IPC 2113 .P53 I Copy 1 JVo. 4 of Charles Picot's Series of School Books. HISTORICAL NARRATIONS IN FRENCH: COMSISTIKO OF INTERESTING HISTORICAL PIECES, INTENDED TOK READING, TRANSLATION, PARTICULARLY FOR NARRATION: The eubffancc nf vrhich th-*. French student, who wisbes greatly to focilita'e the acqui ition of this usefcl language for ex^y purpoje, •« \o relate accu nteljr in hii omi words, in Eoglisb aad French, orMy bod in writiog, after proper exerdw* to (he ProDUDCutioa, TransUtioo, Defiaitioo, Dedenaion, Conjugatioo, Repetitioa, Subttitutjoo of the Word* and Fhnuet, aod a soiDuts Avaiytif ct tha idaai> A^DAPTED TO ALL PLANS, CAREFULLY SELECTED AND AERANOED FOR AMSRICAN SCHOOLS AND PRIVATE STUDENTS. BY CHARLES PICOT. Nisi utile est quod facimus, stulta est gloria.— Phjedik« PHILADELPHIA: THOMAS, COWPERTHWAIT & CO 1845. / O "^l •^^^^ #LIBMYOF CONGRESS.! i |f "«? ■ |w¥i |o. .=^^.^ ^P.£3. M^ITED STATES OF AMERICA. ^ NAERATIONS HISTORIQUES. JVo* 4 of Charlt's PicoVs Series of School Books. HISTOEICAL NARRATIONS IN FRENCH; CONSISTING OF INTERESTING HISTORICAL PIECES, INTENDED FOR READING, TRANSLATION, AND PARTICULARLY FOR NARRATION; The substance of which the French sfudent, who | orally and m writing, after propsr eierciies in the wishes gieatly to facilitate the acquiciition of this 1 Pronuuciation, Translation, DeSaitioa, Declension. useful lan^age for every purpose, is to relate accu- Conjugation, Repetition, Substitution of the Words a:id rately in his own words, in English and French, t hrase^, and a minute Analysis of the Ideas. ADAPTED TO ALL PLANS. CAREFULLY SELECTED AND ARRA.NGED FOR AMERICAN SCHOOLS AND PRIVATE STUDENTS. BY CHARLES PiCOT, Nisi utile est quod facimus, stulla est glona,— Ph.^dr. PHILADELPHIA, THOMAS, COWPERTHWAIT & CO, ■;■) 1845. T Entered, according to the Act of CongreSs, in the year 1844, by CHARLES PICOT, in the clerk's office of the District Court of the United States in and for the Eastern District of Pennsylvania. '^ J. Pagan, Stereotyper. Kay & Brother, Printers. (4) TABLE DES MATIERES. Page Napoleon en Prusse — Generosite — Clemence 9 Des Feciales chez les Remains , . 10 Annibal •> 11 Opinions religieuses et moeurs de Washington 12 Michel-Ange 13 Exeraple de devouement du capitaine Heitfeldt ....^ 14 Titus , 15 Les Romains 15 Alphonse d'Arragon 16 Les adieux de Fontainebleau 17 Le grenadier pieux . , 18 Frederic-le-Grand et le meunier 19 Grands talents ternis , 20 Humanite de Fenelon 20 Le Czar Pierre k Sardam 21 Frederic II et Tofficier reforme 22 Joseph II 23 Tasso 24 Dangers de la mauvaise compagnie , 25 Fenelon et le due de Bourgogne , 26 Depart des croises apres le concile de Clermont. 27 Combat de Merovee et du chef des Gaulois 29 L'homme au masque de fer , . 30 L'Amitie, ou Damon et Phintias 33 Guillaume Tell , 34 Frederic-le-Grand et son page 35 Fernand Cortez .....,,,....,,,..,...,,. , , 36 Regulus ..,.,. = ,,,,..,,....,....,.,.,,.,, , , , , 37 1 * (5) VI TABLE DES MATIERES, Page Stanislas et Charles XII 40 Fran9ois ler et le charbonnier 42 Frederic et le deserteur 43 Courage de Mathieu Mole 43 Utilite de I'histoire 44 Croisades, Armoiries, Tournois, &c 46 Chevaliers 47 Bataille de Salamine 48 Dignitaires de PEglise russe 50 Catherine l^e, Imperatrice de Russie 51 Le champ de bataille de la Moskowa 53 Fleaux de 1709 ; humanite de Fenelon 54 Solon et Cresus 55 Napoleon ^ Schcenbrun 57 Discours de Mirabeau sur la mort de Franklin 60 Templiers ou Chevaliers de la milice du temple 61 Cartesianisme 62 Moise 64 La Fayette 65 Songe de Marc- Aur^le 67 Savants et artistes celebres 68 Pharamond 70 Socrate — Physionomie : 72 Harangues laconiques 72 Ivan IV 73 Charles XII blesse 74 Mort de Socrate 75 Pierre-le-Grand 77 Charles XII 78 Revolution operee dans la philosophic par Descartes 79 Mort de Turenne 80 Lettre k Harvey sur Louis XIV «-,... 83 Obseques de Henri IV 86 Execution de Charles ler 88 Mort de Mirabeau 91 Descartes, Bacon, Leibnitz et Newton 92 Meurtre de Thomas Becket 94 Emploi du temps 96 Scipion et Lelius , 98 Henri IV et Sully 99 TABLE DES MATIERES. Vll Page Le capitaine Suisse 100 Leopold, due de Lorraine 102 Louis XII, Sforce, Bayard 104 Stratagdme de Christophe Colomb 105 Charlemagne 106 Siege de Rouen 1 07 Resolution et Perseverance 108 Ingratitude — Ciceron — Parmenion 108 Caligula 110 Reponses recompensees par Louis XI ♦ . . . Ill Quatre sidcles dans Thistoire du monde • 112 Marlborough 116 Alexandre — Taxile — Porus 118 Marius — Vicissitudes humaines 119 Denys-le-Tyran et Damocles 122 Elizabeth, reine d'Angleterre 122 La peste d'Athenes 124 Cromwell 126 Feodalite ou regime feodal 129 II faut aimer les lettres 1 30 Des Funerailles des Remains 133 Activite de Charles XII 137 Attentat centre Louis XIV 138 Du Triomphe chez les Remains 140 Ne lisez que les ouvrages d'une reputation non-equivoque 143 Mahomet . 144 Causes de la Revolution Fran9aise 1 45 ^Des Repas des Romains . 148 Prise de la Bastille 151 Lettre h. M^e Denis 154 A Lebrun au sujet de la petite-fille de Corneille 155 Lettre au Roi de Prusse 156 La Fdte de la Federation 157 Franc-ma9onnerie 1 60 Franklin 162 Belisaire en Thrace 165 Condamnation et mort de Louis XVI 168 General chez les Romains — Empereur, &c 175 Du Capitole 176 Xerxes et Leonidas 177 Vlll TABLE DES MATIERES. Page Seconde F6te de la Federation » 180 Premieres victoires de Bonaparte en Italic 182 Bonaparte et Pr^tres frangais bannis 184 Des Pontifes 185 Des Augures 186 Des Aruspices 189 Newton et Laplace , 190 Madame de Stael 193 Aspect de TAUemagne 195 Des Consuls, du Dictateur, &c 198 Fete donnee par Bonaparte aux armees francaises 203 Alexandre-le-Grand 204 Lysimaque , 207 Lettre memorable de Bonaparte au prince Charles 211 Une princesse de WollfFenbuttel 212 Prise de Mantoue — Generosite de Bonaparte 216 Reflexions sur la campagne d'ltalie et sur Bonaparte 218 Des Places ou les Romains s'assemblaient 219 De I'habillement des Romains 220 Des Feries et des F6tes des Romains 223 Des sacrifices et du Roi des sacrifices 225 Dialogue de Sylla et d'Eucrate 226 Jeanne d' Arc ^ 233 Mort de Jeanne d'Arc 236 Mceurs des Israelites k Paris 239 Incendie de Moscou 245 NAERATIONS HISTOEiaUES. Napoleon en Prusse — Generosite — Clemence. Napoleon songe d'abord a visiter le tombeau du grand Fre- deric. II prit I'epee du heros du xviiie siecle, la ceinture de general qu'il portait a la guerre de Sept-Ans, et son cordon de I'Aigle-Noire. " J'aime mieux cela que vingt millions," s' eerie Napoleon. " Je les enverrai aux Invalides : ils accueilleront avec un respect religieux tout ce qui appartient a I'un des pre- miers capitaines du monde." Le 27 octobre, 1806, Napoleon, precede de sa garde a cheval, et marchant entre les chasseurs et les grenadiers avec son bril- lant cortege, revolt a Berlin, sous Tare de triomphe eleve pour Frederic II, les hommages du corps municipal, et va descendre au vieux palais, oii la princesse hereditaire de Hesse-Cassel se trouvait, dans un etat de denuement absolu. L'empereur ne la vit point ; mais il chargea le grand-ecuyer de la rassurer sur sa position, et de lui remettre une somme d'argent, en y ajoutant la promesse d'un traitement pour le temps qu'elle voudrait rester au palais. La Fortune, qui comblait Napoleon de tant de faveurs, que I'on pouvait dire qu'elle etait passee a son service, lui offrit alors I'occasion de se reposer des emotions d'une telle gloire, par un des plus beaux actes de clemence qui ait jamais honore le caractere d'un souverain victorieux. Le prince de Hatzfeld, gouverneur civil de Berlin, pendant I'occupation de cette ville par les Fran^ais, et connu pour Fun des plus ardents provocateurs de la guerre, s'etait empresse de presenter a l'empereur tous les fonctionnaires civils et militaires de la capitale : " Ne vous presentez pas devant moi," lui dit l'empereur, "je n'ai pas besoin de vos services; allez vous (9) 10 KARRATIONS HISTORIQUES. retirer dans vos terres." Peu de moments apres, le prince fut arrete. Une lettre, par laquelle il instruisait le roi des mouve- ments de I'armee frangaise, avait ete interceptee et remise a I'empereur. Le crime de trahison etait suffisamment prouve ; une commission militaire all ait juger le coupabie, quand la prin- cesse de Hatzfeld vint se jeter aux genoux de Napoleon, et pro- tester que son mari etait incapable d'une telle perfidie : " Vous connaissez son ecriture," dit Napoleon en lui presentant la lettre du prince, " jugez-le vous-meme, Madame." La princesse lut la lettre et tomba evanouie. L'etat de sante oii elle etait ajoutait encore au malheur comme a I'interet de sa situation, qui avait vivement emu I'empereur. Des secours furent prodigues a la princesse, qui revint a elle. " Tenez, Madame," lui dit Napo- leon, " cette lettre est la seule preuve que j'aie contre votre mari: jetez-la au feu." Ainsi fut sauve le prince de Hatzfeld. Des Feciales, NuMA etablit a Rome un ordre de pretres ou de magistrats, qu'on appelait Feciales^ et dont 1' office repondait a peu pres a celui de herauts-d'armes. lis etaient au nombre de vingt. On ne faisait jamais de guerre sans les consulter ; et quand la guerre etait resolue d' apres leur avis, un d'eux allait la declarer sur la frontiere en presence de quelques temoins. II jetait sur le ter- rain ennemi une fleche, ou un javelot, ou une perche brulee par le bout, et ensanglantee. Cette ceremonie rendait la guerre juste et legitime, et, quand on ne i'observait point, la guerre passait pour injuste. On donnait trente-trois jours pour deliberer, au peuple qui refusait de reparer I'injure qu'il avait faite ; apres ce temps revolu, on pouvait legitimement lui declarer la guerre. II subsistait encore quelque chose de cette coutume sous les premiers empereurs Chretiens; et Grotius rapporte qu'avant d'entreprendre une guerre, on consultait les eveques pour savoir si on pouvait la faire en conscience. C'etait aussi les Feciales qui concluaient les traites de paix, NARRATIONS HISTORIQUES, 11 et les treves, en frappaDt d'anatheme un pourceau, et en souhai- tant que ceux qui rompraient les traites de paix fussent frappes de meme. ^nnibcd, Annibal, general carthaginois, fils d'Amilcar, naquit Fan 247 avant Jesus-Christ, Son pere lui avait fait jurer des son enfance une haine implacable aux Remains. II servit 3 ans en Espagne sous les ordres de son oncle Asdrubal, et a la mort de ce general il fut unanimement proclame general en chef de i'armee cartha- ginoise, quoiqu'il eut a peine 25 ans. II ralluma la guerre avec les Romains en prenant et saccageant, au milieu de la paix et centre la foi des traites, la ville de Sagonte, alhee des Romains (219 av. J. C.) Pensant qu'on ne pouvait vaincre les Romains que dans Rome, il quitta 1' Espagne, traversa les Gaules, franchit le Rhone et les Alpes, et envahit I'ltahe, oii il marcha d'abord de succes en succes. II remporta sur 3 consuls les 3 grandes victoires de la Treble, du Tesin et de Trasimene, et, penetrant enfin jusqu'au fond de la peninsule, battit completement les Romains a la fameuse bataille de Cannes (216), oii il leur tua 40,000 hommes. S'il avait marche droit a Rome apres cette victoire, peut-etre s'en fut-il rendu maitre ; mais ses delais lais» serent aux Romains le temps de reprendre courage, et ses troupes cantonnees en Campanie s'amoUirent dans les delices de Capouee Marcellus le vainquit 2 fois a Nole, et des lors la fortune sembla changer pour lui. Asdrubal, son frere, qui amenait des troupes fraiches, fut battu et tue pres du Metaure avant d' avoir effectue sa jonction. D'ailleurs, Annibal n'obtenait de Carthage qu'avec peine, et en petite quantite, I'argent et les renforts dont il avait besoin. Cependant il se maintint encore 14 ans par ses propres forces en Itahe, et ne quitta cette contree que lorsque Scipion eut transporte la guerre en Afrique ; il se vit alors force de re- passer la mer pour aller defendre sa patrie. A peine arrive, il livra bataille aux Romains dans la plaine de Zama (202) : mais il fut vaincu et force de s'exiler. II se refugia chez Antiochus^ 12 NARRATIONS HISTORiaUES. roi de Syrie, a qui il persuada de declarer la guerre aux Re- mains ; et enfin chez Prusias, roi de Bithynie. Celui-ci ayant promis de le livrer a ses ennemis, Annibal s'empoisonna pour ne pas tomber vivant entre leurs mains (183 av. J. C.) II avait alors 64 ans. Opinions Religieuses et Moeurs de Washington, Cent ans se sont ecoules depuis I'enfance de Washington, et on sait si peu de choses sur le commencement de sa vie que nous ne saurions rien affirmer relativement a ses premieres croyances religieuses. Cependant c'est une tradition reeue dans les envi- rons du lieu de sa naissance, qu'il fut eleve dans des sentiments qui ne purent manquer de graver dans son esprit les principes de la religion chretienne, et un profond respect pour les preceptes qu'elle enseigne. Cette presomption se trouve confirmee par les manuscrits de Washington, qui contiennent des articles et des extraits transcrits par lui pendant son enfance, et prouvent que ses pensees avaient' alors une tendance religieuse, Une de ces pieces, composee pour le jour de Noel, commence ainsi : " Muse, inspire mes chants sur le jour fortune Ou, pour racheter rhomme, un Sauveur nous est ne." Un enfant de treize ans ne s'appliquerait pas a transcrire des pieces de cette nature si les instructions de parents pieux, ou celles de ses maitres, n'avaient deja fait prendre a son esprit un pli religieux bien marque. Washington attachait beaucoup d'importance a maintenir dans le camp I'exactitude du service religieux. Au milieu meme des scenes si vives des Grandes-Prairies, il ne se departit pas un seui jour de cette habitude. Pendant la guerre avec la France, le gouvernement de Virginie ayant neghge de pourvoir I'armee de chapelains, il s'eleva contre un pareil oubli et renouvela ses reclamations jusqu'a ce qu'on y eut satisfait. Dans ses ordres du jour, il relevait severe ment et condamnait les habitudes vicieuses et les jurements profanes des soldats. NARRATIONS HISTORIQUES, 13 Michel - Ange, Michel-Ange, indigne de la preference injuste que les pr6- teiidus connaisseurs de son temps donnaient aux ouvrages des aliciens sculpteurs ; irrite d'ailleurs de ce qu'on lui avait dit a lui-meme, que la moindre des figures antiques etait cent fois plus belle que tout ce qu'il avait fait, ou pourrait jamais faire, s'avisa d'un moyen singulier pour les confondre, II sculpta secretement un Cupidon de marbre, avec tout le genie et tout Part qui lui etaient propres. Quand cette statue fut achevee, il lui cassa un bras, et, apres avoir donne au reste de la figure, par le moyen de certaines teintures rousses, la couleur des statues antiques, il alia I'enfouir, pendant la nuit, dans un endroit oil Ton devait bientot jeter les fondements d'un edifice. Le temps venu, on trouva le Cupidon : tons les curieux accoururent pour 1' ad- mirer, lis s'ecrierent qu'ils n'avaient jamais rien vu de si beau. C'est un chef-d'oeuvre de Phidias, disaient les uns ; il est de Policlete, disaient les autres : qu'on est eloigne, s'ecriaient-ils tous, de faire aujourd'hui rien de pareil ! Mais quel dommage qu'il lui manque un bras !...,'' Ce bras, je Pai, Messieurs, dit enfin Michel-Ange qui ecoutait ces folles exagerations." On commen^a par se moquer de lui ; mais la confusion tourna bien- tot du cote des rieurs, lorsqu'ils virent Michel-Ange rajuster a la statue, le bras qu'il en avait detache precedemment. En recon- naissant le veritable auteur de la statue, il fallut reconnaitre aussi qu'il n'est pas impossible aux modernes de faire aussi bien que les anciens. Michel-Ange ne commen^a que vers quarante ans a s'adon- ner a i' architecture, et ne tarda pas a surpasser tous ses rivaux en construisant le plus bel ouvrage de I'architecture modeme, la coupole de Saint-Pierre a Rome. II y travaillait encore lors- qu'il mourut en 1564. Le genie de Michel-Ange n'a jamais ete conteste ; tous le placent au premier rang comme peintre, sculpteur et architecte. 2 14 KARRA'TIONS HISTORiaUES. Exemple de Devouement. En 1710, la flotte danoise, sous le commandement de I'amiral Gyldenseve, fut envoyee dans la mer Baltique a la poursuite d'une flotte suedoise ; mais en consequence d'une maladie qui eclata soudainement parmi son equipage, il se vit oblige de diriger sa course vers la baie de Kioege, et de tenir la defensive. L'amiral suedois, informe de cette circonstance, se hata d'en tirer avan- tage. II se presenta a I'entree de la baie, et livra bataille a la flotte ennemie, mais sans pouvoir la vaincre. Durant I'engagement, un des vaisseaux de guerre danois, le Danbrog, prit feu, et tous les moyens employes pour eteindre les flammes furent inutiles. Le capitaine Heitfeldt vit luire un rayon d'esperance qui, dans le moment, lui promettait d'effec- tuer son salut et celui de son equipage : c'etait de couper ses cables et de gagner la cote ; mais il y avait a craindre que, si le vent venait a changer, le vaisseau ne s'engageat dans la flotte danoise, et ne la mit en danger elle et la ville. Entre ces deux maux Heitfeldt choisit le moindre. II donna I'ordre positif qu'on ne coupat point les cables, puis envoya ses offlciers parmi les gens de I'equipage, pour leur demander s'il ne serait pas plus glorieux de poursuivre la destruction de Tennemi pendant que le Danbrog existait, que de compromettre I'existence de plusieurs milliers de leurs concitoyens, en essay ant de se sauver eux-memes. Les matelots accueillirent la proposition de leur brave capi- taine par les acclamations les plus cordiales. Heitfeldt envoya rsix de ses gens a bord de l'amiral pour I'informer de cette deter- mination, et porter les derniers adieux de I'equipage a leur pays. Dans I'espace de quelques minutes les flammes atteignirent le magasin a poudre, une explosion s'en suivit, et tout I'equipage perit dans I'un des plus genereux actes de devouement patrio- dque dont Thistoire ait jamais fait mention. NARRATIONS HISTORIQUES, 16 Titus. Affable et populaire, il ne repoussait aucune demande, au« cune reclamation ; sa grace ajoutait au bienfait et adoucissait le refus. Comme on lui reprochait un jour dans son conseil de promettre plus qu'il ne pouvait tenir : " 11 ne faut, dit-il, oter a personne I'esperance, et jamais on ne doit sortir mecontent de I'audience du prince." Se rappelant un soir, pendant son repas, qu*il avait passd toute la joumee sans obliger personne : " Helas 1 mes amis, dit- il, j'ai perdu un jour." Lorsqu'on se sent fort par 1' amour qu'on inspire, on est inac« cessible a la crainte ; informe qu'on avait public des libelles centre lui: "Pourquoi, dit-il, redouterais-je des ecrits que tout le monde trouvera calomnieux, si je ne fais rien qui soit digne de blUme ?" Cependant sa constante bonte n'empecha pas quelques hom- mes ambitieux de former des projets contre lui. Deux patri- ciens conspirerent pour le renverser du trone ; il en fut informe^ les fit venir en sa presence, leur conseilla de renoncer a des des- seins contraires aux lois divines et humaines, envoya un courrier a la mere de I'un d'eux pour la rassurer sur le sort de son fils, invita les deux conjures a sa table ; et, le lendemain, les pla^ant a cote de lui a un combat de gladiateurs, remit dans leurs mains les epees qu'on lui portait selon I'usage avant le combat, et les chargea de les examiner. La rigueur dies princes faibles tue quelques conspirateurs : la clemence des grands caract^res tue les conspirations* Les Romains, De tous les peuples du monde, le plus fier et le plus hardi, mais tout ensemble le plus regie dans ses conseils, le plus con- stant dans ses maximes, le plus avise, le plus laborieux, et enfin le plus patient, a ete le peuple romain. 16 NARRATIONS HISTORiaUES, De tout cela s'est formee la meilleure milice, et la politique la plus prevoyante, la plus ferme, et la plus suivie qui fut jamais. Le fond d'un Romain, pour ainsi parler, etait I'amour de sa liberte et de sa patrie. Une de ces choses lui faisait aimer r autre ; car parce qu'il aimait sa liberte, il aimait aussi sa patrie, comme une mere qui le nourrissait dans des sentiments egale- ment genereux et libres. Sous le nom de liberte, les Romains se figuraient, avec les Grecs, un Etat ou personne ne fut sujet que de la loi, et oii la loi fut plus puissante que les hommes. La liberte leur etait done un tresor qu'ils preferaient a toutes les richesses de I'univers. Aussi dans leurs commencements, et meme bien avant dans leurs progres, la pauvrete n' etait pas un mal pour eux : au contraire, ils la regardaient comme un moyen de garder leur liberte plus entiere, n'y ayant rien de plus libra ni de plus independant qu'un homme qui sait vivre de peu, et qui, sans rien attendre de la protection ou de la liberalite d'autrui, ne fonde sa subsistance que sur son industrie et sur son travail. C'est ce que faisaient les Romains. Nourrir du betail, la- bourer la terre, se derober a eux-memes tout ce qu'ils pouvaient, vivre d'epargne et de travail : voila quelle etait leur vie ; c'est de quoi ils soutenaient leur famille, qu'ils accoutumaient a de semblables travaux. La milice d'un tel peuple ne pouvait manquer d'etre admi- rable, puisqu'on y trouvait, avec des courages fermes et des corps vigoureux, une si prompte et si exacte obeissance. Alphonse d'Aragon, Alphonse, roi d' Arragon et de Sicile, envoyant son fils contre les Florentins, avec une grande armee, lui dit entre autres cho- ses : " Le principal conseil que je vous donne, est de compter moins sur votre courage et sur I'intrepidite de vos soldats, que sur le secours du Dieu tout puissant. Croyez-moi, mon fils, ce NARRATIONS HISTORIQUES. 17 n'est pas la capacite du general, ni la docilite des troupes, mais la volonte de Dieu qui donne la victoire. Si sa main ne vous dirige, toute votre experience militaire vous sera inutile ; et c'est par une piete solide, par une vie innocente et sans reproches, qu'on se le rend favorable. Adorez done I'Etre supreme, mon cher fils ; n'ayez de confiance qu'en lui seul, puisque c'est a lui seul que vous devrez vos succes et tout le bien que vous pour- rez faire." Telle etait la priere ordinaire de ce grand prince : " Je vous remercie humblement, 6 mon Dieu ! de ce qu'au lieu de m'avoir place au nombre des animaux depourvus de raison, non seule- ment vous m'avez cree homme, mais vous m'avez fait chretien, et maitre d'un royaume ou je puis etre Tinstrument de votre bienfaisance." Instruit que des personnes comblees de ses bienfaits, par- laient mal de lui et attaquaient sa reputation par des calomnies atroces, il s'ecria au lieu de les punir : " C'est le propre des rois de faire des ingrats ; mais ils auront beau faire, ils ne m'em- pecheront jamais d'etre liberal et bienfaisant." Les adieux de Fontainebleau, Dans la matinee du 20 Avril 1814, Napoleon se montra a sa garde, qui n'avait pas cesse de I'entourer dans les jours de mal- heur. " Generaux, officiers, sous-ofliciers et soldats de ma vieille garde, leur dit Napoleon d'une voix attendrie, je vous fais mes adieux : depuis vingt ans je suis content de vous ; je vous ai toujours trouves sur le chemin de la gloire. " Les puissances alliees ont arme toute I'Europe contra moi ; une partie de I'armee a trahi ses devoirs, et la France elle-meme a voulu d'autres destinees. " Avec vous et les braves qui me sont restes fideles, j'aurais pu entretenir la guerre civile pendant trois ans ; mais la France 2* 18 NARRATIONS HISTORiaUES. eut ete malheureuse, ce qui etait contraire au but que je me suis propose. " Soyez fideles au nouveau roi que la France s'est choisi ; n'abandonnez pas notre chere patrie, trop longtemps malheu- reuse. Aimez-la toujours, aimez-la bien, cette chere patrie ! " Ne plaignez pas mon sort ; je serai toujours heureux lors- que je saurai que vous Fetes. " J'aurais pu mourir ; rien ne m'eut ete plus facile ; mais je suivrai sans cesse le chemin de I'honneur. J'ai encore a ecrire ce que nous avons fait. " Je ne puis vous embrasser tons ; mais j'embrasserai votre general . . . Venez general ... (il serra le general Petit dans ses bras) qu'on m'apporte I'aigle ... (il la baisa). Chere aigle ! que ces baisers retentissent dans le coeur de tous les braves ! . . . Adieu, mes enfants ! . . . mes vceux vous accompagneront tou- jours ; conserve z mon souvenir." Cette allocution de Napoleon fit repandre des larmes non- seulement a tous ses vieux soldats, mais encore aux commis- saires anglais et prussiens qui etaient presents a ce spectacle sublime et dechirant : elle fit sur tous une impression inefTa^able. Le Grenadier pieux. La prise de Namur, en 1692, est un des plus beaux evene- ments militaires du 17e. siecle. Louis-le-Grand, a la tete de quarante mille Fran^ais, ayant avec lui le grand Conde et Vau- ban, dirigeait en personne les operations du siege, tandis que Luxembourg arretait ce fameux Prince d' Orange, le plus ruse et le plus malheureux des generaux de son temps. La viile et le chateau furent emportes en moins d'un mois ; les troupes fran^aises y firent des prodiges de valeur, A I'attaque d'un ouvrage avance, un grenadier a cheval, sur- nomme Sans-Raison, ayant vu tuer le lieutenant de sa com- pagnie, resolut de venger sa mort ; cet officier s'appelait Roque- rest ; c'etait un de c^s homm-es qui, loin de laisser affaiblir leur NARRATIONS HISTORIQUES. 19 religion dans le tumulte des armes, savent y porter la devotion jusqu'a la ferveur ; il avait communie la veille, et son corps fut trouve revetu d'un cilice : on n'eh est que plus intrepide, lors- qu'au zele pour sa patrie on joint I'amour pour sonDieu. Sans- Raison, qui regrettait ce brave liomme, devint un lieros pour le venger ; parmi les victimes qu'il lui immola se trouvait un ca^- taine Espagnol, fils du comte de Lemos, grand d'Espagne. Les ennemis firent demander son corps ; il leur fut rendu ; le grena- dier rendit aussi trente-cinq pistoles qu'il avait trouvees sur le mort, en disant : *' Tenez, voila son argent dont je ne veux point ; les grenadiers ne mettent la main sur les gens que pour les tuer." Frederic-le- Grand et le Meunier. LoRsauE Frederic II, roi de Prusse, faisait batir le palais de Sans-Souci, il se trouvait un moulin qui le genait singuliere- ment dans Texecution de son plan, et il voulut savoir combien le meunier en demandait. Celui-ci repondit que pendant une longue suite d'annees sa famille avait possede le moulin, qui avait passe de pere en fils, et qu'il ne voulait point le vendre. Le roi eut recours aux sollicitations, offrit de lui en faire batir un autre dans une meilleure situation, et de lui payer en outre tout ce qu'il lui demanderait ; mais le meunier obstine persista dans sa determination de conserver I'heritage de ses ancetres. Le roi irrite de sa resistance, I'envoya chercher, et lui dit d'un ton de mauvaise humeur : " Pourquoi me refusez-vous de me vendre votre moulin, malgre tous les avantages que je vous ai offerts ?" Le meunier lui repeta ses raisons. " Savez-vous bien, continua le roi, que je pourrais le prendre sans vous don- ner un Hard ?" " Oui, repiiqua le meunier, sans la chambre de justice de Berlin." Le roi fut extremement flatte de cette reponse, qui montrait qu'il etait incapable d'un acte d'injustice. 11 renvoya le meunier, sans pousser plus loin ses instances, et change a le plan de ses jardins. 20 NARRATIONS HISTORIQUES. Grands talents ternis. Par quelle fatalite arrive-t-il que les grands talents sont tou- jours balances et temis par de grands defauts ? L'histoire nous Sprend que la republique romaine fut detruite par les deux as grands hommes qu'elle ait jamais produits. Pompee avait deja subjugue tout POrient, et delivre Rome de son plus grand ennemi, par la victoire qu'il avait remportee sur Mithridate, roi de Pont. Clui pourrait compter tant de villes qu'il prit, tant d'armees qu'il mit en deroute, tant de provinces qu'il soumit a I'empire remain ? Qui pourrait s'empecher d' admirer tant de victoires et de triomphes ? C'est de lui que Ciceron a dit qu'il avait heureusement termine plus de guerres que les autres n'en avaient lu. II croyait done avoir acquis, par ses exploits mili- taires, assez de reputation et d'autorite pour ne point souffrir d'egal. D'un autre cote, Jules Cesar s'etait fait un grand nom par son eloquence, et plus encore par la conquete des Gaules. Passionne comme il I'etait pour la gloire (j'entends la gloire fausse et populaire, et non la veritable et solide gloire), il nt pouvait souffrir personne au-dessus de lui. Un jour qu'il pas- sait par une veritable bicoque, situee dans les Alpes, ses amis lui ayant demande s'il y avait aussi des seditions et des que- relies dans ce petit endroit, il s'arreta, et ayant reflechi un mo- ment : " J'aimerais mieux," leur dit-il, " etre le premier ici que le second dans Rome." Humanite de Fenelon, Fenelon allait souvent se promener seul et a pied dans les environs de Cambrai ; et, dans ses visites diocesaines, il entrait dans les cabanes des paysans, s'asseyait aupres d'eux, les sou la- geait et les consolait. Les vieillards qui ont eu ]e bonheur de le voir parlent encore de lui avec le respect le plus tendre. " Voila," disent-ils, " la chaise de bois ou notre bon archeveque NARRATIONS HISTORIQUES. 21 venait s'asseoir au milieu de nous ; nous ne le reverrons plus !" et ils repandent des larmes. II recueillait dans son palais les malheureux habitants des campagnes, que la guerre avait obliges de fuir leurs demeures, les nourrissait et les servait lui-meme a table. II vit un jour un paysan que ne mangeait point, et lui en demanda la raison. "Helas! monseigneur," lui dit le paysan, "je n'ai pas eu le temps, en fuyant de ma cabane, d'emmener une vache qui nourrissait ma famille, les ennemis me I'auront enlevee, et je n'en trouverai pas une aussi bonne." Fenelon, a la faveur de son sauf-conduit, partit sur-le-champ, accompagne d'un seul domestique, trouva la vache, et la ramena lui-meme au paysan. La simpHcite de sa vertu obtint le triomphe le plus flatten r et le plus doux dans une occasion qui dut etre bien chere a son ccBur. Ses ennemis, car, a la honte de Thumanite, Fenelon eut des ennemis, avaient eu la detestable adresse de placer aupres de lui un ecclesiastique de grande naissance, qu'il croyait n'etre que son grand-vicaire, et qui etait son espion. Get homme, qui avait consenti a faire un metier si vil et si lache, eut le courage de s'en punir ; apres avoir observe longtemps Tame douce et pure qu'il etait charge de noircir, il vint se jeter aux pieds de Fenelon en fondant en larmes, avoua le role indigne qu'on lui avait fait jouer, et alia cacher dans la retraite son desespoir et sa honte. Le, Czar Pierre I^^ a Sardam. Le czar se reridit a Amsterdam quinze jours avant I'ambas- sade ; il logea d'abord dans la maison de la Compagnie des Indes, mais bientot il choisit un petit logement dans les chantiers de I'amiraute. II prit un habit de pilote, et alia dans cet equi- page au village de Sardam, ou I'on construisait alors beaucoup plus de vaisseaux encore qu'aujourd'hui. Ce village est aussi grand, aussi peuple, aussi riche, et plus propre que beaucoup de villes opulentes. Le czar admira cette multitude d'hommes 22 NARRATIOIN'S HISTORIQUES. toujours occupes, I'ordre, Pexactitude des travaux, la celerity prodigieuse a construire un vaisseau et a ie munir de tous ses agres, et cette quantite incroyable de magasins et de macliines qui rendent le travail plus facile et plus sur. Le czar commen^a par acheter une barque, a laquelle II fit de ses mains un mat brise ; ensuite il travailla a toutes les parties de la construction d'un vaisseau, menant la meme vie que les artisans de Sardam, s'habillant, se nourrissant comme eux, travaillant dans les forges, dans les corderies, dans ces moulins dont la quantite prodigieuse borde le village, et dans lesquels on scie le sapin et le chene, on tire I'huile, on fabrique le papier, on file les metaux ductiles. II se fit inscrire dans le nombre des charpentiers, sous le nom de Pierre Michaeloff. On I'appelait communement maitre Pierre [Peterbas), et les ouvriers, d'abord interdits d' avoir un souve- rain pour compagnon, s'y accoutumerent familierement. Frederic II. Un lieutenant-colonel prussien, reforme a la fin de la guerre de sept ans, ne cessait de soUiciter le roi pour son replacement II devint si importun que sa majeste defendit qu'on le laiss^t approcher d'elle. Peu de temps apres il parut un libelle contre ce monarque. Q,uelque indulgent que fut le grand Frederic a cet egard, I'audace de I'ecrivain I'ofTensa au point qu'il promit cinquante frederics d'or a celui qui le denoncerait. Le lieu- tenant-colonel se fit annoncer au roi comme ayant un rapport interessant a lui faire. II est admis. " Sire, vous avez promis cinquante frederics d'or a celui qui denoncerait Fauteur d'un certain libelle. C'est moi. J'apporte ma tete a vos pieds ; mais tenez votre parole royale, et, pendant que vous punirez le coupable, envoyez a ma pauvre femme et a mes malheureux enfants la recompense promise au denonciateux." — "Rendez- vous sur-le-champ a Spandau," dit le roi, "attendez sous les ver- roux de cette forteresse I'efTet du juste courroux de votre souve- rain." ~ '' J'obeis, sire, mais les cinquante frederics d'or ?"— NARRATIONS HISTORIQUES. 23 "Dans deux heures votre femme les recevra. Prenez cette lettre et la remettez au commandant de Spandau, qui ne doit I'Duvrir qu'apres le diner." — Le lieutenant-colonel arrive au terrible chateau. Au dessert le commandant ouvre la lettre ; elle contenait ces mots : " Je donne le commandement de Span- dau au porteur de cet ordre. II verra bientot arriver sa femme avec les cinquante frederics d'or. Le commandant actuel de Spandau ira a B . . . . en la meme qualite ; je lui accorde cet avancement en recompense de ses serrices." Joseph II. Dans le premier voyage que Joseph II fit en France sous le nom de comte de Falkenstein, il arriva a une poste qui se trou- vait, au moment de son apparition, degarnie de chevaux, Le maitre de poste pria Fetranger, qui lui etait inconnu, d'avoir un peu de patience, avouant qu'il avait employe ses chevaux de relais pour aller chercher quelques parents et amis, invites a assister au bapteme d'un fils. Le comte, en s'entretenant avec cet honune, lui trouva du bon sens et du patriotisme. II s'ofTrit pour etre parrain. Le maitre de poste, etonne de la proposition, I'accepta cependant, et prefera I'etranger pour compere a son cousin le fermier, auquel ce titre avait ete destine. On se transporte a I'eglise, on commence I'acte. Le cure demande au parrain son nom. — "Joseph." — "Le nom de fa- mille ?" — " Comment ? je croyais que celui de Joseph suffisait." — " Non, monsieur." — " Eh bien, mettez Joseph second." — Le cure et les assistants resterent interdits. Le maitre de poste tomba aux pieds du prince, qui le releva avec bonte, lui fit un don tres-genereux, et promit de ne pas oublier son fiUeul. Le feu ayant pris a une maison de Vienne, Joseph II y ac- courut pour hater les secours, et s'approcha tres-pres de cette maison qui mena^ait deja ruine par la violence de I'incendie. Un artisan, qui s'apergut du danger auquel ce prince etait expose, I'en avertit et le pria de se retirer. Joseph, ne croyant 24 NARRATIONS HISTORiaUES. pas le danger si grand, ne se hatait point. Mais comme il tar- dait trop, i'ouvrier le saisit avec vivacite, et I'emportant dans ses bras il le mit en lieu de surete. A peine fut-il eloigne, que la maison s'ecroula et que des poutres embrasees tomberent a Fen- droit meme oii le monarque se trouvait un instant auparavant. Joseph, penetre de reconnaissance, offrit sa bourse remplie d'or a son liberateur ; mais le genereux ouvrier la refusa en disant : '^ Ce que j'ai fait, c'est par amour, et I'amour ne peut se payer. Mais si j'ose demander une grace a votre majeste, c'est en fa- veur de rnon voisin. C'est un honnete homme laborieux, mais si pauvre qu'il ne saurait payer sa maitrise ni les outils neces- saires a son metier." L'empereur lui accorda sa priere, et fit donner une somme a son malheureux voisin. Qtuant a son iiberateur, il fit frapper une medaille d'or qu'il lui envoya. Tasso. Le talent du Tasse pour la poesie ne fut pas moins precoce que prodigieux ; a dix-huit ans il composa son poeme de Re- naud, qui preceda et annon^ait celui de la Jerusalem delivree, cet ouvrage enchanteur dont le vingtieme chant a fait dire que le poete y avait Fair d'un dieu qui finit un monde. Le premier de ses poemes lui valut Fadmiration de toute FItalie, et Fimpro- bation de son pere, qui craignit que I'amour des lettres ne le detournat des etudes plus fructueuses. En consequence, il se rendit a Padoue ou etait alors son fils, pour lui faire de vives reprimandes sur Fusage fort mauvaisj selon lui, qu'il faisait du temps en le consacrant a la philosophic. Le Tasse Fecouta avec tant de patience et de tranquilHte, que le vieillard en devint encore plus courrouce. " Je voudrais bien savoir," s'ecria-t-il, " a quoi vous sert cette belle philosophic ?" Le poete repondit avec sang-froid ; " Cette philosophic m'a donne la force de sup- porter patiemment la durete de vos reproches." La Jerusalem dehvree ne recut pas d'abord Faccueil qu' elle meritait, et Fauteur ne dedaigna pas de s'engager pour la NARRATIONS HISTORIQUES. 25 defend re dans une vive polemique avec ses obscurs critiques ; en meme temps il eprouva quelques contrarietes a la cour de Ferrare, par suite d'une passion malheureuse qu'il avait con^ue pour une des saeurs du due. Sans cesse assailli d'idees noires sa raison s'egara, et il quitta brusquement Ferrare sans argent at sans but. II voyagea beaucoup en Italie, mais ne trouvant nulle part le bonheur, il hasarda de revenir a Ferrare ; le due irrite le fit enfermer dans une maison de fous ou il le retint neuf ans. Le Tasse sejourna ensuite a Mantoue, a Naples, a Rome, mais sans etre plus heureux, luttant sans cesse contre la misere, et souvent prive de sa raison. II mourut a Rome emporte par une fievre qui le minait depuis longtemps. Dayigers de la mauvaise compagnie. LoRSQUE Marius fut envoye contre les Cimbres, ses soldats n'osaient regarder les ennemis en face : leur stature gigantesque et leur aspect sauvage glacaient la valeur romaine. Mais lorsquc, de leur camp, ils eurent considere pendant trois jours ces barbares du Nord, leur courage eteint se ranima ; ils at- taquerent cette multitude feroce, et la mirent en fuite. Appliquons cet exemple a ces liaisons dangereuses dans les- quelles les jeunes gens se jettent tous les jours ; le rapport est evident. Un jeune homme eleve dans les principes de I'hon- netete, qui voit le vice pour la premiere fois, est epouvante de sa face hideuse : I'idee d'une faute legere le fait trembler. Vient-il a se lier avec quelque ami de la dissipation et du plaisir, dont la morale est d'autant plus pernicieuse, qu'il sait mieux la revetir d'une apparence de delicatesse ; d'abord son esprit tombe dans le doute : son coeur se trouble ; il hesite, il se defend quelque temps, mais a chaque combat il perd de ses forces. II cede enfin a I'exemple, il se laisse entrainer, et sa conscience sommeille : ses reproches sent faibles, ses remords a peine sensibles. Bientot I'habitude repousse la reflexion, et le malheureux, tombe dans une froide insensibilite, se livre a des 3 26 NARRATIONS HISTORIQUES. desordfes qui d'abord I'eussent fait reculer d'horreur. On doit reconnaitre ici la verite de cette ancienne maxime : Nemo repente fait turpissimus, Racine I'a fort embellie dans ce vers : Ainsi que la vertn, le crime a ses degree. Fenelon et le Due de Bourgogne. Louis XIV n'aimait pas Fenelon ; il avait cni voir dans les Maximes des Saints et dans le Telemaque, la critique de tout son regne. Apres avoir exile ce vertueux prelat, il defen- dit au due de Bourgogne tout commerce avec lui. Un prince ordinaire eut peut-etre obei sans peine ; mais I'eleve de Fene- lon pouvait-il oublier son instituteur? Leur correspondance existe. Cette defense ne fut point levee, lorsque le due de Bourgogne alia faire la campagne de Flandre, en 1708. L'arche- veque de Cambray vint se presenter a la poste ou le prince devait diner. Le prince Faccueillit froidement ; les courtisans ne lui parlerent pas, meme pour lui repondre, lorsque, pour la forme, il jetait quelques mots dans la conversation ; mais ils comprirent qu'en sortant de table, ils devaient laisser le prince libre avec lui : alors il I'embrassa en fondant en larmes ; il T appela son ami, lui jura une reconnaissance eternelle, se plaignit tendrement de I'effort penible qu'il avait ete oblige de se faire devant les spectateurs ; et Fenelon put reconnaitre Tame qu'il avait su former. " Je vous porte, lui ecrivait, vers le meme temps, ce tendre archeveque : je vous porte sans cesse devant Dieu, dans une presence plus intime que celle des sens. Je donnerais mille vies comme une goutte d'eau pour vous voir tel que Dieu vous veut ; c'est-a-dire, tel que votre peuple a interet que vous soyez." II eut la douleur de voir mourir en 1712 ce prince, son esperance et celle de la France. "Ah !" s'ecria-t-il, " mes liens sont rompus. France, je croyais t'avoir prepare un demi-siecle de bonbeur, et voila que la mort a detruit tous mes travaux : je n'ai rien fait pour mon pays ; le roi que j'ai forme {Philippe V) regne dans une terre etrangere," l^ARRATtONS HISTORiatTES. 27 Depart des croises apres le candle de Vlermont* Des que le printemps parat rien ne put conteair Pimpatience des croises ; ils se mirent en marche pour se rendre dans les iieux ou iis devaient se rassembier, Le plus grand nombre allait a pied ; quelques cavaliers paraissaient au milieu de la multitude, plusieurs voyageaient montes sur des chars traines par des boeufs ferres ; d'autres cotoyBient la mer, descendaient les fleuves dans des barques ; iis etaient vetus diversement^ armes de lances, d'epees, de javebts, de massues de fer, &c. La foule des croises ofFrait un melange bizarre et confus de toutes les conditions et de tous les raiags : dies femmes parais- saient en armes au milieu des guerriers , — On voyait la vieil- iesse a cote d.e Fenfance, I'opulence pres de la misere ; le casque etait confondu avec le froc, la mitre avec i'epee, le seigneur avec le serf, le maitre avec le serviteur, Pres des villes, pres des forteresses, dans les plaines, sur les montagnes, s'elevaient des tentes, des pavilions pour les chevaliers, et des autels dresses a la hate pour I'office divin ; partout se deployait un appareil de guerre et de fete solennelle. D'un cote, un chef militaire exer- =gait ses soidats a la discipline ; de I'autre, un predicateur rap- pelait a ses auditeui^ les verites de I'Evangiie, Ici, on enten- dait le bruit des clairons et des trompettes ; plus loin, on chantait des psaumes et des cantiques. Depuis le Tibre jusqu'a I'ocean, et depuis le Rhin j usque au-dela des Pyrenees on ne rencontrait que des troupes d'hommes revetus de la croix, jurant d'extermi- ner les Sarrasins et d'avance celebrant leurs conquetes ; de toutes parts retentissait le cri des croises : Dieu le veut ! Dieu le veut ! Les peres conduisaient eux-memes leurs enfants, et leur fai- saient jurer de vaincre ou de mourir pour Jesus-Christ. Les guerriers s^'arrachaient des bras de leurs epouses et de leurs families et promettaient de revenir victorieux. Les femmes, les vieillards, dont la faiblesse restait sans appui, accompagnaient leurs fiJs ou leurs epoux dans la vilJe la plus voisine ; et, ne pou- 28 NARRATIONS IlISTORIQUES. vant se separer des objets de leur affection, prenaient le parti de les suivre jusqu'a Jerusalem. Ceux qui restaient en Europe enviaient le sort des croises et ne pouvaient retenir leurs larmes ; ceux qui allaient chercher la mort en Asie etaient pleins d'espe- rance et de joie. Parmi les pelerins partis des cotes de la mer, on remarquait une foule d'hommes qui avaient quitte les iles de I'ocean. Leurs vetements et leurs armes, qu'on n'avait jamais vus, excitaient la curiosite et la surprise. lis parlaient une langue qu'on n'enten- dait point ; et pour montrer qu'ils etaient Chretiens, ils elevaient deux doigts de leur main I'un sur I'autre en forme de croix. Entraines par leur exemple et par I'esprit d'enthousiasme re- pandu partout, des families, des villages entiers partaient pour la Palestine ; ils etaient suivis de leurs humbles penates ; ils emportaient leurs provisions, leurs ustensiles, leurs meubles. Les plus pauvres marchaient sans prevoyance, et ne pouvaient croire que celui qui nourrit les petits des oiseaux laissat perir de misere des pelerins revetus de sa croix. Leur ignorance ajou- tait a leur illusion, et pretait a tout ce qu'ils voyaient un air d'enchantement et de prodige ; ils croyaient sans cesse toucher au terme de leur pelerinage. Les enfants des villageois, lorsqu' une ville ou un chateau se presentait a leurs yeux, demandaient si c^etait Id Jerusalem. Beaucoup de grands seigneurs qui avaient passe leur vie dans leurs donjons rustiques, n'en savaient guere plus que leurs vassaux ; ils conduisaient avec eux leurs equipages de peche et de chasse, et marchaient precedes d'une meute, portant leur faucon sur le poing. lis esperaient attein- dre Jerusalem en faisant bonne chere, et montrer a I'Asie le luxe sfrossier de leurs chateaux. Au milieu du delire universel, personne ne s'etonnait de ce qui fait aujourd'hui notre surprise. Ces scenes si etranges, dans lesquelles tout le monde etait acteur, ne devaient etre un spectacle que pour la posterite. i\ARRATIOKS HISTORiatJES. 29 Combat de Merovee et du chef dts Qaulois. Merovee avait fait un massacre epouvaBtable des Romains^ On le voyait debout sur un immense chariot, avec douze com* pagnons d'armes, appeles les dou^e pairs, qm'ii surpassait de toute la tete^ A^des^as du cliariot fiottait un enseigne guerriet ■surnomme TOriflamme. Le chariot, charge d' horribles de- |)ouilles, etait traine par trois taureaux dont ies genoux degout- taient de sang, et dont les cornes portaient des l^mbeaux affreux. L'heritier de t'epee de Pkaramond dc\mi i'cige, la beaute et la fureur de ce demon de la Thrace, qui n'allume le feu de ses auteis qu'au feu des K^lies embrasees, Ses cheveux blonds omes d'une couronne de lis, ressemblaieiit au lin m.oelleux et dore qu'une bandelette virginale rattache a la quenouille d'une s*eine des barbares. On eut dit que ses joues etaient peintes du vermilion de ces baies d'eglantiers qui brillent au milieu des neiges, dans les forets de la Germanic, Sa mere avait Boue autour de son cou un collier de coquillages, comme les Gaulois suspendent des Teliques aux rameaux du plus beau des rejetons =d'un bois sacre... Merovee, rassasie de rneurtres, contemplait, immobile, du, haul de son char de victoire, les cadavres dont il avait jonche lai plaine, Ainsi se repose un lion de Numidie, apres avoir- dechire un troupeau de brebis : sa faim est apaisee, sa poitrine- exhale I'odeur du carnage ; il ouvre et ferme tour a tour sa gueule fatiguee qu^embarrassent des flocons de laine ; enfin, il i se couche au milieu des agneaux egorges ; sa criniere, humectee ^ d'une rosee de sang, retombe des deux cotes de son cou; il croise ses griffes puissantes ; il allonge la tete sur ses ongles ; et, les yeux a demi fermes, il leche encore ies moUes toisons etendues autour de lui. Le chef des Gaulois aper^ut Merovee dans ce repos insul- tant et superbe. Sa fareur s'allume ; il s'avance vers le petit- fib de Pharamond ; il lui crie d'un ton ironique : 3* 30 NARRATIONS HISTORIdUES. " Chef a la longue chevelure, je vais t'asseoir autrement sur le trone d'Hercule le Gaulois. Jeune brave, tu merites d'em- porter la marque du fer dans le palais de Teutates. Je ne veux point te laisser languir dans une honteuse vieillesse." " — Qui es-tu ?" repondit Merovee avec un sourire amer; " es-tu d'une race noble et antique ? Esclave romain, ne crains-tu point ma lance ?" " — Je ne crains qu'une chose," repartit le Gaulois fremissant de courroux, " c'est que le ciel tombe sur ma tete." " — Cede-moi la terre !" dit Torgueilleux Sicambre. "~La terre que je te cederai," s'ecrie le Gaulois, "tu la garderas eternellement." A ces mots, Merovee, s'appuyant sur sa framee, s'elance du char par-dessus les taureaux, tombe a leur tete, et se presente au Gaulois qui venait a lui. Toute I'armee s'arrete pour voir le combat des deux chefs. Le Gaulois fond I'epee a la main sur le jeune Franc, le presse, le frappe, le blesse a I'epaule, et le contraint de reculer jusque sous les cornes des taureaux. Merovee a son tour lance son angon, qui, par ses deux fers recourbes, s'engage dans le bou- clier du Gaulois. Au meme instant le his de Clodion bondit comme un leopard, met le pied sur le javelot, le presse de son poids, ]e fait descendre vers la terre, et abaisse avec lui le bouclier de son ennemi. Ainsi force de se decouvrir, I'infor- tune Gaulois montre la tete. La hache de Merovee part, siffle, vole et s'enfonce dans le front du Gaulois, comme la cognee d'un bucheron dans la cime d'un pin. La tete du guerrier se partage, sa cervelle se repand des deux cotes, ses yeux roulent a terre. Son corps reste encore un moment debout, etendant des mains convulsives, objet d'epouvante et de pitie. Vhomme au masque de fer. Ce personnage mysterieux fut detenu prisonnier en France plus de 40 ans, il portait sans cesse sur la figure un masque- NARRATIONS HISTORiaUES. 31 noir, qui etait en fer selon les uns, en velours noir selon ies autres. Mis sous la garde de Saint-Mars, il fut conduit au chateau de Pignerol vers 1662, puis transfere en 1686 a Tile Sainte-Marguerite, et en 1698 a la Bastille, ou il mourut en 1703. II fut enterre sous le nom de Marchiali. L'autorite a toujours garde le secret sur ce prisonnier, ce qui a donne lieu a mille suppositions. On a dit, par exemple, que c'etait le comte de Vermandois, enferme pour avoir donne un soufflet au grand dauphin ; le due de Beaufort, disparu au siege de Candie en 1669 ; le due de Monmouth, frere de Jacques II, que la France aurait soustrait au suppUce ; le comte Girolamo Magni ou Matthioli, ministre du due de Mantoue, qui aurait ete enleve de Turin en 1679 ou 1685, pour avoir empeche son maitre de vendre sa capitale au roi de France ; ou Jean de Gonzague, secretaire de Matthioli, et enleve avec lui ; ou un fils d'Anne d'Autriche et de Buckingham, ambassadeur d'Angleterre ; ou bien encore un frere jumeau de Louis XIV, qu'on aurait fait disparaitre pour prevenir la rivalite des deux freres, etc. A la prise de la Bastille, on trouva lacerees dans les registres les pages qui devaient contenir des renseignements sur le pretend u Marchiah, de sorte que tout espoir de percer ce mystere s'est evanoui. Voici ce que Tauteur du Siecle de Louis XIV, dit de ce personnage mysterieux : Gluelques mois apres la mort de Mazarin, il arriva un evene- ment qui n'a point d'exemple ; et, ce qui est non moins etrange, c'est que tous les historiens I'ont ignore. On envoya dans le plus grand secret au chateau de Tile Sainte-Marguerite, dans la mer de Provence, un prisomiier incomiu, d'une taille au-dessus de Fordinaire, jeune, et de la fxgure la plus belle et la plus noble. Ce prisonnier, dans la route, portait un masque dont la mentonniere avait des ressorts d'acier, qui lui lais- saient la liberte de manger avec le masque sur son visage : on avait ordre de le tuer s'il se decouvrait. II resta dans I'ile jusqu'a ce qu'un officier de confiance, nomme Saint-Mars, S2 NARRATIONS HISTORIUUES. gouverneur de Pignerol, ayant ete fait gouvemeur de la Bas- tille, Fan 1690, I'alla prendre a Tile Sainte-Marguerite, et le conduisit a la Bastille toujours masque. Le marquis de Louvois alia le voir dans cette ile avant la translation, et lui park debout et avec une consideration qui tenait du respect. Cet inconnu fut mene a la Bastille, ou il fut loge aussi bien qu'on peut I'etre dans le chateau : on ne lui refusait rien de ce qu'il demandait ; son plus grand gout etait pour le linge d'une finesse extraordinaire, et pour les dentelles ; il jouait de la guitare. On lui faisait la plus grande chere, et le gouvemeur s'asseyait rarement devant lui. Un vieux medecin de la Bastille, qui avait souvent traite cet homme singulier dans ses maladies, a dit qu'il n'avait jamais vu son visage, quoiqu'il eut souvent examine sa langue et le reste de son corps. II etait admirable- ment bien fait, disait ce medecin ; sa peau etait un peu brune ; il interessait par le seul ton de sa voix, ne se plaignant jamais de son etat, et ne laissant point entrevoir ce qu'il pouvait etre. Cet inconnu mourut en 1703, et fut enterre la nuit a la paroisse de Saint-Paul. Ce qui redouble I'etonnement, c'est que, quand on Tenvoya dans Tile Sainte-Marguerite, il ne disparut dans I'Europe aucun homme considerable. Ce prisonnier I'etait sans doute ; car voici ce qui arriva les premiers jours qu'il etait dans Tile. Le gouverneur mettait lui-meme les plats sur la table, et ensuite se retirait apres I'avoir enferme. Un jour le prisonnier ecrivit avec un couteau sur une assiette d' argent, et jeta I'assiette par la fenetre vers un bateau qui etait au rivage, presque au pied de la tour ; un pecheur, a qui ce bateau apparte- nait, ramassa I'assiette, et la rapporta au gouverneur ; celui-ci, etonne, demanda au pecheur : " Avez-vous lu ce qui est ecrit sur cette assiette, et quelqu'un I'a-t-il vue entre vos mains?" " — Je ne sais pas lire," repondit le pecheur; "je viens de la trouver ; personne ne I'a vue." Ce paysan fut retenu jusqu'a ce que le gouvemeur fut bien informe qu'il n'avait jamais lu, et que I'assiette n'avait ete vue de personne. " Allez," lui dit-il, "vous etes bien heureux de ne savoir pas lire." Parmi les NARRATIONS HISTORiaUES. 33 personnes qui ont eu connaissance immediate de ce fai., I ^ en a une tres-digne de foi, qui vit encore. M. de Chamillan fut le dernier ministre qui eut cet etrange secret : le second marechal de la Feuillade, son gendre, m'a dit qu'a la mort de son beau- pere il le conjura a genoux de lui apprendre ce que c'eiait que cet homme qu'on ne connut jamais que sous le nom de I'homme au masque de fer ; Chamillart lui repondit que c'etait le secret de I'etat, et qu'il avait fait serment de ne le reveler jamais. Enfin il reste encore beaucoup de mes contemporains qui deposent de la verite de ce que j'avance, et je ne comiais pas de fait ni plus extraordinaire ni mieux constate » VAmitU^ ou Damon et Phintias. Dans une des iles de la mer Egee, au milieu de quelques peupliers antiques, on avait autrefois consacre un autel a I'Amitie. II y fumait jour et nuit d'un encens pur et a-^reable a la deesse ; mais bientot entouree d'adorateurs mercuiiaires, elle ne vit dans leurs ccEurs que des liaisons interessees et mal assorties. Un jour elle dit a un favori de Croesus: "Porte ailleurs tes ofFrandes ; ce n'est pas a moi qu'elles s'adressent, c'est a la fortune." Elle repondit a un Athenien qui faisait des voeux pour Solon, dont il se disait I'ami : " En te liant avec un homme sage, tu veux partager sa gloire, et faire oublier tes vices." Elle dit a deux femmes de Samos, qui s'embrassaient etroitement aupres de son autel : " Le gout des plaisirs vous unit en apparence ; mais vos c(Eurs sont dechires par la jalousie, X et le seront bientot par la haine." Enfin deux Syracusains, Damon et Phintias, tons deux eleves dans les principes de Pythagore, vinrent se prosterner devant la deesse : " Je recois votre hommage," leur dit-elle ; " je fais plus, j'abandonne un asyle trop long-temps souille par des sacrifices qui m'outragent, et je n'en veux plus d' autre que vos ccEurs. Allez montrer au tyran de Syracuse, a I'univers, a la posterite, ce que pent i'amitie dans des ames que j'ai revetues de mp- puissance." S4 NARRATIONS HiSTORiauES, A leur retour, Denys, sur une simple denonciation, condamna Phintias a la mort. Celui-ci demand a qu'il lui fut permis d'aller regler des affaires importantes qui I'appelaient dans une ville voisine. II promit de se presenter au jour marque, et partit apres que Damon eut garanti cette promesse au peril de sa propre vie. Cependant les affaires de Phintias trainent en longueur. Le jour destine a son trepas arrive ; le peuple s' assemble ; on blame, on plaint Damon, qui marche tranquillement a la mort, trop certain que son ami allait revenir ; trop heureux s'il ne revenait pas ! Deja le moment fatal approchait, lorsque mille cris tumultueux annoncerent I'arrivee de Phintias. II court, il vole au lieu du supplice ; il voit le glaive suspendu sur la tete de son ami, et au milieu des embrassements et des pleurs, ils se disputent le bonheur de mourir I'un pour I'autre. Les spec- tateurs fondent en larmes ; le roi lui-meme se precipite du trone, et leur demande instamment de partager une si belle amitie. Guillaume TelL Le ridicule despotisme de Gessler chez les Helvetiens, fit perdre a la maison d'Autriche, vers le commencement du treizieme siecle, la souverainete qu'elle avait conservee jusqu'- alors sur ces peuples. — Ce Gessler, homme bizarre et cruel, s'avisa un jour de mettre un chapeau au bout d'une perche, qu'il fit planter sur la place d'Altorf, avec ordre aux passants de saluer ce chapeau, comme si c'etait lui-meme. — Un labou- reur, nomme Guillaume Tell, ayant manque a cette formalite, Gessler le fit venir pour lui demander la raison de sa desobeis- sance. Le paysan s'excusa en disant qu'il n'avait aucune con- naissance de cette loi, sans quoi il n'aurait pas manque de s'y conformer. Peu content de cette reponse, le ministre autrichien ordonna au laboureur, ou de lui dire la verite, au d'abattre d'un coup de fleche une pomme sur la tete de celui de ses enfants qu'il aiiiiait le plus ; ajoutant que s'il manquait son coup, il le NARRATIONS HISTORIQUES. 35 ferait pendre sur-le-champ. Ce pere malheureux, n'ayant pu adoucir son juge, ni par ses pleurs ni par ses prieres, prit la fleche, et la decocha avec tant de bonheur qu'il abattit la pomme, a cent vingt pas de distance, sans faire aucun mal a son fils. La joie du pere fut egale au depit du gouvemeur, qui dans le dessein de perdre Guillaume, lui suscita une autre querelle, sur ce qu'il avait une deuxieme fleche dans son carquois. II voulut savoir a quel usage elle etait destinee : " A te tuer toi-meme !" lui repondit hardiment le laboureur ; ce qu'il executa dans le temps meme que le gouverneur donnait ses ordres pour le faire conduire en prison. Plusieurs citoyens se reunirent a Guil- laume apres la mort du tyran, et cette alliance fut le fondement de la republique Helvetique. D'autres disent que, quoique Tell reussit a abattre la pomme placee sur la tete de son fils, il n'en fut pas moins declare pri- sonnier d'etat, et embarque sur le lac de Lucerne pour le chateau-fort de Kussnacht, ou Gessler se rendait en meme temps. Une violente tempete s'etant elevee pendant la tra- versee, Tell fut delie, et mis au gouvernai] : il parvint a sauver la barque, mais lorsqu'il fut pres du bord il sauta a terre, alia s'embusquer dans un chemin creux qui menait a Kussnacht, et tua Gessler d'un coup de fleche. L'histoire de la pomme parait inventee a plaisir. Guillaume Tell assista a la bataille de Morgaten, dans laquelle les premiers conjures suisses au nombre de 1,300 defirent 20,000 Autrichiens, le 15 Novembre, 1315. FrederiC'k' Grand et son page. ^ Frederic-le-Grand, occupe dans son cabinet, avait deja Sonne plusieurs fois, et personne ne venait. Impatiente, il ouvre la porte, et voit son page endormi : il allait I'eveiller, lorsqu'il aper^oit une lettre sortant a moitie de la poche du jeune homme. Un roi passe par-dessus Tindiscretion : celui-ci tire doucement la lettre, et la lit. Elle etait de la mere du page, qui remerciait son fils de lui avoir envoye une partie de sa paie. 36 NARRATIONS HISTORIQUES. secours bien necessaire a sa misere ; elle finissait en le b^nis- sant, et I'assurant que Dieu recompenserait sa piete. Le roi ne peut lire ce papier sans attendrissement ; il rentre dans son cabinet, prend un sac de ducats, le glisse doucement avec la lettre, dans la poche du page, et se retire. II sonne de nouveau, et si fortement, que le dormeur s'eveille enfin, et court chez le roi. " Vous avez le sommeil dur," lui dit Frederic. Le page ne sait trop comment s'excuser, il balbutie. Dans son embarras, il lui arrive de mettre la main dans sa pocbe, et sentant un sac pesant, il le tire, paiit, fixe le roi, et fond en larmes. " Glu'est- ce done ?" dit Frederic : "de quoi s'agit-il ?" "Ah ! sire," s'ecrie le page, en tombant a ses genoux, " quelqu'un veut me perdre : je ne sais d'ou vient cet argent." "Mon ami," reprend Frederic, " les biens nous viennent quelquefois en dormant. Envoyez cela a votre mere, saluez-la de ma part, et assure z-la que je prendrai soin d'elle et de vous.". Fernand Cortez, Parmi plusieurs grands hommes que I'Espagne a produits, on remarque surtout Fernand Cortez. Ce general, avec moins de six cents hommes, conquit dans I'Amerique un royaume tres- florissant, et subjugua une nation innombrable. Des qu'il eut aborde aux cotes du Mexique, pour oter a ses soldats toute espe- rance de retour, et les obliger a affronter les dangers avec plus de courage, ilbrula tons ses vaisseaux. Agathocle, roi de Syra- cuse, ayant porte la guerre en Afrique contre les Carthaginois, avait fait de meme. L'empereur du Mexique ayant appris que des etrangers inconnus, armes de fer et de feu, et qui semblaient descendus du ciel, traversaient ses provinces, et avancaient a grandes journees vers la capitale de son empire, envoya a Cortez une ambassade composee des personnages les plus distingues de son royaume, pour lui demander pourquoi et dans quelles intentions ils etaient verais dans I'empire. Cortez repondit qu' ils venaient traiter avec l'empereur une affaire tres-importante, NARRATIONS HiSTORiaUES. 37 quUls avaient envie de traverser les terres de Tempire sans aucun mal, qu'ils voulaient voir I'empereur dans sa capitale, et qu'ils le priaient de ne pas s'y opposer. L'empereur n'avait que deux partis pour detourner de dessus sa tete les dangers qui le mena^aient ; c'etait ou de recevoir favorablement les Espagnois et de se les attacher par des bien- faits, ou d'empecher qu'ils ne passassent sur ses terres, et de les accabler avant qu'ils eussent le temps d'elever des citadelles et de se fortifier. De ces partis, le premier etait facile, mais il parut a I'empe- reur le plus dangereux. II pensait que, s'il accord ait aux Espagnois la permission de traverser son empire, ces hommes, qui etaient entreprenants et hardis, ne pourraient s'empecber de commettre des violences. Mais il craignait encore plus de les admettre dans sa capitale. II sentait bien qu'en le faisant, il se mettait lui-meme dans un grand danger. D'ailleurs il se souvenait de plusieurs oracles effrayants, qui iui annon^aient que son empire etait menace d'une cliute pro- chaine. Cependant, comme il n'osait rejeter ouvertement la demande de Cortez, il fit semblant d'y consehtir pour avoir le temps de lever des troupes. Cortez s'avance avec son peu de monde, fait alliance avec un peuple qui Iui parait n'etre pas dans des dispositions favorables a I'egard des Mexicains, defait et taille en pieces une armee considerable que I'empereur avait envoyee centre Iui. Dechu de cette esperance, ce prince fut oblige de recevoir Cortez. Ayant appris son arrivee, il alia au- devant de Iui, et le combla d'honneurs. Les Espagnois ne furent pas longtemps a le detroner et a se rendre maitres de ses Etats. ReguhiSj Apres avoir combattu tour a tour Agathocle en Afrique et Pyrrbus en Sicile, les Carthaginois en vinrent aux mains avec la republique romaine. La cause de la premiere guerre punique 4 •58 NARRATIONS HISTORiaUES. fut legere; mais cette guerre amena Regulus aux portes de Carthage. Les Romains, ne voulant point interrompre le cours des vic- toires de ce grand homme, ni envoyer les consuls Fulvius et M. EmiKus prendre sa place, lui ordonnerent de rester en Afrique en qualite de proconsul. II se plaignit de ces honneurs ; il ecrivit au senat, et le pria instamment de lui oter le commande- ment de I'armee : une affaire importante aux yeux de Regulus demandait sa presence en Italie. II avait un champ de sept arpents a Pupinium : le fermier de ce champ etant mort, le valet du fermier s'etait enfui avec les boeufs et ]es instruments du labourage. Regulus representait aux senateurs que, si sa ferme demeurait en friche, il lui serait impossible de faire vivre sa femme et ses enfants. Le senat ordonna que le champ de Regulus serait cultive aux frais de la republique ; qu'on tire rait du tresor Targent necessaire pour racheter les objets voles, et que les enfants et la femme du proconsul seraient, pendant son absence, nourris aux depens du peuple remain. Dans une juste admiration de cette simplicite, Tite-Live s'ecrie : " Oh ! combien la vertu est preferable aux richesses ! Celles-ci passent avec ceux qui les possedent ; la pauvrete de Regulus est encore en veneration." Regulus, marchant de victoire en victoire, s'empara bientot de Tunis ; la prise de cette ville jeta la consternation parmi les Carthaginois ; ils demanderent la paix au proconsul. Le labou- reur remain prouva qu'il etait plus facile de conduire la charrue apres avoir remporte des victoires, que de diriger d'une main ferme une prosperite eclatante : le veritable grand homme est surtout fait pour briller dans le malheur ; souvent il semble egare par le succes et parait comme etranger a la fortune. Re- gulus proposa aux ennemis des conditions si dures qu'ils se virent forces de continuer la guerre. Pendant ces negociations, la destinee amenait au travers des mers un homme qui devait changer le cours des evenements. NARRATIONS HISTORIQUES. 39 Un Lacedemonien, nomme Xanthippe, vient retarder la chute de Carthage : il livre bataille aux Remains sous les murs de Tunis, detruit leur armee, fait Regulus prisonnier, se rembarque et disparait sans laisser d'autres traces dans I'histoire. Regulus, conduit a Carthage, eprouva les traitements les plus inhumains ; on lui fit expier les durs triomphes de sa patrie. Ceux qui trainaient avec tant d'orgueil des rois tombes du trone, des femmes, des enfants en pleurs, pouvaient-ils esperer que Ton respectat dans les fers un citoyen de Rome I La fortune redevint favorable aux Remains. Carthage de- manda une seconde fois la paix ; elle envoya des ambassadeurs en Italie : Regulus les accompagnait. Ses maitres lui firent donner sa parole qu'il reviendrait prendre ses chaines, si les negociations n'avaient pas une heureuse issue : on esperait qu' il plaiderait fortement en faveur d'une paix qui lui devait rendre sa patrie. Regulus, arrive aux portes de Rome, refusa d'entrer dans la ville. II y avait une ancienne loi qui defendait a tout etranger d'introduire dans le senat les ambassadeurs d'un peuple ennemi. Regulus, se regardant comme un envoye des Carthaginois, fit revivre en cette occasion I'antique usage. Les senateurs furent done obKges de s'assemxbler hors des murs de la cite. Regulus leur declara qu'il venait de la part de ses maitres, demander au peuple remain la paix ou I'echange des prisonniers. Les ambassadeurs de Carthage, apres avoir expose I'objet de leur mission, se retirerent. Regulus les voulut suivre ; mais les senateurs le prierent de rester a la deliberation. Presse de dire son avis, il representa fortement toutes les rai- sons que Rome avait de continuer la guerre contre Carthage. Les senateurs, admirant sa fermete, desiraient sauver un tel citoyen : le grand pontife soutenait qu'on pouvait le degager des serments qu'il avait faits. " Suivez les conseils que je vous ai donnes," dit I'illustre cap- tif, d'une voix qui etonna I'assemblee, " et oubHez Regulus : 40 NARRATIONS HISTORIQ0ES. je ne demeurerai point dans Rome apres avoir ete Fesclave de Carthage. Je n'attirerai point sur vous la colere des Dieux. J'ai promis aux ennemis de me remettre en leurs mains si vous rejetez la paix : je tiendrai mon serment. On ne trompe point Jupiter par de vaines expiations : le sang des taureaux et des brebis ne peut efFacer un mensonge, et le sacrilege est puni tot ou tard. " Je n'ignore point le sort qui m' attend ; mais un crime fletri- rait mon ame : la douleur ne brisera que mon corps. D'ailleurs il n'est point de maux pour celui qui sait les souffrir: s'ils passent les forces de la nature, la mort vous en delivre. Peres consents, cessez de me plaindre, j'ai dispose de moi et rien ne me pourra faire changer de sentiment. Je retourne a Carthage, je fais mon devoir, et je laisse faire aux Dieux," Regulus mit le comble a sa magnanimite : afin de diminuer I'interet qu'on prenait a sa vie, et pour se debarrasser d'une com- passion inutile, il dit aux senateurs que les Carthaginois lui avaient fait boire un poison lent avant de sortir de prison. "Ainsi," ajouta-t-il, " vous ne perdez de moi que quelques in- stants, qui ne valent pas la peine d'etre achetes par un parjure." II se leva, s'eloigna de Rome sans proferer une parole de plus, tenant les yeux attaches a la terre, et repoussant sa femme et ses enfants, soit qu'il craignit d'etre attendri par leurs adieux, soit que, comme esclave carthaginois, il se trouvat indigne des embrassements d'une matrone romaine. II finit ses jours dans d'afFreux suppKces, si toutefois le silence de Polybe et de Dio- dore ne balance pas le recit des historiens latins. Regulus fut un exemple memorable de ce que peuvent sur une ame coura- geuse la religion du serment et T amour de la patrie. Stanislas et Charles XIL Le roi de Pologne, Stanislas, n'etant encore que palatin de Posnanie, eut occasion de traiter avec Charles XII, lorsqu'il passa en Pologne pour detroner le roi Frederic- Auguste. Une NARKATI0N3 HISTOEiaUES. 41 physionomie heureuse, pleine de hardiesse et de douceur, preve- nait en faveur de Stanislas. II avait un air de probite et de franchise qui, de tous les avantages exterieurs, est sans doute le plus grand, et donne plus de poids aux paroles que 1' eloquence meme. La sagesse avec laquelle il park du roi Auguste, et des interets diffe rents qui divisaient la Pologne, frappa Charles. Stanislas s'entretenant un jour avec lui de la difficulte de trouver un roi digne de I'etre : " Et pourquoi ne le seriez-vous pas ?" lui dit vivement le roi de Suede. Ce seul mot imprevu fut I'unique brigue qui mit Stanislas sur le trone. Charles pro- longea la conference, pour mieux sonder le genie du jeune pala- tin. Apres I'audience, il dit tout haut qu'il n' avait jamais vu personne si propre a conciher tous les partis. II ne tarda pas a s'informer du caractere de Leczinski. II sut qu'il etait plein de bravoure, endurci a la fatigue, qu'il couchait toujours sur une espece de paillasse, n'exigeant aucun service de ses domestiques aupres de sa personne ; qu'il etait d'un temperament peu com- mun dans ce climat, liberal, adore de ses vassaux, et le seul seigneur, peut-etre, en Pologne, qui eut quelques amis, dans un temps oil Ton ne connaissait de haison que celles de I'interet et de la faction. Ce caractere, qui avait beaucoup de rapport avec le sien, le determina entierement : il ne prit conseil de personne, et sans meme aucune deliberation pubHque, il dit a deux de ses generaux qui I'environnaient : " Voila le roi qu'auront les Polo- nais." II tint parole, et fit couronner Stanislas roi de Pologne, en 1705. Charles n'eut jamais pu trouver en Pologne un homme plus capable de concilier tous les esprits, que celui qu'il choisissait. Le fond de son caractere etait I'humanite et la bienfaisance. Quand Stanislas fut, depuis, retire dans le duche de Deux- Ponts, des malheureux, qui voulurent I'enlever, furent pris en sa presence. " Glue vous ai-je fait," leur dit-il, " pour vouloir me livrer a mes ennemis ? De quel pays etes-vous ?" Trois de ces aventuriers repondirent qu'ils etaient Fran^ais. "Eh bien," leur dit-il, " ressemblez a vos compatriotes que j'estime ; et soyez 4* 42 NARRATIONS HISTORiaUES. incapables d'une mauvaise action." En disant ces mots, il leur donna tout ce qu'il avait sur lui, son argent, sa montre, sa boite d'or, et ils partirent en pleurant et en Tadmirant. Un jour, comrne il reglait Tetat de sa maison, il mit sur la liste un officier fran^ais qui lui etait attache : " En quelle qualite votre majeste veut elle qu'il soit sur la liste ?" lui dit le tresorier. " En qualite de mon ami," lui repondit le prince. Frangois ler et le Charhonnier, Francois ler s'etant egare a lachasse, entra, vers les neuf heures du soir, dans la cabane d'un charbonnier. Le maitre en etait absent ; il ne trouva que la femme accroupie aupres du feu : c' etait en hiver, et il avait plu. II demanda une retraite pour la nuit et a souper. L'une et 1' autre lui sont accordes ; mais a I'egard du souper, il fallut attendre le retour du mari. En at- tendant, le roi se chauffa, assis dans une mauvaise chaise, qui etait I'unique de la maison. Vers les dix heures, arrive le charbonnier, las de son travail, fort affame et penetre de pluie. Le comphment d'entree ne fut pas long. L'epouse exposa la chose au mari, qui ratifia la promesse du lit et du souper. A peine eut-il saiue son bote, et secoue son chapeau tout mouille, que,-prenant la place la plus commode et le siege que le roi occupait, il lui dit : " Monsieur, je prends cette place, parce que c'est celle ou je me mets toujours, et cette chaise, parce qu'elle est a moi. Or, et par droit et par raison, chacun est maitre dans sa maison." Francois applaudit au pro verba rime. II se placa ailleurs sur une sellette de bois. On soupa ; on park des affaires du temps, de la misere, des impots. Le charbonnier eut voulu un royaume sans subsides ; Francois eut de la peine a lui faire entendre raison. " A la bonne heure done," dit le charbonnier ; " mais cette grande severite pour la chasse, I'approuvez-vous aussi ? Je vous crois honnete homme, et je pense que vous ne me perdrez pas. J'ai la un morceau de sanglier qui en vaut bien un autre : mangeons-le, mais surtout NARRATIONS HISTORIQUES. 43 bouche close." Francois promit, mangea avec appetit, se coucha sur des feuilles, et doraiit bien. Le lendemain il se fit connaitre, paya son bote, et lui permit la chasse. Frederic et le deserteiir. Le grand Frederic, dont tons les calculs tendaient a porter et a maintenir sa puissance au plus baut degre de force qu'il lui etait possible d'atteindre, suppleait sou vent par son adresse a ses moyens. Autant ii etait austere et dur avec ses generaux, autant il etait populaire et famiHer avec ses soldats, au point que les grenadiers affectes a la garde de sa personne, le tutoyaient. Gluelque temps avant la bataille de Rosback, epoque a laqueUe les affaires de ce prince etaient dans un tel delabrement, qu'il y avait tout lieu d'en augurer une perte totale et procnaine, ce prince etait coucbe et dormait sur la paille, entoure cle ses grena- diers, dans un lieu assez marecageux pour qu'on eut fait plusieurs feux autour de lui ; un de ses gardes, nomme Spen- cer, le reveilla en lui disant : " Frederic, voila un de tes grena- diers, qui avait deserte, qu'on te ramene." ''Fais-le avancer," dit le roi : et lorsqu'il fut en sa presence, il lui demanda quelle raison il avait eue de I'abandonner? "Tes affaires," lui repondit le deserteur, "sont dans un tel etat, que je t'ai quitte pour chercber fortune ailleurs." — "Tu as raison," lui repliqua le roi ; "mais je te demande de rester encore avec moi cette campagne ; et si les choses ne vont pas mieux, je te promets de deserter avec toi." L'bomme d'etat, I'bomme droit, Tbonune gai, trouveront la meme sublimite dans cette reponse. Les grands bommes mettent leur cacbet a tout : c'est que tout cbez eux part du meme principe. Courage de Mathieu Mole, Mathieu Mole, premier president du parlement de Paris, fut le cbef des deputes qui negocierent la paix, lors de la guerre civile, comiue sous le nom de guerre de la Fronde. Tout le 44 NARRATIONS HISTORiaUES. zele et toute I'mtegrite qu'il mit dans cette negociation, n'emp6- cherent pas la calomnie de repandre sur lui son venin, et le peuple, qui se laisse si facilement abuser par les factieux, se porta en fureur a son hotel, en vomissant contre lui tout ce que la rage etait capable de suggerer. A la vue de cette populace effrenee, I'epouse et les enfants de Mole, saisis d'un mortel effroi, font retentir I'air de leurs cris, et ses domestiques se preci- pitent dans les cours pour fermer toutes les portes. Aussi calme que s'il eut ete dans le sanctuaire des lois, Mole ordonne a ses gens de se retirer, en leur disant : " La maison d'un premier president doit etre ou\rerte a tout le monde." Aussitot il se fait apporter sa robe, et se rend au palais avec un visage aussi serein que dans les temps les plus tranquilles. II arrive, et trouve la salle et les galeries pleines de seditieux qui crient : " Point de paix ! point de paix !' ' Ses amis, qui tremblent avec raison pour ses jours, lui representent vainement les dangers auxquels il s'expose. " Rassurez-vous," leur dit-il, " il y a loin du poignard de I'assassin, au coeur de I'homme juste." Ce- pendant le bruit redouble, le tumulte augmente, et ces memes amis le conjurent de se sauver par le greffe. " Gtu'osez-vous me proposer?" leur repondit-il alors. "Ne savez-vous pas que la cour ne doit jamais se cacher ? Gluand vingt glaives seraient leves sur moi, quand ma mort serait certaine, je ne voudrais pas racheter ma vie par une lachete qui ne servirait qu'a donner encore plus d'audace a ces seditieux : s'ils pouvaient croire que je les crains ici, ils ne manqueraient pas de venir m'attaquer jusque dans ma maison." Ces mots prononces, il s'avance d'un air assure au milieu du peuple qui, saisi de respect a sa vue, s'ecarte, et lui laisse un libre passage. Tel fut et tel sera toujours le triomphe de la vertu. Utilite de Vhistoire, KoLLiN dit que Thistoire, quand elle est bien enseignee, devient une ecole de morale pour tous les hommes. Elle NARRATIONS HISTORIQ,UES. 45 decrie les vices, elle demasque les fausses vertus, elle detrompe des erreurs et des prejuges populaires, eile dissipe le prestige enchanteur des richesses et de tout ce vain eclat qui eblouit les hommes, et demontre par milie exemples plus persuasifs que tous les raisonnements, qu'il n'y a de grand et de louable que I'honneur et la probite. De Testime et de I'admiration que les plus corrompus ne peuvent refuser aux grandes et belles actions qu'elle leur presente, elle fait conclure que la vertu est done le veritable bien de rhomme, et qu'elle seule le rend veritable- ment grand et estimable. Elle apprend a respecter cette vertu, et a en demeler la beaute et I'eclat a travers les voiles de la pauvrete, de I'adversite, de I'obscurite, et meme quelquefois du deeri et de I'infamie : comme au contraire elle n'inspire que du mepris et de I'horreur pour le crime, fut-il revetu de pourpre, tout brillant de lumiere, et place sur le trone. Mais pour me borner a ce qui est de mon dessein, je regards I'bistoire comme le premier maitre qu'il faut donner aux enfants, egalement propre a les amuser et a les instruire, a leur former I'esprit et le cosur, a leur enrichir la memoire d'une infinite de faits aussi agreables qu'utiles. Elle peut meme beaucoup servir, par I'attrait du plaisir qui en est inseparable, a piquer la curiosite de cet age avide d'apprendre, et a lui donner du gout pour I'etude. Aussi, en matiere d'education, c'est un principe fondamental, et observe dans tous les temps, que I'etude de rhistoire doit preceder toutes les autres, et leur preparer la voie. Plutarque nous apprend que le vieux Caton, ce celebre censeur, dont le nom et la vertu ont tant fait d'honneur a la republique romaine, et qui prit un soin particulier d'elever par lui-meme son fils sans vouloir s'en reposer sur le travail des maitres, composa expres pour lui, et ecrivit de sa propre main, en gros caracteres, de belles histoires ; afin, disait-il, que cet enfant, des le plus bas age, fut en etat, sans sortir de la maison paternelle, de faire connaissance avec les grands hommes de son pays, et de se former sur ces anciens m.odeles de probite et de vertu. 46 NARRATIONS HISTORiaUES. Croisades, ^rmoiries, Tournois, ^c. On donne specialement ce nom a plusieurs expeditions qui, depuis 1096 jusqu'en 1291, furent entreprises, sous les auspices du Saint-Siege, par differents rois et seigneurs d'Europe, dans le but de chasser les Infideles des saints lieux ou mourut le Sauveur. Tous ceux qui prenaient part a ces expeditions por- taient sur leurs vetements une croix rouge ; d'ou ils recevaient le nom de Croises. On compte generalement huit croisades. La premiere eut lieu de 1096 a 1100, sous le pontificat d'Urbain II ; elle fut prechee par Pierre-l'Ermite, et eut pour principaux chefs Godefroy de Bouillon, Eustache et Baudoin, ses deux freres. Les deux dernieres croisades furent entreprises par saint Louis, roi de France : Tune, de 1248 a 1254, sous le pontificat d'Innocent IV; I'autre, de 1268 a 1270, sous le pontificat de Clement IV. La premiere (7®) fut dirigee contre I'Egypte ; le roi de France prit Damiette, et livra la bataille indecise de la Massoure (1250) ; mais la peste s'etant mise ensuite dans son armee, il fut contraint de reculer devant I'ennemi, et il fut lui-meme fait prisonnier. II racheta cbere- ment sa liberte, passa quatre ans en Palestine, occupe a fortifier quelques places, et revint en France en 1254, apres la mort de la reine Blanche, sa mere, qu'il avait instituee regente. — Dans la huitieme croisade, saint Louis etait accompagne de Charles d'Anjou, son frere, et du prince Edouard d'Angleterre ; il se dirigea sur Tunis, esperant, disent quelques historiens, convertir le maitre de cette ville, Mohammed Mostanser ; mais a peine etait-il arrive sous les murs de Tunis, qu'il fut enleve a son armee par une maladie contagieuse. Charles d'Anjou se mit alors a la tete des troupes ; il remporta quelques avantages et revint en France apres avoir force Mohammed a payer les frais de la guerre. — Apres cette derniere expedition, les colonies chretiennes qui avaient ete etablies en Orient par les Croises ne tarderent point a etre detruites, et la Palestine retomba tout enti6re sous le joug musulman. NARRATIONS HISTORIQUES. 47 Toutes ces croisades furent ou infructueuses ou sans succ^s important et durable. Un des resultats de ces expeditions fut i'accroissement de la puissance des pontifes romains, qui, pen- dant tout le temps de la duree des croisades, jouerent le role de chefs et de souve rains maitres de la chretiente. C'est aux croisades que I'Europe doit I'usage des surnoms de famille, de meme que celui des armoiries et du hlason. On sent bien qu'au milieu de ces armees nombreuses de croises, composees de nations et de langues differentes, il fallut des signes et des allegories, propres a distinguer les nations et a en faire remarquer les chefs. Les surnoms et les armoiries etaient de ces marques distinctives, et les dernieres surtout furent in- ventees pour servir de point de ralHement aux vassaux et aux troupes des seigneurs croises. La necessite les avaient intro- duites et la vanite les fit conserver dans la suite. On arbora ces armoiries sur les etendards ; les chevaHers les faisaient peindre sur leurs ecus et s'en paraient dans les tournois. Ceux meme qui ne s'etaient pas trouves aux croisades, se montrerent jaloux de cette distinction, qui devint fixe dans les families depuis le milieu environ du treizieme siecle. Le meme enthousiasme qui animait les Europeens pour les croisades, contribua aussi a mettre les tournois en vogue. Ces jeux solennels et militaires servaient a former la noblesse a des exercices violents et au maniement d'armes pesantes, propres a lui donner de la consideration et a assurer sa superiorite a la guerre. Pour etre admis aux tournois il fallait etre noble et faire des preuves de noblesse. C'est de la France que Tusage des tournois se repandit chez les autres nations de I'Europe. Chevaliers, Ordre du peuple romain qui tenait le milieu entre les patri- ciens et les plebeiens. On les fait remonter jusqu'a Romulus, mais ils ne forrnerent un ordre constitue qu'au sixieme siecle de Rome. Leur nombre etait illimite. Pour entrer dans cet ordre 48 NARRATIONS HISTORiaUES. ii fallait, sous les empereurs, posseder au moins 400,000 ses- terces. Les chevaliers avaient le privilege d' avoir un cheval entretenu aux frais de I'etat, de porter un anneau d'or, d'occuper dans les jeux publics les 14 premiers sieges. Gracchus leur donna T administration de la justice (122 av. J.-C.) ; Sylla la leur Ota (82) ; Pompee la leur rendit (70), en leur associant les senateurs et les tribuns du tresor. lis eurent la ferme des biens et des impots de la republique. — Au moyen age le titre de che- valier appartenait de droit et exclusivement aux personnes nobles de nom et d'armes ; mais on n'y parvenait qu'apres avoir passe par les rangs de varlet ou damoiseau, de page et d'ecuyer. La reception d'un chevalier etait accompagnee d'une foule de cere- monies destinees a rehausser Teclat et I'importance de ce titre, qui donnait droit a de nombreux privileges. Les chevaliers seuls pouvaient porter banniere, paraitre dans les tournois, et y disputer les prix, revetir un collier d'or et une armure doree, placer une girouette sur le haut de leur manoir ; ils portaient dans leurs armoiries un sceau particulier ; ils prenaient le titre de messire ou de monseigneur, et leurs femmes celui de ma- dame. En echange de ces prerogatives, ils juraient de com- battre partout I'injustice, d'etre les defenseurs de la veuve et de I'orphelin, et d'obeir sans reserve aux ordres de leur dame et de leur roi. Le temps des croisades fut i'epoque la plus glorieuse de la chevalerie. Elle s'evanouit avec le regime feodal. — Dans les distinctions nobiliaires, le titre de chevalier designait le plus infime degre de la noblesse, et venait apres ceux de comte et de baron. •— On a depuis donne par extension le nom de chevalier aux personnes decorees d'ordres purement honorifiques, tels que ceux de St-Michel, du St-Esprit et de la Legion-d'Honneur. Bataille de Salamine. Xerces se prepare a la celebre action de Salamine. II se passait alors sur la flotte reunie des Grecs, de ces grandes choses qui peignent les siecles, et qu'on ne retrouve qu'a des intervalles NARRATIONS HISTORIQUES. 49 considerables dans I'histoire. La division s'etait mise entre les generaux. Les Spartiates, toujours obstines dans leurs projets, voulaient abandonner le detroit de Salamine, et se retirer sur les cotes du Peloponese. A cette mesure, qui eut perdu la patrie, Themistocle s'opposait de tous ses efforts. Le general s'em- portant, leve la canne sur I'Athenien : " Frappe, mais ecoute," lui crie le grand bomme, et sa magnanimite ramene Eurybiade a son opinion. C'etait la veille de la bataille de Salamine. La nuit etait obscure. Les coBurs, sur la petite flotte des Grecs, agites par tout ce qu'il y a de cher aux hommes, la liberte, I'amour, I'ami- tie, la patrie, palpitaient sous un poids d'inquietudes, de desirs, de craintes, d'esperances. Aucun obH ne se ferma dans cette nuit critique, et chacun veillait en silence les feux des galeres ennemies. Tout a coup on entend le sillage d'un vaisseau qui glisse dans le calme des tenebres. II aborde a Salamine ; un homme se presente a Themistocle. " Savez-vous," lui dit-il, " que vous etes enveloppe et que les Perses font le tour de Pile pour vous fermer le passage ?" — " Je le sais," repond le general athenien, " cela s'execute par mon avis. ..." Aristide admira Themistocle : celui-ci avait reconnu le plus juste des Grecs. Du cote des Perses, tout etait joie et CQrtitude. Xerces, assis sur un trone eleve pour contempler sa gloire, fait placer des soldats dans les iles adjacentes, afin qu'aucun des Grecs, sauve de la ruine de ses vaisseaux, ne puisse echapper a sa vengeance. Xerces ayant donne le signal de la bataille, les Atheniens attaquerent avec impetuosite les Pheniciens qui leur etaient opposes. Le combat fut opiniatre et soutenu longtemps avec une egale valeur ; mais enfin Tamiral persan Ariabigues s'etant elance sur une galere ennemie, y demeura perce de coups. Alors la confusion, augmentee par la multitude des vaisseaux que la position locale rendait inutiles, devint generale chez les Medes. Tout fuit devant les Grecs victorieux ; et la flotte in- 5 50 NARRATIONS HISTORIQUESa nombrable du grand roi, qui un moment auparavant obscurcis- salt la mer, disparut devant le genie d'un peuple libre. . . . Cest ainsi que la flotte persane, composee de diverses nations, ees coalises, les uns traitres, les autres pusillanimes, ceux-ci eraignant des succes qui refleteraient trop de gloire sur tel ou tel general, telle ou telle nation ; toute cette masse d'allies fut brisee a Salamine. Le grand roi repassa dans une petite barque, en fugitif, cette meme mer a laquelle il avait donne des chaines, Dignitaires de VEglise russe. La dignite la plus elevee de I'Eglise russe etait autrefois celle ' de patriarche. Jusqu'a la prise de Constantinople par les Turcs, il n'y avait en Russie que des metropolitains qui relevaient du patriarche grec ; mais apres la prise de cette ville, le patriarchat passa a Moscou, et s'y conserva jusqu'au regno de Pierre L ^u seizieme siecle, les patriarches marchaient presque de pair avec les tzars, et pouvaient entraver leur pouvoir. Pierre abolit cette puissance rivale, et depuis ce prince les tzars sont eux- memes chefs souverains et patriarches de leur Eglise. lis la dirigent et la gouvernent comme bon leur semble. Toutes les affaires ecclesiastiques doivent etre, il est vrai, traitees par une sorte de sen at special, compose de plusieurs prelats, et qui porte le titre de Saint-Synode. Le president actuel du Saint-Synode est un colonel de cavalerie, aide-de-camp de I'empereur. Le plus haut titre qui existe a present en Russie est celui de metropohtain. II y a un metropolitain a Moscou, un autre a Kieff, un troisieme a Petersbourg. Les deux premiers ont les sieges les plus anciens ; le troisieme occupe, par sa residence dans la capitale, le plus important. Viennent ensuite les arche- veques et eveques de premiere, seconde et troisieme classe. Au- dessous des eveques sont les archimandrites, ou abbes des con- vents : le premier en dignite de ces archimandrites est celui du celebre convent de Troitza. Au-dessous des archimandrites, la hierarchie ecclesiastique compte encore les protopopes, les popes. NARRATIONS HISTORIdUES. 51 ies archidi acres et ies diacres. Tous ees dignitaires sont nom- mes par le Saint-Synode sous le bon plaisir du tzar. Le metropolitain actuel de Saint-Petersbourg, qui est veritable-' ment le primat spiritual de la Russie,s'appelle Philarete. C'est un homme de cinquante ans environ, d'une apparence grave et distinguee. Sorti de la plus humble origine, Philarete s'est eleve a ce poste supreme par son merite, et peut-etre aussi par son habilete ; il est en grande faveur aupres du tzar, Catherine /^, Imperatrice de JRussie. Les femmes ont, dans Ies occasions importantes, une presence d'esprit admirable, due de grandes actions n'ont-elles pas inspirees ! que de conseils pie ins de sagesse n'ont-elles pas donnes ! Mais helas ! la vanite et I'injustice des hommes leur enlevent presque toujours la gloire, apres en avoir recueilH les fruits. Les Turcs ayant rompu la treve qu'ils avaient faite avec les Russes, le czar, Pierre-le-Grand, fut surpris au moment oii il s'y attendait le moins, et enferme avec son armee, sur les bords de la riviere de Pruth. Deux dangers le mena^aient, ceiui d'etre attaque par une armee six fois plus forte que la sienne, et celui de manquer de vivres. Un coup de desespoir pouvait seul le tirer de cet embarras. II resolut done de le tenter ; et, apres avoir ordonne a ses generaux de se tenir prets a livrer bataille le lendemain, il se retira dans sa tente, defendant expressement qu'on vint I'y troubler. Catherine Alexio^\Tia, son epouse, convaincue qu'il etait prefe- rable d'acheter la paix, a quelque prix que ce fut, que de se perdre a jamais par une opiniatrete deplacee, assembla, pendant la nuit, le conseil de I'empereur, et y proposa cet avis, qui fut adopte. Mais il fallait necessairement ecrire au grand-vizir, et la lettre, avant de lui etre envoyee, devait etre revetue de la signature du czar. Comment penetrer dans sa tente ? comment oser enfreindre la defense d'un prince qui ne pardonne pas la 52 NARRATIONS HISTORIQUES. plus legere desobeissance ? Catherine se devoue : elle force la garde, entre dans la tente du czar ; et, se jetant a ses pieds, elle lui dit : * " Je t'apporte ma tete ; frappe si tu crois que je t'aie offense, mais ecoute auparavant les conseils de celle qui n'a pas craint de s'exposer a toute ta colere pour te sauver. Songe que tu peux perdre dans un instant le fruit de vingt annees de gloire, de tes travaux immenses, enfin de tout ce que tu as fait pour le bonheur de ton peuple. Plus ta carriere a ete brillante, et plus ta defaite sera honteuse. II faut la prevenir. II faut rappeler tout ton courage, non celui qui sait braver la mort, mais celui qui donne assez de force a I'ame pour se mettre au-dessus des evenements. Yois la position dans laquelle tu te trouves : les musulmans environnent ton camp avec une triple enceinte ; les Tartares, repandus dans la campagne, interceptent tes convois ; tes soldats, accables de fatigue et mourant de faim, levent sur toi leurs regards languissants. duel est ton espoir ? de te faire jour a travers les rangs ennemis ? Eh bien ! quand meme la victoire se deciderait en ta faveur, quand ta valeur te frayerait un premier passage, te serait-il possible de t'en faire un second ? Le Turc, renferme dans des retranchements inaccessibles, at- tendra que la disette enleve ce que le fer aura epargne, et n'en sortira que lorsque le dernier Turc sera peri de misere. Apres un tel tableau, hesiteras-tu encore ; et, sourd a la voix de la prudence qui te parle par ma bouche, risqueras-tu les hasards d'un combat ou. la victoire meme ne ferait que retarder ta perte? Non, tu t'attendris, tu pleures, tu vas changer ton sort, et sanc- tionner cet ecrit dicte par tes veritables amis. Crois-moi, ce moment sera le plus beau de ta vie, puisqu'en epargnant le sang de tes sujets, tu t'en montreras le pere." " Tu I'emportes," lui repondit le czar, en prenant \e papier : " je signe. Menage ma gloire, je la sacrifie au bonheur de mes sujets." Sans perdre un moment, Catherine vint annoncer au conseil NARRATIONS HISTORiaUES. 5S le succes de sa demarche, et eile remit la lettre du czar au vice- cliancelier de I'empire, en lui disant : " Partez, nous aurons la paix ;" mais comme elle connaissait Tame venale du grand- vizir, et qu'elle savait qu'il fallait acheter son suffrage, elle joignit a sa lettre ses diamants, ses bijoux et tout I'argent qu'elle put ramasser. Une suspension d'armes de six heures fut le premier resultat de la negociation, et le second un traite de paix definitif. Le Champ de haiaille de la Moskowa. Apres la Kologha, on marchait absorbe, quand plusieurs de nous, levant les yeux, jeterent un cri de saisissement. Soudain chacun regarda autour de soi ; on vit une terre toute pietinee, nue, devastee, tous les arbres coupes a quelques pieds du sol, et plus loin des mamelons ecretes ; le plus eleve paraissait le plus difforme. II semblait que ce fut un volcan eteint et detruit. Tout autour, la terre etait couverte de debris de casques et de cuirasses, de tambours brises, de tron^ons d'armes, de lambeaux d'uniformes, et d'etendards tacbes de sang. Sur ce sol desole gisaient trente milliers de cadavres a demii devores. Gluelques squelettes, restes sur I'eboulement de I'une - de ces collines, dominaient tout. II semblait que la mort eut.^ etabli la son empire : c'etait cette terrible redoute, conquete et tombeau de Caulaincourt. Alors le cri : " C'est le champ de la grande bataille !" forma un long et triste murmure. L'empereur passa vite. Personne ne s'arreta. Le froid, la faim et I'ennemi : pressaient : seulement on detournait la tete en mar chant, pour Jeter un triste et dernier regard sur ce vaste tombeau de tant de^ compagnons d'armes, sacrifies inutilement, et qu'il fallait aban- donner. C'etait la que nous avions trace avec le fer et le sang I'une des plus grandes pages de notre histoire. duelques debris le disaient encore, et bientot ils allaient etre effaces, tin jour le voyageur passera avec indifference sur ce champ semblable a tous les 5* 54 NARRATIONS HISTORiaUES. autres ; cependant, quand il apprendra que ce fut celui de la grande bataille, il reviendra sur ses pas, il le fixera longtemps de ses regards curieux, il en gravera les moindres accidents dans sa memoire avide, et sans doute qu'alors il s'ecriera: " duels hommes ! quel chef ! quelle destinee ! Ce sont eux qui, treize ans plus tot dans le midi, sont venus tenter Forient par I'Egypte, et se briser contre ses portes. Depuis ils ont conquis I'Europe, et les voila qui reviennent, par le nord, se presenter de nouveau devant cette Asie, pour s'y briser encore ! Glui done les a pousses dans cette vie errante et aventureuse ? Ce n'etaient point des barbares cherchant de meilleurs climats, des habitations plus commodes, des spectacles plus enivrants, de plus grandes ri- chesses : au contraire, ils possedaient tons ces biens, ils jouis- saient de tant de delices, et ils les ont abandonnees pour vivre sans abri, sans pain, pour tomber chaque jour et successivement, ou morts, ou mutiles. Quelle necessite les a pousses ? Eh ! quoi done ? si ce n'est la confiance dans un chef jusque-la infail- lible, I'ambition d'achever un grand ouvrage glorieusement com- mence, I'enivrement de la victoire, et surtout cette insatiable passion de la gloire : cet instinct puissant qui pousse I'homme a la mort pour chercher I'immortalite ! FUaux de 1709 ; humanite de Fenelon, Elle n'est point eifacee de notre memoire, cette epoque de- sastreuse et terrible, cette annee, la plus funeste des demieres annees de Lous XIV, oii il semblait que Je ciel voulut faire expier a la France ses prosperites orgueilleuses, et obscurcir I'eclat du plus beau regno qui eut encore illustre ses annales. La terre sterile sous les flots de sang qui i'inondent devient cruelle et barbare comme les hommes qui la ravagent, et Ton s'egorge en mourant de faim. Les peuples, accables a la fois par une guerre malheureuse, par les impots et par le besoin, sont livres au decouragement et au desespoir. Le peu de vivres qu'on a pu conserver ou recueillir est porte a un prix qui effraie Tindi- NARRATIONS HISTORiaUES. 55 gence, et qui pese meme a Ja richesse. Une armee, alors la seule defense de I'etat, attend en vain sa subsistance des magasins qu'un hiver destructeur n'a pas permis de remplir. Fenelon donne I'exemple de la generosite : il envoie le premier toutes les recoltes de ses terres; et Temulation gagnant de proche en proche, les pays d'alentour font les memes efforts, et Ton devient liberal meme dans la disette. Les maladies, suites inevitables de la misere, desolent bientot 1' armee et les provinces. L'inva- sion de I'ennemi ajoute encore la terreur et la consternation a tant de fleaux accumules. Les campagnes sont desertes, et leurs habitants epouvantes fuient dans les villes. Les asiles manquent a la foule des malheureux. C'est alors que Fenelon fit voir que les coeurs sensibles, a qui I'on reproche d'etendre leurs affections sur le genre humain, n'en aiment pas moins leur patrie. Son palais est ouvert aux malades, aux blesses, aux pauvres sans exception. II engage ses revenus pour faire ouvrir des demeures a ceux qu^il ne saurait recevoir. II leur rend les soins les plus charitables ; il veille sur ceux qu'on doit leur rendre. II n'est effraye ni de la contagion, ni du sp-ectacle de toutes les infirmites liumaines rassemblees sous ses yeux. II ne voit en eux que Thumanite soufFrante. II les assiste, leur parle, les encourage. Oti ! comment se defendre de quelque atten- drissement, en voyant cet homme venerable par son age, par son rang, par ses lumieres, tel qu'un genie bienfaisant, au milieu de tous ces malheureux qui le benissent, distribuer les consola- tions et les secours, et donner les plus touchants exemples de ces memes vertus dont il avait donne les plus touchantes lemons ! Solon et Cresus, Tous les hommes aspirent au bonheur : c'est la que tendent tous leurs vobux ; mais qu'il est difficile de Fatteindre ! L'am- bition, la soif des richesses, celle de la gloire, toutes les passions enfin sont autant d' obstacles places sur la route qui y conduit. Clue faut-il done faire ? Ecouter Solon, et profiter, s'il est pos- sible, de la le^on qu'il donna a Cresus. 56 NARRATIONS HISTORiaUES. Ce monarque ayant appele Solon a sa cour, et ordonne qu'on lui montrat ses tresors, et la magnificence qui regnait dans son paiais, lui demanda ensuite s'il avait jamais vu un honrnie plus heureux que lui: "Oui," lui repondit Solon; "j'ai connu un simple bourgeois d'Athenes, nomme Tellus, qui a vecu en homme de bien, qui a laisse apres lui des enfants generalement estimes, et qui, apres avoir ete pendant toute sa vie au-dessus du besoin, est mort en combattant glorieusement pour sa patrie." Peu satisfait de cette reponse, et surpris de la reputation de sagesse que Solon s'etait acquise, Cresus lui demanda si, apres ce Tellus, il avait connu un autre homme dont le bonheur fut egal au sien. " J'ai connu de plus heureux que lui," repartit Solon, "Cleobis et Biton, deux freres qui furent un modele d'amitie fratemelle, et qui eurent pour leur miere tant d'amour et de piete, qu'un jour de fete solennelle, ou elle devait se rendrQ au temple de Junon, comme ses boeufs tardaient trop a venir, ils se mirent eux-memes au joug, et trainerent le char de leur mere qui fut ravie, et que tout le monde felicita d'avoir de tels enfans. Apres le sacrifice, ils allerent se coucher ; mais ils ne se releverent pas le lendemain, et terminerent leur vie par une mort douce et tranquille." " Eh quoi !" s'ecria Cresus, transports de colere, " tu ne me compteras done pas au nombre des heureux?" "Roi de Lydie," reprit Solon avec douceur, '^ Dieu nous a donne a nous autres Grecs toutes choses dans la mediocrite ; il nous a surtout fait present d'une sagesse ferme, mais simple et populaire, qui n'a rien de royal ni d'eclatant, et qui, sachant que la vie des hommes est sujette a un nombre infini de vicissitudes et de changements, ne nous permet, ni de nous glorifier des biens dont nous jouissons nous-memes, ni d'admirer dans les autres une fehcite qui pent n'etre que pas- sagere, et n' avoir rien de reel: car I'avenir est pour chaque homme un tissu d'accidents tous divers, qui ne peut etre prevu. Celui-la nous parait seul heureux de qui Dieu a continue la felicite jusqu'au dernier moment de sa vie ; mais pour celui qui vit encore, et qui flotte, au miheu des ecueils, sur cette mer NARRATIONS HISTORIQUES* 57 orageuse, son bonheur nous parait aussi incertain et aussi mal assure que la couronne pour celui qui combat encore, et qui n'a pas encore vaincu." Ces paroles pleines de sagesse ne firent qu'affliger Cresus sans le toucher. Mais, lorsque, vaincu par Cyrus, il fut monte sur le bucher ou il devait etre brule au milieu des Perses, il se ressouvint des avis du legislateur d'Atbenes, et s'ecria par trois fois de toutes ses forces : " O Solon !" C3nrus, qui etait present, lui envoya demander quel homme ou quel dieu etait ce Solon qu'il invoquait ainsi dans son malheur : *' C'est," repondit Cresus, " un des sages de la Grece, que j'ai fait venir a ma cour, non pas pour ecouter ses lemons dont j'avais un si grand besoin, mais afin que, spectateur de ma gloire et de mes ricbesses, il allat remplir la Grece du bruit de ma felicite, dont la perte me cause aujourd'bui plus de peines que sa jouissance ne m'a donne de plaisir ; car les faveurs de la fortune n'etaient qu'ideales, tandis que ses revers ne sont que trop reels. C'est ce que me dit ce sage qui, prevoyant ce qui m'arrive en ce jour, sur ce que je faisais alors, m'avertit de regarder tou jours a la fin de ma vie, et de ne pas m'enorgueillir, enfle d'une confiance qui n'avait pas de fondement." Cyrus ne fut pas plus tot instruit de la reponse que Cresus avait faite, qu'il Tarracha au supplice, et eut pour lui tons les egards qui etaient dus a son rang et a ses malheurs. Quelle gloire pour Solon, d' avoir ainsi sauve la vie a un de ces rois, et rhonneur a F autre ! Napoleon a Schcenbrim. On passait une revue a Scboenbrun; un etudiant nomme Frederic Stabs parvint a percer les rangs des soldats. Les generaux, croyant qu'il avait une petition a presenter a I'empe- reur, lui dirent de s'adresser a I'aide de camp de service ; il repondit a plusieurs reprises qu'il voulait parler a Napoleon. II s'avan^a de nouveau et tres-pres ; le general Rapp lui dit en 58 NARRATIONS HISTORiaUES. langue allemande de se retirer, et de se presenter apres la revue. " II avait," dit ce general, " la main droite enfoncee dans sa poche de cote, sous sa redingote ; il tenait un papier dont I'ex- tremite etait en evidence : il me regarda avec des yeux qui me frapperent." Ce general fit arreter ce jeune homme : on trouva sur lui un enorme couteau de cuisine. Les generaux Rapp et Duroc se transporterent dans sa prison. " II etait assis sur un lit ou il avait etale le portrait d'une jeune femme, son portefeuille, et une bourse qui contenait quelques vieux louis d'or. Je lui demandai son nom." — " Je ne puis le dire qu'a Napoleon." — " duel usage vouliez-vous faire de ce couteau ?" — " Je ne puis le dire qu'a Napoleon." — " Vous vouliez vous en servir pour attenter a sa vie ?" — " Oui, monsieur." — " Pourquoi ?"— ^" Je ne puis le dire qu'a lui seul." Deux gendarmes le conduisirent, les mains liees derriere le dos, devant Napoleon. La, il subit un nouvel interrogatoire. " D'ou etes-vous ?" — " De Naumbourg." — *' Glu'est votre pere ?" — " Ministre protestant." — " duel age avez-vous ?" — " Dix-buit ans." — "due vouliez-vous faire de votre couteau ?"— "Voustuer." — -"Vous etes fou, jeune homme ; vous etes illu- mine ?" — " Je ne suis pas fou ; je ne sais ce que c'est qu'illu- mine." — " Vous etes done malade ?" — " Je ne suis pas malade ; je me porte bien." — "Pourquoi vouliez-vous me tuer?"- — " Farce que vous faites le malheur de mon pays." — "Vous ai-je fait quelque mal ?" — " Comme a tous les Allemands."— - " Par qui etes vous envoye ? qui vous pousse a ce crime ?" — "Personne: c'est I'intime conviction qu'en vous tuant je ren- drais le plus grand service a mon pays et a I'Europe, qui m'a mis les armes a la main. , . . Je suis venu a Schoenbrun il y a huit jours dans I'intention de vous tuer." On lui dit qu'il etait malade ; il soutint qu'il se portait bien. Le docteur Corvisart appele lui tata le pouls, et le jugea en bonne sante. " Je vous I'avais bien dit," reprit Stabs avec une sorte de satisfaction . SIARRATIONS HISTORiaUES. 59 L'empereur, vivement frappe de I'assurance de ce malheu- reux, lui promit sa grace, s'il demandait pardon de son crime. Stabs affirma qu'il n'avait que le regret de n'avoir pu reussir. — "11 parait qu'un crime n'est rien pour vous?"— "Vous tuer n'est pas un crime, c'est un devoir." — " duel est ce portrait trouve sur vous ?" — " Celui de ma meilleure amie, de la fille adoptive de mon vertueux pere." — "Q,uoi! votre coBur est ouvert a des sentiments si doux, et, en devenant un assassin, vous n'avez pas craint d'affliger, de perdre les etres que vous aimez ?" — " J'ai cede a une voix plus forte que ma tendresse." — " Mais en me frappant au milieu de mon armee pouviez-vous echapper?" — "Je suis en effet etonne d'exister encore." — " Celle que vous cherissez sera bien affligee." — " Elle sera bien affligee de ce que je n'ai pas reussi ; elle vous hait autant que je vous hais moi-meme." — ^" Si je vous fais grace m'en saurez- vous gre ?" — " Je ne vous en tuerai pas moins." Napoleon fut stupefait. Ce courage froid et feroce, cette per- sistance que les approches de la mort ne purent alterer, lui in- spirerent de tristes reflexions. II dit au general Rapp, apres plusieurs reflexions sur cette aflaire : " On ne m'aime ni a Ber- lin ni a Weimar." Celui-ci lui repondit qu'il ne pouvait pre- tendre a I'amitie de ces deux cours. Ce jeune homme n'avait point voulu manger depuis le 24 jusqu'au 27 Octobre, jour oii il fut execute. II disait avoir assez de force pour marcher a la mort. En s'y rendant, on lui apprit que la paix etait faite ; cette nouveUe le fit tressaillir de joie ; il s'ecria :' " Vive la liberte ! Vive I'Allemagne ! Mort a son tyran !" Cette aflaire fit uiae vive et penible impression sur I'esprit de Napoleon ; il en parlait souvent. La couronne de gloire qui lui ceignait le front n' etait pas sans epines. 60 NARRATIONS HISTORiaUES, Discours de Mirabeau sur la mort de Franklin. "Messieurs, Franklin est mort — II est retoume ati sein de la Divinite, le genie qui affranchit I'Amerique et versa sur r Europe des torrents de lumiere. Le sage que deux mondes reclament, I'homme que se dis- putent rhistoire des sciences et I'histoire des empires, tenait sans doute un rang eleve dans I'espece humaine. Assez longtemps Jes cabinets politiques ont notifie la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur eloge funebre. Assez longtemps I'etiquette des cours a proclame des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs. Les representants des nations ne doivent recommander a leur hoimnage que les lieros de Thumanite. Le congres a ordonne dans les quatorze Etats de la confede- ration un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et TAme- rique acquitte en ce moment ce tribut de veneration pour Tun des peres de sa constitution. Ne serait-il pas digne de nous, messieurs, de nous unir a cet acte religieux, de participer a cet bommage rendu, a la face de I'univers, et aux droits de Pliomme, et au philosoplie qui a le plus contribue a en propager la conquete sur toute la terre ? L'antiquite eut eleve des autels a ce vaste et puissant genie qui, au profit des mortals, embrassant dans sa pensee le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. La France, eclairee et libre, doit du moins un temoignage de souvenir et de regret a I'un des plus grands b^mmes qui aient jamais servi la philo- sophie et la liberte. Je propose qu'il soit decrete que I'assemblee nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin." Mirabeau est generalement considere comme le plus grand orateur de la revolution francaise : il prononca une foule de dis- cours qui lui valurent le nom "de Demosthenes frmicais. II mena dans sa jeunesse une conduite scandaleuse. 11 succomba NARRATIONS HISTORIQUES. 61 en 1791 aux fatigues d'une vie orageus^e. Ses restes furent conduits en grande pompe au Pantheon, celebre edifice destine a recevoir les restes des grands hommes de la France, Deux ans plus tard la populace les exhuma pour les jeter au vent. Templiers ou Chevaliers de la milice du Temple. Get ordre militaire et religieux fiit fonde vers 1118 a Jerusa- lem par Hugues des Payens, Geoffroy de Saint-Adhemar, et sept autres Croises fran^ais, dans le but de proteger les pelerins. Baudouin XL, roi de Jerusalem, leur donna d'abord une maison situee pies de I'eglise de cette ville, qui etait jadis le temple de Salomon ; de la leur nom. lis pretaient les trois vceux de pauvrete, de cbastete, d'obeissance, et devaient vivre d'aumones, Mais bientot des donations considerables et les profits que leur procura la guerre qu'ils faisaient aux Infideles les rendirent riches. Apres la chute du royaume de Jerusalem en 1 187, ils se repandirent par toute TEurope, y augmenterent infiniment leur puissance, leurs richesses et leur juste reputation de bra- voure : il y eut un moment ou ils compterent jusqu'a 9000 mai- sons de leur ordre. Les Temphers portaient T habit b lane et une croix sur leurs manteaux. Leur chef avait le nom de grand maitre ; I'ordre se divisait en plusieurs langues, les possessions territoriales en plusieurs provinces ; celles-ci, a leur tour, se subdivisaient en grands prieures, prieures et commanderies. Tant de prosperites ne pouvait manquer de faire ombrage et d'exciter I'envie. Ils s'etaient d'ailleurs promptement corrom- pus ; leur orgueil, I'esprit d'impiete et les vices infames qu'ils avaient rapportes de T Orient fournirent Toccasion de les perdre. Phihppe-le-Bel saisit avec habilete ces pretextes. Le 13 Octo- bre 1307, tous les Templiers qui se trouvaient en France furent arretes a la fois ; un grand nombre d'entre eux perirent dans les flammes, a la suite d'un simulacre de procedure ; enfin, le pape Clement Y., tout devoue au roi de France, suppri- ma Tordre en 1312, dans un consistoire secret tenu pendant 6 62 NARRATIONS HISTORIQUES. le concile de Vienne. En Portugal, I'ordre detruit fut remplace par rOrdre du Christ. II parait, au reste, qu'il se conserva dans I'ombre un simulacre de TOrdre du Temple, qui garda le meme nom, mais qui, reduit a des seances secretes, degenera en une secte mystique. Le crime des Templiers est encore un probleme ; ils avouerent dans les tortures, dit Bossuet, mais ils nierent dans les supplices. Carte sianisme, Aristote et ses sectateurs se sont servis de mots qu'on n' en- tend point, pour signifier des choses qu'on ne conceit pas. En- tele chies, formes substantielles, especes intentionnelles, &c. • Ces mots, apres tout, ne signifiaient que I'existence des choses dont nous ignorons la nature et la fabrique. Ce qui fait qu'un rosier produit une rose et non pas un abricot, ce qui determine un chien a courir apres un lievre, ce qui constitue les proprietes de cbaque etre, a ete appele /orme substantielle ; ce qui fait que nous pensons a ete nomme entelechie ; ce qui nous donne la vue d'un objet a ete nomme espece intentionnelle ; nous n'en savons pas plus aujourd'hui sur le fond des choses. Les mots die force, d'dme, de gravitation meme, ne nous font nuUement connaitre le principe et la nature de la force, ni de Tame, ni de la gravitation. Nous en connaissons les proprietes, et probable- ment nous nous en tiendrons la tant que nous ne serons que des hommes. L'essentiel est de nous servir avec avantage des instruments que la nature nous a donnes, sans penetrer jamais dans la struc- ture intime du principe de ces instruments. Archimede se servait admirablement du ressort, et ne savait pas ce que c'est que le ressort. La veritable physique consiste done a bien determiner tous les effets. Nous ne connaitrons jamais les causes premieres. II nous est donne de calculer, de peser, de mesurer, d'observer ; voila la philosophie nature lie ; presque tout le reste est chimere. KARKATIONS HISTOliiaUES. 6S Le maiheur de Descartes fut de n'avoir pas, dans son voyage d'ltalie, consulte Galilee, qui calculait, pesait, mesurait, obser- vait ; qui avait invente le compas de proportion, trouve la pesan- teur de 1' atmosphere, decouvert les satellites de Jupiter, et la rotation du soleil sur son axe. Ce qui est sur-tout bien etrange, c'est qu'il n'ait jamais cite Galilee, et qu'au contraire il ait cite le jesuite Scheiner, plagi- aire et ennemi de Galilee, qui defera ce grand homme a I'inqui- sition, et qui par la couvrit I'ltalie d'opprobre lorsque Galilee la couvrait de gloire. Les erreurs de Descartes sont nombreuses. II faut avouer qu'il n'y eut pas une seule nouveaute dans la physique de Descartes qui ne fut une erreur. Ce n'est pas qu'il n'eut beaucoup de genie ; au contraire, c'est parce qu'il ne consulta que ce genie, sans consulter 1' experience et les mathe- matiques ; il etait un des plus grands geometres de I'Europe, et il abandonna sa geometrie pour ne croire que son imagination. II ne substitua done qu'un chaos au chaos d'Aristote. Par la il retarda de plus de cinquante ans les progres de I'esprit humain. Ses erreurs etaient d'autant plus condamnables qu'il avait, pour se conduire dans le labyrinthe de la physique, un fil qu'Aristote ne pouvait avoir, celui des experiences, les decouvertes de Gahlee, de Toricelli, de Gueric, etc., et sur-tout sa propre geometrie. On a remarque que plusieurs universites condamnerent dans sa philosophie les seules choses qui fuss^nt vraies, et qu'elles adopterent enfin toutes celles qui etaient fausses. II ne reste aujourd'hui de tous ces faux systemes et de toutes les ridicules disputes qui en ont ete la suite, qu'un souvenir confus qui s'eteint de jour en jour. L'ignorance preconise encore quel- quefois Descartes, et meme cette espece d'amour-propre qu'on appelle national s'est efforce de soutenir sa philosophie. Des gens qui n'avaient jamais lu ni Descartes ni New^ton, ont pre- tendu que Newton lui avait I'obligation de toutes ses decouvertes. Mais il est tres-certain qu'il n'y a pas dans tous les edifices 64 NARRATIONS HISTORIQUES. imaginaires de Descartes une seule pierre sur laquelle Newton ait bati. II ne I'a jamais ni suivi, ni explique, ni meme refute; a peine le connaissait-il. II voulut un jour en lire un volume, il mit en marge a sept ou huit pages Error, et ne le relut plus. Ce volume a ete longtemps entre les mains du neveu de Newton. Le cartesianisme a ete une mode en France ; mais les ex- periences de Newton sur la lumiere, et ses principes mathe- matiques ne peuvent pas plus etre une mode que les demon- strations d'Euclide. II faut etre vrai; il faut etre juste; le philosophe n'est ni fran^ais, ni anglais, ni florentin, il est de tout pays. II ne ressemble pas a la duchesse de Marlborough, qui, dans une fievre tierce, ne voulait pas prendre de quinquina, parcequ'on I'appelait en Angleterre la poudre des jesuites. Le philosophe, en rendant hommage au genie de Descartes, foule aux pieds les ruines de ses systemes. Le philosophe surtout devoue a I'execration publique et au mepris eternel les persecuteurs de Descartes, qui oserent Tac- cuser d'atheisme, lui qui avait epuise toute la sagacite de son esprit a chercher de nouvelles preuves de I'existence de Dieu. Moise, Ge chef et legislateur du peuple hebreu, ne en Egypte vers I'an 1725 av. J.-C, fat expose sur le Nil en vertu des ordres de Pharaon qui voulait faire perir tous les enfants males des Hebreux, mais il fut sauve des eaux par la fille meme du roi, qui I'eleva et le fit instruire dans les sciences des Egyptiens. Informe de sa naissance, il quitta la cour de Pharaon a I'age de 40 ans pour aller vivre avec les Hebreux, et ayant vu un Egyptien qui maltraitait I'un d'eux, il le tua de sa propre main. Craignant d'etre puni pour ce meurtre, il alia se refugier dans le desert de Madian et y epousa la fille d'un pretre nomme Jethro. II re^ut de Dieu, dans sa retraite, I'ordre de delivrer NARRATIONS HISTORiaUES. 65 les Israelites de I'oppression des Egyptiens, et vint sommer Pharaon de laisser ses concitoyens sortir librement de TEgypte. II n'eprouva d'abord que des refus ; alors pour efFrayer le roi, il accabla ses peuples de dix fleaux cruels connus sous le nom de plaies d'Egypte ; Pharaon se vit force de ceder a ses demandes. Moise sortit d'Egypte a la tete des Hebreux, I'an 1645 av. J.-C. : il leur fit traverser a pied sec la mer Rouge, fit en- gloutir dans les eaux de cette mer Pharaon qui les poursuivait, les conduisit dans le desert oii il les nourrit d'une manne tombee du ciel, fit jaillir I'eau d'un rocher en le frappant de sa baguette, re^ut de Dieu la loi sacree sur le mont Sinai, triompha de plu- sieurs peuples qui s'opposaient a son passage, et arriva jusque sur les confins de la Terre Promise. II ne lui fut cependant pas accorde d'y entrer, parce qu'il avait une fois manque de confiance dans le Seigneur, et il mourut sur le mont Nebo, d'ou il pouvait apercevoir la terre de Chanaan, age de 120 ans, Tan 1605 av. J.-C. — Moise est I'auteur du Pentateuque, c.-a-d. des cinq premiers livres de I'Ancien Testament (Gen^se, Exode, Levitique, Nombres, Deuteronome), qui renferment .Phistoire sacree depuis la creation du monde jusqu'a I'entree des Hebreux dans la Terre Promise, un code de lois et un recueil de pre- scriptions rehgieuses. Lafayette, Lafayette, commandant de la mihce bourgeoise, pendant la revolution fran^aise, avait incorpore dans cette milice les gardes fran^aises devoues a la revolution, un certain nombre de Suisses, et une grande quantite de soldats qui desertaient les regiments dans I'espoir d'une soldo plus forte. Le roi en avait lui-meme donne I'autorisation. Ces troupes reunies composerent ce qu'on appela les compagnies du centre. La milice prit le nom de garde nationale, revetit I'uniforme, et ajouta aux deux couleurs rouge et bleue de la cocarde parisienne la couleur blanche qui etait celle du roi. C'est la cette cocarde tricolore dont Lafayette 6* 66 NARRATIONS HISTORIQUES. predit les destinees, en annon^ant qu'elle ferait le tonr du monde. C'est a la tete de cette troupe que Lafayette s'elfor^a pendant deux annees consecutives de maintenir la tranquillite publique, et de faire executer les lois que Tassemblee decretait chaque jour. Lafayette, issu d'une famille ancienne et demeuree pure au milieu de la corruption des grands ; doue d'un esprit droit, d'une ame ferme, amoureux de la vraie gloire, s'etait ennuye des frivolites de la cour et de la discipline pedantesque de nos armees. Sa patrie ne lui ofFrant rien de noble a tenter, il se decida pour I'entreprise la plus genereuse du siecle, et il partit pour I'Amerique le lendemain du jour ou I'on repandait en Europe qu'elle etait soumise. II y combattit a cote de Wash- ington, et decida FafTranchissement du nouveau monde par I'alliance de la France. Revenu dans son pays avec un nom europeen, accueilli a la cour comme une nouveaute, il s'y montra simple et libre comme un Americain. Lorsque la philosophic, qui n'avait ete pour des nobles oisifs qu'un jeu d'esprit, exigea de leur part des sacrifices, Lafayette presque seul persista dans ses opinions, demanda les etats generaux, contribua puissamment a la reunion des ordres, et fat nomme, en recompense, commandant general de la garde nationale. Lafayette n'avait pas les passions et le genie qui font souvent abuser de la puissance : avec une ame egale, un esprit fin, un systeme de desinteressement invariable, il etait surtout propre au role que les circonstances lui avaient assigne, celui de faire executer les lois. Adore de ses troupes sans les avoir captivees par la victoire, plein de calme et de ressources au milieu des fureurs de la multitude, il maintenait I'ordre avec une vigilance infatigable. Les partis, qui I'avaient trouve incorruptible, accusaient son habilete, parce qu'ils ne pouvaient accuser son caractere. Cependant il ne se trompait pas sur les evenem^ts et sur les hommes, n'appreciait la cour et les chefs de parti que ce qu'ils valaient, les protegeait au peril de sa vie sans les estimer, et luttait souvent sans espoir centre les factions, mais NARRATIONS HISTORiaUES. 67 avec ia Constance d'un homme qui ne doit jamais abandonner la chose publique, aiors meme qu'il n'espere plus pour elle. Lafayette, malgre toute sa vigilance, ne reussit pas toujours a arreter les fureurs populaires. Car quelque active que soit la force, elle ne pent se montrer partout, centre un peuple partout souleve, qui voit dans chaque homme un ennemi. A chaque instant les bruits les plus ridicules etaient repandus et accredites. Tantot on disait que les soldats des gardes fran- ^aises avaient ete empoisonnes, tantot que les farines avaient ete volontairement avarices, ou qu'on detournait leur arrivee ; et ceux qui se donnaient les plus grandes peines pour les amener dans la capitale, etaient obKges de comparaitre devant un peu- ple aveugle qui les accablait d'outrages ou les couvrait d'ap- plaudissements, selon les dispositions du moment. Cependant il est certain que la fureur du peuple qui, en general, ne sait ni choisir ni chercher longtemps ses victimes, paraissait souvent dirigee soit par des miserables payes, comme on I'a dit, pour rendre les troubles plus graves en les ensanglantant, soit seule- ment par des hommes plus profondement haineux. Songe de Marc-Aurele, Je voulus mediter sur la douleur; la nuit etait deja avancee; le besoin du sommeil fatiguait ma paupiere ; je luttai quelque temps; enfin je fus obhge de ceder, et je m'assoupis ; mais dans cet intervalle je crus avoir un songe. II me sembla voir dans un vaste portique une multitude d'hommes rassembles ; ils avaient tous quelque chose d'auguste et de grand. Q,uoique je n'eusse jamais vecu avec eux, leurs traits poartant ne m' etaient pas etrangers ; je crus me rappeler que j^avais sou vent con- temple leurs statues dans Rome. Je les regardais tous, quand une voix terrible et forte retentit sous le portique: "Mortels, apprenez a souffrir !" Au meme instant, devant Tun, je vis s'allumer des fiamimes, et il y posa la main. On apporta a i'autre du poison ; il but, et fit une libation aux Dieux. Le bS NARRATIONS HISTORiaUES. troisi^me etait debout aupres d'une statue de la liberte brisee ; il tenait d'une main un livre ; de Tautre il prit une epee, dont il regardait la pointe. Plus loin je distinguai un homme tout sanglant, mais calme et plus tranquille que ses bourreaux, je courus a lui en m'ecriant : " O Regulus ! est-ce toi ?" Je ne pus soutenir le spectacle de ses maux, et je detournai mes regards. Alors j'aper^us Fabricius dans la pauvrete ; Scipion mourant dans I'exil, Epictete ecrivant dans les chaines, Seneque et Thraseas les veines ouvertes, et regardant d'un oeil tranquille leur sang couler. Environne de tous ces grands hommes mal- heureux, je versais des larmes ; ils parurent etonnes. L'un d'eux, ce fut Caton, approcha de moi, et me dit : " Ne nous plains pas, mais imite-nous ; et toi aussi, apprends a vaincre la douleur !" Cependant il me parut pret a tourner contre lui le fer qu'il tenait a la main ; je voulus Farreter, je fremis, et je m'eveillai. Je reilechis sur ce songe, et je census que ces pretendus maux n'avaient pas le droit d'ebranler mon courage ; je resolus d'etre homme, de soufTrir, et de faire le bien. Savants et artistes celebres. C'est une chose digne de remarque, que les peuples qui se sent rendus celebres par les sciences et les arts, ne les ont tous cultives qu'apres les guerres civiles les plus san- glantes. Les beaux-arts ont surtout fleuri dans quatre siecles. Le premier a ete celui d' Alexandre. La Grece, epuisee par les guerres civiles, respirait a peine sous I'empire de ce prince, qu'elle produisit Demosthene, le prince des orateurs ; les poetes, les artistes les plus celebres de I'antiquite parurent en meme temps. On eut dit que la nature les avait tous produits en meme temps, afin qu'ils pussent immortaliser par leurs ouvrages le plus grand des conquerants. Le second siecle fut celui d'Auguste ; ce fut lui qui, par ses victoires, mit fm a la guerre civile la plus terrible dont I'histoire fasse mention. Depuis plus de cinquante ans la moitie de NAKKATiONS HISTOllIUUES. 69 Tunivers etait armee centre 1' autre, et, comme i'a dit un ecrivain romain, a peine y avait-il, dans la vaste etendue de I'empire, un endroit que les Remains n'eussent arrose de ieur sang, pour savoir quel parti donnerait un maitre a Rome et a F univers. A peine Auguste fut-il le maitre, et eut-il eniin pose les armes, que les poetes, les historiens, les orateurs, les plus celebres, ar- riverent en foule ; tous leurs ouvrages sont parfaits ; ils surpas- sent en beaute tous ceux qui les ont precedes, et ont servi de modele dans les siecles suivants. Le troisieme siecle fat celui des Medicis : de simples particu- liers qu'ils etaient, ils devinrent les souverains de Ieur patrie. Ils ne durent Ieur elevation qu'a Ieur merite et a leurs vertus. Jusqu'a Ieur regne I'ltalie avait ete dechiree par des factions cruelles, et ravagee par des conquerants qui se disputaient la possession de ce beau pays. Dans le meme temps les Turcs detruisaient I'empire grec par la prise de Constantinople. Les savants que cette ville renfermait, cbercberent une retraite loin de Ieur patrie desolee. Les Medicis les accueillirent, et ces savants apporterent avec eux non seulement de rares connais- sances, mais encore les ouvrages les plus parfaits des anciens, dont les noms nous etaient a peine connus. Aussitot les poetes parurent, et surtout des peintres et des ar- tistes si celebres qu'ils egalerent les anciens, et que, meme a present, on se rend, de toutes les parties de I'univers, en Italie autant pour examiner ces chefs-d'oeuvre que pour admirer ce qui reste encore de la grandeur et de la magnificence romaine. Enfin, le quatrieme siecle a ete celui de Louis XIV. La France, depuis pres de trois siecles, etait dechiree par des guerres etrangeres et domestiques ; mais sous Louis XIV I'Etat etait tranquille et soumis. Chose etonnante ! Louis XIV n' etait pas lettre, et peu de princes ont accorde aux beaux-arts une protection plus marquee. Tous ceux qui se distinguaient par quelque talent etaient surs d'eprouver sa liberalite : aussi, sous son regne, tous les arts, toutes les sciences furent elles portees a ieur perfection. Les guerriers les plus habiies commandaient '^O NARRATIONS HlSTOKiaUES. ses armees, et ses victoires ie firent craindre de tons les princes de I'Europe. Les poetes les plus celebres, et dont le nom ne perira jamais, immortalisaient sa renommee par les louanges qu'ils lui ont donnees dans leurs ouvrages. Pharamond. Voici comme un auteur moderne s'est divert! a faire le por- trait de Pharamond, qu'on regarde ordinairement comme le pre- mier roi de France. " Ce prince," dit-il, " etait aussi humain que genereux, et I'homme le plus agreable, le plus facetieux de son temps. II avait un gout singulier qui aurait pu rendre mal- heureux un prince d'un autre naturel ; il croyait qu'on ne pou- vait jouir de tous les charmes de la conversation qu'entre ses egaux, et il se plaignait quelquefois agreablement de ce qu'il etait le seul homme en France qui n'eut jamais de compagnie. Ce caractere I'engageait a s'aller divertir de cote et d' autre, a minuit, avec un seul gentilhomme de sa chambre. Dans ces promenades nocturnes, il faisait liaison avec les hommes dont il voulait eprouver I'humeur, et il les recommandait en particulier a la faveur de son premier ministre. Mais il remarquait que ces nouveaux amis le negligeaient, des qu'ils esperaient une plus haute fortune, parce qu'ils ne savaient pas qu'ils etaient obliges par le roi memo. Lorsque ce prince eut eprouve avec soin un homme, comme il avait coutume d' eprouver tous ceux qu'il voulait connaitre a fond, et qu'il I'eut trouve tel qu'il le cherchait, il lui permit un jour de lui dire quel bien etait capa- ble de le satisfaire. Des que ce nouvel ami le lui eut dit, Pha- ramond lui en promit le double et lui park ainsi : ' Vous avez par ma generosite le double de ce que vous souhaitiez ; des ce moment je vous regarde comme une personne qui m'est de- vouee, et, afin que vous le soyez de bonne foi, je vous donne ma parole royale, que vous serez toujours ce que vous etes aujour- d'hui. Ne me repondez pas,' ajouta-t-il en souriant ; ' mais jou- issez de la fortune ou je vous ai eleve. Elle est au-dessus de NAURATIONS HISTORIQUES. 71 la mienne, puisque vous n'avez plus rien a esperer ni a craindre.' Apres que le roi eut fait ce choix, et achete ainsi la compagnie d'un bon ami, il jouissait tour a tour de tous les plaisirs d'un particulier de bonne humeur, et de ceux d'un puissant monarque, Un soir que Pharamond se rendit a I'appartement d'Eucrate, (c'etait le nom de cet ami que le roi avait rendu si heureux), il le trouva fort abattu ; il lui demanda avec cet agreable sourire qui lui etait nature! ; ' D'ou vient cette tristesse, Eucrate ? y a-t-il quelque malheureux que je ne puisse soulager V ' Je le Grains,' repondit le favori. 'II y a la dehors un gentilhomme de bonne mine, bien mis, qui parait etre a la fleur de son age, et pret a succomber sous le poids de quelque rude affliction.' Aussitot Pharamond le fit entrer. Ce gentilhomme s'avance de I'air le plus interdit et le plus embarrasse. Le roi tacha de le rafiermir par ses manieres obligeantes : ' Monsieur,' dit-il, ' que ma personne ne vous intimide pas : songez que vous parlez a votre ami, et que vous me trouverez tel, si je peux remedier a votre chagrin.' 'Prince,' repliqua le gentilhomme, 'ne me parlez pas d'ami, j'en avais un, il n'est plus : cette main I'a tue, et Pharamond en est la cause, car je I'ai tue en duel, et dans votre royaume. Par une malheureuse coutume, le duelliste tue son ami, et le juge le condamne, quoiqu'il approuve son action.' Pharamond fut tres-sensible a des plaintes si raisonnables. II s'entretint aussitot avec Eucrate sur les moyens d'abolir une coutume si barbare. II voulut deraciner cet abus, et, pour y reussir infailliblement, apres avoir reconnu qu'il tirait son ori- gine d'une idee d'honneur mal entendue, il y attacha une in- signe ignominie ; car il fit publier par tout le royaume un edit qui portait que quiconque se battrait en duel serait re garde comme infame ; qu'en consequence il serait prive des charges et des honneurs, lui et toute sa posterite ; et que, des son vivant, ses heritiers entreraient en possession de ses biens, comme s'il etait deja mort. Ce sage monarque comprit que la mort n' etait pas une punition proportionnee a une telle barbarie. II voulut etabhr des peines assez humihantes, pour que I'idee seule de- 72 NARRATIONS HISTORIQUES. tournat d'une cruaute si inhumaine. II serait a souliaiter que les hommes entrassent dans des vues si sages, et qu'ils ne fissent pas par principe d'honneur une action qui n'est en elle- meme qu'une veritable infamie." So crate — Fhysionomie, II y a divers arts dont tous les hommes savent quelque chose sans les avoir jamais appris. C'est ainsi que chacun s'entend un peu en physionomie, et qu'il se forme une idee du caractere et de rhumeur d'une personne sur les traits de son visage. II y eut a Athenes, du temps de Socrate, un homme qui decou- vrait les inclinations des gens sur leur simple exterieur. Des disciples de Socrate I'amenerent a leur maitre qui lui etait abso- lument inconnu, et qu'il ne croyait pas trouver dans cette com- pagnie. Apres qu'il eut un peu examine le visage de Socrate, il pronon^a que c' etait le vieillard le plus enclin a la debauche. Aussitot tous ses disciples eclaterent de rire, dans la pensee qu'ils avaient decouvert la vanite de son art. Mais Socrate leur repre- senta que les principes de cet homme pouvaient etre fort justes, malgre cette pretendue erreur, puisque son penchant nature 1 Fentrainait a ce vice, et qu'il ne i'avait corrige que par les pre- ceptes de la philosophic. En effet, un ancien auteur nous ap- prend qu'il y avait une ressemblance de visage presque parfaite entre Socrate et Silene, que les poetes disent avoir ete le pere nourricier de Bacchus. Harangues laconiques. Plus la harangue d'un general a ses soldat^ est courte et serree, plus elle aiguillonne leur courage. Avec des gens de coeur, il ne faut pas de longs discours : c'est pour cela que les phis fameux generaux de I'antiquite faisaient de si courtes ha- rangues au moment de Paction. Le dictateiir Camille, voyant ses soldats effrayes a Tsispect de Fennemi, se contenta de leur NARRATIONS HISTORIQUES. 73 dire: '• Ignorez-vous done qui je suis, qui vous etes, et quels sont vos ennemis V' Glue de choses dans ce peu de mots ! Henri IV., combattant dans les plaines d'l^T}' pour conquerir son royaume, adressa a ses soldats une exhortation non moins energique : '• Je suis votre roi,*' leur dit-il ; '• vous etes Fran- cais ; roila Fennemi." Ce grand prince, que son amour pour ses sujets et sa fin tragrique ont immortalise, surpassa tous les generaux de tous les siecles. autant par son laconisme que par sa valeur. Iva?i IK Ivan IV., ou Jean Basilowitz, czar de Mosco^4e, apres avoir ete la gloire de la Russie, tomba dans une indolence qui le rendit odieux a ses sujets. Les Boyards s'assemblerent, et le prierent de mettre son fils a leur tete. Le lendemain Ivan se montra dans la place publique, sans gardes, jeta sa couronne au milieu du peuple, et s'ecria fierement en se depouillant de sa robe imperiale : " Donnez cette couronne et cette robe a quelqu'un qui sache mieux commander que moi, et a qui vous saurez mieux obeir. J'ai conquis les royaumes de Casan, d'As- tracan, la Livonie ; j'ai vaincu les Turcs ; j'ai toujours soutenu la gloire de ma nation : jamais les Russes, sous mon regne, n'ont ete insultes impunement. Aujourd'hui, pour me remer- cier de tout ce que j'ai fait pour vous, vous voulez un autre empereur ! Cherchez done qui vous gouverne." Le peuple etonne attendait en silence la fin de cette scene singuliere. Quelques Boyards crierent : " Vous etes notre maitre ; nous n'en voulons point d'autre que vous." Cette acclamation fut repetee universellement. On lui presenta sa couronne et sa robe ; mais il dit qu'il ne les reprenait que pour punir les auteurs de cette revoke. II se touma ensuite vers son fils, et I'accusa d'etre Tauteur de la sedition : et comme le jeune prince, se jetant a ses genoux, allait se justifier. il lui donna sur la tete un grand coup de baton. Ce fils mallieureux voulut alors se retirer: 7 74 NARRATIONS HISTORIQUES. mais tout convert de sang, il tomba evanoui. En un moment la colere d'lvan cessa pour faire place a la douleur et au deses- poir. Regardant son fils pale et mourant : " Voila done, grand Dieu !" s'ecria-t-il, "le dernier trait de vengeance que tu me preparais ! Je suis moi-meme le meurtrier de mon fils ! Prince barbare et malheureux, tu te prives toi-meioae du fruit des soins et des peines que t'a coutes son enfance I" Et se precipitant sur le corps du jeune prince mourant : " Mon fils," lui dit-il, " tu es plus lieureux que moi : tu meurs, et moi, je ne vis que pour te regretter et m'abhorrer ; tous les instants de ma vie seront plus cruels que la mort !" Le jeune prince ouvre des yeux presque eteints, et les attachant avec tendresse sur son pere : " O mon pere," lui dit-il, " je meurs content, puisque votre coeur m'est encore ouvert, et que votre amour vous fait verser des larmes. Jamais je n'ai forme le projet dont vous venez de m'accuser ; j'en prends le ciel a temoin. C'est lui qui veut que je perisse ainsi, ne vous reprochez point ma mort; mais j'aurais mieux aime la recevoir pour vous au milieu de vos ennemis." II expira cinq jours apres. Son pere lui survecut peu : la douleur abregea ses jours ; on I'entendait souvent s' eerier : " Mon fils, mon cher Ivan !" Ce furent la ses dernieres paroles, Charles XIL hlessL Au siege de Pultava, que Charles XII. entreprit en 1709, ce monarque, FAlexandre du Nord, re^ut un coup de carabine, qui per^a sa botte au talon, et le blessa dangereusement ; mais, son courage lui faisant surmonter la douleur, il continua de visiter les travaux, et resta encore a cheval, pendant pres de six beures, sans donner aucune marque qui put faire soupconner qu'il etait blesse. Un domestique du General Sparre, s'etant apercu qu'il sortait beaucoup de sang de la botte du roi, en avertit son maitre. On crut d'abord que c'etait I'effet de I'eperon, qui avait pique le cheval ; mais, le domestique ayant assure que c'etait de la botte du roi que le sang sortait, on fit venir des chirurgiens pour le NARRATIONS HISTORIQUES. 75 visiter. Sa jambe s'etait enflee considerablement : il fallut le descendre de chevaL Les chirurgiens, apres avoir examine sa plaie, craignirent que la gangrene ne s'y mit, et jugerent qu'il etait necessaire de lui couper la jambe ; arret qui repandit la consternation dans toute I'armee. L'un deux, nomme Newman, plus eclaire que les autres, dit qu'il y avait un moyen de guerir la jambe du roi sans la couper, mais qu'il etait douloureux, et qu'il n'osait I'employer. " Comment !" dit le monarque en colere, " je ne pretends pas que vous ayez plus d'egard pour moi que pour le dernier de mes soldats : je veux que vous me traitiez de meme ; je vous I'ordonne : obeissez I" Newman rassure par ce diseours, fit de profondes incisions dans la jambe du roi, sans que ce prince donnat le moindre signe de douleur, et le mit, en peu de temps, en etat de soutenir le mouvement du brancard. Mort de Socrate. Le jour de sa mort ses disciples se reunirent de grand matin dans sa prison. II avait dormi d'un sommeil paisible. II les re^ut, comme il avait coutume de les recevoir, avec le meme sourire, la meme serenite. Leur admiration egalait leur douleur. II leur parla de Dieu et de Teternite. Jamais son langage n'avait ete plus noble, jamais ses idees n'avaient paru plus sublimes que dans cet instant. lis I'ecoutaient avec ravissement ; mais la reflexion leur rappelait que bientot ils ne 1' entendraient plus, que bientot allaient s'eteindre ces yeux ou brillait la flamme du genie, que cette bouche si eloquente se fermerait bientot.... et.... se fermerait pour toujours. Alors les sanglots des disciples etouffaient la voix du maitre. II passa dans une petite piece pour se baigner. Criton le suivit : ses autres amis s'entretinrent des diseours qu'ils venaient d'entendre, et de I'etat oii sa mort allait les reduire ; ils se regardaient deja comme des orphelins prives du meilleur des peres, et pleuraient moins sur lui que sur eux-memes. On lui presenta ses trois enfants : deux etaient encore dans un age fort 76 NARRATIONS HISTORIQUES. tendre. II donna quelques ordres aux femmes qui les avaient amenes, et apres les avoir renvoyes, il vint rejoindre ses amis. Un moment apres le garde de la prison entra : " Socrate," lui dit-il, "j'espere que vous ne m'attribuez pas votre infortune ; vous en connaissez les auteurs ; tachez de vous soumettre a la necessite." Ses pleurs ne lui permirent pas d'en dire davan- tage, et il se retira dans un coin de la prison. " Adieu," lui repondit Socrate, "je suivrai votre conseil." Et se tournant vers ses amis : " Get homme est bon," leur dit-il : " pendant que j'etais ici, il venait quelquefois causer avec moi ; voyez comme il pleure ! . . . Criton, il faut lui obeir ; qu'on apporte le poison, s'il est pret, et s'il ne I'est pas, qu'on le prepare." Criton voulut lui remontrer que le soleil n'etait pas encore couche, que d'autres avaient eu la liberte de prolonger leur vie de quelques heures. " lis avaient leurs raisons," dit So- crate, " et j'ai les miennes pour agir autrement." Criton donna des ordres, et quand ils furent executes, un esclave apporta la coupe fatale. Socrate lui ayant demande ce qu'il avait a faire : " Vous promener, apres avoir pris la potion," repondit cet homme, " et vous coucher sur le dos, quand vos jambes commenceront a s'appesantir." Alors sans changer de visage et d'une main assuree, il prit la coupe, et apres avoir adresse une courte priere aux dieux, il I'approcha de ses levres. Dans ce moment terrible, le saisissement et I'effroi s'empar^- rent de toutes les ames, et des pleurs involontaires coulerent de tous les yeux. Les uns, pour les cacher, jeterent leur manteau sur leur tete, les autres se leverent soudain pour se derober a sa vue ; mais lorsqu'en ramenant leurs regards sur lui, ils s'aper- ^urent qu'il venait de renfermer la mort dans son sein, leur douleur, trop longtemps contenue, fut forcee d'eclater, et leurs sanglots redoublerent aux cris du jeune Apollodore, qui, apres avoir pleure toute la joumee en silence, faisait alors retentir la prison de hurlements afTreux. " Que faites-vous, mes amis ?" leur dit Socrate, " sans s'emou* voir. J'avais ecarte ces femmes pour n'etre pas temoin de NARRATIONS HISTORIQUES. 77 pareilles faiblesses : rappelez votre courage, j'ai toujours oui dire que la mort devait etre accompagn^e de bons augures." Cependant ii continuait a se promener. Des qu'il sentit de ia pesaiiteur dans ses jambes, il se jeta sur un lit, et s'enveloppa de son manteau. L'esciave montrait aux assistants les progres successifs du poison, Deja un froidmortel avait glace les pieds et les jambes ; il etait pres de s'insinuer dans le coeur, lorsque Socrate, soulevant son manteau, dit a Criton : "Nous devons un coq a Esculape." — " Cela sera fait," repondit Criton ; " mais n'avez-vous pas encore quelques ordres a nous donner ?" II ne repondit point. Un instant apres il fit un petit mouvement ; l'esciave, I'ayant decouvert, recut son dernier regard, et Criton lui ferma les yeux, Ainsi mourut le plus religieux, le plus vertueux et le plus heureux des hommes, le seul peut-etre qui, sans crainte d'etre dementi, put dire hautement: "Je n'ai jamais, ni par mes paroles, ni par mes actions, commis la moindre injustice. Pierre-le- Grand, Pierre-le-Grand fut regrette en Russie de tous ceux qu'il avait formes ; et la generation qui suivit celle des partisans des \ anciennes moeurs le regarda bientot comme son pere. Quand i les etrangers ont vu que tous ces etablissements etaient durables,, . lis ont eu pour lui une admiration constante, et ils ont avoue qu'il avait ete inspire plutot par une sagesse extraordinaire, que - par I'envie de faire des choses etonnantes. L'Europe a reconnu - qu'il avait aime la gloire, mais qu'il 1' avait mise a faire du bien; que ses defauts n'avaient jamais affaibli ses grandes qualites ; qu'en lui I'bonnne eut ses tacbes, et que le monarque fut toujours grand. II a force la nature en tout, dans ses sujets, dans lui- meme, et sur la terre et sur les eaux ; mais il I'a forcee pour I'embellir. Les arts, qu'il a transplantes de ses m.ains dans des pays dont plusieurs alors etaient sauvages, ont en fructifiant 7- 78 NARRATIONS HISTORIQUES. rendu temoignage a son genie et eternise sa memoire ; ils paraissent aujourd'hui originaires des pays memes ou il les a portes. Lois, police, politique, discipline militaire, marine, commerce, manufactures, sciences, beaux-arts, tout s'est perfec- tionne selon ses vues ; et, par une singularite dont il n'est point d'exemple, ce sont quatre femmes, montees apres lui sur le trone, qui ont maintenu tout ce qu'il acheva, et ont perfectionne tout ce qu'il entreprit. C'est aux historiens nationaux d'entrer dans tous les details des fondations, des lois, des guerres et entreprises de Pierre-le- Grand. II suffit a un etranger d'avoir essaye de montrer ce que fut le grand homme qui apprit de Charles XII a le vaincre, qui sortit deux fois de ses Etats pour les mieux gouverner, qui travailla de ses mains a presque tous les arts necessaires, pour en donner Texemple a son peuple, et qui fut le fondateur et le p^re de son empire. Charles XIL Charles XII, roi de Suede, eprouva ce que la prosperite a de plus grand, et ce que I'adversite a de plus cruel, sans avoir ete amoUi par Tune, ni ebranle un moment par I'autre. Presque toutes ses actions, jusqu'a celles de sa vie privee et unie, ont ete bien loin au-dela du vraisemblable. C'est peut- etre le seul de tous les hommes, et jusqu'ici le seul de tous les rois, qui ait vecu sans faiblesse ; il a porte toutes les vertus des heros a un exces oii elles sont aussi dangereuses que les vices opposes. Sa fermete, de venue opiniatre, fit ses malheurs dans FUkraine, et le retint cinq ans en Turquie ; sa liberalite, degenerant en profusion, a ruine la Suede : son courage, pousse jusqu'a la temerite, a cause sa mort : sa justice a ete quelquefois jusqu'a la cruaute ; et, dans les dernieres annees, le maintien de son autorite approchait de la tyrannie. Ses grandes qualites, dont une seule eut pu immortaliser un autre prince, ont fait le mal- NARRATIONS HISTORiaUES. 79 heur de son pays. II n'attaqua jamais personne ; mais il ne fat pas aussi prudent qu'implacable dans ses vengeances. II a ete le premier qui ait eu Pambition d'etre conquerant sans avoir I'envie d'agrandir ses Etats ; il voulait gagner des empires pour les donner. Sa passion pour la gloire, pour la guerre et pour la vengeance, Tempecha d'etre bon politique : qualite sans laquelle on n'a jamais vu de conquerant. Avant la bataille, et apres la victoire, il n'avait que de la modestie ; apres la defaite, que de la fermete ; dur pour les autres comme pour lui-meme, comptant pour rien la peine et la vie de ses sujets, aussi bien que la sienne : homme unique plutot que grand homme, admirable plutot qu'a imiter. Sa vie doit ap- prendre aux rois combien un gouvemement pacifique et heu- reux est au-dessus de tant de gloire. Bevolution operee dans la philosophle par Descartes, Il est aise de compter les hommes qui n'ont pense d'apres personne, et qui ont fait penser d'apres eux le genre humain. Seuls et la tete levee, on les voit marcher sur les hauteurs ; tout le reste des philosophes suit comme un troupeau. N'est-ce pas la lachete d'esprit qu'il faut accuser d' avoir prolonge I'enfance du monde et des sciences ? Adorateurs stupides de I'antiquite, les philosophes ont rampe durant vingt siecles sur les traces des premiers maitres. La raison condamnee au silence faisait parler I'autorite : aussi rien ne s'eclaircissait dans I'univers ; et I'esprit humain, apres s'etre traine mille ans sur les vestiges d'Aristote, se trouvait encore aussi loin de la verite. Enfm parut en France un genie puissant et hardi, qui en- treprit de secouer le joug du prince de I'ecole. Get homme nouveau vint dire aux autres hommes que, pour etre philosophe, il ne suffisait pas de croire, mais qu'il fallait penser. A cette parole toutes les ecoles se troublerent ; une vieille maxime regnait encore ; ipse dixit, le maitre I'a dit. Cette maxime d'esclave irrita tous les philosophes contre le pere de la philo- 80 NARRATIONS HISTOHIQUES. Sophie pensante ; elle le persecuta comme novateur et impie, le chassa de royaume en royaume, et Ton vit Descartes s'enfuir, emportant avec lui la verite, qui, par malheur, ne pouvait etre ancienne en naissant. Cependant, malgre les oris et la fureur de I'ignorance, il refusa toujours de jurer que les anciens fussent la raison souveraine ; il prouva meme que ses persecuteurs ne savaient rien, et qu'ils devaient desapprendre ce qu'ils croyaient savoir. Disciple de la lumiere, au lieu d'interroger les morts et les dieux de I'ecole, il ne consulta que les idees claires et distinctes, la nature et I'evidence. Par ses meditations pro- fondes, il tira toutes les sciences du chaos ; et, par un coup du genie plus grand encore, il montra le secours mutuel qu'eiles devaient se preter ; il les enchaina toutes ensemble, les eleva les unes sur les autres ; et, se pla^ant ensuite sur cette hauteur, il marcha, avec toutes les forces de 1' esprit humain ainsi rassem- blees, a la decouverte de ces grandes verites que d' autres plus heureux sont venus enlever apres lui, mais en suivant les sen- tiers de lumiere que Descartes avait traces. Ce fut done le courage et la fierte d'un seul esprit qui cau- serent dans les sciences cette heureuse et memorable revolution dont nous goutons aujourd'hui les avantages avec une superbe ingratitude. II fallait aux sciences un homme de ce caractere, un homme qui osat conjurer tout seul avec son genie centre les anciens tyrans de la raison, qui osat fouler aux pieds ces idoles que tant de siecles avaient adorees. Descartes se trouvait enferme dans le labyrinthe avec tous les autres philosophes, mais il se fit lui-meme des ailes, et s'envola, frayant ainsi des routes nouvelles a la raison captive. {Guenard^Discours couronne par PJlcademie francaise,) Mort de Turenne. Il monta a cheval le Samedi a deux heures, apres avoir mange, et comme il y avait bien des gens avec lui, il les laissa tous a trente pas de la hauteur oii il voulait aller, et dit au petit NARRATIONS HISTORIQUES. 81 d'Eibeuf : " Mon neveu, demeurez la ; vous ne faites que tour- ner aatour de moi, vous me feriez reconnaitre." M. d'Hamilton, qui se trouva pres de I'endroit ou il allait, lui dit : " Monsieur, venez par ici, on tirera du cote ou vous allez." — " Monsieur," lui dit-il, " vous avez raison : je ne veux point du tout etre tue aujourd'hui ; cela sera le mieux du monde." II eut a peine tourne son cheval, qu'il aper^ut Saint-Hilaire, le chapeau a la main, qui lui dit : " Monsieur, jetez les yeux sur cette batterie que je viens de faire placer la." M. de Turenne revint, et dans I'instant, sans etre arrete, il eut le bras et le corps fracasses du meme coup qui emporta le bras et la main qui tenait le chapeau de Saint-Hilaire. Ce gentilhomme, qui le regardait toujours, ne le voit point tomber ; le cheval I'emporte ou il avait laisse le petit d'Elbeuf; il etait penche le nez sur Pardon. Dans ce moment le cheval s'arrete, le heros tombe entre les bras de ses gens ; il ouvre deux fois de grands yeux et la bouclie, et de- meure tranquille pour jamais. Songez qu'il etait mort, el qu'il avait une partie du coeur emportee. On crie, on pleure : M. d'Hamilton fait cesser ce bruit, et oter le petit d'Elbeuf qui s' etait jete sur ce corps, qui ne voulait pas le quitter, et qui se pamait de crier. On couvre le corps d'un manteau, on le porte dans une haie, on le garde a petit bruit. Un carrosse vient, on I'emporte dans sa tente : ce fut la ou M. de Lorges, M. de Roye, et beaucoup d'autres, penserent mourir de douleur ; mais il fallut se faire violence, et songer aux grandes affaires qu'on avait sur les bras. On lui a fait un service mili- taire dans le camp, ou les larmes et les cris faisaient le veritable deuil : tous les officiers avaient pourtant des echarpes de crepe ; tous les tambours en etaient converts ; ils ne battaient qu'un coup, les piques trainantes et les mousquets renverses ; mais ces cris de toute une armee ne peuvent pas se representer sans que Ton en soit emu. Ses deux neveux etaient a cette pompe dans I'etat que vous pouvez penser. M. de Roye, tout blesse, s'y fit porter ; car cette messe ne fut dite que quand ils eurent repasse 82 NARRATIONS HISTOKIQUES* le Rhin. Je pense que le pauvre chevalier de Grignan etait bien abime de douleur. Q.uand ce corps a quitte son armee, ^'a encore ete une desolation ; et partout oii il a passe, on n'en- tendait que des clameurs. Mais a Langres ils se sont surpasses ; ils allerent au-devant de lui en habits de deuil, au nombre de plus de deux cents, suivis du peuple ; tout le clerge en cere- monie. II y eut un service solennel dans la ville ; en un mo- ment ils se cotiserent tous pour cette depense, qui monta a cinq mille francs, parce qu'ils reconduisirent le corps jusqu'a la pre- miere ville, et voulurent defrayer tout le train. Que dites-vous de ces marques nature lies d'une affection fondee sur un merite extraordinaire ? II arriva a Saint-Denis ce soir ; tous ses gens Tallerent reprendre a deux lieues d'ici. II sera dans une cha- pelle en depot ; on lui fera un service a Saint-Denis, en atten- dant celui de Notre-Dame, qui sera solennel. ... Ne croyez pas que son souvenir soit deja fini dans ce pays-ci : ce fleuve qui entraine tout n'entraine pas sit6t une telle me- moire ; elle est consacree a I'immortalite. J'etais I'autre jour chez M. de La Rochefoucauld, avec Madame de Lavardin, Ma- dame de La Faj^ette, et M. de Marsillac. M. le Premier y vint ; la conversation dura deux heures sur les diverses quaUtes de ce veritable heros ; tous les yeux etaient baignes de larmes, et vous ne sauriez croire combien la douleur de sa perte est profonde- ment gravee dans les coeurs. Nous remarquions une chose, c'est que ce n'est pas depuis sa mort que Ton admire la gran- deur de son coeur, Fetendue de ses lumieres etl'elevationde son ame ; tout le monde en etait plein pendant sa vie, et vous pou- vez penser ce qu'y ajoute sa perte. Pour son ame, c'est encore un miracle qui vient de I'estime parfaite qu'on avait pour lui ; il n'est pas tombe dans la tete d'aucun devot qu'elle ne fut pas en bon etat ; on ne saurait comprendre que le mal et le peche pussent etre dans son coeur ; sa conversion si sincere nous a paru comme un bapteme ; chacun conte I'innocence de ses moeurs, la purete de ses intentions, son humilite eloignee de NARRATIONS HISTORiaUES. 83 toute sorte d' affectation, la solid e gloire dont il etait plein, sans faste et sans ostentation, aimant la vertu pour elle-meme, sans se soucier de I'approbation des hommesj une charite genereuse et chretienne. Lettre a milord Harvey sur Louis XIV, Je fais compliment a votre nation, Milord, sur la prise de Porto-Bello et sur votre place de garde des sceaux. Vous voila fixe en Angleterre ; c'est une raison pour moi d'y voyager encore. Ne jugez point, je vous prie, de mon essai sur le Siecle de Louis XIV., par les deux chapitres imprimes en HoUande avec tant de fautes qui rendent I'ouvrage inintelligible : mais surtout soyez unpen moins fache contre moi de ce que j'appelle le siecle dernier, le Siecle de Louis XIV. Je sais bien que Louis XIV. n'a pas eu I'honneur d'etre le majtre ni le bienfai- teur d'un Bayle, d'un Newton, d'un Halley, d'un Addison, d'un Dryden : mais dans le siecle qu'on nomme de Leon X., le pape Leon X. avait-il tout fait ? n'y avait-il pas d'autres princes qui contribuerent a polir et a eclairer le genre humain ? Ce- pendant le nom de Leon X. a prevalu, parce qu'il encouragea les arts plus qu'aucun autre. Eh ! quel roi done en cela a rendu plus de services a I'humanite que Louis XIV. ?' duel roi a repandu plus de bienfaits, a marque plus de gout, s'est signale par de plus beaux etablissements ? II n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, sans doute, parce qu'il etait homme ; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il etait un grand homme : ma plus forte raison pour I'estimer beaucoup, c'est que, avec des fautes connues, il a plus de reputation qu'aucun de ses contem- porains ; c'est que, malgre un million d'hommes dont il a prive la France, et qui to us ont ete interesses a le decrier, toute I'Eu- rope I'estime et le met au rang des plus grands et des meilleurs monarques. Nommez-moi done, Milord, un souverain qui ait attire chez lui plus d'etrangers habiles et qui ait plus encourage le merits 84 NARRATIONS HISTORIQUES. de ses sujets. Soixante savants de I'Europe regurent a la fois des recompenses de lui, etonnes d'en etre connus. " Gluoique le roi ne soit pas votre souverain, leur ecrivait M. Colbert, il veut etre votre bienfaiteur ; il m'a charge de vous envoyer la lettre de change ci-jointe, comme un gage de son estime." Un Bohemien, un Danois, recevaient de ces lettres datees de Versailles. Guillemini batit une maison a Florence, des bienfaits de Louis XIV. ; il mit le nom du roi sur le frontis- pice ; et vous ne voulez pas qu'il soit a la tete du siecle dont je park ! Ce qu'il a fait dans son royaume doit servir a jamais d'exem- ple. II chargea de I'education de son fils et de son petit-fils les plus eloquents et les plus savants hommes de I'Europe. II eut I'attention de placer trois enfants de Pierre Corneille, deux dans les troupes, et I'autre dans I'eglise. II excita le merite naissant de Racine par un present considerable pour un jeune homme inconnu et sans bien ; et, quand ce genie se fut perfectionne, ses talents, qui souvent sont I'exclusion de la fortune, firent la sienne. II eut plus que de la fortune, il eut de la faveur, et quelquefois la famiUarite d'un maitre, dont un regard etait un bienfait ; il etait, en 1688 et 1689, de ces voyages de Marly, tant brigues par les courtisans ; il couchait dans la chambre du roi pendant ses maladies, et lui lisait ces chefs-d'oeuvre d'eloquence et de poesie qui decoraient ce beau regno. Louis XIV. songeait a tout, il protegeait les academies et dis- tinguait ceux qui se signalaient. II ne prodiguait point sa faveur a un genre de merite a I'exclusion des autres, comme tant de princes qui favorisent, non ce qui est bon, mais ce qui leur plait : la physique et 1' etude de I'antiquite attire rent son attention. EUe ne se ralentit pas memo dans les guerres qu'il soutenait centre I'Europe ; car en batissant trois cents citadelles, en faisant marcher quatre cent mille soldats, il faisait elever I'Observatoire et tracer une meridienne d'un bout du royaume a I'autre, ou- vrage unique dans le monde. II faisait imp rimer dans son palais NARRATIONS HISTORIdUES. 85 les traductions des bons auteurs grecs et latins ; il envoyait des geometres et des physiciens au fond de PAfrique et de I'Ame- rique chercher de nouvelles connaissances. Songez, Milord, que sans le voyage et les experiences de ceux qu'il envoya a Cayenne en 1672, et sans les mesures de M. Pieard, jamais Ne^vton n'eut fait ses decouvertes sur Fattraction. Regardez, je vous prie, un Cassini et un Huygens, qui renoncent tous deux a leur patrie, qu'ils honorent, pour venir en France jouir de Festime et des bienfaits de Louis XIV. Et pensez-vous que les Anglais meme ne lui aient pas d' obli- gation ? Dites-moi, je vous prie, dans quelle cour Charles II puisa tant de politesse et de gout ? Les bons auteurs de Louis XIV n'ont-ils pas ete vos modeles ? N'est-ce pas d'eux que votre sage Addison, rhomme de votre nation qui avait le gout le plus sur, a tire souvent ses excellentes critiques ? L'eveque Burnet avoue que ce gout, acquis en France par les courtisans de Charles II, reforma chez vous jusqu'a la chaire, malgre la difference de nos religions : tant la saine raison a partout d'em- pire ? Dites-moi si les bons livres de ce temps n'ont pas servi a I'education de tous les princes de I'Europe ? Dans quelle cour de I'Allemagne n'a-t-on pas vu de theatre franeais ? Quelle nation ne suivait pas alors les modes de la France ? Vous m'apportez, Milord, Texemple du czar Pierre-le-Grand, qui a fait naitre les arts dans son pays et qui est le createur d'une nation nouvelle. Vous me dites cependant que son siecle ne sera pas appele dans I'Europe le siecle du czar Pierre. Vous en concluez que je ne dois pas appeler le siecle passe, le siecle de Louis XIV. II me semble que la difference est bien palpable : le czar Pierre s'est instruit chez les autres peuples, il a porte leurs arts chez lui : mais Louis XIV a instruit les nations : tout, jusqu'a ses fautes, leur a ete utile. Les protes- tants, qui ont quitte ses etats, ont porte chez vous-memes une industrie qui faisait la richesse de la France. Comptez-vous pour rien tant de manufactures de soie et de cristaux ? Ces 8 86 NARRATIONS HISTOEiaUES. dernieres surtout fiirent perfectionnees chez vous par nos refu- gies, et nous avons perdu ce que vous avec acquis. Enfin, la langue fran^aise, Milord, est devenue presque la langue universelle, A qui en est-on redevable ? Etait-elle aussi etendue du temps d'Henri IV ? non, sans doute ; on ne connaissait que I'italien et I'espagnol. Ce sont nos excellents ecrivains qui ont fait ce changement. Mais qui a protege, em- ploye, encourage ces excellents ecrivains ? C'etait M. Colbert, me direz-vous : je I'avoue, et je pretends bien que le ministre doit partager la gloire du maitre. Mais qu'eut fait un Colbert sous un autre prince, sous votre roi Guillaume, qui n'aimait rien, sous le roi d'Espagne Charles II, sous tant d'autres souverains ? Croiriez-vous bien. Milord, que Louis XIV a reforme le gout de sa cour en plus d'un genre ? II choisit Lulli pour son musi- cien, et ota le privilege a Cambert, parce que Cambert etait un homme mediocre, et Lulli un homme superieur. II savait dis- tinguer Tesprit du genie ; il donnait a Gluinault les sujets de ses operas ; il dirigeait les peintures de Le Brun'; il soutenait Boileau, Racine et Moliere contre leurs ennemis ; il encourageait les arts utiles comme les beaux-arts, et toujours en connaissance de cause ; il pretait de I'argent a Van Robais pour etablir ses manufactures ; il avan^ait des millions a la Compagnie des Indes qu'il avait formee ; il donnait des pensions aux savants et aux braves officiers. Non seulement il s'est fait de grandes choses sous son regne, mais c'est lui qui les faisait. Souffrez done. Milord, que je tache d'elever a sa gloire un monument que je consacre encore plus a I'utilite du genre humain. Obseques de Henri IV, C'est un usage de ne celebrer les funerailles des rois de France que quarante jours apres leur mort. Le corps embaume est enferme dans un cercueil de plomb sur lequel on eleve une figure de cire qui le represente au naturel autant qu'on le pent. Vis-a-vis cette figure, on sert la table royale a Theure ordinaire NARRATIONS HISTORIQUES. 87 des repas, et les viandes sont abandonnees aux pauvres. Des pretres, jour et nuit, chantent des prieres autour de Timage. Cette coutume est venue d'Asie dans nos climats. II faut remonter jusqu'aux anciens rois de Perse, pour en apercevoir I'origine ; elle est rarement observee. Les depenses qu'elle exige sont trop fortes dans un pays ou souvent 1' argent manque pour les choses les plus necessaires. Henri IV avait laisse de grands tresors. Plus sa mort etait deplorable, plus sa pompe funebre fut magnifiqnec Le 29 juin 1610, le corps fut porte de la grande salle du Louvre a Notre-Dame, ou on le laissa en depot, et le lende- main a Saint-Denis. L'effigie en cire etait portee sur un bran- card apres le cercueil. Tous les corps de I'etat assistaient en deuil a cette ceremonie ; mais le parlement etait en robes rouges, pour marquer que la mort du roi n'interrompt pas la justice. II voulut suivre immediatement la figure de cire ; mais I'eveque de Paris pretendit que c'etait son droit. Cette contestation troubla longtemps la ceremonie. Les huissiers du parlement voulurent faire retirer I'eveque de Paris, Henri de Gondi, et I'eveque d' Angers, Miron, qui faisait les fonctions de grand- aumonier. Le convoi s'arreta, le peuple fut etonne et scandalise ; I'ordre de la marche devait avoir ete regie pour prevenir toute dispute ; mais de pareilles querelles n'ont ete que trop frequentes dans ces ceremonies. II fallut recourir a la decision de la reine, et que le comte de Soissons, a la tete d'une compagnie des gardes, maintint les deux eveques dans le poste qui leur semblait du, puisqu'il s'agissait de la sepulture, qui est une fonction eccle- siastique ; les gardes memo saisirent un conseiller qui faisait resistance : c'etait Paul Scarron, le pere du fameux poete burlesque, Paul Scarron, plus celebre encore par sa femme. Lorsqu'on fut arrive a Saint-Denis, les gentilshommes ordi- naires du roi porterent le cercueil dans le caveau. De somptueux repas sont toujours la fin de ces grands appareils. Le cardinal de Joyeuse, qui ofiicia dans Saint-Denis, I'eveque d' Angers, qui 88 NARKATIONS HISTORiaUES. pronon^a Toraison funebre, dinerent au refectoire des religieux avec tout le clerge. On dressa trois tables dans la salle du chapitre : la premiere, pour les princes et les grands-officiers de la couronne ; la seconde, pour le parlement ; et la troisieme, pour tous les oiEciers de la maison du roi. Execution de Charles I^^, Apres quatre heures d'un sommeil profond, Charles sortit de son lit : " J'ai une grande affaire a terminer," dit-il a Herbert, "il faut que je me leve promptement ;" et il se mit a sa toilette. Herbert trouble le peignait avec moins de soin : " Prenez, je vous prie," lui dit le roi, " la meme peine qu'a Tordinaire ; quoique ma tete ne doive pas rester longtemps sur mes epaules, je veux etre pare aujourd'hui comme un marie." En s'habil- lant, il demanda une chemise de plus. " La saison est si froide," dit-il, "que je pourrais trembler; quelques personnes I'attri- bueraient peut-etre a la peur, je ne veux pas qu'une telle sup- position soit possible." Le jour a peine leve, I'eveque arriva et commen^a les exercices religieux. Comme il lisait, dans le XXVII^ chapitre de I'evangile selon saint Mathieu, le recit de la passion de Jesus-Christ, " Mylord," lui demanda le roi, " avez- vous choisi ce chapitre comme le plus applicable a ma situa- tion ?"• — " Je prie Votre Majeste de remarquer," repondit I'eve- que, " que c'est I'evangile du jour, comme le prouve le calen- drier." Le roi parut profondement touche, et continua ses prieres avec un redoublement de ferveur. Vers dix heures, on frappa doucement a la porte de la chambre ; Herbert demeu- rait immobile : un second coup se fit entendre un peu plus fort, quoique leger encore : " Allez voir qui est la," dit le roi : c'etait le colonel Hacker. "Faites-le entrer," dit-il. "Sire," dit le colonel a voix basse et a demi tremblant, voici le moment d'aller a White-Hail; "Votre Majeste aura encore plus d'une heure pour s'y reposer." — " Je pars dans I'instant," repondit Charles, " laissez-moi." Hacker sortit : le roi se recueillit encore quel- NARRATIONS HISTORiaUES. 89 ques minutes, puis, prenant I'eveque par la main : " Venez," dit-il, " partons : Herbert, ouvrez la porte ; Hacker m'avertit pour la seconde fois." Et il descendit dans le pare qu'il devait traverser pour se rendre a White-Hall. Hacker frappa a la porte : Juxon et Herbert tomberent a genoux. " Relevez-vous, mon vieil ami," dit le roi a I'eveque en lui tendant la main. Hacker frappa de nouveau : Charles fit ouvrir la porte. " Marchez," dit-il au colonel, " je vous suis." II s'avan^a le long de la salle des banquets, toujours entre deux haies de troupes. Une foule d'hommes et de femmes s'y etaient precipites au peril de leur vie, immobiles derriere la garde, et priant pour le roi, a mesure qu'il passait ; les soldats, silencieux eux-memes, ne les rudoyaient point. A I'extremite de la salle, une ouverture, pratiquee la veilli^ dans le mur, conduisait de plain-pied a I'echafaud tendu de noir ; deux hommes debout aupres de la hache,tous deux en habits de matelots et masques. Le roi arriva, la tete haute, promenant de tous cotes ses regards, et cherchant le peuple pour lui parler : mais ies troupes cou- vraient seules la place : nul ne pouvait approcher. II se touma vers Juxon et Tomlinson. " Je ne puis guere etre entendu que de vous," leur dit-il, " ce sera done a vous que j'adresserai quelques paroles ;" et il leur adressa en effet un petit discours qu'il avait prepare, grave et calme jusqu'a la froideur, unique- ment applique a soutenir qu'il avait eu raison ; que le mepris des droits du souverain etait Ja rrme cause des malheurs du peuple; que le peuple ne devait avoir aucune part dans le gou"s*mement ; qu'a cette seule condition le royaume re- trouverait la paix et ses libertes. Pendant qu'il parlait, quelqu'un toucha a la hache ; il se retourna precipitamment, disant : " Ne gatez pas la hache, elle me ferait plus de mal ;" et, son discours termine, quelqu'un s'en approchant encore : "Prenez garde a la hache ! prenez garde a la hache !" repeta-t-il d'un ton d'efFroi. . . Le plus profond silence regnait ; il mit sur sa tete un bonnet de soie, et, s'adressant a I'executeur : " Mes cheveux 8* 90 NARRATIONS HISTORIQUESo vous genent-ils?" — "Je prie votre majeste de les ranger sous son bonnet," repondit Thomme en s'inclinant. Le roi les rangea avec I'aide de I'eveque. . . " J'ai pour moi," lui dit-il en pre- nant ce soin, " une bonne cause et un Dieu clement." Juxon : " Oui, sire, il n'y a plus qu'un pas a franchir, il est plein de trouble et d'angoisse, mais de peu de duree, et songez qu'il vous fait faire un grand trajet : il vous transporte de la terre au ciel." Le roi : " Je passe d'une couronne corruptible a une couronne incorruptible, ou je n'aurai a craindre aucun trouble, aucune espece de trouble." Et se tournant vers I'executeur: "Mes cheveux sont-ils bien ?" II ota son manteau et son Saint-George, donna le Saint-George a I'eveque en lui disant. " Souvenez- vous," ota son habit, remit son manteau, et regardant le billot : "Placez-le de maniere a ce qu'il soit bien ferme," dit-il a I'executeur. ''II est ferme, sire." Le roi: "Je ferai une courte priere, et, quand j'etendrai les mains, alors. . ." II se recueillit, se dit a lui-meme quelques mots a voix basse, leva les yeux au ciel, s'agenouilla, posa sa tete sur le billot ; I'exe- cuteur toucha ses cheveux pour les ranger encore sous son bonnet ; le roi crut qu'il allait frapper : " Attendez le signe," lui dit-il. " Je I'attendrai, sire, avec le bon plaisir de votre majeste." ' Au bout d'un instant le roi tendit les mains ; I'exe- cuteur frappa, la tete tomba au premier coup : " Voila la tete d'un traitre," dit-il en la montrant au peuple : un long et sourd gemissement s'eleva autour de White-Hall. Beaucoup de gens se precipitaient au pied de I'echafaud pour tremper leur mouchoir dans le sang du roi. Deux corps de cava^rie, s'avan^ant dans deux directions differentes, disperserent lente- ment la foule. L'echafaud demeure solitaire, on enleva le corps : il etait deja enferme dans le cercueil ; Cromwel voulut le voir, le considera attentivement, et, soulevant de ses mains la tete comme pour s'assurer qu'elle etait bien separee du tronc : " C'etait la un corps bien constitue," dit-il, " et qui promettait une longue vie." NARRATIONS HISTORIQUES. 91 MoTt de Mirabeau, Des pressentiments de mort se melaient a ses vastes projets, et quelquefois en arretaient I'essor. Cependant sa conscience etait satisfaite ; I'estime publique s'unissait a la sienne, et I'assu- rait que, s'il n'avait pas encore assez fait pour le salut de I'Etat, il avait du moins assez fait pour sa propre gloire. Pale, et les yeux profondement creuses, il paraissait tout change a la tri- bune, et souvent il etait saisi de defaillances subites ; les exces de plaisir et de travail, les emotions de la tribune, avaient use en peu de temps cette existence si forte. La cour etait alarmee, tous les partis etonnes ; et, avant sa mort, on s'en demandait la cause. Une derniere fois, il prit la parole a cinq reprises diffe- rentes, sortit epuise et ne reparut plus. Le lit de mort ie recut et ne le rendit qu'au Pantheon. II avait exige de Cabanis qu'on n'appelat pas de medecins ; neanmoins on lui desobeit, et ils trouverent la mort qui s'approchait, et qui deja s'etait emparee des pieds. La tete fut atteinte la demiere, comme si la nature avait voulu laisser briller son genie jusqu'au dernier uistant. Un peuple immense se pressait autour de sa demeure, et encombrait toutes les issues dans le plus profond silence. La cour envoyait emissaires sur emissaires ; les bulletins de sa sante se transmet- taient de bouche en bouche, et allaient repandre partout la dou- leur a chaque progres du mal. Lui, entoure de ses amis, exprimait quelques regrets sur ses travaux interrompus, quelque orgueil sur ses travaux passes : " Soutiens," disait-il a son do- mestique, " soutiens cette tete, la plus forte de France." L'em- pressement du peuple le toucha ; la visite de Barnave, son ennemi, qui se presenta chez lui au nom des Jacobins, lui causa une douce emotion. II donna encore quelques pensees a la chose publique. L'assemblee devait s'occuper du droit de tester ; il appela M. de Talleyrand, et lui remit mi discours qu'il venait d'ecrire. " II sera plaisant," lui dit-il, '• d'entendre parler contre les testaments un homme qui n'est plus et qui vient de 92 NARRATIONS HISTORiaUES. faire le sien." La cour avait voulu en effet qu'il le fit, promet- tant d'acquitter tous les legs. Reportant ses vues sur I'Europe, et devinant les projets de I'Angleterre : " Ce Pitt," dit-il, " est le ministre des preparatifs ; il gouverne avec des menaces : je lui donnerais de la peine, si je vivais." Le cure de sa paroisse venant lui offrir ses soins, il le remercia avec politesse, et lui dit, en souriant, qu'il les accepterait volontiers, s'il n' avait dans sa maison son superieur ecclesiastique, M. Teveque d'Autun. 11 fit ouvrir ses fenetres : "Mon ami," dit-il a Cabanis, " je mour- rai aujourd'hui ; il ne reste plus qu'a s'envelopper de parfums, qu'a se couronner de fleurs, qu'a s'environner de musique, afin d'entrer paisiblement dans le sommeil eternel." Des douleurs poignantes interrompaient de temps en temps ces discours si nobles et si calmes. *' Vous aviez promis," dit-il a ses amis, " de m'epargner des souffrances inutiles." En disant ces mots, il demande de 1' opium avec instance. Comme on le lui refusait, il I'exige avec sa violence accoutumee. Pour le satisfaire, on le trompe, et on lui presente une coupe, en lui persuadant qu'elle contenait de I'opium. II la saisit avec calme, avale le breuvage qu'il croyait mortel, et parait satisfait, Un instant apres, il expire. C'etait le 2 Avril 179L Cette nouvelle se repand aussitot a la cour, a la ville, a I'assembiee. Tous les partis esperaient en lui, et tous, excepte les envieux, sont frappes de douleur. L'assemblee interrompt ses travaux; un deuil general est ordonne ; des funerailles magnifiques sont preparees. On demande quelques deputes : "Nous irons tous! s'ecrient-ils." L'eglise de Sainte-Genevieve est erigee en Pantheon, avec cette inscription : AUX GRANDS HOMMES LA PATRIE RECONNAISSANTE. Descartes^ Bacon, Leibnitz et Newton, Si on cherche les grands liommes modemes avec qui on pent comparer Descartes, on en trouvera trois ; Bacon, Leibnitz et Newton. Bacon parcourut toute la surface des connaissances NARRATIONS HISTORIUUES. 93 htimaines; il jugea les siecles passes, et alia au-devant des siecles a venir : mais il indiqua plus de grandes choses qu'il n'en executa ; il construisit Techafaud d'un edifice immense, et laissa a d'autres le soin de construire 1' edifice. Leibnitz fut tout ce qu'il voulut etre ; il porta dans la philoso- phie une grande hauteur d'intelligence, mais il ne traita la science de la nature que par lambeaux ; et ses systemes meta- physiques semblent plus faits pour etonner et accabler I'homme que pour I'eclairer. Newton a cree une optique nouvelle, et demontre les rapports de la gravitation dans les cieux. Je ne pretends point ici dimi- nuer la gloire de ce grand tionune ; mais je re marque seulement tous les secours qu'il a eus pour ces grandes decouvertes. Je vols que* Galilee lui avait donne la theorie de la pesanteur; Kepler, les lois des astres dans leurs revolutions ; Huyghens, la combinaison et les rapports des forces centrales et des forces centrifuges ; Bacon, le grand principe de remonter des pheno- menes vers les causes ; Descartes, sa methode pour le raisonne- ment, son analyse pour la geometrie, une foule innombrable de connaissances pour la physique, et plus que tout cela peut-etre, la destruction de tous les prejuges. La gloire de Newton a done ete de profiter de tous ces avantages, de rassembler toutes ces forces etrangeres, d'y joindre les siennes propres qui etaient immenses, et de les enchainer toutes par les calculs d'une geo- metrie aussi sublime que profonde. Si maintenant je rapproche Descartes de ces hommes cele- bres, j'oserai dire qu'il avait des vues aussi nouvelles et bien plus etendues que Bacon ; qu'il a eu I'eclat et I'immensite du genie de Leibnitz, mais bien plus de consistance et de realite dans sa grandeur; qu'enfin il a merite d'etre mis a cote de Newton, et qu'il n'a ete cree que par lui-meme, parce que si I'un a decouvert plus de verites, Tautre a ouvert la route de toutes Les verites ; geometre aussi sublime, quoiqu'il n'ait point fait un aussi grand usage de la geometrie ; plus original par son 94 NARRATIONS HISTORIQUES. genie, quoique ce genie I'ait souvent trompe ; plus universe! dans ses connaissances comme dans ses talents, quoique moins sage et moins assure dans sa marche ; ayant peut-etre en eten- due ce que Newton avait en profondeur ; fait pour concevoir en grand, mais peu fait pour suivre les details, tandis que Newton donnait aux plus petits details I'empreinte du genie ; moins admirable sans doute, pour la connaissance des cieux, mais bien plus utile pour le genre humain, par sa grande influence sur les esprits et sur les siecles. Meurtre de Thomas Becket, Thomas Becket venait d'achever son repas du matin, et ses serviteurs etaient encore a table ; il salua les Normands a leur entree, et demanda le sujet de leur visite. Ceux-ci nelui firent aucune reponse intelligible, s'assirent, et le regarderent fixement pendant quelques minutes. Regnault, fils d'Ours, prit ensuite la parole : " Nous venons," dit-il, " de la part du roi, pour que les excommunies soient absous, que les eveques suspendus soient retablis, et que vous-meme donniez raison de vos desseins contre le roi." — " Ce n'est pas moi," repondit Thomas, " c'est le souve- rain pontife lui-meme qui a excommunie I'archeveque d'York, et qui seul par consequent a droit de I'absoudre. Quant aux autres, je les retablirai, s'ils veulent me faire leur soumission." — " Mais de qui done," demanda Regnault, " tenez-vous votre archeveche ? — Est-ce du roi, ou du pape ?" — " J'en tiens les droits spirituels de Dieu et du pape, et les droits temporels du roi." — " Gluoi ! ce n'est pas le roi qui vous a tout donne !" — "Aucunement," repondit Becket. Les Normands murmurerent a cette reponse, traiterent la distinction d'argutie, et firent des mouvements d'impatience, s'agitant sur leur siege et tordant leurs gants qu'ils tenaient a la main. " Vous me menacez, a ce que je crois," dit le primat, " mais c'est inutilement : quand toutes les epees de I'Angleterre seraient tirees contre ma tete, vous ne gagneriez rien sur moi." — "Aussi ferons-nous mieux NARRATIONS HISTORiaUES. 95 que menacer," repliqua le fils d'Ours, se levant tout-a-coup ; et les autres le suivirent vers la porte, en criant ; "Aux armes !" La porte de I'appartement fut fermee aussitot derriere eux ; Regnault s'arma dans I'avant-cour ; et, prenant une hache des mains du charpentier qui travaillait, il frappa contre la porte pour I'ouvrir ou la briser. Les gens de la maison, entendant les coups de hache, supplierent le primat de se refugier dans I'eglise, qui communiquait a son appartement par un cloitre ou une galerie ; il ne le voulut point ; et on allait Fentrainer de force, quand un des assistants fit remarquer que I'heure des vepjres avait sonne. "Puisque c'est I'heure de mon devoir, j'irai a Teglise," dit I'archeveque ; et, faisant porter sa croix devant lui, il traversa le cloitre a pas lents, puis marcha vers le grand autel, separe de la nef par une grille de fer entr'ouverte. A peine il avait les pieds sur les marches de I'autel, que Regnault, fils d'Ours, parut a 1' autre bout de Teghse, revetu de sa cotte de mailles, tenant a la main sa large epee a deux tranchants, et criant : " A moi ! a moi ! loyaux servants du roi." Les autres conjures le suivirent de pres, armes comme lui de la tete aux pieds, et brandissant leurs epees. Les gens qui etaient avec le primat voulurent alors former la grille du choeur ; lui- meme le leur defendit, et quitta I'autel pour les en empecher ; ils le conjurerent, avec de grandes instances, de se mettre en surete dans I'eghse souterraine, ou de monter I'escalier par lequel, a travers beaucoup de detours, on parvenait au faite de I'edifice. Ces deux conseils furent repousses aussi positive- ment que les premiers. Pendant ce temps, les hommes armes s'avan^aient ; une voix cria : — " Oii est le traitre ?" — Becket ne repondit rien. — " Ou est I'archeveque ?" — *' Le voici," repondit Becket ; " mais il n'y a pas de traitre ici. Glue venez-vous faire dans la maison de Dieu avec un pareil vetement ? quel est votre dessein ?" — " Glue tu meures." — " Je m'y resigne ; vous ne me verrez point fuir devant vos epees ; mais, au nom de Dieu tout- puissant, je vous defends de toucher a aucun de mes com- pagnons, clerc ou laic, grand ou petit. . ." Dans ce moment il 96 NARRATIONS HISTORICIUES, regut par derriere un coup de plat d'epee entre les epaules ; et celui qui le lui porta lui dit : " Fuis, ou tu es mort." II ne fit pas un mouvement ; les hommes d'armes entreprirent de le tirer hors de I'eglise, se faisant scrupule de I'y tuer. II se debattit contre eux, et declara fermement qu'il ne sortirait point, et les contraindrait a executor sur la place memo leurs intentions ou leurs ordres. Guillaume de Tracy leva son epee, et, d'un me me coup de re vers trancha la main d'un moine saxon appele Edward Gryn, et blessa Becket a la tete. Un second coup, porte par un autre Norman d, le ren versa la face contre terre ; un troisieme lui fendit le crane, et fut assene avec une telle vio- lence, que Tepee se brisa sur le pave. Un homme d'armes, appele Guillaume Mautrait, poussa du pied le cadavre im- mobile, en disant : " Glu'ainsi meure le traitre qui a trouble le royaume et fait insurger les Anglais." Emploi du Temps, Nous nous plaignons de la rapidite du temps, dit Seneque, et cependant nous en avons plus que nous ne savons en employer. Notre vie se passe a ne rien faire, ou a ne rien faire d'utile, ou a faire ce que nous ne devrions pas faire. Alfred-le-Grand, un des rois qui ont gouverne I'Angleterre avec le plus de sagesse, avait fixe pour chaque heure une occupation particuliere. II divisait les vingt-quatre heures du jour en trois parties, dont une etait remplie par le sommeil, les repas et I'exercice ; une autre etait consacree a lire, a ecrire, a prior ; et la troisieme, aux affaires de I'Etat. II disait souvent: " Le temps est trop precieux, pour I'user a des jeux d'enfant ; c'est une mine que chacun de nous est charge d'exploiter, et dont il doit rendre compte au grand proprietaire." Gassendi etait peut-etre I'homme le plus obstine a I'etude qui ait existe. II se levait ordinairement a trois heures du matin, lisait ou ecrivait jusqu'a onze, et recevait ses amis jusqu'a midi. Apres avoir pris un leger repas, ou il ne buvait NARRATIONS HISTORIQUES. 97 que de Teau, il revenait a ses livres a trois heures, et ne les quittait qu'a huit, pour manger quelques fruits. II se couchait invariablement a dix heures. II connaissait plusieurs langues, et savait par coeur les ouvrages des meilleurs poetes. II aurait pu reciter six mille vers, outre tout Lucrece, qui semble avoir ete son auteur favori. C'est ce savant homme qui a dit, qu'il en est de la memoire comme de toutes nos autres habitudes. Veut-on la fortifier et prevenir son affaiblissement, qu'on ap- prenne tous les jours une centaine de beaux vers. Get exercice amuse et nourrit I'esprit, eleve Tame a de nobles sentiments. Personne n'a jamais mieux senti que Frederic-le-Grand, tout le prix d'an grand talent. " Je renoncerais volontiers," ecrit-il a un ami, " a ce qui fait i'objet principal de la cupidite et de I'ambition des hommes ; mais je sais trop que si je n'etais pas prince, je serais bien peu de chose : votre merite vous suffit pour etre estime, pour etre envie, et pour vous attirer des admirateurs. Pour moi, il me faut des titres, des armoiries et des revenus, pour attirer sur moi les regards des hommes." Phne le jeune poursuivait T instruction jusqu'au milieu de ces amusements, dont I'activite semble faite pour troubler toute meditation. La lettre ou cet ecrivain charmant rend compte d'une de ses parties de chasse, est adressee a son ami Tacite. Nous la rapporterons tout entiere ; en retrancher une partie, ce serait briser un diamant. A. C. Tacite. " Vous allez rire, et je vous le permets : riez-en tant qu'il vous plaira. Ce Pline, que vous connaissez, a pris trois san- gliers, mais tres-grands. Gluoi ! lui-meme ? dites-vous. Lui- meme. N'allez pourtant pas croire qu'il en ait coute beaucoup a ma paresse. J'etais assis aupres des toiles. Je n'avais a cote de moi ni pieu ni dard, mais des tablettes et une plume, Je revais, j'ecrivais, et je me preparais la consolation de rap- porter mes feuilles, si je m'en retournais les mains vides. Ne 9 M NARRATIOlSrS HISTORiaUES, meprisez pas cette maniere d'etudier. Vous ne sauriez cmire combien le mouvement du corps donne de facilite a 1' esprit : sans compter que 1' ombre des forets, la solitude, et ce profond silence qu'exige la chasse, sont tres-propres a faire naitre d'heureuses pensees. Ainsi, croyez-moi, quand vous irez chasser, portez votre pannetiere et votre bouteille ; mais n'oubliez pas vos tablettes. Vous eprouverez que Minerve se plait autant sur les montagnes que Diane. Adieu." Que pourrait-on dire sur I'emploi du temps, que ne dise pas cette lettre ? Par cet exemple, Pline nous montre qu'il n'est point de lieu, point d'exercice, point d'occupation, ou Ton ne puisse cultiver son esprit. Scipion et Lelius. II ne fut peut-etre jamais de sentiments plus vifs et plus delicats que ceux qui unissaient Scipion et Lelius. Le courage et rhabilete du premier Font mis aurang des plus grands capitaines ; le second, par sa vertu et sa prudence, merita le surnom de Sage. Tous les deux, a peu pres du meme age, etaient encore plus rapproches par la conformite de leurs penchants ; bien- faisants, avides de connaissances, zeies pour le bien de la patrie. Si Scipion I'emportait par la gloire militaire, son ami avait peut-etre la superiorite de I'eloquence. Mais ecoutons Lelius parler lui-meme de cette noble amitie. " Pour moi, de tous les tdons de la nature ou de la fortune, il n'en est pas que je prise autant que Famitie de Scipion. Je trouvais dans nos sentiments la meme fa^on de penser sur les affaires publiques, un fonds inepuisable de conseils et de consolations dans la vie privee, une iranquillite et des delices qu'il serait impossible d'exprimer. Jamais je ne donnai a Scipion le moindre mecontentement, et jamais il ne lui echappa un mot desagreable pour moi. Nous n'avions qu'une meme depense, une meme frugalite. Dans les camps, en voyage, a la campagne, nous n'etions jamais sdpares. Je ne parle pas de nos etudes et de notre soin a NARRATIONS HiSTOPiaUES. IM apprendre toujours quelque chose, C'est a quoi nous employions nos heures de loisir, eloignes du commerce et du tumulte du monde, duel besoin pouvait avoir de moi le grand Scipion ? Aucun, assurement ; et j'etais aussi desinteresse a son egarde Mais ce qui m'attachait a lui, c'etait I'estime et Tadmiration que m'inspiraient ses vertus ; et sonamitie pour moi naissait de Tides favorable qu'il avait de mon caractere et de mes mosurs. Ces sentiments se fortifierent par Fhabitude,.. Je conviendrai meme qu'ils furent pour I'un et Fautre une source d'avantages sans nombre ; mais I'espoir de cette utilite n'entra pour rien dans le penchant qui d'abord nous attira i'un vers Fautre," Est-il quelque chose au-dessus d'une amitie si deHcate et si constante I Mais ce n'est pas dans Fame des ignorants, des orgueilleux^ des egoi'stes, ou des libertins, qu'on en trouvera des traces. L'homme, s'il n'a un ami, ne peut etre heureux. On ne goute bien un plaisir qu'en le communiquant : on n'adoucit ses peines qu'en les d^posant dans le sein de Famitie, Henri IV et Sully. L* EXEMPLE du bon Henri IV et de Sully nous prouve que k plus etroite intimite peut exister entre un roi et son sujet. Ce prince si aimable et si brave, voyant le due de Sully qui retour- nait a son chateau, apres une violente maiadie causee par ses blessures, alia droit a lui. "Mon ami," lui dit-il, " je suis bien aise de vous voir avec un meilleur visage, que je ne m'y atten- dais, et j'aurais une plus grande joie, si vous m'assuriez que vous ne courez point risque de la vie, ni meme d'etre estropie." Le due remercia le roi de ses bontes, et lui repondit qu'ils s'esti- mait heureux d'avoir souffert pour un si bon maitre, " Vaillant chevaHer," repliqua Henri, "j'avais eu toujours tres-bonne opinion de votre courage, et congu de bonnes esperances de votre vertu ; mais vos actions signalees et votre reponse modeste ont surpasse mon attente, et partant, en presence de ces princes, capitaines et grands chevaliers qui sont ici pres de moi, je vous 100 NARRATIONS HISTORiaUES. embrasse des deux bras. Adieu, mon ami ; portez-vous bien, et vous assurerez que vous avez un bon maitre." Tant de bontes penetraient Sully de la plus vive reconnais- sance. Get homme sage semblait n'avoir que deux passions, I'amour pour son roi et le bien de I'etat. Henri avait eu I'im- prudente faiblesse de faire une promesse de mariage a mademoi- selle d'Entragues,qui fut depuis appelee la marquise de Vemeuil; il montra cette promesse au due, et lui demanda son sentiment. Sully, outre de la trop grande facilite du roi, et ne doutant pas qu'on ne fit un jour un malheureux usage de cet ecrit, le de- chira. "Etes-vous fou. Sully?" dit le roi sans se mettre en colere. " Si je le suis," repartit avec liberte le favori, " votre majeste montre, par cet ecrit, qu'elle est encore plus foUe que moi. Je viens de faire le devoir d'un fidele serviteur, et vous, sire, vous voulez faire ce qui ne convient jamais a un grand roi." Le capitaine Suisse, Le 10 aout 1792, joumee gravee dans les fastes de I'histoire, en caract^res de sang, joumee oii la nation Suisse a donne les preuves les plus eclatantes de la fidelite avec laquelle elle sert les puissances auxquelles elle est attachee, le baron de D . . . ., capitaine des gardes-suisses, s'etait battu depuis sept heures du matin jusqu'a cinq heures du soir, et etait atteint de plusieurs coups de sabre. Accable de fatigue et de souffrances, craignant avec juste raison d'eprouver le sort de ses braves camarades, et voulant se derober a la fureur du peuple, il parvint a se cacher sur un arbre, dans le jardin des Tuileries, jusqu'a huit heures du soir : voyant alors plus de tranquillite dans la ville, et espe- rant se sauver a la faveur des tenebres, il prend le parti de descendre de cet arbre pour avoir dans la ville un asile ou ses jours puissent etre en surete. Passant par la place Vendome, il aper^oit un groupe de quelques hommes, et se cache dans la balustrade qui entourait la statue de Louis XIV II est aper^u NARRATIONS HISTORIdUES. 101 par le domestique d'un financier de la rue Vivienne, qui vient a lui en criant : " Q,ui va la ?" Le capitaine se nomme en disant : *' Mon ami, qui que tu sois, je mets mon sort entre tes mains ; iivre-moi a des bourreaux, fais de moi tout ce que tu voudrgis ; tu auras beau jeu, car je n'en peux plus de fatigue : je me suis battu depuis le matin jusqu'au soir ; je suis blesse en plusieurs endroits, et la vie m'est a charge." Le domestique voyant que ce brave homme peut courir des risques avec son uniforme, lui dit : " Capitaine, donnez-moi votre habit, et prenez le mien ; veuillez me suivre, et comptez sur moi." L'uniforme est aussi- tot enveloppe dans un mouchoir ; le domestique et le capitaine parviennent sans danger jusqu'a Fhotel du financier, ou le baron est cache pendant quinze jours dans la chambre de son bienfai- teur. Le financier ayant appris que son domestique cachait un Suisse, et craignant de voir sa fortune compromise, donna conge au protecteur et au protege, avec ordre de sortir sur-le-champ. Le brave domestique conduisit le soir son bote chez sa mere, qui vendait du charbon sur le quai de Gevres, et I'invita a prendre patience, dans cette modeste retraite, jusqu'a un moment plus heureux. Au bout de trois ou quatre jours, arrive une visite domiciliaire ; on n'a que le temps de cacher le capitaine sous une douzaine de sacs de charbon. La visite se fait scrupuleuse- ment ; les sacs sont sondes avec des piques de quatre pieds de long ; les visiteurs decampent, et le capitaine respire. Enfin, par intrigue ou par argent, le baron D. . . . obtient un passe-port sous un autre nom, et rejoint ses foyers dans le canton de Berne, ou il jouissait d'une fortune considerable. Aussitot arrive, la reconnaissance est le premier plaisir dont il aime a jouir. 11 envoie vingt mille livres a ses bienfaiteurs, avec I'invitation la plus pressante de venir le rejoindre en Suisse. Ces braves gens font leurs dispositions pour ce bienheureux voyage ; ils sont re^us par le baron avec les temoignages de la plus affectueuse sensibiHte, sur une terre rapportant cinq mille livres, dont il leur remet Facte de vente, et leur fait prendre possession sur-le- 9* 102 NARRATIONS HISTORIQUES. champ, avec les demonstrations de la plus touchante amitie, et en les invitant a se regarder mutuellement comme de veritables freres. Depuis cette epoque, ces deux families, parfaitement heureuses, jouissent de la tranquillite et du bonheur le plus par- fait. Leopold, due de Lorraine, Ce prince, un des plus petits souverains de I'Europe, a ete celui qui a fait le plus de bien a son peuple. U trouva la Lor- raine desolee et deserte ; il la repeupla et Fenrichit. II la con- serva toujours en paix, pendant que le reste de I'Europe etait ravage par la guerre. II eut la prudence d'etre toujours bien avec la France, et d'etre aime dans 1' empire, tenant heureuse- ment ce juste milieu, qu'un prince sans pouvoir n'a presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. II procura a ses peuples I'abondance qu'ils ne connaissaient plus. Sa no- blesse, reduite a la derniere misere, fut mise dans 1' opulence par ses seuls bienfaits. Voyait-il la maison d'un gentilhomme en ruine, il la faisait rebatir a ses depens : il payait leurs dettes et mariait leurs filles. II prodiguait des presents, avec cet art de donner qui est encore au-dessus des bienfaits. II mettait dans ses dons la magnificence d'un prince et la politesse d'un ami. Les arts, en honneur dans sa petite province, produisaient une circulation nouvelle qui fait la richesse des etats. Sa cour etait formee sur le modele de celle de France. On ne croyait presque pas avoir change de lieu quand on passait de Versailles a Luneville. A I'exemple de Louis XIV., il faisait fleurir les belles-lettres. II etablit dans Luneville une espece d'universite sans pedantisme, ou la jeune noblesse d'Al- lemagne venait se former. On y apprenait de veritables sciences, dans des e coles o\x la physique etait demontree aux yeux par des machines admirables. II chercha les talents jusque dans les boutiques et dans les forets, pour les mettre au jour et les encourager ; enfin, pendant tout son regne, il ne s'occupa que NARRATIONS HISTORIQUES. 108 du soin de procurer a sa nation de la tranquillite, des ricliesses, des connaissances et des plaisirs. " Je quitterais demain ma souverainete," disait-il, " si je ne pouvais faire du bien." Aussi gouta-t-il le bonheur d'etre aime, et, longtemps apr^s sa mort, ses sujets versaient des larmes en prononcant son nom. Le vicomte de Turenne etait d'une complexion tres-delicate dans son enfance, et sa constitution fut toujours faible jusqu'a Page de douze ans ; ce qui fit dire a son pere, qu'il ne serait jamais en etat de soutenir les travaux de la guerre. Le jeune heros, pour le forcer a penser differemment, prit, a Page de dix- huit ans, la resolution de passer une nuit sur le rempart de Sedan. Le chevalier Vassignac, son gouverneur, apres I'avoir longtemps cherche, le trouva sur Taffut d'un canon, ou il s'etait endormi. II s'attacha beaucoup a la lecture de Thistoire, et surtout a celle des grands hommes qui s'etaient distingues par les vertus et les talents militaires. II fut frappe du caractere d'Alexandre-le-Grand ; le genie de ce conquerant plut au jeune vicomte, que son ambition aurait peut-etre porte aux entreprises les plus eclatantes, s'il eut vecu dans ces temps on la valeur seule autorisait les hommes a troubler la paix de I'univers. 11 prenait plaisir a lire Quinte-Curce, et a raconter aux autres les faits heroiques qu'il avait lus. Pendant ces recits on voyait son genie s'animer, ses yeux etinceler, et alors son imagination echauffee forcait la difficulte natureUe qu'il avait a parler. Un ofScier s'avisa un jour de lui dire que I'histoire de Quinte- Curce n' etait qu'un roman ; le jeune prince en fut vivement pique. La duchesse de Bouillon, pour se divertir, fit signe a I'ofHcier de continuer a le contredire ; la dispute s'echauifa, le heros naissant se mit en colere, quitta brusquement la compagnie, et fit appeler secretement I'ofHcier en duel, qui accepta la propo- sition pour amuser la duchesse de Bouillon, charmee de voir dans sonfils des marques d'un courage precoce. Le lendemain, le vicomte sortait de la ville sous pretexte d'aller a la chasse ; etant arrive au Heu du rendez-vous, il y trouva une table dressee. Comme il revait a ce que signifiait cet appareil, la duchesse de 104 NARRATIONS HIST0RiaUE3. Bouillon parut avec Pofficier, et dit a son fils qu'elle venait servir de second a celui contre qui il voulait se battre. Les chasseurs se rassemblerent, on servit le dejeuner, la paix fut faite, et le duel se changea en partie de chasse. Louis XII, Sforce, Bayard, La mort de Charles VIII ayant place Louis XII sur le trone de France, ce prince tourna ses vues du cote du Milanais, sur lequel il avait des droits par son aieule Valentine, sosur unique du dernier due de Visconti. Avant de se mettre en campagne, il demanda a M. de Trivulce ce qu'il fallait pour faire la guerre avec succes. " Trois choses sont absolument necessaires," lui repondit le marechal : " lo de Fargent ; 2° de I'argent ; 3o de Pargent." La conquete du duche de Milan est I'ouvrage de vingt jours. Mais Ludovic Sforce y rentre I'annee suivante, par la faute du marechal de Trivulce, qui commande. Dans la guerre que cette revolution occasione, le chevalier Bayard est fait prison- nier. Ludovic Sforce, qui avait vu des fenetres de son palais, les actions de ce brave Fran^ais, demande a I'entretenir, et veut connaitre son caractere. " Mon gentilhomme," lui dit le due, " qui vous a conduit ici?" — " L'envie de vaincre, monseigneur," repond Bayard. — " Et pen- sez vous prendre Milan vous seul?" — "Non," repart le cheva- lier ; " mais je croyais etre suivi de mes camarades." — " Eux et vous," ajoute Ludovic, " n'auriez pu executer ce dessein." — "Enfin," dit Bayard, "qui ne peut disconvenir de sa temerite, ils ont ete plus sages que moi ; ils sont lib res, et me voici prisonnier ; mais je le suis de I'homme du monde le plus brave et le plus genereux." Le prince lui demande ensuite, d'un air de mepris, quelle est la force de I'armee franeaise. " Pour nous," dit Bayard, " nous ne comptons jamais nos ennemis ; ce que je puis assurer, c'est NARRATIONS HISTORiaUES. 105 que les soldats de mon maitre sont gens d'elite, devant lesquels les votres ne tiendront pas." Ludovic, pique d'une franchise si hardie, lui dit que les effets donneront une autre opinion de ses troupes, et qu'une bataille decidera bientot de son droit et de leur courage. " Plut a Dieu," s' eerie Bayard, " que ce fut demain, pourvu que je fusse libre !" "Vous Fetes," repart le due; "j'aime votre fermete et votre courage, et j'ofFre d'ajouter a ce premier bienfait tout ce que vous voudrez exiger de moi." Bayard, penetre de tant de bonte, se jette aux genoux du prince, le prie de pardonner en faveur de son devoir ce qu'il y a de hardi dans ses reponses, demande son cheval et ses armesi» et retourne au camp publier la generosite de Ludovic, et s??^ reconnaissance. Stratageme de Christophe Colomb. Christophe Colomb fait, en 1504, une descente a la Jamai- que, oil il veut former un etablissement. Les insulaires s'eloignent du rivage, et laissent manquer les Castillans de vivres. Un stratageme singulier est mis en usage dans cette occasion pressante. II devait y avoir bientot une eclipse de lune. Colomb fait avertir les cbefs des peuplades voisines, qu'il a des choses tres- importantes a leur communiquer. Apres leur avoir fait des reproches tres-vifs sur leur durete, il ajoute d'un ton assure : " Vous en serez bientot rudement punis : le Dieu puissant des Espagnols, que j' adore, va vous frapper de ses plus terribles coups. Pour preuve de ce que je vous dis, vous allez voir, des ce soir, la lune rougir, puis s'obscurcir et vous refuser sa lumiere. Ce ne sera la que le prelude de vos malheurs, si vous ne profitez de I'avis que je vous donne. L'eclipse commence en effet quelques heures apr^s. La desolation est extreme parmi les sauvages. lis se prosternent aux pieds de Colomb, et jurent qu'ils ne le laisseront plus 106 NARKATIONS HISTORICIUES. manquer de rien. Get homme habile se laisse toucher, s'en= ferme comme pour apaiser la colere celeste, se montre quelques instants apres, annonce que Dieu est apaise, et que la lune va reparaitre. Les barbares demeurent persuades que cet etranger dispose a son gre de toute la nature, et ne lui laissent pas dans la suite le temps de desirer. Charlemagne, Charles I^"^ dit Charlemagne ou Charles-le-Grand, roi de France et empereur d'occident, second ills de Pepin-le-Bref, merita le titre de Grand non seulement par ses conquetes, mais aussi par ses sages institutions. II fut le restaurateur des lettres ; il attira en France par ses liberalites les savants les plus distingues de 1' Europe. II fonda dans son palais meme la premiere academic qu'on eut vue dans les Gaules : il s'honorait d'en etre membre. II etablit des ecoles ou Ton enseignait la grammaire, Tarithmetique, la theologie et les humanites. C'est a Charlemagne que la France dut ses premiers progres dans la marine ; il fit creuser plusieurs ports. II favorisa aussi I'agri- culture et s'immortalisa par la sagesse de ses lois. On lui doit le code connu sous le nom de Capitulaires, qu'il fit promulguer en 805. Charlemagne mit un tel temperament dans les ordres de I'etat, qu'ils furent contre-balances, et qu'il resta le maitre. Tout fut uni par la force de son genie. L'empire se maintint par la grandeur du chef; le prince etait grand, I'homme I'etait davantage. II fit d'admirables reglements ; il fit plus, il les fit executor. On voit, dans les lois de ce prince, un esprit de prevoyance qui comprend tout, et une certaine force qui en- traine tout : les pretextes pour eluder les devoirs sont otes, les neghgences corrigees, les abus reformes ou prevenus ; il savait punir, il savait encore mieux pardonner. Vaste dans ses desseins, simple dans I'execution, personne n'eut a un plus haut d£ pagne de 1793, vos victoires actuelles en presagent une plus belle encore. Les deux armees qui, naguere, vous attaquaient avec audace, fuient epouvantees devant vous ; les hommes per- vers qui riaient de votre misere, et se rejouissaient dans leur pensee des triomphes de vos eimemis, sont confondus et trem- blants. Mais, soldats, vous n'avez rien fait, puisqu'il vous reste a faire. Ni Turin, ni Milan ne sont a vous : les cendres des vainqueurs de Tarquin sont encore foulees par les assassins de BasseviUe ! On dit qu'il en est parmi vous dont le courage mollit, qui prefereraient retourner sur les sommets de TApennin et des Alpes ? Non, je ne puis le croire. Les vainqueurs de' Montenotte, de Millesimo, de Dego, de Mondovi, bruient de porter au loin la gloire du peuple fran^ais." Gluand ces nouvelles, ces drapeaux, ces proclamations, arri- verent coup sur coup a Paris, la joie fut extreme. Le premier jour, c'etait une victoire qui ouvrait I'Apennin, et donnait deux miile prisonniers ; le second jour, c'etait ime victoire plus de- cisive qui separait les Piemontais des Autrichiens, et donnait six miile prisormiers. Les jours suivants apportaient de nouveaux succes : la destruction de I'armee piemontaise a Mondovi, la soumission du Piemont a Cherasco, et la certitude d'une paix prochaine qui en presageait d'autres. La rapidite des succes, ie nombre des prisonniers, depassaient tout ce qu'on avait encore 184 NARKATIONS HISliORIQUES. vu. Le langage de ces proclamations rappelait I'antiquite, et etonnait les esprits. On se demandait de toutes parts quel etait ce jeune general dont le nom, connu de quelques appreciate urs, et inconnu de la France, eclatait pour la premiere fois. On ne le pronon^ait pas bien encore, et on se disait avec joie que la republique voyait s'elever tons les jours de nouveaux talents pour I'illustrer et la defendre. Les conseils deciderent par trois fois que I'armee d'ltalie avait bien merite de la patrie, et decre- terent une fete a la Victoire, pour celebrer I'heureux debut de la campagne. L'aide de camp envoye par Bonaparte presenta les drapeaux au directoire. La ceremonie fut imposante. On re9Ut ce jour-la plusieurs ambassadeurs etrangers, et le gouvernement parut entoure d'une consideration toute nouvelle. Bonaparte et Pretres francais bannis. Bonaparte avant de quitter Tolentino, fit un acte assez re- marquable, et qui deja prouvait sa politique personnelle. L'ltalie et particulierement les Etats du pape regorgeaient de pretres frangais bannis. Ces malheureux, retires dans les convents, n'jr etaient pas toujours re^us avec beaucoup de charite. Les arretes du directoire leur interdisaient les pays occupes par nos •armees, et les moines italiens n'etaient pas faches d'en etre delivres par I'approche de nos troupes. Ces infortunes etaient reduits au desespoir. Eloignes depuis longtemps de leur patrie, exposes a tons les dedains de I'etranger, ils pleuraient en voyant nos soldats ; ils en reconnurent meme quelques-uns, dont ils avaient ete cures dans les villages de France. Bonaparte etait facile a emouvoir ; d'ailleurs il tenait a se montrer exempt de toute espece de prejuges re volutionn aires ou religieux : il ordonna, par un arrete, a tons les convents du Saint-Siege de recevoir les pretres francais, de les nourrir, et de leur donner une paye. II ameliora ainsi leur etat, loin de les mettre en fuite. II ecrivit au directoire les motifs qu'il avait eus en com- mettant cette infraction a ses arretes. " En faisant," dit-il, " des NARRATIONS HISTORIQUES. 185 battues continuelles de ces malheureux, on les oblige a rentrer chez eux. II vaut mieux qu'ils soient en Italie qu'en France ; ils nous y seront utiles. lis sont moins fanatiques que les pretres italiens, ils eclaireront le peuple qu'on excite centre nous. D'ailleurs," ajoutait-il, " ils pleurent en nous voyant ; comment n' avoir pas pitie de leur infortune ?" Le directoire approuva sa conduite. Get acte et sa lettre publics produisirent une sensa- tion tres-grande. Des Pontifes. Un Pontife etait, chez les Remains, une personne sacree, qui avait juridiction et autorite sur les choses de la religion. II y avait a Rome de grands et de petits Pontifes, qui avaient pour chef le 50uverain Pontife, Pontifex maximus, lequel etait tou- jours choisi parmi les Pontifes, et elu dans les cornices par tribus; ce qui s'observa jusqu'au temps des Empereurs qui, pour s'attirer plus de veneration, voulurent tous etre revetus de cette dignite. Les Pontifes jouissaient d'une telle consideration, qu'ils avaient le pas sur tous les autres magistrats, et qu'ils ne ren- daient compte de leurs actions a personne : ils etaient juges de tous les differends qui regardaient la religion : ils en expliquaient les mysteres, et en reglaient toutes les ceremonies. Le premier jour de chaque mois, ils avertissaient le peuple du jour auquel les nones arrivaient, et de ce qu'il y avait a faire pendant le cours du mois, tant pour les sacrifices et les fetes, que pour les foires. lis avaient inspection et autorite sur tous les pretres et sur tous les officiers qui servaient aux sacrifices et au culte des Dieux, au point qu'ils leur infligeaient des punitions, quand ils negligeaient leurs devoirs ou qu'ils commettaient des fautes. En un mot, les Pontifes avaient I'intendance des choses sacrees, la direction des sacrifices et le soin du culte religieux. Ce fut Numa qui institua les Pontifes. L'empereur Auguste permit pendant quelque temps aux Pontifes de recevoir dans 16* 186 ^^\KIlATioi^:^ historiuijes. leur college ceux qu'ils en jugeaient dignes ; mais il se reserva le pouvoir de choisir et de nommer les grands Pontifes, ainsi que tous les autres ministres de la religion. Jules-Cesar, Auguste et tous les Empereurs prirent la qualite de souverains Pontifes. Constantin, Constance, Valentinien, et Valens, quoiqu'ils fussent Chretiens, soufFrirent qu'on leur donnat cette qualite. Mais I'empereur Gratien defend it expressernent par un edit, qu'on lui donnat le titre de souverain Pontife ; et Theodose, son successeur, fit confisquer tous les revenus des Pontifes, et il abolit entierement leur college, et tous les pretres de I'ancienne superstition. Depuis ce temps-la, le nom de Pontife ne fut donne qu'aux eveques, et il n'y eut plus que les papes qui furent appeles souverains Pontifes. Un des soins principaux du souverain Pontife, chez les Romains, etait de conserver les annales et de regler I'annee. C etait lui qui recevait les Vestales, les jugeait, et presidait a leurs sacrifices. II dictait tou jours la formule dans les actes publics ; il devait etre present aux adoptions, et prendre connaissance de certaines causes qui regardaient le mariage ; il presidait aux assemblees des autres pretres, et c' etait lui qui les initiait ; enfin il avait une puissance souveraine sur tout ce qui concernait la religion qu'il avait soin d'expliquer. Des Augures, La dignite d'Augure etait une des plus importantes fonctions de la Republique Romaine. L'emploi des Augures ne consis- tait pas seulement a ecouter le chant des oiseaux, ou a considerer leur maniere de boire et de manger, comme le ferait croire I'etymologie de ce mot ; ils tiraient encore des presages de diverses considerations qu'il n'est pas inutile de rapporter : lode I'indifierence o\\ de I'avidite avec laquelle les poulets sacres: recevaient les mets qu'on leur presentait; 2o du vol et du gazouillement des oiseaux ; 3o des phenomenes des cieux, tels que le tonnerre, les eclairs, les eclipses, les cometes, etc. ; 4o de NARRATIONS HISTORiaUES. 187 I'apparition subite d'un quadrupede dans un lieu qui n'etait pas destine aux animaux ; 5o d'evenements fortuits qu'ils appelaient dira^ tels que la chute d'une saliere, un bruit etrange, un heurt inattendu, le cri d'une chouette, un eternuement, la rencontre d'un loup, d'une belette, d'un serpent, d'un lievre, d'un re- nard, etc. On fit, a Rome, une science du presage qu'il fallait tirer de ces evenements fortuits ou tres-naturels : mais il est constant que cette science avait ete connue des Chaldeens et des Grecs, quoique les Toscans pretendissent en etre les inventeurs, parce qu'ils I'avaient beaucoup perfectionnee. Get art consistait done a distinguer ce qui etait presage de ce qui ne 1' etait pas ; a etablir une difference entre les bons pre- sages et les mauvais ; a interpreter toute sorte de songes, d'oracles, de prodiges, et autres choses semblables ; a declarer s'ils pronostiquaient du bien ou du mal ; et quel bien ou quel mal ils signifiaient ; mais, comme c'eut ete peu que de decou- vrir et de predire le mal, sans en indiquer le remede, cette science n'en demeurait point a la simple speculation ; elle enseignait aussi a eluder ou a expier les presages qu'elle de- clarait mauvais, et a eviter les maux presages, en detournant la colere des Cieux, ou en I'appaisant par des sacrifices, des pro- cessions, ou d 'autres ceremonies religieuses, dont les Augures reglaient le temps, le lieu, la duree, faisant connaitre les per- sonnes qui devaient y assister, et generalement toutes les cir- constances necessaires pour faire une expiation bonne, sainte et parfaite. On ne consultait pas seulement les Augures sur tout ce qui arrivait, mais meme on n'entreprenait rien sans les consulter. II ne se tenait point d'assemblee publique, on n'elisait point de magistrat, on ne faisait aucune loi, on ne partait pour quelque expedition que ce fut, sans demander auparavant aux Augures s'il fallait le faire ; et quand ils repondaient que non, tout etait differe ou rojqppu, et personne n'aurait ose passer outre contre leur sentiment : ce qui prouve que les Augures etaient a Rome 188 NARRATIONS HISTORIUUES. maitres de tout ; ils etaient comme des directeurs publics aux- quels on avait recours dans les moindres circonstances, aussi bien que dans les affaires les plus difficiles, pour savoir ce qu'on devait en penser, et ce qu'on avait a faire. La dignite d'Augure ne se perdait que par la mort naturelle, au lieu que toutes les autres dignites se perdaient par la mort civile ; car des qu'on etait condamne pour crime, on etait cense degrade, et la place vacante etait aussitot donnee a un autre. II n'en etait pas ainsi des Augures ; on ne pouvait ni leur faire leur proces, ni les priver de leur charge : en effet, comme on les engageait, en les recevant dans le college des Augures, par les serments les plus solennels, a ne communiquer leur science a personne, et a en faire mystere toute leur vie, on avait tout lieu de craindre que, s'ils venaient a perdre leur dignite, ils ne se crussent delivres de leurs serments, et ne revelassent bien des secrets. C'est pourquoi, de toutes les dignites a vie, celle d'Au- gure etait la plus considerable, et avec raison, puisque ceux qui en etaient revetus avaient un empire presque absolu sur les coeurs. Les Augures s'assemblaient une fois par mois pour conferer entre eux sur ce qui regardait leurs fonctions : voici de quelle maniere ils prenaient les augures. Apres avoir offert les sacri- fices destines a cette ceremonie, le sacrificateur montait sur le haut du Capitole, ou du mont Tarpeien ; la, il partageait le ciel en quatre regions, avec un baton en forme de crosse, nomme lituiis ; il se couvrait ensuite la tete, se tournant vers 1' Orient; et alors il observait les choses qui paraissaient dans les espaces qu'il avait designes, et par-la il jugeait du succes de I'affaire qu'on lui avait proposee. II est done vrai de dire qu'on ne faisait rien de considerable, rien d' important a Rome, sans avoir auparavant consulte les Augures. L'election meme des magis- trats n'etait pas legitime, et ils etaient obliges de quitter leur charge, quand on n'avait pas observe toutes les ceremonies pre- scrites par les lois, et que les Augures ne les avaient pas consa- cres et confirmes dans leur emploi. Le college des Augures subsista jusqu'au temps de Theodose NAilRATIOlNS HISTORiaUES. 189 le jeune ; ce fut Pempereur Constance qui, regardant ies Au- gures comme de vrais imposteurs, defendit qu'on Ies consultat a Pavenir. Des Aruspices, Le mot Amspice vient de haruga, entr allies^ et spicere, re- garder, considerer, Les Araspices furent institaes par Romu- lus ; ils etaient specialement charges d' examiner les entrailles des victimes, afin d'en tirer des presages. lis examinaient 1° les victimes, avant qu'on les ouvrit ; 2° les entrailles apres I'ouver- ture ; 3*^ la fiamme qui s'elevait des chairs brulees ; 4° la farine, I'encens, le vin et Teau qui servaient aux sacrifices. lis devaient observer d'abord si la victime etait trainee par force a I'autel, si elle cherchait a s'echapper de la main du conducteur, si elle eludait le coup, si elle mugissait et bondissait en tombant, si son agonie etait lente et douloureuse ; tous pronostics sinistres, comme les pronostics opposes etaient favorables. Apres I'ouver- ture de la victime, ils examinaient la couleur des parties inte- rieures : un double foie, un coeur maigre ou petit etaient des presages malheureux ; mais le plus funeste de tous etait quand le coeur venait a manquer. Les entrailles tombaient-elles de la main du pretre, etaient-elles pales et livides, ou plus sanguino- lentes qu'a 1' ordinaire, ces signes annon^aient des desastres imminents et une mine prochaine. Gluant a la flamme, il fallait, pour que I'augure fut heureux, qu'elle s'elevat avec force, en forme pyramidale, et qu'elle consumat promptement la victime ; qu'elle fut claire, transparente, silencieuse et sans m^elange de fumee. Elle presageait, au contraire, les plus grands malheurs, quand elle s'allumait difficilement, quand, au lieu de s'elever perpendiculairement, elle decrivait des lignes courbes, et quand, au heu de saisir la victime, elle ne I'atteignait que par degres ; quand elle etait dispersee par le vent, ou eteinte par une pluie soudaine ; quand en fin elle laissait quelque partie de la victime sans la consumer. Pour I'encens, le vin, I'eau et la farine, le 190 NAKKATIONS HISTORiaUES. devoir des Aruspices etait d' observer si tous ces objets avaient le gout, la couleur et I'odeur requis. Les peuples d'Etrurie ou de Toscane etaient les plus savants Aruspices ; c'etait de leur pays, que les Romains tiraient ceux dont ils se servaient. lis envoyaient meme, chaque annee en Etrurie, des jeunes-gens pour les faire instruire dans cette science tellement ridicule, que Caton avait coutume de dire qu'il ne concevait pas comment des Augures et des Aruspices ,pouvaient se rencontrer et se regarder sans rire. Annibal, de son cote, se moquait avec raison du roi Prusias de ce qu'il etait plus soigneux de consulter les entrailles d'un veau, que les plus habiles capitaines de son empire. Newton et Laplace. Newton (Isaac), illustre savant anglais, ne en 1642 a la terre de Woolstrop, pres de Grantham (comte de Lincoln), s'est place a la fois au premier rang des mathematiciens, des physiciens et des astronomes. II montra de bonne heure une etonnante ap- plication a r etude et un gout prononce pour la mecanique et les mathematiques. Descartes et Kepler furent les auteurs ou il en puisa la premiere connaissance. Sa mere le destinait a exploiter ses proprietes ; mais reconnaissant qu'il etait peu propre a cet emploi, elle le laissa Hbre de suivre son penchant. II fut envoye en 1660 a I'universite de Cambridge, et eut pour professeur de mathematiques le docteur Barrov^. II ne tarda pas a surpasser son maitre, et fit avant 23 ans ses plus grandes decouvertes en mathematiques. En 1665, il quitta Cambridge pour fuir la peste, et se retira a Woolstrop : c'est la que, voyant une pomme tomber devant lui, il con^ut, a I'occasion de ce fait si vulgaire, la premiere idee de la gravitation universelle et du systeme du monde. II fut nomme en 1667 associe du college de la Trinite, a Cambridge, remplaga en 1669 le professeur Barrow, et fit un cours d'optique dans lequel il exposait des idees entierement neuves sur cette science. En 1672, il fut admis a la Societe royale de Londres. Dans les annees qui suivirent, il com- NARRATIONS HISTORIQUES. 191 muniqua k cette Societe une partie de ses travaux ; mais les tracasseries qu'il eprouva, surtout de la part de son collegue Hooke, qui, jaloux de ses succes, lui disputait Thonneur de ses decouvertes, le determinerent pendant longtemps a garder le silence. En 1687, il fut charge par Tuniversite de Cambridge de defendre ses privileges, que le roi Jacques II voulait attaquer ; il reussit si bien dans cette mission, que Funiversite le choisit I'annee suivante pour la representer a la Chambre des Com- munes ; il fit partie du Parlement qui exclut Jacques II (1688), et fut elu de nouveau en 1701 ; mais il ne se fit nullement remarquer dans la carriere politique. II parait qu'en 1692 sa raison se troubla un instant, soit par suite d'un incendie qui devora une partie de ses papiers, soit par Teffet d'une grande contention d'esprit ; depuis cette epoque, il ne donna plus aucun travail original, et ne fit guere que publier les fruits de ses travaux anterieurs. En 1696, il fut charge de la refonte des monnaies : il eut d'abord le titre de garde, puis (1699) celui de directeur de la monnaie, place qui lui assura une existence honorable et independante. En 1699, 1'Academie des Sciences de Paris le nomma associe etranger ; la Societe royale le choisit en 1703 pour son president ; il garda ce titre jusqu'a sa mort. Ses dernieres annees furent troublees par une discussion fort vive qu'il eut a soutenir au sujet de la decouverte du calcul infinitesimal avec Leibnitz, qu'il accusait de plagiat: il fut reconnu que Newton avait droit a la priorite, ses premiers travaux datant de 1665, mais que Leibnitz avait fait de son cote la meme decouverte (1676). Newton mourut en 1727, age de 85 ans. Les principaux fondements de sa gloire sont : lo la decomposition de la lumiere et la decouverte des principales lois de I'optique ; 2o la connaissance de la gravitation universelle, propriete en vertu de laquelle tous les corps s'attirent en raison directe de leur masse, et en raison inverse du carre des dis- tances ; il expliqua a la fois, par cette loi unique, le mouvement ties planetes autour du soleii, celui de la lune autour de la terre, le cours des cometes, le flux et le reflux de la mer. On lui doit 192 KARRATIONS HISTORIQUES. en outre une foule de solutions particuKeres et de theories mathematiques aussi remarquables par T elegance que par la rigueur. Newton etait d'une patience infatigable au travail : on iui demandait comment il avait fait ses grandes decouvertes ; ii repondit : " En y pensant toujours." " Ce grand homme," dit Voltaire, " n'entendait jamais pro- noncer le nom de Dieu sans faire une inclination profonde, qui marquait et son respect et son admiration pour les oeuvres du Createur." Le meme ecrivain a dit encore dans un mouvement d'enthousiasme : " C'est le plus grand genie qui ait existe. Quand tous les genies de I'univers seraient arranges, il con- duirait la bande." Newton posseda jusqu'a I'age de 85 ans une sante toujours egale. II mourut le 20 mars 1727. Des que la cour de Londres eut appris sa mort, elle ordonna que son corps, apres avoir ete expose sur un lit de parade, comme les personnes du plus haut rang, fut ensuite transporte dans I'abbaye de West- minster. Le poele du cercueil fut soutenu par le grand-chance- lier et par trois pairs d'Angleterre. On Iui eleva un tombeau magnifique, sur lequel est gravee I'epitaphe la plus honorable. Elle finit ainsi : " Glue les mortels se felicitent de ce qu'un d'entre eux a tant fait honneur a rhumanite." II ne se maria point. Le calme de sa vie ne fut jamais trouble par aucun orage Ktteraire. Le celebre Pope Iui fit aussi une epitaphe en vers anglais, que Dorat a traduite ainsi : L'epaisse nuit regnait sur le monde encor brut, Dieu dit : Que Newton soit.... Soudain le jour parut ; Pour second createur tout I'univers le nomme, Interrogez le ciel, la nature, le temps ; C'est un dieu, diront-ils, il ne craint rien des ans.. Helas ! ce marbre seul atteste qu'il fut homme. Newton ne cherchait pas la gloire. " Je me reprocherais," disait-il, "mon imprudence, de perdre une chose aussi reelle que le repos, pour courir apres une ombre. II ne cherchait point a faire la cour aux rois et aux grands. Un jour qu'il donnait a diner a quelques philosophes, on voulut suivre I'usage NARRATIONS KISTORiaUES. 193 d'Angleterre, de boire a la fin du repas a la sante des princes. Newton dit : " Buvons a la sante de tous les honnetes gens, de quelque pays qu'ils soient. lis sont ordinairement tous amis, parce qu'ils tendent tous au seul but digne de I'liomme, la con- naissance de la verite." L'abondance ou il se trouvait par son patrimoine, par son emploi, par ses epargnes, ne lui donnait pas inutilement les moyens de faire du bien. II ne croyait pas que, laisser par testament, ce fut veritablement donner. Ce fut de son vivant qu'il fit ses liberalites. Gluand la bienseance exigeait quelque depense d'eclat, il elait magnifique sans regret; hors de la, le faste etait retranche, et les fonds reserves pour des usages utiles ou pour les besoins des malheureux. Cluoiqu'il fut attache sincerement a I'Eglise anglicane, il n'eut pas persecute les non- conformistes pour les y ramener. II jugeait les hommes par les m(surs, et les vrais non-conformistes etaient pour lui les vicieux et les mediants. Ce n'est pas cependant qu'il s'en tint a la reli- gion naturelle. II etait fermement persuade de la revelation. Une preuve de sa bonne foi, c'est qu'il a commente VA'poca- lypse. On a dit que Newton, dans sa vieillesse, n'entendait plus ses propres ouvrages. Pemberton assure expressement le con= traire. Sa tete ne s'afTaiblit que trois mois avant sa mort. Le marquis de Laplace, profond geometre frangais, ne en 1749, mort en 1827, eut la gloire de completer I'oeuvre de New- ton en levant les difiicultes que presentait encore 1' explication du systeme du monde par la gravitation universelle ; en outre, il popularisa ce systeme par des ecrits aussi elegants que profonds, et merita comme ecrivain d'etre admis a I'Academie frangaise. Madame de StaeL Anne-Louise-Germaine Necker, baronne de Stael-Holstein, nee a Paris en 1766, etait fille de Necker, et conserva toujours pour son pere un amour et une admiration qui allaient jusqu'a I'idolatrie. Elle epousa, en 1786, le baron de Stael-Holstein, ambassadeur de Suede en France (qui resida k Paris jusqu'en 17 194 NAKKATIONS HISTORiatJES; 1799, et mourut en 1802). Lors de la Mevolutian, elfe redigea nn plan d'evasion pour Louis XYI pen avant ie 10 aout 1792^ et ne craignit pas d'adresser au gouvernement revolutionnaire line defense de la reine. Sous le Directoire, elle exerca par ses salons une grande influence, se declara contre le club de Clichy qui voulait renverser ie Directoire, et fit rentier Talleyrand aux affaires (1796)* Sous Bonaparte, son credit baissa ; elle fit de I'opposition, et fut exilee a 40 lieues de Paris (1802), Elle quitta la France, se rendit a Weimar, ou elle etudia la littera- ture allemande avec Goethe, Wieland et Schiller, passa un an (1805) a Geneve et dans sa terre de Coppet (canton de Vaud)^ puis revint en France, ou sa presence fut toleree ; mais elle deplut encore a la police imperiale par les allusions dont four- millait son Jlllemagne^ alors sous presse ; toute T edition fut saisie et mise au pilon, et ii fut enjoint a M"^^ de Stael de ne plus s'ecarter de Coppet. Elle s'evada, en 1812, de ce sejour devenii pour elle une prison, habita successivement Yienne^ Moscou, Saint-Petersbourg, la Suede, enfin Londres, et ne revint a Paris qu'apres la chute definitive de Napoleon, en 1815. Elle obtint de Louis XYIII 2,000,000 de francs, a titre de restitution des sommes dues a son pere. Deux ans apres, au retour d'uii voyage en Italic, elle mourut a Paris (14 juiilet 1817). Elle s'etait remariee vers 1812, mais secretement, avec un jeune officier, M. de Rocca. M"^^ de Stael est la plus celebre des femmes auteurs ; elle parlait encore mieux qu'elle n'ecrivait ; son salon etait rempli des hommes les plus illustres dans les lettres, les arts, les sciences, I'industrie et la politique ; elle em- brassait tons les genres de questions et les traitait avec superio- irite. Elle a beaucoup contribue a Tintroduction des nouvelles iidees litteraires en France. Dans ses ouvrages, on trouve une hauteur de genie et une profondeur bien rares dans son sexe, une erudition variee, unies a une extreme finesse et a une grande connaissance du monde. Ses opinions et son caractere semblent traces dans ce peu de NAKKATIONS HISTORlCiUES. i9& mots qu^elle dit a M. de Chateaubriand : "J'ai ete toujours la meme, vive et triste; j'ai aime. Dieu, mon pere et la liberte/^ Dans une autre occasion, discutant sur Ja traite des negres avec line dame, celle-ci iui dit : "Eh quoil madame, vous vous interessez done beaucoup au comte de Limonade et au marquis de Marmelade ?'' — "Pourquoi pas autant qu'aii due de Bouil- lon ?" Iui rep Jeanne voyait de sa maison ce bois mysterieux, ou se trouvait une source pure, pres de laquelle s'elevait un hetre majestueux, et les vieillards assuraient que souvent on avait entendu les fees chantant le soir sous son epais ombrage. La source qui I'ar- rosait etait regardee comme sacree, et de loin les malades y accouraient dans Fespoir de recouvrer la sante. NARRATIONS HISTORIQUES. 235 Des Page de treize ans, I'active imagination de Jeanne la jeta dans des extases pendant lesquelles, la nuit, elle entendait, dans le jardin de son pere, une voix qui lui parlait et paraissait venir du cote de I'eglise. Elle dit que c'etait Parchange Michel qui lui etait apparu. Ses extases etant devenues de plus en plus frequentes, elle assura qu'elle avait vu I'ange Gabriel, mais plus souvent sainte Catherine et sainte Marguerite, qui I'appelaient pres de I'arbre des fees. Jeanne entendait partout les Lorrains et les Fran^ais se plain- dre des brigandages commis par les Anglais, de 1' oppression du peuple, des infortunes du roi de France, et de I'usurpation de son trone, occupe par un prince etranger. La jeune vierge, emue par ces recits, qui touchaient, agitaient et indignaient son ame ardente, raconta bientot que les voix celestes qui interrompaient son sommeil, lui ordonnaient de s'armer, de se rendre en France, de faire lever le siege d'Or- leans, et d'annoncer, avant tout, sa mission au capitaine Baudri- cour, qui commandait a Vaucouleurs. Presque toute sa famille n'ajoutait aucune foi a ses visions. Un seul de ses parents, son oncle Bertrand Laxar, se laissa persuader par elle ; et, convaincu de la realite de ses inspira- tions, il en park au capitaine Baudricour. Celui-ci I'accueillit avec dedain ; il lui dit que sa niece etait une possedee ou une foUe, et qu'il lui conseillait^ dems le premier cas, de la faire exorciser, et, dans le second, de la souffleter. Cependant Jeanne, dont rien ne pouvait ebranler la Constance, brava tout obstacle. Surmontant sa timidite naturelle, elle courut seule chez le gouverneur, et I'abordant sans crainte, elle lui transmit les ordres qu'elle avait regus de son seigneur, " Et quel est ce seigneur?" demanda Baudricour. "Le roi du ciel," repliqua Jeanne, " qui m'a ordonne de dehvrer Orleans, de faire le dauphin roi, et de le conduire a Reims." Elle appelle ainsi Charles VII, parce qu'il n' avait pas en- 236 NARRATIONS HISTORiaUES. core ete couronne a Reims, occupe par les Anglais. Le prince royal destine a succeder au trone se nommait dauphin, Le fen des regards de Jeanne, 1' assurance et le ton de con- viction avec lequel elle s'exprimait, ebranlerent la resolution du vieux guerrier qui Fecoutait. Baudricour ceda : Jeanne se fit couper les cheveux, prit des habits d'homme et fixa le jour de son depart. Mort de Jeanne d^Jlrc, Jeanne d'Arc ayant ete admise a la cour, releve bientot le courage des Fran^ais, frappe de terreur I'armee anglaise, et marche au secours d'Orleans, assiege par Fennemi. Huit jours apres son arrivee, cette ville est delivree. Puis, renversant tous les obstacles, elle conduit le roi a Reims, et Fy fait sacrer le 14 juillet 1429. Elle demanda ensuite la permission de retourner dans son village ; mais le roi lui ordonna de rester et de com- battre encore. Ayant voulu faire lever le siege de Compiegne, elle est faite prisonniere, livree aux . Anglais, transportee a Rouen, accusee de sorcellerie et condamnee a mort ; voici quelle fut sa conduite pendant le proces et au moment du supplice : Pendant son proces, on vit en elle le melange de la plus inebranlable fermete et de la plus toucbante douleur. Elle pleurait comme une jeune fille, et se conduisait comme un beros. En vain, pour la faire tomber dans quelque piege, on multipliait tour a tour les conseils, les menaces, les mensonges, ies questions insidieuses ; elle reduisait ses accusateurs au silence par la candour, par la precision, par Fenergie de ses reponses. Lorsque les juges dirent a Jeanne de jurer sur les saints evangiles qu'elle dirait la verite, relativement a toutes les choses qu'on lui demanderait, elle repondit : " Mais je ne sais sur quoi vous me voulez interroger. Par aventure, me pourriez-vous de- NARRATIONS HlSTORiaUES. 237 mander telles choses que je ne vous dirai point, quand on devrait me couper la tete ?" Un jour on lui demanda si Dieu ha'issait les Anglais ; elle repondit : " De T amour ou de la haine que Dieu porte a leurs ames, je ne sais rien ; mais je sais bien qu'ils seront boiites, chasses, hors de France, excepte ceux qui y mourront, et que Dieu enverra victoire aux Frangais contre eux." On la pressa de retracter toutes ses erreurs ; elle repondit : " Je veux maintenir ce que j'ai toujours soutenu : si j'etais con- damnee, si je voyais le feu allume, le bois prepare, le bourreau pret a me jeter au bucher, et encore quand je serais au feu, je ne dirais autre chose que ce que j'ai dit, voulant le soutenir jusqu'a la mort." L' innocence de i'accusee fatiguait et deconcertait ses accusa- teurs. Les juges ne pouvaient trouver de preuves pour la con- damner. Ses paroles, ses actions, les temoins appeles contre elle et pour elle, tout deposait en sa faveur. L'eveque de Beauvais fit paraitre a ses yeux les instruments de torture. lis ne Teffrayerent pas plus que le glaive des Anglais ne I'avait intimidee. On la pressa de nouveau ; on employa tour a tour les conseils, les prieres, les menaces ; enfin, vaincue, elle signa une cedule de huit lignes, apres qu'on lui en eut fait lecture. Elle semblait ne contenir que la simple promesse de ne plus porter les armes, de laisser croitre ses cheveux, et de quitter Thabit d'homme. Mais les fourbes avaient abuse de son ignorance. La piece qu'on lui fit signer etait beaucoup plus etendue. Par cet acte elle se reconnaissait heretique, dissolue et adonnee au demon. Enfin, l'eveque de Beauvais lut publiquement 1' arret qui con- damnait Jeanne, pour reparation de ses fautes, a passer le reste de ses jours au pain de doideur et a Veau d^angoisse, Cet arret, tout cruel qu'il etait, ne satisfaisait pas la rage de ses ennemis ; les troupes anglaises, furieuses de voir echapper 238 rsMHHATiONS HISTORiaUES. a la mort F heroine qui les avait fait fuir tant de fois, murmurent, s'ameutent, se rassemblent, eclatent en menaces. De ce moment la prison de Jeanne ne fut qu'un supplice prolonge. Deux soldats se tenaient a sa porte, et trois dans son caeliot. La nuit elle etait enchainee sur son lit, et le jour a un poteau. Cependant, soumise et resignee, elle avait repris ses habits de femme, et ne donnait aucun pretexte a ces nouvelles rigueurs. Un matin, tandis qu'elle dormait, on lui enleva ses vetements, qu'on rempla9a par des habits d'homme. Vainement elle con- jure ses barbares gardiens de lui rendre sa robe ; ils I'insultent et la forcent ainsi de se revetir des habits qu'elle avait jure de ne plus porter. Soudain I'eveque de Beauvais parait, avec 1' Anglais Warvick et d'autres temoins. Dans le cachot meme ils dressent un proces-verbal, pour attestor que Jeanne a viole son serment. Le lendemain le tribunal delibere pour la forme, et prononce la sentence qui condamne Jeanne d'Arc a la mort du bucher. L'heroine fut conduite au supplice. Jeanne demanda qu'on dit une messe pour elle; ensuite, voyant la flamrne s'approcher, elle dit a son confesseur de se retirer et de tenir la croix elevee, pour qu'elle put fixer sur elle ses derniers regards. Tant que cette vierge put respirer, elle prononca le nom de Jesus. La plupart des assistants s'eloignerent en pleurant : ils s'ecriaient qu'elle etait innocente, injustement condamnee et vraiment chretienne. Plus tard son proces fut revise et sa memoire fut justifiee. La plupart de ses premiers juges, bourreles de remords, poursuivis par la haine et le mepris pubHc, terminerent leurs jours, dit-on, par une mort subite ou infame. Enfin, la France reconnaissante, entourant son nom d'un eternel hommage, lui erigea une statue dans le lieu meme ou elle avait peri sur le bucher. NARRATIONS HISTORiaUES. 239 Moeurs des Israelites de Paris. Une chose tres-importante, c'est que dans un menage IsraeKte il faut qu'il y ait deux sortes de vaisselle : I'une destinee au gras, c'est-a-dire aux viandes ou aux mets qui sont prepares avec de la graisse, et i'autre au maigre, c'est-a-dire au laitage ; car il est expressement defendu de manger le gras et le maigre sur les memes plats et dans le meme temps* Avant de se servir de tout ustensile de menage qu'ils auraient achete, les Israelites sont forces de le baigner dans I'eau. Les devots et les obser- vateurs rigides ne font aucun repas, quelque petit qull soit, sans reciter une courte priere avant et apres le repas. lis adressent des actions de grace a Dieu lorsqu'ils boivent de I'eau, du vin et des liqueurs. II en est de meme lorsqu'on entend le tonnerre, que I'on voit des eclairs ou un arc-en-ciel. Rien de bien in- teressant ne se passe dans la semaine. Tous les jours on va a la synagogue deux fois, le matin et le soir. Celle-ci n'etant pas, a Paris, situee dans le quartier le plus habite par les Israelites, on n'y remarque que tres-peu de personnes les jours ordinaires. Les prieres que I'on y recite durent a peu pres une heure le matin, et une demi-heure le soir. Tous les matins, aussitot leves, les Israelites sont obliges de se laver les mains et le visage avant d'entreprendre aucun travail; ils n'osent pas non plus, avant d'avoir rempli ce soin, toucher a aucun mets ou a un livre sacre. En se lavant on dit : " Sois loue, Eternel, notre Dieu., roi de I'univers, qui nous as sanctifies par tes commandements et qui nous as ordonne de laver nos mains." On ne doit pa& dejeuner avant d'avoir fait la priere du shachris, Au moment de se coucher, on recite la priere qui suit : " Sois loue, Eternel, notre Dieu, roi de I'univers, qui fais tomber sur mes yeux le bandeau du sommeil et I'assoupissement sur mes paupieres ! Glu'il te plaise, Eternel, Dieu de mes peres, de me faire reposer et reveiller en paix; qu' aucun songe attristant, 240 NARRATIONS HISTORIQUES. qu'aucune vision funeste et qu'aucun mauvais pressentiment ne viennent me troubler dans mon sommeil ; que ce sonmieil soit exempt de peches. Rends la lumiere du jour a mes yeux, afin que je ne m'endorme pas du sommeil de la mort. Sois loue, Eternel, qui ec] aires tout I'univers de ta majeste." Le vendredi est un jour de travail pour les femmes. Elles s'occupent de preparer le manger pour le lendemain, car il est interdit de faire la cuisine le samedi. Le vendredi, on apporte un plus grand soin au nettoyage des appartements. Une chose assez remarquable : en I'honneur du sabbat on fait cuire un plat special, et c'est presque toujours du poisson que Ton choisit a cette occasion. A Paris, beaucoup de personnes ne croiraient pas bien celebrer le sabbat si elles n'avaient a leur table, le vendredi soir, un plat de poisson. C'est une habitude, mais non un commandement. On doit se rejouir, il est vrai, mais le pois- son n'est nullement ordonne. II y a des boulangers qui fabriquent un pain expres pour le sabbat. C'est une espece de gateaux qu'on appelle chdle. On le re^oit dans la journee du vendredi. La maitresse de la maison, lorsque ce pain est rendu a domicile, doit faire ce qu'on appelle prendre chdle, et, pour cela, elle casse un morceau de ce pain et le jette au feu. C'est en souvenir des premices de la pate que Ton donnait autrefois aux pretres. Tous ceux qui veulent pratiquer rigoureusement la religion juive a Paris, sont a meme de ne manquer a aucun commande- ment prescrit. lis ont leurs laiteries, car ils ne doivent prendre que du lait qu'ils auraient vu traire ; or ils peuvent avoir natu- re llement confiance en leurs coreligionnaires qui leur fournissent cat aliment. Ils ont leurs restaurans, leurs patissiers, et il y a des marchands de comestibles qui fournissent specialement tout aux Israelites. II y a a Paris plusieurs boucheries a I'usage des Jiiifs. Elles sont etablies pour que la confiance des acheteurs ne puisse etre trompee, car tout le monde sait combien la loi sur les animaux NARRATIONS HISTORIQLES. 241 devant servir de nourritiire est rigoureuse. Void comment la surveillance sur les bouclieries se fait. D'aboid on a ce qu'on nomme les schochtim (sacrificateurs) ; ils sent deux, et vont, a tour de role, aux abattoirs afin d'egorger les animaux qui leur sont presentes. Pour cette operation ils emploient un grand couteau, un chalef, auquel il ne doit pas y avoir la moindre breche. On attache Tanimal sur le dos, et le sacrificateur prend son couteau et le saigne. II le visite apres Pavoir egorge, afin de savoir s'il est sain ou non ; puis, lorsqu'il le trouve propre a etre vendu a ses coreligionnaires, il prend son cachet, qu'il porte toujours sur lui, et il I'appHque sur difFerentes parties de I'ani- mal, puis il y grave avec son couteau son nom en lettres hebraiques, ainsi que la date. On ne pent plus se servir memo de la viande qui a ete sacrifice lorsque trois fois vingt-quatre heures se sont ecoulees depuis le moment oii Tanimal a ete saigne. Les maitres bouchers eux-memes ou leurs garcons voni chercher leurs viandes, qui une fois amenees dans les etaux, restent encore sous la surveillance de gardiens, schomrem. Leur emploi est de rester a la boucherie jusqu'a sa fermeture, et cela tous les jours, pour reconnaitre si les morceaux servis par les gar9ons sont, propres a I'usage des Juifs. En outre, comme dans beaucoup de maisons on se fait apporter la viande chez soi, les gardiens ont aussi leur cachet qu'ils appliquent sur toute la viande qui sort de la boucherie et qui est destinee aux Israe- lites. Tous ces employes sont sous la surveillance du grand- rabbin. A un temps fixe par lui, ces gardiens changent mutu- ellement de boucherie. Les memes dispositions ont lieu au marche Saint-Martin chez plusieurs marchands de volaiiles, qui ont egalement leurs sacrificateurs. Les Israehtes ont leur cimetiere particulier ; ils ont leur com- missaire des morts et leurs porteurs. Les Juifs professent pour les morts un respect tres-profond. Avant d'expliquer les difie- rentes ceremonies qu'ils pratiquent avant et apres I'enterrement, nous dirons quelques mots des chevros (societes). 21 242 NARRATIONS HISTORIdUES. Ce sont des societes de bienfaisance mutuelle. Ces societes ont pour but de se reunir tous les samedis pour ecouter des dis- sertations sur la Bible ou le Thalmud par des rabbins choisis a cet efFet. Chaque membre d'une societe est oblige de souscrire pour une somme iixee par les administrateurs de sa societe. Cet argent devant servir de secours, est affecte aux membres de ces memes societes, soit lorsqu'ils tombent malades, soit lorsque leurs families se trouvent dans le besoin et qu'ils ne peuvent y subvenir. On donne des rentes aux veuves et aux enfants des societaires devenus orphelins. En outre, presque chaque chevro de Paris remet au comite de bienfaisance Israelite, pour I'entre- tien de I'asile des malades, une somme proportionnee a son capital. Lorsqu'un membre d'une societe meurt, tous ceux qui en font partie doivent lui rendre les derniers devoirs ; ils doivent faire de meme lorsqu'un procbe parent d'un societaire vient a succomber. Gluand le malade arrive au point d'etre oblige d'avoir pres de lui un veilleur, c'est encore dans le sein de sa societe que ce dernier est choisi tour a tour. Si la maladie de- vient dangereuse, on adjoint un second garde. Lorsque ceux-ci s'aper^oivent que les combats de I'agonie sont a leur fin et que le moribond va rendre le dernier soupir, ils lui font reciter, s'il est en son pouvoir, la confession a Dieu de Ochamnou. Au moment a peu pres ou ils pensent que Fame va se separer du corps, ils allument une petite bougie, et font ecarter de la cham- bre de I'agonisant les enfants et les autres procbes parents. Lors- que le malade a cesse d'exister, ils lui ferment les yeux, et, en se levant de leurs sieges, ils disent, avec la plus grande ferveur: " Beni soit le juge equitable !" Aussitot les gardiens font part au president de la societe qu'un des membres vient de mourir, et ce dernier, tout de suite, le fait ann oncer a chacun, afin qu'ils assi stent aux funerailles de leur collegue. On veille aupres du mort jusqu'a ce que la declara- tion etant faite a la mairie, et I'officier de sante ayant constate la mort du societaire, le temps voulu par la loi avant I'inhuma- NARRATIONS HISTORiaUES. 243 tion se soil ecoule. Lorsque ce moment est arrive, les collegues et les amis rentrent dans la cham.bre mortuaire, et, la, on enleve le drap dont le corps est reconvert. On etend ca corps par terre dans un drap, et le visage convert de nouveau ; on place snr le parquet, de chaque cote du cadavre, de la paiile, et on met pres de la tete une bougie allumee. Apres avoir lave le mort depuis les pieds iusqu'a la tete, on I'liabiile. En cet etat, il est mis dans un cercueil fait expres pour lui par un ouvrier Israelite. Au fond de ce cercueil on a eu soin de mettre un drap blanc. Tout le monde entoure la biere et de- mande pardon au mort des peines qu'on a pu lui causer. Apres ces adieux entrecoupes de larmes et de sanglots, le rabbin de la societe prononce une oraison funebre, que les assistants ecoutent avec un profond recueillement. Lorsque le mort a ete, chez les Israelites, un homme distingue par ses talents ou par toute autre qualite, le grand-rabbin lui-meme, quand on I'instruit du jour de Tenterrement, assiste au service, et prononce Teloge du defunt s'il I'a connu et s'il I'en juge digne. Une fois les oraisons fune- bres terminees, tons les assistants s'empressent de charger le cercueil sur leurs epaules, et ils le transportent sur le corbillard. Les societaires conduisent leur collegue jusqu'a sa derniere de- meure. En entrant dans le cimetiere, endroit que les Juifs regardent comme un des lieux les plus sacres pour eux, ils font une priere. Arrives pres de P endroit qui doit recevoir les depouilles mor- telles de leur coreligiormaire, les societaires, avant de descendre le corps dans la fosse, ouvrent le cercueil et mettent sous la tete du defunt un petit sac rempli de terre. lis referment ensuite la biere ; chacun cherche a pouvoir enfoncer un clou dedans ; car, chez les Israehtes, ceci est une 7nitzva, autrement dit, une ceuvre de piete. Une chose que je ne dois pas oubher de dire, c'est que celui qui se trouve present lorsqu'un malade expire, est obhge de dechirer son habit par quelque endroit que"ce soit, suivant I'ancien usage. Les proches parents sont egalement tenus de dechirer leurs vetem.ents. 244 NARRATIONS HISTORiaUES. On descend ensuite le cercueil dans la fosse, puis on le re- couvre de terre, chacun la jetant a pleines mains ou se servant d'une pelle, jusqu'a ce que cette fosse soit remplie. Au sortir du cimetiere, apres que les enfants du defunt, si ce sont des gargons, ont dit le kadish (priere pour les morts), on arrache trois fois de I'herbe que Ton rejette derriere soi, puis on dit: "Et ils fleuriront comme I'herbe de la terre." C 'est en signe de la resurrection que Ton recite ces paroles. Apres s'etre lave les mains, chacun rentre chez soi. Les parents, tels que pere, mere, femme, enfant, frere ou soeur, etant de retour chez eux, doivent, apres avoir ote leurs souliers, s'asseoir a terre, puis on leur apporte du vin, du pain et des oeufs durs. On allume une lampe qu'on place dans un coin de la chambre, et qu'on laisse bruler continuellement pendant sept jours. Durant ces sept jours, les parents que j'ai indiques restent assis par terre et font leurs repas dans cette posture, a I'exception du jour du sabbat. Tous les jours, et particulierement le samedi, ils re^oivent des visites de condoleance. Comme il est defendu de sortir de chez soi pendant ces sept premiers jours de deuil, meme quand ce serait pour aller a la synagogue, les chevross fournissent, pendant cet espace de temps, au moins un minian, c'est-a-dire une reunion de dix personnes necessaires pour faire la priere en conmiun. On ne peut se faire la barbe pendant les schlauchim (les trente jours). Une fois les sept jours accomphs, les IsraeHtes en deuil sor- tent de chez eux pour aller a la synagogue, et la ils adressent au Ciel des prieres pour I'ame de leur parent. Tous les jours, matin et soir, les enfants (gar^ons) disent le kadish, et cela pen- dant onze mois de suite ; puis, tous les ans, lors de I'anniversaire, les enfants recitent encore ce meme kadish, et presque tous jeunent ce jour-la. L'annee de deuil etant ecoulee, on fait, chacun selon ses moyens, elever un monument, sur lequel on ecrit soit en vers, soit en prose, en fran9ais et en hebreu, les NARRATIONS HISTORIQUES. 245 qualites du defunt. On a soin d'y mettre I'age, le jour et la date de rannee ou il est mort* Incendie de Moscou, Napoleon n'entra qu'avec la nuit dans Moscou. II s'arreta dans une des premieres maisons du faubourg de Dorogomilow. Ce fut la qu'il nomma le marechal Mortier gouverneur de cette capitale. "• Surtout," lui dit-il, " point de pillage ! Vous m'en repondez sur voire tete. Defendez Moscou envers et contre tous." Cette nuit fut triste : des rapports sinistres se succedaient. II vint des Fran^ais, habitants de ce pays, et meme un officier de la police russe, pour denoncer I'incendie. II donna tous les details de ses preparatifs. L'empereur emu chercha vainement quelque repos. A chaque instant il appelait, et se faisait repeter cette fatale nouvelle. Cependant il se retranchait encore dans son incredulite, quand, vers deux heures du matin, il apprit que le feu eclatait. C'etait au palais Marchand, au centre de la ville, dans son plus riche quartier. Aussitot il donne des ordres, il les multi- plie. Le jour venu, lui-meme y court, il menace la jeune garde et Mortier. Ce marechal lui montre des maisons couvertes de fer ; elles sont toutes fermees, encore intactes, et sans la moindre efiraction ; cependant une fumee noire en sort deja. Napoleon tout pensif entre dans le Kremlin. Son ambition estfiatteede cette conquete ; onl'entend s'ecrier: " Je suis done enfin dans Moscou, dans 1' antique palais des czars ! dans le Kremlin !" II en examine tous les details avec un orgueil curieux et satisfait. Le jour favorisa les efforts du due de Trevise : il se rendit maitre du feu. Les incendiaires se tinrent caches. On doutait de leur existence. Enfin, des ordres severes etant donnes, I'ordre retabli, I'inquietude suspendue, chacun alia s'emparer d'une maison commode ou d'un palais somptueux, pensant y trouver 21* 246 NARRATIONS HISTORiaUES. un bien-etre achete par de si longues et de si excessives priva- tions. Deux officiers s'etaient etablis dans un des batiments du Kremlin. De la, leur vue pouvait embrasser le nord et Fouest de la ville. Vers minuit une clarte extraordinaire les reveille, lis regardent, et voient des flammes remplir des palais, dont elles illuminent d'abord et font bientot ecrouler I'elegante et noble architecture. lis remarquent que le vent du nord chasse directe- ment ces flammes sur le Kremlin, et s'inquietent pour cette enceinte, oil reposaient T elite de I'armee et son chef. Us craignent aussi pour toutes les maisons environnantes, oii nos soldats, nos gens et nos chevaux, fatigues et repus, sont sans doute ensevelis dans un profond sommeil. Deja des flammeches et des debris ardents volaient j usque sur les toits du Kremlin, quand le vent du nord, tournant vers I'ouest, les chassa dans une autre direc- tion. Alors, rassure sur son corps d'armee. Fun de ces officiers se rendormit en s'ecriant : " C^est a faire aux autres, cela ne nous regarde plus." Car telle etait Finsouciance qui resultait de cette multipiicite d'evenements et de malheurs sur lesqueis on. etait comme blase, et tel Fego'isme produit par Fexces de fatigue et de soufl^rance, qu'ils ne laissaient a cbacun que la mesure de forces et de sentiment indispensables pour son propre service et pour sa conservation personnelle. Cependant, de vives et nouvelles lueurs les reveillent encore ; ils voient d' autres flammes s'elever precisement dans la nouvelle direction que le vent venait de prendre sur le Kremlin, et ils maudissent Fimprudence et 1' indiscipline francaises, qu'ils ac- cusent de ce desastre. Mais trois fois le vent change ainsi du nord a Fouest, et trois fois ces feux ennemis, vengeurs obstines, et comme acharnes centre le quartier imperial, se montrent ardents a saisir cette nouvelle direction. A cette vue, un grand soupgon s'empare de leur esprit. Les Moscovites, connaissant notre temeraire et neghgente insouciance, NARRATIONS HISTORIQUES, 247 auraient-ils congu I'espoir de briiler avec Moscou nos soldats ivres de vin, de fatigue et de sommeil; on plutot ont-iis ose croire qu'ils envelopperaient Napoleon dans cette catastrophe ; que la perte de cet homme valait bien celle de leur capitale ; que c'etait un assez grand resultat pour y sacrifier Moscou tout entiere ; que peut-etre le Ciel, pour leur accorder une aussi grande victoire, voulait un aussi grand sacrifice, et qu'enfin il fallait a cet immense colosse un aussi inmiense bucher ? On ne salt s'ils eurent cette pensee, mais il fallut I'etoile de I'empereur pour qu'elle ne se realisat pas. En effet, non seule- ment le Kremlin renfermait, a notre insu, un magasin a poudre ; mais, cette nuit-la meme, les gardes, endonnies et placees ne- gligemment, avaient laisse tout un pare d'artillerie entrer et s'etablir sous les fenetres de Napoleon. C'etait I'instant oii ces flammes furieuses etaient dardees de toutes parts, et avec le plus de violence, sur le Kremlin ; car le vent, sans doute attire par cette grande combustion, angmentait a cliaque instant d'impetuosite. L' elite de I'armee et I'empe- reur etaient perdus, si une seule des flanmciecbes qui volaient sur nos tetes s'etait posee sur un seul caisson. C'est ainsi que, pendant plusieurs heures, de chacune des etincelles qui traver- saient les airs, dependit le sort de I'armee entiere. Enfin le jour, un jour sombre, parut. Beaucoup d'officiers se refugierent dans les salles du palais. Les chefs, et Mortier lui- meme, vaincus par I'incendie, qu'ils combattaient depuis trente- six heures, y vinrent tomber d'epuisement et de desespoir. lis se taisaient, et nous nous accusions. II sem.blait a la plu- part que Tin discipline et I'ivresse de nos soldats avaient com- mence ce desastre, et que la tempete Tachevait. Nous nous regardions nous-memes avec une espece de degout. Le cri d'horreur qu'allait jeter I'Europe nous effrayait. On s'abordait les yeux baisses, consternes d'une si epouvantable catastrophe : elle souillait notre gloire, elle nous en arrachait le fruit : elle menaeait notre existence presente et a venir ; nous n'etions plus 248 NARRATIONS HISTORIQUES. qu'une armee de criminels, dont le Ciel et le monde civilise devaient faire justice. On ne sortait de cet abime de pensees, et des acces de fureur qu'on eprouvait contre les incendiaires que par la recherche avide des nouvelles, qui toutes commen^aient a accuser les Russes seuls de ce desastre. En efFet, des officiers arrivaient de toutes parts, tous s'ac- cordaient. Des la premiere nuit, celle du 14 au 15, un globe enflamme s'etait abaisse sur le palais du prince Troubetskoi, et Favait consume ; c'etait un signal. Aussitot le feu avait ete mis a la Bourse : on avait aper^u des soldats de police russes I'attiser avec des lances goudronnees. Ici, des obus perfidement places venaient d'eclater dans les poeles de plusieurs maisons ; ils avaient blesse les miiitaires qui se pressaient autour. Alors, se retirant dans des quartiers encore debout, ils etaient alles se choisir d'autres asiles ; mais, pres d'entrer dans ces maisons toutes closes et inhabitees, ils avaient entendu en sortir une faible explosion ; elle avait ete suivie d'une legere fumee, qui aussitot etait devenue epaisse et noire, puis rougeatre, enfin couleur de feu, et bientot 1' edifice entier s'etait abime dans un gouffre de flammes, Tous avaient vu des hommes d'une figure atroce, converts de lambeaux, et des femmes furieuses, errer dans ces flammes, et completer une epouvantable image de I'enfer. Ces miserables, enivres de vin et du succes de leurs crimes, ne daignaient plus se cacher ; ils parcouraient triomphalement ces rues embrasees ; on les surprenait armes de torches, s'acharnant a propager I'in- cendie : il fallait leur abattre les mains a coups de sabre pour leur faire lacher prise. On se disait que ces bandits avaient ete dechaines par les chefs russes pour bruler Moscou, et qu'en effet une si grande, une si extreme resolution, n'avait pu etre prise que par le patriotisme, et executee que par le crime. Aussitot I'ordre fut donne de fusilier sur place tous les incen- diaires. L'armee etait sur pied. La vieille garde, qui tout entiere occupait une partie du Kremlin, avait pris les armes ; NARRATIONS HISTORiaUES. 249 les bagages, ies chevaux tout charges, remplissaient les cours ; nous etions mornes d'etonnement, de fatigue, et du desespoir de voir perir un si riche cantonnement. Maitres de Moscou, il fallait done aller bivouaquer sans vivres a ses portes ! Pendant que nos soldats luttaient encore avec Fincendie, et que Tarmee disputait au feu cette proie, Napoleon, dont on n'avait pas ose troubler le sommeil pendant la nuit, s'etait eveille a la double clarte du jour et des flammes. Dans son premier mouve- ment, il s'irrita, et voulut commander a cet element ; mais bien- tot il flechit, et s'arreta devant Fimpossibilite. Surpris, quand il a frappe au coeur d'un empire, d'y trouver un autre sentiment que celui de la soumission et de la terreur, il se sent vaincu et surpasse en determination. Cette conquete pour laquelle il a tout sacrifie, c'est comme un fantome qu'il a poursuivi, qu'il a cru saisir, et qu'ii voit s'evanouir dans les airs en tourbillons de fumee et de flammes. Alors une extreme agitation s'empare de lui ; on le croirait devore des feux qui Tenvironnent. A chaque instant il se leve, marche et se rassied brusquement. II parcourt ses appartements d'un pas rapide ; ses gestes courts et vehements decelent un trouble cruel : il quitte, reprend, et quitte encore un travail presse, pour se pre- cipiter a ses fenetres et contempler les progres de Fincendie. De brusques et breves exclamations s'echappent de sa poitrine oppressee. " Quel efFroyable spectacle ! Ce sont eux-memes ! Tant de palais ! Gluelle resolution extraordinaire ! Quels hommes ! Ce sont des Scythes I" Entre Fincendie et lui se trouvait un vaste emplacement desert, puis la Moskwa et ses deux quais ; et pourtant les vitres des croisees contre lesquelles il s'appuie sont deja brulantes, et le travail continuel des balayeurs, places sur les toits de fer du palais, ne suffit pas pour ecarter les nombreux flocons de feu qui cherchent a s'y poser. En cet instant, le bruit se repand que le Kremhn est mine : des Russes Font dit, des ecrits Fattestent ; quelques domestiques S60 NARRATIONS HISTORiaUES» en perdent la tete d'effroi ; les militaires attendent impassible- ment ce que Fordre de I'empereur et leur destin decideront, et i'empereur ne repond a cette alarme que par un sourire d'in- credulite. Deja nous ne respirions plus que de la fumee et des cendres. La nuit approchait, et allait aj outer son ombre a nos dangers ; le vent d'equinoxe, d' accord avec les Russes, redoublait de violence. On vit alors accourir le roi de Naples et le prince Eugene : ils se joignirent au prince de Neufchatel, penetrerent jusqu'a I'em- pereur, et la, de leurs prieres, de leurs gestes, a genoux, ils le pressent, et veulent Tarracher de ce lieu de desolation. Ce fut en vain. Napoleon, maitre enfin du palais des czars, s'opiniatrait a ne pas ceder cette conquete, meme a I'incendie, quand tout a coup un cri : " Le feu est au Kremlin !" passe de bouche en bouche, et nous arrache a la stupeur contemplative qui nous avait saisis. L'empereur sort pour juger le danger. Deux fois le feu venait d'etre mis et eteint dans le batiment sur lequel il se trouvait ; mais la tour de I'arsenal brule encore. Un soldat de police vient d'y etre trouve. On I'amene, et Napoleon le fait interroger devant lui. C'est ce Russe qui est I'incendiaire : il a execute sa consigne au signal donne par son chef. Tout est done voue a la destruction, meme le Kremlin antique et sacre. L'empereur fit un geste de mepris et d'humeur ; on emmena ce miserable dans la premiere cour, oil les grenadiers furieux le firent expirer sous leurs baionnettes. Get incident avait decide Napoleon. II descend rapidement cet escalier du nord, fameux par ie massacre des Strelitz, Ancienne garde des czars, et ordonne qu'on le guide hors de la ville, a une lieue sur la route de Petersbourg, vers le chateau imperial de Petrowsky. Mais nous etions assieges par un ocean de flammes ; elles bloquaient toutes les portes de la citadelle, et repousserent les premieres sorties qui furent tentees. Apres quelques tatonne- NARRATIONS HISTORiaUES. 251 ments, on decouvrit, a travers les rochers, une poteme, ou porte secrete, qui donnait sur la Moskwa. Ce fut par cet etroit passage que Napoleon, ses officiers et sa garde, par\dnrent a s'echapper du Kremlin. Mais qu'avaient-ils gagne a cette sortie ? Plus pres de I'incendie, ils ne pouvaient ni reculer, ni demeurer ; et comment avancer, comment s'elancer a travers les vagues de cette mer de feu ? Ceux qui avaient parcouru la ville, assourdis par la tempete, aveugles par les cendres, ne pouvaient plus se reconnaitre, puisque les rues disparaissaient dans la fumee et sous les decombres. II fallait pourtant se hater. A chaque instant croissait autour de nous le mugissement des flammes. Une seule rue etroite, tortueuse et toute brulante, s'offrait plutot comme Fentree que comme la sortie de cet enfer. L'empereur s'elanca a pied et sans hesiter dans ce dangereux passage. II s'avan9a au travers du petiilement de ces brasiers, au bruit du craquement des voutes et de la chute des poutres brulantes et des toits de fer ardent qui croulaient autour de lui. Ces debris embarrassaient ses pas. Les flammes, qui devoraient avec un bruissement impetueux les edifices entre lesquels il marchait, depassant leur faite, flechissaient alors sous le vent et se recourbaient sur nos tetes. Nous marchions sur une terre de feu, sous un ciel de feu, entre deux murailles de feu ! Une chaleur penetrante bru- lait nos yeux, qu'il fallait cependant tenir ou verts et fixes sur le danger. Un air devorant, des cendres etincelantes, des flammes detachees, embrasaient notre respiration courte, seche, haletante, et deja presque sufifoquee par la fumee. Nos mains brulaient en cherchant a garantir notre figure d'une chaleur insupportable, et en repoussant les flammeches qui couvraient a chaque instant et penetraient nos vetements. Dans cette inexprimable detresse, et quand une course rapide paraissait notre seul moyen de salut, notre guide incertain et trouble s'arreta. La se serait peut-etre terminee notre vie aventureuse, si des pillards du premier corps n' avaient point 252 NARRATIONS HISTORICIUES. reconnu I'empereur au milieu de ces tourbillons de flammes ; ils accoururent, et le guiderent vers les decombres fumants d'un quartier reduit en cendres des le matin. Ce fut alors que I'on rencontra le prince d'Eckmiihl, le marechal Davoust. Ce marechal, blesse a la Moskwa, se faisait reporter dans les flammes pour en arracher Napoleon ou y perir avec lui. II se jeta dans ses bras avec transport : I'em- pereur I'accueillit bien, mais avec ce calme qui, dans le peril, ne le quittait jamais. Pour echapper a cette vaste region de maux, il fallut encore qu'il depassat un long convoi de poudre qui defilait au travers de ces feux. Ce ne fut pas son moindre danger, mais ce fut le dernier, et Ton arriva avec la nuit a Petrowsky. Le lendemain matin, 17 Septembre, Napoleon tourna ses premiers regards sur Moscou, esperant de voir Tincendie se calm.er. II le revit dans toute sa violence: toute cette cite lui parut une vaste colon ne de feu qui s'elevait en tourbillonnant jusqu'au ciel, et le colorait fortement. Absorbe par cette funeste contemplation, il ne sortit d'un morne et long silence que pour s' eerier : " Ceci nous presage de grands malheurs. !" L'incendie, commence dans la nuit du 14 au 15 Septembre, suspendu par nos efforts dans la journee du 15, ranime des la nuit suivante, et dans sa plus grande violence les 16, 17 et 18, s'etait ralenti le 19. II avait cesse le 20. Ce jour-la meme, Napoleon, que les flammes avaient chasse du Kremlin, rentra dans le palais des czars. FIN. .CATALOGUE VALUABLE TO WHICH THE ATTENTION OF PERSONS INTERESTED IN THE CAUSE OI EDUCATION IS RESPECTFULLY SOLICITED. PUBLISHED BY THOMAS, COWPERTHWAIT & CO., 253 MARKET STREET. PHILADELPHIA: AND FOR SALE BY THE PRINCIPAL BOOKSELLEKS IN THE UNITED STATES. MITCHELL'S AMERICAN SYSTEM OF STANDARD SCHOOL GEOGRAPHY IN A SERIES: Adapted to the progressively developing Capacities of Youth, PUBLISHED BY THOMAS, COWPERTHWAIT & CO., PHILADA. AMD FOR SALE BY THE BOOKSELLERS GENERALLY. ADVERTISEMENT. To secure to thi's series the character assumed in the title, the author has bee> aware, in presenting it for the consideration of the American people, that the geo graphical works composing it should possess all the requisites necessary to such character; and, therefore, solicits a deliberate and critical examination of ever* feature that should constitute the requisites of standard quality, some of which are the following : — GEOGkAPHICAL accuracy —That no time be lost by unlearning errors or evil arise from retaining them. ARRANGEMENT.— Adapted to the average capacities of youth in the vari- ous stages of advancement ; and also to efiect an easy transition from one volume to another. CORRESPONDENCE BETWEEN THE TEXT AND THE ATLAS.- By which the mind is relieved from the embarrassment of searching after facts in one not contained in the other, or of reconciling disagreements between them. MECHANICAL EXCELLENCE AND BEAUTY— That a distinct im- pression be made upon the mind of each fact presented, and the taste cultivated at the same time that knowledge is communicated. QUALITY OF MATERIALS AND BINDING.— Upon which depend du- rability, and consequent cheapness. PERIODICAL REVISION OF EVERY FIVE YEARS.— After the work ghall have been adapted to the census of 1840, the revision will be rigidly executed, noting all new facts and changes, in such manner as that the old and new editions can be used in the same classes without embarrassment, thereby preventing ail the evils incident to a change of books, and saving large sums of money, now lost, in consequence of the old editions being rendered worthless by their discrepancy with the new, and by which we shall be enabled lo keep pace with the progress of the science throughout the world. A part of the before-named series is now before the public, viz ; the PRIMARY SCHOOL GEOGRAPHY, the SCHOOL GEOGRAPHY AND ATLAS, the ATLAS OF OUTLINE MAPS, and the GEOGRAPHICAL READER, i 3 ] . Of the SCHOOL GEOGRA. HY AND ATLAS, the publisiiers have received so numerous and unquaUfied testimonials from all parts of the Union where they have been presented and examined, as to leave no room for doubt, that their first anticipations of furnishing a series of geographical works of such intrinsic merit as to become the standard text-books in the science of geography, will be fully realized. The ATLAS OF OUTLINE MAPS, whether considered as an accompani- ment to facilitate the progress of the pupil, as an agreeable variation in the rou- tine of studies, or as an easy introduction to the -useful art of map-drawing, has, in all instances, met with the same decided approval. The GEOGRAPHICAL READER is designed not only as a reading book for schools, where it can be introduced by substituting it for other books without ad- diiional cost, and present the double advantage of communicating, at the same time, the art of reading and an enlarged knowledge of geography, but also for instruction in families, as well as for perusal by those who are desirous of obtain- ing information by private study. Though but recently published, it has already received the decided approval of many intelligent teachers and other gentlemen, whose opinions are deservedly of high authority. The HIGH SCHOOL GEOGRAPHY, and THE KEY TO THE STUDY OF THE i\IAPS COMPRISING MITCHELL'S SCHOOL GEOGRAPHY, yet in the press, will be judged of by their merits, both as separate v/orks and as links in the series, when presented for consideration. They will be published with as little delay as a careful preparation of all parts of the books will permit. That teachers and all others interested in the cause of general education, who would, be pleased to examine these works with reference to their fitness for the place claimed for them, may fully understand the plan, a prospectus of each is hereto subjoined, in the order in which they will stand in the series. Mitchell's Primary School Geography, This little work is intended as a first geography for children, and is prepared for the use of those who have begun to spell and read, with some degree of facility. The author has endeavoured, accordingly, to render it as easy of compreheneion, and as interesting to the youthful pupil, as its Umits will permit. , The Primary Geography contains 176 pages, about 120 engravings, and fourteen maps. These are executed from original designs, by the best artists, in their respective branches, in the United States. Pictorial illustrations, well designed, and especially adapted to the work they accompany, are auxiliaries so essential, that without them a geography for young persons would possess but little valu-e. Many of the most important facts of the science of geography may be impressed on the raind by visible images more forci- bly than by any other means. The introduction of moral and religious sentiments into books intended for the instruction of young persons, is calculated to improve the heart, and lend addi- tional strength to parental admonition. Accordingly, throughout the work, when- ever the subject permitted, such reflections and observations have been made as arc calculated to show the superiority of enlightened institutions, the excellence >f the Christian religion, and the advantages of correct moral principles, as may readily be comprehended by the juvenile learner. [ 4] Mitchells School Geography and Atlas, This work has been published upwards of a year, and has been already liberally encouraged and circulated in various parts of the United States. The extent to which it has been introduced into the most respectable seminaries, and the strong and decided testimonials in its favour received from eminent teachers and gentle- men of the highest respectability for talent and discrimination, justify the publish- ers in presenting it as a treatise of undoubted merit. The Geography contains 33(5 pages, and is illustrated by more than 200 engrav- ings: these are all from new designs, and are executed in a style greatly superior to what is usually seen in works of this description ; many of the engravings elu- cidate important facts stated in the text, and others embrace a number of striking objects in nature and art : these interest the scholar, excite a spirit of inquiry, and relieve the mind from that dull uniformity, so justly complained of by those who study school geographies deficient in this respect. The work is divided into sections of such extent as are considered sufficient for one lesson : these are gradually enlarged from the beginning to the end of the book, so as to keep pace v/ith the increasing capacity of the pupil. The descrip- tion of the definitions, so essential to a clear understanding of the science of geo- graphy, will be found, perhaps, as simple and easy of comprehension as can well be obtained. It is arranged chiefly in the method of question and answer, yet pre- senting, it is believed, sufficient scope to exercise the mental faculties of the pupil. The Atlas contains eighteeu maps, which are all engraved from original draw- ings, and are executed in the clear and distinct manner for which Mr. Mitchell's maps are distinguished. The care bestowed upon all parts of the engraving, the ease with which every name on the maps may be read, the location of remarkable events connected with the history of our own and other countries, with the inser- tion of the lines of rail-roads and canals, and the distances from one continent to another, are all regarded as essential improvements. The geographical and statistical tables appended to the Atlas contain a great amount of interesting information, comprising a view of the extent and popula- tion of all the countries represented on the maps, together with the heights of mountains, lengths of rivers, and statistics of the United States, the latter embrac- ing lists of universities, colleges, and other institutions, canals, rail-roads, &c These tables may be considered as forming an aggregate of the whole work, and give it a character of perfection, without which it would be deficient in complete- ness and iinish. MitchelVs Atlas of Outline Maps. (an accompaniment to Mitchell's school atlas.) This Atlas corresponds with seven of the principal and most useful maps accom- panying the School Geography. On these the names of places are entirely omitted, leaving nothing but the natural features of the countries they illustrate, and the chief political boundaries or divisions. It is v.'ell known that no method so well fixes in the mind of the learner the form and relative position of countries, islands, &c., as drawing maps. To draw them entirely is a work of time, and what comparatively but few scholars ever attain the art of doing well ; but the exercise of completing the Outline Maps from thp finished Atlas possesses all the advantages to be derived from map-drawing, wllk a great saving of time. [ M . MitchelVs Geographical Reader, for Schools and Families, This work contains 600 pages, and comprises a general description of the vari- aus divisions of the earth, with their several empires, kingdoms and slates, pre- )eded by a compendious history of the progress of geographical science. The design of the work is indicated by the title. It may be read in classes by >hose who are using Mitchell's School Geography, or by pupils fart'cer advanced •n their studies. This book will be found equally convenient to heads of families ivho wish to teach their children, or to adults who have passed their period of iuition. The arrangement of countries is the same as in the '* School Geography," the descriptive details are extended in proportion to its enlarged dimensions, and will be found to give a lively and interesting picture of the world, according to its con- dition at the present day. The Reader is also arranged to correspond with '* Mitchell's School Atlas," so that those who already have the latter will be in possession of a suitable accom- paniment to the former ; and individuals who are not may obtain it at a cost much below the price charged for Atlases compiled to illustrate treatises of equal extent with the Geographical Eeader. An important and, perhaps, paramount feature of the Reader is, that its intro- duction into schools can be effected without additional cost, by dispensing with other reading books. This will bring it within the means of the humblest pupils, and enable our whole population to acquire an accurate knowledge of the science. Jl Key to the Study of the Maps comprising MitcheWs School Atlas. The Key to the study of Maps comprises a series of lessons arranged to corre- spond in every respect with Mitchell's School Atlas. The work forms an easy in- troduction to the study of Maps — the foundation of all exact geographical know- ledge, and has been prepared as the most proper preliminary study for beginners in geography. MitcheWs High School Geography and Atla$. The High School Geography will contain about 600 pages, and will comprise a complete system of mathematical, physical, political, statistical, and descriptive modern geography, together with a compendium of ancient geography, and the whole will be illustrated by views, representations of remarkable natural objects, illustrations of costumes, architecture, races of men, animals, &c. The whole oi the engravings wiil be executed by the first artists in the country. The Atlas to accompany the above will contain not less than thirty maps, con- Btructed particularly for the work, and designed to correspond with and illustrate it in the most precise manner. The maps will be engraved in the neat and distinct style for which those of "Mitchell's School Atlas" are distinguished ; they will ct)qlain, however, in some respects, a greater amount of detail, and such additional particulars as the higher and more advanced grade of tuition for which they are intended may demand. CATALOGUE OF SCHOOL BOOKS. FROST^S UNITED STATES. HISTORY OF THE UNITED STATES ; for the use of Schools and Academies. By Johk Frost. Pdustrated with 40 engravings. The design of the author in this, his larger history, has been to furnish a text-book full and complete enough for the use of colleges, academies, and the higher seminaries. It begins with the discovery of the New World, and presenting the series of events in a clear and connected narrative, rejecting whatever was considered irrelevant or unimportant, and dwelling chiefly on those striking features of the subject which ^ive it vividness and" character ; the history is" brought down to the present day. " Although," says the author in his preface, " the considerable period embraced, the multitude of characters and events delineated, and the extent of the field in which they figure, have rendered the preservation of historical unity no easy task, he has laboured to give the work such a degree of compactness as would enable the student to perceive the relation of all its parts, and to grasp the whole without any very difficult exercise of comprehension." The numerous testimonials to t!ie merit of this work, and its popularity evinced qiiite unequivocally by the sale of ten thousand copies within a few months after its first publication, afford a strong presumption that the author has succeeded in his purpose of making it a first-rate school history. The following notices and recom.mendations of Frost's History, are selected from an immense number which have been sent to the publisher.. REOOJ^^IEHDATIONS. Mr. BiDDLE, Dear Sir,— I am glad to see that the " History of the United States," which you announced some time since, has made its appearance. The extensive research which has of late years been carried on upon the subject of American history, and the careful investigation of original sources of intelligence, by ladividuals eminently qualified for the task, have furnished valuable maia 6 rials from which to enlarge and to correct the historical records of our coun- try. It was time to have these advantages transferred to works designed for the purpose of education. I was happy, therefore, to observe by your an- nouncement, that a book on this plan was to be prepared. I have since been gratified with the perusal of the volume ; and I take pleasure in saying that :t appears to me in every respect well executed. It, avoids the lault with which most compilations are chargeable — that of merely sketching a general outline of events, too brief and abstract to gain the attention of the student. It is free, at the same time, from injudicious prolixity and detail. The style is clear, concise, and spirited ; free on the one hand from the am.bitious and rhetorical character, and on the other, from the negligence and inaccuracy into which most of our popular compends have fallen. As a liistory of the United States, it is, in my opmion, more full a nd more exact than any of the same size, and in all other respects preferaole, as a book intended to aid the business of instruction. WILLIAM RUSSELL, Editor of the American Journal of Education, Jirst series, Philadelphia, Oct. 1836.' New York, January 11, 1837. We fully concur in the sentiments above expressed. G. J. HOPPER, JOSEPH CHAMBERLAIN, RUFUS LOCK WOOD, MYRON BEARDSLEY, ROYAL MANN, WILLIAM H. WYCKOFF, JOHN OAKLEY, THEODORE W. PORTER, HENRY SWORDS, C. C. JENNINGS. GEORGE INGRAM, ROBERT J. FURNEY, JOHN C. TREA DWELL, AARON RAND, JOSEPH M'KEEN, EDMUND D. BARRY, D.D., Princi= F. S. WORTH, pal of a Classical Academy. WILLIAM FORREST, SAMUEL GARDNER, F. A. STREETER, D. STEVENS, JAMES LAWSON, SAMUEL BROWN, DAVID SCHOYER, JOSEPH M. ELY, SOLOMON JENNER, P. PERRINE, C. WM. NICHOLS, SAMUEL RICHARDS. JOSEPH MOONEY, From S. Jozies, A.M., Philadelphia, corner of Seventh and Carpenter streets A History of the United States for the use of schools, such as the present, has long been greatly needed— something to coiTespond in its general charac- ter with the admirable histories of Goldsmith, which have been received with so much I'avour. I have examined the volume prepared by Mr. Frost, and "although the considerable period embraced, the multitude of characters and events delineated, and the extent of the field in which they figure," have called for the exercise of great judgment in the selection, as well as in tha arrangement of his materials , yet this difficult task has been accomplished with a success vriiich is highly creditable to the author. The great industry and fidelity with which it has been composed are very apparent ; and the " List of Authorities," at the end, evinces that he has availed himself of the best sources of information. It gives me pleasure to commend this History of the United States, as being better suited to the valuable purpose for which it was designed, than any otlier which has hitherto come under my notice. February, 1837. S. JONES. Mr. E. C. Biddle, Your " Frost's United States" is, in my judgment, by far the best school book in the department of history that v/e have. It ought to supersede, in respect to more advanced pupils, any other text-book extant on this subject. I can only wish that it may be placed within the reach of those for whom it is in* tended, inasmuch as the work needs to be known merely, in order to be gene- rally adopted. CHARLES HENRY ALDEN. [8] Columbia Academy^ Philad.t Nov. 15, 1836. Mr. Edward C. Biddls, Dear Sir,—1 am so well pleased with "Frost's Histor^r of the United States," and its merits as a school bock, that I have organized 3. class who are now engaged in studying it. Respectfully yours, &c. J. H. BROWN. We fully concur in the opinions expressed above. AUGUSTINE LUDINGTON, SAMUEL CLENDENIN, ARCHIBALD MITCHELL, THOMAS T. AZPELL, T. G. POTTS, J. B. WALKER, H. LONGSTRETH, A.M., Classical Teacher, Friends' Academy. D. R. ASHTOJN", WILLIAM MARRIOTT, Principal of Philadelphia Select Academy, corner of Fifth and Arch streets. RUL LAKE, E. FOUSE, N. E. corner of Race and WILLIAM A.'GARRIGUES, Mathe- matical Teacher. L 1. HITCHCOCK, THOMAS BALDWIN, T. SEVERN, JOHN SIMMONS, JOHN EVANS, JOHN STOCKDALE, Rev. SAML. W. CRAWFORD, A.M. Principal of the Academical Dept. of the University of Pennsylvania. ' I have examined " Frost's History of the United States,'* just published, and cheerfully recommend it to the attention of teachers as a very superior work of the kind. In style, a most important point in works of this character, it is decidedly superior to some of the most popular historical compends now used in our schools and academies. Baltiinorey March 16, 1837. R. CONNOLLY. Dear Sir,— I have long felt the want of a good History of the United States, and was jDleased to have the opportunity of perusing irost's. I am so much pleased with its elegance of language, neat arrangement, copious questions, and style of getting up, that I shall at once introduce it into my school, and use my influence to give it a wide circulation. Baltimore^ March 16, 1837. E. B. HARNEY. JOHN COLLINS, MATTHUS NUGENT, RICHARD O'R. LOVETT, S. H. REEVES, JAMES CROWELL, THOMAS COLLINS, R. M'CUNNEY, THOMAS H. WILSON, DAVID SMITH, BARTRAM KAIGHN, M. SEMPLE, B. W. BLACKWOOD, WILLIAM M'NAIR, E. W. HUBBARD, WILLIAM LEWIS, E. NEVILLE, JOHN ALLEN. WILLIAM Max^N, JAMES E. SLACK, L. W. BURNETT, CHARLES MEAD, THOMAS M'ADAM, WILLIAM ALEXANDER, A.M. JOSEPH RAPP, No. 41 Sansom street. JOHN PURLZ, We fully concur in the above. EDWARD S. EBBS, MICH.AEL POWER, ANDREW DINSMORE, JAMES WILKISON, N. M. KNAPP, DAVID KING, JOHN R. GARBOE, JOSEPH WALKER, JAMES -E. SEARLY, THOMSON RANDOLPH, CHARLES H. ROBERTSON, CHARLES F. BANSEMOS, ROBERT O'NEILL, JOHN HARVIE, E. YEATES REESE, PHILIP WALSH, JOHN KIRBY, A.M. BENJAMIN G. FRY, S. M. ROSZEL, JOSEPH H. CLARKE, JOHN KEELY, PARDON DAVIS. L9J Baltimore^ March, 1837. Mr. E. C. Biddle, Sir,— I have examined with some attention "A History of the United States, by John Frost," published by you. I am so mucii pleased with il3 happy arrangement, correct style, and careful investigation into the inci- dents of our history, that I shall introduce it into my school, as early as prac- ticable, and I think its merits need only be known, to recommend it lo every school in the country. I am, respectfully. &c. A. A. DOV/SON. By the p^oliteness of the puolisher, Mr. E. C. Biddls, of Philadelphia, we have received, through his airent, a copy of Frost's "History of the United States ;" and having examined it, are infinitely pleased with the work. The compiler has departed suflicienliy from the path of common historians, lo render his work truly entertaining, without overlooking any important histo- rical fact. The chronological and statistical tables are full, the subject mat- ter well arranged, and it seems adapted in every important respect for use in schools and academies. KNAPP & WILLS. Gay Street Seminary, March 20, 1837. Baltimore Female Classical School. Mr. Biddle, Sir,— As far as I have examined " The History of the United States," which you put into my hands for that purpose, it receives my decided approbation ; and in corroboration of this, I snail introduce it immediately, as a text-book, into my school. A. B. CLEAVELAND, A.M., M.D., Schoolmaster. B<imore, March 16, 1837. Prom Stephen S. Roszel, A.M., Principat of'"'' Spring Semiiuiry,''^ Baltimore. B'Ir. E. C. Biddle, Sir, — A superficial examination of " Frost's United States" is quite suffi- cient to convince any impartial and enlightened mind of its general excel- lence, and especially of its admirable adaptation to the purposes oi scholas- tic study. The simplicity ol its arrangement, the perspicuity of its delinea- tions, and the elegance of its style, combine to recommend its adoption in all our literary institutions, and to secure in its favour the cheerful plaudits of universal approbation. Eespsctfully, S. S. ROSZEL. Philadelphia, March 24, 1833. This is to certify, that "Frost's History of the United States" has been adopted as a class-book by the Controllers of the Public Schools of the First School District of Pennsylvania, and is in general use in the public schools in the city and county of Philadelphia. R. PENN SMITH, Secretary of the Board of Controllers. Frost's History of the United States has been reprinted m London as the first of a series of national histories written by natives of the respective countries to which they relate. This is a compliment not often paid to American school books by British pub- lishers. [10] FROST'S HISTORY FOR COMMON SCHOOLS. HISTORY OF THE UNITED STATES FOR THE USE OF COMMON SCHOOI.S. By John Frost, author of " Histoiy of the United States for the use of Schools and Academies," " The American Speaker," &e. This work is condensed from the author's larger History of the United States for the Use of Schools and Academies, In reducing the quantity of matter to such a compass, as will place the volume within the reach of the eommon schools, no pains have been spared to preserve all that is essential to a clear and comprehensive history of the country. No event of importance, noticed in the larger history, is passed over in this, although many of the minor details are considerably condensed ; and some circumstances and ob- servations having a comparatively unimjx)rtant bearing on the main story, are entirely omitted. The author's design, in accomplishing the condensation of his former work, has been to furnish Ihe common schools of the country with a history, in a cheap and convenient form, which would be complete and sufficient for the purposes of sound instruction, not only in the plan and arrangement, but in the amount of solid information which it should comprise. How far he may have succeeded in this attempt it remains for the friends of popular education to determine. HE002VI2VIENDATIONS. The following are selected from a large number of recommendatiens of tho above work which have been received by the publishers. It has been ad<>pted by the Controllers of the Public Schools of the City and County of Philadelphia, and by ®ther committees of public schools in various parts of the country. Fr(ymthe Rev. C. H. Aldeuy Principal of the Philadelphia High School for Girls "Frost's History of the United States" is a text-book in my school, and is justly a favourite. I have often regretted that an edition, in a smaller volume, with numerous illustrative engravings, was not furnished for the use of our junior classes and common schools. I am glad, therefore, to see what I thought a desideratum, and in a style, and at a price so well adapted to tha purposes intended. This volume, I find, is abridged from the larger volume very judiciously, and can be recommended very confidently to general use. There is no history of our country, in my cTpinion, at all comparable with it as a common school book. CHARLES HENKY ALDEN Philadelphia, Oct.^, I837> I judge '' Frost's History of the United States" to be a most excellent epitome of American history. Many interesting and important facts relative to Ame- rican affairs, in other works ef the kind omitted, are therein judiciously intro- [11] . duced. The simplicity and elegance of the style cannot fail to please every attentive reader. The appendix, containing the constitution of our beloved land, as also a useful chronological table, will render the work doubly valuable. WM. ALEXANDER, October 19, 1837. Teacher of Languages^ Philadelphia. Philadelphia, Nov. 16, 1837. I have just ^ot through with an examination of "Frost's History of the United States for Common Schools." I have, for a long time, fell tlie need of a history of our country that should embrace all the most important events, and, at the same time, present a style and arrangement attractive to the common reader. My wishes were fully met upon~'receiving a copy of the ^arger work, by the same author. This work ought to be placed in every library as well as in every school. This smaller work, which appears to be condensed from the larger one, contains all the important facts and retains the same easy style that charac- terized the book from which it was abridged. I feel safe in recommending it to others, and shall introduce it into my seminary as an introduction to the large work, so soon as I can dispense with other works now in use. Yours, &c. H. BILL Union Ball Mr. E. C, BiDDLE : Dear Sir^—l have to acknowledge the favour of copies of " Frost's United States for the use of Common Schools," and of" The American Speaker" by the sam^e gentleman. As you have my opinion of the book from wiiich the first of these works is condensed, it is not necessary to say m.uch of the present volume. The author, it seems to me, has furnished a book better suited to a large class of pupils than his former work ; and while it is complete and suf- ficient for the purposes of sound instruction, not only in the plan and arrange- ment, but in Ihe amount of solid information which it comprises, can be af- forded at one-half the price of the larger volume. I am making use of both of these " Histories," with entire satisfaction. " The Speaker" contains a great variety of pieces, selected, with p-^uch care and judgment, from our most successful orators, and is well adapted to promote the object of the compiler. The Principles of Elocution, by Mr. Ewing, which are prefixed to the collec- tion, and the number of exercises marked with inflections, give this work claims over ail other books of the kind I have examined, and will, doubt- less, secure for it a ready introduction to our colleges and academies. The work has been procured by a number of my pupils, and I unhesitatingly commend it. Yours, &c. S. JONES, No 17 South Seventh street, Philadelphia. PhiladelpMa, March 24, 1838. This is to certify, that " Frost's History of the United States" has been adopted as a cIass-b<)ok by the Controllers of the Public Schools of the First School District of Pennsylvania, and is in general use in the public schools in the city and county of Phila- delphia R. PENN SMITH, ^crclary of Board of Conireltcrs [12 J FROST'S AMERICAN SPEAKER. THE AMERICAN SPEAKER; comprising a com- preliensive Treatise on Elocution, and an extensive Selection of Specimens of American and Foreign Eloquence. Embellished with engraved Portraits of distinguished American Orators, on steel. By J. Fhost, author of History of the United States. The design of this work is to furnish a correct and satisfactory treatise on the Principles of Elocution in a small space; and a very rich and copious collection of specimens of Deliberative, Forensic, Academic, and Popular Eloquence, filling up the greater portion of the volume. It has met with a very rapid sale, six thousand copies having been called for within a few weeks after its first appearance. The estimation in which it is held by intel- ligent teachers will appear by the following: Fr(xm William Russell, Esq., Teacher of Elocution, first Editor of the Journal (^Education. Dear Sir,— The "American Speaker," edited by Mr. Frost, is, I think, one of the best volumes for practical exercises in elocution, that instructers or BLudents can find. The rules and principles laid down in the introductory part of the book, comprise whatever is most useful in V/alker's system, as abridged by Mr. Ewing of Edinburgh. The compends of Mr. Ewing were preferred to all others, by the late Dr. Porter of Andover, whose critical knowledge and pure taste in relation to the art of elocution are so extensively appreciated. The numerous rules on the manner of reading the series— so termed by elocutionists— may be differently viewed by instructers, according to the ex- tent to which they follow Walker's authority. But there can be no diversity of opinion as to the utility of the ®ther parts of the work, and, particularly, the many pieces in which "the inflections of the voice are marked throughout by appropriate accents. PvespectfuUy, J2:f\^^^^^^^ , Mu! E, C. BiDDLE, Philadelphia. WM. RUSSELL. Mr. Biddle : . ^ - ■, . j I consider '' Frost's American Speaker" to be the best compilation of the kind that has ever met my eye. The principles of elocution therein laid down are excellent, and well calculated to promote eloquence in every youthful Ame- rican freeman. The extracts are of a high order, and, in general, breathe the spirit of liberty and independence. Giving you my best wishes for the suc- cess of the work, - I remain, very respectfully, yours, WILLIAM ALEXANDER. I have carefully examined " The Am.erican Speaker, by John Frost," and feel no hesitation in saying that I am highly pleased with the work. The rules and examples elucidating the principles of elocution, cannot fail to secure the advancement of the student in the difficult science of^ Oratory. I have alreadv introduced it into my school.— AVith respect to Mr. J. frosts " Abridgment of the History of the United States," I consider it extremely well calculated to give younger pupils a sufficient knowledge of the history of their own country. MICHAEL POWEK. Baliimore. January 2, 1838. Principal of Ashury Cohege [l^J PINNOCK'S ENGLAND. l^INNOCK'S IMPROVED EDITION OF DR. GOLDSMITH'S HISTORY OF ENGLAND, from the inva- sion of Julius Csesar to the death of George II., with a con- tinuation to the year 1838 : with questions for examination at the end of each section ; besides a variety of valuable information added throughout the work, consisting of Tables of Contempo- raiy Sovereigns and Eminent Persons, copious Explanatory Notes, Remarks on the Politics, Manners, and Literature of the Age, and an Outline of the Constitution. Illust-^ted with 30 Engravings on Wood. Fifteenth American, corrected and re- vised from the twenty-fourth English edition. RECOI«E3VIENDATIONS. Messrs. Key & Biddle, Philadelphia, Oct. 20, 1834. Gentle7nen,—Be pleased to accept my thanks for the favour you have done mejn sending a copy of your neat and attractive edition of Pinnock's Gold- smith's England. It appears to me to have beenAsedulously prepared for the purpose which it professes to subserve— that of a convenient manual for echools and academies. By the questions and tabular views at the ends of the several chapters, the scholar will be able to test his ovfn acquisitions, and to embrace at a glance an important collection of facts, in regard to the his- tory and biography of the period of which he has been reading. These land- marks for the memory?' serve to raise a host of reminiscences, all interesting to the diligent and inquiring student. With my wishes for the success of the work, accept the assurances of the high respect with which I subscribe my- self. Your obedient servant, . WALTER R. JOHNSON, p7'qfessor ofMechaJiics and- Natural Philosophy in the Fi-anklin Institute. From S. Jones, A.M., Principal (fthe Classical and Mathematical Institute^ Philadelphia. I have attentively examined Pinnock's improved edition of Dr. Goldsmith's History of England, published by Messrs. Key & Biddle, of this city, and am impressed with its excellence. I have no hesitation in expressing my full approbation of the work, with my belief that it will receive a liberal patron- age from an enlightened community. S. JONES. nth Month, ia34. ' I consider Pinnock's edition of Goldsmith's History of England as the best edition of that work which has yet been published for the use of schools. The tables of contemporary sovereigns and eminent persons, at the end of each chapter, afford the means of many useful remarks and comparisons with the nistory of other nations. With these views, I cheerfully recommend it as a look well adapted to school purposes. JOHN M. KEAG*'" Friends' Academy, Philadelphia [14] We fully concur in the opinion as 8ETH SMITH, J. H. BLACK, THOMAS COLLINS, JAMES CROWELL, J. B. WALKER, S. C. WALKER, T. H. WILSON, J. MADEIRA, WILLIAM MANN, W. MARRIOTT, C. B. TREGO, URIAH KITCHEN, THOMAS EUSTACE, JOHN HASLAM, W. CURRAN, J. STOCKDALE, 8. H. REEVES, J. HAYMER, W. B. ROSE, CHARLES MEAD, BENJAMIN MAYO, Rev. S. M. GAYLEY, Wil- mington, Del. E. FOUSE. -^ J. E. SLACK, JOSEPH R. EASTBURN, A. STEVENSON, expressed above. WILLIAM A. GARRIGUES, M. SOULE, Rev. CHARLES HENRY AJ.DEN JOHN EUSTACE, BENJAMIN C. TUCKER, HUGH MORROW, WILLIAM M'NAIR, E. H. HUBBARD, R. LAKE, JOHx. WEBB. JOHN ORD, ' SAMUEL CLENDENIN, D. R. ASHTON, J. O'CONNOR, Secretary to the Pbl ladelphia Association of TeacLeis, JOSEPH WARREN, THOMAS CONRAD, THOMAS M^ADAM. Rev. SAMUEL W. CRAWFORD A.M., Principal of Academical Dept, of University of Pennsylvania. M. L. HURLBUT, R. W. CUSHMAN, AUGUSTINE LUDINGTON, JOHN ERHARDT, OLIVER A. SHAW, A. D. CLEVELAND. Baltimore, Dec. 1834 above expressed. WILLIAM HAMILTON, JOSEPH WALKER, JAMES SHANLEY, DAVID RING, ROBERT WALKER, D. W. B. M'CLELAN, S. A. DAVIS, JAMES F. GOULD, JOSEPH H. CLARKE, FRANCIS WATERS, JOHN MAGEE, MICHAEL POWER. We fully concur in the opinion SAMtJEL JONES, O. W. TREADWELL, E. BENNETT, E. R. HARNEY, ROBERT O'NEILL, N. SPELMAN, S. W. ROSZELL, SAMUEL HUBBELL, H. O. WATTS, C. F. BANSEMER, D. E. REESE, S. A. CLARKE, JOHN FINLEY, A.M. Recommendations to the same general effect have been received from tha following gentlemen :— SIMEON HART, Jr., Farmington, Conn. Rev. D. R. AUSTIN, Principal of Monmouth Academy, Blonson, Mass. T. L. WRIGHT, A.M., Principal of East Hartford Classical and English School. Rev. N. W. FISKE, A.M., Professor Amherst College, Mass. E. S. SNELL, A.M., Professor Amherst College, Mass. Rev. S. north, Professor of Languages, Hamilton College, New York W. H. SCRAM, A.M., Principal of Classical and English Academy, Troy, New York. JAMES F. GOULD, Principal of Classical School, Baltimore. A. B. MYERS, Principal of Whitehall Academy, New York. HORACE WEBSTER, Professor Geneva College, New York. W. C. FOWLER, Professor Middlebury College, Vermont. 5. S. NOBLE, Bridgeport, Conn. Ebv. S. B. HOWE, late President of Dickinson College. B F. JOSLIN, Professor Union College, New York. [15 1 PINNOCFS GREECE. PINNOCK'S IMPROVED EDITION OF DR GOLDSMITH'S HISTORY OF GREECE. Revised, cor rected, and very considerably enlarged, by the addition of several new chapters and numerous useful notes ; with questions for examination, at the end of each section. Revised from the twelfth London edition. With 30 engravings, by Atherton. RECO^II^ENDATIONS. Prom Mr, N. Dodge, Teacher, South Eighth street. The edition of " Finnock's History of Greece" on the basis of Goldsmith's, is, tn my_ estimation, a work of superior merit. The introductory chapters are especially valuable. The body of the Nvork is greatly improved ; and the continuation, though brief, supplies a want greatly felt by every reader at tac conclusion of the original work of Dr. Goldsmith. I shall introduce it inta lav seminary as the best text-book on the subject. N. DODGE. We fully concur in the opinions above expressed. THOMAS H. WILSON, WlAI. ALEXANDER, A.BI. JOHN SIMMONS WILLIAM IM'NAIR, EDWARD H. HUBBARD, EZEKIEL FOUSE, Rev. WM. MANN, A.M. J. IVIADEIRA, J. E. SLACK, L. W. BURNET, JOHN HASLAM, TH03IAS EUSTACE, JOHN EUSTACE, WILLUM BIARRIOTT, RIAL LAIO:, THOMAS COLLINS, MATTHIAS NUGENT, SAINIUEL CLENDENIN, JAIVIES CROWELL, WILLIAM B. ROSE, AUGUSTINE LUDINGTON, Rev. SAMUEL W. CRAWFORD A.M., Principal of the Acadl. Dspt, of the University of Pennsylvania. THOMAS M^ADA?/L THOMAS T. AZPELL, A. BIITCHELL, H. MORROW, D. R. ASHTON, BENJAMIN C. TUCKER, ES. LEVY, ^^TLLIAM ROBERTS, SAMUEL J. AVILLEY, THOMAS BALD^^aN, U. KITCHEN, M. L. KURLBERT, SHEPHERD A. REEVES, EDMUND NEVILLE, NICHOLAS DONNELLY, WILLIAM A. GARKIGUES. [16] PINNOCFS ROME, PINNOCK'S IMPROVED EDITION OF DR GOLDSMITH'S HISTORY OF ROME. To which is pre fixed an Introduction to the Study of Roman History, and a great variety of information throughout the work on the Mamiers, Institutions, and Antiquities of the Romans ; with questions for examination, at the end of each section. Revised from the twelfth London edition, with additions and improvements. With 30 engravings, by Atherton, RE003VE2VIEKrDATIONS. Having examined Pinnock's improved edition of Dr. Goldsmith's History of Rome, I unhesitatingly say, that the style and elegance of the language, the arrangement of the chapters, and the questions for examination, render It, in my estimation, a most valuable school book : — I therefore most cheerfully recommend it to teachers, and do confidently trust that it will find an ezten* sive introduction into the schools of our country. Baltimore^ September 23, 1835. JAMES F. GOULI>. We fully concur in the above S. P. SKINNER, C. H. ROBERTSON, ROBERT WALKER, WILLIAM HAMILTON DAVID RING, JAJVIES E. SEARLEY, SAMUEL ROSZEL, E. YEATES REESE, N. SPELMAN, B. WALSH, PARDON DAVIS, SAMUEL HUBBELL, O. W. TREAD WELL, recommendation. A. DINSMORE. JAMES WILKESON, JOSEPH H. CLARKE, S. A. CLARKE, JOSEPH WALKER, JAMES SHANLEY, E. RHODES HARNEY, ROBERT O'NEILL, mCHAEL POWER, JOHN PRENTISS, EDWARD S. EBBS, MICHAEL TONER. Fh-wn Samuel Jonesj A.M., Principal of the Classical and Mathematical Instittitei Philadelphia. A writer of so honourable a popularity as Dr. Goldsmith, for ail the graces of an elegant, polished, and pure style and whose histories have been so long and so extensively useful to youth, certainly needs no encomium. It may be ^ded, however, for the information of those teachers who are not acquainted with the improvements of Pinnock, that he has been for some time eminent in England for valuable additions to school books. Of the edition of Rome, by Messrs. Key & Biddle of this city, it is believed that it will be found superior, in the manner of " getting up," to any yet published in this country ; while ks attractive appearance and mechanical execution lead me not only to hope, [17] ^^l con-fidently expect, that they will receive a liberal return for their iavest ment. Philadelphia, September 15, 1835. SAMUEL JONES. From J. M. Keagy, 31. D., Principal of FHends^ Acaderrvj, Philadelphia. Pinnock's edition of "Goldsmith's Rome" has several very useful addi- tions ; the one an introduction, containing an abridged view of Roman Geography and Antiquities, and the other a very appropiiate extension of Roman history to the subjugation of the empire by the Northern Bsj'Jarians. This improved edition of " Goldsmitli's Rome" will, no doubt /etain its place in our schools as one of the best abridgments of the history of that interesting people. JOHN M. KEAGY. We fully concur in the above. THOMAS BALDWIN, F. M. LUBBREN, D. MAGENIS, Teacher of Elo- SHEPHERD A. REEVES, cution. JOHN HASLAM, WILLIAM A. GARRIGUES, E. FOUSE, CHARLES HENRY ALDEN, OLIVER A. SHAW, W. MARRIOTT, M. L. HURLBERT, THOMAS CONARD, RIAL LAKE, URIAH KITCHEN, BENJAMIN MAYO, SETH SMITH, WILLIAM M'NAIR, J. D. GRISCOM, C. K. FROST, AUGUSTINE LUDINGTON, SAMUEL CLENDENIN, CHARLES B. TREGO, THOMAS COLLINS, THOMAS EUSTACE, J. O'CONNOR, J. H. BROWN, JOHN STOCKDALE,' JOHN «TEEL, D. R. ASHTON, T. G. POITS, BENJAMIN C. TUCKER, JOSEPH F. ENGLES, JAMES CROWELL, WILLIAM MANN, RICHARD M'CUNNEY, L. W. BURNET, J. E. SLACK, HUGH MORROW, CHARLES MEAD, JOSEPH EUSTACE, E. H. HUBBARD, BI. A. CRITTENDEN, Princi- V. VALUE, pal of a Young Ladies' Semi- EDWARD POOLK nary, Philadelphia. ixecommendations to the same effect have been received from th* followian gentlemen : SIMEON HART, Jr., Farmington, Conn. T. L. WRIGHT, East Hartford, Conn. Rev. N. W, FISKE, Professor Amherst College, Mass. D. R. AUSTIN, A.M., Principal of Monson Academy. Rev. S. NORTH, Professor Hamilton College, New York. HORACE ASTEBSTER, Profe.ssor Geneva College, New York, B. G. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. S. B. HOWE, late President of Dickinson College. B. F. JOSLIN, M.D., Professor Union College, New York. G. B. GLENDINNING, Troy, New York. J. P. BRACE. Principal of Hartford Female Academy. C. H. CALHOUN, A.M., Tutor William's College, '. GEORGE HALE, A.M., Tutor V7illiam's College. J. H. LATHROP, A.I\I., Professor Hamilton College, New York. A. N. SKINNER, New Haven, Conn. D. D WHEDON, Professor Wesleyan University, Middleton, Coua, GUY ON ASTRONOMY, AND KEITH ON THE GLOBES GUY'S ELEMENTS OF ASTRONOMY^ AND AN ABRIDGEMENT OF KEITH^S NEW TREATISE ON THE GLOBES. Thirteenth American edition, with additions and improvements, and an explanation of the astro- nomical part of the American Almanac. Illustrated with eighteen plates, drawn and engraved on steel, in the best man ner. REOOBIWSSSirDATIONS. Philadelphia, December, 1834. A volume containing Guy's popular treatise of Astronomy, aud Keith on the Globes, having been submitted to us for examination and carefully ex- amined, we can without any hesitation recommend it to Lne notice and patron- age of parents and teachers. The work on Astronomy is clear, intelligible, and suited to the comprehension of young persons. It comprises a great amount of information, and is v/ell illustrated with steel engravings. Keith on the Globes has long been recognised as a standard school book. The present edition, comprised in the same volume with the Astronomy, is improved by the omission of much extraneous matter, and the reduction of size and price. On the whole, we know of no school book vv'hicli comprises so much in so little space as the new edition of Guy and Keith. THOMAS EUSTACE, W. B. ROSE, JOHN HASLAM, CHARLES MEAD, W. CURRAN, BENJAMIN MAYO, SAMUEL CLENDENIN, H. MORROW, SHEPHERD A. REEVES, J. H. BLACK, JOHN STOCKDALE, S. C. WALKER, J. B. WALKER, THOMAS COLLINS, J. E. SLACK, WM. MANN, JOSEPH R. EASTBURN, RIAL LAICE, WILLIAM M'NAIR, W. MARRIOTT, H. O. WATTS, C. B. TREGO, J. O'CONNOR, Secretary to the JOHN ERHARDT, PhiladelDhia Association of R. W. CUSHMAN, Teachers. THOMAS M*ADAM, B. N. LEWIS, Rev. SAMUEL W. CRAWFORD, Rev. CHAS. H. ALDEN, A.M., Principal of the Acadl. .«pt. BENJAMIN C. TUCKER, of the University of Pennsylvania. J. H. BROWN, O. A. SHAW, JOHN ORD, AUGUSTINE LUDINGTON, SETH SMITH, M. SOULE, WILLIAM ROBERTS, WILLIAM A. GARRIGUES, T. H. WILSON, M. L. HURLBERT JOSEPH WARREN, S. JONES, ^ [19] . Balti?nare, Dec. 1834. We fully concur in the cpinion above expressed. E. BENNETT, JAMES SHAXLEY, C. F. BANSEMAK, DAVID EING, E. K. HARNEY, ROBERT WALKER, ROBERT O'NEILL, D. ^Y. B. :M'CLELAN, N. SPELMAN, S. a. DAVIS. S. W. ROSZELL, JA3IES F. GOULD, SABIUEL HUBBELL, JOSEPH H. CLARKE, A.I\I D. E. REESE, FRANCIS WATERS, S. A. CLARKE, JOHN :MAGEE, JOSEPH WALKER, MICHAEL POWER. O. W. TREAD WELL, C D, CLEVELAND. fisv. S. U. GAYLEY, \Yih mington, Dei. WillbraMm, Oct. 27, 1834. We have used Guy-s Astronomy, and Keith on the Globes, as a text-lwuk, during the past year; it is in all respects such an one as v»-aS wanted, and wy have no disposition to exchanse it for any other with which we are ac -luainted. ^ WM. G. IMITCHELI,, Lecturer on the Natural Sciences and Astronaiuy, in Weslej^cm Academy, Mass. Xcw York, Dec, ISS-l. We fully concur in the opinion above expressed. BERNARD TPIORNTON, W. M. S03IERVILLE, PIORACE COVELL, NORTON THAYER. P. PERRINE, TH03IAS GILDERSLIE^% J. B. KIDDER, MELANCTHON KOYT, SOLOMON JENNER, TH0?.IAS V. FOWLER, JOSEPH M'KEEN, JOSEPH BAILS, C. CARTER. SAMUEL GARDNER, LEONARD HAZELTINE. VflLLLlIM FORREST, JOSEPH CHAMBERLAIN, C. Vv^ NICHOLS, W. R. ADDINGTON, THOMAS M-KEE, HENRY SWORDS, ADN. H5:GEM.\N, J. M. ELY, G. VALE. Recommendations of the same tenor have been received from the following gentlemen : Rev. D. R. AUSTIN, A.M., Principal of Monson Academy, Mass. T. L. WRIGHT, Principal of East Hartford Classical and English School. S. HART. Principal of Farmington Academy. Conn. C. D. WESTBROOK, D.D.,New Bnuiswick,' New Jersey. W. H. SCRAM, Principal of Classical Academy, Troy, New York. E. H. BURRITT, Author of the Geography of the Heavens, New Britain Conn. WI\L C. FOWLER, Professor of Chemistry in Middlebury College, Ver- mont. B. S. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. C. H. ALDEN, A.M., Principal of Philadelphia High School for Young Ladies. Rev. S. B. HOWE, late President of Dickinson College. Rev. Dr. Vv^ESTBROOK, Principal of Female Seminary and Rector cf Rutgers' College Grammar School. Dr. B. F. JOSLIN, Professor Union College, New York, GEORGE B. GLENDINING, Principal of Young Ladies Academy, Troy, N"ew York. M. CATLIN, A.i\L, Professor of Mathematics in Hamilton College, .Ne>' York. [20] BRIDGE'S ALGEBRA. A TREATISE ON THE ELEMENTS OF AL- GEBRA. By Rev. B. Bridge, D.D., F.R.S., Fellow of St. Peter's College, Cambridge, and late Professor of Mathematics in the East India College, Herts. Revised and corrected from the eighth London edition. In this work the hitherto abstract and difiicult science of Algebra is sim- plified and iliiistrated so as to be aUamaole by the younger class of learners, and by those who have not the aid of a teacher. It is already introduced into the University of Pennsylvania, at Philadelphia; and the V/estern Uni- versity cit Pittsburg. It is also the text-book of Gummere's School at Burling- ton, and Friends' College at Haverford, and of a great number of the best schools throughout the"^ United States. It is equally adapted to common schools and colleges. Fhiladclphia, March 7, ia33. Bridge's Algebra is the text-book in the school under my care ; and I am better pleased with it than with any which I have heretofore used. The author is very clear in his explanations, and systematic in his arrangementj and has succeeded in rendering a comparatively abstruse branch of science] an agreeable and interesting exercise both to pupil and teacher. JOHN FROST. We fully concur in the opinion above expressed. CHARLES HENRY ALDEN, JOSEPH WARREN J. O^CONNOR, Secretary to the SAMUEL CLENDENIN, Philadelphia Association of S. H. REEVES. Teachers. University of Pennsylvania, March 30, 1833, Gentlemen, — In compliance with your request that I would give you my opinion respecting your edition of Bridge's Algebra, I beg leave to say, that the work appears lo be well adapted to the instruction of students. The ar rangement of the several parts of the science is judicious, and the examples tire numerous and well selected. Yours, respectfully, ROBERT ADRAIN. We fully concur in the opinion of Bridge's Algebra as expressed by Dr. Adrain. J. HAYIMER, B. N. LEV71S, HUGH MORROW, JOHN STOCKDALE, WILLIAM M'NAIR, W. B. ROSE, OLIVER A. SHAW, BENJAMIN MAYO, SETH. SMITH, J. H. BLACK, SAMUEL E. JONES, THOMAS M'ADAM, fNO. M. KEAGY, JOHN ERHARDT, [211 THOMAS CONARD, Rev. SAML. W. CRAWFORD, A.M., THOMAS COLLINS, Principal of the Academical Dept. J. E. SLACK, of the University of Pennsylvania. C. B. TREGO, R. W. CUSHMAN, J. B. WALKER, Rev. S. M. GAYLEY, Wilmingtoii, JOHN HASLAM, Del. W. CURRAN, Baltimore^ Decembers 1834. We fully concur in the opinion above expressed, E. BENNETT, O. W. TREADWELL, E. R. HARNEY, JOSEPH WALKER, ROBERT O'NEILL, DAVID RING, N. SPELBIAN, ROBERT WALKER, S. W. ROSZELL, D. W. M^CLELAN, SAMUEL HUBBELL, S. A. DAVIS, H. O. WATTS, JOSEPH H. CLARKE, A.M. 0. F. BANSEMEB, FRANCIS WATERS, D. E. REESE, JOHN MAGEE, S. A. CLARKE, mCHAEL PO\\^R. Messrs. Key & Biddle : November 22, 1834. Gentlemen, — I have been highly gratified by an examination of " Bridge's Algebra," published by you ; and think it well entitled to general introduc- tion in our schools. I shall give it a preference in my academy to any v/ork I have seen. Respectfully, yours, J. H. BROWN, Prmcipal of an English a?id Mathematical Academy No. 52 Cherry street, Philadelphia. Neio York, December, 1834. We fully concur in the opinion above expressed. P. PERRINE, NORTON THAYER, J. B. KIDDER, \ THOMAS GILDERSLIEVE,, SOLOMON JENNER, MELANCTHON HOYT, JOSEPH M'KEEN, THOMAS V. FOWLER, C. CARTER, JOSEPH BAILE, LEONARD HAZELTINE, SAMUEL GARDNER, W. R. ADDINGTON, C. W. NICHOLS, HENRY SWORDS, * THOMAS M'KEE. W. M. SOMERVILLE, The gentlemen named below have also sent the publishers strong recom mendations of Bridge's Algebra: PROFESSOR E. A. ANDREWS, Mount Vernon Institute, Boston, Rev. C. DEWEY, Professor Berkshire Gymnasium, Mass. N. S. DODGE, Principal of Young Ladies' Seminary, Pittsfieid, Mass. M. CATLIN, Professor of Mathematics, Hamilton College, New York. GEORGE HALE, A.M., Tutor William's College, Mass. B. G. NOBLE, Bridgeport, Conn. Rev. D. R. AUSTIN, Principal of Monson Academy, Mass. E. H. BURRITT, Author of the Geography of the Heavens, New Britain Conn. A. B. MYERS, Principal of Whitehall Academy, New York. THEODORE STRONG, Professor of Mathematics in Rutgers' College, New Jersey. Rev. S. NORTH, A.M., Professor Hamilton College, New Yorlt, [22] VALUABLE SCHOOL BOOKS PUBLISHED BY THOP^AS, COWPERTHWAIT & CO Aiid for Sale by Booksellers generally. Frost's United States. — History of the United States ; for the use of Schools and Academies. By John Frost. Illustrated with forty Engravings History of tlie United States, for the use of Comnioii Schools. — By John Frost, author of History of the United States for the use of Schools and Academies : condensed from the Author's larger History of the United States. Frost's American Speaker. — The American Speaker, com prising a Comprehensive Treatise on Elocution, and an extensive Selection of Spe- cimens of American and Foreign Eloquence. Embellished with engraved Por- traits of distinguished American Orators, on steel. By J. Frost, author of History of the United States. FinBock's England. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- smith's History of England, from the Invasion of Julius Caesar to the year 1838. Illustrated with 30 Engravings on Wood. Pinnock^s Greece. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- smith's History of Greece ; with Questions for Examination at the end of each Section ; with 30 Engravings, by Atherton. Pinnock's Rome. — Pinnock's improved edition of Dr. Gold- Bmith's History of Rome ; with Questions for Examination at the end of each Sec- tion ; with 30 Engravings, by Atherton. Simson's Snclid. — The Elements of Euclid, viz. the first Six Books, together wiih the Eleventh and Twelfth. The errors by which Theon, or others, have long vitiated these books are corrected, and some of Euclid's deraon- strohons are restored. By Robert Simson. M.D., Emeritus Professor of Mathe- mnf .'s in the University of Glasgow ; with Elements of Plane and Spherical Triuoaometry. Koss's Latin Grammar. — Comprising all the Rules and Ob- eervations necessary to an accurate knowledge of the Latin Classics, having thu Signs of auantity affixed to certain Syllables ; with an Alphabetical Vocabulary. Huddiman's Rudiments of the Latin Tongue^ new and knproved edition, with Notes. By William Mann, A.M. Ainsworth's Latin Dictionary. — A new abridgment of Ainsworth's Dictionary, English and Latin, for the use of Grammar Schools. By John Dymnck, LL. D. A new American edition, with corrections and improve- ments, by Charles Anthon Jay, Professor of Languages m Columbia College, New York, and Rector of the Grammar School. Ciark^s Csjsar. — The Notes and Interpretations translated and improved by Thomas Clark. Carefully corrected by comparison with a standard London edition, and containing various e.mendations m the Notes. By WiUiam Mann, A.M. Fornev's Syllabaire Francais ; or, French Spelling Book.— Revised, corrected, and improved by J. Meier, late Professor of French and German in Yale University. Keith's Arithmetic— Practical and Self-Explanatory. By an experienced Teacher of Mathematics To which are added a Comprehensive Treatise on Mensuration, and an original and perspicuous System of Book-Keoping Guy on Astronomy, and Keith on the Globes. Bridge's Algehra. Lay J Gold smiths Natural History. - Abridged for ihe us^ of "Schools, by Mrs. Pilkinston. Kevised and corrected by a Teache of Philadelphia, with Questions. New edition : illustrated with upwaid^ of 100 nev/ and handsome Engravings. Sketches of tlie Life and Character of Patrick Henry. —By William Wirt. Revised edition-, with headings to each Chapter, and sucb' an arrangement of the Notes contained in the former editions, as to render the work suitable for a Class-Book in Academies and Schools. Parley^s Coliioibiis. — The Life of Christopher Columbus; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, an4 Bumerous En- gravings. Parle y^s Washington. — The Life of General George Wash- ington ; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, and nu- merous Engravings. Parle y^s Franklin. — The Life of Benjamin Frankhn ; adapted to the use of Schools, with Questions for Examination, and numerous Engravings Parley's AMERICA, EUROPE, ASIA, AFRICA, ROME, GREECE, ISLANDS, TALES OF THE SEA, WINTER EVENING TALES, JUVENILE TALES, ANECDOTES, SUN, MOON, AND STARS The Child's History of the United States.— By Charles A. Goodrich ; designed as a First Book of History for Schools ; illustrated by numerous Engravings and Anecdotes. Andrews's Practical Lessons in Flower Painting — being a series of Progressive Studies, intended to elucidate the ^Srt of Flower Painting — with 12 beautifully coloured illustrations, rules for mixing colours, &c. Valuable Standard Books, The Book of Common Fiayer, and Administration of the Sacraments and other Rites and Ceremonies of the Church, according to the use of the Protestant Episcopal Church in the United States ; with the new Psalms and Hymns. A new and beautiful octavo edition, with fine steel engravings, and on large type ; in every variety of binding. The Book of Common Prayer — 12mo., or duodecimo, with fine steel plates, in plain and in elegant binding. The English Version of the Polyglott Bible, pocket edi- tion — with Marginal Readings, together with a copious and original selection of references to parallel nnd illustrative passages; exhibited in a manner hitherto un- attempted. Bound in Turkey, morocco, calf, and sheep binding. Pocket Pearl Sible, with four elegant engravings on steel. This is one of the smallest, and at the same time plainest editions published • bound in pocket-book form, and in all the different approved styles of binding. Clarke's Commentary. — The New Testament of our Lord and Saviour Jesus Christ; the Text carefully printed from the most correct copies of the present authorized version, including the marginal readings and paraHel Texts, with a commentary and critical notes; designed as a help to a better under- standing of the sacred writings, by Adam Clarke, LL.D., F. S. A., M. R. J. A. ; new edition improved — complete in 1 vol., super royal octavo. « Barnes' Family Prayers. — Prayers for the use of Families, chiefly selected from various Authors ; with a preliminary Essay ; together with a selection of Hymns, by Albert Barnes — 1 vol., 12mo. s Suddards' British Pulpit. — The British Pulpit, consisting of Discourses of, by the most eminent living Divines in England, Scotland, and Ire- land, accompanied with Pulpit Sketches, to which are added Scriptural illustra- tions ; and selections on the office, duties, and responsibilities of the Christian Ministry, by the Rev. W. Suddards, Rector of Grace Church, Philadelphia — 2 vols,, octavo. The Saint's Rest. — The Saint's Everlasting Rest, by the Re¥ [24] B.ichard Bdxte', abridged by Benjamin Pawcett, A.M., with an k*roductory essay, hy Thomas Erskine, Esq. — 1 vol., 18aio, Coleridge's WorkSo — The complete Works of Samuel Taylor Ooleridge, Prose and Verse. — 1 vol., 8vo., various binding. Howitt, Milman, and Keats. — The Poetica] Works of flowitt, Miiman, and Keats, complete in one volume, 8vo., various binding. MEDICINE. Beckys Medical Jurisprudence* — Elements of Medical Ju- risprudence, by Theodric Reraeyn Beck, M.D., Professor of JMateria Medica and Medical Jurisprudence in the College of Physicians and Surgeons of the Western District of the State of New York, &c.. &c., and John B. Beck, M.D., Professor of Materia Medica and Medical Jurisprudence in the College of Physicians and Surgeons, New York — one of the Physicians to the New York Plospital, &:c., &c., — Sixth edition in 2 vols., octavo. Wistar's Anatomy. — A System of Anatomy for the useof Stu dents of Medicine, by Caspar Wistar, M.D., late Professor of Anatomy in the University of Pennsylvania, with notes and additions, by William E. Horner, M.D., Professor of Anatomy in the University of Pennsylvania. Seventh edition; en tirely remodelled and illustrated by numerous engravings, by J. Pancoast, M D., Lecturer on Anatomy and Surgery, one of the Surgeons of the Philadelphia Iioa pital, Fellow of the Philadelphia College of Physicians, &c. ; in 2 vols., octavo. Turner's ClieMistry. — Elements of Chemistry, including the recent discoveries and doctrines of the Science, by the late Edward Turner, M.D. Sixth American edition, with notes and emendations, by Franklin Bache, M.D. 1 vol., royal ]2mo., from the sixth London edition, enlarged and revised, by Pro- fessor Liebig and Wilton G. Turner. Armstrong's Practice of Medicine. — Being Lectures on the Morbid Anatomy, Nature and Treatment of Acute and Chronic Diseases, by the late John Armstrong, M.D, First American edition — with an account of the life and writings of Dr. Armstrong, by John Bell, M.D., Lecturer on the Institutes of Medicine and Medical Jurisprudence, in 2 vols., octavo. liaennec on tlie Cltest. — A Treatise on the Diseases of the Chest and on Mediate Auscultation, by R. T. H. Laennec, M.D., Regius Professes of Medicine in the College of France, Clinical Professor to the Faculty of Medi- cine of Paris, &c., &c., &c.— v/ith plates. One large octavo volume. LAW. Peters' Reports* — Reports of Cases argued and adjudged in the Supreme Court of the United States, by Richard Peters, Counsellor at Law, and Reporter of the Decisions of the Supreme Court of the United States. Complete sets of the above for sale, commencing at January Term, 1827, and containing all the decisions of the Court since that time, in 14 vols. Wheaton's Selwyn's Nisi Frius. — The subscribers have just published a new edition of Selwyn's Law of Nisi Prius, being the 4th Ameri- can from the 9th London edition; with American cases, since the last American edition, by Edward E. Law, Esq. Johnson's Reports of Cases in the Supreme Court, and the Court for the Correction of Errors of the State of Nev/ York, with Rules and references to subsequent decisions. Law Reports — 20 vols. •, Law Cases— 3 vols. ; Chancery Reports— 7 vols. ; Di- gest, new edition, corrected — 2 vols, in 1: Digest vol.3, being a supplementary volume to Johnson's New York Digest, which embraces a digest of the following Reports : Cowen's Reports, in 9 vols. ; Windell's Reports, 15 vols. ; Hopkins' Chancery Reports, 1 vol. ; Paige's Chancery Reports, 5 vols. ; Edwards' Reports of cases by the Vice-Chancellor, 1 vol. ; Hall's Reports in the Supreme Court of New York, 2 vols. The two Volumes form a Complete Digest of all the Reports at Common Law, and Chancery decisions of the State of New York to this time. CMtty^s Illackstone> — Commentaries on the Laws of England, In four books ; with an analysis of the work. By Sir William Blackstone, Kt. one of the Justices of the Court of Common Pleas, in 2 vols., with a life of the author, and notes by Christian, Chitty, Lee, Hovenden and Ryland : and also re- ferences to American Cases. By a Member of the New York Bar. LIBRARY OF CONGRESS 003 110 109 8 THOMAS, COWPERTHWAII Public, that they have made arrangeii publication of his series of French Sq bars of which are now ready. Teac. furnished with copies for examination, on applicationto the Pub: dCrThe remaining numbers of the same series will be issued a^S practicable. VALUABLE SCHOOL BOOKS. PUBLISHED BY THOMAS, COVVPERTHWAIT & CO. PHILADELPHIA; AND FOR SALE BY THE BOOKSELLERS GENERALLY THROUGHOUT THE UNITED STATES. 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