*'TVi* ^ • ^rr» a ^ causes qui rctarderent l'imprcssion de la Vie de madame Perier : Penseetj fragmentt el letlrts de Blaise Pascal j par M. Prosper Faugerc , Parii 1844, \a-H r , t. I. Iulroductiou, U1II at Mli«. les Editions des pensees. 5 » daie Voltaire a Formont, d'ajouter aux Lettres phifosophi- » ques quelques petites reflexions detachees sur les Penstes » de Pascal ? II y a longtemps que j'ai envie de combattre » ce geant. II n'y a guerrier si bien arme qu'on ne puisse » percer au defaut de la cuirasse; et je vous avoue que si, » malgre ma faiblesse, je pouvais porter quelques coups a ce » vainqueur de tant d'esprits et secouer le joug dont il les » a affubles, j'oserais presque dire avec Lucrece : Quare superstition pedibus subjecta \icissim Obteritur, nos exaequat victoria coelo. » Au reste, je nFy prendrai avec precaution, et je ne cri- » tiquerai que les endroits qui ne seront point tellement lies » avec notre sainte religion, qu'on ne puisse dechirer la peau » de Pascal sans faire saigner le christianisme. » — « Ce fut la, nous laissons encore parlerM. Sainte-Beuve, le premier signal de la reaction, car on ne peut honorer d'aucun noiy serieux quelques chicanes de Farcheveque d'Embrun, M. dfe Tencin (1733), et la folle accusation du pere Hardouin, qui, dans son livre des Athees devoiles (Athei detecti), y rangeait Pascal en excellente compagnie. » Les choses resterent dans le meme etat jusqu'en 1776; a cette date, Condorcet entreprit de reunir dans une edition generale et nouvelle ce qu'avaient donne tour a tour au public les editeurs de 1670, ceux de 1678,FevequedeMont- pellier et le pere Desmolets, en ajoutant a ces lambeaux e'pars quelques fragments nouveaux, entre autres le traite intitule : Be Vesprit geometrique, et en accompagnant le tout d J un Eloge. Malgre Felevation de son esprit, Condorcet oublia, en reimprimant Pascal, une chose bien commune et bien simple, savoir : que la premiere obligation d'un editeur, c'est de respecter le texte de Fecrivain qu'il public Pour se plier au gout de son temps , et peut-etre aussi dans la con- viction qu'il servait la gloire de Pascal, il supprima une foul de passages, et des plus beaux, de ceux surtout oil Fauteur des Pemees se montre le plus eloquemment, le plus profou- * i* teste parte relligid. 6 LES EDITIONS DES PENSEES. dement Chretien. Voltaire applaudit a cette profanation, et, adoptant a son tour pour le caresser et le dechirer en meme temps ce Pascal mutile, il en donna, en 1778, une edition nouvelle accompagnee d'un comments ire qui n'est le plus souvent qu'une critique amere et injuste *. Ainsi, dans l'espace de cent huit ans, c'est-a-dire de 1G70 a 1778, Pascal eut successivement pour editeurs Port-Royal et sa famille, Veveque de Montpellier et le pere Desmoids, Condorcet et Voltaire ; et entre ces deux dates extremes, il fut egalement et impitoyablement defigure, corrige, tronque, au nom de la piete janseniste et du scepticisme philoscn phique 2 . II. L'annee 1779 vit paraitre une nouvelle edition de Pascal, qui comprenait tout a la fois les oeuvres scientifiques et lit- icraires, et qu'on peut regarder comme une tentative de reaction, mais de reaction timide encore, contre l'esprit qui avait inspire Voltaire et Condorcet. Cette edition, faite par l'abbe Bossut, reproduisait, avec les morceaux publies ante- rieurement, le texte de Tedition de 1678, et contenait, en outre, des pcnsees nouvelles et des fragments jusqu'alors inconnus. C'etait, sans aucun doute, la plus complete et la plus estimable de toutes celles qui avaient paru jusque-la; aussi fit-elle autorite et scrvit-elle de specimen a toutes les reimpressions qui ont cite faites depuis : en 1783, parle pere Andre; en 1803, par M. Renouard; en 1819, par M. Le- fevre; et ccpcndant, pas plus que les editions de 1669 et de 1078, l'cdition de Bossut ne donnait le veritable texte, le texte autnentique de Pascal. i Voltaire oom] rit que Pascal elait le grand rival qui gGnait la philosophic et il I'attaqua de frool. Poorquoi alla-t-il s'altaquer a Pascal plutot qu'ii Bossuet ou a tout autre? Voila, selon moi, l'honneur singulicr de Pascal ensees nouvelles; et cependant personne, avant M. Cousin, n'avait songe a etudier le texte original, a verifier les editions d'apres ce texte. Honneur done a M. Cousin ! en se devouant le premier a cette verification, il nous a rendu le veritable Pascal. III. Apres avoir indique les divers recueils auxquels il est in- dispensable de recourir, M. Cousin s'est attache a demon trer la necessite d'une edition nouvelle. II examine d'abord la publication de 1670, faite par les amis de Pascal, soit Arnaud, soit Nicole, soit 1'abbe Perier, soit le due de Roannez. « Port-Royal, dit-il, a traite Pascal comme il avait fait Saint-Cyran; et, apres en avoir adouci souvent les pense'es pour les rendre plus edifiantes, il en a sans aucun scrupule corrige le style pom- le rendre plus exact, plus regulier, plus naturel, selon le modele de style naturel et tranquille qu'il s'etait forme. Port-Royal avait beaucoup d'esprit et souvent de la grandeur; il a done laisse passer et Tesprit et la gran- deur de Pascal; mais il a fait sans pitie main basse sur tout ce qui trahissait le plus profond de sa pensee et de son ame; et comme cette ame eclate a toutes les lignes que tracait la main mourante de Pascal. Port-Royal etait condamne a tout corriger et a tout alterer. Aussi je porte le defi que l'analyse puisse inventer un genre d'alteration du style d'un grand ecrivain que n'ait pas subi celui de Pascal entre les mains de Port-Royal. 11 n'y avait pas ici de censure jesuitique a craindre; il n'y a pas eu d'autre censure que celle de la mediocrite sur le genie. J2 fais ici allusion a Tabbe Peiier et au due de Roannez; car il y a, en verite, des alterations telle?., que je n'ai pas le courage de les imputer a Arnaud et a Ni- cole... alterations de mots, alterations de tours, alterations de phrases, suppressions, substitutions, additions, composi- *0 LES EDITIONS DES PENSEES. tions arbitrages et absurdes tantot d'un paragraphe, tant6t d'un chapitre entier, a l'aide de phrases et de paragraphes etrangers les uns aux autres, et, qui pis est, decompositions plus arbitrages encore et vraiment inconcevables de chapi- tres qui, dans le manuscrit de Pascal, se presentaient par- faitement lies dans toutes leurs parties et profondement travailles. » * Enfin, M. Cousin resume par ces mots son opinion sur Tedition princeps : « 1° Elle omet une grande partie des pense'es contenues dans le manuscrit autographe, et elle omet precisement les plus originates; 2° elle altere quel- quefois dans leur fond, elle enerve presque toujours dans leur forme les 'pensees qu'elle consent. » L'edition de Port-Royal une fois ecartee comme essen- tiellement defectueuse, M. Cousin passe a Texamen de celle de Bossut, et il la trouve avec raison tout aussi fautive* « D'abord, dit-il, elle a ete faite, non sur le manuscrit au- tographe que Bossut ne parait pas avoir vu, mais sur les copies de l'abbe Guerrier; c'est la son moindre defaut, car ces copies sont en general fideles. Mais, chose etrange, Bossut qui en comparant Tedition de i 6G9 avec les deux copies ma- nuscrites pouvait en reconnaitre du premier coup doeil les differences et rctablir les lecons veritables, a maintenu toutes les alterations. II y a plus : toutes les pensees de la premiere edition qui ne sont ni dans le manuscrit autograpbe ni dans les deux copies, Bossut les conserve, sans se douter ou du moins sans avertir qu'elles n'y sont pas, et sans dire par quel motif il les conserve. » A ces reproches deja si graves, M. Cousin ajoute, et avec raison, un reproche nouveau, e'est que Bossut a detruit le dessein meme de Pascal, en divisant les Pensees en deux parties : Tunc contenant les pensees qui se rapportent a la ■philosophic, a la morale et aux belles-lettres \ l'autre, les ei immtdiatement relatives a la religion. « Cette distinc- tion, dit M. Cousin, ne peut convenir a des pensees qui avaicnt Urates un bul common, L'apologie de La religion chretiennr; elle donne a loeuvre de Pascal une sorte de physionomie lilteruire, indigne du serieux objet que se pro- les Editions des pensees. h posait ce grand esprit... Tout dans Pascal tend a la religion; il n'a pas ecrit des pensees morales et litteraires, comme la Bruyere et Vauvenargues, et toute sa philosophic n'est qu'une demonstration de la vanite de la philosophic et de la necessite de la religion. » Voila deja bien des critiques, et cependant ce n'est point tout. Non content d'avoir defigure par des divisions malen- contreuses et arbitraires ce qu'on pourrait appeler Tidee generatrice des immortels fragments de Pascal, Bossut y introduit encore des conversations recueillies par des tiers; et de la sorte, au lieu de trouver dans son edition les Pen- sees telles qu'elles sont rcellement, e'est-a-dire les fragments d'une apologie du christianisme, on y trouve plutot des me- langes recueillis a peu pres au hasard dans les oeuvres completes; quelquefois meme des morceaux recueillis de memoire par des tiers et donnes comme etant ecrits par Pascal lui-meme. Nous nlnsisterons pas plus longtemps sur ces details, et tout en renvoyant nos lecteurs, pour Fetude comparee des anciennes editions et du manuscrit autographe, au beau travail de M. Cousin, nous donnerons ici quelques phrases prises au hasard qui suffiront a montrer, nous le pensons, ce qu'est devenu Pascal dans le texte de Port-Royal, de Bossut et de tous les edlteurs qui, jusqu'en 1842, se sont copies les uns les autres *. Pascal: « Gar enfin, qu'est-ce Port-Royal: «Carenfin,qu'est- que 1'homme dans la nature ? Un ce que l'homme... un milieu en- n^ant a regard de I'infini, un tout tre rien et tout. // est infiniment al'^garddun&mt, un milieu en- Soigne" des deux extremes; et tre rien et tout. Infiniment 6"loi- son etre n'est pas moins distant gne" de comprendre les extremes, du n£ant d'ou il est tire", que de la fin des choses et leur principe I'infini ou il est englouti. » sont pour lui invinciblement ca- ches dans un secret impenetra- ble. II est egalement incapable de concevoir le n£ant d'ou il est tire" et I'infini ou il est englouti. » * Nous empruntons ces comparisons a M. Cousin. Ce grand ecrivain Ici ay ant faites le premier, il est juste de lui en laisser tout le merite. 12 LES EDITIONS DES PENSEES. Pascal : « Qu'il se . regarde comme egare" dans ce canton d6- tourne' de la nature, et que de ce petit cachot ou il se trouve loge" (j'entends l'univers) il apprenne a estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-meme, son juste prix. » Pascal: « Qui blamera done les Chretiens de ne pouvoir rendre raison de leur cr^ance , eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Ils de"- clarent, en l'exposant au monde, que e'est une sottise, stullitiam, et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas ! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole : e'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui ; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les 6te du blame de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la recoi- vent. » Pascal : « Nous connaissons la vente" non-seulement par la rai- son, mais encore par le cocur. » Pascal: «Oui, mais il faut pa- rier, cela n'est pas volontaire; tous dtesembarque' ; lcquel pren- drcz-vous don*? voyuns. puis- Port-Royal: « Qu'il se regarde comme egare* dans ce canton d6- tourne" de la nature, et que de ce que lui paraitra ce petit cachot ouil se trouve loge", e'est-d-dire ce monde visible, il apprenne, etc. » Le pere Desmolets : « Qui bla- mera done les Chretiens de ne pouvoir rendre raison de leur crdance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent ren- dre raison ? Ils d^clarent, au con- traire, en l'exposant aux Gentils, que e'est une folie, stullitiam. Et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas ! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole; e'est en manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle qu'elle est, et que cela les ote du blame de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui, sur I'exposition qu'ils en font, rcfu- sent de la croire. Reconnaissez done la v6riU de la religion dans I'obscurite" de la religion, dans le pcu de lumiercs' que nous en avons, dans I' indifference que nous avons de la connaitrc. » Port- Roy al : « Nous connai* sons la verite" non-seulement par raisonnement , mais aussi par sentiment et par une intelligence vive et lumineusc. » Port-Royal : Oui ; mais il faut parier; cela n'est point volon- taire: vous Ctes cmbarque*, et ne parier point que Uieu est, e'est les Editions des pensees. 13 qu'il faut choisir, voyons ce qui vous inte>esse le moins. Vous avez deux choses a perdre : le vrai st le bien, et deux choses a degager : votre raison et votre volonte", votre connaissance et votre beatitude ; et votre nature a deux choses a fuir, Ferreur et la misere. Votre raison n'est pas plus blessed, puisqu't! faut ne"- cessairement choisir, en choisis- sant l'un que 1'autre. Voila un poi nt vide" ; mais votre beatitude ? Pesons le gain et la perte : en prenant croix que Dieu est, esti- mons ces deux cas ; si vous ga- gnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Ga- gez done qu'il est, sans heritor. Cela est admirable. Oui, il faut gager, mais je gage peut-etre trop. parier qu'il n'est pas. Lequel prendrez-vous clone ? Pesons le gain et la perte en prenant le parti de croire que Dieu est. Si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Pariez done qu'il est sans hesiter. Oui, il faut gager, mais je gage peut-etre trop. Les changements de ce genre qui forment souvent de veri- tables contre-sens se rencontrent a chaquc ligne. II en est de meme des retranchements et des additions, et il faut certes que le genie de Pascal ait ete bien grand, pour que de sem- blables profanations en aient laisse transpirer quelquc cbose. Mais ce n'est point tout encore. Port-Royal, Bossut etlcs autres editeurs ont, en bien des endroits, interverti l'ordrc meme de la pensee de Pascal, soit en rapprochant des morceaux qui devaient evidemment rester separes, soit en en scparant d'autres qui se trouvaient comme attaches par la force meme de Tidec; de plus, ils ont neglige de recueillir un grand nombrc de fragments tout aussi importants que ceux qu'ils avaient edites. II resulte done de tout cela, qu'on peut, a bon droit, regarded romme tres-fautives les editions des Pensees anterieures au rapport de M. Cousin, rapport dont Tobjet est avant tout de demontrer la necessite d'une edition nouvelle. La publication de M. Cousin fit dans le public une sensa- tion tres-vive,et sou.evaunepolemiqueinteressante. M. Sainte- 2 14 LES EDITIONS DES PENSEES. Beuve, tout en reconnaissant combien les ancicraes edition? etaient defectueuses, s'attacha cependant a atte iuer la gra - vite des reproches qu'on adressait aux editeurs de Port-Royal, « II y aurait beau coup a dire en leur faveur, ecrivait-il en 1844 *, a leur decharge et atitre de circonstances tres-atte- nuantes. On le salt, la paix de I'tiglise venait d'etre conclue ; les Arnaud, les Nicole, les Sacy sortaient a peine de la re- traite ou de la prison. On leur propose de s'occuper des papiers de Pascal mcrt depuis quelques annees, et d'en tirer quelque chose d'utile, d'edifiant, de digne d'etre offert a TEglise d'alors et aux fideles, un volume enfin qui puisse etre montre aux amis et aux ennemis. On forme un comite d'amis; le due de Roannez est le plus zele pour la me- moire de son cher Pascal, mais il ne prend rien sur lui, quoi qu'on ait pu dire, et e'est M. Arnaud, e'est M. Nicole et autres experts qui tiennent le de. La famille Perier etait biett ffavis de retrancher, de modifier le moins possible : llnte'ret de famille se trouvait d'accord en ce cas avec Tinteret litte* raire (ce qm est si rare); mais il y avait d'autre part des considerations puissantes, invincibles, les approbateurs a sa- tisfaire, l'archeveque a menager, la paix de Vfiglise a res- pecter loyalement. C'est merveille, en verite, qu'entre tous ces ecueils, en presence de cette masse de papiers tres-peu iisibles, de ces pensecs souvent incoherentes, souvent sca- breuses , on ait, du premier coup, tire un petit volume si Bet, si lumineux, si complet d'apparence, et qui, meme avec une ou deux beVues ( pour ne rien eeler ), triompha si in- contestablement aupres de tous. On a beau direapres coup sur l'exactitude litteraire, il y avait ici une question de fide- lite bien autrement grave et qui dominait tout, et cette lide- lite l'ut respectee des premiers editeurs. » Aujourd'hui que les motifs qui avaient guide les premiere editeurs n 'existent plus ; la question d'exaelilude subsiste tout enti6re, et i) reste acquis a rhistoire litteraire: 1° que les morceaux de Pascal designds sous le uozn de Pens&s doivent etre consideres comme les tragmenls de i'apologie dig J htiue des Ikux Monde*. \» juiliet 1844. les Editions dks pensees. 15 cnristianisme, dont ce grand eerivain developpa le plan a ses amis quelques annees avantsa mort; 2° que pour laisser a ces ebauches magnifiques leur signification premiere, il faut les degager d'un assez grand nombre de fragments aux- quels on les a longtemps melees, et qui, pour etre de Pascal, n'en sont pas moins etrangers au plan general de Fapologie ; 3° que le seul texte authentique des Pensees est celui du manuscrit autographe. Ce sont ces principes incontestable:* gui ont dirige les deux derniers editeurs MM. Faugere et Havet. Le travail de M. Faugere, le plus ancien en date, a paru en 1844, sous cetitre : Pensees, fragments et lettres de Blaise Pascal, publics pour la premiere fois conformement aux manuscrits originaux en grande partie ine'dits. Faire con- naitre Pascal tel qu'il est dans le manuscrit autographe, tel est le but que s'est propose M. Faugere ; et ce but, en ce qui touche la parfaite exactitude du texte, M. Faugere Fa com- pletement atteint : « Nous avons voulu, dit-il, que notre edition put tenir lieu des textes manuscrits de Pascal, et par- ticulierement du manuscrit autographe. Nous avons lu, ou plutot etudie ce manuscrit, page a page, ligne a ligne, syl- labe a syllabe, du commencement a la fin, et sauf un cer- tain nombre de mots, que nous avons soin d'indiquer comme illisibles, il est passe tout entier dans notre edition. » Pour peu qu'on ait etudie le manuscrit de Pascal, on comprend tout ce qu'il a fallu de patience et de devouement pour reproduire avec Fexactitude d'un facsimile ce volume dont la lecture presente des difficultes presque insui'mon- tables, tant pour Fecriture en elle-meme, que pour les ren- vois et les surcharges dont il est rempli; et, pour etre juste, nous devons die qu'on n'a point tenu suffisamment compte a M. Faugere du service eminent qu'il a rendu aux lettres, car si M. Cousin le premier a signale la defectuosite de Fancien texte, oh peut dire aussi, avec M. Sainte-Beuve, que c'est gi-acc a M. Faugere que le public a reconquis le premier Pascal. La question du texte une fois resolue, restait la question d'arrangement, et celle-ci, il fa»t le reconnaitre, laissera le i,es Editions des pensees. toujours quelque chose a desirer, parce qu'elle sera toujours forcement arbitraire. M. Faugere s'est tout a fait ecarte de Tor- dre adopte soit par Port-Royal soit par Bossut, et il a tente, d'apres diverses indications du manuscrit autographe, de retablir les Pensees dans l'ordre qui lui a paru le plus con- forme aux intentions de Pascal. Dans cet essai de reconstitu- tion, il a fait preuve de beaucoup de sagacite ; mais l'ordre qu'il a suivi s'ecarte tellement de toutes les editions prece- dentes, que le public s'est trouve, qu'on nous passe le mot, comme deroute par cet arrangement tout a fait nouveau. Aussi M. Havet, qui a publie, en 1 852, une nouvelle edition des Pen- sees, a-t-il cru devoir s'en tenir a la classification de Bossut, c'est-a-dire a celle a laquelle le public est depuis longtemps habitue. Cette classification, d'ailleurs, quand on Fa degagee de certaines interpolations et de certaines divisions arbitrages, nous a paru se rapprocher assez exactement du plan gene'ral developpe par Pascal a ses amis, et nous avons cru devoir la maintenir en bien des points, en reconnaissant que quel que soit le rangement qu'on adopte, il est fort difficile, et pour ainsi dire impossible, d'etre strictement methodique ; car il est evident que si Pascal a ecrit certains morceaux avecl'in- tention de les rattacher a telle ou telle partie de son plan, ii en a dcrit beaucoup d'autres sans aucunc idee de classifi- cation arretee a Favancc. Ceci pose, voici, pour Fedition que nous presentons au public, la marche que nous avons sui- vie. Voyons d'abord ce qui concerne les Penstes : i° Nous avons separe, comme Fa demande M. Cousin et comme Font fait MM. Faugere et Havet, tous les opuscules qui ne font point partie du manuscrit autographe des Pen- *6es, tels que : YEntretien avec Sacy sur fyictete et Mon- taigne, et les Discours sur la condition des grands. 2° Nous avons rctranche les pensdes sur la mort que les anciens editeurs avaicnt tirees d'une lettre de Pascal; mais nous n'en avons point pour cela prive nos lecteurs, car nous avons donne dans sa forme premiere la lettre qui les conte- nait. :j° Tout en dvitant de rcconstituer arbitrairement des di- visions, nous avons cependart fait quelqucs transpositions qui nous ont paru se rapprocher de l'ordre indique par Pascal lui-meme devant ses amis, au sujet de l'apologie du chris- tianisme, 4' Nous avons, en tete des chapitres, mis entre crochets des titres qui sont empruntes, tantot aux indications fournies par les manuscrits, tantot aux editions de Port-Royal et de Bossut, et qui forment, nous le pensons, des sommaires utiles, en rappelant, de distance en distance, Fidee generale du livre apologetique que meditait Pascal. Ainsi, en ce qui touche Farrangement et Fordre, nous donnons, sans aucune addition etrangere, lesPensees propre- ment dites, en les faisant preceder d'un fragment emprunte a la premiere edition, fragment ou se trouve relatee Fana- lyse d'une conversation dans laquelle Pascal expose le plan de son grand ouvrage. En ce qui concerne le texte, voici encore comment nous avons procede : Nous avons fait disparaitre toutes les alterations que les anciens editeurs lui avaient fait subir, et nous avons pu, d'une part, grace aux excellents travaux de MM. Cousin, Faugere et Havet, et de Fautre, aux manuscrits, le ramener a sa purete primitive ; nous avons rapproche ce qui avait etd separe arbitrairement, separe ce qu'on avait reuni sans mo- tifs, elague tout ce qui n'etait point de Pascal. Nous n'ayons pas cru devou reproduire ligne par ligne et mot pour mot tout ce qui est contenu soit dans les manu- scrits, soit dans Texacte publication de M. Faugere, parce que, si grande que soit notre admiration pom* Pascal, nous avons pense que le public s'interesserait peu a des phrases obscures ou inachevees que Fauteur jetait souvent sur le papier comme un point de rappel, et dont lui seul pouvait avoir le sens. Nous n'avons donne, en fait de pensees nouvelles, que celles qui sont completes. Mais, a part ces suppressions qui ne peu- vent quo rendre la lecture plus attrayante et plus facile, nous n'avons rien omis, rien neglige. Nous awns meme in- dique avec un grand soin, sous le titre de variantes, toutes les redactions que Pascal avait barrees, lorsque ces redac- tions peuvent offrir quelque interet, soit comme point de com- 48 LES EDITIONS DES PENSEES. paraison avec le texte definitif, soit comme expression d*s temeritesde l'ecrivain. Quant aux alterations, suppressions o. transpositions que Port-Royal, Bossut oules autres editeurs ont fait subir aux Pensees, nous n'avons pas cru devoir y insister, et nous nous sommes borne a en indiquer quelques-unes; car ^existence de ces alterations une fois constatee, il im- porte peu de savoir ce qu'on a fait dire a Pascal, mais bien ce que Pascal a dit. En ce qui touche Tannotation dont nous avo.^-j accompa- gne le texte, ici comme toujours, nous nous sommes attache a ne donner que les choses essentielles, nous appliquant sur- touta elucider, par des extraits empruntes aux interpretes les plus accredited de Pascal des points importants de doctrine, Parmi les historiens contemporains de Pascal et des Pensees, MM. Sainte-Beuve et Cousin nous ont fourni des appreciations importantes. Nous avons aussi emprunte d'interessants com- mentaires ou d'utiles elucidations a MM. Faugere, Ha vet, Nisard, Villemain, Maynard, etc. ; enfin nous avons recueilli dans les anciens editeurs tout ce qui pouvait ajouter quel- que prix a notre travail et de plus, nous avons rapproche, a l'occasion des Pensees de notre auteur, cellcs de Montaigne, dont il s'etait inspire, et celles de quelques moralistes qui ont pu, a Ieur tour, s'inspirer de son souvenir. Place entre deux opinions contradictoires qui font de Pascal, Tune, le represcn- tant du scepticisme, l'autre le represcntant de la plus irre- prochable orthodoxie, nous nous sommes borne au role de rapporteur exact et fidele, bien persuade que cc qui inte- resse le public, ce n'est point de savoir ce que pense en cette grave question tel ou tel editeur, mais bien de saisir, par quelques extraits caractcristiques, le sens general des jugements les plus rcmarquables dont Pascal a etc l'objet ']c l.i pari des philosopbcs, des theologiens ctdes litterateurs. Nous ajouterons que nous avons ele sobre de notes; car, au- tanl que i pu en juger par l'impressioi] di tures que lo travail de cette Edition nous rendait obligators, . its auxquels Port-Royal, le jansenkme et Pascal lui- mroi/' out donnd lieu, dans ces dernieres annees, ne soul pas toujours exempts d'ennui et de fatigue. On a pousse 1 a i'cx- LES EDITIONS DES PENSEES. iO treme la minutie des recherches, et c'est la, il faut bien le reconnaitre, une besogne de scoliaste qui plait mediocre- ment au public. Apres la revolution que de recentes de'couvertes et les rec- tifications de la critique contemporaine ont operee dans les editions de Pascal, nous ne pouvions nous borner a repro- duce uniquement les Pensees. II fallait au moins donner au public, et cette fois en les isolant et en les retablissant dans lasincerite de leur texte, divers opuscules qui avaient ete longtemps confondus avec elles. II fallait de plus ajouter a ces opuscules ainsi restitues les morceaux recemment de'- couverts ; nous Favons fait. Voici maintenant, et c'est la la derniere explication que nous ayons a donner au lecteur, comment notre edition est composee : 1° La Vie de Pascal, ecrite par madame Perier, sa soeur; Cette vie est completee par un grand nombre de notes que nous avons extraites des documents les plus interessants pu- blics sur Pascal depuisle dix-septieme siecle jusqu'a nosjours j et nous y avons ajoute les morceaux suivants : 2° Appendice n° 1. Memoire de la vie de M. Pascal, ecrit par mademoiselle Perier, sa niece. (Ge Memoire n'avait en- core jusqira present ete reuni dans aucune edition a la Vie par madame Perier qu'il complete utilement); — Appe?i- dice n° 2. Sur les travaux scientifiques de Pascal, extrait de Fabbe Bossut. — Appendice n° 3. Note des principaux outrages relatifs a Pascal et aux Pensees ; 3° Relation d'un entretien dans lequel Pascal exposa le- plan et la matiere de son ouvrage sur la religion ; Cette relation, extraite de la preface de Fedition de 1669, a ete ecrite par Etienne Perier. On a de la sorte, par les documents que nous venons d'indiquer, la biographie, la bibliographic de Pascal, le re- sume de ses travaux |scientifiques et Fanalyse expositive du livre dont les Pensees sont Fimparfaite et immortelle ebauche. 4° Les Pensees ; 5° Les Letlres a mademoiselle de Roannez; 20 LES EDITIONS DES PENSEES. 6° La Lettre sur la mort de M. Pascal pere, suivie de Fdpi- taphe composee par Pascal; 7° La Lettre a Foccasion du mariage projete de Jacqueline Perier ; 8° La Priere pour demander a Dieu le bon usage des ma- ladies; 9° Comparaison des Chretiens des premiers temps avec ccux d'aujourd'hui; 10° Les trois Discours sur la condition des grands; 11° Fragment d'un traite sur le vide ; 12° De Fesprit geometrique; 13° De Fart de persuader; 1 4° Entretien avec Sacy sur Epictete et Montaigne ; 15° Discours sur les passions de Famour; 16° Sur la conversion du pecheur (attribue a Pascal). On le voit par Fenumeration qu'on vient de lire, nous avons soigneusement profite des travaux de la critique con- temDoraine, pour remettre, dans cette edition, chaque chose a sa place, donner en raeme temps au lecteur, avec un texte authentique des Pensees, les opuscules les plus impor- tants restitues dans leur texte primitif, ainsi que les mor- ceaux nouvellement decouverts, et, pour nous servir d'un mot meme de Pascal, offrir au lecteui- cet immortei ecrivaii/ dans sa haute et pleine majeste. VIE DE PASCAL, tfCRITE PAR MADAME PERIER, SA SCEUR*. Mon frere naquit a Clermont, le 19 juin de Tan- nee 1623 2 . Mon pere s'appelait foienne Pascal, pre- sident en la cour des aides, et ma mere Antoinette Begon 3 . Des que mon frere fut en age qu'on lui put parler, il donna des marques d'un esprit extra ordi- 1 Gilberte Pascal , soeur ain£e de l'auteur des PensSes , nee en 1620, marine en 1644 a Florin Pe>ier, morte a Paris, le 25 avril 1687. La Vie qu'on va lire parut pour la premiere fois en tete de Te'dition des Penstes, donnge a Amsterdam en 1687. — Voir sur madame Pe>ier : Memoires de Fltchier, sur les grands jours tenus a Clermont, pubM6s parM. Gonod, p. 41. — C'e'tait une femme tres-instruite a qui son pere avait appris l'histoire, le latin et les mathematiques. 2 « Le vingt-septieme jour de juin mil six cent vingt-trois a este" » baptise" Blaise Paschal, fils a noble Estienne Paschal, conseiller » eslu pour le Roy en l'election d'Auvergne , a Clairmont, et a no- » ble damoizelle Anthoinette Begon ; le parrin noble Blaize Paschal, » conseiller du Roy en la s6n6chaussde et siege pre^idial d'Auvergne, ■ audit Clairmont ; la marrine dame Anthoinette de Fontfreyde. » Au registre ont signe" Pascal et Fontfreyde. » (Publie" pour la premiere fois par M. Faugere, d'apres les registres de la paroisse de Saint-Pierre de Clermont. Lettres et opuscules, Appendice n° 1.) 5 La famille Pascal e"tait de condition et d'etat recommandables plutot que de quality, et faisait partie du haut tiers dtat dans les charges, fitienne Pascal , maitre des requetes, avait merits pour ses services d'6tre anobli par Louis XI. Notre Pascal, dans son £pitaphe, est dit e"cuyer. (Sainte-Beuve.) — Voir Port-Royal, t. II, p. 447 et suiv. On trouve une g^ndalogie de la famille Pascal dans le volume pu- blic par M. Faugere sous ce titre : Lettres, opuscules et mimoires de maaame Perier et de Jacqueline, sceurs de Pascal, etc. Paris, 1845, 1 vol. in-8°, Appendice n° 2. Voici ce que dit M. Cousin de la famille Pascal : « Quelle famille que celle des Pascal !... Des que Richelieu de son regard d'aigle aper- cut Etienne Pascal accompagoe" de son fils Blaise, qui avait alors 22 VIE DE PASCAL, naire par les petites reparties qu'il faisait fort a pro- pos, mais encore plus par les questions qu'U faxsait sur la nature des choses, qui surprenaient tout le monde. Ce commencement, qui donnait de belles esperances, ne se dementit jamais; car, a mesure qu'il croissait, il augmentait toujours en force de raisonnement, en sorte qu'il etait toujours beaucoup au-dessus de son age. Cependant ma mere etantmorte des l'annee 1626, que mon frere n'avait que trois ans, mon pere, se voyant seul, s'appliqua plus fortement au soin de sa famille, et comme il n'avait point d'autre ills que celui-la, cette qualite de fils unique, et les grandes marques d'esprit qu'il reconnut dans cet enfant, lui donnerent une s : -ande affection pour lui, qu'il ne put se resoudre a commettre son education a un autre, et se resolut des lors a l'instruire lui-meme, comme il a fait, mon frere n'ayant jamais entre dans aucun college et n'ayant jamais eu d'autre maitre que mon pere. En l'annee 1631, mon pere se retira a Paris, nous y mena tous, ety etablit sa demeure. Mon frere, qui une quinzainc d'anm'cs, ct dc scs deux fillcs, Gilberte et Jacque- line, il demcura frappe" de la beaute" de ccs enfants, et au lieu de laisser le pere les lui recommander, e'est lui qui les recommanda a ses soins, en lui disant: «J'en vcux faire quclque chose de grand. ..» » Lei OTtftt dc Pascal, Jacqueline et Gilberte, ctaicnt toutes deux parfaitcment belles. I/ime, s])iritucllc,passionneect obstinee comme son frere, rnortc de chagrin <\ trcnte-six ans pour avoir signd le For- mulm're contre sa conscience; l'autre, Here aussi, mais inoins ex- treme, ayant garde au sein d'uue devotion profondc toutc? les affections de socur, de fern me et de mere; l'une et l'autre ecrivant sans art, mais toujours d'une facon distinguee et avee une eWvatior nature) le.» VIE DE PASCAL. 23 n'avait que huit ans, recut un grand avantage de cette retraite, dans le dessein que mon pere avait de l'elever; car il est sans doute qu'il n'aurait pas pu prendre le merae soin dans la province, oil 1'exer- cice de sa charge et les compagnies continuelles qui abordaient chez lui l'auraient beaucoup detourne; mais il etait a Paris dans une entiere liberie; il s'y appliqua tout entier, et il eut tout le succes que pu- rent avoir les soins d'un pere aussi intelligent et aussi affectionne qu'on le puisse etre. Sa principale maxime dans cette education etait de tenir toujours cet enfant au-dessus de son ou- vrage, et ce fut par cette raison qu'il ne voulut point commencer a lui apprendre le latin qu'il n'eut douze ans, afin qu'il le fit avec plus de facilite. Pendant cet intervalle, il ne le laissait pas inutile, car il 1'entretenait de toutes les choses dont il le voyait capable. II lui faisait voir en general ce que c'etait que les langues; il lui montrait comme on les avait reduites en grammaires sous de ceriaines re- gies; que ces regies avaient encore des exceptions qu'on avait eu soin.de remarquer; et qu'ainsi Ton avait trouve par la le moyen de rendre toutes les langues communicables d'un pays en un autre. Cette idee generale lui debrouillait 1'esprit et lui faisaitmieux voir la raison des regies de la grammaire, de sorte que, quand il vint a 1'apprendre, il savait pourquoi il le faisait, et il s'appliquait precisement aux choses a quoi il fallait *e plus d'application. Apres ces connaissances, mon pere lui en donna d'autres; il lui parlait souvent des effets extraordi- 24 VIE 1)E PASCAL. naires de la nature, comme de la poudre a canon, et d'autres choses qui surprennent quand on les con- siderc. Mon frere prenait grand plaisir a cet entre- tien, mais il voulait savoir la raison de toutes choses; et comme elles ne sont pas toutes connues, lorsque mon pere ne les disait pas, ou qu'il disait celles qu'on allegue d'ordinaire, qui ne sont proprement que des defaites, cela ne le contentait pas : car il a toujours eu une nettete d'esprit admirable pour dis- cerner le faux; et on peut dire que toujours et en toutes choses la verite a ete le seul objet de son esprit, puisque jamais rien ne l'a pu satisfaire que sa connaissance. Ainsi, des son enfance il ne pou- vait se rendre qu'a ce qui lui paraissait vrai evidem- ment; de sorte que, quand on ne lui disait pas de bonnes raisons, il en cherchait lui-meme, et quand il s'etait attache a quelque chose, il ne la quit- tait point qu'il n'en eut trouve quelqu'une qui le put satisfaire. Une fois entre autres, quelqu'un ayant frappe a table un plat de faience avec un couteau, il prit garde que cela rendait un grand son, mais qu'aussitot qu'on eut mis la main dessus, cela l'ar- reta. II voulut en meme temps en savoir ki cause, et ccttc experience le porta a en faire beaucoup d'au- Ires sur les sons. II y remarqua tant de choses qu'i! en lit un traite a 1 age de douze ans. qui fut trouve to 11 1 a fait bien raisonne. Son -cnic pour la geometrie commenca a paraftre lorsqu'il n avail en co re que douze ans, par une ren- contre si extraordinaire, qu'il me semble qu'elle mcrite bien d'etre deduitc en parliculicr, VIE DE PASCAL. 25 Mon pere etait homme savant dans les mathema- tiques, et avait habitude par la avec tons les habiles gens en cette science, qui etaient souvent chez lui; mais comme il avait dessein d'instruire mon frere dans les langues, et qu'il savait que la mathematique est une science qui remplit et qui satisfait beaucoup I'esprit, il ne voulut point que mon frere en eut aucune connaissance, de peur que cela ne le rendit negligent pour la langue latine et les autres dans lesquelles il voulait le perfectionner. Par cette rai- son il avait serre tous les livres qui en traitent, et il s'abstenait d'en parler avec ses amis en sa presence; mais cette precaution n'empechait pas que la curio- site de cet enfant ne fut exeitee, de sorte qu'il priait souvent mon pere de lui apprendre la ma- thematique ; mais il le lui refusait, lui promettant cela comme une recompense. II lui promettait qu'aus- sitot qu'il saurait le latin et le grec, il la lui appren- drait. Mon frere, voyant cette resistance, lui de- manda un jour ce que c'etait que cette science et de quoi on y traitait; mon pere lui dit en general que c'etait le moyen de faire des figures justes, et de trouver les proportions qu'elles avaient entre elles, et en meme temps lui defendit d'en parler davan- tage et d'y penser jamais. Mais cet esprit, qui ne pouvaiv, demeurer dans ces bornes, des qu'il eul cette simple ouverture, que la mathematique don- nait des moyens de faire des figures infailliblement justes, il se mit lul-meme a rever sur cela a ses heures de recreation; et etant seul dans une salle oil il ivait accoutume de se divertir, il prenait du char- 3 26 VIE DE PASCAL, bon et faisait des figures sur des carreaux, cher- chant des moyens de faire, par exemple, in. cercle parfaitement rond, un triangle dont les cotes et les angles fussent egaux, et les autres choses semblables. II trouvait tout eela lui seul; »nsuite il cherchaitles proportions des figures entre elles. Mais comme le soin de mon pere avait ete si grand de lui cacher toutes ces choses, il n'en savait pas meme les noms. II fut contraint de se faire lui-meme des definitions; il appelait un cercle un rond, une ligne une barre, et ainsi des autres. Apres ces definitions il se fit des axiomes, et enfin il fit des demonstrations parfaites; etconiD"»e l'onva de Tun a l'autre dans ces choses, il poussa le& recherches si avant, qu'il en vint jusqu'a la trente-deuxieme proposition du premier livre d'Euclide ! . Comme il en etait la-dessus, mon pere entra dans le lieu ou il etait, sans que mon frere 1'entendit; il le trouva si fort applique, qu'il fut longtemps sans s'apercevoir de sa venue. On ne peut dire lequel fut le plus surpris, ou le fils de voir son pere, a cause de la defense expresse qu'il lui en avait faite, ou le pere de voir son fils an milieu de toutes ces choses. Mais la surprise du pc-re fut bien plus grando Jorsque lui ayant demande ee qu'il faisait, il lui dit qu'il cherehait telle chose, qui etait la trente-deuxieme proposition du premier livre d'Euclide. Mon pere lui demanda ee qui 1'avait fait penser a eherelier ccla : il diL que c'elait qu'il 1 Que Tangle exterieur d'un triangle © i <'^;il ii lasc^nnedesdeui angles intiirieurs opposes, et que la soinme des angles d'un triangle ebt e'gale a deux droits. i VIE DE PASCAL. ?T avail trouve telle autre chose ; et sur cela, lui ayant iait encore la meme question, il lui dit encore quel- ques demonstrations qu'il avait faites, et enlin en retrogradant et s'expliquant toujours par les noms de rond et de barre, il en vint a ses definitions et h ses axiomes. * Mon pere fut si epouvante de la grandeur et de la puissance de ce genie, que sans lui dire un mot il le quitta et alia chez M. Le Pailleur, qui etait son ami intime, et qui etait aussi fort savant. Loraqu'il y fut arrive, il y demeura immobile comme un homme transports. M. Le Pailleur, voyant cela, et voyant meme qu'il versait quelques larmes, fut epouvante, et le pria de ne lui pas celer plus longtemps la cause de son deplaisir. Mon pere lui repondit : « Je ne pleure pas d'affliction, mais de joie ; vous savez les soins que j'ai pris pour oter a mon fils la connais- sance de la geometrie, de peur de le detourner de ses autres etudes : cependant voici ce qu'il a fait. » Sur cela il lui montra tout ce qu'il avait trouve, par oil Ton pouvait dire en quelque facon qu'il avait invente les mathematiques. M. Le Pailleur ne fut pas moins surpris que mon pere 1'avait ete, et lui dit qu'il ne trouvait pas juste de captiver plus long- temps cet esprit, et de lui cacher encore cette con- naissance; qu'il fallait lui laisser voir les livres sans le retenir davantage. Mon pere, ayant trouve cela a propos. lui donna les Elements d'Euclide pour les lire a ses heures de recreation. II les vit et les entendit tout seul, sans avoir jamais eis besoin d'aucune explication; et 28 VIE DE PASCAL, pendant qu'il les voyait, il composait, et allah si avant, qu'il se trouvait regulierement aux confe- rences qui se faisaient toutes les semaines, ou tous les ha^iles gens de Paris s'assemblaient pour porter leurs ouvrages, ou pour examiner ceux des autres 1 . Mon frere y tenait fort bien son rang, tant pour l'examen que pour la production; car il etait de ceux qui y portaient le plus souvent des choses nou- velles. On voyait souvent aussi dans ces assem- blees-la des propositions qui etaient envoyees d'lta- lie, d'Allemagne et d'autres pays etrangers, et Ton prenait son avis sur tout avec autant de soin que de pas un des autres; car il avait des lumieres si vives, qu'il est arrive quelquefois qu'il a decouvert des fautes dont les autres ne s'etaient point apercus. Cependant il n'employait a cette etude de geometric que ses heures de recreation; car il apprenait le latin sur des regies que mon pere lui avait faites expres. Mais comme il trouvait dans cette science la verite qu'il avait si ardemment recherchee, il en etait si satisfait, qu'il y mettait son esprit tout entier; de sorte que, pour peu qu'il s'y appliquat, il y avancait tellcment, qu'a Page de seize ans il fit un TraiU des Coniques * qui passa pour ctre un si grand effort * Cette socidte" se composait du pere Mersenne, do Roborva?, Carcavi, Le Pailleur, et deplusieurs autres savants distinguds. Elle fut le berceau do l'Acadtfmie royale des sciences, dont l'autoritG" sou- verainc sanctionna l'cxistenco en 1GGG. (Aim<5-Martin.) * Apres la mort de Pascal, on trouva dans ses papiers six Merits Vatina sur ce sujet (les Coniques). lis n'ont pas 6t6 publics et ils sont perdus. Parmi ces papiers, il se trouva un imprime - de quelquea pages, qui seul a 6t& conserve^, et que Bossut a donno dans son edi- tion. Cette piece, aui a po>ir titre Essais pour les coniques, avait tU VIE DE PASCAL, 2S d'esprit, qu'on disait que depuis Archimede on n'avait rien vu de cette force. Les habiles gens etaieni J'avis qu'on les imprimat des lors, parce qu'ils disaient qu'encore que ce fut un ouvrage qui serait eoujours admirable, neanmoins si on rimprimait dans le temps que celui qui l'avait invente n'avait encore que seize ans, cette circonstance ajouterait beaucoup a sa beaute; mais comme mon frere n'a jamais eu de passion pour la reputation, il ne fit pas cas de cela, et ainsi cet ouvrage n'a jamais ete imprime. Durant to us ces temps-la il continuait toujours d'apprendre le latin et le grec; et outre cela, pen- dant et apres le repas, mon pere l'en^retenaittantot de la logique, tantot de la physique et des autres parties de la philosophic; et c'est tout ce qu'il en a appris, n'ayant jamais ete au college ni eu d'autres maitres pour cela non plus que pour le reste. Mon pere prenait un plaisir tel qu'on le peut croire de ces grands progres que mon frere faisait dans toutes les sciences , mais il ne s'apercut pas que les grandes et continuelles applications dans un age si tendre pouvaient beaucoup interesser sa sante; et en effet elle commenca d'etre alteree des qu'il eut atteint 1'age de dix-huit ans. Mais comme les incommodites qu'il ressentait alors n'etaient pas encore dans une grande force, elles ne l'empecherent pas de conti- nuer toujours dans ses occupations ordinaires, de imprim<$e en iMO. Ce n'est pas un traite" , mais une espece de pro grancme ou Pascal ^nonce les diverses propositions qu'il se fait fort 4e d6®ioQtreF, (Havet.) 2 30 VIE DE PASCAL. sorte que ce fut en ce temps-la eta l'age de dix-huit ans qu'il inventa cette machine d'arithmetique par laquelle on fait non-seulement toutes sortes de sup- putations sans plume et sans jetons; mais on les fait meme sans savoir aucune regie d'arithmetique, et avec une stirete infaillible. Cet ouvrage a ete considere comme une chose nouvelle dans la nature d'avoir reduit en machine une science qui reside tout entiere dans l'esprit, et d'avoir trouve le moyen d'en faire toutes les opera- tions avec une entiere certitude, sans avoir besoin de raisonnement. Ce travail le fatigua beaucoup, non pas pour la pensee ou pour le mouvement, qu'il trouva sans peine, mais pour faire comprendre aux ouvriers toutes ces choses. De sorte qu'il fut deux ans a le mettre dans cette perfection oil il est a present 1 . Mais cette fatigue et la delicatesse ou se trouvait sa sante depuis quelques annees le jeterent dans des incommodites qui ne l'ont plus quitte; de sorte qu'il nous disait quelqucfois que depuis l'agc de dix-huit ans il n'avait pas passe un jour sans dou- leur. Ces incommodites ncanmoins n'elant pas tou- * fitonnd dc cette ddcouvertc, le cdlebre Leibnitz voulut encore la pcrfectionner-, mais, dc nos jours, en Angleterre, un ctilebre me*ca- nicicn nomrne" Babbage, suivant toujours la meme idee, est parvenu h Composer line machine mulhematique qui rdsout les probl&mes les plus compli ' ule, comme uh geometre, le mouvement des et le retour dee eclipses. Ainsi L'inventiOD de Pascal a 616 le point de depart de cette invention prodigieusc. (Aime'-Martin.) — Le O ; Arts et Metiers possede un niodele do la ma- chine aiitiuii Ti| i' , avec cette espece de certSficat: Esto probati instrument! >iq>!'"ii(>i>ti hoc, Blasius Pascal Arvernus. 1652. (liavet) VIE DE PASCAL. 31 jours dans une egale violence, des qu'il avait un peu de repos et de relache, son esprit se portait incon- tinent a chercher quelque chose de nouveau. Ce fut dans ce temps-la et a lage de vingt-trois ans, qu'ayant vu l'experience deTorricelli, il inventa ensuite et executa les autres experiences qu'on nomme ses experiences : celle du vide, qui prouvait si clairement que tous les efifets qu'on avait attribues jusque-la a 1'horreur du vide sont causes par la pe- santeur de 1'air 1 . Gette occupation fut la derniere ou ilappliqua son esprit pour les sciences humaines; et, quoiqu'il ait invente la roulette apres, cela ne contredit point a ce que je dis; car il la trouva sansy penser , et d'une maniere qui faitbien voir qu'il n'y avait pas d'application, comme je dirai dans son lieu. Immediatement apres cette experience, et lors- qu'il n'avait pas encore vingt-quatre ans , la Provi- dence ayant fait naitre une occasion qui l'obligea de lire des ecrits de piete, Dieu l'eclaira de telle sorte par cette lecture, qu'il comprit parfaitement que la religion chretienne nous oblige a ne vivre que pour Dieu, et a n'avoir point d'autre objet que lui, et cette verite lui parut si evidente, si necessaire et si utile, qu'il termina toutes ses recherches, de sorte que des ce temps-la il renonca a toutes les autres con- naissances pour s'appliquer uniquement a l'unique chose que Jesus-Christ appelle necessaire. 1 Cette experience fut faite au mois de septembre 1648, sur le Puy deD6me, par M. P^rier, d'apres les instructions de Pascal . on en verra plus loin le detail dans Vextrait intitule* : Sur les travauz fcientifigues de Pascal, 32 VIE DE PASCAL. II avait ete jusqu'alors preserve, par une protec- tion de Dieu particuliere, de tous les vices de la jeu- nesse; et, ce qui est encore plus etrange a un esprit de cette trempe et de ce caractere, il ne s'etait ja- mais porte au libertinage pour ce qui regarde la re- ligion, ayant toujours borne sa curiosite aux choses naturelles. II m'a dit plusieurs fois qu'il joignait cette obligation a toutes les autres qu'il avait a mon pere, qui, ayant lui-m£me un tres-grand respect pour la religion , le lui avait inspire des l'enfance , lui donnant pour maxmies que tout ce qui est l'objet de la foi ne le saurait etre de la raison, et beaucoup moins y etre soumis. Ces maximes , qui lui etaient souvent reiterees par un pere pour qui il avait une tres-grande estimc, et en qui il voyait une grande science accompagnee d'un raisonnement fort net et fort puissant, faisaient une si grande impression sur son esprit, que, quelques discours qu'il entendit faire aux libertins, il n'en etait nullement emu; et, quoiqu'il fut fort jeune, il les regardait comme des gens qui etaient dans ce faux principe, que la rai- son humaine est au-dessus de toutes choses, et qui ne connaissaient pas la nature de la foi; etainsi, cet esprit si grand, si vaste et si rempli de curio- site , qui cherchait avec lant de soin la cause et la raison de tout, etait en memo temps soumis a toutes les (hoses do la religion comme un enfaut; et cette simplicity a regno en lui toute sa vie: de sorte que, depuis memo qu'il so resolut de ne plus faire d'autre etude que celle de la religion, il ne s'est jamais ap- plique aux questions curieuses de la theoloyie. e», VIE DE PASCAL. 33 il a mis toute la force de son esprit a connaitre et a pratiquer la perfection de la morale chretienne , a laquelle il a consacre tous les talents que Dieu lui avait donnes, n'ayant fait autre chose dans tout le reste de sa vie que mediter la loi de Dieu jour et nuit. Mais, quoiqu'il n'eut pas fait une etude particu- Here de la scolastique, il n'ignorait pourtant pas les decisions de l'figlise contre les heresies qui ont etc inventees par la subtilite de Tesprit; et c'est contre ces sortes de recherches qu'il etait le plus anime, et Dieu lui donna desce temps-la une occasion de faire paraitre le zele qu'il avait pour la religion. II etait alors a Rouen 1 , oil mon pere etait employe" 1 Void par quelle suite de circonstances Pascal et sa famille avaient ete amends a habiter cette ville. Nous laissons parler l'abbd Bossut : «.Au mois de decembre 1638, le gouvernement, appauvri par une longue suite de guerres et de depredations dans les finances- fit quelques retranchements sur les rentes de l'H6tel de ville de Paris... II y eut parmi les rentiers des murmures un pieu vifs, et meme des assemblies que Ton traita de sdditieuses. fitienne Pascal fut accus6 d'en etre Tun des principaux moteurs. Cette imputation injuste pouvait avoir quelque ombre de vraisemblance, parce qu'en arrivant a Paris, il avait place* la plus grande partie de son bien sur l'H6tel de ville. Aussitdt un ministre terrible , dont le despotisme s'effarouchait de la moindre resistance, fit expedier un ordre d'ar- reter Etienne Pascal , et de le mettre a la Bastille ; mais, averti a temps par un ami, il se tint d'abord cache, puis se rendit secreto» ment en Auvergne. » Qu'on se represente la douleur de ses enfants, et celle qu'il res- sentit lui-meme d'etre force a les abandonner dans Tage ou ila avaient le plus besoin de sa vigilance paternelle! Si les hommes puissants qui, sans examen, sans preuves, se permettent de tellea violences, conservent un coeur encore accessible au remords, lis Soivent etr°* quelquefois bien malheureux. • L'ouvrage de la calomnie ne fut pas de longue durde ; et on peut 34 VIE DE PASCAL. pour le service du roi, et il y avait aussi en ce meme temps un homme qui enseignait une nouvelle phi- remarquer ici l'enchainement bizarre des choses humaines. Le cardi« oal de Richelieu ayant eu la fantaisie de faire reprdsenter devant lui, par des jeunes filles, I' Amour tijrannique, tragi-comddie de Scu- deri, la duchesse d'Aiguillon, chargde de la conduite du spectacle, d^sira que Jacqueline Pascal, qui avait alors environ treize ans, fut Tune des actrices ; mais Gilberte, sa soeur ain^e, et chef de la fa- mine en l'absence du pere, repondit fierement : « M. le cardinal ne » nous donne pas assez de plaisir, pour que nous pensions a lui en » faire. » La duchesse insista, et fit meme entendre que le rappel d'fitienne Pascal serait peut-etre le prix de la complaisance qu'elle exigeait. L'affaire est proposed aux amis de la famille : on decide que Jacqueline acceptera le rdle qui lui £tait destine". La piece fut representee le 3 avril 1639. Jacqueline mit dans son jeu une graco et une finesse qui enleverent tous les spectateurs, et principalement le cardinal de Richelieu. Elle fut adroite a profiter de ce moment d'enthousiasme. Le spectacle fini, elle s'approche du cardinal, et lui recite un petit placet en vers 1 , pourdemander leretour de son pere. Le cardinal, la prenant dans ses bras, I'embrassant et la baisant a tous moments , pendant qu'elle disait ses vers , comme elle-meme le raconte dans une lettre 6"crite le lendemain a son pere : « Oui, mor » enfant, re"pond-il, je vous accorde ce que vous demandez ; dcrivez i » votre pere qu'il revienne en toute surete\ » Alors la duchesse d'Ai- guillon prit la parole, et fit ainsi l'&oge d'fitienne Pascal : «C'est un » fort honnete homme ; il est tres-savant, ct c'est bien dommage qu'il do* » meure inutile. Voilason fils, ajouta-t-elle, en montrantBlaise Pascal, » qui n'a que quinze ans, et qui est d6ja un grand mathSmaticien ! » Jacqueline, encouragee par un premier succes, dit au cardinal : « Monseigneur, j'ai encore une grace a vous demander. — Et quoi. » ma fille? demande tout ce que tu voudras; tu es trop aimable, on » ne peut rien te refuser. — Permettez que notre pere viennc lui* 1 V'/ici ce placet • Ne vous etonnez pas, incomparable Aiimand, Si j'ai mal contente vos ycux et vos oreilles". Mnn esprit a^ile de fraycurs sans pareilles, Interdit a iiion corps et voix et nionvcnient: Mais pour tun rcrulro ici Capable At vous plaire, Hapj)fl«'z do l'exii men mlierable pere i I le bien 0,110 j'atten I gne liont£; Sauvei eel innoceal d'un peril manifeite i Ain^i von !•■• rendrei I'entiere liberuf De t'eiprit et du corps, de la \oix el du geiic. VJE DE PASCAL. 35 losophie qui attirait tons les curieux *. Mon frere ayant ete presse d'y aller par deux jeunes hommes de ses amis, il y fut avec eux; mais ils furent bien surpris, dans 1'entretien qu'ils enrent avec cet homme, qu'en leur debitant les principes de sa philosophic , il en tirait des consequences sur des points de foi contraires aux decisions de l'£glise. II prouvait par ses raisonnements que le corps de Jesus-Christ n'etait pas forme du sang de la sainte Vierge , mais d'une autre matiere creee expres , et plusieurs autres choses semblables. Ils voulurent le contredire, mais il demeura ferme dans ce senti- ment. De sorte qu'ayant considere entre eux le dan- ger qu'il y avait de laisser la liberte d'instruire la jeunesse a un homme qui avait des sentiments erro- nes, ils resolurent de 1'avertir premierement, et puis de le denoncer s'il resistait a l'avis qu'on lui don- » meme remercier votre Eminence de ses bontes. — Oui, je veux le » voir, et qu'il m'amene sa famille. » » Aussit6t on mande a Etienne Pascal de revenir en toute diligence : arrive" a Paris, il vole, avec ses trois enfants, a Rueil, chez le car- dinal, qui lui fait Faccueil le plus flatteur : « Je connais tout votre » me>ite, lui dit Richelieu ; je vous rends a vos enfants, et je vous les » recommande 5 j'en veux faire quelque chose de grand. » » Deux ans apres, c'est-a-dire en 1641, fitienne Pascal fut nomme* a l'intendance de Rouen. II remplit pendant sept annees consecu- tives les importantes fonctions attachees a sa place, avec une ca- pacity et un dfeinteressement qui furent egalement applaudis de la province et de la cour. » 1 Jacques Forton, dit frere Saint-Ange. — Voir sur cette affaire une publication de M. Cousin dans la Bibliolheque de I'Ecole des Chartes, novembre et d6cembre 1842. Cette publication est l'his- toire complete de r affaire du frere Saint-Ange d'apresles manuscrits du pere Guerrier. M. l'abb<§ Maynard a pris la defense de Pascal contre M. Cousin; voir Pascal, sa Vie et son Caractere, t. I, p. 26 et suiv. 36 VIE DE PASCAL, nait. La chose arriva ainsi, car il meprisa cet avis; de sorte qu'ils crurent qu'il etait de Jeur devoir de le denoncer * a M. du Bellay 2 , qui faisait pour lors les fonctions episcopates dans le diocese de Rouen, par commission de M. l'archeveque. M. du Bellay envoya querir cet homme, et, l'ayant interroge, il fut trompe par une profession de foi equivoque qu'il lui ecrivit et signa de sa main, faisant d'ailleurs peu de cas d'un avis de cette importance qui lui etait donne par trois jeunes hommes. Gependant, aussitot qu'ils virent cette profession de foi, ils connurent ce defaut, ce qui les obligea d'aller trouver a Gaillon M. l'archeveque de Rouen, qui, ayant examine toutes ces choses, les trouva si importantes, qu'il ecrivit une patente a son conseil, et donna un ordre expres a M. du Bellay de faire retracter cet homme sur tous les points dont il etait accuse, et de ne recevoir rien de lui que par la com- munication de ceux qui l'avaient denonce. La chose fut executee ainsi, et il comparut dan& le conseil de M. l'archeveque, et renonca a tous ses sentiments : et on peut dire que ce fut sincerement; car il n'a jamais temoigne de fiel contre ceux qui lui avaient cause cette affaire : ce qui fait croire qu'il etait lui- 1 Dans la pratique comme dans la thdorie, lc caractere propre do Pascal est eclui d'unc consequence inflexible pour les autres et pour lui-inCme; et en meme temps il joignait a cette encrgie naturclle r&me la moillcurc et l'esprit lc plus (in. 11 y avait en lui a la fois de l'enfant, du be! esprit, du heros et du fanatique. II nc pensait et Do faisait ricn a demi. v (Cousin.) 2 Madame Pcrier «c trompe. Ce n'est point M. du Uellny, mais bien TVI. de Belley, c'oht-i-dirc ]*ancicn otCciuo de Hellcy, Pierre Camus. VIE DE PASCAL. 31 meme trompe par les fausses conclusions qu'il tirait de ses faux principes. Aussi etau/il bien certain qu'on n'avait eu en cela aucun dessein de lu\ nuire, ni d'autre vue que de le detromper par lui-meme, et l'empecher de seduire les jeunes gens qui n'eussent pas ete capables de discerner le vrai d'avec le faux dans des questions si subtiles. Ainsi cette affaire se termina doucement; et mon frere continuant de cher- cher de plus en plus le moyen de plaire a Dieu, cet amour de la perfection chretienne s'enflamma de telle sorte des l'age de vingt-quatre ans qu'il se re- pandait sur toute la maison. Mon pere meme, n'ayant pas de honte de se rendre aux enseignements de son fils, embrassa pour lors une maniere de vie plus exacte par la pratique continuelle des vertus jusqu'a sa mort, qui a ete tout a fait chretienne, et ma sceur, qui avail des talents d'esprit tout extraordinaires, et qui etait des son enfance dans une reputation oil peu de lilies parviennent, fut tellement touchee des discours de mon frere qu'elle se resolut de renoncer a tous les avantages qu'elle avait tant aimes jusqu'a- lors, pour se consacrer a Dieu tout entiere, comme elle a fait depuis, s'etant faite religieuse * dans une maison tres-sainte et tres-austere, ou elle a fait un si bon usage des perfections dont Dieu 1'avait ornee, qu'on l'atrouveedigne desemplois les plus difficiles, dont elle s'est toujours acquittee avec toute la fide- lite imaginable, et ou elle est morte saintement le 4 octobre 1661, agee de trente-six ans. * A Port-RoyaL 38 VIE DE PASCAL. Cependant mon frere, de qui Dieu se &ervait pour operertous ces biens, etait travaille par des mala- dies continuelles et qui allaient toujours en augmen- tant. Mais comme alors il ne connaissait pas d'autre science que la perfection, il trouvait une grande difference entre celle-ia et cejle qui avait occupe son esprit jusqu'alors; car au lieu que ses indispositions retardaient les progres des autres, celle-ci, au con- traire, le perfectionnait dans ces memes indisposi- tions par la patience admirable avec laquelle il les souffrait. Je me contenterai, pour le faire voir, d'en rapporter un exemple. II avait entre autres incommodites celle de ne pouvoir rien avaler de liquide qu'il ne fut chaud; encore ne le pouvait-il faire que goutte a goutte : mais comme il avait outre cela une douleur de tete insupportable, une chaleur d'entrailles excessive et beaucoup d'autres maux, les medecins lui ordon- nerent de se purger de deux jours Tun durant trois mois; de sorte qu'il fallut prendre toutes ces mede- cines, et pour cela les faire chauffer et les avaler goutte a goutte : ce qui etait un veritable supplice, et qui faisait mal au coeur a tous ceux qui etaienl aupres de lui, sans qu'il s'en soit jamais plaint. La continuation de ces remedes, avec d'autres qu'on lui litpratiquer, lui apporterent quclque sou- lagement, mais non pas une sanh' parlaiic; de sorte que les inrdccins ci'iircnt que potkf se relablir en- tierement il fallait qu'il quittat touie sorte d'appii- cation d'esprit, et qu'il cherchat auianl qui' pour rait les occasions de se divertir. Mon frere cut Ue la VIE DE PASCAL. 39 peine a se rendre a ce conseil, parce qu'il y voyait du danger; mais enfin il le suivit, croyant etre oblige de faire tout ce qui lui serait possible pour remettre sa sante, etil s'imagina que les divertissements hon~ netes ne pourraient pas lui nuire, et ainsi il se mit dans le monde l . Mais quoique, par la misericorde de Dieu, il se soit toujours exempte des vices, nean- moins, comme Dieu l'appelait a une plus grande perfection, il ne voulut pas l'y laisser, et il se servit de ma sceur pour ce dessein, comme il s'etait autre- fois servi demon frerelorsqu'il avaitvoulu retirerma sceur des engagements oil elle etait dans le monde. Elle etait alors religieuse, et elle menait une vie si sainte, qu'elle edifiait toute la maison : etant en cet etat, elle eut de la peine de voir que celui a qui elle etait redevable, apres Dieu, des graces dont elle jouissait, ne fut pas dans la possession de ces graces, et, comme mon frere la voyait souvent, elle lui en parlait souvent aussi ? et enfin elle le fit avec tant de force et de douceur, qu'elle lui persuada ce qu'il lui avait persuade le premier, de quitter absolument le monde; en sorte qu'il se resolut de quitter tout a fait les conversations du monde, et de retrancher toutes les inutilites de la vie au peril meme de sa sante, parce qu'il crut que le salut etait preferable a toutes choses. * C'est & cettc pdriode de la vie de Pascal (1648-1654) qu'il faut rapporter ses liaisons avec le due de Roannez, le chevalier de Mere\ Miton, etc. — Voir Fait inedit de la vie de Pascal, par M. Fran- cois Collet. Paris, 1848, in-8° de Uh pages. Cette brochure est cu- rieuse; mais M. Collet n'a-t-il point exagere' en faisant ae Pascal l'eifcve du chevalier de Mer6 1 40 VIE DE PASCAL, II avaitpour lors trente ans *, et il etait toujour* infirme; et c'est depuis ce temps-la qu'il a embrasse * Non pas trente ans, mais trente et un ans, sa conversion defi- nitive etant du mois de novembre 1654 , comme le te*moigne l'ecrit Buivant trouve* apres sa mort dans la doublure de son pourpoint : t L'an de grace 1654. Lundi 23 novembre, jour de St. Clement, pape et martyr, et autres au martyrologe. Veille de St. Chrysogone, martyr et autres. Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ mi- nuit et demi, Feu. Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, Non des Philosophes et des savants. Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de J^sus-Christ Deum meum et Deum vestrum. Ton Dieu sera mon Dieu — Oubli du monde et de tout hormis Dieu. II ne se trouve que par les voies enseignees dans l'fivangile. Grandeur de l'ame humaine. Pere juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu. Joie, joie, joie, pleurs de joie. Je m'en suis se"par6 _ Dereliquerunt me fontem aquae vivse. Mon Dieu me quitterez-vous? Que je n'en sois pas separe" gternellement Cette est la vie eHernelle qu'ils to connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoye* J.-C. Jesus-Christ __, J 6s us-Christ , . Je m'eu suis separe' ; je l'ai fui, renonce\ crucifix. Que je n'en sois jamais separe. U ne Be conserve que par les voies enseignees dans I'fivanglle. Renonciation totale et douce. Soumis ion totale a Jesus-Christ et a mon directeur. fiternellemenl e'o joie pour un jour d'exercice sur la terre. Non obliv : scar sermones tuos. Amen. — L'ecrit qu'on vient de lire fut publie pour la premiere foispar VIE DE PASCAL, 41 la maniere de vivre oil il a ete jusqu'a la mort *, Pour parvenir a ce dessein et rompre toutes ses Condorcet, qui se trompa complement sur son caractere en l'appelant une Amulette mystique. M. le docteur Lelut a commis la meme er- reur que Condorcet dans l'ouvrage intitule* : De I' 'Amulette de Pascal, itude sur les rapports de la sante de ce grand homme a son genie. Paris, 1846, 1 vol. in-8°. — Voir Pensees de Pascal, par M. Prosper Faugere. Paris, 1844, in-8°, t. I, p. 258 et suiv. — Nous pensons qu'il faut, pour toute cette affaire, s'en tenir a l'opinion de M. Fau- gere et de M. Sainte-Beuve : « L'iinpression que regut Pascal de cet evenement (l'accident du pont de Neuilly) fut extraordinaire, dit M. Sainte-Beuve ; on en peut juger par le petit papier et le parchemin (deux copies pareilles pli£es ensemble) qu'on trouva apres sa mort dans la doublure de son habit, et qu'il decousait et recousait chaque fois qu'il en cbangeait... On y a voulu voir la mention faite d'une vision qu'il aurait eue, et meme un bon carme, ami de Perier, a £crit un commentaire de vingt et une pages in-folio a l'appui ; mais Pascal n'a jamais parle* de cette vision a personne; ce qui la rend douteuse, d'autant qu'en l'examinant sans prevention d'esprit, on n'y lit rien qui force a y voir autre chose, sous des termes elliptiques et m6ta- phoriques, qu'un ravissement d'esprit au sein de la priere, un de ces £tats de clarte* et de certitude celeste, comme il est donne" aux Chretiens sous la grace d'en ressentir. On peut conjecturer que l'aventure du pont de Neuilly donna l'impulsion a ce ravissement de priere et de reconnaissance. — Les disciples de Port-Royal par de- votion, les philosophes du dix-buitieme siecle par moquerie, ont contribue* a traduire en vision formelle cette circonstance myst&- rieuse. On est alle" jusqu'a dire 'qu'a partir de ce temps, Pascal vit toujours un abime a ses cot^s; il n'est question de Vabime que dans une lettre de l'abbe" Boileau, bien plus tard... Pascal, comme tous les hommes celebres qui parlent a l'imagination, a eu sa legende. » (Sainte-Beuve.) 1 II y a ici une assez longue lacune ; madame Pe"rier ne parle ni des Provinciates, qui parurent trois ans plus tard, en 1656, ni des questions proposees a Pascal par Fermat, et discutees dans les lettres de ces deux grands g^ometres, et qui avaient produit en 1654 le Traite du Triangle arithmetique , ouvrage tres-court, mais plein d'originalite" et de genie. Les problemes dont Pascal donne la so- lution consistent a sommer les nombres naturels triangulaires pyra- midaux, et a trouver aussi les soinmes de leurs Carre's et de toutes leurs puissances. Les formules donn^es par Pascal ont cela d'ira- portant, qu'elles conduisent a celles du binome de Newton, lorsque I'exposant du binome est positif et en tier. — Voyez a ce sujet YEloge 42 VIE DE PASCAL, habitudes, il changea de quartier et fut demeurer quelque temps a la campagne; d'oii etant de retour, il temoigna si bien qu'il voulait quitter le monde, qu'enfin le monde le quitta; et il etablitle reglement de sa vie (lans cette retraite sur deux maximes prin- cipales, qui furent de renoncer a tout plaisir et a toutes superfluites; et c'est dans cette pratique qu'il a passe le reste de sa vie. Pour y reussir, il com- menca des lors, comme il fit toujours depuis, a se de Pascal par Condorcet. (Aime-Martin.) — Pour tout ce qui se rap- porte a l'historique de la composition et de la publication des Pro- vinciates, voir YEssai sur I'histoire du jansenisme en tete de ^otre Edition des Provinciates. Nous ajouterons qu"a propos de la conversion de Pascal, ma- dame Pe"rier ne parle point de l'accident du pont de Neuilly, acci- dent qui aurait, on le sait, produit sur l'imagination de Pascal une impression profonde. Vrai cu faux, voici comment cet accident se trouve raconte dans un manuscrit des peres de l'Oratoire de Clermont: « M. Arnoul (de Saint-Victor), cure - de Chambourcy, dit qu'il aap- pris de M. le prieur de Barillon, ami de madame Pener, que M. Pascal, quelques anndes avant sa mort, etant alle", selon sa cou- tume, un jour de fete, a la promenade au pont de Neuilly avec quelques-uns de ses amis, dans un carrosse a quatre ou six chevaux, les deux chevaux de vole"e prirent le frein aux dents a l'endroit du pont ou il n'y avait j>oint de garde-fou; et s'etant precipitins dans l'eau, les losses qui les attachaient au train de derriere se rompi- rent, en sorte que le carrosse dejneura sur le bord du precipice. Ce qui lit prendre la resolution k M. Pascal de rompre ses promenades et de vivre dans une entierc solitude. » Ce serait cgalement a la suite de cette aventure que Pascal au- rait ete pris de Hallucination singuliero qui lui montrait toujours un precipice ouvert sous ses pas. u Ce grand esprit, dit l'abbc Boileau, croyait toujours voir un abfc&e h.-, et. y faisu.it met! re une chaise pourse ras- surer • je sais I'histoire d'original. Ses amis, sou confcsseur, son bur avaienl beau lui dire qu'il n'y avait rien a craindre, que ce n'etaicnt KCtffi iunc inia^inat ion ('j)iiis('-c par une elude ah traite et oi&LaphyBiqua; il Qonyeuail de tout ccla avec eux, et un quart eu aii de nouveau le pre'cipice qui 1'ett'iayait. • — Voir Suinte-Bcuvc, Porl-lioyal, U 111, p. 2S7, VIE D£ PASCAL. 43 passer du service de ses domestiques autant qu'il pouvait. II faisait son lit lui-meme, il allait prendre son diner a la cuisine et le portait a sa chambre, il le rapportait, et enfin il ne se servait de son monde que pour faire sa cuisine, pour aller en ville, etpour les autres choses qu'il ne pouvait absolument faire. Tout son temps etait employ^ a la priere et a la lec- ture de l'ficriture sainte, et il y prenait un plaisir incroyable. II disait que l'ficriture sainte n'etait pas une science de l'esprit, mais une science du coaur, qui n'etait intelligible que pour ceux qui ont le coeur droit, et que tous les autres n'y trouvent que de l'obscurite. C'est dans cette disposition qu'il la lisait, renon- $ant a toutes les lumieres de son esprit 1 ; et il s'y etait si fortement applique, qu'il la savait toute par cceur; de sorte qu'on ne pouvait la lui citer a faux; car lorsqu'on lui disait une parole sur cela, il disait positivement : Cela n'est pas de l'ficriture sainte ; ou, Cela en est; et alors il marquait precisement l'endroit. II lisait aussi les commentaires avec grand soin; car le respect pour la religion ou il avait ete eleve des sa jeunesse etait alors change en un amour ardent et sensible pour toutes les verites de la foi, 1 On voit par un passage d'une lettre de Pascal a Fermat, en date du 10 aout 1660, combien notre auteur etait dfeillusionne* sur les sciences : « Pour vous parler franchement de la geometrie, je la trouve le plus haut exercice de l'esprit ; mais en meme temps je la connais pour si inutile, que je fais peu de difference entre un homme qui n'est que g^ometre et un habile artisan. Aussi je 1'ap- pelle le plus beau metier du monde ; mais enfin ce n'est qu'un me- tier; et j'ai dit souvcnt qu'elle est bonne pour faire l'essai, et non pas 1'empioi de notre force. » 44 VIE DE PASCAL, soit pour celles qui regardent la soumission de 1'esprit, soit pour celles qui regardent la pratique dans le monde, a quoi toute la religion se termine; et cet amour le portait a travailler sans cesse a de- truire tout ce qui se pouvait opposer a ces verites. II avait une eloquence naturelle qui lui donnait une facilite merveilleuse a dire ce qu'il voulait; mais il avait ajoute a cela des regies donton ne s'etait pas encore avise et dont il se servait si avantageusement qu'il etait maitre de son style ; en sorte que non-seu- lement il disait tout ce qu'il voulait, mais il le disait en la maniere qu'il voulait, et son discours faisait l'effet qu'il s'etait propose. Et cette maniere d'ecrire naturelle, naive et forte en raeme temps, lui etait si propre et si particuliere, qu'aussitot qu'on vit pa- raitre les Lettres au Provincial, on vit bien qu'elles etaient de lui, quelque soin qu'il ait toujours pris de le cacher, meme a ses proches. Ce fut dans ce temps-la qu'il plut a Dieu de guerir ma fille d'une fistule lacrymale qui avait fait un si grand progres dans trois ^s et demi, que le pus sortait non-seu- lement par l'oeil, mais aussi par le nez et par la bouclie. Et cette fistule etait d'une si mauvaise qua- lite, que les plus habiles chirurgiens de Paris la jugeaient incurable. Cependant elle fut gue>ie en un moment par raitouchement de la sainte epine *; i Cette sainte epine est au Port-Iloyal du faubourg Saint-Jacques, a Paris. (Sotr.dc madame Verier.) — On consultera but le miracle de la ainte 6pine, Sainte-Beuve, Port-noyai, t. Ill, p, looet suiv. Pascal, pour conaacrer le souvenir du miracle, cliangea son cachet, et y mit un veil au milieu d'une couroimo d'epines. « Le livrcdea pensces, dans son inspiration premiere, dit M. Saint^'-Benve, ae VIE DE PASCAL. 45 et ce miracle fut si authentique, qu'il a ete avoue de tout le monde, ayant ete atteste par de tres-grands medecins et par les plus habiles chirurgiens de France, et ayant ete autorise par un jugement so- lennel de F%lise. Mon frere fut sensiblement louche de cette grace, qu'il regardait comme faite a lui-meme, puisque c'etait sur une personne qui, outre sa proximite, etait encore sa fille spirituelle dans le bapteme; et sa consolation fut extreme de voir que Dieu se ma- nifestait si clairement dans un temps ou la foi pa- raissait comme eteinte dans le coeur de la plupart du monde. La joie qu'il en eut fut si grande, qu'il en etait penetre; de sorte qu'en ayant l'esprit tout occupe, Dieu lui inspira une infinite de pensees admirables sur les miracles, qui, lui donnant de nouvelles lumieres sur la religion, lui redoublerent l'amour et le respect qu'il avait toujours eus pour elle. Et ce fut cette occasion qui fit paraitre cet extreme desir qu'il avait de travailler a refuter les principaux greffa en plein sur le miracle de la sainte epine. — Marguerite P& rier, dit encore ailleurs M. Sainte-Beuve, Fobjet du miracle de la sainte epine, v^cut de longues ann^es retiree a Clermont au sein de sa famille, dont elle resta la derniere... Elle demeura ainsi dans le dix-huitieme siecle comme un t^moin des grandes choses du dix- septieme, conservant religieusement les papiers de sa famille et enregistrant la memoire des saints. Elle ne mourut qu'en avril 1733, a l'age de. quatre-vingt-sept ans. » (Port-Royal, t. Ill, p. 128.) Jacqueline Pascal a compose" des vers sur le miracle de la sainte 6pine ; ils ont e"te" publics par M. Faugere, Lettres, opuscules, etc., p. 148, et par M. Cousin dans le volume intitule" : Jacqueline Pas* cat, p. 362. » 46 VIE DE PASCAL, et les plus faux raisonnements des athees. II les avait etudies avec grand soin, et avait employe tout son esprit a chercher tous les moyens de les con- vaincre. C'est a quoi il s'etait mis tout entier. La derniere annee de son travail a ete tout employee a recueillir diverses pensees sur ce sujet : mais Dieu, qui lui avait inspire ce dessein et toutes ces pensees, n'a pas permis qu'il l'ait conduit a sa perfection, pour des raisons qui nous sont inconnues. Cependant l'eloignement du monde qu'il prati- quait avec tant de soin n'empechait point qu'il ne vit souvent des gens de grand esprit et de grande condition, qui, ayant des pensees de retraite, de- mandaient ses avis et les suivaient exaetement, et d'autres qui etaient travailles de doutes sur les ma- tures de la foi, et qui, sachant qu'il avait de grandes lumieres la-dessus, venaient a lui le consulter, et s'en retournaient toujours satisfaits; de sorte que toutes ces personnes qui vivent presentement fort chretiennement temoignent encore aujourd'hui que c'est a ses avis et a ses conseils, et aux eclaircisse- ments qu'il leur a donnes, qu'ils sont redevables de lout le bien qu'ils font. Les conversations auxquelles il se trouvait sou vent erijfa^ ne laissaicnt pas de lui doimer (jnchjue Crainte l une personne a <]ui il VIE DE PASCAL. *9 devait toute sorte de deference, et par respect et par i Axmnaissance de l'affection dont il l'honorait, cette personne, qui est aassi considerable par sa piete que par les eminentes qualites de tson esprit et par la grandeur de sa naissance, ayant forme sur cela un dessein qui ne regardait que la gloire de Dieu, trouva a propos qu'il en usat comme il fit, et qu'ensuite il le fit imprimer. Ge fut seulement alors qu'il l'ecrivit, mais avec une precipitation extreme, en huit jours; car c'etait en meme temps que les imprimeurs travaillaient, four- nissant a deux en meme temps sur deux differents traites, sans que jamais il en eut d'autre copie que celle qui fut faite pour l'impression : ce qu'on ne sut que six mois apres que la chose fut trouvee. Cependantses infirmites, continuant toujours sans lui donner un seul moment de relache, le reduisi- rent, comme j'ai dit, a ne pouvoir plus travailler et a ne voir quasi personne. Mais si elles 1'empecherem de servir le public et les particuliers, elles ne fu- rent point inutiles pour lui-meme, et il les a souf- fertes avec tant de paix et tant de patience, qu'il y a sujet de croire que Dieu a voulu achever par la de le rendre tel qu'il le voulait pour paraitre devant lui; car durant cette longue maladie il ne s'eat jamais detourne de ses vues, ayant toujours dans l'esprit ces deux grandes maximes, de renoncer a tout plai- sir et a toute superfluity. II les pratiquait dans le plus for*, de son mal avec une vigilance continuelle sur ses sens, leur refusant absolument tout ce qui leur etait agreablo; et 2 VIE DE PASCAL, blables. II ne pouvait encore souffrir qu'on cher- chatavec soin toutes les commodites, comme d'avoir toutes choses pres de soi, et mille autres chosen qu'on fait sans scrupule, parce qu'on ne croit pas qu'il y ait du mal. Mais il n'en jugeait pas de meme, et nous disait qu'il n'y avait rien de si capable d'e- tejndre l'esprit de pauvrete comme cette recherche curieuse de ses commodites, de cette bienseance qui porte a vouloir toujours avoir du meilleur et du mieux fait; et il nous disait que, pour les ouvriers, il fallait toujours choisir les plus pauvres et les plus gens de bien, et non pas cette excellence qui n'est jamais necessaire, et qui ne saurait jamais etre utile. II s'ecriait quelquefois : « Si j'avais le coeur aussi » pauvre que l'esprit, je serais bien heureux; car je » suis merveilleusement persuade que la pauvrete » est un grand moyen pour faire son salut. » Cet amour qu'il avait pour la pauvrete le portait a aimer les pauvres avec tant de tendresse qu'il n'avait jamais refuse l'aumone, quoiqu'il n'en fit que de son necessaire, ayant peu de bien, et etant oblige de faire une depense qui exccdait son revenu, a causo de ses infirmites. Mais lorsqu'on lui voulait representor cela, quand il faisait quelque aumdne considerable, il se fachait, et disait : « J'ai remarque une chose, que, quelque pauvre qu'on soit, on laisse toujours quelque chose en mourant. » Ainsi il fer- mait la bouche : et il a M qudquefois si avant. qu'il s'cst rcduit a prendre de I'argent au change, pour avoir don im* aiix pauvres tout ce qu'il avait, et ne voulant pas a|>res cela importuner ses amis. VIE DE PASCAL. 53 Des que 1'affaire des carrosses 1 fut etablie, il me alt qu'il voulait demander mille francs par avance sur sa part a des fermiers avec qui Ton traitait, si I'on pouvaitdemeurer d'accord avec eux, parce qu'ils etaient de sa connaissance, pour envoyer aux p?u- vres de Blois 2 , et comme je lui dis que 1'affaire n'etait pas assez sure pour cela, et qu'il fallait at- tendre a une autre annee, il me fit tout aussit6t cette reponse : Qu'il ne voyait pas un grand incon- venienta cela, parce que, s'ils perdaient, il leleur ren- drait de son bien, et qu'il n'avait garde d'attendre a une autre annee, parce que le besoin etait trop pres- sant pour differer la charite. Et comme on ne s'ac- cordait pas avec ces personnes, il ne put executer cette resolution, par laquelle il nous faisait voir la 1 Entreprise de voitures publiques , a cinq sous par place , des- tinies a parcourir Paris sur plusieurs grandes lignes. Cette entre- prise fut autorisee par Louis XIV en Janvier 1662. « Elle parait, dit M. Ha vet, avoir e"te" conduite par Pascal. » Nous ajouterons qu'en essayant d'6tablir dans la capitale un mode de transport analogue a celui de nos omnibus, Pascal avait montre" qu'il s'entendait en spe- culations aussi bien qu'en ge'ome'trie. II avait devine" une excellente valeur industrielle ; mais il ne s'elait mis dans cette affaire, comme on dirE&t aujourd'hui, que pour en appliquer le produit a des ceuvres de bienfaisance. Cela ressort evidemment de la suite du paragra- phe. — Voir la brochure publiee en 1828 par M. Monmerqu6: Les Carrosses a cinq sols, ou les Omnibus au dix-septieme siecle. 2 Dans l'hiver de 1662 , le pays de Blois fut en proie a une af- freuse d&resse, qui s'6"tendit meme SiU dela du Blaisois jusqua la Touraine et au Berry. On publia a Paris, sous forme d'avis, des ap pels e"nergiques et repute's a la charite" publique. Ces avis sont d'ef froyables documents. On les trouve dans un Recueil de pieces de (j bibliotheque de I' Arsenal, n° 1675 bis, et ils ont 6t€ reproduits dans un article de la Presse du 17 fevrier 1851. C'est un amas d'horreurs dont irapprochent pas les plus grandes miseres qu'on peut cone©- voir dans notre temps. (Havet.) 54 VIE DE PASCAL, verite de ce qu'il nous avait dit tant de fois, qu'il ne souhaitait avoir du bien que pour en assister les pauvres, puisqu'en meme temps que Dieu lui don- nait l'esperance d'en avoir, il commencait a le dis- tribuer par avance, avant meme qu'il en fut as- sure. Sa charite envers les pauvres aval; toujours ete fort grande, mais elle etait si fort redoublee a la fin de sa vie, que je ne pouvais le satisfaire davantage que de Ten entretenir. II m'exhortait avec grand soin depuis quatre ans a me consacrer au service des pauvres, et a y porter mes enfants. Et quand je lui disais que je craignais que cela ne me divertit du soin de ma famille, il me disait que ce n'etait que manque de bonne volonte, et que, comme il y a di- vers degres dans cette vertu, on peut bien la prati- quer en sorte que cela ne nuise point aux affaires domestiques. II disait que c'etait la vocation gene- rale des Chretiens, et qu'il ne fallait point de mar- que particuliere pour savoir si on etait appele, parce qu'il etait certain que c'est sur tela que Jesus-Chris; jugera le monde; et que quand on considerait que la seule omission de cette vertu est cause de la dam- nation, cette seule peusce etait capable de nous por- ter a nous dcpouiller de tout, si nous avions de la foi. II nous disait encore que la frequentation des pauvres est extrciiieinent utile, en ce que, voyant cbhtinuellement les miseres dont ils sont accables, et que m6me dans 1'extremite de leurs maladies ils indnquaieni des choses les plus u^cesstiires, ^ti'aprfes cela il fau«li;»ii eire bien dur pour ne pas se priver VIE DE PASCAL. 55 volontairement des commodites inutiles et des ajus- tements superflus. Tous ces discours nous excitaient et nous por- taient quelquefois a faire des propositions pour trou- ver des moyens pour des reglements generaux qui pourvussent a toutes les neeessites; mais il ne trouvait pas cela bon, et il disait que nous n'etions pas appeles au general, mais au particulier, et qu'il croyait que la maniere la plus agreable a Dieu etait de servir les pauvres pauvrement, c'est-a-dire cha- cun selon son pouvoir, sans se remplir l'esprit de ces grands desseins qui tiennent de cette excel- lence dont il blamait la recherche en toutes choses. Ce n'est pas qu'il trouvat mauvais retablissement des hopitaux generaux; au contraire, il avait beau- coup d'amour pour cela, comme il Ta bientemoigne par son testament; maisil disait que ces grandes en- treprises etaient reservees a de certaines personnes que Dieu destinait a cela, et qu'il conduisait quasi visiblement; mais que ce n'etait pas la vocation ge- nerate de tout le monde, comme Tassistance jour- naliere et "particuliere des pauvres. Yoila une partie des instructions qu'il nous don- nait pour nous porter a la pratique de cette vertu qui tenait une si grande place dans son coeur; c'est un petit echanti l lon qui nous fait voir la grandeur de sa charite. Sa purete n'etait pas moindre, et il avait un si grand respect pour cette vertu, qu'il etait continuellement en garde pour empecher qu'elle ne fut blessee ou dans lui ou dans les autres, et il n'est pas croyabie combien il etait exact sur ce point. J'en 56 VIE DE PASCAL, ^tais meme dans la crainte; car il trouvait a redire a des discours que je faisais, et que je croyais tres- innocents, et dont il me faisait ensuite voir les de- fauts, que je n'aurais jamais connus sans ses avis. Si je disais quelquefois que j'avais vu une belle femme, il se fachait, et me disait qu'il ne fallait jamais tenir ce discours devant des laquais ni des jeunes gens, parce que je ne savais pas quelles pensees je pour- rais exciter par la en eux. II ne pouvait souffrir aussi les caresses que je recevais de mes enfants, et il me disait qu'il fallait les en desaccoutumer, etque cela ne pouvait que leur nuire, et qu'on leur pouvait temoigner de la tendresse en mille autres manieres. Voila les instructions qu'il me donnaitla-dessus; et voila quelle etait sa vigilance pour la conservation de la purete dans lui et dans les autres. II lui arriva une rencontre, environ trois mois avant sa mort, qui en fut une preuve bien sensible, et qui fait voir en meme temps la grandeur de sa charite : comme il revenait un jour de la messe de Saint-Sulpice, il vint a lui une jeune fille d'environ quinze ans, fort belle, qui lui demandait l'aumone; il fut touche de voir cette personne exposee a un danger si evident; il lui demanda qui elle etait, et ce qui I'obligeait ainsi a demander l'aumone; et ayant su qu'elle riaii. de la campagne et que son perc Hail mort, etque sa mere e*tant tombee malade, onl'avait portee a l'H6tel-Dieu ce jour-la meme, il crut que Dieu la lui avail cnvoyee aussitot qu'elle avail etc dan.> n- besoin ; de sorte que des l'heure meme il la meua au si'iuiiiaire, ou il la mitentre les mains d'un VIE DE PASCAL. 57 bon pretre, a qui il donna de l'argent, et le pria d'en prendre soin et de la mettre en quelque con- dition ou elle put recevoir de la conduite a cause de sa jeunesse, et oil elle fut en surete de sa per- sonne. Et pour le soulager dans ce soin, il lui dit qu'il lui enverrait le lendemain une femme pour lui acheter des habits, et tout ce qui lui serait neces- saire pour la mettre en etat de pouvoir servir une maitresse. Le lendemain il lui envoya une femme qui travailla si bien avec ce bon pretre, qu'apres l'avoir fait habiller, ils la mirent dans une bonne condition. Et cet ecclesiastique ayant demande a cette femme le nom de celui qui faisait cette charite, elle lui dit qu'elle n'avait point charge de le dire r mais qu'elle le viendrait voir de temps en temps pour pourvoir avec lui aux besoins de cette fille, et il la pria d'obtenir de lui la permission de lui dire son nom : « Je vous promets, dit-il, queje n'enparle- » rai jamais pendant sa vie; mais si Dieu permettait » qu'il mourut avant moi, j'aurais de la consolation » de publier cette action ; car je la trouve si belle, que » je ne puis souffrir qu'elle demeure dans l'oubli. » Ainsi, par cette seule rencontre, ce bon ecclesias- tique, sans le connaitre, jugeait combien il avait de charite et d'amour pour la purete. II avait une ex- treme tendresse pour nous; mais cette affection n'allait pas jusqu'a l'attachement. II en donna une preuve bien sensible a la mort de ma sceur, qui pre- ce.da la sienne de dix mois. Lorsqu'il recut cette nouvelle, il ne dit rien, sinon : « Dieu nous fasse Ja » grace d'aussi bien mourirl »etils'esttoujours de- 58 VIE DE PASCAL, puis term dans une soumission admirable aux ordres de la providence deDieu, sans faire jamais reflexion que sur les grandes graces que Dieu avait faites a ma soeur pendant sa vie, et des circonstances du temps de sa mort; ce qui lui faisaitdire sans cesse : « Bienheureux ceux qui meurent , pourvu qu'ils » meurent au Seigneur! » Lorsqu'il me voyait dans de continuelles afflictions pour cette perte que je ressentais si fort, il se fachait, et me disait que cela n'etait pas bien, et qu'il ne fallait pas avoir ces sen- timents pour la mort des justes, et qu'il fallait au contraire louer Dieu de ce qu'il l'avait si fort recom- pensed des petits services qu'elle lui avait rendus. C'est ainsi qu'il faisait voir qu'il n'avait nulle at- tache pour ceux qu'il aimait; car s'il eutete capable d'en avoir, c'eut ete sans doute pour ma soeur, parce que c'etait assurement la personne du monde qu'il aimait le plus. Mais il n'en demeura pas la; car, non- seulement il n'avait point d'attache pour les autres, mais il ne voulait point du tout que les autres en eus- sent pour lui. Je ne parle pas de ces attaches crimi- nelles et dangereuses, car cela est grossier, et tout le monde le voit bien; mais je parle de ces amities les plus innocentes; et c'etait une des choses sur lesquellcs il s'observaitleplus reguliercment,afin de n'y point donner de sujet, et nieme pour rempecher : et cbmirie je ne savais pas cela, j'etais toute surprise des rebuts qu'il me faisait quelquefois, et je le disais a ma soeur, me plaignanl a clle que mon frerc He m'aimait pas, et qu'il semblait que je lui faisais de ia peine lors ineine que je lui icndais mes ser- VIE DE PASCAL. 59 vices les plus affectionnes dans ses infirmites. Ma soeur me disait la-dessus que je me trompais, qu'elle savait le contraire, qu'il avait pour moi une affection aussi grande que je le pouvais souhaiter. C'est ainsi que ma soeur remettait mon esprit, et je ne tardais guere a en voir des preuves, car aussitot qu'il se presentait quelque occasion ou j'avais besoin du se- cours de mon frere, il l'embrassait avec tant de soin et de temoignages d'affection, que je n'avais pas lieu de douter qu'il ne m'aimat beaucoup; de sorte que j'attribuais au chagrin de sa maladie les manieres froides dont il recevait les assiduites que je lui ren- dais pour le desennuyer; et cette enigme ne m'a ete expliquee que le jour meme de sa mort, qu'une personne des plus considerables par la grandeur de son esprit et de sa piete, avec qui il avait eu de grandes communications sur la pratique de la vertu, me dit qu'il lui avait donne cette instruction entre autres, qu'il ne souffrit jamais de qui que ce fut qu'on l'aimat avec attachement ; que c'etait une faute sur laquelle on ne s'examine pas assez, parce qu'on n'en concoit pas assez la grandeur, et qu'on ne considerait pas qu'en fomentant et souffrant ces attachements, on occupait un coeur qui ne devait etre qu'a Dieu seul : que c'etait lui faire un lar- cin de la chose du monde qui lui etait la plus pre- cieuse. Nous avons bien vu ensuite que ce principe etait bien avant dans son coeur, car, pour l'avoir toujours present, il l'avait ecrit de sa main sur un petit papier pu il y avait ces mots : « II est injuste » qu'on s'attache a moi, quoi^Vn lqfasse avec plai- 60 VIE DE PASCAL. » sir et volontairement : je tromperais ceux en qui » j'en ferais naitre le desir, car je ne suis la fin de » personne, et n'ai pas de quoi les satisfaire. Ne » suis-je pas pret a mourir? et ainsi l'objet de leur » attachement mourra done. Comme je serais cou- » pable de faire croire une faussete, quoique je la » persuadasse doucement, et qu'on la crut avec plai- » sir, et qu'en cela on me fit plaisir : de m£me je » suis coupable de me faire aimer; et si j'attire » les gens a s'attacher a moi, je dois avertir ceux qui » seraient prets a consentir au mensonge, qu'ils ne » le doivent pas croire, quelque avantage qu'il m'en » revint, et de meme qu'ils ne doivent pas s'attacher » a moi, car il faut qu'ils passent leur vie et leurs » soins a plaire a Dieu ou a le chercher. » Voila de^quelle maniere il s'instruisait lui-m6me, et comme il pratiquaitsi bien ses instructions, que j'y avais ete trompee moi-m^me. Par ces marques que nous avons de ses pratiques, qui ne sont venues a notre connaissance que par hasard, on peut voir une partie des lumieres que Dieu lui donnait pour la perfection de la vie chretienne. II avait un si grand zele pour la gloire de Dieu, qu'il ne pouvait souflrir qu'elle fiit violee en quoi que ce soit : e'est ce qui le rendaitsi ardent pour le service du roi, qu'il rcsistait a tout le monde lors des troubles de Paris ' : et toujours depuis il appe- * Madame P6rier s'(5tend sur CM dispositions dc son frcrc, parc« que ceux de Purt-Royal furent toujours suspects pour leurs liaisons avec les Grandeurs et, les mccontents. Lea disciples de Saint-Cyran no furent pas plus agrcablcs a Louis XIV, que lui-meme l'avait 6td VIE DE PASCAL. 61 lait des pretextes toutes les raisons qu'on donnait pour excuser cette rebellion ; et il disait que « dans » un etat etabli en republique, comme Vemse, c'etait » un grand mal de contribuer a y mettre un roi, et op- » primer la liberte des peuples a qui Dieu l'a donnee; » mais que dans un etat ou la puissance royale est » etablie, on ne pouvait violer le respect qu'on lui » doit que par une espece de sacrilege; puisque c : est » non-seulement une image de la puissance de Dieu, » mais une participation de cette meme puissance, » a laquelle on ne pouvait s'opposer sans resister » visiblement a 1'ordre de Dieu; et qu'ainsi Ton ne » pouvait assez exagerer la grandeur de cette faute, » outre qu'elle est toujours accompagnee de la guerre » civile, qui est le plus grand peche que l'oi! puisse » commettre contre la charite du prochain. » Et il observait cette maxime si sincerement, qu'il a refuse a Richelieu. « Quelques grands principes, dit Racine , qu'on eut a Port-Royal sur la fidelite" et sur l'obeissance qu'on doit aux puis- sances legitimes, quelque persuade" qu'on y fut qu'un sujet ne peut jamais avoir de justes raisons de s'elever contre son prince, le roi &.ait pre>enu que les jansenistes n'^taient pas bien intentionn^s pour sa personne et pour son fitat ; et ils avaient eux-memes, sans y penser, donne" occasion a lui inspirer ces sentiments par le com- merce, quoique innocent, qu'ils avaient eu avec le cardinal de Retz ; et par leur facilite* plus chr^tienne que judicieuse a recevoir beau- coup de personnes , ou d^goutdes de la cour, on tomb^es dans la disgrace, qui venaient chez eux chercher des consolations, quelque- fois meme se jeter dans la penitence. Joignez a cela qu'encore que les principaux d'entre' eux fussent fort r6serv6s a' parler et a se plaindre, ils avaient des amis moins r£serv6s et indiscrets qui te- naient quelquefois des discours tres-peu excusables. Ces discours, quoique avances souvent par un seul particulier, 6taient r^putds des discours de tout le corps; leurs adversaires prenaient grand soin qu'ils fussent rapport^s au ministre ou au roi meme. » -^Voyez Sainte-Beuve Port-Iloyal, t. II, p, 192 et suivantes. (Havet.) 62 VIE DE PASCAL. dans ce temps-la des avantages tres-considerables pour n'y pas manquer. II disait ordinairement qu'il avait un aussi grand eloignement pour ce peche-la, que pour assassiner le monde ou pour voler sur les grands chemins, et qu'enfin il n'y avait rien qui fut plus contraire a son naturel et sur quoi il fut moins tente. Ce sont la les sentiments ou il etait pour le ser- vice du roi : aussi etait-il irreconciliable avec tous ceux qui s'y opposaient; et ce qui faisait voir que ce n'etait pas par temperament ou par attachement a ses sentiments, c'est qu'il avait une douceur merveil- leuse pour ceux qui l'offensaient en particulier. En sorte qu'il n'a jamais fait de difference de ceux-la d'avec les'autres; et il oubliait si absolument ce qui ne regardait que sa personne, qu'on avait peine a Ten faire souvenir, et il fallait pour cela circonstan- cier les choses. Et, comme on admirait quelquefois cela, il disait : « Ne vous en etonnez pas, ce n'est » pas par vertu, c'est par oubli reel; je ne m'en sou- » viens point du tout. » Cependant il est certain qu'on voit par la que les offenses qui ne regardaient que sa personne ne lui faisaicnt pas grande impres- sion, puisqu'il les oubliait si facilement; car il avait unc memoire si excellente, qu'il disait souvent qu'il h'avait jamais rien oublie des choses qu'il avait voulu retenir. 11 a pratique cette douceur dans la souffrancedes choses desobligeantes jusqu'a la fin,' car peu de temps avant sa mort, ayant cie offense dans une par- tie qui lui etait fort sensible. 4>ar une personne que VIE DE PASCAL. 63 Jui avait de grandes obligations, et ayant en meme temps recu un service de cette personne, il la re- ftiercia avec tant de compliments et de civilites, qu'il en etait confus : cependant ce n'etait pas par oubli, puisque c'etait dans le meme temps ; mais c'est qu'en effet il n'avait point de ressentiment poiir les offenses qui ne regardaient que sa personne. Toutes ces inclinations dont j'ai remarque les par- ticularites se verront mieux en abrege par une pein- ture qu'il a faite de lui-meme dans un petit papier ecrit de sa main en cette maniere l : « J'aime la pauvrete, parce que Jesus-Christ l'a » aimee. J'aime les biens, parce qu'ils donnent le » moyen d'enassister les miserables.Je garde fidelite » a tout le monde. Je ne rends pas le mal a ceux qui » m'en font, mais je leur souhaite une condition pa- » reille a la mienne, oil Ton ne recoit pas de mal ni » de bien de la part des hommes. J'essaye d'etre » juste, veritable, sincere et fidele a tous les hommes, » et j'ai une tendresse de cceur pour ceux que Dieu » m'a unis plus etroitement; et, soit que je sois » seul ou a la vue des hommes, j'ai en toutes mes » actions la vue de Dieu, qui les doit juger, et a qui » je les ai toutes consacrees. Voiia quels sont mes » sentiments, et je benis tous les jours de ma vie » mon Redempteur qui les a mis en moi, et qui d'un » homme plein de faiblesse, de misere, de concu- 1 Cette dspece de profession de foi qu'un grand nombre d'^diteurt ont a tort plac^e dans les Pensees, commencait par ces mota que Pascal a ensuite effaces : « J'aime tous les hommes comme mei freres, parce qu'ils sont tous rachet^s. » 64 VIE DE PASCAL. » piscence, d'orgueil et d'ambition, a fait un homme » exempt de tous ces maux, par la force de sa grace, k a laquelk toute la gloire en est due, n'ayant de » moi que la misere et l'erreur. » II s'etait ainsi depeint lui-meme, afin qu'ayant continuellement devant les yeux la voie par laquelle Dieu le conduisait, il ne put jamais s'en detourner. Les lumieres extraordinaires, jointes a la grandeur de son esprit, n'empechaient pas une simplicite mer- veilleuse qui paraissait dans toute la suite de sa vie, et qui le rendait exact a toutes les pratiques qui regardaient la religion. II avait un amour sensible pour tout l'office divin, mais surtoutpour lesPetites Heures,parcequ'ellessontcomposeesdupsaumell8, dans lequel il trouvait tant de choses admirables, qu'il sentait de la delectation a le reciter. Quand il s'entretenait avec ses amis de la beaute de ce psaume, il se transportait, en sorte qu'il paraissait hors de lui- meme; et cette meditation l'avait rendu si sensible a toutes les choses par lesquelles on tache d'hono- rerDieu, qu'il n'en negligeait pas une. Lorsqu'on lui envoyait des billets tous les mois, comme on fait en beaucoup de lieux, il les recevait avec un respect admirable; il en recitait tous les jours la sentence; et dans les quatrc dernieres annees de sa vie, comme il ne pouvait travailler, son principal divertissement etait d'aller visiter les ^glises oil il y avait des reli- ques cxposees, on quel que solennite ; et il avail pour cela un almanacfa spirituel qui I'instruisait des lieux oil il y uvait des devotions parliculieres, et il faisait tout cela si devoleinent et si simplement, que ceux VIE DE PASCAL, 65 cjui le voyaient en etaient surpris : ce qui a donne lieu a cettebelle parole d'unepersonnetres-vertueuse et tres-eclairee : « Que la grace de Dieu se fait con- » naitre dans les grands esprits par les petites choses, » et dans les esprits communs par les grandes. » Cette grande simplicity paraissait lorsqu'on lui parlait de Dieu ou de lui-meme; de sorte que, la veille de sa mort, un ecclesiastique , qui est un homme d'une tres-grande vertu, l'etant venu voir, comme il l'avait souhaite, et ayant demeure une heure avec lui, il en sortit si edifie, qu'il me dit : « Allez, consolez-vous ; si Dieu l'appelle, vous avei » bien sujet de le louer des graces qu'il lui fait, » j'avais toujours admire beaucoup de grandes » choses en lui, mais je n'y avais jamais remarque » la grande simplicite que je viens de voir : cela est » incomparable dans un esprit tel que le sien; je » voudrais de tout mon cceur etre en sa place. » M, le cure de Saint-fitienne *, qui l'a vu dans sa maladie, y voyait la meme chose, et disait a toute heure : « G'est un enfant : il est humble, il est sou- » mis comme un enfant. » G'est par cette meme sim- plicite qu'on avait une liberte tout entiere pour Tavertir de ses defauts, et il se rendait aux avis qu'on lui donnait, sans resistance. L'extreme vivacite de son esprit le rendait quelquefois si impatient, qu'on avait peine a le satisfaire; mais quand on l'avertis- sait, ou qu'il s'apercevait qu'il avait fache quelqu'un dans ses impatiences, il reparait incontinent cela * C'&ait le pere Beurrier, depuis abb6 de Sainte-Genevifeye. 66 VIE DE PASCAL, par des traitements si doux et par tant de bienfaits* que jamais il n'a perdu Tamitie de personne par la Je tache tant que je puis d'abreger, sans cela j'au- rais bien des particularity a dire sur chacune des choses que j'ai remarquees; mais comme je ne veux pas m'etendre, je viens a sa derniere maladie. Elle commenca par un degout etrange qui lui prit deux mois avant sa mort : son medecin lui con- seilla de s'abstenir de manger du solide. et de se purger. Pendant qu'il etait dans cet etat, il fit une action de charite bien remarquable. II avait chez lui un bonhomme avec sa femme et tout son menage, a qui il avait donne une chambre, et a qui il fournis- sait du bois, tout cela par charite ; car il n'en tirait point d'autre service que de n'etre point seul dans sa maison. Ce bonhomme avait un tils qui, etant tombe malade, en ce temps-la, de la petite verole, mon frere, qui avait besoin de mes assistances, eut peur que je n'eusse de l'apprehension d'aller chez lui a cause de mes enfants. Cela l'obligea a penser de se separer de ce malade; mais comme il craignait qu'il ne fut en danger si on le transportait en cet etat hors de sa maison, il aima mieux en sortir lui- me'me , quoiqu'il fut deja fort mal , disant : « U » ya moins de danger pour moi dans ce changemeHt » de demeure; best pourquoi il failt que ce soit moi » qui quitie. » Ainsi il sortit de sa maison le29juin pour venirchez nous, et il n'y rentra jamais l ; car trois joins apres il commenca d'etre a ttaque* d'une 1 Lamaisoa demadamePdrieresI Bitu^e rueNeuve Saint ^tienne, n' b. Aaroittj dc la jiurlc cochore, en entraii-(. ■dans la cour, se trouvt VIE DE PASCAL. 67 coligue tres-violente qui lui otait absolument le sommeil. Mais comme il avait une grande force d'esprit et un grand courage, il endurait ses dou- ceurs avec une patience admirable. II ne laissait pas de se lever tous les jours, et de prendre lui-meme ses remedes, sans vouloir souffrir qu'on lui rendit le moindre service. Les medecins qui le traitaient voyaient que ses douleurs etaient considerables; mais parce qu'il avait le pouls fort bon, sans aucune alteration ni apparence defievre, ils assuraient qu'il n'y avait aucun peril, se servant meme de ces mots : « II n'y a pas la moindre ombre de danger. » Non- obstant ce discours, voyant que la continuation de ses douleurs et de ses grandes veilles l'affaiblissait, des le quatrieme jour de sa colique, et avant meme d'etre alite, il envoya querir M. le cure et se con- fessa. Gela fit du bruit parmi ses amis, et en obligea quelques-uns de le venir voir, tout epouvantes d'ap- prehension. Les medecins memes en furent si sur- pris, qu'ils ne purent s'empecher de le temoigner, disant que c'etait une marque d'apprehension a quoi ils ne s'attendaient pas de sa part. Mon frere, voyant Temotion que cela avait causee, en fut fache et me dit : « J'eusse voulu commimier; mais puisque je » vois qu'on est surpris de ma confession, j'aurais » peur qu'on ne le fut davantage; c'est pourquoi il » vaut mieux differer. » M. le cure ayant ete de cet avis, il ne communia pas. Cependant son mal conti- un petit pavilion isole\ C'est la, dans une chambre qui a deux fe- B&tres grilles du c0t6 de la rue, que Pascal est mort. (P. Faugere.) 68 VIE DE PASCAL, nuait; et comme M. le cure le venait voir de temps en temps par visite, il ne perdait pas une de ces oc- casions pour se confesser, et n'en disait rien, de peur d'effrayer le monde, parce que les medecins assu* raient toujours qu'il n'y avait njl danger a sa ma- ladie; et en effet il y eut quelque diminution en ses douleurs, en sorte qu'il se levait quelquefois dans sa chambre. Elles ne le quitterent jamais neanmoins tout a fait, et meme elles revenaient quelquefois; et il maigrissait aussi beaucoup, ce qui n'effrayait pas beaucoup les medecins : mais, quoi qu'ils pussent dire, il dit toujours qu'il etait en danger, et ne manqua pas de se confesser toutes les fois que M. le cure le venait voir. II fit meme son testament* durant ce temps-la . ou les pauvres ne furent pas oublies, et il se fit violence pour ne leur pas donner davantage, car il me dit que si M. Perier eut ete a Paris, et qu'il y eut consenti, il aurait dispose de tout son bien en faveur des pauvres; et enfin il n'avait rien dans I'esprit et dans le coeur que les pauvres, et il me disait quelquefois : « D'ou vient » que je n'ai jamais rien fait pour les pauvres, » quoique j'aie toujours eu un si grand amour pour » (Mix ? » Je lui dis : « C'est que vous n'avez jamais » eu assez de bien pour leur donner de grandes as- » sistances. » Et il me repondil : a Puisque je n'avais » pas de bien pour leur BD donner, je dcvais leur * Un BXtraitde ce tcsianiont a utu rolrouvi: dans les archives des h6pitaox de Clermont auxqaela Pascal avait fait y\n legs, et public" par M. Faugere dans its Lettres, opuscules, cir. Ai)pfiidice a" 3.— « Ceteitraitn'oii'rcdii reste rien departiculier, VIE DE PASCAL. 69 » avoir donne mon temps et ma peine; c'est a quoi » j'ai failli; et si les medecins disent vrai, et si Dieu » permet que je me releve de cette maladie, je suis » resolu de n'avoir point d'autn efiiploi ni point » d'autre occupation tout le reste ae ma vie que le » service des pauvres. » Ce sont les sentiments dans lesquelsDieu l'a pris. II joignait a cette ardente charite pendant sa ma- ladie une patience si admirable, qu'il edifiait et sur- prenait toutes les personnes qui etaient autour de lui; et il disait a ceux qui lui temoignaient avoir de la peine de voir l'etat oil il etait, que, pour lui, il n'en avait pas, et qu'il apprehendait meme de guerir; et quand on lui en demandait la raison, il disait : « C'est que je connais les dangers de la sante et les » avantages de la maladie. » II disait encore au plus fort de ses douleurs, quand on s'affligeait de les lui voir souffrir : « Ne me plaignez point; la maladie » est l'etat naturel des Chretiens, parce qu'on est » par la comme on devrait toujours etre, dans la » souffrance des maux, dans la privation de tous les » biens et de tous les plaisirs des sens, exempt de » toutes les passions qui travaillent pendant tout le » cours de la vie, sans ambition, sans avarice, dans » l'attente continuelle de la mort. N'est-ce pas ainsi » que les Chretiens devraient passer la vie ? Et » n'est-ce pas un grand bonheur quand on se trouve » par necessite dans l'etat ou Ton est oblige d'etre, » et qu'on n'a autre chose a faire qu'a se soumettre » humblement et paisiblement? C'est pourquoi je » ne demande autre chose que de prier Dieu qu'iJ TO VIE DE PASCAL. » me fasse cette grace. » Voila dans quel esprit il endurait tous ses maux 1 . II souhaitait beaucoup de communier; mais les medecins s'y opposaient, disant qu'il ne le pouvait faire a jeun, a moins que de le faire la nuit; ce qu'il ne trouvait pas a propos de faire sans necessite, et que pour communier en viatique il fallait etre en danger de mort, ce qui ne se trouvant pas en lui, ils ne pouvaient pas lui donner ce conseil. Cette re- sistance le fachait; mais il etait contraint d'y ceder. Cependant, sa colique continuant toujours, on lui ordonna de boire des eaux, qui en effet le soulage- rent beaucoup : mais au sixieme jour de sa boisson, qui etait le quatorzieme d'aout, il sentit un grand etourdissement avec une grande douleur de tete; et quoique les medecins ne s'etonnassent pas de cela, et qu'ils l'assurassent que ce n'etait que la vapeur des eaux, il ne laissa pas de se confesser, et il demanda avec des instances incroyables qu'on le fit commu- nier, et qu'au norn de Dieu on trouvat moyen de remedier a tous les inconvenients qu'on lui avait allegues iusqu'alors ; et il pressa tant pour cela, * En lisant ces details dont la sinccrite" ne peut etre r6voqu6e en doute, on ne peut s'empecher de rcmarquer que si l'on a pu trouver dans les ecrits de Pascal quelque chose qui, de pres ou d« loin, ressemblAt au scepticismc, ce scepticisms n'a jamais porti que sur la raison, et non sur la foi. Dans la pratique, Pascal i eu': < luoticn comme les plus grands saints de l'Eglise; et la bio- graphic 6crite par madame Pcricr peut a hon droit etre classue panni lea vies edifiantes. On peut la comparer avec la biographic de Wabillon, 6crite par domThierry Ruinart, et, L'on Baura, par cette comparaison, k quelle hauteur B'61evaient dans leur loi, les granda esprits du dix-sci)Utiue siecle. VIE DE PASCAL. 7! qu'une personne qui so trouva presente lui re- procha qu'il avait de Tin quietude, et qu'il devait se rendre au sentiment de ses amis, qu'il se portait mieux, et qu'il n'avait presque plus de co- lique, et que, ne lui restant plus qu'une vapeur d'eau, il n'etait pas juste qu'il se fit porter le saint sacrement; qu'M valait mieux differer, pour faire cette action a l'eglise. II repondit a cela : « On ne sent pas mon mal, et on y sera trompe; » ma douleur de tete a quelque chose de fort ex- » traordinaire. » Neanmoins, voyant une si grande opposition a son desir, il n'osa plus en parler; mais il dit : « Puisqu'on ne me veut pas accor- » der cette grace, j'y voudrais bien suppleer par » quelque bonne oeuvre, et ne pouvant pas commu- » nier dans le chef, je voudrais bien communierdans » ses membres; et pour cela j'ai pense d'avoir ceans » un pauvre malade a qui on rende les memes ser- » vices comme a moi, qu'on prenne une garde ex- » pres, et enfin qu'il n'y ait aucune difference de lui » a moi, afm que j'aie cette consolation de savoir » qu'il y a un pauvre aussi bien traite que moi, dans » la confusion que je souffre de me voir dans » la grande abondance de toutes choses ou je me »> vois. Car quand je pense qu'au meme temps que o je suis si bien, il y a une infinite de pauvres qui » sont plus malades que moi, et qui manquent des » choses les plus necessaires, cela me fait une peine » que je ne puis supporter, et ainsi je vous prie de » iemander un malade a M. le cure pour le dessein que j'ai. » 72 VIE DE PASCAL. J'envoyai a M. le cure a l'heure meme, qui manda qu'il n'y en avait point qui fut en etat d'etre trans- porte; mais qu'il lui donnerait, aussitot qu'il serait gueri, un moyen d'exercer la charite, en se char- geant d'un vieux homme dont il prendrait soin le reste de sa vie : car M. le cure ne doutait pas alors qu'il ne dut guerir. Comme il vit qu'il ne pouvait pas avoir un pauvre en sa maison avec lui, il me pria done de lui faire cette grace de le faire porter aux Incurables, parce qu'il avait grand desir de mourir en la compagnie des pauvres. Je lui dis que les medecins ne trou- vaient pas a propos de le transporter en l'etat ou il etait, ce qui le facha beaucoup ; il me fit promettre que, s'il avait un peu de relache, je lui donnerais cette satisfaction. Cependant, cette douleur de tete augmentant, il la souffrait to uj ours comme tous les autres maux, e'est- a-dire sans se plaindre, et une fois, dans le plus fort de sa douleur, le dix-septieme d'aout, il me pria de faire une consultation; mais il entra en meme temps en scrupule, et me dit : « Je crains qu'il n'y ait trop » de recherche dans cette demande. » Je ne laissai pourtant pas de la faire; et les medecins lui ordon- nercnt de boire du petit-lait, lui assurant toujours qu'il n'y avait mil danger, et que ce n'etait que la migraine m£l£e avec la vapeur des eaux. Neanmoins, quoi ^u'ils pussent dire, il ne les crut jamais, et me pria d'avoir un eccl6siastique pour passer la nuit aupres de \u'\; et moi-meme je le trouvai si mal, que je il.onnai ordre. sans en rien dire, d'apporter des VIE DE PASCAL. 73 cierges et tout ce qu'sl fallait pour le faire commu nier le lendemain matin. Ces apprets ne furent pas inutiles; mais ils ser virent plus tot que nous n'avions pense; car, a en viron minuit, il lui prit une convulsion si violente, que, quand elle tut passee, nous crumes qu'il etait mort, et nous avions cet extreme deplaisir avec tous les autres, de le voir mourir sans le saint sacre- ment, apres l'avoir demande si souvent avec taut d'instance. Mais Dieu, qui voulait recompenser un desir si fervent et si juste, suspendit comme par miracle cette convulsion, et lui rendit son jugement entier, comme dans sa parfaite sante ; en sorle que M. ie cure, entrant dans sa chambre avec le sacre- ment, lui cria : « Voici celui que vous avez tant de- » sire. » Ces paroles acheverent de le reveiller; et comme M. le cure approcha pour luidonner la com- munion, il lit un effort, et il se leva seul a moitie, pour le recevoir avec plus de respect; et M. le cure l'ayant interroge, suivant la coulume, sur les prin- cipaux mysteres de la foi, il repondit distinctement: « Oui, monsieur, je crois tout cela de tout mon o coeur. » Ensuite il recut le saint viatique et Tex treme-onction avec des sentiments si tendres, qu'il en versait des larmes. II repondit a tout, remercia M. le cure ; et, lorsqu'il le benit avec le saint ciboire, il dit: « Que Dieu nem'abandonne jamais l»Ce qui fut comme ses dernieres paroles ; car, apres avoir fait son action de graces, un moment apres ses convulsions le reprirent, qui ne le quilterent plus, et qui ne lui iaisserent pas un instant de liberte d'esprit; elles 74 VIE DE PASCAL. 4urerent jusqu'a sa mort, qui fut vingt-quatre iieures apres, le dix-neuvieme d'aotit mil six cent soixante-deux, a une heure du matin, age de trente- neuf ans et deux mois *. 1 Un manuscrit de la vie de Pascal donne" par Marguerite Pe"rier aux peres de l'Oratoire de Clermont, contenait quelques details qui ne se trouvent pas dans l'imprime\ sur les r6sultats de l'autop- sie qu'on fit du corps de Pascal. (Havet.) — Voici ces details : « L'ayant fait ouvrir, on trouva l'estomac et le foie ftetris, et les intestins gangrenes, sans qu'on put juger pr£cis£ment si c'avait 6te" la cause des douleurs de colique ou si e'en avait e"te" l'effet. Mais ce qu'il y eut de plus particulier, fut a l'ouverture de la t6te, dont le crane se trouva sans aucune suture (que la sagit- tate ); ce qui apparemment avait cause" les grands maux de tete auxquels il avait 6te" sujet pendant sa vie. II est vrai qu'il avait eu autrefois la suture qu'on appelle fontale; mais ayant demeure" Duverte fort longtemps pendant son enfance, comme il arrive sou- rent en cet age, et n'ayant pu se refermer, il s'&ait forme" un ca- lus qui l'avait entierement couverte, et qui etait si considerable, qu'on le sentait ais<5ment au doigt. Pour la suture coronale, il n'y en avait aucun vestige. Les medecins observcrent qu'il y avait une prodigicuse abondance de cervclle, dont la substance etait si solide et si condense" e que cela leur fit juger que c'6tait la raison pour la- quelle la suture fontale n'ayant pu se reformer, la nature y avait pourvu par le calus. Mais ce que Ton remarqua de plus conside- rable, et a qiioi on attribua particulierement sa rnort et les der- niers accidents qui l'accompagnercnt, fut qu'il y avait au dedans du crane, vis-a-vis des ventricules du cerveau, deux impressions, comme du doigt dans de la circ, qui etaimt pleinea d'un sang caille" et corrompu qui avait commence de gangrener la dare-mere. » La tombe de Pascal se voit encore aujourd'hui a l'^glise Saint- fitiennedn Mont. — M. Michcletraconte, d'apf&s madanie de Genlis, que le due d'Orlean^- ayant eu besoin d'un st/urlrttc pour ses o]m ra- tions d'alclrimie, on alia dlterrer Pascal. [Histoire dc la revolutions t. I, p. 77.) Cettc profanation n*a heureusement Jamais eu lieu que dans l'imagination de madame de Genlis. APPEND1CE I. Memoire de la vie de M. Pascal, ecrit par mademoisellk Perier, sa niece *. « Lorsque men oncle eut un an, il lui ar/iva une chose fort extraordinaire. Ma grancVmere etait, quoique tres-jeunej tres-pieuse et tres-charitable; elle avait un grand nombre de pauvres families a qui elle donnait la charite. II y en avait une qui avait la reputation d'etre sorciere ; tout le monde le lui disait : mais ma grand'mere qui n'etait pas de ces femmes credules et qui avait beaucoup d'esprit, se mo- qua de cet avis, et continuait toujours a lui faire Taumone, Dans ce temps-la il arriva que le petit Pascal tomba dans une langueur semblable a ce qu'on appelle a Paris tomber en chartre; mais cette langueur etait accompagnee de deux eirconstances qui ne sont pas ordinaires : Tune, qu'il ne pou- vait souffrir de voir de Teau sans tomber dans des transports d'emportemsnt tres-grands ; et l'autre bien plus etonnante, e'est qu'il ne pouvait souffrir de voir son pere et sa mere s'approcher Tun de Tautre : il souffrait les caresses de Tun et de rautre en particulier avec plaisir; mais aussitot qu'ils s'approchaient ensemble, il criait, se debattait avec une vio- lence excessive. Tout cela dura plus d'un an durant lequel le mal s'augmentait; il tomba dans une telle extremite qu'on le croyait pret a mourir. » Tout le monde disait a mon grand-pere et a ma grand'- mere, que e'etait assurement un sort que cette sorciere avait jete sur cet enfant; ils s'en moquaient Tun et Pautre, regar- dant ces discours comme des imaginations qu'on a quand on voit des choses extraordinaires, et n'y faisant aucune atten- 1 Ce memoire, publie par M. Cousin, est extrait du manuscrit de la Biblio- theque imperiale, n° 1487, supplement frangais. — Voir sur ce volume: Cousin Des Pense'es de Pascal, Appendice n° 5. Il a ete egalement reprodd par M, Faugere. 76 VIE DE PASCAL. tion, laissant toujours a cette femnie une entree libre dans leur maison ou elle recevait la charite. En fin mon grand- pere, importune de tout ce qu'on lui disait la-dessus, fit un iom- entrer cette femme dans son cabinet, croyant que la maniere dont il lui parlerait lui donnerait lieu de faire cesser tous les bruits; mais il fut tres-etonne lorsque, apres les pre- mieres paroles qu'il lui dit, auxquelles elle repondit seule- nent et assez doucement que cela n'etait point et qu'on ne disait cela d'elle que par envie, a cause des charites qu'elle recevait, il voulut lui faire peur, et feignant d'etre assure qu'elle avait ensorcele son enfant, il la menaca de la faire pendre, si elle ne lui avouait la verite ; alors elle fut effrayee et, se mettant a genoux, elle lui promit de lui dire tout, s'il lui promettait de lui sauver la vie. Sur cela mon grand-pere^, fort surpris, lui demanda ce qu'elle avait fait, et ce qui Tavait obligee a le faire; elle lui dit que, Fayant priedesol- liciter un proces pour elle, il l'avait refusee, parce qu'il croyait qu'il n'etait pas bon, et que pour s'en venger elle avait jete un sort sur son enfant qu'elle voyait au'il aimait tendrement, et qu'elle etait bien fachee de le lui dire, mais que le sort etait a la mort. Mon grand-pere afflige lui dit : Quoi! il faut done que mon enfant meure! elle lui dit qu'il y avait du remede, mais qu'il fallait que quelqu'un mou- rut pour lui, et transporter le soil. Mon grand-pere lui dit : Eh! j'aime mieux que mon fils meure que si quelqu'un mourait pour lui. Elle lui dit : On peut meltre le sort sur une bete. Mon grand-pere lui offrit un cheval : elle lui dit que sans faire de si grands frais un chat lni suffirait : il lui en (it donner un ; elle L'emporta, et en descendant elle trouva deux eapucins qui montaienl pour consoler jnon ^rand-pere de rextremitr \ Store un peu enfonce*. il pritla APPENDICE I. 79 resolution de suivre le train commun du monde, c'est-a-dire de prendre une charge et se marier *, et, prenant ses mesures pour Tun et pour l'autre, il en confera avec ma tante qui etait alors religieuse, qui gemissait de vo.ir celui qui lui avait fait connaitre le neant du monde s'y plcnger lui-meme par de tels engagements. Elle Fexhortait sou\'ent a y renoncer; il Fe'coutait, et ne laissait pas de pousser toujours ses des- seins. Enlin Dieu permit qu'un jour de la Gonception de la sainte Vierge, iJ allat voir ma tante, et cbmeurat au par- loir avec elle durant qu'on disait none ay ant le sermon. Lorsqu'il fut acheve de sonner, elle le quitta, et lui de son cote entra dans Feglise pour entendre le. sermon, sans savoir que c'etait la oil Dieu Fattendait. II trouva le predicateur en chaire, ainsi il vit bien que ma tante ne pouvait pas lui avoir parle; le sermon fut au sujet de la Conception de la sainte Yierge, sur le commencement de la vie des Chre- tiens, et sur Timportance de les rendre saints, en ne s'en- gageant pas, comme font presque tous les gens du monde, par Thabitude, par la coutume, et par des raisons de bien- seance toutes humaines, dans des charges et dans des ma- nages; il montra comment il fallait consulter Dieu avant que de s'y engager, et bien examiner si on pourrait faire son salut, si on n'y trouverait point d'obstacles. Comme c'etait 1 Puisque Pascal sougeait a ie marier, il est assez naturel qu'il ait fait attention aux ferames et recherche leur compagnie... Son portrait est la pour nous dire quel etait son nobJ& visage; ses grands yeux lancaient des flammes, et dans ce temps de grande et romanesque galanterie a la Scuderi et a la Corneille, Pascal, jeune, beau, plein de langueur et d'ardeur, impetueux et reflechi, superbe ct melancolique, devait etre un personnage original et inte- ressant. On etait alors en pleiae Fronde. Le bel esprit, 1'intrigue et 1'amour rapprochaient tout ce qui etait distingue. Des debris de l'hotel de Rambouillet s'etalent formes l'hotel d'Albret, l'hotel de Richelieu, et beaucoup d'autres .ercles alors celebres... Il eg* tres-possible que dans ce monde d elite ou Pascal devait etre admis et recherche , il ait rencontre une personne d'un ang plus eleve que le sien, pour laquelle il ait ressenti un vif attrait qu'il aurait renferme dans son coeur. 'Cousin.) Noas ne voulons pas le nier: d'dpres ce que 1'on sait de la vie mondaine de Pascal, durant les trois ou quatre annees de dissipation dont la trace nous a ete conservee par les lettres de Jacqueline ct par les ecrits de Margueiite Perier, on peut croire que l'austerile, jusque-la si severe, de sa jeune* se ne resta pas a l'abri de toute atteiuU*. (p. Faugere.) 80 VIE DE PASCAL. la precisement son etat et sa disposition., et que le prediea- teur precha avec beaucoup de vehemence et ,le solidite, il fut vivement touche, et croyant que tout cela avait ete dit pour lui, il le prit de meme. Ma tante alluma autant qu'elle put ce nouveau feu, et raon oncle se determina peu de jours apres a rompre entierement avec le monde ; et pour cela il alia passer quelque temps a la campagne pour se depayser, et rompre le cours general du grand nombre de visiles qull faisait et qu/il recevait; cela lui reussit, car depuis cela il u'a \u aucun de ces amis qull ne visitait que par rapport au monde. » APPENDICE II. SUR LES TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE PASCAL. (exthait de l'edition de bossut.) A peine age de dix-neuf ans, Pascal inventa la fameuse machine arithmetique qui porte son nom. Quand les me- thods pour executor les calculs numeriques sont line ibis trouvecs, l'usage monotone et prolixe de ces methodcs fa- tigue tres-souvent ^attention, sansattacher l'esprit. Rien ne serait done plus utile qu'un moyen mecanique et cxpedilif de faire toutes sortes de calculs sue les nombres, sans autre Becours que celui des yeuxet do la main. Tel est l'objetquc Pascal s'est propose' par sa machine. Les pieces qui en Garment le principp. et I'essenee/sont plusieurs rouleaux oubarillets,, paralleles entre eux, et mobiles autour mpes et suit le piston, parce que la nature abhorre le vide Galilee, imbu de cette opinion recue alors dans toutes les eVoles, re'- pondit a la question des fontainiers, que Feau s'elevait en eft'et d'abord, parce que la nature ne peut souffrir le vide, mais que cei e horreur avait une sphere limitee, et qu'au dela de trente-deux pieds elle cessait d'agir. On rit aujour- 82 VIE DE PASCAL. d'hui de cette explication : mais quelle force n'a pas une erreur de vingt siecles, et comment se soustraire tout d'un coup a sa tyrannie ? Cependant Galilee sentit quelque sera- pule sur la raison qu'il s'etait hate de donner aux fontainiers . car, pour l'honneur de la philosophic, il avait era devoir leur faire promptement une reponse bonne ou mauvaise. II e'tait alors avance en age, et'ses longs travaux Tavarit epuise; il cnargea Torrlcelh, son disciple, d'approfondir la question, et de reparer, s'il en etait besoin, le scandale qu'il craignait d'avoir cause aux philosophes, qui, comptant Tautorite pour rien, cherchent a puiser la verite immediatement au sein de la nature, comme lui-meme Tavait enseigne par son exemple en plusieurs autres occasions. TorriceUi joignaita de profondes connaissances en geome- tric, le genie de l'observation dans les matieres de physique. II soupconna que la pesanteur de Feau etait un des elements d'ou dependait son elevation dans les pompes, et qu'un fluide plus pesant s'y tiendrait plus bas. Cette idee, qui nous parait aujourd'hui si simple, et qui fut alors la veritable clef du probleme, ne s'etait encore presentee a personne : et pour- quoi en effet ceux qui admettaient I'horreur de la nature pour le vide, auraient-ils pense que le poids du fluide put la borner ou detruire son action ? II ne s'agissait plus que d'interroger l'experience. TorriceUi remplit de mercure un tuyau de verre, de trois pieds de longueur, ferine exacte- ment en bas, et ouvert en haut; il appliqua le doigt surle bout superieur, et renversant le tube, il plongea ce bout dans une cuvette pleine de mercure; alors il retira le doigt, et apres quelques oscillations le mercure demeura suspend u dans le tube a la hauteur d'em iron vingt-huit pouces au- (Jcssus de la cuvette. Cette experience est, connne on voit, eellr que nous otIVe eonlinuellement le barom&tre. TorriceUi la \aria de plusieurs inanieivs; el dans tons les his le nier- cure se soutint a une hauteur qui dtait enviion la quator- zieroe partie de celle de 1'eau dans Les pompes. Or, sous le inrinc volume, le mercure pesea peu presquatorze foisplus que IV hi. I) ou TorriceUi inferaque lean dans les pompes, et le mercure dans le tube, devaient exercer des prcssions APPEND1CE II. 83 e'gales sur une meme base; pressions qui devaient etre ne- cessaii'ement contre-balancees par une meme force fixe et de- termined. Mais quelle est enfin cette force? Torricelli, instruit par Galilee que Fair est un fluide pesant, crut et publia en 1645, que la suspension de Feau ou du mercure, quand rien ne pese sur sa surface interieure, est produite par la pression que la pesanteur de Fair exerce sur la surface du reservoir ou de la cuvette. II mourut peu de temps apres, sans emporter, ou du moins sans laisser la certitude absolue que son opinion etait reellement le secret de la nature. Aussi cette explication n'eut-elle d'abord qu'un succes me'diocre parmi les' savants. Le systeme de Fhorreur du vide etait trop accre'dite, pour ceder ainsi sans resistance la place a une verite qui, apres tout, ne se presentait pas en- core avec ce degre d'evidence propre a frapper tous les yeux et a reunir tous les suffrages. On crut expliquer les expe- riences des pompes et du tube de Torricelli, en supposant qu'il s'evaporait de la colonne d'eau ou de mercure, une matiere subtile, des esprits aeriens, qui retablissaient le plein dans la partie superieure, et ne laissaient a Fhorreur du vide que Factivite suffisante pour soutenir la colonne. Pascal, qui dans ce temps-la etait a Rouen, ayant appris du pere Mersenne le detail des experiences dont je viens de parler, les repeta, en 1646, avec M. Petit, intendant des for- tifications, et trouva de point en point les memes resultats qui avaient ete mandes dltalie, sans y remarquer d'ailleurs rien de nouveau. II ne connaissait pas encore alors Fexpli- cation de Torricelli. En reflechissant simplement sur les consequences immediates des faits, il vit que la maxime admise partout, que la nature ne souffre pas le vide, n'avait aucun fondement solide. Neanmoins, avant que de la pro- scrire entierement, il crut devoir faire de nouvelles expe- riences plus en grand, plus concluantes que celles d'ltalie. II y employa des tuyaux de verre qui avaient jusqu'a cin- quarite pieds de hauteur, afin de presenter a Feau un long espace a parcourir, de pouvoir incliner les tuyaux et de faire prendre au fluide plusieurs situations differentes. D'apres ses propres observations, il conclut que la partie 84 VIE DE PASCAL. supirieure des tuyaux ne contient point un air pareil a celui qui les environne en dehors, ni aucune portion d'eau ou de mercure, et qu'elle est entierement vide de toutes les ma- tieres que nous connaissons et qui tombent sous nos sens ; que tous les corps ont de la repugnance a se separer Tun de Fautre, mais que cette repugnance, ou, si Fon aime mieux Fexpression ordinaire, Fhorreur de la nature pour le vide, n'est pas plus forte pour un grand vide que pour un petit; qu'elle a une mesure bornee et equivalente au poids d'une colonne d'eau d'environ trente-deux pieds de hauteur; que, passe cette limite, on formera au-dessus de Feau un vide grand ou petit avec la meme facilite, pourvu qu'aucun obstacle etranger ne s'y oppose, etc. On trouve ces premieres experience? et ces premieres vues de Pascal sur le sujet en question, dans un petit livre qu'il publia en 1647, sous ce titre : Experiences nouvelles touchant le vide, etc. Cet ouvrage fut vivement attaque par plusieurs auteurs, entre autres par le pere Noel, jesuite, recteur du college de Paris. Toute la mauvaise physique du temps s'arma pour expliquer des experiences qui la genaient, et qu'elle ne pouvait nier. Pascal detruisit facilement les objections du pere Noel; mais quoiqu'il approuvat deja Fexplication de Torricelli, dont il cut connaissance peu de temps apres avoir public son livre, il voyait avec peine que toutes les expe- riences qu'on avait faitcs, meme les siennes, pouvaient en- core prefer le flanc a la chicane scolaslique, et qu'aucune d'elles ne ruinait dircctement le systemc de Fhorreur du vide. 11 fit done de nouveaux efforts, et enfin il concut Fidee d'une experience qui devait decider la question, sans Equi- voque, suns restriction, et d'une maniere absolument irre- vocable; il y fut conduit par ce raisonnement : Si la pesanteur de. Fair est la cause qui soutient le mer- cure dans le tube de Torricelli, le mercure doil s'elever plus ou moins, selon que la colonne d'air qui presse la surface de la cuvette est phis ou moins haute, e'estrk-dire plus ou moins pesante : si au contraire, la pesanteur de Fair ne fiiit ici aucune fonction, la hauteur dc La colonne de mer- ture doit toujour^ ettv. la meme, Quelle que suit la hauteur APPENDICE II. 83 rie la colonne d'air. Pascal etait persuade, contre le senti- ment des savants de ce temps-la, qu'on trouverait des diffe- rences aans les hauteurs de la colonne de mercure, en plagant successivement le tube a des hauteurs inegales par rapport a un meme niveau. Mais pour que ces differences fussent sensibles et ne laissassent aucun pretexte d'en nier la realite, il fallait pouvoir examiner l'etat de la colonne dans des endroits eleves les uns au-dessus des autres d'une quantite considerable. La montagne du Puy-de-D6me, voi- sine de Clermont, et haute d'environ cinq cents toises, en offrait le moyen. Pascal communiqua, le 15 novembre 1647, le projet de cette experience a M. Perier, sen beau-frere, qui etait alors a Moulins; et il le chargea en meme temps de la faire, aussitot qu'il serait arrive a Clermont, ou il devaitse rendre incessamment. Quelques circonstances la retarderent; mais enfin elle fut executee le 19 septembre 1 648, avec toute Inexactitude possible ; etles phenomenes que Pascal avait annonces eurent lieu de point en point. A mesure qu'on s'elevait sur le coteau du Puy-de-D6me, le mercure baissait dans le tube. Du pied au sommet de la montagne, la diffe- rence de niveau fut de trois pouces une ligne et demie. On verifia encore ces observations, en retournant a Tendroit d'ou Von etait parti. Lorsque Pascal eut re$u le detail de ces faits interessants, et qu'il eut remarque qu'une difference de vingt toijses d'elevation dans le terrain produisait en- viron deux lignes de difference d'elevation dans la colonne de mercure, il fit la meme experience a Paris, au bas et au haut de la tour de Saint- Jacques la Boucherie, qui est elevee d'environ vingt-quatre a vingt-cinq toises; il la fit encore dans une maison particuliere, haute d'environ dix toises : partout il trouva des resultats qui se rapportaient exactement a ceux de M. Perier. Alors il ne resta plus au- cun pretexte d'attribuer la suspension du mercure dans k tube a Thorreur du vide; car il aurait ete absurde de dire que la nature abhorre plus le vide dans les endroits bas que dans les endroits eleves. Aussi tous ceux qui cherchaient la verite de bonne foi, reconnurent Feffet du poids de Tair, et applaudireni au moyen neuf et de'eisi/ 8 86 VIE DE PASCAL. que Pascal avait imagine pom rendre cet effet palpable. On voit, dans Thistoire de cette recherche, un exeraple insigne du progres lent et succe^sif des connaissances hu- maines. Galilee prouve la pesanteur de Fair : Torricelli con- jecture qu'elle produit la suspension de Feau dans les pompes, ou du mercure dans le tube; et Pascal convertit la conjecture en demonstration. . . .Les recherches de Pascal sur la pesanteur de Fair, le con- duisirent insensiblement a Fexamen des lois generates aux- quelles Fequilibre des liqueurs est assujetti. Archimede avait determine la perte de poids que font les corps solides plonges dans un Guide, et la position que ces corps doivent prendre relativement a leur masse et a leur figure; Stevin, mathematicien flamand, avait remarque que la pression d'un fluide sur sa base est comme le produit de cette base par la hauteur du fluide ; enfin on savait que les liqueurs pressent en tous sens les parois des vases oil elles sont con- tenues : mais il restait encore a connaitre exactement la me- sure de cette pression, pour en deduire les conditions gene- rales de Fequilibre des liqueurs. Pascal etablit pour fondement de la theorie dont il s'agit, que si Ton fait a un vase plein de liqueur et ferme de tous cotes, deux ouvertures difl'erentes, et qu'on y applique deux pistons pousses par des lorces proportionnelles a ces ouver- tures, la liqueur demeurera en equilibre. 11 prouve ce theo- reme de deux maniercs non moins ingenieuses que convaiu- canles. Dans la premiere demonstration, il observe que la pression d'un piston se communique a toute la liqueur, de manieic qu'il ne puurrait s'enfoncer sans que Fautre piston se soulevat. Or. le volume du fluide demeurant le meme, on voit qi aces parcourus par les deux pistons seraient reciproquemenl proportionnels : i leuts bases, ou aux forces qui Les poussenl : d'oil il resuKe, paf les lois connues de la liquc que les deux pistons se contre-balancent mu- tuellement. La seconde demonstration est appuyee sur ce pe « \ i 1 1 . ■ j 1 1 par lui-meme, que jamais un corps nepeut se tnOBf nii pai sen noids, sans que son centre de gravite descends Ce prineipe pose, Fauteur fait voir facilemenl que APPENDICE II. & si les deux pistons, considered comme un meme poids, ve- naient a se mouvoir, le centre de gravity de leur systemd demeurerait neanmoins immobile : d'oii il conclut que les pistons n'ont aucun mouvement, et que par consequent le fluide est aussi en repos. Les differents cas d'equilibre des liqueurs et les phe'nomenes qui en dependent, ne sont plus que des corollaires du theoreme que je viens d'indiquer: Pascal entre a ce sujet dans des details fort curieux. I/etat permanent de Fatmosphere s'explique par les memes moyens. Pascal remarque ici de plus, que Fair est un fluide compressible et elastique. Cette verite, deja connue depuis longtemps, avait ete confirmee, au Puy-de-D6me, par la voie de Fexperience. Un ballon a demi plein d'air, transports du pied au sommet de cette montagne, s'enfla peu a peu en montant, c'est-a-dire a mesure que le poids de la colonne d'air dont il etait charge diminuait ; puis se desenfla, ou se reduisit en un moindre volume, suivant Fordre inverse, en descendant, c'est-a-dire a mesure qu'il etait plus charge. On doit rapporter a peu pres au meme temps les premieres observations qu'on ait faites sur les changements de hauteur auxquels la colonne mercurielle est sujette en un meme lieu, par les divers changements de temps. C'est de la que le tube de Torricelli et les autres instruments destines au meme usage, ont ete appeles barometres. ...II parait que les deux Traites de Pascal sur Yequilibre des liqueurs et sur la pesanteur de la masse de I' air , furent acheves en Fannee 1653; mais ils n'ont ete imprimes pour la premiere fois qu'en 1663, un an apres la mort de Fauteur. A la theorie des fluides, Pascal fit succeder differents Traites sur la geometric. Dans Fun, qui avait pour titre : Promotus Apollonius Gallus, il etendait la theorie des sec- tions coniques, et il en decouvrait plusieurs proprietes en- tierement inconnues aux anciens ; dans d'autres, intitules : Tactiones sphericce; Tactiones conivoe; Loci plani ac solidi; Perspectives methodus, etc., il s'etait pareillement ouvertdes routes nouvelles. II y a apparence que tous ces ouvrages sont perdus; du moins je n'ai pu parvenir a me les procurer : je Q'en pavle que sui 1 une indication generale que Fauteui- en 8* VIE DE PASCAL. donne lui-meme, et sur une lettre dc M. Leibnitz a Tun des fils de M. Perier, en date du 30 aout 1676. ...II reste de Pascal plusieuiv morceaux qui font connaitre son genie pour les sciences, *> qui Font place parmi les plus grands mathematiciens. Je veux dire son Triangle arithme- tique, ses Recherches sur les proprietes des nombres, son Traite de la Roulette, etc. Nous parlerons de tous ces ou- vrages suivant l'ordre des temps ou ils ont etc ecrits. Com- mencons par le Triangle arithmetique, qui se presente le premier. Si on veut se faire quelque idee de ce fameux triangle, qu'on se represente deux lignes perpendiculaires entre elles ; qu'on les divise en parties egales, et qu'cn leur mene des paralleles qui parlent de tous les points de division. II est evident qu'on formera, par cette construction, deux especes de bandes ou rangees, les unes horizontals, les autres ver- ticals; que chaque rangee horizontale ou verticale con tiendra plusieurs carres ou cellules; que chaque cellule sera commune a une rangee horizontale et a une rangee ver- ticale. Cela pose, Pascal ecrit dans la premiere cellule qui est a Tangle droit, un nombre qu'il appclle generateur, et d'ou depend le reste du triangle. Ce nombre generateur est arbitraire ; mais etant une fois fixe, les autres nombres des- tines a remplir les autres cellules sont forces ; et en general le nombre d'une cellule quelconque est egal a celui de la cellule qui la precede dans une rangee horizontale, plus a celui de la cellule qui la precede dans une rangee verticale. De la l'auteur tire plusieurs consequences intdressantes : il trouve le rapport des nombres ecrits dans deux cellules donnees; il somme la suite des nombres contenus dans une rangee quelconque; il determine les combinaisons dont plu- sieurs quantites sont susceptibles, etc. On voit naiti^e ici, s.i i is effort et tout naturellement, touchant les nombres, une foule de theoremes qu'on demontrcrait dit/Vcilement par toute autre me'thode. L'invention du triangle arithmetique est vraiment origi- oale, et aotre auteur nVn partage la gloire avcc personne. Dans le temps qu'il dtait OCCUpd de ces recheiclies, Kennat, APPE3ND1CE II. 89 conseiller au parlement de Toulouse, et lun des plus ce- lebres mathematiciens d'i sieclc passe, trouva une tres-belle propriete des nombres figures, laquelle n'estqu'un corollaire du triangle arithmetique : Pascal n'oublia pas de le titer a cette occasion, en lui donnant les plus grands eloges. On voit, par les lettres qui nous restent de ces deux grands hommes, avec quel plaisir ils se rendaient reciproquement justice. Parmi les proprietes du triangle arithmetique, il y en a une tres-remarquable : celle de donner les coefficients des differents termes d'un binome eleve a une puissance entiere et positive. Newton a generalise depuis cette idee de Pascal; et en substituant aux expressions radicales, la notation des exposants, imaginee par Wallis, il a trouve la formule pour elever un binome a une puissance auelconaue- entiere ou rompue, positive ou negative. Les memes principes donnerent naissance a une nouvelle branche de Fanalyse, qui a ete tres-feconde dans la suite, et c'est erxcore a Pascal qu'on en doit les elements. Cette branch jst le calcul des probability dans la theorie des jeux de hasard. Le chevalier de Mere, grand joueur, nulle- ment geometre, avait propose sur ce sujet deux problemes a Pascal. L'un consistait a trouver en combien de coups on peut esperer d'amener sonnez avec deux des; Fautre, a de- terminer le sort de deux joueurs apres un certain iiombre de coups, c'est-a-dire a fixer la proportion suivant laquelle ils doivent partager Tenjeu, suppose qu'ils consentent a se separer sans achever la partie. Pascal eut bientot resolu ces deux questions. II n'a pas donne Tanalyse de la pre- miere : on voit seulement par Tune de ses lettres a Fermat, que, suivant le resultat de son calcul, il y aurait du desa- vantage a entreprendre d'amener, en vingt-quatre coups, sonnez avec deux des ; ce qui est vrai en effet, comme il est egalement vrai qu'il y aurait de Fa vantage a tenter la meme chose en vingt-cinq coups. Mais il nous a laisse, relativement a ±a. seconde question, un ecrit pour determiner en ge'neral les partis qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en plusieurs parties ; et il a encore traite la meme matter dans ses lettres a Fermat. 90 VIE DE PASCAL. Ce fut encore a peu pres dans ce temps-la que Pascal fit la decouverte de deux machines tres-simples et tres-usuelles : Tune est cette espece de chaise roulante, trainee a bras d'homme, que Ton appelle vulgairement brouette ou vinai- grette i ; l'autre est cette charrette a longs brancards., connue sous le nom de haquet *. Durant Tune de ses longues veilles, le souvenir de quel- ques problemes touchant la roulette vint travailler son genie mathematique. II avait renonce depuis longtemps aux sciences purement humaines; mais la beaute de ces pro- blemes, et la ne'cessite de faire quelque diversion a ses dou- leurs, par une forte application, le plongerent insensiblement dans une recherche qu'il poussa si loin, qu'aujouixThui meme les decouvertes qu'il y fit sont coniptees parmi les plus grands efforts de Tesprit humain. La courbe, nominee vulgairement roulette ou cycloide, est tres-connue des geometres. Elle se decrit en fair par le mou- vement d'un clou attache a la circonference d'une roue de voiture. On ne sait pas au juste, et cette connaissance serait d'ailleurs fort indifferente en elle-memc, quel est celui qi a remarque d'abord la generation de cette courbe dans la nature ; mais il est certain que les Francais sont les premiers qui aient commence a decouvrir ses proprietes. En 1637, Roberval demontra que Taire de la roulette ordinaire est triple de celle de son cercle generateur. 11 determina aussi, peu de temps apres, le solide que la roulette decrit en tour- nant autour de sa base ; et meme, ce qui etait beaucoup plus i La suspension de la brouette est ingenicuse , relativement a son objet Deux ressorts dc fer attaches solidement chacun par Tunc de leurs extreuiites au bai u inte-quatre, sous la date de 1 7 2 s , sont pn'-- id'un ivertissemenl queVoltaireyjoignit;hui1 autrea portent ••flic du i<> mai 1743, et s'appliquenl , ; ! quelques* ones dea Pense'et publics par le I*. Desmolets, que lesan- cien> >'■■'■ '"ui- avaient rej< tees de leurrei ueilj enfin, auatre- APPEND1CE III. 93 vingt-quatorze parurent, pour la premiere fois, dans Tedition in-octavo que Voltaire fit imprimer a Geneve, en 1778. Discours sur la vie et les ouvrages de Pascal , par Tabbe Bossut, msere dans 1'edition de 1779, 5 vol. in-8°, et imprime a part, avec des additions et corrections, en 1 781. Sur Pascal : Chateaubriand, Genie du Christianisme, Bl e part., liv. II, chap. vi. iloge de Blaise Pascal, par Alexis Dumesnil. Paris, 1813, in-8°. Eloge de Blaise Pascal, accompagne de notes historiques et critiques, par Georges-Marie Raymond. Lyon, 1810, in-8°, 2 e edit. J. H. Monnier, Essai sur Blaise Pascal, Paris, 1822, in-8°. Discours prtliminaire de Tedition des Pensees, par M. Fran- tin. Dijon, 1835, 2 e edit., 1853. Journal des Savants, 1839, p. 554. Reuchlin, Pascal's Leben. Stuttgard, 1840. Cousin, Sur la ne'cessite d'une nouvelle edition des Pensees de Pascal. Rapport a TAcademie frangaise. (Journal des Sa- vants, avril-novembre 1842.) Reimprime sous ce titre : Des Penstes de Pascal, etc. Paris, 1843, in-8°. — Voir sur ce travail le compte rendu de M. Foisset, dans le Correspond dant, avril 1843, Du scepticisme de Pascal. (Revue des Deux Mondes, 15 de- cembre 1844-15 Janvier 1845.) Bordas Demoulin, tloge de Pascal (concours de TAcade- mie franchise en 1842). Prosper Faugere, Eloge de Pascal ( meme concours ). Fait ine'dit de la vie de Pascal, par M. Francois Collet. Paris, 1848, in-8° de 44 pages. Histoire de la Litterature francaise de M. Nisard, t. I. Pensfas, fragments et lettres de Blaise Pascal, publies pour la premiere fois conformement aux manuscrits originaux en grande partie inedits, par M. Prosper Faugere. Paris, 1844, 2 vol. in-8 J . — Compte rendu de cet ouvrage par M. Sainte- Beuve, dans la Revue des Deux Mondes, l er juillet 1844. Alex. Thomas, dePascali; an vere scepticus fuerit. 184^ in-8° (these pour le doctorat). 94 APPENDICE III. Be I'Arnulette de Pascal, etude sur le rapport de la sante* de ce grand homme a son genie, par le docteur Lelut. Paris, 1846, in-8°. Edinburgh Review, Janvier 1847 (article sur Pascal). I/abbe Flotte, ttudes sur Pascal i 843- 1845, in-8°. Vinet, ttudes sur Pascal. 1844-1847. Be la methode philosophique de Pascal, par M. Lescoeur, 1850. I/abbe Maynard, Pascal, sa vie, son caracte're, etc. Paris, 1850, 2 vol. in-8'. Ce livre, bien fait, mais peut-etre trop absolu, a pour ob- jet principal de defendre Pascal contre les reproches de scep- ticisme. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. II, liv. Ill, chap, i, ii, in, iv, v, vi, vn; t. Ill, liv. Ill, chap, vm, ix, x, xi, xn, xm, xvn, XVIII, xix, xx, xxi. Le travail de M. Sainte-Beuve doit etre lu par tous ceux qui veulent penetrer a fond la doctrine de Pascal. On peut dire, sans exageration, que c/est la un veritable chef-d'oeuvre d'analyse. Havet, itude sur les Pensdes de Pascal. (En tete dea Verne 1 es, Paris, Dezobry, 1852, in-8°.) PLAN DES PEtfSfiES. RELATION D'UN ENTRETIEN DANS LEQUEL PASCAL EXPOSA LE PLAN ET LA MATIERE DE SON OUVRAGE SUR LA RELIGION *: [ Le morceau qu'on va lire est extrait de la preface de la premiere edition des Pensees. II a ete ecrit par Etienne Pe- rier, et il a une grande importance, puisqu'il fait connaitre comment Pascal avait concu le plan de cette apologie du christianisme, dont les Pensees ne sont que des fragments epars et inacheves. «C°est, suivant Texpression de M. Sainte-Beuve, un abrege lumineux, » qui aide a penetrer plus profondement dans les Pensees. — Voir Port-Royal, liv. Ill, chap, xxi, p. 336 et suiv., intitule : Conversation de Pascal. — Son plan ressaisi. — Prtambule et methode. — Oppose" e a celle de Descartes. — Entree en matiere. — Uhomme devant la nature. — L'homme en lui-meme. — Le moi. — Uhomme dans la socieU. — Oil est le droit naturel? — Des opinions populaires. — Incertitude universelle. — Angoisse. — 2° Uhomme en quete du salut. — Les philosophies. — Les religions. — La religion. — Le peuple juif et VEcriture. — Les miracles et les propMties. — Jesus-Christ. ] II se rencontra une occasion, il y a environ dix ou douze ans, en laquelle on obligea Pascal, non pas d'ecrire ce qu'il avait dans l'esprit sur ce sujet- la (la religion), mais d'en dire quelque chose de vive 1 Cet entretien dut avoir lieu vers 1658. — Quels furent ces amis devant lesquels Pascal s'expliqua? quel fut le lieu de l'entretien 7 Les trop discretes prefaces se sont bien gardees de nous le dire ; mais certainement l'e'lite de Port-Royal se trouvait la, et le lieu du rendez-vous n'6tait peut-etre autre que Port-Royal de Paris. (Sainte-Beuve.) 96 PLAN DES PENSEES. voix. 11 le fit done en presence et a la priere de plusieurs personnes tres-considerables de ses amis. 11 leur developpa en peu de mots le plan de tout son ouvrage; il leur representa ce qui en devait faire le sujet et la matiere; il leur en rapporta en abrege les raisons et les principes, ct il leur expliqua l'ordre et la suite des choses qu'il y voulait traiter. Et ces personnes qui sont aussi capables qu'on le puisse etre de juger de ces sortes de choses, avouent qu'elles n'ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant; qu'elles en furent charmees, et que ce qu'elles virent de ce pro- jet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi sur-le-champ et sans avoir ete premedite ni travaille, leur fit juger ce que ce pour- rait etre un jour, s'il etait jamais execute et conduit a sa perfection par une personne dont elles connais- saient la force etla capacite, qui avait accoutume de tant travailler |tous ses ouvrages, qu'il ne se con- tentait presque jamais de ses premieres pensees quelque bonnes qu'elles parussent aux autres, et qui a refaitsouvent jusqu'a bait ou dix fois des pie- ces que tout autre que lui trouvait admirables des la premiere. Apres qu'il leur cut fait voir quelles sont les preu- ves uissc lui faire voir PLAN DES PENSEES. 10/ qu'il doit s'y rendre, et de souhaiter meme de tout son coeur qu'ellcs soient solides et bien fondees, puisqu'il y trouve de si grands avantages pour son repos et pom \'?.claircissement de ses doutes. C'est aussi 1'etat ou devrait etre tout homme raisonnable, s'il etait une fois bien entre dans la suite de toutes les choses que M. Pascal vient de representer; et il y a sujet de croire qu'apres cela il se rendrait faci- lement a toutes les preuves qu'il apporta ensuite pour confirmer la certitude et l'evidence de toutes ces verites importantes dont il avait parle, et qui font le fondement de la religion chretienne qu'il avait dessein de persuader. Pour dire en peu de mots quelque chose de ces preuves, apres qu'il eut montre en general que les verites dont il s'agissait etaient contenues dans un livre de la certitude duquel tout homme de bon sens ne pouvait douter, il s'arreta principalement au livre de Moise ou ces verites sont particulierement re- pandues; et il fit voir par un tres-grand nombre de circonstances indubitables qu'il etait egalement impossible que Moise eut laisse par ecrit des choses fausses, ou que le peuple a qui il les avait laissees s'y fut laisse tromper, quand meme Moise aurait ete capable d'etre fourbe. II parla aussi de tous les grands miracles qui sont rapportes dans ce livre; et comme ils sont d'une grande consequence pour la religion qui y est en- seignee, il prouva qu'il n'etait pas possible qu'ils ne fussent vrais, non-seulement par l'autorite du livre oil ils sont contenus, mais encore par toutes les cir 402 PLAN DES PENSEES. Constances qui les accompagnent et qui les rendent indubitables. II fit voir encore de quelle maniere toute la loi de Moise etait figurative; que tout ce qui etait arrive aux Juifs n'avait ete que la figure des verites accom- plies a la venue du Messie; et que, le voile qui cou- vrait ces figures ayant ete leve, il etait aise d'en voir Faccomplissement et la consommation parfaite en faveur de ceux qui ont recu Jesus-Christ. M. Pascal entreprit ensuite de prouver la verite de la religion par les propheties; et ce fut sur ce sujet qu'il s'etendit beaucoup plus que sur les autres. Comme il avait beaucoup travaille la-dessus et qu'il y avait des vues qui lui etaient toutes particulieres, il les expliqua d'une maniere fort intelligible; il en fit voir le sens et la suite avec une facilite merveil- leuse, et il les mit dans tout leur jour et dans toute leur force. Enfin, apres avoir parcouru les livres de l'Ancien Testament, et fait encore plusieurs observations convaincantes pour servir de fondemcnls et de preu- ves a la verite de la religion, il entreprit encore de parler du Nouveau Testament, et d? tirer ses preuves ence des athees.] ... Qu'ils apprennent au moins quelle est la reli- gion qu'ils combattent, avant que de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posseder a decouvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui la montre avec cette evidence. Mais puisqu'elle dit au contraire que les hommes sont dans les tenebres et dans l'eloignement de Dieu, qu'il s'est cache a leur connaissance, que c'est meme le nom qu'il se donne dans les £critures, Deus absconditus ; et enfin si elle travaille egalement a etablir ces deux choses : que Dieu a etabli des marques sensibles dans l'£glise pour se faire reconnaitre a ceux qui le * Ce morceau, qui devait, selon toute apparence, servir de preTace g^nerale, ne se trouve point dans le manuscrit autographe, mais seulement dans les copies. T l forme le chapitre I er de l'e"dition de Port-Royar, ou il est intitule : Contre I' indifference des athe'es. Nous avons cru devoir reproduire ce titre, qui nous parait exactement en rapport avec la pense'e et l'intention de Pascal. 106 PASCAL. — PENSfiEb. chercheraient sincerement, et qu'il les a couvertes neanmoins de telle sorte qu'il ne sera apercu que de ceux qui le cherchent de tout leur coeur, qu^l avantage peuvent-ils tirer, lorsqise, dans la negli- gence ou ils font profession d'etre de chercher la verite, ils crient que rien ne la leur montre? puis- que cette obscurite ou ils sont, et qu'ils objectent a l'Eglise, ne fait qu'etablir une des choses qu'elle soutient, sans toucher a l'autre, et etablit sa doc- trine bien loin de la ruiner. II faudrait, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher par- tout, et meme dans ce que l'figlise propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils paiiaient de la sorte, ils combattraient a la verite une de ses pretentions. Mais j'espere montrer ici qu'il n'y a personne raisonnable qui puisse parler de la sorte; etj'ose meme dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle maniere agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruirc, lorsqu'ils ont em- ploye quelques heures a la lecture de quelque livre de l']6criture, et qu'ils ont interroge quelque eccle- siastique sur les vcrites de la foi. Apres cela, ils se van ten t d'a voir cherchd sans succes dans les livres et panui les hommes. Mais, en verite, je ne puis m'emp£cher de leur dirt^ ce (jue j'ai dit souvent, que cciic negligence n'est pas supportable. II ne s'agit pas ici dc 1 interSt leger de quelque personne ctran- . [.our en user de criic facon ; il s'agil de nous* inrincs, et de notre tout. GHAPITRE f. 107 L'immortalite de l'&me est une chose qui nous importe si fort, qui nous louche si profondement, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour etre dans 1'indifference de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et nos pensees doivent prendre des routes si differentes, selon qu'il y aura des biens eternels a esperer ou non, qu'il est impossible de faire une demarche avec sens et jugement, qu'en la reglant par la vue de ce point, qui doit etre notre der- nier objet. Ainsi notre premier interet et notre premier de- voir est de nous eclaircir sur ce sujet, d'oii depend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, entre ceux qui n'en sont pas persuades, je fais une extreme difference de ceux qui travaillent de toutes leurs forces a s'en instruire, a ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser. Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gemissent sincerement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'epargnant rien pour en sortir, font de cette re- cherche leurs principales et leurs plus serieuses oc- cupations. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser a cette derniere fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'iis ne trouvent pas en eux-memes les lu- mieres qui les persuadent, negligent de les cher- cher ailleurs, et d'examiner a fond si cette opinion est de celles que le peuple recoit par une simplicite credule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles- memes, ont neanmoins un fondement tres-solide et 108 PASCAL. — PENSEES. inebranlable je les considere d'une maniere toute differente. Cette negligence, en une affaire ou il s'agitd'eux- memes, de leur eternite, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit ; elie m'etonne et m'epouvante : e'esS an monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zele pieux d'une devotion spirituelle. J'entends au contraire qu'on doit avoir ce sentiment par un prin- cipe d'interet humain et par un interet d'amour- propre : il ne faut pour cela que voir ce que voient les personnes les moins eclairees. II ne faut pas avoir l'ame fort elevee pour com- prendre qu'il n'y a point ici de satisfaction veritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanite; que nos maux sont infinis; et qu'enfin, la mort qui ncus menace a chaque instant, doit infailliblement nous mettre dans peu d'annees dans l'horrible neces- sity d'etre eternellement ou aneantis ou malheureux 3 II n'y a rien de plus reel que cela, ni de plus ter- rible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voila la fin qui attend la plus belle vie du monde. Qu'on fasse reflexion la-dessus, et qu'on dise en- Builc s'il n'est pas indubitable qu'il n'y a de bien en cette vie qu'en l'esperance d'une autre vie; qu'on n'esi aeureuy. qu'a mesure qu'on s'en approche l , et que comme i 1 n'y aura plus de malheurs pour ceux (]ui avaient une enti^re assurance formatricei du monde, en affecter la profession par contenance ; qui, ils, ne sont. pas assez forts pom- I'avoir plantee en leur conscience... Hommes bi^n miserables Bt escervellez, qui tas- tlicnt d'estxe pires qu'ils ne peuvent, » (Montaigne.) CHAP1TRE I. 113 fier et corners? Est-ce done une chose a dire gaie- ment? etn'est-ce pas une chose a dire tristementau contraire, comme la chose dumonde la plus triste? S'ils y pensaient serieusement, ils verraient que cela est si mal pris, si contraire au bon sens, si op- pose a l'honnetete, et si eloigne en toute maniere de ce bon air qu'ils cherchent, qu'ils seraient plutot capables de redresser que de corrompre ceux qui auraient quelque inclination a les suivre. Et, en effet, faites-leur rendre compte de leurs sentiments, et des raisons qu'ils ont de douter de la religion; ils diront des choses si faibles et si basses, qu'ils vous persuaderont du contraire. C'etait ce que leu** disait un jour fort a propos une personne : Si vous con- tinuez a drscourir de la sorte, leur disait-il, en verite vous me convertirez. Et il avait raison; car qui n'au- rait horreur de se voir dans des sentiments oil Ton a pour ^ompagnons des personnes si meprisables ! Ainsi ceux qui ne font que feindre ces sentiments seraient bien malheureux de contraindre leur na- turel pour se rendre les plus impertinents des hommes. S'ils sontfaches dans le fond de leur cceur de n'avoir pas plus de lumiere, qu'ils ne le dissi- mulent pas : cette declaration ne sera point hon- teuse. II n'y a de honte qu'a n'en point avoir. Rien n'accuse davantage une extreme faiblesse d'esprit que de ne pas connaitre quel est le malheur d'un homme sans Dieu; rien ne marque davantage une mauvaise disposition du cceur que de ne pas souhaiter la verite des promesses eternelles; rien n'est plus lache que de faire le brave contre Dieu. Qu'ils lais* M4 PASCAL. — PENS^ES. sent done ces impietes a ceux qui sontassez mal nes pour en etre veritablement capables : qu'ils soient au moins honnetes gens, s'ils ne peuvent etre chre tiens, et qu'ils reconnaissent enfm qu'il n'y a que deux sortes de personnes qu'on puisse appeler rai- sonnables : ou ceux qui servent Dieu de tout leur coeur, parce qu'ils le connaissent; ou ceux qui le cherchent de tout leur coeur, parce qu'ils ne le con- naissent pas. Mais pour ceux qui vivent sans le connaitre et sans le chercher, ils se jugent eux-memes si peu dignes de leur soin, qu'ils ne sont pas. dignes du soin des autres; et il faut avoir toute la charite de la religion qu'ils meprisent, pour ne les pas mepri- ser jusqu'a les abandonner dans leur folie. Mais parce que cette religion nous oblige de les regarder toujours, tant qu'ils seront en cette vie, comme ca- pables de la grace qui peutles eclairer, et de croire qu'ils peuvent etre dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes, et que nous pouvons au contraire tomber dans t'aveuglemehtou ils sont, il faUt faire pour eux ce que nous voudrions qu'on (it pour nous si nous etions a leur place, et les ap- peler a avoir pilie d'eux-inemes, et a faire au moins quelques pas pour tenler s'ils ne tronveront pas de lumiere. Qu'ils ddnnent a cette lecture qiiel- (ues-unes de ces hearer qu'ils emploient si inutile- mem ailleurs : quel que aversion qu'ils y apportent, peiir-eire icneontreront-ils quelque ehose, ou du moins ils n'y perdrdflt pas beaiicoup. Mais jyohtceut qui y appoiieront ;me sincerite pari'aile eiun verita- CHAPITREI. Ii5 ble desir de rencontrer la verite, j'espere qu'ils y auront satisfaction, et qu'ils seront convaincus des preuves d'une religion si divine, que j'ai ramassees ?ci, et dans lesquelles j'ai suivi a peu pres cet ordre *. 1 On voit par ces dernieres lignes que le fragment qu'on vient de lire etait destine" a former la preface du livre que meditait Pascal. A la suite de ce fragment, on trouve dans les copies le morceau suivant qui en est, sans aucun doute, une variante : « Avant que d'entrer dans les preuves de la religion chretienne, jei trouve necessaire de representer l'injustice des hommes qui vivent dans l'indifierence de chercher la verite d'une chose qui leur est si importante et qui les touche de si pres. » De tous leurs egarements, c'est sans doute celui qui les convainc le plus de folie et d'aveuglement et dans lequel il est le plus facile de les confondre par les premieres vues du sens commun et par les sen- timents de la nature. Car il est indubitable que le temps de cette vie n'est qu'un instant ; que l'etat de la mort est eternel, de quelque na- ture qu'il puisse etre, et qu'ainsi toutes nos actions et nos pensees doivent prendre des routes si differentes selon l'etat de cette eternite, qu'il est impossible de faire une d-marche avec sens et jugement qu'en la reglant par la vue de ce point qui doit etre notre dernier objet. » II n^ya rien de plus visible que cela, et qu'ainsi, selon les prin- cipes de la raison, la conduite des hommes est tout a fait deraison- nable, s'ils ne prennent une autre voie. Que Ton juge done la-dessus de ceux qui vivent sans songer a cette derniere fin de la vie, qui, se laissant conduire a leurs inclinations et a leurs plaisirs sans re- flexion et sans inquietude, et comme s'ils pouvaient aneantir reter- nite en en detournant leur pensde, ne pensent a se rendre heureux que dans cet instant seulement. » Gependant cette eternity subsiste, et la mort qui la doit ouvrir et qui les menace a toute heure les doit mettre infailliblement dans peu de temps dans 1'horrible necessity d'etre eternellement ou anean tis ou malheureux, sans qu'ils sachent laquelle de ces eternites leu; est a jamais prepared. » Voila un doute d'une terrible consequence. lis sent dans le peril de l'eternite de misercs : et sur cela, comme si la chose n'en valait pas la peine^ ils negligent d'examiner si c'est de ces opinions que le peuple recoit avec une facility trop credule, ou de celles qui, etaitfi obscures d'elles-memes, ont un fondement tres-solide quoique cache. Ainsi, ils ne savent s'il y a verite ou faussete dans la chose, m s'il y a force ou faiblesse dans les preuves, Ils les ont devant les yeui; H6 PASCAL. — PENSEES. f Entre nous, et l'enfer ou le ciel, il n'y a que la vie entre deux, qui est la chose du moi. de la plus fragile. Un homme dans un cachot, ne sachant si son ar- ret est donne, n'ayant plus qu'une heure pour Tap- pi*£dre, cette heure suffisant, s'il sait qu'il est donne, pour le faire revoquer, il est contre la na- ture qu'il emploie cette heure-la, non a s'informer si cet arret est donne, mais a jouer au piquet i . Ainsi, il est surnaturel que l'homme... C'est un appesan- tissement de la main de Dieu. Ainsi, non-seulement le zele de ceux qui le cher chent prouve Dieu, mais l'aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas. ] Je trouve bon qu'on n'approfondisse pas l'opinion de Copernic; mais ceci!... il importe a toute la vie de savoir si Tame est mortelle ou immortelle. ils refusent d'y regarder, et dans cette ignorance, ils prennent le parti de faire tout ce qu'il faut pour tonibcr dans ce mainour au cas qu'il soit, d'attcndre a en faire l'e'prcuve a la mort, d'etre ce- pendant fort satisfaits en cet e'tat, d'en faire profession, et enfin d'cn faire vanite. Peut-on penser serieusement a I'importance de cette affaire sans avoir horreur d'une conduite si extravagante? » Cerepos, dans cette ignorance, est unc chose monstrueuse,etdont il faut faire sentir l'extravagancc et la stupidite" a ceux qui y pas- sent leur vie, en la leur representant a eux-memes, pour tee cpu- fondrc par la vuc de leur folie. Gar void comment raisonnent les homines, uuand ils choisissent do vivrc dans cette ignorance de ce qu'il sont, et sans rcchercher d'e"claircisscment : « Je ne sais, discnt-ils... » * Port-lioval change ainsi cette fin de phrase : « non a s'informer si 061 arret es1 donne:, mais a jouer et a se divertir. » La phrase suivanto etantinacheveedans lemannscrit autograpbe ottellequ'elle se in ici, Port-Royal lasupprime, etla remplaceparcelle-ci: « C'est l'oiat ou se trouvent cos personnea, aVec cette difference qi»e lesmaui dont ils hum menaces sont bion autrei que la Bimple perte de la vir et un lupplice paasager, que ce prisonnier apprehendorait, • CHAP1TKE II. in f Nous courons sans souci dans le precipice, apres que nous avons mis quelque chose devant nous pour nous empecher de le voir. CHAPITRE II. [Grandeur et misere de Phomme. — Contradictions 6tonnantes de sa nature.] I. Disproportion de rhomme *. — Que rhomme 1 con- temple done la nature entiere dans sa haute et pleine majeste; qu'il eloigne sa vue des objets bas qui 1'environnent; qu'il regarde cette eclatante lu- mieremise comme une lampe eternelle poureclairer 1'univers; que la terre lui paraisse comme un point, au prix du vaste tour que cet astre decrit 2 ; et qu'il s'etonne de ce que ce vaste tour lui-meme n'est qu'un point tres-delicat a l'egard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. 1 Var. dd ms. : Incapacity. — En tete do ce paragraphe, on lit dans le ms. le passage suivant barre* par Pascal : « Voila ou nous menent les connaissances naturelles. Si celles-la ne sont ve"ritables, il n'y a point de ve"rit6 dans rhomme ; et si elles le sont, il y trouve un grand sujet d'humiliation, force" a s'abaisser d'une ou d'autre maniere; et puisqu'il ne peut subsister sans les croire, jesouhaite avant que d'entrer dans deplus grandesrecherchesdela nature, qu'il la considere une fois se>ieusement et a loisir, qu'il se regaMe aussi soi-meme et juge s'il a quelque proportion avec elle par U iom- paraison qu'il fera de ces deux objets. » 2 Var. du ms. : Que le vaste tour qu'elle decrit lui fasse regarder la terre comme un point. — En effagant cette phrase, dit M. Faugere, Pascal a-t-il voulu ne pas exprimer d'opinion sur le systeme de Co- pernic et de Galilde? Cela est certain, et «cet astre » serapnorte au soleil et non a la terre. US PASCAL. — PENSEES. Mais si notre vue s'arr£te la, que 1'imagination passe outre : elle se lassera plus tot de concevoir que la nature de fournir. Tout qe monde visible n'est qu'un trait imperceptible dans l'ample sein de la nature 1 . Nulle idee n'en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au dela des espaces imaginables : nous n'enfantons que des atonies, au prix de la realite des choses. G'est une sphere infinie dont Ie centre est partout , la circonference nulle part *. Enfin c'est le plus grand caractere sensible de la toute-puissance de Dieu, que notre imagination se perde dans cette pensee. Que l'homme, etant revenu a soi, considere ce qu'il est au prix de ce qui est; qu'il se regarde comme egare dans ce canton detourne de la na- ture; et que, de ce petit cachot ou il se trouve loge, j'entends l'univers, il apprenne a estimer la terre, les royaumes, les villes et soi-meme son juste prix. Qu'est-ce qu'un homme dans 1'infini ? Mais pour lui presenter un autre prodige aussi etonnant, qu'il 1 Var. du ms. -.y'est qu'un atome dans C immensity. Seconde vab.1 N'cst qu'un atonic dans I' amplitude. - Cette comparaison celebre n'appartient point a Pascal. Elle se trouve dans Rabelais, dans Gorson, dans saint Bonaventure et dans \ de Beauvais. M. Havet, dans une note savante, en a recher- rigine, et l'indication la pins ancienne qu'il ait rencontreVest cciii: de Vincent de Beauyais, qui L'attribue a Empe'docle, d'aprea le moine Q^linand, poCte et chroniqueur du douzieme siecle. Nous ne pouvons pas savoir, le texte d'H&inand e"tant perdu, sur quelle aiitnriti- l»i-meme avait attribue* cette definition a Kmpc'doclc dont la nature n'eiistiit plus depuis longtemps. Mais tout tadique qu'il se conaervait au moyen age, sons forme latino, un re- cui'ii de pen eei des philosophea de L'antiquitg, recueil d'origine an- tique, on onl beaucoup de traditions dont on ne retrouve plus maintenaut la source. oflAPlTRE II. 119 recherche dans ce qu'il connait les choses les plus dedicates. Qu'un ciron lui offre dans la petilesse de son corps des parties incomparanlement plus pe- tites, des jambes avec des jointures, des veines dans ces jambes, du sang dans ces veines, des humeurs dans ce sang, des gouttes dans ces humeurs, des vapeurs dans ces gouttes ; que, divisant encore ces dernieres choses, il epuise ses forces en ces con- ceptions, et que le dernier objet ou il peut arrivei soit maintenant celui de notre discours; il pensera peut-etre que c'est la l'extreme petitesse de la na- ture.' Je veux lui faire voir la dedans un abime nou veau. Je lui veux peindre non-seulement l'univers visible, mais l'immensite qu'on peut concevoir de la nature, dans l'enceinte de ce raccourci d'atome i . Qu'il y voie une infinite d'univers, dont chacun a son firmament, ses planetes, sa terre, en la raeme proportion que le monde visible ; dans cette terre, des animaux, et enfm des cirons, dans lesquels il retrouvera ce que les premiers ont donne ; et trou- vant encore dans les autres la meme chose, sans fin et sans repos, qu'il se perde dans ces merveilles, * On lit dans les Editions atome imperceptible, au lieu de raccourci d'atome; et a ce propos, M. Cousin dit dans son Rapport, page 126 : « Combien de fois n'a-t-on pas cite* avec admiration cette expression deja si belle : «dans l'enceinte de cet atome imperceptible? » Que dire de celle-ci qui est la veritable lecon de Pascal : « dans l'enceinte » de ce raccourci d' abime? » Cette derniere lecon ne se trouve que dans les deux copies : il y a dans le ms. une expression qui a bien plus d'energie et surtout de justesse, celle de « raccourci d'atome. » Le mot atome, dont une er- reur de copiste a fait abime, est l\siblement 6crit dans le ms. auto- graphe. (P. Faugere,) 120 PASCAL. — PENSfiES. aussi etonnantes dans leur petitesse que les autres par leur etendue; car qui n'admirera que notre corps, qui tantot n'etait pas perceptible dans l'uni- vers, imperceptible lui-meme dans le sein du tout, soit a present un colosse, un monde, ou plutot un tout, a regard du neant ou Ton ne peut arriver? Qui se consMerera de la sorte s'effraiera de soi- meme, et se considerant soutenu dans la masse que Ja nature hii a donnee, entre ces deux abimes de 1'infini et du neant, il tremblera dans la vue de ces merveilles; et je crois que sa curiosite re chan- geant en admiration, il sera plus dispose a les con- templer en silence qua les rechercher avec pre- somption. Car enfin qu'est-ce que l'homme dans la nature ? Un neant a regard de I'infini, un tout a l'egard du neant : un milieu entre rien et tout. Infiniment eloigne de comprendre les extremes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement caches dans un secret impenetrable; egalement in- capable de voir le neant d'ou il est tire, et I'infini oil il est englouti. One fera-t-il done, sinon d'apercevoir quelque apparence du milieu des ohoses, dans un desespoir ('hinci de connattre r:i leur principe ni leur fin? Toutes choses sont sorties du n£anl et porte'esjusqu'^i I'infini. Qui suivra ces Etonnantes d-marches ? L'au- teur de ces merveilles les comprend; tout autre ne k> peul i';iir<-. Manque d'avoir con.temple' ces in finis, les hommes fee sont pone's t^merairement il la recherche de la CHAPITRE II. 124 nature, fomme s'ils avaient quelque proportion avec elle. C'est une chose etrange qu'ils ont voulu com- prendre les principes des choses, et de la arriver jusqu'a connaitre tout, par une presomption aussi infinie que leur objet. Car il est sans doute qu'on ne peut former ce dessein sans une presomption ou sans une capacite infinie, comme la nature. Quand on est instruit, on comprend que la nature ayant grave son image et celle de son auteur dans toutes choses, elles tiennent presque toutes de sa double infinite. C'est ainsi que nous voyons que toutes les sciences sont infmies en l'etendue de leurs recherches; car qui doute que la geometrie, par exemple, a une infinite d'infinites de propositions a exposer ? Elles sont aussi infinies dans la multitude et la delicatesse de leurs principes ; car qui ne voit que ceux qu'on propose pour les derniers ne se sou- iiennent pas d'eux-memes, et qu'ils sont appuyes sur d'autres qui en ayant d'autres pour appui ne souffrent jamais de dernier ? Mais nous faisons des derniers qui paraissent a ia raison comme on fait dans les choses materielles, oil nous appelons un point indivisible celui au dela duquel nos sens n'apercoivent plus nen, quoique divisible infmiment et par sa nature. De ces deux infmis de sciences, celui de grandeur est bien plus sensible, et c'est pourquoi il est arrive a peu de personnes de pretendre connaitre toutes choses. Je vais parler de tout, disait Democrite 1 . 1 Apres Talinea qui se termine par : disait D&mocrite, on litdant il !22 PASCAL. — PENSEES. Mais Pinfinite i en petitesse estbien moins visible. Les philosophes ont bien plus tot pretendu d'y ar- river; et c'est la oil tous ont achoppe. C'est ce qui a donne lieu a ces titres si ordinaires, « Des prin- » cipes des choses, » « Des principes de la philoso- » phie, » et aux semblables, aussi fastueux en effe.t, quoique non en apparence, que cet autre qui creve les yeux, De omni scibili. On se croit naturellement bien plus capable d'av- river au centre des choses que d'embrasser leur circonference. L'etendue visible du monde nous sur- passe visiblement; mais comme c'est nous qui sur- passons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posseder; et cependant.il ne faut pas moins de capaeite pour aller jusqu'au neant que jusqu'au tout. II la faut infinie pour Pun et Pautre; et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu'a connaitre Pinfini. L'un depend de Pautre, et Pun conduit a Pautre. Les extremites se touchent et se reunissent a force de s'etre eloignccs, et se retrou- vent en Dieu, et en Dieu seulcnient. Gonnaissons done notre porlee ; nous sommes quelque chose et ne somines pas lout. Ce que nous . ces mots barrels : « Mais outre quo c'est peu d'en parler sim- plement, sans prouver et cennaitre, il est neamnoins impo-sible do I'- faire, la multitude iiilinie doa cllOB6B D0U8 etant si cachce que tout ce que nous pouvons exprimer par paroles on par pensees n'en est 'lii'uri trail invisible. U'ou il parait < oinliii u est sot, vain et ignorant ce titrr. de quelques livrea rfc omn: scibili. » * Avant ces mots : mais I'infiniU, on in dans le ma. cette phrase : «On voit (rune premiere vueque 1 antlnnetique seule four- nit des propriuie vuhs nombre, et chaipae science de meme. » CHAP1TRE 11. 123 avons d'etre nous derobe la connaissance des pre- miers principes, qui naissent du neant, et le peu que nous avons d'etre nous cache la vue de rinfmi. Notre intelligence tient dans l'ordre des choses intelligibles le raeme rang que notre corps dans l'etendue de la nature. Bornes en tout genre, cet etat qui tient le milieu entre deux extremes se trouve en toutes nos puis- sances. Nos sens n'apercoivent rien d'extreme. Trop de bruit nous assourdit; trop de lumiere eblouit; trop de distance et trop de proximite empeche la vue; trop de longueur et trop de brievete du discours Tobscurcit; trop de verite nous etonne : j'en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zero ote 4 reste zero. Les premiers principes ont trop d'evi- dence pour nous. Trop de plaisir incommode. Trop de consonnances deplaisent dans la musique; et trop de bienfaits irritent i : nous voulons avoir de quoi surpayer la dette 2 : Beneficia eo usque lata sunt dum mdentur exsolvi posse; ubi multum antevenere, pro gratia odium redditur. Nous ne sentons ni l'extreme chaud, ni l'extreme froid. Les qualites excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles : nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empechent l'esprit; trop et trop peu d'in- 1 Var. du MS. : Nous rendent ingrats (barr£). 2 Aprfes « la dette, » le ms. ajoute : Si elle nous passe, elle blesse (barr^). G'est la traduction tres-laconique de la citation de Tacue qui suit (Ann.y IV, 18). 124 r ASC AL. — PENSEES. struction 1 ... Enfin, les cboses extremes sont pour nous comme si elles n'etaient point, et nous ne sommes point a leur egard : elles nous echappent, ou nous a elles. Voila notre etat veritable. C'est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d'ignorer abso- lument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, pousses d'un bout vers l'autre. Quelque terme ou nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle et nous quitte ; et si nous le suivons, il echappe a nos prises, nous glisse et fuit d'une fuite eternelle. Rien ne s'arrete pour nous. C'est l'etat qui nous est naturel, et toutefois le plus contraire a notre inclination : nous brulons de desir de trouver une assiette ferme et une derniere base constante, poury edifier une tour qui s'eleve a l'in- fini; mais tout notre fondement craque, et la lerre s'ouvre jusqu'aux abimes 2 . 1 Port-Royal termine la phrase par ce mot : I'abelissent. 5 Ce remarquable morceau a subi dans l'£dition de Port-Royal des alterations nombreuscs. Nous croyons faire plaisir au lecteur en mettant sous ses yeux la vive critique de M. Cousin : « Port-Royal a gat6 ce beau passage, en l'arrangeant de la maniere suivantc, qui jusqu'ici a 6t6 fort admiree, et qui ne pent, plus etie supported dks qu'on connalt la vraie : « Voila notre (Mat veritable. C'est ce qui res- it serrc nos connaissances en de ccrtaincs homes que nous ne passons » pas, incapables de savoir tout et d'ignorer lout absolumcnt (il no » s'agit pas de savoir ou d'ignorer tout, mais d'ignorer absolumcnt » ou de savoir avec certitude.) Nous sommes sur un milieu vaste, n toujours incertains et flottants entre I'ujnorancc et la connaissance » (nr.i d6truit J " j 1 1 1 .i <_ r < • commenced: I'ignorance et la connaissance » jtaienl devenuea les deux bouts du milieu); et, si nous pensons » aller plus loin (il n'est pas question d'aller plus low ; plus loin que b quoi? mais de s'attacber a un point fixe ; Pascal v& parte pas (Tun • o/jjrt, mais d'un point, d'uu terme auquel nous nous attachons), » uotrc objet branle et echappe a nos prises; Use (Idiotic etfuitd'uno CHAPITRE 11. *25 Ne cherchons done point d'assurance et de fer- mete. Notre raison est toujours decue par l'incon- stance des apparences; rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l'enferment et le fuient. Cela etant bien compris, je crois qu'on se tiendra en repos, chacun dans l'etat oil la nature l'a place. Ce milieu qui nous est echu en partage etant tou- jours distant des extremes, qu'importe que l'liomme ait un peu plus d'intelligence des choses ? S'il en a, il les prend un peu de plus haut. N'est-il pas tou- jours infiniment eloigne du bout, et la duree de notre vie n'est-elle pas egaiement infiniment [eloi- gnee] de l'eternite, pour durer dix ans davantage ? Dans la vue de ces infinis, tous les finis sont egaux; et je ne vois pas pourquoi asseoir son ima- gination plutot sur un que sur l'autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine. Si 1'homme s'etudiait le premier, il verrait com- bien il est incapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu'une partie conntit le tout? Mais il aspirera peut-etre a connaitre au moins les parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les parties » fuite gternelle : rien ne le peut arreter (Pascal dit bien plus : Rien ft ne s'arrete pour nous). G'est notre condition naturelle, et touiefois » la plus contraire a notre inclination. Nous brulons du desir d'ap- » profondir tout (il ne s'agit ni d'approfondir tout, ni d'aller plus » loin, etc.,mais de trouver une assiette ferme), et d'e*difier une tour » qui s'eleve jusqu'a l'infini (pour cela il faut d'abord trouver une » assiette ftrmc et une derniere base constante). Mais tout notre » Edifice craque (non pas tout notre Edifice, car nous n'avons pas pu » en elever un, faute d'une base constante ; e'est le fondement meme » que nous avons jete" qui craque) , et la terre b'ouv/'" iusqu'aux » abimes. » 426 PASCAL. — PENSEES. du monde ont loutes un tel rapport et un tel en- chainement Ynne avec l'autre, que je crois impos- sible de connaitre l'une sans l'autre et sans le tout. L'homme, par exemple, a rapport a tout ce qu'il connait. II a besoin de lieu pour le contenir, de temps pour durer, de mouvement pour vivre, d'ele- ments pour le composer, de chaleur et d'aliments pour le nourrir, d'air pour respirer. II voit la lu* miere, il sent les corps; enfin tout tombe sous son alliance 1 . II faut done, pour connaitre 1'homme, savoir d'ou vient qu'il a besoin d'air pour subsister; et pour connaitre l'air, savoir par ou il a rapport a la vie de l'homme, etc. La flamme ne subsiste point sans l'air : done, pour connaitre l'un, il faut connaitre l'autre. Done toutes choses etant causees et causantes, aidees et aidantes, mediates et immediates, et toutes s'entre-tenant 2 par un lien naturel et insensible qui lie les plus c- Jgnces et les plus diflerentes, je tiens impossible 3 de connaitre les parties sans con- naitre le tout, non plus que de connaitre le tout sans connaitre particulierement les parties. * Var. du ms. : Sous ses recherche* (barnj).— Seconde var. : Sous sa (](':|)eii(];inco (ham'). 2 ie (cniuii ensemble, ttant en rapport. 8 Var. dd ms. : « Jo tiens impossible d'on connaitre aucune seule san ; toutei i p s autres, e'est-a-dhr Impossible purement et absolu- iim'iii n (barn:)- ..*- A la suite de cot alinea, on Irouve le suivant : « L'l i''fnitc il>' ( hoses en olles-ineincs ou en Dicu doitencore cton- n''r ■otffl petite durde. L'lmmobilite fixe et constants de La oa [par] comparaison an chaflgement contirtuel qui se passe en nous, doit faire lo nx nnj effet* (barnS). CHAP1TRE II. 127 Et ce qui acheve notre impuissance a connaitre les choses est qu'elles sont simples en elles-memes, et que nous sommes composes de deux natures op- posees et de divers genres : d'ame et de corps. Gar il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle; et quand on pretendrait que nous serions simplement corporels, cela nous exclurait bien davantage de la connaissance des choses, n'y ayant rien de si inconcevable que de dire que la matiere se connait soi-meme. II ne nous est pas possible de connaitre comment elle se con- naitrait 1 . Et ainsi, si nous sommes simplement materiels, nous ne pouvons rien du tout connaitre; et si nous sommes composes d'esprit et de matiere, nous ne pouvons connaitre parfaitement les choses simples, spirituelles et corporelles 2 . De la vient que presque tous les philosophes con- fondent les idees des choses, et parlent des choses corporelles spirituellement et des spirituelles cor- 1 Var. du ms. : « Et ce qui acheve notre impuissance est la sim- plicity des choses comparee avec notre 6tat double et compost. II y a des absurdites invincibles a combattre ce point ; car il est aussi absurde qu'impie de nier que l'homme est compost de deux parties de diffdrente nature, d'ame et de corps. Cela nous rend impuissants a connaitre toutes choses; que si on nie cette composition, et qu'on pretende que nous sommes tout corporels, je laisse juger combien la matiere est incapable de connaitre la matiere. Rien n'est plus impossible que cela. Concevons done que ce melange d'esprit et de i)oue nous disproportionne » (barr6). 2 Var. bo ms. : « Les choses simples ; car comment connaitrions- nous distinctement la matiere, puisque notre suppdt, qui agit en cette connaissance, est en partie spirituel? et comment connaitrions- nous nettement les substances spirituelles, ayant un corps qui nous aggraye et nous baisse vers J a terre ? » (barr6). J28 PASCAL. — PfciNStlES. porellement. Car ils disent hardiment que les corps tendent en Das, qu'ils aspirent a leur centre, qu'ils fuient leur destruction, qu'ils craigne»t le vide, qu'ils ont des inclinations, des sympathies, des an- tipathies, qui sont toutes choses qui n'appartiennent qu'aux esprits. Et en parlant des esprits, ils les con- siderent comme en un lieu, et leur attribuent le mouvement d'une place a une autre, qui sont choses qui n'appartiennent qu'aux corps. Au lieu de recevoir les idees de ces choses pures, nous les teignons de nos qualites, et empreignons [de] notre etre compose toutes les choses simples que nous contemplons. Qui ne croirait, a nous voir composer toutes choses d'esprit et de corps, que ce melange-la nous serait bien comprehensible ? C'est neanmoins la chose qu'on comprend le moins. L'homme est a lui- meme le plus prodigieux objet de la nature; car U ne peut concevoir ce que c'est que corps, et encore moins ce que c'est qu'esprit, et moins qu'aucune chose comment un corps peut etre uni avec un esprit. C'est la le comble de ses difficulte's, etcepen- dant c'est son propre etre : Modus quo corponbus adharet spiritus comprehendi ab hominibus non po- I et hoc tamen homo est 1 . Enfin, pour consommer la preuve de notre faiblesse, je Gnirai par ces deux considerations "... * 8. Augustin, de Civil. J)ci, xxi, JO. * Vab. uh ms. : u Yoiia one partSe doa causes qui r^ndenl l'homme »i i 1 1 1 1 > • - « i i ! < : a. connaltre la nature. EUe esl infinieei] deux manieres; U tt>t lini et liniitt'. Bile dure et be nmiuticnt perpdtucllement ec CHAPITRE II. 129 II. Je puis bien concevoir un homme sans mains, pieds, tete, car ce n'est que lexperience qui nous apprend qu^. la tete est plus necessaire que les pieds. Mais je ne puis concevoir rhomme sans pensee, ee serait une pierre ou une brute. f Grandeur et misere. — La misere se concluant de la grandeur, et la grandeur de la misere, les uns ont conclu la misere d'autant plus qu'ils en ont pris pour preuve la grandeur, et les autres concluant la grandeur avec d'autant plus de force qu'ils l'ont conclue de la misere meme, tout ce que les uns ont pu dire pour montrer la grandeur n'a servi que d'un argument aux autres pour conclure la misere, puisque c'est etre d'autant plus miserable qu'on est ;ombe de plus haut; et les autres, au contraire. lis se sont portes les uns sur les autres par un cercle sans fin : etant certain qu'a mesure que les hommes ont de la lumiere, ils trouvenl et grandeur et misere en 1'homme. En un mot, l'homme connait qu'il est miserable : il est done miserable, puisqu'il I'est; mais il est bien grand, puisqu'il le connait. f .., S'il se vante, je l'abaisse; s'il s'abaisse, je le vante, et le contredis toujours, jusqu'a ce qu'il com prenoe qu'il est un monstre incomprehensible. son etre ; il passe et est mortel. Les choses en particulier se cor- rompent et se changent a chaque instant : il ne les voit qu'en pas- sant; elles ont le»r principe et Ieur fin : il ne concoit ni l'un oi l'autre. Elles sont simples, et il est compose' de deux natures differ rentes; et pour consommer la preuve de notre faiblesse, je flmrai par cette reflexion sur l'&at de notre nature » (barrel) 130 PASCAL. -PENSEES. III. Les hommes n'ayant pu guerir la mort, la inisere, I'ignorance, se sont avises, pour se rendre heureux, de ne point y penser. IV. La nature nous rendant toujours maraeureux en tous etats, nos desirs nous figurent un etat heureux, parce qu'ils joignent a l'etat oil nous sommes les plaisirs de l'etat oil nous ne sommes pas; et quand nous arriverions a ces plaisirs, nous ne serions pas heureux pour cela, parce que nous aurions d'autres desirs conformes a ce nouvel etat. II faut particulariser cette proposition generate... V. Qu'on s'imagine un nombre d'hommes dans les chaines, et tous condamnes a mort, dont les uns etant chaque jour egorges a la vue des autres, ceux qui restent voient leur propre condition dans cello de leurs semblables, et, se regardant les uns les autres avec douleur et sans esperance, attendent leur tour : c'est l'image de la condition des hommes. VI. Cromwell allait ravager toute la chretiente; la famille royale etait perdue et la sienne a jamais puissante, sans un petit grain (h^ sal)l<' (jui se mit dans son uretere. Rome m6me allait trembler sous lui; maia ce petit gravicr s'etant mis la, il est mort, sa famille abaissoe, tout en paix etle roi retabli. VII. La grandeur de, i'homme est grande en ce qu'il se connalt miserable. Un arbre ne so connait pas mise- CHAPITRE II. 431 rable. C'est done etre miserable que de se connaitre miserable; mais c'est etre grand que de connaitre qu'on est miserable. Toutes ces miseres-la memes prouvent sa grandeur. Ce sont miseres de grand seigneur, miseres d'un roi depossede. V|II. La grandeur de I'homme. — La grandeur ae rnomme est si visible, qu'elle se tire meme de sa misere. Gar ce qui est nature aux animaux, nous Fappelons mi- sere en 1'homme, par oil nous reconnaissons que sa nature etant aujourd'hui pareille a celle des ani- maux, il est dechu d'une meilleure nature qui lui etait propre autrefois. Gar qui se trouve malheureux de n'etre pas roi, sinon un roi depossede ? Trouvait-on Paul £mile malheureux de n'etre plus consul ? Au contraire, tout le monde trouvait qu'il etait heureux de l'avoir ete, parce que sa condition n'etait pas de l'etre tou- jours. Mais on trouvait Persee si malheureux de n'etre plus roi, parce que sa condition etait de l'etre toujours, qu'on trouvait etrange de ce qu'il suppor- lait la vie. Qui se trouve malheureux de n'avoir qu'une bouche ? et qui ne se trouvera malheureux de n'avoir qu'un oeil? On ne s'est peut-etre jamais afflige de n'avoir pas trois yeux, mais on est incon- solable de n'en point avoir. IX. Grandeur de I'homme. — Nous avons une si grande idee de Fame de I'homme , que nous ne pouvons souffrir d'en etre meprises* et de u'etre pas dans 132 PASCAL. — PENSEES. I'estime d'une ame; et toute la feliciri des hommes consiste dans cette estime. La plus grande bassesse de rhomme est la re cherche de la gloire, mais c'est cela meme qui est la plus grande marque de son excellence; car, quelque possession qu'il ait sur la terre, quelque sante et commodite essentielle qu'il ait, il n'est pas salisfait s'il n'est dans 1'estime des hommes. II estime si grande la raison de l'homme, que, quelque avantage qu'il ait sur la terre, s'il n'est place avantageusement aussi dans la raison de l'homme, il n'est pas content. C'est la plus belle place du monde : rien ne peut le detourner de ce desir, et c'est la qualite la plus inef- facable du coeur de l'homme. Et ceux qui meprisent le plus les hommes, et qui les egalent aux betes, encore veulent-ils en etre admi **es et crus, et se contredisent a eux-memes par leur propre sentiment : leur nature, qui est plus forte que tout, les convainquant de la grandeur de l'homme plus fortement que la raison ne les convainc de leur bassesse. X. L'homme n'est qu'un roseau , le plus f'aible de 1; nature, mais c'est un roseau pensant. II no laut pai que I'univers entier s'arme pour I'ecraser. Une va- peur, une goutte d'eau, suffit pour le tuer. Mais quand I'univers I'e'craserait, l'homme serait encore plus noble utcr qu'il ne soit do Pascal, CHAPITRE ill. 139 pmsque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent etre estimes de nous plus qu'ils ne meritent : il n'est done pas juste aussi que nous les trompions, et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne meritons. Ainsi, lorsqu'ils ne decouvrent que des imperfec- tions et des vices que nous avons en effet, il est vi- sible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident a nous delivrer d'un mal, qui est 1'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas etre faches qu'ils les connais- sent, et qu'ils nous meprisent, etant juste et qu'ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous meprisent, si nous sommes meprisables, Voila les sentiments qui naitraient d'un cceur qui serait plein d'equite et de justice. Que devons-nous dire done du notre, en y voyant une disposition toute contraire ? Car n'est-il pas vrai que nous haissons la verite et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu'ils se trompent a notre avantage, et que nous voulons etre estimes d'eux autres que nous ne sommes en effet ? En voici une preuve qui me fait horreur. La reli- gion catholique n'oblige pas a decouvrir ses peches indifferemment a tout le monde : elle souffre qu'on demeure cache a tous les autres homines; mais elle en excepte un seul, a qui elle commande de decou- vrir le fond de son eoeur, et de se faire voir tel qu'on 140 PASCAL. — PENSEES est. II n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ordonne de desabuser, et elle l'oblige a un secret inviolable, qui fait que cette connaissance est dans lui comme si elle n'y etait pas. Peut-on s'ima- giner rien de plus charitable et de plus doux ? Et neanmoins la corruption de l'homme est telle, qu'il trouve encore de la durete dans cette loi ; et c'est une des principales raisons qui a fait revolter contre l'figlise une grande partie de l'Europe. Que le coeur de l'homme est injuste et deraison- nable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de faire a l'egard d'un homme ce qu'il serait juste, en quelque sorte, qu'il fit a l'egard de tous les hommes ! Car est-il juste que nous les trompions ? II y a differents degres dans cette aversion pour la verite : mais on peut dire qu'elle est dans tous en quelque degre, parce qu'elle est inseparable de l'amour-propre. C'est cette mauvaise delicatesse qui oblige ceux qui sont dans la necessite de reprendre les autres, de choisir tant de detours et de tempe- raments pour eviter de les choquer. II faut qu'ils diminuent nos defauls, qu'ils fassent semblant de les excuser, qu'ils y melent des louanges, et des te- moignages d'afleetion et d'estime. Avec lout cela, cciic niedeeine ne laissc pas d'etre amere a ramour- propre. II en prend le moins qu'il peut, et toujourj avec dugout, et souvent mrme avec un secret depi contre ceux qui la lui presentent. 11 arrive s ,h ^ cessaire; et si les medecins n'avaient des soutanes &+,& et des mules, et que les docteurs n'eussent des bon- fu ^ i . nets carres et des robes trop amples de quatre par- ^ u ties, jamais ils n'auraient dupe le monde qui ne peut ^v. I resister a cette montre si authentique. Les seuls gens de guerre ne se sont pas deguises de la sorte, parce qu'en effet leur part est plus essentielle : ils s'etablissent par la force, les autres par grimace. C'est ainsi que nos rois n'ont pas recherche ces deguisements. Ils ne se sont pas masques d'habits extraordinaires pour paraitre tels 1 ; mais ils se sont accompagnes de gardes, de hallebardes : ces trognes armees qui n'ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au- devant, et ces legions qui les environnent, font "A* £ trembler les plus fermes. Ils n'ont pas l'habit seule- ment, ils ont la force. II faudrait avoir une raison bien epuree pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environne, dans son superbe se« rail, de quarante mille janissaires. S'ils avaient 2 la veritable justice, si les meMecins avaient le vrai art de guerir, ils n'auraient que faire de bonnets carres : la majeste de ces sciences serait assez venerable d'elle-meme. Mais n'ayant que des sciences imaginaires, il faut qu'ils prennent ces vains instruments qui frappent l'imagination a la- 1 Tels, c'est-a-dire rois. Pascal est revenu a diverses reprises sur cette pensge ; il dit encore a la page 283 du ms. : « Le chancelier est grave et revetu d'ornements, car son poste est faux, et non le roi; il a la force, il n'a que faire de l'imagination. Les juges, mede- cins, etc., n'ont que l'imagination. » * D est Evident qu'il s'agit ici des magistrats et non pas des roiSi 146 PASCAL. — PENSEES. quelle ils ont affaire; et par la, en effet, ils s'attirent le respect Nous ne pouvons pas seulement voir un avocat en soutane et le bonnet en tete, sans une opinion avan- tageuse de sa suffisance 1 . L'imagin jttion dispose de tout ; elle fait la beaule, la justice, et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrais de bon coeur voir le livre italien, dont je ne connais que le titre, qui vaut lui seul bien des livres : Delia opinione regina del mondo. J'y souscris sans le connaitre, sauf le mal, s'il y en a. Voila a peu pres les effets de cette faculte trom- peuse qui semble nous etre donnee expres pour nous induire a une erreur necessaire. Nous en avons bien d'autres principes. Les impressions anciennes ne sont pas seules ca- pables de nous abuser : les charmes de la nouveaute ont le meme pouvoir. De la viennent toutes les dis- putes des hommes, qui se reprochent ou de suivre leurs fausses impressions de l'enfance, ou de cou- rir temerairement apres les nouvelles. Qui tient le juste milieu? Qu'il paraisse, et qu'il le prouve. II n'y a principe, quelque nalurel qu'il puisseetre, memo depuis l'enfance, qu'on lie fasse passer pour une fausse impression, soil de I'instruction, soil des sens. Parce, dit-on, que vous avez cru des l'enfance qu'un coffre ( ; iait vide lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez cru le vide possible; e'est une illusion de vos sens, foi lifiee par la COUtume, qu'il faut que la * Dc son un ritt . i,';u ccption du mot suffisance a cliang6. Dans le laugagc familier, suffisance signilio iicdiintisnie, vanite. CHAP1TRE IV. 147 science corrige. Et les autres disent : Parce qu'on vous a dit dans 1'ecole qu'il n'y a point de vide, on a corrompu votre sens commun, qui le comprenait si nettement avant cette mauvaise impression, qu'il faut corriger en recourant a votre premiere nature. Qui a done trompe? les sens ou l'instructiori? Nous avons un autre principe d'erreur, les mala- dies. Elles nous gatent le jugement et le sens; et si les grandes l'alterent sensiblement, je ne doute point que les petites n'y fassent impression a leui* proportion *. Notre propre interet est encore un merveilleux instrument pour nous crever les yeux agreablement. II n'est pas permis au plus equitable homme du monde d'etre juge en sa cause : j'en sais qui, pour ne pas tomber dans cet amour-propre, ont ete les plus injustes du monde a contre-biais. Le moyen sur de perdre une affaire toute juste etait de la leur faire recommander par leurs proches parents. La justice et la verite sont deux pointes si subtiles, que nos instruments sont trop emousses pour y toucher exac- tement. S'ils y arrivent, ils en ecachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai. II. La chose la plus importante a toute la vie, e'est le choix du metier : le hasard en dispose. La coutume » 1 « Et ne fault pas doubter, encores que nous ne le sentions pas, que si la fiebvre continue peult atterrer nostre ame que la tierce n'y apporte quelque alteration selon sa mesure et proportion. * (Montaigne.* 448 PASCAL. — PENSEES. fait les macons, soldats, couvreurs. C'est un excel- lent couvreur, dit-on; et en parlant des soMats : lis sont bien fous, dit-on. Et les autres, au contraire: II n'y a rien de grand que la guerre; le reste des hommes sont des coquins. A force d'ouir louer en l'enfance ces metiers, et mepriser tous les autres, on choisit; car naturellement on aime la vertu, et on hait la folie. Ces mots nous emeuvent : on ne peche qu'en l'application. Tant est grande la force de la coutume, que de ceux que la nature n'a faits qu'hommes, on fait toutes les conditions des hommes; car des pays sont tous de macons, d'au- tres lous de soldats, etc. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme. C'est la coutume qui fait done cela, car elle contraint la nature; et quelquefois la nature la surmonte , et retient l'homme dans son instinct, malgre toute coutume, bonne ou mauvaise l . III. Notre imagination nous grossit si fort le temps present, a force d'y faire des reflexions continuelles, etamoindrit tellement l'eternite, manque d'y faire reflexion, que nous faisons de l'eternite un neant, el du neant une eternite, et tout cela a ses racines si vives en nous, que toute notre raison ne peut nous en defendre, et que. IV. ... Sur quoi fondera-t-il [l'homme] l'economie du * A la mite ^ 8 Varron, cite" par saint Augustin, De Civ. Dei, IV, 27. Void sa 152 PASCAL. — PENSfiES. expedii quod fallatur. II ne faut pas qu'il sente la ve- rite de l'usurpation; elle a ete introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable; il faut la faire regarder comme authentique, eternelle, et en cacher le commencement, si on ne veut qu'elle ne prenne bientot fin. V. L'esprit de ce souverain juge du monde * n'est pas si independant qu'il ne soit sujet a etre trouble par le premier tintamarre qui se fait autour de lui II ne faut pas le bruit d'un canon pour empecher ses pensees : il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie 2 . Ne vous etonnez pas s'il ne rai- sonne pas bien a present; une mouche bourdonne a ses oreilles : e'en est assez pour le rendre inca- pable de bon conseil. Si vous voulez qu'il puisse trouver la verite, chassez cet animal qui tient sa raison en echec, et trouble cette puissante intelli- gence qui gouverne les villes et les royaumes. Le plaisant dieu que voila I ridicolosissimo eroe! VI. Montaigne a tort 8 : la coutume ne doit etre suivie phrase entiere : « Prccclara rcligio, quo confugiat Kbarandus inflr- xnus.et quumveritatem, etc. —Belle religion, pour qu'un nialade aille y chercher son salut, et que tandis qu'il demande une verite" qui le gue>isso, on professe qu'il lui est avantageux d'etre trompu ! » (Havet.) * Var. hv ms. : m La souveraine intelligence do ce monarque de l'uni\< rsi) (barr^). 2 « Ce ii" Bon1 i>as seulement... les grands accidents qui renver- leotnostre iugement^lesmoindrescboBesdu monde le tournevirent. p (Montaigne.^ » « A tort » est le tcxte du ms. Montaigne, qui est l'inconsd- CHAP1TRE IY. '53 que parce qu'elle est coutume, et non parce qu'elle soit raisonnable ou juste; mais le peuple la suit par cette seule raison qu'il la croit juste : sinon, il ne la suivrait plus, quoiqu'elle fut coutume; car on ne veut. etre assujetti qu'a la raison ou a la justice. La coutume, sans cela, passerait pour tyrannie; mais Tempire de la raison et de la justice n'est non plus tyrannique que celui de la delectation : ce sont les principes naturels a l'homme. II serait done bon qu'on obeit aux lois et cou- tumes, parce qu'elles sont lois; qu'il sut qu'il n'y en a aucune vraie et juste a introduire ; que nous n'y connaissons rien, et qu'ainsi il faut seulement suivre les recues : par ce moyen on ne les quitterait jamais. Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doc- trine ; et ainsi, comme il croit que la verite se peut trouver, et qu'elle est dans les lois et coutumes, il quence meme, chancelle perp^tuellement dans son scepticisme, et il dit quelquefois que la coutume a du bon, et que e'est pour cela qu'on la suit. Pascal redresse ici Montaigne, il lui reproche cette concession et maintient que la force de la coutume se tire d'elle- meme, e'est-a-dire de la seule faiblesse de l'homme. Nous avons vu qu'Arnauld cite cette pens6e ou telle autre du meme genre, comme un exemple des pens^es qu'il est ne"cessaire de modifier, et qui sont insoutenables ; nous avons vu aussi Marguerite Perier, soumettant a son frere l'abbe" Pe>ier les difficulty que provoquait ce passage, ainsi que la nouvelle redaction proposee par Arnauld : « Montaigne n'a vas tort quand il dit que la coutume doit etre suivie des la qu'elle est coutume, etc., pourvu qu'on n'etendepas cela a des choses qui se- roient contraires au droit naturel et divin. II est vray que, etc » Bossut modifie encore la redaction de Port-Royal (i re part, ix, 43) : « Montaigne a raison; la coutume doit etre suivie des la qu'elle est coutume et qu'on la trouve 6tablie, sans examiner si elle est raison- nable ou non ; cela s'entend toujours de ce qui n'est point contraire au droit naturel ou divin, (Cousin.) 154 PASCAL. — PENStES. les croit, et prend leur antiquite comnie une preuve de leur verily, et non de leur seule autorite sans verite. Ainsi il y obeit; mais il est sujet a se revolter des qu'on lui montre qu'elles ne valent rien; cequi se peut faire voir de toutes, en les regardant d'un certain cote. f Injustice. — II est dangereux de dire au peuple que les lois ne sont pas justes; car il n'obeit qu'a cause qu'il les croit justes. C'est pourquoi il lui faut dire en meme temps qu'il y faut obeir parce qu'elles sont lois, comme il faut obeir aux superieurs, non parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont superieurs. Par la voila toule sedition prevenue, si on peut faire entendre cela, et ce que c'est propre- ment que la definition de la justice. VII. II y a une difference universelle et essentielle entre les actions de la volonte et toutes les autres. La volonte est un des principaux organes de la creance; non qu'elle forme la creance, mais parce que les choses sont vraies ou fausses, selon la face par oil on les regarde. La volonte, qui se plait a Tune plus qu'a l'autre, detourne Tesprit de considererles qualiles de celles qu'elle n'aime pas a voir : et ainsi l'esprit, marchant d'une piece avec la volonte, s'ar- r6te a regarder la face qu'elle aime, et ainsi il en juge par ce qu'il y voit. VIII. I/imagination grossit les pelits objets jusqu'a en remplir notreame, par une estimation fantastiquej et, par iiiic insolence U'liicrairc, elle amoindrit les CHAPITRE IV. 155 grands jusqu'a sa mesure, comme en parlant de Dieu. IX. Faiblesse. — Toutes les occupations des hommes sont a avoir du bien; et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu'ils le possedent par justice % car ils n'ont que la iantaisie des hommes; ni force pour le posseder surement. II en est de meme de la science, car la maladie l'ote. Nous sommes incapa- bles et de vrai et de bien 2 . X. Qu'est-ce que nos principes naturels, sinon nes principes accoutumes? Et dans les enfants, ceum qu'ils ont recus de la coutume de leurs peres, comme la chasse dans les animaux ? Une differente coutume en donnera d'autres prin- cipes naturels. Cela se voit par experience; et s'il y en a d'ineffacables a la coutume, il y en a aussi de la coutume contre la nature, ineffacables a la nature eta une seconde coutume. Cela depend de la dispo- sition. * Nicole a sdverement condamne" cette pens^e, et il a eu raison. En disant que la fantaisie des hommes a seule 6tabli le droit de propria, Pascal perd couipl&ement devuelaloichrdtienne qui deTendnon-seu- lement de prendre le bien d'autrui, mais meme de le convoiter, ce qui certes n'implique pas que, pour cette loi sainte, posseder soit une injustice. Nous le disons a regret, mais si grand que soit notre respect pour Pascal, il nous semble que de cette maxime : Les hommes ne possedent point par justice, a cet autre axiome : La propriete, c'est levol, la distance n'est pas tres-grande. 2 Ici encore il nous semble que Pascal se fourvoie entierement; car si l'homme e'tait r^ellement incapable de bien, pourquoi Dieu lui aurait-il commande" de faire le bien ? st a quoi serviraient les pr& ceptes de la religion ? a quoi servirait la grace elle-meme ? 156 PASCAL. — PENSfiES. f Les peres craignentque l'amour naturel des en- fauts ne s'efface. Quelle est done cette nature sujette a etre effacee ? La coutume est une seconde nature qui detruit la premiere. Pourquoi la coutume n'est- elle pas naturelle ? J'ai bien peur que cette nature ne soit elle-meme qu'une premiere coutume, comme la coutume est une seconde nature. XL Si nous revions toutes les nuits la meme chose, efle nous affecterait autant que les objets que nous voyons tous les jours ; et si un artisan etait sur de rever toutes les nuits, douze heures durant, qu'il est roi, je crois qu'il serait presque aussi heureux qu'un roi qui reverait toutes les nuits, douze heures du- rant, qu'il serait artisan. Si nous revions toutes les nuits que nous sommes poursuivis par des ennemis, et agites par ces fan- tomes penibles, et qu'on passat tous les jours en diverses occupations, comme quand on fait voyage, on souffrirait presque autant que si cela etait veri- table, et on apprehenderait de dormir, comme on apprehende le reveil quand on craint d'entrer danb de tels malheurs en eflet. Et en effet il ferait a peu pres les monies maux que la i( ; alil('. Mais parce que les songes sont tous did'erents, et qu'un meme se diver- silic. ce qu'on y voit aflcctc bien moins que ce qu'on voit en veillant, a cause de la continuity, qui n'est pourtant pas si continue et 6gale qu'elle ne change aussi, mais moins brusquement, si ce n'est rare- ment, comme quand on voyage; et alors on dit : II CHAPITRE 1^. 187 rae semble que je rcve; car la vie est un songe un peu moins inconstant. XII. 1 Contre le pyrrhonisme. — Nous supposons que tous les concoivent de meme sorte : mais nous le supposons bien gratuitement ; car nous n'en avons aucune preuve. Je vois bien qu'on applique ces mots dans les memes occasions, et que toutes les fois que deux hommes voient un corps changer de place, ils expriment tous deux la vue de ce meme objet par le meme mot, en disant Tun et l'autre qu'il s'estmu; et de cette conformite d'application on tire une puis- sante conjecture d'une conformite d'idee ; mais cela n'est pas absolument convaincant, de la derniere conviction, quoiqu'il y ait bien a parier pour l'affir- mative; puisqu'on sait qu'on tire souvent les memes consequences des suppositions differentes. Cela suffit pour embrouiller au moins la matiere; non que cela eteigne absolument la clarte naturelle qui nous assure de ces choses, les academiciens 9 auraient gagne; mais cela la ternit, et trouble les dogmatistes, a la gloire de la cabale pyrrhonienne, qui consiste a cette ambiguite ambigue> et dans une certaine obscurite douteuse, dont nos doutes ne peuvent oter toute la clarte, ni r.os lumieres natu- relles en chasser toutes les tenebres. 1 Ce passage commencait par ces mots : « G'est done une chose Strange qu'on ne peut d^finir ces choses sans les obscurcir » (barr^). 2 « Les academiciens. » Les philosophes grecs de recole sceptique qu'on appelait la nouvelle Academie. Ils soutenaient qu'on ne peut rien savoir, tandis que les pyrrhoniens ne savent meme pas si Ton peut savoir ou non. (Havet.) 14 158 PASCAL. — PENSEES. XIII. Spongia soils l . — Quand nous voyons un effet ar- river toujours de meme, nous en concluons une ne- cessite naturelle, comme, qu'il sera demain jour, etc.; mais soavent la nature nous dement, et ne s'assu- jettit pas a ses propres regies. XIV. Contradiction est une mauvaise marque deverite. Plusieurs choses certaines sont contredites, plu- sieurs fausses passent sans contradiction : ni la con- tradiction n'est marque de faussete, ni l'incontra- diction n'est marque de verite. XV. Le monde juge bien des choses, car il est dans l'ignorance naturelle, qui est le vrai siege de rhomme. Les sciences ont deux extremites qui se touchent : la premiere est la pure ignorance natu- relle ou se trouvent tous les homines en naissant. L'autre extremite est celle oil arrivent les grandes ames, qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent en cette meme ignorance d'oii ils etaient partis 2 . Mais c'est une ignorance savante qui se 1 Les laches du soldi. Pascal a voulu sans doute par ce titrc bizarre exprimer cette idtfe, que Ton a peut-etrc tort de croire que le soleil Be levera domain, comme il s'est .W'.vi' lii'T, attendu que les taches pourraienl eteindre salumiere, el qu'ainsi la nature nous demen- tirait. • ■ 11 ie poult dire, avcc'i ice, qu'il y aipnorancc abe- lence, aultre doctorate, qui vientaprez Dce,etc. Les paisans simples wnt hooneates gents, et hon- nestes | hilosophes, ou selon que nostrc temps les nomme, de« natures fortes et claircs, enrichies d'une large instruction de CHAP1TRE IV. 159 connait. Ceux d'entre-deux, qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver a f'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-la troublent le monde, et jugent mal de tout. Le peuple et les habiles compo- sent le train du monde ; ceux-la le meprisent, et sont meprises, lis jugent mal de toutes choses, et le tnonde en juge bien *■• XVI. L'homme n'est qu'un sujet plein d'erreur, natu- relle et ineffacable sans la grace. Rien ne lui montre la verite : tout l'abuse. Ces deux principes de ve- rites, la raison et les sens, outre qu'ils manquent chacun de sincerite, s'abusent reciproquement Tun sciences utiles : les mestis, qui ont desdaigne" le premier siege de ! 'ignorance des lettres, et n'ont pu icindre l'aultre (le cul entre deux selles, desquels ie suis et tant d'aultres), sont dangereux, ineptes, Importuns ; ceulx-cy troublent le monde. » (Montaigne.) 1 Maxime admirable de Pascal, mais qu'il faut bien entendre. Qui croirait que Pascal a voulu dire que les habiles doivent vivre dans l'inapplication et la mollesse, etc., condamnerait toute la vie de Pascal par sa propre maxime ; car personne n'a moins ve"cu comme le peuple que Pascal a ces £gards : done le vrai sens de Pascal, e'est que tout homme qui cherche a se distinguer par des apparences sin- gulieres,qui ne rejette pas les maximes vulgairesparcequ'elles sont mauvaises, mais parce qu'elles sont vulgaires ; qui s'attache a des sciences ste"riles, purement curieuses et de nul usage dans le monde ; qui est pourtant gonfl^ de cette fausse science, et ne peut arriver a la veritable : un tel homme, comme il dit plus haut, trouble le monde, et juge plus mal que les autres. En deux mots, voici sa pen- sCe expliqu^e d'une autre manifere : Ceux qui n'ont qu'un esprit m6 diocre ne p^netrent pas jusqu'au bien ou jusqu'a la ndcessite" qu autorise certains usages, et s'engent mal a propos en reTormateurs de leur siecle : les habiles mettent a profit la coutume bonne ou mauvaise, abandonnent leur exterieur aux legeretes de la mode, et aavent se proportionner au besoin de tous les esprits. (Vauvenargues.) 160 PASCAL. — PENSEES. I'autre. Les sens abusent la raison par de fausses apparences; et cette meme piperie qu'ils apportent a la raison, ils la recoivent d'elle a leur tour : elle s'en revanche. Les passions de Tame troublent les sens, et ieur font des impressions fausses. Ils men- tent et se trompent a l'envi *. XVII. Ce qui m'etonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas etonne de sa faiblesse. On agit se- rieusement, et chacun suit sa condition, non pas parce qu'il est bon en efifet de la suivre, puisque la mode en est; mais comme si chacun savait certaine- ment oil est Ja raison et la justice. On se trouve decu a toute heure; et, par une plaisante humilite, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art, qu'on se vante toujours d'avoir. Mais il est bon qu'il y ait tant de ces gens-la au monde, qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus cxtravagantes opinions , puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette faiblesse naturelle et inevitable, et de croire qu'il est, au contraire, dans la sagesse naturelle. Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu'il y en a qui ne sont point pyrrhoniens : si tous l'etaient, ils auraienttort. XVIII. Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que 1 <( i,f-uc mesme piperie que les sens apportent a nostre entende- iiifiit, ils la rcfoivenl a leur tour; nostre anic parfois s'en rcvenche d'h mentetlt et sc irompent a I'cnvy. » (Montaigne.) CHAP1TRE V. 101 par sesamis : car la faiblesse de l'homme paraitbien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu'en ceux qui la connaissent. f Si on est trop jeune, on ne juge pas bien; trop vieil, de meme; si on n'y songe pas assez.,.; si on n'y songe trop, on s'entete, et on s'en coiffe. Si on considere son ouvrage incontinent apres i'avoir fait, on en est encore tout prevenu; si trop longtemps apres, on n'y entre plus. Aussi les tableaux, vus de trop loin et de trop pres; et il n'y a qu'un point in- divisible qui soit le veritable lieu : les autres sont trop pres, trop loin, trop haut ou trop bas. La per- spective l'assigne dans l'art de la peinture ; mais dans la verite et dans la morale, qui l'assignera ? XIX. Ceux qui sont dans le dereglement disent a ceux qui sont dans l'ordre, que ce sont eux qui s'eloignent de la nature, et ils la croient suivre : comme ceux qui sont dans ua vaisseau croient que ceux qui sont au bord fuient. Le langage est pareil des deux cotes. II faut avoir un point fixe pour en juger. Le port juge ceux qui sont dans le vaisseau; mais oil pren- drons-nous un point dans la morale ? GHAPITRE V. [Inquietude de l'homme. — Occupations et divertissements.] I. Nous ne nous tenons jamais au temps present. Nous anticipons Tavenir comme trop lent a venir, 162 PASCAL. — PENSEES comme pour hater son cours; ou nous rappelons le passe, pour Tarreter comme trop prompt : si impru- dents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas no*res et ne pensons point au seul qui nous ap- partient ; et si vains, que nous songeons a ceux qui ne sont plus rien et echappons sans reflexion le seul qui subsiste. G'est que le present d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons a notre vue, parce qu'il nous afflige; et s'il nous est agreable, nous regrettons de le voir echapper. Nous tachons de le soutenir par l'avenir, et pensons a disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps ou nous n'avons aucune assurance d'arriver. Que chacun examine ses pensees, il les trouvera toujours occupees au passe et a l'avenir. Nous ne pensons presque point au present; et si nous y pen- sons, ce n'est que pour en prendre la lumiere pour disposer de l'avenir. Le present n'est jamais notre fin ; le passe et le present sont nos moyens; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous esperons de vivre ; et nous disposant tou- jours a etre heureux, il est ineviiable que nous ne le soyons jamais. II. On charge les hommes, des I'enfance, du soin de leur honneur, de leurbien, de leurs amis, et encore du bien et de l'honneur de Leurs amis. On les accable d'affaires, de l'apprentissage des Jangues et des sciences, eton leur fait entendre qu'ils no sauraient heureux sans que leur sante, leur honneur, leur fortune el i elle de burs amis soienten bon ctat, CHAPITRE V. 163 et qu'une seule chose qui manque les rendrait mal» heureux. Ainsi on leur donne des charges et des affaires qui les font tracasser des la pointe du jour. Voila, direz-vous, une etrange maniere de les rendre heureux ! Que pourrait-on faire de niieux pour les rendre malheureux ? Comment J ce qu'on pourrait faire? II ne faudrait que leur oter tous ces soins; car alors ils se verraient, ils penseraient a ce qu'ils sont, d'oii ils viennent, oil ils vont; et ainsi on ne peut trop les occuper et les detourner ; et c'est pour- quoi, apres leur avoir tant prepare d'affaires, s'ils ont quelque temps de relache, on leur conseille de l'employer a se divertir, a jouer, et a s'occuper tou- jours tout en tiers *. ^ Divertissement 2 . — Quand je m'y suis mis quel- quefois a considerer les diverses agitations des hommes, et les perils et les peines oil ils s'exposent, dans la cour, dans la guerre, d'ou naissent tant de querelles, de passions, d'entreprises hardies et sou- vent mauvaises, j'ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, <*ui est d* ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre Un homme qui a assez de bien pour vivre, s'il savaii, demeurer chez soi avec plaisir, n'en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siege d'une place. On 4 En marge dans le ms. : Que lecceur de I' homme est creux et plein d'ordurci 2 Par ce mot divertissement qui se trouve dans le ms. re"pe"t6 en tete de plusieurs fragments, Pascal fait allusion au besoin qu'dprou- vent les hommes de s'occuper ou de s'amuser, pour ne point penser au probleme de la vie pr^sente et aux mysteres de la vie future. C'est ce qui ressort de ce paragraphe et de tous ceux qurportent le ineme titre. 164 PASCAL. -PENSEES. n'achetera une charge a l'armee si cher que parce qu'on trouvera insupportable de ne bouger de la ville ; et on ne recherche la conversation et les diver- tissements des jeux que parce qu'on ne peut de- meurer chez soi avec plaisir. Mais quand j'ai pense de plus pres, et qu'apres avoir trouve la cause de tous nos malheurs, j'ai voulu en decouvrir la raison, j'ai trouve qu'il y en a une bien effective, qui consiste dans le malheur naturel de noire condition faible et mortelle, et si miserable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pen- sons de pres. Quelque condition qu'on se figure, si Ton as- semble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royaute est le plus beau poste du monde, et ce- pendant qu'on s'imagine [un roi] accompagne de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher; s'il est sans divertissement, et qu'on le laisse considerer et faire reflexion sur ce qu'il est, cette felicite lan- guissante ne le soutiendra point; il tombera parne- cessite dans les vues qui le mcnacent, des revokes qui peuvent arriver, et enfin de la mort et des ma- ladies qui sont inevitables; de sorteque, s'il est sans ce qu'on appelle divertissement, le voila malheu- reux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit. De la vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois, sont si re- cIick ix's. Ce n'est pas qu'il y ait en effet du bon- heur, ni qu'on s'imagine que la vraie beatitude soit dans I 'argent qu'on peut gagner au jeu, ou dans le CHAP1TRE V. 165 lievre qu'on court. On n'en voudrait pas s'il etait offert. Ce n'est pas cet usage mol et paisible, et qui nous laisse penser a notre malheureuse condition, qu'on recherche, ni les dangers de la guerre, ni la peine des emplois, mais c'est le tracas qui nous de- tourne d'y penser et nous divertit *. De la vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement; de la vient que la prison est un sup- plice si horrible; de la vient que le plaisir de la so- litude estune chose incomprehensible. Et c'est enfin le plus grand sujet de felicite de la condition des rois, de ce qu'on essaye sans cesse a les divertir, et a leur procurer toutes sortes de plaisirs. Le roi est environne de gens qui ne pensent qu'a divertir le roi, et l'empechent de penser a lui. Car il est malheureux, tout roi qu'il est, s'il y pense. Voila tout ce que les hommes ont pu inventer pour se fendre heureux. Et ceux qui font sur cela les phi- losophes, et qui croient que le monde est bien peu raisonnable de passer tout le jour a courir apres un lievre qu'ils ne voudraient pas avoir achete, ne con- naissent guere notre nature. Ce lievre ne nous ga- rantirait pas de la vue de la mort et des miseres qui nous en detournent 2 , mais la chasse nous en ga- * En marge dans le ms. : Raison pourquoi on aime micux la chasse que la prise. 1 Ges mots «qui nous en detournent » se trouvant dans le ms., nous avons cru devoir les reproduire, malgre' leur obscurity. Nous pensons cependant qu'on peut les comprendre ainsi : « Ge lievre ne nous garantirait ni de la vue de la mort, ni des chagrins (des mi- seres) qui font que nous ne pensons pas a la mort, mais la chasse nous en garantit. — Ainsi nous sommes distraits de la pens£e de la 166 PASCAL. — PENSEES. rantit. Et ainsi, quand on leur reproche que ce qu'ils cherchentavec tant d'ardeur ne saurait les satisfaire, s'ils repondaient, comme ils devraient le faire s'ils y pensaientbien, qu'ils ne cherchent en cela qu'une occupation violente et impetueuse qui les detourne de penser a soi, et que c'est pour cela qu'ils se pro- posent un objet attirant qui les charme et les attire avec ardeur, ils laisseraient leurs adversaires sans repartie 4 . Mais ils ne repondent pas cela, parce qu'ils ne se connaissent pas eux-memes 2 ; ils ne savent pas que ce n'est que la chasse, et non la prise, qu'ils recherchent. f Ils s'imaginent que, s'ils avaient obtenu cette charge, ils se reposeraientensuite avec plaisir, et ne sentent pas la nature insatiable de leur cupidite. Ils croient chercher sincerement le repos, et ne cher- chent en effet que l'agitation. Ils ont un instinct secret qui les porte a chercher le divertissement et l'occupation au dehors, qui vient du ressentiment de leurs miseres continuelles; et ils ontun autre instinct secret, qui reste de la gran- deur de notre premiere nature, qui leur fait con- naitre que le bonheur n'est en effet que dans le repos, et non pas dans le tumulle; et de ces deux instincts contraires, il se forme en eux un projet mort, et des chagrins qui nous detourncnt dc cette pensi-e, par la Cli;i e. )» 1 En marge dans le ms. : La dansc. H faut bicn pcnsrr on t'on mcllrn s$* picrfs. raige dan i le ms. \ Le geHtititomme troil sincerement que la r est un plaisir grand el un plaisir royal; mats son piqueur n'esl pas eloppees par Pascal dans les pages qu'on vient de lire. Les personnes qui aiment a dtudier les grandes questions morales, liront avec int^ret ce que Nicole a 6"crit dans les deux mor- ceaux que nous venons d'indiquer. 172 PASCAL. — PENSEES. vient d'ailleurs et de dehors : et ainsi il est depen dant, et partant, sujet a etre trouble par mille acci- dents, qui font les afflictions inevitables. CHAPITRE VI. [De quelques opinions et de quelques usages.] I. Pyrrhonisme. — J'ecrirai ici mes pensees sans or- dre, et non pas peut-etre dans une confusion sans dessein : c'est le veritable ordre, et qui marquera toujours mon objet par le desordre meme. Je ferais trop d'honneur a mon sujet si je le trai- tais avec ordre, puisque je veux montrer qu'il en est incapable. II. Raison des effets. — Gradation. Le peuple honore les personnes de grande naissance. Les demi-habiles les meprisent, disant que la naissance n'est pas un avantage de la personne, mais du hasard. Les habi- lesies honorent, non par lapensee du peuple, mais par la pensee de derriere. Les devots qui ont plus de zde que de science les meprisent, malgre cette consideration qui les fait honorer par les habiles, parce qu'ilsen jugent par une nouvelle lumiere que la pieie leur donne. Mais les Chretiens parfaits les honorent par une autre lumiere superieure. Ainsi se vont les opinions sueeedant du pour au contre, srlui qu'ou a de lumiere. ^ Rai**n des effets. — Kenversement coutinuel du pour au contre. CHAPITRE VI. 173 Nous avons done montre que l'homme est vain, par 1'estime qu'il fait des choses qui ne sont point essentielles. Et toutes ces opinions sont detruites. Nous avons montre ensuite que toutes ces opinions sont tres-saines ? et qu'ainsi, toutes ces vanites etant tres-bien fondees, le peuple n'est pas si vain qu'on dit. Et ainsi nous avons detruit l'opinion qui cSetrui- sait celle du peuple. Mais il faut detruire maintenant cette derniere proposition, et montrer qu'il demeure toujours vrai que le peuple est vain, quoique ses opinions soient saines, parce qu'il n'en sent pas la verite ou elle est, et que, la mettant oil elle n'est pas, ses opinions sont toujours tres-fausses et tres-mal saines. Raison des effets. — II est done vrai de dire que tout le monde est dans l'illusion : car, encore que les opinions du peuple soient saines, elles ne le sont pas dans sa tete, car il pense que la verite est ou elle n'est pas. La verite est bien dans leurs opi- nions, mais non pas au point ou ils se figurent. Par exemple, il est vrai qu'il faut honorer les gentils- hommes, m\'% non pas parce que la naissance est un avantage ejVt if, etc. III. Opinions du, peuple saines. — Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sures, si on veut recompenser les merites, car tous diront qu'ils meritent. Le mal a craindre d'un sot, qui succede par droit de naissance, n'est ni si grand, ni si s$r 4 . 1 « N'est-ce pas rendre a Pascal un h ommag e que son acwr eut ,d£daigne\ que d'admirer la profondeur d'esprit qui se r^vtio dans «74 PASCAL, — PENSEES. IV. Pourquoi suit-on la pluralite ? est-ce a cause qu'ils ont plus de raison? non, mais plus de force. Pour- quoi suit-on les anciennes lois et anciennes opi- nions? est-ce qu'elles sont les plus saines? non, mais elles sont uniques, et nous otent la racine de la diversite. V. L'empire fonde sur l'opinion et l'imagination regne quelque temps, et cet empire est doux et volontaire: celui de la force regne toujours. Ainsi l'opinion est comme la reine du monde, mais la force en est le tyran. VI. Que Ton a bien fait de distinguer les hommes par I'exterieur, plutot que par les qualites interieures 1 Qui passera de nous deux? qui cedera la place a 1'autre ? Le moins habile? mais je suis aussi habile ses Penstes? Si je regarde celles qui touchcnt a la religion, n'est-il pas admirable qu'il ait vu plus loin que Bossuet, venu apres lui, et lui-mcme un si grand homme? Toute la poleinique de Bossuet est dirigee contre les protestants; il s'agit de dissidences sur des points secondaires, lesquelles n'affaiblissent pas le fond de la religion, puis- qu'elles ne touchent ni a la revelation, ni a la divinite" de Jdsus- Christ. La polCmique de Pascal (it ait dirige"e contre les increxlules, et cetinconiparableg^nicgueiToyaitdej^conirerespritdudix-huitirinc siecle par-dessus la tete de Bossuet, lequel I'entrevoit a peine et en flot.rii. les premiers representants du nom dtfdaigneux de libcrtins. cellos des Pensies qui touchent a la soci^te", aux gou- , a la justice, aux grands, Pascal voit '/lus loin que bs, donl la politique est de s'accommoder do ce qui esi <'i:v. l»li; plus loin qu( BOSSUSI qui DOrDlit 868 ?ues a la monarchic abso- nperee par des lois fondamentales : il prevoit des le milieu du dix-sf.ptiiriic siecle et indique les grands changements de la fin du dix V- : tieme. » (Kisard.} GHAPITRE VI. 175 que lui; il faudra se battre sur cela. II a quatre la- quais, et je n'en ai qu'un : cela est visible; il n'y a qu'a compter; c'est a moi a ceder, et je suis im sot si je conteste. Nous voila en paix par ce moyen ; ce qui estle plus grand des biens l . VII. La coutume de voir les rois accompagnes de gardes, de tambours, d'officiers, et de toutes les choses qui plient la machine vers le respect et la terreur, fait que leur visage , quand il est quelquefois seul et sans ces accompagnements, imprime dans leurs su- jets le respect et la terreur, parce qu'on ne separe pas dans la pensee leur personne d'avec leur suite, qu'on y voit d'ordinaire jointe. Et le monde, qui ne sait pas que cet effet a son origine dans cette cou- tume, croit qu'il vient d'une force naturelle; et de la viennent ces mots : Le caractere de la Divinite est empreint sur son visage, etc. f La puissance des rois est fondee sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse : et ce fondement-la est ad- mirablement sur; car il n'y a rien de plus sur que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fonde sur la saine raison est bien mal fonde, comme l'estime de la sagesse. 1 Cette pensee n'est pas dans le ms. ; on y trouye seuiement cette ligne isolee : Il a quatre laquais. On est bien tente" cependant d'attribuer a Pascal ce ddveloppement, dont la forme est vive, fami- liere, dramatique. Peut-etre les editeurs l'ont-ils reproduit de sou- venir, d'apres une conversation de Pascal. (Havet.) 476 PASCAL. — PENSfiES. VIII. Les Suisses s'offensent d'etre dits gentilshommes, et prouvent la roture de race pour etre juges dignes de grands emplois. IX. On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de meilleure maison l . f Saint Augustin a vu qu'on travaille pour l'incer- tain, sur mer, en bataille, etc.; il n'a pas vu la regie des partis, qui demontre qu'on le doit. Mon- taigne a vu qu'on s'offense d'un esprit boiteux , et que la coutume peut tout; mais il n'a pas vu la raison de cet effet. Toutes ces personnes ont vu les effets, mais ils n'ont pas vu les causes; ils sont a l'egard de ceux qui ont decouvert les causes comme ceux qui n'ont que les yeux a l'egard de ceux qui ont Tesprk ; car les effets sont comme sensibles, et les causes sont visibles seulement a l'esprit. Et quoique ces effets-la se voient par l'esprit, cet esprit est a 4 M. Faugere donne cette pens6e avecle d^veloppement suivant: « Les choses du monde les plus de"raisonnables deviennent les plus raisonnables, a cause du dereglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir pour gouverner un fitat le premier fils d'une reine ? On ne choisit pas pour gouverner un bateau celui des voyageurs qui est de meilleure maison; cette loi serait ridicule et in- Mais parce qu'ils le sont et le seront toujours [ridicules et injustes], elle devient raisonnable et juste. Car qui choisira-t-on? Le plus vertueux etleplusbabile? Nous voila incontinent aux mains: ch;w un pretend etre le plus vertueux et le. plus babile. Attachons done cette qualite* h quelque chose d'incontestable. C'est le fils aine" du roi; cela i t net, il n'y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire, car la guerre civile est le plus grand des maux. » M. Fa texte dans un cahierdu m6decin Valiant. Oecahier, Intitule" Pensdes de M. Pascal, est conserve" k U Biblio* theque Imp^riale. CHAP1TRE VI. 177 i egartf de l'esprit qui voit les causes comme les sens corporels a 1'egard de l'esprit. X. D'oii vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite? A cause qu'un boiteux reconnait que nous allons droit, et qu'un esprit boi- teux dit que c'est nous qui boitons; sans cela nous en aurions pitie etnon colere. fipictete demande bien plus fortement pourquoi ne nous fachons-nous pas si on dit que nous avons mal a la tete, et que nous nous fachons de ce qu'on dit que nous raisonnons mal, ou que nous choisis- sons mal. Ce qui cause cela, est que nous sommes bien certains que nous n'avons pas mal a la tete, et que nous ne sommes pas boiteux : mais nous ne sommes pas si assures que nous ehoisissonsle vrai. De sorte que, n'en ayant d'assurance qu'a cause que nous le voyons de toute notre vue, quand un autre voit de toute sa vue le contraire, cela nous met en suspens et nous etonne, et encore plus quand mille autres se moquent de notre choix; car il faut pre- ferer nos lumieres a celles de tant d'autres, et cela est hardi et difficile. II n'y a jamais cette contradic- tion dans les sens touchant un boiteux. XI. Le respect est *, Incommodez-vous. Cela est vain en apparence , mais tres-juste ; car c'est dire t Je m'incommoderais bien si vous en aviez besoin, puis- que je le fais bien sans que cela vous serve. Outre 1 C'est-a-dire : « poar temoigner sa deference envers une personne il faut s'incommoder, se gener, pour elle. » 178 PASCAL. — PENSEES. que le respect est pour distinguer les grands : or, si le respect etait d'etre en fauteuil , on respecterait tout le monde, et ainsi on ne distinguerait pas : mais, etant incommode, on distingue fort bien. XII. Opinions du peuple sames. — £tre brave * n'est pas trop vain ; car c'est montrer qu'un grand nombre de gens travaillent pour soi; c'est montrer par ses cheveux qu'on a un valet de chambre, un parfu- meur, etc.; par son rabat, le fil, le passement, etc. Or, ce n'est pas une simple superficie, ni un simple harnais, d'avoir plusieurs bras. Plus on a de bras, plus on est fort. £tre brave, est montrer sa force. XIII. Raison des effets. — Gela est admirable : on ne veut pas que j'honore un homme vetu de brocatelle, et suivi de sept ou huit laquais! Eh quoi ! il me fera donner les etrivieres, si je ne le salue. Get habit, c'est une force. C'est bien de meme qu'un cheval bien enharnache, a l'egard d'un autre! Montaigne est plaisant de ne pas voir quelle difference il y a, et d'admirer qu'on y en trouve, el d'en demander la raison. De vrai, dit-il, d'oii vient... XIV. Le peuple a les opinions tres-saines : par exemple : 1° D'avoir choisi le divertissement el la chasse plutot fjnc la poesie. Les demi-savanis s'en moquent, et triomphent a montrer la-dessus la folia du monde; mais, par inn; raison qu'ils ne penetrant pas, on a raison. 2" I) avoir distingu^ lea homines par le de- 4 JiravCy duiih le B6H8 d'tlegant, saigni (tans sa mise. CHAPITRE VI. 179 hors, couime par la noblesse ou le bien : le monde triomphe encore a montrer combien cela est derai- sonnable; mais cela est tres-raisonnable. 3° De s'of- fenser pour avoir recu un soufflet, ou detant desirer la gloire. Mais cela est tres-souhaitable, a cause des autres biens essentiels qui y sont joints. Et un homme qui a recu un souffiet sans s*en ressentir est accable d'injures et de necessites. 4° Travailler pour l'incertain; aller sur la mer; passer sur une planche. XV. C'est un grand avantage que la qualite, qui, des dix-huit ou vingt ans, met un homme en passe 4 , connu et respecte, comme un autre pourrait avoir merite a cinquante ans : c'est trente ans gagnes sans peine. XVI. N'avez-vous jamais vu des gens qui, pour se plain- dre du peu d'etat que vous faites d'eux, vous etalent l'exemple de gens de condition qui les estiment? Je leur repondrais a cela : Montrez-moi le merite par oil vous avez charme ces personnes, et je vous esti- merai de meme. XVII. Un homme qui se met a la fenetre pour voir les passants, si je passe par la, puis-je dire qu'il s'est mis la pour me voir? Non; car il ne pense pas a moi en particulier. Mais celui qui aime une personne a cause de sa foeaute, Faime-t-il? Non; car la petite verole, qui tuera la beaute sans tuer la personne, 1 G'est-i-dire i met un homme en mesure de (aire son chemin dan* le monde* 180 PASCAL.— PENSEES. fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma memoire ; m'aime t-on, moi?Non; car je puis perdre ces qualites sans me perdre, moi. Oil est done ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'ame? Et comment aimer le corps ou l'ame, sinon pour ces qualites, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu'elles sont perissables? Car aimerait-on la substance de l'ame d'une personne abstraitement, et quelques qualites qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n'aime done jamais personne, mais seulement des qualites. Qu'on ne se moque done plus de ceux qui se font honorer pour des charges et des offices, car on n'aime per- sonne que pour des qualites empruntees. XVIII. Les choses qui nous tiennent le plus, comme de cacher son peu de bien, ce n'est souvent presque rien. C'est un neant que notre imagination grossit en montagne. Un autre tour d'imagination nous le fait decouvrir sans peine. XIX. ... C'est 1'eflet de la force, non de la coutume; car ceux qui sontcapables d'inventer sont rares; les plus forts en nombre ne veulent que suivre, et re- fusent la gloire a ces inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s'ils s'obslinent a la vouloir obtenir, et mepriser ceux qui n'inventent pas, les ELUtres leur donneront des norns ridicules, leur don- oeraient des coups de baton. Qu'on ne se pique done pas de celte subtilite. ou g'j'on se conlente en soi-meme. CHAPITRE Vh. m GHAPITRE VII. [Sur rin^galite" des conditions, les lois, la justice, la force, le pouvoir politique.] 1. Mien, hen. — Ce chien est a moi, disaient ces pauvres enfants; c'est la ma place au soleil. Voila le commencement et l'image de l'usurpation de toute la terre. II. II est necessaire qu'il y ait de l'inegalite parmi les hommes, cela est vrai; mais cela etantaccorde, voila la porte ouverte non-seulement a la plus haute do- mination, mais a la plus haute tyrannic II est ne- cessaire de relacher un peu l'esprit; mais cela ouvre la porte aux plus grands debordements. Qu'on en marque les limkes.Il n'y a point de bornes dans les choses : les lois y en veulent mettre, et l'esprit ne peut le souffrir. HI. La raison nous commande bien plus imperieuse- ment qu'un maitre : car en desobeissant a Tun on est malheureux, et en desobeissant a l'autre on est un sot. IV. Pourquoi me luez-vous?Eh quoi! ne demeurez- \ouspas de l'autre cote de l'eau? mon ami, si vous demeuriez de ce cote, je serais un assassin, cela serait injuste de vous tuer de la sorte; mais puisque vous de- meurez de l'autre cote, je suis un brave, etcela est juste. 16 182 PASCAL. — PENSEES. Justice. — Comrae la mode fait l'agrement, aussi fait-elle la justice. VI. La justice est ce qui est etabli; et ainsi toutes nos lois etablies seront necessairement tenues pour justes sans etre examinees, puisqu'elles sont etabj ies. VII. Les seules regies universelles sont les lois du pays aux choses ordinaires; et la pluralite aux autres. D'ou vient cela? de la force qui y est. Et de la vient que les rois, qui ont la force d'ail- leurs, ne suivent pas la pluralite de leurs ministres. *f Sans doute l'egalite des biens est juste * ; mais, ne pouvant iaire qu'il soit force d'obeir a la justice, on a fait qu'il soit juste d'obeir a la force; ne pouvant fortifier la justice, on a justifie la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fut, qui est le souverain bien. VIII. Summumjus, summa injuria. — La pluralite est la meilleure voie, puree qu'elle est visible, et qu'elle a * Rieh est-il plus faux, je ne dis pas seulement plus impraticable mais plus injustc en soi , que l'dgalite" des biens? Ge n'est pas la I'ggalitg veritable. Toufl les homines out un droit egal an libre d(5vi'lop|)cmcut de leurs facultes; ils ont tons un droit egal a l'im- partialc protection de cette justice souveraine. qui s'appelle I'fitat; n;ai , il n'tsi point vrai, il est contre toutes les lois de la raison et de requiu', il est contre la nature dternellc des choses qee I'hommo in- dolent etl'horrunelaborieux, le dissipateur et 1'econoinr, 1'inipruaent et le iage, obtiennent et censervent des biens egaux. (Cousin.) CHAP1TRE VII. 183 la force pour se faire obeir; cependant c'est l'avis des moins habiles. Si Ton avait pu, Ton aurait mis la force entre les mains de la justice : miis comme la force ne se laisse pas manier comme or: veut, parce que c'est une qua- lite palpable, au lieu que la justice est une qualite spirituelle dont on dispose comme on veut, on a mis la justice entre les mains de la force ; et ainsi on ap- pelle juste ce qu'il est force d'observer. De la vient le droit de 1'epee, car Tepee donne un veritable droit. Autrement on verrait la violence d'un cote et la justice de l'autre. De la vient l'injustice de la Fronde qui eleve sa pretendue justice contre la force. II n'en est pas de meme dans l'^glise; car il y a une justice veritable et nulle violence. IX. Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres, en general, sont cordes de necessite; car il faut qu'il y ait differents degres, tous les hommes voulant dominer, et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant. Figurons-nous done que nous les voyons com- mencer a se former. II est sans doute qu'ils se bat- tront jusqu'a ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu'enfm il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois determine, alors les maitres , qui ne ve&ient pas que la guerre continue, ordonnentque la force qui est entre leurs mains suc- cedera comme il plait; les uns la remettant a l'elec- 184 PASCAL. — PENSEES. tion des peuples, les autres a la succession de nais- sance, etc. Et c'est la ou l'imagination commence a jouer son role. Jusque-la le pouvoir force le fait : ici c'est la force qui se tient par l'imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc. Ces cordes qui attachent done le respect a tel el tel en particulier, sont des cordes d'imagination. X. Justice, force. — II est juste que ce qui est juste soit suivi. II est necessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuis- sante : la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a ton jours des mechants : la force sans la justice est ac- cusee. II faut done mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soil fort, et que ce qui est fort soit juste. La justice est sujette a dispute : la force est tres- reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu don- ner la force a la justice, parce que la force a contre- dit la justice etadit qu'elle etait injuste, etadit que, c'etaitelle qui etait juste : et ainsi, ne pouvant (aire que i'v, qui est juste fiit fort, on a fait que ce qui est fort flit juste '. 1 Pascal semblo so rapprocher ici des id<5cs de Hobbcs, et le plus ■ Irs philosophes de son sir(5di- catcur, ni Eloquent; mais, II est honnite homme. Cette quality uni- verseUe me plait seule. Quand en voyant un horn die on se souvient do boo livre, c'est mauvais signe; je voudrais qu'on ne B'apercut d'aucune qualite* que par La rencontre et l'occasion d'en user. \e quid nil/its, de peur qu'uno qualite* no l'emporte, et ne fasse baptl- ser. Qu'on ne Bonge ppint qu'il parle bien, Binon quand il s'agit de lien parler, mais qu'on y songe alors. i» CHAPITRE VIII. 187 veulent point d'enseigne, et ne mettent guere de difference entre le metier de poete et celui de bro- deur. Les gens universels ne sont appeles ni poetes, ni geometres, etc. ; mais ils sont tout cela, et jugent de tous ceux-la. On ne les devine point. Ils parle- ront de ce qu'on parlait quand ils sont entres. On ne s'apercoit point en eux d'une qualite plutot que d'une autre, hors de la necessite de la mettre en usage; mais alors on s'en souvient: car il est egale- mentdececaractere qu'on ne dise point d'eux qu'ils parlentbien, lorsqu'il n'estpas question du langage; et qu'on dise d'eux qu'ils parlent bien, quand il en est question. C'est done une fausse louange qu'on donne a un homme quand on dit de lui, lorsqu'il entre, qu'il est fort habile en poesie; et c'est une mauvaise marque, quand on n'a pas recours a un homme quand il s'agit de juger de quelques vers. III. L'homme est plein de besoins : il n'aime que ceux qui peuvent les remplir tous. C'est un bon mathe- maticien, dira-t-on. Mais je n'ai que faire de mathe- matiques ; il me prendrait pour une proposition C'est un bon guerrier. II me prendrait pour une place assiegee. II faut done un honnete homme qui puisse s'accommoder a tous mes besoins genera^ lement. IV. Quand on se porte bien , on admire comment on pourrait faire si on etait malade; quand on Test, on prend medecine gaiement; le mal y resout. On n'a plus les passions et les desirs de divertissements et 188 PASCAL. — PENSEES. de promenades, que la sante donnait, et qui sont incompatibles avec les necessites de la maladie. La nature donne alors des passions et des desirs con- formes a l'etat present. II n'y a que les craintes que nous nous donnons nous-memes, et non pas la na- ture, qui nous troublent; parce qu'elles joignent a l'etat oil nous sommes les passions de l'etat ou nous ne sommes pas. V. Les discours d'humilite sont matiere d'orgueil aux gens glorieux, et d'humilite aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matiere d'affirmation mix affir- matifs. Peu parlentde l'humilite humblement; peu., de la chastete chastement; peu, du pyrrhonisme en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicite, contrariete, et nous cachons et nous deguisons a nous-memes. VI. Les belles actions cachees sont les plus esti- mables. Quand j'en vois quelques-unes dans l'his- toire, elles me plaisenl fort. Mais enfin elles n'onl pas cte tout a fait cachees, puisqu'elles ont ete sues : et quoiqu'on ait fait ce qu'on a pu pour les cache r, ce peu par oil elles ont paru gate tout; car c'est la le plus beau, de les avoir voulu cacher. VII. Diseur de bons mots, mauvais caractere. VIII. Le Mci est haissable : vous, Miton l , le couvre/, * M/ ,on ^tait un horrunc a la mo 250 PASCAL. — PEN3EES. grandeur dans notre condition, nous avons une idee du bonheur, et ne pouvons y arriver; nous sentons *ne image de la verite, et ne possedons que le men- songe : incapables d'ignorer absolument et de sa- voir certainement, tant il est manifeste que nous avons ete dans un degre de perfection dont nous sommes malheureusement dechus ! Chose etonnante cependant, que le mystere le plus eloigne de notre connaissance, qui estcelui de 3a transmission du peche, soit une chose sans la- quelle nous ne pouvons avoir aucune connaissance de nous-memes ! Car il est sans doute qu'il n'y a Hen qui choque plus notre raison que de dire que le pe- che du premier homme ait rendu coupables ceux qui, etant si eloignes de cette source, semblent in- capables d'y participer. Cet ecoulement ne nous pa- rait pas seulement impossible, il nous semble meme ires-injuste; car qu'y a-t-il de plus contraire aux regies de notre miserable justice que de damner eternellement un enfant incapable de volonte, pour un peche oil il parait avoir si peu de part, qu'il est commis six mille ans avant qu'il fut en etre? Certainement, rien ne nous heurte plus rudement que cette doctrine; et cependant, sans ce mystere, le plus incomprehensible de tous, nous sommes in- compre'nensibles a nous-m^mes. Le neend de notre condition prend scs replis et ses tours dans cet abime ; de sorte que 1'homme est plus inconceivable sans ce mystere que ce mystere n < st inconcevable a I'homme '. * Ici I'ascal avait ajuutc ces lignes: « D'oii il parait que Dieu, CHAP1TRE X. 22i f Seconde partie. Que Vhomme sans la foi ne peut connaitre le vrai bien ni la justice. — Tous les hommes recLBrchent d'etre heureux; cela est sans excep- tion. Quelques differents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous a ce but. Ce qui fait que les uns vont a la guerre et que les autres n'y vont pas, est ce meme desir qui est dans tous les deux, acconi- pagne de differentes vues. La volonte ne fait jamais la moindre demarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jus- qu'a ceux qui vont se pendre. Et cependant, depuis un si grand nombre d'an- nees, jamais personne, sans la foi, n'est arrive a ce point ou tous visent continuellement. Tous se plai- gnent : princes, sujets; nobles, roturiers; vieux, voulant nous rendre la difficulty de notre etre inintelligible a nous- memes, en a cache" le nceud si haut, ou, pour mieux dire, si bas, que nous 6tions bien incapables d'y arriver ; de sorte que ce n'est pas par les superbes agitations de notre raison, mais par la simple soumission de la raison, que nous pouvons ve>itablement nous connaitre. » Ces fondements, solidement 6tablis sur l'autoritd inviolable de la religion, nous font connaitre qu'il y a deux vented de foi egalement constantes : l'une, que l'homme, dans l'6tat de la creation ou dans celui de la grace, est e^eve" au-dessus de toute la nature, rendu comme semblable a Dieu, et participant de sa divinite; l'autre, qu'en l'6tat de la corruption et du pe"ch6, il est de*chu de cet e^at et rendu semblable aux betes. Ces deux propositions sont egaleiBen fermes et certain es. L'ficriture nous les declare manifestement lors- qu'elle dit en quelques lieux : « Delicice mece esse cum filiis hominum. Effundam spiritum meum super omnem carnem. Diiestis, etc. ;etqu'eile lit eri d'autres • Omnis caro fcenum. Homo assimilalus est j time nth insipientibus, et similis factus est litis. Dixi in corde meo de filiis hominum... Eccles., nij par cil il parait clairement que Thornine, par la grace, est rendu comme semblable a Dieu et participant de s» divinity, et- que, sans la gr&ce, il est comme semblable aux betes brutes » (barr£). 222 PASCAL. — PENSEES. jeunes; forts, faibles; savants, ignorants; sains, malades; de tous pays, de tous les temps, de tous ages et de toutes conditions. Une epreuve si longue, si continuelle et si uni- forme, devrait bien nous convaincre de noire im- puissance d'arriver au bien par nos efforts; mais l'exemple ne nous instruit point. II n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque deli- cate difference ; et c'est de la que nous attendons que notre attente ne sera pas decue eu cette occa- sion corame en l'autre. Et ainsi, le present ne nous satisfaisant jamais , l'esperance nous pipe , et de malheur en malheur , nous mene jusqu'a la mort, qui en est un comble eternel. Qu'est-ce done que nous crie cette avidite et cette impuissance , sinon qu'il y a eu autrefois dans 1'homme un veritable bonheur, dont il ne lui reste maintenant que la marque et la trace toute vide, et qu'il essaie inutilement de remplir de tout ce qui J'environne, recherchant des choses absentes le se- cours qu'il n'obtient pas des presentes, mais qui en sont toutes incapables, parce que ce gouffre inlini ne peut £tre rempli que par un objet infini et im- muable, e'est-a-dire que par Dieu nieme. Lui seul est son veritable bien ; et depuis qu'il l'a quitte\ c'est une chose etrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui ait ele capable de lui en tenir la : astres, ciel, terre, Element, plantes, choux, poireaux, animaux, insectes, veaux, serpents, fievre- paste, guo.rre, famine, vires, adultere, incesie '. Ei * Des crimes les plus noira vous souillcz tous vos dieuxj CHAPJTRE X 223 depuis qu'il a perdu le vrai bien , tout egalement peut lui paraitre tel, jusqu'a sa destruction propre, quoique si contraire a Dieu, a la raison et a la nature tout ensemble. Les uns le cherchent dans l'autorite, les autres dans les curiosites et dans les sciences, les autres dans les voluptes. D'autres, qui en ont en effet plus approche, ont considere qu'il est necessaire que le bien universel, que tous les hommes desirent, ne soit dans aucune des choses particulieres qui ne peuvent etre possedees que par un seul, et qui, etant partagees, affligent plus leur possesseur, par le manque de la partie qu'il n'a pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appar- tient. lis ont compris que le vrai bien devait etre tel, que tous pussent le posseder a la fois, sans di- minution et sans envie, et que personne ne put le perdre contre son gre. Et leur raison est que ce desir etant naturel a l'homme, puisqu'il est necessairement dans tous, et qu'il ne peut pas ne le pas avoir, ils en con- cluent... *. f Philosophes. — Nous sommes pleins de choses qui nous jettent au dehors Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher Vous n'en punissez point qui n'ait son maitre aux cieux ; La prostitution, l'adultere, l'inceste, Le vol, l'assassinat, et tout ce qu'on d^teste, (Vest l'exemple qu'a suivre offrent vos immortels. Corneille, Polyeucte, V, ijl * Pascal n'a point achev6 cette phrase. 224 PASCAL. — PENSEES. notre bonheur dans nous. Nos passions nous pous- sent au dehors, quand meme les objets ne s'offri- raient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux-memes et nous appellent, quand meme nous n'-; pensons pas. Et ainsi les philosophes ont beau dire : Rentrez en vous-memes, vous y trou- verez votre bien; on ne les croit pas, et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. f Sto'iques. — ... Us concluent qu'on peut tou- jours ce qu'on peut quelquefois, et que, puisque le desir de la gloire fait bien faire a ceux qu'il pos- sede quelque chose, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fievreux, que la sante ne peut imiter. £pictete conclut de ce qu'il y a des Chretiens constants, que chacun le peut bien etre. f Les trois concupiscences f ont fait trois sectes, et les philosophes n'ont fait autre chose que suivre une des trois concupiscences. f Nous connaissons la verite, non-seulement par la raison, mais encore par le coeur; c'est de cette derniere sorte que nous connaissons les premiers principes, et c'est en vain que le raisonnement, qui n'y a point de part, essaye de les combaitre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela pour objet, y tra- vaillent inutilement. Nous savons que nous ne re- vons point, quelque impuissancc oil nous soyons de le prouver par raison; cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de noire raison, mais * La volupttf, qui a fait les gpicuriens; I'orgueil, qui a fait les stoicions; la curiosity, libido scicndi, qui a fait les philosophes dog- mat isles. CHAP1TRE X. 225 non pas l'incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le pretendent. Gar la connaissance des premiers principes, comme il y a espace, temps, mow- vement, nombres, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connaissances du coeur et de l'instinct qu'il faut que la raison s'appuie , et qu'elle y fonde tout son discours. Le coeur sent qu'il y a trois dimensions dans l'espace , et que les nombres sont infinis ; et la raison demontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carres dont Tun soit double de l'autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent; et le tout avec certitude, quoique par differentes voies. Et il est aussi ridicule que la raison demande au coeur des preuves de ses premiers principes, pour vouloir y consentir, qu'il serait ridicule que le coeur demandat a la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle demontre, pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit done servir qu'a humi- lier la raison, qui voudrait juger de tout, mais non pas a combattre notre certitude, comme s'il n'y avait que la raison capable denous instruire. Plut a Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refuse ce bien, et elle ne nous a au contraire donn£ que tres- peu de connaissances de cette sorte ; toutes les autres ne peuvent etre acquises que par le raison- nement. Et c'est pourquoi ceux a qui Dieu a donne la re- 226 PASCAL. — PENSEES. ligion par sentiment du coeur sont bien heureux et bien legitimement persuades. Mais ceux qui ne i'ont pas, nous ne pouvons la [leur] donner que par rai- sonnement, en attendant que Dieu la leur donne par sentiment de coeur, sans quoi la foi nest qu'hu- maine, et inutile pour le salut. II. ... Cette guerre interieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partages en deux sectes 1 . Les uns ont voulu renoncer aux passions, et devenir dieux; les autres ont voulu renoncer a la raison, et devenir betes brutes (Des Barreaux). Mais ils ne l'ont pas pu, ni les uns ni les autres, et la raison demeure toujours, qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et qui trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent; et les passions sont toujours vivantes dans ceux memes qui y veulenf renoncer. III. Instinct. Raison. — Nous avons une impuissance de prouver invincible a tout le dogmatisme ; nous avons une idee de la verite invincible a tout le pyr- rhonisme. ^ Nous souhaitons la verite, ct ne trouvons en nous qu'incertitude. Nous cherclions le bonheur, et ne tnmvons que miseres et mort. Nous oinuies in- capables de ne pas souhaiter la verite et le bonheur, et ftommes incapables ni de certitude ni de bcn- • « Efl deux sectes. » Des stoiciens et des epicuriens. (Ilavet.) CHAPITRE XL 227 heur. Ce desir nous est laisse, tant pour nous pu nir, que pour nous faire sentir d'ou nous sommes to^bes. IV. Si 1'homme n'est fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu ? Si rhomme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire a Dieu ? V. L'homme ne sait a quel rang se mettre. II est visiblement egare, et tombe de son vrai lieu sans le pouvoir retrouver. II le cherche partout avec in- quietude et sans succes dans des tenebres impe- netrables. CHAPITRE XI. [Du fini et de l'infini. — Que l'homme, en pariant que Dieu existe, parie avec certitude et a tout a gagner. — De la connaissance de Dieu.] I. Infini, Hen, — Notre ame est jetee dans le corps, ou elle trouve nombre, temps, dimension. Elle rai- sonne la-dessus, et appelle cela nature, necessite, et ne peut croire autre chose. L'unite jointe a Tinfini ne Taugmente de rien, non plus qu'un pied a une mesure infinie. Le fini s'aneantit en presence de l'infmi, et devient un pur neant. Ainsi notre esprit devant Dieu ; ainsi notre justice devant la justice divine. II n'y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu, qu'entre l'unite et rinfini. 228 PASCAL. — PENSEES. II faat que la justice de Dieu soit enorme comme sa misericorde : or, la justice envers les reprouves est moins enorme et doit moins choquer que la mi- sericorde envers les elus. Nous connaissons qu'il y a un infini, et ignorons sa nature. Comme nous savons qu'il est faux que les nombres soient finis, done il est vrai qu'il y a un infini en nombre : mais nous ne savons ce qu'il est. II est faux qu'il soit pair, il est faux qu'il soit impair; car, en ajoutant l'unite, il ne change point de na- ture; cependant e'est un nombre, et tout nombre est pair ou impair : il est vrai que cela s'entend de tous nombres finis. Ainsi on peut bien connaitre qu'il y a un Dieu sans savoir ce qu'il est. Nous connaissons done l'existence etla nature du lini, parce que nous sommes finis et etendus comme lui. Nous connaissons l'existence de l'infini et igno- rons sa nature, parce qu'il a etendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous. Mais nous ne connaissons ni l'existence ni la na- ture de Dieu, parce qu'il n'a ni etendue ni bornes. Mais par la foi nous connaissons son existence; par la gloire 1 nous connaitrons sa nature. Or, j'ai drja montre qu'on peut bien connaitre l'existence d'une chose sans connaitre sa nature. Parlons maintenant selon les lumieres naturelles. S'il y a ;in Dieu, il est infiniment incomprehen- 1 <.loire,en langage chr6tien, signifle l't5tat glorieux dcselus dana rt cieJ. t'Havet.) CHAP1TRE XI. 229 sible, puisque, n'ayant ni parties ni borncs, il n'a nul rapport a nous : nous sommes done incapables de eonnaitre ni ce qu'il est, ni s'il est. Cela etant, qui osera entreprendre de re/ioudre cette question ? Ce n'est pas nous, qui n'avons aucun rapport a lui. Qui blamera done les Chretiens de ne pouvoir rendre raison de leur creance, eux qui professent ane religion dont ils ne peuvent rendre raison ? lis declarent, en 1'exposant au monde, que e'est une sottise, stultitiam *; et puis vous vous plaignez de ce qu'ils ne la prouvent pas ! S'ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole : e'esten manquant de preuves qu'ils ne manquent pas de sens. Oui; mais encore que cela excuse ceux qui l'offrent telle, et que cela les ote du blame de la produire sans raison, cela n'excuse pas ceux qui la recoivent. Examinons done ce point, et disons : Dieu est, ou il n'est pas. Mais de quel cote pencherons-nous ? La raison n'y peut rien determiner. 11 y a un chaos infini qui nous se- pare. II se joue un jeu, a l'extremite de cette distance infinie, oil il arrivera croix ou pile. Que gagerez- vous? Par raison, vous ne pouvez faire ni l'un ni i'autre; par raison, vous ne pouvez defendre nul des deux. Ne blamez done pas de faussete ceux qui ont pris un choix; car vous n'en savez rien. -^ Non : mais je les blamerai d'avoir fait, non ce choix, mais un choix; car, encore que celui qui prend croix et I'autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute : le juste est de ne point parier. * Saint Paul, I Cor., i, 18. 20 750 PASCAL. - PENSEES. Oui, mais il faut parier : cela n'est pas volontaire, vous etes embarque. Lequel prendrez-vous done ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous interesse le moins. Vous avez deuxchoses a perdre, le vrai et le bien ; et deux choses a engager, votre* raison et votre volonte, votre connaissance et votre beatitude ; et votre nature a deux choses a fuir, l'er- reur etla misere. Votre raison n'est pas plus blessee, puisqu'il faut necessairement choisir, en choisissant l'un que l'autre. Voila un point vide ; mais votre beatitude? Pesons le gain et la perte, en prenant croix, que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez done qu'il est, sans hesiter. — Cela est admirable : oui, il faut gager; mais je gage peut-etre trop. — Voyons. Puisqu'il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n'aviez qu'a gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager. Mais s'il y en avait trois a gagner, il faudrait jouer (puisque vous etes dans la necessite de jouer), et vous series imprudent, lorsque vous eles force a jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois a un jcu ou il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une eternite de vie et de bonheur. Et cela etant v quand il y aurait une infinite de hasards dont un seul serait pour VOUS, vous auriez encore raison de ga- ger un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais Bens, etant oblige a jouer, de refuser de jouer une ontre trois a un jeu ou d'une infinite' de hasards il \ en a ud pour vous, s'il y avail une infinite de vie infiniment heureuse a gagner. Mais il y a ici une in- CHAPITRE XI. 231 finite de vie infmiment heureuse a gagner, un hasard ie gain contre un nombre fini de hasards de perte, H ce que vous jouez est fini. Cela est tout parti * : partout oil est linfini, et oil il n'y a pas infinite de hasards de perte contre celui de gain, il *\'y a point a balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est force a jouer, il faut renoncer a la raison, pour garder la vie plutot que de la hasarder pour le gain infmi, aussi pret a arriver que la perte du neant. Car il ne sert de rien de dire qu'il est incertain si on gagnera, et qu'il est certain qu'on hasarde; et que l'mfmie distance qui est entre la certitude de ce qu'on s'expose, et l'incertitude de ce qu'on gagnera, egale le bien fini qu'on expose certainement, a l'in- fini qui est incertain. Cela n'est pas ainsi : tout joueur hasarde avec certitude pour gagner avec in- certitude, et neanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pechei contre la raison. II n'y a pas infinite de distancr entre cette certitude de ce qu'on s'expose et l'incer titude du gain; cela est faux. II y a, a la verite, in finite entre la certitude de gagner et la certitude de perdre. Mais l'incertitude de gagner est propor- tionnee a la certitude de ce qu'on hasarde, selon Ja proportion des hasards de gain et de perte; et de la vient que, s'il y a autant de hasards d'un cote que de l'autr >, le parti est a jouer egal contre egal; et alors la certitude de ce qu'on s'expose est egale a l'incertitude du gain : tant s'en faut qu'elle en soit 1 Cest-a-dire, comme l'explique M. Havet, fa balance des gains et des penes est toute faite. 232 PASCAL. — PENSEES. infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infmie, quand il y a le fini a hasarder a un jeu oil il y a pareils hasards de gain que de perte, et Pirfini a gagner. Cela est demonstratif ; et si les hommes sont capables de quelques verites, celle-la Test. Je le confesse, je l'avoue. Mais encore n'y a-t-il point moyen de voir le dessous du jeu ? — Oui, l'£criture, et le reste, etc. Oui ; mais j'ai les mains liees et la bouche muette : on me force a parier, et je ne suis pas en liberte : on ne me relache pas, et je suis fait d'une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous done que je fasse ? Tl est vrai. Mais apprenez au moins votre impuis- sance a croire, puisque la raison vous y porte, et que neanmoins vous ne le pouvez; travaillez done, non pas a vous convaincre par Paugmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos pas- sions. Vous voulez aller a la foi, et vous n'en savez pas le chemin; vous voulez vous guerir de Pinfide- lite, et vous en demandez les remedes : apprenez de ceux qui ont ete lies com rue vous, et qui parient maintenant tout leur bien; ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre, et gueris d'uii mal dont vous voulez gue'rir. Suivez la maniere par on Us ont commence; e'est en faisant tout commc si Is croyaient, en prenant de Peau b&iite, en faisam dire des messes, etc. Naturellement m6me cela voua fera cf Sre el vous abelira. — Mais e'est ce que je crains. — El pourquoi ? (ju'avez-vous a perdre * ? 1 « Quel Itngage ! est-ce done Ik le dernier mot de la sagease hu- CHAP1TRE XI. 233 Mais pour vous montrer que cela y mene, c'est que maine? La raison n'a-t-elle 6t6 donned a l'homme que pour en faire le sacrifice, et le seul moyen de croire a la Supreme Intelligence est-il, comme le veut et le dit Pascal, de nous abetir? Cette terrible sen- tence, portee par un tel genie et par un genie naturellement si su- perbe, accablerait l'humanite\ s'il n'y avait quelque chose au-dessus du ge"nie lui-meme, a savoir le sens commun. Cette meme raison que Pascal veut en vain etouffer, qui a 6te" donn£e a chaque homme et ne manque a aucun d'eux dans aucun pays et dans aucun temps, et qui leur persuade a tous, sans le secours d'une reflation posi- tive et sans celui de demonstrations arbitraires, l'existence d'une ame spirituelle, la distinction du bien et du mal, le devoir et le droit, la liberte et la responsabilite" des actions, une justice e"ternelle, une providence divine qui a tout fait avec poids et mesure, qui possede dans un degre infini tous les attributs qui reluisent dans ses ceuvres, non-seulement la puissance et la grandeur, mais la liberte - , Intel- ligence et la vie. Toutes ces grandes croyances dont Pascal a soif comme l'humanite tout entiere, le sens commun les a rev&ees plus ou moins imparfaitement des le premier jour a tous les hommes ; et, pour quelques ge"nies fare's qui ont eu le malheur de les me"con- naitre, les genies les plus excellents ont mis leur gloire a les etablir et a les r^pandre. Elles sont le patrimoine de la race humaine, son tremor au milieu de toutes ses miseres. C'est bien mal la servir que d'entreprendre de les lui ravir d'une main, quand on n'est pas bien sur de les lui rendre de l'autre. Comme si, d'ailleurs, lorsqu'on a heb&e" l'homme, il en £tait plus pres de Dieu! » (Cousin.) — On voit, par le passage qu'on vient de lire, que M. Cousin prend le mot abetir dans son acception la plus rigoureuse. MM. Faugere et Maynard ne l'entendent point de la meme facon. Saint Paul : « Nemo se seducat : si quis videtur inter vos sapiens esse in hoc saeculo, stultus fial ut sit sapiens. — Sapientiaenimhujus mundi, stultitiaest apud Dcum. » I Cor., in, 18,19. Dans Pascal comme dans saint Paul, abetir ne doit pas etre pris a la lettre, mais dans la profondeur du sens chr^tien. (Faugere.) Selon l'observation excellente que j'entendais faire a M. Ballanche, beaucoup de ces mots e^onnants et outrt^s qu'on surprend sur les broujJlons de Pascal (comme cela vous abetira) pouvaientNen n'etre, dans sa st^nographie rapide, qu'une sorte de mnemoAique pour ac- crocher plus a fond la pens£e et la retro uver plus surement. Ces mots-la n'auraient point paru en public, et la pense"e se serait revetua avec plus de convenance a la fois et de vente, en parfaite harmonie avec le sujet. Sainte-Bcuve.) 234 PASCAL. — PENSEES. cela diminuera les passions, qui 3ont vos grands obstacles, etc. Or, quel mal vous arrivera-t-il en prenantce parti? Vous serez fidele, honnete, humble, reconnaissant, bienfaisant, sincere ami, veritable. A la verite, vous ne serez point dans les plaisirs empestes, dans la gloire, dans les delices; mais n'en aurez-vous point d'autres ? Je vous dis que vous y gagnerez en cettevie; et qu'a chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain, et tant de neant de ce que vous hasardez, que vous reconnaitrez a la fin que vous avez parie pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez rien donne. Oh 1 ce discours me transporte, me ravit, etc. Si ce discours vous plait et vous semble fort, sachez qu'il est fait par un homme qui s'est mis a genoux auparavant et apres pour prier cet £tre in- fini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le votre pour votre propre bien et pour sa gloire; et qu'ainsi la force s'accorde avec cette bassesse, ^ Ceux qui esperent leur salut sont heureux en cela, mais ils ont pour contre-poids la crainte de I'enfer. — Qui a plus de sujet de craindre I'enfer, ou celui qui est dans 1'ignorance s'il y a un enfer, et dans la certitude de damnation, s'il y en a; ou celui qui est dans une certaine persuasion qu'il y a un enfer, et dans Pesp^rance d'etre sauvc, s'H est ? • J'auruis bientot quitle les plaisirs, disent-ils, si j'a>ais la loi. El niui, je vous dis : Vous auriez bient6t CHAP1TRE XL 235 la foi, si vous aviez quitte les plaisirs. Or, c'est a vous a commencer. Si je pouvais, je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire, ni partant eprouver la vei-ite de ce que vous dites. Mais vous pouvez bien quitter les plaisirs, et eprouver si ce que je dis est vrai. f Quiconque n'ayant plus que huit jours a vivre ne trouvera pas que le parti est de croire que tout cela n'est pas un coup du hasard... Or, si les passions ne nous tenaient point, huit jours et cent ans sont une meme chose. II. Les preuves de Dieu metaphysiques sont si eloi- gners du raisonnement des hommes, et si impli- quees, qu'elles frappent peu ; et quand cela servirait a quelques-uns, ce ne serait que pendant l'instant qu'ils voient cette demonstration, mais une heure apres ils craignent de s'etre trompes. Quod curiositate cognoverint superbia amiserunt. C'est ce que produit la connaissance de Dieu qm se tire sans Jesus-Christ , qui est de communiquer sans mediateur avec le Dieu qu'on a connu sans me- diateur. Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par me- diateur connaissent leur misere. Jesus-Christ est l'objet de tout et le centre oti tout tend. Qui le connait connait la raison de toutes choses. Ceux qui s'egarent ne s'egarent que manque de voir une de ces deux choses. On peut done bien connaitre Dieu sans sa misere, et sa misere sans Dieu ; mais on ne peut connaitre Jesus-Christ sans connaitre tout ensemble et Dieu et sa misere. 236 PASCAL. — PENSEES. El c'est pourquoi je n'entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles , ou I'existence de Dieu, ou la Trinite, ou I'immortalite de l'ame, ni aucune des choses de cette nature; nuii-seulement parce que je ne me sentirais pas assez fortpour trou- ver dans la nature de quoi convaincre des atheesen- durcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jesus-Christ, est inutile et sterile. Quand un homme serait persuade que les proportions des nombres sont des verites immaterielles, eternelles, et dependantes d'une premiere verite en qui elles subsistent, et qu'on appelle Dieu, je ne le trouve- rais pas beaucoup avance pour son salut. III. C'est une chose admirable que jamais auteur ca- nonique ne s'est servi de la nature pour prouver Dieu 1 . Tous tendent a le fairecroire : David, Salo- mon , etc. , jamais n'ont dit : II n'y a point de vide, done il y a un Dieu. II fallait qu'ils fussent plus ha- biles que les plus habiles gens qui sont venusdepuis, qui s'en sont tous servis. Cela est tres-considerable. *Non vraiment, cela n'estpastres-considerable; carrier) n'cstplus manifestement faux. Les saintes tcritures ne sont point un cours do physique; elles ne prennent point le langage de la science, encore bien moins celui d'aucun systeme particulier; elles ne disent point : II n'y a point de vide, done il y a un Dieu, bizarre argument qui n'est nulle part, si ce nV-t peut-etre dans quelque obscur car- te-ion; mais elles enseignent, et cela d toutea les pages et do toute* les maniercs, que les cieux racontcni la gloire n du monde. >• (Cousin.) CKAPITRE XL 237 f ... Si c'est une marque de faiblesse de prouver Dieu par la nature, n'en meprisez pas l'ficriture : si c'est une marque de force d'avoir connu ces contra- rietes, estimez-en l'ficriture. IV. ... Car il ne faut pas se meconnaitre, nous sommes automate * autant qu'esprit; et de la vient que l'in- strument par lequel la persuasion se fait n'est pas la seule demonstration. Gombien y a-t-il peu de choses demontrees! Les preuves ne convainquent que I'es- prit. La coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues; elle incline l'automate, qui entraine l'esprit sans qu'il y pense. Qui a demontre qu'il sera demain jour, et que nous mourrons? etqu'y a-t-il de plus cru? C'est done la coutume qui nous en per- suade; c'est elle qui fait tant de Chretiens, c'est elle qui fait les Turcs, les Pai'ens, les metiers, les sol- dats, etc. Enfin, il faut avoir recours a elle quand une fois l'esprit a vu ou est la verite, afin de nous abreuver et nous teindre de cette creance, qui nous echappe a toute heure ; car d'en avoir toujours les preuves presentes, c'est trop d'affaire. II faut acque- 1 « M. Pascal parlait peu de sciences; cependant, quand l'occasion s'en prdsentait, il disait son sentiment sur les choses dont on lui parlait. Par exemple, sur la philosophie de M. Descartes, il disait assez ce qu'il pensait ; il dtait de son sentiment sur l'automate, et n'en e"tait point sur la matiere subtile, dont il se moquait fort ; mais il ne pouvait souffrir sa maniere d'expliquer la formation de toutes choses, et il disait tres-souvent : Je ne puis pardonner a Descartes; il voudrait bien, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu ; mais il n'a pu s'empecher de lui accorder une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement; apres cela il n'a plus que faire de Dieu. » ^Mademoiselle P6rie*\) 238 PASCAL. — PENSEES. ri»* une creance plus facile, qui est celle de 1'habi- tude, qui, sans violence, sans art, sans argument, nous fait croire les choses, et incline toutes nos puissances a cette croyance, en sorte que notre ame y tombe naturellement. Quand on ne croit que par la force de la conviction, et que l'automate est in- cline a croire le contraire, ce n'est pas assez. II faut done faire croire nos deux pieces : l'esprit, par les raisons, qu'il suftit d'avoir vues une fois en sa vie; et l'auiomate, par la coutume, et en ne lui per- mettant pas de s'incliner au contraire. Inclina cor meum, Deus. CHAPITRE XII. IDes marques auxquelles on peut reconnaitre qu'une religion est vraie, et comment la religion chr6tienne porte en elle les preuves de sa ve>ite\ ] I. La vraie religion doit avoir pour marque d'obliger a aimer son Dieu. Gela est bien juste. Et cependant aucune autre que la notre ne l'a ordonne ; la notre l'a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l'impuissance; la notre l'a fait. Elle doit y avoir apporte les remedes; Tun est la priere. Nulle reli- gion n'a demande a Dieu de Tanner et de le suivre. II. La vraie nature dc l'homme, son vrai bien, et la vraie vei in, et la vraie religion, sont choses dont la coiniaissanro est inseparable. 1 \]>rrs avoir en tend u la natu/re de l'homme. — II faut, pour qu'une religion soil vraie, qu'elle ait CHAPITRE XII. 239 connu notre nature. Elle doit avoir connu la gran- deur et la petitesse , et la raison de Tune et de l'autre. Qui l'a connue, que la chretienne? III. Les autres religions , comme les paiennes, sont plus populaires; car elles sont en exterieur; mais elles ne sont pas pour les gens habiles. Une religion purement intellectuelle serait plus proportionnee aux habiles; mais elle ne servirait pas au peuple. La seule religion chretienne est proportionnee a tous , etant melee d'exterieur et d'interieur. Elle eleve le peuple a 1'interieur, et abaisse les superbes a l'exterieur; et n'est pas parfaite sans les deux, car il faut que le peuple entende l'esprit de la lettre, et que les habiles soumettent leur esprit a la lettre. f II faut que l'exterieur soit joint a 1'interieur pour obtenir deDieu, c'est-a-dire que Ton se mette a ge- noux, prie des levres, etc., afin que l'homme orgueil- leux qui n'a voulu se soumettre a Dieu soit main- tenant soumis a la creature. Attendre de cet exte- rieur le secours est superstition ; ne vouloir pas le joindre a Tinterieur est etre superbe. IV. Nulle autre religion n'a propose de se hair. Nulle autre religion ne peut done plaire a ceux qui se haissent, et qiai cherchent un etre veritablement aimable. Et ceux-la, s'ils n'avaient jamais oui" parler de la religion d'un Dieu humilie, l'embrasseraient incontinent. <[■ ... Nulle autre n'a connu que l'homme est la plus excellente creature. Lesuns, qui ont bien connu 240 PASCAL. — PENSEES. la realite de son excellence, ont pris pour lachete* et pour ingratitude les sentiments bas que les hommes ont naturellement d'eux-memes; et les autres, qui ont bien connu combien cette bassesse est effective, ont traite d'une superbe ridicule ces sentiments de grandeur, qui sont aussi naturels a i'homme. Levez vos yeux vers Dieu, disent les uns; voyez celui auquel vous ressemblez, et qui vous a fait pour l'adorer. Vous pouvez vous rendre semblable a lui; la sagesse vous y egalera, si vous voulez la suivre. Et les autres disent : Baissez vos yeux vers la terre, chetif ver que vous etes, et regardez les betes, dont vous 6tes le compagnon. Que deviendra done 1'homme? Sera-t-il egal a Dieu ou aux betes? Quelle eflYoyable distance! Que serons-nous done? Qui ne voit par tout cela que I'homme est egare, qu'il esttombe de sa place, qu'il la cherche avec inquietude, qu'il ne la peut plus re- trouv^r? Et qui l'y adressera done? les plus grands hommes ne Pont pu. f Nulle religion que la notre n'a enseigne que I'homme nait en peche, nulle secte de philosophes ne Pa dit : nulle n'a done dit vrai. V. Que Dieu s'est voulu cacher. — S'il n'y avait qu'une religion, Dieu y serait bien manifeste. S'il n'y avait deo martyrs qu'en notre religion, de m&ne. ... Dieu elant ainsi cache, toute religion qui ne dit pas que Dieu est cache n'est pas veritable ; et toute religion qui n'en rend pas la raison n'est pas CHAPITRE XII. 241 insrtruisante. La notre fait tout cela : Vere tu esDeus absconditus. f Perpetuite. — Cette religion , qui consiste a croire que 1'homme est dechu d'un etat de gloire et de communication avec Dieu en un etat de tristesse, de penitence et d'eloignement de Dieu, mais qu'a- pres cette Tie nous serons retablis par un Messie qt:l devait venir, a toujours ete sur la terre. Toutes choses ont passe, et celle-la a subsiste pourlaquelle sont toutes les choses. Les hommes dans le premier age du monde ont ete emportes dans toutes sortes de desordres, et il y avaitcependantdes saints, comme finoch, Lamech et d'autres, qui attendaient en patience le Christ promis des le commencement du monde. Noe a vu la malice des hommes au plus haut degre; et il a merite de sauver le monde en sa personne, par l'es- perance du Messie dont il a ete la figure. Abraham etait environne d'idolatres, quand Dieu lui fit con- naitre le mystere du Messie qu'il a salue de loin. x\u temps d'Isaac et de Jacob , l'abomination s'etait re- pandue sur toute la terre : mais ces saints vivaient en la foi; et Jacob, mourant etbenissant ses enfants, s'ecrie, par un transport qui lui fait interrompre son discours : J'attends , 6 mon Dieu, le Sauveur que vous aves promis : Salutare tuum exspectabo, Domine. Les %yptiens etaient infectes et d'idolatrie et de magie; le peuple de Dieu meme etait entrain^ par leurs exeraples. Mais cependant Moise et d'autres oyaient celui au'ils ne voyaient pas, et l'ado- 21 242 PASCAL. — PENSEES. raient en regardant aux dons eternels qu'il leur preparait. Les Grecs et les Latins ensuite ont fait regner les fausses deites; les poetes ont fait cent diverses theo- logies; les philosophes se sont separes en mille sectes differentes : et cependant il y avait toujours au coeur de la Judee des homines choisis qui pre- disaient la venue de ce Messie , qui n'etait connu que deux. II est venu en fin en la consommation des temps : et depuis, on a vu naitre tant de schismes etd'here- sies, tant renverser d'foats, tant de changements en toutes choses; et cette figlise, qui adore celui qui a toujours ete adore, a subsiste sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout a fait di- vin, c'estque cette religion, qui a toujours dure, c toujours ete combattue. Mille fois elle a ete a la veille d'une destruction universelle; et toutes lo fois qu'elle a ete en cet etat, Dieu l'a relevee par des coups extraordinaires de sa puissance. Cost ce qui est etonnant, et qu'elle s'est maintenue sans flechi? et plier sous la volonte des tyrans. Car il n'est pas etrange qu'un £tat subsiste, lorsque Ton fait quel- quefois ceder ses lois a la necessite, mais que... f Figures. — Dieu, voulant se former un peuple saint, qu'il separerait de toutes les autres nations, qu'il d&ivrerait de ses ennemis, qu'il mettrait dans un lieu de repos, a promis de !<■ faire, ot a pre'dit par - le temps et la maniere de sa venue. I pendant, pour affermir I'esperance de sua elus dans tous les temps, il leur en a fait voir l'image CHAPITRE XII. 243 sans les laisser jamais sans des assurances de sa puissance et de sa volonte pour leur salut. Car, dans la creation de l'homme, Adam en etait le temoin, et Se depositaire de la promesse du Sauveur, qui devait naitre de la femme. Lorsque les homines etaient en- core si proches de la creation, qu'ils ne pouvaient avoir oublie leur creation et leur chute, lorsque ceux qui avaient vu Adam n'ont plus ete au monde, Dieu a envoye Noe, et il l'a sauve, et noye toute la terre , par un miracle qui marquait assez et le pouvoir qu'il avait de sauver le monde, et la vo- lonte qu'il avait de le faire, et de faire naitre de la semence de la femme celui qu'il avait promis. Ce miracle suffisait pour affermir l'esperance des hommes... La memoire du deluge etant encore si fraiche parmi les hommes, lorsque Noe vivait encore *, Dieu fit ses promesses a Abraham, et lorsque Sem vivait encore, Dieu envoya Moise, etc... VI. Les £tats periraient , si on ne faisait plier sou- vent les lois a la necessite. Mais jamais la religion n'a souflert cela, et n'en a use. Aussi il faut ces ac- commodements, ou des miracles. II n'est pas etrange qu'on se conserve en ployant, et ce n'est pas pro- prement se maintenir; et encore perissent-ils enfm entierement : il n'y en a point qui ait dure mille ans 5 . 1 Ici Pascal se trompe; No6 et Sem ne vivaient plus au moment dont il est question dans ce paragraphe. * Var. de Por.i-RoYAL : « Quinze cents ans. » 244 PASCAL. — PENSEES. Mais que cette religion se soit toujours mainlenue, et inflexible, cela est divin. VII. II y aurait irop d'obscurite, si la verite n'avait pas des marques visibles. C'en est une admirable qu'elle se soit toujours conservee dans une £glise et une assemblee risible. II y aurait trop de clarte, s'il n'y avait qu'un sentiment dans cette £glise; mais pour reconnaitre quel est le vrai, il n'y a qu'a voir quel est celui qui y a toujours ete ; car il est certain que le vrai y a toujours ete, et qu'aucun faux n'y a tou- jours ete. Perpttuite — Ainsi, le Messie a toujours ete cm. La tradition d'Adam etait encore nouvelle en Noe et en Moi'se. Les prophetes l'ont predit depuis, en pre- disant toujours d'autres choses, dont les evene- monls, qui arrivaient de temps en temps a la vue des hommes, marquaient la verite de leur mission, et par consequent celle de leurs promesses touchant le Messie. Jesus-Christ a fait des miracles, et les apdtres aussi, qui ont convert] tous les pai'ens; et par la toutes les propheties etant accomplies, le Messie est prouve pour jamais. VIII. En voyantl'aveuglemeni et la misercde 1'humme, en regardant tout lunivers muet, et l'homme sans lumiere, abandonne* a lui-mtoe, el comme e*gar^ (•<■ recoin tic I'univers, sans savoir qui 1'y a mis, i'il y est venu faire, ce qu'il deviendra en mou- niii.jV-iiir en effroi coi <' un homme 1 qu'on aurait • Yah. iji w>. : nComm9 un eofaDti (barr(5). CHAP1TRE XII. 245 porte endormi dan 5 une ile deserte et effroyable, et qui s'eveillerait sans connaitre oil il est, et sans moyen d'en sortir. Et sur cela j'admire comment ow n'entre point en desespoir dun si miserable etat. Je vois d'autres personnes aupres de moi, d'une sem- blable nature : je leur demande s'ils sont mieux in- struits que moi, ils me disent que non ; et sur cela, ces miserables egares, ayant regarde autour d'eux et ayant vu quelques objets plaisants, s'y sont donnes et s'y sont attaches. Pour moi, je n'ai pu y prendre d'attache, et considerant combien il y a plus dap- parence qu'il y a autre chose que ce que je vois, j'ai recherche si ce Dieu n'aurait point laisse quelquei marques de soi. Je vois plusieurs religions contraires, et par con- sequent toutes fausses, excepte une. Chacune veut etre crue par sa propre autorite, et menace les in- credules. Je ne les crois done pas la-dessus; chacun peut dire cela, chacun peut se dire prophete. Mais je vois la chretienne ou je trouve des prophcties, et e'est ce que chacun ne peut pas faire. IX. La seule religion contre nature, contre le sens commun, contre nos plaisirs, est la seule qui ait toujours ete. X. Toute la conduite des choses doit avoir pour objet l'etablissement et la grandeur de la religion; les hommes doivent avoir en eux-memes des sentiments conformes a ce qu'elle nous enseigne; et enfin elle dok etre tellement l'objet et le centre oil toutes 246 PASCAL,— PENSEES. choses tendent, que qui en saura les principes puisse rendre raison et de toute la nature de l'bomme en particulier, et de toute la conduite du monde en general. f ... lis blasphement ce qu'ils ignorent. La reli- gion chretienne consiste en deux points. II importe egalement aux hommes de les connaitre, et il est egalement dangereux de les ignorer. Et il est ega- lement de la misericorde de Dieu d'avoir donne des marques des deux. Et cependant ils prennent sujet de conclure qu'un de ces points n'est pas, de ce qui leur devrait faire conclure l'autre. Les sages qui ont dit qu'il y a un Dieu ont ete persecutes, les Juifs hais, les Chretiens encore plus. Ils ont vu par lumiere naturelle que, s'il y a une veritable religion sur la terre, la con- duite de toutes choses doit y tendre comme a son centre. Et sur ce fondement, ils prennent lieu de blasphemer la religion chretienne, parce qu'ils la 256 PASCAL. — PENSEES. misere, a la mort, au peche ; et elle crie aux plus impies qu'ils sont capables de la grace de leur Re- dempteur. Ainsi, donnant a trembler a ceux qu'elle mstifie, et consolant ceux qu'elle condamne, elle lempere avec lant de justesse la crainte avec l'espe- rance par cette double capacite qui est commune a tous, et de la grace et du peche, qu'elle abaisse infi- niment plus que la seule raison ne peut faire, mais sans desesperer ; et qu'elle eleve infiniment plus que l'orgueil de la nature, mais sans enfler : faisant bien voir par la qu'etant seule exempte d'erreur et de vice, il n'appartient qu'a elle et d'instruire et de cor- riger les hommes. Qui peut done refuser a ces celestes lumieres de les croire et de les adorer ? Car n'est-il pas plus clair que le jour que nous sentons en nous-memes des caracteres ineffacables d'excellence ? Et n'est-il pas uussi veritable que nous eprouvons a toute heure les effets de notre deplorable condition? Que nous crie done ce chaos et cette confusion monstrueuse, sinon la verite de ces deux etats, avec une voix si puissante, qu'il est impossible de resister? IV. Nous ne concevons ni l'etat glorieux d'Adam, ni la nature de son peche, ni la transmission qui s'en est faite en nous. Ce sont choses qui se sont passees dans l'otat d'une nature toute diflerente de la noire, el qui passent notre capacite presenie. Tout cela nous est inutile a savoir pour en sortir; et tout ce qu'il nous importe de connaltre est que nous soiniiics miserables. corrompus, separes de Dieu, CHAPITRE XIII. 257 raais racbetes par Jesus-Christ; et c'est do quoi nous avons des preuves admirables sur la terre. Ainsi les deux preuves de la corruption et de la re- demption se tirent des impies, qui vivent darts l'in- difference de la religion, et des Juifs, qui en sont les ennemis irreconciliables. V. Le christianisme est etrange I II ordonne a l'homme de reconnaitre qu'il est vil, et meme abominable; et lui ordonne de vouloir etre semblable a Dieu. Sans un tel contre-poids, cette elevation le rendrait hor- riblement vain, ou cet abaissement le rendrait nor- riblement abject. *f La misere persuade le desespoir, 1'orgueil persuade la presomption. L'incarnation montre a l'homme la grandeur de sa misere, par la grandeur du remede qu'il a fallu. VI. ... Non pas un abaissement qui nous rende inca- pables du bien, ni une saintete exempte du mal. rendre, capable de sa communication ! Mais je vomlrais lui demander si Dieu demande autre chose de lui, siiion qu'il 1'aiineen le connaissant; et pour- CHAfifRE XIV. 259 quoi il croit que Dieu ne peut se rend re connais- sable et aimable a lui, puisqu'il est naturellement capable d'amour et de connaissance. II est sans dome qu'il connaft au moins qu'il est, et qu'il aime quelque chose. Done, s'il voit quelque chose dans les tenebres oil il est, et s'il trouve quelque sujet d'amour parmi les choses de la terre, pourquoi, si Dieu lui donne quelques rayons de son essence, ne sera-t-il pas capable de le connattre et de l'aimer en la ma- niere qu'il lui plaira se communiquer a nous ? II y a done sans doute une presomption insupportable dans ces sortes de raisonnements, quoiqu'ils parais- sent fondes sur une humilite apparente, qui n'est ni sincere, ni raisonnable, si elle ne nous fait con- fesser que, ne sachant de nous-memes qui nous sommes, nous ne pouvons 1'apprendre que de Dieu. GHAPITRE XIV. [De la raison et de la foi. ] . I. La derniere demarche de l*a raison, e'est de con naitre qu'il y a une infinite de choses qui la sur- passent. Elle n'est que faible, si elle ne va jusqu'a connaitre eel a. Que si les choses naturelles la sur- passent, que dira-t-on des surnaturelles ? ^ Soumission * . -r— II faut savoir douter oil il faut, 1 Pascal parfois doute ou a tout l'air de douter; il conceit et ex- prime le doute d'une facon terrible; mais e'est aussi qu'il a, qu'il croit avoir re remede. Sa foi, je le pense, fut anterieure a son doute; lorsque ce doute survint, il ne trouva place que dans l'intervalle de c:e qu'on a appele ses deux conversions, et il fut vite recouvert. Si .>on peut dire qu'il revint a la charge ct se logea toujours plus on 260 PA5CAL. — PENSEES. assurer ou il faut et se soumettre oil il faut ! . Qui ne rait ainsi n'entend pas la force de la raison. II y en a qui faillent contre ces trois principes, ou en assu- rant tout comme demonstratif , manque de se con- naitre en demonstration; ou en doutant de tout, manque de savoir oil il faut se soumettre ; ou en se soumettant en tout , manque de savoir oil il faut juger. II. Si on soumet tout a la raison, notre religion n'aura rien de mysterieux ni de surnaturel. Si on choque les principes de la raison, notre religion sera absurde et ridicule. f Saint Augustin. La raison ne se soumeltrait ja- mais, si elle ne jugeait qu'il y a des occasions oil elle se doit soumettre. II est done juste qu'elle se sou- mette, quand elle juge qu'elle se doit soumettre, III. Lapiete est differenle de la superstition. Soutenir moins au sein de sa foi, c'elait la une maniere, apres ,v» " d'etre assez mal log6 et mal a l'aise ; et Pascal ne lui laissa, jo «i itablement ceux qu'il aime a croire la religion cliretienne, et qu^ les infideles n'ont aucune preuve de ce qu'ils disent : et ainsi nos propositions 6tant semblables dans ios termes, elles dif- ferent en ce que l'une est sans aucune preir;e t et ) 'autre est solido- meDtprouv6e» (barrel. 264 PASCAL. — PENSEES. J'avoue bien qu'un de ces Chretiens qui croient sans preuves n'aura peut-etre pas de quoi convaincre un infidele qui en dira autant de soi. Mais ceux qui savent les preuves de la religion prouveront sans difficulte que ce fidele est veritablement inspire de Dieu , quoiqu'il ne put le prouver lui-meme. Car Dieu ayant dit dans ses prophetes (qui sont indu- bitablement prophetes, que dans le regne de Jesus- Christ il repandrait son esprit sur les nations, et que les fils, les filles et les enfants de l'figlise prophetiseraient, il est sans doute que l'esprit de Dieu est sur ceux-la, et qu'il n'est point sur les autres. CHAPITRlb. XV. [Que l'homme, convaincu de sa misere et tourmente" par le doute, ne trouve rien d'eflcctif en dehors de la religion chr&ienne; et que l'histoire des Juifs est Pun des fondements indubitables de cette religion.] r. Nous sommes plaisants de nous reposer dans la societe denos semblables. Miserables comme nous, /nipuissants comme nous, ils ne nous aideront pas; on mourra seul; il faut done faire comme si on etait seul; et alors, batirait-on des maisons su- perbes, etc.? On chercherait la ve'rite' sans hesiter; et si on le refuse, on temoigne estimer plus 1'estime des hommes, que la recherche de la ve'rite*. • ... Voila ce queje vois et ce qui me trouble. Je regardede ionics pans, et nevois partout qu'obscu- iiic La nature ne m'oilre rien qui ne soil matiere de CHAPITHE XV. 265 doute et d'inquietude. Si jo. n'y voyais rien qui mar- qua t une Divinite, je me determinerais a n'en rien croire. Si je voyais partout les marques d'un Crea- teur, je reposerais en paix dans la foi. Mais, voyant irop pour nier, et trop peu pour m'assurer, je suis dans un etat a plaindre, et oil j'ai souhaite cent fois que, si un Dieu la soutient, elle le marquat sans Equivoque; et que, si les marques qu'elle en donne sont trompeuses, elle les supprimat tout a fait ; qu'elle dit tout ou rien, afin que je visse quel parti je dois suivre. Au lieu qu'en l'etat ou je suis, ignorant ce que je suis et ce que je dois faire, je ne connais ni ma condition, ni mon devoir. Mon coeur tend tout entier a connaitre oil est le vrai bien, pour le suivre. Rien ne me serait trop cher pour l'eternite... f Je vois la religion chretienne fondee sur une religion precedente *, et voici ce que je trouve d'ef- fectif. Je ne parle pas ici des miracles de Moise, de Jesus-Christ et des apotres, parce qu'ils ne parais- sent pas d'abord convaincants, et que je ne veux que mettre ici en evidence tous les fondements de cette religion chretienne qui sont indubitables, et qui ne peuvent etre mis en doute par quelque personne ^ue ce soit... Je vois done des foisons de religions en plusieurs endroits du monde, et dans tous les temps. Mais elles n'ont ni la morale qui peut me plaire, ni les preu\es qui peuvent m'arreter. Et ainsi j'aurais re- fuse egalement la religion de Mahomet, et celle de la Chine, et celle des anciens Romains, et celle des 4 La religion juive„ 23 266 PASCAL. —PENSEES. figyptiens, par cette seule raison que 1'une n'ayant pas plus de marques de verile que 1'autre, ni rien qui determinat necessairement, la raison ne peut pencher plutot vers 1'une que vers 1'autre. Mais, en considerant ainsi cette inconstante et bizarre variete de mceurs et de creances dans les divers temps, je trouve en un coin du monde un peuple particulier 4 , separe de tous les autres peu- ples de la terre, le plus ancien de tous, et dont les histoires precedent de plusieurs siecles les plus an- ciennes que nous ayons. Je trouve done ce peuple grand et nombreux, sorti d'un seul homme, qui adore un seul Dieu, et qui se conduit par une loi qu'ils disent tenir de sa main. lis soutiennent qu'ils sont les seuls du monde auxquels Dieu a revele ses mysteres; que tous les homines sont corrompus, et dans la disgrace de Dieu; qu'ils sont tous aban- donnes a leur sens et a leur propre esprit; et que de la vienYient les etranges egarements et les chan- gements continuels qui arrivent entre eux, et de re- ligions, et de coutumes; au lieu qu'ils demeurent inebranlables dans leur conduite : mais que Dieu ne laissera pas eternellemcvat les autres peuples dans ces tenebres; qu'il vieiidra un liberateur pour tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer; qu'ils sont formes expres pour etre les avant-coureurs et les herauts de ce grand avencment, et pour appcler les peuples a s'unir a eux dans I'attente de ce liberateur. La rencontre de ce peuple m'etonne, et me semble » LesJuifs. CHAP1TRE XV. 267 iigne de l'attention. Je considere cette loi qu'ils se rantent de tenir de Dieu, et je la trouve admirable. C'est la premiere loi de toutes, et de telle sorte qu'avant meme que le mot loi fut en usage parmi les Grecs, il y avait pres de mille ans qu'ils l'avaient recue et observee sans interruption. Ainsi je trouve etrange que la premiere loi du monde se rencontre aussi la plus parfaite, en sorte que les plus grands legislateurs en ont emprunte les leurs, comme il paraitpar la loi des Douze Tables d'Athenes, qu ifut ensuite prise par les Romains, et comme il seraii aise de le montrer, si Josephe et d'autres n'avaient pas assez traite cette matiere. f Avantages du peuple juif. — Dans cette recherche le peuple juif attire d'abord mon attention par quan- tite de choses admirables et singulieres qui y pa- raissent. Je vois d'abord que c'est un peuple tout compose de freres : et, au lieu que tous les autres sont formes de 1'assemblage d'une infinite de families, celui-ci, quoique si etrangement abondant, est toutsorti d'un seul homme; et, etant ainsi tous une meme chair, et membres les uns des autres, ils composent un puissant etat d'une seule famille. Gela est unique. Cette famille, ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes ; ce qui me semble lui attirer une veneration particuliere, et principalement dans la recherche que nous faisons; puisque, s : Dieu s'est de tout temps communique aux hommes, c'est a ceux-ci qu'il faut recourir pour sn savoir la tradition. 268 PASCAL. — PENSfiES. Ce peuple n'esl pas seulement considerable par son antiquite; mais il est encore singulier en sa duree, qui a toujours continue depuis son origine jusque maintenant : car au lieu que les peuples de Grece et d'ltalie, de Lacedemone, d'Athenes, de Rome , et les autres qui sont venus si longtemps apres, ont fini il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours; et, malgre les entreprises de tant de puis- sants rois qui ont cent fois essaye de les faire perir, comme les historiens le temoignent, et comme il est aise de le juger par l'ordre naturel des choses, pen- dant un si long espace d'annees ils ont toujours ete conserves neanmoins, et s'etendant depuis les pre- miers temps jusques aux derniers, leur histoire en- ferme dans sa duree celle de toutes nos histoires. La loi par laquelle ce peuple est gouverne est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite, et la seule qui ait toujours ete gardee sans interruption dans un £tat. C'est ce que Josephe montre admirablement contre Apion, et Philon, Juif , en divers lieux, ou ils font voir qu'elle est si ancienne, que le nom meme de loi n'a etc connu des plus anciens que plus de mille ans apres; en sorle qu'Homere, qui a traite de I'histoire de tant d'fitats, ne s'en est jamais servi. Et il est aise de juger de sa perfection par la simple lecture, ou Ton voit qu'on a pourvu a toutes choses avec tant de sagesse, tant d'equite, tant de jugement, que les plus anciens le- gislateurs grecs et romains, en ayanteu quelquj lu- miere, en ontempruriteleurs principales lois; ce qui parait par celle qu'ils appellent des Douze Tables, CHAPITRE XV. 269 et par les auties preuves que Josephe en donne. Mais cette loi est en meme temps la plus severe et la plus rigoureuse de toutes en ce qui regarde le culte de leur religion, obligeant ce peuple, pour le retenir dans son devoir, a mille observations particulieres et p'Vuibles, sur peine de la vie. De sorte que c'est :ane chose bien etonnante qu'elle se soit toujours conservee durant tant de siecles par un peuple re- belle et impatient comme celui-ci ; pendant que tous les autres foats ont change de temps en temps leurs lois, quoique tout autrement faciles. Le livre qui contient cette loi, la premiere de toutes, est lui- meme le plus ancien livre du monde , ceux d'Homere, d'Hesiode et les autres, n'etant que six ou sept cents ans depuis, II. Sincerite des Juifs. — ... lis portent avec amour et fidelite le livre oil Moise declare qu'ils ont ete in* grats envers Dieu toute leur vie, et qu'il sait qu'ils le seront encore plus apres sa mort; mais qu'il ap- pelle le ciel et la terre a temoin contre eux, et qu'il leur a enseigne assez : il declare qu'enfin Dieu, s'irri- tant contre eux, les dispersera parmi tous les peuples de la terre : que , comme ils l'oat irrite en adorant les dieux qui n'etaient point leur Dieu, de meme il lesprovoquera en appelant un peuple qui n'est point son peuple; et veut que toutes ses paroles soient conservees eternellement, et que son livre so** mis dans Farche de l'alliance pour servir a jamais de te- moin contre eux. Isaie dit la meme chose, xxx, 8. Cependant ce livre qui les deshonore en tant de fa- 270 PASCAL.— PENSEES. Cons, ils le conservent aux depens de leur vie. C'est une sincerite qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature. II y a bien de la difference entre un livre que fait un particulier, et qu'il jette dans le peuple, et un livre qui fait lui-meme un peuple. On ne peut douter que le livre ne soit aussi ancien que le peuple. Toute histoire qui n'est pas contemporaine est suspecte; comme les livres des Sibylles et de Tris- megiste, et tant d'autres qui ont eu credit au monde, sont faux et se trouvent faux a la suite des temps. II n'en est pas ainsi des auteurs contemporains. III. Qu'il y a de difference d'un livre a un autre 1 Jene m'etonne pas de ce que les Grecs ont fait l'lliade, ni les Egyptiens et les Chinois leurs histoires. II ne f aut que voir comment eel a est ne. Ces liistoriens fabuleux ne sont pas contemporains des choses dont ils ecrivent. Homere fait un roman, qu'il donne pourtel; car personne ne doutait que Troie et Agamemnon n'avaient non plus etc que la pomme d'or. II ne pensait pas aussi a en faire une histoire, mais seulement un divertissement. II est le seul qui ecrit de son temps : la beaute de l'ouvrage fait (hirer la chose : tout le monde l'apprend et en parle : il la faut savorr; chacun la suit par coeur. Quatre cents ans apres, les tcinoins des choses ne sont pluc vivants; personne ne sait plus par sa con- 1 une fable on une histoire : on l'a seulement appris de ses ancelres, cela peut passer pour vrai. CHAPITREXV. £71 IV. Que la loi de Mo'ise etait figurative. — La creation et le deluge etant passes, et Dieu ne devant plus detruire le monde, non plus que le recreer, ni don- ner de ces grandes marques de lui, il commenca d'etablir un peuple sur la terre, forme expres, qui devait durer jusqu'au peuple que le Messie formerait par son esprit. V. Dieu, voulant faire paraitre qu'il pouvait former un peuple saint d'une saintete invisible, etle remplir d'une gloire eternelle , a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grace, il a fait dans les biens de la nature ce qu'il devait faire dans ceux de la grace, afin qu'on jugeat qu'il pouvait faire l'invisible, puisqu'il faisait bien le visible. II a done sauve ce peuple du deluge ; il l'a fait naitre d'Abra- ham , il l'a rachete d'entre ses ennemis, et l'a mis dans le repos. L'objet de Dieu n'etait pas de sauver du deluge, et de faire naitre tout un peuple d'Abraham, pour ne l'introduire que dans une terre grasse *. Et meme la grace n'est que la figure de la gloire, car elle n'est pas la derniere fin. Elle a ete figuree paF la loi, et figure elle-meme la gloire; mais elle en est la figure, et le principe ou la cause. La vie ordinaire des hommes est sembb^jie a celle des saints. lis recherchent tous leur satisfaction, et ne different qu'en l'objet ou ils la placent. lis ap- pellent leurs ennemis ceux qui les en empeehent, etc* * La terre promise. Vn PASCAL. — PENSEES. Dieu a done montre le pouvoir qu'il a de dormer les biens invisibles, par celui qu'il a montre qu'il avait surios choses visibles. VI. Figures. — Dieu voulant priver les siens des biens perissables, pour montrer que ce n'eiait pas par im- puissance, il a fait le peuple juif. f Les Juifs avaient vieilli dans ces pensees ter- restres, que Dieu aimaitleur pere Abraham, sa chair et ce qui en sortirait; que pour celail les avait mul- tiplies et distingues de tous les autres peuples, sans souffrir qu'ils s'y melassent; que, quand ils lan- guissaient dans l'figypte, il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur; qu'il les nourrit de la manne dans le desert; qu'il les menadansune terre bien grasse; qu'il leur donna des rois et un temple bien bati pour y offrir.des betes, et par le moyen de l'eflusion de leur sang qu'ils seraient pu- rifies, et qu'il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maitres de tout le monde. Et il a pre- dit le temps de sa venue. Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles, Jesus-Chiust est venu dans le temps predit, mais non pas dans L'eclatattendu; etainsi ils n'ont pas pense que ce flit lui. Apres sa mort, saint Paul est venu appmidrcaux homines que toutes ces choses dtaient arrivees en figures; que le royaume de Dieu ne con- sistait pas en la chair, mais en 1'csprit; que les en- iiemis des hommes n'etaient pas les Babylonienjs, inai^ leurs passions ; que Dieu ne se plaisail pas aux temples fails de main d'homme, mais en un cceur CHAP1TRE XV. 273 pur ethumilie; que la circoncision du corps etait inutile, mais qu'il fallait celle du coeur; que Mo'ise ne leur avail pas donne le pain du ciel, etc. Mais Dieu, n'ayant pas voulu decouvrir ces choses a ce peuple, qui en etait indigne, et ayant voulu neanmoins les predire afin qu'elles fussent crues, en avait predit le temps clairement, et les avait meme quelquefois exprimees clairement, mais abondam- ment en figures, aim que ceux qui aimaient les choses figurantes * s'y arretassent, et que ceux qui aimaient les figurees 2 les y vissenl. VII. Les Juifs charnels n'entendaient ni la grandeur ni l'abaissement du Messie predit dans leurs pro- pheties. lis l'ont meconnu dans sa grandeur, comme quand il dit que le Messie sera seigneur de David, quoiqye son fils; qu'il est devant qu' Abraham, et qu'il l'a vu. lis ne le croyaient pas si grand, qu'il fut eternel : et ils l'ont meconnu de meme dans son abaissement et dans sa mort. Le Messie, disaient-ils, demeure eternellement, et celui-ci dit qu'il mourra. Us ne le croyaient done ni morlel, ni eternel : ils ne iherchaient en lui qu'une grandeur charnelle. VIII. Les Juifs ont tant aime les choses figurantes, et les * « Les choses figurantes. » Port-Royal met en marge : « G'est- Mire les choses charnelles qui servaient de figures. » 2 « Les figures. » Port-Royal met en marge : « G'est-a-dire ies v6rit£s Bpirituellec figurees par les choses charnelles. » Pascal a ecrit ici dans l'interligne : « Je ne dis pas bien. » En effet, quoique Ton com- prenne sa pense'e, elle n'a pas ici cette admirable nettete" qui est le don et le besoin de son esprit, (Havet.) 274 PASCAL. — PENSEES. ontsi bien attendues, qu'ilsont meconnu la realite, quand elle est venue dans le temps et en la maniere predite. IX. Ceux qui out peine a croire, en cherchent un sujet en ce que les Juifs ne croient pas. Si cela etait si clair, dit-on, pourquoi ne croyaient-ils pas? Etvou- draient quasi qu'ils crussent, afin de n'etre pas ar- retes par l'exemple de leur refus. Mais c'est leur refus meme qui est le fondement de notre creanee. Nous y serions bien moins disposes, s'ils etaient des notres. Nous aurions alors un plus ample pretexte. Cela est admirable, d'avoir rendu les Juifs grands amateurs des choses predites, et grands ennemis de I'accomplissement. X. II fallait que, pour donner foi au Messie, il y eut eu des propheties precedentes, et qu'elles fussent portees par des gens non suspects, et d'une diligence et fidelite et d'un zele extraordinaire, et connu de toute la terre. Pour faire reussir tout cela, Dieu a choisi ce peuple charnel, auquel il a mis en depot les propheties qui predisent le Messie, comme liberateur, et dispensa- teur des biens charnels que ce peuple aimait; el ainsi il a eu une ardour extraordinaire pour ses pfophetes, et a porte a la vue de lout le monde ces livrcs qui predisent leur Messie, assuiant toutes les nations (jn'il devait vcnir, et en la maniere pr6- ilitr dans leurs livres, (ju'ils tenaient ouvcrts a tout le monde. Ki ainsi ce peuple, decu par 1'avenement CHAPiTRE XV. 275 ignominieux et pauvre du Messie, a ete son plus cruel ennemi. De sorte que voila le aeuple du monde !e moins suspect de nous favoriser, et le plus exact qui se puisse dire pour sa loi et pour ses pro- phetes, qui les porte incorrompus. C'est pour cela que les propheties ont un sens ca- che, le spirituel, dont ce peuple etait ennemi, sous le charnel, dont il etait ami. Si le sens spirituel eut ete decouvert, ils n'etaient pas capables de l'aimer; et, ne pouvant le porter, ils n'eussent pas eu le zele pour la conservation de leurs livres et de leurs ce- remonies. Et, s'ils avaient aime ces promesses spi- rituelles, et qu'ils les eussent conservees incorrom- pues jusqu'au Messie, leur temoignage n'eut pas eu de force, puisqu'ils en eussent ete amis. Voila pour- quoi il etait bon que le sens spirituel fut couvert. Mais, d'un autre cote, si ce sens eut ete tellement cache qu'il n'eut point du tout paru, il n'eut pu ser vir de preuve au Messie. Qu'a-t-il done ete fait? II a ete couvert sous le temporel en la foule des pas- sages, et a ete decouvert si clairement en quelques- uns : outre que le temps et 1'etat du monde ont ete predits si clairement, qu'il est plus clair que le soleil. Et ce sens spirituel est si clairement explique en quelques endroits, qu'il fallait un aveuglement pareil a celui que la chair jette dans 1'esprit quand il lui est assujetti, pour ne le pas reconnaitre. Voila done quelle a ete la conduite de Dieu. Ce sens eel couvert d'un autre en une infinite d'endroits, et decouvert en quelques-uns rarement, mais en telle sorte neanmoins que les lieux ou il est c2 die 276 PASCAL. — PENSEES. sont equivoques et peuvent convenir aux deux; au lieu que les lieux oil il est decouvert sont univoques, Et ne peuvent convenir qu'au sens spirituel. De sorte que cela ne pouvait induire en erreur, Rt qu'il n'y avait qu'un peuple aussi charnel qui s'y put meprendre. Gar quand les biens sont promis en abondance, qui les empechait d'entendre les veritables biens, sinon leur cupidite, qui determinaitce sens aux biens de la terre? Mais ceux qui n'avaient de biens qu'en Dieu les rapportaient uniquement a Dieu. Car il y a deux principes qui partagent les volontes des hommes, la cupidite et la charite. Ce n'est pas que la cupidite ne puisse etre avec la foi en Dieu, et que la charite ne soit avec les biens de la terre. Mais la cupidite use de Dieu et jouitdu monde; h la charite, au contraire *. Or, la derniere fin est ce qui donne le nom aux choses. Tout ce qui nous empeche d'y arriver est appele ennemi. Ainsi les creatures, quoique bonnes, sont ennemies des justes, quand elles les detour- nent de Dieu , et Dieu me*me est l'ennemi de ceux dont il trouble la convoitise. Ainsi le mot d'ennemi dependant de la derniere fin, les justes entendaient par la leurs passions, et les charnels entendaient les Babyloniens : et ainsi ces termes n'etaient obseurs que pour les injustes. * « Au contraire. » Port-Royal complete ainsi la phrase : use du mondc el jouit de Dieu. G'est-a-dire, ne se sert des biens du monde que pour faire la volonte" de Dieu, et obtenir ainsi sa grace. (UaveU) CHAPITRE XV. 277 Et c'est ce que dit Isaie : Signa legem in electis meis, et que Jesus-Christ sera pierre de scandale. Mais, « Bienheureux ceux qui ne seront point scandalises » en lui! » Osee *, ult,, le dit parfaitement : « Oil » est le sage? et il entendra ce que je dis. Les justes » l'entendront. Car les voies de Dieu sont droites ; » les justes y marcheront, mais les mechants y tre- » bucheront. » f ... De sorte que ceux qui ont rejete et crucifie Jesus-Christ, qui leur a ete en scandale, sont ceux qui portent les livres qui temoignent de lui et qui disent qu'il sera rejete et en scandale; de sorte qu'ils ont marque que c'etait lui en le refusant, et qu'il a ete egalement prouve, et par les justes Juifs qui l'ont recu, et par les injustes qui l'ont rejete, Fun el l'autre ayant ete predits. XI. Le temps du premier avenement est predit; le temps du second ne Test point 2 , parce que le pre- mier devait etre cache ; le second doit etre eclatant et tellement manifeste que ses ennemis memes le devaient reconnaitre. Mais, comme il ne devait venir qu'obscurement, et que pour £tre connu seulement de ceux qui sonderaient les ficritures... f Que pouvaient faire les Juifs, ses ennemis ? S ils le regoivent, ils le prouvent par leur reception, car les depositaires de l'attente du Messie le recoi- vent; et s'ils le renoncent, ils le prouvent par leur •'enonciation. 1 « Os6e, ult. » G'est-^-dire au dernier chapitre, xiv, 10. * Le second avenement du Christ sera le jugement dernier. 24 278 PASCAL. — PENSfiES. XII. Fac secundum exemplar l quod tibi ostensum est in monte. La religion des Juifs a done ete formee sur la ressemblance de la verite du Messie; et la verite du Messie a ete reconnue par la religion des Juifs, qui en etait la figure. Dans les Juifs, la verite n'etait que figuree. Dans le ciel, elle est decouverte. Dans l'Eglise, elle est couverte, et recennue par le rapport a la figure. La figure a ete faite sur la verite, et la verite a ete re- connue sur la figure. XIII. Qui jugera de la religion des Juifs par les gros- siers, la connaitra mal. Elle estvisible dans les saints livres, et dans la tradition des prophetes, qui ont assez fait entendre qu'ils n'entendaient pas la loi a la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l'fivan- gile, les apotres et la tradition ; mais elle est ridi- cule dans ceux qui la traitent mal. Le Messie, selon les Juifs charnels, doit etre un grand prince temporel. Jesus-Christ, selon les Chre- tiens charnels, est venu nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui operent tout sans nous. Ni Tun ni l'autre n'est la religion chretienne, ni juive. Les vrais Juifs et les vrais Chretiens ont toujours attendu un Messie qui les fe« rail aimer Dieu, et, par cet amour, triompher de leurs ennemis. ^ Deuxsortes d'hommes enchaque religion. — Parmi » Exode, xxv, 40. CHAPITRE XV. 279 les paiens, des adorateurs des betes, et les autres.> adorateurs d'un seul Dieu dans la religion .nafti- relle. Parmi les Juifs, les charnels, et les spirituels qui etaient les Chretiens de la loi ancienne. Parmi les Chretiens, les grossiers, qui sont les Juifs de la loi nouvelle. Les Juife charnels attendaient un Messie charnel, et les Chretiens grossiers croient que le Messie les a dispenses d'aimer Dieu. Les vrais Juifs et les vrais Chretiens adorent un Messie qui les fait aimer Dieu. f Les Juifs charnels et les Paiens ont des miseres, et les Chretiens aussi. II n'y a point de Redempteur pour les Paiens , car ils n'en esperent pas settlement. II n'y a point de Redempteur pour les Juifs, ils Fes- perent en vain. II n'y a de Redempteur que pour lee Chretiens. XIV. Le voile qui est sur ces livres de l'Ecriture pour les Juifs y est aussi pour les mauvais Chretiens, et pour tous ceux qui ne se haissent pas eux-memes. Mais qu'on est bien dispose a les entendre et a con- naitre Jesus-Christ, quand on se hait veritablement soi-meme ! XV. , . Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les Chretiens et les Paiens. Les Paiens ne connaissent point Dieu, et n'aiment que la terre. Les Juifs con- naissent le vrai Dieu, et n'aiment que la terre. Les Chretiens connaissent le vrai Dieu, et n'aiment point la terre. Les Juifs et les Paiens aiment les memes biens. Les Juifs et les Chretiens connaissent le meme 280 PASCAL. — PENStES. Dieu. I,es Juifs etaient de deux sortes : les uns n'a- vaient que les affections pai'ennes, les autres avaienl les affections chretiennes. XVI. ... C'estvisiblementun peuple fait expres pour ser- vir de temoin auMessie: Is., xliii, 9; xliv,8. II porte les livres, et les aime, et ne les entend point. Et toul cela est predit : que les jugements de Dieu leur sont confies, mais comme un livre scelle. ^ Tandis que les prophetes ont ete pour mainte- nir la loi, le peuple a ete negligent. Mais depuis qu'il n'y a plus eu de prophetes, le zele a succede. Le diable a trouble le zele des Juifs avant Jesus-Christ, parce qu'il leureut ete salutaire, mais non pas apres. XVII. La creation du monde commencant a s'eloigner, Dieu a pourvu d'un historien unique contemporain, et a commis tout un peuple pour la garde de ce livre, afin que cette histoire fut la plus authentique du monde , et que tous les hommes pussent ap- prendre une chose si necessaire a savoir, et qu'on ne put la savoir que par la. XVIII. Principe : Moise etait habile homme; si done il se gouvernait par son esprit, il ne disait rien nette- mentqui fut directementcontre l'esprit. Ainsi toutei les i'aiblesses tres-apparentes sont des forces. Exem- pie, les etes veritablement notre pere, et Abraham ne nous » a pas connus, et Israel n'a pas eu de connaissanc* » de nous; mais c'est vous qui etes notre pere el » notre redempteur. » Moi'se meme leur a dit que Dieu n'accepterait pas les personnes. Deut., x, 17: Dieu, dit-il, « n'accepte » pas les personnes, ni les sacrifices. » Que la circoncision du coeur est ordonnee. Deut., x, 16; Jerem.y iv, 4: « Soyez circoncis du coaur; re- » tranchez les superfluites de votre coeur, et ne » vous endurcissez pas; car votre Dieu est un Dieu » grand, puissant et terrible, qui n'acceple pas les » personnes. » Que Dieu dit qu'il !e feraitun jour. Deut., xxx,6; « Dieu te circoncira le cceur, et a tes enfants, afin » que tu l'aimes de tout ton cceur. » Que les incirconcis de cceur seront juges. Jer., ix, 26: Car Dieu jugera les peuples incirconcis, et tout lc peuple d'Israel, parce qu'il « est incirconcis » de cceur » Que I'extefieur ne sert de rien sans I'interieur, Jori., n, 13: Scindite corda vestra, etc. Is., lviii, 3, tc. L'amourde Dieu est recommande en tout le Deu- leronome. D&iU, xxx, 19 : « .le prenyls a tcmoin le » ciel et fa terre que j'ai mis devant vous la mort et » la vie, aiiu que vous choisissiez la vie, et que vous CHAPITRE XVI. 285 o aimiez J)ieu et que vous lui obeissiez; car c'est o pieu qui est votre vie. » Que les Juifs, manque de cet amour, seraient re- prouves pour leurs crimes, et les Pai'ens elus en leur place. Os., i [10] ; Deut., xxxn, 20 : « Je me ca- » cherai d'eux, dans la vue de leurs dernie\ s crimes ; » car c'est une nation mechante et infidele. lis m'ont » provoque a courroux par les choses qui ne sont » point desdieux; etje les provoquerai a jalousie par » un peuple qui n'est pas mon peuple, et par une na- » tion sans science et sans intelligence. » Is., lxv [1]. Que les biens temporels sont faux, et que le vrai bien est d'etre uni a Dieu. Ps., cxliii, 15. Que leurs fetes deplaisent a Dieu. Amos, v, 21. Que les sacrifices des Juifs deplaisent a Dieu. Is., lxvi [1-3]; i, 11. Mrem., vi, 20. David, Miserere [18]. — Meme de la part des bons. Exspectans. Ps. xlix, 8-14. Qu'il ne les a etablis que pour leur durete. Mi- chee, admirablement, vi [6-8], I.R. [premier livre des Rois], xv, 22. Osee, vi, 6. Que les sacrifices des Pai'ens seront recus de Dieu, et que Dieu retirera sa volonte des sacrifices des Juifs. Malach., i, 11. Que Dieu fera une nouvelle alliance par le Messie, et que l'ancienne sera rejetee. Jerem., xxxi, 31. Man* data non bona. Ezech. Que les anciennes choses seront oubliees. Is;, xliii, 18, 19; lxv, 17,18. Qu'on ne se souviendra plus de l'arche. Jerc ' in, 15, 16. Que le temple sera rejete Jerem. } vn, 12-14. 28C PASCAL. — PENSEF*. Que les sacrifices seraient rejetes, et d'autres sa- crifices purs etablis. Malach., i, 11. Que 1'ordre de la sacrificature d'Aaron sera re- prouve, et celle de Melcnisedech introduite par le Messie. Dixit Dominus. Que cette sacrificature serait eternelle. Ibid. Que Jerusalem serait reprouvee, etRome admise. Que le nom des Juifs serait reprouve et un nouveau nom donne.Is., lxv, 15. Que ce dernier nom serait meilleur que celui des Juifs, et eternel. Is., lvi, 5. Que les Juifs devaient etre sans prophetes (Amos), sans roi, sans prince, sans sacrifices, sans idoles. Que les Juifs subsisteraient toujours neanmoins en peuple. Hrim., xxxi, 36. CHAPITRE XVII. [Que l'ancienne loi Stait figurative, et que l'Ancien Testament con- tient la figure des ve>it6s accomplies a la venue du Messie.] I. II y a des figures claires et demonstratives; mais il y en a d'autres qui semblent un peu tirees par les cheveux, et qui ne prouvent qu'a ceux qui sont per- suades d'ailleurs. Celles-la sont semblables aux apocalyptiques.Mais la difference qu'il y a est qu'ils n'cn ont point d'indubitables. Tellement qu'il n'y a ricii de si injuste que quand ils montrent que les leurs sont aussi bien fondees que quclques-unes des n6tres; car ils n'en om pas de demonstratives corame quelques-unes des mUres. La partie n'est CHAP1TRE XVII. %$1 done pas egale. II ne faut pas egaler et confondre ces choses parce qu'elles semblent etre semblables par un bout, etant si differentes par l'autre. Ce sont les clartes qui meritent, quand elles sont divines, qu'on revere les obscurites. II. Jesus-Christ, figure par Joseph, bien-aime de son pere, envoye du pere pour voir ses freres, etc., in- nocent, vendu par ses freres vingt deniers, et par la devenu leur seigneur, leur sauveur, et le sauveur des etrangers, etle sauveur du monde; ce qui n'eut point ete sans le dessein de le perdre, sans la vente et la reprobation qu'ils en firent. Dans la prison, Joseph innocent entre deux cri- minels : Jesus-Christ en la croix entre deux lar- rons. II predit le salut a l'un, et la mort a l'autre, sur les memes apparences : Jesus-Christ sauve les elus et damne les reprouves sur les memes crimes. Joseph ne fait que predire: Jesus-Christ fait. Joseph demande a celui qui sera sauve qu'il se souvienne de lui quand il sera venu en sa gloire; et celui que Jesus-Christ sauve lui demande qu'il se souvienne de lui quand il sera en son royaume. III. La synagogue ne perissait point parce qu'elle etait la figure, mais, parce qu'elle n'etait que la figure, elle est tombee dans la servitude. La figure a subsiste jusqu'a la verite, afm que l'figlise fut tou- jours visible, ou dans la peinture qui la promettait, tm dans l'effet. 288 PASCAL. — PENSEES. IV. Prcuve des deux Testaments a la fois. — Pour prou- ver tout d'un coup les deux Testaments, il ne faut que voir si les propheties de Tun sont accomplies en 1'autre. Pour examiner les propheties, il faut les entendre : car si on croit qu'elles n'ont qu'un sens, il est stir que le Messie ne sera point, venu ; mais si elles ont deux sens, il est sur qu'il sera venu en Jesus-Christ. Toute la question est done de savoir si elles ont deux sens... V. Figures, — Pour montrer que l'Ancien Testament a'est que figuratif, et que les prophetes enlendaient par les biens temporels d'autres biens, e'est, pre- mierement, que cela serait indigne de Dieu; secon- dement, que leurs discours expriment tres-claire- ment la promesse des biens temporels, et qu'ils disent neanmoins que leurs discours sont obscurs, et que leur sens ne sera point entendu. D'oii il parait que ce sens n'etait pas celui qu'ils exprimaient a decouvert, et que, par consequent, ils entendaienl parler d'autres sacrifices, d'un autre liberateur, etc. lis disent qu'on ne l'entendra qu'a la fin des temps. lere'm., xxx, ult. La troisieme preuve est que leurs discours sont contraires et se detruisent, de sortc que si on pense qu'ils n'aient entendu par les mots de loi et de sa- crifice au're chose que ceux de Moise, il y a contra., diction manifesto et grossicre. Done iJs entendaienl CHAPITRE XVII. 28$ autre chose, se contredisant quelquefois dans ur. meme chapitre... VI. Figures. — Si la loi et les sacrifices sont la verite, il faut qu'ils plaisent aDieu, et qu'ils ne lui deplai- sent point. S'ils sont figures, il faut qu'ils plaisent et deplaisent. Or dans toute l'ficriture ils plaisent et deplaisent. II est dit que la loi sera changee ; que le sacrifice sera change; qu'ils seront sans roi, sans prince et sans sacrifices ; qu'il sera fait une nouvelle alliance ; que la loi sera renouvelee; que les preceptes qu'ils ont recus ne sont pas bons; que leurs sacrifices sont abominables ; que Dieu n'en a point demande. II est dit, au contraire, que la loi durera eternelle- ment; que cette alliance sera eternelle; que le sa- crifice sera eternel ; que le sceptre ne sortira jamais d'avec eux, puisqu'il ne doit point en sortir que le Roi eternel n'arrive. Tous ces passages marquent- ils que ce soit realite? Non. Marquent-ils aussi que ce soit figure? Non : mais quec'est realite, ou figure. Mais les premiers, excluant la realite, marquent que ce n'est que figure. Tous ces passages ensemble ne peuvent etre dits de la realite ; tous peuvent etre dits de la figure : done ils ne sont pas dits de la realite, mais de la figure. Agnus occisus est ab origine mundi. VII. figures. — Un portrait porte absence et presence, plaisir et deplaisir. La realite exclut absence et de* plaisir. 2b *90 PASCAL. — PENSEES. Pour savoir si la loi et les sacrifices sont reality on figure, il faut voir si les prophetes, en parlantde ces choses, y arretaient leur vue et leur pensee, en sorte qu'ils ne vissent que cette ancienne alliance; ou s'ils y voyaient quelque autre chose dont elle fut la peinture; car dans un portrait on voit la chose figuree. II ne faut pour cela qu'examiner ce qu'ils en disent. Quand ils disent qu'elle sera eternelle, entendeni ils parler de l'alliance de laquelle ils disent qu'elle sera changee ; et de meme des sacrifices, etc.? Le chiffre a deux sens. — Quand on surprend une lettre importante ou Ton trouve un sens clair, et oil il est dit neanmoins que le sens en est voile et ob- scurci; qu'il est cache, en sorte qu'on verra cette lettre sans la voir, et qu'on l'entendra sans l'en- tendre; que doit-on penser, sinon que c'est un chiffre a double sens; et d'autant plus qu'on y trouve des contrarietes manifestes dans le sens lit— teral? Combien doit-on done estimer ceux qui nous decouvrent le chiffre, et nous apprennent a con- naitre le sens cache; et principalement quand les principes qu'ils en prennent sont tout a fait naturels et clairs ! C'est ce qu'a fait J£sus-Christ , et les apotres. II a leve" le sceau, il a rompu le voile et de- couvert l'esprit. Ils nousontappris pour cela que les ennemis de l'homme sont ses passions; que le Re- dempteor serait spirituel; qu'il y aurait deux ave- nement* , Tvm de misere, pour abaisser l'homme snperbe, I'anlrede gloire, pour elever rhomme hu- uiilic; que Jesls-Cuiust seiait Dieu et honime. Les CHAPITRE XVII. 291 prophetes ontdit clairement qu'Israel serait toujours aime de Dieu, et que la loi serait eternelle ; et ils ont dit que Ton n'entendrait point leur sens, et qu'il etait voile. V1I1. J£sus-Christ n'a fait autre chose qu'apprendre mx hommes qu'ils s'aimaient eux-memes, et qu'ils etaient esclaves, aveugles, malades, malheureux et pecheurs; qu'il fallait qu'il les delivrat, eclairat,. beatifiat et guerit ; que cela se ferait en se haissant soi-meme, et en le suivant par la misere et la mort de la croix. f Que la loi Uait figurative. — Voila le chiffre que saint Paul nous donne. La lettre tue. Tout arrivait en figures. II fallait que le Christ souffrit. Un Dieu humilie. Circoncision de cceur, vrai jeiine, vrai sa- crifice, vrai temple. Les prophetes ont indique qu'il fallait que tout cela fut spirituel. f Figures. — Double loi, doubles tables de la loi, double temple, double captivite. IX. ... Et cependant ce Testament, fait pour aveugler les uns et eclairer les autres , marquait , en ceux memes qu'il aveuglait, la verite qui devait etre con- nue des autres. Car les biens visibles qu'ils rece- vaient de Dieu etaient si grands et si divins, qu'il paraissait bien qu'il etait puissant de leur donner les invisibles, et un Messie. Car la nature est une image de la grace, et les miracles visibles sont images des invisibles. Ut sciatis , tibi dico, Surge. 292 PASCAL — PENSEES. Isaie. lt, dit que la redemption sera 1'image de la mer Rouge. Dieu a done monlre en la sortie d figypte, de la mer, en la defaite des rois, en la manne, en toute la genealogie d'Abraham, qu'il etait capable de sauver, de faire descendre le pain du ciel, etc. ; de sorte que le peuple ennemi est la figure et la repre- sentation du meme Messie qu'ils ignorent. II nous a done appris enfin que toutes ces choses n'etaient que figures, et ce que e'est que vraiment libre, vrai Israelite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc. Dans ces promesses-la, chacun trouve ce qu'il a dans le fond de son cceur, les biens temporels, ou les biens spirituels, Dieu, ou les creatures; mais avec cette difference que ceux qui y cherchent les creatures les y trouvent, mais avec plusieurs con- tradictions, avec la defense deles aimer, avec l'ordre de n'adorer que Dieu et de n'aimer que lui, ce qui n'est qu'une meme chose, et qu'enfin il n'est point venu de Messie pour eux ; au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent, et sans aucune contra- diction, avec commandement de n'aimer que lui, et qu'il est venu tin Messie dans le lemps predit pour leur dormer les biens qu'ils demandent. Et ainsi les Juifs avaient des miracles, des pro- phecies qu'ils voyaient accomplir; et la doctrine de leur ]<>i Hail de n'adorer etde n'aimer qu'un Dieu : die cin'it aussi perp£tuelle. Ainsi elle avail tonics !cs marques de la vraie religion : aussi elle l'etait* Mais il lain disiinguer la doctrine des Juifs d'avec la CHAP1TRE XVII. 293 doctrine de la loi des Juifs. Or, la doctrine des Juifs n'etait pas vraie, quoiqu'elle eut les miracles, les propheties, etlaperpetuite, parce qu'elle n'avait pas cet autre point, de n'adorer et de n'aimer que Dieu. X. Source des contrarietes. — Un Dieu humilie. el jus- qu'a la mort de la croix : un Messie triomphant de ia mort par sa mort. Deux natures en Jesus-Christ, deux avenements , deux etats de la nature de 1'homme. f Contradiction. — On ne peut faire une bonne physionomie * qu'en accordant toutes nos contra- rietes, et il ne suffit pas de suivre une suite de qua- lites accordantes sans concilier les contraires. Pour entendre le sens d'un auteur, il faut concilier tous les passages contraires. Ainsi, pour entendre l'Ecriture, il faut avoir ud sens dans lequel tous les passages contraires s'ac- cordent. II ne suffit pas d'en avoir un qui convienne a plusieurs passages accordants; mais il faut en avoir un qui accorde les passages meme contraires. Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s'accordent, ou il n'a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l'Ecriture et des prophetes. lis avaient assurement trop bon sens. II faut done en chercher un qui accorde toutes les contrarietes. 1 C'est-a-dire on ne peut faire un bon portrait qu'en exprimant les diverses expressions de la figure, meme les plus opposees. Cette explication est de M. Havet, et nous y souscrivons entierement. 294 PASCAL. — PENSEES. Le veritable sens n'est done pas celui des Juifs; mais en Jesus-Christ toutes les contradictions sont accordees. Les Juifs ne sauraient accorder la cessation de la royaute et principaute, predite par Osee, avec la prophetie de Jacob. Si on prend la ;ioi, les sacrifices, et le royaume, pour realites, on ne peut accorder tous les passages. II faut done par necessite qu'ils ne soient que figures. On ne saurait meme pas accorder les pas- sages d'un meme auteur, ni d'un meme livre, ni quelquefois d'un meme chapitre. Ce qui marque trop quel etait le sens de l'auteur. Comme quand fizechiel, ch. xx, dit qu'on vivra dans les comman- dements de Dieu et qu'on n'y vivra pas. XL II n'etait point permis de sacrifier hors de Jeru- salem, qui etait le lieu que le Seigneur avait choisi, ni meme de manger ailleurs les decimes. Deut., ui i 5, etc. Deut.y xiv,23, etc.; xv, 20; xvi, % 7, 11, 15. Osee a predit qu'ils seraient sans roi, sans prince, sans sacrifices et sans idoles; ce qui est accompli aujourd 'liui, ne pouvantfaire sacrifice legitime hors de Jerusalem. XII. Quand la parole de Dieu, qui est veritable, est fausse liueralement, elle est vraie spirituellcaient. dextris meu. Cela est faux litteraleuient; done Cela ust \rai spiiituellement. Ep ces expressions, il est parlc de Dieu a la maniere des hommes ; et cela CHAPITRE XVII. 295 ne signifie autre chose, sinon que l'intention que les hommes out en faisant asseoir a leur droite, Dieu l'aura aussi. C'est done une marque de l'intention de Dieu, non de sa maniere de l'executer. Ainsi quand il dit : Dieu a recu l'odeur de vos parfums, et vous donnera en recompense une terre grasse; e'est-a-dire, la meme intention qu'aurait un homme qui, agreantvos parfums, vous donneraiten recompense une terre grasse, Dieu aura la meme intention pour vous, parce que vous awez eu pour lui la meme intention qu'un homme a pour celui a qui il donne des parfums. Ainsi, iratusest, « Dieuja- loux, » etc. Car les choses de Dieu etant inexpri- mables, elles ne peuvent etre dites autrement, el l'figlise aujourd'hui en use encore : Quia confortavit seras. XIII. Tout ce qui ne va point a la charite est figure. L'unique objet de l'Ecriture est la charite. Tout ce qui ne va point a l'unique but en est la figure : car, puisqu'il n'y a qu'un but, tout ce qui n'y va point en mots propres est figure. Dieu diversifie ainsi cet unique precepte de cha- rite, pour satisfaire notre curiosite, qui recherche la diversite, par cette diversite, qui nous mene tou- jours a jiotre unique necessaire. Car une seule chose est necessaire, et nous aimons la diversite ; et Dieu satisfait a Tun et a l'autre par ces diversites, qui me- nent au sen! necessaire. XIV, Les rabbins prennent pour figures les mamelles 296 PASCAL. — PENSEES. de l'Epouse *, et tout ce qui n'exprime pas I'unique but qu'ils ont, des biens temporels. Et les Chretiens prennent meme l'Eucharistie pour figure de la gloire ou ils tendent. XV. II y en a qui voient bien qu'il n'y a pas d'autre ennemi de l'homme que la concupiscence, qui le de- tourne de Dieu, et non pas Dieu; ni d'autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l'homme est en la chair, et le mal en ce qui le detourne des plaisirs des sens, qu'ils s'en soulent, et qu'ils y meurent. Mais que ceux qui cherchenlDieu de tout leur coeur, qui n'ont de deplaisir que d'etre prives de sa vue, qui n'ont de desir que pour le posseder, et d'ennemis que ceux qui les en detournent; qui s'affligent de se voir environnes et domines de tels ennemis; qu'ils se consolent, je leur annonce une heureuse nouvelle; il y a un liberateur pour eux, je le leur ferai voir, je leur montrerai qu'il y a un Dieu pour eux; je r rt le ferai pas voir aux autres. Je ferai voir qu'un Messiea ete promis, qui delivrerait des ennemis; et qu'il en est venu un pour delivrer des iniquites, inais non des ennemis. XVI. Quand David predit que le Mess e delivrora son peuple de ses ennemis, on pent troire chornelle- menl que ce sera des ftgypliens; et alors je ne sau- rais montrer que la prophetic soit accomplie. Mais 1 L'fipoose du Cantique des Cantiques. CHAP1TRE XVII. 297 on peut bien croire aussi que ce sera des iniquites : car, dans la verite, les £gyptiens ne sont pas en- nemis, mais les iniquites le sont. Ce mot d'ennemis est done equivoque. Mais s'il dii ailleurs, comme il fait, qu'il delivrera son peuple de ses peches, aussi bien qu'Isai'e et les autres, l'equivoque est otee, et le sens double des ennemis reduit au sens simple d'iniquites : car, s'iJ avait dans l'esprit les peches, il les pouvait bien de- noter par ennemis; mais s'il pensait aux ennemis, il ne les pouvait pas designer par iniquites. Or,Moise, et David, et Isaie usaient des memes termes. Qui dira done qu'ils n'avaient pas le meme sens, et que le sens de David, qui est manifestement d'iniquites lorsqu'il parlait d'ennemis, ne fut pas le meme que celui de Moise en parlant d'ennemis ? Daniel, ix, prie pour la delivrance du peuple de la captivite de leurs ennemis ; mais il pensait aux peches : et, pour le montrer, il dit que Gabriel lui vint dire qu'il etait exauce, et qu'il n'y avait plus que soixante-dix semaines a attendre; apres quoi le peuple serait delivre d'iniquite, le peehe prendrait fin ; et le liberateur, le Saint des saints, amenerait la justice eternelle, non la legale, mais l'eternelle. f Figures. — Des qu'une fois on a ouvert ce secret, il est impossible de ne pas le voir. Qu'on lise le vieil Testament en cette vue, et qu'on voie si les sa- crifices etaient vrais, si la parente d' Abraham etait la vraie cause de l'amitie de Dieu, si la terre promise etait le veritable lieu de repos. Non. Done e'etaient des figures. Qu'on voie de meme toutes les ceremonies 298 PASCAL. — PENStfES. ordonnees, tous les commandements qui ne sont pas pour la charite, on verra que e'en sont les figures. f Tous ces sacrifices et ceremonies etaient done figures ou sottises. Or il y a des choses claires trop hautes, pour les estimer des sottises. CHAPITRE XVIII. [ Que pendant quatre mille ans le Christ a 6t6 annonce" par les Pro- phecies et qu'il a 6te" pi-oiive* par leur accomplissement. ] I. La plus grande des preuves de Jesus-Christ sont les propheties. C'est aussi a quoi Dieu a le plus pourvu ; car l'evenement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l'figlise jusques a la fin. Aussi Dieu a suscite des prophetes durant seize cents ans; et, pendant quatre cents ans apres, il a disperse toutes ces propheties, avec tous les Juifs qui les portaient, dans tous les lieux du monde. Voila quelle a ete la preparation a la nais- sance de Jesus-Christ, dont l'£vangile devant 6tre cm de tout le monde, il a fallu non-seulement qu'il y ait eu des propheties pour le faire croire, niais que ces propheties fussent par tout le monde, pour le faire embrasser par tout le monde. ^ Propheties. — Quand un seul homme aurait fait un livre des predictions de Jesus-Christ 1 , pour le temps et pour la maniere, et que Jesus-Christ se- rait vciiu » (tnioniH'inent a ces propheties, ce lerait * C'eat-a-dire des predictions annon^ant Je"8us-CUri»t CHAPITRE XVIII. 299 une force infinie. Mais il y a bien plus ici. C'est une suite d'hommes, durant quatre mille ans, qui, con- stamment et sans variation, viennent, Tun en suite de l'autre, predire ce meme avenement. C'est un peuple tout entier qui l'annonce, et qui subsiste pen- dant quatre mille annees, pour rendre en corps te- moignage des assurances qu'ils en ont, et dont ils ne peuvent etre detournes par quelques menaces et per- secutions qu'on leur fasse : ceci est tout autrement considerable. II. Prophtties. — Le temps, predit par l'etat du peu- ~>le juif, par l'etat du peuple paien, par l'etat du ;emple, par le nombre des annees. II faut etre hardi ->our predire une meme chose en tant de manieres. II fallait que les quatre monarchies idolatres ou paiennes, la fin du regne de Juda, et les soixante- dix semaines arrivassent en meme temps, et le tout ayant que le deuxieme temple fut detruit. f Predictions. — ... Qu'en la quatrieme monar- chic, avant la destruction du second temple, avant que la domination des Juifs fut otee, en la septan- tieme semaine de Daniel, pendant la duree du se- cond temple, les paiens seraientinstruits, etamenes a la connaissance du Dieu adore paries Juifs; que ceux qui 1'aiment seraient delivres de leurs enne- mis, et remplis de sa crainte et de son amour. Et il est arrive qu'en la quatrieme monarchie, avant la destruction du second temple, etc., les paiens en foule adorent Dieu, et menent une vie an- gelique; les filles consacrent a Dieu leur virginite 300 PASCAL. — PENSEES. et leur vie ; les hommes renoncent a tous plaisirs. Ce que Platon n'a pu persuader a quelle peu d'hommes choisis et si mstruits, une force secrete le persuade a cent milliers d'hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles. Les riches quittent leur bien, les enfants quittent la maison delicate de leurs peres pour aller dans l'austerite d'un desert, etc. (Voyez Philon, Juif.J Qu'est-ce que tout cela? C'est ce qui a ete predit si longtemps auparavant. Depuis deux mille ans, au- cun paien n'avait adore le Dieu des Juifs; et dans le temps predit, la foule des paiens adore cet unique Dieu. Les temples sont detruits, les rois se soumet- tenta la croix. Qu'est-ce que tout cela? C'est l'esprit de Dieu qui est repandu sur la terre. f Effundam spiritum meum. — Tous les peuples etaient dans l'infidelite et dans la concupiscence; toute la terre fut ardente de charite. Les princes quittent leurs grandeurs; les filles souffrent le mar- tyre. D'oii vient cette force? C'est que le Messie est arrive. Voila I'effet et les marques de sa venue. ^ Prediction. — II est predit qu'aux temps du Messie, il viendrait etablir une nouvelle alliance, qui ferait oublier la sortie d'jfcgypte [Jerem., xxm, 5; Is., xliii, 1C]; qui mettrait sa loi, non dans l'exte- rieur, mais dans les coeurs; que J^sus-Christ met* trait sa crainte, qui n'avait etc qu'au dehors, dans le milieu du cceur. Qui ne voit la loi chrelicnne en tout cela? * Prophttie. — .». Que les Juifs reprouveraiem CurisT; et qu'ils i^raieiH reprouves de Dieu, CHAPITRE XVIII. 301 par cette raison que la vigne elue ne donneraU que du verjus. Que le peuple choisi serait infidele, in grat et incredule : populum non credentem et contra- dicentem. Que Dieu les frapperait d'aveuglement, et qu'ils tatonneraient en plein midi comme les aveu gles [Deut., xxvin, 28]. f ... Que Jesus-Christ serait petit en son com- mencement, et croitrait ensuite. La petite pierre de Daniel. f ... Qu'alors 1'idolatrie serait renversee; que ce Messie abattrait toutes les idoles, et ferait entrer les hommes dans le culte du vrai Dieu. Que les temples des idoles seraient abattus, et que, parmi toutes les nations et en tous les lieux du monde, on lui offrirait une hostie pure, non pas des animaux. f ... Qu'il enseignerait aux hommes la voie par- faite. Et jamais il n'est venu, ni devant, ni apres, aucun homme qui ait enseigne rien de divin approchant cela. ^ ... Qu'il serait roi des Juifs et des Gentils. Et voila ce roi des Juifs et des Gentils, opprime par les uns et les autres qui conspirent a sa mort, domi- nant des uns et des autres, et detruisant, et le culte de Moi'se dans Jerusalem, qui en etait le centre, dont il fait sa premiere eglise, et le culte des idoles dans Rome, qui en etait le centre, et dont il fait sa principale eglise. ^ ... Alors Jesus-Christ vient dire aux hommes qu'ils n'ont point d'autres ennemis qu'eux-memesj 2Q 302 PASCAL. — PENSEES. que ce sont leurs passions qui les separent de Dieu ; qu'il vient pour les detruire, et pour leur donner sa grace, afin de faire d'eux tous une Eglise sainte; qu'il vient ramener dans cette £glise les Paiens et les Juifs ; qu'il vient detruire les idoles des uns, et la superstition des autres. A cela s'opposent tous les hommes, non-seulement par Topposition naturelle de la concupiscence ; mais, par-dessus tous, les rois de la terre s'unissent pour abolir cet*e religion naissante, comme cela avait ete predit (Quare tremuerunt gentes. Reges terrce ad- versus Christum). Tout ce qu'il y a de grand sur la terre s'unit, les savants, les sages, les rois. Les uns ecrivent, les autres condamnent, les autres tuent. Et, nonobstant toutes ces oppositions, ces gens simples et sans force resistent a toutes ces puissances, et se soumettent meme ces rois, ces sa- vants, ces sages, et otent l'idolatrie de toute la terre. Et tout cela se fait par la force qui l'avait predit. % ... Les Juifs, en le tuant pour ne le pas rece- voir pour Messie, lui ont donne la derniere marque de Messie. Et en continuant a le meconnaitre, ils se sont rendus temoins irreprochables : et en .e tuant, et continuant a le renier, ils ont accompli les pro- plnUies. 75., lv [5], lx [k, etc.]; Ps., lxxi [11, 18, etc.], f ... Ainigmatis. Eztch., xvn [2]. Son precurseur. Malach., in [1]. II naftra enfant. Is. , ix [(>]. II nattra de la ville de Itcihleem. Mich., v[2]. II pavattra priacipalement en .!< ; nisalcm et naftra dela famille de Juda et de David. CHAPITRE XVIII. 305 11 doit aveugler les sages et les savants, Is., vi [10], vm [14, 15], xxix [10, etc.] et annoncer l'£vangile aux pauvres et aux petits, Is., xxix [18, 19], ouvrir les yeux des aveugles, et rendre la sante aux in- firmes, et mener a la lumiere ceux qui languissent dans les tenebres. Is., lxi [1]. II doit enseigner la voie parfaite , et etre le pre- cepteur des Gentils. Is., lv [4], xlii [1-7]. ... Qu'il doit etre la victime pour les peches du monde. Is., xxxix, liii [5], etc. II doit etre la pierre fondamentale et precieuse* 7s., xxviii [16]. II doit etre la pierre d'acboppement et de scan- dale. Is., vm [14]. Jerusalem doit heurter contre cette pierre. Les edifiants doivent reprouver cette pierre. Ps.> cxvn [22]. Dieu doit faire de cette pierre le chef du coin. Et cette pierre doit crottre en une montagne, et doit remplir toute la terre. Dan., n [35]. Qu'ainsi il doit 6tre rejete, Ps., cvm [8], meconnu, trahi, vendu, Zach., xi [12] ; crache, soufflete, rao- que, afflige en une infinite de manieres, abreuve de fiel, Ps., lxviii [22], transperce, Zach., xn [10] , les pieds et les mains perces, tue, et ses habits jetes au sort. Qu'il ressusciterait, Ps., xv [10], letroisieme jour ? Osde, vi [3]. Qu'il monterait au ciel pour s'asseoir a la droite. Ps., cix [1]. Qus les rois s'armeraient contre lui. Ps., n [2]» 304 PASCAL. — PENSEES. Qu'etant a la droite du Pere, il sera victorieux de ses ennemis. Que les rois de la terre et tous les peuples l'ado- reraient. Is., lx [14]. Que les Juifs subsisteront en nation. Jfrremie. Qu'ils seront errants, sans rois, etc., Ose'e, m[4], sans prophetes, Amos; attendant le salut, et ne le trouvant point. 7s., lix [9]. Vocation des Genlils par Jesus-Christ. Is., lii [15] ; lv [5]; lx [4, etc.]; Ps., lxxxi [11, 18, etc.]. III. Figures. — ... Sauveur, pere, sacrificateur, hostie, nourriture, roi, sage, legislateur, afflige, pauvre, devant produire un peuple, qu'il devait conduire, et nourrir, et introduire dans la terre,.. 1" J feus-Christ, offices 1 . — II devait lui seul pis, duire un grand peuple, elu, saint et choisi; le con- duire, le nourrir, l'introduire dans le lieu de repos et de saintete; le rendre saint a Dieu; en faire le temple de Dieu, le reconcilier a Dieu, le sauver de la colere de Dieu, le delivrer de la servitude du pe- che, qui regne visiblement dans l'homme; donner des lois a ce peuple, graver ces lois dans leur coeur, s'oflrir a Dieu pour eux, se sacrifter pour eux, etre uue hostie sans tache, et lui-meme sacrificateur : devant s'oflrir lui-incme, son corps et son sang, et iK'auiDoins oflrir pain et vin a Dieu... f ... Qu'il devait venir un liberateur, qui dcrase- rait la tele au demon, qui devait delivrer son peuple 1 C'est-a-dire la mission quo Jesus-Christ est venu remplir aur la icrre. CHAPITRE XVIII. 305 de ses peches, ex omnibus iniquitatibus -, qu'il devait y avoir un Nouveau Testament, qui serait eternel; qu'il devait y avoir une autre pretrise selon l'ordre de Melchisedech ; que celle-la serait eternelle; que le Christ devait etre glorieux, puissant, fort, et neanmoins si miserable qu'il ne serait pas reconnu; qu'on ne le prendrait pas pour ce qu'il est; qu'on le rebuterait, qu'on le tuerait; que son peuple, qui J'aurait renie, ne serait plus son peuple; que les idolatres le recevraient, et auraient recours a lui; qu'il quitterait Sion pour regner au centre de 1'ido- latrie ; que neanmoins les Juifs subsisteraient tou- jours ; qu'il devait etre de Juda, et quand il n'y aurait plus de roi. IV. Perpetuity. — Qu'on considere que, depuis le com- mencement du monde, ratten te ou l'adoration du Messib subsiste sans interruption ; qu'il s'est trouve des hommes qui ont dit que Dieu leur avait revele qu'il devait naitre un Redempteur qui sauverait son peuple; qu'Abraham est venu ensuite dire qu'il avait eu revelation qu'il naitrait de lui par un fils qu'il aurait; que Jacob a declare que, de ses douze en- fants, il naitrait de Juda ; que Moi'se et les prophetes sont venus ensuite declarer le temps et la maniere de sa venue; qu'ils ont dit que la loi qu'ils avaient n'etaitqu'en attendant celle duMessie; quejusque~la elle serait perpetuelle, mais que l'autre durerait eter- nellement; qu'ainsi leur loi, ou celle du Messie, dont elle etait la promesse, serait toujours sur la terre; qu'en effet elle a toujours dure; qu'enfin Jesus- 306 PASCAL. — PENSEES. Christ est venu dans toutes les circonstances pr6- dites. Cela est admirable, f Si cela est si clairement predit aux Juifs, com- ment ne l'ont-ils pas cru i ou comment n'ont-ils pas ete extermines, de resister a une chose si claire ? Je reponds : premierement, cela a ete predit , et qu'ils ne croiraient point une chose si claire, et qu'ils ne seraient point extermines. Et rien n'est plus glo- rieux au Messie; car il ne suffisait pas qu'il y eut des prophetes; il fallait que leurs propheties fussent conservees sans soupcon. Or, etc. V. Les prophetes meies de choses particulieres, et de celles du Messie, afin que les propheties du Messie ne fussent pas sans preuves, et que les propheties particulieres ne fussent pas sans fruit. f Non habemus regem nisi Ccesarem. Done Jfisus- Christ etait le Messie, puisqu'ils n'avaient plus de roi qu'un etranger, et qu'ils n'en voulaient point d'autre. 1" Propheties. — Les soixante-dix semaines 4 de Da- niel sont equivoques pour le terme du commence- ment, a cause des termes de la prophetie; et pour le terme de la fin, a cause des diversites des chrono- logistes. Mais toute cette difference ne va qu'a deux cents ans. f Les prophecies doivent 6tre inintelligibles aux iinpies, Dan., xn [10] ; Oste, ult. [10J, mais intelli- gibles a ceux qui sont bien instruits. * La prophetie des soixante-dix semaines est regarded le plus ge- neralemeut conime marquant la date de l'avenemcnt du Messie. (Havet.j CHAPITRE XIX. 307 ... Les propheties qui le representent pauvre, le representent maitre des nations. Is., lii [14, etc.], liii; Zach; ix [ 9]. ... Les prophecies qui predisent le temps, ne le predisent que maitre des Gentils, et souffrant, etnon dans les nuees, ni juge. Et celles qui le represen- tent ainsi jugeant etglorieux, ne marquent point le temps. CHAPITRE XIX. [ Preuves de J6sus-Christ, tiroes de sa naissance et de sa mort. ] I. La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits a la cha- rite, car elle est surnaturelle. Tout 1'eclat des grandeurs n'a point de T jstre pour les gens qui sont dans les recherches de I esprit. La grandeur des gens d'esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, a tous ces grands de chair. La grandeur de la Sagesse, qui n'est nulle part sinon en Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres differant en genre. Les grands genies ont leur empire, leur eclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles, ou elles n'ont pas de rapport. lis sont vus non des yeux, mais des esprits; c'est assez. Les saints ont leur empire, leu. eclat, leur victoire, leur lustre, et n'ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, oil elles 308 PASCAL,— PENSEES. n'ont nul rapport, car elles n'y ajoutent ni otent. lis sont vus de Dieu et des anges, et non des corps, ni des esprits curieux : Dieu leur suffit. Archimede, sans eclat, serait en meme venera- tion. II n'a pas donne des batailles pour les yeux, mais il a fourni a tous les esprits ses inventions. Oh 1 qu'il a eclate aux esprits ! Jesus-Christ, sans bien, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de saintete. II n'a point donne d'in- vention, il n'a point regne ; mais il a ete humble, patient, saint, saint, saint a Dieu, terrible aux de- mons, sans aucun peche. Oh I qu'il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence, aux yeux du coeur, et qui voient la Sagesse ! II eut ete inutile a Archimede de faire le prince dans ses livres de geometrie, quoiqu'il le fut. II eut ete inutile a Notre-Seigneur Jesus-Christ, pour eclater dans son regne de saintete, de venir en roi : mais qu'il est bien venu avec l'eclat de son ordre ! II est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de Jesus-Christ, comme si cette bassesse etait du meme ordre duquel est la grandeur qu'il venait faire paraitre. Qu'on considere cette grandeur-la dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurite, dans sa mort, dans l'election des siens, dans leur abandon, dans sa secrete resurrection, et dans le reste; on la verra si grande, qu'on n'aura pas sujet de se scan- daliser d'niic bassesse qui n'y est pas Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs char- nelles, comme s'il n'y en avait pas de spirituelles; et d'autres qui u'admirent que les spirituelles, comme CHAP1TRE XIX. 309 s a n'y en avail pas d'infiniment plus hautes dans la Sagesse. Tous les corps, le firmament, les eloiles, la terre et ses royaumes, ne valent pas le moindre des esprits; car il connait tout cela, etsoi; etles corps, rien. Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charite; cela est d'un ordre infiniment plus eleve. De tous les corps ensemble, on ne saurait en faire reussir une petite pensee : cela est impossible , et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits, on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charite : cela est impossible, et d'un autre ordre, surnaturel. II. ... Jesus-Christ dans uneobscurite (selon ce que le monde appelle obscurite) telle, que les histo- riens, n'ecrivant que les importantes choses des fitats, l'ont a peine apercji. III. Quel homme eut jamais plus d'eclat ! Le peuple juif tout entier le predit, avant sa venue. Le peuple gentil l'adore, apres sa venue. Les deux peuples genlil et juif le regardent comme leur centre. Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet eclat ! De trente-trois ans, il en vit trente sans pa- raitre. Dans trois ans, il passe pour un imposteur; les pretres etles principaux le rejettent; ses amis et ses plus proches le meprisent. Enfin il meurt trahi par un des siens, renie par l'autre, et aban- donne par tous. 310 PASCAL. — PENSEES. Quelle parta-t-il done a cet eclat? Jamais homme n'a eu tant d'eclat; jamais homme n'a eu plus d'igno- minie. Tout cet eclat n'a servi qu'a nous, pour nous le rendre reconnaissable ; et il n'en a rien eu pour lui. * IV. Preuves de Msus-Christ. — Jesus-Christ a dit les choses grandes si simplement, qu'il semble qu'il ne les a pas pensees ; et si nettement neanmoins, qu'on voit bien oe qu'il en pensait. Cette clarte, jointe & cette naivete, est admirable. f Qui a appris aux evangelistes les qualites d'une ame parfaitement heroique, pour la peindre si par- faitement en Jesus-Christ ? Pourquoi le font-ils faible dans son agonie ? Ne savent-ils pas peindre une mort constante? Oui, sans doute; car le m£me saint Luc peint celle de saint £tienne plus iorte que celle de Jesus-Christ. lis le font done capable de crainte avant que la necessite de mourir soit arrivee, et ensuite tout fort. Mais quand ils le font si trouble, e'est quand il se trouble lui-meme; et quand les hommes le troublent, il est tout fort. f L'figlise a eu autant de peine a montrer que Jesus-Christ etait homme, contre ceux qui le niaient, qu'a montrer qu'il etait Dieu; et les apparences etaient aussi grandes. f Jesus-Christ est un Dieu dont on s'approche Bans orgueil, et sous lequel on s'abaisse sans des- espoir. V. La conversion des Paiens n'ctait reservee qu'a la CHAPITRE XIX. 3M gr&ce du Messie. Les Juifs ont ete si longtemps a les combattre sans succes : tout ce qu'en ont dit Sa- lomon et les prophetes a ete inutile. Les sages, comme Platon et Socrate, n'ont pu le persuader. f Les £vangiles ne parlent de la virginite de la Vierge que jusques a la naissance de Jesus-Christ. Tout par rapport a Jesus-Christ. ^ ... Jesus-Christ, que les deux Testaments regar- dent, l'Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modele, tous deux comme leur centre. f Les prophetes ontpredit, et n'ont pas ete predits. Les saints ensuite sont predits, mais non predisants. Jesus-Christ est predit et predisant. f Jesus-Christ pour tous, Moise pour un peuple a Les Juifs benis en Abraham : « Je benirai ceiix » qui te beniront.» Gen., xn [3]. Mais, « Toutes na- » tions benies en sa semence.» Ibid., xxn [18]. Lumen ad revelationem gentium, Non fecit taliter omni nationi, disait David en par- lant de la loi. Mais, en parlant de Jesus-Christ, il faut dire : Fecit taliter omni nationi. Parum est ut, etc. Isaie, xlix [6]. Aussi c'est a Jesus-Christ d'etre universel. L'figlise meme n'offre le sacrifice que pour les fideles : Jesus-Christ a offert celui de la croix pour tous. 312 PASCAL. — PENSEES. CHAPITRE XX. v [De la v^ritd de I'histoire 6vang61iquc. — Preuves de J^sus-Christ tiroes de ses miracles. — Difference entre le Messie et Mahomet. j I. Les apotres ont ete trompes , ou trompeurs. L'un ou l'autre est difficile. Car, il n'est pas possible de prendre un homme pour etre ressuscite... Tandis que Jesus-Christ etait avec eux, il les pou- vait soutenir; mais apres cela, s'il ne leur est ap- paru, qui les a fait agir? f Preuve de Jisus-Christ. — L'hypothese des apotres fourbes est bien absurde. Qu'on la suive tout au long ; qu'on s'imagine ces douze hommes, assembles apres la mort de Jesus-Christ, faisant le complot de dire qu'il est ressuscite : ils attaquent par la toutes les puissances. Le coeur des hommes est estrange- ment penchant a la legerete, au changement, aux promesses, aux biens. Si peu qu'un de ceux-la se fut dementi par tous ces attraits, et qui plus est par les prisons, par les tortures et par la mort, ils etaient perdus. Q u ' on suive cela. II. Le style de l'fivangile est admirable en tant de ma- il i< res, et entre autres en ne mettant jamais aucune invective contre les bourreaux et ennemis de Jesus Christ. Car il n'y en a aucune des historiens contre Judas, Pilate, ni aucun des Juifs. Si cette modestie des historiens £vang&iques avail etc ailectee, aussi bien que tant d'aulrcs traits d'un CHAPITRE XX. 313 si beau caractere, et qu'ils ne l'eussent affectee que pour le faire remarquer; s'ils n'avaient ose le re- marquer eux-memes, ils n'auraient pas manque de se procurer ues amis, qui eussent fait ces remarques a leur avantage. Mais comme ils ont agi de la sorte sans affectation, et par un mouvement tout desinte- resse, ils ne Tont fait remarquer par personne. Et je crois que plusieurs de ces choses n'ont point ete remarquees jusqu'ici; et c'est ce qui temoigne la froideur avec laquelle la chose a ete faite. III. Jesus-Christ a fait des miracles, et les apotres en- suite, et les premiers saints en grand nombre; parce que, les propheties n'etant pas encore accomplies, et s'accomplissant par eux, rien ne temoignait, que les miracles. II etait predit que le Messie converti- rait les nations. Comment cette prophetie se fut-elle accomplie, sans la conversion des nations? Et com- ment les nations se fussent-elles converties auMessie, ne voyant pas ce dernier effet des propheties qui le prouvent? Avanl done qu'il ait ete mort, ressuscite, et converti les nations, tout n'etait pas accompli ; et ainsi il a fallu des miracles pendant tout ce temps- la. Maintenant il n'en faut plus contre les Juifs, car les propheties accomplies sont un miracle subsis- tant... IV. C'est une chose etonnante, et digne d'une etrange attention, de voir le peuple juif subsister depuis tant d'annees, etde le voir toujours miserable \ etantne- cessaire pour la preuve de Jesus-Christ, et qu'ils 27 314 PASCAL. — PENSEES. subsistent pour le prouver, et qu'ils soient mise- rables, puisqu'ils l'ont crucifie : et, quoiqu'il soil contraire d'etre miserable et de subsister, il subsiste neanmoins toujours, malgre sa misere. ^ Quand Nabuchodonosor emmena le peuple, de •seur qu'on ne crut que le sceptre fut ote de Juda, il leur fut dit auparavant qu'ils y seraient peu, et qu'ils seraient retablis. lis furent toujours consoles par les prophetes, leurs rois continuerent. Mais la seconde destruction est sans promesse de retablis- sement, sans prophetes, sans rois, sans consolation, sans esperance, parce que le sceptre est ote pour jamais. ^ Preuves de Msus-Christ. — Ce n'est pas avoir ete captif que de l'avoir ete avec assurance d'etre deli- vre dans soixante-dix ans. Mais maintenant ils le sont sans aucun espoir. Dieu leur a promis qu'encore qu'il les dispersat aux bouts du monde, neanmoins, s'ils etaient fideles a sa loi, il les rassemblerait. Ils y sont tres-fideles, et demeurent opprimes... V. Si les Juifs eussent ete tous convertis par Jesus- Christ, nous n'aurions plus que des temoins sus- pects; et s'ils avaient ete extermines, nous n'en au- rions point du tout. f Les Juifs le refusent, mais non pas tous : 1c saints le recoivent, et non les charnels. Et lant s'en foul que cela soit contre sa gfloire, que (/est le der- nier trail (jiii l'acheve. Comme la raison qu'ils en out, et la seule qui se trouve dans tous leurs ecrits* CHAPITRE XX. 315 dans le Talmud et dans les rabbins, n'est que parce que Jesus-Christ n'a pas dompte les nations en main armee, gladium tuum, potentissime. N'ont-ils que cela a dire? Jesus-Christ a ete tue, disent-ils; il a succombe; il n'a pas dompte les Pai'ens par sa force ; il ne nous a pas donne leurs depouilles; il ne donne point de richesses. N'ont-ils que cela a dire? G'est en cela qu'il m'est aimable. Je ne voudrais pas celui qu'ils se figurent. II est visible que ce n'est que sa vie qui les a empeches de le recevoir ; et par ce refus, ils sont des temoins sans reproche, et, qui plus est, par la> ils accomplissent les propheties. VI. Qu'il est beau de voir, par les yeux de la fo^ Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompee et Herode agir, sans le savoir, pour la gloire de I'£vangile *. VII. La religion paienne est sans fondement *. La religion mahometane a pour fondement l'Al- 1 Quand Pascal interprete les propheties , et leve les sceaux du Vieux Testament, quand il explique le role des apfitres parmi les Gentils, et l'economie merveilleuse des desseins de Dieu, il devance visiblement Bossuet, le Bossuet de YHistoire universale; il ouvre bien des perspectives que l'autre parcourra et remplira... Bossuet avait lu les Pensees, il y avait rencontre" celle-ci : Qu'il est beau de voir, etc. G'dtait tout un programme, que son g^nie impdtueux dut a l'instant embrasser, comme l'oeil d'aigle du grand Conde" parcou- rait re"tendue des batailles. (Sainte-Beuve.) 2 Var. dc ms. Pascal avait ecrit d'abord : « Sans fondement au- jourd'hui. On dit qu'autrefois elle en a eu, par les oracle? qui ont parl6. Mais quels sont les iivres qui nous en assurent? Sont-ils si dignes de foi par la vertu de leurs auteurs ? Sont-ils conserves avec tant de soin qu'on ne puisse s'assurer qu'ils «°. sont point cor* rompus?)> (barr^). 316 PASCAL. — PENSEES. coran et Mahomet. Mais ce prophete, qui devait etre la derniere attente du monde, a-t-il ete predit? Et quelle marque a-t-il, que n'ait aussi tout homme qui se voudra dire prophete? Quels miracles dit-il lui- meme avoir faits? Quel mystere a-t-il enseigne, selon sa tradition meme? Quelle morale et quelle felicite ? La religion juive doit etre regardee difTerera'u^iit dans la tradition des livres saints, et dans la tradi- tion du peuple 1 . La morale et la felicite en est ridi- cule, dans la tradition du peuple, mais elle est admi- rable, dans celle de leurs saints. Le fondement en est admirable : c'est le plus ancien livre du monde, et le plus authentique ; et au lieu que Mahomet, pour faire subsister le sien, a defendu de le lire, Moise, pour faire subsister le sien, a ordonne a tout le monde de le lire. Notre religion est si divine, qu'une autre religion divine n'en est que le fondement. f Mahomet, sans autorite 2 . II faudrait done que ses raisons fussent bien puissantes, n'ayant que leur propre force. Que dit-il done? Qu'il faut le croire. VIII. De deux personnes qui disent des sots contes, l'un qui a double sens, entendu dans la cabale, 1'autre qui n'a qu'un sens; si quelqu'un, n'etant pas du 1 En note dans le ms. : « Et toute religion est de meme, car le christianisme est bien different dans les livres saints ct dans les e&suistes. » 2 C'estr&rdire : Mahomet n'a aucune autorite a iovoquer a 1'appui de sa onSten iue mission. CHAP1TRE XX. 317 secret, entend discourir les deux en cette sorte, il en fera meme jugement. Mais si ensuite, dans le reste du discours, Tun dit des choses angeliques, et l'autre toujours des choses plates et communes, il jugera que l'un parlait avec mysteve, et non pas l'autre : l'un ayant assez montre qu'il est incapable de telles sottises, et capable d'etre mysterieux; et l'autre, qu'il est incapable de myslere, et capable de sottises. IX. Ge n'est pas par ce qu'il y a d'obscur dans Maho- met, et qu'on peut faire passer pour un sens myste- rieux, que je veux qu'on en juge, mais par ce qu'il y a de clair, par son paradis, et par le reste. C'est en cela qu'il est ridicule. Et c'est pourquoi il n'est pas juste de prendre ses obscurites pour des mysteres, vu que ses clartes sont ridicules. II n'en est pas de meme de l'ficriture. Je veux qu'il y ait des obscu- rites qui soient aussi bizarres que celles de Maho- met; mais il y a des clartes admirables, et des pro- pheties manifestes accomplies. La partie n est done pas egale. II ne faut pas confondre et egaler les choses qui ne se ressemblent que par l'obscurite, et non pas par la clarte, qui merite qu'on revere les obscurites. f Contre Mahomet. — L' Alcoran n'est pas plus de Mahomet, que l'fivangile, de saint Matthieu, car il est cite de plusieurs auteurs de siecle en siecle. Les ennemis memes, Celse et Porphyre, ne 1'ont jamais desavoue. L' Alcoran dit que saint Matthieu etait homme de 318 PASCAL. — PENSEES. bien. Done, Mahomet etait faux prophete, ou en ap- pelant gens de bien des mechants, ou en ne demeu- rant pas d'accord de ce qu'ils ont dit de Jesus- Christ. X. Tout homme peut faire ce qu'a fait Mahomet; car il n'a point fait de miracles, il n'a point ete predit. Nul homme ne peut faire ce qu'a fait Jesus-Christ. f Difference entre Jesus-Christ et Mahomet. — Ma- homet, non predit; Jesus-Christ, predit. Mahomet, en tuant; Jesus-Christ, en faisant tuer les siens. Mahomet, en defendant de lire; les apotres, en or- donnant de lire. Enfin, cela est si contraire, que, si Mahomet a pris la voie de reussir humainement, Jesus-Christ a pris celle de perir humainement. Et qu'au lieu de conclure que, puisque Mahomet a reussi, Jesus-Christ a bien pu reussir, il faut dire que, puisque Mahomet a reussi, Jesus-Christ devait perir l . 1 Jer6me Savonarole, dans le trait6 intitule : Le Triomphe de la Croix, etablit, commePascal, unc comparaison entre J^sus-Cliristet Mahomet. Ce point de rapport, qui n'a point encore ele" signalc, n'est point le seul du reste qui existe entre les ouvrages des deux au- teurs. Le Triomphe de la Croix, public en 1497. est, comme les Penates un livre apologetique, et comme ce livre a 6\6 souvent reimprime, il ne parait point impossible que Pascal en ait eu con- naissance. — Voir l'analyse luniineuse de M. Perrens dans Jerome Savonarole, sa Vie,ses Ecrits, etc. Paris, 1853, iu-8° t i. li, pjfe. 210 M Buiv. CHAP1TRE XXI. 31* CHAPITRE XXI. [Que Dieu ne se cache ni ne se decouvre entier* ment; que le Messie est connaissable aux bons et meconnaissable aux mer- chants, et qu'il faut reconnaitre la verite" de la religion chr^tienne dans l'obscurite" meme de certaines vent6s. ] I. Dieu a voulu racheter les hommes, et ouvrir le salut a ceux qui le chercheraient. Mais les hommes s'en rendent si indignes , qu'il est juste que Dieu refuse a quelques-uns, a cause de leur endureisse- ment, ce qu'il accorde aux autres par une miseri- sorde qui ne leur est pas due. S'il eut voulu sur- monter l'obstination des plus endurcis, il l'eut pu ? en se decouvrant si manifestement a eux, qu'ils n'eussent pu douter de la verite de son essence; eomme il paraitra au dernier jour, avec un tel eclat de foudres, et un tel renversement de la nature, que ies morts ressusciteront, et les plus aveugles le verront. Ce n'est pas en cette sorte qu'il a voulu paraitre dans son aveneme^t de douceur; parce que tant d'hommes se rendant indignes de sa clemence, il a voulu les laisser dans la privation du bien qu'ils ne veulent pas. II n'etait done pas juste qu'il parut d'une maniere manifestement divine, et absolument capable de convaincre tous les hommes; mais il n'etait pas juste aussi qu'il vint d'une maniere si ca- chee, qu'il ne put etre reconnu de ceux qui le cher- cheraient sincerement. II a voulu se rendre parfaite- ment connaissable a ceux-la; et ainsi, voulantpa- 320 PASCAL. ^-PENSEES. raitre a decouvert a ceux qui le cherchent de tout leur coeur, et cache a ceux qui le fuient de toutleur coeur, il tempere sa connaissance, en sorte qu'il a donne des marques de soi visibles a ceux qui le cher- chent, et obscures a ceux qui ne le cherchent pas. II y a assez de lumiere pour ceux qui ne desirent que de voir, et assez d'obscurite pour ceux qui oni une disposition contraire. II y a assez de clarte pour eclairer les elus, et assez d'obscurite pour les hu- milier. II y a assez d'obscurite pour aveugler les re- prouves, et assez de clarte pour les condamner, et les rendre inexcusables. II. Si le monde subsistait pour instruire l'homme de Dieu, sa divinite reluirait de toutes parts d'une ma- niere incontestable; mais, comrae il ne subsiste que par Jesus-Christ et pour Jesus-Christ, et pour in- struire les hommes et de leur corruption et de leur redemption, lout y eclate des preuves de ces deux veiitcs. Ce qui y parait ne marque ni une exclusion totale, ni une presence manifeste de divinite, mais la presence d'un Dieu qui se cache : tout porte ce caractere. S'il n'avait jamais ricn paru de Dieu, cette priva- tion eternelle serait equivoque, et pom-rait aussi bien se rapporter a l'absence de toute divinite, ou a liiu] ignite oil seraicnl les homines de le connaitre. Mais de ce qil'il paratt quelquefois, et non pas tou- joms, cela 6te l'£quivoque. S'il parait une fois, il est toujours; el ainsi on nVn peut conclure, sinon qu'il ya un Dieu, etque les homines en soul indign' ;s. CHAPITRE XXI. 321*3 III. Dieu veut plus disposer la volonte que l'esprit. La elarte parfaite servirait a l'esprit et nuirait a la vo- lonte. Abaisser la superbe. ^ S'il n'y avait point d'obscurite, l'homme ne sen- tirait pas sa corruption ; s'il n'y avait point de lu- miere, l'liomme n'espererait point de remede. Ainoi, il est non-seulement juste, mais utile pour nou^, que Dieu soit cache en partie, et decouvert en partift , puisqu'il est egalement dangereux a rhomme de con- • naitre Dieu sans connaitre sa misere, et de connaitre sa misere sans connaitre Dieu. IV. ... II est done vrai que tout instruit l'homme de sa condition, mais il le faut bien entendre : car il n'est pas vrai que tout decouvre Dieu, et il n'est pas vrai que todt cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu'il se cache a ceux qui le tentent, et qu'il se de- couvre a ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes deDieu, et capables de Dieu; indignes par leur corruption, capables par leur premiere nature. V. II n'y a rien sur la terre qui ne montre, ou la mi- sere de l'homme, ou la misericorde de Dieu ; ou l'im- puissance de l'homme sans Dieu, ou la puissance de l'homme avec Dieu. f ..'. Ainsi, tout Tunivers apprend a l'homme, ou qu'il est corrompu, ou qu'il est rachete ; tout lui ap prend sa grandeur ou sa misere. L'abandon de Dieu 322 PASCAL. — PENSfiES. parait dans les Pai'ens; la protection de Dieu paraft dans les Juifs. VI. Tout tourne en bien pour les elus, jusqu'aux ob- scurites de l'ficriture ; car ils les bonorent, a cause des clartes divines : et tout tourne en mal pour les autres, jusqu'aux clartes ; car ils les blasphement, a cause des obscurites qu'ils n'entendent pas. VII. Si Jesus-Christ n'etait venu que pour sanctifier, toute l'Ecriture et toutes cboses y tendraient, et il serait bien aise de convaincre les infideles. Si Jesus- Christ n'etait venu que pour aveugler, toute sa con- duite serait confuse, etnous n'aurions aucun moyen de convaincre les infideles. Mais comme il est venu in sanctificationem et in scandalum, comme dit Isai'e, nous ne pouvons convaincre les infideles, et ils ne peuvent nous convaincre; mais par cela meme, nous les convainquons, puisque nous disons qu'il n'y a point de conviction dans toute sa conduite de part ni d'autre. f Jesus-Christ est venu aveugler ceux qui voyaient cluir, et dormer la vue aux aveugles; guerir les ma- lades et laisser mourir les sains; appeler a la peni- tence et justifier les pecheurs, et laisser les justes dans bun's pecher ; les par l'evenement, marquent la certitude de ces verites, et partant la preuve de la divinite de Jesus- Christ. En lui et par lui nous connaissons doncDieu. Hors de la et sans 1'Ecriture, sans le peche originel, sans mediateur necessaire promis et arrive, on ne peut prouver absolument Dieu, ni enseigner une bonne doctrine ni une bonne morale. Mais par Jesus- Christ et en Jesus-Christ, on prouve Dieu, ctonen- seigne la morale et la doctrine. Jesus-Chhist est done le veritable Dieu des hommes. Mais nous connaissons er m6me temps noire mi- sere, car ce Dieu n'est autre chose que le reparateur de notre misere. Ainsi nous ne pouvons bien con aaftre Dieu (ju'en connaissant nos iniquites. Aussi ceux qui ont c(T\nuDieu sans connaitre Jetir misere ne 1'oiit pas glorilie, uiais s'en sont glorifies. CHAP1TRE XXII. 329 Quia non cognovit per sapientiam, placuit Deo per stultitiam prcedicationis salvos facere. f Non-seulement nous ne connaissons Lieu que par Jesus-Christ, mais nous ne nous connaissons nous-memes que pa? Jesus-Christ. Nous ne connais- sons la vie, la mort que par Jesus-Christ. Hors de Jesus-Christ, nous ne savons ce que c'est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-memes, Ainsi sans 1'feriture, qui n'a que Jesus-Christ pour objet, nous ne connaissons rien, et ne voyons qu'obscurite et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature. ^ Sans Jesus-Christ, il faut que l'homme soitdans le vice et dans la misere; avec Jesus-Christ, 1'homme est exempt de vice et de misere. En lui est toute notre vertu et toute notre felicite. Hors de lui, il n'y a que vice, misere, erreurs, tenebres, mort, desespoir. f Sans Jesus-Christ le monde ne subsisterait pas, car il faudrah ou qu'il fut detruit, ou qu'il fut comme un enfer LE MYSTfiRE DE JESUS <. I. Jesus souffre dans sa passion les tourments que 1 Ce morceau a 6t6 publie* pour la premiere fois par M. Faugere. II se trouve a la page 87 du cahier autographe. — On a de Jacque- line Pascal une meditation du meme genre intituled : Le Mystere de la mort de Notre-Seigneur Jesus-Christ. Get e"crit a dte - publie" par M. Gousin, Jacqueline Pascal, p, 122 et suiv. ; et par M. Faugere, Isltres. Opuscules, p. 157 et suiv. — Le texte, ou plutOt la copie du t«&to original, le trouve dans le ms. du Supp. francais, n° 1487. 330 PASCAL,— PENSEES. lui font les hommes; mais dans l'agonie il souffre les tourments qu'il se donne a lui-meme : turbavit temetipsum. G'est un supplice d'une main non hu- maine, mais toute-puissante , et il faut etre tont- puissant pour le soutenir. Jesus cherche quelque consolation au moins dans ses trois plus chers amis, et ils dorment. II les prie de soutenir un peu avec lui, et ils le laissent avec une negligence entiere, ayant si peu de compassion qu'elle ne pouvait seulement les empecher de dormir un moment. Et ainsi Jesus etait delaisse seul a la colere de Dieu. Jesus est seul dans la terre, non-seulement qui ressente et partage sa peine, mais qui la sache : le ciel et lui sont seuls dans cette connaissance. Jesus est dans un jardin, non de delices comme !e premier Adam, oil il se perdit, et tout le genre humain, mais dans un de supplices, ou il s'estsauve, et tout le genre humain. II souffre cette peine et cet abandon dajis l'horreur de la nuit. Je crois que Jesus ne s'est jamais plaint que cette seule fois; mais alors il se plaint comme s'il n'eut plus pu contenir sa douleur excessive : Mon ame est triste jusqu'a la mort. Jesus cherche de la compagnieet du soulagement de la part des hommes. Cela est unique en toute sa ne, ce me semble. Mais il n'en recoit point, car ses disciples dorment. liM s sera en agonie jusqu'a la fin du monde : il ne faut pas dormir pendant ce temps-la. CHAP1TRE XXII. 33i Jesus, au milieu de ce delaissement universel, et de ses amis choisis pour veiller avec lui, les trouvant dormant, s'en fache a cause du peril ou ils exposent non lui, mais eux-memes ; et les avertit de leu.'propre salut et de \eur bien avec une tendresse cordiale pour eux pendant leur ingratitude; et les avertit que l'esprit est prompt et la chair infirme. Jesus, les trouvant encore dormant, sans que ni sa consideration ni la leur les en eut retenus, il a la bonte de ne pas les eveiller, et les laisse dans leur repos. Jesus prie dans l'incertitude de la volonte du Pere, et craint la mort; mais l'ayant connue, il va au-devant s'offrir a elle : Eamus. Processit. {Joannes,) Jesus a prie les hommes, et n'en a pas ete exauce. Jesus, pendant que ses disciples dormaient, a opere leur salut. II l'a fait a chacun des justes pen- dant qu'ils dormaient, et dans le neant avant leur naissance, et dans les peches depuis leur naissance, 11 ne prie qu'une fois que le calice passe, et en- core avec soumission ; et deux fois qu'il vienne s'il le faut. Jesus dans l'ennui. Jesus voyant tous ses amis endormis et tous ses ennemis vigilants, se remet tout entier a son Pere. Jesus ne regarde pas dans Judas son inimitie, mais 1'ordre de Dieu qu'il aime et... puisqu'il Tap- oelle ami. Jesus s'arrache d'avec ses disciples pour entrer dans 1'agonie; il faut s'arracher de ses plus proches et des plus intimes pour Tim iter. 332 PASCAL. —PENSEES. Jesus etant dans l'agonie et dans les plus grandes peines, prions plus longtemps. II. Console-toi : tu ne me chercherais pas, si tu ne m'avais trouve. Je pensais a toi dans mon agonie; j'ai verse telles gouttes de sang pour toi. C'est me tenter plus que t'eprouver, que de pen- ser si tu ferais bien telle et telle chose absente : je la ferai en toi si elle arrive. Laisse-toi conduire a mes regies; vois comme j'ai bien conduit la Vierge et les saints qui m'ont laisse agir en eux. Le Perc aime tout ce que je fais. Veux-tu qu'il me coute toujours du sang de mon humanite, sans que tu donnes des larmes? C'est mon affaire que la conversion : ne crains point, et prie avec confiance comme pour moi. Je te suis present par ma parole dans l'ficriture; par mon esprit dans l'figlise, et par les inspirations; par ma puissance dans les pretres ; par ma priere dans les fideles. Les medecins ne te gueriront pas ; car tu mour- ras a la fin. Mais c'est moi qui gueris et rends le corps immortel. Souflre les chalnes etla servitude corporelles; ]e ne te delivre que de la spirituelle a present. Je te suis plus ami que tel et lei; car j'ai fait pons 1 toi plus qu'eux, et ils ne souttriraient pas ce que j'ai souflen de toi, et ne mourraient pas pour toi dims le temps cl(; i tations et occasions, ils le tuent 1 . GHAPITRE XXIII. [ Sur les miracles. ] Miracle. — C'est un effet qui excede la force natn relle des moyens qu'on y emploie; et non- miracle, est un effet qui n'excede pas la force naturelle des moyens qu'on y emploie. Ainsi, ceux qui gueris- sent par l'intervention du diable ne font pas un 1 Les Pascal, lesRanc6,ces purs et francs Chretiens, croyaient avant tout a J6sus-Christ dans le christianisme, a an Dieu-homme ayant exactement souffert comme eux et plus qu'eux, ayant sue* la sueur d'agonie dans tous ses membres, et l'essuyant de leur front : de la leur force. Quand Pascal arrive a parler de J^sus-Christ dans son livre, il ne tarit plus: il tient du coup le centre et la clef, Im- plication de la misere humaine aussi bien que 1-e fondement de toute grace; les paroles magnifiques et precises qu'il emploie ne sauraient meme se citer hors de place sans se profaner. C'est pour n'avoir pas senti, pour avoir insensiblement oublie" a quel point et a quel degre" de r^alite* Pascal croyait a Je"sus-Christ, au Dieu homme et Sauveur qu'on a voulu faire de lui un sceptique. Certes il eut £te" sceptique sans sa croyance a Je"sus-Christ, et cela vous semble peu de chose, parce que, si nous n'y prenons garde, nous devenons su- jets, tous tant que nous sommes, en parlant beaucoup de christia- nisme, a ne plus bien savoir ce que c'est que J6sus-Christ au sens reel et vivant ou il le prenait. Qu'on veuille encore une fois se representor l'6tat vrai de la ques- .ion : des deux puissances qui sont aux prises chez Pascal et dont . 'une triomphe, il en est une que nous comprenons tout entierc, que nous sentons toujours et de mieux en mieux, le scepticisme ; et quant a l'autre, quant au remede pour lui souverainemcnt efficace et vic- torieux, nous sommes de plus en plus en train de l'oublicr, ou du moir^ de le transformer vaguement, de n'y pas attacher tout le sens eflVctif: de la nous nous trouvons induits, en jugeant Pascal, a trans- porter en lui le manque d'equilibre qui est en nous, a le voir plus en doute et plus en ddtresse qu'il n'cHait rtfcllement sous see oragos. (Sainte-Beufi.) CHAPITRE XXtll. 331 miracle ; car ceJa n'excede pas la force du diable * ^ Les miracles prouvent le pouvoir que Dieu a sur les coeurs par celui qu'il exerce sur les corps. I. Les miracles discernent la doctrine, etla doctrine discerne les miracles. II y" [en] a de faux et de vrais. II faut une marque pour les connaitre; autrement ils seraient inutiles. Or, ils ne sontpas inutiles, etsont, au contraire, fon dement. Or il faut que la regie qu'il nous donne soit telle, qu'elle ne detruise pas la preuve que les vrais miracles donnent de la verite, qui est la fin principale des miracles. Moise en a donne deux : que la prediction n'ar- rive pas, Deut., xvm [22], et qu'ils ne m&uent point a l'idolatrie, Deut., xm [4]; et Jesus-Christ une. Si la doctrine regie les miracles, les miracles sont inutiles pour la doctrine. Si les miracles reglent la doctrine, pourra-t-on persuader toute doctrine ? Non; car cela n'arrivera pas 2 . f ... Dans le Vieux Testament, quand on vous de- tournera de Dieu. Dans le Nouveau, quand on vous 1 « Si quelquesfois la Providence divine a pass£ par dessus les regies ausquelles elle nous a necessairement astreincts, ce n'est pas pour nous en dispenser: ce sont coups de sa main divine, qu'il nous fault non pas imiter, mais admirer; et exemples extraordi- naires, marquez d'uri exprez et particulier adveu, du genre des mi- racles, qu'elle nous offre pour tesmoignage de sa toute puissance, au dessus de nos ordres et de nos forces, qu'il est folie et impi£t£ d'essayer a representer, et que nous ne debvons pas suyvre, mais contempler avecestonmment; actes de son personnage, non pasdu nostre. » (Montaigne). 2 Cette phrase, qui acheve lanensee de Pascal, se trouve dans le ci». a 'a Dase 475. 80 338 PASCAL.— PENSfiES. detournera de Jesus-Christ. Voila les occasions d'ex- clusion a la foi des miracles, marquees. II ne faut pas y donner d'autres exclusions. ... S'ensuit-il de la qu'ils auraient droit d'exclu re tousles prophetes qui leur sont venus? Non. lis eus- sent peche en n'excluant pas ceux qui niaient Dieu, et aussi peche d'exclure ceux qui ne niaient pas Dieu. D'abord done qu'on voit un miracle, il faut, ou se soumettre, ou avoir d'etranges marques du con- traire. II faut voir s'ils nient ou un Dieu, ou Jesus- Christ, ou l'figlise. f S'il n'y avait point de faux miracles, il y aurait certitude. S'il n'y avait point de regie pour les dis- cerner, les miracles seraient inutiles, et il n'y aurait pas de raison de croire. Or, [il] n'y a pas humaine- ment de certitude humaine, mais raison. f Un miracle, dit-on, affermirait ma creance. On le dit quand on ne le voit pas. Les raisons qui, etant vues de loin, paraissent bonier notre vue, mais quand on y est arrive, on commence a voir encore iu dela. Rien n'arrete la volubilite de notre esprit II n'y a point, dit-on, de regie qui n'ait quelque exception, ni de verite si generate qui n'ait quelque face par ou elle manque. II suffit qu'clle ne soil pas absolumpnt universelle , pour nous donner sujet d appliquer l'exception au sujet present, et de dire: Cela n'est pas toujours vrai; done il y a des cas ou < via n'est pas. Jl ne reste plus qu'a montrer que (vlui-i i en est; et e'est a quoi on est bien mal- adroit ou bien malheureux si on n'y trouve quelque jour. CHAP1TRE XXIII. 339 IL Toute religion est fausse qui, dans sa foi, n'adore pas un Dieu comme principe de toutes choses, et qui, dans sa morale, n'aime pas un seul Dieu comme objet de toutes choses. 1" Les Juifs avaient une doctrine de Dieu comme nous en avons une de Jesus-Christ, et confirmee par miracles ; et defense de croire a tous faiseurs de miracles, et, de plus, ordre de recourir aux grands pretres, et de s'en tenir a eux. Et ainsi toutes les raisons que nous avons pour refuser de croire les faiseurs de miracles, ils les avaient a 1'egard de leurs prophetes. Et cependant ils etaient tres-coupables de refuser les prophetes, a cause de leurs miracles, et Jesus-Christ; etn'eussent pas ete coupables s'ils n'eussent point vu les miracles : Nisi fecissem, pecca- tum non haberent. Done toute la creance est sur les miracles. f Les preuves que Jesus-Christ et les apotres tirent de l'£criture ne sont pas demonstratives ; car ils disent settlement que Moise a dit qu'un prophete viendrait, mais ils ne prouvent pas par la que ce soit celui-la, et e'etait toute la question. Ces passages ne servent done qu'a montrer qu'on n'estpas contrairea l'£cri- ture, et qu'il n'y parait point de repugnance, mais non pas qu'il y ait accord. Or cela suffit, exclusion de repugnance, avec miracles. III. Jesus-Christ dit que les Ventures temoignent de lui, mais il ne montre pas en quoi. M£me les propheties ne pouvaient pas prouver 340 PASCAL. — PENSEES. Jesus-Christ pendant sa vie. Et ainsi on n'eut pas ete coupabte de ne pas croire en lui avant sa mort, si les miracles n'eussent pas suffi sans la doctrine. Or ceux qui ne croyaient pas en lui encore vivant etaient pecheurs, tomme il le dit lui-m£me, et sans excuse. Done il fallait qu'ils eussentune demonstra- tion a laquelle ils resistassent. Or ils n'avaient pas..., mais seulementles miracles ; done ils suffisent, quand la doctrine n'est pas contraire , et on doit y croire. f Jesus-Christ a verifie qu'il etait le Messie, ja- mais en verifiant sa doctrine sur l'Ecriture et les propheties, et toujours par ses miracles. II prouve qu'il remet les peches, par un miracle. Nicodeme reconnait par ses miracles, que sa doc- trine est de Dieu : Scimus quia a Deo venisti f magis- ter ; nemo enim potest hcec signa facere quce tu facts, nisi fuerit Deus cum eo. II ne juge pas des miracles par la doctrine, mais de la doctrine par les miracles. f II y a un devoir reciproque entre Dieu et les hommes... Quid debui? « Accusez-moi, » dit Dieu dans Isai'e. « Dieu doit accomplir ses promesses, » etc. Les hommes doivent a Dieu de recevoir la religion qu'il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur. Or, ils seraient induits en erreur, si les faiseurs [de] miracles annoncaient une doctrine qui ne parut pas visiblement f'ausse aux lumieres du sens commun, et si un plus grand lai- seur de miracles n'avait deja averti de ne les pas croire. Ainsi, s'il y avait division dans l'figlise, et que les aliens, par cxemple, qui sc disaient Ondes en r£criture comme les catholiques, eussent fait des CHAP1TRE XX11I. 34i miracles, etnon les cath cliques, on eut eteinduit en erreur. Car, comme un homme qui nous annonce es secrets deDieu n'estpas digne d'etre cru sur son auto rite privee ; et que c'est pour cela que les impies en doutent : aussi un homme qui, pour marque de la communication qu'il a avec Dieu, ressuscite" les morts, predit 1'avenir, transporte les mers, guerit les maladies, il n'y a point d'impie qui neis'y rende, et l'incredulite de Pharao et des Pharisiens est l'eflfet d'un endurcissement surnaturel. Quand done on voit les miracles et la doctrine non suspecte tout en- semble d'un cote, il n'y a pas de difflculte. Mais quand on voit les miracles et [la] doctrine suspecte d'un meme cote, alors il faut voir quel est le plus clair. Jesus-Christ etait suspect. f II y a bien de la difference entre tenter et in- duire en erreur. Dieu tente, mais il n'induit pas en erreur. Tenter est procurer les occasions, qui n'im- posant point de necessite, si on n'aime pas Dieu, on fera une certaine chose. Induire en erreur est mettre l'homme dans la necessite de conclure et suivre une faussete. f II est impossible, par le devoir de Dieu, qu'un homme cachant sa mauvaise doctrine, et n'en fai- sant paraitre qu'une bonne r et se disant conforme a Dieu et a l'Eglise, fasse des miracles pour couler insensiblement une doctrine fausse et subtile : cela ne se peut. Et encore moms que Dieu, qui connait les cceurs, fasse des miracles en faveur d'un teL IV. il y a bien de la difference entre n'etre nas pour 342 PASCAL. — PENSEES. Jesus-Christ, et le dire ; ou n'etre pas pour Jesus* Christ, et ieindre d'en etre. Les uns peuvent faire des miracles, non les aulres ; car il est clair des uns qu'ils sont contre la verite, non des aulres ; et ainsi les miracles sont plus clairs 1 . f Les miracles discerneni aux choses douteuses : cntre les peuples juif et paien; juif et Chretien; ca- iholique, heretique ; calomnies', calomniateurs ; entre les deux croix 2 . Mais aux heretiques les miracles se- raient inutiles, car l'figlise, autorisee par les mira- cles qui ont preoccupe la creance, nous dit qu'ils n'ont pas la vraie foi. II n'y a pas de doute qu'ils n'y sont pas, puisque les premiers miracles de l'£glise excluent la foi des leurs. 11 y a ainsi miracle contre miracle, et premiers et plus grands du cote de l'figlise. Abel, Cain. Moise, magiciens. filie, faux pro- phetes. Jeremie, Ananias. Miehee, faux prophetes. Jesus-Christ, Pharisien. Saint Paul, Barjesu. Apo- tres, exorcisies. Les Chretiens et les infideles. Les catholiques, les heretiques. Elie, £noch, Antechrist. 1 « Sont plus clairs. » Expliquons ces phrases elliptiques. Ceux qui disent hautement qu'ils ne sont pas pour J^sus-Christ, Dieu peut les laisser faire des miracles; car ils ne se'duiront pas pour cela les vrais fideles, rimpiete" de leur doctrine gtant plus claire pour de"- tourner d'eux un chre'tien que l'autoritu de leurs miracles pour le gagner. ftlais ceux dont la doctrine, quoique mauvaise au fond, est equivoque, s'ils faisaient des miracles, tromperaient les fideles; car rautorite' de leurs miracles serait chose plus claire que la perver- site 1 dc leui j doctrines. Dieu ne pcrmcttra done pas qu'iis en fassent. Si done il sVn fait chez les jansdnistes, e'est qu'on a tort de les te- nir pour suspects, ct qu'ils sont vraiment pour Jesus-Christ. (HaveU a La croix du Sauveur et la croix du mauvais larroa. CHAPITRE XXIII. 343 Toujours le vrai prevaut en miracles. Les deux sroix 1 . Jamais, en 9a contention 2 du vrai Dieu , de la ve- rite de la religion, il n'est arrive miracle du cote de 1'erreur, et non de la verite. f Jean, vn. 40. Contestation entre les Juifs, comme entre les Chretiens aujourd'hui. Les uns croyaient en Jesus-Christ, les autres ne le croyaient pas, a cause des propheties qui disaient qu'il de- vait naitre de Bethleem. lis devaient mieux prendre garde s'il n'en etait pas. Car ces miracles etant con- vaincants, ils devaient bien s'assurer de ces preten- dues contradictions de sa doctrine a l'ficriture; et cette obscurite ne les excusaitpas, mais les aveu- glait. Ainsi ceux qui refusent de croire les miracles d'aujourd'hui, par une pretendue contradiction chi- merique, ne sont pas excuses. 1" Jesus-Christ guerit l'aveugle-ne, et fit quantite de miracles, au jour du sabbat. Par oil il aveuglait les pharisiens, qui disaient qu'il fallait juger des miracles par la doctrine. « Nous avons Moise : mais celui-la, nous ne sa- » vons d'oii il est. » C'est ce qui est admirable, que vous ne savez d'bii il est, et cependant il fait de tels miracles. Jesus-Christ ne parlait ni contre Dieu, ni contre 1 Ge dernier pa-ragraphe est le de"veloppement, par des exemples, de ces mots : miracles contre miracles. Pascal met la verite" en re- gard de 1'erreur; il oppose Moise aux magiciens, le Christ au Pha- risien, les catholiques aux h£r6ticuies, etc. 2 La contention du vrai Die*, etc., c'est-a-dire les de"bats dont Dieu e"tait l'objet et les querelles ou la religion e"tait en cause. 344 PASCAL. — PENSEES. Moise. L'Antechrist et les faux prophetes , pre*dits par l'un et l'autre Testament, parleront ouvertement contre Dieu et contre Jesus-Christ. Qui serait en- nemi couvert, Dieu ne permettrait pas qu'il fit des miracles ouvertement. f S'il yaun Dieu , il fallait que la foi de Dieu fut sur la teire. Or les miracles de Jesus-Christ ne sont pas predits par l'Antechrist, mais les miracles de l'Antechrist sont predits par Jesus-Christ; et ainsi, si Jesus-Christ n'etait pas le Messie, il aurait bien induit en erreur; mais l'Antechrist ne peut bien in duire en erreur. Quand Jesus-Christ a predit les miracles de l'Antechrist, a-t-il cru detruire la foi de ses propres miracles? Moise a predit Jesus-Christ, et ordonne de le suivre; Jesus-Christ a predit l'An- techrist, et defendu de le suivre. II etait impossible qu'au temps de Moise on reser- vat sa croyance a l'Antechrist, qui leur etait inconnu ; mais il est bien aise, au temps de l'Antechrist, de croire en Jesus-Christ, deja connu. II n'y a nulle raison de croire en l'Antechrist, qui ne soit a croire en Jesus-Christ ; mais il y en a en Jesus-Christ, qui ne sont pas en l'autre* V. Les miracles sont plus importants que vous ne pensez : ils out servi a la fondation, et serviront a la continuation de i'figlise, jusqu'a l'Antechrist, jus- qu'a la fm. ■ On Dieu a con fond u les faux miracles, ou il les a piniditsj el par l'un et l'autre il s'est eleve au- GHAPITRE XXIII. 345 dessus de ce qui est surnaturel a notre egard, et nous y a eleves nous-memes. f Les miracles ont une telle force, qu'il a fallu que Dieu ait averti qu'on n'y pense point contre lui, tout clair qu'il soit qu'il y a un Dieu; sans quoi ils eussent ete capables de troubler. Et ainsi tant s'en faut que ces passages, Deut., xm, fassent contre l'autorite des miracles, que rien n'en marque davantage la force. Et de meme pour l'An- techrist : « Jusqu'a seduire ; ^s elus, s'il etait pos- » sible. » ' VI. Raisons pourquoi on ne croit point. — Ce qui fait qu'on ne croit pas les vrais miracles, est le manque de charite. Joh. Sed vos non creditis quia non estis ex ombus. Ce qui fait croire les faux est le manque de charite, II Thess., n [10]. ^ Ayant considere d'oii vient qu'on ajoute tant de foi a tant d'imposteurs qui disent qu'ils ont des re- medes, jusques a mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m'a paru que la veritable cause est qu'il y en a de vrais; car il ne serait pas possible qu'il y en eut tant de faux, et qu'on y donnat tant de creance, s'il n'y en avait de veritables. Si jamais il n'y eut eu remede a aucun mal, et que tous les maux eussent ete incurables, il est impossible que les hommes se fu&^ent imagine qu'ils en pourraient donner; et en- code plus que tant d'autres eussent donne cioyance a ceux qui se fussent vantes d'en avoir •. de meme que, si un homme se vantait d'empecher de mourir, personne ne le croirait, parce qu'il n'y a aucun 346 PASCAL. — PENSfiES. exemple de cela. Mais comme il y [a] eu quantite de remedes qui se sont trouves veritable.s par la con- naissance meme des plus grands hommes, la creance des hommes s'est pliee par la; et cela s'etant connu possible, on a conclu de la que cela etait. Car le peuple raisonne ordinairement ainsi : Une chose est possible, done elle est; parce que la chose ne pou- vant etre niee en general, puisqu'il y a des effets par- ticuliers qui sont veritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d'entre ces effets particuliers sont les veritables, les croit tous. De meme, ce qui fait qu'on croit tant de faux effets de la lune, e'est qu'il y en a de vrais, comme le flux de la mer. II en est de meme des propheties, des miracles, des divinations par les songes, des sortileges, etc. Car si de tout cela il n'y avait jamais eu rien de ve- ritable, on n'en aurait jamais rien cru : et ainsi, au lieu de conclure qu'il n'y a point de vrais miracles parce qu'il y en a tant de faux, il faut dire au con- traire qu'il y a certainement de vrais miracles puis- qu'il y en a tant de faux, et qu'il n'y en a de faux que par cette raison qu'il y en a de vrais. II faut raisonner de la meme sorte pour la reli- gion ; car il ne serait pas possible que les hommes se fussent imagine tant de fausses religions, s'il n'y en avait une veritable. L'objection a cela, e'est que les sauvages ont une religion : mais on repond a l que e'est qu'ils en ont ou'i parler, comme il paraii par le deluge, la circoncision, la croix de kaiui Andre, etc. CHAP1TRE XXIII. 347 VII. II est dit, Groyez a l'£glise, mais il n'est pas dit, Croyez aux miracles, a cause que le dernier est na- turel, et non pas le premier. L'un avait besoin de precepte, non pas l'autre. VIII. ... Ces filles 1 , etonnees de ce qu'on dit, qu'eiles sont dans la vc-ie de perdition ; que leurs confesseurs les menent a Geneve 2 ; qu'ils leur inspirent que Jesus-Christ n'est point en l'Eucharistie, ni en la droite du Pere; elles savent que tout cela est faux; elles s'offrent done a Dieu en cet etat : Vide si via iniquitatis in me est. Qu'arrive t-il la-dessus ? Ce lieu, qu'on dit etre le temple du diable, Dieu en fait son temple. On dit qu'il faut en oter les enfants : Dieu les y guerit. On dit que e'est l'arsenal de l'enfer : * Dieu en fait le sanctuaire de ses graces. Enfin on les menace de toutes les fureurs et de toutes les ven- geances du ciel ; et Dieu les comble de ses faveurs. II faudrait avoir perdu le sens pour en conclure qu'eiles sont dans la voie de perdition. ^ Pour affaiblir vos adversaires, vous desarmez toute 1'Eglise. ^ ... S'ils disent 3 que noire salut depend deDieu, ce sont des heretiques. S'ils disent qu'ils sont soumis au pape, e'est une hypocrisie. lis sont prets & sous- crire toutes ses constitutions , cela ne suffit pas. 1 Les reiigieuses de Port-Royal. 2 C'est-k-dire aux doctrines professes a Geneve, au calvinisme. 3 S'ils disent, e'est-a-dire les jansenistes, dont il est question dans tout le reste du paragraphe. 348 PASCAL. — PENSEES. S'ils disent qu'il ne faut pas luer pour une pomme *, ils combattent la morale des catholiques. S'il se fait des miracles parmi eux, ce n'estplus une marque de saintete, et c'est au contraire un soupcon d'heresie. f ... Les trois marques de la religion : la perpe- tuite, la bonne vie, les miracles. Ils detruisent* la perpetuite par la probability, la bonne vie par leur morale ; les miracles , en detruisant ou leur verite, ou leur consequence. Si on les croit, l'Eglise n'aura que fail 3 de perpe- tuite, sainte vie, miracles. Les heretiques les nient, ou en nient la consequence; eux de meme. Mais il faudrait n'avoir point de sincerite pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la consequence. ^ ... Quoi qu'il en soit. l'Eglise est sans preuves, s'ils ont raison. ^ L'Eglise a trois sortes d'ennemis : les Juifs, qui n'ont jamais ete de son corps; les heretiques, qui s'en sont retires; et les mauvais Chretiens, qui la dechirent au dedans. Ces troit sortes de differents adversaires la com- battent d'ordinaire diversement. Mais ici ils la com- battent d'une meme sorte. Comme ils sont tous sans miracles 3 , et que 1'figlise a toujours eu contre eux des miracles, ils ont tous eu le meme inter6t a les binder, et se sont tous servis de cette defaite : qu'il ne taut pas juger de la doctrine par les miracles, 1 « Tuer pour une pomme. » Allusion a la morale des casuistes. * Jls dttruisrnt, e'est-a-dire k-s je"suites. 1 « Comme ils sont tous sans miracles. » Quand Pascal dit cela des Juifs, il n'entend parlcr que des Juifs depuis 1'anivee du Messie, des Juifs oppos«js * Jc\sus-Clui->t. (Havet.) CHAPITRE XXIII. 349 mais des miracles par la doctrine. II y avail deux partis entre ceux qui ecoutaient Jesus-Chrut : les uns qui suivaient sa doctrine par ses miracles; les autres qui disaient... II y avait deux partis au temps de Calvin... II y a maintenant les jesuites, etc. f Ce n'est point ici le pays de la verite : elle err? inconnue parmi les hommes. Dieu l'a couverte d'un voile, qui la laisse meconnaitre a ceux qui n'enten- dent pas sa voix. Le lieu est ouvert au blaspheme, et meme sur des verites au moins bien apparentes. Si Ton publie les verites de l'fivangile, on en publie de contraires, et on obscurcit les questions en sorte que le peuple ne peut discerner. Et on demande : « Qu'avez-vous pour vous faire plutot croire que les » autres ? Quel signe * faites- vous ? Vous n'avez que des » paroles, et nous aussi. Si vous aviez des miracles, » bien. » Gela est une verite, que la doctrine doit etre soutenue par les miracles, dont on abuse pour blasphemer la doctrine. Et si les miracles arrivent, on dit que les miracles ne suffisent pas sans la doc- trine; et c'est une autre verite, pour blasphemer les miracles. f Que vous etes aise de savoir les regies gene- rales, pensant par la jeter le trouble et rendre tout inutile! On vous en empechera, mon pere : la verite est une et ferme. IX. Un miracle parmi les schismatiques n'est pas tant a craindre; car le schisme, qui est plus visible que le miracle, marque visiblement leur erreur. Mais 1 Signe, dans le sens de miracle. 30 350 PASCAL, — PENSEES. quand h n'y a point de schisme, et que l'erreur est en dispute, le miracle discerne. f Jean, ix : Non est hie homo a Deo, qui sabbaium non custodit. A Hi : Quomodo potest homo peccater hcec signa facere ? Lequel est le plus clair ? « Cette maison n'est pas de Dieu; car on n'y croit » pas que les cinq propositions soient dans Janse- » nius. » Les autres : « Cette maison est de Dieu ; » caril y fait d'etranges miracles. » Lequel est le plus clair ? Tu quid diets? Dico quia propheta est. — Nisi esset hie a Deo, non poterat facere quidquam. f « Si vous ne croyez en moi, croyez au moins aux » miracles. » II les renvoie comme au plus fort. f II av^it ete dit aux Juifs, aussi bien qu'aux Chre- tiens, qu'ils ne crussent pas toujours les prophetes. Mais neanmoins les pharisiens et les scribes font grand etat de ses miracles, et essayent de montrer qu'ils sont faux, ou faits par le diable : etant neces- sites d'etre convaincus, s'ils reconnaissent qu'ils sont de Dieu. Nous ne sommes pas aujourd'hui dans la peine de faire ce discernement. 11 est pourtant bien facile a faire : ceux qui ne nient ni Dieu, ni Jesus-Christ, ne font point de miracles qui ne soient surs : Nemo facial virtutem in nomine meo y et cito possit de me male, loqui. Mais nous n'avons point a faire ce discer- nement Void une reliqne sacree. Voici une epine de la couronne du Sauveur du monde, en qui lo prince de ce monde l n'a point puissance, qui fait * « Le prince de ce monde. » Le di&ole {Jean, xii, 31, etc.). CHAPITRE XXill. 351 des miracles par la propre puissance de ce sang re- pandu pour nous. Void que Dieu choisit lui-meme cette maison * pour y faire eclater sa puissance. Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue et douteuse, qui nous oblif e a un difficile discernement. C'est Dieu meme; c'est l'mstrument de la passion de son Fils unique, qui, etant en plusieurs lieux, choisit celui-ci, et fait venir de tous cotes les hommes pour y recevoir ces soula- gements miraculeux dans leurs langueurs. f Les miracles ne sont plus necessaires, a cause qu'on en a deja. Mais quand on n'ecoute plus la tra- dition, quand on ne propose plus que le pape, quand on Fa surpris, et qu'ainsi ayant exclu la vraie source de la verite, qui est la tradition, et ayant prevenu le pape, qui en est le depositaire, la verite n'a plus de ,liberte de paraitre : alors les hommes ne par- lant plus de la verite, la verite doit parler elle- meme aux hommes. C'est ce qui arriva au temps d'Arius. Joh., vi [26] : Non quia vidistis signa, sed saturate estis. Ceux qui suivent Jesus-Christ a cause de ses mi- racles, honorent sa puissance dans tous les miracles qu'elle produit; mais ceux qui, en faisant profession de le suivre pour ses miracles, ne le suivent en effet que parce qu'il les console et les rassasie des biens du monde, ils deshonorent ses miracles, quand lis sont contraires a leurs commodites, * Port-Royai. 352 PASCAL. — PENSEES, f Juges injustes 1 , ne faites pas des lois sur l'heure ; jugez par celles qui sont etablies, et etablies par vous-memes : Vce qui conditis leges iniquas. ^ La maniere dont l'figlise a subsiste est, que la verite a ete sans contestation ; ou, si elle a ete con- tested, il y a eu le pape, et sinon, il y a eu l'figlise. f II importe aux rois, aux princes, d'etre en es- time de piete; et pour cela, il faut qu'ils se confes- sent a vous. f Les jansenistes ressemblent aux heretiques par ia reformation des moeurs; mais vous leur ressem- blez en mal. GHAPITRE XXIV. , Sur la raison, la grace, la foi, l'figlise et divers points du et de la morale.] I. Le pyrrhonisme est le vrai; car, apres lout, les hommes, avant Jesus-Christ, ne savaient ou ils en etaient, ni s'ils etaient grands ou petits 2 . Et ceux 1 Ceci s'adresse aux j^suites. a Se prevaloir contre la foi de Pascal de certain mode d'argumen- tation qu'il emploie hardiment et qui impliquerait le scepticisme absolu au deTaut do la foi, c'est supposer ce qu'il s'agit pr6cis6ment de demontrer, c'est oublier combien cette foi faisait peu dt r aut en lui, combien elle 6tait pour lui chose r6elle, pratique Sensible et rivantc. Et qu'on ne dise pas que ce christianisme de Pascal 6tait particulier, bizarre, excessif, en dehors des voies generates ; je ne nie pas qu'il n'ait eu quelques singularity de pratique ou d'expression ; mal dans le fond son christianisme ne differe en rien du veritable ci, j'oserai dire, de f unique. II est vrai qu'on est tres-tente" de m6- conn'itrc celui-ci, tant on le voi*. souvent metamorphose" et s6cu- iaris^ (Saigte-Beuve,,) CHAP1TRK XXIV. 353 qui ont dit Tun ou l'autre n'en savaient Hen, et devinaient sans raison et par hasard : et meme ils erraient toujours, en excluant l'un ou l'autre. Quod ergo ignor antes quoeritis, religio annunliat vobis, ^La seule licence qui est contre le sens commun et la nature des hommes, est la seule qui ait tou- jours subsiste parmi les hommes. II. Croyez-vous qu'il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ? Oui. Je vous veux done faire voir une chose infinie et indivisible : e'est un point se mouvant partout d'une vitesse infinie; car il est en tous lieux, et est tout entier en chaque en- droit. Que cet effet de nature, qui vous sembiait impos- sible auparavant, vous fasse connaitre qu'il peut y en avoir d'autres que vous ne connaissez pas encore. Ne tirez pas cette consequence de voire apprentis- sage, qu'il ne vous reste rien a savoir; mais qu'il vous reste infiniment a savoir. III. La conduite de Dieu, qui dispose toutes choses avec douceur, est de mettre la religion dans l'espri par les raisons, et dans le cceur par la grace. Mai ; de la vouloir mettre dans l'esprit et dans le coeur par la force et par les menaces, ce n'est pas y mettre la religion, mais la terreur, terrorem potius quam reli- gionerr*. ^ Commencer par plaindre les incredules ; ils sont assez malheureux par leur condition. 11 ne les fau- 30. 354 PASCAL. — PENSEES. drait injurier qu'au cas que cela servit; mais cela leur nuit. IV. Toute la foi consiste en Jesus-Christ et en Adam; et toute la morale, en la concupiscence et en la grace *,-, V. Le monde subsiste pour exercer misericorde et jugement, non pas comme si les hommes y etaient sortant des mains de Dieu, mais comme des ennemis de Dieu, auxquels il donne, par grace, assez de lu- miere pour revenir, s'ils le veulent chercher et le suivre; mais pour les punir, s'ils refusent de le cher- cher ou de le suivre. VI. On a beau dire, il faut avouer que la religion chre- tienne a quelque chose d'etonnant. G'est parce que vousy etes ne, dira-t-on. Tant s'en faut; je me roidis 1 Ce qu'il y a d'essentiellement faux dans la grace jansemste,c'est qu'elle ote toute vertu a la lumiere naturelle, comme toute efficacite 1 a la volonte\ La grace chreHienne ajoute ses lumieres et ses impres- sions vivifiantes a la raison et a la liberty humaine : elle les dpure et les fortifie, elle ne les efface point ; Join de les cr^er, elle les suppose ; elle ne cree pas, elle feconde ; elle ne s'applique pas au n&mt, mais a un germe divin qu'elle degage et qu'elle developpe. Sa vertu sin- guliere est de produire une foi que la lumiere naturelle ne produit point, la foi aux v<5rites surnatnrelles. Mais ce n'est point elle seule qui enseigne a l'homme la liberty, le devoir, la distinction du bien et du mal, du juste et de l'injuste, la spiritualite de l'ame, la divine providence : sans la grace, la lumiere naturelle peut enseigner tout cela, et (He l'a enseigm' manifestement dans tons les siecles. Selon , la i-aison naturelle est une premiere revelation qui a deja ha pui isance. Pour le jansenisme, cette premiere revelation demeure ment sterile sans le secours d'une reflation nouvelleet par- liculiere. (Cousin,) CHAPITRE XXIV. 355 contre, par cette raison-la meme, de peur que cette prevention ne me suborne. Mais, quoique j'y sois ne, je ne laisse pas de le trouver ainsi. VII. Le seul qui connait la nature ne la connaitra-t-il :jue pour etre miserable ? le seul qui la connait sera- t-il le seul malheureux ? ... II ne faut pas qu'il ne voie rien du tout; il ne faut pas aussi qu'il en voie assez pour croire qu'il le possede; mais qu'il en voie assez pour connaitre qu'il l'a perdu : car, pour connaitre qu'on a perdu, il faut voir et ne voir pas; et c'est precisement l'etat oil est la nature. 1" II faudrait que la vraie religion enseignat la grandeur, la misere, portat a l'estime et au mepris de soi, a l'amour et a la haine. VIII. La religion est une chose si grande, qu'il est juste que ceux qui ne voudraient pas prendre la peine de la chercher si elle est obscure, en soient prives. De quoi se plaint-on done, si elle est telle qu'on la puisse trouver en la cherchant? ^ L'orgueil contre-pese et emporte toutes les mi- seres. Voila un etrange monstre, et un egarement bien visible. Le voila tombe de sa place, il la cher- che avec inquietude. G'esl ce que tous les hommes font. Voyons qui 1'aura trouvee. ^ Quand on dit que Jesus-Christ n'est pas mort pour tous, vous abusez d'un vice des hommes qui s'appliquent incontinent cette exception, ce qui est favoriser le desespoir; au lieu de les en detourner 356 PASCAL. -PENSEES, pour favoriser l'esperance. Car on s'accoutume ainsi aux vertus interieures par ces habitudes exte- rieures *. IX. La dignite de l'homme consistait, dans son inno- cence, a user et dominer sur les creatures, mais au- jourd'hui a s'en separer et s'y assujettir. X. L'figlise a toujours ete combattue par des erreurs contraires *, mais peut-etre jamais en meme temps, comme a present. Et si elle en souffre plus, a cause de la multiplicite d'erreurs, elle en recoil cet avan- tage qu'elles se detruisent. Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvi- nistes, a cause du schisme. II est certain que plusieurs des deux contraires sont trompes, il faut les desabuser. La foi embrasse plusieurs verites qui sembieni &d contredire. Temps de rire, de pleurer, etc. Responde, Se respondeas, etc. La source en est l'union des deux natures en J^sus-Curist. J On accusait les jans^nistes de croire que Jdsus-Christ n'^tait pas mort pour tous, mais seulement pour ceux qu'il avait predestines A etre sauv6s par sa mort. C'dtait unc des cinq propositions condam- riLH's par le pape comme etant dans Jansenius, et que les partisans dc ,'ansunius dtfsavouaienten son nom. II est clair cependantque la doctrine janstfniste allait la, ctles plus ardents, les moins politiques D6 aevaient pas reculer. II semble que e'est a ces esprits extremes que s'adn sso ici Pascal. (Havet.) • Cei d< \ erreura sont: l° cclle qui sacrifie le librc arbitre a la gran , c'ei I I Vrn:ur de Calvin; 2" cello qui sacrifie la guice au libffS Mrbitre, e'esi I'erreurde&i&uiteih CHAPITRE XXIV. 357 Et aussi les deux mondes. La creation d'un nou- veau ciel et nouvelle terre; nouvelle vie, nouvelle mort; touteschoses doublement, et les memes noms demeurant. Et enfm les deuxhommes qui sont dans les juste, car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jesus-Christ. Et ainsi tous les noms leur con- viennent, de justes, pecheurs; mort, vivant; vivant, mort; elu, reprouve, etc. II y a done un grand nombre de verites, et de foi, et de morale, qui semblent repugnantes, et qui sub- sistent toutes dans un ordre admirable. La source de toutes les heresies est l'exclusion de quelques-unes de ces verites ; et la source de toutes les objections que nous font les heretiques est 1'igno- rance de quelques-unes de ces verites. Et d'ordinaire il arrive que, ne pouvant concevoir le rapport de deux verites opposees, et croyant que 1'aveu de l'une enferme l'exclusion de l'autre, ils s'attaehent a l'une , ils excluent l'autre, et pensent que nous, au contraire. Or, l'exclusion est la cause de leur heresie; et l'ignorance que nous tenons l'autre cause leurs objections. l er exemple : Jesus-Christ est Dieu et homme. Les ariens , ne pouvant allier ces choses , qu'ils croient incompatibles, disent qu'il est homme; en cela ils sont catholiques. Mais ils nient qu'il soit Dieu : en cela ils sont heretiques. Ils pretendent que nous nions son humanite; en cela ils sont igno rants. $ e exemple , sur le suiet du saint sacrement : 358 PASCAL. — PENSfiES. Nous croyons que la substance du pain etant chan- gee, et consubstantiellement en celle du corps de Notre-Seigneur, Jesus-Christ y est present reelle- ment. Voila une verite. Une autre est que ce sacre- ment est aussi une des figures de la croix et de la gloire , et une commemoration des deux. Voila la foi catbolique, qui comprend ces deux verites qui semblent opposees. L'heresie d'aujourd'hui S ne concevant pas que ce sacrement contient tout ensemble et la presence de Jesus-Christ, et sa figure, et qu'il soit sacrifice et commemoration de sacrifice, croit qu'on ne peut ad- mettre Tune de ces verites sans exclure l'autre par cette raison. lis s'attachent a ce point seul, que ce sacrement est figuratif ; et en cela ils ne sont pas heretiques. Us pensent que nous excluons cette verite; et de la vient qu'ils nous font tant d'objections sur les pas- sages des Peres qui le disent. Enfin ils nient la pre- sence ; et en cela ils sont heretiques. 3 e exemple : les indulgences. C'est pourquoi le plus court moyen pour empd- cher les heresies est d'instruirede toutes les verites; et le plus sur moyen de les refuter estde les declarer toutes. Car que diront les heretiques? Tous errent d'autant plus dangereusement qu'ils suivent chacun une verite. Lear faute n'est pas de raivre une faussete, mais de ne pas suivre une autre v(M-ii('. 1 La grace sera toujours dans le monde (et aussi 1 Le calvinismc. CHAP1TRE XX1Y. 359 la nature), de sorte qu'elle est en quelque sorte na~ turelle. Et ainsi il y aura toujours des pelagiens, et toujours dterf catholiques, et toujours combat. Parce que la premiere naissance fait les uns ? et la grace de ia seconde naissance fait les autres. XI. II y a cela de commun entre la vie ordinaire des hommes et celle des saints, qu'ils aspirent tous a la felicite; et ils ne different qu'en l'objet ou ils la pla- cent. Les uns et les autres appellent leurs ennemis ceux qui les empechent dy arriver. II faut juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonte de Dieu, qui ne peut etre ni injuste, ni aveugle ; et non pas par la notre propre, qui est toujours pleine de malice et d'erreur. XII. Quand saint Pierre etlesapotres deliberent d'abo- lir la circoncision, ou il s'agissait d'agir centre la loi de Dieu, ils ne consultent point les prophetes, mais simplement la reception du Saint-Esprit en la per- sonne des incirconcis. Ils jugent plus sur que Dieu approuve ceux qu'il remplit de son Esprit, que non pas qu'il faille observer la loi ; ils savaient que la tin de la loi n'etait que ie Saint-Esprit; et qu'ainsi, puis qu'on l'avait bien sans circoncision, elle n'etait pas necessaire. * XIII. Deux lois suffisent pour regler toute la republique chretienne, mieux que toutes les lois politiques l . 1 Ici Port-Royal ajoute, et selon nous avec raison: « Tamour de Dieu et celui du prochain. » 360 PASCAL. — PENSEES. f La religion est proportion!) ee a toutes sortes d'esprits. Les premiers s'arretent au seul eiablisse- ment; et cette religion est telle, que son seul eta- blissement est suffisant pour en prouver la verite. Les autres von:jusqu'aux apotres. Les plus instruits vont jusqu'au commencement du monde. Les anges la voient encore mieux, etde plus loin. f Dieu, pour se reserver a lui seul le droit denous ins'ruire, et pour nous rendre la difficulte de notre 6tre_ i intelligible, nous en a cache le noeud si haut, ou, po.y" mieux dire, si bas, que nous etions inca- pables d\ \rriver : de sorte que ce n'est pas par les agitations de notre raison, mais par la simple sou- mission de la raison, que nous pouvons veritable- ment nous connaitre. XIV. Les impies, qui font profession de suivre la raison, doiventetre etrangement forts en raison. Que disent- ils done? Ne voyons-nous pas, disent-ils, mourir et vivre les be"tes comme les hommes, et les Turcs comme les Chretiens? lis ont leurs ceremonies, /eurs prophetes, leurs docteurs, leurs saints, leurs religieux, comme nous, etc. — Gela est-il con- traire a l'£criture? ne dit-elle pas tout cela? Si vous ne vous souciez guere de savoir la verite, en voila assez pour vous laisser en repos. Mais si vous de- sire/, de tout votre coeur de la connaitre, ce n'est p:is ;issez; regardez au detail. C'en serait assez pour une question de philosophic; mais ici ou il va de loin... Et cependant, apres une reflexion legere de CHAPITRE XXIV. 361 cette sorte, on s'amusera, etc. Qu'on s'informe de cette religion meme si elle ne rend pas raison de cette obscurite; peut-etre quelle nous l'apprendra. f C'est une chose horrible de sentir s'ecouler tout ce qu'on possede. ^ Partis. — II faut vivre autrement dans le monde selon ces diverses suppositions : 1° Si Ton pouvait y etre toujours ; 2° s'il est sur qu'on n'y sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure. Cette derniere supposition est la notre. XV. Par les partis, vous devez vous mettre en peine de rechercher la verite : car si vous mourez sans adorer le vrai principe, vous etes perdu. Mais, dites- vous, s'il avait voulu que je l'adorasse, il m'aurait laisse des signes de sa volonte. Aussi a-t-il fait; mais vous les negligez. Gherchez-les done; cela le vaut bien. XVI. Les propheties, les miracles memes et les preuves de notre religion, ne sont pas de telle nature qu'on puisse dire qu'ils sont absolument convaincants. Mais ils le sont aussi de telle sorte qu'on ne peut dire que ce soit etre sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l'evidence et de l'obscurite, pour eclairer les uns et obscurcir les autres. Mais l'evi- dence est telle, qu'elle surpasse, ou egale pour le moins, l'evidence du contraire ; de sorte que ce n'est pas la raison qui puisse determiner a ne la pas suivre; et ainsi ce ne peut etre que la concupiscence et la malice du coeur. Et par ce moyen il y a assez 31 362 PA SC AL. — PENSEES. d'evidenee pour condamner, et non assez pour con- vaincre; afin qu'il paraisse qu'en ceux qui la suivent, c'esi la grace, et non la raison, qui fait suivre; el qu'en ceux qui la fuient, c'est la concupiscence, et non la raison, qui fait fuir. f Qui peut ne pas admirer et embrasser une reli- gion qui connait a fond ce qu'on reconnait d'autant plus qu'on a plus de lumiere ? f ... C'est un heritier qui trouve les titres de sa maison. Dira-t-il : Peut-etre qu'ils sont faux? et ne- gli^era t-il de les examiner? XVII. Deux sortes de personnes eonnaissent : ceux qui ont le coeur humilie, et qui aiment la bassesse, quelque degre d'esprit qu'ils aient, haut ou bas; ou ceux qui ont assez d'esprit pour voir la verite, quelque opposition qu ils y aient. f Les sages qui ont dit qu'il y a un Dieu ont ete persecutes, les Juifs hais, les Chretiens encore plus. f Athtes. — Quelle raison ont-ils de dire qu'on ne peut ressusciter? quel est plus difficile de naitre ou de ressusciter? que ce qui n'a jamais ete soit, ou que ce qui a ete soit encore? Est-il plus difficile de venir en £tre que d'y revenir ? La coutume nous rend l'unfac ile ; le manque de coutume rend l'autre impossible. Populaire facon dejuger. XVIII. Qu'ont-ils a dire contre la resurrection, et contre I'enfantemeRt de la Vierge? Qu'est-il plus difficile, de produirt un homme ou un animal, (]ue de le re- produire? Et s'ils n'avaient jamais vu une espece CHAPITRE XXIV. 363 d'animaux, pourraient-ils deviner s'ils se produisent sans la compagnie les uns des autres * ? XIX. ... Mais est-il probable que la probability assure ? — Difference entre repos et surete de cofScience. Rien ne donne l'assurance que la verite. Rien ne donne le repos que la recherche sincere de la verite XX. Les exemples des morts genereuses des Lacede- moniens et autres ne nous touchent guere; car qu'est-ce que cela nous apporte ? Mais l'exemple de la mort des martyrs nous touche; car ce sont nos membres. Nous avons un lien commun avec eux : leur resolution peut former la notre, non-seulement par l'exemple, mais parce qu'elle a peut-etre merite la notre. II n'est rien de cela aux exemples des paiens : nous n'avons point de liaison a eux; comme on ne devient pas riche pour voir un etranger qui Test, mais bien pour voir son pere ou son mari qui le soient. XXI. Les elus ignoreront leurs vertus, et les reprouves la grandeur de leurs crimes : « Seigneur, quand » t'avons-nous vu avoir faim, soif, etc. ? » f Jesus-Christ n'a point voulu du temoignage des demons, ni de ceux qui n'avaient point de vocation; mais de Dieu et Jean-Raptiste. 1 Ici Pascal ajoute: « Pourquoi une vierge ne peut-elle enfanter! Une poule ne fait-elle pas des ceufs sans coq ? qui les distingue par dehors d'avee les autres? et qui nous a dit que la poule n'y peut former ce genne aussi bien que le coq ? » 36t PASCAL. — PENSEES. XXII. Ce qui nous gate pour comparer ee qui s'est passe autrefois dans l'figlise a ce qui s'y voit maintenant, c'est qu'ordinairement on regarde saint Athanase, sainte Therese, et les autres, comme couronnes de gloire et... comme des dieux. A present que le temps a eclairci les choses, cela parait ainsi. Mais au temps oil on le persecutait, ce grand saint etait un homme qui s'appelait Athanase; et sainte Therese, une fille. « Elie etait un homme comme nous, et sujet aux » memes passions que nous, » dit saint Jacques [v, 17], pour desabuser les Chretiens de cette fausse idee qui nous fait rejeter l'exemple des saints, comme dispro- portionne a notre etat. C'etaient des saints, disons- nous, ce n'est pas comme nous. Que se passait-il done alors? Saint Athanase etait un homme appele Athanase, accuse de plusieurs crimes, condamne en tel et tel concile, pour tel et tel crime. Tous les eve- ques y consentaient, et le pape enfin. Que dit-on a ceux qui y resistent ? Qu'ils troublent la paix, qu'ils font schisme, etc. Quatre sortes de personnes : zele sans science; science sans zele; ni science ni zele ; zele et science. Les trois premiers le condamnent, et les derniers l'absolvent, etsont excommunies de 1'figlise, et sau vent neanmoins l'figlise. XXIII. Les hommes ont mepris pour la religion, ils en on I haine, el peurqu'elle soit vraie. Pour guerir cela, il Caul commencer par montrer que la religion n'est point ^ontraire a la raison; ensuite qu'elle est ven^- CHAP1TRE XXIV. 365 rable, en donner respect; la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu'elle fut vraie ; et puis montrer qu'elle est vraie '. Venerable, parce qu'elle a bien connu l'homme; aimable, parce qu'elle promet le vrai bien, f Un mot de David, ou de Moise, comme : que Dieu circoncira les cceurs [Deut., xxx , 6], fait juger de leur esprit. Que tous les autres discours soient equi- voques, et douteux d'etre philosophes ou Chretiens : enfm un mot de cette nature determine tous les autres, comme un mot d'Epictete determine tout le reste au contraire. Jusque-la l'ambiguite dure, et non pas apres. f J'aurais bien plus de peur de me tromper, et de trouver que la religion chretienne soit vraie, que non pas de me tromper en la croyant vraie. 1 « Qu'elle est vraie. » Void comme s'exprime Louis Racine dans la preface de son poeme de la Religion : « Tel est le plan de cet ou- vrage que j'ai conduit sur cette courte pensee de M. Pascal : A ceux qui ont de la repugnance pour la religion, il faut commencer par leur montrer qu'elle n'est pas contraire a la raison ; ensuite qu'elle est venerable ; apres, la rendre aimable, faire souhaiter qu'elle soit vraie, montrer qu'elle est vraie, et enfin qu'elle est aimable; et cette pense^ est l'abrege de tout ce poeme, dans lequel j'ai souvent fait usage des autres pensees du meme auteur. » (Havet.) « C'est par la morale que Pascal fut ramene a la religion, comme etant elle-meme la morale la plus parfaite de toutes, et la seule qu eut tout connu et tout concilia. Des lors la v^rite" fut pour lui tou entiere dans la revelation, et il entreprit de la prouver, non pa. comme autorite" transmise par des temoignages ou comme etablisse- ment fonde" pa*: les siecles, mais comme une verite evidente. On vit chose inouie, Ja m^thode de Descartes appliqu^e a la ddmonstratioi. de la foi; la rigueur de l'esprit g£ometrique, qui ne marche que pai Evidences, employee a prouver la religion des miracles; l'instrument meme de la science servant a confondre la science, et le raisonno* ment dirige contre la reeistaDce de la raison a la foi. » (Nisard.) 366 PASCAL. — PENSEES. XXIV. Les conditions les plus aisees a vivre selon le monde sont les plus difficiles a vivre selon Dieu; et au contraire. Rien n'est si difficile selor. le monde que la vie religieuse ; rien n'est plus facile que de la passer selon Dieu. Rien n'est plus aise que d'etre dans une grande charge et dans de grands biens selon le monde; rion n'est plus difficile que d'y vivre selon Dieu, et sans y prendre de part et de gout. XXV. L'Ancien Testament contenait les figures de la joie future, et le Nouveau contient les moyens d'y arriver. Les figures etaient de joie; les moyens, de penitence; et neanmoins l'agneau pascal etait mange avec des laitues sauvages, cum amaritudinibus. XXVI. Le mot de Galilee, que la foule des Juifs prononca comme par hasard, en accusant Jesus-Christ devant Pilate, donna sujet a Pilate d'envoyer Jesus-Christ a Herode; en quoi fut accompli le mystere, qu'il devait etre juge par les Juifs et les Gentils. Le hasard en apparence fut la cause de l'accomplissement du mystere. XXVII. Une personne me disait un jour qu'elle avail grande joie et con fiance en sortant de la confes- sion : L'autre me disait qu'elle restait cd crainte. Je pensai sur cela que de ces deux on en ferait un bon. ei (Hie chacun manquait e'-'ceaiffi^iiHL'^vaiipas le sen- CHAP1TRE XXIV. 36? timent de I'autre. Cela arrive souvent de meme en d'autres choses. XXYIII. II y a ^laisir d'etre dans un vaisseau battu de I'orage lorsqu'on est assure qu'il ne perira point. Les persecutions qui travaillent l'figlise sont de cette nature. f L'Histoire de l'£glise doit etre proprement ap- pelee l'Histoire de la verite. XXIX. Comme les deux sources de nos peches sont Tor- gueil et la paresse, Dieu nous a decouvert deux qua- lites en lui pour les guerir : sa misericorde et sa justice. Le propre de la justice est d'abattre 1'orgueil, quelque saintes que soient les ceuvres, et non intres in judicium; et le propre de la misericorde est de combattre la paresse en invitant aux bonnes oeuvres, selon ce passage : « La misericorde de Dieu invite a » la penitence; » et cet autre des Ninivites : « Fai- » sons penitence, pour voir si par aventure il aura » pitie de nous. » Et ainsi tant s'en faut que la mise- ricorde autorise le relachement, que e'est au con- traire la qualite qui le combat formellement; do sorte qu'au lieu de dire, S'il n'y avait point en Dieu de misericorde, il faudraitfaire toutes sortes d'efforts pour la vertu; il faut dire, au contraire, que e'est parce qu'il y a en Dieu de la misericorde, qu'ii faut faire toutes sortes d'efforts. XXX. Tout ce qui est au monde est concupiscence de la 368 PASCAL. — PENSEES. chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie : libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi. Mulheureuse la terre de malediction que ces trois fleuves de feu embrasent plutot qu'ils n'arrosent ! Heureux ceux qui, etant sur ces fleuves, non pas plonges, non pas entraines, mais immobilement affermis ; non pas debout, mais assis dans une as- siette basse et sure, dont ils ne se relevent jamais avant la lumiere, mais, apres s'y etre reposes en paix, tendent la main a celui qui les doit relever, pour les faire tenir debout et fermes dans les por- ches de la sainte Hierusalem, ou l'orgueil ne pourra plus les combattre et les abattre; et qui cependant pleurent, non pas de voir ecouler toutes les choses perissables que les torrents entrainent, mais dans le souvenir de leur chere patrie, de la Hierusalem ce- leste, dont ils se souviennent sans cesse dans la lon- gueur de leur exil ! XXXI. La charite n'est pas un precepte figuratif. Dire que Jesus-Christ, qui est venu oter les figures pour mettre la verite, ne soit venu que mellre la figure de la charite, pour oter la realite qui etait auparavant; cela est horrible. Si la lumiere est tenebres, que seront les tenebres? XXXII. Combien les lunettes nous ont-elles decouver* d'etrcs qui n'etaient point pour nos philosophes d'auparavant 1 On entreprenait mechamment l'£en- ture sainte sur le grand nombre des ctoiles, en CHAPITRE XXIV. 369 disant : 11 n'y en a que mille vingt-deux 1 , nous le savons. XXXIII. L'homme est ainsi fait, qu'a force de lui dire qu'il est un sot, il le croit ; et, a force de se le dire a soi~ meme, on se le fait croire. Car l'homme fait lui seul une conversation interieure, qu'il importe de bien regler : Corrumpunt mores bonos colloquia prava. II faut se lenir en silence autant qu'on peut, et ne s'en- tretenir que de Dieu qu'on sait etre la verite; et ainsi on se le persuade a soi-meme. XXXIV. Quelle difference entre un soldat et un chartreux, quant a l'obeissance? Car ils sont egalement obeis- sants et dependants, et dans des exercices egalement penibles. Mais le soldat espere toujours devenir mai' tre, et ne le devient jamais (carles capitaines et prin- ces meme sont toujours esclaves et dependants); mais il l'espere toujours, ettravaille toujours a y ve- nir ; au lieu que le chartreux fait vceu de n'etre jamais que dependant. Ainsi ils ne different pas dans la servi- tude perpetuelle, que tous deux ont toujours, mais dans l'esperance, que Tun a toujours, et l'autre jamais. * u Mille YAngt-deux. » C'est le nombre des e"toiles comprises dans le catalogue de Ptol^me'e, d'apres les observations d'Hipparque. Mais on lit dans le Cosmos, 1. 1, page 169 dc la traduction de M. H. Faye : « On porte par estime a dix-huit millions le nombre des 6toiles que le telescope permet de distinguer dans la voie lact^e. Pour se faire une ide"e de la grandeur de ce nombre, ou plutot pour s'aider d'un terme de comparaison, il suffit de se rappeler que nous ne voyons pas & roeil nu, sur toute la surface du ciel, plus de huit mille e"toiles; tel est en effet le nombre des Voiles comprises entre la premiere et la sixieme grandeur, v (Havet.) 370 PASCAL. — PENSEES. XXXV. La volonte propre ne se satisfera jamais, quand elle aurait pouvoir de tout ce qu'elle veut; mais on est satisfait des l'instant qu'on y renonce. Sans elle, on ne peut etre malcontent; par elle, on ne pent etre content. f ... La vraie et unique vertu est done de se hair, car on esthaissable par sa concupiscence, et decher- cher un etre veritablement aimable, pour l'aimer. Mais, comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un etre qui soit en nous, et qui ne soit pas nous, et cela est vrai d'un chacun de tous les hommes. Or, il n'y a que l'Etre universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous ; le bien universel est en nous-memes, et ce n'est pas nous. f II est injuste qu'on s'attache a moi, quoiqu'on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux a qui j'en ferais naitre le desir; car je ne suis la fin de personne, et n'ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas pr6t a mourir 1 ? Et ainsi l'objet de * Pascal avait pris cette pensde pour la regie de sa vie int6rieure ; et pour Pavoir toujours pr^sente, il l'avait e'erite de sa main sur un petit papier separd, comme nous l'apprend madame Perier, qui, dans la Vie de son frere, cite ce morceau sans y rien changer. Port- Royal ne fait pas comme madame Pe>ier; il a Ate* le ton personnel, qui est sublime ici ; il a 6teint dans les froideurs de 1'abstraction I'ardente m61ancolie de ce passage, qui scmble avoir <5t6 ecrit au desert par la plume brulante de saint Je>6me, ou par l'auteur de V Imitation dans sa cellule. Port-Royal : « II est injuste qu'on s'attache a nous^ quoiqu'on le ivec plaisir el volontairement j nous trotnperons ceux a qui nous cm feront naitre le d6air; car no\:s ne sotnmes la fin de per- fconne, el nous n'avons pas de quoi les satisfaire. (A (pioi se rap- les?) Me sommes-noua pas pretsa mourir, et ainsi l'objet de leur attacheme&t mourrait. o (Cousin.) CHAPITRE XXIV. 37i leur attachement mourra done. Comme je serais cou- pable de faire croire une faussete, quoique je la per- suadasse doucement, et qu'on la crut avec plaisir, et qu'en cela on me fit plaisir : de meme, je suis cou- pable de me faire aimer, et si j'attire les gens a s'at- tacher a moi. Je dois avertir ceux qui seraient prets a consentir au mensonge, qu'ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m'en revint; et de meme, qu'ils ne doivent pas s'attacher a moi; car il faut qu'ils passent leur vie et leurs soins a plaire a Dieu, ou a le chercher. XXXVI. G'est etre superstitieux, de mettre son esperance dans les formalites; mais e'est etre superbe, de ne vouloir s'y soumettre. XXXVII. Toutes les religions et les sectes du monde ont eu la raison naturelle pour guide. Les seuls Chre- tiens ont ete astreints a prendre leurs regies hors d'eux-memes, et a s'informer de celles que Jesus- Christ a laissees aux anciens pour etre transmises aux fideles. Cette contrainte lasse ces bons peres. lis veulent avoir, comme les autres peuples, la liberte de suivre leurs imaginations. C'est en vain que nous leur crions, comme les prophetes disaient autrefois aux Juifs • Allez au milieu de l'figlise; informez-vous des lois que les anciens lui ont laissees, et suivez ces senders. lis ont repondu comme les Juifs : Nous n'y marcherons pas : mais nous suivrons les pensees de notre cceur; et ils ont dit . Nous serons comme les autres peuples. 372 PASCAL. — PENSEES. XXXVIII. II y a trois moyens de croire : la raison, la cou- tume, l'inspiration.La religion chretienne, qui seule a la raison, n'admet pas pour ses vrais enfants ceux qui croient sans inspiration : ce n'est pas qu'elle exclue la raison et la coutume ; au contraire, mais il faut ouvrir son esprit aux preuves, s'y confirmer par la coutume; mais s'offrir par les humiliations aux inspirations, qui seules peuvent faire le vrai et salutaire effet : Ne evacuetur crux Christi. XXXIX. Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaie- ment que quand on le fait par conscience. XL, Les Juifs, qui ont ete appeles a dompter les na- tions et les rois, ont ete esclaves du peche; et les Chretiens, dont la vocation a ete a servir et a etr< sujets, sontles enfants libres. XLI. Est-ce courage a un homme mourant d'aller, dam la faiblesse etdans l'agonie, affronter un Dieu tout- puissant et eternel? XLII. Histoire de la Chine. — Je ne crois que les his toires dont les temoins se feraient egorger. II n'est pas question de voir cela en gros. Je vous dis qu'il y a de quoi aveugler et de quoi e'clairer. Par ce mot seul, je mine tous vos raisonnements. Mais la Chine obscurcit, dites-vous; et je reponds : La Chine obscurcit, mais il y a clarte a trouver; Cherchez-la. Ainsi tout ce aue vous dites fait a un CHAPITRE XXIV. 373 des desseins, et rien contre l'autre. Ainsi cela se'rt, et ne nuit pas. II faut done voir cela en detail, il faut mettre papiers sur table. XLIII. Superstition et concupiscence. Scrupules, desirs mauvais. Grainte mauvaise. Crainte, non celle qui vientdece qu'on croit Dieu, mais celle qui vient de ce qu'on doute s'il estou non. La bonne crainte vient de la foi, la fausse crainte vient du doute. La bonne crainte, jointe a Pesperanee, parce qu'elle nait de la foi, et que Ton espere au Dieu que Ton croit • la mauvaise, jointe au desespoir, parce qu'on craint le Dieu auquel on n'a point de foi. Les uns craignent de le perdre, les autres crai- gnent de le trouver. XLIV. Salomon et Job ont le mieux connu et le mieux parle de la misere de 1'homme : Tun est le plus heu- reux, et l'autre le plus malheureux; l'un connaissant la vanite des plaisirs par experience, l'autre la realite des maux. XLV. Herttiques, — £zech[iel]. Tous les paiens disaient du mal d'Israel, et le prophete aussi : et tant s'en faut que les Israelites eussent droit de lui dire : Vous parlez comme les paiens, qu'il fait sa plus grande force sur ce que les paiens paiient comme lui. XL VI. II n'y a que trois sortes de personnes : les uns qui servent Dieu, l'ayant trouve ; les autres qui s'em- ploient a le chercher, ne l'ayant pas trouve; les 32 374 PASCAL. — PENSEES. autres qui vivent sans le chercher ni l'avoir trouve. Les prefers sont raisonnables et heureux; les der- niers sont fous et malheureux ; ceux du milieu sont malheureux et raisonnables. XL VII. Les hommes prennent souvent leur imagination pour leur coeur; et ils croient toe convertis des qu'ils pensent a se convertir. XLVIII. La raison agit avec lenteur, et avec tant de vues, sur tant de principes lesquels il faut qu'ils soien , toujours presents, qu'a toute heure elle s'assoupit et s'egare, manque d'avoir tous ses principes presents. Le sentiment n'agit pas ainsi : il agit en un instant, et toujours est preta agir. II faut done mettre notre foi dans le sentiment, autrement elle sera toujours vacillante. XLIX. L'homme est visiblement fait pour penser; e'est toute sa dignite et tout son merite; et tout son devoir est de penser comme il faut ; et l'ordre de la pensee est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin ' . Or, a quoi pense le monde ? Jamais a cela ; 1 « C'est dans la solitude de Port-Royal, au sein des fortes Etudes philosopbiques et litteraires qui s'y faisaient, que Pascal concentra toutes ses pense"es sur ce sujet vivant, sur l'homme, dont il portait en lui toutes les grandeurs et toutes les miseres : non pas l'homme tel que Moutaignf le point, arrivant par le doute universe! ;\ ne croir« qu'a lui-memc; ni l'homme, selon Descartes, qui se contentede sa- voir qu'il y » uu JJicu et qu'il existe une ame distincte du corps, et qui s*arrange dans le monde de fagon a y vivre le plus agrtfablement et Le pins longtemps possible : mais l'homme tel que le christianisme l'a expliqiK-, rhomm ) dont Montaigne n'avait pas vu toute la gran- deur ni Descartes toute la pctitesse. * (Nisard.) CHAPITRE XXIV. 375 mais a danser, a jouer du luth, a chanter, a faire des vers, a courir la bague, etc., a se batir, a se faire roi, sans penser a ce que c'est qu'etre roi, et qu'etre homme. f Toute la dignite de l'homme est en la pensee. Mais qu'est-ce que cette pensee? qu'elle est sotte * ! L. S'il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui, et non les creatures passageres. Le raisonnement des im~ pies, dans la Sagesse 2 , n'est fonde que sur ce qu'il n'y a point de Dieu. Cela pose, disent-ils, jouis- sons done des creatures. C'est le pis-aller. Mais s'il y avait un Dieu a aimer, ils n'auraient pas conclu cela, mais le contraire. Et c'est la conclusion des sages : II y a un Dieu, ne jouissons done pas des creatures. Done tout ce qui nous incite a nous attacher aux creatures est mauvais, puisque cela nous empeche, ou de servir Dieu, si nous le con- naissons, ou de le chercher, si nous l'ignorons. Or, nous sommes pleins de concupiscence : done nous sommes pleins de mal; done nous devons nous hair nous-memes, et tout ce qui nous excite a autre at- tache que Dieu seul. LI. Quand nous voulons penser a Dieu ? say a-t-i) yien * Var. du ms. : « Toute ia dignity de l'homme est en la pensee. La pensee est done une chose admirable et incomparable par sa na- ture. II fallait qu'elle eut d'6tranges defauts pour etre meprisable. Mais elle en a de tels, que rien n'est plus ridicule. Qu'elle est grande par sa nature ! qu'elle est basse par ses deTauts ! » (Barre\) 2 C'est-a-dire dans be livre de la Sagesse. Ce livre est, on le sait, attribue" a Salomon. 376 PASCAL. — PENSEES. qui nous detourne, nous tente de penser ailleurs? Tout cela est mauvais, et ne avec nous. LIL II est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment : il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables, et indifferents, et con- naissant nous et les autres , nous ne donnerions point cette inclination a notre volonte. Nous nais- sons pourtant avec elle ; nous naissons done injustes : car tout tend a soi. Cela est contre tout ordre : il faut tendre au general ; et la pente vers soi est le commencement de tout desordre, en guerre, en po- lice , en economie , dans le corps particulier de l'homme. La volonte est done depravee. Si les membres des communautes naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautes elles-memes doivent tendre a un autre corps plus general, dont elles sont membres. L'on doit done tendre au general. Nous naissons done injustes et depraves. f Qui ne hait en soi son amour-propre, et cet instinct qui le porte a se faire Dieu, est bien aveugle. Qui ne voit que rien n'est si oppose a la justice et a la vmle? Car il est faux que nous mentions cela; et il est injuste et impossible d'y arriver, puisque tous demandent la me'mo chose. C'est done une manifeste injustice oil nous sommesne's, dont nous n<> pouvons nous deTaire, et dont il faut nous defaire. Cependant aucune religion n'a remarque que ce alt un peche, ni que nous y fussions nes, ni que nous CHAP1TRE XX1Y. 377 fussions obliges d'y resister, ni n'a pense a nous en donner les remedes. LIII. Guerre intestine de l'homme entre la raison et les passions. S'il n'avait que la raison sans passions... S'il n'avait que les passions sans raison... Mais ayant Tun et l'autre, il ne peut etre sans guerre, ne pou- vant avoir la paix avec Tun qu'ayant guerre avec l'autre. Aussi il est toujours divise, et contraire a lui-meme. f Si c'est un aveuglement surnaturel de vivresans chercher ce qu'on est, e'en est un terrible de vivre mal en croyant Dieu. LIV. II est indubitable que, que l'ame soit mortelle ou immortelle, cela doit mettre une difference entiere dans la morale ; et cependant les philosophes ont conduit la morale independammentde cela. lis deli- berent de passer une heure 4 . Platon 2 pour disposer au christianisme. f Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comedie en tout le reste. On jette enfin de la terre sur la tete, et en voila pour jamais. LV. Morale. — Dieu ayant fait le ciel et la terre, qui ne sentent point le bonheur de leu.r etre, il a voulu faire des etres qui le connussent, et qui composassent un corps de membres pensants. Gar nos membres 1 C'est-k-dire : lis discutent pour savoir comment on passera cetlt tie qui ne dure qu'un instant. * Sous-ente^du : est un auteur vonvenable pour disposer. 378 PASCAL. — PENSEES. ne ser tent point le bonheur de leur union, de leur admirable intelligence, du soin que la nature a d'y in- fluer les esprits, et de les faire croitre et durer. Qu'ils seraient heureux s'ils le sentaient, s'ils le voyaient! Mais il faudrait pour cela qu'ils eussent intelligence pour le connaitre, et bonne volonte pour consentir a celle de l'ame universelle. Que si, ayant recu Tin telligence, ils s'en servaient a retenir en eux-memes la nourriture , sans la laisser passer aux autres membres, ils seraient non-seulement injustes, mais encore miserables,»et se hairaient plutot que de s'ai- mer : leur beatitude, aussi bien que leur devoir, consistanta consentir a la conduite de Tame entiere a qui ils appartiennent, qui les aime mieux qu'ils ne s'aiment eux-memes f Etre membre, est n'avoir de vie, d'etre et de mouvement que par l'esprit du corps et pour le corps. Le membre separe, ne voyant plus le corps auquel il appartient, n'a plus qu'un etre perissant et mourant. Cependant il croit etre un tout, et ne se voyant point de corps dont il depende, il croit ne dependre que de soi, et veut se faire centre et corps lui-meme. Mais n'ayant point en soi de principe de vie, il ne fait que s'egarer, et s'etonne dans I'incertitude de son 6tre; et sentant bicn quil n'<»st pas corps, et eependantne voyant point qu'il soit membre d'un corps. Knfin, quand il vient a se connaitre, il est comme revejiu chez soi, et ne s'aime plus que pour te corps; il plaint ses e'garements passes. 11 Jie pourrait pas par sa nature aimer une autre CHAPITRE XXIV. 379 chose, sinon pour soi-meme et pour se l'asservir, parce que chaque chose s'aime plus que tout. Mais en aimant le corps* il s'aime soi-meme, parce qu'il n'a d'etre qu'en lui, par lui et pour lui : qui adh&ret Deo unus spiritus est. f Le corps aime la main; et la main, si elle avait une volonte, devrait s'aimer de la meme sorte que 1'ame 1'aime. Tout amour qui va au dela est injuste. Adhcerens Deo unus spiritus est. On s'aime,, parce qu'on est membre de Jesus-Christ. On aime Jesus- Christ, parce qu'il est le corps dont on est membre. Tout est un, l'un est l'autre, comme les trois per- sonnes. f Membres. — Pour regler l'amour qu'on se doit a soi-meme, il faut s'imaginer un corps plein de mem- bres pensants, car nous sommes membres du tout, et voir comment chaque membre devrait s'aimer, etc. Si les pieds et les mains avaient une volonte par- ticuliere, jamais ils ne seraient dans leur ordre qu'en soumettant cette volonte particuliere a la vo- lonte premiere qui gouverne le corps entier. Hors de la, ils sont dans le desordre et dans le malheur; mais en ne voulant que le bien du corps, ils font leur propre bien. f II faut n'aimer que Dieu et ne hair que soi. Si le pied avait toujours ignore qu'il appartint au corps, et qu'il y eut un corps dont il dependit, s'il n'avait eu que la connaissance et l'amour de soi, et qu'il vint a connaitre qu'il appartient a un corps duquel il depend, quel regret, quelle confusion de sa vie passee, d'avoir ete inutile au corps qui lui a 380 PASCAL. — PENSEES. influe sa vie, qui l'eut aneanti s'il 1'eut rejete et se~ pare de soi, comme il se separait de lui ! Quelles prieres d'y etre conserve ! et avec quelle soumis- sion se laisserail-il gouverner a la volonte qui regit le corps, jusqu'a consentir a etre retranche s'il le faut! Ou il perdrait sa qualite de membre; car il faut que tout membre veuille bien perir pour le corps, qui est le seul pour qui tout est. f Pour faire que les membres soient heureux, il faut qu'ils aient une volonte, et qu'ils la conforment au corps. f Raison des effets. — La concupiscence et la force sont la source de toutes nos actions : la concupis- cence fait les volontaires; la force, les involontaires. LVI. Philosophes. — lis croient que Dieu est seul digne d'etre aime et admire, et ont desire d'etre aimes et admires des hommes, et ils ne connaissent pas leur corruption. S'ils se sentent pleins de sentiments pour l'aimer et l'adorer, et qu'ils y trouvent leur joie principale, qu'ils s'estiment bons, a la bonne heure. Mais s'ils s'y trouvent repugnants, s'ils n'ontaucune pente qua se vouloir etablir dans restimc des hommes, et que pour toute perfection ils fassent seulement que, sans forcer les hommes, iis leur fassent trouver leur bonheur a les aimer >je dirai que cette perfection est horrible. Qiioi i ils ont connu Dleu, (it n'ont pas desire* uniquement que les hommes raim assent; [mais] que les hommes s'arnHassent i enx ; ils ont voulu vlve l'objet du bpnheur volontaire des homines i CHAPITRE XXIV. 38! LVII. 11 est vrai qu'il y a de la peine en entrant dans la piete. Mais cette peine ne vient pas de la piete qui commence d'etre en nous, mais de l'impiete qui y est encore. Si nos sens ne s'opposaient pas a la pe- nitence, et que notre corruption ne s'opposat pas a la purete de Dieu, il n'y aurait en cela rien de pe- nible pour nous. Nous ne souffrons qu'a proportion que le vice, qui nous est naturel, resiste a la grace surnaturelle. Notre cceur se sent dechire entre ces efforts contraires. Mais il serait bien injuste d'im- puter cette violence a Dieu qui nous ottire, au lieu de l'attribuer au monde qui nous retient. C'est comme un enfant, que sa mere arrache d'entre les bras des voleurs, doit aimer, dans la peine qu'il souffre, la violence amoureuse et legitime de celle qui procure sa liberte, etne detester que la violence impetueuse et tyrannique de ceux qui le retiennent injustement. La plus cruelle guerre que Dieu puisse faire aux hommes en cette vie est de les laisser sans cette guerre qu'il est venu apporter. « Je suis venu » apporter la guerre, » dit-il; et, pour mstruire de cette guerre : « Je suis venu apporter le fer et le » feu. » Avant lui. le monde vivait dans une fausse paix. LVIII. Sur les confessions et absolutions sans marques de regret. — Dieu ne regarde que l'interieur : l'figlise ne juge que par l'exterieur. Dieu absout aussitot qu'il voit la penitence dans le cceur; l'£glise, quand elle la voit dans les ceavres. Dieu fera une fisflise 382 PASCAL. — PENSEES. pure au dedans, qui confonde par sa saintete inte rieure et toute spirituelle l'impiete interieure des sages superbes et des pharisiens : et l'£glise fera une assemblee d'hommes, dont les moeurs exte- rieures soient si pures, qu'elles confondent les moeurs des paiens. S'il y en a d'hypocrites, mais si bien deguises qu'elle n'en reconnaisse pas le venin, elle les souffre; car, encore qu'ils ne soient pas recus de Dieu, qu'ils ne peuvent tromper, ils le sont des homines, qu'ils trompent. Et ainsi elle n'estpas des honoree par leur conduite, qui parait sainte. Mais vous voulez que l'figlise ne juge, ni de l'interieur, parce que cela n'appartient qu'a Dieu, ni de l'exte- rieur, parce que Dieu ne s'arrete qu'a l'interieur; et ainsi, lui otant tout choix des hommes, vous re- tenez dans l'£glise les plus debordes, et ceux qui la deshonorent si fort, que les synagogues des Juifs et les sectes des philosophes les auraient exiles comme indignes, et les auraient abhorres comme impies. LIX. La loi n'a pas detruil la nature; mais elle l'a in stiuite : la grace n'a pas detruit la loi ; mais elle l'a fait exercer. La foi recue au bapt£me est la source de toute la vie du Chretien et des converlis. f On se fait une idole de la verite meme; car la M-i -iie liors de la charile n'est pas Dieu, c'cst son image, et une idole, qu'il ne faut point aimer, ni •dorer, el encore moins faut-il aimer et adorer son contraire, qui est le mensonge. ^ Je puis bien aimer 1'obscurite tolale; mais, s» CHAP1TRE XXIV. 383 Dieu m'engage dans un etat a demi obscur, ce &eu d'obscurtte qui y est me deplait, et, parce que je n'y vois pas Je merite d'une entiere obscurite, il ne me plait pas. G'est un defaut, et une marque que je me fais une idole de l'obscurite, separee de l'ordre de Dieu. Or il ne faut adorer que son ordre. LX. Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chretienne; mais, entre tous ceux que le monde a inventes, il n'y en a point qui soit plus a craindre que la comedie. G'est une representation si naturelle et si delicate des passions, qu'elle les emeut et les fait naitre dans notre coeur, et surtout celle de l'amour : principalement lorsqu'on le repre- sente fort chaste et fort honnete. Car plus il parait innocent aux ames innocentes, plus elles sont capa- bles d'en etre touchees. Sa violence plait a notre amour-propre, qui forme aussitot un desir de causer les memes efifets, que Ton voit si bien representes ; et Ton se fait en meme temps une conscience fondee sur l'honn£tete des sentiments qu'on y voit, qui eteint la crainle des ames pures, lesquelles s'ima- ginent que ce n'est pas blesser la purete, d'aimer d'un amour qui leur semble si sage. Ainsi Ton s'en va de la comedie le coeur si rempli de toutes les beautes et de toutes les douceurs de l'amour, Tame 3t l'esprit si persuades de son innocence, qu'on est tout prepare a recevoir ses premieres impressions, ou plutot a chercher 1'occasion de les faire naitre dans le coeur de quelqu'un, pour recevoir les memes 384 PASCAL. — PENSEES. plaisirs et les memes sacrifices que Ton a vus si bien depeints dans la comedie. LXI. ... Les opinions relaehees plaisent tant aux hommes, qu'il est etrange que les leurs deplaisent. C'est qu'ils ont excede toute borne. Et, de plus, il y a bien des gens qui voient le vrai, et qui n'y peuvent atteindre. Mais il y en a peu qui ne sachent que la purete de la religion est contraire a nos corruptions. Ridicule de dire qu'une recompense eternelle est oflcrte a des moeurs escobartines. LXII. Le silence est la plus grande persecution : jamais les saints ne se sont tus. II est vrai qu'il faut voca- tion, mais ce n'est pas des arrets du Conseil 1 qu'il faut apprendre si Ton est appele, c'est de la neces- sile de parler. Or, apres que Rome a parle, et qu'on pense qu'elle a condamne la verite, et qu'ils l'ont ecrit; et que les livres qui ont dit le contraire sont censures, il faut crier d'autant plus haut qu'on est censure plus injustement, et qu'on veut etoufler la parole plus violemment, jusqu'a ce qu'il vienne un pape qui ecoute les deux parties, et qui consulte I'antiquite pour faire justice. Aussi, les bons papes trouveront encore l'figlise en clameurs. ... L'Inquisition et la Societe, les deux fleaux de la vt'iit c. * Allusion & 1'arrGt du 20 septembre IboO qui condamna la tra- duction latino des Provinciates, par Nicole, a etre brulee. L'arret cute* le 111 octobre de la meme annee. CHAPITRE XXIV. 385 ... Que ne les accusez-vous d'arianisme ? Car iis ont dii que Jesus-Christ est Dieu : peut-tHre lis l'en- tendent, non par nature, mais comme il est dit, Dii estis. ^ Si mes Lettres sont condamnees a Rome, ce que j'y condamne est condamne dans le del : Ad tuum, Domine Jesu, tribunal appello. ... Vous-meme etes corruptible. ... J'ai craint que je n'eusse mal ecrit, me voyant condamne; mais Texemple de tant de pieux ecrits me fait croire au contraire. II n'est plus permis de bien ecrire, taut l'lnquisition est corrompue ou ignorante! ... II est meilleur d'obeir a Dieu qu'aux hommes. ... Je ne crains rien, je n'espere rien. Les eveques ne sont pas ainsi. Le Port-Royal craint, et c'est une mauvaise politique de les separer; car ils ne crain- dront plus, et se feront plus craindre. ... Je ne crains pas meme vos censures, si elles ne sont fondees sur celles de la tradition. Censurez- vous tout? quoi? meme mon respect? Non. Done dites quoi, ou vous ne ferez rien, si vous ne desi- gnez le mal, et pourquoi il est mal. Et c'est ce qu'ils auraient bien peine a faire. LXIII. La nature a des perfections, pour montrer qu'elle est l'image de Dieu; et des defauts, pour montrer qu'elle n'en est que l'image. LXIV. Les hommes sof?£ si necessairement fous, que ce 33 386 PASCAL. — PENSEES. serait etre fou par un autre tour de folie, de ne pas etre fou. Otez la probability, on ne peut plus plaire au monde : mettez la probability, on ne peut plus lui deplaire. LXVI. L'ardeur des saints a rechercher et pratiquer le bien etait inutile, si la probability est sure. LXVII. Pour faire d'un homme un saint, il faut bien que ce soit la grace ; et qui en doute, ne sait ce que c'est que saint et qu'homme. LXVIII. On aime la surete. On aime que le pape soit in- faillible en la foi, et que les docteurs graves le soient dans les moeurs, afin d'avoir son assurance. LXIX. 11 ne faut pas juger de ce qu'est le pape par quel- ques paroles des Peres, comme disaient les Grecs dans un concile, regie imporiante, mais par les ac- tions de lfiglise et des Peres, et par les canons. LXX. Le pape est premier. Quel autre est connu de tous? Quel autre est reconnu detous? ayant pouvoir d'inslnuer dans tout le corps, parce qu'il lient la mail! esse branche, qui s'insinue partout .? Qu'il etait aise* de faire dcgcnrrer cela on tyrannic ! C'est pour- (jiioi Jisrs-CunisT leur a pose ce precepte : Vo* autein nun sic. CHAPITRE XXIV. 387 L'unite et la multitude : Duo ant tres in unum. Erreur a exclure l'une des deux, comme font les pa- pistes qui exeluent la multitude, ou les huguenots qui exeluent l'unite. LXXI. II y a heresie a expliquer toujours omnes de tous, et heresie a ne le pas expliquer quelquefois de tous, Bibite ex hoc omnes • les huguenots, heretiques, en 1'expliquant de tous. In quo omnes peccaverunt : les huguenots, heretiques, en exceptant les enfants des fideles. II faut done suivre les Peres et la tradition pour savoir quand, puisqu'il y a heresie a craindre de part et d'autre. LXXII. Tout nous peut etre mortel, meme les choses faites pour nous servir; comme, dans la nature, les mu- railles peuvent noustuer, etles degres nous tuer, si nous n'allons avec justesse. Le moindre mouvement importe a toute la nature; la mer entiere change pour une pierre. Ainsi, dans la grace, la moindre action importe pour ses suites a tout. Done tout est important. En chaque action, il faut regarder, outre Taction, notre etat present, passe, futur, et des autres a qui elle importe, et voir les liaisons de toutes ces choses. Et lors on sera bien retenu. LXXIII. Tous les hommes se haissent naturellement Tun l'autre. On s'est servi comme on a pu de la concu- piscence pour la faire servir au bien public. Mais ce 388 PASCAL. — PENSEES. n'est que feinte, et une fausse image de la charite; car au fond ce n'est que haine. f Ce vilain fond de l'homme, ce figmentum malum % n'est que couvert; il n'est pas ote. LXXIV. Si Ton veut dire que l'homme est trop peu poui meriter la communication avec Dieu, il faut etre bien grand pour en juger. LXXV. L'homme n'est pas digne de Dieu, mais il n'est pas incapable d'en etre rendu digne. II est indigne de Dieu de se joindre a l'homme mi- serable; mais il n'est pas indigne de Dieu de le tirer de sa misere. LXXVI. ... Les malheureux, qui m'ont oblige de parley du fond de la religion !... Des pecheurs purifies sans penitence, des justes justifies sans charite, tous les Chretiens sans la grace de Jesus-Christ, Dieu sans pouvoir sur la volonte des hommes, une predestina- tion sans mystere, une Redemption sans certitude! LXXVII. Eglise, pape. — Unite, multitude. En considerant l'£glise comme unite, le pape quelconque est le chef, est comme tout. En la considerant comme multitude, le pape n'en estqu'une partie. Les Peres Pont considoree tantot en une maniere, tantot en I'autre, Ft ainsi ont parte diversement du pape. Saint Cyprien : Sacerdos Dei. Mais en ctablissant une d.' < vs deux vrritos, ils n'ont pas exclu I'autre. La mullitude qui ue se reduitpas a runite est confu- CHAP1TRE XXIV. 389 sion; l'unite qui ne depend pas de la multitude est tyrannie. II n'y a presque plus que la France oil il soit permis de dire que le concile est au-dessus du pape, LXXVIII. Dieu ne fait point de miracles dans la conduite ordinaire de son £glise. C'en serait un etrange, si 1'infaillibilite etait dans un ; mais d'etre dans la mul- titude, cela parait si naturel, que la conduite de Dieu est cachee sous la nature, comme en tous ses autres ouvrages. LXXIX. Sur ce que la religion chretienne n'est pas unique. — Tant s'en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu'elle n'est pas la veritable, qu'au contraire, c'est ce qui fait voir qu'elle Test. LXXX. S'il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion ; car elle n'est pas certaine 1 . Mais combien de choses fait-on pour l'in- * « Le philosophe, dans Pascal, interrogeant mal la raison, n'en obtient que de» reponses incertaines ; et, incapable de s'y arreter, il se prdcipite dans tous les abimes du scepticisme. Mais l'homme, dans Pascal, ne se r^signe point au scepticisme du philosophe. Sa raison ne peut pas croire ; mais son cceur a besoin de croire. II a besoin de croire a un Dieu, non pas a un Dieu abstrait, principe hypothe^ique des nombres et du mouvement, mais a un Dieu vivant qui a fait l'homme a son image, et qui puisse le recueillir apres cette courte vie. Pascal a horreur de la mort comme de Teniae du n^ant; il cherche un asile contre la mort de toute la ouissance de son ame, Je toute la faiblesse de sa raison d^sarmee. Pascal veut croire a Dieu, a une autre vie, et, ne le pouvant pas avec sa mau- vaise philosophie, faute d'en poss^der une meilleure et d'avoir suf- fisamment 6tudi6 et compris Descartes, il rejette toute philosophie, renonce a la raison et s'adresse a la religion. Mais sa religion n'est 390 PASCAL. — PENSEES. certain, les voyages sur mer, les batailles ! Je dis done qu'il ne faudrait rien faire da tout; car rien pas lc christianisme des Arnauld et des Malebranche, des F6nelon et des Bossuet, fruit solide et doux de l'alliance de la raison et du coeur dans une ame bien faite et sagement cultiv^e : e'est un fruit amer, e^los dans la region d^solee du doute, sous le souffle aride du d^sespoir. Pascal a voulu croire, et il a fait tout ce qu'il 6tait necessaire de faire pour finir par croire. Les difficult^ qu'il rencon- trait, sa raison ne les a pas surmontees, mais sa volonte" les a 6car- tges. Ne les lui rappelez pas, il les connait mieux que vous ; sa der- niere, sa vraie reponse est qu'il ne veut pas du ne'ant, et que la folie de la croix est encore son meilleur asile. Pascal a done fini par croire ; mais, comme il n'y est parvenu qu'en d6pit de la raison, il ne s'y soutient qu'en redoublant de soins contre la raison, par de pe\nibles et continuels sacrifices, par la mortification de la chair, surtout par celle de l'esprit : e'est la la foi inquiete et malheureuse que Pascal entreprend de communiquer a ses semblables. II ne se proposait point de s'adresser a la raison, sinon pour l'humilier et pour l'abattre, mais au coeur pour l'^pouvanter et le charmer tout ensemble, a la volonte pour agir sur elle par tous les motifs connus qui la d^ter- minent, la ve\rit6 en soi exceptee. Une telle apologie du christianisme eut e"t6 un monument tout particulier, qui aurait eu pour vestibule \e scepticisme, et pour sanctuaire une foi sombre et mal sure d'elle- meme. Un pareil monument eut peut-etre convenu a un siecle ma- lade tel que le nfitre; il eut pu attirer et rccevoir Byron converti, Faust ou Manfred, des hommes longtempsen proie aux horreurs du doute et voulant s'en delivrer a tout prix. Mais les esprits calmes et re*gl( /j s du dix-septieme siecle n'auraient su que faire d'un semblable ouvrage. Pour eux, la religion e*tait le couronnement de la philoso- phie, la foi le de"veloppement le plus legitime de la raison vivifiee et eclairee par le sentiment. Le scepticisme de Pascal leur cut e'te' un scandale plutot qu'une lecon. » Le reproche de scepticisme, si eloquemment formule contre Pascal par M. Cousin, a souleve de tres-vives protestations ; on con- Mritera avec interct sur cetto question : 1° htndes sur Pascal, par l'abbc Flottes. Paris, 18/j6, in-8°.— L'au- teur de cet ticrit a entrepris de defendre Pascal contre Lea ccrivains qui, scion luf, out accuse" ce grand boxnme de Bcejrtieisme philoso- phique et d'aveuglcment dans sa foi. II a choisi panni les fragments an certain noinbru de passa^i>, dans 1c but do prouvcr que la doc- trine qu'fla contirimcnt est con forme, a cell'' que les amis et les con- temporains de Pascal lui out attribute ct qu'il avait. professee lui* memo dans des ouvrages publies de son vivant. M. I'abb6 Flotte* CHAPITRE XXIY. 391 n'est certain ; et qu'il y a plus de certitude a la reli- gion que non pas que nous voyions le jour de de- main : car il n'est pas certain que nous voyions de- main, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n'en peut pas dire autant de la religion. II n'est pas certain qu'elle soit; mais qui osera dire qu'il est certainement possible qu'elle ne soit pas? Or, quand on travaille pour demain, et pour l'incertain, on agit avec raison. Car on doit travailler pour l'incertain, par la regie des partis qui est demontree. LXXXI. Toutes les bonnes maximes sont dans le monde . on ne manque qu'a les appliquer. Par exemple, on ne doute pas qu'il ne faille exposer sa vie pour de- fendre le bien public, et plusieurs le font ; mais pour la religion, point. LXXXII. II y a des vices qui ne tiennent a nous que par d'autres , et qui, en otant le tronc , s'emportent comme des branches. LXXXIII. Quand la malignite a la raison de son cote, elle devient fiere, et etale la raison en tout son lustre : insistt sjur ce que, pour juger sainement Vapologie, il faut £viter de preter a Pascal les sentiments qu'il reTute ou qu'il accepte provisoi- rement pour combattre ses adversaires en leur opposant leurs propres opinions. 2° Pascal, sa viv, son caractere et son g&nie, par l'abbe" Maynard. Paris, 2 vol. in-8°. — L'auteur de ce livre declare que son but prin- cipal a 6te" de deTendre Pascal contre les accusations fausses ou exa^ ge>ees de scepticisme, de superstition, de fanatisme, dont il a pu etre l'objet de la part des 6crivains modernes. 392 PASCAL. —PENSEES. quand l'austerite ou le choix severe n'a pas reussi au vrai bien, et qu'il faut revenir a suivre la nature, elle devient fiere par le retour. LXXXIV. Le mal est aise, il y en a une infinite; le bien, presque unique. Mais un certain genre de mal est aussi difficile a trouver que ce qu'on appelle bien; et souvent on fait passer pour bien a cette marque ce mal particulier. II faut meme une grandeur ex- traordinaire d'ame pour y arriver, aussi bien qu'au bien. LXXXV. La nature de l'homme n'est pas d'aller toujours, elle a ses allees et venues. La fievre a ses frissons et ses ardeurs, et le froid montre aussi bien la gran- deur de l'ardeur de la fievre que le chaud meme.Les inventions des hommes de siecle en siecle vont de meme. La bonte et la malice du monde en general en est de meme : Plerumque grata pri?icipibus vices. LXXXVI. Est fait pretre qui veut l'elre, comme sous Jero- boam. Cost une chose horrible qu'on nous propose la discipline de l'£glise d'aujourd'hui pour tellement bonne, qu'on fait un crime de la vouloir changer. Autrefois elle etait bonne* infailliblement, el on Irouve qu'on a pu la changer sans peehe; et main- tenant, telle qu'elle est, on ne la pourra souhaiter changed II a bien etc permis de changer la cou- tume de ne faire des prdtres qu'avec taut de cir- OOnspection, qu'il n'y en avail prcsquc pwint qui eu CHAP1TRE XXIV. 393 fussent dignes ; et il ne sera pas permis de se plaindre de la coutume, qui en fait tant d'indignes I LXXXVIL Les enfants qui s'effrayent du visage qu'ils ont barbouille, ce sont des enfants; mais le moyen que ce qui est si faible, etant enfant, soit bien fort, etant plus age! On ne fait que changer de fantaisie. LXXXVIII. Incomprehensible que Dieu soit, et incomprehen- sible qu'il ne soit pas; que l'ame soit avec le corps, que nous n'ayons pas d'ame; que le monde soitcree, qu'il ne le soit pas, etc. ; que le peche originel soit, et qu'il ne soit pas. LXXXIX. Les athees doivent dire des choses parfaitement claires ; or il n'est point parfaitement clair que l'ame soit materielle. XC. Incredules, les plus credules. lis croient les mi- racles de Vespasien, pour ne pas croire ceux de Moise. XCI. ficrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes. f [II faut dire en gros : Cela se fait par figure et mouvement, car cela est vrai. Mais de dire quels, et composer la machine, cela est ridicule; car cela est inutile, et incertain, etpenible.Et quand cela se- rait vrai, nous n'estimons pas que toute la philoso- phic vaille une heure de peine. ] 394 PASCAL. — PENSEES. XCII. Atheisme marque ! de force d'esprit, mais jusqu'a un certain degre seulement. XCIII. Les defauts de Montaigne sont grands. Mots las- cifs. Cela ne vaut rien, malgre mademoiselle de Gournay. Credule (gens sans yeuxj. Ignorant (qua- drature du cercle, monde plus grand). Ses senti- ments sur rhomicide volontaire, sur la mort. II inspire une nonchalance du salut « sans crainte et sans repentir. » Son livre n'etant pas fait pour porter a la piete, il n'y etait pas oblige : mais on est tou- jours oblige de n'en point detourner. On peut ex- cuser ses sentiments un peu libres et voluptueux en quelques rencontres de la vie ; mais on ne peut excu- ser ses sentiments toutpaiens sur la mort ; car il faut renoncer a toute piete, si on ne veut au moins mourir chretiennement : or il ne pense qu'a mourir lache- ment et mollement par tout son livre *. XCIV. La machine d'arithmelique fait des eflets qui ap- prochent plus de la pensee que tout ce que font les 1 Toutes les editions faites avantle Rapport deM. Cousin portent: manque de force d'esprit. Ici, comme en bien d'autres passages, les (kliteurs font dire a Pascal pre'cis&nent lrcontraire de ce qu'il a ecrit. 2 Pascal n'a surpass^ Montaigne ni en naivete' ni en imagination. II l';i Burpasse" en profond«-ur, en !iuesse,en sublimits, en vehemence. II a porte'a sa perfection l'eloquence d'art que Montaigne ignorait entierement, et n'a point ete 6gald dans cette vigueur de genie par laquelle on rapproche les objeta et on resume un discoors; mais la ehaleuret la viva* jprit pouvaient ]ui donner descrrcurs, dont I'- genie ferine ot modere de Montaigne n'e'tail pas uussi sus- ceptible. (Vauvenargues.) CHAPITRE XXIV. 395 animaux ; mais elle ne fait rien qui puisse faire dire qu'elle a de la volonte, comme les animaux. XCV. Certains auteurs, parlant de leurs ouvrages, di- sent : Mon livre, mon commentaire, mon histoire, etc. lis sentent leurs bourgeois qui ont pignon sur rue, et toujours un « chez moi » a la bouche. Us feraient mieux de dire : Notre livre, notre commentaire. notre histoire, etc., vu que d'ordinaire il ya plus en cela du bien d'autrui que du leur. XGVI. L'eloquence est un art de dire les choses de telle facon, 1° que ceux a qui Ton parle puissent les en- tendre sans peine, et avec plaisir; 2° qu'ils s'y sen- tent interesses , en sorte que l'amour-propre les porte plus volontiers a y faire reflexion. Elle con- siste done dans une correspondance qu'on tache d'etablir entre l'esprit et le cceur de ceux a qui Ton parle d'un cote, et de l'autre les pensees et les ex- pressions dont on se sert; ce qui suppose qu'on aura bien etudie le coeur de 1'homme pour en savoir tous les ressorts, et pour trouver ensuite les justes proportions du discours qu'on veut y assortir. II faut se mettre a la place de ceux qui doivent nous en- tendre, et faire essai sur son propre cceur du tour qu'on donne a son discours, pour voir si 1'un est fait pour l'autre, et si Ton peut s'assurer que l'auditeur sera comme force de se rendre. II faut se renfermer, le plus qu'il est possible, dans le simple naturel ; ne pas faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n'est pas assez qu'une chose soit belle, U 346 PASCAL. — PENSEES. faut qu'elle soitpropre au sujet, qu'ii n'y ait rien de trop ni rien de manque. f L'eloquence est une peinture de la pensee; et ainsi, ceux qui, apres avoir peint, ajoutent encore, font un tableau, au lieu d'un portrait. XCVII. II faut avoir une pensee de derriere, et jugerde tout par la, en parlant cependant comme le peuple *. XCVHL La force est la reine da monde, et non pas l'opi- nion; mais l'opinion est celle qui use de la force. f On ne consulte que l'oreille, parce qu'on man- que de coeur. * II faut, en tout dialogue etdiscours, qu'on puisse dire a ccux qui s'en offensent : De quoi vous plaignez- vous ? CHAPITRE XXV. PENSEES PUBLIEES DEPUIS 18i3. I. Quand notre passion nous porte a faire quelque chose, nous oublions notre devoir. Comme on aime un livre, on le lit, lorsqu'on devrait mire autre chose. Mais, pour s'en souvenir, il faut se proposer de faire quelque chose qu'on hait; et lors on s'ex- cuse sur ce qu'on a autre chose a faire, et on ge sou vicnt de son devoir par ce moyen. 1 Cela veut dire tout simpK'incnt qu'il faut avoir la raison pro- fondf et distincte dc ce dont h\ pouple a le bon sens confus, et en parlant comme le peuple, savoir mieux que lui pourquoi on le dit. (Saintc-Beuve.) CHAPITRE XXV. 397 II. Quel dereglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se ikette au-dessus de tout le reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien, et la duree de son bonheur, et de sa vie, que celle de tout le reste du monde! III. II y a des herbes sur la terre; nous les voyons, de la lune on ne les verrait pas. Et sur ces herbes, des poils ; et dans ces poils, de petits animaux : mais apres cela, plus rien. — presomptueux! — Les mixtes sont composes d'elements ; et les elements, non. O presomptueux! Voici un trait delicat. II ne faut pas dire qu'il y a ce qu'on ne voit pas ; il faut done dire comme les autres, mais non pas penser com me eux. IV. ... Non-seulement nous regardons les choses par d'autres cotes, mais avec d'autres yeux ; nous n'avons garde de les trouver pareilles. V. L'eternuement absorbe toutes les facultes de l'ame, aussi bien que la besongne 4 ; mais on n'en tire pas les memes consequences contre la grandeur de 1'homme, parce que e'est contre son gre. Et quoi- qu'on se le procure, neanmoins e'est contre son gre qu'on se le procure ; ce n'est pas en vue de la chose meme, e'est pour une autre fin; et ainsi ce 1 C'est-a-dire l'acte de la generation. Besongne est le mot dont se serf Montaigne. 34 398 PASCAL. — PENSEES. n'est pas une marque de la faiblesse de 1'homme, et de sa servitude sous cette action. VI. II n'est pas honteux a 1'homme de succomber sous la douleur, et il lui est honteux de succomber sous le plaisir. Ce qui ne vient pas de ce que la douleur nous vient d'ailleurs, et que nous recherchons le plaisir; car on peut rechercher la douleur, et y suc- comber a dessein, sans ce genre de bassesse. D'ou vient done qu'il est glorieux a la raison de succom- ber sous l'effort de la douleur, et qu'il lui est hon- teux de succomber sous l'effort du plaisir? C'est que ce n'est pas la douleur qui nous tente et nous attire. C'est nous-memes qui volontairement la choisissons et voulons la faire dominer sur nous; de sorte que nous sommes maitres de la chose; et en cela c'est 1'homme qui succombe a soi-meme : mais dans le plaisir, c'est 1'homme qui succombe au plaisir. Or il n'y a que la maitrise et l'empire qui fait la gloire, et que la servitude qui fait la honte. VII. Geux qui, dans de facheuses affaires, ont toujours bonne esperance, et se rejouissent des aventures heureuses, s'ils ne s'affligent egalement des mau- vaises, sont suspects d'etre bien aises de la pertr de. 1'aflhire, et sont ravis de trouver ces pretexted d'esperance pour montrer qu'ils s'y interessent, et couvrir par la joie qu'ils feignent d'en concevou cellc qu'ils ont de v^ir l'aflaire perdue. CHAP1TRE XXV. 399 VIII. Notre nature est dans le mouvement; le repos en- tier est la mort. IX. Nous nous eonnaissons si peu, que plusieurs pen- sent aller mourir quand ils se portent bien, et plu- sieurs pensent se porter bien quand ils sont proche de mourir, ne sentent pas la fievre prochaine, on l'abces pret a se former. X. La nature recommence toujours les memes choses v les ans, les jours, les heures ; les espaces de meme et les nombres sont bout a bout a la suite 1'un de l'autre. Ainsi se fait une espece d'infmi et d'eternel. Ce n'est pas qu'il y ait rien de tout cela qui soit in- fini et eternel, mais ces etres termines se multiplient infiniment; ainsi il n'y a, ce me semble, que le nombre qui les multiplie qui soit infini. XI. Quand on dit que le chaud n'est que le mouve- ment de quelques globules, et la lumiere le conatus recedendi que nous sentons, cela nous etonne. Quoi ? que le plaisir ne soit autre chose que le ballet des esprits? Nous en avons concu une si differente idee! et ces sentiments-la nous semblent si eloignes de ces autres que nous disons etre les memes que ceux que nous leur comparons ! Le sentiment du feu, cette chaleur qui nous affecte d'une maniere tout autre que 1'attouchement, la reception du son et de la lu- miere, tout cela nous semble mysterieux, et cepen- dant cela est glossier comme un coup de pierre. I? 400 PASCAL. — PENSEES. est vrai que la petitesse des esprits qui entrent dans les pores touchent d'autres nerfs, mais ce sont tou~ jours des nerfs touches. XII. Si un animal faisait par esprit ce qu'il fa ; ,t par in- stinct, et s'il parlait par esprit ce qu'il parle par instinct, pour la chasse, et pour avertir ses cama- rades que la proie est trouvee ou perdue, il parlerait bien aussi pour des choses ou il a plus d'affection, comme pour dire : Rongez cette corde qui me blesse, et ou je ne puis atteindre. XIII. Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposes, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires : otez un de ces vices, nous tombons dans l'autre. XIV. lis disent que les eclipses prcsagent malheur, parce que les malheurs sont ordinaires; de sorte qu'il arrive si souvent du mal, qu'ils devinent sou- vent; au lieu que s'ils disaient qu'elles presagent bonheur, ils mentiraient souvent. Us ne donnent Je bonheur qu'a des rencontres du ciel rares; ainsi ils manquent peu souvent a deviner. XV. La memoire est necessaire pour toutes les opera* tions de l'esprit. XVI. Instinct et raison, marques de deux natures. CHAPITRE XXV. 401 XVII. Quand je considere la petite duree de ma vie, ab- sorbed dans 1'eternite precedant et suivant; le petit espace que je remplis, et meme que je vois, abime dans l'infinie immensite des espaces que j'ignore et qui m'ignorent, je m'effraye, et m'etonne de me voir ici plutot que la ; car il n'y a point de raison pour- quoi ici plutot que la, pourquoi a present plutot que lors. Qui m'y a mis? par l'ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a-t-il ete destine a moi? — Memoria hospitis unius diei prcetereuntis. XVIII. Combien de royaumes nous ignorent ! f Le silence e tern el de ces espaces infinis m'ef- fraye. XIX. Je porte envie a ceux que je vois dans la foi vivre avec tant de negligence , et qui usent si mal d'un don duquel il me semble que je ferais un usage si different. XX. Chae, le sang, chaque humeur du sang? Une ville, une campagne, de loin est une ville et une campagne; mais a mesure qu'on s'app^oche, ce sont des maisons, des arbres, des tuiles, des feuilles, des herbes, des fourmis, des jambes de fourmi, a l'infini. Tout cela s'enveloppe sous le nom de cam- pagne. LXIII. Deux sortes de gens egalent les choses, comme les fetes aux jours ouvriers, les Chretiens aux pretres, tous les peches entre eux, etc. Et de la les uns concluent que ce qui est done mal aux pretres Test aussi aux Chretiens; et les autres, que ce qui n'est pas mal aux Chretiens est permis aux pretres. LXIV. La nature s'imite. Une graine, jetee en bonne terre, produit. Un principe, jete dans un bon esprit, produit. Les nombres imitent l'espace, qui sont de nature si diflerente. Tout est fait et conduit par un meme maitre : la racine, la branche, les fruits; les principes, les consequences. LXV. L'admiration gate tout des l'enfance. Oh ! que cela est bien ditl qu'il a bien fait! qu'il est sage! etc. Les enfants de Port-Royal, auxquels on ne donne point ",et aiguillon d'envie et de gloirc, tombent dans la nonchalance. LXVI. [/experience nous fait voir une diflfere/ice enorme entre la devotion et la bonie. CHAP1TRE XXV. 413 LXVIL Quel dereglement de jugement, par lequel il n'y a personne qui ne se mette au-dessus de toutle reste du monde, et qui n'aime mieux son propre bien, ct la duree de son bonheur et de sa vie que celle de lout le reste du monde! LXVIIL On ne s'ennuie point de manger et dormir tous les jours, car Ja faim renait, et le sommeil : sans cela on s'en ennuierait. Ainsi, sans la faim des choses spirituelles, on s'enennuie. Faim de la justice; bea- titude huitieme. LXIX. II n'y a que deux sortes d'hommes : les uns justes, qui se croient pecheurs ; les autres pecheurs, qui se croient justes, LXX. II n'est pas bon d'etre trop libre. II n'est pas bon d'avoir tout le necessaire. LXXI. L'esperance que les Chretiens ont de posseder un bien infini est melee de jouissance aussi bien que de crainte : car ce n'est pas comme ceux qui espe- reraient un royaume, dont ils n'auraient rien etant sujets; mais ils esperent la saintete, l'exemption d'injustice, et ils en ont quelque chose. LXXII. Comminutum cor. Saint Paul. Voila le caractere Chretien. « Albe vous a nomme, je ne vous connais plus. » Gorneille. Voila le caractere inhumain. Le caractere humain est le contraire. 414 PASCAL — PENSfifiS. LXXIII. Symetrie, est ce qu'on voit d une vue. Fondee sui ce qu'il n'y a pas de raison de faire autrement. Et fondee aussi sur la figure de l'homme, d'^ii il arrive qu'on ne veut la symetrie qu'en largeur, non en hauteur ni profondeur. LXXIV. Morale et Ian gage sontdes sciences particulieres, mais universelles. LXXV. ... Mais ii est impossible que Dieu soit jamais la fin, s'il n'est le principe. On-dirige sa vue en haut, mais on s'appuie sur le sable : et la terre fondra, et on tombera en regardant le ciel. LXXVI. ... L'ennui qu'on a de quitter les occupations oil Ton s'est attache. Un homme vit avec plaisir en son menage : qu'il voie une femme qui lui plaise, qu'il joue cinq ou six jours avec plaisir; le voila mise- rable s'il retourne a sa premiere occupation. Rien n'est plus ordinaire que cela. LXXVII. £'est une chose deplorable de voir tous les holmes ne deliberer que des moyens, et point de la fin. Chacun songe comment il s'acquittera de sa condi- tion ; mais pour le choix de la condition, et de la pal lie, le sort nous le donne. C'est un'" chose pi- loyable de voir tant de Turcs, d'hereltaues , »5'in- fideles, suivre le train de leurs peres, par eatte geule raison qu'ils out ete prevents chacun que c'cst le meinour. Et c'est ce qui d&erame chacun CHAPITRE XXV. 415 h chaque condition, de serrurier, soldat, etc. C'est par la que les sauvages n'ont que faire de la Pro- vence. LXXVIII. Description de l'homme. Dependance,.desir d'in- dependance, besoin. LXXIX. On n'est pas miserable sans sentiment : une mai- son ruinee ne Test pas. II n'y a que l'homme de mi- serable. Ego vir videns. LXXX. La nature de l'homme est toute nature, omne ani- mal. II n'y a rien qu'on ne rende naturel; il n'y a naturel qu'on ne fasse perdre. ^ ... La vraie nature etant perdue, tout devientsa nature; comme, le veritable bien etant perdu, tout devient son veritable bien. LXXXI. La juridiction ne se donne pas pour [le] juridi- ciant, mais pour le juridicH. II est dangereux de le dire au peuple : mais le p^uple a trop de croyance en vous ; cela ne lui nuira pas, et peut vous servir. II faut done le pnblier. Pasce oves meas, non tuas. Vous me devez pature. LXXXII. La Sagesse nous envoie a 1'enfance : nisi efficia- mini mint parvuli. LXXXIII. La vraie religion enseigne nos devoirs, nos im- puissances (orgueil et concupiscence), et les remedes (humilite, mortification). 416 PASCAL. — PENSEES. LXXXIV. L'fecriture a pourvu de passages pour consoler toutes les conditions, et pour intimider toutes Ies conditions. La nature semble avoir fait la meme chose par ses deux infmis, naturels et moraux : car nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles, de plus eleves et de plus misera- bles, pour abaisser notre orgueil, et relever notre abjection. LXXXV. L'fitre eternel est toujours, s'il est une fois. LXXXVI. La corruption de la raison parait par tant de dif- ferentes et extravagantcs mceurs. II a fallu que la verite soit venue, afin que l'homnie ne vequit plus ei; soi-meme. LXXXVII. La coutume est notre nature. Qui s'accoutume a sa foi, la croit, et ne pent plus nc pas craindre l'en- fer, et ne croit autre chose. Qui s'accoulume a croire que le roi est terrible..., etc. Qui dome done, que notre ame etant accoutumee a voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela? LXXXVIII. Faussete des autres religions. lis n'onl point de ((Miioins, ccux-ci en ont. Dieu (l( ; (ie les autres reli- gions de produire detelles marques: haie, xliii, 9; xi.iv, 8. LXXXIX. Les leux |)lns anciens livres du mondc ^ont Moise CHAPITRE XXV. 4D et Job, Tun juif, l'autre paien, qui tons deux regar- dent Jesus-Christ comme leur centre commun et leur objet : Moise, en rapportant les promesses de Dieu a Abraham, Jacob, etc., et ses propheties; et Job : Quis mihi det ut, etc. Scio enim quod redemptor mens vivit, etc. XC. Je ne serais pas Chretien sans les miracles, dit saint Augustin. f On n'aurait point peche en ne croyant pas Jesus-Christ sans les miracles : Vide an mentiar. f II n'est pas possible de croire raisonnablement contre les miracles. ^ Ubi est Deus tuus? Les miracles le montrent, et sont un eclair. XCI. Pour les religions, il faut etre sincere; vrais paiens, vrais juifs, vrais Chretiens. XCII. ... Les vrais Chretiens obeissent aux folies nean- moins, non pas qu'ils respectent les folies, mais l'ordre de Dieu, qui pour la punition des hommes, les a asservis a ces folies. Omnis creatura subjecta est vanitati. Liberabitur. Ainsi saint Thomas explique le lieu de saint Jac- ques sur la preference des riches, que, s'ils ne le font dans la vue de Dieu, ils sortent de l'ordre de la religion. XCIII. Abraham ne prit rien pour lui, mais seulement pour ses serviteurs; ainsi le juste ne prend rien 418 PASCAL. — PENSEES. pour soi du monde, ni des applaudissements du monde; mais seulement pour ses passions , des- quelJes il se sert comme maitre, en disant a Tune: Va, e: [a l'autre], Viens. Sub te erit appetUus tuus. Les passions ainsi dominees sont vertus L'avarice, la jalousie, la colere, Dieu meme [se] les attribue; et ce sont aussi bien vertus que la clemence, la pitie, la Constance, qui sont aussi des passions. II fauts'en servir comme d'esclaves, et leur laissant leur ali- ment, empecher que l'ame n'y en prenne; car quand les passions sont les mattresses, elles sont vices, et alors elles donnent a l'ame de leur aliment, et l'ame s'en nourrit et s'en empoison^e. XCIV. On ne s'eloigne [de Dieu] qu'en s'eloignant de la charite. Nos prieres et nos vertus sont abomination devant Dieu, si elles ne sont les prieres et les vertus de Jesus-Christ. Et nos peches ne seront jamais l'objet de la rnisericorde, mais de la justice de Dieu, s'ils ne sont ceux de Jesus-Christ. II a adopte nos peches, et nous a admis a son alliance; car les ver- tus lui sont propres, et les peches etrangers; etles /ertus nous sont etrangeres, et nos peches nous sont propres. Changeons la regie que nous avons prise jusqu'ici pour juger de ce qui est bon. Nous en avions pour rfcgle notre volonte, prenons maintenant la volonte dt: Dieu : tout ce qu'il veut ugus est bon et juste, tout ce qu'il ne veut pas nous est maavais. Tom ce que Dieu no veut pas est drfendu. Les peclies sont delendus par la declaration generale CHAPITRE XXV. 419 que Dieu a faite qu'il ne les voulait pas. Les autres choses qu'il a laissees sans defense generate, et qu'on appelle par cette raison permises, ne sont pas neanmoins toujours permises. Car quand Dieu en eloigne quelqu'une de nous, et que par 1'evenement, qui est une manifestation de la volonte de Dieu, il parait que Dieu ne veut pas que nous ayons une chose, cela nous estdefendu alors comme le peche, puisque la volonte deDieu est que nous n'ayons non plus Fun que l'autre. II y a cette difference seule entre ces deux choses, qu'il est sur que Dieu ne voudra jamais le peche, au lieu qu'il ne Test pas qu'il ne voudra jamais l'autre. Mais tandis que Dieu ne la veut pas, nous la devons regarder comme peche; tandis que l'absence de la volonte de Dieu, qui est seule toute la bonte et toute la justice, la rend injuste et mauvaise. XGV. « Je m'en suis reserve sept milte *. » J'aime les adorateurs inconnus au monde, et aux prophetes memes. XCVI. Les hommes n'ayant pas accoutume de former le merite, mais seulement le recompenser ou ils le trouvent forme, jugent de Dieu par eux-memes. XCVII. ... J'aurais bien pris ce discours d'ordre comme 1 « Je me suis reserve" sept mille hommes dans Israel, qui n'ont point fl6chi l( genou devant Baal. » G'estla reponse que Dieu fait aux plaintes du prophete £lie dans l'fipitre aux Romains, xi, 4. G'est la pour Pascal une figure de la petite eglise janseuiste pers6cut£e et fidele. (Havet.) 420 PASCAL. — PENSEES. celui-ci : pour montrer la vanite de toutes sortes de conditions, montrer la vanite des vies communes, et puis la vanite des vies philosophiques (pjrrho- niennes, stoi'ques ) ; mais l'ordre ne serait pas garde. Je sais un peu ce que c'est, et combien peu de gens l'entendent. Nulle science humaine ne le peut gar- der. Saint Thomas ne Ta pas garde. La mathe- matique le garde, mais elle est inutile en sa pro- fondeur. XCVIII. Mon ami, vous etes ne de ce cote de la montagne; il est done juste que votre aine ait tout. XCIX. Nous implorons la misericorde de Dieu, non afin qu'il nous laisse en paix dans nos vices, mais afin qu'il nous en delivre. C Si Dieu nous donnait des maitres de sa main, oh ! qu'il leur faudrait obeir de bon coeur I La neces- site et les evenements en sont infailliblement. CI. Eritis sicut dii , scientes bonum et malum. Tout le monde fait le dieu en jugeant. Cela est bon ou mauvais; et s'affligeant ou se rejouissant trop des evenements. Gil. Faire les petites choses comme grandes, a cause de la majeste de Jesus-Chiust qui les fait en nous, et qui vit notre vie; et les grandes comme petites et aiseier, public pa r .M. Cousiu dans la Bibliotheque de CEcole des Charles, septembre-octobre 1843. Un extrait de cette notice a aussi e"te" publie" par M. Faugere, PensCei de Pascal, t. I, p. 381 et suiv. Les lettres de Pascal a mademoiselle de Roannez sont au nombre de neuf; elles sont assez dtendues, et elles ont fourni plus d'une trentaine de pages de l'edition de Port-Royal. Elles nous peignent Pascal, non plus, comme en 1651, retenant les affections naturelles au milieu des progres d'une piete" raisonnable encore, mais Pascal, sous la discipline de l'abbe" Singlin, engage" dans les sublimes peti- tessos de Port-Royal, charme* et s'enorgueillissant presque des mi- racles de la saintc epine, s'enfoncant chaque jour davantage et pre*cij)itant les autres dans les extr&nites a'une devotion exage're'e. (Cousin.) 1 Pseudonyme80us lequel le due de Luynespublia divers ouvrages de piete, ontre autres les Sentences lirtcs de I'Ecriture sainte et des Peres. 5 11 s'agit probablement de la censure de la Sorbouue contre Aroauld, en 1056. PASCAL. — LETTRES. 423 parable, la conversion de tous ceux qui ne sont pas dans la verite; et ce sont ensuite ces personnes con- verties qui secourent la mere qui les a delivrres. Je loue de tout mon cceur le petit zele que j'ai reconnu dans votre lettre pour l'union avec le pape. Le corps n'est non plus vivant sans le chef, que le chef sans le corps. Quiconque se separe de l'un ou de l'autre n'est plus du corps et n'appartient plus a Jesus- Christ. Je ne sais s'il y a des personnes dans l'figlise plus attachees a cette unite de corps que ceux que vous appelez notres. Nous savons que toutes lee vertus, le martyre, les austerites et toutes les bonnes -.euvres sont inutiles hors de rfiglise et de la com- munion du chef de l'£glise, qui est le pape. Je ne me separerai jamais de sa communion, au iioins je prie Dieu de m'en iaire la grace; sans quoi je serais perdu pour jamais. Je vous fais une espece de profession de foi et je ne sais pourquoi ; mais je ne l'efifacerai pas ni ne recommencerai pas. M. Du Gas m'a parle ce matin de votre lettre avec autant d'etonnement et de joie qu'on en peut avoir : il ne sait ou vous avez pris ce qu'il m'a rapporte de vos paroles ; il m'en a dit des choses surprenantes et qui ne me surprennentplus tant. Je commence a m'accoutumer a vous et a la grace que Dieu vous fait, et neanmoins je vous avoue qu'elle m'est tou- jours nouvelle comme elle est toujours nouvelle en effet. Car e'est un flux continuel de graces que l'£cri ture compare a un fleuve et a ki lumiere que le so- 426 PASCAL. — LETTRES. leil envoie incessamEient hors de soi et qui est tou- jours nouvelle, en sorte que s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait recue dispa- raitrait et on resterait dans l'obscurite. II m'a dit qu'il avait commence a vous repondre et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en me'me temps il l'etendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet oil il me mande qu'ii n'a pu ni le transcrire ni l'etendre ; cela me fait croire que cela sera mal ecrit. Je suis temoin de son peu de loisir et du desir qu'il avait d'en avoir pour vous. Je prends part a la joie que vous donnera l'affaire des **S car je vois bien que vous vous interessez pour l'£glise : vous lui etes bien obligee. II y a seize cents ans qu'elle gemit pour vous. II est temps de gemir pour elle et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque Jesus-Christ n'a pris la sienne que pour la perdre pour ello et pour nous. n. Octobre 1656. II me semble que vous prenez assez de part an miracle pour vous mander en particulie'* que la ve- rification en est achevee par l'figlise, comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand vicaire *. Dans le manuscrit de TOratoire : dcs religieuacs. (Faugere.) > qui approuvait la gu<5rison miraculeuse op«5r<5e la sainte 6pine sur Marguerite Pc':rier, niece 1G5G, OB qui donnc avee certitude la PASCAL. — LETTRES. 427 II y a si peu de personnes a qui Dieu se fasse pa- raitre par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour excitei notre foi a le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude. Si Dieu se decouvrait continuellement aux hom- ines, il n'y aurait point de merite a le croire; et, s'il ne se decouvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement et se decouvre rare aient a ceux qu'il veut engager dans son service Cet etrange secret, dans lequel Dieu s'est retire im penetrable a la vue des hommes, est une grande lecon pour nous porter a la solitude loin de la vue des hommes. II est demeure cache sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques a l'lncarna- tion; et quand.il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus cache en se couvrant de l'humanite. II etaitbien plus reconnaissable quand il etait invisible que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit a ses apotres de demeurer avec les hommes jusqu'a son dernier avenement, il a choisi d'y demeurer dans le plus etrange et le plus obscur secret de tous, qui sontles especes de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Je?.n appelle dans 1'Apocalypse une manne cache'e; et je crois qu'Isaie le voyait en cet &at, lors- qu'il dit en esprit de prophetic : Veritablement tu es un Dieu cache, C'est la le dernier secret ou il peut date approximative de cettc iettre. Pascal 6tait alors au fort des Provinciates, (Faugere.) *28 PASCAL.— LETTRES. Stre. Le voile de la nature qui couvre Dieu a etc* p£- netre par plusieurs infideles qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les Chretiens heretiques l'ont connu a tra- vers son humanite et adorent Jesus-Christ Dieu et homnie. Mais de le reconnaitre sous des especes de pain, c'est le propre des seuls catholiques : il n'y a que nous que Dieu eclaire jusque-la. On peut ajouter a ces considerations le secret de l'Esprit de Dieu cache encore dans l'ficriture. Car il y a deux sens parfaits, le litteral et le mystique; etles Juifs, s'ar- retant a l'un, ne pensentpas seulement qu'ily en ait un autre et ne songent pas a le chercher, de meme que les impies, voyant les effets naturels, les attri- buent a la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur, et, comme les Juifs, voyant un homme par fait en Jesus-Christ, n'ont pas pense a y cherche. une autre nature : Nous n'avons pas pense que ce fUt \ui, dit encore Isai'e; etde meme enfin que les here- tiques, voyant les apparences parfaites du pain dans PEucharistie, ne pensent pas a y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystere ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chiY'licns doivent le reconnaitre en tout. Les afflic- tions temporelles couvrent les biens eternels oiielles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux kernels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaitre et servir en tout; et rendons-lui des graces infmies de ce que s'etant- cache en toutes choses pour les an! res, il s'est de*couvert en toutes ehoscs et en lani de mnnieres pour nous. PASCAL. — LETTRES. 429 III. Je ne sais comment vous aurez recu la perte de vos lettres. Je voudrais bien que vous l'eussiez prise comne il faut. II est temps de commencer a juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonte de Dieu, qui ne peut etre ni injuste ni aveugle, et non pas par la notre propre qui est toujours pleine de malice et d'erreur. Si vous avez eu ces sentiments, j'en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolee sur une raison plus solide que celle que j'ai a vous dire, qui est que j'espere qu'elles se retrouveront. On m'a deja apporte celle du 5; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. Du Gas Test davan- tage, neanmoins cela me fait esperer de ravoir l'autre. Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n'avais rien ecrit pour vous, je ne vous separe point vous deux, et je songe sans cesse a l'un et a l'autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celle-ci, vous regardent assez. En verite, je ne puis m'empecber de vous dire que je voudrais etre infaillible dans mes jugements, vous ne seriez pas mal si cela etait, car je suis bien content de vous ; mais mon jugement n'est rien. Je dis cela sur la ma- niere dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persecute, et de ce que faitle \ Je ne suis pas surpris de voir M. N. s'y interesser, je suis accoutume a son zele, mais le votre m'est tout a fait nouveau ; c'est ce langage nouveau que produit ordinairement ie coeur nouveau. Jesus-Christ a donne dans l'fivangile cette marque pour reconnaitre ceux qui ont la foi, qui est 430 PASCAL. — LETTRES. qu'ils parleront un langage nouveau; et en effet le renouvellement des pensees et des desirs cause celui des discours. Ce que vous dites des jours oil vous vous etes trouvee seule, et la consolation que vous donne la lecture, sont des choses que M. N. sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir, et ma soeur aussi. Ce sont assurement des choses nouvelles, mais qu'il faut sans cesse renouvsler, car cette nou- veaute, qui ne peut deplaire a Dieu comme le vieil homme ne lui peut plaire, est differente des nou- veautes de la terre, en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, vieillissent en durant; au lieu que cet esprit nouveau se renou- velle d'autant plus, qu'il dure davantage. Notre vieil homme perit, dit saint Paul, et se renouvelle dejour en jour, et ne sera parfaitement nouveau que dans Peternite, oil Ton chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parie David dans les psaumes de Lau- des 1 , c'est-a-dire ce chant qui part de l'esprit nou- veau de la charite, Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes que je vois bien que leur zele ne se refroidit pas; cela m'eionne, car il est bien plus rare de voir eontiiYuer dans la piete que d'y voir entrer. Je les ai toujours dans l'esprit et principals* mciit celle du miracle 2 , parce qu'il y a quelque chose de plus extraordinaire, quoique Pautrele soil aussi boaucoup et (juasi sans exemple. II est certain (jiic li ! que DfeU fait en cette vie sont la me- • I' ii, 3 . J Marguerite Perier, qu'on appclait alors la pev'te miraculeuse. (Faugfcre.) PASCAL. — LETTRES. 431 sure de la gloire qu'il prepare en 1'autre Amssi, quand je prevois la fin et le couronnement de son ouvrage par les commencements qui en paraissent dans les personnes de piete, j'entre en une venera- tion qui me transit de respect envers ceux qu'il semble avoir choisis pour ses elus. Je vous avoue qu'il me semble que je les vois deja dans un ae ces trones oil ceux qui auront tout quitte jugeront le monde avec Jesus-Christ, selon la promesse qu'il en a faite. Mais quand je viens a penser que ces memes personnes peuvent tomber et etre au contraire au nombre malheureux des juges, et qu'il y en aura tant qui tomberont de la gloire et qui laisseront prendre a d'autres par leur negligence la couronne que Dieu leuravait offerte, je ne puis souffrir cette pensee; et 1'effroi que j'aurais de les voir en cet etat eternel de misere, apres les avoir imaginees avec tant de raison dans 1'autre etat, me fait detourner l'esprit de cette idee et revenir a Dieu pour le prier de ne pas aban- donner les faibles creatures qu'il s'est acquises, et a lui dire pour les deux personnes que vous savez ce que l'figlise dit aujourd'hui avec saint Paul : Sei- gneur, achevez vous-meme I'ouwrage que vous-meme avez commence. Saint Paul se considerait souvent en ces deux etats, et c'est ce qui lui fait dire ailleurs : Je chdtie mon corps, de peur que moi-meme, qui con- vertis tant de peuples, je ne devienne reprouve. Je finis done par ces paroles de Job : J'ai toujours craint le Seigneur comme les flots, d'une mer furieuse et enfle'e pourm'engloutir. Et ailleurs : Bienheureux est Vhomme qui est toujours en crainte 1 432 PASCAL. — LETTRES. IV. II est bien assure qu'on ne se detache jamais sans douleur. On ne sent pas son lien quand on suit vo- lontairementcelui qui entraine, comme dit saint Au- gustin; mais quand on commence a resister et a marcher en s'eloignant, on souffre bien; le lien s'etend et endure toute la violence; et ce lien est notre propre corps qui ne se rompt qu'a la mort. Notre-Seigneur a dit que, depuis la venue de Jean- Baptiste, e'est-a-dire depuis son avenement dans chaque fidele, le royaume de Dieu souffre violence et que les violents le ravissent '. Avant que Ton soit louche, on n'a que le poids de sa concupiscence, qui porte a la terre. Quand Dieu attire en haut, ces deux efforts contraires font cette violence que Dieu seul peut faire surmonter. Mais nous pouvons tout, dit saint Leon, avec celui sans lequel nous ne pouvons rien. 11 faut done se resoudre a soulfrir cette guerre toute sa vie; car il n'y a point ici de paix. Je'sus- Chrisl est venu apporter le couteau, et non pas la paix *. Mais neanmoins il faut avouer que comme l'£crilure dit que la sagesse des hommes n'est que folie devant Dieu 3 , aussi on peut dire que cette guerre qui parait dure aux hommes est une paix devant Dieu ; car e'est cette paix que Jesus-Christ a aussi apporieo. ^lle n© aera neanmoins parfaite que quand le corps sera detruit; et e'est cc qui fait souhailer la mort, en 1 Ifaf/i., xi, 12. » / Cor. y ^ 10. PASCAL. — LETTRES. 433 souffrant neanmoins de bon cceur la vie pkur i'amour de celui qui a souffert pour nous et la vie et la mort, et qui peut nous donner plus de biens que nous ne pouvons ni demander ni imaginer, comme dit saint Paul en l'epitre de la messe d'aujourd'hui. Je ne crains plus rien pour vous, Dieu merci, et j'ai une esperance admirable. C'est une parole bien consolante que celle de Jesus-Christ : II sera donne" a ceux qui ont deja. Par cette promesse ceux qui ont beaucoup recu ont droit d'esperer davantage, et ainsi ceux qui ont recu extraordinairement doivent esperer extraordinairement. J'essaye autant queje puis de ne m'affliger de rien, et de prendre tout ce qui arrive pour le meilleur. Je crois que c'est un devoir et qu'on peche en ne le faisant pas. Car eniin la raison pour laquella les peches sont peches c'est seulement parce qu'ils sont contraires a la volonte de Dieu : et ainsi l'essence du peche consistant a avoir une volonte opposee a celle que nous connais- sons en Dieu, il est visible, ce me semble, que quand \\ nous decouvre sa volonte par les evenements, ce serait un peche de ne s'y pas accommoder. J'ai appris que tout ce qui est arrive a quelque chose d'admirable, puisque la volonte de Dieu y est mar- quee. Je le loue de tout mon cceur de la continuation faite de ses graces, car je vois bien qu'elles ne dimi- nuent point. L'affaire du * ne va guere bien : c'est une chose qui fait trembler ceux aui ont de vrais mouvements de 37 434 PASCAL —LETTRES, Dieu de voir la persecution qui se prepare non-seu- lement contre les personnes (ce serait peu), mais contre la verite . Sans mentir, Dieu est bien abandonne. II me semble que c'est un temps oil le service qu'on lui rend lui est bien agreable. II veut que nous ju- gions de la grace par la nature, et ainsi il perme*, de considerer que comme un prince chasse de son pays par ses sujets a des tendresses extremes pour ceux qui lui demeurent fideles dans la revoke publique, de merae il semble que Dieu considere avec une bonte particuliere ceux qui defendent aujourd'hui la purete de la religion et de la morale qui est si fort combattue. Mais il y a cette difference entre les rois de la terre et le Roi des rois, que les princes ne ren- dent pas leurs sujets fideles, mais qu'ils les trouvent tels : au lieu que Dieu ne trouve jamais les homines qu'infideles, et qu'il les rend fideles quand ils le sont. De sorte qu'au lieu que les rois ont une obli- gation insigne a ceux qui demeurent dans leur obeis- sance, il arrive, au contraire, que ceux qui subsis- lent dans le service de Dieu lui sont eux-memes re- devables infiniment. Continuous done a le louer de cette grace, s'il nous l'a faite, de laquelle nous le louerons dans l'eternite, et prions-le qu'il nous la fasse encore et qu'il ait pitie de nous et de l'£glise entiere, hors laquelle il n'y a que malediction. Je prends part au persecute dont vous parlez. Je vois bien que Dieu s'est reserve des serviteurs caches comme il le dita £lie. Je le prie que nous vn soyons bien el comme il faut, en esprit et en verite et sin- ceremeut. PASCAL.— LETTRES. 435 VI. Quoi qu'il puisse arriver de Faffaire de *, il y en a assez, Dieu merci, de ce qui est deja fait pour en tirer un admirable avantage contre ces maudites maximes. II faut que ceux qui ont quelque part a cela en rendent de grandes graces a Dieu, et que leurs parents et amis prient Dieu pour eux, afm qu'ils ne tombent pas d'un si grand bonheur et d'un si grand honneur que Dieu leur a fait. Tous les honneurs du monde n'en sont que l'image; celui-la seul est solide et reel, et neanmoins il est inutile sans la bonne disposition du coeur. Ce ne sont ni les austerites du corps, ni les agitations de Fesprit, mais les bons mouvements du coeur, qui meritent et qui soutiennent les peines du corps et de Fesprit. Car enfin il faut ces deux choses pour sanctifier : peines et plaisirs. Saint Paul a dit que ceux qui entreront dans la bonne vie trouveront des troubles et des inquie- tudes en grand nombre l . Cela doit consoler ceux qui en sentent, puisque, etant avertis que le chemin du ciel qu'ils cherchent en est rempli , ils doivent se rejouir de rencontrer des marques qu'ils sont dans le veritable chemin. Mais ces peines-la ne sont pas sans plaisirs, et ne sont jamais surmontees que*par le plaisir. Car de meme que ceux qui quittent Dieu pour retourner au monde, ne le font que parce qu'ils trouvent plus de douceur dans les plaisirs de la terre que dans ceux de Funion avec Dieu, et que ce « Act.) xiv, 21. 436 PASCAL. — LETTRES. charme victorieux les entraine et, les faisant re- pentir de leur premier choix, les rend des penitents du diable, selon la parole de Tertullien : de meme on ne quitterait jamais les plaisirs du monde pour embrasser lacroix de Jesus-Christ, si on ne trouvail plus de douceur dans le mepris, dans la pauvrete, dans le denument, et dans le rebut des homines, que dans les delices du peche. Et ainsi, comme dit Tertullien, il ne faut pas croire que la vie des Chre- tiens soit une vie de tristesse. On ne quitte les plaisirs que pour d'autres plus grands. Priez toujours, dit saint Paul, rendez graces toujours, rejouissez-vous toujours *. C'est la joie d'avoir trouve Dieu, qui est le principe de la tristesse de l'avoir offense et de tout le changement de vie. Celui qui a trouve le tresor dans un champ en a une telle joie, que cette joie, selon Jesus-Christ, lui fait vendre tout ce qu'il a pour l'acneter 2 . Les gens du monde n'ont point cette joie que le monde ne peut ni donner ni oter, dit Jesus-Christ meme \ Lesbienheureux ont cette joie sans aucune tristesse; les gens du monde ont leur tristesse sans cette joie, et les Chretiens ont cette joie melee de la tristesse d'avoir suivi d'autres plai- sirs, et de la crainte de la perdre par l'attrait de ces autres plaisirs qui nous lenient sans relache. Et ainsi nous devons travailler sans cesse a nous conserver cette joie qui modere notre crainte, et a conserver cette crainte qui conserve noire joie, el selon qu'ou 1 I Thrss., v, 1G, 17, 18. 2 Mall,., mii, 44. » Jean, \iv, 27, 10, 12. PASCAL. — fc.E-TTRES. 437 se sent trop emporter vers l'une se pencher vers 1'autre pour demeurer debout. Souvenez-vous des biens dans les joi(/rs d' affliction^ et souvenez-vous de V 'affliction dans les jours de rejouissance , dit l'ficri- criture *, jusqu'a ce que la promesse que Jesus- Christ nous a faite de rendre sa joie pleine en nous soit accomplie. Ne nous laissons done pas abattre a la tristesse, et ne croyons pas que la piete ne con- siste qu'en une amertume sans consolation. La ve- ritable piete, qui ne se trouve parfaite que dans le del, est si pleine de satisfactions, qu'elle en remplit et l'entree, et le progres, et le couronnement. G'est une lumiere si eclatante, qu'elle rejaillit sur tout ce qui lui appartient; ets'il y a quelque tristesse melee, et surtout a l'entree , e'est de nous qu'elle vient et non pas de la vertu ; car ce n'est pas l'effet de la piete qui commence d'etre en nous, mais de 1'im- piete quiy est encore. Otons l'impiete,et la joie sera sans melange. Ne nous en prenons done pas a la de- votion, maisa nous-memes, et n'y cherchons du son- lagement que par notre correction. VII. Je suis bien aise de 1'esperance que vous me don- nez du bon succes de 1'affaire dont vous craignez de la vanite. II y a a craindre partout, car si elle reus- sissait, j'en craindrais cette mauvaise tristesse dont saiat Paul dit qu'elle donne la mort, au lieu qu'il y en a une autre qui donne la vie. II est certain aue cette affaire-la etait epineuse, * EccL, xi, 27. 438 PASCAL. — LETTRES. et que si la personne en sort, il y a sujet d'en prendre quelque vanite, si ce n'est a cause qu'on a prie Dieu pour cela et qu'ainsi il doit croire que le bien qui en viendra sera son ouvrage. Mais si elle reussissait mal, il ne devrait pas en tomber dans l'abattement par cette meme raison qu'on a prie Dieu pour cela et qu'il y a apparence qu'il s'est ap- proprie cette affaire : aussi il le faut regarder eomme I'auteur de tons les biens et de tous les maux, ex- cepte le peche. Je lui repeterai la-dessus ce que j'ai autrefois rapporte de l'ficriture : Quand vous $tes dans les biens, souvenez-vous des maux que vous me- ritez; et quand vous etes dans les maux, souvenez-vous des biens que vous esperez. Cependant je vous dirai sur le sujet de Tautre personne que vous savez, qui mande qu'elle a bien des choses dans l'esprit qui I'embarrassent, que je suis bien fache de la voir en cet etat. J'ai bien de la douleur de ses peines et je voudrais bien Ten pouvoir soulager ; je la prie de ne point prevenir l'avenir et de se souvenir que, comme dit Notre-Seigneur, a chaquejour suffit sa malice. Le passe ne nous doit point embarrasser, puisque nous n'avons qu'a avoir regret de nos fautes; mais l'avenir nous doit encore moins toucher, puisqu'il n'est point du tout a notre egard, et que nous n'y arriverons peut-6tre jamais. Le present est le seul temps qui est veritablement a nous, el dont nous devons user selon Dieu. G'est la cu nos pensees doivent6tre principalement compters. Cependant le monde est si Inquiet, qu'on n6 pense presque jamais ^ la vie presente el a I'instant ou Ton vit, mais k PASCAL, — LETTRES. 439 celuf oil Ton vivra. De sorte qu'on est toujours en etat de vivre a 1'avenir, et jamais de vivre mainte- nant. Notre-Seigneur n'a pas voulu que notre pre- voyanc& s'etendit plus loin que le jour ou nous sommes. C'est les bornes qu'il faut garder et pour notre salut, et pour notre propre repos. Gar, en ve- rite , les preceptes Chretiens sont les plus pleins de consolations ; je dis plus que les maximes du monde. Je prevois aussi bien des peines et pour cetfe per- sonne, et pour d'autres, et pour moi. Mais je prie Dieu, lorsque je sens que je m'engage dans ces pre- voyances, de me renfermer dans mes limites; je me ramasse dans moi-meme et je trouve que je manque a faire plusieurs choses a quoi je Suis oblige pre- sentement pour me dissiper en des pensees inutiles de Tavenir, auxquelles, bien loin d'etre oblige de m'arr^ter, je suis au contraire oblige de ne m'y point arreter. Ce n'est que faute de savoir bien con- naitre et etudier le present qu'on fait 1'entendu pour etudier l'avenir. Ce que je dis la, je le dis pour moi et non pas pour cette personne qui a assurement bien plus de vertu et de meditation que moi; mais je lui represente mon defaut pour l'empecher d'y tomber : on se corrige quelquefois mieux par la vue du mal que par 1'exemple du bien ; et il est bon de s'accoutumer a profiter du mal, puisqu'il est si ordi- naire, au lieu que le bien est si rare. VIII. Je plains la personne que vous savez dans S'in* 440 PASCAL. — LETTRES. quietude oil je sais qu'clle est et oil je ne m'elonne pas de la voir. C'est un petit jour du jugement qui ne peut arriver sans une emotion universelle de la personne, comme le jugement general en causerr une generale dans le monde, excepte ceux qui se seront deja juges eux-memes, comme elle pretend faire : cette peine temporelle garantirait de Peter- nelle par les merites infinis de Jesus-Christ, qui la souffre et qui se la rend propre; c'est ce qui doit la consoler. Notre joug est aussi le sien; sans cela il serait insupportable. Portez, dh-\\,monjoug survous, Ce n'est pas notre joug, c'est le sien, et aussi il leporte. Sachez, dit-il, que man joug est doux et Uger. II n'est leger qu'a lui et a sa force divine. Je lui voudrais dire qu'elle sc souvienne que ces inquietudes ne viennent pas du bien qui commence d'etre en elle, mais du mal qui y est encore et qu'il faut diminuer continuellement; et qu'il faut qu'elle fasse comme un enfant qui est tire par des voleurs d'entre les bras de sa mere, qui ne le veut point abandonner; car il ne doit pas ac- cuser de la violence qu'il souflre la mere qui le iv- tient amoureusement, mais ses injustes ravisseurs. Tout l'oflice de l'Avent est bien propre pour donner courage aux faibles, et on y dit souvent ce mol de l'£criture : Prenez courage, laches et pusillanimrs, void voire rcdempleur qui vient; et on dit aujour- d'hui a Vepres : « Prenez de nouvelles forces et obannissez d^sormais toute crainte, voici notre » Dieu qui arrive et \'mut. pour nous secourir el o nous sauver. PASCAL. — LETTRES. 441 IX. Voire lettre m'a donne une extreme joie. Je vous avoue que je commencais a craindre, ou au moins a m'etonner. Je ne sais ce que c'est que ce commen- cement de douleur dont vous parlez; mais je sais qu'il faut qu'il en vienne. Je lisais tan tot le treizi&me chapitre de saint Marc en pensant a vous ecrire, et aussi je vous dirai ce que j'y ai trouve. Jesus-Christ y fait un grand discours a ses apotres sur son der- nier avenement; et comme tout ce qui arrive a l'figlise arrive aussi a chaque Chretien en particu- lier, il est certain que tout ce chapitre predit aussi bien l'etat de chaque personne qui en se convertis- sant detruit le vieil homme en elle, que l'etat de l'univers entier qui sera detruit pour faire place a de nouveaux cieux et a une nouvelle terre, comme dit 1'Ecriture. Et aussi je songeais que cette predic- tion de la ruine du temple reprouve, qui figure la ruine de l'homme reprouve qui est en chacun de nous, et dont il est dit qu'il ne sera laisse pierre sur pierre, marque qu'il ne doit etre laisse aucune passion du vieil homme 1 ; et ces effroyables guerres civiles et domestiques representent si bien le trouble interieur que sentent ceux qui se donnent a Dieu, qu'il n'y a rien de mieux peint. Mais cette parole est etonnante : Quand vous verrez I 1 'abomination dans le lieu ou elle ne doit pas etre, 1 Les deux mss. de la Bibliotheque imp. disent : « aucune pas- sion en nous. » (Faugere.J 442 P4SCAL. — LETTRES. alors que chacun s'enfuie sans rentrer dans sa maison pour reprendre quoi que ce soit. II me semble que cela predit parfaitement le temps oil nous sommes, in la corruption de la morale est aux maisons de saintete et dans les livres des theologiens et des re- ligieux oil elle ne devrait pas etre. II faut sortir apres un tel desordre, et malheur a celles qui sont enceintes ou nourrices en ce temps-la, c'est-a-dire a ceux qui ont des attachements au monde qui les y retiennent! La parole d'une sainte est a propos sur ce sujet : Qu'il ne faut pas examiner si on a vocation pour sortir du monde , mais seulement si on a voca- tion pour y demeurer, comme on ne consulterait point si on est appele a sortir d'une maison pestiferee ou embrasee. Ce chapitre de l'fivangile, que je voudrais lire avec jus tout entier, finit par une exhortation a veiller et a prier pour eviter tous ces malheurs, et en effet il est bien juste que la priere soit continuelle quand le peril est continuel. J'envoie a ce dessein des prieres qu'on m'a de- mandees; c'est a trois heures apres -midi. II sest fait un miracle depuis votre depart a une religieuse de Pontoise, qui, sans sortir de son couvent, a ete guerie d'un mal de tete extraordinaire par une devotion a la sainte £pine. Je vous en manderai un jour da- vantage. Mais je vous dirai sur cela un beau mot de saint Augustin, et bien consolatif pour de certaines personues, c'est qu'il dil que ceux-la voicnl vcrita- blement les miracles auxquels les miracles prolitentr tar ou qq les voil i>as si on n'cn proiite pas. PASCAL. — LETTRES. 443 Je vous ai une obligation que je ne puis assez vous dire du present que vous m'ayez fait; je ne sa- vais ce que ce pouvait etre, car je 1'ai deploye avant que de lire votre lettre, et je me suis repenti ensuite de ne lui avoir pas rendu d'abord le respect que je iui devais. C'est une verite que le Saint-Esprit re- pose invisiblement dans les reliques de ceux qui sont morts dans la grace de Dieu, jusqu'a ce qu'il y pa- raisse visiblement en la resurrection, et c'est ce qui rend les reliques des saints si dignes de venera- tion. Car Dieu n'abandonne jamais les siens, non pas meme dans le sepulcre oil leurs corps, quoique morts aux yeux des hommes, sont plus vivants de- vant Dieu, a cause que le peche n'y est plus : au lieu qu'il y reside toujours durant cette vie, au moins quanta sa racine, car les fruits du peche n'y sont pas toujours ; et cette malheureuse racine, qui en est inseparable pendant la vie, fait qu'il n'est pas permis de les honorer alors, puisqu'ils sont plutot dignes d'etre hais. C'est pour cela que la mort est neces- safre pour mortifier entierement cette malheureuse racine, et c'est ce qui la rend souhaitable. Mais il ne sert de rien * de vous dire ce que vous savez si bien ; il vaudrait mieux le dire a ces autres per- sonnes dont vous parlez, mais elles ne l'ecoute- raient pas. EXTRA IT D'UNE LETTRE A MADAME PERIER. En gros leur avis fut que vous ne pouvez en au- 1 Les mss. de la Bibliothfeque imp. disent : « Mais il n'est pas ntcessaire... » Le ms. de Troyes dit comme le notre. (Faugere.) 444 PASCAL. — LETTRES. cune maniere, sans blesser la charite et \olre con- science mortellement et vous rendre coupable d'un des plus grands crimes, engager un enfant de son age et de son innocence et meme de sa piele a la plus perilleuse et la plus basse des conditions du christianisme. Qua la verite, suivant le monde, l'af- faire n'avait nulle difficulty et qu'elle etait a conclure sans hesiter; mais que, selon Dieu, elle en avait moins de difficulte et qu'elle etait a rejeter sans he- siter, parce que la condition d'un manage avanta- geux est aussi souhaitable suivant le monde qu'elle est vile et prejudiciable selon Dieu. Que ne sachant a quoi elle devait etre appelee, ni si son tempera- ment ne sera pas si tranquillise qu'elle puisse sup- porter avec piete sa virginite, c'etait bien peu en connaitre le prix que de l'engager a perdre ce bien si souhaitable pour chaque personne a soi-meme et si souhaitable aux peres et aux meres pour leurs enfants, parce qu'ils ne le peuvent plus desirer pour eux , que c est en eux qu'ils doivent essayer de rendre a Dieu ce qu'ils ont perdu d'ordinaire pour d'autres causes que pour Dieu. De plus, que lcs maris, quoique riches et sages suivant le monde, sont en verite de francs pai'ens devant Dieu ; de sorte que les dernieres paroles de ees messieurs sont que d'engager un enfant a un homme du commun e'est une espece d'homicide ei com me un dcicidc en leurs personnes ! . 1 Sur qroi roulo toute la vie humaine? Burle mariage et la so- Or, Pascal declare le mariage un homicide el prenque uu dOicidc, et I'absolue soliiudu lui est la condition impdrieuse «Ju su- PASCAL --LUTTRES. 445 LETTRE & MADAMK TKHIER ET A SON MARI 5 . [SUR LA MORT DE M. PASCAL PERE.] 17 octobre 16„. Puisque vous etes maintenant informes 1'un et ('autre de notre malheur commun, et que la lettre que nous avions commencee vous a donne quelque consolation, par le recit des circonstances heureuses qui ont aecompagne le sujet de notre affliction, je hit..... Folie sublime, mais folie manifesto! Platon y incline par quelques endroits, mais Socrate et les Graces le retiennent, tandis que Pascal s'y pr^cipite tout entier avec l'imp^tuosite* de la logique et de la passion. (Cousin.) 1 Dcs fragments de cette lettre ont figure* dans un grand nombre d'^ditions de Pascal, sous le titre de : Pense'es sur la mort, qui ont itt extrailes d'une lettre ecrite par M. Pascal, sur le sujet de la mort de M. son pere. M. Cousin, sur cette indication, a recherche* et trouve* la lettre telle que nous la publions ici *. « Compared avec les pens^es imprimees sur la mort, dit M. Cousin, cette lettre four- nit des passages entierement nouveaux, et des variantes qui mar- quent de la maniere la plus vive combien le style d'un homme mediocre, tel que le due de Roannez, ou meme le style d'un £crivain estimable, tel qu'Arnauld, differe de celui d'un e^crivain de g6nie tel que Pascal... On voit qu'au moment ou Pascal ecrivait cette lettre, k la fin de 1651, il n'&ait point encore arrive* a cet absolu retran- chement des affections naturelles les plus legitimes qu'il s'est im- pose* dans les dernieres anndes de sa vie, par un exces contraire a 16 sagesse humaine, et meme a la sagesse divine, qui a aime* aussi pendant son passage sur la terre. Ici Pascal est encore un homme, un fils, un frere. Cette lettre, qui peint son ame a cette e*poque de sa vie, doit 6tre inte*gralement restitute. » Le pere de Pascal e*tait mort le 24 septembre ; la lettre est du 17 octobre. * Voir Des Pense'es de Pascal. 1843 >n-8<\ p. 49 ct suiv., et 308 et guiv t 38 **6 PASCAL. -LETTUES. ne puis vous refuser celles qui me restent dans l'esprit, et que je prie Dieu de me donner, et de me renouveler de plusieurs que nous avons autrefois recues de sa grace, et qui nous ont ete nouvelle- ment donnees de nos amis en cette occasion. Je ne sais plus par ou finissait la premiere lettre. Ma soeur l'a envoyee sans prendre garde qu'elle n'etait pas finie. II me semble seulement qu'elle contenait en substance quelques particularites de la conduite de Dieu sur la vie et sur la maladie, que je voudrais vous repeter ;ci, tant je les ai gravees dans le coeur, et tant elles portent de consolation solide, si vous ne les pouviez voir vous-memes dans la precedente lettre, et si ma soeur ne devait pas vous en faire un recit plus exact a sa premiere com- modity. Je ne vous parlerai done ici que de la con- sequence que j'en tire, qui est, qu'otes ceux qui sont interesses par les sentiments de la nature, il n'y a point de Chretien qui ne s'en doive rejouir. Sur ce grand fondement, je vous commencerai c que j'ai a dire par un discours bien consolatif a ceux qui ont assez de liberie d'esprit pour le concevoir au fort de la douleur. C'est que nous devons cher- cher la consolation a nos maux, non pas dans nous- memes, non pas dans les homines, non pas dans tout ce qui est cree ; mais dans Dieu. Et la raison en est que toutes les creatures ne sont pas la pre- miere cause des accidents que nous appelons maux; mais que la providence de Dieu en etant ('unique el veritable cause, l'arbitre et la souveraine, il est in- dubitable qu'il Caut recourir directement a la source PASCAL. — LETTRES. 447 et remonter jusqu'a 1'origine, pour trouver un so- lide allegement. Que si nous suivons ce precepte, et que nous envisagions cetevenement, non pas comme un effet du hasard, non pas comme une necessite fatale de la nature, non pas comme le jouet des ele- ments et des parties qui composent l'homme (car Dieu n'a pas abandonne ses elus au caprice et au hasard), mais comme une suite indispensable, ine- vitable, juste, sainte, utile au bien de l'%lise et a l'exaltation du nom et de la grandeur de Dieu, d'un arret de sa providence concu de toute eternite pour etre execute dans la plenitude de son temps, en telle annee, en tel jour, en telle heure, en tel lieu, en telle maniere; et enfm que tout ce qui est arrive a ete de tout temps presu et preordonne en Dieu; si, dis-je, par un transport de grace, nous conside- rons cet accident, non pas dans lui-meme et hors de Dieu, mais hors de lui-meme et dans l'intime de la volonte de Dieu, dans la justice de son arret, dans l'ordre de sa providence, qui en est la veritable cause, sans qui il ne fut pas arrive, par qui seul il est arrive, et de la maniere dont il est arrive ; nous adorerons dans un humble silence la hauteur impe- netrable de ses secrets, nous venererons la saintete de ses arrets, nous benirons la conduite de sa pro- vidence; et unissant notre volont(' ; a celle de Dieu menre, nous voudrons avec lui, en lui, et pour lui, la chose qu'il a voulue en nous et pour nous de toute eternite. Gonsiderons-la done de la sorte, et pratiquons cet enseignement que j'ai appris d'un grand homme 448 PASCAL. — LET f RES. dans le temps de notre plus grande affliction, qu'il n'y a de consolation qu'en la verite seulement. II est sans doute que Socrate et Seneque n'ont rien de persuasif en cette occasion. lis ont ete sous l'erreur qui a aveugle tous les hommes dans le premier: lis ont tous pris la mort comme naturelle a l'homme ; et tous les discours qu'ils ont fondes sur ce faux prin- cipe sont si futiles , qu'ils ne servent qu'a montrer par leur inutilite combien l'homme en general est faible, puisque les plus hautes productions des plus grandsd'entreleshommessontsibassesetsipueriles. II n'en est pas de meme de Jesus-Christ, il n'en est pas ainsi des livres canoniques : la verite y est de- couverte, et la consolation y est jointe aussi in- failliblement qu'elle est infailliblement separee de l'erreur. Considerons done la mort dans la verite que le Sarint-Esprit nous a apprise. Nous avons cet admi- rable avantage de connaitre que veritablement et effectivement la mort est une peine du peche im~ posee a l'homme pour expier son crime, necessaire a l'homme pour le purger du peche; que e'est la seule qui peut delivrer l'ame de la concupiscence des membres, sans laquelle les saints ne viennenl point dans ce monde. Nous savons que la vie, et la vie des Chretiens, est un sacrifice continuel qui ne peut (Hie acheve que par la mort : nous savons que comme Jesus-Christ, etant au monde, s'est consi- ders et s'est ofl'erl a I)i(;ii comme un holocauste et une, veritable victime; que sa naissance, sa vie, sa mort, sa resurrection, son ascension, et sa presence PASCAL.— LETTRES. 449 dans l'Eucharistie, et sa seance eternelle a la droite, ne sont qu'un seul et unique sacrifice; nous savons que ce qui est arrive en Jesus-Christ, doit arriver en tous ses membres. Considerons done la vie comme un sacrifice ; el que les accidents de la vie ne fassent d'impression dans l'esprit des Chretiens qu'a proportion qu'ils interrompent ou qu'ils accomplissent ce sacrifice. N'appelons mal que ce qui rend la victime de Dieu victime du diable, mais appelons bien ce qui rend la victime du diable en Adam victime de Dieu ; et sur cette regie examinons la nature de la mort. Pour cette consideration, il faut recourir a la per- sonne de Jesus-Christ; car tout ce qui est dans les hommes est abominable, et comme Dieu ne consi- dere les hommes que par le mediateur Jesus-Christ, les hommes aussi ne devraient regarder ni les autres ni eux-memes que mediatement par Jesus-Christ. Car si nous ne passons par le milieu, nous ne trou- verons en nous que de veritables malheurs ou des plaisirs abominables; mais si nous considerons toutes choses en Jesus -Christ, nous trouverons toute consolation, toute satisfaction, toute edifi- cation. Considerons done la mort en Jesus-Christ, etnou pas sans Jesus-Christ. Sans Jesus-Christ elle est horrible, elle est detestable, et l'horreur de la na- ture. En Jesus-Christ elle est tout autre; elle est aimable, sainte, et la joie du fidele. Tout est doux en Jesus-Christ, jusqu'a la mort : et e'est pourquoi il a souffert et est mort pour sanclifier la mort et les *50 PASCAL.— LETTRES. souffrances; et que, comme Dieu et comme homme, il a ete tout ce qu'il y a de grand et tout ce qu'il y a d'abject, aiin de sanctifier en soi toutes choses, ex- cepte le peche, et pour etre modele de toutes les conditions. Pour eonsiderer ce que c'est que la mort, et la mort en Jesus-Christ, il faut voir quel rang elle tient dans son sacrifice continuel et sans interrup- tion, et pour cela remarquer que dans les sacrifices la principale partie est la mort de l'hostie. L'oblation et la sanctification qui precedent sont des disposi- tions ; mais l'accomplissement est la mort, dans la- quelle, par l'aneamissement de la vie, la creature rend a Dieu tout l'hommage dont elle est capable, en s'aneantissant devant les yeux de sa majeste, et en adorant sa souveraine existence, qui seule existe reellement. II est vrai qu'il y a une autre partie, apres la mort de l'hostie, sans laquelle sa mort esi inutile; c'est l'acceptation que Dieu fait du sacrifice. C'est ce qui est dit dans l'ficriturc : Et odoratus est Dominus suavitatem * : « Et Dieu a odore et recu » l'odeur du sacrifice. » C'est vcritablement celle-la qui couronne 1 oblation; mais elle est plutot une action de Dieu vers la creature, que de la creature envers Dieu, et n'empeclie pas que la derniere action de la creature ne soit la mort. Toutes ces choses out etc accomplies en Jksus- Christ. En (intrant au monde, il s'est offert : Obtulit temetipswm per Splritum sanctum '. Ingrediens mun- • Gen.y viit, 21, » Uebr., ix, 14. PASCAL. — LETTRES, 451 dum \ dixit : Hostiam noluisti... Tunc dixi : Ecce venio. In capite, etc. « II s'est offert par le Saint- » Esprit. En entrant au monde, Jesus-Christ a dit : » Seigneur, les sacrifices ne te sont point agreables; » mais tu m'as donne un corps. Lors j'ai dit : Voici » que je viens pour faire, 6 Dieu, ta volonte, et ta loi » est dans le milieu de mon coeur. » Voila son obla- tion. Sa sanctification a ete immediate de son obla- tion. Ge sacrifice a dure toute sa vie, et a ete accom- pli par sa mort. « II a fallu qu'il ait passe par les » souffrances, pour entrer en sa gloire. Et, quoiqu'il » fut fils de Dieu, il a fallu qu'il ait appris l'obeis- » sance. Mais au jour de sa chair, ayant crie avec » grands cris a celui qui le pouvait sauver de mort, » il a ete exauce pour sa reverence : » Et Dieu l'a ressuscite, et envoye sa gloire, figuree autrefois par le feu du ciel qui tombait sur les victimes, pour bruler et consumer son corps, et le faire vivre spi- rituel de la vie de la gloire. G'est ce que Jesus- Christ a obtenu, et qui a ete accompli par sa resur- rection. Ainsi ce sacrifice etant parfait par la mort de Jesus-Christ, et consomme meme en son corps par sa resurrection, oil 1'image de la chair du peche a ete absorbee par la gloire, Jesus-Christ avait tout acheve de sa part; il ne restait que le sacrifice fut accepte de Dieu, que, comme la fumee s'elevait et portait l'odeur au trone de Dieu, aussi Jesus-Christ fut, en cet etat d' immolation parfaite, offert, porte • Uebr., x, ft. 452 PASCAL. — LETTRES. et recu au trone de Dieu meme : et c'est ce qui a eti accompli en 1'ascension, en laquelle il est monte, et par sa propre force, et, par la force de son Saint- Esprit qui l'environnait de toutes parts, il a ete en- leve ; comme la fumee des viciimes, figures de Jesus- Christ, etait portee en haut par l'air qui la soutenait, figure du Saint-Esprit : et les Actes des apotres nous marquent expressement qu'il fut recu au ciel, pour nous assurer quece saint sacrifice accompli en terre a ete rec,u et acceptable a Dieu, regu dans le sein de Dieu, ou il brule de la gloire dans les siecles des siecles. Voila l'etat des choses en notre souverain Sei- gneur. Considerons-les en nous maintenant. Des le moment que nous entrons dans l'Eglise, qui est le monde des Fideles et particulierement des elus, oil Jesus-Christ entra des le moment de son incarna- tion par un privilege particulier au Fils unique de Dieu, nous sommes oflcrls et sanctifies. Ce sacrifice se continue par la vie, ct s'accomplita la mort, dans laquelle Tame quittant veritablement tous les vices, et l'amour de la terre, dont la contagion l'infecte toujours durant cetie vie, clle acheve son immola- tion, et est recue dans le sein de Dieu. Ne nous affligeons done pas comme les pai'ens qui n'ont point d'esperance. Nous n'avons pas perdu mon perc au moment de sa mort : nous l'avons perdu, pour aiusi dire, des qu'il entra dansJ'Eglise par le bapt6me. Des lors il 6tait a Dieu ; sa vie etait - Dieuj ses actions ne regardalent le monde aue pour Dieu. Dans sa mort il s'est Lolalemeiil de- PASCAL. — LETTRES, 453 tache des peches; et c'est en ce moment qu'il a ete regu de Dieu, et que son sacrifice a recu son accom* plissemeiU et son couronnement. II a done fait ce qu'il avait voue : il a acheve l'oeuvre que Dieu lui avait donne a faire; il a accompli ia seulc chose pour laquelle il etait cree. La volonte de Dieu est accomplie en lui, et sa volonte est absorbee en Dieu. Que notre volonte ne separe done pas ce que Dieu a uni; et etouffons ou moderons, par l'intelligence de la verite, les sentiments de la nature corrompue et decue qui n'a que les fausses images, et qui trouble par ses illusions la saintete des sentiments que la verite et l'fivangile nous doit donner. Ne considerons done plus la mort comme des paiens, mais comme les Chretiens, c'est- a-dire avec l'esperance, comme saint Paul l'ordonne, puisque c'est le privilege special des Chretiens. Ne conside- rons plus un corps comme une charogne infecte, car la nature trompeuse se le figure de la sorte; mais comme le temple inviolable et eternel du Saint- Esprit, comme la foi l'apprend. Gar nous savons que les corps saints sont habites par le Saint-Esprit jusqu'a la resurrection, qui se fera par la vertu de cet Esprit qui reside en eux pour cet effet. C'est pour cette raison que nous honorons les reliques des morts, et c'est sur ce vrai principe que Ton donnait autrefois l'Eucharistie dans la bouche des morts, parce que, comme on savait qu'ils etaient le temple idu Saint-Es>prit, on croyait qu'ils meritaient d'etre aussi unis a ce saint sacrement. Mais l'£glise a change cette coulume, non pas pour ce que ces corps ne *34 PASCAL. — LETTRES. soient pas saints, mais par cette raison que l'Eucha- ristie etant le pain de vie etdes vivants, il ne doit pas etre donne aux morts. Ne considerons plus un homme comme ayant cesse de vivre, quoi que la nature suggere; mais comme commengant a vivre, comme la verite l'assure. Ne considerons plus sou ame comme perie et reduite au neant, mais comme vivifiee et unie au souverain vivant : et corrigeons ainsi, par l'attention a ces ve rites, les sentiments d'erreur qui sont si empreints en nous-memes, et ces mouvements d'horreur qui sont si naturels a 1'homme. Pour dompter plus fortement cette horreur, il faut en bien comprendre l'origine; et pour vous le tou- cher en peu de mots, je suis oblige de vous dire en general quelle est la source de tous les vices et de tous les peches. G'estce quej'ai appris de deuxtres- grands et tres-saints personnages. La verite que couvre ce mystere est que Dieu a cree 1'homme avec deux amours, l'un pour Dieu, l'autre pour soi-mt'ine; mais avec cette loi, que l'amour pour Dieu serait in- fini , e'est-a-dire sai*; aucune autre fin que Dieu meme; et que l'amour pour soi-meme serait fini et rapportant a Dion. L'homme en cot ctat non-seulement s'aimait sans ])('•( lie, mais no pouvait pas ne point s'aimer sans J)( ; cll('. Dcpuis, le jxchc ctaut arrive, L'homme a perdu le premier do ces amours; et l'amour pour soi-im-me Him ni dans cette grande ame capable d'un amour infiui, eel amour-propre s'est etendu et de- PASCAL. — LETTRES. 45S horde dans le vide que Tumour de Dieu a quitte ; et ainsi il s'est aime seul, et toutes choses pour soi, c'est-a-dire infmiment. Voila 1'origine de l'amour- proore. II etait naturel a Adam, et juste en son inno- cence ; mais il est devenu et criminel et immodere, ensuite de son peche. Voila la source de cet amour, et la cause de sa de- fectuosite et de son exces. II en est de meme du desir de dominer, de la paresse, et des autres. L'ap- plication en est aisee. Venons a notre seul sujet. L'horreur de la niort etait naturelle a Adam inno- cent, parce que sa vie etant tres-agreable a Bieu, elle devait etre agreable a 1'homme : et la mort etait horrible lorsqu'elle fmissait une vie contorme a la volonte de Dieu. Depuis, 1'homme ayant peche, sa vie est devenue corrompue, son corps et son ame ennemis Tun de 1'autre, et tous deux de Dieu. Get horrible changement ayant infecte une si sainte vie, l'amour de la vie est neanmoins demeure ; et l'hor- reur de la mort etant restee pareille, ce qui etait juste en Adam est injuste et criminel en nous. Voila 1'origine de l'horreur de la mort, et la cause de sa defectuosite. £clairons done l'erreur de la na- ture par la lumiere de la foi. L'horreur de la mort est naturelle, mais e'est en l'etat d'innocence; la mort a la verite est horrible, mais e'est quand elle finit une vie foute pure. II etait juste de la hair, quand elle separait une ame sainte d'un corps saint: mais il est juste de l'aimer, quand elle separe une ame sainte d'un corps impur. II etait juste de la fuir, quand elle rompait la paix entre l'ame et le corps; 456 PASCAL. — LETTRES. mais non pas quand elleen calmela dissension irre- concilable. Enfm quand eHe affligeait un corps in- nocent, quand elle otait au corps la liberte d'ho- aorer Dieu, quand clle separait de Tame un corps soumis et cooperateur a ses volontes, quand elle finissait tous les biens dont l'homme est capable, il etait juste de l'abhoner : mais quand elle finit une vie impure, quand elle ote au corps la liberte de pe- cher, quand elle delivre Fame d'un rebelle tres-puis- sant et contredisant tous les motifs de son salut, il est tres-injuste d'en conserver les memes sentiments. Ne quittons done pas cet amour que la nature nous a donne pour la vie, puisque nous l'avons recu de Dieu; mais que ce soit pour la meme vie pour la- quelle Dieu nous l'a donne, et non pas pour un objet contraire. En consentant a l'amour qu'Adam avait pour sa vie innocente, et que Jesus-Christ meme a eu pour la sienne, portons-nous a hair une vie con- traire t celle que Jesus-Christ a aimee, et a n'ap- prehender que la mort que Jesus-Christ a appre- hendee, qui arrive a un corps agrcable a Dieu ; mais non pas a ciaindre une mort qui, punissant un corps coupable, et purgeant un corps vicieux, doit nous donner des sentiments tout contraires, si nous avons un peu de foi, (lesi)eiance et de charite. C'est un des grands principes du christianisme, que lout ce qui est arrive a Jesus -Christ doit se passer dans 1'ainc el dans le corps de chaque chre- lien : que commc Jesus-Christ a souffert durant sa vie mortelle, est mort a cettc vie mo r telle, est res- sust i tc d une nouvelle vie. est monte au ciel, et sied PASCAL. — LETTRES. 457 a la droite du Pere ; ainsi le corps et l'ame doivent souffnr, mourir, ressusciter, monter au del, et seoir a la dextre. Toutes ces choses s'accomplissent en l'ame durant cette vir,, mais non pas dans le corps. L'ame souffre et meurt au peche dans la penitence et dans le bapteme ; l'ame ressuscite a une nouvelle vie dans le meme bapteme; l'ame quitte la terre et monte au del a l'heure de la mort, et sied a la droite au temps ou Dieu l'ordonne. Aucune de ces choses n'arrive dans le corps durant cette vie; mais les memes choses s'y passent ensuite. Car, a la mort, le corps meurt a sa vie mortelle; au jugement, il res- suscitera a une nouvelle vie; apres le jugement, il montera au ciel, et seoira a la droite. Ainsi les memes choses arrivent au corps et a l'ame, mais en differents temps; et les changements du corps n'arrivent que quand ceux de l'ame sont accom- plis, c'est-a-dire a l'heure de la mort : de sorte que la mort est le couronnement de la beatitude de l'ame, et le commencement de la beatitude du corps, Voila les admirables conduites de la sagesse de Dieu sur le salut des saints; et saint Augustin nous apprend sur ce sujet que Dieu en a dispose de la sorte, de peur que si le corps de 1'homme fut mort et ressuscite pour jamais dans Se bapteme, on ne fut entre dans l'obeissance de l'£vangile que par l'amour le la vie; au lieu que la grandeur de la foi eclate )ien davantage lorsque 1'on' tend a l'immortalite par <*s ombres de la mort. I Voila certainement quelle est notre creance, et la 39 438 PASCAL. — LETTRES. toi que nous professons; et je crois qu'en voila plus qu'il n'en faut pour aider vos consolations par mes petits efforts. Je n'entreprendrais pas de vous porter ce secours de mon propre; mais comme ce ne sont que des repetitions de ce que j'ai appris, je le fais avec assurance en priant Dieu de benir ces semences, et de leur donner de 1'accroissement, car sans lui nous ne pouvons rien faire, et ses plus saintes pa- roles ne prennent point en nous, comme il l'a dit lui-meme. Ce n'est pas que je souhaite que vous soyez sans ressentiment : le coup est trop sensible; il serait meme insupportable sans un secours surnaturel. II n'est done pas juste que nous soyons sans douleur, comme des anges qui n'ont aucun sentiment de la nature ; mais il n'est pas juste aussi que nous soyons sans consolation, comme des paiens qui n'ont aucun sentiment de la grace : mais il est juste que nous soyons affliges et consoles comme Chretiens, et que la consolation de la grace l'emporte par-dessus les sentiments de la nature; que nous disions comme les apotres : « Nous sommes persecutes et nous be- » nissons, » afin que la grace soit non-seulement en nous, mais victorieuse en nous; qu'ainsi, en sancti- fiam le noin de notre Pere, sa volonte soit faite la notre; que sa grace regne et domine sur la nature, el que nos afflictions soient comme la maliere dun sacrifice que sa grace consomme et aneantisse pour la gloire de Dieu; et que ces sacrifices particuliers bonorent et pr^viennent le sacrifice universel ou la nature entiere doitetre consommee par la puissance PASCAL. — LETTRES. 459 de Jesus-Christ. Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu'elles serviront de ma- tiere a cet holocauste : car c'est le but des vrais Chre- tiens de profiler de leurs propres imperfections, parce que « tout coopere en bien pour les elus. » Et si nous y prenons garde de pres, nous trou- verons de grands avantages pour notre edification, en considerant la chose dans la verite comme nous avons dit tantot. Car, puisqu'il est veritable que la mort du corps n'est que l'image de celle de 1'ame, et que nous batissons sur ce principe, qu'en cette rencontre nous avons tous les sujets possibles de bien esperer de son salut, il est certain que si nous ne pouvons arreter le cours du depJaisir, nous en devons tirer ce profit que, puisque la mort du corps est si terrible qu'elle nous cause de tels mouvements, celle de 1'ame nous en devrait bien causer de plus inconsolables. Dieu nous a envoye la premiere; Dieu a detourne la seconde. Considerons done la gran- deur de nos biens dans la grandeur de nos maux, et que 1'exces de notre douleur soil la mesure de celle de notre joie. II n'ya rien qui la puisse moderer, sinon la crainte qu'il ne languisse pour quelque temps dans les peines qui sont destinees a purger le reste des pe- ches de cette vie; et c'est pour flechir la colere de Dieu sur lui que nous devons soigneusement nous employer. La priere et les sacrifices sont un souve- rain remedea ses peines. Mais j'ai appris d'un saint homme dans notre affliction qu'une des plus solides et plus utiles charites envers les morts est de faire 460 PASCAL. — LETTRES. les choses qu'ils nous ordonneraient s'ils etaien encore au monde, et de pratiquer les saints avis qu'ils nous ont donnes, et de nous mettre pojr eux en l'etat auquel ils nous souhaitent a present. Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous en quelque sorte, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous; et comme les heresiarques sont punis en l'autre \ie des peches auxquels ils ont engage leurs sectateurs, dans les- quels leur venin vit encore, ainsi les morts sont re- compenses, outre leur propre merite, pour ceux auxquels ils ont donne suite par leurs conseils et par leur exemple. Faisons-le done revivre crevant Dieu en nous de tout notre pouvoir; et consolons-nous en l'union de nos cceurs, dans laquelle il me semble qu'il vit encore, et que notre reunion nous rend en quelque sorte sa presence, comme Jesus-Christ se rend pre- sent en l'assemblee de ses fideles. Je prie Dieu de former et maintenir en nous ces sentiments, et de continuer ceux qu'il me semble qu'il me donne, d'avoir pour vous et pour ma sceur plus de tendresse que jamais; cat* il me semble que 1'amour que nous avions pour mon pere ne doit pas etre perdu, et que nous en devons faire une refusion sur nous-memes, et que nous devons principalemenl hciijer de I'affcction qu'il nous poriait, pour nous aimer encore plus cordialement s'il est possible. le prie Dieu de nous fortifier dans ces resolutions, et sur cette esperance je vous conjure d'agreer que je vous donne un avis que vous pfendriez bieu sanS PASCAL. — LETTRES. 461 moi ; mais je ne laisserai pas de Je faire. G'est qu'apres avoir trouve des sujets de consolation pour sa per- sonne, nous n'en venions point a manquer pour la notre, parlesprevoyances des besoins etdes utilites que nous aurions de sa presence. G'est moi qui y Suis le plus interesse. Si je 1'eussC perdu il y a six ans, je me serais perdu, et quoique je croie en avoir a present une necessite moins ab- solue, je sais qu'il m'aurait ete encore necessaire dix ans, et utile toute Dia vie. Mais nous devons esperer que Dieu l'ayant ordonne en tel temps, en tel lieu, en telle maniere, sans doute c'est le plus expedient pour sa gloire et pour notre salut. Quelque etrange que cela paraisse, je crois qu'on en doit, estimer de la sorte en tons les evenements, et que, quelque sinistres qu'ils nous paraissent, nous devons esperer que Dieu en tirera la source de notre joie si nous lui en remettons la conduite. Nous con- naissons des personnes de condition qui ont appre- hende des morts domestiques que Dieu a peut-etre detournees a leur priere, qui ont ete cause ou occa- sion de tant de miseres, qu'il serait a souhaiter qu'ils n'eussent pas ete exauces. L'homme est assurement irop inilrme pour pou- voir juger sainement de la suite des choses futures. Esperons done en Dieu, et ne nous 1'atiguons pas par des p* evoyances indiscretes et temeraires. Re- mettons-nous a Dieu pour la conduite de nos vies, et que le deplaisir ne soit pas dominant en nous. Saint Augustin nous apprend qu'il y a dans chaque homme un serpent,, une £ve et un Adam. Le serpent 462 PASCAL. — OPUSCULES, sont les sens et notre nature, 1'iSve est l'appetit eon- cupiscible, et l'Adam est la raison. J.a nature nous tente continuellement, l'appetit concupiscible desire souvent; mais le pechen'estpas acheve, si la raison ne consent. Laissons done agir ce serpent et cette £ve, si nous ne pouvons l'empecher; mais prions Dieu que sa grace fortune tellement notre Adam qu'il demeure victorieux; et que Jesus-Christ en soitvainqueur, et qu'il regne eternellementen nous. Amen. tiPITAPHE DE M. PASCAL LE P&RE. Ici git, etc. Illustre par son grand savoir, qui a ete reconnu des savants de toute l'Europe; plus illustre encore par la grande probite qu'il a exercee dans les charges el les emplois dont il a ete honore; mais beaucoup plus illustre par sa piete exemplaire. II a goute de la bonne et de la mauvaise fortune, afin qu'il fut re connu en tout pour ce qu'il etait. On l'a vu modere dans la prosperite et patient dans l'adversite. II a eu recours a Dieu dans le malheur, et lui a rendu grace dans le bonheur. Son couir a ete tout entier a son Dieu, a son roi, a sa famille, a ses amis. II a eu du respect pour les grands et de l'amour pour les petits; et il a plu a Dieu dc couronner toutes les graces de la nature qu'il lui avait deparlies d'une grace divine qui a fait que son grand amour pour Dieu a ete Je fon dement, le soutien et le comble de to u les ses autres vertus, PRIERE POUR LES MALADIES. 463 Toi, qui vois dans cet abrege la seule chose qui nous reste d'une si belle vie, admire la fragilite de toutes les choses presentes, pleure la perte que >ious avons faite; rends gloire a Dieu d'avoir laisse quelque temps a la terre la jouissance de ce tresor ; et prie sa bonte de combler de sa gloire eternelle celui qu'il avait comble ici-bas de plus de graces et de vertus que l'etendue d'une epitaphe ne permet d'en ecrire. Les enfants accables de douleur ont fait poser cette epitaphe en ce lieu, qu'ils ont compose'e de 1'abondancedu coeur pour rendre hommage a la ve= rite et ne paraitre pas ingrats envers Dieu. Mss. de la Bibliotheque Imp. Oratoire, n° 160. — Faugere, Lettres, etc., Appendice, n° 5. PRIERE POUR DEMAKDER A DIEU LE BON USAGE DES MALADIES. I. Seigneur, dont l'esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui etes tellement misericordieux que non-seulement les prosperites, mais les dis- graces memes qui arrivent a vos elus sont des effets de voire misericorde, faites-moi la grace de n'agir pas en paien dans l'etat oil votre justice m'a reduit: que comme un vrai Chretien je vous reconnaisse pour mon pere et pour mon Dieu, en quelque etat que je me trouve, puisque le changement de ma condition n'en apporte pas a la votre; que vous etes toujours le meme, quoique je sois sujet au change- 464 PASCAL. —OPUSCULES, merit, et que vous n'etes pas moiris Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que quand vous consolez etque veus usez d'indulgence. II. Vous m'aviez donne la sante pour vous servir, et j'en ai fait un usage tout profane. Vous m'envoyez maintenant la maladie pour me corriger; ne per- mettez pas que j'en use pour vous irriler par mon impatience. J'ai mal use de ma sante, et vous m'en avez justement puni. Ne souffrez pas que j'use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est telle qu'elle me rend vos faveurs perni- cieuses, faites, 6 mon Dieu! que votre grace toute- puissante me rende vos chatiments salutaires. Si j'ai eu le cceur plein de l'affection du monde pen- dant qu'il a eu quelque vigueur, aneantissez cette vigueur pour mon salut; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par faiblesse de corps, soit pai zele de charite, pour ne jofiir que de vous seul. III. O Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions a la fin de ma vie et a la fin du monde! Dieu, qui ne laissez subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exer- cer vos elus, ou pour punir les pecheurs ! Dieu, qui laissez les pecheurs endurcis dans l'usage deJi- cieux et criminel du monde 1 Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui a l'heure de la mort deta- chez uotre ame de tout ce qu'elle aimait au monde! O Dieu, <|ni m'arracherez, a ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attache, et oil j'ai mis mon cieur! Dim, qui devez consumer au dernier jour le ciel et la lerre ct toutes PRIERE POUK LES MALADIES. 465 les creatures qu'ils contiennent, pour monlrer a tous les hommes que rien ne subsiste que vous, et qu'aiusi rien n'est digne d'amour que vous, puisque rien n'est durable que vous! Dieu, qui devez detruire toutes ces vain.es idoies et tous ces funestes objets de nos passions! Je vous loue, mon Dieu,et je vous benirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu prevenir en ma faveur co jour epouvantable, en detruisant a mon egard toutes choses, dans l'affai- blissement oil vous m'avez reduit. Je vous loue, mon Dieu, et je vous benirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu me reduire dans l'incapacite de jouir des douceurs de la sante et des plaisirs du monde, et de ce que vous avez aneanti en quel- que sorte, pour mon avantage, les idoies trompeuses que vous aneantirez effectivement, pour la confusion des mediants, au jour de votre colere. Faites, Sei- gneur, que je me juge moi-meme, ensuite de cette destruction que vous avez faite a mon egard> afin que vous ne me jugiez pas vous-meme, ensuite de l'entiere destruction que vous ferez de ma vie et du monde. Car, Seigneur, comme a l'instant de ma mort je me trouverai separe du monde, denue de toutes choses, seul en votre presence, pour rc- pondre a votre justice de tous les mouvements de mon cceur, faites que je me considere en cette mala- die comme en une espece de mort, separe du monde, denue de tous les objets de mes attacheoents, seul en votre presence, pour implorer de votre miseri- corde la conversion de mon cceur; et qu'ainsi j'aie une extreme consolation de ce que vous m'envoycz 466 PASCAL. —OPUSCULES, maintenant une espece de mort pour exercer votre misericorde, avant que vous m'envoyiez effective- ment la mort pour exercer votre jugement. Faites done, 6 mon Dieu, que comme vous avez prevenu ma mort, je previenne la rigueur de votre sentence, et que je m'examine moi-meme avant votre juge- ment, pour trouver misericorde en votre presence. IV. Faites, 6 mon Dieu! que j'adore en silence Fordre de votre providence adorable sur la conduite ie ma vie; que votre fleau me console; et qu'ayant vecu dans l'amertume de mes peches pendant la paix, je goute les douceurs celestes de votre grace durant les maux salutaires dont vous m'affligez! Mais je reconnais, mon Dieu, que mon cceur est tellement endurci et plein des idees, des soins, des inquietudes et des attachements du monde, que la maladie non plus que la sante, ni les discours, ni les livres, ni vosficritures sacrees, ni votre frvangile, ni vos mysteres les plus saints, ni les aumones, ni les jeunes, ni les mortifications, ni les miracles, ni l'usage des sacrements , ni le sacrifice de votre corps, ni tous mes efforts, ni ceux de tout le monde ensemble , ne peuvent rien du tout pour commencer ma conversion , si vous n'accompagnez toutes ces choses d'une assistance tout extraordi- naire de votre grace. C'est pourquoi, mon Dieu, je m'adresse a vous, Dieu tout-puissant, pour vous de- mander mi don que tonics les creatures ensemble be peuvent m'accorder. Je n'aurais pas la hardiesse, de vnus adresser mes oris, si quelque autre pouvaij taueef. .Mais, mon Dieu, comme la conversioa PRIME POUR LES MALADIES, 467 de mon ccur, que je vous demande, est un ouvrage qui passe tous les efforts de la nature, je ne puis m'adresser qu'a l'auteur et au maitre tout-puissant de la nature et de mon coeur. A qui crierai-je, Sei- gneur, a qui aurai-je recours, si ce n'est a vous? Tout ce qui n'est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente. C'est Dieu meme que je demande et que je cherche; et c'est a vous seul, mon Dieu, que je m'adresse pour vous obtenir. Ouvrez mon coeur, Seigneur; entrez dans cette place rebelle que les vices ont occupee. lis la tiennent sujette. Entrez-y comme dans la maison du fort * ; mais liez aupara- vant le fort et puissant ennemi qui la maitrise, et prenez ensuite les tresors qui y sont. Seigneur, pre- nez mes affections que le monde avait volees; volez vous-meme ce tresor, ou plutot reprenez-le, puis- que c'est a vous qu'il appartient, comme un tribut que je vous dois, puisque votre image y est em- preinte. Vous l'y aviez formee, Seigneur, au moment de mon bapteme qui est ma seconde naissance; mais elle est tout effacee. L'idee du monde y est tene- ment gravee, que la votre n'est plus connaissable. Vous seul avez pu creer mon ame, vous seul pouvez la creer de nouveau; vous seul y avez pu former votre image, vous seul pouvez la reformer et y reim- primer votre portrait efface, c'est-a-dire Jesus-Christ mon Sauveur, qui est votre image et le caractere de voire substance. V. mon Dieu! qu'un cceur est heureux qui peut » MattL, xii, 2». 46S PASCAL. — OPUSCULES, aimar un objet si charmant, qui ne le deshonore point, et dont l'atiachement lui est si salutaire! Je sens que je ne puis aimer le monde sans vous de- plaire, sans me nuire et sans me deshonorer; et ueanmoins le monde est encore l'objet de mes de- lices. mon Dieu I qu'une ame est heureuse dont vous etes les delices, puisqu'elle peut s'abandonner a vous aimer, non-seulement sans scrupule, mais encore avec merite ! Que son bonheur est ferme et durable, puisque son attente ne sera point frustree, parce que vous ne serez jamais detruit, et que ni la vie ni la mort ne la separeront jamais de l'objet de ses desirs; et que le meme moment qui entrainera les mediants avec leurs idoles dans une ruine com- mune, unira les justes avec vous dans une gloire commune; et que comme les uns periront avec les objets perissables auxquels ils se sont attaches, les aulres subsisteront eternellement dans l'objet eter- nel et subsistant par soi-meme auquel ils se sont etroilement unis! Oh! qu'heureux sont ceux qui avec une liberte entiere et une pente invincible de leur volonte aiment parfaitement et librement ce qu'ils sont obliges d'aimer necessairement! VI. Ache^ez, 6 mon Dieu, les bons mouvements que vous me donnez. Soyez-en la fin comme vous en 6tes le principe. Couronnez vos propresdons; car je reconnais que ce sont vos dons. Oui, mon Dieu ; et bien loin de prdlendrc que mes prieres lient du merile qui vous oblige de les accorder de neteessitd, je reconnais tres-humblement qu'ayant donne aux creatures mon coeur. que vous n'aviez PRIERE POUR LES MALADIES. 469 forme que pour vous, etnon pas pour le monde, ni pour moi-meme, je ne puis attendre aucune grace que de votre misericorde, puisque je n'ai rien en mol qui vous y puisse engager, et que tous les mou- vements naturels de mon coeur, se portant vers les creatures ou vers moi-meme, ne peuvent que vous irriter. Je vous rends done graces, mon Dieu, des bons mouvements que vous me donnez, et de celui meme que vous me donnez de vous en rendre graces. VII. Touchez mon cceur du repentir de mes fautes, puisque, sans cette douleur interieure, les maux exte>ieurs dont vous touchez mon corps me seraient line nouvelle occasion de peche. Faites-moi bien connaitre que les maux du corps ne sont autre chose que la punition et la figure tout ensemble des maux de Tame. Mais, Seigneur, faites aussi qu'ils en soientle remede, en me faisant considerer, dans les douleurs que je sens, celle que je ne sentais pas dans mon ame, quoique toute malade et couverte j'ulceres. Car, Seigneur, la plus grande de ses ma- ladies est cette insensibilite et cette extreme fai- blesse, qui lui avait ote tout sentiment de ses propres miseres. Faites-les-moi sentir vivement, et que ce qui me reste de vie soit une penitence continuelle pour laver les offenses que j'ai commises. VIII. Seigneur, bien que ma vie passee ait ete exempte de grands crimes, dont vous avez eloigne de moi les occasions, elle vous a ete neanmoins tres-odieuse par sa negligence continuelle, par le mauvais usage de vos^lus augustes sacrements, par 40 470 PASCAL. -OPUSCULES, lemepris devotre parole et de vos inspirations, par l'oisivete et l'inutilite totale de mes actions et de- nies pensees, par la perte entiere du temps que vous ne m'aviez donne que pour vous adorer, pour re- chercher en toules mes occupations les moyens de vous plaire, et pour faire penitence des fautes qui se commettent tous les jours, et qui meme sont or- dinaires aux plus justes; de sorte que leur vi#doit etre une penitence continuelle sans laquelle ils sont en danger de dechoir de leur justice. Ainsi, mon Dieu, je vous ai toujours ete contraire. IX. Oui, Seigneur, jusqu'icij'ai toujours ete sourd a vos inspirations, j'ai meprise vos oracles; j'ai juge au contraire de ce que vous jugez; j'ai contredit aux saintes maximes que vous avez apportees au monde du sein de votre Pere eternel, et suivant les- quelles vous jugerez le monde. Vous dites : Bien- heureux sont ceux qui pleurent, et malheur a ceux qui sont consoles 1 Et moi, j'ai dit : Malheureux ceux qui gemissent, ct tres-heureux ceux qui sont con- soles! J'ai dit: Heureux ceux qui jouissent d'une fortune avantageuse, d'une reputation glorieuse et d'une sante robuste ! Et pourquoi les ai-je reputes heureux, sinon parce que ions pes avantagcs leui fournissaient une facilite ires-ample de jouir des creatures, o'est-a-dire de vous offenserl Oui, Sei- gneur, je confeese que j'ai estinie la saute mi bien, non pas parce qu'elle est un moyen fecile pour vous servir avec ulilil< ; , pour COnsommer plus de soins et dv veilles a voire service, et pour 1'assislunce du prochain ; mais parce yu'a sa favour je pouvaU PRlfiRE POUR LES MALADIES. 471 m'abandonner avec moins de retenue daiis I'abon- dance des delices de la vie, et en mieux gotiter les funestes plaisirs. Faites-moi la grace, Seigneur, de reformer ma raison corrompue, et de conformer mes sentiments aux votres. Que je m'estime heureux dans 1'affliction, et que dans l'impuissance d'agir au dehors, vous purifiiez tellement mes sentiments qu'ils ne repugnent plus aux votres; et qu'ainsi je vous trouve au dedans de moi-meme, puisque je ne puis vous chercher au dehors a cause de ma faiblesse. Car, Seigneur, votre royaume est dans vos fideles; et je le trouverai dans moi-meme, si j'y trouve votre esprit et vos sentiments. X. Mais, Seigneur, que ferai-je pour vous obliger a repandre votre esprit sur cette miserable terre ? Tout ce que je suis vous est odieux, et je ne trouve rien en moi qui vous puisse agreer. Je n'y vois rien, Seigneur, que mes seules douleurs, qui ont quel- que ressemblance avec les votres. Considerez done les maux que je souffre et ceux qui me menacent. Voyez d'un ceil de misericorde les plaies que votre main m'a faites, 6 mon Sauveur, qui avez aime vos souffrances en la mort! 6 Dieu, qui ne vous etes fait hommeque pour souffrir plus qu'aucun homme pour le salut des hommes! 6 Dieu, qui ne vous etes in- carne apres le peche des hommes, et qui n'avez pris uix corps, que pour y souffrir tous les maux que nos peches ont merites 1 6 Dieu , qui aimez tant les corps, qui souffrent, que vous avez choisi pour vous le corps le plus accable de souffrances qui ait jamais ete au monde! Ayez agre^ble iron corps, non pas A72 PASCAL. —OPUSCULES. pour lul-meme, ni pour tout ce qu'il contient, car tout y est digne de votre colere, ma,s pour les maux qu'il endure, qui seuls peuvent etre dignes de votre amour. Aimez mes souffrances, Seigneur, et que mes maux vous invitent a me visiter. Mais pour achever la preparation de votre demeure, faites, 6 mon Sauveur, que si mon corps a cela de commun avec le votre, qu'il souffre pour mes offenses, mon ame ait aussi cela de commun avec la votre, qu'elle soit dans la tristesse pour les memes offenses; et qu'ainsi je souffre avec vous, et comme vous, et dans mon corps, et dans mon ame, pour les peches que j'ai commis. XI. Faites-moi la grace, Seigneur, de joindre vos consolations a mes souffrances, afin queje souffre en Chretien. Jene demande pas d'etre exempt des dou- leurs, car c'est la recompense des saints; mais je demande de n'etre pas abandonne aux douleurs de la nature sans les consolations de votre esprit; car c'est la malediction des Juifs et des paiens. Je ne demande pas d'avoir une plenitude de consolation sans aucune souffrance; car c'est la vie de la gloire. Je ne demande pas aussi d'etre dans une plenitude de maux sans consolation; car c'est un etat deju- da'isme. Mais je demande, Seigneur, de ressentir tout ensemble et les douleurs de la nature pour mes peches, et les consolations de votre esprit par votre grace; car c'est le veritable etat du christianisme. Queje ne senle pas des douleurs sans consolation; mais (jue je sente des douleurs et de la consolation tout ensemble, pour arriver enfin a ne sentir plus PRIERE POUR LES MALADIES. *73 que vos consolations sans aucune douleur. Car, Sei- gneur, vous avez laisse languir le monde dans Ies souffrances naturelles sans consolation, avant la venue de votre Fils unique : vous consolez mainte- nant et vous adoucissez les souffrances de vos fideles par la grace de votre Fils unique : et vous comblez d'une beatitude toute pure vos saints dans la gloire de votre Fils unique. Ce sont les admirables degres par lesquels vous conduisez vos ouvrages. Yous m'avez tire du premier : faites-moi passer par le se- cond, pour arriver au troisieme. Seigneur, c'est la grace que je vous demande. XII. Ne permettez pas quejesois dans un tel eloi- gnement de vous, que je puisse considerer votre ame triste jusqu'a la mort, et votre corps abattu par la mort pour mes propres peches, sans me rejouir de souffrir et dans mon corps et dans mon ame. Car qu'y a-t-il de plus honteux, et neanmoins de plus ordinaire dans les Chretiens et dans moi-meme, que tandis que vous suez le sang pour P expiation de nos offenses, nous vivons dans les delices; et que des Chretiens qui font profession d'etre a vous, que ceux qui par le bapteme ont renonce au monde pour vous suivre, que ceux qui ont jure solennellement a la face de l'Eglise de vivre et de mourir avec vous, que ceux qui font profession de croire que le monde vous a persecute et crucifie, que ceux qui croient que vous vous etes expose a la colere de Dieu et a la cruaute des hommes pour les racheter de leurs crimes; que ceux, dis-je, qui croient toutes ces verites, qui con- sidered votre corps commc I'hostie qui s'est livref 474 PASCAL. —OPUSCULES, pour leur salut, qui considerent les plaisirs et Jet peehes du monde comme l'unique sujet de vos souf- frances, et le monde meme comme votre bourreau, recherchent a flatter leurs corps par ces memes plai- sirs, parmi ce meme monde; et que ceux qui ne pourraient, sans fremir d'horreur, voir un homme caresser et cherir le meurtrier de son pere qui se serait livre pour lui donner la vie, puissent vivre comme j'ai fait, avecunepleine joie, parmi le monde que je sais avoir ete veritablement le meurtrier de celui que je reconnais pour mon Dieu et mon pere, qui s'est livre pour mon propre salut, et qui a porte en sa personne la peine de mes iniquites? II est juste, Seigneur, que vous ayez interrompu une joie aussi criminelle que celle dans laquelle je me repo- sais a l'ombre de la mort. XIII. Otezdonc de moi, Seigneur, la tristesse que l'amour de moi-meme me pourrait donner de mes propres souffrances et des choses du monde qui ne reussissent pas au gre des inclinations de mon coeur, et qui ne regardent pas votre gloire; mais mettez en moi une tristesse conforme a la votre. Que mes souf- frances servent a apaiser votre colere. Faites-en une occasion de mon salut et de ma conversion. Que je ne souhaite desormais de sante et de vie qu'afin de ■'employer et la finir pour vous, avec vous et en vous. Je ne vous demande ni sante, ni maladie, ni vie, ni mort ; mais que vous disposiez de ma sante et de ma maladie, de ma vie et de ma mort, pour votre gloire, pour mon salut et pour rutilite de lEgliseet de vos saints dont j'espere par votre grace l'aire une PRIERE POUR LES MALADIES, 475 portion. Vous seul savez ce qui m'est expedient : vous etes le souverain maitre, faites ce que vous voudrez. Donnez-moi, otez-moi ; mais conformez ma volonte a la votre; et que dans une soumission humble et parfaite et dans une sainte conliance, je me dispose a recevoir les ordres \e votre providence eternelle, et que j'adore egalement tout ce qui me vient de vous. XIV. Faites, mon Dieu, que dans une uniformite d'esprit toujours egale je recoive toutes sortes d'eve- nements, puisque nous ne savons ce que nous de- vons demander, et que je n'en puis souhaitei- !'un plutot que l'autre sans presomption, et sans me rendre juge et responsable des suites que votre sa- gesse a voulu justement me cacher. Seigneur, je sais que je ne sais qu'une chose, c'est qu'il est bon de vous suivre, et qu'il est mauvais de vous offenser. Apres cela, je ne sais lequel est le meilleur ou le pire en toutes choses ; je ne sais lequel m'est profitable de la sante ou de la maladie, des biens ou de la pau- vrete, ni de toutes les choses du monde. C'est un discernement qui passe la force des hommes et des anges, et qui est cache dans les secrets de votre pro- vidence que j'adore, et que je ne veux pas appro- fondir. XV. Faites done, Seigneur, que tel que je sois je me conforme a votre volonte; et qu'etant malade comme je suis, je vous glorifiedans mes souffrances. Sans elles je ne puis arriver a la gloire; et vous- meme, mon Sauveur, n'y avez voulu parvenir que par elles. C'est par les marqies de vos souffrances que 476 PASCAL. — OPUSCULES, vous avez ete reconnu de vos disciples; et c'est par les souffrances que vous reconnaissez aussi ceuxqui sont vos disciples. Reconnaissez-moi done pour votre disciple dans les maux que j'endure et dans mon corps et dans mon esprit, pour les offenses que j'ai commises. Et parce que rien n'est agreable a Dieu s'il ne lui est offert par vous, unissez ma volonte a la votre, et mes douleurs a celles que vous avez souflertes. Faites que les miennes deviennent les votres. Unissez-moi a vous; remplissez-moi de vous et de votre Esprit-Saint. Entrez dans mon coeur ei dans mon ame, pour y porter mes souflVances, et pour continuer d'endurer en moi ce qui vous reste a souffrir de votre passion, que vous achevez dans vos membres jusqu'a la consommation parfaite de voire corps, afin qu'etant plein de vous, ce ne soit plus moi qui vive et qui souffre, mais que ce soit vous qui viviez et qui souffriez en moi, 6 mon Sauveurlet qu'ainsi ayant quelque petite part a vos souffrances, vous me remplissiez enlierement de la gloire qu'elles vous ont acquise, dans laquelle vous vivez avec le Pere et le Saint-Esprit, par tous les siecles des siecles. Ainsi soit-il '. « II semble qu'on devrait trouver dans une priero quelque aban- don, quelque enthousiasme, une confiance qui ne pose plus ses mo- tifs... Celle de Pascal n'a point cccaractere. C'est une argumentation passionne"c, dans lafjuclle un honime mortel raisonne avec Dieu... Ce n'est ni par I'snthousiasme dn Psalmiste, ni par imagination gcbanflfde des ascetes que cctte prierc s'e'levc ; c'est par des niisons qui Be dgduisent les unes des autres, et sesuccedent comme les de- gre'sd'uiH' ('(•liellc myBtique. On sent qu'aucun Mjelon ne nianquera •ous les pR-ds de Pascal, o (JNisurd,) C0MPARA1S0N DES CHRETIENS. 477 COMPARISON DES CHRETIENS DES PREMIERS TEMPS AVEC CEUX D' AUJOURD'hUI 4 . Dans les premiers temps, les Chretiens etaient parfaitement instruits dans tous les points neces- saires au salut; au lieu que Ton voitaujourd'hui une ignorance si grossiere qu'elle fait gemir tous ceux qui ont des sentiments de tendresse pour l'Eglise. On n'entrait alors dans l'figlise qu'apres de grands travaux et de longs desirs : on s'y trouve maintenant sans aucune peine, sans soin et sans travail. On n'y etait admis qu'apres un examen tres-exact. On y est recu maintenant avant qu'on soit en etat d'etre examine. On n'y etait recu alors qu'apres avoir abjure sa vie passee, qu'apres avoir renonce au monde, et a la chair, et au diable. On y entre maintenant avant qu'on soit en etat de faire aucune de ces choses. Enfinil fallait autrefois sortir du monde pouretre recu dans l'figlise : au lieu qu'on entre aujourd'hui dans l'figlise au meme temps que dans le monde. On connaissait alors par ce procede une distinction es- sentielle du monde d'avec l'figlise. On les conside- rait comme deux contraires, comme deux ennemis irreconciliables, dont l'un persecute l'autre sans discontinuation, et dont le plus faible en apparence * Ce fragment a 6te publie" pour la premiere fois par Bossut. M. Faugere en a donn6 un texte pus exact cTapres les manuscrits du P. Guerrier. 478 PASCAL. — OPUSCULES, doit im jour triompher du plus fort; en sorte que de ces deux partis contraires on quittait l'un pour en- trer dans l'autre; on abandonnait les maximes de l'un pour embrasser les maximes de l'autre; on se devetait des sentiments de l'un pour se revetir des sentiments de l'autre; enfin on quittait, on repon- cait, on abjurait le monde oil Ton avait recu sa pre- miere naissance, pour se vouer totalement a l'figlise oul'on prenait comme sa seconde naissance; etainsi on concevait une difference epouvantable entre l'un et l'autre ; au lieu qu'on se trouve maintenant presque au meme temps dans l'un et dans l'autre; etle m£me moment qui nous fait naitre au monde nous fait re- naitre dans l'£glise; de sorte que la raison surve- nant ne fait plus de distinction de ces deux mondes si contraires. Elle est clevee dans l'un et dans l'autre tout ensemble. On frequente les sacrements, et on jouit des plaisirs du monde; et ainsi, au lieu qu'au- trefois on voyait une distinction essentielle entre l'un et l'autre, on les voit maintenant confondus et meles, en sorte qu'on ne les discerne plus. De la vient qu'on ne voyait autrefois entre les Chretiens que des personnes tres-instruites , au lieu qu'elles sont maintenant dans une ignorance qui fait horreur; de la vient qu'autrefois ceux qui avaient etc regeneres par le baptcme, et qui avaient quittr les vices du monde pour entrer dans la piete de L*£glise, retombaient si rarcment de I'^glise dans le monde ; au lieu qu'on ne voit maintenant rien de plus ordinaire (ju(> les vices du monde dans le coeur des Chretiens. L'Kglise des saints se trouve toutesouillee C0MPARA1S0N DES CHRETIENS. 479 par le melange les mechants; et ses enfants, qu'elle a concus etnourris des 1'enfance dans son sein, sont ceux-la memes qui portent dans son coeur, c'est- a-dire jusqu'a la participation de ses plus augustes mysteres. le plus cruel de ses ennemis, l'esprit du monde, l'esprit d'ambition, l'esprit de vengeance, l'esprit d'impurete , l'esprit de concupiscence : et l'amour qu'elle a pour ses enfants l'oblige d'admettre jusque dans ses entrailles le plus cruel de ses per- secuteurs. Mais ce n'est pas l'figlise a qui on doit imputer les malheurs qui ont suivi un changement de discipline si salutaire, car elle n'a pas change d'esprit, quoi- qu'elle ait change de conduite. Ayant done vu que la dilation * du bapteme laissait un grand nombre d'enfants dans la malediction d'Adam, elle a voulu les delivrer de cette masse de perdition en precipi- tant le secours qu'elle leur donne; et cette bonne mere ne voit qu'avec un regret extreme que ce qu'elle a procure pour le salut de ces enfants est devenu l'occasion de la perte des adultes. Son veritable esprit est que ceux qu'elle retire dans un age si tendre de la contagion du monde, prennent des sen- timents tout opposes a ceux du monde. Elle previent l'usage de la raison pour prevenir les vices ou la raison corrompue les entrainerait; et avant que leur esprit puisse agir, elle les remplit de son esprit, afin qu'ils vivent dans une ignorance du monde et dans un etat d'autant plus eloigne du vice qu'ils ne l'au* * «La dilation. » Le fait de differ 3r, (Havet.) 4S0 PASCAL. — OPUSCULES, ront jamais connu. Cela parait par les ceremonies du bapteine; car elle n'accorde le bapteme aux en- fants qu'apres qu'ils ont declare, par la bouche des parrains, qu'ils J e desirent, qu'ils croient, qu'ils re- noncent. au monde et a Satan. Et comme elle veut qu'ils conservent ces dispositions dans toute la suite de leur vie, elle leur commande expressement de .es garder inviolablement, et ordonne, par un com- mandement indispensable, aux parrains d'instruire les enfants de toutes ces choses ; car elle ne souhaite pas que ceux qu'elle a nourris dans son sein soient aujourd'hui moins instruits et moins zeles que les adultes qu'elle admettait autrefois au nombre des siens ; elle ne desire pas une moindre perfection dans ceux qu'elle nourrit que dans ceux qu'elle regoit. . . Cependant on en use d'une facon si contraire a l'in- tention de l'figlise, qu'on n'y peut penser sans hor- reur. On ne fait quasi plus de reflexion sur un aussi grand bienfait, parce qu'on ne l'a jamais souhaite, parce qu'on ne l'a jamais demande, parce qu'on ne se souvient pas meme de l'avoir recu Mais comme il est evident que l'Eglise ne demande pas moins de zele dans ceux qui ont ete eleves do- mestiques de la foi ! que dans ceux qui aspirenta le devenir, il faut se mettre devant les yeux 1'exemple des catechumenes, considerer leur ardeur, leur de- votion, leur horreur pour le monde, leur generous renoncement au monde; el si on ne les jugeait pas • • Domc:iti'|ues de la foi. » Latinisnie, qui sont de la maison, (lluvet.) COMPARAISON DES CHRETIENS. 481 dignes de recevoir le bapteme sans ces dispositions, ceux qui ne les trouvent pas en eux II faut done qu'ils se soumettent a recevoir l'instruc- tion qu'ils auraient eue s'ils commencaient a entrer dans la communion de l'£glise; il faut de plus qu'ils se soumettent a une penitence continuelle, et qu'ils aient moins diversion pour l'austerite de leur mor- tification, qu'ils ne trouvent de charmes dans l'usage des delices empoisonnees du peche Pour les disposer a s'instruire, il faut leur faire entendre la difference des coutumes qui ont ete pra- tiquees dans l'£glise suivant la diversite des temps... Qu'en l'Eglise naissante on enseignait les catechu- menes, e'est-a-dire ceux qui pretendaient au bap- teme, avant que de le leur conferer; et on ne les y admettait qu'apres une pleine instruction des mys- teres de la religion, qu'apres une penitence de leur viepassee, qu'apres une grande connaissance de la grandeur et de l'excellence de la profession de la foi et des maximes chretiennes oil ils desiraienl entrer pour jamais, qu'apres des marques eminentes d'une conversion veritable du coeur, et qu'apres un extreme desir du bapteme. Ces choses etejit connues de toute l'Eglise, on leur conferait le sacrement d'in corporation par lequel ils devenaient membres de l'£glise; au lieu qu'en ces temps, le bapteme ayant ete accorde aux enfants avant l'usage de la raison, par des considerations tres-importantes, il arrive que la negligence des parents laisse vieillir les Chretiens sans aucune connaissance de la grandeur de notre religion. 41 482 PASCAL. — OPUSCULES. Quand l'instruction precedait le bapteme, tous etaient instruits; mais maintenant que le bapteme precede l'instruction, l'enseignement qui etait ne- cessaire est devenu volontaire, et ensuite neglige et presque aboli. La veritable raison de cette conduite est qu'on esi persuade de la necessite du bapteme, et on ne l'est pas de la necessite de l'instruction. De sorte que quand l'instruction precedait le bapteme, la necessite de Tun faisait que Ton avait recours a l'autre necessairement; au lieu que le bapteme pre- cedant aujourd'hui l'instruction, comme on a ete fait Chretien sans avoir ete instruit, on croit pouvoir de- meurer Chretien sans se faire instruire , Et qu'au lieu que les premiers Chretiens temoi- gnaient tant de reconnaissance envers rfiglise pour une grace qu'elle n'accordait qu'a leurs longues prieres, ils temoignent aujourd'hui tant d'ingrati- tude pour cette meme grace, qu'elle leur accorde avant meme qu 'ils aicnt ete en etat de la demander. Et si elle detestait si fort les chutes des premiers, quoique si rares, combien doit-elle avoir en abomi- nation les chutes et rechutes continuelles des der- niers, quoiqu'ils lui soient beaucoup plus redeva- bles, puisqu'elle les a tires bien plus lot et bien plus liberalement de la damnation ou ils etaient en- gages p;ar leur premiere naissance I Elle ne peut voir, sans gemir, abuser de la plus grandc de ses graces, et que ce qu'elle a fail pour assurer leur salut devienne roccasion presque assuree de leur perie... SUR LA CONDITION DES GRANDS. 483 DISCOURS I. Pour entrer dans la veritable connaissance 4$ votre condition, considerez-la dans cette image : I Ces discours, publics pour la premiere fois en 1670, se trouvent dansles Essais de Nicole, qui les a fait pr£c6der de ces explications: « Une des choses sur lesquelles feu M. Pascal avait plus de vues 6tait l'instruction d'un prince que Ton tacherait d'elever de la ma- niere la plus proportionn^e a l'^tat ou Dieu l'appelle, et la plus propre pour le rendre capable d'en remplir tous les devoirs et d'en eviter tous les dangers. On lui a souvent oui dire qu'il n'y avait rien a quoi il d£sirat plus de contribuer s'il y e"tait engage", et qu'il sacri- fieraitvolontierssa vie pour une chose si importante. Et comme il avait accoutume" d'^crire les pens^es qui lui venaient sur les sujets dont il avait i'esprit occupy, ceux qui l'ont connu se sont 6tonn£s de n'avoir rien trouve' dans celles qui sont rest^es de lui qui regardat express^ment cette matiere, quoique Ton puisse dire en un sens qu'elles la regardent toutes, n'y ayant guere de livres qui puissent plus servir a former I'esprit d'un prince que le recueil que Ton en a fait. » II faut done ou que ce qu'il a emt de cette matiere ait 6t& perdu, ouqu'ayant ces pensdes extremement pr^sentes, il aitn6glig£ de les 6crire. Et comme par l'une et l'autre cause le public s'en trouve £galement prive" , il est venu dans I'esprit d ? une personne qui a assists a trois discours assez courts qu'il fit a un enfant de grande condition, et dont I'esprit, qui 6tait extremement avanc6, 6tait ddja capable des ve>it£s les plus fortes, d'^crire neuf ou dix ans apres ce qu'il en a retenu. Or, quoique apres un si long tempsil ne puisse pas dire que ce soient les propres paroles dont M. Pascal se servit alors, ndanmoins tout.ee qu'il disait faisait une impression si vive sur I'esprit, qu'il n'^tait pas possible de l'oublier. Et ainsiil peut assurer que ce sont au moins ses pens^es et ses sentiments. » II est Evident que la personne qui a entendu et recueilli les trois discours n'est autre que Nicole lui-meme. Quant a l'unfant auquel ils durenlf'6tre adress^s, on a dit que c'£tait le due de Roannez ; mais cette opinion a 6t6 £cart6e par des raisons tres-plausibles. M. Havet pense que ce pourrait etre le prince de Guemen fce, en reconnaissant 484 PASCAL. — OPUSCULES. Un homme est jete par la tempete dans une fie inconnue, dont les habitants etaient en peine de trouver leur roi, qui s'etait perdu ; et ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, i! est pris pour lui, et reconnu en cette qualite par tout ce peuple. D'abord il ne savait quel parti prendre; mais il se resolut enfin de se preter a sa bonne for- tune. II recut tous les respects qu'on lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi. Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en meme temps qu'il recevait ces respects, qu'il n'etait pas ce roi que ce peuple cherchait, etque ce royaume ne lui appartenaitpas. Ainsi il avaitune double pensee : l'une par laquelle il agissait en roi , l'autre par laquelle il reconnais- sait son etat veritable, et que ce n'etait que le hasard qui l'avait mis en la place oil il etait. II cachait cette derniere pensee, et il decouvrait l'autre. C'etait par la premiere qu'il traitait avec le peuple, et par la derniere qu'il traitait avec soi-meme. Nevous imaginez pas que ce soit par un moindre hasard que vous possedez les richesses dont vous vous trouvez maitre, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous n'y avez aucun droit de vous- m6me et par voire nature, non plus que lui : etnon- seulement vous ne vous trouvez ills d'un due, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinite toutefois que le prince de Gudmende utaitbicn jcune pour un entre- den anssi grave, puisqu'il avaita peine sept ansa la inortde Pascal. Pen importe, apnjs tout, a qui Pascal a parl<5,pourvu qu'on sacheco qu'il a dit. SUR LA CONDITION DES GKANDS. 485 de hasards. Votre naissance depend d'un mariage, ou plutot de tous les manages de ceux dont vous descendez. Mais ces manages, d'ou dependent-ils ? D'une visite faite par rencontre , d'un discours en l'air, de mille occasions imprevues. Vous tenez, dites-vous, vos richesses de vos an- cetres; mais n'est-ce pas par mille hasards que vos ancetres les ont acquises et qu'ils les out conser- vees? Mille autres, aussi habiles qu'eux, ou n'en ont pu acquerir, ou les ont perdues apres les avoir ac- quises. Vous imaginez-vous aussi que ce soit pai quelque voie naturelle que ces biens ont passe de vos ancetres a vous? Cela n'est pas veritable. Cet ordre n'est fonde que sur la seule volonte des le- gislateurs qui ont pu avoir de bonnes raisons, mais dont aucune n'est prise d'un droit naturel que vous ayez sur ces choses. S'il leur avait plu d'ordonner que ces biens, apres avoir ete possedes par les peres durant leur vie, retourneraient a la republique apres leur mort, vous n'auriez aucun sujet de vous en plaindre. Ainsi tout le titre par lequel vous possedez votre bien n'est pas un titre de nature, mais d'un etablis- sement humain. Un autre tour d'imagination dans ceux qui ont fait les lois vous aurait rendu nauvre; et ce n'est que cette rencontre du hasard qui vous a fait naitre avec la fantaisie des Jois favorable a votre ega'd, qui vous met en possession de lous ces biens. Je ne veux pas dire qu'ils ne vous appartiennent pas legitimemrnt, et qu'il soit permis a un autre de 486 PASCAL. — OPUSCULES, vous les ravir; car Dieu, qui en est le maitre, a per mis aux societes de faire des lois pour les partager; et quand ces lois sont une fois etablies, il est injuste de les violer. G'est ce qui vous distingue un peu de cet homme qui ne possederait son royaume que par l'erreur du peuple ; parce que Dieu n'autoriserait pas cette possession et l'obligerait a y renoneer, au lieu qu'il autorise la votre. Mais ce qui vous est en- tierement commun avec lui, c'est que ce droit que vous y avez n'est point fonde, non plus que le sien, sur quelque qualite et sur quelque merite qui soit en vous et qui vous en rende digne. Votre ame et votre corps sont d'eux-memes indifferents a l'etat de batelier ou a celui de due; et il n'y a nul lien naturel qui les attache a une condition plutot aua une autre. Que s'ensuit-il de la ? que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parle, une double pen- see, et que si vous agissez exterieurement avec les hommes selon voire rang, vous devez reconnaitre, par une pensee plus cachee mais plus veritable, que vous n'avez rien naturellementau-dessus d'eux. Si la pensee publique vous eleve au-dessus du com- mun des hommes, que l'autre vous abaisse et vous tierre dans une parfaite egalite avectous les hommes, car c'es( votr^ etat naturel. Le peuple qui vous admire ne connait pas peut- fttre ce *<^cret. II croit que la noblesse est une gran- deur reelle, et il considere presque les grands comme etant d'une autre nature que les autres. Ne leur decouvrez pas cette crreur, si vous voulcz ; mais SUR LA CONDITION DES GRANDS. 487 n'abusez pas de cette elevation avec insolence, et surtout ne vous meconnaissez pas vous-meme en croyantque votre etre a quelque chose de plus eleve que celui des autres. Que diriez-vous de cet homme qui aurait ete fait roi par 1'erreur dupeuple, s'il venait a oublier tene- ment sa condition naturelle, qu'il s'imaginat que ce royaume lui etait du, qu'il le meritait et qu'il lui ap partenait de droit ? Vous admireriez sa sottise et sa folie. Mais y en a-t-il moins dans les personnes de condition qui vivent dans un si etrange oubli de leur etatnaturel? Que cet avis est important ! Car tous les emporte- ments, toute la violence et toute la vanite des grands vient de ce qu'ils ne connaissent point ce qu'ils sont: etant difficile que ceux qui se regard eraient inte- rieurement comme egaux a tous les hommes, et qui seraient bien persuades qu'ils n'ont rien en eux qui merite ces petits avantages que Dieu leur a donnes au-dessus des autres, les traitassent avec insolence II faut s'oublier soi-meme pour cela, et croire qu'on a quelque excellence reelle au-dessus d'eux : en quoi consiste cette illusion que je tache de vous de- couvrir. II. II est bon, Monsieur, que vous sachiez ce que Ton vous doit, afin que vous ne pretendiez pas exiger des hommes ce qui ne vous est pas du ; car c'est une injustice visible : et cependant elle est fort commune a ceux de votre condition, parte qu'ils en ignorenl la nature. 488 PASCAL. — OPUSCULES. II y a dans le monde deux sortes de grandeurs : car il y a des grandeurs d'etablissement etdes gran- deurs naturelles. Les grandeurs d'etablissement, de- pendent de la volonte des hommes qui ont cru avec raison devoir honorer certains etats et y attacher certains respects. Les dignites et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers; en celui-ci les aines, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? parce qu'il a plu aux hommes. La chose etait indifferente avant l'etablis- sement : apres l'etablissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont in- dependantes de la fantaisie des hommes , parce qu'elles consistent dans les qualites reelles et effec- tives de l'ame ou du corps, qui rendent Tune ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lu- miere de l'esprit, la vertu, la sante, la force. Nous devons quelque chose a l'une et a l'autre de ces grandeurs; mais comme elles sont d'une nature differente, nous leur devons aussi differents res- pects. Aux grandeurs d'etablissement, nous leur devons des respects d'etablissement, c'est-a-dire certaines ceremonies cxterieures qui doivent etre neanmoins accornpagnees, selon la raison, d'une reconnaissance inlerieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelaue qualiie reelle en ceux. que nous honorons de celte sorte, 11 faut parler aux rois a genoux; il faut se tenir de- bout dans la chambre des princes. C'estunesottiseet uuebasscssc (/'esprit que de leur refuser ces devoirs. SUR LA CONDITION DES GRANDS. 489 Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'eslime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelfes; et nous devons au contraire le mepris et Taversion aux qualites contraires a ces grandeurs naturelles. II n'est pas necessaire, parce que vous etes due, que je vous estime ; mais il est necessaire que je vous salue. Si vous etes due et honnete homme, je rendrai ce que je dois a Tune et a l'autre de ces qualites. Je ne vous refuserai point les cere- monies que merite votre qualite de due, ni Fes- time que merite celle d'honnete homme. Mais si vous etiez due sans etre honnete homme, je vous ferais encore justice; car en vous rendant les devoirs ex- terieurs que l'ordre des hommes a attaches a votre naissance, je ne manquerais pas d'avoirpour vous le mepris interieur que meriterait la bassesse de votre esprit. Voila en quoi consiste la justice de ces devoirs. Et l'injustice consiste a attacher les respects naturels aux grandeurs d'etablissement, ou a exiger les res- pects d'etablissement pour les grandeurs naturelles. Monsieur N. est un plus grand geometre que moi ; en cette qualite il veut passer devant moi : je lui dirai qu'il n'y entend rien. La geometrie est une grandeur naturelle; elle demande une preference d'estime; mais les hommes n'y ont attache aucune preference exterieure. Je passerai done devant lui, et 1'estimerai plus que moi, en qualite de geometre. De merae si, etant due et pair, vous ne vous contentiez pas que je me tinsse decouvert devant vous, et que vous vou- lussiez encore que je vous estimasse, je vous prie- 490 PASCAL. —OPUSCULES, rais de me montrer les qualites qui meritent mon estime. Si vous le faisiez, elle vous est acquise, et je nepourrais vous la refuser avec justice; mais si vous ne le faisiez pas, vous seriez injuste de me la deman- der; et assu vement vous n'y reussiriez pas, fussiez- vous le pluf, grand prince du monde. III. Je vous veux faire connaitre, Monsieur, votre con- dition veritable; car c'est la chose du monde que les personnes de votre sorte ignorent le plus. Qu'est-ce, a votre avis, que d'etre grand seigneur? C'est etre maitre de plusieurs objets de la concupiscence des homines, et ainsi pouvoir satisfaire aux besoins et aux desirs de plusieurs. Ce sont ces besoins et ces desirs qui les attirent aupres de vous, et qui fonl qu'ils se soumettent a vous : sans cela ils ne vous re- garderaientpas seulement; mais ils esperentpar ces services et ces deferences qu'ils vous rendent, ob- tenir de vous quelquc part de ces biens qu'ils desi- rent et dont ils voient que vous disposez. Dieu est environne de gens pleins de charite, qui lui demandent les biens de la charite qui sont en sa puissance : ainsi il est proprement le roi de la cha- rite. Vous £tesde meme environne d'un petitnombre de personnes , sur qui vous regnea en votre ma- niere. Ces gens sont pleins de concupiscence. Ils Yous demandent les biens de la eonenpiseencc; c'est la concupiscence qui los attache a vous. Vous eies done proprement un roi de concupiscence. Votre royaume B8t de peu d'etendue; mais vous etes egal SUR LA CONDITION DES GRANDS. 49i en cela aux plus grands rois de la lerre : ils sont comme vous des rois de concupiscence. C'est la concupiscence qui fait leur force; c'est-iVdire la possession des choses que la cupidite des homines desire. Mais en connaissant votre condition naturelle, usez des moyens qu'elle vous donne, et ne pretendez pas regner par une auire voie que par celle qui vous fait roi. Ce n'est point votre force et votre puis- sance naturelle qui vous assujettit toutes ces per- sonnes. Ne pretendez done point les dominer par la force, ni les traiter avec durete. Contentez leurs justes desirs ; soulagez leurs necessites; mettez votre plaisir a etre bienfaisant; avancez-les autant que vous le pourrez , et vous agirez en vrai roi de con- cupiscence,, Ge que je vous dis ne va pas bien loin; et si vous en demeurez la , vous ne laisserez pas de vous perdre; mais ail moins vous vous perdrez en hon- nete homme. II y a des gens qui se damnent si sot- tement par l'avarice, par la brutalite, par les de- bauches, par la violence, par les emportements, par les blasphemes I Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnete; mais en verite c'est tou- jours une grande folie que de se damner; et c'est pourquoi il ne faut pas en demeurer la. II faut me- priser la concupiscence et son royaume, et aspirer a ce royaume de charite oil tous les sujets ne respi- rent que la charite, et ne desirent que les biens de la charite. D'autres que moi vous en diront le che- min •. il me suffit de vous avoir detourne de :es vies 492 PASCAL. — OPUSCULES, bruiales ou je vois que plusieurs personnes de votre condition se laissent eniDorter, faute de bien con- naitre 1'etat veritable de cette condition, SUR LA CONVERSION DU PfiCHEUR 5 . La premiere chose que Dieu inspire a Tame qu'il daigne toucher veritablement, est une connaissance * Le pere Guerrier, qui nous a conserve le fragment qu'on va lire, dit qu'il ne sait de qui est cet icrit. Dans un autre recueil, on l'at- tribue a Jacqueline Pascal. Bossut, qui l'a publie" le premier, le donne a l'auteur des Pense"es. MM. Faugere et Havet sont de l'avis de Bossut. « C'est bien, dit M. Faugere, la pense'e et le style de Pascal ; non pas, il est vrai, de sa maniere la plus mure et la plus grande, mais de celle deja si puissante d'avant les Provinciates; car ce fragment doit avoir 6t6 compose" en 1647 ou 1648, alors que Pascal venait d'en- trer, a l'age de vingt-trois ou vingt-quatre ans, dans cette phase de sa vie qu'on peut appeler sa premiere conversion : ces pages expri- ment les propres sentiments de son ame. » M. Havet n'est point, quant a la date a laquelle ce morceau fut 6crit, de l'avis de M. Faugere : « II me semble que Pascal y exprime ce qui s'est passe" dans son ame pendant ce temps critique de sa vie ou s'accomplit laborieusement sa grande et derniere conversion, c'est-^-dire pendant l'anne"e 1654 « On a une lettre de Jacqueline a madame Pe>ier, du 25 Jan- vier 1655, oii elle fait l'histoire de la conversion de son frere, et voici ce qu'on lit dans cette lettre : « II me vint voir [vers la fin de sep- » tembre 1654], et a cette visite, il s'ouvrit a moi d'une maniere qui » me fit piti6, en m'avouant qu'au milieu de ses occupations, qui • e"taient grandes, et parmi toutes les choses qui pouvaient contri- • buer a lui faire aimer le monde, et auxquelles on avail raison de » le croirc fort attache", il e"tait de telle sorte sollicite" de quitter tout » cela, 6$ par une aversion extreme qu'il avait des folies ct dcs amu- » semen ts du monde, ct par le rc)iroche continue! que lui faisait sa » conscience, qu'il se trouvait dttachi de toutes choses d'une telle ma- il nlfere (ju'il lie l'avait jamais etc de la sor\e, ni ricn d'approchant: » mais que d'aiUeurs it rtait dans un si grand abandonncmenl du cote 1 % de Dieu, qu'il ne senlait aucun altrail de cecdle'-ld; » etc Ce que SUR LA CONVERSION DU PE1CHEUR. 493 et une vue tout extraordinaire par laquelle l'ame considere les choses et elle-meme d'une facon toute nouvelle. Cette nouvelle lumiere lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu'elle trouvait dans les choses qui faisaient ses delices. Elle ne peut plus gouter avec tranquillite les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue interieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumee parmi les choses oil elle s'abandonnait avec une pleine effusion de coeur. Mais elle trouve encore plus d'amertume dans les exercices de piete que dans les vanites du monde. D'une part, la vanite des objets visibles la louche plus que l'esperance des invisibles, et de 1'autre la sqlidite des invisibles la touche plus que la vanite des visibles. Et ainsi la presence des uns et la soli- dite des autres disputent son affection , et la vanite raconte Jacqueline n'est-il pas pr^cisement ce que peint Pascal? » Quant a M. Cousin, il est d'un avis contraire a MM. Faugere et Havet : a Bossut, dit-il, a aussi puttie* le premier un fragment sur la conversion du ptcheur. Ce fragment se trouve dans les Memoires de mademoiselle P(5rier avec cette note : « Cet dcrit a &e* transcrit sur » une copie qui est parmi les papiers que mademoiselle Perrier a » laiss^s. On y a trouve* les lacunes telles qu'elles sont marquees. Le • nom de l'auteur n'y est point. Je le crois de mademoiselle Pascal » avant qu'elle se fit religieuse. » Nous inclinons a l'avis de l'auteur de cette note. Le style de ce fragment est tres-beau ; il a de l'&eva- tion, de la force meme, mais non pas cette vehemence interieure qui marque les moindres paroles de Pascal. » Entre des opinions aussi opposes , nous ne nous prononcerons pas. Nous resterons dans notre rdle d'dditeur, en laissant au public le soin de juger. 42 4S4 PASCAL.— OPUSCULES, des uns et l'absence des autres excitent son aver- sion; de sorte qu'il nait dans elle un desordre et une confusion qu Elle considere les choses perissables comme peris- santes et merae deja peries; et dans la vue certaine de l'aneantissement de tout ce qu'elle aime, elle s'effraye dans cette consideration, en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien et que ce qui lui est le plus cher s'ecoule a tout mo- ment, etqu'enfin un jour certain viendra auquel elle se trouvera denuee de toutes les choses auxquelles elle avait mis son esperance. De sorte qu'elle com- prend parfailement que son coeur ne s'etant attache qu'a des choses fragiles et vaines, son ame doit se trouver seule et abandonnee au sortir de cette vie, puisqu'elle n'a pas eu soin de se joindre a un bien veritable et subsistant par lui-meme qui put la sou- tenir et durant et apres cette vie. De la vient qu'elle commence a considerer comme un neant tout ce qui doit retourner dans le neant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parents, ses amis, ses ennemis, les biens. la pauvrete, la dis- grace, la prosperite, l'honneur, l'ignominie, res- lime, le mepris, l'autorite, l'indigence, la sante, la maladie, et la vie meme. Enfin tout ce qui doit moins durer qua son ame est incapable de satisfaire le desir de cette ame qui recherche serieusement a s'etablir dans une felicite aussi durable qu'elle-meme. Lllc commence a s'eloinier de raveugleuient oil elle a vecu; et quaud elle considere d'une part le SUR LA CONVERSION DU PECHEUR. 495 long temps qu'elle a vecu sans fa;re ces reflexions el le grand nombre de personnes qui vivent de la sorte, et de 1'autre combien il est constant que Tame, etant immortelle comme elle est, ne peut trouver sa felicite parmi des choses perissables et qui lui seront otees au moms a la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un etonnement qui lui porte un trouble bien salutaire. Car elle considere que, quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde , et quelque autorite que puisse avoir cette multitude d'exemples de ceux qui posent leur feli- cite au monde, il est constant neanmoins que quand les choses du monde auraient quelque plaisir solide, ce qui est reconnu pour faux par un nombre infmi d'experiences si funestes et si continuelles, il est inevitable que la perte de ces choses ou que la mort enfin nous en prive : de sorte que l'ame s'etant amasse des tresors de biens temporels de quelque nature qu'ils soient, soit or, soit science, soit repu- tation, c'est une necessite indispensable qu'elle se trouve denuee de tous ces objets de sa felicite ; et qu'ainsi, s'ils ont eu de quoi la satisfaire, ils n'auront pas de qmoi la satisfaire toujours; et que si c'est se procurer un bonheur veritable, ce n'est pas se pro- poser un bonheur bien durable, puisqu'i) doit etre borne avec le cours de cette vie. De sorte que par une sainte humilite que Dieu releve au-dessus de la superbe 1 , elle commence a s'elever au-dessus du commun des h^mmes : elle 1 L'orgueil, superbieu 496 PASCAL. — OPUSCULES, nondamne leur ronduite, elle deteste leurs maximes, elle pleure leur aveuglement; elle se porte a la re- cherche du veritable bien; elle comprend qu'il faut qu'il ait ces deux qualites : l'une qu'il dure autant qu'elle et qu'il lie puisse lui etre ote que de son consentement , et l'autre qu'il n'y aii rien de plus aimable. Elle voit que dans l'amour qu'elle a eu pour le monde elle tiouvait en lui cette seconde qualite dans son aveuglement; car elle ne reconnaissait rien de plus aimable. Mais comme elle n'y voit pas la pre- miere, elle connait que ce n'est pas le souverain bien . Elle le cherche done ailleurs, et connaissant par une lumiere toute pure qu'il n'est point dans les ohoses qui sont en elle, ni hors d'elle, ni devant elle (rien done en elle ni a ses cotes ), elle commence a le cher- cher au-dessus d'elle. Cette elevation est si eminente et si transcendante qu'elle ne s'arr&te pas au ciel . il n'a pas de quoi la satisfaire; ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux etres les plus parfaits. Elle traverse toutes les crea- tures, et ne peut arreter son coeur qu'elle ne se soit renduejusqu'au tronedeDieu dans lequel elle com- mence a trouver son repos et ce bien qui est tel qu'il n'y a rien de plus aimable, et qui ne peut lui 6tre ote que par son prop re consentement. Car encore qu'elle ne sente pas ces charmes dont J)ieu recompense l'habitude dans la piete, elle com- prend ue anmoins que les creatures ne peuvent pas 6tre plus aimables que le Greateur; et sa raison aidee des luinieres de la grace lui fait connaitre qu'il SUR LA CONVERSION DU PECHEUR. 497 ii'y a rien de plus aimable que Dieu et qu'il ne peut £tre ote qu'a ceux qui le rejettent, puisque c'est le posseder que de le desirer, et que le refuser c'est le perdre. Ainsi elle se rejouit d'avoir trouve un bien qui ne peut pas lui etre ravi tant qu'elle le desirera et qui n'a rien au-dessus de soi. Et dans ces reflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Createur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s'aneantit en consequence et ne pouvant former d'elle-meme une idee assez basse ni en concevoir une assez relevee de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu'aux der- niers abimes du neant, en considerant Dieu dans des immensites qu'elle multiplie sans cesse. Enfin dans cette conception qui epuise ses forces elle l'adore en silence, elle se considere comme sa vile et inutile creature et par ses respects reiteres l'adore et le benit, et voudrait a jamais le benir et l'adorer. Ensuite elle reconnait la grace qu'il lui a faite de manifester son infmie majeste a un si chetif vermis- seau; et apres une ferme resolution d'en etre eter- nellement reconnaissante, elle entre en confusion d'avoir prefere tant de vanites a ce divin maitre; et dans un esprit de componction et de penitence elle a recours a sa pitie pour arreter sa colere dont l'eflfet lui parait epouvantable. Dans la vue de ces immensites Elle fait d'ardentes prieres a Dieu pour obtenir de sa misericorde que comme il lui a plu de se de- 498 PASCAL, - OPUSCULES, couvrir a elle, il lui plaise de la conduire a lui et lui faire connaitre les moyens d'y arriver. Gar comme c'est a Dieu qu'elle aspire, elle aspire encore a n'y arriver que par des moyens qui vien ieure aux Provin- ciates memes; et, pour l'y introduire, il l'a mutil^e et de'figure'e; il a supprime la forme du dialogue, 6te" tout ce que dit Saci, et garde" seulement ce que dit Pascal ; puis, pour lier ensemble ces fragments disjoints et en faire un tout, il lui a fallu pratiquer en quelque sorte des raccords de sa propre f agon. II y a plus : Bossut trouve que Pascal parle quelquefois un peu longuement par la bouche du bon Fontaine, et alors il supprime tout ce qui lui parait languissant ; quelquefois, au contraire, il ajoute a Fontaine et le de>eioppe ; le plus souvent il brise et decompose ses longues phrases, et efface les formes logi- ques et raisonneuses de la langue du dix-septieme siecle. » 11 va sans dire que nous donnons ici X entretien dans toute son in- tegrity. Seulement nous ne suivons pas le texte de Fontaine, mais celui du pere Desmolets, qui nous a paru, et c'est aussi Fopinion de M. Havet, de beaucoup preTe>able, ce qui s'explique par cette. cir- 800 PASCAL. — OPUSCULES, qui etait cet homme, que non-seulement toute la France., mais toute l'Europe a admire. Sou esprit toujours vif, toujours agissant, etait d'une etendue, d'une elevation, dune fermete, d'une penetration et d'une netteH au dela de ce qu'on peut croire... Get homme admirable, enfin etant touche de Dieu, soumit cet esprit si eleve au joug de Jesus-Christ, ct ce cceur si noble et si grand embrassa avec humi- lite la penitence. II vint a Paris se jeter entre les bras deM. Singlin, resolu de faire tout ce qu'il lui ordon- nerait. M. Singlin crut, en voyant ce grand genie, qu'il ferait bien de l'envoyer a Port- Royal des Champs, oil M. Arnauld lui preterait le collet en ce qui regardait les hautes sciences, et oil M. de Saci lui apprendrait a les mepriser. II vint done demeurer a Port-Royal. M. de Saci ne put pas se dispenser de le voir par honnetete, surtout en ayant ete prie par M. Singlin; mais les lumieres saintes qu'il trouvait dans 1'ficriture et les Peres lui firent esperer qu'il ne serait point ebloui de tout le brillant de M. Pascal, qui charm ait neanmoins et enlevait tout le monde. 11 trouvait en eflet tout ce qu'il disait fort juste. II avouait avec plaisir la force de son esprit et de ses discours. Tout ce que M. Pascal lui disait de grand, il l'avait vu avant lui dans saint Auguslin, ct faisant justice a tout le monde, il disait : a M. Pascal est Constance, que le pere Dcsrnolets, en 1728, a reproduit a peu pres Int^gralement le manuscrit de Fontaine, tandis que les Odlteurs de •:•!•, ,mi imprimant ce manuscrit en 173C, y out fait de nom- changements. [Voir sur ce morceau Saintc-Bcuve, Port- Royal, t. II, p. 369. —Cousin, Dcs Pensdcs dc Pascal, Paris, 18/J3, ln-8°, p. 29 et suiv. — Havet, xxxiii.j SUR EPICTETE ET MONTAIGNE. 50! » extremement estimable en ce que, n'ayant point * lu les Peres de l'Eglise, il a de lui-meme, par la > penetration de son esprit, trouve les memes ve- * rites qu'ils avaient trouvees. II les trouve surpre- » nantes, disait-il, parce qu'il ne les a vues en aucuL » endroit; mais pour nous, nous sommes accou- » tumes a les vojj de tous cotes dans nos livres. » Ainsi, ce sage ecclesiastique trouvant que les an- ciens n'avaient pas moins de lumiere que les nou- veaux, il s'y tenait, et estimait beaucoup M. Pascal de ce qu'il se rencontrait en toutes choses avec saint Auguslin. » La conduite ordinaire de M. de Saci, en entre- tenant les gens, etait de proportionner ses entretiens a ceux a qui il parlait. S'il voyait, par exemple, M. Champagne, il parlait avec lui de la peinture. S'il voyait M. Hamon, il 1'entretenait de la medecine. S'il voyait le chirurgien du lieu, il le questionnait sur la chirurgie. Ceux qui cultivaient ou la vigne, ou les arbres, ou les grains, lui disaient tout ce qu'il y fallait observer. Tout lui servait pour passer aussitot a Dieu, et pour y faire passer les autres. II crut done devoir mettre M. Pascal sur son fonds, et lui parler des lectures de philosophic dont il s'occupait le plus. II le mit sur ce sujet aux premiers entretiens qu'ils eurent ensemble. M. Pascal lui dit que ses deux livres les plus ordinaires avaient ete Epictete et Mon- taigne, et il lui fit de grands eloges de ces deux ^sprits. M. de Saci, qui avait toujours cru devoir peu ire ces auteurs, pria M. Pascal de lui en parler a , ond. » 502 PASCAL. — OPUSCULES. %>ictete, lui dit-il, est un des philosophes du monde qui ait le mieux connu les devoirs de l'homme. II veut, avant toutes choses, qu'il regarde Dieu commeson principal objet; qu'il soit persuade qu'il gouverne tout avec justice ; qu'il se soumette a lui de boi cosur, et qu'il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu'avec une tres-grande sagesse : qu'ainsi cette disposition arretera toutes les plaintes et tous les murmures, et preparera son esprit a souffrir paisiblement les evenements les plus facheux. Ne dites jamais, dit-il, J'ai perdu cela; dites plutot, Je l'ai rendu. Mon ills est mort, je l'ai rendu. Ma femme est morte, je l'ai rendue. Ainsi des biens et de tout le reste. Mais celui qui me l'ote est un mechant homme, dites-vous. De quoi vous mettez- vous en peine, par qui celui qui vous l'a prete vous le redemande? Pendant qu'il vous en permetl'usage, ayez-en soin comme d'un bien qui appartient a au- trui, comme un homme qui fait voyage se regarde dans une hotellerie. Vous ne devez pas, dit-il, de- sirer que ces choses qui se font se fassent comme vous le voulez ; mais vous devez vouloir qu'elles se fassent comme elles se font. Souvenez-vous, dit-il ailleurs, que vous etes ici comme un acteur, et que vous jouez le personnage d'une comedie, tel qu'il plait au maRre de vous le dormer. S'il vous 1c donne court, jouez-le court; s'il vous le donne long, jouez-le long : s'il veut que vous contrefassiez le gucux, vous le devef faire a v ec toutc la naivete qui vous sera pos- sible; ainsi ju reste. C est votre fait de jouer bien le personnage qui vous est donne ; mais de le choisir, SUR EPICTEYe fiT MONTAIGNE. 503 c'est le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent Igs plus in- supportables ; et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne desirerez rien avec exces. II montre aussi en mille manieres ce que doit faire 1'homme. II veut qu'il soit humble, qu'il cache ses bonnes resolutions, surtout dans les commen- cements, et qu'il les accomplisse en secret : rien ne les ruine davantage que de les produire. II ne se lasse point de repeter que toute l'etude et le desir de 1'homme doivent etre de reconnaitre la volonte de Dieu et de la suivre. Voila, monsieur, dit M. Pascal a M. de Saci, les lumieres de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de 1'homme. J'ose dire qu'il meritait d'etre adorf „ s'il avait aussi bien connu son impuissance, puisqu'il fallait etre Dieu pour apprendre l'un et 1'autre aux hommes. Aussi comme il etait terre et eendre, apres avoir si bien compris ce qu'on doit, voici comment il se perd dans la presumption de ce que Ton peut. II dit que Dieu a donne a touthomme les moyens de s'acquitter de toutes ses obligations ; que ces moyens sont toujours en notre puissance; qu'il faut chercher la felicite par les choses qui sont en notre pouvoir, puisque Dieu nous les a donnees k cette fin : il faut voir ce qu'il y a en nous de libre; que les biens, la vie, l'estime ne sont pas en notre p^ jssance, et ne menent done pas a Dieu; mais que l'esprit ne peut etre force de croire ce qu'il sait etre faux, ni la volonte d'aimer ce qu'elle sait qui la rend malheureuse : que ces deux puissances sont done 504 PASCAL. — OPUSCULES. libres, et que c'est par dies que nous pouvons nous rendre parfaits; que l'homme peut par ces puis- sances parfaitement connaitre Dieu, l'aimer, iii: obeir, lui plaire, se guerir de tous ses vices, ac- querir toutes les vertus, se rendre saint, et ainsi tompagnon de Dieu. Ces principes d'une superbe tliabolique le conduisent a d'autres erreurs, comme : que l'ame est une portion de la substance divine; que la douleur et la mort ne sont pas des maux; qu'on peut se tuer quand on est tellement persecute qu'on peut croire que Dieu appelle, et d'autres. Pour Montaigne, dont vous voulez aussi, mon- sieur, que je vous parle, etant ne dans un fitat chretien, il fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier. Mais comme il a voulu chercher quelle morale la raison devrait dieter sans la lumiere de la foi, il a pris ses principes dans cette supposition ; et ainsi, en considerant l'homme destitue de toute revelation, il discourt en cette sorte. II met toutes choses dans un doute universel et si general, que ce doute s'emporte soi-meme, e'est-a-dire s'il doute, et doutantmeme de cette der- niere proposition, son incertitude roule sur elle- erne dans un cercle perpetuel et sans repos; s'op- posant egalement a ceux qui assurent que tout est incertain et a ceux qui assurent que tout ne Test pas, parce qu'il ne veut rien assurer *. C'est dans ce doute ca] n'abuse-t-il «pas ici de la puissance de son imagination, pour imposer a notrc faiblcsse par l'tincrgie de la parole? Quel est ce fantoiiic d'incrddulitl qu'il prend plaisir a Clever lui-meme pour ricraser aisument sous 1c ooida de son invincible Eloquence? od SUR fiPlGTETE ET MONTAIGNE. 505 qui doute de soi et dans cette ignorance qui s'ignore, et qu'il appelle sa maitresse forme, qu'est l'essence de son opinion, qu'il n'a pu exprimer par aucun terme positif. Car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute; ce qui etant formel- lement contre son intention, il n'a pu s'expliquer que par interrogation; de sorte que., ne voulant pas dire : « Je ne sais, » il dit : « Que sais-je? » Dont il fait sa devise, en la mettant sous des balances qui pesant les contradictoires se trouvent dans un par- fait equilibre : c'est-a-dire qu'il est pur pyrrhonien. Sur ce principe roulent tous ses discours et tous ses Essais; et c'est la seule chose qu'il pretende bien etablir, quoiqu'il ne fasse pas toujours remarquer son intention. II y detruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour etablir le contraire avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences etant egales de part et d'autre, on ne sait ou asseoir sa creance. Dans cet esprit il se moaue de toutes les assu- peut-il done trouver dans les aveux d'un philosophe si ingenieux et si modeste, cet incorrigible pyrrhonien, poursuivi par le doute jus- que dans son doute meme, et changeant de folie sans pouvoir en guerir? Montaigne n'a jamais doute" ni de Dieu ni de la vertu... II trouve dans la nature de Thomme de terribles difficultes et d'in- concevables mysteres ; il regarde en pitie" les erreurs de notre raison, la faiblesse et l'incertitude de notre entendement ; il affecte un mo- ment de nous ravaler jusqu'aux betes; et Pascal l'approuve alors... Pourquoi done, Pascal, defendiez-vous tout a l'heure a un sage de se d^fier de cette raison que Yous-meme reconnaissez si faible et si trompeuse? voulez-vous maintenant le conduire par l'impuissanct. de penser a la necessity de croire, et vous semble-t-il qu'il soit besoin de lui arrachor le flambeau de la raison pour le pr^cipiter dans la foi? (Villemain.) 43 506 PASCAL. — OPUSCULES. ranees ; par exemple, il combat ceux qui ont pense* etablir dans la France un grand remede contre les preces par la multitude et par la pretendue justesse des lois : comme si Ton pouvait couper la racine des doutes d'ou naissent les proces, et qu'il y eut des digues qui pussent arreter le torrent de l'incertitude et captiver les conjectures ! C'est la que, quand il dit qu'il vaudrait autant soumettre sa cause au pre- mier passant, qu'a des juges armes de ce nombre d'ordonnances, il ne pretend pas qu'on doivc change* l'ordre de l'^tat, il n'a pas tant d'ambition; ni que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun de bon. C'est seulement pour prouver la vanite des opinions les plus recues; montrant que l'exclusion de toutes lois diminuerait plutot le nombre des diflerends que cette multitude de lois qui ne sert qu'a l'augmenter, parce que les difficultes croissent a mesure qu'on les pese; que les obscurit^s se multiplient par le commentaire; et que le plus sur moyen pour en tendre le sens d'un discours est de ne le pas examiner et de le prendre sur la premiere apparence : si peu qu'on l'observe, toute sa clarte se dissipe. Aussi il juge a l'aventure de toutes les actions des hommes et des points d'histoire, tantot d'une maniere, tantol d'une autre, suivant librcment sa premiere vue, et sans contraindrc sa pensee sous les regies de la rai- son, qui n'a que de fausses mesures, ravi de montrer par sen exemplc les contrarietes d'un meme esprit. l):u»s CC genie lout libre, il lui est eiilieicmeni egal de remporter on non dans la dispute, ayant tou- jourB, par i'un et 1'aulre exempie, un moyen de faire SUR EPICTETE ET MONTAIGNE 5(ft voir la faiblesse des opinions; etant porte avec tant d'avantage dans ce doute universel, qu'il s'y fortifie egalement par ?on triomphe et par sa defaite. G'est dans ceUe assiette, toute flottante et ehan- celante qu'elle est, qu'il combat avec une fermete invincible les heretiques de son temps, sur ce qu'ils s'assuraient de connaitre seuls le veritable sens de rflcriture; et c'est de la encore qu'il foudroie plus vigoureusement l'impiete horrible de ceux qui osent assurer que Dieu n'est point. II les entreprend par- ticulierement dans l'apologie de Raimond de Se- bonde, et les trouvant depouilles volontairement de toute revelation, et abandonnes a leur lumiere na- turelle, toute foi mise a part, il les interroge de quelle autorite ils entreprennent de juger de cet fitre souverain qui est infini par sa propre defini- tion, eux qui ne connaissent veritablement aucunes choses de la nature! II leur demande sur quels prin- cipes ils s'appuient; il les presse de les montrer, II examine tous ceux qu'ils peuvent produire; et y pe- netre si avant, par le talent ou il excelle, qu'il montre la vanite de tous ceux qui passent pour les plus na- turels et les plus fermes. II demande si 1'ame connait quelque chose; si elle se connait elle-meme; si elle est substance ou accident, corps ou esprit, ce que c'est que chacune de ces choses, et s'il n'y a Hen qui ne soit de l'un de ces ordres; si elle connait son propre corps, ce que c'est que matiere, et si elle peui disaerner entre l'innombrable variete des corps qu'on en produit 1 ; comment elle peut raisonner si elle est * Var. iu vs. : « Quandon en a produit. » (Desmolets.) 508 PASCAL. — OPUSCULES. materielle ; et comment elle peut etre unie a un corps particulier et en ressentir les passions, si elle est spirituelle : quand a-t-elle commence d'etre ? avec le corps ou devant? et si elle finit avec lui ou non; si elle ne se trompe jamais; si elle sait quand elle erre, vu que l'essence de la meprise consiste a ne la pas connaitre; si dans ses obscurcissements elle ne croit pas aussi fermement que deux et trois font six qu'elle sait ensuite que c'est cinq; si les animaux raisonnent, pensent, parlent; et qui peut decider ce que c'est que le temps, ce que c'est que l'espace ou etendue, ce que c'est que le mouvement, ce que c'est que l'unite, qui sont toutes choses qui nous environnent et entierement ■ inexplicables; ce que c'est que sante, maladie, vie, mort, bien, mal, justice, peche, dont nous paiions a toute heure; si nous avons en nous des principes du vrai, et si ceux que nous croyons, et qu'on appelle axiomes ou notions communes, parce qu'elles sont communes dans tous les hommes, sont conformes a la verite essentielle. Et puisque nous ne savons que par la seule foi qu'un £tre tout bon nous les a donnes veritables, en nous creant pour connaitre la verite, qui saura sans cette lumiere si, etant formes a I'aventure, ils ne sont pas incertains, ou si, etant formes par un etre faux el imi- chant, il ne nous les a pas donnes faux alin de nous seduire? raontrantparla que Dieu etle vrai sont in- separables, et que si l'un est ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, l'autre est necessairement de 1 Var. du ms. : « Iiitcricurement. » (Desmolets.) Nous avons adopu' 1* correction de M. HaveU SUR EP1GTETE ET MONTAIGNE. 509 meme. Qui sait done si le sens commun, que nous prenons pour juge du vrai, en a l'etre, de celui qui l'a cree ? De plus, qui sait ce que c'est que verite, et comment peut-on s'assurer de 1'avoir sans la con- naitre ? Qui sait meme ce que c'est qu'etre, qu'il est impossible de definir, puisqu'il n'y a rien de plus general, et qu'il faudrait d'abord, pour l'expliquer, se servir de ce mot-la meme, en disant : C'est etre... ? Et puisque nous ne savons ce que c'est qu'ame, corps, temps, espace, mouvement, verite, bien, ni meme etre, ni expliquer l'idee que nous nous en formons, comment nous assurons-nous qu'elle est la meme dans tous les hommes, vu que nous n'avons d'autre marque que l'uniformite des consequences, qui n'est pas toujours un signe de celle des prin- cipes ; car ils peuvent bien etre differents et con- duire neanmoins aux memes conclusions, chacun sacbant que le vrai se conclut souvent du faux. Enfin il examine si profondement les sciences, et la geometrie, dont il montre l'incertitude dans les axiomes et dans les termes qu'elle ne definit point, comrae de centre, de mouvement, etc.; la physique en bien plus de manieres, et la medecine en une infinite de facons; et l'histoire, et la poli- tique, et la morale, et la jurisprudence et le reste. De telle sorte qu'on demeure convaincu que nous ne pensons pas mieux a present que dans un songe dont nous ne nons eveillons qu'a la mort, et pendant lequel nous avons aussi peu les principes du vrai que durant le sommeil naturel. C'est ainsi qu'il gourmande si fortement et si crueilemeni la raison 51* PASCAL. — OPUSCULES, denuee de la foi, que, lui faisant douter si elle est raisonnable, et si les animaux le sont ou non , ou plus ou moins, il la fait descendre de l'excellence qu'elle s'est attribute, et la met par grace en paral- lele avec les betes, sans lui permettre de sortir de cet ordre jusqu'a ce qu'elle soit instruite par son Createur meme de son rang qu'elle ignore; la mena- cant, si elle gronde, de la mettre au-dessous de tout, ce qui est aussi facile que le contraire; et ne lui don- nant pouvoir d'agir cependant que pour remarquer sa faiblesse avec une humilite sincere, au lieu de s'elever par une sotte insolence. « M. de Saci, se croyant vivre dans un nouveau pays et entendre une nouvelle langue, se disait en lui- meme les paroles de saint Augustin : Dieu de verite ! ceux qui savent ces subtilites de raisonnement vous sont-ils pour cela plus agreables ? II plaignait ce phi- losophe qui se piquait et se dechirait de toutes parts des epines qu'il se formait, comme saint Augustin dit de lui-meme lorsqu'il etait en cet etat. Apres done une assez longue patience, il dit a M. Pascal : « Je vous suis oblige, monsieur; je suis sur que si j'avais longtemps lu Moniaigne, je ne le connai- trais pas autant que je fais depuis cet entrelien que je viens d'avoir avec vous. Cet homme devrait sou- li;iiicrqu'on ne le connut que par les recits que vous faites de ses ecrits; et il pourrait dire avec saint Au-ustii) : Ibime vide, attende. Je crois ".sijun'-ment que ce\ homme avail de I'esprit; mais je ne sais si vous ne lui en pnHez pas un peu plus qu'il n'eii a, SUR EPICTETE ET MONTAIGNE. 5H par cet enchainement si juste que vous faites de ses principes. Vous pouvez juger qu'ayant passe ma vie comme j'ai fait, on m'a peu conseille de lire cet au~ teur, dont tous les ouvrages n'ont rien de ce que nous demons principalement rechercher dans nos lectures, selon la regie de saint Augustin, parce que ses paroles ne paraissent pas sortir d'un grand fonds d'humilite et de piete. On pardonnerait a ces philosophes d'autrefois , qu'on nommait academi- ciens, de mettre tout dans le doute. Mais qu'avait besoin Montaigne de s'egayer l'esprit en renouvelant une doctrine qui passe maintenant aux yeux des Chretiens pour une folie? G'est le jugement que saint Augustin fait de ces personnes. Car on peut dire apres lui de Montaigne : II met dans tout ce qu'il dit la foi a part; ainsi nous, qui avons la foi, devons de meme mettre a part tout ce qu'il dit. Je ne blame point l'esprfc de cet auteur, qui est un grand don de Dieu ; mais il pouvait s'en servir mieux, et en faire plutot un sacrifice a Dieu qu'au demon. A quoi sen un bien quand on en use si mal ? Quidproderat, etc. ? dit de lui ce saint docteur avantsa conversion. Vous etes heureux, monsieur, de vous etre eleve au-des- sus de ces personnes qu'on appeile des docteurs, plonges dans 1'ivresse, mais qui ont le cceur vide de la verite. Dieu a repandu dans votre cceur d'autres douceurs et d'autres attraits que ceux que vous trou- viez dans Montaigne. II vous a rappele de Cc plaisir dangereux, a jucunditate pestifera, dit saint Augus- tin, qui rend graces a Dieu de ce qu'il lui a par- donne les p^ches qu'il avait cornmis en goutant trop 512 PASCAL. — OPUSCULES, la vanite. Saint Augustin est d'autan! plus croyable en cela, qu'il etait autrefois dans ces sentiments; et comme vous dites de Montaigne que c'est par ce doute universel qu'il combat les heretiques de son temps, aussi par ce meme doute des academiciens, saint Au£~tistin quitta l'heresie des Manicheens. De- puis qu'il fut a Dieu, il renonga a ces vanites qu'il appelle sacrileges. II reconnut avec quelle sagesse saint Paul nous avertitde ne nous pas laisser seduire par ces discours. Car il avoue qu'il y a en cela un certain agrement qui enleve : on croit quelquefois les choses veritables, seulement parce qu'on les dit eloquemment. Ce sont des viandes dangereuses, dit- il, que Ton sert dans de beaux plats; mais ces- viandes, au lieu de nourrir le coeur, elles le vident. On ressemble alors a des gens qui dorment, et qui croient manger en dormant : ces viandes imaginaires les laissent aussi vides qu'ils etaient. » M. de Saci dit a M. Pascal plusieurs choses sem- blables : sur quoi M. Pascal lui dit que s'il lui faisait compliment de bien posseder Montaigne et de le savoir bien tourner, il pouvait lui dire sans compli- ment qu'il savait bien mieux saint Augustin, et qu'il le savait bien mieux tourner, quoique pen avanta- geusementpourlepauvreMontaigne.il lui tcmoigna e*tre extremement edifie de la solidite de tout ce qu'il venaitdelui representer; cependant, etant en- core tout plein de son auteur, il ne put se reieuir et lui dit : « Je vous avoue, monsieur, que je ne puis voir SUR EP1CTETE ET MONTAIGNE. 513 sans joie dans cet auteur la superbe raison si invin- ciblement froissee par ses propres armes, et cette revolte si sanglante de 1'homme contre 1'homme, qui, de la societe avec Dieu, oil il s'elevait par les maximes, le precipite dans la nature des betes ; et j'aurais aime de tout mon cceur le ministre d'une si grande vengeance, si, etant disciple de l'figlise par la foi, il eut suivi les regies de la morale, en portant les hommes, qu'il avait si utilement humilies, a ne pas irriter par de nouveaux crimes celui qui peut seul les tirer des crimes qu'il les a convaincus de ne pouvoir pas seulement connaitre. » Mais il agitau contraire en pai'en de cette sorte, De ce principe, dit-il, que hors de la foi tout est dans l'incertitude, et considerant bien combien il y a que Ton cherche le vrai et le bien sans aucun progres vers la tranquillite, il conclut qu'on en doit laisser le soin aux autres ; et demeurer cependant en repos, coulant legerement sur les sujets de peur d'y en- foncer en appuyant; et prendre le vrai et le bien sur la premiere apparence, sans les presser, parce qu'ils sont si peu solides, que quelque peu qu'on serre les mains ils s'echappent entre les doigts et, les laissent vides. C'est pourquoi il suit le rapport des sens et les notions communes, parce qu'il fau- drait qu'il se fit violence pour les demei^ir, et qu'il ae sait s'ii gagnerait, ignorant oil est le vrai. Ainsi il fuit la douleur et la mort, parce que son instinct l'y pousse, et qu'il ne veut pas resister par la meme raison, mais sans en conclure que ce soient de veri- tables maux, ne se fiant pas trop a ces mouvements 514 PASCAL. — OPUSCULES, naturels de crainte, vu qu'on en sent d'autres de plai- sir qu'on accuse d'etre mauvais, quoique la nature parle au contraire. Ainsi il n'a rien d'extravagant dans sa conduite ; il agit commeles autres hommes; et tout ce qu'ils font dans la sotte pensee qu'ils sui- vent le vrai bien, il le fait par un autre principe, qui est que les vraisemblances etant pareillement d'un et d'autre cote , l'exemple et la commodite sont les contre-poids qui l'emportent. » II monte sur son cheval comme un autre qui ne serait pas philosophe, parce qu'il le souffre, mais sans croire que ce soit de droit, ne sachant pas si cet animal n'a pas, au contraire, celui de se servir de lui. II se fait aussi quelque violence pour eviter certains vices ; et meme il a garde la fidelite au ma- nage, a cause de la peine qui suit les desordres; mais si celle qu'il prendrait surpasse celle qu'il evite, il y demeure en repos, la regie de son action etant en tout la commodite et la tranquillite. 11 re- jette done bien loin cette vertu stoique qu'on peint avec une mine severe, un regard farouche, des che- veux herisses, le front ride et en sueur, dans une posture penible et tenc'ue, loin des hommes, dans un morne silence, et seule sur la pointe d'un rocher: fantome, a ce qu'il dit, capable d'eflfrayer les enfants, et qui ne fait la autre chose, avec un travail conti- nue!, que de chercher le repos, ou il n'arrive jamais. La sienne est naive, familiere, plaisante, enjouee, et pour ainsi dire iolatrc : elle suit ce qui la charme, et badinn oe'gligemment dvs accidents bons ou mau- vais, co uchee inolleiiieiit dans le sein de l'oisivete SOR EPICTETB ET MONTAIGNE. 515 tranquille, d'oii elle montre aux hommes, qui cher- chent la felicite avec tant de peines, que c'est la seu- lement oil elle repose, et que l'ignorance et 1'incu- riosite sont deux doux oreillers pour une tete bien faite, comme il dit lui-meme *. » Je ne puis pas vous dissimuler, monsieur, qu'en lisant cet auteur et le comparant avec fipictete, j'ai trouve qu'ils etaientassurementles deux plus grands defenseurs des deux plus celebres sectes du monde et les seules conformes a la raison , puisqu'on ne peut suivre qu'une de ces deux routes, savoir : ou qu'il y a un Dieu, et lors il y place son souverain bien; ou qu'il est incertain, et qu'alors le vrai bieft Test aussi, puisqu'il en est incapable. J'ai pris un plaisir extreme a remarquer dans ces divers raison nements en quoi les uns et les autres sont arrives a quelque conformite avec la sagesse veritable qu'ils ont essaye de connaitre. Car, s'il est agreable d'ob- server dans la nature le desir qu'elle a de peindre Dieu dans tous ses ouvrages, oil Ton en voit quel- ques caracteres parce qu'ils en sont les images, combien est-il plus juste de considerer dans les pro- ductions des espritsies efforts qu'ils fontpour imiter la verite essentielle, meme en la fuyant, et de remar- quer en quoi ils y arrivent et en quoi ils s'en egarent, comme j'ai tache de faire dans cette etude. » II est vrai, monsieur, que vous venez de me faire voir admirablement le peu d'utilite que les Chretiens peuvent retirer de ces etudes philosophiques. Je ne 1 « Oh ! que c'esx un doulx et mol chevet, et sain, que l'ignorance et Van curiosity a reposer une teste bien faicte ! » {Essais, in, 13^ 516 PASCAL. — OPUSCULES, luisserai pas neanmoins, avec votre permission, de vous en dire encore ma pensee, pret neanmoins de renoncer a toutes les lumieres qui ne viendront pas de vous, en quoi j'aurai l'avantage, ou d'avoir ren- contre la verite par bonheur, ou de la recevoir de vous avec assurance. II me semble que la source des erreurs de ces deux sectes est de n'avoir pas su que 1'etat de l'homme a present differe de celui de sa creation; de sorte que Tun, remarquant quelques traces de sa premiere grandeur, et ignorant sa cor- ruption, a traite la nature comme saine et sans be- soin de reparateur, ce qui le mene au comble de la superbe: au lieu que l'autre, eprouvant la misere presente et ignorant la premiere dignite, traite la nature comme necessairement infirme et irrepa- rable, ce qui le precipite dans le desespoir d'arriver a un veritable bien, et de la dans une extreme la- chete. Ainsi ces deux etats qu'il fallait connaitre ensemble pour voir toute la verite, etant connus se- parement, conduisent necessairement a l'un de ces deux vices, d'orgueil ou de paresse , oil sont infailli- blement tous les homines avant la grace, puisque s'ils ne demeurent dans leurs desordres par lachete, ils en sorlenl par vanite, tant il est vrai ce que vous venez de me dire de saint Augustin, et quejetrouve d'une grande etendue; car en effet on leur rend hommage 01 bien des manieres. » CCsidoncdeces lumieres imparfaites qu'il arrive que Tun connaissant les devoirs de l'homme et igno- pant son impuissance, se perd dans la presomption, et (jnc i autre connaissant rimpuissance et non le SUR EPICTETE ET MONTAIGNE. 8P7 devoir, il s'abat dans la lacbete; d'oii il semble que puisque l'un conduit a la verite, l'autre a l'erreur. Ton formerait en les alliant une morale parfaite. Mais au lieu de cette paix, il ne resterait de leur assemblage qu'une guerre et qu'une destruction ge- nerate : car Tun etablissant la certitude, l'autre le doute, Pun la grandeur de l'homme, l'autre sa fai- blesse, ils ruinent les verites aussi bien que les faussetes l'un de l'autre. De sorte qu'ils ne peuvent subsister seuls a cause de leurs defauts, ni s'unir a cause de leurs oppositions, et qu'ainsi ils se brisent et s'aneantissent pour faire place a la verite de 1'Evangile. C'est elle qui accorde les contrarietes par un art tout divin, et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant tout ce qui est de faux, elle en fait une sagesse veritablement celeste ou s'accordent ces opposes, qui etaient incompatibles dans ces doc- trines humaines. Et la raison en est que ces sages du monde placent les contraires dans un meme sujet; car l'un attribuait la grandeur a la nature et l'autre la faiblesse a cette meme nature, ce qui ne pouvait subsister ; au lieu que la foi nous apprend a les mettre en des sujets differents : tout ce qu'il y a d'infirme appartenant a la nature, tout i qu'il y a de puissant appartenant a la grace. Voila 1'union etonnante et nouvelle que Dieu seul pouvait ensei- gner, et que lui seul pouvait faire, et qui n'est qu'une image el qifun eifet de 1'union ineffable de deux na- tures dans la seule personne d'unHomme-Dieu. » Jevousdemande pardon, monsieur, ditM. Pascal a M. de Saci, de m'emporter ainsi devant vous dans 44 518 PASCAL. —OPUSCULES. la theologie, au lieu de demeurer dans la philoso- phic, qui etait seule mon sujet; mais il m'y a con- duit insensiblement; et il est difficile de ne pas y entrer, quelque verite qu'on traite, parce qu'elle esj le centre de toutes les verites ; ce qui parait ici par- faitement, puisqu'elle enferme si visiblement toutes celles qui se trouvent dans ces opinions. Aussi je ne vois pas comment aucun d'eux pourrait refuser dela suivre. Car s'ils sont pleins de la pensee de la gran- deur de l'homme, qu'ont-ils imagine qui ne cede aux promesses de l'fivangile, qui ne sont autre chose que le digne prix de la mort d'un Dieu? Et s'ils se plaisaient a voir 1'infirmite de la nature, leurs idees n'egalent point celles de la veritable fai- blesse du peche, dont la meme mort a ete le re- mede. Ainsi tous y trouvent plus qu'ils n'ont desire; et ce qui est admirable, ils s'y trouvent unis, eux qui ne pouvaient s'allier dans un degre infiniment inferieur! » « M. de Saci ne put s'empecher de temoigner a M. Pascal qu'il etait surpris comment il savait tour- ner les choses; mais il avoua en meme temps que tout le monde n'avait pas le secret comme lui de Eaire sur ces lectures des reflexions si sages et si (levees. II lui dit qu'il ressemblait a ces medecins habiles qui, par la manierc adroite de preparer les plus grands poisons, en saventtirer les phis graada remedes. Ilajoutaque, quoiqu'il vitbien, parce qu'il venaii (1(> lui dire, que cesleclures lui etaient utiles, il ne pouvait pas croire neaumoins qu'elles fussent SUR EPICTETE ET MONTAIGNE. 519 avantageuses a beaucoup de gens dont l'esprit se trainerait un peu, et n'aurait pas assez d'elevation pour lire ces auteurs et en juger, et savoir tirer les perles du milieu du fumier, aurum ex stercore, disait un Pere. Ce qu'on pouvait bien plus dire de cesphi- losophes, dont le fumier, par sa noire fumee, pou- vait obscurcir la foi ehancelante de ceux qui les lisent. C'est pourquoi il conseillerait toujours a ces personnes de ne pas s'exposer legerementa ces lec- tures, de peur de se perdre avec ces philosophes, et de devenir la proie des demons et la pature des vers, selon le langage de l'flcriture, comme ces philo- sophes Font ete. » « Pour l'utilite de ces lectures, dit M. Pascal, je vous dirai fort simplement ma pensee. Je trouve dans £pictete un art incomparable pour troubler le repos de ceux qui le cherchent dans les choses exte- rieures, et pour les forcer a reconnaitre qu'ils sont de veritables esclaves et de miserables aveugles; qu'il est impossible qu'ils trouvent autre chose que l'erreur et la douleur qu'ils fuient, s'ils ne se don- nent sans reserve a Dieu seul. Montaigne est incom- parable pour confondre l'orgueil de ceux qui, hors la foi, se piquent d'une veritable justice ; pour desa- busor ceux qui s'attachent a leurs opinions, et qui eroi&nt trouver dans les sciences des verites inebran- lables ; et pour convaincre si bien la raison de son peu de lumiere etde ses egarements, qu'il est difficile, quand on fait un bon usage de ses principes, d'etre tentede trouver des repugnances dans les mysteres : 520 PASCAL. — OPUSCULES, car fi'espnt en est si battu, qu'il est bien eloigne de vouloir juger si l'lncarnation ou le mystere de 1'Eu- charistie sont possibles; ce queles homr&es ducom- mun n'agitent que trop souvent. » Mais si fipictete combat la paresse, il mene a l'or- gueil, de sorte qu'il peut etre tres-nuisible a ceux qui ne sont pas persuades de la corruption de la plus parfaite justice qui n'est pas de la foi. Et Mon- taigne est absolument pernicieux a ceux qui ont quelque pente a l'impiete et aux vices. C'est pour- quoi ces lectures doivent etre reglees avec beaucoup de soin, de discretion et d'egard a la condition et aux moeurs de ceux a qui on les conseille. II me semble seulement qu'en les joignant ensemble elles ne pourraientreussir fort mal,parce que Tune s'op- pose au mal de l'autre : non qu'elles puissent don- ner la vertu, mais seulement troubler dans les vices: Tame se trouvant combattue par les contraires, dont Tun chasse l'orgueil et l'autre la paresse, et ne pou- vant reposer dans aucun de ces vices par ses raison- nements ni aussi les fuir tous. » « Ce fut ainsi que ces deux personnes d'un si bel esprit s'accorderent enfin au sujet de la lecture de ces philosophes, et se rencontrerentau meme termc, oil ils arriverent neanmoins d'une maniere un peu (liUcrente : M. de Saci y etant arrive tout dun coup par la claire vue du christianisme, et M. Pascal n'y etant arrive qu'apres beaucoup de detours en s'atta- chani aux plincipes de ces philosophes. » DE L'ART DE PERSUADER. 52t DE L'ART DE PERSUADER 1 . L'ar?, de persuader a un rapport necessaire a la maniere dont les hommes consentent a ce qu'on leur propose, et aux conditions des choses qu'on veut faire croire. Personne n'ignore qu'il y a deux entrees par ou les opinions sont recues dans Fame, qui sont ses deux principales puissances : l'entendement et la volonte. La plus naturelle est celle de l'entende- ment, car on ne devrait jamais consentir qu'aux ve- rites demontrees; mais la plus ordinaire quoique 1 « L'Art de persuader, dit M. Faugere, comme le traits de I'Esprit geomttrique, a pour objet l'application de la m^thode des g£o- metres a l'art de raisonner en general. II y a meme tout lieu de croire que cet £crit n'en elait que la reproduction sous une forme plus abregee et plus didactique. Les auteurs de la Logique de Port-Royal, bien qu'ils n'en fassent pas mention, s'en sont evi- demment servis pour leur chapitre De la Methode de composition. » Quant a la date de ce fragment, nous ne pensons pas qu'il soit de la jeunesse de Pascal, du temps qu'on pourrait appeler sa pre- miere epoque, parce que : 1° il porte le caractere de la maturity ; 2° Pascal, apres avoir dit qu'il peut y avoir des regies aussi sures pour plaire que pour de"montrer, ajoute que si quelqu'un est capable de les enseigner, U salt que ce sont des personnes qu'il connait et qu'aucun autre n'a sur cela de si claires et de si abondantes lumieres. Pascal designe ici tres-probablement Arnauld et Nicole : ceux-ci tra- vaiilaient a la Logique de Port-Roijal, et nul doute que Pascal ne s'entretint avec eux de ces matieres. Or Pascal ne se lia avec MM. de Port-Royal qu'a la fin de 1654, apres son retour a la religion; 3° a la fin du meme e*crit, Pascal parle de sa longue experience de toutes wrfces de livres et de personnes. » Ce morceau a 6t6 public pour la premiere fois par le pere Desmo- lets dans la continuation des Memoires de Litterature et d'Histoir^ t. V, part. ii. Nous si dvons le texte de M. Faugere, 522 PASCAL. — OPUSCULES, conire la nature est celle de la volonte; car tout ce qu'il y a d'hommes sont presque toujours emportes a croire non pas par la preuve, mais par l'agrement. Cette voie est basse, indigne, et etrangere .- aussi tout le monde la desavoue. Ghacun fait profession de ne croire et meme de n'aimer que ce qu'il sait le meriter. Je ne parle pas ici des verites divines, que je n'au- rais garde de faire tomber sous l'art de persuader, car elles sont innniment au-dessus de la nature : Dieu seul peut les mettre dans Tame, et par la maniere qu'il lui plait. Je sais qu'il a voulu qu'elles entrent du coeur dans 1'esprit, et non pas de 1'esprit dans le coeur, pour humilier cette superbe puissance du rai- sonnement qui pretend devoir etre juge des choses que la volonte choisit; et pour guerir cclte volonte infirme, qui s'est toute corrompue par ses sales atta- chements. Et de la vient qu!au lieu qu'en parlant des choses humaines on dit qu'il faut les connailre avant que de les aimer, ce qui a passe en proverbe K les saints au contraire disent en parlant des choses divines qu'il faut les aimer pour les connaitre et qu'on n'entre dans la verite que par la charite, dont ils ont fait une de leurs plus utiles sentences. En quoi il parait que Dieu a etabli cet ordre sur- naturel et tout contraire a Pordre qui devait etre na- ture! aux homines dans les choses naturclles. Tls out ue'anmoins corrompu cet ordre en faisani aes choses profanes ce quits devaient faire des choses saintes, parce qu'en effel nous ne croyons presque que ce 4 lynoli nulla cupido. DE L'ART DE PERSUADER. 52* qui nous plait. Et de la vient 1'eloignement ou nous sommes de consentir aux verites de la religion chretienne tout opposee a nos plaisirs. Dites-nous des choses agreables et nous vous ecouterons, di- saient les Juifs a Moise; comme si l'agrement devait regler la creance! Et c'est pour punir ee desordre par un ordre qui lui est conforme, que Dieu ne verse ses lumieres dans les esprits qu'apres avoir dompte la rebellion de la volonte par une douceur toute ce- leste qui la charme et qui l'entraine, Je ne parle done que des verites de notre portee; et c'est d'elles que je dis que l'esprit et le cceur sont comme les portes par ou elles sont recues dans Tame, mais que bien peu entrent par l'esprit, au lieu qu'elles y sont introduites en foule par les caprices temeraires de la volonte, sans le conseil du raison- nement. Ges puissances ont chacune leurs principes et les premiers moteurs de leurs actions. Ceux de l'esprit sont des verites naturelles et con nues a tout le monde, comme que le tout est plus grand que sa partie, outre plusieurs axiomes parti- culiers que les uns recoivent et non pas d'autres, mais qui des qu'ils sont admis sont aussi puissants quoique faux, pour emporter la creance, que les plus veritables. Ceux de la volonte sont de certains desirs naturels et communs a tous les hommes, comme le desir d'etre heureux , que personne ne pent pas ne pas avoir, outre plusieurs objets particuliers que chacun «uit pour y arriver, et qui ayant la force de aous 524 PASCAL. —OPUSCULES, plaire sont aussi forts quoique pernkieux en effet* pour faire agir la volonte, que s'ils faisaient son ve- ritable bonheur. Voila pour ce qui regarde les puissances qui nous portent a consentir. Mais pour les qualites des choses que nous devons persuader, elles sont bien diverses. Les unes se tirent, par une consequence neces- saire, des principes communs et des verites avouees. Celles-la peuvent etre infailliblement persuadees; car en montrant le rapport qu'elles ont avec les principes accordes il y a une necessite inevitable de convaincre, et il est impossible qu'elles ne soient pas recues dans Tame des qu'on a pu les enroler a ces verites qu'elle a deja admises. II y en a qui ont une union etroite avec les objets de notre satisfaction; et celles-la sont encore recues avec certitude, car aussitot qu'on fait apercevoir a l'ame qu'une chose peut la conduire a ce qu'elle aime souverainement, il est inevitable qu'elle ne s'y porte avec joie. Mais celles qui ont cette liaison tout ensemble et avec les verites avouees et avec les desirs du coeur, sont si sures de leur eflet, qu'il n'y a rien qui le soit davantage dans la nature. Comme au contraire ce qui n'a de rapport ni a nos creances ni a nos pi ai sirs nous est importun, faux et absolumenl Stranger. En toules ces rencontres il n'y a point a douter. Mais il y en a on les choses qu'on veut faire croire sonibien etal)lies sur d(;s verites connues ; rnais qui DE l/ART DE PERSUADER. 525 sont en meme temps contraires aux plaisirs qui nous touchent le plus, Et celles-la sont en grand peril de faire voir, par une experience qui n'est que trop ordinaire, ce que je disais au commencement : que cette ame imperieuse qui se vantait de n'agir que par raison suit par un choix honteux et temeraire ce qu'une volonte corrompue desire, quelque re- sistance que l'esprit trop eclaire puisse y opposer. C'est alors qu'il se fait un balancement douteux entre la verite et la volupte, et que la connaissance de l'une et le sentiment de Tautre font un combat dont le succes est bien incertain, puisqu'il faudrait pour en juger connaitre tout ce qui se passe dans le plus interieur de l'homnie, que l'homme meme ne connait presque jamais. II parait de la que quoi que ce soit qu'on veuille persuader, il faut avoir egard a la personne a qui on en veut, dont il faut connaitre l'esprit et le coeur, quels principes il accorde, quelles choses il aime; et ensuite remarquer dans la chose dont il s'agit quel rapport elle a avec les principes avoues ou avec les objets delicieux par les charmes qu'on lui donne. De sorte que l'art de persuader consiste autant en celui d'agreer qu'en celui de convaincre, tant les hommes se gouvernent plus par caprice que par raison ! Or, de ces deux methodes, l'une de convaincre, l'autre d'agreer, je ne doJ&nerai ici les regies que de la premiere; et encore au cas q& D on ait accorde les principes et qu'on demeure ferme a les avouer : au- trement je ne sais s'il y aurait un art pour accom- 526 PASCAL. — OPUSCULES. moder les preuves a l'inconstance de nos caprices. Mais la maniere d'agreer est bien sans compa- raison plus difficile, plus subtile, plus utile et plus admirable; aussi, si je n'en traite pas, c'est parce que je n'en suis pas capable ; et je m'y sens tellement disproportionne que je crois la chose absolument impossible. Ce n'est pas que je ne croie qu'il y ait des regies aussi sures pour plaire que pour demontrer, et que qui les saurait parfaitement connaitre et pratiquer ne reussit aussi surement a se faire aimer des rois et de toutes sortes de personnes qu'a demontrer les elements de la geometrie a ceux qui ont assez d'ima- gination pour en comprendre les hypotheses. Mais j'estime, et c'est peut-etre ma faiblesse qui me le fait croire, qu'il est impossible d'y arriver. Au moins je sais que si quelqu'un en est capable ce sont des per- sonnes que je connais, et qu'aucun autre n'a sur cela de si claires et de si abondantes lumieres. La raison de cette extreme difliculte vient de ce que les principes du plaisir ne sont pas fermes et stables. lis sont divers en tous \es hommes, et va- riables dans chaque particulier avec une telle diver- site qu'il n'y a point d'homme plus different d'un autre que de soi-meme dans les divers temps. Un homme a d'autres plaisirs qu'une femme; un riche at un pauvre en ont de di Heron is; un prince, un homme de guerre, un marchand, un bourgeois, un in, les vieux, les jeunes, les sains, les inalades, Ions vaiicnt; les inoimlros accidents les changent. Or, il y a un ait, et c'est celui que ie donne, pour DE I/ART DE PERSUADER. 527 faire voir la liaison des verites avec leurs principes soit de vrai, soit de plaisir, pourvu que les principes qu'on a une fois avoues demeurent fermes et sans etre jamais dementis. Mais comme il y a pen de principes de cette sorte et que, hors de la geometrie qui ne considere que des figures tres-simples, il n'y a presque point de verites dont nous demeurions toujours d'aecord et encore moins d'objets de plaisir dont nous ne chan- gions a toute heure, je ne sais s'il y a moyen de donner des regies fermes pour accorder les discours a l'inconstance de nos caprices. Get art, que j'appelle Yart de persuader, et qui n'est proprement que la conduite des preuves methodi- ques parfaites, consiste en trois parties essentielles : a definir les termes dont on doit se servir par des definitions claires ; a proposer des principes ou axiomes evidents pour prouver la chose dont il s'agit; et a substituer toujours mentalement dans la demonstration les definitions a la place des defmis. La raison de cette methode est evidente, puisqu'il serait inutile de proposer ce qu'on veut prouver et d'en entreprendre la demonstration, si on n'avait auparavant defini clairement tous les termes qui ne sont pas intelligibles ; et qu'il faut de meme que la demonstration soit precedee de la demande des prin- cipes evidents qui y sont necessaires, car si Ton n'as- sure le fondement on ne peut assurer l'edifice; et qu'il faut enfm en demontrant substituer mentale- ment les definitions a la place des defmis, puisque autrement on pourrait abuser des divers sens qui se 528 PASCAL, — OPUSCULES, rencontrent dans les termes. II est facile de voir qu'en observant cette methode on est sur de con- vaincre, puisque, les termes etant tous entendus et parfaitement exempts d'equivoques par les defini- tions, et les principes etant accordes, si dans la de- monstration on substitue toujours mentalement les definitions a la place des definis, la force invincible des consequences ne peut manquer d'avoir tout son effet. Aussi jamais une demonstration dans iaquelle ces circonstances sont gardees n'a pu recevoir le moindre doute; et jamais celles ou elles manquent ne peuvent avoir de force. II importe done bien de les comprendre et de les posseder; et e'est pourquoi, pour rendre la chose plus facile et plus presente, je les donnerai toutes en ce peu de regies qui enferment tout ce qui est necessaire pour la perfection des definitions, des axiomes et des demonstrations, et par consequent de la methode entiere des preuves geometriques de Tart de persuader. Regies pour les definitions. I. N'enlreprendre de definir aucune des choses tellement connues d'elles-memes, qu'on n'ait point de termes plus clairs pour les expliquer. II. N'omeltre aucun des tonnes un peu obscurs on equivoques sans definition. III. N'employer dans la definition des termes que des mots parfaitement connus, ou deja expliques. DE L'ART DE PERSUADER. 529 Regies pour les axiomes. I. N'omettre aucun des principes necessaires sans avoir demande si on l'accorde, quelque clair et evi- dent qu'il puisse etre. II. Ne demander, en axiomes, que d*es chosespar- tiitement evidentes d'elles-memes. Rdgles pour les demonstrations. I. N'entreprendre dedemontreraucune des choses qui sont tellement evidentes d'elles-memes qu'on n'ait rien de plus clair pcur les prouver. II. Prouver toutes les propositions un peu ob- scures, et n'employer a leur preuve que des axiomes tres-evidents ou des propositions deja accordees ou demontrees. III. Substituer toujours mentalement les defini- tions a la place des definis, pour ne pas se tromper par l'equivoque des termes que les definitions ont restreints. Voila les huit regies qui contiennent tous les pre- ceptes des preuves solides et immuables, desquelles il y en a trois qui ne sont pas absolument neces- saires et qu'on peut negliger sans erreur; qu'il est meme difficile et comme impossible d'observer tou- jours exactement, quoiqu'il soit plus parfait de le faire autant qu'on peut; ce sont les trois premieres de chacune des parties. Pour les definitions, Ne definir aucun des terrnes qui sont parfaitement connus. 45 530 PASCAL.— OPUSCULES. Pour les axiomes. N'omettre a demander aucun des axiomes parfaitement evidents et simples. Pour les demonstrations. Ne demontrer aucune des choses tres-connues d'elles-memes. Car il est sans doute que ce n'est pas une grande faute de definir et d'expliquer bien clairement des choses , quoique tres-claires d'elles-memes , ni d'o- mettre a demander par avance des axiomes qui ne peuventetre refuses au lieu ou ils sont necessaires: ni enfin de prouver des propositions qu'on accorde- rait sans preuve. Mais les cinq autres regies sont d'une necessite absolue, et on ne peut s'en dispenser sans un defaut essentiel et souvent sans erreur; et c'est pourquoi je les reprendrai ici en particulier. Regies necessaires pour les definitions. N'omettre aucun des termes un peu obscurs ou equivoques, san.s definition; N'employer dans les definitions que des termes parfaitement connus, ou deja expliques. Regies necessaires pour les axiomes. Ne demander en axiomes que des choses parfaitement evidentes. Regie necessaire pour les demonstrations. Prouver toutes les propositions, en n'employant a leur preuve que des axiomes tres-evidents d'eux-memes, ou des propositions deja demontrees ou accordees, N'abuser jamais de l'equivoque des termes, en manquant de substituer mentalement les definitions qui les restreignent et les expliquent. Voila les cinq regies qui forment tout ce qu'il y a de necessaire pour rendre Les preuves convain- DE L'ART DE PERSUADER. 531 cantes, immuables, et pour tout dire geometriques; et les huit regies ensemble les rendent encore plus parfaites. Je passe maintenanta celle de l'ordre dans lequel on doit disposer les propositions , pour etre dans une suite excel lerte et geometrique. Apres avoir eta Mi * • • . • Voila en quoi consiste cet art de persuader, qui se renferme dans ces deux principes : definir tons les noms qu'on impose; prouver tout en substituaat mentalement les definitions a la place des definis. Sur quoi il me semble a propos de prevenir trois objections principales qu'on pourra faire. L'une, que cette methode n'a rien de nouveau, l'autre, qu'elle est bien facile a apprendre, sans qu'il soit necessaire pour cela d'etudier les elements de. geometrie, puisqu'elle consiste en ces deux mots qu'on sait a la premiere lecture ; et enfin qu'elle est assez inutile, puisque son usage est presque ren- ferme dans les seules matieres geometriques. II faut done faire voir qu'il n'y a rien de si inconnu, rien de plus difficile a pratiquer, et rien de plus utile et de plus universel. Pour la premiere objection qui est que ces regies sont communes dans le monde : qu'il faut tout de- finir et tout prouver, et que les logiciens memes les 4 La suite de la phrase manque ; et toute cette seconde partie de r^crit de Pascal, soit qu'il ne l'ait pas redigde, soit qu'elle ait 6te" perdue, ne se retrouve ni dans notre Ms., ni dans le pere Desmolats. (Faugere.) 532 PASCAL. — OPUSCULES, ont mises entre les preceptes de leur art, je von» drais que la chose fut veritable et qu'elle fut si connue, que je n'eusse pas eu la peine de recher- cher avec tant de soin la source de tous les defauts des F^lsonnements qui sont veritablement communs. Mais cela Test si peu, que si Yon e*- excepte les seuls geometres qui sont en si petit no nbre qu'i)s sont uniques en tout un peuple et dans un long temps, on n'en voit aucun qui le sache aussi. II sera aise de le faire entendre a ceux qui auront parfaitement compris le peu que j'en ai dit; mais s'ils ne Pont pas concu parfaitement, j'avoue qu'ils n'y auront rien a y apprendre. Mais s'ils sont enlres dans l'esprit de ces regies, et qu'elles aient assez fait d'impression pour s'y en- raciner et s'y affermir, ils sentiront combien il y a difference entre ce qui est dit ici et ce que quelques logiciens en ont peut-etre ecrit d'approchant au ha- sard, en quelques lieux de leurs ouvrages. Ceux qui ont l'esprit de discernement savent com- bien il y a de difference entre deux mots semblables, selon les lieux et les circonstances qui les accompa- gnent. Croira-t-on, en verite, que deux personnes qui ont lu et appris par coeur le meme livre le sa- chent egalement, si Pun le comprend en sorte qu'il en sache tous les principes, la force des conse- quences, les reponses aux objections qu'on y peut faire et toute l'economie de l'ouvrage; au lieu qu'en Pautre ce soient des paroles mortes et des semences qui, quoique pareilles a celles qui ont produit des arbres si fertiles, sont demeurecs setihes et infruc- DE I/ART DE PERSUADER. 533 tueuses dans 1'esprit sterile qui les a recues en vain ? Tous ceux qui disent les monies choses ne les pos« sedent pas de la meme sorte; et c'est pourquoi 1'in- compafable auteur de YArt de conferer 1 s'arrete avec tant de soin a fah'e entendre qu'il ne faut pas juger de la capacite d'un homme par l'excellerice d'un bon mot qu'on lui entend dire : mais, au lieu d'etendre l'admiration d'un bon discours a la personne, qu'on penetre, dit-il, 1'esprit d'ou il sort; qu'on tente s'il le tient de sa memoire ou d'un heureux hasard ; qu'on le recoive avec froideur et avec mepris, afm de voir s'il ressentira qu'on ne donne pas a ce qu'il dit i'es- time que son prix merite : on verra le plus souvent qu'on le lui fera desavouer sur l'heure, et qu'on le tirera bien loin de cette pensee meilleure qu'il ne croit, pour le jeter dans une autre toute basse et ridicule. II faut done sonder comme cette pensee est logee en son auteur 2 ; comment, par ou, jusqu'oii il la possede : autrement le jugement precipite sera juge temeraire. Je voudrais demander a des personnes equitables si ce principe : La mature est dans une incapacity na- turelle invincible depenser, et celui-ci : Jepense, done je suis, sont en effet les memes dans 1'esprit de Des^ cartes et dans 1'esprit de saint Augustin qui a dit la meme chose douze cents ans auparavant 3 . En verite, je suis bien eloigne de dire que Des- * Montaigne, Essais, liv. Ill, chap. vm. (Faugere.) Montaigne a dit : « Tater de toutes parts comment elle est logOe en son auteur. » Essais, m6me chapitre. {Id.) f Cite de Diea, liv, XI, chap. xxvi. 534 PASCAL. — OPUSCULES, cartes n'en soit pas le veritable auteur, quand mfaie il ne l'aurait appris que dans la lecture de ce grand saint; car je sais combien il y a de difference entre ecrire m \ mot a l'aventure, sans y faire une reflexion plus longue et plus etendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de consequences, qui prouve la distinction des natures materielle et spiri- tuelle, et en faire un principe ferme et soutenu d'une metaphysique entiere, comme Descartes a pretehdu faire. Gar, sans examiner s'il a reussi efficacement dans sa pretention, je suppose qu'il l'ait fait, et c'est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi different dans ses ecrits d'avec le meme mot dans les autres qui l'ont dit en passant, qu'un homme plein de vie et de force d'avec un homme mort. Tel dira une chose de soi-meme sans en compren- dre l'excellence, ou un autre comprendra une suite merveilleuse de consequences qui nous font dire hardiment que ce n'est plus le meme mot et qu'il ne le doit non plus a celui d'oii il l'a appris, qu'un arbre admirable n'appartiendra pas a celui qui en au^ait jete la semence, sans y penser et sans la con- naitre, dans une terre abondante qui en aurait pro- file de la sorte par sa propre fertilite. Les memes pensees poussent quelquefois tout au- trement dans un autre que dans leur auteur : infer- tiles dans leur champ nature!, abondantes elan* trausplantees. Mais il arrive bien plus souve^t qu'un bon esprit fait produire lui-memiale en 1843 ; il est extrait d'un manuscrit du fonds de Saint-Germain-Gesvres, n° 74. Le manuscrit cote" sous ce nume>o porte au dos : Nicole, De la Grace, autre piece manuscrite. a la fin dc 1054, Opoque toule mondaine, ou « Pascal dut porter sou ca- SUR LES PASSIONS DE V AMOUR. 539 le rendraieiit heureux s'il pouvait toujours les sou- tenir le fatiguent et l'abattent. G'est une vie unie a laquello il ne peut s'accommoder; il lui faut du re- muement et de Taction, c'est-a-dire qu'il est neces- saire qu'il soit quelquefois agite des passions dont il sent dans son coeur des sources si vivcs et si pro- fondes. Les passions qui sont les plus convenables a rhomme et qui en renferment beaucoup d'autres, sont l'amour et 1'ambition : elles n'ont guere de liai- son ensemble; cependant on les allie assez souvent; mais elles s'affaiblissent 1'une l'autre reciproque- ment, pour ne pas dire qu'elles se ruinent. Quelque etendue d'esprit que Ton ait, Ton n*est capable que d'une grande passion; c'est pourquoi, ractere, sa curiosity, son ardeur, le besoin insatiable d'arriver en tout aux dernieres limites. » — « Ce discours, dit encore M. Cousin, Srahit dans la vie intime de Pascal un mystere qui ne sera peut-etre jamais 6clairci... II est tres-possible que dans le monde d'&ite ou il devait 6tre admis et recherche', il ait rencontre' une personne d'un rang plus eleve' que le sien pour laquelle il ait ressenti un vif attrait qu'il aurait renferme' dans son coeur, l'exprimant a peine pour lui- meme dans ce discours voile 1 et 6nigmatique. » M. Cousin n'indique pas quelle a pu fitre cette personne d'un haut rang qui a inspire' Pascal ; mais M. Faugere pense que c'est made- moiselle de Roannez. (Voir Revue des Deux Mondes, 15 sept. 1843, I'article intitule' : Un fragment inedit de Pascal — Faugere, Des Pen- stes de Pascal, introduction, lxv.) M. l'abbe" Maynard, de son c0te\ tout en reconnaissant le grand md- rite litteraire de ce morceau, ne pense pas qu'on puisse avec toute certitude l'attribuer a Pascal, et M. Sainte-Beuve dit que, sans faire injure aux pages sur l'amour, il est clair que Pascal n'a jamais mis son ame dans une creature, et qu'il n'a aime' de passion que son Sauveur. Les avis, on le voit, sont singulierement partage's. En gditeur im- partial, nous devions les rapporter tous if% Nous suiyons le texte de M. Faugere, eis adoptant jaes corrections. 540 PASCAL. — OPUSCULES, quand l'amour et l'ambition se rencontrent ensem- ble, elles ne sont grandes que de la moitie de ee qu'elles seraient s'il n'y avait que l'une ou l'autre. L'age ne cfetermine point ni le commencement ni la fin de ces deux passions ; elles naissent des les pre mieres annees et elles subsistent bien souventjus- qu'au tombe&u.Neanmoins, comme elles demandent beaucoup de feu, les jeunes gens y sont plus propres et il semb*e qu ; elles se ralentissent avec les annees ; cela est pourtant fort rare. La vie de l'homme est miserablement courte. Or la compte depuis la premiere entree dans le monde; pour moi, je ne voudrais la compter que depuis la naissance de la raison et depuis qu'on commence a 6tve ebranle par la raison, ce qui n'arrive pas ordi- nuirement avant vingt ans. Devant ce temps Ton est enfant; et un enfant n'est pas un homme. Qu'une vie est heureuse quand elle commence par l'amour et qu'elle finil par l'ambition ! Si j'avais a en choisir une, je prendrais celle-la. Tant que Ton a du feu, Ton est aimable; mais ce feu s'eteint, il se perd : alors que la place est belle et grande pour l'ambition! La vie tumultueuse est agreable aux grands esprits, mais ceux qui sont mediocres n'y out aucun plaisir; ils sont machines partout. C'est pourquoi l'amour et l'ambition commencant et finis- sant la vie, on est ians l'etat le plus heureux dont la nature humaine est capable. A mesuie que Ton a plus d'esprit, les passions sont plus grandes, parce que les passions n'etant que des sentiments et des pensees qui appartien SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR. 541 nent purement a l'esprit quoiqu'elles soient occa sionnees par le corps, il est visible qu'elles ne sont plus que l'esprit meme et qu'ainsi elles remplissent toute sa capacite. Je ne parle que des oassions de feu, car pour les autres elles se melent souvent en- semble et causent une confusion tres-incommode; mais ce n'est jamais dans ceux qui ont de l'esprit. Dans une grande ame tout est grand. L'on demande s'il faut aimer? Cela ne se doit pas demander, on le doit sentir. L'on ne delibere point la-dessus, Ton y est porte et l'on a le plaisir de se tromper quand on consulte. La nettete d'esprit cause aussi la nettete de la pas- sion; c'est pourquoi un esprit grand et net aime avec ardeur, et il voit distinctement ce qu'il aime 11 y a de deux sortes d'esprit, l'un geome'trique et l'autre que l'on pent appeler de finesse. Le premier a des vues lentes, dures et inflexibles, mais le dernier a une souplesse de pensee qu'il ap- plique en meme temps aux diverses parties aimables de ce qu'il aime. Des yeux il va jusques au coeur, et par le mouvement du dehors il connait ce* qui se passe au dedans. Quand on a l'un et l'autre esprit tout ensemble, que l'amour donne de plaisir! Car on possede a la fois la force et la flexibilite de l'esprit qui est tres- uecessaire pour l'eloquence de deux personnes. Nous naissons avec un caractere d'amour dans nos cceurs, qui se developpe a mesure que l'esprit se perfectionne, et qui nous porte a aimer ce qui nous parait beau sank que l'on nous ait .jamais dit ce que 46 542 PASCAL. — OKo S CULES. c'est. Qui doute apres cela si nous sommes au monde pour autre chose que pour aimer? En effet, 071 a beau se cacher, lonairne loujours. Dans les chosesmeme oil il semble que Ton ait separe l'amour, il s'y trouve secretement et en eachette et il n'est pas possible que l'homme puisse vivre un moment sans cela. L'homme n'aime pas a demeurer avec soi ; cepen- dant il aime : il faut done qu'il cherche ailleurs de quoi aimer. II ne le peuttrouver que dans la beaute; mais comme il est lui-meme la plus belle creature quf Dieu ait jamais formee, il faut qu'il trouve dans soi-meme le modele de cette beaute qu'il cherche au dehors. Chacun peut en remarquer en soi-meme les premiers rayons; et selou que Ton s'apercoit que ce qui est au dehors y convient ou s'en eloigne, on se forme les idees de beau ou de laid sur toutes choses. Cependant, quoique l'homme cherche de quoi remplir le grand vide qu'il a fait en sortant de soi-meme, neanmoins il ne peut pas se satisfaire par toutes sortes d'objets. II a le cceur trop vaste; il faut au moins que ce soit quelque chose qui lui ressemble et qui wen approche le plus pres. C'est pourquoi la beaute qui peut contenter l'homme consiste non-seu- lement dans la convenance, mais aussi dans la ressemblance : elle se restreint et elle s'enferme dans la difference du sexe l . La nature a si bien iinprime cette verite dans nos ames, que nous trouvons cela tout dispose ; il ne faut 1 II v a dans le ms. : « Kile la restreint et elle /'enferme... •. » re"- daction obscure que nous avonfl uiodilice parce qu'eHc nous seinble rteulitr d'une inexactitude dans la copie. (FaugcrcJ SUR LES PASSIONS DE L'AMOUfi. 543 point d'art ni d'etude; il semble m erne que nous ayons une place a remplir dans nos coeurs et qui se remplit effectivement. Mais on le sent mieux qu'on ne ie peut dire. II n'y a que ceux qui savent brouil- ler et mepriser (sic) leurs idees qui ne le voient pas. Quoique cette idee generale de la beaute soit gra- vee dans le fond de nos ames avec des caracteres ineffacables, elle ne laisse pas que de recevoir de tres-grandes differences dans l'application particu- liere; mais c'est seulement pour la maniere d'envisa- ger ce qui plait. Car Ton ne souhaite pas nuementune beaute, mais Ton y desire mille circonstances qui dependent de la disposition ou Ton se trouve, et c'est en ce sens que Ton peut dire que chacun a I'origi- nal de sa beaute dont il cherche la copie dans le grand monde. Neanmoins les femmes determinent souvent cet original. Gomme elles ont un empire absolu sur l'esprit des hommes, elles y depeignen: ou les parties des beautes qu'elles ont ou celles qu'elles estiment, et elles ajoutent par ce moyen ce qui leur plait a cette beaute radicale. C'est pourquoi il y a un siecle pour les blondes, un autre pour les brunes, etle partage qu'il y a entre les femmes sur l'estime des unes ou des autres fait aussi le partage entre les hommes dans un meme temps sur les unes et sur les autres. La mode meme et les pays reglent souvent ce que Ton appelle beaute. C^st une chose etrange que la coutume i se mele si fort de nos passions. Cela 1 Le ms. dit : Constance, ce qui est eWidemment une faute 1e co- piste. (Faugere.) 544 PASCAL. — OPUSCULES, n'empeche pas que chacun n'ait son idee de beaute* sur laquelle il juge des autres et a laquelle il les rapporte; c'est sur ce principe qu'un amant trouve sa maitresse plus belle et qu'il la propose comme exemple. La beaute est partagee en mille differentes ma- nieres. Le sujet le plus propre pour la soutenir c'est une femir.e Quand elle a de 1'esprit, elle l'aninie el la releve merveilleusement Si une femme veutplaire et qu'elle possede les avantages de la beaute ou du moins une partie, elle y reussira; et meme, si les hommes y prenaient tant soit peu garde, quoiqu'elle n'y tachat point, elle s'en ferait aimer. II y a une place d'attente dans leur cceur; elle s'y logerait. L'homme est ne pour le plaisir ; il le sent ; il n'en faut point d'autre preuve. II suit done sa raison en se donnant au plaisir. Mais bien souvent il sent la passion dans son coeur sans savoir par ou elle a commence. Vn plaisir vrai ou faux peut remplir egalement 1'esprit. Car qu'imporle que ce plaisir soit faux, pourvu que Ton soit persuade qu'il est vrai? A force de parler d'amour on devient amoureux. II n'y a rien si aise. C'est la passion la plus naturelle a r ho mine. L amour n'a point d'age; il est toujours naissant. Les poetes nous l'ont dit; c'est pour cola qu'ils nous ]c rrprcsentent comme un enfant. Mais sans bii rien demander, nous le sentons. L'amour donne de 1'esprit, et il se souvent par l'es| lit I! faut de I'adresse pour aimer. L';n que (lit le monde, que l'on sait deju pe devoir oas condamner notre conduite puis? SUR LES PASSIONS DE I/AMOUR. 551 qu'elle vient de la raison. II y a une plenitude de passion, il ne peut pas y mmr un commencement de reflexion. Ce n'est point un effet de la coutume *, c'est une obligation de la nature que les hommes fassent les avances pour gagner 1'amitie des dames. Cet oubli que cause l'amour et cet attachement a ce que Ton aime fait naitre des qualites que Ton n'avait pas auparavant. L'on devient magnifique, sansl'avoir jamais ete. Un avaricieux meme qui aime devient liberal, et il ne se souvient pas d'avoir jamais eu une habitude opposee : Ton en voit la raison en considerant qu'il y a des passions qui resserrent l'ame et qui la rendent immobile, et qu'il y en a qui 1'agrandissent et la font repandre au dehors. L'on a ote mal a propos le nom de raison a l'amour, et on les a opposes sans un bon fonde- ment, car l'amour et la raison n'est qu'une meme chose. C'est une precipitation de pensees qui se porte d'un cote sans bien examiner tout, mais c'est toujours une raison, etl'on ne doit et on ne peut pas souhaiter que ce soit autrement, car nous serions des machines tres-desagreables. N'excluons done point la raison de 1'amour, puisqu'elle en est inse- parable. Les poetes n'ont done pas eu raison de nous depeindre 1'Amour comme un aveugle ; il faut lui oter son bandeau et lui rendre desormais la jouis- sance de ses yeux. 1 Dans le ms. : corstance. 552 PASCAL. — OPUSCULES. Les ames propres a l'amour demandent une vie d'action qui eclate en evenements nouveaux. Com me le dedans estmouvement, il faut aussi que le dehors le soit, et cette maniere de vivre est un merveilleux acheminement a la passion. C'est de la que ceux de la cour sont mieux recus dans l'amour que ceux de la ville, parce que les uns sont tout de feu et que les autres menent une vie dont l'uniformite n'a rien qui frappe : la vie de tempete surprend, frappe et penetre. II semble que Ton ait tout une autre ame .quand on aime que quand on n'aime pas; on s'eleve par cette passion et on deviant toute grandeur; il faut done que le reste ait proportion, autrement ceia ne convient pas, et partant cela est desagreable. L'agreable et le beau n'est que la meme chose, tout le monde en a l'idee. C'est d'une beaute morale que j'entends parler, qui consiste dans les paroles et dans les actions du dehors. L'on a bien une regie pour devenir agreable ; cependant la disposition du corps y est necessaire, mais elle ne se peut ac- querir. Les homines ont pris plaisir a se former une idee de l'agreable ! si elcvee, que personne n'y peut at- teindre. Jugeons-en mieux et disons que ce n'est que le naturel avec une facilite et une vivacite d'es- prit qui surprennent. Dans l'amour ces deux qua- lites sont necessaires. II ne faut rien de force, et cependant il ne faut rien de lenteur : rhabilude domic le reste. » Dans le ms. : desagreable. (Faugere.) SUR LES PASSIONS DE L'AMOUR. 553 Le respect et l'amour doivent etre si bien propor- tionnes qu'ils se soutiennent sans que ce respect etouffe l'amour. Les grandes ames ne sontpas celles qui aiment le plus souvent; c'est d'un amour violent que je parle : il faut une inondation de passion pour les ebranler et pour les remplir. Mais quand elles commencent a aimer, elles aiment beaucoup mieux. L'on dit qu'il y a des nations plus amoureuses les unes que les autres ; ce n'est pas bien parler, ou du moins cela n'est pas vrai en tout sens. L'amour ne consistant que dans un attachement de pensee, il est certain qu'il doit etre le meme par toute la terre. II est vrai que se determinant autre part que dans la pensee , le climat peut ajouter quelque chose, mais ce n'est que dans le corps. II est de l'amour comme du bon sens: comme Ton croit avoir autant d'esprit qu'un autre, on croit aussi aimer d-e meme. Neanmoins, quand on a plus de vue, Ton aime jusques aux moindres choses, ce qui n'est pas possible aux autres. II faut etre bien fin pour remarquer cette difference. L'on ne peut presque faire semblant d'aimer que Ton ne soit bien pres d'etre amant, ou du moins que Ton n'aime en quelque endroit; car il faut avoir 1'esprit et les pensees de l'amour pour ce semblant, et le moyen de bien parler sans cela ? La verite des passions ne se deguise pas si aisement que les ve« riles serieuses. II faut du feu, de l'activite et un feu d'esprit na- turel et prompt pour la premiere; les autres se ca- 47 554 PASCAL. —OPUSCULES. chent avec la lenteur et la souplesse, ce qu'il est plus aise de fcire. Quand on est loin de ce que Ton aime Ton prend la resolution de faire ou de dire beaucoup de choses ; mais quand on est pies on est irresolu. D'oii vient cela? C'est que quand on est loin la raison n'est pas si ebranlee, mais elle Test etrangement en la pre- sence de l'objet : or pour la resolution il taut de la fermete qui est ruinee par Pebranlement. Dans Tamour on n'ose hasarder parce que Ton craint de tout perdre; il faut pourtant avancer, mais qui pe.ut dire jusques oil ? L'on tremble tou- jours jusques a ce que Ton ait trouve ce point. La prudence ne fait rien pour s'y maintenir quand on l'a trouve. II n'y a rien de si embarrassant que d'etre amant et de voir quelque chose en sa faveur sans Poser croire : l'on est egalement combattu de Pesperance et de la crainte. Mais enfin la derniere devient vie- torieuse de Pautre. Quand on aime fortement, c'est toujours une nou- veaute de voir lapersonne aimee. Apres un moment d'absence on la trouve de manque dans son coeur. Quelle joie de la retrouver ! l'on sent aussitot une cessation d'inquietudes. II faut pourtant que cet amour soit deja bien ;ivaiic( ; ; cai quand il est naissant et que l'on n'a fait ai cun progres, on sent bien une cessation d'inquie- ti ies, mais il (,mi survient d'autres. Quoique les maux se succudent ainsi les ui.s aux Mtres, on ne laisse pas de soubaiter la presence tU DE l/ESPRIT GEOMETRIQUE. 555 sa maitresse par l'esperance de moins souffrir; cependant, quand on la voit, on croit souffrir plus qu'auparavant. Les maux passes ne frappent plus, les presents touchent, et c'est* sur ce qui touche que Ton juge. Un amant dans cet etat n'est-il pas digne de com- passion ? DE L'ESPRIT GEOMETRIQUE 2 . On peut avoir trois principaux objets dans l'etude de la verite : Tun, de la decouvrir quand <*n la cherche ; l'autre, de la demontrer quand on la pos- sede ; le dernier, dela discerner d'avec le faux quand on rexamine. Je ne parle point du premier; je traite particulie- rement du second, et il enferme le troisieme. Car, si Ton sait la methode de prouver la verite, on aura en meme temps celle de la discerner, puisqu'en exa- minant si la preuve qu'on en donne est conforme aux regies qu'on connait, on saura si elle est exac- tement demontree. * Le mot c'est manque dans le ms. (Faugere.) 2 Un court fragment de cet 6crit a e"t(5 puttie" en 1728 par Des- molets ; Condorcet l'a donne" d'une maniere plus complete, mais avec des suppressions encore nombreuses, sous ce titre : De la maniere de prouver la verite et de I'exposer aux hommes; enfin Bossut l'a reim- prime en i779, en l'intitulant : Reflexions sur la Geometrie en general; mais on sait par le premier discurs de la Logique de Port-Royal que Pascal lui avait donne le titre sous lequel nous le reproduisons. Nous suivons le texte de M. Faugere qui a reproduit la seule come ma« nuscrite qui ait ete" conserve" e. 5o6 PASCAL. —OPuSCULES. La geometrie, qui excelle en ces trois genres, a explique l'art de decouvrir les verites inconnues; et c'est ce qu'elle appelle analyse, et dont il serait inu- tile de discourir apres tant d'excellentsouvrages qui ont ete faits. Celui de demontrer les verites deja trouvees et de les eclaircir de telle sorte que la preuve en soit in- vincible, est le seul que je veux donner; et je n'ai pour cela qu'a expliquer la methode que la geome- trie y observe ; car elle l'enseigne parfaitement par ses exemples, quoiqu'elle n'en produise aucun dis- cours. Et parce que cet art consiste en deux choses principales, Tune, de prouver chaque proposition en particulier, l'autre, de disposer toutes les proposi- tions dans le meilleur ordre, j'en ferai deux sec- tions, dont l'une contiendra les regies de la conduite des demonstrations geometriques, c'est-a-d.ire me- thodiques et parfaites; et la seconde comprendra celle de l'ordre geometrique, c'est-a-dire metho- dique et accompli : de sorte que les deux ensemble enfermeront tout ce qui sera necessaire pour con- duire du raisonnement a prouver et discerner les verites, lesquelles j'ai dessein de donner entieres. section premiere. — Dc la mer toutes les autres. Contre cet ordre pecherrt ega- iement ceux qui entreprennent de tout definir et de tout prouver, et ceux qui negligent de le faire dans les choses qui ne sont pas evidehtes d'elles-memes. C'est ce que la geometrie enseigne parfaitement. Elle ne definit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, egaliU, ni les semblables qui sont en grand nombre, parce que ces termes-la de- signent si naturellement les choses qu'ils signifient, a ceux qui entendent la langue, que l'eclaircisse- ment qu'on en voudrait faire apporterait plus d'ob- scurite que destruction. Car il n'y a rien de plus faible que le discours de ceux qui veulent definir ces mots primitifs. Quelle necessite y a-t-il, par exemple, d'expliquer ce qu'on entend par le mot homme? Ne sait-on pas assez quelle est la chose qu'on veut designer par ce terme ? Et quel avantage pensait nous procurer Platon, en disant que c'etait un animal a deux jambes, sans plumes? Comme si l'idee que j'en ai naturelleiment, et que je ne puis exprimer, n'etait pas plus nette et plus sure que celle qu'il me donne par son expli- cation inutile et meme ridicule; puisqu'un homme ne perd pas l'humanite en perdant les deux jambes, et qu'un chapon ne l'acquiert pas en perdant ses plumes. II y en a qui vont jusqu'a cette absurdite d'expli- quer un mot par le mot meme. J'en sais qui ont de- 562 PASCAL. — OPUSCULES, fini la lumiere en cette sorte : La lumiere est un mou- demerit luminaire des corps lumineux ; comme si on pouvait entendre les mots de luminaire et de lumi- neux sans celui de lumiere i . On ne peut entreprendre de definir l'etre sans tom- ber dans cette absurdite : car on ne peut definir un mot sans commencer par celui-ci, c'est, soit qu'on l'exprime ou qu'on le sous-entende. Done pour de- finir l'etre, il faudrait dire c'est, et ainsi employer le mot defini dans sa definition. On voit assez de la qu'il y a des mots incapables d'etre definis; et, si la nature n'avait supplee a ce defaut par une idee pareille qu'elle a donnee a tous les hommes , toutes nos expressions seraient con- fuses ; au lieu qu'on en use avec la meme assurance et la meme certitude que s'ils etaient expliques dune maniere parfaitement exempte d'equivoques; parce que la nature nous en a elle-meme donne, sans paroles, une intelligence plus nette que celle que Part nous acquiert par nos explications. Ge n'est pas que tous les hommes aient la m£me * Pascal fait ici allusion au P. Noel, jesuite, avec lequel il avait en une discussion assez vive au sujet de ses Experiences louckani le tide. Dans une lettre qu'il ecrivit au P. Noel en 1C/j7, il lui disait : « La periode qui precede vos dei nieres civilites delink la lumiere en Tines : La lumiere est un mouvement luminaire de rayons corn- pose's de corps lucides, c'esl-d-dire lumineux; ou j'ai a vous dire qu'il mble qu'il faudrait avoir premierement defini ce que c'est que luminaire, et ce que c'est fine corps lucidc ou lumineux: car jusque-la ] uii entendre ceque c'est que lumiere. Et comme nous n'em- ployona jamais dans les definitions le tenno du dr/ini, j'aurais peine h m'accommoder a la voire qui dit : la lumiere est un mouvement lumiiiaiiv des corpB lumineux. » (Faugere.) DE L'ESPRIT GEOMETRIQUE. 563 idee de l'essence des choses que je dis qu'il est im- possible et inutile de defmir. Gar, par exemple, le temps est de cette sorte. Qui le pourra defmir ? Et pourquoi l'entreprendre, puisque tous les hommes con$oivent ce qu'on veut dire en parlant de temps, sans qu'on le designe davantage ? Gependant il y a bien de differentes opi- nions touchant l'essence du temps. Les uns disent que c'est le mouvement d'une chose creee ; les autres, la mesure du mouvement, etc. Aussi ce n'est pas la nature de ces choses que je dis qui est connue a tous : ce n'est simplement que le rapport entre le nom et la chose; en sorte qu'a cette expression temps, tous portent la pensee vers le meme objet; ce qui suffit pour faire que ce lerme n'ait pas besoin d'etre defini, quoique ensuite, en examinant ce que c'est que le temps, on vienne a differer de sentiment apres s'&tre mis a y penser ; car les definitions ne sont faites que pour designer les choses que Ton nomme, et non pas pour en montrer la nature. Ce n'est pas qu'il ne soit permis d'appeler du nom de temps le mouvement cNse chose creee; car, comme j'ai dit tantot, rien n'est plus libre que les definitions. Mais ensuite de cette definition il y aura deux choses qu'on appellera du nom de temps : 1'une est celle que tout le monde entend naturellement par ce mot et que tous ceux qui parlent notre langue comment par ce terme ; l'autre sera le mouvement i'une chose creee, car on 1'appellera aussi de ce nom, suivant cette nouvelle definition e 564 PASCAL. — OPUSCULES. 11 faudra done eviter les equivoques et ne pas eonfondre les consequences. Car il ne s'ensuivra pas de la que la chose qu'on entend naturellement par le mot de temps soit en effet le mouvement d'une chose creee. II a ete libre de nom mer ces deux choses de meme ; mais il ne le sera pas de les faire convenir de nature aussi bien que de nom. Ainsi, si Ton avance ce discours : le temps est le mouvement d'une chose creee, il faut demander ce qu'on entend par ce mot de temps, e'est-a-dire si on lui Jaisse le sens ordinaire et recu de tous, ou si on Ten depouille pour lui donner en cette occasion celui de mouvement d'une chose creee. Que si on le destitue de tout autre sens, on ne peut contredire, et ce sera une definition libre, ensuite de laquelle, comme j'ai dit, il y aura deux choses qui auront ce meme nom. Mais si on lui laisse son sens ordinaire, et qu'on pretende neanmoins que ce qu'on entend par ce mot soit le mouvement dune chose creee, or peut contredire. Ce n'est plus une definition libre, e'est une proposition qu'il faut prouver, si ce n'est qu'elle soit tres-evidente d'elle-meme; et alors ce sera un principe et un axiome, mais jamais une de- finition, parce que dans cette enonciation on n'en- tend pas que le mot de temps signifie la me'me chose que ceux-ci, le mouvement d'une chose cre'e'e, mais on entend que ce que Ton concoit par le terme de temps soit ce mouvement suppose. Si je ne savais combien il est necessaire d'en- tendre ceci parfaitement, et combien il arrive a toute heme, dans les discours familiers et dans les dis- DE I/ESPRIT GEOMETRIQUE. 565 eours de science, des occasions pareilles a ceile-ci que j'ai donnee en exemple, je ne m'y serais pas arrete. Mais il me semble, par l'experience que j'ai de la confusion des disputes, qu'on ne peut trop entrer dans cet esprit de nettete pour lequel je fais tout ce traite, plus que pour le sujet que j'y traite. Car combien y a-t-il de personnes qui croient avoir defini le temps quand ils ont dit que c'est la mesure du mouvement, en lui laissant cependant son sens ordinaire ! Et neanmoins ils ont fait une proposition, etnon pas une definition. Combien y en a-t-il de meme qui croient avoir defini le mouvement quand ils ont dit : Motus nee simpliciter motus, non mera potentia est, sed actus entis in potentia ! Et ce- pendant, s'ils laissent au mot de mouvement son sens ordinaire comme ils font, cen'estpas une definition, mais une proposition; et confondant ainsi les defi- nitions qu'ils appellent definitions de nom, qui sont les veritables definitions libres, permises et geome- triques, avec celles qu'ils appellent definitions de chose, qui sont proprement des propositions nulle- ment libres, mais sujettes a contradiction, ils s'y donnent la liberie d'en former aussi bien que des autres : et chacun defmissant les memes choses a sa maniere, par une liberte qui est aussi defendue dans ces sortes de definitions que permise dans les pre- mieres, ils embrouillent toutes choses, et perdant tout ordre et toute lumiere, ils se perdenl eux- memes et s'egarent dans des embarras inexplicables. On n'y tombera jamais en suivant l'ordre de la geometric Cette judicieuse science est bien eloi- 566 PASCAL. —OPUSCULES, gnee de definir ces mots primitifs, espace, temps, mouvement, egalite, majorite, diminution, tout, et les autres que le monde entend de soi-meme. Mais hors ceux-la, le reste des termes qu'elle emploie y sont tellement eclaircis et definis, qu'on n'a pas besoin de dictionnaire pour en entendre aucun; de sorte qu'en un mot tous ces termes sont parfaitement in- telligibles, ou par la lumiere naturelle ou par les definitions qu'elle en donne. Voila de quelle sorte elle evite tous les vices qui se peuvent rencontrer dans le premier point, lequel consiste a definir les seules choses qui en out besoin. Elle en use de merae a l'egard de l'autre point, qui consiste a prouver les propositions qui ne sont pas evidentes. Car, quand elle est arrivee aux premieres verites connues, elle s'arrele la et demande qu'on les ac- corde, n'ayant rien de plus clair pour les prouver : de sorte que tout ce que la geometrie propose est parfaitement demontre, ou par la lumiere naturelle ou par les preuves. De la vient que si cette science ne definit pas et ne demontre pas toules choses, c'est par cette seule raison que cela nous est impossible ! . On trouvera peut-etre etrange que la geom«§trie ne puisse definir aucune des choses qu'elle a pour 1 Ici le ms. ajoute entre parentheses : (« Mais comme la nature four-nit lout ce que cette science ne donne pas, son ordre a !a verite* tne pas une perfection plus qu'humaine, mais il a toute celle bommes peuvent. arriver. Jl m'a semblii a projios de donner de* l'cntiue do ce discours cette etc. ») (Faugere.) DE L'ESPRIT GEOMETRIQUE. 5CT principalis objets : car elle ne peut definir ni le mou- vement, ni les nombres, ni l'espace ; et. cependant ces trois choses sont celles qu'elle considere parti- culierement et selon la recherche desquelles elle prend ces trois differents noms de mecanique, d'arithme'tique, de gtometrie, ce dernier nom appar- tenant au genre et a l'espece. Mais on n'en sera pas surpris, si Ton remarque que cette admirable science ne s'atlachant qu'aux choses les plus simples, cette raeme qualite qui les rend dignes d'etre ses objets les rend incapables d'etre defmies; de sorte que le manque de defini- tion est plutot une perfection qu'un defaut, parce qu'il ne vient pas de leur obscurite, mais.au con- traire de leur extreme evidence, qui est telle qu'en core qu'elle n'ait pas la conviction des demonstra- tions, elle en a toute la certitude. Elle suppose done que Ton sait quelle est la chose qu'on entend par ces mots, mouvement, nombre, espace; et, sans s'ar- reter a les definir inutilement, elle en penetre la nature et en decouvre les merveilleuses proprietes. Ces trois choses qui comprennent tout l'univers, selon ces paroles : Deus fecit omnia in pondere, in numero, et mensura l , ont une liaison reciproque et necessaire. Car on ne peut imaginer de mouvement sans quelque chose qui se meuve; et cette chose etant une, cette unite est 1'origine de tous les nom- bres; et enfin le mouvement ne pouvant etre sans 1 Sap., xi, 21. Omnia in mensura, et numero, ex pondere, disp* suisti. 568 PASCAL. — OPUSCULES. espace, on voit ces trois cboses enfermees dans la premiere. Le temps meme y est aussi compris : car le mou- vement et le temps sont relatifs l'un a l'autre; la promptitude et la lenteur, qui sont les differences des mouvements, ayant un rapport necessaire avec le temps. Ainsi il y a des proprietes communes a toutes ces choses, dont la connaissance ouvre l'esprit aux plus grandes merveilles de la nature. La principale comprend les deux infinites qui se rencontrent dans toutes : l'une de grandeur, l'autre de petitesse. Car quelque prompt que soit un mouvement, on peut en concevoir un qui le soit davantage et hater encore ce dernier; et ainsi toujours a l'infini, sans iamais arriver a' un qui le soit de telle sorte qu'on ne puisse plus y ajouter. Et au contraire, quelque lent que soit un mouvement, on peut le retarder davantage et encore ce dernier; et ainsi a l'infini, sans jamais arriver a un tel degre de lenteur qu'on ne puisse encore en descendre a une infinite" d'au- tres, sans tomber dans le repos. De meme, quelque grand que soit un nombre, on peut en concevoir un plus grand et encore un qui surpasse le dernier; et ainsi a l'infini, sans jamais arriver a un qui ne puisse plus etre augmente. Bl au contraire, quelque petit que soit un nombre, comme la centieme ou la dix-millieme partie, on peut encore en concevoir un moindre, et toujours a l'infini, sans ftrriver au zero ou ncant. DE L'ESPRIT GEOMETRIQUE. 3G9 Quelque grand que soit un espace, on peut en concevoir un plus grand et encore un qui ]e soit davantage; et ainsi a 1'infini, sans jamais arriver a un qui ne puisse plus etre augmente. Et au contraire, quelque petit que soit un espace, on peut encore en considerer un moindre, et toujours a 1'infini , sans jamais arriver a un indivisible qui n'ait plus aucune etendue. II en est de meme du temps. On peut toujours en concevoir un plus grand sans dernier, et un moin- dre sans arriver a un instant et a un pur neant de duree. C'est-a-dire, en un mot, que quelque mouvement, quelque nombre, quelque espace, quelque temps que ce soit, il y en a toujours un plus grand et un moindre : de sorte qu'ils se soutiennent tous entre le neant et 1'infmi, etant toujours infmiment eloignes de ces extremes. Toutes ces verites ne se peuvent demontrer; et cependant ce sont les fondements et les principes de la geometric Mais comme la cause qui les rend incapables de demonstration n'est pas leurobscurite, mais au contraire leur extreme evidence, ce manque de preuve n'est pas un defaut, mais plutot une per- fection. D'oii Ton voit que la geometrie ne peut definir les objets, ni prouver les principes; mais par cette seule et avantageuse raison que les uns et les autres sont dans une extreme clarte naturelle, qui convainc la raison plus puissamment que le discours. Gar qu'y a-t il de plus evident que cette verite, 570 PASCAL. — OPUSCULES, qu'un nombre, tel qu'il soit, peut etre augmente : ne peut-on pas le doubler ? Que la promptitude d'un mouvement peut etre doublee, et qu'un espace peut etre double de meme ? Et qui peut aussi douter qu'un nombre, tel qu'il soit, ne puisse etre divise par la moitie, et sa moitie encore par la moitie ? Car cette moitie serait-elle un neant ? Et comment ces deux moities, qui seraient deux zeros, feraient-elles un nombre ? De meme, un mouvement, quelque lent qu'il soit, ne peut-il pas etre ralenti de moitie, en sorte qu'il, parcoure le meme espace dans le double de temps, et ce dernier mouvement encore? Car serait-ce un pur repos ? Et comment se pourrait-il que ces deux moities de vitesse, qui seraient deux repos, fissent la premiere vitesse? Enfin un espace, quelque petit qu'il soit, ne peut-il pas etre divise en deux, et ces moities en- core? Et comment pourrait-il se faire que ces moi- ties fussent indivisibles sans aucune etendue, elles qui jointes ensemble ont fait la premiere etendue? II n'y a point de connaissance naturelle dans l'homme qui precede celles-la, et qui les surpasse en clarte. Neanmoins, aim qu'il y aitexemple de tout, on trouve des esprits excellents en toutcs auircs choses, que ces infinites choquent etqui n'y peuvent en aucune sorte consenlir. Je n'ai jamais connu personne qui ait pense qu'un espace ne puisse; etiv, augmente. Mais j'en ai vu quel- ques-uns, tres-habiles d'ailleurs, qui ont assure qu'un espace pouvait , puis- 574 PASCAL. — OPUSCULES, sent etre autant divisees que le firmament, ii n'y a pas de meilleur remede que de les leur faire regarder avec des lunettes qui grossissent cette pointe deli- cate jusqu'a une prodigieuse masse; d'ou ils conce- vront aisement que par le secours d'un autre verre encore plus artistement taille, on pourrait les gros- sir jusqu'a egaler ce firmament dont ils admirent l'elendue. Et ainsi ces objets leur paraissant main- tenant tres-facilement divisibles, qu'ils se souvien- nent que la nature peut infiniment plus que Part. Car enfin qui les a assures que ces verresauront change la grandeur naturelle de ces objets, ou s'ils auront au contraire retabli la veritable que la figure de notre oeil avait changee et raccourcie, comme font les lunettes qui anioindrissent? II est facheux de s'arreter a ces bagatelles; mais il y a des temps de niaiser. II sufllt de dire a des esprits clairs en cette ma- tiere que deux neants d'etendue ne peuventpas faire une etendue. Mais parce qu'il y en a qui pretendent s'echapper a cette lumiere par cette merveilleuse reponse, que deux neants d'etendue peuvent aussi bieu faire une etendue que deux unites dont aucune n'est nombre font un nombre par leur assemblage; il faut leur repartir qu'ils pourraient opposer de la nienie sorte que vingt mille homines font une ar- mee, quoique aucun d'eax ne soit armee; que niaisons font une ville, quoique aucune ne soil ville; ou que les parties (bit le tout, quoique • ne soit Le tout ; ou, pour demeurer dans la comparison des nombres, que deux binaires font le DE L'ESPKIT GEOMETRIQIjE. 575 quaternaire et dix dizaines une centaine, quoique aucun ne le soit. Mais ce n'est pas avoir l'esprit juste que de con- fondre par des comparaisons si inegales la nature immuable des choses avec leurs noms libres et vo- lontaires et dependant du caprice des hommes qui les ont composes. Car il est clair que pour faciliter les discours on a donne le nom d'armee a vingt mille hommes, celui de ville a plusieurs maisons, celui de dizaine a dix unites ; et que de cette liberie naissent les noms d' unite, binaire , quaternaire , dizaine, centaine, differents par nos fantaisies, quoi- que ces choses soient en effet de meme genre par leur nature invariable, et qu'elles soient toutes pro- portionnees entre elles et ne different que du plus ou du moins, et quoique, ensuite de ces noms, le binaire ne soit pas quaternaire, ni une maison une ville, non plus qu'une ville n'est pas une maison. Mais encore quoiqu'une maison ne soit pas une ville, elle n'est pas neanmoins un neant de ville; il y a bien de la difference entre n'elre pas une chose et en etre un neant. Car, afin qu'on entende la chose a fond, il faut savoir que la seule raison pour laquelle l'unite n'est pas au rang des nombres est qu'Euclide et les pre- miers auteurs qui ont traite d'arithmetique , ayant pliasieurs proprietes a donner, qui convenaient a tous les nombres hormis a l'unite, pour eviter de dire souvent qu'en tout nombre, hors Vunite, telle condition se rencontre, ils ont exclu l'unite de la si- gnification du mot de nombre, par la liherte que $76 PASCAL. - - OPUSCULES. nous avons deja dit qu'on a de faire a son gre des definitions. Aussi, s'ils eussent voulu, ils en eussent de meme exclu le binaire et le ternaire, et tout ce qu'il leur eut plu ; car on en est maitre, pourvu qu'on en avertisse : comme au contraire l'unite se met quand on veut au rang des nombres, et les frac- tions de meme. Et, en effet, Ton est oblige de le faire dans les propositions generates, pour eviter de dire a chaque fois en tout nombre et a l'unite' et aux fractions, une telle propriety se trouve; et c'est en ce sens indefini que je l'ai pris dans tout ce que j'en ai ecrit. Mais le meme Euclide qui a ote a l'unite le nom de nombre, ce qui lui a ete permis, pour faire en- tendre neanmoins qu'elle n'est pas un neant, mais qu'elle est au contraire du meme genre, il definit ainsi les grandeurs homogenes : Les grandeurs, dit- il, sont dites etre de mSme genre, lorsque Vune ttant plusieurs fois multiplUe peut arriver a surpasser V autre; et par consequent, puisque l'unite peut, etant multipliee plusieurs fois, surpasser quelque nombre que ce soit, elle est de m£me genre que les nombres pr^cisement par son essence et par sa na- ture immuable, dans le sens du meme Euclide qui a voulu qu'elle ne fut pas appelee nombre. II n'en est pas de me*me dun indivisible a l'egard d'une etendue. Car non-seulcment il differe de nom, ce qui est volontaire, mais il differe de genre, par la meme definition; puisqu'un indivisible, muliiplie autant de fois qu'on voudra, est si ^loigne de pou- voir surpasser une etendiK 1 , qu'il ne peut jamais DE I/ESPRIT GEOMETRIQUE. 577 former qu'un seul et unique indivisible; ce qui est naturel et neeessaire, comme il est deja montre. Et comme cette derniere preuve est fondee sur la defi- nition de ces deux choses, indivisible et ttendue, on va achever et consommer la demonstration. Un indivisible est ce qui n'a aucune partie, et l'etendue est ce qui a diverses parties separees. Sur ces definitions, je dis que deux indivisibles etant unis ne font pas une etendue. Gar quand ils sontunis, ils se touchent chacun en une partie; et ainsi les parties par oil ils se touchent ne sont pas separees, puisque autrement elles ne se toucheraient pas. Or, par leur definition, ils n'ont point d'autres parties; done ils n'ont pas de parties separees ; done ils ne sont pas une etendue, par la definition de l'etendue qui porte la separation des parties. On montrera la meme chose de tous les autres in- divisibles qu'on y joindra, par la meme raison. Et partantun indivisible, multiplie autant qu'on voudra, ne fera jamais une etendue. Done il n'est pas de meme genre que l'etendue, par la definition des choses du meme genre. Voila comment on demontre que les indivisibles ne sont pas du meme genre que les nombres. De 3a vient que deux unites peuvent bien faire un nombre, parce qu'elles sont de meme genre; et que deux in- divisibles ne font pas une etendue, parce qu'iis ne sont pas de meme genre. D'oii Ton voit combien il y a peu de raison de com- parer le rapport qui est entre T unite et les nombres 49 578 PASCAL. —OPUSCULES. & celui qai ast entre les indivisibles et I'etendue. Mais si Ton veut prendre dans les nombres une comparaison qui represente avec justesse ce qua nous considerons dans I'etendue, il faut que ce soit le rapport du zero aux nombres; car le zero n'est pas du meme genre que les nombres, parce qu'etant multiplie, il ne peut les surpasser : de sorte que c'est un veritable indivisible de nombre, comme l'indivisible est un veritable zero d'etendue. Et on en trouveraun pareil entre le repos et lemouvement, et entre un instant et le temps; car toutes ces choses sont hete rogenes a leurs grandeurs, parce qu'etant infiniment multiplies, elles nepeuvent jamais faire que des indivisibles, non plus que les indivisibles d'etendue, et par la meme raison. Et alors on trouvera une correspondance parfaite entre ces choses; car toutes ces grandeurs sont divisibles a I'infini, sans tomber dans leurs indivisibles, de sorte qu'elles tiennent toutes le milieu entre l'infini et le neant. Voila 1'admirable rapport que la nature a mis entre ces choses, et les deux merveilleuses infinites qu'elle a proposecs aux homines, non pas a con- cevoir, mais a admirer; et, pour en linir la consi- deration par une derniere remarque, j'ajouterai que ces deux inlinis, quoique infiniment differents, sont neanmoins relatifs l'un a l'aulre, de telle sorte que Ja connaissance de L'un mene necessairenicnt a la connaissance de l'autre. Car dans les nombres de ce qu'ilspeuvenl (oujours 6tre augmeiites. il s'ensuit absolument qu'ils peu- DE I/ESPRIT GEOMETRIQUE. 579 vent toujours etre diminues, et cela clairement; car, si 1'on peut multiplier un nombre jusqu'a 100,000, par exemple, on peut aussi en prendre une 100,000 e partie, en le divisant par le meme nombre qu'on le multiplie; et ainsi tout terme d'augmentation de- viendra terme de division, en changeant rentier en fraction. De sorte que l'augmentation infinie enferme necessairement aussi la division infinie. Et dans l'espace le meme rapport se voit entre ces deux infinis contraires; c'est-a-dire que, de ce qu'un espace peut etre infiniment prolonge, il s'en- suit qu'il peut etre infiniment diminue, comme il pa- rait en cet exemple : Si on regarde au travers d'un verre un vaisseau qui s'eloigne toujours directement, il est clair que le lieu du diaphane oil Ton remar- que un point tel qu'on voudra du navire, haussera toujours par un flux continuel, a mesure que le vais- seau fuit. Done, si la course du vaisseau est toujours allongee et jusqu'a 1'infini, ce point haussera cont"- nuellement; et cependant il n'arrivera jamais a ce- lui oil tombera le rayon horizontal mene de Tceil au verre, de sorte qu'il en approchera toujours sans y arriver jamais, divisant sans cesse l'espace qui res- tera sous ce point horizontal, sans y arriver jamais. D'oii Ton voit la consequence necessaire qui se tire de riniinite de l'etendue du cours du vaisseau a la division infinie et infiniment petite de ce petit es- pace restant au-dessous de ce point horizontal. Ceux qui ne seront pas satisfaits de ces raisons, et qui demeureront dans la creance que l'espace o'est pas divisible a I'infini, ne peuvent rien pre* 580 PASCAL. — OPUSCULES, tendre aux demonstrations geometriques; et, quoi- qu'ils puissent etre eclaires en d'autres choses, ils le seront fort peu en celles-ci; car on peutaisement etre tres-habile homme et mauvais geometre. Mais ceux qui verront clairement ces verftes pour- ront admirer la grandeur et la puissance de la na- ture dans cette double infinite qui nous environne de toutes parts, et apprendre par cette considera- tion merveilleuse a se connaitre eux-memes, en se regardant places entre une infinite et un neant d'e- tendue, entre une infinite et un neant de nombre, entre une infinite et un neant de mouvement, entre une infinite et un neant de temps. Sur quoi on peul apprendre a s'estimer son juste prix, et former des reflexions qui valent mieux que tout le reste de la geometrie meme. • J'ai cru etre oblige de faire cette longue consi deration en faveur de ceux qui ne comprenant pas d'abord cette double infinite sont capables d'en etre persuades. Et quoiqu'il y en ait plusieurs qui aient assez de lumiere pour s'en passer, il peut nean- moins arriver que ce discours qui sera necessaire aux uns, ne sera pas entitlement inutile aux autrcs. PREFACE SUR LE TRAITfi DU VIDE 4 . Le respect que Ton porte a l'antiquite est aujour- d'hui a tel point, dans les matieres oil il doit avoir 1 IMinlie pour la premiere fois par Bossut, qui I'a intitule on no snit pourqnoi: De I'autorilc en mnticrc de philosophic, Cc morceau. dit M. Cousin, somblo un fragment (In Discours dc la Mrihodc. tani U est jxjnrttnj de l'esprit de Descartes. II roule sur la distinction ea- PREFACE SUR LE TRAITE DU VIDE. 58! moins de force, que Ton se fait des oraeles de toutes ses pensees et des mysteres meme de ses obscu- rites* que Ton ne peut plus avancer de nouveautes sans peril, et que le texte d'un auteur suffit pour detruire les plus fortes raisons 1 Ce n'est pas que mon intention soit de corriger sentiellement cartesienne de la philosophie et de la theologie, l'une oii l'autorite est de mise, puisqu'elle n'admet point d'innovations • l'autrc ou l'autorite est un contre-sens, puisqu'elle vit de decouvertes perpetuelles Plus tard, et dans les Penstes, Pascal ne traite ni la philosophie ni Descartes avec ce respect. Je soupconne que ce mor- ceau est de l'epoque ou Pascal etait tout occupe" de sciences, a peu pres du temps de la lettre a M. Le Pailleur, sur le vide, ou de celle a M. Ribeyre, lettres qui sont de Fannie 1647 et de l'annee 1651. Ce sont les memes principes et le meme ton a la fois grave et anime. Aussi ce petit traite" n'est-il pas dans notre manuscrit. C'est Bossut qui l'a publie" pour la premiere fois et sans dire d'oii il l'a tire". Bossut avait fait subir au texte de nombreuses alterations neces- sities en quelque sorte par le titre arbitraire qu'il avait choisi, et de plus il n'avait point indique" le manuscrit d'apres lequel il avait fait la publication. M. Faugere a restitue" le texte et le titre d'apres le manuscrit du pere Guerrier. « Ce n'est rien moins, dit M. Faugere, que la preface d'un Traite" sur le vide. II parait que ce dernier ouvrage n'existe plus ; du moins i\ n!a pas ete retrouve, et peut-^tre Pascal n'y mit jamais la derniere main. M. P^rier en parle ainsi dans l'avertissement qui precede le r£cit reimprime" par lui en 1663 de la celebre experience du Puy- de-DOme : « Le traite dont il sera parle en plusieurs endroits de cette » relation est un grand traite que M. Pascal avait compose touchant » le vide, qui s'est perdu et dont on a seulement trouve quelques b fragments que Ton a mis ci-devant. » Les fragments mentionnes par M. Perier ont ete imprimes a la suite du Traite sur I'Equilibre des liqueurs et la pesanteur de I' air. Nous en avons re trouve un autre fragment tres-cv,urt dans le ms. autographe des Penstes, Quant a l'epoque a laquelle ce Traite du vide a ete compose, on voit dans deux lettres de Pascal, l'une a M. Perier concernant Texperience du Puy-de-D6me, et l'autre a M. de Ribeyre, qu'il avait deja commence cet ouvrage en 1647 et qu'il travaillait a 1'achever en 1651. La pre- face a du etre ecrite dans cet intervalle, et plutOt vers 1651. » Nous reproduisons ici l'excellent texte de M. Faugere. * Jl y a ici une lacune d'environ dix lignes. (Note du P. Guerrier*) 582 PASCAL. -OPUSCULES. un vice par un autre, et de ne faire nulle estime des anciens parce que Ton en fait trop. Je ne pretends pas bannir leur autorite pour re- lever le raisonnement tout seul, quoique l'on veuille etablir leur autorite seule au prejudice du raison- nement * Pour faire cette importante distinction avec atten- tion, il faut considerer que les unes dependent seu- lement de la memoire et sont purement historiques, n'ayant pour objet que de savoir ce que les auteurs ont ecrit; les autres dependent seulement du raison- nement et sont entierement dogmatiques, ayant pour objet de chercher et decouvrir les verites cachees Celles de la premiere sorte sont bornees d'au tant que les livres dans lesquels elles sont conte- nues 2 C'est suivant cette distinction qu'il faut regler dif- feremment l'etendue de ce respect. Le respect que Ton doit avoir pour \ . . Dans les matieres ou Ton recherche seulement de savoir ce que les auteurs ont ecrit, comme dans This- toire, dans la geographic, dans la jurisprudence, dans les langues*, et surtout dans la theologie; et enlin dans toutes celles qui ont pour principe, ou le fait simple ou l'inslitution divine ou humaine, il faut necessairement recourir a leurs livres, puisque tout ce que Ton en peut savoir y est contenu : d'ou il est 1 L.'icune do deux lignes. {Note du P. Guenicr.) 2 Uhe 1;k'iiiic. (Faugere.) ' ])<:iix lignes. {Xotr du ;>. Guerrter.) * Ajti-cs le uiot lanyues, i! y u un Wane d'nn mot on deuot. ( l-'augere.; PREFACE SUR LE TRAITE DU VIDE. 583 Evident que I'on peut en avoir la connaissance en- tiere, el qu'il n'est pas possible d'y rien ajouter. S'il agif de savoir qui fut premier roi des Fran- cais; en quel lieu les geographes placent le pre- mier meridien ; quels mots soat usltes dans une langue morte, et toutes les choses de cette nature; quels autres moyens que les livres pourraient nous y conduire ? Et qui pourra rien ajouter de nouveau a ce qu'ils nous en apprennent, puisqu'on ne veut savoir que ce qu'ils contiennent ? C'est l'autorite seule qui nous en peut eclaircir. Mais ou cette autorite a la principale force, c'est dans la theologie, parce qu'elle y est inseparable de la verite, et que nous ne la connaissons que par elle : de sorte que pour donner la certilu.de entiere des ma- tikes les plus incomprehensibles a la raison, il suffit de les faire voir dans les livres sacres ; comme pour montrer l'incertitude des choses les plus vraisem- blables, il faut seulement faire voir qu'elJes n'y sont pas comprises ; parce que ses principes sont au- dessus de la nature et de la raison, et que, l'esprit de l'homme etant trop faible pour y arriver par ses propres efforts, il ne peut parvenir a ces hautes in- telligences s'il n'y est porte par une force toute- puissante et surnaturelle. II h'en es* pas de meme des sujets qui tombent sous les sens ou sous le raisonnement : I'autorite y est inutile; la raison seule a lieu d'en connaitre. Elles ont leurs droits separes : 1'une avait tantottout 1'avantage ; ici 1'autre regne a son tour. Mais comme les sujets de cette sorte sont proportionnes a la ■584 PASCAL. —OPUSCULES, portee de l'esprit, il trouve une liberte tout entierr. de s'y etendre : sa fecondUe inepuisuble produit con- tinuel!ement, et ses inventions peuvent etre tout en- semble sans fin et sans interruption f C'est ainsi que la geometrie, l'arithmetique, la musique, la physique, la medecine, l'architecture, et toutes les sciences qui sont soumises a l'expe- rience etau raisonnement, doivent etre augmentees pour devenir parfaites. Les anciens les ont trou- vees seulement ebauchees par ceux qui les ont pre- cedes : et nous les laisserons a ceux qui viendront apres nous en un etat plus accompli que nous ne les avons recues. Comme leur perfection depend du temps et de la peine, il est evident qu'encore que notre peine et notre temps nous eussent moins acquis que leurs travaux separes des notres, tous deux neanmoins joints ensemble doivent avoir plus d'eflet que chacun en particulier. L'eclaircissement de cette difference doit nous faire plaindre l'aveuglement de ceux qui apportent la seule auto rite pour preuve dans les matieres phy siques, au lieu du raisonnement ou des experiences, et nous donner de l'horreur pour la malice des autres, qui emploient le raisonnement soul dans la theologie, au lieu de Pautorite* de l'ficriturp et des Peres. I) faut releVer le courage do ces gens timides qui n'osenl rien inventer en physique, et con fond re I'insolence de ces temeraires qui produisent des • Une lacunc PREFACE SUR LE TRAITE DU VIDE. 585 nouveautes en theologie. Cependant le malheur du siecle est tel, qu'on voit beaucoup d'opinions nou- velles en theologie, inconnues a toute l'anliquite, soutenues avec obstination et recues avee applau- dissement; an lieu que celles qu'on produit dans la physique, quoiqu'en petit nombre, semblent devoir £tre convaincues de faussete des qu'elles choquent tant soitpeu les opinions recues : comme si le respect qu'on a pour les anciens philosophes etait de devoir, et que celui que Ton porte aux plus anciens des Peres etait seulement de bienseance ! Je laisse aux personnes judicieuses a remarquer l'importance de cet abus qui pervertit l'ordre des sciences avec tant d'injuslice; et je crois qu'il y en aura peu qui ne souhaitent que cette liberty* s'applique a d'autres matieres, puisque les inventions nouvelles sont in- failliblement des erreurs dans les matieres 2 que Ton profane impunement; et qu'elles sont absolument necessaires pour la perfection de tant d'autres sujets incomparablement plus bas, que toutefois on n'ose- rait toucher. Partageons avec plus de justice notre credulite et notre defiance, et bornons ce respect que nous avons pour les anciens. Comme la raisonlefaitnaitre, elle doit aussi le mesurer ; et considerons que s'ils fussent demeures dans cette retenue de n'oser rien ajouter aux connaissances qu'ils cvaient recues ou que ceux 1 Le mot ici souligne\ que nous r^tablissons par cohjecture, est en blanc dans le ms. (Faugere.) * 11 faudrait, ce semble : matieres thdologiques. (Faugcjrcu) 586 PASCAL. —OPUSCULES, de leur temps eussent fait la meme difficulte de recevoir les nouveautes qu'ils leur offraient, Us se seraient prives eux-memes et leur posterite du fruit de leurs inventions. Comme ils ne se sont servis de celles qui leur avaient ete laissees que comme de moyens pour en avoir de nouvelles, et que cette heureuse hardiesse leur avait ouvert le chemin aux grandes choses, nous devons prendre celles qu'ils nous ontacquises de la meme sorte, et a leur exemple en faire les moyens et non pas la fin de notre etude, et ainsi tacher de les surpasser en les imitant. Car qu'y a-t-il de plus injuste que de traiter nos anciens avec plus de retenue qu'ils n'ont fait ceux qui les ont precedes, et d'avoir pour eux ce respect inviolable qu'ils n'ont merite de nous que parce qu'ils n'en ont pas eu un pareil pour ceux qui ont eu sur euxle meme avantage * ? Les secrets de la nature sont caches; quoiqu'elle agisse toujours , on ne decouvre pas toujours ses eflets : le temps les revele d'age en age, et quoique toujours egale en elle-meme elle n'est pas toujours egalement connue. Les experiences qui nous en donnent l'intelli- gence multiplient continucllement; et, comme elles sont les seuls principes de la physique, les conse- quences multiplient a proportion. C'est de cette facon que Ton peut aujourd'hui prendre d'autres sentiments et de nouvelles opr * Lucid t de cinq ou six lignes. (Note du P. Guerrier,) PREFACE SUR LE TRA1TE DU VIDE. 58" nions sans mepriser les anciens et * sans ingratitude, puisque les premieres connaissances qu'ils nous ont donnees ont servi de degres aux notres, et que dans ces avantages nous leur sommes redevables de J'as- cendant que nous avons sur eux; parce que s'etant eleves jusqu'a un certain degre oil ils nous ont portes, le moindre effort nous fait monter plus haut, et avec moins de peine et moins de gloire nous nous trouvons au-dessus d'eux. G'est de la que nous pou vons decouvrir des choses qu'il leur etait impos- sible d'apercevoir. Notre vue a plus d'etendue , et quoiqu'ils connussent aussi bien que nous tout ce qu'ils pouvaient remarquer de la nature, ils n'en connaissaient pas tant neanmoins, et nous voyons plus qu'eux. Gependant il est etrange de quelle sorte on revere leurs sentiments. On fait un crime de les contre- dire et un attentat d'y ajouter, comme s'ils n'avaient plus laisse de verites a connaitre. N'est-ce pas la traiter indignement la raison de 1'homme et la mettre en parallele avec l'instinct des animaux, puisqu'on en ote la principale difference, qui consiste en ce que les effets du raisonnement augmentent sans cesse, au lieu que l'instinct de- meure toujours dans un etat egal?Les ruches des abeilles etaient aussi bien mesurees il y a mille ans qu'aujourd'hui, et cbacune d'elles forme cet hexa- gone aussi exactement la premiere fois que la der niere. II en est de meme de tout ce que les animaux 1 Lacune d'un ou deux mots dans le ms. Nous la suppleons par les mots soulign&a (Faugere.J 588 PASCAL. — OPUSCULES. prodiifsent par ce mouvement occulte. La nature les instruit a mesure que la necessite les presse; mais cette science fragile se perd avec les besoins qu'ils en ont : comme ils la recoivent sans etude, ils n'ont pas le bonheur de la conserver; et toutes les fois qu'elle leur est donnee, elle leur est nouvelle, puisque la ! nature n'ayant pour objet que de maintenir les animaux dans un ordre de perfec- tion bornee, elle leur inspire cette science neces- saire 2 toujours egale, de peur qu'ils ne tombenl dans le deperissement, et ne permet pas qn'ils y ajoutent, de peur qu'ils ne passent les limiles qu'elle leur a prescrites. II n'en est pas de meme de I'homme, qui n'est produit que pour l'infinite. 11 est dans l'ignorance au premier age de sa vie; mais il s'instruit sans cesse dans sun progres : car il tire avantage, non-seulement de sa propre experience, mais encore de celle de ses predecesseurs; parce qu'il garde toujours dans sa memoire les connais* sances qu'il s'est une fob acquises, et que celles des anciens lui sont toujours presentes dans les livres qu'ils en out laisses. Et comme il conserve ces con- naissances, il peut aussi les augmenter facilementj de sorte que les homines sont aujourd'hui en quel- que sorte dans le meme etat oil se trouveraient ces anciens phUosophcs, s'ib pouvaient avoir vieilli jus- ques a present, en ajoutant aux connaissanccs qu'ils avaient celles que leurs etudes auraient pu leur ac- querir a la faveur de tant de siccles. l)v la vient que, i l< uc. (rautfcre.) 1 MOmc obsorvfttioii. (^0 PREFACE] SUR Lfi TRAlTE DU VIDE. 889 par une prerogative pamiculiere, non-seulement chacun des hommes s'avance de jour en jour dans les sciences, mais que to us les hommes ensemble y font un continuel progres a mesure que i'univers vieillit, parce que la meme chose arrive dans la suc- cession des hommes que dans les ages differents d'un part'culier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siecles, doit etre consideree com me un meme homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement : d'ou Ton voit avcc combien d'injustice nous respeclons l'anti- quite dans ses philosophes; car, comme la vieille&se est l'age le plus distant de l'enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas etre cherchee dans les temps proches de sa nais- sance, mais dans ceuxqui en sontles plus eloignes? Ceux que nous appelons anciens etaient veritable- ment nouveaux en toutes choses, et formaient l'en- fance des hommes proprement;et comme nous avons joint a leurs connaissances l'experience des siecles qui les ont suivis, c'est en nous que Ton peut trou- per cette antiquite que nous reverons dans les autres. lis doivent etre admires dans les consequences qu'ils ont bien tirees du peu de principes qu'ils avaient, et ils doivent etre excuses dans celles oil ils ont plutot manque du bonheur de rexperience que de la force du raisonnement. Car n'etaient-ils pas excusables dans la pensee qu'ils ont cue pour la voie de lait, quand la faiblesse de leurs yeux n'ayant pas encore recu le secours de 1'artifice, ils ont attribue cette couleur.a une plus 50 590 PASCAL. — OPUSCULES. grande solidite en cette partie du ciel qui renvoie la lumiere avec plus de force ? Mais ne serions-nous pas inexcusables de de- meurer dans la meme pensee, maintenant qu'aides des avantages que nous donne la lunette d'approche, nous y avons decouvert une infinite de petites etoiles, dont la splendeur plus abondante nous a fait re- connaitre quelle est la veritable cause de cette blan- cheur ? N'avaient-ils pas aussi sujet de dire que tous les corps corruptibles etaient renfermes dans la sphere du ciel de la lune, lorsque durant le cours de tarn de siecles ils n'avaient point encore remarque de corruptions ni de generations hors de cet espace? Mais ne devons-nous pas assurer le contraire, lorsque toute la terrea vu sensibleinent des cometes s'enflammer * et disparaitre bien loin au dela de cette sphere? C'est ainsi que sur le sujet du vide ils avaien 1 droit de dire que la nature n'en souffrait point, parce que toutes leurs experiences leur avaient toujours fait remarquer qu'elle l'abhorrait et ne le pouvait souffrir. Mais si les nouvelles experiences leur avaient ete connues, peut-etre auraient-ils trouve sujet d'affir- mer ce qu'ils ont eu sujet de nier par la que le vide n'avait point encore paru. Aussi, dans le jugement qu'ils ont fait que la nature ne souffrait point de vide, ils n'o* v entendu parler de la nature qu'en 1 La vraie nature des cometes 6tait encore ignoriie au temps de Pascal . {Note de L'idition llossui.) PREFACE SUK LE TRAITE DU VIDE. 591 Petat oil ils la connstissaient; puisque, pour le dire generalement, ce ne serait assez de 1'avoir vu con- stamment en cent rencontres , ni en mille , ni en tout autre nombre, quelque grand qu'il soit; puis- que s'il restait un seul cas a examiner, ce seul suffl- rait pour empecher la definition generale, et si un seul etait contraire, ce seul ! Car dans toutes les matieres dont la preuve consiste en experiences et non en demonstrations, on ne peut faire aucune assertion universelle que par la generale enumeration de toutes les parties et de tous les cas differents. C'est ainsi que quand nous disons que le diamant est le plus dur de tous les corps, nous entendons de tous les corps que nous connaissons et nous ne pouvons ni ne devons y com- prendre ceux que nous ne connaissons point; et quand nous disons que For est le plus pesant de tous les corps, nous serions temeraires de com- prendre dans cette proposition generale ceux qui ne sont point encore en notre connaissance, quoi- qu'il ne soit pas impossible qu'ils soient en nature. De meme quand les anciens ont assure que la nature ne souffrait point de vide, ils ont entendu qu'elle n'en souffrait point dans toutes les expe- riences qu'ils avaient vues et ils n'auraient pu sans temerite y comprendre celles qui n'etaient pas en leur connaissance. Que si elles y eussent ete, sans doute ils auraient tire les memes consequences que nous et les auraient par leur aveu autorisees de cette * Deux lignes. {Note du P. Guerrier.) 592 PASCAL. — OPUSCULES, antiquite dont on veut fa»re aujourd'hui 1'unique principe des sciences. C'est ainsi que sans les contredire, nous pouvons assurer le contraire de ce qu'ils disaient; et, quelque force enfin qu'ait cette antiquite, la verite doit tou- jours avoir Pavantage, quoique nouvellement de- couverte , puisqu'ellc est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu'on en a eues, et que ce serait ignorer sa nature de s'imaginer qu'elle ait commence d'etre au temps qu'elle a commence d'etre connue. NOUVEAU FRAGMENT DU TRAlTfi DU VIDE. Qu'y a-t-il de plus absurde que de dire que des corps inanimes ont des passions, des craintes, des horreurs; que des corps insensibles, sans vie et meme incapables de vie aient des passions qui pre- supposem une ame au moins sensitive pour les re& sentir? De plus, que l'objet de cette horreur fut le vide; qu'y a-t-il dans le vide qui leur puisse faire peur? qu'y a-t-il de plus bas et de plus ridicule? Ce n'est pos tout : qu'ils aient en eux-memes un principe de mouvement pour eviter le vide, ont-ils des bras, des jambes, des muscles, des nerfs? JIN DU VOLUMfc. INDEX DES PENSEES DE PASCAL. Abetimbmhnt, 232. Abime. Pascal croit en voir un a ses cotes, 4'i, note. Abus des verites, 215. ACADEMICIEN8 , 255. Actions; les raoindres sont impor- tantes pour ie salut, 387. Admiration, gate tout, 412. Agneau pascal, 366. Agreable (1'), en quoi il consiste,552. Agrement, ne doit pas regler la croyance 523. Am, 126. AlcorAn, 317. Ambition. 539, 540. Ame; ses qualites peuventse perdre, 180. — a diverses inclinations , 195 — quelle est sa plus grande mala- die, 469. — cherche des biens aussi durables qu'elle-meme, 494. — touchee par ia grace, 495. — ce qu'elle est dans l'etat de pe- cbe, 493 et suiv. — ce qu'en dit Montaigne, 507, — ne peut se reposcr dans les vices, 520. — suit une volonte corrompue, 528. — tout est grand dans une grande ame, 541. — s'agrandit par certaines passions, 551. — Voir encore 127, 189, 227, 403. Ami veritable ; en quoi utile? 199. Amis, medisentlesuns desautres,200. Amitie, 141. Amitie des rois, 194. Amour , tue par la petite \erole, 179. — pour une belle personnc est pea de chose, 179. — ne s'adresse point auxpersonnss, mais aux qualites, 180. — ses causes et ses eflets, 196. — change avec les aonees, pour- quoiV 410. Amour ; disc ours sur les passnns it I' amour j 538. — l'esprit le rend plus precieux, 541 — ses rapports avec l'esprit, ibid. — est plus grand chez ies gens d'es- prit, ibid. — se soutient par l'esprit et en donne, 544. — at toujours naissant, ibid. — \fi£ qu'il est dans des conditions inegales, 545. — est la raenie chose que la raison, 551. — Voir Delicatessen Esprit. Amour de Dieu, 375 et chap. xvi. Amour filial, 156. Amour de i'homme pour soi-meme, 454. — Voir Moi. Amour-propre, sa nature, 138. — Voir encore 545 et chap. in. Amulette de Pascal; on s'est trompe a ce sujet, 41. Anciens ; on d°it borner le respect qu'on a pour eux, 585. — sont ainsi nommes a tort, 589. Andre (lepere), editeur de Pascal, 6. Animaux, compares a I'homme, 131. — leur instinct, 588. — Voir Betes. Antechrist, 342, 344, 345. Antiquite ; respect exagere qu'on lui porte, 580. Antitheses, 211. Apotres, ont leve le sceau des livres saints, 290. — leur sincerite n'est pas suspecte, 312. ^ Archimede, 308. Arianisme, 357. Ariens, 340. Aiustote, n'a point une robe de pe- dant, 198. Arithmetique , quel est son objet, 567. — Voir Machine. Art de persuader, -58ft. 594 INDEX. Abtisax, raut un gcometre, 43. assassinat. — Tom Meurlre. Athees, connaissent leur misere sans connaitre Dieu, 247. — nient la resurrection, 362. — combattus par Montaigne, 507. Atheisme, marque de force d'esprit, 394. — Voir encore 328. Auteurs, ne doivent pas dire mon livre, 395. — ne peignent point bien l'amour, 550. — Voir Style. Automate; il faut l'incliner a croire. 238. Actorite, a des droits separes de la raison, 583. — a quelles sciences elle s'appli- que, 584. Avenement , le premier a ete predi't, 277. Avenement de douceur; commentDieu y parait, 319. AvENiR.n'est pas a notre egard,438. — Voir encore 162. Avocats, 144, 146. Axiomes. — Voir Regies. B Bapteme, source de foi et de vie, 382. — obligations qu'il impose, 480. — dans la primitive Eglise, 481. Bassesse de l'homme, 133. — Voir Misere. Beatitude, commence a la mort, 404. Beaute poetiquc, 212. Beaute des femmes. diversementap- preciee suhant les temps, 543. — tueeparla petite verole, 179. Beaute; 1'idee en est gravee dans toules les ames,. 543. Beaute morale, 552. Betes, ne s'admirent point, 208. Bien univt-rsel, 223. Bien, est rare, 439. Bien (le vrai), 496. Biens du monde; ne serpent qu'a of- fenser Dieu, 470. Bienheureux; quelle est leur ioie, 436. Boileau (l'abbe), 42. Bonueur; est en Dieu, 134. — est le motif de toutes nos ac- tions, 221. — il faut le chercher en nous, 224. — ( le vrai), est en Dieu seul, 249. — Voir encore 130 et chap. v. Bonheur des grands, en quoi il con- siste, 169. Bossut , editeur de Pascal, 6; cite 10, 11, 33. Boullier; defend Pascal contre Vol- taire, 6, 11. Calvinistes; leurs erreurs combat- tues, 358. Campaqne, vue de loin et de pres, 412. Cauactkue chretien, 413. Causes; on ne les voit pas, 176. Certitude, n'existe pas hors la foi, 210.— Voir encore '225, 390, 391. Chaiute, unique objet dc l'Ecriturc, — sa gmndeuT infinin, -09. — est de prlcepte positif, 368. — Voir enoore -70 Charron, 194. Chassk; pourquui on 1'aime, 165, 168, 169. C'SMTKTi, 188, 192, 201. ClIlM' bonm s; sonl communes . 537. Cbbbtibki charnels, 179. i \s, ne pcuvi nt prouver leur religion. 229. Chretiens; les vrais Chretiens sont heureux, 258. — ils croient sans preuves, 264. — ci mment ils vivent, 28-. — doivent prendre leurs replns hors d'eux-memes, 371. il y en a pen de vrais, 407. — les vrais obcissent aux folies, pourquoi? 417. — des premiers temps compares avec ceux d'aujourd'hui, 477. — trcs-ignorants, aujourd'hu^, 478, 481. — ont pcu a profiler des dudes phi- losophiques, 515. CnniSTiANiS'ME. — Voir Religion. ClCBBOP Cincotfcision, 359. Cirok infini ■ ■ 119. Cleopatrb, 196. I'M', .i Sea raisons, 209; ct»on Of* die. 210. INDEX. 595 Colbert, eveque de Montpcllier, pu- blie des fragments de Pascal, 4. Collet (Frangois), publie une bro- chure sur Pascal, 40. Combat, plait plus que la victoire, 193. Comedie, a besoin de contrastes pour plaire, 193. — divertissement dangereux, 383. Compliments, 199. Condition des homtnes, 130. — des grands , depend du hasard, 484 et suiv. Condorcet, editeur de Pascal, 5; cite 41, 184. Concile; au-dessus du pape, 389. Concupiscence, source de tous nos mouvements , 199. — Voir encore 134, 252, 296, 368. Confesseurs; pourquoi ils demeurent chez les grands, 410. Confession, 139 et suiv. Conformite d'idee, 157 ; Connaissance de Dieu, 235. Connaissances naturelles de l'homme incertaines, chap. iv. Conquete du monde,j amusement de jaunes hommes, 197. Consentement general, ne doit pas etre la base de la foi, 408. Consentement de l'esprit; par quoi il est determine, 524. Consolation; il ne faut point en at- tendre des hommes, 250, 446. Contradiction , mauvaise marque de verite, 158. Contradictions des livres saints , preuve nouvelle de leur verite, 293. Conversation, 208. Conversion veritable , en quoi elle consiste, 262. — Ses joies, 436. Conversion des nations, 313.. Conversion du coeur, impossible sans la grace, 466, 467. Copernic, 117. Corps; ce qui le distingue de l'esprit, 128. Corps; les corps tous ensemble ne v*,- lent pas le moindre desesprits, 309. — le corps du Chretien est le temple du Saint-Esprit, 453. — la beatitude dw corps commence a la mort, 457. — ses mauxsontla figure desmaux dc Tame,' 469. — Voir encore 120 127. Corps inanimes; absurde de dire qu'ilg ont des passions, des craintes, etc., 592. Corruption de la nature 111. — de l'homme, 219. Courtisans, 141. Cousin, publie Pexamerj critique des editions de Pascal, 7 et suiv., 9 et suiv.; cite, 22, 35, 36. 45 note, 75, 119, 133, 153, 182, 196, 210, 233, 236, 354, 370, 390, 423, 424, 445, 492, 499, 538, 580. Coutume , fait les mac,ons et les sol- dats, 147, 148. — sa force est grande, 148. — fait toute la force des lois, i5i. — pourquoi on doit la suivre, 152. — est une seconde nature, 156. — fait nos preuves les plus fortes, 237. — ce qu'elle produit, ibid. — est notre nature. 416. — Voir en- core 151, 155, et chap. iv. Crainte de Dieu; il y en a de deux sortes, 373. Crimes, re gardes corarne actions 'ver- tueuses, 150. Cromwell, tue par un grain de Bable, 130. Croyance d'habitude, 238. Croyance des cceurs simples, 262,263. Croyance fondee sur les miracles, 339. Cupidite, 276. Curiosite n'est que vanite, 137. — maladie principale de l'homme, 209. © Damnes, condamnes par leur raison, 261. Decheance de l'homme, 282, 455. Defauts; ilfaut les reconnaitre, 138. — nous n'aimons point qu'on nous les reproche, 141. Definitions; doivent &tre, dans la de- monstration, substitutes aux defi- nis, 527. Definitions geometriques, 558. Definitions de mots: sont parfois ab- surdeg, 561, Definitions de noms, 565. — de choses, ibid. — Voir Regies. Deisme, differe peu de l'atheisrnc, 236, 246. — Voir encore, 328. Delassement, 214. Delicatesse en amour, 546. Deluge, 243, 271. Demi-savants, 178. Wmonstration par les preuves, 206. Demonstration de la verite, 52 J e SKl'v. 596 INDEX. Demonstrations geometriques , sont les seules vraies . 535. — Voir Regies. DBSCARTES.approfondit trop les scien- ces, 393. — sapreuve: Je pense, done je suis, se trouve dans saint Augustin, 533. — sa metaphvsique jugee par Pas- cal, 534. Desir d'etre estime, 136. Desmolets (le pere) publie des mor- ceaux de Pascal, 4. Devoirs envers les grands, 488, 489. Devotion. — Voir Pie'le. Diable, 280. Di»u, se cache aux hommes, 105. — sensible au cceur, 210. — son existence et son essence, 228 et suiv. — sa justice, ibid. — la preuve de son existence cher- chee dans un pari, 229 et suiv. — est incomprehensible, 229. — ne se prouve point par la meta- phvsique, 235. — comment les auttirs canoniques le prouvent, 236. — est un Dieu cache, 240, 246. — il est incroyable qu'il s'unisse a rhomme, 258. — incline le cceur des hommes a croire. 263. — peut nous perdre legitimement a toute heure, 262. — pourquoi il a fait le peuple juif, — ou il se plait, t&id. — s'est exprime en figures, 273. — les choses de Dieu sont inexpri- mables,295. — comment son existence doit etre prouvee aux impies, 325, 326. — Dieu doit aux hommes de ne point les induire en erreur. 340. — ce qu'il fait pour Port-Royal, 3-47, 351. — son ubiquitc, 352. — dispose de tout avec douceur, 353. — on ne doit aimer que lui, 375. — sa conduite est cachce sous la na- ture, 389. — est incomprehensible, 393. — SOD eternitc, 416. — se decouvre rarement aux hom- mes, ponrquoi? 4-7. — conn'.i des catholiques Beals sous des especes dc pain Dieu, trouve toujours les hommes In- fideles, 434. — est bien abandonne" aujourd'hui, ibid. — auteur de tout, excepte du ni- che, 438. — n'abandonne pas les corps dans la sepulture, 443. — ses vuessur la vie et la maladie. 446. — est l'arbitre des maux, ibid. — comment on doit le prier dani les maladies, 463. — sa bonte et sa puissance, 464. — est roi de la charite, 490. — comment Montaigne le prouve, 507. — il s'est exprime en figures, ch.xvu. — ne se cache ni ne se decouvn* entierement. chap. xxi. Dieu des paiens, 326. Dieu des Juifs, 327. Dicnite de rhomme, coiiaiste dans la pensee, 133. Dignite royale, 170. Dire du bien de soi-melc?, 200. Discipline de 1'Eglise, moins bonne qu'autrefois, 392.— Voir encore 479. Diseur de bons mots, 188. Divertissement; il n'y a point de joie sans divertissement, 169. — les divertissements sont dange- reux pour les Chretiens, 383. — Voir encore 134, 171, 190, 200, et chap. v. — Voir Roi. Divination par les songes, 346. Doctecrs, ont le cceur vide de la v«- rite, 511. Doctrine de 1'Eglise, 106. Dogme, chap. xxiv. Dogmatisms, 217. Dogmatistes, 255. Domination, 181. Doute phiiosophiquc, 218. Doute; est un grand mal, 109. — il faut savoir douter ou il faut, 259. — Voir encore 408 etlechap. xt. Docteurs dc miracles. 4M. Droit (le) a ses epoqucs, 149. Droit d'ainessc, 420. Droit de naissance, 173. Droiture des sens, 202. Due; on Test par hasard, 484. — pcut etre saluc et meprise, 489. — due et honnete homoie, ibid. Du Gas (monsieur), 425, 490. L wf el bUj 202. Icumh ; " ugepi maihenr, 400. For'tcrk salntc; voilce pour ccux qui n#»sehaissrnt point eu-mlmei, ^79. — a un double sens, 89(1. INDEX 597 Gcriture, aveugle et e'ctaire, 291. — comment on peutla comprendrc, 293. — ses clarteset scs obseuritcs, 317. — comment elle parle de Dieu, 326. — ses preuves ne sont point de- monstratives, 339. — est figurative, 366. — a deux sens, 428. Editions de Pascal , examinees par M. Cousin, 9. Effets; on nevoit qu'eux, 176. Efforts d'esprit, 207. Egalite des biens est juste, 182. Eglise; sa justice est sans violence, 183. — subsiste sans interruption, 242. — est toujours visible, 289. — autorisee par } ae m-racles, 342. — a trois sortes d'euuemis, 348. — toujoars combattue par deux er- reurs contraires, 356. — sonhistoire est celle delaverite, 367. — juge par l'exterieur, 381. — est unite et multitude, 388. — comment on y entre au dix- septieme siecle, 477. — a change de conduite sans chan- ger d'esprit, 479. — a des coutumes differentes sui- vant les temps, 481. ■ — Voir chap. xxiv. Egoisme, commencement de tout des- ordre, 376. — suite de dereglement de juge- , ment, 397. Sgyptiens idolatres, 241. Eloquence continue, ennuie, 197. — en quoi elle consiste, 214, 395. Eloquence d'action, 548. Eloquence de silence, 550. Empire fonde sur l'opinion, 174. Enfantement de la Vierge, 362. Enfants, s'effrayant du visage qu'ils barbouillcnt, 393. Enfer; crainte de l'enfer, 234. Ennemis de la verite, 424. Ennui, 167, 402. Entendement, 521. Epee, donne un veritable droit, 183. Epictete a bien vu le bon chemin , 406. — analyse etcomparaison de sa doc- trine avec celle de Montaigne , 499 ct suiv. — Fcsf encore 209, 502. Epicuribns, 255. En grammes, 199. >/ "" Erreur commune, necessaire pour fixer l'esprit, 208. Erreur; comment on doit la repren- dre, 191, Erreur ; son essence eonsifte a no pas se oonnailr , 503. Esclave, n'est pas plus hsureux pour etre flatte de son maitrc, 402. Espaces infinis effrayent Pascal, 401. Espace divisible a I'infini, 570, 571 , 579. Esprit croit naturellement, 207. i — comment on le gate, 208. — a son ordre, 210. — Voir Cotur. — il faut le delasser, 213. — il ne faut pas le guinder, 537. — ses rapports avec l'amour, 541. — ses qualites ne s'acquierent point par 1 'habitude, 546. — sa fecondite est inepuisable, 584. — ses divers genres, chap. vm. Esprit b-itexx ; pourquoi il nous ir- rite, 177. — de finesse, 202 et suiv., 541. — de nettete, 565. — de justesse, 202. — de geometrie, 202 et suiv., 541, 555 et suiv. Esprits; il y ea a de deux sortes, 202. Esprits forts, sont faibles, 113. Esprits steriles, lisentilain fond, 388. — n'est pas digne de Dieu, ibid,. — sa nature n'est pas d'aller tou- jours, 392. — il est honteux a lui de succomber sous le plaisir, 398. — est dans un mouvement perpe- tuel, 399. — se trompe sur sa sante et sur sa mort, ibid. — se soutient par le contre-poids de deux vicete, 400. — est un tout a soi-meme, 401. — n'agit point par la raison, 403. — - adore les betes, 405. — malheureux quand il n'est point arec Dieu, ibid. — il y en a de deux sortes, 413. — ne delibere que des moyens, 414. — est seul miserable ici-t>as, 415 — ce qu'il est, ibid. — son amour pour soi-meme, 454. — est crec avec deux amours, ibid. — doit se considercr en Jesui- Christ. 449. — ses devoirs, suivant lipictete, 502. — est liuiiiilu: par Montaigne, 513. -- ses deux elats, 516. — 16 COOduil par caprices, 525. — different pure, 539. — n'est capable que d'une grande passion, 540. — pourquoi il est attire vers la femme par l'amour, 542. — ne peut -vivre sans aimer., ibid. — est ne pour le plaisir, 544. — a besoin d'un second pour Atre heureux, 545. — est mal defini par Platon, 561. — nie ce qu'il ne comprend pas 571. — est place entre deux inQnis, 580 — est incomprehensible sans la foi, chap. x. — ne peut connaitre Dieu que par Jesus-Christ, chap. xxn. — ne peut se connaitre soi-mfime que par Jesus-Christ, ibid. — dechu d'une meilleure nature par le peche, 131. — Voir encore 219, 220, 227, 241, 250, 355, 455, 516. — Voir Peche originel. Hommes, compare* a des condamnea a mort, 130. — ce qu'ils font pour se rendre heureux, ibid. — sont imprudents et vains, 162. — sont malheureux s'ils n'ont point de charges et d'affaires, 163. — pourquoi ils aiment le bruit, 165. — on a raison de les distinguer par Pexterieur, 174. — on ne leur apprend pas a etre honnetes, 193. — sont tous egaux, 193. — se plaigneut tou6, 222. — ce qu'ils pensent de leui nature quand ils n'ont pas la foi 255. — doivent recevoir la reugion que Dieu leur envoie, 340. — ne savaient avant Jesus-Christ ou ils en etaient, 352. — meprisent et craignent la reli- gion, 36-1. — sont ncccssaircmcnt fous, 385. — se haissent Pun 1'aulre. 387. — il y en a de trois sortes, 373. — sont determines a cioire par l'agrement, 522 Honm'.h: bommc, ue se distingue point par la profession 187. IIon.nklh, 136. Honti:; il est lionteux de n'en point avoir, 1 1.'. IIoi'Ital de fous, 199. Homahitb , est une aoite d n t]ui apprend continuellement, 589. Howrou, ne depend pas du tcmo« I '.17. HWMILITK, IK* INDEX. m I iGnorancb, de I'buiimie a son propre sujet, 109. — vrai siege de l'homme, 158. — Voir encore 159. Iludk, 270. — Voir Homere. Illusion des sens, 146. Imagination ; effets qu'elle produit, 142. — maitresse d'erreur, ibid. — dispose de tout, 146. — grossit le temps present, 148. — Sonne de la force aux partis., 184. — est prise souvent pour le cceur, 374. — Voir encore chap, iv, et pages 154, 180. Immortalite, cherchee dans les om- bres de la mort, 457. Immortalite de I'ame ; c'est la grande question, 116. — considered par rapport a la mo- rale, 377. — Voir encore 107. Impies; comment ils raisonnent, 109, 110. — ne sont point tels qu'ils le di- sent, 112. — n'inspirent point de confiance, ibid. — il faut en avoir pitie, 114. — compares a des prisonniers, 116. — servent a prouver la religion, 257. Impostexjrb; pourquoi onlescroit, 345. Incarnation du Christ, 257, 362^ Incomprehensible, existe, 258. Inconstance, 195, 197. Incrldules; il faut les plaindre, 353. — sont les plus credules, 393. Indivisible , par rapport a l'etendue, 576. — defini par Pascal, 577. Indifference religieuse; chose mon- strueuse, 111. — Voir encore 116. Inegalite des conditions, chap. vu. passim. — de grandeur, 121. Infini, 120. — Voir encore chap. xi. Infini de petitesse, 119, 122. Infinites de grandeur etde petitesse, 568. Infinite d'univers, 119. Inquietude dc l'homme, ch. v. Inquisition ; corrompue et isrnorante, 385. Instinct; different de l'esprit, 400. — different de la raison, 587. — Voir encore 135, 226, 400. Instincts conlradictoires, 166. Instruction religieuse negligee, 482. Interet; notre propre interet nous creve les yeux, 147. Interet general; doit l'emporter sur le particulier, 376. Inventeurs ; on leur refuse la jjloire, 180. J Jan8eni8tes; leurs sentiments politi- ques, 61. — Voir encore 350, 352. Jesus-Cseist, mediateur, 235. — centre ou tout tend, ibid. f- attendu des le commencement du monde, 241. — redempteur, 247. — \enu dan» le temps predit, 272. — figure par Joseph, 2£>f. — a leve le sceau des livres saints, 290. — ce qu'il apprend aux hommes, 291. — ce qu'il dit aux hommes, 302. — sa mission, ibid. — Sauveur, hoslie, etc., 304. — est venu avec l'eclat de son ordre, 307. •— son humility et sa magnificence. Jesus-Christ; sa grandeur, ibid. — a peine apercu par les histo- riens, 309. — sa vie, ibid. — comment il a parle, 310 — predit et predicant, 311 — prouve par le,i miracles, 31?- — bien different de Mahomet, 318. — objet de sa mission, 322. — sa genealogie, 324. — veritable Dieu des hommes, 328. — Dieu et homme, 357. — Redempteur de tous, 406. — considere en toutes ses person- nes, ibid. — prouve par 1'accoirplisCfient de* propheties, chap. xvni. — prouve par sa naissance et sa mort, chap. xu. 51 602 INDEX. Jesus-Chxist, fait connaitre l'homme et Dieu, chap. xxn. — ses miracles , chf">. xxm. — Voir encore 210, 339. 340, 341, 344, 352,355, 356, 358, 366, 368, 379, 418, 420, 426, 448, 449. Jerusalem celeste, 368. Jesuites, attaques par Pascal, 347, 348. — veulent suivxe leurs imagina- tions, 371. — fleaux de la verite, o84. — leur doctrine, 388. — Voir en- core 349, 352. Jbu>, recherche, pourquoi? 162. — Voir encore chap. v. Jeu de balle, 167, 169, 170. Joceh a croix ou pile que Dieu est ou n'est pas, 229 et suiv. Jugement; l'homme a peu de juge- ments fermes et stables, 196. — jugement des ouvrages d'esprit, 206. Jugement dernier. 277, 440. Jcges , dupes par les gestes des avo- cats, 144. Joifs , prouvent la religion, 257. - ce qu'ils disent de leur nation, 266. — avantages du peuple juif, 267. — comment ils sont coDStitues, ibid. — compares aux autres peuples , 268. — sont sinceres dans leurs livres, 269. — ont meconnu le Christ, 272, Juifs, pourquoi Dieu les a faits, 272. — il y en a de deux sortes, 2^ — leur doctrine, 29i, 293. — sont temoins irreprochables da Christ, 302. — tou jours miserables, pour prou- ■ver Jesus-Christ, 313. — disperses et non extermin^s , pourquoi? 314. — avaient une doctrine de Dieu, 339. — leur histoire est l'un des fonde- ments de la religion, chap. xt. — leur loi, chap, xvn, passim. — Voir encore 372. Juifs charnels, 179. Juste, image de Jesus- Christ, 357. — sa conduite ici-bas, 409. — ne prend rien du monde,417, 418. Juste et injuste, chap, vn, passim. Justicb , bornee par une riviere, 149. — l'homme ne la connait pas, ibid. — change selonles climats, ibid. — ses fondements sont mcertains, 150. — depend de la mode, 182. — impuissante sans la force, 184. — Voir encore chap, vn, passim. — Voir Force. Justice, qualite spirituelle, 183. Justice de Dieu abat notre orgueil. 367. — Voir encore 227 et suiv. Langue poetique, 212. Langagb, 213. Lan-gues, sont des chiffres, 211. Laquais; leur noinbre fait juger les gens, 175. 178. Lefkvre, editcur de Pascal, 6. Llgislateurs , out dispose de la ri- chesse, 485. Lelut, se trompc dans son livre sur Pascal, 41. Lbttkes. — Voir Provinciates. Libvres; pourquoi ou les chasse, 165. Litti iiature. — Voiu Auleurs, Nou- veaule. Livres; quels sont les meilleurs , 537. — Voir 'ncore, 2i3. I.imiis taint* ; leur sens spirilucl, Livres sibyllins, 270. -s; riglet qui font lei prin- ciple de leur art, 531. Logiciens, ne sont pas clairvoyants, 535. — Voir encore 198. Logique; comment clle a emprunte* les regies de la geometric 535. Lois naturcllcs, 150. Loi des Juifs, 267. Loi des Douze Tables, 268. Lois ; on ne doit poiut quitter les an- ciennes, 153. — lois que les hommes se font a eux-nieines, 198. — pliees a la necessite, 243. — Moniaigne combattu a leur sujtt, 506. — Voir encore chap. vn. pas- sim et Coutomr, IIasako. Lumiere; ridiculement dclinie par la pere Noel, 562. Luke; on la croit cause de tout. ,'i09. — pourquoi on lui attribue taut de faux effcts, 346. Lunbttes astronomide visible, 118. —Voir Etendue et Raccourci d'atcme^, Montaigne; anab* se de sa doctrine et comparaison avec cellc d'Epictete, 499 et suiv.,— cite, discutcou jugc par Pascal, 152, 159, 160, 176, 178, 194, 209, 206, 254, 394, 402, 411, 533. Morale; nous n'avons pas de point fixe pour la iuger. 161. — quelle est la \raie? 214. — est la science univcrsellc, 414. — sur divers sujets de morale, chap, iv, vin, xxiv. Moralb corrompue des thcologiens, 442. Mort, inconnue et inevitable, 110. — les hommes n'v pcnsent pas , 130. — est le repos entier, 399. — il ne faut point la craindre dans le peril, 410. — est necessaire et souhaitable , 443. — doit etre consideree , non par rapport a l'hommc, mais par rap- port a Dieu, 447. — ct au Saint- Esprit, 448. — peine necessaire du peche, ibid. Mort, mal appreciee par Socrate el Seneque, pourquoi? ibid. — horrible sans Jesus-Christ et douce avec lui, 449. — l'horreur qu'elle inspire etaitna- turell°, dans 1'etat d'innocence, pourquoi? 455. — ne doit point inspirer d'horreur a l'homme apres sa decheance , pourquoi ? 456. Mort des Chretiens. — Voir Lettre a madame Verier, 445 et suiv. Morts; dans quelle mesure on doit les pleurer, 458. — comment on doit les honorer, 460. — Voir encore 108. 200. Mots; leurs differcntes dispositions, 207. — deguisent la nature, 210. Mots semblables, ont souvent un sens different, 532. — sont differents en diverses bou- ches, 535. Mots bizarres, 212. Mots d'enflure, 538. Mots repetcs, 210. Mots primitifs ; on ne les definit pas, 561. Mocche, trouble la raison humaine, 152. Mouvevent; comment l'esprit lccon- coit, 567. — inDni en vitesse et en lenteur, 568. N Naissancb, ne donne pas l'habilcte, 176. — Voir Qualite. Nature (de l'homme), surmonte la coutume, 148. — eflacee par la coutume, 156. — nous dement souvent, 158. — nature premiere dc l'homme. 1<>G. — corrompue par lc peche, 247. — est seule bonne, 537. Nature; samajeste. 117. — ses merveilles, 119. — image de la grace. 271. — image de Dieu, 385. — recommence loujours les memes choses, 399. — s'imitc clle-meme, 412. — lc temps revele ses secrets d'Age en age, 586. Neant, 120, 148. Neants d'etendue (deux) ne peurent faire une etendue, 574. Nettete d'esprit, 541. Neittralite, est pyrrhonisme, 218. Newton, devniice par Pascal, 41. Nez dc Clcopatro, 196. Nisard, cite 174, 365, 374, 476. Nicole, 171. Noblesse de race, depend du hasard, 485. — Voir Due et pag. 483 e* suiv. Nob, figure du Mcssie, 241. Nombre, infini en grandeur et en pe- titcsse, 570. Nouveautks scientifiques repousseet, 585. Nouveautk en lillcrature, 207. i ?«f.B passive. — Voir Soldal. Oik:i HrTK Caf "reuvesde la religion, Mi. Omcuiutks, se multiplient par le com* mentaire, 506. Occvr*Tif?» dc Thoimme, ohap. r INDEX. 605 Occupations , pourquoi on les cher- che. 166. — Voir encore chap. v. Opinions; toute opinion peut eire pre- ferable a la vie, 195. — se succedent du pour au contre, 172 .- ,uu peuple; sont saines, 178. Opinions , comment elles entrent dang lame, 521. — Voir encore, chap. vi. OpmiONsreiachees ; plaisent aux hom- mes, 384. Ordrb geometrique; en quoi il con siste, 560. Orgueil, 136, 252. Paganisms gr^eo-romain , 242. Paganisme, est sans fondement, 315. Paiens, leur conversion, 300. — leurs vertus nous touchent peu ; pourquoi? 363. Paix, n'existe pas sur la terre, 432. Pape , circonvenu par les jesuites , 351. — comment on doit le juger, 386. — n'est point tyrannique, ibid. — diversement considere par les peres, 388. Parier que Dieu est ou n'est pas, 229 et suiv. Paris; ville. ses differents noms,2l0. Partie, ne peut connaitre le tout, 126. Parties; on ne peut les connaitre sans connaitre le tout, ibid. Pascal pere, sa mort, 445 et suiv. — Son epitaphe composee par son fils, 462. Pascal (Blaise) , details sur sa per- sonne et ses ecrits, 1. — sa vie par madame Perier, 21 et suiv. — son cachet, 44. — son portrait trace par lui-meme, 63. — son autopsie, 74. — sa vie ecrite par sa niece, made- moiselle Perier, 75. — ensorcele, ibid. — ecrit a dessein ses Pense'es sans ordre, 172. — a vu plus haut ct plus loin que Bossuet et Descartes, 174, note. — soumis au pape, 425. Pascal (Jacqueline), 45, note. Pascal (Gilberte). — Voir Perier. Passe; nous le rappelons pour 1'ar- reter, 162. — ne compte que par nos fautes, 438. — Voir encore 162. Passion dominante de chaquc homme, 208. Passions, sont toujours vivantes, 226. — grands obstacles au salut, 234. — vraies ennemiesdeshommes, 272. — passions doroinees sont vertus , 418. Passions les plus convenables « l'homme, 539. — sont plus vives chezles gens d'es- prit, 540. — subsist entjusqu'au tombeau, 540. — il y en a qui agrandissent lame, 551. Pecheur; sur la conversion du p£- eheur, 492 *it suiv. Peche; ce qui le constitue. 418,419. Peche originel, 253. Peines", sont necessaires pour sancti- fier, 435. Peinture; c?*Dse vaine, 214. — Voir encore 161. Pensee, fait la dignite de l'homme, 374. Pensee pure, fatigue l'homme, 539. Pensee de l'homme est sotte, 375. Pensee de derriere, 396. Pensee echappee, 198. Pensee de la mort, 200. PenseeS' nouvelles en litterature, 207. Pense'es de Pascal; histoire des edi- tions qui en ontele faites, 1 etsuiv. — alterees par Port-Royal, 9 et suiv. Pensees-, sont differentes suivant les hommes, quoique semblables en ap- parence, 534. — les bons esprits leur font pro- duire tous les fruits dont elles sont capablcs, ibid. PESANTEun de l'air , experience a ce sujet, 82, 83. — de l'eau, 82. Perier (madame) , soeur de Pascal, ecrit la vie cie sonfrere,21. — Note sur cette dame, ibid. Perier (Marguerite), niece de Pascal, 44, 45 et note 237. Perpetuite de k foi, ?41, 244. Perrens, cite, 318. rERSEcuTioNS contre les jansenistes 442. Personnes de grande naissance; ho- norecs par les uns, meprisees par les autres, 172. Perspective, 161. 606 INDEX Peuple; pourquol il obeit aux Iois, 153. — compose le train da monde, 159. — n'est pas si vain qu'on dit , 173. — ses opinions sont fausses, ibid. ; — elles sont saines, ibid. ; — rai- son de cette contradiction, ibid. — est faible, 175. — raison de ses croyances, 346. ~ croit que la noblesse est une grandeur reelle, 486. — Voir Opinions. Peuple de Dieu, 241, 242, 271. — Voir Juifs. Philosopher; c'est se moquer de la pnilosophie, 215. Philosophes, confondent les idees des choses, 127. — sont vaniteux, 137. — ne connaissent pas notre nature, 165. — connaissent Dieu sans connaitre leur misere, 247. — n'ont point trouve le remede a nos maux, 249. — entretiennent l'homme dans ses maladies, 252. — ont une horrible perfection, 380, — leurs conclusions sont fausses, 403. — ont consacre les vices, ibid. — s'aneantissent les wis les autres pour faire place a l'Evangile, 517. — utilite qu'on peut tirer de leur lecture, 519. — obscurcissent la foi chancelante, ibid. — impuissants a faire connaitre rhomme, chap ziu. — Voir encore 144, 223, 257. PuiLOsopniE; quelle est la plus phi- losophe? 199. — ne vaut pas une heure de peine, 393. Piiysiqub; n'a point l'autorite , rnais l'experience pour base, 584. Piktk , diffcrente de la superstition, 260. — est pleine de satisfaction, 437. Pitie, ne coute ricn a donuer, 194. Plairb pour persuader, !, Plaisir; nous donnons tout pour lui, 214. — n'eit que le ballet des csprits, 399. — ses principes sont divers dans les hoili fi.iisms; il faut' :s quitter pour avoir la foi — sont nocessaire* pour sauctifier, 4*5. Plaistr d'afmer, 847. Platon, n'a poist une robe de pe- dant, 198. — dispose au christianisme, 377. Pleurer et rire d'une mime chose, 195. Poesie, 178, 212. — Voir Beaute -poe- lique* Sonnets. Poetes, ont eu tort de representer l'Amour aveugle, 552. — leur metier ne differe point de celui de brodeur, 187. — Voir en- core 209. Point, indivisible, 121. Politique; pourquoi Platon et Aris- tote en ont traite? 199. Poltrons, 136. :?ont de Neuilly; accident de Pascal a eel endroit, 41, 42, note. Port-Royal ; editeur de Pascal, 1 , 9 et suiv. — sessentimentspolitiques,61,note. — ce qu'on lui rcproche, 347. Pocvoir politique; ses diverses ori- gines, 183. — Voir encore chap. vii. Predicateur, 143. Prejuges populaires, nceessaires, 208. Premiers principes, 224. Presence reelle, 358. Present; nous le cachons a notre vue, 162. — ne satisfait jamais, 222. — est veritablement a nous, 438. Phetre ; est pretre qui veut l'etre, 392. Preuves solides , reposent sur huit regies, 529. Preuves invincibles de la verite, 556. Prbuves metaphysiques de Dieu, 232, 235. Preuves, ne convainquent que l'es- prit, 237. Preuves geometriques, appliquees a 1'art dc persuader, 528. Prbyoyarcb, ne s'etend pas plus loin que le jour oil nous somnies, 439. Priere; pourquoi etablic? 410. — doit etrc continuelle. 442. — pietc dans les maladies, 463. Princes; importance de leur educa- tion, 483, note. Principes dc la gcometrie, 203. Principes; comment "»<• loit leB ex- pliquer, 205. Principes naturels; d'ou ils viem.c/i. Principes diflcrents, peuvent tonduira aux memes conclusions, 509. Phim whs d'erreur, 147. — Vjim /ma- gination, 'vtc'rri, Maladies, Prison, &upplice horrible, 165. I'lUHiAiiiirn , 38fi a INDEX. 607 Profession de foi de Pascal, 40, 64. Progres scientifique, 586 et suiv. Prophetes, annonce-nt le Messie,244. — ce qu'ils disent de J< j sus-Christ, 322. — Voir encore 264. Propheties, ont deux sens, 288. — accomplies en Jesus-Christ, 298. — sont un miracle subsistant, 313> — prouvees par Pevenement, 328. — relatives a Jesus-Christ, chap. 18. — Voir encore chap, xv passim et pages 245, 273, 282, 406. Proposition, confondue avec la defini- tion, 565. Propositions, se concluent, 225. Propositions; leur ordre rigoureux dans la demonstration, 531. Propriete , n'est point iondee sur la justice, 155. — son origine, 181. — n'est pas un titre de nature, 485. — est cependant legitime; pour- quoi? 486. — Voir Hert-dite. Protestantisms , par quoi cause, 140. Provinciales de Pascal, 41, 42, 44. Puissance royale, 61. Pyrrhonisms, est le vrai, 352. — Vom encore chap, iv et pages 157, 160, 172, 186, 188, 201, 216, 225. Qualite; (rang social eleve) , est un grand avantage, 179. Qualites ; on n'aime les person- nes que pour Ieurs quatites, 180. — Voir Ame. R Racine (Louis), 365. Raccourci d'atome, 119. Ri .son, est deeue par les apparences, 125. — al'imaginationpourennemie,142. — rend ses amis miserables, 143. — est vaincuepar l'imagination , 144. — a tout corrompu, 150. — est troublee par le bourdonne- ment d'une mouche, 152. — nous commando mieux qu'un maitre, 181. — ployable a tous sens, 205. — confond les dogmatiques, 219. — est impuissante, ibid. — raison comparee au sentiment, 374. — peut succomber sans honte sous la douleur, et non sous le plaisir, 398. — fait Petre de l'homme, 403. — est corrompue, 416. — mise en parallele avec Pinstinct des betes, 510. — est la meme chose que I'amour, 551. — a des droits separes de l'auto- rite, 583. — ce qui la diffeventie de l'instinct, 587; — consideree dans les rapports avec la religion , chap. xiv. — Voir encore 226, 364, 400, 404, chap, vm, xxiv. RiisoN de toutes choses, 235. Raison naturelle ; guide de toutes les sectes 371. Raison des effets, 172, 178. Raisons nalurelles, 236. Raisonnement ; a quoi il se reduit, 205. Raisonnement faux; comment on le guerit, 536. Richesses, distributes par le hasard, 484. Rire et pleurer d'une meme chose, 195. Rivieres, 215. Recherche de 1'inconnu, 121. Recherche de la verite, donne le re- pos, 363. Recherche du vrai bien, 404. Redemption, 111, 247, 355. Regle ; il n'y en a point sans excep- tion, 338. Regles du raisonnement doivent £tre simples, 537. Regles pour les definitions, 528. — pour les axidmes, 529. — pour les demonstrations, Hid. — pour les demonstrations geome- triques, 556 et suiv. Religion ; il faut Petudier avant de la combattre, 105. — ses ennemis lui sont peu dan- gereux, 110. — on la crdit par le coeur, 209, 210, 226. — oblige a aimer Dieu, 238. — expbque l'homme, 240. — a toujours ete sur la terre, 241. — ne plie pas a la necessite, 243. — a seule des propheties, 245. — consiste en deux points, 246. — doit etre le centre de tout . et explique tout, 2&t>. C08 INDEX. Rbligign. ses preuves, 248. — guerit les deux vices de notre nature, 255. — est etrange ; pourquoi ? 257. — il y a deux manieres de demon- trer ses verites,261. — esifondeesurlareligionjuive,265. — recommanderamourdeDieu,283. — son triomphe sur les paiens,300. — par qui combattue a sa nais- sance, 302. — concait notre nature, 339. — proportioooee a tout, ibid. — est la religion d'un Dieu humi- lie, ibid. — a trois preuves certaines de ve- rite, 348. — entre dans le coeur par la grace, 353. — entre dans l'esprit par la raisou, ibid. — ne doit pas etre imposee par la force, ibid. — aquelque chose d'etonnant, 354. — est proportionnee a toutes sortes d'esprits, 359. — ses preuves ne sont pas absolu- raent convaincantes, 361. — n'est point contraire a la raison, 364. — comment on peut la faire aimer, 364, 365. — n'est pas unique; consequences de ce fait, 389. — comment elle se conserve, 401. — seule perpetuelle, 405. — sage et folle ; pourquoi? 408. — enseigne nos impuissances et les remedes, 415. — porte en elle les preuves de la rente, chap. xn. — peut seule faire comprendrc I'hommc, chap. xni. — prouvee par certaines obscuritcs, chap. xxi. — Voir Evidence, Obscu- rile. Religion juive, figure du Messie,278. — rpcommande l'amour de Dieu , 283. Rbligio>s paienncs, sont lout exte- rieures, 339. RBLicio^s.sontfaussesquaudellcsn'a- dorentpasunDieuprincipede toutes choses, ibid. — Voir encore 245. Religieuses de Port-Royai, 347. Reliques , font des miracles, 350. — pourquoi on les honor? , 455. -. Voir encore 445. Renouard, editeur de rascal, 6. Refos; on le cherche dans 1'agita- tion, 164. — repos complet insupportable a l'homme, 167, 402. Reprouves sont inexcusables, 320. Republiqub, 61. Respect eitvers les grands, 177, 489. — respect d'eliquette, n'implique pas l'estime, 489. Ressemblancb des visages, 315. Resurrection., 362, 453. Reves, 156. Revolutions; ce qui les cause 151 J 54. — les grands en profitent, 151. — comment on peut les pre venir, 1 54. Roannez (le due de), editeur de Pas- cal, 9. — (mademoiselle de); Pascal lui ecrit, 423 et suiv. — sur sa vie, note, ibid. Roi sans divertissement, est un homme plein de miseres, 170. — malheureux s'il pense a soi 171. Rois, n'ont pas besoin d'habits de pa- rade, 145. — ont besoin de se divertir, 164. — enquoi ils sontheureux, 165. — leur puissance fondce sur la rai- son et la folie du peuple, 175. — impriment la terreur, pourquoi? ibid. — s'ennuient sur leur trone, 197. — leur gouvernement, different de celui de Dieu, 434. — la concupiscence fait leur 'oice 491. Rovainb, agissent pour la gloire de 1'Evangile, 315. Roseau pensant, 132. ItOTl as de race, 176. RouBfl ; sejour de Pascal dans cette ville, 33. Royautk, est universcllc , 185. — hcHeditaire ,a quclqucchose d'in- contestable, 176.— Voir encore 61. 173. ftACHiFicK de l'hostie, 450. Sacmficbs, plaisenl et dcplaisent a 289. — Voir moot Baoi - I vine . ce qu'elle dit aux homines, J50. 1 oulle partqii'enDieu,307 Saint Atmanasb, 364. Saint Augustin, a dit l» /neme chose que Descartes douze ceals ana avaut lui, 5 Saint Paul, 210. Saims. n'ont pas hesoiD desgrandcuri charnclles, 307. INDEX. 609 Saints, on rejetteleurcxemple,comme trop au-dessus de nous, 364. Sainte-Beuve, cRe 4, 5, 6, note; 14, 21, 41, 42, 44, 45, 61, 135, 149, 185, 233, 260, 315, 336, 352, 396, 402, 539. Sainte Epine de Port-Royal, 350. — Voir Miracle. Salomon de Tultie, 209. Salut; pourquoiil faut y pcnser,108. Savants, sont les plus sots de la bande, 168. — Voir Demi-Savants. Scepticisms de Pascal, 389, note. Sceptiques, 157. Sciences, infinies dans leurs rechcr- ches, 121- — imaginaires, 145. — ont deux extremites qui se tou- ched, 158. — abstraites, rebutent Pascal, 190. — des moeurs, 196. — sont incertaines, 509. — soumises a l'experience doivent toujours progresser, 584. — grandissent a mesure que l'uni- vers vieillit, 589. Sectes philosophiques , 255, 515. Sectes religieuses, 371. Sens , n'apergoivent rien d'extreme, 123. — abusent la raison, 160. — dominent la raison, 250. — leurs perceptions sont grossieres, 399. Sens droit, 202. Sens commun, 509. Sens cache des livres saints, 290. Sens litteral des livres saints, 290. Sentiment , confondu avec la fantai- sie; 205. — comment on le gate, 208. Sentiment, agit en un instant, 374 — Voir encore chap. vm. Sermon; comment on l'eutcnd. 215. Servitude, fait la honte, 398. Silence, est la plus grande persecu- tion, 384. — en amour, 550. Soldat, ressemble au chartreuxct en differe, comment, 369. — Voir en- core 145, 148. Sommeil, 216. Sonnets, 212. Sortileges, pourquoi on y croit, 346. Sorciere ensorcele Pascal, 75 etsuiv. Sottise, est desobcissance a la rai- son, 181. Sottises, dites a desscin, ne sont point supporlables, 194. Souffrances, sanctiGees par Jesus- Christ, 450. Soumission de l'esprit, 259. Souverain bien, suivant les hommei ct les philosophes, 403. Sphere infinie, 118. Stoiqccs, 224, 255. Style naturel, nous ravit, 213. — ce qu'il faut pour qu'il soit bon, 395. — Voir encore 209, 210 et les mots Antitheses, Eloquence, Mots, Po'e'tes. Suicide, 404. Sucsses, 176. Superstition, diflerente de la piete, 261. Symetrik , en quoi elle consiste, 414. — Voir encore 211. Synagogue, predite, 282. Svstemes philosophiques; il y en a deux qui se partagent le inonde, 218. — Voir Philosophes , Sectes philosophiques. Tbmps guerit les querelles, 195. — comment on Pa defini, 563. Tencin ( de) , archeveque , attaque Pascal, 5. Tenter et iuduire eu erreur sont dif- ferents, 341. Terre de malediction, 368. Testament ; l'Ancien Testament con- sent la figure des verites accom- plies a la venue du Messie, 286. — les deux Testaments prouves , 288. Theologie, est une science impor- tante, 411. — centre de toutes les verites, *»18. -« soumise a 1'autorite, 584 Toilette, — Voir Habits. Torricelli; ses experiences sur la pesanteur de l'air, 82. Tout(Ic); on ne peut le connaitre sans connaitre ses parlies, 126. Tracas ; l'homme les recherche, pourquoi ? 165. Transmission du pechc, 220, 256. Triangle arithmetique, 41. Tristesse, est de deux especes, 437. Trognes armees, accompagnent le« rois. f4b. Trop el trop peu, J §>2, 124. Tyrannie provuquee par 1'inegaliW des conditions, 181. '- en quoi elle censistf , 185- 610 INDEX. U Uiiquite de Cieu, 353. Ukitb; exclue de la signification du motde nombre, pourquoi? 575. — est cependant du meme genre que les nombres, 576. Uititers, apprend a l'homme sa mi- sere et sa grandeur, 321. Univbrs leur nombre est infkA 119. Usages; de quelques usages, cb. vi. Usurpation politique; il faut en ca- cher le commeucement, 152. — de la terre, 181. Vawite, ancree dans rhomme, 137. — Voir encore chap, m, 131, 167, 200. Vanite du raonde peu connue, ibid. VAUVEN ARGUES, 159, 394. Verite; il faut la chercher, 134. — nous haiissons la verite, 139. — tous les hommes ont de l'aver- sion pour la verite, 140. — il est dangereux de la dire, 141. — change suivant les lieux, 149. — la nature a mis chaque -verite en •oi-meme. — on ne la cherche point pour elle- meme. 193. — la verite essentielle est toute vraie, 201. — on la connait par le coeur, 224. — a des marques visibles, 244. — il ne faut point l'attendre des hommes, 250. — s'altere par le changement des hommes, 281. — erre inconnue parmi les hommes, 349. — donne l'assurance, 363. — on ne sait si on la possede, 509. — on y cntre par la charite, 522. — objets principaux de son etude ,555. Verite geometrique ; est si evi- deute qu'elle ne peut se demon- trer, 569. — doit avoir l'avantage sur l'anti- quite, 592. Vi kites divine*, au-dessus de la na- ture, 522. Vei;tu ; l'exces d'une vertu doit etre corrige par la vertu contraire, 189. — la vertu ne se mesure point par les efforts, 192. Veiitc, on ne doit pas la poursuivre a l'extreitie, 411. Vkiito stoique ; son portrait, 514. Vices , sont plutftt unites que les ver- tus, 192. — Voir encore 391. Vide; 147, 590, 591. — theorie antique sur le vide, 81. Vie ; notre propre vie ne nous suffit pas, 136. — humaine; illusion perpetuelle, 141. — comment la vie s'ecouie, 167. — est peut-etre un sommeil, 217. — comment elle finit, 377. — dure peu, 401. — est une guerre perpetuelle, 432. — est un sacrifice continuel acheve par la mort, 448. — es* un songe dont on s'e>eille a la mort, 509. — vie heureuse ; commence par l'a- mour et finit par l'ambition, 440. — vie de l'homme ne doit compter que depuis la naissance de la rai- son, 540. — vie de tempete, utile en amour, 552. Vie religieuse, compared k la vie du monde, 366. Vierge Marie. — Voir Enfantement. Villages ; quelles femmes on y ad~ mire, 212. VlLLEMAIN, 505. Vision de Pascal, 41. Voib lactee, 589. Voleurs, 198. Volonte , est un des principaux or- ganes de la crcancc, 154. — aime naturellement, 207. — Dieu la dispose plus que l'esprit, 321. — Voir encore 370, 433. VoLTAinn, attaquc Pascal, 4-5. Voltaire, editcur de Pascal, 6. Voyages. 17. VitAi, melc de faux, 201. — Vouj Verite. Iiu ; leur langftge, 545. Y — Z /.i no; 578. son rapport avec les nombreir n > DE l'isdel TABLE DES MATIERES. Paget* Les Editions des Pensies i Vie de Pascal, par M me Pener, sa soeur . . 21 Appendice n° I. — Memoire de la vie de M. Pascal, dcrit par mademoiselle Pener, sa mere 75 Appendice n° II. — Sur les travaux scientifiques de Pascal. 80 Appendice n° HI. — Ouvrages a lire ou a consulter sur Pascal, sa personne, ses Merits ou sa famille. . . . , 91 Relation d'un entretien dans lequel Pascal exposa le plan et la matiere de son ouvrage sur la religion 05 PENSEES. Chapitre I er . rContre l'indiflference des ath&s.].. . . . 105 Chap. II. £ Grandeur et misere de 1'homme. — Contra- dictions etonnantes de sa nature.]. ... 117 Chap. III. [Vanity de 1'homme. — Effets de l'amour-pro- pre. — Le moi humain.]. 136 Chap. IV. [Imagination. — Incertitude des connaissances naturelles de 1'homme. — Coutume. — Pyr- rhonisme. — Morale.] '. . 142 Chap. V. [Inquietude de 1'homme. — Occupations et divertissements.] 161 Chap. VI. [De quelques opinions etdequelques usages.]. 172 Chap. VII. [Sur rinegalite" des conditions, les lois, la jus- tice, la force, le pouvclr politique.]. . . 181 Chap. VIII. [Sur divers sujets de morale.] 186 Chap. IX., [Sur les divers genres d'esprits ; — Sur la rai- son et le sentiment ; — Pensges diverses.]. 201 Chap. X, [L'ht*mme, avec la philosophie seule* teste in- 612 TABLE DES MATIERES. Page*, comprehensible pour lui-meme; il ne se con- nait que par le mystere de la transmission du p^cli6, et ne peut trouver que oar Ja foi ie vrai bien et la justice.] 210 Chap. XI. [Du fini et de 1'innni. — Que l'homme, en pa- riant que Dieu existe, parie avec certitude et a tout a gagner. — De la connaissance de Dieu.] 227 Chap. XII. [Des marques auxquelles on peut reconnaitre qu'ut?- religion est vraie, et comment la religion chrdtienne porte en elle les preuves de la vente\] 238 Chap. XIII. [Que la religion chrdtienne est la seule qui fasse comprendre l'homme, et la contradic- tion de sa misere et de sa grandeur ; et que les sectes philosophiques sont impuissantes a donner cette connaissance.] 248 Chap. XIV. [De la raison et de la foi.] 259 Chap. XV. [Que l'homme, convaincu de sa misere et tour- mente" par le doute, ne trouve rien d'effectif en dehors de la religion chre'tienne; et que l'histoire des Juifs est l'un des fondements indubitables de cette religion.] 266 Chap. XVI. [Que la religion juive, comme la religion chrdtienne, recommande l'amour de Dieu.]. 283 Chap. XVII. [Que l'ancienne loi dtait figurative, et que l'Ancien Testament contient la figure des verites accomplies a la venue du Messie.]. 286 Chap. XVIII. [Que pendant quatre mille ans le Cbrist a 6te' annonce' par les prophecies etqu'il a tfte prouve" par leur accomplissement.]. . . . 298 Chap. XIX. [Preuves de Jdsus-Christ, tirdes de sa nais- sance et de sa mort. ] 307 Chap. XX. [De la verite" de l'histoire dvangeVi- ne. — Preuves de Je'sus-Christ tirdes de M .mira- cles. — Difference entre le Messie et M ahomet. 31 J 'Ihap. XXI. [Que Dieu ne se cache ni ne se ddcouvre entie- rement; que le Messie est connaissabie am TABLE DES MATIERES 613 Pages, bonset meconnaissable aux m£chants,et qu'il faut reconnattre la v^ritd de la religion chrtS- tienne dans I'obscurite' meme de certaines ve>it<5s.] o . . . . 319 Chip, XXIL [Que i'homme ne peut connaitre Dieu et se connaitre soi-meme que par Jesus-Christ, et qu'en dehors de J6sus-Christ, me'diateur et r^parateur, il n'y a que vice, misere, erreurs, tdnebres, mort, de"sespoir. ]...... 325 Le Mystere de Jesus . 3?9 Chap. XXIII. [Sur les miracles.]. 336 Chap. XXIV. [Sur la raison,la grace, lafoi, l'figlise et di- vers points du dogme et de la morale.]. . 352 Chap. XXV. Pensees publiees depuis 1843 396 LETTRES ET OPUSCULES DIVERS. Lettres a mademoiselle de Roannez. . . 423 Extrait d'une lettre a madame Pener . . . 443 Lettre a maudme Pe'rier et a son mari 445 fipitaj)he de M. Pascal le pere 462 Priere pour demander a Dieu le bon usage des maladies. . 463 Comparaison des Chretiens des premiers temps avec ceux d'aujourd'hui 477 Discours sur la condition des grands. , . 483 Sur la conversion du pe"cheur. 492 Entretien de Pascal avec M. de Saci sur Epictete et Mon- taigne 499 L'art de persuader 521 Discours sur les passions de l'amour 53& De l'esprit geom^trique 555 Preface sur le traite" du vide , J80 Nouveau fragment du traite* du vide 592 Index . . 593 FIN DE LA TABLE DES MATIEBEi, EMILE COLIN ET C ie — IMPRIMERIE DE LAGNY Deacidified using the Bookkeeper pro (724)779-2111 ^ - °^ C * • " -t ^0« o V