►*• - r V:4 raws I5H v ^ v3 ■I. ^EjtJAS- - 4 SNal !||fe *^,^»'#M. Ky" ! i*UJ Chap.. H/^,512 i WILLIAM PITT WILLIAM PITT £ T tr D E FINANGIERE ET PARLEMENTAIRE M >■/ M. A. CALMON ANCIEN DEPUTE A A A li ? V ? PARIS MICHEL LEVY FRERES, LIBRARIES EDITEURS HUE VIVIENNE, 2 BIS, ET BOULEVARD DES ITALIENS, 15 A LA LIBRAIRIE NOUVELLE 1865 Tous droits reserves J3A52Z P(cC.Z 1, *1 v9^o La partie la plus importante de cette £ tude, celle relative a la premiere admi- nistration de M r Pitt, a dega paru dans la Revue des Deux Mondes (15 mai et l er juin 1861). Nous l'avons compile par le recit des mesures a la discussion desquelles cet homme d'Etat prit part comme simple membre du parlement sous le minist^re Addington, et de celles qui furent adoptees sur son initiative, pendant les dix-huit mois de sa seconde administration. Les sources auxquelles nous avons puise sont nombreuses et authentiques ; mais nous aimons a constater les indications precieuses que nous avons trouv^es dans un remarquable article de M. Le^once de Lavergne publie par la Revue des Deux Mondes en juillet 1849, et dans l'excellent essai historique de M. le comte de Yiel- Castel sur les Deux Pitt. Avril 1865. WILLIAM PITT ETUDE FINANCIERE ET RARLEMENTAIRE PREMIERE PARTIE LES FINANCES DE LA PA IX Ce que j'ambitionne, c'est la consideration et non le pouvoir, disait un jour Pitt a Canning, — my ambition is character^ not office. La plupart des homines d'Etat en Angleterre pourraient, a bon droit, rep6ter ces belles paroles, parce que la consideration s'y attache plus a la fidelity aux principes qu'a Fexercice de l'autorite. Dans Fop- position comme au pouvoir, leur situation est '2 WILLIAM PITT. egalement grande : s'ils aspirent au gouverne- ment, c'est moins pour 1' eclat du rang ou le credit qu'il leur donne que pour le triomphe de leur opinion et de leur parti, et le jour ou, pour Fob- tenir ou le conserver, ils devieraient de leur ligne politique, immediatement s'eloigneraitd'euxl'au- torite morale qui fait leur force et leur honneur. Nul parti ne pouvant pretendre a gouverner sans l'assentiment du pays, les hommes politiques cherchent a l'eclairer dans des debats dont le veritable caractere est trop respecte pour que jamais on ait pense a leur infliger la denomination de guerre de porte-feuille : chacun y rivalise de patriotisme, de talent b d' eloquence, et de ces luttes sont sortis les Chatham, les Burke, les Fox, les Pitt, les Peel, c'est-a-dire les plus nobles gloires dont puisse s'enorgueillir une nation libre et intelligente. Parmi ces hommes illustres, nul n'a exerce sur les destinees de son pays une influence plus con- siderable que Pitt. Lorsqu'il entra au ministere en 1783, il trouva l'Angleterre epuisee par une longue et desastreuse guerre, et dix-sept ans WILLIAM PITT. 3 apres, quand il en sortit, il la laissa, malgre les charges d'une autre guerre, plus riche, plus pros- pere et plus puissante quelle n'avait jamais ete. Sans aucun doute, ses grandes reformes adminis- tratives, Fordre retabli par lui dans les finances, le respect scrupuleux des engagements de l'Etat, dont il fit un des principes essentiels du gouver- nement de FAngleterre, contribuerent a produire ce resultat : il faut aj outer cependant que ni ses combinaisons ni ses operations fmancieres n'eussent eu le meme succes si la sanction du parlement ne leur eut pas assure le concours du pays, et que la source des emprunts eut ete bien- tot tarie si la fidelite aux contrats, au lieu d' avoir la garantie de la nation tout entiere, n'eut repose que sur la loyaute du souverain. En effet, il ne saurait y avoir cle bonnes finances sans bonnes institutions, et par bonnes institutions Ton entend ici celles qui, au lieu de rendre une seule autorite l'arbitre supreme des destinees d'un 6tat, y garan- tissent les droits, les liberty, les int^rets priveis et publics par 1' organisation de pouvoirs qui s'equilibrent entre eux. Lorsqu'il depend de la % 4 WILLIAM PITT. volonte unique d'un souverain de jeter le pays dans les hasards de la guerre, de lui imposer telles charges ou depenses qu'il lui convient, la confiance fait defaut; on ne veut s' engager avec lui qu'a des conditions dont 1'avantage compense les risques du contrat. La Russie et l'Autriche sont la pour attester ce que sont les finances des empires regis par le pouvoir absolu. Si au con- traire les actes du gouvernementsont soumis a un controle serieux et efficace, alors la securite- s'eta- blit, et le cours des fonds anglais, celui des fonds francais avant ISliS 1 , temoignent de la vitalite du credit dans les Etats libres. Et ce n'est pas seu- lement au point de vue financier que cette opinion est vraie : un gouvernement qui est soutenu par les sympathies librement exprimees d'une nation est toujours d'autant plus fort pour agir et pour negocier. En 1783, la situation de FAngleterre, sortie vaincue et humiliee de sa latte avec l'Ame- 1. L'emprant de 150 millions 3 pour 100 contract en 1841 l'a 6te au taux de 78 francs 50 centimes; celui de 200 millions 3 pour 100 contracte en 1844 l'a e"te" au taux de 84 francs 15 cen- times. WILLIAM PITT. 5 rique, etait a tous 6gards moins favorable que celle de la France, et cependant quelques annees apres, grace a ses institutions, elle etait en pleine prosperity, tandis que la France etait en revolu- tion. Plus tard encore, tandis que cette derniere suivait heroiquement, mais a regret, son chef dans les aventures ou il 1'entrainait, grace encore a la force que leur donnaient ces memes institutions, les mediocres successeurs de M. Pitt fmissaient par dieter a Vienne les conditions de la paix. Notre projet n'est pas de faire l'histoire com- plete de Pitt, ni de le suivre dans toutes les circonstances de sa vie politique ; e'est surtout au point de vue financier que nous avons voulu exa- miner son administration, qui se partage en deux periodes bien distinctes : l'une de paix, depuis 1783 jusqu'a la fin de 1792 ; l'autre de guerre, de- puis 1793 jusqu'a 1806 interrompue par les trois annees du ministere Addington. La premiere est peu connue, parce qu'elle eut moins d'eclat au dehors, et cependant Pitt crea alors les finances de 1'Angleterre, constitua son credit et se montra peut-etre plus grand ministre qu'il ne le fut 6 WILLIAM PITT. dans la seconde. Celle-ci est toute remplie par la lutte engaged contre la Revolution francaise, les necessites qui en furent la consequence, les moyens auxquels il fallut recourir pour y pour- voir. Gette etude aura son utilite, si elle demontre ce que peuvent pour la prosperity d'une nation un regime de vraie liberte, un systeme de ferme politique en harmonie avec le sentiment du pays, et le credit fonde sur la bonne foi publique. WILLIAM PITT. SITUATION DE L'ANGLETERRE A LA FIN DE 1783. — EMPRUNT. — BILL DE COMMUTATION. — REFORMES ADMINISTRATIVES (1784-1785). Lorsque au mois de decembre 1783, a l'age de vingt-quatre ans, Pitt fut appel6 aux fonctions de premier lord de la Tresorerie, il se trouva en pre- sence des difficultes politiques et financieres les plus graves, et ce ne fut qu'apres avoir resolu les premieres qu'il lui fut possible d'aborder utile- ment les secondes. Le celebre minister e de coali- tion Fox-North venait d'etre dissous a la suite du rejet par la chambre des lords du bill sur le gou- vernement des Indes, propose par Fox. La majo- rity qui l'avait soutenu dans la chambre des com- munes se retourna compacte contre ses successeurs, et pendant quatre mois Pitt lutta sans succes 8 WILLIAM PITT. contre elle ; mais le pays n'avait en general ap- prouve ni la coalition ni ses causes. Gette opposi- tion systematique , en arretant la solution de questions importantes , mecontenta davantage encore, et chaque jour 1' opinion publique se ma- nifestait a cet egard d'une facon plus vive. Enfin, encourage par les temoignages d'adhesion qu'il recevait de toutes parts, Pitt crut pouvoir recourir au moyen constitutionnel de la dissolution, et les elections, en modifiant la force des partis, lui donnerent une majorite qui, a la premiere epreuve, fut de 282 voix contre llli. Assure" desormais du concours du parlement, il s'occupa de.pourvoir aux necessites d'une situation financiere des plus critiques. La guerre d'Amerique, qui venait de se termi- ner par le traite de paix avec la France, avait augmente le capital de la dette fondee de 90,000,000 livres sterling *, et le chiffre annuel des interets de 4,120,000 livres sterling. D'un autre cote, presse par des besoins incessants, \. Soit en valenrs francaises 2,250,000,000 francs. WILLIAM PITT. 9 lord North avait eu recours a cles negotiations et a des expedients qui, en elevant la dette a terme ou dette flottante a plus de 33 millions de livres sterling, avaient affaibli le credit du Tresor. Le prix des consolides 3 pour 100 etait tombe a 5Zi, et le revenu public , atteint dans toutes ses branches, etait encore diminu6 par une contre- bande active qu' avaient developpee les desordres de la guerre. Ainsi les taxes permanentes, c'est-a- dire celles qui n'etaient pas soumises au vote an- nuel du parlement, la douane, l'excise, le timbre, ne produisaient guere plus de 10 millions de livres sterling, entierement absorbes par l'interet de la dette fondee, qui 6tait de 8 millions, par la dota- tion de la liste civile et d'autres depenses dont ces taxes etaient le gage special. En sus de ces services, il fallait encore acquitter les depenses annuelles de l'armee de terre, h millions de livres sterling, celles de la marine, 3 millions de livres sterling, celles de 1'artillerie et des fortifications, 600,000 livres sterling, les services divers, les in- terets de la dette flottante, soit un total de 9 mil- lions de livres sterling. Les seules ressources a y 10 AVILLIAM PITT. affecter etaient 2 millions 1/2 provenant des im- potssur la dreche, sur la terre, et de taxes addi- tionnelles peu productives etablies par lord North. I/insuffisance pour les services ordinaires seuls 6tait done de 6,500,000 livres sterling. II restait a payer sur les services anterieurs 1,500,000 liv. sterling ; le Tresor devait en outre rembourser a la Banque 2 millions de livres sterling que cet eta- blissement lui avait avances sans interets en 1781 comme condition du renouvellement de son privi- lege, et il fallait ainsi aviser au moyen de se pro- curer une somme de 10 millions de livres sterling pour assurer en 1784 la marche des services et faire honneur aux engagements contractus. II n'y avait done pas la seulementdes embarras actuels et momentanes dont il eut toujours ete possible de se degager avec des expedients plus ou moins habiles et des sacrifices plus ou moms onereux. La tache a remplir etait autrement im- portante. II s'agissait de relever le moral d'un pays abattu par les revers en lui faisant connaitre Teten- due de ses ressources, de ranimer les transactions, de restaurer le credit et de retablir l'ordre dans WILLIAM PITT. 11 F administration de l'Etat. Dans la vie des peuples comme dans celle des individus, il ne suffit pas d' occasions propices pour sortir d'une situation facheuse ; il faut surtout 1' esprit de conduite, une direction intelligente , et dans cette circonstance Pitt fat le guide que l'Angleterre eut la bonne for- tune de trouver. Comprenant la grandeur de sa mission, il resolut de l'accomplir par la reforme des abus, par l'ordre et l'honnetete dans l'admi- nistration publique, la simplification des impots, la regularity dans la perception des revenus et le payement des depenses, surtout par 1' acquirement scrupuleux des dettes de l'Etat. II se mit done a l'ceuvre avec le sentiment des services qu'il avait a rendre, avecl'energie d'un esprit convaincu, et cette confiance de la jeunesse qui, lorsqu'elle n'est pas de la presomption, attire les sympathies et gagne les suffrages. II fallut d'abord aviser au plus presse, e'est-a- dire aux moyens de se procurer les 10 millions de livres sterling necessaires pour solder les depenses courantes et les engagements echus. La Banque ayant consenti a ce que le remboursement de sa 12 WILLIAM PITT. creance de 2 millions de livres sterling fut diffe>e d'une annee, Pitt espera, au moyen de quelques reliquats , . de quelques excedants de revenus au dela des previsions, des ressources de 1'ancien fonds d'amortissement , ramener les besoins a couvrirau chiffre de 6,000,000 de livres sterling, et, pour se procurer cette somme, il eut recours a un emprunt. Jusqu'alors, la negotiation des em- prunts avait eu lieu a 1' amiable et aux conditions debattues et arretees entre le chancelier de l'Echi- quier et les souscripteurs. G'est dans cette forme que 1' annee precedente lord Cavendish en avait contracte un de 12 millions de livres sterling. 7,500,000 avaientete concedes directement a onze banquiers, et 4,500,000 livres sterling repartis entre divers capitalistes, quelques fonctionnaires et des amis particuliers du ministre. Ge mode de proceder etait devenu pour le gouvernement un moyen de patronage et d'infliience, et l'interet public etait souvent sacrifie a celui du cabinet ou a des considerations privees. Pitt en avait alors vivement signals les inconvenients en d^montrant que si, dans le dernier emprunt, la concession eut WILLIAM PITT. 13 ete faite avec publicite et concurrence, elle Feut ete a des conditions bien plus favorables pour FEtat, reproche parfaitement foncle du reste, car la prime fut immediatement de 8 pour 100, et la perte pour le Tresor de 550,000 livres sterling. Consequent avec les vues qu'il avait exprimees avant son entree au pouvoir, desireux de mettre un terme a des abus facheux, et croyant d'ailleurs qu' outre le merite d'etre plus sincere , le systeme de F adjudication publique avait celui de mieux garantir les interets du Tresor, Pitt resolut d'y recourir. II fit done annoncer que l'emprunt de 6 millions de livres sterling serait concede sous cette forme, et, ainsi qu'il l'avait prevu, cette annonce amena une concurrence : deux compa- gnies s'organiserent et d6poserent leurs proposi- tions cachetees. L'ouverture en eut lieu devant le gouverneur de la Banque; Femprunt fut adjuge a celle qui offrit de preter au taux le moins eleve, et Pitt put certifier sur Fhonneur au parlement que pas un seul shilling n' avait ete retenu par lui pour etre distribue entre les amis de Fadministration. G'etait la une importante innovation, dont le but, 14 WILLIAM PITT. a la fois utile et honnete, etait trop evident pour que la moinclre critique put etre exprimee, et c'est dans cette forme qua une seule exception pres, dont nous aurons occasion de parler, tous les em- prunts furent concedes par la suite. Le meme sys- teme introduit plus tard en France, y a ete appli- que jusqu'en 1852. Apres avoir ainsi pourvuauxbesoinsdel'annee, Pitt s'occupa de liquider les charges leguees par le passe. La dette a terme, on vient de le voir, etait de 33 millions de livres sterling, dont une partie, environ 11 millions 1/2, provenait d'emprunts successivement faits a la Banque d'Angleterre; h millions 1/2 etaient dus a la Compagnie des Indes, et le surplus consistait en bons de la ma- rine, de l'artillerie, des vivres, et en billets de l'Echiquier, quipesaient lourdement sur toutes les negotiations du Tresor. Pitt entreprit d'eteindre ces divers effets par deux consolidations, dont Tune, de 6,600,000 livres sterling, eut lieu en 1784, 1' autre, de 11 millions, l'annee suivante, et il pro- fita de cette circonstance pour faire l'essai d'un fonds 5 pour 100 qu'il preferait aux 3 et 4, parce WILLIAM PITT. 15 qu'une clette contractee dans un fonds superieur, creant une marchandise moins abondante, lui pa- raissait devoir etre d'une liberation plus facile et plus prompte. « J'aitoujours cru, dit-il dans la discussion qui eutlieu a ce sujet a lachambre des communes, qu'un fonds eleve vaut mieux qu'un fonds inferieur, que le k pour 100 est preferable au 3 et le 5 au h. La raison en est que, dans toutes les operations de finances, il faut toujours avoir en vue les moyens de liberation. Racheter et eteindre graduellement la dette doit etre le but d'un gouvernement sage : toutes les operations doivent etre preparees et dirigees vers cettefin. » De pareils principes se trouvaient en complete opposition avec ceux qui etaient admis et prati- ques a cette epoque, et', malgre le desir qu'avait eu Pitt de contracter l'emprunt de 6 millions en 5 pour 100, il avait du y renoncer en presence des repugnances exprimees par les banquiers. Ges repugnances etaient fondees sur ce que, le prix du 5 pour 100 etant plus voisin du pair que celui des fonds inferieurs, et la possibilite du rembour- sement ou d'une reduction d'interet etant plus 10 WILLIAM PITT. prochaine, le 5 offre moins d'avantage que le 3 pour 100. Neanmoins, convaincu de l'utilite de l'entreprise, Pitt voulut en faire l'essai. D'apres le cours des fonds publics, le prix des rentes 5 pour 100 donnees en echange des effets retires aurait du etre de 95; mais, pour faciliter l'operation, il ne les emit qua 93, et prefera faire ce leger sacri- fice sur les interets dans l'espoir d'un declomma- gement avantageux par une liberation plus prompte. De plus, pour mieux engager encore les porteurs de bons a accepter ses propositions, il declara que le nouveau fonds ne pourrait etrerem- bourse, et que l'interet ne pourrait en etre recluit que lorsque 25 millions des rentes 3 et Ix pour 100 auraient ete rachetes. Les porteurs d' effets, deter- mines par les conditions qui leur etaient offertes et desireux de recouvrer la disposition de leur capital deprecie sur la place sous sa forme ac- tuelle, accepterent ces diverses propositions, et le total des rentes provenant des deux consolidations s'eleva a 878,000 livres sterling. Les rentes creees par l'emprunt de 6 millions furent de h 15, 000 liv. sterl. II y avait done la une nouvelle charge an- WILLIAM PITT. 17 nuelle et permanente de 1,193,000 livres sterling, a laquelle il fallait affecter des ressources spe- ciales pour en assurer l'acquittement regulier. Quel que obere que fut le pays, Pitt n'hesita point a proposer au parlement la creation de nouveaux impots. « Ma tache, lui dit-il, est ingrate. Je risque de soulever contre moi bien des meconten- tements ; mais je suis trop penetre des obligations que me cree la haute position qui m'a ete confiee pour ne pas les remplir. D'ailleurs j'ai confiance dans le bon sens et le patriotisme du peuple an- glais, et j'ai, comme ministre des finances, une regie dont je suis resolu a ne pas m'ecarter, celle de ne jamais rien lui deguiser. Le Tresor a con- tracts des engagements, et il faut y faire honneur. Ce n'est qua cette condition que la confiance pourra renaitre, et le credit public se relever. De- vant une pareille consideration, il n'y a pas a hesiter, eta defautde ressources disponibles, il est indispensable de recourir a des taxes pour sen procurer. » S'associant aux sentiments du mi- nistre, la chambre vota les taxes proposees sur les permis de cbasse, les patentes de marchands ven- 18 WILLIAM PITT. deurs cles objets soumis a l'excise, la soie ecrue, la vaisselle d'or et d' argent, les chevaux de course, les domestiques des deux sexes, les preteurs sur gages, les boutiques, les chapeaux, rubans, cali- cots, etc. Le produit probable en etait evalue a 1,200,000 livres sterling, et ainsi se trouverent liquideesles dernieres charges de la guerre d'Ame- rique. Vaut-il mieux en effet, comme le disait Pitt, emprunter dans un fonds eleve que dans un fonds inferieur? Le remboursement du capital de la dette fondee n'etant pas exigible, peu en importe le chiffre pour l'Etat. La seule charge qui lui in- combe est celle des arrerages, et son principal souci doit etre des lors de combiner ses nego- ciations pour qu'ils soient le moins eleves pos- sible. Ce que doit rechercher le preteur au con- tr^ire, c'est la chance de voir an gm enter le prix de sa rente afm d'en retirer un prix superieur au capital verse , s'il veut vendre , et la marge est d'autant plus grande pour le rentier que le taux auquel il prete est plus eloigne de celui auquel le Tresor pourrait lui imposer une reduction d'in- WILLIAM PITT. 19 t6ret par la menace (Tun remboursement. Prenons pour exemple le dernier emprunt contracts en France. 315 millions de francs ont ete empruntes a 3 pour 100 au taux de 66 fr. 30 c. Pour chaque 66 fr. 30 c. qu'il doit revevoir, le Tresor s'est re- connu debiteur de 3 fr. de rente et de 100 fr. de capital, et par consequent, pour 315 millions qui lui seront verses, le capital nominal de sa dette sera accru de Ml, 700, 000 fr., et le chiffre de la rente annuelle de 13,253,000 fr. Sans doute le Tr6spr pourra insensiblement se liberer par l'amor- tissement, en admettant que le fonds n'en soit pas employe a d'autres besoins ; mais il ne pourra obliger les porteurs de rentes a opter entre un remboursement ou une reduction d' intent que lorsque les cours auront depasse 100 fr. II y a ainsi pour eux une marge a parcourir de 34 fr. avant que cette alternative puisse leur etre im- posee, et c'est l'avantage qu'ils payent en pretant a un taux moins eleve. Si au contraire, en admet- tant que la situation l'eut permis, F emprunt avait ete contracte en k 1/2 au taux de 95 fr., qui etait celui de ce fonds au 10 Janvier 186A , la rente 20 WILLIAM PITT. annuelle creee eut ete de 14,921,000 fr., et le ca- pital reconnu par l'Etat de 331,570,000 fr.; mais quelle eut 6te la chance pour le Tresor? G'est qu'avec le retour de circonstances favorables, le prix du h 1/2 pour 100 , puis du h depassant le pair, il y eut eu des lors possibility d'obtenir des reductions successives d'interets qui en auraient abaisse le chiffre bien au-dessous de celui stipule dans le fonds 3 pour 100. Et tel est, il faut le dire, un des cotes les plus facheux de la conversion faite il y a deux ans du h 1/2 en 3 : pour 157 millions qu'a touches le Tresor, il a aliene la faculte de require dans des temps propices de 50 millions de francs l'interet annuel de sa dette, sans que l'unification de cette derniere ait produitles avan- tages anndnces. On disait que la concurrence du k 1/2 empechait le 3 de s'elever, et que, s'il n'y avait plus qu'une seule nature de dette, les cours prendraient leur essor. Le contraire est arrive, et le 3 pour 100 est plus bas qu'il n'6tait alors, car le h 1/2, fonds essentiellement paisible et presque immobilise dans les portefeuilles, declasse par la conversion, est venu s'ajouter aux valeurs qui en- WILLIAM PITT. 21 combrent la place , et la speculation seule a pro- fite de cette mesure. Pour conclure sur ce point, nous croyons que dans "un iEtat financier prospere , au milieu de circonstances politiques heureuses, si un fitat a des emprunts a contracter, il doit preferer le fonds eleve* pour rester maitre de la position vis-a-vis de ses creanciers ; mais si la situation est chargee, si l'avenir est peu assure^ c'est dans le fonds in- ferieur qu'il doit traiter pour avoir moins d'arre- rages a payer en laissant a ses preteurs, en echange des sacrifices qu'ils font sur les interets, de larges chances d'augmentation de capital.. Ce fut au reste la loi a laquelle dut se conformer Pitt, et si, pendant la paix, il put emprunter et consolider en 5, plus tard, au milieu de la guerre, il fut oblige de le faire en 3. II ne suffisait pas cependant d' avoir pare aux n6cessites du present et d' avoir liquide les charges du passe, il fallait aussi assurer et accroitre les ressources de l'avenir en faisant produire aux impots existants tout ce qu'ils etaient susceptibles de donner et en supprimant des abus onereux 22 WILLIAM PITT. qui, par la faveur, le temps ou la negligence, s'etaient introduits au sein de l'administration. Encourage par le succes de ses premieres mesures, Pitt entreprit resolument cette double tache, sans etre arrete ni par les difficulty de 1' execution ni par la crainte de blesser des interets puissants. On a dit quel prejudice causait la contrebande. Elle s'exercait sur la plus grande eclielle, et tous les efforts faits pour en arreter le developpement avaient echoue. Des capitaux considerables etaient engages dans cette coupable et fructueuse in- dustrie , qui trouvait des complices dans toutes les classes de la societe. On evaluait a plus de quarante mille le nombre de ses agents sur terre et sur mer. Les matelots de la marine royale desertaient pour y servir; les chaloupes cdtieres et les marins du cabotage etaient presque tous occupes au transport et au debarquement des marchandises amenees des lieux de provenance ou des entrepots par des batiments sur lesquels ils allaient les chercher au large. Les fermiers de la cote trouvaient plus avantageux de les transporter avec leurs chevaux que de se livrer WILLIAM PITT. 23 aux travaux de culture. Les ouvriers des villes abandonnaient leurs ateliers pour participer aux profits de ce commerce illicite, et enfm les em- ployes m^mes de la Compagnie des Indes, au lieu d'envoyer en Angleterre leurs capitaux par les moyens ordinaires, les convertissaient en charge- ments de the" qu'ils y faisaient introdaire en con- trebande par des societes etrangeres organisees a cet effet. II y avait done la une perte considerable pour le Tresor, un prejudice pour 1' agriculture , et une cause de profonde demoralisation. Pitt crut qu'il fallait combattre un pareil fleau, non-seule- ment par la repression , mais aussi en detruisant dans leur source les profits qui en etaient 1' ali- ment. Dans cette pens&e, il proposa au parlement un ensemble de mesures severes qui furent adop- tees sans division. Tous les batiments soupconnes de se livrer a la contrebande purent &tre saisis jusqu'a quatre lieues de la cote, et, en cas de cul^- pabilite, durent Stre detruits , a moins qu'ils ne fussent propres au service de la marine royale. II fut defendu d'en construire de la dimension et du tonnage de ceux qui servaient habituellement 24 WILLIAM PITT. a ce trafic , et les vaisseaux armes ne purent plus s' eloigner au dela d'une certaine distance sans une permission de l'Amiraute. Enfm, toute attaque contre un batiment de l'Etat affects au service de la douane ou de l'excise , ou contre tous officiers de la marine royale ou employes du Tresor, et toutes personnes qui les assisteraient dans l'exer- cice de leurs fonctions , dut etre punie comme un crime capital. Mais de simples mesures repressives auraient ete impuissantes a detruire le mal ; il fallait encore l'attaquer par les tarifs, car il n'etait pas douteux qu'aussi longtemps que les droits percus sur les marchandises principaux objets de la contrebande resteraient au taux eleve ou ils 6taient, les frau- deurs feraient d'assez grands profits pour se re- soudre a braver toutes les mauvaises chances qu'on leur opposait. II importait done de reduire les droits de telle facon que la contrebande n'ofFrit plus aucun benefice. C'etaient surtout les esprits et le the qui en 6taient l'objet. D'apres les eva- luations les plus approximates, la consommation de cette derniere denree s'elevait en Angleterre a WILLIAM PITT. 25 13 millions de livres sterling; 5 millions au plus etaient vendus par la Gompagnie des Indes, de telle sorte que 8 millions entraient en fraude. Des maisons de commerce s' etaient organises sur le continent pour en fournir au fur et a mesure des besoms de la contrebande, et on supposait qu'il y avait a cette epoque 5 millions de livres de the" a Hambourg, 3 millions a Ostende, et des quantity considerables dans d'autres lieux , destinies a etre introduites frauduleusement en Angleterre. Les droits percus sur ces articles Etaient a la fois de douane et d' excise ; ils etaient de 50 pour 100 sur la valeur, plus .de 2 shillings 5 pence par chaque livre, et produisaient annuellement 700,000 livres sterling. Pitt proposa de les sup- primer et de les remplacer par un droit de 12 1/2 pour 100 de la valeur, qui permettrait au nego- tiant honnete de vendre cette denree , introduite regulierement , au prix le plus bas auquel put la livrer le contrebandier. Ge droit, en ne tenant pas compte de l'accroissement, probable cependant, de la consommation , ne devait produire que 170,000 livres, et il y aurait eu des lors une di- 26 WILLIAM PITT. minution de revenu de plus de 500,000 livres, dont la situation financiere ne permettait pas de faire le sacrifice. Pour la compenser, le ministre proposa d'augmenter la taxe sur les fenetres, et d'en exempter toutes les maisons non soumises a la taxe des pauvres et de l'Eglise, de telle sorte que les personnes, pour la plupart indigentes, qui les habitaient, devaient profiter de la reduction de droits sur le the sans etre obligees de rien payer a la place. Pitt evaluait a 900,000 livres le le produit de la nouvelle taxe : il y avait done a esperer de cette combinaison un surcroit de re- venu de 200,000 livres, et en meme temps la con- trebande serait paralysee , le commerce r6gulier se developperait , la Gompagnie des Indes em- ployerait vingt batiments et deux mille marins de plus au transport du the, et les profits de ce com- merce, au lieu de passer presque tous entre les mains de negociants etrangers, rentreraient dans les voies legitimes et enrichiraient le pays. Le plan de Pitt, accueilli avec faveur par F opi- nion publique , fut cependant attaque par Fox , qui soutint qu'il etait injuste et vexatoire de faire WILLIAM PITT. 27 payer, sous la forme d'un droit sur les fenetres, un impot sur le the a des personnes qui n'en con- sommaient peut-etre pas ; mais il n'y avait pas une seule famille en Angleterre , riche ou pauvre , dans laquelle des lors on ne fit chaque jour usage de the , et le revenu supprime devant etre rem- place par un autre moins onereux et plus consi- derable , il y avait tout profit pour le consomma- teur et le Tresor dans l'echange propose. Le projet ministeriel fut adopte a une immense majorite, et le bill qui l'a consacre est connu sous le nom de « bill de commutation. » Toutefois la campagne contre la contrebande n'eut pas ete complete , si on ne lui avait pas aussi enleve le moyen de tra- fiquer sur les spiritueux et sur les vins. Ces der- niers furent desormais soumis au regime de 1' excise, c'est-a-dire de 1'exercice de l'inventaire et de circulation dont les droits etaient moins faciles a eluder que ceux de douane, et unetaxe egalefut mise stir les matieres qui entraient dans la com- position des vins fabriques. La distillation des esprits a 1'interieur donnait egalement lieu a de grandes fraudes, et celles des melasses entre 28 WILLIAM PITT. autres, qui, dans la ville de Londres, acquittaient 32,000 livres de droits en 1778, n'en rendait plus que 1,098 en 1783. Pitt proposa en consequence d'augmenter les droits sur les esprits indigenes, d'en mieux regler la perception, de diminuer ceux qui frappaient les esprits etrangers, et la motion qu'il fit a ce sujet fut adoptee sans opposition. Les bons effets de ces diverses mesures ne tar- derent pas a se faire sentir. La contrebande, vive- ment attaquee , n' opera plus qu'avec peine ; le commerce, n'ayant presque plus d'interet a frau- der, prefera acquitter les droits , la nouvelle taxe sur les fenetres fut percue sans soulever aucune reclamation, et au commencement de la ses- sion de 1785, Fox fut le premier a reconnaitre* ces heureuxresultats. Gette session fut principale- ment consacree a l'examen des resolutions pr6- parees par Pitt pour mettre un terme a des abus et privileges prejudiciables au Tresor et onereux pour le public. Ainsi des agents superieurs de 1' administration etaient depositaires de sommes de Temploi desquelles ils ne rendaient aucun compte, et que souvent ils placaient a leur profit. WILLIAM PITT. 29 Le chiffre s'en elevait a 2 millions de livres sterling. Pitt les fit rentrer au Tr6sor, et, afin de prevenir le retour de semblables irregularity , le parlement institua, sur sa demande, une commis- sion de cinq membres irrevocables aussi long- temps qu'ils rempliraient fidelement leur mandat, et charges, avec les pouvoirs les plus etendus, d'apurer les comptes de tous les ministeres. Le service des tresoriers de la marine donnait lieu a un abus bien plus grave encore. En quittant leur emploi, ces fonctionnaires n'etaient pas tenus de restituer immediatement les fonds souvent con- siderables qu'ils avaient entre les mains : l'un d'eux en etait detenteur depuis quarante ans, et en 1785 il y avait quatre comptes de cette nature a apurer. Un 6tat de choses aussi irregulier ne pouvait etre maintenu, et Pitt fit decider que desormais les fonds affected au service de la marine seraient, en sortant de l'Echiquier, deposes a la Banque, que les tresoriers y prendraient seulement, les sommes necessaires pour acquitter les depenses courantes de peu d'importance, et que les grosses seraient soldees au moyen demandats tires sur cet 30 WILLIAM PITT. etablissement. Enfin chaque ann6e les tresoriers durent rendre leurs comptes, et en sortant de fonction remettre leur balance a leurs successeurs. Les membres de la chambre des lords et ceux de la chambre des communes avaient le droit de franchise pour les lettres qu'ils recevaient et celles qu'ils ecrivaient. Leur privilege etait illimite quant au nombre et quant au lieu de destination , et la seule garantie requise etait leur signature mise sur le dos de celles qu'ils etaient censes expedier. Plusieurs d'entre eux avaient trouve le moyen d'en faire une source de benefice. Ainsi ils cedaient, moyennant remise, des provisions d'enveloppes signees par eux a des maisons de banqne et de commerce, ou bien encore des lettres leur etaient adressees en des lieux ou ils ne residaient pas, et d'autres personnes, qui etaient les veritables desti- nataires, les recevaient sous leur nom en franchise. On evaluait a 170,000 livres sterling la perte oc- casionnee annuellement au Tresor par ce trafic deloyal. Sans etre arrete par la crainte de mecon- tenter ceux de ses amis qui le faisaient, Pitt pro- posa au parlement de decider que chaque membre WILLIAM PITT. 31 de Tune ou 1' autre chambre n'aurait droit a la franchise que pour dix lettres par jour, que celles expedites par eux seraient revetues de leur signa- ture, qu'ils devraient, non-seulement en ecrire de leur propre main l'adresse entiere, mais encore y mettre le jour, le mois et l'ann6e, et que celles qui leur seraient envoyees ne leur seraient de- livrees gratuitement qu'au lieu ou ils se trou- veraient. Ges diverses mesures furent adoptees : le Tresor en retira un profit important , et elles ont ete appliquees jusqu'en 1839, epoque a laquelle la franchise a ete completement supprimee. D'autres plans de reformes non moins utiles n'obtinrent pas le meme succ£s. Ainsi, dans les diverses branches de 1' administration publique, il y avait des sinecures concedees par brevets et qui procuraient de gros benefices a leurs posses- seurs; il y avait aussi des emplois dont les titu- laires touchaient les emoluments sans cependant les remplir eux-memes; il y en avait d'autres pour lesquels il etait passe en usage que ceux qui les occupaient percevaient sur le public des retri- butions dont le montant exc£dait de beaucoup 32 WILLIAM PITT. leur traitement officiel. Pitt voyait la des eco- nomies a realiser pour le Tresor et des hcarges vexatoires a supprimer pour le. public : deja en 1783 il avait fait a ce sujet une motion que lord Cavendish avait combattue en alleguant qu'il etait parfaitement inutile de saisir le parlement de la question, les ministres ayant le droit d'introduire dans leurs departements respectifs les reformes qu'ils jugeaient convenables; mais les ministres changent : dans un meme cabinet, ils peuvent ne pas avoir ni des vues semblables , ni la meme re- solution , et Pitt pensa que le meilleur rnoyen de rendre la mesure generate serait de la faire con- sacrer par la voie legislative. Sur une nouvelle motion qu'il fit a cet effet, le parlement decida qu'il serait nomme une commission chargee de s'enquerir du montant des emoluments, gratifi- cations , retributions per cues dans les divers ser- vices publics, de rechercher les abus qui s'y pra- tiquaient, et de proposer les moyens propres a en assurer la marche d'une facon plus economique et plus satisfaisante. Son but etait de supprimer la plupart des sinecures en dedommageant ceux qui WILLIAM PITT. 33 les possedaient, d'obliger tous les titulaires d'en\- plois a les remplir eux-memes, et d'augmenter le traitement des fonctionnaires qui n'etaient pas suffisamment r6tribues, afm de pouvoir retrancher oil du moins reduire de beaucoup la perception des gratifications; mais, pour arriver a ce resultat, il aurait fallu changer les conditions d' existence d'un grand nombre de personnes, froisser des in- ter ets que Ton considerait comme droits acquis : de tous cotes des reclamations s'eleverent, la re- forme fut ajournee, et ne commenca a toe serieu- sement executee qua partir de 1820. 34 WILLIAM PITT. II. AMORTISSEMENT, TRAITE DE COMMERCE AVEC LA FRANCE, BILL DE CONSOLIDATION (1786-1787). Ce fut dans la session de 1786 que fut prise la plus importante de toutes les mesiires qui signa- lerent 1' administration de Pitt, celle qui fonda de- finitivement le credit public de l'Angleterre, la constitution de l'amortissement. La dette perpetuelle et fondee date en Angle- terre cle 1695. Avant cette epoque, les emprunts contractus par l'Etat etaient acquittes en capital et interets par annuites avec le produit d'impots specialement affectes a chacun d'eux, et sup- primes des que le remboursement integral avait eu lieu. Lorsque la dette eut atteint un chiffre eleve, on trouva plus commode et moins onereux WILLIAM PITT. 35 de la rendre perp6tuelle, ainsi qu'on Favait deja fait en Hollande, et de n' avoir plus a payer que des interets. Des arrangements furent pris avec les creanciers du Tresor, les impots crees pour ga- rantir les sommes qu'ils avaient pretees furent maintenus pour assurer le pavement des arrerages, et en 1716 il fut decide que l'excedant du produit serait consacre a racheter le capital de la dette ; mais cet excedant fut detourne de sa destination primitive pour etre applique aux depenses cou- rantes ou au sqlde des interets de nouveaux em- prunts, si bien qu'on finit par le classer chaque annee au nombre des voies et moyens de l'exer- cice. Cela fut d'autant plus regrettable que, par suite des reductions successives de l'interet de la dette, en 1717 de 6 a 5 pour 100, en 1727 de 5 a 4, en 4 750 de li a 3 1/2 et en 1755 de 3 1/2 a 3, le fonds d'amortissement , qui dans le principe etait de 500,000 livres sterling, s'eleva au chiffre de 1 million, et qu'une pareille ressource, afFectee annuellemeut au rachat du capital, aurait agi avec un puissant effet. 36 WILLIAM PITT. En 1697, au moment de la paix de Riswick, le capital de la dette publique etait de 21 ,500,000 1. st. Pendant, les quatre annees de paix qui sui- virent, les rachats ayant ete de 5,000,000 il n'etait plus en 1 701 que de 16,500,000 1. st. II fut augments pendant la guerre de la Suc- cession de 38,000,000 et en 1713, a la fin de cette guerre, il se trou- vait etre de 54,500,000 I. st. De 1713 a 1740, longue pe"riode de paixin- terrompue seulement par trois annees de guerre, il fut reMuit de 7,500,000 et en 1740 son chiffre etait de 47,000,000 1. st. Pendant la guerre qui finit par le traite" d'Aix-la-Chapelle, il fut accru de 31,000,000 ce qui le porta en 1748 a 78,000,000 1. st. Durant les sept annees suivantes, il fut diminue de 3,500,000 et lorsque la guerre de Sept-Ans commenca en 1755, il etait de 74,500,000 1. st. Durant ces sept annees, il s'accrut de 72,000,000 et s'elevait ainsi en 1762 a 146,500,000 1. st. De 1762 a 1776, la reduction ayant et6 de. . . 10,500,000 il n'e"tait plus au commencement de la guerre d'Amerique que de 136,000,000 1. st. Cette guerre l'augmenta de 1 03,000,000 de telle sorte qu'en 1786, lorsque toutes les defenses qu'elle avait occasionne"es eurent ett§ liquidees, le capital de la dette fonde'e etait de 239,000,000 1. st. WILLIAM PITT. 37 Ainsi vingt-cinq annees de guerre l'avaient augmente de 200 millions; quarante-cinq annees de paix , depuis la creation du fonds d'amortisse- ment en 1716, l'avaient reduit seulement de 25 millions. Une situation aussi chargee excitait les appre- hensions les plus vives. Les uns craignaient que, dans le cas d'une nouvelle guerre, ilne fut impos- sible de recourir au credit, et que lWngleterre se trouvat ainsi impuissante pour la soutenir; d'au- tres redoutaient une banqueroute procbaine, et tous s'accordaient pour demander, dans l'interet du bien-etre et de la securite du pays, qu'on avisat le plus tot possible au moyen de diminuer un pareil fardeau. Organe du sentiment general, la commission des comptes s'exprimait en ces termes : « La dette pubiique est devenue si consi- derable que les tetes les plus liabiles et les coeurs !es plus genereux cloivent reunir leurs efibrts pour chercher le mode le plus convenable etle plus ef- ficace de la reduire ; on est en paix, le moment est done favorable, et on doit en profiter. Le mal est tel qu'il n'admet ni ajournements, ni palliatifs, ni 38 WILLIAM PITT. expedients. II faut J'attaquer av'ec vigueur et fer- mete : le credit public, qu'il est essentiel de main- tenir, l'honneur, qu'il est de notre devoir de con- server, et la justice due aux creanciers de l'Etat exigent que ce qui peut etre fait soit fait, ivhat can be done should be done. » II y avait done la tout a la fois un voeu public a satisfaire et un grand resultat a obtenir; mais, pour liberer l'Etat, il fallait des ressources, et Pitt ne voulait pas les chercher dans une aggravation des impots, deja si lourds, et qu'il avait d'ailleurs considerablement augmentes. Ce fut seulement lorsqu'il crut etre assure que, par 1'efTet des re- formes et des mesures adoptees sur sa proposi- tion, le produit des taxes existantes laisserait un excedant disponible, qu'il se determina a proposer un plan d'amortissement. Et d'abord il voulut que le parlement constatat par lui-meme le resultat de toutes les mesures prises depuis deux ans, et recherchat quel pourrait etre a l'avenir le montant approximatif des depenses et des revenus annuels du pays. Sur sa demande, une commission pre- sidee par William Grenville fut nommee au com- WILLIAM PITT. 39 mencement de la session pour se livref a cet exa- men. Dans son rapport, elle etablit que le revenu del'annee precedente avait ete de 15,379,18*2 li- vres sterling, que celui de 1'exercice courant serait de 15,397,171 livres sterling, et qu'il y avait lieu d'en esp6rer l'accroissement par suite du progres de la richesse publique, du developpement des affaires industrielles et commerciales, et des pour- suites energiques dirig6es contre la contrebande. Elle croyait done pouvoir l'evaluer pour l'avenir au minimum de 15,397,000 livres sterling. Quant aux depenses, elle les portait a 14,478,000 livres sterling. On avait ainsi le droit de compter sur un exc6dant annuel de recettes de 919,000 livres ster- ling; mais pendant quelque temps encore, a raison des charges considerables leguees par la guerre, les depenses devaient exceder le cbiffre normal de 14,478,000 livres sterling. II fallait achever des vaisseaux dont la construction etait commencee, payer des traitements de demi-solde aux officiers mis en disponibilite, donner des se- cours aux veuves de ceux qui avaient 6te tues, ainsi qu'aux refugies am^ricains; le tout pouvait 40 WILLIAM PITT. monter a 3 millions et etre solde en trois ou quatre annees. Toutefois il y avait peu a s'en preoccuper, parce qu'on y affecterait les econo- mies realisables sur le budget de la guerre, le produit de la vente de quelques biens de la cou- ronne. le montant d'avances a restituer par la. Gompagnie des Indes, etl'excedantde 900,000 li- vres sterling resterait ainsi disponible. Cet excedant, porte a 1 million par la creation de taxes sur des objets de parfumerie ou par une application plus severe de celles qui pesaient deja sur les esprits et les bois etrangers, devint la base duplan d'amortissement presente par Pitt, etdont il suffira d'indiquer ici les principales dispositions. Un million de livres sterling devait etre affecte chaque annee au rachat des rentes sur ]a place au coars du jour. Les valeurs ainsi rachetees n'e- taientpas eteintes. Lerevenu devait en etreajoute au fonds d'amortissement, operer avec lui, et on avait calcule qu'au bout de vingt-huit ans, par le concours incessant des interets composes, en les supposant a 5 pour 100, la dotation de l'amortis- sement aurait atteint le chiffre de h millions de li- WILLIAM PITT. 41 vres sterling et rachete im capital de 100 millions de rente, soit a peii pres la moitie de la dette. Ge resultat toutefois ne pouvait etre obtenu que si cette dotation n'etait pas detournee de sa destina- tion : il fallait done la declarer inalienable. Pour plus desurete, l'emploi devait en etre confie a des commissaires dont la haute position et le carac- tere personnel fussent une garantie de la resis- tance qu'ils opposeraient a toute tentative de de- tournement, et de la fidelite scrupuleuse avec laquelle ils accompliraient leur mandat. Les com- missaires seraient le president cle la chambre des communes, le chancelier de l'Echiquier, le maitre des roles, le gouverneur et le sous-gouverneur de la Banque d'Angleterre, et enfin le chef de comp- tabilite de la haute cour de chancellerie. Les fonds leur seraient remis tous les trois mois, devraient etre employes au rachat dans le courant du tri- mestre, et toute autre affectation deviendrait ainsi impossible. Ce fut le 29 mars que Pitt developpa sa propo- sition devant la chambre des communes dans un discours elaborated and far extended, ainsi que 42 WILLIAM PITT. le qualifia Fox, et il put, avec un sentiment de satisfaction bien legitime, y exposer les avantages r6alis6s pendant deux annees d'une administration aussi eclairee que laborieuse. De 18 millions, les depenses annuelles avaient ete reduites a Ik mil- lions 1/2, malgre l'augmentation de 1 ; 200,000 li- vres sterling de rentes pour acquitter les charges du passe. De 12 millions 1/2, le revenu s'etait eleve a 15 millions 1/2, et le produit des nou- veaux impots n'entrait danscet accroissement que pour 1,200,000 livres environ. Au lieu d'un de- ficit de 6 millions, un excedant de recettes d'un million paraissait desormais assure, et le pays pouvait entreprendre avec confiance la liberation de sa dette. Pitt devait done etre fiera juste titre, car ce succes etait principalement du a son habile initiative et a ses constants efforts, etenterminant son expose il se borna a rappeler avec autant de modestie que de convenance la part qui pouvait lui en revenir. « Quand on songe, dit-il, que le pays sort d'une guerre qui l'a force d'ajouter des millions a des sommes deja immenses, que toutes les nations et meme la majeure partied'entrenous WILLIAM PITT. 4?> croyaient que jamais nous ne pourrions soutenir le poids d'une charge aussi enorme, et qu'au lieu d'etre epouvantes d'un tel aspect, nous osons con- siderer attentivement notre situation et former un plan solide et permanent pour en sortir, il est impossible que les nations qui nous entourent n'aient pas une haute idee de nos ressources etde notre energie, et ne nous rendent pas dans leur estime cette preeminence que nous meritons a tant de titres. A Dieu ne plaise que je veuille m'at- tribuer le moindre merite en vous soumettant ces resolutions! Cependant je dois me trouver parti- culierement heureux de remplir une tache si dif- ferente de celle de mes predecesseurs, et, au lieu de venir vous proposer des depenses, d' avoir la bonne fortune de vous proposer la diminution de nos charges. Le plan que j'ai l'honneur de porter devant vous est depuis longtemps l'objet de tous les desirs et de toutes les esperances de ce pays, et je suis glorieux de penser que mon nom sera inscrit sur cette colonne qui va etre elevee a la foi publique et a la prosperity nationale. » Les evaluations des recettes et depenses furent 44 WILLIAM PITT. contestees par Sheridan et defendues par William Grenville, president du conrite qui les avait veri- fiers etapprouvees; mais le principe et le systeme d'amortissement ne trouverent que des approba- teurs. Fox: demanda seulement que danslecas ou des emprunts seraient contractus par le Tresor, les commissaires pussent y souscrire au lieu d'em- ployer au rachat les fonds qu'ils auraient a leur disposition, et Pitt ayant adhere a cette modifica- tion, le bill fut aclopte a l'unanimite dans les deux chambres. Pour bien constater l'importance qu'il y attachait et le caraetere tout particulier d'interet public qu'il lui paraissait avoir, le gouvernement crut devoir lui donner une consecration speciale et solennelle, et en consequence, contrairement aux usages, le roi se rendit a la chambre des lords pour le sanctionner. Ainsi futetabli en Angleterresur des bases cer- taines l'amortissement, qu'ont adopte depuis lors toutes les nations soucieuses de leur credit. En procurant un acheteur a toutes les rentes portees sur le marche, l'amortissement en rafiermit le prix; en assurant la liberation de 1'Elat dans un WILLIAM PITT. 45 delai donne, il previent la crainte que peut in- spirer le poids d'une dette publique considerable et facilite les moyens de faire des emprunts a des conditions avantageuses. De plus, a mesure que les fonds de l'Etat s'eleverit, le commerce etl'in- dustrie se procurant plus aisement les capitaux qui leur sont necessaires, il en resulte un accrois- sement de capital dans le pays, une activite plus grande clans les manufactures et une production de richesse qui compensent heureusement le prix plus eleve auquel la dette doit etre rachetee; mais ces bons effets ne sauraient etre obtenus, s'il n'y avait pas continuity dans le rachat, confiance dans la duree de cette operation, si le preteur pouvait craindre un detournement du gage qui lui a ete affecte, et c'est a la fidelite avec iaquelle, au milieu desbesoins les plus pressants, le principe de l'a- mortissement a ete respecte en Angleterre que le Royaume-Uni a du de pouvoir contracter ces enormes emprunts dont les ressources Font mis a meme de I utter pendant vingt-trois ans contre la France. Pitt fit done la, pour le credit de son pays, une ccuvre essentielle, dont l'efficacite ne fut pas 40 WILLIAM PITT. niee pendant les temps de crise que l'Angleterre eut a traverse]', et qui permit en 1813 de rayer du capital de la dette une somme rachetee de 238, 231,241 livres sterling, c'est-a -dire un chifFre egal au montant total de cette dette en 1786; mais, les fonds publics s'etant releves avec la paix,peu a peu l'utilite de l'amortissement fut mise en doute, et de plus en plus contestee. On lui reprocha d'imposer une charge trop onereuse au Tresor par le rachat a des prix tres-eleves de rentes emises dans les bas cours, et lord Grenville lui-meme, le president du comite de 1786, de- vint un de ses plus arclents adversaires. En 1828, ii publia un ecrit dans lequel, apres avoir rappele la part active qu'il avait prise a la mise en vigueur de l'amortissement, les avantages qu'en avait re- tires le pays, il en signalait les inconvenients ac- tuels, et en 1829 il fut decide que desormais il ne serait affecte au rachat de la dette que l'excedant annuel des recettes sur les depenses. Avec un credit aussi eprouve que celui de 1'Angleterre, des conditions de stabilite comme les siennes, un parlement dont le controle puissant n'admet que WILLIAM PITT. 47 les depenses rigoureusement utiles, une rente 3 pour 100 dont le prix approche du pair, le parti pris et le systeme adopte en 1829 sont assurement possibles; mais la situation de tous les Etatsn'est pas semblable a celle de FArigleterre, et pour eux, nous ne craignons pas de le dire, le respect de l'amortissement est une condition essentielle de credit. Si en France ramortissement eut continue de fonctionner, l'Etat aurait pu racheter avec grand profit, a des prix bien inferieurs a ceux de remission, une partie des rentes creees avant 1848, presque sans perte une partie de celles emises depuis lors, et il est probable que son ac- tion puissante, en maintenant les cours, eut donne le moyen faire les recents emprunts a des condi- tions bien meilleures. Tout en elaborant et faisant executer a l'inte- rieur les grandes mesures dont nous venons de parler, Pitt pr6parait et discutait avec le cabinet de Versailles les bases du trait6 de commerce et de navigation qui, d'apres une des clauses du traits de paix de Paris, devait, dans le delai de deux annees, etre passe entre la France et l'An- 48 WILLIAM PITT. gleterre.Ce traite fut signe par M. Eden, pleni- potentiaire anglais, et M. de Vergennes, ministre des affaires etrangeres de France, le 26 septembre 1786, et le 15 Janvier suivant une convention additionnelle supprima de nombreuses prohibi- tions, reduisit nombre de tarifs et determina les conditions auxquelles divers articles pourraient etre reciproquement introduits dans les deux pays. Outre les avantages incontestables que de- vait en retirer le commerce anglais, le revenu public devait aussi en profiter. Ainsi on faisait grand usage en Angleterre de batistes franchises introduites par la contrebande , parce que 1* im- portation n'en etait pas permise; les batistes pu- rent desormais entrer moyennant un droit mo- dere. Ainsi encore l'importation reguliere des eaux-de-vie n'etait que de 30,000 livres, et il en entrait par fraude pres de 1,800,000 livres; par suite de la reduction considerable du tarif qui les frappait, le commerce devait trouver a Tavenir plus de risques que de profits a s'y soustraire. Les vins francais, soumis desormais aux memes droits que ceux de l'Espagne et du WILLIAM PITT. 49 Portugal, purent, sans les ecarter du marche an- glais, remplacer avantageusement dans la con- sommation les vins indigenes, d'une fabrication pernicieuse. II y avait done tout lieu d'esperer une augmentation importante dans le chiflfre des recettes de douane. Le traite et la convention, soumis au parlement au commencement de la session de 1787, y furent vivement attaques par Fox et ses amis; ils leur reprocherent d'etre contraires aux principes qui avaient jusqu'alors dirige la politique commer- ciale de l'Angleterre, dont l'interet traditionnel etait de n'entretenir avec la France aucun rapport amical, et, ainsi que le raconte Macaulay, Pitt s'entendit accuser d'etre un ills degenere et de faire fiemir sous les paves cle l'abbaye de West- minster les os de son illustre pere. « La France, disait Fox, est, en politique, l'ennemie mortelle de la Grande-Bretagne, et ce n'est pas dans le sou- venir des batailles de Grecy ou d'Azincourt qu'il faut en rechercher la cause : elle est tout entiere dans son ambition sans bornes et son orgueil ex- cessif, qui lui font desirer de dominer FEurope. 50 WILLIAM PITT. Sans doute elle pent avoir temoigne un grand esprit d'accommodement dans la negotiation du traite soumis en ce moment au parlement; mais il n'y a pas lieu de s'en etonner, si on examine le traite avec attention , car il est tout entier a son avantage. En observant de pres la conduite de cette puissance, on verra que, malgre sa legerete naturelle, malgre la mobilite de son caractere national, elle a eu constamment depuis plus d'un siecle, et au milieu de tous ses changements d' ad- ministration , une seule idee, celle de s'agrandir, et a cherche par tous les moyens possibles a ob- tenir une influence dominante sur les autres Etats de l'Europe. Je ne saurais trop le repeter, il me parait excessivement dangereux pour le pays de trop se lier avec elle : n'oublions pas que nous sommes une grancle puissance maritime a laquelle tous les gouvernements ont recours des que la France les attaque. Un ministre sage et voulant le bien de l'Axigleterre doit done avoir deux objets en vue par rapport a cette dangereuse voisine : le premier, de detourner son attention de la marine pour la lui faire porter sur les affaires du conti- WILLIAM PITT. ' 51 nent; le second, d'etablir une alliance entre notre pays et quelques Ftats maritimes, de maniere a etre assures de leur concours dans le cas ou la France nous attaquerait. Ges deux resultats sont egalement desirables, et s'ils ne peuvent etre obtenus tous les deux, il faut du moins cher- cher a atteindre Fun d'eux. » Mais toute critique de la part de Fox 6tait d'au- tant plus inopportune que lui-meme, etant secre- taire d'Etat, avait prepare le traite de paix de 1783, que la clause relative aux arrangements commer- ciaux y avait ete introcluite avec son assentiment, et qu'il avait proclame alors la necessite d'etablir et de fortifier les relations d'interet entre les deux pays. Pitt le lui rappela et insista sur les avan- tages de toute nature que FAngleterre retirerait du nouveau regime commercial : developpement de son industrie, progres de sa marine mar- chande, debouche considerable pour les produits de ses manufactures, accroissement du revenu public, enfin garantie plus solide de paix avec la France. a Je n'he\siterai pas, repliqua-t-il , a m'elever 52 " WILLIAM PITT. contre le principe trop frequemment avance, que la France est on doit etre l'implacable ennemie cle l'Angleterre. Gette idee revoltante ne peut avoir de fon dement : c'est une supposition radicale que n'autorise aucune preuve tiree de l'histoire des nations et des hommes, c'est aussi une insulte a la societe politique, insulte qui ne peut etre con- cue que par 1' esprit pervers de quelques homines. Cependant elle a ete propagee, cette idee : on a dit que ce traite jetait l'Angleterre dans les bras de son eternelle ennemie. On raisonne comme s'il ne devait pas seulement detruire toute espece d'animosite, mais comme s'il devait nous enlever tous nos moyens de defense, comme si par ce traite nous abandonnions une partie de nos forces de terre ou de mer, comme si notre commerce devait etre restreint, notre navigation genee, nos colonies abandonnees, et enfm comme si toutes les fonctions de l'Etat devaient tomber dans une apathie complete. Quels motifs y a-t-il a toutes ces suppositions? Croit-on que ce traite nous em- pecherait de repondre aux attaques de la France avec moins de vigueur et de courage? Au con- WILLIAM PITT. 53 traire, comme il cloit nous procurer un accroisse- ment de prosperity, il nous mettrait encore mieux en etat de les repousser; mais il est vrai qu'il peut bien faire davantage , ce trait6 : en etablis- sant plus particulierement des rapports d' union et d'amitie entre les deux nations, il peut eloigner le nloment ou nous aurons besoin de rappeler toutes nos forces. Par suite de la bonne harmonie qui existera entre elles , leurs moeurs , leurs habi- tudes pourront se faire des emprunts reciproques au grand profit de l'une et de l'autre. ... . « Qu'il me soit toutefois permis de le dire : il est etrange qu'on ose avancer, comme je sais que le bruit en a ete propage dans le public, que ce traite est mauvais pour nous parce qu'il sera avantageux pour la France. 11 serait en effet bien singulier que ce pays consentit a ce qui nous se- rait utile sans y chercher de son cote une reci- procite. Ce que je ne crains pas d' avancer, c'est que ce traite est encore plus profitable a l'Angle- terre qua la France. Les motifs en sont clairs et precis : cette derniere y gagne pour les vins et autres productions; nous gagnons de meme pour 54 WILLIAM PITT. nos produits et dans une proportion bien plus grande. Elle s'est acquis un march e de 8 millions d'habitants, et elle nous en a ouvert un de 1h mil- lions. J'ajouterai d'ailleurs , pour donner un exemple de la difference des avantages dont doi- vent beneficier l'une et 1' autre contree, que la France ne peut pas nous envoy er pour 500,000 li- vres d' eau-de-vie sans que nous ne gagnions sur cet objet 100 pour 100, parce que tout accord commercial fait entre un pays de manufacture et un autre qui a recu de la Providence le bienfait d'une richesse de produits naturels doit profiter surtout au premier. « La France est peut-etre, de tous les pays de la terre, celui qui jouit au plus haut degre de toutes les faveurs de la Providence : sol, climat, productions, elle possede tout. L'Angleterre au contraire n'est pas favorisee de la nature, mais elle jouit, grace a Dieu, a son heureuse constitu- tion et a ses lois, d'une energie, d'une hardiesse d'entreprise et d'une industrie qui lui tiennent lieu de tout : ces motifs doivent suffire pour qu'il s'etablisse entre les deux pays des rapports WILLIAM PITT. 55 d'intimite profitables a toas les deux, et non pas cette inimitie national e que Ton pr6sente comme devant etre la base de leur politique reciproque. » Du reste la nation anglaise avait apprecie et reconnu toutes ces considerations et tous ces avantages : ni l'industrie ni le commerce n'avaient reclame , nulle petition n'avait ete signee et col- portee, nulle part on n'avait tenu de meeting pour y protester contre ce pretendu sacrifice des interets anglais aux interets francais, et les deux chambres, en adoptant a une immense majorite le traite et la convention, ne firent que consacrer le sentiment de l'opinion publique. Elles crurent meme devoir accompagner leur vote d'une adresse au roi pour le remercier d' avoir conclu avec le roi Louis XYI un traite de commerce et de navi- gation, « si propre a encourager entre la Grande - Bretagne et la France des rapports avantageux, en assurant la dur6e d'une paix bienfaisante.» En France, les sentiments furent partages. L'indus- trie accueillit le traite par les clameurs les plus vives, et se plaignit d'etre completement sacri- >(') WILLIAM PITT. fiee. Parmi les consommateurs, tout au contraire, l'anglomanie fut portee a 1' extreme. I/importa- tion des produits de fabrique anglaise, qui en 1785 n'avait ete que 6 millions de francs, depassa en 1787 18 millions, en 1788 19 millions, et dans cette derniere annee la balance commerciale entre les deux nations fut a l'avantage de l'Angleterre, de 30 millions de francs; mais, sur 60 mdlions de francs qu'elle expedia en France, il y avait pour 49 millions de francs environ de houille ou de matieres premieres dont profiterent les manufac- tures francaises, et il est probable que, les pro- duits de ces dernieres se perfectionnant et se vendant a meilleur compte par l'effet de la con- currence, et d'un autre cote l'engouement des premiers jours venant a passer, le niveau eut fini par s'etablir. Du reste, la Revolution francaise et la guerre qui en fut la suite survinrent trop tot pour que, d'apres ces premiers resultats, il soit permis de prejuger les consequences economiques que le traite aurait pu avoir defmitivement pour les deux nations. Nous croyons cependant avec Pitt que, si les relations pacifiques entre elles WILLIAM PITT. 57 eussent ete renouees plus tot, il se serait etabli une 'frequentation et des rapports d'interets qui eussent amene une emulation salutaire, et que probablement elles ne se seraient pas bornees a se faire un emprunt reciproque de leurs gouts, de leurs moeurs, de leur esprit et de leurs arts industriels. L'exemple d'une vie politique alors dans tout Feclat de son developpement en Angle- terre eut peut-etre exerce une beureuse influence sur le choix et la pratique des institutions que cberchait a se donner la France, et la liberte eut pu y etre fondee avec un concours de forces et des garanties qui lui ont manque depuis lors. Peu de jours apres l'adoption du traite de com- merce, Pitt proposa a la cbambre des communes une mesure financiere depuis longtemps reclamee, celle de la revision de la legislation et des tarifs de douane, d'excise et de timbre. L'etat existant donnait lieu aux plus legitimes reclamations : c'e- tait un veritable chaos, source d'abus de percep- tion aussi prejudiciables pour le Tresor que pour le contribuable. Pitt resolut d'y mettre un terme, et, parmi toutes les reformes entreprises sous son 58 WILLIAM PITT. administration, il n'en est pas qui ait ete plus utile, mieux elaboree, accueillie avec une faveur plus generate et menee a meilleure fin. Le bill de con- solidation est encore aujourd'hui une des bases principales du systeme financier de l'Angleterre. Ainsi que Ton a deja eu l'occasion de le dire, tous les emprunts contractus avaient ete garantis par la creation de taxes dont le produit leur etait specia- lement affecte, et d'autres avaient ete aussi etablies pour faire face a Faccroissement des depenses pu- bliques. Plusieurs d'entre ces taxes, bien que le mode d'assiette en fut different, portaient sur les memes articles, qui se trouvaient ainsi imposes a la fois sur la valeur pour les besoins generaux, sur le poids pour tel emprunt, sur le volume pour tel autre, a tant pour cent de ce dont ils etaient deja greves pour un troisieme. On comptait dans la douane seulement soixante-huit especes de taxes, et nombre d'objets etaient assujettis a qua- torze droits divers. II etait done impossible ou du moins tres-difificile au commerce de s'y reconnai- tre, et, pour eviter des pertes de temps ou des discussions inutiles, il fallait s'en rapporter a la WILLIAM PITT. 59 bonne foi des agents de 1' administration, auxquels une longue pratique avait donne la clef de ce de- dale. II arrivait meme souvent que ces derniers, au lieu de controler les declarations et calculs presenter a leur bureau, se chargeaient, moyen- nant retribution, de les faire, et de pareils pro- cedes etaient absolument contraires aux regies d'une bonne administration. La meme confusion et les memes irregularites se retrouvaient dans le timbre et dans 1' excise, quoique a un moinclre de- gre. Les administrations precedentes avaient cher- che les moyens d'y remedier, mais elles avaient recule devantla crainte d'alterer le gage du crean- cier de l'Etat et devant les difficultes qui pour- raient en etre la consequence. Pitt fut plus hardi; il se mit resolument a l'o3uvre, et, apres avoir con- suite les hommes les plus verses dans les ques- tions d'impots, apres s'etre renseigne aupres des representants des principales branches d'industrie et de commerce, il pensa que le mode de solution le plus simple etait de supprimer toutes les taxes de douane, d'excise et de timbre, et de les rem- placer sur chaque article par un droit unique, 60 WILLIAM PITT. dont le taux serai t fixe de facon a donner le meme produit que les precedents. L'ensemble de tous ces produits constituerait un fonds dit consoiide, qui serait affecte au service de la dette publique ; l'excedant, s'il y en avait, serait employe a solder les clepenses del'exercice courant, et, en cas d'in- suffisance, il y serait pourvu au moyen de res- sources votees a cet effet. II soumit en consequence a la chambre des communes plus de trois mille resolutions, et donna sur chacune les explications qui lui furent demandees avec.un a-propos, une lucidite et une connaissance de la matiere qui ex- citerent l'admiration et les applaudissements de ses adversaires eux-memes. a La mesure propo- see, dit Burke, etait evidemment si necessaire, si desirable, si avantageuse,et elle avait ete develop- pee avec une clart6 et une nettete si remarquables, qu'il croyait qu'il ne convenait ni a lui, ni a ceux de ses collegues dont le devoir etait malheureuse- ment de voter souvent contre l'administration, de se borner a y donner un assentimenttacite. II trou- vait done plus digne de lui et de ses amis de se lever, de rendre justice au talent deploy e par le WILLIAM PITT. 01 premier lord de la Tresorerie, et de le remercier en leur nom et au nom du pays de la facon habile et puissante avec laquelle il avait concu et expose le projet de consolidation qui promettait au com- merce aisance et facilite, et a l'Etat un accroisse- ment de revenu. » Fox et d'autres membres de 1' opposition vinrent confirmer la declaration de Burke, et le bill de consolidation fut vote dans les deux chambres du parlement sans qu'aucune ob- jection eut ete faite contre son principe. Les impots dont le produit constituait le fonds consolide et les depenses auxquelles on l'affecta furent declares permanents et exemptes par con- sequent du vote annuel du parlement. Les de- penses durent se composer des interets de la dette fondle, du budget de la liste civile, comprenant tout a la fois la dotation reservee au roi et a sa famille, et aussi la majeure partie des services civils, les frais de fabrication et d'entretien de la monnaie, une augmentation de traitement des membres de la judicature, des primes d'encoura- gement pour la culture du chanvre. Quant aux autres depenses ordinaires ou extraordinaires, — 02 WILLIAM PITT. celles de Farrnee, de la marine, des fortifications, de l'artillerie, des services divers designes sous le nora de supplies, — elles continuerent a etre vo- tees annuellement ainsi que les voies et moyens (ways and means) destines a y pourvoir, compre- nant le malt tax (impot sur la dreche) le land tax (impot territorial) et d'autres, classes sous la de- nomination de taxes additionnelles. II serait trop long d'examiner ici quelles sont, dans les Etats ou les depenses et les recettes sont consenties par les representants elus de la nation, celles qui, sans inconvenient, peuvent ne pas etre soumises a la formalite du vote annuel. On con- coit qu'en Angleterre on en ait exempte le fonds consolide, qui, d'apres des engagements anciens sur la foi desquels les divers emprunts ont 6te contractus, en est la garantie speciale et inalie* nable ; on concoit que par suite la meme exemp- tion ait 6te etendue au service de la dette publi- que, charge non-seulement obligatoire, mais sacree, que la nation anglaise, jalouse de son cre- dit, tient a honneur d'acquitter scrupuleusement; mais en France aucun gage n'est affecte a la dette^ WILLIAM PITT. G'6 les interets en sont payes avec les ressources ge- nerates da Tresor sans distinction d'origine, et il n'y aurait p.as lieu de se departir du principe si salutaire du vote annuel des recettes et de- penses. WILLIAM PITT. Ill, ARMEMENTS CONTRF LA HOLLANDE ET L ESPACNE. — IMPOT SDR LE TARAC. — P ROGUES DE LA RIGHESSE PUBLIQDE (1788-1791). A peine la session de 1787 etait-elle terminee qu'une guerre fut sur le point de s' engager entre la France et l'Angleterre. De graves desordres venaient d'eclater en Hollande : a la suite d'an- ciens et vifs demeles entre le parti aristocratique et le stathouder, ce dernier avait ete depouille par les etats generaux de la majeure partie de ses droits et prerogatives; il avait du quitter La Haye, et sa femme, une princesse prussienne, y avait etenon-seulement insultee, maismeme emprison- nee pendant plusieurs heures. Le roi de Prusse avait dernande pour sa soeur et son beau-frere des reparations completes, ainsi que la punition se- WILLIAM PITT. Go vere des coupables : mais les etats generaux s'etaient refuses de la facon la plus hautaine a dormer toute satisfaction. Le roi de Prusse avait fait alors les preparatifs necessaires pour entrer en Hollande, et le roi de France, qui favorisait les projets du parti aristocratique de ce pays, avait reuni quatorze mille homines a Givet pour 1' aider a repousser l'invasion prussienne. L'Angle- terre ne pouvait rester neutre dans ce different! : elle ne pouvait pas laisser la Hollande passer sous l'influence absolue de la France et ses cotes deve- nir des cotes franchises. Le gouvernement anglais fit done signifier dans le courant du mois de mai 1787 au cabinet de Versailles que, s'il venait au secours des etats generaux, l'Angleterre pren- drait immediatement parti pour le stathouder, et a cet effet il conclut avec le landgrave de Hesse- Gassel un traite par lequel ce dernier, moyennant une subvention annuelle de 36,000 livres, met- tait a sa disposition un corps d'armee de douze mille hommes. En meme temps les armements a Finterieur etaient pousses avecvigueur, et ordre 6tait exp6die dans celles des possessions anglaises 4. W WILLIAM PITT. ou un eonilit etait possible avec la France de se pre- parer a lalutte ; mais le roi de Prusse ayant fait en- trer dix-huit nrille hommes de troupes en Hollande sous le commandement du due de Brunswick, et la France, dont les embarras interieurs com- mencaient a devenir tres- graves, n'ayant pas donne a l'insurrection le concours qu'elle lui avait promis, le stathouder rentra a La Haye au bout de huit jours. Nonobstant ce succes, les represen- tants de l'Angleterre a la cour de France, le comte Dorset et M. Eden, crurent devoir demander au cabinet francais des explications sur ses projets : la reponse fut satisfaisante , et ils signerent avec M. de Montmorin une convention d'apres laquelle les deux gouvernements s'engageaient a cesser reciproquement leurs armements et a remettre leur marine sur le pied de paix ou elle etait le l er Janvier precedent. L'attitude prompte et energique prise par le gouvernement anglais dans cette circonstance releva l'Angleterre en Europe, causa une satisfac- tion generale dans le royaume et valut a Pitt merae les eloges de ses adversaires politiques. WILLIAM PITT. 07 « L'Angleterre , ecrivait a sa cour le comte de Voronzoff, ambassadeur de Russie, ajoue un role ferme et brillant, et la conduite de M. Pitt res- semble fort en cette occasion a celle que son pere a tenue, et qui n'etait plus connue ni pratiquee dans ce pays depuis sa retraite jusqu'a ce que son fils fut entre dans les affaires. J'ai eu tant d'atta- chement et de respect pour feu milord Chatham que je prends un vif interet a la consideration que son fils s' attire et qui aurait bien rejoui le pere, s'il avait vecu jusqu'a ce temps-ci. » Les armements necessity par les troubles de la Hollande avaient coute 336,751 livres sterling, et il 6tait du au landgrave de Hesse - Gassel 36,000 livres, montant de la premiere annuite des subsides. Des qu'il fut reuni au mois de de- cembre, le parlement sanctionna ces depenses. A la fin de sa derniere session , il avait decide , sur la motion de Pitt, et pour sauvegarder la dignite de la couronne, que les dettes du prince de Galles, s'elevant a 181,000 livr. sterl., seraient payees par le Tresor public. II y avait done la des de- penses extraordinaires considerables a la charge 08 WILLIAM PITT. da budget del787, etl'excedantde 168,000 livres de recettes orclinaires sur les depenses de raeme nature ne suffisait pas pour les acquitter. JNean- moius Pitt ne demanda point la creation de res- sources speciales, et la difference fut soldee avec des bons de l'Ecbiquier. La crise par laquelle on venait de passer avait plus particulierement attire 1' attention du gouvernement sur la situation mili- taire des colonies anglaises, et Ton avait reconnu que leurs moyens de defense etaient impuissants pour resister a une attaque imprevue. Un coraite d'officiers generaux avait emis l'avis qu'il etait in- dispensable d'y entretenir un plus grand nombre de troupes et d'en fortifier les points les plus vul- nerables. En consequence, dans les premiere jours de la session de 1788, Pitt proposa d'augmenter l'armee de 3,068.bommes, d'aftecter a leur entre- tien un credit annuel de 80,000 livres sterling, et de decider qu'une somme de 315,866 livr. sterl., repartie sur plusieurs exercices, serait employee en travaux de fortifications a Gibraltar et dans les colonies, a Nul, dit-il, en fait de depenses, n'est plus difficile que moi; mais je soutiens que celles WILLIAM PITT. 69 qui, restant dans des limites moderees, doivent avoir pour resultat de mieux assurer le maintien de la paix, sont une veritable economie, et la meilfeure que ce pays puisse faire. » Malgre Top- position de Fox, qui en contesta l'opportunite, les propositions du ministre furent adoptees par 242 voix contre 80. Le budget allait done etre greve a Favenir de 150,000 liv. st. de depenses nouvelles, qui furent pour la premiere fois in- scrites dans celui de 1788; mais elles devaient etre largement compensees par l'augmentation du revenu public, dont les craintes de guerre n'avaient pu, en 1787, arreter la marche ascen- dante. La situation parut meme assez favorable a Pitt pour le determiner a soumettre au parle- ment une mesure d'equite et de justice difteree jusqu'alors a raison de toutes les difficultes aux- quelles il avait fallu d'abord pourvoir. Nombre de personnes compromises par leur fidelite a la cause de l'Angleterre avaient, pen- dant la guerre d'Amerique, eprouve des pertes considerables, soit dans leur revenu, soit dans leur propriete. Leurs interets avaient ete recom- 70 WILLIAM PITT. mandes, par une des clauses du traite de paix, a la sollicitude des legislatures des divers Etats americains; raais cette recommandation n'avait ete qu'une affaire de forme, et aueune de leurs demandes n'avait ete accueillie. Les reclamants s'etaient done adresses au gouvernement anglais, et leurs plaintes avaient ete soumises a l'examen de plusieurs commissions d'enquete. En droit strict, ils n'avaient rien a pretendre; mais, au point de vue de l'equite, ils avaient des titres se- rieux a la generosite de l'Angleterre, et cleja 500,000 livres sterling leur avaient ete distri- butes. Ges titres, cependant, n'etaient pas les m ernes pour to us : ils devaient varier suivant la position des petitioimaires, la nature et l'etendue des pertes eprouvees. II y avait encore une autre dette du meme genre a liquider : il s'agissait des colons de la Floride orientale qui, a la suite de la cession de ce territoire par l'Angleterre a l'Espa- gne, avaient du abandonner leurs habitations ou proprietes. Ils sollicitaient aussi des dedommage- ments, et leur demande etait d'autant plus legi- time qu'ils etaient victimes d'un acte parfaitement WILLIAM PITT. 71 volontaire du gouvernement anglais. Pitt fut d'avis de les indemniser completement, d'allouer a cet effet une somme de 113,952 livres, et, quant aux loyalistes, il proposa de les diviser en trois categories, et de repartir entre eux, inde- pendamment de ce qu'ils avaient deja recu, une somme de 1,228,239 livres sterling. Certes, on ne pouvait qu'approuver le sentiment qui faisait reconnaitre une pareille dette ; mais Pitt dut se se preoccuper de la situation du Tresor et re- chercher le moyen de rendre pour lui cette nou- velle charge moins onereuse. En consequence, il proposa de l'acquitter par a-comptes avec des obligations portant interet a 3 1/2 pour 100, et remboursables successivement avec les benefices d'une loterie. Ce plan fut accepte par le parle- ment, et ainsi se trouva liquidee, a la satisfac- tion de tous les interets, une dctte qui, sans etre obligatoire, n'en etait pas moins sacree. 11 y avait une denree qui, depuis l'application des nouvelles mesures relatives au the, au vin et aux esprits, etait devenue Fobjet principal de la contrebande : c'etait le tabac. Le prix d'achat au 72 WILLIAM PITT. lieu de production ne depassant pas 3 deniers par livre, et le tarif etant de Ik deniers, il y avait entre les deux chiffres une marge trop grande pour ne pas encourager la fraude. Ainsi, sur 12 millions de livres de tabac consommes annuel- lement en Angleterre, 7 millions seulement ac- quittaient les droits , et il y avait pour le Tresor une perte annuelle de 300,000 livres sterling. Pitt pensa que le meilleur moyen de mettre un terme a ce trafic prejudiciable etait de confier a 1' excise la perception d'une par tie de la taxe et de placer les manufactures de tabac sous la sur- veillance des employes de cette administration. Un bill fut propose au parlement, ou il souleva de nouvelles objections financieres et politiques. Plusieurs membres pretendirent que le regime de 1' excise etait inapplicable au tabac, qu'il en para- lyserait le commerce, diminuerait le revenu qu'en tirait le Tresor au lieu de I'accroitre, et n'aurait d' autre resultat que celui d'augmenter les frais de perception. Fox insista particulierement sur cette extension dangereuse d'un regime fiscal me- nacant pour la liberte et la constitution du pays, WILLIAM PITT. 73 qui finiraient par etre ainsi sacrifices a Taccrois- sement du revenu public. « Quant a moi, dit-il, je maintiens que ]a proposition de ce bill de- montre un oubli total du bienfait de notre consti- tution, de cette constitution dont il n'est pas un Anglais qui ne se glorifie. On dirait que la liberty et la constitution ne sont plus que de vains mots, que des sons qui n'ont aucun sens reel, et ne sont employes que pour orner les discours parlemen- taires, une theorie, enfin, dont la pratique est desormais impossible, et il est certain qu'en adoptant la mesure proposee, nous prefererions l'accroissement du revenu a la constitution de notre pays. » Si nous citons ces paroles, c'est pour donner une idee de 1'exageration de Ian gage a laquelle l'esprit de parti peut entrainer les hommes les plus eminents et les plus honnetes; mais, dans une nation aussi sensCe que la nation anglaise, devant une assemblee aussi pratique que le sont les parlements anglais, de pareilles declamations devaient produire peu d'effet : aussi, en l'absence de Pitt, encore malade, il fut facile a Grenville et a Dundas de les refuter, et vingt 74 WILLIAM PITT. mcmbres seulement voterent contre le projet mi- nisteriel. La question se presenta de nouveau l'annee sui- vante a V occasion de plaintes adressees par des fa- bricants et negotiants de tabac. A l'appui de leurs reclamations, Fox et Sheridan reproduisirent les memes arguments, et cette fois ce fut Pitt qui se chargea de repondre. Traitant d'abord la question au point de vue financier, il demontra, en s'ap- puyant de documents officiels, que sous le regime de 1' excise le commerce du the et des esprits avait double, et que depuis six mois, sous 1' em- pire du raeme regime applique au commerce du tabac, le droit percu avait produit 130,000 livres sterling de plus qu'aux periodes correspondantes des annees anterieures. On pouvait done large- ment en conclure que le benefice annuel serait au moins de 300,000 livres sterling. Passant en- suite a la question politique, le premier ministre defendit energiquement l'excise, et rappela tous les progres obtenus par le commerce depuis l'em- ploi de ce mode de perception, non-seulement le plus favorable aux interets du tresor, mais en- WILLIAM PITT. core le seul qu'on put appliquer a nombre d'ob- jets imposables. « Je dene, dit-il, les honorables membres de prouver qu'il ait jamais cause le moindre prejudice, ni porte la moindre atteinte a la liberte ou a la constitution, et je ne pense pas qu'il puisse y avoir de plus grand ennemi de son pays que celui qui chercherait a exciter les passions populaires contre une branche d'impots qui produit plus de 6 millions de livres sterling de revenu par an, et dont la suppression condui- rait inevitablement l'Angleterre a la banqueroute publique et a cet etat d'anarchie et de confusion ou se trouve la France. » Sans doute 1'exercice, les inventaires et les con- ditions de surveillance mises a la circulation sont une gene pour l'industrie et le commerce; mais par quels autres moyens les remplacer pour atteindre efficacement les diverses matieres es- sentiellement imposables qui y sont en general assujetties, telles que la biere, les vins, les spiri- tueux, etc.? On pourrait, il est vrai, y substituer la declaration; mais s'il est des fabricants ou com- mercants auxquels la fraude repugnerait, com- 76 WILLIAM PITT. bien d'autres qui, en lutte constante contre Tim- pot, ne se feraient pas scrupule d'y ecbapper! La question serait done plutot d' examiner si en prin- cipe les impots directs doivent etre preferes aux impots de consommation, autrement dit, si des taxes obligatoires sur la propriete et le revenu sont plus avantageuses que des taxes que chacun paye suivant ses gouts et ses besoins, et lorsqu'en 1835 la proposition fut faite a la chambre des communes de supprimer le malt tax, Robert Peel l'ecarta en posant 1' alternative inevitable du reta- blissement du property tax. La convenance des impots indirects etant done reconnue, les forma- lites de 1' excise, qui sont aussi celles appliquees en France pour le meme genre de contributions, deviennent indispensables, et il ne reste qua les simplifier et a corriger ce qu'elles peuvent avoir de genant et de vexatoire. Aussi, quelques-unes des plaintes relatives aux conditions imposees aux manufactures de tabac corarae aux details de re- couvrement ayant paru fondees, Pitt proposa au parlement, pour y faire droit, diverses modifica- tions qui furent adoptees. WILLIAM PITT. 77 Depuis six ans qu'il etait au pouvoir, Pitt a-vait completement moclifie le regime et 1'etat finan- ciers cle l'Angleterre. Par la liquidation et Fac- quittement scrupuleux de toutes ses dettes, par l'adoption de la nouvelle forme d'emprunt et la fondation de Famortissement, il lui avait constitue un credit superieur a celui cle toutes les autres nations de l'Europe. Par le bill de consolidation, il avait etabli son budget, et par la suppression des abus, les mesures prises contre la fraude, la simplification des tarifs, la modification de quel- ques-uns, la suppression de ceux qui repugnaient trop aux populations, et la creation d'impots nou- veaux, choisis de facon a n'etre ni antipathiques ni trop onereux, il avait assure l'accroissement de ses ressources. Grace a tant de soins et d' efforts, il eut enfm la satisfaction de presenter a la chambre des com- munes, le 19 avril 1790, un budget en parfait equilibre. a Les revenus, dit-il dans son expose, avaient confirme toutes ses esperances. En 1786, ils avaient ete evaluesa \ 5,500,000 livres sterling, et l'opposition avait trouve ce cliilfre exagere. 78 WILLIAM PITT. Cependant ils avaient atteint promptement celui de 15 millions 3/4, et dans le dernier exercice ils s'etaient Aleves a 16 millions 1/k , laissant dans l'echiquier un excedant disponible de 621,000 liv. sterling. Les documents deposes sur le bureau en faisaient foi, et les services de l'annee etaientpar- faitement assures sans qu'il fut necessaire de re- courir ni a un emprunt ni a de nouvelles taxes. De plus , les commissaires de l'amortissement avaient, dans les quatre dernieres annees, rachete un capital de 5 millions de rentes 3 pour 100. Une pareille situation etait done des plus avanta- geuses, et le pays n'en avait jamais connu de semblable. II la devait sans aucun cloute a sa constitution , a son caractere national, et les pro- gres incessants de son commerce, de son industrie, de sa population, de la richesse publique, ne per- mettaient pas de douter qu'elle s'ameliorerait encore. » Cet expose fut accueilli avec acclamation par le paiiement, et la superiorite de Pitt sur tous ses rivaux, com me orateur et homme d'Etat, ne pouvait plus etre contestee. Lord Stanhope cite a ce sujet 1' opinion d'un temoin oculaire , sir WILLIAM PITT. 79 Charles Rigby, un des doyens du parlement a cette epoque. « Je n'ai aucune partialite pour Pitt, ecrivait-il, et cependant je dois dire qu'il est infi- niment superieur a tout ce que j'ai vu jusqu'a ce jour dans la chambre. Je declare que Fox, She- ridan et tous leurs amis ensemble ne sont rien aupres de lui. Sans aucune aide , sans aucune as- sistance, il repond a tous avec une facilite mer- veilleuse , et ils sont devant lui ce quest une paille devant le vent : they are just chaff before the wind to him. » De son cote, le roi voulant reconnaitre ses emi- nents services, lui offrit l'ordre de la Jarretiere, distinction qui depuis 1688 n'avait ete accordee a aucun membre de la chambre des communes. Aussi modeste que desinteresse, Pitt refusa cette haute recompense , d^clinee plus tard , a son exemple, par Robert Peel. Ce n'est pas du reste seulement en Angleterre que sa situation etait grande ; son nom etait egalement honore en Eu- rope. A la suite d'une mauvaise rScolte , le gou- vernement francais, craignant que les embarras d'une disette ne vinssent aggraver les perils dont 80 WILLIAM PITT. il etait deja environne, s'adressa au gouvernement anglais pour lui demander la faculte d' exporter d'Angleterre vingt mille sacs de farine destines a l'approvisionnementdela ville de Paris, M. Necker ecrivit a cette occasion la lettre suivante a Pitt : « J'eprouve en vous ecrivant, monsieur, des sen- timents bien differents , l'un de tristesse lorsque je reflechis au sujet de cette lettre, P autre excite par une plus douce emotion en pensant que je m'approche pour la premiere fois de ma vie d'un ministre doni les rares vertus, dont les sublimes talents fixent depuis longtemps mon admiration et celle de toute 1'Europe. Recevez, monsieur, un hommage qui aura peut-etre un leger prix a vos yeux, si vous pensez qu'il vous est rendu par une personne a qui P experience a fait connaitre les difficultes des affaires publiques , la multitude infinie des conibinaisons qu'elles presentent , et quelquefois l'inconstance du jugemerit des hommes. » Le parlement clans lequel Pitt avait trouve de- puis six ans un si constant appui touchait a sa fin ; mais avant sa dissolution arriva en Angleterre la WILLIAM PITT. 81 nouvelle d'un incident qui faillit amener une guerre avec l'Espagne. Le capitaine Cook, dans un de ses voyages sur les cotes occidentals de l'Amerique du'Nord, avait explore a Tile de Van- couver une baie etendue , appelee Nootka , et signale les avantages que trouverait le commerce a y faire des approvisionnements de fourrures pour les transporter en Chine. En consequence , quel- ques negotiants anglais etablis au Bengale y avaient envoye en 1786 deux bailments avec l'as- sentiment du gouverneur general des Indes, et le resultat de l'entreprise avait ete si heureux que deux autres y avaient ete expedies en 1788. Des terrains avaient ete achetes aux chefs indigenes, des constructions elevees, et le pavilion anglais y avait ete hisse ; mais le gouverneur du Mexique, pretendant qu'en vertu d'une bulle du pape tout le territoire de la cote occidentale d'Amerique, depuis le cap Horn jusqu'au 15 e degre de latitude, appartenait au roi d'Espagne , avait envoye a Nootka deux vaisseaux de ligne dont les equi- pages s'etaient empares des terrains occupes par les Anglais, ainsi que de leurs etablissements , et 82 WILLIAM PITT. avaient abattu leur pavilion pour le remplacer par le clrapeau espagnol. Les navires charges de marchandises qui se trouvaient dans la rade avaient ete pris, emmenes dans les ports du Mexique, et les hommes qui les montaient faits prisonniers. Au premier avis de ces evenements, Pitt avait adresse a la cour de Madrid cles representations energiques. II avait ete repondu que les droits de l'Espagne sur le territoire de Nootka etaient po- sitifs; que cependant, ces droits etant sans doute ignores des negociants qui y avaient etabli des comptoirs , le vice-roi du Mexique avait ordonne de relacher les batiments saisis et leurs equipages ; mais, loin d'offrir quelque indemnite ou satisfac- tion, le gouvernement espagnol revendiquait la re- connaissance de son droit exclusif de souverainete , de commmerce et de navigation sur les territoires, cotes et mers de cette partie du Nouveau-Monde. Gette pretention ayant ete declaree inadmissible par le cabinet anglais, les batiments de la marine espagnole avaient ete reunis a Cadix et au Ferrol, et l'Espagne semblait se preparer a la guerre. WILLIAM PITT. 83 Aussi longtemps que Pitt avait pu espe>er ter- miner le differend a l'amiable, la negotiation 6tait rested secrete ; mais le mystere n'etait plus pos- sible : il fallait proceder a des armements, et a cet effet obtenir des subsides. En consequence, ordre fut donne d'embarquer par la presse les matelots sur les batiments de l'titat, et le 5 mai un credit de 1 million de livres fut demande au parlement. Fox ne manqua pas de faire observer que lorsque le premier ministre, dans Fexpose du budget, avait quelques jours auparavant celebre la prosperite du pays, la bonne situation des finances et la probabilite d'une paix durable , il connaissait sans aucun doute les armements de FEspagne, et devait prevoir une rupture prochaine avec cette puissance. II n'en approuva pas moins les mesures prises, et le credit fut accorde" a l'una- nimite. Bien que desireux de rester en paix avec FEs- pagne, le gouvernement anglais dut cependant se preparer a la guerre, et dans cette circon- stance F6nergie belliqueuse de Chatham parut revivre dans son fils. Des troupes furent rassem- S4 WILLIAM PITT. blees, une flotte puissante fut mise en etat cle prendre la mer, et on reclama de la Prusse et de la Hollande les secours que les traites d'alliance recemment conclus avec elles les obligeaient a fournir. Pendant qu'on poursuivait ces prepara- tifs avec autant de celerite que de vigueur, les negotiations continuaient avec l'Espagne , qui , ay ant cru jusqu'alors pouvoir compter sur la France, avait maintenu ses pretentions pleines et entieres ; mais les progres que la Revolution fai- sait dans ce dernier pays ne lui laisserent bientot plus d'espoir de ce cote. Aussi, en presence des armements considerables faits par l'Angleterre, a la veille d'entreprendre seule une lutte inegale contre une coalition de trois puissances , la cour de Madrid se decida a accorder les satisfactions reclamees, et une convention fut signed le 28 oc- tobre 1790. C'etait la un eclatant succes, et, ce qu'il y avait de mieux, uu succes pacifique du a riiabilet6 et a l'energie' du premier ministre. La nouvelle en fut recue avec joie dans tout le royaume, et les principales villes s'empresserent d'envoyer au roi WILLIAM PITT. 85 des adresses de felicitation. L'effet fat grand aussi en Europe, et M. Eden, devenu lord Auckland, alors ambassadeur a La Haye, ecrivait a ce pro- pos : « Je suis convaincu que si nous eussions montre moins de fermete et d'activite, ou que si meme notre flotte ne s'etait pas trouvee dans l'etat le plus parfait qui ait jamais ete constate dans les annales de la Grande-Bretagne, nous n'aurions pu obtenir une reparation complete. Bref, il n'y a ja- mais eu d'affaire mieux conduite ni mieux termi- nee, et jamais notre pays n'a eu une position aussi predominante parmi les nations de 1' Eu- rope. )> Les preparatifs qu'il avait fallu faire avaient coute 3,133,000 livres sterling, et pour se pro- curer cette sorame, Pitt ne voulut pas recourir a un emprunt qui, en augmentant la dette perpe- tuelle, eut grev6 le pays d'une charge annuelle et >permanente. Gonfiant dans les progres de la rich esse publique, il prefera solder cette depense, capital et interets, en quatre ans, avec le produit d'une contribution extraordinaire. « D'ailleurs, dit le docteur Tomline, son historien et son ami, 8G WILLIAM PITT. quelque in grate que fut la tache de recouvrer par l'impot une somme aussi importante dans un aussi court espace de temps, il l'assuma volon- tiers, dans le desir de donner au monde une preuve incontestable des ressources de son pays et de la facilite avec laquelle le peuple anglais accepte les fardeaux les plus lourcls quand ils ont pour objet de maintenir l'honneur national. » Aussitot que le nouveau parlement fut reuni, Pitt lui sounrit diverses resolutions ayant pour objet d'augmenter les droits sur les esprits indi- genes et etrangers, sur le sucre, le malt, les per- mis de chasse et autres articles, les uns pour deux annees, les autres pour quatre. II ne lui paraissait pas douteux qu'avec le produit de ces surtaxes les depenses de l'armement ne fussent soldees dans le delai fixe. II imagina meme un moyen d'en hater l'acquittement : chaque tri- mestre, l'Echiquier remettait a la Banque le mon- tant des interets a payer aux porteurs de rentes; mais, ces derniers n'6tant pas tous egalement pres- ses de les toucher, il restait habituellement dans les caisses de la Banque une somme disponible WILLIAM PITT. 87 qu'elle employait a son plus grand profit. Ge reli- quat n'avait cesse d'angmenter depuis quelques annees. En 1784, il etait de 292,000 livres ster- ling, en 1780 de 314,000 livres, en 1789 de 5/i7,000, en 1790 de 703,000, et il etait probable qu'il s'eleverait encore. Pitt pensa qu'aussi long- temps qu'il ne serait pas reclame par les ayant droit, le Tresor, au lieu de le laisser a la disposi- tion de la Banque, pourrait 1'appliquer a ses propres besoins. II proposa done au parlement d'en distraire 500,000 livres pour les affecter aux depenses de rarmement, en donnant toutefois aux creanciers retardataires, pour plus de securite, la garantie du fonds consolide. Mais il fut objecte que cette somme pouvait etre reclamee d'un mo- ment a 1' autre, que du jour oil elle avait 6te de- posed a la Banque, elle etait devenue la propriete des creanciers de l'Etat, que ce dernier n'avait plus le droit de Ten retirer et d'en disposer sans leur consentement, et qu'il etait a craindre que le retrait propose, en leur donnant lieu de croire a une diminution de leur gage , ne portat atteinte au credit public. Pour lever tous les scrupules, 88 WILLIAM PITT. Pitt convint alors avec la Banque quelle avance- rait un demi-million sans interet aussi longtemps que le reliquat clisponible dans ses caisses ne se- rait pas inferieur a cette somme. Le resultat etait absolument le merae, et les diverses mesures pro- posees par le cabinet au pavlement furent des lors adoptees sans opposition. Peu de jours apres, le budget de 1791 fut vote en parfait equilibre de recettes et de depenses, et aucune circon- stance ne vint, dans le courant de l'annee, en de- ranger les previsions. Les esperances exprimees en 1786 se trouverent enfm completement rea- lisees. WILLIAM PITT. 80 IV. SESSION DE 1792. — DISCOURS DD ROI. — EXPOSE PAR PITT DE LA SITUATION. — RUPTURE AVEC LA FRANCE. En ouvrant le nouveau parlement le 31 Janvier 1792, apres s'etre felicite de ce que la situation generale des affaires en Europe donnait lieu de compter sur le maintien de la paix, le roi George III crut pouvoir annoncer que son gouvernement pro- poserait avant peu dans les depenses de la ma- rine et de i'armee des reductions qui, combiners avec la progression incessante des recettes publi- ques, permettraient au parlement de supprimer quelques-unes des taxes existantes et d'augmen- ter les ressources de l'amortissement. « J'ai le plaisir d'entrevoir, dit-il, que les reductions qui peuvent etre faites et l'accroissement contmuel 90 WILLIAM PITT. du revenu vous mettront a m6me, apres avoir pourvu aux diverses branches du service public, d'etablir un systeme qui puisse decharger mes sujets d'une portion des taxes existantes tout en consolidant le plan de reduction cle la dette na- tionale. » Nous citons ces paroles parce qu'elles provoquerent dans le parlement une discussion tout a la fois financiere et constitutionnelle. Fox et Grey signalerent ce passage du discours royal comme une atteinte aux privileges de la chambre des communes, a laquelle seule appartenait l'ini- tiative de toutes les mesures ayant pour objet l'etablissement ou la suppression des impots : on ne pouvait, suivant eux, supposer que la consti- tution, en con fi ant aux representants du pays la mission ingrate de voter les taxes ainsi que les lois necessaires pour en assurer le recouvrement, eut en meme temps donne a la couronne la pre- rogative populaire d'en proposer l'abrogation. Le benefice comme le desavantage devaient done en revenir a la chambre des communes. Pitt, repon- dant a Fox, admit que le droit de creer et d'a- broger les taxes appartenait exclusivement a la WILLIAM PITT. 91 chambre des communes; mais il soutint aussi que, de la couronne emanant en general la pro- position de toutes les mesures dont l'execution entrainait le vote d'un credit ou Fetablissement d'un impot, le roi, apres avoir constate la situa- tion prospere du revenu, avait pu tres-constitu- tionnellement exprimer l'espoir que la chambre des communes profiterait d'une occasion aussi favorable pour diminuer les charges dont elle avait du, dans des circonstances moins heureuses, grever le pays, a Sans doute, ajouta-t-il, si Sa Majeste avait speeifie les taxes qui pouvaient etre supprimees, ou precise la somme dont le revenu public pourrait etre diminue, elle serait sortie de ses attributions; mais en se bornant, dans les termes les plus generaux et les plus irreprocha- bles, a a'ppeler 1'attention de la chambre sur la possibility, dans l'etat present de l'Europe et de 1'Angleterre, de reduire jusqu'a un certain point le fardeau qui pesait sur ses sujets, elle n'a fait que remplir un devoir. » Du reste, les paroles du souverain pouvaient etre justifies par des pre- cedents, car deux fois, dansle cours du siecle,plu~ 92 WILLIAM PITT. sieurs taxes avaient ete supprimees sur la recom- mandation faite du haut du trone d'une facon bien plus directe et plus positive que dans le cas actuel. Mais sur cette question les principes con- stitutionnels sont parfaitement etablis aujourd'hui et ne font plus doute en Angleterre. La couronne n'intervient jamais par la personne* du souverain qui est irresponsable : mais chargee de presider a l'administration et au gouvernement de l'Etat, il lui appartient d'exposer au parlement par l'or- gane de ses ministres, seuls responsables, les besoins du service ainsi que les moyens d'y satisfaire. La chambre des communes, manda- taire du pays, a seule le droit d'arreter le chiflre des depenses et des impots : elle examine done les propositions qui lui ont ete soumises a ce sujet par les ministres, les discute, les reduit si bon lui semble, peut meme diminuer d' office les taxes etablies , mais ne saurait donner ni im- poser plus qu'il ne lui a ete demande; e'est la une limite salutaire qui a ete posee a ses prero- gatives pour empecher tout accroissement des charges du pays par des votes hatifs et incon- WILLIAM PITT. 93 sideres. Quant a la chambre des lords, pou- voir essentiellement moderateur, elle rejette ou approuve, mais il ne lui est pas permis d'amen- der. L'incident soulev6 par Fox et par Grey n'eut aucune suite, et les sentiments de satisfaction et de confiance qu'avait exprimes le roi furent con- tinues peu de jours apres par Pitt dans l'expose de la situation financiere qu'il fit le 17 fevrier 1792 a la chambre des communes. Le succes du ministre etait complet, et les resultats de son habile administration ne pouvaient plus etre con- tested; le pays allait en profiter et etre degreve d'une partie des charges qu'il avait du s'imposer pour remplir les engagements contractus pendant une periode de revers. Depuis 1783, toutes les branches de la fortune publique avaient prospere. Par le retour de la paix, le chiffre des operations commerciales du royaume avec 1' Stranger s'etait eleve de 28 a ZrO millions de livres sterling, et le nombre des batiments marchands avait presque double. Par toutes les garanties donnees au credit, le prix des 94 WILLIAM PITT. consolides 3 pour 100 etait monte de 54 a 97 liv., et d'un autre cote le revenu public avait aug- ments de h millions de livres sterling. Un million etait le produit de nouvelles taxes, un autre le resultat de mesures prises contre la fraude, et 2 millions etaient dus a l'accroissement de la ri- chesse et de la prosperity nationales. En 1791, le revenu public etait de 16,730,000 livres; il avait depasse de 300,000 celui de 1790 et d'un demi-milion le revenu moyen des quatre annees anterieures. On pouvait done sans temerite eva- luer en moyenne a 16,200,000 livres celui des annees futures. Quant aux depenses, par 1'effet de sages economies et de l'ordre retabli dans les diverses branches de 1' administration, malgre l'accroissement de la dette publique, elles avaient ete reduites de 1,200,000 livres, et pouvaient etre evaluees pour l'avenir a 15,800,000 livres. II devait done y avoir desormais un excedant an- nuel de 400,000 livres. Pitt proposa d'en affecter 200,000 a l'augmentation du fonds d'amortisse- ment et de reduire jusqu'a concurrence' de pa- reille somme le produit cles taxes les plus one- WILLIAM PITT. 95 reuses pour les classes pauvres et industrielles, telles que celles sur les servantes, les charrettes, les chariots, les maisons ayant moins de sept fenetres, et le demi-penny par livre pour les chandelles. Le budget de 1791 ayant laisse un boni disponible de 500,000 livres, il proposa d' employer 400,000 livres au racbat de la dette, 100,000 livres aux depenses de rarmement occa- sionne par le differend avec l'Espagne, et de sup- primer immediatement la surtaxe mise 1'annee precedente sur le mall. II exprima la confiance que cl'autres reductions pourraient etre faites suc- cessivement, si des circonstances imprevues ne venaient pas arreter les progres de la prosperity nationale en troublant une paix qui lui paraissait devoir etre de longue duree. II esperait aussi qu'il serait possible d'accroitre la dotation de 1'amor- tissement, et de ses calculs il resultait quelle at- teindrait en 1808 le chiffre de h millions de livres. II etablit ensuite qu'on pourrait sans inconvenient realiser une economie de 200,000 livres sur les services de la marine et de l'armee en reduisant de 18,000 a 16^000 le personnel de la flotte, et 90 WILLIAM PITT. en s'abstenant de renouveler le traite de subsides precedemment conclu avec la Hesse. Enfm, apres avoir demontre que le progres du revenu public avait ete constamment en rapport avec celui de la richesse nationale, du commerce et des manu- factures, Pitt expliquait a quelles causes.il croyait pouvoir attribuer ces brillants resultats. Ces causes etaient d'abord le caractere energique et indus- trieux de la nation anglaise, qui, seconde par l'invention et l'emploi des machines ainsi que par le credit, assurait aux negociants anglais une su- periorite incontestable sur les marches etrangers; son esprit d'entreprise, qui s'etait manifeste avec tant d'eclat par l'acquisition de nouveaux mar- ches dans les diverses parties du globe, et avait ete favorise aussi bien par le traite de commerce passe avec la France que par les troubles qui agi- taient ce royaume; enfm son esprit d'economie, qui avait pour consequence Faccumulation des capitaux, et par suite, comme 1' avait si bien de- montre le celebre Adam Smith, 1' augmentation de la richesse nationale. Telles etaient les causes immediates de la prosperity de l'Angleterre; mais WILLIAM PITT. 1)7 elle la devait aussi a d'autres non moins impor- tantes. a Ces causes (disait Pitt) sont evidemment et necessairement liees avec la duree de la paix, dont le maintien sur des bases solides et perma- nentes doit etre constamment l'objet principal de la politique etrangere de ce pays. Elles le sont plus particulierement encore avec la conservation de la tranquillity interieure et les effets naturels d'un gouvernement liberal et bien regle\ A quoi en effet attribuer ce progres realise dans les cent dernieres annees avec une rapidite dont on ne trouve aucun exemple aux diverses epoques de notre histoire, si ce n'est au calme qui a regne dans ce pays, d'une facon inconnue jusqu'alors, sous le gouvernement juste et modere des princes illustres de la maison de Hancvre, et aussi a la jouissance plus sincere et plus parfaite de cette constitution, dont les veritables principes ont ete fixes et etablis par les e'venements memorables de 1688? Ce sont la les grandes et les premieres causes qui ont determine le developpement de toutes celles que nous avons enumerees. G'est 98 WILLIAM PITT. aussi T union cle la liberte avec la loi qui, en ele- vant une barriere egalement puissante contre les empietemens du pouvoir et la violence des com- motions populaires, assure a la propriete la secu- rity dont elle a besoin, vient en aide aux efforts du genie et du travail, fortifie le credit, lui per- met de s'etendre, favorise la circulation et Fac- croissement du capital. G'est elle enfin qui forme et eleve le caractere national, donne l'impulsion a la grande masse de cette societe dans les direc- tions et combinaisons diverses ou elle se trouve engagee. A la meme source il faut egalement faire remonter l'industrie laborieuse de la classe si utile des cultivateurs et fermiers, l'habilete et le travail de l'ouvrier, les experiences et amelio- rations agricoles faites par le proprietaire, les speculations hardies du riche marchand , les es- sais hardis du manufacturier entreprenant, et tous en retirent a la fois leur encouragement et leur recompense. Yeillons done sur ce bien es- # sentiel* le premier de tous> conservons-le pre- cieusement, et tous les autres seront a nous. Sou- venons-nous que l'amour de la constitution, bien WILLIAM PITT. 99 qu'il existe dans tous les cceurs anglais comme une sorte d'instinct naturel, y est cepenclant for- tifie par la raison et la reflexion, et chaque jour confirme par l'experience, que nous n'admirons pas seulement notre constitution par un sentiment de respect traditionnel, que nous n'en sommes pas seulement fiers par prejuge ou habitude, mais que nous la cherissons et apprecions parce quelle assure le bien-etre et la tranquillite des personnes aussi bien que de la nation, et que, mieux que toute autre forme de gouvernement, elle ouvre la voie vers ces fins utiles et pratiques, seul but sense et raisonnable vers lequel doivent tendre toutes les societes politiques... a De tous les resultats obtenus, je me crois fonde a conclure que le spectacle auquel nous assistons maintenant, cette prosperite dont nous jouissons ne sont pas i'effet passager d'un acci- dent, mais bien la consequence naturelle de causes regulieres et permanentes. Le temps de nos rigoureuses epreuves est passe, et le pays est enfin sorti non-seulement de cet etat d'abais- sement et de decouragement ou il se trouvait • LofC. 100 WILLIAM PITT. naguere, mais aussi des incertitudes qui trou- blaient encore nos previsions et nos esperances, meme lorsque deja 1' horizon avait commence a s'eclaircir. Sans doute nous sommes exposes a ces fluctuations qui viennent parfois entraver une grande nation dans sa marche, et dont il est im- possible de calculer d'avance 1' arrived et les effets; mais, autant qu'il est permis de s'en fier au raisonnement , nous sommes parfaitement foncles, en consultant l'experience du passe, a nous feliciter de la situation actuelle et a regar- der 1'avenir avec confiance. Nunc reclit animus cum non spent modo ac volum securitas publico, sed ipsius voti fiduciam et robur assumpserit. « Permettez-moi done de me feliciter, de feli- citer la cbambre et le pays de cette situation et de cette perspective, beureuses au-dela de mes plus vives esperances. Permettez-moi aussi, avant de finir, de vous exprimer un voeu ardent, une priere fervente et pleine de sollicitude : qu'au milieu de la periode de succes ou nous nous trou- vons, dans I'interet du present et de 1'avenir, le parlement ne cesse jamais de porter sur toutes WILLIAM PITT. 101 les matieres qui concernent le reverm, les -res- sources et le credit de l'Etat, cette meme atten- tion vigilante qui nous a diriges a travers toutes nos difficultes et nous a conduits a cette rapide et prodigieuse prosperite. Puisse le pays marcher toujours d' accord avec la legislature! puissent aussi 1'esprit, le genie, la loyaute et les vertus publiques de ce peuple grand et libre lui meriter et assurer pour longtemps, avec la faveur de la Providence, la duree de ce bien-etre sans exemple ! Puisse enfin la Grande-Bretagne rester pendant des siecles en possession de ces avantages essen- tiels sous la protection et la sauvegarde d'une constitution a laquelle elle en est surtout rede- vable, et qui est incontestablement la source et la meilleure garantie de tous les biens qui peuvent etre chers et precieux a une nation! » G'est aux institutions dont jouit l'Angleterre, c'est au concours qu'il avait trouve dans le parle- ment et le pays, que Pitt devait le succes de son administration , et en le proclamant dans ce beau langage, il provoqua meme les applaudissemens deses adversaires, Fox et Sheridan furent les c. 102 WILLIAM PITT. premiers a rendre un eclatant hommage aux prin- cipes de gouvernement et cl'economie politique qu'il venait d'exposer en termes si eloquents. Sui- vant Fox, le premier ministre avait enumere avec autant de verite que de splendeur les causes de la prosperity nationale, et s'il ne le suivait pas sur le meme terrain, c'est qu'il ne pourrait que repeter ce qui avait ete dit, et n'esperait pas le si bien faire. 11 se borna done a critiquer ses pro- positions comme prematurees, et il eiit trouve plus sage de ne les soumettre au parlement que lorsqu'une experience plus longue aurait demon- tre que l'excedant acquis cette annee etait bien definitif. Toutefois il declara ne pas s'opposer au rappel de taxes qu'il avait combattues lors de leur etablissement. Dans une conversation financiere qui preceda le vote du budget, Sheridan exprima l'avis que l'excedant disponible des recettes devrait etre plutot employe a la reduction de la dette a terme qua celle de la dette fondee. Pitt repondit qu'il lui semblait preferable de racheter cette derniere, parce que, les circonstances devant permettre de WILLIAM PITT. 103 diminuer prochainement l'interet du h pour 100, le fonds d'amortissement profiterait de la diffe- rence, et que, toutes ses ressources etant portees sur le A, on arriverait ainsi plus vite a les appli- quer au 5 pour 100, dont le rachat ne pouvait commencer que lorsque la dette anterieure aurait ete diminuee de 25 millions de livres. Fox ap- prouva Pitt de songer a reduire l'interet du h pour 100, et se declara dispose a soutenir une me- sure tout a la fois opportune et politique, dont le pays devait retirer un profit annuel de 260,000 liv. Pitt avait eu d'abord le projet de proposer au parlement, dans la session cle 1792, de reduire a 3 1/2 l'interet du h ; mais il crut preferable d'a- journer cette proposition a l'annee suivante, dans l'espoir que la reduction a 3 pour 100 serait alors chose possible. Ce retard fut une erreur regret- table qui priva l'Etat d'une economie annuelle de 170,000 livres sterling, precieuse dans la periode ou allait entrer l'Angleterre : tant il est vrai que dans le gouvernement des affaires publiques, comme dans l'administration des int^rets priv^s, il faut saisir le bien quand il se pr6sente, sans 104 WILLIAM PITT. attendre le iriieux. L'annee suivante, la guerre eclata, et ce fut trente ans apres seulement qu'il fut possible de reduire l'interet du 5 et du h. II est curieux de constater cette croyance sin- cere de Pitt a une longue cluree de la paix, quel- que graves que fussent les evenements qui se passaient alors en France. Deja dans plusieurs discours et dans divers ecrits, Burke avait signale les dangers de la propagande revolutionnaire et convie les souverains de l'Europe a la reprimer dans son foyer par la force des amies. Pitt lui- meme, en plein parlement, avait qualifie d'es- clavage intolerable la liberte nominale dont on pretendait jouir en France; il avait cependant applaudi a une partie des reformes operees, et esperait le triomphe des principes moderes. a A l'etat de convulsion ou se trouve actuellement la France, disait-il dans la seance du 9 fevrier 1790, succederont tot ou tard un accord general et l'e- tablissement d'un etat de choses parfaitement regulier, et bien qu'une pareille situation puisse la rendre plus redoutable, elle peut aussi la rendre moins incommode pour ses voisins. Je WILLIAM PITT. 105 desire clone le retour de la tranquillite dans ce pays, Men qu'il me paraisse encore eloigne. Lorsque son systeme de gouvernement sera de- finitivement constitue, si e'est la liberte bien comprise, la liberte resultant du bon ordre et de bonnes institutions, la France sera une des pre- mieres et des plus brillantes puissances de l'Eu- rope. Et quant a moi je ne saurais voir d'un re- gard jaloux les Etats voisins s'approprier aussi ces sentiments qui caracterisent tous les mem- bres de la nation anglaise. » II evitait done, et e'etait la une regie absolue de sa politique, de s'immiscer dans les luttes interieures de la France, et soit par la voie diplomatique, soit par des voies particulieres, il echangeait des explications pacifiques avec les chefs du parti populaire. II etait decide a maintenir aussi longtemps que possible une paix qu'il considerait comme essen- tielle au bien-etre de l'Angleterre, et de laquelle dependait le succes de toutes ses combinaisons financieres. Le budget et les propositions qui s'y ratta- chaient avaient ete votes a l'unanimite par les 106 WILLIAM PITT. deux chambres du parlement. Gependant, au mi- lieu des temoignages de confiance qu'elles lui donnaient Tune et 1' autre, Pitt fut sur le point de subir un echec dans ceile des lords. En fixant en 1786 le chiffre de la dotation de l'amortisse- ment, et en l'augmentant depuis cette epoque, on n'avait eu en vue que le rachat de la dette existante; mais s'il devenait necessaire de con- tracter de nouveaux emprunts, le fonds d'amor- tissement, operant egalement sur ces derniers, perdrait une partie de son efficacite. Pitt soumit done au parlement un pro-jet de bill ay ant pour objet de decider qu'au fur et a mesure des nou- velles creations de rentes, il serait remis cha- que annee aux commissaires de 1'amortissement 1 pour 100 de leur capital pour etre affecte au rachat suivant la regie etablie par le bill de 1786. Ghaque nouvel emprunt devait done avoir son fonds propre d'amortissement, qui, operant a interets composes, le racheterait completement dans une peciode de quarante-sept ans au plus, en supposant la rente 3 pour 100 au pair. Le bill fut adopte sans difficulty dans la chambre WILLIAM PITT. 107 des communes; mais clans celle des lords il ren- contra 1' opposition inattendue et violente du lord chancelier Thurlow, qui se laissa aller aux invec- tives les plus inconvenantes contre son chef et collegue, dont la pretention de vouloir ainsi re- gler les contrats de l'avenir lui paraissait outre- cuidante et inadmissible. « Ce projet, s§ permit- il de dire, est insense et impraticable , et son impuissance est egale a la presomption de 1'en- treprise, and its inaplness is equal to the vanity of the attempt. » Neanmoins le bill passa, mais a une majorite de six voix seulement : la regie si sage qu'il avait pour objet de poser a ete, malgre la prediction du chancelier, suivie en Angleterre aussi longtemps que le system e d'amortissement de 1786 y a fonctionne, et elle a ete jusqu'a ce jour invariablement appliquee dans tous les pays ou ce meme systeme a ete introcluit. Pitt avait eu plus d'une fois a se plaindre du chancelier, dont le mauvais vouloir lui creait d'incessantes diffi- cult^s : il avait patiente autant qu'il avail pu; mais Finjure 6tait trop forte, et il dut exposer au roi les motifs qui ne lui permettaieiu plus de sie- 108 WILLIAM PITT. ger dans le meme cabinet que lord Tlmrlow. Mal- gre son affection pour le chancelier, George III n'hesita point, et le jour meme il lui fit donner avis d' avoir a remettre le grand sceau. Pitt etait sans fortune. Cependant il avait refuse plusieurs positions lucratives compatibles avec les fonctions de premier ministre. A l'epoque de la maladie du roi , lorsque tout donnait lieu de pre- sumer que, si elle se prolongeait, le prince de Galles, en prenant la regence, ne le garderait pas dans ses conseils, il avait egalement refuse une souscription de 100,000 livres sterling, ouverte pour lui dans la Cite et immediatement remplie. Plus recemment encore, il avait decline, ainsi que nous l'avons dit, l'ordre de la Jarretiere, Finsigne honorifique le plus elev6 auquel il soit permis a un sujet anglais d'aspirer. Laplace de gardien des cinq ports, d'un revenu de 3,000 livres, etant de- venue vacante par la mort du comte de Guilford, l'ancien lord North, le roi, qui depuis longtemps voulait assurer a Pitt une situation independante, resolut de la lui donner, et il lui ecrivit de sa main pour lui faire savoir qu'un nouveau refus WILLIAM PITT. 109 l'offenserait profon dement. Pitt dut ceder devant une pareille insistance, et dans aucun parti il ne s'eleva une seule voix pour critiquer une recom- pense si gracieusement donnee et si parfaitement merited. Pitt etait parvenu alors au degre le plus elev6 de consideration, de credit et de pouvoir qu'il soit permis a un citoyen d'ambitionner legitimement dans un Etat libre. Exercant une influence supe- rieure dans le gouvernement, dans le parlement et le pays, il ne devait cette autorite ni a la faveur du souverain, ni a des manoeuvres habilement pra- tiquees dans les chambres, ni a des complaisances pour les prejuges populaires, mais a la dignite de son caractere, a sa probite, a son desinteresse- ment, a la resolution et a Fenergie avec lesquelles il avait entrepris et ope>e des reformes utiles, supprime des abus inveteres et maintenu l'hon- neur du drapeau national. A la suite d'une guerre longue et desastreuse, il avait trouve l'Angleterre appauvrie, sans credit, et sous son habile admi- nistration elle etait devenue plus riche et plus prospere quelle ne l'avait jamais ete. II Tavait 110 WILLIAM PITT trouvee abaissee et humiltee par ses revers, et il l'avait relevee dans l'estime de 1' Europe. Elle pouvait done a bon droit etre fiere du ministre qu'elle avait soutenu a son debut contre 1' opposi- tion des hommes les plus 6minents, sans autre titre alors a sa confiance que le nom qu'il portait, et bientot, grace au concours dont elle l'avait en- toure, elle allait eprouver combien il est sage pour une nation de mettre a profit les temps de paix pour se liberer de ses engagements, dimi- nuer ses charges improductives, ameliorer ses institutions et preparer les ressources qui lui seront necessaires quand les jours de lutte re- viendront. En effet, la paix dont l'Angleterre avait joui pendant neuf ans avec tant de profit touchait a son terme. Au mois de juillet, l'empereur d'Alle- magne et le roi de Prusse declarerent la guerre a la France, et le trone y fut ren verse dans la tragique journ6e du 10 aout. A la suite de cette catastrophe, le gouvernement aupres duquel les diverses puissances avaient accr£dite leurs am- bassadeurs n'existant plus, celles qui avaient en- WILLIAM PITT. II! core des agents a Paris s'empresserent de les rappeler. L'Angleterre etait de ce nombre, et ordre fut donne a lord Gower, son representant, de revenir; mais le cabinet anglais ne voulait pas rompre avec la France, et la lettre de rappel que lord Gower fut autorise a communiquer au mi- nistre des affaires etrangeres a Paris exprimait la nouvelle assurance d'une neutrality complete. D'un autre cote, M. de Chauvelin, l'ambassadeur francais a Londres, ayant exprime le desir d'y rester sans caractere officiel, lord Grenville, en l'y autorisant, lui fit connaitre que, s'il avait quelque communication d'une nature pacifique a lui adresser, il ne rencontrerait aucun obstacle de forme. Gependant Dumouriez avait fait la conquete de la Belgique. Custme s'6tait empare de Worms et de Mayence, les Autrichiens et les Prussiens avaient ete repousses par les armees fran^aises, et la Convention nationale avait, le 19 octobre, vote la celebre proclamation dans laquelle elle offrait assistance et fraternite a tous les peuples qui voudraient recouvrer leur liberte. line cer- 112 WILLIAM PITT. taine agitation, a laquelle M. de Ghauvelin et son secretaire, Fabbe de Talleyrand, 6taient soup- bonnes de ne pas etre Strangers, commencait a se manifester en Angleterre, et dans plusieurs villes des troubles avaient 6clat6 aux cris de libertt! fraternity I plus de roil plus d' excise! En Ecosse, a Dundee, Perth et Aberdeen, il y avait eu des mouvements d'un caractere plus grave encore, et Ton avait cru y reconnaitre Feffet de menses jacobines et aussi celui de me- nees Jacobites dirigees par d'anciens partisans de la maison des Stuarts. Presque en meme temps la Convention nationale reclamait l'ouverture de la Meuse et de 1'Escaut, et plusieurs batiments de guerre francais remontaient ce dernier fleuve jusqu'a Anvers, malgre les protestations du capi- taine de vaisseau hollandais stationne a son em- bouchure. Les deux rives de 1'Escaut jusqu'a une certaine hauteur appartenaient en effet a la Hol- lande, et elle pretendait avoir seule le droit de naviguer dans cette partie du fleuve. Ce privilege, depuis 16A8, lui avait ete reconnu par plusieurs traites, et la France elle -meme le lui avait ga- WILLIAM PITT. 113 ranti en 1785. De son cote, l'Angleterre etait tenue vis-a-vis de la Hollande de venir a son secours, si elle etait attaquee. II y avait done des motifs nombreux et serieux pour une prompte convocation du parlement, et on le reunit le 13 octobre. Le roi, dans son discours d'ouver- ture, lui exposa qu'une partie de la nation avait et6 appelee sous les armes pour reprimer les desordres interieurs , que son gouvernement s'etait impose la regie rigoureuse de ne pas s'im- miscer dans les affaires interieures de la France, mais que cependant il fallait se premunir contre des entreprises possibles et se mettre en mesure de secourir un Etat allie qui, malgre son desir de rester neutre et contrairement a la foi des traites, etait menace d'une attaque prochaine. En conse- quence, il fut decide que le personnel de la ma- rine serait porte de 16,000 a 25,000 hommes, que celui de Farmee de terre serait, pour 1793, de 17, 344 hommes, et le parlement vota a une im- mense majorite deux bills ay ant pour objet de .prohiber l'exportation du ble ainsi que celle des armes .et munitions de guerre. Cependant la 114 WILLIAM PITT. France devenait de plus en plus pressante au sujet de l'Escaut, et le ministre des affaires etran- geres Lebrun chargea, le 8 Janvier, le marquis de Chauvelin de faire connaitre a lord Grenville la resolution prise par le gouvernement francais d'obtenir de gre ou de force l'ouverture de ce fleuve. Peu de jours apres, les troupes franchises recurent l'ordre d'envahir la Hollande , et le ministre Monge , apres avoir annonce , par une proclamation publiee dans tous les ports, une prochaine descente en Angleterre, ordonna l'equi- pement de trente nouveaux vaisseaux de ligne. On apprit en meme temps a Londres l'ex6cution de Louis XVI, et immediatement avis fut donn6 a M. de Chauvelin d'avoir a quitter l'Angieterre dans un delai de huit jours. Des lettres de rappel lui 6taient aussi envoyees de France, et de part et d' autre la rupture paraissait inevitable et pro- chaine. Le 28 Janvier, le roi adressa un message a la Chambre des communes pour lui faire con- naitre que, vu l'6tat des affaires, il croyait indis- pensable d'augmenter les forces de la marine et de l'armee, et il ajouta « quil comptait sur le WILLIAM PITT. 115 concours du parlement pour assurer la s6curit6 du territoire, venir au secours de ses allies et combattre les projets d'agrandissement de la France, dont l'ambition exigeait une surveil- lance plus rigoureuse que jamais a cause de ses nouvelles doctrines politiques et gouvernemen- tales. » Le lendemain , Pitt prit la parole dans le parle- ment pour stigmatiser l'ex6cution du roi Louis XVI comme un outrage a la religion, a la justice eta l'humanite. II rappela la neutralit6 scrupuleuse gardee par le cabinet anglais en ce qui concernait les affaires interieures de la France, la menace de cette puissance contre l'Angleterre ou ses allies, puis proposa a la chambre de voter une adresse au roi pour le remercier de sa communi- cation et lui declarer qu'elle s'associait complete- ment a ses vues. Cette motion fut combattue par Fox. Tout en deplorant Facte odieux qui venait de s'accomplir en France, tout en le fletrissant dans le Ian gage le plus noble et le plus 6nergique, le grand orateur insista neanmoins sur ce que, le crime ayant ete commis dans un Etat indepen- 110 WILLIAM PITT. dant, l'Angleterre n'avait a exprimer aucun blame. « L'Angleterre meme, dit Fox, n'avait-elle pas contracte des alliances avec le Portugal et l'Espagne? et cependant leurs gouvernements etaient coupables des actes les plus atroces de superstition et de despotisme. En avons-nous pris pretexte pour leur declarer la guerre? Avons-nous recherche comment leurs princes etaient arrives au trone ? Pourquoi done voudrions-nous agir autrement dans cette circonstanceV » Fox s'efforca d'etablir ensuite que dans la lutte engagee entre la France et les puissances alliees l'agression avait ete du cote de ces dernieres. Leur but etait le retablissement du despotisme en France, et l'Angleterre ne saurait y cooperer, parce qu'il etait de principe incontestable que la forme du gouvernement d'un Etat independant doit etre fixee par ceux qui vivent sous ses lois et non par la force , et que la nation , etant souveraine dans chaque Etat, a le droit de renvoyer ceux qui la gouvernent quand ils ont abuse de leurs pouvoirs, comme cela s' etait fait en 1688 pour Jacques II. II etait loin sans doute d'approuver la conduite WILLIAM PITT. 117 des hommes qui exercaient l'autorite en France, mais il devait rappeler et r6tablir les principes. Un des adversaries les plus anciens et les plus importants du cabinet , Wyndham , crut devoir protester contre des theories, suivant lui, aussi fausses que dangereuses , et surtout contre cette doctrine funeste qui attribuait a la majorite du peuple le droit de faire et defaire les gouverne- ments au gre de son caprice; mais ce n'etait ni le cas ni le lieu de discuter a fond de pareilles questions. II s'agissait pour le moment d'appre- cier la nature des rapports de l'Angleterre avec la France. Or, d'apres les dispositions avouees des hommes qui gouvernaient ce dernier pays, la guerre entre les deux nations semblait inevitable, et l'Angleterre devait l'entreprendre resolument pour assurer sa securite et combattre les prin- cipes subversifs qu'on voulait lui imposer par la force des armes. Wyndham conclut done en de- clarant qu'il donnait sans reserve son adhesion a la motion du premier ministre. De ce jour date la scission definitive qui depuis quelque temps deja se preparait dans les rangs 118 WILLIAM PITT. de l'opposition. Une partie de ses membres, — parmi lesquels on comptait le due de Portland, jusqu'alors chef da parti whig, les lords Spencer, Longhborough , Fitzwilliam, a la chambre des lords , Burke , Wyndham , dans celle des com- munes, — n'avaient cess6 de voir avec inquietude les evenements qui, depuis quelques annees, s'e- taient succede en France, Faction des masses po- pulates, et le developpement rapide des idees demagogiques. lis redoutaient la propagation en Europe des passions revolutionnaires, auxquelles la Convention nationale faisait incessamment ap- pel, et les symptomes qui s'en etaient dej a ma- nifestos dans quelques villes dWngleterre leur causaient de serieuses apprehensions. Sans re- noncer plus que Pitt et la majorite de ses amis au culte qu'ils professaient pour les institutions liberales de leur pays, ils crurent que, parmi les principes qui etaient la base essentielle de la constitution anglaise, celui d'autorite etant alors le plus menace, il importait surtout de le for- tifier et de le defendre. Ils craignaient egale- ment que F esprit de conquete qui s'etait empare WILLIAM PITT. 119 de la nation franchise ne detruistt, s'il n'etait pas energiquement combattu, un equilibre necessaire a la securite de l'Europe, et que l'agrandisse- ment de la France ne fut un peril pour l'indepen- dance et Finfluence de l'Angleterre. lis se range- rent done au parti du gouvernement et de la resistance par esprit de conservation. Fox, lord Shelburne, Sheridan, lord Grey, lord Lauderdale au contraire, tout en deplorant les exces de la Revolution franchise, les consideraient comme la consequence a peu pres inevitable d'une grande crise. Gette revolution avait toutes leurs sympa- thies, parce qu'ils esperaient qu'en donnant par- tout une impulsion puissante a Topinion liberale, elle aurait pour resultat de substituer des gou- vernements libres aux pouvoirs absolus, et, sous l'empire de ce sentiment, ils continuerent une lutte celebre dans les annales parlementaires. Quelques jours apres, le l er fevrier 1793, la France denoncait les hostilites a l'Angleterre et a la Hollande. Apres avoir vu comment Pitt mit a profit neuf annees de paix pour restaurer les finances de son pays, il reste a examiner les 120 WILLIAM PITT. moyens par lesquels il parvint a satisfaire aux necessities d'une guerre generale dont l'Angle- terre eat presque seule a supporter tous les frais. DEUXIEME PARTIE. LES FINANCES DE LA GUERRE. I. ARMEMENTS DE L ANGLETERRE CONTRE LA FRANCE. — CRISE INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE. — E M- PRUNTS POUR LE COMPTE DE l'\UTRICHE. Avant d'aborder l'examen des diverses mesures auxquelles Pitt dut avoir recours pour subvenir aux frais de la guerre contre la France, il im- porte d'indiquer par quelques chiffres quelle etait la situation financiere de l'Angleterre au com- mencement de 1793. Le revenu de l'annee 1792 122 WILLIAM PITT. avait depasse de 300,000 livres sterling celui de 1791, et s'etait eleve a 17, 034, 000 livres sterling (425,850,000 francs). Les depenses, conformes a 1'evaluation faite en 1791 , avaient 6t6 de 16 mil- lions de livres sterling (400,000,000 defr.). Le capital de la dette fondee etait de 238,231,248 li- vres sterling; celui de la dette a terme, compre- nant les avances faites par la Banque ainsi que par la compagnie des Indes , et le montant des billets de la marine ou de l'Echiquier, s'elevait a 30,036,024 livres sterling. Le total de la dette publique etait done de 268,267,262 livres ster- ling, imposant en interets ou frais accessoires une charge annuelle de 9,752,673 livres sterling, et le fonds d'amortissement constitue en 1786 avait deja rachete un capital de 9,444,800 livres sterling. Enfin, pour bien etablir la part du pass6 et degager celle de l'avenir, constatons qu'au mois d'aout 1793' la dette a terme etait diminu^e d'une somme de 4,200,000 livres sterling, portee a la dette fondee* par suite de la consolidation en fonds 3 pour 100 d'une creance de pareille somme due depuis longtemps par l'Etat a la Compagnie WILLIAM PITT. 123 des Indes, qui lui en avait fait successivement l'avance lors des divers renouvellements de son privilege. Les evenements dont la France etait le theatre; ses conquetes , et la declaration de guerre faite par la Convention a la Hollande, a l'Espagne, a 1'Angleterre, avaient cause dans ce dernier pays une animation generale. Pitt ne fit done que satis- faire a un sentiment presque unanime en prepa- rant avec autant d'activite que d'energie les moyens propres a repondre efficacement au defi qui venait d'etre jete. L'armee de terre fut aug- mentee de 27,000 hommes, le nombre des ma- rins embarques a bord des batiments de l'Etat fut porte a 47,000, et des troupes hanovriennes et hessoises furent prises a la solde de 1'Angleterre. De plus, un subside de 200,000 livres sterling fut donn6 a la Sardaigne pour la mettre en 6tat de tenir sur pied une armee de 50,000 hommes, et des traites d' alliance offensive et defensive furent conclus avec la Russie, l'Autriche, la Toscane, Naples, l'Espagne et le Portugal. Les revenus ordinaires ne pouvant couvrir l'exc6dant de de- 12* WILLIAM PITT. penses que devait entrainer cet ensemble de me- sures, le parlement, sur la demande de Pitt, vota un emprunt de A, 500,000 livres sterling, etaffecta au payement des interets le produit des taxes temporaires etablies en 1790 a l'occasion des ar- mements faits contre l'Espagne. Tous les dangers cependant n'etaient pas au dehors, et on etait menace au dedans d'une crise industrielle et commerciale qui pouvait amener les complications les plus facheuses. Pendant les neuf annees de paix si prospere qui venaient de s'ecouler, les banques s'etaient multipliers a I'in- fini, la plupart sans bases solides, et toutes, dans l'espoir d'augmenter rapidement leurs benefices, avaient etendu sans mesure remission de leurs bank-notes. Nombre d'entre elles croulerent au premier souffle de la tempete, et il en resulta une veritable panique. Les capitaux se cacherent, et les maisons les plus solides dans l'industrie et le commerce ne pouvaient, par la vente ou l'enga- gement des marchandises qui remplissaient leurs magasins, se procurer les fonds qui leur 6taient necessaires. Des ateliers importants allaient se WILLIAM PITT. 125 fermer, laissant des masses d'ouvriers sans tra- vail, des maisons respectables etaient sur le point de manquer a leurs signatures et d'en entrainer d'autres dans leur desastre, lorsque Pitt proposa au parlement d'autoriser remission de billets de FEchiquier pour une somme de 5 millions de livres sterling, destines a etre distribu6s en prets aux negociants, banquiers ou industriels dont les demandes seraient trouvees fondees. Le parle- ment s'empressa d' adherer a cette proposition, et designa lui-meme les commissaires charges de faire les prets. Ge vote seul suffit pour dissiper bien des inquietudes, et le nombre total des de- mandes de secours ne fut que de 332 pour une somme de 3, 855, 6*24 livres sterling; 238 furent accueillies jusqu'a concurrence de 2,202,600 liv. sterl. ; lib furent retirees et /i9 rejetees. La tota- lity des avances fut restituee, une partie consi- derable avant Fepoque fixee pour le rembourse- ment, et le surplus aux echeances .determinees. Deux des emprunteurs seulement firent faillite, mais se trouverent plus tard en 6tat de se liberer. Ainsi furent pre>enus de grands malheurs, et 126 WILLIAM PITT. l'operation ne couta aucuns frais. La difference entre Finteret de 5 pour 100 paye par les em- prunteurs, et celui des billets de FEchiquier, pour lequel l'Etat ne donnait que 2 deniers 1/2 par jour, suffit a toutes les depenses de la com- mission, et laissa meme un profit de 4, 000 livres sterling qui fut verse au Tresor public. Les premiers mois de 1793 furent pour les ar- mees francaises une suite de revers. Dumouriez, battu a Nerwinde, dut evacuer la Belgique, et les Autrichiens entrerent sur le territoire francais, ou ils occuperent Conde, Valenciennes et Le Quesnoy. De leur cote, les flottes anglaises s'era- parerent de Terre-Neuve, de Tabago, de Pondi- chery, de to us les comptoirs francais au Bengale et sur la cote de Malabar, et de la ville ainsi que du port de Toulon ; mais apres la journee du 31 mai, sous Timpulsion violente du comite de salut public, des levees en masse furent faites en France et dirigees vers la frontiere. En Flan- dre, le due d'York, a la tete d'une armee anglaise et hanovrienne, fut battu par le general Hou- chard et oblige de lever le siege de Dunkerque; WILLIAM PITT. 127 le prince de Cobourg fut defait a Wattignies par Jourdan, et les Autrichiens furent rejetes par Hoche au dela du Rhin. L'amiral Sidney Smith dut egalement evacuer Toulon; mais en partant il y brula 1' arsenal, les magasins,' dix-sept vais- seaux de ligne, plusieurs fregates, et emmena le reste , portant ainsi un coup fatal a la puis- sance maritime de la France. G'est sous l'impression de ces nouvelles que fut ouverte, le 21 Janvier 179/i, la session du parlement. Le roi y declara qu'il regrettait l'obli- gation ou se trouvait l'Angleterre de continuer les hostilites, mais qu'il meconnaitrait les vrais interets du pays, s'il se laissait aller a faire la paix sur des bases qui ne garantiraient pas suffi- samment l'independance de l'Europe. En effet, le regime pratique en France, et que la Convention voulait propager a l'exterieur par les agressions les plus injustes, ne tendait qu'a la destruction des proprietes, au renversement des lois et de la religion, et il n'y aurait pas de securite possible pour les autres nations aussi longtemps qu'il du- rerait. II exprima done l'espoir que le parlement 128 WILLIAM PITT. adhererait a toutes les propositions qui lui se- raient soumises par ses ministres. La politique du gouvernement fut vivement attaquee par Fox. II etait le premier, dit-il, a fletrir les crimes qui se commettaient en France, et deplorait les scenes de carnage qui ensanglan- taient le continent; mais le due de Brunswick en avait donne le signal par son manifeste, et sur lui ainsi que sur les negociateurs du traite de Pilnitz devait retomber toute la responsabilite de la lutte qui desolait l'Europe. D'ailleurs, quelque indi- gnation que dussent causer les evenements dont la France etait le theatre, si on voulait les consi- derer comme un motif legitime de guerre, l'An- gleterre n'avait pas un seul de ses allies avec qui elle put rester en paix. Tous en effet avaient corn- mis les actes de despotisme les plus reprehensi- bles, et la Pologne n'etait-elle pas en ce moment raeme l'objet de traitements r£voltants? Sans doute on pouvait invoquer les sentiments de haine professes par les republicans francais contre l'An- gleterre, et leur esprit degression et de conqu^te; mais qui avait plus ha'f l'Angleterre que Louis XIV? WILLIAM PITT. 129 Qui avait eii plus que lui 1' esprit d'agrandisse- ment? La paix cependant avait ete conclue avec lui a Ryswick. Pourquoi ne le serait-elle pas aussi avec la Convention? G'est en vain qu'on avait voulu detruire. le pou.voir de cette assemblee ; elle avait triomphe des insurrections interieures, battu les armees de l'Europe, et, defendant la cause de l'independance et de la liberte, elle etait assuree d'etre soutenue par toute l'energie nationale. On pouvait done traiter avec elle en toute securite. Fox termina en demandant que le roi fut prie de faire la paix des qu'il y aurait moyen de la con- clure honorable et avantageuse, et sans avoir egard a la forme de gouvernement qui existerait en France. Pittrepondit qu'il souhaitait aussi la paix, mais qu'elle n'offrirait aucune surete, faite avec un pouvoir tel que celui auquel etait alors soumise la France. Ne venait-il pas en effet d'abolir la reli- gion , de s'emparer des proprietes privees , et ne professait-il pas des principes aussi destructeurs de l'ordre general des societes que contraires a la stabilite des gouvernements? Ges principes, il 130 WILLIAM PITT. cherchait a les repandre par la conquete dans toute l'Europe, et l'Angleterre avait un puissant interet a combattre energiquement une pareille propaganda D'ailleurs des decrets de la Conven- tion defendaient de n£gocier avec tout ennemi qui, au prealable, n'aurait pas evacue le territoire de la republique , et reconnu son unite et son indivisibilite. Pour traiter avec la France, il fal- lait done se mettre a sa merci, accepter ses con- quetes, lui restituer ses anciennes possessions. L'Angleterre etait-elle disposee a subir de pa- reilles conditions? et lors meme qu'elles ne lui seraient pas imposees, ne s'exposerait-elle pas, en negociant avec une dictature dont les membres se detruisaient successivement les uns les autres, a voir les conditions admises par les maitres du jour meconnues par ceux du lendemain? 11 6tait done , a tous egards , plus sage de continuer la guerre que de traiter avec de pareils monstres. Et, rappelant enfin la citation historique faite par Fox, « l'honorable membre, dit-il, a profite de cette occasion pour faire une belle sortie contre les rois, assurant que nous pouvons avoir autant WILLIAM PITT. 131 de confiance dans la bonne foi des gouvernants actuels de la France que nos ancetres en ont eu dans celle de Louis XIV. Je conteste formellement cette assertion, et je dis que si ce roi avait reussi dans ses ambitieux projets, ce que nous aurions eu a soufFrir alors eut pu etre considere comme une prosperity en comparaison de tous les maux que. produirait le triomphe du regime revolution- naire. La splendeur de sa cour, les talents de ses generaux, la discipline de son armee, tout ce qu'il inspirait enfin relevait toujours d'un sen- timent d'honneur. Son ambition meme, bien qu'extreme, etait dirigee et contenue par des principes de grandeur et cle loyaute. 11 en est autrement de ceux professes par la Convention : elle a mis de cote toute espece de pudeur, et, avec une ambition non moins grande, elle ne craint pas d'employer des moyens de destruction mille fois plus a redouter que ne l'a jamais ete le pouvoir du plus puissant monarque. » La motion de Fox fut rejetee a une immense majorize, et le parlement, sur la proposition de Pitt, porta a 85,000 homines les forces de l'armee 132 WILLIAM PITT. navale, et a 60,000 hommes celles de Farmee de terre , autorisa le gouvernement a emprunter une somme de 11 millions de livres sterling, et affecta au service de cet emprunt le produit de taxes additionnelles sur le rhum, les esprits, les bri- ques, les toiles et glaces. Outre les forces dont nous venons de parler, le gouvernement avait pris a la solde de l'Angleterre des corps etrangers composes d'emigres et de Hessois. lis devaient les uns et les autres faire partie d'une expedition projetee contre la cote de Bretagne; mais, en attendant quelle fut deTmitivement organisee, ils furent places dans Tile de Wight. Ce casernement sur le sol anglais fut denonce com me inconstitu- tionnel par Fox et par Grey. L'institution d'une armee reguliere {standing army) avait toujours ete vue avec une repugnance extreme, comme placant entre les mains du souverain une force prete a l'aider dans les entreprises qu'il serait tente de faire contre les libertes publiques. A plus forte raison cette defiance devait-elle exister vis- a-vis de troupes mercenaires que n'auraient pu retenir ni le sentiment du patriotisme ni le res- WILLIAM PITT. 133 pect des lois. Aussi depuis 1688 nul corps etran- ger n'avait ete introduit dans le royaume sans Fautorisation du parlement, tres-jaloux de son droit a cet egard. Pitt fut le premier a reconnaitre ce droit, ainsi que l'infraction commise ; mais elle etait expliquee et justifiee par les circonstances, et le parlement refusa de la censurer. Au milieu de tant d'efforts faits par la nation anglaise pour souteuir energiquement la guerre, la Prusse, d^couragee par ses 6checs, manifesta F intention de se retirer de la lutte. Elle allegua que ses ressources ne lui permettaient pas d'y rester plus longtemps engagee, que d'ailleurs, separ£e de la France par d'autres Etats, elle n'avait pas a en redouter le voisinage , et que les interets de FAngleterre, de FAutriche , de la Hol- lande, etant autrement menaces que les siens, c'etait a ces puissances de supporter tout le poids des hostilites. Cette resolution pouvait avoir les consequences les plus graves en ouvrant aux Francais la route des Pays-Bas et en privant la coalition du concours de troupes excellentes. II fallait done empecher a tout prix quelle ne flit 134 WILLIAM PITT. executee, et, lWutriche n'etant pas en position de faire le moindre sacrifice pecuniaire, FAngle- terre et la Hollande durent s' engager a payer a la Prusse un subside moyennant lequel elle promit de mettre a leur disposition une armee de 60,000 hommes. Pour subvenir a cette charge, Pitt ay ant demande au parlement un credit de 2,500,000 livres sterling, Fox signala tous les dangers de la voie ou Ton allait entrer. La con- duite du roi de Prusse lui paraissait devoir inspi- rer peu de confiance, et il etait a craindre qu'une fois la somme promise payee, ce souverain ne vint alleguer de nouveaux obstacles et faire de nouvelles demandes. D'un autre cote, la situation fmanciere de l'Espagne, de l'Autriche, de la Rus- sie etait detestable, et sans aucun doute, encou- ragees par ce precedent, ces puissances vien- draient a leur tour pretexter de leur epuisement et menacer de mettre bas les armes. 11 faudrait done pour les retenir leur donner aussi des sub- sides, et la lutte, se prolongeant, entrainait in- failliblement la ruine de l'Angleterre. Quelque bien fondees que fussent ces observations, elles WILLIAM PITT. 135 ne pouvaient prevaloir en presence, des necessites de la situation et du danger qu'il s'agissait de conjurer. Le credit demande" fut accorde. Du reste, la Prusse n'en recut qu'une partie, car, beaucoup plus preoccupee des evenements de la Pologne que de la guerre avec la France, elle laissa ses troupes immobiles et ne voulut prendre part a aucune des operations de la campagne de 179Zi. Le gouvernement anglais se considera des lors comme delie vis-a-vis d'elle, et cessa de lui payer le subside convenu. Cette campagne fut, sur le continent, tout a l'avantage de la France. Au nord, ses armees, sous les ordres de Pichegru, de Jourdan et de Moreau, remporterent les victoires de Fleurus et de Ruremonde, defirent dans une serie de com- bats les Autrichiens, Hollandais et Anglais com- mandes par le due de Saxe-Gobourg, le general Glerfayt et le due d'York, reprirent la Belgique, forcerent les Prussiens a quitter leurs positions et a se retirer sur Mayence, rejeterent les Autri- chiens au dela du Rhin, s'emparerent de Bonn et de Cologne, penetrerent en Hollande, chassant 136 WILLIAM PITT. devant elle le due d'York, firent la conquete du pays, et entrerent en triomphe, le 20 Janvier 1795, a Amsterdam. Au sud, d'un cote, les Sardes furent expulses du passage des Alpes, et de F autre les Pyrenees furent franchies; la Gatalogne ainsi que la Biscaye envahies, les forces espagnoles mises en deroute, et la cour de Madrid se trouva reduite a demander la paix. Sur mer, le drapeau anglais fut plus heureux. L'amiral Hood prit possession de File de Corse, dont les habitants avaient re- clame le concours de FAngleterre pour se delivrer des Francais. L'amiral Jervis s'empara de la Mar- tinique et de Sainte-Lucie. L'amiral Howe defit une flotte de vingt-six batiments de ligne , sortie du port de Brest, sous les ordres de l'amiral Yil- laret-Joyeuse, pour proteger Farrivee d'un convoi considerable charge de ble et venant d'Amerique. Neanmoins ces succes, caielque flatteurs qu'ils fussent pour Famour-propre national, ne pou- vaient compenser les revers eprouves sur le con- tinent; et d'ailleurs, par suite de la conquete de la Hollande par Pichegru , presque tous les frais de la iruerre allaient retomber a la charge de WILLIAM PITT. 137 l'Angleterre. En eflfet, ainsi que l'avait prevu Fox, l'Autriche , decouragee aussi par sa defaite , des- esperant de recouvrer la Belgique, avait menace a son tour de se retirer de la lutte , et pour con- server sa cooperation, le gouvernement anglais avait du contracter pour elle, en le garantissant, un emprunt de Zi, 600, 000 livres sterling. Pitt devait done s'attendre a de vives attaques dans le parlement, et il avait fortifie sa position minis- terielle, depuis la derniere session, par 1' entree dans le cabinet du due de Portland, de lord Spencer, de lord Fitz -William et cle Windham, en s'assurant ainsi le concours de la portion dis- sidente du parti whig dont ils etaient les chefs. Le discours de la couronne fut des plus belli- queux : le roi declara qu'il fallait redoubler d' ef- forts, et qu'alors seulement on arriverait a obtenir une paix durable et a delivrer l'Europe du, plus grand danger qui l'eut menacee depuis qu'il y existait une societe civilisee. Dans la discussion de 1'adresse, Wilberforce demanda que le gou- vernement fut invite a entamer des negociations de paix sur des bases honorables pour l'Angle- 438 WILLIAM PITT. terre, mais acceptables aussi par la France. Cette motion fut soutenue par Canning, qui insista sur le changeraent de regime survenu en France de- puis le 9 thermidor; mais Pitt repondit que le systeme revolutionnaire du nouveau comite de salut public etait le meme que celai de l'ancien, et qu'il n'y aurait pas plus de securite a traiter avec ses membres qu'avec Brissot et Robespierre. II exprima la conviction que le retablissement du regime monarch ique en France devait seul assu- rer la tranquillite de FEurope, en ajoutant toute- fois que, des qu'il serait possible de faire avec le gouvernement repnblicain une paix sure et avan- tageuse, il serait le premier a conseiller au roi de la conclure. La motion de Wilberforce fut rejetee, mais avec une minorite double de celle que 1' op- position avait pu reunir jusqu'alors. En conse- quence, le parlement adhera a toutes les de- man des qui lui furent faites par le cabinet : l'efiectif de la marine fut porte a 100,000 hommes; celui des troupes de terre, y compris la milice, a 150,000 hommes; un emprunt de 18 millions de livres sterling fut vote, et, pour en assurer le WILLIAM PITT. 130 service , de nouvelles taxes furent 6tablies sur le vin, les liqueurs, le cafe, le the, la poudre a che- veux, cette derniere etant presumee devoir a elle seule produire 200,000 livres sterling. La garantie en faveur de l'emprunt contracte pour le compte de 1'Autriche fut egalement accor- ded, mais non sans avoir donne lieu de la part de Fox aux plus ameres critiques. « Pourquoi l'empereur, dit-il, a-t-il recours a notre credit? Uniquement parce qu'il n'en a pas lui-meme. II y a en effet, dans ses Etats et dans les autres, des capitalistes parfaitement aptes a comprendre les avantages du placement, sans que nous pre- nions la peine de les leur demontrer nous- memes. Gertes ils les ont vus, mais ils n'ont rien voulu avancer a raison des craintes que leur inspire l'emprunteur. Le pret qui lui est fait n'est done qu'un subside deguise, et ce n'est pas la une operation loyale. Ainsi voyez la situation dans laquelle nous nous trouvons. Le seul concours que nous puissions avoir en ce moment est celui de l'empereur, et cependant, apres avoir fait pour lui des sacrifices plus considerables que ceux que 140 WILLIAM PITT. nous a coutes 1'aide de la Prusse, nous sommes exposes a en recevoir le meme traitement. II a plus de bonne foi, dit-on, que le roi de Prusse; mais on pretendait aussi que ce dernier en 6tait rempli, et j'ai peu de confiance, quant a moi, dans la probite des souverains absolus. » Outre cetemprunt de /i, 600,000 livres sterling, le gouvernement anglais dut encore, en 1797, en contracter aux memes conditions un second de 1,620,000 livres sterling pour le compte du meme souverain, et le capital nominal de la dette per- petuelle que creerent l'un et 1' autre fut de 7,502,630 livres sterling. II fut convenu que le payement des interets aurait lieu a la Banque d'Angleterre, et les agents de l'empereur devaient a cet effet lui en verser le montant chaque se- mestre avant l'echeance. S'ils y manquaient, cet 6tablissement devait s'adresser aux lords de la tresorerie, et ces derniers 6taient autorises a lui remettre la somme necessaire en la prenant sur le fonds consolide, de telle sorte que cette dette reposait sur les memes garanties que la dette an- glaise. Le gouvernement autrichien promit meme WILLIAM PITT. 141 d'affecter chaque ann6e a ramortissement du ca- pital une somme de 60,000 livres; mais aucun de ces engagements ne fut rempli. En 1798, l'Au- triche cessa de payer les interets, et depuis lors ils furent regulierement acquittes aux 6ch6ances convenues avec les ressources du fonds consolide. L'Angleterre ne voulut meme pas qu'un march6 auquel elle avait pris part ne fut point complete- ment execute, et qu'il put en resulter le moindre prejudice pour ceux qui l'avaient contracte; elle se chargea done de ramortissement, et en 1815 1,622,58£ livres sterling avaient deja et6 r ache- tees. Depuis 178Zi, Pitt avait invariablement suivi la regie qu'il avait etablie alors de ne faire d'em- prunts qu'avec publicite et concurrence. II con- ceda cependant a l'amiable, a une maison consi- derable appelee la maison Boyd, celui qu'il avait contracte pour subvenir aux besoins de l'annee J 795, et il y fut determine par les considerations suivantes. Le montant des emprunts etait en ge- neral payable 15 pour 100 au moment de la sous- cription, et le surplus de mois en mois; mais dans 142 WILLIAM PITT. les bills qui les autorisaient etait toujours in- scrite une clause qui accordait une prime pour les versements faits par anticipation. Celui dell mil- lions contracte en 179/il'avait ete a un taux favo- rable pour le Tresor, et etait devenu fort onereux aux souscripteurs a cause de la baisse occasion- nee par les revers de la guerre. Aussi aucun ver- sement n' avait ete fait par avance, et le gouver- nement, se trouvant a court de fonds, avait du s'adresser a la maison Boyd, qui lui avait remis ceux dont il avait besoin. Cette operation avait 6t6 peu avantageuse a la maison Boyd, et soit pour reconnattre un service rendu, soit pour s' as- surer a l'avenir le concours d'une maison solide et respectable, Pitt lui avait promis la concession du prochain emprunt. II le lui donna en effet au taux de h pour 100, et, la rente ayant hausse a la fin de l'annee, elle realisa des benefices considerables. Cette concession a 1' amiable fut vivementcritiquee. L'opposition demandaune en- quete, et le comite auquel elle fut confiee con- stata dans son rapport qu'une maison rivale avait offert des conditions meilleures. Personne n'atta- WILLIAM PITT. 443 qua la probite du ministre, parce qu'elle etait au- dessus de tout soupcon, et ses adversaires lui rendirent a cet egard le plus complet hommage; mais ils lui reprocheretff d'avoir fait un marche prejudiciable a l'Etat dans une pensee de corrup- tion parlementaire. Pitt exposa simplement les faits, rejeta dedaigneusement l'accusation d'avoir cherche a augmenter son influence ministerielle au prejudice des interets du Tresor, et demontra qu'au moment ou il avait ete contracte, l'emprunt, nonobstant les assertions du comite, n'aurait pu Fetre d'une facon plus avantageuse. La motion de censure futrejetee a une immense majorite; mais, quelque pures qu'eussent et6 les intentions du ministre, il avait eu tort evidemment de se depar- tir d'une regie posee et maintenue jusqu'alors rigoureusement par lui-meme, au risque de frois- ser tant d' interets privet et de compromettre cette influence parlementaire qu'on lui reprochait de vouloir menager : accusation bien mal fondee du reste, car alors meme il mettait un terme a divers abus qui avaient ete un moyen de force pour ses predecesseurs. Ainsi c' etait une pratique con- 144 WILLIAM PITT. stante dans les guerres anterieures de traiter a forfait et de gre a gre pour les fournitures de troupes employees au dehors avec des amis de r administration, oude leur confier r achat moyen- nantdes commissions plus que remuneratrices. Le ministre y gagnait en credit, mais le Tresor y perdait doublement, d'aborcl a raison des bene- fices considerables realises par les traitants, en- suite parce que, se presentant sur le march 6 en concurrence les uns des autres et avec les com- missaires de la marine, ils faisaient monter le prix de tous les approvisionnements. Pitt n'avait pas voulu recourir a de pareils moyens; desireux avant tout d'introduire l'ordre et l'economie dans les di verses branches clu service public, il avait exige que toutes les fournitures fussent achetees par les employes de 1' administration, que tous les marches eussent lieu par adjudication publique, et il avait cherche a restreindre dans les plus strictes limites les depenses militaires faites au dehors. A cet effet, aussi bien dans Farmee que dans la marine, ces dernieres durent etre auto- risees par le commandant en chef et faites exclu- WILLIAM PITT. U5 sivement par l'intermediaire d'un commissaire general, controls lui-meme par un commissaire des comptes charge" de verifier si toutes les con- ditions possibles d'economie avaient ete obser- vers. De plus, il fut severement defendu a ces agents de percevoir aucune retribution en de- hors des emoluments qui leur etaient attribues. 146 WILLIAM PITT. II. EVENEMENTS DE 1795. — DISETTE. — CONSOLIDATION DE LA DETTE A TERME. — SUBSIDES A l'aDTRICHE. — EMPRUNT NATIONAL. — CRAINTES D'lNVASION. — BANQUE D'ANGLETERRE ET SUSPENSION DES PAYE- MENTS EN ESPECES EN 1796. Au commencement de 1795, la France ay ant ouvert a Bale des negotiations avec di verses puis- sances conclut successivement la paix avec le grand-due de Toscane, le roi de Suede, le roi de Prusse qui lui reconnut toutes les conquetes faites sur la rive gauche du Rhin, et la cour de Madrid, a laquelle ellerestitua le territoire dont elle s'etait empar6e au dela des Pyrenees en se faisant ceder en echange la partie espagnole de Saint-Domin- gue. Le landgrave de Hesse et le Hanovre ne tar- derent pas a suivre le meme exemple, et le gou- WILLIAM PITT. 147 vernement anglais n'ayant plus d' autre allie que l'Autriche dut stimuler son zele par de nouveaux subsides. Tan'dis que Wurmser et Glairfayt de- fendaient avec succes la ligne duRhin, qu'en Pie- mont, au contraire, les Autrichiens etaient battus par le general Scherer, et qu'une expedition d' emigres echouait de la facon la plus sanglante a Quiberon, des escadres anglaises etaient diri- gees contre les colonies hollandaises, et prenaient successivement les Moluques, File de Geylan le cap de Bonne-Esp6rance. Mais le printemps et Fete ayant ete constamment froids et pluvieux, la recolte de 1795 fut detestable en Angleterre, et le bl6 monta au taux exorbitant de 108 shilling le quarter, line epizootie enleva aussi une partie du betail, et, la hausse du prix de toutes les denrees alimentaires rendant d'autant plus onereux le poids des impots recemment crees, la guerre commenca a etre moins populaire. Des troubles 6claterent a Coventry, Birmingham, Not- tingham et dans d'autres villes. Londres n'en fut pas exempt, et lorsque le 29 octobre 1795 le roi se rendit au parlement pour ouvrir la session, il fut 148 WILLIAM PITT. accueilli par la foule aux cris cle « plus de guerre, plus de famine ! a bas Pitt ! du pain ! la paix ! » Pour calmer les inquietudes et remedier a Tin- tensite de la disette, Pitt s'empressa de soumettre au parlement, qui les adopta, diverses mesures ay ant pour objet de defendre l'emploi de la farine dans les fabriques d'amidon et les distilleries, de lever tous les obstacles qui pourraient entraver la libre circulation des grains, de dispenser les boulangers de 1' obligation de faire le pain avec de la farine de premiere qualite, de les autoriser a y melanger du mai's, des pommes de terre et des grains de qualite inferieure, d'accorder des primes pour 1'importation du ble et de toutes ma- tieres alimentaires, et d'en prohiber 1' exportation. Les efforts de 1' administration et de la legislature rencontrerent partout un concoursempresse. Dans les menages les plus riches, on s'interdit l'usage de la patisserie, et on ne consomma que du pain melange; la Gompagnie des Indes vendit au- dessous de leur valeur les cargaisons de riz qu'elle avait en magasin ou qui lui arriverent, et la Cite de Londres encouragea par des primes la vente a WILLIAM PITT. 149 prix reduit de diverses especes de poissons. Grace a l'emploi de ces moyens et aussi au bon sens public, le progres du mal fut arrete, et le prix du ble ramene dans des limites moderees. Le parlement vota ensuite le budget de 1796 et autorisa le gouvernement , pour subvenir aux charges extraor din aires resultant des circon- stances, a contractor deux emprunts qui s'eie- verent ensemble a 25,500,000 livres sterling. Le service en fut assure au moyen de nouveaux droits sur le tabac, le sucre, le sel, les chevaux d'agre- ment, et aussi par la creation d'un impot sur les successions mobilieres, dont furent exemptes les veuves et enfants, et qui, pour les autres heriders, variait de 2 a 6 pour 100, suivant le degre de parents. Le chancelier de l'Schiquier avait pro- pose d'y soumettre les biens immeubles comme les biens meubles ; mais, devant la vive opposi- tion des propri6taires fonciers, nombreux et in- fluents dans le parlement , il dut renoncer a la partie de son projet relative aux successions im- mobilieres. Dans cette circonstance, il y eut de la part du 150 WILLIAM PITT. parlement une violation d'autant plus inexcusable du principe de justice distributive en matiere d'impots, qu'en exemptant une nature de pro- priete des charges dont il grevait 1' autre, il ne fat determine que par des motifs d'interet prive. Sans cloute Pitt aurait pu empecher la consecration d'une inegalite aussi choquante en ne soumettant point a la sanction de la couronne la partie de son projet qui avait ete adoptee; mais il aurait fallu se priver d'un revenu de 150,000 livres sterling, bien necessaire alors, et les considerations de ne- cessite l'emporterent sur celles d'6quite. En prin- cipe d'ailleurs, le nouvel impot etait bon. II ne portait ni sur le travail, ni sur les economies du contribuable, mais frappait moderement un capi- tal qui venait souvent d'une facon inesperee ac- croitre son bien-etre. L'immunite accordee a la propriete fonciere etait seule regrettable, et, bien qu'elle ait ete frequemment l'objet des reclama- tions les plus vives au sein ou au dehors de la le- gislature, que chaque fois on ait fait observer combien il etait inique que de minces heritages en meubles de 50 ou 100 livres sterling fussent WILLIAM PITT. 151 greves d'un droit fiscal, tandis que ceux compre- nant des domaines d'une valeur de 100,000 livres et plus n'y etaient pas assujettis, elle n'en a pas moins ete maintenue jusqu'en 1853, tant il est vrai qu'une fois etablis, les abus, quelque demon- tres et choquants qu'ils soient, insistent aux atta- ques dont ils sont l'objet quand ils profitent a des interets opiniatres. Et, s'il en est ainsi dans les pays de libre discussion, combien la reforme n'en est-elle pas plus difficile dans les fitats soumis au regime du pouvoir absolu ! Outre les deux emprunts de 25,500,000 liv. sterl. qu'il contracta en 3 pour 100 au taux d' en- viron h 1/2, Pitt eut dans le courant de l'an- nee 1796 a proceder a une operation fmanciere importante, celle d'une nouvelle consolidation de la dette a terme. Nous avons vu que le gouvernement avait du emprunter en 3 pour 100 : 152 WILLIAM PITT. En 1793. . . 4,500,000 1. st. au capital no- minal de... 6,250,000 1. st. En 1794. . . 11,000,000 au capital no- minal de... 13,750,000 • En 1795... 18,000,000 au capital no- minal de... 24,000,000 En 1796. . . 25,500,000 au capital no- minal de... 30,889,625 Pour une somme reelle de 59,000,000 1. st., le capital no- minal de la dette avait done ete augments de.. 80,889,625 1. st. Mais cette somme de 59,000,000 1. st. Stait loin d'avoir sum a toutes les depenses de la guerre. Les avances faites au Tresor par la Banque depuis le commencement des hostilites s'etaient elevees de 9,066,698 a 12,846,700 liv. sterl., soit de 3,780,000 Des bons de la marine, d'approvisionne- ment , etc. , ernis depuis la meme Spoque , avaient ete successivement consolides- en ren- tes 5 pour 100 en 1794 pour une somme de. . . 1,907,452 en 1795 pour 1,490,667 au mois d'avril \ 796 pour . . „ 4,226,796 Et, nonobstant cette large dScharge, il en res- tait encore sur le marche, au mois de septem- bre suivant, pour 11,595,529 1. st. plus en billets de l'Echi- quier,independamment de ( .<> qqo 993 ceux remis a la Banque pour garantie de ses avan- ces 1,433,294 La guerre avait done deja coute" en trois ans etdemi 83,433,738 1. st. non compris le produit des taxes Stablies pour le service des nouveaux eriiprunts. WILLIAM PITT. 153 Ges 13,028,823 liv. sterl. de titres flottants pesaient lourdement sur la place. lis perdaient plus de 10 pour 100, et le gouvernement ne trou- vait plus a en emettre qu'avec un escompte de 111 ou 15 pour 100. II fallait done sortir au plus tot de cette situation , et le moyen le plus conve- nable parut etre une nouvelle consolidation. Une conference eut lieu entre Pitt et les principaux porteurs de billets, et il fut convenu que chacun d'eux recevrait a son choix, a raison de 57 livres qui lui seraient dues, un titre de rente 3 pour 100, a raison de 72 livres un titre de rente h pour 100, et pour 85 livres un titre de rente 5 pour 100, e'est-a-dire que la consolidation fut faite dans le premier fonds au taux de 5,30, dans le second a celui de 5 1/2, dans le troisieme a celui de 5,90, et que, pour un capital realise de 13,028,823 li- vres, celui de la dette publique fut augmente de 21,616,459 liv. sterl. Sans doute ces conditions etaient onereuses; mais aussi, le marche se trouvant degage de toutes ces valeurs depreciees, le Tresor put nego- cier plus ais6ment et plus avantageusement les 9. 154 WILLIAM PITT. titres nouveaux qu'il eut a Smettre , et une masse considerable de capitaux rendue disponible vint en aide au commerce et a l'industrie. Une autre mesure contribua aussi a prevenir pour les obli- gations de la marine le retour d'une depreciation semblable a celle qu'elles venaient de subir. Pre- cedemment les fournitures et approvisionnements de ce departement etaient livres contre des bil- lets payables a des epoques indetermin6es : l'es- compte s'en accroissait chaque annee et fmissait par devenir fort onereux. Deja en 1794 , voulant remedier a ces inconvenients, Pitt avait fait deci- der que tous les effets de cette nature seraient acquittes a quinze mois de date, et le taux de 1'escompte avait immediatement diminue; mais soit a cause du grand nombre de ces effets » soit plutot parce que l'epoque du payement 6tait en- core trop eloignee, il 6tait remonte, en 1796, a lit et 15 pour 100. Le ministre pensa qu'il fallait rap- procher le'terme de l'echeance, et, sur sa proposi- tion, le parlement adopta un bill par lequel il fut fixe a quatre-vingt-dix jours. Le r6sultat espere fut completement atteint. Les billets , etant ac- WILLIAM PITT. 155 quittes avec une r^gularite" scrupuleuse, furent consideres comme argent comptant : ils gagnerent meme en 1798 1/8 pour 100, et clepuis ne perdi- rent jamais au dela d'un quart pour 100. Enfm , pour prevenir des mecomptes regret- tables dans les depenses de la marine, on les eva- lua d'apres une base nouvelle. Sous Guillaume III, elles avaient ete fixers en bloc, non compris celles afferentes aux constructions et reparations mari- times, a h liv. sterl. par mois, a raison de chaque homme, et depuis lors, malgre l'augmentation du prix de toutes choses, ce taux n'avait pas 6te change. Aussi les credits alloues se trouvaient-ils chaque annee insuffisants. Pour rentrer dans la ve>ite des faits, le chiffre fut porte a 7 livres par homme , et les depenses de Fannee 1798 n'attei- gnirent pas les credits votes d'apres cette base. Cependant les passions revolutionnaires s'e- taient calmees en France, la convention n'existait plus, et une nouvelle forme de gouvernement y avait 6te constitutionnellement etablie. On pouvait desormais traiter avec un pouvoir r^gulier , et au commencement de l'annee 1796 Pitt avait obtenu 150 WILLIAM PITT. du roi, apres une vive resistance, l'autorisation de faire cfes propositions de paix au Directoire. M. Wickam, ambassadeur d'Angleterre en Suisse, fiit done charge de demander a M. Barthelemy, representant de la France en Suisse, si son gou- vernement consentirait a l'ouverture d'un congres ou seraient admis des delegues de tous les Etats belligerants pour y discuter les conditions d'une paix generate, et, dans le cas de r affirmative, sur quelles bases le gouvernement francais consenti- rait a traiter. Le Directoire refusa le congres en declarant que jamais les territoires conquis et an- nexes a la France ne seraient restitues. L'Angle- terre s'etait engagee envers 1'Autriche a ne faire la paix qu'autant que la Belgique lui serai t ren- due. Toute negotiation devenait done inutile , et les bostilites continuerent : mais la cour de Vienne etait a bout de ressources : elle demanda un nou- veau subside , et ses besoins etaient si pressants qu'en 1' absence du parlement Pitt prit sur lui de lui envoyer 1,200,000 livres. Moreau et Jourdan s'avancerent , chacun a la tete de son anxtee, jusqu'au coeur de 1'Allemagne ; WILLIAM PITT. 157 mais, Jour dan ay ant ete battu par Farchiduc Charles a Wurtzbourg , les generaux francais du- rent regagner les bords du Rhin. En Italie, au con- traire, les succes de l'armee republicame furent complets : le general Bonaparte defit les Autri- chiens dans une s6rie de brillants combats, s' em- para successivement du Piemont, de la Louibar- die, d'une partie des Etats du pape, forma la republique cisalpine et reduisitla cour pontificale, celles de Naples et de Sardaigne , a demander la paix. D'un autre cote, les troupes anglaises durent evacuer la Corse apres deux annees d'occupation, et le roi d'Espagne, ayant conclu avec la repu- blique francaise un traits d' alliance offensive et defensive, declara la guerre a l'Angleterre. II n'y avait plus a compter sur la Prusse , et quelques succes mari times obtenus aux Antilles ne pou- vaient compenser les revers eprouves en Europe. En Angleterre, le sentiment public devenait de plus en plus favorable a la paix. Le parlement avait ete reelu sous cette impression, et, avant de le reunir, Pitt, surmontant encore les repugnances du roi, fit demander au Directoire des passe-ports 158 WILLIAM PITT. pour lord Malmesbury. Ges passe-ports furent im- mediatement Ticcordes, et en ouvrant la session, le 6 octobre 1796, le souverain put annoncer la reprise des negociations. A ce moment-la meme , il n'etait bruit que des preparatifs faits en France pour operer une descente sur les cotes d'lrlande et d'Angleterre. Quelque dispose que. fut le gou- vernement anglais a traiter , il devait cependant , en prevision du cas ou les negociations echoue- raient, se mettre en mesure de repousser toutes les attaques qui seraient dirigees contre le terri- toire national. A cet effet, sur la proposition de Pitt, le parlement vota, dans les premiers jours de la session, une levee de 15,000 hommes pour le ser- vice de la marine et de l'arm6e, une augmentation dans la milice de 60,000 hommes, qui devaient ne pas etre immediatement appeles, mais seule- ment organises et exerces de facon a etre aptes au service en cas de besoin, plus un corps de cavalerie irreguliere de 20,000 hommes designes sous le nom de yeomanry. II avait ete constate, par Impli- cation de la taxe recemment etablie sur les che- vaux de luxe, que leur nombre s'elevait, dans le WILLIAM PITT. 159 royaume, a plus de 200,000. Un cheval et son ca- valier durent 6tre fournis par tout proprietaire qui en aurait dix , ou par une collection de pro- pri6taires r£unissant ensemble ce meme nombre. II fut 6galement decide qu'en cas d' invasion tous les gardes-chasse seraient employes comme tirail- leurs, ressource qui n'etait pas a dedaigner, car il y en avait plus de 7,000 commissionnes. Ges me- sures, tout a la fois efficaces et Sconomiques, m6- nageaient les interets de l'agriculture et de l'in- dustrie : elles laissaient a leur disposition les bras qu'elles occupaient aussi longtemps que la de- fense du territoire ne les reclamerait pas; en errant au sein du pays une force respectable, elles rendaient l'armee disponible, et permettaient de l'envoyer partout ou sa presence pourrait etre n6cessaire. Le parlement autorisa ensuite le gouvernement a contracter de nouveaux emprunts, vota, pour en assurer le service, de nouvelles taxes sur le the, les ventes aux encheres, les esprits indi- genes et strangers, le sucre, les maisons, les voi- tures de louage et le port des lettres, dont le 160 WILLIAM PITT. produit fut e value a 2 millions de livres sterling. II ratifia enfm, apres de vifs debats, le subside de 1,200,000 livres sterling payees a l'Autriche. A cette occasion fut debattue entre le premier mi- nistre et les chefs de 1' opposition une question constitutionnelle de la plus haute importance, celle de savoir jusqu'a quel point, dans un pays soumis au regime d'une monarchie controlee par le pouvoir representatif, le gouvernement a le droit d' engager les ressources de l'Etat sans l'au- torisation prealable du parlement. Fox commenca par etablir que le premier privilege de la cham- bre des communes etait non-seulement de voter l'impot et de determiner tous autres moyens de pourvoir aux depenses publiques, mais aussi de decider ces depenses et la facon dont elles seraient faites; puis il ajouta qu'un des principaux avan- tages d'une monarchie limitee etait, en assurant les bienfaits de la liberte, de mettre le pays, par l'organe de ses representants, a meme d' examiner les causes d'une guerre, et de l'arreter quand il la trouverait contraire a ses interets. Neanmoins des evenements imprevus pouvaient occasionner WILLIAM PITT. 161 des depenses extraordinaires ; mais c'etait la une exception regrettable que l'urgence pouvait seule justifier. Or le subside avait ete promis avant la cloture de la derniere session, et, en ne le sou- mettant pas alors a l'approbation clu parlement, les ministres avaient voulu etablir un precedent inconstitutionnel et se donner ainsi a l'avenir la facilite de depenser les deniers du pays sans l'as- sentiment prealable de ses representants. II pro- posa done de declarer que par cette conduite ils avaient viole le privilege cle la chambre et en- gage leur responsabilite personnelle. Pitt reconniit comme Fox, et en termes non moins formels, le droit exclusif de la chambre des communes de voter les recettes et les depenses de l'Etat. Neanmoins il etait parfois dangereux de porter a l'exces la rigueur des principes. En examinant les precedents parlementaires, on ver- rait que V application en avait ete subordonnee maintes fois aux circonstances. Ainsi, pour ne point arreter la marche du gouvernement, il avait ete admis qu'en cas de besoins imprevus les mi- nistres auraient la faculty d'y pourvoir sous leur 162 WILLIAM PITT. propre responsabilite, et lors de 1' administration de M. Fox lui-meme il avait ete fait, pendant les sessions, des depenses extraordinaires considera- bles qui ne fivrent approuvees et regularises que dans les sessions suivantes. Sans aucun doute, lorsqu'une depense de cette nature pouvait etre prevue, elle devait, avant la mise a execution, etre autorisee par le parlement; mais, si la divul- gation en offrait des inconvenients, le gouverne- ment ne devait pas hesiter a la faire et a la tenir secrete , sauf a la soumettre plus tard a la sanc- tion legislative. Tel etait le cas dans lequel s'e- tait trouve le cabinet pour le subside donne a Tempereur d'Autriche. La situation de ce souve- rain etait desesperee, et il fallait a tout prix lui venir en aide; la publicite donnee a ce concours aurait pu avoir, politiquement et financierement, les consequences les plus facheuses, et ces graves motifs avaient determine la conduite du cabinet. Quelques membres, il est vrai, tout en reconnais- sant la necessity, dans certaines circonstances, de proceder sans vote prealable du parlement, en contestaient cependant la faculte quand il s'agis- WILLIAM PITT. 463 sait de troupes 6trangeres; mais l'histoire et le journal de la chambre des communes temoi- gnaient du contraire. Ainsi en 1701, sous le roi Guillaume, en 1706 sous la reine Anne, en 1718 sous le roi George I er , en 1734 et 1742 sous George II, des subsides avaient 6te payes a des souverains Strangers sans avoir ete accordes par la chambre des communes, et posterieurement, apres en avoir reconnu l'utilite, cette derniere avait donne au gouvernement un bill d'indemnite. Le cabinet, dans les circonstances actuelles, ne s'etait done ecarte ni des regies constitutionnelles ni des precedens parlementaires , et il avait le droit de compter sur une adhesion semblable. Pitt 6tait dans le vrai. Quelles que soient, en effet, les limites dans lesquelles peut etre resserre" le pouvoir executif par le controle des assemblies representatives, il est impossible, sans risquer de compromettre les plus graves interets du pays, de lui refuser la faculte de pourvoir a des besoins imprevus par des credits extraordinaires. Les garanties contre l'abus de cette faculte doivent se trouver dans la responsabilite des ministres or- 164 WILLIAM PITT. donnateurs et 1' obligation pour eux de soumettre dans un bref delai a la sanction legislative les de- penses qu'ils ont faites sans autorisation. line majorite a beau etre devouee a un ministere, il est cles questions sur lesquelles, responsable elle- meme envers le corps Electoral, elle se montrera toujours severe, et les ministres s'abstiendront avec soin de faire toutes depenses qui , devant leur attirer avec les attaques de leurs adversaires les censures de leurs amis, pourraient compro- mettre leur personne, et dans tous les cas i'exis- tence du cabinet. Or tel est, il faut le reconnaitre, Favantage du gouvernement parlementaire , que si, par entrainement ou par esprit de parti, il peut s'y commettre des erreurs qu'un revirement d' opinion peut bientot corriger, du moins le pays ne se trouve pas a la merci d'une seule volonte et n'est pas expose, pour la satisfaction d'une idee ou d'un sentiment personnel, a etre lance dans des entreprises plus ou moins conformes a sa dignite et a ses interets. Une. autre question fmanciere et constitution- nelle d'egale importance donna lieu aussi a une WILLIAM PITT. 1G5 vive discussion. Pitt avait introduit de grandes ameliorations clans la comptabilite des recettes et depenses publiques. Reposant desormais sur les bases les plus authentiques , les comptes 6taient rediges avec autant de soin que d' exacti- tude, et presentes dans une forme claire et sim- ple. II n'y avait done plus moyen de deguiser la moindre irregularite dans i'emploi des credits alloues. Or l'examen de ces comptes montra que des fonds avaient ete affectes a un tout autre usage que celui pour lequel ils avaient 6t6 votes. En consequence, Grey soumit a la chambre plu- sieurs chefs ,d' accusation par lesquels les mi- nistres etaient inculpes d'avoir viole le droit d' appropriation, Fun des privileges essentiels du parlement. Pitt ne contesta pas le privilege de la chambre, et il justifia par les besoins imperieux des ser- vices la necessite ou il s'etait trouve de l'en- freindre. II rappela que plusieurs de ses pre- d^cesseurs avaient fait comme lui dans des circonstances analogues, et que le parlement, apres les avoir entendus, avait approuve" leur 16G WILLIAM PITT. conduite. Tout en se livrant a des attaques plus ou moins vives, plus ou moins fondees sur les causes qui avaient determine le cabinet a s'ecar- ter du principe de la specialite des credits , Fox demontra les graves inconvenients de cette dero- gation en general, et indiqua les moyens pro- pres, selon lui, a en prevenir le retour. II fit ob- server que, si le systeme invoque et defendu par le ministre etait consacre, les credits accordes pour un objet pourraient sans cesse etre detour- nes de leur destination pour etre affectes a des depenses que le parlement consulte n'aurait pas agreees, et que toute certitude disparaitrait de- sormais dans l'emploi des sommes allouees. Les votes du parlement risqueraient ainsi de devenir une lettre morte, bonne seulement pour l'alloca- tion des ressources, et la confusion ne tarderait pas a se mettre dans les finances. II fallait done maintenir dans toute sa rigueur le privilege de la chambre, ne pas souffrir qu'un chapitre, une fois vote, fiit depouille au profit d'un autre sans automation prealable, et prevenir rinsuffisanoe des credits, soit en creant des ressources sp6- WILLIAM PITT. 167 ciales pour les couvrir, soit en dotant plus large- ment les services. En maintenant les prerogatives du. parlement et en reclamant de la part du pouvoir le respect de la sp6cialite, Fox defendait avec une raison com- plete l'ordre dans les finances; mais les remedes qu'il indiquait risquaient , faute d'etre suffisants, de devenir tres-onereux, car, silarges que fussent les allocations votees , elles pouvaient ne pas re- pondre a tous les besoins, et il etait probable qu'une fois accordees elles ne resteraient jamais sans emploi. Le seul moyen efficace etait done encore la faculte donnee aux ministres en France, sous la monarchic parlementaire , d'ouvrir avec certaines conditions , et sous leur propre respon- sabilite, des credits supplementaires, a la charge de les soumettre a 1' approbation des chambres dans leur plus prochaine session. Ainsi que pour les credits extraordinaires, dans cette responsabi- lite se trouvait la garantie la plus puissante contre tout abus du droit accorde. Quelque satisfaction qu'eut causee en Angleterre la nouvelle de Fenvoi de lord Malmesbury a Paris, 168 WILLIAM PITT. la defiance y etait extreme au sujet des projets de la France : on redoutait toujours une agression de sa part, et le 3 pour 100 etait tombe, dans le cou- rant de 1'annee 1787, de 67 a 53. Pitt ne poavait clone esperer contracter le nouvel emprunt aux conditions du precedent : avant de l'ouvrir il voulut consulter les directeurs de la Banque et les principaux banquiers de Londres sur celles qu'il lui serait possible d'obtenir. De ces confe- rences il resulta pour lui la certitude qu'elles ne pourraient etre que fort onereuses pour le Tresor, et aussi la crainte que l'operation n'echouat, si elle etait entreprise dans la forme ordinaire. Mors, plein de confiance dafts le sentiment national et ne doutant pas qu'il ne repondit a son appel au milieu d'une Situation aussi critique , Pitt resolut d'ouvrir un emprunt par souscription individuelle. II annonca que cet emprunt serait de 18 millions en 5 pour 100, et que pour chaque versement de 100 byres sterling les souscripteurs seraient re- connus creanciers d'une somme de 112 livres 10 shillings; de plus, l'engagement etait pris envers eux de les rembourser, s'ils en formaient WILLIAM PITT. 1G9 la demande deux ans apres lapaix. Le taux auquel ces conditions mettaient le nouvel emprunt 6tait assurement tres-eleve. Neanmoins, eu egard a la situation de la place , elles e talent loin d'offrir le moindre avantage a ceux qui les accepterent. Le sentiment seul du patriotisme determina a y sous- crire, et pour ce motif il recut le nom cle loyalty loan. De toutes parts l'empressement fut extreme. Le premier jour, il y eut pour 5 millions de sous- criptions, et le dernier, rapporte lord Stanhope, « a dix heures, la foule se pressait aux portes de la Banque ; les plus eloignes , dans la crainte de ne pouvoir arriver jusqu'au registre , priaient les plus rapproches d'y inscrire leurs noms et leurs offres; a dix heures et demie, la souscription etait complete, et ceux qui n'avaient pu y prendre part s'en retournaient desappointes. II arriva par la poste un nombre infini d'ordres dont pas un ne put etre execute, et en quinze heures vingt mi- nutes, reparties en quatre journees, l'operation fut entierement terminee. Dans cette circonstance, tout esprit de parti fut mis de cote : amis et op- posants voulurent participer a une ceuvre d'int^ret 10 470 WILLIAM PITT. public, et le due de Bedfort entre autres, l'un des adversaries les plus ardents de 1' administration, souscrivit pour 100,000 livres. » 125,000 livres seulement ne furent pas versees, et le capital realise de 17,875,000 livres sterling constitua l'Etat debiteur de 20,124,843 livres sterling. Apres le traite de paix d' Amiens, conformement al'en- gagement pris avec les souscripteurs, les titres de la plupart d'entre eux furent convertis dans les valeurs con venues, et les remboursements s'ele- verent seulement a la somme de 979,256 livres sterling, que le gouvernement se procura par une emission de rentes 5 pour 100 au prix de 114 liv. pour 100. Bientot, cependant, on apprit la rupture des ne- gotiations de paix entamees a Paris, et les instruc- tions donnees a lord Malmesbury ne permettaient guere de presumer qu'il en put etre autrement. II avait ete autorise a offrir au Directoire la restitu- tion des colonies franchises prises par l'Angleterre depuis le commencement des hostilites, plus l'ad- jonction definitive au territoire de la republique des provinces de Savoie et de Nice, mais a la WILLIAM PITT. 171 condition d'evacuer l'ltalie et aussi d'abandonner la Belgique. Sur ce dernier point, lord Grenville s'etait explique de la facon la plus categorique et avait invite lord Malmesbury a declarer an Direc- toire que jamais le gouvernement anglais ne con- sentirait a laisser la Belgique devenir une depen- dance de la France. Dans la situation que la republique occupait alors en Europe et au milieu de l'eclat de ses victoires, de pareilles conditions etaient inacceptables. Aussi Fambassadeur anglais fut-il invito a prendre ses passe-ports et a partir sans delai. Les craintes d' invasion ne firent alors qu'augmenter. Le 3 pour 100 tomba a 50. Le cours du change sur les lingots d'or et d' argent monta a des prix jusqu'alors inconnus. Le nume- raire, deja fort diminue par suite de prets, subsides et autres depenses faites a l'etranger, se resserra de plus en plus. Ghacun voulut retirer des banques locales les sommes qu'il y avait deposees, et celles-ci, pour la plupart en compte courant avec la Banque d'Angleterre, durent recourir a elle pour obtenir les moyens de satisfaire a leurs en- gagements. II y eut alors une crise fmanciere des 172 WILLIAM PITT. plus graves , dont Pitt con jura les d£sastres avec autant d'habilete que de resolution, et c'est ici le cas de dire quelques mots de 1' organisation de la Banque d'Angleterre et de ses rapports avec le gouvernement. Cet 6tablissement a ete fonde en vertu d'une charte du 27 juillet 1694 pour une duree cle onze annees, prorogee ensuite jusqu'au l er aout 1710. Son capital, fixe a 1,200,000 livres, dut etre remis a titre de pret au gouvernement, qui s'engagea a lui en payer 8 pour 100 d'interet et a le lui rem- bourser a 1' expiration de son privilege. En 1709 , ce privilege fut renouvele et prolonge jusqu'au l er avril 1732; mais en sus des 1,200,000 livres pretees au Tresor en 1694 , elle dut lui faire sans interet une seconde avance de 400,000 livres, et s' engager, moyennant un interet de 6 pour 100, a rembourser et a eteindre tous les billets de l'echiquier alors en circulation, montant a une valeur de 1,775,029 livres, ce qui constituait l'Etat debiteur de la Banque d'une somme de 3,375,000 livres sterling. Les charges qui etaient imposees a cet 6tablissement exigeaient necessai- WILLIAM PITT. 173 rement une augmentation de son capital, et il fut porte a 4,402,343 livres sterling. II fut en outre defendu, par acte du parlement, a toute com- pagnie ou societe" composee de plus de six per- sonnes d'emettre des billets payables a vue ou a terme moindre de six mois. En 1713, pourprix du concours que la Banque preta au gouvernement dans une emission considerable de bons de l'echiquier, son privilege fut proroge jusqu'au l er aout 1742, et l'annee suivante, le Tresor ay ant un emprunt de 910,000 livres a contracter, au lieu de recevoir lui-meme les souscriptions , comme cela avait toujours eu lieu precedemment, il la chargea de ce soin en lui donnant une prime pour la payer de ses frais. Depuis lors, c'est dans ses bureaux que tous les emprunts ont et6 souscrits. En 1717, la Banque consentit, moyennant un int6ret de 5 pour 100, a rembourser 2 millions de billets de l'echiquier, et sa cr6ance sur le Tresor s'eleva ainsi a la somme de 5,375,000 liv. sterl. La Compagnie de la mer da Sad, qui, en 1720, avait entrepris, a des conditions fort onereuses, 10. 174 WILLIAM PITT. le rachat de la dette publique , ayant du , deux ans apres, entrer en liquidation, la Banque lui acheta en 1722, au prix de 3,390,000 livres, une partie de son capital, evalue a h millions de livres, et sa creance sur le Tresor, s'augmentantd'une pa- reille somme, fut portee a celle de 9^375,000 liv. sterling. De nouvelles causes l'ayant bientot 61e- v6e au chiffre de 11,700,000 liv., la Banque, pour prix des services quelle rendait a l'Etat, obtint, en 17A2 , tout a la fois la faculte d'accroitre son capital de 1,600,000 livres sterling et la proro- gation de son privilege jusqu'en 1764. Le debar- quement du pretendant sur les cotes d'Ecosse en 1745 causa une veritable panique en Angleterre, et de nombreuses demandes de remboursement furent adressees a la Banque. Elle satisfit a toutes, et les principaux banquiers et capitalistes con- vinrent , pour lui venir en aide , d'accepter tous ses billets en pavement. Gette crise constata done la solidite de son credit, et 1'annee suivante elle s'engagea envers le Tresor a rembourser 986,000 liv. de billets de l'echiquier moyennant la faculte d'accroitre de pareille somme son ca- WILLIAM PITT. 175 pital social, qui fut porte ainsi a 10,780,000 liv. sterling. En 1764, son privilege fut proroge jus- qu'en 1786. En 1781 , il lui etait du par le Tresor : Avarices faites en 1694, 1709, 1742, a l'occasion de l'octroi et des renouvellements du privilege 3,200,000 1. st. Montant des billets de l'^chiquier rachet^s et annuls * 1,486,000 Prets faits en 1729 et 1735 3,000,000 Cre'ance provenant de la Compagnie de la mer du Sud 4,000,000 11,686,000 1. st. Gette dette, a raison de son anciennete et des conditions dans lesquelles elle avait 6te" contracted, pouvait etre considered comme permanente ; mais ce n' etait pas la seule du Tresor envers la Ban que. Gonstamment, depuis sa fondation, cet etablisse- ment avait 6te dans V usage de faire au gouver- nement des avances , remboursables et rembour- sees sur le produit de I'impot territorial et du malt tax, ou garanties par des billets de l'echi- quier et d'autres valeurs. En 1781, il lui etait du a ce titre pres de 8 millions de livres sterling, 17G WILLIAM PITT. 6,634,872 en 1786, et 9,066,698 livres sterling au commencement de 1793. Les emissions des billets de banque avaient necessairement suivi la meme variation. En 1787, il y en avait dans la circulation pour une somme de 8,688,570, et en 1793 pour 11,451,180 livres sterling. Parmi les valeurs que la Banque 6tait en usage d'acquitter pour le compte du Tr6sor se trouvaient les traites souscrites par ce dernier, et les avances sur ce chapitre , ordinairement de 20,000 a 30,000 livres, n' avaient pas depasse 150,000 liv. pendant la guerre d'Am6rique. Au 31 Janvier 1795, elles avaient atteint la somme de 2,513,762 livres sterling; au mois de decembre de la meme annee, elles monterent au chiffre de 2,854,708 livres sterling , et la creance exigible de la Banque sur l'Etat s'eleva a 12,846,700 livres sterling. Les inquietudes de la Banque furent alors d'autant plus vives que , le numeraire disparaissant de la circulation, l'or devenait tres-cher. Aussi, lorsqu'au commencement de 1796 il fut question de contrac- tor un second emprunt pour le compte de l'empe- reur d'Autriche, lacour des clirecteurs crut devoir WILLIAM PITT. 177 signaler les penis auxquels une semblable ope- ration exposerait la Banque et en decliner la res- ponsabilite\ Le chancelier de l'echiquier recula devant une pareille protestation : l'emprunt n'eut pas lieu , il fut remplace" par des subsides , et le Tresor r6duisit meme de 2 millions son compte courant avec la Banque. Cependant For devenait de plus en plus rare : il s'exportait en masse a l'etranger. D'un autre cot6, a mesure que le nu- meraire disparaissait , le besoin s'en faisait sentir davantage ; les demandes de payement en especes augmentaient aux caisses de la Banque ; sa reserve metallique diminuait chaque jour, et sa gene 6tait deja fort grande, lorsqu'au commencement de 1797 les bruits d' invasion vinrent repandre 1' alarm e en A.ngleterre. De toutes parts on se pr6cipita vers les banques. Un grand nombre d'entre elles ne purent satisfaire a leurs engagements ; celle de Newcastle dut suspendre ses payements , et celle d'Angleterre fut assaillie de demandes de prets et de remboursements. Le samedi soir 26 fevrier, son encaisse metallique n'6tait plus que de 1,280,000 livres sterling, et il n'etait pas probable 178 WILLIAM PITT. que cette somme put suffire aux exigences du sur- lendemain. Les directeurs crurent devoir faire connaitre leur embarras au ministre. Le conseil priv6 fut immediatement reuni , et il y fut decide que defense serait faite a la Banque de payer en numeraire jusqu'a ce que le parlement en eut de- libere\ Les directeurs se conformerent a cet ordre, et de leur cote les principaux banquiers , mar- chands et commercants de la Cite , reunis en as- semble, d6clarerent y donner leur adhesion. Peu de jours apres, le parlement confirma la mesure qui avait ete prise, et en prolongea 1'efTet d'abord jusqu'au mois de juin suivant, puis jusqu'a l'ex- piration de l'ann6e courante, et enfm jusqu'a la conclusion de la paix. Cette resolution, en sauvant la Banque d'un d£sastre imminent, prevint une catastrophe fman- ciere qui aurait 6te 6galement funeste a l'Etat et aux interets prives. L'assentiment patriotique quelle rencontra dans le haut commerce la fit accueillir avec confiance. Peu a peu les craintes d'invasion disparurent, et la publicity donnee au bilan de la Banque, en constatant de la facon la WILLIAM PITT. 179 plus authentique sa solvability, dissipales dernieres inquietudes; II fut 6tabli, en effet, qu'indepen- damment de sa creance permanente sur l'Etat de 11,686,000, son actif etant de 17,500,298, son debit de 13,770,390, la balance en sa faveur etait de 3,826,900. Son credit redevint done bientot aussi grand qu'il avait jamais ete. En 1798, elle reprit le pavement en numeraire de tous les billets de 5 Jivres sterling et au-dessous, mais la suspen- sion pour ceux au-dessus fut maintenue jusqu'en 1821. Un juge competent, M. Rose, secretaire de la tresorerie pendant l'administration de Pitt, attri- bue cette crise monetaire bien plus aux inquie- tudes privees qui porterent chacun a ramasser et a cacher les especes qu'a l'exportation qu'on en fit. Selon lui, les divers besoins auxquels il avait fallu pourvoir dans les differentes parties du monde depuis le commencement des hostilites se montaient a M millions de livres sterling, y com- pris les prets et subsides; mais l'exportation des marchandises anglaises ayant pris un developpe- ment considerable, et pendant les quatre dernieres 180 WILLIAM PITT. annees la balance de commerce au profit de l'An- gleterre ay ant depasse 25 millions de livres ster- ling, il y avait en seulement a couvrir une insuf- fisance de 15 millions. D'ailleurs, 1' exportation du numeraire etant prohibee sous les penalites les plus severes, il n'avait pu en sortir par contre- bande qu'une quantite restreinte ; en effet, sur les 8 millions de livres sterling d' especes monnayees oulingots importes en 1797 et 1798, 70,000 seu- lement etaient en guinees, et il fut facile de recon- naitre d'apres l'alliage des lingots qu'aucun d'eux ne provenait de la fonte des monnaies anglaises. Enfm, a mesure que 1' inquietude se calma et que revint la confiance, les especes reparurent; d'im- menses sommes farent apportees a Londres de tous les comtes, et a la fin de l'annee 1798 on evaluait a hh millions de livres sterling le nume- raire qui pouvait se trouver dans le royaume. Sans contester les appreciations de M. Rose, nous croyons cependant qu'une seule des deux causes n'aurait pu produire la crise monetaire, et que les deux combinees l'amenerent. L'exporta- tion des especes, peu importante peut-etre par la WILLIAM PITT. 181 contrebande, mais qui 1' etait clavantage par la necessite de solder les subsides et depenses de guerre que la balance du commerce ne suffisait pas a acquitter, fit dans la circulation un vide considerable; par suite, les especes furent plus recherchees et plus soigneusement conservees dans les bourses particulieres. Arriverent les craintes d'invasion, et alors chacun cacha ce qu'il avait, voulut realiser ce qui lui etait du, et, la frayeur des uns se communiquant aux autres, la panique devint generale. Une fois qu'elle fut pas- see, les capitaux sortirent de leur retraite, vinrent au grand jour chercher des placements fructueux, et ainsi s-'explique l'abondance avec laquelle ils aftluerent a Londres «n 1798. Du reste, dans le mois d'avril 1797, il s'en trouvait deja assez de disponibles sur la place pour que Pitt, qui, quel- ques mois auparavant n'avait pas ose contracter d'emprunt par la voie ordinaire, se decidat a y recourir pour se procurer une somme de 18 mil- lions de livres sterling. C etait deja beaucoup, apres une crise aussi grave, que le credit put fournir de pareilles ressources. Aussi les condi- H 182 WILLIAM PITT. tions furent onereuses pour le tresor. L'emprunt flit conclu en 3 pour 100 au taux de 6 3/4, et pour 14,500,000 livres sterling qu'il recut, l'Etat dut augmenter de 28 millions de livres sterling le capital nominal de sa dette. WILLIAM PITT. 183 III. CONFERENCES DE LILLE. — TAXE DE CONVOI. — RACHAT 1)[I LAND-TAX. — IMPOT SLR LE REVENU. — EVENEMENTS ET SESSION DE 1797-1798. L'hiver n'avait pas interrompu les hostilites. Tandis que sur mer l'amiral Jervis battait au cap Saint-Vincent une flotte espagnole qui se dirigeait vers Brest, pour s'y reunir a une flotte francaise et tenter avec elle un debarquement sur les cotes d'Angleterre, le general Bonaparte, en Italie, im- posait au pape le traite de Tolentino , battait les Autrichiens a Rivoli, s'emparait de Mantoue, rem- portait sur l'archiduc Charles la victoire du Ta- gliamento, et a quelques journees de marche de Yienne, signait avec les plenipotentiaires de l'em- pereur les preliminaires de paix de Leoben, par lesquels ce dernier reconnaissait a la France la 184 WILLIAM PITT. possession de ses conquetes jusqu'au Rhin. L'An- gleterre perdait ainsi son dernier allie sur le con- tinent, et elle en recevait la nouvelle le lendemain meme du jour ou elle venait de garantir le second emprunt contracte pour son compte. En meme temps eclatait sur les vaisseaux de la marine royale reunis dans les ports de Portsmouth, Pli- mouth et Sheerness une revolte que le gouverne- ment calma et reprima tout a la fois par des con- cessions opportunes et des mesures de rigueur. L' inquietude occasionnee par cette coincidence d'evenements fut grande en Angleterre, et le 3 pour 100 tomba a 48. Pitt resolut alors de faire a la France de nou- velles ouvertures de paix. Gomme ministre anglais, comme chretien, c'etait son devoir, disait-il, d' employer tous ses efforts pour mettre un terme a une guerre aussi sanglante, et aucun sacrifice ne coiiterait a son amour-propre. A ces motifs, dictes par un sentiment d'humanite, s'en joi- gnaient d'autres, non moins determinants, tires de l'etat des choses. La paix que venait de con- clure l'Autriche avait jete le decouragement en WILLIAM PITT. 185 Angleterre : desormais elle etait isolee, et on ne pouvait augmenter les "charges qui deja la gre- vaient si lourdemetit sans exciter un mecontente- ment universel. Pitt, Vivement soutenu par la majority du cabinet, fit valoir ces considerations aupres du roi, et ce monarque ceda en declarant qu'au fond du coeur il deplorait la demarche qui allait etre entreprise. Neanmoins le choix de lord Malmesbury comme negociateur le rassura, « car, disait-il, si 1' affaire etait entre les mains de Pitt seul, il commencerait par ceder sur toutes choses. » Gette fois les instructions donnSes a lord Mal- mesbury furent de la nature la plus conciliante. II etait autorise a ne pas contester a la republique les limites du Rhin, ni la possession de la Savoie, ni les changements accomplis en Italic II devait meme offrir la restitution des colonies prises a la France, en stipulant la conservation au profit de 1' Angleterre, de la Trinite, ducap de Bonne-Espe- rance, de Cochin et de Ceylan. De son cote, le gouvernement francais reclama la restitution ou la valeur des vaisseaux pris ou brules a Toulon, 186 WILLIAM PITT. 1' abandon par le roi d'Angleterre du titre de roi de France, que ses predecesseurs avaient porte depuis Edouard III, et la renonciation par l'An- gleterre a une creance quelle avait sur la Belgi- que pour prets faits a l'empereur. Les plenipoten- tiaires se reunirent a Lille, et ils y etaient en deliberation depuis plusieurs semaines, quand eclata a Paris le coup d'Etat du 18 fructiclor, qui exclut du gouvernement le parti modere et favo- rable a la paix. De nouvelles instructions furent envoyees a Lille par le directoire : elles portaient que, dans le cas ou le ministre anglais n'aurait pas les pouvoirs suffisants pour consentir a la renonciation de toutes les conquetes faites par l'Angleterre depuis quatre ans, il devait etre invite a quitter dans les vingt-quatre heures le terri- toire francais. Immediatement les conferences furent rompues, et lord Malmesbury retourna a Londres. Ainsi echouerent, contre le voeu de Pitt et de la grande majorite du peuple anglais, des negotiations qui avaient paru devoir se terminer par la conclusion d'une paix honorable pour les deux pays. Un mois apres, elle etait definitive- WILLIAM PITT. 187 ment signee a Campo-Formio entre la republique francaise et 1'empereur. Sur 1'Angleterre seule allait done retomber tout le poids de la guerre, et dans le budget que Pitt soumit au parlement au mois de decembre 1797, il evalua pour l'annee 1798 a 25 millions de livres sterling l'excedant des defenses quelle devait occasionner. Ainsi qu'on l'a vu, le budget des annees precedentes avait 6te solde au moyen de ressources demandees au credit, et le produit des nouveaux impots avait £te exclusivement afiecte au service des interets et de 1'amortisse- ment des emprunts contractus. Gette facon de proceder avait et6 aussi juste que sensed. En effet l'impot seul eut et6 impuissant a solder imm6dia- tement toutes les depenses de la guerre, et d'ail- leurs la lutte que soutenait 1'Angleterre ayant 6t6 entreprise pour defendre l'independance et la grandeur nationales, il convenait que l'avenir, appele a en recueillir les profits, contribuat aussi aux frais qu'elle occasionnait. Le systeme d'emprunt en rentes perp6tuel]es avait done eu le double avantage de mettre a la disposition du 188 WILLIAM PITT. gouvernement les capitaux dont il avait eu be- som , et cle faire participer les temps futurs aussi bien que les temps presents aux charges de la ' guerre parle service des interetset de l'amortisse- ment ; mais, quelque etendu et solide que soit un credit, il est prudent de ne pas en abuser, et Pitt comprit qu'il fallait menager celui de l'Angle- terre. En consequence, apres de longs et vifs debats, il fut decide, sur sa proposition, que les 25 millions de livres sterling seraient demanded a la fois au credit et a l'impot : Ik millions durent etre empruntes par la voie ordinaire, 3 millions fournis par la banque comme condition du main- tien de la suspension des pavements en especes, et le surplus obtenu par une aggravation des assessed taxes ou impots directs portant sur les maisons habitees, les fenetres, les voitures, che- vaux, patentes de marchands de chevaux, domes- tiques, chiens, poudre a coiffer, armoiries, hor- logers, permis de chasse, la plupart etablis seulement depuis la guerre. Le produit total de ces surtaxes fut evalue a 7 millions cle livres sterling, et pour parer a toutes les 6ventualites, WILLIAM PITT. 189 on insera dans le bill, sur la demande de M. Ad- dington, une clause qui avait pour objet de pro- voquer une souscription nationale. Les surtaxes, a raison des moyens employes pour y echapper, ne donnerent guere plus de k millions de livres sterling ; mais la souscription en produisit 2 mil- lions, et les ressources realisees atteignirent ainsi a peu pres le chiffre qu'on avait espere\ Du reste les besoins auxquels il fallut pourvoir depasserent de beaucoup les previsions. Le general Bonaparte ayant 6te charge par le Directoire de preparer sur les cotes de France une expedition contre l'Angleterre, de nouveaux efforts devinrent necessaires pour repousser cette invasiou. Le chan- celier de l'fichiquierfut done autoris6 a emprunter 17 millions de livres sterling au lieu de 14 mil- lions, et sur sa proposition fut 6galement adoptee une mesure tout aussi avantageuse aux interets du Tresor qu'a ceux du commerce. Depuis le com- mencement de la guerre, les batiments de com- merce voyageaient pour la plupart en convoi sous la protection des vaisseaux de la marine royale. Neanmoins un certain nombre avaient et6 exp6- 11. 190 WILLIAM PITT. dies seuls et au hasard dans les diverses parties du monde. Plusieurs avaient ete pris, des cargai- sons d'une grande valeur avaient ete perdues, et, ce qu'il y avait de plus regrettable, des equipages eprouves faits prisonniers manquaient au pays, alors qu'ils auraient pu lui rendre de si grands services. Pitt voulut mettre un terme a cette fu- neste pratique, et en consequence il fit decider par le parlement qu'a moins d' avoir obtenu de l'amiraute l'autorisation de partir seul, tout bati- ment de commerce devait etre es&orte ou faire partie d'un convoi escorte par des vaisseaux de l'Etat, et pour prix cle ce service un leger droit ad valorem dut etre percu sur toutes les marchan- dises importees ou exporters, et un autre fixe sur tous les batiments partant des ports de la Grande- Bretagne ou y entrant. La modicite de ces droits enleva toute espece d'interet a la fraude, et ce- pendant en 1799 ils produisirent 1,292,000 livres sterling. Les derniers emprunts avaient ete contractes a des conditions fort onereuses pour le Tresor, et il n'etait pas permis d'en esp^rer de meilleures WILLIAM PITT. 191 aussi longtemps que le prix des fonds publics ne serait pas plus eleve. Pr6occupe de cette situa- tion, Pitt resolut de relever le cours de la rente en faisant disparaitre du marche une par tie des titres qui rencombraient. Sans aucun doute, Fac- tion continue de l'amortissement concourait a ce r6sultat, mais elle 6tait presque insensible eu 6gard a 1'abondance de la marchandise, et il fallait un remede d'une,.efficacite immediate. En 1692 on avait etabli un impot foncier, land tax, fort mal reparti a cette epoque, et qui depuis lors n' avait subi aucune modification dans son assiette, malgre les changements survenus dans la valeur de toutes les proprietes. Pour ne citer qu'un exemple, la ville de Liverpool n'6tait imposee qu'a 100 liv. st., montant de la quote-part a laquelle elle avait ete assujettie lorsque son emplacement n'etait encore qu'un terrain de peu de valeur. Galcule des le principe a raison de h shillings par livre, le land tax portait sur les revenus territo- rial de toute nature, ainsi que sur les dimes et rentes foncieres. II produisait 2 millions de livres environ, et 6tait soumis au vote annuel du parle- 192 WILLIAM PITT. ment. Pitt pensa que si le rachat en etait per- mis au taux de 5 pour 100, outre l'avautage de le faire disparaitre, et d' avoir ainsi la faculte de le remplacer plus tard par un impot mieux reparti, la somme de !i0 millions de livres sterling qui en proviendrait pourrait etre employee a reduire le montant de la dette publique. Dans l'expose du plan qu'il soumit au parlement le 2 avril 1798, il commenca par rappeler que, malgre la guerre, le commerce et l'industrie du pays avaient fait de- puis cinq ans des progres remarquables, que ses revenus avaient augmente, que sa prosperity et sa richesse 6taient plus grandes qu'a aucune epo- que anterieure, et que la valeur de la propriete fonciere n'avait subi aucune depreciation. Le prix seul de la rente avait diminue, et il fallait le re- lever. L' impot sur la terre en offrait le moyen. Des 1'origine, il reposait sur des bases vicieuses qui chaque jour l'etaient de venues davantage, et on avait toujours recule devant la difficult^ de le corriger. On ne pouvait compter sur le succes d'une nouvelle tentative, et il fallait des lors chercher a le supprimer : dans cette vue, il importait d'offrir WILLIAM PITT. 193 a ceux qu'il grevait la faculty de s'en affranchir d'une facon egalement avantageuse pour eux et pourl'Etat. Leprix moyen de la propriete fonciere etant de vingt-sept a vingt-huit annees de revenu, celui de la taxe, fix6 a vingt annees, n'aurait rien d'exager6. Tout contribuable qui voudrait se lib6- rer de la taxe le pourrait; mais, au lieu de verser le montant du capital en especes, il l'emploierait a l'achat d'un titre de rente qu'il remettrait en payement aux commissaires liquidateurs de la dette publique, et pour donner a cette grande operation toute la suite et la s6curite necessaires, Pitt 6tait d'avis que le land tax ne fut plus sou- mis a la formalite du vote annuel, mais fit desor- mais partie du fonds consolide. De plus, il fallait reserver les droits de l'avenir, et, tout en suppri- mant a prix d' argent un impot defectueux, ne pas se priver cependant de la faculty, si les circon- stances l'exigeaient, d'en etablir un autre de la meme nature. II devait done etre convenu que, dans ce cas, la quote-part de ceux qui auraient ra- chet6 serait r6duite de toute la portion dont ils se seraient precedemment Iib6r6s. Ge plan, attaqu6 194 WILLIAM PITT. par l'opposition comme prejudiciable a la pro- priety fonciere, ne fut modifie que sur un seul point. Dans le systeme expose, le contribuable ayant a payer, pour se liberer, un capital fixe, il lui eut ete indifferent d'acheter la rente cher ou a bon march e, et des lors le profit de 1' operation eiit diminue pour l'Etat a mesure que les cours se seraient eleven. II parut done preferable de deter- miner d'une facon precise pour le Tresor le bene- fice du rachat, et de le fixer a un dixieme. Ainsi toute somme inferieure a 20 livres dut etre ac- quittee en especes, et celles au-dessus durent l'etre en une inscription de rente 3 pour 100 supe- rieure d'un dixieme a I'impot rachete. Des lors tous ceux qui voulurent s'affranchir du land tax eurent interet a profiter des bas cours pour le faire, et a la fin de 1799 le quart de la taxe, envi- ron 500,000 livres, etait deja rachete moyennant un capital de 16,146,000 livres. Gette somme portee sur le marche contribua a raffermir les cours; mais plus la rente se relevait, moins le ra- chat devenait avantageux pour le contribuable. Aussi depuis lors il ne s'en est effectue que pour WILLIAM PITT. 195 300,000 livres environ, et les 800,000 livres ainsi redimees ont procure settlement 1'extinction de 900,000 livres de rente. Telle fut cette mesure celebre du rachat du land tax, qui ne repondit et ne pouvait repondre que tres-imparfaitement aux esperances concues par Pitt. En eflet, si, dans le systeme primitif, 11 ne pouvait y avoir qu'un mediocre benefice pour le contribuable a se liberer sur le pied fixe de 5 pour 100, dans celui qui fut adopte ce benefice n'exis- tait pour lui que dans le plus bas cours. L'impot, eu £gard a la valeur acquise par la terre et les au- tres immeubles, etait cles plus minimes, et le pro- prietaire avait tout interet a ce qu'il fut maintenu, de peur qu'une fois 6teint il ne fut remplace par un autre de meme nature, mieux reparti et plus one- reux. Or, en le faisant entrer dans le fonds conso- lide et en le rendant ainsi permanent, Pitt l'avait enleve aux discussions annuelles du paiiement et avait favoris6 tous les calculs qui tendaient a le conserver. Quelle mesure aurait done du etre prise pour que le succes fut complet, e'est-a-dire pour que le land tax fut entierement rachet^, et qu'avec 196 WILLIAM PITT. le prix de rachat, 2,200,000 liv. sterl. de rente eussent et6 eteintes? II aurait fallu adopter une clause qui mit les interess6s en demeure de choi- sir entre un sacrifice qui legitimement pouvait etre reclame" d'eux et une charge nouvelle qui, tout aussi legitimement, pouvait leur etre impo- see. II aurait fallu que le ministre executat imme- diatement la pensee qu'il avait laisse entrevoir, celle de la refonte de 1'impot foncier sur de nou- velles bases avec exemption pour les propriety affranchies jusqu'a concurrence d'un certain taux qui leur .aurait constitu6 une prime. En proce- dant ainsi, Pitt aurait non-seulement us6 d'un droit incontestable, mais il aurait aussi tout a la fois fait une operation de trSsorerie excellente, et substitue a un impot vicieux un autre mieux assis et plus productif. Soit qu'il craignit de mecon- tenter dans le parlement la majorite, composee principalement de proprietaires fonciers, soit qu'il eut des lors en vue une autre source de revenus qu'il croyait devoir etre plus abondante, Pitt re- cula devant cette mesure radicale. Gependant tous les preparatifs faits sur les cotes WILLIAM PITT. 197 de France avaient abouti a 1' envoi, sous les ordres du general Humbert, d'un corps d'armee de 1,200 hommes en Irlande pour y appuyer l'insur- rection dont cette ville etait le theatre. Ge corps d'armee fut fait prisonnier et la rebellion energi- quement reprim6e. Quant au general Bonaparte, doutant du succes d'une descente sur le territoire britannique, il avait concu un autre projet qui, en cas de reussite, devait porter une serieuse atteinte a la puissance commerciale de l'Angleterre, celui de la conquete d'Egypte. Le Directoire avait donn6 son assentiment a ce projet, des armements con- siderables avaient ete faits a Toulon ; mais le se- cret le plus complet avait ete garde et n'avait pas encore transpire lorsque le general Bonaparte mit a la voile, le 19 mai 1798, avec une armee de 40,000 hommes. II s'empara de Malte en passant, y abolit le gouvernement de l'ordre, et le l er juillet il debarquait en Egypte. L'amiral Nelson, mis a sa poursuite, l'avait en vain. cherchS dans la Me- diterranee, et deja il 6tait au Gaire quand la flotte anglaise parut devant Alexandrie ; mais la dans la rade d'Aboukir se trouvait, sous les ordres de l'a- 198 WILLIAM PITT. miral Brueys, l'escadre qui avait transports l'ar- mee francaise. Nelson 1'attaqua, et sur treize vais- seaux de ligne qui la composaient cleux furent la proie des flammes, neuf tomberent au pouvoir du vainqueur et deux seulement s'echapperent. La victoire etait done complete, et elle causa en An- gleterre un enthousiasme general. Quelque temps apres on y apprit la prise de l'ile de Minorque sur les Espagnols, celle de l'ile de Gozzo, dependance de Malte, et le blocus de cette derniere par la flotte anglaise. Ge fut done sous les auspices les plus favorables que commenca, le 20 septembre, la session du parlement. Peu de jours apres, Pitt y fit 1'expose de la si- tuation financiere. II evalua, pour 1'exercice nou- veau, les depenses ordinaires et extraordinaires de la marine a 13,6/1*2,000 livres sterling, celles de la guerre a 10,8/i0,000 livres sterling, etl'insuf- fiaunce des ressources a 23 millions de livres sterling. Conformement au principe admis 1'annee precedente, il proposa de demander cette der- niere somme tout a la fois a I'impot et au credit; mais, la contribution etablie pour 1798 n'ayant WILLIAM PITT. 199 pas donne tout le produit qu'on avait esp6re , il insista sur la n6cessite de lui en substituer une autre moins facile a eluder, plus egale et at- teignant mieux toutes les fortunes. D'apres le plan qu'il developpa, les revenus de 60 livres et au-dessous devaient etre exemptes du nouvel impot : depuis 60 livres jusqu'a 200, ils y 6taient soumis d'apres une progression ascendante, dont le point de depart 6tait le cent-vingtieme, et au- dessus de 200 livres la taxe 6tait uniformement pour tous du dixieme. Les interets des classes ouvrieres et ceux de la petite industrie se trou- vaient ainsi manages , et meme dans les families dont le revenu ne depassait pas 200 livres, la quote-part devait varier suivant le nombre des enfants. Chaque particulier faisait lui -meme sa declaration, sans etre tenu d'entrer dans aucun detail ni de produire la moindre justification , et dans chaque paroisse un comite choisi par le grand jury, parmi des personnes ayant au moins 300 livres de revenu, 6tait charge d'en apprecier la sincerite. Si cette declaration paraissait infe- rieure a la realite, le comite pouvait en recher- 200 WILLIAM PITT. cher la preuve : communication de son travail etait donnee au contribuable , qui 6tait invite a s'expliquer sans etre cependant oblige de produire ses comptes et livres, et, en cas de disaccord, il etait admis a nier par serment 1' exactitude de l'etat dresse par le comite. Alors sa declaration 6tait valable ; mais s'il ref usait tout a la fois et la preuve et le serment, 1'evaluation du comite de- venait la base de sa cotisation . Quant au montant du revenu imposable, Pitt 1'etablissait ainsi : Revenu de la terre pour les proprietaires. . . 25,000,000 1. st. — — pour les fermiers 19,000,000 — desmaisons 5,000,000 — des mines et canaux 3,000,000 — des hommes de loi et m6decins. . - 2,000,000 — du commerce de detail 5,000,000 — — avec 1'etranger 12,000,000 — — interieur..,.. 18,000,000 — de l'industrie et des arts 10,000,000 — des chances sur l'Etat 15,000,000 — des dimes de l'Eglise 5,000,000 — provenant d'autres pays 5,000,000 124,000,000 1. st. Deduisant pour les revenus au-dessous de 60 livres, entierement exempts de la nouvelle taxe, et pour ceux de 60 a 200 livres, im- poses en moyenne au 50 e 23,000,000 il restait 101,000,000 1. st. WILLIAM PITT. 201 imposables au 10% et le produit de la nouvelle contribution pou- vait des lors sans exageration 6tre lvalue" a 10 millions de livres sterling. Les besoins etant de 23,000,000 environ, le ministre proposa d'emprunter tout de suite pa- reille somme et d'affecter a la garantie et au rem- boursement de l'emprunt, au fur et a mesure des recouvrements , le produit du nouvel impot. Le plan de Pitt fut vivement discute. Les uns lui re- procherent de manquer a la foi due aux crean- ciers de l'Etat, en comprenant dans leur revenu imposable le montant de la rente a laquelle ils avaient droit; d'autres exprimerent 1' opinion que les profits de l'industrie ne sauraient etre assimi- les a ceux de la terre, parce qua chiffre egal ils ne representaient pas le meme capital, qu'il y avait une distinction essentielle a faire entre eux, et que si le revenu devait etre pour la propriete fonciere la base de la nouvelle taxe, le capital de- vait l'etre pour l'industrie et le commerce. Quel- ques-uns meme, allant plus loin, demanderent une exemption complete pour les negociants et les industriels, pretendant qu'ils etaient les seuls 202 WILLIAM PITT. membres utiles de la societe, tandis que les pro- prietaries fonciers y constituaient une classe par- faitement unproductive a laquelle il etait conse- quemment juste d'en faire supporter toutes les charges. A la premiere objection, Pitt repondit en po- sant les vrais principes sur la matiere, et il est bon de les rappeler a cause de leur importance. Ge n' etait pas manquer, dit-il, aux engagements de l'Etat que de faire contribuer individuellement les creanciers a une charge imposee dans l'interet de tout le monde. Sans doute, en ce qui concerne la surete et l'integrite de leur creance, ils doi- vent jouir de la securite la plus complete, et chaque fois qu'il avait ete question d'imposer specialement la rente, il s'y etait oppose, parce que la dette contracted par l'Etat dans des mo- ments de besoin ne saurait, sans faillir a la bonne foi publique, etre directement diminuee par le fait du gouvernement debiteur; mais ici la question etait toute differente : il s'agissait de pourvoir a des depenses entreprises clans un grand interet commun pour la defense du pays, pour le main- WILLIAM PITT. 203 tien de son independance, et on demandait a chacun d'y participer pour une portion de son revenu, afin de lui assurer la conservation du reste. Le rentier devait done y contribuer pour sa part comme tous les autres membres de la societe, et ces derniers seraient fondes a se considerer comme injustement greves, si la taxe, en les frap- pant, ne portait egalement sur une classe aussi considerable et aussi interessee a la grandeur et a la prosperity nationale que celle des creanciers de l'Etat. Passant ensuite au reproche d'inegalite adresse a la taxe proposee , le ministre fit obser- ver que tous les impots etaient entaches du merae vice, et que la cause devait en etre attribuee a la nature meme de la societe, a la variete des cate- gories dont elle est composee et a la diversite des proprietes qui s'y trouvent; que vouloir changer un pareil etat de choses serait tenter une entre- prise pleine de perils et d'un succes impossible ; qu'en efTet, se plaindre des inegalites existantes, e'etait attaquer la distribution des richesses, bla- mer la constitution sociale, et qu'il fallait bien se garder de suivre dans cette funeste voie les nova- 204 WILLIAM PITT. teurs d'un pays voisin. La taxe sur le revenu ne creerait d'ailleurs aucune inegalite nouvelle; cha- cun de ceux qu'elle frapperait serait relativement aux autres, apres l'avoir payee, dans la situation ou il etait avant , et le resultat pour tous serait , apres avoir donne le dixieme de leur revenu, d' avoir un dixieme de moins a depenser ou a eco- nomiser. Quant a l'exemption complete reclamee en faveur du commerce et de l'industrie, Pitt de- manda pourquoi ces deux branches de la richesse nationale ne seraient pas soumises aux memes lois que les autres lorsqu'elles recevaient la meme protection, participaient aux memes avantages, et il term in a en protectant de la facon la plus se- vere contre la distinction etablie par un membre de l'opposition, sir William Smith, entre les classes utiles et les classes inutiles. « I/honorable membre, dit-il, a range dans cette dernier e cate- gorie les proprietaires du sol, ces hommes qui forment le lien par lequel sont unies entre elles les diverses fractions de la societe, sur qui, en grande partie, repose le soin d'administrer la jus- tice et de maintenir l'ordre dans le pays, ces WILLIAM PITT. 205 hommes qui donnent du travail et du pain aux pauvres, a qui sont dus tous les progres de r agri- culture, auxquels le commerce lui-meme est re- devable de sa prosperite ! Ge sont eux qui ont ete stigmatises du surnom de frelons inutiles, pour lesquels la society n'est tenue d'avoir aucun egard ! Theorie aussi inconsideree que futile , et resultat de speculations politiques sans portee ni realisation possible ! » On proposa aussi d'appliquer 1'echelle progres- sive de l'impot aux revenus excedant 200 livres. Pour les revenus inferieurs a ce chiffre, le sys- teme de la progression avait l'avantage de mieux* menager les interets des classes laborieuses ; mais l'etendre au-dela de cette limite, c'eut ete ouvrir la porte a des attaques incessantes contre des situations acquises par de grands services , par le travail ou l'economie, la plupart h6reditairement transmises et honorablement conserv^es , dans le dessein de les soumettre a un nivellement dont l'effet eut ete aussi prejudiciable aux classes aisees qu'aux classes laborieuses, puisque en diminuant la richesse des uns il eut reduit la demande de 12 206 WILLIAM PITT. travail et par suite les moyens de subsistance des autres. Aussi la motion fut ecartee, et le plan du gouvernement adopte par une majorite de 187 voix contre 17. Du reste, l'opinion publique accueillit sans defaveur le noirvel impot. En presence des dangers a combattre et des besoins urgents aux- quels il fallait pourvoir ; le sentiment de l'interet prive disparut devant celui de l'interet general, et pour donner une idee de F esprit qui regnait alors en Angleterre il suffit de rapporter une adresse votee a l'unanimite par le commerce de Liverpool, qui, a l'exemple de celui de Londres et de plusieurs grandes villes, crut devoir dans cette circonstance donner au cabinet un temoi- gnage de son adhesion. « Determines, y etait-il dit, par la conviction que les ressources de la na- tion suffisent pour assurer le maintien de ses droits et la defense de son honneur, et assures que plus nous montrerons de fermete et de vigueur, mieux l'ennemi appreciera l'etendue de notre puissance et l'impossibilite d'un triomphe, nous sommes prets a soutenir toutes les mesures que les cham- bres, dans leur sagesse, jugeront convenable de WILLIAM PITT. 207 prendre, afm de mettre le gouvernement a merae de se procurer les fonds necessaires pour conti- nuer energiquement la lutte. Nous esperons que, devant ce temoignage de nos facultes et de notre volonte, l'ennemi renoncera a poursuivre l'execution de ses plans de devastation et de con- quete, et que nous pourrons ainsi arriver, avec le secours de Dieu, au but de tous nos efforts : une paix sure, durable et honorable. » Des 18,500,000 livres sterling emprunt6es dans le courant de l'annee 1799, 10 millions le furent sur la garantie de la nouvelle taxe, dont le pro- duit, au fur et a mesure des recouvrements , fut affecte au remboursement; mais, ce produit n'ayant ete que de 7,500,000 livres en 1799, les 2,500,000 de surplus furent rembourses avec celui de l'annee 1800, et la somme reellement empruntee fat ainsi de 8,500,000 livres sterling au taux de 5 1/2 pour 100. Evidemment, si Ton tient compte du prix de la rente a cette 6poque, le parti pris par le gouvernement de demander a, l'impot quelques-unes des ressources dont il avait besoin etait conforme aux regies d'une bonne 6co- 208 WILLIAM PITT. nomie. Non-seulement il put ainsi se procurer a des conditions meilleures les 8,500,000 livres qui entrerent defmitivement dans la dette fondee, mais, si les autres 10 millions n'eussent pas ete rembourses, le service de Tamortissement et de l'interet de cette derniere somme eut greve pen- dant de longues annees le Tresor d'une charge annuelle de plus de 8 pour 100. On l'evita done au prix d'un sacrifice momentane, lourd a la v6- rit6 pour le pays, mais qui n' etait pas au-dessus de ses forces, et la seule question a examiner est celle de savoir si Pitt n'aurait paspu recourir a tout autre moyen moins onereux. D'une part, dans la situation ou se trouvait la dette flottante , il etait impossible de faire une emission de 10 millions de bons de l'Echiquier, et il fallait reserver cette ressource pour les besoins courants du Tresor; de l'autre, on avait tellement use depuis sept ans des impots de consommation qu'on aurait risque, en leur demandant une somme aussi considerable, de reduire la matiere imposable elle-meme , qu'il etait prudent de menager en vue des besoins a venir. Restait done la ressource d'un impot direct WILLIAM PITT. 209 extraordinaire, et celui sur le revenu parut d'au- tant plus convenable a Pitt qu'il n'etait pas nou- veau dans le pays , et s'y percevait chaque jour pour le service des paroisses et comtes sous le nom de local taxations. Cr6e comme impot de guerre , Y income-tax fut conserve 7 a ce titre jusqu'en 1802 et retabli Fannie suivante, sur la proposition de M. Addington, sous la denomination de pro- perty-tax. 12. 210 WILLIAM PITT. IV. SUBSIDES A LA RUSSTE. — REJET TIES OUVERTURES DE PA1X DU PREMIER CONSUL. — DISCOUP.S DE PITT A CE SUJET. — SITUATION DE L' A N G L F.TE R R E EN 1800. — QUESTION CATHOLIQUE. — RETRAITE DE PITT. i . La paix entre la France et l'Autriche ne fut pas de longue duree. II avait 6te convenu dans les conferences de Gampo-Formio qu'elle serait con- clue aussi avec 1' Empire, et qu'un congres serait tenu a Rastadt poar en discuter les conditions. Les plenipotentiaires des divers Etats s'y reunirent, et ceux de la France, ne se contentant plus pour elle de la cession de la rive gauche du Rbin , de- manderent plusieurs places sur la rive droite, et refuserent de prendre a sa charge la dette cles pays qu'on lui abandonnait. D'un autre cote, cette puissance imposait a la Suisse une forme de gou- WILLI AM PITT. 211 vernement antipathique a ses gouts et a ses mceurs, s'emparait de Rome, en expulsait le pape, et substituait a son autorite un pouvoir democra- tique. De pareilles pretentions et de semblables proc6des rendaient tout accord bien difficile. Sur ces entrefaites, l'empereur de Russie, Paul I er , ay ant oifert a l'Autriche son concours arme si elle consentait a renouveler la guerre, un traite dans lequel intervint l'Angleterre fut conclu entre les trois puissances. La Russie fournit un corps d'ar- mee de 45,000 hommes, qui fut immediatement mis en marche, et outre un subside mensuel de 75,000 livres sterling, l'Angleterre s'engagea a lui verser sur-le-champ une sorame de 225,000 livres sterling pour subvenir aux premiers frais. Le con- gres fut ainsi rompu et les hostilites sur le conti- nent recommencerent. Le general Souvarof , a la tete des forces russes et autrichiennes , entra en Italie, enleva aux Francais toutes leurs positions, et au bout de quelques mois ces derniers n'y pos- sedaient plus que Genes. Au sud, le roi de Naples, avec le concours de Nelson et de la flotte anglaise, reprit possession de ses Etats , et en Allemagne le 212 WILLIAM PITT. general Jourdan, battu par l'archiduc Charles, dut repasser le Rhin. A ce moment meme, le general Bonaparte, revenu d'Egypte a la nouvelle des evenements qui s'etaient passes en Italie et des desordres du gou- vernement directorial, executait le coup d'Etat du 18 brumaire. Devenu consul et desireux de don- ner a l'Europe un temoignage de ses sentiments pacifiques, il ecrivit directement a George III pour lui proposer la paix. Lord Grenville repondit que le nouveau pouvoir etabli en France ne prSsentait pas des garanties suffisantes de moderation et de cluree pour qu'il fut possible de n6gocier avec lui. M. de Talleyrand ayant neanmoins insiste pour que des conferences fussent ouvertes , le ministre anglais d6clina d'une facon definitive cette propo- sition et declara qu'il n'y aurait lieu de traiter de la paix qu'autant quelle devrait etre gen^rale et que les conditions en seraient debattues dans un congres ou seraient representees toutes les par- ties belligerantes. Le refus du gouvernement an- glais 6tait done peremptoire, et lors de la reunion du parlement, au mois de Janvier 1800, il provo- WILLIAM PITT. 213 qua les plus vehementes attaques de la part des chefs de 1' opposition. Pitt, dans un discours aussi passionne qu' eloquent, exposa les motifs qui avaient determine la conduite du cabinet. Apres avoir fait un resume de la politique r6volution- naire et agressive de la France depuis 1793, il rappela les diverses tentatives aussi infructueuses que sinceres faites par le gouvernement anglais pour mettre un terme a la guerre. a Si nous apprenions, dit-il, que soudainement un homme dont nous n'aurions jamais entendu parler parait et se trouve investi du pouvoir de gouverner, d'imposer, de faire la guerre et la paix, que dis-je ? de disposer de la vie des hommes ainsi que de leur fortune ; si en meme temps nous voyions les memes moyens de revolution mis en pratique, les memes priucipes jacobins maintenus dans toute leur force, une armee formidable re- crutee par le meme systeme , le tout avec cette unique difference que cet homme est sans rivaux, sans collegues pour partager sa puissance, sans controle pour moderer sa volonte, nous pourrions dans ce cas attendre que les faits et l'expenence 214 WILLIAM PITT. nous apprennent si nous devons nous confier a sa merci, et meme nous relacher insensiblement des moyens de garantie et de defense dont nous nous sommes armes. Mais il n'en est pas ainsi : cet homme, nous le connaissons; il est r enfant et le champion du jacobinisme; l'Europe le connait, lui et les satellites qui l'entourent, et nous ne pou- vions raisonnablement discuter la reponse que nous devions faire a ses ouvertures sans d'abord prendre en consideration sa conduite anterieure et son caractere personnel. » » Rappelant alors les evenements de vendemiaire et de fructidor, la part qu'il y avait prise, ses pro- clamations et ses procedes en Italie, sa conduite envers Venise, qu'il taxa de perfide et de violente : « Quelle confiance pouvons-nous done avoir, ajouta Pitt, dans la sincerite de ses intentions pacifiques? Sans doute je comprends l'avantage qu'il peut avoir a engager l'Angleterre dans une negotiation separee, afm de dissoudre la confe- deration des puissances ennemies et de paralyser dans leurs efforts les armees russes et autri- chiennes qui attendent de nous des secours ; mais WILLIAM PUT. 215 si son interet est de negocier, l'est-il aussi de conclure une paix solide et durable ? II est etran- ger, il est usurpateur : il r6unit en lui tout ce qu'un r6publicain doit blamer, tout ce qu'un royaliste doit repousser, tout ce qu'un jacobin abhorre. II n'a done pas d'autre moyen que son epee pour retenir le pouvoir dont il s'est empare, et e'est seulement par la con que te et par la gloire qu'il peut le fortifier. Serait-il sage des lors, uni- quement sur la foi de ses promesses, de reduire nos depenses, de diminuer nos moyens de de- fense et de securite? Au bout d'un an de paix, soupirant apres les trophies perdus d'Egypte, il profiterait de l'absence de nos flottes dans la Mediterranee pour tenter encore d'aller coloniser cette riche et fertile contree, et de s'ouvrir ainsi une voie vers l'lnde, ou il irait attaquer la puis- l sance anglaise en y portant le pillage et la deso- lation : ou bien encore, cedant a ses sentimens de vengeance, il profiterait de quelque agitation qu'il aurait fomentee en Irlande pour essay er une descente en Angleterre, et il n'y a pas lieu d'es- perer que ni le respect pour la foi des trails, ni 216 WILLIAM PITT. I* amour de la paix, ni 1' esprit cle moderation pussent l'arreter dans 1' execution de projets con- formes a ses interets. D'ailleurs, si personnelle- ment il doit inspirer aussi peu de confiance, pouvons-nous avoir la moindre foi dans la stabi- lit6 de son pouvoir succedant a tant d'autres, accepte seulement par une partie de l'armee, ayant contre lui la rivalite des autres generaux et l'opinion publique, sans l'assentiment de la- quelle il n'y a de base solide pour aucun pouvoir? Sans doute, si plus tard la politique de la France differe de ce quelle a ete jusqu'ici, si nous re- connaissons dans son nouveau gouvernement des conditions de stabilite, nous ne refuser ons pas de traiter avec lui; mais pour le moment les garan- ties de securite manquent completement, et, aussi desireux de la paix qu'il est possible de l'etre, je cherche quelque chose qui soit plus reel que le nom : je veux une paix qui rende le repos et le bonheur a notre pays, a l'Europe en~ tiere, et il m'en faut plus que 1' ombre. Cur igitur pacem nolo? Quia bifida est, quia periculosa, quia esse non potest. » WILLIAM PITT. 217 Deux cent soixante-neuf voix contre soixante- trois donnerent raison a la politique du cabinet, et peu de jours apres Pitt soumit au parlement ses propositions fmancieres pour l'annSe 1801. La taxe du revenu fut maintenue et le produit affecte, comme l'annee precedente, a la garantie d'un emprunt de 20,500,000 livres que le gou- vernement fut autorise a contracter. Les res- sources du Tresor se trouverent en outre augmen- tees d'une somme de 3 millions de livres sterling dont la Ban que lui fit l'avance sans interet pour sept ans, comme condition du renouvellement de son privilege, qui devait expirer en 1813, et fut proroge jusqu'en 1833. La guerre durait deja depuis sept ans : sur mer, elle avait consacre la domination presque exclusive de l'Angleterre, dont le pavilion flottait victorieusement aussi bien dans la Mediterran6e que dans l'Ocean. Au loin, de riches colonies avaient ete prises a la France, a la Hollande, a l'Espagne, etla conquete definitive de l'lndoustan venait d'etre accomplie par la mort de Tippoo- Saib et la destruction de F empire de Mysore. 13 218 WILLIAM PITT. Mais sur le continent europeen les chances n'a- vaient pas ete les memes, et si dans l'annee qui venait de s'ecouler la France avait eprouve des revers, une partie des conquetes faites depuis le commencement des hostilites lui etait cependant restee. Pitt avait pourvu avec autant d'habilete que d'energie a toutes les necessites de cette lutte gigantesque, et il est interessant de consta- ter quelle etait, apres tant d'efforts, au point de vue 6conomique et financier, la situation de l'An- gleterre. On a vu que pendant les cinq premieres annees de la guerre les depenses extraordinaires qu'elle avait occasionnees avaient ete couvertes au moyen de ressources demandees au credit. A mesure qu'il autorisait des emprunts, le parlement votait les taxes et surtaxes necessaires pour assurer le service des interets et de l'amortissement; toutes celles etablies depuis 1792 avaient eu exclusive- ment cette destination, et, conformement a un article de l'acte de consolidation, un compte spe- cial de leur produit etait chaque annee soumis au parlement, pour le mettre a meme d'apprecier si WILLIAM PITT. 219 1'execution des engagements de l'Etat 6tait suffi- samment assuree. Malgre l'accroissement annuel de ces nouvelles taxes et la perception en 1798 et 1799 des contri- butions extraordinaires, celles etablies anterieu- rement a la guerre rendirent en 1799 un million de plus qu'en 1792. Le revenu total de l'annee 1792 avait 6te : Pour les taxes permanentes, de 14,284,000 1. st. Pour le malt et le land-tax, de 2,750,000 Total : 17,034,000 1. st. Gelui de l'annee 1799 fut: Produit des anciennes taxes permanentes. . . 15,245,000 1. st. Produit des nouvelles taxes pour le service des emprunts 7,682,000 Produit du malt et lard-tax 2,558,000 Part de l'Etat dans les profits de la Compa- gnie des Indes 500,000 Benefice sur la loterie 250,000 Taxe sur le revenu 7,500,000 Total 33,735,000 1. st. Les charges payees par le contribuable avaient done double dans l'espace de sept annees, et ce- 220 WILLIAM PITT. pendant il n'en etait resulte aucune aggravation dans les frais de regie du revenu public. Pitt croyait, et avec raison, que dans les diverses branches de service le travail est d'autant mieux fait qu'il est centralise entre les mains du n ombre d'agents rigoureusement necessaire, et que les talents, les soins consacres a la chose publique doivent etre payes au moins autant que s'ils 6taient employes dans des entreprises particu- lieres. Aussi avait-il supprime dans les douanes, l'excise, le timbre, les contributions directes, nombre de sinecures ou de fonctions inutiles, et avec les economies qui en 6taient resultees il avait ameliore la condition des employes conserves. II poursuivait incessamment cette utile reforme. Les frais de recouvrement, qui, en 1796, 6taient encore par rapport au revenu de 6 liv. 2 sh. pour les douanes, 4 12 pour l'excise, 4 17 pour le timbre, 3 12 pour taxes diverses, N r e"taient plus en 1799 que de 5 liv. 12 sh. pour les douanes, 3 14 pour l'excise, 3 15 pour le timbre, 3 12 pour taxes diverses. WILLIAM PITT. 221 Quant aux depenses, elles avaient presque tri- ple dans cette p6riode de sept annees. Evaluees en 1791 a la somme de 16,000,000 1. st. Les depenses ordinaires avaient subi une augmentation de 8,260,000 pour le service des interets et de l'amortisse- ment de nouveaux emprunts, et une autre de. 1,260,000 dans les divers services ordinaires pris sur le pied de 1792, par suite de relegation des prix de subsistance, des fournitures, de la solde des troupes de mer et de terre, de l'entretien des casernes nouvellement construites. Le chiffre des defenses permanentes s'^le- vait ainsf, a l'epoque de la cloture de l'exer- cice de 1799, a la somme de 25,520,000 1. st. Le total des revenus de cette ann^e ayant 6t6, ainsi que nous venons de l'6tablir, de 33,735,000 1. st. et un emprunt de 18,500,000 livres reduit a 11 ,000,000 par le produit de V income- tax ayant <§te" contracts pour couvrir le deficit, la depense totale avait 6t6 de 44,735,000 1. st. dans laquelle les frais de la guerre entraient pour 19,215,000 Total des defenses 44,735,000 1. st. D'autre part, au commencement de"1793, le capital de la dette publique fondle s'elevait au chiffre de 238,231,248 livres sterling. 222 WILLIAM PITT. Soit ' 238,231,248 1. st. Depuis le commencement des hostilites jusqu'au l er Janvier 1800, il fut emprunte ou consolide" en rentes perpetuelles une somme totale de 125,154,000 liv. sterl., qui, en raison des conditions de la negotiation , augmenta ce capital de 183,677,000 et le porta au chiffre de 421,908,248 1. st. auquel il convient d'ajouter celui de 7,502,633 cr6e par les deux emprunts contractus pour le compte du gouvernement autrichien, qui, ayant cessd au bout de deux annees d'en ex6- cuter les conditions, retomberent d6finitive- ment a la charge de l'Angleterre en lui im~ posant une defense annuelle de 497,000 livres sterling. Total de la dette fond6e 429,410,881 (1) En sept ans, le capital de la dette fondle s'Stait done accru de 191,179,633 liv. sterl.; quant a celui de la dette a terme, qui, a la fin de 1792, Stait de 30,036,024 liv. sterl., il avait diminue' par l'effet des mesures prises pour en arreter le d^veloppement, et il ne se (1.) Dans ce chiffre est compris le montant de la dette ddja ra- chetee par 1'amortissement. De 1786 a 1793 il avait (He" rachete" un capital de 9,444,850 De 1793 a 1800 il fut rachete" de l'ancienne dette 22,235,739 — — delanouvelle. 11,688,702 De l'une et de l'autre avec le prix du land- tax 16,0*6,727 Total des rachats 50,416,018 1. st. WILLIAM PITT. 223 Report. 429,410,881 1. st composait plus que de la cr£ance permanente de la Banque, soit 11 ,680,000 1. st. plus du montant des billets de l'Echiquier a elle remis pour le service courant ou de ceux en circulation .... 6,500,000 18,1 86,000 Le capital de toute la dette publique 6tait done au l er Janvier 1800 de 447,597,881 1. st. et les sept ann£es de guerre l'avaient aug- ments de 179,329,619 liv. sterl. Mais les accroissements d'impots, de depenses et de la dette publique n'avaient arrete dans leur developpement ni le commerce, ni l'industrie. La valeur totale des importations, qui en \ 792 avait ete de 19,659,000 livres, fut en 1798 de 27,275,000 livres. Gelle des exportations, qui en 1792 avait ete de 2/1,904,000 livres sterling, fut en 1798 de 33,800,000 livres sterling. II y avait done augmentation pour la premiere de 7,616,000 livres sterling, et pour la seconde de 8,816,000 livres sterling. En 1792, les exportations avaient excede" les importations de 5,245,000 livres : en 1798, elles les excederent de 6,525,000 livres; mais parmi les marchandises importees, la plupart consti- 22i WILLIAM PITT. tuaient pour le pays un veritable accroissement de richesses , ainsi le produit de ses pecheries et tous les articles provenant des possessions et co- lonies anglaises aux Indes occidentales et orien- tales. La Compagnie des Indes seule en avait importe en 1798 pour 1,620,000 liv., et M. Rose lvalue en moyenne pour cette annee et les trois prec6dentes la balance commerciale au profit de l'Angleterre a 1/1,800,000 livres sterling. A quelles causes faut-il attribuer ce progres de la richesse publique au milieu d'une guerre si prolongee et si couteuse? Dans le discours qu'il avait prononce au commencement de la session de 1792, Pitt, en constatant les resultats obtenus pendant neuf ann6es de paix, avait signal^ les principales : L' esprit entreprenant et explorateur de la race anglo-saxonne, son caractere energique et indus- trieux, son esprit d'ordre et d'economie, qualites puissantes dans la lutte ou elle etait engag^e, et dont elle donnait cle si eclatants temoignages. La constitution anglaise et le respect dans toutes les classes de la societe pour des institu- WILLIAM PITT. 225 tions qui, conciliant le principe de liberte avec celui d'autorite, mettaient le pays, par le controle s6rieux et efficace de ses representants , a l'abri des empietements da pouvoir et des entreprises plus ou moins reflechies et utiles ou il pouvait 1' engager. — La guerre contre la France etait populaire, et en la poursuivant avec 6nergie Pitt ne faisait que repondre au sentiment national. Aussi chacun le soutenait avec la confiance que le jour ou il serait possible de conclure une paix conforme aux interets et a l'honneur du pays, le gouvernement, responsable devant le parlement, ne refuserait pas de la signer . De la le concours dont il etait entoure, ces souscriptions publiques si rapidement remplies, ces emprunts si aisement contractus, cette securite avec laquelle le com- merce et l'industrie se livraient a leurs specula- tions. D'autres causes cependant contribuaient encore a ce progres, les unes ne^s des e'venements, les autres qui tenaient a 1'habilete du premier mi- nistre : ainsi la suprematie acquise sur toutes les mers par la marine anglaise, la protection qu'elle 13. 22o WILLIAM PITT. donnait au pavilion national , le debouche assure a tous les produits indigenes ou autres transport's sous ce pavilion, — l'honnetete dans le gouver- nement etl' execution rigoureuse de tous les enga- gements contract's par l'Etat , — les diverses mesures prises pour maintenir et fortifier le cre- dit public, telles que le payement des traites du Tresor a un terme plus rapproche, les consolida- tions successives des bons de la marine et de l'E- chiquier, — Faction constante de l'amortissement dont le fonds, au milieu de tous les embarras et de tous les besoins du Tresor, n'avait jamais ete detourne de sa destination et avait toujours fourni un acheteur aux creanciers cle l'Etat desireux de realiser un capital. II faut aj outer enfm qu'en choisissant les nouvelles taxes le gouvernement avait tenu grand compte de l'effet qu'elles pour- raient avoir sur le commerce et l'industrie, qu'il avait epargne autant que possible les matieres premieres ainsi que les objets de premiere neces- sity, et qu'elles portaient principalement sur les articles de luxe et de convenance. La campagne de l'annee 1800 fut loin d'etre WILLIAM PITT. L I27 aussi favorable aux adversaires de la France que l'avait ete la precedente. Si Malte devint defmiti- vement une possession anglaise, fAutriche battue par le premier Consul a Marengo et par le gene- ral Moreau a Hohenlinden dut, en faisant la paix de Luneville, reconnaitre la ligne du Rhin comme frontiere de la France et celle de l'Adige comme frontiere de la republique cisalpine. D'un autre cote l'empereur Paul Y, qui pretendait a la grande maitrise de l'ordre de Malte , mite de la prise de cette ile par l'Angleterre , demanda a en etre mis en possession. Sur le refus qui lui fut fait, il pro- posa aux rois de Suede et de Danemarck de re- nouveler le traite de neutrality armee de 1780, et les trois souverains s'engagerent a en assurer l'execution meme par les armes si cela etait neces- saire. Informe" de cette convention, le gouverne- ment anglais fit mettre immediatement 1' embargo sur les batiments russes, suedois et danois qui se trouvaient dans les ports du royaume. Quelques semaines encore, et 1'administration de Pitt touchait a sa fin. Longtemps on a cru en France qu'il voulut se demettre du pouvoir pour 228 WILLIAM PITT. ■ ne pas avoir a conclure lui-meme une paix de- venue necessaire; mais cette opinion n' est justi- fied ni par les principes qui jusqu'alors avaient dirige sa politique, ni par sa conduite apres sa sortie des affaires. Pitt n'avait jamais ete systema- tiquement oppose a la paix : nous avons vu qua diverses reprises, malgre l'avis de plusieurs de ses collegues, et contrairement aux sentiments personnels du roi, il avait tente de negocier avec les divers pouvoirs successivement etablis en France; mais, s'il desirait cette paix honorable pour son pays, il tenait essentiellement aussi a ce qu'elle fut entouree de garanties qui en assuras- sent la duree, et il ne voulait pas exposer l'Angle- terre a etre surprise par de nouvelles hostilites au milieu d'un desarmement, ou apres l'accomplis- . sement de conditions qui auraient affaibli sa puis- sance. G'est l'absence de ces garanties qui, l'annee precedente, 1* avait d6termin6 a ne pas accepter les ouvertures faites par le premier Consul : outre le peu de confiance que lui inspiraient les antece- dents et le caractere personnel du general Bona- parte, il ne croyait pas au maintien d'un pouvoir WILLIAM PITT. 229 sorti d'une insurrection militaire, et qu'une autre insurrection provoquee par quelque general me- content pouvait a son tour renverser. Toutefois les faits n'avaient pas repondu a sa prevision : l'ordre public retabli.en France, le re- tour an respect des lois, une impulsion eclairee et energique imprim6e a toutes les branches de 1' ad- ministration ; la gloire du drapeau francais, un instant obscurcie, devenue plus eclatante que ja- mais par la conquete rapide de l'ltalie et les suc- ces de l'armee du Rhin, avaient rallie autour du premier Consul presque tous les partis. Le pays, heureux d' avoir retrouve apres tant d'orages un gouvernement protecteur et regulier, l'armee, fiere de voir a la tete de 1'jStat le plus glorieux de ses generaux , reconnaissaient egalement son pou- voir, et le premier Consul etait devenu le chef in- contest^ de la France. Toutes les chances de duree etaient en sa faveur, et la paix de Luneville, la convention de neutrality arm^e sign^e entre les puissances du Nord, laissaient de nouveau l'Angle- terre isolee. On se trouvait done en presence d'un gouvernement parfaitement 6tabli, puissant au 230 WILLIAM PITT. dehors et au dedans, desireux de donner des te- moignages de sa moderation, et s'il y avait moyen de traiter avec lui a des conditions dignes et avantageuses, refuser de le faire eut ete declarer qu'on voulait combattre jusqu'a la ruine totale de l'une des deux nations rivales, et mettre ainsi contre soi l'opinion publique de l'Europe. Pitt etait a la fois trop sense et trop modere pour vou- loir entrainer son pays dans de pareilles aven- tures. Aussi fut-il le premier a engager ses suc- cesseurs a traiter avec la France : consulte par eux sur toutes les questions a resoudre, il con- seilla meme plusieurs concessions importantes, entre autres 1' abandon de l'ile de Malte, et lorsque le traite de paix signe a Amiens fut soumis au parlement, il en fut le plus ferme defenseur. a L'objet de la guerre, dit-il, a ete notre de- fense propre et celle du reste de l'Europe. Nous avons cherche la securite et n'avons jamais eu d'autre but dans les diverses phases de cette lon- gue lutte. Sans doute, pour y parvenir, nous avons voulu renverser un gouvernement fonde sur des principes anarchiques; mais si, malgre nos efforts, WILLIAM PITT. 231 il subsiste encore, nous avons du moins reussi a dompter la fievre revolutionnaire et a ruiner les esperances du parti jacobin, dont le systeme des- tructeur s'est aneanti lui-meme par l'etablisse- ment d'un despotisme militaire. Gette lecon ne sera pas perdue pour le monde entier : quant a nous, qui devons renoncer desormais a faire ren- trer la France dans ses anciennes limites, confor- mons notre ligne de conduite aux evenements, et, puisque nous n'avons pu reussir completement dans nos entreprises, cherchons du moins a nous assurer la jouissance du plus grand bien auquel nous puissions pretendre. En tenant ce Ian gage, j'ai la confiance de n'etre pas en disaccord avec moi-meme, car lorsque, l'an dernier, j'ai refuse d'entrer en negociation avec le premier Consul, j'ai declare" cependant que je n'aurais aucune ob- jection a traiter avec lui, si jamais la situation devenait ce qu'elle est aujourd'hui, et j'ajoute qu'en continuant la guerre, nous aurions expose le pays aux plus grands perils. » Ges paroles ne permettent pas de douter des sentiments de Pitt, et, s'il eut quitte le pouvoir 232 WILLIAM PITT. pour ne pas avoir a conclure la paix, il est pro- bable qu'il se serait tout a la fois abstenu d'en dinger officieusement les negotiations et d'en de- fendre 1' opportunity ainsi que les clauses devant le parlement. Sa determination eut done d'autres causes que cette pretendue repugnance a traiter avec le premier Consul, et les documents histo- riques recemment publies ne laissent aucune in- certitude a cet egard. Depuis un an, 1' Irian de etait definitivement in- corporee a l'Angleterre; mais Facte qui avait r6- gle les clauses de V union avait rencontre une vive resistance dans le parlement irlandais, et n'y eut peut-etre pas 6te adopte sans 1' adhesion que lui avait donnee le parti catholique. Dans diverses conferences avec ses chefs, lord Cornwallis, lord- lieutenant, et lord Gastlereagh, secretaire d'Etat, desireux d' assurer le succes de la mesure propo- see, crurent, sans prendre aucun engagement ni faire aucune promesse, pouvoir cependant expri- mer la confiance que le cabinet anglais ne serait pas contraire a une reforme de la legislation con- cernant les catholiques : de la chez ces derniers WILLIAM PITT. 233 des espe>ances qui determinerent le concours de la plupart d'entre eux et la neutralite des autres. Non-seulement Pitt crut le gouverne- ment moralement engage a leur egard, mais il etait aussi d'avis qu'apres les avoir assQJettis pen- dant plus d'un siecle a un regime exceptionnel, il n'y avait plus aucun peril pour l'Eglise, la con- stitution et les libertes de l'Angleterre a les faire rentrer dans le droit commun. II soumit done a l'examen de ses collegues plusieurs propositions ayant pour objet de modifier la formule du ser- ment , d'accorder une remuneration au clerg6 catholique, d'admettre les catholiques dans les emplois publics, de ne plus les exclure du parle- ment, et d'6tablir sur de nouvelles bases la per- ception des dimes. La majorite du cabinet y donna son adhesion, tandis que la minorite, tout en les approuvant en principe, en contesta l'op- portunite ; mais cette grande reforme ou plutot ce grand acte de justice ne devait s'accomplir que trente ans plus tard, et il echoua alors devant les scrupules du roi. En vain, dans deux lettres dict6es par la plus ' 234 WILLIAM PITT. haute raison politique et un sentiment parfait d'equite, Pitt representa au roi George III que, le parti jacobite ayant cesse d'exister, il n'y avait plus a craindre ni guerre civile, ni guerre reli- gieuse, ni pretentions au trone de la part des princes etrangers ou catholiques, que les catho- liques, jadis ennemis de l'ordre 6tabli, y etant rallies desormais, le serment exige d'eux n'avait d' autre resultat que de priver le pays des services de sujets loyaux et ficleles ; en vain il lui exposa l'avantage pour l'Etat de s'attacher le clerge ca- tholique par une remuneration et de se donner ainsi les moyens d'exercer sur lui un controle ef- ficace : le roi, convaincu qu'en adherant au plan propose il violerait le serment prete a son cou- ronnement, fut inflexible. II se croyait oblige par ce serment a maintenir intacts les principes fon- damentaux de la constitution anglaise, parmi les- quels il placait au premier rang la condition pour tous les serviteurs de l'Etat d'appartenir a l'Eglise etablie et de recevoir la sainte Communion con- formement a ses rites. Une fois de tels scrupules entr6s dans un esprit aussi honnete, mais aussi WILLIAM PITT. 235 etroit que celui de George III, il etait difficile qu'ils en sortissent, si sa conscience n' etait pas eclairee par l'avis de personnes dont le caractere religieux ou le savoir juridique pussent, en pa- reille matiere, lui inspirer quelque confiance. Loin de la, il fut confirme dans ses sentiments par l'opinion du chancelier et celle de plusieurs pre- lats opposes, les uns par principe, les autres par des motifs d' opportunity, a toute modification dans l'6tat des catholiques, et il crut faire une grande concession a Pitt en lui offrant de s' engager l'un et 1' autre a garder d6sormais le silence le plus complet sur cette question. « Ge sera, lui ecri- ' vit-il, une contrainte que je m'imposerai par af- fection pour M. Pitt; mais je n'irai pas plus loin, car je ne puis sacrifier mon devoir a aucune con- sideration. This restraint I shall put on myself from affection for M. Pitt; but further I cannot go : for I cannot sacrifice my duty to any consi- deration. )> Peut-etre dans 1'espoir que le temps et de meilleurs conseils affaibliraient ces repugnances, mais ne voulant pas leur sacrifier des droits et 236 WILLIAM PITT. . des int6rets trop longtemps m£connus, Pitt eut-il consenti a ne pas saisir immediatement le parle- ment de la. question catholique et meme a user de son influence sur ses amis pour les engager a ne pas la soulever encore, s'il avait pu avoir la confiance que le jour ou elle y serai t inevitable- ment discut6e, il n'y rencontrerait pas l'hostilite personnelle du roi. N'ayant pu a cet egard obte- nir l'assurance qu'il demandait, il crut devoir, au mois de fevrier 1801, resign er ses fonctions de premier ministre, et le temoignage de M. Can- ning ne laisse aucun doute sur les raisons qui le determinerent. « II est sorti, dit-il, du pouvoir, non pas tant a cause de la resistance qu'il a ren- contre^ de la part du roi sur la question catho- lique que de la facon dont cette resistance s'est produite. S'il l'eut toleree, sa position dans le cabinet comme premier ministre eut 6t6 bien dif- ferente de celle qu'il avait eue jusqu'alors. » G'est en effet le principe essentiel et le grand avantage du regime parlementaire que le pouvoir y est exerc6 au nom du souverain par des minis- tres responsables, agissant a leurs risques et pe- WILLIAM PITT. 237 rils dans la plenitude du mandat dont ils sont depositaires, sortis pour la plupart de la majorite du parlement, soutenus par elle, representant ses opinions, qui sont aussi celles de la majorite du pays, et y conformant leur politique. Le chef de l'Etat, couvert par eux, plane au-dessus de tous les partis, et, pour conserver intacte la ma- jeste du trone et le respect qui lui est du, il doit s'abstenir de prendre part a leurs differends. Son role est d'exercer un controle superieur et de veiller a ce que la politique de ses ministres reste en harmonie avec les sentiments et les interets du pays. Si elle lui parait s'ecarter de ces condi- tions, il a le droit de changer le cabinet, et, en cas de dissentiment a cet egard avec le parle- ment, de faire un appel au pays ; mais , des que ce dernier a prononce, son devoir est de se con- former a sa decision et aussi de ne faire interve- nir en aucun cas son influence personnelle dans les luttes parlementaires ou electorates, parce qu'en engageant ainsi sa responsabilite il expo- serait sa personne a des attaques compromet- tantes pour la dignite et la securite de la cou- 238 WILLIAM PITT. ronne. Pitt ne pouvait consentir a la moindre de- viation de ces principes fondamentaux. Non-seu- lement elle eut ete contraire a la constitution, mais, en constatant un desaccord entre lui et le roi, elle l'eut affaibli aussi Men clans le cabinet que dans le parlement, encourage les dissidences, altere cette influence superieure qu'il avait exer- cee pendant dix-sept ans , et sans laquelle ii ne pouvait gouverner utilement l'Etat. Du reste, cette influence n'etait deja plus la meme, et une autre des conditions essentielles du gouvernement representatif ne se trouvait plus qu'imparfaitement remplie. Depositaire de l'au- torite, un cabinet ne saurait avoir de force pour l'exercer, si ses membres ne sont point unis etroi- tement dans les memes vues et les memes prin- cipes. II doit former un tout completement ho- mogene , sous la direction d'un chef qui en soit le lien et lui imprime son action politique. Or, des symptomes de division commencaient a se mani- fester dans le cabinet preside par Pitt : il y avait diversite complete, de vues sur cles questions ca- pitales, celle de la paix, qui ne pouvait tarder a WILLIAM PITT. 239 revenir, celle de 1' emancipation des catholiques, qui ne pouvait rester longtemps suspendue, et le jour oil elles se presenteraient l'une on 1' autre, la rupture etait inevitable. Ges considerations contribuerent aussi a determiner la resolution de Pitt. II quitta done le pouvoir, non pas pour sa- tisfaire a un sentiment d' amour-propre blesse ou pour echapper a une situation pleine d'embar- ras, mais .pour rester fidele aux conditions fon- damentales du gouvernement de son pays, que nul n'a pratiquees avec plus de gloire et procla- mees avec plus d'eloquence. 240 WILLIAM PITT. CALI.NET ADDINGTON. — TRAITE DE PAIX D AMIENS. DIIFICLLTES AL'XQIELLES DONNE LIEU SON EXECU- TION. — RUPTURE AVEC LA FRANCE. — ME SURE DE DEFENSE, ETAT DE LA MARINE, CHUTE d'aDDINGTON (1801-1804). Le successeur de Pitt a la Tresorerie fat Henry Addington, son ami personnel et l'un de ses plus fermes adherents dans la chambre des communes, dont il etait depuis onze ans le speaker. Us diffe- raient d'avis sur la question catholique ; mais Pitt etait resolu a ne pas la soulever dans le parle- ment, et, en engageant Addington a accepter la haute mission a laquelle il etait appele, il crut pouvoir lui promettre son concours. De plus, non- seulement il travailla a aplanir les difficultes que rencontrait la formation du nouveau cabinet, mais Georges III lui ay ant exprime le desir de le revoir WILLIAM PITT. 241 frequemment comme ami, Pitt, par un sentiment profond des convenances politiques , declina l'in- vitation : il repondit que de pareilles entrevues pourraient provoquer des susceptibility, soulever des ombrages, donner lieu a de facheuses inter- pretations, et il s'abstint de retourner chez le roi jusqu'au jour ou, trois ans apres, il recut de nou- veau de sa main les sceaux de la Tresorerie. Neanmoins, des sentiments de defiance et de mecontentement reciproques, provoques surtout par les propos d'amis soupconneux et impatients, ne tarderent pas a se manifester. Ainsi, au com- mencement de la session de 1802, dans une dis- cussion relative a l'apurement des comptes de l'ann6e 1800, Tierney, en 1' absence cle Pitt, pre- tendit que les depenses de cet exercice avaient depasse de 5,000,000 de livr. sterl. les credits alloues. II lui reprocha d' avoir ainsi, par son in- curie, l^gue a son successeur, qui avait la delica- tesse de ne pas s'en plaindre, la penible obliga- tion de combler un deficit considerable. Addington se borna a nier le fait , et ce fut un ancien colla- borateur de Pitt a l'Echiquier, Steele, qui se 14 242 WILLIAM PITT. chargea de demontrer que les assertions de Tier- ney etaient sans fondement. Pitt se plaignit di- rectement a Addington de la facon insuffisante dont ce dernier l'avait defendu, et il en resulta des explications dont il finit par se declarer satis- fait. II determina meme a cette epoque un de ses amis, lord Castlereagh, a entrer dans le cabinet comme president du bureau du controle, et ap- prouva toutes les propositions fmancieres pour l'annee 1802. En consequence, Y income -tax fut rapporte, un efnprunt de 23,000,000 de liv. sterl. fut autorise, un capital de 56,000,000 de dette flottante fut consolide en 3 0/0, et celui de la dette fondee accru ainsi de 79,000,000 de livres sterling. Son influence et son prestige etaient toujours. les memes , et , dans le cours de la session , la chambre des communes lui en donna a deux re- prises un eclatant temoignage. Par un premier vote, elle rejeta, a la majorite de 2/i6 voix contre 39, une motion de blame contre son administra- tion, et, quelques jours apres, en son absence, 222 voix contre 52 declarerent que Fhonorable WILLIAM PITT. 243 William Pitt, ayant rendu de grands et importants services a son pays, avait droit d'une facon toute speciale a la reconnaissance du parlement. La paix avait ete definitivement signee a Amiens au mois de mars 1802, et, avant la fin de 1'annee, des nuages avaient deja surgi entre la France et l'Angleterre. Le premier Consul se plaignait de l'asile donne sur le sol britannique aux princes de la maison de Bourbon et de la presence de nombreux emigres dans l'ile de Jersey. 11 de- manda 1' expulsion des uns et des autres, ainsi que la suppression de journaux publies a Londres en langue francaise et remplis chaque jour contre lui des insultes les plus outrageantes. Mais il etait impossible de faire droit a de pareilles reclama- tions, contraires tout a la fois a la legislation anglaise, qui permet de punir les delits de presse, mais non de les prevenir, et au principe sacre" du droit d'asile, qu'une nation libre doit toujours tenir a honneur de faire respecter chez elle aussi longtemps que les proscrits dont elle est le refuge n'abusent pas de l'hospitalite dont ils sont l'objet pour troubler sa s6curite ou la compromettre par 244 WILLIAM PITT. leurs complots contre des Eta4;s voisins et amis. D' autre part, l'Angleterre ne pouvait voir sans inquietude le premier Consul annexer a la France l'lle d'Elbe, le Piemont, prendre possession des duches de Parme et de Plaisance, occuper la Suisse avec une armee de ZiO,000 homines sous pretexte d'y retablir l'ordre et s'y faire proclamer mediateur de la republique helvetique. De pareils procedes en pleine paix devaient faire craindre la mise a execution d'autres projets plus ambi- tieux encore, et l'agrandissement de la France, 1' extension de son influence pouvaient serieuse- ment compromettre l'independance et les interets de la Grande-Bretagne. Chacun alors commenca a se demander si le cabinet, tel qu'il etait compose, presentait les conditions de vigueur et de capacite suffisantes soit pour prevenir par l'energie des representa- tions et la fermete de 1' attitude le retour des hostilites , soit , dans le cas ou la lutte recommen- cerait, pour la soutenir avec succes et avec gloire. Dans le sein du gouvernement lui-meme, quel- ques membres ne dissimulaient pas leur sollici- WILLIAM PITT. 245 tude a ce sujet et exprimaient le desir de voir Pitt reprendre la direction des affaires. Les amis de ce dernier insisterent aupres de lui pour le deter- miner, s'il ne voulait pas combattre le cabinet, a le laisser tomber du moins sous le poids de sa propre faiblesse. Mais Pitt leur repondit qu'il avait promis son concours a Addington, qu'il s'etait peut-etre engage inconsiderement, qu'il ne cher- cherait pas cependant a eluder l'accomplissement de sa promesse, et c'est alors qu'il dit a Canning : a Je ne me fais aucun scrupule d'avouer que je suis ambitieux; mais mon ambition est celle de la consideration et non pas du pouvoir, et je ne me laisserai jamais aller a aucun acte qui puisse avoir l'apparence d'une intrigue ou d'une cabale. D'ail- leurs, si mon retour a la tete du gouvernement est aussi generalement desire que vous le suppo- sez, il vaut mieux pour moi et pour la chose pu- blique laisser 1' opinion a cet egard se prononcer d'elle-meme : si elle s'exprime d'une facon de- terminante, ma situation n'en sera que plus forte, tandis que, si elle ne me rappelle pas, ma rentr6e aux affaires serait inopportune et sans utility. » 14. 246 WILLIAM PITT. La session de 1803 s'ouvrit sur ces entrefaites. Pitt, retenu a Bath pour des raisons de sante, n'assista pas a la discussion de l'adresse qui porta principalement sur la necessite d'accroitre les moyens de defense du pays et celle de confier le pouvoir a des mains plus fermes et plus experi- mentees. Sheridan ayant, a ce sujet, dirige une attaque tres-vive contre Pitt, Canning prit 6lo- quemment sa defense : a Jamais, dit-il, une jeune ambition visant a la gloire et a la faveur popu- laire n'a lutte pour y parvenir avec autant d'ar- deur que l'a fait mon honorable ami depuis sa sortie du pouvoir, non pas pour le reprendre, mais pour r eloigner de lui, non pas pour aug- menter le nombre de ses adherents, mais pour rompre les liens qui les attach ent a lui et transfe- rer leur concours a ses successeurs. Quoi qu'il fasse, il ne peut esperer dans sa retraite effacer le souvenir des services qu'il a rendus : il ne peut echapper a la reconnaissance de toute une nation, et il doit subir l'attachement d'un peuple qu'il a same. » II avait ete convenu par le traite d'Amiens que WILLIAM PITT. 247 l'lle de Malte avec ses dependances , Gozo et Co- mino, serait restituee a l'ordre de Saint- Jean dans un delai de trois mois apres l'echange des ratifi- cations, qu'un corps de 2,000 hommes serait fourni par le roi de Naples pour y tenir garnison jusqu'au retour des chevaliers, et la neutrality des trois iles avait ete fnise sous la garantie des principales puissances de l'Europe. Mais, en pre- sence des annexions que venait de se faire la France, le gouvernement anglais crut ne pas de- voir se dessaisir immediatement d'un gage aussi precieux que Malte. Le premier Consul se plaignit vivement du retard qu'eprouvait son evacuation, et il lui fut repondu quelle aurait lieu seulement lorsque l'Angleterre , en quittant cette ile , serait assuree de ne pas y voir son occupation rempla- cee par la domination francaise. Mors eut lieu entre le premier Consul et lord Witworth un en- tretien celebre qui ne laissait guere esperer la duree de la paix. Aussi on crut en Angleterre devoir se livrer a des preparatifs en vue d'une reprise prochaine des hostilites. La milice fut convoquee, les troupes 248 WILLIAM PITT. de marine furent accrues de 10,000 hommes, et, de nouveau , tous les regards se reporterent vers Pitt. Gedant a la pression de 1' opinion publique , Addington lui proposa de se concerter pour com- poser ensemble un cabinet dans lequel ils ne se- raient, ni l'un ni 1' autre, premier ministre. Mais la situation exceptionnelle de Pitt, ses grands ser- vices, le sentiment de ceux qu'il avait a rendre encore, ne permettaient guere de presumer qu'il acceptat une pareille ouverture et il la declina. D'ailleurs, il voulait avoir la direction des finances, et il pensait avec raison que, dans un gouverne- ment constitutionnel , le ministre charge" de ce departement doit toujours etre le chef du cabi- net. G'est, en effet, par cette preponderance seule qu'il peut avec efficacite resister aux demandes de ses collegues, moderer les depenses, exiger qu'elles soient faites avec ordre et economie et maintenir l'equilibre dans le budget. Du reste, Pitt souhaitait le maintien de la paix. 11 y voyait une source de force et de prosperite pour l'Angleterre, et un jour il disait a lord Mal- mesbury : « Nous avons un revenu de 32 millions WILLIAM PITT. 249 de livr. sterl. egal a celui de toute l'Europe, une marine superieure a celle de toute l'Europe, un commerce aussi etendu que celui de toute l'Eu- rope, et, pour etre tout a fait gentilshommes, une dette aussi grande que celle de toute l'Europe. Que la paix dure seulement cinq ans encore, et notre revenu sera tellement accru que nous pour- rons alors envisager sans effroi la perspective d'une guerre semblable a la prec6dente. La grande question pour nous est d'etre a la fois mode>6s et fermes, et nous ne devons sacrifier les int6rets de la paix qu'a des considerations su- perieures a toutes, ainsi une insulte au pays, un acte d'hostilite avou6e ou un nouvel agrandisse- ment de la France. » Son avis etait done qu'il fallait 6viter par une grande reserve de fournir au premier Consul tout pretexte de donner cours a ses projets .et en meme temps imposer par une grande fermete" a son ambition. II avait toujours conseille cette ligne de conduite a Addington, et, au commence- ment de 1803, il exprimait encore a son frere, lord Chatham, membre du cabinet, la confiance 250 WILLIAM PITT. que, si elle etait resolument suivie avec l'appui du parlement, les difficultes auxquelles donnait lieu l'execution du traite d' Amiens pourraient etre aplanies sans une nouvelle guerre. Mais ces difficultes ne firent que s'aggraver : le premier Consul devint de plus en plus pressant au sujet de 1' evacuation de Malte, et, de son cot6, le gouvernement anglais, qui, dans le principe, n'a- vait peut-etre pas assez deploye de vigueur, fmit par se montrer trop exigeant. Ne trouvantplus les garanties stipulees dans le traite d' Amiens suffi- santes, il voulut, en compensation des regents agrandissements de la France, garder Malte pen- dant dix ans, la restituer en suite a ses habitants et non aux chevaliers , et obtenir, dans la Medi- terranee, la cession de File voisine de Lampedose pour y etablir une station navale; il declara, en outre , qu'il ne reconnaitrait les nouveaux Etats italiens que lorsque la Hollande aurait ete evacuee et un dedommagement territorial accorde au roi de Sardaigne. Ces conditions, posees comme ul- timatum, 6taient inacceptables, et, le 18 mai, les hostilites furent denoncees. Cette importante re- WILLIAM PITT. 251 solution fut communiques a la chambre des com- munes par un message du roi, et, dans la discus- sion qui suivit, Pitt et Fox prononcerent deux de leurs plus belles harangues. Ge dernier reprocha aux ministres leur maladresse dans les negocia- tions et leurs pretentions au sujet de Malte, dont la possession ne valait pas la guerre qu'on allait faire pour elle. II soutint que l'agrandissement de la France en Italie et son intervention en Suisse etaient sans interet pour l'Angleterre, et affirma qu'avec la mediation de la Russie la paix aurait pu etre encore honorablement conserves . Quant a Pitt, il s'abstint de parler de la conduite du cabi- net, approuva la reprise des hostilites, demanda qu'elles fussent poursuivies avec energie, et, par un hasard malheureux, son discours, qui fit sur son auditoire une profonde sensation, n'a pas pu etre reproduit. Peu de jours apres, Addington soumit au par- lement diverses mesures concernant l'effectif mi- litaire, la defense du territoirs et les moyens de subvenir aux charges nouvelles qui allaient grever le pays. Sur sa proposition, l'armee isguliere fut 252 WILLIAM PITT. augmentee, l'armee de reserve dut etre r6organi- see au chiffre de 40,000 hommes, independam- ment des 73,000 de la milice, et l'effectif de la marine fut accru de h 0,000 hommes. Sans de- mander que Londres fut entoure de fortifications, Pitt exprima cependant l'avis qu'il fallait profiter des avantages locaux que presentaient ses abords pour les mettre en etat de defense et prevenir peut-etre ainsi, en cas d'invasion , la destruction de la capitale. Mais il trouva le plan financier d'Addington insuffisant et developpa celui qu'il aurait voulu voir proposer. Ainsi il croyait a la possibility de subvenir aux depenses de six ou sept annees de guerre, sans soumettre le pays a des sacrifices dont le resultat final serait de porter une grave atteinte a sa prosperity et a son credit ; mais il fallait se decider immediatement a un grand effort et lever en une seule annee une somme de ressources superieure a celles qui avaient ete ob- tenues de 1797 a 1802. On se la procurerait aise- ment par l'impot, et on 6viterait ainsi l'obligation de recourir a de nouveaux emprunts dont la charge permanente se compterait annuellement par mil- WILLIAM PITT. 253 lions. Quels que fussent les avantages et l'econo- mie de ce systeme, sans doute, tout d'abord, il effrayerait et alarmerait; mais le gouvernement devrait resolument en poursuivre 1' execution, et bientot le parlement et le pays en reconnaitraient les avantages. Sa conclusion fut done qu'il fal- lait retablir Y income-tax et augmenter les autres impots de toute la somme qui serait jug6e ne- cessaire. Mais si un pareil effort n'exc6dait pas les moyens de l'Angleterre, il etait au-dessus du ca- ractere et de l'audace d'Addington, et ce dernier se borna a demander 1' adoption des mesures qu'il avait proposees, soit un emprunt de 12 millions de livres sterling, un supplement des droits d'excise de 6 millions de livres sterling, et enfm le renou- vellement, avec di verses modifications, de Y in- come-tax sous le nom de property-tax, Ainsi le droit ne devait plus etre que de 5 pour 100 au lieu de 10, des remises pouvaient etre accord^es sur les revenus inferieurs a 150 livres sterling, et ceux au-dessous de 50 livres etaient exceptes de la con- tribution, a moins qu'ils ne provinssent de la pro- priete fonciere ou de rentes sur l'Etat. Pitt com- 15 254 WILLIAM PITT. battitcette exception comme inique et comme une atteinte au principe du libre emploi des capitaux. II fit observer d'ailleurs quelle serait, en ce qui concernait les rentes sur l'Etat, une violation du contrat passe entre ce dernier et ses creanciers, et quelle influerait d'une facon facheuse sur la negotiation des emprunts a venir. « Je la deplore, dit-il, parce quelle est incompatible avec la bonne foi publique et destinee a porter un coup funeste a ce credit qui a ete longtemps l'honneur de notre pays. » Quelque puissantes et sens6es que fussent ces considerations, le bill n'en fut pas moins adopte par 150 voix contre 50. Mais, dans la seance sui- vante, Addington ay ant reconnu tout ce qu'elles avaient de fonde et redoutant le discredit qu'elles auraient pu jeter sur la loi, proposa a la chambre de revenir sur son vote de la veille , et les excep- tions furent supprimees. 11 y eut done la un echec et un succes pour Pitt, echec pour son influence, puisque, par un premier vote, la chambre avait refuse de tenir compte de ses observations, et succes pour sa WILLIAM PITT. 255 haute raison, puisque, le lendemain, elle avait du s'y conform er sur la proposition du gouverne- ment. Pitt s'etait, en effet, definitivement separe d'Addington. La rupture des negotiations minis- terielles avait ete suivie entre eux d'une corres- pondance explicative de plus en plus amere, et Pitt avait demande qu'elle fut communiquee au roi. Addington n'avait pas d'abord obtempere a ce desir, et, lorsqu'il s'y etait decide, George III, aigri par les rapports qui lui avaient 6te faits, avait refuse d'en prendre connaissance. Pitt avait attribue le deplaisir de ce prince aux renseigne- ments inexacts donnes par Addington, et, des lors, s'etait considere comme degage complete- ment vis-a-vis de ce dernier. Mais la majorite de la chambre ne voulut pas le suivre dans son op- position : elle redoutait, dans l'etat de sante de plus en plus precaire ou se trouvait le roi, 1' effet que pourrait lui produire la contrariete causee par la necessite d'un changement de cabinet. De plus, au debut d'une nouvelle guerre, lorsqu'il etait essentiel que 1' union fut complete entre les pouvoirs, une crise ministerielle lui semblait im- 256 WILLIAM PITT. politique; aussi, quelque evidente que fut l'in- suffisance clu cabinet, entre lui et Pitt elle ne crut pas devoir hesiter; elle continua son appui au gouvernement, et c'est ainsi que s'explique son vote contradictoire dans la question du pro- perty-tax. On etait alors a la fin de la session. Le premier consul organisait avec activite a Boulogne les moyens de descente en Angleterre, et le gouver- nement britannique etait loin d'apporter le meme ordre et la meme decision dans ses preparatifs de defense. Wilberforce, plutot favorable qu'hos- tile au cabinet, ecrivait a ce sujet qu'ayant du, pour des affaires privees, se rendre dans divers ministeres et y voir plusieurs ministres, il les avait trouves d'une faiblesse deplorable, a II n'y a pas un homme, disait-11 , en etat de prendre la direction de la machine et de lui donner l'impul- sion necessaire. Nous sommes au 12 aout, et rien encore ne se prepare pour recevoir l'ennemi , qui, heureusement, n'est pas lui-meme en 6tat de nous attaquer. Aucune instruction positive n'a 6te adressee aux lords-lieutenants des comtes, et, WILLIAM PITT. 257 dans nombre de localites, des offres de service volontaires sont restees sans reponse. Aussi, en- nuyes d'attendre, ceux qui les ont faites les ont retirees. » Mais 1' elan dans le pays 6tait extreme. De tous cotes des souscriptions s'ouvrirent pour fournir des armes au gouvernement, des corps de volontaires s'organiserent , et Pitt, en sa quality de gardien des cinq ports, forma dans sa circonscription un regiment qu'il exercait lui- meme. Gomprenant la ressource precieuse que pourrait offrir pour la defense du territoire l'existence d'une force de cette nature, il con- cut la pensee de l'organiser d'une facon per- manente. En consequence, il proposa a la cham- bre, dans les premiers jours de la session de 1804, d'enregimenter les volontaires, de les re- partir par bataillons, de les instruire, former aux exercices et evolutions, de les astreindre a une discipline reguliere et d'attacher a chaque bataillon , en qualite d'instructeurs , des officiers de l'armee. Le gouvernement adhera en principe a cette motion, et, bien que le bill pr6sente 258 WILLIAM PITT. par lui ne fut pas aassi complet que l'aurait voulu Pitt, neanmoins il recut son appui et fut adopted C'etait surtout la situation de la marine placee sous la direction de lord Saint -Vincent, officier plein de me>ite, mais administrateur incapable, qui inspirait a Pitt de vives sollicitudes. Ainsi, en 1801, il y avait 101 sloops en etat de service, il n'en restait que 84. Le nombre des canonnieres se trouvait reduit de 69 a 37, celui des cutters de 101 a 52, et, cependant, c'eHaient surtout des batiments de cette nature qui pouvaient etre utiles pour repousser une tentative d' invasion. En outre, a la fin de la derniere session, le parlement avait present la construction de 23 bateaux plats; 3 seu- lement etaient prets, tandis qu'il eut £t6 facile de les equiper en quelques seraaines , si on eut de- ploye la merae activite qu'en 1797. Enfin la ne- gligence 6tait la meme pour les batiments de ligne et 2 seulement Etaient en construction. Une pareille incurie pouvait avoir de d6sastreuses con- sequences, et, sans proposer un vote de censure contre le premier lord de l'Amiraut6 dont il res- WILLIAM PITT. 259 pectait le caractere, Pitt demanda la production des 6 tats comparatifs des batiments arm6s de tous rangs en 1801 et 180Zi. II commenca par exposer les faits et blama une lenteur qu'il attribuait a ce que tous les travaux de construction de la marine 6taient ex6cut6s dans les chantiers de FEtat; il rappela que, sous son administration, 22 vais- seaux de ligne sur 24 avaient 6t6 construits et armes par Findustrie priv6e : il 6tablit en prin- cipe qu'il y avait tout a la fois 6conomie de temps et d' argent a lui en confier F execution, et que d'ailleurs pour mettre une marine en 6tat il ne faut pas attendre le moment ou elle deviendra n6cessaire, mais le pre>oir. « Le premier moyen de defense de l'Angleterre, dit-il en terminant, doit etre sa marine , le second une flottille , le troisieme des fortifications sur les cotes, et le quatrieme, si Fennemi debarque, est de le joindre sur le champ de bataille et d'y mourir avec lui. » La motion de Pitt fut rejet^e par 201 voix contre 130; mais, en comparant ce r6- sultat a celui du vote sur le property -tax a la Fm de la session pr6c6dente , on peut juger com- 260 WILLIAM PITT. bien la majority commencait a etre effray6e et ebranlee (1). A la discussion sur l'etat de la marine en suc- ceda une autre soulevee par Fox sur les moyens 1 . A l'occasion de ce d6bat, peut-etre n'est-il pas sans interet de dire l'origine de la marine royale anglaise et les progress qu'elle avait faits jusqu'a cette epoque. Henry VIII peut etre considere comme son fondateur. Le premier, il eut une flotte et cre"a les dstablissements de Deptfort, Woolich et Portsmouth. Celui de Chatham est du a Elisabeth, et les chantiers de Sheer - ness remontent a Charles II. Quant a ceux de Plymouth , Guil- laume III en commenca la construction en 1693, et, l'annee sui- vante, la chambre des communes vota la somme n^cessaire pour les achever. Voici l'etat du tonnage a diverses £poques : A la mort de Henry VIII en 1547 12,430 tonneaux, — d'EdouardVI 1553 11,050 — — de la reine Marie 1558 7,000 — — d'Elisabeth 1603 17,100 — — de Jacques I er 1625 19,400 — A la chute de Charles I er 1 641 22,400 — Au moment de la restauration 1660 57,460 — A la mort de Charles II 1684 103,558 — A l'abdication de Jacques II 1688 1 01,000 — A la mort de Guillaume II 1702 159,000 — ' — de la reine Anne 1714 167,860 — — de Georges I er 1727 170,170 — — de Georges II 1760 321,200 — Au 31 decembre 1788 1788 413,000 — Id. 1804 776,000 — WILLIAM PITT. 2G1 de defense du territoire; puis vinrent deux bills relatifs, l'un a 1' augmentation de la milice irlan- daise, l'autre a la suspension de la loi concernant l'arm6e de reserve; les debats furent des plus vifs sur ces trois questions, et demontrerent davan- tage encore l'imprevoyance et l'insuffisance du cabinet; il se defendit mal : sa majorite se re- duisit successivement a 52, 37 et 21 voix, et Ad- dington pre>oyant le moment prochain ou l'appui de la chambre des communes lui ferait complete- ment defaut , remit sa demission au roi. Pitt etait alors, dans toute l'acception du mot, 1'homme de la situation : il fut done charge par le roi de former un cabinet, mais dut s'abstenir de lui parler de la question catholique. L'emo- tion quelle avait causee a George III, trois ans auparavant, avait determine a cette epoque chez ce prince un retour de son ancienne maladie mentale, et il lui etait reste une surexcitation d' esprit qui donnait lieu sans cesse de craindre une rechute. Pitt voulait eviter a tout prix de la provoquer, non - seulement par egard pour un souverain bon et respectable dont il n'avait recu 15. m WILLIAM PITT. que des bienfaits, mais aussi pour les raisons po- litiques les plus graves. II aurait fallu en arriver a une regence redoutee de tous, et Fox comprit si bien lui-meme cette situation deux ans plus tard que, charge alors avec lord Grenville de consti- tuer un ministere, il d6clara ne pas vouloir fati- guer le roi d'une question qui lui etait aussi penible. Pitt aurait desir6 s'adjoindre, avec quelques- uns de ses anciens amis, les principaux chefs de l'opposition; mais George III ne voulut pas en- tendre parler de Fox : lord Grenville refusa d'en- trer dans toute combinaison dont ce dernier ne ferait pas partie, et prive de leur pr^cieux con- cours, Pitt fut reduit a former un cabinet dont lord Melville et Canning etaient apres lui les seules notabilites parlementaires. WILLIAM PITT. 203 VI. SECOND MINISTERE DE PITT. — CONSTITUTION DE L'ARMEE DE RESERVE. — RUPTURE AVEC L'ESPAGNE, BUDGET DE 1805. — PROCES MELVILLE. — ALLIANCE AVEC LA RUSSIE ET L'AUTRICHE — BATAILLES DE TRAFALGAR ET D' AU STE R LITZ. — MORT DE PITT (1804-1806). On 6tait alors au milieu du mois de mai 180/i. Quelques semaines auparavant , le due d'Enghien avait ete fusille, et le premier Consul venait de se faire proclamer empereur. Le premier de ces deux evenements avait indigne et Y autre vivement m6- contente" les cabinets europ6ens. Pitt crut done r occasion propice pour essayer de renouveler une coalition contre la France ; mais la Prusse et l'Au- triche , cette derniere encore sous le poids de ses revers, ne s'y montrerent pas disposees, et 1'An- gleterre dut continuer seule la lutte. En atten- 264 WILLIAM PITT. dant, les pr6paratifs d'invasiofl devenaient a Bou- logne de plus en plus menacants, et Pitt proposa au parlement, sous le titre d'additionnal force bill, un plan ayant pour objet d' assurer la defense du territoire. I/armee se divisait en armee reguliere et arm6e de reserve : la premiere , appelee a servir partout ou Fexigeaient les besoins du pays; la seconde, ne pouvant etre employee hors de l'Angleterre. L'une et l'autre se recrutaient d'abord par des enrolements volontaires dont le prix variait sui- vant les circonstances , et si ce moyen ne donnait pas le contingent necessaire, on avait recours a un tirage au sort dans les paroisses, avec fa- culty pour chacun de fournir un remplacant; mais, depuis la guerre, le prix du rachat 6tait devenu tres-eleve, et il s'etait forme des soci6t6s de remplacement qui se livraient au plus honteux agiotage. Bien que les hommes de 1' armee de reserve ne fussent engages que pour quatre ans et ne pussent etre envoy£s a i'6tranger, neanmoins les condi- tions de service 6taient encore penibles : aussi les WILLIAM PITT. 265 engagements y etaient peu nombreux, et tous ceux qui avaient le moyen d'acheter un rempla- cant le faisaient. II etait clone difficile de la tenir ail complet de 40,000 hommes, et elle fournissait peu de recrues a l'armee reguliere. Pitt proposa d'abord de faire cesser les abus du remplacement en obligeant les paroisses a fournir elles-memes le contingent qui leur 6tait assigne, et, dans le cas ou elles ne le feraient pas, a payer pour chaque horame manquant une somme destinee a accroitre le fonds de recrute- ment. Quant a l'armee de reserve, portee de 40,000 a 60,000 hommes, il demanda que la duree de Y engagement fut elevee de quatre a cinq ans, et qu'en temps de paix la presence sous les drapeaux fut d'un mois seulement chaque annee. De plus, elle serait divisee par bataillons attaches aux regiments de l'armee reguliere, et Finstruc- tion faite par les officiers de cette derniere serait, a tous 6gards, meilleure : ils prendraient a tache d'inspirer aux hommes confies a leurs soins ce sentiment de confraternite militaire qui fait de l'armee une sorte de famille, et a 1'expiration des 266 WILLIAM PITT. cinq annexes, nombre de ces derniers, ayant con- tracts le gout et l'habitude du service, s'offriraient sans aucun doute pour entrer dans l'armee regu- liere, dont le recrutement s'opererait ainsi dans de bien meilleures conditions. Nous avons deja eu 1' occasion de constater avec quelle defiance est vue en Angleterre 1' existence d'une armee permanente. On reprocha au plan de Pitt d'en creer une seconde, de changer les gouts du pays, d'y introduire des habitudes guerrieres et de preparer ainsi de grands perils pour les libertes publiques. Pitt repondit qu'une me sure dont l'objet devait etre d' assurer en temps de paix le recrutement annuel de 12,000 hommes ne pouvait ni modifier 1' esprit de la nation, ni compromettre ses libertes; qu'apres la guerre, la France, pas plus que l'Europe, ne desarmerait completement, et que 1' Angleterre devait se pre- parer a suivre leur exemple; qu'il fallait done constituer une force permanente laissee dans ses foyers en temps de paix , mais prete a se reunir des que les circonstances l'exigeraient, et que ce systeme, d'ailleurs plus sur et plus 6conomique WILLIAM PITT. 267 que celui de levies en masse au moment du peril, aurait surtout le grand avantage de permettre de disposer d'une partie des forces du pays a Fexte- rieur sans le laisser desarme a l'interieur. Fox, Sheridan, Addington lui-meme prirent tour a tour la parole; Canning soutint avec elo- quence le projet du gouvernement, et la discus- sion fut d'autant plus vive que de son rSsultat dependait le sort du cabinet. La majorite en sa faveur fut de 42 voix; mais, bien que faible, elle assurait 1' existence du minis- tere jusqu'a la session suivante. Pitt obtint ensuite le vote d'un credit de 3,300,000 liv. sterl. pour le service de la marine et de l'armee, et, peu de jours apres, la session fut close. Sur ces entrefaites, la paix fut rompue entre l'Angleterre et l'Espagne. Par le traite de Saint- Ildefonse, cette derniere puissance 6tait tenue vis-a-vis de la France de lui fournir sur sa requi- sition quinze vaisseaux de ligne, 24,000 hommes, et d'augmenter meme ces forces en cas de besoin. L'Angleterre ayant demande au gouvernement espagnol de conserver la neutrality entre elle et '268 WILLIAM PITT. la France, ce gouvernement, tres-desireux de ne pas prendre part aux hostilites, avait cm se de- lier de ses obligations et se degager de toute solidarity moyennant une indemnity de 75 mil- lions de francs; mais c'6tait la un vrai subside donne a la France , qui rendait l'Espagne partie cooperante a la guerre, et d'ailleurs 1' obligation de fournir quinze vaisseaux de ligne et 2 A, 000 hommes ne pouvant etre evaluee a plus de 50 millions de francs, la somme promise 6tait bien sup6rieure aux conditions du traite de Saint- Ildefonse. En consequence, le cabinet anglais fit savoir a celui de Madrid que le payement des 75 millions de francs serait consider^ comme un acte d'hostilite; mais il fut bientot informe" que des armements considerables s'operaient dans les ports espagnols, que des matelots et soldats fran- cais traversaient l'Espagne pour aller renforcer les batiments de leur nation relaches sur ses cotes. Des explications furent demandees; la r6- ponse se fit longtemps attendre. Elle etait ambi- gue, et le gouvernement anglais, ay ant appris l'arrivee prochaine au Ferrol de quatre batiments WILLIAM PITT. 269 revenant de Rio- de -la- Plata avec des charge- ments de dollars, donna ordre de les capturer : trois furent pris, le quatrieme detruit, et cette agression determina le gouvernement espagnol a declarer la guerre a l'Angleterre. Le parlement s'ouvrit dans le courant de Jan- vier 1805. Fox s'empressa d'y d6noncer la prise des fregates espagnoles comme un acte deloyal et une tache pour l'honneur de l'Angleterre. II ne fut pas difficile a Pitt de justifier le cabinet. (( Evidemment, dit-il, l'Espagne, en s'engageant a donner a la France 75 millions de francs de sub- sides, c'est-a-dire le tiers a peu pres de son re- venu, sortait de la neutrality, et.ses armements au Ferrol, le passage quelle donnait sur son ter- ritoire aux troupes franchises, prouvaient d'une facon bien claire que la ne se bornait pas son con- cours. En presence de ces faits, le gouvernement anglais n'avait pas du hesiter a capturer des ba- timents charges de For destine a remplir les cof- fres de la France et solder les frais de la guerre contre la Grande-Bretagne. » Ge n'6tait pas seu- lement la conduite du gouvernement anglais, 270 WILLIAM PITT. c'etait aussi l'honneur du pavilion national que Pitt defendait dans cette circonstance. Tous les membres du parlement que 1' esprit de parti n'en- chainait pas a l'opposition crurent done devoir voter pour le cabinet, et une motion de censure proposee par Grey fut rejetee par 313 suffrages contre 106. Le succes etait complet, et, quelques Jours apres, il fut confirme par le rejet, a la ma- jority de 242 voix contre 96, d'une autre motion, presentee par Wyndham, pour obtenir la revision du bill sur les forces additionnelles adopte Fan- nee precedente. Ge fut ainsi sous les meilleurs auspices que Pitt proposa au parlement le budget de Fan- nee 1805. Nous avons vu qu'au l er Janvier 1800 le capi- tal de la dette fondee etait de 429,410,881 livres sterling. Au l er Janvier 1805, il avait atteint le chiffre de 610 millions de livres sterling. En effet, il avait fallu emprunter en 1800 et 1801 pour continuer la guerre, en 1802 pour en liquider les frais. Cette meme annee, Addington avait conso- lide 56 millions de dette flottante, et en 1803 et WILLIAM PITT. 271 180/l on avait du recommencer a emprunter pour subvenir aux frais de la nouvelle guerre. De son cote, l'amortissement n' avait pas cesse de fonctionner, soit au moyen de son fonds spe- cial, soit avec le prix de rachat du land-tax, et le capital rachete etait monte\ dans les cinq der- nieres ann£es, de 5 9, h 16, 000 livres sterling a 99,310,000 livres sterling. Quant aux expenses, voici ce qu'elles avaient 6t6 en \ 804 : Service de la dette 25,095,000 1. st. Frais des services civils 3,867,000 Avances a lTrlande 4,500,000 Arm<§e 18,037,000 Marine \ 4,000,000 Artillerie, casernes, fortifications 6,000,000 Total 71,499,000 1. st. Pitt proposa de maintenir les memes credits en 1805, et d'y ajouter 5 millions de livres sterling, afin de pousser la guerre avec 6nergie et retablir ainsi le plus tot possible sur des bases solides une paix objet de tous les voeux et de tant d' efforts. Les ressources a affecter a ces depenses etaient les suivantes : 272 WILLIAM PITT. D'abord le revenu des taxes permanentes, c'est-a-dire de celles existant anterieurement a 1793 ou etablies depuis lors pour le service des emprunts successivement cre^s, et qui de 26,235,000 livres sterling s'6tait 6\ev6 dans les cinq dernieres ann£es au chiffre de 37,500,000 1. st. puis celui da property -tax, et de diverses surtaxes Etablies l'anneSe pr6c6dente comme impots de guerre, evalue a 18,000,000 Total ; 55,500,000 1. st. II y avait donc-insuffisance de 21 millions de livres sterling pour ar river au chiffre des depenses prevues, et Pitt proposa d'y supplier au moyen d'un emprunt de pareille somme, dont le service dut etre assure avec des taxes additionnelles mises sur les ports de lettres, les chevaux de luxe, le sel et autres objets, ainsi qu'un 16ger droit a percevoir sur les successions directes, qui en avaient jusqu'alors ete exemptees. Le parlement adopta ces diverses propositions presque sans debats, et Pitt pouvait esperer alors avoir, par son seul talent, par une habile et ferme direction imprimee a la marche des affaires, reconquis une majorite qui lui fut propre. Ge- pendant elle allait bientot lui manquer dans une des circonstances les plus douloureuses de sa vie, WILLIAM PITT. 273 et frapper, malgre' tous ses efforts, un de ses meilleurs et plus anciens amis. Henry Dundas, r£cemment 61eve" a la pairie sous le nom de lord Melville, etait entre" en 1783, comme tresorier de la marine, dans le ministere forme a cette epoque par Pitt ; puis , tout en con- servant ce poste , il avait 6te eleve a celui de pre- sident du bureau du controle, et, pendant les dix-sept annees qu' avait dure ce cabinet, il en avait et6 , apres Pitt, le membre le plus influent et le plus utile dans la chambre des communes. Lors de sa dissolution en 1801, il etait sorti des affaires, et l'ann6e precedente il y etait rentre avec Pitt en qualite de premier lord de l'ami- raute. II avait trouve les services de la marine dans un etat deplorable : le fer, le bois , le chan- vre, tout manquait dans les chantiers, rien ne s'y faisait, et, en moins d'un an, lord Melville avait tout repare. Gent soixante-huit batiments avaient ete construits et nombre d'autres mis en bon etat. Mais de pareils services, quelque grands qu'ils fussent, et quelque gratitude qu'iJs eussent du lui attirer, ne purent faire taire rri 274 WILLIAM PITT. desarmer r esprit de parti, impitoyable dans ses baines. Nous avons deja eu 1' occasion de dire que, pendant longues annees, les tresoriers de la ma- rine et de la guerre avaient era pouvoir placer a leur profit les fonds sans emploi dans leur caisse. C'etait la un abus consacre par l'usage qui avait ete pour plusieurs de ces fonctionnaires, entre autres pour le premier lord Holland, le pere de Fox, une source de benefices considerables : Pitt voulut y mettre un terme et, conjointement avec Dundas, il fit decider par le parlement, en 1785, que les fonds affectes au service de la marine ne pourraient recevoir d' autre destination : qua cet effet ils seraient deposes a la Banquepour n'en etre retires que sur mandats des tresoriers portant designa- tion des services auxquels ils devaient etre em- ployes, et, pour dedommager ces fonctionnaires du prejudice que leur causait cette mesure d'ordre, leur traitement avait ete porte a Zi,000 livres sterling. Une commission administrative ayant ete chargee, en 1803. de faire une enquete sur l'etat WILLIAM PITT. 275 g6n6ral de la marine, elle eut a constater que, pendant toute la duree de la gestion de lord Mel- ville, l'acte de 1785 etait reste inexecute : le payeur principal place" sous ses ordres avait, de de son consentement, retire de la Banque des sommes considerables et' les avait employees en escomptes d'effets de commerce ou speculations sur les effets publics et actions de la Gompagnie des lncles. Sans aucun doute il n'en etait resulte aucune perte pour le Tresor, auquel ces fonds avaient 6te integralement restitu6s : mais ces spe- culations pouvaient etre mauvaises, le prejudice etre alors considerable, et, d'ailleurs, il y avait eu un emploi de fonds illicite, et des lors une viola- tion manifeste de la loi. Mais la n'etait pas le seul grief, et la commission decouvrit encore qu'une somme de 20,000 livres sterling, retiree de la caisse de la marine, avait ete completement de- tournee de sa destination sans qu'il fut possible d'en justifier l'emploi. Interroge par la commission d'enquete, lord Melville avait repondu sur le premier point qu'ab- sorb6 par des travaux administratifs et politiques 276 WILLIAM PITT. autrement importants que ceux du service de la caisse de la marine, et ay ant d'ailleurs toute con- fiance dans son suborclonne, il s etait borne a signer les mandats sur la Banque lorsqu'ils lui etaient demandes pour des besoins de service, et n'avait jamais eu connaissance des operatious auxquelles ils avaient servi. Quant a l'emploi de la somme de 20,000 livres sterling, il se refusa a donner toute explication, et declara qu'il lui etait impos- sible de divulguer des actes de gouvernement de la nature la plus confidentielle qu'il n'appar- tenait a la legislature ni d'approuver ni d'im- prouver. Le caractere , les habitudes , les antecedents de lord Melville ne permettaient guere de supposer qu'il eut tirele moindre profit de ces emplois tern- poraires et detournements de fonds. Relativement au premier grief, son tort etait de n' avoir pas exerce une surveillance suffisante sur la gestion du payeur general, et il n' etait coupable que d'in- curie et de negligence. Nul doute aussi que la somme de 20,000 livres sterling n'eut ete consa- cree a quelque depense secrete dont la necessite WILLIAM PITT. '277 se pr6sente parfois dans les temps ordinaires et n'6tait que trop justifiee par les circonstances exceptionnelles au milieu desquelles on se trou- vait alors. Le gouvernement n'avait pas voulu demander de credit aux chambres pour n'avoir a entrer dans aucune explication : une somme s'etait trouvee disponible dans la caisse de la ma- rine, il 1'avait prise, et c'etait la une irregularity dont il eut ete absous par un vote de confiance, si le parlement eut 6te a cette epoque saisi de la question. Mais les temps 6taient bien changes et 1' occasion de faire subir un 6chec au cabinet en fletrissant l'honneur d'un homme recommandable par ses grands services etait trop favorable pour que l'opposition la laissat echapper. En conse- quence un de ses membres, M. Whitebread, s'at- tachant d'abord seulement au grief de place- ments illicites, proposa au parlement un vote de censure base sur ce que lord Melville ayant con- senti et participe a un emploi etranger a un service public des fonds destines a celui de la marine, s'etait rendu coupable de violation de la loi et avait manque a tous ses devoirs. Has 16 '278 WILLIAM PITT. been guilty of a gross violation of the law and a high break of duty. Pitt defendit chaleureusement son collegue. II reprocha a Whitebread de n'avoir pas expose" les faits avec la moderation dont devrait toujours etre empreinte une accusation criminelle, mais d' avoir cherche au contraire a exciter les passions de son auditoire et a egarer 1' opinion publique. Puis il fit observer que les faits denonces resultaient seulement du rapport d'une commission adminis- trative, et qu'un pareil document ne pouvait suf- fire pour etablir la culpabilite des personnes qui y etaient incriminees; que ni le consentement de lord Melville aux placements illicites, ni sa par- ticipation aux benefices n' etaient prouves; qu'il fallait les constater avant d'infliger le blame, et, en consequence, il demanda que Fexamen des faits fut renvoye, au prealable, a un comite d'en- quete pri& dans le sein de la chambre des com- munes , devant lequel lord Melville serait appele a s'expliquer. Gette proposition etait aussi sensee qu'equi- table; mais, au dedans comme au dehors de la WILLIAM PITT. 279 chambre, les esprits 6taient montes et prevenus. Parmi les hommes independants de tout lien de parti, les uns croyaient la culpability suffisam- ment demontree dans le rapport de la commis- sion administrative ; d'autres trouvaient qu'il y avait eu tout au moins une incurie blamable ; 1' opposition enfm voulait a tout prix une defaite pour le cabinet, et la question prealable proposee par Pitt ay ant 6te mise aux voix, il y eut de part et d' autre 6galite de voix. G'etait au president a departager ses collegues, et, apres une longue hesitation pleine d'anxiet6 pour lui et tous les membres presents , il donna par son vote la ma- jority a la motion de censure. Pitt, brise par la douleur, ne put cacher son emotion. Parmi ses adversaires, plusieurs ne craignirent pas d'y insulter, et, pour le soustraire a leurs sarcasmes, quelques-uns de ses amis durent r en tourer et Fentrainer hors de la chambre. Le lendemain, lord Melville resigna ses fonctions de premier lord de rAmiraute. Mais ni le blame qui venait de lui etre inflige ni sa demission ne suffirent pour satisfaire Topposition : elle voulait un triom- 280 WILLIAM PITT. phe plus complet, et, quelques jours apres, Whitebread saisit le parlement d'un projet d'adresse au roi pour le prier de rayer lord Melville de la liste du conseil priv6. Pitt eut voulu eviter a son ami deja si rigoureusement frapp6 cette seconde humiliation ; mais une nou- velle lutte eut 6te aussi acrimonieuse que la pre- eedente, et probablement suivie d'un autre echec pour le cabinet. Lord Melville engagea lui-meme Pitt a ceder a l'orage, et la radiation demandee eut lieu. En annoncant cette resolution a la chambre, Pitt ne dissimula pas combien lui avait 6t6 penible V obligation de rendre encore plus severe la disgrace du noble lord, et en pro- noncant ces mots, ses levres tremblaient, sa voix etait brisee, ses yeux remplis de larmes, et il dut s'arreter quelques instants pour etouffer ses sanglots. Loin de respecter une douleur aussi legitime, Fox, qui prit-la parole apres lui, fut ironique, amer, injurieux meme : il affirma que le pays etait inquiet, sans confiance dans des ministres qui avaient voulu soustraire un coupable a sa WILLIAM PITT. 281 juste punition, et s'attira une observation des plus desagreables. On lui rappela que son pere, lord Holland, payeur general de 1'armee, avait fait aussi de grands benefices en speculant avec les fonds dont il etait depositaire, et que de la 6taient venues les sommes considerables avec lesquelles lui-meme avait pu satisfaire sa passion pour le jeu. Fox dut se borner a repondre que les profits faits par son pere, bien qu'irreguliers , n'etaient pas alors prohib6s par la loi, et, la communication faite par le premier ministre ren- dant la motion de Whitebread sans objet, elle fut retiree. Restait le grief relatif au dStournement des 20,000 livres sterling. Un comite special de la chambre des communes avait ete charge de F exa- miner. Mais les privileges de la chambre des lords s'opposant a ce qu'il interrogeat lord Melville, ce dernier ne put fournir aucune explication, et le rapport fut defavorable. Lord Melville voulut se defendre lui-meme devant la chambre des com- munes, et il comparut comme inculpe dans cette enceinte si longtemps le theatre de son influence 16. 281 WILLIAM PITT. et de ses succes. Triste exemple des caprices de la fortune, auquel il fit lui-meme une touch ante allusion en rappelant qu'il croyait avoir eu le droit d'esperer une tout autre fin a une carriere aussi longue, aussi laborieuse et tout entiere con- sacree au service du pays. Sa defense fut fiere, peut-etre meme provoquante. II affirma de la facon la plus solennelle avoir employe" lui-meme les 20,000 livres sterling a un service d'interet public tout a fait confidentiel, dont il ne pourrait divulguer le secret sans violer les lois de l'hon- neur ni manquer a ses devoirs d'homme public, et il conclut en disant que peut-etre son langage avait 6te" plus hardi qu'il ne convenait dans sa penible situation, mais qu'il avait cru indigne de lui de chercher a detourner par une soumission humiliante les rigueurs qui pouvaient le menacer. Pitt voulut encore le defendre; mais les preven- tions 6taient extremes, l'acharnement n'avait fait que redoubler, et, pour 6viter une poursuite crimi- nelle devant le jury par 1' attorney general, il fal- lut consentir a une mise en accusation devant la chambre des lords qui, l'ann6e suivante, a WILLIAM PITT. 283 la presque unanimite, le declara non coupable. L' opposition 6tait triomphante, et, dans l'exal- tation du succes, elle crut pouvoir atteindre aussi le premier ministre. En 1796, sur la recomman- dation de Pitt, la caisse de la marine avait avance a unemaison honorable, celle deBoyd, ZiO,000 liv. sterl. pour lui venir en aide dans une operation qui interessait le gouvernement. Gette somme avait ete bientot integralement remboursee avec les interets. Whitebread denonca encore l'irregu- larite de ce pret, et demanda un vote de blame contre Pitt. II ne fut pas difficile a ce dernier de se justifier. D'ailleurs, malgre les echecs des der- niers jours et quelque r^duite que fut son in- fluence, il etait trop haut place dans 1' opinion publique, son nom 6tait entoure de trop de sym- pathie, de reconnaissance et de consideration, pour que tout membre se respectant un peu lui- meme consentit a adherer a une pareille proposi- tion. Bien au contraire, le parlement crut devoir lui donner un temoignage de son estime , et il declara que si Tavance faite a la maison Boyd n'etait pas strictement conforme a la loi, nean- 284 WILLIAM PITT. moins, a raison des circonstances qui l'avaient motivee, elle avait euun caractere d' utility incon- testable et les resultats les plus avantageux. Gependant, au milieu de toutes ses preoccu- pations parlementaires, Pitt n'avait cesse de pour- suivre la realisation de son projet de coalition europeenne. Dans le courant d'avril, l'Angle- terre et la Russie signerent a Saint -Petersbourg un traite d'alliance par lequel les deux gou- vernements convinrent de faire tous leurs efforts pour former une ligue des divers Etats de l'Eu- rope et reunir sur le continent une force de 500,000 hommes. L'objet de cette ligue devait etre d'expulser les Francais du Hanovre, de l'Al- lemagne, de l'ltalie, de rendre leur independance a la Suisse et a la Hollande, d' assurer celle du royaume de Naples, de retablir le roi de Sar- daigne en Piemont avec un agrandissement de territoire, et de s' entendre ensuite sur toutes les mesures propres a prevenir le retour de nouvelles usurpations. L'Angleterre prit 1' engagement de fournir des troupes de terre et de mer et des sub- sides en argent, mais 1'execution du traite" etait WILLIAM PITT. 285 ajourn6e jusqu'a ce que d'autres puissances y eussent adhere. Nous devons rappeler ici a l'hon- neur de Pitt qu'ayant en vue seulement la secu- rite et la grandeur de son pays et non pas l'hu- miliation d'une nation rivale, il stipula dans le cours des negotiations que, si les efforts des puis- sances 6taient couronn6s de succes, aucune forme de gouvernement ne serait imposed a la France ; elle resterait libre de choisir celui qui lui agree- rait le mieux, et, dans toutes les proclamations qui pourraient etre faites, on garantirait aux offi- ciers de l'arm6e francaise la conservation de leur grade et celle des biens nationaux vendus a leurs acqu6reurs. II lui paraissait meme si essentiel de rassurer tous les interets sur ce dernier point qu'au cas d'une restauration de la maison de Bourbon il se d6clara pret, si cela 6tait n6ces- saire, a faire indemniser les 6migr6s de la spolia- tion dont ils avaient 6t6 Tobjet, aux depens de l'Angleterre. Pitt ne pouvait communiquer au parlement la teneur complete du traits pass6 avec la Russie, mais il ne lui dissimula pas les esperances dont il 286 WILLIAM PITT. 6tait pour lui l'objet et demanda que, sur le sup- plement de 5 millions de livres sterling de credits accord6 lors du vote du budget, 3,500,000 fussent mis a la disposition du roi pour etre employees, s'il y avait lieu, en subsides aux puissances al- lies. Fox insista pour obtenir des informations qui ne pouvaient lui etre donn£es, et il d£clara que, puisque le gouvernement croyait de son de- voir de ne pas fournir d'explications, le sien 6tait de refuser 1' argent demande. La motion de Pitt fut cependant adoptee par 261 voix contre 120. C'6tait la un vote de confiance important et, quel- ques jours apres, la session de 1805 6tait close. Tous les efforts faits par la Russie et l'Angle- terre aupres de la Prusse pour la determiner a sortir de sa neutralite 6chouerent. Mais l'empe- reur Napoleon s'6tant fait sacrer roi d'ltalie et ayant annexe a la France la republique de Genes, l'empereur d'Autriche redouta le meme sort pour la V6n6tie. II se decida a entrer dans la coalition moyennant la promesse d'un subside de 3 mil- lions de livres sterling, et son exemple fut bien- tot suivi par la Suede. D'autre part les pr£para- WILLIAM PITT. 287 tifs ne discontinuaient pas a Boulogne ; pour mieux assurer la descente et la proteger contre les atta- ques de la flotte anglaise, Napoleon voulut avoir le concours de la sienne : ordre fut done donne a Famiral Villeneuve de se rendre avec son es- cadre de la Mediterran6e dans la Manche, apres avoir rallie sur son passage la flotte espagnole et debloque a Brest celle de Famiral Ganteaume. Vil- leneuve, poursuivi par Nelson et ayant devant lui les arairaux Gornwallis et Calder, craignit de suc- comber s'il etait a la fois attaque par leurs forces reunies, et, pour sauver sa flotte, au lieu de faire voile vers la Manche retrograda vers Gadix. Tout etait pret a Boulogne pour 1' execution de ce plan combine depuis deux annees avec tant de perseverance et de resolution : Napoleon 6tait sur les lieux et attendait avec impatience l'apparition de sa flotte pour donner le signal du depart. Mais la retraite de Villeneuve fit tout manquer, et, ne pou- vant attaquer l'Angleterre, l'Empereur se decida de suite a surprendre et a frapper FAutriche. En con- sequence, la majeure partie des troupes campees a Boulogne fut dirigee vers le Bhin, et six se- '288 WILLIAM PITT. maines apres, le 19 octobre, la capitulation d'Ulm 6tait signee. G'etait la, au debut de la campagne, un grand revers pour les coalises. Mais presque au meme jour*, le 21 octobre, la marine anglaise remportait a Trafalgar une de ses plus grandes victoires, et la nouvelle de ces deux graves evti- nements arriva presque simultanement a Londres. La joie du triomphe national l'emporta de beau- coup sur les regrets que devait causer la defaite de l'Autriche. D'ailleurs, le succes avait 6te com- plet. Nelson avait attaque avec trente et un batiments la flotte de Villeneuve composee de quarante, et vingt de ces derniers avaient ete d6truits. L'honneur de ce brillant r6sultat reve- nait en partie a Pitt qui, plein de confiance en Nelson, avait mis a sa disposition toutes les res- sources navales demandees par ce dernier. Aussi sa popularite redevint ce quelle avait ete dans ses plus beaux jours. Invite a un banquet donne par le lord-maire, il fut accueilli sur son passage par les acclamations de la foule, sa voiture fut detelee, trainee en triomphe, et le lord-maire lui ayant porte un toast en l'appelant le sauveur de WILLIAM PITT. 289 l'Angleterre et de l'Europe, sa reponse fut aussi simple qu'eloquente : « Je vous remercie, se borna-t-il a dire, de l'honneur que vous venez de me faire; mais ce n'est pas a un homme seul que l'Europe devra son salut : l'Angleterre s'est sauvee elle-meme par ses propres efforts et elle sauvera l'Europe, j'en ai la confiance, par son exemple. » L'effet produit par ces nobles et belles paroles fut immense : elles etaient les dernieres que Pitt devait prononcer en public. Depuis dix-huit mois, au milieu d'une des crises les plus graves qu'ait eu a traverser l'Angleterre, Pitt avait du, presque seul, faire face a toutes les necessites du gouvernement et lutter dans la chambre des communes contre une opposition puissante. II avait vu avec une profonde amer- tume plusieurs de ses anciens amis se separer de lui , et avec une vive douleur Fun de ceux qui lui etaient restes fideles fletri par une accusation cri- minelle. II souffrait aussi du declin de son in- fluence , et le mauvais etat de ses affaires privees lui causait de graves soucis. Un travail excessif, les emotions politiques, le chagrin, les preoccu- 17 290 WILLIAM PITT. pations domestiques avaient fini par alterer pro- fondement sa sante. On lui conseilla d'aller, avant l'ouverture du parlement, prendre quelques se- maines de repos a Bath. II y eut un acces de goutte vague , et , sur ces entrefaites , arriva la nouvelle de la bataille d'Austerlitz et de la paix de Pres- bourg. L'impression qu'il en ressentit fut telle que la goutte se porta des extremites a 1'estomac. II lui fut des lors impossible de prendre aucune es- pece d' aliments, et sa faiblesse devint extreme. Ramene dans ce triste 6tat a sa campagne de Put- ney, pres Londres, il y recut, en arrivant, la vi- site des lords Gastlereagh et Hawkesbury, ses collegues, desireux de causer avec lui, a la veille de la session, de l'etat des affaires publiques. Get entretien l'epuisa, et il eut une defaillance. Tout annonca des lors une fin prochaine; quelques amis seulement purent etre admis a lui serrer la main, et il expira dans la nuit du 22 Janvier 1806. Des que sa mort fut connue , un membre de la chambre des communes, Henry Lascelles, pro- posa que les funerailles eussent lieu aux frais de 1'Etat, et qu'il fut eleve dans l'eglise de West- WILLIAM PITT. 291 minster un monument commemoratif avec une inscription constatant le sentiment unanime de regret cause par la grande et irreparable perte que le pays venait de faire. Fox declara qu'apres. avoir toujours combattu la politique de Pitt comme pernicieuse et funeste a l'Angleterre, il ne pouvait adherer a ce qu'un monument de re- connaissance publique fiit eleve a sa memoire ; mais il rendit un solennel hommage a ses grandes qualites : « Je conserverai plus que qui que ce soit, dit-il, un souvenir precieux des vertus per- sonnelles de M. Pitt. Nul ne lui a 6te superieur en probite, en desinteressement, en moderation, et sa situation en mourant en est un eclatant temoignage. Quand je vois un ministre, apres vingt annees passees au milieu de tous les moyens d'acquerir la fortune, disposant de tous les emplois et de toutes les ressources du gou- vernement, mourir sans rien posseder, je dois en conclure qu'il etait pur et integre. » Mais bien des inimities s'apaiserent devant cette grande tombe, et une partie de Fopposition se rallia a la demande d'Henry Lascelles. La cbambre des 17. 292 WILLIAM PITT. communes l'adopta a line imposante majorite, et quelques jours apres, par un vote unanime, elle assura le moyen de payer ses dettes. Du reste, a mesure que s'eloignent ces temps de lutte , les prejuges disparaissent et la lumiere se fait. Ainsi que nous l'avons vu, Pitt ne fut pas l'ennemi haineux de la France, mais il fut l'adver- saire ardent de ses principes revolutionnaires, de la propagande qu'elle voulait en faire dans toute V Europe et de son esprit de conquete. D'un autre cote, si, dans cette epoque de trouble et d' agita- tion, il dut parfois recourir a l'emploi de mesures de rigueur pour maintenir l'ordre public et faire respecter le principe d'autorite, il ne faut pas ou- blier que, loin de chercher a restreindre les liber- tes de son pays, il voulut rendre a une partie de ses concitoyens celles qui depuis longtemps leur etaient injustement refusees; que, jusqu'au mo- ment ou eclaterent les hostilites , il fut un ardent partisan de la reforme parlementaire , et que ses plus belles harangues furent en faveur de 1' eman- cipation des esclaves. Par la puissance du talent, T eclat de 1' eloquence , par son respect des lois et WILLIAM PITT. 293 un d6sinteressement auquel tous les partis ont a l'envi rendu hommage, Pitt 6tait digne de gou- verner un pays libre. L'Angleterre n'a pas eu de plus grand ministre, d'homme d'Etat plus liberal et dont elle doive davantage honorer la memoire. Nul n'a plus fait pour sa prosperity et sa gran- deur, et c'est lui qui l'a mise dans la situation qu'elle occupe depuis soixante-dix ans en Eu- rope. Qu'il nous soit done permis, en terminant cette etude, d'invoquer le temoignage d'un an- cien ministre whig par principe etpar tradition, qui, causant un jour avec nous de cette epoque au milieu de laquelle s'etait ecoulee sa jeunesse, nous dit : « Plus l'bistoire en sera connue , plus le nom de Pitt grandira au-dessus de celui de tous les homines d'Etat de son temps. » FIN. TABLE PREMIERE PARTIE. LES FINANCES DE LA PAIX. Pages. Introduction 1 I. — Situation de l'Angeterre a la fin de 1783. — Em- prunt. — Bill de commutation. — Reformes administrative^ (1784-1785) 7 II. — Amortissement, traits de commerce avec la France, bill de consolidation (1786-1787) 34 III. — Armements contre la Hollande et l'Espagne. — Impot sur le tabac. — Progres de la richesse publique (1788-1791) 04 IV. — Session de 1792. — Discours du roi. — Expose par Pitt de la situation. — Rupture avec la France . . . • 89 DEUXIEME PARTIE. LES FINANCES DE LA GUERRE. Pages. I. — Armements de l'Angleterre contre la France. — Crise industrielle et commerciale. — Emprunts . pour le compte de l'Autriche 121 II. — Evenements de 1795. — Disette. — Consolidation de la dette a terme. — Subsides a l'Autriche. — Emprunt national. — Craintes d'invasion. — Eanque d'Angleterre et suspension des paye- ments en especes en 1796 146 III. — Conferences de Lille. — Taxe de convoi. — Rachat du land-tax. — Impot sur le revenu. — Eve- nements et session de 1797-1798 183 IV. — Subsides a. la Russie. — Rejet des ouvertures de paix du premier Consul. — Discours de Pitt Si ce sujet. — Situation de l'Angleterre en 1800. — Question catholique. — Retraite de Pitt 210 V. — Cabinet Addington. — Traite" de paix d'Amiens. — Difficultes auxquelles donne lieu son execu- tion. — Rupture avec la France. — Mesures de defense, etat de la marine, chute d'Adding- ton (1801-1804) 240 VI. — Second ministere de Pitt. — Constitution de l'ar- mee de reserve. — Rupture avec l'Espagne. — Budget de 180o. — Proces Melville. — Alliance avec la Russie et l'Autriche. — Batailles de Trafalgar et d'Austerlitz. — Mort de Pitt (1804-1806) 263 PARIS. -J. CLAYE, IMPR1MEUB, 7, RUE S A IN T-B E N OIT. LIBRARY OF CONGRESS 9 <&;•& hi 020 670 957 1 * t 5-> jPhj* r 1 ',. ,-'.:H*