout le loisir de reposer ses troupes, d'organiser ses nouveaux corps d'armée; derrière lui, l'armée de Cherbourg for¬ mera une arrière-garde formidable, et nos masses 278 OPERATIONS MILITAIRES. imposantes pourront attaquer hardiment et avec succès les corps d'armée prussiens. D'un autre côté, Bourbaki, dont nous ignorons encore les mouvements, saura déjouer par une marche rapide, les combinaisons de Frédéric- Charles, tout habiles qu'elles puissent être. Le bombardement du fort d'Avron par les Prussiens a commencé hier. Malgré cela, les nouvelles de Paris sont plus que rassurantes; elles nous montrent les Parisiens plus déter¬ minés que jamais, les vivres ne manquent pas, et chacun, dans sa sphère, est à son poste, résolu à faire payer chèrement aux Allemands l'audace de leurs tentatives et la recrudescence de leurs méfaits. Les grandes batailles qui doivent décider du sort de notre noble pays ne tarderont pas à être livrées. L'Europe entière est en suspens et suit avec intérêt la nouvelle phase de ce drame qui ne peut tarder à se dénouer; la France, quoique abandonnée par ses alliés, est loin d'être vaincue; elle démontre ehaque jour que OPÉRATIONS MILITAIRES. 279 sa grandeur n'eBt pas un vain mot ; elle se relève plus sublime, peut-être plus forte qu'elle n'a jamais été ; elle impose de nouveau au monde entier une juste admiration. Nous avons le droit de manifester des espérances qui sont aujourd'hui solidement fondées. LA DEMAGOGIE ET LE PATRIOTISME. Londres, 4 janvier 1871. Profitant de toutes les occasions qui se pré¬ sentent, pour attaquer les hommes dévoués qui ont la tâche difficile de diriger la défense de la capitale, les chefs incorrigibles du parti de Belleville ne cessent de leurs créer de nouveaux obstacles. 280 OPERATIONS MILITAIRES. Bien plus soucieux de leurs théories, de la réalisation d'utopies tant de fois condamnées, que de l'honneur de la nation, que du salut de tout un peuple, ils poursuivent au profit de leur càuse, un système d'agression de plus en plus vif contre le Gouvernement. A eux reviendra de droit ce titre de conspira¬ teurs qu'ils se plaisent à donner constamment aux adversaires de leur politique subversive, sur eux pèsera la majeure partie d'une responsabi¬ lité si grave : défaillance devant Vennemi, trahison envers la défense. Les maires des arrondissements de Paris se sont réunis dans un meeting, sous la présidence de M. Jules Favre. L'assemblée est restée en permanence pendant huit heures consécutives. La défense de la ville, la conduite de plu¬ sieurs membres du Gouvernement, ont fourni les éléments principaux à des discussions ora¬ geuses. M. Delescluze et ses partisans ont vivement attaqué le général Trochu, MM. Favre et Picard, OPÉRATIONS MILITAIRES 281 mais, malgré tous leurs efforts, l'ordre a pré¬ valu, et le principal vote de l'assemblée s'est résumé en une recommandation de pousser avec énergie et vigueur les opérations mili¬ taires. Triste contraste ! pendant que les honorables membres du Gouvernement provisoire sacrifient ce qu'ils ont de plus cher, leur popularité même, dans cette lutte gigantesque et sublime qu'ils soutiennent avec tant d'honneur depuis trois mois; pendant qu'au milieu de tous les dangers, de toutes les privations, ils poursuivent leurs rudes labeurs sous le feu de l'ennemi ; pendant qu'ils ont à combattre contre les canons prus¬ siens, et chose bien plus triste, contre des ten¬ tatives d'anarchie, leurs collègues, le triumvirat de la province, se fait décerner des ovations par les républicains de commande de la ville de Bordeaux. Dans cette nouvelle capitale, on voit du bal¬ con de la préfecture, M. Gambetta et ses deux collègues haranguer la foule, lancer sur le peu- 282 OPERATIONS MILITAIRES. pie agité par les événements de la guerre, des discours enflammés en faveur de la cause répu¬ blicaine. Ce sont des fêtes, des triomphes oratoires qui les enivrent, leur succès momentané dépasse leurs espérances, ils oublient presque leur situa¬ tion au milieu de leur gloire éphémère; et pen¬ dant ce temps-là nos malheureuses armées, dont les soldats représentent toutes les opinions, af¬ frontent, sans arrière-pensée politique, la mi¬ traille de l'ennemi et se font tuer pour la France et non pour un parti. Et pendant ce temps-là leurs collègues de Paris, fidèles à leurs serments, suivent avec dé¬ vouement et probité la noble ligne de conduite qu'ils se tracèrent en devenant les chefs de la Défense nationale. Au milieu des plus grandes difficultés, ils puisent dans la religion du devoir cette force si indispensable pour dominer les passions politiques ; ils ont dès le commencement com¬ battu les ambitions mesquines et coupables qui OPERATIONS MILITAIRES. 283 Bemblent être devenues le partage, le mobile de leurs délégués en province. Le général Faidherbe vient, d'après des dépê¬ ches reçues de Bordeaux, de recommencer ses opérations dans le Nord. Il paraît avoir traversé en tout sens et exploré les alentours d'Arras sans "rencontrer l'ennemi ; il marcherait donc à une attaque bien préméditée ! Divers renseignements nous informent que les Prussiens se sont avancés en deux colonnes dans la direction de Saint-Quentin, puis qu'ils se sont repliés sur Crevecœur et Bapaume. C'est probablement entre cette dernière ville et Arras qu'une nouvelle bataille ne tardera pas à être livrée ; le général Faidherbe vient de nous prouver par sa retraite après l'engagement de Noyelles, qu'il possède de hautes connaissances en stratégie ; en jetant un coup-d'œil sur la carte et en se rendant compte des mouvements qu'il a dû opérer, on peut conclure que notre général est doué des qualités les plus indispensables pour diriger une armée. 284 OPÉRATIONS MILITAIRES. Tout en nous réservant de donner prochaine¬ ment la description de sa grande marche stra¬ tégique, nous ajouterons que ses dernières opérations nous donnent le plus grand espoir pour le succès du plan qu'il semble vou¬ loir exécuter. Le bombardement de Mézières, .commencé de nouveau le 30 décembre, mais cette fois au moyen de canons de haut calibre, vient de se terminer par la capitulation de cette place forte ; nous devions nous attendre à ce résultat définitif, qui ne laisse pas cependant d'avoir une certaine importance. Les troupes allemandes retenues par ce siège iront renforcer encore l'armée de von Manteuffel, et ne serait-ce qu'à ce point de vue, ce nouveau malheur nous frappe d'une manière sensible. Nous ne pouvons nous défendre d'un profond sentiment de tristesse à la vue de tant d'efforts surhumains accomplis par notre brave popu¬ lation, et à l'approche d'événements qui doivent décider de notre sort. OPÉRATIONS MILITAIRES. 285 Nos regards se portent avec avidité vers ces points si familiers où tout notre espoir se con¬ centre ; nous suivons avec anxiété et courage les progrès de nos braves généraux ; les noms de Trochu, Chanzy, Bourbaki, Faidherbe résu¬ ment la fortune de la France. Ils ont déjà sauvé l'honneur de nos armes ; entre leurs mains est déposé notre avenir. Ils ont déjà tant fait que nous devons avoir confiance, malgré les obs¬ tacles qu'il leur reste à vaincre de toutes parts. BATAILLE DE BAPAUME - LE GENERAL FATDHERBE. Londres, 7 janvier 1871. Après la bataille de Pont-Noyelles, le général Faidherbe nous avait déjà donné des preuves irrécusables de son habileté, et sa retraite de- 286 OPÉRATIONS MILITAIRES. vant l'ennemi fut marquée par une précision de mouvements qui nous fit bien augurer de ses opérations futures. La victoire qu'il vient de remporter à Beha- gnies paraît êtrè complète et prouve une fois de plus le peu de foi qu'on doit ajouter aux dépê¬ ches du roi de Prusse, qui avait annoncé, il y a peu de jours de cela, la destruction de cette même armée du Nord qui vient de faire subir aux troupes de von Manteuffel des pertes aussi sérieuses. Après avoir donné à ses soldats quelques jours de repos, dans de fortes positions situées entre Arras et Douai, le général Faidherbe, ne se voyant pas poursuivi par l'ennemi, résolut de re¬ prendre l'offensive. Le 31 décembre, après avoir fait explorer les environs d'Arras par ses éclaireurs, il commença son mouvement vers l'ennemi ; son aile gauche s'appuyait sur les fortes positions de la Scarpe, et son aile droite sur les hauteurs de Beaumont- lez-Loges. OPÉRATIONS MILITAIRES. 287 Sa ligne de bataille avait tme lieue d'étendue, 1 et ce fut dans cet ordre qu'il s'avança sur Achiet-le-Grand, où la première rencontre eut lieu avec les Allemands. Le centre d'opérations du général von Man- teuffel était à Bapaume ; son armée couvrait cette ville et se développait vers les villages d'Ervil- lers, de Behagnies et de Sapignies. L'attaque générale commença le lundi à dix heures ; elle fut vivement soutenue par l'ennemi ; nous nous emparâmes de plusieurs villages qu'il occupait et vers cinq heures, lorsque le combat cessa, nos troupes victorieuses bivouaquèrent sur les positions conquises. L'engagement reprit avec un nouvel acharne¬ ment le lendemain matin. Behagnies et Bapaume devinrent le centre de la bataille; ils furent presque détruits par l'artillerie des combattants et vers le soir, le général Faidherbe avait re¬ poussé les troupes de von Manteuffel sur toute la ligne et les avait forcées à battre en retraite. 288 OPERATIONS MILITAIRES. Les pertes sont considérables tant d'un côte que de l'autre. Il nous reste à apprendre sur quel point les Allemands ont opéré leur retraite, et si un autre engagement n'a pas eu lieu le jour suivant, car il est probable que Faidherbe aura poursuivi l'ennemi et profité de sa victoire. Nos armées de province deviennent de plus en plus efficaces, l'offensive est prise de tous les côtés à la fois, et si Bourbaki, Chanzy et Fai¬ dherbe ne sont pas entravés par des événements sérieux autour de Paris, nous devons nous at¬ tendre à de grands résultats. Nous continuons à être peu rassuré sur la position de notre capitale ; le bombardement des forts de l'Est et la faible résistance qu'ils semblent devoir offrir nous plonge dan3 la plus grande inquiétude. L'artillerie de nos forts répond à peine au feu toujours croissant des batteries prussiennes, et c'est un état de choses qui ne peut durer longtemps. OPÉRATIONS MILITAIRES. 289 Là encore les Français se sont pent-être fait des illusions que nous n'avons, du reste, cessé de combattre. Nous n'avons pas oublié que les fortifications de nos différentes places fortes n'ont pu, dans aucun cas, résister longtemps aux projectiles lancés par les canons de haut calibre des Allemands. Nous perdons sensiblement notre ligne de dé¬ fense à l'est de Paris, et s'y nous n'y prenons garde, si Trochu ne prend des mesures éner¬ giques, il est fort à craindre que nous apprenions bientôt que les fameux canons Krupp de 24 et les mortiers rayés ont commencé leur œnvre de destruction sur la ville môme. Il ne nous appartient pas de nous prononcer sur les causes qui ont pu décider le gouverneur de Paris à abandonner, presque sans les défendre» les ouvrages avancés à l'Est et à rester dans l'inaction qui est signalée depuis plusieurs jours. Nous ne connaissons pas l'état réel des forces dont Trochu peut disposer, et nous sommes com 19 290 OPERATIONS MILITAIRES. vaincu que là, comme ailleurs, la vérité ne s'est pas fait jour, et que la situation exacte de Paris a été tenue cachée à la province. Quoi qu'il en soit, c'est aujourd'hui plus que jamais que notre sort dépend de la résistance que l'armée de Trochu peut offrir à l'ennemi; si la capitale peut tenir quelques semaines en¬ core, nous pouvons être sauvés ; mais, il ne faut pas se le dissimuler, ce n'est qu'à cette condi¬ tion que nos généraux de la province peuvent espérer de vaincre l'invasion. Chaque jour, chaque heure de retard prolonge notre agonie et diminue nos chances. Plus l'ar¬ tillerie prussienne se fera entendre dans la di¬ rection de nos forts, plus la population de Paris perdra courage, plus les soldats manqueront de confiance. N'avions-nous pas que trop prévu le mauvais effet que la prise du Mont-Avron ne manquerait pas de produire, les défaillances que cette cata¬ strophe, qu'on se plaisait de traiter à la légère, amènerait dans l'esprit des Parisiens ? N'avions- OPÉRATIONS MILITAIRES. 291 nous pas prédit les discordes intérieures qui semblent exister dans l'armée de Paris ? Ces rumeurs fâcheuses qui nous parviennent, quelque vagues qu'elles soient, ne laissent pas que de nous affliger profondément, et de nous fournir les plus graves appréhensions sur les événements qui vont avoir lieu. Le bombardement des forts du sud et du sud- ouest de Paris a commencé hier. Nous attendons avec impatience la nouvelle d'un mouvement plus actif de nos armées et surtout de la part de la garnison de Paris. 292 OPERATIONS MILITAIRES. MARCHE DE FREDERIC-CHARLES VERS L'OUEST. Londres, 11 janvier 1871. Le prince Frédéric-Charles continue sa marche audacieuse vers l'Ouest. Dimanche, après avoir livré plusieurs combats, il a occupé La Chartre, Savigny et Sarge, pendant que son aile droite pénétrait dans Nogent-le-Rotrou. L'effectif de son armée s'élève à 145,000 hom¬ mes; il commande en personne l'aile gauche et le centre, pendant que l'aile droite est sous les ordres du duc de Mecklembourg. Malgré son attaque rapide et l'élan de ses troupes, il a été vigoureusement combattu par les soldats de Chanzy, qui ont, à plusieurs re¬ prises, opéré des manœuvres tellement hardies qu'il a dû abandonner ses positions et revenir OPERATIONS MILITAIRES. 2&3 sur ses pas, après s'être concentré sur une ligne de bataille moins étendue. Le gros de l'armée de Chanzy occupe de fortes positions autour du Mans; des ouvrages fortifiés ont été construits, de nombreuses batte¬ ries ont été placées sur tous les points élevés, et nous pouvons être certains que le général trouvera une résistance à laquelle il ne s'attend pas. Nous ne pouvons manquer d'apprendre bientôt qu'une grande bataille se livre sur ce point im¬ portant, mais nous sommes loin d'avoir bon es¬ poir pour la réussite de nos combinaisons. Nos armées sont plus que jamais éloignées de Paris; pour des raisons que nous ne connais¬ sons pas, nos mouvements ont été retardés, et ce sont encore les Prussiens qui nous forcent à rétrograder; ils paraissent deviner nos inten¬ tions, et ils prennent l'offensive avant même que nous ayons songé à nous mouvoir. De Nogent-le-Rotrou, le duc de Mecklembourg s'avance probablement sur le Mans en deux co- 294 OPERATIONS MILITAIRES lonnes, l'une prenant la route de Mamers, l'autre celle de la Ferté-Bernard, dans le but évident d'arrêter tout corps d'armée français qui tenterait de s'avancer par L'Aigle et Dreux sur Paris, et d'opérer une marche de flanc pendant que le prince Frédéric-Charles attaquera le Mans avec toutes ses forces. Il ne faut pas se le dissimuler, le moment est décisif ; le prince Frédéric-Charles s'approche résolûment ; il ne va pas pour maintenir notre 2" armée dans ses positions de défence, il va pour livrer à Chanzy une bataille qui décide du sort de l'une ou de l'autre des deux armées. Du reste, ces mouvements étaient prévus ; nous avions annoncé depuis plusieurs jours que les Allemands avaient reçu des renforts, nous avions indiqué la marche que leurs généraux ne manqueraient pas de suivre, et nous avions con¬ fiance, tant que nous pensions que Bourbaki s'avancerait simultanément avec Chanzy et for¬ cerait le prince Frédéric-Charles à diviser son armée sur les deux rives de la Loire. OPÉRATIONS MILITAIRES. 295 Nons espérons encore que la 1™ armée a un tout autre objectif que celui qu'on lui prête, qu'au lieu de marcher sur Belfort elle s'appro¬ che de Paris, et que si on a laissé à Chanzy la rude tâche à remplir d'affronter toutes les troupes de Frédéric - Charles, c'est pour que Bourbaki puisse opérer son mouvement. Du Nord, nous apprenons que les corps d'ar¬ mée de von Goeben se massent de nouveau au¬ tour de Bapaume et qu'à la date du 8 courant, le général Faidherbe se préparait à reprendre l'offensive. La forteresse de Péronne résiste tou¬ jours au bombardement. Les nouvelles de Paris continuent à nous montrer la position sous le même aspect, l'artil¬ lerie prussienne vomissant des milliers de pro¬ jectiles sur les forts de Yanves, de Montrouge, d'Issy; mais les résultats paraissent négatifs et le roi de Prusse télégraphie de plus belle que les forts sont réduits au silence. Nous ne serions pas étonnés que ce silence de notre artillerie, qui paraît être le résultat 296 OPERATIONS MILITAIRES. d'une tactique suivie, ne cessât tout à coup et que leB canons qu'on suppose démontés ou abandonnés n'ouvrissent un feu meurtrier sur les assaillants dès qu'ils voudront faire avancer leurs batteries pour diriger leurs feux contre les remparts. Ce qui nous fait adopter cette théorie, c'est qu'un télégramme du roi annonce que les forts du Sud-Ouest, qu'il avait soi-disant réduits au silence, se sont fait entendre de nouveau diman¬ che dernier, fait qui nous prouve à n'en pas douter qu'ils sont silencieux à volonté. La situation de Paris n'est cependant pas des plus rassurantes ; diverses rumeurs nous démon¬ trent que la population est en butte à une crise sérieuse ; les conseils de guerre, les changements dans les corps d'armée, les proclamations du gouverneur, les accusations même qu'on semble vouloir porter contre les actions de Trochu, la censure de son inaction supposée, sont autant d'éléments de discorde et de défection qui ne surviennent guère que dans le malheur. OPERATIONS MILITAIRES. 297 Le général fait un appel à la population entière pour défendre la capitale jusqu'à la dernière extrémité, et on en est à se demander pourquoi l'armée formidable de 400,000 soldats, renfermée dans ses murs, n'ait pas été lancée sur plusieurs points à la fois contre l'ennemi. Nous sommeB persuadé qu'une attaque régu¬ lière contre les troupes assiégeantes, des sorties bien combinées, ranimeraient bien plus la con¬ fiance et l'énergie des Parisiens que les procla¬ mations éloquentes du général en chef. Jusqu'ici le bombardement de Paris est loin d'être aussi terrible qu'on s'y attendait ; les dégâts faits à nos fortifications sont de peu d'importance, malgré la force et la portée extraordinaire des canons Krupp de haut ca¬ libre. Le Parisien s'habituera bien vite à ce nouveau danger et la question de réussite se résumera probablement, comme par le passé, en ceci : à savoir si Paris est assez amplement approvisionné pour soutenir le siège quelque temps encore et 298 OPÉRATIONS MILITAIRES. attendre les armées de secours venant de la province. Tant que les forts pourront résister, le bombar¬ dement n'affectera pas beaucoup la population, mais le jour où les bombes et les obus, au lieu de s'enfouir dans des ouvrages en terre ou en maçonnerie, pleuvront sur les toits des maisons, les murs en briques, les monuments et toutes nos merveilleuses constructions, l'effet sera ter¬ rible sur les esprits. Aussi avonB-nous bon espoir que des mesures énergiques, lorsqu'il en est temps encore, préviendront de pareils malheurs. OPERATIONS MILITAIRES. 299 PLANS DE DEPENSE DE CHANZY AUTOUR DU MANS- ERREUR FATALE D'AVOIR ENVOYE BOURBAKI DANS L'EST. Londres, 12 janvier 1870. Les derniers télégrammes du roi de Prusse bous annoncent les progrès rapides du prince Frédéric-Charles sur le Mans. Le centre de son armée paraît avoir dépassé Ardenay. Ce village n'est qu'à quinze kilomètres de Pontlieue et des faubourgs du Mans ; il est situé à gauche de la grande route au milieu des forêts de sapins et près de petits ravins formés par des ruisseaux tributaires de l'Huisne. Connaissant très-bien ce pays, que nous avons parcouru dernièrement encore, il nous est facile de nous rendre compte des mouvements des 300 OPERATIONS MILITAIRES. armées et des obstacles qui pourraient être opposés à la marche de l'ennemi. D'Ardenay au Mans, la route parcourt une plaine fortement boisée et accidentée, et à quel¬ ques kilomètres de la ville elle est traversée par la rivière l'Huisne, qui se jette dans la Sarthe, à une faible distance du faubourg de Sainte- Croix. La Coquillière, Yvré-l'Evêque, Changé sont autant de villages qui peuvent effectivement être occupés par nos troupes, et des diverses collines qui les environnent, sur le cours sinueux de l'Huisne, on peut défendre aisément l'approche de la ville ; mais l'aile gauche de Frédéric- Charles marche probablement par Ecommoy, pour attaquer nos positions plus au midi, entre Mulsanne et Changé, pendant qu'une autre colonne se porte directement vers l'ouest, dans la direction de La Flèche, en passant par Châ- teau-du-Loir et Le Lude. Le plan du général prussien consisterait donc à attaquer nos positions du Mans avec le centre OPERATIONS MILITAIRES. 801 et une partie de l'aile gauche de son armée, pendant que l'autre colonne, tout en convergeant vers le même point, couperait toute possibilité de retraite pour nos troupes vers le département de Maine-et-Loire. D'un autre côté, l'aile droite prussienne, sous les ordres du duc de Mecklembourg, s'étend, d'après les dernières nouvelles, depuis Autbon et La Ferté jusqu'à Mortagne et Bellême, sur la route d'Alençon, et termine ainsi une ligne en¬ veloppante, qui comprend les trois quarts d'un cercle dont le Mans est le centre. Le général Cbanzy aura sans doute compris le plan stratégique du général prussien, qui a pour objet de le cerner de tous les côtés à la fois, et nous espérons qu'il aura eu le temps, non-seule¬ ment de le déjouer, mais d'accomplir le but qu'il se propose en marchant sur Paris par Alençon, L'Aigle et Dreux. Un combat, qui a eu lieu à Bellême, contre deB éclaireurs prussiens, nous confirmerait dans la théorie que nous avancions hier et qui nous 302 OPÉRATIONS MILITAIRES. faisait donner l'avance à notre général} il aura peut-être trouvé le moyen de se porter dans la direction de Dreux avec le gros de son armée, après avoir laissé au Mans des forces assez con¬ sidérables pour arrêter l'ennemi autour de cette ville pendant qu'il effectuerait sa marche staté- gique. Dans des circonstances bien moins favorables, après la bataille d'Orléans, le général Chanzy a fait manœuvrer son armée avec tant d'habileté que nous devons avoir toute confiance, aujour¬ d'hui surtout que nous savons que ses troupes sont bien organisées, bien équipées et pleines d'ardeur, et que son artillerie est parfaitement servie par les marins de la flotte. Si le mouvement dont nous venons de parler n'a pas eu lieu, notre 2e armée de la Loire n'aurait pas d'autre alternative que de livrer bataille, et nous ne devons pas nous dissimuler que, si nous avions le malheur d'être vaincus, un grand désastre pourrait s'ensuivre. La bataille se livre peut-être dans ce moment- OPERATIONS MILITAIRES. 303 ci, et il serait oiseux de s'étendre sur un sujet aussi important en n'ayant que les faibles don¬ nées de quelques télégrammes et pour guide principal nos cartes militaires. Attendons avec courage; malgré la position critique, nous con¬ servons bon espoir. Nous manquons toujours de détails précis sur la bataille qui vient d'avoir lieu dans l'Est; les rapports des Français sont en contradiction tel¬ lement directe avec ceux des Allemands, qu'il est impossible de démêler la vérité. Les dépêches de Versailles affirment que, lundi dernier, le général von Werder s'avança sur Villersexel, et qu'après avoir bombardé la ville il prit six cents prisonniers et deux aigles appartenant au 20e corps; elles ajoutent que les Français essayèrent en vain de reprendre les positions de Villersexel, de Moinet et de Morat. Les télégrammes de Bordeaux nous annoncent d'un autre côté que nous avons remporté une victoire, que Villersexel a été occupé par nos 304 OPÉRATIONS MILITAIRES. troupes et que leur commandant en chef a bi¬ vouaqué sur les positions acquises. Quel que soit le résultat momentané, il nous est démontré par ce fait même que notre armée qui opère aujourd'hui dans l'Est a exécuté une manœuvre remarquable en s'avançant avec rapi¬ dité dans la vallée du Doubs, puis en tournant sur Rougement d'où, menaçant le flanc gauche de l'armée de von Werder près de Vesoul, elle peut couper les communications entre cette ville et Belfort. Le bombardement de Paris continue, et plu¬ sieurs projectiles sont ^enus tomber dans le voisinage du Panthéon ; un grand nombre de personnes ont été tuées, des maisons ont été sérieusement endommagées, et, malgré toutes ces calamités, la population est déterminée à résister, coûte que coûte. Une dépèche de Versailles annonce que le prince Frédéric-Charles, après plusieurs combats victorieux,n'était plus qu'à un ou deux kilomètres du Mans dans la soirée de mardi. Il aurait fait OPERATIONS MILITAIRES. 305 pins de [2,000 prisonniers et pris an canon et trois mitrailleuses. Nous ne tarderons pas sans doute à avoir des nouvelles de Bordeaux atté¬ nuant l'importance de ces faits. Quoi qu'il en soit, si notre 2° -armée de la Loire ne s'est pas jetée sur Alençon, sa position est des plus graves, et nous n'avons cessé depuis quelques jours de manifester nos tristes pressen¬ timents à ce sujet. Espérons que dans bientôt nous recevrons des télégrammes plus rassurants. Aujourd'hui que nous ne pouvons plus douter de la présence de Bourbaki dans l'Est, nous déplorons la tactique qui a fait éloigner les forces dont il dispose de leur centre d'opérations sur la Loire. N'avons-nous pas sans cesse répété que l'ob¬ jectif de Bourbaki devait être Fontainebleau, Melun, par Gien et Montargis, et que le prince Frédéric-Charles, occupant un point central entre nos deux armées, se verrait forcé, ou de laisser la 20 306 OPÉRATIONS MILITAIRES. route libre à l'une d'elles, ou de diviser son armée en deux corps? Le simple bon sens indiquait le seul plan réalisable pour nos armées ; nous récapitulerons les erreurs qui viennent encore d'être commises par le ministre de la guerre. L'armée de Chanzy a été placée dans une po¬ sition critique en toute connaissance de cause, et il faudra toute l'babileté de notre brave géné¬ ral pour le sauver du danger qui le menace et qu'il doit à l'incapacité de ceux auxquels il est forcé d'obéir. OPERATIONS MILITAIRES. 307 ENGAGEMENTS PRES DU MANS. RESPONSABILITE SERIEUSE. FAUTES COMMISES. Londres, 13 janYier 1871. Hélas ! nous ne l'avions que trop prévu : un nouveau malheur vient de nous frapper. Il était presque inévitable devant la marche rapide et les combinaisons savantes du prince Frédéric- Charles. Le duc de Mecklembourg télégraphie de Con- néré, en date du 11 janvier, huit heures du soir, que, après avoir passé la rivière l'Huisne, ses troupes ont eu un engagement victorieux, quoi¬ que longtemps disputé, à Lombron et La Cha¬ pelle. Il prétend qu'il a fait 10,000 prisonniers et que dans la matinée il pourra s'avancer sur le Mans. 308 OPERATIONS MILITAIRES. Après avoir passé l'Huisne à Connéré, l'aile droite de l'armée paraît avoir attaqué vivement les positions occupées par nos troupes à Mont- fort, Champagne, Lombron et La Chapelle. Montfort est situé sur la rive droite de la ri¬ vière, près de la ligne du chemin de fer du Mans à Chartres ; Lombron et La Chapelle sont un peu plus au Nord et à quinze kilomètres environ de la jonction de l'Huisne et de la Sarthe. Le combat a été des plus acharnés, mais il ne peut avoir été décisif, car la ligne militaire des Prussiens et des Français s'étend, ainsi que nous l'avons expliqué hier, sur un long parcours dont le Mans est le centre. La bataille a dû recommencer le lendemain, et l'aile gauche prussienne, qui formait l'ex¬ trémité d'une courbe passant par Ardenay, Pari- gné-l'Evêque et Pontlieue, s'est probablement engagée au midi de la ville, et ce sont surtout ses opérations qui sont appelées à décider du sort de notre armée de la Loire. OPERATIONS MILITAIRES. 309 Ghanzy, pressé de tous les côtés par l'ennemi, a été forcé de se concentrer dans leB villages qui touchent au Mans, voire même dans les fau¬ bourgs de la ville, et nous n'avons pas le moindre doute que sa résistance sera d'autant plus grande et désespérée que sa position est périlleuse. Il est évident que notre général ne s'attendait pas à une marche aussi rapide de l'ennemi, que malgré les assertions des télégrammes de Bordeaux, ses troupes n'étaient pas prêtes, et que ses positions étaient trop faibles pour ar¬ rêter les efforts des Prussiens. S'il en est ainsi, comment a-t-il pu concevoir l'idée, la semaine dernière, de marcher sur Ven¬ dôme et de donner une invite qui a été si cruel¬ lement relevée, avant de s'être assuré s'il était en état de repousser l'ennemi. De deux choses l'une : ou il s'est replié avec le gros de son armée dans la direction de Ma- rolles et Âlençon, ou il est presque cerné autour du Mans, car, nous le répétons, le prince Frédéric-Charles s'est rendu maître de toutes les 310 OPERATIONS MILITAIRES. routes, excepté de celle qui conduit en droite ligne vers le Nord. En élargissant le cercle, nous le voyons domi¬ ner le flanc gauche de notre armée, de Bellême à Nogent-le-Rotrou, notre centre par Vendôme et Saint-Calais, et notre droite par Château-le- Loir et La Chartre. Les divers engagements qui ont été livrés ont rétréci la circonférence de ce cercle et ont rendu la bataille inévitable aux portes mêmes de la ville. Les opérations ont dû être poussées vivement dans la journée du 12, et nous ne tarderons pos à en connaître les résultats définitifs. Nous ne doutons pas de l'énergie et de l'habileté de Chanzy ; mais sa position est fort critique, et si le succès que les Allemands s'attribuent est réel, il aura vu sa tâche, déjà si rude, s'aug¬ menter, et ses soldats découragés par cette pre¬ mière défaite. L'effectif des deux armées est à peu près égal; mais nous ne pouvons pas nous faire OPÉRATIONS MILITAIRES. 311 d'illusion sur la supériorité des Prussiens comme organisation, armement, ensemble des manœu¬ vres. Si la campagne du Mans se termine par un désastre, ceux qui ont pris sur eux d'éloigner Bourbaki de son centre d'opérations sur la Loire ont encouru une grave responsabilité ; ils devront au pays des explications, ils auront à se dis¬ culper de cette faute irréparable d'avoir dissé¬ miné nos corps d'armée au moment le plus critique. Dans l'histoire de cette guerre, la stratégie déployée par ceux qui nous gouvernent offre des exemples multiples d'incapacité; jamais peut-être on n'aura vu de semblables énormités. Il y a de cela quelques jours à peine, notre position était excellente, nos chances de réussite étaient sérieuses, on pouvait envoyer deux grandes armées au secours de Paris. La 1™ armée de la Loire occupait des postes avancés sur la route du Mans à Chartres ; 150,000 étaient prêts à marcher sur la capitale ; 312 OPERATIONS MILITAIRES. ils étaient aguerris par une série de combats livrés en retraitant de Beaugency. Sur la rive gauche de la Loire, Bourbaki avait sous ses ordres 160,000 soldats ,* il pouvait gagner Gien et Montargis et se porter sur Melun et Fontainebleau. Entre ces deux armées formidables, le prince Frédéric-Charles se tenait sur la défensive aux environs d'Orléans ; nos deux armées pouvaient l'attaquer simultanément ou le forcer à laisser le passage libre à l'une d'elles. Nous tenons de source certaine que le général prussien entrete¬ nait les appréhensions les plus grandes sur les événements futurs, et il était loin de pouvoir prendre l'offensive. Mais tout-à-coup, chose inexplicable, énormité sans pareille, l'ennemi qui menaçait le flanc gauche de son armée disparaît ; il est parti pour l'Est, il lui laisse le champ libre et la faculté de porter toutes ses forces sur l'armée de Chanzy. En apprenant cette fatalo manœuvre, ordonnée OPÉRATIONS MILITAIRES. 313 sans doute, par le ministre de la guerre, nous restâmes stupéfait, nous ne voulûmes pas y croire ; il nous parut insensé que semblable faute eût pu être commise, et nous cherchâmes à nous en rendre compte, à l'excuser, en pensant qu'on n'exposait peut-être notre 2e armée à un si grand danger que pour per¬ mettre à Bourbaki de se précipiter sur Paris par le Sud-Est. Mais nos raisonnements, nos appréciations étaient mal fondés ; on avait envoyé la 1" armée de la Loire à. la poursuite de von Werder, au secours de nos places fortes de Besançon, de Belfort ; on la destinait à opérer dans l'Est au moment même où Paris attendait sa venue avec impatience, et on sacrifiait ainsi inuti¬ lement les vaillantes colonnes du général Chanzy. Nous avons eu la douleur de prévoir les résultats qui ne manqueraient pas de suivre, nous n'avons cessé depuis plusieurs jours de signaler le péril, et nous avons acquis le droit 314 OPÉRATIONS MILITAIRES. de nous plaindre amèrement de faits aussi graves et de censurer les influences coupables qui causent nos nouveaux malheurs. L'armée du Nord a repris l'offensive. Mer¬ credi matin, le général Deroja a surpris l'arrière-garde des Prussiens à Behagnies et à Sapignies et il leur a fait subir des pertes sensibles ; plus tard, dans la même jour¬ née, il les délogea de Bapaume, qu'il a occupé depuis. Les mêmes rapports contradictoires conti¬ nuent à nous arriver de l'Est ; von Werder et Bourbaki se disputent par dépêches les succès de la dernière affaire. De nouvelles batteries ont ouvert leur feu sur les forts de Paris et le bombarde¬ ment est poussé avec vigueur par l'armée assiégeante. La journée ne se passera pas, sans doute, sans qu'il nous arrive des nouvelles de la retraite de Chanzy ; quoique nos causes d'espé¬ rances soient bien réduites, la valeur et l'habi- OPERATIONS MILITAIRES, 315 leté du général Chanzy auront peut-être encore une fois sauvé notre 2e armée de la Loire d'un péril immédiat. Une deuxième dépêche de Versailles, datée du 12 janvier à minuit, annonce que notre armée a été complètement défaite et que le Mans est occupé par l'ennemi. Nous n'hésitons pas à ajouter que celui qui a ordonné la marche du général Bourbaki sur l'Est a causé une catas¬ trophe peut-être irréparable. Une enquête ne tardera pas sans doute à nous donner des éclair¬ cissements et à faire justice des incapables qui font verser le plus pur de notre sang, sans s'être rendu compte des premiers principes de la science militaire. 316 OPÉRATIONS MILITAIRES. BATAILLE DU MANS- - DESASTRES, La grande bataille a été livrée; l'armée de Chanzy a été défaite, et les colonnes de notre 2e armée de la Loire, sur lesquelles nous avions fondé de si grandes espérances, sont en pleine retraite, vers l'Ouest probablement. Nos calculs, nos pressentiments ne nous avaient pas trompé ; mais, quelque préparé que l'on puisse être à l'arrivée prochaine d'un malheur, il n'en est pas moins vivement ressenti lorsqu'il tombe de tout son poids et ne laisse plus qu'une faible lueur d'espoir. La prise du Mans est un coup terrible porté à notre cause ; il serait puéril de vouloir en di¬ minuer l'importance ; nous avons perdu des posi¬ tions regardées comme inexpugnables, nous som¬ mes rejetés loin de cette base d'opérations qui OPERATIONS MILITAIRES. 317 formait le point principal d'où on pouvait s'élan¬ cer au secours de Paris, nos braves et malheu¬ reux soldats ont succombé, victimes de l'ineptie d'un Gouvernement enivré par le pouvoir et in¬ capable de diriger la marche des armées. Il y a de cela une semaine environ, nous occupions une position stratégique remarquable ; jamais, peut-être, depuis le commencement de la guerre nos chances n'avaient été plus grandes, plus sérieuses; la 2e armée de la Loire, après dix combats glorieusement livrés à l'ennemi, oc¬ cupait le Mans et forçait le prince Frédéric- Charles a se tenir sur la défensive. Bourbaki le menaçait en même temps sur la rive gauche de la Loire et nous devions nous attendre à des résultats favorables ; nous pou¬ vions espérer de voir, d'un moment à l'autre, une de nos armées attaquer par les derrières la ligne des assiégeants, et tendre la main aux troupes du général Trochu. Mais que de gros événements, que de fatales erreurs dans ces quelques jours ! Ces magnifiques 318 OPERATIONS MILITAIRES. légions, créées par le patriotisme et le génie français, ont été détournées de leur véritable ob¬ jectif ; leur force qui consistait dans leur com¬ binaison de mouvements simultanés, a été détruite ; la première armée de la Loire, aban¬ donnant son centre d'opérations pour se porter sur l'Est, devait amener la défaite de Chanzy. Nous n'avons pas cessé de le prédire. Quoique les détails nous manquent sur cette grande bataille, qui a duré trois jours consécu¬ tifs, nous en résumerons en quelques lignes les faits principaux. Dans la journée du 10, l'aile gauche prussienne fut arrêtée pendant six heures dans sa marche en avant par une simple brigade de l'armée française, qui défendit avec héroïsme le village de Jupilles, situé sur la lisière de la forêt de Bersay ; forcé de se replier devant le nombre, le général Bevel, après avoir accompli de hauts faits d'armes, laissa la route libre aux colonnes allemandes. Parigné-l'Evêque et Changé furent occupés, et OPERATIONS MILITAIRES. 319 le jour suivant les coteaux de Champagné de¬ vinrent des points importants pour les batteries de l'artillerie prussienne, qui se trouvèrent ainsi dominer la campagne jusqu'aux abords du Mans, éloigné de sept kilomètres du bourg de Cham¬ pagné. Fendant que l'aile gauche et le centre de l'armée de Frédéric-Charles resserraient leur cercle d'investissement autour de nos positions, le duc de Mecklembourg opérait avec activité sur la rive droite de l'Huisne; après avoir lancé une de ses colonnes dans la direction d'Alençon, tant pour contrecarrer nos mouvements de ce côté que pour protéger son flanc droit, le grand-duc attaqua notre extrême gauche aux villages de Lombron et de la Chapelle, et ce fut cet engagement qui décida du sort de notre armée. Nos troupes furent délogées, après une vail¬ lante résistance, des hauteurs qui dominent le cours de l'Huisne ; une déroute s'ensuivit et nous perdîmes grand nombre de nos hommes, qui furent pour la plupart faits prisonniers. 320 OPERATIONS MILITAIRES. Le lendemain, mercredi, le prince Frédéric- Charles, poursuivant le cours de ses succès, ordonna l'attaque sur tous les points à la fois : sur la rive droite de l'Huisne, à Saint-Corneille, Montfort, Savigné, l'Evêque et le plateau d'An- vours ; sur la rive gauche de la rivière, entre Champagné, Yvré-l'Evêque, Changé, jusqu'au faubourg de la Tuilerie. Vers le milieu de la journée, l'armée de Chanzy était repoussée sur toute la ligne, et l'aile gauche et le centre de l'armée de Fré¬ déric-Charles occupaient le Mans, pendant que le duc de Mecklembourg, après un combat vive¬ ment disputé à Saint-Corneille, établissait son quartier-général à Montfort, dans le château du comte de Nicolay. Après un conseil de guerre tenu sur le champ de bataille, la retraite de nos corps d'armée fut sonnée, mais nous ignorons encore jusqu'à quel point elle a pu s'effectuer et dans quelle direc¬ tion nos troupes ont été dirigées. Nous avons déjà exprimé notre opinion sur OPÉRATIONS MILITAIRES. 321 les faits qui ont causé ce nouveau désastre. Avant la bataille, nous n'avons cessé de mani¬ fester nos craintes, et pour tout homme qui suit les mouvements militaires avec attention, ce résultat était inévitable. L'armée du prince Frédéric-Charles, composée de troupes régulières parfaitement équipées, suivie d'une artillerie formidable, commandée par de grands généraux, pouvait lutter à coup sûr contre notre 2e armée, dont l'effectif ne dépassait pas, du reste, celui de ses corps d'armée, et nous ne pourrons jamais comprendre le mobile qui a pu pousser le ministre de la guerre à priver Chanzy du concours de Bourbaki, ou plu¬ tôt de son action sur un même plan qui eût forcé Frédéric-Charles à diviser ses troupes et l'eût placé dans une position critique. Quoi qu'il en soit, nos soldats ont vaillam¬ ment combattu et, à l'exception des mobiles de la Bretagne, chacun a fait son devoir avec cou¬ rage et abnégation. Le général espère pouvoir recommencer bientôt ses opérations, ce qui nous 21 322 OPERATIONS MILITAIRES. porterait à croire que la retraite du gros de l'ar¬ mée s'est faite sans confusion. Nous sommes sans nouvelles de Bourbaki. Von Werder paraît avoir évacué Vesoul. De Paris, nous apprenons, de source prus¬ sienne, que notre artilletie a répondu avec plus de vigueur au feu de l'ennemi et que le bombar¬ dement n'a pas été aussi vif que ces jours derniers. LA CAMPAGNE DE L'EST. - DEFAITE DE BOURBAKI. Londres, 20 janvier 1871. Un télégramme de Versailles nous annonce que le général Bourbaki, après une dernière ba¬ taille livrée le 17, s'est vu forcé d'abandonner ses projets, de faire lever le siège de Belfortj et OPÉRATIONS MILITAIRES 323 de retraiter sur le Sud; il aurait été repoussé par les troupes du général von Werder. Nous savions déjà qu'une attaque sur Chagey et Bethemont avait échoué dans la journée du 17, que les Prussiens, renforcés par de nou¬ velles colonnes, avaient occupé Frahier et qu'ils se tenaient fortement retranchés sur la route du Lure et à quelques kilomètres de Belfort. Il est fort possible que Bourbaki ait été obligé de se replier tout à coup sur le Sud pour com¬ biner une nouvelle manœuvre, et que son mou¬ vement rétrograde soit dû à une tactique dictée par les circonstances imprévues et causé par l'arrivée des nouveaux renforts de von Werder, qui sont formidables. Il ne sera peut-être pas sans utilité d'analyser brièvement les points principaux de la campagne de l'Est, à un moment surtout où les opérations prennent une importance d'un intérêt si grand, qu'elles absorbent les autres événements de la guerre- La marche stratégique de Bourbaki est remar- 324 OPÉRATIONS MILITAIRES. quable sous plusieurs rapports ; elle a été marquée par des combinaisons savamment exé¬ cutées , et si la fortune des armes tourne encore contre nous, ce ne sera pas sans que notre première armée et son général aient justement acquis des titres glorieux devant le pays. Quoique ayant blâmé en principe la conception d'une entreprise aussi hasardeuse, eu égard surtout à la position critique dans laquelle l'ar¬ mée de Chanzy a été placée pour l'abandon de la rive gauche de la Loire, lorsque Frédéric- Charles devenait de plus en plus menaçant, nous n'avons cependant pas cessé de dire que l'idée était grandiose, mais peu opportune et difficile à réaliser. Nous n'ignorions pas que les troupes de von Werder avaient été augmentées des contingents venus de Prusse, des divisions de von Zastrow et des colonnes échelonnées sur l'Est, et quoi¬ que nous ayons encore le plus grand espoir de l'issue de cette campagne, nous ne devons pas OPERATIONS MILITAIRES. 825 nous dissimuler qu'un échec sérieux pourrait entraîner de graves conséquences. Pendant que le général prussien exécutait sa marche de flanc, à l'est de Vesoul, dans le but de couvrir les forces allemandes qui assiégeaient Belfort, Bourbaki tentait de couper le centre de ses colonnes à Yillersexel ; n'ayant pas réussi, notre général s'avança résolument à l'Est, sur Montbéliard, en suivant la route d'Arcey et de Sainte-Marie. A douze ou quinze kilomètres de Belfort, coule dans la direction du Sud-Est, la petite rivière de la Lisarne, et c'est sur les rives même de ce cours d'eau, à Ohagey, Lure et Hérieourt, que les glorieux combats des 15, 16 et 17 ont été livrés par nos troupes. Plusieurs villages furent successivement occu¬ pés par nos soldats dans ces premières journées, et le 17, les Français commencèrent une attaque générale contre l'ennemi qui occupait des positions importantes sur les hauteurs qui domi¬ nent le cours de la rivière. 326 OPERATIONS MILITAIRES. Les batteries prussiennes, masquées par l'épais¬ seur des bois, s'opposèrent par un feu bien soutenu au passage de nos colonnes, et leur ligne de bataille resta impénétrable. Des masses imposantes, composées des nou¬ veaux renforts reçus par von Werder, étaient postées à quelques kilomètres de Belfort, et Bourbaki, ne réussissant pas dans sa dernière tentative, et ne voyant pas la possibilité de dégager Belfort par ce côté-là, aura probable¬ ment cherché à pénétrer plus avant par une autre route. De là, peut-être, la retraite supposée de notre général, et nous ne serions pas étonnés d'ap¬ prendre que, par un mouvement exécuté avec rapidité, il parvînt encore à se porter sur Bel- fort, en effectuant une marche tournante par Giromagny. Nous ne pouvons pas croire que Bourbaki ait renoncé tout à coup à un projet si audacieuse- ment conçu, à un objectif si important et dont il n'était plus séparé que par une portée de OPERATIONS MILITAIRES. 327 canon ; il est vrai que von Manteuffel, avec de nou¬ velles divisions, menaçait peut-être de lui couper la retraite, et c'est ce qui l'aurait déterminé à rétrograder. Quoi qu'il en soit, nous n'avons encore pour nous fixer sur les résultats de la bataille du 17, que la dépêche du roi de Prusse dont nous par¬ lons plus haut, et nous répéterons que, si Bour- baki s'est retiré vers le Midi, son mouvement a dû être déterminé par des raisons stratégiques et non par une défaite, car les dépêches prussien¬ nes, sobres de détails, se bornent à constater la retraite de nos corps d'armée, sans faire mention de victoire remportée par eux. Il est de toute justice de signaler, en passant, que les opérations de Bourbaki ont été jusqu'ici parfaitement tenues secrètes; c'est un progrès sensible, et, quels que soient les soupçons inju¬ rieux auxquels le brave général n'a cessé d'être en butte de la part des zélés du Gouvernement, ses ennemis les plus acharnés ne pourront s'em¬ pêcher de reconnaître que son patriotisme a su 328 OPÉRATIONS MILITAIRES. se placer au-dessus des injures qui ue pouvaient influencer son caractère résolu et son dévoûment à la cause nationale. Nous entendrons parler de Faidherbe avant qu'il soit longtemps ; nous savons qu'il est à Fins, dans les environs de Bapaume, et que le général von Goeben se maintient sur la défensive à Amiens ; nous ne serions pas étonné que no¬ tre commandant de l'armée du Nord, tournant par la droite l'armée allemande, se dirigeât à marches forcées sur Laon et Beims. Saint-Quen¬ tin a été occupé par une division de mobiles, et les mouvements ne peuvent tarder à avoir lieu de ce côté-là. Le bombardement de Paris est poursuivi avec vigueur, mais il reste parfaitement clair que jusqu'ici les progrès des assiégeants n'ont pas été aussi marqués que l'Empereur-Roi l'avait espéré; on ajoute que Sa Majesté refuse à se rendre aux désirs des ingénieurs qui propose¬ raient d'établir des ouvrages avancés pour tenter un assaut ; il craindrait, disent les dépêches aile- OPÉRATIONS MILITAIRES. 329 mandes, qu'une pareille mesure n'entraînât un trop grand carnage parmi la population de Paris. Est-il possible de pousser aussi loin l'impu¬ dence et l'hypocrisie, au moment surtout où les femmes, les enfants et les malades des hôpitaux sont massacrés à l'intérieur de Paris par les projectiles lancés avec précision. BATAILLE DE SAINT-QUENTIN. - DESASTRES. NEGLIGENCE COUPABLE. Londres, 23 janvier 1871. Un grand désastre vient de frapper notre armée du Nord; nous serions coupables en'ne faisant pas connaître à nos lecteurs la vérité sur les 330 OPÉRATIONS MILITAIRES. événements et en les tenant dans le vague ou l'obscurité sur l'état des affaires. Nous serons toujours les premiers à signaler les chances qui peuvent survenir en notre faveur, et à pousser vera l'espérance lorsqu'il restera quelques motifs de le faire ; mais quelque dou¬ leur que nous ayons à éveiller dans le cœur de nos amis, nous leur devons la franchise, et si de faux rapports les illusionnent encore, nous de¬ vons les en avertir. D'après les dépêches arrivées vendredi soir, il était évident que le général Faidherbe avait re¬ pris l'offensive ; ainsi que nous l'indiquions, il occupait Bapaume, puis marchait au Sud-Est par Fins, et de là en plein Midi dans la direction de Saint-Quentin, d'où il comptait s'avancer sur Laon et Reims pour couper la ligne de commu¬ nication des Allemands. Cette tactique n'avait pas échappé au général von Goeben, qui commença à manœuvrer pour nous attirer dans un piège ; dès mardi, le gé¬ néral prussien ordonnait à ses artilleurs d'à- OPERATIONS MILITAIRES. 331 bandonner les positions du bois de Paire, à six ou sept kilomètres de Péronne ; Vermond et Saint-Quentin farent évacués par les troupes prussiennes, et mercredi l'armée entière de von Goeben était concentrée à Roye et Nesle, en attendant l'occasion favorable pour marcher à. l'ennemi. Pendant ce temps-là, le général Faidherbe, qui s'était avancé presque sans obstacles, prenait ses positions à l'ouest de Saint-Quentin, il établis¬ sait ses batteries sur les hauteurs des environs et son avant-garde touchait au village de Beauvois. C'est sur ce point-là qu'eut lieu le premier engagement ; les Prussiens attaquèrent en nombre supérieur notre colonne d'avant-postes, et ils la refoulèrent sur Saint-Qaentin, après lui avoir fait subir de grandes pertes. Le lendemain, la bataille s'engagea sur toute la ligne ; elle fut des plus sanglantes. Depuis onze heures du matin jusqu'à la nuit nos valeu¬ reux soldats soutinrent avec courage le feu de l'artillerie prussienne, et ils n'évacuèrent la 332 OPERATIONS MILITAIRES. ville de Saint-Quentin que pour éviter sa des¬ truction. Vivement pressés par la cavalerie allemande et n'étant plus soutenus par le feu des batteries, nos corps d'armée furent bientôt refoulés sur tous les points ; la victoire restait encore aux Allemands. Il est impossible de se le dissimuler, nous venons de subir un terrible échec. L'armée du Nord est en retraite, presque en déroute ; une partie est arrivée à Cambrai, d'autres colonnes s'approchent de Lille. La cavalerie et l'artillerie de von Goeben poursuivent leur succès, elles me¬ nacent Cambrai et Douai. On attribue la cause principale de la défaite essuyée par Faidherbe à la défection d'une partie des gardes mobiles qui n'auraient pas tenu devant l'ennemi et auraient entraîné le reste de l'armée, malgré l'admirable conduite de l'infanterie de marine et des commandants des différents corps. Avant de donner notre appréciation sur ce OPÉRATIONS MILITAIRES. 333 fait important, nous devons rendre justice au général Faidherbe; pour nous, il est évident qu'il exécutait un plan stratégique remarquable, et la seule erreur, bien pardonnable, qu'il ait pu commettre, a été de penser que de jeunes volon¬ taires pouvaient lutter contre les vétérans prus¬ siens. C'est, du reste, ce qui nous a toujours perdus dans cette campagne, et quelque héroïque que soit la défense, n'est-elle pas au-dessus de nos forces dans des conditions pareilles ? L'armée du Nord, en s'avançant par Saint- Quentin, Laon, Reims et Châlons, devait avoir pour objectif de donner la main au général Lecomte et de concourir avec cette nouvelle ar¬ mée à l'action de Bourbaki dans l'Est. Mais les mouvements de nos armées sont faits sans ensemble, à contre-coups ; les opérations sont dirigées à la légère et sans compter avec les ressources dont on dispose ; on ne calcule ni les obstacles, ni la supériorité à se mouvoir de l'ennemi. On s'habitue à croire que la bravoure peut remplacer l'expérience, et on se 334 OPÉRATIONS MILITAIRES. jette à l'aventure dans des périls insurmon¬ tables. Un ministre de la guerre, jaloux des pouvoirs dont il s'est emparé et pour lesquels il n'a aucune aptitude, ne cesse d'envoyer à une mort presque certaine l'élite de notre population. Il court de ville en ville, enflamme l'esprit national par des paroles éloquentes mais trompeuses ; il promet de chasser l'ennemi, il parle de notre supériorité, de notre force; il exalte les mesures prises par son gouvernement ; il garantit la victoire pourvu qu'on l'écoute, et, retenant la direction de la guerre dans ses mains incapables, il compromet notre avenir, il nous conduit au suicide. Est-il possible de garder le silence, de ne pas être désespéré en découvrant la vérité sur ce qui se passe en France. Pendant que M. Gambetta harangue les habitants de Lille du haut du balcon de la préfecture, pendant qu'il assure qu'on a le droit d'avoir confiance, que nos ar¬ mées sont formidables, qu'il va faire de nouvelles OPERATIONS MILITAIRES. 335 levées, créer de nouvelles légions, un télégramme de source française nous apprend que nos mal¬ heureux soldats de l'armée de Faidherbe arrivent de Cambrai, pieds-nus, en haillons, mourant de faim. Une partie de l'armée de Chanzy était dans le même état pendant la bataille du Mans ; partout un état de choses identique, partout la misère, les privations, le martyre subi sans mur¬ mures, dans l'espoir de sauver la patrie. Ce ne sont pas les soldats qui nous manquent, ce ne sont pas les ressources de toute sorte, mais une main qui sache nous diriger, une volonté qui n'ait d'autre but que de chasser l'ennemi, des hommes honnêtes qui, mettant de côté tout esprit de parti, ne tendent qu'à sauver la France du gouffre dans lequel on la poussé. Enormité sans pareille, pendant que nos sol¬ dats manquent de tout, l'entourage du triumvirat de Bordeaux se repaît des richesses de l'Etat, et les apprentis tribuns, devenus intendants, hom¬ mes d'Etat, organisateurs, se bornent à sabler 336 OPERATIONS MILITAIRES. les meilleurs crûs en prêchant la guerre à ou¬ trance. Pauvre France ! où en est-elle arrivée ? L'anar¬ chie de l'administration durera-t-elle longtemps ? Les complots ourdis au détriment de sa gran- I deur n'auront-ils pas un terme? Et pourtant nos chances étaient grandes, elles le seraient encore. Si la province eût été admi¬ nistrée comme Paris l'a été, nous aurions chassé l'invasion ; si nos généraux avaient eu toute leur initiative, si leur3 soldats eussent été bien équi¬ pés, bien approvisionnés, les échecs auraient été remplacés par des victoires, le dévouement des Français à la cause nationale, leurs efforts héroï¬ ques auraient porté leurs fruits. Sur la Loire, au Mans, à Belfort, à Saint- Quentin, ce sont bien moins les Prussiens qui ont vaincu nos braves légions que la mauvaise administration du gouvernement de Bordeaux ; ce n'est pas la bravoure, l'énergie, la résigna¬ tion qui ont manqué à nos troupes, mais le pain, les chaussures, les vêtements; ce n'est OPERATIONS MILITAIRES. 337 pas la défection qui est cause que nos soldats sont faits prisonniers par l'ennemi, mais c'est * la faiblesse amenée par la faim et par le froid. Nous avons voulu nous faire des illusions sur ces faits déplorables portés à notre con¬ naissance , nous avons voulu les taire, nous avons voulu cacher à nos lecteurs le récit d'in¬ fortunes aussi navrantes, mais quoi qu'il nous en coûte, nous devons faire ces aveux; notre mission n'est-elle pas d'éclairer ceux que l'on trompe ? Et dire que malgré toutes ces souffrances, nos valeureux soldats, pris dans toutes les classes de la société, marchent à l'ennemi avec courage et arrêtent ses progrès sur plusieurs points à la fois. L'ennemi le reconnaît lui-même, ils sont sublimes, et le jour où ils seraient dirigés par un chef expérimenté, le jour où l'administra¬ tion de la guerre serait placée dans des mains compétentes, n'aurions-nous pas raison d'espérer de redevenir les soldats invincibles de nos grandes époques militaires ? Mais ce jour ne se 22 338 OPERATIONS MILITAIRES. fera-t-il pas trop attendre? Ce chef, cette or¬ ganisation n'arriveront-ils pas trop tard? L'éloquence de M. Gambetta est inspirée par deux mobiles : le patriotisme et l'ambition, qui tous les deux ont produit de grandes choses dans l'histoire ; mais en face des malheurs de la France, le patriotisme est seul admissible, la « pensée ambitieuse devient une trahison. Les grandes qualités du jeune tribun rendraient d'éminents services sous une influence honnête et habile ; il eût été un des hommes de la situation, et il aurait pu contribuer puissamment à sauver la patrie. Livré à lui-même, abandonné de tous, il ne lui reste plus que l'audace ; en le laissant faire, on lui permet de croire qu'il est le seul homme en France 'qui ait la force et l'énergie de tenir tête à la tempête. Nous sommes encore sans détails précis sur la rencontre de Bourbaki, mais tout nous porte à croire que la théorie que nous avons déjà avancée de son mouvement rétrograde sur Besançon par les vallées de l'Oignon et du Doubs était la vraie. OPERATIONS MILITAIRES. 339 Nous avons appris que les mouvements qui avaient eu lieu près de Blamont n'avaient eu d'autre objet que d'empêcher une marche de flanc à droite de Montbéliard, par laquelle les Français seraient tombés sur l'arrière des forces assiégeantes entre Belfort et Delle. Cette tentative n'avait été faite que par des détachements et leur présence avait pu faire penser un moment que notre armée serait rejetée sur le territoire suisse et que toute autre voie de retraite lui était coupée. Il n'en est heureusement rien. Nous attendons avec impatience d'autres nou¬ velles sur les sorties de Paris et sur les opéra¬ tions qui ont été poursuivies dans la direc¬ tion du Mont-Yalérien. L'heure des grands événements va bientôt sonner, et sur tous les points à la fois, une lutte déoisive ne peut tarder à s'engager. 340 OPERATIONS MILITAIRES. CATASTROPHES. - APPRECIATIONS. Londres, 25 janvier 1871. En voyant les désastres qui nous accablent sur tous les points à la fois, nous sommes amené à jeter encore un coup d'œil rétrospectif sur les faits principaux qui les ont causés et c'est le cœur plein d'amertume et de désespoir que nous nous souvenons de ce que nous avions prédit. En le repétant, nous pourrons peut-être éviter de nouvelles erreurs. Il y a de cela trois semaines, Boubarki et Cbanzy étaient maîtres de la position sur le bassin de la Loire. A peu de distance de Paris, ils pouvaient attaquer simultanément Frédéric- Charles qui occupait un point central entre les deux armées françaises ; ils avaient tout lieu OPERATIONS MILITAIRES. 341 d'espérer d'être à même de le refouler sur Paris, et jamais plus grande chance n'avait été offerte de secourir efficacement la capitale. Mais la malheureuse expédition de Bourbaki dans l'Est vint tout détruire, et quelque argu¬ ment que l'on puisse chercher pour atténuer une folie pareille, quelque habiles qu'aient pu être les calculs mathématiques sur cette marche stra¬ tégique, notre prédiction si souvent répétée, s'est accomplie dans toute son étendue : la campagne de Bourbaki a causé les malheurs qui nous frap¬ pent aujourd'hui, et celui qui.l'a ordonnée a pris devant l'histoire une responsabilité dont il por¬ tera le poids. Malheureusement, c'est la France entière qui est victime des ces tentatives aven¬ tureuses et coupables. Tant d'héroïsme, tant de vaillance, tant d'ab¬ négation dépensés en pure perte lorsque des efforts inouïs nous avaient tout à coup placés dans une position d'où nous étions devenus redoutables, car les combinaisons de von Moltke, la stratégie de Frédéric-Charles étaient sérieuse- 342 OPERATIONS MILITAIRES. ment entravées par nos deux armées de la Loire ; l'ennemi, concentré entre Orléans et Chartres, hésitait, perdait confiance ; il était forcé de se tenir sur la défensive, et ce ne fut que le jour où Bourbaki eut abandonné sa base d'opération entre Bourges et Vierzon, que le Prince-Bouge comprit qu'il avait gagné encore une fois la partie. Nous ne cessâmes nous-mêmes d'indiquer le péril que nous courrions ; nous nous refusâmes à croire d'abord à une pareille manœuvre ; les premiers nous fîmes entendre notre voix pour signaler les conséquences qui en résulteraient. Elle eut un certain écho ; nous eûmes l'honneur de voir nos réflexions reproduites par la presse française, mais aussi la douleur de reconnaître que nous ne nous étions pas trompé et que nos avis avaient été inutiles. Jamais homme de guerre, jamais général n'au¬ rait pu commettre une erreur aussi grave, et n'est-ce pas une nouvelle et triste preuve de l'incapacité des hommes par lesquels nous nous OPERATIONS MILITAIRES. 313 laissons gouverner, et du danger d'avoir placé la direction des armées dans les mains de tri¬ buns et d'avocats. Profiterons-nous enfin de ces terribles leçons lorsqu'il en est temps encore. Pendant que Bourbaki opère sa retraite vers Maçon et Bourg, par Besançon et Salins, le 2e corps d'armée allemand, sous les ordres du général Pransecki a marché sur Dijon, où il -est aux prises avec les Garibaldiens. Son objectif est de couper la ligne de retraite de nos troupes vers Lyon et d'acculer notre première armée sur la frontière suisse. Von Manteuffel, qui était à Gray le 18 avec deux autres corps d'armée, menace le flanc et l'arrière-garde de nos colonnes, et rend encore plus critique la position de Bourbaki. De nou¬ veaux engagements ne peuvent tarder à avoir lieu sur le bassin de la Saône, et nous restons assuré que , quelque périlleuse que soit la retraite de Belfort, elle sera signalée par une lutte gigantesque, par une résistance héroïque de la part de nos légions. m OPÉRATIONS MILITAIRES. Nous n'ajouterons rien aux détails que nous donnions hier sur la défaite essuyée à Saint- Quentin par notre armée du Nord. Le général Faidherbe annonce qu'après avoir rallié ses troupes, il reprendra l'offensive, mais nous crai¬ gnons bien que le coup qu'il vient de recevoir ne soit fatal ; le terrain qu'il avait gagné est perdu, l'avantage sérieux remporté à Bapaume disparaît devant une déroute : il lui faudra plu¬ sieurs semaines pour réparer le désastre. LE GENERAL TROCHU, - L'ARMEE DE PARIS. - RETRAITE DE BOURBAKI. Londres, 26 janvier 1870, Jeudi dernier, le général Trochu, à la tête de 100,000 hommes et accompagné des généraux Ducrot et Yinoy, opéra la sortie dont nous avons OPÉRATIONS MILITAIRES. 345 déjà parlé, et malgré les efforts héroïques de ses soldats, leur élan, leurs brillants exploits, il fut obligé de se replier sur le Mont-Valérien, sans avoir réussi dans les projets qu'il voulait exé¬ cuter. L'insuccès de cette tentative a produit une pénible impression auprès'des habitants de Paris, tant civils que militaires. Ils se demandent com¬ ment il est possible qu'avec une armée de 400,000 hommes, le cercle de feu qui les entoure ne puisse être rompu ; ils sont unanimes à réclamer une action prompte et décisive, à vouloir y con¬ tribuer de toute leur énergie, et, malgré les pri¬ vations qu'ils endurent, ils sont résignés à mou¬ rir plutôt qu'à capituler. Depuis quelque temps, l'opinion publique semble devoir accuser le général Trochu d'incapacité. Nous sommes trop loin du théâtre où les événe¬ ments se déroulent, les faits nous sont trop peu connus, pour que nous puissions nous prononcer à cet égard. Le général a rendu d'éminents services en or- 346 OPÉRATIONS MILITAIRES. ganisant la défense de Paris ; au milieu de diffi¬ cultés innombrables, il a créé une armée nom¬ breuse ; à plusieurs reprises il a conduit ses légions à la victoire : il a été sur le point de réussir sur le péninsule de la Marne, puis les revers sont survenus et sa popularité n'a pu résister à leur influence. Trochu n'est peut-être pas l'homme qui pour¬ rait sauver Paris. Est-il juste, cependant, de jeter tout le poids du blâme sur un général qui a donné des preuves réelles de patriotisme et de dévouement, avant d'examiner quelles sont les ressources, les moyens dont il dispose en réalité. On oublie trop facilement que les forces de la capitale sont composées d'éléments divers, que les soldats réguliers y sont en faible minorité et que la plupart des bataillons qui affrontent avec la plus grande intrépidité, sans nul doute, les canons de l'ennemi, manquent de cet ensem¬ ble, de cette théorie mécanique indispensables pour soutenir une attaque et pour exécuter avec précision les ordres des chefs. OPERATIONS MILITAIRES. 347 Ainsi, dans la dernière sortie, voyons-nons les troupes françaises marcher avec enthousiasme à l'ennemi ; les colonnes d'avant-garde s'emparent de Montretout avec un élan admirable ; des com¬ bats partiels réussissent sur plusieurs points ; mais dès que les renforts des Prussiens arrivent en ligne, dès que la bataille devient générale, nous perdons tout avantage, nos manœuvres sont mal exécutées, nos différents corps agissent sé¬ parément, et, chose inévitable, nous faiblissons devant ces masses qui se précipitent et se meu¬ vent comme un seul homme. La supériorité du soldat de profession est incontestable et lui donnera l'avantage dans toute rencontre régulière. La tactique, qui en rase campagne peut égaliser les chances, disparaît lorsqu'il s'agit de combattre du milieu d'un cercle qui vous étreint : une armée cernée peut difficile¬ ment se dégager. N'avons-nous pas le triste exemple de l'armée du Rhin enfermée sous les murs de Metz, et là, cependant, nous avions de magnifiques troupes qui combattirent vaillamment. 348 OPERATIONS MILITAIRES. Si la province ne peut venir au secours de la capitale, nous craignons bien que tant de bra¬ voure, tant d'abnégation, tant de sang répandu pour la sainte cause de la capitale, ne suffisent pas pour sauver la capitale des malheurs qui la menacent. Le général en chef, qui se rend compte de la position au point de vue militaire, doit être en butte à de terribles hésitations lorsque, poussé par l'ardeur de ses soldats citoyens, il voit les périls auxquels il va les ex¬ poser sans espoir de réussite. Telle est, ce nous semble, la position actuelle du général Trochu : elle est difficile. Nous sommes sans nouvelles de la retraite de Bourbaki ; il est fort possible, qu'au lieu de retraiter sur Besançon et Dijon, il se soit dirigé sur Châlons et Chagny, d'où il pourrait résister à tout mouvement agressif d'une armée venant soit de Belfort, soit de Dijon, soit de l'Ouest. Pour nous, il est évident qu'une partie des forces du prince Frédéric-Charles marche à sa OPERATIONS MILITAIRES. 349 rencontre ; pendant que le duc de Meck- lembourg reste stationnnaire devant l'armée de Chanzy, le Prince-Rouge accourt probablement pour aider von Manteuffel et Fransecki et atta¬ quer, sur plusieurs points à la fois, les valeureuses colonnes de Bourbaki. La position est identique à la funeste cam¬ pagne de Sedan, à la marche de Mac-Mahon sur les Ardennes. Espérons que les résultats ne seront pas les mêmes. Bourbaki doit avoir une grande avance sur l'ennemi et les preuves qu'il vient de donner de la rapidité de ses mouve¬ ments nous portent à croire qu'il aura pu éviter les dangers qui le menacent. En présence des désastres qui viennent de nous frapper à Saint-Quentin, nous ne pouvons approuver la proclamation du général Faidherbe ; il est puéril et maladroit de chercher à atténuer une défaite, qui n'est que trop réelle, en dégui¬ sant la vérité des faits. Ne serait-il pas préfé¬ rable de garder le silence, et de se préparer pour de nouveaux efforts ? La manie des discours 350 OPERATIONS MILITAIRES semble s'être emparée de nos généraux. Quoique l'exemple en soit donné par le ministre de la guerre, nous avons appris à nos dépens que ce n'est pas ainsi que l'on répond aux canons prussiens. D'après un télégramme de Bruxelles, le bom¬ bardement de Cambrai a commencé. Le général von Goeben poursuit avec activité le cours de ses succès. Les renforts qui lui avaient été en¬ voyés de Paris sont encore sous ses ordres, et l'effectif de son armée peut être porté à 50,000 hommes environ. Prenant Lille comme base d'opérations, Faid- herbe aura le loisir d'organiser son armée. Sous la protection de cette forteresse, il pourra la mettre à même d'entrer en campagne, de re¬ prendre l'offensive; mais une des premières ré¬ formes à introduire sera dans l'intendance ; nos malheureux soldats ne doivent plus être en¬ voyés à l'ennemi pieds-nus, en haillons et mou¬ rant de faim; ils doivent être équipés convena¬ blement! pourvus du néeessaire. OPÉRATIONS MILITAIRES. 351 Les Garibaldiens viennent de remporter une grande victoire à Dijon ; dans l'après-midi de lundi dernier, l'ennemi attaqua la ville par le côté du Nord et de l'Ouest. Après un combat des plus sanguinaires, les Prussiens ont été repoussés et complètement battus; Riciotti Gari¬ baldi a enlevé les couleurs du 61e régiment prus¬ sien, qui a été presque annihilé. Un télégramme annonçait hier l'arrivée de M. Jules Favre au quartier-général du roi, pour discuter les conditions de la capitulation de Paris. Nous ne pouvons pas croire que de pa¬ reilles mesures soient prises avant que de grands efforts militaires aient été faits par l'armée, qui nous est représentée comme étant pleine d'ar¬ deur. 352 OPÉRATIONS MILITAIRES. M. JULES FAVRE A VERSAILLES. PROJET DE CAPITULATION DE PARIS Londres, 26 janvier. La dépêche qui nous annonce la présence à Versailles de M. Jules Favre semble se confir¬ mer, mais nous ne pouvons croire encore que le but de sa visite au quartier-général de l'Empe¬ reur ait été pour discuter les termes auxquels Paris devait capituler. Dans quelques heures, nous aurons probable¬ ment des nouvelles positives sur ces faits impor¬ tants, et nous saurons si le sort de Paris et de la France est irrévocablement fixé. Pour nous, la capitulation de Paris entraîne¬ rait la fin de la guerre, et par ce fait même nous en redoutons les conséquences. La popula- OPÉRATIONS MILITAIRES. 353 tion de la capitale, par un héroïsme sans exem¬ ple, a conservé le droit de commander au pays et de décider de ses destinées. Au milieu de souffrances de tout genre accumulées depuis plusieurs mois, elle a vaillamment combattu; elle a noblement rempli sa tâche, elle a dépassé même tout ce que la défense nationale pouvait attendre d'elle, Nous avons toujours été convaincu que l'armée de Trochu était placée dans l'impossibilité d'agir sans le concours de la province, que le cercle formidable qui l'entourait ne pouvait être rompu qu'avec l'aide d'une autre armée s'avançant du dehors. Le rôle principal de la garnison devait être de harceler l'ennemi, de le tenir constamment engagé autour des forts, d'occuper ses troupes d'investissement, de les affaiblir tout en guettant le moment propice pour s'élancer à travers ses lignes au premier signal de l'approche de nos corps d'armée de province. Nous avons suivi jour par jour les événements 23 354 OPERATIONS MILITAIRES. et nous avons pu voir que le glorieux programme a été rempli et même dépassé ; a plusieurs re¬ prises, des tentatives hardies ont eu lieu, des batailles ont été livrées et les Parisiens, devenus soldats, n'ont pas été avares de leur sang : ils ont fait, sans compter, le sacrifice de leurs vies. Le salut de Paris devait venir de la province, et le jour où les deux armées de Chanzy et de Bourbaki étaient campées sur le bassin de la Loire, où Faidherbe tenait ferme dans le Nord, nous avions conçu le plus grand espoir; les chances en notre faveur était grandes, la stra¬ tégie de von Moltke était sérieusement menacée sur ses bases principales. Hélas ! une fatale erreur, que nous n'avions que trop redoutée, devait amener des résultats désastreux et décider peut-être du sort de la France. L'envoi de Bourbaki dans l'Est vint dé¬ truire nos espérances et amener les catastrophes que nous n'avions que trop prévues. Ce fut un coup mortel infligé à la défense nationale ; ce fut OPERATIONS MILITAIRES, 355 l'abandon de Paris, la destruction d'une partie de nos armées sans profit pour la capitale, pour la France. Chanzy, repoussé au-delà de la Mayenne, Bourbaki acculé sur la frontière suisse, Faid- herbe voué à une défaite inévitable danB le Nord, Trochu abandonné à lui-même sous le feu inces¬ sant de l'artillerie prussienne, au milieu de deux millions d'êtres qui sont éprouvés par tous les malheurs, tels sont les faits peut-être irrépara¬ bles amenés par une combinaison étourdiment conçue. Nous ne voulons pas encore croire à la réalité du désastre qu'on nous annonce de Versailles. Quelque critique que la position nous ait semblé depuis nos dernières défaites, nous avons encore gardé quelque espérance ; mais nous ne craignons pas de le répéter, si la catastrophe est immi¬ nente, elle ne peut être attribuée qu'aux der¬ niers mouvements ordonnés à nos armées dé province. Ce fut en dégageant le bassin de la Loire 35G OPÉRATIONS MILITAIRES. qu'on donna à Frédéric-Charles tous ces moyens d'action dont il profita pour nous poursuivre au- delà de la Sarthe ; ce fut par ce même fait qu'on permit à von Moltke de détacher deux corps d'armée pour se réunir à von Goeben et écraser Faidherbe , ce fut encore ce qui permit d'en¬ voyer von Manteuffel avec des renforts au se¬ cours de von Werder. Et, pendant que ces opérations diverses avaient lieu, Paris était trompé, tenu dans l'inaction par des messages trompeurs du ministre de la guerre, qui lui promettait un concours rendu impos¬ sible par les combinaisons insensées du jeune dictateur. On assure que la population de la capitale a cru devoir opérer des changements dans les com¬ mandements de l'armée de Paris. Ne serait-il pas urgent que le peuple de la province suivît eet exemple d'une manière sommaire et ne laissât pas plus longtemps notre sort dans des mains incapables ? N'est-il pas temps que la nation soit OPERATIONS MILITAIRES. 357 consultée et que des intérêts aussi graves ces¬ sent d'être compromis ? Ainsi que nous l'avons souvent répété, les éléments de défense dont nous pouvons disposer sont énormes, et si nous avions des chefs pour les mettre à profit, notre cause ne serait pas désespérée. Chaque jour nous apporte de nou¬ velles preuves de l'énergie de nos troupes, de leurs efforts surhumains. Hier encore, nous racontions le glorieux com¬ bat livré à Dijon par Ricciotti Garibaldi contre le corps d'armée poméranien de Fransecki; un peu plus tard, nous apprenions qu'une compagnie de 800 francs-tireurs venait de détruire un viaduc sur le chemin de fer de Nancy à Strasbourg et rendait ainsi les communications impossibles sur cette ligne pendant plusieurs semaines ; sur tous les points, de hauts faits d'armes. La petite forteresse de Longwy vient de suc¬ comber au bombardement inexorable des Prus¬ siens ; sa garnison a capitulé après une héroïque résistance; les troupes du Havre marchent à 158 OPERATIONS MILITAIRES. l'ennemi. Chanzy se prépare à reprendre l'offen¬ sive; Bonrbaki continue sa retraite stratégique au milieu de mille obstacles ; partout le patrio¬ tisme, l'abnégation, le dévouement, mais nulle autorité assez habile pour savoir utiliser ces grandes ressources avec efficacité. Une dernière dépêche de Versailles nous annonce que plusieurs divisions allemandes ont traversé le Doubs au sud de Besançon et qu'elles menacent les derrières de Bourbaki. Nous espérons, toutefois, que notre général aura pu profiter de l'avance qu'il avait sur l'en¬ nemi et se jeter hors de sa portée par. une marche rapide. La journée ne se passera pas, sans doute, sans que les événements se dessinent d'une ma¬ nière définitive. Le sort de Paris décidera, nous le croyons, de celui de la France. OPERATIONS MILITAIRES. 359 CAPITULATION DE PARIS. Londres, 29 janvier 1871. L'ambassade de Prusse a reçu de Versailles un télégramme que nous ne pouvons reproduire sans ressentir une vive émotion. Il est ainsi conçu : " Le comte de Bismark et M. Jules Favre viennent de signer un armistice de trois semaines, sur terre et sur mer et la capitulation de tous les forts de Paris ; les troupes formant l'armée de la capitale resteront dans la ville, mais comme prisonniers de guerre." C'est donc un fait accompli ! Paris s'est rendu ! Le plus grand événement de la guerre depuis Sedan, la capitulation de Paris, de plus 3GO OPÉRATIONS MILITAIRES. de 400,000 soldats, termine le second acte de ce grand drame, et les généraux de la République provisoire n'ont pas été plus heureux que ceux de l'empereur Napoléon III. Cependant les défenseurs de Paris ont acquis de justes titres à la reconnaissance du pays, et une gloire immortelle leur est assurée dans l'histoire ; pendant quatre longs mois, ils ont tenu en échec les forces réunies de l'Alle¬ magne ; au milieu de toutes les privations, ils ont vaillamment combattu, et le siège si coura¬ geusement soutenu malgré d'innombrables dif¬ ficultés, malgré les dissensions intérieures et les ravages causés par les canons prussiens, restera à jamais mémorable dans les annales militaires de la France. Honneur à la métropole du monde civi¬ lisé ! L'ennemi victorieux à Sedan s'avançait à marches forcées pour l'investir. Elle était dé¬ pourvue de canons et de soldats. Surprise comme la France entière par la rapidité et l'étendue de nos désastres, elle n'hésita pas un OPERATIONS MILITAIRES. 361 instant, elle se prépara à payer son tribut à la patrie en danger. Les citoyens secouèrent leur torpeur, les habitudes de luxe et de bien-être furent aban¬ données pour le rude métier de soldat, les dis¬ tances sociales se rapprochèrent devant le danger commun, et, en présence des malheurs de la patrie, patriciens et plébéiens coururent ensemble aux remparts. Des armées furent bientôt formées, des canons furent fondus, des ouvrages avancés furent construits sur tous les points, l'artillerie des forts devint formidable, et les généraux du Roi de Prusse, forcés à retrancher leurs troupes hors de la portée de nos canons, ne durent • plus compter que sur la famine pour ré¬ duire les défenseurs de la capitale. Des sorties glorieuses furent faites, des vic¬ toires furent remportées par les Parisiens et, si la province eût envoyé ses armées à leur se^ cours, tant de glorieux efforts auraient été couronnés de succès 5 les Prussiens pris entre 362 OPERATIONS MILITAIRES. deux feux eussent été placés dans le plus grand péril. Au commencement du mois, lorsque nous avions 400,000 hommes sur la Loire, Trochu pouvait espérer sortir victorieux de la lutte ; il s'attendait à voir marcher toutes nos forces sur Paris. Les généraux allemands redoutaient cette combinaison, ils savaient que l'armée de Frédéric-Charles ne suffisait , plus pour con¬ tenir le torrent qui menaçait d'envahir leurs lignes, et les plus graves appréhensions s'étaient emparées de l'état-major du Roi. A Paris, comme en province, la confiance était revenue, les esprits étaient rassurés, et lorsque nous développâmes notre plan de campagne, qui consistait à concentrer toutes nos forces de province et à les faire marcher simultanément sur la capitale, notre théorie parut être adoptée par l'opinion publique. Mais, hélas ! pour des raisons qui ne tarde¬ ront pas à se faire jour, le ministre de la guerre commit les mêmes errements qui causèrent la OPERATIONS MILITAIRES. 363 capitulation de Sedan. De même que Palikao sacrifia Paris et la France en envoyant Mac- Mahon dans les Ardennes, de même Gambetta perdit la capitale et Parmée en ordonnant la fatale expédition de Bonrbaki dans les montagnes de l'est de la France. Ce ne fut que lorsqu'ils apprirent la défection de la province, qu'après une sortie où ils perdi¬ rent dix mille hommes, que les Parisiens se rendirent compte de leur position désespérée; ils auraient sans doute continué la lutte malgré le bombardement, malgré la mortalité effrayante des habitants, malgré l'embarras causé par les démagogues de Belleville, malgré les désastres de toute sorte ; maisil est un fléau que le cou¬ rage, que la résolution la plus ferme, que l'hé¬ roïsme le plus éprouvé ne peut surmonter, c'est la famine, et que ceux qui seraient tentés de blâmer la capitulation de Paris, comme on l'a fait de celle de Metz, se rappellent que c'est la faim et non les engins prussiens qui ont eu raison du courage et de l'énergie de nos soldats. m OPÉRATIONS MILITAIRES. Le jour où nos armées de province cessèrent d'avoir pour objectif la délivrance de Paris, le sort de la capitale fut décidé ; ce n'était plus qu'une question de temps et d'épuisement de vivres. Aussi, puisque nous étions arrivés aux époques des grands sacrifices, le ministre de la guerre ne devait pas temporiser, et au lieu de diviser ses forces sur tant de points éloignés, il devait à tout prix les concentrer et tenter un suprême effort contre les lignes de l'armée assié¬ geante. Nous ne sommes pas prophètes après coup ; nous avions prévu ce qui arriverait inévitable¬ ment, nous n'avons cessé de le répéter depuis plusieurs mois. Le mot " guerre à outrance " avait soulevé la France entière, tous les drapeaux s'effaçaient devant celui de la défense nationale, les ressources énormes dont le pays dispose affluèrent de toutes parts, chacun Voulut appor¬ ter son contingent pour défendre la patrie ; mais Une erreur fatale fut commise, erreur qui a Causé nos derniers malheurs. OPERATIONS MILITAIRES. 365 Au lieu de laisser agir sans contrôle un membre inexpérimenté du gouvernement provi¬ soire, au lieu de lui permettre d'arborer le dra¬ peau d'un parti, d'abolir les conseils généraux, de destituer les commandants des armées, les rem¬ placer par des avocats ou des écrivains, au lieu de tolérer sa dictature civile et militaire, les citoyens influents auraient dû contrôler le gou¬ vernement, l'arrêter sur la pente dangereuse qu'il suivait, et lui rappeler que toute action qui n'avait point pour objet la défense nationale devenait un crime de haute trahison. C'est encore notre faiblesse inconcevable qui a perdu la patrie. L'œuvre de la diplomatie et de la politique va commencer, trois semaines d'ar¬ mistice vont permettre au .pays de se pro¬ noncer : que les hommes de valeur n'oublient pas qu'il est de leur devoir de faire entendre leurs voix. Il y va du salut de la France ! Cha¬ cun doit accourir à son poste. Reste à savoir si l'armistice conclu entre M. de Bismark et le Gouvernement de la Défense 366 OPERATIONS MILITAIRES. nationale sera accepté par le dictateur qui, hier encore, promettait la victoire. Il ne serait pas étonnant qu'enhardi par l'impunité, par les con¬ seils d'un entourage qui doit tout à l'anarchie administrative , il essayât de maintenir sa dic¬ tature militaire et continuât pendant quelques semaines encore de nous plonger plus avant dans le gouffre. Mais cet état de choses ne saurait avoir de durée avec l'armistice ; l'appel au peuple ne peut plus être retardé sous aucun prétexte. Une assem¬ blée régulière de représentants de la nation va décider la question de guerre ou de paix et le mode de gouvernement demandé par la France. Des dernières nouvelles nous apprennent que la délégation de Bordeaux a accepté le traité provisoire signé par M. Jules Favre au nom de la Défense nationale. OPERATIONS MILITAIRES. 367 CAPITULATION DE PARIS. Londres, 30 janvier 1871. Par la capitulation de Paris, un voile épais s'étend sur l'horizon, l'avenir de la France est obscurci, et les grandes gloires du passé sont momentanément ternies sous le poids do désas¬ tres sans précédents. L'amour de la patrie, l'héroïsme le plus pur, j la soif de la gloire, la noble ambition de con¬ server notre grande renommée, n'ont pu suffire pour ramener la victoire à nos étendards. La science militaire, l'habileté du commande¬ ment, la force des engins ont triomphé de notre 368 OPERATIONS MILITAIRES. bravoure, et notre esprit indomptable a dû se courber devant la force mystérieuse qui nous a systématiquement épuisés, comme par un châti¬ ment de Dieu, nous punissant de notre passé. Le Panthéon, les colonnes triomphales, le le vieux Louvre, les palais de nos rois, ne sont plus que l'ombre de notre grandeur ; le sublime Paris, atterré dans son humiliation, enseveli dans ses souffrances, va subir avec l'amertume du malheur les conséquences de la mauvaise fortune de la guerre. EBt-ce à dire pour cela que tout soit irrévoca¬ blement perdu, et que la nation doive se résigner à accepter toutes les conditions de l'ennemi ? Nous ne le pensons pas, et, malgré les terribles coups qui n'ont cessé de nous frapper, le génie de la France peut encore la sauver du naufrage. La volonté nationale va peut-être nous ainener le libérateur tant attendu et nous empêcher de conclure une paix honteuse. Un rayon d'espoir brille encore sur nos destinées; notre énergie, notre confiance, un moment ébranlées par l'éten- OPÉRATIONS MILITAIRES. 969 due de la catastrophe, ne sont pas encore domptées. Un gouvernement régulier, fort du suffrage des populations, peut encore trouver des res¬ sources et nos armées reprendre un nouvel essor, si les prétentions du vainqueur sont intolérables, car la France a le droit de disposer d'elle- même, et ses enfants ne reculeront pas devant les derniers sacrifices. La guerre n'est plus possible sans un chan¬ gement radical dans l'administration, sans un général en chef, sans un organisateur, sans un stratégiste ; inutile de recommencer la lutte après l'armistice, si nos ' généraux doivent obéir encore aux ordres des incapables, et si nous n'avons d'autre ministre de la guerre pour op¬ poser à von Moltke que celui qui serait choisi parmi les membres actuels du gouvernement de la Défense nationale. La France a été vaincue par l'organisation supérieure des armées prussiennes, par les pro- 24 370 OPERATIONS MILITAIRES. grès de la science mis à profit, par l'habileté des chefs allemands ; mais il ne faut pas oublier que l'incapacité de nos généraux improvisés, que les folles conceptions stratégiques du dé¬ partement de la guerre, ont puissamment con¬ tribué à notre ruine. L'armée de Paris a fait son devoir, mais on avait trop exigé de son patriotisme; ses res¬ sources avaient des bornes ; on lui avait de¬ mandé l'impossible, elle a voulu l'accomplir mais la tâche était au-dessus des forces hu¬ maines. Chanzy, Faidherbe, l'infortuné Bourbaki, ont vaillamment combattu; et ils ont fait des pro¬ diges de valeur, ils ont su inspirer à leurs soldats le dévouement, l'abnégation, l'héroïsme. Que n'auraient-ils pas exécuté s'ils avaient reçu l'ordre de ce concentrer et d'opérer sur tin même plan ! Si ces masses énormes, disciplinées par le général d'Àurelles de Paladine, par Bourbaki, OPERATIONS MILITAIRES. 371 par Cambriels, par Faidherbe, avaient marché simultanément sur Paris, au lieu de s'épuiser en détail, peut-être n'aurions-nous pas aujourd'hui nos forts occupés par l'ennemi et 400,000 soldats de plus au pouvoir de la Prusse. Que les leçons douloureuses du passé soient un guide pour l'avenir; que les hommes de va¬ leur comprennent enfin que la défection n'est pas permise, et qu'ils doivent s'imposer, s'il le faut, lorsqu'il s'agit de sauver la patrie. Qu'un enthousiasme mal compris ne nous en¬ traîne pas à des actes irréfléchis, et que cette devise : " Guerre à outrance ! " ne soit adoptée désormais, que si le vainqueur, voulant par trop abuser de sa victoire, cherchait à acquérir de trop grands avantages, à imposer de trop dures conditions de paix. Et alors même, nous devrions peser les chan¬ ces qui resteraient en notre faveur et éviter de nous lancer encore à la légère dans une entre¬ prise qui pourrait nous amener à une ruine to- 372 OPERATIONS MILITAIRES. tale. Une nation, pas pins qn'nn individn, n'a le droit de courir au suicide, car cette extrémité n'est même pas admise dans le plus grand nombre des cas comme preuve de courage, et la destruction volontaire ne produit qu'une gloire éphémère et contestable. La réalité la plus amère a fait place aux illu¬ sions les plus outrées ; nous avons acquis la triste preuve que les réformes les plus radicales, dans notre administration tant militaire que civile, étaient indispensables pour égaliser les chances de la lutte, et ce n'est que dans la paix que nous pouvons retremper notre énergie et puiser la force morale affaiblie par les malheurs. Régénérée par les glorieux efforts, les actes sublimes qui ont été accomplis, la France re¬ prendra bien vite son rang suprême, et l'acti¬ vité de son peuple ne tardera pas à effacer les traces de l'invasion et des grandes infortunes* Il appartiendra à l'Assemblée nationale qui va OPÉRATIONS MILITAIRES. 373 être appelée, de donner la première im¬ pulsion. Une dépêche, datée de Bâle, nous annonce que l'armée de Bourbaki a réussi à se jeter sur le territoire suisse et à compléter la catastrophe amenée par la campagne de l'Est. CONCLUSION 1)E LA PAIX. DANGER POOR L'EUROPE. La campagne de sept mois vient de se termi¬ ner jeudi, 2 mars 1871, par la ratification du traité de paix par l'Assemblée nationale. Après avoir été trompés sur leurs forces, sur leurs ressources militaires, pendant les dernières années de l'Empire, après avoir puisé un vain espoir dans les paroles mensongères et le faux exposé de la situation de M. Gambetta, les Français venaient enfin de sonder la profondeur du gouffre dans lequel ils avaient été précipités, 378 OPÉRATIONS MILITAIRES. et les conditions imposées par la Prnsse ne leur laissaient plus d'illusions sur leurs désastres. Ce sont ces amères révélations, amenées par la capitulation de Paris et par les derniers évé¬ nements, qui nous forcèrent à nous reconnaître, à calculer l'étendue de nos revers, à en préjuger les conséquences. Aussi, la paix fut-elle résolue, et le cri de : guerre à outrance ! vint expirer devant l'expres¬ sion du suffrage universel, qui a appelé à gou¬ verner la nation, des hommes représentant les principes de sagesse et de modération, et ayant déjà donné dans leur longue carrière politique des preuves d'ardent patriotisme. Le pays avait compris qu'il fallait conclure la paix ; nos généraux, nos hommes d'Etat les plus pratiques, s'étaient prononcés dans le même sens, et c'est sous cette influence que M. Thiers et ses collègues se rendirent à Versailles. Les délégués de la nation se présentèrent de¬ vant M. de Bismark, avec la ferme résolution d'accepter des termes de paix raisonnables, de OPERATIONS MILITAIRES. 379 faire même des concessions importantes, pourvu toutefois qu'elles fussent compatibles avec l'hon¬ neur national. Mais il ne leur en resta pas même la faculté. Dès le début des pourparlers les demandes de la Prusse furent exorbitantes. L'ultimatum fut tellement précis, que nous craignons aujourd'hui de supputer les résultats qu'une telle attitude de l'Empereur d'Allemagne peut entraîner dans l'a¬ venir, et pourtant la sagesse nous a poussé vers une conclusion pacifique. Le temps consacré aux délibérations a été de si courte durée, la nécessité de conclure la paix tellement évidente, la pression exercée par le chancelier de l'Empire si rigoureuse, la misère si grande dans nos provinces envahies, qu'il a paru urgent à nos délégués d'en finir à tout prix; mais la diplomatie européenne, soutenue par l'opinion publique, ne saurait accepter pour son propre compte, sans esprit de retour, le péril qu'un traité qui ruine la France ne manquera pas de créer pour les autres Etats. 380 OPÉRATIONS MILITAIRES. Les Français eux-mêmes ne penseront plus qu'à la vengeance et aux représailles pour tant de maux, tant d'humiliations, imposés sans merci. C'est en poussant une nation au déses¬ poir, c'est en l'accablant, qu'on la rend impla¬ cable ; c'est en voulant l'anéantir, qu'on lui donne une impulsion régénératrice, et qu'on in¬ culque dans le cœur de son peuple des senti¬ ments de patriotisme qui lui inspirent tous les sacrifices et tous les devoirs envers la patrie. Des traités de paix, tels que ceux que l'Em¬ pereur d'Allemagne vient de conclure ne peuvent aboutir qu'à une trêve, pendant laquelle les belligé¬ rants, rentrés dans leurs foyers, se tiendront sur le qui-vive perpétuel ; le vainqueur sera obligé de veiller à ses nouvelles conquêtes et de faire exé¬ cuter les contrats d'extorsion qu'il aura obtenus ; la victime se débattra dans son infortune, et re¬ trempera ses forces à la rude école du malheur. L'Europe, pendant ce temps-là, suivra avec anxiété les progrès de ce grand empire d'Occi¬ dent qui, après avoir renversé la France, cette OPERATIONS MILITAIRES. 381 seule barrière qui pouvait le contenir, n'aspirera plus qu'à imposer ses prétentions insolentes aux différentes puissances, ou à continuer sa guerre de pirates et de Vandales. La confiance disparaîtra; l'Angleterre, l'Autri¬ che, le Danemark, la Hollande, la Belgique, armeront simultanément; la Russie se maintien¬ dra de plus en plus dans sa voie agressive ; les Etats-Unis s'immisceront plus que jamais dans les affaires de l'Europe. - Pendant les dix ou vingt années qui suivront, les aspirations des peuples ne seront plus qu'à la guerre ; nous serons de nouveau rejetés vers les temps barbares, et la civilisation, le libéra¬ lisme, l'industrie recevront une atteinte mortelle, sous le régime militaire imposé par la politique et les projets de conquête de l'Empereur d'Alle¬ magne. Telles sont les conséquences qui résulteront d'une paix dictée par le vainqueur, de traitéB signés sans avoir admis des négociations, de signatures obtenues lorsque la main était forcée, 382 OPERATIONS MILITAIRES. et lorsque l'un des contractants ne pouvait plus refuser sans courir au suicide peut-être. Par les termes mêmes indiqués dans le traité, la Prusse devient la plus forte nation du monde. Sa politique ayant déjà annulé les droits des différents Etats d'Allemagne, le nouvel Empereur n'aura plus de contrôle, et il inaugurera le des¬ potisme militaire dans toute sa vigueur. Une ère de guerre, de conquête, de rapine, va remplacer les bienfaits de la paix et le déve¬ loppement des réformes sociales. Les gouverne¬ ments constitutionnels s'affaibliront de plus en plus devant les préoccupations de la guerre, et la société européenne sera sérieusement menacée d'être rejetée vers les époques barbares où les différends n'étaient tranchés que par les armes et la force brutale. Telles sont, cependant, les grandes questions qui viennent d'être résolues et les grandes puissances sont restées ensevelies dans leur politique de non-intervention. Si notre malheureux pays est sacrifié ce ne OPÉRATIONS MILITAIRES 383 sera pourtant pas sans que les contre-coups en soient terribles pour ses anciens alliés, et la France, qui a toujours miraculeusement échappé aux épreuves les plus cruelles, saura encore trouver dans sa grandeur passée, dans ses tradi¬ tions, une nouvelle force pour reconquérir son influence et ses richesses si souvent gaspillées pour la cause européenne et si mal récompensées dans l'heure du péril. Peut-être se sera-t-elle déjà relevée lorsque ceux qui aujourd'hui l'abandonnent seront les victimes de leur ingratitude, de leur égoïsme. Car les événements les forceront malgré eux à se défendre et à venger les institutions euro¬ péennes et l'équilibre des pouvoirs ; mais seront- ils dans des conditions aussi favorables qu'avant le traité de paix, les difficultés à surmonter ne seront-elles pas plus grandes, l'ennemi à com¬ battre ne sera-t-il pas plus formidable, par ses conquêtes et par les milliards qui vont l'enrichir ? Nous pouvons hardiment conclure que la signa¬ ture de traités de paix arrachant à la France 384: OPERATIONS MILITAIRES. l'Alsace et la Lorraine, et une indemnité de cinq milliards de francs, entraîne la condamnation de l'Europe à une guerre inévitable, pour laquelle elle va être forcée de faire des préparatifs immé¬ diats. Elle a laissé échapper l'occasion de se prononcer et d'interposer son puissant véto contre la politique de spoliation de l'Empereur d'Alle¬ magne et de ses lieutenants? L'Angleterre a laissé fouler aux pieds et dé¬ chirer ces traités, pour lesquels elle a sacrifié ses trésors et le meilleur de son sang, dans cette grande croisade contre l'ambition de Napoléon- le-Grand? Elle a abdiqué les droits qu'elle avait conquis devant l'Europe, au profit de la maison de Hohenzollern. ' Elle a oublié ses devoirs envers elle-même, envers la civilisation. Elle a consenti à être vaincue avant de combattre. LB TRAITÉ DE LA CONQUETE. Les préliminaires de la paix, signés entre M. de Bismark et les délégués, viennent d'être ratifiés par l'Assemblée nationale. Ainsi donc, la France se voit forcée de céder à la Prusse l'Alsace, la Lorraine allemande avec Metz, une indemnité de guerre de cinq milliards de francs, avec l'occupation de certaines for¬ teresses jusqu'à payement intégral de cette somme. En outre, les Allemands occuperont triompha* 25 38G OPERATIONS MILITAIRES. lement la plus belle partie de Paris pendant un ou deux jours. Les exigences ne peuvent être plus grandes; l'humiliation est complète; les extorsions et les mesures vindicatives dépassent tout ce qu'on a jamais vu dans l'histoire, elles éclipsent tout ce que l'esprit le plus aventureux aurait pu rêver. Le monde civilisé n'a pas protesté contre un abus pareil de la force brutale, envers une na¬ tion qui s'est toujours montrée généreuse, et des actes aussi monstrueux échappant à une juste censure, doivent appeler la vengeance. L'ignominie dont les Allemands abreuvent de sang-froid la nation française, retombera sur eux-mêmes ; le patriotisme des Français se déve¬ loppera dans la souffrance et sous l'influence d'un juste ressentiment ; l'édifice de haine élevé par l'Empereur d'Allemagne éclatera à un jour donné, et ses débris engloutiront le vainqueur qui s'est montré sans merci. Mais, quoi qu'il arrive, les conséquences d'un OPÉRATIONS MILITAIRES. 387 traité pareil, dicté en dépit du droit des gens et des nations, ne peuvent avoir qu'une durée éphémère. Dans la pensée du vainqueur, il n'est pas réalisable et il ne peut être qu'un prétexte, de la part du souverain allemand, pour recommencer les guerres de conquêtes né¬ cessaires pour établir le grand Empire d'Occi¬ dent rêvé depuis si longtemps. L'Empereur et son chancelier n'ignorent pas qu'en accablant la France, ils l'arment pour la vengeance, et, dans leur ambition effrénée, ils calculent déjà quelles seront les suites d'une nouvelle guerre, et les avantages qu'ils sauront en retirer. Ne vont-ils pas se préparer contre l'Europe entière, s'il le faut ? Enivrés de leurs succès, ne croient-ils pas être assez forts pour vaincre une coalition et marcher sûrement vers les destinées qu'ils veulent atteindre ? C'est ainsi que raisonna Napoléon-le-Grand. Arrivés au faite des grandeurs, les conquérants sont fatalement voués à un vertige qui s'empare 388 OPERATIONS MILITAIRES de leur sens moral et qui les empêche de pro¬ fiter des leçons du passé. L'empereur Guillaume, accablant le vaincu d'hier, se prépare de terribles représailles ; sa convoitise insatiable portera des fruits amers ; il n'échappera pas plus au destin immua¬ ble, aux excès de son ambition effrénée, que le grand capitaine, devenu maître de l'Europe. Le comte de Bismark a placé M. Thiers dans l'alternative d'accepter immédiatement ses conditions ou de recommenser les hostilités; c'est avec le couteau sur la gorge qu'il a pu dis¬ cuter, c'est sous la pression d'un ennemi vain¬ queur, de huit cent mille hommes prêts à mettre la France à feu et à sang, qu'il a eu à donner sa décision. La guerre a été localisée entre la France et l'Allemagne, mais les termes de paix n'auraient pas dû l'être ; ce sont les traités qui appartien¬ nent à l'Europe, qui sont aujourd'hui foulés aux pieds, et les grandes puissances ne peuvent OPERATIONS MILITAIRES, 389 assister à un spectacle qui les touche d'aussi près, sans en supputer les conséquences. L'indemnité demandée, les sommes énormes extorquées, sont destinées à remplir la caisse de la guerre, créée par Frédéric-le-Grand, et à fournir de nouvelles ressources aux aspirations guerrières de ses descendants ; ces fonds se¬ ront tenus prêts pour organiser la lutte contre les divers Etats de l'Europe et préparer la conquête. L'Assemblée nationale a cru que son devoir exigeait qu'elle ratifiât les conditions de paix. La tâche imposée à la France n'est que momen¬ tanément finie ; résignée dans ses infortunes, elle fera appel au génie de son peuple, pour combattre contre l'adversité ; ses préoccupations seront concentrées à l'intérieur. Le rôle actif de ces puissances neutres qui l'ont abandonnée au milieu des plus cruels revers, commencera infailliblement, et leur poli¬ tique d'égoïsme et d'abstention sera forcé¬ ment remplacée par les préoccupations les plus 390 OPÉRATIONS MILITAIRES. graves sur leur propre sécurité. L'ère de la guerre moderne aura été inaugurée et établie par les premières conquêtes du nouvel Empire d'Occident, et le3 peuples divers auront à se préoccuper de leurs armements au détriment de leur industrie. Les défaites de la France auront reculé la civilisation moderne de plus d'un siècle ; elles auront remis en question les progrès de notre époque ; elles auront gravement compromis les institutions libérales par le retour au régime militaire, et c'est la défection de ses alliés na¬ turels qui aura causé des maux dont toutes les nations auront à souffrir. FIN. TABLE DES MATIÈRES. PflÉFACE I * Préparatifs de Trochu.— Combat à Saint-Laurent-les-Bois 1 Capitulation de Verdun. — Position de l'armée de la Loire. 6 Le général d'Aurelles de Paladine et son armée 11 Mouvements des armées 16 Bataille d'Orléans , 23 Où. est le salut. — L'armée de Paris 32 Concentration de nos amées 36 Mouvements stratégiques du prince Frédéric-Charles ... 46 Situation militaire. — Marche de Frédéric-Charles. — Paris ravitaillé 52 L'armée de Manteuffel. — Dangers de retarder nos mou¬ vements « ... ... 59 392 TABLE DES MATIERES. Ligne de conduite indiquée par les événements. — Flan de Frédéric-Charles. — Echec des Français. 163 Bataille d'Orléans. — Défaite de l'armée de la Loire. — Retraite de l'armée de Paris 173 M. Gambetta et no3 désastres. — Honneur au général d'Aurelles de Paladine 181 Réflexions rétrospectives. — Erreurs stratégiques. — Oc¬ cupation de Tours par les Prussiens 187 Retraite de l'armée de la Loire 195 Avance des Prussiens. — Retraite de Chanzy. — Mou¬ vements stratégiques. — Dieppe occupé 202 Chanzy se retire en combattant. — Stratégie prussienne. 209 Victoires de Chanzy. — Bourbaki. — Capitulation de Phalsbourg et de Montmédy 216 Remarques sur la guerre 221 Erreurs militaires.— La vérité dévoilée... 228 Nouvelle combinaison 235 Chanzy se replie sur le Mans. — Le général Werder à Nuits. — Frédéric-Charles contrecarré 241 Occupation de Tours. — Sortie de Paris 247 Notre plan de campagne •>> 253 Concentration de Frédéric-Charles entre Blois et Orléans. 262 Bombardement du Mont-Avron. — Paris attend des se¬ cours 267 TABLE DES MATIÈRES 393 Combat de Dreux.— Graves appréhensions ! —La Fère... 67 Mouvements stratégiques. — Montmédy 75 Mesures prises par le général von Moltke — Position de l'armée de Frédéric-Charles et dn général d'Aurelles de Paladine. — Souvenirs rétrospectifs 82 Pressentiments. —Marche stratégique et projets de l'ennemi 97 Le général Trochu. — Marche de flanc du duc de Meek- lembourg sur le Mans. — Réflexions stratégiques ... 98 La guerre moderne. — Les illusions 105 Les armées sont face à face ! — La bataille est com¬ mencée. ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... 114 Dissertation militaire. — Le Journal officiel. — Bataille d Amiens ... ... .y ... ... ... ... ... ... ... 123 Détails sur la bataille d'Amiens. — Tactique prussienne. Engagement à Beaune-la-Rotonde. — Le moment approche ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... 133 Hypothèses et probabilités. — Nos volontaires. — Projet de marche au secours de Paris. — Concentrations des forces allemandes ... ... ... ... ... ... ... ... 142 D'Aurelles de Paladine sur la Loire. — Sortie de l'armée de Paris. — Positions conquises sur la Marne 149 Succès du général Trochu. — L'armée prussienne avant la sortie. — Nouveaux détails 156 26. 394 TABLE DES MATIÈRES. Bataille d'Amiens. — Concentration de Frédéric-Charles. 272 La démagogie et le patriotisme 279 Bataille de Bapaume. — Le général Faidherbe 285 Marche de Frédéric-Charles vers l'Ouest 293 Plan de défense de Chauzy autour du Mans. — Erreur fatale d'avoir envoyé Bourbaki dans l'Est 299 Engagements près du Mans. — Responsabilité sérieuse. — Fautes commises 307 Bataille du Mans. — Désastres 316 La campagne de l'Est. — Défaite de Bourbaki 322 Bataille de Saint-Quentin. — Désastres. — Négligence coupable ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... 329 Catastrophes. — Appréciations 340 Le général Trochu. — L'armée de Paris. — Retraite de Bourbaki 344 M. Jules Favre à Versailles. — Projet de) capitulation de Pan s... ... ... ... ... ... ... ... ... ... ... 352 Capitulation de Paris 359 Conclusion de la Paix 375 q MM-, Oi L 133 y