;^^$'g$$^S^$iyi^^^^^ LIBRARY OF CONGRESS. ©]^jt. icppgl^t !f 0, Shelf JB..4 UNITED STATES OP AMERICA. EDUCATIONAL FRENCH WORKS OF PAUL BERCY, B.L., L.D. lilVRE DES EISTF ANTS -pour Tetude du franQais, profusely illus. 12mo, Cloth. . .50 Cents. LE SECOND LIVilE DES ENFANTS pour I'etude du Fran9ais, with 55 illus- trations, 12mo, Cloth 75 Cents. LA LANGUE FRANQAISE (First part)— Methode pratique pour I'etude de cette langue. . 12mo, Cloth $1.25. LA LANGUE FRANQAISE (Second part)— for intermediate classes. Varietes historir ques et litteraires, 12mo, Cloth $1 ,25. SAN"S FAMILLE, By Hector Malot. Arranged and abridged by Paul Bercy, 12mo, Cloth $1.00. Paper 60 Cents. LE FRANQAIS PHATIQUE. A new and rapid method for the study of French. 1 vol., 12mo, cloth $1.00. P. BERCY^S FRENCH READER for advanced classes. Conies Nouvelles moder nes, 12mo, cloth $1.25. ®ca Sltttbc^ erftc^ ®Urf). Nach Paul Bercy.'s *^ Premier Livre des Enfants,'' von WilheijM Rippe, forty illustrations, 12mo, boards 40 Cents. PAUL BERCY'S FRENCH READER FOR ADVANCED CLASSES CONTES ET NOUVELLES MODERNES CHOISIS ET ANNOTfiS ./ PAR PAUL BERCY, B.L.; L.D. Directeur of P. Bercy's School of Languages, New York Auteur de : La Langue fran^aise i^r et 2^^ parties ; Le Frangais pratique^ Le Premier Livre des EnfantSy le Second Livre des Enfants^ etc. NEW YORK WILLIAM R. JENKINS, 6DITEUR ET LIBRAIRE FRAN^AIS / ^ J §^ "^^ 851 & 853 Sixth Avenue. ^ Boston: Carl Schoenhof 1893 Copyright, 1893, Bv William R. Jenkins. All Bights Reserved, Feinted by the Pbess of William R. Jenkins, New Yobk. PREFACE. Les ecrivains francais de noire epoque excellent dans ces recits clairs, elegants et rapides^ oil se deroule en un petit nombre de pages tantot une sc^ne touchante, tantdt une gate comedie on un drame lugtibre. Aussi est-ce par letirs Nouvelles, letirs Co7ites, traduits en toutes les langues^ plus que par des ouvrages de plus longue haleiyie^ qtie plusieurs d' entre eux so7it devenus sympa- thiques h tons les lecteurs delicats. II est done naturel qu'on y ait puise bien des fois pour former des recueils oil r on puisse etudier avec inter et et profit notre prose contemporaine . Parnti ces recueils il en est qui^ par le choix judicieux des sujets, 07it bientot captive les professeurs et les Slaves ; malheureusement dans presque tons on retrouve les meme recits, ce qui pourrait porter h croire que La Derni^re Classe, l' Enfant Espion, Le Si^ge de Berlin, Le Rempi.A9Ant, Mon Ami Meurtrier, La Parure, Une Vendetta et quelques autres sont les seuls chefs- d" ceuvre de nos brillayits conteurs. Loin de lei cependant, Combien d^ autres joyaux precieux dans le riche ecrin d^ A. Daudet, de CoppSe, de Guy de Maupassant, pour ne citer que les plus illustres I En offrir quelques'7ins comme modeles, n' est-ce pas un acte de justice envers ces ecrivains remarquables ? iv PREFACE. Aux fScits de ces ntaitres nous avons mile des Comes ou Nouvelles de P. Bourget, d'A» France^ de J* Lemattre^ de Catulle Mend'is, de L. Halivy^ d Ernest d'Daudet, de Theuriet, de G, Droz^ de Lion de Tinseau^ de G, Ohriet et de quelques autre s encore^ qui n^ont iti insiris dans aucun des recueils h V usage des ^coles publiis jusqu'h ce jour. Mais en faisant notre choix nous nous sommes toujours efforce de reunir des recits variSs, intiressants, instructifsy d'un style pur, d^une moraliti irreprochable* A nos colligues de dire si nous avons atteint notre but, Au bas de chaque page sont indiquees les lignes sur lesquelles des annotations se tmuvent h la Jin du volume, Comme les oeuvres des prosateurs modernes offrent souveni aux Slaves de rielles difficultes, il nous a paru nicessaire de /aire une part plus grande h la traduction des pas- sages difficiles qic'h la biographie de tous les ecrivains ou artistes qui sont nommes dans ce recueiL Paui. Bkrcy. LE MIROIR C'fiTAIT dans un royaume ou il n'y avait pas de miroir. Tous les miroirs, ceux qu'on met sur les murs, ceux qu'on tient a la main, ceux qu'on porte a la ceinture, avaient et6 casses, reduits en miet- tes sur Tordre de la reine ; si on avait decouvert la plus 5 petite glace dans n'importe quel logis, elle n'eut pas manque d'en faire perir les habitants au milieu des plus aflfreux supplices. Quant au motif de ce caprice bizarre, je peux bien vous le dire. Laide au point que les pires monstres auraient paru charmants aupres 10 d'elle, la reine ne voulait pas etre exposee, lorsqu'elle allait par la ville, a rencontrer son image, et, sesachant horrible, ce lui etait une consolation de songer que les autres du moins ne se voyaient pas jolies. Vous pensez bien que les jeunes filles et les jeunes is femmes de ce pays n'etaient point satisfaites du tout. A quoi sert d avoir les plus beaux yeux du monde, une bouche aussi fraiche que les roses, et de se mettre des fleurs dans les cheveux, si Ton ne pent considerer ni sa coiffure, ni sa bouche, ni ses yeux ? Pour ce qui etait 20 de s aller mirer dans les ruisseaux et dans les lacs, il Lignes aniwMes : 6— 7— 12—13— 20. 1 ^ I.E MIROIR n'y fallait pas compter ; on avail cache sous des dalles bien jointes les rivieres et les etangs de la contree ; on tirait Teau de puits si profonds qu'il n'etait point pos- sible d'en apercevoir la liquide surface, et non dans des 5 seaux ou il y aurait eu place pour le reflet, mais dans des ecuelles presque plates. lya desolation allait done au-dela de ce qu^on pent imaginer, surtout chez les personnes coquettes, qui n'etaient pas plus rares dans ce pays que dans les 10 autres ; et la reine n'avait garde d'y compatir, bien contente au contraire queses sujettes trouvassent pres- que autant de deplaisir a ne point se connaitre, qu'elle eiit ^prouve elle-m^me de fureur h se voir. II 16 Cependant il y avait, dans un faubourg de la ville, une jeune fille appelee Jacinthe qui etait un peu moins chagrine que les autres, k cause d'un amoureuxqu'elle avait. Quelqu'un qui vous trouve belle et ne se lasse jamais de vous le dire pent tenir lieu d'un miroir. 20 — Quoi? vraiment? demandait-elle, la couleur de mes yeux n'a rien qui puisse d6plaire ? — lis sont pareils a des bluets ou serait tomb^e une claire goutte d'ambre. — - Je n'ai point la peau noire ? 25 — Sachez que votre front est plus pur que le mica de la neige ; sachez que vos joues sont comme des roses pales et cependant rosees ! — Que dois-je penser de mes levres ? — Qu'elles sont pareilles a une framboise ouverte. — Et de mes dents, sll vous plait ? Zignes annoUes : 1—10—18. 30 I.K MIROIR 3 — Que les grains de riz, aussi fins qu*elles, ne sont pas aussi blancs. — Mais pour ce qui est de mes oreilles, n'ai-je pas lieu d'etre inqui^te ? — Oui, s'il est inquietant d' avoir parmi les legers 6 cheveux qui se melent deux menus coquillages compli- ques comme des oeillets nouvellement eclos. C'est ainsi qu'ils parlaient, elle charmee, lui plus ravi encore, car il ne disait pas un mot qui ne fut la verit6 meme ; ce qu'elle avait le plaisir d'entendre lo vanter, il avait le delice de le voir. Tant et si bien que leur tendresse mutuelle devenait d'heure en heure plus vive. Le jour ou il demanda si elle consentait a le prendre pour mari elle rougit, certainement, mais ce ne fut point d'effroi ; les gens qui, voyant son sourire, is auraient cru qu elle se moquait avec la pens^e de dire non, se seraient grandement trompes. Lemalheur fut que la nouvelle du mariage vint jus- qu'aux oreilles de la mechante reine, dont c'etait la seule joie de troubler celle des autres ; et Jacinthe, plus 20 que toutes, en etait detestee, etant la plus belle de toutes. Ill Comme elle se promenait, peu de temps avant les noces, dans le verger, une vieille femme s'approcha 25 d'elle, demandant I'aumone, puis tout a coup recula avec un cri, comme quelqu'un qui a failli marcher sur un crapaud. — Ah ! ciel ! qu'ai-je vu ? — Qu'avez-vous, ma bonne femme, et qu'est-ce que so vous avez vu ? Parlez. Zignes annoUes : 3—11—27—30. 4 I.^ MIROIil — La plus laide chose de la terre ! — A coup siir ce n est point moi, dit Jacinthe en souriant. — Helas ! si, pauvre enfant, c'est vous. II y a bien 5 longtemps que je suis au monde, mais jamais encore je n'avais rencontre une personne aussi aflfreuse que vous retes. — Je suis laide, moi ? — Cent fois plus qu'on ne saurait Texprimer. 10 — Qtioi ? mes yeux ?. .. — lis sont gris comme la poussiere ; mais ce ne serait rien si vous ne louchiez pas de la fa^on la plus desa- greable. — Ma peau.., 15 — On dirait que vous avez frott6 de charbon pile votre front et vos joues. — Ma bouche.,. — EUe est pale comme une vieille fleur d'automne. — Mes dents. . . 20 — Si la beaute des dents 6tait d'etre larges et jaunes, je n'en connaitrais pas de plus belles que les v&tres. — Ah ! du moins, mes oreilles... — Elles sont si grandes, si rouges et si poilues, sous vos cheveux de filasse, qu'on ne pent les regarder sans 25 horreur. Je ne suis point jolie moi-meme, et cependant je pense que je mourrais de honte si j'en avals de telles. La-dessus la vieille femme — ce devait etre quelque mdchante fee amie de la mechante reine — s'enfuit en jetant un mauvais eclat de rire, tandis que Jacinthe se 30 laissait choir, tout en pleurs, sur un banc, entre deux pommiers. Lignes annot^es : 2—15—24—27—30, tl* MIROIR 5 IV Rien ne fut capable de la divertir de son affliction. *' Je suis laide ! Je suis laide ! ** r6p6tait-elle toujours. C'6tait en vain que son fianc6 I'assurait du contraire, avec les plus grands serments. ^* Laissez-moi, vous mentez par misericorde. Je comprends tout a present* 5 Ce n'est pas de Tamour que vous ressentez pour moi, c'est de la pitie ! La mendiante n*avait aucun interet a me tromper ; pourquoi TeAt-elle fait ? II n'est que trop vrai : je suis vilaine. Je ne consols pas que vous puissiez seulement endurer mon aspect. *' 10 Pour la detromper, il imagina de faire venir beaucoup de gens aupres d*elle ; chaque homme declarait que Jacinthe 6tait faite a souhait pour le plaisir des yeux ; meme plusieurs femmes en dirent autant, d'une fagon un pen moins affirmative. Mais la pauvre enfant s'obs- is tinait dans la conviction qu'elle etait un objet d'epou- vante ; et comme Tamoureux la pressait de fixer malgr6 tout le jour du mariage : *' Moi, votre femme ! s'ecria- t-elle, jamais! Je vous cheris trop tendrement pour vous faire don d'une chose aussi affreuse que je suis. ** 20 Vous devinez quel fut le desespoir de ce jeune homme si sincerement epris. II se jeta a genoux, il pria, il supplia, elle repondait toujours la m^me chose : *' Qu'elle etait trop laide pour se marier. " Que faire ? I^e seul moyen de dementir la vieille, de prouver la 25 verite a Jacinthe, c'eut ete de lui mettre un miroir devant les yeux. Mais, de miroir, dans tout le royaume il n'y en avait point ; et la terreur inspiree par la reine etait si grande, qu' aucun artisan n'elit consenti a en Lignes annotees : 9—13—27. 6 1,^ MIROIR faire un. '' Eh bien, j'irai a la cour ! '' dit enfin le fiance. Si barbare que soit notre mattresse, elle ne pourra manquer d'etre emue par mes larmes et par la beaute de Jacinthe ; elle retractera, ne fiit-ce que pour 5 quelques heures, I'ordre cruel d'ou vient tout le mal. '' Ce ne fut pas sans peine que Ton decida la jeune fille a se laisser conduire au palais ; elle ne voulait pas se montrer, etant si laide ; et puis h quoi servirait un miroir, sinon a la convaincre davantage encore de son 10 irremediable malheur ! Pourtant elle finit par consentir, voyant que son ami pleurait. V — ^a, qu*est-ce ? dit la mechante reine. Qui sont ces gens et que me veut-on ? 15 — Majeste, vous avez devant vous le plus deplorable amant qui soit sur toute la terre. — Voila une bonne raison pour me venir troubler ! — Ne soyez pas impitoyable. — Eh ! qu'ai-je a faire dans vos chagrins d' amour ? 20 — Si vous permettiez qu'un miroir... La reine s'etait lev6e, fremissante de colere. — On a ose parler de miroir, dit-elle en gringant des dents. — Ne vous courroucez point, Majeste, de grace ! et 25 daignez m' entendre. Cette jeune fille que vous voyez devant vous, si fraiche et si jolie, est tombee dans la plus etrange erreur ; elle s'imagine qu*elle est laide... — Eh bien ! dit la reine avec un rire feroce, elle a raison ! car je ne vis jamais de plus epou van table objet. 30 Jacinthe, a ce mot, crut qu'elle mourralt de tristesse. Zignes annoiees : 3—4—12—15-19—24. tK MIROIR 7 Le deute n etait plus possible, puisque aiix yeux de la reine, comme a ceux de la mendiante, elle 6tait si laide en eflfet. Lentement elle baissa les paupieres, tomba sur les marches du tr6ne, pamee, Pair d'une morte. Mais Pamant, lui, en entendant la cruelle parole, ne se 5 montra point resign^ ; il cria violemment que Sa Ma- jeste etait foUe, a moins qu'elle n'eiit quelque raison pour mentir de la sorte. II n'eut pas le temps d'aj outer un mot ! des gardes Tavaient empoigne, le mainte- naient solidement ; et, sur un signe de la reine, quel- 10 qu'un s'avan^a qui 6tait le bourreau : il etait toujours k cote du tr6ne parce qu'on pouvait, a chaque instant, avoir besoin de lui. ' — Fais ton devoir, dit la reine en designant celui qui Tavait insultee. 15 LOUR UNK CANNE 11 II trouva le pays en rumeur; dans la nuit meme, le meunier Jean Servoz avait ete assassine sur sa voiture, tandis qu'il revenait du marche. L' assassin T avait as- somme net d'un coup de baton et Tavait de valise. Le corps, ramasse sur la route, avait ete transporte a la 5 gendarmerie et on venait de prevenir la justice. Her- cule, qui n etait pour le quart d'heure pr^occupe que du mont Blanc, traversa assez distraitement la foule attrou- pee dans la rue et s'arreta devant un cafe pour prendre un bock, sans faire attention aux regards inquisiteurs 10 que chacun j etait sur lui. Bien qu'etant d'humeur douce et pacifique, Tancien pharmacien ne payait pas de mine : il etait roux, mar- que de taches de son ; il louchait un peu, et cela lui donnait, k premiere vue, un air hagard. De plus, en 15 homme menager de son bien, il avait mis pour le voyage ses vetements les plus fripes, ce qui, avec la poussiere du chemin, contribuait k rendre sa tournure Equi- voque. Tandis qu'il s'asseyait devant le cafe, les regards 20 devenaient de plus en plus soupgonneux et des rumeurs couraient dans la foule. — Qu'ont-ils done tons a me devisager? se demandait Abatvent qui commengait a s'apercevoir de T agitation des curieux. 25 Comme il portait la chope a ses levres, tout a coup un gendarme se detacha du groupe et une poigne solide s'abattit sur le bras d'Hercule, — Au nom de la loi, je vous arrete ! grommela une voix rude. 3o — Ah gal vous plaisantez! murmura-t-il, interloqu6. Lignes annoUes : 4—13—14—31. 12 POUR UNB CANNK — Je ne plaisante pas; suivez-moi a la justice de paix ! et d'abord, donnez-moi votre baton ! En un clin d'oeil, Hercule, en depit de ses protes- tations, fut pousse vers la mairie, tandis qu'autour de 6 lui des voix grondantes s'ecriaient : — Je reconnais le baton du pere Servoz ! — Quel scelerat ! et comme il a bien la mine de ce qu'il est ! Traine dans le cabinet du juge de paix, Abatvent 10 ebaubi se presenta devant ce magistrat dans un 6tat de desordre et d'ahurissement indescriptible. Celui-ci, un petit homme vetu de noir, a I'ceil endormi, leva lente- ment la tete, toisa le prevenu et commenga Tinterro- gatoire : 15 — Comment vous appelez-vous ? — Hercule Abatvent. — Ce n'est pas un nom du pays, cela. D ou venez- vous ? — D'Annecy ou j'ai mon domicile. 20 — Ou etiez-vous cette nuit entre une heure et trois heures du matin ? — Mais dans mon lit. — On ne s'en douterait pas k vous voir ! On a saisi sur vous le baton que voici. Ce baton a appartenu au 25 meunier Jean Servoz qui a ete assassine cette nuit meme. Tout le monde a reconnu la canne de la victime. Comment se trouve-t-elle entre vos mains ? — Je lai ramassee sur la route de Faverges. — Reponse pen satisfaisante. Un homme comme il faut 30 ne ramasse pas de batons sur les routes. Oii alliez-vous? — Visiter le Mont Blanc. Lignes annoUes : 13—23—24—29. POUR UNE CANNK 13 — Vous n'avez pas la mine d'un touriste, et puis» a qui ferez-vous croire qu'un veritable touriste parte en excursion sans s'etre muni au prealable d'un alpenstock ? Avez-vous des papiers ? Hercule bredouilla ; il n'avait pas juge a propos ^ de prendre un passeport pour aller a Chamounix; d'ail- leurs il etait avantageusement connu dans son quartier ; mais Topinion du juge de paix etait deja fixee. — C'est bon, dit-il ; qu'on le mene a la maison d' arret en attendant I'arrivee de ces messieurs du tribu- ^^ nal. Nous ne procederons a la confrontation de Tinculpe avec le cadavre qu'en presence des magistrats du parquet. Et la-dessus on conduisit le malheureux Abatvent dans une chambre borgne qui servait de prison. ^^ La cellule de la justice de paix etait solidement verrouillee et ne recevait le jour que par une sorte de soupirail de cave. Lorsque Hercule se vit seul dans cette geole, depouille de sa gibeciere et livre a ses reflexions, il tomba dans ^^ un noir decouragement. Par quelle detestable inspiration avait-il quitte Etien- nette et la petite maison du faubourg Sainte-Claire pour courir les aventures ? Ah ! comme en ce moment il regrettait la terrasse ornee d'oeillets et de geraniums ! 25 Reverrait-il jamais cette delicieuse retraite ? Combien de temps languirait-il sous les verrous et sous le poids d'une accusation capitale ? Comment tout cela finirait- il ? On a vu des innocents condamnes a mort a la suite de pareils quiproquos. Le nom de Lesurques lui revenait 3o ^ la memoire et il se desesperait. Maudite canne ! Lignes annotees : 12—15—30. i4 POUR UNE CANNH Pourquoi Tavait-il ramassee et qu^allait penser Etien- nette en apprenant que son Hercule pourrissait sur la paille des cachots ? Ses yeux commengaient a se mouiller et il allait 5 pleurer comme un veau, quand la porte se deverrouilla, et le gendarme qui Tavaitarr^te lui intima Tordre de le suivre. L'instant d'apres, il etait de nouveau introduit dans le cabinet du juge de paix, ou se trouvaient assembles 10 '' ces messieurs du parquet " ; mais, des qu'il entra, le juge d' instruction poussa un cri de surprise : — Eh quoi ! c'est vous, monsieur Abatvent ? Ce magistrat etait precisement le partenaire d* Her- cule au whist. 1^ L'ancien pharmacien put enfin s'expliquer et se jus- tifier, d'autant plus que, dans Vintervalle, on avait arr^td le veritable meurtrier. Hercule revint k Annecy avec son juge qui le ramena en riant a Etiennette. Quant a lui, il fondit en larmes en revoyant ses 20 oeillets, renonga a visiter le mont Blanc, et jura ses grands dieux de ne jamais plus ramasser de Cannes sur les routes. Andr^ Theuriet. Lignes annoUes : 2—5—19 — 20, LA SOURCE DE LA GUERISON LfeGENDE; MUSUI.MANK. AUTREFOIS dans la cite de Damas vivait un homme renomme dans tout le pays pour sa richesse. Le peuple disait : ''Ce n'est pas sans raison qu'il s'appelle Baruch, qui signifie Beni.'* II possedait des tresors de I'lnde et de TArabie, et vivait 5 dans un palais dont les parquets etaient converts de splendides tapis. Immense etait sa fortune, et Dieu lui avait donne en outre une brave femme et sept enfants. Mais il n' avait point la joie du cceur. Sans cesse il travaiUait a augmenter la splendeur de sa maison, k lo remplacer un ornement precieux par un autre encore plus precieux, et il se lassait de tout. Triste et morose, il n' avait, matin et soir, ni contentement ni repos. Sa femme et ses enfants s'affligeaient de le voir si sombre, et vainement s'effor^aient de Tegayer. II avait le degotit i5 de la vie par la satiete et voulait mourir. Mais un jour on lui dit qu'il y avait dans la ville de Memphis un savant, un sage, un prophete qui pouvait resoudre les questions les plus difficiles, indiquer un remede pour les plus graves maladies. 20 Baruch r6solut d'aller le consulter. Lignes annoUes ; 12—16. 15 1 6 lyA SOURCE DE I.A GUfiRISON II appelle un de ses serviteurs nomme Malchos, eu qui il a confiance, et lui donne Tordre de choisir deux de ses meilleurs chameaux, de mettre sur Tun des coffres remplis d'or, d'argent, de bijoux, et sur Tautre 5 des caisses pleines des meilleurs parfums d* Arable. Cet ordre etant execute, Baruch dit adieu h sa famille, et partit avec Malchos. Mais il fut egare par Torage du Seigneur, et le voila qui chemine de longs jours dans le desert sans savoir de quel cote se diriger. Son fiddle 10 serviteur le suit, incapable de retrouver le vrai chemin. Tons deux sont tortures par la soif. La nuit, ils sus- pendent en Tair leurs manteaux, le matin ils y coUent leurs levres, mais vainement. NuUe rosee ne les a humect^s. Dans leur cruelle 15 souffrance, au milieu des sables briilants, ils se decident h tuer un de leurs chameaux, et leur espoir est de nou- veau de^u. En ouvrant Testomac du pauvre animal, ils n'y trouvent pas une goutte d'eau. Alors Baruch dit a son compagnon : ** Eh ! mon brave 20 Malchos, ne t'ai-je done amen6 ici que pour te faire mourir ? J'ai 6te un atroce egoiste pour ma famile, faut- il que je sois pour toi un instrument de destruction ! Et tu ne te plains pas, tu me suis comme un agneau, tu n'adresses aucun reproche a celui qui recompense par 25 de telles peines ta fidelite/' Et Malchos lui repond : ' ' Pourquoi ne suivrais-je pas mon maitre jusqu*a la mort ? N*ai-je pas mange de son pain et bu de son lait? J*ai joui des beaux jours, ne dois-je pas prendre part aux mauvais? Je voudrais 30 seulement que le Seigneur vous delivrat de ce peril et prit ma vie au lieu de la votre, car je suis un pauvre Lignes annoMes : 2 8—12—20. LA SOURCE DK I,A GUfiRISON 1 7 homme sans parents, et vous, mon bon maitre, vous avez une femme et des enfants. ' ' En pronon9ant ces mots, il tombe par terre, inanime. A cet aspect, Baruch, ecrase par la douleur, se jette a genoux et s'6crie: '*0h! Dieu du del, fais-moi 5 mourir. Je n'etais point digne des graces que tu m'as accordees, et le poids de mes fautes m'accable. Je n'ai point merite de vivre. Fais-moi mourir.*^ En parlant ainsi il s*affaisse et pleure amerement. Puis tout a coup il tressaille, il ecoute. Tandis qu'il 10 avait la tete inclinee sur le sol, un singulier bruit est arrive ^ son oreille... II ecoute... II croit entendre.... N*est-ce pas un reve de son cerveau malade?... Non, il ne se trompe point. II distingue reellement a quel- que distance le murmure, le ruissellement d' une source. 15 II court. Dieu de misericorde ! c'est vrai. Devant lui, dans un etroit ravin, est une nappe d'eau fraiche... II Ifeve les mains au ciel avec un cri de joie et de gratitude. Mais avant d'apaiser sa soif il pense a Malchos, qui est rest6 couche par terre. 20 II emplit une coupe de cette eau providentielle, la lui porte, et peu a peu le ranime en humectant ses tempes et ses levres. '* Oh ! Malchos, lui dit-il, tu n'es plus mon serviteur, tu es mon compagnon. Quel bonheur de te voir revivre! Viens et remercions Dieu qui nous a 25 sauves.'' Tons deux se rendirent au bord de la source, burent k grands traits et se plurent a voir leurs chameaux bpire longuement ; puis, avec les provisions qu'ils ayaient emportees, ils firent un bon repas, et Malchos 3o dit : ^^Maintenant que nous sommes si bien recon- lAgnes annoUes i 6—15—17—24—28 1 8 I. A source; DK I. a GUfeRISON fortes, voulez-vous que nous cherchions le chemin de Memphis?" — Non, repondit Baruch, je n'ai plus besoin dialler a Memphis, retournous a Damas.'' Et lorsqu'il arriva dans sa demeure, il rejouit sa femme et ses enfants par 5 I'heureuse expression de sa physionomie. ' ' Beni soit, s'^cria sa femme, le savant homme qui vous a delivr6 de votre tristesse ! * ' ^ — Ah ! Mirza, dit Baruch en serrant sa vertueuse femme sur son coeur, ce n est point un savant homme, lo c'est Dieu lui-meme qui m'a donn6 une salutaire legon. J'ai appris Thumanite par le denuement, la charit6 par la souflFrance. Maintenant je ne veux plus vivre comme j'ai vecu. Je ne serai plus uniquement occupe de moi- meme, de mes caprices et de mes vanit^s. Je penserai is aux autres, et je tacherai de faire du bien." Ainsi fit-il des le jour de sa rentree dans son palais. II secourut les pauvres. II consola les affliges. II eut le contentement du coeur par le contentement qu'il repan- dait autour de lui, et Ton disait : *' C'est bien juste qu'il 20 ait le nom de Beni, car il est vraiment beni par sa for- tune et sa generosite.'' ly annee suivante il partit avec sa famille et Malchos pour le desert ou il s etait converti. II fit batir pour les voyageurs une maison de refuge 25 pres de la source qu'il avait miraculeusement decou- verte, et il Tappela la source de la Guerison. Xavikr Marmikr. Lignes annoUes : 16—25. UINFIRME CETTE aventure m'est arrivee vers 1882. Je venais de m' installer dans le coin d'un wagon vide, etj 'avals referme la portiere, avec Tesperance de rester seul, quand elle se rouvrit brusquement, et j entendis une voix qui disait : 5 — Prenez garde, monsieur, nous nous trouvons juste au croisement des lignes ; le marchepied est tres haut. Une autre voix repondit: — Ne Grains rien, Laurent, je vais prendre les poignees. 10 Puis une tete apparut, coiflfee d'un chapeau rond, et deux mains, s'accrochant aux lanieres de cuir et de drap suspendues des deux cotes de la portiere, hisserent lentement un gros corps, dont les pieds firent sur le marchepied un bruit de canne frappant le sol. is Or, quand Thomme eut fait entrer son torse dans le compartiment, je vis apparaitre, dans TetoflFe flasque du pantalon, le bout peint en noir d'une jambe de bois, qu un autre pilon pareil suivit bientot. Une tete se montra derriere ce voyageur, et demanda: 20 — Vous etes bien, monsieur ? — Oui, mon gargon. — Alors, voici vos paquets et vos bequilles. Lignes annoUes : 2—9—16—19. 19 20 I^'INFIRMK Et un domestique, qui avait I'air d'un vieux soldat, monta a son tour, port ant en ses bras un tas de choses, enveloppees en des papiers noirs et jaunes, ficelees soigneusement, et les deposa, Tune apres I'autre, dans 5 le filet au-dessus de la tete de son maitre. Puis il dit : — Voila, monsieur, c'est tout. II y en a cinq. Les bonbons, la poupee, le tambour, le fusil et le pate de foies gras. — C'est bien, mon gargon. 10 — Bon voyage, monsieur. — Merci, Laurent, bonne sante ! L'bomme s'en alia en repoussant la porte, et je regar- dai mon voisin. II pouvait avoir trente-cinq ans, bien que ses cheveux 15 fussent presque blancs. II etait decore, moustachu, fort gros, atteint de cette obesite poussive des hommes actifs et forts qu'une infirmite tient immobiles. II s'essuya le front, soufiia, et me regardant bien en face : 20 — La fumee vous gene-t-elle, monsieur ? — Non, monsieur. Cet ceil, cette voix, ce visage, je les connaissais. Mais d'ou, de quand? Certes, j' avals rencontre ce gargon-la, je lui avals parle, je lui avals serre la main. Cela datait: 25 de loin, de tres loin, c' etait perdu dans cette brume ou r esprit semble chercher a tatons les souvenirs et les poursuit, comme des fantomes fuyants, sans les saisir. Lui aussi, maintenant, me devisageait avec la tenacite et la fixite d'un homme qui se rappelle un pen, mais 30 pas tout a fait. Nos yeux, genes de ce contact obstine des regards, Lignes annotees : 5—16—20—25—26. LINFIRMK 21 se ddtournerent ; puis, au bout de quelques secondes, attires de nouveau par la volonte obscure et tenace de la memoire en travail, ils se rencontrerent encore, et je dis : — Mon Dieu, monsieur, au lieu de nous observer a s la derobee pendant une heure, ne vaudrait-il pas mieux chercher ensemble ou nous nous sommes connus ? Le voisin repondit avec bonne grace : — Vous avez tout a fait raison, monsieur. Je me nommai : lo — Je m'appelle Henry Bonclair, magistrat. II hesita quelques secondes ; puis, avec ce vague de Tceil et de la voix qui accompagne les grandes tensions d' esprit : — Ah ! parfaitement, je vous ai rencontre chez les i^ Poincel, autrefois, avant la guerre, voila douze ans de cela ! — Oui, monsieur. Ah ! ah ! vous ^tes le lieutenant Revaliere ? — Oui. Je fus meme le capitaine Revaliere jusqu'au ^^ jour ou j'ai perdu mes pieds, tous les deux d'un seul .coup, sur le passage d'un boulet. Et nous nous regardames de nouveau, maintenant que nous nous connaissions. Je me rappelais parfaitement avoir vu ce beau gargon ^5 mince qui conduisait les cotillons avec une furie agile et gracieuse, et qu'on avait surnomme, je crois, *'la Trombe.*' Mais derriere cette image, nettement evo- quee, flottait encore quelque chose d'insaisissable, une histoire que j^avais sue et oubliee, une de ces histoires ^^ auxquelles on prete une attention bienveillante et Lignes annotees : 6—12—26. 22 . I.INFIRME courte, et qui ne laissent dans T esprit qu'une marque presque imperceptible. II y avait de Tamour la-dedans. J'en retrouvais la sensation particuliere au fond de ma memoire, mais rien 5 de plus. Pen a peu, cependant, les ombres s*eclaircirent et une figure de jeune fille surgit devant mes yeux. Puis son nom eclata dans ma tete comme un petard qui s*allume: M^^^ de Mandal. Je me rappelais tout, maintenant. 10 C'etait, en effet, une histoire d' amour, mais banale, Cette jeune fille aimait ce jeune homme, lorsque je Tavais rencontre, et on parlait de leur prochain mariage. II paraissait lui-meme tres epris, tres heureux. Je levai les yeux vers le filet ou tons les paquets, 15 apportes par le domestique de mon voisin, tremblotaient aux secousses du train, et la voix du serviteur me revint comme s'il finissait a peine de parler. II avait dit : — Voila, monsieur, c'est tout. II y en a cinq : les 20 bonbons, la poupee, le tambour, le fusil et le pate de foies gras. Alors, en une seconde, un roman se composa et se deroula dans ma tete. II ressemblait d'ailleurs a tons ceux que j'avais lus ou tantot le jeune homme, tantot 25 la jeune fille, epouse son fiance ou sa fiancee apres la catastrophe, soit corporelle, soit financiere. Done, cet officier mutile pendant la guerre avait retrouve, apres lacampagne, la jeune fille qui s'etait promise a lui ; et tenant son engagement, elle s'etait donnee. 30 Je jugeais cela beau, mais simple, comme on juge simples tons les devouements et tons les denouements Lignes annotees : 3—8—29. l'infirmk 23 des livres et du theatre. Puis, soudain, une autre sup- position, moins poetique et plus realiste, vint se substi- tuer a la premiere. Peut-etre s'etait-il marie avant la guerre, avant I'epouvantable accident de ce boulet lui coupant les jambes, et avait-elle du, desolee et resignee, recevoir, soigner, consoler, soutenir ce mari, parti fort et beau, revenu avec les pieds fauches, affreux debris voue a rimmobilite, aux coleres impuissantes et a Tobesite fa tale. fitait-il heureux ou torture ? Une envie, legere d'abord, puis grandissante, puis irresistible, me saisit de connaitre son histoire, d'en savoir au moins les points principaux, qui me permettraient de deviner ce qu'il ne pourrait pas ou ne voudrait pas me dire. Je lui parlais, tout en songeant. Nous avions echange quelques paroles banales ; et moi, les yeux leves vers le filet, je pensais : II a trois enfants : les bonbons sont pour sa femme, la poupee pour sa petite fiUe, le tambour et le fusil pour ses fils, ce pate de foies gras pour lui. Soudain, je lui demandai : — Vous etes pere, monsieur ? II repondit : — Non, monsieur. Je me sentis confus comme si j' avals commis une grosse inconvenance, et je repris : — Je vous demande pardon. JeT avals pense en enten- dant votre domes tique parler de jouets. On entend sans ecouter, et on conclut malgre soi. II sourit, puis il murmura : — Non, je ne suis pas meme marie. Jen suis reste aux preliminaires. Lignes annotees : 2—30. •25 24 l' infirm:^ J'eus Tair de me souvenir tout a coup. — Ah ! c'est vrai, vous etiez fiance, quand je vous ai connu, fiance avec M"® de Mandal, je crois. — Ouj, monsieur, votre memoire est excellente. J eus une audace excessive, et j'ajoutai : 5 — Oui, je crois me rappeler aussi avoir entendu dire que M^^^ de Mandal avaitepouse monsieur... monsieur... II prononga tranquillement ce nom. — Monsieur de Fleurel. — Oui, c est cela. Oui, je me rappelle meme, a ce 10 propos, avoir entendu parler de votre blessure. Je le regardais bien en face ; il rougit. Sa figure pleine, bouffie, que TaflBux constant de sang rendait deja pourpre, se teinta davantage encore. II repondit avec vivacite, avecl'ardeur soudaine d'un 15 - homme qui plaide une cause perdue d'avance, perdue dans son esprit et dans son cceur, mais qu'il veut gagner devant T opinion : — On a tort, monsieur, de prononcer a cote du mien le nom de M""^ de Fleurel. Quand je suis revenu de la 20 guerre, sans mes pieds, helas ! je n'aurais jamais accepte, jamais, qu'elle devint ma femme. Est-ce que c'etait possible ? Quand on se marie, monsieur, ce n'est pas pour faire parade de generosite : c'est pour vivre, tons les jours, toutes les heures, toutes les minutes, 25 toutes les secondes, a cote d'un homme ; et, si cet homme est difForme, comme moi, on se condamne, en I'epousant, a une souffrancequi durera jusqu'a la mort! Oh! je comprends, j' admire tons les sacrifices, tons les devouements, quand ils ont une limite. 30 '' Mais je n'admets pas le renoncement d'une femme Lignes annotees : 1—24. l'infirme 25 a toute une vie qu'elle espere heureuse, a toutes les joies, a tons les reves, pour satisfaire T admiration de la galerie. Quand j'entends sur le plancher dema chambre le battement de mes pilons et celui de mes bequilles, ce bruit de moulin que je fais a chaque pas, j'ai des exas- s perations a etrangler mon serviteur. Croyez-vous qu'on puisse accepter d'une femme de tolerer ce qu'on ne supporte pas soi-meme ? Et puis, vous imaginez-vous que c'est joli, mes bouts de jambes ? ' ' II se tut. Que lui dire ? Je trouvais qu'il avait raison. 10 Pouvais-je la blamer, la mepriser, meme lui donner tort> a elle ? Non. Cependant ? Le denouement conforme a la regie, a la vraisemblance, ne satisfait pas mon app6tit poetique. Ces moignons heroiques appelaient un beau sacrifice qui me manquait, et j'en eprouvais is une deception. Je lui demandai tout a coup : — M"^^ de Fleurel a des enfants ? — Oui, une fiUe et deux gargons. C'est pour eux que je porte ces jouets. Son mari et elle ont ete tres bons 20 pour moi. Le train montait la rampe de Saint-Germain. II passa les tunnels, entra en gare, s'arreta. J^allais offrir mon bras pour aider la descente de VoS.- cier m utile, quand deux mains se tendirent vers lui par 25 la portiere ouverte : — Bonjour ! mon cher Revaliere. — Ah ! bonjour, Fleurel. Derriere Thomme, la femme souriait, radieuse, encore jolie, envoyant des '* bonjour ! " de ses doigts gantes. 3o Une petite fiUe, a cote d'elle, sautillait de joie, et deux Lignes annoMes : 2—11—14—15. 26 Iv'lNFIRMK gargonnets regardaient avec des yeux avides le tambour et le fusil passant du filet du wagon entre les mains de leur pere. Quand Tinfirme fut sur le quai, tons les enfants Tembrasserent. Puis on se mit en route, et la fiUette, par amitie, tenait dans sa petite main la traverse vernie d'une bequille, comme elle aurait pu tenir, enmarchant a son cote, le pouce de son grand ami. Guy dk Maupassant. Lignes annot^es : 5—7. LA CLOCHE LA petite paroisse de Lande-Fleurie avait une vieille cloche et un vieux cure. La cloche etait si felee que sa sonnerie ressem- blait a une toux de vieille femme, qui faisait mal a entendre et qui attristait les laboureurs et les bergers 5 repandus dans les champs. Le cure, Tabbe Corentin, etait solide encore, malgre ses soixante-quinze ans. II avait une figure d'enfant, ridee, mais rose, encadree de cheveux blancs pareils aux echeveaux que filaient les bonnes femmes de Lande- 10 Fleurie. Et il etait adore de ses ouailles a cause de sa bonhomie et de sa grande charite. * Comme I'epoque approchait ou Tabbe Corentin devait accomplir la cinquantieme annee de son sacerdoce, ses is paroissiens resolurent de lui offrir un cadeau d* impor- tance pour feter cet anniversaire. Les trois marguilliers firent secretement la quete dans toutes les maisons, et, quand ils eurent reuni cent ecus, ils les porterent au cure, en le priant d'aller a la ville et 20 d'y choisir lui-meme une cloche neuve : — Mes enfants, dit Tabbe Corentin, mes chers Lignes annotees : 4—10—16. 27 28 LA CLOCHES enfants... cest evidemment le bon Dieu qui... pour ainsi dire... en quelque maniere... Et il n'en put dire plus long, tant il etait emu. 5 Des le lendemain, I'abbe Corentin se mit en route pour acheter la cloche. II devait faire a pied deux lieues de pays, jusqu'au bourg de Rosy-les-Roses, ou passait la diligence qui menait a la bonne ville de Pont- I'Archeveque, chef-lieu de la province. 10 II faisait beau. La yie des arbres, des oiseaux et des plantes utiles ou agreables bruissait sous le soleil des deux cotes du chemin. Et le vieux cure, la tete deja pleine des beaux carillons futurs, marchait allegrement, en louant Dieu, 15 comme saint Frangois, de la gaiete de la creation. Comme il approchait de Rosy-les-Roses, il vit, sur le bord de la route, une voiture de saltimbanques detelee. Non loin de cette voiture, un vieux cheval etait couche sur le flanc, les quatre jambes allongees et raidies, les 20 cerceaux des cotes et lesos pointus de la croupe crevant la peau usee, du sang aux naseaux, la tete enorme et les yeux blancs. Un vieil homme et une vieille femme, vetus de haillons bizarres et de maillots de coton rosatre etoiles 25 de reprises, etaient assis au bord du foss6 et pleuraient sur le vieux cheval mort. Une fille de quinze ans surgit du fond du fosse et courut vers I'abbe, en disant : — La charite, monsieur le cure ! la charite s'il vous plait ! 30 La voix etait rauque et douce a la fois et modulait sa Lignes annoi^es : 6—11—20 — 24. I.A CI.OCHE 29 priere comme une chanson de zingara. ly' enfant, dont la peau avait la couleur du cuir fraichement tanne, n'etait vetue que d'une chemisette sale et d'un jupon rouge ; mais elle avait de tres larges prunelles noires et veloutees et les levres comme des bigarreaux murs ; ses 5 bras jaunes etaient ta tones de fleurs bleues et un cercle de cuivre retenait ses cheveux noirs, Stales en eventail de chaque cote de son visage maigre, comme cela se voit aux figures egyptiaques . L'abbe, ralentissant sa marche, avait tire de son 10 porte-monnaie une piece de deux sous. Mais, ayant rencontre les yeux de Tenfant, il s'arreta et se mit a I'interroger. — Mon frere, expliqua-t-elle, est en prison parce qu'on a dit qu'il avait vole une poule. C'est lui qui 15 nous faisait vivre, et nous n'avons pas mang6 depuis deux jours. I^'abbe remit les deux sous dans sa bourse et en tira une piece blanche. — Moi, continua-t-elle, je sais jongler, et ma mere 20 dit la bonne aventure. Mais on ne nous permet plus de faire notre metier dans les villes et dans les villages, parce que nous sommes trop miserables. Et maintenant, voila que notre cheval est mort. Qu'est-ce que nous allons devenir ? 25 — Mais, demanda Tabbe, ne pourriez-vous point chercher de Fouvrage dans le pays ? — Les gens ont peur de nous et nous jettent des pierres. Puis, nous n'avons pas appris a travailler ; nous ne savons faire que des tours. Si nous avions un 30 cheval et un peu d' argent pour nous habiller, nous Lignes annoMes : 2—16—20—30, 30 I.A CLOCHK pourrions encore vivre de notre etat. . . Mais il ne nous reste plus qu'a mourir. ly'abbe remit la piece blanche dans son porte- monnaie. 5 — Aimes-tu le bon Dieu ? demanda-t-il. — Je Taimerai s'il nous vient en aide, dit Tenfant. Vabbe sentait a sa ceinture le poids du sac ou etaient les cent ecus de ses paroissiens. I^a mendiante ne quittait point le saint pretre des 10 yeux, de ses yeux de tzigane que les prunelles emplis- saient tout entiers. II questionna : — Es-tu sage ? — Sage ? fit la tzigane avec etonnement, car elle ne comprenait pas. 15 — Dis : '' Mon Dieu, je vous aime ! " ly'enfant se taisait, des larmes plein les yeux. L'abb6 avait defait les boutons de sa soutane et ramenait le gros sac plein d' argent. La tzigane attrapa le sac d'un geste de singe et dit : 20 — Monsieur le cure, je vous aime. Et elle s'enfuit vers les deux vieux qui, sans bouger, pleuraient toujours sur le cheval mort. ^ -x- L'abbe continua sa marche vers Rosy-les-Roses, 25 songeant a la grande misere ou il plait a Dieu de tenir beaucoup de ses creatures, et le priant d'eclairer cette petite bohemienne qui, visiblement, n' avait pas de religion, et qui, peut-etre, n'avait pas meme regu le saint bapteme. 30 Mais, tout a coup, il s'avisa que ce n'etait plus la Lignes annotees : 10—21—25. peine d'aller a Pont-rArcheveque, puisqu'il n'avait plus r argent de la cloche. Et il revint sur ses pas. II avait peine a comprendre, maintenant, comment il avait pu donner a une mendiante inconnue, a une 5 saltimbanque, une somme si enorme — et qui ne lui appartenait point. II pressa le pas, esperant revoir la bohemienne. Mais il n'y avait plus, au bord du chemin, que le cheval mort et la roulotte detelee. 10 II medita sur ce qu'il venait de faire. II avait, sans aucun doute, gravement peche : il avait abuse de la confiance de ses ouailles, detourne un depot, commis une espece de vol. Et il entrevoyait avec terreur les consequences de sa 15 faute. Comment la cacher ? comment la reparer ? Ou trouver cent autres ecus? Et, en attendant, que repondre a ceux qui I'interrogeraient? Quelle explication donner de sa conduite ? Le ciel se couvrait. Les arbres etaient d'un vert 20 blessant et cru sur T horizon livide. De larges gouttes tomberent. L'abbe Corentin fut frapp6 de la tristesse de la creation. II put rentrer au presbytere sans ^tre apergu. # -Jf- 25 — C'estdej^ vous, monsieur le cure? demanda sa servante, la vieille Scholastique. Vous n etes done pas alle a Pont-rArcheveque ? L'abbe fit un mensonge : — J'ai manque la diligence de Rosy-les-Roses... Je 30 ignes annoiees : 3—4—10—21. 10 32 I,A CI^OCflB' retournerai un autre jour... Mais ecoute, ne dis a personne que je suis deja revenu. II ne dit point sa messe le lendemain. II resta enferme dans sa chambre et n osa meme se promener dans son verger. Mais, le jour suivant, on vint le chercher pour porter Textreme-onction a un malade, au hameau du Clos- Moussu. — M. le cure n'est pas rentre, dit la gouvernante. — Scholastique se trompe; me void, dit I'abbe Corentin. En revenant de Clos-Moussu, il rencontra un de ses plus pieux paroissiens. 15 — Eh bien, monsieur le cure, avez-vous fait bon voyage ? ly'abbe mentit pour la seconde fois : — Excellent, mon ami, excellent. — Et cette cloche ? 20 ly'abbe fit un nouveau mensonge. Helas ! il n'en etait plus a les compter. — Superbe, mon ami, superbe ! on la dirait en argent fin, Et quel joli son! Rien qu'en lui donnant une chique. naude, elle tinte si longtemps que cela n'en finit plus. 25 — Et quand la verrons-nous ? — Bientot, mon cher enfant, bientot Mais il faut d'abord graver dans son metal son nom de bapteme, ceux de ses parrain et marraine, et quelques versets des saintes Ecritures... Et, dame ! cela demande du temps. ■X- -Jf Lignes annotees : 3—21—22—23—29. tA CLOCHK 33 — Scholastique ! dit I'abbe en rentrant chez lui, si Von vendait le fauteuil, la pendule et rarmoire qui sont dans ma chambre, crois-tu qu'on en tirerait cent ecus ? On n'en tirerait pas trois pistoles, monsieur le cure. Car sauf votre respect, tout votre mobilier ne vaut pas 5 quatresous. — Scholastique! reprit I'abbe, je ne mangerai plus de viande. La viande me fait mal. — Monsieur le cure, repondit la vieille servante, tout gan'est pas naturel, et, pour sur, vous avez quelque lo chose... C'estdepuis le jour ou vous etes parti pour Pont-l' Archeveque. Que vous est-il done arrive ? EUe le harcela si fort de questions qu'il finit par tout lui raconter. — Ah ! dit-elle, cela ne m'etonne point. C'est votre is bon cceur qui vous perdra. Mais ne vous faites point de mauvais sang, monsieur le cure. Je me charge d'ex- pliquer la chose jusqu'a ce que vous ayez pu ramasser cent autres ecus. ik 20 Et done, Scholastique inventa des histoires, qu'elle debitait a tout venant : '' On avait fele la cloche neuve en Temballant, et il fallait la refondre. La cloche refon- ' due, M. le cure avait eu I'idee de Tenvoyer dans la villede Rome pour qu'elle fut benie par notre Saint- 25 Pere le Pape, et c'etait la un long voyage... " L' abbe la laissait dire, mais il etait de plus en plus malheureux. Car, outre qu'il se reprochait ses propres mensonges, il se sentait responsable de ceux de Scho- lastique, et cela, joint au detournement de T argent de Lignes annot^es : 4—5—10—16. 30 34 I.A CI.OCHH ses paroissiens, formait a la longue une masse effroyable de peches. II flechissait sous le faix, et, peu a peu, une paleur terreuse rempla^ait, sur ses joues amaigries, les roses rouges de son innocente et robuste vieillesse. Le jour fixe pour les noces d or du cure et pour le bapteme de la cloche etait passe depuis longtemps. Les habitants de Lande-Fleurie s'etonnaient d'un tel retar- dement. Des bruits se repandaient : Farigoul, le mare- 10 chal-ferrant, racontait qu on avait vu Tabbe Corentin en compagnie d une mauvaise femme dans les environs de Rosy-les-Roses, et il ajoutait : — C'est moi qui vous le dis : il a mange avec elle r argent de la cloche. 15 Un parti se formait contreledigne desservant. Quand il marchait dans la rue, il y avait des chapeaux qui restaient sur les tetes, et il entendait, sur son passage, des murmures hostiles. Le pauvre saint homme etait accable de remords. II 20 concevait toute Tetendue de sa faute. II en eprouvait la plus douloureuse attrition : et pourtant, il avait beau faire, il ne pouvait arriver a la contrition par- faite. C'est qu'il sentaitbien quecette aumone imprudente. 25 cette aumone de 1' argent d'autrui, illavait faite comme malgre lui et sans avoir meme la liberte d y reflechir. II se disait aussi que cette charite deraisonnable avait pu etre, pour Tame ignorante de T enfant des bohe- miens, la meilleure revelation de Dieu et le commen- 30 cement de T illumination interieure. Et toujours il Lignes annotees : 2—21. 10 LA CLOCHE 35 revoyait, si noirs, si doux, et tout pleins de larmes, les yeux de la petite saltimbanque... Cependant, Tangoisse de sa conscience devenait intolerable. Sa faute grossissait, rien qu'en durant- Un jour, apres etre reste longtemps en priere, il resolut de se decharger de son peche en le confessant publique- ment a ses paroissiens. I^e dimanche suivant, il monta en chaire apres TEvangile, et, plus pale et roidi d'un plus sublime effort que les martyrs dans I'arene, il commenga : — Mes chers freres, mes chers amis, mes chers enfants, j'ai une confession a vous faire... * * A ce moment, une sonnerie claire, limpide, argen- tine, chanta dans le clocher et remplit la vieille eglise... is Toutes les tetes se retournerent, et un chuchotement emerveille parcourut les bancs des fideles : — La cloche neuve ! la cloche neuve ! *** ]6tait-ce un miracle ? Et Dieu avait-il fait apporter 20 la nouvelle cloche par ses anges, afin de sauver I'hon- neur de son charitable ministre ? Ou bien Scholastique etait-elle allee confier Tembar- ras de son vieux maitre a ces deux dames americaines — vous savez ? — Suzie et Bettina Percival, qui habi- taient un si beau chateau a trois lieues de Lande- Idgnes annotees i 4—26. 25 36 LA CI.OCHB Fleurie, et ces excellentes dames s'etaient-elles arran- gees pour faire a I'abbe Corentin cette jolie surprise? A mon avis, la seconde explication soufFrirait encore plus de difficultes que la premiere. Quoi qu'il en soit, les habitants de Lande- Fleurie ne surent jamais ce que I'abbe Corentin avait a leur confesser. JuLKS Lkmaitrk. Lignes armtees : 4-5. LE PARDON CONTK DK NOKI. DANS la maison, une grande ruche d ouvriers de la rue Delambre, ou Tony Robec occupait une chambre depuis deux trimestres, tout le monde le croyait veuf. Et pas depuis longtemps, puisque son petit gargon, avec lequel il vivait seul, ce petit gargon 5 toujours si bien tenu, comme par les soins d'une ma- man, etait age de six ans a peine. Pourtant le pere ni le fils n'avaient de crepe a la casquette ou sur la manche. Tons les jours, de grand matin, Tony Robec, qui 10 travaillait comme ouvrier compositeur dans une imprimerie du quartier latin, partait avec son petit Adrien encore tout ensommeille sur son epaule et Tallait deposer dans uneecole du voisinage. II venait Vy reprendre, apres la joumee faite, entrait, en tenant 15 son petit homme par la main, chez le boucher et chez la fruitiere, rapportait dans le panier de T enfant, ainsi que Teut fait une menagere, ce qu'il fallait pour le diner, et s'enfermait jusqu'au lendemain. Les commeres au cceur compatissant plaignaient ce 20 pauvre pere, quarante ans tout au plus, encore bel homme, I'air si triste avec son teint pale, sa barbe Lignes annotees : 1—3—12—13. 37 38 LB PARDON noire striee d* argent et sesyeux dores de lion au repos, et elles disaient derriere lui : — Cet homme-la devrait se remarier. Un bon sujet, jamais en ribote. Bien sur, il trouverait aisement une 5 brave fiUe qui prendrait soin de lui et de son gosse. Avez-vous remarque comme son petit est soigne ? Ni trou ni tache. Un homme d'ordre, ga se voit tout de suite. Et il parait qu'il gagne ses dix francs par jour. On aurait voulu faire sa connaissance. Ordinaire- 10 ment ce n'est pas difl&cile de se Her entre voisins, dans les maisons populaires, ou Ton vit la porte ouverte. Mais Tony avait un air reserve, une fagon polie de saluer le monde dans Tescalier qui intimidaient. Chaque dimanche, le pere et le fils, propres comme 15 des sous neufs, partaient en promenade. On les avait rencontres dans les musees, au Jardin des Plantes. On les avait vus aussi, avant Theure du diner, dans un petit cafe du quartier, ou Tony se permettait sa seule debauche de la semaine et buvait une absinthe, longue- 20 ment, a petits coups, tandis que Adrien, assis a cote de lui sur la banquette de cuir, regardait les journaux a images. — Non, Mesdames, disait aux voisines la concierge, qui etait sentimentale, ce veuf-la ne se remariera pas. 25 L' autre dimanche, nous nous sommes croises dans une allee du cimetiere Montparnasse. C'est sans doute la que sa femme est enterree. II faisait peine a voir, avec son orphelin a cote de lui. II a du adorer sa defunte. C'est rare, mais il y en a des comme ga. Un inconso- 30 lable !.,. Helas ! oui, Tony Robec avait tendrement aime sa Lignes annotees : 1—5—7—15—26—27—29. LB PARDON 39 femme et ne se consolait pas de I'avoir perdue. Seule- ment, il n'etait pas veuf. Oh ! bien simple et pas gaie, son histoire. Ouvrier consciencieux, mais mediocrement done pour le metier, il n'etait parvenu qu assez tard a gagner passablement 5 sa vie, et pour cette raison, il n'avait songe a se marier qu'apres avoir passe la trentaine. II lui aurait fallu une fiUe raisonnable, ay ant connu, comme lui, pas mal de misere. Mais I'amour s'occupe bien des convenances ! Tony perdit la tete devant la jolie frimousse d'une fleu- lo riste de dix-neuf ans, sage encore sans doute, mais si frivole, ne songeant qu'a la toilette et sachant d'ailleurs s'habiller avec quatre chiffons comme une petite prin- cesse. II avait quelques economies, de quoi se mettre en menage gentiment, avec une armoire a glace, quatre- is vingts francs au faubourg Saint- Antoine, ou sa femme pourrait se mirer des pieds a la tete. II epousa sa Cle- mentine, et, dans les premiers temps, ce fut delicieux. ^ Comme on s'aimait ! On avait deux chambres, au cin- quieme, boulevard de Port-Royal, avec un bout de 20 balcon et la vue de tout Paris. Tous les soirs, en sor- tant de son imprimerie, situeesurla rive gauche, Tony Robec, son paletot cachant sa veste d' ouvrier, ay ant Tair d'un demi monsieur, allait attendre, au coin du pont des Saints- Peres, sa petite femme, qui revenait de 25 la rue Saint-Honore, ou etait son atelier. Bras dessus bras dessous, serres Tun centre T autre, on rentrait bien vite au logis lointain, pour y faire gaiement la popote du soir. Mais les dimanches, surtout, etaient exquis. Tant pis ! on se trouvait trop bien chez soi, on ne sor- 30 lAgnes annoUes : 4—8—10—13—16—20—22—28—30. 40 LK PARDON tait pas. Oh ! les bons dejeuners d'ete, avec la fenetre ouverte sur la grande ville et le plein ciel ! Pendant qu'il sirotait son cafe et fumait sa cigarette, Clementine allait arroser les caisses de fieurs sur le balcon. Non, 6 elle etait trop mignonne ! II se levait, la surprenait d'un baiser dans le cou. " Finis done, que tu es bete! '' Mais voila ! Tout de suite un enfant, leur petit Felix, qu'on allait voir chez sa nourrice, a Margency, tousles quinze jours. Mort de convulsions, au bout d'un an. 10 lis etaient bientot consoles par la naissance d' Adrien, que la mere voulait nourrir. Elle quittait T atelier, prenait de Touvrage chez elle, gagnait moitie moins, faisait quand meme un peu de toilette, jouait ala dame, au Luxembourg, en poussant devant elle son bebe 15 dans une petite voiture d' osier. Et Tony avait beau bucher comme quatre, travailler dans un journal de nuit, le menage etait gene, s'endettait. Puis Tenfant, sevre, grandissait, allait a Tasile, et la mere, souvent moccupee, toujours coquette, s'ennuyait a la maison, 20 prenait 1' habitude des dangereuses flaneries. Voyez- vous d'ici ce pauvre homme vieilli avant I'age, epuise de soucis et de besogne, et cette folle tete de vingt-trois ans, jolie comme un Greuze ? Un soir, rentrant avec son gamin qu'il avait pris a Tasile en passant, Tony 25 Robec trouva sur la cheminee une lettre d'ou tomba, quand il ouvrit I'enveloppe, I'anneau de mariage de Clementine. Dans cette lettre, la mechante enfant leur disait adieu, a lui et a son fils, en leur demandant pardon. 30 Tony eut plus de douleur que de colere. II pleura beau- coup, et quand son Adrien lui disait : " Ou est maman? Lignes annotees ; 2—5—6—13—16—18—23. LE PARDON 41 Reviendra-t-elle bientot, maman?'' il embrassait pas- sionnement le petit et lui repondait : " Je ne saispas." Clementine s'etait enfuie dans les premiers jours de mai. Oh ! comme Todeur des lilas est parfois perverse! Tony, au terme de juillet, vendit presque tout son 5 mobilier pour acquitter ses dettes et vint habiter rue Delambre, voulant se depayser- C'etait la qu'il vivait si discretement, si dignement, avec son petit gar9on, et qu'on le prenait pour un veuf. Vers la fin de septembre, Touvrier regut una lettre 10 de sa femme, quatre pages incoherentes et desesperees, ou I'encre etait delay ee paries larmes. EUe etait aban- donnee, trahie a son tour, implorait, criait grace. Cela fit bien mal au pauvre Tony. Mais il fut fier et ne repondit rien a I'epouse coupable. 15 II n'eut plus aucune nouvelle de Clementine jus- qu'a la veille de Noel. Or, ce jour-la, depuis plusieurs annees, il avait la touchante habitude d aller avec sa femme porter un modeste bouquet, quelques violettes gelees avec une 20 rose firileuse au milieu, sur la tombe de leur petit Felix, de leur premier-ne, mort en nourrice, qu'ils avaient voulu avoir pres d'eux, a Montparnasse, dans une concession de cinq ans deja renouvelee. Pour la premiere fois, Tony Robec dut accomplir 25 ce pelerinage, seul avec son petit Adrien, et, tout en franchissant la porte du cimetiere, sous un funebre ciel d'hiver, il souffrait plus que jamais du souvenir de I'absente, de la fugitive. — Ou est-elle, a present ? songeait-il. Qu'est-elle 30 devenue ? Lignes annotees ; 5— 7— 14— 24. 42 LB PARDON Mais, en arrivant devant la tombe de Felix, qu'il eut quelque peine a retrouver, il s'arreta tout surpris. II y avait sur la pierre trois ou quatre jouets comme on en donne aux plus pauvres enfants, un polichinelle, 5 un caniche sur un soufflet, qu'on venait de deposer la, car ils etaient tout neufs, avaient ete achetes, evidem- ment le jour meme, a la boutique a treize. — Ah ! des joujoux ! s'ecria joyeusement Adrien devant T humble trouvaille. 10 Mais le pere, ayant apergu un bout de papier epingle sur les jouets, se pencha, le prit et lut ces mots, dont il reconnaissait bien I'ecriture : '' Pour Adrien, de la part de son frere Felix, qui est main tenant avec le petit Noel." 15 Tout a coup, il sentit son fils se serrer contre lui, il I'entendit murmurer d'une voix eflfrayee : '' Maman ! '^ et, a quelques pas de la, agenouillee pres d'un groupe de cypres, il vit une femme vetue d'une robe et d'un chale de pauvresse, oh ! si pale ! les yeux si meurtris ! 20 qui tendait vers lui des mains jointes et suppliantes. Entre nous, je ne crois pas que Tony Robec ait alors pense a Celui qui naquit en ce jour de Noel et qui enseigna, par la parole et par I'exemple, le pardon des injures. L ouvrier n'avait point de religion. Mais son 25 coeur de plebeien ignorait T amour-propre et la rancune. Apres un tressaillement, moins cause par le courroux de Tancien outrage que par la pitie de voir dans un etat si miserable la femme qu'il avait tant aimee, il poussa doucement vers elle son petit gargon. 30 — Adrien, dit-il, va done embrasser ta mere. Elle saisit son enfant dans une etreinte eperdue, lui Lignes annoUes : 5—7—10—19—25. I.K PARDON 43 mit dix baisers dans les cheveux avec un rdle de bon- heur, puis, se relevant et tournant vers son mari un regard qui mendiait : — Que vous ^tes bon ! murmura-t-elle. Mais il etait deja pres d'elle et lui repondait, la 5 bouche aride, presque durement : — Ne parle pas, et donne-moi le bras. II n'y a pas loin, du cimetiere a la rue Delambre. lis firent le trajet a grands pas. Tony sentait le bras de Clementine trembler sur le sien. L'enfant marchait 10 aupres d'eux, T esprit ailleurs deja, admirant les jou- joux. La concierge de la maison ou habitait Tony se tenait sur le seuil de la porte : — Madame, lui dit-il, voici ma femme, qui etait 15 depuis six mois en province, aupres de sa mere malade, et qui revient habiter avec moi. Et, en montant I'escalier, il dut soutenir, porter presque, la malheureuse qui eclatait en sanglots et defaillait d* emotion et de joie. 20 Arrive dans sa pauvre chambre, Tony fit asseoir sa femme sur T unique fauteuil, lui jeta de nouveau son fils dans les bras ; puis il ouvrit un tiroir de la com- mode, y prit une mechante bolte de carton, en tira r alliance de Clementine, la lui remit au doigt ; et seu- 25 lement alors, sans un mot de reproche, sans une parole amere sur le passe, silencieusement, gravement, avec la large generosite des coeurs simples, il la baisa sur le front pour qu'elle fut bien siire qu'il lui pardonnait. FRAN901S CoppftK. Lignes annotees : 9—24—25. LE SINGE SAMEDI, soir de paye. Dans cette fin de journee, qui est en meme temps une fin de semaine, on sent deja le dimanche arriver. Tout le long du faubourg ce sont des cris, des appels, des poussees a la 5 porte des cabarets. Parmi cette foule d'ouvriers qui deborde du trottoir et suit la grande chaussee en pente, une petite ombre se hate furtivement, remontant le faubourg en sens inverse. Serree dans un chale trop mince, sa petite figure have encadree d'un bonnet trop 10 grand, elle a Tair honteux, miserable et si inquiet ! Ou va-t-elle ? Qu'est-ce qu'elle cherche?... Dans sa demarche pressee, dans son regard fixe qui semble la faire aller plus vite encore, il y a cette phrase anxieuse : *' Pourvu que j 'arrive a temps !../' Sur sa 15 route on se retourne, on ricane. Tons ces ouvriers la connaissent, et, en passant, accueillent sa laideur d'un affreux surnom : ** Tiens le singe... Le singe a Va- lentin qui va chercher son homme.*' Et ils Texcitent: *'Kss... kss... Trouvera, trou vera pas..." Sans rien 20 entendre, elle va, elle va, oppressee, haletante, car cette rue qui mene aux barrieres est bien dure a monter. Enfin la voila arrivee. C'est tout en haut du fau- bourg, au coin des boulevards exterieurs. Une grande lAgnes annoUes : 3—7—13—15—17—19—21. 44 LE SINGE 45 usine... On est en train de fermer les portes. La vapeur des machines, abandonnee au ruisseau, siffle et s'echappe avec un bruit de locomotive a T arret. Un pen de fumee monte encore des hautes cheminees, et r atmosphere chaude qui flotte au-dessus des batiments 5 deserts semble la respiration, Thaleine meme du travail qui vient de finir. Tout est eteint. Une seule petite lumiere brille encore au rez-de-chaussee, derriere un grillage : c'est la lampe du caissier. Voici qu'elle disparait, juste au lo moment ou la femme arrive. AUons ! c'est trop tard. La paye est finie... Comment va-t-elle faire mainte- nant? Ou le trouver pour lui arracher sa semaine, Tempecher de laboire?... On a tant besoin d* argent a la maison ! Les enfants n'ont plus de bas. Le bou- is langer n'est pas paye. . . Elle reste affaissee sur une borne, regardant vaguement dans la nuit, n'ayant plus la force de bouger. *** Les cabarets du faubourg debordent de bruit et de 20 lumiere. Toute la vie des fabriques silencieuses s est repandue dans les bouges. A travers les vitres troubles ou les bouteilles rangees melent leurs couleurs fausses, le vert veneneux des absinthes, le rose des bitters, les paillettes d'or des eaux-de-vie de Dantzick, des cris, 25 des chants, des chocs de verre viennentj usque dans la rue, avec le tintement de r argent jete au comptoir par des mains noires encore de T avoir gagne. Les bras s'accoudent sur les tables, immobilises par Tabrutisse- ment de la fatigue ; et, dans la chaleur malsaine de 30 Lignes annoUes : 2— 13— 14— 17--2(>— 22—25— 28. 46 LB SINGB I'endroit, tons ces miserables oublient qu'il n'y a pas de feu au logis, et que les femmes et les enfants out froid. Devant ces fen^tres basses, seules allumees dans les 5 rues desertes, une petite ombre passe et repasse crain- tivement... Cherche, cherche, pauvre singe !... EUe va d'un cabaret a I'autre, se penche, essuie un coin de vitre avec son cbale, regarde, puis repart, toujours inquiete, fievreuse. Tout a coup elle tressaille. Son 10 Valentin est la, en face d'elle. Un grand diable bien decouple dans sa blouse blanche, fier de ses cheveux frises et de sa tournure d'ouvrier beau gargon. On Tentoure, on 1 ecoute. II parle si bien, et puis c'est lui qui paye !... Pendant ce temps le pauvre singe est la 15 dehors qui grelotte, coUant sa figure aux carreaux ou dans un grand rayon de gaz la table de son ivrogne se reflete, chargee de bouteilles et de verres, avec les faces egayees qui Tentourent. Dans la vitre, la femme a Tair d'etre assise au milieu 20 d'eux, comme un reproche, un remords vivant. Mais Valentin ne la voit pas. Pris, perdu dans ces intermi- nables discussions de cabaret renouvelees a chaque verre et pernicieuses pour la raison presque autant que ces vins frelates, il ne voit pas cette petite mine tiree, 25 pale, qui lui fait signe derriere les carreaux, ces yeux tristes qui cherchent les siens. EUe, de son c6te, n'ose pas entrer. Venir le chercher la, devant les camarades, ce serait lui faire affront. Encore si elle etait jolie; mais elle est si laide ! 80 Ah ! comme elle etait fraiche et gentille quand ils se soni connus, il y a dix ans ! Tons les matins, lorsqu'il Lignes annotees ; 10—11—16—24—28. I.K SINGB 47 partait pour son travail, il la rencon trait allant au sien, pauvre, parant honnetement sa misere, coquette a la fagon de cet etrange Paris on Ton vend des rubans et des fleurs sous les voutes noires des portes cocheres. lis se sont aimes tout de suite en croisant leurs regards; 5 maiscomme ils n'avaient pas d' argent, il leur a fallu attendre bien longtemps avant de se marier. Enfin, la mere du gargon a donne un matelas de son lit, la mere de la fiUe en a fait autant ; et puis, comme la petite etait tres aimee, il y a eu une coUecte a 1' atelier, et 10 leur menage s'est trouve monte. La robe de noce pretee par une amie, le voile loue chez un coiflfeur, ils sont partis un matin a pied, par les rues, pour se marier. A Teglise il fallut attendre les messes d'enterrement, attendre aussi a la mairie pour 15 laisser passer les mariages riches. Alors il Pa emmenee en haut du faubourg, dans une chambre carrelee et triste, au fond d'un long couloir plein d'autres cham- bres bruyantes, sales, querelleuses. C etait a degouter d'avance du menage ! Aussi leur bonheur n'a pas dure 20 longtemps. A force de vivre avec des ivrognes, lui s'est mis aboire comme eux. EUe, en voyant pleurer les femmes, a perdu tout son courage ; et pendant qu'il etait au cabaret, elle passait tout son temps chez les voisines, apathique, humiliee, bergant d'interminables 25 plain tes Tenfant qu'elle tenait sur ses bras. C'est comme cela qu'elle est devenue si laide, et que cet aflfreux surnom de '* singe '' lui a ete donne dans les ateliers. Ligiies annolees : 2—6—10—11—19—25, 4^ tB sing:^ La petite ombre est toujours la, qui va et vient devant les vitres. On Tentend marcher lentement dans la boue du trottoir, et tousser d'une grosse toux creuse, car la soiree est pluvieuse et froide. Combien de temps va-t- 5 elle attendre ? Deux ou trois fois dej^ elle a pose la main sur le bouton de la porte, mais sans jamais oser ouvrir. A la fin, pourtant, Tidee que les enfants n'ont rien pour manger lui tient lieu de courage. EUe entre. Mais a peine le seuil franchi, un immense eclat de rire 10 I'arrete court. '' Valentin, via le singe ! '* Elle est bien laide, en effet, avec ses loques qui ruissellent de pluie, toute les paleurs de Tattente et de la fatigue sur les joues. ** Valentin, v'la le singe ! '' Tremblante, interdite, 16 la pauvre femme reste sans bouger. Lui s*est leve, furieux. Comment ! elle a ose venir le chercher la, I'humilier devant les camarades ?... Attends, attends... tu vas voir !... Et terrible, le poing ferme, Valentin s'elance. La malheureuse se sauve en courant, au 20 milieu des huees. II franchit la porte derri^re elle, fait deux bonds et la rattrape au tournant de la rue... Tout est noir, personne ne passe . Ah! pauvre singe!... Eh bien I non. Loin des camarades, Tauvrier pari- sien nest pas mechant. Une fois en face d^elle, le 25 voila faible, soumis, presque repentant. Maintenant ils s*en vont tons deux bras dessus bras dessous, et pendant qu'ils seloignent c'est la voix de la femme qu'onentend s'elever dans la nuit, furieuse, plaintive, enrouee de larmes. Le singe prend sa revanche. Al^PHONSB Daudkt. Lianes annotees : 1—3—9—18—21—25. LA DAME A UEVENTAIL BLANC CONTK CHINOIS TCHOUANG-TSEN, du pays de Soung, etait un lettre qui poussait la sagesse jusqu'au detache- ment de toutes les choses perissables ; il avait la conscience d'echapper aux communes erreurs des hom- mes qui s' agitent pour acquerir d' inutiles richesses ou de 5 vains honneurs. II faut que cette satisfaction soit pro- fonde, car il fut, apres sa mort, proclame heureux et digne d'envie. Or, pendant les jours que les genies inconnus du monde lui accorderent de passer sous un ciel vert, parmi des arbustes en fleur, des saules et des 10 bambous, Tchouang-Tsen avait coutume de se prome- ner en revant dans la campagne. Un jour qu'il errait a Taventure sur des pentes fleuries de la montagne Nam-Hoa, il se trouva insensiblement au milieu d'un cimetiere ou les morts reposaient, selon T usage du is pays, sous des monticules de terre battue. A la vue des tombes innombrables qui s'etendaient par dela r horizon, le lettre medita sur la destinee des hommes: Helas ! se dit-il, voici le carrefour ou aboutissent tons Lignes annotees : 6—15—16—19. 49 5o I. A DAME A 1,'SVENTAII. BI,ANC les chemins de la vie. Quand une fois on a pris place dans le sejour des morts, on ne revient pins au jour. Comme il promenait ainsi sa pensee a travers les tombes, il rencontra soudain une jeune dame qui por- 6 tait des vetements de deuil, c'est-a-dire une longue robe blanche d^une etoffe grossiere et sans coutures. Assise pres d'une tombe, elle agitait un eventail blanc sur la terre encore fraiche du tertre fun6raire. Curieux de connaitre les motifs d'une action si 10 etrange, Tchouang-Tsen salua la jeune dame avec politesse et lui dit : — Oserai-je, madame, vous demander quelle personne est couchee dans ce tombeau, et pourquoi vous vous donnez tant de peine pour eventer la terre qui la recou- 15 vre ? Je suis philosophe ; je recherche les causes, et voila une cause qui m'echappe. lya jeune dame continuait a remuer son eventail. Elle rougit, baissa la tete et murmura quelques paroles que le sage n'entendit point. II renouvela plusieurs 20 fois sa question, mais en vain. La jeune femme ne prenait plus garde a lui et il semblait que son ame elit passe tout entiere dans la main qui agitait Teventail. Tchouang-Tsen s'eloigna a regret. Bien qu'il con- niit que tout n'est que vanite, il etait, de son naturel, 25 enclin a rechercher les mobiles des actions humaines, et particulierement de celles des femmes ; cette petite espece de creature lui inspirait une curiosite malveil- lante, mais tres vive. II poursuivait lentement sa pro- menade en detournant la tete pour voir encore T even- so tail qui battait I'air comme I'aile d'un grand papillon, quand, tout a coup, une vieille femme qu'il n'avait Lignes annotees : 8—21—30, tA DAMK A L'fiVKNTAII. BI.ANC ^t point aper^ue d'abord lui fit signe de la suivre. Elle I'entraina dans 1' ombre d'un tertre plus eleve que les autres et lui dit : — Je vous ai entendu faire a ma maitresse une ques- tion sur laquelle elle n'a pas repondu. Maismoije 5 satisferai votre curiosite, par un sentiment naturel d'obligeance et dans Tespoir que vous voudrez bien me donner en retour de quoi acheter aux pretres un papier magique qui prolongera ma vie. Tchouang-Tsen tira de sa bourse une piece de mon- 10 naie, et la vieille parla en ces termes : ' ' Cette dame que vous avez vue sur un tombeau est M"^^ Lu, veuve d'un lettre nomme Tao, qui mourut, voila quinze jours, apres une longue maladie, et ce tombeau est celui de son mari. lis s'aimaient tons 15 deux d'un amour tendre. Meme en expirant M. Tao ne pouvait se resoudre a la quitter, et Tidee de la laisser au monde dans la fleur de son age et de sa beaute lui etait tout a fait insupportable. II s'y resi- gnait pourtant, car il etait d'un caractere tres doux et 20 son ame se soumettait volontiers a la necessite. Pleu- rant au chevet du lit de M. Tao, qu elle n'avait point quitte durant sa maladie, M"'^ Lu attestait les dieux qu'elle ne lui survivrait point et qu'elle partagerait son cercueil comme elle avait partage sa couche. 25 Mais M. Tao lui dit : " — Madame, ne jurez point cela. *' — Du moins, reprit-elle, si je dois vous survivre, si je suis condamnee par les genies a voir encore la lumiere du jour quand vous ne la verrez plus, sachez so que je ne consentirai jamais a devenir la femme d'un Lignes annoUes : 7—8—14:. 52 I,A DAMK A I.':e:vKNTAII, BI,ANC autre et que je n'aurai qu'un epoux comme je n'ai qu'une ame. Mais M. Tao lui dit : '^ — Madame, ne jurez point cela. 6 " — Oh ! monsieur Tao, monsieur Tao ! laissez-moi jurer alors que de cinq ans an moins je ne me rema- rierai. Mais M. Tao lui dit : '' — Madame, ne jurez point cela. Jurez seulement 10 de garder fidelement ma memoire tant que la terre n'aura pas seche sur mon tombeau. M""^ Lu en fit un grand serment. Et le bon M. Tao ferma les yeux pour ne les plus rouvrir. Le desespoirde M""^ L,n passa toutce qu'on pent imaginer. 15 Ses yeux etaient devores de larmes ardentes. EUe dechirait, avec les petits couteaux de ses ongles, ses joues de porcelaine. Mais tout passe, et le torrent de cette douleur s'ecoula. Trois jours apres la mort de M. Tao, la tristesse de M"^^ Lu etait devenue plus 20 humaine. EUe apprit qu'un jeune disciple de M. Tao desirait lui temoigner la part qu'il prenait a son deuil. EUe jugea avec raison qu'elle ne pouvait se dispenser de le recevoir. EUe le refut en soupirant. Cejeune homme etait tres elegant et d une belle figure ; il lui 25 parla un peu de M. Tao et beaucoup d'elle ; il lui dit qu'elle etait charmante et qu'il sentait bien qu'il Taimait ; elle le lui laissa dire. II promit de reve- nir. En T attendant, M""^ Lu, assise aupres du tertre de son mari, ou vous Tavez vue, passe tout 30 le jour a secher la terre de la tombe au souffle de son eventail. *' Lignes annotees : 16—17—27. LA DAMK A L'feVENTAIL BI.ANC 53 Quand la vieille eut termine son recit, le sage Tchouang-Tsen songea : — La jeunesse est courte, raiguillon du desir donne des ailes aux jeunes femmes et aux jeunes hommes. Apres tout, M""^ Lu est une honnete personne qui ne veut pas trahir son serment. C'est un exemple a proposer aux femmes blanches de r Europe. Anatoi^k France. Xignes annt^es : 3—4. MON PERROQUET L'APPARTBMENT me convient, dis-je h la con- cierge qui presidait a ma visite. Vous m'assurez qu41 est bien sec? C'est toujours desagreable d'essuyer les platres. 5 — S'il est sec, monsieur? Ives ouvriers en sont sortis depuis dix-huit mois. Nous avons deux autres per- sonnes qui en ont envie, mais si monsieur se decide, j'ote I'ecriteau en descendant. — Eh bien, 6tez-le. 10 Et je mis quelques louis dans la main de ma future geoliere, qui les empocha d un air de dedain superbe. Je m'installai rapidement. Le 30 avril, j'etais de- barrasse du tapissier, de Tebeniste, du gazier. Entre 15 temps, helas ! j'avais decouvert que la maison etait un veritable Stradivarius, tant elle etait sonore. Au-des- sous de moi vivait un jeune menage, embelli par la presence de deux enfants de 1 age le plus tendre. L'aine faisait ses dents et criait du soir au matin. Le 20 cadet, qui venait de naitre, vagissait du matin au soir. — Patience ! pensais-je en moi-meme, la mortalite des enfants est si grande a Paris ! Lignes annoMes : 4—5—16. 54 MON PKRROQUK'f 5$ A I'etage superieur habitait une dame qui faisait des cours : histoire le matin, geographic Papres-midi. Interrogez-moi sur les fils de Clovis ou sur les villes de Sumatra, et vous m'en direz des nouvelles. Malheu- reusement, je n'ai pas eu le temps d'aller plus loin que 5 le demembrement de Tempire de Charlemagne, ni d'aborder les Etats de T Europe. Enfin il y avait, dans la cour, des chevaux, des voi- tures et des cochers qui poussaient la proprete jusqu'a I'exageration. Quand ces messieurs avaient fini leurs 10 lavages, ils sonnaient de la trompe dans la cave. Par bonheur, j'ai toujours aime la trompe. C'est meme le seul des gouts de Dona Sol que je sois jamais parvenu a comprendre. Un matin, juste a Theure oi Taine des moutards ne 15 criait plus et ou T autre ne criait pas encore, je fus reveille par un vacarme abominable ; mais, cette fois, le bruit se faisait au meme etage, presque a mon oreille. Je compris que des voisins s'installaient a cote de moi. Cela fut court d'ailleurs. Sans doute le mobi- 20 lier n'etait pas riche. Huit jours apres, la famille arriva. Je sus bient6t, sans indiscretion volontaire, qu'elle se composait de trois personnes: le pere qui etait sourd, — il n'y avait que lui de sourd dans la maison — et 25 caissier dans une grande maison de banque ; la mere qui etait d'un terre a terre deplorable, et la fille... Oh! la fille, quelle chipie ! La bonne a tout faire s'appelait Irma, au debut. Mais on changeait si souvent que tout le calendrier doit y avoir passe a I'heure qu'il est. 30 J'ignorais les veritables noms de ces dames. Les pa- Lignes annotees : 2—4—13—15—27—28. 56 MON PKRROQUBT rents, en s'adressant a leur fiUe, Tappelaient Bebelle. Evariste baptisait sa femme : Poulette, dans Tinti- mite. Cette intimite n'avait pas de secrets pour moi, car 5 c'etait le sanctuaire conjugal qui confinait a ma propre chambre a coucher. Aussi, au bout d'un mois je con- naissais les moindres habitudes de ces gens- la sur le bout du doigt. C'etait ce qu'on est convenu d'appeler un bon me- 10 nage. Je devinais qu' Evariste etait chauve, un pen gros et dispose aux congestions, car Poulette lui repe- tait souvent : — Ton foulard est encore parti ? Tu vas t^enrhumer dans ces murs tout frais. 15 A sept heures et demie, Irma — ou une autre — apportait k mes voisins leur cafe au lait. C'etait regu- lierement madame qui reveillait monsieur, Alors les epoux causaient de leurs affaires, qui n'etaient pas brillantes, je dois le dire. J'ai le regret d ajouter que 20 c'etait Bebelle qui etait cause du mal en grande partie. Cette fiUe-la faisait tout ce qu'elle voulait de sa famille. Coquette en diable, desireuse de paraitre, c'est elle qui avait pousse son pere a prendre un appartement trop cher pour leur position. EUe voulait que sa mere eut un jour — le jeudi — et pour obtenir la paix, il fallait 25 se payer un homme ^ extra ^ en habit et cravate blan- che. Avec cela du the, des gateaux, des fleurs et une certaine toilette. II est vrai qu'une couturiere venait a la maison une fois par semaine, et que ces dames mettaient la main aux ciseaux et a T aiguille. 30 Et puis cette Bebelle avait des doigts de fee et vous Lignes annottfes : 2— 22—25. MON PHRROQUKT 57 chiflfonnait un chapeau comme une/>r^;;2/^r^ de Virot. Seulement, il lui fallait des corsets de chez Mme Chal- que et des souliers de Perchellet. — Mon pied et ma taille sont ce que j'ai de mieux, disait-elle. Qu'on me laisse au moins cela ! 5 Ah ! si vous aviez entendu cette peronnelle tenir tete a ses parents ! Positivement, elle les *' tournait en bourriques *' suivant une expression populaire sou- vent employee par le malheureux Evariste. Je le savais bien, moi qui entendais les doleances de ces 10 braves gens, a Theure du cafe au lait. Aussi n'avaient- ils qu'un desir : caser Bebelle le plus tot possible. Mais c'etait plus facile a dire qu'a faire. Deux fois deja elle avait *' rate " un mariage ; c'etait la faute de sa dot, ou plut&t de son defaut de dot, a ce que j' avals 15 cru comprendre. II est temps de vous confier que j etais celibataire et le suis encore, grace a Dieu ! Grace a Dieu et a mon perroquet. Cet animal composait, en y joignant une vieille bonne, tout le personnel de mon interieur, et, 20 avec la specialite d' imitation qui constitue le caractere de son espece, il n' avait pas tarde a assimiler et a reproduire les phrases qui, d'un cote de la cloison a I'autre, frappaient le plus sou vent son oreille. Au bout d un mois, il repetait a peu pres deux cent cinquante 25 fois par jour ce fragment de dialogue : — Evariste, peux-tu m'ouvrir ? — C'est toi, Poulette ? Ces deux interrogations se croisaient en effet tons les matins a travers la porte du cabinet de toilette de mes 30 voisins et c'etait fort drole — les quatre ou cinq Lignes annot4es : 2— 3—6— 8— U. 58 MON PKRROQUKT premieres fois — d'entendre Toiseau crier, avec le fausset de la dame : — Evaristef Peux-tu m^ouvrir? Tandis qu'il copiait a s'y meprendre le baryton un 5 peu nasillard du mari pour repondre : — Cest tot, Poulette ? Notez que je n'etais pour rien dans cette education. Elle s etait faite toute seule, mais vous n'auriez pas ote de la tete de mes voisins qu'il y avait la, de ma part, une 10 espifeglerie du plus mauvais gout. Bebelle, surtout, s'en montrait exasperee, et quand elle venait le matin dans la chambre de ses parents, elle ne manquait pas de s'ecrier : *' Sale bete ! '' apres chaque performance de mon oiseau qui, bien entendu, n' avait pas tarde a 15 dire : Sale bite, avec Torgane de la demoiselle. De telle fagon qu'on eut pu croire, en fermant les yeux, que la jeune personne, oubliant toute reserve, s'aven- turait dans les penates d'un celibataire propre au mariage. 20 Un jour Bebelle, n y tenant plus, dit a son pere : — Ce inonsieur est un mauvais plaisant, et vous devriez vous plaindre au concierge. — Je me suis plaint, repondit Evariste. Mais ce maudit oiseau est dans un appartement de la maison 25 voisine. Le concierge n'a rien a y voir. — Comment se fait-il, objecta Bebelle, que les murs soient si minces ? Eh ! parbleu ! j' avals fait la meme remarque, moi aussi, et les memes plaintes. Deux femmes criant du 30 haut de leur voix pour se faire entendre d'un caissier sourd valent bien un perroquet. A mon observation et Lignes annotees : 20—30. MON PERROQUKT 59 a mes plaintes on avait repondu que les deux maisons faisaient parti e d'un meme pate d'immeubles, construit par une societe, d'ailleurs en faillite, comme la plupart de celles de ce. genre. Ce n'etait pas faute d' avoir economise sur les murs de refend ! 5 Cependant juin etait arrive. Mes voisins de I'etage superieur etaient partis pour la campagne. Les che- vaux en avaient fait autant, suivis des cocliers et de leurs trompes. Bref, la maison devenait un paradis veritable. II ne restait plus que les cours de I'etage 10 au-dessus, mon perroquet, et mes voisins deTimmeuble contigu. II est vrai que ceux-ci n' etaient plus possibles. Cetait a en avoir des acces de fievre chaude ; car, excepte de se jeter les meubles a la tete, ces gens-la 15 faisaient tout ce qu*on pent faire dans un interieur hante par la Discorde. Bebelle s' etait mise en tete d'aller '' quelque part, comme tout le monde ", desir legitime, mais que le defaut d' argent rendait irrealisable, s'il fallait en croire 20 Evariste. — Jen'ai pas d'argent, repetait-il, pas le sou ! La banque va tres mal ; on a reduit mes appointements de dix pour cent, et nous avons des dettes. Apres trois jours de lutte, le malheureux avait fait 25 une concession. II avait autorise le Treport. A ce mot Bebelle lui eclata de rire au nez. Oh ! cette chi- pie ! je Taurais giflee ! *' Le Treport? Pourquoi pas Bercy? Qui est-ce '* qui va au Treport? EUe avait vingt- trois ans et, 30 " puisque ses parents ne s'occupaient pas d'elle, il Lignes annoUesi 2—6—29. 6o MON PKRROQUET '' fallal t bien qu'elle se mil en devoir de trouver un ' ' marl a elle toute seule. * ' — Commence par trouver une dot ! s*ecria le pere pousse a bout. 5 — Elle a soixante mille francs, hasarda Poulette, qui passait sa vie, main tenant, entre Tenclume et le marteau. Evariste eut un rire navrant h entendre. — Soixante mille francs ! Vous savez bien que 10 c'est mon cautionnement. Si je le retire, je perds ma place. D'ailleurs, le retirer !. .. Dieu salt si on pour- rait me le rendre en ce moment. I^es aflfaires vont si mal ! Je ne veux point rapporter ici la reponse de Be- 15 belle. Positivement, cette fiUe-la n'avait pas de coeur et lorsque, apres une scene a faire prendre Thumanite en grippe, mon perroquet s'ecria : Sale b^te ! je ne pus m'empecher daj outer avec conviction : — Oh ! oui. 20 Heureusement, I'epoque du depart etait arrivee pour moi-meme. Je laissai Jacquot aux soins de ma vieille bonne et je me mis en route, tout rejoui a la pensee que je n'entendrais plus parler de mes voisins pendant quatre ou cinq mois. II 25 Je voyageai d'abord en Suisse, passai trois semaines dans I'Engadine, redescendis par Coire et Zurich et gagnai Lucerne. Dans cette ville, ou plutot sur le beau lac qui lui doit son nom, Tamour m'attendait Lignes annolees'. 17—21—28. MON PERROQtJEl' 6l Ce fut sur un bateau a vapeur que je /^ vis pour la premiere fois. Elle voyageait seule avec sa mere, une femme a Fair distingue, un peu melancolique, telle- ment que je la crus veuve d'abord. Mais, trois jours apres, — je m'etais arrange pour loger au meme hotel 5 — j'avais lie connaissance avec ces dames dans Pascen- seur, et bientot je sus leur nom et leur histoire. M""^ de Monsenpuelle n'etait pas veuve. Son mari, retenu par d^importantes aflfaires, n'avait pu Taccom- pagner dans une excursion d'un mois que la sante de 10 la jeune fiUe rendait necessaire. Quant a celle-ci, elle me plaisait beaucoup ; elle me plaisait trop, helas ! C'etait bien le type de la jeune fiUe comme il faut : brune avec des yeux noirs, profonds, fiers, chastes et tendres. Je Taurais preferee un peu moins timide, 15 parce que j'ai le defaut de Tetre aussi. Timide ou non, sa mere la gardait a vue, comme on garde un tresor, ou plutot comme on garde une fille adoree ; car elles s'adoraient. D'ailleurs Isabelle avait une nature de sensitive. Un 20 rien lui rendait les yeux moites, et je crus qu'elle allait eclater en sanglots sur une simple observation que lui fit sa mere, au sujet d'une ombrelle oubliee au Righi- Kulm ou nous etions montes ensemble. Ce fut meme cette ombrelle qui brisa la glace entre nous, sij'ose 25 m'exprimer ainsi. I^e lendemain des Taurore, je re- prenais le chemin du Kulm. A cinq heures du soir, grace k mon empressement et au chemin de fer a cre- maillere, M^^^ de Monsenpuelle etait rentree dans son parasol. 30 Elle me tendit la main et me dit, de quelle voix ! Lignes annoiees : 17—28—29. 62 MON PKRROQXJKT — Ah ! vous etes bon, vous ! Je baisai cette petite main, et je crois qu'au premier abord la mere et la fille trouverent le precede un peu vif. Mais elles sentaient deja qu'elles avaient affaire 5 a un homme delicat. Peut-etre meme mon amour naissant n'etait-il pas un mystere pour elles. On dit les femmes si clairvoyantes sous ce rapport ! Nous passames quinze jours a lyucerne, nous quittant peu dans la journee. Je pouvais me flatter de connai- 10 tre Isabelle mieux quejene Teusse connue apres une cour de deux mois a Paris. Parlez-moi des voyages pour etudier un caractere ! Elle etait fille unique, et Ton voyait facilement que les Monsenpuelle avaient de la fortune et un certain 15 train de maison. Dans la conversation, ces dames laissaient echapper, sans s'en rendre compte, les noms de leurs modistes, de leurs couturieres, des gens qui ve- naient chez elles, et tout cela m'en apprenait assez. EUes n' avaient pas de voiture et disaient tres simplement : 20 — A Paris, il faut savoir se contenter des remises, quand on n'a pas soixante mille livres de rente. Pour un futur gendre, une phrase comme celle-la vaut de Tor et, moi-meme, je me considerais, sinon comme un futur gendre, du moins comme un gendre 25 possible. II fallut pourtant se quitter. Chaque matin, M. de Monsenpuelle ecrivait des pages pour reclamer sa femme et sa fille. II ne mangeait plus, ne dormait plus. Ah ! la belle chose qu'une famille bien unie ! 30 J' avals obtenu de ces dames la faveur de voyager avec elles jusqu'a Dijon. Lignes annoiees: 3—20, MON PERROQUET 63 I^a, je pris conge d'elles, car j'allais ouvrir la chasse en Bourgogne. Elles eurent la bonte de m' engager a les aller voir ; du reste, nous habitions le meme quartier. Ce fut seulement en octobre que je rentrai a Paris. 5 J'y arrival un jeudi a dix heures du matin, et comme c'etait precisement le jour de M"^^ de Monsenpuelle, d'apres ce qu'elle m'avait dit, je courus, sur le coup de trois heures, a T adresse qu' elle m' avait donnee. C etait bien ce queje m'etais figure : maison cossue, escalier 10 bien tenu, appartement au fond de la cour, simple, mais d^une certaine elegance ; rien qui sen tit le parvenu. Le domestique en habit noir avait bonne mine ; enfin, dans tout Tensemble pas une note ne detonnait. Ces dames me regurent a bras ouverts. Ma parole 15 d'honneur, je crois qu'Isabelle etait encore plus jolie qu'en Suisse, et je vis bien qu'elle ne me trouvait pas, elle non plus, change a mon desavantage. Nous cau- sames presque intimement; car j'etais le seul visiteur. En me levant je dis : 20 — Combien je regrette, madame, de n' avoir pu faire aujourd'hui la connaissance de M. de Monsenpuelle ! — A cette heure-ci, il est toujours a sa maison de banque. Mais, au premier jour, il ira vous demander de venir diner, pour faire connaissance. Du reste, en 25 attendant que vous le connaissiez lui-meme, je vais vous montrer son portrait au crayon, par sa fille. — Oh ! maman ! fit Isabelle en minaudant, c'est si mauvais !... — Bah ! monsieur est un ami, et tu ne te poses pas ^ en artiste. Lignes annotees : —1011—12—14. 64 MON PKRROQUKT On ouvrit une porte et Ton m'introduisit dans la piece voisine, qui etait manifestement la chambre con- jugale. Au mur, le portrait de M. de Monsenpuelle 6tait accroche ; mais je ne vous dirai pas s'il etait bon 5 ou mauvais, car, au moment ou je m'appretais a Pexa- miner, j'entendis, de I'autre cote du mur, une voix glapissante qui criait : — Evariste ! Peux-tu ni^ouvrir ?,., Cest toi, Pou- lette ? 10 J'etais dans la famille de mes voisins, cet enfer ! J etais pince par Bebelle, ce diable ! Heureusement, j eus la presence d esprit de ne pas me trahir et fis semblant de n' avoir rien entendu. Inutile de vous dire que je n'ai jamais remis le pied 15 chez les Monsenpuelle. Mais, pour des raisons sur lesquelles je n'ai pas besoin de m etendre, cette quasi- cohabitation etait devenue penible a mon amour-propre. Je demenageai au terme suivant, et s'il y a, dans Paris, un perroquet soigne avec une tendre reconnaissance, 20 Cest celui de votre serviteur. LfiON DK TiNSEAU. Lignes annotees: 11—18. UAVEUGLE AU mois de novembre i88., M. Nay, ancien profes- seur de musique a Toulouse, vint s' installer a Men ton avec son fils Henri. II loua, dans une des demieres maisons du faubourg, un rez-de-chaussee dont les fenetres s'ouvraient sur la 5 rue et, en meme temps, sur la route qui descend de la montagne. Le calme qui regne dans cette partie de la ville, son air pur et embaume, et non la beaute du site, avaient determine ce choix : Henri Nay etait aveugle. 10 Vers Page de quinze ans, sa vue, jusqu'alors excel- lente, commenga de s'aflfaiblir graduellement Un brouillard, de jour en jour plus epais, tombait sur ses yeux. Bientot il fallut renoncer a dechiflfrer la musi- que nouvelle. Deja, malgre sa jeunesse, Henri etait is un violoniste remarquable. Knfin, la nuit profonde se fit sous ses paupieres. Un matin, il se plaga devant le soleil levant et ouvrit demesurement les yeux. II les referma, deux larmes filtrerent entre ses cils et ce fut tout. 20 Alors, le pere prit T enfant par la main, et partit a la recherche d'un guerisseur. Tons les specialistes cele- bres furent consultes. Unanimement ils declarerent Lignes annoUes : 5—13—19. 05 66 Iv'AVEUGLK que la cecite n'etait pas irrem6diable, mais que r operation necessaire etait a la fois douloureuse et dangereuse. M. Nay, eflfraye, n'osa prendre une determination. 5 Cette hesitation ne compromettait pas le succes de I'entreprise, d'ailleurs. L,a raison precoce de I'enfant murissait rapidement, et le pere decida qu'il s'en remet- trait un jour entierement a elk. En attendant, ils allaient de ville en ville, voyageant 10 sans presque s'arreter. Henri, dont les moindres desirs etaient satisfaits, se sentait en trainer par cette infatigable activitede Taveu- gle qui veut sans cesse changer de pays dans Tespe- rance obstinee sinon de retrouver la vue, du moins de 15 revoir un peu de lumiere. Cinq annees s' etaient ainsi ecoulees. lis vecurent a Menton, comme partout, fort retires, ne sortant guere que le soir. Les matinees Etaient con- sacrees a la lecture faite a haute voix par M. Nay ; 20 les apres-midi a la musique. Le vieux professeur accompagnait au piano, tantbien que mal, de ses doigts raidis, les 6tincelantes improvisations de son fils. C'etait I'unique joie de Tenfant de se laisser aller pen- dant des heures entieres a tons les caprices de sa fan. 25 taisie. II faisait voler les notes sous son archet comme une poussiere sonore, ou bien il s'attardait en de lon- gues et melancoliques romances ou pleuraient les regrets du tresor perdu. Le soir, a la fraicheur, Henri, appuye au bras de son 30 pere, se dirigeait vers la mer ; il s'asseyait sur le sable et restait la, immobile, concentrant son attention sur Lignes annoMes : 12—18—21—25—28. l'aveugle 67 les bruits infinis des vagues, cherchant a distinguer les uns des autres les innombrables cris dont est composee rharmonie monotone de la mer. Un jour, cependant, ils se dirigerent vers les bois voisins par le chemin qui c6 toy ait la maison. 5 Au bout d'un quart d'heure de marche, Henri s*arreta. — Tu es fatigue, pere ? — Non, certes, repondit vivement le vieillard. — On ne me trompe pas, reprit Taveugle en souriant. 10 Ta canne frappe le sol a chaque pas. Heureusement, nous sommes arrives ; j'entends le vent qui souffle dans les feuilles. — Pas encore. Nous longeons la grille d'un pare dont les arbres poussent leurs feuilles au-dessus de la 15 route. A ce moment resonnerent dans la paix calme de la nuit quelques accords de piano. Puis, apres un silence, le musicien invisible joua la romance de '"TlStoile", du Tannhauser. Henri s^arreta, la main posee sur le 20 bras de son pere. A la romance de 'TEtoile*' succeda tout a coup, par un caprice bizarre, une valse de Chopin, jouee avec une fievre hative, comme par quelqu'un qui croirait n' avoir pas le temps de Tachever. Apres la valse, un 25 ** nocturne ^ * aux modulations elegiaques, empreintes d'une profonde desesperance, du meme auteur. Puis, plus rien que le silence et Tobscurite. I^a lumiere disparut. — C est un veritable artiste, dit M. Nay, en reprenant 30 le bras de son fils. Lignes annotees : 10—19—23—28. 68 I.'AVKUGI.B Henri ne repondit pas, mais il pensa : ''C'estune femme! " Avec la sagacite de I'aveugle, dont I'ouie a de pro- digieuses delicatesses, il avait reconnu la femme dans 5 la finesse de T expression ; il T avait meme devinee souffrante, au choix capricieux des morceaux, aux transitions brusques de la gaiete a la tristesse, et aux nuances de son jeu. Le lendemain, en interrogeant la vieille femme qui 10 le servait, il apprit que la villa appartenait a M. Valen- court, " un monsieur de Paris," qui Tavait ache tee pour sa fiUe Madeleine, '' une pauvre demoiselle qui avait Tair bien malade." Le soir, Henri ne parla pas de retourner a la grille du 15 pare. II temoigna seulement le desir d'emporter son violon pour le cas ou il lui viendrait la fantaisie d'im- proviser quelque serenade aux etoiles. Ce jour-la et les jours suivants, M. Nay et son fils passerent toute la soiree au bord de la mer. ■X- * 20 — Si nous allions aujourd'hui dans le bois ? dit un matin M. Nay : ce serait plus pres, nous rentrerious moins tard ; les nuits deviennent tres fraiches. Le jeune homme reprima un sourire. — Allons dans le bois, fit-il d un air indiflferent. 25 Quand, le soir, ils arriverent pres de la villa, Made- leine, seule dans sa chambre, etait au piano, comme tous les jours a cette heure qui precedait son coucher : elle jouait V Elegie de Ernst Henri saisit rapidement son violon, et, debout sur Lignes annot^es : 16—28. I.'AVEUGI.B 69 la route, fremissant d'inquietude, il repondit comme un echo a la melodie qu'il entendait. Aux premieres notes du violon, Madeleine se leva brusquement, toute surprise, et se retourna. La fene- tre etait ouverte. Elle la ferma. 5 — On me voit, pensa-t-elle en rougissant. Le violon se tut. La jeune fille, un instant apres, entr'ouvrit les rideaux et essay a de percer Tobscurite qui enveloppait les arbres du pare. EUe ne vit rien. La premiere alarme passee, sa curiosite s' etait 10 eveillee. — Qui est-ce ? se demandait-elle. Henri Nay rentra, mecontent de lui, comprenant fort bien qu'il avait trouble une solitude. II revint cependant tous les soirs, et chaque fois avec 15 son violon. Dans des improvisations inspirees, il s'ef- forgait, comme si son langage devait etre compris, a demander son pardon et a exprimer les sentiments qui commen^aient a Texalter. Mais le plus profond silence regnait dans la villa. 20 Ce silence obstine le desesperait. — Cest fini ! se dit-il un jour. Je I'ai oflfensee. Encore ce soir pour la derniere fois..., et puis, je quit- terai le pays. Que les heures du jour lui semblerent longues ! 25 L'instant venu, il entraina son pere, qui se pretait docilement a ce qu'il croyait n'etre qu'un caprice poetique. Henri preluda et commen^a VElegie de Ernst. La melodie qu'il avait jouee la premiere fois devait etre 30 son adieu. Les notes sonores et plaintives du violon Lignes annoMes : 7 — 26—26—31. 70 l'avkugIvE se repandaient dans le silence de la nature endormie. L'oreille attentive du musicien ne percevait aucun autre bruit. Tout a coup, il tressaillit violemment, et Tarchet 5 faillits^echapper de ses doigts : une ineflFable joie pene- tra tout son Stre. Les sons du piano se mariaient, d'abord timidement, puis plus nettement, avec ceux du violon : c'etait Madeleine qui, s'enhardissant pen a pen, jouait raccompagnement de VElegie. 10 Le duo s^ fut prolonge pendant toute la nuit, sans r intervention de M. Nay. Henri dut rentrer. Pen- dant le trajet, il fut silencieux et grave. II souhaita le bonsoir a son pere d'une voix plus triste que d'habi- tude. Au moment ou le vieillard quittait la chambre, 15 il le rappela. — Pere ! — Que veux-tu ? — Rien, a demain ! Henri s'etait ravise. II ne dormit pas de la nuit. 20 Pendant que les heures s'ecoulaient, il evoquait les souvenirs de son enfance pour se faire une idee de Tendroit ou demeurait Madeleine et surtout pour la deviner. Comment etait-elle ? II cherchait dans sa m6moire 25 rimage des jeunes fiUes qu'il avait vues. II la voyait tant6t blonde et frele, souple et legere comme un souffle, tantot brune avec un profil de medaille et des yeux de flamme. L'idee ne lui vint pas qu'elle ne fut parfaitement belle ! 30 Le lendemain, M. Nay entra de bonne heure dans sa chambre. Lignes annoties : 5—10—19. 1,'avkugi.e 71 — Pere ! lui dit-il aussitot, j'ai enfin pris une resolu- tion : ecrivez a M. le docteur Desmarres. — As-tu bien reflechi ? demanda M. Nay, qui etait devenu pale. — C'est une chance a courir, repondit Henri. Que 5 peut-il m'arriver de pis, sinon de rester dans I'etat ou jesuis? Dailleurs, j'ai fait mes reflexions et je suis decide, ajouta-t-il d'un ton ferme. M. Nay telegraphia immediatement cette decision au docteur Desmarres ; le surlendemain, celui-ci, jeune 10 et celebre oculiste, arrival t a Menton. — Quand verrai-je, docteur ? demanda Henri. — Dans huit jours !... Pendant huit jours vous res- terez enferme dans cette chambre, dans le silence, Tobscurite et le repos le plus absolu, mais apres... is — Apres, je pourrai voir Madeleine ! pensa Henri, sans meme ecouter la fin de la phrase du docteur. * Le soir meme et le lendemain, Madeleine attendait vainement. Le troisieme jour, elle devint triste. Le musicien inconnu qui partageait si entierement ses 20 gouts s'etait-il lasse ? avait-il quitte la ville ? Des pensees wSingulieres la troublaient. . . Deja la maladie de poitrine dont la jeune fiUe etait atteinte assombrissait son imagination, des pressenti- ments funestes V assaillirent. . . 25 Elle passait toutes les journees dans Fatten te anxieuse de I'heure ou son mysterieux ami devait venir ; I'heure venue, elle se mettait au piano, melant dans une rapide improvisation leurs melodies favo- JAgnes annoties : 20—23. 72 I.*AVKtJGI.H rites ; puis, elle ouvrait la fenetre, se penchait dehors, ecoutait, le regard fixe dans la nuit. Un soir, elle crut entendre des pas sur la route. Sans se rendre compte de son action, sans prendre la 5 peine de jeter un chale sur ses epaules, couvertes seu- lement d'un leger peignoir de mousseline, elle descendit, tete nue, dans le pare, se glissa, legere comme une ombre, dans les allees humides, et entr'ouvrit la petite porte. Un ouvrier qui revenait du travail, la pioche sur 10 1 epaule, passa ; a ce moment, il entonna une joyeuse chanson dont le refrain alia bientot s'aflfaiblissant dans le loin tain. Madeleine resta la, appuyee au mur, les tempes brti- lantes, le regard perdu. Elle ne sentait pas le vent 15 frais du soir, ni Thumidite des arbres qui tombait en pluie impalpable sur ses epaules. Une idee doulou. reuse Tabsorbait : *' II ne viendra plus ! '' Tout d'un coup, un violent frisson la secoua tout entiere : elle rentra, defaillante, brisee, le coeur navre, 20 et s'etenditsur son lit, avec une fievre intense. Dix jours apres cette fatale soiree, Henri Nay, enferme dans sa chambre, dont les rideaux etaient encore clos, attendait la visite du medecin de Menton a qui le docteur Desmarres, avant de retourner a Paris, 25 son operation faite, avait donne ses instructions. ly'operation avait reussi : Henri n'etaitplus aveugle; mais il devait accoutumer peu a pen ses yeux a la lumiere. Depuis quelques jours, le bandeau ne les recouvrait plus. Ce matin-la, on allait ecarter enfin 30 les rideaux epais des fenetres et lui permettre de revoir le jour, la lumiere du soleil, Teclat du ciel. Lignes annot^es : 9 — 24 — 25. I.'AVKUGI.K 73 Le medecin entra, suivi de M. Nay. Une profonde Amotion etreignait Henri : son pere lui prit la main et le conduisit vers la fenetre que le medecin ouvrait lentement. — Regarde ! lui dit-il. 5 Henri poussa un cri et ferma les yeux, ebloui. Puis il les rouvrit et, se penchant, il embrassa d'un long regard T horizon tout en tier. II chercha aussitot le chemin qui conduisait a la villa. — Enfin, je verrai Madeleine ! pensait-il. 10 Au meme instant, il apergut au detour de la route un pretre en surplis, une croix argentee a la main ; puis des enfants de choeur, suivis de six femmes du pays portant un cercueil convert d'un drap blanc. Derriere, des jeunes filles en robe blanche, tenant is des cierges, et enfin un long cortege silencieux et recueilli. Henri eut un horrible serrement de coeur. — Docteur, dit-il, c'est une jeunefille quon enterre? — Oui, repondit celui-ci, une charmante et malheu- 20 reuse enfant tuee par la phtisie. Figurez-vous qu'elle est morte devant son piano, en jouantla celebre Elegie de Ernst. Elle s'appelait. . . — Madeleine ! dit Henri d'une voix etranglee. — Tu la connaissais ? demanda M. Nay, tout 25 surpris. — Non, murmura le jeune homme, mais... je Taimais ! Paui. Manuei.. LE PARRAIN UN homme ennuye, — j'adoucis T expression — ce fut rancien quincaillier M. Matoussaint, le soir ou, apres lui avoir servi le dessert, sa servante Caroline, les yeux pudiquement baisses et pliant le 5 bout de son tablier comme pour y faire un ourlet, annonga au celibataire qu elle allait se marier avec le petit serrurier en boutique de la rue du Pas-de-la-Mule. Rien n'est desagreable comme un changement de domestique, surtout pour un homme a habitudes, pour 10 un vieux gargon de cinquante-cinq ans. Retire de la quincaillerie avec quinze milk livres de rentes, M. Ma- toussaint etait satisfait de la fagon dont il avait arrange sa vie — depuis dix-huit ans deja ! — dans son petit logement, si gai et si clair, du boulevard Beaumarchais. 15 Caroline etait entree chez lui le jour meme de son ins- tallation, et Tavait toujours servi avec zele et fidelite. De plus, fine cuisiniere — M. Matoussaint etait un peu sur sa bouche — et ne craignant personne dans Tart de confectionner le souflOie au fromage. Enfin une 20 perle ! — Eh bien, ma fille, vous faites une betise, s'^cria brutalement M. Matoussaint en jctant sa serviette. Je Lignes annotees : 7—11—18—20. 74 tE PARR A IN 75 le connais de vue, votre serrurier... Un homme plus jeune que vous... Un ivrogne, peut-etre, qui vous battra... Les femtnes sont toutes foUes... Et puis qu'est-ce qu'il peut faire dans ce quartier-ci ? Des poses de sonnettes, des ouvertures de portes pour des gens s qui ont oublie leur clef?... La misere, quoi !... Mais mademoiselle veut devenir bourgeoise, faire la femme etablie... Si vous etiez restee ici, Caroline, je vous aurais couchee sur mon testament... Enfin, 9a vous regarde, ma pauvre enfant. .. Mais je vous le repete, 10 vous faites une betise. Ce soir-la, au petit cafe d'habitues ou il avait sa pipe au ratelier, M. Matoussaint fut d'une humeur massa- crante, et a propos d'un coup douteux au billard, — M. Revillod, Temballeur de la rue Amelot, avait 15 '*queute, " il faut etre juste, — L'ancien quincaillier entra en fureur et declara a son adversaire, un homme marie et pere de famille doux comme un agneau, que dans sa jeunesse, oui, lui, Matoussaint, quand il voya- geait pour son article, il avait eu une querelle avec un 20 sous-offlcier de dragons, et qu'on s'etait rafraichi d un coup de sabre, et qu'il ne fallait pas lui echauffer les oreilles, ah ! mais !... Pourtant M. Matoussaint ne pouvait pas empecher sa bonne de se marier, et comme il etait bon homme 25 au fond, bien qu'un peu egoiste, le vieux gargon ! il pay a la robe de noce et se fendit meme de trois con- verts d* argent. Dix mois apres, un matin que M. Matoussaint, en robe de chambre, etait en train de tapoter son baro- Lignes annoMes: 7—9—12—16—21—22—27—30. 30 7^ I.H PARRAIN metre pour savoir s41 pleuvait, Euphrasie, sa nouvelle bonne, dont il etait enchante, entre parentheses (ma foi ! s'il avait su qu'il pourrait si facilement remplacer Caroline il ne se serait pas fait tant de mauvais sang), 5 Euphrasie done entra et lui dit que son ancienne cuisi- niere etait la, avec son nouveau-ne sur les bras, et demandait a lui parler. M. Matoussaint 6tait de bonne humeur — le baro- metre avait monte — et il accueillit gaiement Caroline. 10 — Le voila done, ce bebe !... J'espere que vous n'avez pas perdu de temps. Caroline a mis sa robe des dimanches, sa belle robe bleue. II y a de quoi gagner une ophtalmie a regarder ce bleu-la. Avec le geste delicat et prudent des meres 15 et des nourrices, elle ecarte le voile et la capeline qui cachent son enfant et, toute fiere, le montre a M. Ma- toussaint. — II s'appelle Vincent, dit-elle. N est-ce pas qu*il est beau ? 20 Vincent est aflfreux, rouge comme cuivre ; sa bouche edentee se ferme dans une moue de vieillard, et son bonnet lui descend j usque sur les yeux. A peine sa mere a-t-elle expose son visage a la lumiere, que ses paupieres depourvues de cils s'entr'ouvrent ; et le 25 nouveau-ne fixe sur le vieux gargon le regard vague- ment severe de ses yeux de faience. — Monsieur, reprend Caroline... si vous vouliez bien nous faire un grand honneur, a Constant et a moi... Constant c'est mon mari... eh bien! ce serait... ce 30 serait d'etre le parrain de notre petit gargon. Franchement, M. Matoussaint s'attendait un peu a Lignes annot^es: 2—13—21. I.K PARRAIN 77 cette requete ; il s'etait meme dit d'avance : ** Je ne peux pas refuser cela... Ce sera I'aflFaire d'une centaine de francs. " Mais, pour le moment, il ne pense pas au bapteme ; il considere, avec un 6tonnement mele d'epouvante, le nouveau-ne qui vient de faire une s grimace horrible et de baver sur sa collerette, et il se demande comment on pent aimer un monstre pareil. — Tres volontiers, Caroline. Et quel jour, la cere- monie ? — Dimanche prochain, monsieur, a une heure, entre lo messe et vepres, h Saint-Paul. — Et ma commere ? — C'est la mere de mon mari... Faudra I'excuser... * Vous savez... une femme de la campagne. M. Matoussaint a bien fait les choses. II a repasse is son Credo et I'a recite fort convenablement, tandis que le pretre versait I'eau baptismale surlat^te de Vincent, ronde et chauve comme une pomme d'escalier. Ensuite il a offert une belle boite bleue au cure, donne son bras a la maman en bonnet de paysanne, jete tout pele-mele 20 des dragees, des sous et des haricots aux gamins grou- pes au seuil de Teglise, qui le saluaient du cri tradi- tionnel : ' ' A la crasse ! a la crasse ! ' ' Puis il a ramene les gens du bapteme manger un morceau chez lui. C'est un '' lunch," il y a des gateaux, des sandwichs 25 et, Dieu me pardonne, une bouteille de vin de Cham- pagne. Le serrurier le boit a petites gorgees, en cli- gnant de Toeil d'un air de connaisseur ; mais, au fond, il se demande si Tancien patron de sa femme le croit malade, pour lui donner de la tisane. Quant a la vieille 3o Lignes annoMes : 2—12—13—15—18—19—23—26. 78 tK PARRAIN maman, ay ant pris dans sa main, avec respect, sa ser- viette a the, elle Texamine curieusement, comme un objet singulier et inconnu dans le monde civilise. Mais M. Matoussaint regarde son fiUeul, que Caro- 5 line tient sur ses genoux, tout demaillote, et qui leve en I'air ses petites jambes arquees, en frottantses pieds avec force. C'est etrange ! M. Matoussaint ne le trouve plus si laid que I'autre fois. Comme c'est mignon tout de meme, ce corps si tendre, si frais, des 10 petits enfants. Et voila qu'il songe, a present, qu'il a du etre comme cela, lui aussi, et qu'il a eu une mere, une bonne mere, qui devait le tenir ainsi sur ses genoux et lui embrasser les cuisses a pleine bouche, avec un rale de plaisir, comme fait Caroline a son bebe, Et 15 lorsque la toilette de Tenfant est finie et que la femme du serrurier le remet sur ses bras, le vieux celibataire presente son gros doigt au tout petit qui le saisit dans sa menotte, et il ebauche un sourire attendri dans sa barbe grise. 20 Ce soir-la, a son cafe, Tancien quincaillier fit preuve d'une patience inaccoutumee ; et Temballeur de la rue Amelot eut beau faire une serie de raccrocs et annoncer d'une voix ironique : '* Seize a quinze... Dix-sept k quinze... Dix-huit a quinze...'' M. Matoussaint le 25 regarda caramboler tranquillement, la pipe aux levres, en mettant du blanc a son procede. — Comment va mon fiUeul ? demande M. Matous- saint en entrant dans la forge, quand il passe rue du Pas-de-la-Mule, — et il y passe expres depuis bien 30 longtemps. Lignes annUes : 11—14—22—26. tK PARRAIN 79 Mais, un jour, le serrurier laisse tomber sur Tenclume son marteau et sa barre de fer rougie, il s'essuie la main apres sa cotte pour la tendre au bourgeois et repond a sa demande habituelle : — Mais pas trop bien, malheureusement, monsieur 5 Matoussaint. Eh ! Zidore, laisse-la le souflBlet et monte la-haut dire a ma femme qu'elle descende. * — Qu'est-ce qu'il a ? qu'est-ce qu'il a ? interroge vive- ment le quincaillier . — Est-ce qu'on sait jamais, avec cesmioches? II 10 tousse, il tousse... et puis il est trop rouge ; je n'aime pas 9a. Ah ! tenez, monsieur Matoussaint, vous etes bien heureux de ne pas vous ^tre marie et de n'avoir pas d'enfants.. . C'est un tintouin de tons les diables... Enfin le medecin doit encore revenir cette apres-midi. is Mais voila Caroline, toute depeignee, en camisole, qui revient avec Tapprenti. Quels yeux battus ! EUe a passe la nuit, bien sur. — Eh bien, comment va-t-il ? demande le pere. — Pas plus mal, on te le repete depuis ce matin, 20 repond la pauvre femme d'un ton douloureux et impa- tiente. — Je vais monter le voir. Menez-moi, dit M. Ma- toussaint dont la voix s'inquiete. Mais Caroline entraine son ancien maitre dans la 25 cour. — Vous ne pouvez pas le voir, monsieur, s' eerie- 1- elle en eclatant en sanglots. Le medecin Pa defendu... II a peur que ce soit le croup... Je n'ai pas encore ose le dire a son pere ; il le saura toujours trop tot, le pau- ^o vre homme... Ah ! mon bon monsieur, mon bon mai- Lignes annoUes : 10—14—17. So I,K PARRAIN tre ! Quelle nuit! Quelle nuit !... Un si bel enfant !... Si fort deja, a deux ans !... Et elle parle, elle parle, elle parle, repetant toujours les memes choses, comme une foUe ; et le vieux gargon 5 qui lui a pris les mains, sent tomber sur les siennes les larmes de la pauvre mere, lourdes et chaudes comme les premieres gouttes d'unepluie d'orage. — Dites-moi, Revillod, dit ce soir-la M. Matoussaint a son adversaire au billard, qui vient d'executer un 10 quatre-bandes magnifique, est-ce qu'un de vos enfants a jamais eu le croup ? — Oui, ma petite Louise... Nous avons eu assez de peine a la sauver. Et, poussant un soupir d'espoir a la pensee que les 15 enfants ne meurent pas toujours de Thorrible mal, M. Matoussaint rate un coup tout fait, un ''coupd'epi- cier," ou il n'y avaitqu'a suivre. II est gueri ! il est gueri ! M. Matoussaint les a invites tons les trois a dejeuner — le pere, la mere et lenfant, — pour celebrer cette grande joie. Les huitres sont sur la table, et le bon- homme vient de placer avec precaution en tre ses jambes, pour la deboucher, une vieille bouteille de chablis. — Euphrasie, on sonne... Ce sont eux... Allez ouvrir. Mais le serrurier endimanche entre seul, portant son gargon encore un pen palot. — Comment, Caroline ne vient pas ? — Excusez-la, monsieur Matoussaint. Elle est au lit a son tour, la pauvre femme... Mais ce n'est rien. . . 20 25 30 Lignes annotees : 10—16—23. I.B PARRAIN 8 1 Un peu trop de fatigue, voila tout, apres la maladie du petit. II faut le dire, le vieux gargon se console tout de suite de T absence de la mere. II a son filleul, son petit Vincent, cela lui suflfit. II n'aime plus que cet s enfant au monde, ce qui est encore une fagon d'etre egoiste. — Mets-toi la, mon cheri ! s' eerie- t-il en installant le bebe sur une chaise haute qu'il est alle acheter la veille, — oui, en personne, — a la Menagere. lo Et comme le petit homme empoigne sa cuiller et frappe bruyamment sur son assiette : — Bebe ! bebe ! dit le pere en faisant les gros yeux. — I^aissez-le done ! s'exclame M. Matoussaint qui, oubliant sa douzaine d'huitres, a d'abord pris le plus is beau rognon dans le plat mijotant sur un rechaud et a servi Vincent le premier. Cette fois le serrurier proteste. — Ah ! monsieur Matoussaint, nous allons nous facher... Vous le gatez trop aussi. 20 Mais le celibataire se tourne alors vers son h6te avec une fureur comique, et lui crie bien en face : — Vous, le papa, vous allez nous ficher la paix ! Suis-je son parrain ou ne le suis-je pas ? Puis, revenant a son filleul, il prend un couteau et 25 une fourchette, il se penche sur 1' assiette de T enfant et — revelant toute sa tendresse dans ce soin maternel — il lui coupe sa viande en petits morceaux. FRAN501S CoppfiK. Lignes annoties : 3—10—13—16—23. IL Y A CENT ANS L^AVKNTURK D'UN ^MIGRfe AU mois de novembre 1792, a la fin d'une neigeuse journee d'hiver, le coche qui faisait alors le service de Paris a Calais arrivait, apres deux jours de route, en vue de cette ville. Un peu las de la distance parcourue depuis le dernier 5 relai, les chevaux, au moment de toucher au but de leur course, avaient ralenti leur allure. Le postilion, soit qu'il vouliit les menager, soit qu'il fiit sur main- tenant de n'etre pas en retard, leur laissait, sans les presser, la bride sur le cou. II est vrai qu*on gravissait 10 en ce moment une cote assez raide, et que, si les voya- geurs n' avaient pas ete invites a descendre pour alleger d'autant la lourde voiture, cestqu'ils ne sy trouvaient plus que deux allant jusquau point extreme du trajet, apres avoir laisse en route ceux qui etaient partis de 15 Paris en meme temps qu'eux. Ces deux voyageurs etaient fort dissemblables d'dge et de physionomie, Tun tout jeune, mince et frele, avec une fine figure brune qu'eclairaient, sous tin front large ethant, des yeux noirs, h ^expression candide et pen- 20 Lignes annotees : 10—13—18. 82 II, Y A CENT ANS 83 sive ; 1' autre, tout grisonnant, d'un gris tirant sur le jaune, alourdi par I'embonpoint et qui eut donue, avec son gros visage hale, tanne et tres colore sur les joues, rimpression d'un personnage assez vulgaire, si la finesse de son linge, la coupe elegante de ses habits et 5 son langage dont un accent etranger accusait la dis- tinction, n'eussent trahi que ce n'etait point un homme du commun. Depuis trente-six heures qu'ils voyageaient ensem- ble, nos voyageurs s'etaient apeineparle. Au moment 10 du depart, le plus vieux avait temoigne le desir de lier connaissance avec le plus jeune. II n'avait cache ni son nom, ni son pays, ni meme I'objet de son voyage. II etait Americain habitant T Angleterre, se nommait Thomas Beresford et retournait a Londres, apres un 15 assez long sejour a Paris, necessite par des aflfaires d'interet, et que ses relations avec deux membres de la Convention lui avaient permis de prolonger au gre de ses desirs et en toute securite. Mais, lorsqu' apres avoir revele ainsi tout ce qui le 20 concemait, il avait voulu provoquer les confidences de son compagnon, celui-ci, apres s'etre designe sous le nom de Vrigny, s' etait montre si reserve, si firoid, si peu dispose a la causerie, que Thomas Beresford avait cesse de le questionner et, durant le voyage, s'en etait 25 tenu aux propos insignifiants que lui suggeraient les incidents de la route. Du reste, son opinion etait faite. Dans ce jeune silencieux, il avait devine un de ces suspects, si nombreux a cette heure, qui fuyaient la Terreur. 30 Kn ce mois de novembre, en effet, toute la France Lignes annoMes : 1—6—18—19—26—30. 84 iiv Y A ce:nt ans avait peur et tremblait. La Convention discutait la question de savoir sll convenait de mettre en jugement Louis XVI, deja captif. Dans ces debats preliminaires se dessinait la majorite qui devait le condamner. Le 5 tribunal criminel, forme premiere du tribunal revolu- tionnaire, fonctionnait . Les prisons, videes momenta- nement par les massacres de septembre, s'emplissaient a nouveau. Des rumeurs plus sinistres encore que la realite ajoutaient a Teflfroi general. Les arrets de la 10 Convention, les fureurs populaires, la misere publique, la rigoureuse application de la loi des suspects, la cons- titution civile du clerge, creaient de toutes parts et a toute heure des dangers qui rendaient la France inha- bitable. Tons ceux qui pouvaient la quitter partaient 16 ou etaient partis, les nobles et les pretres surtout, plus particulierement designes aux persecutions et aux ven- geances. On fuyait comme on pouvait, par ou Ton pouvait. Les routes etaient sillonnees de proscrits. Quand done Thomas Beresford supposait que son com- 20 pagnon de route etait un fugitif, il ne supposait rien qui ne fut vraisemblable. La discretion de ce dernier r avait fixe. Soudain les chevaux, qui depuis un long moment 25 allaient au pas, reprirent leur trot regulier. Alors, a travers les vitres de la voiture, couvertes de buee, com- mencerent a apparaitre, aux bords de la route toute blanche, quelques maisons dont les facades grisatres se distinguaient a peine sous la lueur blafarde du jour 30 finissant. Puis, le coche roula sur le pave d'une rue. Lignes annotees: 3— 4--7— 11— 12— 18— 28. II. Y A CKN'T ANS 8$ A Textremite d'une place d'ou Ton pouvait entendre les plaintives rumeurs de la mer et du vent, il s'arreta. On etait a Calais. La portiere s'ouvrit. Un homme qui portait une lanterne montra sa face avinee, surmon- tee d'un bonnet phrygien, et dit : 5 — Descendez pour faire viser vos passeports, ci- toyens. Dans Tombre, devant une haute porte, on apercevait des gardes nationaux en sentinelle. — Je suis perdu ! murmura le jeune homme. 10 Deja debout et pret a mettre pied a terre, Thomas Beresford entendit ce cri de detresse. II se retourna vivement : — N*avez-vous pas de passeport ? demanda-t-il. — J'ai quitte Paris sans pouvoir m'en procurer un. 15 J'esperais ne pas etre interroge en arrivant ici, et trou- ver des ce soir a passer en Angleterre. — Que ne I'avez-vous dit plus tot, au lieu de vous obstiner a faire le discret ! s'ecria T Americain. Enfin, je vais essayer de vous tirer de la. Ayez soin de dire 20 comme moi. Et du sang-froid surtout. D'un air tres degage, ainsi qu'il convient quand on n'a rien a craindre, il descendit de voiture. Son com- pagnon le suivit, en essayant de dominer Temotion qui le secouait des pieds a la tete et de se composer une 25 physionomie rassuree. lis entrerent dans la salle ou se tenaient les agents de la municipalite. — Vos passeports, ci toy ens ? demanda Tun d eux. — Voici lemien, repondit Beresford en tirant d'un gros portefeuille divers papiers qu'il deplia avant de 30 les presenter. lAgnes annoiees : 4—18—20—21. S6 II. Y A CENT ANS L'agent les avait pris, les examinait, lisant a demi- voix : ''Beresford (Thomas), negociant a Philadel- phie. " II s'inclina. — Citoyen de la libre Amerique, fit-il.,. Excusez 5 du peu. Avec cela, brave Beresford, tu peux aller au bout du monde... Signatures, visas, tout est bien en regie. II signait a son tour d'un nom illisible et ren- dait les pieces a leur proprietaire, en ajoutant : — Par exemple je ne sais quand tu pourras partir. L' Anglais 10 tient la mer non loin d'ici. — Oh ! je passerai tout de meme, objecta Beresford. — A ton tour, jeune homme, reprit l'agent en s'adressant a Vrigny. Mais, sans laisser a ce dernier le temps de repondre, 15 Beresford intervint : — Mon neveu, Jean Beresford. J'ai ses papiers ; les voila. C'etait dit d'un ton si naturel que l'agent ne fit aucune observation. II visa le second passeport comme 20 il avait vise I'autre, apres s'etre assure que le signale- ment repondait avec assez d' exactitude aux traits du visage du pretendu neveu. — Vous etes libres, citoyens, declara-t-il alors pom- peusement. Quand vous serez rentres dans votre pays, 25 ne manquez pas de faire connaitre a vos compatriotes quel accueil vous a ete fait sur le sol fraufais, delivre de ses tyrans. Beresford salua et se hata de sortir, en entrainant le jeune homme que venaient de sauver sa presence d'es- 30 prit et le passeport de son neveu, dont le hasard avait permis qu'il fiit porteur. Lignes annotees : 4—5—10—25. II, Y A CENT ANS 87 ]> lendemain, ils faisaient voile pour TAngleterre et arrivaient ensemble a Londres. *** Vrigny etait pretre. Deere te d'arrestation pour avoir c^lebre en des lieux secrets les ceremonies du culte catholique, il avait pu fuir. Son histoire etait celle de 5 beaucoup d'autres. Mais, tout en la racontant a Tho- mas Beresford, il ne lui avait pas avoue qu*il apparte- nait au clerge. II savait que Londres donnait asile a un grand nom- bre d' emigres, pour la plupart denues de ressources et 10 obliges de travailler pour vivre. II craignait, en reve- lant sa profession sacerdotale, de se rendre plus difl&ciles les moyens d' existence qu'il etait contraint de se pro- curer. D'ailleurs, ce qu'il avait dit sufl&sait a lui assurer Tinteret de son sauveur, qui, apres lui avoir 15 oflFert chez lui un asile provisoire, se mit en quete de lui trouver une position. Beresford etait un des plus importants negociants de Londres. II faisait le commerce des epices et des bois exotiques. II possedait des comptoirs en Amerique et 20 aux Indes. Veuf, riche, il vivait tres retire avec sa fiUe unique, miss Mary. Celle-ci avait vingt ans, toutes les graces du visage et du coeur. Vrigny, en attendant un emploi conforme a ses gouts, dut vivre aupres d'elle, dans la maison ou, par son enjouement, 25 sa beaute, son elegance, elle mettait incessamment un rayon de soleil. Entre tout jeune dans les ordres, il ne savait rien de Lignes annoUes : 1—16—28. 88 II, Y A CENT ANS la vie que ce que lui en avait appris une courte pratique des devoirs de son etat. II etait encore moins initie aux choses de Tamour, incapable, surtout, d'en discer- ner sur le joli visage que, d'ailleurs, il regardait a 5 peine, les signes precurseurs et les sympt6mes. II ne comprit done pas qu'en peu de temps miss Mary en etait arrivee a s'interesser passionnement a lui et que, six semaines apres son arrivee a Londres, elle Taimait, captivee par T elevation de son esprit, la serenite de 10 son visage, T eloquence de sa parole et la dignite de son existence de proscrit. Libre d' aimer, il eut peut-etre devine quel sentiment rapide et profond il avait inspire. Mais, dans sa rigide honnetete professionnelle, Pideenepouvait lui en venir 15 et ne lui en vint pas, de telle sorte que ce qui fut et devait etre, pour cette jeune fiUe, le plus beau, le plus douloureux roman de sa vie, se deroula sous les yeux de ce pretre chaste et pur, sans alterer un seul instant la serenite de sa conscience. Heros d'une aventure 20 emouvante, il ne la connut qu'a Theure ou, par sa volonte, elle se denoua sans bruit, sans eclat, et sans trouble pour son coeur. Un soir, comme apres le diner Mary s' etait retiree en le laissant seul avec Thomas Beresford, ce dernier 25 lui dit : — Monsieur Vrigny, j'ai une communication grave a vous faire. — M'avez-vous trouve un emploi, monsieur ? J 'en serais bien heureux. Je suis confus d' abuser de votre 30 bont6. — Un emploi, non ; une position, oui, si vous vou- lAgnes annotees : 17—21. II. Y A CENT ANS 89 lez... Je suis tres riche. Ma fille vous aime. Vous convient-il d'etre mon gendie ? Ce fut dit simplement et comme s'il se fiit agi d'une chose courante et naturelle. L abbe Vrigny etait devenu tres pale, bouleverse par 5 cette revelation inattendue et surtout par la pensee du chagrin qu'il etait contraint de faire a son bienfaiteur et a cette fille charmante dont 11 avait apprecie les merites. En meme temps, il se demandait ce qu'il allait repondre, ne voulant pas avouer qu'il etait 10 pretre. — Eh bien ! que decidez-vous ? demanda Beresford, en souriant. Lepauvre abbe se leva, resigne au mensonge. — Mais, monsieur, fit-il, je suis marie en France. 15 Et ce fut tout. Beresford se leva a son tour, chan- celant, des larmes dans les yeux. — Ah ! ma pauvre fille, soupira-t-il. Mais, c'est ma faute. J'aurais du m'informer. Et, apres un silence, il ajouta : 20 — Je regrette, je regrette beaucoup... II faudra nous quitter demain. Et le lendemain, I'abbe Vrigny partit. Plus tard, beaucoup plus tard, devenu eveque, il se plaisait a raconter cette courte aventure de sa vie 25 d' emigre. Ernkst Daudet. Idgnes annotees : 3—9 — 19—25. DEUX CYCLONES CYCLONE. Tempete qui balaye en tournoyant; c' est une colonne qui se promene et ravage en se promenarit. Ainsi parle Littre, et il n'est pas dans tout son dic- 5 tionnaire de definition plus exacte. Je suis bonjuge en cette matiere, car j'ai ete deux foisassailli par des cyclones : la premiere fois au musee de Versailles, et la seconde, au musee du lyouvre. A Versailles d'abord. J'avais voulu revoir le tableau 10 de Delacroix : la Prise de Constantinople par les croises. J'arrive au musee. II y a un itineraire force. Pour arriver a la salle des Batailles, je suis oblige de par- courir toute Tetendue du palais. C'est une course de 15 dix minutes sur des parquets cires avec une telle per- fection, que le voyage est horriblement fatigant et perilleux. C est de la gymnastique, c'est de I'equilibre, c'est du patinage. Dans la galerie des Glaces, surtout ! Deux pauvres 20 petits soldats de ligne etaient la, eperdus, epouvantes, les jambes ecartees, les bras etendus, meduses, fou- droyes, n'osant plus faire un pas, plus un mouvement. Lignes annot^es : 4—10—21. 90 DEUX CYCI.ONES 9 1 Des gardiens ont du venir a leur secours ; sans quoi ils restaient la, en detresse, apres la fermeture du musee. Enfin, voici le terme de cette dangereuse et penible excursion, voici le tableau de Delacroix. Je voudrais m'asseoir, respirer un peu, jouir a mon aise de ce chef- 5 d'oeuvre ; mais il n y a que deux miserables petites banquettes au milieu de cette immense galerie. On fait queue pour y prendre place. Et cependant le palais de Versailles regorge de banquettes. II y en a tout le long des murs sur un developpement de plu- 10 sieurs kilometres. Mais voici ou eclate dans toute sa beaute la malice administrative. A un metre de dis- tance des murs se trouvent des balustrades qui empe- chent le public d'approcher ; on a place les banquettes — c'est la le trait de genie ! — contre le mur a I'abri 15 des balustrades, de telle sorte qu'on ne pent pas s'as- seoir dessus. Ce sont des banquettes de Tantale. Au moment ou j'etais la, legerement agace par toutes ces petites miseres, lecieldaigna m'envoyer une consolation. J'entendis d'abord une sorte de roulement 20 et de grondement. fitait-ce un regiment d'artillerie qui passait sur la place d' Armes ? fitait-ce le fracas lointain du tonnerre ? Non, c'etait une trombe, une avalanche, une horde d' Anglais et d'Anglaises, sous la direction d'un des guides de cette fameuse maison qui 25 organise des caravanes a travers le monde entier. lis etaient la une centaine d' Anglais et d'Anglaises qui se precipiterent comme la tempete dans la salle des Batailles, renversant et dispersant tout devant eux. Nous n'etions guere qu'une vingtaine de pauvres 30 Parisiens et Versaillais. Pas de resistance possible ; Lignes annotees : 1— 6— 8--15--23— 30. 92 DKUX CYCIvONES nous dumes, en grande hate, nous ranger contre les balustrades, pour n'etre pas impitoyablement broyes et pulverises sous cette mitraille anglaise. Nous enten- dons des oris : '' Papa ! maman ! *' C'etait une pauvre 5 petite Fran^aise de six ou sept ans qui avait ete prise dans ce tourbillon. II fallut de grands efforts pour rarracher a la tempete. On pent dire de ces caravanes anglaises ce que Bossuet disait des grands hommes providentiels : Rien n'en arrete le cours. 10 Je me trompe : la phrase de Bossuet n'est pas appli- cable. Quelque chose arreta le cours de ce torrent ; une courte et breve interjection ducornac, une sorte de petit cri... Ao/i/ Aoh! Aoh! net, sec, imperieux. Aussitot, tons et toutes vinrent se grouper docilement, 15 silencieusement, respectueusement, autour de leur guide. Alors je fus regale d'une etonnante legon d'histoire de France a bride abattue. Devant chaque tableau de la salle des Batailles, le guide faisait une halte d'un 20 quart de minute, expliquait en deux ou trois phrases le sujet de la composition... puis dix pas en avant... nouveau tableau, nouveau petit discours. Tout cela avec une rapidite, avec une precision, avec une volu- bilite foudroyantes. C etait une course folle, furieuse, 25 de toutes les gloires militaires de la France. Je vois passer devant moi, ventre a terre, Clovis, Charles Mar- tel, Charlemagne, Saint-Louis, Duguesclin, Jeanne d'Arc, Francois I^"", Henri IV, Conde, Turenne, Catinat, Vendome, Villars, Maurice de Saxe, Massena, 30 Bonaparte et Napoleon, en tas, pele-mele, emportes dans un steeple-chase fantastique. JjiQues annotees : 3—12—18—26—30. DKUX CYCI^ONKS 93 Je suivais la caravane a quelques pas de distance et, tout en ecoutant cette suite de breves harangues, je regardais avec une veritable stupeur les chaussures de ces Anglaises. C'etaient des bateaux, c'etaient des traineaux, c'etait tout ce que vous voudrez, tout 5 excepte des bottines de femme. Entre. les pieds de ces messieurs et les pieds de ces dames, aucune difference. Si on avait pu les ranger, Anglais et Anglaises, derriere un rideau, si les pieds seuls avaientdepasse le bas'de ce rideau et sil'on vous avait dit : " Ou sont les femmes ? 10 cherchez ! " jamais vous n*auriez trouve. Mais aussi quelle assiette ! quelle solidite ! Comme ils ont le pied marin, hommes et femmes ! Comme ils s'avancent d' aplomb sur ces parquets perilleux ! Comme ils tiennent bien la glace ! Comme on voit, du 15 premier coup, que c'est la une race faite pour passer les mers, franchir les vallees, escalader les montagnes, courir et conquerir le monde, tandis que nous ne som- mes bons, nous autres, qu'a muser et baguenauder sur les boulevards, entre la Madeleine et la porte Saint- 20 Denis ! Voila ma premiere trombe anglaise ! La seconde, ce fut au Louvre. J 'arrivals, je me trouvais dans la galerie des antiquites egyptiennes, quand j entendis ce meme fracas que j' avals pris a Versailles pour le gron- 25 dement de la foudre ou le roulement des canons. Cette foisjenem'y trompai pas. J'attendis de pied ferme. La fantaisie m'etait venue soudainement de me meler a cette colonne d' invasion et de lescorter dans sa marche a travers les galeries du Louvre. 30 Le guide, un grand gaillard maigre et sec, a mousta- Lignes annotees : 12—13—15-16—19—27. 94 DEUX CYCI.ONKS ches grises, massait strategiquement son petit corps d'armee a Textremite de la galerie. II voulait avoir tout son monde dans la main : — Groupez-vous tons ensemble, leur disait-il. Grou- 5 ' pez-vous ! lis obeissaient. lis se tenaient la, immobiles, silen- cieux, serres les uns contre les autres. Quel peuple ! Comme il a le respect de Tautorite, le sentiment de la discipline ! lis savent que ce guide doit, de dix heures 10 du matin a six heures du soir, leur faire visiter la Madeleine, le Palais-Bourbon, le Pantheon, le Luxem- bourg, les Invalides, le Louvre, le Palais de Justice, les Halles Centrales, la colonne Vendome, Tare de Tl^toile, le palais de T Industrie, etc. lis savent qu'ils ont qua- 15 rante-cinq minutes pour le Louvre. lis savent qu'il faut proceder a la fois avec methode et avec activite pour visiter les galeries du Louvre, a fond, en quarante-cinq minutes. lis savent que c est la fonction speciale de cet homme a moustaches grises d entreprendre tous les 20 jours, a la meme heure, avec la meme regularite et la meme rapidite, cette meme expedition. Qu'il com- mande ! lis obeiront. Qu'il marche ! lis le suivront. lis sont habitues a marcher derriere leur chef. Bien diflFerents en cela des Franfais, qui ont la rage de mar- 2^ cher devant. Cependant le guide les a comptes du regard. lis sont tous la. En avant ! En avant ! La colonne s'ebranle. Nous nous ebranlons, car je me suis faufile traitreusement, ^^ moi Grec, parmi les Troy ens. Nous marchons d'un bon pas qui s'accelere, s'accelere. .. et nous defilons en Lignes annoiees : 3—17—22—30. DEUX CYCI.ONKS 95 ordre serre devant Typhon, Isis, Osiris et Nephtys ; devant les dieux a masques de betes et devant les tau- reaux a face humaine, devant Phul, Belesis, Theglath- Phalesar et Assaraddon. Brusque temps d'arret. Le guide s'est arrete devant 5 deux pieds enormes, deux pieds monstrueux, deux pieds gigantesques. On voit que ce guide a T habitude de s'arreter tons les jours devant ces deux pieds. II explique dans une phrase — evidemment toujours la meme — que ces pieds appartenaient a un roi de la dou" 10 zieme ou de la treizieme dynastie. Puis, en avant ! en avant ! Nous nous langons de nouveau a travers les momies, les dieux persans et les inscriptions cuneiformes. Mais le guide, tout a coup, a jete un cri de detresse. II y a deja des trainards ! Ces trainards sont des trainardes, 15 trois Anglaises qui sont tombees en extase devant un fragment de la base de Tobelisque de Louqsor... quatre monstres qui, parait-il, adorent le soleil levant. — March on! March on! s'ecrie le guide. Et les trois Anglaises nous rejoignent, en quelques 20 enormes enjambees executees a Taide de pieds non moins enormes, qui rappellent vaguement les pieds monumentaux de ce roi de la douzieme ou de la treizieme dynastie. Nous montons quatre a quatre le grand escalier qui 25 conduit a la colonnade, et nous voila tons masses a Tune des extremites de la galerie. — La colonnade ! s' eerie le guide, oeuvre de Perrault, architecte de Louis XIV. Course rapide tout le long de la galerie, puis nous 3o rentrons, quelque peu haletants, dans les appartements Lignes annotees : 17—28. 96 DKUX CYCI.ONES du Louvre. La, un temps d'arret autour de ces vitrines qui contiennent d'anciens harnachements de chevaux. Puis nouvelle halte dans la salle ou se trouvent les tableaux de Courbet, et petit discours du guide. Ce 5 petit discours est consacre non pas a Courbet peintre, mais a Courbet homme politique, a Courbet membre de la Commune. Je saisis vaguement les mots : '' Co- lonne Vendome... Deux ans de prison. .. '' Et la fin du discours est ce meme cri qui est toujours le signal 10 du depart : Aok/ Aohf Aoh! Je commence a le connaitre, ce cri, et des que je Tentends je me lance en avant, resolument, tete baissee, avec mes camarades. Cette fois c'est une course folk ; on ne regarde rien, absolument rien. Nous traversons les salles des des- 15 sins, le musee Campana, les galeries des monuments historiques, les salles des dieux, etc. On dirait qu'un grand danger nous menace, que nous sommes poursui- vis, que nous nous batons pour ne pas tomber dans les mains del'ennemi qui nous pourchasse. Je sens, d'ail- 20 leurs, une certaine excitation. Dans tout exercice violent fait en commun, on ne pent echapper a une sorte d' emulation et de griserie. Une ambition me travaille. Je voudrais reussir a marcher du meme pas qu'une Anglaise, blonde, maigre, de taille demesuree, 25 qui procede par enjambees gigantesques. J y arrive, mais non sans peine et au prix d'un effort soutenu. Une seule chose me manque pour etre parfaitement heureux... un clairon de chasseurs a pied marchant en tete de la colonne et sonnant la charge. 30 Cependant nous voici dans les galeries de TKcole frangaise. La, notre guide s arrete. II salt qu*il y a Lignes annottfes : 4—11—15—23—27—28. DEUX CYCI.ONES 97 une limite aux forces humaines. II a, d'ailleurs, dans cette salle, un tableau de predilection, et ses goiits sont classiques, car c'est le Sommeil d' Endymwi, par Girodet. Nous sommes tons suspendus a ses levres. — C'est Endymion, nous dit-il, couche sur un© peau 5 de tigre, a T ombre d'un platane. L' Amour, sous la figure de Zephyre, ecarte les branches du platane, et les rayons de la lune viennent se poser sur les levres du jeune chasseur. Voyez, voyez surtout cet effet de lune. Et le cri du depart. Nous voici dans la galerie des 10 vases anciens. Mais au moment ou nous sommes dans tout notre train, le guide s'arrete brusquement et se met a frapper le parquet avec sa canne. Et il se pen- che. . . et il regarde le parquet. Et nous nous penchons tous... et nous le regardons tons, le parquet. Au pre- is mier abord, il n'a rien d' extraordinaire, ce parquet... c'est un parquet ; mais bientot tout s'explique. C'est la que sont etablies les conduites d'eau du Louvre, et le guide fait une petite conference sur les precautions prises pour garantir contre I'incendie les chefs-d'oeuvre 20 amonceles dans ces galeries. Nouveau coup de canne sur le parquet : ''Regardez !" s'ecrie le guide, et avec sa canne, par la fenetre ouverte, il nous montre le pont des Arts et la place de I'lnstitut. — C'est la, dit'il, que siege I'Academie frangaise fon- 25 dee par Richelieu. Et le petit cri ! Et en route ! Mais le guide a regarde I'heure a sa montre ; il presse encore le pas. Nous sommes en retard. Nous arrivons comme la foudre dans le salon carre frangais, et notre brusque so invasion amene une eflfroyable catastrophe. Lignes annotees : 4—11—16—19—30. 98 DKUX CYCI.ONKS Une tres gentille blondinette perchee sur un grand tabouret etait en train de copier le portrait de Pie VII par David, sous la surveillance de sa mere, une grosse dame qui tricotait assise sur une chaise. Mon Anglaise 5 aux pas gigantesques heurte le chevalet sur lequel reposait la copie de la blondinette ! La pauvre enfant se penche en avant pour rattraper son tableau qui chancelait. EUe tombe, entrainant avec elle le cheva- let, la boite a couleurs. Pie VII et le grand tabouret. 10 lya mere se met a jeter des cris dechirants : — Gabrielle ! Gabrielle ! Par bonheur, personne n'a de mal, ni Gabrielle, ni le pape, ni la robe de Gabrielle ; car, apres avoir trem- ble pour sa fille et tremble pour Pie VII, cette pauvre 15 mere avait tremble pour la robe de sa fille qui etait tombee, du haut de son tabouret, sa palette a la main. Rassuree sur tons ces points, la brave dame touma sa colere contre nous : — Oh ! ces Anglais ! ces Anglais ! J'ecrirai au 20 ministre pour me plaindre. — Puisqu'il n'y a pas de mal, maman, puisqu'il n'y a pas de mal. Les Anglais paraissaient vivement interesses par cet episode dramatique. C etait un incident de voyage. 25 Une jeune Anglaise prenait des notes sur son calepin. EUe ecrivait probablement : Jeune fille copiant portrait de Pie VII, renversee. Ce retard mettait le guide au desespoir. II etait alle se planter devant le Radeau de la Medusey et, pour rassembler son troupeau disperse, 30 il criait a tue-t^te : — The Raft of the Meduse, by Djerico! J^igties auiioie'es : 2—3—10 -28—30, DEUX CYCLONES 99 Et sa voix montait, montait toujours : — The Raft of the Meduse, by Djerico!.. . by Djerico! ! ,,. by Djerico! ! ! .., Et ce by Djerico! by Djerico! etait repete par les echos de la salle... Tout a fait le cri du coq au lever du jour. 5 Iv'ordre, enfin, se retablit, et la petite armee vint se replacer, docile et obeissante, sous le commandement de son chef qui lui adressa, a propos du tableau de Gericault, une courte harangue ; elle se termina par cette phrase : 10 — Ce tableau a ete paye seulement six mille francs. — Seulement six mille francs ! Un si grand tableau ! s^ecria un voyageur. Et rapidement, avec une dexterite de commis de 15 magasin qui aune du calicot, il se mit a mesurer avec son parapluie la largeur du tableau de Gericault ; puis il dit a sa femme et a ses deux filles qui avaient suivi Toperation avec beaucoup d'interet : — Rather more than nine* 20 Le Radeau de la Meduse, qui n'avait coute que six mille francs, avait un peu plus de neuf parapluies! Cet ingenieux touriste etait evidemment un homme pratique, habitue a tout ramener a des chiflFres, et, le soir a T hotel il a du faire ce calcul que chaque tranche 25 du tableau, representee par la longueur de son para- pluie, avait ete payee par le gouvernement frangais 666 francs 66 centimes. Le guide voit que la discipline est retablie dans son armee : Aoh! Aohf Aoh! Et nous volons sur ses 30 traces. Entouree de trois ou quatre vieilles dames qui Lignes annotees : 9—16—30. lOO DBtJX CYCLONES partageaient son indignation, la mere de la blondinette nous jette encore une fois cette menace : — Oui, j'ecrirai au ministre ! Nous etions deja loin ! nous ne marchions plus, nous 5 courions. II s'agissait de reparer le temps perdu. Nous ne faisons qu'une bouchee de la galerie d' Apollon, devoree sans qu'aucun de nous ait seulement le temps de lever la tete pour regarder le plafond de Delacroix. Et brusquement, en colonne serree, nous debouchons 10 dans le salon carre, par une conversion a droite fort bien executee ; nous commencions a prendre I'habitude des manoeuvres militaires. Notre seule apparition seme le desordre et Tepou- vante parmi les quinze ou vingt jeunes ou vieilles 15 personnes qui etaient en train d'abattre a tour de bras des Leonard de Vinci, des Correge et des Raphael. EUes sautent en bas de leurs tabourets et, se couvrant de leurs palettes comme de boucliers, elles se preparent a defendre centre cette avalanche I'equilibre de ces 20 chevalets ou reposent tant de chefs-d'oeuvre qui ne sont plus des chefs-d'oeuvre. Nous passons devant V Antiope du Correge, et nous nous engloutissons d'un seul coup dans la petite salle Duchatel. 25 — The Sphinx by Ingres! The Spring by the same! lyC guide ne jette que ces deux cris, comme un conducteur d' omnibus qui annonce a ses voyageurs ^ ' ' les Halles centrales ! la rue Montorgueil ! ' ' Nous nous sommes amonceles autour de lui dans cette salle ^^ etroite ; mais, sans nous accorder un quart de minute pour admirer le Sphinx et la Source, il fait volte-face Lignes annot^es : 6—10—15—25—31. DEUX CYCI.ONES lOl et, tete basse, jouant furieusement descoudes, il s'ouvre au milieu de nous un passage victorieux, en criant : — We go back! We go back! Nous avons compris ; tous mecaniquement nous pivotons sur place et nous nous precipitous dans le 5 salon carre. Nous brulons les Rembrandt, les Raphael, les Titien, les Veronese, les Metzu, les Murillo, etc. Notre guide, lance a toute vapeur, parait resolu a ne plus s'arreter devant aucun obstacle. Mais tout d'un coup un grand 10 cri s'eleve, jete en meme temps par tous les Anglais : — Charles the first! Charles the first! Le guide, evidemment, esperait qu'ils ne reconnai- traient pas leur roi ; mais ils Tout reconnu ! Et les voila tous, immobiles, le nez en I'air, devant le tableau 15 deVanDyck. Emporte par son violent mouvement de projection, le guide est seul a dix metres de la. II se retourne, se voit abandonne, s'arrete et se rend compte de la situation. II comprend qu'il ne s'en tirera pas sans un petit discours, revient sur ses pas, et 20 d'un ton exaspere, avec une volubilite extraordinaire, prononce une courte harangue dont voici la fidele traduction : — Portrait de Charles I^"", roi d' Angleterre, par Van Dyck, peintre flamand, eleve prdfere de Rubens. Van 25 Dyck vecut longtemps en Angleterre, y prit femme, et fut cree chevalier par le roi Charles I^^ II en fit ce portrait dont la composition rappelle Velazquez, et qui fut paye vingt-quatre mille livres par madame la comtesse du Barry, celebre favorite du roi de France 3o Louis le quatorzieme. Lignes annotees : 7—9—20 — 30. 102 DKUX CYCLONKS II a bien dit : Lewis the fourteenth et, par la-dessus il jette, plus aigu et plus imperieux que jamais, le petit cri qui etait tou jours le signal du depart. Nous nous elan^ons hors du salon carre, et devant nous s'ouvre 5 r immense galerie qui reunit le Louvre a ce qui etait autrefois les Tuileries, Un veritable champ de course, une piste merveilleuse, toute droite, sans le moindre accident de terrain. Alors c'est du vertige ! Une sorte d emulation s'empare de nous, on s' excite, on 10 s'anime ^ marcher ainsi de compagnie. Le meme mouvement nous porte tous en avant. Une demi- douzaine de cors de chasse sonnant des fanfares, voila ce qu'il nous faudrait ! Le bruit de nos pas fait de toutes parts retentir les 15 voutes de ces hautes galeries. Plus vite ! toujours plus vite ! Le guide de temps en temps tourne la tete, a droite, a gauche, et hurle des noms de peintres : Rubens ! Salvator Rosa ! Van der Meulen ! II court, il court, et nous courons. Nous arrivons au bout de 20 la grande galerie ! Nous tournons a gauche.' Encore des salles, encore des tableaux ! Encore des noms de peintres vociferes par le guide ! Puis des escaliers ! Le guide degringole et nous degringolons. Enfin voici de I'air, de la lumiere, du soleil ! Quatre grands 25 breaks sont la, attendant les Anglais. lis s'y preci- pitent, ils s'y entassent. Je les regarde monter... Je les regarde partir. . . II etait temps... je n'en pouvais plus. LUDOVIC HAI^feVY. Lignes annotees: 1—6—7—8—13—27. MAISON A VENDRE AU-DESSUS de la porte, une porte de bois mal jointe, qui laissait se meler, dans un grand intervalle, le sable du jardinet et la terre de la route, un ecriteau etait accroche depuis longtemps, immobile dans le soleil d'ete, tourmente, secoue au 5 vent d'automne : MaisoJi cL vendre, et cela semblait dire aussi maison abandonnee, tant il y avait de silence autour. Quelqu'un habitait la pourtant. Une petite fumee bleuatre, montant de la cheminee de brique qui 10 depassait un peu le mur, trahissait une existence cachee, discrete et triste comme la fumee de ce feu de pauvre. Puis a travers les ais branlants de la porte, au lieu de 1' abandon, du vide, de cet en-l'air qui precede et annonce une vente, un depart, on vo^^ait is des allees bien alignees, des tonnelles arrondies, les arrosoirs pres du bassin, et des ustensiles de jardinier appuyes a la maisonnette. Ce n' etait rien qu' une maison de paysan, equilibree sur ce terrain en pente par un petit escalier qui pla^ait 20 le cote de Tombre au premier, celui du midi au rez-de- chaussee. De ce c6te-la on aurait dit une serre. II y Zignesannotees: 5— U— 22. 103 i04 MAISON A VENDRK avait des cloches de verre empilees sur les marches, des pots a fleurs vides, ren verses, d'autres ranges avec des geraniums, des verveines, sur le sable chaud et blanc. Du reste, a part deux ou trois grands platanes, le 5 jardin etait tout au soleil. Des arbres fruitiers en eventail sur des fils de fer, ou bien en espalier, s'etalaient a la grande lumiere, un peu defeuilles, la seulement pour le fruit. C etait aussi des plants de fraisiers, des pois a grandes rames ; et au milieu de 10 tout cela, dans cet ordre et ce calnie, un vieux a chapeau de paille qui circulait tout le jour par les allees, arrosait aux heures fraiches, coupait, emondait les branches et les bordures. Ce vieux ne connaissait personne dans le pays. 15 Excepte la voiture du boulanger qui s'arretait a toutes les portes dans I'unique rue du village, iln' avait jamais de visite. Parfois quelque passant, en quete dun de ces terrains a mi-c6te qui sont tons tres fertiles et font de charmants vergers, s'arretait pour sonner en voyant 20 Tecriteau. D'abord la maison restait sourde. Au second coup, un bruit de sabots s'approchait lentement du fond du jardin, et le vieux entre-baillait sa porte d'un air furieux : — Qu'est-ce que vous voulez? 25 — La maison est a vendre ? — Oui, repondait le bonhomme avec effort, oui... elle est a vendre, mais je vous previens qu'on en demande tres cher, Et sa main, toute prete a la refermer, barrait la 30 porte. Ses yeux vous mettaient dehors, tant ils montraient de colere, et il restait la, gardant comme Lignes anntees : 1-6—9—11—12. MAISON A VKNDRK 105 un dragon ses carres de legumes et sa petite cour sablee. Alors les gens passaient leur chemin, se demandant a quel maniaque ils avaient affaire, et quelle etait cette folie de mettre sa maison en vente avec un tel desir de la conserver. 5 Ce mystere me fut explique. Un jour, en passant devant la petite maison, j'entendis des voix animees, le bruit d'une discussion. *' II faut vendre, papa, il faut vendre ; vous I'avez promis. " 10 Et la voix du vieux, toute tremblante : * ' Mais, mes enfants, je ne demande pas mieux que de vendre... voyons ! Puisque j'ai mis Tecriteau. '' J'appris ainsi que c'etaient sesfils, ses brus, de petits boutiquiers parisiens, qui I'obligeaient a se defaire de is ce coin bien-aime. Pour quelle raison? je I'ignore. Ce qu'il y a de sur, c'estqu'ilscommengaient a trouver que la chose trainait trop ; et, h partir de ce jour, ils vinrent regulierement tous les dimanches pour harceler le malheureux, I'obliger a tenir sa promesse. 20 De la route, dans ce grand silence du dimanche on la terre elle-meme se repose d' avoir ete labouree, ensemencee toute la semaine, j'entendais cela tresbien. Les boutiquiers causaient, discutaient entre eux en jouant au tonneau, et le mot argent sonnait sec dans 25 ces voix aigres, comme les palets qu'on heurtait. Le soir, tout le monde s en allait ; et quand le bonhomme avait fait quelques pas sur la route pour les reconduire, il ren trait bien vite et refermait tout heureux sa grosse porte, avec une semaine de repit devant lui. 3o Pendant huit jours la maison redevenait silencieuse. Lignes annoMes: 1—3—17—25. Io6 MAISON A VKNDR^ Dans le petit jardin brule de soleil on n'entendait rien que le sable ecrase d'un pas lourd, ou traine au rateau. De semaine en semaine, cependant, le vieux etait plus presse, plus tourmente. Les boutiquiers employaient 5 tons les moyens. On amenait les petits-enfants pour le seduire/' Voyez-vous, grand-pere, quand la maison sera vendue vous viendrez habiter avec nous. Nous serons si heureux tons ensemble!... '' Et c'etaient des apartes dans tous les coins, des promenades sans 10 fin a travers les allees, des calculs faits a haute voix. Une fois j'entendis une des fiUes qui criait : *' La baraque ne vaut pas cent sous... elle est bonne a Jeter abas." lyC vieux ecoutait sans rien dire. On parlait de lui 15 comme s'il etait mort, de sa maison comme si elle etait deja abattue. II allait, tout voute, des larmes dans les yeux, cherchant par habitude une branche a emonder, un fruit a soigner en passant ; et Ton sentait sa vie si bien enracinee dans ce petit coin de terre, qu'il n'aurait 20 jamais la force de s'en arracher. En ejBFet, quoi qu*on put lui dire, il reculait to uj ours le moment du depart. En ete, quand murissaient ces fruits un peu acides qui sentent la verdeur de I'annee, les cerises, les groseilles, les cassis, il se disait : 25 '' Attendons la recolte... Je vendrai tout de suite apres." Mais, la recolte faite, les cerises passees, venait le tour des peches, puis les raisins, et apres les raisins ces belles nefles brunes qu'on cueille presque sous la neige. 30 Alors I'hiver arrivait. La campagne etait noire, le jardin vide. Plus de passants, plus d'acheteurs. Plus Jjignes annotees: 2—12—13—23—31. MAISON A VENDRK 107 meme de boutiquiers le dimanche . Trois grands mois de repos pour preparer les semences, tailler les arbres fruitiers, pendant que Tecriteau inutile se balangait sur la route, retourne par la pluie et le vent. A la longue, impatientes et persuades que le vieux 5 faisait tout pour eloigner les acheteurs, les enfants prirent un grand parti. Une des brus vint s* installer pres de lui, une petite femme de boutique, paree des le matin, et qui avait bien cet air avenant, faussement doux, cette amabilite obsequieuse des gens habitues au 10 commerce. La route semblait lui appartenir. EUe ouvrait la porte toute grande, causait fort, souriait aux passants comme pour dire : '' Entrez... voyez... la maison est a vendre ! '' Plus de repit pour le pauvre vieux. Quelquefois, 15 essayant d'oublier qu elle etait la, il bechait ses carres, les ensemengait a nouveau, comme ces gens tout pres de la mort qui aiment a faire des projets pour tromper leurs craintes. Tout le temps la boutiquiere le suivait, le tourmentait. 20 *'Bali ! a quoi bon?... C'est done pour les autres que vous prenez tant de peine ? ' ' II ne lui repondait pas, et s'acharnait a son travail avec un entetement singulier. Laisser son jardin a r abandon, c'eut ete le perdre un peu deja, commencer 25 a s'en detacher. Aussi les allees n'avaientpas un brin d'herbe ; pas de gourmand aux rosiers. En attendant, les acquereurs ne se presentaient pas. C etait le moment de la guerre, et la femme avait beau tenir sa porte ouverte, faire des yeux doux a la route, 30 il ne passait que des demenagements, il n'entrait que lAones armoie'es: 7— 15-t21— 27—30. I08 MAISON A VENDRK de la poussiere. De jour en jour la dame devenait plus aigre. Ses affaires de Paris la reclamaient. Je I'en- tendais accabler son beau-pere de reproches, lui faire de veritables scenes, taper les portes. Le vieux 5 courbait le dos sans rien dire, et se consolait en regardant monter ses petits pois, et Tecriteau, toujours a la meme place : Maison a vendre. ... Cette annee, en arrivant a la campagne, j'ai bien retrouve la maison ; mais helas ! I'ecriteau n'y etait 10 plus. Des affiches dechirees, moisies, pendaient encore au long des murs. C'est fini ; on I'avait vendue ! A la place du grand portail gris une porte verte, fraiche- ment peinte, avec un fronton arrondi, s'ouvrait par un petit jour grille qui laissait voir le jardin. Ce n' etait 15 plus le verger d' autrefois, mais un fouillis bourgeois de corbeilles, de pelouses, de cascades, le tout reflete dans une grande boule de metal qui se balangait devant le perron. Dans cette boule, les allees faisaient des cordons de fleurs voy antes, et deux larges figures 20 s etalaient, exagerees : un gros homme rouge, tout en nage, enfonce dans une chaise rustique, et une enorme dame essouflElee, qui criait en brandissant un arrosoir : '' J'en ai mis quatorze aux balsamines ! " On avait bati un ^tage, renouvele les palissades ; et 25 dans ce petit coin remis a neuf, sentant encore la pein- ture, un piano jouait a toute volee des quadrilles connus et des polkas de bals publics. Ces airs de danse qui tombaient sur la route et faisaient mal a entendre, meles a la grande poussiere de juillet, ce tapage de 30 grosses fleurs, de grosses dames, cette gaiete debor- dante et triviale me serraient le coeur. Je pensais au Lignes annoUes : 4—6—13—15—21—23—20—28. MAISON A VKNDRK IO9 pauvre vieux qui se promenait la si heureux, si tran- quille ; et je me le figurais a Paris, avec son chapean de paille, son dos de vieux jardinier, errant au fond de quelque arriere-boutique, ennuye, timide, plein de larmes, pendant que sa bru triomphait dans un comp- toir neuf, ou sonnaient les ecus de la petite maison. Alphonsb Daudkt. Lignes annote'es : 3—6. LA FILLE DU COLONEL AUX soirees du general, quand elle entrait dans le grand salon, souriante, fraiche, ses jolies epaules nues, un murmure caressant s'elevait du groupe des officiers masses aux encoignures des portes. Der- 5 riere elle, sa mere, majestueuse dans sa toilette un peu voyante de femme ayant toujours habits la province, secouait ses tire-bouchons de clieveux blancs avec un air d'orgueil, semblant dire: '' C'est ma fiUe ! " Et, fluet, doux, modeste, sonpere, colonel au i23%suivait, 10 s'appliquant a ne pas marcher sur les traines des robes. A peine assise, un peloton de lieutenants et de capitaines, T elite de la garnison de Versailles, sangles dans leurs uniformes de grande tenue, moustaches 15 blondes ou brunes aux yeux reveurs ou hardis, s'elangait a I'assaut de son carnet de bal. Et dans la clarte doree des lustres, au son des instruments, elle se mettait a danser, legere et gracieuse, emportee aux bras de ces jeunes gens empresses a lui plaire. 20 Pour eux, ses desirs etaient des ordres, et ses caprices des lois. Fille du colonel ! Aux epoques ou se dres- sait le tableau d'avancement, il pouvait sufiire d'un Lignes annolees : 4—7—14—16—22. 110 LA FILLE DU COLONEI. HI eloge jete negligemment par elle : '' Ah ! le lieutenant un tel ! quel charmant ofEcier, et quel bon valseur ! '' pour decider de toute une carriere. Aussi elle les faisait marcher comme a la manoeuvre, avec un petit ton de commandement crane et coquet. 5 Elle etait ainsi arrivee a vingt-deux ans, vivant des jours tres gais, parcourant la France au hasard des garnisons, drapeau deploy e et clairons sonnant, dans une existence un peu nomade- Sa mere commen^ait a manifester de 1' impatience : elle eut voulu la voir 10 mariee. Mais, entre elle et les pretendants, une barriere effrayante se dressait, sur laquelle etaient ecrits ces mots decisifs : ''Sans dot ! " Et les ofl&ciers flirtaient, riaient, dansaient, mais ne paraissaient pas du tout songer a epouser. 15 Plaire a la fille du colonel pour obtenir de bonnes notes, parfait ! Pousser jusqu'au mariage, autre chanson ! Et aucun ne paraissait dispose a en appren- dre I'air ; aucun de ceux qu'on eut favorablement accueillis. Car, depuis un an au moins, la jeune fille 20 avait un amoureux timide et tremblant dont, I'ingrate ! elle riait volontiers. C etait un gros gargon a la moustache rousse et aux yeux bleus, Lorrain de naissance, et sorti de Tecole de Samt-Maixent. II s' etait engage a dix-huit ans, avait 25 ete blesse a la bataille de Coulmiers, et portait la medaille militaire. Mais comme il n' avait point passe par I'ecole de Saint-Cyr, on le traitait de haut. Fils de paysan, il etait rebus te et sanguin, peu parleur quoiqu'il fut instruit. Tres brillant sur le terrain de so manoeuvre, il perdait pied dans un salon. II savait a Lignes annoMes : 4— 12— 18— 25— 26— 27— ai. 112 I,A FII,I,E; DU COI.ONEI. peine danser. La crainte de passer pour un inipoli Tavait entraine a inviter une fois la jeune fiUe. Et il avait si bien embrouille les figures du '' cotillon '\ que les plus habiles n'avaient pu s'y reconnaitre. Ce 5 deplorable essai lui avait sufii, et plutot que d' affronter les regards moqueurs, il etit gaiement marche sur une batterie tirant a mitraille. Enfonce dans une embrasure de fenetre, il regardait pendant des heures celle qu'il adorait, dansant avec 10 une riante vivacite. II suivait sa petite tete evaporee dans la foule tournoyante, et caressait des yeux ses blanches epaules. Quelquefois, il s enhardissait jusqu a s'approcher de la mere, et, ceremonieusement, il lui faisait sa cour. C etaient ses plus grandes audaces. 15 II voyait avec en vie ses camarades papillonner autour de la jeune fiUe, cambrer leur torse, faire les avanta- geux. Plein d' une noire tristesse, il se disait : ' *Un de ces jours, la nouvelle qu'elle epouse un de ces messieurs va se repandre au mess, et tout sera fini ! " II eut des 20 acces de desespoir dans le silence glacial de sa chambre garnie. II essaya de se raisonner. N'etait-il pas fou d'aller songer a cette enfant gatee faite pour les dou- ceurs de la vie luxueuse ? EUe etait reservee a quelque fils de famille, et non a un pauvre officier de fortune. 25 Mais, malgre lui, sa pensee s'envolait toujours vers elle. II la voyait pendant les nuits d'insomnie, toujours tournant, rieuse et legere, dans Temportement de la valse. EUe semblait I'appeler avec une coquetterie irritante. Et il pensait : '* Qui sait ? elle m^accepterait 30 peut-etre ! ' * Alors, son cceur battait dans sa poitrine a gros coups et il etouffait Lignes annotees : 1—3—6—16—31, I. A FII.LK BU COLONKlv 113 Un matin, il n'y tint plus. La vie ainsi lui etait de venue impossible. II alia trouver le major, qui lui avait toujours temoigne de Tinteret, et le pria devoir le colonel et, sans aborder nettement la question, de pressentir Taccueil qui pourrait etre fait a une demande 5 en mariage. II passa cette journee-la au bord de la piece d'eau des Suisses, a regarder sauter les carpes au soleil, regrettant deja sa demarche et voyant devant lui Tavenir tout en noir. Le soir, dans la cour de la caserne, le major le prit a 10 part et lui dit d'une voix breve : — J'ai vu le colonel. II a ete excellent, et voici sa reponse : ** Votre protege n'a pas le sou, ma fille n'a pas de dot, ce serait marier la faim et la soif. *' II a cent fois raison ! Ne pensez plus a la demoiselle. Et 15 si vous avez du chagrin, consolez-vous avec la theorie. Le lieutenant remercia, mais il n' essay a pas de se consoler, et comme on demandait des ofl&ciers pour les envoy er au Tonquin, il se proposa. La semaine suivante, il s'embarquait a Brest. Et pendant que, le 20 coeur gros, il s'eloignait, emporte sur les flots tumul- tueux de la large mer, la jeune fille, insouciante et joyeuse, continuait a danser dans la lumiere et dans les fleurs, aux doux bruits des instruments de fete. Deux annees se sont ecoulees. Dans son bel hotel, le general recevait toujours ; mais, a ces brillantes soirees militaires, la charmante fille qui jadis tournait toutes les tetes ne paraissait plus. Le colonel du 123^ etait mort subitement, a la veille d'obtenir les '' etoiles." Lignes annoMes : 1—4—5—7—16—20—29. 25 114 I-A. FII.I.E DU COI.ONBI. A la vie brillante et dissipee avait succede pour les deux femmes une existence mediocre et maussade. Tous les semillants ofl&ciers qui papillonnaient si galamment s'etaient eloignes avec le plaisir et la 5 gaiete. Le nouveau colonel du regiment avait aussi une femme et une fiUe : a elks, puissances du jour, toutes les attentions, toutes les coquetteries ; aux souverains de la veille, le coup de kepi distrait, dans la rue, puis la fuite d'un air effare. 10 L'orpheline et la veuve, alors, echangeaient un amer sourire et poursuivaient lentement leur chemin. Elles allaient dans le pare, aupres du tapis vert, jouir des tiedeurs d'un bel automne dont le soleil dorait le marbre des statues et jaunissait les feuilles des grands 15 marronniers. Elles s'asseyaient, toutes noires dans leurs robes de deuil, et, aux accents de la musique militaire, elles retrouvaient comme un lambeau de leur ancien bonheur. II leur semblait que rien n'etait change dans leur existence, et que la voix du colonel 20 allait retentir rude et sonore derriere elles, disant : *' Bonjour, mesdames ; aujourd'hui, c'est le 124^ qui donne le concert ; sa fanfare est moins bonne que la notre ! '' Mais les cris des enfants qui jouaient dans le sable 25 se faisaient seuls entendre. Et la mere, avec un soupir, essay ait de lire ses journaux au travers de son pince- nez aux verres brouilles par les larmes, pendant que la fiUe jetait a la derobee un regard melancolique sur ses anciens danseurs, qui ne la reconnaissaient plus. 30 EUe approchait de vingt-cinq a as, maintenant, et sa beaute, raffinee par le chagrin, avait une grace plus Lignes annoUes : 8—12—25—27. I.A FILLE DU COLONEL II5 penetrante. On eut dit une fleur que la pluie d'orage a rafraichie et purifiee. EUe s'etait defaite de ces vivacites de jeune cheval echappe qui lui donnaient une allure fantastique et inquietante. Grave et douce, elle semblait faire penitence de son joyeux passe. 5 Un jour, a la musique, parmi les officiers qui se promenaient, fumant, causant, riant, et qu'elle rencon- trait chaque apres-midi, une figure nouvelle lui sauta aux yeux. Elle revit en un instant les bals du general et son timide amoureux blotti dans un coin, la devorant 10 des yeux. EUe dit a sa mere : — Oh ! maman, vols done, le lieutenant ! II Tavait apergue aussi, car il etait devenu pale, et, quittant ses camarades, le kepi a la main, il s'avangait; la vieille mere plia a la hate les journaux, et debarras- 15 sant la chaise qui etait devant elle, avec un bienveillant sourire Toffrit a I'ofl&cier : — Comment ! c'est vous, lieutenant ! Oh ! qu'il y a longtemps ! Nous sommes vraiment heureuses ! Mais pardon : je vous appelle lieutenant, et je vois sur 20 votre manche un troisieme galon. Alors, il rougit et raconta qu'au bout de six mois de campagne il avait ete fait capitaine apres TaflFaire de Nam-Dimh. II y avait tant de vides a combler ! Puis, il etait reste enferme dans Tuyen-Quan avec 25 le commandant Domine. Un siege terrible, de cinq semaines, sur la breche, a repousser les assauts furieux de I'armee chinoise, battant sans treve de ses flots d'hommes les murs en ruine du fortin ! II avait ete blesse le dernier jour, dans une sortie supreme, alors 30 qu'au loin, par-dessus la clameur des hordes jaunes, Lignes annoUes : 8—18—24—25—26—28—31. Il6 I,A FII,I,K DU COI.ONKI. les clairons fran^ais se faisaient entendre, sonnant la delivrance. Oh ! Theure enivrante ! II avait vu Ten- nemi fuir, les trois couleurs apparaitre, et il etait tombe alors sans regret, puisqu on etait vainqueur. Son etat 5 avait paru si grave qu'on T avait renvoye en France avec la croix. Pendant la traversee, il s' etait a pen pres gueri, et en arrivant il avait ete porte d' office sur le tableau pour le grade de chef de bataillon. I^es deux femmes se taisaient. La mere, avec sa 10 connaissance du metier, calculant qu'il avait gagne dix ans d'avance sur tons ses camarades. La fiUe examinant le jeune homme et le trouvant presque meconnaissable, avec sa figure palie et allongee qui lui donnait un grand air de distinction. ]6tait-ce possible 15 qu'on I'eut dedaigne, ce brave soldat qui, ayant paye de son sang chaque grade conquis, revenait maintenant avec un avenir assure ! Lui aussi la regardait. E^tait-ce elle, serieuse et reflechie, qu'il avait connue etourdie et turbulente ? 20 Une autre femme se decouvrait a lui, cent fois plus charmante dans sa grace tristeet inquiete. EUe T avait seduit autrefois, elle le ravissait aujourd'hui. II T avait revee ainsi. C'etait bien elle. Toujours aussi jolie, et cent fois meilleure. 25 Leurs yeux se rencontrerent, et dans ceux de Tofficier la jeune fiUe lut tant d'adoration qu'elle se detourna avec un pen de gene. Le soir venait : les deux femmes se leverent, et, sans pouvoir se detacher d'elles, le capitaine les 30 conduisit jusqu'a leur porte. Le lendemain, il les retrouva a la musique, et ainsi tons les jours. II Lignes annotees : 3—7—20—27, LA FILLE DU COLONEL II7 s'asseyait aupres de la jeune fiUe, et pendant que la mere lisait ses journaux, ils causaient, intarissables, et cependant ne disant rien. L'automne s'avangait, les feuilles, couleur de rouille, jonchaient les allees, et il faisait trop froid pour rester assis. On se promenait 5 dans les quinconces du pare desert, le capitaine et la jeune fiUe, cote a cote, marcbant d'un pas souple et amoureux. *** D6cembre se passa ainsi, dans une intimite toujours plus douce. Cependant le capitaine, par moment, semblait 10 trouble, nerveux. Un jour, dans un elan passionne, il serra le bras de la jeune fille contre sa poitrine, ses yeux brillerent. Elle crut qu'il allait lui dire : '* Je vous adore ! " Mais il garda le silence et devint un peu sombre. i^ ly' agitation qu*il eprouvait redoubla aux approches du jour de Tan. II alia frequemment a Paris, s'occupa moins des deux femmes. Une sourde inquietude le travaillait. S etaient-elles trompees ? Que pr6parait-il de mysterieux ? 20 lyC 31 decembre, a six heures, il n'avait pas encore paru. La veuve lisait le journal du soir, qui contenait les promotions dans Parmee. Soudain, elle devint tres rouge et poussa un cri : — II est nomme ! II a son grade ! 25 Au meme moment, des pas precipites se firent entendre, la porte s'ouvrit, et celui qui etait si impa- tiemment attendu entra. II souriait, tres emu ; il Lignes annoMes : 7—17—18. Il8 I,A FII,I,K DU COI.ONBI. s'arreta devant les deux femmes. La vieille mere lui tendit les bras : — Oh ! mon cher enfant ! voila done ce qui vous agitait ! 5 Mais lui, se tournant vers la jeune fille avec une amoureuse fierte : — Mademoiselle, j'ai maintenant une esperance d'avenir a mettre a vos pieds ; je vous aime ; voulez- vous etre ma femme ? 10 EUe palit au souvenir du premier refus, et pensant a tout ce que le brave gargon avait fait pour meriter son bonheur, elle lui tendit la main, et la tete sur son epaule, les levres sur la rude torsade de galons si vaillamment gagnes, elle pleura de joie. Georges Ohnet. Lignes annotees : 8—13, LE LOUIS D^OR CONTK DK NOBL LORSQUE IvUcien de Hem eut vu son dernier billet de cent francs agrippe par le rateau du banquier, et qu'il se fut leve de la table de roulette ou il venait de perdre les debris de sa petite fortune, reunis par lui pour cette supreme bataille, il s eprouva comme un vertige et crut qu'il allait tomber. La tete troublee, il alia se jeter sur la large banquette de cuir qui faisait le tour de la salle de jeu. Pendant quelques minutes il regarda vaguement le tripot clan- destin dans lequel il avait gache les plus belles annees lo de sa jeunesse, songea qu'il etait ruine, perdu, se rappela qu'il avait chez lui, dansun tiroir de commode? les pistolets d'ordonnance dont son pere, le general de Hem, alors simple capitaine, s' etait si bien servi a Tattaque de Zaatcha ; puis, brise de fatigue, il s'en- i5 dormit d*un sommeil profond. Quand il se reveilla, la bouciie pateuse, il constata par un regard jete a la pendule, qu'il avait dormi une demi-heure a peine, et il eprouva un imperieux besoin de respirer Pair de la nuit. Les aiguilles marquaient sur le cadran minuit moins le quart. Tout en se levant et en s'etirant les bras, Lucien se Lignes annotees : 2—8—13—17. 119 20 1 20 tE IvOUIS d'OR souvint alors qu'on etait a la veille de Noel et, par un jeu ironique de la memoire, il se revit soudain, tout petit enfant et mettant, avant de se coucher, ses sou- liers dans la cheminee. 5 En ce moment, le vieux Dronski, — un pilier du tripot, le Polonais classique, portant le caban rape, tout orne de soutaches et d' olives, — s'approcha de lyUcien et marmotta quelques mots dans sa sale bar- biche grise. 10 — Pretez-moi done une piece de cinq francs, mon- sieur. Voila deux jours que je n'ai pas bouge du cercle, et depuis deux jours le ''dix-sepf n'est pas sorti... Moquez-vous de moi si vous voulez ; mais je donnerais mon poing a couper que tout a I'heure, au 15 coup de minuit, ce numero sortira. Lucien de Hem haussa les epaules ; il n avait meme plus dans sa poche de quoi acquitter cet impot que les habitues de I'endroit appelaient "les cent sous du Polonais.*' II passa dans I'antichambre, mit son cha- 20 peau et sa pelisse, et descendit Tescalier avec I'agilite des gens qui ont la fievre. Depuis quatre heures que Lucien etait enferme dans le tripot, la neige avait tombe abondamment, et la rue etait toute blanche. 25 Le joueur decave frissonna sous ses fourrures et se mit a marcher ; mais, apres avoir fait quelques pas, il s'arreta brusquement devant un navrant spectacle. Sur un banc de pierre place, selon T usage d' autrefois, pres de la porte monumentale d'un h6tel, une petite Lignes annoiees : 1—6—12—14—25—29. LK LOUIS D'OR 121 fiUe de six ou sept ans, a peine vetue d'une robe noire en loques, etait assise dans la neige. Elle s'etait endormie la, malgre le froid cruel, dans une attitude eflfrayante de fatigue et d'accablement, et sa pauvre petite tete et son epaule mignonne etaient comme 5 ecroulees dans un angle de la muraille et reposaient sur la pierre glacee. Une des savates dont I'enfant etait chaussee s'etait detachee de son pied qui pendait, et gisait lugubrement devant elle. D'un geste machinal, Lucien de Hem porta la main 10 a son gousset ; mais il se souvint qu'un instant aupara- vant il n'y avait meme pas trouv6 une piece de vingt sous oubliee, et qu'il n' avait pas pu donner de pour- boire au gargon du cercle. Cependant, pousse par un instinctif sentiment de 15 pitie, il s'approcha de la petite fiUe, et il allait peut-etre I'emporter dans ses bras et lui donner asile pour la nuit, lorsque, dans la savate tombee sur la neige, il vit quelque chose de brillant. II se pencha. C etait un louis d' or ! ■X- * Une personne charitable, une femme sans doute, avait passe par la, avait vu, dans cette nuit de Noel, cette chaussure devant cette enfant endormie, et, se rappelant la touchante legende, elle avait mis la, d'une main discrete, une magnifique aumone, pour que la petite abandonnee crut encore aux cadeaux faits par I'enfant Jesus et conservat, malgre son malheur, quelque confiance et quelque espoir dans la bonte de la Providence. Lignes annotees: 2—6—24:. 20 25 122 LK I.OUIS d'OR Un louis ! c'etaient plusieurs jours de repos et de richesse pour la mendiante ; et Lucien etait sur le point de Teveiller pour lui dire cela, quand il entendit pres de son oreille, comme dans une hallucination, une 5 voix — la voix du Polonais — qui murmurait tout bas ces mots : — Voila deux jours que je n'ai pas bouge du cercle, et depuis deux jours le **dix-sept*' n'est pas sorti... Je donnerais mon poing a couper que tout a Theure, au iQ coup de minuit, ce numero sortira. Alors ce jeune homme de vingt-trois ans, qui n*avait jamais failli a I'honneur, congut une epouvantable pensee. D'un regard, il s'assura qu'il etait bien seul dans la rue deserte, et, pliant le genou, avangant avec 15 precaution sa main fremissante, il vola le louis d'or dans la savate tombee ! Puis, courant de toutes ses forces, il revint a la maison de jeu, grimpa Tescalier en quelques enjambees, poussa d'un coup de poing la porte rembourree de la salle maudite, y penetra au 20 moment precis ou la pendule sonnait le premier coup de minuit, posa la piece d or sur le tapis vert et cria : — En plein sur le ' ' dix-sept ! ' ' lye ** dix-sept '* gagna. D'un revers de main, Lucien poussa les trente-six louis sur la rouge. lya rouge 25 gagna. II laissa les soixante-douze louis sur la merae couleur. La rouge sortit de nouveau. II j&t encore le paroli deux fois, trois fois, toujours avec le meme bonheur. II avait maintenant devant lui un tas d*or et de billets. II avait rattrape, en une 30 dizaine de coups, les quelques miserables billets de mille francs, sa derniere ressource, qu'il avait perdus Lignea annotees : 17—22—27. tE IvOUIS D'OR 123 au commencement de la soiree. A present, pontant des deux ou trois cents louis a la fois, et servi par sa veine fantastique, il allait bientot regagner, et au dela, le capital hereditaire qu'il avait gaspille en si pen d^annees, reconstituer sa fortune. Et il jouait toujours, 5 et il gagnait toujours, comme un furieux, comme un homme ivre ! et il jetait ses poignees de louis sur le tableau, au hasard, a la vanvole, avec un geste de certitude et de dedain ! Seulement il avait comme un fer rouge dans le cceur, 10 et il ne pensait qu'a la petite mendiante endormie dans la neige, a T enfant qu'il avait volee. — EUe est encore a la meme place ! Certainement, elle doit y ^tre encore !... Tout a I'heure... oui, quand une heure sonnera... je me le jure !... je sortirai d'ici, 15 j'irai la prendre tout endormie, dans mes bras, je I'em- porterai chez moi, je la coucherai sur mon lit... Et je Televerai, je la doterai, je laimerai comme ma fiUe, et j'aurai soin d'elle toujours, toujours ! Mais la pendule sonna une heure, et le quart, et la 20 demie, et les trois quarts... et Lucien etait toujours assis a la table infernale. Enfin, une minute avant deux heures, le chef de partie se leva brusquement et dit a voix haute. . . — La banque a saute, messieurs... Assez pour 25 aujourd'hui ! D'un bond, Lucien fut debout. E^cartant avec bru- talite les joueurs qui I'entouraient et le regardaient avec une envieuse admiration, il partit vivement, Lignes annoUes: 1—8—23—25. 1^4 i*^ totris D^OR degringola les etages et courut jusqu'au banc de pierre. De loin, a la lueur d*un bee de gaz, il apergut la petite fille. — Dieu soit loue ! s'ecria-t-il. Elle est encore la. 5 II s'approcha d'elle, lui saisit la main : — Oh ! qu'elle a froid ! Pauvre petite ! II la prit sous les bras, la souleva pour Temporter. La tete de Tenfant retomba en arriere, sans qu'elle s^eveillat : 10 — Comme on dort, a cet age-la ! II la serra contre sa poitrine pour la rechauflfer, et, pris d*une vague inquietude, il voulut, afin de la tirer de ce lourd sommeil, la baiser sur les yeux. Mais alors il s'apergut avec terreur que les paupieres de 15 r enfant etaient entr'ouvertes et laissaient voir a demi des prunelles vitreuses, eteintes, immobiles. Le cer- veau traverse d'un horrible soupgon, lyucien mit sa bouche tout pres de la bouche de la petite fille ; aucun souffle n'en sortit. 20 Pendant qu'avec le louis d'or qu'il avait vole a cette mendiante Lucien gagnait au jeu une fortune, I'enfant sans asile etait morte, morte de froid ! * * ]6treint a la gorge par la plus efFroyable des an- goisses, Lucien voulut pousser un cri... et, dans 1' effort 25 qu'il fit, il se reveilla de son cauchemar sur la ban- quette du cercle, ou il s' etait endormi un peu avant minuit et ou le gargon du tripot, s*en allant le dernier vers cinq heures du matin, T avait laisse tranquille, par bonte d'ame pour le decave. Lignes annoiees : 17—23. I.E i.ouis d'or 125 Une brumeuse aurore de decembre faisait palir les vitres des croisees. Lucien sortit, mit sa niontre en gage, prit un bain, dejeuna, et alia au bureau de recru- tement signer un engagement volontaire au I^"^ regi- ment de chasseurs d'Afrique. Aujourd'hui, Lucien de Hem est lieutenant; il n'a que sa solde pour vivre, mais il s'en tire, etant un officier tres range et ne touchant jamais une carte. II parait meme qu'il trouve encore moyen de faire des economies ; car T autre jour, a Alger, un de ses cama- rades qui le suivait a quelques pas de distance dans une rue montueuse de la Kasbah, le vit faire I'aumone a une petite Espagnole endormie sous une porte, et eut P indiscretion de regarder ce que Lucien avait donne a la pauvresse. Le curieux fut tres surpris de la gene- rosite du pauvre lieutenant. Lucien de Hem avait mis un louis d'or dans la main de la petite fiUe. Francois Coppe:k. 10 Lignes annoiees : 1— 2--7— 12. LA NIHILISTE EN 187..., quelque temps avant la mort tragique du dernier tsar, un des hotames les plus conside- rables de r empire etait le prince Michel ***, que des raisons de haute convenance ne permettent pas 6 de designer ici par le nom de sa famille, qui est illustre. Dans un voyage qu'il avait fait chez nous, un peu apres la guerre, il avait rencontre a Tune des recep- tions de la princesse Lise, cette superbe fille du general de Contremont que le monde parisien, renaissant de ses 10 cendres, connaissait deja sous le nom de '*la belle Madeleine," et qui etait aussi pauvre qu'elle etait belle. Michel fut pris, malgre sa quarantaine accomplie et des intentions formelles de celibat contre lesquelles s'etaient heurtees, depuis quinze ans, toutes les jeunes 15 personnes et toutes les veuves de T aristocratic russe. — Mere, dit un soir Madeleine a la veuve du heros de Gravelotte, seras-tu contente si je deviens princesse ? — Pas tout a fait, car je t'ai faite assez belle pour etre reine ; il est vrai que les reines, par le temps qui 20 court !... De fait, il ne me souvient guere d' avoir rencontre, dans un ensemble aussi parfait, aucun type de beaute humaine. Je la vols encore, T adorable! un certain Lignes armotees : 9—17—19—21. 126 IvA NIHIIvISTE 127 soir, a r Opera, quelques semaines apres son manage. II y avait, je gage, a I'orchestre, cinquante spectateurs qui etaient ou avaient ete plus ou moins amoureux d'elle, depuis la simple toquade jusqu'a la passion desesperee. Vous jugez comment ceux-la ecoutaient 5 la musique. On aurait pu leur jouer Mireille a la place des Huguenots sans qu'un seul d'entre eux eut songe a s'en apercevoir. Ce fut et ce sera probablement la plus memorable soiree de la jeunesse de Madeleine. Seule, dans la 10 grande loge, avec son mari ; fiere, a peine souriante en apparence, mais au fond vibrant des pieds a la tete de r excitation du triomphe, elle renvoyait 1' admiration comme ses diamants renvoyaient la lumiere. Elle etait un superlatif vivant, car elle pouvait se dire : 15 — J'apergois ici vingt-cinq femmes qui sont belles; mais c'est moi qui suis la plus belle. Ce soir-la, une Americaine bien des fois millionnaire, mais point jolie, faisait dans sa loge I'aveu que voici : — Je ne souhaite pas de ressembler a la princesse 20 Michel, car ce serait trop demander. Mais seulement pour avoir ses dents, je donnerais mon hotel des Champs-Elysees et tout ce qui est dedans, meme mon coflfret a bijoux. Avec des dents comme celles-la, on n'a pas besoin d'etre jolie. On sourit ou Ton bailie, 25 selon les circonstances, et le monde est a vos pieds. — C'est-a-dire aux pieds de vos dents, fit un diplo- mate ; mais j'ai peur que la princesse ne soit destinee a bailler plus qu'a sourire. Son Excellence de mari n'a pas I'air amusant ni commode. Plus d'une fois 30 dans sa vie, la belle Madeleine regrettera Paris. Idgnes annoiees : 4— 6— 7— 33— 27. 128 tA NiHlLIStE * * Non, vraiment, le prince n'etait pas commode, meme au moment de son mariage. Mais quelques annees plus tard, il I'etait encore moins, la princesse etait la pour le dire. 5 II devait a la coquetterie de sa femme d'etre devenu jaloux comme un tigre, et a la faveur du tsar d'etre devenu ministre de la police. Avouez que ces deux qualites reunies ne sont point faites pour rendre un homme aimable- 10 Cependant, il avait trouve moyen d'utiliser ses fonc- tions publiques au service de sa jalousie privee. II avait choisi, parmi les meilleurs sujets de son per- sonnel, le cocher qui conduisait sa femme, et le con- cierge qui gardait la porte de son hotel. Puis, comme 15 complement, il avait le cabinet noir; je ne vous fais pas r injure de supposer que vous ignorez ce que c'est que le cabinet noir, bien qu'il n'existe pas chez nous, evidemment. A quoi cela servirait-il d'etre en Repu- blique ? 20 Au commencement, I'infortune ministre avait lu, par douzaines, des declarations amoureuses adressees a sa femme sur tons les tons et dans toutes les mesures; parfois meme sans mesure. Puis le mouvement s' etait ralenti, non que la princesse devint moins seduisante, 25 mais on commen9ait a se mefier. Ceux qui avaient confie aux postes et telegraphes de sa majeste leurs espoirs ou leurs plain tes, avaient vu presque toujours la mauvaise chance s'attacher a leurs pas sous les formes les plus inattendues et les plus di verses. C etait, Lignes annot^es : 1—15—22. LA nihiusI'e; i^g comme le disait une de ces victimes, a se demander si la princesse avait le mauvais ceil, ou si le prince avait les 3^eux trop bons. Bien entendu, les reponses passaient au cabinet noir aussi bien que les deraandes, et son excellence pouvait 5 se convaincre qu'il etait le mari d'une coquette enragee, mais rien de plus ; ce dont il eprouvait une satisfaction relative. Mais qu'on juge de son eflFroyable surprise, quand il lut un jour la lettre suivante dont il ne reconnaissait 10 que trop Tecriture, bien qu'elle ne fut signee que d'une simple initiale : ' ' II parait que I'empereur partira pour Varsovie plus tot qu'on ne T avait pense. Tenez-vous done pret a vous mettre en route au premier appel, car qui sait 15 quand nous retrouverions une occasion semblable ? Je ne vous ai pas laisse ignorer les difficultes de I'entre- prise. Arrangez-vous done pour reussir du premier coup et sans tatonner. Vous vous presenterez chez moi comme un ami de la famille voyageant en Russie 20 pour son plaisir. EUe vous donnera pour moi une commission quelconque, et ce sera votre introduction en cas de besoin. ' ' Le malheureux prince n' avait plus sa raison quand il termina cette horrible lecture. Ainsi cette conspira- 25 tion qu'il combattait nuit et jour, par le fer, par la prison et par I'exil ; cette guerre monstrueuse, impi- toyable, de toute une armee de monstres contre un seul homme, il la retrouvait a son foyer. C etait sa propre femme, sa belle Madeleine, qui disait a T assassin : 3o ** Voici rheure, soyez pret ! " Lignes annotees: 2—6—7. 130 tA NIHILISTK A quoi bon lutter davantage ? Quelle fatalite armait done centre cet infortune souverain Tetrangere elle- meme ? Cette femme avait tout : la jeunesse, la beaute, le luxe, T admiration. Elle nihiliste ! Que 5 lui manquait-il done ? Quelle rancune la poussait dans le crime, elle aussi, au risque de la paille du cachot qui allait meurtrir ce corps charmant, de la corde de chanvre qui briserait ce cou d'ivoire, de la neige de Siberie qui glacerait ses petits pieds aussi blancs 10 qu'elle? — Ah ! pensa Tinfortune, je n'ai point su la rendre heureuse ! Je me suis montre trop jaloux. Elle me hait, et sa haine a trouve ce raffinement, sublime a force d'horreur invraisemblable ? 15 Que fallait-il faire cependant? II pensa a tuer sa femme et a se tuer ensuite, laissant le public imaginer quelque histoire d* amour surpris, car le sujet fidele aimait mieux ce genre de deshonneur que T autre. Puis il eut envie d'aller se jeter aux genoux de Tem- 20 pereur et de tout lui dire, apres quoi il disparaitrait pour jamais avec la coupable. Le sentiment du devoir Tarreta. 11 tenait le fil d*un complot ; il fallait en decouvrir toute la trame, et, pour cela, il suffisait de laisser partir la lettre. De lui- 25 meme 1' assassin se livrerait. Deja, le ministre avait le nom de cet homme : Nicholson, quelque Anglais ou quelque Americain, peut-etre, expert en dynamite, ou tout simplement un etudiant russe ayant pris un faux nom. 30 La lettre partit et, le soir, le prince et la princesse assistaient a P Opera, dans leur loge : lui, pale, trem- Lignes annotees : 6—15—25. LA NIHILISTE 131 blant de fievre, vieilli de quinze ans ; elle plus sedui- sante et plus entouree que jamais. — Vous etes malade, Michel ! dit Madeleine en souriant a son mari, dans la voiture qui les emportait chez eux. 5 — A quoi le voyez-vous ? fit-il d'un air etrangement sombre. — A. quoi ? vous n'avez pas ete jaloux, ce soir ! Au bout d'une semaine, le ministre de la police dit a sa femme, sans paraitre y attacher d' importance : 10 — C'est jeudi que le tsar quitte Saint-Petersbourg. — Vraiment ! s^ecria-t-elle, a peine troublee de ce qu'elle venait d'apprendre. Les joumaux indiquent une autre date. II repondit, trompant a dessein la complice de Nichol- i^ son, car il avait son plan : — Oui, on veut depister ceux qui pourraient avoir des projets coupables. Puis il parla d' autre chose, admirant au fond la force d'dme de cette creature indigne. 20 Le jour meme il comprit que sa ruse avait reussi quand on lui communiqua, du telegraphe, cette de- peche, adressee par la princesse on devine a qui : * ' C est pour j eudi. Soy ez exact. ' ' Bien entendu, le jeudi se passa sans que le tsar ni 25 son ministre eussent quitte la capitale. Madeleine etait devenue subitement fort inquiete a I'annonce de ce pretendu changement. Lignes annoMes ; 10. 132 I.A NIHILISTE Le lendemain, dans rapres-midi, un personnage richement vetu, orne d'une rosette enorme, se presenta au palais du prince Michel. — Que desire monsieur? demanda, en s'inclinant 5 jusqu'a terre, le concierge prete par la cinquieme section. — Saluer la princesse et lui remettre un message de sa mere. Je suis le docteur Nicholson. — Fort bien, dit Thomme. Monsieur est attendu. 10 Madame la princesse est en visite chez une amie et a donne I'ordre de conduire monsieur aupres d'elle. Dans cinq minutes, la voiture sera prete. Nicholson avait a peine eu le temps d' admirer quel- ques toiles du salon d'attente, car il etait connaisseur, 15 lorsqu'on le fit monter en coupe, ou le concierge prit place a cote de lui, sans en demander la permission ! — Drole d' usage ! pensa Nicholson. II aurait bien pu monter sur le siege. Je n'ai pas besoin de dire qu'un quart d'heure apres, le soi-disant docteur etait dans la meilleure, c'est-a-dire 20 dans la plus solide prison de Saint-Petersbourg et que, s*il y etait attendu, ce n'etait pas par la princesse. Dans une sorte de parloir fort maussade, garni d' agents de police armes en guerre, un personnage 25 qu'il ne connaissait pas, et qui etait le prince lui-meme, Tinterrogea avec une absence d'egards a laquelle le pauvre Nicholson n' etait pas habitue... — C'est une infamie ! criait-il en se debattant. J' ar- rive de Paris ce matin meme. Je n'ai pas dit trois 30 paroles a qui que ce soit et, quand je me presente chez la princesse, on m'enleve comme un voleur ! Lignes annotees : 5—22. XA NIHII.ISTK 133 — Vous connaissez la princesse ? questionna tres froidement le ministre. — Si je la connais ! mais je I'ai presque vue naitre. Void une lettre de sa mere, la veuve d'un grand general. D'ailleurs, je suis citoyen americain et je 5 proteste. . . — Fouillez cet homme avec precaution, interrompit le haut fonctionnaire sans avoir Pair d' entendre. On ne trouva rien de suspect sur Nicholson, rien qa'une mignonne boite soigneusement enveloppee. 10 Si c'etait une machine infernale ! II fallait avouer, en ce cas, que la science du portatif a fait bien des progres depuis Fieschi. Un ingenieur de I'ecole des torpilles, attache au ministere pour des occasions semblables, defit le paquet is avec les precautions conseillees par la science. Le plus grand nombre des assistants etait moins que rassure et s'attendait a quelque explosion terrible. Rien d'anormal ne se produisit. Seulement 1' inge- nieur avait un singulier sourire lorsqu'il tendit la boite 20 ouverte au prince, qui s'empressa, d'ailleurs, de la mettre dans sa poche apres y avoir jete les yeux. — Alors, demanda-t-il a Nicholson, vous etes... — Dentiste americain, Monsieur, et fort presse. Je desire retourner a Paris le plus tot possible. Mon 25 cabinet me reclame. Cinq minutes apres, Nicholson etait de nouveau en coupe, ayant, cette fois, pour compagnon le prince lui- meme qui le comblait d' excuses. — Mais, dit le mari de la belle Madeleine, comment 3o se fait-il que je ne me sois jamais aper^u de rien ? Jjignes annoiees : 3—8—13—26—31. 10 134 I passait les jours et les nuits a pleurer devant un por- trait de la chere defunte. Ce portrait, il Tavait fait 5 lui-meme, autrefois, ayant appris a peindre tout expres ; car il n'y a rien de plus cruel pour un amant ou un epoux vraiment epris, que de laisser a un autre le soin de reproduire la beaute de la bien-aimee. Les artistes ont une fagion de regarder de pres leurs modeles qui ne 10 saurait plaire a un jaloux ; ils ne mettent pas sur la toile tout ce qu'ils ont vu ; il doit leur en rester quelque chose dans les yeux, dans le coeur aussi. Et ce portrait, main tenant, etait la seule consolation du jeune roi ; il ne pouvait retenir ses larmes en le 15 considerant, mais il n^aurait pas echange, contre la douceur des plus heureux sourires, Tamertume de ces pleurs. C etait en vain que ses ministres venaient lui Lignes annotees : 6—11—12. 135 136 I.A MfeMOIRK DU CCEUR dire: ''Sire, nous avons re^u des nouvelles inquie- tantes ; le nouveau roi d'Ormuz leve une arniee iiinoiii- brable pour envahir vos j^tats ''; il feignait de ne pas entendre, les regards toujours fixes sur I'image adoree. 5 Un jour il entra dans une grande colere et faillit tucr un de ses chambellans, celui-ci s'etant hasarde a in si- nner que les douleurs les plus legitimes ne doivent pas etre eternelles, que son maitre ferait bien de songer a se marier avec quelque jeune fille, niece d'empereur ou 10 fille de paysan, n'importe. '' Monstre ! s'ecria Tincon- solable veuf, oses-tu bien me donner un si lache con- seil? Tu veux que je sois infidele a la plus aimable des reines ? Ote-toi de mes yeux, ou tu periras de ma propre main. Mais avant de sortir, apprends, pour le 15 repeter a tons, que jamais une femme ne s'assoira sur mon tr6ne, a moins d'etre de tout point semblable a celle que j'ai perdue ! '' II savait bien qu'en parlant ainsi il ne s'engageait guere. Telle qu'elle revivait en son cadre dor, — 20 helas ! morte, pourtant ! — la reine etait si parfaitement belle que, par toute la terre, on n'aurait pu trouver sa pareille. Brune, avec de longs cheveux souples qui s'ecoulaient comme de Tebene liquide, le front un pen haut, d'ivoire couleur d'ambre, les yeux profonds, 25 d'un noir de nuit, la bouche bien ouverte par un sou- rire ou luisaient toutes les dents, elle defiait les compa- raisons, les ressemblances, et meme une princesse qui aurait re^u dans son berceau les plus precieux dons de toutes les bonnes fees, n'aurait pu avoir d'aussi beaux 30 cheveux sombres, d'aussi profonds yeux bruns, ni ce front, ni cette bouche. Lignes annotees : 6—16—18—23. I^A MEMOIRK DU CCEUR 137 II Beaucoup de mois s'ecoulerent, — plus d'une annee, — sans apporter aucun heureux changement au triste etat des choses. On recevait d'Ormuz des nouvelles de plus en plus alarmantes ; le roi ne daignait pas prendre garde au danger grandissant. II est vrai que les 5 ministres percevaient les impots en son nom ; mais comme ils en gardaient 1' argent au lieu de T employer a equiper des soldats, le pays ne manquerait pas d'etre ravage, apres avoir paye pour ne pas I'etre. De sorte qu'il y avait tout le jour, devant le palais, des groupes 10 de gens qui venaient supplier et se plaindre. L'amou- reux de la morte ne sortait point de sa melancolie ; il n* avait d* attention que pour le charme silencieux du portrait. Une fois, cependant, — c'etait a Theure ou Taube 15 teint de rose et de bleu les vitres, — il se tourna vers la croisee, ecoutant une chanson qui passait, une chan- son grele et frele, jolie et matinale comme un tireli d'alouette. II fit quelques pas, etonne, coUa le front a la vitre, regarda. II eut peine a retenir un cri d'aise ! 20 II n' avait jamais rien vu d'aussi charmant que cette petite bergere menant aux champs son troupeau de moutons. EUe etait blonde au point que ses cheveux doraient le soleil plutot qu'ils n'en etaient dores. EUe avait le front un peu bas, rose comme les jeunes roses, 25 les yeux clairs, d'une clarte d'aurore, et sa bouche riait si etroite que, meme ouverte par la chanson, elle lais- sait voir a peine cinq ou six petites perles. Mais le roi, tout charme qu'il fut, se deroba a ce spectacle, Lignes annotses : 5—8—16—18—24—29. 138 ivA mSmoirb du cceur mettant ses mains sur ses paupieres closes, et, tout honteux de s'etre un instant detourne de la belle • defunte, il revint vers le portrait, s'agenouilla, pleurant de douleur et de delice. II ne se souvenait plus du 5 tout qu'une bergere avait passe sous la fenetre, en chantant. '^Ah! tu es bien sure, gemissait-il, que mon coeur en deuil t'appartient pour toujours, puisqu'il n'existe aucune femme qui te ressemble ; et il faudrait, pour que je fisse une reine, que, d'un miroir ou elle se TO serait etemisee, ton image sortit, vivante ! ' ' III Or, le lendemain, en admirant le portrait de la morte, il eut une surprise penible. II songea ; il se dit : '' Voila qui est fort etrange. II faut croire que cette salle est humide; I'air qu'on y respire n'est pas bon 15 pour les peintures. Car, enfin, je me souviens parfai- tement que les cheveux de ma reine n'etaient pas aussi sombres que je les vois. Non, certes, ils n'avaient pas cette noirceur d'ebene liquide. lis s'ensoleillaient 9a et la, je m'en souviens, couleur d'aurore, non de soir.'' 20 II demanda ses pinceaux, sa palette, corrigea tres vite le portrait qu' avait gate Tair humide. A la bonne heure ! voila bien la chevelure d'or leger que j'aimais si eperdument, que j'aimerai toujours.'* Et, plein d'une amere joie, il renouvela, a genoux devant 1' image 25 maintenant pareille au cher modele, ses serments d'eternelle Constance. Mais, veritablement, quelque mechant genie devait se jouer de lui : trois jours s'etant passes, il fut oblige Lignes annotees : 9—10—18—27—28. I,A MBMOIRE DU CCEUR 1 39 de reconnaitre que le portrait avait encore subi des deteriorations notables. Que voulait dire ceci ? Pour- quoi ce front d'ivoire, couleur d'ambre, etait-il si haut? II avait bonne memoire, grace a Dieu ! il etait sur que la reine avait un petit front, rougissant et frais comme 5 les jeunes eglantines. En quelques coups de pinceau il baissa la chevelure doree, rosa le front d'un rose clair. Et il se sentait le coeur plein d'une tendresse infinie pour le tableau restaure. I^e jour suivant, ce fut pis encore ! II etait evident 10 que les yeux et la bouche du portrait venaient d'etre changes par une volonte mysterieuse ou par quelque accident. Jamais la bien-aimee n' avait eu ces prunelles sombres, d'un noir de nuit, ni cette bouche trop ouverte, qui montrait presque toutes les dents. Ah I 15 bien au contraire, le bleu matinal du ciel, ou volette le tireli des alouettes, n'egalait pas en douceur I'azur des yeux dont elle regardait son ami ; et, quant a ce qui etait de sa bouche, elle etait si etroite que, meme ouverte pour une chanson ou pour un baiser, elle lais- 20 sait voir a peine quelques mignonnes perles. Le jeune roi se sentit pris d'une violente colere contre ce portrait absurde, qui contredisait tant de chers sou- venirs. S'il avait eu en son pouvoir Texecrable en- chanteur auquel cette transformation etait due, — car 25 il y avait ici, a coup sur, quelque enchantement, — il se serait venge de lui d'une fagon terrible. Pour un peu, il aurait decroche, foule aux pieds la mensongere image ! II se calma cependant, songeant que le mal etait reparable. II se mit au travail ; il peignait d'apres 30 ses fideles souvenirs ; et, quelques heures plus tard, il JAgnes annotees : 10—16—18—27. 140 I.A m:^moirk du cckur y eut sur la toile une jeune femme aux yeux bleus comme le loin tain de Taube, a la bouche si petite que, si elle eut ete fleur, il y aurait pu tenir a peine deux ou trois gouttes de rosee. Et il regardait sa reine, plein 5 d*un douloureux ravissement, '* C'est elle ! Ah ! c'est bien elle ! '' soupirait-il. Si bien qu'il n'eut aucune objection a faire le jour ou le chambellan, — dont c'etait la coutume de regarder par le trou des ser- rures, — lui conseilla de prendre pour epouse une 10 mignonne bergere qui passait tons les matins devant le palais en chantant une chanson ; car elle ressemblait de tout point, — un peu plus jolie peut-etre, — au portrait de la belle reine. CaTULIvK MKNDi)S. Lignes annoMes : 2—8. MA FEMME VA AU BAL MADAME. — Ah ! que c'est gentil d'arriver de bonne heure ! {Regardayit la pendule. ) Six heures moins un quart. Mais comme tu as froid, mon pauvre ami, tes mains sont glacees ! Viens t'asseoir pres du feu. {Elle viet une buche dans la che- 5 minSe,) J'ai pense a toi toute la journee. Oblige de sortir par un pareil temps, c'est cruel ! As-tu fait des affaires ? es-tu content ? Monsieur. — Tres content, chere petite. {A part,) Je n'ai jamais vu ma femme aussi aimable. {Haul, 10 prenant le souffleL) Tres content, tres content, et j'ai une faim ! Bebe a-t-il ete gentil ? Madame. — Tu as faim ! Tons les bonheurs a la fois. Bravo ! {Appelant,) Marie, prevenez a ToflSce que Monsieur veut diner de bonne heure. Qu'on 15 soigne ce que vous savez, et un citron. Monsieur. — Des mysteres ? Madame. — Oui, Monsieur, je vous menage une petite surprise, et j'aime a croire que vous en serez ravi. 20 Lignes annoMes : 11—18. 141 142 MA FKMMK VA AU BAI,. Monsieur. — Voyons ta surprise. Madame. — Oh ! c'est une vraie surprise... Comme tu es curieux ! voila deja tes yeux qui brillent. Si je ne te disais rien, pourtant ! 5 MoNSiKUR. — Eh bien ! tu me briserais le coeur. Madame. — Tiens, je ne veux pas t'impatienter. Tu auras ce soir a diner des petites huitres vertes et un... perdreau. Suis-je gentille? MoNSiKUR. — Des huitres et un perdreau ! tu es un 10 ange. (// rembrasse.) Un ange ! {A part.) Qu'a done ma femme aujourd'hui ? {Haut.) Tu n'as pas eu de visites dans la journee? Madame. — J'ai vu ce matin Ernestine qui n*a fait qu'entrer et sortir. EUe vient de mettre sa femme de 15 chambre a la porte. Croirais-tu qu'on a rencontre cette fille, avant-hier soir, habillee en homme et avec les vetements de son maitre encore ! C'est trop fort. Monsieur. — Voila ce que c'est que d* avoir des domestiques de confiance. Et tu n'as vu qu'Ernes- 20 tine ? Madame. — Mais oui, c'est bien assez... {Avec une exclamation,) Que je suis etourdie ! j'oubliais : j'ai eu la visite de M""^ de Lyr. Monsieur. — Que le bon Dieu la benisse. Rit-elle 25 toujours de travers pour cacher sa dent bleue ? Madame. — Tu es mechant. Elle t'aime pourtant beaucoup. Cette pauvre femme! j'ai ete vraiment touchee de sa visite. EUe venait me rappeler que son... Tu vas te facher. {Elle Pembrasse et s'asseoit tout pres 30 de son mart.) Monsieur. — Je vais me facher, je vais me facher... Lignes annoUes : 6—11—13—14—17—22—25. lA FKMHE VA AU BAI. I43 je ne suis pas un Turc. Voyons, de quoi s'agit-il ? Madame. — Tu sais que nous avons des huitres et un perdreau. Tiens, allons diner. Je ne veux pas te le dire, te voila deja de mauvaise humeur. D'ailleurs, je lui ai presque dit que nous n'irions pas. 5 Monsieur, levant les bras an del. — Patatras ! je m*en doutais. Qu'elle nous laisse tranquilles, avec son the. Mais qu'est-ce que je lui ai done fait a cette femme-la ? Madame. — EUe croit te faire plaisir. C'est une lo charmante amie. Moi je Taime, parce qu'elle dit tou- jours du bien de toi. Si tu avals ete cache dans ce cabinet pendant sa visite, tu n'aurais pas pu t'empe- cher de rougir. {Monsieur hausse les Spaules,) II est si aimable, votre marl, me disait-elle, si gai, si spirituel. ]5 Tachez de remmener, c'est une bonne fortune que de r avoir. J'ai repondu : certainement ; mais en I'air, tu sais. Oh baste! je n'y tiens pas du tout. On ne s'y amuse pas tant chez M"^® de Lyr. II y a dans les coins un tas de gens serieux... Je sais bien que ce sont la 20 des personnages influents et qui peuvent etre utiles, mais qu'est-ce que cela pent me faire a moi? Viens diner. Tu sais qu'il restait une bouteille de ce fameux pomard, je Tai conservee pour arroser ton perdreau. Tu ne t'imagines pas combien j'ai de plaisir a te voir 25 manger un perdreau. Tu degustes cela avec tant d'onction... Tu es gourmand, mon petit mari. {Elle lui prend le bras.) Viens, mon ami, j'entends ton gamin de fils qui s'impatiente dans la salle a manger. Monsieur, V air soudeux, — Hum !... et pour quand ? 30 Madame. — Pour quand... quoi? Zignes annoUes: l— 6—17—18—24—29. 144 ^A. li^KMMK VA AU BAI. Monsieur. — Le the, parbleu. Madame. — Ah! le bal, tu veux dire... Je n'y pensais plus. I^e bal de M°^^ de Lyr? Pourquoi me demandes-tu cela, puisque nous n'irons pas? Depe- 5 chons-nous, le diner refroidit. . . Pour ce soir. Monsieur, s'arretant court. Comment, ce the est un bal, et ce bal est pour ce soir. Mais, sapristi ! on ne vous lache pas comme cela un bal a bout portant. On previent d'avance. 10 Madame. — Mais elle nous avait envoy6 une invita- tion il y a huit jours. Je ne sais pas ce qu^elle est devenue, cette carte. J'ai oublie de te la montrer ; j'ai eu tort. Monsieur. — Tu as oublie, tu as oublie... 15 Madame. — En somme, tout est pour le mieux, tu aurais ete maussade toute la semaine. A table. {On se met a table. La nappe est blanche, les couteai^x sont brillants, — les huitres sont fraiches, le perdreaii cuit a point, exhale un parfum delicieux. — Madame esl 20 charmante et rit a tout propos. Monsieur se diride sen- siblement et s^ Stale dans sa chaise.) Monsieur. — II est bon ce pomard. Tu n'en veux pas un peu, ma petite femme ? Madame. — Mais si, mais si, ta petite femme en 25 veut. (^Elle pousse son verre d^un petit mouvement coquet.) Monsieur. — Tiens, tu as mis ta bague Louis XVI... Elle est charmante, cette bague. Madame, mettant sa main sous le nez de son mari. — 30 Oui, mais regarde done, il y a un petit bout qui se detache. Lignefi arinotees: 8—19—30. MA FEMMK VA AU BAIv 1 45 Monsieur, embrassant la main de sa femme. — Ou cela, ce petit bout ? Madame, souriant. — Tu plaisantes toujours ; je te parle serieusement ; tiens, la. Parbleu ga se voit bieii ! {lis s' approcherit et penchent tous les deux la tHe pour 5 voir de plus pres. ) Tu ne vols pas ? {Elle indique un endroit de la bague de son doigt rose et effile.) lya... tiens... la... Monsieur. — Cette petite perle qui... Mais qu'as-tu dans les cheveux, ma chere? Tu sens horriblement 10 bon... II faudra la donner au bijoutier... Cette odeur est d'une finesse delicleuse... Qa ne te va pas mal, cette coiffure ! Madame. — Tu trouves?... {Elle fagonne sa coif- fure de sa blanche main.) Je me doutais que tu aime- 15 rais ce parfum-la ; moi, a ta place je... Monsieur. — Qu'est-ce que tu ferais a ma place, ma cherie ? Madame. — ^J'embrasserais ma femme tout betement. Monsieur, embrassant sa femme. — Tu as des idees, 20 sais-tu ; donne-moi encore un petit peu de perdreau, je te prie. {La bouche pleine.) Comme c'est gentil, ces pauvres petites betes, quand 9a court dans les bles. Tu sais leur petit cri de rappel quand le soleil se couclie ?... Avec un peu de sauce... II y a des moments ou il vous 25 monte au cerveau des bouffees de poesie campagnarde. — Quand je pense qu^il y a des sauvages qui les man- gent aux choux ! — Ah ga, mais, dis-moi, (// se verse a boire.) tu n'as pas de toilette preparee ? Madame, avec un itonnement candide, — Quelle toi- 30 lette, mon ami ? Lignes annoMes : 19—26. 146 MA F^EMMK VA AU BAI. MoNSiKUR. — Eh bien, pour M™^ de L,yr. Madame. — Pour le bal ! Quelle memoire tu as !... Tu y penses done toujours?... Mon Dieu non, je n'en ai pas..., ah! si, j'ai ma robe de satin, tu sais? Et 5 puis, il faut si peu de chose a une femme pour fabri- quer une toilette de bal ! Monsieur. — Et le coiflfeur n'est pas prevenu ? Madame. — C'est vrai, il n*est pas prevenu ; d'ail- leurs, je ne tiens pas ^ y aller a ce bal ; nous allons 10 nous installer au coin du feu, lire un peu et nous cou- cher de bonne heure... Tu m'y fais penser, je me souviens qu'en partant, M"^^ de Lyr m'a dit : Votre coiflfeur est le mien, je le ferai prevenir, — suis-je etourdie ! Je me souviens que je ne lui ai rien repondu. 15 Mais ga n'est pas loin, je peux envoyer Marie lui dire de ne pas se deranger. Monsieur. — Puisqu'il est prevenu, ce perruquier de malheur, laisse-le venir et allons nous. . . distraire un peu chez cette bonne M"^^ de Lyr, mais a une condi- 20 tion, c'est que je trouverai mes aflfeires preparees sur mon lit, avec mes gants, tu sais, mon mouchoir, mon habit. . . et tu mettras ma cravate blanche ? Madame. — Marche conclu. (E/le fembrasse.) Tu es le meilleur des maris. Je suis enchantee, mon bon 25 cheri, parce que je vols que tu t' imposes un sacrifice pour me faire plaisir, car le bal en lui-meme m'est aussi indiflferent ! Je n'y tenais pas, la, sincerement, je n'y tenais pas. Monsieur. — Hum... Eh bien ! je vais fumer un 30 cigare pourne pas vous gener, et a dix heures je suis ici. Tes preparatifs seront termines, — en cinq mi- Lignea annotees : 11—17, MA FKMMK VA AU BAI, I47 nutes je serai deguise en noir des pieds a la tete. Adieu. Madame. — Au revoir ! Une fois dans la rue, monsieur allume son cigare et boutonne son paletot. Deux heures h perdre I Ca n'a 6 Pair de rien quand on est occupe, mais quand on n'a rien 5 fairCy (^est autre chose. — Le pavS est gras, la pluie commence h tomber, — heureusement le Palais-Royal n'est pas loin. Au bout du quatorzieme tour de galerie, monsieur regarde sa montre. — Dix heures moins cinq 10 minutes. L'epoux va etre en retard ^ il se precipite et rentre au logis. Dans la cour la voiture est dejh attelie. Dans la chambre a coucher, deux lampes sans abat-jour repandent a torrent la lumiere. Sur les meubles et le lit 15 des montagnes de mousseline et de rubans. — Les robes, les jupons, les pipes et les sous-jupes, les dentelles, les ScharpeSy lesfleurs, les bijoux s' entremelent dans un chaos charmant, — Sur une table les pots de pommade, les batons' de cosmetique, les Spingles a cheveux, les peignes et 20 les brosses sont rang is avec soin. Monsieur, regardant sa montre, — Eh bien, ma chere, es tu coiffee ? Madame, avec impatience. — II me demande si je suis coiflfee ! Ne vois-tu pas que j' attends le coiffeur 25 depuis une heure et demie, un siecle ? Ne vois-tu pas que je suis furieuse, car il ne viendra pas, le miserable ! Monsieur. — Le monstre ! Madame. — Oui, le monstre. Je te conseille de plaisanter. so Lignes annote'es : 1—7. 14^ MA FEMMK VA AU BAt On Sonne, La porte s'ouvre, et lafemme de chambre s'icrie: Madame^ c'estluil Madame. — C'est lui ? Monsieur. — C'est lui ! 5 L' artiste entre h pas prScipitis et salue en rehaussant ses manches, Madame. — Mon cher Sylvani, vous etes insuppor- table. Sylvani. — Desole, desole, mais impossible d'ar- 10 river plus tot. Je coifFe depuis trois heures de I'apres midi. Je quitte la duchesse de V..., qui va ce soir au ministere. Elle m'a fait reconduire dans son coupe, lyisette, donnez-moi les peignes de madame, et mettez les fers au feu. 15 Madame. — Mais, mon cher Sylvani, ma femme de chambre ne s'appelle pas Lisette. SyIvVANi. — Madame comprendra que s'il me fallait retenir le nom de toutes les femmes de chambre qui m'assistent, il me faudrait six clercs au lieu de quatre. 20 Lisette est un joli nom, qui s' applique a toutes ces demoiselles. Lisette, montrez-moi la toilette de ma- dame. — Bon. — Est-ce officiel, ce bal ? Madame. — CoiiFez-moi toujours, Sylvani. SyIvVANi. — II m'est impossible de coiflFer madame 25 sans savoir dans quel milieu ira sa coiflfure. {Au mart, assis dans un coin,) Je prierai monsieur de vouloir bien se mettre ailleurs, je tiens a pouvoir me reculer pour mieux juger de Teflfet. Monsieur. — Comment done, monsieur Sylvani, 30 trop heureux de vous etre agreable. (// va s'asseoir sur une chaise,) Lignps annot^es : 23—24—25. MA FKMMK VA AU BAI. I49 Madame, avec precipitation. — Pas la, mon ami, tu vas froisser ma jupe. {Le mari se live et cherche un aidre si'ige. ) Prends garde derriere toi, tu marches sur mon pouf ! Monsieur, se retournant avec humeur, — Son pouf ! 5 son pouf ! Madame. — Bon, voil^ que tu renverses mes epingles ! Sylvani. — Je demanderai a madame un instant d'immobilite. 10 Monsieur. — Allons, calme-toi, je vais aller dans le salon ; y a-t-il du feu ? Madame, distraite, — Mais, mon ami, comment veux tu qu'on ait fait du feu dans le salon? Monsieur. — Je vais dans mon cabinet, alors. 15 Madame. — II n'y en a pas davantage... Pourquoi veux-tu qu'il y ait du feu dans ton cabinet? Singu- liere idee... Pas mal en I'air, vous savez, Sylvani, et du desordre, c'est la fureur. Syi^vani. — Madame mettra-t-elle une pointe de 20 brun sous Toeil? Cela me permettrait d'idealiser la coiffure. Monsieur, impatiente. — Marie, donnez-moi mon paletot et ma toque. Je vais me promener de long en large daas Tantichambre. {A part,) EUe me le 25 pay era, M"^^ de Lyr. SYI.VANI, crepant, — Je degage I'oreille de Madame, ce serait un meurtre de la voiler. Madame a Toreille de la princesse de K..., que je coiffais hier. lyisette, preparez la poudre... I^es oreilles comme celles de so Madame ne sont pas nombreuses. Lignes annotees : 18—20—26. 150 MA FKMMK VA AU BAt Madame. — Vous dites ? SyIvVAni. — L'oreille de Madame pousserait la mo- destie jusqu'a ne point entendre ? {^Madame est enfin coiffee. Sylvani pousse un nuage 5 liger de poudre odorante sur son ouvrage^ qu'il enveloppe d^un dernier regard de satisfaction, puis il salue et se retire. En passant dans Pantichambre, il heurte Mon- sieur qui se promene, ) SYI.VANI. — Oh ! mille pardons ! agreez mes respects 10 tres humbles. ' MoNSiKUR, du fond de son collet relevS. — Bonsoir ! Un quart d' heure apres, le roulement d'une voiture se fait entendre, Madame est prete. Sa coiffure lui va bien, elle sourit ci la glace en enfongant les baguettes dans 15 ses gants longs et Stroits, Monsieur a manqui son nceud de cravate et arrache trois boutons. Les marques de la plus vive mauvaise humeur sont peintes sur ses traits. Monsieur. — AUons, voyons, descendons, la voi- , 20 ture attend, il est onze heures et un quart. {A part. ) Encore une nuit blanche. . . Fouette, cocher, rue de la Pepiniere, 224 !... On arrive. La rue de la Pepiniere parait en emoi. Des sergents de ville passent rapides au milieu de lafoule. 25 Dans le lointain, des cris confus et des roulements qui s' approchent sefont entendre. Monsieur se pricipite h la porti'^re. Monsieur. — Qu'est-ce qu'il y a, Jean? Le cocher. — Nous y sommes, Monsieur, au 224 ; 30 c'est la qu'est le feu. Le concierge de IvA maison, se dStachant d'un Lignes annotees: 2— ^—21. MA P^KMMK VA AU BAI. I5I groupe et s' approchant de la voiture, — Monsieur se rend sans doute, comme tout le monde, chez M"^^ de Lyr ? — Madame est au desespoir ; mais le feu est chez elle. . . Impossible de recevoir. Madame, avec exaltation. — C^est une indignite ! 5 Monsieur, chantonnant. — Desolant, desolant... {Au cocker.) Retournez d'ou vous venez, et bon train, je tombe de sommeil. (// s'etend dans lefond de la voi- ture et redresse son collet — A part.) Apres tout, j'y ai gagne un perdreau bien cuit. lo GusTAVK Droz. Lignes annoiees : 7—8. MADAME JAMBE PEUT-^TRE allez-vous trouver ce nom quelque pen ridicule. Ne vous hatez pas d'en sourire, cependant, car non seulement celle qui le por- tait etait une brave femme digne de tous les respects, 5 mais encore elle fut, en un jour memorable et tra- gique, une veritable heroine. Je n'en sais pas qui ait deploye plus de vaillance et de sang-froid dans des circonstances plus eflfroyables. II faut d'abord que vous sachiez que M"^^ Jambe, la 10 maman Jambe, comme on I'appelait, avait ete long- temps cantiniere dans un regiment de ligne. En cet emploi, elle s' etait toujours montree maternelle pour le troupier. Aussi, dans le bataillon dont elle faisait partie, ne comptait-elle que des amis. Officiers et sol- 15 dats la veneraient egalement, et, durant le quart de siecle qu'elle passa a Tarmee, en Algerie, ou elle tint longtemps garnison, pendant la campagne d' Italic, oii le regiment fut de toutes les batailles, il n'y cut pas un jour ou elle cut pu se plain dre d' avoir ete victime 20 d'une impertinence ou d'une brutalite. Elle s' etait mariee vers ses trente ans avec un four- rier qui se preparait a quitter le service et qui resta a Lignes annoMes : 11—17. 152 MAdAMK JAMl^K 153 rarmee pour aider sa femme a tenir la can tine. Le menage prospera. La maman Jambe avait plus d'une corde a son arc et savait utilement employer ses loisirs. C'etait une pedicure tres habile. EHe avait aussi appris a coiffer et pouvait rendre service * ' aux dames ' * de messieurs les ofl&ciers. La colonelle, meme aux jours de gala, n'appelait jamais le coiffeur et ne voulait confier ses cheveux qu'a M"'^ Jambe. C'etaient la les petits profits de celle-ci. Comme ils se renouvelaient sous diverses formes et souvent, le menage ne tarda pas 10 a etre a son aise, a realiser de grasses economies dont Texistence n'etait un mystere pour personne, et qui ajouterent encore au prestige dont il jouissait. Apres un an de mariage, M"'^ Jambe avait eu un fils. D' accord avec son mari, elle decida que lui aussi serait 15 soldat. Des qu'il eut atteint Page exige par les regle- ments, il devint enfant de troupe dans le regiment oil servaient ses parents. A seize ans, il s^engagea. Deja rompu a toutes les liabitudes de la vie militaire, il avait, en outre, de 1' intelligence, de T esprit, un coeur 20 plein de droitiire. Tout le monde etait convaincu qu'il aurait une brillante carriere. Le menage Jambe nageait en plein bonheur, quand survint une catastrophe. Le mari mourut subitement en 1869. Ce fut un rude coup pour la femme, un coup 25 si rude que, si elle n'eut ete soutenue par Tespoir d'etre encore heureuse par son fils, elle n' aurait pas survecu a son pauvre mort. Mais son consent, comme elle I'appelait, la rattacha a la vie. Seulement, les fatigues et le chagrin I'avaient precocement vieillie. A son 30 grand regret, elle dut quitter le regiment et se resigner Lignes annoMes : 3—15—17—22—23. 10 ^54 mAdamk jambb a aller s'ensevelir dans le petit village de La Cluse, pres de Pontarlier, ou elle etait nee et possedait encore, sous Tabri du fort de Joux, la maisonnette que lui avaient laissee ses parents. Elle esperait que son fils viendrait Vy voir sou vent. Un an apres sa mise a la retraite, la guerre eclata- Ce fut une autre douleur et plus cruelle encore^ que celle dont elle ne parvenait pas a se consoler. Elle etait patriote la maman Jambe, et elle etait mere. Son pays menace, son fils expose, e'en etait trop. Elle fut alors en proie a une exaltation fievreuse qui ne lui laissa plus ni repos ni treve. Durant cette terrible levee de 1 870-1 871, elle ne par- vint pas a dormir plus de trois heures sur vingt-quatre. Toujours a TaflFut des evenements, elle maudissait la 15 neige et le froid qui separaient son village du reste du monde et rendaient les communications difficiles. Elle passa des semaines sans presque rien savoir ni de la marche de la guerre, ni de son fils. Puis, coup sur coup, elle connut nos defaites et, enfin, elle apprit que 20 I'enfant devenu sergent, quoiqu'il n'eut pas encore dix- huit ans, etait designe pour faire partie de Parmee de TEst qui se formait sous le commandement du general Bourbaki. Des ce moment, et par tous les temps, on la vit fran- cliir tous les jours les quelques kilometres qui separent Pontarlier du village de La Cluse, ou monter au fort de Joux, qui domine la frontiere Suisse. EUe allait aux Lignes annotees : 6—10—14—26. 26 MADAME JAMBK 1 55 nouvelles. Par malheur, les nouvelles etaient rares ou se contredisaient. ly'espoir d'une victoire liberatrice pen a pen s'eteignait dans les ames. Mais, vers la fin de Janvier, brusquement, le bruit se repandit que I'armee de TEst se rapprochait, apres 5 avoir perdu une bataille et cherche en vain a secourir Belfort. Durant pres d'une semaine, M"'^ Jambe attendit, debout sur sa porte, jour et nuit, I'ceil fixe sur la route par laquelle elle esperait voir arriver les Frangais, et son fils parmi eux. On les signalait d'un lo c6te ; mais on signalait les AUemands de P autre, et il devenait de plus en plus probable que si quelque inci- dent n'arretait pas les deux armees, c'est aux environs de Pontarlier qu'elles allaient se rencontrer. Ici je dois et veux ceder la parole a M"'^ Jambe, car, 15 ce qui suit, c'est d'elle que je le tiens. Elle me le raconta quelques mois apres I'evenement. ** Un matin, au petit jour, etant encore couchee, j'entendis du bruit a la porte de la maison, puis, une degringolade de vitres qui se brisent. Je sautai a bas 20 de mon lit en passant ma robe et je m'elangai vers I'en- tree. Je poussai un cri ; mon gargon etait devant moi, et derriere lui trois de ses camarades, mais dans quel etat ! Haves, les joues creuses, la peau toute crevassee par le froid, les vetements en lambeaux, des bottes 25 dont les semelles ne tenaient plus ! '' — Ah ! mon pauvre enfant ! fis-je en ouvrant les bras. ** — Mere, il faut nous cacher, repondit-il. Mon general m'a charge de porter un ordre au commandant so du fort de Joux. Mais les Prussiens barrent la route ; Lignes annotees : 7—10—16—18. 156 MADAMK JAMBK ils nous ont vus ; ils nous poursuivent. II ne faut pas qu'ils me trouvent. *' — Eh parbleu, donne-le-moi ton ordre. Je le por- terai moi, tandis que toi tu resteras ici. Une vieille, 5 ga passe partout. '' Je n'eus pas le temps d'achever. Une fusillade se fit entendre et un homme entra en criant : ' ' — Voila les Prussiens ! *' Je poussai mon gargon et ses amis dans une remise, 10 au fond de laquelle, sous le foin, s'ouvrait la petite cave ou je serrais mon vin. Les Prussiens entrerent. Par la porte ouverte, j'en vis d'autres sur la route. Ils etaient plus de cent. Un jeune ofiicier les commandait. ' ' II vint a moi, arrogant et brutal. 15 '* — C'est vous qui etes M"'^ Jambe ? '' — Cestmoi. '' — Votre fils vient d'entrer dans cette maison... '* — Mon fils ! II est loin d'ici, bandits, si toutefois vous me Tavez laisse vivant. 20 '' — II est ici, j'en suis sur. Allons ! ou est-il ? '* — Cherchez-le. '' II fit un signe. Je fus entouree, mise hors d'etat de bouger, et les soldats se mirent a fouiller la maison, tandis que je me demandais quel 6tait le miserable 25 lache qui avait den once mon gargon. '' Enfin, les brigands le trouverent, lui et ses amis. Je vis revenir les pauvres enfants, pales mais resolus, tout converts du foin dans lequel ils s' etaient caches. Et mon fils, si beau, tant de flamme dans les yeux ! 30 Ah ! c'etait bien mon sang, celui-la ! On chercha sur eux, dans leurs vetements, pour trouver T ordre dont Lignes annot^es: 5—23—30. MADAME JAMBE * 157 son general Tavait charge. Mais Tordre etait verbal. On ne pouvait rien trouver et on ne trouva rien. *** '' L'officier se demenait, s'agitait, fou de rage. Sou- dain, il me dit, en enveloppant les prisonniers d'un geste de fureur : 5 ' ' — Votre fils est-il parmi eux ? ** — II n'y est pas. Et, s'il y etait, je ne I'avouerais pas. * ' II leva sur moi son sabre. Puis, on nous poussa tons pele-mele sur la route. La, il demanda : 10 ' * — Ou est rhomme qui nous a prevenus ? '' — Un de ses compagnons vient de le tuer, mon capitaine, repondit un sergent, en designant un cadavre que je n' avals pas vu, caclie qu'il etait par un buisson. ** C etait le traitre, un franc-tireur qui, pour sauver 15 sa vie, n'avait pas craint de livrer a Tennemi le secret de mon enfant. Du reste, il n'avait pas attendu long- temps son chatiment. *' — L' assassin sera fusille ! s'ecria I'oflScier. '' Puis, regardant d'un air terrible quelques habitants 20 de notre village, qui tremblaient sous les baionnettes abaissees sur eux, il continua : *' — Quelqu'un connait-il le fils Jambe? Allons, repondez, ou je mets le feu a vos bicoques ! ' ' Ah ! les braves gens ! Personne ne repondit. 25 ** — Alors, nous allons voir ! fit l'officier. * * II donna un ordre a voix basse. On me colla au mur, tandis qu'on mettait des armes dans les mains de mon fils et de ses camarades. Lignes annote'es : 4—12—27. 158 • MADAME JAMBE '' Et Fofficier leur dit : ^* — Vous allez obeir au commandement et me fusilier cette femme-la ; et si vous n'obeissez pas, c*est vous qui y passerez. 5 '' Et il excitait ses soldats, qui couchaient en joue les malheureux auxquels il imposait T office de bour- reaux. '' Un cri d'horreur s'etait eleve, auquel succeda un grand silence. Moi, je recommandais mon ame a Dien, 10 en me disant qu'il fallait montrer a ces gens-la com- ment meurent les Frangais, et je regardai mon fils. Mais il ne me vit pas. Ses yeux s'etaient tournes vers ses camarades, comme pour echanger un signe. ** — Abaissez vos armes ! ordonna Tofficier. 15 * * lis obeirent. '' — En joue! ' ' lis me viserent. '' — Feu! ' ' lis firent volte- face. Une detonation retentit qui 20 jeta cinq Prussiens par terre et, parmi eux, leur offi- cier. Et cette detonation etait dominee par la voix de mon gargon, qui surgissait : ' ' — Oui feu ! brigand, mais sur toi et les tiens ! " Une decharge generale des Prussiens exasperes 25 repondit a ce trait d'audace et c'est alors que je tombai, frappee d'une balle a Tepaule. Mais avant de m*eva- nouir, j'eus le temps de voir que mon gargon 6tait reste debout. " J^appris plus tard qu'a ce moment le canon du fort 30 de Joux retentit. Le jour, en se levant, avait eclaire tout a coup les casques a pointe, et le commandant du Lignes annoUes : 3—4—5—16—19. MADAME JAMBK 1 59 fort, jugeant a cette masse d'hommes, vue de loin, qu'il se passait la quelque chose d'anormal, avait envoy e des boulets dans le tas et disperse Tennemi. C'est du reste les canons du fort qui, quelques heures plus tard, cou- vrirent la retraite de Tarmee de TEst quand elle passa 5 en Suisse. ' ' M°^^ Jambe est morte quelques annees apres ces tra- giques evenements. Je me les suis rappeles T autre jour, en apprenant que le fils de cette heroique femme, poursuivant heureusement une carriere commencee 10 avec tant d' eclat, venait d'etre nomme commandant. Erne;st Daudkt. Lignes annotees : 3—5—8. LE GARDE ON racontait des aventures et des accidents de chasse, apres diner. Un vieil ami de nous tous, M. Boniface, grand tueur de betes et grand buveur de vin, un 5 homme robuste et gai, plein d' esprit, de sens et de phi- losophic, d'une philosophic ironique et resignee, se manifestant par des droleries mordantes et jamais par des tristesses, dit tout a coup : — J'en sais une, moi, une histoire de chasse, ou 10 plut6t un drame de chasse assez singulier. II ne res- semble pas du tout a ce qu'on connait dans le genre ; aussi je ne Tai jamais raconte, pensant qu'il n'amuse- rait personne. II nest pas sympathique, vous me comprenez? Je veux dire qu'il n'a pas cette espece 15 d'interet qui passionne, ou qui charme, ou qui emeut agreablement. Enfin, voici la chose. J* avals alors trente-cinq ans environ, et je chassais comme un furieux. En ce temps-la, je possedais une terre tres isolee dans les environs de Jumieges, entouree 20 de forets et tres bonne pour le lievre et le lapin. J'y Lignes annotees : 7—19. 160 I,B GARDK l6l allais passer tout seul quatre ou cinq jours par an seu- lement, Tinstallation ne me permettant pas d'amener un ami. J'avais place 1^, comme garde, un ancien gendarme en retraite, un brave homme, violent, severe sur la 5 consigne, terrible aux braconniers, et ne craignant rien. II habitait tout seul, loin du village, une petite maison, ou plut6t une masure composee de deux pieces en bas, cuisine et cellier, et de deux chambres au pre- mier. Une d'elles, une sorte de case juste assez grande lo pour un lit, une armoire et une chaise, m'etait reservee. Le pere Cavalier occupait 1' autre. En disant qu'il etait seul en ce logis, je me suis mal exprime. II avait avec lui son neveu, une sorte de chenapan de quatorze ans, qui allait aux provisions au is village eloigne de trois kilometres et aidait le vieux dans les besognes quotidiennes. Ce garnement, maigre, long, un peu crochu, avait des clieveux jaunes si legers qu'ils semblaient un duvet de poule plumee, si rares qu'il avait I'air chauve. II 20 possedait en outre des pieds enormes et des mains geantes, des mains de colosse. II louchait un peu et ne regardait jamais personne. Dans la race humaine, il me faisait Teflfet de ce que sont les betes puantes chez les animaux. C etait un putois ou un renard, ce 25 galopin-la. II couchait dans une sorte de trou au haut du petit escalier qui menait aux deux chambres. Mais, pen- dant mes courts sejours au Pavilion, — j'appelais cette masure le Pavilion, — Marius cedait sa niche a une vieille so femme d'Ecorcheville, nommee Celeste, qui venait me Lignes annoMes: 4—14—16—18-20—22—25. 1 62 I,E GARDE faire la cuisine, les ratas du pere Cavalier etant par trop insuffisants. Vous connaissez done les personnages et le local. Voici maintenant I'aventure : 5 C'etait en 1854, le 15 octobre, je me rappelle cette date et je ne Toublierai jamais. Je partis de Rouen a cheval, suivi de mon chien Bock, un grand braque du Poitou, large de poitrine et fort de gueule, qui buisson- nait dans les ronces comme un epagneul de Pont- ic Audemer. Je portais en croupe mon sac de voyage, et mon fusil en bandouliere. C'etait un jour froid, un jour de grand vent triste, avec des nuages sombres courant dans le ciel. 15 En montant la cote de Canteleu, je regardais la vaste vallee de la Seine que le fleuve traversait jusqu'a 1' ho- rizon avec des replis de serpent. Rouen, a gauche, dressait dans le ciel tons ses clochers et, a droite, la vue s'arretait sur les cotes lointaines couvertes de bois. 20 Puis je traversai la foret de Roumare, allant tantot au pas, tantot au trot, et j'arrivai vers cinq heures devant le Pavilion, ou le pere Cavalier et Celeste m'atten- daient. Depuis dix ans, a la meme epoque, je me presentais 25 de la meme fagon, et les memes bouches me saluaient avec les memes paroles. — Bonjour, notre monsieur. I^a sante est-elle satis- faisante ? Cavalier n'avait guere change. II resistait au temps 30 comme un vieil arbre ; mais Celeste, depuis quatre ans surtout, etait devenue meconnaissable. KUe s'etait a Lignes annotees : 1—7—9—12— 15—17—20. LK GARDE 163 peu pres cassee en deux et, bien que toujours active, elle marchait le haut du corps tellement penche en avant qu'il formait presque un angle droit avec les jambes. La vieille femme, tres devouee, paraissait toujours 5 emue en me revoyant, et elle me disait, a chaque depart : — Faut penser que c'est p't-etre la derniere fois, notre cher monsieur. Et r adieu desole, craintif, de cette pauvre servante, 10 cette resignation desesperee devant P inevitable mort surement prochaine pour elle, me remuait le coeur chaque annee, d'une etrange fagon. Je descendis done de cheval, et pendant que Cavalier, dont j' avals serre la main, menait ma bete au petit i^ batimentquiservait d'ecurie, j'entrai, suivi de Celeste, dans la cuisine, qui servait aussi de salle a manger. Puis le garde nous rejoignit. Je vis, du premier coup, qu'il n'avait pas sa figure ordinaire. II semblait preoccupe, mal a Taise, inquiet. Je lui dis : 20 — Eh bien, Cavalier. Tout marche-t-il selon votre desir ? II murmura : — Y a du oui et y a du non. Y a bien de quoi qui ne me va guere. 25 Je demandai : — Qu'est-ce que c'est done, mon brave? Contez- moi ga. Mais il hochait la tete : — Non, pas encore, monsieur. Je ne veux point vous ^^ fatiguer comme ga a Tarrivee, avec mes tracasseries. LiQ nes annotees : 2—8—15—24—25. 164 I.E GARDE J'insistai; mais il refusa absolument de me mettre au courant avant le diner. A sa tete, cependant, je comprenais que c'etait grave. Ne sachant plus quoi lui dire, je pronoufai : 6 — Et ce gibier ? En avons-nous ? — Oh ! pour du gibier, oui, y en a, y en a ! Vous en trouverez a volonte. Grace a Dieu, j'ai eu Toeil. II disait cela avec tant de gravite, avec une gravite si desolante qu'elle devenait comique. Ses grosses 10 moustaches grises avaient Tair pretes a tomber de ses levres. Tout a coup, je m'avisai que je n'avais pas encore vu son neveu. — Et Marius, ou est-il done ? Pourquoi ne se mon- 15 tre-t-il pas ? Le garde eut une sorte de sursaut et, me regardant brusquement en face : — Eh bien, monsieur, j'aime mieux vous dire la chose tout de suite; oui, j'aime mieux: c'est rapport 20 a lui que j'en ai sur le coeur. — Ah ! ah ! Eh bien, ou est-il done? — II est dans Tecurie, monsieur, j'attendais le mo- ment pour qu'il paraisse. — Qu'est-ce qu'il a done fait? 25 — Voila la chose, monsieur. Le garde hesitait cependant, la voix changee, trem- blante, la figure creusee soudain par des rides pro- fondes, des rides de vieux. II reprit lentement : 30 — Voila. J'ai bien vu, cet hiver, qu'on coUetait dans le bois des Roseraies, mais je ne pouvais pas Lignes annotees : 6—7—20—30. m GARDE 165 pincer rhomme. J'y passai des nuits, monsieur, encore des nuits. Rien. Et, pendant ce temps-la, on se mit a colleter du cote d'Ecorcheville. J'en maigrissais de depit. Mais, quant a prendre le maraudeur, impos- sible! On aurait dit qu'il etait prevenu de mes mar- 5 ches, le gueux, et de mes projets. Mais v'la qu'un jour, en brossant la culotte a Marius, sa culotte des dimanches, je trouvai quarante sous dans sa poche. Ou avait-il eu ga, le gars? J'y reflechis bien huit jours, et je vis qu'il sortait ; il sortait juste 10 quand je rentrais au repos, oui, monsieur. Alors je le guettai, mais sans me douter de la chose. Et, comme je venais de me coucher devant lui, un matin, je me relevai incontinent, et je le suivis. Pour suivre, il n'y en a pas un comme moi, monsieur. Et 15 v'la que je le pris, oui, Marius, qui coUetait sur vos terres, monsieur, lui, mon neveu, moi, votre garde ! Le sang ne m'en a fait qu'un tour et j'ai failli le tuer sur place, tant j'ai tape. Ah ! oui, j'ai tape, allez ! et je lui ai promis que quand vous seriez la, il en aurait 20 une en votre presence, de correction, de ma main, pour I'exemple. Voila; j'en ai maigri de chagrin. Vous savez ce que c'est quand on est contrarie comme 9a. Mais qu'est-ce que vous auriez fait, dites? II n'a plus ni 25 pere ni mere, ce gars, il n'a plus que moi de son sang, je Tai garde, je ne pouvais point le chasser, n'est-ce pas ? Mais je lui ai dit que s'il recommence, c'est fini, fini, plus de pitie. Voila. Est-ce que j'ai bien fait, monsieur ? 30 Je repondis en lui tendant la main : Lignes annoUes : 1—6—7—18—19. 1 66 I,K GARDK — Vous avez bien fait. Cavalier, vous etes tin brave homme. II se leva. — Merci bien, monsieur. Maintenant je vais le que- 5 rir. II faut la correction, pour exemple. Je savais qu'il etait inutile d'essayer de dissuader le vieux d'un projet. Je le laissai done agir a sa guise. II alia chercher le galopin et le ramena en le tenant par I'oreille. J'etais assis sur une chaise de paille, 10 avec le visage grave d^un juge. Marius me parut grandi, encore plus laid que T autre annee, avec son air mauvais, sournois. Et ses grandes mains sem- blaient monstrueuses. Son oncle le poussa devant moi, et, de sa voix mili- 15 taire : — Demande pardon au proprietaire. lyC gars ne dit point un mot. Alors, Tayant saisi sous les bras, Tancien gendarme le souleva de terre, et il se mit a le fesser avec une telle 20 violence que je me levai pour arreter les coups. L' en- fant maintenant hurlait : — Grace ! grace ! grace ! je promets... Cavalier le reposa sur le sol, et le forgant, par une pesee sur les epaules, a se mettre a genoux : 25 . — Demande pardon, dit-il. lyC garnement murmurait, les yeux baisses : — Je demande pardon. Alors son oncle le releva et le congedia d'une gifle qui faillit encore le culbuter. II se sauva et je ne le re vis pas de la soiree. Mais Cavalier paraissait atterre. — C'est une mauvaise nature, dit-il. Lignes annote'es : 19—24—28. 30 LE GARDE I67 Et, pendant tout le diner, il repetait : — Oh ! ga me fait deuil, monsieur, vous ne savez pas comme ga me fait deuil. J'essayai de le consoler, mais en vain. Et je me couchai de bonne heure pour me mettre en chasse au 5 point du jour. Mon chien dormait deja sur le plan- cher, au pied de mon lit, quand je soufflai ma chandelle. Je fus reveille vers le milieu de la nuit par les aboie- ments furieux de Bock. Et je m'apergus aussitot que ma chambre etait pleine de fumee. Je sautai de ma 10 couche, j'allumai ma lumiere, je courus a la porte et je I'ouvris. Un tourbillon de fumee entra. I^a maison brlilait. Je refermai bien vite le battant de gros chene, et, ayant passe ma culotte, je descendis d'abord par la 15 fenetre mon chien, au moyen d'une corde faite avec mes draps roules, puis, ayant jete dehors mes vete- ments, ma carnassiere et mon fusil, je m'echappai a mon tour par le meme moyen . Et je me mis a crier de toutes mes forces : 20 — Cavalier ! Cavalier ! Cavalier ! Mais le garde ne se reveillait point. II avait un dur sommeil de vieux gendarme. Cependant, par les fenetres d'en bas, je voyais que tout le rez-de-chaussee n' etait plus qu'une fournaise 25 ardente ; et je m'apergus qu'on I'avait empli de paille pour favoriser I'incendie. Done on avait mis le feu ! Je recommengai a crier avec fureur : — Cavalier ! AloYS la pensee me vint que la fumee Tasphyxiait. so J'eus une inspiration et, glissant deux cartouches dans Lignes annotees : 2—14—25. 1 68 tn GARDK mon fusil, je tirai un coup en plein dans sa fenetre. Les six carreaux jaillirent dans la chambre en pous- siere de verre. Cette fois, le vieux avait entendu, et il apparut effare, en chemise, affole surtout par cette 5 lueur qui eclairait violemment tout le devant de sa demeure. Je lui criai : — Votre maison brule. Sautez par la fenetre, vite, vite ! Les flammes, sortant brusquement par les ouvertures 10 d'en bas, lechaient le mur, arrivaient a lui, allaient Tenfermer. II sauta et tomba sur ses pieds, comme un chat. II etait temps. I^e toit de chaume craqua par le milieu, au-dessus de I'escalier qui formait, en quelque sorte, une cheminee au feu d'en bas; et une immense 15 gerbe rouge s'eleva dans lair, s'elargissant comme un panache de jet d'eau et semant une pluie d'etincelles autour de la chaumiere. Et, en quelques secondes, elle ne fat plus qu'un paquet de flammes. Cavalier, alterre, demanda : 20 — Comment que ga a pris ? - Je repondis : — On a mis le feu dans la cuisine. II murmura : — Qui a pu mettre le feu ? 25 Et moi, devinant tout a coup, je pronongai : — Marius ! Et le vieux comprit. II balbutia : — Oh ! Jesus-Marie ! C'est pour ga qu'il n'est pas rentre ! 30 Mais une pensee horrible me tra versa 1' esprit. Je criai : Lignes annoMes : 1—2—16—19 — 20. I^K GARDK 169 — Et Celeste? Celeste? II ne repondit pas, lui, mais la maison s'ecroula devant nous, ne formant deja plus qu'un epais brasier, eclatant, aveuglant, sanglant, un bucher formidable, ou la pauvre femme ne devait plus etre elle-meme 5 qu'un charbon rouge, un charbon de chair humaine. Nous n'avions point entendu un seul cri. Mais, comme le feu gagnait le hangar voisin, je son- geai tout a coup a mon cheval, et Cavalier courut le delivrer. A peine eut-il ouvert la porte de Tecurie 10 qu'un corps souple et rapide, lui passant entre les jambes, le precipita sur le nez. C'etait Marius, fuyant de toutes ses forces. L'homme, en une seconde, se releva. II voulut courir pour rattraper le miserable ; mais, comprenant is qu'il n'y parviendrait point, et aflfole par une irresis- tible fureur, cedant a un de ces mouvements irreflechis, instantanes, qu'on ne saurait ni prevoir ni retenir, il saisit mon fusil reste par terre, tout pres de lui, epaula et, avant que j'eusse pu faire un mouvement, il tira 20 sans savoir meme si Tarme etait chargee. Une des cartouches que j' avals mises dedans pour annoncer le feu n' etait point partie ; et la charge attei- gnant le fuyard en plein dos le jeta sur la face, convert de sang. II se mit aussitot a gratter la terre de ses 25 mains et de ses genoux comme s'il eut voulu encore courir a quatre pattes, a la fagon des lievres blesses a mort qui voient venir le chasseur. Je m'elangai. L'enfant ralait deja. II expira avant que fut eteinte la maison, sans avoir prononce un mot. 30 Cavalier, toujours en chemise, les jambes nues, restait Lignes annotees : 16—25. lyo I.E GARDE debout pres de nous, immobile, hebete. Quand les gens du village arriverent, on emporta mon garde, pareil a un fou. Je parus au proces comme temoin, et je racontai les faits par le detail, sans rien changer. Cavalier fut acquitte. Mais il disparut, le jour meme, abandonnant le pays. Je ne I'ai jamais revu. Voila, messieurs, mon histoire de chasse. Guy dk Maupassant. MARINETTE POUR avoir oublie qu'un corps rond place sur une surface plane est sujet a rouler, Marinette sen tit se derober sous elle la buche sur laquelle elle etait assise et se trouva sur le carreau. Sa mere, la Faraude, se mit a rire. La mere se tenait de 1' autre 5 cote du foyer vide, sur un siege qui ne meritait plus le nom de chaise, puisqu'il n'avait plus de dossier. C etait, d'ailleurs, le seul meuble que Thuissier eut laisse dans la chambre, precisement parce que cela ne pouvait plus passer que pour un trongon de meuble ; 10 on ne parle point du lit, que la loi ne dispute pas aux miserables, afin qu'ils aient de quoi chercher I'oubli et tromper la faim dans le sommeil. L'liuissier, qui etait humain, avait egalement epar- gne la batterie de cuisine : une casserole, deux tasses, 15 deux cuillers et deux fourchettes de fer, deux pots, un grand et un petit ; il avait ferme les yeux sur les nippes : quelques loques de linge, une jupe et un cor- sage noirs, un chapeau de deuil, appartenant a la mere, une robe et un petit manteau de laine grise, un chapeau 20 de bergere en paille, de six sous, orne de rubans blancs, qui composaient les atours printaniers de Marinette. Lignes annotees : 5—8—17—22. 171 172 MARINETTE Sans compter les debris que portaient sur elles la Faraude et sa fiUe : Marinette, un fourreau de merinos rapiece, dont la couleur n'aurait plus trouve de nom sur aucune palette ; la mere, une autre jupe noire et 5 un tartan vert et jaune dont elle se drapait a la romaine dans la chambre nue et glacee, car on etait en de- cembre. Marinette rattrapa sa buche et s'y assujettit plus solidement. C^etait un enorme rondin de chene, et son 10 siege a elle. Depuis Tautomne, depuis les derniers soleils qui avaient eclaire le commencement de leur grande misere, elle n'en avait plus connu d' autre; sa mere avait le debris de la chaise, et toutesdeux demeu- raient ainsi des journees entieres, assises chacune d'un 15 cote du foyer, sans savoir pourquoi elles avaient choisi cette place, car dans ce foyer on n^aurait pas trouve une pincee de cendre ; jamais il n*y avait eu de feu. Elles ne cessaient presque point de se regarder, se cherchant Tune dans les yeux de T autre. Marinette 20 se levait, courait embrasser sa mere, et ce long baiser fini, la Faraude avait les paupieres humides. Mari- nette regagnait sa buche en souriant. Elles se ressemblaient exactement : memes lignes du corps svelte et robuste, memes cheveux d'un noir 25 intense, memes yeux brillants, d'un bleu sombre, meme bouche, aux levres toutes pleines d'un beau sang rouge, la mere ayant dix-huit ans et quelques mois de plus que sa fille, et, dans leurs grands embrassements, tour- mentee d'une seule pensee : — '' Pourquoi, quand 30 j'etais moi-meme presque une enfant encore, ai-je mis cette enfant au monde ? ^' Lignes annoMes : 2—5—17—25. MARINETTE 173 Ce jour-la, comme midi sonnait a Tiiorloge d'une eglise voisine, la Faraude, sans quitter son siege, eten- dit la main dans 1' ombre, au coin de la cheminee, en ramena le grand pot, y fouilla, y prit deux pieces de deux sous, et, les presentant du bout des doigts a sa 5 filler — Marinette, va-t-en chercher notre dejeuner. Deux sous de lait et deux petits pains. II n y a plus que douze sous dans le pot. * * Marinette, naturellement, portait le petit pot, puisque 10 le grand servait de tirelire. EUe tra versa le couloir des mansardes, d'ou sortaient des pleurs et des cris d'enfants. La fiUette plaignit ces petits qui avaient faim peut-etre et se dit fierement qu'on supportait mieux cette peine-la quand on etait grande. 15 Cette maison de pauvres etait situee dans la rue Saint-Jacques ; des etudiants logeaient en meuble au premier etage. Comme la fiUette descendait, il s*en trouva deux qui sortaient de leurs chambres, et Tun dit assez haut : 20 — Peste ! la belle enfant ! — Bon! dit I'autre, c'est la soeur ainee qu'il faut voir ! Marinette avait entendu ; elle eut une joie a la pensee que sa mere etait jeune et belle, et qu'on la prenait 25 pour sa soeur. Chez la cremiere, qui tenait boutique au rez-de- chaussee, il y avait des commeres. On chuchota en Lignes annoMes : 11—17. 174 •► MARINETTK voyant entrer la mignonne. La cuisiniere d'un pro- fesseur de droit s'avanga avec des mines maternelles : — Vous venez done chereher vos deux sous de lait comme tous les matins, ma jolie demoiselle ? On a de 5 Tappetit quand on est jeune ! Quel age avez-vous ? Marinette ne voulait point causer. — Quatorze ans, repondit-elle ; a revoir, madame ; je vais a present chez le boulanger. — Excusez-moi. On aime a connaitre les braves 10 gens ; histoire, quelquefois, de leur rendre service a r occasion. Est-ce vrai que votre maman est comtesse ? La fiUette se redressa toute rouge. — Je ne mens jamais, dit-elle : c'est vrai, madame. — Et votre papa ? Vous I'avez done perdu ? 15 — Mon pere etait soldat ; il est mort. La Faraude, qui etait comtesse, et sa fiUe qui, deja, sentait qu'etant si pauvre il y avait un peu de honte a le dire, dejeunerent avidement, et chacune ayant pose sa tasse aupr^s d'elle sur le carreau, elles recommen- cerent a se regarder ; mais les yeux de Marinette par- laient si vivement qu'un franc sourire monta du cceur dechire de la veuve a sa levre si vivante. — Ah ! oui, ma cherie, dit-elle, Thistoire ? tu me demandes encore I'histoire ? — C'est vrai, maman joli«, dit Marinette, dont les yeux sombres s'allumerent ; j^aime beaucoup a en- tendre dire que M""^ la marquise d'Aigrecour est ma grand' mere, et qu'elle te de teste, parce qu'alors, moi, je t'aime mieux ! Lianes annot^es: 2—10—20—26. 20 25 MARIN KTTK 175 — ficoute done. J'etais la Faraude. On m'avait donne ce nom-la dans le village, aupres de Dole, la- bas, parce que j'etais la plus belle et la plus fiere. Aussi grande vers dix-huit ans qu'a present, et bien plus forte, va, car je n' avals jamais eu de misere ! Un 5 jour, le regiment de chasseurs, qui tenait garnison dans la ville, passa et fit halte chez nous. On m'avait dit le matin d'aller faner notre pre ; je travaillais sous le soleil. Ton pere vint, et il me parla. Lui, alors, avait vingt-trois ans et un galon d' argent a son kepi ; 10 il etait sous-lieutenant. La trompette sonna ; mais nous n'etions qu'a deux lieues de Dole : il revint. On me disait dans le village de me defendre de lui, parce qu'un beau monsieur, un comte qui toume autour d'une jeunCvSse, ne pent avoir d'autre dessein que de la 15 perdre. Lui me suppliait de ne pas les croire et me jnrait qu'il n'avait jamais trompe personne ; il m'ai- mait et voulait faire de moi sa femme. Quand le colo- nel apprit cela, il le mit aux arrets longtemps. Les ofl&ciers riaient quand ils passaient pres de moi, dans la 20 rue. L'un d'eux, qui etait son parent, vint me trouver, me menagant, disant que c' etait une mechante action d' abuser d'un gargon simple d' esprit, et que le marquis et la marquise d' Aigrecour me feraient repentir de ma hardiesse. Un jour, il me revint. II avait quitte ses 25 galons ; il n' etait plus officier et il avait vingt-cinq ans. II etait son maitre. II m'epousa et m'amena a Paris, ou tu vins au monde. Depuis, ah ! depuis, le comte d' Aigrecour a travaille comme un mercenaire pour nourrir sa femme et son enfant. Au regiment, ils 30 disaient qu'il n'avait point d'esprit II en eut toujours Lignes annotees : 5—14—19—24—28. 176 MARINKTTK assez pour moi, la paysanne, et il etait riche de coeur. Je I'ai aime jusqu'a la fin. Void deux ans, et jamais il n'y aura que toi que j'aimerai plus au monde. Le marquis nous aurait pardonne, peut-etre ; il etait bon ; 5 mais il est tombe en paralysie, et la mere... Je te dis que cette vieille femme est une louve ! Ni foi, ni ame, ni entrailles ! Pire que les louves, qui nourrissent au moins leurs petits ! Je lui ai ecrit dix fois, car je veux que tu vives ! Jamais de reponse, jamais un mot ! 10 Dieu I'a punie pourtant en lui prenant aussi son aine. C'est le fils de celui-la qui est marquis a present. C'est lui qui aura les maisons, les terres et Targent. Nous, dans trois jours, nous mourrons de faim !... Et la Faraude mit ses mains devant ses yeux et ^^ pleura. * * * La Faraude, le lendemain, se reveilla frissonnante dans le lit qu'elle partageait avec sa fiUe. Pourtant, elle essaya de se lever. Elle allait chancelante, le regard fixe et brulant, a travers la chambre, de la croi- 20 see dont les vitres nues lui permettaient de voir le givre sur les toits voisins a ce lit encore chaud ou Marinette la suppliait de rentrer. La mere obeit ; la fiUette s'assit a son chevet, sur la chaise branlante. La malade, tremblant la fievre, se 25 mit a regarder obstinement le foyer ; elle eut une plainte soudaine : — Je n'ai pas vu de feu depuis un an ! disait-elle. Les souvenirs de Marinette etaient confus a ce sujet. Lignes annoi^es : 3—6—18—23—24. MARINKTTK 1 77 Le front plisse, elle cherchait a les recueillir, exami- nant le foyer, regardant sa buche. Tout a coup, elle se leva, prit a son tour le grand pot, au coin de la che- minee, et resolument, ayant puise dans la caisse, sortit de la chambre sans mot dire. Un instant apres, elle 5 reparaissait, portant deux buchettes et quelques brin- dilles de menu bois. La malade, toute joyeuse, Tappela pour I'embrasser. II y avait maintenant de quoi dresser le feu ; mais, quand les materiaux sont maigres, Toperation est deli- 10 cate. De son lit, la mere, heureusement, la dirigea : la grosse buche au fond du foyer, les blichettes par devant, le menu bois par dessous, et du papier. Mari- nette brula mal a propos trois allumettes ; mais, enfin, la flamme jaillit. 15 L' enfant considerait son ouvrage ; elle en etait etonnee. La chambre s'echauflfait doucement, la grosse buche commengait a se creuser. II vint a Mari- nette une reflexion : — Voila qui est bien, maman, dit-elle. Mais je 20 n'aurai plus ma buche. Ou done m'assoirai-je quand tu seras guerie ? — Je resterai peut-etre longtemps au lit, et c'est toi qui auras la chaise, repondit la malade. Oh ! ne t'in- quiete pas, mignonne ; je ne veux pas mourir, ne fut-ce 25 que pour etre bien sure que tu vivras ! Puis, r ayant encore embrassee une fois, la malade s'endormit. Marinette, sans faire de bruit, s'en alia prendre sa vieille robe et son vieux manteau de laine grise. Elle regarda son chapeau de paille a rubans 30 blancs. Puis, elle se determina : il valait encore mieux Lignes annotees: 14 — 25. 178 MARINK'T'TK se coiffer de paille que d'aller tete nue. Cette belle toilette achevee, elle sortit. II neigeait. EUe obeissait a une inspiration soudaine, la fillette. Un rayon de lumiere dont le foyer etait dans son coeur 5 la guidait, un moment apres, a travers le jardin du Luxembourg. EUe sonna sans peur, presque sans emotion, a la porte d'un vieil hotel de la rue de Vaugi- rard et, de sa jolie voix fraiche de treize ans, demanda au concierge : 10 — Madame la marquise d'Aigrecour est-elle a la niaison ? Le concierge ne lui marchanda pas un sourire indul- gent : — Madame la marquise y est to uj ours pour les 15 bonnes oeuvres, repondit-il ; passez, petite. Dans le vestibule se tenait le valet de pied en livree bleu et or. Ce potentat n'avait point la meme inclina- tion de douceur que le concierge envers les petites gens. Rudement, il dit : 20 — Que voulez-vous ? — Je suis mademoiselle Marie d'Aigrecour, et je veux voir ma grand' mere. Un autre valet, tres vieux, celui-la, en habit noir et cravate blanche, arrivait et entendit la reponse de la 25 petite visiteuse. D'un signe, il ecarta le brutal. On vit bien qu'il avait un rang superieur a 1' office. Et, s'adressant a Marinette : — Si vous etes la fiUe de monsieur Frederic, lui dit-il en baissant la voix, rappelez-vous toujours le i^o nom de son vieux Jerome, qui se serait fait tuer pour lui et qui va peut-etre bien perdre sa place pour vous. Lignes annotees : 1—12—17—26—30. MARINKTTB 179 Puis, precedant 1' enfant, ouvrant une porte devant elle, il annonga : — Mademoiselle d'Aigrecour ! Dans le salon immense ou Marinette entra, 11 n'y avait que deux personnes : une vieille dame tres paree, 5 assise au coin de la cheminee, dans un fauteuil ; dans r embrasure d'une croisee, devant une table, un jeune homme de quinze a seize ans qui lisait. II se leva pre- cipitamment. La marquise ne bougea point. Marinette s'avangait dans son pauvre petit manteau 10 etrique sous son miserable chapeau de prin temps. EUe avait fait son plan a I'avance : elle devait aller jusqu'a la marquise, se mettre a genoux devant elle et lui baiser la main. Mais, quand elle la vit immobile, quand elle reconnut tant de durete dans cette vieille is personne, toute la richesse de sang qui etait en elle se revolta : — Madame, dit-elle, je ne vous demande rien; je suis venue seulement pour vous dire que mon pere, qui etait votre fils, est mort a la peine, et que ma mere se 20 meurt de faim. Cette fois, la marquise se leva. EUe etait extreme- ment grande, et sa taille etait encore droite. Dans ses vetements de satin noir, elle laissait derriere elle, en marchant, comme un sillage d' ombre. Elle passa 25 devant la fiUette, sans meme la regarder, se dirigeant vers une porte qui donnait dans un autre salon ; mais, arrivee la, elle se retouma : — Venez, mon fils, dit-elle. I^e jeune homme secoua la t^te. so lAgnes annoMes : 10—16—20—25, l8o MARINETI^K — Non, ma mere, dit-il, ce n'est pas ce que me dicte ma conscience, a moi. — Votre conscience de seize ans qui veut eclairer la mienne ! interrompit la marquise. 5 — S'il vous plait, ma mere, et au nom du veritable honneur de notre maison, reprit-il, mademoiselle d' Ai- grecour sera reconduite chez elle par une personne sure ; mais auparavant vous aurez ordonne ce qu'il faut pour lui assurer une vie plus decente. 10 — Soit, dit la vieille dame implacable, puisque, enfin, on m*y contraint ! ^% Marinette en avait long a conter, quand elle revint au logis du froid et de la faim, pres de sa mere qui s'eveillait. Son cousin le marquis 1' avait fait asseoir 15 au salon, dans le fauteuil meme de la mechante grand'- mere, pendant que, dans la piece voisine, il continuait d'interceder pour elle; puis il avait reparu, Tavait prise par la main et conduite a la voiture ou Jerome etait monte avec elle. Au moment de la quitter, ce 20 vieux Jerome, qui avait si bien su la proteger, lui avait remis un portefeuille. Le portefeuille fut ouvert : il contenait vingt billets de mille francs. La Faraude promenait ses doigts avec delices sur ces 25 papiers si doux au toucher; elle se disait que ce n' etait qu'une partie de 1' heritage dont sa fille, a present, ne risquait plus tant d'etre depouillee. Et puis, elle se mit a rever. Ce petit cousin etait un Lignes annot^es : 3—12—24—27—28. MARINEI^E iBl brave coeur, il avait trouve Marinette attachante et belle, et qui commit I'avenir ? EUe, qui n'etait qu'une paysanne, elle, la Faraude, un d' Aigrecour 1' avait bien aimee ! Secouant alors ce beau songe, elle dit a Marinette : — C'est toi qui nous a sauvees, ma mignonne ! La fillette se mit a rire. — Maman, dit-elle, si nous n'avions pas brule ma buche, je n'y aurais pas pense. Paul Perret, Lignes annoUes : 3—5. L^ENFANT C'J&TAIT le 12 brumaire de Tan II. Sous un del livide charge de neige, Delphine, ci-devant comtesse d'Athis, enveloppee d'un epais mati- teau, descendait de fiacre sur le Pont-Neuf, au pied 5 d*un arbre de la Liberie que coiflFait un bonnet rouge. Aussit6t un homtne, adosse au socle d'ou Ton venait d'arracher la statue d'Henri IV, s'approcha d'elle et, retirant son bonnet de fourrure, salua avec courtoisie. Ses cheveux etaient coupes a la Titus. II etait vetu 10 d'une carmagnole, en guenilles, sans cravate. Elle reconnut sous cet habit M. Despres, naguere avocat au Parlement, et le plus jeune de tous. — Maurice, lui dit-elle, vous etes tout a fait comme il faut. Mais le salut ne va pas avec le costume. Je 15 vous ai demande de vous trouver ici, Maurice, pour me conduire au tribunal revolutionnaire. — Moi, Delphine, vous conduire aux bourreaux? — Vous savez bien que c'est aujourd'hui qu41s jugent mon vieil ami Lefebvre, accuse de federalisme. 20 — ^Je le sais, Delphine, et je sais qu'il ne vivra plus demain . Lignes annoiees: 1—2—9—10—13—14—16. I^* ENFANT 183 — Et moi, Maurice, je sais seulement que je lui dois mon temoignage. Je I'ai entendu, des le 12 juillet 91, se prononcer pour la Republique ; je puis prouver qu'a cette epoque on lui a oflFert la place de gouverneur du dauphin, et qu'ill'a refusee, contre mes avis d'ailleurs, J'ai mille preuves de son patriotisme et je les apporte a 5 ses juges. — lis ne vous ecouteront pas. J^crivez, faites parler, mais n'allez pas la. EUe le regarda d'un air suppliant : 10 — Mon ami, ne me faites pas peur ; si vous saviez comme les foules m'eflfraient et quelle peine j'ai a faire mon devoir... J'y vais en tremblant et parce qu'il le faut. — Moi ! vous conduire a votre perte ! 15 — Puisque vous m'aimez, Maurice, vous ne voudriez pas que je sois lache ! — Ce que vous tentez est si inutile ! — II n'est pas inutile de faire son devoir. Je ne vous cache rien. Je vous ai montre ma faiblesse. Mais 20 vous-meme, que pen seriez- vans de moi si, cedant a vos conseils, je retournais dans ma petite maison d' Auteuil ? — AUons ! s'ecria Maurice Despres. Elle lui prit le bras et ils suivirent le quai en parlant a voix basse de I'homme que son courage avait conduit 25 au sanglant tribunal. — Notre ami, dit M^"® d'Athis, s'etait cache rue du Mail, chez une excellente femme, M°^® Aubry, a qui j'achetais des dentelles. lya retraite etait sure. Mais Lefebvre la quitta pour ne pas compromettre sa bien- 30 faitrice. II put sortir de Paris et gagner Sevres ; mais Idgnes annotees : 1—5. 184 I^'KNFANT il fut reconnu dans un cabaret de ce village par de$ jacobins qui le ramenerent a Paris et le firent enfermef a la Bourbe, d'ou il a ete transfere a la Conciergerie pour etre juge. 5 — Je vous remercie, Delphine, de m avoir appele pres de vous. — Je ne pouvais appeler que celui que j'aime, a partager mes dangers. Comme ils tournaient Tangle que fait la tour carree 10 de la grosse horloge, ils virent une multitude d'hommes armes s'agiter devant les grilles du Palais de Justice. Alors elle quitta le bras de M. Despres. — Ne me quittez pas des yeux, Maurice. Je n'aurais plus de courage si je ne me sentais plus sous votre 15 regard. Mais dans mon inter^t et pour mon salut, ne m'accompagnez pas de maniere a etre vu avec moi. Que j'aie Pair d'etre seule. Mon instinct m'avertit que je serai moins en danger si je me livre seule aux betes. 20 Sous la douceur imperieuse du regard de Delphine, il s'arreta et puis, ay ant franchi la grille, il suivit de loin la jeune femme qui traversait la cour du Palais de Justice au milieu des sabres et des piques. La foule etait presque impenetrable sur les degres 25 du grand escalier qui donnait acces aux diverses salles du tribunal revolutionnaire. De cette foule en sabots, en carmagnole, en bonnet rouge, montaient des chants et des cris. On parlait dans les groupes de justice sommaire et 30 de massacres en bloc ; on accusait la lenteur du tribunal, trop enclin a sauver les coupables. Des Lignes annotees : 2—3—10. 1,'KNFANT 185 marchands de joumaux parcouraient la foule en criant : c( Voil^ la liste des gagnants h la loterie de la tres sainte guillotine , Qui veut voir la liste f ... Demandez la grande trahison de Joseph Lefebvre, ci-devant medecin 5 du traitre Capet Demandez la conspiration de V i7ifdme Joseph Lejebvre pour provoquer le massacre despatriotes, » Delphine avait traverse la place ; elle montait les degres . — Oil vas-tu, citoyenne ? lui demanda rudement un 10 porteur de carmagnole qui montait a la porte une faction volontaire. — Citoyen, je vais ou Ton juge Joseph I^efebvre. Je suis temoin. II ne repondit rien ; mais une horrible femme. qui 15 tenait un enfant dans ses bras cria qu'on ne devait pas laisser approcher des juges les femmes aristocrates capables de les corrompre. — Celle-ci, disait la tricoteuse, montrera son visage, ses larmes ; elle se pamera et elle fera tourner la tete a 20 tout le tribunal. Ces gueuses font des hommes tout ce qu'elles veulent. Et voila comment on arrete la justice et comment on sauve tous les traitres qui aflFament le peuple. Delphine, entree dans le Palais, s'avangait de toute 25 la Vitesse de ses petits pieds vers la salle du tribunal revolutionnaire, ou le grefl&er lisait I'acte d'accusation. Despres, a la faveur de sa carmagnole, la suivit sans etre inquiete. Cependant les cris de la tricoteuse firent le tour de la 30 place et y ranimerent la colere. Ten vie et la haine. Lignes annoUes: 6—19—21. 1 86 Iv'Knfant — Helas ! disait-on de toutes parts, nous n'avons plus Marat; nous avons perdu notre ami. Depuis que les mechants Tont tue, les aristocrates relevent la tete. Mais, ils auront beau faire, il faudra bien qu'ils la 5 crachent au panier. A mort les conspirateurs ! A la guillotine, les ennemis du peuple ! Joseph Lefebvre a la guillotine! Les enjoleuses, les faux temoins, les aristocrates, a la guillotine ! L' affaire Joseph I^efebvre sejugeait; I'interrogatoire 10 etait termine. On allait entendre les temoins. D' ins- tant en instant le peuple apprenait, par I'intermediaire des citoyens presents dans la salle, des episodes gros- sierement alteres, qui allaient se deformant de bouche en bouche, jusqu'a ce que la sottise et la haine eussent 15 achev6 d'en changer la figure. C'est ainsi qu'on raconta, dans la cour du Palais, que I'infame Lefebvre feignait de preparer des medicaments aux pauvres, et leur donnait, en realite, du poison. Quand on apprit qu'un temoin, une femme, deposait 20 en sa faveur, un souffle terrible de colere s'eleva : *' C'est sa complice, qu'on la guillotine avec lui ! " A ce sujet, d'interminables disputes, nourries d' igno- rance et de cruaute, grosses de betises, s'allongeaient, s'enflaient d'heure en heure. Pen a peu on s'impa- 25 tienta : la condamnation se faisait attendre. Erreur ou mensonge, des bruits d'acquittement commengaient a courir et soulevaient une immense rumeur, Les cris redoublerent : '' Mort aux faux temoins ! " Les sep- tembriseurs se presserent sur les marches et voulurent 30 forcer la porte. Elle s'ouvrit. Delphine d' Athis parut. A la vue du Lignes annoties : 2—4—5—29. l'enfant 187 peuple qui la menagait elle resta droite et blanche sur le plus haut degre. Un cercle de bras nus, de poings fermes, de sabres Tenveloppait. Maurice, qui avait quitte T audience sur ses pas, fit un mouvement pour se jeter entre elle et la foule. 5 D'un imperceptible signe de tete, elle Tarreta. Ce- pendant les cris de mort redoublaient ; les femelles cou- vraient de leurs glapissements aigus les grognements rauques des males avines. La plus hideuse de toutes ces ' creatures, celle qui, depuis plusieurs heures, ani- 10 mait la foule et tenait un enfant dans ses bras, fit un pas en avant, et mettant le poing sur le visage de Delphine : — On va te saigner, gueuse ! Alors un colosse velu, demi-nu, ecarta les femmes, 15 retroussa les manches de sa chemise et leva son sabre. ]y[me d' Athis, se sentant palir, mordit ses joues froides pour y ramener le sang. Elle comprit instinctivement qu'ils attendaient, pour la frapper, qu'elle donnat un signe de peur et s'avouat la victime. Son air d'inno- 20 cence auguste, son regard de vierge la^ protegeait encore. Elle promena lentement les yeux sur la foule et, remarquant T horrible mere qui la menagait, elle lui dit : — Vous avez un bel enfant. 25 A ces mots, les plus doux qu'elle eut jamais enten- dus, cette femme, cette mere, se sentit remuee dans ses entrailles. Des larmes lui monterent aux paupieres. — Prenez-le ! dit-elle. Et elle le tendit a Delphine qui le prit dans ses bras 30 et descendit, en lui souriant, Tescalier du palais, tandis Lignes av.noUes : 14—22. 1 88 L* ENFANT que la foule incertaine, emue, etonnee, s'ecartait devant elle. EUe traversa ainsi la cour avec son innocent protec- teur. Elle etait sauvee. Quand elle eut franchi la 5 grille elle remit T enfant a sa mere sans prononcer une parole. Mais une de ses larmes avait coule sur les langes. Maurice Despres T avait devancee. II la fit entrer dans le fiacre qui les attendait au coin de la cour carree. 10 Le fiacre, en tournant, se heurta a la charrette qui attendait Joseph Lefebvre pour le conduire a Techafaud. AnatoiM LAIT 239 En efFet, ils grandirent ainsi. C'etaient decidement de tres bonnes gens que ces Bayard, Ils ne firent aucune difference entre Thumble orpheline et leur fils bien-aime, et ils se mirent a Taimer comme si elle eut ete vraiment leur fille, cette petite 5 Norine qui etait aussi intelligente que gentille, aussi fine d' esprit que mignonne de corps. La bonne conduisait maintenant deux enfants au square de la Tour Saint-Jacques quand il faisait beau, et le soir, a la table de famille, il y avait deux chaises 10 hautes a cote Tune de T autre, pour le frere et la soeur de lait. D'ailleurs, M. et M"'^ Bayard ne tarderent pas a s'apercevoir que Norine avait la meilleure influence sur Leon. Plus vive, plus nerveuse, plus facilement is educable que ce gar9on lymphatique, un peu ' ' em- pote," d'apres le mot du pere, elle semblait lui commu- niquer quelque chose de sa legerete et de sa flam me. — Elle le secoue, disait M"'^ Bayard. Et, depuis qu'il vivait en commun avec sa soeur de 20 lait, Leon s'animait et se degourdissait a vue d'oeil. Quand ils furent en age d'apprendre a lire, Leon qui n'en finissait plus et s'attardait sur un de ces alphabets ^ images ou la lettre E est a cote d'un elephant et la lettre Z a cote d'un zouave, desesperait sa mere ; mais 25 des que Norine, qui sut epeler et syllaber en tres peu de temps, vint en aide au petit bonhomme, il fit tout de suite de tres grands progres. Les choses se passerent de meme quand on les envoya tons deux a I'ecole pour les jeunes enfants tenue par 30 une vieille demoiselle Merlin, dans la rue de I'Homme- Lignes annotees : 2—16—21. ^4^ tA smUR DB tAII* Arme. Norine fut bientot la meilleure eleve de I'^cole, et devint pour le paresseux et tardif Leon une sorte de fraternelle conseillere et d'aflfectueuse sous-maitresse. Vers quatre heures M"*^ Bayard voyait les deux enfants, que la bonne avait ramenes au magasin, s^nstaller 5 pres d'elle dans le bureau vitre, et Norine, ouvrant un cahier ou un livre, expliquer a Leon le devoir mal compris ou lui faire repeter la legon mal sue. — Le bon Dieu nous recompense, disait parfois M"™^ Bayard a son mari. Cette petite Norine est un 10 tresor... Et si raisonnable, et si laborieuse ! Tiens, aujourd'hui je Tecoutais encore travailler avec Leon... Je crois que, sans elle, il n'aurait jamais fait sa multi- plication. — Sois tranquille, Mimi, repondait Bayard; j*en 15 prends note... Nos aflfaires vont a merveille, et nous la doterons et nous la marierons, n'est-ce pas? quand I'age viendra. * * L'age vint, — il vient toujours si vite, I'age ! — et voici qu'a present, dans la cage vitree du magasin, il y 20 a une belle et svelte jeune fiUe blonde assise a cote de M""^ Bayard qui a deja quelques fils d' argent dans ses bandeaux noirs. C'est Norine maintenant qui ecrit sur le gros registre a coins de cuivre, tandis que sa mere adoptive tire T aiguille sur quelque broderie. 25 Sept heures. Ces messieurs devraient etre revenus, et il va falloir fermer le magasin ou le vent de no- vembre tord et travaille la flamme des bees de gaz. Enfin les voila ! Bayard porte maintenant un gros Lignes annoiees : 11—16—27—28. tA SCEUR DK IvAII^ 241 ventre a breloques, et Leon, regu depuis un mois phar- macien de premiere classe, est devenu, ma foi, un tres beau gargon. — Bonjour, Mimi, bonjour Norine... Montons vite diner. Je vous ferai part de la grande nouvelle en 5 mangeant la soupe, dit le droguiste. On monte a la salle a manger, et pendant que M""^ Bayard, assise sous le barometre en forme de lyre, sert la soupe grasse, le pere Bayard, tout en fourrant sa serviette dans son gilet, regarde sa femme d'un air 10 malin et dit : — Tu sais, Mimi, ga y est ! — Les Forget consentent ? — Parfaitement. . . et Leon epousera Hortense dans six mois... et notre bru viendra habiter avec nous... 15 Oui, Norine, tu n'en savais encore rien, parce qu'on ne parle pas de ces choses-la devant les demoiselles ; mais voila plus d'un an que Leon est amoureux d'Hor- tense Forget et qu'il nous tourmente pour la lui don- ner. Parbleu, ce n'etait pas malin et il n'y avait qu'un 20 mot a dire... Leon est un assez beau parti... La seule diflficulte, c'est que nous tenions a garder notre fils chez nous... Enfin tout est arrange, et ton frere de lait aura la femme qu' il veut . . . J' espere que tu es contente. — Tres contente ! repond Norine. 25 Oh ! les sourds ! Oh ! les aveugles ! lis n'ont pas entendu la voix de Norine quand elle leur a repondu, cette voix sombre, douloureuse, qui est I'echo d'un coeur brise ! lis n'ont pas vu que Norine a pali et que sa tete, soudain trop lourde, a roule de droite a gauche 30 comme si Norine allait s'evanouir. lis n'ont rien Ziignes annotees: 1-12—20—22. 242 I,A SCEUR DB IvAlT devine, rien compris, et voila longtemps qu41s ne devinent et ne comprennent rien. lis Taiment bien tons, pourtant, cette Norine qui est la grace et le charme de la maison; ils songent meme, les braves 5 gens, a la marier un de ces jours a leur premier com- mis, un veuf qui a des economies et ''tout ce qu'il faut pour rendre une femme heureuse." Leon Taime aussi et de tout son coeur, mais comme une soeur douce et bonne, et il ne se doute pas, ce gros gargon gate, que 10 la pauvre Norine est amoureuse de lui et qu'elle souflFre a en mourir. Non, meme ce soir ou ils viennent de lui infliger inconsciemment la pire des tortures, ils ne soup^onnent pas la verite, et ils s'endormiront tons paisiblement en caressant de beaux reves d'avenir, a 15 I'heure ou, s'enfermant dans sa chambre, — sa chambre qu'une cloison si mince separe de celle de ses parents d' adoption, — Norine tombera sur son lit, pamee de douleur, et mordra son oreiller pour etoufifer ses sanglots ! * * * 20 Le bal est fini, et dans les salons qui se vident les bougies briilees jusqu'au bout ont fait eclater quelques bobeches dont les debris jonchent le parquet cire. Les Bayard ont tenu a ce que la noce eut lieu chez eux ; mais a force de fleurs, — on est en plein 6te, — 25 ils ont donne un air de fete a I'appartement de la rue Vieille-du-Temple, ou ils installaient triomphalement leur belle-fiUe. Enfin c'est fini ; les jeunes maries se sont retires dans la chambre nuptiale ou M"^^ Bayard est entree un Lignes annoMes : 9—22—23. 1.A SCEUR DK I.AIT 243 instant avec eux ; en sortant elle a encore trouve Norine dans le petit salon, aidant les domes tiques a eteindre les lumieres ; elle a embrasse tendrement la jeune fille en lui disant : — Va te coucher, mon enfant... Tu dois etre fati- 5 guee. Elle a ajoute avec un sourire : — Hein ? ce sera bientot ton tour. Et Norine est enfin restee seule dans cette piece a present sombre et settlement eclairee par son bougeoir, 10 pose sur le piano. Mon Dieu ! comme ces fleurs sentent fort et comme elle a mal a la tete ! ly' horrible joumee ! et quel supplice elle a endure depuis le moment ou elle s'agenouillait, empressee 15 comme une femme de chambre, avec des epingles dans les levres, aux pieds de cette Hortense, de sa rivale, et qu'elle lui arrangeait sa traine de satin blanc, jusqu'a tout a rheure, quand Leon, tenant sa femme par la taille, Va attiree vers lui, elle, Norine, et que les deux 20 jeunes epoux ont presque confondu leur baiser sur son front ! Ah ! Todeur de ces fleurs est insupportable, et elle se sent tout etourdie. Elle se laisse tomber dans un fauteuil, brisee par une 25 atroce migraine, et la tete renversee, etreignant son front dans ses deux mains, elle ne ferme pas les yeux pourtant, et regarde toujours cette porte, la porte de la chambre ou sont enfermes les jeunes maries!... Et voila qu'elle est prise d'une sorte de delire, et que mille 30 souvenirs Tassaillent a la fois. Elle se revoit toute Lignes annot4es : 12—15—25. 244 t,A SCElUR DK i.Aii:' petite, dans le cabaret d'Argenteuil ; et ces Parisiens si bien mis arrivent et la caressent, et elle est embrassee par ce beau petit gargon, qui a une plume blanche sur son chapeau... Puis, des tableaux rapides traversent 5 sa pensee. C'est la pension de la rue de THomme- Arme ; c*est le magasin de drogueries tout noir, le dimanche, lorsque les volets etaient fermes et qu'elle jouait a cache-cache avec Leon derriere les sacs et les tonneaux... 10 Ah ! mon Dieu ! est-ce qu'elle perd la tete ? Voila qu'elle ne pent plus s'empecher de fredonner I'air de cette valse, pendant laquelle IvConTa tenue tout a Theure dans ses bras... Mais elle etouffe... Oh ! ces fleurs !... II faut qu'elle s'en aille, qu'elle ouvre la fenetre au 15 moins... Mais elle ne peut plus se lever, elle n* en a pas la force... Est-ce qu'elle va mourir ainsi? Ses deux tempes sont serrees comme par deux doigts de fer... Oh ! ces roses ! ces fleurs d'oranger ! ces fleurs d'oranger surtout !... Enfin elle fait un grand effort, 20 elle se leve, droite et pale, si pale dans sa robe blanche.. . Mais tout a coup elle defaille, et tombant d^abord sur les genoux, puis heurtant le parquet de la tete et de Tepaule, la pauvre Norine s'etend sur le sol a la porte de la chambre nuptiale, tuee par le chagrin d' amour et 25 par les fleurs. Francois Copp^e. Lignes annotees • 2—8—11—22. MARCEL 10 C'EST une etrange chose, et malgre tout inexpli- cable, que la place occupee dans la memoire de notre coeur par certaines amities d'enfance qui durerent une saison a peine et contre lesquelles rien ne prevaut, — ni les separations de la vie, ni les passions nouvelles et les plus sinceres, ni meme de retrouver si autres, si differents d'eux-m ernes et de notre souvenir ceux qui nous furent tellement chers dans ces annees lointaines. lis ont change, eux, mais non pas la ten- dresse qu'ils surent nous inspirer autrefois, et elle demeure empreinte dans un pli mysterieux de notre etre intime, au point que nous continuous de les aimer dans ce qu'ils etaient et qu'ils ne sont plus, dans ce que nous etions et que nous avons cesse d'etre, — pareils a ces soldats mutiles, qui souffrent encore au bras qu'on leur a coupe... Ces reflexions, je m'en rends trop compte, n'offrent rien de tres original,— mais qu'y a-t-il d'original a etre fils, frere, amant ou pere, a vieillir et a se sentir vieillir, enfin, a etre homme dans ce que notre humanite com- 20 porte d'eternellement simple, triste et tendre ? Je les consigne pourtant au retour d'un petit voyage dans une vieille ville de I'lle-de- France, ou je me promettais d'aller, depuis combien de temps ! Et j'y ai passe six semaines seulement, en 1855. 25 15 Lignes annot^es:2— 9—10— n— 23. 245 246 MARCEI, EUe est situee, cette ville grise et solitaire, au bord d'une grande foret. Une riviere la traverse, et deux canaux. Pourquoi ecrire son nom, meme ici ? Tout inconnues que doivent rester ces pages, elles peuvent 5 tomber sous des yeux indiflferents, et de penser a une curiosite possible me degouterait de les noircir. J^avais garde, de cette cite en decadence et des journees de vacances qu'il me fut donne d'y vivre, un delicieux souvenir d'eaux paresseuses et transparentes, epan- 10 chees sur des lits d'herbes vertes a peine couchees. Ce nom, dont je m'interdis de tracer les lettres, evoquait pour moi, quand je le rencontrais dans un journal, sur un indicateur de chemins de fer, au hasard d'un livre, des profils de maisons anciennes avec des toits bruns, 15 et, surplombant le canal ou la riviere, d' antiques bal- cons de bois brunatre garnis de fleurs. Je revoyais la roue noire d'un moulin, en train de tourner d'un mou- vement doux, et, a chaque fois, ses palettes secouaient une pluie de gouttes, brillantes comme des diamants. 20 La tour a demi detruite du chateau, les debris de rem- parts couronnes de jardins, le clocher a jour de Teglise et sa fleche inachevee ; que j'ai souvent con temple en pensee ces details, et le pay sage a Ten tour avec sa cou- leur d ete, — c'est le seul mot qui rende pour moi Tim- 25 pression que m'ont laissee les champs de ble a demi moissonnes, la luxuriance des herbes et des feuillages, rhaleine chaude qui sortait de la terre et le lumineux apaisement qui tombait du ciel ! C'est encore la un effet de cette virginite de sensa- 30 tion propre a Tenfance. J'ai traverse depuis tant de con trees, passe tant d'etes a fuir Paris au bord de la Lignes annoties : 4—5—18—21—22—28. MARCEt 547 mer, sur les montagnes, dans des coins isoles d' Angle- terre ou d'ltalie ! Pourtant, I'ete, c'est toujours, quand j'y songe, ces six semaines de sejour dans la vieille ville si frangaise, pres des canaux, de la riviere et de la foret, — premieres semaines d'une libre vie pour un 5 enfant emprisonne j usque-la dans un appartement de la rue Saint-Honore, — semaines enchantees par la ren- contre d'une de ces amities d' adolescence que Ton n'oublie plus. Et voila pourquoi je debarquais I'autre jour sur le quai de la gare, dans cette ville perdue, 10 pour y retrouver et le paysage d' autrefois et I'ami que j'y avals laiss6, s'il vivait encore, — et ma jeune ame ! II convient d'aj outer que cette amitie de ces six semaines, presque aussitot interrompue que nouee, fut marquee par un drame intime dont les scenes diverses is me reviennent en ce moment avec un detail si precis, qu'aucun de mes souvenirs d'hier ne Test davantage. Au fond, c'est pour me raconter a moi-meme ce petit drame que j'ai pris la plume, bien plus que pour philo- sopher sur la memoire du coeur, sa puissance et ses 20 deceptions. II faut profiter, a partir de trente ans, des heures de souvenirs vivants pour en fixer les images, si vite redevenues vagues et flottantes. Et vivant, il Test a un tel degre durant cette minute, le souvenir de Marcel, — c'etait fe nom de mon petit ami de 1855. ^5 Je m'apergois, comme on voit son double dans les contes de sorcellerie, marchant avec le cousin chez lequel on m' envoy ait passer les vacances, vers la maison ou j'allais rencontrer ce premier veritable ami que j'aie eu. Pourquoi mon pere et ma mere s'etaient-ils deci- 3o d6s a se separer de moi au lieu de m'emmener aux Lignes annoie'es : 10—18—22—24—26. 248 MARCHt eaux avec eux? C^est une question que je ne me posai meme pas alors et que je resous aujourd'hui, je dois Tavouer, par la plus interessee des combinaisons bourgeoises. Mon cousin n'etait pas marie, il avait 5 servi dans la marine avec un grade qui ne justifiait pas le sobriquet '^d'amiral'' dont on le decorait dans ma famille, mais assez eleve cependant pour contenter toute son ambition ; et sa retraite du service coincidant avec un bel heritage donnaient beaucoup a faire a 10 r imagination de mes parents. — *' A moins qu'il ne jette son argent dans la riviere/' avais-je entendu dire cent fois autour de moi, * * il doit avoir un fier magot ! Notre oncle lui a laisse vingt mille francs de rente. Sa pension, sa croix... 15 Dans cette petite ville de province il ne depense pas six mille francs par an, et il y a quinze ans qu'il mene cette vie-la. ' ' On se taisait d' ordinaire apres ces phrases. Je ne doute pas aujourd'hui que Tesperance de m'assurer 20 une bonne place sur le testament du cousin Henry n'ait contribue pour beaucoup a mon envoi chez lui. Et, de son cote, je comprends qu'il voulut payer en une fois par cette hospitalite les prevenances dont le comblaient les miens. II descendait toujours chez 25 nous lors de ses voyages a Paris. Get ancien marin aux prunelles grises, d'un regard si fin entre des pau- pieres plissees, n'etait pas sans avoir devine le secret calcul de mes parents. J 'imagine qu'il le leur pardon- nait, comme je pardonne a ceux de mes cousins qui 30 cultivent en moi, dans le personnage de quarante ans, touche au foie et decidement celibataire, un codicille Lignes annoUes : 3—9—13—14—27—31. MARCEI. ^49 probable dans mon testament. Puissent-ils, eux, me pardonner plus tard de les avoir frustres, comme je fais si volontiers pour Tamiral qui a dispose de ses huit cent mille francs en faveur d'un hopital maritime. J'aurais cet argent aujourd'hui. A quoi bon, et de 5 quoi me servirait-il ? En revanche, il ne m'aurait sans doute pas invite dans sa maison du bord de Teau, et je n'aurais pas connu Marcel. Une liasse d'obliga- tions vaudra-t-elle jamais le souvenir d'un chaud enthousiasme de coeur ? 10 Je I'eprouvai, cet enthousiasme, des cette premiere apres-midi ou je fus conduit par mon cousin a la maison de M""^ Amelie. C'est ainsi que Tamiral appelait la grand' mere de mon nouveau camarade. Qu'elle etait ombreuse, I'allee d' acacias que nous suivions pour y 15 arriver, et comme le feuillage se faisait intense sur le bleu du ciel de ce jour-la ! Je respire encore Tarome Sucre des fleurs qui tremblaient en grappes toutes roses ou blanches dans ce feuillage, les dernieres de la sai- son. Mon cousin Henry m'expliquait, tout en mar- 20 chant, I'histoire de Marcel et de sa grand' mere. I^e petit n'avait plus qu'elle au monde, il etait orphelin depuis six mois. Mais ce que I'amiral n'ajoutait pas, c' etait d'abord que lui-meme avait voulu epouser autrefois M""^ Amelie. Sans doute il lui gardait ce 25 romanesque devouement qu'inspirent de tres honnetes femmes sur le tard de leur vie a ceux qui les ont aimees toutes jeunes. lis leur restent si reconnaissants de ce qu'elles ont, par une existence irreprochable, respecte I'ldeal qu'ils s'etaient forme d'elles. II est si 30 dur de voir s'avilir celle dont on a reve, a vingt-cinq Lignes annotees-. 5—6—8—16—25. 256 MARCEt ans, de se faire une compagne de toute sa destinee ! II ne me racontait pas non plus, le cousin Henry, que M°^^ Amelie et son mari, mort depuis quelques annees a peine, s'etaient brouilles a ne jamais le revoir 5 avec leur fils unique, a Tepoque de son mariage. Ce gar9on avait donne leur nom et le sien, contre leur volonte, a une creature rencontree a Paris, et qui etait justement la mere de Marcel. Des divers personnages autour desquels s'etait jouee 10 cette tragedie domestique, le petit-fils et la grand' mere survivaient seuls. La severite de la veuve isolee contre cet indigne mariage n' avait pu tenir devant I'idee d'abandonner a des etrangers T enfant dans les veines duquel il coulait un peu de son sang. Mais il y cou- 15 lait aussi du sang de V autre y de cette fiUe qu'elle et son mari avaient tant maudite, et j'allais assister, sans me rendre compte de la cause, aux terribles eflfets de cette rancune d'apres la mort, de tous les mauvais sen- timents du cceur, le plus inexpiable, le plus dur. A 20 ceux qui ne sont plus, nous devons cet oubli des offenses, qui est la grande piete humaine, la commu- nion dans la misere de notre pauvre nature ! Et ]y[me Amelie etait pieuse de toutes les manieres ; mais dix ans de souflfrances endurees pesaient sur elle, et 25 cela ne pouvait pas plus s'eflFacer que les rides de son mince visage jauni ou brillaient deux yeux bruns d'un si vif eclat. Les bandeaux gris dont s'encadrait ce front creuse aux tempes, la nerveuse crispation de sa bouche triste, la maigreur de ses doigts que des mitaines 30 de dentelle noire faisaient paraitre plus desseches encore et plus decolores, la minceur ascetique de sa taille, la Lignes annoUes : 4—7—11—12—18—19—27. MARCKL 251 severite de ses vetements de deuil, tout contribuait a transformer cette digne et respectable veuve d'un simple notaire en une apparition de melancolie. Je me rappelle le frisson d'eflfroi qui me saisit a la voir s'avan- cer vers nous sur la terrasse de la maison ou elle 5 logeait. Des tilleuls aux branches emondees et taillees en convert arrondissaient au-dessus de cette austere figure un dome de feuillages remplis de soleil. La maison apparaissait toute basse et revetue d'une vigne en espalier. II y avait un contraste a la fois et une 10 harmonie entre cette veuve douloureuse et ce cadre d'apaisement : un contraste, car elle symbolisait trop bien les troubles de Tame dans ce decor d'heureuse nature ; une harmonic, car une atmosphere claustrale emanait de ces charmilles immobiles et de cette facade 15 close, d'ou sortit, a Tappel de la vieille dame, crianl par trois fois : ' ' Marcel ! " un gargon de mon age, mais si chetif et si pale lui-meme, avec une gracilite si souf- freteuse de ses pauvres membres, qu'il paraissait mon cadet de plusieurs annees. Ses beaux yeux, trop 20 grands et d'un bleu comme noye, langaient un regard qui disait la precoce experience de la douleur morale. II n' avait de blanc sur lui que le linge de son col et de ses manchettes. Je le vois s'avancer vers nous sans courir, a la voix de sa grand'mere, et j'entends cette 25 derniere lui dire d'un accent dur : — ' ' Ou etiez-vous done ? ' ' — '' Je lisais dans le salon," repondit 1' enfant. — '' Vous savez bien que je vous ai defendu de lire apres votre dejeuner. Vous vous faites du mal. Voila 30 M. Henry ; vous ne lui dites pas bonjour ? '* Lignes annotees i 6—9—20—21—30. ^52 MARCEt — '* Bonjour, Monsieur," fit Tenfant. — *' Et voila son cousin, Francois Vernantes, avec qui vous allez jouer." — '' Oui, Madame," fit encore I'enfant. 5 Elle lui disait vous — et elle etait sa grand* mere ! — II I'appelait madame / ,.. Tout en cheminant avec mon nouveau camarade du cote du jardin, qu'il m^avait aussitot et fort gracieusement offert de me montrer, je me souviens que je m'abimai en reflexions sur cette 10 circonstance, pour moi inexplicable. J'etais si gate par mes deux bonnes-mamans, si habitue a rencontrer chez elles la divine indulgence d'une affection sans une gronderie ! Ma curiosite fut si fort eveillee que je n'y tins pas, et apres une demi-heure durant laquelle nous 15 avions tour a tour fraye connaissance avec les rosiers du rond-point et les lapins de la basse-cour, avec Tallee des arbres a fruits et les marches disposees pres du canal pour y laver le linge, avec les aboiements du chien de garde enchaine et le roucoulement des pigeons 20 dans le colombier, je demandai brusquement a Marcel : — '' W^^ Amelie etait bien fachee tout a I'heure? " — ** Elle est toujours comme cela," repondit-il. — '' Elle vous dit toujours vous? " lui demandai-je. — '* Toujours," reprit-il. 25 — '' Et vous, Madame ?..." — '' Oui," fit-il. — '' C'est drole..." insistai-je. Toutd'un coup, et tandis que je pronongais cette en- fan tine remarque, je vis avec stupeur le front de Marcel 30 se plisser, ses levres trembler, un flot de sang empourprer ses joues. Deux grosses larmes jaillirent de ses yeux : Lignes annoMes : 14—15. MARCKt 553 — ^ *' Ah ! '* me dit-il avec un sanglot; '' pourquoi etes-vous mechant vous aussi ? Pourquoi me parlez- vous de cela ?... Je ne veux plus que vous restiez avec moi. Allez-vous-en ! AUez-vous-en !...'* Je me souviens. Nous etions, lorsque la bouche 5 fremissante de mon petit compagnon me langa ces phrases de colere, dans le fond du jardin, au pied d'un epicea gigantesque, a la base duquel s'etalait un tapis de fines aiguilles sechees. II en tombait cette chaude odeur de resine que je n'ai jamais respiree depuis sans 10 que cette etrange scene me redevint presente, et I'irrai- sonne, le naif elan de pitie par lequel je me pris a pleurer a mon tour. Et je tenais les mains de Marcel, je le suppliais de ne pas m'en vouloir, je lui jurais que j* avals parle sans intention, je lui promettais de ne pas 15 recommencer. Encore a present, et quand je cherche a comprendre, avec mon experience d'homme fait, ce qui se passa en moi a cette seconde, je ne trouve qu'une explication a cette violence soudaine de ma sympathie pour le petit-fils de M""^ Amelie. Evidemment il se 20 produisit dans mon cceur de onze ans un coup de foudre d'amiti6, — comme des coups de foudre d' amour ecla- tent dans des coeurs de vingt ans. Ce fut une frenesie de pure aflfection qui deborda sans doute en phrases d'une sincerite touchante, car le pauvre enfant cessa de 25 sangloter. Un sourire de douceur revint a ses levres fines. Son visage aux traits minces s'anima d'un rayon de reconnaissance. II avait si mal a toute Tame, cet orphelin aux yeux trop profonds, que cet elan de genereuse affection lui fut une douceur infinie ! II me 30 parla, lui aussi, avec une sympathie emue, et juste une Lignes annot4es : 9—12—14—21—28. 254 MARCEL demi-heure apres qu'il s'etait dechaine si furieusement centre moi, nous etions assis de noiiveau sous le grand arbre, moi a lui dire : — '' Voulez-vous etre mon ami ? *' 5 Et lui a repondre : — '' Je veux bien, mais vous n'en aurez pas d'autres." Nous nous embrassames pour le sceller, ce pacte d'amitie subite, et aussitot, avec Tincroyable rapidite 10 de sensation propre a cet age trop vibrant, nous voila tons deux a fixer des arrangements pour Tavenir. Nous convinmes de nous tutoyer, de n' avoir pas de secrets entre nous, de nous defendre a chaque occasion, de nous voir tons les jours et de ne voir que nous, pen- 15 dant les vacances. Enfin ce fut une de ces subites entrees dans une idylle de fraternite elective, comme nous en avons tons connu dans cette nouveaute de tout notre coeur... Dieu ! qu'il est cruel et qu'il est juste, ce mot d'un celebre ecrivain, quand il parle de son 20 2ivaQ. develoutee de cinquante ans ! De cinquante ans? C'est a quinze ans, nous autres enfants du milieu du siecle, et grace a de coupables lectures, que le velours de notre etre intime commenga de se faner pour ne plus repousser jamais. Comme I'usure chez moi est arrivee 25 vite ! J'ai parle de fraternite. Je n' avals, en eflfet, pas de frere. Aussi donnai-je presque tout de suite ce beau titre a mon ami, et avec ce titre la part d' affection que j'eusse vouee a un frere, mais plus jeune et plus petit, 30 et qu'il fallAt envelopper d'une chaude tendresse pro- tectrice. Ce fils d'un pere et d'une mere morts si Zignes annot^es: 10—20—30. MARCKL 255 "eunes, apportait aux exercices physiques qui consti- tuent pour des gargons le fond de tons les jeux, des muscles trop delicats et comme une indigence de vie corporelle. Durant les six heureuses semaines ou Ton nous laissa errer Tun et T autre comme deux inoflfensifs 5 animaux en liberte, entre le jardin de M"'^ Amelie et le pare de mon cousin I'amiral, c'etait moi toujours qui mettais mon orgueil a lui epargner tout effort trop rude ; moi qui soulevais les lourdes pierres quand il s'agissait de construire une digue dans quelque ruisse- 10 let ; moi qui maniais les rames quand nous glissions en bateau sur le canal, malgre les defenses repetees du cousin et de la grand' mere ; moi qui grimpais aux arbres pour cueillir des fruits ou detacher un nid aban- donne ; moi qui escaladais les rochers pour rapporter is une touffe de fleurs sauvages. Je triomphais de ma vigueur, et dans les chimeres d' a ventures lointaines que nous ebauchions d'apres de mauvais livres de voyages regus en prix, c'etait moi encore qui devais subvenir, par mon Industrie, aux besoins de la commu- 20 naute. — '' Nous vivrons de ma chasse,'' disais-je a Marcel. — '' Quel bonheur ! " repondait-il. '' Quand ce temps arrivera-t-il ? Je souffre tant ici. ' * Et c'etait vrai que cet enfant trop frele souffrait, dans *^5 cette maison et aupres de sa grand'mere, d'une de ces souffrances sub tiles dont la premiere jeunesse semble incapable. A mon humble avis, elle en est au con- traire plus capable que les autres ages, lorsque son effrenee puissance d' imagination se tourne en torture. 30 Durant les interminables causeries qui marquaient I'in- Lignes annoUes : 8—10—17—18. 256 MARCKI* tervalle de nos jeux, Marcel retrouvait sur moi sa supe- riorite, qui residait dans cet art premature de sentir, auquel Tavait initie sa delicatesse morbide. Que d'heures nous avons passees, etendus a T ombre d'un 6 plongeon, ou tapis sur les marches de I'escalier de pierre qui descendait au canal et regardant Teau pares- seuse, lui, a me raconter ses miseres, et moi, a les ecouter ! EUes procedaient toutes d'un attachement passionne qu'il gardait a sa mere, morte quand il avait 10 neuf ans, juste quatorze mois avant son pere. II me disait la chambre de la malade, — elle avait succombe a une consomption de poitrine, — ses longues seances, a lui, d'un silencieux amusement dans cette chambre fermee, pour ne pas la reveiller quand elle sommeillait. 15 II me Fevoquait si pale, ne sortant plus de son lit, et toussant, toussant to uj ours. II disait les larmes de son pere, et comment il avait surpris, lui, Marcel, une con- versation entre les bonnes, qui pretendaient savoir du medecin que la mourante n'en avait plus que pour huit 20 jours. II se decrivait, le front appuye aux carreaux, et regardant la rue, une des rues de ce Paris que je connaissais aussi, bruyantes d'ordinaire et bien vi- vantes; mais il y avait une jonchee de paille sur les paves pour que les voitures, en passant, ne troublassent 25 pas le repos de la malheureuse. Avec quelle tristesse il me faisait assister ensuite a sa veillee devant le lit de la morte, et aux details du funebre convoi ! J'ai lu depuis par centaines des recits analogues, avec mon gout passionne des memoires intimes et des correspon- 30 dances. Aucun ne m*a touche comme les simples phrases que trouvait mon petit ami pour me peindre Lijznes anno^^es: 6— 6— 15— 19. MARCKI. 257 cette agonie, dont ses yeux bleus fixaient dans Tespace les melancoliques images. Puis c'etaient les diners d'apres la mort, en tete-a-tete avec le pere qui soudain se prenait a pleurer en le regardant et qui, parfois, venait Tembrasser dans la nuit avec ces mots : *' Ah ! 5 pauvre, pauvre Marcel ! " — ''Oui," disait cet etrange enfant, '* pauvre Mar- cel ! Quand papa aussi fut mort et que ma grand* - mere est venue, tu ne sais pas comme je tremblais ? Si souvent j'avais entendu maman parler d'elle et repeter 10 que jamais grand'mere ne m'aimerait. — EUe me deteste tant ! — disait-elle. Pourquoi ? Si tu avais connu maman, et comme elle etait belle, menie tres malade, avec ses cheveux d'or si longs, si longs, et ses yeux si bleus, si bleus, tu n'aurais jamais pense qu'on is put la hair... He bien ! c'est vrai, ma grand'mere la deteste meme maintenant, et moi aussi, parce que je lui ressemble... Vois-tu, des le premier jour et quand elle a dit : — Enlevez ces portraits ! — au domestique, en montrant les photographies de ma pauvre maman 20 sur une table, j'ai compris cela... Et a cause de ce mot, jamais je ne pourrai lui dire merci, de bon coeur ; jamais je n'ai pu... EUe est bonne pour moi, je le sais, tres, tres bonne. Mais quand elle me regarde, lorsque nous sommes seuls, je sens qu'elle voit maman, et j'ai 25 froid. Ah ! comme j'ai froid !... Et j'ai envie de me sauver, d'aller a Paris voir le cimetiere ou ils Font mise... Mon pere n'est pas avec elle, ils I'ont porte ici. C'est ma grand'mere qui I'a voulu, et je suis sur qu'il revient la nuit pour le lui reprocher, car elle ne 30 pent pas reposer... Elle vient dans ma chambre. EUe Mgnes annoMes: i—2^ 258 MARCEt croit que je dors. J'ai si peur ! Je ferme mes yeux. Je sais qu'elle me regarde et je pense qu'elle va en- tendre mon cceur battre, tant il fait un bruit !... Si tu pouvais voir le jardin qu'il y a sur le tombeau de ma- 5 man, et les belles roses ! Nous y allions deux fois la semaine avec mon pere. C'est sur une colline, dans le cimetiere du Pere-Lachaise. L'as-tu visite ? — Oh ! que je voudrais y retourner !../' II me faut etre assure que mon souvenir est exact, 10 pour croire que reellement Marcel parlait et sentait ainsi, et il me faut faire appel a toutes mes connais- sances sur I'esprit de superstition propre a la jeunesse pour comprendre que de pareilles causeries, renouve- lees sans cesse, aient abouti, vers la fin de mon sejour, 15 au projet que nous consumes, Marcel et moi. Ou plu- tot il le congut tout seul en m'y associant, comme Oreste associe Pylade, dans la mythologie dont nous etions pleins, a sa resolution d'enlever Iphigenie. lya fete de M"^^ A^melie approchait. Mon petit ami 20 me confia, quelques jours avant cette date, qu'il avait tant, tant prie Dieu de 1' aider, et qu'une inspiration lui etait venue a la suite d'une de ces prieres. — Dois-je aj outer que nous venions tous les deux de faire notre premiere communion, et notre ferveur religieuse etait 25 si intense que notre chimere d'aller vivre de notre chasse en Amerique alternait avec celle d'entrer dans un meme convent, sitot devenus hommes ? — Cette inspiration d'en haut ressemblait terriblement a une escapade de gamin en conge, car il ne s'agissait de rien 30 moins que de fuir la maison, mais pour un but qui n^ avait aucun caractere de gaminerie. Nous devious Lignes annoUes : 11—17—28. MARCKI. 259 aller a Paris, visiter le cimetiere du Pere-Lachaise, et de fagon a etre revenus le matin de la fete. — *' Et alors," ajoutait Marcel, " je rapporterai a ma grand' mere un bouquet de roses cueillies la-bas sur la tombe de maman. Je lui dirai que c'est elle qui le 5 lui envoie et qui lui demande de me rendre ses portraits et de m' aimer/' — " Oui, je t'accompagnerai," lui dis-je sans dis- cuter I'efl&cacite de ce romanesque procede qui m'en- thousiasma. Marcel avait-il davantage discute ma 10 resolution de le suivre ? Et nous voila tous les deux a calculer le moyen pratique de nous sauver hors de la vieille ville pour gagner Paris. II y avait vingt lieues a franchir. En ce temps-la le service etait fait par une diligence 15 }aune attelee de quatre chevaux. Nous la voyions filer dans la poussiere chaque matin, avec son imperiale garnie de paysans en blouse bleue et les bourgeois de son coupe ou de son interieur. Nous ne songeames pas a prendre cette antique patache, d'abord parce que 20 le conducteur connaissait nos parents, et puis nous ne possedions pas a nous deux plus de quatre francs. Nous etions des petits gargons trop honnetes pour penser, ne fut-ce qu'une minute, a nous procurer de r argent par des moyens illicites. Je soumis done a 25 Marcel, toutes reflexions faites, un raisonnement qui nous parut irrefutable. — '' Nous mettons une heure a faire une lieue, n'est- ce pas ? Nous avons essay e T autre jour. II nous faut done vingt heures pour faire vingt lieues. Par conse- 30 quent, si nous partons le soir a neuf heures, nous ignes annotees : 11—24. 26o MARCKI< serons a Paris le lendemain dans Tapres-midi. Tu fais ton bouquet. Nous allons coucher chez nous. II n'y a que ma vieille bonne Augustine qui ne nous chassera pas. Nous repartons, bien reposes, a deux heures, 5 apres avoir dejeune, et nous sommes ici pour le matin de la fete de ta grand' mere...'* Je ne crois pas, de ma vie, avoir eprouve une exalta- tion comparable a celle qui soulevait mon jeune courage par cette nuit de septembre, chaude et douce, ou je me 10 glissai hors de mon lit, puis de la maison, puis du pare de I'amiral, pour rejoindre mon complice. Je le trou- vai assis sur une borne kilometrique, choisie comme point de rendez-vous. Nous nous primes la main sans parler et nous partimes. La lune eclairait le vaste 15 paysage de cet eclat presque surnaturel qui decoupe avec relief les sombres contours des objets. En toute autre circonstance, mon compagnon et moi-meme, nous n'aurions pas ete tres rassures de cheminer seuls ainsi h travers la grande foret qu'il fallait traverser et qu'un 20 vent tres doux, mais ininterrompu, remplissait d'un murmure de mystere. Les voituriers attardes et les pietons que nous croisions, nous eussent paru des bri- gands prets a nous attaquer. Meme en plein jour> nous n'etions ni Tun ni T autre tres braves en presence 25 d'un chien rencontre dans la rue, et nous en vimes, plus de dix qui couraient, le nez a terre, cherchant pature. Mais il s'agissait bien de fant6mes, de voleurs ou de betes mechantes ! Nous ne voyions que notre but, et pendant les premieres heures, c'est-a-direj usque 30 vers I'aube, nous tinmes fidelement notre programme, au point que, dans la premiere lueur blafarde du jour, Lignes annote'es : «— 12— 18— 27— 31. MARCEI. 261 je pus lire sur un poteau indicateur que soixante kilo- metres seulement nous separaient de Paris. Ce ne fut pas, en effet, une rencontre dangereuse qui nous arreta sur cette route grise dont le long ruban se deroulait maintenant devant nos regards. Nous avions compte 5 sans r immense fatigue dont cette nuit sans sommeil et cette marche forcee devaient nous accabler tons les deux. Encore quatre kilometres et nous etions con- traints de nous asseoir sur un tas de foin. Encore quatre a litres, et nos jambes de onze ans nous refusaient 10 le service. Je nous vols, affaisses de nouveau Tun aupres de T autre, et Marcel sanglotant de desespoir. Mais a quoi bon raconter les ridicules deboires de cette epopee qui se termina, comme la celebre premiere sortie de I'ingenieux hidalgo, le chevalier a la Triste Figure, is et de son fidele ecuyer, par tin retour vers la vieille ville, — et vers le chatiment, — dans une des voitures envoy ees a notre recherche des le matin par I'amiral quand notre absence avait ete decouverte ? Comme ils nous eflfrayaient maintenant, ces inconnus de la route 20 qui nous laissaient si calmes cette nuit ! II nous sem- blait qu'ils savaient notre histoire, et comment donner la vraie raison de notre fuite, nous que ce tilbury de louage, conduit par un cocher narquois, ramenait comme des voleurs? Cette emotion pourtant n'etait 25 rien, comparee a Tattente de notre entrevue avec M™® Amelie et avec mon cousin. Lorsque je fus, moi, en face de ce dernier et que je Tentendis me dire : — '* M'expliqueras-tu ta conduite, avant que je te renvoie a ton pere ?...'' Je devins lache, si lache que, 30 pour la premiere et heureusement la derniere fois de Lignes annotees : 4— 11— 15— 18— 30. 262 MARCKI. ma vie, cette lachete me conduisit a la trahison. Oui, je trahis mon ami. Je lui avais jure solennellement de lie jamais reveler a personne ses confidences sur ses relations avec sa grand' mere. Je les revelai pourtant, 5 et nos conversations sur la morte et sur le mort, et le secret de notre depart, et notre projet de re tour apres la visite au cimetiere. Le visage de mon juge, — ce rude et bronze visage ou il tenait vingt-cinq ans de mer, — exprimait, en m'ecoutant, un etonnement emu 10 qui m'encouragea a le supplier : — '' Que M"^^ Amelie pardonne a Marcel," implo- rais-je, ''dites-lui que j'ai tout fait, trouvez un pre- texte, je vous en conjure, mon cousin, et qu'elle ne sache rien de tout cela ! J'ai promis a Marcel, et elle 15 lui en voudrait davantage encore... Et moi, punissez- moi autant que vous voudrez, mais ne me renvoyez pas a Paris. Ne me separez pas de lui maintenant. Lais- sez-moi finir mes vacances avec lui. II n'a que moi..." — '' Je ferai ce que bon me semblera," dit I'amiral 20 d'une voix adoucie ou je voulus saisir une promesse d' indulgence. Aussi, quand je fus retire dans ma chambre et couche dans mon lit, apres un repas auquel mon appetit de marcheur fatigue fit honneur malgre mon angoisse, je m'endormis plus apaise. Mais quel 25 reveil lorsque au lendemain matin les premiers rais de lumiere, filtrant par 1' interstice des rideaux, me rappe- lerent a la conscience de ma double faute : celle envers mon cousin, dont j'avais fui la maison, — et Tautre, la plus grave, envers mon ami dont j' avais vendu le 30 secret ! Mon imagination, qui, dans la vie, m'a tou- jours inflige la pire vue des evenements, avait, quand Lignes annotees : 11—14—15—28. MARCEL 263 je me retrouvai vers les dix heures en face de Tamiral, epuise tons les possibles. Oui, j' avals tout prevu, excepte toutefois ce qui m'attendait. — *' Allons," me dit mon cousin Henry apres avoir, suivant son habitude, caresse de sa main cordee de 5 muscles ma tete tondue, '' tu vas courir chez M"^^ Ame- lie prendre des nouvelles de Marcel." — *' II est malade? " m'ecriai-je. — *' Ce n'est rien," repondit-il, ''un peu de lassi- tude. II y a de quoi, garnement. .. Vas-y vite, il 10 t'espere..." Et de notre escapade, pas un traitre mot. De la punition a subir, pas un mot non plus. J'eus I'explication de ce mystere quand j'entrai dans la chambre de mon petit ami, au chevet duquel etait 15 assise M"^^ Amelie, mais une M"^^ Amelie transfiguree, avec un sourire de pitie sur ses levres pales, avec une lueur d'attendrissement dans ses yeux bruns, avec une douceur dans le geste par lequel elle flattait les j ones de r enfant, et elle lui disait : 20 — ' * Tu te sens mieux ? " — *' Oui, grand'mere," repondit-il. Et il regardait avec extase un portrait place sur le drap de son lit, un de ces portraits au daguerreotype, comme nous en retrouvons tons parmi nos reliques de 25 famille, qui brillent et s'eflfacent a la fois dans ie plein jour. Une expression de joie indicible et de piete illuminait cette physionomie soufiFrante. Tous les deux, la grand' mere et le petit-fils, etaient si occupes, elle a toucher ces pauvres joues amaigries, lui a contempler 30 le portrait, qu'ils ne m'avaient pas entendu entrer. Mais Lignesannotees: 10-11—12. 264 MARCKt avais-je besoin de leurs confidences pour deviner que Tamiral avait tout raconte de mon recit a la grand' - mere, que dans ce cceur de vieille femme la vue des muettes douleurs de cet enfant, juge jusque-la si ingrat, 5 r avait emporte sur la haine impie en vers la morte ; et ce petit portrait au daguerreotype, pose sur le drap, c'etait r image de cette morte et le gage de la reconci- liation supreme. 10 Et voila quels souvenirs j'allais chercher, apres tant d'annees, dans cette vieille ville de TIle-de-France dont pas une pierre n'a change. Le petit fleuve roule tou- jours son eau claire ou tournent les poissons noirs entre les berges gazonnees. Les deux canaux s'en vont tou- 15 jours aussi paisibles entre les chemins de halage, et les chalands, avec leur maison de bois intime et basse dont les fenetres garnies de geraniums nous faisaient tant rever, les descendent toujours, ces canaux mono- tones, de leur meme mouvement sans hate. J'ai pu, 20 des la gare, — la seule nouvelle construction de cette cite perdue, mais heureusement hors des murs, — revoir la tour du chateau, le clocher a jour de Teglise, et puis c'est le pont et c'est la maison du cousin, et c'est I'autre maison, celle de M"'^ Amelie. A qui sont ces demeures 25 aujourd'hui? De celle ou I'amiral abrita ses dernieres annees, je suis sur qu'elle a passe en des mains etran- geres. L' excellent homme mourut quatre mois apres mon depart de chez lui, douloureux depart qui nous fit verser tant de larmes, a Marcel et a moi, et echanger 30 tant de promesses d'une correspondance qui n'a pas dure un an ! Je ne Tai jamais revu, mon ami de ces Lignes annotees : 5—25. MARCHI. 265 six semaines ; et les mois ont passe, puis les annees, sans que j'aie regxi de lui ou que je lui aie donne un signe d' existence. Vit-il encore ? Est-ce lui qui habite la maison de M""^ Amelie, dont je vois les volets tou- jours peints en gris par dela le convert de tilleuls ton- 5 jours bien tallies? Et s'il vit, qu'est-il devenu ? Que reste-t-il en lui de son ame romanesque de onze ans qui me Ta rendu si profondement cher des la premiere heure? J'ai tant change, moi, depuis cette epoque, — tant' change en noir, en triste, en moindre, pour tout 10 avouer. — Au lieu de tirer la sonnette a la grille fer- mee, je me suis assis sur un banc au bord du canal d'ou je voyais la terrasse, notre terrasse d' autrefois, I'eau couler, — comme a coule la vie, — en courbant a peine les herbes, notre eau et nos herbes ! Et puis, je suis 15 parti sans avoir cherche a savoir ni si Marcel est encore de ce monde, ni s'il habite la, ni rien de sa personne d'aujourd'hui. A quoi bon rencontrer, la ou j'ai laisse un charmant enfant, quelque bourgeois de province ronge de manies ! A quoi bon me demontrer que le 20 plus delicat des poetes a trop raison lorsqu'il dit : Je redoute T adieu moqueur Que font les hommes de mon age Aux premiers reves de leur coeur. C'est une triste loi, mais bien vraie, qu'en amitie 25 comme en amour il ne faut pas se souvenir a deux quand on veut se souvenir tendrement ! Paui. Bourgkt. Lignes annotees : 10—11—20—25—26—27, NOTES. LE MIROIR. Page. Line. j^ — 6. Dans nH^nporte quel logis. — No matter in what house. 7. Elle rieM pas manqui (V 671... — She would not have failed to order the death of the inhabitants. 13. Ety se sachant horrible^ ce lui Haitune consolation. — And knowing she was very ugly, it was a satisfac- tion to her to think. 20. Pour ce qui etait de smaller mirer. — As for looking at one's self. 2. — I. // fCy fallait pas compter. — That was not to be thought of. 10. La reine n' avail garde d'y compatir. — The queen far from sympathizing with it was very glad. 18. Et ne se lasse jamais de vous le dire. — And who never tires of telling you of it. 3. — 3. Mais pour ce qui est de mes oreilles. — But as for my ears. 11. Taut et si bien que... — So much and so well that. 27. Quelqu'un qui a failli.., — Someone who nearly stepped on a toad. 30. Qu^avez'vous^ ma bonne femm>e ! — What is the mat- ter with you, my good woman ? 4. — 2. A coup Sur. — Surely. 15. On dirait que vous avez frotlL.. — One would say that you had rubbed your forehead and your cheeks with coal-dust. 268 NOl^^S. Page. Line. I. — 24. Sous vos cheveux de filasse. — Under your low- colored hair. 27, La-dessus^ la vieillefemme. — Then the old woman. 30. Jacinthe se laissait choir. — Jacinthe sank. 5. — 9. Je suis vilaine. — I am ugly. 13. y. etaitfaite d, souhait pour le plaisir des yeux. — J. was so beautiful that she pleased every eye. 27. Mais^ de miroir, il n'y en avait pomt. — But, of mirrors in the kingdom, there were none. 6. — 3. Notre maitresse ne pourra manquer d'etre hnue. — Our mistress cannot fail to be moved by. 4, Ne fM'Ce que quelques heures. — If only for a few hours. 12. f^, qu'est-ce ? — Well, what is this? 15. Le plus deplorable amant. — The most pitiable lover. 19. Qu'ai-je hfaire dans,,. — What have I to do with... 24. De grace. — I beg you. 7. — 7. A inoins qu^elle n^etct... — Unless she had some reason for lying in such a way. 12. Onpouvait d chaque instant avoir besoin de lui. — He might be needed at any moment. 18. Tdtonnant Pair de ses mains, — Her hands waving in the air. 23. La reine rendait Vdme. — The queen was dying. POUR UNE CANNE. ■ 7. // avait cMe sonfonds. — He had sold his business. 9. Une maison appartenant en propre h safemme. — A house which belonged to his wife. 15. Lis y coulaient des jours heureux. — There they passed happy days. 17. lis ne la quittaient gu'^re que,.. — They scarcely left it except on Sunday. 18. Bras dessus bras dessous. — Arm in arm. 22. Philhnon et Baucis. — (A mythological couple quoted as a type of conjugal love.) NOTES. 269 Page. Line. 9. — I. II etait, d^ailleurs, trls serre. — Besides he was very close. 9. II fit hojite d, H. de so7i existence de colimagon. — He made H. ashamed of his snail-like existence. 16. II y eut des orages et des pletcrs.— There were storms and tears in the house. 19. // courait de gaiete de coeur ^... — He ran wantonly to his death. 26. // etait butts d... — He was bent on this fancy. 28. Elle s' e7i lav ait les mains, — She washed her hands of it. 31. H. n' en fit que rire. — H. only laughed. 10. — 10. II s'achemina d'unpas leger,,. — He walked with a springing step towards the road to F., which lies white and straight between the meadows framed in high rocky mountains. 13, Tout en marchantil... — As he was walking he hit his foot against. 19. Iln'etaitpas homme a.,, — He was not a man to let anything be lost. 21. II est tout d, fait a ma^nain, — It is quite handy for me. 25. La-dessuSy il ramassa... — Thereupon he picked up the cane. A nous deux, maintenant. — Between us, now ! U assassin P avail assomme net. — The murderer had struck him dead. H. ne pay ait pas de mine. — H. was not attractive. // Hail roux^ marque de laches de son. — He was red- haired, covered with freckles {litter, : as if covered with bran). Ah! fa, vous plaisantez ! — Ah ! you are joking. Le juge loisa le prevenu. — The judge eyed the accused. 23. On ne s' en doulerail pas, a vous voir. — One would not imagine it, from your appearance. 24. Le bdtofi que void. — This cane. 29. Un homme comme ilfaut. — A respectable man. 30. II. — 4- 13- 14. 31. 12. — 13. 270 Page. 13. - Line. - 12. 15- 30. 14. — 5. 19. 20. NOTES. En presence des magistrals du parquet, — In the presence ol the public prosecutor and his officers. Une chamhre borgne. — A miserable room. Lesicrques. — (A man who was injustly condemned and beheaded in 1796). H. pourrissait sur la paille des cachots. — H. was rotting on the straw of a dungeon. // allait pleurer comme un veau. — He was beginning to cry like a calf. Ilfondit en larmes. — He burst into tears. II jura ses grands dieux,,. — He swore a great oath never to. 15. — 12 16, 16,— 2 12 20 5 15 17. 17. 24. 28. 18. — 16. 25. LA SOURCE DE LA GUERISON- // se lassait de tout — He tired of everything. // avail le degoul de la vie par la saliele. — He was satiated with the pleasures of life. Un servileur en qui il a confiance- — A trusted servant. El le voila qui chemine. — And now he is wandering. Le matin ilsy collent leurs ttvres. — In the morning they put them to their lips. Ne fai-je done amene ici que... — Have I brought you here only to... B. sejette a genoux. — B. falls on his knees. // distingue le m^urmure, le ruissellement d'une source. — He distinguishes the murmuring, the trickling of a spring. Une nappe d'eaufraiche. — A sheet of cool water. Quel bonheur de te voir revivre ! — Wat happiness to see you revive / lis burent d, grands traits et se plurent a voir. — They drank in long draughts and were pleased to see... Je penserai aux autre s etje tdcherai defaire du bien. — I will think of others and try to do good. II jit bdtir pour les voyageurs. -Hq caused to be built for travelers. NOTKS. :27I Page. 19.- Line - 2 16 19 20. — 5 16, 25 12 26 22. 23. — 29. 2. 24. — I. 24. L'INFIRME. y^ vermis de m' installer.—! had Just taken my seat. Je vais prendre les poignees. — I will catch hold of the handle. Quand Vhomme eutfait entrer son torse. — When the man had dragged his body into the compartment. Qu'un autre pilon pareil suivit bientot. — Followed quickly by another one. Ildeposa {tous les objets) dans le filet... — He put them in the rack... // etait atteint de cette obesite poussive. — He was afflicted with that extreme obesity. La f untie vous gene-t-elle ? — Does smoking annoy you? O Halt perdu dans cette brume ou V esprit... — It was lost in that mist in which we grope for remem- brances. Au lieu de nous observer a la derobie. — Instead of looking at each other by stealth. Avec ce vague de Voeil et de la voix. — With that uncertainty of eye and voice. Ce g argon qui conduisait les cotillons. — That young man who led cotillions. II y avail de V amour la-dedans. — There was some- thing of love in it. Comme un petard qui s*allume. — Her name flashed into my mind. (^Litter. : like a bomb which explodes.) Elle s' etait donnee. — She had given herself to him. Uhe autre supposition vintse substituer a la premiere. — Another idea replaced the first. J' en suis resti aux preliminaires (du mariage). — I stopped at the preliminaries (of the marriage). J'eus Fair de m,e souvenir tout a coup. — I pretended suddenly to remember. Ce n^ est pas pour faire parade de genirosite. — It is not to make a parade of generosity . 27^ NOl^KS. Page. Line. 25. — 2. Pour satisfaire V admiration de la galerie. — To attract general admiration. II. Pouvais-je meme lui donner tort, a elle? — Could I even think her wrong ? 14-15. Ces moignons heroiques appelaient un beau sacri- fice qui me m>anquait. — Those heroic stumps sug- gested the idea of a noble sacrifice which was lacking. 26. — 5. On se 7nit en route, — They started on their way. 7. Comme elle aurait pu ienir. — As she might have held. LA CLOCHE. 27. — 4. Quifaisait m,al a entendre . — Which was unpleasant to hear. 10. Cheveux blancs pareils aux icheveaux,., — White hair like the skeins spun by... 16. Un cadeau dHmportance. — A valuable present. 28. — 6. // dev ait fair e d.pied environ deux lieues de pays, — He had to go about five miles on foot. 11. La vie des arbres... bruissait sous le soleil, — The life of the trees... was rustling under the sun. 20. Les cerceaux des cotes et les os pointus de la croupe ... — The curved ribs and the sharp bones of the croup bursting through the old skin. 24. Des m^aillots rosdtres etoiles de reprises. — Tights of a faded rose color spotted with darns. 29. — 2. Couleur de cuir fraichement tannL — Color of leather newly tanned. 16. O est lui qui nous faisait vivre^ — It was he who gained our living. 20. Je sais jongler et m>a m^re dit la bonne aventure, — I can juggle and my mother tells fortunes. 30. Nous ne savons que /aire des tours. — We can only play tricks. 30. — 10. Ses yeux de tzigane que la prune lie remplissait tout entiers. — Her gypsy eyes with very large pupils. NOTES. 273 Page. Line. 30. — 21. 25. 31- 32. 3- 4. 10. 12. 3- 21, 23- 29. 33- 34. 16. 21. i5'//e se decouvrait h lui, — He saw in her another woman. 27. Elle se detourna avec un pen de gene. — She turned away a little embarrassed. 117. — 7. Le capitaine et la jeune fille cote b. cote. — The cap- tain and the young girl side by side. 17. Le jour de Van. — New Year's day. 18. Une sourde inquietude le travaillait. — A great anxiety troubled him. 118. — 8. J'ai m^aintenant une esperance... — I have now a hope. 13. Les l^vres sur la rude torsade de galons. — Her lips on the rough bullion. LE LOUIS D'OR. 119. — 2. Son deruier billet... agrippe par le rdteau du ban- quier. — His last hundred franc bank-note raked in by the dealer. 8. La large banquette de cuir qui. . . . — The wide leather seat which was all around.... 13. Pistolets d^ordonnance — Ordnance pistols. 17. La bouche pdteuse.— With a feverish mouth. % NOTES. 295 Page. Line. 120. — I. O71 etait h la veille de Noel. — It was Christmas eve. 6. Porta7it le caban rdpL — In his tattered cloak. 12. Le dix-sept n' est pas sorii. — The number seventeen has not been drawn. 14. Je donnerais mon poing h couper, — I would wager my fist. 25. Lejoueur decavi. — The ruined gambler. 29. Pr'ts de laporte monumentale d^un hotel, — Near the monumental gate of a mansion. 121. — 2. Une robe noire en toques. — In a ragged black dress. 6. Sa pauvre petite tete.,. — Her little head and shoulders sunk back in a corner of the wall. 24. Se rappelant la touchante legende. — Remembering the touching legend (Santa-Claus.) 122. — 17. II grintpa V e scalier en quelques enjambees. — He mounted the staircase with a few steps. 22. Enplein sur le 17. — All on 17. 27. // fit encore le par o It deux fois, — He risked it all twice more. 123. — I. Pontant des deux ou trois cents louis d, lafois, — Playing two or three hundred louis at a time. 8. // j etait ses poignees de louis sur le tableau^ au hasard, d, la vanvole. — He threw his handfuls of louis on the table, carelessly, recklessly. 23. Le chef de partie. — The croupier. 25. La banque d, saute. — The bank is broken. 124. — 17. Le cerveau traversi d^un horrible soupgon. — With . a horrible suspicion in his mind. 23. iltreint h la gorge par,,.- — Choked by the most frightful anguish. 125. — I. Une brunieuse aurore de dicembre.... — The fog of a December morning clouded the window-panes. 2, L» ntit sa montre en gage. — L. pawned his watch. 7. Iln^ a que sa solde pour vivrCy mats il s^en tire, — He has only his pay to live on, but it is enough for him. 12. La Kasbah. (This is the name given by the Arabs to the citadel and palace of sovereigns. The last dey of Algiers resided in the Kasbah.) 296 NOTES. LA NIHILISTE. Page. Line. 126. — 9. Le monde parisien renaissant de ses cendres. — Parisian society rising from its ashes. 17. Gravelotte. — A small village near Metz, where, on the i6th of August 1870, a bloody battle took place. 19. Par le temps qui court. — In these days. 21. De fait il ne me souvient gu'^re. — In fact I do not remember. 127. — 4. Depuis la simple toquade.,.. — From a mere infatua- tion to.... 6. Mireille. — A rustic poem by Mistral, in the Proven- gal dialect. The French composer Gounod wrote on this subject a charming opera (1864). 7. Les Huguenots, — A celebrated opera by Meyerbeer (1836). 13. Elle renvoyait Padm^iration comme.... — She reflect- ed admiration as her diamonds reflected light. 27. Oest'h-dire aux pieds de vos dents.— Thsit is to say they worship your teeth. 128. — I. Le prince n'etait pas commode. — The prince was not of an easy temper. 15. Le cabinet noir, — This name, the black office, was given to a secret office in which private letters were opened. . 22. Sur tous les tons et da^is toutes les mesures, — In every key. 1 29. — 2 . Si la princesse avail le mauvais csiL— If the princess had an evil eye. 6. TJne coquette enragh. — A desperate coquette. 7. Ce dont il iprouvait une satisfaction relative, — Which was a slight satisfaction to him. 129. — 19. L>u premier coup et sans tdtonner. — At the first attempt and without hesitation. 130. — 6. Au risque de la paille du cachot, — At the risk of prison straw. 15. Que fallait-il f aire cependant? — But what was to be done ? Page. Line. 130. — 25. De lui-'inenie V assassin se livrerait. — The assassin would deliver himself up. 131. — 10. Sans paraitre y attacker d'' importance. — As if it were of no importance. 132. — 5. Le concierge prM par la cinqui'^nie section. — The janitor who was a member of the detective-corps in disguise. 22. Un parloir fort maussade. — A very gloomy parlor. 133. — 3. Sije la connais ! — Do I know her ! 8. Sans avoir Pair d' entendre. — Without seeming to hear. 13. Fieschi. — A conspirator, born in Corsica, who at- tempted to kill king Louis-Phillipe with an in- fernal machine in 1836. 26, Mon cabinet me reclame. — I am wanted in my office. 31. Com,ment se fait'il que..., — How is it that I never suspected anything ? LA M^MOIRE DU CCEUR. 135. — 6. Tout exprls. — For this special purpose. 11. Qui ne saurait piaire. — Very displeasing. (The verb savoir is used here with the meaning of pouvoir.) 12. // doit leur en r ester quelque chose. — They must retain a part of the image. 136. — 6. Celui-ci s^ Slant hasardS a insinuer. — The latter having ventured to hint. 16. A moins d'etre de tout point semblable. — Unless she be in every point like . . . 18. // ne s' engageait gu^re. — He was not committing himself much. 23. De longs cheveux souples quis' ecoulaient. . . — Long soft hair flowing like liquid ebony. 137. — 5. Ne daignait pas prendre garde au danger grandis- sant. — Would not condescend to notice the growing danger. 298 NOTES. Page. Line. 137- — 8. Le pays ne manquerait pas d^Hre ravage. — The country would certainly be ravaged. 16. Ou Vaube feint de rose et de bleu les vitres. — When the dawn tints the window-panes with blue and pink. 18. Un tireli d'alouette. — The warble of a skylark. 24. Ses cheveux doraient le soleil plutot quHls tCen itaientdoris, — Her hair seemed to lend a golden hue to the sun rather than to be brightened by it. 29. Tout ckarme quHl fM. — Charmed as he was. ( Tout charmi quHl etait would be more correct. After tout,., que the indicative must be used.) 138. — 9. II faudrait,.. que d^un tniroir oil elle se serait iter- nisie ton image sortit vivante. — It would be necessary... that I should meet your living image. 18. lis s* ensoleillaient fd et Id. — It was here and there of a sunny shade. 27. Quelque m^ chant gtnie devait se jouer de lui. — Some wicked fairy was playing tricks upon him. 139. — 10. Cefutpis encore, — It was still worse. 16. Ou volette le tireli des alouettes. — Where the sky- larks are fluttering and warbling. 18. Quant d ce qui etait de sa bouche, — As for her mouth. 27. Pour unpeu.-— For a little more. 140. — 2. Aux yeux bleus comme le lointain de Vaube. — With eyes as blue as the dawn in the distance. 8. Dont c'' etait la coutume de regarder par le trou des serrures, — Who was in the habit of peeping through key-holes. MA FEMME VA AU BAL. 141. — II. Etj'ai une faim! — And I am so hungry ! 18. Je vous manage une petite surprise, — I have a little surprise for you. 142. — 6. TienSy je ne veux pas fimpatienter. — Well ! I do not wish to try your patience. NOTES. 299 Page. Line. 142. — II. Qu'a done '>na fenime aujourd' huil — What is the matter with my wife to-day ? 13. Er7iestine^ qui n'ajait qu' entrer et sortir. — E. who just ran in and out. 14. Elle vient de niettre sa fenime de ehambre d. la porte, — She has just discharged her chambermaid. 17. O est tropfort. — That is too much. 22. Quejesuis etourdie ! — How thoughtless I am ! 25. Rit-elle toujours de iravers pour cacher sa dent bleuel — Does she always try to hide her bad tooth in laughing. 143. — I. Voyons.de quoi s' agit-il 9 — Well ! What is it about? 6. Patatras ! je nCen doutais. — There ! I suspected it. 17. J^ai ripondu^ mats en Pair, tu sais. — I answered, but carelessly, you know. 18. Oh baste f je n^y tiens pas du tout. — Oh well ! I don't care at all. 24. Pomard, — (A Burgundy wine.) 29. J^entends ton gamin de fits qui, . . . — I hear your ras- cal of a son who.... 144. — 8. On ne vous lac he pas comm^e cela un bal a bout por- tant. — One should be prepared for such an event. 19. Le perdreau cuit a point. — The partridge done to a turn. 30. II y aun petit bout {de la bague) qui se detache. — There is a little bit which is loose. 145. — 19. J'embrasserais ma femme, tout b element. — I would simply kiss my wife. 26. II y a des moments ou il vous monte. . . — At certain moments your brain is full of poetry. 146. — II. Tu m'y/ais penser. — You remind me. 17. Puisqu^il est privenu, c'e perruquier de m,alheur. — Since he has been ordered, that nuisance of a hair-dresser. 147. — ^s Je serai deguise en noir... — I will be dressed in black from head to foot. 7. Le pav^ est gras. — The pavement is sticky. 3CX> NOTES. Page. Line. 148. — 23. Coiffez-moi toujours. — Well, dress my hair all the same. 24-25. // m'est impossible de coiffer. ... It is impossible to dress Madam's hair without knowing into what society she is going. 149. — 18. Pas malen Fair... — Quite high, not too neat, that is the rage. 20. Madame mettra-t-elle une pointe de brun sous VceiP. — Will Madam blacken her eyes a little . 26. Elle me le pay era, — She shall pay for that. 150. — 2. L'oreillede Madame pousserait la modestie... — Is Madam too modest to understand.., 4. 6". pousse un nuage leger.,. — S. shakes a light cloud of perfumed powder. 21. Encore une nuit blanche,,,. Fouette, cocker. — One more sleepless night.... Hurry up, coachman. 151. — 7-8. Et bon train ; je tombe de sommeil. — And very fast ; I am dropping with sleep. MADAME JAMBE. 152. — II. Cantinilre dans un regim^ent de ligne, — Canteen- woman in a line regiment. 17. En Algerie oil elle tint long temps garnison. — In Algeria where she was garrisoned for a long time. 153. — 3. Ma^nan J. avait plus d^une corde d son arc. — Mamma J. had more than one iron in the fire. {Litter.-. More than one string to her bow.) 15. D' accord avec son mari, elle decida.,,, — With the consent of her husband she decided.... 17. // devint enfant de troupe. — He became a young soldier in the regiment. 22. Tout le monde etait convaincu qu'il aurait une bril- lante carri^re. — Every one was convinced that his career would be a brilliant one. 23. Le m^Snage J, nageait e?i plein bonheur, — The J. family was very happy. NOTES. 301 Page, Line. 154. — 6. Un an aprts sa mise d. la retraite. — One year after her retirement. 10. Cen etait trop. — That was too much. 14. Toujours h Vaffut des evinements. — Always on the watch for events. 26. Pontarlier, — A small town in the department of Doubs, in France. 155. — 7. Belfort-r- A stronghold in the East of France cele- brated for the brave defence of the French colo- nel Denfert-Rochereau during the Franco-Prus- sian war of 1870-71. 10. On signalait les Frangais d^un cote. — The French army was reported on one side. 16. Car^ cequi suit, cest d'elle queje le tiens, — For it is from her that I have what follows. 18. Au petit jour, — At day-break. 156. — 5. Une vieille, ga passe par tout. — An old woman can go anywhere. 23. Les soldats se mirent a fouiller la maison, — The soldiers began to search the house. 30. Oitait Hen mon sang, celui-lct. — He was indeed my own son. 157. — 4. En enveloppant les prisonniers d^ungeste de fureur, — Indicating the prisoners with a furious gesture. 12. Un de ses compagnons vient de le tuer. — One of his companions has just killed him. 27. On me colla au mur. — They stood me against the wall. 158. — 3. Et me fusilier cette femm^e-la. — And shoot that woman there. {Me here is expletive but renders the sentence more forcible.) 4. Cest vous qui y passerez. — It is you who will be shot. 5. Ses soldats qui couchaient enjoue les m^alheureux,,, — His soldiers who aimed at the unfortunate ones... 16. Enjoue \ — Take aim ! 19. Ilsjirent volte-face, — They turned right about face. 302 NOTES. Page. Line. 159. — 3. Le commandant avait envoy e des houlets dans le tas. — The commander had fired into the crowd. 5. Les canons couvrirent la retraite. — The cannon covered the retreat. 8. Je me les suis rappelSs {ces iv'^nements) V autre jour. — I recalled them the other day. LE GARDE. 160. ^7. Se manifestant par des droleries.», — Manifesting by sarcastic drolleries but never by sadness. 19. Jumi^ges, — (A village near Rouen, in Normandy.) 161. — 4. Gendarme en r etraite.'— A reXixQd gendarme. (This is the name of a select body of troops watching over the public safety.) 14. Une sorte de chenapan. — A kind of scamp. 16. Trois kilom'^tres. — (A kilometer is a little more than 1.093 yards.) 18. Ce garnetnent, — This good-for-nothing. 18. Unpen crochu. — A little bow-legged. 20. Unduvetdepouleplum.ee. — Litter*: A down like that to be seen on a hen after plucking. 22. // louchait unpeu. — He was a little cross-eyed. 25. C^etait un putois ou un renardy ce galopin-lh, — This young rogue was like a polecat or a fox. 162. — I. Ratas. — A popular name for stews. 7. Vn grand braque du Poitou. — (A kind of large hunting-dog especially bred in Poitou, formerly a province in the western part of France.) 9. Un epagneul de Pont-Audemer. — A spaniel from Pont-Audemer (A town in Normandy.) 12. Et mon fusil en bandouli^re. — And carrying my gun on my shoulder. 15. Canteleu. — (A village near Rouen.) 17. Avec des replis de serpent, — Like the coils of a serpent. 20. La/oret de Roumare. — (A forest not lar from the river Seine.) NOTES. 303 Page. Line. 163. — 2. Elle marchait le haut du corps..,. — - She walked with her body so bent that it formed a right angle with her legs. 8. Fauipenser que c'est p't-etre. (The correct senten- ce would be: II faut penser qu£ c'est peut-etre.) 15. Dont j ' avals serve la main. — Whose hand I had shaken. 24. Y a du out et y a du non. — May be, may be not. (In popular language^ a stands for ily a.) 25. y a bien de quoi qui ne me va gu^re. — There are many things which do not please me. 164. — 6. Oh f pour du gibier y en a, y en a, — As for game there is plenty of that, {y en a is for il y en a.) 7. /'ai eu I ^ceil. — I have kept a good watch. 20. Oest rapport d, lui que j^en ai sur le cceur. — It is on his account I am feeling sad. 30. On colletait dans... — Traps were set in the woods of.... 165. — I. Pincer. — To catch. 6. Le gueux. — The rogue. 7. Mais v'lct qu'unjour. — ( VHct stands for voild.) Cavalier uses many popular expressions \ y en a, v'ltty c'est rapport d lui, p't etre, comment que fa.) 18. Le sang ne m'en a fait qu'un tour. --My blood boiled. 19. /'ai tape, allez! — I licked him, I bet you I did ! 166. — 19. Et il se mit a le fesser. — And he began to spank him. 24. Par une pesee sur les epaules. — By a pressure on the shoulders. 28. Le congedia d 'une gifle, . — Send him off with a blow which nearly stretched him again on the ground. 167. — 2. fa me fait deuil, — That grieves me. 14. Le battant de gros chene. — The heavy oak-door. 25. Le rez'de-chaussee n'etait plus qu'une fournaise ardente. — The ground-floor was all ablaze. 168. — I. fe tirai un coup en plein dans sa fenetre. — I fired once into his window. 304 NOI'KS. Page. Line. 168. — 2. Les six carreaux jaillirent.,., — The six panes showered into the room like a cloud of glass. 16. S' Hargissant comnte un panache de jet-d'eau. — Spreading out like a jet of water. 19. Elle ne fut plus qu'un grand paquet deflammes, — It was nothing but a mass of flames. 20. Comment que ga a pris ? — How did it take ? (stands for comment cela a-t-ilpris ? ) 169. — 16. Affole par une irresistible fureur. — Crazed by an irresistible anger. 25. // se mit dr gr alter la terre... — He began to claw the ground with his hands and his knees. MARINETTE, 171 — 5. La Faraude. — (A popular expression for a woman who his proud of her clothes.) 8. Lhuissier. — The sherif. 17. // avail ferm^e les yeux sur les nippes. — He had overlooked the clothes. 22. Qui composaient les atours printaniers de M. — Which formed M's spring outfit. 172. — 2. Un fourreau de merinos r apiece. — A patched and scant merino skirt. 5. Dont elle se drapait h la Romaine, — With which she envelopped herself in the Roman style. 17. Dans ce foyer on naurait pas trouve une pincie de cendre. — Not a pinch of ashes could have been found on that hearth. 25. Memes yeux brillants d^un bleu sombre. — The same bright eyes of a dark blue. 173. — II. Le grand pot servait de tirelire. — The large pot was used as a money-box. 17. Des etudiants logeaient en meubU... — Students lived in furnished rooms on the first floor. 174. — 2. TJ71 professeur de droit, — A professor in the law- school. NOTES. 305 Page. Line. 174. — 10. HistoirCy quelquefoiSy de leur rendre service ci V oc- casion. — Only, sometimes, to render them an occasional service. 20. Lesyeux de Marinette parlaient si vivement, — M's eyes spoke so eloquently. 26. M, dont les yeux sombre s s* allumtrent. — M. whose dark eyes brightened. 175. — 5. Etbien plus forte, va. — And much stronger, indeed. 14. Un comte qui tourne autour d^une jeunesse. — A count who is always hanging around a young girl. 19. // le mit aux arrits, — He put him under arrest. 24. Meferait repentir de ma hardiesse, — Would make me repent of my boldness. 28. Oil tu vins au monde. — Where you were born . 176. — 3- Jamais il n^y aura que toi.... — I shall never love anyone but you better than I loved him. 6. Ni foi, ni dme, ni entrailles. — No faith, no soul, no heart. 18. Elle allait chancelante. — She tottered. 23. La fillette s^ as sit d, son chevet, — The young girl seated herself at her bed-side. 24. Tremblant la fitvre. — Trembling with fever. 177. — 14. Malhpropos. — Unfortunately. 25. Ne fut-ce que pour etre bien sHre que.,,. — If it is only to be certain that.,.. T78. — T. Se coiffer de paille. — To wear a straw-hat. 12. Le concierge ne lui marchanda pas un sourire indul- gent. — The janitor smiled indulgently at her. 17. Ce potentat n^ avail point la m,em,e inclination de douceur, — That important person was not so amiably inclined. 26. // avail un rang sup^rieur h I ^office. — He had an important position among the servants. 30. Qui se seraitfait tuer pour lui, — Who would have given his life for him. 179. — 10. Son pauvre petit m,anteau etrique. — Her shabby and scanty cloak. 3o6 NOTES. Page. Line. 179. — 16. Toute la richesse de sang qui Halt en elle se rSvolta. — All her blood revolted. 20. Monplre est mort h la peine. ■— My father died from overwork. 25. Elle laissait derri'tre elle^ en marchani, comme un sillage d^ ombre. — She left a gloomy impres- sion behind her. (^Litter.: a shadowy track.) 180. — 3. Voire conscience de seize ans qui veut eclair er la mienne. — Your conscience of sixteen years which wishes to dictate to mine. 12. M. en avail long d conler. — M. had much to tell. 24. Elle promenait ses doigts avec delice sur.,.. — La Faraude fingered with delight these.... 27. Ne risquait plus tant d^Hre dSpouillie» — Was not in such great danger of losing. 28. Elle se mil d, rever. — She began to dream. 181. — 3. Elky qui n'itait qu'une paysanne, elle^ la Faraude^ un d^Aigrecour r avail bien aimee ! — She who was only a peasant, she, la i^, had been loved by a d^ Aigrecour ! 5. Secouant alors ce beau songe^ — Putting aside this beautiful dream. / L'ENFANT. 182. — I. Le 12 brumaire de Van II. — (The second of Novem- ber 1793.) According to the republican calendar, established by the Convention nationale on the 24th of November 1793, the year began on the 22nd of September and was divided into 12 \ months of 30 days each, to which were added 5 days called complementaires. These 12 months were denominated as follows : In autumn : Vendemiaire, Brumaire^ Frimaire. In winter : Nivose, Pluviose. Ventdse. In spring : Germinal, Florial, Prairial. In summer : Messidor, Thermidor, Fructidor, Page. Line. NOTES. 307 ^.. The first year of this new era began on the 22nd of September 1792. 182. — 2. Ci-devant. — Formerly, i. e. before the aboHtion of titles. (During the French Revolution people of noble birth were often called ** des ci-devant y) 5. Un arbre de la Liberte,^ A Liberty pole. (During the Revolution poles were raised on some public grounds as emblems of Liberty. At the top was a red cap called '' bonnet phrygien'' 9. Ses cheveux etaient coupes a la Titus. — His hair was cut short. 10. Une carmagnole, — (The name for a short vest in- troduced by the members of the club '' Les Jacobins,'^ ) 10. En guenilles. — In rags. 13. Vous etes fait tout a fait comme ilfaut. — You are dressed according to the fashion of the day. 14. Mais le salut ne vapas avec le costume, — But your V* salutation does not accord with your costume. 16. Le tribunal revolutionnaire. — The revolutionary court, (sitting in the Palais de Justice and which condemned so many victims to death.) 183 — I. Je lui dois mon temoignage . — I must testify in his behalf. 5. Gouverneur du Dauphin. — The eldest son of the king of France was called '' Le Dauphin'' from the time of the reunion of the province '' Le Dau- phine'^ to France in 1343. J84. — 2. Des Jacobins. — Some members of a revolutionary club called '^ Club des Jacobins'' because its ^ meetings were held in the old convent of the ^^ Jacobins. ^^ 3. La BourbCy la conciergerie. — Two, jails in Paris ; the latter is located in the Palais de justice. 10. La tour carree de la grosse horloge. — (This is the name of a square tower with a large clock, loca- ted at the corner of the Palais de Justice next to the bank of the river Seine.) 308 NOTES. Page. Line. 185. — 6. Capet. — The surname of Hugues, the first king of the third dynasty. When king Louis XVI. was put in jail, this nickname became his official name. 19. La tricoteuse, — This name tricoteuse was given to women of the lowest class who knitted while attending the trials and executions. (See Dickens *' Tale of two cities.'') 21. Ces gueuses. — These wicked women. 186. — 2. Marat. — The famous demagogue editor of the pa- per VAmi du Peuple. Was stabbed in his bath by Charlotte Corday in 1793. 4. lis auront beaufaire. — But in vain. 5. Ilfaudra bien quHls la crachent au panier. — (Slang expression.) Their heads must drop into the basket. (In front o^ ihe gtdllotine is a basket full of sawdust into which the head drops after the fall of the knife). 29. Les Septembriseurs. The men of Septembre (i. e. the men who took part in the massacres com- mitted in the jails of Paris on the 2nd, 3rd, 4th, 5th, of September 1792). 187. — 14. On va te saigner, gueuse. — We will draw your blood, villain. 2 2 . Elle promena lentement les yeux sur la foule. — She calmly surveyed the crowd. LA FIANCEE DU ROL 189. — 6. Dans les buissonsfrisson7iaient ces frileuses roses de novembre,... — On the bushes were those deli- cate roses of November. 14. Ce soleiL. qui rayonne d'un iclat doux et triste- vient cares sant. — This sun... which shines with a soft and sadly caressing brightness. 20, Pour ni' abandonner au dSmon du songe. — To aban- don myself to the demon of dreams. NOTES. 309 Pacre. Line. 190. — 14. Onduleuse coinme de molles chevelures. — Waving like soft hair. 20. Ulysse.,. s' enivrant de leurs chansons, — Ulysses., intoxicated by their songs. 23. Ces seduisantes Dalilas de la mer. Those attracti- ve Dalilahs of the sea. 191. — I. Toute laide et torse* — Ugly and deformed. 5. // en devint perdu d^ amour. — He fell desperately in love with her. 9. Comtne il sied aux traitres des contes.— As be- comes traitors in a tale. 23. Le carrosse de gala. — The gala-carriage. 25. Nous y passerons au frais les... — We will pass there in the open air the... 192. — 6. La caravane s^^figage dansune epaisse foret. — The caravan enters a thick forest. 26. Elle ne devait pas mourir. — She could not die. 193. — I. Entre parentheses. — By-the-way. 9. Au fond du fond de Vabime. — In the deepest part of the sea. 12. // attribue ce changement h un invincible malefice. — He attributes this change to an invincible witchcraft. 19. De quoi assouvir. . — With which to satiate... 22. Le coup de baguette. — The stroke of the wand. 27. V Orient sotnnieille derri'^re ces cantil'^nes. — The Orient slumbers behind these cantilenes. LE TOURNIQUET. (THE WHEEL OF FORTUNE. ) A tourniquet is a kind of wheel of fortune with which to play a game of chance. 194* — 5- ^^ ^^ portant d, son comble. — By continuing it to its utmost extent. 12. Les partis ne lui manquaient pas. — He was not at a loss to find a suitable match. 3IO NOTES. Page. Line. 194. — 14. Cest une enigme que les jeunes filles. — Young ladies are a puzzle. {^Que is redundant here.) 18. // en avail fini avec le roman. — The days of ro- mance were past for him. 20. Pour s^asseoir en face de lui a son foyer, — To sit opposite him at his fireside. 195. — 4. Ce Parisien de la decadence. — (It is a fashion with some people to say that the French society is declining.) 13. Unparli magnifique. — A splendid match. 20. Adrien devail s' arreler la, — A. might have stop- ped there. 23. Samuel Bernard. — (A rich financier during the reigns of of Louis XIV and Louis XV (1651-1739.) 25. Elle savait hfond. — She knew thoroughly. 26. En prenait texle. — Made use of it. 29. La Regence. — (This name is, in French history, used for the administration of Philippe d'Or- lianSy during the minority of the king Louis XV (1715-1723.) 196. — 8. La voix de Pune d^elles lui alia au cceur. ■ - The voice of one of them touched his heart. 16. Im jeune fille a la cruche cassie. — The young girl with a broken pitcher. (A fine painting by Greuze, a French painter (i 725-1825). 19. Noble faubourg, — (This name is given to the Fau- bourg Sainl- Germain^ on the left bank of the river Seine, where the nobility resides). 31. Un vrai salon Louis XIV, — A drawing-room in the style of Louis XIV. 197. — I. Rie7i n'y manquail, — Nothing was lacking. 3. Mestre de camp. — Formerly the colonel of a regi- ment. 5. Rinceaux. — (Carved or painted ornaments in the form of curved branches with leaves and flow- ers.) 5. LargilliWe. — (A French portrait-painter (1656- 1746.) who was called the French Van Dyck.) NOTES. 311 Page. Line. 197. — 6. Rigault. — (A French painter (1659-1743) who excelled in portrait-painting.) 7. Brocart bleu de roi. — Royal blue brocade. 8. La pendule a soleil. — The sun-shaped clock. (Louis XIV took for his emblem a blazing sun with this proud motto : Nee pluribus impar^ and he is sometimes called le roi soleil.) 10. Perruque a marteaux. — A wig with long flowing hair. 15. Boule. — (A celebrated cabinet-maker born in Paris 1642-1732.) 18. Auquel on donnail du monseigneur. — Whom they addressed by the title of monseigneur^ (as if he were a bishop or a prince.) 19. Lui faisait vis-a-vis. — Was sitting opposite him. 23. Pekin prune tout unie. — Of plain prune-colored silk. (P^kin is the name of a silk-fabric origin- ally made in China.) 23. Sans crier gare. — Freely. 25. Appeler un chat un chat. — To call a spade a spade. {Litter. : to call a cat a cat.) 27, Ne soufflait mot. — Said nothing. 198. — 6. Impossible d\en tirer une parole. — Impossible to make her speak. 8. Une demoiselle de Saint- Cyr. — A Saint-Cyr school girl (Saint-Cyr is a small country-town near Ver- sailles. Madame de Maintenon, the second wife of king Louis XIV, erected in this town large buildings devoted to the education of poor young ladies of noble birth. These buildings are now used for a military school.) 199- — 3- ^^^ fi^^^ des preux. — A daughter of the old nobility. 6. Une carpe. — A dull lady. (When in English they say : as dumb as an oyster, French people say : m,uet com^me une carpe.) II. Faites un essai loyal. Give her a fair trial. 13. Quinze jours de grace. — A fortnight's grace. 312 NOTES. Page. Line. 199. — 27. Sous un pli parfumL — In a perfumed envelop. 200. — 2. Qu' allait-elle /aire dans cette gal'^rel—VJhdX "wowld she do there? (In the comedy '' Les Fourheries de Scapin,'^ by Moli^re, Scaphi wishing to get money from the old man Gironte makes him believe that G^ronte's son, LiandrCy is kept as a prisoner on a Turkish galley and will be released only after paying a large sum of money. The old miser is in despair, nevertheless he is willing to pay the ransom. But before handing the money to Scapin he repeats several times in the most comical tone : qu' allait-il /aire dans cette galore ? — What had he to do in that galley ? This expression has become proverbial). 7. Roues des tourniquets gringants. — The creaking wheels of fortune. 7. Guignols. — Punch and Judy. 12. Echappee d^un tableau de Watteau. — Looking as if she had stepped out of a Watteau-painting. (Watteau was a celebrated French painter of the i8th century, 1684-1721). 19. Le comte avait — The count had at this time almost forgotten finances and colonels (i. e, : Miss Bernard and Miss de Hautefort). 23. En toilette de berg^re du Tendre, — Dressed like a shepherdess of Tendre. [The Pays du Tendre was an allegorical Country of Love described by Mile, de Scudery in the 17th century, on the map of which the names of cities and rivers were called Tenderness, Love, Passion, Hatred, Disdain, and so on.] 20. Le chevalier de Boufflers. — A French author and poet (1737-1815). 31. Chiffonne par la main des Graces. — Dressed by the Graces. (Three beautiful goddesses who, ac- cording to Greek mythology, attended upon Venus). 201. — 3. Tout en lui reprochant. — While rebuking him. NOTES. 313 Page. Line. 201. — 4. Ce n'ctait pas tout a fait fa. — She did not entirely meet his expectations. 9. Un petit rire sac cadi mis a la place des paroles qui ne lui venaient pas . — A Httle forced laugh in the place of words which did not come to her. II. Trahissait P ernb arras de la vaniti aux abois. — Betrayed the perplexity of vanity at bay. 18. Une casaque collante, — A close-fitting bodice. 20. Chamarris d, la mode des Valois. — Trimmed according to the Valois style. (The dynasty of Valois ruled France from 1328 to 1589.) 23. Charles IX. — A king of France from 1560 to 1574. (One of the Valois dynasty). 202. — 10. Craignant que sa presence ne fit taire le ruisseau jaseur. — Fearing that his presence would silence the babbling brook. II. Elle etait lancie. — She was excited. 203. — 4. II fait des d-marches actives pour.... — He is taking active measures to. . . . 14. O est au fuari a trouver le secret de la serrure, — It is for the husband to find the secret of the lock. LE CHIEN ET LE LOUP. NoTA.— This charming dialogue, written by A. Daudet when he was only twenty years old, is an imitation of the fable "Le Loup et le Chien " by La Fontaine. For a comparison it would be well to read this fable, in La Fontaine's works, book L, fable V. 204. — 2. Un filet saignant et du chablis. — An underdone filet and some chablis. (Chablis is a small town in Burgundy, and is renowned for its white wine). 5. Deux ceufs sur le plat avec un doigt de vinaigre, — Two fried eggs with a little vinegar. 8. Quelque agioteur en diveine. — An unlucky specula- tor in stocks. 314 NOTES. Page. Line. 204. — 10. Un boursier a la hausse. — A bull (term used in the Stock-Exchange. A bear is a boursier h la baisse). 12. La vue de ce pauvre diable et le cote h cote,,.. — To see and to be so close by that poor wretch will be a great annoyance to me. 16. Pour un rien je lui offrirais. — I have a mind to offer him. 18. Encore un peuje lui emprunterais . — A little more and I would ask for some of his filet. 205. — 4. DSjd, six huitres d^englouties. — He has already swallowed half dozen oysters. II. En usez-vous f — Do you use it ? 13. Deux homines h qui la langue demangeait. — Two men longing to speak. 206. — 5. Je redige des entre-filets, des chroniqueSy des f aits- divers, — I write short articles, chronicles, sundries for the newspaper (lafeuille de journal) of Mr. D. 7. Un des piliers du journal, — I am one of the supporters of this paper. II. La Revue des Deux-Mondes me guigne de PceiL — The *^ Revue des Deux-Mondes" (the most famous Review in France) has an eye on me. Or : is eager to have me for one of its writers. 16. La vaisselle plate. — Silver dishes {Plate from the Spanish plata^ meaning silver). 18. Dame! puisque,,,, — Well! since.... {Dame from the Latin Domina is an exclamation used only in good society in France, and is not at all intended as an oath.) 21. La poisie vous liarde des ceufs d la vinaigrette, — Poetry gives you scarcely fried eggs with vinegar. 28. Des billets defaveur. — Complimentary tickets. 30. Des laisser-passer sur toutes les lignes. — Free tickets for all the railroads, 207. — 3. Des coups de chapeau plus que des coups de canne. More bows than blows. NOTKS. 3I5 Page. Line. 207. — 7. Mon existence est loin cf avoir.,.. — My life is far from being so soft and easy. 9. J''ai loue a ChaviUe une chambre grande coinme un de a coudre. — I hired in Chaville (small town near Versailles) a very small room (litt. : no larger than a thimble). 14. Une existence irreguli^rey desordonnee : la boheme, le debraille, la /aim. — You live an irregular, disorderly life, and are always hungry. {La Boheme is the name of the crowd of men, principally artists and men of letters, living irregularly from hand to mouth). 21. Je ne me trouve qu^aux endroits qui ni'ont souri. — I go only where it pleases me. 22. ArmS d^un pain de seigle et.... — Armed with a piece of brown bread and a walnut cane. 25. Faire des debauches de niiires et me saouler comme un lansquenet avec Veau des sources. — To eat blackberries to excess and get as drunk as a lansquenet on spring-water. (A lansquenet is a German foot-soldier supposed to be a hard drinker, but not of water). 28. Je vis dans la plus grande intimiie.... qui me tutoient. — I am perfectly at home in the forest of Orsay, filled with deer and wild-cats with whom I am very familiar. {Litter.: deer to whom I bow, cats which say thee and thou to me), 208. — 8. La narine au vent. — Scenting the wind. 13. Accordez-moi d'y trouver. — Acknowledge that you find there. 20. N"* aye z pas toujour s le nez en P air, petit hanne ton ^ — Don't be always up in the clouds, giddy fellow. {Litter.: un hanneton^ a m3.Y-hug). 21. Regardez-moi vos bottes eculees. — Look at your boots down at the heels. 29. Tenez^ il est trop tard, — Well, it is too late. 209. — 2. Lefumet dujournalism>e m,e m^onte h la tete. — I am intoxicated with the idea of being a journalist. 3i6 Page. Line. 209. — 5. 16. 24. 25. NOtK3. Fichtre. — (Popular expression) The deuce. // faut pourtant que je cueille mes faits-divers. — However, I must go and pick up a little news. Contfne un teneur de livres. — Like a book-keeper. Que me chantez-vous avec voire journalisme, — What stuff are you telling me about your newspaper business. 210. — I. J^ainie ynieux ma fnis^rey 6 gue. — I prefer my poverty, o yes ! {O gue is an old interjection expressing joy, used sometimes as a refrain in popular songs. See in Moliere's, le Misanthrope, Act. L, Scene I : J'aime mieux ma m^ie^ 6 gue). 6. Ma liberie vous faii envie^ — You envy me my freedom. 18. // conviendraii de fawe une fin. — It is time to settle down. 19- J^'ai bien envie..., — I have a mind to.... 211. — I. Le redacieur en chefi — The Editor in chief. 4. Faiigue d'une vie de paresse ei de hannetonnades. — Tired with a lazy and giddy life. 12. Une place y si minirne que vous m.e la fassiez. — No matter how unimportant the position. LES TROIS SEMEURS. 212. — 5. — 6. Les iouffes d^ aub Spine s fleuries secouadeni^ h chaque souffle de la brise, des envolees de pa- pillons ei d^abeilles. — The bunches of flowering hawthorne scattered at each breath of wind, swarms of butterflies and bees. 10. Lejour s''eieini, le del se voile. — The day fades ; the sky darkens. 17. Leurs cheveux en boucles que dSbouclaii le vent, — Their curly hair uncurled by the wind. 23. Ce qu'ils semblaient au dehors y ils V eiaient au dedans. — What they seemed to be they were in reality. NOtHS. 317 Paire. Line 213. — I. Le corps n^est que la doublure de Vdme, — The body is but the representation of the soul. 5. Client off ami de Vauberge Hasard. Litter. : A' famished customer of the inn Hazard. (/. e.\ a man always hungry but seldom eating). 8. Dormant sous Pauvent des granges y n'importe. — Sleeping under the barn-sheds, no matter. 13. Par une grande porte ouverte h deux battants. — By a large wide-open door. {Litter. : with its two leaves open). 22. QuHl enfongaity V ipee au soleil^ les masses en deroute des troupes ennemies. — That with his unsheathed sword he broke through the defeated masses of the hostile troops. 24. Arcs decores de banni^res claquantes ou battaient les ailes de la gloire. — Arches ornamented with fluttering banners on which the wings of Glory were displayed. 26. Ch.y luiy song e ait des songes nioins epiques. — Ch., he, dreamed less epic dreams. 214. — 6. Line sHnquietait aucunement des palais, — He did not care at all for palaces. 12, Pour admirer la rongeur des juveniles aurores ou celle des couchants pensifs. — To admire the rosy light of a new dawn or of the setting sun. 25. Le petit gazouillis d^ufi nid qui se rendort. — The sweet warbling of little birds falling asleep in their nest. 29. Elle itait si vieille et si loqueteuse. — She was so old and ragged. 215. — 2. Trois touffes de cheveux gris se recroquevillant hors d'un foulard. — Three tufts of gray hair escaped from a dirty cotton head-kerchief. 4. Elle itait faite d. souhait pour le disespoir des yeux. — She was so ugly that she displeased every eye. 14. La siculaire sans-dents. — The toothless hag. 15. La poitique du bon Perrault et de madame d'Aulnqy. — The rules established by good- 31 8 NO'i^ES. Page. Line. natured Perrault and Madame d'Aulnoy. (Per- rault (1628-1703.) Countess d'Aulnoy (1650-1705). Both authors of very popular fairy tales. 215. — 19. Les volants de sa robe etaient si remplis de fleurs de pierreries, que.... — The flounces of her dress were so heavily ornamented with flowers made of precious stones, that.,.. 24. Je vous veux du bien. — I wish you well. 29. Foi de bonne fee, — Upon my faith as a good fairy. 216. — II. En icartani^ d^un remuement de cheveux. — In driving away, with a waving of her hair. 23. Cuirasses d'or. — In golden armor. 20, Ch. ne se fit point prier. — Ch. did not wait to be urged. 217. — 6. Ou enfouir ses tresors. — In which he could hide his treasures. II. Ay ant h peine pris garde h ce qui se passait. — Having scarcely noticed what was going on. 19. Cette semaille en vaut bien une autre. This seed is well worth another one. 24. Ses deux bras, lianes pour V embrassement et lys pour la blancheur. — Her two arms, convolvulus for embracing and lillies for whiteness. 29. Sans savoir vers ou. — Without knowing whither. 218. — 6. Les larronSy qui sont toujours aux aguets. — The robbers who are always on the watch. 8. Haillonneux. — Ragged. LE CHEVALIER DE FRILEUSE. Dans le gotit du 18® si^cle. (In the style of the i8th century). 219. — 7. Qui dit peau de philosophe parte d'u?i cuir a toute epreuve. — And who says philosopher's skin, speaks of a leather which is proof against every- thing. 17. On se prenait a V aimer, — One took a liking to him. NOTES. 319 Papce. Line. 219. — 18. De son pied leger. — With his light step. 220. — 8. Les neiges nt'en ont souvent paru empru7itees. — I often thought that the whiteness of his hair was not natural. 14. // tenait extremement h son blason. — He was extremely attached to his coat of arms. 221. — 21. Conime Medisance et Calomnie tiennent dans ces lieiix peuples leurs grands et leurs petits lits de justice. — As Slander and Calumny hold their courts, both great and small, in those thickly peopled places. {Lit de justice meant first the seat occupied by the king during the formal sittings of Parliament, and was afterwards applied to the sittings themselves). 25. FHix qui potuit. — (The beginning of a familiar Latin quotation : Felix qui potuit rerum cognos- cere causas: He is a happy one who can know the cause of things). 31. // n^y a pas possibilitS d ^ en disconvenir. — There is no possibility of denying it. 222. — I. Le mieux c^est d^ en prendre votre parti, — The best thing is to make up your mind to it. 2. Godiche. — Stupid. 8. Contine it sied de le /aire e7i pareille perplexite. — As a dog should do in such a case. 18. Donne-moi une poignee de pattes. — Give me your paw. 20. Le plus beau {temps) du monde pour. ... — (Male- branche was a celebrated French metaphysician (1638-1715). Once in a company he was re- quested to improvise and in spite of his wit was not able to compose anything better than the following silly couplet : ^^11 fait en ce beau jour le plus beau temps du mondCy Pour aller h cheval sur la terre et sur Vonde.^^ We have to-day the finest weather to go riding on earth and water. 3^6 NOTES. Page. Line. 222. — 28. Turc en fit trois bonds par la chambre, — Turc made three bounds across the room. 223. — II. Tu n^ en Hablis pas assez la difference d^avec.,.. — You do not sufficiently establish the difference between a carpet and.... 16. Un premier bdillement d'appetii. — A first hungry yawn. 26. Le chevalier. . . . enianta en silence le rude poil de son menion. — The chevalier began to shave in silence the stiff beard of his chin. 30. Un bourdon bleu.... h cheval sur un rayon de soleiL — A blue drone.... riding on a sun-beam. 224. — 4. Ce pauvre Gilbert. — That unfortunate Gilbert. (A French poet who died in the hospital where he was taken after falling from a runaway horse ; 1751-1780). 10. En mar quant du rasoir.... — Marking the rhymes and hemistiches with his razor. 16. Mon p^re n'y avail point de prStention. — My father was not so pretentious (did not pretend to be a poet,) 18. Tupeux venir prendre les etrennes de ma barbe. — Now that I am shaved you may be the first to caress me. 20. Je ne Vai pas encore embrasse d' aujourd' hui. — (This line is taken from Andromaque, a tragedy by the great French poet Racine, which was performed in 1667 and established the reputation of the young author 1639- 1699). 26. Le pay sage se decoupaiten relief. — The landscape stood out in bold relief. 2 7 . Des chape lets d ' oiseaux s ' ^grenaient sur les bois. — A great many birds were passing in the woods. 225. — I. Sur le pas des chaumi^reSy des marmots. — On the thresholds of the straw-thatched cottages, little children {Marmots^ in familiar English : kids). 7. Filait comme unefl^che. — Sped like an arrow. 13. Passe encore. — That might be. NOTES. 321 Paj^e. Line. 225. — 18. De fagon h depiter ArachnL — In a manner to vex Arachne. (Arachn6 was a young Lydian who excelled in the art of embroidering. Minerva tore one of her embroideries and Arachne in despair hanged herself. The goddess transformed her into a spider). 31. On met ma raiso?i a f epreuve de la truffe. — She (the Countess) tries to blind my judgment with truffles. 226. — 6. Uabbe Delille. — (A French poet (1738-1813) who translated Virgil and Milton into French). 8. Une auberge sortable. — A suitable inn. 13. En fort bet apparat et entour^e de tout son domes- tique. — In a very fine dress and surrounded by all her servants. 17. Flore. — (The goddess of flowers). 20. Zephyrs, — (The wind blowing from the west). 29. Uiie inalterable bonte resplendissait dans tout cet aimable visage. — An unvarying goodness shone in all that amiable face. 30. // fallait I ' enteteme7it du chevalier pour avoir resists. — All the chevalier's obstinacy had been needed to have resisted. 227. — 10. Tant et si bien. — So much and so well. 12, // comprit qu^ elle en votdait d, sa liberie. — He understood that she had designs on his liberty. 17. n illusion, noble dame, habile vos yeux charmants. — Your lovely eyes deceive you, noble lady . 22. // est des gens qui naissent quatri'^me au whist. — Some persons are born to make the fourth at whist. 228. — 4. — 5. Mot charniant qui avail verse dans Vdnie du chevalier des torrents ecum^eux de perplexite. — Charming word which had filled the soul of the chevalier with perplexity. {^Litter, : with foam- ing torrents of perplexity). 23. // s^eloigna, 7ion sans pester interieurement.... — He went away, not without raging inwardly. 322 NOTES. Page. Line. 228. — 30, Ufie telle fidelite ne laissa point de Vintindder. — Such fidelity did not fail to intimidate him. 229. — II. Tin riche surtout d' argent — A beautiful silver epergne. 13. Defraiches bergeries, — Fresh rural scenes. 23. Chateau Louis XIII, •- A castle built during the reign of Louis XIII. 230. — I. Turc lui manquait, -~;He missed Turc. II. II se sentit envie de se jeter aux pieds de lapauvre femme. — He felt a desire to throw himself at the feet of the poor woman. 23. Bas les pattes, done / — Down with the paws, you ! 28. Le domestique se re lira dans sa stupeur, — The astounded servant retired. 231. — 7. Vous vous meprenez, — You misunderstand me. 10. Or, tout est let. — And this is the only thing. 14. Je vous rends les armes. — I surrender. 27. Elle s' as sit devant ripinette, d laquelle elle fit tnurmurer,,,, — She seated herself before the spinet which she made murmur.... 232. — 3. Mais defait. — But in fact. 8. La romance accentuait son ntilancolique refrain. — The romance accentuated its melancholy refrain. 11. Unpeu rodomonts. — Somewhat of a bully. 15. Le printemps lui envoy ait de si bonnes bouffees de renouveau. — The spring brought him such good whiffs of renewed nature. 31. Celibataire comme devant. — Bachelor as before. 233. — 7. Grand chasseur devant Dieu. — Mighty hunter before the Lord. 8. Chiens courants, couchants^ d^arrH. — Hounds, setters, pointers. II. OHait bien la peine. — It was not worth while. NOTES. 323 LA SCEUR DE LAIT. The foster-sister. Page. Line. 234. — 3, En robe noire, en bandeaux bien sages. — With a black gown and her hair plainly dressed. 6. Ses hommes de peine. — His porters. (The men who perform all the rough work in a store). 13. Un petit godet de grenaille de plomb, — A small cup full of small shot. (Used to dry the pen). 235. — 2. Si nous nous en chargions. — What, if we were to take charge of her ? 5. A la bonne heure. — Well, I expected that from you, 6. Se souciant peu d^eire vu. — Not caring at all if he were seen. II. Je viens de faire un bon coup dans les quinquinas. — I have just made a good deal in quinine. 13. Argenteuil.— (A small city in the suburbs of Paris). 13. Ce sera un but de promenade. — It will be an object for our walk. 15, Avait fondu deux maisons. — Had consolidated two houses. 16. Etait le fits du '^Pilon d' Argent.'' — Was the son of the ''Silver Pestle." 21. Guerin. — A French painter bom in Paris (1774- 1833)- 25. Rendant le pain binit h leur paroisse. — (In some churches every Sunday a basket full of small pieces of cake is blessed by the priest and distributed among the persons attending divine service. This cake is paid for by the prominent men in the parish, each in his turn). 27. Ignorant les secrets de la vente d. faux poids. — Ignoring the secrets of false weights. 236. — I. Les Blancs-Manteaux ; Saint- Merry. — (Two parish-churches in Paris.) 5. Dans une maison aussi lourde. — In so large a con- cern. 324 NOTES. Page. Line. 236. — 14. Au Grand- Vef our. — (A first class restaurant in Paris). 22. Un hiritier s'etait fait attendre. — They had waited a long while for an heir. 27. Au moment du coup defeu des colles de poisson. — At the very moment when the business in fish- glue was booming. 30. Une nourrice sur lieu. — A resident nurse. 237. — 3- Nounou. — (A familiar name for a wet-nurse). 21. Couleur de ciel en He. — The color of a summer sky. 22. Son m.e chant bonnet de deuil. — Her ugly mour- ning-cap. 238. — 2. Pas vrai, Mimif — Is it not so, Mimi ? 9. Une tonnelle chauve. — A lattice. 13. TJn casque en pailte de canotier. — A straw-helmet, such as are worn by boatmen. 17. On batifola dans Pherbe. — They had a frolic on the grass. 18. On Jit une partie de canot, — They had a boat-ride. 21. Ah I Von ne s^ etait rien refusS. — They had not been niggardly. 23. Reroutes de sommeil sur les genoux de la bonne, — Sleeping in a heap on the maid's lap. 239. — 2. Citaient decidement... — These Bayards were de- cidedly good- hearted people. 16. Unpeuempote — A little dull. 21. S'animait et se deg our dis sail ^ vue d'oeil. — Grew noticeably lively and bright. 240. — II. Tiens. — For example. 16. J'enprends fiote. — I shall remember that. 27. // va falloir fermer le magasin, — It is time to close the store. 28. Ou le vent de novembre. . . — Where the gas flickers and flares in the November wind. 241. — I. Bayard port e maintenant un gros ventre ci bre to- ques. — Bayard is now a stout man. 12. Q'dy est. — We succeeded. Pape. Line. 241. — 20. 22. 242. — 9- 22. 23- 243- 12. 244. 15 25 II midsummer. How strong these NOTES. 325 Ce n' etait pas malin. — It was not a very difficult task. Nous tenions a garder. — We insisted on keeping. // 7ie se doute pas. — He does not suspect. Out term a ce que la fioce eict lieu chez eux, — In- sisted that the wedding should take place at their home. On est e?iplein ete. — It is Coninie ces fleurs sefitentfort, flowers smell. EfnpressSe comme U7ie fevinie de chambre. — As assiduous as a lady-maid. Elle se laisse tomber dans un fauteuil. — She sinks into an arm-chair. Si bien mis. — So well dressed. Ellejouait a cache-cache. — She played hide and seek Elle ne pent plus s" e'^npecher de /redonner, — She can no longer help humming. Heurtant le parquet de la tete et de V epaule. — Stri- king the floor with her head and shoulder. 245. 17. 23- 246. -- 4. 5. 18. MARCEL. Que is redundant here. lis ont change, eux, maisnon pas latendresse quHls surent nous inspirer autrefois. — They have changed, the friends, but not the tenderness with which they formerly mspired us. Je m'en rends trop conipte. — I am only too well aware. V Ile-de- France. — (An old Province of which Paris was the capital.) Tout inconnues que doiventr ester ces pages. — Un- known though these pages may remain. Et depenser a. — And if I tought of... that would. Ses palettes secouaient une pluie de gouttes. — Its paddles scattered a shower of drops. 326 NOTJ^S. Page. Line. 246. — 21. Le docker ^ jour de rSglise etsa fllche inachevee. — The open tower of the church and its unfi- nished spire. 22. Que fat souvent conlempli. — How often I have contemplated. 28. Le lumineux apaisement qui tombait du del. — And the luminous calm which descended from the sky. 247. — 10. Dans cette ville perdue. — In this sleepy city. 18. Aufond. — In reality. 22. Heures de souvenirs vivants. — Hours of vivid memory. 24. Et vivanty il Vest a un tel degre. — And vivid it is to such a degree, at this moment, the memory of Marcel. 26. Comme on voit son double dans les conies de sorcel- lerie. — As one sees one's double in stories of sorcery. 248. — 3, La plus interessee des combinaisons bourgeoises. — The most interested of bourgeois motives. 9. Donnaient beaucoup a /aire d, P imagination de nies parents. — Made a great opening for the imagi- nation of my parents. 13. // doit avoir un fier fnagot. — He must have a fine hoard. 14. Sa pension, sa croix. — His pension and the yearly income paid him for his cross (of the Ligion d'honneur). (In France the soldiers receive a pen- sion when they have the cross.) 27. N'etait pas sans avoir devini... — Had not failed to guess. 31, Le personnage de 40 ans, louche au foie. — The personage of 40 years, with a bad liver. 249. — 5. A quoi ban et de quoime servirait-il f — For what good, and of what use would it be to me ? 8. Une liasse d' obligations vaudra-t-elle jamais.., — Would any number of bonds be worth... 16. Comme le feuillage se faisait intense... — And how dark the foliage was against the blue sky.«« NOTEvS. 327 Page. Line 249. — 25. Sans doute il lui gardait ce romaftesque devoue- ment. . . — Without doubt he retained for her that romantic devotion... 250. — 4. S' etaient brouillis d ne jamais le revoir avec, — Had quarrelled with their only son, to the point of never seeing him again... 7. Une crSaiure rencontrie d Farts. — A creature whom he met in Paris. 11. La siveriti de la veuve isolie,.. ti* avail pu lenir. — The severity of the lonely widow... had not held out before the idea. 18. Celle rancune d^'aprts la mort — This malice after death. 19. Le plus inexpiable. — The most unatonable. 27. Les bandeaux gris donl s' encadrail. , . — The bands of grey hair wich surrounded her face... 251 — 6. Des iilleuls aux branches emondies et laillees en couverl. — The linden trees with branches trim- med and cut so as to form a canopy. 9. Rev Hue d'une vigne en espalier. — Covered with a trellised vine. 20. II par ais sail mon cadet de plusieurs annees, — He appeared my junior by several years. 21. D^un bleu ccnnme noyL — Of a liquid blue. 30. Vous vousfailes du mal. — You injure yourself. 252, — - 14. Jen^y tins pas. — I could not control it. 15. Nous avians tour a tour fray e co7inaissance avec... — We had alternately made acquaintance with. . . 253. — 9 Un tapis de fines aiguilles sichees. — A carpet of fine dry needles... 12. LHrraisonnCy le naif elan de pitii, — The thougth- less, the naif transport of pity. 14. fe le suppiiais de ne pas m'en vouloir, — I begged him not to be angry with me. 21. Uh coup de foudre d^amitie^ — A burst of affec- tion. 28. // avail si mal h toute Vdmey cet orphelin, — He was so sick at heart, this orphan. 328 NOTES. Pa^e. Line . 254. — 10. Nous voM tons deux h fixer.,, — We both began to make... 20. Son ante diveloutSe de cinguante ans, — His hardened heart of fifty years. 30. Et quil fallM envelopper, — And who needed to be surrounded. 255- — 8. Oitait moi toujour s qui mettais man orgueil h lui ipargner, — It was always I, who took pride in sparing him. 10, Dans quelque ruisselet. — In some little brook. 17. Dans les chinttres d^aventures lointaines que nous 18. Sbauchions.r — In the idle fancies of distant ad- ventures wich we imagined... 256. — 5. Etendus d r ombre d'un plongeon, ^— Lying in the shadow of a diving-board. 6. Ou tapis sur les marches de Ve scalier de pierre. — Or crouching on the steps of the stone stair- case. 15. lime Vivoquait.,, — He pictured her to me. .. 19. Nen avail plus que pour huit jours. — Could not last more than eight days. 257. — 4. Q^i soudain S3 ^prenait h pleurer. .. — Who sud- denly began to cry... 26. J'ai envie de me sauver. — I want to run away. 258. — II. II m^e faut faire appel. — I have to call to mind. 17. Dans la mythologie dont nous Hions pleins. — In the Mythology of which we were full. 28. Cette inspiration d^en haul..* — That inspiration from above... 259. — II. Et nous voilh tous les deux d calculer le m>oy en pra- tique.., — And we both began to calculate the practical means... 24. Ne fM-ce qu'une minute. — If only for a moment. 260. — 8. Qui soulevait mon jeune courage... — Which sus- tained my childish courage... 12. Borne kilom^itrique. — Mile stone. 1 8. Nous n' aurions pas etS tr^s rassuris, . . — We would not have felt very much at ease. Page. Line. 260. — 27. 31- 261. — 4- II. 15. NOTES. 329 Mais il s^agissait bien de fantomes... — But we did not think of phantoms... Lueur blafarde. — Dim light. Dont le long ruban se deroulait maintenanf. — Whicb now unrolled like a long ribbon. AffaissSs de nouveau... — Sunk down again... Le chevalier a la Triste Figure. — The Knight of the doleful countenance, i. e. don Quixote. 18. Envoy ees ct noire recherche dls le matin .. — Sent in search of us in the morning. 30. Je devins lac he, — I became a coward. 262. — II. Que Mme A. pardonne a Marcel. — May Mrs. A. forgive Marcel. 14, Et qu' elle ne sache rien de tout cela- — And let her know nothing of all this. 15. Elle lui en voudrait davantage. — She would dislike him still more. 2o. Dontfavais fui la maison, — From whose house I had run away. 263. — 10. II y a de quoi, garnement. — He might well be tired, rascal. 11. II fesp^re, — He hopes to see you. 12. Pas un traitremot. — Not a single word. 264. — 5. U avail emporte sur la haine impie.,, — Had out- weighed her wicked hatred of the dead woman. 25. De celle oh Vamiral.,, — As for the one where the admiral... 265. — 10. Tant change en noir, en triste, en moindre, pour II. tout avouer. — I have become so low-spirited, so sad, my feelings have altered so much, in truth. 20. Ronge de mantes. — Full of hobbies. 25.-27. C'est une triste loi... — It is a sad law but a very true one, that in friendship as in love, to revive the pleasant recollections of old one must revive them alone. TABLE DES MATlfiRES. Le Miroir, par Catulle Meildes i Pour une Canne, par Andr6 Theuriet 8 La Source de la Guerison, par X. Marmier 15 L' Infirme, par Guy de Maupassant 19 La Cloche, par Jules Lemaitre 27 Le Pardon, par Frangois Copp^e 17 Le Singe, par Alphonse Daudet. , 44 La Dame a l'Eventail blanc, par Anatole France 49 MoN Perroquet, par L^on de Tinseau 54 L'AvEUGLE, par Paul Manuel 65 Le Parrain, par Francois Copp6e 74 II Y A Cent Ans, par Ernest Daudet 82 Les Deux Cyclones, par Ludovic Hal^vy 90 Maison a Vendre, par Alphonse Daudet 103 La Fille du Colonel, par Georges Ohnet no Le Louis d' Or, par Frangois Coppee 119 La Nihiliste, par L^on de Tinseau 126 La Memoire du Cceur, par Catulle Mendes. . . . 135 Ma Femme va au Bal, par Gustave Droz 141 Madame Jambe, par Ernest Daudet 152 Le Garde, par Guy de Maupassant 160 Marinette, par Paul Perret 171 L'Enfant, par Anatole France 182 La Fiancee du Roi, par Paul Bourget 189 Le Tourniquet, par Etincelle (Vicomtesse de Perrony). 194 Le Chien et le Loup, par Alphonse Daudet. 204 Les trots Semeurs, par Catulle Mendes 212 Le Chevalier de Frileuse, par Emile Bergerat 219 La Sceur de Lait, par Francois Copp6e 234 Marcel, par Paul Bourget 245 Notes 267 AuTEURS ET Dates de leur Naissance. Bergerat (Emile) 1845 BouRGET (Paul) . . 1-852 COPPEE (Frangois) 1842 Daudet (Ernest) 1837 Daudet (Alphonse) 1840 Droz (Gustave) , 1832 Etincelle \"icomtesse de Perrony) 1850 France (Anatole) c 1844 Halevy (Ludovic) 1834 Lemaitre (Jules) 1850 Manuel (Paul). 1854 Marmier (Xavier) 1809-1892 Maupassant (Guy de) . . 1850-1893 Mendes (Catulle) 1843 Ohnet (Georges) 1848 Perret (Paul) 1831 Theuriet (Andre) 1833 Tinseau (Leon de) 1844 PUBLICATIONS — IN — Frencli anfl Oiler Lanpaps WILLIAM T JENKINS, New York. Attention is particularly called to the following series of re- prints as of great value to the student as well as to the general reader of French. The romances and plays are interesting as stories, representative of the authors, of high literary value and pure in morality. They are tastefully printed, cheap, and suita- ble as well for the class-room as the library. ROMANS CHOISIS. 12mo, Paper y 60 Cents, Cloth, 85 Cents. No. l.-DOSIA, by Mme. Henry Geeville. One of the brightest and most amusing of this popular author's stories. With a preface and explanatory notes by A. Df. Rougemont, A.m., Professor at University of Chautauqua. 214 pages. No. 2.— L' ABBE CONST ANTIN, by Ludovic HAiifvY, whose delicate charm and beauty of story has won its author the coveted chair in the Academic Fran9aise. With English notes by F. C. de Sumichkast, Assistant Pro- fessor of French in Harvard University. 193 pages. No. 3.— LE MARIAGE DE GfiRARD, by Andre Theu- RiET. xi delightful story of French provincial life by one of the most elegant of French writers. !^4 pages No. 4.— LE ROI DES MONTAGNES, by Edmond About, Which is one of the cleverest, most amusing and brilliant of this lamented author's romances. With a biographical notice and explanatory notes in English by F. C. de SuMicHRAST, Assistant Professor of French in Harvard University. 297 pa^es. No. 5.— LE MARIAGE DE GABRIELLE, by Daniei. L.ESUEUR. An interesting story of PaTisian life, written so cleverly that it has been "crowned by the French Academy. 257 pages . No. 6.— L'AMI FRITZ, by Erckmann-Chatrian. One of the most delightful and humorous of these clever authors' romances. With notes by Prof C. Fontaine, B.L., L D.. Director of French in Y/ashington's High Schools. 303 pages . No. 7. — L'OMBRA, by A. Gennevraye. A romantic story of Italian and Ensjlish societv. 216 pages. No. 8.— LE MAITRE DE FORGES, by Georges Ohnet. One of the most powerful and interesting of contempora- neous novels. 341 pages. 2 French Publications of William R. Jenkins, No. 9.~LA NEUVAINE DE COLETTE, by * * * reprinted from the '^Revv£ des Deux Mondes.'* A bright, amusing and original romance of a yomig girl. 236 pages. No. 10.— PERDUE, by Mme. Henry Gbeville 359 pages. No. 11.— MiiLE. SOLANGE, (Terre de France), by Fran- 901S DE JuLLiOT. Ouvrage couronne par I'Academie Fran9aise. With explanatory notes in English by 0, Fontaine, B.L. ; L.D. : Director of French in Washing- ton's High Schools. 359 pages. No. 12. — VAILLANTE, ou Ce que femme veut, by Jacques Vincent. (Montyon prize.) 227 pages. No. 13.— LE TOUR DU MONDE EN QUATRE-VINGT JOURS. By JuiiES Verne. 358 pages. No. 14.— LE ROMAN D'UN JEUNE HOMME PAUVRE, by Octave FeuilIjET. An excellent edition of this popular romance. 204 pages. No. 15,— LA MAISON DE PENARVAN, by Jules San- DEAU. One of this author's best written and most interesting works . 292 pages . No. 16.— L'HOMME A L'OREILLE CASSEE, par Edmond About. A fascinating story full of humorous situations. No. 17. — SANS FAMILLE, par Hector Malot, abridged and arranged for school use by Prof. P. Bercy, B.L., L.D. 430 pages. No. 18.— COSIA, by Andre MicheIj Durand. 165 pages. No. 19. -MON ON CLE ET MON CURE, by Jean de la Brete. Ouvrage couronne par I'Academie Fran^aise. A pleasant and pure bit of fiction well adapted for use in schools. With explanatory notes in English by F. C, de SuMiCHRAST, Assistant Professor in French at Harvard University. 257 pag^s. No. 20.— LA LIZARDIERE, by Henri de Bornier. 247 pages. No. 21.— N ANON, by George Sand. A simply told story in which countless details of the French Revolution are interviewed. George Sand's life of study and interest in history, politics and literature, made her particularly fitted for this work. With introduction and explanatory English notes by B. D. Woodward, Ph.D. ; Tutor in the Romance Languages at Columbia College. 431 pages. The series ivill be continued with stories of other well-known writers. MISCELLANEOUS. GRAZIELLA. By A. De Lamartine. A new and tasteful edition of this charming idyl of Italian life. With explana- tory English notes by C. Fontaine, B L.,L.D., Director of French in Washington's High Schools. 12mo, paper, 173 pages 45c CINQ-MARS. By Alfred de Vigny. A new and handsome edition of this well-known historical French novel has been published, and arrangement has been made for its issue here, with explanatory notes in English. 12mo, cloth, $1.25 French Publications of William R. Jenkins. 3 LA TULIPE NOIRE. By Ai^exandre Dumas. A very pretty and cheap edition of this interesting and popular historical romance, which is excellently adapted for classes. 12ino, paper, 304 pages 45c, The second series is the THEATRE CONTEMPORAIN comprising some of the best contemporaneous French dramatic literature, and of invaluable use to the student in colloquial French. They are well printed in good clear type, are nearly all annotated with English notes for students, and are sold at the uniform price of 25 CENTS EACH. No. 1.— LE VOYAGE DE M, PERRICHON. By E. Labiche. With notes in English by Schele de Veee, Professor of Modern Languages at the University of Virginia. 78 pp., 25c. No. 2.— VENT D'OUEST, 20 pages, | By E. d'Heryilly. LA SOUPIERE. 18 pages, i 1 vol 25c. No. 3.— LA GRAMMAIRE. By E. Labiche. With notes in English by ScHEiiE de Veee, Professor of Modern Languages at the University of Virginia. 43 pages 25c. No. 4.— LE GENTILHOMME PAUVRE. By Dumanotr and Laf ARGUE . With English notes by Casimir Zdanowicz, late Professor of Modern Languages, at the Vanderbilt University. 82 pages 25c. No. 5.— LA PLUIE ET LE BEAU TEMPS,] By Leon GozLAN. Vakt^^^c^c, ok/> AUTOUR D'UN BERCEAU, po pages.. joc. By E. Legouye. J No. 6.— LA Ff^E, 43 pages. By Octave Feuillet 25c. No. 7.— BERTRAND ET RATON. ByE. Scribe. 108 pp., 25c, No. 8.— LAPERLE NOIRE. By Victorien Sardou . 72pp„25c. No. 9.-— LES DEUX SOURDS. By Jules Moinaux. 37 pp., 25c. No. 10.— LE MAITRE DE FORGES. By Georges Ohnet. With English notes by Prof. 0. Fontaine, B.L,,L.D., Director of French in Washington's High Schools, 112 pages 25e. No. 11.— LE TESTAMENT DE CESAR GIRODOT. By Adolphe BeijOT and E. ViiiLETARD, with English notes by Prof. Geo. Castegnier. 98 pages 25c. No. 12.— LE GENDRE DE M. POIRIER. By £mile AuGiER AND JuijES Sandeau, with Enghsh notes by F. C. de Sumighrast, Assistant Professor in French at Harvard University. Ill pages 25c. No. 13.— LE MONDE OU L'ON S'ENNUIE. By I:douarp Pailleron, with English Notes by Prof. Alfred Henne- QUiN, of the University of Michigan. 124 pages 25c. 4 French Publications of William R. Jenkins. No. 14.— LA LETTRE CHARG:fiE. By E. Labiche; with Annotations, by Prof. V. F. Bernard. 23 pages .25c. No. 15.— LA FILLE DE ROLAND. By Henri de Bornier. 96 pages 25c. No. 16.— HERNANI. By Victor Hugo, with English notes by GusTAVE Masson. 151 pages 25c. No. 17.— MINE ET CONTRE-MINE. By Prof. A. Guillet, with English notes by the Author. 97 pages 25c, No. 18.— L' AMI FRITZ, with English notes, by Prof. A. Hennequin, of the University of Michigan. 96 pages . . 25c, No. 19.— L'HONNEUR ET L' ARGENT. By F. Ponsard, with English notes by F. C. de Sumichrast, Assistant Professor in French at Harvard University. 135 pages, 25c. No. 20.— LA DUCHESSE COUTURlfiRE, by Mme. E. VaidiiANT Goodman, adapted especially for the use of young ladies' schools and seminaries 25c. The third series comprises some of the very best short stories, nouvelles of French authors. They are very prettily printed, of convenient size, and are issued under the title of CONTES CHOISIS, and are published at the uniform price of Paper, 25 cents; Cloth, 40 cents each. No. 1.— LA MERE DE LA MARQUISE. By Edmond About. A most delightful and amusing story. '^With explanatory notes in English by C. Fontaine, B.L.,L.D., Director of French in Washington's High Schools. 135 pages. No. 2.— LE SIEGE DE BERLIN ET AUTRES CONTES. By Alphonse Daudet. Comprising six of this brilliant author's charming short stories. With explanatory notes in English by Prof. E. Rigal, B.-es S. ; B.-es L. 73 pages. No. 3.— UN MARIAGE D'AMOUR. By Ludovio HAiiEVY. A delightful little love romance, pure, bright and deli- cious. 73 pages. No. 4.— LA MARE AU DIABLE. By Geokge Sand. A charming idyl of French country life. With explana- tory notes in English by C. L. Fontaine, B.L., L.D., Director of French in Washington's High Schools. 142 pages. No. 5.— PEPPING, by L. D. Ventura, is a story of Italian Life in New York, written by a well-known professor of languages. 65 pages. No. 6.— IDYLL ES, by Mme. HenryGre vilijE, contains six stories, full of sentiment and poetry, and in this delightful author's most elegant style. 110 pages. French Publications of William R, Jenkins. No. 7.— CAKINE. By Louis :fiNAULT. An entertaining love story, of which the scene is laid in Sweden. 181 pages. No.8.— LES FIANCES DE GRINDERWALD. By Erck- mann-Chatrian. Containing, besides this amusing little romance, the characteristic one of " Les Amoureux de Catherine." 104 pages. No. 9.— LES FEl^RES COLOMBE. By Georges de Peyrebrune. One of the most exquisitely written stories of the series. With English notes by F. C, ue Sumi- CHRAST, Assistant Professor in French at Harvard University. 136 pages . No. 10.— LE BUSTE. By Edmond About. An entertaining story of Parisian life, full of the author's bright humor, and in his well-known style. 145 pages. No, 11.— LA BELLE-NIVERNAISE. By Alphonse Dau- DET. A charming idyl of life on the Seine. With English notes by Prof. Geo. Castegnier, B.-es fe. ; B.-es L. Ill pages. No. 12.— LE CHIEN DU CAPITAINE. By Louis Enault. A delightfully humorous story, with a dog hero, — charm- ingly narrated. With English notes by F. C. de Sumi- CHRAST, Asst. Professor in French at Harvard University. 158 pages. No. 13.— BOUM-BOUM. By Jules Glaretie, with other exquisite little stories. With explanatory notes in English by 0. Fontaine, B.L., L,D. Director of French in Washington's High Schools. 104 pages. No. 14.— L'ATTELAGE DE LA MARQUISE, by Leon de TiNSEAU, and UNE DOT, by E. Legouve. With English Notes by F. C. de Sumichrast, Assistant Professor of French at Harvard University. Ill pages. No. 15.— DEUX ARTISTES EN VOYAGE, by Comte db Yervins, with two other stories. No. 16.— CONTES ET NOUVELLES, with a preface by A. Brisson, by Guy de Maupassant. 105 pages. No. 17.— LE CHANT DU CYGNE, by Geo. Ohnet. With explanatory notes in Enp:lish by F. C. de Sumichrast, Assistant Professor in French at Harvard University. 91 pages. THEATRE FOS YOUNG FOLKS. A series of original little plays suitable for class read- ing or school performance, written especially for children, by MM. Michaud and de Yilleroy. Printed' in excellent type, duo- decimo form. The list comprises No. 1.— LESDEUX:&COLIEKS. 26 pages. By A. Laurent de Vidleroy 10c 6 French Publications of William R, Jenkins. No. 2.— LE ROID'AMEKIQUE, 8 pages, By H. Michaud.IOc, '' 3.— UNE AFFAIHE COMPLIQU:&E, 8 pages, '' lOc. " 4.— LA SOMNAMBULE, 16 pages, 1 " 5.-STELLA, 16 pages U r... « .q «' 6.— UNE HEROINE, 16 pages. ... | "'^^^ ^^^^^ ^"^ " 7.— MA BONNK, 14 pages J MICHAUD (HENRI.) POifiSIES DE QUATRE A HUIT VERS. A choice selection of simple French poetry, suit- able for little children to read and recite. 12mo, paper. .20c. CLASSIQXJES FRANCAIS. » Under this general title is issued a series of classical French works, carefully prepared with historical, descriptive and grammatical notes by competent authorities, which will be offered P.t a low price and in a very tasteful form. No. 1. — L'AVARE. Par Moliere. With elaborate annotations by ScHELE DE Veke, Professor of Modern Languages at thp University of Virginia. 105 pages. Paper, 25c. Cloth 40c. No. 2.— LE CID. Par Corneille. Annotated by Prof. Schele DE Veee. 87 pa^es. Paner, 25c. Cloth 40c. No. 3.— LE BOURGEOIS GENTILHOMME. Par Moliere. Annotated by Prof. Schele de Vere. Paper, 25c. Cloth. 40c. No. 4. — HORACE, by Corneille, with annotations in English by F. C. DE SUMICHRAST, Assistant Professor in French at Harvard University. 70 pages. Paper, 25c. Cloth. .40c. No. 5. — ANDROMAQUE, by Racine, with annotations in English by F. C. de Sumichrast, Assistant Professor in French at Harvard University. 72 pages. Paper, 25c, Cloth 40c. In Prejyaration : ATHALIE. — LES PRECIEUSES RIDICULES. — LE BARBIER DE SEVILLE. THE FRENCH LANGUAGE. TEXT-BOOKS FOR STUDENTS. JilVRE DES ENFANTS. Pov/r Vetude dufrangai^. By Paul Bekcy, B.L., L.D. A simple, easy and progressive t^rench Primer, in the natural method, for yoimg students, by the author of La Langue Fran9aise, with upwards of fifty illustrations. 12mo, cloth, 100 pages 50c. LE SECOND LIVRE DES ENFANTS. By Paul Bekct, B.L., L.D. A continuation of LIVRE DES ENFANTS, illustrated with over fifty pictures upon which the lessons are based. 12mo, cloth, 148 pages 75c. LA LANGUE FRANgAISE. lere pariie. Methode pratique pour I'etude de cette langue. By Paul Beect, B.L., L.D. 12mo, cloth, 292pageB SI. 25 French Publications of William R, Jenkins. 7 LA LANGUE rRAN(;AISE. 2eme partie (for intermediate classes), varietes historiques et iitteraires. By Paul Bercy, B.L.,L.D. 12mo, cloth, 276 pages $1.25 LE FRANgAIS PRATIQUE. By Paul Bercy, B.L., L D. This new book is written for special instruction of Ameri- cans intending to travel in France. It can be used as a first book for every one wishing to make a thorough study of the French. 1 vol., 12mo, 191 pp., cloth $1.00 SANS FAMILLE. By Hector Malot, abridged and arranged for School use by Prof. P. Bercy, B.L.L.D., director of P. Bercy's School of Languages, N. Y. 12mo, cloth. . .$1.00 ANTONYMES DE LA LANGUE FRANgAISE. Exercices Gradues pour classes intermediaires et superieures des Ecoles, Colleges et Universites. Par Prop A. Muz- ZARELLi, A.M., Director of the N. Y. Sauveur School of Languages Livre de L'fileve. Cloth, 185 pages $1.00 Li^Te du Maitre. Cloth, 185 pages .$1 .50 -FIRST COURSE IN FRENCH CONVERSATION. By Prof. Charles P. Du Croquet, A manual for class or private use in acquiring a practical knowledge of conversational French. 12 mo, cloth $1.00 THE FRENCH VERB. By Prof. ScHELE de Vere, Ph.D., LL.D,, of University of Virginia. 1 vol,, 12mo, cloth, $1.00 SYNTAXE PRATIQUE DE LA LANGUE FRANgAISE POUR LES ANGLAIS, suivi d'exercices distribues dans I'ordre des regies et d'une nouvelle arrangee pour servir d'exer- cices, par B. Meras, Auteur de *'L'£tude Progressive de la Langue Fran9aise." 12mo, cloth, 206 pages $1.25 LES POETES FRANgAIS DU XlXeme SIECLE, with bio- graphical and explanatory notes in English, by Prof. C. Fontaine, B.L.,L.D., Director of French in Washington's High Schools. 12mo, cloth, 402 pages $1.25 XES PROSATEURS FRANgAIS DU XlXeme SIECLE, con- taining the best selections of the modern French authors, with biographies and English explanatory notes by Prof. C. Fontaine, B.L.,L.D., Director of French in Washins:- ton's High Schools. 12mo, roan, cloth $1.25 FABLES CHOISIES DE LA FONTAINE, with explanatory foot notes in English and a biography by Madame B. Beck of the Brearley School. 16mo, board 40c. EXTRAITS CHOISIS DES (EUVRES DE FRANQOIS COP PEE, with explanatory notes in English by Prof. Geo. Castegnier, B.-es S. and B.-es L. 12mo. . ..cloth, 90c. 8 French Publications of William R. Jenkins, JUST rUBLISHED. MANUEL DE LA LITTEEATUEE FEANgAISE. Com- prenant : 1° des notices biographiques et litteraires, ii° des oeuvres ou morceaux choisis de chaque auteur, 3° des notes explicatives, 4° un questionnaire detaille pour chaque auteur, par A. de Eougemont, A. M., Professor at Chautauqua University. 12mo, cloth $1.25 COLLEGE PEEPAEATOEY FEENCH GEAMMAE. By Chas p. DuCroquet. Grammar, Exercises, and Eead- ing. The most practical French Grammar yet published. 12mo, cloth $1.25 P. BEECY'S FEENCH EEADEE, For Advanced Classes. Contes et Nouvelles, by modern French writers. With explanatory English notes by Paul Bercy, B.L., L.D. 12mo, cloth $1.25 CONTES DE BALZAC. Edited, with Introduction and Notes by Geoege McLean Harper, Ph.D., Assistant Professor of French in Princeton University ; and Louis Eugene Livingood, A.B., formerly Instructor in French and German in Princeton University $1.00 LEGENDES FEANgAISES. BY PROF. B. MERAS. Eobert Le Diable 25c. Le Bon Eoi Dagobert 25c. Merlin Enchanteur 40c. These three legends offer the most interesting reading, and can he used as exercises for ^'Syntaxe Pratique." CONTES TIEES DE MOLIEEE. Prof. Alfred M. Cottb, L.D., has written the story of some of the most salient of Moliere's Comedies into the forms of novelettes, similar in idea to Chas. and Mary Lamb's Tales from Shakespeare. **L'Avare" and **Le Bourgeois Gentilhomme '* are now ready. Each 20c. FEENCH VEEBS AT A GLANCE. By Mariot de Beau- voisiN. The readiest, simplest, most practical and cheap- est treatise on the French verbs, their grammatical con- struction, regular and idiomatic usage and conjugations. Exceedingly valuable in mastering the difficulties besetting students in French, in regard to the forms and conjuga- tions of the verb. Fifty thousand have been sold in England. 8vo, 61 pages 35c. GENEE DES NOMS. By Prof. V. F. Bernard. A complete treatise on the gender of French nouns. 12mo 25c. French Publications of William R. Jenkins. 9 DICTIONARIES. Following is a list of some of the best Dictionaries, which are always kept in stock in large quantities to supply the trade or schools. CASSELL'S GERMAN-ENGLISH AND ENGLISH-GERMAN DICTIONARY, new revised edition, large type, 12mo. Cloth ; $1.50 FRENCH-ENGLISH & ENGLISH FRENCH DICTIONARIES. CASSELL'S FRENCH-ENGLISH AND ENGLISH-FRENCH DICTIONARY. 1 vol., crown, 8vo, cloth, 1152 pp $1.50 SPIERS & SURENNE'S FRENCH-ENGLISH AND ENG- LISH-FRENCH PRONOUNCING DICTIONARY. 1 vol. 4:to, half-mor $5.00 The same, abridged, school edition, crown, 8vo, half roan $1.50 NUGENT'S FRENCH-ENGLISH AND ENGLISH-FRENCH PRONOUNCING DICTIONARY, 1 vol.,24mo, cloth.. ..$1.00 FLEMING & TIBBINS. — Grand Dictionnaire Fran9ais- Anglais et Anglais-Fran9ais, 2 vols., 4to, half mor $22.00 Each volume separately at half price . CLIFTON & GRIM AUX.— French-English and English- French Dictionary, 2 vols. , 8vo, half mor $9.60 Each volume sold separately at half price. SMITH, HAMiriTO]>Sr & LEGROS. French-English and English-French Dictionary, 2 vols., half mor 16.50 Each volume sold separately at 3 . 25 N. B. — Having obtained the agency for this important dictionary, we are able to supply the same at the above special price instead of $7.50. DICTIOlSnsrAIIlES FIlAI«"gAIS. LITTRf] . — Dictionnaire de la langue f rancaise, 4 vols . , 4to, et un supplement (in all 5 vols.), half mor $40.00 LITTRE & BEAUJEAN.— Abrege du dictionnaire de la langue fran9aise de E. Littre, avec un supplement d'his- toire et de geographic, 1 vol., 8vo, half mor $5.00 LITTRl: & BEAUJEAN.— Petit dictionnaire universel de la langue f rancaise, 1 vol . , 18mo, bds $0 . 90 LAROUSSE, PIERRE. — Nouveau dictionnaire complet de la langue fran9aise, illustrated with 1500 wood cuts, 24mo, cloth 1.25 DICTIONNAIRE DE L'ACADEMIE FRANOAISE, 2 vols., 4to, half mor $13.80 SUPPLI:MENT au dictionnaire de I'Academie, containing words which are not to be found in the * 'Dictionnaire de FAcademie," 1 vol.,4to, half mor $ 9.60 10 French Puhlications of William R. Jenkins. biblioth:^que choisib Pour la Jeunesse. LES MALHEURS DE SOPHIE. PAR MmE. liA COMTESSE DE SeGUR. This amusing story has long been familiar to French children and is not unknown even to American ones, especially to those reading French. In France it is a classic. Here, it has been used for years, by teachers requiring something light, amusing,, and interesting for young children, and the publisher, in issuing an American reprint of it, trusts that it will find a wider clientele than ever, especially as the price is much lower than the Paris editions. 12mo, illustrated, paper, 60c. ; cloth, 203 pages $1.00 VICTOR HUGO'S WORKS. *^NOTRE-DAME DE PARIS.'' The handsomest and cheapest Edition to be had, with nearly 200 illustrations, by Bieler, Mtebach and Rossi. 2 volumes^ 12mo, Paper, $2.00, Cloth, $3.00, Half Calf, $6.00, the set. This edition, while outwardly matching the other publications of Hugo in William R Jenkins' edition, contains all the superb illustrations of the edition de luxe, excepting those in color, so that it is the finest, as well as cheapest, popular edition of the work yet issued, and cannot tail of meeting with the favor of American readers of French. SPECIAL NOTICE. In order to realize on the great outlay necessitated in the preparation of this superbly illustrated work, the remainder of the edition de luxe will be offered at the following REDUCED PRICES: THE EDITION DE GRAND LUXE, only 100 of which was published at $20.00 for the two volumes, will be offered for $14.00. THE EDITION DE LUXE, of which four hundred num- bered and signed copies were published at $12.00 the set of two volumes, will be offered until further notice at $ 8.00 the set. Foreign Publications of William R. Jenkins. 11 ^'LES MISijRABLES/' This new and elegant edition of Victor Hugo's masterpiece is not only the handsomest but the cheapest edition of the work to be obtained in the original French. Its publication in America has been attended with great care, and it is offered to all readers of French as the best library edition of the work to be obtained, the only Paris edition being large, cumbersome and costly, lere partie : Fantine, 458 pages ; 2eme partie : Cosette 416 pages ; 3eme partie ; Marius, 378 pages ; 4eme partie : Idylle rice Plumet, 512 pages ; 5eme partie : Jean Valjean, 437 pages. * 5 Volumes, 12mo, Paper, - $ 4.50, *'* ^' *' Cloth, - 6.50, Half-calf, 13.50. * For the convenience of classes, single volumes maybe obtained separately in paper at $i.oo, and cloth binding at $1.50. " QUATREVINGT-TREIZE." One of the most graphic and powerful of Hugo's romances, and one quite suitable for class perusal. 12mo, paper, $1.00, cloth. $1.50, half calf, $3.00. 507 pages. ''LES TRAVAILLEURS DE LA MER.'^ This celebrated work, which is one of the most notable examples of Victor Hugo's genius, is now ready, uniform in style with the above. 12mo, paper, $1.00, clotn, $1.50, half calf, $3.00. GERMAN. DES KINDES EESTES BUCH, of the French of P. Beecy's "- Livre des Enfants,'' translated by Wilhelm Eippe. 12mo., board 40c. Since the publication of the very successful first French book *'Livre des Enfants," many demands have been received by the publisher for a work of similar character in German, and to meet these demands an adaptation into German of '* Livre des Enfants'' was thought good, and decided upon. The method is divided into forty lessons, each consisting of a short vocal »ulary, and appropriate illustration, a readiug lesson, and a few sentences to be memorized ; and as appendix are given a few simple rhymes suitable for the nursery. ITALIAN. NOVELLE ITALIANE. No. 1. ALBEBTO, by E. de Amicis. A charming stcry by the great Italian author- traveler, whose romances are very little known on this side of the Atlantic. It has the advantage of English notes by Prof. T. E. Comba. 18mo, paper, 108 pages 35c. 12 Foreign Publications of William R. Jenkins, No. 2. UNA NOTTE BIZZARRA, by Antonio Bakkili. An amusing little story, by one of the best contempora- neous Italian novelists, with English notes by Prof. T. E. CoMBA. 18mo, 84 pages 35c . No. 3. UN INCONTEO, by Edmondo de Amicis, and other Italian stories by noted writers, with English annota- tions by L. D. Ventura, Professor of Italian and French at the Amherst Summer School of Languages. 18mo, Paper, 104 pages , , .35c. N, 4. CAMILLA, by Edmondo de Amicis, with English notes by T. E. Comba. 18mo, paper 35c. No. 5. FOETEZZA, by Edmondo de Amicis, with English notes by T. E, Comba. 18mo, paper 35c. LINGUA ITALIANA, by T. E. Comba. A new practical and progressive method of learning Italian by the natural method — replete with notes and explanation, and with full tables of conjugations and lists of the irregular verbs. 12mo, cloth, 223 pages $1.50 SPANISH. THEATRO ESPAlJOL. No, 1. LA INDEPENDENCIA. By Don MANUEii Bketon de LOS Hebrekos, and is a bright modern comedy, excellently adapted for school readings. 12mo, paper, 25c. CUENTOS ESCOGIDAS. No. 1. EL PAJAKO VERDE. By Juan Yalera, with ex- planatory notes in English by Julio Bojas. 18mo, paper Spanish Catalogue of imported hooks sent on application. CHINESE. A CHINESE-ENGLISH and ENGLISH-CHINESE PHRASE BOOK. By T. L. Stedman and K. P. Lee. 1 vol. 12mo, boards $1.25 LATIN. THE BEGINNER'S LATIN. By Professor W. McDowEiii, Halsey, Ph.D. An elementary work in Latin, admirably adapted for beginners in the language, and the result of many years' teaching on the part of the author. 12mo, cloth $1.00 Full catalogue of French imported books and GENERAL SCHOOL BOOKS sent on application. Importation orders promptly filled at moderate prices. Deacidified using the Bookkeeper process Neutralizing agent: Magnesium Oxide Treatment Date: August 2006 PreservationTechnologies A WORLD LEADER IN PAPER PRESERVATION 1 1 1 Thomson Park Drive Cranberry Township, PA 16066 (724) 779-21 1 1