WHITHEY^S MODERH LAHGUAGE BOOKS. FRENCH. A PRACTICAL FRENCH GRAMMAR. With Exercises and Illustrative Sentences from French Authors. i2mo, 442 pp. PRACTICAL FRENCH. Taken from the Author's larger Grammar, and Supplemented by Conversations and Idio- matic Phrases. i2mo, 304 pp. BRIEF FRENCH GRAMMAR. i6mo, 177 pp. INTRODUCTORY FRENCH READER. i6mo, 256 pp. GERMAN. A COMPENDIOUS GERMAN GRAMMAR. i2mo, 303 pp. BRIEF GERMAN GRAMMAR. i6mo, 143 pp. GERMAN READER. i2mo, 523 pp. GERMAN-ENGLISH DICTIONARY. 8vo, 900 pages. GERMAN TEXTS Edited by Prof. W. D. Whitney. Lessing's Minna von Barnhelm. Annotated by W. D. Whit- ney, Prof, in Yal Collège. i6mo, 138 pp. Schiller's Wilhelm Tell. Annotated by Prof. A. Sachtleben, of Charleston, S. C. i6mo, 199 pp. Goethe's Faust. Annotate' by Wm. Cook, i6mo, 229 pp. Goethe's Iphigenie a Tauris. Annotated by Prof. Franklin Carter, Williams Collège. i6mo, 113 pp. Schiller's Maria Stuar- Annotated by E. S. Joynes, Prof, in University of South Carolina. i6mo, 222 pp. Lessing's Nathan der Weise. Annotated by H. C. G* Brandt. Prof, in Hamilton Collège. i6mo, 158 pp. WHITNEY-KLEMM GERMAN SERIES. By William D, Whitney and L. R. Klemm. GERMAN BY PRACTICE. i2mo, 305 pp. ELEMENTARY GERMAN READER. i2mo, 237 pp. HENRY HOLT & GO., Pubushers, NEW YORK. INTRODUCTORY FRENOH READER BY ^ / WILLIAM DWIGHT WHITNEY Prof essor of Sanskrit and Comparative Philology and Instructor in Modem Languages in Taie Collège M. p. WHITNEY DEC 9 1891 ! /C. NEW YORK HENRY HOLT AND COMPANY F. W. CHRISTERN Boston : Caiil Schoenhof \ ■'^ c-v \ \ ^ç> ^' w Copyright, 1891, BY HENRY HOLT & CO. Robert Drummond, Electrotyper and Printer, New York, PREFACE. The object of this reader is to prépare the pupil in the shortest possible time to read French easily. The extracts hâve been selected with this end in view^ being intended to prove so simple as to présent little difiSculty in translation, and so varied and interesting as to rouse and hold the attention. They are from the Works of well-known French authors, but ail hâve been more or less abbreviated in order to bring them within the limits and scope of the work. The vocab- ulary is full, and explains the ordinary idiomatic phrases and expressions used in the text, leaving only the grammatical difficulties and a few literary and historical points to be treated in the notes. Références in the notes are to Whitney^s French Grammars. Every irregular verb in the vocabulary is referred by number to the model verb in the table at the end of the book, where its synopsis will be found given in full. It is hoped that the greatest stumbling block in the way of early French reading may thns be lessened. iii TABLE OF CONTENTS. PREMIERE PARTIE. Les trois petites Poules Les deux Soldats . Le Lièvre et le Hérisson Les trois Cheveux d'or du Diable La Belle et la Bête . . Le petit Marquis . . . , E. de Pressensê La Vache du Prince . . , H, Malot . Paul jSébillot . Paul SébiUot , Les frères Grimm . Les frères Grimm . Mme. de Beaumont 1 6 11 16 25 39 53 DEUXIEME PARTIE. Les deux Devises . . E. ^ouvestre . 73 La pucelle d'Orléans . . J. Michelet 86 Au Couvent .... . George Sand . 96 Mon premier Voyage à Paris . Alexandre Dumas 107 La Fuite de Varennes . . A. de Lamartine 120 Deux Lettres .... . George JSand . 132 Charlotte Corday . A. Thiers 142 La Canne de Jonc , A.de Vigny . 147 Le Siège de Berlin . Alphonse Daudet V . 157 VI TABLE OF CONTENTS. TROISIEME PARTIE. Poésies. La Cigale et la Fourmi Le petit Pierre . Nera .... Romance Chanson de Roland Les Souvenirs du Peuple La Source . Chanson . . Napoléon La Fontaine . B. de Pei'thes . Casimir Delavigne . La reine Hortense . A. Duval P. de Béranger T. Qautier A. de Musset . Victor Hugo . Notes . . . vocabulary Table of Irregular Verbs PAGE 165 166 167 169 170 172 175 176 177 179 193 247 LECTURES FRANÇAISES. PKEMIÈRE PAETIE. LES TEOIS PETITES POULES. Il y avait une fois trois petites poules qui se déso- laient parce qu^elles n^avaient point de gîte. — Ah! dit la plus grande, si vous voulez m^aider à faire ma maison, je vous aiderai à mon tour à con- 5 struire la vôtre. Les trois petites poules se mirent à ^ouvrage, et, quand la petite maison fut faite, la poule dit : — Je vais aller voir si on est bien dedans. Quand elle y fut entrée, elle mit la tête à la fe- lo nêtre en s^écriant : — Ah! je suis trop bien ici pour en sortir! La moyenne poule dit à la petite : — Aide-moi à faire ma maison, et je t^aiderai à mon tour. 15 Quand la maison fut finie, la moyenne poule y entra en disant : — Je vais voir si le dedans est bien arrangé. Elle s^y trouva si bien qu^elle ne voulut plus en sortir, et elle ferma la porte au nez de la petite poule. 2 LECTÛBES FRANÇAISES. La pauvre petite poule s^en alla toute seule par les chemins^ criant et gémissant tant qu^elle pouvait, y^uv, Elle rencontra un maçon qui lui dit : >'>H — Qu^as-tu, ma petite poule, à te désoler ? — J^ai bien du chagrin, répondit-elle; mes deux 5 sœurs m/ont fait leur aider à construire leurs mai- sons, et, quand elles ont été finies, elles n^ont pas voulu m^'aider à leur tour, et je ne suis plus capable de me construire une maison toute seule. — Ne pleure plus, ma petite poule, dit le maçon, je lo vais t'en bâtir une qui sera plus solide que la leur. Quand le maçon eut achevé la maison, la petite poule entra dedans ; elle était fort contente, et elle disait : — Ah! comme elle est bien faite ; je vais être bien 15 à l^aise dedans. Elle remercia le maçon, et, de peur du loup et du renard, elle jeta des épingles partout sur le toit de sa maison. * * Cependant le loup, qui faisait sa tournée, alla frap- 20 per à la porte de la maison où était la plus grande des poules : — Pan! pan! — Qui est là ? demanda la poule. — C^est ta mère qui t^apporte du lait doux, répon- 25 dit le loup en adoucissant sa voix. — Non, tu n^es pas ma mère; je te reconnais, com- père le loup. — Ouvre-moi, je vais t'en donner tout'de même. — Non, non, tu me mangerais. 30 Alors le loup sauta sur la petite maison, la dé- molit, et croqua la poule. LES TROIS PETITES POULES. 3 Il alla ensuite à la porte de la seconde poule: — Pan ! pan ! — Qui est là ? — O^est ta mère qui t^apporte du lait doux. 5 — Non^ je te vois bien par ma fenêtre^ compère le loup. Elle ne voulut pas lui ouvrir ; il sauta sur la pe- tite maison, la démolit, et mangea la poule. Il alla frapper à la porte de la petite : 10 — Pan ! pan ! — Qui est là ? — C^est ta mère qui t^apporte du lait doux. — Merci, mon pauvre compère le loup, je vois bien que c^est toi. 15 — Ouvre-moi, ou je vais te manger comme tes sœurs. Le loup s^élança sur le toit, mais il tomba sur les épingles, qui s^enfonc^rent dans ses pattes, dans son museau, et partout. 20 — Ah ! hurlait le loup, qu^est-ce que tu as mis sur ta maison qui pique si dur ? si je peux t^attrapper, je te mangerai double. Il se piqua tellement, qu^il finit par mourir. * Quand la petite poule vit que le loup était bien 25 mort, elle ferma tout à clef, et dit: — Maintenant, je vais voir si je puis faire mon tour de France. Elle rencontra un mouton : — Bonjour, Monsieur le mouton, veux-tu venir 30 avec moi faire ton tour de France ? — Non, ma petite poule, je n^ai pas d^argent. 4 LECTURES FRANÇAISES. — Je viens de trouver six liards au pied d^un /// ^ chêne, je paierai pour toi. ^ Un peu plus loin ils trouvèrent un chat : — Bonjour, Monsieur le chat, ne veux-tu pas venir avec nous faire ton tour de France? 5 — Si, mais je n^ai pas d^argent. — J^ai trouvé six liards au pied d^un chêne, je paierai pour tous. Plus loin, ils trouvèrent un bœuf. — Bonjour, Monsieur le bœuf, veux-tu venir avec lo nous faire ton tour de France ? — Je n^ai pas dîné, répondit le bœuf. — Dépêche-toi de manger, et viens avec nous. Quand le bœuf eut assez brouté, il dit : — Mais je n^ai pas d^argent. 15 — J^ai trouvé six liards au pied d^un chêne, répon- dit la poule, je paierai pour tous. Les voilà partis; un peu plus loin, ils virent un cou- turier: — Bonjour, Monsieur le couturier, dit la petite 20 poule, ne voudrais-tu pas faire ton tour de France avec nous ? — Si, je voudrais bien, mais il y a longtemps que je n^ai eu d^ouvrage, et je n'ai pas d'argent. — J'ai trouvé six liards au pied d'un chêne, je 25 paierai pour tous. Les voilà encore en route; ils arrivèrent à la maison du frère du loup, ils y entrèrent, et la poule dit: — Il faut lui faire une farce ; je vais me percher sur la* planche au pain, le chat va s'asseoir sur les 30 souliers, le mouton sur les habits, le bœuf vase mettre au milieu de la place, et le couturier derrière la porte. Le loup entra vers le soir, en disant: LES TROIS PETITES POULES. 5 — Ah! je suis à moitié mort de faim; il faut que je mange un peu de pain; c^est un mauvais repas; mais cela vaut encore mieux que rien. Mais, dit-il en levant le nez, voilà une jolie petite poulette qui mè 5 fera un bon souper. La petite poule lui donna un coup de bec, et lui creva un œil. — Ah ! dit-il, il faut que je m^habille, je serai plus à Faise. lo Comme il allait prendre ses culottes, le mouton lui donna un coup de corne dans le ventre, et le renversa. — Ah! dit-il, je ne suis plus le maître chez moi; je vais prendre mes souliers, et m^en aller. Le chat, qui était couché sur les souliers, lui donna 15 un coup de griffe, et lui arracha son autre œil. Le pauvre loup ne savait plus où il était ; le bœuf le frappa avec ses cornes, et, comme il allait sortir, le couturier le perça avec ses aiguilles ; il alla rouler dans la cour, et ils Tachevèrent à coups de pierre. 20 Alors on alla chercher les gensdarmes, qui les attra- pèrent tous et les mirent en prison. Et ni, ni, Mon petit conte est fini. Paul Sébillot. LECTUEES FEAÎ^ÇAISES. LES DEUX SOLDATS. Il était une fois deux soldats^ qui avaient bien soixante ans. Obligés de quitter le service^ ils réso- lurent de retourner au pays. Chemin faisant ils se disaient : — Qu^allons-nous faire pour gagner notre vie ? 5 Nous sommes trop vieux pour apprendre un métier; si nous demandons notre pain, on nous dira que nous sommes encore en état de travailler, et on ne nous donnera rien. — Tirons au sort, dit Tun d^eux, à qui se laissera 10 crever les yeux, et nous mendierons ensemble. L^autre trouva Tidée bonne. Le sort tomba sur celui qui avait fait la proposition; son camarade lui creva les yeux, et, Fun guidant Tautre, ils allèrent de porte en porte demander leur pain. On leur 15 donnait beaucoup ; mais Faveugle n^en profitait guère; son compagnon gardait pour lui-même tout ce qu^il y avait de bon, et ne lui donnait que les os et les croûtes de pain dur. — Hélas! disait le malheureux, n^est-ce pas assez 20 d^être aveugle ? Faut-il encore être si maltraité ? — Si tu te plains encore, répondait Fautre, je te laisserai là. Mais le pauvre aveugle ne pouvait s'empêcher de se plaindre. Enfin son compagnon ^abandonna dans 25 un bois. Après avoir erré de côté et d'autre, l'aveugle s'ar- rêta au pied d'un arbre. LES DEUX SOLDATS. 7 — Que vais-je devenir ? se dit-il ; la nuit approche, les bêtes sauvages vont me dévorer! Il monta sur un arbre pour se mettre en sûreté. Vers onze heures ou minuit quatre animaux arri- 5 vèrent en cet endroit: le renard, le sanglier, le loup, et le chevreuil. — Je sais quelque chose, dit le renard, mais je ne le dis à personne. — Moi aussi, je sais quelque chose, dit le loup, lo — Et moi aussi, dit le chevreuil. — Bah! dit le sanglier, toi, avec tes petites cornes, qu ^est-ce que tu peux savoir ? — Eh! repartit le chevreuil, dans ma petite cer- velle et dans mes petites cornes il y a beaucoup d^es- 15 prit. — Eh bien, dit le sanglier, que chacun dise ce qu^il sait. Le renard commença: — Il y a près d'ici une petite rivière dont Teau 20 rend la vue aux aveugles. Plusieurs fois déjà dans ma vie j'ai eu un œil crevé ; je me suis lavé avec cette eau et j'ai été guéri. — Cette rivière, je la connais, dit le loup ; j'en sais même plus long que toi. La fille du roi est bien 25 malade; elle est promise en mariage à celui qui la guérira. Il suffirait de lui donner de l'eau de cette rivière pour lui rendre la santé. Le chevreuil dit à son tour : — La ville de Lyon manque d'eau, et l'on promet 30 quinze mille francs à celui qui pourra lui en pro- curer. Or, en arrachant l'arbre de la liberté, on trou- verait une source, et l'on aurait de l'eau en abondance, — Moi^ dit le sanglier, je ne sais rien. 8 LECTURES FRANÇAISES. Là-dessus les animaux se séparèrent. — Ah ! se dit Paveugle ; si je pouvais seulement trouver cette source ! Il descendit de Tarbre, et marcha à tâtons à tra- vers la campagne. Enfin il trouva la rivière. Il s^y lava les yeux et il commença à entrevoir ; il se les lava encore, et la vue lui revint tout à fait. Aussitôt il se rendit près du maire de Lyon et lui dit que, s'il voulait avoir de Teau, il n^avait qu^à faire arracher Farbre de la liberté. En effet, l'arbre ayant ] été arraché, on découvrit une source, et la ville eut de Feau autant qu'il lui en fallait. Le soldat reçut les quinze mille francs promis et alla trouver le roi. — Sire, lui dit-il, j'ai appris que votre fille est 15 bien malade, mais j'ai un moyen de la guérir. Et il lui parla de l'eau de la rivière. Le roi en- voya sur le champ ses valets chercher de cette eau ; on en fit boire à la princesse, on lui en fit prendre des bains, et elle fut guérie. 20 Le roi dit au soldat : — Quoique tu sois déjà un peu vieux, tu épouserr ma fille, ou bien, si tu le préfères, je te donnerai d l'argent. Le soldat aima mieux épouser la princesse ; il sa- •: vait bien qu'avec la fille il aurait aussi l'argent. Le mariage se fit sans délai. Un jour que le soldat se promenait dans le jardin^ il vit un homme tout déguenillé qui demandait l'ai, mône; il reconnut aussitôt son ancien camarade. — N'étiez-vous pas deux à mendier autrefois? Ir»' dit-il. Où est votre compagnon? — Il est mort, répondit le mendiant. LES DEUX SOLDATS. 9 — Dites la vérité, vous n^aurez pas à vous en repen- tir. Qu^est-il devenu ? — Je l'ai abandonné. — Pourquoi ? 5 — Il était toujours à se plaindre; c^était pourtant lui qui avait les bons morceaux; quand nous avions du pain, je lui donnais la mie, parcequ'il n^avait plus de dents, et je mangeais les croûtes; je lui donnais la viande et je gardais les os pour moi. ^^ — O^est un mensonge ; vous faisiez tout le con- traire. Pourriez-vous reconnaître votre compagnon ? — Je ne sais. — Eh bien ! ce compagnon, c^est moi. — Mais n^êtes-vous pas le roi ? ^5 — Sans doute, mais je suis aussi ton ancien cama- rade. Entre, je te raconterai tout. Quand le mendiant eut a|)pris ce qui était arrivé à Taveugle, il lui dit: — Je voudrais bien avoir la même chance. Mène- 20 moi donc à cet arbre-là; les animaux y viendront peut-être encore. j^ — Volontiers, dit l^autre; je veux te rendre le ^'-bien pour le mal. Il conduisit le mendiant auprès de Farbre, et le 25 mendiant y monta. Vers onze heures ou minuit, les quatre animaux se trouvèrent là réunis. Le renard dit aux autres : — On a entendu ce que nous disions l^autre nuit; la fille du roi est guérie, et la ville de Lyon a de Feau. - Qui donc a révélé nos secrets ? . — Ce n^est pas moi, dit le loup. — Ni moi, dit le chevreuil. — Je suis sûr que c^est le sanglier, reprit le re- 10 LECTURES FRANÇAISES. nard ; il n^avait eu rien à dire, et il est allé rapporter ce que nous autres avions dit. — Ce n^est pas vrai, répliqua le sanglier. — Prends garde, dit le renard ; nous allons nous mettre tous les trois contre toi. 5 — Je n^ai pas peur de vous, dit le sanglier en montrant les dents. Tout à coup, en levant les yeux, ils aperçurent le mendiant sur Farbre. — Oh ! oh ! dirent-ils, voilà un homme qui nous lo espionne. Aussitôt ils se mirent à déraciner Tarbre, puis ils se jetèrent sur Thomme et le dévorèrent. Paul Sébillot. LE LIÈVRE ET LE HERISSON. 11 LE LIEVRE ET LE HERISSON. Cette histoire va vous paraître un mensonge^ et pourtant elle est vraie; car mon grand-père, de qui je la tiens, ne manquait jamais, quand il me la ra- contait, d^ajouter: Il faut pourtant qu^elle soit vraie; 5 sans cela on ne la raconterait pas. Voici Thistoire, telle qu^elle s^est passée. C^était dans une matinée d^été, pendant le temps de la moisson^ précisément quand le sarrasin est en fleur. Le soleil brillait dans le ciel^ le vent du matin 10 soufflait sur les blés, les alouettes chantaient dans Tair, les abeilles bourdonnaient dans le sarrasin, et les gens se rendaient à Téglise dans leur toilette du dimanche, et toutes les créatures étaient en joie, et le hérisson aussi. 15 Mais le hérisson se tenait devant sa porte; il avait les bras croisés, regardait couler le temps, et chantait sa petite chanson, ni mieux ni plus mal que ne chante un hérisson par une belle matinée de dimanche. Tandis qu^il chantait ainsi à demi-voix, 20 il eut l^idée, pendant que sa femme lavait et habillait les enfants, de faire quelques pas dans la plaine et d^aller voir comment poussaient ses navets. Les navets étaient tout près de sa maison, et il était dans rhabitude d^en manger, lui et sa famille ; aussi les re- 25 gardait-il comme lui appartenant. Aussitôt dit^ aus- sitôt fait. Le hérisson ferma la porte derrière lui, et se mit en route. Il était à peine hors de çhe^ 12 LECTURES FRANÇAISES. lui quand il rencontra le lièvre, qui était sorti dans une intention toute semblable pour aller visiter ses choux. Quand le hérisson aperçut le lièvre, il lui souhaita amicalement le bonjour. Mais le lièvre, qui était un grand personnage, et de plus très fier, ne 5 rendit pas le salut au hérisson, mais lui dit, et d^un air extrêmement moqueur: " Comment se fait-il que tu cours comme cela les champs par une si belle matinée ? — Je vais me promener, dit le hérisson. lo — Te promener! dit en riant le lièvre; il me semble qu^il te faudrait pour cela d^autres jambes. ^^ Cette réponse déplut extraordinairement au héris- son ; car il ne se fâchait jamais, excepté quand il était question de ses jambes, précisément parce qu^il 15 les avait torses de naissance. ^^ Tu t^imagines peut- être, dit-il au lièvre, que tes jambes valent mieux que les miennes ? — Je m^en flatte, dit le lièvre. — C^est ce qu^il faudrait voir, repartit le héris-20 son ; je parie que si nous courons ensemble je cour- rai mieux que toi. — Avec tes jambes torses ? tu veux te moquer, dit le lièvre ; mais je le veux bien, si tu en as tant d^envie. Que gagerons-nous ? 25 — Un beau louis d^or et une bouteille de brande- vin, dit le hérisson. — Accepté, dit le lièvre; nous pouvons en faire répreuve sur-le-champ. — Non; cela n^est pas si pressé, dit le hérisson; 30 je n^ai encore rien pris ce matin ; je veux d^abord rentrer chez moi et manger un morceau; dans une demi-heure je serai au rendez-vous/^ LE LIÈVRE ET LE HÉRISSOK. 13 Le lièvre y consent^ et le hérisson s^en va. En chemiD^ il se disait: Le lièvre se fie à ses longues jambes^ mais je lui jouerai un tour. En arrivant chez lui^ le hérisson dit donc à sa 5 femme : " Femme, habille-toi vite ; il faut que tu viennes aux champs avec moi. . — Qu'y a-t-il donc? dit la femme. — J'ai parié avec le lièvre un beau louis d'or et une bouteille de brandevin que je courrais mieux que lolui, et il faut que tu sois de la partie. — Bon Dieu! mon homme, dit la femme au héris- son, es-tu daus ton bon sens ou as-tu perdu la cervelle? Comment prétends-tu lutter à la course avec le lièvre ? 15 — Silence, ma femme, dit le hérisson ; c'est mon af- faire. Ne te mêle pas de ce qui regarde les hommes. Marche, habille-toi et partons ensemble." Que pouvait faire la femme du hérisson ? Il fal- lait bien obéir. 20 Comme ils cheminaient ensemble, le hérisson dit à sa femme: '^^ Fais bien attention à ce que je vais te dire. Nous allons courir dans cette grande pièce de terre que tu vois. Le lièvre court dans un sillon et moi dans l'autre, nous partirons de là-bas. Tu 25 n'as qu'à te tenir cachée dans le sillon, et, quand le lièvre arrivera près de toi, tu te montreras à lui en criant : Me voilà !" Tout en disant cela ils étaient arrivés ; le héris- son marqua à sa femme la place qu^elle devait tenir, 30 et il remonta le champ. Quand il fut au bout, il j» trouva le lièvre, qui lui dit: ^^Allons-nous courir? — Sans doute, reprit le hérisson. — En route donc." 14 LECTURES FRANÇAISES. Et chacun se plaça dans son sillon. Le lièvre dit : Une^ deux, trois! et partit comme un tourbil- lon. Le hérisson fit trois pas à peu près, puis se tapit dans le sillon et y demeura coi. Quand le lièvre fut arrivé au bout de la pièce de 5 terre, la femme du hérisson lui cria: Me voilà! Le lièvre fut tout étonné et s^émerveilla fort. Il croyait bien entendre le hérisson lui-même, car la femme res- semblait parfaitement à son mari. Le lièvre dit : Le diable est là pour quelque lo chose* Il cria : Recommençons ; encore une course. Et il courut encore, partant ainsi qu^un tourbillon, si bien que ses oreilles volaient au vent. La femme du hérisson ne bougea pas de sa place. Quand le lièvre arriva à Tautre bout du champ, le hérisson lui cria : i5 Me voilà ! Le lièvre, tout hors de lui, dit: Eecom- m^ençons, courons encore. — Je ne dis pas non, reprit le hérisson; je suis prêt à continuer tant qu^il te plaira.^^ Le lièvre courut ainsi soixante-treize fois de suite, 20 et le hérisson soutint la lutte jusqu^à la fin. Chaque fois que le lièvre arrivait à un bout ou à Tautre du champ, le hérisson ou sa femme disaient toujours : Me voilà ! A la soixante-quatorzième fois, le lièvre ne put 25 achever. Au milieu des champs il roula à terre ; et il expira sur la place. Le hérisson prit le louis d^or qu^il avait gagné et la bouteille de brandevin; il ap- pela sa femme pour la faire sortir de son sillon ; tous deux rentrèrent très-contents chez eux, et, s^ils ne 30 sont morts depuis, ils vivent encore. C^est ainsi que le hérisson courut si bien qu^il fit mourir le lièvre à la peine, et depuis ce temps-là LE LIÈVRE ET LE HÉRISSOK. 15 aucun lièvre ne s^est avisé de défier un hérisson à la course. La morale de cette histoire, c^est d'abord que nul, si important qu'il s'imagine être, ne doit s'aviser de 5 rire aux dépens d'un plus petit ; et secondement qu'il est bon, si vous songez à prendre une femme, de la prendre dans votre condition et toute semblable à vous. Si vous êtes hérisson, ayez bien soin que votre femme soit hérissonne, et de même pour toutes les 10 espèces. Traduit de T Allemand des frères Grimm par F. Baudry. 16 LECTUEES FRANÇAISES. LES TROIS CHEVEUX D'OE DU DIABLE. Il était une fois une pauvre femme qui mit au monde un fils, et on lui prédit que, dans sa quator- zième année, il épouserait la fille du roi. Sur ces entrefaites, le roi passa par le village, sans que personne le reconnût; et comme il demandait 5 ce qu^il y avait de nouveau, on lui répondit qu^il venait de naître un enfant, que tout ce qu^il entreprendrait lui réussirait, et qu^on lui avait prédit que, lorsqu^il aurait quatorze ans, il épouserait la fille du roi. Le roi avait un mauvais cœur, et cette prédiction 10 le fâcha. Il alla trouver les parents du nouveau-né, et leur dit d^un air tout amical: "Vous êtes de pauvres gens, donnez-moi votre enfant, j^en aurai bien soin." Ils refusèrent d^abord; mais ^étranger leur offrit de Tor, et ils se dirent : '' Puisque Tenfant 15 est né heureux, ce qui arrive est pour son bien." Ils finirent par consentir et par livrer leur fils. Le roi le mit dans une boîte, et chevaucha avec ce fardeau jusqu^au bord d^une rivière profonde, où il le jeta, en pensant qu^il délivrait sa fille d^un ga- 20 lant incommode. Mais la boîte, loin de couler à fond, se mit à flotter comme un petit bateau, sans qu^il entrât dedans une seule goutte d^eau ; elle alla ainsi 3usqu\à deux lieues de la capitale, et s^arrêta contre Técluse d^m moulin. Un garçon meunier qui 25 se trouvait là par bonheur l'aperçut et l'attira avec un croc ; il s^attendait, en Couvrant, à y trouver de LES TROIS CHEVEUX D'OR DU DIABLE. 17 grands trésors ; mais c^était un joli petit garçon^ frais et éveillé. Il le porta au moulin ; le meunier et sa femme^ qui n^avaient pas d'enfants^ reçurent celui-là comme si Dieu le leur eût envoyé. Ils traitèrent de 5 leur mieux le petit orphelin, qui grandit chez eux en forces et en bonnes qualités. Un jour, le roi, surpris par la pluie, entra dans le moulin, et demanda au meunier si ce grand jeune homme était son fils. " Non, sire, répondit-il ; c^est 10 un enfant trouvé qui est venu dans une boîte échouer contre notre écluse, il y a quatorze ans ; notre garçon meunier Ta tiré de Teau.'^ Le roi reconnut alors que c^était Fenf ant qu^il avait jeté à la rivière. " Bonnes gens, dit-il, ce jeune 15 homme ne pourrait-il pas porter une lettre de ma part à la reine? Je lui donnerais deux pièces d'or pour sa peine. — Comme Votre Majesté Tordonnera,'^ répondi- rent-ils; et ils dirent au jeune homme de se tenir 20 prêt. Le roi écrivit à la reine une lettre où il lui mandait de se saisir du messager, de le mettre à mort et de Tenterrer, de façon à ce qu'il trouvât la^ chose faite à son retour. Le garçon se mit en route avec la lettre, mais il 25 s'égara et arriva le soir dans une grande forêt. Au milieu des ténèbres, il aperçut de loin une faible lu- mière, et, se dirigeant de ce côté, il atteignit une pe- tite maison où. il trouva une vieille femme assise près du feu. Elle parut toute surprise de voir le jeune 30 homme, et lui dit: '^ D'où viens-tu, et que veux-tu ? — Je viens du moulin, répondit-il; je porte une lettre à la reine; j'ai perdu mon chemin, et je vou- drais bien passer la nuit ici. 18 LECTUEES FRANÇAISES. — Malheureux enfant, répliqua la femme, tu es tombé dans une maison de voleurs. — A la grâce de Dieu ! dit le jeune homme, je n^ai pas peur; et, d^ailleurs, je suis si fatigué qu^il m^est impossible d^aller plus loin/^ 5 Il se coucha sur un banc et s^endormit. Les vo- leurs rentrèrent bientôt après, et ils demandèrent avec colère pourquoi cet étranger était là. ^^ Ah! dit la vieille, c^est un pauvre enfant qui s'est égaré dans le bois; je Tai reçu par compassion. Il porte uneio lettre à la reine. ^^ Les voleurs prirent la lettre pour la lire, et virent qu'elle enjoignait de mettre à mort le messager. Mal- gré la dureté de leur cœur, ils eurent pitié du pauvre diable; leur capitaine déchira la lettre, et en mit une 15 autre à la place, qui enjoignait qu'aussitôt que le jeune homme arriverait, on lui fît immédiatement épouser la fille du roi. Puis les voleurs le laissèrent dormir sur son banc jusqu'au matin, et, quand il fut éveillé, ils lui remirent la lettre et lui montrèrent son 20 chemin. La reine, ayant reçu la lettre, exécuta ce qu'elle contenait ; on fit des noces splendides ; la fille du roi épousa le jeune homme, et, comme il était beau et aimable, elle fut enchantée de vivre avec lui. 25 Quelque temps après, le roi revint dans son palais, et trouva que la prédiction était accomplie, et que le jeune homme avait épousé sa fille. "Comment cela s'est-il fait? dit-il; j'avais donné dans ma lettre un ordre tout différent." La reine lui montra la let- 30 tre, et lui dit qu'il pouvait voir ce qu'elle contenait. Il la lut et vit bien qu'on avait changé la sienne. Il demanda au jeune homme ce qu'était devenue la LES TROIS CHEVEUX D^OR DU DIABLE. 19 lettre qu^il lui avait confiée, et pourquoi il en avait remis une autre. " Je n^en sais rien, répliqua celui- ci; il faut qu^on Tait changée la nuit, quand j^ai couché dans la forêt. ^^ 5 Le roi en colère lui dit: ^^Cela ne se passera pas ainsi. Celui qui prétend à ma fille doit me rapporter de Tenfer trois cheveux d^or de la tête du diable. Eapporte-les-moi, et ma fille t^appartiendra.^^ Le roi espérait bien qu^il ne reviendrait jamais d^une pareille lo commission. Le jeune homme répondit: ^^Le diable ne me fait pas peur; j^irai chercher les trois cheveux d^or.^^ Et il prit congé du roi et se mit en route. Il arriva devant une grande ville. A la porte, la 15 sentinelle lui demanda quel était son état et ce qu^il savait. ^^Tout, répondit-il. — Alors, dit la sentinelle, rends-nous le service de nous apprendre pourquoi la fontaine de notre marché, 20 qui nous donnait toujours du vin, s^est desséchée et ne fournit même plus d^eau. — Attendez, répondit-il, je vous le dirai à mon retour.^' Plus loin, il arriva devant une autre ville. La sen- 25 tinelle de la porte lui demanda son état et ce qu^il savait. " Tout, répondit-il. — Kends-nous alors le service de nous apprendre pourquoi le grand arbre de notre ville, qui nous rap- 30 portait des pommes d^or, n^a plus même de feuilles. — Attendez, répondit-il, je vous le dirai à mon retour.^^ Plus loin encore il arriva devant une grande ri- 20 LECTURES FRANÇAISES. vière qu^il s^agissait de passer. Le passager lui de- manda son état et ce qu^il savait. " Tout^ répondit-il. — Alors^ dit le passager, rends-moi le service de m^apprendre si je dois toujours rester à ce poste, sans 5 jamais être relevé. — Attends, répondit-il, je te le dirai à mon retour/^ De Tautre côté de Peau, il trouva la bouche de Fen- fer. Elle était noire et enfumée. Le diable n^était pas chez lui; il n^y avait que son hôtesse, assise dans 10 un large fauteuil. ^^Que demandes-tu? lui dit-elle d^un ton assez doux. — Il me faut trois cheveux d^or de la tête du diable, sans quoi je n^obtiendrai pas ma femme. — C^est beaucoup demander, dit-elle, et si le 15 diable t^aperçoit quand il rentrera, tu passeras un mauvais quart d^heure. Cependant tu m^intéresses, et je vais tâcher de Vaider.^^ Elle le changea en fourmi et lui dit : ^^ Monte dans les plis de ma robe; là tu seras en sûreté. 20 — Merci, répondit-il, voilà qui va bien; mais j^au- rais besoin en outre de savoir trois choses: pourquoi une fontaine qui versait toujours du vin ne fournit même plus d^eau ; pourquoi un arbre qui portait des pommes d^or n^a plus même de feuilles ; et si un 25 certain passager doit toujours rester à son poste sans jamais être relevé. — Ce sont trois questions difficiles, dit-elle ; mais tiens-toi bien tranquille, et sois attentif à ce que le diable dira quand je lui arracherai les trois cheveux 30 d^or.^^ Quand le soir arriva, le diable revint chez lui. A peine était-il entré qu^il remarqua une odeur extra- LES TROIS CHEVEUX d'OR DU DIABLE. 21 ordinaire. "Il y a du nouveau ici, dit-il ; je sens la chair humaine/^ Et il alla fureter dans tous les coins, mais sans rien trouver. L^hôtesse lui chercha que- relle. ^^ Je viens de balayer et de ranger, dit-elle, et 5tu vas tout bouleverser ici, tu crois toujours sentir la chair humaine. Assieds-toi et mange ton souper.^^ Quand il eut soupe, il était fatigué; il posa sa tête sur les genoux de son hôtesse, et ne tarda pas à s^'en- dormir et à ronfler. La vieille saisit un clieveu d^or, loTarracha et le mit de côté. ^*Hé, s^écria le diable, qu^as-tu donc fait? — J^ai eu un mauvais rêve, dit Phôtesse, et je t^ai pris par les cheveux. — Qu^as-tu donc rêvé ? demanda le diable. 15 — J^ai rêvé que la fontaine d\in marché, qui ver- sait toujours du vin, s^était arrêtée et qu^elle ne don- nait phis même d^eau; quelle en peut être la cause ? — Ah ! si on le savait ! répliqua le diable ; il y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine ; on n^aurait 20 qu'à le tuer, le vin recommencerait à couler. ^^ Il se rendormit, et ronfla de façon à ébranler les vitres. Alors elle lui arracha le second cheveu. "Heu! que fais-tu ? s^écria le diable en colère. — Ne t^inquiète pas, répondit-elle, c^est un rêve 25 que j^ai fait. — Qu'as-tu rêvé encore ? demanda-t-il. — ' J'ai rêvé que dans un pays il y a un arbre qui portait toujours des pommes d^or, et qui n'a plus même de feuilles ; quelle en pourrait être la cause ? 30 — Ah ! si on le savait ! répliqua le diable ; il y a une souris qui ronge la racine ; on n'aurait qu'à la tuer, il reviendrait des pommes d'or à l'arbre ; mais si çUe continue à la ronger, l'arbre mourra tout à fait. 23 LECTURES FRANÇAISES. Maintenant laisse-moi en repos avec tes rêves. Si tu me réveilles encore^ je te donnerai un soufflet/^ L'hôtesse Tapaisa jusqu'à ce qu'il fût rendormi et ronflant. Alors elle saisit le troisième cheveu d'or et Tarracha. Le diable se leva en criant^ et voulait la 5 battre; elle le radoucit encore en disant: ^^Qui peut se garder d'un mauvais rêve ? — Qu'as-tu donc rêvé encore ? demanda-t-il avec curiosité. — J'ai rêvé d'un passager qui se plaignait de tou- 10 jours passer l'eau avec sa barque^ sans que personne le remplaçât jamais. — Hé ! le sot ! répondit le diable ; le premier qui viendra pour passer la rivière, il n'a qu'à lui mettre sa rame à la main; il sera libre et l'autre sera obligé de 15 faire le passage à son tour.'^ Comme l'hôtesse lui avait arraché les trois che- veux d'or, et qu'elle avait tiré de lui les trois ré- ponses, elle le laissa en repos, et il dormit jusqu'au matin. 20 Quand le diable eut quitté la maison, la vieille prit la fourmi dans les plis de sa robe et rendit au jeune homme sa figure humaine. " Voilà les trois cheveux, lui dit-elle ; mais as-tu bien entendu les réponses du diable à tes questions ? 25 — Très-bien, répondit-il, et je m'en souviendrai. — Te voilà donc hors d'embarras, dit-elle, et tu peux reprendre ta route." Il remercia la vieille qui l'avait si bien aidé, et sortit de l'enfer, fort joyeux d'avoir si heureusement 30 réussi. Quand il arriva au passager, avant de lui donner la réponse promise, il se fit d'abord passer de l'autre LES TROIS CHEVEUX d'OR DU DIABLE. 23 côté, et alors il lui fit part du conseil donné par le diable: '^ Le premier qui viendra pour passer la rivière, tu n^as qu^à lui mettre ta rame à la main/^ Plus loin, il retrouva la ville à Farbre stérile; la sen- 5 tinelle attendait aussi sa réponse : '^ Tuez la souris qui ronge les racines, dit-il, et les pommes d^or revien- dront/^ La sentinelle, pour le remercier, lui donna deux ânes chargés d^or. Enfin il parvint à la ville dont la fontaine était à 10 sec. Il dit à la sentinelle: ^^11 y a un crapaud sous une pierre dans la fontaine; cherchez-le et tuez-le, et le vin recommencera à couler en abondance.^^ La sentinelle le remercia et lui donna encore deux ânes chargés d^or. 15 Enfin, le jeune homme revint près de sa femme, qui se réjouit dans son cœur en le voyant de retour et en apprenant que tout s^était bien passé. Il remit au roi les trois cheveux d^or du diable. Celui-ci, en apercevant les quatre ânes chargés d^or, fut grande- 20 ment satisfait, et lui dit : " Maintenant toutes les con- ditions sont remplies, et ma fille est à toi. Mais, mon cher gendre, dis-moi d^où te vient tant d^or, car c^est un trésor énorme que tu rapportes. — Je Tai pris, dit-il, de Fautre côté d^une rivière 25 que j^ai traversée; c^est le sable du rivage. — Pourrais- je m^en procurer autant ? lui demanda le roi, qui était un avare. — Tant que vous voudrez, répondit-il. Vous trou- verez un passager; adressez-vous à lui pour passer 3oFeau, et vous pourrez remplir vos sacs.^^ L^avide monarque se mit aussitôt en route, et, ar- rivé au bord de Teau, il fit signe au passager de lui amener sa barque. Le passager le fit entrer^ et, quand 24 LECTURES FRAI^ÇAISES. ils furent à Tautre bord, il lui mit la rame à la main et sauta dehors. Le roi devint ainsi passager en pu- nition de ses péchés. ^^L^est-il encore? — Eh ! sans doute^ puisque personne ne lui a repris la rame." Traduit de T Allemand des frères Grimm par F. Baudry. LA BELLE ET LA BÊTE, 25 LA BELLE ET LA BETE. Il y avait une fois un marchand qui était extrême- ment riche. Il avait six enfants, trois garçons et trois filles. Ses filles étaient très belles; mais la cadette surtout se faisait admirer, et Fon ne Tappe- 5 lait, quand elle était petite, que la belle enfant. Cette cadette, qui était plus belle que ses sœurs, était aussi meilleure qu^elles. Les deux aînées avaient beaucoup d^orgueil, parcequ^elles étaient riches. Elles allaient tous les jours au bal, à la comédie, à la pro- ie menade. Comme on savait que ces filles étaient fort riches, plusieurs marchands les demandèrent en mariage; mais les deux aînées répondirent qu^elles ne se marieraient jamais, à moins qu^elles ne trou- vassent un duc, ou tout au moins un comte. La Belle 15 remercia bien honnêtement ceux qui voulaient répouser; mais elle leur dit qu^elle était trop jeune et qu^elle souhaitait tenir compagnie à son père pen- dant quelques années. Tout d^un coup, le marchand perdit son bien, et il 20 ne lui resta qu\ine petite maison de campagne, bien loin de la ville. Il dit en pleurant à ses enfants qu^il fallait aller demeurer dans cette maison, et qu^en tra- vaillant comme des paysans ils y pourraient vivre. Ses deux filles aînées répondirent qu^elles ne voulaient 25 pas quitter la ville, et qu^^elles avaient phisieurs amants qui seraient trop heureux de les épouser, quoiqu'elles n'eussent plus de fortune. Les bonnes 26 demoiselles se trompaient; leurs amants ne voulurent plus les regarder quand elles furent pauvres. Il y eut plusieurs gentilshommes qui voulurent épouser la Belle, quoiqu'elle n'eût pas un sou ; mais elle leur dit qu'elle ne pouvait se résoudre à aban- 5 donner son pauvre père dans son malheur, et qu'elle le suivrait à la campagne pour le consoler et lui aider à travailler. Quand ils furent arrivés à leur maison de cam- pagne, le marchand et ses trois fils s'occupèrent à lo labourer la terre. La Belle se levait à quatre heures du matin, et se dépêchait de nettoyer la maison et d'apprêter à dîner pour la famille. Quand elle avait fait son ouvrage, elle lisait, elle jouait du clavecin, ou bien elle chantait en filant. Les deux sœurs au con- 15 traire s'ennuyaient à la mort ; elles se levaient à dix lieures du matin, se promenaient toute la journée, et s'amusaient à regretter leurs beaux habits. Il y avait un an que cette famille vivait dans la soli- tude, lorsque le marchand reçut une lettre par la- 20 quelle on lui mandait qu'un vaisseau, sur lequel il avait des marchandises, venait d'arriver heureuse- ment. Cette nouvelle f ailla tourner la tête aux deux aînées, qui croyaient qu'à la fin elles pourraient quit- ter cette campagne, où elles s'ennuyaient tant; et, 25 quand elles virent leur père prêt à partir, elles le pri- èrent de leur apporter des robes, des coiffures, et toutes sortes de bagatelles. La Belle ne lui deman- dait rien. ^^Tu ne me pries pas de t'acheter quelque-chose? 30 lui dit son père. — Puisque vous avez la bonté de penser à moi, lui dit-elle, je vous prie de m'apporter une rose.'^ LA BELLE ET LA BETE. 27 Le bonhomme partit; mais, quand il fut arrivé^, on lui fit un procès pour ses marchandises ; et, après avoir eu beaucoup de peine, il revint aussi pauvre qu'il était auparavant. Il n'avait plus que trente 5 milles pour arriver à sa maison, et il se réjouissait déjà du plaisir de voir ses enfants : mais, comme il fallait passer un grand bois avant de trouver sa mai- son, il se perdit. Il neigeait horriblement ; le vent était si grand qu'il le jeta deux fois en bas de son lo cheval; et la nuit étant venue, il pensa qu'il mourrait de faim ou de froid, ou qu'il serait mangé par les loups qu'il entendait hurler autour de lui. Tout d'un coup il vit une grande lumière, mais qui paraissait bien éloignée. Il marcha de ce côté-là, et vit que 15 cette lumière sortait d'un grand palais qui était tout illuminé. Le marchand remercia Dieu du secours qu'il lui envoyait, et se hâta d'arriver à ce château : mais il fut bien surpris de ne trouver personne dans les cours. Son cheval, qui le suivait, voyant une 20 grande écurie ouverte, entra dedans, et ayant trouvé du foin et de l'avoine, le pauvre animal, qui mourait de faim, se jeta dessus avec beaucoup d'avidité. Le marchand marcha vers la maison, où il ne trouva per- sonne; mais, étant entré dans une grande salle, il y 25 trouva un bon feu, et une table chargée de viandes, où il n'y avait qu'un couvert. Comme la pluie et la neige l'avait mouillé jusqu'aux os, il s'approcha du feu pour se sécher, et disait en lui-même: **' Le maître de la maison ou ses domestiques me pardonneront la liberté 30 que j'ai prise, et sans doute ils viendront bientôt." Il attendait pendant un temps considérable; mais onze heures ayant sonné sans qu'il vît personne, il ne put résister à la faim, et prit un poulet, qu'il 28 LECTUEES FRANÇAISES. mangea en deux bouchées et en tremblant. Il but aussi quelques couj)s de vin, et, devenu plus hardi, il sortit de la salle et traversa plusieurs grands appar- tements, magnifiquement meublés. A la fin il trouva une chambre où il y avait un bon lit, et, comme il 5 était minuit passé et qu^il était las, il prit le parti de fermer la porte et de se coucher. Il était dix heures du matin quand il se leva le len- demain, et il fut bien surpris de trouver un habit fort propre à la place du sien, qui était tout gâté. lo ^^ Assurément, dit-il, ce palais appartient à quelque bonne fée, qui a eu pitié de ma situation/^ Il regarda par la fenêtre, et ne vit plus de neige, mais des berceaux de fleurs qui enchantaient la vue. Il rentra dans la grande salle où il avait soupe lais veille, et vit une petite table où il y avait du choco- lat. ^^ Je vous remercie, madame la fée, dit-il tout haut, d^avoir eu la bonté de penser à mon déjeuner. ^^ Le bonhomme, après avoir pris son chocolat, sortit pour aller chercher son cheval, et, comme il passait 20 sous un berceau de roses, il se souvint que la Belle lui en avait demandé, et cueillit une branche où il y en avait plusieurs. En même temps, il entendit un grand bruit, et vit venir à lui une bête si horrible qu'il fut tout près 25 de s'évanouir. ^^Vous êtes bien ingrat! lui dit la bête d^me voix terrible; je vous ai sauvé la vie en vous recevant dans mon château, et, pour ma peine, vous me volez mes roses, que j'aime mieux que toutes choses au monde! il faut mourir pour réparer 30 cette faute ; je ne vous donne qu'un quart d'heure, pour demander pardon à Dieu." Le marchand se jeta à genoux, et dit à la bête. LA BELLE ET LA BETE. 29 en joignant les mains : '^^ Monseigneur^ pardonnez- moi^ je ne croyais pas TOUS offenser en cueillant une rose pour une de mes filles qui m'en avait demandé. — Je ne m^appelle point monseigneur^ répondit le 5 monstre^ mais la Bête, Mais vous m'ayez dit que vous aviez des filles ; je veux bien vous pardonner, à condition qu^me de vos filles vienne volontairement pour mourir à votre place. Ne me raisonnez pas ; par- tez ; et, si vos filles refusent de mourir pour vous, lo jurez que vous reviendrez dans trois mois.^^ Le bonhomme pensa : " S^il faut que je meure j^aurai au moins le plaisir de les embrasser encore une fois.^^ Il jura de revenir, et la Bête lui dit qu'il pou- 15 vait partir quand il voudrait. En même temps la Bête se retira. Le bonhomme, ayant repris son cheval, qu^il retrouva dans l^écurie, sortit de ce palais. Son cheval prit de lui-même une des routes de la 20 forêt, et en peu d^heures le bonhomme arriva dans sa petite maison. Ses enfants se rassem- blèrent autour de lui; mais, au lieu d^être sensible à leurs caresses, le marchand se mit à pleurer en les regardant. Tout de suite il raconta à sa famille 25 la funeste aventure qui lui était arrivée. À ce récit les deux aînées jetèrent de grands cris, et dirent des injures à la Belle, qui ne pleurait point. ^^ Voyez ce que produit Torgueil de cette petite créature, disaient- elles ; que ne demandait-elle des robes comme nous ? 30 Mais non, mademoiselle voulait se distinguer. Elle va causer la mort de notre père, et elle ne pleure pas. — Cela sera fort inutile, reprit la Belle; pourquoi pleurerais-je la mort de mon père ? il ne périra point. 30 LECTURES FRANÇAISES. Puisque le monstre veut bien accepter une de ses filles, je veux me livrer à toute sa furie. — Je suis charmé du bon cœur de la Belle, mes en- fants, leur dit le marchand, mais je ne veux pas Tex- poser à la mort. Je suis vieux, il ne me reste que 5 peu de temps à vivre ; ainsi, je ne perdrai que quel- ques années de vie. — Je vous assure, mon père, lui dit la Belle, que vous nuirez pas à ce palais sans moi; vous ne pouvez m^empécher de vous suivre. Quoique je sois jeune, lo je ne suis pas fort attachée à la vie, et j'aime mieux être dévorée par ce monstre que de mourir du chagrin que me donnera votre perte.'' On eut beau dire, la Belle voulut absolument par- tir pour le beau palais, et ses sœurs en étaient char- 15 mées, parceque les vertus de cette cadette leur avaient inspiré beaucoup de jalousie. Ces deux méchantes filles se frottèrent les yeux avec un oignon pour pleu- rer lorsque la Belle partit avec leur père; mais ses frères pleuraient tout de bon, aussi bien que le mar- 20 chand ; il n'y avait que la Belle qui ne pleurait point. Le cheval prit la route du palais, et ils l'aperçurent illuminé comme la première fois. Le bonhomme entra avec sa fille dans la grande salle, où ils trou- vèrent une table magnifiquement servie, avec deux 25 couverts. Le marchand n'avait pas le cœur de man- ger ; mais la Belle, s'efîorçant de paraître tranquille, se mit à table et le servit ; puis elle disait en elle- même : "La Bête veut m'engraisser avant de me manger." 30 Quand ils eurent soupe, ils entendirent un grand bruit, et le marchand dit adieu à sa pauvre fille en pleurant, car il pensait que c'était la Bête. La Belle LA BELLE ET LA BETE. 31 ne pouvait s^empêcher de frémir en voyant cette hor- rible figure, mais elle se rassura de son mieux ; et le monstre lui ayant demandé si c'était de bon cœur qu'elle était venue, elle lui dit en tremblant que oui. 5 ^^Vous êtes bien bonne, dit la Bête, et je vous en suis bien obligée. Bonhomme, partez demain matin, et ne vous avisez jamais de revenir ici. Adieu, la Belle. — Adieu, la Bête, répondit-elle. jo Et tout de suite le monstre se retira. ^ — Ah, ma fille, dit le marchand en embrassant la Belle, je suis à demi mort de frayeur. Croyez-moi, laissez-moi ici. — Non, mon père, lui dit la Belle avec fermeté, 15 vous partirez demain matin, et vous m'abandonnerez au secours du ciel ; peut-être aura-t-il pitié de moi." Pendant son sommeil la Belle vit une dame, qui lui dit : " Je suis contente de votre bon cœur, la Belle ; la bonne action que vous faites en donnant votre vie 2Qpour sauver celle de votre père ne demeurera point sans récompense." La Belle, en s'eveillant, raconta ce songe à son père ; et, quoiqu'elle le consolât un peu, cela ne l'empêcha pas de jeter de grands cris quand il fallut se séparer de sa chère fille. 25 Lorsqu'il fut parti, la Belle s'assit dans la grande salle et se mit à pleurer aussi; mais, comme elle avait beaucoup de courage, elle se recommanda à Dieu, et résolut de ne point se chagriner pour le peu de temps qu'elle avait à vivre, car elle croyait fermement que la 30 Bête la mangerait le soir. Elle résolut de se pi-omener en attendant et de visiter ce beau château. Elle fut bien surprise de trouver une porte sur laquelle il y avait écrit: Ajppartement de la Belle, Elle ouvrit 33 LECTURES FRANÇAISES. cette porte avec précipitation et elle fut éblouie de la magnificence qui y régnait; mais ce qui frappa le plus sa vue, ce fut une grande bibliothèque, un clavecin, et plusieurs livres de musique. '' On ne veut pas que je m^ennuie/' dit-elle tout bas; elle pensa ensuite: 5 " Si je n^avais qu^un jour à demeurer ici, on ne m^au- rait pas fait une telle provision/^ Cette pensée ranima son courage. Elle ouvrit un livre où il y avait écrit en lettres d^or : Souhaitez, commandez; vous êtes ici la dame et la maîtresse. lo " Helas, dit-elle en soupirant, je ne souhaite rien que de voir mon pauvre père et de savoir ce qu^il fait à présent/^ Elle avait dit cela en elle-même. Quelle fut sa surprise, en jetant les yeux sur un grand miroir, d^y 15 voir sa maison, où son père arrivait avec un visage extrêmement triste! Ses sœurs venaient au-devant de lui, et, malgré les grimaces qu^elles faisaient pour paraître affligées, la joie qu^elles avaient de la perte de leur sœur paraissait sur leur visage. Un moment 20 après, tout cela disparut. Le soir, comme elle allait se mettre à table, elle entendit le bruit que faisait la Bête, et ne put s^empêcher de frémir. " La Belle, lui dit ce monstre, voulez-vous bien que je vous voie souper ? 25 — Vous êtes le maître, répondit la Belle en trem- blant. — Non, répondit la Bête, il n^y a ici d^autre maî- tresse que vous. Vous nWez quYi me dire de m^en aller, si je vous ennuie ; je sortirai tout de suite. 30 Dites-moi, n^est-ce pas que vous me trouvez bien laid ? — Cela est vrai, dit la Belle, car je ne sais pas men- tir, mais je crois que vous êtes fort bonne. LA BELLE ET Lk BETE. 33 — Vous avez raison^ dit le monstre; mais outre que je suis laid, je n^ai point d^esprit, je sais bien que je ne suis qu^une bête. — On n^est pas bête, dit la Belle, quand on croit 5 n^avoir point d'esprit. Un sot n^a jamais su cela. — Mangez donc, la Belle, lui dit le monstre, et tâ- chez de ne TOUS point ennuyer dans votre maison; car tout ceci est à vous. — Vous avez bien de la bonté, dit la Belle. Quand 10 j^y pense, vous ne me paraissez plus si laid. — Oh, oui, répondit la Bête, j^ai le cœur bon, mais je suis un monstre. ^^ La Belle soupa de bon appétit. Elle n'avait presque plus peur du monstre, mais elle faillit mourir de fra- isyeur lorsqu'il lui dit: ^^ La Belle, voulez-vous être ma femme ?^^ Elle fut quelque temps sans répondre; elle avait peur d^exciter la colère du monstre en le refusant; elle dit pouTtant en tremblant: ^' Xon, la Bête.^^ 20 Ce pauvre monstre voulut soupirer, et il fit un sif- flement si épouvantable que tout le palais en retentit; mais la Belle fut bientôt rassurée, car la Bête, lui ayant dit tristement: '^ Adieu donc, la Belle, '^ sortit de la chambre, en se retournant de temps en temps 25 pour la regarder encore. La Belle, se voyant seule, sentit une grande compassion pour cette pauvre Bête. " Hélas ! disait-elle, c^est bien dommage qu'elle soit si laide, elle est si bonne!''' La Belle passa trois mois dans ce palais avec assez 30 de tranquillité. Tous les soirs la Bête lui rendait vi- site, et ^entretenait pendant le souper avec assez de bon sens. Chaque jour la Belle découvrit de nouvelles bontés de ce monstre. L'habitude de le voir l'avait 34 LECTURES FRANÇAISES. accoutumée à sa laideur, et, loin de craindre le mo- ment de sa visite, elle regardait souvent à sa montre pour voir s'il était bientôt neuf heures, car la Bête ne manquait jamais de venir à cette heure-là. Il n'y avait qu'une chose qui faisait de la peine à la Belle : 5 c'est que le monstre, avant de se coucher, lui deman- dait toujours si elle voulait être sa femme, et parais- sait pénétré de douleur lorsqu'elle lui disait que non. Elle lui dit un jour: "Vous me chagrinez, la Bête; je voudrais pouvoir vous épouser, mais je suis trop lo sincère pour vous faire croire que cela arrivera ja- mais. Je serai toujours votre amie, tâchez de vous contenter de cela. — Il le faut bien, dit la Bête; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible, mais je vous aime 15 beaucoup; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici. Promettez-moi que vous ne me quitterez jamais." La Belle rougit à ses paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de 20 l'avoir perdu, et elle souhaitait de le revoir. " Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout-à-fait; mais j'ai tant d'envie de revoir mon père que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. 25 — J'aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner ce chagrin. Je vous enverrai chez votre père, vous y resterez, et votre Bête en mourra de douleur. — Non, lui dit la Belle en pleurant, je vous aime 30 trop pour vouloir causer votre mort. Je vous pro- mets de revenir dans huit jours. Vous m'avez fait voir que mes sœurs sont mariées, et que mes frères LA BELLE ET LA BETE. 35 sont partis pour Tarmée. Mon père est tout seul; souffrez que je reste chez lui une semaine. — Vous y serez demain matin, dit la Bête; mais souvenez-vous de votre promesse. Vous n^xurez qu^à 5 mettre votre bague sur une table en vous couchant, quand vous voudrez revenir. Adieu, la Belle.'^ La Bête soupira, selon sa coutume, en disant ces mots, et la Belle se coucha toute triste de Ta voir afifli- gée. Quand elle se réveilla le matin, elle se trouva 10 dans la maison de son père, et, ayant sonné une clo- chette qui était à côté de son lit, elle vit venir la ser- vante, qui fit un grand cri en la voyant. Le bon- homme accourut à ce cri, et failla mourir de joie en revoyant sa chère fille. On avertit ses sœurs, qui ac- 15 coururent avec leur maris. Elles faillirent mourir de douleur quand elles la virent habillée comme une princesse, et plus belle que le jour. Elle eut beau les caresser, rien ne put étouffer leur jalousie, qui aug- menta beaucoup quand elle leur eut conté combien 20 elle était heureuse. Ces deux jalouses descendirent au jardin pour y pleurer tout à leur aise. ^^ Ma sœur, dit Taînée, il me vient une pensée. Tâchons de Tarrêter ici plus de huit jours. Sa sotte Bête se mettra en colère de ce qu^elle lui aura man- 25 que de parole, et peut-être qu'elle la dévorera. — Vous avez raison, ma sœur, dit Tautre. Pour cela, il faut lui faire de grandes caresses. '^ Et, ayant pris cette résolution, elles remontèrent et firent tant d'amitiés à leur sœur que la Belle en 30 pleura de joie. Quand les huit jours furent passés, les deux sœurs s'arrachèrent les cheveux et firent tant les affligées de son départ, qu'elle promit de res- ter encore huit jours. 36 LECTURES FRANÇAISES. Cependant la Belle se reprochait le chagrin qu^elle allait donner à sa pauvre Bête, qu^elle aimait de tout son cœur^ et elle s'ennuyait de ne plus la voir. La dixième nuit qu^elle passa chez son père^ elle rêva qu^elle était dans le jardin du palais^, et qu^elle voyait 5 la Bête couchée sur Fherbe et prête à mourir. La Belle se réveilla en sursaut et versa des larmes. ^^Ne suis-je pas bien méchante^ disait-elle^ de donner de^ chagrin à une bête qui a pour moi tant de complai- sance ? Est-ce sa faute si elle est si laide et si elle a lo si peu d^esprit ? Elle est bonne, cela vaut mieux que tout le reste. Pourquoi n^ai-je pas voulu Tépouser? Je serais plus heureuse avec elle que mes sœurs avec leurs maris. Je n^ai point d^amour pour elle; mais j^ai de Testime, de Tamitié, et de la reconnaissance. 15 Allons, il ne faut pas la rendre malheureuse; je me reprocherais toute ma vie mon ingratitude.^^ A ces mots la Belle se lève, met sa bague sur la table, et revient se coucher. A peine fut-elle dans son lit, qu'elle s'endormit, et quand elle se réveilla le 20 matin elle vit avec joie qu'elle était dans le palais de la Bête. Elle s'habilla magnifiquement pour lui plaire, et s'ennuya à mourir toute la journée en atten- dant neuf heures du soir; mais l'horloge eut beau son- ner, la Bête ne parut point. La Belle, alors, craig-25 nit d'avoir causé sa mort. Elle courut tout le pa- lais en jetant de grands cris ; elle était au désespoir. Après avoir cherché partout, elle se souvint de son rêve, et elle courut dans le jardin vers le canal, où elle Tavait vue en dormant. Elle trouva la pauvre 30 Bête étendue sans connaissance, et elle crut qu'elle était morte. Elle se jeta sur son corps sans avoir horreur de sa figure ; et, sentant que son cœur battait LA BELLE ET LA BÊTE. 37 encore, elle prit de Teau dans le canal et lui en jeta sur la tête. La Bête ouvrit les yeux, et dit à la Belle : ^^ Vous avez oublié votre promesse ; le chagrin de vous avoir 5 perdue m^a fait résoudre à me laisser mourir de faim; mais je meurs content, puisque j'ai le plaisir de vous revoir encore une fois. — Non, ma chère Bête, vous ne mourrez point, lui dit la Belle ; vous vivrez pour devenir mon époux; lodèsce moment, je vous donne ma main. Hélas, je croyais n'avoir que de Famitié pour vous, mais la dou- leur que je sens me fait voir que je ne pourrais vivre sans vous voir/' A peine la Belle eut-elle prononcé ces paroles, 15 qu'elle vit le château brillant de lumières; les feux d'artifice, la musique, tout lui annonça une fête; mais toutes ces beautés n'arrêtèrent point sa vue ; elle se retourna vers sa chère Bête, dont le danger la fai- sait frémir. Quelle fut sa surprise! la Bête avait dis- 20 paru. Elle ne vit plus à ses pieds qu'un prince plus beau que l'Amour, qui la remerciait d^avoir fini son enchantement. Quoique ce prince méritât toute son attention, elle ne put s'empêcher de lui demander ou. était la Bête. 25 ^^ Vous la voyez à vos pieds, lui dit le prince. Une méchante fée m'avait condamné à rester sous cette figure jusqu'à ce qu'une belle fille consentît à m'é- pouser, et elle m'avait défendu de faire paraître mon esprit. Ainsi, il n'y avait que vous dans le monde 30 assez bonne pour vous laisser toucher à la bonté de mon caractère ; et, en vous oiïrant ma couronne, je ne puis m'acquitter des obligations que je vous ai." La Belle, agréablement surprise, donna la main à 38 LECTURES FRAKÇAISES. ce beau prince pour le relever. Ils allèrent ensemble au château, et la Belle faillit mourir de joie en trou- vant dans la grande salle son père et toute sa famille, que la belle dame qui lui était apparue en songe avait transportés au château. 5 '^ Belle, lui dit cette dame, qui était une grande fée, venez recevoir la récompense de votre bon choix; vous avez préféré la vertu à la beauté et à Tesprit, vous méritez de trouver toutes ces qualités réunies en une seule personne. Vous allez devenir une grande lo reine ; j^espèrequele trône ne détruira pas vos vertus. Pour vous, mesdames, dit la fée aux sœurs de la Belle, je connais votre cœur et toute la malice qu^il ren- ferme. Devenez deux statues; mais conservez toute votre raison sous la pierre qui vous enveloppera. 15 Vous demeurerez à la porte du palais de votre sœur, je ne vous impose point d^autre peine que d^être témoins de son bonheur. Vous ne pourrez revenir dans votre premier état qu^au moment où vous reconnaîtrez vos fautes ; mais j'ai bien peur que vous ne restiez tou- 20 jours statues." Dans le moment la fée donna un coup de baguette qui transporta tous ceux qui étaient dans cette salle dans le ro3^aume du prince. Ses sujets le revirent avec joie, et il épousa la Belle, qui vécut avec lui fort 25 longtemps, et dans un bonheur parfait. Madame Leprikce de Beaumokt. LE PETIT MARQUIS. 39 LE PETIT MAEQUIS. Ma première enfance n'a point été heureuse. J'étais le senl enfant de la maison, et je n'avais plus de mère. Mon père avait été absent longtemps et m'avait laissé aux soins d'une bonne de confiance qui 5 me conduisait chaque matin à une école du voisinage. Depuis qu'il était de retour, il m'envoyait au collège. J'étais dans une des dernières classes, car j'avais huit ou neuf ans, au temps dont je vous parle; dans cette classe j'étais un des derniers élèves, car je n'aimais 10 pas l'étude qu'on ne m'avait jamais rendue intéres- sante. Les déclinaisons latines et les participes fran- çais me semblaient inventés tout exprès pour torturer de pauvres jeunes cervelles. Je rentrais toujours abattu et découragé. Mon maître ne faisait aucun 15 cas d'un élève si paresseux; il me punissait souvent, et mes camarades se moquaient de moi. / Mon père était un homme taciturne et sérieux; je le connaissais peu et j'avais peur de lui. De son côté il ne me parlait guère que pour me questionner sur 20 mes études pendant le dîner que nous faisions tou- jours en tête-à-tête. Lorsque j'étais assis vis-à-vis de lui, un poids accablant me tombait sur le cœur. Je ne pouvais plus ni lever les yeux ni prononcer une parole sans effort. Je crois que c'était cette absence 25 complète de gaieté et de familiarité qui m'oppressait. Mon père était pour moi un mystère. Et pourtant, une fois le dîner fini, le redoutable interrogatoire sou- 40 LECTUEES ERAïq^ÇAISES. tenu tant bien que mal^ et la porte du cabinet dont je ne franchissais jamais le seuil refermée, je n^étais pas à plaindre. J^oubliais tout, et j^allais retrouver Mariette. Mariette était le bon génie de la maison. Il est 5 vrai qu^elle était vieillotte, mais elle était si active, si propre, son œil était si brillant, sa main si preste, qu^on avait du plaisir à la regarder. Mariette faisait tout dans notre maison. Elle était cuisinière, som- melier, valet de chambre; elle avait été ma bonne, et lo s^était chargée de ma première éducation. Si mon père avait eu une voiture, je crois qu'elle aurait en- trepris d'être cocher et palefrenier. Eien ne la rebu- tait, rien ne Tétonnait, rien n'était trop fatigant ou trop difficile pour elle. Je ne sais si mon père con-15 naissait bien le trésor qu'il avait en elle, trésor de fidélité, de dévouement, et de savoir-faire. Il ne lui disait jamais une parole d'approbation, bien rarement une parole quelconque. Mariette cependant parais- sait satisfaite. C'était peut être que l'approbation de 20 sa conscience lui suffisait. Dès que mon père avait fermé sa porte sur lui, je courais auprès d'elle. En hiver surtout, j'étais heu- reux dans cette cuisine bien éclairée par un foyer à l'ancienne mode et par la lumière vacillante de la pe- 25 tite lampe. C'était la seule pièce de la maison qui ne me parût jamais triste. Je regardais Mariette aller et venir, frotter ses casseroles et remettre tout en place. Mariette était expéditive, mais il fallait que tout 30 dans sa cuisine brillât de propreté avant qu'elle con- sentît à venir s'asseoir à côté de moi. Alors commen- çait pour moi une heure toute d'enchantement qui LE PETIT MAKQUIS. 41 rachetait les tristesses de la journée, car Mariette était inépuisable en souvenirs. — Je veux du nouveau aujourd'hui, Mariette, lui dis- je un soir, une histoire que je n'aie pas encore en- 5 tendue. — Quand c'est trois cent soixante-cinq fois par an qu'on demande des histoires d'autrefois, il ne faut pas être difficile comme ça, mon chéri, me répondit- elle. lo — Mais, Mariette, tu as vécu bien plus de trois cent soixante-cinq jours. — Dieu merci ! je ne voudrais pas être obligée de les compter, mais qu'est-ce que cela fait ? — Cela fait que tu dois avoir une histoire pour 15 chaque jour de ta vie. — Pas tant que çà, heureusement, mais j'en ai beaucoup, et je crois que j'en trouverais une toute neuve si je cherchais bien. A l'ouïe de ces paroles, je fermai les yeux avec un 20 surcroît de béatitude. Dans ce moment, je n'aurais changé de sort avec personne au monde. Mais Mariette ne commençait pas; je levai les yeux et la regardai. Elle ne parut pas comprendre ce muet appel. 25 — As-tu causé avec ton père pendant le dîner? me demanda-t-elle brusquement. — Mais oui, lui dis-je, j'ai répondu à ce qu'il m'a demandé. — C'est tout ? Pourquoi donc ne lui parles-tu 30 pas comme tu parles avec moi ? — Mais c'est que papa me fait peur; il est si sévère, si froid... — Oh! voyez donc ces enfants qui jugent leurs 42 LECTURES FRANÇAISES. parents sans savoir le premier mot de ce qu'ils disent! Ton père n'est pas sévère, et il n'est pas froid; il est triste seulement. Il lui faudrait quelqu'un qui l'égayé et le console, et toi tu ne sais pas plus le faire qu'un morceau de bois. 5 — Il est triste! répétai-je avec surprise, mais pour- quoi ? — Ah! voilà la question; c'est peut-être parce que tu n'es pas comme il te voudrait. — Non, répond is-je, car quand mon père est revenu lo de son long voyage il y a un an, il était aussi triste que maintenant, et ce ne pouvait être à cause de moi, puisqu'il ne me connaissait presque pas. — Eh bien, je ne crois pas non plus que ce soit là la raison, je sais seulement que tu pourrais le consoler 15 et que tu ne le fais pas. — Si j'étais sûr que ce fût de la tristesse! dis-je avec hésitation, car il me semblait que la tristesse m'aurait attiré, tandis que la manière d'être de mon père m'intimidait et me glaçait. 20 — Il a bien de quoi être triste, mon pauvre jeune maître, quand on pense à ce qu'il a souffert tout en- fant déjà, pas beaucoup plus grand que toi, mon chéri. Cette expression de jeune appliquée à mon père (Mariette l'appelait presque toujours son jeune mai- 25 tre quoiqu'elle n'en eût pas d'autre) me semblait bien étrange. Mon père jeune, avec ses cheveux gris, ses yeux si profondément creusés, sa haute taille voûtée, sa démarche lente ; il me faisait bien plutôt l'effet d'un vieillard. 30 — Combien y a-t-il de temps de cela ? demandai-je. — Attends un peu. Nous sommes en 1835, et c'était en 1793. Il y a donc quarante-deux ans, LE PETIT MARQUIS. 43 — Quarante-deux ans, répétai-je avec respect, tout saisi de la pensée de cette haute antiquité. Tu étais jeune, Mariette. — Toute jeune, vingt ans au plus, et une jolie fille, ^ 5 on peut m^'en croire, quoiqu^il n^en reste pas grande- chose maintenant. Nous étions venus habiter une maison à quelques lieues de Nantes, un vrai château pour la grandeur, quoiqu'elle ne fût pas fortifiée. Ah! comme c'était beau, et que je voudrais revoir ce pays- 10 là. Il était tranquille comme un désert. J'étais donc au service de ta grand'mère et de ton grand- père ; c'étaient de bien bons maîtres ; la marquise sur- tout était une femme qui n'avait pas sa pareille dans la province, une sainte, rien de moins. Elle était toute 15 jeune encore, mais au temps où nous vivions on vieil- lissait vite. On savait que la mort pouvait venir d'un moment à l'autre. Cette idée nous était si familière qu'elle ne nous effrayait plus. Ta grand'mère ne pensait qu'aux misères du pauvre monde ; elle aurait 2o voulu pouvoir les soulager comme elle le faisait dans son château près de Quiberon, mais nous ne connais- sions personne, et la maison que nous habitions était très solitaire. Ton père, le petit marquis, comme nous l'appelions (il n'a plus porté son titre depuis 25 lors), était trop jeune pour s'inquiéter de ce qui se passait autour de nous. Il avait vu pleurer sa mère quand on recevait de mauvaises nouvelles de Paris, mais cela ne l'empêchait pas de jouer de tout son cœur avec les enfants du fermier. Il fallait toujours 30 qu'on lui obéît, et il ne souffrait pas qu'on lui fît la moindre réplique; vraiment il traitait ces petits pay- sans comme des chiens. Monsieur le marquis ne fai- sait qu'en rire et disait que c'était du vrai sang de 44 LECTURES FRANÇAISES. gentilhomme qn^il avait dans les veines. Madame la marquise pleurait quelquefois et disait: "Pauvre pe- tit^ j^ai peur pour lui de Favenir.^^ Je m^apercevais qu^il y avait dans la maison beau- coup d^allées et de venues. Un jour j'entrai chez ma 5 maîtresse, et je lui dis: ^^ Je vois bien que vous avez des chagrins, pourquoi ne les dites-vous pas à votre fidèle Mariette T^ Elle m'embrassa, mais elle me ré- pondit qu'elle ne le pouvait pas. Enfin, je sus ce qui en était. L'armée vendéenne, dont mon maître fai- 10 sait partie, allait marcher sur Nantes pour reprendre cette ville aux républicains. C'était une tentative désespérée. Ma pauvre jeune maîtresse priait nuit et jour devant son crucifix. Un soir, comme le petit marquis venait de s'endor-15 mir, on frappe à la porte; les domestiques avaient suivi leur maître, il ne restait plus que le vieux jardi- nier et moi. Quand la porte fut ouverte, un lieute- nant de l'armée vendéenne jeta la bride de son cheval au jardinier et se précipita dans la maison. Madame 20 était déjà dans le vestibule, toute pt41e et si trem- blante qu'elle s'appuyait au mur. — Ah! Monsieur de Eive, dit-elle en reconnaissant le lieutenant, vous m'apportez de mauvaises nouvel- les, ne me cachez rien. 25 — L'armée a été repousséc, Madame, répondit- il. — Mon Dieu! dit votre grand'mère, quel malheur! quel affreux malheur! Mais elle vit bien à l'air de M. de Rive qu'il en restait 30 d'autres à annoncer, et elle joignit les mains pour en- tendre le reste. • — Votre mari aus^i est blessé, dit-il, LE PETIT MARQUIS. 45 — Dites-moi toute la yérité, demanda-t-elle^ avec un calme étrauge, n^est-il que blessé ? — Je vous le jure, Madame, et il est près d^ici. Mais il faut avant tout trouver un moyen de le ca- 5 cher. On le cherchera sans doute lorsqu'on saura qu'il n'est pas parmi les morts. Il faut pendant quelque temps le soustraire à toutes les perquisitions; son nom est un des plus compromis. — Mais où donc ? dit la pauvre femme; nous n'avons lopas la moindre ressource dans cette maison, et ailleurs je n'en vois aucune pour un blessé... — Et à la ferme ? m'écriai-je. Ils sont connus pour des républicains, on ne cherchera pas chez eux. Le père est un ancien serviteur de M. le marquis et 15 ne le trahirait pour rien au monde. — Oui, le père, mais le fils... je ne puis me fier à lui. — Il est absent, et d'ailleurs c'est une bonne race. Tel père, tel fils. Il se bat, mais il ne trahit pas. 20 Je vis alors le lieutenant s'approcher de la mar- quise et lui parler tout bas. Je devinai qu'il lui de- mandait si l'on pouvait se fier à moi. — Comme à moi-même, répondit-elle en tournant de mon côté son beau regard. 25 — Eh bien, qu'elle emmène l'enfant pendant que vous resterez cachée à la ferme avec M. le marquis. — Non, non, l'enfant ne me quittera pas, dit-elle, son père ne le voudrait pas plus que moi. C'est notre fils unique, il restera avec nous. 30 La ferme n'était qu'à un quart de lieue de la mai- son ; j'y courus, et j'eus bientôt tout arrangé avec le brave fermier et sa femme. On prépara un lit pour le blessé dans la chambre la plus reculée, et il fut 46 LECTURES FRANÇAISES. convenu que le petit marquis serait vêtu comme Pun de leurs enfants et passerait pour Têtre en effet s^il venait des étrangers. Je devais rester aussi à la ferme. Le lieutenant reparut bientôt avec deux soldats qui 5 portaient M. le marquis. Il était évanoui et ne sV perçut de rien. Nous ne pouvions songer à quérir un médecin; notre salut était de rester ignorés. On fe- rait croire sans peine aux paysans qui viendraient à la ferme que la famille avait quitté subitement la 10 maison en apprenant le désastre de Nantes. Nous fîmes donc un pansement comme nous le pûmes. M. le marquis avait deux balles dans la poitrine et une blessure au bras. Les soldats et le lieutenant nous quittèrent; eux aussi avaient à mettre leur vie en 15 sûreté. Malgré Finliabileté de nos soins^ M. le mar- quis semblait se remettre. Deux ou trois jours s'étaient écoulés, nous commencions à respirer libre- ment et à parler du moment où nous pourrions par- tir. Le petit marquis s^était assez bien mis à son 20 rôle. 11 trouvait amusant de porter un sarrau de grosse toile et de manger du pain bis avec les enfants du fermier, mais il n'aimait pas à se laisser tutoyer par eux comme on leur avait ordonné de le faire. Sous son costume de paysan, il fallait qu^il comman-25 dât et fît faire sa volonté à toute la bande aussi bien que lorsqu^il portait le costume de son rang. Sa mère s^était d^abord inquiétée de son orgueil qui pou- vait avoir de terribles résultats, et lui avait fait pro- mettre de se conduire autrement, mais c'était plus 30 fort que lui. Peu à peu, ne voyant venir personne de suspect, on s'était rassuré. Un matin que les enfants jouaient dans la cour, un LE PETIT MARQUIS. 4? homme s^arrêta près de la porte. Il avait une mau- vaise figure, et la fermière qui l'aperçut voulut, sans en avoir Pair, faire rentrer le petit marquis. — Gaston, cria-t-elle, en prenant à dessein un ton 5 rude pour tromper Tespion sMl en était un, viens ici tout de suite. Est-ce que tu ne m^entends pas ? — Gaston, répéta Thomme, tiens! il a un nom d'a- ristocrate, le petit gars. Effrayée de cette remarque, la fermière appela en- lo core. — Pourquoi me commandez vous ainsi ? lui répon- dit fièrement l'enfant, vous savez bien que vous n'en avez pas le droit. — Tais-toi, petit malheureux! dit la pauvre femme 15 qui se sentait couverte d'une sueur froide, est-ce qu'on parle ainsi à sa mère ? — A sa mère! répliqua Gaston d'un ton de dédain inimitable. Ma mère est une marquise, et vous n'êtes qu'une fermière. 20 L'homme en avait assez entendu. Il s'éloigna sans bruit, convaincu que quelqu'un des proscrits était caché dans cette ferme qui avait une si bonne réputa- tion. La fermière, consternée d'avoir eu un témoin de cette petite scène, monta auprès de Madame la 25 marquise, à qui elle raconta tout ce qui venait de se passer. Elle parlait bas, en dehors de la porte de la chambre, mais M. le marquis avait tout entendu. Il l'appela. — Je suis perdu, dit-il; sans doute ils m'enverront 30 prendre dès ce soir. Il faut que ma femme et mon enfant quittent cette maison àPinstant même. Votre mari est-il ici ? — Oui, dit-elle, mais où les conduira-t-il ? 48 LECTUEES FRANÇAISES. — N^avez-vous pas une autre ferme^ une cabane, une hutte dans les bois, peu importe pourvu qu^ils ne soient pas ici ce soir. Mariette ira avec eux, et plus tard ils pourront passer en Angleterre. — Dieu le veuille! dit la bonne femme. 5 Madame la marquise rentra tenant Gaston par la main. — Je Tai grondé, dit-elle à demi- voix à son père, il ne faut pas qu^il sache... — Non, pauvre enfant, dit-il en l'attirant vers lui lo et baisant sa tête bouclée, non, je ne te reproche rien. Alors, se tournant vers sa femme, il hii annonça qu'il fallait qu'elle partît à Tinstant. — C'est impossible, dit-elle, et elle devint d'une pâleur mortelle. 15 — Il le faut, dit M. le marquis d'un ton absolu; seul, j'échapperai peut-être aux perquisitions. Ma- dame Guillot est une femme de ressources, elle trou- vera moyen de me cacher ailleurs dans la maison, et de faire disparaître toute trace de notre présence, tan- 20 dis qu'à trois nous serions infailliblement découverts. Madame la marquise n'osa pas répliquer, mais je vis qu^elle comprenait bien que c'était une dernière séparation. Nous marchâmes le reste du jour et bien avant 25 dans la nuit, puis nous attendîmes le matin dans une sorte de masure abandonnée. Ensuite on nous reçut dans une ferme, où nous mangeâmes du pain et du lait. Cela dura ainsi plusieurs jours. Madame la marquise ne voulait pas quitter le pays avant de sa- 30 voir ce qu'était devenu son mari. Le fermier, qui nous avait laissés le lendemain de notre fuite, revint enfin, et ma pauvre maîtresse apprit son malheur. M. LE PETIT MARQUIS. 49 le marquis avait été pris la nuit même après notre départ^ et fusillé le lendemain. Le fermier nous ra- conta les détails de ce qui s^était passé à la ferme dans cette affreuse nuit. Sa femme avait caclié M. 5 le marquis dans un grenier^ derrière d^énormes tas de chanvre; elle espérait qu^on ne songerait pas à Vy chercher; mais la perquisition fut si exacte et si mi- nutieuse qu'elle comprit dès Tabord que tout était perdu. Elle le vit forcé de se mettre debout malgré lo sa faiblesse^ entraîné brutalement par les soldats^ et elle Fentendit murmurer : — Mon pauvre enfant^ puisses-tu ne jamais savoir ce que tu as fait ! Quelques semaines plus tard^ nous parvînmes à 15 traverser la mer sur une barque de pêcheurs^ et nous abordâmes en Angleterre. — Mais ce ne fut pas tout ? dis-je^ en voyant que Mariette s^arrétait. — Non, ce ne fut pas tout. Oh! non, bien sûr, ce 2on^était que le commencement de nos misères. Il est vrai que nous ne courions d^autre danger que celui de mourir de faim, mais celui qui a vécu sur la terre étrangère peut seul savoir ce qu^il a souffert. — Tu oublies une chose, Mariette. J^ai entendu ^^ papa raconter que c^était toi qui en Angleterre avais soutenu sa mère et lui par ton travail, et que sans ton dévouement ils seraient probablement morts de faim. — Il a dit cela! s^écria la brave fille d\in ton de 30 joyeuse surprise. Eh bien! je suis contente que mon jeune maître ne Tait pas oublié. Ce n^est pas que ce soit la peine d^en parler. Madame la marquise était tombée malade en arrivant à Londres, elle ne pouvait 50 LECTURES FRANÇAISES. donc pas donner ces leçons qui auraient rapporté bien plus que mon pauvre ouvrage d^aiguille. Il y eut tout juste pendant trois mois de quoi retenir nos âmes dans nos corps. Le pauvre petit, qui grandis- sait tant et qui était si maigre, avait sa ration de pain, 5 et ne mangeait pas de soupe tous les jours. Il ne voyait jamais d^autres enfants, et avait tout à fait désappris de jouer, mais ce qu'il n'avait pas désap- pris c'était son orgueil de noblesse. Il ne faut pas que cela t'étonne ; cet orgueil passait autrefois pour 10 une qualité. Un petit gentilhomme devait se croire d'une autre espèce que le reste du monde. Le pauvre enfant ne savait pas ce que cet orgueil lui avait coûté, et sa mère pleurait souvent en le voyant si intraitable. Pour tout le monde, excepté pour sa mère, il était 15 hautain, même pour moi. Il y avait longtemps que nous étions en Angleterre, lorsque des Français vinrent habiter la même maison que nous. C'étaient d'anciens domestiques qui avaient émigré avec leurs maîtres, et qui semblaient 20 ne manquer de rien. Madame la marquise et moi nous entendîmes un jour une querelle sur l'escalier, et nous prêtâmes l'oreille. Il paraît que le fils de ces nouveaux venus avait abordé Gaston familièrement. Celui-ci, ne pouvant se débarrasser de lui, venait de 25 lui donner un soufflet en lui disant: — Voilà pour t'apprendre à me traiter de pair à compagnon. — Oh! c'est vrai que je ne suis pas un prince, ré- pondit l'enfant irrité, mais j'ai un habit qui n'est pas 30 rapiécé et je mange à ma faim tous les jours. Gaston répondit: — Qu'est-ce que cela me fait ? Je suis le marquis LE PETIT MARQUIS. 51 de Vandesse, et je vous prie de ne pins prendre la peine de me parler quand nous nous rencontrerons. — Ah! oui, un beau marquis en vérité! répliqua le petit persécuteur. Vous pouvez bien être fier de 5 votre titre, puisque c'est pour lui que vous avez fait prendre votre père par les républicains. Madame la marquise pâlit en entendant ces mots. Comment cet enfant avait-il pu savoir cette cruelle histoire ? Son fils allait-il relever ces paroles ? Vien- lo drait-il lui en demander Texplication ? Jusqu'au soir il resta accoudé sur ses livres et ne parla à personne, mais quand il fut au lit il appela sa mère, qui vint s'agenouiller auprès de lui. Le pauvre enfant ! les paroles du jeune garçon jointes à ses souvenirs lui 15 avaient tout révélé. — Maman, dit-il, c'est vrai ce qu'il m'a dit, n'est-ce pas? Elle n'eut pas besoin de lui demander de s'expli- quer mieux. 20 — Oui, mon pauvre enfant, il a dit vrai ; mais comment il a pu le savoir, je l'ignore. Je voulais te le cacher toujours. — Pouvez-vous me le pardonner ? — Cher enfant, comment ne te pardonnerais-je pas 25 le mal que tu as fait involontairement ? Alors il se serra contre elle, il tremblait de tous ses membres. — Mon père a-t-il su que c'était moi ?... — Oui, et sa dernière parole a été : " Puisse-t-il ne 30 jamais le savoir !" — Mais moi, jamais je ne pourrai l'oublier. La pauvre mère avait le cœur brisé de la souffrance de son enfant, mais peut-être cette souffrance seule 52 LECTURES FRAÎ^ÇAISES. pouvait-elle le corriger. Depuis ce jour^ je ne Pai pas entendu dire une parole hautaine^ mais aussi je ne Tai jamais vu gai. Je crois qu^en effet il n^a jamais pu oublier cette terrible leçon. A son retour en France il n^a pas réclamé ses biens et n^a pas voulu repren- 5 dre son titre. Tout ce que j^avais éprouvé en écoutant ce récit^ je ne pourrais le dire. Mariette avait-elle eu tort ou raison de le faire? s^était-elle assez souvenue que celui dont elle me parlait était mon père ? Ce qui est cer- 10 tain, c'est qu'il s'opéra en moi une révolution. L'idée de ce long chagrin, de ce persistant souvenir me faisait mal. Je sentais instinctivement qu'aucun de nous ne pourrait supporter la vie s'il devait rester ainsi toujours courbé sous les conséquences terribles 15 d'une faute. J'aurais voulu prendre sa main, la cou- vrir de larmes, et lui dire : ^^Oh! mon père, si vous aviez pu ignorer ! si au moins vous pouviez oublier ! " Je remerciai Mariette sans rien lui dire de tout cela, et je sortis de la cuisine. Arrivé devant la porte 20 du cabinet de mon père, je m'y arrêtai involontaire- ment et je posai la main sur le bouton. Elle s'ouvrit, et je le vis assis devant son bureau, la tête appuyée sur ses deux mains. Il paraissait bien triste, mais sa tristesse m'attirait depuis que j'en connaissais la cause. 25 Je m'approchai doucement et je posai ma main trem- blante sur la sienne. Il leva les yeux, me regarda un instant, et me dit: — Gaston, je t'ai trop négligé. Dès demain tu viendras travailler avec moi tous les soirs. 30 Depuis ce soir-là je sentis que j'aimais mon père et que je n'avais plus peur de lui. Mon pauvre père, pourquoi ne l'avais-je pas plus tôt consolé ! E. DE Presseiî^sé. LA VACHE DU PRIÎ^CE. 53 LA VACHE DU PKINOE. [Celui qui raconte cette histoire est un petit garçon, âgé de douze ans à peu près, et qui s'appelle Rémi. Enfant trouvé, il a été élevé par la mère Barberin, dont le mari Ta vendu plus tard à Yitalis, vieux musicien et montreur de bêtes sa- 5 vantes. Vitalis a fait l'éducation de Rémi, et il est mort en lui laissant pour tout héritage sa harpe et son chien Capi. Main- tenant Rémi et son petit ami Mattia parcourent la France, chantant et jouant dans les rues et dans les cafés pour gagner leur vie.] lo Notre situation prospère m'inspira des idées ambi- tieuses. Après avoir quitté Corbeil, nous nous étions dirigés vers Montargis, en route pour aller chez mère Barbe- rin. 15 Aller chez mère Barberin pour Tembrasser^ c'était m'acquitter de ma dette de reconnaissance envers elle, mais c'était m'en acquitter bien petitement et à trop bon marché. Si je lui apportais quelque chose ? Maintenant que j'étais riche je lui devais un cadeau. 20 Quel cadeau lui faire? Je ne cherchai pas long- temps. Il y en avait un qui plus que tout la rendrait heureuse ; non seulement dans l'heure présente, mais pour toute sa vieillesse — une vache, qui remplaçât la pauvre Roussette. 25 Quelle joie pour mère Barberin, si je pouvais lui donner une vache, et aussi quelle joie pour moi ! Avant d'arriver à Chavanon j'achetais une vache et Mattia, la conduisant par la longe, la faisait entrer dans la cour de mère Barberin, 54 LECTUEES FEANÇAISES. — Madame Barberin, disait Mattia^ voici une vache que je vous amène. — Une vache ! vous vous trompez^ mon garçon. Et elle soupirait. — Non^ madame, vous êtes bien madame Barberin 5 de Chavanon ? Eh bien ! c'est chez madame Barbe- rin que le prince (comme dans les contes de fées) m'a dit de conduire cette vache qu'il vous offre. — Quel prince? Alors je paraissais et je me jetais dans les bras de 10 mère Barberin. Quel beau rêve ! Seulement, pour le réaliser, il fallait pouvoir acheter une vache. Combien coûtait-il, une vache ? Je n'en avais au- cune idée ; cher, sans doute, très cher, mais encore? 15 L'essentiel pour le moment, c'était donc de connaî- tre le prix des vaches. La première fois que j'adres- sai ma question à un bouvier, on me répondit en me riant au nez. Mais je ne me laissai pas démonter. Après avoir épuisé toutes ses plaisanteries, il vou- 20 lait bien me répondre sérieusement et même entrer en discussion avec moi. — Il avait justement mon affaire, une vache douce, donnant beaucoup de lait, un lait qui était une crème, et ne mangeant presque pas ; si je voulais lui 25 allonger cent cinquante francs sur la table, la vache était à moi. Cent cinquante francs, j'étais loin d'avoir une si grosse somme. — Etait-il impossible de le gagner ? Il me sembla 30 que non, et que si la cliance de nos premiers jours nous accompagnait, je pourrais, sou à sou, réunir ces cent cinquante francs. Seulement il faudrait du temps. LA YACHE DU PRIXCE. 55 Il fallait donc aller à Varses tout d^abord et ne voir mère Barberin qu^au retour. Assurément alors j^aurais mes cent cinquante francs et nous pourrions jouer ma féerie : la Vache du iwince, * Ht 5 Le résultat de notre campagne fut vraiment mer- veilleux ; toutes nos dépenses payées^ nous eûmes assez vite gagné soixante-huit francs. Soixante-huit francs et cent quarante-six que nous avions en caisse, cela faisait deux cent quatorze francs. loUheure était venue de nous diriger sans plus tarder vers Chavanon en passant par Ussel, où, nous avait-on dit, devait se tenir une foire importante pour les bes- tiaux. Une foire, c^était notre affaire ; nous allions pouvoir acheter enfin cette fameuse vache dont nous 15 parlions si souvent et pour laquelle nous avions fait de si rudes économies. Jusqu^à ce moment nous n^avions eu que le plaisir de caresser notre rêve et de le faire aussi beau que notre imagination nous le permettait; notre vache 20 serait blanche, c'était le souhait de Mattia; elle serait rousse, c'était le mien, en souvenir de notre pauvre Eoussette ; elle serait douce, elle aurait plusieurs seaux de lait, tout cela était superbe et charmant. Mais maintenant il fallait de la rêverie passer à 25 Texécution et c'était là que l'embarras commençait. Comment choisir notre vache avec la certitude qu'elle aurait réellement toutes les qualités dont nous nous plaisions à la parer ? Je ne savais pas à quels signes on reconnaît une bonne vache, et Mattia était 30 aussi ignorant que moi. Ce qui redoublait notre in- quiétude c'étaient les histoires étonnantes dont nous (vvionç entendu le récit dans les auberges. Combien 56 LECTURES FRANÇAISES. de ces histoires nous étaient restées dans la mémoire pour nous effrayer : un paysan achète à la foire une vache qui a la plus belle queue que jamais vache n^ait eue; il rentre chez lui triomphant; le lendemain ma- tin il va la voir, elle n^a plus de queue du tout; celle 5 qui pendait derrière elle si noblement avait été collée à un moignon: c^ était une queue postiche. Un autre en achète une qui a des cornes fausses. Dans les histoires qui nous avaient été contées, il y en avait une dans laquelle un vétérinaire jouait un 10 rôle terrible, au moins à Tégard du marchand de vaches. Si nous prenions un vétérinaire pour nous aider, sans doute cela nous serait une dépense, mais combien elle nous rassurerait! Au milieu de notre embarras, nous nous arrêtâmes 15 à ce parti, et nous continuâmes alors gaiement notre route. La distance n^est pas longue du Mont-Doré à Ussel ; nous mîmes deux jours à faire la route, en- core arrivâmes-nous de bonne heure à Ussel. Après avoir déposé nos sacs et nos instruments à 20 Tauberge, nous nous mîmes à la recherche d^un vé- térinaire. Quand celui-ci eut entendu notre demande, il commença par nous rire au nez. — Mais il n^y a pas de vaches savantes dans le pays, dit-il. 25 — Ce n^est pas une vache qui sache faire des tours qu^il nous faut, c^en est une qui donne de bon lait. — Et qui ait une vraie queue, ajouta Mattia, que Fidée d'une queue collée tourmentait beaucoup. — Enfin, monsieur le vétérinaire, nous venons vous 30 demander de nous aider de votre science pour nous empêcher d'être volés par les marchands de vaches. Je dis cela en tachant d'imiter les airs nobles que LA YACHE DU PRIKCE. 57 Vitalis prenait si bien lorsqu^il voulait faire la con- quête des gens. — Et pourquoi diable voulez-vous une vache ? de- manda le vétérinaire. 5 En quelques mots je lui expliquai ce que je voulais faire de cette vache. — Vous êtes de bons garçons, dit-il ; je vous ac- compagnerai demain matin sur le champ de foire, et je vous promets que la vache que je vous choisirai 10 n^aura pas une queue postiche. — Ni des cornes fausses ? dit Mattia. — Ce sera une belle et bonne vache ; mais pour acheter il faut être en état de payer. Sans répondre, je dénouai un mouchoir dans lequel 15 était enfermé notre trésor. — C^est parfait; venez me prendre demain matin à sept heures. — Et combien vous devrons-nous, monsieur le vé- térinaire ? 20 — Kien du tout ; est-ce que je veux prendre d^ar- gent à de bons enfants comme vous ? Je ne savais comment remercier ce brave homme. * * * La ville d^Ussel, si tranquille le soir, était le len- demain matin pleine de tapage et de mouvement ; 25 avant le lever du jour nous avions entendu dans notre chambre un bruit incessant de charettes roulant sur le pavé et se mêlant aux hennissements des chevaux, aux meuglements des vaches, aux bêlements des moutons, aux cris des paysans qui arrivaient pour la 30 foire. Après une demi-heure de promenade nous avions 58 LECTURES FRANÇAISES. trouvé dix-sept vaches qui nous convenaient tout à fait^ celle-ci pour telle qualité,, celle-là pour telle au- tre ; trois parcequ 'elles étaient rousses, deux parce- qu^elles étaient blanches : ce qui, bien entendu, sou- leva une discussion entre Mattia et moi. 5 A sept heures nous trouvâmes le vétérinaire qui nous attendait, et nous revînmes avec lui au champ de foire en lui expliquant de nouveau quelles qualités nous exigions dans la vache que nous allions acheter. — En voici une qui doit être bonne, dit Mattia en lo désignant une vache blanche. — Je crois que celle-là est meilleure, dis-je en mon- trant une rousse. Le vétérinaire nous mit d^accord en ne s'arrêtant ni à Tune ni à Tautre, mais en allant à une troisième; 15 c^était une petite vache aux jambes grêles, rouge de poil, avec les oreilles et les joues brunes, les yeux bordés de noir, et un cercle blanchâtre autour du mufHe. — Voilà une vache qui est justement ce qu^il vous faut, dit-il. 20 Un paysan à Tair chétif la tenait par la longe ; ce fut à lui que le vétérinaire s'adressa pour savoir com- bien il voulait vendre sa vache. — Trois cents francs. Alors une discussion s'engagea entre lui et le pay- 25 san ; il offrit 150 francs ; le paysan diminua 10 francs. Le vétérinaire monta à 170 ; le paysan descendit à 280. Enfin, de diminution en diminution il arriva à deux cent douze francs, mais il y resta. Deux cent 30 douze francs, c'était une grosse somme pour nous. Pendant ce temps Mattia tournant par derrière la vache lui avait arraché un long poil à la queue et la LA VACHE DU PRIISTCE. 59 vache lui avait détaché un coup de pied. Cela me décida. — Va pour deux cent douze francs, dis-je, croyant tout fini. 5 Et j^étendis la main pour prendre la longe, mais le paysan ne me la céda pas. — Vous avez apporté un licou ? me dit-il ; je vends la vache, je ne vends pas son licou. Cependant il voulait bien me céder le licou pour lo vingt sous, ce n^était pas cher. Il nous fallait un licou pour conduire notre vache. J^abandonnai les vingt sous, calculant qu^il nous en resterait encore vingt. Je comptai donc les deux cent treize francs et pour la deuxième fois j^étendis 15 la main. — Où donc est votre longe ? demanda le paysan. Je ne vous ai pas vendu la longe. La longe nous coûta notre viugt derniers sous. Et lorsqu'ils furent payés la vache nous fut enfin livrée 20 avec son licou et sa longe. Nous avions une vache, mais nous n^avions plus un sou, pas un seul pour la nourrir et nous nourrir nous- mêmes. — Nous allons travailler, dit Mattia ; les cafés sont 25 pleins de monde; en nous divisant nous pouvons jouer dans tous, nous aurons une bonne recette ce soir. Et après avoir conduit notre vache dans Técurie de notre auberge 011 nous rattachions avec plusieurs 30 nœuds, nous nous mîmes à travailler, et le soir, quand nous fîmes le compte de notre recette, je trouvai que celle de Mattia était de quatre francs cinquante cen- times et la mienne de trois francs. 60 LECTUKES FKAlSrÇAISES. Avec sept francs cinquante centimes nous étions riches. Mais la joie d^avoir gagné ces sept francs cinquante était bien petite comparée à la joie que nous éprouvions d^en avoir dépensé deux cent qua- torze. 5 Nous décidâmes la fille de cuisine à traire notre vache et nous soupâmes avec son lait ; jamais nous n^en avions bu d^aussi bon. Mattia déclara qu^il était sucré et qu^il sentait la fleur d^oranger, comme celui qu^il avait bu à Thôpital^ mais bien meilleur. lo Et dans notre enthousiasme nous allâmes embrasser notre vache sur son muffle noir ; sans doute elle fut sensible à cette caresse^ car elle nous lécha la figure de sa langue rude. — Tu sais qu^elle embrasse? s^écria Mattia ravi. 15 Le lendemain matin nous étions levés avec le soleil et tout de suite nous nous mettions en route pour Chavanon. Nous avions décidé de partager notre journée de marche en deux parts^ et de la couper par notre 20 déjeuner, surtout par le déjeuner de notre vache, qui consisterait en herbes des fossés de la route qu^elle paîtrait. Vers dix heures, ayant trouvé un endroit où rherbe était verte et épaisse, nous mîmes les sacs à bas, et nous fîmes descendre notre vache dans 1025 fossé. Tout d^abord je voulus la tenir par la longe, mais elle se montra si tranquille, et surtout si ap- pliquée à paître, que bientôt je lui entortillai la longe autour des cornes et m^assis près d^elle pour manger 30 mon pain. Naturellement nous eûmes fini de manger bien avant elle, et quand elle nous vit venir à elle^ elle se LA VACHE DU PRIKCE. 61 mit à tondre Fherbe à grands coups de langue, comme pour nous dire qu^elle avait encore faim. — Attendons un peu, dit Mattia. — Tu ne sais donc pas qu^une vache mange toute 5 la journée ? — Un tout petit peu. Tout en attendant, nous reprîmes nos sacs et nos instruments. — Si je lui jouais un petit air de cornet à piston? 10 dit Mattia, qui restait difficilement en repos; nous avions une vache dans le cirque Gassot, et elle aimait la musique. Et sans en demander davantage. Mat tia se mit à jouer. Aux premiers notes, notre vache leva la tête ; puis 15 tout à coup, avant que j^eusse pu me jeter à ses cornes pour prendre sa longe, elle partit au galop. Et aussitôt nous partîmes après elle, galopant aussi de toutes nos forces en rappelant. Tout en courant j^appelais Mattia : Stupide bête ; et lui, sans 20 s^arrêter, me criait d^une voix haletante : Tu cogneras, je Fai mérité. C^était deux kilomètres environ avant d^arriver à un gros village que nous nous étions arrêtés pour manger, et c^était vers ce village que notre vache 25 galopait. Elle entra dans le village naturellement avant nous, et comme la route était droite, nous pûmes voir, malgré la distance, que des gens lui barraient le passage et s'em^paraient d^elle. Alors nous ralentîmes un peu notre course ; notre 30 vache ne serait pas perdue; nous n^aurions qu\à la réclamer aux braves gens qui Favaient arrêtée, et ils nous la rendraient. Je m'étais imaginé que je n'avais qu'à réclamer 62 LECTURES FRANÇAISES. ma vache^ mais^ au lieu de me la donner^ on nous entoura et Ton nous posa question sur ques- tion: D^où venions-nous^ où avions-nous eu cette vache ? Nos réponses étaient aussi simples que faciles ; 5 cependant elles ne persuadèrent pas ces gens, et deux ou trois voix s'élevèrent pour dire que nous avions volé cette vache qui nous avait échappé, et qu^il fallait nous mettre en prison. Sur ces entrefaites, un gendarme arriva ; en 10 quelques mots on lui conta notre affaire, et comme elle ne lui parut pas nette, il déclara qu^il allait mettre notre vache en fourrière et nous en prison ; on verrait plus tard. En arrivant à la prison, on nous fouilla, on nous 15 prit notre argent, nos couteaux, et nos allumettes. Alors on nous laissa, et la porte se referma sur nous avec un bruit de ferraille vraiment tragique. Nous étions en prison. Pour combien de temps? Comme je me posais cette question, Mattia vint se 20 mettre devant moi en baissant la tête: — Cogne, dit-il, cogne sur la tête, tu ne frapperas jamais assez fort pour ma bêtise. — Tu as fait la bêtise, et je l'ai laissé faire; j'ai été aussi bête que toi. 25 — J'aimerais mieux que tu cognes, j'aurais moins de chagrin; notre pauvre vache, la vache du prince ! Et il se mit à pleurer. Alors ce fut à moi de le consoler en lui expliquant que notre position n^était pas bien grave, nous 30 n'avions rien fait, et il ne nous serait pas bien difficile de prouver que nous avions acheté notre vache, le bon vétérinaire d'Ussel serait notre témoin. LA VACHE BU PBIKCE. 63 — Et si l^on nous accuse d'avoir volé l^argent avec lequel nous avons payé notre vache^ com- ment prouverons-nous que nous l'avons gagné ? tu vois bien que quand on est malheureux on est 5 coupable de tout. Mattia avait raison, je ne savais que trop bien qu^on est dur aux malheureux; les cris qui venaient de nous accompagner jusqu^à la prison, ne le prouvaient-ils pas encore ? lo — Et puis, dit Mattia en continuant de pleurer, quand nous sortirions de cette prison, quand on nous rendrait notre vache, est-il certain que nous trouve- rons mère Barberin ? — Pourquoi ne la trouverions-nous pas? 15 — Depuis le temps que tu Tas quittée, elle a pu mourir. Je fus frappé au cœur par cette crainte ; c^était vrai que mère Barberin avait pu mourir, car je savais par expérience qu^on peut perdre ceux qu^on aime. 20 Comment cette idée ne m'était-elle pas venu déjà ? — Pourquoi me m^as-tu pas dit cela plus tôt ? demandai-je. — Parceque, quand je suis heureux, je n^ai que des idées gaies dans ma tête stupide, tandis que quand je 25 suis malheureux je n'ai que des idées tristes. Et j'étais si heureux à la pensée d'offrir la vache à ta mère Barberin que je ne voyais que le contentement de mère Barberin, je ne voyais que le nôtre, et j'étais ébloui, comme grisé. 30 Plusieurs heures se passèrent dans ces tristes pen- sées, et plus le temps marchait, plus nous nous déso- lions. Enfin notre porte s'ouvrit avec un terrible bruit^ et nous vîmes entrer un vieux monsieur à che- 64 LECTURES FRANÇAISES. veux blancs, dont Tair ouvert et bon nous rendit tout de suite Tespérance. — Allons, coquins, levez-vous, dit le geôlier, et répondez à M. le juge de paix. — C^est bien, c'est bien, dit le juge de paix en fai- 5 sant signe au geôlier de le laisser seul, je me charge d'interroger celui-là — il me désigna du doigt — em- menez l'autre et gardez-le, je l'interrogerai ensuite. — Comme moi, monsieur le juge de paix, dis-je, il vous racontera la vérité, toute la vérité. 10 — C'est bien, c'est bien, interrompit vivement le juge de paix comme s'il voulait me couper la parole. Mattia sortit. — On vous accuse d'avoir volé une vache, me dit le juge de paix en me regardant dans les deux yeux. 15 Je répondis que nous avions acheté cette vache à la foire d'Ussel, et je nommai le vétérinaire qui nous avait assistés dans cet achat. — Cela sera vérifié. — Je l'espère, car ce sera cette vérification qui prou- 20 vera notre innocence. — Et dans quelle intention avez-vous acheté une vache ? — Pour la conduire à Chavanon et l'offrir à la femme qui a été ma nourrice, en reconnaissance de 25 ses soins et en souvenir de mon affection pour elle. — Et comment se aiomme cette femme ? — Mère Barberin. — Est-ce la femme d'un ouvrier maçon qui, il y a quelques années, a été estropié à Paris ? 30 — Oui, monsieur le juge de paix. — Cela aussi sera vérifié. Mais je ne répondis pas à cette parole comme je LA VACHE DU PRIKCE. 65 Pavais fait pour le vétérinaire d^Ussel. Voyant mon embarras, le juge de paix me pressa de questions, et je dus répondre que s^il interrogeait mère Barberin, le but que nous nous étions proposé se trouvait man- 5 que ; il n^y avait plus de surprise. Cependant au milieu de mon embarras j^éprouvais une vive satisfaction : puisque le juge de paix con- naissait mère Barberin, et qu^il s^informerait auprès d^elle de la vérité ou de la fausseté de mon récit, cela 10 prouvait que mère Barberin était toujours vivante. Cela me rendit si joyeux que je trouvai des paroles persuasives pour le convaincre que la déposition du vétérinaire devait suffire pour prouver que nous n^a- vions pas volé notre vache. 15 — Et où avez-vous eu ^argent nécessaire pour acheter cette vache ? — Nous Tavons gagné. — Où ? Comment ? J'expliquai comment, depuis Paris jusqu'à Varses, 20 et depuis Varses jusqu'au Mont-Doré, nous l'avions gagné et amassé sou à sou. Quand j'eus achevé mon récit, le juge de paix me regarda longuement avec des yeux doux et attendris. Je m'imaginais qu'il allait me dire qu'il nous ren- 25 dait la liberté, mais il n'en fut rien ; sans m'adresser la parole, il me laissa seul. Je restai assez longtemps livré à mes réflexions, mais à la fin le juge de paix revint avec Mattia. — Je vais faire prendre des renseignements à SoUssel, dit-il, et si, comme je l'espère, ils confirment vos récits, demain on vous mettra en liberté. — Et notre vache ? demanda Mattia. — On vous la rendra. 6G LECTUKES FRANÇAISES. — Ce n^est pas cela que je voulais dire^ répliqua Mattia, qui va lui donner à manger ? qui va la traire ? — Sois tranquille^ gamin. Mattia aussi était rassuré. — Si on trait notre vache, dit-il en souriant, est-ce 5 qu^on ne pourrait pas nous donner le lait? cela serait bien bon pour notre souper. Aussitôt que le juge de paix fut parti, j^annonçai à Mattia la grande nouvelle qui m^avait fait oublier que nous étions en prison: mère Barberin vivante. 10 — La vache du prince fera son entrée triom- phale, dit Mattia. Le geôlier ne tarda pas à rentrer nous apportant une grande terrine toute pleine de lait — le lait de notre vache — mais ce n^était pas tout; avec la terrine 15 il nous donna un gros paiu blanc et un morceau de veau froid qui, nous dit-il, nous était envoyé par M. le juge de paix. Jamais prisonniers n^avaient été si bien traités ; alors en mangeant le veau et en buvant le lait je 20 revins de mes idées sur les prisons ; décidément elles valaient mieux que je ne me Tétais imaginé. Ce fut aussi le sentiment de Mattia : — Dîner et coucher sans payer, dit-il en riant, en voilà une chance ! 25 Je voulus lui faire peur. — Et si le vétérinaire était mort tout à coup, lui dis-je, qui témoignerait pour nous ? — On n^a de ces idées-là que quand on est mal- heureux, dit-il sans se fâcher, et ce n^est vraiment pas 30 le moment. A huit heures du matin notre porte s^ouvrit, et nous vîmes entrer le juge de paix, suivi de notre ami le LA TACHE DU PEIÎ^-CE. 67 yétérinaire^ qui avait vonlu venir lui-même nous met- tre en liberté. Quant au juge de paix, sa sollicitude pour deux prisonniers innocents ne se borna pas seule- ment au dîner qu'il nous avait offert la veille ; il me 5 donna un beau papier timbré. — Vous avez été des fous, me dit-il amicalement, de vous embarquer ainsi sur les grands chemins ; voici un passe-port, ce sera votre sauvegarde désor- mais. Bon voyage, les enfants. 10 Et il nous donna une poignée de main ; quant au vétérinaire, il nous embrassa. K'ous étions entrés misérablement dans ce village; nous en sortîmes triomphalement, menant notre vache par la longe et marchant la tête haute, en 15 regardant les paysans par-dessus nos épaules. Encore dix kilomètres, encore huit, encore six ; chose curieuse, la route me paraissait plus longue en me rapprochant de mère Barberin que le jour où je m^étais éloigné décile, et cependant, ce jour-là, il 20 tombait une pluie froide dont j avais gardé le sou- venir. Xous étions enfin arrivés au haut de la colline où commence la route qui par plusieurs lacets conduit à Chavanon, en passant devant la maison de mère Bar- 25 berin. Encore quelques pas, et nous touchions à Fendroit où j^avais demandé à Vitalis la permission de m^as- seoir sur le parapet pour regarder la maison de mère Barberin, que je pensais ne jamais revoir. 30 — Prends la longe, dis-je à Mattia. Et d^m bond je sautai sur le parapet ; rien n^avait 68 LECTURES EEAKÇAISES. changé dans notre vallée ; elle avait toujours le même aspect ; entre ses deux bouquets d^arbres^, j^aperçus la maison de mère Barberin. A ce moment, un petit flocon de fumée jaune s^éleva au-dessus de la cheminée. 5 — Mère Barberin est chez elle, dis-je. Alors tout à coup je sentis les larmes m^emplirles yeux, et, sautant au bas du parapet, j^embrassai Mattia. — Descendons vite, dis-je. lo — Si mère Barberin est chez elle, comment allons- nous arranger notre surprise? demanda Mattia. — Tu vas entrer seul, tu diras que tu lui amènes une vache de la part du prince, et quand elle te de- mandera de quel prince il s^agit, je paraîtrai. 15 Comme nous arrivions à Fun des coudes de la route qui se trouvait juste au-dessus de la maison de mère Barberin, nous vîmes une coiffe blanche apparaître dans la cour ; c^était mère Barberin, elle ouvrit la barrière et, sortant sur la route, elle se dirigea du 20 côté du village. Nous étions arrêtés et je Pavais montrée à Mattia. — Elle s^en va, dit-il ; et notre surprise ? — Nous allons en inventer une autre. — Laquelle ? 25 — Je ne sais pas. — Si tu rappelais ? La tentation fut vive, cependant j^y résistai ; je m^étais pendant plusieurs mois fait la fête d^une sur- prise, je ne pouvais pas y renoncer ainsi tout à coup. 30 Nous ne tardâmes pas à arriver devant la barrière de mon ancienne maison, et nous entrâmes comme j^entrais autrefois. LA YACHE DU PRINCE. 69 Connaissant bien les habitudes de mère Barberin, je savais que la porte ne serait pas fermée^ et que nous pourrions entrer dans la maison ; mais avant tout il fallait mettre la vache à Tétable. J^allai donc voir 5 dans quel état était cette étable^ et je la trouvai telle qu'elle était autrefois, encombrée seulement de fagots. J'appelai Mattia, et après avoir attaché notre vache devant Fauge nous nous occupâmes à entasser vivement ces fagots dans un coin, ce qui ne lo fut pas long, car elle n'était pas bien abondante, la provision de bois de mère Barberin. — Maintenant, dis-je à Mattia, nous allons entrer dans la maison, je m'installerai au coin du feu pour que mère Barberin me trouve là ; comme la barrière 15 grincera lorsqu'elle la poussera pour rentrer, tu auras le temps de te cacher derrière le lit avec Capi, et elle ne verra que moi ; crois-tu qu'elle sera surprise ! De ma place je voyais la barrière, et il n'y avait pas à craindre que mère Barberin nous arrivât à 2oFimproviste. Tout à coup j'aperçus une coiffe blanche. — Cache-toi vite, dis-je à Mattia. La porte s'ouvrit ; du seuil mère Barberin m'aper- çut. 25 — Qui est là ? dit-elle. Je la regardai sans répondre, et de son côté elle me regarda aussi. Tout à coup ses mains furent agitées par un trem- blement. 30 — Mon Dieu ! murmura-t-elle^ mon Dieu ! est-ce possible, Rémi ! Je me levai, et courant à elle je la pris dans mes bras. 70 LECTURES FRANÇAISES. — Maman ! — Mon garçon, c^est mon garçon ! Il nous fallut plusieurs minutes pour nous remettre et pour nous essuyer les yeux. — Bien sûr^ dit-elle^ que si je n^avais pas toujours 5 pensé à toi je ne t^aurais pas reconnu ; es-tu changé^ grandi ! Un sifflement étouffé me rappela que Mattia était caché derrière le lit ; je Rappelai, il se leva. — Celui-là c^est Mattia, dis-je, mon frère. 10 — Ah, tu as donc retrouvé tes parents? s^écria mère Barberin. — Non, je veux dire que c'est mon camarade, mon ami, et voilà Capi, mon camarade aussi et mon ami; salue la mère de ton maître, Capi ! 15 Capi se dressa sur ses deux pattes de derrière, et ayant mis une de ses pattes de devant sur son cœur il s'inclina gravement, ce qui fit beaucoup rire mère Barberin et sécha ses larmes. Mattia, qui n'avait pas les mêmes raisons que moi 20 pour s'oublier, me fit un signe pour me rappeler notre surprise. — Si tu voulais, dis-je ^ mère Barberin, nous irions un peu daus la cour ; c'est pour voir le poirier dont j'ai souvent parlé à Mattia. 25 — Nous pouvons aussi aller voir ton jardin, car je l'ai gardé tel que tu l'avais arrangé, pour que tu le retrouves quand tu reviendrais, car j'ai toujours cru et contre tous que tu reviendrais. — Et les topinambours que j'avais plantés, les 30 as-tu trouvés bons? — C'était donc toi qui m'avait fait cette surprise; LA VACHE DU PRIXCE. 71 je m^en suis doutée ; tu as toujours aimé à faire des surprises. Le moment était venu. — Et rétable à vache, dis-je, a-t-elle changé depuis 5 le départ de la pauvre Roussette, qui était comme moi et qui ne voulait pas s^en aller? — Xon, bien sûr, j'y mets mes fagots. Comme nous étions justement devant Tétable, mère Barberin en poussa la porte, et instantanément notre lo vache, qui avait faim, et qui croyait sans doute qu'on lui apportait à manger, se mit à meugler. — Une vache, une vache dans Tétable ! s'écria mère Barberin. Alors n'y tenant plus, Mattia et moi, nous écla- 15 tâmes de rire. Mère Barberin nous regarda bien étonnée, mais c'était une chose si invraisemblable que l'installation de cette vache dans l'étable que, malgré nos rires, elle ne comprit pas. 20 — C'est une surprise, dis-je, une surprise que nous te faisons. — Une surprise, répéta-t-elle, une surprise ! — Je n'ai pas voulu revenir les mains vides chez mère Barberin, qui à été si bonne pour son petit 25 Rémi, l'enfant abandonné ; alors, en cherchant ce qui pourrait être le plus utile, j'ai pensé que ce serait une vache pour remplacer la Roussette, et à la foire d'Ussel nous avons acheté celle-là avec l'argent que nous avons gagné, Mattia et moi. 30 — Oh ! le bon enfant, le cher garçon ! s'écria mère Barberin en m'embrassant. Puis nous entrâmes dans l'étable pour que mère Barberin pût examiner notre vache, qui maintenant 72 LECTUKES FEAKÇAISES. était sa vache. A chaque découverte que mère Bar- berin faisait^ elle poussait des exclamations de con- tentement et d^admiration. — Quelle belle vache ! Tout à coup elle s^arrêta en me regardant : 5 — Ah^ ça ! tu es donc devenu riche ? — Je crois bien^ dit Mattia en riant^ il nous reste cinquante-huit sous. Et mère Barberin répéta son refrain, mais avec une variante : 10 — Les bons garçons ! Cela me fut une joie de voir qu^elle pensait à Mattia, et qu^elle nous réunissait dans son cœur. H. Malot. DEUXIEME PAETIE. LES DEUX DEVISES. Deux jeunes gens étaient debout dans le bureau des diligences de Cernav, où ils Tenaient arrêter des places pour Kaysersberg. Tous deux semblaient avoir le même âge (environ vingt-quatre ans). 5 Le plus petit était brun^ pâle, prompt dans ses mouvements et d'une impatience qui trahissait, au premier coup d'œil, son origine méridionale; le second, au contraire, grand, blond et coloré, offrait le type complet de cette race mélangée de l'Alsace, 10 dans laquelle on trouve Texpansion française tempérée par la bonhomie allemande. Tous deux avaient à leurs pieds de petites malles. Sur Tune d'elles on lisait: Hexri Fortix, Marseille, Et aux quatre coins, sur la cire qui portait ?em- i5preinte du cachet, cette devise : Mon droit. Sur Tautre était écrit: Joseph Mulzex, Strasbourg. Et pour légende du cachet: Caritas. Le buraliste venait d^iuscrire leurs noms sur le registre, lorsque Henri demanda le pesage des deux 20 malles. Le buraliste déclara qu'il aurait lieu à Kaysers- berg; mais le jeune homme allégua Fembarras d\ine pareille formalité au moment de l'arrivée, en ajoutant qu'il avait le droit de la faire sur-le-champ. Le bu- 73 74 LECTURES FRANÇAISES. raliste, ainsi pressé^, s^obstina de son côté ; Joseph voulut en vain s'entremettre^ en faisant observer à Henri qu^il leur restait à peine le temps nécessaire pour dîner; en vertu de sa devise, le Marseillais ne cédait jamais lorsqu'il croyait avoir raison, et il le 5 croyait toujours. La discussion se prolongea jusqu'au moment où le buraliste, fatigué, se décida à quitter la partie en remontant chez lui. Henri voulut con- tinuer avec le facteur ; mais, par bonheur, celui-ci ne parlait qu'allemand. H fallut donc se résigner à lo suivre à l'auberge son compagnon, sur lequel il retourna sa mauvaise humeur. — Comment ! s'écria-t-il dès qu'il se trouva seul avec lui, tu ne me soutiens même pas contre cet entêté ! 15 — H me semble, répliqua Joseph en souriant, que c'était plutôt à lui qu'il eût fallu un soutien ; tu entassais les arguments comme s'il se fût agi d'un procès qui pût compromettre ta fortune ou ton honneur. 20 — B valait mieux, à ton avis, ne pas défendre ton droit ? — Quand le droit ne vaut pas la peine d'être dé- fendu... — Ah ! te voilà ! interrompit Henri avec chaleur; 25 tu es toujours prêt à céder, toi. Au lieu de regarder le monde comme un cliamp de bataille, tu le regardes comme un salon où l'on se fait des politesses. — Non, dit Joseph, mais comme un grand vaisseau dont les passagers se doivent une amitié et une tolé-30 rance réciproques. Chaque homme est mon ami jusqu'à ce qu'il se soit déclaré mon ennemi. • — Et moi, je l'estime mou ennemi jusqu'à ce qu'il LES DEUX DEVISES. 75 se soit déclaré mon ami^ reprit le Marseillais ; c'est une prudence qui m'a toujours réussi^ et je t'engage à y avoir recours. Tout en parlant^ les deux cousins étaient arrivés à 5 Tauberge du Cheval-Blanc, La salle à manger dans laquelle ils entrèrent se trouvait vide ; mais une grande table était dressée à Fune des extrémités^ et rhôtesse venait d'y mettre trois couverts. Henri ordonna d'ajouter celui de Joseph et le sien. 10 — Je vous fais excuse, monsieur, dit la femme, nous ne pouvons vous servir ici. — Pourquoi cela ? demanda le jeune homme. — Parce que les personnes dont nous venons de mettre le couvert désirent manger seules. 15 — Qu'elles mangent dans leur chambre alors, reprit brusquement Henri j ici, c'est la salle et la table com- munes ; tout voyageur a droit d'y entrer et de s'y faire servir. — Que nous importe de dîner dans cette pièce ou 20 dans une autre ? demanda Joseph. — Et qu'importe à ces personnes que nous y soyons? répliqua Henri. — Elles sont venues avant monsieur, objecta l'hô- tesse. 25 — Alors, ce sont les premiers arrivés qui font la loi dans votre auberge ? s'écria Henri. — îf ous connaissons d'ailleurs ces personnes. — Et vous tenez plus à elles qu'à nous ? — Monsieur doit comprendre que quand il s'agit 30 de pratiques... — n faut que les autres voyageurs se soumettent à leurs caprices ? — On vous servira ailleurs. 76 LECTURES FRANÇAISES. — Avec les restes de vos trois privilégiés, n'est-ce pas? L'hôtesse parut blessée. — Si monsieur craint de mal dîner au Cheval- Blanc, il y a d^autres auberges à Cernay, dit-elle. 5 — C'est à quoi je pensais, répliqua rapidement Henri en prenant son chapeau. Et, sans écouter Joseph, qui voulait le retenir, il s'échappa rapidement et disparut. Mulzen se décida donc à le laisser chercher fortune 10 ailleurs, et à se faire servir sans retard dans une pièce voisine. Mais au moment où il allait y passer, les trois personnes attendues parurent dans le salon. C'étaient une vieille dame avec sa nièce, et un homme d'une cinquantaine d'années, qui paraissait leur servir 15 de protecteur. L'hôtesse, qui leur racontait ce qui venait de se passer, s'interrompit tout à coup à la vue de Joseph. Celui-ci salua et voulut se retirer ; mais le conducteur des deux dames le retint. 20 — Je suis désolé, monsieur, dit-il avec bonhomie, du débat qui vient d'avoir lieu. En demandant à dîner seuls, nous voulions éviter certains convives dont la conversation et les manières eussent pu effa- roucher ces dames, mais non chasser les vo}^ageurs du 25 Cheval-BlanCy comme votre ami a paru le croire, et la preuve, c'est que je vous prie de vouloir bien vous asseoir à cette table avec nous. Joseph voulut s'en défendre en affirmant qu'il n'était nullement blessé d'une précaution qu'il trou- 30 vait toute naturelle ; mais M. Kosman (c'était le nom donné par les deux dames à leur conducteur) insista LES DEUX DEVISES. 77 d^un ton si ouvert et si bienveillant qn^il crut devoir lui céder. La vieille dame^ qui semblait avoir peu Thabitude des voyages^ s'assit vis-à-vis de lui, avec sa nièce, en 5 poussant un gémissement. — Vous êtes lasse, Charlotte ? demanda M. Kos- man. — Si je suis lasse ! s'écria la vieille femme ; passer un jour entier dans une voiture qui vous secoue lo comme une escarpolette ! manger hors de ses heures ; courir toutes sortes de dangers — car je ne sais pas com- ment nous n'avons pas versé cent fois ; la diligence penchait toujours !... — AlloDS, Charlotte, vous en voulez aux voyages... 15 dit M. Rosman gaiement, mais j'espère que votre prévention ne tiendra pas devant ce potage ; on n'en fait pas de meilleur à Fontaine. Joseph s'était d'abord renfermé dans un silence discret ; mais M. Eosman lui adressa plusieurs fois la 20 parole, et la conversation était devenue générale, quand on avertit que la diligence allait partir. Tous se hâtèrent de gagner le bureau. En y arrivant, Joseph aperçut son cousin qui ac- courait. Le temps que Mulzen venait de mettre à 25 dîner, Henri l'avait passé à parcourir les auberges de Cernay, sans rien trouver de préparé, et enfin, pressé par le temps, il s'était vu forcé d'acheter quelques fruits et un petit pain qu'il achevait. Ce repas d'anachorète n'avait point, comme on doit 30 le penser, adouci son humeur. Joseph s'en aperçut et ne lui fit aucune question; on avait d'ailleurs com- mencé l'appel des voyageurs, et ils se préparaient à prendre leurs places, lorsque le buraliste s'a^)erçut 78 LECTURES FRANÇAISES. qu^il avait commis une erreur en les inscrivant^ et que la voiture se trouvait au complet. — Au complet ! répéta Henri; mais vous avez reçu nos arrhes. — Je vais vous les rendre^ monsieur^ répliqua le 5 commis. — Du tout^ s^écria le jeune homme; dès que vous les avez acceptées, il y a eu contrat entre nous; j^ai droit de partir, et je partirai. En prononçant ces mots, il saisit la courroie et 10 grimpa sur ^impériale où une place se trouvait vide; le voyageur auquel elle appartenait voulut réclamer; mais Henri persista en déclarant que nul n^avait le droit de le faire descendre. Joseph essaya en vain une transaction; le Marseillais, que le dîner manqué 15 avait aigri, persista dans sa résolution. — " Chacun son droit,'' s^écria-t-il; c^est ma devise. La tienne est '^ Charité '' ; sois donc charitable, si tu veux; moi, je ne prétends être que juste; j^ai payé cette place, elle m^appartient, je la garde. 20 Le voyageur qu^il remplaçait objecta la priorité de possession; mais Henri, qui était avocat, répondit par des textes de loi. On demeura ainsi quelque temps, échangeant des explications violentes, des récrimina- tions, des menaces. Madame Charlotte, qui enten-25 dait tout du coupé, poussait des gémissements d^épou- vante. Enfin Joseph proposa au buraliste de faire atteler un voiturin dans lequel il prendrait place avec le voyageur dépossédé. L^expédient fut accepté par les parties intéressées, et la diligence partit. 30 On se trouvait au mois de décembre; Tair, déjà hu- mide et froid au moment du départ, devint encore plus glacial à la tombée du jour. Henri, accoutumé LES DEUX DEVISES. 79 à son soleil de Provence^ avait beau boutonner jus- qu'au menton son paletot de voyage^ il frissonnait comme une feuille. Son visage était bleu^ ses dents claquaient ; bientôt une pluie fine commença à pé- 5 nétrer ses vêtements. Lorsque la voiture arriva à Kaysersberg, il était nuit. Heni'i descendit à demi mort de froid^ et gagna la cuisine de Tauberge où il voyait briller un grand feu; mais en entrant il aperçut le foyer entouré d^un lo cercle de voyageurs, parmi lesquels se trouvaient Joseph Mulzen et Tétranger dont il avait pris la place. Le cabriolet fourni par le buraliste les avait conduits par une route de traverse plus courte, et tous deux étaient arrivés depuis une demi-heure. 15 A la vue du triste état dans lequel se trouvait son cousin, Mulzen se hâta de lui céder sa chaise; quant au voyageur dépossédé à Cernay, il ne put retenir un éclat de rire. — Parbleu ! je dois remercier monsieur de m^avoir 20 chassé de Fimpériale, dit-il; car, sans son usurpation, je me trouverais gelé à sa place, au lieu d^être chaude- ment à la mienne. Henri était en trop mauvaise position pour répon- dre; il s'assit devant le feu et tâcha de se réchauf- 25 fer. Dès qu'il eut un peu repris ses sens, il demanda une chambre et un lit; mais l'auberge était pleine de gens. Joseph et son compagnon, bien qu'ils fussent arrivés plus tôt, n'avaient eux-mêmes trouvé qu'une couchette 30 à laquelle le premier avait généreusement renoncé en faveur du second. Cependant, après beaucoup de questions et de recherches, il se trouva un lit vacant dans une des chambres ; mais elle était occupée par 80 LECTURES FRANÇAISES. quelques colporteurs, qui refusaient d^y recevoir aucun étranger. ' — Ont-ils loué la chambre pour eux seuls? demanda Henri. — Nullement^ répliqua Taubergiste. 5 — Ainsi vous avez droit de disposer du lit vacant. — Sans aucun doute. — Alors quelle raison donnent-ils pour refuser un nouveau compagnon de chambre ? — Ils ne donnent point de raison ; tous quatre pa- lo raissent d^assez mauvais drôles, et personne ne s'est soucié d^avoir une querelle avec eux. Henri se leva vivement. — C^est une faiblesse, s^écria-t-il ; pour ma part, je ne passerai pas une nuit blanche parce qu^il convient 15 à quatre inconnus d'accaparer les lifcs de votre auberge; conduisez-moi à leur chambre; il faudra bien qu^ils entendent raison. Il avait repris sa casquette et allait sortir avec Tau- bergiste; mais M. Eosman, qui venait chercher un 20 domestique pour emporter ses bagages, avait entendu les mots échangés entre les deux cousins; il s^avança vers eux, et dit de son air libre et riant : — Acceptez un lit chez moi, messieurs; je demeure à quelques pas, et je me ferai un plaisir de vous rece-25 voir. Henri et Joseph s'inclinèrent en remerciant, mais sur des tons visiblement distincts: celui de Mulzen était reconnaissant et joyeux ; celui de son compag- non, contraint, quoique poli. Il n'avait point oublié 30 que M. Rosman était la cause première du maigre dîner qu'il avait fait à Cernay. — Monsieur a trop d'obligeance, dit-il en adoucis- LES DEUX DEVISES. 81 sant sa voix ; mais je ne voudrais pas lui causer un pareil embarras. Il est bon d^ailleurs que Pon donne une leçon à ces gens, et qu^on leur apprenne à respec- ter les droits des autres voyageurs. 5 A ces mots, il salua, et prit le chemin de la cham- bre occupée par les colporteurs. Joseph, craignant quelque rixe, le suivit; mais ils s^en tinrent à quel- ques murmures, malgré lesquels Henri se coucha. Son cousin, rassuré, se décida alors à redescendre, toet suivit M. Eosman qui avait eu la bonté de Fat- tendre. En arrivant chez ce dernier, il trouva madame Charlotte et sa fille Louise préparant le thé devant un feu. On le força à prendre place devant la table, 15 tandis que Louise remplissait les tasses. Quant à madame Charlotte, elle n^était point encore revenue du trouble occasionné par le voyage ; elle prétendait sentir, dans son fauteuil, les oscillations de la dili- gence. Elle s^informa pourtant de ce qu^était devenu 20 le jeune homme qui, à Cernay, avait pris ^impériale d'assaut, et M. Rosman raconta ce qui venait de lui arriver à l'auberge. — Mais il ne cherche donc partout que guerre et procès ! s'écria madame Charlotte; c'est un homme à 25 fuir comme le feu. On ne saurait trouver un cœur plus loyal, fit ob- server Mulzen ; il tient seulement à suivre partout sa devise: Cliaciin son droit, — Tandis que la vôtre est: Charité, reprit en sou- 30 riant la vieille femme. Oh! j'ai tout entendu à Cernay. — Vous voyagez ensemble ? demanda M. Eosman. — Nous sommes cousins, répondit Joseph, et nous 82 LECTURES FRANÇAISES. venons à Kaysersberg pour un testament dont l'ouver- ture doit avoir lieu demain. — Un testament ! répéta madame Charlotte éton- née. — Celui de notre oncle^ du docteur Harver. 5 Les deux femmes et M. Eosman firent un mouve- ment. — Ah! vous êtes les parents du docteur? reprit ce dernier, en regardant le jeune homme; le hasard ne pouvait alors mieux vous adi-esser, monsieur; car j^ai 10 été son ancien compagnon et son meilleur ami. Cette espèce de reconnaissance servit d^introduction pour parler du mort. Mulzen ne Tavait jamais vu. Il causa longtemps du docteur, écouta avec un intérêt ému tout ce qu^on lui raconta de sa vie, de ses derniers 15 instants ; enfin il monta à la chambre qui lui était destinée, enchanté de ses hôtes qui se retirèrent également satisfaits. La fatigue prolongea son sommeil, et lorsqu'il se réveilla le lendemain, il était déjà tard. Il s'habilla 20 à la hâte pour rejoindre son cousin avec lequel il de- vait se rendre chez le notaire ; mais il trouva ce der- nier au salon en compagnie de M. Eostnan et de Henri que Ton avait fait chercher. Madame Char- lotte et Louise ne tardèrent pas elles-mêmes à paraître. 25 Quand tout le monde fut réuni, M. Rosman se tourna vers les deux jeunes gens, et dit en souriant: — Personne ici n'est étranger à l'affaire qui vous conduit à Kaysersberg, messieurs; car ma belle-sœur, madame Charlotte Revel, et sa nièce Louise Armand, 30 dont je suis le tuteur, y viennent comme vous pour assister à l'ouverture du testament de leur frère et oncle le docteur Harver. LES DEUX DEVISES. 83 Les deux jeunes gens saluèrent m^idame Charlotte et mademoiselle Louise, qui leur rendirent le salut. — J'ai pensé, continua M. Eosman, que la lecture des dernières dispositions du docteur pouvait se fau*e 5 chez moi, puisque le hasard y avait réuni toutes les parties intéressées. Henri répondit par un signe d'assentiment. Chacun S'assit, et le notaire allait briser le cachet dii testa- ment, lorsqu'il s'arrêta. 10 — Ce testament est d'une date déjà ancienne, dit-il, et, dans les derniers mois de sa vie. M. Harver m'avait exj^rimé plusieurs fois l'intention de le détruire afiu de laisser à chacun de ses héritiers ia part réglée par les lois. S'il ne l'a point fait, je ne puis l'attribuer 15 qu'à la rapidité de sa mort. J'ai du déclarer ceci pour la décharge de ma conscience: maintenant je demande à tous les intéressés ^jrésents s'ils ne veulent point accomplir l'intention du docteur, et annuler d'un commun accord le testanit^nt. avant qu'aucun 20 d'eux sache s'il le dépouille ou s'il l'enrichit. Cette proposition inattendue fut suivie d'une pause de quelques instants. Mulzen fut le premier à prendre la parole. — Pour ma part, dit-il. n'ayant aucun droit parti- 25 culier à la bienveillance du mort, je ne pniis regarder comme un sacrifice l'acceptation de l'égalité dans les partages, et j'y accéderai volontiers. — Je n'y mettrai point d'obstacle ^^our ce qui me regarde, continua madame Charlotte. 30 — Et moi j'y consentirai, au nom de ma pupille, ajouta M. Eosman. — Alors, dit le notaire en se tournant vers Henri, il ne reste que monsieur... 84 LECTURES FRANÇAISES. Celui-ci parut éprouver quelque embarras. — Je n'ai, comme mon cousin, dit-il, aucun motif d^espérer une disposition testamentaire qui me favo- rise; mais par cela même je dois me montrer plus ré- servé. Anéantir d^avance les dispositions du docteur, 5 c^est attenter à la fois au droit du testateur et à celui du légataire inconnu. — N^en parlons plus alors, interrompit le notaire ; ^unanimité seule pouvait légitimer ma proposition; restons dans le droit de chacun, comme le demande 10 monsieur, et veuillez écouter. A ces mots il déchira Tenveloppe, ouvrit le testa- ment, et lut ce qui suit : ^^Des quatre héritiers qui peuvent prétendre à ma succession, je n'en connais que deux, ma sœur Char- 15 lotte Eevel et ma nièce Louise Armand ; mais toutes deux n'ont, depuis longtemps, qu'un même intérêt comme elles n'ont qu'un même cœur, et ne forment, en réalité, qu'une seule personne; je n'ai donc véri- tablement de ce côté que Louise pour héritière. Ma 20 première intention avait été de lui donner ce que je possède ; mais parmi mes deux autres neveux il peut s'en trouver un également digne de tout mon intérêt; reste seulement la difficulté de le distinguer. "Ne pouvant le faire moi-même, et connaissant 25 l'intelligence et le tact de ma nièce Louise, je m'en remets à son jugement, et je déclare prendre pour légataire universel celui des deux cousins qu'elle choi- sira pour mari. ''Harver." 30 — Dieu me pardonne! le docteur a donné là à ma nièce une tâche difficile ! s'écria madame Char- lotte. LES DEUX DEVISES. 85 — Moins que vous ne le croyez, ma sœur^ dit Kosman en souriant. Je connaissais depuis longtemps le testa- ment d^Harver, et j'avais pris en conséquence mes in- formations ; quel que soit le choix de Louise^ elle n'a 5 rien à craindre. — Alors que mademoiselle décide, reprit le notaire en riant. — Je m'en rapporterai à ma tante, murmura la jeune fille, qui se jeta dans les bras de madame Char- 10 lotte. — A moi? reprit celle-ci...; mais c'est fort embar- rassant, ma chère, et je ne sais en vérité... En prononçant ces mots d'un air incertain, son re- gard avait glissé sur Mulzen ; Henri s'en aperçut. 15 — Ah! votre choix est fait, madame, dit-il vive- ment, et, quoi qu'il puisse me coûter de regrets, je dois l'approuver. — Mademoiselle, ajouta-t-il en prenant Joseph par la main et le conduisant jusqu'à la jeune fille, votre 20 tante a bien vu et bien jugé ; mon cousin vaut mieux que moi. — Ce que vous faites prouve le contraire, dit ma- dame Charlotte attendrie, mais nous connaissons déjà un peu M. Mulzen; et puis... tenez... vous méritez 25 qu'on vous dise toute la vérité... — Dites, dites ! interrompit Fortin. — -Eh bien! sa devise me rassure, tandis que la vôtre me fait peur ; il promet l'indulgence, et vous la justice. Hélas! cher monsieur, la justice peut 30 suffire aux anges, mais pour les hommes il faut de la charité. E. SOUVESTRE. 86 LECTURES FRANÇAISES. LA PUCELLE D^OKLEANS. O^ÉTAIT entre la Lorraine et la Champagne que naquit, à Dom-Kemy, la belle et brave fille qui devait porter si bien l^épée de la France. Jeanne était la troisième fille d^m laboureur, Jac- ques Darc. Tandis que les autres enfants allaient 5 avec le père travailler aux champs ou garder les bêtes, la mère tint Jeanne près d^elle, Toccupant à coudre ou à filer. Elle n^apprit ni à lire ni à écrire ; mais elle sut tout ce que savait sa mère des choses saintes. Elle reçut sa religion, non comme une leçon, une ce- 10 rémonie, mais dans la forme d^une belle histoire. Nous avons sur la piété de Jeanne un touchant té- moignage, celui de son amie d^enfance, de son amie de cœur, Haumette, plus jeune de trois ou quatre ans. ^'^Que de fois, dit-elle, j^ai été chez son père, et cou- 15 chée avec elle? C'était une bien bonne fille, simple et douce. Elle allait volontiers à Téglise et aux saints lieux. Elle filait, faisait le ménage, comme les autres filles. Elle se confessait souvent. Elle rou- gissait quand on lui disait qu^elle était trop dévote, 20 qu'elle allait trop à Téglise.'' Un laboureur ajouta qu'elle soignait les malades, donnait aux pauvres. "Je le sais bien, dit-il ; j'étais enfant alors, et c'est elle qui m'a soigné." Tout le monde connaissait sa charité, sa piété. Ils voyaient bien que c'était la 25 meilleure fille du village. Son village était à deux pas des grandes forets des LA PUCELLE d'ORLÉANS. 87 Vosges. De la porte de la maison de son père^ elle voyait le vieux bois des chênes. Les fées hantaient ce bois ; elles aimaient surtout une certaine fontaine près d'un grand hêtre qu'on nommait Tarbre des fées. 5 Les petits enfants y suspendaient des couronnes^ y chantaient. Ces anciennes fées et maîtresses des fo- rêts ne pouvaient plus^ disait-on^ se rassembler à la fontaine ; elles en avaient été exclues pour leurs pé- chées. Cependant TEgiise se défiait toujours des lo vieilles divinités locales ; le curé^ pour les ctiasser^ al- lait chaque année dire une messe à la fontaine. Jeanne naquit parmi ces légendes. Mais le pays offrait à côté une toute autre poésie^ celle-ci sauvage, atroce/ trop réelle, hélas ! la poésie de la guerre. La 15 guerre! ce mot seul dit tous les émotions; ce n'est pas tous les jours, sans doute, l'assaut et le pillage, mais bien plutôt l'attente, le tocsin, le réveil, et dans la plaine au loin le rouge sombre de l'incendie. Jeanne eut sa part dans ces romanesques aventures. 20 Elle vit arriver les pauvres fugitifs, elle aida à les re- cevoir ; elle leur cédait son lit et allait coucher au grenier. Ses parents furent aussi une fois obligés à s^enfuir. Puis, quand le flot des brigands fut passé, la famille revint et retrouva le village saccadé, la mai- 25 son dévastée, l'église incendiée. Elle sut ainsi ce que c'est que la guerre. Elle se demanda si Dieu permettrait cela toujours, s'il ne mettrait pas un terme à ces misères, s'il n'enver- rait pas un libérateur, comme il l'avait fait si souvent 30 pour Israël, un Gédéon, une Judith! Un jour d'été à midi, Jeanne étant au jardin de son père, tout près de l'église, elle vit une éblouis- sante lumière, et elle entendit une voix : ^^ Jeanne, 88 LECTURES FRANÇAISES. sois bonne et sage enfant ; va souvent à Féglise/^ La pauvre fille eut grand^peur. Une autre fois elle en- tendit encore la voix, vit la clarté, mais dans cette clarté de nobles figures dont Vune avait des ailes. Il lui dit : ^^ Jeanne, va au secours du roi de France, et 5 tu lui rendras son royaume. ^^ Elle répondit, toute tremblante : ^^Messire, je ne suis qu^une pauvre fille ; je ne saurais chevaucher, ni conduire les hom- mes d^armes.^^ La voix répliqua : ^* Tu iras trouver M. de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, et il te lo fera mener au roi. Sainte Catherine et Sainte Mar- guerite viendront Vassister.^^ Elle resta stupéfaite et en larmes, comme si elle eût déjà vu sa destinée toute entière. Jeanne ne nous a rien dit de ce premier combat 15 qu^elle soutint. Mais il est évident qu^il eut lieu et qu'ail dura longtemps, puisqu'il s'écoula cinq années entre sa première vision et sa sortie de la maison pa- ternelle. Les deux autorités, paternelle et céleste, comman- 20 daient des choses contraires. L'une voulait qu'elle restât dans Tobscurité, dans la modestie et le travail ; l'autre qu'elle partît et sauvât le royaume. L'ange lui disait de prendre les armes. Le père, rude et honnête paysan, jurait que, si sa fille s'en allait avec 25 les gens de la guerre, il la noierait plutôt de ses pro- pres mains. Pour échapper à l'autorité de sa famille, il fallait qu'elle trouvât dans sa famille même quelqu'un qui le crût ; c'était le plus difficile. Au défaut de son 30 père elle convertit son oncle à sa mission. Il la prit avec lui, qomme pour soigner sa femme. Elle obtint de lui qu'il irait demander pour elle l'appui du Sire LA PUCELLE d'ORLÉANS. 89 de Baudricourt^ capitaine de Vaucoiileurs. I7homme de guerre reçut assez mal le paysan^ et lui dit qu^il n^avait rien à faire sinon de la ramener chez son père ^^ bien souffletée/' Elle ne se rebuta pas, elle voulut 5 partir, et il fallut bien que son oncle raccompagnât, O^était le moment décisif ; elle quittait pour toujours le village et la famille. Elle arriva donc dans cette ville de Vaucouleurs avec ses gros habits rouges de paysanne. Elle se fit 10 mener chez Baudricourt et lui dit avec fermeté que, malgré les ennemis du Dauphin, il serait fait roi, et qu^elle le mènerait sacrer. Le capitaine fut bien étonné ; il soupçonna qu^il y avait là quelque diable- rie. Il consulta le curé, qui apparemment eut les 15 mêmes doutes. Mais le peuple ne doutait point; il était dans Tadmiration. De toutes parts on venait la voir. Un gentilhomme lui dit : '^ Eh bien! il faut donc que le roi soit chassé et que nous devenions An- glais V^ Elle se plaignait à lui du refus de Baudri- 20 court. ^^Et cependant, dit-elle, avant la mi-carême, il faut que je sois devant le roi. Car personne au monde, ni rois, ni ducs, ne peuvent reprendre le ro- yaume de France, et il n^y a pour lui de secours que moi-même, quoique j^aimasse mieux rester à filer 25 près de ma pauvre mère ; mais il faut que j^iille et que je le fasse, parceque mon Seigneur le veut.^^ — Et quel est votre seigneur? — ^^C^est Dieu ! ^^ Le gen- tilhomme fut touché. Il promit par sa foi que, sous la conduite de Dieu, il la mènerait au roi. 30 C^était un rude voyage et bien périlleux qu^elle en- treprenait. Tout le pays était couru par les hommes d^armes des deux partis. Il n^y avait plus ni route, 90 LECTURES FRANÇAISES. ni pont, les rivières étaient grosses, c^était au mois de février, 1429. La conr de Charles VII était loin d'être unanime en faveur de la Pucelle. L^opposition était si forte contre elle que, lorsqu'elle fut arrivée, le conseil dis- 5 cuta encore pendant deux jours si le roi la verrait. Le roi le reçut enfin, et au milieu du plus grand appareil ; on espérait apparemment qu'elle serait déconcertée. C'était le soir ; cinquante torches éclai- raient la salle, plus de trois cents chevaliers étaient lo réunis autour du roi. Tout le monde était curieux de voir la sorcière ou l'inspirée. Elle se présenta humblement, démêla au premier regard le roi qui s'était mêlé exprès à la foule des seigneurs, et quoiqu'il soutint d'abord qu'il n'était i5 pas le roi, elle lui embrassa les genoux. Mais, comme il n'était pas sacré, elle ne l'appelait que dauphin. '^ Gentil dauphin, dit-elle, le Koi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné en la ville de Eeims, et vous serez lieutenant du Eoi 20 des cieux, qui est roi de France." Il en advint à Poitiers comme à Vaucouleurs ; en un moment tout le monde fut pour elle. Les femmes, demoiselles et bourgeoises, allaient la voir et elles en revenaient tout émues. Les hommes mêmes y al- 25 laient ; ces conseillers, ces juges, ces avocats, s'y laissèrent mener sans y croire, et quand ils l'avaient entendue, il pleuraient, tout comme les femmes, et disaient : " Cette fille est envoyée de Dieu." Il n'y avait plus de temps à perdre. Orléans criait 30 au secours ; Dunois renvoyait coup sur coup. On équipa la Pucelle, on lui forma une sorte de maison. Son frère vint le trouver et se joignit à ses gens. LA PUCELLE d'oRLÉAKS. 91 Ce fut une merveille pour les spectateurs de voir la première fois Jeanne Darc dans son armure blanche et sur un beau cheval noir^ au côté une petite hache et répée de Sainte Catherine. Elle avait fait chercher 5 cette épée derrière Fautel de Sainte Catherine, où on la trouva en effet. Elle portait à la main un éten- dard blanc fleurdelisé, sur lequel était Dieu avec le monde dans ses mains ; à droite et à gauche, deux anges qui tenaient chacun une fleur de lis. ^"^Jene loveux pas, dit-elle, me servir de mon épée pour tuer personne.^^ Et elle ajoutait que, quoiqu'elle aimât son épée, elle aimait quarante fois plus son étendard. Le jour diaprés, elle alla visiter de près les bastilles anglaises ; toute la foule, hommes, femmes, et enfants, 15 allaient aussi à regarder ces fameuses bastilles où rien ne remuait. Le peuple était hors de lui; il n^avait plus peur de rien ; il était ivre de religion et de guerre, dans un de ces formidables accès de fanatisme où les hommes peuvent tout faire et tout croire. 20 Le chancelier de Charles VII, Tarchevêque de Eeims, avait retenu la petite armée à Blois. Le vieux politique était loin de se douter de cette toute-puis- sance de l^enthousiasme, ou peut-être il la redoutait. Il vint donc bien malgré lui. La Pucelle alla au- 25 devant, avec le peuple et les prêtres qui chantaient des hymnes; cette procession passa et repassa de- vant les bastilles anglaises, l^armée entra protégée par des prêtres et par une fille [4 mai 1429]. Cette fille qui, au milieu de son enthousiasme et de 30 son inspiration, avait beaucoup de finesse, démêla très-bien la froide malveillance des nouveaux venus. Elle comprit qu^on voudrait agir sans elle, au risque de tout perdre. Elle avait raison de le croire. Comme 92 LECTURES FRANÇAISES. elle se reposait un moment^ elle se dresse tout à coup : "Ah ! mon Dieu! dit elle, le sang de nos gens coule par terre ! c^est mal fait ! pourquoi ne m'a-t-on pas éveillée? Vite, mes armes, mon cheval ?^^ Elle fut armée en un moment. Elle partit au grand galop. 5 A son arrivée, les fuyards tournèrent visage. La bastille fut attaquée de nouveau. Talbot essaya de la secourir. Mais il sortit de nouvelles forces d^Or- léans, la Pucelle se mit à leur tête, et Talbot fit ren- trer les siens. La bastille fut emportée. lo Il ne restait plus un Anglais au midi de la Loire. Ceux du nord abandonnèrent leurs bastilles, leur ar- tillerie, leurs prisonniers, leurs malades. La Pucelle défendit qu^on les poursuivît, puisqu'ils se retiraient d'eux-mêmes. 15 Mais avant qu'ils ne s'éloignassent et ne perdis- sent de vue la ville, elle fit dresser un autel dans la plaine, on y dit la messe, et en présence de l'ennemi le peuple rendit grâce à Dieu [Dimanche, 8 mai]. L'effet de la délivrance d'Orléaus fut prodigieux. 20 Tout le monde y reconnut une puissance surnaturelle. Plusieurs la rapportaient au diable, mais la plupart à Dieu; on commença à croire généralement que Charles VII avait pour lui le bon droit. IL Charles VII devait saisir ce moment, aller hardi- 25 ment d'Orléans à Reims, mettre la main sur la couronne. Cela semblait téméraire, et n'en était pas moins facile dans le premier effroi des Anglais. Puisqu'ils avaient fait l'insigne faute de ne point LA PUCELLE d'ORLÉAKS. 93 sacrer encore leur jeune Henri VI^ il fallait les de- vancer. Le premier sacré devait rester roi. C^était aussi une grande chose pour Charles VII de faire sa royale chevauchée à travers la France anglaise, de 5 prendre possession, de montrer que partout en France le roi est chez lui. La Pucelle était seule de cet avis. Les politiques souriaient ; ils voulaient qu^on allât lentement et sûrement, c'est-à-dire qu'on donnât aux Anglais le lo temps de reprendre courage. Ils eurent beau dire cette fois, les voix timides ne pouvaient plus être écoutées. Chaque jour affluaient des gens de toutes les provinces, qui venaient au bruit des miracles de la Pucelle, ne croyaient qu'en elle, et, comme elle, 15 avaient hâte de mener le roi à Eeims. C^était un irrésistible élan. L'indolent jeune roi lui-même finit par se laisser soulever à cette vague populaire, à cette grande marée qui montait et poussait au nord. Eoi, courtisans, politiques, enthousiastes, tous ensemble, 20 de gré ou de force, les fous, les sages, ils partirent. Au départ, ils étaient douze mille ; mais le long de la route la masse allait grossissant ; d'autres venaient, et toujours d'autres. L^armée partit de Gien le 28 juin, passa devant 25 Auxerre, sans essayer d'y entrer ; cette ville était entre les mains du duc de Bourgogne. Troyes avait une garnison mêlée de Bourguignons et d'Anglais. Il y avait peu d'apparence de forcer une grande ville si bien gardée, et cela sans artillerie. Mais comment 30 s'arrêter à en faire le siège? Comment avancer en laissant une telle place derrière soi? L'armée souffrait déjà de la faim. Ne valait-il pas mieux s'en retourner ? Les politiques triomphaient. 94 LECTURES FRANÇAISES. Il n^y eut qu\in vieux conseiller, le président Maçon, qui fût d^avis contraire, qui comprît que dans une telle entreprise la sagesse était du côté de Ten- thousiasme. " Quand le roi a entrepris ce voyage, dit-il, il ne Ta pas fait pour la grande puissance des 5 gens d^armes, ni parce que le voyage lui semblait possible ; il Fa entrepris parce que Jeanne lui disait d^aller en avant et de se faire couronner à Reims, qu^il y trouverait peu de résistance, tel étant le bon plaisir de Dieu/^ 10 La Pucelle, venant alors à frapper à la porte du conseil, assura que dans trois jours on pouiTait entrer dans la ville. ^^Nous en attendrions bien six, dit le chancelier, si nous étions sûrs que vous dites vrai. — Six? vous y entrerez demain V 15 Elle prend son étendard, tout le monde la suit aux fossés ; elle y jette tout ce qu'on trouve, fagots, portes, tables, solives. Et cela allait si vite que les gens de la ville crurent qu'en un moment il n'y aurait plus de fossés. Les Anglais commencèrent à s'éblouir, 20 comme à Orléans; ils croyaient voir une nuée de papillons blancs qui voltigeaient autour du magique étendard. Les bourgeois, de leur côté, avaient grand'peur ; ils se réfugiaient déjà aux églises ; ils criaient qu'il fallait se rendre. Les gens de guerre 25 ne demandaient pas mieux. Ils parlementèrent, et obtinrent de s'en aller avec tout ce qu'ils avaient. Ce qu'ils avaient, c'était surtout des prisonniers, des Français. Les conseillers de Charles YII qui dressèrent la capitulation n'avaient rien stipulé pour 30 ces malheureux. La Pucelle y songea seule. Quand les Anglais sortirent avec leurs prisonniers garrottés, elle se mit aux portes, et s'écria : ^^0 mon Dieu ! ils LA PUCELLE D^ORLEAÎ^S. 95 ne les emmèneront pas V^ Elle les retint en eflet^ et le roi paya leur rançon. Maître de Troyes le 9 juillet^ il fit le 15 son entrée à Reims, et le 17 il fut sacré. 5 Charles VII fut oint par Farchevêque de Fhuile de la sainte ampoule, qu^on apporta de Saint-Remy. Toutes les cérémonies furent accomplies sans qu^il y manquât rien. Il se trouva le vrai roi, et le seul dans les croyances du temps. Les Anglais pouvaient dé- losormais faire sacrer Henri, ce nouveau sacre ne pouvait être, dans la pensée des peujjles, qu'une parodie de l'autre. La Pucelle avait fait et fini ce qu'elle avait à faire. Aussi, dans la joie même de cette triomphante 15 solemnité, elle eut l'idée, le pressentiment peut-être, de sa fin prochaine. Lorsqu'elle entrait à Reims avec le roi et que tout le peuple venait au-devant en chantant des hymnes : " le bon et dévot peuple ! dit-elle. Si je dois mourir, je serais bien heureuse 20 que l'on m'enterrât ici ! — Jeanne, lui dit l'archevêque, où croyez-vous donc mourir ? — Je n'en sais rien ; ou. il plaira à Dieu. Je voudrais bien qu'il lui plût que je m'en allasse garder les moutons avec ma sœur et mes frères. Ils seraient si joyeux de me revoir ! J'ai 25 fait du moins ce que notre Seigneur m'avait commandé de f aire.'^ J. MiCHELET. 96 LECTURES FRA]SrÇAISES. AXJ COUVENT. Je n^avais pas de parti pris en entrant au couvent. On a vu que j^y arrivais sans humeur et sans chagrin ; je ne demandais pas mieux que de m^y soumettre à la discipline générale. Mais quand je vis cette discipline si bête à mille égards et si méchamment prescrite 5 par la D***, je mis mon bonnet sur Toreille et je m^enrégimentai résolument dans le camp des diables. On appelait ainsi celles qui n^étaient pas et ne vou- laient pas être dévotes. Ces dernières étaient appe- lées les sages. Il y avait une variété intermédiaire 10 qu^on appelait les iêtes, et qui ne prenaient parti pour personne^, riant à gorge déployée des espiègleries des diables, baissant les yeux et se taisant aussitôt que paraissaient les maîtresses ou les sages, et ne man- quant jamais de dire aussitôt qu^il y avait danger: 15 ^^ Ce n^est pas moi P Au CB n'est pas moi des bêtes égoïstes^ quelques unes complètement lâches prirent bientôt Thabitude d'ajouter : " C'est Dupin ou G***.'' Dupin, c'était moi ; G***, c'était autre chose ; c'é-20 tait la figure la plus saillante de la petite classe et la plus excentrique de tout le couvent. C'était une Irlandaise de onze ans, beaucoup plus grande et plus forte que moi qui en avait treize. Sa voix pleine, sa figure franche et liardie, son caractère 25 indépendent et indomptable lui avait fait donner le surnom de garçon. Ar COUVERT. 97 Mary G*'*''^ (le garçon) était sortie lorsque j'entrai au couvent. On nven fit un portrait effroyable. Elle était la terreur des J^7é>'. et naturellement les bétes étaient venues à moi pour commeneer. Les saç^s 5 m'avaient tâtée. et comme ell^^s cra:; ' ^ le l-ruir et le pétulance de Mary, el>s td^htl.- - iv.e ruet- tre en garde contre elle. J'avoue qu'au portrait qu'on m'en fit, j'eus peur aussi. Mary arriva, et dès le premier r^r-gard sa figure lo sincère me fut sympathique. -'Cestbon, me dis-je, nous nous entendrons." Mais c'était à elle, comme plus ancienne, à me faire les avances. Je l'atten- dais fort tranquillement. Elle débuta par des railleiaes : je me mis à rire I: d'aussi bon cœur que les autres. Mary vit du pre- mier coup d'œi! que je n'avais pas de d-pit paro^que je n'avais pas de vanité. Elle ooi^rinua de me rail- ler, mais sans aigreur, et, une heure an; me donna sur l'épaule une tape à tuer un b^ca:. aae je 20 lui rendis saris sourciller et en riant. - C't-st bon, cela ! dit-elle, en se frottant l'épaule. Allons-nous promener. — Oii ? — Partout, excepté dans la classe. 25 — Comment faire ? — C'est bien malin ! Eegardez-moi et faites de même.'' On se levait pour changer de table, la mère Alippe entrait avec s-s livr-.- et s-s nl.iers. Mary profite du 3oremue-ménagH, t-t, san- prendra la moindre précau- tion, sans être observée cependant de personne, fran- chit la porte et va s^asseoir dans le cloître désert, où, trois minutes après, je vais la rejoindre sans plus de 98 cérémonie. ^^ Te voilà? me dit-elle, qu^as-tu inventé pour sortir ? — Rien du tout, j^ai fait ce que je t^ai vu faire. — C^est très bien, cela! dit-elle. Il y en a qui font des histoires, qui demandent à aller étudier le piano, 5 ou qui ont un saignement de nez, ou qui prétendent qu^elles vont faire une prière dans Féglise ; ce sont des prétextes usés et des mensonges inutiles. Moi, j^ai supprimé le mensonge, parceque le mensonge est lâche. Je sors, je rentre, on me questionne, je ne ré- 10 ponds pas. On me punit, je m^en moque, et je fais tout ce que je veux. — Cela me va. — Tu es donc diable ? — Je veux rétre. 15 — Autant que moi ? — Ni plus ni moins. — Accepté ! fit-elle en me donnant une poignée de main. Rentrons maintenant et tenons-nous tran- quilles devant la mère Alippe. C^est une bonne 20 femme ; réservons-nous pour la D***. Tous les soirs, hors de classe, entends-tu? — Qu'est-ce que cela, hors de classe ? — Les récréations du soir dans la classe, sous les yeux de la D^^*, sont fort ennuyeuses. Nous, nous 25 disparaissons en sortant du réfectoire, et nous ne ren- trons plus que pour la prière. Quelquefois la D**^ ne prend pas garde ; le plus souvent elle en est enchantée, parcequ'elle a le plaisir de nous injurier et de nous punir quand nous rentrons. La punition 30 c'est d'avoir son bonnet de nuit tout le lendemain sur la tète, même à Féglise. Les religieuses qui vous rencontrent ainsi font des signes de croix et crient : AtT COtrVEKT. 99 Shame ! sliame ! cela ne fait de mal à personne. Quand on a eu beaucoup de bonnets de nuit dans la quin- zaine, la supérieure vous menace de vous priver de sortir. Elle se laisse fléchir par les parents ou elle 5 oublie. Quand le bonnet de nuit est un état chro- nique, elle se décide à vous tenir renfermée ; mais qu^est-ce que cela fait ? ne vaut-il pas mieux renon- cer à un jour de plaisir que de sVnnuyer volontaire- ment tous les jours de sa vie? lo — C'est fort bien raisonné ; mais la D***, que fait- elle quand elle vous déteste à l'excès ? — Elle vous injurie. On ne lui répond rien, elle enrage d^autant plus. — Vous frappe-t-elle ? 15 — Elle en meurt d^envie, mais elle n^a pas de pré- texte pour en venir là, parce que les unes tremblent devant elle, comme les sages et les bêtes ; et les au- tres, comme nous, la méprisent et se taisent. — Combien sommes-nous de diables dans la classe ? 20 — Pas beaucoup dans ce moment-ci, et il était temps que tu vinsses pour nous renforcer un peu. Il y a Isabelle, Sophie, et nous deux. Toutes les autres sont des bêtes ou des sages. Mais sois tranquille, il y en a de la grande classe qui sortent de même et qui 25 viendront nous rejoindre ce soir. Ma sœur Marcella en est quelquefois. — Et alors que fait-on ? — Tu verras, tu seras initiée ce soir. J^attendais la nuit et le souper avec grande impa- sotience. Au sortir du réfectoire on entrait en récréa- tion. Dans Fêté les deux classes se mêlaient dans le jardin. En hiver (et nous étions en hiver) chaque classe rentrait chez elle, les grandes dans leur belle et 100 LECTURES FRAÎ^ÇAISES. spacieuse salle d^études, nous dans notre triste local, où nous n^avions pas assez d^espace pour jouer, et où la D*** nous forçait à nous amuser tranquillement , c'est-à-dire à ne pas nous amuser du tout. La sortie du réfectoire amenait un moment de confusion, et 5 j'admirai combien les diables des deux classes s^en- tendaient à faire naître ce petit désordre, à la faveur duquel on s^échappait aisément. Le cloître n'était éclairé que par une petite lampe qui laissait les trois autres galleries dans une quasi-obscurité. Au lieu de lo marcher tout droit pour gagner la petite classe, on se jetait dans la gallerie de gauche, on laissait défiler le troupeau, et on était libre. Je me trouvai donc dans les ténèbres avec mon amie G*** et les autres diables qu^elle m^avait annoncées. 15 Je ne me rappelle de celles qui furent des nôtres ce soir-là que Sophie et Isabelle, c^étaient les plus grandes de la petite classe. Elles avaient deux ou trois ans de plus que moi ; c^étaient deux charmantes filles. 20 Quand nous fumes réunies dans le cloître, je vis que toutes étaient armées, qui d\me bûche, qui d^une pincette. Je n^avais rien. J'eus Taudace de rentrer dans la classe, de m^emparer d'une barre de fer qui servait à attiser le poêle, et de retourner auprès de 25 mes complices sans être remarquée. Alors on m'initia au grand secret, et nous partîmes pour notre expédition. Ce grand secret, c'était la légende traditionnelle du couvent, une rêverie qui se transmettait d'âge en âge 30 et de diable en diable depuis deux siècles peut-être ; une fiction romanesque qui pouvait bien avoir eu quelque fond de réalité dans le principe, mais qui ne AU COUVENT. 101 reposait certainement plus que sur le besoin de nos imaginations. Il s^agissait de délivrer la victwie. Il y avait quelque part une prisonnière^ on disait même plusieurs prisonnières^ enfermées dans un réduit im- spénétrable, soit cellule cachée et murée dans Fépais- seur des murailles^ soit cachot situé sous les voûtes des immenses souterrains qui s^étendaient sous le monastère. Parvenir dans les souterrains^ c^était une de ces fortunes inespérées qui arrivaient une 10 fois, deux fois au plus dans la vie d^un diable après des années de persévérance. Y entrer par la porte principale, il n^y fallait pas songer. Cette porte était située au bas d^un large escalier à côté des cuisines, qui étaient des caves aussi, et où se tenaient 15 toujours les sœurs converses. Mais nous étions persuadées qu^on pouvait entrer dans les souterrains par mille endroits. Selon nous toute porte condamnée, tout recoin obscur sous un escalier, toute muraille qui sonnait le creux, pouvait 20 être en communication mystérieuse avec les souter- rains, et nous cherchions de bonne foi cette communi- cation jusque sous les combles. Nous voilà donc lancées, mes compagnes pour la centième fois, moi pour la première, à la recherche 25 de cette introuvable captive qui languissait on ne savait où, mais quelque part certainement, et que nous étions peut-être appellées à découvrir. Elle devait être bien vieille depuis tant d'années qu'on la cherchait en vain ! Elle pouvait bien avoir deux 30 cents ans, mais nous n'y regardions pas de si près. Nous la cherchions, nous l'appelions, nous y pensions sans cesse, nous ne désespérions jamais. Ce soir-là on me conduisit dans la partie des bâti- 102 LECTUEES FRANÇAISES. Tïients la plus ancienne, la plus excitante pour nos explorations Nous nous attachâmes à un petit couloir bordé d\ine rampe en bois. Un escalier, également bordé d^me rampe, descendait à cette région ignorée ; mais une porte en chêne défendait 5 l^entrée de Fescalier. Il fallait tourner Fobstacle en passant d^une rampe à l'autre et en marchant sur la face extérieure des balustres. Au-dessous il y avait un vide sombre dont nous ne pouvions apprécier la profondeur. Nous n'avions qu'une petite bougie, 10 qui n'éclairait que les premières marches de l'escalier mystérieux. C'était un jeu à nous casser le cou. Isabelle y passa la première avec la résolution d'une héroïne, Mary avec la tranquillité d'un professeur de gymnastique, les autres avec plus ou moins d'à- 15 dresse, mais toutes avec bonheur. Nous voici enfin sur cet escalier si bien défendu. En un instant nous sommes au bas des degrés, et, avec plus de joie que de désappointement, nous nous trouvons dans un espace carré situé sous la galerie, 20 une véritable impasse. Pas de porte, pas de fenêtre, pas de destination explicable à cette sorte de vesti- bule sans issue. ' Pourquoi donc un escalier pour de- scendre dans une impasse? pourquoi une poi'te solide pour en fermer l'escalier? 25 On divise en plusieurs bouts la petite bougie, et chacune examine de son côté. Tandis que les unes explorent l'escalier, les autres tâtent le mur. Mais, hélas, rien ! Isabelle ne se décourage pas. Au plus profond de l'angle qui rentre sous l'escalier, elle dé- 30 clare que la muraille sonne le creux ; on frappe, on vérifie le fait. " C'est là, s'écrie-t-on. Il y a là un passage muré. AU COUYEXT. 103 mais ce passage est celui de la fameuse cachette. Par là on descend an sépnlcre qui renferme des victimes vivantes.'^ On colle l'oreille à ce mnr, on n'entend rien^ mais 5 Isabelle affirme qu'elle entend des plaintes confuses, des grincements de chaînes. Que faire ? ^^C^est tout simple, dit Mary, il faut démolir le mur. A nous toutes, nous pourrons' bien y faire un trou.'^ Eien ne nous paraissait plus facile ; nous voilà lo travaillant ce mur, les unes essayant de l'enfoncer avec leurs bûches, les autres l'écorchant avec des pelles et des pincettes. Xous ne pouvions heureuse- ment lui faire grand mal, parce que nous ne pouvions pas frapper sans attirer quelqu'un par le bruit des 15 coups de bûche. Il fallait nous contenter de pousser et de gratter. Cependant nous avions réussi à en- tamer assez notablement le plâtre, la chaux, et les pierres, quand Theure de la prière vint à sonner. Xous remîmes au lendemain la poursuite de Tentre- 20 prise, et rendez-vous fut pris au même lieu. Nous nous aidâmes les unes les autres à faire dis- paraître la poussière et le plâtre dont nous étions cou- vertes, nous regagnâmes le cloître, et nous rentrâmes dans nos classes respectives comme on se mettait à 25 genoux pour la prière. Je ne me souviens plus si nous fûmes remarquées et punies ce soir-là. Xous le fûmes si souvent qu^aucun fait de ce genre ne prend une date particulière dans le nombre. Mais bien sou- vent aussi nous pûmes poursuivre impunément notre 30 œuvre. La poursuite du grand secret, la recherche de la cachette, dura tout l'hiver que je passai à la petite classe. Le mur de Timpasse fut notablement dé- 104 LECTURES FRANÇAISES. gradé. Mais nous n^arrivâmes qu^à des traverses de bois devant lesquelles il fallait s^arrêter. On chercha ailleurs^ on fouilla dans vingt endroits différents, tou- jours sans obtenir le moindre succès, toujours sans perdre Tespérance. 5 Un jour nous imaginâmes de chercher sur les toits quelque fenêtre en mansarde qui fût comme la clef supérieure du monde souterrain. Il y avait beau- coup de ces fenêtres dont nous ne savions pas la destination. Sous les combles existait une petite lo chambre où Ton allait étudier un des trente pianos épars dans l^établissement. Chaque jour on avait une heure pour cette étude, dont fort peu d^entre nous se souciaient. L^heure du piano était donc tous les jours Theure des aventures, sans préjudice de 15 celles du soir. On se donnait rendez-vous dans une de ces chambres éparses, et de là on partait. Nous voilà sur les toits. Sauter par la fenêtre, c^était plus imprudent que difficile, et le danger nous stimulait, loin de nous retenir. 20 Nous étions là depuis une heure, lorsque nous nous demandâmes comment nous reviendrions sur nos pas. La disposition des toits nous avait permis de descen- dre et de sauter de haut en bas. Kemonter n^était pas aussi facile. Je crois môme que sans échelle 25 c^était complètement impossible. Nous ne savions plus guère oii nous étions. Enfin nous reconnûmes la fenêtre d^me pensionnaire, Sidonie Macdonald. On pouvait y atteindre en faisant un dernier saut. Celui-là était plus périlleux que les autres. J^y mis 30 trop de précipitation, et donnai du talon dans une croisée horizontale qui éclairait une gallerie, et par la- quelle je fusse tombée de trente pieds de haut dan§ AU COUVEKT. 105 les environs de la petite classe, si le hasard ne m^eût fait dévier un peu. J^en fus quitte pour deux genoux écorchés sur les tuiles ; mais ce ne fut point là Tob- jet de ma préoccupation. Mon talon avait enfoncé 5 une partie du châssis de cette maudite fenêtre et brisé une demi-douzaine de vitres, qui tombèrent avec un fracas épouvantable à Fintérieure, tout près de Feutrée des cuisines. Aussitôt une grande rumeur s^élève parmi les sœurs converses, et, par Touverture loque je viens de faire, nous entendons la voix de la sœur Thérèse qui crie aux chats et qui accuse Whis- key, le maître matou de la mère Alippe, de se pren- dre de querelle avec tous ses confrères et de briser toutes les vitres de la maison. Mais la sœur Marie 15 défendait les mœurs du chat, et la sœur Hélène as- surait qu'une cheminée venait de s'écrouler sur les toits. Ce débat nous causa ce fou rire nerveux chez les petites filles que rien ne peut arrêter. Nous en- tendions monter les escaliers, nous allions être sur- 20 prises en flagrant délit de promenade sur les toits, et nous ne pouvions pas faire un pas pour chercher un refuge. Fanelly était couchée tout de son long dans la gouttière ; une autre cherchait son peigne. Quant à moi, j'étais bien autrement empêchée. Je venais 25 de découvrir qu'un de mes souliers avait quitté mon pied, qu'il avait traversé le châssis brisé, et qu'il était allé tomber à l'entrée des cuisines. J'avais les genoux en sang, mais le fou rire était si violent que je ne pouvais articuler un mot, et que je montrais mon pied 30 déchaussé en indiquant l'aventure par signes. Ce fut une nouvelle explosion de rires, et cependant l'alarme était donnée, les sœurs converses approchaient. Bientôt nous nous rassurâmes. Là où nous étions 106 LECTURES FRANÇAISES. cachées par des toits il n^était guère possible de nous découvrir sans monter par une échelle à la fenêtre brisée, ou sans suivre le même chemin que nous avions pris. Aussi, quand nous eûmes reconnu l'a- vantage de notre position, commençâmes-nous à faire 5 entendre des miaulements afin que Whiskey et sa fa- mille fussent atteints et convaincus à notre place. Puis nous gagnâmes la fenêtre de Sidonie, qui nous reçut fort mal. La pauvre enfant étudiait son piano. Elle était maladive et nerveuse, fort douce, et inca- lo pable de comprendre le plaisir que nous pouvions trouver à courir les toits. Quand elle nous entendit débusquer en masse par sa fenêtre, à laquelle, en jou- ant du piano, elle tournait le dos, elle jeta des cris perçants. Nous ne prîmes guère le temps de la ras- 15 surer. Ses cris allaient attirer les nonnes, nous nous élançâmes dans sa chambre, gagnant la porte avec précipitation, tandis que debout, tremblante, elle vo- yait défiler cette étrange procession sans pouvoir re- connaître aucune de nous, tant elle était effarée. 20 Quant à moi, il me fallait aller à la recherche de mon soulier, et reprendre cette pièce de conviction s'il en était temps encore. Je parvins à ne pas rencontrer les sœurs converses et à trouver Feutrée des cuisines libre ; et, en effet, je retrouvai le soulier fortuné, 25 qui était venu tomber dans un endroit sombre et qui n'avait frappé les regards de personne. Whiskey seul fut accusé. J'eus grand mal aux genoux pendant quelques jours, mais les explorations ne furent pas ralenties. 30 GrEQUaE SaI^P. MOlSr PEEMIER VOYAGE A PARIS. 107 MON PEEMIEK VOYAGE À PARIS. Uk samedi du mois de novembre M. Lefèvre nous annonça un de ses voyages mensuels à Paris. Pres- que en même temps^ à la fin du dîner^ la cuisinière entra et annonça qu^un de mes amis me demandait. 5 Je sortis. C^était Paillet, mon ancien maître clerc ; comme moi il avait quitté maître Mennesson. Il habi- tait momentanément sa ferme de Vez. Paillet était venu à cheval^ pour savoir le prix des grains, je crois. Nous allâmes faire un tour du côté 10 des remparts. J^étais en train de lui conter toutes mes douleurs, quand tout à coup je me frappai le front. — Ah ! mon cher, m^écriai-je, une idée ! — Laquelle ? 15 — Allons passer trois jours à Paris. — Et ton étude? — M. Lefèvre part lui-même demain pour Paris ; il reste habituellement deux ou trois jours dehors ; dans deux ou trois jours nous serons revenus. 20 Paillet fouilla dans ses poches et en tira vingt-huit francs. — Voilà, dit-il, tout ce que je possède ; et toi ? — Moi, j^ai sept francs. — Vingt-huit et sept, trente-cinq ! Comment veux- 25tu que nous allions à Paris avec cela? Nous avons déjà pour trente francs de voiture, rien qu^à aller et revenir. 108 LECTURES FRANÇAISES. — Attends donc, j^ai un moyen... — Lequel ? — Tu as ton cheval ? — Oui. — Nous mettons nos habits dans un portemanteau, 5 nous prenons nos vestes de chasse et nos fusils, et nous nous en allons en chassant ; en route nous man- geons le gibier, et nous ne dépensons rien. — Comment cela? — O^est bien simple : d^ici à Dammartin, n^est-ce lo pas, nous tuons un lièvre, deux perdrix, et une caille? — J^espère que nous tuerons mieux que cela. — Moi aussi, je Tespère bien, mais je cote au plus bas. Nous arrivons à Dammartin, nous faisons rôtir la derrière de notre lièvre, nous buvons, nous man-15 geons. — Et après ? — Après? Nous payons notre vin, notre pain, et notre assaisonnement avec les deux perdrix, et nous donnons la caille pour boire au garçon. 20 — Mais pour qui nous prendra-t-on ? — Pardieu ! pour des écoliers en vacances. — Mais nous n^avons qu\in fusil ! — C^est-ce qu^il nous faut ; un seul de nous deux chasse, Tautre le suit à cheval ; de cette façon, il y a 25 seize lieues d^ici à Paris, cela ne nous en fait que huit à chacun. — Et les gardes champêtres ? — Ah ! le bel empêchement ! Celui de nous deux qui est à cheval les aperçoit de loin ; il en prévient 30 celui qui chasse. Le cavalier descend de son cheval, le chasseur y monte, et avec un temps de galop sort du terroir. Quant au cavalier^ le garde champêtre MON PREMIER VOYAGE 1 PARIS. 109 vient à lui^ et le trouve cheminant^ les mains dans ses poches. ^* — Que faites- vous là, monsieur? — Moi? Je me promène. — Tout à Theure vous étiez achevai. — Oui. — Et maintenant vous êtes à pied. — Oui. 5 Est-ce donc défendu, après qu^on s^est promené à cheval, de se promener à pied ? — Non, mais vous n^étiez pas seul. — C^est possible. — Votre compagnon chassait. — Croyez-vous ? — Parbleu ! le voilà là-bas à cheval avec son fusil. — Mon cher monsieur, s^il est lo là-bas avec son fusil, courez après lui, et tâchez de Tarréter. — Mais je ne peux pas courir après lui et Tarrêter, puisqu^il est à cheval, et que je suis à pied. — En ce cas, vous ferez mieux, mon ami, d^aller jusqu^au premier village et de boire une bouteille à /5 notre santé/^ Toi ou moi, nous allongeons au brave homme une pièce de vingt sous ; le garde champêtre nous tire sa révérence, s'en va boire à notre santé, et nous continuons notre chemin. — Tiens ! tiens ! tiens ! dit Paillet, ce n'est pas 2omal imaginé cela. On m'a dit que tu faisais des pièces ? Je poussai un soupir. — C'est justement pour aller demander à de Leu- ven des nouvelles des pièces que j'ai faites que je 25 veux aller à Paris. Eh bien, une fois à Paris... - — Oh ! interrompit Paillet, une fois à Paris, j'ai un petit hôtel, rue des Vieux- Augustins, où je de- scends d'habitude, et où l'on me connaît; une fois à Paris, je ne suis donc pas inquiet. 30 — Alors, est-ce dit ? — Ma foi, oui ! Ce sera drôle. — Partous-nous pour Paris ? — Nous partons. 110 LECTURES FRANÇAISES. — Eh bien, alors, au lieu de partir demain, par- tons ce soir î Nous irons coucher à Ermenonville, et, demain soir, en partant de bon matin d^Ermeuon- ville, nous pouvons être à Paris. Nous rentrâmes : Paillet à Thôtel pour faire seller 5 son cheval ; moi, chez maître Lefèvre, pour prendre mon fusil, et m^habiller en chasseur ; après quoi j^allai, mon fusil sur Tépaule, attendre Paillet à Textremité de la ville. Paillet parut bientôt. Il était trop tard pour 10 chasser ; nous ne songeâmes tous deux qu^à gagner du pays. Je sautai en croupe. Deux heures après, nous étions à Ermenonville. Une omelette, une bouteille de vin, et pain à discré- tion constituèrent notre souper. Le lendemain, 15 notre compte, cheval compris, se montait à six francs; restaient vingt-neuf. Nous nous regardâmes, Paillet et moi, d^un air qui voulait dire : Hein ! comme cela s'en va, Fargent ! Et nous nous remîmes en route, piquant droit sur 20 Dammartin où nous devions déjeuner. Mais le dé- jeuner ne nous inquiétait pas ; il était dans le canon de notre fusil, et nous saurions bien l'en faire sortir. C'était une terre très-giboyeuse et parfaitement 25 gardée que celle d'Ermenonville ; aussi, à peine eûmes-nous fait un quart de lieue, qu'en six coups de fusil j'avais tué deux lièvres et trois perdrix. Je dois l'avouer en toute humilité, ces deux lièvres et ces trois perdrix appartenaient à M. de Girardin-30 Brégy. Aussi, comme mon chien apportait la troi- sième perdrix, Paillet donna-t-il le signal convenu. Le garde champêtre apparaissait à l'horizon. En un MÔK PBEMIER VOYAGE 1 PARIS. 111 instant, je fus à cheval, emportant avec moi les pièces de conviction. Le dialogue entre Paillet et le garde champêtre fut long et animé ; mais il se termina comme je Tavais 5 prévu. Paillet tira majestueusement une pièce de vingt sous de la bourse commune, et le total des dépenses fut porté à sept francs. Là était la perte ; mais comme profit nous avions deux lièvres et trois perdrix. lo Paillet me rejoignit, je restai à cheval, et il se mit en chasse à son tour. Nous alternâmes ainsi. A dix heures du matin, nous étions à Dammartin avec trois lièvres et huit perdrix. Sur deux gardes cham- pêtres qui nous avaient abordés de nouveau, Tun i:5 avait majestueusement refusé les vingt sous, l^autre les avait bassement acceptés. Nos fonds étaient donc réduits à vingt-sept francs. Mais nous avions fait plus de la moitié du chemin ; mais nous avions trois lièvres et huit perdrix ! 2o Comme je Tavais prévu, nous en fûmes quittes pour un lièvre et trois perdrix, et encore fûmes-nous généreux. A onze heures nous nous remettions en route, et nous marchions en droite ligne sur Paris, où nous entrâmes à dix heures et demie du soir, 25 moi à pied, Paillet à cheval, avec quatre lièvres, douze perdrix, et deux cailles. En arrivant à Fhôtel des Vieux- Augustins, Paillet se fit reconnaître et posa ses conditions. Il s'agissait, dit-il à notre hôte, d^un pari considérable que nous 30 avions fait avec des Anglais. Nous avions parié d^aller à Paris, et d^en revenir, sans dépenser un sou. Moyennant nos quatre lièvres, nos douze perdrix, et nos deux cailles, notre hôte s'engageait à nous nour- 113 LECTUBES FRAKÇAISES. rir et à nous coucher deux jours et deux nuits, nous, notre cheval, et notre chien. En outre, au départ, il devait^ nous munir d^un pâté et d^une bouteille de vin. A ces conditions, notre hôte déclara qu^il fai- sait une bonne affaire, et nous offrit un certificat par 5 lequel il attesterait que, chez lui du moins, nous n^avions pas dépensé un sou. Nous le remerciâmes en lui disant que nos Anglais nous croiraient sur parole. Nous avions dépensé un peu moins du tiers de notre avoir ; mais nous étions arrivés, et nous avions 10 la table et le lit assurés pour quarante-huit heures. Malgré la fatigue de la journée, je dormis mal ; j^étais à Paris ! Le lendemain, je m^éveillai à sept heures. En un tour de main je fus prêt. Je me mis en 15 route. Paillet avait ses affaires ; moi, j^avais les miennes. Je m'arrêtai devant le Théâtre-Français, et je vis sur l'affiche : DEMAIN LUNDI. 20 Sylla. TRAGÉDIE Eî^ CIN^Q ACTES, EK YEKS, PAR M. DE JOUAY. Je jurai bien que, d'une façon ou de Tautre, dussé- je porter atteinte à la bourse commune, je verrais 25 Sylla; d'autant plus qu'on lisait en grosses lettres sur l'affiche : M, Tahna remplira le rôle de Sylla, Cependant, comme mieux valait y aller par l'entre- mise d'Adolphe, je m'informais immédiatement du gisement de la rue Pigalle, et je me mis en route. 30 MOK PREMIER VOYAGE À PARIS. 113 Après bien des tours et des détours^ farrivai à mon but vers neuf heures du matin. Adolphe n^était pas encore levé ; mais son père se promenait dans le jardin. J^allai à lui. Il s^arrêta. 5 — Eh bien, me dit-il, vous voilà donc à Paris ? — Oui^ monsieur de Leuven. — Pour longtemps ? — Pour deux jours. — Que venez-vous faire? lo — Je viens voir deux personnes : Adolphe et Talma. — Ah ça ! Vous êtes donc devenu millionnaire^ que vous faites de pareilles folies ? Je racontai à M. de Leuven la façon dont nous 15 avions fait la route^ Paillet et moi. Il me regarda un instant. — Vous arriverez^ vous^ me dit-il^ vous avez de la volonté. Allons, courez éveiller Adolphe ; il vous conduira chez Talma, qui vous donnera des billets ; 20 puis vous reviendrez déjeuner ici. Adol23lie se leva et s^habilla. A onze heures nous sonnions à la porte de Talma. Talma était à sa toi- lette ; mais Adolphe était un familier de la maison ; on rintroduisit. J'entrai tout naturellement derrière 25 Adolphe. Talma avait la vue très-courte ; je ne sais pas s'il me vit ou s'il ne me vit pas. De Leuven lui exposa notre demande ; Talma prit une plume et nous signa deux places. Alors Adolphe lui dit qui j'étais. A cette époque, j'étais le fils du 30 général Alexandre Dumas, c'était tout ; mais, enfin, c'était déjà quelque chose. D'ailleurs, Talma se rap- pelait avoir rencontré mon père. Il me tendit la main. J'avais grande envie de la lui baiser. Avec 114 LECTURES FRANÇAISES, mes idées du théâtre^ Talma était un dieu pour moi. Tout rhonneur fut pour moi, Talma ! moi, je sa- vais le passé ; toi, tu ne pouvais deviner Tavenir. * * * La toile tomba au milieu d^immenses bravos. J^é- 5 tais étourdi, ébloui, fasciné. Adolphe me proposa d'aller remercier Talma dans sa loge. Je le suivis à travers cet inextricable dédale de corridors qui se tor- dent dans rintérieur du Théâtre-Français. Adolphe poussa une porte. La loge du grand artiste s'ouvrit ; 10 elle était pleine d^hommes que je ne connaissais pas, et qui tous avaient un nom ou devaient en avoir un. Je restai à la porte, bien humble, bien rougissant. — Talma, dit Adolphe, c'est nous qui venons vous remercier. 15 Talma me chercha des yeux ; il m'aperçut contre la porte. — Ah ! ah ! dit-il, avancez donc ! Je fis deux pas vers lui. — Eh bien, dit-il, monsieur le poète, êtes-vous con- 20 tent? — Je suis mieux que cela, monsieur, je suis émer- veillé ! — Eh bien, il faut revenir me voir, et me redeman- der d'autres places. 25 — Hélas, monsieur Talma, je quitte Paris demain ou après-demain au plus tard. — Comment ! vous ne pouvez rester jusqu'à après- demain au soir ? — Impossible ! il faut que je retourne en province. 30 — Que faites- vous en province ? MOX PREMIER VOYAGE A PARIS. 115 — Je n'ose pas vous le dire. Je suis clerc de notaire. — Bah ! dit Talma^ il ne faut pas désespérer pour cela ! Corneille était clerc de procureur ! Messieurs, 5 je vous présente un futur Corneille ! Je rougis jusqu'aux yeux. — Touchez-moi le f ront^ dis- je à Talma, cela me portera bonheur. Talma me posa la main sur la tête, lo — Allons, soit! dit-il. Alexandre Dumas, je te baptise poète au nom de Shakespeare, de Corneille, et de Schiller !... Retourne en province, rentre dans ton étude, et, si tu as véritablement la vocation, Fange de la poésie saura bien aller te chercher où tu seras, et 15 Rapporter là où tu auras affaire. Je pris la main de Talma, que je cherchais à baiser. — Allons, allons ! dit-il, ce garçon-là a de Tenthou- siasme, on en fera quelque chose. Et il me secoua cordialement la main. 20 Je n'avais plus rien à faire là. Une plus longue station dans cette loge pleine de célébrités eût été embarrassante et ridicule ; je fis un signe à ilidolphe, et nous sortîmes. J'aurais volontiers sauté au cou d'Adolphe dans le 25 corridor. — Oh ! oui, lui dis-je, soyez tranquille ; je viendrai à Paris, je vous en réponds ! Nous descendîmes par le petit escalier tournant, et nous nous trouvâmes sur la place du Palais-Eoyal. 30 — Là, maintenant, dit Adolphe, vous savez votre chemin. Bonsoir, je vous quitte ; il est tard, et il y a loin d'ici à la rue Pigalle. Et Adolphe tourna le coin et disparut. Il était 116 LECTURES FRANÇAISES. tard^ en effet ; tout était éteint^ et quelques rares pas- sants attardés traversaient la place du Palais-Eoyal. Quoi qu'en eût dit Adolphe, je ne savais pas du tout mon chemin, aussi fus-je très embarrassé quand je me trouvai seul. Puis, il faut bien que je Favoue, 5 j'étais assez inquiet de me trouver dans les rues de Paris à une heure si avancée ; j^avais entendu racon- ter une foule d^attaques nocturnes, de vols et d'assas- sinats, et, avec mes cinquante sous dans ma poche, je tremblais. 10 Il y eut alors dans mon âme un combat entre le courage et la crainte. La crainte l'emporta. J'ap- pelai un fiacre. Le fiacre vint à moi, j'ouvris la por- tière. — Monsieur sait qu^il est minuit passé ? me dit le 15 cocher. — Je le sais, répondis-je. Et tout bas : — C^est bien pour cela que je prends un fiacre, ajoutai-je. — Où va notre bourgeois ? — Eue des Vieux-Augustins, hôtel des Vieux- Au- 20 gustins. — Hein ! fit le cocher. Je répétai. — Monsieur est bien sûr que c^est là qu^il veut aller? 25 — Parbleu ! — En ce cas, en route ! Et il mit ses chevaux au galop. Vingt secondes après, il s'arrêta, descendit de son siège, et vint m^ou- vrir la portière. 30 — Eh bien? lui demandai-je. — Eh bien, nous sommes arrivés : rue des Vieux- Augustins, hôtel des Vieux- Augustins. MOK PREMIER VOYAGE À PARIS. 117 Je compris alors Tétonnement du cocher en voyant un grand gaillard de vingt ans, qui ne paraissait nullement paralysé, prendre un fiacre à la place du Palais-Eoyal pour aller rue des Vieux-Augustins. 5 Mais comme il eût été trop ridicule d^avouer que j%norais la distance qui séparait les deux localités : — C^est bien, lui dis- je d^une voix ferme. Combien vous dois-je ? — C^est cinquante sous. 10 — Cinquante sous, m^écriai-je, désespéré d^avoir fait si inutilement une pareille dépense. — C'est le tarif. — Cinquante sous pour venir du Palais-Royal ici ? — J^ai prévenu monsieur qu'il était minuit passé. 15 — Tenez, dis-je, voici vos cinquante sous. J^avais un profond remords d^avoir dilapidé mon argent, surtout en songeant que, Paillet n^eût-il rien dépensé de son côté, il ne nous restait plus que vingt francs cinquante centimes. 2o Paillet avait été à Popéra, et avait dépensé huit francs dix sous. Il nous restait douze francs. Nous nous regardâmes avec un certain inquiétude. — Ecoute, me dit-il, tu as vu Talma ; moi, j^ai en- tendu la Lampe merveilleuse ; c'est tout ce que tu 25 désirais voir, c'est tout ce que je désirais entendre ; si tu m'en crois, au lieu de partir après-demain, nous partirons demain. — C'est justement ce que j'allais te proposer. — Eh bien, ne perdons pas de temps. Il est une 30 heure du matin ; dormons le plus vite possible jus- qu'à six heures ; mettons-nous en route, étalions cou- cher, si nous pouvons, à Nanteuil. — Bonsoir, 118 LECTURES FRANÇAISES. — Bonsoir. Le lendemain, ou plutôt le même jour, à huit heures, nous avions dépassé la Villette; à trois heures nous dînions à Dammartin ; à sept heures, nous sou- pions à Nanteuil, et, le mercredi, à une heure, chargé 5 de deux lièvres et de six perdrix, nous entrions à Crépy, en donnant nos derniers vingt sous à un pauvre. Nous nous séparâmes, Paillet et moi, à Feutrée de la grande place. Je rentrai chez maître Lefèvre par Tallée, et je montais à ma chambre pour faire un 10 changement de toilette. Je demandai des nouvelles de M. Lefèvre. M. Lefèvre était revenu dans la nuit. Je donnai mon gibier à la cuisinière, je rentrai dans l'étude, et je me glissai à ma place. Mes trois 15 compagnons d^étude étaient chacun à la sienne. Je m^informai si M. Lefèvre avait fait quelque ques- tion à mon endroit. M. Lefèvre avait demandé où j'étais ; ces messieurs avaient répondu qu^ils Fignoraient, et tout s^était2o borné là. L'heure du dîner arriva. Nous nous mîmes à table ; tout se passa comme d'habitude ; seulement, après le dîner, comme je me levais pour me retirer: — Monsieur Dumas, me dit M. Lefèvre, je voudrais 25 causer un instant avec vous. Je compris que Forage approchait, et je résolus de tenir ferme. — Volontiers, monsieur, répondis- je. M. Lefèvre m'indiqua une chaise en face de son 30 fauteuil, de l'autre côté de la cheminée. Je m'assis. — Monsieur Dumas, dit-il, en grattant son pied droit avec sa main gauche, ce qui était son h^.bitude MON PREMIEK YOYAGE A PARIS. 119 la plus chérie, monsieur Dumas, avez-vous quelques idées de mécanique ? — Non, en théorie, monsieur ; oui, en pratique. — Eh bien, cela suffira pour que vous compreniez 5 ma démonstration. — J^écoute, monsieur. — Monsieur Dumas, pour qu^ane machine, quelle qu^elle soit, fonctionne régulièrement, il faut qu^au- cun de ses rouages ne s^arrête. lo — C'est évident, monsieur. — Eh bien, monsieur Dumas, je ne vous dis pas davantage ; je suis le mécanicien, vous êtes une des roues de la machine ; voilà deux jours que vous vous êtes arrêté, et voilà, par conséquent, deux jours que 15 votre coopération individuelle manque au mouvement général. Je me levai. — Très-bien, monsieur, lui dis- je. — Au reste, ajouta M. Lef èvre d'un ton un peu 20 moins dogmatique, l'avertissement n'est que provisoire. — Vous êtes trop bon, monsieur ; je le prends, moi, pour définitif. — Oh ! alors, dit M. Lef èvre, c'est encore mieux. Je saluai gracieusement M. Lefèvre, et je me 25 retirai dans ma chambre. C'était une grande résolution prise ; c'était un grand dessein arrêté ; désormais, mon avenir était à Paris, et j'étais décidé à tout faire au monde pour quitter la province. Alexandre Dumas. 130 LECTUKES FRANÇAISES. LA FUITE DE VAEENNES. Le roi et la reine, comme à Fordinaire, admirent à leur coucher les personnes qui avaient l'habitude de leur faire leur cour à cette heure. Ils ne congédiè- rent pas leur domesticité plus tôt que les autres jours. Mais aussitôt qu'ils furent laissés seuls, ils s'habille- 5 rent de nouveau. Ils revêtirent des costumes de vo- yage très-simples et conformes au rôle que chacun des fugitifs devait affecter. Ils se réunirent avec ma- dame Elisabeth et leurs enfants dans la chambre de la reine, ils gagnèrent de là, par une communication 10 secrète, l'appartement du duc de Villequier, et sorti- rent du palais par groupes séparés à un certain inter- valle de temps les uns des autres, pour ne pas attirer l'attention des sentinelles des cours par un rassemble- ment de tant de personnes à la fois. A la faveur du 15 mouvement de gens à pied ou en voiture qui sortaient à cette heure du château, après le coucher du roi, et que M. de Fersen avait en soin, sans doute, de multi- plier ce soir-là, ils parvinrent sans avoir été reconnus jusqu'au Carrousel. La reine donnait le bras à un 20 des gardes du corps et menait madame Royale par la main. En traversant le Carrousel, elle rencontra M. de La Fayette, suivi d'un ou deux officiers de son état-major, qui entrait aux Tuileries pour s'assurer par lui-même que les mesures provoquées par les ré- 25 vélations de la journée étaient bien prises. Elle fris- sonna en reconnaissant l'homme qui représentait à, LA FUITE DE YARENN^ES. 121 ses yeux Tinsurrection et la captivité ; mais, en échap- pant à son regard, elle crut avoir échappé à la nation même. Madame Elisabeth, appuyée aussi sur le bras d^un des gardes, suivait à quelque distance. Le roi 5 avait voulu sortir le dernier avec le dauphin, âge de sept ans. Le comte de Fersen, déguisé en cocher, marchait un peu plus loin devant le roi et lui servait de guide. Le rendez-vous de la famille royale était sur le quai des Théatins, où deux voitures bourgeoises 10 attendaient les voyageurs. Les femmes de la reine et la marquise de Tourzel les y avaient devancés. Dans le trouble d^une fuite si hasardeuse et si com- pliquée, la reine et son guide traversèrent le Pont- Koyal et s^enfoncèrent un instant dans la rue du Bac. 15 S'apercevant de son erreur, Tinquiétude la saisit, elle revint précipitamment sur ses pas. Le roi et son fils, obligés de venir au même endroit par des rues détour- nées et par un autre pont, tardèrent une demi-heure. Ce fut un siècle pour sa femme et pour sa sœur. En- 2ofin ils arrivèrent, ils se précipitèrent dans la première voiture ; le comte de Fersen monta sur le siège, saisit les rênes, et conduisit lui-même la famille royale jus- qu^à Bondy, premier relais de poste entre Paris et Châlons. Là on trouva tout attelés, par les soins du 25 comte, la berline construite pour le roi et un cabriolet de suite. Les deux femmes de la reine et un des gar- des du corps déguisés montèrent dans le cabriolet ; le roi, la reine, le dauphin, madame Eoyale, madame Elisabeth, la marquise de Tourzel, dans la berline. 30 Deux gardes du corps s'assirent, Tun devant, Tautre derrière. Le comte de Fersen baisa les mains du roi et de la reine, les confia à la Providence, et regagna Paris, d'où il partit la même nuit par une autre route 122 LECTUEES FRANÇAISES. pour Bruxelles^, afin de rejoindre la famille royale plus tard. A la même heure, Monsieur, frère du roi, comte de Provence, partit aussi du Palais du Luxembourg pour Bruxelles, où. il arriva sans être reconnu. * * * Les voitures du roi roulaient sur la route de Châ- 5 Ions ; les relais de hait chevaux étaient commandés à toutes les postes, un moment d'avance. Cette quan- tité de chevaux, la grandeur et la forme remarquable de la berline, le nombre des voyageurs qui en occu- paient rintérieure, les gardes du corps, dont la livrée 10 s'accordait mal avec leur noble physionomie et leur attitude militaire, cette figure bourbonienne de Louis XVI assis au fond, dans le coin de la voiture, et qui contrastait avec le rôle de valet de chambre qu^avait emprunté le roi, toutes ces circonstances étaient de 15 nature à éveiller les soupçons sur la route et à com- promettre le salut de la famille royale. Mais le passe- port du ministre des affaires étrangères répondait à tout. Ce passeport était ainsi conçu: ^^De par le roi, mandons de laisser passer madame la baronne 20 Korf se rendant à Francfort avec ses deux enfants, une femme, un valet de chambre, et trois domesti- ques ;'^ et plus bas : " Le ministre des affaires étran- gères, Montmorin/^ Ce nom étranger, ce titre de baronne allemande, Fopulence proverbiale des ban- 25 quiers de Francfort, tout avait été bien calculé par le comte de Fersen pour pallier ce que le cortège royal avait de trop suspect et de trop inusité. En effet, rien n'excita Témotion publique, et rien ne ralentit la course jusqu^à Montmirail, petite ville entre Meaux et 30 Châlons. Là, une réparation à faire à la berline sus- LA FUITE DE YAKEN'NES. 123 pendit d^me heure le départ du roi. Ce retard d\ine heure, pendant lequel la fuite du monarque pouvait être découverte aux Tuileries, et des courriers lancés sur sa trace, consterna les fugitifs. Cependant la 5 voiture fut promptement réparée, et les voyageurs repartirent, sans se douter que cette heure perdue coûtait peut-être la liberté et la vie à quatre person- nes sur cinq qui composaient la famille royale. Ils étaient pleins de sécurité et de confiance. loL^heureux succès de leur évasion du château, la ponc- tualité des relais jusque-là, la solitude des routes. Tin- attention des villes et des villages qu^ils étaient obli- gés de traverser, tout leur soulageait le cœur. Ils entrèrent à Châlons sons ces heureux auspices. C^é- 15 tait la seule grande ville qu^ils eussent à traverser. Il était trois heures et demie de Taprès-midi. Quel- ques oisifs se groupaient autour des voitures pendant qu^on changeait les chevaux. Le roi se montra un peu imprudemment à la portière, il fut reconnu du 20 maître de poste. Mais ce brave homme sentit qu^il avait la vie de son souverain dans un regard ou dans un geste d^étonnement ; il refoula son émotion dans son âme ; il détourna Tattention de la foule, aida lui- même à atteler les chevaux à la voiture du roi, et 25 pressa les postillons de partir. Le sang du roi ne tacha pas cet homme parmi tout ce peuple. La voiture roula hors des portes de Châlons. Le roi, la reine, madame Elisabeth dirent à la fois : ^^Nous sommes sauvés!'^ En effet, après Châlons, soie- salut du roi n^appartenait plus au hasard, mais à la prudence et à la force. Le premier relais était à Pont-Sommeville. En vertu des dispositions de M. de Bouille, M. de Choiseul et M. de Goguelas, à la 124 LECTURES FRAÎÎ^ÇAISES. tête d^un détachement de cinquante hussards, de- vaient s^y trouver pour protéger le roi au besoin, et se replier derrière lui. Le roi se croyait sûr de trou- ver là des amis dévoués et armés ; il ne trouva per- sonne. Le peuple semblait inquiet et agité; il rôdait 5 en murmurant autour des voitures ; il examinait d^un regard soupçonneux les voyageurs. Néanmoins^ per- sonne n^osa s^opposer au départ, et le roi arriva à sept heures et demie du soir à Sainte-Menehould. Dans cette saison de Tannée il faisait encore grand jour. 10 Inquiet d^avoir passé deux des relais assignés sans y trouver les escortes convenues, le roi, par un mouve- ment naturel, mit la tête à la portière pour chercher dans la foule un regard d'intelligence ou un officier affldé qui lui révélât le motif de cette absence des 15 détachements. Ce mouvement le perdit. Le fils du maître de poste, Drouet, reconnut le roi, qu'il n'avait jamais vu, à sa ressemblance avec l'effigie de Louis XVI sur les pièces de monnaie. Néanmoins, comme les voitures étaient déjà atte- 20 lées, les postillons à cheval, et la ville occupée par un détachement de dragons qui pouvait forcer le pas- sage, ce jeune homme n'osa pas entreprendre d'arrê- ter seul les voitures dans cet endroit. * * Le commandant du détachement de dragons, qui 25 épiait en se promenant sur la place, avait reconnu également les voitures royales au signalement qu'on lui en avait remis. Il voulut faire monter la troupe à cheval, pour suivre le roi ; mais les gardes nationa- les de Sainte-Menehould, rapidement instruites de la 30 ressemblance des voyageurs avec les portraits de la LA FUITE DE YAREKKES. 125 famille royale, enveloppèrent la caserne, fermèrent la porte des écuries, et s^opposèrent au départ des dra- gons. Pendant ce mouvement rapide et instinctive du peuple, le fils du maître de poste sellait son meil- 5 leur cheval et partait à toute bride pour devancer à Varennes Tarrivée des voitures, dénoncer ses soupçons à la municipalité de cette ville, et provoquer les pa- triotes à Tarrestation du monarque. Pendant que cet homme galopait sur la route de Varennes, le roi, dont loil portait la destinée, poursuivait, sans défiance, sa course vers cette même ville. Drouet était sûr de devancer le roi, car la route de Sainte-Menehould à Varennes décrit un angle considérable et va passer par Olermont, où se trouve un relais intermédiaire, 15 tandis que le chemin direct, tracé seulement pour les piétons et les cavaliers, évite Olermont, aboutit direc- tement à Varennes,^ et accourcit ainsi de quatre lieues la distance entre cette ville et Sainte-Menehould. Drouet donc avait des heures devant lui, et la perte 20 courait plus vite que le salut. Cependant la mort courait aussi derrière Drouet et menaçait à son insu les jours de cet homme pendant que lui-même mena- çait, à rinsu du roi, les jours de son souverain. Un maréchal-des-logis des dragons enfermés dans la 25 caserne de Sainte-Menehould avait seul trouvé moyen de monter à cheval et d^échapper à la surveillance du peuple. Instruit par son commandant du départ précipité de Drouet, et en soupçonnant le motif, il s^était élancé à sa poursuite sur la route de Varennes, 30 sûr de Tatteindre et résolu de le tuer. Pi le suivit en effet à vue, mais toujours à distance, pour ne pas ex- citer ses soupçons et pour Rapprocher insensiblement et le joindre enfin dans un moment favorable et dans 126 LECTURES FRANÇAISES. un endroit isolé de la route. Drouet^ qui s^était re- tourné plusieurs fois pour voir s''il n^était pas pour- suivi, avait aperçu ce cavalier et compris ce manège ; né dans le pays et en connaissant tous les sentiers, il se jette tout à coup hors de la route à travers champs, 5 et, à la faveur d'un bois ou il s'enfonce avec son che- val, il échappe à la vue du maréchal-des-logis et pour- suit à toute bride sa course sur Varennes. Arrivé à Clermont, le roi est reconnu par le comte Charles de Damas qui l'attendait à la tête de deux es- 10 cadrons. Sans mettre obstacle au départ des voitures, la municipalité de Clermont, en proie à de vagues soupçons par le séjour prolongé des troupes, ordonne aux dragons de ne pas marcher. Ils obéissent au peuple. Le comte de Damas, abandonné de ses esca- 15 drons, trouve moyen de s'évader avec un sous-officier et trois dragons seulement, et galope vers Varennes à quelque distance du roi : trop faible ou trop tardif secours. La famille royale, enfermée dans la berline et vo-20 yant que rien ne mettait obstacle à sa marche, igno- rait ces sinistres incidents. Il était onze heures et demie du soir quand les voitures arrivèrent aux pre- mières maisons de la petite ville de Varennes. Tout dormait ou semblait dormir, tout était désert et silen- 25 cieux. 4: La petite ville de Varennes est formée de deux quartiers distincts, ville haute et ville basse, séparés par une rivière et un pont. M. de Goguelas avait placé le relais de l'autre côté du pont. La mesure 30 en elle-même était prudente, puisqu'en cas d'émotion LA FUITE DE VAREKKES. 127 populaire le changement des chevaux et le départ étaient plus faciles une fois le pont franchi ; mais il fallait que le roi en fût averti ; il ne Fêtait pas. Le roi et la reine, vivement agités^ descendent eux- 5 mêmes de voiture et errent une demi-heure dans les rues désertes de la ville haute, cherchant à découvrir le relais. Ils frappent aux portes des maisons où ils voient des lumières^ ils interrogent ; on ne les com- prend pas. Ils reviennent enfin découragés rejoin- ro dre les voitures que les postillons impatientés mena- cent de dételer et d^abandonner. A force dMnstances, d'or et de promesses, ils décident ces hommes à re- monter à cheval et à passer outre. Les voitures re- partent. Les voyageurs se rassurent. La ville haute 15 est traversée sans obstacle. Les maisons fermées re- posent dans le calme le plus trompeur. Quelques hommes seulement veillent, et ces hommes sont car chés et silencieux. Entre la ville haute et la ville basse s'élève une tour 20 à Feutrée du pont qui les sépare. Cette tour pose sur une voûte massive, sombre et étroite, que les voi- tures sont obligées de franchir au pas et ou le moin- dre obstacle peut entraver le passage. Les voitures sont à peine engagées dans Fobscurité de cette voûte 25 que les chevaux, effrayés par une charette renversée et par des obstacles jetés devant leurs pas, s'arrêtent, et que cinq ou six hommes sortant de Fombre, les armes à la main, s'élancent à la tête des chevaux, aux sièges et aux portières des voitures, et ordonnent aux 30 voyageurs de descendre et de venir à la municipalité faire vérifier leurs passeports. L'homme qui com- mandait ainsi à son roi, c'était Drouet. A peine ar- rivé de Sainte-Menehould, il était allé arracher à leur 128 LECTURES PRAKÇAISES. sommeil quelques jeunes patriotes de ses amis^ et leur faire part de ses conjectures. Peu sûrs encore de la réalité de leurs soupçons, ou voulant réserver pour eux seuls la gloire d^arrêter le roi de France, ils n^avaient pas averti la municipalité, éveillé la ville, ni ameuté 5 le peuple. A cette apparition soudaine, à ces cris, à la lueur de ces sabres et de ces baïonnettes, les gardes du corps se lèvent de leurs sièges, portent la main sur leurs armes cachées, et demandent d^un coup d^œil les ordres lo du roi. Le roi leur défend d'employer la force pour lui ouvrir un passage. On retourne les chevaux et on ramène les voitures, escortées par Drouet et ses amis, devant la maison d\in épicier nommé Sausse. Là on fait descendre le roi et la famille pour exami- 15 ner les passeports et constater la réalité des soupçons du peuple. Au même moment les affidés de Drouet se répandent en poussant des cris par toute la ville, frappent aux portes, montent au clocher, sonnent le tocsin. Les habitants, effrayés, s'éveillent ; les gar- 20 des nationaux de la ville et des campagnes voisines arrivent, un à un, à la porte de M. Sausse. En vain le roi commence par nier sa qualité ; ses traits, ceux de la reine le trahissent ; il se nomme alors au maire et aux officiers municipaux ; il prend les mains de M. 25 Sausse: ^^Oui, je suis votre roi, dit-il, et je confie mon sort et celui de ma femme, de ma sœur, de mes enfants à votre fidélité ! Nos vies, le sort de l'em- pire, la paix du royaume, le salut même de la consti- tution sont entre vos mains. Laissez-moi partir ; je 30 ne vais pas vers l'étranger, je ne sors pas du royaume, je vais au milieu d'une partie de mon armée et dans une ville française recouvrer ma liberté réelle, et trai- LA FUITE DE VARENNES. 129 ter de là avec ^Assemblée, dominée comme moi par la terreur de la populace. Je ne vais pas détruire, je vais abriter et garantir la constitution ; si vous me retenez, c'en est fait d'elle, de moi, de la France, peut- 5 être. Je vous conjure comme homme, comme mari, comme père, comme citoyen. Ouvrez-nous la route ! dans une heure nous sommes sauvés ! la France est sauvée avec nous ! '' Ces hommes, attendris, hésitent et semblent vain- 10 eus. Le spectacle de leur roi suppliant qui presse leurs mains dans les siennes, de cette reine tour à tour majestueuse et agenouillée, qui s'efforce, ou parle dé- sespoir ou par la prière, d'arracher de leur bouche le consentement au départ, les bouleverse. Ils céde- 15 raient s'ils n'écoutaient que leur âme, mais ils com- mencent à craindre pour eux-mêmes la responsibilité de leur indulgence. Le peuple leur demandera compte de son roi, la nation de son chef. L'égoïsme les endurcit. La femme de M. Sausse, que son mari 20 consulte souvent du regard, et dans le cœur de la- quelle la reine espère trouver plus d'accès, reste elle- même la plus insensible. Pendant que le roi haran- gue les officiers municipaux, la princesse, assise dans la boutique, montre ses enfants à madame Sausse : 25" Vous êtes mère, lui dit la reine; vous êtes femme ! le sort d'une femme et d'une mère est entre vos mains ! Songez à ce que je dois éprouver pour ces enfants, pour mon mari ! — Madame, répondit sèchement la femme de l'épi- 3ocier, je voudrais vous être utile. Vous pensez au roi, moi je pense à monsieur Sausse. Une femme doit penser à son mari." Tout espoir est détruit, puisqu'il n'y a plus de pitié 130 LECTURES FRANÇAISES. dans le cœur même des femmes. La reine, indignée et furieuse, se retire, avec madame Elisabeth et les enfants, dans deux petites chambres hautes de la maison de madame Sausse. Toutes ses passions, de 5 femme, de mère, de reine, la colère, la terreur, le dé- sespoir, se livrèrent un tel assaut dans son âme que ses cheveux, blonds la veille, furent blancs le lende- main. ^ * * La nuit s^était écoulée à Varennes pour le roi et pour le peuple dans les palpitations de Fespérance et lo de la terreur. Les captifs étaient loin de se désespé- rer encore. Ils ne doutaient pas que M. de Bouille, averti sans doute par quelques-uns des ofïiciers qu^il avait postés sur la route du roi, n^eût marché tout la nuit à leur secours. A chaque instant ils s^atten- 15 daient à le voir paraître, et le moindre mouvement du peuple, le moindre cliquetis d^armes dans les rues de Varennes leur semblaient Tannonce de son arrivée. On pressait les préparatifs du départ, dans la crainte que les troupes de M. de Bouille ne vinssent forcer la 20 ville ou couper la route. Le roi retardait autant qu^il pouvait. Chaque minute gagnée lui donnait une chance de délivrance ; il les disputait une à une à ses gardiens. Au moment de monter en voiture, une des femmes de la reine feignit une indisposition grave et 25 subite. La reine refusa de partir sans elle. Elle ne céda qu^aux menaces de la violence et aux cris du peuple impatient. Elle ne voulut pas qu^on portât les mains sur son fils. Elle le prit dans ses bras, monta en voiture, et le cortège royal, escorté de trois 30 ou quatre mille gardes nationaux, se dirigea lentement vers Paris. h« LA FUITE DE VAREKKES. 131 Le roi captif entrait dans Paris. C^était le 25 juin, à sept heures du soir. La foule s^épaississait sans cesse sur la route du roi. Les passions écrites sur tous les visages étaient contenues par leur violence 5 même. L^indignation et le mépris y dominaient la colère. Le peuple était sinistre et non furieux. Des milliers de regards lançaient la mort dans les voi- tures ; aucune voix ne la proférait. La Journée était brûlante^ un soleil ardent dévorait cette berline où lodix personnes étaient entassées. Des flots de pous- sière, soulevés par les pieds de deux ou trois cent mille spectateurs, étaient le seul voile qui dérobât, de temps en temps, l^humiliation du roi et de la reine à la joie du peuple. L^air manquait à la respiration des vo- is yageurs. Le front des deux enfants ruisselait de sueur. La reine, tremblant pour eux, baissa précipi- tamment un store de la voiture, et, s^adressant à la foule pour ^attendrir: "Voyez, messieurs, dit-elle, dans quel état sont mes pauvres enfants ! nous étouffons ! 2o — Nous t^étoufferons bien autrement/^ lui répon- dirent à demi-voix ces hommes féroces. On plaça des troupes, à rangs épais, sur le boule- vard, depuis la barrière de l'Etoile jusqu^aux Tuile- ries. La garde nationale bordait la haie. Les gardes 25 suisses étaient aussi en bataille ; mais leurs drapeaux ne s^abaissaient plus devant leur maître. Aucun honneur militaire n^était rendu au chef suprême de Tarmée. Les gardes nationaux, appuyés sur leurs armes, ne saluaient pas ; ils regardaient passer le cor- sotège dans Tattitude de la force, de Tindifférence, et du mépris. A. Lamartine. 132 LECTURES FRANÇAISES. DEUX LETTEES. PREMIÈRE LETTRE. Ne t^inquiète donc pas^ chère sœnr^ me voilà arri- vée à Paris sans accident ni fatigue. J^ai dormi quelques heures, j^ai déjeuné d^une tasse de café ; j^ai fait ma toilette, et dans un instant je vais prendre un fiacre et me présenter à M"'^ d^Arglade pour 5 qu^elle me présente à M"'^ de Villemer. Je t^écrirai ce soir le résultat de la solennelle entrevue, mais je veux d^abord jeter ces trois mots à la poste pour que tu sois rassurée sur mon voyage et ma santé. Prends courage avec moi, Camille, tout ira bien ; ic Dieu n^abandonne pas ceux qui comptent sur lui et qui font leur possible pour aider sa douce providence. Ce qu^il y a eu de plus douloureux pour moi dans ma résolution, ce sont tes larmes et celles des chers petits ; j'ai de la peine à retenir les miennes quand j^y pense; 15 mais il le faut absolument, vois-tu ! Je ne pouvais pas rester les bras croisés quand tu as quatre enfants à élever. Puisque j^ai du courage, de la santé, et au- cun autre lien en ce monde que ma tendresse pour toi et pour ces pauvres anges, c^était à moi de partir 20 et de chercher notre vie. J'en viendrai à bout, sois- en sûre. Soutiens-moi au lieu de me regretter et de m^attendrir, voilà tout ce que je demande. Et sur ce, ma sœur chérie, je t'embrasse de toute mon âme, ainsi que nos enfants adorés. Ne les fais pas pleurer 25 DEUX LETTRES. 133 en leur parlant de moi ; mais tâche cependant qu^ils ne m^oublient pas^ cela me ferait bien de la peine. DEUXIÈME LETTRE. Victoire, grande victoire, ma bonne sœur ! me voi- là revenue de chez notre grande dame, et succès in- 5 espéré, tu vas voir. Puisque j^ai encore une soirée de liberté, la dernière probablement, j^en vais profi- ter pour te raconter Fentrevue. Il me semblera que je cause encore avec toi au coin de ton feu, berçant Chariot d^une main et amusant Lilli de Fautre. lo Chers amours, que font-ils en ce moment? Ils ne s^imaginent pas que je suis toute seule dans une triste chambre d^auberge, car, dans la crainte d^étre impor- tune à M.^^ d'Arglade, je suis descendue dans un pe- tit hôtel ; mais je serai très bien chez la marquise, et 15 cette soirée solitaire ne m^est pas mauvaise pour me recueillir et penser à vous autres sans distraction. J^ai très bien fait d^ailleurs de ne pas trop compter sur le gîte qui m^était offert, car M'"^ d^Arglade est absente, et j'ai dû bravement me présenter moi-même à M.^^ 20 de Villemer. Tu m'as recommandé de te faire son portrait : elle a soixante ans environ, mais elle est infirme et sort très-peu de son fauteuil ; cela et sa figure souffrante la font paraître plus âgée de quinze ans. Elle n'a 25 jamais dû être ni belle ni bien faite ; mais sa physio- nomie est expressive et caractérisée. Elle est très brune ; ses yeux sont magnifiques. Elle a le nez droit et tombant trop sur la bouche, qui est laide et qu'on voit encore trop. Cette bouche est dédaigneuse 30 a l'habitude ; cependant toute la figure s'éclaircit et s'humanise quand elle sourit, et elle sourit facilement. 134 LECTURES FRANÇAISES. Ma première impression s'est trouvée d'accord ayec la dernière. Je crois cette dame très bonne par ré- flexion plutôt qne par entraînement, et courageuse plutôt que gaie. Elle a de l'esprit et de l'instruc- tion. Enfin elle ne diffère pas beaucoup du portrait 5 que M"^^ d'Arglade nous avait fait d'elle. Elle était seule quand on nr'a introduite dans sa chambre. Elle m'a fait asseoir près d'elle avec assez de grâce, et voici le résumé de la conversation. *^ Vous m'êtes beaucoup récommandée par M^"^ 10 dMrglade, que j'estime infiniment. Je sais que vous appartenez à une excellente famille, que vous avez des talents, un caractèi'e honorable, et une vie sans tache. J'ai donc le plus grand désir que nous puissions nous entendre et nous convenir. Pour cela, il faut deux 15 choses : l'une, c'est que mes offres vous paraissent sa- tisfaisantes ; l'autre, que notre manière de voir ne soit pas trop opposée, car ce serait la source de contrarié- tés fréquentes. Traitons la première question. Je vous offre douze cents francs par an. 20 — On me l'a dit, madame, et j'ai accepté. — On m'avait dit à moi que vous trouveriez peut- être cela insuffisant ? — Il est vrai que c^est peu pour les besoins de ma situation ; mais madame est juge de la sienne propre, 25 et puisque me voilà... — Parlez franchement ; vous trouvez que ce n'est pas assez ? — Je ne peux pas dire ce mot-là. C'est probable- ment plus que ne valent mes services. 30 — Je ne dis pas cela, moi, et vous, vous le dites par modestie : mais vous craignez que cela ne suflfîse pas à votre entretien ? Soyez tranquille, je me charge de DEUX LETTRES. 135 tout ; vous ne dépenserez chez moi que la toilette, et je n'en exige aucune. Est-ce que vous Tainiez^ la toi- lette ? — Oui, madame^ beaucoup ; mais je m'en abstien- 5 drai^ puisqu'à cet égard vous n'exigez rien." La sincérité de ma réponse parut étonner la mar- quise. Peut-être n'aurais-je pas dû parler spontané- ment comme j'ai l'habitude de le faire. Elle fut un peu de temps avant de se reprendre. Enfin elle se mit 10 à sourire et me dit : ^'^Ah ça! pourquoi aimez-vous la toilette ? Vous êtes jeune^ jolie^ et pauvre ; vous n'a- vez ni le besoin ni le droit de vous attifer ! — J'en ai si peu le droite répondis-je^ que je suis simple comme vous voyez. 15 — C'est fort bien^ mais vous souffrez de n'être pas plus élégante ? — Non^ madamcy je n'en souffre pas du tout^ puis- qu'il faut que cela soit ainsi. Je vois que j'ai parlé sans réfléchir en vous disant que j'aimais la toilette^ 20 et que cela vous a donné une pauvre idée de ma rai- son. Je vous prie de n'y voir qu'un effet de ma sin- cérité. Vous m'avez questionnée sur mes goûts^ et j'ai répondu comme si j'avais l'honneur d'être connue de vous ; c'est peut-être une inconvenance^ je vous 25 prie de me la pardonner. — C'est-a-dire, reprit-elle^ que si je vous connais- sais je saurais que vous acceptez sans humeur et sans murmure les nécessités de votre position? — Oui^ madame^ c'est absolument cela. 30 — Eh bien ! votre inconvenance, si c'en est une, est loin de me déplaire. J'aime la sincérité par-des- sus tout ; je l'aime peut-être plus que la raison, et je fais un appel à votre franchise entière. Qu'est-ce 136 LECTURES FRANÇAISES. qui vous a décidée à accepter de si minces honoraires pour venir tenir compagnie a une vieille femme in- firme et peut-être fort ennuyeuse ? — D^abord, madame, on m^a dit que vous aviez beaucoup d^esprit et de bonté, et je n^ai pas cru par 5 conséquent devoir m^ennuyer près de vous ; ensuite, quand même j^aurais dû beaucoup souffrir, il était de mon devoir de tout accepter plutôt que de rester dans rinaction. Mon père ne nous ayant pas laissé de for- tune, ma sœur du moins était assez bien mariée, et je lo vivais avec elle sans scrupule ; mais son mari est mort dernièrement après une longue et cruelle maladie qui a absorbé toutes les économies du ménage. C^est donc à moi naturellement de soutenir ma sœur et ses quatre enfants. 15 — Avec douze cents francs? s^écria la marquise. Non, cela ne se peut pas. Ah, mon Dieu ! M™^ d^Arglade ne m^avait pas dit cela. Elle a sans doute craint la méfiance qu^inspire le malheur ; mais elle a eu bien tort en ce qui me concerne ; votre dévoue- 20 ment m'intéresse, et si nous nous convenons d^ailleurs je veux que vous vous ressentiez de mon estime. Fiez- vous à moi ; je ferai de mon mieux. — Ah! madame, lui répondis-je, que j^aie ou non le bonheur de vous convenir, laissez-moi vous remercier 25 de ce bon mouvement de votre cœur ! Et je lui baisai la main avec vivacité, ce qu^elle ne trouva pas mau- vais. — Pourtant, reprit-elle après un autre silence, où elle semblait se défier de son inspiration, si vous étiez 30 légère et un peu coquette ? — Je ne suis ni Tune ni Pautre. — J^espère que non. Pourtant vous êtes très-jolie. DEUX LETTRES. 137 071 ne m'avait pas dit ça non plus, et je vous trouve même, à mesure que je vous regarde, remarquable- ment jolie. Cela m^inquiète un peu^ je ne vous le cache pas. 5 — Pourquoi, madame ? — Pourquoi? Oui, vous avez raison. Les laides se croient be-Ues^ et au désir de plaire elles ajoutent le ridicule. Il vaut peut-être mieux que vous soyez ca- pable de plaire... pourvu que vous n'en abusiez pas. 10 Voyons, êtes-vous assez bonne fille et assez femme forte pour me raconter un peu votre existence passée ? Avez-vous eu quelque roman? Oui, n'est-ce pas ? Il est impossible qu'il en soit autrement. Vous avez vingt-deux ou vingt-trois ans... 15 — J'en ai vingt-quatre, et je n^ai pas eu diantre roman que celui que je vais vous raconter en deux mots. A dix-sept ans j'ai été recliercliée en mariage par une personne qui me plaisait, et qui s^est retirée en apprenant que mon père avait laissé plus de det- 2otes que de capital. J'ai eu beaucoup de chagrin, mais j^ai oublié cela, et j'ai juré de ne pas me marier. — Ah ! c^est du dépit, cela, et non de Voubli I — Xon, madame, c'est du raisonnement. X^ayant rien, mais sentant que j^étais quelque chose, je n^ai 25 pas voulu faire un sot mariage, et, bien loin d^avoir du dépit, j'ai pardonné à celui qui m^avait abandon- née ; je lui ai pardonné surtout le jour où, voyant ma sœur et ses quatre enfants dans la misère, j'ai com- pris la douleur d'un père de famille qui meurt sans 30 pouvoir rien laisser à ses orphelins. — Et vous avez revu cet ingrat ? — Xon, jamais. Il est marié et je n^y pense plus. — Et depuis vous n^avez pensé à aucun autre? 138 LECTURES FRANÇAISES. — ]^on, madame. — Comment avez-vous fait ? — Je ne sais pas. Je crois que je n^ai pas eu le temps de penser à moi. Quand on est très pauvre^ et que l^on ne veut pas se laisser aller à la misère^ les 5 journées sont bien remplies, allez ! — Mais on a dû cependant vous obséder beaucoup^ jolie comme vous Fêtes? — Non, madame, personne ne m^a obsédée. Je ne crois pas aux persécutions qui ne sont pas du tout 10 encouragées. — Je pense comme vous, et je suis contente de vo- tre manière de répondre. Donc vous ne craignez rien pour vous-même dans Tavenir ? — Je ne crains rien du tout. 15 — Et cette solitude de cœur ne vous rendra pas triste, maussade ? — Je ne le prévois en aucune façon. Je suis natu- rellement gaie et j^ai conservé ma force au milieu des plus cruelles épreuves. Je n'ai aucun rêve d^amour 20 dans ma tête, je ne suis pas romanesque. Si je venais à changer, j'en serais bien étonnée. Voilà, madame, tout ce que je peux vous dire de moi. Voulez-vous me prendre telle que je me donne avec assurance, puisqu'au bout de compte je ne peux me donner que 25 pour ce que je me connais ? — Oui, je vous prends pour ce que vous êtes, pour une excellente fille, pleine de franchise et de volonté, lies te à savoir si vous avez réellement les petits ta- lents que je réclame. 30 — Que faut-il faire ? — Causer d'abord, et sur ce point me voilà satis- faite, Et puis il faut lire et faire un peu de musique. DEUX LETTKES. 139 — Essayez-moi tout de suite; et si le peu dont je suis capable vous contente... — Oui, oui, dit-elle, en me mettant un livre dans les mains, lisez. Je meurs d^envie d^être enchantée 5 de vous.^^ Au bout d^une page elle me retira le livre en disant que c^était parfait. Kestait la musique. Il y avait un piano dans la chambre. Elle me demanda si je savais lire à livre ouvert. Comme c^est à peu près 10 tout ce que je sais, je pus la contenter encore sur ce point. Finalement elle me dit que, connaissant mon écriture et ma rédaction diaprés des lettres de moi que lui avait montrées M"'® d^Arglade, elle comptait que je serais un excellent secrétaire, et elle me congé- isdia en me tendant la main et en me disant de très- bonnes paroles. Je lui ai demandé la journée de de- main pour voir les quelques personnes que nous connaissons ici, et elle a donné des ordres pour que je fusse installée samedi. 2o Chère sœur, on vient de m*interrompre. Quelle douce surprise ! c^est un billet de M""^ de Villemer, un billet de trois lignes que je te transcris : ^^Permettez-moi, chère enfant, de vous envoyer un petit à compte pour les enfants de votre sœur et une 25 petite robe pour vous. Puisque vous aimez la toi- lette, il faut bien compatir aux faiblesses des gens qu^on aime ! Il est réglé et entendu que vous aurez cent cinquante francs par mois et que je me charge de vos chiffons.^^ 30 Comme cela est bonne et maternel, n^est-ce pas? Je vois que j^aimerai cette femme-là de tout mon cœur, et que je ne Pavais pas assez bien jugée à pre- mière vue. Elle est plus spontanée que je ne peu- 140 LECTURES FRANÇAISES. sais. Le billet de cinq cents francs, je le mets dans cette lettre. Vite ! du bois dans la cave^ des jupons de laine à Lilli qui en manque, et un poulet de temps en temps sur cette pauvre table. Un peu de vin pour toi, ton estomac est tout délabré, et il en faudra si 5 peu pour le remettre ! Il faut aussi faire arianger la cheminée de la chambre, qui fume atrocement ; ce n'est pas supportable, cela peut fatiguer les yeux des enfants, et ceux de ma filleule sont si beaux ! Moi, j'ai honte de la robe qui m'est destinée, une 10 robe de soie gris de perle magnifique. Ah ! que j'ai été sotte de dire que j'aimais à être bien mise ! Une robe de quarante francs eût suffi à mon ambition, et m'en voilà pour deux cents sur le corps pendant que ma pauvre sœur raccommode ses guenilles! Je ne 15 sais où me cacher ; mais ne crois pas au moins que je sois humiliée de recevoir un cadeau. Je m'acquitte- rai de ces bontés-là en conscience, mon cœur me le dit. Tu vois, Camille, tout me réussit, à moi, quand je m'en mêle ! Je tombe du premier coup sur une 20 femme excellente, je gagne plus que je n'acceptais, et je suis accueillie et traitée comme un enfant que l'on veut adopter et gâter. Et quand je pense que tu me retiens depuis six mois en t'imposant un surcroît de privations, en t'arrachant les cheveux à l'idée que je 25 veux travailler pour toi ! Bonne sœur, vous étiez donc une mauvaise mère. Est-ce que ces chers tré- sors d'enfants ne devaient pas passer avant tout et faire taire même notre amitié? Ah ! j'ai eu bien peur d'échouer pourtant, je te le confesse aujourd'hui, 30 quand j'ai emporté de la maison nos derniers louis pour payer mon voyage, au risque de revenir sans avoir plu à cette dame. Dieu s'en est mêlé^ va^ Oa- DEUX LETTRES. 141 mille ! Je Fai prié ce matin de si grand cœur ! Je lui ai tant demandé de me rendre aimable, convenable, et persuasive ! A présent je vais me coucher, car je tombe de fa- 5 tigue. Je t'aime, petite sœur, tu sais, plus que tout au monde et beaucoup plus que moi. Ne me plains donc pas, je suis la plus heureuse fille qu'il y ait au- jourd'hui, et pourtant je ne suis pas près de toi, je ne regarde pas dormir nos enfants ! Tu vois bien 10 qu'il n'y a pas de vrai bonheur dans l'égoïsme, puisque, seule comme me voilà, séparée de tout ce que j'aime, le cœur me bat de joie à travers les larmes, et que je vais remercier Dieu à deux genoux avant de m'en- dormir. George Sand. 142 LECTURES FRANÇAISES. CHARLOTTE COEDAY. A CETTE époque (1793) vivait dans le Calvados une jeune fille^ âgée de vingt-cinq ans^ réunissant à une grande beauté un caractère ferme et indépendant. Elle se nommait Charlotte Corday d^'Armans. Ses mœurs étaient pures, mais son esprit était actif et in- 5 quiet. Elle avait quitté la maison paternelle pour aller vivre avec plus de liberté chez une de ses amies à Caen. La jeune Corday s^était enflammée pour la cause de la révolution, comme beaucoup de femmes de son temps, et elle était enivrée de Tidée d^une 10 république soumise aux lois et féconde en vertus. Les girondins lui paraissaient vouloir réaliser son rêve ; les montagnards semblaient seuls y apporter des obstacles ; et, à la nouvelle du 31 mai, elle réso- lut de venger ses orateurs. La guerre du Calvados 15 commençait ; elle crut que la mort du chef des anar- chistes, concourant avec Tinsurrection des départe- ments, assurerait la victoire de ces derniers ; elle ré- solut donc de faire un grand acte de dévouement, et de consacrer à sa patrie une vie dont un époux, des 20 enfants, une famille, ne faisaient ni Toccupation ni le charme. Elle trompa son père, et lui écrivit que, les troubles de la France devenant tous les jours plus effrayants, elle allait chercher le calme et la sécuiité en Angleterre. Tout en écrivant cela, elle s^achemi- 25 nait vers Paris. Avant son départ elle voulait voir à Caen les députés, objet de son enthousiasme et de son CHABLOTTE CORDAY. 143 dévouement. Pour parvenir jusqu^à eux^ elle imagina un prétexte^ et demanda à Barbaroux une lettre de recommandation auprès du ministre de Tintérieur, ayante disait-elle, des papiers à réclamer pour une 5 amie. Barbaroux lui en donna une pour le député Duperret. Ses collègues, qui la virent comme lui, et comme lai ^entendirent exprimer sa haine contre les montagnards, et son enthousiasme pour une répub- lique pure et régulière, furent frappés de sa beauté et 10 touché de ses sentiments. Tous ignoraient ses projets. Arrivée à Paris, Charlotte Corday songea à choisir sa victime. Danton et Kobespierre étaient assez cé- lèbres dans la montîigne pour mériter ses coups, mais Marat était celui qui avait paru le plus effrayant aux 15 provinces, et qu^on regardait comme le chef des anar- chistes. Elle voulait d'abord frapper Marat au mi- lieu de ses amis, mais elle ne le pouvait plus, car Marat se trouvait dans un état qui Tempêchait de siéger à la convention. Une de ces maladies inflam- 2omatoires qui, dans les révolutions, terminent ces existences orageuses que ne termine pas Téchafaud, Tobligea à se retirer et à rentrer dans sa demeure. Là rien ne pouvait calmer sa dévorante activité ; il passait une partie de la journée dans son bain, entouré 25 de plumes et de papier, écrivant sans cesse, rédigeant son journal, adressant des lettres à la convention, et se plaignant de ce qu'on ne leur donnait pas assez d'attention. C^était toujours la même vanité, la même fureur, et la même promptitude à devancer les 30 craintes populaires. Charlotte Corday, pour ^atteindre, était donc ob- ligée d'aller le chercher chez lui. D'abord elle remit la lettre qu'elle avait pour Duperret, remplit sa corn- 144 LECTURES FRANÇAISES. mission auprès du ministère de Tintérieur^ et se pré- para à consommer son projet. Elle demanda à un cocher de fiacre l'adresse de Marat^ s^y rendit^ et fut refusée. Alors elle lui écrivit, et lui dit qu^arrivée du Calvados elle avait dMmportantes choses à lui ap- 5 prendre. C'était assez pour obtenir son introduc- tion. Le 13 juillet, en effet, elle se présenta à huit heures du soir. La gouvernante de Marat lui oppose quelques difficultés ; Marat, qui était dans son bain, entend Charlotte Corday et ordonne qu'on Tintro- 10 duise. Restée seule avec Marat, elle rapporte ce qu'elle a vu à Caen, puis Técoute, le considère avant de le frapper. Marat demande avec empressement le nom des députés présents à Caen ; elle les nomme, et lui, saississant un crayon, se met à les écrire, en 15 ajoutant : ^"^ C'est bien, ils iront tous à la guillotine. — A la guillotine !" reprend la jeune Corday indi- gnée ; alors elle tire un couteau de son sein, frappe Marat, et enfonce le fer jusqu'au cœur. "A moi ! s'écria-t-il, à moi ! " Sa gouvernante s'élance à ce 20 cri ; un commissionaire qui pliait des journaux ac court de son côté ; tous deux trouvent Marat plongé dans son sang, et la jeune Corday calme, sereine, im- mobile. Le commissionaire la renverse d'un coup de chaise, la gouvernante la foule aux pieds. Le tu- 25 multe attire du monde, et bientôt tout le quartier est en rumeur. La jeune Corday se relève, et brave avec dignité les outrages et les fureurs de ceux qui l'en- tourent. Des membres de la section, accourus à ce bruit, et frappés de sa beauté, de son courage, du 30 calme avec lequel elle avoue son action, empêchent qu'on ne la déchire et la conduisent en prison, ou elle continue à tout confesser avec la même assurance. CHARLOTTE CORDAT. 145 Charlotte Corday, conduite en présence du tribu- nal^ conserve le même calme. On lui lit son acte d^accusation, après quoi Pon procède à Faudition des témoins ; Corday interrompt le premier témoin^ et^ 5 ne lui laissant pas le temps de commencer sa déposi- tion : '^ C/est moi^ dit-elle^ qui ai tué Marat. — Qui vous a engagée à commettre cet assassinat ? lui demande le président. — Ses crimes. 10 — Qu^entendez-vous par ses crimes ? — Les malheurs dont il est cause depuis la Eévolu- tion. — Qui sont ceux qui vous ont engagée à cette ac- tion? 15 — Moi seule, reprend fièrement la jeune fille. Je Tavais résolu depuis longtemps^ et je n^aurais jamais pris conseil des autres pour une pareille action ; j^ai voulu donner la paix à mon pays. — Mais croyez-vous avoir tué tous les Marats ? 20 — Non, reprend tristement l'accusée, non.'^ Elle laisse ensuite achever les témoins, et après chaque déposition elle répète : ^'^C^est vrai, le dépo- sant a raison.^' Elle ne se défend que d^une chose, c'est de sa prétendue complicité avec les Girondins ; 25 puis elle se rassied et écoute le reste de Tinstruction avec une parfaite sérénité. — Vous le voyez, dit pour toute défense son avo- cat, l'accusée avoue tout avec une inébranlable assu- rance. Ce calme et cette abnégation, sublimes sous 30 un rapport, ne peuvent s'expliquer que parle fana- tisme politique le plus exalté. C'est à vous de juger de quel poids cette considération morale doit être dans la balance de la justice. 146 LECTURES FEAKÇATSES. Charlotte Corday est condamnée à la peine de mort. Son beau visage n^en paraît pas ému ; elle rentre dans sa prison avec le sourire sur les lèvres ; elle écrit à son père pour lui demander pardon d^avoir disposé de sa vie ; elle écrit à Barbaroux, auquel elle 5 raconte son voyage et son action dans une lettre char- mante, pleine de grâce, d^esprit, et d^élévation ; elle lui dit que ses amis ne doivent pas la regretter, car une imagination vive, un cœur sensible, promettent une vie bien orageuse à ceux qui en sont doués. Elle 10 termine par ces mots : " Quel triste peuple pour for- mer une république ! il faut au moins fonder la paix; le gouvernement viendra comme il pourra/^ Le 15, Charlotte Corday subit son jugement, avec le calme qui ne Tavait pas quittée. Elle répondit par 15 Tattitude la plus modeste et la plus digne aux outra- ges de la vile populace. Cependant, tous ne Toutra- geaient pas ; beaucoup plaignaient cette fille si jeune, si belle, si désintéressée dans son action, et raccom- pagnaient à réchafaud d'un regard de pitié et d'ad- 20 miration. A. Thiers. LA CAKNE J)E JONC. 14? LA CANNE DE JONC. La nuit du 27 juillet 1830 fut silencieuse et solen- nelle. Son souvenir est, pour moi^ plus présent que celui de quelques tableaux plus terribles que la desti- née m^a jetés sous les yeux. Le calme de la terre et 5 de la mer devant Touragan n^a pas plus de majesté que n'en avait celui de Paris devant la révolution. Les boulevards étaient déserts. Je marchais seul, après minuit, dans toute leur longueur, regardant et écou- tant avidement. Le ciel pur étendait sur le sol la 10 blanche lueur de ses étoiles ; mais les maisons étaient éteintes, closes, et comme mortes. Tous les réver- bères des rues étaient brisés. Quelques groupes d'ou- vriers s'assemblaient encore près des arbres, écoutant un orateur mystérieux. Puis ils se séparaient en cou- 15 rant, et se jetaient dans des rues étroites et sombres. Alors rien ne remuait plus, et la ville semblait n'avoir que des habitants morts et des maisons pestiférées. On rencontrait, de distance en distance, une masse sombre, inerte, que l'on ne reconnaissait qu'en la tou- 2o chant ; c'était un bataillon de la Garde, debout, sans mouvement, sans voix. On passait impunément de- vant ces corps imposants et sombres, on tournait au- tour d'eux, on s'en allait, on revenait sans en recevoir une question, une injure, un mot. Ils étaient inof- 25 fensifs, sans colère, sans haine ; ils étaient résignés et ils attendaient. Comme je m'approchais de l'un des bataillons les 148 LECTURES FRANÇAISES. plus nombreux, un ofîficier s'avança vers moi, avec une extrême politesse, et me demanda si les flammes que l'on voyait au loin éclairer la porte Saint-Denis ne venaient point d'une incendie. Je lui dis qu'elles sortaient de quelques grands arbres que faisaient 5 abattre et brûler des marchands, profitant du trouble pour détruire ces vieux ormes qui cachaient leurs boutiques. Alors, s'asseyant sur l'un des bancs de pierre du boulevard, il se mit à faire des lignes et des ronds sur le sable avec une canne de jonc. Ce fut à 10 quoi je le reconnus, tandis qu'il me reconnaissait à mon visage. Comme je restais debout devant lui, il me serra la main et me pria de m'asseoir à son côté. Le capitaine Kenaud était un homme d'un sens droit et sévère, et d'un esprit très-cultivé, comme la Garde 15 en renfermait beaucoup à cette époque. Son carac- tère et ses habitudes nous étaient fort connus. Une ancienne blessure à la jambe droite motivait cette ha- bitude du capitaine de s'appuyer toujours sur cette canne de jonc, dont la pomme était assez singulière 20 et attirait l'attention de tous ceux qui la voyaient pour la première fois. Il la gardait partout et presque toujours à la main. Il n'y avait nulle affectation dans cette habitude. Il était fort honoré dans la Garde. Sans ambition et ne voulant être que ce qu'il était, 25 capitaine de grenadiers, il lisait toujours, ne parlait que le moins possible, et par monosyllabes. Très- grand, très-pale, et de visage mélancolique, il avait sur le front, entre les sourcils, une petite cicatrice assez profonde, qui souvent, de bleuâtre qu'elle était, de- 30 venait noire, et quelquefois donnait un air farouche à son visage habituellement froid et paisible. Les soldats l'avaient en grande amitié ; et surtout LA CANÎ^E DE J0:N^C. 149 dans la campagne d^Espagne ou avait remarqué la joie avec laquelle ils partaient quand les détachements étaient commandés parla Canne-de-Jonc. C^était bien véritablement la Canne-de-Jonc qui les commandait ; 5 car le capitaine Eenaud ne mettait jamais Tépée à la main^ même lorsqu'il approchait assez Tennemi pour courir le hasard de se prendre corps à corps avec lui. — Il fait beau^ me dit-il, en me montrant le ciel avec sa canne de jonc ; je ne sais quand je cesserai de lo voir tous les soirs les mêmes étoiles. N'importe, le temps est superbe ; les Parisiens dorment ou font semblant. Aucun de nous n'a mangé ni bu depuis vingt-quatre heures ; cela rend les idées très-nettes. Je me souviens qu'un jour, en allant en Espagne, 15 vous m'avez demandé la cause de mon peu d'avance- ment ; je n'eus pas le temps de vous le conter ; mais ce soir je me sens la tentation de revenir sur ma vie que je repassais dans ma mémoire. Vous aimez les récits, je me rappelle, et, dans votre vie retirée, vous 20 aimerez à vous souvenir de nous. Je ne vous dirai que quelques époques de mon histoire, et je ne ferai que suivre mon caprice. J'ai beaucoup vu et beaucoup lu, mais je crois bien que je ne saurais pas écrire. Ce n'est pas mon état. Dieu merci ! et je n'ai jamais 25 essayé. Mais je sais vivre, et j'ai vécu comme j'en avais pris la résolution (dés que j'ai eu le courage de le prendre), et, en vérité, c'est quelque chose. Asseyons- nous. Quand nous fûmes assis, notre vieux camarade prit 30 la parole. Rien de ce qu'il m'a dit ne s'est effacé de ma mémoire, et je le répéterai presque mot pour mot. 150 LECTURES FRANÇAISES. — Je n^étais encore que lieutenant de la Garde Im- périale en 1814, quand je reçus au front cette bles- sure que vous voyez, et qui, ce soir, me fait souffrir plus qu^à Tordinaire. Ici le capitaine Renaud passa plusieurs fois sa main 5 sur son front, et, comme il semblait vouloir se taire, je le pressai de poursuivre. Il appuya sa tête sur la pomme de sa canne de jonc. — Voilà qui est singulier, dit-il, je n^ai jamais ra- conté tout cela, et ce soir j'en ai envie. Bah ! n^im- lo porte ! j'aime à m^y laisser aller avec un ancien ca- marade. Ce sera pour vous un objet de réflexions sérieuses quand vous n'aurez rien de mieux à faire. Il me semble que cela n^en est pas indigne. Vous me croirez bien faible ou bien fou ; mais c'est égal. 15 Jusque ré vénement, assez ordinaire pour d^iutres, que je vais vous dire et dont je recule le récit malgré moi parcequ^il me fait mal, mon amour de la gloire des armes était devenu sage, grave, dévoué, et parfaite- ment pur, comme est le sentiment simple et unique du 20 devoir ; mais, à dater de ce jour-là, d^autres idées vinrent assombrir encore ma vie. O^était en 1814 ; c'était le commencement de Tan- née et la fin de cette sombre guerre où notre pauvre armée défendait l'Empire et TEmpereur, et où la 25 France regardait le combat avec découragement. Soissons venait de se rendre au Prussien Biilow. Les armées de Silésie et du Nord y avaient fait leur jonc- tion. Nous devions attaquer Reims que TEmpereur vou-30 lait reprendre. Le temps était sombre et la pluie continuelle. Nous avions perdu la veille un officier supérieur qui conduisait les prisonniers. Les Russes LA CAXXE DE JOXC. 151 Pavaient surpris et tué dans la nuit et ils avaient dé- livré leurs camarades. Notre colonel voulut repren- dre sa revanche. Nous étions près d'Epernay. Le soir venait, lorsque le colonel m'appela. Il m'em- 5 mena à part, et me dit : — Vous voyez bien là-haut une grange, sur cette colline ; là où se promène ce grand nigaud de fac- tionnaire russe ? — Oui, oui, dis-je, je vois parfaitement le grena- lo dier et la grange. — Eh bieu, vous qui êtes un ancien, il faut que vous sachiez que c'est là le point que les Eusses ont pris avant-hier et qui occupe le plus l'Empereur pour le quart d'heure. Il me dit que c'est la clef de Eeims, 15 et ça pourrait bien être. En tout cas, nous allons jouir un tour à Woronsow. A onze heures du soir, vous prendrez deux cents de vos lapins, vous surpren- drez le corps de garde qu'ils ont établi dans cette grange. Mais, de peur de donner l'alarme, vous en- 20 lèverez ça à la baïonnette. Vous sentez bien que je serai par là, derrière vous, avec ma colonne. Vous n'aurez guère perdu que soixante hommes, vous aurez les six pièces qu'ils ont placées là... Vous les tourne- rez du côté de Eeims... A onze heures... onze heures 25 et demie, la position sera à nous. Et nous dormirons jusqu'à trois heures pour nous reposer un peu. — Ça suffit, lui dis-je ; et je m'en allai, avec mon lieutenant en second, préparer un peu notre soirée. L'essentiel, comme vous voyez, était de ne pas faire 30 de bruit. Je passai l'inspection des armes et je fis enlever les cartouches de toutes celles qui étaient chargées. Ensuite je me promenai quelque temps avec mes sergents en attendant l'heure, A dix heures 153 LECTURES FRANÇAISES. et demi je leur fis mettre leur capote sur Thabit et le fusil caché sous la capote. J^avais observé les petits sentiers bordés de haies qui conduisaient au corps de garde russe, et j^y fis monter les plus déterminés gail- lards que y-die jamais commandés. Il y en a encore 5 là, dans les rangs, deux qui y étaient et s^en souvien- nent bien. Ils avaient Thabitude des Russes, et sa- vaient comment les prendre. Les factionnaires que nous rencontrâmes en montant disparurent sans bruit, comme des roseaux que Ton couche par terre avec la 10 main. Celui qui était devant les armes demandait plus de soin. Il était immobile, Farme au pied et le menton sur son fusil ; le pauvre diable se balançait comme un homme qui s^endort de fatigue et va tom- ber. Un de mes grenadiers le prit dans ses bras en le 15 serrant à Tétouffer, et deux autres, Payant bâillonné, le jetèrent dans les broussailles. J^arrivai lentement, et je ne pus me défendre, je Tavoue, d'une certaine émotion que je n'avais jamais éprouvée au moment des autres combats. C'était la honte d'attaquer des 20 gens couchés. Je les voyais, roulés dans leurs man- teaux, éclairés par une lanterne sourde, et le cœur me battit violemment. Mais tout à coup, au mo- ment d'agir, je craignais que ce ne fût une faiblesse qui ressemblât à celle des lâches, j'eus peur d'avoir 25 senti la peur une fois, et, prenant mon sabre caché sous mon bras, j'entrai le premier brusquement, don- nant l'exemple à mes grenadiers. Je leur fis une geste qu'ils comprirent ; ils se jetèrent d'abord sur les armes, puis sur les hommes, comme des loups sur 30 un troupeau. Oh ! ce fut une boucherie sourde et horrible ! Tous les cris à peine poussés étaient ^teints sous les pieds de nos soldats, et nulle tête ne LA CAXÎs^E DE JONC. 153 se soulevait sans recevoir le coup mortel. En entrant j^avais frappé au hasard un coup terrible, devant moi, sur quelque chose de noir que j^avais traversé d^outre en outre ; un vieux officier, homme grand et fort, la 5 tête chargée de cheveux blancs, se leva comme un fan- tôme, jeta un cri affreux en voyant ce que f avais fait, me frappa à la figure d^m coup d^épée violent, et tomba mort à l'instant sous les baïonnettes. Moi, je tombai assis à côté de lui, étourdi du coup porté en- lotre les yeux, et j^entendis sous moi la voix mourante et tendre d\in enfant qui disait : Papa. Je compris alors mon œuvre, et j^y regardai avec un empressement frénétique. Je vis un de ces offi- ciers de quatorze ans si nombreux dans les armées 15 russes qui nous envahirent à cette époque, et que Ton traînait à cette terrible école. Ses longs cheveux bouclés tombaient sur sa poitrine, aussi blonds, aussi soyeux que ceux d\ine femme, et sa tête s'était pen- chée comme s^il n^eût fait que s^endormir une seconde 20 fois. Je le soulevai sur un bras, et sa joue tomba sur ma joue ensanglantée. Il semblait se blottir sous ma poitrine pour fuir ses meurtriers. La confiance et le repos d^un sommeil délicieux reposaient sur sa figure morte, et il paraissait me dire : Dormons en paix. 25 — Etait-ce là un ennemi? m^écriai-je. Et je le serrais contre ma poitrine, lorsque je sentis que j^ap- puyais sur moi la garde de mon sabre qui traversait son cœur et qui avait tué cet ange endormi. Je vou- lus pencher ma tête sur sa tête, mais mon sang le 30 couvrit de larges taches ; je sentis la blessure de mon front, et je me souvins qu^elle m^avait été faite par son père. Je regardai honteusement de côté, et je ue vis qu'un amas de corps que lues grenadiers tiraient 154 LECTURES FRANÇAISES. par les pieds et jetaient dehors^ ne leur prenant que des cartouches. En ce moment^ le Colonel entra suivi de la colonne, dont j^entendis les pas et les armes. — Bravo ! mon cher, me dit-il, vous avez enlevé ça lestement. Mais vous êtes blessé? 5 — Eegardez cela, dis- je ; qu^elle différence y a-t-il entre moi et un assassin ? — Eh ! mon cher, que voulez-vous ? c^est le mé- tier. — C^est juste, répondis-je, et je me levai pour aller lo reprendre mon commandement. L^enfant retomba dans les plis de son manteau dont je Tenveloppai, et sa petite main laissa échapper une canne de jonc, qui tomba sur ma main comme s^il me Teût donnée. Je la pris ; je résolus, quels que fussent mes périls à venir, 15 de n^avoir plus d'autre arme, et je n'eus pas l'audace de retirer de sa poitrine mon sabre d'égorgeur. Je sortis à la hâte, et, quand je me trouvai au grand air, j'eus la force d'essuyer mon front rouge et mouillé. Mes grenadiers étaient à leurs rangs ; cha- 20 cun essuyait froidement sa baïonnette dans le gazon. Mon sergent-major marchait devant les rangs, tenant sa liste à la main, et lisant à la lueur d'un bout de chandelle planté dans le canon de -son fusil ; il faisait paisiblement l'appel. Je m'appuyai contre un arbre, 25 et le chirurgien-major vint m^e bander le front. Une large pluie tombait sur ma tête et me faisait quelque bien. Je ne pus m'empêcher de pousser un profond soupir. — Je suis las de la guerre, dis-je au chirurgien. 30 — Et moi aussi, dit une voix grave que je connais- sais. Je soulevai le bandage de mes sourcils, et je vis. LA CAÎs^NE DE JOKC. 155 non pas Napoléon empereur^ mais Bonaparte soldat. Il était seul^ triste, à pied, debout devant moi, ses bottes enfoncées dans la boue, son habit déchiré, son chapeau ruisselant la pluie par les bords ; il sentait 5 ses derniers jours venus, et regardait autour de lui ses derniers soldats. Il me considérait attentivement. — Je t^ai vu quelque part, dit-il, grognard ? A ce dernier mot, je sentis qu^il ne me disait là loqu^me phrase banale, je savais que j^avais vieilli de visage plus que d'années, et que fatigues, moustaches, et blessures me déguisaient assez. — Je vous ai vu partout sans être vu, répondis-je. — Veux-tu de l^avancement ? 15 Je dis : Il est bien tard. Il croisa les bras un moment sans répondre, puis : — Tu as raison, va, dans trois jours, toi et moi nous quitterons le service. Il me tourna le dos et remonta sur son cheval, tenu 20 à quelques pas. En ce moment notre tête de colonne avait attaqué et Ton nous lançait des obus. Il en tomba un devant le front de ma compagnie, et quel- ques hommes se jetèrent en arrière, par un premier mouvement dont ils eurent honte. Bonaparte sV 25 vança seul sur Fobus qui brûlait et fumait devant son cheval, et lui fit flairer cette fumée. Tout se tut et resta sans mouvement ; Tobus éclata et n^atteignit personne. Les grenadiers sentaient la leçon terrible qu^il leur donnait ; moi j^y sentis de plus quelque 30 chose qui tenait du désespoir. La France lui man- quait, et il avait douté un instant de ses vieux braves. Je me trouvai trop vengé et lui trop puni de ses fau- tes par un si grand abandon. Je me levai avec ef- 156 LECTUEES FRAI^ÇAISES. fort, et, m^approchant de lui, je pris et serrai la main qu'il tendait à plusieurs d'entre nous. Il ne me re- connut point, mais ce fut pour moi une réconciliation tacite entre le plus obscure et le plus illustre des hommes de notre siècle. On battit la charge, et, le lendemain au jour, Eeims fut repris par nous. Mais quelques jours après Paris Tétait par d^autres. A. DE ViGKY. LE SIÈGE DE BERLIN. 157 LE SIEGE DE BEKLIK Nous remontions Favenue des Champs-Elysées avec le docteur V , lorsqu^un peu avant d^arriver au rond-point de TÉtoile le docteur s^arrêta, et me montrant une de ces grandes maisons de coin si 5 pompeusement groupées autour de PArc-de-Tri- omplie : — Vayez-vous^ me dit-il, ces quatre fenêtres fermées là-haut sur ce balcon? Dans les premiers jours du mois d'août^ ce terrible mois d^'août de Tan soixante- 10 dix, je fus appelé là pour un cas d^apoplexie foudroy- ante. C^était chez le colonel Jouve, un cuirassier du premier Empire, vieil entêté de gloire et de patrio- tisme, qui dès le début de la guerre était venu se loger aux Champs-Elysées, dans un appartement 15a balcon... Devinez pourquoi! Pour assister à la rentrée triomphale de nos troupes... Pauvre vieux! La nouvelle de Wissembourg lui arriva comme il sor- tait de table. En lisant le nom de Napoléon au bas de ce bulletin de défaite, il était tombé foudroyé. 20 Je trouvai Tancien cuirassier étendu de tout son long sur le tapis de la chambre. Debout, il devait être très-grand ; couché, il avait l^air immense. De beaux traits, des dents superbes, une toison de cheveux blancs tout frisés, quatre-vingts ans qui en parais- 25saient soixante... Près de lui sa petite-fille à genoux et toute en larmes. La douleur de cette enfant me toucha. Fille et 158 LECTURES FRANÇAISES. petite-fille de soldat, elle avait son père à rÉtat-ma- jor de MacMahon, et Timage de ce grand vieillard étendu devant elle évoquait dans son esprit une autre image non moins terrible. Je la rassurai de mon mieux; mais, au fond, je gardais peu d'espoir. Xous 5 avions affaire à une belle et bonne hémiplégie, et, à quatre-vingts ans, on n'en revient guère. Pendant trois jours, en effet, le malade resta dans le même état d'immobilité et de stupeur... Sur ces entre- faites, la nouvelle de Reichshoffen arriva à Paris. 10 Vous vous rappelez de quelle étrange façon. Jus- qu'au soir, nous crûmes tous à une grande victoire, vingt mille Prussiens tués, le prince royal prisonnier... Je ne sais par quel miracle, quel courant magnétique, un écho de cette joie nationale alla chercher notre 15 pauvre sourd-muet jusque dans les limbes de sa pa- ralysie; toujours est-il que ce soir-là, en m'appro- chant de son lit, je ne trouvai plus le même homme. L'œil était presque clair, la langue moins lourde. Il eut la force de me sourire et bégaya deux fois: 20 — Vie... toi... re! — Oui, colonel, grande victoire!... Et à mesure que je lui donnais des détails sur le beau succès de Mac-Mahon, je voyais ses traits se détendre, sa figure s'éclairer. 25 Quand je sortis, la jeune fille m'attendait, pâle et debout devant la porte. Elle sanglotait. — Mais il est sauvé! lui dis-je en lui prenant les mains. La malheureuse enfant eut à peine le courage de 30 me répondre. On venait d'afficher le vrai Reichs- hoffen, Mac-Mahon en fuite, toute l'armée écrasée... Nous nous regardâmes consternés. Elle se désolait LE SIÈGE DE BERLIÎ^. 159 en pensant à son père. Moi^ je tremblais en pensant au vieux. Bien sûr, il ne résisterait pas à cette nou- velle secousse... Et cependant comment faire?... Lui laisser sa joie, les illusions qui Favaient fait revivre?... 5 Mais alors il fallait mentir... — Eh bien, je mentirai ! me dit Fhéroïque fille en essuyant vite ses larmes, et, toute rayonnante, elle rentra dans la chambre de son grand-père. C^était une rude tache qu^elle avait prise là. Les 10 premiers jours on s^en tira encore. Le bonhomme avait la tête faible et se laissait tromper comme un enfant. Mais avec la santé ses idées se firent plus net- tes. Il fallut le tenir au courant du mouvement des armées, lui rédiger des bulletins militaires. Il y avait 15 pitié vraiment à voir cette belle enfant penchée nuit et jour sur sa carte d^ Allemagne, s^efforçant de com- biner toute une campagne glorieuse; Bazaine sur Ber- lin, Frossard en Bavière, Mac-Mahon sur la Baltique. Pour tout cela elle me demandait conseil, et je Tai- 20 dais autant que je pouvais; mais c'est le grand-père surtout qui nous servait dans cette invasion imagi- naire. Il avait conquis TAllemagne tant de fois sous le premier Empire ! Il savait tous les coups d'avance : Maintenant voilà où ils vont aller... Voilà ce qu'on 25 va faire... et ses prévisions se réalisaient toujours, ce qui ne manquait pas de le rendre très-fier. Malheureusement nous avions beau prendre des villes, gagner des batailles, nous n'allions jamais assez vite pour lui. Il était insatiable, ce vieux!... 30 Chaque jour, en arrivant, j'apprenais un nouveau fait d'armes: — Docteur, nous avons pris Mayence," me disait la jeune fille en venant au-devant de moi avec un sourire 160 LECTURES FRAÎ^ÇAISES. navré^ et j^entendais à travers la porte une voix joy- euse qui me criait : — Ça marche! ça marche!... Dans huit jours nous entrerons à Berlin. A ce moment-là les Prussiens n^ étaient plus qu^à 5 huit jours de Paris... Nous nous demandâmes d\abord sMl ne valait pas mieux le transporter en province; mais, sitôt dehors, Fétat de la France lui aurait tout appris, et je le trouvais encore trop faible, trop en- gourdi de sa grande secousse pour lui laisser con-io naître la vérité. On se décida donc à rester. Le premier jour de Tinvestissement, je montai chez eux — je me souviens — très ému, avec cette an- goisse au cœur que nous donnait à tous les portes de Paris fermées, la bataille sous les murs, nos banlieues 15 devenues frontières. Je trouvai le bonhomme jubi- lant et fier : — Eh bien, me dit-il, le voilà donc commencé ce siège ! Je le regardai stupéfait: 20 — Comment, colonel, vous savez.. .?^^ Sa petite-fille se tourna vers moi : — Eh! oui, docteur... C^est la grande nouvelle... Le siège de Berlin est commencé. Elle disait cela en tirant son aiguille, d^un petit 25 air si posé, si tranquille... Comment se serait-il douté de quelque chose ! Le canon des forts, il ne pouvait pas l^entendre. Ce malheureux Paris, sinis- tre et bouleversé, il ne pouvait pas le voir. Ce qu^il apercevait de son lit, c'était un pan de FArc-de- 30 Triomphe, et, dans sa chambre, autour de lui, tout un bric-à-brac du premier Empire bien fait pour entretenir ses illusions. Brave colonel ! c^est cette LE SIÈGE DE BÊRLIK. 161 atmosphère de victoires et conquêtes^ encore plus que tout ce que nous pouvions lui dire^ qui le faisait croire si naïvement au siège de Berlin. À partir de ce jour^ nos opérations militaires se 5 trouvèrent bien simplifiées. Prendre Berlin, ce n^était plus qu\ine affaire de patience. De temps en temps, quand le vieux s^ennuyait trop, on lui lisait une lettre de son fils, lettre imaginaire bien entendu, puisque rien n^entrait plus dans Paris, et que, depuis lo Sedan, Taide de camp de Mac-Mahon avait été dirigé sur une forteresse d^ Allemagne. Vous figurez-vous le désespoir de cette pauvre enfant sans nouvelle de son père, le sachant prisonnier, privé de tout, malade peut-être, et obligée de le faire parler dans des lettres 15 joyeuses, un peu courtes, comme pouvait en écrire un soldat en campagne, allant toujours en avant dans le pays conquis ? Quelquefois la force lui manquait; on restait des semaines sans nouvelles. Mais le vieux s^inquiétait, ne dormait plus. Alors vite arrivait une 20 lettre d^ Allemagne qu^elle venait lui lire gaiement près de son lit, en retenant ses larmes. Le colonel écoutait religieusement, souriait, approuvait, criti- quait, nous expliquait les passages un peu troubles. Mais où il était beau surtout, c^est dans les réponses 25 qu^il envoyait à son fils : N^oublie jamais que tu es Français, lui disait-il... Sois généreux pour ces pau- vres gens. Ne leur fais pas Tinvasion trop lourde... Et c^étaient des recommandations à n^en plus finir sur le respect des propriétés, la politesse qu^on doit 30 aux dames, un vrai code d^honneur militaire à Tusage des conquérants. Il y mêlait aussi quelques considé- rations générales sur la politique, les conditions de la 162 LECTUKES FRAKÇAISES. paix à imposer aux vaincus. Là-dessus, je dois le dire, il n^était pas exigeant : — L^indemnité de guerre, et rien de plus... A quoi bon leur prendre des provinces ?... Est-ce qu^on peut faire de la France avec de l'Allemagne?... 5 Il dictait cela d'une voix ferme, et Ton sentait tant de candeur dans ses paroles, une si belle foi patriotique, qu'il était impossible de ne pas être ému en l'écoutant. Pendant ce temps-là, le siège avançait toujours, lo pas celui de Berlin, hélas!... C'était le moment du grand froid, du bombardement, des épidémies, de la famine. Maïs, grâce à nos soins, à nos efforts, à l'in- fatigable tendresse qui se multipliait autour de lui, la sérénité du vieillard ne fut pas un instant troublée. 15 Jusqu'au bout je pus lui avoir du pain blanc, de la viande fraîche. Il n'y en avait que pour lui, par ex- emple ; et vous ne pouvez rien imaginer de plus touchant que ces déjeuners de grand-père, si innocem- ment égoïstes — le vieux sur son lit, frais et riant, la 20 serviette au menton, près de lui sa petite-fille, un peu pâlie par les privations, guidant ses mains, le faisant boire, l'aidant à manger toutes ces bonnes choses dé- fendues. Alors animé par le repas, dans le bien-être de sa chambre chaude, l'ancien cuirassier se rappelait 25 ses campagnes dans le Nord, et nous racontait pour la centième fois cette sinistre retraite de Eussie où l'on n'avait à manger que du biscuit gelé et de la viande de cheval. — Comprends-tu cela, petite ? Nous mangions du 30 cheval ! Je crois bien qu'elle le comprenait. Depuis deux mois, elle ne mangeait pas autre chose.... De jour en LE SIÈGE DE BERLIK. 163 jour cependant^ à mesure que la convalescence ap- prochait, notre tâche autour du malade devenait plus difficile. Cet engourdissement de tous ses sens, de tous ses membres, qui nous avait si bien servis jus- 5 qu^alors, commençait à se dissiper. Deux ou trois fois déjà, les terribles bordées de la porte Maillot Tavaient fait bondir, Toreille dressée comme un chien de chasse ; on fut obligé d^in venter une dernière vic- toire de Bazaine sous Berlin, et des salves tirées en 10 cet honneur aux Invalides. Un autre jour qu^on avait poussé son lit près de la fenêtre, il vit très-bien des gardes nationaux qui se massaient sur Tavenue de la Grande-Armée. — Qu^est-ce que c^est donc que ces troupes-la ? 15 demanda le bonhomme, et nous Tentendions grom- meler entre ses dents : — Mauvaise tenue ! mauvaise tenue ! Il n'en fut pas autre chose ; mais nous comprîmes que dorénavant il fallait prendre de grandes pré- 20 cautions. Malheureusement on n'en prit pas assez. Un soir, comme j'arrivais, l'enfant vint à moi toute troublée : — C'est demain qu'ils entrent, me dit-elle. La chambre du grand-père était- elle ouverte ? Le 25 fait est que depuis, en y songeant, je me suis rap- pelé qu'il avait, ce soir-là, une physionomie extraor- dinaire. Il est probable qu'il nous avait entendus. Seulement nous parlions des Prussiens, nous ; et le bonhomme pensait aux Français, à cette entrée triom- 3ophale qu'il attendait depuis si longtemps — Mac- Mahon descendant l'avenue dans les fleurs, dans les fanfares, son fils à côté du maréchal, et lui, le vieux, 164 LECTURES FRAÎ^ÇAISES. sur son balcon saluant les drapeaux troués et les aigles noires de poudre... Pauvre père Jouve ! Il s^était sans doute ima- giné qu^on voulait Tempêclier d^assister à ce défilé de nos troupes^ pour lui éviter une trop grande émotion. 5 Aussi se garda-t-il bien de parler à personne ; mais le lendemain^ à Theure même où les bataillons prus- siens s^engageaient timidement sur la longue voie qui mène de la porte Maillot aux Tuileries^ la fenêtre de là-haut s'ouvrit doucement, et le colonel parut sur 10 le balcon. Je me demande encore quel effort de volonté, quel sursaut de vie Favait ainsi mis sur pied et harnaché. Ce qu^il y a de sûr, c^est qu^il était là, debout derrière la rampe, s^étonnant de trouver les avenues si larges, si muettes, les persiennes des mai- 15 sons fermées, Paris sinistre comme un grand lazaret, et personne pour aller au-devant de nos soldats. Un moment il put croire qu^il s^était trompé... Mais non ! là-bas, derrière l^Arc de triomphe, c^était un bruissement confus, une ligne noire qui 20 s^avançait dans le jour levant... Puis, peu à peu, les aiguilles des casques brillèrent, les petits tambours d^Iéna se mirent à battre, et sous l^arc de FE toile éclata la marche triomphale de Schubert. Alors, dans le silence morne de la place, on en- 25 tendit un cri, un cri terrible : Aux armes !... aux armes!... les Prussiens! Et les quatre uhlans de Tavant-garde purent voir là-haut, sur le balcon, un grand vieillard chanceler en remuant les bras, et tomber raide. Cette fois le colonel Jouve était bien 3. mort. A. Daudet. TROISIÈME PARTIE. POESIES. LA CIGALE ET LA FOUEMI. La cigale^ ayant chanté Tout Tété, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue. Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la fourmi, sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain, pour subsister Jusqu\à la saison nouvelle. Je vous paierai, lui dit-elle. Avant Taoût, foi d'animal. Intérêt et principal. La fourmi n^est pas prêteuse ; C^est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. — Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. — Vous chantiez ! j^en suis fort aise. Eh bien ! dansez maintenant. La Fontaii^e. 165 166 LECTUKES FRANÇAISES. LE PETIT PIERRE. Je suis le petit Pierre^ Du faubourg Saint-Marceau, Messager ordinaire, Facteur et porteur d^eau. J^ai plus d^une ressource 5 Pour faire mon chemin ; Je n^emplis pas ma bourse. Mais je gagne mon pain. Je n^ai ni bois, ni terre. Ni chevaux, ni laquais, 10 Petit propriétaire. Mon fonds est deux crochets. Je prends comme il arrive L^ivraie et le bon grain. Dieu veut que chacun vive, 15 Et je gagne mon pain. Contre un bel édifice J^ai placé mon comptoir ; Là, sans parler au suisse. On peut toujours me voir. 20 Pour n^oublier personne Je me lève matin. Et la journée est bonne. Quand je gagne mon pain. Comme le disait Biaise, Feu Biaise, mon parrain. On est toujours à Taise Lorsque Fon n^a pas faim. 25 POÉSIES. 167 Dans les jours de misère Je m^adresse au voisin ; Il a pitié de Pierre^ Et je trouve mon pain. B. DE Peethes. NERA. (Le paysan à sa vache égarée.) 5 Ah ! ah ! de la montagne Eeviens, Néra^ reviens ! Réponds-moi, ma compagne^ Ma vache, mon seul bien. La voix d\in si bon maître, lo Néra, Peux-tu la méconnaître? Ah ! ah ! Néra. Reviens, reviens ; c^est Theure 15 Oii le loup sort des bois. Ma chienne, qui te pleure. Répond seule à ma voix. Hors Tami qui t^appelle, Néra, 20 Qui t^aimera comme elle ? Ah ! ah ! Néra. Dis-moi si dans la crèche, Où tu léchais ma main, 25 Tu manquais de Therbe fraîche Quand je manquais de pain ? 168 LECTUEES FEANÇAISES. Nous n^en avions qu^à peine, Néra, Et ta crèclie était pleine ! Ah ! ah ! Néra. 5 Ingrate ! quand la fièvre Glaçait mes doigts raidis, Otant mon poil de chèvre Sur vous je retendis. Faut-il que le froid vienne, lo Néra, Pour qu^il vous en souvienne ? Ah ! ah ! ISTéra. Adieu ! sous mon vieux hêtre 15 Je m^en reviens sans vous ; Allez chercher pour maître Un plus riche que nous. Allez ! mon cœur se brise Néra !... 20 Pourtant, Dieu te conduise ! Ah ! ah ! îféra ! Je n^ai pas le courage De te vouloir du mal ; 25 Sur nos monts crains Forage ; Crains Tombre dans le val. Pais longtemps Therbe verte, Néra! Nous mourrons de ta perte, 30 Ah ! ah ! Néra ! POÉSIES. 169 Un soir^ à ma fenêtre, Néra, pour t^abriter. De ta corne, peut-être. Tu reviendras heurter ; Si la famille est morte, Néra, Qui t^ouvrira la porte ? Ah ! ah ! Néra ! Casimir Delavigîte. EOMANOE. lo PARTAînr pour la Syrie, Le jeune et beau Dunois Venait prier Marie De bénir ses exploits. Faites, reine immortelle, 15 Lui dit-il en partant, Que j^aime la plus belle. Et sois le plus vaillant. Il trace sur la pierre Le serment de Thonneur, 20 Et va suivre à la guerre Le comte, son seigneur. Au noble vœu fidèle. Il dit, en combattant : Amour à la plus belle ! 25 Honneur au plus vaillant ! 170 LECTURES FRANÇAISES. Je te dois la victoire, Dunois^ dit le seigneur ; Puisque tu fais ma gloire^ Je ferai ton bonheur. De ma fille Isabelle Sois époux à rinstant. Car elle est la plus belle. Et toi le plus vaillant. À Tautel de Marie Ils contractent tous deux lo Cette union chérie Qui seule rend heureux. Chacun dans la chapelle Disait, en les voyant : Amour à la plus belle ! 15 Honneur au plus vaillant ! La Eeine Hortekse. CHANSON DE EOLAND. Où vont tous ces preux chevaliers, L^orgueil et Pespoir de la France ? C^est pour défendre nos foyers Que leur main a repris la lance ; 20 Mais le plus brave, le plus fort, C^est Roland, ce foudre de guerre ; S'il combat, la faux de la mort Suit les coups de son cimeterre. Soldats français, chantons Roland, 25 L'honneur de la chevalerie. Et répétons en combattant Ces mots sacrés : gloire et patrie. POÉSIES. 171 Déjà mille escadrons épars Couvrent le pied de ces montagnes ; Je vois leur nombreux étendards Briller sur les vertes campagnes. 5 Français, là sont vos ennemis ; Que pour eux seuls soient les alarmes ; Qu^ils tremblent ! tous seront punis ! Eoland a demandé ses armes. Soldats français, etc. 10 L'honneur est d^imiter Eoland ; L^honneur est près de sa bannière ; Suivez son panache éclatant ; Qu^il vous guide dans la carrière. Marchez, partagez son destin ; 15 Des ennemis que fait le nombre ? Eoland combat ; ce mur d^airain Va disparaître comme une ombre. Soldats français, etc. Combien sont-ils ? combien sont-ils ? 20 C^est le cri du soldat sans gloire ; Le héros cherche les périls ; Sans les périls qu^est la victoire ? Ayons tous, ô braves amis. De Eoland Tâme noble et fière. 25 II ne comptait les ennemis Qu^étendus morts sur la poussière. Soldats français, etc. Mais j^entends le bruit de son cor Qui résonne au loin dans la plaine : 30 Eh quoi ! Eoland combat encore ? Il combat ! ô terreur soudaine ! 173 LECTURES FRANÇAISES. J^ai vu tomber ce fier vainqueur ; Le sang a baigné son armure : Mais toujours fidèle à Phonneur, Il dit^ en montrant sa blessure : Soldats français ! chantez Koland ! Son destin est digne d^envie ; Heureux qui peut^ en combattant. Vaincre et mourir pour sa patrie. Alex. Duval. LES SOUVENIRS DU PEUPLE. 0:^ parlera de sa gloire Sous la chaume bien longtemps. lo L^humble toit^ dans cinquante ans, Ne connaîtra plus d^autre histoire. Là viendront les villageois Dire alors à quelque vieille : Par des récits d^autrefois, 15 Mère^ abrégez notre veille. Bien, dit-on, qu^il nous ait nui. Le peuple toujours le révère. Oui, le révère. — Parlez-nous de lui, grand^mère ; 20 Parlez-nous de lui. Mes enfants, dans ce village. Suivi des rois, il passa. Voilà bien longtemps de ça ; Je venais d^entrer en ménage. 25 A pied grimpant le coteau, Où pour voir je m'étais mise. Il avait petit chapeau Avec redingote grise. POÉSIES. 173 Près de lui je me troublai ; Il me dit : Bonjour, ma chère, Bonjour, ma chère. — Il vous a parlé, grand^mère I 5 II TOUS a parlé ! L^an diaprés, moi, pauvre femme, A Paris étant un jour, Je le vis avec sa cour ; Il se rendait à Xotre-Dame. 10 Tous les cœurs étaient contents ; On admirait son cortège. Chacun disait : Quel beau temps ! Le ciel toujours le protège. Son sourire était bien doux , 15 D^un fils Dieu le rendait père, Le rendait père. ^ Quel beau jour pour vous, grand^mère ! Quel beau jour pour vous ! Mais quand la pauvre Champagne 2o Fut en proie aux étrangers. Lui, bravant tous les dangers, Semblait seul tenir la campagne. Un soir, tout comme aujourd'hui. J'entends frapper à la porte ; 25 J'ouvre ; bon Dieu ! c'était lui ! Suivi d'une faible escorte. Il s'assied oii me voilà, S'écriant : Oh ! quelle guerre ! Oh ! quelle guerre ! 30 — Il s'est assis là, grand'mère ! Il s'est assis là ! 174 LECTURES FRANÇAISES. J^ai faim, dit-il ; et bien vite Je sers piquette et pain bis ; Puis il sèche ses habits. Même à dormir le feu Finvite, Au réveil, voyant mes pleurs, 5 Il me dit : Bonne espérance ! Je cours de tous ces malheurs. Sous Paris, venger la France. Il part ; et comme un trésor J^ai depuis gardé son verre, lo Gardé son verre. — Vous Tavez encore, grand^mère ! Vous Tavez encore ! Le voici ! Mais à sa perte Le héros fut entraîné. 15 Lui, qu^un pape a couronné. Est mort dans une île déserte ; Longtemps aucun ne Ta cru ; On disait : Il va paraître. Par mer il est accouru ; 20 L^étranger va voir son maître. Quand d^erreur on nous tira. Ma douleur fut bien amère ! Fut bien amère ! — Dieu vous bénira, grand^mère ! 25 Dieu vous bénira ! P. J. DE BÉRANGER. POÉSIES. 175 LA SOUECE. Tout près du lac filtre une source, Entre deux pierres, dans un coin ; Allègrement Teau prend sa course, Comme pour s^en aller bien loin. 5 Elle murmure : Oli ! quelle joie ! Sous la terre il faisait si noir ! Maintenant ma rive verdoie. Le ciel se mire à mon miroir. A ma coupe Voiseau s^abreuve ; 10 Qui sait ? — Après quelques détours Peut-être deyiendrai-je un fleuve Baignant vallons, rochers, et tours. Je broderai de mon écume Ponts de pierre, quais de granit, 15 Emportant le steamer qui fume A rOcéan 011 tout finit. Ainsi la jeune source jase. Formant cent projets d^avenir ; Comme Teau qui bout dans un vase, 20 Son flot ne peut se contenir ; Mais le berceau touche à la tombe ; Le géant futur meurt petit ; Née à peine, la source tombe Dans le grand lac qui l^engloutit ! T. Gautier. 176 LECTUEES FRANÇAISES. CHANSON. Si vous croyez que je vais dire Qui j^ose aimer, Je ne saurais, pour un empire. Vous la nommer. Nous allons chanter à la ronde, 5 Si vous voulez^ Que je Fadore et qu^elle est blonde. Comme les blés. Je fais ce que sa fantaisie Veut m^ordonner^ 10 Et je puis, s^il lui faut ma vie, La lui donner. Du mal qu^une amour ignorée Nous fait souffrir, J^en porte Pâme déchirée 15 Jusqu^à mourir. Mais j^aime trop pour que je die Qui j^ose aimer^ Et je veux mourir pour ma mie Sans la nommer. 20 A. DE Musset. POÉSIES. 177 NAPOLEO:S". Toujours lui ! lui partout ; — ou brûlante ou gla- cée^ Son image sans cesse ébranle ma pensée. Il verse à mon esprit le souffle créateur ! Je tremble^ et dans ma bouche abondent les paroles^ 5 Quand son nom gigantesque^ entouré d'auréoles^ Se dresse dans mon vers de toute sa hauteur. Là, je le vois guidant l'obus aux bonds rapides ; Là, massacrant le peuple au nom des régicides ; Là, soldat, aux tribuns arrachant leurs pouvoirs ; 10 Là, consul jeune et fier, amaigri par les veilles. Pâle sons ses longs cheveux noirs. Puis empereur puissant, dont la tête s^incline, Gouvernant un combat du haut de la colline. Promettant un étoile à ses soldats joyeux, 15 Faisant signe aux canons qui vomissent des flammes, De son âme à la guerre armant six cent mille âmes^ Grave et serein, avec un éclair dans les yeux. Puis pauvre prisonnier, qu^on raille et qu^on tour- mente, Croisant ses bras oisifs sur son sein qui fermente, 20 En proie aux geôliers vils comme un vil criminel. Vaincu, chauve, courbant son front noir de nuages. Promenant sur un roc où passent les orages Sa pensée, orage éternel. 178 LECTURES FRANÇAISES. Qu^il est grand à cette heure où, prêt à voir Dieu même. Son œil qui s^éteint roule une larme suprême ! Il évoque à sa mort sa vieille armée en deuil. Se plaint a ses guerriers d^expirer solitaire. Et, prenant pour linceul son manteau militaire, 5 Du lit du camp passe au cercueil ! Tu domines notre âge ; ange ou démon, qu^importe ! Ton aigle dans son vol, haletante, nous emporte. L^œil même qui te fuit te retrouve partout. Toujours dans nos tableaux tu jettes ta grande om- lo bre. Toujours Napoléon, éblouissant ou sombre. Sur le seuil du siècle est debout. V. Hugo. NOTES. Références are to Whitney's Brief French Grammar (B.Gr.) and to Whitney's Practical French Grammar (P.G.). Ail références to the latter as far as p. 200 apply also to Whitney's Practical French. 1. LES TROIS PETITES POULES. 1. il y avait tliere were: B.G. 225^ ; P. G. p. 140 (4). 7. fut faite was done : B.G. 2115 ; P.G. p. 131 (lô). 8. je . . . voir I am goîng to go and see: B.G. 228, lô ; P.G. p. 139 (9c), p. 318 (176^). 9. la tête lier head : B.G. 81 ; P.G. p. 73 {^a). 10. en s'ecriant crying ont: B.G. IBOrt ; P.G. p. 333 (190). 11. pour en sortir to corne ont (pf ït), leave it : B.G. 143 a, c; P.G. p. 109 (5 a, c).^ 2 1. s'en . . . chemins went off ail alone hy the roads, along tlie roads. Toute seule : the adverb tout, when used before a féminine adjective beginning with a consonant, is made to agrée with the adjective it qualifies; P.G. p. 260 (116c). 4. Qu'as . . . désoler what îs the matter thaï y ou are gviemng, why do y ou grîemf B.G. 1962> ; P.G. p. 70 (65). 27. compère le loup daddy wolf: the article is used after a title of politeness before a naine or title : thus, monsieur le marquis the marquis or marquis, madame la princesse the princess, mon- sieur le docteur, the doctor ; P.G. p. 227 (43). 29. t'en donner give you some {milk) : B.G. 145 ; P.G. p. 110 (7). *> 20. qu'est. . .mis what hâve you put? B.G. 166; P.G. p. 119 (7). 22. je . . . double Fil eat you twice as much. 23. il . . . mourir he ended hy dying : B.G. 282 ; P.G. p. 154 (5a), p. 331 (1875). 26. mon tour de France : it was formerly the custom for every French artisan to wander over the coun- try working as a journeyman, thus learning his trade and see- ing the world ; this was called making one's tour of France. M 1. je . . . trouver I hâve just found: B.G. 228, 13ô ; P.G. p. 146 (llô). 18. les voilà partis they are off y off" they 179 180 KOTES. started : B.G. 233 ; P. G. p. 341 (200). 23. il y a . . . ouvrage 1 Tiam had no worhfor a long Urne : B.G. 225c ; P. G. p. 141 (4c). 30. planche au pain hread-shelf : B.G. 94 ; P. G. p. 221 (36). P^ 6. lui . . . un Qèil put oui one ofhis eyes : B.G. 150a ; P. G. p. 251 (886). 19. ils . . . pierre they finished Mm with blows ofsione, hy tJirowing stones at Mm. LES DEUX SOLDATS. 1. il était there were : B.G. 225 a, d\ P. G. p. 141 (4 a, d). 3. au pays to iheir own country. 10. à qui . . . yeux as ta wMch sliall let Ms eyes be put out : see note to p. 5, 6. 17. tout ce . . . bon everytMng good tliere was : B.G. 100 ; P. G. p. 218 (ZM). 27. àe coté et à'sLMtve from place to place. - 9. moi aussi : B.G. 141c ; P. G. p. 245(74). 16. que chacun dise let every one tell: the third persons of the présent subjunctive are often used as imperatives : P. G. p. 284 (141). 19. dont wTiose: B.G. 172; P.G. p. 123 (7). 29. l'on: B.G. 1786*; P.G. p. 127 (4a). g 9. il n'avait . . . liberté he Tiad only to cause the Uherty-pole to * be pulled up : B.G. 228, 66 ; P.G. p. 151 (96). 12. autant . . . fallait as much as it needed (of it) : B.G. 228, 76 ; P.G. p. 142 (76). 19. on en . . . princesse they made the princess drink of it: B.G. 261a; P.G. p. 295 (1686). 22. sois: B.G. 272a; P.G. p. 157 (la), p. 280 (1376). 31. n'étiez . . . autrefois were there not two of you beggîng formerly? 9. 5. toujours . . . plaindre he was always complaining : P.G. p. 314 (174c). LE LIEVRE ET LE HERISSON. j ^ 4. Il faut . . . vraie it must be true : B.G. 228, 7a ; P.G. • 141 (7a). 7. c'était it was : B.G. 156; P.G. p. 112 (26). 16. regardait . . . temps was watching the time pass. 18. ne chante : B.G. 244^? ; P.G. p. 311 (170c). ^ o 2. toute : see note to p. 2, 1. 19. je m'en flatte I flatter my- self [they are] so : B.G. 143c ; P.G. p. 109 (5c). 20. c'est . . . voir tJiat is what must be seen^ that remains to be seen. 24. je le . . . envie I am quite willing if you want to so much : note use of le and en, botli necessary in French and untranslatable in English : B.G. 140c, 143c ; P.G. p. 109 (5), p. 246 (82a, 85a). Î^OTES. 181 ^ o 7. qu'y a-t-il what is tlie maiter, wTiat is therel 17. par- tons Ut us go : first person plural imperative. 1 M 10. le diable . . . quelque chose the demi has sometMng to • do with it. 25. ne put : B.G. 243a ; P. G. p. 306 (166<^). ^ K 4. si . . . être however important he tliiiiks Mmselfto be. 9. soit : B.G. 270 ; P. G. p. 275 (134). hérisonne : B.G. S2b; P. G. p.230(50^>). LES TROIS CHEVEUX D^OR DU DIABLE. ^ ^ 4. sans . . . reconnût without any one's recognizing Mm : B.G. 272 a, b ; P. G. p. 159 (5ô). 6. qu'il . . . enfant that a cMld hasjust been born : B.G. 224 ; P. G. p. 140 (3); see note to p. 4, 1. 7. tout . . . réussirait that lie would succeed in every- thing he undertook. 12. vous . . . gens y ou are poor people : B.G. 99; P.G. p. 220 (35). ^rj 4. de leur mieux as well as they could. 22. trouvât : see note to p. 16, 4. 25. le soir at evening : P.G. p. 215 (285). 18. 20. 17. on lui fît épouser they should make him marry : B.G. 270^ ; P.G. p. 275 {IZ^a) ; see also note to p. 8, 19. 19. 3. changée : B.G. 191a ; P.G. p. 58 (55). 1. qu'il .. . passer which the question was to cross, which he must cross. 19. en fourmi into an ant. 21. voilà . . . bien that goes well. o-| 1. du nouveau something new .• B.G. 113; P.G. p. 235 (59). 3. sans rien trouver without finding anything :. B.G. 251 ; P.G. p. 344 (210). 5. tu crois toujours sentir you always ihink you smell: B.G. 283c ; P.G. p. 317 (176c). oo 17. comme l'hôtesse ... et qu'elle avait . . . as the house- keeper . . . and as she had . ..." B.G. 2b^a ; P.G. p. 346 (2215). 33. il . . . passer he caused himself to cross, had himself transferred. oo 4. ville à l'arbre stérile the city of the stérile iree : see note top. 4, 30. 21. à toi thine: B.G. 197 ; P.G. p. 299 (161c). LA BELLE ET LA BÊTE. 25. La belle the beauty : àee note to p. 21, 1. 182 ]sroTES. o^ 13. d'apprêter à dîner make readyfor dinner. 19. vivait ' Tiad been Iwing : B.G. 2646 ; P. G. p. 265 (119c). 23. failla tourner almost turned : B.G. 228, 5 ; P. G. p. 318 (176/). oq ^0- 6^ peu d'heures in afew hours. 29. que ne demandait- elle why did she not ask for : B.G. 2435; P. G. p. 306 ( 6Ô). tf,^ 14. on . . . dire it was useless to talk, in spiie of ail tJiey could say : P.G. p. 318 (176/). o-i 4. elle lui . . . oui she toldhim tremhling yes ; P.G. p. 341 (2006») . 8. Adieu, la Belle ; . adieu, la Bête good-hye, Beauty ; good-hye, Beast : in f amiliar language the article is of ten used bef ore a noun in address : P. G. p. 228 (48c). 00 11- je ne . . . que de Iwislifor notJiing but to : B.G. 244c ; P.G. p. 307 (167 d, 6). cj*> 4. quand on . . . esprit wJien one thinJcs that one has no wit : see note to p. 21, 5. 11. j'ai . . . bon Iliam a good Jieart: P.G. p. 227 (44). 27. c'est . . . soit it is a greatpiiy that he should be : B.G. 269 ; P.G. p. 274 (133). c» j_ 3. s'il était etc. if it would soon be ; si if is in French almost always followed by the présent or imperfect indicative: P.G. p. 157 (16). 14. il le faut bien it must be so, 1 must do so : see note to p. 12, 24. 27. que de than to : P.G. p. 317 (1766). r>K 24. de ce qu'elle because she. 31. firent tant des aiïligées acted as if so much afflicted at her departure, trurj 14. à peine. . .qu'elle hardly had . . .when she: B.G. 2576 ; P.G. p. 347 (221c). 30. pour vous . . . caractère to let yourself be moved by the goodness of my chojvacter. 32. que je vous ai which 1 ham toward you, wJiich I am under to you, LE PETIT MARQUIS. OQ 3- J6 n'avais . . . mère I had no mother : after a négative verb a noun not properly admitting- a partitive sensé is often put in a partitive form : P.G. p. 220 (356). 4. bonne de confiance a confidential or trusted servant : P.G. p. 217 (30c). M^ 3. à plaindre to be piiied: B.G. 279^» ; P.G. p. 314 (174c). 5. il est vrai : B.G. 156c ; P.G. p. 112 (26). ^1 21. changé de sort changed fortune ov places : B.G. 262 ; • P.G. p. 302 (162/). ivroTEs. 183 ^o 4. toi tu thou or you emphatic : B.G. 141c ; P. G. p. 244 (74). 14. je ne . . . plus / do not helieve either : B.G. 246c; P.G. p. 308 (169c). soit: B.G. 270c ; P. G. p. 275 (134c). 21. Il . . . triste he has good reason to be sad : B.G. l*7la ; P.G. p. 123 (6a). 22. tout enfant déjà already as a mère cMld, 26. quoique . . . d'autre though she had no other: see note to p. 39, 2. 31. How mucïi Urne is iherefrom that, Tiow long ago was thatf Mn 5. on peut m'en croire one may 'beliew me {àboui it). 12. c'étaient . . . maîtres they were mry good masters : B.G. 1566; P.G. p. 64 (6). 14. rien de moins nothîng less : B.G. 100 ; P.G. p. 218 (346Q. 15. au temps où nous vivions at the Urne in wMch we lived : B.G. 173 ; P.G. p. 123 (8). In 1793 the French Révolution was at its heigbt, aud the lives of ail, especially of the nobles, were in constant danger. 26. il avait ...mère he had seen his mother weep : P.G. p. 317 {VHM). 33. ne faisait qu'en rire only lauglied at it: B.G. 2446; P.G. p. 307 (167cZ). MM 9. ce qui en était, literally what there was of it : i.e. what it was ail about. 10. l'armée vendéenne the army of Vendée, a French province which remained loyal to the kiug, and fought against the Révolution. 30. à V?àx from the look. 4.K 25. qu'elle emmène : see note to p. 7, 16. 33. la chambre etc. the most retired room: B.G. 1196 ; P.G. p. 55 (56). M^ 1 . l'un one ; the V is only for euphony : P. G. p. 228 (486). 2. s'il venait des étrangers : see note to p. 16, 6. 3. je devais rester I was to remain : B.G. 228,' 36 ; P.G. p. 124 (12/). 9. aux paysans : see note to p. 8, 19. 15. eux aussi they too : B.G. 1416 ; P.G. p. 108 (3^). 20. s'était . . . rôle had adapted himself to his part. 23. se laisser tutoyer let himself be called thou: the *'thou" was never used by a social inferior to a superior, B.G. 132a. 26. commandât, fît : see note to p. 11, 4 ; also to 46,8. 31. personne de susi^ecte any suspicions perso7i : see note to p. 43, 14. ^g 5. Dieu le veuille God grant it! B.G. 268^^ ; P.G. p. 272 (1316). 25. bien . . . nuit /a?' into the night. j^q 12. puisses-tu may you : see note to p. 48, 5. 32. ce n'est , , . soit it is not that it is or not thai it is worth while, 184 NOTES. P^^ 3. de quoi retenir wlierewith to keep : see note to p. 42, 21. 24. nouveaux venus 7i6^^-C(?me?'5 .* P. G. p. 234 (56e?). 31. à ma faim to my hunger, my filL LA VACHE DU PRINCE. B^r» 4. vieux musicien an old musician : B.G. ^2a; P. G. p. 229 (50a). 20. quel . . . faire what présent sTiould I maJceJier? B.G. 283cZ; P. G. p. 318(176^). 24. Roussette : name of Mère Barberin's former cow. 27. j'achetais I hought : the iinperfect is used hère as if what he is hoping for had already happened . ^M 25. ne mangeant presque pas hardly eating at ail or eat- ing almost nothing. 31. que non not : see note to p. 31, 4. K/> 3. que . . . eue which a cow has ever had : B. G. 247c, 2716; P.G. p. 311 (170c), p. 278 (1356). 26. qui . . . tours who knows how to do trïcks : B.G. 271<* ; P.G. p. 278 (135a). 27. c'en . . . qui it is one {of tliem, i.e. cows) which. j^rj 3. pourquoi diable why the demi : a very usual expression in French, not by any means an oath. 58. 32. tournant par derrière going round behind, 59. 3. va pour let it go at. fiO '''• J^^^^^ • • • ^°^ neiger had we drunk any so good: B.G. 145a; P.G. p. 110 (7a). r*^ 1. à. . .langue with great hlows of her longue^ in great mouthfuls. 6. just a Utile hit. ^o 24. je . . . faire I let it he done : see note to p. 43, 26. 29. ce fut à moi de it was for me or my part to : P.G. p. 314 (1736). 64. 4. M. le juge de Paix : see note to p. 2, 27. ^.p^ 1. comme. . .fait as I had done: B.G. 228, 6c; P.G. * p. 151 (9c). 4. se trouvait would he : P.G. p. 265 (1196). 7. puisque ... et que since . . . and since: see note to p. 22, 17. 21. sou à sou sou hysou : B.G. 94a ; P.G. p. 221 (37c). 25. il . . . rien nothing of the kind happened. ^^ 2. lui donner à manger give her to eat,feed her: B.G. 279a; P.G. p. 324 (182c). 22. que . . . imaginé than I KOTES. 185 had imagined: see notes to p. 11, 18, p. 12, 24. 25. en voilà une chance there's u pièce of luck ! 67. 9. Bon . . . enfants good-by, cMldren : see note to p. 31, 8. 18. il . . . craindre ii was not to he feared : see note to ^^- p. 40, 2. rjr^ 17. pattes de devant fore-paws : see note to p. 39, 4. 29. contre tous against emvy one. rj^ 4. étable à vache : see note to p. 4, 30. 14. n'y tenant plus Tiot liolding oui any longer, uiiahle to contain our- selves. 17. c'était . . . installation the installation . . . was so improbable a thing : B.G. 269a ; P. G. p. 288 (1475). 72. 6. &'hqQ,oh,so! ohtlien! LES DEUX DEVISES. -p^ 23. avant monsieur before the gentleman. 25. premiers arrivés the jirst arrivais, the flrst œmers : see note to p. 60, 24. 76. 30. nullement : B.G. 244cZ ; P. G. p. 307 (167/). rjfj 2. avoir . . . voyages to be Utile in tJie habit of travelling. 24. le temps . . . dîner the time which Mulzen had spent in dining. fjc. 1. soleil de Provence: see note to p. 39,4. Provence is one of the southernmost provinces of France. ^^ 10. tous quatre . . . drôles ail four seem to be bad enough fellows, rascals. «1 23. il . . . procès he looks for ncthing but war and laic- suits, i.e. lie is very quarrelsome. 24. un homme à fuir a man to be shunned : B.G. 279a ; P. G. p. 329 (1855). ^^ 4. quel que soit loliatever may be : B.G. 177 ; P. G. p. 256 (104). 16. quoi qu'il puisse : see note to Une 4. LA PUCELLE D'ORLÉANS. ^r^ 1. la Lorraine et la Champagne: two provinces of France. B.G. 103 ; P. G. p. 43 (2). 14. plus jeune de younger by, 15. que de fois hoio many times : B.G. 163c ; P. G. p. 118 (4c). ^„ 1. les Vosges: a cbain of mountains. 26. ce que, , , guerre what xcar is; see note to p. 71, 17. 186 KOTES. ^^ 5. roi de France : at this time there were two claimants to the throne of France, Charles VII., aud Henry YI., King of England, who was the son of a French princess. The war had raged in France for many years when Jeanne came to the aid of Charles. 30. le plus difficile the most difficuU ihing : see note to p. 21, 1. CQ 9- ^vec . . . paysanne with lier coarse red peasant clothes : see note to p. 39, 4. 16. dans l'admiration filled with admiration. ^^ 3. Charles VII. (Charles Sept) : B.C. 1286; P.G. p. 80 (36). 22. il en advint it happened {about it). 27. sans y croire wiihout helieving in her : B.G. 143c; P.G. p. 109 (5c). 30. Orléans was besieged by the English under Talbot, and defended by the French under Dunois. Q-i 9. The fleur-de-lis is the emblem of the royal family of France. qo 1^- ^®s siens his men, 81. et n'en . . . facile and was none tJie less easy, 94. 31. y songea tliought of them : see note to p. 90, 27. gK 3. le 9 juillet the ninth of July : B.G. 128c* ; P.G. p. 80 {^a). 16. sa fin prochaine her approaching end : Jeanne was taken by the English and burnt as a sorceress in the city of Rouen in 1431. 96. AU COUVENT. 1. en entrant au couvent on entering the convent. In France girls of good family are very generally educated in convents. 6. laD**: avery unpopular teacher : P.G. p. 226 (42c^). 6. je mis . . . oreille / put my cap on my ear, i.e. 1 assumed an attitude of défiance, 20. Dupin : the maiden name of George Sand was Aurore Dupin, her married name Dude- vant. George Sand is simply a nom de plume. ^- 4. les sages . . . tâtée the wise or discreet girls hadfelt me, sounded me. 11. c'était à elle de : see note to p. 62, 29. 12. plus ancienne older (pupil). 19. une tape . . . bœuf a blow fit to MU an ox : see note to p. 81, 24. 26. C'est bien malin that is very sly. 28. la mère Alippe : mère was the title usually given to the older nuns, the younger being called sœur. NOTES. 187 QQ 1. Sliame! In tbis convent most of the nuns were English woinen. 16. pour en venir là to go sofar. 1 OO ^' s'entendaient . . . désordre agreed or coôperated in gimng vise to tliis slight disorder. 30. qui se trans- mettait which had heen handed down : see note to p. 26, 19. ^^-| 15. les sœurs converses : the lay-sisters performed ail tlie menial duties of the convent, the cooking in- cluded. see also note to p. 39, 2. 1 O*^ ^' ^^® ^^^^® ^ ^^® ^^^^ ^^ P" ^^' ^^* ^' ^ ^^^^ toutes a^^ together. 21. nous nous . . . autres we helped each oiher: P.G. p. 128 (7). -yr^^ 18. nous . . . monter we heard [some one] coming up : The subject of a dépendent infinitive is often omitted when indefinite: P.G. p. 317 (176fZ). 28. j'eus . . . genoux my knees Tiurt wry mucJi : B.G. 94a; P.G. p. 221 (37a). 106. MON PREMIER VOYAGE A PARIS. ^r^fT 1. M. Lefèvre was a notary in whose office at Villiers- Cotterets Dumas was at tbis time studying ]a^y. 25. nous . . . revenir ice Tiam 30 francs [to pay] for carriage, merely [i.e. /(??' notliing huti in coming and g oing : P.G. p. 308 (168a). 1 OQ ^^' ^® pièces plays. Dumas had already written sev- eral short plays in conjunction with Adolphe de Leuven, who was trying to get them accepted at some of the Parisian théâtres. 111. 20. nous en . . . pour we got off for. ^ ^ ^ 18. The Théâtre-Français is the most important théâtre in Paris, and is partially supported by the govern- ment. Talma was at tbis time the most distinguished actor in Europe. 24. dussé-je porter atteinte emn sliould I liave to aitack: B.G. 200^, 2686 ; P.G. p. 89 (10c), p. 273 (131c). ^ 1 r» 17. vous . . . volonté : see note to p. 42, 4 ; also B.G. lOlh, P.G. p. 37 (5^). 25. Talma. . . courte Talma wasvery sJiort-sighted : see note to p. 33, 11. 28. nous . . . places 188 NOTES. signed iwo places for us : the actors at the Théâtre- Français bad the rigbt to give avvay two seats every night, the tickets being sigiied by them witb tbeir names. 30. The father of Dumas was a well-known gênerai in the armies of the French Révolution. 1 -j ^ 4. Dumas became one of the most distinguished authors and diamatists of bis times. 12. avaient un nom 7iad a name, werefamous. -y^£* 34. quoi qu'en eut dit : see note to p. 85, 14. 19. Ou . . . bourgeois wliere is the citizen going f a now obsolète for m of addiess. 17. Paillet . . . dépensé emn if PoÂllet had spent noth- ing : see note to p. 112, 24 ; also P.G. p. 351 (227). 8. une machine. . . soit any macliine whatever : B.G. 177a ; P.G. p. 256 (104a). 117. 119. 120. LA FUITE DE VARENNES. La fuite de Varennes the Varennes flight or the flight to Varennes : P.G. p. 217 (30a). 1. le roi et la reine : Louis XVI. and Marie Antoinette, who at this time (1791), tbough nominally free and reigning, were really kept in con- finement in tbeir palace of the Tuileries in Paris under the eye of the Revolutionary Assembly. 2. leur coucher their retiring. It was the custom for the king and queen to receive while going to bed, only the more intimate or distinguished courtiers being admit ted at this time. 8. Madame Elizabeth was the king's sister. He had two children— a daughter 8 years old (Madame Royale), and a son (le Dauphin) aged 7. 18. M. de Fersen had charge of ail the arrangements for the escape of the royal family. 20. Carrousel ; the square between the two palaces of the Tuileries and the Louvre. 22. The Marquis of La Fayette was charged witb the oversight of the royal cap- tives. 1 QQ 2- Monsieur : brother of the king, afterwards Louis ^' XVIII. Tbe oldest brother of the French king was always called simply Monsieur. 12. figure bourbonnienne Bourbon face. Bourbon was the name of the royal family wbicb reigned in France for over 200 years, and to which Louis XVI. belonged. KOTES. 189 126. 28. ville haute et ville basse upper and lower town, 127. 24. à peine . . . que : see note to p. 37, 14. 129. 20. àvi reg&rà by a look. -i o-j 23. barrière de l'Étoile : one of the gâtes or entrances of the city. DEUX LETTRES. 132. 23. et sur ce and upon thîs, and so. - «r> 24. elle . . . faite sJie can never hâve been either beautiful or well-made, i.e. wellformed, of good figure : B.G. 228,36; P. G. p. 124 (12/). 1 ^Pi ^' ^°^^ 3ie . . . toilette wiih me y ou will only spendfor dress. 1 o^ 5. je n'ai . . . m'ennuyer consequently I did not believe ihat I should be bored : see note lo p. 133, 24. 24. que j'aie ou non whether or not Ihave the good fortune: P. G. p. 284 (142). ^ *>7 1. non plus : see note to p. 42, 14. 12. oui, . . . pasî literally, y es, îs it not? you liave, hamn't y ou? 30. sans . . . laisser without being able to leave anything : see note to p. 16, 4. 1 *^f< ^' ®® laisser . . . misère let one' s self go to poverty, sink into poverty. 25. au bout du compte at the end of the reckoning, i.e. afier ail I can only gim my self for what I know myself \to be^ 29. Reste à savoir it remains to be known or to be seen : the grammatical subject is often omitted, and the logi- cal subject stands alone with the verb ; P. G. p. 289 (148c). 1 OQ 9. lire . . . ouvert read at sight. 24. un . . . compte a little on account, a Utile advance payment. -tAf} 11- que j'ai été sotte howfoolish I was to : B.G. 163c?; P. G. p. 118 (id). 14. m'en . . . corps and hère I hâve 200 francs (worth) on my back. CHARLOTTE CORDAY. 1 4-2 ^^' '^^^ ^^^ most promînent parties in the Revolu- tionary Assembly of 1793 were the Girondins (so called because their leaders were from the department of la Gironde), 190 KOTES. and the Montagnards (so called because they occiipied the liighest seats at the left of the hall where the Assembly met). The Girondins were the less violent and more conservative of the two parties. 14. On May 31 the Assembly passed a decree ordering the arrest of ail the leading Girondins. They were ail afterwards guillotined. 15. La guerre du Calvados : an unimportant revolt, which broke out in the provinces against the power of the Assembly, and which was easily put down. 1 zL*^ ^- Barbaroux was one of the leaders of the Gironde. He was not taken with the others, but lay in hiding for some months. He was finally taken and guillotined. 12. Danton and Robespierre were, like Marat, leaders of the Mountain, and eacli in turn exercised almost despotic power for a short time during the Reign of Terror. Both finally per- ished by the guillotine. 1 44- ^- ^^"^ ^^^ ^^^^ • ^* ^^^^ '^™^ people of ten received while in the batli, the water being rendered opaque by milk or some other mixture, so that only the head of the bather remained visible. 31. empêchent. . . àéchire prevent lier being torn io pièces : B.G. 247a ; P. G. p. 310 (170a). LA CANNE DE JONC. -tAfT 1- The révolution of July, 1830, which drove Charles X. from the throne and made Louis Philippe king, lasted only three days. 20. la Garde : a body of choice troops attached to the service of the sovereign, called Garde Impériale during the empire, Garde Royale during the monarchy. 148. 3. La porte St. Denis : one of the old city gâtes. 1 4.Q '^' de . . . corps of coming to a hand-to-hand encounier with them. 1 ^O ^* "^^^^^ • • • singulier that is curions: see p. 20, 21. • * 25. l'Empereur : Napoléon. It was just before his final defeat and the fall of the empire. ^P^-| 7. ce grand. . .russe that great hoohy of a Bussian sentinel: P.G. p. 217 (31^/ie?'s, i.e. the allies, who reinstated Louis XYIII. on the throne and banisbed Napoléon to St. Helena. LE SIÈGE DE BERLIN. ^ P^7 !• The Champs-Elysées is one of the largest and finest avenues in Paris. It leads to the rondpoint {circle) de l'Étoile, where stands the great triumphal arch erected in honor of the victories of Napoléon. 9. 1870 was the year of the Franco-Prussian war. 12, The first empire under the great Napoléon lasted from 1804 to 1814. The second, under Napoléon III., 1853 to 1870. vieil entêté de gloire an old [fellow] infatuaied with glory and mctories. 17. Wissembourg, the first battle in which the French were defeated. ^ P^j^ 2. Mac-Mahon was one of the gênerais in command of the French armies. 17. toujours . . . soir- là in any case it is [irue] that on tJiat emning. "1 KO 3- faire, laisser : see note to p. 63, 20. 14. il y . . . voir it was really pathetic to see. 160 ^^' ^^""^ ^^ bric-à-brac a whole assortment of bric-à- brac or relies of the first Empire. ^ >» -| 10. Sedan. The décisive battle of the war, when Mac- Mahon and the Emperor surrendered themselves and their army to the Prussians. 28. à . . . finir without end. 1 f»2 ^° ^^^'^^ • • • Allemagne can one maJce [some'] France ont of [some'] Germany : note the curions use of the partitive. 16. jusqu'au . . . fraîche up to the end I was able to get fresh méat for Mm. 27. retraite de Russie retreat from Russia : see note to p. 120, 1. 33. elle . . . chose she had eaten nothing else : see note to p. 26, 19, also B.G. 180c ; P. G. p. 260 (1166). 192 KOTES. -»£•*> 6. bordée» . . . Maillot wlley ai ihe Maillot Gaie : a district of Paris. 9. en cet honneur m honor qf U. 18. il . . . chose ihai was ail : see note to p. 162, 33. POÉSIES. 165 '^' ^^^^^ famine cry famine, complain of Tiunger, 13. foi d'animal on ihe word or honor of an animal, 20. ne vous déplaise may it not displease you, by your leave : see note to p. 48, 5. 168. 1. We scarcely had any [of ii], 169, 12. Marie ihe Virgin Mary, 171. 6. See note top. 7, 16. •172 ^- sa his, i.e. Napoléon 's. 11. L'humble toit ihe humble roof, i.e. the poor, the lowly. 17. Although they say he has injured us: B.G. 272a; P. G. p. 280 (137ô). 24. Thai is a long iime ago: literally, it is now a long iime from ihai, ■\rjty 9. à Notre-Dame : the cathedral of Paris. 19. Cham- pagne : a province of France. 24. See note to p. 105, 18. 176 ^^' ^°^^ ^^® J® ^^® ~ ^^® J® ^^^® * ^^ obsolète form now only occasionally used in poetry. 177 ^^' ^°^ • • * ^®^^®^^® ^^^ agiiaied breast: B.G. 284a ; P. G. p. 332(189^). 178 ^' ^^^^ ®^^ grand: see note to p. 140, 11. 2. qui s'éteint : see note to p. 177, 19. VOCABULARY. ABBREVIATIONS. adj. adjective. m. masculine, masculine noun. adv. adverb. n. noun. art. article. Pl. plural. conj. conjunction. poss. possessive. /. féminine, féminine noun. part. participle. impers, impersonal. pron. pronoun. int. interjection. V. verb. Féminine forms of adjectives are given only when irregular. Each irregular verb is followed by a number referring to the table of irregular verbs at the end of the book, and showing the model verb like which it is conjugated. à prep. to, toward, unto ; at, in; of , for, with, etc. (charac- terized by) ; about, in re- spect or référence to ; on, by, f rom ; belonging to : une chose — faire, a thing to do or be donc. abaisser v. let down, lower : s' — , be lowered, bend. abandon m. abandonment, for- lornness. abandonner v. abandon, forsake, give up. abattre v. throw down, eut down. abattu adj. cast down, de- pressed. abeille/, bee. abnégation /. abnégation. abondance /. abundance. abondant adj. abounding, plen- tiful. abonder v. abound. abord: d'abord a^?^. at first, first: tout d' — , dès r — , from or at the very first. aborder v. arrive at, land ; corne up to, accost. aboutir v. end. abréger v. abridge ; make to seem short, or pass pleas- antly. abreuver v. water : s' — , drink plentifully. abri m. shelter : être à V — de, be sheltered from. abriter v. shelter. absence /. absence, ajbsent adj. absent, absolu adj. absolute. absolument adv. absolutely. absorber v. absorb, swallow up. s'abstenir v. (62) abstain, re- frain. 193 194 YOCABULARY. abuser ^. abuse, make a bad use of . accablant adj. oppressive, over- whelming. accaparer v. monopolize. accéder v. agrée, acceptation /. acceptance. accès m. access, attack. accident m. accident, accompagner i). accompany; fol- low. accomplir v. accomplisb, finish; fulfil. accord m. agreement : mettre d* — , make agrée, reconcile ; se trouver d' — , agrée. accorder v. grant : s' — , agrée, be suited. accouder v. lean on one's elbow. accourcir v, shorten. accourir v. (15) run, basten. accoutumé adj. accustomed, habituai, accoutumer v. accustom : s' — , accustom one's self, get îhe habit, accueillir v. (20) receive. accusation /. accusation. accuser v. accuse, charge, achat m. purchase. s'acheminer ^. set out, proceed. acheter v. buy. achever 'v. finish, despatch, acquitter v. pay, pay off : s'— de, fulfil, discharge, acte m. act, deed. actif, -ve adj. active, action /. action, activité /. activity. adieu adi^. adieu, farewell. admettre v. (36) admit, receive. admiration /. admiration, admirer v. admire, adopter v. adopt. adorer v. adore. adoucir ^. soften. adresse/, speech, address ; skill. adresser v. address : s' — , ad- dress one's self, apply. advenir v. (62) occur, happen. affaire /. affair, business : une bonne — , a good bargain ; avoir — à, hâve to do with. affectation /. affectation. affecter v. affect, assume. affection /. affection. affectueux adj. affect ionate. affiche /. placard, bill. afficher v. post up, proclaim. afîidé adj. trusted : as n, con- fédérale. affirmer v. afîirm, assert. affliger v. aflàict, distress, grieve. affluer v. flow, run ; flock. affreux adj. frightful, horrible. afin : — de, in order to, to ; — que, in order that. âge m. âge, century. âgé adj. aged, old : — de 20 ans, 20 years old. s'agenouiller v. kneel down. agir ^. act, do : s'agir de, im- pers, be in question, conceru, be the matter. agiter v. agitate, move. agréablement adv. agreeably. aide m. helper : — de -camp, aide-de-camp. aider v. aid, help : — à, give help to or about. aigle m. eagle; standard of Na- poléon. aigrement adv. sharply, bit- terly. aigreur/, sharpness, bitterness. aigrir v. make sour or sharp, irritate. aiguille /. needle, point. aile / wing. ailleurs adv. else\\'here : d' — , besides, moreover. YOCABULARY. 195 aimable adj. amiable, lovely. aimer v. love, like : — mieux, like better, prefer. aîné adj. elder, eldest. ainsi conj. tbus : — que, as, as well as, like. air 771. air, manuer, look ; tune: grand — , open air ; avoir r — , look ; avoir V — de, look like ; d'un — , witb a man- ner. airain m. brass. aisance/, ease. aise /. ease, comf ort : à son — , à r — , at one's ease, well off. aise adj. glad, pleased. aisément adv. easily. ajouter v. add. alarme/, alarm. allée /. going, passage, alley; des —s et venues, comings and goings. alléger v. ease, ligbteu. allègrement adv. joyfully, mer- rily. alléguer v. allège. Allemagne / Germany. allemand adj. German. aller v. (3) go, be going ; je vais le faire, I am going to do it ; — à pied, walk ; — en voiture, drive ; allez ! va ! trul}^ iudeed ; s'en — , go away, set ont, départ. allonger v. stretcb out, extend. allumette / match. alors adv. theu. alouette / lark. alterner v. alternate. amaigrir v. make tbin, emaci- ate. amant m. lover, suitor. amas m. mass, beap. amasser v. beap up, collect, accumulate, amass. ambitieux adj. ambitious. âme / soûl ; mind, spirit. amener v. bring, bring about ; induce. amer, -ère adj. bitter, sad. ameuter v. stir up. ami m. — e /. friend. amical adj. friendly. amicalement adv. kindly, in a friendly way. amitié / friendsbip : avoir en — , like ; faire des — s à, make mucb of. amour m. or/ love, ample adj. ample, amplification / amplification. ampoule / ampulla (for boly oil). amusant adj. amusing. amuser v. amuse, divert : s' — , amuse or busy one's self. an m. year: avoir deux — s, be two years old. anachorète m. bermit. anarchiste m. auarcbist. ancien adj. ancieut, old ; late. âne m. donkey ; fool. anéantir v. annibilate, deslroy. ange m. angel anglais adj. Englisb. angle m. angle. Angleterre/ England. angoisse / anguisb, distress. animal m. aniuial, beast. animé adj. animated, gay. ' année / year. annonce / anuoun cément. annoncer v. announce, tell, annuler v. anuul, abolisb. antiquité / antiquity. août m. August. apaiser v. sootbe, pacify. apercevoir v. (52) perçoive : s' — , perceive, tind out, discover, notice. apoplexie / apoplexy. apparaître v. (43) appear. 196 VOCABULARY. appareil m. dîsplay, magnifi- cence, apparemment adv. apparently. apparence /. appearance ; likeli- hood. apparition /. apparition, ap- pearance. appartement m. apartment. appartenir x. (62) belong, con- cern. appel m, appeal ; roll-call : faire r— , call the roll. appeler v. call, name ; invoke, call on. appétit m. appetite. appliqué adj. intent, diligent, appliquer v. apply. apporter v. bring, carry. apprécier v. value, estimate. apprendre v. (50) learn, hear of ; teach, tell, apprêter v. prépare, get ready. approbation /. approbation. approcher v. approach, draw near:s' — , approach, advance approuver v, approve. [(to, de), appui m. support, help. appuyer ^. support, lean upoD, press : s' — , lean, rest. après prep. adv. after, after- wards : d' — , after, according to. après-demain adv. day after to- morrow. arbre m. tree : — de la liberté, liberty-pole. arc m. arch : — de triomphe, triumphal arcb. archevêque m. archbishop. ardent adj. bot, fiery. argent, m. silver, money, cash, aristocrate m. or/, aristocrat. arme /. arm, weapon : homme d' — s, man at arms ; aux — s !, to arms ! ; fait d' — , deed of arms. armée/, army. armer v. arm, equip, fortify. armure/, armour. arracher v. force from, pluck out, pull away; draw, snatcb, wrest : s' — , tear one's self ; — les cheveux, tear one's hair. arranger v. set in order, ar- range, arrestation/, arrest. arrêter v. arrest, stop ; engage : s' — , stop, cease ; résolve, dé- cide, arrhes/ ^^. advance-payment. arrière adv. backward : en — , back, bebind. arrivée/ arrivai, arriver v. arrive, corne, happen, chance ; succeed, get on : impers, happen. articuler v. articulate. artifice m. art, contrivance : feu d'— , fireworks. artillerie/ artillery. artiste m. or/ artist, actor. aspect m. aspect, look, assaisonnement m. seasoning. assassinat m. assassination,mur- der. assaut m. assault, storm, attack; prendre d' — , take by storm. assemblée/ assembly. assembler v. collect together, gather: s' — , assemble, meet. assentiment m. assent, consent, asseoir v. (5) seat: s' — , sit, sit down. assez adv. enough, quite, rather. assigner v. summon, appoint, assister v. assist, help : — à, be présent at, be at. assombrir v. darken. assoupir v. make drowsy : s* — , grow drowsy, doze. assurance/ assurance, fi rmness. assuré adj. sure, secure. VOCABULARY. 197 assurément adv. surely. assurer v. assure ; affirm, prom- ise ; secure : s' — , make sure, be sure, atmosphère/, atmosphère. atroce adj. atrocious, cruel, attacher v. fasten, attach, tie : s' — à, take hold of, keep close to, folio w. attaque/, attack. attaquer v. attack. attarder ^. delay. atteindre v. (45) touch, hit, reach, charge, accuse, atteinte/ blow, attack : porter — à, injure, attack. attendre v. wait, expect, await : s' — à, count upon, expect. attendrir t?. soften, touch, af- fect. attente / expectation, waiting. attenter d. attempt, attack. attentif adj. attentive. attention /. attention, care : faire — à, pay attention to, mind. attentivement adv. attentively. attester v. attest, certify. attifer v. dress or rig out. attirer d. attract, draw. attiser v. stir up, poke. attitude/ attitude. attraper v. catch, attribuer v. attribute, impute, au =: à le. auberge/ inn, tavern, hôtel, aubergiste m. landlord. aucun adj. an y : with négative none, no, not any. audace/ audacity, insolence, au-dedans, au-dessus, etc., see dedans, dessus, etc. audition/ hearing. auge/ trough. augmenter v. augment, increase. aujourd'hui adv. to-day. aumône/ alms. auparavant adv. before, former- auprès de prep. near, by, to, be- side. auréole/ glory, halo, auspice m. auspices, aussi adv. too, also ; so, as : — que, as as ; conj. therefore ; — bien que, as well as. aussitôt adv. immediately : — dit — fait, no sooner said than donc ; — que, as soon as. autant adv. as much, as many, so much : — que, as much as ; d' — mieux, d' — plus, so much the more, autel m. altar. autorité/ authority. autour adv. around, about : — de, pî^ep. around, about. SLVLtve pron. another, other; witJi négative no other, no one else: l'un et r — , both ; l'un ou r — , either. autrefois adv. formerly : d' — , of former times, of old. autrement adv. otherwise, in another way. avance / advance, start : d' — , beforehand. avancement m. progress, pro- motion. avancer v. advance, come or go forward ; proceed, keep on : s' — , advance, move forward. avant adv. forward : en — î, forward ! ; as prep. before ; — que conj. before, before that ; — garde, vanguard. avantage 7n. advantage. avantageux adj. advantageous. avant-hier adv. day before yes- terday. 198 VOCABULAKY. avare adj, avaricious : m n. miser. avec prep. with. avenir m. (the) future. aventure/, adveuture. avenue/, avenue. avertir v. warn, inform. avertissement m. warning, cau- tion. aveugle adj. blind. avide adj. greedy, covetous. avidement adv. greedily, eager- ly. avidité/, avidity. avis m. opinion : à mon — , in my opinion ; être de mon — , agrée witli me. aviser v. consider : s' — , think, take it into one's head, be- think one's self. avocat m. advocate, lawyer. avoine/ oats. avoir v. hâve ; be : qu'est-ce que vous avez ?, what ails you ? ; — 40 ans, be 40 years old ; j'ai à vous parler, I bave some- thing to say to you ; y — impers, hère is, tliere are : il y a longtemps, for a long time ; a long time ago. avoir m. possessions, property. avouer v. confess, acknowledge. avril m. April. bagage m. baggage. bagatelle/ bauble, trinket. bague/ ring. baguette/ rod, wand. baigner v. bathe. bâillonner v. gag. bain m. bath. baïonnette / bayonet : enlever à la — , carry at the point of the bayonet. baiser v. kiss. baiser m. kiss. baisser v. let down,lower; bend, hang dowD ; fall. bal m. bail, balance/, balance, balancer î). balance : se — , swing, rock, balayer v. sweep. balcon m. balcony. balle/ bail, bullet. balustre m. baluster. banal adj. common ; meaning- less. banc m. bench. bandage m. bandage, bande/ band, set of people. bander v. bind up. banlieue/ outskirts. bannière/ banner, standard, banquier m. banker. baptiser, ^. baptize. baronne/ baroness. barque/ boat. barre/ bar, rod. barrer v. bar, obstruct. barrière/ bar, gâte. bas, -sse adj. low. bas m. lower part, bottom ; foot ; as adv. down, low ; à — , down ! ; plus — , lower down ; tout — , very low ; en — , below ; down ; là , over there, yonder. bassement adv. basely, meanly. bastille/ fortress. bataille/ battle : en — , inbattle array. bataillon m. battalion. bateau m. boat. bâtiment m. building, bâtir V. build. battre v. beat, strike : se — , light. Bavière,/ Bavaria. béatitude/ béatitude. beau or bel, -lie adj. beautiful, tine, handsome: — temps, tine YOCABULAEY. 199 weather ; il fait — , it is fine weatber ; avoir beau, do or tiy in vain, make useless ef- fort to ; de plus belle, more than ever, with renewed ar- dor. beaucoup adv. much, many. beauté/, beauty. bec m, beak, bill : coup de — , pecking. bégayer ^. stammer. bel, belle see beau. bêlement m. bleatiug. belle-sœur/, sister-in-law. bénir v. bless. berceau m. cradle ; bower. bercer i). rock, lull. berline/, coacb. besoin m, need, waut ; neces- sity : avoir — de, need, want; au — , in case of need. bestiaux j9^. qf bétail. bétail m. cattle. bête/, beast; fool, blockbead. bête adj. sill}^, stupid. bêtise/, stupidity. bibliothèque/ library. bien m. good; estate, property. bien ad.v. well, finely ; certain- ly, truly, iDdeed, just, quite, very; ttcU off, corafortably : eh — !, well î; — de, mucb, a great deal of ; bien que conj. altbougb, tbougb. bien-être m. welT-being, com- fort. bientôt ad't. soon. bienveillance/, benevolence. bienveillant adj. kind, frieudly. billet m. note ; ticket. bis adj. brown. biscuit m. biscuit. bise/ north wind. blanc, -che adj. white. blanc m. blaok. blanchâtre adj. wbitish. blé m. wbeat, corn. blesser t\ wound ; offend. blessure/ wound. bleu adj. blue. bleuâtre adj. bluish. blond adj. blond, fair. se blottir v. cover, hide one's self. bœuf m. ox. boire v. (6) drink : un pour — , a fee. bois m. wood ; forest. boîte/ box. bombardement m. bombard- ment. bon, -nne adj. good ; nice, kind: — !, good !, well ! bond m, bound, jump. bondir ^. bound, jump. bonheur m. happiness, good fortune, good luck : par — , luckily. bonhomie/ good nature. bonhomme m. good man, old fellow. bonjour m. good morning. bonne/ maid- servant : see also bon. bonnet m. cap: — de nuit, night- cap. bonsoir m. good evening. bonté / goodness, kioduess : avoir la — de, be so good as to. bord m. sbore ; bank, rim. bordée/ broadside, volley. border v. cdge, border. borner v. bound, limit : se — , keep witbin bounds, stop, botte/ boot. bouche/ mouth ; lips. bouchée/ moutbful. boucherie/ butcbery , slaughter. bouclé adj. ciirled, curly. bouderie/ sulkiness. boue/ mire, mud. 200 VOCABULARY. bouger ^. stir, budge. bougie/, candie. bouillir v. (7) boil. boulevard m. avenue, boule- vard. bouleverser v. agitate, trouble ; upset. bouquet m. buncb, tuft. bourdonner i). buzz, hum. bourgeois m., -ef. citizen. bourgeois adj. belongiug to a citizen; private, plain, home- Bourgogne /. Burgundy, a French province, bourguignon adj. Burgundian, of Burgundy. bourse/, purse. bout m. end ; bit : venir à — de, succeed in. boutade/, whim, caprice, bouteille/ bottle. boutique/ shop. bouton m. button, knob. boutonner 'V. button. bouvier m. drover. branche/, branch. bras m. arm : à tour de — , with ail one's might. brave adj. brave ; honest. bravement adv. bravely, stoutly. braver v. defy ; dare, face, brave, bravo ! znt. bravo ! bric-à-brac m. odds and ends, relies ; bric-à-brac, bride/, bridle, rein: à toute — , at fuU speed. brigand m. brigand, brillant adj. brilliant, shining. briller v. shiue, glitter. briser v. break : se — , break, be broken to pièces, broder v. embroider. brouillard 7n. fog, mist. broussailles/.^^. bushes,brush. brouter v. browse. bruissement m. noise, roaring. brûlant adj. burning, glowing. brûler v. burn. brun adj. brown ; brunette, dark. brusquement adv. bluntly, ab- ruptly. brutal adj. brutal, surly. brutalement adv. brutally. bûche/, billet, stick of wood. bulletin m. bulletin, report, buraliste m. office-keeper, clerk. bureau m. desk ; office. but m. mark, object, aim. ça adv. there. ça pron, (contraction of cela) that. cabane/, cabin. cabinet m. study. cabriolet m. cab. cacher v. hide, conceal. cachet m. seal. cacheter v. seal. cachette/, hiding-place. cachot m. dungeon. cadeau m. présent, gift. cadenasser v. padlock. cadet, -tte adj. younger, young- est. café m. coffee ; coffee-house. cahier m. blank-book, copy- book. caille/, quail. caisse/ case, chest, coffer: en — , in band. calculer v. calculate, estimate. calme m. quiet, calm. calmer v. calm, quiet, camarade m. comrade. camp m. camp, campagne /. country ; military campaign : en — , in the field. canal m. canal, candeur/ frankness, candor. VOCABULARY. 201 canne/, cane. canon m. cannon, barrel (of a gun). capable adj. able, capable, capitaine m. captain. capital m. capital ; principal, capitale/, capital, chief city. capitulation/, capitulation, capote/, cloak with hood, coat. caprice/, caprice, whim. captif, -ve adj. captive, captivité/, captivity. car conj. for, because. caractère m. character. caractériser v. characterize, dis- tinguish. caresse/, caress. caresser v. caress, cherish. carré adj. square, carrière/, career ; course, carte/, card, map. cartouche /. cartridge. cas m. case, event : en — , in case ; en tout — , at ail evenls ; en ce — , in that case ; faire — de, esteem, value, caserne/, barracks. casque m. helmet. casquette/, cap. casser v. break, casserole/, saucepan. cause /. cause : à — de, on ae- count of . causer v. cause, be cause of ; chat, converse. • cavalier m. horseman, rider, cave/, cellar. ce or cet, cette, pi. ces pron» this, that, it ; thèse, those. QQpron. that, this ; it (they, he, she, etc.): ce qui or que, that which, what, which. ceci pron. this. céder v. give up, yield. cela pron. that. célèbre adj. celebrated, famous. célébrité/, celebrity, famé. céleste adj. celestial. celle see celui. cellule/, cell. celui, celle, pi. ceux, celles ^. easily. façon/ fasbion, way, manner : de — à, de — que, in sucb a way as to, so tbat. facteur m. porter, postman. factionnaire m. sentinel. fagot m. fagot. faible adj. weak, feeble ; small. faiblesse/ weakness. faillir v. (27) miss, fail ; be on the point of. faim/ bunger : avoir — , be bungry ; manger à son — , eat one's Su. faire ^. (28) make, do, cause ; {of the weather) be; cause to be or bave doue or made : familiarly say, reply ; im- pers, matter : bien fait, well built or sliaped ; en être fait, be ail over witli ; — mal à, Ixurt, barm ; se — , be donc. bappen , take place ; grow, become. fait m. fact, deed. falloir V. (29) impers, be obliged, must, bave to ; be lacking, need, want. fameux adj. famous. familiarité/ familiarity. familier adj. familiar. familièrement adi:. familiarly. famille/ family. famine/ famine, fanatisme m. fanaticism. fanfare/, flourish of trumpets. fantaisie/ imagination, fancy. fantôme m. pbantom. farce/ farce, joke : faire une — à, play a trick on. fardeau m. burden. farouche adj. wild, fierce. fasciner v. fascinate. fatigue/ fatigue, fatiguer v. fatigue, tire, fausseté/ falsity, falsebood. faute/ fault, mistake. fauteuil m. arm-cbair. faux/ scytbe. faux, -sse, adj. false, untrue. faveur/ favor : à la — de, un- der cover of ; en — de, in be- balf of. favoriser v. favor. fécond adj. fruitful, rich. fée/ fairy. féerie/ fairy-play. feindre ^. (45) feign, prétend, femme/ woman,wife ; waiting- woman. fenêtre/ window. fer m. irou. ferme/ farm. ferme adj. firm, steady, strong. fermement adv. firmly. fermenter v. ferment ; be agi- tated. fermer v, sbut, fasten. VOOABULARY. 215 fermeté/. firniDess. fermier m. f armer. féroce adj. ferocious, fierce. ferraille/, old iron, iron. fête / holiday, festival : faire une — à. make welcome ; se faire — de, look forward to. feu m. are. feu adj. late, deceased. feuille/ leaf, sheet. février m. February. fiacre m. cab. fiction / fiction. fidèle adj. failhful, loyal. fidélité/, fidelity, loyalty. se fier v. trust, rely. fier adj. pvoud, bold. fièrement adv. proudly. fièvre /. fever ; ague. figure/ figure, form, face, se figurer v. imagine, picture. filer 'D. spin. fille/ girl, daughter. filleule/ god- daughter. fils m. son. filtrer v. filter, trickle. fin/ end : à la — , at last. fin adj. fine, thin. finesse/ fiueness, slirewdness. finir V. finish, complète ; be at an end, be over, end. flagrant adj. flagrant. flairer t\ smell, scent. flamme/ flame, tire. flatter v. flatter : se — , flatter one's self. fléchir V. bend ; persuade, fleur / flower : — de lis, fleur de lis. fleurdeliser ?;. mark with a fleur de lis. fleuve m. river, flocon m. flake, puff. flot m. wave, billow. flotter V. float. foi /. faith ; ma — ! really ! de bonne — , honestly, in earnest; faire — , prove. foin m. hay. foire/ fair ; market. fois / time : une — , once ; à la — , at once ; encore une — , once more, folie / madness, pièce of fool- ishness : faire une — , do a f oolish thing. fonctionner v. work. fond m. bottom, foundutiou : le — d'une voiture, back seat of a carriage ; au — , at bottom, really. fonder v. found, establisli. fonds m. property, fuuds, capi- tal. fontaine/, fountain, spring. force / strength, force, power : à — de, by dint of . forcer v. force, compel ; take by force. forêt m. forest, wood. formalité/ formality, form. forme/ form, shape. former v. form, make. fort adj. strong ; hard : as adv. very, very much ; hard. fort 771. fort. forteresse/, fortress. fortifier v, fortify. fortune/ fortune, chance. fortuné adj. fortunate, lucky. fossé m. ditch, moat. fou 07' fol, folle adj. foolish. foudre/ thunder, thunderbolt. foudroyant adj. crushing, fatal. fouiller v. search, rummage. foule/ crowd. fouler V. tread, trample on : — aux pieds, trample under foot. fourmi/ ant. fournir v. furnish, provide. fourrière/ pound, 216 YOCABULAEY. foyer m. hearth, fireside. fracas m. crash. frais, -îche adj. cool, fresh. franc, -che adj. frank, open, sin- cère. français adj. French. franchement adi). frankly. franchir «?. get over, pass, cross. franchise/, frankness, candor. frapper i). strike, knock. frayeur/, fright. frémir v. shudder. frénétique adj. distracted, fran- tic. fréquent adj. fréquent. frère m. brother. frisé adj. curled, curly. frissonner v. shiver, shudder. froid adj, cold, cool : avoir — , be cold ; as n. cold. froidement adv. coldly, coolly. front m. forehead, front. frontière/ f routier. frotter v. rub : se — , rub one's self. fruit m. fruit. fugitif «(?;'. fugitive, runaway. fuir V, (31) liée, shun, avoid. fuite/ fligbt. fumée/ smoke. fumer v. smoke. funeste adj. fatal. fureter v. rummage. fureur/ fury, rage. furie/ fury. furieux adj. furious, fi erce. fusil m. gun. fusiller v. shoot. futur adj. future. fuyard adj. fugitive. gager v. wager, bet. gagner v. gain, earn ; win ; reach : — du pays, gain . ground, get on. gai adj. gay, merry. gaiement oÂv. gayly. gaieté / gaiety. gaillard m, lively fellow, fel- low. galant m. wooer, lover. galerie/, gallery, corridor. galop m. gallop : temps de :— , galloping pace. galoper v. gallop. gamin m. lad, urchin. garantir ^. guarantee, warrant ; protect. garçon m. boy ; waiter. garde/ guard, watch ; charge ; care ; {of a sword) hilt : corps de — , guard-house ; pren- dre — , take care, mind ; — nationale, national guard (the French militia). garde m. guard, watchman : — du corps, life guardsman : — champêtre, keeper. garder v. keep, préserve : take care of, protect, défend : se — de, keep one's self from, refrain from. gardien m, guardian, keeper. garnison/ garrison. garrotter v. piuion, handcuff. gars m. lad. gâter V. spoil. gauche adj. left, left-handed : as n. f. left- h and side. gazon m. grass, turf, géant m. giaut. geler v. freeze. gémir v. groan, lament. gémissement m. groan. gendarme m. policeman. gendre m. son-in-law. général m. gênerai, général adj. geueral. généreusement adv. generously. généreux adj. gênerons, génie vi. genius. genou m. knee : aux — x, on VOCABULARY. 217 one's knees; se mettre aux — X, kneel. genre m. kind, sort. gens pi. people, persons, men ; attendants : jeunes -~, young men. gentil adj, pretty. gentilhomme m, gentleman, nobleman. geôlier m.Jailer. geste m. gesture, sign. gibier m. game. giboyeux adj. full of game. gigantesque adj. gigantic. Girondin adj. Girondin. gisement m. bearing, situation. gîte m. home, resting-place. glacer -y. freeze, chill. glacial adj. glacial, icy. glisser v, slip : se — , sli*- de, steal. gloire/, glory. glorieux adj. glorious. gorge /. throat, breast, neck : rire à — déployée, laugh aloud or immoderately. goût m. taste. goutte/, drop. gouttière/, gutter of a roof. gouvernante /. governess, housekeeper. gouvernement m. government. gouverner v. govern, rule. grâce /. grâce, favor, indul- gence ; élégance : à la — de, by the favor of ; rendre — , thank ; — à, thanks to. gracieusement adv. graciously. grain m. grain, seed. grand adj. great, large, high, big. grandement adv. greatly, ex- tremely. grandeur/ greatness, size. grandir v. gvow, grow big. grand'mère/. grandnaother, grange/, barn. granit m. granité, gratter v. scratch. grave adj. heavy, grave, seri- ons, gravement adv. seriously. gré m. will, wish : de — ou de force, willingly or unwill- ingly. grêle adj. slender, slim. grenadier m. grenadier, grenier m. garret. griffe/, claw. grimace/, grimace, wry face, grimper v. climb. grincement m. gnashing, grat- ing. grincer v. grind, grate. gris adj. gray. griser v. make tipsy : se — , get tipsy. grognard m. grumbler ; old sol- dier (of Napoléon), grommeler v. grumble, mutter. gronder v, scold, reprove. gros, -sse adj. large, big ; coarse. grossier adj. coarse, common. grossir v. make or grow bigger, swell. groupe m. group. grouper v group : se — , form into groups. guère adv. {with ne) hardly, scarcely, but little. guérir v. heal, cure, grow well. guerre/, war. guerrier m. warrior. guide m. guide, guider v. guide, lead. guillotine/, guillotine, gymnastique/, gymnastics. habiller v. dress, clotlie: s' — , dress one's self, dress. habit 771. coat, dress. garment. habitant m. -te/, inhabitant. 218 YOCABULARY. habiter v. inhabit, réside in. habitude /. habit, custom, trick : à T — , d' — , habitually. habituellement adv. habitually. habituer ^. accustom, use. hache/, axe, hatchet. haie/, hedge ; line, row. haine/ hâte, hatred. haletant adj. panting, breath- less. hanter ^. haunt. haranguer v. harangue. hardi adj, hardy, bold. hardiment adv. boldly. harnacher v, harness ; dress out. harpe/ harp. hasard m. chance, risk, hazard : au — , at random. hasarder v, risk : se — , venture. hasardeux adj. hazardous. hâte / haste : à la — , in a hurry ; avoir — , be in a hurry. hâter v. hasten : se — , make haste, hurry. haut adj. high, tall : — ^ de 2 pieds, 2 feet high ; as n. height, top : de — en bas, down- wards ; 2 pieds de — , 2 feet high ; as adv. high, loud, aloud ; tout — , aloud. hautain adj. haughty. hauteur/ height, eminence. hein ! int. hey ! ' hélas ! int. alas ! hémiplégie/ hemiplegy. hémisphère m. hémisphère. hennissement m. neighing. herbe/ herb, grass. hérisson m. -nne/ hedgehog. héritage m. inheritance. héritier m. -tière / heir, heir- ess. héroïne/ heroine. héros m. hero. hésitation/ hésitation, hésiter v. hesitate. hêtre m. beech. heure / hour, o'clock, tinie : 2 — s, 2 o'clock ; de bonne — , early ; un mauvais quart d'heure, a bad time. heureusement adv. happily, luckily. heureux adj. happy, lucky, for- tunate. heurter v. run against, strike. histoire/ history, taie, story. hiver m. winter. homme m. man ; husband. honnête adj honest, upright. honnêtement adv. honestly, polit ely. honneur/ honor. honorable adj. honorable, honoraire m fee, salary. honorer v. honor. honte / shame : avoir — , be ashamed. honteusement adv. shamefuUy, with shame. hôpital m. hospital. horizon 7n. horizon, horizontal adj. horizontal, horloge/ clock. horreur/ horror. horrible adj. horrible. horriblement adv. horribly. hors, hors àeprep. out, beyond ; out of, outside of : — lui, be- side himself. hôte m. host, laudlord. hôtel m. mansion ; hôtel, inn. hôtellerie/ inn, hôtel, hôtesse/ hostess, housekeeper. huile/ oil. huit num. eight. humain adj. human. humble adj. humble, modest. humblement adv. humbly. humeur / humor, temper, iil- Uumor. VOCABULARY. 219 humide adj. dainp. humiliation/, humiliation, humilité/, humility. hurler v. howl, roar. hussard m. hussar. hutte/ but. hymne m, hymn. ici adv. hère : d' — hence. idée/ idea, fancy. léna, Jena (a German town). ignorant adj. IgnoraDt. ignoré adj, unknowu. ignorer v. be ignorant of, not know. ilpron. be, it ; there. île/ island. illuminer ^^ illuminate. illusion/ illusion, illustre adj. illustrions. image/ image, picture. imaginaire adj. imaginary. imagination/ imagination. imaginer v. imagine, tbink of : s' — , imagine, tbink, fancy. imiter ^. imitale. immédiatement adv. immédiate- immense adj. immense. immobile adj. motionless. immobilité/ immobility. immortel adj. immortal. impartialité/ impartiality. impasse / blind alley, place without egress. impatience/ impatience. impatient adj. impatient. impatienter v. put out of pa- tience. impénétrable adj. impénétrable. impérial adj. impérial : / as n. top or roof of omnibus or coach. important adj. important. importer v. impers, concern, matter, signify : n'importe, no matter; qu'importe, what matters it ? importun adj. importunate, troublesome. imposant adj. imposing, stately. imposer v. impose, prescribe, force upon ; awe. impossible adj. impossible. impression/ impression, improviste : à V — adv. on a sud- den. imprudemment adv. imprudent- imprudent adj. imprudent. impunément adv.wiih impunity. impurement adv. immodestly. inaction/ inaction, inattendu adj. unexpected. inattention/ inattention. incendie m. fire, conflagration. incendier v. burn. incertain adj. uncertain. incessant adj. incessant, incliner v. incline : s' — , incline, bow, bend. incommode adj. inconvénient, inconnu adj unknown. inconvenance/ impropriety. indemnité/ indemnity. indépendant adj. independent. indifféremment adv. with indif- feience. indifférent adj. indiffèrent. indigne adj. unworthy. indigné adj. indignant. indiquer v. iudicate, show, indispensablement adv. indis- pensably. indisposition/ indisposition. individuel adj. individual. indomptable adj. indomitable, untamable. indulgence / lenity, indulgence, indulgent adj. indulgent. inébranlable adj. immovable. inépuisable adj. inexhaustible. 220 VOCABULARY. inert o.dj. sluggish. inespéré adj. unhoped for, un- expected. inextricable adj. inextricable, infailliblement adx). infallibly. infatigable adj. iDdefatigable. infiniment adv. infinitely, ex- ceedingly. infirme ctdj. infirm, feeble. inflammatoire adj. infiamma- tory. information/, inquiry. informer d. inform: s' — , iii- quire, ask. ingrat adj. ungrateful, thank- less. ingratitude/, ingratitude, inhabileté/ unskilfuluess. inimitable adj. inimitable. initier v. initiate, admit, injure / in suit : dire des — s à, abuse, insuit. injurier v. abuse, call names. innocemment adv. innocently. innocence/ innocence, innocent adj. innocent. inofFensif adj. inofîensive. inquiet adj. un quiet, uneasy, anxious. inquiéter v. disturb : s' — , be anxious, disturbed. inquiétude/ anxiety. insatiable adj. insatiate. inscrire v. (25)insciibe, register. insensible adj. unfeeling. insensiblement adv. impercepti- bly. insigne adj. signal. insister v. insist. persist. inspection / inspection : passer r — , inspect. inspiration/ inspiration, inspirer ?;. inspire, suggest. installation/ instalment. installer v. install : s' — , settle. instance/ entreaty. instant m. instant : à T— , in- stantly. instantanément adv. instantly. instinctif adj. instinctive, instinctivement adv. instinctive- instruction / instruction, édu- cation ; examination. instruire v. (12) instruct, inform. instrument m. instrument. insu : à Tinsude prep. uuknown to ; à mon — , unknown to me. insuffisant adj. insufficient. insurrection/ insurrection. intelligence / intellect, under- standiug. intention/ intention. intéressant adj. interesting. intéressé adj. interested, selfish. intéresser v. interest. intérêt m. interest, concern. intérieur m. interior, inside. intermédiaire adj. intermediate. interrogatoire m. examination. interroger v. question. interrompre v. interrupt. intervalle m. interval. intimider v. intimidate. intraitable adj. unmanageable. introduction/ introduction, ad- mission. introduirez. (12) introduce,sbow in, bring in. introuvable «t^'.undiscoverable. inusité adj. unusual. inutile adj. useless. inutilement adv. uselessly. invalide adj. infirm : as n. in- valid, peusioner ; les Inva- lides, home for vétérans in Paris. invasion/ invasion. inventer v. invent, contrive. investissement m. investment ; siège. inviter v. invitç. VOCABULABY. 231 involontairement adv, involun- tarily. invraisemblable adj. improba- ble. irlandais adj. Irish. irrésistible adj. irrésistible. irrité adj. irritated, angry. isolé adj. isolated, detached, lonely. issue/, issue, outlet. ivraie /. tare : 1' — et le bon grain, the tares and the wheat ; bad and good times. ivre adj. drunk. jalousie /. jealousy. jaloux adj. jealous. jamais adv. wiïh ne, never. jambe/, leg. jardin m. garden. jardinier m. gardener. jaser v. prate, chatter. jaune adj. yellow. }e pron. I. jeter v. throw, cast ; send forth: se — , dash or throw one's self ; — au cou de, fall on the neck of . jeu m, play, game. jeune adj. young. joie/ joy. joindre v. (33) join, unité ; elasp : se — , join. joli adj. pretty. jonc m. rush ; Malacca-cane. jonction/ junction. joue/ cheek. jouer V. play, perform, act : — du piano, play on the piano ; — un tour à, play a trick on. jouir V. en joy. jour m. day, daylight : il fait — , it is daylight ; grand — , broad daylight ; de — en — , from day to day ; — le- vant, dawning day ; huit — s, a week. journal m. journal, newspaper. journée / day, day's work, day's wages. joyeux adj. joy fui, merry. jubiler v. exult. juge m. judge, justice. jugement m. judgment, sen- tence, juger V. judge. juillet m. July. juin m. June. jurer v. swear, vow, déclare, jusque, — èipi^ep. till, until ; to, as far as : — à présent, till now. juste adj, just, right, true ; as adv. just, exactly : tout — , just exactly. justement adi). justly, precisely. justice / justice : rendre — , do justice. kilomètre w. kilometer (1094 yards). la art. see le. la pron. see le. là adv. there, thither : — bas, — dessus, etc.) see bas, dessus, etc. labourer v. plough, till. laboureur m. husbandman. lac m. lake. lacet m. lace ; zigzag. lâche adj. cowardly, mean: as n. coward. laid adj. ugly. laideur/ ugliness. laisser v. leave, désert ; permit; let : se — , allow or let one's self : — aller, abandon one's self, lait m. milk. lampe/ lamp. 222 yOCABULAKY. lance/, lauce, spear. lancer v. dart, hurl, cast, launcli, shoot, langue/, tongue ; language. languir v. languisli, pine. lanterne /. lantern : — sourde, dark-lautern. lapin m. rabbit ; knowing or old fellow. laquais m. footman. laquelle/. 6/ lequel, large adj. broad, wide ; great, heavy. larme/ tear. las adj. tired, weary. latin adj. Latin. laver v. wash. lazaret m. lazaret, hospital. le, la, pi. les, art. the. le, la, pi. les, pron, him, lier, it, them; so. lécher v. lick. leçon/ lesson. lecture/ reading. légataire m. / legatee. légende/ legend ; inscription, léger adj. light ; frivolous. légitimer ^. legitimate, justify. lendemain m. morrow, day after. lent adj. slow. lentement ad'v. slowly. lequel, laquelle pron. wlio, wbom, that, wbich ; wliicb one? wbich? les see le. lestement adv. briskly, clev- erly. lettre/ letter. leur pron. to them, them. leur poss. adj. & pron. their, theirs. lever v. lift: se — , rise, get up; start up. lever m. rising. lèvre/ lip. liard m. liard (old coin worth ^ cent). libérateur m. -trice/ deliverer. liberté/ liberty, freedom. libre adj. free ; open. librement ad'V. freely. licou m. halter. lien m. band ; bond, tie. lieu m. place, spot: avoir — , take place, happen ; au — de, instead of . lieue/ league (2i miles). lieutenant m. lieutenant. lièvre m. hare. ligne/ line. limbes pi. linibo. linceul m. shroud. lire V. (34) read. liste / list, roll. lit on. bed. livre m. book. livrée/ livery. livrer v. deliver, give up : — assaut, assail ; se — , de- liver one's self up. local adj. local : as n. habita- tion, pre mises. localité/ locality. loge / lodge, box ; actor's dressing-room. loger V. lodge : se — , lodge, live. loi/ law. loin add. far : — de, far f rom ; de — au — , f rom afar, far ; plus — , further on. Londres m. London. long adj. long : as n. length ; as adv. much ; tout de son — , atfuU length ; le — de, along ; en savoir plus — que, know more of it than. longe/ tether. longtemps adv. a long while, long : il y a — que, it is long since ; depuis — , for a long time. TOCABULARY. 223 longuement adv. at length. longueur/, length. lors adv. tlien : depuis — , since then. lorsque conj. wben. louer V. let ; hire. louis: — d'or m. louis (old French coin worth $5.00). loup m. wolf . loyal adj. honest, lo^^al. lueur/, glimmer, gleam. lui pron. be ; him, to him ; lier, to lier ; it, to it. lumière/ liglit. lundi m. jSIonday. lutte/ struggle, strife. lutter V. struggle, strive, com- pete. M. {ahh'euation (/monsieur), Mr. ma see mon. machine/ machine. maçon m. mason. madame/ madam ; Mrs. mademoiselle / young lady miss, magique adj. magie, magnétique adj. magnetic. magnificence/ magnificence. magnifique adj. magnificent, splendid. magnifiquement adv. magnifi- cently. mai m. May. maigre adj. thin, meagre. main/ hand. maintenant adv. now. maire m. mayor. mais conj. but. maison / bouse, home ; bouse- bold. maître m. master, teacher. maîtresse/ mistress, teacher. majesté/ majesty. majestueusement adv. majesti- cally. majestueux adj. majestic. mal m. evil, ill, pain : faire — à, hurt, injure ; — à la tête, beadacbe. mal adv. ill, wrong, badly. malade adj. sick, ill. maladie/ illness, sickness. maladif adj. sickly. malgré prep. in spite of, not- witbstanding. malheur m. misfortune. malheureusement adv. unfortu- uately. malheureux adj. unfortunate, unbappy. malice/ malice, malin, -gne adj. malicious ; sly. malle/ trunk. maltraiter v. maltreat. malveillance/ ill-will. mander v. ^vrite, send word. manège 7n. borsemanship ; ma- nœuvres, manger v. eat. manière / manner, way : — d'être, bearing, demeanor. manquer v. miss, fail, come near to : — de, need, want, lack, be witbout. mansarde/ garret. manteau m. cloak. marchand m. mercbant. marchandise / mercbandise, goods. marche/ walk ; march, step. marché m. market, market- place ; bargain : à bon — , cheap, marcher v. walk, step ; go, march, move on ; get on, progress. maréchal m. marshal, field-mar- shal : — des logis, sergeant (of cavalry). marée/ tide. 224 VOCABULARY. mari m. husband. mariage m. marriage. marier îj. marry : se — , marry, wed. marquer v, mark, mark out. marquis m. marquis, marquise/, marchioness. massacrer -y. massacre, slaughter. masse /. mass, crowd ; en — , in a body. masser v. mass : se — , mass one's self, masure/, hovel. matin m. morning ; as adv. ear- ly : de grand — , very early. matinée/, morning. matou m, tom-cat. maudit adj. cursed, confounded. mauvais adj. bad, evil. me pron. me, to me. mécanicien m. machinist. mécanique adj. mechanical ; — /. mechanlcs. méchamment adv. spitefully, ill-naturedly. méchant adj, bad, wicked. méconnaître v. (43) not recog- nize ; disown. médecin m. doctor. méfiance/, distrust, meilleur adj. better, best. mélancholique adj. melancholy. mélanger v. mix, mingle. mêler v. mix, mingle : se — , mix ; se — de, meddle with. membre m. member, limb. même adj. same, self, very ; self- same : l'homme — , man him- self ; as adv. even, also, like- wise ; de — , tbe same. mémoire/, memory. menace/ threat. menacer v. threaten. ménage m. housekeeping, house- hold ; housework : entrer en — , begin housekeeping. mendiant m. beggar. mendier v. beg. mener v. carry, lead. mensonge m. lie, lying. mensuel adj. monthly. mentir v. (44) tell a lie, lie. menton m. chin. mépris m. contempt, scorn. mépriser v. despise. mer/, sea. merci m. thank you, thanks : Dieu — , thank God. mercredi m. Wednesday. mère/, mother. méridional adj. southern. mériter v. deserve. merveille/, wonder. merveilleux adj. wonderful, marvellous. mes see mon. messager m. messenger. messe/, mass. mesure/, measure : à — que, as. métier m. trade, business. mettre v. (36) put ; put in, put on ; take : — au monde, give birth to ; se — à, put one's self to, set to ; begin ; — à table, sit down to table ; — en route, set out, start out ; bien mise, well dressed. meuble m. f urniture. meubler v. furnish. meuglement m. lowing. meugler v. low, moo. meunier m. miller. meurtrier adj. murderous : — m. murderer, assassin. mi invariable particle mid : la carême, mid-Lent. miaulement m. mewing. midi m. noon, twelve o'clock ; south. mie /. crumb (soft part of breadj. mie/, dear, love. VOCABULARY. 225 mien poss. pron. m me. mieux adv. better, rather ; more : j'aime — , I had rather, I prefer ; as n. better, best : de son — , one's best. mil num, thousand. milieu m. middle, médium, mean : au — de, in the midst of. militaire adj. military. militant adj. militant, mille num. thousand. mille m. mile, millier m. a thousand. millionnaire adj. million aire. mince adj. thin, slender, slight. ministre m. minister. minuit m. midnight. minute/, minute, minutieux adj. minute, miracle m. miracle, miraculeux ad^. miraculous. mirer v. look at, aim : se —, be reflected. miroir m. mirror. misérablement adv. miserably. misère/, misery, want, poverty. mission/, mission, mode / fashion : à la — , in fashion. modeste adj. modest. modestie/, modesty. modifier v. modify. mœurs/ pi. manners, morals. moi pron. me, to me ; I : à — ! help ! moignon m. stump. moindre adj. less, least. moins adv. less : à — que conj. unless ; as n. least, less ; du — , at least. mois m. month. moisson/ harvest. moitié/ half : à — , half. moment m. moment. momentanément adv. momen- tarily. mon, ma, pi. mes poss. adj. my. monarque m. monarch. monastère m. monastery, cou- vent. monde m. world ; people : tout le — , every one. monnaie / coin, money ; change : pièce de — , coin. monosyllabe m. monosyllable. monsieur m. sire, gentleman ; Mr. monstre m. monster. mont m. mount. montagnard m. mountaineer. montagne/ mountain. monter i). go up, get up, ascend, mount, rise : — à cheval, ride ; se — , amount. montre/ watch. montrer -y. show, point out : se — , show one's self, appear. se moquer ^. mock, make fun, joke. moqueur adj. mocking, jeering. moral adj. moral. morale/, ethics; moral. morceau m. bit, pièce. morne adj. gloomy, mournful. mort/ death. mort adj. dead. mortel adj. mortal. mot m. Word. motif m. motive. motiver v. allège ; be the cause of. moucbe/ fly. mouchoir m. handkerchief. mouiller v. wet, moisten. moulin m. mill. mourir v. (38) die. moustache/, moustache. mouton m. sheep ; mutton. mouvement m. movement, mo- tion ; impulse. 226 TOCABULABY. moyen m. means, way. moyen, -nne adj. middle, me- dium-sized. moyennant adv. by means of, in considération of. muet, -tte adj. dunib, mute, si- lent. mufle m. muzzle, snout. multiplier v. multiply : se — , be repeated, increase. municipal adj. municipal. municipalité /. town or city go ver n ment or hall. munir v. supply, provide. mur m. wall. muraille/, wall. murer v. wall up. murmure m. murniur. murmurer v. murmur. museau m. muzzle, snout. musical adj. musical. musique/, music. mystère m. mystery. mystérieux adj. mysterious. naissance /. birtli : de — , by birth. naîtrez. (40) be born ; originate, spring up. naïvement adv. uaïvely, ingen- uously. nation/ nation, national adj. national. nature/ nature ; kind : de — à, of a kind to. naturel adj. natural. naturellement adv. naturally. navet m. turnip. navré adj. broken-hearted. ne adv. no, not : — ... pas, — . . . point, not, not at ail. néanmoins adv. nevertheless. nécessaire adj. necessary. nécessité/ necessity. négliger v. neglect. neige/ snow. neiger v. impers, snow. nerveux adj. nervous. net, -tte adj. cleau, neat ; clear. nettoyer v. clean. neuf num. nine. neveu m. nephew. nez m. nose : lui rire au — , laugli in bis face. ni conj. neitber : ni . . . ni . . ., neither . . . nor. nid m. nest. nièce/ nièce, nier v. deny. nigaud adj. silly, foolish : as n, booby. noble adj. noble : as n. noble- man. noblement adv. nobly. noblesse/ nobility. noce/ wedding, nuptials. nocturne adj. nocturnal. nœud m. knot. noir adj. black. nom 711. name ; famé : — de guerre, nickname. nombre m. number. nombreux adj. numerous. nommer v. name, call : se — , be named ; state one's name. non adv. no, not. nonne/ nun. nord m. north. nos see notre. notablement adxi. considerably. notaire m. uotary. note/ note. notre, pi. nos poss. adj. our. nôtre poss. pron. ours, nourrice/ nurse, nourrir v. nourisli, feed. nous pron. we, us ; to us. nouveau or -vel, -velle adj. new : de — , anew, again. nouvelle/ news, intelligence, novembre m. November. noyer v. drown. YOCABULABY. 227 nuage m. cloud. nuée/, cloud, swarm. nuire v. (41) huit, barm. nuit/, nigiit : — noire, — close, late at night ; une — blanche a sleepless night. nul, -lie po'on. {with ne) no, none, no one ; not any, nullement adv. not at ail. obéir I). obey. objecter ^. object. objet m. object, subject. obligation/ obligation. obligeance/ kindness. obliger v, oblige ; compel ; favor. obscur adj. dark, obscure. obscurité/ gloom, darkness. observer v. observe, notice, re- mark ; faire —, remark. obstacle m. obstacle. s'obstiner v. be obstinate, insist. obtenir v. (62) obtain, procure. obus m. shell (artillery). occasion/ opportunity. occasionner ^. occasion, cause. occuper v. occupy, employ : s' — , be busy, attend. océan m. océan. odeur/ odor, smell. œïl {pi. yeux) m. eye. œuvre/ work ; deed. oifenser ^. ofïend. officier m. officer. offre/ offer. offrir i). (16) ofïer ; présent. oignon m. onion. oindre^. (33) anoint. oiseau m. bird. QÏsiîadj. idle, lazy: — m. idler. ombre/ shade, shadow. omelette/ omelet. on pron. one, they, people. oncle m. uncle. onze num. eleven. opéra m. opéra. opération/ opération. opérer v. operate ; work : s' — , be operated, take place, opposé adj. opposite. opposer v. oppose : s' — à, resist oppresser -y. oppress, depress. opulence / opulence, wealth. or m. gold. or conj. but, now. orage m. storm, tempest. orageux adj. stormy, agitated. orange/ orange, orateur m. orator. ordinaire adj. ordinary, com- mon : à V — , as usual. ordonner v. order, ordain ; pie- scribe. ordre m. order. oreille/ car. orgueil m. pride. origine/ origin. orme m. elm. orphelin m. -ne/ orphan. os m. bone. oscillation/ oscillation. oser V. dare. ôter V. take away, remove. ou conj. or, either : — bien, or. où adv. where, whither ; in which, to which : d' — , whence. oubli m. forgetfulness. oublier v. forget : s' — , forget one's self. oui adv. yes. ouïe/ hearing. ouragan m. hurricane. outrage m. outrage, in suit. outrager v. outrage, iusult. outre adv. and ^prep. further, beyond, besides : passer — , go on ; d' — en — , through and through ; en — , more- over ; — que conj. besides that. 228 VOCABULARY. ouverture/, opening. ouvrage m. work. ouvrier m. workman. ouvrir i). (16) open : s' — , open. paille/, straw. ' pain m. bread : un petit — , a roll ; — bis, brown bread. pair m. peer, equal : traiter de — en compagnon, treat as an equal. paisible adj. peaceable. paître x, (43) graze, f eed. paix/, peace. palais m. palace. pâle adj, pale. palefrenier m. groom. paletot m. overcoat. pâleur / païen ess. pâlir 1). grow pale. pallier v. palliate, excuse. palpitation/, palpitation. pan m. flap ; pièce. pan-pan knock, knock. panache m. plume. pansement m. dressing (of wounds). pape m. Pope. papier m. paper. papillon m. butterfly. par prep. by, through ; in, for, f rom ; during, on : de — le roi, in the king's name ; — dessus, over : — la fenêtre, out of the window. paraître v. (43) appear, seem ; be seen, look, paralyser v. parai yze. parapet m. parapet, wall. parbleu int. forsooth ! parc m. park, pen. parce que conj. because. parcourir v. (15) travel or go over or through. pardieu int. indeed ! pardon m. pardon. pardonner v. pardon, forgîve. pareil adj. like, equal ; such. parent m. relation ; pi. parents. paresseux adj. lazy, idle. parfait adj. perfect. parfaitement adv. perfectly. pari m. bet, wager. parier i). bet, wager. parisien adj. Parisian. parlementer i). parley. parler x. speak, talk. parmi prep. among. parodie/ parody. parole/, word, speech: adresser la — à, address ; prendre la — , begin to speak ; man- quer de — , break one's word. parrain m. godfather. part / share, part : faire — de, announce ; de ma — , from me ; quelque — , somewhere ; à — , apart, aside; de toutes — s, from ail sides ; de la — de, from. partage m. share. partager v. share, dîvide. * parti m. party, side ; resolution : prendre le — de, résolve to ; un — pris, détermination, préjudice. participe m. participle. particulier adj. particular ; as n. individual : en — , in pri- vât e. partie /. part ; match, game ; party : être de la — , be in it, be one of us ; faire — de, be in, be part of . partir v. J44) set out, start ; de- part : à — de, from. partout adv. everywhere. parvenir v. (62) attain, arrive ; succeed. pas m. step, pace : revenir sur ses — , retrace his steps ; au VOCABULARY. 239 — , at a walk ; à quelques — de, à deux — de, very near. pas ad'D. not : ne . . . pas, not, no ; — du tout, not at ail. passage m. passage, way ; cross- ing. passager m. passenger; ferry- man. passant m. passer-by. passé adj. past, gone : as n. the past. passeport m. passport. passer v. pass, cross : se — , pass away ; liappen ; se — de, do without. passion/, passion. pâté m. pie, pasty. paternel adj. paternal. patience/, patience. patrie/ native country. patriote adj. patriotic ; as n. patriot. patriotique adj. patriotic. patriotisme m. patriotism. patte/ paw. pause/ pause. pauvre adj. poor. pavé m. pavement. payer v. pay. pays m. country. paysan m. -nne/. peasant. péché m. sin. pêcheur m. fislierman. peigne m. comb. peine / punishmeut, penalty, pain ; trouble : à — , hardly ; être en — de, be at a loss to ; faire de la — à, pain ; valoir la — , be worth while ; avoir de la — à, be hardly able to ; ce n'est pas la — , it is not worth while ; mourir à la — , die in harness. pelle/ shovel. pencher v. incline, lean, bend. pendant prep. during : — que conj. while. pendre v. hang. pénétrer v. penetrate, pervade, imbue : — de douleur, fill with grief. pensée / thought, idea ; mind. penser v. think, believe : — à, think of ov about. penser m. thought. pensionnaire m. / boarder. perçant adj. piercing. percer v. pierce. percher v. perch. perdre v. lose. perdrix/ partridge. père m. father : grand — , grand- father. péril m. péril, danger, périlleux adj. dangerous. périr v. perish. permettre ^o. (36) permit, allow. permission/, permission. perquisition/, search. persécuteur m. persecutor. persévérance/, persévérance. Persienne/ Yenelian blind. persister v. persist, endure. personnage m. person. personne/ person. personne pi^on. any one ; {with ne) nobody, no one. persuader v. persuade, convince. persuasif adj. persuasive, perte/ loss ; ruin. pesage m. weighing : faire le — , weigh. pestiféré adj. infected. petit adj. little, small : — e-fille, granddaughter. petitement adv. little, meanly. pétulance/ pétulance. peu adv. little, few ; not much, not mauy: as n. a little, a few ; — à —, little by little, by degrees. 230 yOCABULARYc peuple m. people, nation, peur/, fear : avoir — , be a f raid ; faire — à, f righten ; de — de, for fear of . peut-être adv. perhaps ; may be : — que, perhaps. phrase/, phrase,' sentence, physionomie /. countenance, look. piano m. piano, pièce /. pièce ; apartment, room ; pièce of ordnance, cannon ; play ; coin : — de conviction, convincing évi- dence, proof. pied m. foot : à — , on foot ; sur — , on foot, on one's feet. pierre/, stone. piété/, piety. piéton m. pedesirian. pillage m. pillage. pin m. pine-tree, pine. pincette/. longs. piquer v. prick ; spur. piquette/, a kind of sour wine. pire adj. worse, worst. pitié /. pity : avoir — de, take pity on, pity. place /. place ; square : à ma —, in my place ; à la — de, in the place of ; sur la — , on the spot. placer v. place, put : se — , place one's self. plaindre ^. (17) pity : être à — , be to be pitied ; se — , com- plain. plaine/, plain. plainte/, complaint, groaiiing. plaintif adj. plaintive. plaire v. (46) please. plaisanterie/, pleasantry, joke. plaisir m. pleasure, joy. planche/, board, shelf. planter v. j^lant ; fix. plâtre m. plaster. plein adj. fuU ; whole. pleurer v. weep, mourn. pleurs m. pi. tears. pli m. pi ait, fold. plier V. fold. plonger v. plunge, immerse. pluie/, rain. plume /. f eather ; pen. plupart/, most, niost part. plus adv. more, most ; besides : au — , tout au — , at most ; de — , moreover ; de — en — , more and more ; le — , the most ; ne . . . — , no more, no longer ; — de, more than. plusieurs adj, pi. several, many. plutôt adv. rather, sooner : — . . . que . . . , rather . . . than poche/, pocket. poêle m. stove. poésie/, poetry. poète m. poet. poids m. v^eight. poignée/, handful : — de main, hand-shake. poil m. hair (of animais). point adv. no, not : ne . . . point, not at ail. poirier m. pear-tree. poitrine/, chest, breast. poli adj. polished, polite. politesse /. politeness ; compli- ment, politique adj. political : as n. m. politician ; as n. f. policy. pomme /. apple ; knob : — de pin, pine-cone. pompeusement adv. pompously. ponctualité/, punctuality. pont m. bridge. populace/, populace, mob. populaire adj. popular. porte/, gâte, door. portemanteau m. bag. porter v, carry, bear ; wear ; VOCABULARY. 231 — un coup à, slrike ; se — , be (of healtb) ; tend ; proceed ; — en avant, advance. porteur m. porter, bearer. portière/, ciirtain before a door, coacb-door. portrait m. portrait. posé adj. sedate, sober. poser V. place, set, biy down, put ; stand, position/, position. posséder ^. possess, bave, possession/ possession. possible adj. possible : as n. possibility, utmost ; faire son — , do one's best. poste m. post ; place. poste / post, post-office ; post- bouse : maître de — , post- master. poster 1). station, place. postiche adj. sbam, false. postillon m. poslillion. potage m. porridge, soup. poudre / powder, gunpowder. poule/ ben. poulette/ pullet, cbicken. pour prep. for, ou account of ; (icith vifln.) in oïder to, to : — que conj. in order tbat. pourquoi adv. & conj. wby, wberefore ; wby, for wbat. poursuite / pursuit, cbase. poursuivre v. (58) pursue ; bunt; continue. pourtant adv. bowever, still. pourvoir ^. (48) provide, pourvu que conj. provided tbat. pousser v. pusb ; send fortb, sprout ; utter. poussière/ dus t. pouvoir V. (49) be able, can, may : se — imp. be possible, may be. pouvoir m, power. pratique/ practiçe ; customer. précaution/ précaution. précipitamment adv. precipi- tately, burriedly. précipitation/ précipitation. précipité adj. precipitate, basty. précipiter v. tbrow; se — , tbrow one's self, spring. précisément adv. precisely, just. prédiction/ prédiction. prédire v. (13), predict, foretell. préférer v. prefer. préjudice m. préjudice, in jury. premier adj. tirst. prendre v, (50) take ; seize ; eat ; call for (a personj : — la pa- role, begin to speak ; — femme, marr3^ préoccupation/ anxiety. préparatif m. préparation. préparer v. prépare : se — , pré- pare, get ready. près adv. near, nearly, close : regarder de — , look closely at, examine ; à peu — , near ly, about ; — de, pi^ep. near, by. prescrire v. (25) prescribe, di- rect. présence/ présence, présent m. présent time ; gift : à — , now. présent adj. présent, ready. présenter v. présent, offer ; in- troduce : se — , présent one's self, corne forward. président m. président. presque adv. almost. pressentiment adv. presenti- ment. presser v press ; burry ; urge. preste adj. agile, nimble. prêt adj. ready. prétendre v. claim, lay claini to ; prétend, claim, aspire. prétendu adj. pretended, al- leged. 233 VOCABULAEY. prêter v. lend : — Toreille, give ear. prêteur m. -euse/. lender. prétexte m. pretext, pretence. prêtre m. piiest. preuve/, proof. preux adj. valiant, gallant. prévenir v. (62) précède ; warn. prévention/, prévention, préju- dice, prévision /. prévision, expecta- tion. prévoir v. (51) foresee. prier v. pray, beg, implore, prière/, prayer, entreaty. prince m. prince, princesse/ princess. principal adj. principal, chief. principe m. beginning, prin- ciple. printemps m. spriug. priorité/ priority. prison/ prison, jail. prisonnier m. , -ière/ prisoner. privation/ privation. priver v. deprive. privilège m. privilège, privilégié adj. privileged. prix 771. price ; prize. probable adj. probable, probablement adv. probably. procès m. la w suit : faire un — à, brin g suit against. procession/ procession, prochain adj. near, next ; ap- proachiug. procurer v. procure, get. procureur m. solicitor. prodigieux adj. prodigious. produire v. (12) produce, professeur ??z. professor. profit 771. profit, gain, profiter v. profit ; avail one's self, take advantage. profond adj. deep, profound : as n. deptb. profondément adv. deeply. profondeur/, depth. proie / prey : en — à, a prey to. projet 771. Project, sclieme, plan. prolonger v. prolong. promenade /. walkiug, walk ; promenade. se promener v. w^alk, take a walk (?r an airing : à cheval, take a ride. promesse/ promise. promettre v. (36) promise. prompt adj. prompt, ready. promptement adv. promptly. promptitude/ promptitude. prononcer v. pronounce. proposer v. propose ; se — , pro- pose, mean, intend, proposition/ proposai. propre adj. own ; cleau. propreté/ cleanliness. propriétaire m. & f. owner, landlord. propriété/ property. proscrit jpple. outlawed : as n, refugee, outlaw. prospère adj. prospérons. protecteur m. protector. protéger v. protect. prouver v. prove. proverbial adj. proverbial. providence/ providence. province /. province, country ; ail France outside of Paris. provision/ provision, stock. provisoire adj. provision al. provoquer v. provoke, call fortli; iustigate. prudence / prudence, discré- tion. prudent adj. prudent, Prusse/ Prussia. prussien adj. Prussian. public, -ique adj. public. pucelle / maid, maiden : la — VOCABULAEY. 233 d'Orléans, Maid of Orléans, Joan of Arc. puis adv. then, afterwards, next. puisque conj. since, as. puissance /. power : toute , omnipotence, puissant adj. power fui. punir ^. punish. punition/, punishment. pupille m. f. ward. pur adj» pure, unspotted ; clear. quai m. quay, wharf. qualité/, quality, virtue. quand conj, when. quant à prep. as to, as for. quantité/, quantity, number. quarante num. forty. quart m. quarter. quartier m. quarter ; part of a town, district, quasi adv. almost, partly. quatorze num. fourteen. quatorzième num. fourteenth. quatre num. four, quatre-vingts num, eighty. que rel. pron. whom, that, which, what. que conj. that ; how ; how mucli or many ; as, when ; than ; why : ne . . . que, only. quel, -lie adj. what, which ; what a : quel . . . que {with subj.), whatever. quelconque adj. whatever, what- soever. quelque adj. some, any, a few : — part, somewhere ; — chose, something ; — fois, sometimes ; — ... que, how- ever. quelqu'un pr