PC 2113 .-P536 vies PicoVs Se es of School Books. STING NARRATIONS IN FRENCH; CONSISTING OF INTERESTING TALES, FABLES, AND ANECDOTES, INTENDED FOR READING, TRANSLATION, PARTICULARLY FOR NARRATION: The tubstance of which the French sh]J. Wtthes greatly to facilitate the acquisition of this Useful language for every purpose, is to relate accu- rately in bis own words, in English and French, orally and in writing, after proper exertisw in the Pronunciation, Translation, Definition, Declension, Conjugation, Repetition, Substitution of the Words and Phrases, and a minute Analysis of '.he Ideas : ADAPTED TO ALL PLiNf CAREFULLY SELECTED AND ARRANGED FOR AMERICAN SCHOOLS AND PRIVATE STUDENTS. BY CHARLES PICOT. Reading maketh a full man, conference a ready man, and writing an exact man.— Bacon. PHILADELPHIA: THOMAS, COWPERTHWAIT & CO. 1845. I LIBRARY OF CONGRESS. !|% f°P2 ri W ;\ iQ $/ ! UNITED STATES OF AMERICA.! *v^ < V-^v ^ fc No. 3 of Charles PicoVs Series of School Books. ■ ■ INTERESTING NARRATIONS IN FRENCH; CONSISTING OF INTERESTING TALES, FABLES, AND ANECDOTES, INTENDED FOR READING, TRANSLATION, AND PARTICULARLY FOR NARRATION! The substance of which the French student, who i orally and in writing, after proper exercises in the Wishes greatly to facilitate the acquisition of this Pronunciation, Translation, Definition, Declension, useful language for every purpose, is to relate accu- Conjugation, Repetition, Substitution of the Words and rateljr in his own words, in EDglish and French, Phrases, and a minute Analysis of the Ideas : ADAPTED TO ALL PLANS: CAREFULLY SELECTED AND ARRANGED FOR AMERICAN SCHOOLS AND PRIVATE STUDENTS. < BY CHARLES PICOT. Reading maketh a full man, conference a ready man, and writing an exact man.— Bacon. PHILADELPHIA: THOMAS, COW PERTH WAIT & CO. 1845. r z 1 , : r 3 r Entered, according to the Act of Congress, in the year 1S44, by CHARLES PICOT, in the clerk's office of the District Court of the United States in and for the Eastern District of Pennsylvania, 11 J. Pagan, S tereotyper. Xay & Brother, Printers. (4) PREFACE. Every person desirous of facilitating the acquisition of the French language for every purpose, must make himself mas- ter, by translation and other means, of the words and phrases in most common use, and at the same time diligently attend to the study of the verbs, articles, pronouns, as well as to the object of the principal rules of grammar ; taking care, in order to secure a just pronunciation, never to commit a lesson to memory, or read French rapidly, until he is able to pronounce it accurately. But he is not to limit himself to translating a great number of pages from French into English, and from •English into French ; he must frequently devote a good por- tion of his time to a most useful exercise, which, if properly practised, will, more than any other, contribute to enable him to speak French fluently, at the same time that it will strengthen his mind, make it active, and store it with valuable knowledge : I mean, relating in his own words, minutely, then succinctly, with varied and authorized equivalent expressions, after a proper analysis of the ideas, and a careful comparison of the two languages, often orally, and sometimes in writing, the substance of the most interesting and instructive authors. (See C. Picot's First Lessons, p. ix, and French Student's Assistant.) The present volume, like two others of the same series, is well adapted to the so much recommended and efficacious exercise of Narration : it contains a great variety of interest- ing and instructive subjects, generally expressed in a familiar, conversational style, and though more particularly designed for children, will prove eminently useful to persons of maturer years and more extensive knowledge, who, when they begin the study of a foreign language, must, in some measure, con- sider themselves as children. A few pieces in verse are introduced,, which will be found as easy as the prose. CHAS. PICOT. Philadelphia, Aug. 29th, 1844. ADVERTISEMENT. The following numbers of CHARLES PICOT'S SERIES OF SCHOOL BOOKS are published, viz. : 1. FIRST LESSONS IN FRENCH. 2. THE FRENCH STUDENT'S ASSISTANT. 3. INTERESTING NARRATIONS IN FRENCH. 4. HISTORICAL NARRATIONS IN FRENCH. 6. FLEURS DU PARNASSE FRANCAIS. Keys to the Nos. 3, 4, 6, for the use of assistant teachers and self-instructing students, will be published as soon as possible. The other Nos. of C. Picot's series have been, for several years, in course of preparation : they will be committed to the press as soon as the improvements suggested by his own experience and that of judicious friends shall have been made. The author has been very solicitous to adapt his publications to the wants of American Schools for both sexes, and has therefore carefully avoided the introduc- tion of sentiments or expressions which might appear, even to the most fastidious, objectionable either in a moral or religious point of view. TABLE DES MATIERES. Page La jeune Fille et TAbeille 9 I/Enfant gate 9 L'Empereur Francois II 10 Collin-maillard 11 L'Aigle et le Hibou 11 Le Fermier et le Chasseur 12 Le Loup et le jeune Mouton 13 Le Chat et les Lapins 13 Les Abeilles > 14 Generosite delicate 15 Le Dragon et les Renards 16 Les deux Renards 17 Le Richard erudit 18 Generosite de Louis-Philippe, Roi des Frangais 19 Demosthene 19 Le bon Ministre 20 L'Esperance 21 Le Singe 21 La Personne a la Mode et la Personne de Merite 23 Le Pigeon puni de son Inquietude 23 La Mouche et le Taureau 24 L'Ane et le Chien 25 L'Enfant et le Papillon 25 La Laitiere et le Pot au Lait 26 Le Singe et le Chat : 26 1 * (5) VI TABLE DES MATIERES. Page Les M a9ons sur PEchelle • 27 Le Paysan et la Couleuvre 29 Un Lion au Bazar , 30 L'Hirondelle et les Oiseaux 31 Les deux Souris . . . 32 L'Assemblee des Animaux pour choisir un Roi 33 Histoire d'Alibee, Persan 34 Les Grenouilles qui demandent un Roi 39 Le Lapin de la Fontaine 40 Religion 41 L'Ane et ses Maitres 43 Le Lievre et les Grenouilles .. 44 Mceurs des Israelites de Paris. — La Paque 44 Le Chat et les deux Moineaux 49 Le Chat, les Souris et le vieux Rat 50 Le Papillon et PAbeille 51 Le Bouc et le Renard ....... 51 Le Cheval, le Loup et le Renard 52 Les deux Chats et le Singe 53 Voyage dans Pile des Plaisirs 54 Le Singe qui montre la Lanterne magique 58 Le Hibou, le Chat, POison et le Rat 60 L'Enfant et le Miroir 61 Les Parvenus , 62 L'Academie Silencieuse, ou les Emblemes 63 Elizabeth, Reine d'Angleterre 64 L' Avarice d'un Hote fait ie bonheur d'une pauvre Femme 65 Bonaparte a Arcole 66 Le Desir de se venger apaise 66 Apollon, Pasteur 67 Le Portrait parlant 68 L'Orme et le Noyer 69 Le Religieux et le Voleur 70 L'Aveugle et le Boiteux 72 Le genereux Voiturin 76 Les Voyageurs et le Cameleon 80 Le Seigneur et le Paysan 81 Le Negociant et son Voisin , 82 Les Animaux malades de la Peste 83 Fenelon 84 TABLE DES MATIERES. Vll Page Curius Dentatus 85 Alexandre et l'Oracle de D^Iphes « 86 Devise de Louis XIV 87 La Vertu 87 Physionomie. — Turenne. — Philopoemen 89 La genereuse Liberatrice 90 Fortune volage. Cesar — Pompee 92 Les Singes et le Leopard 94 La Fable et la Verite 96 Pline-le-Jeune 96 La Besace 97 La Rose et le Papillon 98 Le Lis et la Rose 99 Le Docteur Young 99 Hamet et Raschid 101 Fabricius 103 L'Ane et la Flute 104 Mort de Cesar 105 Pensee d'Alphonse d'Aragon sur la Noblesse 107 Les deux Almanachs 103 Charles II, Roi d'Angleterre 109 Le Ramoneur 109 Magnanimite de Louis XII Ill Le Poltron 112 Amabilite de Louis XIV 114 La Piece de deux Sous 115 Robert et Montesquieu 118 Phocion et Aristide 123 Louis XIV et Poli 124 Jolie Naivete d'un Enfant 124 Changements de temps indiques par la toile d'Araignee 125 Histoire d'un Chiffonnier 125 Ingratitude . 128 Le Chat, la Belette et le petit Lapin 128 L'Esperance ] 30 Le Chameau et le Bossu 130 Les Voyages a pied .' 131 La Conversation 132 J. J. Rousseau a un jeune Homme qui demandait a s'etablir a Mont- morency pour y profiter de ses Lec,ons , 132 Vlll TABLE DES MATIERES. Page Ma maison, mes amis, mes Plaisirs a la Campagne si j'etais riche . 134 L'Oecasion manquee * 136 L'Ane et le petit Chien 137 Magnanimite d'un Paysan frangais 138 De la Bienveillance 140 Le Chateau de Cartes 151 Bon emploi du Temps 153 Les trois Chevaux a l'Hopital 154 Methode de Washington pour l'Etude 156 Oraison funebre d'un Paysan 158 L'Avare et son Fils 161 Les Crimes punis l'un par l'autre 1 62 L T ne Reponse de Jefferson 1 62 Le Lepreux de la Cite d' Aoste 1 63 Le Laboureur et ses Enfants 180 NARKATIOftS INTERESSANTES. La jeune Fille et VJlbeille. Chloe, jeune et jolie, et surtout fort coquette, Tous les matins, en se levant, Se mettait au travail, j'entends a sa toilette ; Et la, souriant, minaudant, Elle disait a son cher confident Les peines, les plaisirs, les projets de son ame. Une abeiUe etourdie arrive en bourdonnant. " Au secours ! au secours !" crie aussitot la dame : "Venez, Lise, Marton, accourez promptement. Chassez ce monstre aile." Le monstre insolemment Aux levres de Chloe se pose. Chloe s'evanouit, et Marton en fureur Saisit l'abeille et se dispose A l'ecraser. " Helas !" lui dit avec douceur L'insecte malheureux, " pardonnez mon erreur : La bouche de Chloe me semblait une rose, Et j'ai cm . . ." Ce seul mot a Chloe rend ses sens. " Faisons grace, 1 ' dit-elle, " a son aveu sincere ; D'ailleurs sa piqure est legere ; Depuis qu'elle te parle a peine je la sens." Que ne fait-on passer avec un peu d'encens ! ^ V Enfant g&te. Une dame craignait si fort de rendre son fils malade en le contredisant, qu'il etait devenu un petit tyran. Un jour elle entendit cet enfant cheri qui pleurait ; il s'egratignait le visage (9) 10 NARRATIONS INTERESSANTES. de rage, parce qu'un domestique lui refusait une chose qu'il voulait. "Yous etes bien impertinent," dit-eile a ce valet, "de ne pas donner a cet enfant ce qu'il vous demande ; obeissez-lui tout al'heure." "Par ma foi, madame," repondit le valet, "il pourrait crier jusqu'a demain qu'il ne l'aurait pas." A ces mots, la dame devint furieuse, et prete a tomber en convulsions ; elle court, et passant dans une salle ou etait son mari avec quelques- uns de ses amis, elle le prie de la suivre et de mettre dehors Pimprudent qui lui resiste. Le mari, qui etait aussi faible pour sa femme qu'elle P etait pour son fils, la suit en levant les epaules, et la compagnie se met a la fenetre, pour voir de quoi il etait question. "Insolent," dit-il au valet, " comment avez- vous la hardiesse de desobeir a madame, en refusant a Penfant ce qu'il vous demande?" — "En verite, monsieur," dit le valet, "ma- dame n'a qu'a le lui donner elle-meme : il y a un quart d'heure qu'il a vue la lune dans un seau d'eau, et il veut que je la lui donne." A ces paroles, la compagnie et le mari ne purent retenir de grands eclats de rire ; la dame elle-meme, malgre sa colere, ne put s'empecher de rire aussi, et fut si honteuse de cette scene, qu'elle se corrigea, et parvint a faire un aimable enfant de ce petit etre maussade et volontaire* L'Empereur Francois IL Un bras du Danube separe la ville de Yienne d'un large fau- bourg appele Leopold-stadt. Ce faubourg fut inonde a la suite d'un degel, et les g]aces emporterent le pont de communication avec la capitale. La population de Leopold-stadt se trouva bientot dans la plus grande detresse a cause du manque de pro- visions. On reunit un certain nombre de bateaux, qui furent charges de pain : mais personne n'osait risquer le passage que de larges glaeons nottants rendaient extremement dangereux. Francois II, alors Empereur, etait sur la rive, priant, exhortant, menacant, et promettant les plus grandes recompenses, mais en vain ; tandis que sur Pautre rive ses sujets, consumes par Ja faim, NARRATIONS INTERESSANTES. 12 etendaient leurs mains suppliantes et imploraient du secours. A la fin la sensibilite du monarque l'emporta sur sa prudence ; il s'elanca tout seul dans un bateau charge de pain, et prit lui- meme les rames en main, en s'ecriant : " II ne sera pas dit que je n'ai point fait d'efFort pour sauver ceux qui seraient prets a tout risquer pour moi." L'exemple du souverain electrisa tout d'un coup les spectateurs, qui se jetterent a Penvi dans les bateaux. Us reussirent a surmonter le courant, et atteignirent le faubourg, juste a Pinstant ou leur intrepide monarque, les yeux pleins des larmes de la pitie, tendait aux habitants le pain qu'il leur avait apporte au risque de sa propre vie. Colin-maillard. Qjtatre chevaliers d'industrie ayant fait grande chere dans un hotel, appelerent un des gar^ons qui les avaient servis, et arre- terent avec lui le prix de leur diner. Le premier fit mine de mettre la main a la poche ; le second le retint et lui dit qu'il voulait payer ; le troisieme insista encore davantage pour etre charge de la comptabilite ; enfm le quatrieme dit au garcon du ton le plus imperieux : " Je vous defends de prendre Pargent de ces messieurs." Comme personne ne voulait ceder, Pun d'eux dit : " Pour nous accorder, il faut bander les yeux au garcon ; celui de nous qu'il prendra paiera Pecot." Tous se rendent a cette proposition ; mais tandis que le garcon tatonne dans la chambre, ils defilent Pun apres Pautre. Le restaurateur monte, notre coKn-maillard s'elance sur lui, le serre etroitement, et lui dit : " C'est vous qui paierez Pecot." L'&igle et le Hibou. L'aigle et le hibou, apres avoir fait longtemps la guerre, con- vinrent d'une paix ; les articles preliminaires avaient ete prea- lablement signes par des ambassadeurs : Particle le plus essentiel etait que le premier ne mangerait pas les petits de Pautre. " Les 12 NARRATIONS INTER ESS ANTES. connaissez-vous," demanda le hibou ? — " Non," repondit l'aigle. " Tant pis." — " Peignez-les moi, ou me les montrez : foi d'hon- nete aigle, je n'y toucherai jamais." — "Mes petits," repondit l'oiseau nocturne, "sont mignons, beaux, bien faits ; et ils ont la voix douce et melodieuse ; vous les reconnaitrez aisement a ces marques." — " Tres-bien, je n'oublierai pas." II arriva un jour que l'aigle apercut dans le coin d'un rocher de petits monstres tres-laids, rechignes, ayant un air triste et lugubre. " Ces enfants," dit-il, " n'appartiennent pas a notre ami ; cro- quons les :" aussitot il se mit a en faire un bon repas. L'aigle n'avait pas tort. Le hibou avait fait un fausse peinture de ses petits : ils n'en avait pas le moindre trait. Les parents devraient eviter avec soin ce faible envers leurs enfants, qui les rend souvent aveugles sur leurs defauts. Le Fermier, le Chasseur et le Cerf. Un cerf vivement poursuivi par un chasseur, arriva presque hors d'haleine aupres d'une ferme : le fermier etait devant la porte. L'animal saisi de peur, le pria les larmes aux yeux, d'avoir pitie de lui, et de lui permettre de se cacher dans un coin de sa cour. Le fermier le lui permit, et s'engagea sur sa parole d'honneur a ne le point decouvrir. Le chasseur parut quelque moments apres, et demanda au fermier, s'il n'avait pas vu uil cerf? "Non," repondit-il, "il n'a pas passe par ici, je vous assure ;" en meme temps il indiqua du doigt la place ou le ti- mid e animal etait cache. Le chasseur applique a sa chasse, ne prit pas garde au signe, et s'en alia. Aussitot qu'il fut parti, le cerf s'enfuit sans rien dire. " Hola ho," cria le fermier, " ou courez-vous si vite ? Est-ce la votre remerciment du refuge que je vous ai accorde ?" " Oui," dit le cerf; " si voire main avait ete aussi honnete que votre langue, je n'aurais certainement pas manque de vous remercier ; mais tout le remerciment que merite un homme a deux visages, c'est l'indignation et le mepris. La duplicite est commune ; c'est le vice de beaucoup de gens. NARRATIONS INTERESSANTES. 13 Le Loup et le jeune Mouton. Des moutons etaient en surete dans leur pare : les chiens dormaient ; et le berger, a 1' ombre d'un grand ormeau, jouait de la flute avec d'autres bergers voisins. Un loup aflame vint par les fentes de 1' enceinte reconnaitre l'etat du troupeau. Un jeune mouton sans experience, et qui n'avait jamais rien vu, entra en conversation avec lui. " due venez-vous chercher ici," dit-il au glouton ? " L'herbe tendre et fleurie," lui repondit le loup. "Vous savez que rien n'est plus doux que de paitre dans une verte prairie emaillee de fleurs, pour apaiser sa faim, et d'aller eteindre sa soif dans un clair ruisseau : j'ai trouve ici l'un et 1' autre. Que faut-il davantage ? J'aime la philosophic qui enseigne a se contenter de peu." " II est done vrai," repartit le jeune mouton, " que vous ne mangez point la chair des animaux, et qu'un peu d'herbe vous suffit ? Si cela est, vivons comme freres, et pais- sons ensemble." Aussitot le mouton sort du pare dans la prairie, oii le sobre philosophe le mit en pieces et l'avala. Defiez-vous des belles paroles des gens qui se vantent d'etre vertueux. Jugez par leurs actions, et non pas par leurs discours. ' Le Chat et les Lapins. Un chat, qui faisait le modeste, etait entre dans une garenne peuplee de lapins. Aussitot toute la republique alarmee ne songea qu'a s'enfoncer dans ses trous. Comme le nouveau venu etait au guet aupres d'un terrier, les deputes de la nation lapine, qui avaient vu ses terribles griffes, comparurent dans l'endroit le plus etroit de 1' entree du terrier, pour lui demander ce qu'il pretendait. II protesta d'une voix douce qu'il voulait seulement etudier les moeurs de la nation ; qu'en qualite de philosophe, il allait dans tons les pays pour s'informer des, coutumes de chaque espece d'animaux. Les deputes, simples et credules, retour- nerent dire a leurs freres que cet etranger, si venerable par son maintien modeste et par sa majestueuse fourrure, etait un philo- 2 14 NARRATIONS INTERESSANTES. sophe, sobre, desinteresse, paciflque, qui voulait seulement re- chercher la sagesse de pays en pays ; qu'il venait de beaucoup d'autres lieux, ou il avait vu de grandes merveilles ; qu'il y aurait bien du plaisir a 1' entendre, et qu'il n' avait garde de cro- quer les lapins, puisqu'il croyait en bon bramin la metempsycose, et ne mangeait d'aucun aliment qui eut eu vie. Ce beau dis- cours toucha l'assemblee. En vain un vieux lap in ruse, qui etait le docteur de la troupe, representa combien ce grave philo- soplie lui etait suspect : malgre lui on va saluer le bramin, qui etrangla du premier salut sept ou huit de ces pauvres gens. Les autres regagnent leurs trous, bien effrayes et bien lionteux de leur faute. Alors dom Mitis revient a l'entree du terrier, protestant d'un ton plein de cordialite qu'il n' avait fait ce meurtre que malgre lui, par son pressant besoin ; que desormais il vivrait d'autres animaux, et ferait avec eux une alliance eternelle. Aussitot les lapins entrerent en negociation avec lui, sans se mettre neanmoins a la portee de ses griffes. La negociation dure, on 1' amuse. Cependant un lapin des plus agiles sort par les derrieres du terrier, et va avertir le berger voisin, qui aimait a prendre dans un lacs de ces lapins nourris de genievre. Le berger, irrite contre ce chat exterminateur d'un peuple si utile, accourt au terrier avec un arc et des Heches : il aper^oit le chat, qui n' etait attentif qu'a sa proie : il le perce d'une de ses Heches, et le chat expirant dit ces dernieres paroles : " Quand on a une fois trompe, on ne peut plus etre cru de personne : on est hai', craint ; et on est enfin attrape par ses propres finesses." Les Ah exiles. Un jeune prince, au retour des zephyrs, lorsque toute la nature se ranime, se promenait dans un jardin delicieux. II entendit un grand bruit, et apercut une ruche d'abeilles. II s'approche de ce spectacle, qui etait nouveau pour lui : il vit avec etonnement l'ordre, le soin et le travail de cette petite re- pubhque. Les cellules commeneaient a se former, et a prendre NARRATIONS INTERESS ANTES. 15 line figure reguliere. Une partie des abeilles les remplissaient de leur doux nectar ; les autres apportaient des fleurs qu'elles avaient choisies entre toutes les richesses du printemps. L'oi- sivete et la paresse etaient bannies de ce petit etat : tout y etait en mouvement, mais sans confusion et sans trouble. Les plus considerables d' entre les abeilles conduisaient les autres, qui obeissaient sans murmure et sans jalousie contre celles qui etaient au-dessus d'elles. Pendant que le jeune prince admirait cet objet, qu'il ne connaissait pas encore, une abeille, que toutes les autres reconnaissaient pour leur reine, x s'approcha de lui, et lui dit : la vue de notre ouvrage et de notre conduite vous rejouit ; mais elle doit encore plus vous instruire. Nous ne souffrons point parmi nous le desordre ni la licence : on n'est considerable parmi nous que par son travail, et par les talents qui peuvent etre utiles a notre republique. Le merite est la seule voie qui eleve aux premieres places. Nous ne nous occupons nuit et jour qu'a des choses dont les homines retirent toute l'utilite. Puissiez-vous etre un jour comme nous, mettre dans le genre humain l'ordre que vous admirez chez nous. Generosite delicate. Un abbe Francais, non moins celebre pour son esprit que pour ses connaissances politiques, se trouvait dans un grand embarras faute d'une somme de cinq cents louis. L'abbe avait Tame elevee, et comme il residait constamment a Versailles, il evitait avec soin tout ce qui pourrait conduire a la decouverte de sa penurie. Neanmoins quelque personne revela le secret a la reine, la belle, mais infortunee Marie Antoinette. Le meme soir, sa majeste ayant trouve Fabbe chez la Duchesse de Polignac, 1' engage a a jouer avec elle une partie de tric-trac, son jeu favori, et fit si bien qu'en peu de temps elle perdit la somme dont son antagoniste avait besoin ; puis elle se leva de table, en souriant, et quitta le jeu, laissant l'abbe ravi de surprise et d'admiration. 16 NARRATIONS INTERESSANTES. Presence cV 'Esprit et Sang-froid. Le fils d'un fermier de la province de Wiltshire, en Angleterre, nomme James Brown, age de douze a quinze ans, avait coutume d'aller a la ville voisine faire Jes provisions de son pere. Comme le canton etait alors infeste d'un grand nombre de voleurs, cet enfant, en cas d'evenement, mettait d'un cote les pieces d'or, et de P autre la monnaie courante. Un jour il se met en campagne. A peine a-t-il fait une lieue, qu'un voleur se presente, et lui demande la bourse ou la vie. Le jeune homme parait interdit ; il crie, il refuse : le voleur le presse et le menace. Enfin, James Brown, feignant d'etre au desespoir, met la main dans la poche ou il serrait sa monnaie, et la jette loin de lui, au dela d'un fosse et d'un petit buisson, en disant au voleur, que s'il voulait son argent, il etait bien juste au moins qu'il l'allat chercher. Le voleur, ebloui par la quantite de pieces qu'avait jetees le jeune Brown, crut devoir se hater de les ramasser, pendant que celui- ci prenait la fuite. II descendit done de. cheval, et se mit a chercher les pieces dans le ruisseau et derriere le buisson. Mais quelle fut sa surprise, lorsqu'il vit Brown, qu'il croyait deja bien loin, monter tout a coup sur son cheval, piquer des deux, et disparaitre ! II ne se fut jamais attendu a ce tour de la part d'un adversaire aussi jeune. Sa valise valait beaucoup plus que les pieces de monnaie qui lui avaient ete abandonnees par Brown. Le Dragon et les Renards. Un dragon gardait un tresor dans une profonde caverne : il veillait jour et nuit pour le conserver. Deux renards, grands fourbes et grands voleurs de leur metier, s'insinuerent aupres de lui par leurs flatteries. lis devinrent ses confidents. Les gens les plus complaisants et les plus empresses ne sont pas les plus surs. lis le traitaient de grand personnage, admiraient toutes ses fantaisies, etaient toujours de son avis, et se moquaient entre NARRATIONS INTERESSANTES. IT eux de leur dupe. Enfin il s'endormit un jour entre eux. lis l'etranglerent, et s'emparerent du tresor. II fallut le partager -^ntre eux : c' etait une affaire bien difficile ; car deux scelerats . ae s'accordent que pour faire le mal. L'un d'eux se mit a moraliser : " A quoi," disait-il, " nous servira tout cet argent ? Un peu de chasse nous vaudrait mieux : on ne mange point du metal : les pistoles sont de mauvaise digestion. Les hommes sont des fous d' aimer tant de fausses richesses. Ne soyons pas aussi insenses qu'eux." L'autre fit semblant d'etre touche de ces reflexions, et assura qu'il voulait vivre en philosophe, comme Bias, portant tout son bien sur lui. Chacun fit semblant de quitter le tresor : mais ils se dresserent des embuches, et s'entre- dechirerent. L'un d'eux en mourant dit a l'autre, qui etait aussi blesse que lui: " Que voulais-tu faire de cet argent?" " La meme chose que tu voulais en faire," repondit l'autre. Un homme passant apprit leur aventure, et les trouva bien fous. " Vous ne l'etes pas moins que nous," lui dit un des renards, " Vous ne sauriez, non plus que nous, vous nourrir d' argent, et vous vous tuez pour en avoir. Du moins notre race jusqu'ici a ete assez sage pour ne mettre en usage aucune monnaie. Ce que vous avez introduit chez vous pour la commodite fait votre malheur. Vous perdez les vrais biens pour chercher les biens imaginaires." Les deux Renards. Deux renards entrerent la nuit par surprise dans un poulailler. Ils etranglerent le coq, les poules et les poulets. Apres ce carnage ils apaisefrent leur faim. L'un, qui etait jeune et ardent, voulait tout devorer ; l'autre, qui etait vieux et avare, voulait garder quelque provision pour l'avenir. Le vieux disait : " Mon enfant, 1' experience m'a rendu sage. J'ai vu bien des choses depuis que je suis au monde. Ne mangeons pas tout notre bien en un seul jour : nous avons fait fortune : c'est un tresor que nous avons trouve ; il faut le menager." Le jeune repondit : 11 Je veux tout manger pendant que j'y suis, et me rassasier pour IB NARRATIONS INTERESSANTES.- huit jours : car pour ce qui est de revenir ici, chansons ; il n'y fera pas bon demain : le maitre, pour venger la mort de ses poules, nous assommerait." Apres cette conversation, chacun prend son parti. Le jeune mange tant qu'il se creve, et peut a peine aller mourir dans son terrier. Le vieux, qui se croit bien plus sage de moderer ses appetits, et de vivre d'economie, va le lendemain retourner a sa proie, et est assomme par le maitre. Ainsi ehaque age a ses defauts. Les jeunes gens sont fougueux et insatiables dans leurs plaisirs. Les vieux sont incorrigibles dans leur avarice. Le Richard erudit. Il y avait, dans une grande ville, un homme fort riche (et l'histoire ajoute qu'il etait plus ignorant encore) ; son hotel magnifique etait orne des plus beaux meubles. " duel dom- rnage," lui dit un de ses amis, " que dans des appartements si precieux il n'y ait point de bibliotheque ! c'est un ornement utile et meme indispensable." — " Certainement," lui repond l'autre ; " et comment cette idee ne m'est-elle pas venue ! . . . . Mais j'ai le temps encore. . . . Je destine a cela le salon du nord. due Febeniste vienne sur-le-champ, et qu'il fasse, n'importe a quel prix, des table ttes spacieuses et belles ; je songerai ensuite a faire emplette de livres. Fort bien, j'ai deja les tablettes ; mais a present, dit le bonhomme, m'occuper a chercher douze mille volumes ! c'est un exercice penible ; j'y perdrai la tete, il m'en coutera fort cher, et ce sera 1' affaire d'un siecle. Ne vaudrait- il pas mieux y placer des livres postiches ? Oui, sans doute. Eh ! pourquoi pas ? j'ai a cet effet un mauvais pein- tre . . . qu'il s'occupe a en peindre, et qu'il n'oubiie pas les titres." On mit la main a l'oeuvre : ii fit peindre livres anciens, livres modernes, et de plus differents manuscrits. Notre im- becile repassa si souvent ses volumes postiches, qu'en apprenant par coeur les titres de chacun d'eux, il se crut un homme savant. NARRATIONS INTERESSANTES. 19 Generosite de Louis-Philippe, Roi des Francais. Le roi a vivement regrette la mort de Casimir Delavigne, celebre poete francais, pour lequel il a toujours eu une vive sym- pathie. On raconte a cet egard deux anecdotes qui font hon- neur a la delicatesse du due d' Orleans et a la generosite du souverain. Sous le regne de Charles X, au moment ou Casi- mir Delavigne se trouvait persecute et mine, le due d'Orleans lui ecrivit: " Le tonnerre est tombe sur votre maison, je vous ofTre un appartement dans la mienne." Devenu roi, Louis- Philippe donna au brillant poete une place qui le mit dans l'aisance. II y joignit le don d'une maison de campagne, qui a ete fait avec un tact et une delicatesse remarquables. Le voyant soufFrant, le roi dit au poete : " Mon pauvre Delavigne, Paris ne vous va pas, allez a la campagne : j'ai une petite maison, en province, allez y, elle est a votre service." Le poete malade accepta, et quand il arriva il trouva la maison garnie de meubles et de domestiques, et dans un secretaire une lettre du roi qui lui disait que desormais cette maison lui appartenait. . Demostkene, Jamais peut-etre on n'etudia avec plus d'application que De- mosthene. Pour echapper aux distractions, ce grand orateur se fit creuser un cabinet sou terrain, dans lequel il s'enfermait quelquefois des mois-entiers, se faisant raser expres la moitie de la tete pour se mettre hors d'etat de sortir. Ce fut la, qu'a la lueur d'une petite lampe, il composa ces harangues admirables qui lui firent une si grande reputation. II se levait de grand matin, et on l'entendit plus d'une fois dire qu'il etait au desespoir quand un ouvrier l'avait devance dans le travail. On peut juger des efforts qu'il fit pour se perfectionner en tout genre, par la peine qu'il prit de copier de sa propre main, jusqu'a huit fois, l'histoire de Thucydide, afin de se rendre plus familier le style vif et concis de cet ecrivain celebre. 20 INTAKE ATIO!N"S INTERESSANTES* Demosthene s'arreta un jour au milieu de son discours, voyant que le peuple ne l'ecoutait pas, et se mit a debiter ce conte : " Pendant les chaleurs de Pete, un jeune liomme avait loue un ane, pour aller d'Athenes a Megare.* A l'heure de midi, le jeune homme, afin de se derober aux ardeurs du soleil, voulut se mettre sous Pane ; mais celui qui P avait loue lui disputa ce droit, soutenant qu'il avait loue Panimal, et non pas son ombre. Le jeune homme, au contraire, disait qu'en louant Pane, il avait aussi loue son ombre." Demosthene finit la son conte et descendit de la tribune ; mais le peuple le retint, et lui demand a avec empressement comment la dispute s'etait ter- ming e. Alors le sublime orateur, e levant cette voix foudroyante qui faisait trembler le roi de Macedoine : " Dieux protecteurs d'Athenes," s'ecria-t-il, "voyez-vous avec quelle avidite votre peuple ecoute des contes frivoles et puerils, et la coupable indiffe- rence avec laquelle il revolt nos conseils sur les plus chers inte- rests de la patrie ?" Le bon Ministre. Le puissant Aaron-Raschid commencait a soupconner que son visir Giafar ne meritait pas la confiance qu'il lui avait donnee : les femmes d' Aaron, les habitants de Bagdad, les courtisans, les derviches censuraient le visir avec amertume. Le calife aimait Giafar ; il ne voulut point le condamner sur les clameurs de la ville et de la cour. II visita son empire ; il vit partout la terre bien cultivee, la campagne riante, les hameaux opulents, les arts utiles en honneur, et la jeunesse dans la joie. II visita ses places de guerre et ses ports de mer ; il vit de nom- breux vaisseaux qui menacaient les cotes de PAfrique et de P Asie ; il vit des guerriers disciplines et contents. Ces guerriers, les matelots et les peuples des campagnes s'ecriaient : " O Dieu ! benissez les fideles en prolongeant les jours d' Aaron-Raschid et de son visir Giafar ; ils maintiennent dans Pempire la paix, la justice et Pabondance : tu manifestes, grand Dieu, ton amour NARRATIONS INTERESSANTES. 21 pour les fideles en leur donnant un calife comme Aaron et un visir comme Giafar !" Le calife, touche de ces acclamations, entre dans une mosquee, s'y precipite a genoux, et s' eerie : " Grand Dieu ! je te rends graces : tu m'as donne un ministre dont mes courtisans me disent du mal, et dont mes peuples me disent du bien." L'Esperance. Il est dans le ciel une puissance divine, compagne assidufe de la Religion et de la Vertu. Elle nous aide a supporter la vie, s'embarque avec nous pour nous montrer le port dans les tem- petes, egalement douce et secourable aux voyageurs celebres, aux passagers inconnus. Quoique ses yeux soient couverts d'un bandeau, ses regards penetrent l'avenir ; quelquefois elle tient des fleurs naissantes dans sa main, quelquefois une coupe pleine d'une liqueur enchanteresse ; rien n'approche du charme de sa voix, de la grace de son sourire ; plus on avance vers le tombeau, plus elle se montre pure et brillante aux mortels consoles ; la Foi et la Charite lui disent : " Ma soeur !" et elle se nomme l'Esperance. jLe Singe. Un vieux singe malin etant mort, son ombre descendit dans la sombre demeure de Pluton, oii elle demanda a retourner parmi les vivants. Pluton voulait la renvoyer dans le corps d'un ane pesant et stupide, pour lui oter sa souplesse, sa vivacite et sa malice ; mais elle fit tant de tours plaisants et badins, que Tin- flexible roi des enfers ne put s'empecher de rire, et lui laissa le choix d'une condition. Elle demanda a entrer dans le corps d'un perroquet. "Au moins," disait-elle, "je conserverai par 3a quelque ressemblance avec les hommes que j'ai si longtemps imites. Etant singe, je faisais des gestes comme eux, et etant perroquet, je parlerai avec eux dans les plus agreables conver- sations." 22 NARRATIONS INTERESSANTE9. A peine Fame du singe fut-elle introduite dans ce nouvean corps, qu'une vieille femme causeuse l'acheta. II fit ses delices ; elle le mit dans une belle cage. II faisait bonne chere, et dis- courait toute la journee avec la vieille radoteuse, qui ne parlait pas plus sensement que lui. II joignait a son nouveau talent d'etourdir tout le monde, je ne sais quoi de son ancienne pro- fession. II remuait sa tete ridiculement, il faisait craquer son bee, il agitait ses ailes de cent fa^ons, et faisait de ses pattes plusieurs tours qui sentaient encore les grimaces de Fagotin. La vieille prenait a toute heure ses lunettes pour l'admirer ; elle etait bien fachee d'etre un peu sourde, et de perdre quelquefois des paroles de son perroquet, a qui elle trouvait plus d'esprit qu'a personne. Ce perroquet gate devint bavard, importun et fou. II se tourmenta si fort dans sa cage, et but tant de vin avec la vieille, qu'il en mourut. Le voila revenu devant Pluton, qui voulut cette fois le faire passer dans le corps d'un poisson, pour le rendre muet. Mais il fit encore une farce devant le roi des ombres, et les princes ne resistent guere aux demandes des mauvais plaisants qui les flattent. Pluton accorda done a celui-ci qu'il irait dans le corps d'un homme : mais comme le dieu eut honte de 1' envoy er dans le corps d'un homme sage et vertueux, il le destina au corps d'un harangueur ennuyeux et importun, qui mentait, qui se vantait sans cesse, qui faisait des gestes ridicules, qui se moquait de tout le monde, qui interrompait les conversations les plus polies et les plus solides, pour dire des riens, ou les sottises les plus grossieres. Mercure, qui le reconnut en ce nouvel etat, lui dit en riant : " Ho ! ho ! je te reconnais ; tu n'es qu'un com- pose du singe et du perroquet que j'ai vus autrefois, Qui t'ote- rait tes gestes et tes paroles apprises par cceur sans jugement, ne laisserait rien de toi. D'un joli singe et d'un bon perroquet, on n'en fait qu'un sot homme." NARRATIONS INTERE88ANTES. 23 La Personne a la Mode, et la Personne de Merite. Une personne a la mode ressemble a une fleur bleue qui croit de soi-meme dans les sillons, ou elle etouffe les epis, diminue la moisson, et tient la place de quelque chose de meilleur ; qui n'a de prix et de beaute que ce qu'elle emprunte d'un caprice leger; qui naitet qui tombe presque dans le meme instant : aujourd'hui elle est courue, les femmes s'en parent ; demain elle est negligee et rendue au peuple. Une personne de merite, au contraire, est une fleur qu'on ne designe pas par sa couleur, mais que l'on nomme par son nom, que l'on cultive pour sa beaute ou pour son odeur ; 1'une des graces de la nature, 1'une de ces choses qui embellissent le monde, qui est de tous les temps, et d'une vogue ancienne et populaire, que nos peres ont estimee, et que nous estimons apres nos peres, a qui le degout ou l'antipathie de quelques-uns ne saurait nuire ; un lis, une rose. Le Pigeon puni de son Inquietude. Deux pigeons vivaient ensemble dans un colombier avec une paix profonde. Us fendaient Pair de leurs ailes, qui paraissaient immobiles par leur rapidite ; ils se jouaient en volant l'un aupres de l'autre, se fuyant et se poursuivant tour a tour, puis ils allaient chercher du grain dans l'aire du fermier ou dans les prairies voisines ; et aussitot ils allaient se desalterer dans l'onde pure d'un ruisseau qui coulait au travers de ces pres fleuris. De la, ils revenaient voir leurs penates dans le colombier blanchi et plein de petits trous ; ils y passaient le temps dans une douce societe avec leurs fideles compagnes: leurs coeurs etaient tendres; le plumage de leurs cous etait changcant et peint d'un plus grand nombre de couleurs que l'inconstante Iris ; on entendait le doux murmure de ces heureux pigeons, et leur vie etait delicieuse. L'un deux se degoutant des plaisirs d'une vie paisible, se laissa 24 NARRATIONS INTERESSANTES. seduire par une folle ambition, et livra son esprit aux projets de la politique. Le voila qui abandonne son ancien ami ; il part, il va du cote du Levant ; il passe au-dessus de la mer Mediter- ranee, et vogue avec ses aiies dans les airs, . comme un navire avee ses voiles dans les ondes de Thetis ; il arrive a Alexan- drette ; de la il continue son chemin, traversant les terres jusques a Alep. En y arrivant, il salue les autres pigeons de la con tree qui servent de courriers regies, et il envie leur bonheur. Aus- sitot il se repand parmi eux un bruit, qu'il est venu un etranger de leur nation qui a traverse des pays immenses. II est mis au rang des courriers ; il porte toutes les semaines les lettres d'un bacha, attachees a son pied, et il fait vingt-buit lieues en moins d'une journee. II est orgueilleux de porter les secrets de l'etat, et il a pitie de son ancien compagnon, qui vit sans gloire dans les trous de son colombier. Mais un jour, comme il portait les lettres du bacha, soup^onne d'infidelite par le Grand-Seigneur, on voulut decouvrir par les lettres de ce bacha s'il n'avait point quelque intelligence secrete avec les ofrlciers du roi de Perse : une Heche tiree perce le pauvre pigeon, qui, d'une aile trainante, se soutient encore un peu pendant que son sang coule ; enhn il tombe, et les tenebres de la mort couvrent deja ses yeux: pen- dant qu'on lui ote ses lettres pour les lire, il expire plein de douleur, condamnant sa vaine ambition, et regrettant le doux repos de son colombier, ou il pouvait vivre en surete avec son ami. i La Mouche et le Tanreau. Une mouche s'etait placee sur la corne d'un taureau : elle avait peur de l'incommoder par son poids. " Je vous demande pardon," dit-elle, " de la liberte que j'ai prise; mais si je presse trop fort sur votre tete, je m'envolerai ; vous n'avez qu'a com- mander." " Qui me parle la ?" demanda messire taureau, d'une voix brutale. — " C'est moi."— " Qui ?" "Me voici."— "Oh! madame la mouche, est-ce vous ? Ne vous mettez pas en peine, NARRATIONS INTERESSANTES. 25 je vous prie ; vous n'etes pas si pesante que vous vous l'imaginez. Je ne me suis pas apereu, quand vous vous etes posee sur ma tete, et je ne m'apercevrai certainement pas, quand vous jugerez a propos de quitter votre place." ISJlne et le Chien, Un ane, accompagne d'un chien, portait du pain au marche, dans un panier : le maitre les suivait : passant dans un pre, le dernier, s'endormit, et le baudet commence a brouter. "Ami," dit le chien, "je n'ai pas dine aujourd'hui, et l'herbe n'est pas ma nourriture : baisse-toi un peu ; je prendrai un petit pain dans ton panier." L'ane ne fit point de reponse ; j'en suis surpris, il est pourtant bonne creature. Miraut recommence ; Grison, sans perdre un coup de dent, fait encore la sourde oreille. • Enfin presse par les importunites du chien, i] lui dit : Je te con- seille d'attendre : notre maitre ne tardera pas a s'eveiller, et il ne manquera pas de te dormer ton diner. Sur ces entrefaites un loup aflame sort d'un bois voisin. "Cher ami, defends- moi," dit Grison ! " Camarade," replique Miraut, "je te con- seille d'attendre que notre maitre soit reveille, il ne tardera pas." La-dessus le chien s'enfuit, et le loup etrangla le baudet. II faut s'aider les uns les autres. Celui qui refuse de rendre service quand il le peut, s'expose a etre refuse, quand il se trouve lui-meme dans le besoin. V Enfant et le Papillon. Un enfant, se promenant dans un jardin, aper^ut un papillon. Frappe de la beaute et de la variete de ses couleurs, il le pour- suivit de fleur en fleur voulant s'en rendre maitre il tachaitquel- quefois de le surprendre parmi les feuilles d'une rose, ou sur un oeillet, et de le couvrir avec son chapeau : un moment apres il esperait l'attraper sur une branche de myrte, ou le saisir sur un 3 26 NARRATIONS ITvTERESSANTES. lit de violettes : mais tous ses efforts furent inutiles ; ['inconstant papillon, en voltigeant continuelle merit de rleur en rleur, eludait toutes ses poursuites. Enfin 1' observant a moitie enseveli dans Tine tulipe, il s'elan^a sur la rleur, et l'arrachant avec violence il ecrasa le papillon. Adieu le plaisir dont il s'etait flatte : il eut beaucoup de regret d' avoir tue l'insecte. " Jeunes gens sans experience, qui voulez satisfaire un desir que vous ne connaissez pas bien, apprenez qu'un poison se trouve souvent cache au sein des plaisirs les plus seduisants." La Laitiere et le Pot ait Lait. One laitiere, ayant un pot au lait sur la tete, allait gaiement au marche : elle comptait en elle-meme le prix de son lait. " Huit pintes a trois sous la pinte, font vingt-quatre sous, le compte est juste. Vingt-quatre sous sont plus qu'il ne me faut pour acheter une poule. La poule fera des oeufs : ces oeufs deviendront poulets ; il me sera facile de les elever dans la petite cour de notre maison, et je dene le renard, tout ruse qu'il est, d'en approcher. En vendant mes poulets, j'aurai assez pour acheter une robe neuve — rouge — que je considere — oui, le rouge me convient le mieux. Je ne manquerai pas d'amants ; mais je les refuserai peut-etre tous, meme avec dedain. La-dessus la laitiere fait de la tete ce qui se passe dans son imagination : voila le pot au lait a terre ! Adieu robe, amants, poule, osufs, et poulets. Quel est Thomme qui ne fasse des chateaux en Espagne ? Le sage aussi bien que le fou : tous ces batiments aeriens ne sont que i'embleme du pot au lait, Le Singe et le Chat. Mitis et Fagotin, celui-ci singe, et l'autre chat, vivaient ensemble en bons amis, dans une maison de seigneur. lis NARRATIONS INTERESSANTES. 27 avaient ete eleves ensemble des leur plus tendre jeunesse ; mais le singe est toujours singe. Etant au coin du feu, ils virent rotir des marrons. Fagotin en aurait volontiers fait un repas : mais il ne savait comment s'y prendre. Pendant que la servante etait absente, il dit a Mitis : " Frere, je n'ignore pas tes talents ; tu sais une infinite de petits tours : il faut que tu fasses aujourd'hui un coup de maitre." — " De tout mon coeur," dit le chat ; " que faut-il faire ?" " Seulement tirer les marrons du feu," repondit le singe. La-dessus Mitis ecarte un peu les cendres avec sa patte, et puis la retire ; ensuite il recommence ; tire un marron du feu, puis deux, puis trois, et Fagotin les croque. Sur ces entrefaites, la servante entre dans la cuisine attrape Mitis sur le fait. " Maudit matou," s'ecrie-t-elle : "c'est done toi qui manges les marrons." En disant cela elle Tassomme avec son balai. Les petits fripons sont ordinairement les dupes des grands, qui s'en servent comme le singe se servit de la patte du chat. Les Macons sur T Echelle. M. Durand se promenait un jour avec le petit Albert, son fils, sur une place publique. Ils s'arreterent devant une maison qu'on batissait, et qui etait deja elevee jusqu'au second etage. Albert remarqua plusieurs manoeuvres places Tun au-dessus de l'autre, sur les batons d'une echelle : ils haussaient et bais- saient successivement leurs bras. Ce spectacle piqua sa curiosite. " Mon papa," s'ecria-t-il," quel jeu font ces hommes- la ? Approchons-nous un peu plus du pied de 1' echelle. Ils allerent se placer dans un endroit ou ils n'avaient aucun danger a craindre. Ils virent un homme qui allait prendre un moellon dans un gros tas, et le portait a un autre homme, place sur le premier echelon. Celui-ci elevant ses bras au-dessus de sa tete presentait le moellon a un troisieme eleve au-dessus de lui, lequel, par la meme operation le faisait passer a un quatri- 28 NARRATIONS INTERESSANTES. erne, et ainsi de main en main, le moellon parvenait, en un moment, a la hauteur de l'echafaud, sur lequel etaient les maeons prets a 1' employer. " due penses-tu de ce que tu vois ?" dit M. Durand a son ills. "Pourquoi tant de personnes sont-elles employees a batit cette maison? Ne serait-il pas mieux qu'un seul homme y travaillat, et que les autres alkssent faire chacun leur edifice ?" "Vraiment oui, mon papa," repondit Albert: "il y aurait alors bien plus de maisons qu'il n'y en a." " As-tu bien pense," repondit M. Durand, "a ce que tu me' dis la, mon ills ? Sais-tu combien d'arts et de metiers appartien- nent a la construction d'une maison comme celle-ci ? II faudrait done qu'un homme seul qui en entreprendrait redifice,se format dans toutes ces professions, en sorte qu'il passerait sa vie entiere a acquerir ces diverses connaissances, avant de pouvoir etre en etat de commencer un batiment. " Mais supposons qu'il put s'instruire en peu de temps de tout ce qu'il doit savoir pour cela. Voyons-le tout seul, et sans aucun secours, creuser d'abord la terre pour y jeter ses fonde- ments, aller ensuite chercher ses pierres, les tailler, gacher le mortier, le platre et la chaux, et preparer tout ce qui doit entrer dans sa ma^onnerie. Le voila qui, plein d'ardeur, dis- pose ses mesures, dresse ses echelles, etablit ses echafauds ; mais dans combien de temps penses-tu que sa maison puisse etre elevee jusqu'au toit ?" Albert. Ah ! mon papa, je crains bien qu'il ne vienne jamais a bout de l'achever. M. Durand. Tu as raison, mon fils : et il en est de cette maison comme de tous les travaux de la societe. Lorsqu'un homme veut se retirer a l'ecart, et travailler pour lui seul; lorsque, dans la crainte d'etre oblige de preter ses secours aux autres, il refuse d'en emprunter de leur part ; il ruine ses forces dans son entreprise et se voit bientot contraint de l'abandonner : au lieu que si les hommes se pretent mutuellement leur assis- tance, ils executent en peu de temps les choses les plus com- NARRATIONS INTERESSANTES. 29 pliquees et les plus penibles, et pour lesquelles il aurait fallu le cours d'une vie entiere a chacun d'eux en particulier. II en est de meme encore des plaisirs de la vie. Celui qui voudrait en jouir tout seul, n' aurait a se procurer qu'un bien petit nombre de jouissances. Mais que tous se reunissent pour contribuer au bonheur les uns des autres, chacun y trouve sa portion. Tu dois un jour entrer dans la societe, mon fils : que l'exem- ple de ces ouvriers soit toujours present a ta memoire. Tu vois combien ils s'abregent et se facilitent leurs travaux par les se cours mutuels qu'ils se donnent. Nous repasserons dans quelques jours, et nous verrons leur maison achevee. Cherche done a aider les autres dans leurs entreprises, si tu veux qu'ils s'empressent, a leur tour, de travailler pour toi. Le Paysan et la Couleuvre. Un paysan, all ant au bois avec un sac pour y mettre des noi- settes (e'etait la saison), trouva une couleuvre ! " Ah ! ah !" dit le manant, "je te tiens a present; tu ne m'echapperas pas: tu viendras dans ce sac et tu mourras." L'animal pervers (je veux dire la couleuvre, et non pas rhomme) lui dit: "Glu'ai-je fait pour meriter un tel traitement ?" — " Ce que tu as fait ? Tu es le symbole de l'ingratitude, le plus odieux de tous les vices." " S'il faut que tous les ingrats meurent," repliqua hardiment le reptile, " vous vous condamnez vous-meme : de tous les animaux, Thomme est le plus ingrat." « L'homme I" dit le paysan, sur- pris de la hardiesse de la couleuvre ; " je pourrais t'ecraser dans l'instant ; mais je veux m'en rapporter a quelque juge." — " J'y consens." Une vache etait a quelque distance: on l'appelle, elle vient ; on lui propose le cas. "C'etait bien la peine de m'appeler," dit-elle ; "la chose est claire ; la couleuvre a raison. Je nourris l'homme de mon lait ; il en fait du beurre et du fro- mage : et pour ce bienfait, il mange mes enfants : a peine sont- 3* 30 K AERATIONS INTERESS ANTES* ils nes, qu'ils sont egorges et coupes en mille morceaux. Ce n'est pas tout, quand je suis vieille, et que je ne lui donne plus de lait, l'ingrat m'assomme sans pitie : ma peau meme n'est pas a l'abri de son ingratitude : il la tanne et en fait des bottes et des souliers ; de la je conclus que l'homme est le vrai symbole de l'ingratitude. Adieu ; j'ai dit ce que je pense." L'homme, tout etonne, dit au serpent : " Je ne crois pas ce que cette radoteuse a dit ; elle a perdu 1' esprit : rapportons-nous en a la decision de cet arbre." — " De tout mon cceur." — L'ar- bre etant pris pour juge, ce fut bien pis encore. — " Je mets rhomme a l'abri des orages, de la chaleur et de la pluie. En ete il trouve sous mes branches une ombre agreable : je produis des fleurs et du fruit ; cependant, apres mille services, un manant me fait tomber a.terre a coups de hache : il coupe toutes mes branches, en fait du feu, et reserve mon corps pour etre scie en planches." L'homme, se voyant ainsi convaincu : " Je suis bien sot," dit-il, " d'ecouter une radoteuse et un jaseur." Aussitot il foula la couleuvre aux pieds, et l'ecrasa. Le plus fort a toujours raison, et opprime le plus faible, parce que la force et la passion sont sourdes a la voix de la justice et de la verite. Un Lion au Bazar. Il y a en ce moment a Bruxelles un bazar de charite, dans le genre de celui qui fut ouvert au Palais-Royal, au profit des vic- times de la Guadeloupe. La, les plus elegantes et les plus jolies dames de Bruxelles se sont faites marchandes par charite. La vogue de ce bazar avait attire, le 26 fevrier, un jeune lion de province qui fit emplette de plusieurs objets et entre autres d'une cravate. II lui vint l'idee singuliere, dit la chronique, de voir jusqu'oii la jolie marchande qui lui avait vendu ce derniex objet pousserait la charite. " Je n'achete jamais une cravate," lui dit-il, " que je ne prie la marchande de me 1'essayer elle- NARRATIONS INTERESSANTES. 31 meme ; c'est une condition." — " Qu'a cela ne tienne, monsieur," ]ui fut-il repondu, "j'y souscris pour l'amour des pauvres." Les doigts les plus fins et les plus parfumes du monde placerent la cravate avec une grace ravissante ; le nceud etait d'un gout exquis, Notre lion, enchant e, tira sa bourse et demanda com- bien il etait du. " Cinquante francs pour la cravate et cinquante francs pour l'avoir mise," dit la jolie marchande en laissant echapper un petit sourire impayable et plein de malice. — " Cent francs i" reprit le chaland presomptueux, u la le^on est un peu chere ; mais je m'y suis expose." L'Hirondelle et les Oiseaux. Une hirondelle vk un laboureur qui ensemencait une chene- viere, et courut en avertir les oiseaux. " Un jour," leur disait- elle, " cette graine vous sera funeste ; le chanvre viendra, et l'oiseleur en fera des filets qui serviront a. vous prendre ; croyez- moi, volez tous sur ce champ, et mangez cette semaille." Elle eut beau dire, on ne l'ecouta pas ; au contraire, on la siffla, ainsi que ses predictions. Cependant le chanvre crut. "Arrachez," leur dit-elle encore, " cette maudite herbe ; car si vous la laissez; vous vous en repentirez." "Arrachez-la vous-meme," lui re= partit-on ; " pour nous, nous n'en avons pas le loisir." Enfin, le chanvre etant mur, l'hirondelle courut aux oiseaux, et leur dit : " Ce que je vous ai predit est sur le point d'arriver ; si vous aimez votre liberte, eloignez-vous de ces cantons." "Babil- larde," lui dit-on, " quand vous plaira-t-il de ne nous plus rompre la tete ? Allez, nous n' avons rien a craindre." Alors elle quitta la compagnie des oiseaux, qui se repentirent, mais trop tard, de ne l'avoir pas voulu croire ; car quelque temps apres, l'oiseleur arracha son chanvre, en fit des reseaux, les tendit, et les y prit presque tous. Prevoyez les malheurs, comme fit l'fiirondelle ; Mais surtout ecoutez un conseiller fidele : Un bon avis n'est pas a rebuter ; Heureuxqui sait en profiter. 32 NARRATIONS INTERESSANTES. Les deux Souris. Une souris, ennuyee de vivre dans les perils et dans les alarmes, a cause de Mitis et Rodilard, qui faisaient grand car- nage de la nation souriquoise, appela sa commere, qui etait dans un trou de son voisinage. " II m'est venu," dit-elle, " une bonne pensee. J'ai lu dans certains livres, que je rongeais ces jours passes, qu'il y a unbeau pays nomme les Indes, ou notre peuple est mieux traite et plus en surete qu'ici. En ce pays-la, les sages croient que Tame d'une souris a ete autrefois Tame d'un grand capitaine, d'un roi, d'un merveilleux fakir, et qu'elle pourra, apres la mort de la souris, entrer dans le corps de quelque belle dame ou de quelque grand potentat. Si je m'en souviens bien, cela s'appelle metempsycose. Dans cette opinion, ils traitent tous les animaux avec une charite fraternelle : on voit des hopitaux de souris, qu'on met en pension, et qu'on nourrit comme personnes importantes. Allons, ma soeur, partons pour un si beau pays, ou la police est si bonne, et ou Ton fait justice a notre merite." La commere lui repondit: "Mais-, ma soeur, n'y a-t-il pas des chats qui entrent dans ces hopitaux ! Si cela etait, ils feraient en peu de temps bien des metempsycoses : un coup de dents ou de grifTes ferait un roi ou un fakir, merveille dont nous nous passerions tres-bien." " Ne craignez point cela," dit la premiere ; " l'ordre est parfait dans ce pays-la : les chats ont leurs mafsons comme nous les notres, et ils ont aussi leurs hopitaux d'invalides qui sont a part." Sur cette conversation, nos deux souris partent ensemble, elles s'embarquent dans un vaisseau qui allait faire un voyage de long cours, en se coulant le long des cordages le soir de la veille de l'embarquement. On part ; elles sont ravies de se voir sur la mer, loin des terres maudites ou les chats exercaient leur tj^rannie. La navigation fut heureuse ; elles arriverent a Surate, non pour amasser des richesses, comme les marchands, mais pour se faire bien traiter NARRATIONS INTERESSANTES. 33 par les Indous. A peine furent-elles entrees dans une maison destinee aux souris, qu' elles y voulurent avoir les premieres places. L'une pretendait se souvenir d' avoir ete autrefois un fameux bramin sur la cote de Malabar ; l'autre protestait qu'elle avait ete une belle dame du meme pays, avec de longues oreilles. Elles firent tant les insolentes, que les souris indiennes ne purent les souffrir. Voila une guerre civile. On donna sans quartier sur ces deux Franguis, qui voulaient faire la loi aux autres : au lieu d'etre mangees par les chats, elles furent etranglees par leurs propres soeurs. On a beau aller loin pour eviter le peril, si on n'est modeste et sense, on va chercher son malheur bien loin ; autant vaudrait le trouver chez soi. L 'Jlssemblee des Jlnimaux pour choisir un Roi. Le lion etant mort, tous les animaux accoururent dans son antre pour consoler la lionne sa veuve, qui faisait retentir de ses cris les montagnes et les forets. Apres lui avoir fait leurs com- pliments, ils commencerent Selection d'un roi : la couronne du defunt etait au milieu de 1'assemblee. Le lionceau etait trop jeune et trop faible pour obtenir la royaute sur tant de fiers ani- maux. " Laissez-moi croitre," disait-il, " je saurai bien regner et me faire craindre a mon tour. En attendant, je veux etudier l'histoire des belles actions de mon pere, pour egaler un jour sa gloire." " Pour moi," dit le leopard, " je pretends etre couronne ; car je ressemble plus au lion que tous les autres pretendants." "Et moi," dit Tours, "je soutiens qu'on m' avait fait une injustice quand on me prefera le lion : je suis fort, courageux et carnassier, tout autant que lui ; et j'ai un avantage singulier, qui est de grimper sur les arbres." — " Je vous laisse juger, messieurs," dit 1' elephant, " si quelqu'un peut me disputer la gloire d'etre le plus grand, le plus fort et le plus brave de tous les animaux." " Je suis plus noble et le plus beau," dit le cheval. "Et moi le 34 NARRATIONS INTERESSANTES. plus fin," dit le renard. " Et moi le plus leger a la coune," tlit le cerf. " Ou trouverez-vous," dit le singe, " un roi plus agreable et plus ingenieux que moi, je divertirai chaque jour messujets. Je ressemble meroe a l'homme, qui est le veritable roi de la nature." Le perroquet alors harangua ainsi : " Puisque tu te vantes de ressembler a rhomme, je puis m'en vanter aussi. Tu ne lui ressembles que par ton laid visage et par quelques grimaces ridicules ; pour moi, je lui ressemble par la voix, qui est la marque de la raison et le plus bel ornement de l'homme." " Tais-toi, maudit causeur," lui repondit le singe : " tu paries, mais non pas comme rhomme ; tu dis toujours la meme chose, sans entendre ce que tu dis." L'assemblee se moqua de ces deux mauvais copistes de l'homme, et on donna la couronne a 1' elephant, parce qu'il a la force et la sagesse, sans avoir ni la cruaute des betes furieuses, ni la sotte vanite de tant d'autres qui veulent toujours paraitre ce qu'elles ne sont pas. Histoire cFJllibee, Persan. Schah-Abas, roi de Perse, faisant un voyage, s'ecarta de toute sa cour, pour passer dans la campagne sans etre connu, et pour voir les peuples dans toute leur liberte naturelle, II prit seule- ment avec lui un de ses courtisans. " Je ne connais point," lui dit le roi, " les veritables moeurs des hommes ; tout ce qui nous aborde est deguise ; c'est l'art, et non pas la nature simple, qui se montre a nous. Je veux etudier la vie rustique, et voir ce genre d'hommes qu'on meprise tant, quoiqu'ils soient le vrai soutien de toute la societe humaine. Je suis lasse de voir des courtisans qui m'observent, pour me surprendre en me flattant ; il faut que j'aille voir des laboureurs et des bergers qui ne me connaissent pas." II passa, avec son confident, au milieu de plusieurs villages ou l'on faisait des danses, et ii etait ravi de trouver, loin des cours, des plaisirs tranquilles et sans depenses. II fit un repas dans une cabane ; et comme il avait grand' faim, NARRATIONS INTERESSANTES. 85 apres avoir marche plus qu'a 1' ordinaire, les aliments grossiers qu'il prit lui parurent plus agreables que tous les mets exquis de sa table. En passant dans une prairie semee de fleurs, que bordait un clair ruisseau, il apercut un jeune berger qui jouait de la flute a l'ombre d'un grand ormeau, aupres de ses moutons paissants. II l'aborde, il l'examine, il lui trouve une physionomie agreable, un air simple et ingenu, mais noble et gracieux. Les hai lions dont ie berger etait couvert ne diminuaient point 1' eclat de sa beaute. Le roi crut d'abord que c' etait quelque personne de naissance illustre qui s' etait deguisee ; mais il apprit du ber- ger que son pere et sa mere etaient dans un village voisin, et que son nom etait Alibee. Continuation de I 'Histoire d ^ Alibee. A me sure que le roi le questionnait, il admirait en lui un esprit ferme et raisonnable. Ses yeux etaient vifs, et n'avaient rien d' ardent et de farouche ; sa voix etait douce, insinuante et propre a toucher ; son visage n'avait rien de grossier, mais ce n' etait pas une beaute molle et efTeminee. Le berger, d'environ seize ans, ne savait point qu'il fut tel qu'il paraissait aux autres ; il croyait penser, parler, etre fait comme tous les autres bergers de son village ; mais, sans ['education, il avait appris tout ce que la raison fait apprendre a ceux qui l'ecoutent. Le roi, 1' ay ant en- tretenu familierement, en fut charme : il sut de lui, sur l'etat des peuples, tout ce que les rois n'apprennent jamais d'une foule de flatteurs qui les envirorment. De temps en temps il riait de la naivete de cet enfant, qui ne menageait rien dans ses reponses. C'etait une grande nouveaute pour le roi, que d'entendre parler si naturellement : il fit signe au courtisan qui Paccompagnait de ne point decouvrir qu'il etait roi, car il craignait qu' Alibee ne perdit en un moment toute sa liberte et toutes ses graces, s'il venait a savoir devant qui il parlait. " Je vois bien," disait le prince au courtisan, " que la nature n'est pas moins belle dans 36 NARRATIONS INTERESSANTES. les plus basses conditions que dans les plus hautes. Jamais enfant de roi n'a paru mieux ne que celui-ci, qui garde les moutons. Je me trouverais trop heureux d'avoir un fils aussi beau, aussi sense et aussi aimable. II me parait propre a tout, et si on a soin de l'instruire, ce sera assurement un jour un grand homme : je veux le faire elever aupres de moi." Le roi emmena Alibee, qui fut bien surpris d'apprendre a qui il s'etait rendu agreable. On lui fit apprendre a lire, a ecrire, a chanter, et ensuite on lui donna des maitres pour les arts et pour les sciences qui ornent l'esprit. D'abord il fut un peu ebloui de la cour, et son grand changement de fortune changea un peu son coeur. Continuation de VHistoire d'Jllibee. Son age et sa faveur, joints ensemble, altererent un peu sa sagesse et sa moderation. Au lieu de sa houlette, de sa flute et de son habit de berger, il prit une robe de pourpre brodee d'or, avec un turban couvert de pierreries. Sa beaute effaca tout ce que la cour avait de plus agreable. II se rendit capable des affaires les plus serieuses, et merita la confiance de son maitre, qui, connaissant le gout exquis d' Alibee pour toutes les mag- nificences d'un palais, lui donna enfin une charge tres-considera- ble en Perse, qui est celle de garder tout ce que le prince a de pierreries et de meubles precieux. Pendant toute la vie du grand Schah-Abas, la faveur d' Alibee ne fit que croitre. A mesure qu'il s'avanea dans un age plus mur, il se ressouvint enfin de son ancienne condition, et souvent il ]a regrettait. " Oh beaux jours !" se disait-il a lui-meme, "jours innocents, jours ou j'ai goute une joie pure et sans perils, jours depuis lesquels je n'en ai vu aucun de si doux, ne vous reverrai-je jamais ? Celui qui m'a prive de vous en me donnant tant de richesses, m'a tout ote." II voulut aller revoir son village ; il s'attendrit dans tous les lieux ou il avait autrefois, danse, chante, j one de la flute avec ses compagnons. II fit quelques biens a NARRATIONS INTERESSANTES. 37 tous ses parents et a tous ses amis ; mais il leur souhaita, pour principal bonheur, de ne quitter jamais la vie champetre, et de n'eprouver jamais les malheurs de la cour. II les eprouva, ces malheurs, apres la mort de son bon maitre Schah-Abas : son fils Schah-Sephi succeda a ce prince. Des courtisans envieux et pleins d'artifice trouverent le moyen de le prevenir contre Alibee. "II a abuse," disaient-ils, "de la con- fiance du feu roi ; il a amasse des tresors immenses, et a detourne plusieurs choses d'un tres-grand prix, dont il etait depositaire." Continuation de I 'Histoire d 'Jllibee. Schah-Sephi etait tout ensemble jeune et prince: il n'en fallait pas tant pour etre credule, inapplique et sans precaution. II eut la vanite de vouloir paraitre reformer ce que le roi son pere avait fait, et juger mieux que lui. Pour avoir un pretexte de deposseder Alibee de sa charge, il lui demanda, selon le conseil de ses courtisans envieux, de lui apporter un cimeterre garni de diamants d'un prix immense, que le roi son grand- pere avait accoutume de porter dans les combats. Schah- Abas avait fait autrefois oter de ce cimeterre tous ces beaux diamants ; et Alibee prouva, par de bons temoins, que la chose etait faite par Pordre du feu roi, avant que la charge eut ete donnee a Alibee. Q,uand les ennemis d' Alibee virent qu'ils ne pouvaient plus se servir de ce pretexte pour le perdre, ils conseillerent a Schah-Sephi de lui commander de faire, dans quinze jours, un inventaire exact de tous les meubles precieux dont il etait charge. Au bout de quinze jours, il demanda a voir lui-meme toutes choses ; Alibee lui ouvrit toutes les portes, et lui montra tout ce qu'il avait en garde. Rien n'y manquait ; tout etait propre, bien range et conserve avec grand soin. Le roi, bien etonne de trouver partout tant d'ordre et d'exactitude, etait presque revenu en faveur d' Alibee, lorsqu'il aper^ut au bout d'une grande galerie, pleine de meubles tres-somptueux, 4 38 NARRATIONS INTER ESS ANTES. une porte de fer qui avait trois grandes serrures. C'est la, lui dirent a l'oreille les courtisans jaloux, qu'Alibee a cache toutes les choses precieuses qu'il vous a derobees. Aussitot le roi en colere s'ecria : " Je veux voir ce qui est au-dela de cette porte. du'y avez-vous mis ? montrez-le-moi." A ces mots, Alibee se jeta a ses genoux, le conjurant, au nom de Dieu, de ne pas lui oter ce qu'il avait de plus precieux sur la terre. " II n'est pas juste," disait-il, " que je perde en un moment ce qui me reste, et qui fait ma ressource, apres avoir travaille tant d'annees aupres du roi votre pere. Otez-moi, si vous voulez, le reste ; mais laissez-moi ceci." Continuation de I 'Histoire d 'Alibee. Le roi ne douta point que ce ne fut un tresor mal acquis qu'Ali- bee avait amasse. II prit un ton plus haut, et voulut absolument qu'on ouvrit cette porte. Enfin Alibee, qui en avait les clefs, l'ouvrit lui-meme. On ne trouva en ce lieu que la houlette, la flute et l'habit de berger qu'Alibee avait porte autrefois, et qu'il revoyait souvent avec joie, de peur d'oublier sa premiere condition. " Voila," dit-il, " 6 grand roi ! les precieux restes de mon ancien bonheur ; ni la fortune ni votre puissance n'ont pu me les oter. Voila mon tresor que je garde pour m'enrichir quand vous m'aurez fait pauvre. Reprenez tout le reste ; laissez-moi ces chers gages de mon premier etat. Les voila, mes vrais biens, qui ne me manqueront jamais. Les voila, ces biens simples, innocents, toujours doux a ceux qui savent se contenter du ne- cessaire, et ne se tourmentent point pour le supernu. Les voila ces biens dont la liberte et la surete sont les fruits. Les voila, ces biens qui ne m'ont jamais donne un moment d'embarrps. O chers instruments d'une vie simple et heureuse ! je n'aime que vous ; c'est avec vous que je veux vivre et mourir. Pourquoi faut-il que d'autres biens trompeurs soient venus me tromper, et troubler le repos de ma vie ? Je vous les rends, grand roi, toutes NARRATIONS INTERESSANTES. 39 ces richesses qui me viennent de votre liberalite ; je ne garde que ce que j'avais quand le roi votre pere vint, par ses graces, me rendre malheureux. Le roi entendant ces paroles, comprit l'innocence d'Alibee ; et, etant indigne contre ]es courtisans qui 1'avaient voulu perdre, il les chassa d'aupres de lui. Alibee devint son principal officier, et fut charge des affaires les plus secretes. II revoyait tous les jours sa houlette, sa flute et son ancien habit, qu'il tenait toujours prets dans son tresor, pour les reprendre des que la fortune inconstante troublerait sa faveur. II mourut dans une extreme vieillesse, sans avoir jamais voulu ni faire punir ses ennemis, ni amasser aucun bien, et ne laissant a ses parents que de quoi vivre dans la condition de berger, qu'il crut toujours la plus sure et la plus heureuse. Les Grenouittes qui demandent un Roi. Les grenouilles se lasserent de vivre en republique: "Ju- piter," s'ecrierent-elles un jour, " donnez-nous un roi qui sache nous gouverner." Le dieu rit de leur imprudence, et Leur refusa longtemps ce qu'elles lui demandaient ; mais enfin, etourdi de leurs cris, il resolut, quoiqu'a regret, de les contenter, et lanca dans leur marais un soliveau. Le bruit que ce soliveau fit en tombant, intimida si fort les grenouilles, qu'elles se plongerent au fond de leurs marecages, demi-mortes de frayeur. Mais quelque peu de temps apres, une des plus hardies mit la tete hors de 1'eau, n'osant d'abord considerer que de loin le nouveau roi, puis se rassurant jusqu'a s'en approcher. Enfin le voyant sans mouvement, elle se mit a sauter et ressauter sur lui. Elle fut suivie d'une seconde, la seconde d'une troisieme, et celle-ci de toutes les autres, qui, fort mecontentes de leur prince immo- bile, s'en plaignirent a Jupiter, et lui en demanderent un autre qui fut plus agissant. Le dieu leur envoya la cigogne, qui, en fort peu de temps, en croqua la moitie. Elles crierent plus fort que jamais, et prierent Jupiter de les delivrer de leur tyran ; 40 NARRATIONS INTERESSANTES. mais il ne voulut plus les entendre. " Puisque vous n'avez pu," leur dit-il, " souffrir votre bon roi, soufRez maintenant le me- diant, de peur qu'il ne vous en vienne encore un pire." S'en tenir a son roi, tel que le ciel le donne, Cest ee qu'Esope iei sagement nous ordonne. Tel peuple, las du sien, le changea follement, Qui bientot regretta Tancien gouvernement. Le Lapin de La Fontaine. Je m'etais ennuye longtemps, et j'en avais ennuye bien d'autres. Je voulus aller m'ennuyer tout seul, J'ai une fort belle foret : j'y allai un jour, ou, pour mieux dire, un soir, pour tirer un lapin. C'etait a l'heure de l'affut. Quantite de lape- reaux paraissaient, disparaissaient, se grattaient le nez, faisaient miile bonds, mille tours, mais toujours si vite, que je n' avais pas le temps de lacher mon coup. Un ancien, d'un poil un peu plus gris, d'une allure plus posee, parut tout d'un coup au bord de son terrier. Apres avoir fait sa toilette tout a son aise (car c'est de la qu'on dit : Propre comme un lapin), voyant que je le tenais au bout de mon fusil : " Tire done," me dit-il, " qu'at- tends-tu ?" — Ob ! je vous avoue que je fus saisi d'etonnement ! . . . . Je n' avais jamais tire qu'a la guerre sur des animaux qui parlent. " Je n'en ferai rien," lui dis-je, "tu es sorcier, ou je meure." — " Moi, point du tout," me repondit-il; "je suis un vieux lapin de La Fontaine." Oh ! pour le coup, je tbmbai de mon haut. Je me mis a ses petits pieds ; je lui demandai mille pardons, et lui fis des reproches de ce qu'il s'etait expose. "Eh! d'ou vient cet ennui de vivre?" — "De tout ce que je vois." — "N'avez-vous pas le meme- thym, le meme serpolet?" — "Oui. Mais ce ne sont plus les memes gens. Si tu savais avec qui je suis oblige de passer ma vie. Helas ! ce ne sont plus les betes de mon temps : ce sont de petits lapins musques qui cherchent des fleurs. lis veulent se nourrir de roses, au lieu d'une bonne NARRATIONS INTERESSANTES. 41 feuille de chou qui nous suffisait autrefois. Ce sont des lapins geometres, politiques, philosophes ; que sais-je ? d'autres qui ne parlent qu'allemand : d'autres qui parlent un francais que je n'entends pas davantage. Si je sors de mon trou pour passer chez quelque gent voisine, c'est de meme; je ne comprends plus personne. Les betes d'aujourd'hui ont tant d'esprit ! Enfin, vous le dirai-je, a force d'en avoir, il en ont si peu, que notre vieux ane en avait davantage que les singes de ce temps-ci." Je priai mon lapin de ne plus avoir d'humeur, et je lui dis que j'aurais soin de lui et de ses camarades, s'il s'en trouvait encore. II me promit de me dire ce qu'il disait a La Fontaine, et de me mener chez ses vieux amis. II m'y mena en effet. Sa gre- nouille, qui n'etait pas tout-a-fait morte, quoiqu'il l'eut dit, etait de la plus grande modestie, en comparaison des autres animaux que nous voyons tous les jours : ses crapauds, ses cigales chantaient mieux que nos rossignols : ses loups valaient mieux que nos moutons. Adieu, petit lapin, je vais retourner dans mes bois, a mes champs et a mon verger. J'eleverai une statue a La Fontaine, et je passerai ma vie avec les notes de ce bon homme. Religion. Aimez et observez la religion, dit Fenelon ; le reste meurt ; elle ne meurt jamais. La simple observation du culte exterieur est inutile et nuisible, si elle n'est interieurement animee par l'esprit d'arnour et de religion. Les ceremonies servent a exprimer notre religion et a l'ex- citer ; mais les ceremonies ne sont pas la religion meme : elle est toute au dedans, puisque Dieu cherche des adorateurs en esprit et en verite ; qu'il s'agit de l'aimer interieurement, et "de nous regard er comme s'il n'y avait dans toute la nature que lui et nous ; qu'il n'a pas besoin de nos paroles, de nos postures, de notre argent ; que ce qu'il veut, c'est nous-memes. 4* 42 NARRATIONS INTERESSANTES. On voit partout des gens qui defigurent la religion en voulant la regler suivant leurs fantaisies et leurs caprices. L'un est fervent a la priere ; mais il est dur et insensible aux miseres et aux faiblesses de son prochain : 1' autre ne parle que d'amour de Dieu et de sacrifices, pendant qu'il ne saurait souffrir le moindre contre-temps ni la moindre contradiction. Cette personne qui afflige son corps par des penitences extraordinaires s'imagine qu'elle est en droit de mortifier les autres, comme si, en re- tranchant les plaisirs et les commodites de son corps, il lui etait permis de donner a son esprit cette liberte de censurer et de contredire. Rien n'est si noble, si delicat, si grand, si heroique que le coeur d'un vrai chretien : mais en lui rien de faux, rien d'affecte, rien que de simple, de modeste et d'effectif en tout. Ce qui me parait le caractere du vrai culte n'est pas de craindre Dieu comme on craint un homme puissant et terrible qui accable quiconque ose lui resister. Les paiens ofTraient de l'encens et des victimes a certaines divinites malfaisantes et ter- ribles pour les apaiser. Ce n'est point la l'idee que je dois avoir du Dieu createur : il est infiniment juste et tout-puissant : il merite sans doute d'etre craint : mais il n'est a craindre que pour ceux qui refusent de 1' aimer et de se familiariser avec lui. La meilleure crainte qu'on doive avoir a son egard est celle de lui deplaire et de ne pas faire sa volonte. Pour la crainte des chati- ments, elle est utile aux hommes egares de la bonne voie, parce qu'elle fait le contre-poids de leurs passions, et qu'elle sert a reprimer les vices ; mais enfin cette crainte n'est bonne qu'au- tant qu'elle leve les obstacles, et qu'en les levant elle prepare a 1' amour. II n'y a point d'homme sur la terre qui voulut etre craint par ses enfants sans en etre aime. La crainte seule des punitions n'est point ce qui peut entrainer un caeur libre et gene- reux: quand on ne pratique les vertus que par cette seule crainte, sans avoir aucun amour du vrai bien, on ne les pratique que pour eviter la souffrance ; et par consequent si on pouvait eviter la punition en se dispensant de pratiquer les vertus, on ne NARRATIONS INTERESSANTES. 43 les pratiquerait point. Non-seulement il n'y a point de pere qui veuille etre honore ainsi, ni d'ami qui veuille donner le nom d'amis a ceux qui ne tiendraient a lui que par de tels liens, mais encore il n'y a point de maitre qui voulut ni recompenser des domestiques, ni s'affectionner pour eux, ni les choisir pour son service, s'il les voyait attaches a lui par la seule crainte, sans aucun sentiment de bonne volonte ; a plus forte raison doit-on croire que le Dieu qui ne nous a faits capables d'intelligence et d' amour que pour etre connu et aime de nous, ne se contente pas d'une crainte servile, et veut que 1' amour, qui vient de lui comme de sa source, retourne a lui comme a sa fin. Je comprends meme qu'il ne sufflt pas d'aimer ce Dieu comme nous aimons toutes les choses qui nous sont commodes et utiles ; il ne s'agit pas de le mettre a notre usage et de le rapporter a nous ; il faut au contraire nous rapporter entierement a lui seul, ne voulant notre propre bien que par le seul motif de la confor- mite a sa volonte et a son ordre. IJJlne et ses Maitres. " Sous quelle etoile malheureuse suis-je ne," disait un ane, se plaignant a Jupiter ! " On me fait lever avant le jour. Je suis plus matineux que les coqs ; et pourquoi ? Pour porter des choux au marche ; belle necessite d'interrompre mon sommeil I" Jupi- ter, touche de sa plainte, lui donna un autre maitre, et 1' animal aux longues oreiiles passa des mains d'un jardinier dans celles d'un corroyeur. Maitre Aliboron fut bientot las de ia pesanteur et de la mauvaise odeur des peaux. "Je me repens," dit-il, " d' avoir quitte mon premier maitre : j'attrapais quelquefois une petite feuille de chou qui ne me coutait rien ; mais a present je n'ai que des coups." II changea encore une fois de maitre, et devint ane de charbonnier : autre plainte. "Quoi done," dit Jupiter en colere, " cet animal-ci me donne plus de mal que dix autres. Allez trouver votre premier maitre, ou contentez-vous de celui que vous avez." 44 NARRATIONS INTERESSANTES. On n'est jamais content de sa condition ; la presente, selon nous, est toujours la pire : a force de changer, on se trouve sou vent dans le cas de Pane de cette fable. Le Lievre et les Grenouilles. Un lievre extremement triste et timide (ils le sont tous) faisait mille reflexions sur le malheur de sa condition. — "La rnoindre chose m'efFraie," dit-il, " une ombre suffit pour me mettre en fuite. Je ne peux manger le rnoindre morceau sans crainte, et cette maudite crainte m'empeche souvent de dormir." II s'en- dormit cependant dans ces reflexions : mais il fut bientot reveille par un petit bruit occasionne par Pagitation des feuilles. " Mal- heur a moi," s'ecria-t-il, en sursaut, "je suis perdu: voici une meute de chiens a mes trousses !" II se trompait : ce n'etait que du vent. II court au travers des champs, et arrive bientot aupres d'un fosse. A son approche, des grenouilles qui etaient sur le bord pour prendre Pair, se jeterent avec precipitation dans Peau. "Oh! oh!" dit-il, alors : "je ne suis pas le seul animal qui craigne ; ma presence effraie aussi les gens, elle repand Palarme dans les marais. Milie grenouilles s'enfuient de peur, et se cachent a Papproche d'un seul lievre !" On est souvent mecontent de sa condition, parce qu'on ne connait pas celle des autres. Moeurs des Israelites de Paris. — La Paque. La Paque est, sans contredit, une des fetes les plus rigoureuse- ment observees par les Israelites. Cette fete, qui commemore la delivrance miraculeuse de leurs ancetres, dure huit jours. Elle commence le 15 de nissan, qui correspond au mois d'avril. Les deux premiers et les deux derniers jours seulement restent feries. Cependant, durant toute cette semaine, la loi defend NARRATIONS INTERESSANTES. 45 expressement de manger du pain leve et meme d'en garder chez soi la plus petite parcelle. Le mazzo, ou pain azyme, remplace cette nourriture. On apporte un soin des plus grands a la con- fection de ce pain. D'abord, environ six semaines avant l'anni- versaire de la sortie d'Egypte, le grand rabbin se met en devoir d'aller visiter, a quelques lieues de Paris, le moulin qui doit servir a moudre la farine reservee specialement pour les Israel- ites. Lorsque le rabbin a fini son inspection, il charge deux hommes de confiance de veiller pres du moulin, afin qu'aucun melange d'une autre farine ne puisse avoir lieu. Ces gardiens ne quittent leur poste qu'apres la livraison complete de la fourni- ture commandee. Les sacs sont transporters chez les boulangers, qui ne les re^oivent qu'autant qu'ils reconnaissent les cachets des gardiens. Une proprete extraordinaire regne -dans les bou- langeries, et les azymes se fabriquent avec une vitesse remar- quable. On a d'abord un pressoir pour preparer la pate ; puis, au moyen d'une mecanique tres-simple, formee de plusieurs lami- noirs cylindriques, on amincit a volonte cette pate. Un homme la fait glisser entre les cylindres, et un autre la tire et l'etend directement sur une table d'une assez grande dimension. Aus- sitot, une troisieme personne saisit un rouleau de la largeur de la bande ; de petites pointes garnissent dans tens les sens ce rouleau ; on le fait courir sur la pate qui n'a pas le temps de lever. Un quatrieme ouvrier applique une forme tranchante sur toute la bande, et, les pains ainsi detaches, on les porte au four, d'ou on les retire au bout de quelques instants. Ces moyens mecaniques offrent, non-seulement une grande economie, mais encore une excessive proprete dans la fabrication des pains sans levain. A Paris, le comite de bienfaisance se charge de fournir la farine aux boulangers. Ceux-ci, en echanore, s'obliofent a donner a 1' administration une quantite de pains azymes distribues ensuite entre plus de cinq cents families pauvres, inscrites sur les regis- tres du comite. 46 NARRATIONS INTERESSANTES. Chaque particulier envoie chercher ses pains pour huit jours entiers. Les preparatifs exiges pour la celebration de la Paque sont tres-nombreux. Huit jours a l'avance, les femmes juives s'oc- cupent du change ment de la vaisselle. Ainsi, tous les objets domestiques dont on se sert durant l'annee, tels que plats, mar- mites, pots, etc., etc., doivent etre remplaces par d'autres vases. Quant aux ustensiles en etain, en cuivre ou en argent, on peut les employer de nouveau. Seulement il faut avoir soin de laisser ecouler trois jours avant de s'en servir. Ensuite on les passe a Peau bouillante pour les purifier. Les pots et les vases de fer doivent etre rougis au feu. Lorsque Pavant-veille de la Paque est arrivee, on fait plus d' attention encore a ne pas laisser tomber de pain ou de farine dans les appartements, car le soir de cette meme journee, le maitre de la maison procede a Tenlevement du chometz. La Paque, — Continuation. Il visite, a cet effet, tous les endroits du logis pour en extraire les matieres susceptibles de fermenter. Le lendemain matin, apres neuf lieures, on ne doit plus gouter a aucun aliment qui aurait pu etre prepare avec de la farine ordinaire, ou qu'on sau- rait compose de substances renfermant du levain. En jetant au feu les debris qu'on a trouves la veille, on recite quelques paroles dans lesquelles on declare que tout pain ou tout levain qui pourrait se trouver dans la maison, qui n'aurait pas ete remarque, et par consequent que l'on aurait oublie d'enlever, est considere comme mil et non existant. Ce jour-la, les aines, s'ils sont du sexe masculin, jeunent jusqu'au soir, pour remercier Dieu d'avoir epargne les Israelites lorsqu'il frappa les premiers-nes. A Theure fixee pour se rendre a la synagogue, on s'empresse d'y paraitre, revetu de ses plus beaux habits de fete. Les fem- NARRATIONS INTERESS ANTES. 47 mes, ainsi qu'il arrive d' ordinaire la veille des ceremonies, restent au logis arm de preparer convenablement tout ce qu'il faut pour le s eider ; seider signifie la celebration de la Paque qui se fait le soir. On recite, dans l'interieur du temple, les prieres journalieres; seulement on ajoute quelques passages analogues a la circon- stance : comme a Pordinaire, un chant execute par le chazan et ses enfants de choeur, termine le service. Le maitre de la maison, en rentrant chez lui, trouve une table dressee selon l'ancienne coutume ; sur cette table, que recouvre une nappe d'une blancheur irreprochable, repose un enorme plat plus ou moins riche, renfermant trois mizvoth (pains faits expres pour la premiere et la seconde nuit de la Paque). Entre chacun de ces pains, disposes sur le plat, se trouve une serviette. Sur la partie superieure du plat, ou pour mieux dire, au-dessus des mizvoth, sont places plusieurs petits vases conte- nant des herbes ameres, du vinaigre et une espece de compote d'un gout exquis, faconnee presque toujours avec des amandes, des pommes ou des poires, de la cannelle et du sucre. Un coquetier supportant un oeuf dur, et une soucoupe contenant de la viande rotie, occupent le peu de place qui reste encore sur le plat. En outre, des bouteilles de via et un nombre de verres egal a celui des convives qui doivent celebrer la Paque, garnis- sent la table. Quand les assistants sont prets, ils s'asseoient ; le chef de la famille s'accoude sur des coussins adosses contre un fauteuil qu'on a place a cote de lui ; il commence la ceremonie en pre- nant un verre plein ; il l'eleve comme pour porter un toast, et benit la fete en louant l'Eternel de " tout ce qu'il a fait pour le bien-etre de son peuple de predilection." Apres cela, il porte le verre a ses levres et boit ; tous les assistants l'imitent. Alors on apporte, au maitre seulement, un grand vase afin qu'il puisse se laver les mains ; pendant quelque temps le silence n'est point interrompu. 48 NARRATIONS ISTERES3ANTES. Apres les ablutions, le bal-a-bmss (le maitre de la maison) trempe une herbe (ordinairement c'est du cerfeuil) dans le vinai- gre, ]a mange, et benit Dieu, createur des fruits de la terre. La Pdque. — Continuation. ■ II distribue toujours une partie de ce qu'il prend a ceux qui l'entourent, et ceux-ci, a son exemple, repetent la benediction recitee. Les preludes de la Paque acheves, on partage en deux le se- cond azyme qui se trouve sur le grand plat, et Ton en prend un morceau appele aphicomen, que Ton cache sous le coussin du maitre, en l'enveloppant d'une serviette. Bientot apres, on entonne en choeur la lecture de I 'Haggada, Oommencant par ces paroles en chaldeen : " Voici le pain de misere que nos peres ont mange en Egypte ; que celui qui a faim vienne en manger, etc." Apres plusieurs passages recites toujours a haute voix, on interrompt cette lecture pour s'entre- tenir de temps en temps, dans la langue ordinaire, des passages du texte que Ton n'aurait pas tres-bien saisis ou compris, et on se les explique mutuellement. A ces petits entretiens succedent encore quelques chapitres et quelques psaumes, puis apres avoir bu le second verre tout le monde se leve pour se laver les mains comme aux repas ordi- naires. Le chef de la maison rompt un morceau d'azyme et fait la benediction du pain. Enfin, apres avoir goute d'une herbe amere (du raifort) que l'on pose entre deux petites parties d'azyme, comme faisait au- trefois le celebre grand-pretre Hillel, on sert le repas. Le repas acheve, on recite la priere d'usage et on vide le troisieme verre. (On ne compte pas, bien entendu, ce qui se boit pendant le diner.) Ensuite le maitre tire le mazzo cache sous son coussin, et en distribue une parcelle a chacun pour remplacer l'agneau pascal. NARRATIONS INTERESSANTES. 49 C'est ce qu'on appelle manger Vaphicomen. Chacun sait que, depuis la destruction du Temple, la loi a supprime Vagneau pascal. Tout ie monde alors reprend la suite de I 'Haggada, qui ren- ferme encore quelques cantiques a la louange du Seigneur; enfm, apres avoir bu le quatrieme verre et chant e en chosur des hymnes d'allegresse, on fait une derniere benediction, dans laquelle on remercie de nouveau l'Eternel de toutes ses bontes. Le lendemain matin on retourne au Temple pour y reciter les prieres en usage les jours de Paques. On sort les Penta- teuques comme dans tous les jours de fetes ; pendant le reste de la journee, il est defendu de se livrer a aucun travail, si ce n'est pour preparer les aliments, quand toutefois le pessach ne tombe pas un samedi. La deuxieme journee se passe comme la premiere, sauf quel- ques changements dans la priere. Les jours intermediaries il est permis de vivre a peu pres comme dans la semaine, c'est-a-dire qu'on peut cuire, acheter, aller en voiture, etc. Cependant, s'il n'y a pas urgence, on doit se dispenser de vaquer a des travaux. Les deux soirees des derniers jours feries, la ceremonie du Seider n'a pas lieu. Pour marquer la fin de la Paque, on fait Mdala comme il est d'usage a toutes les clotures des fetes juives. Le Chat et les deux Moineaux. Un jeune moineau avait ete eleve avec un chat tres-jeune ; ils etaient intimes amis, et ne pouvaient presque pas se quitter. Leur amitie crut avec Page : Katon badinait avec Pierrot, et Pierrot badinait avec Raton ; 1'un avec son bee, 1' autre avec ses pattes ; il avait soin de ne pas etendre ses grjfTes. Un jour un moineau du voisinage vint rendre visite a son camarade. " Bon jour, frere," dit-il. " Bon jour," repondit l'autre. — " Votre ser- viteur." — " Je suis le votre." Ils ne furent pas longtemps en- 5 50 NARRATIONS INTERESSANTES. semble, qu'il survint une querelle entr'eux, et Raton prit le parti de Pierrot. "Q,uoi," dit-il, " cet etranger est assez hardi pour insulter notre ami ! II n'en sera pas ainsi, j'en jure par tous les chats :" la-dessus il croque 1' etranger, sans ceremonies. " Vrai- ment," dit-il, "un moineau est un morceau friand: je ne savais pas que les oiseaux eussent un gout si exquis et si delicat. Yenez, mon petit ami," dit-il a 1' autre : " il faut que je vous croque aussi : vous tiendrez compagnie a votre camarade ; il a quelque chose a vous dire." Ne vous fiez pas a un ennemi, quelques protestations d'amitie qu'il vous fasse. La compagnie des mediants est toujours a craindre. Le Chat, les Souris et le vieux Bat. Un chat, le fleau des rats, avait dans sa vie croque beaucoup de souris : celles qui restaient, n'osaient sortir de leurs tours, de peur de devenir sa proie. Raton savait que si les choses res- taient dans cet etat, il manquerait de provisions : apres une mure deliberation, il resolut d' avoir recours a un stratageme : pour cet effet il contrefit le mort, en se couchant tout de son long a terre, et etendant ses quatre pattes et sa queue. Les souris, surprises de voir leur ennemi dans cet etat, mettent le nez hors de leurs trous, montrent un peu la tete, puis rentrent, puis resortent et avancent quatre pas. Ronge-maille, vieux routier qui savait plus d'un tour, et qui avait meme perdu une patte et sa queue en se sauvant d'une ratiere, voyant le danger oii etaient les souris par leur curiosite, s'ecria : " Mes enfants, je tremble pour votre surete ; n'approchez pas plus pres. Ce chat que vous croyez mort, est aussi vivant que vous et moi : c'est un piege qu'il vous tend, sur mon honneur : au moins ne peut-il y avoir de mal a ne pas vous exposer ; rentrez done vite dans vos trous, et souvenez-vous de cette maxime, que la precaution est mere de la surete." NARRATIONS INTERESSANTES. 51 Le Papillon et VAheille. Un papillon, perche sur les feuilles d'un bel osillet, vantait a une abeille la longueur et la variete de ses voyages. " J'ai passe les Alpes ; j'ai examine avec soin tous les tableaux, et toutes les sculptures des grands maitres : j'ai vu le Vatican, le Pape, et les Cardinaux : je me suis place sur les colonnes d'Her- cule Ma petite mignonne, peux-tu te vanter d'un honneur semblable ? Ce n'est pas tout; j'ai visite, avec une entiere liberte, tous les jardins qui se sont presentes a ma vue dans mes voyages ; j'ai caresse les violettes, les roses et les oeillets. Con- viens, petit insecte, que je connais le monde." L'abeille, occu- pee sur un lit de marjolaine, lui repondit froidement : u Vain fanfaron ! tu as vu le monde ; mais en quoi consiste la connais- sance que tu en as ? Tu as vue une variete de fleurs ; en as-tu tire quelque chose d' utile ? Je suis voyageuse aussi ; va et regarde dans ma ruche mes tresors t'apprendront, que le but des voyages est de recueillir des materiaux, ou pour l'usage et le profit de la vie privee, ou pour l'avantage et Putilite de la societe. Un sot peut se vanter d' avoir voyage ; mais il n'y a qu'un homme de gout et de discernement, qui puisse proiiter de ses voyages. Le Bouc et le Renard. Un vieux bouc a longue barbe, et de grande experience, avait passe la journee dans les champs, a faire des reflexions philoso- phiques sur la nature et sur la condition des autres animaux ; le resultat fut qu'il etait content de son sort. Tres-satisfait de lui- meme et de ses reflexions, il s'en retourna vers le soir dans son etable. En passant pres d'un puits, il y vit un renard (il faisait clair de lune): "Camarade, que faites-vous ici a cette heure ?" lui demanda-t-il. "Prenez-vous le bain?" ' "Non," repondit 52 NARRATIONS INTERESSANTES. le renard, " je mange d'un fromage qui est delicieux : voyez-vous la breche que j'y ai faite ?" — " Ou ?" — " Ici. Descendez vite, si vous en voulez ; c'est du vrai fromage d'Angleterre : vous n'en avez jamais goute de meilleur ; il en reste encore assez pour vous." "Me prenez-vous pour une grue," repliqua l'ani- mal a barbe. " N'avez-vous pas honte de mentir aussi impu- demment, et de vouloir me faire accroire une telle absurdite. Allez, allez, monsieur le renard ; il y a longtemps que je vous connais : je n' ignore pas toutes vos finesses, et je suis trop vieux pour tomber dans vos pieges. Adieu, je vous souhaite une bonne nuit : une affaire pressante m'empeche de m'arreter : demain a la meme heure je viendrai vous revoir: en attendant, mangez votre fromage ; il est trop dur pour mon estomac." En toute chose il faut considerer la fin. Le Cheval, le Loup et le Renard* Un renard tres-ruse, quoique tres-jeune, vit dans une prairie mi cheval : il court a un loup avec empressement.^ " Cousin, venez voir 1' animal le plus drole que vous ayez jamais vu." — " Est-il plus fort que nous ?" — " Je ne peux vous en faire le portrait ; mais venez, vous verrez. Clue sait-on ? C'est peut- etre une proie que la fortune nous procure." lis vont. — "Mon- sieur," dit le renard, " nous sommes vos tres-humbles et tres- obeissants serviteurs : de grace, quel est votre nom ?" Le cheval, qui n'etait pas sot, leur repondit: "Lisez mon nom, messieurs, vous le pouvez ; mon cordonnier l'a mis sous mon talon." Le renard s'excusa : " je ne sais pas lire," dit-il, " mes parents ne m'ont rien enseigne ; ils sont pauvres ; ceux du loup sont riches, et lui ont fait apprendre a lire et a ecrire. Ce n'est pas tout ; il est grammairien, poete, philosophe, politique, et rhetoricien." Le loup, flatte par ce discours, s'approcha pour lire le nom ; mais le cheval prit ses mesures, lui lacha une made, et lui cassa NARRATIONS INTERE8SANTE9. 53 les dents : ensuite, hennissant et triomphant, il se mit a galoper, charme d' avoir repousse la ruse par la ruse. La-dessus le renard courut au loup : "Cousin," dit-il, "je suis tres-fache de Faccident, je vous assure ; mais cela nous montre que nous ne devons pas nous fier aux talons d'un cheval." Les avis d'un homme ruse sont ordinairement dangereux a suivre : il s'applaudit souvent de ses ruses, et insulte meme ceux qu'il a trompes, Les deux Chats et le Singe. Rodillard et Mitis avaient trouve un fromage : ils ne purent s'accorder. Pour terminer la dispute, ils consentirent a s'en rapporter a un singe. L'arbitre accepte 1'office ; il produit une balance, tousse, crache, et met dans chaque bassin un morceau du •fromage en dispute. "Voyons," dit-il gravement: "ce morceau pese plus que l'autre : il faut que j'en mange, pour reduire l'urj. et l'autre a un poids egal." Par ce tour de singe, le bassin oppose devint le plus pesant, ce qui fournit a notre juge conscientieux une nouvelle raison pour une seconde bou- chee. — " Attendez, attendez," dirent les deux chats, "donnez- nous a chacun notre part, et nous serons satisfaits." — " Si vous etes satisfaits," dit le singe, "la justice ne l'est pas. Un cas aussi embrouille que celui-ci, ne peut etre determine si tot :" sur quoi il ronge un morceau, et ensuite l'autre. Rodillard et Mitis, voyant que leur fromage diminuait, prierent l'arbitre de ne se plus donner de peine ; mais de leur remettre ce qui restait. " Pas si vite, je vous prie, mes amis," repliqua maitre Fagotin : " nous nous devons justice a nous-memes aussi bien qu'a vous ; ce qui reste m'est du en vertu de mon office." Sur quoi il avala le tout, et avec beaucoup de gravite, renvoya les plaideurs tres-mecontents de leur arbitre et de leur sottise. II vaut mieux s'accorder et perdre quelque chose, que de s'ex- poser a se ruiner par des proces. 5* 54 NARRATIONS INTERESSANTES. Voyage dans Vile des Plaisirs, Apres avoir longtemps vogue sur la mer Pacifique, nous apercumes de loin une ile de sucre avec des montagnes de com- pote, des rochers de sucre candi et de caramel, et des rivieres de sirop qui coulaient dans la campagne. Les habitants, qui etaient fort friands, lechaient tous les chemins, et sucaient leurs doigts apres les avoir trempes dans les fleuves. II y avait aussi des forets de reglisse, et de grands arbres d'oii tombaient des gaufres, que le vent apportait dans la bouclie des voyageurs, si peu qu'elle fut ouverte. Comme tant de douceurs nous parurent fades, nous voulumes passer en quelque autre pays ou Ton put trouver des mets d'un gout plus releve. On nous assura qu'il y avait a dix lieues de la une autre ile ou il y avait des mines de jambons, de saucisses et de ragouts poivres. On les creusait comme on creuse les mines d'or dans le Perou. On y trouvait aussi des ruisseaux de sauce a l'ognon. Les murailles des maisons sont des croutes de pate. II y pleut du vin quand le temps est charge ; et, dans les plus beaux jours, la rosee du matin est toujours du vin blanc, semblable au vin grec ou a celui de Saint-Laurent. Pour passer dans cette ile, nous f imes mettre sur le port de celle d'ou nous voulions partir, douze hommes d'une force prodigieuse, et qu'on avait endormis, ils soumaient si fort en ronflant, qu'ils remplirent nos voiles d'un vent favo- rable. A peine fumes-nous arrives dans 1' autre ile que nous trouvames sur le rivage des marchands qui vendaient de l'appe- tit ; car on en manquait souvent parmi tant de ragouts. II y avait aussi d'autres gens qui vendaient le sommeil. Le prix en etait regie tant par heure ; mais il y avait des sommeils plus chers les uns que les autres, a proportion des songes qu'on voulait avoir. Les plus beaux songes etaient fort chers. J'en demandai des plus agreables pour mon argent ; et, comme j'etais las, j'allai d'abord me coucher. Mais a peine fus-je dans mon NARRATIONS INTERESSANTES. 55 lit que j'entendis un grand bruit ; j'eus peur, et je demandai du secours. On me dit que^c'etait la terre qui s'entr'ouvrait. Je crus etre perdu ; mais on me rassura en me disant qu'elle s'entr'ouvrait ainsi toutes les nuits a une certaine heure, pour vomir avec grand effort des ruisseaux bouillants de chocolat mousse, et des liqueurs glacees de toutes les facons. Je me levai a la hate pour en prendre, elles etaient delicieuses. En- suite je me recouchai, et dans mon sommeil, je crus voir que tout le monde etait de cristal ; que tous les hommes se nourris- saient de parfums quand il leur plaisait ; qu'ils ne pouvaient marcher qu'en dansant, ni parler qu'en chantant ; qu'ils avaient des ailes pour fendre les airs et des nageoires pour passer les mers. Mais ces hommes etaient comme des pierres a fusil ; on ne pouvait les choquer qu'aussitot ils prissent feu. lis s'enflam- maient comme une meche, et je ne pouvais m'empecher de rire, voyant combien ils etaient faciles a emouvoir. Je voulus de- mander a Tun d'eux pourquoi il paraissait si anime : il me re- pondit, en me montrant le poing, qu'il ne se mettait jamais en co ] ere. A peine fus-je eveille, qu'il vint un marchand d'appetit, me demandant de quoi je voulais avoir faim, et si je voulais qu'il me vendit des relais d'estomac pour manger toute la journee. J'acceptai la condition. Pour mon argent, il me donna douze petits sachets de taffetas que je mis sur moi, et qui devaient me servir comme douze estomacs pour digerer sans peine douze grands repas en un jour. A peine eus-je pris les douze sachets, que je commencai a mourir de faim. Je passai ma journee a faire douze festins delicieux. Des qu'un repas etait fini, la faim me reprenait, et je ne lui donnais pas le temps de me presser. Mais comme j'avais une faim avide, on remarqua que je ne mangeais pas proprement : les gens du pays sont d'une delica- tesse et d'une proprete exquises. Le soir je fus lasse d'avoir passe toute la journee a table, comme un cheval a son ratelier. Je pris la resolution de faire tout le contraire le lendemain, et de ne me nourrir que de bonnes odeurs. On me donna a dejeuner 56 NARRATIONS INTERESSANTES. de la fleur d' orange. A diner ce fut une nourriture plus forte : on me servit des tubereuses et puis des pois d'Espagne. Je n'eus que des jonquilles a la collation. Le soir on me donna a souper de grandes corbeilles pleines de toutes les fleurs odorife- rantes, et on y ajouta des cassolettes de toutes sortes de parfums. La nuit, j'eus une indigestion pour avoir trop senti tant d'odeurs nourrissantes. Le jour suivant, je jeunai pour me delasser de la fatigue des plaisirs de la table. On me dit qu'il y avait en ce pays-la une ville singuliere, et on me promit de m'y mener par une voiture qui m'etait inconnue. Continuation du Voyage dans VEe des Plaisirs. On me mit dans une petite chaise de bois fort legere et toute garnie de grandes plumes, et on attacha a cette chaise, avec des cordes de soie, quatre grands oiseaux, grands comme des autruches, qui avaient des ailes proportionnees a leurs corps. Ces oiseaux prirent d'abord leur vol. Je conduisis les renes du cote de 1! Orient, qu'on m'avait marque. Je voyais a mes pieds les hautes montagnes, et nous volames si rapidement que je perdais presque J'haleine en fendant le vague de Fair. En une heure nous arrivames a cette ville si renommee ; elle est toute de marbre, et elle etait grande trois fois comme Paris. Toute la ville n'est qu'une seule maison. II y a vingt-quatre grandes cours, dont chacune est grande comme le plus grand palais du monde ; et, au milieu de ces vingt-quatre cours, il y en a une vingt-cinquieme qui est six fois plus grande que chacune des autres. Tous les logements de cette maison sont egaux, car il n'y a point d'inegalite de condition entre les habitants de cette ville. II n'y a la ni domestiques ni petit peuple ; chacun se sert soi-meme ; personne n'est servi : il y a seulement des souhaits qui sont de petits esprits follets et voltigeants, qui don- nent a chacun tout ce qu'il desire dans le moment meme. En arrivant, je recus un de ces esprits qui s'attacha a moi, et qui NARRATIONS INTERESSANTES. 57 ne me laissa manquer de rien : a peine me donnait-t-il le temps de desirer. Je commeneais meme a etre fatigue des nouveaux desirs que cette liberte de me contenter excitait sans cesse en moi ; et je compris, par experience, qu'il valait mieux se passer de choses superflues que d'etre sans cesse dans de nouveaux desirs, sans pouvoir jamais s'arreter a la jouissance tranquille d'aucun plaisir. Les habitants de cette ville etaient polis, doux et obligeants. lis me recurent comme si j'avais ete Tun d'entre eux. Des que je voulais parler ils devinaient ce que je voulais, et le faisaient sans attendre que je m'expliquasse. Cela me surprit, et j'apercus qu'ils ne parlaient jamais entre eux. Ils lisent dans les yeux les uns des autres tout ce qu'ils pensent, comme on lit dans un livre ; et quand ils veulent cacher leurs pensees, ils n'ont qu'a fermer les yeux. Ils me menerent dans une salle ou il y eut une musique de parfums. Ils assemblerent les parfums comme nous assemblons les sons. Un certain assemblage de parfums, les uns plus forts, les autres plus doux, fait une harmonie qui chatouille l'odorat, de meme que nos concerts flattent l'oreille par des sons tantot graves et tantot aigus. En ce pays-la, les femmes gouvernent les hommes ; elles jugent les proces, elles enseignent les sciences et vont a la guerre. Les hommes s'y fardent, s'y ajustent depuis le matin jusqu'au soir; ils filent, ils cousent, ils travaillent a la broderie, et ils craignent d'etre battus par leurs femmes, quand ils ne leur ont pas obei. On dit que la chose se passait autrement il y a certain nombre d'annees : mais les hommes, servis pas les souhaits, sont devenus si laches, si paresseux et si ignorants, que les femmes furent honteuses de se laisser gouverner par eux. Elles s' assemblerent pour reparer les maux de la repu- blique. Elles firent des ecoles publiques, oii les personnes de leur sexe qui avaient le plus d'esprit se mirent a etudier. Elles desarmerent leurs maris, qui ne demandaient pas mieux que de n'aller jamais aux coups. Elles les debarrasserent de tous les proces a juger, veillerent a l'ordre public, etablirent des lois, les firent observer, et sauverent la chose publique, dont l'inapplica- 58 NARRATIONS INTERESS ANTES. tion, la legerete, la mollesse des hommes, aurafent surement cause la ruine totale. Touche de ce spectacle, et fatigue de tant de festins et d'amusements, je conclus que ]es plaisirs des sens, quelque faciles qu'iis soient, aviiissent et ne rendent point heureux. Je m'eloignai done de ces contrees en apparence si delicieuses, et, de retour chez moi, je trouvai dans une vie sobre, dans un travail modere, dans des moeurs pures, dans la pratique de la vertu, le bonheur et la sante que n'avaient pu me procurer k continuite de la bonne chere et 3a variete des plaisirs. Le Singe qui montre la Lanterne magique. " Messieurs les beaux esprits, dont la prose et les vers Sont d'un style pompeux et toujours admirable, Mais que Ton n'entend point, ecoutez cette fable, Et tachez de devenir clairs." Un homme qui montrait la lanterne magique Avait un singe dont les tours Attiraient chez lui grand concours. Jacqueau, e'etait son nom, sur la corde elastique Dansait et voltigeait au mieux, Puis faisait le saut perilleux, Et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne Le corps droit fixe, d' aplomb, Notre Jacqueau fait tout du long L'exercice a la prussienne. Un jour qu'au cabaret son maitre etait reste, (C'etait, je pense, un jour de fete,) Notre singe en liberte Veut faire un coup de sa tete. II s'en va rassembler les divers animaux Qu'il peut rencontrer dans la ville, Chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux, Arrivaient bientot a la file. NARRATIONS INTERESSANTES. 59 " Entrez, entrez, messieurs," criait notre Jacqueau ; " C'est ici, c'est ici qu'un spectacle sa voiture, regardait cet evenement avec une tranquillite admirable, lorsqu'un mar- chand sortit tout a coup de sa boutique, tenant un gros baton a 8* 90 NARRATIONS INTERESSANTES. la main, et criant de toutes ses forces: " Qui done est assez os6 pour maltraiter ainsi les gens de M. de Turenne ?" Ce nom, revere de toute la France, n'eut pas plus tot frappe l'oreille du petit-maitre, qu'il courut a la portiere du carrosse du marechal, et lui demanda pardon de sa meprise dans les termes les plus respectueux. " II faut en convenir," lui repondit M. de Tu- renne en souriant, " vous vous entendez parfaitement a chatier mes gens : aussi quand ils feront des sottises, ce qui leur arrive sou vent, je ne manquerai pas de vous les envoyer." La nature avait ete avare de ses faveurs pour Philopoemen, general des Grecs. Un jour qu'il etait attendu dans la ville de Megare, l'hotesse qui devait le loger s'empressait de lui pre- parer a souper. Son mari etait absent. Philopoemen, couvert d'un manteau fort simple, entre chez cette femme. Elle le regarde, le prend pour un domestique du general, et le prie sans faeon de lui aider a faire la cuisine. Philopoemen, riant en secret de cette meprise, quitte son manteau et se met a fendre du bois. Le mari revient, le recommit et s'ecrie : "Glue faites- vous done, seigneur Philopoemen ?" "Ce que je fais," repondit le general, " je porte la peine de ma mauvaise mine." La genereuse Liberatrice. La niece d'un sacristain de Bruxelles ne balanca pas a ex- poser sa vie pour sauver celle d'un Fran^ais qui s'y etait refugie dans nos jours sanguinaires. C etait apres la bataille de Fleurus, lorsque nos troupes entrerent dans la Belgique ; menace d'etre pris dans Bruxelles, il fuyait. Une jeune fille, assise devant une porte, et entramee par le seul interet qu'inspire un malheu- reux, l'arreta en lui criant: "Vous etes perdu, si vous allez plus loin !" — " Si je retoume, je le suis egalement !" — "Eh bien !" reprit-elle, "entrez ici." II accepta. Apres lui avoir appris qu'elle le recevait dans la maison de son bncle, qui ne lui per- mettrait pas de le sauver s'il en etait instruit, elle le conduisit NARRATIONS INTERESSANTES. 91 dans une grange ou il se cacha. A peine faisait-il miit, que quelques soldats vinrent s'y livrer au sommeil. La niece les suit sans etre apercue ; 'et, des qu'ils sont endormis, elle en pro- fite pour tirer le Franc ais de ce lieu trop peu sur ; mais comme il s'echappait, un d'eux se reveille, et le saisit par la main. A ce mouvement, elle s'elance entre eux, en disant : " Lachez-moi done : e'est moi qui viens " Elle n'eut pas besoin d'ache- ver ; le soldat, trompe par la voix d'une femme, abandonne son captif. Elle mene ce dernier jusqu'a sa chambre ; la, elle prend les clefs de l'eglise, et, une lampe a la main, elle la lui ouvre. lis arrivent a une chapelle que les ravages de la guerre avaient depouillee de ses ornements. Derriere l'autel etait une trappe difficile a apercevoir. Des qu'elle l'eut levee : " Vous voyez," lui dit-elle, " cet escalier sombre, e'est celui d'un caveau qui renferme les restes d'une famille illustre ; il est probable que Ton ne vous soup^onnera pas dans ce lieu. Ayez le courage d'y demeurer jusqu'a ce qu'il se presente un moment favorable a votre evasion." Le Francais ne balanca pas ; il descend avec confiance. O surprise ! les premiers objets qu'il apercoit a la clarte de la lampe, sont les armes de sa famille, originaire de ce pays. II reconnait les tombeaux de ses a'ieux ; il les salue avec respect ; il touche avec attendrissement ces marbres cheris. La genereuse Liber atrice. (Suite.) La niece le laisse au milieu de ces impressions. Leur douceur, et surtout 1'esperance de retrouver une epouse qu'il adorait, lui firent oublier quelque temps l'horreur de son habi- tation ; mais deux jours s'etaient passes, et il ne voyait pas revenir sa liberatrice. II ne sut qu'imaginer : tant6t il craignait qu'elle n'eut ete la victime de ses services ; tantot il tremblait qu'elle ne l'eut oublie. Le besoin de la faim se joignit a ces idees effrayantes, et il n'eut plus devant les yeux que l'image d'une mort plus horrible que celle qu'il avait evitee. Ses forces 92 NARRATIONS INTERESSANTES* s'epuiserent ; il tomba presque sans connaissance sur le cercueil d'un de ses ancetres. Cependant un bruit se fit entendre : c'etait la voix de la sensible niece qui l'appelait. Accable par la joie, il ne put repondre ; elle le crut mort, et laissa retomber la trappe en gemissant. Le malheureux, epouvante, fit un effort, poussa un grand cri ; elle l'entendit et accourut. Elle se hata de lui presenter des aliments, lui expliqua la cause de ses retards, et l'assura que ses precautions etaient si bien prises, que desormais elle ne lui en ferait plus eprouver. Elle venait de le quitter, lorsqu'un cliquetis d'armes frappa son oreille ; elle rentra preci- pitamment dans le caveau, en recommandant au Francais de garder le silence : c'etait en efFet des hommes armes que le sacristain, accuse d'avoir introduit un emigre dans Peglise, et ignorant Pimprudence de sa niece, y conduisit pour qu'ils fissent leurs perquisitions. Rien n'echappa a leurs regards ; ils visi- terent partout ; ils marcherent me me sur la fatale trappe. duel moment pour les deux captifs ! Chaque pas qui Pebranlait, repondait a leur coeur, et leur semblait etre Papproche de leur dernier moment. Cependant le bruit s'eloigna peu a peu, et finit par se dissiper entierement. La niece sortit encore inquiete, parcourut Peglise, y trouva une profonde solitude, revint rassu- rer le Francais, et se retira. Le lendemain, et les jours suivants, elle lui apporta exactement sa nourriture. II resta ainsi long- temps dans ce souterrain, sous la garde de cette fille attentive. Un moment de tranquillite arriva, elle Pen avertit. II dit un adieu tendre et respectueux aux manes de ses ancetres qui Pavaient protege, sortit de ce tombeau vivant, gagna la campagne, et rejoignit bientot une epouse dont la presence et Pamour lui firent encore plus apprecier le bienfait de sa genereuse libera- trice. Fortune volage. Cesar — Pompee. Un bonheur constant est une faveur singuliere sur laquelle il y aurait de la folie a compter : il n'y a rien de plus volage que NARRATIONS INTERESSANTES. 93 la fortune. L'experience prouve que plus elle prodigue ses dons, plus elle est a craindre. On dirait qu'elle n'eleve quelqu'un au faite des grandeurs que pour le precipiter ensuite avec plus d'eclat. Je ne finirais pas, si je voulais vous citer tous les exem- ples que l'histoire nous fournit a ce sujet. Je me contenterai d'en rapporter un seul qui est frappant : c'est celui de Cesar. La fortune l'avait comble de toutes ses faveurs, et lui avait ac- corde des honneurs capables de satisfaire les voeux de Phomme le plus ambitieux. La vertu et le courage des premiers Romains avaient eleve Rome a une puissance sans bornes. Cesar vient a bout de s'en rendre maitre : on eut dit que tant de heros qui l'avaient precede n'avaient travaille aux depens de leur vie a l'agrandissement de la republique romaine que pour faci liter a Cesar le moyen de devenir un jour le maitre du monde. C'etait pour lui que les Camille, les Fabius et les Scipion semblaient avoir remporte tant de victoires eclatantes. Cesar, vainqueur des Gaulois, apres avoir fait la conquete de l'Angleterre et dompte l'orgueil des Germains, marche vers Rome, force Pompee de quitter PItalie, le poursuit, l'atteint et le defait dans les plaines de Pharsale, entre triomphant dans Rome, et se fait declarer dictateur perpetuel. Tout semble favoriser son ambition ; 1'em- pire romain lui est soumis ; il oblige tous ses concitoyens a le reconnaitre pour maitre ; il se croit arrive au plus haut degre de la felicite humaine, et tout a coup, apres avoir joui seulement pendant quatre mois du fruit de ses travaux, il est assassine en plein senat par ceux memes qu'il avait combles de bienfaits. II tombe mort aux pieds de la statue de Pompee, de ce Pompee qu'il avait peu auparavant chasse de Rome et force d'aller cher- cher un asile dans un royaume etranger, ou il trouva une mort qu'il ne meritait pas. 94 NARRATIONS INTERESSANTES. Les Singes et le Leopard. Des singes dans un bois jouaient a la main chaude : Certaine guenon mauricaude, Assise gravement, tenait sur ses genoux La tete de celui qui, courbant son echine, Sur sa main recevait les coups. On frappait fort, et puis devine. II ne devinait point : c'etaient alors des ris, Des sauts, des gambades, des cris. Attire par le bruit du fond de sa taniere, Un jeune leopard, prince assez debonnaire, Se presente au milieu de nos singes joyeux. Tout tremble a son aspect. " Continuez vos jeux," Leur dit le leopard; "je n'en veux a personne : Rassurez-vous, j'ai Tame bonne ; Et je viens meme ici, comme particulier, A vos plaisirs m'associer. Jouons, je suis de la partie." — " Ah ! monseigneur, quelle bonte ! Gluoi ! votre altesse veut, quittant sa dignite, Descendre jusqu'a nous !" — " Oui ; c'est ma fantaisie : Mon altesse eut toujours de la philosophie, Et sait que tous les animaux Sont egaux. Jouons done, mes amis ; jouons, je vous en prie." Les singes, enchantes, crurent a ce discours, Comme Ton y croira toujours. Toute la troupe joviale Se remet a jouer : Fun d'entre eux tend la main ; Le leopard frappe, et soudain On voit couler du sang sous la griffe royale. NARRATIONS INTERES8ANTES. 95 Le singe cette fois devina qui frappait, Mais il s'en alia sans le dire. Ses compagnons faisaieht semblant de rire Et le leopard seul riait. Bientot chacun s'excuse, et s'echappe a la hate, En se disant entre leurs dents : Ne jouons point avec les grands ; Le plus doux a toujours des griffes a la patte. La Fable et la Verite. La Verite toute nue Sortit un jour de son puits. Ses attraits par le temps etaient un peu detruits ; Jeunes et vieux fuyaient sa vue : La pauvre Verite restait la morfondue Sans trouver un asile ou pouvoir habiter. A ses yeux vient se presenter La Fable, ricbement vetue, Portant plumes et diamants, La plupart faux, mais tres brillants. " Eh ! vous voila ; bonjour," dit-elle ; " due faites-vous ici seule sur un chemin V* La Verite repond : " Vous le voyez, je gele. Aux passants je demande en vain De me donner une retraite ; Je leur fais peur a tous. Helas ! je le vois bien, Vieille femme n'obtient plus rien." " Vous etes pourtant ma cadette," Dit la Fable, " et sans vanite Partout je suis fort bien regue. v Mais aussi, dame Verite, Pourquoi vous montrer toute nue ? 96 NARRATIONS INTERESSANTES. Cela n'est pas adroit. Tenez, arrangeons-nous ; Qu'un meme interet nous rassemble : Venez sous mon manteau ; nous marcherons ensemble : Chez 3e sage, a cause de vous, Je ne serai point rebutee ; A cause de moi chez les fous Yous ne serez point maltraitee. Servant par ce moyen chacun selon son gout, Grace a votre raison et grace a ma folie, Vous verrez, ma sceur, que partout Nous passerons de compagnie." Pline-le-Jenne. , Dans l'embrasement du Vesuve, Pline-le-Jeune etait a Micene avec sa famille. Tous les habitants cherchaient leur salut dans la fuite : mais, redoutant peu pour lui-meme le danger qui l'environne, Pline est pret a tout entreprendre pour sauver les jours d'une mere qui lui est plus chere que la vie. Elle le Conjure en vain de fuir d'un lieu ou sa perte est assuree. Elle lui represente que son grand age et ses infirmites ne lui per- mettent pas de le suivre, et que le moindre retardement les ex- pose a perir tous deux. Ses prieres sont irmtiles, et Pline aime mieux mourir avec sa mere que de 1'abandonner dans un peril aussi pressant. II l'entraine malgre elle, et la force de se preter a son empressement. Elle cede a la tendresse de son fils, en se reprochant de retarder sa fuite. Deja la cendre tombe sur eux ; les vapeurs et la fumee, dont l'air est obscurci, font du jour la nuit la plus sombre. Ensevelis dans les tenebres, ils n'ont pour guider leurs pas tremblants, que la lueur des flammes qui les environnent. On n'entend, de toutes parts, que des gemissements et des cris, que l'obscurite rend encore plus effrayants. Mais cet horrible spectacle ne saurait ebranler la Constance de Pline, ni l'obliger a pourvoir a sa surete. Tant NARRATIONS INTERESSANTES. 97 que sa mere est en danger, il la console, il la soutient, il la porte entre ses bras : sa tendresse excite son courage, et le rend capable des plus grands efforts. Le ciel recompensa une action si louable ; il conserva a Pline une mere plus precieuse pour lui que la vie qu'il tenait d'elle, et a sa mere un tils si digne d'etre aime, et de servir de modele a tous les enfants. La Besace. Jupiter dit un jour : " Clue tout ce qui respire S'en vienne comparaitre aux pieds de ma grandeur : Si dans son compose quelqu'un trouve a redire, II peut le declarer sans peur ; Je mettrai remede a la chose. Venez, singe ; parlez le premier, et pour cause. Voyez ces animaux, faites comparaison De leurs beautes avec les votres. Etes-yous satisfait ?" — " Moi," dit-il ; " pourquoi non ? N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres ? Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproche : Mais pour mon frere Pours on ne Pa qu'ebauche ; Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre." L'ours venant la-dessus, on crut qu'il s'allait plaindre. Tant s'en faut : de sa forme il se loua tres fort ; Glosa sur P elephant, dit qu'on pourrait encor Ajouter a sa queue, oter a ses oreilles ; due c' etait une masse informe et sans beaute. L' elephant etant ecoute, Tout sage qu'il etait, dit des choses pareilles : II jugea qu'a son appetit Dame baleine etait trop grosse. Dame fourmi trouva le ciron trop petit, Se croyant, pour elle, un colosse. 9 98 NARRATIONS INTERESSANTES, Jupin les renvoya s'etant censures tous, Du reste contents d'eux. Mais parmi les plus fous Notre espece excella ; car tout ce que nous sommes, Lynx envers nos pareils et taupes envers nous, Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes : On se voit d'un autre ceil qu'on ne voit son prochain. Le fabricateur souverain Nous crea besaciers tous de meme maniere, Tant ceux du temps passe que du temps d'aujourd'hui : II fit pour nos defauts la poche de derriere, Et celle de devant pour les defauts d'autrui. La Rose et le Papillon. La puissance animale est d'un ordre bien superieur a la vege- tale. Le papillon est plus beau et mieux organise que la rose. Voyez la reine des fleurs, formee de portions spheriques, teinte de la plus riche des couleurs, contrasted par un feuillage du plus beau vert, et balancee par le zephyr ; le papillon la surpasse en barmonie de couleurs, de formes et de mouvements. Considerez avec quel art sont composees les quatre ailes dont il vole, la regularite des ecailles qui le recouvrent comme des plumes, la variete de leurs teintes brillantes, les six pattes armees de grifFes avec lesquelles il resiste aux vents dans son repos, la trompe roulee dont il pompe sa nourriture au sein des fleurs, les an- tennes, organes exquis du toucher, qui couronnent sa tete, et le reseau admirable d'yeux dont elle est^entouree, au nombre de plus de douze mille. Mais ce qui le rend bien superieur a la rose, il a, outre la beaute des formes, les facultes de voir, d'ou'rr, d'odorer, de savourer, de sentir, de se mouvoir, de vouloir, enfin une ame douee de passions et d'inteiligence. C'est pour le nourrir que la rose entr'ouvre les glandes nectarees de son sein; c'est pour en proteger les ceufs colles comme un bracelet autour de ses branches, qu'elle est entouree d'epines. La rose ne voit NARRATIONS INTERESS ANTES. 99 ni n'entend l'enfant qui accourt pour la cueillir ; mais le papillon, pose sur elle, echappe a la main prete a le saisir, s'eleve dans les airs, s'abaisse, s'eloigne, se rapproche ; et, apres s'etre joue du chasseur, il prend sa volee et va chercher sur d'autres rleurs une retraite plus tranquille. Le Lis et la Rose. Pour me montrer le caractere d'une fleur, les botanistes me la font voir seche, decoloree et etendue dans un herbier. Est-ce dans cet etatqueje reconnaitrai un lis 1 N'est-ce pas sur le bord d'un ruisseau, elevant au milieu des herbes sa tige auguste, et reflechissant dans les eaux ses beaux calices plus bkncs que l'ivoire, que j'admirerai le roi des vallees ? Sa blancheur in- comparable n'est-elle pas encore plus eclatante quand elle est mouchetee, comme des gouttes de corail, par de petits scarabees, ecarlates, hemispheriques, piquetes de noir, qui y cherchent presque toujours un asile ? Qui est-ce qui peut reconnaitre dans une rose seche la reine des rleurs ? Pour qu'elle soit a la fois un objet de Tamour et de la philosophie, il faut la voir, lorsque, sortant des fentes d'un rocher humide, elle brille sur sa propre verdure, que le zephyr la balance sur sa tige herissee d'epines, que l'aurore Fa couverte de pleurs, et qu'elle appelle par son eclat et par ses parfums la main des amants. Q,uelquefois une cantharide, nichee dans sa corolle, en releve le carmin par son vert d'emeraude : c'est alors que cette fleur semble nous dire que, symbole du plaisir par ses charmes et par sa rapidite, elle porte comme lui le danger autour d'elle, et le repentir dans son sein. Le Docteur Young. Ce grand ecrivain etait remarquable par son urbanite et par la gaiete de son caractere, avant Pevenement desastreux qui 100 NARRATIONS INTERESS ANTES. obscurcit le reste de sa vie. II allait un jour en bateau, avec quelques dames, a Vauxhall, et cherchait a Jes amuser en jouant un air de flute. II y avait derriere eux quelques officiers qui allaient au meme endroit. Le docteur cessa de jouer des qu'il les vit s'approcher. Un deux lui demanda par quelle raison il mettait sa flute dans sa poche ? " Par la meme raison que je Ten ai tiree, parce que cela me fait plaisir," repliqua le docteur. L'eleve de Mars lui repliqua d'un ton imperieux, que, s'il ne reprenait pas aussitot sa flute, il allait a l'instant le jeter dans la Tamise. Le docteur dans la crainte d'efTrayer les dames, digera cette insulte de la meilleure grace qu'il put, prit sa flute, et con- tinua d'en jouer pendant tout le temps qu'ils furent sur l'eau. II apercut dans la soiree, l'offlcier qui en avait agi si cavaliere- ment en vers lui, se promenant seul a l'ecart : il fut droit a lui et lui dit avec beaucoup de sang-froid: " C'etait, Monsieur, pour eviter de trouljler ma compagnie et la votre, que j'ai acquiesce a votre arrogante injonction ; mais, afm que vous soyez bien convaincu qu'on peut avoir autant de courage sous un habit noir que sous un uniforme, j'espere que vous vous trouverez demain a tel endroit sans second, la querelle etant absolument entre nous." Le docteur stipula en outre que cette affaire se viderait Tepee a la main. L'offlcier consentit implicitement a toutes les conditions. Les duellistes se rencontrerent le lendemain a l'heure et au lieu dont ils etaient convenus ; mais, au moment que Pofflcier se mettait en garde, le docteur lui presenta un pistolet d'ar^on : " Q,uoi ?" dit l'officier, " avez-vous le dessein de m'assassiner ?" u Non," dit le docteur, " mais il faut qu'a l'instant vous dansiez un menuet, autrement vous etes un homme mort." Une courte altercation s'ensuivit ; mais le docteur parut si serieux et si determine, que l'offlcier fut obtige de se soumettre. " Bien," dit le docteur ; " vous me folates hier de jouer malgre moi, et aujourd'hui je vous ai force de danser malgre vous ; nous sommes a deux de jeu, et je suis pret a vous accorder toutes les satisfactions que vous me demanderez." NARRATIONS INTERESS ANTES. 101 L'officier embrassa le docteur, reconnut son impertinence, le supplia de lui accorder desormais son amitie, et ils vecurent toujours ensuite dans les liens de la plus parfaite union. Hamet et Raschid. Une secheresse bmlante desolait depuis longtemps les cam- pagnes de l'lnde, lorsque deux pasteurs, Hamet et Raschid, se rencontrerent aupres des limites qui separaient leurs heritages* Ils mouraient de soif ; ils voyaient leurs troupe aux languir, hale- ter autour d'eux ; et levant les yeux au ciel, ils le conjuraient d'apporter un prompt remede a des maux extremes. Tout a coup il se fit dans les airs un silence profond, les oiseaux cesse- rent de chanter, les troupeaux de beler et de mugir ; et les deux bergers apercurent dans le vallon un etre de figure humaine, mais d'une taille plus haute et plus majestueuse que la notre. II s'avan^ait de leur cote, et en le voyant de plus pres ils le re- connurent ; c'etait le genie distributeur des biens et des maux, tenant d'une main la gerbe d'abondance, et de Pautre le glaive de destruction. Saisis de frayeur, ils voulaient se derober a sa presence ; mais le genie les appela d'une voix aussi douce que le murmure du zephire, lorsqu'il se joue le soir dans les bocages parfumes de PArabie. " Approchez," leur dit-il, " enfants de la poussiere, ne fuyez point votre bienfaiteur. Je viens vous ofFrir un bien qui ne peut devenir inutile et pernicieux que par votre imprudence. Vous demandez de l'eau, et me voila pret a vous dormer de l'eau ; mais je veux savoir de vous-memes ce qu'il en faut pour vous satisfaire. Ne vous hatez point de me repondre ; faites reflexion qu'en tout ce qui a rapport aux besoins et aux plaisirs du corps, le trop n'est pas moins a craindre que le trop peu. Prenez garde, en un mot, que le tourment de la soif ne vous fasse oublier le danger de la suffocation : expliquez-vous a present ; et toi, Hamet, parle le premier." 9* 102 NARRATIONS INTERESS ANTES. " — O bon genie!" repondit Harriet, "pardonne le trouble ou me jette ton auguste presence. . . . Je demande un petit niis- seau qui ne tarisse point en ete, et qui ne deborde point en hiver." Suite de Harriet et Raschid. " Tu l'auras," reprend le genie. Et en merae temps il frappe la terre de son glaive, devenu pour lors un instrument de bien- faisance. Les deux bergers virent une fontaine sourdre a leurs pieds en bouillonnant, et repandre ses eaux pures dans les prai- ries d'Hamet. Les fleurs exhalerent un nouveau parfum ; les arbres se parerent d'un feuillage plus vert ; et les troupeaux de toute espece etancherent la soif qui les devorait. , Le genie se tournant ensuite vers l'autre pasteur, lui fit signe de parler a son tour. " Ce que je demande," dit Raschid, "c'est qu'il te plaise de faire couler dans mes domaines le Gange avec ses eaux et tous ses poissons." Hamet, le trop simple Hamet, admirait la noble ambition de son camarade, et se reprochait tout bas de n' avoir pas fait le premier cette ma- gnifique requete ; mais le genie dit a Raschid : " Modere tes desirs, homme faible et imprudent. Ose compter pour rien tout ce qui te serait inutile. Pourquoi te faut-il plus qu'a ton voisin ? as-tu d'autres besoins que les siens?" Malgre ce sage avis, Raschid persista dans sa demande ; il riait deja en lui-meme de la chetive figure qu'Hamet allait faire devant lui, devant le seigneur et le proprietaire du Gange. Le genie s'avanca done vers le fleuve, laissant les bergers dans Fattente de ce qu'il allait faire. Tandis que Raschid observait d'un air dedaigneux la contenance de son camarade, le mugissement des flots se fit en- tendre tout a coup, et le torrent impetueux qu'on vit accourir annonca que les digues du Gange etaient rompues. Ce deluge immense ravagea en un clin d'oeil toutes les possessions de Ras- NARRATIONS INTERESS ANTES. 103 chid ; il deracina ses arbres, il engloutit, il entraina ses troupeaux. Helas ! il l'emporta lui-meme et le proprietaire du Gange fut devare par un crocodile. Fabricius, Le senat romain, croyant convenable de repondre a la cour- toisie de Pyrrhus, relativement au sort des prisonniers, lui envoya une ambassade, dont Cams Fabricius etait le chef. Le roi, instruit par la renommee des exploits et du credit de ce senateur, s'efTorca de le gagner. Connaissant sa pauvrete et son desinte- ressement, il lui montra une haute estime, lui ofFrit des presents magnifiques, et lui promit de grandes possessions en Epire, s'il voulait entrer dans ses vues ; mais il le trouva incorruptible. Le lendemain, dans le dessein d'eprouver son intrepidite, il fait cacher derriere une tapisserie le plus grand de ses elephants. Au milieu de la conference, le terrible animal se montre tout a coup, arme, tenant sa trompe elevee sur la tete du Romain, et jetant un cri effroyable. Fabricius, sans montrer la moindre emotion, dit au roi : " Vous me voyez aujourd'hui tel que j'etais hier ; votre elephant ne m'efFraie pas plus que votre or ne me tente." Le roi, estimant ce fier courage, declara que, par consideration pour Fabricius, il renvoyait tous les prisonniers sans rancon, a condition que Rome les lui rendrait, si elle persistait a continuer la guerre. lis partirent, et Tinflexible senat ordonna, sous peine de mort, aux captifs de retourner au camp de Pyrrhus. L'annee suivante Fabricius et Emilius Papus, a la tete d'une forte armee, s'avancerent encore pour combattre les Grecs. Les deux armees etaient en presence, lorsque Fabricius re^ut une lettre du premier medecin de Pyrrhus, qui lui offrait de mettre fin a Ja guerre en empoisonnant le roi, si on vouiait lui accorder une recompense proportionnee a l'importance de ce service. 104 NARRATIONS INTJ3RESSANTES. Fabricius, indigne, informa le monarque du complot tram6 contre ses jours, et lui ecrivit en ces termes : " Pyrrhus choisit aussi mal ses amis que ses ennemis: il fait la guerre a des hommes vertueux et se confie a des traitres. Les Romains detestent tout genre de perfidie ; ils ne font la conquete de la paix que par les armes, et ne l'achetent point par la trahison." Pyrrhus, rempli d'admiration pour cette generosite du consul, s'ecria : " Je vois qu'on detoumerait plus facilement le soleil de son cours que Fabricius du chemin de la vertu !" Magniflque eloge qu'on pouvait alors appliquer a tout le peuple romain ! L'Ane et la Flute. Les sots sont un peuple nombreux Trouvant toutes choses faciles ; II faut le leur passer : souvent ils sont heureux : Grand motif de se croire habiles. Un ane, en broutant ses chardons, Regardait un pasteur jouant, sous le feuillage, D'une flute dont les doux sons Attiraient et charmaient les bergers du bocage. Cet ane mecontent disait : " Ce monde est fou ! Les voila tous, bouche beante, Admirant un grand sot qui sue et se tormente A souffler dans un petit trou. C'est par de tels efforts qu'on parvient a leur plaire, Tandis que moi . . . Suffit . . . Allons-nous-en d'ici : Car je me sens trop en colere." Notre ane, en raisonnant ainsi, Avance quelques pas, lorsque, sur la fougere, Une flute, oubliee en ces champetres lieux. Par quelque pasteur amoureux, NARRATIONS INTERESSANTES. 105 Se trouve sous ses pieds. Notre ane se redresse, Sur elle de cotp fixe ses deux gros yeux ; Une oreille en avant, lentement il se baisse, Applique son naseau sur le pauvre instrument, Et souffle tant qu'il peut. O hasard incroyable ! II en sort un son agreable. L'ane se croit un grand talent, Et, tout joyeux, s'ecrie, en faisant la culbute : • Eh ! je joue aussi de la flute." Mort de Cesar. Cependant le jour qui devait terminer sa destinee etant arrive, sa femme Calpurnie, troublee par un songe dans lequel elle avait cru le voir assassin e entre ses bras, se jette a ses pieds, et le conjure de ne pas sortir de sa maison, dans un moment que tant de presages devaient lui faire regarder comme funeste. La grande ame de Cesar, touchee par les craintes de 1' amour, fut un moment ebranlee. Cedant aux larmes de Calpurnie, il se decide a contremander Passemblee du senat. Un des con- jures, Decimus Brutus, qui entrait alors chez lui, prevoyant que ce delai pouvait renverser tous leurs desseins, lui representa vivement l'injure qu'il ferait au senat en refusant d'y venir, lorsqu'il l'attendait pour le couronner, et la tache dont il couvri- rait sa gloire, si un songe de Calpurnie le decidait a faire une telle insulte au premier corps de PEtat. Cesar sortit, et la for- tune sembla vouloir encore sur sa route le detourner du preci- pice ou il allait tomber. Ay ant rencontre l'augure'Spurina, qui lui avait annonce son malheur : " Tu le vois," lui dit-il, " voila cependant les ides de Mars venues." — " Oui," lui repondit le N devin ; " mais elles ne sont pas encore passees." Un esclave voulait l'avertir du peril qui le menacait ; il ne put percer la foule dont il etait environne. 106 NARRATIONS INTERESSANTES. Arthemidore, philosophe grec, lie avec les principaux con- jures, avait penetre leur secret ; se melant au grand nombre de cetix qui presentaient des placets a Cesar, il lui remit un me- moire qui contenait tous les details de la conjuration, et lui dit : " Lisez promptement ; ceci est pour vous d'un interet urgent.' Cesar, obsede, n'eut pas le temps de lire cet ecrit qu'il tenait encore lorsqu'il entra dans le senat. Les conspirateurs, qui Fy attendaient, cachaient sous un calme profond les mouvements divers dont ils etaient agites. L'oeil le plus penetrant n'aurait pu deviner a leur maintien le coup ter- rible qu'ils meditaient. . . . Mort de Cesar. (Suite.) Des qu'on vit paraitre le dictateur, la plupart des conjures, comme ils en etaient convenus, allerent au-devant de lui, et l'accompagnerent jusqu'a sa chaise curule, tandis que d'autres eloignaient de lui Antoine, son ami et son collegue au consulat, en pretextant la necessite de lui parler d'une affaire importante. Pendant que Cesar s'avancait, un senateur, Popilius Lena, qu'on savait instruit de la conjuration, s'approche de lui, et lui parle quelque temps a Poreille : une consternation soudaine saisit alors tous les conjures, qui, se croyant trahis, portent deja leurs mains sur leurs poignards, decides a se tuer pour eviter le supplice : Brutus seul, jugeant au maintien de Popilius, qu'il etait plutot suppliant qu'accusateur, rassure d'un coup d'ceil ses complices. Des que Cesar etait assis, Cimber se jette a ses pieds, lui demandant le rappel de^son frere qu'il avait exile. Les autres conjures entourent Cesar pour appuyer cette demande : le dic- tateur refuse ; trop presse par leurs instances, il veut se lever ; Cimber le retient par sa robe. C'etait le signal convenu. Cesar s' eerie : " Ce ne sont plus des prieres, e'est de la violence !" Casca, place derriere son siege, le frappe a l'epaule, mais faible- NARRATIONS INTERESSANTES. 107 merit ; car la crainte d'un coup si hardi rendait sa main trem- blante et son poignard incertain. " Miserable ! que fais-tu ?" dit Cesar en se retournant ; en meme temps il perce le bras de Casca avec un poincon qu'il tenait dans la main. Casca appelle son frere a son secours ; tous les conspirateurs tirent leurs poignards ; Cesar s'elance sur eux ; i] ecarte les uns, renverse les autres ; il rec^oit enfin un coup de poignard dans la poitrine. Le sang qu'il perd, les glaives qu'on presente a ses yeux n'effraient pas son courage ; il se defend de tous cotes, quoique sans amies, comme un lion furieux et blesse ; mais, au moment ou il apercoit Brutus, qui lui enfonce son poignard dans le flanc, il prononce en gemissant ces mots : " Et toi, Brutus, aussi !" Alors il cesse toute resistance, s'enveloppe la tete, baisse sa robe, pour mourir encore avec decence, recoit sans se plaindre tous les coups qu'on lui porte, et, par un sort etrange, tombe et meurt aux pieds de la statue de Pompee. Pensee d' Alphonse d'Aragon sur la Noblesse. Le general Pissini s'etait distingue par plusieurs belles actions pendant la guerre d'ltalie ; son merite lui attira beaucoup d'en- vieux. Comme on parlait un jour de cet officier, et que chacun le comblait d'eloges, une personne de la compagnie se leva, et dit froidement : " Cet homme qu'on eleve si haut, et dont on fait tant de cas, n'est pourtant que le fils d'un boucher." Alphonse fut choque de ce discours impertinent. "Apprenez," dit-il a cet envieux, "que le fils d'un boucher qui sait s'elever par ses belles actions au-dessus de sa naissance, est preferable au fils d'un roi qui n'a d'autre merite que le rang de ses a'ieux." Un flatteur ennuyeux, croyant qu' Alphonse etait fort curieux de louanges, le complimenta un jour sur sa noblesse, et lui dit avec emphase : " Vous n'etes pas simplement roi comme les autres, vous etes encore frere, neveu et fils de roi." " Que prouvent tous ces titres ?" lui repondit Alphonse ; " que je tiens 108 NARRATIONS INTERESSANTES. la couronne de mes ancetres, et que je l'ai eue par succession, sans avoir rien fait de grand qui me l'ait meritee." Les deux Almanacks. Un almanach de Tan passe, Etant sur un bureau cote a cote place, Pres d'un almanach de l'annee, Lui disait : " Cher voisin, quel crime ai-je done fait, Qu'on ait si brusquement change ma destinee ? Mon maitre, chaque jour m'ouvrait, me consultait ; Et maintenant ma basane fanee A la poussiere, aux vers demeure abandonnee, Tandis que le capricieux Semble avoir pour toi seul et des mains et des yeux." L'autre almanach, tout frais dore sur tranche, Lui repondit : " Mon pauvre ami, Tu n'es plus de ce temps, et le tien est fini. Q,uand nous en sommes au dimanche, Tu n'es encor qu'au samedi. Ne t'en prends qu'a ton millesime. Si, grace au mien, je suis ce que tu fus, J'aurai mon tour, et mon seul crime Sera d'avoir compte douze lunes de plus." Ainsi tout passe et change en ce monde fragile. N'etre plus de son temps, e'est comme n'etre pas. Les hommes sont charmants tant qu'on leur est utile ; Q,ui ne l'est plus ne voit que des ingrats. Resignez-vous a ces tristes pensees, Gens d'autrefois, puissances renversees, Vieux serviteurs, anciens soldats, Amants trahis, beautes passees, Vous etes de vieux almanachs. NARRATIONS INTERESS ANTES. 109 Charles II, Roi cT Angleterre. L'imagination, qui a produit tant de romans, n'a guere in- vente d'aventures plus singulieres, ni des dangers plus pressants, ni des extremites plus cruelles que tout ce que Charles II essuya en fuyant la poursuite du meurtrier de son pere. II fallut qu'il marchat presque seul par les routes les moms frequences, ex- tenue de fatigue et de faim, jusque dans le comte de Strafford. La, au milieu d'un bois, poursuivi par les soldats de Cromwell, il se cacha dans le creux d'un chene, ou il fut oblige de passer un jour et une nuit. Ce chene se voyait encore au commence- ment de ce siecle. Les astronomes Font place dans les con- stellations du pole austral, et ont ainsi eternise la me moire de tant de malheurs. Ce prince, errant de village en village, de- guise, tantot en postilion, tantot en bucheron, se sauva enfin dans une petite barque, et arriva en Normandie apres six se- maines d'aventures incroyables. Remarquons ici que son petit- neveu, Charles Edouard, a eprouve de nos jours des aventures pareilles, et encore plus inouies. On ne peut trop remettre ces terribles exemples devant les yeux des hommes vulgaires qui voudraient interesser le monde entier a leurs malheurs quand ils ont ete traverses dans leurs petites pretentions, ou dans leurs vains plaisirs. Le Ramoneur. Une servante imbecille avait farci l'esprit des enfants de ses maitres de mille contes ridicules sur un homme a la tete noire. Angelique, l'une de ces enfants, vit un jour, pour la premiere fois, un ramoneur entrer dans la maison. Elle poussa un grand cri, et courut se refugier dans la cuisine. A peine s'y fut-elle cachee, que l'homme noir y entra sur ses pas. 10 110 NARRATIONS INTERES8ANTES. Saisie d'une mortelle frayeur elle se sauve par une autre porte dans l'ofrlce, et, toute tremblante, se tapit dans un coin. Elle n'etait pas encore entierement revenue a elle-meme, lorsqu'elle entendit rhomme effrayant chanter d'une voix ton- nante, en raclant a grand bruit les pierres de l'interieur de la cheminee. Dans un nouvel efTroi, elle s'elance de 1'endroit ou elle etait cachee, et, sautant par une fenetre basse dans le jardin, elle court a perte d'haleine vers le fond du bosquet, et tombe, pres- que sans mouvement, au pied d'un gros arbre. La, d'un ceil effare, elle osait a peine regarder autour d'elle ; tout a coup, sur le haut de la cheminee, elle vit encore s'elever rhomme noir. Alors elle se mit a crier de toutes ses forces : " Au secours ! au secours !" Son pere accourut, et lui demanda ce qu'elle avait a crier. Angelique, sans avoir la force d'articuler un seul mot, lui mon- tra du bout du doigt rhomme noir, assis a califourchon sur la cheminee. Son pere sourit ; et, pour prouver a la petite fille combien peu elle avait eu raison de s'effrayer, il attendit que le ramoneur fut descendu ; puis il le fit debarbouiller en sa presence, et, sans autre explication, lui montra de 1' autre cote son perruquier, qui avait le visage blanc de poudre. Angelique rougit, et son pere profita de cette occasion pour lui apprendre qu'il existait reeilement des hommes a qui la na- ture donnait un visage tout noir, mais qui n'etaient point a craindre pour les enfants ; qu'il y avait meme un pays ou les enfants etaient communement nourris par des femmes noires comme du jais, sans que leur teint perdit de sa blancheur. Des ce moment, Angelique fut la premiere a rire de tous les contes bizarres que les personnes simples et credules lui faisaient pour l'effrayer. NARRATIONS INTERESSANTES. Ill Magnanimite de Louis XII. D'Alviane, general des Venitiens, vaincu et fait prisonnier par Louis XII, a la bataille d'Agnadel, dans un de ces moments ou le depit egare la raison, s'emporta jusqu'a insulter son vain- queur. Les courtisans exciterent Louis a se venger. "J'ai vaincu d'Alviane," dit le roi modere ; "je veux me vaincre moi-meme." Dans une autre occasion, des comediens se permirent de tourner ce prince en ridicule. On voulut en vain I'irriter contre ces audacieux, et le porter a les chatier. " Laissez-les faire," dit-il, " ils m'ont cru digne d'entendre la verite ; ils ne se sont pas trompes. Ils m'ont plaisante sur mon economie ; mais j'aime mieux encore soufFrir ce ridicule, que de meriter le re- proche d'etre prodigue aux depens de mon peuple." Louis XII, connu sous le nom de due d'Orleans avant son avenement au trone, commenca son regne en pardonnant a tous ses ennemis, disant que le roi de France devait pardonner les injures faites au due d'Orleans, diminua les impots d'un tiers, abolit la venalite des charges. Les vers suivants, qui sont de Panard renferment le meilleur conseil qu'on puisse donner aux personnes d'un caractere enclin k la vengeance : Quiconque vous blesse ou vous nuit, Quelque dure que soit PofFense, Laissez l'espace d'une nuit Entre Pinjure et la vengeance. L'aurore a nos yeux rend moins noir Le mal qu'on nous a fait la veille ; Et tel qui s'est venge le soir, , En est fache des qu'il s'eveille. 112 NARRATIONS INTERESSANTES. Le Poltron. Il y avait un petit enfant si poltron, qu'il s'effrayait de tout. II avait peur d'un petit chevreau que Ton nourrissait dans la maison de son pere, et il n'osait le prendre par la barbe. Des qu'il voyait entrer le moindre chien dans l'appartement, il cou- rait se cacher sous le tablier de sa mere, et se mettait a crier aussi fort que s'il eut ete deja mordu. Le sot enfant ! du'en dites-vous ? Comment s'appelait-il ? Oh ! je ne vous dirai pas son nom, car j'en ai honte pour lui. Je l'appellerai seulement Joseph, pour vous aider mieux a entendre son histoire. II se promenait un jour avec son frere, qui avait deux ou trois ans plus que lui. A peine avaient-ils fait quelques pas dans la campagne, qu'il sortit de la maison un petit chien noir, qui vint tourner, en jappant, autour d'eux. Aussitot que Joseph l'aper- §ut, il se mit a fuir de toutes ses forces. Le petit chien, croyant que c'etait pour jouer, courut apres lui, le prit par le pan de son habit, et le secoua, en grognant de plaisir, comme font les petits chiens quand ils jouent. Joseph cependant en eut tant de fray- eur, qu'il ne savait pas ou il en etait ; et il courait a Paventure, en poussant des cris affreux. Pendant tout ce temps, Charles, son frere, ne cessait de lui crier : "Arrete done, Joseph ! arrete, je t'en prie ! le petit chien ne veut pas te faire de mal : il ne t'en fera pas ; il ne veut que se divertir." Joseph ne l'entendit pas, ou il n'y faisait pas d' attention, et il ne s'arreta qu'en tom- bant dans un etang qu'il n' avait pas vu, parce qu'il courait la tete tournee en arriere. Lorsque Charles le vit tomber, il eut, a son tour, autant de frayeur que Joseph en avait eu, et il courut vers lui, de toutes ses jambes, pour le tirer de l'eau ; mais en arrivant, il vit tout de suite qu'il n'en aurait pas le moyen, parce que l'eau etait beau- coup plus basse que le bord, et qu'en tendant les bras, il ne pouvait atteindre jusqu'a lui. Le pauvre Charles ne savait quel NARRATIONS INTERESSANTES. 113 parti prendre. S'il restait la, il ne pouvait secourir son frere ; et s'il allait chercher du secours, il craignait que son frere ne fut noye, avant qu'il eut rencontre quelqu'un pour le sauver. Dans son desespoir, il otait deja ses habits, pour se precipiter dans l'etang, et pour chercher a sauver son frere, au peril de sa vie, lorsqu'il vint a passer un homme qui luidemanda ce qu'il faisait. " Oh I" repondit Charles, en pleurant d'une telle force que Ton pouvait a peine entendre ses paroles, " mon frere est tombe dans l'eau ! Je veux le sauver, ou mourir avec lui." "Bon!" lui dit rhomme, "vous etes trop petit pour le secourir; vous ne feriez que vous noyer vous-meme : laissez-moi faire, je vais vous le chercher." Aussitot il depouilla son habit, etse laissa couler dans l'etang. II chercha Joseph qui etait au fond, le prit dans ses bras, et regagna le bord ; mais le petit gar^on avait ete si longtemps sous l'eau qu'il avait perdu connaissance, et qu'il etait presque mort. L'homme qui l'avait sauve, le porta vers la maison de son pere, et Charles marchait a cote de lui, en pleurant tout le long du chemin. Lorsqu'ils furent arrives, le pere de Joseph remercia tendre- ment le brave homme de lui avoir sauve son fils, et lui donna sa bourse, qui etait pleine d'or. On mit Joseph dans un lit bien chaud, et Ton "envoya chercher le medecin, qui lui fit donner tous les remedes necessaires. Enfin, le petit malheureux ouvrit les yeux, et reprit connaissance ; mais il se passa bien des jours avant qu'il fut entierement retabli. Pendant le cours de sa maladie, il eut le temps d'apprendre ce qu'il avait gagne par sa poltronnerie. Les enfants ne doivent surement pas agacer les chiens ; mais c'est une sottise d'en avoir peur. Les chiens ne mordent pas ceux qui ne leur font point de mal. Si Joseph fut reste tranquille, il n'aurait pas ete poursuivi par le petit chien noir ; il ne serait pas alle tomber dans l'eau ; il n'aurait pas couru h risque de se noyer et de faire noyer son frere ; enfin, il n'aurait pas ete longtemps montre du doigt, comme un poltron, par tous les petits gar^ons du quartier. 10* 114 NARRATIONS INTERESSAHTEg. Jlmabilite de Louis XIV. Louis XIV avait dans 1' esprit plus de justesse et de dignite que de saillies ; et d'ailleurs on n'exige pas qu'un roi dise des choses memorables, mais qu'il en fasse. Ce qui est necessaire a tout homme en place, c'est de ne laisser sortir personne mecon- tent de sa presence, et de se rendre agreable a tous ceux qui 1'approchent. On ne peut faire du bien a tout moment, mais on peut toujours dire des choses qui plaisent. II s'en etait fait une heureuse habitude : c' etait, entre lui et sa cour, un commerce continuel de tout ce que la majeste peut avoir de graces, sans jamais se degrader, et de tout ce que Pempressement de servir et de plaire peut avoir de finesse, sans Pair de la bassesse. II etait, surtout avec.les femmes, d'une attention et d'une politesse qui augmentait encore celle de ses courtisans ; et il ne perdit jamais Poccasion de dire aux hommes de ces choses qui flatten! P amour-propre en excitant P emulation, et qui laissent un long souvenir. Un jour madame la duchesse de Bourgogne, encore fort jeune, voyant a souper un officier qui etait tres-laid, plaisanta beaucoup et tres-haut sur sa laideur. " Je le trouve, madame," dit le roi encore plus haut, " un des plus beaux hommes de mon royaume ; car c'est un des plus braves." Un officier general, homme un peu brusque, et qui n'avait pas adouci son caractere dans la cour merae de Louis XIV, avait perdu un bras dans une action, et se plaignait au roi, qui Pavait pourtant recompense autant qu'on peut le faire pour un bras casse : " Je voudrais avoir perdu aussi Pautre," dit-il, " et ne plus servir votre majeste." — " J'en serais bien fache pour vous et pour moi," lui repondit le roi ; et ce discours fut suivi d'une grace qu'il lui accorda. II etait si eloigne de dire des choses desagreables, qui sont des traits mortels dans la bouche d'un prince, qu'il ne se permettait pas meme les plus innocentes et les plus douces railleries, tandis que des particuliers en font tous les jours de si crielles et de si funestes. NARRATIONS INTERESS ANTES. 115 La -Piece, de deux Sous. Un vieux aveugle, bien pauvre et bien malheureux, etait assis sur le bord d'une route, et elevait sa voix plaintive, des qu'il entendait les pas d'une personne qui s'approchait ; il n'avait pour soutenir sa triste existence, que le pain de Taumone. Le voyageur sensible lui donnait quelque chose ; celui qui ne pouvait rien lui donner, lui disait au moins : " Dieu vous as- siste." Le bonhomme priait egalement pour celui qui Passistait, et pour celui qui le recommandait a Dieu. Un enfant vint par cette route : il allait a un village voisin, ou il y avait une fete ; il devait y passer la journee chez une de ses tantes. II s'arreta devant Taveugle, et le considera avec attendrissement. " Le pauvre homme !" se dit-il, " il ne peut voir les champs ni le beau soleil ; il est comme quand je tiens les yeux ouverts pendant une nuit bien sombre. II ne peut rien faire non plus, et mourrait de faim, si on 1'abandonnait. Oh ! que je suis malheureux de n' avoir rien a lui donner ! duand je serai grand, si je suis assez riche pour cela, je ferai Taumone a tous les pauvres que je rencontrerai." C'est ainsi qu'il se parlait en regardant Taveugle. "Dieu vous benisse, brave homme !" dit-il a haute voix, avant de s'eloigner. " Bien oblige, mon enfant !" repondit Taveugle ; " que Dieu vous benisse aussi, et vous fasse la grace de devenir honnete homme." Ce voeu de Tinfortune acheva de toucher le cosur de Tenfant ; et une larme mouilla ses yeux. " Oh ! que je suis malheureux de n' avoir rien a donner !" se dit-il en s'en allant. Peu a peu Timpression qu'il venait de recevoir s'effaca ; il prit plaisir a voir la belle campagne, a ecouter les oiseaux, a cueilhr de petites fleurs et a regarder les passants. II etait presque au village, et entendait deja le menetrier qui faisait 116 NARRATIONS INTERESSANTES. danser la jeunesse sous le grand orme, lorsqu'il remarqua sur le chemin une piece de monnaie, a moitie couverte de poussiere. II se baissa bien vite pour la ramasser. C'etait une grosse piece de deux sous. Son coeur bondit aussitot de joie, et sa premiere pensee se porta sur le pauvre aveugle. " Si je courais ltd donner ces deux sous !" — II se retourna, et vit qu'en allant vite, il n'y avait que pour un demi-quart d'heure de chemin. Cela serait bientot arpente ; et d'ailleurs, pour faire une bonne action, fallait-il regarder au temps ? II hesita un peu cependant ; il reflechit qu'avec deux sous il pourrait acheter quelque chose a la fete, et il etait bien triste de se promener au milieu de deux rangs de marchands, sans pou- voir depenser seulement deux sous ; on faisait une triste mine quand on avait le gousset vide. " Oui, mais ce pauvre homme qui n'a peut-etre pas de quoi diner ! Deux sous surrlraient pour payer le pain de toute sa journee. Et moi," poursuivit-il en lui-meme, " je trouverai a diner et a gouter chez ma tante ; je serai bien regale, et je suis bien sur que cela ne m'empechera pas de m' acheter des gateaux a la fete. . . . Allons, allons ; por- tons au pauvre homme ces deux sous, sur lesquels je ne devais pas compter. . . . Pourtant. ..." II hesita encore : il y avait si longtemps, qu'il n' avait eu deux sous en sa possession ! La Piece de deux Sous. (Suite.) Tandis que le petit insensible balancait entre le plaisir de faire quelque bien a un infortune, et celui de satisfaire quelque mise- rable fantaisie, une bande d'enfants de son age arriva en criant et en sautant a la suite d'un homme qui avait Phonneur de por- ter sur ses epaules M. Polichinelle et madame Gigogne. II se mit bien vite de la partie, et suivit, comme les autres, madame Gigogne et M. Polichinelle. L'homme etablit son theatre sur la place, et commenca a representer ses pieces pour attirer du NARRATIONS INTERESS ANTES. 117 monde. Ce n'etait la que les bagatelles de la porte ; quan4 la foule fut assez nombreuse, on annon^a un spectacle bien plus magnifique. C'etait la lanterne magique, ou Ton voyait, moyen- nant deux sous, une foule de merveilles, telles que les rois et les grands hommes, les principales villes du monde, avec M. le Soleil et madame la Lune. II y avait la de quoi tenter les moins curieux ; on entrait en foule. Le petit gar§on seul restait indecis a la porte, en retournant dans son gousset la precieuse piece. L'homme invitait tout le monde, et pour mieux piquer 1' amour- propre, il terminait chaque invitation en criant de toutes ses forces : " Oui, messieurs, pour se priver d'un pareil spectacle, il faudrait n' avoir pas deux sous dans sa poche ! Oui," appuyait- il plus fort, " oui, il faudrait n'avoir pas deux sous !" II fixa par hasard le petit gar^on ; et celui-ci, qui crut que c'etait lui seul qu'on apostrophait, se redressa, tira sa piece, et entra comme les autres. II faut dire qu'il y avait dans ce mouvement encore plus de curiosite que de vanite. Ce beau spectacle ne dura guere qu'un quart d'heure, et l'enfant en sortit aussi riche qu'avant d' avoir fait sa trouvaille. Le souvenir de l'aveugle, qui occupait toujours son esprit, troubla beaucoup le plaisir qu'il avait eu ; il se rendit, l'oreille basse, chez sa tante, en se disant, pour se raccomnioder avec sa conscience : " Elle me donnera sans doute quelque argent pour ma fete ; je ne le depenserai point, afin de le donner au pauvre homme en repassant ce soir." Les choses n'allerent point comme il les avait disposees en lui-meme : sa tante le rec,ut tres-bien, mieux qu'il ne le meritait; elle le regala, comme il 1' avait prevu ; elle lui donna de la tarte a la creme, des poires tapees et toutes sortes de friandises ; tan- dis que l'aveugle n'avait peut-etre pas seulement du pain sec a manger : mais elle ne lui donna point d' argent : elle se contenta de lui acheter un beau jeu de qui! les et une trompette, et le renvoya avec cela, en lui recommandant bien de ne point e'amuser en route. 118 NARRATIONS INTERESSANTES. II fut d'abord tres-pensif, il se reprochait sa durete ; mais, tout en reflechissant, il tira sa trompette de sa poche, et se mit a souffler dedans de toutes ses forces. Cependant, quand il se vit a une certaine distance de I'aveugle, il souffla moins fort, et finit par ne plus souffler du tout ; il alia meme de l'autre cote de la route, et avec precaution, comme s'il eut craint d'etre entendu. Le pauvre homme, qui avait Toreille fine, ne le laissa point passer sans lui faire la petite priere qu'il adressait a tout le monde : "Ayez pitie," dit-il, "d'un pauvre aveugle, qui n'a que vos bienfaits pour subsister." Ces mots dechirerent le coeur de l'enfant, et il n'osa, comme le matin, repondre : " Dieu vous benisse." II s'eloigna en silence, et aussi mecontent de lui-meme que s'il eut vole les deux sous a ce miserable. Ce mecontentement se renouvela chaque fois qu'il passa par la, que I'aveugle y fut ou non, et il dura jusqu'au jour oii il eut enfin le bonheur de lui apporter deux sous qu'il avait ramasses avec bien du soin, et Hard a liard. " Ah ! Dieu merci," se dit-il avec une effusion de joie, " je pourrai maintenant passer devant lui, et lui dire Dieu vous benisse !" Robert et Montesquieu. Un jeune homme, nomme Robert, attendait sur le rivage a Marseille que quelqu'un entrat dans son batelet. Un inconnu s'y place ; mais un instant apres, il se preparait a en sortir, malgre la presence de Robert, qu'il ne soupconnait pas d'en etre le patron. II lui dit que, puisque le conducteur de cette barque ne se montre pas, il va passer dans une autre. "Mon- sieur," lui dit le jeune homme, " celle-ci est la mienne, voulez- vous sortir du port ?" — " Non, il n'y a plus qu'une heure de jour. Seulement je voulais faire quelques tours dans le bassin, pour profiter de la fraicheur et de la beaute de la soiree Mais vous n'^ivez pas l'air d'un marinier, ni le ton d'un homme de cet etat." — " Je ne le suis pas en efTet ; ce n'est que pour NARRATIONS INTERESSANTE5. 119 gagner de Fnrgent que je fais ce metier les fetes et les di- manches." — "Gluoi! avare a votre age! cela depare votre jeunesse et diminue l'interet qu'inspire d'abord votre heureuse physionomie." — "Ah! Monsieur, si vous saviez pourquoi je desire si fort de gagner de 1' argent, vous n'ajouteriez pas a ma peine celle de me croire un caractere si bas." — " J'ai pu vous faire tort, mais vous ne vous etes pas explique. Faisons notre promenade, et vous me conterez votre histoire." L'inconnu s'assied. "Hebien," poursuit-il, "dites-moi quels sont vos cha- grins, vous m'avez dispose a y prendre part." — " Je n'en ai qu'un," dit le jeune homme, " celui d' avoir un pere dans les fers, sans pouvoir Pen tirer. II etait courtier dans cette ville ; il s'etait procure, de ses epargnes et de celles de ma mere, un interet sur un vaisseau en charge pour Smyrne. II a voulu veiller lui-meme a l'echange de sa pacotille et en faire le choix. Le vaisseau a ete pris par un corsaire et conduit a Tetuan, ou mon malheureux pere est esclave avec le reste de 1' equipage. II faut deux mille ecus pour sa rancon ; mais comme il s'etait epuise afin de rendre son entreprise plus importante, nous sommes bien eloignes d'avoir cette somme. Robert et Montesquieu. (Suite.) Cependant ma mere et mes soeurs travaillent jour et nuit ; j'en fais de meme chez mon maitre, dans l'etat de joaillier que j'ai embrasse, et je cherche a mettre a profit, comme vous vo}'ez, les dimanches et les fetes. Nous nous sommes retranches jusque sur les besoins de premiere necessite ; une seule petite chambre forme tout notre logement. Je croyais d'abord aller prendre la place de mon pere, et le delivrer en me chargeant de ses fers ; j'etais pret a executer ce projet, lorsque ma mere, qui en fut informee, je ne sais comment, m'assura qu'il etait aussi impra- ticable que chimerique, et fit defendre a tous les capitaines du Levant de me prendre a leur bord." — " Et recevez-vous quelque- 120 NARRATIONS INTERES8 ANTES. fois des nouvelles de votre pere 1 Savez-vous quel est son patron a Tetuan, quels traitements il y eprouve ?" — " Son patron est intendant des jardins du roi : on le traite avec humanite, et les travaux auxquels on Pemploie ne sont pas au-dessus de ses forces ; mais nous ne sommes pas avec lui pour le consoler, pour le soulager ; il est eloigne de nous, d'une femme cherie, et de trois enfants qu'il aima toujours avec tendresse." — " duel nom porte-t-il a Tetuan?" — "II n'en a point change; il s'appelle Robert, comme a Marseille." — " Robert. . . . chez Pintendant des jardins ! Votre malheur me touche, mais d'apres vos sentiments qui le meritent, j'ose vous presager un meilleur sort, et je vous le souhaite bien sincerement. . . . En jouissant du frais, je voulais me livrer a la solitude : ne trouvez done pas mauvais, mon ami f que je sois tranquille un moment." Lorsqu'il fut nuit, Robert eut ordre d'aborder. Alors Pinconnu sort du bateau, lui remet une bourse entre les mains, et, sans lui laisser le temps de le remercier, s' eloigne avec precipitation. II y avait dans cette bourse huit doubles louis en or, et dix ecus en argent. II fut impossible au jeune homme de le joindre et de lui rendre grace. Six semaines apres cette epoque, cette famille honnete, qui continuait sans relache a travailler pour completer la somme dont elle avait besoin, prenait un diner frugal, compose de pain et d'amandes seches ; elle voit arriver Robert le pere, tres- proprement vetu, qui la surprend dans sa douleur et sa misere. Glu'on juge de Petonnement de sa femme et de ses enfants, de leurs transports et de leur joie ! Le bon Robert se jette dans leurs bras, et s'epuise en remerciments sur les cinquante louis qu'on lui a' comptes en s'embarquant dans le vaisseau, oii son passage et sa nourriture etaient acquittes d'avance ; sur les habillements qu'on lui a fournis ; il ne sait comment reconnaitre tant de zele et tant d'amour. NARRATIONS INTERESSANTES. 121 Robert et' Montesquieu, {Suite.) Une nouvelle surprise tenait cette famille immobile ; ils se regardaient les uns les autres. La mere rompt le silence ; elle imagine que c'est son fils qui a tout fait ; elle raconte a son mari comment, des 1'origine de son esclavage, il avait voulu aller prendre sa place, et comment elle Ten avait empeche. II fallait six mille francs pour la ran^on : " Nous en avions," poursuit- elle, " un peu plus de la moitie, dont la meilleure partie etait le fruit de son travail; il aura trouve des amis qui l'auront aide." Tout a coup, reveur et taciturne, le pere reste consterne ; puis s'adressant a son fils : " Malheureux ! qu'as-tu fait ? comment puis-je te devoir ma delivrance sans la regretter? comment pouvait-eile rester un secret pour ta mere, sans etre achetee au prix de la vertu ? A ton age, fils d'un infortune, d'un esclave, on ne se procure point naturellement les ressources qu'il te fal- lait. Je fremis de penser que Pamour filial t'a rendu coupable. Rassure-moi ; sois vrai, dusse-je mourir, si tu as pu cesser d'etre honnete I" — " Tranquillisez-vous, mon pere," repondit-il en 1'embrassant, " votre fils n'est pas indigne de ce titre. Ce n'est point a moi que vous devez votre liberte : je connais notre bien- faiteur. Souvenez-vous, ma mere, de cet inconnu qui me donna sa bourse ; il m'a fait bien des questions. Je passerai ma vie a le chercher, et il viendra jouir du spectacle de ses bienfaits." Ensuite il raconte a son pere l'anecdote de l'inconnu, et le rassure ainsi sur ses craintes. Rendu a sa famille, Robert trouva des amis et des secours. Les succes surpasserent son attente. Au bout de deux ans il acquit de l'aisance ; ses enfants, qu'il avait etablis, partageaient son bonheur, et il eut ete sans melange, si les recherches con- tinuelles du fils avaient pu faire decouvrir ce bienfaiteur, qui se derobait avec tant de soin a leur reconnaissance et a leurs voeux. II le rencontre enfin un dimanche matin, se promenant seul sur 11 122 NARRATIONS INTERES3AXTE8. le port. "All ! mon dieu tutelaire !" C'est tout ce qu'il peut prononcer en se jetant a ses pieds, ou il tomba sans connaissance. L'inconnu s'empresse de le secourir, et de lui demander la cause de son etat. " Quoi ! Monsieur, pouvez-vous 1'ignorer, lui repond le jeune homme, avez-vous oublie Robert et sa famille infortunee, que vous rendites a la vie en lui rendant son pere V — " Yous vous meprenez, mon ami ; je ne vous connais point, et vous ne sauriez me connaitre : etranger a Marseille, je n'y suis que depuis peu de jours." — "Toutcela peut etre ; mais souvenez-vous qu'il y a vingt-six mois que vous y etiez aussi : rappelez-vous cette promenade dans le port ; l'interet que vous prites a mon malheur, les questions que vous me fites sur les circonstances qui pouvaient vous eclairer et vous donner les lumieres necessaires pour etre notre bienfaiteur." Robert et Montesquieu. (Suite.) "Liberateur de mon pere, pouvez-vous oublier que vous etes le sauveur d'une famille entiere, qui ne desire plus rien que votre presence ? Ne vous refusez pas a ses vceux, et venez voir les heureux que vous avez faits. . . . Venez." — " Je vous l'ai deja dit, mon ami, vous vous meprenez." — "Non, Monsieur, je ne me trompe point ; vos traits sont trop profondement graves dans mon cosur, pour que je puisse vous meconnaitre. Venez, de grace." En meme temps il le prenait par le bras, et lui faisait une sorte de violence pour l'entrainer. Une multitude de peuple s'assemblait autour d'eux. Alors Tinconnu, d'un ton plus grave et plus ferme : " Monsieur," dit-il, " cette scene commence a etre fatigante. Gluelque ressemblance occasionne votre erreur ; rappelez votre raison et allez dans votre famille chercher la tranquillite dont vous paraissez avoir besoin." — " Quelle cruaute !" s'ecrie le jeune homme : " bienfaiteur de cette famille, pourquoi alterer par votre resistance le bonheur qu'elle ne doit qu'a vous? Resterai-je en vain a vos pieds ? Serez-vous assez inflexible pour NARRATIONS INTERESSANTE8. 123 refuser le tribut que nous reservons depuis si longtemps a votre generosite ? Et vous qui etes ici presents, vous que le trouble et le desordre ou vous me voyez, doivent attendrir, joignez-vous tous a moi, pour que l'auteur de mon salut vienne contempler son ouvrage." A ces mots, l'inconnu parait se faire quelque violence : mais, lorsqu'on s'y attendait le moins, reunissant toutes ses forces, et rappelant son courage pour resister a la seduction de la jouissance delicieuse qui lui est offerte, il s'echappe comme un trait au milieu de la foule, et disparait en un instant. Cet inconnu le serait encore, si ses gens d'affaires, ayant trouve dans ses papiers, a la mort de leur maitre, une note de 7,500 livres, envoyee a M. Main de Cadix, n'en eussent pas demande compte a ce dernier, mais settlement par curiosite, puisque la note etait batonnee et le papier chiffonne comme ceux que Ton destine au feu. Ce banquier repondit qu'il en avait fait usage pour delivrer un Marseillais, nomme Robert, esclave a Tetuan, conformement aux ordres de Charles de Secondat, baron de Montesquieu, president au parlement de Bordeaux. Phocion et Aristide. Phocion, le plus recommandable des Atheniens et le plus zele pour le bien public, etant sur le point de boire la cigue a laquelle il avait ete condamne par la jalousie de ses concitoyens, ses amis lui demanderent si, dans ce dernier moment, il n'avait rien a dire a ses fils ? " Oui," repondit-il, " dites-leur d'oublier cette injustice." A cet exemple d'amour pour la patrie, ajoutons le suivant : Aristide etait, comme Phocion, un homme si irreprochable dans sa conduite, que le peuple d'Athenes le nomma le juste. La jalousie que lui attira ce surnom,le fit barmir par le suffrage du peuple, malgre les services qu'il avait rendus a l'Etat. Dans son exil, ses amis lui demanderent quels voeux il faisait pour son 124 NARRATIONS INTERE3SANTES. ingrate patrie. "Je lui souhaite," dit-il, "tant de prosperity, qu'elle ne se souvienne jamais de moi." Louis XIV et Poll. Un chimiste Romain, nomme Poli, avait decouvert une com- position terrible, dix fois plus destructive que la poudre a canon. II vint en France en 1702, et fit hommage de son secret a Louis XIV. Ce prince voulut juger par lui-meme de la composition et de l'effet de cette decouverte chimique. II en fit faire l'expe- rience sous ses yeux. "Votre procede est ingenieux," dit-il ensuite a Poli : " 1' experience en est terrible et surprenante ; mais ]es moyens de destruction employes a la guerre, sont suffi- sants : je vous defends de publier celui-la. Contribuez plutot a en perdre la memoire ; c'est un service a rendre a l'humanite." Ce fut sous cette condition que ce grand monarque accorda une recompense au chimiste. Jolie Naivete (Tun Enfant. Un petit gar^on venait d'entrer dans une maison dont le maitre s'amusait avec un perroquet. II Je tenait sur son doigt, le caressait, et lui par kit comme s'il eut pu l'entendre. Le petit gar^on aurait bien voulu aussi le caresser et le prendre sur son doigt ; il tendait me me deja la main pour flatter Jaquot. " Pre- nez garde, mon petit ami," dit le maitre ; "Jaquot n'est pas trop patient, il pourrait vous mordre." — " Mais, monsieur," observa le petit bon homme, ■ il ne vous mord pas, vous ?" — " C'est qu'il me connait," repliqua le maitre. — "Eh bien," reprit Pen- fant, "dites-lui que je m'appelle Paul." — Le pauvre petit croyait qu'il suffisait d'apprendre son nom au perroquet pour faire connaissance avec lui. NARRATIONS INTERESSANTES* 125 Changements de temps indiques par la Toile d 'Jlraignee. Lorsqu'il doit faire de la pluie ou du vent, 1'araignee rac- courcit beaucoup les derniers fils auxquels sa toile est suspendue, et elle la laisse dans cet etat tant que le temps reste variable. Quand au contraire les derniers fils sont longs, on peut etre assure qu'il fera beau, et Ton pourra juger de la duree du beau temps d'apres le degre de longueur de ces memes fils. Si 1'araignee demeure dans l'inaction, il faut s'attendre a la pluie ; mais si elle se remet au travail pendant qu'il pleut, on doit en conclure que la pluie sera de courte duree et qu'elle sera meme suivie d'un beau temps fixe. D'autres observations sur 1'araignee nous apprennent qu'elle fait des changements a sa toile toutes les vingt-quatre heures, et que, si ces changements ont lieu vers les six ou sept heures du soir, on peut compter sur une nuit belle et claire. Histoire d'un Chiffonnier. Un jour que je suivais Tune des rues les plus longues de Paris, je fus frappe de l'activite d'un petit homme qui portait une hotte sur son dos et une grande poche en place de tablier. II s'arretait a chaque borne, a chaque coin de rue, portait un baton termine par un crochet de fer, et jetait avec adresse et dexterite dans sa hotte ou dans sa poche differentes choses que je ne distinguai pas d'abord. Je ne comprenais rien a son tra- vail ; mais a force de le suivre, je vis qu'il ramassait des os, du cuir, du papier, des chiffons, du verre casse, des cendres, des morceaux de porcelaine doree, de petite ferraille, etc. Pousse de plus en plus par la curiosite, je m'attachai a ses pas ; je le vis causer avec un confrere et lui faire part de ses trouvailles, et enfin je finis par lier conversation avec lui. II vit que je ne me 11* 126 NARRATIONS INTERESS ANTES. moquais pas de son metier et que j'etais loin de le mepriser lui- meme, puisque je lui proposai de boire bouteille ensemble : il accepta, a condition toutefois que j'irais gouter son vin chez lui dimanche matin, ce que je promis sans facon. Alors mon homme posa sa hotte et sa poche, se lava les mains a la pompe et me suivit dans la chambre d'un petit cabaret voisin. "Je vois bien, Monsieur," me dit-il, "que vous etes etranger et que mon petit commerce vous etonne. Je gagerais meme que vous vous etes deja. demand e comment je pouvais y gagner ma vie." Je lui avouai franchement qu'il avait dit vrai, et je n'eus point de peine a lui faire raconter ce que je voulais ap- prendre de lui ; il me dit : " Je suis chiffonnier de mon etat, comme vous le voyez. Nous sommes a peu pres trois cents dans Paris, en comptant les gratte- ruisseaux, qui ne travaillent guere que la nuit. Notre etablisse- ment n'est pas cher ; une hotte, un bon crochet et quelques vieux tonneaux defences pour mettre la marchandise, et voila tout. Point d'avance, point de credit, et par consequent point de ban- que routes ; tout est profit dans notre partie. Je tiens toujours le meme quartier, j'y suis connu, ma tournee finit tous les jours a peu pres a la meme heure, et le reste de la journee est em- ploye a preparer la marchandise ou a courir chez les fabricants et les commissionnaires ; car nous faisons des affaires avec ces messieurs-la." Histoire just published, and cheerfully recommend it to the attention of teachers as a very superior worl; of the kind. In style, a most important point in works of this character, it is decidedly superior to some of the most popular historical compends now used in our schools and academies. Baltimore, March 16, 1337. R. CONNOLLY. Dear Sir,— I have long felt the want of a good History of the United States, and was pleased to have" the opportunity of perusing irost's. I am so much pleased with its elegance of language, neat arrangement, copious questions. and style of getting "up, that I shalUat once introduce it into my school, and use my influence to give it a wide circulation. Baltimore, March, 16, 1837. E. B. HARNEY. JOHN COLLINS, MATTHIAS NUGENT, RICHARD 0"R. LOVETT, S. H. REEVES. JAMES CROWELL, THOMAS COLLINS. R. M-CUNNEY, THOMAS H. WILSON. DAVID S3HTH, BARTRAM KAIGHN, M. SEMPLE, B. W BLACKWOOD, WILLIAM M'NAIR, E. W. HUBBARD, WILLLAM LEWIS, E. NEVILLE. JOHN ALLEN. WILLLAM 31 ANN. JAMES E. SLACK, L. W. BURNETT, CHARLES MEAD, THOMAS 31- ADAM, WILLL13I ALEXANDER, A.3I. JOSEPH RAFP, No. 41 Sansom street. JOHN PURLZ, We fully concur in the above. EDWARD S. EBBS, MICHAEL POWER, ANDRE W DINSMORE, JA3IES WILKISON, N. 31. KNAPP, DAVID KING, JOHN R. GARBOE, JOSEPH WALKER, JA3LES E. SEARLY, TH03ISON RANDOLPH, CHARLES H. ROBERTSON, CHARLES F. BANSE3IOS, ROBERT O'NEILL, JOHN HARVIE. E. YEATES REESE, PHILIP WALSH, JOHN KIRBY, A.3I. BENJAMIN G. FRY, S. 31. ROSZEL, JOSEPH H. CLARKE, JOHN KEELY, PARDON DAVIS. L»J Baltimore, March, 1837. Mr. E. C. Biddle, Sir,— I have examined with some attention "A History of the United States, by John Frost," published by you. I am so much pleased with its happy arrangement, correct style, and careful investigation into the inci- dents of our history, that I shall introduce it into my school, as early as prac- ticable, and I think its merits need only be known, to recommend it to every school in the country. I am, respectfully; &c. A. A. DOWSON. By the politeness of the puolisher, Mr. E. C. Biddle, of Philadelphia, we have received, through his agent, a copy of Frost's "History of the United States ;" and having examined it. are infinitely pleased with the work. The compiler has departed sufficiently from the path of common historians, to render his work truly entertaining, without overlooking any important histo- rical fact. The chronological and statistical tables are" full, the subject mat- ter well arranged, and it seems adapted in every important respect for use in schools and academies. KNAPP & WILLS. Gay Street Seminary, March 20, 1837. Baltimore Female Classical School. Mr. Biddle, Sir,— As far as I have examined " The History of the United States," which you put into my hands for that purpose, it receives my decided approbation ; and in corroboration of this, I shall introduce it immediately, as a text-book, into my school. A. B. CLEAVELAND, A.M., M.D., Schoolmaster. Balti?nore, March 16, 1S37, From Stephen S. Roszel, A.M., Principal of" Spring Seminary," Baltimore, Mr. E. C. Biddle, Sir, — A superficial examination of " Frost's United States" is quite suffi- cient to convince any impartial and enlightened mind of its general excel- lence, and especially of its admirable adaptation to the purposes oi scholas- tic study. The simplicity ol its arrangement, the perspicuity of its delinea- tions, and the elegance of its style, combine to recommend its adoption in all our literary institutions, and to secure in its favour the cheerful plaudits of universal approbation. Respectfully, S. S. ROSZEL. Philadelphia, March 24, 1838. This is to certify, that " Frost's History of the United States" has been adopted as a class-book by the Controllers of the Public Schools of the First School District of Pennsylvania, and is in general use in the public schools in the city and county of Philadelphia. R. PENN SMITH, Secretary of the Board of Contrullera. Frost's History of the United States has been reprinted in London as the first of a series of national histories written by natives of the respective countries to which they relate. This is a compliment not often paid to American schoor books by British pub- lishers. [10] FROST'S HISTORY FOR COMMON SCHOOLS. HISTORY OF THE UNITED STATES FOH THE USE OF COMMON SCHOOLS. By John Frost, author of " History of the United States for the use of Schools and Academies," " The American Speaker," &c. This work is condensed from the authors larger History of the United States for the Use of Schools and Academies. In reducing* the quantity of matter to such a compass, as will place the volume within the reach of the common schools, no pains have been spared to preserve all that is essential to a clear and comprehensive history of the country. No event of importance, noticed in the larger history, is passed over in this, although many of the minor details are considerably condensed ; and some circumstances and ob- servations having a comparatively unimportant bearing on the main story, are entirely omitted. The authors design, in accomplishing the condensation of his former work, has been to furnish the common schools of the country with a history, in a cheap and convenient form, which would be complete and sufficient for the purposes of sound instruction, not only in the plan and arrangement, but in the amount of solid information which it should comprise. How far he may have succeeded in this attempt it remains for the friends of popular education to determine. REOOIUnyiENDATIGNS. The following are selected from a large number of recommendations of tho above work which have been received by the publishers. It has been adopted by the Controllers of the Public Schools of the City and County of Philadelphia, and by sther committees of public schools in various parts of the country. From the Rev. C. H. Alden, Principal of the Philadelphia High School for Girls "Frost's History of the United States" is a text-book in my school, and is justly a favourite. I have often regretted that an edition, in a smaller volume, with numerous illustrative engravings, was not furnished for the use of our junior classes and common schools. I am glad, therefore, to see what I thought a desideratum, and in a style, and at a price so well adapted to the purposes intended. This volume, I find, is abridged from the larger volume very judiciously, and can be recommended very confidently to general use. There is no history of our country, in my opinion, at all comparable with it as a common school book. CHARLES HENRY ALDEN Philadelphia, Oct. 23, 1837* I judge J. E. SLACK, JOSEPH R. EASTBURN, A. STEVENSON, expressed above. WILLL4.M A. GARRIGUES, M. SOULE, Rev. CHARLES HENRY ALDER JOHN EUSTACE, BENJAMIN C. TUCKER, HUGH MORROW, WILLIAM M'NAIR, E. H. HUBBARD, R. LAKE, JOR^ WEBB, JOHN ORD, SAMUEL CLENDENIN, D. R. ASHTON, J. O'CONNOR, Secretary to the Phi ladelphia Association of Teaeh&rs. JOSEPH WARREN, THOMAS CONRAD, THOMAS M'ADAM, Rev. SAMUEL W. CRAWFORD A.M., Principal of Academical Dept of University of Pennsylvania. M. L. KURLBUT, R. W. CUSHMAN, AUGUSTINE LUBINGTON, JOHN ERHARDT. OLIVER A. SHAW, A. D. CLEVELAND. Baltimore, Dec, 1834 above expressed. WILLIAM HAMILTON, JOSEPH WALKER, JAMES SHANLEY, DAVID RING, ROBERT WALKER, D. W. B. M'CLELAN, S. A. DAVIS, JAMES F. GOULD, JOSEPH H. CLARKE, FRANCIS WATERS, JOHN MAGEE, MICHAEL POWER. We fully concur in the opinion SAMUEL JONES, O. W. TREADWELL, E. BENNETT, E. R. HARNEY, ROBERT O'NEILL, N. SPELMAN, S. W. ROSZELL, SAMUEL HUBBELL, H. O. WATTS, C. F. BANSEMER, D. E. REESE, S. A. CLARKE, JOHN FINLEY, A.M. Recommendations to the same general effect have been received from th# following gentlemen : — SIMEON HART, Jr., Farmington, Conn. Rev. D. R. AUSTIN, Principal of Monmouth Academy, Monson, Masj. T. L. WRIGHT, A.M., Principal of East Hartford Classical and English School. Rev. N. W. FISKE, A.M., Professor Amherst College, Mass. E. S. SNELL, A.M., Professor Amherst College, Mass. R-ev. S. NORTH, Professor of Languages, Hamilton College, New York W. H. SCRAM, A.M., Principal of Classical and English Academy, Troy, New York. JAMES F. GOULD, Principal of Classical School, Baltimore. A. B. MYERS, Principal ot Whitehall Academy, New York. HORACE WEBSTER, Professor Geneva College, New York. W. C. FOWLER, Professor Middlebury College, Vermont. S. S. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. S. B. HOWE, late President of Dickinson College, B F. JOSLIN, Professor Union College, New York. [ IS ] PINNOCK'S GREECE. PINNOCK'S IMPROVED EDITION OF DR GOLDSMITH'S HISTORY OF GREECE. Revised, cor rected, and very considerably enlarged, by the addition of several new chapters and numerous useful notes ; with questions for examination, at the end of each section. Revised from the twelfth London edition. With 30 engravings, by Atherton. RECOMMENDATIONS. From Mr. N. Dodge, Teacher, South Eighth street. Theedition of " Pinnock's History of Greece" on the basis of Goldsmith's, is, In my estimation, a work of superior merit. The introductory chapters are especially valuable. The body of the work is greatly improved ; and the continuation, though brief, supplies a want greatly felt by every reader at toe conclusion of the original work of Dr. Goldsmith. I shall introduce it into any seminary as the best text-book on the subject. N. DODGE. We fully concur in the opinions above expressed. THOMAS H. WILSON, WE ALEXANDER, A.M. JOHN SIMMONS, WILLIAM M'NAK, EDWARD H. HUBBARD, EZEKIEL FOUSE, Rev. WM. MANN, A.M. J. MADEIRA, J. E. SLACK, L. W. BURNET, JOHN HASLAM, THOMAS EUSTACE, JOHN EUSTACE, WILLIAM MARRIOTT, RIAL LAKE, THOxYIAS COLLINS, MATTHIAS NUGENT, SAMUEL CLENDEN1N, JAMES CROWELL, WILLIAM B. ROSE, AUGUSTINE LUDINGTON, Rev. SAMUEL W. CRAWFORD A.M., Principal of the Acadl. Dept, of the University of Pennsylvania, THOMAS M'ADAM, THOMAS T. AZPELL, A. MITCHELL, H. MORROW, D. R. ASHTON, BENJAMIN C. TUCKER, ES. LEVY, WILLIAM ROBERTS. SAMUEL J. WILLEY, THOMAS BALDWIN, U. KITCHEN, M. L. HURLBERT, SHEPHERD A. REEVES, EDMUND NEVILLE, NICHOLAS DONNELLY, WILLIAM A. GARRIGUES [16] PINNOCK'S ROME. PINNOCK'S IMPROVED EDITION OF DR GOLDSMITH'S HISTORY OF ROME. To which is pre fixed an Introduction to the Study of Roman History, and a great variety of information throughout the work on the Manners, Institutions, and Antiquities of the Romans ; with questions for examination, at the end of each section. Revised from the twelfth London edition, with additions and improvements. With 30 engravings, by Atherton. RECOMMENDATIONS. Having examined Pinnock's improved edition of Dr. Goldsmith's History of Rome, I unhesitatingly say, that the style and elegance of the language, the arrangement of the chapters, and the questions for examination, render xt, in my estimation, a most valuable school book :— I therefore most cheerfully recommend it to teachers, and do confidently trust that it will find an exten- sive introduction into the schools of our country. Baltimore, September 23, 1835. JAMES F. GOULD. We fully concur in the above recommendation S. P. SKINNER, C. H. ROBERTSON, ROBERT WALKER, WILLIAM HAMILTON DAVID RING, JAMES E. SEARLEY, SAMUEL ROSZEL, E. YEATES REESE, N. SPELMAN, B. WALSH, PARDON DAVIS, SAMUEL HUBBELL, O. W. TREADWELL, A. DINSMORE, JAMES WILKESON, JOSEPH H. CLARKE, S. A. CLARKE, JOSEPH WALKER, JAMES SHANLEY, E. RHODES HARNEY, ROBERT O'NEILL, MICHAEL POWER, JOHN PRENTISS, EDWARD S. EBBS, MICHAEL TONER. Prom Samuel Jones, A.M., Principal of the Classical and Mathematical Institute, Philadelphia. A writer of so honourable a popularity as Dr. Goldsmith, for all the graces of an elegant, polished, and pure style and whose histories have been so long and so extensively useful to youth, certainly needs no encomium. It may be *dded, however, tor the information of those teachers who are not acquainted with the improvements of Pinnock, that he has been for some time eminent In England for valuable additions to school books. Of the edition of Rome, by Messrs. Key & Biddle of this city, it is believed that it will be found superior, in the manner of " getting up," to any yet published in this country ; while Us attractive appearance and mechanical execution lead me not only to hope, tin wt confidently expect, that they will receive a liberal return For their invest aient. Philadelphia, September 15, 1835. SAMUEL JONES. From J. M. Keagy, M.D., Principal of Friends 1 Academy , Philadelphia. Pinnock's edition of "Goldsmith's Rome" has several very useful addi- tions ; the one an introduction, containing an abridged view of Roman Geography and Antiquities, and the other a very appropiiate extension of Roman history to the subjugation of the empire by the Northern Bsjrbarians. This improved edition of "Goldsmith's Rome" will, no doubt /etain its place in our schools as one of the best abridgments of the history of that interesting people. JOHN M. KEAGY. We fully concur in the above. THOMAS BALDWIN, F. M. LUBBREN, D. MAGENIS, Teacher of Elo- SHEPHERD A. REEVES, cution. JOHN HASLAM, WILLIAM A. GARRIGUES, E. FOUSE, CHARLES HENRY ALDEN, OLIVER A. SHAW, W. MARRIOTT, M. L. HURLBERT, THOMAS CONARD, RIAL LAKE, URIAH KITCHEN, BENJAMIN MAYO, SETH SMITH, WILLIAM M'NAIR, 3. D. GRISCOM, C. K. FROST, AUGUSTINE LUDINGTON, SAMUEL CLENDENIN, CHARLES B. TREGO, THOMAS COLLINS, THOMAS EUSTACE, J. O'CONNOR, J. H. BROWN, JOHN STOCKDALE/ JOHN STEEL, D. R. ASHTON, T. G. POTTS, BENJAMIN C. TUCKER, JOSEPH P. ENGLES, JAMES CROWELL, WILLIAM MANN, RICHARD M'CUNNEY, L. W. BURNET, J. E. SLACK, HUGH MORROW, CHARLES MEAD, JOSEPH EUSTACE, * E. H. HUBBARD, M. A. CRITTENDEN, Princi- V. VALUE, pal of a Young Ladies' Semi- EDWARD POOLE. nary, Philadelphia. ivecommendations to the same effect have been received from the following gentlemen : SIMEON HART, Jr., Farmington, Conn. T. L. WRIGHT, East Hartford, Conn. Rev. N. W. FISKE, Professor Amherst College,' Mass. D. R. AUSTIN, A.M., Principal of Monson Academy. Rev. S. NORTH, Professor Hamilton College, New York. HORACE WEBSTER, Professor Geneva College, New York. B. G. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. S. B. HOWE, late President of Dickinson College. B. F. JOSLIN, M.D., Professor Union College, New York. G. B. GLENDINNING, Troy, New York. J. P. BRACE, Principal of Hartford Female Academy. C. H. CALHOUN, A.M., Tutor William's College. ? GEORGE HALE, A.M., Tutor William's College. J. H. LATHROP, A.M., Professor Hamilton College, New York, A. N. SKINNER, New Haven, Conn. £>. D WHEDON, Professor Wesleyan University, Middleton, Conn, GUY ON ASTRONOMY, AND KEITH ON THE GLOBES GUY'S ELEMENTS OF ASTRONOMY, AND AN ABRIDGEMENT OF KEITH'S NEW TREATISE ON THE GLOBES. Thirteenth American edition, with additions and improvements, and an explanation of the astro- nomical part of the American Almanac. Illustrated with eighteen plates, drawn and engraved on steel, in the best man ner. RECOlYnYXENDATIONS. Philadelphia, December, 1834. A volume containing Guy's popular treatise of Astronomy, ana Keith on the Globes, having been submitted to us for examination and carefully ex- amined, we can without any hesitation recommend it to tne notice and patron- age of parents and teachers. The work on Astronomy is clear, intelligible, and suited to the comprehension of young persons. It comprises a great amount of ' information, and is well illustrated with steel engravings. Keith on the Globes has long been recognised as a standard school book. The present edition, comprised in the same volume with the Astronomy, is improved by the omission of much extraneous matter, and the reduction of size and price. On the whole, we know of no school book which comprises so much in so little space as the new edition of Guy and Keith. THOMAS EUSTACE, W. B. ROSE, JOHN HASLAM, CHARLES MEAD, W. CURRAN, BENJAMIN MAYO, SAMUEL CLENDENIN, H. MORROW, SHEPHERD A. REEVES, J. H. BLACK, JOHN STOCKDALE, S. C. WALKER, J. B. WALKER, THOMAS COLLINS, J. E. SLACK, WM. MANN, JOSEPH R. EASTBURN, RIAL LAKE, WILLIAM M'NAIR, W. MARRIOTT, H. O. WATTS, C. B. TREGO, J. O'CONNOR, Secretary to the JOHN ERHARDT, Philadelphia Association of R. W. CUSHMAN, Teachers. THOMAS M'ADAM, B. N. LEWIS, Rev. SAMUEL W. CRAWFORD, Rev. CHAS. H. ALDEN, A.M., Principal of the Acadl. _«pt. BENJAMIN C. TUCKER, of the University of Pennsylvania. J. H. BROWN, O. A. SHAW, JOHN ORD, AUGUSTINE LUDINGTON, SETH SMITH, M. SOULE, WILLIAM ROBERTS, WILLIAM A. GARRIGUES, T. H. WILSON, M. L. HURLBERT JOSEPH WARREN, S. JONES, [19] Baltimore } Dec. 1831. We fully concur in the opinion above expressed. E. BENNETT, JAMES SHANLEY, C. F. BANSEMAR, DAVID RING, E. R. HARNEY, ROBERT WALKER, ROBERT O'NEILL, D. W. B. M'CLELAN, N. SPELMAN, S. A. DAVIS. S. W. ROSZELL, JAMES F. GOULD. SAMUEL HUBBELL, JOSEPH H. CLARKE, A.M D. E. REESE, FRANCIS WATERS, S. A. CLARKE, JOHN MAGEE, JOSEPH WALKER, MICHAEL POWER, O. W. TREAD WELL, C D. CLEVELAND. Rev. S. M. GAYLEY, Wil- mington, Del. Willbraham, Oct. 27, 1834. We have used Guy's Astronomy, and Keith on the Globes, as a text-book, during the past year; it is in all respects such an one as was wanted, and \vy have no disposition to exchange it for any other with which we are ac- quainted. WM. G. MITCHELL, Lecture?' on the Natural Sciences and Astronomy, in Wesley an Academy, Mass. New York, Dec, 183 1, We fully concur in the opinion above expressed. BERNARD THORNTON, W. M. SOMERVILLE, HORACE COVELL, NORTON THAYER. P. PERRINE, THOMAS GILDERSLTEVE, J. B. KIDDER. MELANCTHON HOYT, SOLOMON JENNER, THOMAS V. FOWLER, JOSEPH M'KEEN, JOSEPH BAILE, C. CARTER, SAMUEL GARDNER, LEONARD HAZELTINE, WILLIAM FORREST, JOSEPH CHAMBERLAIN, C. W. NICHOLS, W. R. ADDINGTON, THOMAS M'KEE, HENRY SWORDS, ADN. HEGEMAN, J. M. ELY, G. VALE. Recommendations of the same tenor have been received from the following gentlemen: Rev. D. R. AUSTIN, A.M., Principal of Monson Academy, Mass. T. L. WRIGHT, Principal of East Hartford Classical and English School. S. HART, Principal of Farmington Academy, Conn. C. D. WE STB ROOK, D.D., New Brunswick, New Jersey. W. H. SCRAM, Principal of Classical Academy, Troy, New York. E. H. BURRITT, Author of the Geography of the Heavens, New Britain Conn. WM. C. FOWLER, Professor of Chemistry in Middlebury College, Ver- mont. B. S. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. C. H. ALDEN, A.M., Principal of Philadelphia High School for Young Ladies. Rev. S. B. HOWE, late President of Dickinson College. Rev. Dr. WESTBROOK, Principal of Female Seminary and Rector cf Rutgers' College Grammar School. Dr. B. F. JOSLIN, Professor Union College, Sew York. GEORGE B. GLENDINING, Principal of Young Ladies Academy, Troy, New York. M. CATLIN, A.M., Professor of Mathematics in Hamilton College, Nev? York. [20] BRIDGE'S ALGEBRA. A TREATISE ON THE ELEMENTS OF AL- GEBRA. By Rev. B. Bridge, D.D., F.R.S., Fellow of St. Peter's College, Cambridge, and late Professor of Mathematics in the East India College, Herts. Revised and corrected from the eighth London edition. In this work the hitherto abstract and difficult science of Algebra is sim- plified and illustrated so as to be attamaole by the younger class of learners, and by those who have not the aid of a teacher. It is already introduced into the University of Pennsylvania, at Philadelphia; and the "Western Uni- versity at Pittsburg, it is also the text-book of Gummere's School at Burling- ton, and Friends' College at Haverford, and of a great number of the best schools throughout the United States. It is equally adapted to common schools and. colleges. RECOMMENDATIONS. Philadelphia, March 7, 1833. Bridge's Algebra is the text-book in the school under my care ; and I am better pleased with it than with any which I have heretofore used. The author is very clear in his explanations, and systematic in his arrangement, and has succeeded in rendering a comparatively abstruse branch of science, an agreeable and interesting exercise both to pupil and teacher. JOHN FROST. We fully concur in the opinion above expressed. CHARLES HENRY ALDEN, JOSEPH WARREN J. O'CONNOR, Secretary to the SAMUEL CLENDENIN, Philadelphia Associat'ion of S. H. REEVES. Teachers. University of Pennsylvania, March 30, 1333, Gentlemen. — In compliance with your request that I would give you my opinion respecting your edition of Bridge's Algebra, I beg leave to sav, that the work appears to be well adapted to~the instruction of students. The ar. rangeraent of the several parts of the science is judicious, and the examples are numerous and well selected. Yours, respectfully, ROBERT ADRAIN. We fully concur in the opinion of Bridge's Algebra as expressed by Dr, Adrain. J. HAYMER, B. N. LEWIS, HUGH MORROW. JOHN STOCKDALE, WILLIAM M'NAIR, W. B. ROSE, OLIVER A. SHAW, BENJAMIN MAYO, SETH.SMITH, J. H. BLACK, SAMUEL E. JONES, THOMAS M'ADAM, hSQ). M. KEAGY, JOHN ERHARDT, - [21] THOMAS CONARD, Rev. SAML. W. CRAWFORD, A.M., THOMAS COLLINS, Principal of the Academical Dept. J. E. SLACK, of the University of Pennsylvania. C. B. TREGO, R. W. CUSHMAN, T. B. WALKER, Rev. S. M. GAYLEY, Wilmington, JOHN HASLAM, Del. W. CURRAN, Baltimore, December, 1834. We fully concur in the opinion above expressed. E. BENNETT, O. W. TREADWELL, E. R. HARNEY, JOSEPH WALKER, ROBERT O'NEILL, DAVID RING, N. SPELMAN, ROBERT WALKER, S. W. ROSZELL, D. W. M'CLELAN, SAMUEL HUBBELL, S. A. DAVIS, H. O. WATTS, JOSEPH H. CLARKE, A.M. C. F. BANSEMER, FRANCIS WATERS, D. E. REESE, JOHN MAGEE, S. A. CLARKE, MICHAEL POWER. Messrs. Key & Biddle : November 22, 1834. Gentlemen,— I have been highly gratified by an examination of " Bridge's Algebra," published by you ; and. think it well entitled to general introduc- tion in our schools. I shall give it a preference in my academy to any work I have seen. Respectfully, yours, J. H. BROWN, Principal of an English and Mathematical Academy No. 52 Cherry street, Philadelphia. New York, December, 1834. We fully concur in the opinion above expressed. P. PERRINE, NORTON THAYER, J. B. KIDDER, I THOMAS GILDERSLIE VE, , SOLOMON JENNER, MELANCTHON EOYT, JOSEPH M'KEEN, THOMAS V. FOWLER, C. CARTER, JOSEPH BAILE, LEONARD HAZELTINE, SAMUEL GARDNER, W. R. ADDINGTON, C. W. NICHOLS, HENRY SWORDS, THOMAS M'KEE. W. M. SOMERVILLE, The gentlemen named below have also sent the publishers strong recom mendations of Bridge's Algebra: PROFESSOR E. A. ANDREWS, Mount Vernon Institute, Boston. Rev. C. DEWEY, Professor Berkshire Gymnasium, Mass. N. S. DODGE, Principal of Young Ladies' Seminary, Pittsneld, Mass. M. CATLIN, Professor of Mathematics, Hamilton College, New York. GEORGE HALE, A.M., Tutor William's College, Mass. B. G. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. D. R. AUSTIN, Principal of Monson Academy, Mass. E. H. BURRITT, Author of the Geography of the Heavens, New Britain Conn. A. B. MYERS, Principal of Whitehall Academy, New York. THEODORE STRONG, Professor of Mathematics in Rutgers' College, New Jersey. Rev. S. NORTH, A.M., Professor Hamilton College, New York. [22] VALUABLE SCHOOL BOOKS PUBLISHED BY THOMAS, COWPERTHWAIT & CO And for Sale by Booksellers generally. Frost's United States. — History of the United States ; for the use of Schools and Academies. By John Frost. Illustrated with forty Engravings History of the United States? for the use of Common Schools. — By John Frost, author of History of the United States for the use of Schools and Academies : condensed from the Author's larger Historv of the United States. Frost- s American Speaker. — The American Speaker, com prising a Comprehensive Treatise en Elocution, and an extensive Selection of Spe- cimens ot American and Foreign Eloquence. Embellished with engraved Por- traits of distinguished American Orators, on steel. By J. Frost, author of History of the United States. Pinnock's England. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- smith's History of England, from the Invasion of Julius Caesar to the year 1538. Illustrated with 30 Engravings on Wood. Pinnock's Greece. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- smith's History of Greece ; with Questions for Examination at the end of each Section; with 30 Engravings, by Atherton. Pinnock's Rome. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- smith's History of Rome ; with Questions for Examination at the end of each Sec- tion ; with 30 Engravings, by Atherton. Simson's Euclid. — The Elements of Euclid, viz. the first Six Eooks, together with the Eleventh and Twelfth. The errors by which Theon, or other?, have long vitiated these books are corrected, and some of Euclid's demon- strations are restored. By Robert Simson. M.D., Emeritus Professor of Malhe- niiit cs in the University of Glasgow ; with Elements of Plane and Spherical Tn tonometry. Ross's Latin Grammar. — Comprising all the Rules and Ob- servations necessary to an accurate knowledge of the Latin Classics, having the Signs of Quantity affixed to certain Syllables ; with an Alphabetical Vocabulary. Rnddiman's Rudiments of the Latin Tongue 9 new and improved edition, with Notes. By William Mann, A.M. Ainsworth's Latin Dictionary. — A new abridgment of Ainsworth's Dictionary, English and Latin, for the use of Grammar Schools. By John Dymnck, LL. D. A new American edition, with corrections and improve- ments, bv Charles Anthon Jay, Professor of Languages in Columbia College, New York, and Rector of the Grammar School. Clark's Caesar. — The JXotes and Interpretations translated and improved by Thomas Clark. Carefully corrected by comparison with a standard London edition, and containing various emendations in the Notes. By William Mann, A.M. Forney's Syllabaire Francais ; or, French Spelling Book. — Revised, corrected, and improved by J. Meier, late Professor of French and German in Yale University. Keith's Arithmetic. — Practical and Self-Explanatory. By an experienced Teacher of Mathematics. To which are added a Comprehensive Treatise on Mensuration, and an original and perspicuous System of Book-Keeping Guy on Astronomy, and Keith on the Globes. Bridge's Algebra. L 23 j Goldsmith's Natural History* - Abridged for the usf? ol Schools, by Mrs. Piikington. Revised and corrected by a Teache of Philadelphia, with Questions. New edition ; illustrated with upwards of 100 new and handsome Engravings. Sketches of tlie Life and Character of Patrick Henry* —By William Wirt. Revised edition^ with headings to each Chapter, and sucb an arrangement of the Notes contained in the former editions, as to render the work suitable for a Class-Book in Academies and Schools. Parley's Columbus* — The Life of Christopher Columbus; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, and numerous En- gravings. Parley's Washington. — The Life of General George Wash- ington ; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, and nu- merous Engravings. Parley's Franklin. — The Life of Benjamin Franklin ; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, and numerous Engravings Parley's AMERICA, EUROPE, ASIA, AFRICA, ROME, GREECE. ISLANDS. TALES OF THE SEA, WINTER EVENING TALES, JUVENILE TALES, ANECDOTES, SUN, MOON, AND STARS. The Child's History of the United States.— By Charles A.Goodrich; designed as a Fi?st Book of History for Schools ; illustrated by numerous Engravings and Anecdotes. Andrews's Practical Lessons in Flower Painting — being a series of Progressive Studies, intended to elucidate the .Srt of Flower Painting — with 12 beautifully coloured illustrations, rules for mixing colours, &c. Valuable Standard Boohs, The Book of Common Pi aver, and Administration of the Sacraments and other Rites and Ceremonies of the Church, according to the use of the Protestant Episcopal Church in the United States; with the new Psalms and Hymns. A new and beautiful octavo edition, with tine steel engravings, and on large type ; in every variety of binding. The Book of Common Prayer — 12mo., or duodecimo, with fine steel plates, in plain and in elegant binding. The English Version of the PolygJott Bible, pocket edi- tion — with Marginal Readings, together with a copious and original selection of references to parallel nnd illustrative passages ; exhibited in a manner hitherto un- attempted. Bound in Turkey, morocco, caif, and sheep binding. Pocket Pearl Bible, with four elegant engravings on steel This is one of the smallest, and at the same time plainest editions published - bound in pocket-book form, and in all the different approved styles of binding. Clarke's Commentary. — The New Testament of our Lord and Saviour Jesus Christ; the Text carefully printed from the most correct copies of the present authorized version, including the marginal readings and parallel Texts, with a commentary and critical notes; designed as a help to a better under- standing of the sacred writings, by Adam Clarke, LL. D., F. S. A., M. R.J. A. ; new edition improved — complete in 1 vol., super royal octavo. * Barnes' Family Prayers. — Prayers for the use of Families, chiefly selected from various Authors ; with a preliminary Essay ; together with a selection of Hymns, by Albert Barnes — 1 vol., 12mo. i Suddards' British Pulpit. — The British Pulpit, consisting of Discourses of, by the most eminent living Divines in England, Scotland, and Ire- land, accompanied with Pulpit Sketches, to which are added Scriptural illustra- tions ; and selections on the office, duties, and re=Donsibilities of the Christian Ministry, by the Rev. XV. Suddards, Rector of Grace Church, Philadelphia— 2 vols., octavo. The Saint's Rest. — The Saint's Everlasting Rest, by the Rev [24] Richard Baxter, abridged by Benjamin Pawcett, A.M., with an introductory essay, by Thomas Erskine, Esq. — 1 vol., 18mo. Coleridge's Works. — The complete Works of Samuel Taylor Coleridge, Prose and Verse. — 1 vol., 8vo., various binding. Kowitt, Milman, and Keats. — The Poetical Works of Howitt, Milman, and Keats, complete in one volume, 8vo., various binding. MEDICINE, Beck's Medical Jurisprudence. — Elements of Medical Ju- risprudence, by Theodric Remeyn Beck, M.D., Professor of Materia Medica and Medical Jurisprudence in the College of Physicians and Surgeons of the Western District of the State of New York, &c, &c, and John B. Beck, M.D., Professor of Materia Medica and Medical Jurisprudence in the College of Physicians and Surgeons, New York—one of the Physicians to the New York Hospital, &c, &c, — Sixth edition in 2 vols. , octavo. Wistar's Anatomy. — A System of Anatomy for the use of Stu dents of Medicine, by Caspar Wistar, M.D., late Professor of Anatomy in the University of Pennsylvania, with notes and additions, by William E. Horner, M.D., Professor of Anatomy in the University of Pennsylvania. Seventh edition ; en tirely remodelled and illustrated by numerous engravings, by J. Pancoast, M D., Lecturer on Anatomy and Surgery, one of the Surgeons of the Philadelphia Iios pital, Fellow of the Philadelphia College »f Physicians, &c. ; in 2 vols., octavo. Turner's Chemistry. — Elements of Chemistry, including the recent discoveries and doctrines of the Science, by the late Edward Turner, M.D. Sixth American edition, with notes and emendations, by Franklin Bache, M.D., 1 vol., royal 12mo., from the sixth London edition, enlarged and revised, by Pro- fessor Liebig and Wilton G. Turner. Armstrong's Practice of Medicines — Being Lectures on the Morbid Anatomy, Nature and Treatment of Acute and Chronic Diseases, by the late John Armstrong, M.D. First American edition — with an account of the life and writings of Dr. Armstrong, by John Bell, M.D., Lecturer on the Institutes of Medicine and Medical Jurisprudence, in 2 vols., octavo. Laennec on the Chest. — A Treatise on the Diseases of the Chest and on Mediate Auscultation, by R. T. H. Laennec, M.D., Regius Professos of Medicine in the College of France, Clinical Professor to the Faculty of Medi- cine of Paris, &c, &c, &"c— with plates. One large octavo volume. LAW. Peters' Reports. — Reports of Cases argued and adjudged in the Supreme Court of the United States, by Richard Peters, Counsellor at Law, and Reporter of the Decisions of the Supreme Court of the United States. Complete sets of the above for sale, commencing at January Term, 1827, and containing all the decisions of the Court since that time, in 14 vols. Wheaton's Seiwyn's Nisi Prius. — The subscribers havo just published a new edition of Selwyn's Law of Nisi Prius, being the 4th Ameri- can from the 9th London edition; with American cases, since the last American edition, by Edward E. Law, Esq. Johnson's Reports of Cases in the Supreme Court, and the Court for the Correction of Errors of the State of New York, with Rules and references to subsequent decisions. Law Reports — 20 vols. ; Law Cases — 3 vols. ; Chancery Reports— 7 vols. ; Di- gest, new edition, corrected — 2 vols, in 1 : Digest vol. 3, being a supplementary volume to Johnson's New York Digest, which embraces a digest of the following Reports: Cowen's Reports, in 9 vols.; Windell's Reports, 15 vols.; Hopkins' Chancery Reports, 1 vol. ; Paige's Chancery Reports, 5 vols. ; Edwards' Reports of cases by the Vice-Chancellor, 1 vol. ; Hall's Reports in the Supreme Court of New York, 2 vols. The two Volumes form a Complete Digest of all the Reports at Common Law, and Chancery decisions of the State of New York to this time. Chitty's Blackstone. — Commentaries on the Laws of England, In four books; with an analysis of the work. By Sir William Blackstone, Kt. one of the Justices of the Court of Common Pleas, in 2 vols., with a life of the author, and notes by Christian, Chitty. Lee, Hovenden and Ryland : and also re- ferences to American Cases. By a Member of the New York Bar. THOMAS, COWPERTHW Public, that they have made arran t publication of his series of French bers of wLich are now ready- Te furnished wi f h copies for examinatic ftCrThe remaining numbers of the practicable. UBRARY OF CONGRESS 003110105 VALUABLE SCHOOL BOO] PUBLISHED BY THOMAS, COWPERTHWAIT PHILADELPHIA; AND FOR SALE BY THE BOOKSELLERS GENERAI THROUGHOUT THE UNITED STATES. MITCHELL'S PRIMARY GEOGRAPHY. MITCHELL'S SCHOOL GEOGRAPHY AND ATLAS. MITCHELL'S CLASSICAL AND SCRIPTURAL GEOGRAPHY AND ATLAS. MITCHELL'S HIGH SCHOOL GEOGRAPHY AND ATLAS, (preparing) MITCHELL'S ATLAS OF OUTLINE MAPS. MITCHELL'S GEOGRAPHICAL KEY. MITCHELL'S GEOGRAPHICAL READER. PORNEY'S FRENCH SPELLING BOOK. FROST'S HISTORY OF THE UNITED STATES, 12mo. FROST'S HISTORY OF THE UNITED STATES, 18mo. FROST'S AMERICAN SPEAKER. FROST'S ENGLISH GRAMMAR. PINNOCK'S GOLDSMITH'S HISTORY OF ENGLAND. PINNOCK'S GOLDSMITH'S HISTORY OF ROME. PINNOCK'S GOLDSMITH'S HISTORY OF GREECE. JOHNSTON'S TURNER'S CHEMISTRY. ROSS'S LATIN GRAMMAR, Revised, Corrected, and Improved, By N. C. BROOKS, Principal of the High School, Baltimore. CLARK'S CESAR. GUY'S ASTRONOMY, AND KEITH ON THE GLOBES. GUMMERE'S SURVEYING. KEY TO do. BONNYCASTLE'S MENSURATION, WITH RYAN'S ADDL »NS. KEY TO do. do. do. GRiECA MAJOR A, 2 vols. GRiECA MAJORA, Prose Selections. COMLY'S GRAMMAR.