LIBRARYJIF CONGRESS. Cliap Copjrig-iit No SIielfl.£_iS 4 . UNITED STATES OF AMERICA. r §3 ^ ^ .erpign HISTOIRE DE FRANCE TIREE DE DUCOUDRAY PAR O. B. SUPER PROFESSEUR AU COLLEGE DICKINSON NEW YORK HENRY HOLT AND COMPANY 1900 LniLcloiii MncjiiiTLaii &C? 62360 OCT 17 1900 Copyright «try SECeiiSI) COPY. Ofc'we^id to Oi^OCii OIViSlON, j O CT 22. 19G0 Copyright, 1900 BY HENRY HOLT & CO. PR E FAC E Ce livre est tire des differents cours d'histoire de Ducoudray et peut etre considere comme un livre de « Lectures Frangaises » sur I'histoire de France plutot que comme une histoire de France. Les histoires de France ne manquent pas, mais les unes sont si elementaires, quelquefois les faits y sont presentes sous une forme si enfantine qu'elles ne peuvent guere interesser que les enfants — aux- quels, du reste, elles sont destinees — les autres sont si volumineuses que nous ne saurions nous en servir dans nos classes elementaires. Aiissi ai-je cherche a eviter Tun et I'autre de ces extremes et a faire, sous une forme abregee, un livre qui reponde reellement a nos besoins et que nous puissions mettre entre les mains de nos eleves de premiere ou de deuxieme annee. Je dois des remerciments a Messieurs Fabregou et Bergeron, professeurs au college de la ville de New York. O. B. S. College Dickinson, aout 1900. TABLE DES MATIERES CHAPITRE I La Gaule et les Gaulois Les Gaulois et les Romains; Conquete de la Gaule par Jules Cesar i CHAPITRE II Les Francs L'Invasion barbare; Clovis et ses Fils; Decadence des Merovingiens ; Pepin le Bref g CHAPITRE III Charlemagne Guerres en Espagne centre les Arabes ; Guerres centre les Saxons 23 CHAPITRE IV Louis le D£bonnaire et ses Fils Traite de Verdun; Charles le Chauve; 'Les Normands; Charles le Gros; Les Dues des Francs 32 CHAPITRE V La F£odalit£ Les Seigneurs et les Fiefs ; Le Chateau 41 V vi TABLE DES MATlfeRES CHAPITRE VI Les Croisades; La Chevalerie Les premiers Capetiens; Conquete de I'Angleterre par les Normands; La premiere Croisade; Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion; Louis IX et la derniere Croisade 45 CHAPITRE VII Philippe le Bel et ses Fils; Guerre de Cent Ans Bataille de Crecy; Prise de Calais; Bertrand du Guesclin . 61 CHAPITRE VIII Charles VI Minorite de Charles VI ; Bataille d'Azincourt 71 CHAPITRE IX Charles VII; Jeanne d'Arc La France en 1429; Exploits de Jeanne d'Arc 75 CHAPITRE X Louis XI 81 CHAPITRE XI Charles VIII; Louis XII; Francois ler Bataille de Marignan; Bataille de Pavie; Fran9ois ler et Charles Quint 87 CHAPITRE XII Les Guerres de Religion Henri II; La Reforme; Catherine de Medicis; La Sainte- Barthelemy; Henri III; Henri IV 99 TABLE DES MATlfeRES . vU CHAPITRE XIII Louis XIII Regence de Marie de Medicis; Ministere de Richelieu . . iii CHAPITRE XIV Louis XIV Mazarin; Turenne; Colbert; Vauban; Guerre de la Succes- sion d'Espagne 119 CHAPITRE XV Louis XV La Regence; Guerre de Sept Ans; Le Canada 142 CHAPITRE XVI Louis XVI; La Revolution Guerre d'Amerique ; Les £tats Generaux ; Prise de la Bas- tille; Fuite de Varennes 151 CHAPITRE XVII La RfipUBLiQUE Fran^aise La Convention; Mort de Louis XVI; La Terreur; Le Directoire; Le General Bonaparte 164 CHAPITRE XVIII Le Consulat Bataille de Marengo; Organisation de la Societe nouvelle . 174 CHAPITRE XIX L'Empire Napoleon ler; Bataille d'Austerlitz; Campagne de Russie; Bataille de Waterloo ; Napoleon a Sainte Helene . .178 Viii TABLE DES MATlfeRES CHAPITRE XX La France depuis 1815 La Restauration ; Louis XVIII; Charles X; Louis Phi- lippe ler; Republique de 1848; Napoleon III; Guerre de 1870-71; Troisieme Republique 194 HISTOIRE DE FRANCE CHAPITRE I LES GAULOIS DE la plus haute cime des monts d'Auvergne, au centre de la France, on verrait, si I'oeil etait assez pergant, comme limites de notre pays, au midi la chaine des Pyrenees qui se dresse entre lui et I'Es- 5 pagne; une vaste nappe d'eau, la Mediterranee qui pent nous conduire en Afrique et en Orient; les Alpes, les plus hautes montagnes de TEurope, notre barriere contre I'ltalie. A I'est, les Alpes prolon- geraient leurs sommets converts de neige jusqu'a 10 une autre muraille, le Jura qui nous separe de la Suisse; le large fleuve du Rhin laisserait, au dela de ses rives, distinguer TAllemagne ; c'est lui qui autrefois nous servait de limite dans tout son cours et protegeait notre pays au nord aussi bien qu'a IS Test. A I'ouest, au dela du bras de mer qu'on appelle la Manche, on apercevrait, a demi-cachee dans la brume, une grande ile, 1' Angleterre ; enf in, le soleil couchant offrirait un spectacle magnifique en iteignant ses dernieres clartes dans I'ocean At- 20 lantique. A nos pieds nous verrions de larges / 2 HISTOIRE DE FRANCE fleuves quelquefois terrlbles, de nombreuses et belles rivieres dont quelques-unes sont paresseuses ; un pays apre et montueux au centre et ^u midi, uni vers le nord, mais partout fertile, ni trop humide ni trop aride, assez bien ferme pour la defense, nean- 5 moins ouvert au commerce et, a Tinterieur, plus ouvert encore aux echanges mutuels entre les habi- tants de chaque region. La France, dans les temps anciens, s'appelait la Gaule. Elle ne presentait qu'une suite de vastes lo forets, entremelees de m^recages. Les chenes, les hetres, les erables, les bouleaux remplissaient les vallees et couronnaient les montagnes. Ces arbres formaient une voiite de feuillage que pouvaient a peine percer les rayons du soleil. 15 Dans ces bois presque continus abondaient les loups, les ours, les 'sangliers et des troupeaux de pores aussi dangereux que les sangliers. L'aurochs, taureau sauvage, aux cornes longues et terribles, et dont I'espece a presque disparu de I'Europe, etait 20 le plus fort de ces animaux et le roi des forets de la Gaule. Tou jours en lutte contre les betes feroces, les peuples primitifs savaient les pousser dans certaines parties des bois et les faire tomber dans des filets 25 tendus aux arbres ou dans des fosses cachees sous le feuillage. La, a coups de fleches et de piques, lis les tuaient plus aisement. Souvent aussi ils les attaquaient en face. Dans leurs villages, de nom- breuses tetes de loups et d'aurochs suspendues aux 30 portes des cabanes indiquaient la demeure des plus intrepides chasseurs. lis avaient pour armes de- fensives des boucliers aussi hauts qu'un homme, et LES GAULOIS que chacun ornait a sa maniere : quelques-uns y faisaient graver des figures d'airain en bosse et tra- vaillees avec beaucoup d'art. Leurs casques d'ai- rain avaient de grandes saillies et donnaient a ceux 5 qui les portaient un aspect tout fantastique. A ces casques etaient fixees des cornes, des figures d'oi- seaux ou de quadrupedes. lis avaient des trom- pettes barbares, d'une construction particuliere, qui rendaient un son rauque et approprie au tumulte lo guerrier. Les uns portaient des cuirasses de mailles de fer, les autres combattaient nus ; au lieu d'epees, ils avaient des espadons suspendus a leur flanc droit par des chaines de fer ou d'airain. Le courage avec lequel ils se servaient de ces ^5 armes et affrontaient la mort sous tons ses aspects, provenait aussi bien d'un de leurs dogmes religieux que d^e leur naturel hardi. Les Gaulois possedaient « la croyance la plus ferme et la plus claire de Tim- mortalite de Tame: toutes leurs coutumes etranges 20 ou naives, touchantes ou cruelles, s'expliquent par cette foi.)) Une des principals fetes de la religion gauloise etait la recolte du gui, en I'honneur du dieu Hesus. Le gui, plante parasite qui croit sur des arbres 25 comme le pommier, mais rare sur le chene, posse- dait, selon la croyance des druides, la vertu de guerir tous les maux. Chaque annee, a la fin de I'hiver, les druides le cherchaient. Sitot qu'ils I'a- vaient trouve, le peuple accourait en foule. Le chef 30 des druides, arme d'une fauciHe d'or, s'approchait de I'arbre cheri des dieux et coupait le gui sacre. On immolait deux taureaux sans tache, et la fete se terminait par de bruyants banquets. 4 HISTOIRE DE FRANCE Malheureusement, les animaux n'etaient pas tou- jours les seules victimes offertes en sacrifice. Les druides croyaient devoir, pour apaiser les dieux, leur immoler des hommes. Dans quelques tribus, dit-o%^ on remplissait d'hommes vivants de grands manne- s quins d'osier, on y mettait le feu, et les victimes, in- nocentes ou coupables, perissaient enveloppees par les flammes. Peu de peuples furent aussi remnants que les po- pulations gauloises. Les revolutions de leur pays lo les rejetaient tou jours sur les contrees voisines, et leur humeur aventureuse les entrainait plus loin. Le soleil et les richesses de I'ltalie les attirerent des Tannee 400 avant Jesus-Christ. Vers I'an 390, une de leurs tribus, les Senons, s'avancent jusqu'a Clu- 15 sium en iStrurie ; ils reclament des terres ; une de- putation part de Rome pour jouer le role d'arbitre, mais elle oublie bien vite cette haute mission et com- bat au lieu de negocier. Un chef gaulois est meme tue par un des deputes : on demande a Rome repa- 20 ration; le credit dont jouit la famille du coupable empeche de faire droit a cette juste demande. Les Barbares marchent alors sur Rome et rencontrent I'armee romaine a une demi-journee de la ville, sur les bords de I'Allia. Frappes d'une terreur panique 25 a la vue de ces sauvages ennemis, les Romains se debandent et courent se refugier, partie dans la ville, partie dans les villes alliees. Bientot les Gau- lois arrivent: ils ne trouvent dans la cite que de vieux magistrats qui, ne voulant pas fuir et ne pou- 30 vant combattre, ont refuse de s'enfermer dans la forteresse du Capitole. Un des Barbares ayant touche la barbe du vieux Papirius, celui-ci le frappe LES GAULOIS S de son baton ; le Gaulois irrite le tue, et des lors commence le massacre; bientot I'incendie le suit et devore une cite deja grande qui comptait plus de trois siecles d'existence. 5 La citadelle, ou tons les hommes qui savent tenir une epee ont accouru pour defendre la patrie, est assiegee ; un jour nieme, sans le cri des oies consa- crees a la deesse Junon, qui reveillent le brave Man- lius et quelques amis, le Capitole etait pris. Les lo Romains parviennent a repousser cette attaque, mais epuises, sans vivres, ils se rendent. Pour peser la ran(;on de mille livres d'or, les vainqueurs appor- terent de faux poids, et leur chef ne repondit aux reclamations qu'en jetant encore dans la balance sa 15 lourde epee, puis son baudrier, et en repetant le mot qui retentit souvent dans Tantiquite, ou Ton ne con- naissait guere la pitie : (( Malheur aux vaincus ! » (390 avant Jesus-Christ). Un vaillant chef, Ca- mille, accourut de I'exil, fit honte aux Romains de 20 leur lachete, rompit tout traite et mit en fuite I'ar- mee gauloise. C'est du moins le recit de Thistorien de Rome, Tite Live, qui a voulu, adoptant la tradi- tion populaire, couvrir une defaite reelle par une victoire tardive et douteuse. 25 Longtemps encore les Gaulois furent la terreur de Rome, et cette fameuse republique n'acheva que deux siecles plus tard la soumission de ceux qui oc- cupaient le nord de I'ltalie. Les Romains passerent ensuite les Alpes, formerent d'abord une province 30 en Gaule, et a partir de I'annee 125, y fonderent deux villes, Aix et Narbonne. Puis, un grand capitaine, Jules Cesar, soumit presque tons les peuples gaulois, de 58 a 52 avant 6 HISTOIRE DE FRANCE Jesus-Christ. Dans la derniere annee seulement, les Gatilois comprirent la necessite de Tunion et, conduits par Vercingetorix, essayerent de repousser I'ennemi commun. Mais, apres une annee de lutte, ils essuyerent, sous les murs d'Alesia, une defaite 5 irremediable. Les Gaulois, inferieurs aux Romains en disci- pline, en science militaire, ne surent pas en outre s'entendre pour leur resister. Jules Cesar battit les differents peuples les uns apres les autres, et en lo 53 avait a peu pres soumis la Gaule. Mais un peuple qui, de I'aveu de ses ennemis, s'etait place au-dessus de tons les autres par sa vertu guerriere, ne pouvait, sans une vive douleur, subir le joug des Romains. Au fond des bois, les 15 plus importants personnages des cites se reunissent ; ils jurent sur les enseignes militaires de combattre et de mourir plutot que de perdre la gloire et la liberte qu'ils ont recues de leurs peres. Les Car- nutes (habitants de Chartres) doivent donner le 20 signal, et la revolte eclate, a la fin de Tannee 53, par le massacre des Romains etablis dans la ville de Genabum (Gien ou Orleans), sur les bords de la Loire. En un jour la nouvelle de ce massacre arrive, 25 transmise par des cris dans les campagnes, jus- qu'aux monts d'Auvergne, a Gergovie (pres de la ville actuelle de Clermont). La vivait un jeune homme d'une noble et puis- sante famille, Vercingetorix. Son pere avait tenu 30 le premier rang dans la Gaule, et ses concitoyens I'avaient fait mourir parce qu'il aspirait a la royaute. Le fils n'en avait pas moins garde une foule d'amis LES GAULOIS 7 et de clients, qu'il enflamma de son amour de la patrie et a la tete desquels il se rendit maitre de Ger- govie. Puis il envoya des deputes pour determiner les peuples de la Gaule a se soulever: presque tons 5 repondirent a son appel. Nomme seul chef des peuples gaulois, Vercinge- torix tint tete une annee entiere aux armees ro- maines. Cesar meme fut battu sous les murs de la ville de Gergovie dont il avait essaye de s'emparer. lo Mais le general romain reprit Tavantage et forga enfin Vercingetorix a se refugier dans la ville d'Alesia ou Alise. Situee sur une colline, la cite d'Alise ne pouvait guere etre enlevee d'assaut. Cesar resolut de la 15 prendre par la famine. Les soldats romains, exer- ces aux plus durs travaux, creuserent autour de la colline d'Alise des fosses et construisirent un retran- chement protege en avant par de grands rameaux fourchus. En outre, vingt-trois tours placees de 20 distance en distance le defendaient. Vercingetorix appela a lui tous les peuples de la Gaule. Deux cent quarante mille guerriers accou- rurent pour le delivrer. Mais Cesar avait prevu cette attaque. De meme qu'il avait creuse des fos- 25 ses du cote de la ville, il en avait fait creuser aussi du cote de la campagne et se trouvait garanti en avant et en arriere. Vainement les Gaulois d'Alise descendirent de leur colline pour combattre les Ro- mains, tandis que I'armee gauloise du dehors les 30 attaquait. Assaillis de toute part, mais bien abrites, les Romains resisterent de toute part. Apres une bataille qui se prolongea trois jours, la grande armee gauloise fut vaincue, presque aneantie. ^ HISTOIRE DE FRANCE Desormais sans espoir, epuises par la famine, les defenseurs d Ahse se rendirent a Cesar. Mors un cavalier pare comme pour la bataille, sortit de la vi! e. II alia dro.t a un tertre de gazon ou s'elevait e tribunal de Cesar, en fit le tour, s'arreta devant 5 le vamqueur jeta ses armes a ses pieds at garda le silence. C etait Vercingetorix, qui se livrait aux Komains pour qu'on epargnat la viUe. Les princi- paux chefs gaulois le suivaient (52 avant Jesus- mfortune Cesar les fit tous enchainer et Jeter en prison. II emmena plus tard a Rome Vercingetorix le promena en triomphe et le fit decapiter La resistance ayant cesse, Cesar se montra moins 7nTT^ '1 menagea les Gaulois pour les tributs ,5 (pres de 8 millions de francs seulement), et encore ce tribut iut deguise sous le nom de solde militaire XI engagea a tout prix leurs meilleurs guerriers dans' ses legions; il en composa une tout entiere dont les soldats portaient sur leurs casques une alouette, d'ou 20 son nom, legion de I'Alouette. On ne pent dire s'il eut mieux valu pour la Gaule garder sa propre civi- isation et son independance ; niais sous la domina- tion de Rome, elle s'initia bien vite aux arts, a la nche culture, a I'esprit, au raffinement des Grecs et .c des Remains. ^ Les Romains avaient, a cote des cirques, construit des eco les ou les jeunes Gaulois se pressaient aux lemons de maitres celebres. Les Gaulois d'aiUeurs rivaliserent bientot avec leurs maitres dans les 30 sciences et dans les arts : ils ne parlerent plus que la langue latine, qui, persistant a travers les siecles, a contribue a former la langue fran9aise. LES FRANCS CHAPITRE II LES FRANCS QUATRE siecles apres la conquete, a voir les forets defrichees, des routes ouvertes, des villes opulentes, des monuments magnifiques dont il reste de niagnifiques debris, un peuple actif, enrichi, 5 police, parlant latin et rivalisant d'esprit, comme d'e- legance, avec ses maitres, on n'aurait pu reconnaitre la Gaule. La religion meme avait change; vain- queurs et vaincus se rapprochaient, pour la plupart, dans le culte du vrai Dieu ; la foi chretienne, grace a lo rheroisme des martyrs, avait fait reculer et le culte farouche des druides et le culte honteux des idoles paiennes. Mais I'invasion barbare ne tarda pas, fa- cilitee par les divisions de I'empire et Taffaiblisse- ment des populations corrompues, a replonger notre 15 pays dans les combats, les souffrances, la misere et I'ignorance. Des nuees de Germains, venus du centre de TEurope, envahissent la Gaule, comme les autres parties de I'empire, et, a plusieurs reprises, la ravagent en tous sens. Au cinquieme siecle apres 20 Jesus-Christ, la domination romaine a presque dis- paru dans notre pays. Les Francs dominent au nord; les Burgondes a Test; les Wisigoths, venus par le midi, au midi. Puis une nouvelle invasion. 10 HISTOIRE DE FRANCE plus terrible encore, menace ces barbares qui com- mencent a se fixer, c'est celle des Huns, sortis des steppes de I'Asie. lis sont conduits au pillage du monde par un chef terrible, Attila, qui s'intitule lui- meme le flcau de Dieu, et foule tellement la terre, 5 « que I'herbe ne croit plus ou son cheval a passe.)) Vingt villes de la Gaule sont detruites. Mais Ro- mains, Francs, Burgondes, Wisigoths, tous reunis contre I'ennemi de tous, arrivent, repoussent Attila et lui font essuyer un sanglant desastre dans les 10 plaines de Mery-sur-Seine (451). Les Huns vaincus s'enfermerent dans leur camp derriere leurs nombreux chariots. Attila se tenait pres d'un biicher autour duquel les Huns se ran- gerent, une torche a la main, prets a mettre le feu 15 si le camp etait force. Mais les coalises ne com- mencerent point I'attaque. Attila partit, emmenant av-ec lui comme otage I'eveque de Troyes. Deux ans apres, le roi des Huns mourait, et ce peuple cessa d'etre redoutable. 20 Parmi les peuples qui avaient combattu les Huns, on avait remarque les Francs sous les ordres de Merovee, chef de la tribu des Saliens, et qui seul de toute sa tribu portait une longue chevelure, signe distinctif de la royaute. 25 Les guerriers francs relevaient leurs cheveux sur le sommet du front en forme d'aigrette ; leur visage etait entierement rase, a I'exception de deux longues moustaches qui leur tombaient de chaque cote de la bouche. Grands, vigoureux, serres dans leurs ha- 30 bits de toile, ils ressemblaient par leur visage et leur caractere aux anciens Gaulois, surtout a ceux des pays du Nord. lis lan9aient avec adresse leur fran- LES FRANCS II cisqtie (hache a deux tranchants) et manquaient rarement I'endroit qu'ils avaient mesure de I'oeil ; ils se servaient aussi d'une pique, armee de plusieurs crochets recourbes comme des hamegons. 5 Idolatres comme les anciens Gaulois, les Francs se faisaient des images des arbres, des oiseaux, des betes sauvages, et les adoraient. lis croyaient que les braves allaient dans les palais de leur grand dieu Odin gouter les joies d'un eternel banquet, et cette 10 croyance les poussait a braver la mort avec une au- dace extraordinaire. Clovis (481-5 II). — Clovis, fils de Childeric, fut, a 1 age de quinze ans, promene sur un bouclier sui- vant la coutume des Francs et proclame roi (481). 15 Anime d'une ardeur^ guerriere, il entraina sor^ peuple a la conquete de la Gaule. II attaqua les troupes romaines qui occupaient encore une partie de la Gaule et les defit avec leur general Syagrius, pres de Soissons (486). Cette ville devint des lors 20 sa capitale. Clovis n'etait guere le maitre de ses soldats que pendant le combat. Les Francs ayant pille une eglise de la ville de Reims et emporte un vase tres precieux, I'eveque Remi fit reclamer ce vase. « Sui- 25 vez-moi jusqu'a Soissons, dit Clovis aux envoyes, parce que la sera partage tout ce qui a ete gagne ; lorsque ce vase sera tombe dans mon lot, je rem- plirai le desir de Teveque.)) Tout le butin etant reuni, Clovis dit : a Je vous 30 prie, mes braves guerriers, de ne pas me refuser ce vase en dehors de ma part.)) Les soldats consentaient, lorsque Tun d'eux, plus envieux^ refusa et frappa le vase avec sa hache en 12 HISTOIRE DE FRANCE disant : « Tu n'auras rien, 6 roi, que ce que le sort t'accordera.)) Clovis garda le silence et ne mani- festa point sa colere. L'annee suivante, il passait une revue de ses guer- riers et examinait leurs armes. Lorsqu'il arriva 5 devant le soldat qui avait brise le vase : « Nul, lui dit-il, n'a ici des armes aussi mal entretenues que les tiennes.)) Puis, lui prenant sa hache, il la jeta par terre,et comme le soldat se baissait pour la ramasser, Clovis leva sa propre hache et lui fendit la tete, en 10 s'ecriant : « Qu'il te soit fait ainsi que tu as fait au vase, I'an passe, dans Soissons ! » II inspira ainsi une grande crainte. Clovis epousa en 493 Clotilde, niece de Gonde- baud, roi des Burgondes. Or Clotilde etait chre- 15 tienne. Elle s'appliqua a convertir a sa religion son epoux, encore paien. Clovis avait deja, grace a ce mariage, gagne plusieurs villes, entre autres Paris. Une victoire sur les Alamans le rendit encore plus docile aux exhor- 20 tations de la reine et de I'eveque saint Remi. Les Alamans passaient le Rhin en grand nombre pour prendre aussi leur part de cette Gaule que les Francs semblaient vouloir s'attribuer tout entiere,. Toutes les tribus franques accoururent autour de Clovis, 25 et la bataille s'engagea a Tolbiac, pres de Cologne (496). Les Francs plient un instant. Clovis, qui avait laisse baptiser deux de ses enfants, invoque, dit-on, le Dieu de Clotilde et promet de se faire Chre- tien s'il est vainqueur. La victoire lui revient et les 30 Alamans sont rejetes au dela du Rhin. Clovis alors se fit baptiser par saint Remi, avec 3000 de ses soldats. Tous les eveques de la Gaule felidterent le nou- LES FRANCS , 13 /^ ■ -^ veaii convert!, et tout le pays entre la Seine et la Loire se soumit au prince que I'figlise appelait deja (( sa colonne de fer.)) Clovis, excite par la reine Clotilde, tou jours preoccupee de venger sa famille 5 detruite par le cruel Gondebaud, battit ce roi pres de Dijon et lui imposa un tribut. Des lors il domina sur les bords de la Saone. Restaient les Wisigoths. Les eveques du Midi, que persecutait ce peuple, appelaient Clovis. Celui- lo ci reunit ses farouches guerriers et leur dit : « Je supporte avec grand chagrin que ces impies posse- dent une partie des Gaules. Marchons avec I'aide de Dieu, et, apres les avoir vaincus, reduisons leur pays en notre pouvoir.)) Cette nouvelle expedition 15 plut singulierement aux guerriers francs: ils ap- prouverent ; on passa la Loire. Clovis avait surtout defendu de piller le territoire de Tours, place sous la protection speciale de saint Martin, alors venere comme le plus grand apotre des Gaules. « Ou sera 20 I'espoir de la victoire si nous offensons saint Mar- tin ? )) disait Clovis avec cette devotion interessee qui pouvait seule avoir action sur des barbares. Un soldat, ayant arrache une botte de foin a un pauvre homme, fut mis a mort. Les heureux augures, les 25 merveilles meme se multiplierent, si Ton en croit la legende, sur les pas de celui qui se confiait en la protection de saint Martin. Pour atteindre Tarmee d'Alaric, Clovis remontait la riviere de Vienne et cherchait un gue : « une 30 biche d'une merveilleuse grandeur » le lui montre en passant elle-meme la riviere. Encore aujour- d'hui cet endroit porte le nom populaire de Gue de la Biche. Lorsqu'elle approcha de Poitiers, Tarmee i4 iilSTOIRE DE FRANCE des Francs vit un globe de feu qui paraissait sortir de I'eglise d'un autre saint celebre, Hilaire de Poi- tiers, (( sans doute, dit le chroniqueur, afin qu'aides par la lumiere du bien heureux confesseur, ils assail- lissent plus hardiment les bataillons de ces heretiques s contre lesquels le saint eveque avait souvent com- battu pour la foi.)) Alaric, roi des Wisigoths, hesitait a engager Taction contre les Francs ; il temporisait, esperant un prompt secours d'autres barbares d'ltalie, les Ostrogoths ; mais les chefs n'etaient point maitres lo de leurs armees : « Nous valons bien les Francs en -force et en courage ! » s'ecrierent les soldats d'Ala- ric, et la bataille s'engagea a Voulon (4 lieues de Poitiers). Alaric etait prudent, mais non lache ; il le prouva en demeurant sur le champ de- bataille 15 meme apres que ses lignes eurent ete enfoncees. II fut tue de la main meme de Clovis. Celui-ci toute- fois courut un grand danger : deux soldats goths le f rapperent ensemble de leurs lances ; mais les lances ne purent entamer la cuirasse du chef des Francs 20 qui fut sauve. En quelques heures la victoire fut complete et le carnage af f reux. . « Les cadavres, dit le chroniqueur, etaient amonceles en tel nombre, qu'on eut dit des montagnes de morts.)) Tout le midi de la Gaule, avec ses opulentes cites, tomba au 25 pouvoir des Francs qui, pendant plusieurs mois, ne cesserent de ravager le pays. Les Francs ddminerent alors jusqu'aux Pyrenees. Cependant toutes les tribus franques ne reconnais- saient pas I'autorite de Clovis. Toujours ruse et 30 cruel, il se delivra de leurs rois, qu'il fit tuer en secret les uns apres les autres. II devint ainsi le seul chef des Francs. LES FRANCS t$ . Clovis avalt fonde un fitat qui est le plus ancien de tous les fitats de TEurope, et fait de la Gaule la France. II mourut en I'annee 511, dans la cite de Lutece, qu'on appelait deja Paris, et dont il avait 5 fait sa capitale. Les fils de Clovis; partage de la Gaule. -— L'ega- lite des partages entre les enfants etant la regie des successions chez les Francs, les quatre fils de Clovis se diviserent toutes ses conquetes comme un simple 10 butin. Chacun eut sa part de territoire et de tre- sors, de villes et d'etoffes precieuses. II y eut un roi de Paris, Childebert; un roi de Soissons, Clo- taire ; un roi d'Orleans, Clodomir ; un roi de Metz, Thierry. Et, de meme que Clovis, en vrai barbare, 15 avait depouille ses parents, de meme ses fils cher- cherent a se depouiller les uns les autres. Les en- fants de Clodomir furent massacres par leurs oncles Clotaire et Childebert. Quelques annees plus tard, Clotaire et Childebert 20 reprirent contre la Bourgogne la guerre et sou- mirent ce royaume (533-534)- Clotaire P^^ (558-561). —Clotaire, d'abord roi de Soissons, puis de Paris, survecut a ses freres'et se trouva en 558 seul possesseur des pays soumis par 25 les Francs. Cruel, il n'hesita pas a faire perir son fils Chramne qui s'etait revoke contre lui avec I'aide du roi des Bretons. Chramne, vaincu, fut brule dans une cabane ou il s'etait refugie. Clotaire mourut lui-meme en 561. 30 Quatre fils lui restaient. Apres sa mort il y eut encore quatre royaumes. Caribert eut le royaume de Paris; Sigebert, celui de Metz; Chilperic, celui de Soissons; Gontran, le royaume de Bourgogne. l6 HISTOIRE DE FRANCE Plus violents encore que les fils de Clovis, ces prin- ces, reduits bientot a trois par la mort de Caribert (567), se firent bientot des guerres acharnees. Au milieu de cette confusion on distingua surtout la rivalite des deux royaumes de Chilperic et de Sige- 5 bert. La Neustrie et VAustrasie. — Les Francs du royaume de Chilperic (Soissons) et tons ceux qui habitaient de la Somme a la Loire se melaient de plus en plus avec les populations gallo-romaines, 10 prenaient leurs moeurs et leurs usages. lis de- venaient ainsi de jour en jour plus differents des Francs du royaume de Sigebert (Metz), de ceux qui habitaient les pays de Test, les bords de la Meuse, de la Moselle et du Rhin. Ceux-ci furent 15 designes sous le nom d'Austrasiens, les autres sous le nom de Neustriens. L'animosite de ces deux peuples se manifesta d'abord par la guerre qu'excita la rivalite de deux femmes tristement celebres, Brunehaut, femme de Sigebert, et Fredegonde, 20 femme de Chilperic. Brunehaut, fille d'un roi des Wisigoths et elevee en Espagne dans des idees toutes romaines, avait voulu imposer ces idees aux guerriers francs de TAustrasie. File voulait faire disparaitre les cou- 25 tumes barbares, reparait les voies que les Romains avaient construites et qu'on laissait tomber en ruine. Mais elle etait emportee, avide. File faisait mettre a mort sans jugement les Iciides^ dont elle convoitait les tresors. File persecutait les eveques qui lui re- 30 prochaient ses violences. File arma meme Tun contre I'autre ses deux petits-fils, Thierry II, roi de 1 Principaux chefs, compagnons du roi. LES FRANCS 1 7 Bourgogne, et Theodebert II, roi d'Austrasie. Theodebert fut saisi et peu apres mis a mort. Thier- ry II regna alors avec Brimehaut sur I'Austrasie et sur la Bourgogne. Mais Thierry, que Brunehaut 5 avait laisse s'enerver dans les plaisirs, mourut tout a coup en 613, et Brunehaut demeura seule avec quatre arriere-petits-enfants en bas age. Les leudes penserent alors que le moment etait venu de se venger de cette femme ambitieuse et altiere. De 10 son cote, le fils de la cruelle Fredegonde, Clotaire II, trouva le moment favorable pour attaquer Brune- haut. Celle-ci fut abandonnee par son armee et bientot livree a Clotaire II. Le roi de Neustrie se montra le digne fils de 15 Fredegonde par le supplice auquel il soumit la reine vaincue. Pendant trois jours elle fut exposee aux insultes des soldats, promenee honteusement sur un chameau, puis attachee a la queue d'un cheval fou- gueux qui lui brisa le crane et traina son cadavre 20 mutile sur les pierres des chemins. Ce fut ainsi que mourut, en 613, Brunehaut, fille de roi, epouse de roi, mere de roi, aieule et bisaieule de rois. "" Clotaire II (586-628). — Le roi de Neustrie, Clo- taire II, le fils de Fredegonde, reunit sous son au- 25 torite les deux royaumes et regna jusqu'en 628, seul maitre de toute la Gaule comme I'avaient ete Clo- taire P^ et Clovis. Dagobert I^r (628-638); grandeur du royaume franc. — Son fils, Dagobert I^"", le plus puissant des 30 rois de la famille ou dynastie de Merovee, ne fut nullement le prince debonnaire que nous represente la legende : il avait au contraire force les grands a Tobeissance et se montrait terrible aux mechants. l8 HISTOIRE DE FRANCE A peine prenait-il le temps de manger et de dormif, tant le zele de la justice I'animait. II etait maitre d'un vaste empire qui debordait bien au dela du Rhin. II recevait en effet tribut des Alamans, des Thuringiens, des Bavarois et porta ses armes j usque 5 dans la vallee du Danube ou il eut a soutenir de rudes guerres. C'etait dans sa villa de Clichy, pres de Paris, que Dagobert aimait a resider et a deployer ses richesses. Assis sur un trone d'or, la couronne sur la tete, il lo donnait audience comme un veritable empereur. Decadence desMerovingiens; les rois faineants. — A la mort de Dagobert les partages se renouvelerent ainsi que les guerres civiles. La famille de Me- rovee alia sans cesse en degenerant, et alors com- 15 menga la serie des souverains appeles rois faineants: reproche in juste, car beaucoup n'arriverent pas a I'age d'hommes, et ceux qui y arrivaient etaient relegues dans quelque villa au fond des forets. De loin en loin un chariot traine par des boeufs les 20 amenait a I'assemblee generale des guerriers, puis, lorsqu'on leur avait rendu de vains honneurs, on les renvoyait a leurs chasses et a leurs plaisirs. Les maires du palais gouvernaient a leur place. Les maires du palais avaient d'abord ete de 25 simples officiers du roi, juges des querelles qui eclataient dans les villas royales ou entre les com- pagnons du roi. £lus par les leudes qu'ils con- duisaient aux combats, ils devinrent les tuteurs des rois enfants, puis les maitres de ceux qu'ils avaient 30 eleves. II y avait un maire du palais dans chaque royaume. Et les maires combattirent entre eux comme avaient combattu les rois. LES FRANCS 19 / Les maires du palals prenalent si blen la place des rois qu'il n'y avait meme deja plus, depuis Tannee 679, de rois en Austrasie. La famille de Pepin de Landen, dans laquelle depuis longtemps les leudes 5 choisissaient les maires du palais, commandait seule aux Austrasiens. Sous la conduite de guerriers re- marquables sortis de cette vaillante famille, les Austrasiens devinrent de jour en jour plus forts. Une victoire decisive de leur chef Pepin d'Heristal, 10 remportee a Testry (en 687), sur les Neustriens, assura aux Austrasiens la domination de la Gaule. II y eut sans doute encore des fantomes de rois en Neustrie, mais de fait la famille de Pepin d'He- ristal remplagait deja celle de Clovis. 15 De cette famille, en realite maitresse de la Gaule, sortit le fameux Charles Martel, I'un des plus grands guerriers de I'epoque, qui renouvela les exploits de Clovis et annongait ceux de Charlemagne. Du fond de I'Arabie, peninsule qui tient a I'Asie 20 et a TAfrique, un peuple ardent se precipitait a la conquete du monde, pousse par le fanatisme et la volonte d'imposer partout la religion de son prophete Mahomet. Celui-ci avait preche et combattu de 622 a 632 ; il avait rompu avec le culte des idoles 25 paiennes, mais ne voyait en Jesus-Christ qu'un grand prophete et dans les Chretiens que des infideles ado- rant plusieurs dieux. Avec la Bible, I'fivangile, les poesies arabes, ses propres maximes et des preceptes materiels dictes par I'intelligence du climat de 30 rOrient, il avait compose un livre pour ses disciples, le CoraUj ou ceux-ci lurent surtout la doctrine dif fatalisme, c'est-a-dire la resignation complete a tout ce qui peut arriver. Le zele qui leur etait recom- 20 HISTOlRE DE FRANCE mande pour la propagation de la croyance au vrai Dieu et a son prophete Mahomet, transportait les Arabes d'un enthousiasme qui excitait encore leur nature mobile et impetueuse. En moins d'un siecle, lis s'etaient empares de la Syrie et de la Perse en 5 Asie; de I'figypte, de toutes les cotes de I'Afrique le long de la Mediterranee, enfin de I'Espagne (711). Bientot ils convoiterent la Gaule. Deja, en 721, ils avaient attaque I'Aquitaine et assailli Toulouse. Le due Eudes, avec les Aquitains et les 10 Gascons leves en masse, avait defendu sa capitale et gagne une sanglante bataille. En 732, une in- vasion plus redoutable se prepare sous un chef vail- lant, Abderame. Bientot Abderame s'empare de Bordeaux qu'il saccage. Le due Eudes, qui jus- 15 qu'alors n'avait pas voulu faire soumission au due des Francs, voyant ce torrent devastateur se re- pandre par toute I'Aquitaine, et ses sujets epou- vantes en presence de ces cavaliers rapides qu'on trouvait partout a la fois, implora le secours de 20 Charles. Charles arriva avec les Francs du nord. Les Arabes se trouvaient en face du dernier rempart de la chretiente. Cette armee, qu'un chroniqueur ap- pelle avec raison (( I'armee des Europeens,)) une fois 25 detruite, la religion de Mahomet (ou autrement I'is- lamisme), dominera sur la terre. ^~^ Bataille de Poitiers (732). — Les Francs n'abor- derent pas sans etonnement les Arabes, ces ennemis nouveaux, au teint basane, qui, enveloppes dans des 30 burnous blancs, montaient des chevaux vifs et ar- dents. Les cavaliers arabes soulevaient des tour- billons de poussiere, paraissaient et disparaissaient, LES FRANCS 2t se repllaient, se reformaient, pour revenir, avec la rapidite de I'ouragan, frapper en courant avec leurs cimeterres on sabres recourbes. Les Arabes, a leur tour, s'etonnerent de voir ces hommes du Nord, 5 blonds, grands, proteges par des casques et des cottes de mailles ou des casaques de peaux, munis de longues epees, de piques, maniant habilement la hache et la langant au loin. Les Francs demeuraient unis, disciplines, presentant une foret de piques 10 comme un mur de fer, et resistaient, inebranlables, a tons les assauts. Une habile diversion organisee par Charles contre le camp arabe, decida le succes de la journee en faveur des Chretiens. Ne songeant plus qu'a leurs 15 richesses, les Arabes quitterent leurs rangs. La nuit empecha les Francs de poursuivre leur avan- tage. Le lendemain matin, ceux-ci revirent a la meme place les tentes arabes et craignaient une nouvelle 20 l3ataille; mais les ennemis avaient disparu ; les Francs purent se jeter en toute liberte sur le pro- digieux butin que les ennemis avaient abandonne. Charles avait frappe si fort qu'il requt le surnom de Martel (marteau). A son retour a Paris, il fut 25 accueilli avec enthousiasme et fit une entree vrai- ment triomphale. Les Francs venaient de decider une grande querelle : ils avaient sauve la chretiente et la vraie civilisation, bien que les vainqueurs pa- russent moins civilises et plus grossiers que les 30 vaincus. Pepin le Bref (741-768). — Charles Martel laissa deux fils, Pepin et Carloman, qui commanderent d'abord ensemble aux Francs. Carloman^ en 747, 22 HISTOIRE DE FRANCE se fit moine et Pepin gouverna seul. II se trouva bientot assez puissant pour ecarter le fantome de roi merovingien que sa famille avait maintenu. II fit couper la chevelure du dernier Merovingien, Childeric III, qui fut tonsure comme un clerc et s relegue dans un monastere a Saint-Omer (752 apres Jesus-Christ). Proclame roi a Soissons, Pepin se fit sacrer par Boniface, archeveque de Mayence. II se fit meme couronner une seconde fois, a Saint-Denis, par le 10 pape fitienne 11. Or les Lombards menagaient Rome. Pepin, re- connaissant de I'appui que lui avait donne le pape, marcha a son secours et triompha des Lombards. II conceda au Saint-Siege la province de Ravenne, 15 et le pape eut alors une puissance temporelle. Pe- pin ensuite soumit definitivement la grande pro- vince du Midi, I'Aquitaine. La Gaule entiere obeit des lors aux Francs. Pepin etait surnomme le Bref a cause de sa petite 20 taille. Mais il prouva que la force et le courage ne dependaient pas de la taille. Un jour il assistait, dans un cirque, avec ses leudes a un combat d'ani- maux : un taureau se defendait contre un lion ; mais le lion sauta au cou du taureau et allait le dechirer. 25 Pepin demanda si quelqu'un oserait porter secours au taureau. Personne n'ayant repondu, Pepin s'elanga dans I'arene et, d'un coup d'epee, abattit la tete du lion. Les leudes admirerent la vigueur de leur chef, et nul ne fut mieux obei, malgre sa 30 petite taille. / CHARLEMAGNE ^3 CHAPITRE III CHARLEMAGNE (768-814) DIEN qu'il cut lui-meme retabli Tunite de com- ^ mandement, Pepin le Bref, avant de mourir, ceda encore aiix coutumes des Francs, car il parta- gea la Gaule entre ses fils Charles et Carloman. Les 5 deux freres ne vecurent pas en bonne intelligence, mais la mort de Carloman (771) permit bientot de retablir I'unite. Charles ecarta les enfants de Car- loman et se fit reconnaitre seul chef des Francs. C'est lui qui devait porter au plus haut degre la 10 gloire de sa famille et meriter d'etre appele le Grand ou Charlemagne.^ Charlemagne etait ne dans un des domaines de Pepin le Bref, sur les bords du Rhin. II fut eleve, comme tons les rois de ce temps, non 15 dans des palais (il n'y en avait plus), mais dans des fermes etablies au milieu des forets. Gros, robuste, d'une taille tres haute, presque un geant, il avait dans toute sa personne un air de grandeur et de dignite. Intrepide et infatigable, tou jours en chasse 20 ou en guerre, il ne quittait presque jamais le cheval et jamais I'epee. 1 Du latin Carolus Magnus, 24 HISTOIRE DE FRANCE La renommee avail tellement exalte la puissance de Charlemagne que son aspect seul inspirait la plus vive frayeur, si nous en croyons un vieux recit. Sous la conduite de Charlemagne, les Francs sor- tirent de la Gaule de tons cotes et soumirent tous s les peuples qui occupaient le centre et le midi de I'Europe. Afin de delivrer Rome et le pape du danger qui les menaQait sans cesse, Charlemagne detruisit le royaume des Lombards (774-776). II prit alors 10 le titre de roi d'ltalie. II vint a Rome et confirma au pape Adrien la possession des vastes domaines que Pepin avait accordes en 756 au pape fitienne 11. Le roi des Francs marchait contre Didier, roi des Lombards, qui avait recueilli plusieurs de ses enne- 15 mis, et parmi eux un ancien officier de Charles, le comte Oger. Lorsqu'on annonga I'approche des Francs, Didier monta, avec Oger, sur une des plus hautes tours de la ville de Pavie : II apergut d'abord les bagages et les machines et dit a Oger : « Est-ce 20 que Charles est dans cette armee ? — Non, repondit le comte, pas encore 1 » On vit ensuite I'armee meme, la foule des peuples rassembies des contrees les plus lointaines. « Vrai- ment, dit le roi, Charles doit etre au milieu de ces 25 troupes. — Mais non, repondit le comte, pas encore ! pas encore ! » Et voici, comme il parlait, qu'on aper- 9Ut ceux qui formaient la garde de Charles et qui ne connaissaient pas le repos. « Est-ce Charles ? s'ecrie Didier etonne. — Non, dit Oger, pas encore. 30 Quand tu verras,ajouta-t-il,la moisson fremir d'hor- reur dans les champs et le fleuve refleter la couleur du fer, alors tu pourras crojre a I'arrivee de Charles.)) CHARI^EMAGNE 25 II n avait pas encore fini de parler qu'on crut apercevoir un nuage tenebreux. Charles approchait et de ses armes sortait un eclat sinistre. II apparut enfin, convert de fer, avec son casque de fer, portant 5 de sa main gauche une lance de fer et sa main droite appuyee sur son invincible epee. Tons ceux qui marchaient devant lui, a ses cotes, dferriere lui, avaient le meme aspect terrible. (( Le voici ! le voici ! celui que tu demandais ! » 10 s ecria Oger, et tons deux tomberent evanouis./^^ Charlemagne enveloppa de son armee la ville de Pavie. La famine et la maladie decimerent les de- fenseurs de la cite, qui fut obligee de se rendre. Didier vint lui-meme se livrer a Charlemagne, qui 15 le fit enfermer pour le reste de ses jours dans un cloitre, ainsi qu'Oger. Guerres en Espagne centre les Arabes. — Charle- magne franchit les Pyrenees et refoula au dela de I'fibre les Arabes d'Espagne (778). Mais, au re- 20 tour, son arriere-garde fut ecrasee dans la vallee de Roncevaux par les Basques ou Vascons qui oc- cupaient les montagnes et firent rouler sur les Francs d'enormes quartiers de rocs. La perit le neveu de Charlemagne, Roland, que les poetes cele- 25 brerent beaucoup et vanterent comme le modele des guerriers. Selon les legendes, un traitre, Ganelon, aurait in- dique aux ennemis la route que le neveu de Charles devait prendre, et ceux-ci I'attaquerent au passage 30 de Roncevaux. De tons cotes les traits pleuvaient, des arbres entiers deracines, des quartiers de roches etaient precipites sur les Francs entasses dans retroite vallee. Roland, qui combattait vaillam- 2 6 HISTOIKE DE FRANCE ment, sonna dc son cor pour avertir Charlemagne. Le bruit en arriva jusqu'aux oreilles de Charles: « C'est mon neveu qui m'appelle, dit-il avec inquie- tude. — Non, dit Ganclon qui I'accompa^nait, votre neveu chasse a travers la montagnej) Et le roi con- 5 tinua sa route. Roland sonna si fort que les veines de son cou se rompirent. Sur le point de mourir, il ne voulait pas que sa terrible epee, sa Dtirandal, comme on I'appelait, tombat entre les mains des ennemis; il lo chercha un rocher pour la briser ; ce fut, disent les poetes, Tepee qui fendit le rocher. Ne pouvant briser Durandal, Roland la jeta dans une fontaine ou ellc doit rester, toujours d'apres la legende, jus- qu'a la fin des temps. 15 Charlemagne avait fini par comprendre les sons desesperes du cor de Roland ; il etait revenu en toute hate sur ses pas, mais trop tard, et ne put que venger la mort de son neveu. Guerres centre les Saxons. — Mais la guerre la 20 plus longue, la plus acharnee que Charlemagne eut a soutenir, fut la guerre contre les Saxons. A dix- huit reprises differentes, dans Tespace de trente-trois ans, il penetra dans le pays compris entre le Rhin et I'Elbe. 25 Charles s'appliqua surtout a convertir les Saxons a la religion chretienne. II detruisit leurs bois sacres, renversa leurs idoles, entre autres TJrminsul, tronc d'arbre enorme et sculpte en forme de statue. 30 Un chef surtout avait excite les Saxons a la resistance, Witikind. Ardent, infatigable, habile, Witikind se derobait a toutes les rechexches : quand CHARLEMAGNE 27 il ne pouvait plus lutter, il se retirait chez les Danois ct reparaissait des que Charlemagne s eloignait. Le bruit du desastre de Roncevaux etant parvenu j usque dans la Saxe, Witikind souleva toute la Ger- 5 nianie et osa se montrer sur les bords du Rhin (778). Charles fut oblige de recommencer la con- quete du pays. II y resta trois annees pour y fonder des monasteres, y batir des chateaux forts, y creer des eveches. 10 Charles alors croit pouvoir s'eloigner. Mais Witikind reparait et detruit une armee franque. Charles aussitot revient au milieu des Saxons en ennemi irrite et inflexible. Witikind lui echappe encore, mais quatre mille cinq cents prisonniers sont 15 decapites en un seul jour a Verden (782). Ce terrible massacre fut le signal d'une nouvelle guerre sans nicrci. Les Saxons, epuises, a la fin se soumirent. Witikind, ne trouvant plus de sol- dats, fatigue lui-meme et apprenant que Charles lui 20 ferait grace s'il voulait se convertir, vint reconnaitre Tautorite de Charlemagne et recevoir le bapteme a . la villa royale d'Attigny sur Aisne (785). La soumission de Witikind termina la grande guerre de Saxe. Plusicurs tribus se revolterent 25 encore plus d'une fois jusqu en I'annee 804, et Charlemagne, las de vaincre et de punir a cette race au coeur de fer,)) dut transplanter des milliers de families en d'autres regions et changer les habitants de la Saxe. C'est ainsi que le redoutable roi des 30 Francs crea le pays qu'on a depuis appele I'Alle- magne. ^ Le roi des Francs se trouvait a Rome au moment ou I'on celebrait le huit centieme anniversaire de la 28 HISTOIRE DE FRANCE naissance du Christ, et c'etait precisement le premier jour de Ian 800, car on comptait alors les annees a partir de Noel. Pendant la messe, comme Charles priait agenouille dans I'eglise de Saint-Pierre et Saint-Paul, le pape Leon III, tenant une couronne 5 d'or, alia tout a coup la lui placer sur la tete en di- sant : « A Charles tres pieux, auguste, couronne de Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! » Les guerriers francs, f lattes dans leur orgueil, s'unirent aux Romains pour repeter avec 10 enthousiasme : « A Charles, empereur des Romains, vie et victoire ! » Le pape se prosterna devant le nouvel empereur d 'Occident, qui revetit un costume magnifique : tunique ornee de broderies, manteau fleuri de ra- 15 meaux d'or, brodequins etincelants de pierres pre- cieuses. Et toute la ville de Rome fut en joie: elle se croyait rappelee a son antique splendeur. Cette pompe toutefois, cette magnificence plai- saient peu au redoutable guerrier. En dehors des 20 ceremonies, Charles conserva ses habitudes simples et le grossier costume des soldats francs. Ses com- pagnons aimaient au contraire a se parer des riches vetements qu'ils avaient trouves en abondance dans les villes d'ltalie. 25 Or, un dimanche, apres la messe, Charles dit a ses compagnons ; « Sans entrer au logis, vetus comme nous le sommes, partons pour la chasse.)) ' II tombait une pluie fine et froide. Tout le jour on courut sous la pluie, dans les broussailles, au milieu 30 des bois ; les vetements fins et delicats furent trem- pes, dechires. Charles ordonna a ses compagnons de reparaitre le lendemain devant lui avec le meme CHARLEMAGNE 29 costume. lis se presenterent tout honteux de leur triste equipage, et Charles plaisanta ses compagnons sur leurs somptueuses guenilles. Charles n'aurait point merite le surnom de Grand, 5 s'il n'eut efface la barbaric du conquerant par la sagesse du legislateur; il s'appliqua a faire regner dans son vaste empire I'ordre et la justice. « Une chronique raconte qu'il avait fait suspendre une cloche a la porte de son palais ; tous ceux qui vou- 10 laient former appel a sa justice, sonnaient cette cloche et le roi, suffisamment averti, leur donnait audience tous les jours. La nuit meme, car il avait I'habitude de se lever et de s'habiller plusieurs fois durant la nuit, Charles faisait introduire dans sa 15 chambre des plaideurs de toutes conditions, les priait d'exposer leurs griefs mutuels et se pronon- gait comme en plein tribunal sur la question en litige.)) II etablit dans les provinces, des comtes, des vi- 20 caires, des juges. II avait Toeil et la main partout. Des envoyes royaux devaient, a chaque saison de Tannee, parcourir les provinces et reprimer les exces des officiers. Au printemps et a I'automne, a la veille ou au retour de ces expeditions, I'empereur 25 tenait les assemblees ordinaires chez les Francs ; c'est la qu'il publiait ses capitulaires, lois diverses qui reglaient la police de I'fitat ou I'administration de ses fermes. Charles n'avait d'autres revenus que ceux de ses vastes domaines; aussi le voit-on 30 s'occuper, en meme temps que de I'ordre de la so- ciete, de la vente de ses boeufs et de ses pores, des oeufs de ses basses-cours, des poissons de ses etangs, des foins de ses prairies, meme du superflu des le- 30 HISTOIRE DE FRANCE gumes de son jardin. « Un pere de famille, a-t-on dit avec raison, pourrait apprendre dans ses lois a gouverner sa maison.)) Ce guerrier redoutable connaissait le prix de la science. II etiidia sa langue maternelle, il apprit le 5 latin ; sa rude main, si habitttee a manier I'epee, s'exergait a conduire le stylet sur les tablettes et a tracer d'informes caracteres. II s'entoura de sa- vants qui formaient dans son palais comme une Academie. lo Charlemagne avait etabli une ecole dans son pa- lais meme pour les enfants de ses leudes et des ser- viteurs de son palais. II la visitait souvent. Les enfants les plus pauvres etudiaient avec ardeur. Charles leur dit un jour: « Je vous loue beaucoup, 15 mes enfants, de votre zele a remplir mes intentions et a rechercher de tons vos moyens votre propre bien. Maintenant, efforcez-vous d'atteindre a la perfection, alors je vous donnerai de riches eveches, de magnifiques abbayes.)) Puis il se tourna vers les 20 enfants des grands, et d'une voix terrible il s'ecria : (( Quant a vous, fils des principaux de la nation qui, vous reposant sur votre naissance et votre fortune, avez neglige mes ordres et le soin de votre propre gloire dans vos etudes, si vous ne vous hatez pas de 25 reparer par une constante application votre negli- gence passee, vous n'obtiendrez jamais rien de Charles ! » La renommee du puissant empereur s'etait re- pandue au loin. Le monarque le plus puissant de 30 TAsie, le chef du grand empire arabe, le calife Haroun-al-Raschid (Haroun le Juste), lui envoya plusieurs fois des ambassades et des presents d'une CHARLEMAGNE 3I merveilleuse richesse. Parmi ces presents, ce qui etonna le plus les Francs, ce fut un elephant, animal qu'ils n'avaient jamais vu, et une horloge mecanique avec des figures qui se mettaient en mouvement 5 pour sonner les heures. Charles mourut en 814 a Aix-la-Chapelle, ville qu'il aimait a cause de ses sources d'eau chaude, et ou il avait eleve une grande eglise. On deposa son corps dans la crypte de cette eglise et on Tenferma 10 dans un caveau, assis sur un trone de marbre, la couronne d'or sur la tete, un sceptre d'or entre ses mains. 32 HISTOIRE DE FRANCE CHAPITRE IV LOUIS LE PIEUX— LE TRAITE DE VERDUN — CHARLES LE CHAUVE — LES NORMANDS Louis le Pieux ou le Debonnaire. — La famille de Charlemagne declina plus vite encore qu'elle n'avait grandi. L'empire qu'il avait forme etait trop vaste et se demembra des le regne meme de son fils, Louis le Debonnaire (814-840). Louis etait 5 si faible qu'il ne sut pas meme maintenir son auto- rite dans sa famille. Incapable de porter seul le fardeau que lui avait legue son pere, il partagea tout de suite l'empire entre ses trois fils, Lothaire, Pepin et Louis. Un de ses neveux, Bernard d'lta- 10 lie, protesta contre ce partage, les armes a la main. Vaincu, il eut les yeux creves par ordre de I'em- pereur et succomba aux suites de cet 'horrible sup- plice (818). Pour expier cette cruaute, Louis se soumit a une penitence publique a Attigny, s'humilia 15 devant les eveques et commenga a avilir aux yeux des peuples la dignite imperiale. Louis le Debonnaire, ayant eu d'un second ma- nage un quatrieme fils, Charles, voulut aussi lui donner un royaume. Les autres fils alors se revol- 20 terent en 830, et deposerent I'empereur. En Tan 833, a si peu de distance de la mort de LOUIS LE PIEUX 33 Charlemagne, Teglise de Saint-Medard de Solssons fut le theatre d'une ceremonie bien differente de celle qui avait eu Heu a Rome en Tan 800. Louis le Debonnaire, detrone une premiere fois en 830, 5 venait d'etre renverse une seconde fois par ses fils. Lothaire, auquel I'empereur, abandonne de son ar- mee, s'etait rendu, se montra sans pitie pour son pere. Voulant le rendre incapable de regner, il I'obligea de faire, dans I'eglise de Saint-Medard de 10 Soissons, une confession publique de ses fautes. On lui enleva tous les insignes de la dignite imperiale, meme le baudrier et les armes du guerrier. Louis dut revetir le costume de penitent et demeurer dans le cloitre (.833). 15 Les peuples, encore pleins du souvenir de Charle- magne, protesterent contre cette humiliation infli- gee a I'empereur et contre cet outrage fait a un pere par ses enfants. Louis le Germanique et Pepin comprirent bientot qu'ils n'avaient travaille que 20 pour leur aine et ne voulurent point reconnaitre son autorite. lis delivrerent Louis le Debonnaire, le ramenerent a Saint-Denis, et le revetirent de nou- veau des ornements imperiaux (834). Cependant les guerres recommencerent. L'empereur mourut 25 en combattant son fils Louis le Germanique. « Je lui pardonne, disait-il tristement, mais qu'il sache qu'il me fait mourir.)) Les fils de Louis le Debonnaire (840-843). — Des fils qui avaient outrage Tautorite paternelle ne 30 pouvaient se respecter les uns les autres. lis lut- terent entre eux comme ils avaient lutte contre leur pere. Pepin etait mort, mais Louis le Germanique, 34 HISTOIRE DE FRANCE Charles et Lotliaire se disputerent les provinces de I'empire. Charles et Louis se liguerent contre leur aine, Lothaire, qui seul portait le titre d'empereur. lis le battirent a la journee de Fontanet (841), pres d'Auxerre. Dans chaque camp il y avail des s hommes de meme nation, et on vit ainsi se battre freres contre freres, Francs contre P'rancs, Saxons contre Saxons. Charles et Louis demeurerent vainqueurs. Les deux freres resserrerent leur union par un 10 serment mutuel qu'ils prononcerent devant leurs armees, a Strasbourg, I'un en langue germanique, I'autre en langue romane (ou romaine) (842). Lo- thaire consentit alors a un partage definitif, a Ver- dun, en 843. Louis le Germanique conserva tons 15 les pays au dela du Rhin (Saxe et Baviere) et qui devaient former I'Allemagne, Charles garda les pays qu'il gouvernait, c'est-a- dire la Gaule, mais non dans toute son etendue. Lothaire conservait I'ltalie et recevait, en outre, les 20 pays compris entre la Meuse et le Rhin, entre la Saone et le Jura, entre le Rhone et les Alpes (Bel- gique, Lorraine, Alsace, comte de Bourgogne, Dau- phine et Provence). Ce partage de famille, semblable a tons ceux qui 25 s'etaient faits jusqu'alors, eut cependant les plus de- plorables consequences. Les pays qui formaient la part de Lothaire n'etant rattaches ni a la Gaule, ni a la Germanic, et trop divers pour devenir eux- memes un ]fitat, devaient etre la cause de guerres 30 sans fin. La Bourgogne, le Dauphine, la Provence firent plus tard retour a la Gaule comme la nature I'indiquait ; mais le' territoire entre la Meuse et le CHARLES LE CHAUVE 35 Rhin, la riante vallee de la Moselle, la pittoresque et riche vallee du Rhin, resterent un eternel sujet de discorde entre la France qui reclame et I'Allemagne qui detient aujourd'hui ces pays jadis gaulois, ro- 5 mains et francs. Charles le Chauve (843-877). — Prince faible, Charles le Chauve, qui avait regu la Gaule mutilee, ne pouvait meme y exercer son autorite. Les dues et les comtes etablis dans les provinces s'y decla- 10 raient souverains. La France allait se decomposant en petits £tats. Pour comble de malheur, arrivaient de nouveaux barbares, les Normands. Les Normands. — Nommes ainsi parce qu'ils venaient des pays du nord, de la Scandinavie, les 15 Normands etaient d'intrepides marins, habiles a ma- nier la rame et la voile. Leurs chants ordinaires suf f isent a les peindre : « Que le pirate dorme sur son bouclier, le ciel bleu lui sert de tente. — Quand le vent souffle avec furie, hisse ta voile jusqu'au 20 haut du mat. Les vagues bouleversees repoussent le pirate ; laisse aller ; qui amene sa voile est un lache : mieux vaut mourir. — Si le marchand passe, protege son navire, mais qu'il ne refuse pas le tribut. Tu es le roi sur les vagues, il est I'esclave de son 25 gain. — Les blessures honorent le pirate ; elles parent I'homme quand elles se trouvent sur sa poi- trine ou sur son front.)) Ces rois de la mer, montes sur leurs barques grossierement construites et ornees a I'avant de 30 figures de serpents et de chevaux, arrivent a Tem- bouchure des fleuves : ils se saisissent d'un ilot ou d'un poste de difficile acces qui leur sert de canton- nement, de retraite en cas de besoin. Le jour, ils 36 HISTOIRE DE FRANCE restent immobiles dans des bales solitaires ou caches dans les forets du rivage; la nuit, ils abordent, es- caladent couvents et chateaux forts, pillent le pays, organisent une sorte de cavalerie avec les chevaux qu'ils rencontrent et courent en tons sens jusqu'a 5 trente ou quarante lieues de leur flotille. A la vue de ces guerriers converts d'un tissu de lames de fer disposees en ecailles, armes d'une lourde hache, d'une epee a deux tranchants ou d'une longue lance, I'effroi des populations est indicible; les prieres de 10 I'epoque I'attestent : « De la fureur des Normands delivrez-nous. Seigneur ! » s'ecriaient-elles dans leur terreur. Cette faiblesse les enhardissait : Paris, Orleans, Toulouse furent pilles ; les Normands perdent meme 15 I'habitude de retourner dans leur pays pendant I'hiver. Une seule famille se distingue par son cou- rage contre ces ravageurs, celle de Robert le Fort, comte d'Anjou. Robert acquit une grande renom- mee en repoussant les pirates, mais il perit au com- 20 bat de Brissarthe (865) pres d' Angers. L*empereur Charles le Gros (884-888). — Le fils de Charles le Chauve, Louis le Begue, ses petits-fils Louis III et Carloman ne firent que passer sur le trone. La Gaule tomba sous Tautorite d'un descen- 25 dant de Louis le Germanique, I'empereur Charles le Gros, qui reconstitua, en 884, I'empire entier de Charlemagne. Mais g e prince qui meritait bien son surnom etait aussi faible en Germanic qu'en Gaule. Dans I'ete de 885, une nombreuse flottille nor- 30 mande conduite par deux redoutables chefs, Gode- fried et Sigefried, remonta le cours de la Seine. Elle comptait plus de trois mille barques longues et CHARLES LE GROS 37 plates qu'ornaient de grossieres figures de serpents ou de dragons. Instruits par les malheurs prece- dents, les Parisiens avaient protege, par des tours, sur chaque rive du fleuve, les deux ponts qui met- 5 taient leur ile en communication avec le pays. Deux cents seigneurs, avec leurs hommes, avaient repon- du a I'appel du comte de Paris Eudes, digne fils de Robert le Fort, et s'etaient enfermes dans la ville. Aussi le roi des pirates, Sigefried, essaya-t-il de ne- lo gocier : il ne demandait que le passage pour aller en Bourgogne. Mais I'eveque de Paris, Gozlin, lui repondit : « L'empereur Charles nous a donne Paris a garder ; si par hasard la defense de ses murs eiit ete confiee a ta foi, ferais-tu pour nous ce que tu 15 demandes pour toi? — Si je le faisais, s'ecria fiere- ment le barbare, ma tete devrait tomber sous la hache et etre jetee aux chiens.)) Les Normands commencerent le siege (novembre 885). Un an entier les Parisiens repousserent les as- 20 sauts des pirates. Une crue subite de la Seine em- porta une partie du Petit-Pont, et douze guerriers resterent isoles dans la tour construite sur la rive gauche : un jour entier ils tinrent tete a I'armee des barbares qui finirent par incendier la tour. Les 25 douze Parisiens se retirerent sur les debris du pont et continuerent a combattre : sur la foi qu'ils au- raient la vie sauve, ils se rendirent ; mais ils f urent massacres, et I'un d'eux, Herivee, qu'on voulait epargner, refusa noblement de se racheter par une 30 rangon. Cependant la misere de Paris croissait, car la fa- mine etait venue, et la peste. L'eveque Gozlin, qui soutenait les combattants par ses prieres et son 38 HISTOIRE DE FRANCE exemple, moiirut. Alors le comte Eudes s'echappa pour aller solliciter le secours de I'empereur Charles le Gros. Eudes parvint ensuite a rentrer dans la ville, malgre les Normands. Enfin, au mois d'oc- tobre (886), sur les hauteurs de Montmartre, parut 5 Tarmee de Charles lui-meme : les Parisiens s'atten- daient a voir exterminer leurs ennemis. Charles, au lieu de combattre, acheta la retraite des Nor- mands au prix de sept cents livres d'argent. Charles le Gros montrait partout la meme lachete. 10 Aussi les grands de tous les pays I'abandonnerent et le deposerent a la diete de Tribur en Allema- gne (887). On ne lui nomma pas de successeur comme empereur, et chaque nation se choisit un chef particulier: Tempire de Charlemagne etait a 15 jamais detruit. La Gaule donna la couronne au vaillant defenseur de Paris, le due des Francs, Eudes. L'ltalie se partagea entre plusieurs princes. Tout le monde d'ailleurs voulait devenir roi : il y avait des rois de Bourgogne, de Provence, de Lor- 20 raine, de Navarre, etc., mais en realite trois grandes nations sortirent seules de ce demembrement de I'empire carolingien : la nation f rangaise, la nation italienne, la nation allemande. Eudes, proclame roi des Francs en 887, regna 25 jusqu'en 898. Mais s'il commengait dans la Gaule devenue la France, une nouvelle famille de rois, les descendants de Charlemagne conservaient encore des partisans : un petit-fils de Charles le Chauve, Charles le Simple, succeda au roi Eudes. 30 Charles le Simple (898-922). — Ce prince qui me- ritait bien son surnom, car il etait naif et simple d'esprit, mit fin pourtant, en 912 par le traite LA FAMILLE D EUDES 39 de Saint-Clair-sur-Epte, aux incursions des Nor- mands : il conceda a leur chef Rollon, qui se fit bap- tiser et epousa la fille de Charles, les rives ver- doyantes et fertiles de la basse Seine : ce pays forma 5 des lors le duche de Normandie. Grace a la severite de Rollon, les Normands per- dirent leurs habitudes de pillage, la securite revint et les anciennes populations, soumises a leur autorite, travaillerent avec une telle ardeur que la Normandie 10 devint rapidement une des plus riches provinces. Charles le Simple, comme ses predecesseurs, af- faiblissait par ses liberalites le domaine royal, sans pour cela empecher les grands de se revolter contre lui. II fut renverse du trone en 922 et mourut, au 15 chateau de Peronne, captif d'Heribert, comte de Vermandois. La famille d'Eudes; les dues des Francs. — La famille d'Eudes, au sein de laquelle s'etait main- tenu le titre de due des Francs, I'emporta de nou- 20 veau jusqu'en 936 avec Robert P^ (922-923), Raoul de Bourgogne (923-936). Mais le petit-fils d'Eu- des, Hugues, comte de Paris, due des Francs, et connu dans I'histoire sous le nom de Hugues le Grand, ne jugea pas encore venu le moment de de- 25 posseder tout a fait la famille de Charlemagne. II rappela lui-meme d'Angleterre ou on I'avait em- mene, le jeune fils de Charles le Simple, Louis IV, surnomme pour cette raison d'Outre-mer (936). Toutefois il entendait bien gouverner comme 30 avaient fait jadis les maires du palais. A la mort de Louis IV, Hugues ne chercha pas non plus a prendre une couronne qui ne pouvait tarder a echoir a sa famille; il reconnut Lothaire, 40 HISTOIRE DE FRANCE fils de Louis. II mourut lui-meme en 956, laissant trois fils, dont I'aine, Hugues Capet, recueillit, avec le comte de Paris, le titre de due des Francs. Lo- thaire (954-986) etait un prince actif qui ne put cependant secouer la tutelle de Hugues Capet. II s mourut en 986. Hugues Capet fit reconnaitre le jeune Louis V. Mais Louis V mourut, au bout d'un an, a la suite d'un accident de chasse. Les seigneurs alors, re- jetant les pretentions de son oncle, Charles de Lor- 10 raine, elurent pour roi Hugues Capet comte de Paris et due des Francs. Ce fut le chef d'une fa- ' mille qui devait regner durant huit siecles. LA FEODALITE . 4 1 CHAPITRE V LA FEODALITE Les seigneurs et les fiefs. — Hugues Capet pro- clame roi, en 987, n'avait regu qu'un vain titre: il n'etait rien, car tons les seigneurs etaient rois. Les seigneurs, c'etaient les anciens compagnons, les an- 5 ciens leudes du prince. Les rois francs avaient donne a leurs compagnons, pour les recompenser de leurs services, des chevaux, des armes, puis des terres, des forets, de vastes domaines. Ceux qui etaient ainsi recompenses devaient engager leur fidelite au roi, 10 leur foi. Les terres donnees ainsi s'appelerent les fiefs, et du mot feod nous avons fait feodal. La so- ciete fut appelee societe feodale, et nous nommons ce regime la feodalite. Celui qui recevait un fief s'agenouillait devant 15 son seigneur. II jurait d'etre son homme. Quel- ques-uns, trop fiers ou trop puissants, restaient de- bout en pretant serment. Le seigneur, a son tour, remettait a son homme une motte de gazon, un ra- meau d'arbre comme symbole de la terre que I'autre 20 reconnaissait devoir a sa generosite. S'il s'agissait d'un grand fief, duche ou comte, le symbole etait un etendard. Le vassal etait oblige de suivre son 42 HISTOIRE DE FRANCE suzerain a la guerre, de contribuer a sa ranqon s'il tombait aux mains de Tennemi, de I'assister quand il rendait la justice. Le suzerain, en retour, devait protection a son vassal et a sa famille. Le chateau. — Les seigneurs etaient cantomies 5 dans des chateaux; ces forteresses ne furent d'a- bord que des palissades entourees d'un fosse destine a defendre le pays contre les Normands. Aux pa- lissades les seigneurs substituerent des murs en pierre d'une epaisseur enorme. Les murs furent 10 f lanques de tours crenelees, et envelopperent souvent une vaste etendue de terrain, de vastes magasins, une ferme, quelquefois meme un bourg entier. Le seigneur se sentait fort dans son chateau. Au som- met de la plus haute tour veillait sans cesse le guet- 15 teiir. Sitot qu'il apercevait au loin une troupe suspecte, il sonnait une cloche. Les cors retentis- sants remplissaient de bruit les cours et les salles. Les guerriers se revetaient de leurs lourdes armures de fer. Les archers se plagaient derriere les ere- 20 neaux; le pont-levis etait releve, la herse abais- see. Si I'ennemi n'etait pas en grand nombre, le sei- gneur sortait a son tour avec ses hommes : il re- poussait ceux qui venaient envahir son domaine et 25 penetrait dans celui de son ennemi, brulant, pillant, rendant ravage pour ravage. L'hiver, il fallait vaincre I'ennui. C'est alors que la chatelaine organisait des fetes, des jeux, appelait des musiciens, ou menestrels. Un nain ou un etre 30 difforme, nomme le fou, avait mission d'exciter le rire par ses grimaces et ses bons mots. On se re- jouissait surtout lorsque arrivait au chateau un de LA FEODALITE 43 ces poetes appeles trouveres^ qui s'en allaient chan- tant les exploits de Charlemagne et de Roland. Au pied des chateaux se grouperent les maisons des hommes dependant du seigneur et cultivant les 5 terres. Ces maisons formerent les bourgs quand elles etaient pressees les unes contre les autres et en- ceintes d'une palissade ou d'un mur, et les villages, quand elles etaient eparses dans la campagne. Le seigneur possedait non seulement la terre, lo mais les gens qui travaillaient la terre. Les vilains devaient moissonner ses bles, rentrer ses foins, batir sa demeure, reparer ses chemins sans la moindre re- tribution : c'etait la corvee. Seul le seigneur pouvait chasser en tout temps 15 sans souci des recoltes : c'etait le droit de chasse. Seul il avait le privilege d'avoir des pigeons qui vivaient aux depens des champs d'alentour: c'etait le droit de colombier. Dans ses voyages, il se faisait heberger o\x il vou- 20 lait : c'etait le droit de gite. Les vilains ou roturiers, en acquittant ces droits, ces corvees, gardaient une certaine liberte. lis pou- vaient avoir une cabane, une terre, s'enrichir meme s'ils avaient affaire a des seigneurs doux et paci- 25 fiques. Au-dessous d'eux, les serfs, plus malheureux, fappelaient les esclaves antiques. C'etaient les des- cendants de prisonniers de guerre ou d'hommes re- duits en servitude pour certains crimes, parce qu'ils 30 n'avaient pu payer I'amende, ou de pauvres gens 1 Ces poetes etaient appeles trotiveres dans le Nord et trpu- l>adgurs dans le Midi, 44 HISTOIRE DE FRANCE qui s'etaient livres corps et biens, a cause de I'affreuse misere. D'autres, par piete ou par re- pentir, s'etaient declares serfs des eglises, des ab- bayes. Le serf etait comme la terre qu'il cultivait, la 5 propriete absolue de son maitre qui pouvait le don- ner, I'echanger ou le vendre, comme bon lui sem- blait. Les enfants d'un serf devenaient serfs en naissant. Si un homme libre epousait une femme serve, il tombait en servitude. Le seigneur pou- 10 vait separer le serf de sa femme, de ses enfants, echanger ces malheureuk comme un vil betail. LES CROISADES LA CHEVALERIE 45 CHAPITRE VI LES CROISADES — LA CHEVALERIE Les premiers Capetiens (987-1108). — Les pre- miers Capetiens ne purent remedier au desordre de la societe. C'est a peine s'ils etaient egaux aux autres seigneurs. Hugues Capet (987-996) 5 ecrivait a Adelbert, comte de Perigord, qui re- fusait d'obeir. « Qui t'a fait comte ? » L'autre re- pondit insolemment ((Qui t'a fait roi? )).^ ,^ . /. Jlo^^lAjSp^ fils Robert eut la piete d'un m(5me, non la fermete dun roi. Les guerres devinrent si nom- 10 breuses, les famines si affreuses, qu'on crut a une prediction qui annongait la fin du monde pour I'an 1000. Cette terreur augmenta la puissance et la richesse de Tfiglise a laquelle les seigneurs, pour obtenir le pardon de leur^ faiute|^ firent de grandes 15 generosites. L'figlise, clu reste, chercha a remedier au desordre affreux de la societe. Sous le regne^^^^^^j^. de Henri I^^^ ( 103 1- 1060), elle publia la Treve' de Dieu ( 104T ) . La guerre etait interdite du mercredi 4*»-y«^ soir au lundi matin de chaque semaine, durant le &A^eme et I'avent. Apres^ Henri Ijr regne Philippe I^^ (1060- 1 1 08), qui demeure presque tou jours ren- ferme dans ses chateaux ou occupe a combattre les vassaux de son domaine. Conquete de TAngleterre par les Normands.— 46 HISTOIRE DE FRANCE Guillaume, due de Normandie, etait le parent d'un roi saxon qui regnait sur I'Angleterre: il pretendit a son heritage. En 1066 il reunit autour de lui ses vassaux et appela une foule d'aventuriers, leur pro- mettant argent et domaines. Avec une flotte nom- 5 breuse, il traversa la Manche et aborda sur la cote meridionale de la grande ile. Le due ne vint a terre que le dernier de tons, il fit u.n faux pas et tomba sur la face. Un murmure s'eleva ; des voix crierent : « Dieu nous garde ! C'est mauvais signe.)) 10 Mais Guillaume, se relevant, dit aussitot : « Qu'avez- vous? Quelle chose vous etonne? J'ai saisi cette terre de mes mains et, par la splendeur de Dieu, tant qu'il y en a, elle est a vous.)) Les Saxons avaient elu pour roi Harald auquel 15 on conseillait d'eviter le combat et de faire retraite vers Londres en ravageant tout le pays pour affa- mer les etrangers. « Moi, repondit Harald, que je ravage le pays qui m'a ete donne en garde ! Par ma foi, ce serait trahison et je dois plutot tenter les 20 chances de la bataille avec le peu d'hommes que j'ai, mon courage et ma bonne cause.)) L'armee de Guillaume se trouva bientot, a Has- tings, en vue du camp saxon qui etait assis sur une longue chaine de collines et fortifie par un rempart 25 de pieux et de claies d'osier. Un Normand, appele Taillefer, poussa son cheval en avant du front de bataille et entonna le chant, fameux dans toute la Gaule, de Charlemagne et de Roland. En chantant, il jouait avec son epee, la langait en Tair avec force 30 et la recevait dans sa main droite. Les Normands repetaient ses refrains et criaient : « Dieu aide ! Dieu aide! » ■ .. - LES CROISADES — LA CHEVALERIE 47 La bataille fut vive et acharnee, mais les Saxons, ayant commis rimprudence de quitter leurs re- tranchements, furent vaincus. Harald perit au milieu de la melee; beaucoup de Saxons ne vou- 5 lurent point survivre a ce desastre et se defendirent jusqu'a la mort. Guillaume, maitre du pays, y fixa les Normands et partagea les terres entre ses sol- dats. La langue frangaise se parla au dela de la Manche, et la langue anglaise en a retenu quantite lo de mots et d'expressions. La premiere croisade (1095-1099). — On vit bientot des expeditions autrement grandes et fa- meuses. La Palestine avec Jerusalem etait devenue la proie des Arabes musulmans, puis des Turco- 15 mans/ bien plus farouches. ^vv-"'" ' ^-'^'' ' '^ Or les Chretiens allaient en grand -nombre visiter Jerusalem et les lieux saints. C'etait le pelerinage, comme on disait. Les chretiens qui accomplissaient ce pelerinage furent exposes a de violents outrages. 20 Un pelerin frangais, Pierre I'Ermite, vint raconter aux peuples de I'Europe ces persecutions, les ex- citant a la guerre sainte. Pierre I'Ermite s'appelait de son vrai nom Pierre d'Acheres (des environs d'Amiens). II avait ete guerrier, puis s'etait fait 25 ermite, d'ou son surnom de Pierre I'Ermite. Ayant fait le pelerinage de la Terre Sainte, il fut vivement emu des souffrances des chretiens d'Orient et vint les raconter au pape Urbain IL Encourage par lui, Pierre I'Ermite traversa I'ltalie, puis la France. 30 Monte sur une mule, un crucifix a la main, les pieds 1 7wr<:t7wa«j, peuple venu de la contree appelee aujourdliui le Turkestan. 48 HISTOIRE DE FRANCE nus, portant une pauvre robe attachee par une grosse corde, il precha la guerre contre les infideles et appela les chretiens a la delivrance du tombeau du Christ. Le pape Urbain II, Fran9ais de naissance, con- 5 voqua a Clermont en Auvergne un concile ou, avec les prelats, affluerent les seigneurs et une multitude de peuple. Pierre I'Ermite raconta de nouveau les malheurs des chretiens de la Palestine. Le pape exhorta les Francs a cesser leurs guerres et a mettre 10 leur bravoure au service de la religion. Tons re- pondirent par un meme cri : « Dieu le veut ! Dieu le veut! » (1095). Nobles et vilains firent voeu de partir pour la guerre sainte; comme signe de ce voeu, ils attacherent a leur epaule une croix d'etoffe 15 rouge : ce qui leur fit donner le nom de Croises, et a Texpedition le nom de Croisade. Tout le monde voulait partir pour la croisade. Les pauvres gens entassaient dans des charrettes tout ce qu'ils avaient. Les premiers prets, ils se mirent en route sous la 20 conduite de Pierre I'Ermite et de Gauthier sans Avoir. A la vue de chaque ville nouvelle, les femmes et les enfants, dans leur simplicite, de- mandaient: « Est-ce done la Jerusalem?)) Cette foule traversa I'AUemagne en pillant pour vivre 25 et arriva decimee en Asie, ou elle fut extermi- nee. ^ L'armee des seigneurs ne s'ebranla qu'apres de longs preparatifs. Elle formait une masse de cent mille chevaliers, six cent mille fantassins (1096), 30 et avait a sa tete des chefs experimentes a la tete desquels on distinguait Godefroy de Bouillon, Ray- mond de Toulouse, Hugues de France, Btienne de LES CROISADES — LA CHEVALERIE 49 Blois, le Normand Bohemond, prince de Tarente (en Italie) et son cousin Tancrede. Apres deux batailles sanglantes, les Turcs se con- tenterent de harceler par leur cavalerie legere les 5 lourds chevaliers ; ils laisserent combattre pour eux la faim, la misere, I'intemperie des vents, I'ardeur brulante du soleil. Jusqu'en Syrie, chaque pas fut marque par des cadavres. La se trouvait la puis- sante et riche Antioche. Les croises, epuises et 10 quoique reduits de moitie, etaient encore au nombre de 300,000 hommes. II fut impossible de nourrir ces masses pendant un siege qui dura sept mois: la famine etait affreuse. Les intrigues de Thabile Normand Bohemond parvinrent cependant a rendre 15 les Chretiens maitres de la ville, ou ils trouverent, apres une abondance de quelques jours, la disette et I'epidemie. Pour comble de maux, arrivait une grande armee turque. Un instant le decouragement fut extreme. 20 Tout a coup I'enthousiasme succede a cette torpeur : le bruit s'est repandu qu'un pretre de Marseille vient de trouver en terre la lance qui avait perce le cote du Christ ; alors ces malheureux, qui n'atten- daient plus que la mort, maintenant pleins de force 25 et de courage, se precipitent sur les Turcs, qu'ils mettent en pleine deroute (1098). D'Antioche, I'armee s'avance lentement sur Jeru- salem. Tout a coup, au re vers d'une col line de sable rougeatre et sans verdure, elle s'arrete. A 30 quelque distance s'elevait une ligne de remparts, des portes, des tours, des temples, des edifices. Le meme cri Jerusalem ! sortit de toutes les bouches pousse par soixante mille personnes qui seules sur- $b HISTOIRE DE FRANCE vivaient a ces trois annees d'epreuves (1099). Les croises ne purent maitriser leur enthousiasme et marcherent a I'assaut, mais ils furent repousses et durent se resigner a faire un siege regulier. Au bout de cinq semaines ils etaient en mesure de tenter 5 une attaque mieux concertee. Ils firent rouler au pied des murailles de liautes tours surmontees de ponts-levis qui s'abattaient sur les parapets. Pen- dant deux jours on combattit avec une egale fureur. Vers le milieu de la seconde journee (un vendredi, 10 le 14 juillet 1099) les croises reussirent a penetrer dans la ville, et un horrible carnage suivit la vic- toire. Les croises s'accorderent a choisir, pour garder et gouverner le nouveau royaume chretien, Gode- 15 froy de Bouillon, qui, loin de s'en montrer plus fier, n'en fut que plus humble. II ne voulut pas prendre le titre de roi, mais celui de defenseur du saint sepulcre. II dit : « qii'il ne voulait pas porter une couronne d'or la ou le roi des rois avait porte une 20 couronne d'epines.)) Les deputes d'une peuplade etant venus lui parler le trouverent assis sur un sac de paille ; ils s'en etonnerent. « La terre, leur dit-il, doit etre le siege des hommes pendant leur vie, puisqu'elle leur sert de sepulture apres leur 25 mort.)) Louis VI. — La croisade avait amene I'eloigne- ment et la mort d'un grand nombre de seigneurs ; les efforts des villes qui cherchaient a obtenir des chartes de commune, embarrassaient les autres. Get 30 affaiblissement des seigneurs profita au roi de France qui n'avait pas bouge de ses chateaux. Le fils de Philippe 1% Louis VI (1108-1137), LES CROiSADES — LA CHEVALERIE 5 1 surnomme le Gros, mais plus justement appele I'j&veille, releva I'autorite royale. Modele des cheva- liers, toujours pret a defendre le pauvre et Tor- phelin, il fit, durant son regne de vingt-neuf ans, 5 une guerre sans merci aux seigneurs pillards que les auteurs du temps comparent a des loups de- vorants. Louis VII (1137-1180). — Le roi Louis VII fut un prince moins habile que son pere. II fit une 10 guerre contre le comte de Champagne. Dans cette guerre, I'eglise de Vitry fut brulee et treize cents personnes perirent (1142). Louis VII, alors plein de repentir, voulut diriger une expedition en Terre Sainte. Ce fut la deuxieme croisade, que precha 15 saint Bernard, mais elle n'eut pas de brillants resul- tats. Louis VII avait epouse une riche heritiere, Eleo- nore d'Aquitaine. Mais, apres la croisade, il la repudia. Le roi perdit ainsi la dot que la reine lui 20 avait apportee, les plus belles provinces du Centre et du Midi, plus de treize de nos departements. Eleonore epousa Henri Plantagenet,^ comte d'Anjou, heritier de la Normandie et, quelques an- nees apres, roi d'Angleterre, sous le nom de Henri 25 II. Une grande partie de la France (equivalant a vingt et un de nos departements) appartint alors aux rois anglais. Philippe Auguste (1180-1223). — Le fils que Louis VII, apres son divorce avec Eleonore, avait 30 eu d'un autre manage, Philippe, devait meriter le ^ Plaiitagenet, appele ainsi parce que son pere portait une branche de genet a son chapeau. 52 HISTOIRE DE FRANCE surnom d'Auguste. Arrive au trone a I'age de quinze ans (en 1180), il sut resister aux barons in- dociles comme au roi d'Angleterre, organiser ses domaines, et il compte parmi les plus grands rois. Philippe fit la guerre au roi d'Angleterre, Henri II, 5 et soutint ses fils revokes contre lui. L'un d'eux, Richard, etait meme devenu I'ami de Philippe, man- geait a sa table et combattait avec lui contre le roi Henri. Celui-ci etant mort en 1189, Richard lui succeda. D'abord rien ne parut change. Philippe 10 et Richard resterent amis. Le royaume de Jerusalem venait d'etre detruit. La ville sainte avait du se rendre au sultan Saladin (1187). Guillaume, archeveque de Tyr, vint ra- conter en Europe les malheurs de la Palestine. Phi- 15 lippe Auguste partit pour la troisieme croisade et Richard promit de le suivre (1190). En Palestine, les croises assiegerent et prirent Ptolemais. Mais les deux amis se brouillerent. Richard, querelleur, hautain, ne tarda pas a blesser Philippe, plus calme, 20 plus avise. Philippe, en prince prudent, se hata de revenir dans son royaume (1192). Richard Coeur de Lion. — Richard etait demeure longtemps en Asie a batailler contre les Sarrasins. II revenait toujours de la melee herisse de fleches, 25 (( semblable a une pelote couverte d'aiguilles.)) Longtemps les musulmans parlerent de ses exploits. Lorsqu'un cheval, effraye par quelque buisson, se cabrait, son maitre lui disait : « Crois-tu done que ce soit I'ombre du roi Richard ? » Le roi anglais 30 ne put neanmoins reprendre Jerusalem. II quitta la Terre Sainte apres avoir conclu un traite avec Saladin. Richard, au retour de la Palestine, fut LES CROISADES — LA CHEVALERIE S3 oblige de traverser le duche d'Autriche, dont il avait, a la croisade, insulte le souverain. Reconnu, arrete, livre a T'empereur d'AUemagne, Henri VI, il subit quatorze mois de captivite. 5 Selon la legende, un fidele trouvere, Blondel, de- couvrit sa prison en chantant pres de sa tour ses airs favoris. Les barons et le peuple anglais rache- terent leur roi au prix de 150,000 marcs d'argent (1194). Devenue libre, Richard voulut se venger 10 du roi de France. Une guerre de cinq ans n'aboutit qu'a d'inutiles ravages. Incapable de repos et tou- jours avide de gain, Richard courut dans le Limou- sin assieger le chateau de Chains, dont le seigneur, disait-on, cachait un tresor : il perit frappe d'une 15 fleche (1199), et son frere Jean se fit reconnaitre roi d'Angleterre. Jean, homme a la fois lache et cruel, poignarde son neveu Arthur qu'on voulait lui opposer. Phi- lippe profite de I'indignation soulevee par ce crime 20 pour citer son vassal homicide devant les seigneurs de sa cour (1203). Jean se garde bien de paraitre. La cour prononce la confiscation des provinces qu'il tenait, en fief, du roi de France, et Philippe a bien- tot mis la main sur la Normandie, I'Anjou, la Tou- 25 raine, le Poitou. Jean ne voulut pas meme se de- ranger d'une partie d'echecs pour repondre aux habitants de Rouen qui venaient le prier de les secourir. Puis regrettant ses belles provinces, il appela I'empereur d'AUemagne, Otton IV, pour 30 I'aider a reprendre les pays qu'il n'avait pas su de- fendre. Les comtes de Flandre et de Boulogne en- trerent dans la ligue, voulant arreter les progres de la royaute fran9aise qui cherchait a ressaisir, a reu- 54 HISTOIRE DE FRANCE nir ses domaines epars. Mais le plus grand nombre des seigneurs, avec les milices communales, se reu- nirent autour de Philippe Auguste qui marcha au- devant de Tarmee ennemie, composee de Flamands, d'Allemands et d' Anglais. 5 La bataille de Bouvines. — A mi-chemin de Tournai a Lille, en Flandre, se trouve le village de Bouvines. La petite riviere de la Marque coule pres de la et on la franchissait sur un pont rustique. Philippe faisait passer cette riviere a ses troupes; lo une partie des milices communales Tavait deja fran- chie; le roi fatigue et accable par la chaleur (c'etait le 27 juillet 1214), se reposait sous I'ombre d'un frene, pres d'une chapelle, lorsque Ton annonga que I'ennemi approchait. Aussitot le roi se leva, entra 15 dans I'eglise et, apres une courte priere, il se fit ar- mer et monta a cheval d'un air tout joyeux comme s'il eiit ete convie a une noce ou a quelque fete. On criait de toutes parts dans la plaine : Aux armes, barons ! aux armes ! les trompettes sonnaient et les 20 corps de bataille qui avaient deja passe le pont re- tournaient en arriere. A midi on vit deboucher toute Tarmee des coali- ses. L'empereur Otton avec le comte de Flandre, Fernand, et le comte de Boulogne commandaient les 25 principaux corps des allies : au centre de leur armee on voyait un char traine par quatre chevaux ou se dressaient les armes imperiales ; « I'aigle d'or tenait dans sa serre un enorme dragon dont la gueule beante, tournee vers les Frangais, paraissait vouloir 30 tout avaler,)) dit un chroniqueur. Pour Philippe, il etait venu se placer au premier rang et n'avait pas meme, dans son impatience; attendu Voriflamme^ LES CROISADES LA CHEVALERIE 55 banniere que les rois de France partant en guerre allaient prendre a I'abbaye de Saint-Denis. Le combat fut d'abord acharne du cote des Fla- mands. Mais le comte de Flandre, Fernand, est 5 blesse et pris ; de ce cote, la victoire est bientot assuree. Au centre, Philippe Auguste avait couru un grand danger. Les Allemands avaient penetre jusqu'a lui et 1 'avaient renverse de cheval au moyen de leurs hallebardes. Un seigneur est presque seul 10 a le proteger, frappant d'une main et elevant de I'autre la banniere royale en signe de detresse. Les chevaliers accourent. Philippe est delivre. Otton, enveloppe a son tour, faillit bien aussi etre pris ou - tue. Son cheval est blesse, se cabre, se degage et 15 degage en meme temps son maitre, qui s'enfuit au plus vite hors de la melee. Le char imperial d'Otton fut brise en mille pieces. Les Anglais furent les derniers rompus, mais le comte de Boulogne, qui les commandait, fut pris. De toutes parts la vic- 20 toire etait complete. Le retour de Philippe Auguste fut un vrai triomphe. A Paris, les bourgeois et la multitude des ecoliers firent une fete sans egale ; le jour ne suffisant pas, ils festoyerent la nuit avec de nom- 25 breuses lumieres. Le peuple sentait I'importance de cette victoire sur les etrangers : c'etait la pre- miere victoire nationale. ^ Saint Louis. — Philippe Auguste mourut en 1223, laissant un royaume agrandi et surtout bien 30 administre, car il fut un prince legislateur aussi bien que guerrier. Son fils Louis VIII, prince brave et surnomme Coeur de Lion, regna peu, mais reussit a pacifier le Midi; ou les seigneurs du Nord avaient 56 HISTOIRE DE FRANCE fait contre les Albigeois, qu'on accusait d'heresie, une croisade terrible et sanglante. La royaute re- cueillit les fruits de cette sinistre expedition sans s'y compromettre, et le Languedoc fut des lors rat- tache aux domaines de la couronne. Louis VIII 5 laissa plusieurs enfants dont I'aine n'avait que douze ans (1226). La reine Blanche de Castille prit en mains la regence ; pieuse et charitable, Blanche n'en etait pas moins d'une rare fermete ; elle con jura tous les perils, triompha d'une ligue que les seigneurs 10 avaient formee contre la royaute, et livra un pou- voir af fermi a son fils Louis IX que ses belles legons avaient orne de toutes les qualites et de toutes les vertus. Blanche de Castille avait surtout rendu le plus 15 grand service a son fils en veillant avec une extreme sollicitude a son education. Elle I'elevait comme un enfant appele a gouverner un grand royaume et le nourrit dans les sentiments de la plus austere piete, lui mettant devant les yeux bons exemples 20 et bons enseignements. Louis rappelait plus tard que sa mere lui avait fait entendre qu'elle aimerait mieux le voir mort que le voir commettre un seul peche mortel. Meme quand il allait, pour se recreer, en bois ou 25 en riviere, il etait tou jours accompagne de son maitre, qui ne cessait de I'instruire. Aussi devint-il un prince savant pour son temps, et, comme il in- clinait naturellement aux vertus que sa mere s'ap- pliquait a lui faire aimer, il ne cessa de les pratiquer 30 sur le trone. La croisade d^Egypte. — Louis IX, en 1244, tom- ba gravement malade, II fit voeu alors, s'il gueris- LES CROISADES LA CHEVALERIE 57 sait, d'aller en Terre Sainte. Ce fut la septieme croisade. L'expedition fut dirigee coiitre I'figypte, parce que le sultan de ce pays s'etait empare de Jerusalem. L'armee debarqua devant Damiette en 5 %ypte (1249). Louis IX, impatient, se jeta, I'epee au poing, dans la mer pour aller attaquer les Sar- rasins ranges sur le rivage. Les Sarrasins s'en- fuirent; la ville fut prise. L'annee suivante, la peste envahit l'armee, et il 10 fallut songer a la retraite. Mais les musulmans envelopperent les Fran^ais, qui furent obliges de se rendre. Les malheurs de ces expeditions mirent dans tout son relief la fermete et la patience de Louis IX. 15 Malade lui-meme et pouvant a peine se soutenir, il avait voulu neanmoins demeurer a I'arriere-garde. Prisonnier, il montra une serenite inalterable. Le sultan demanda, pour la rangon de Louis IX, Damiette et un million de pieces d or. Louis repon- 20 dit qu'il rendrait Damiette pour sa rangon et payerait pour celle de ses gens le million de pieces : car « un roi de France, dit-il, ne devait point se racheter a prix d'argent.)) Mais quelques jours apres, le sul- tan etait egorge par les emirs. Louis IX fut en 25 peril. Un emir furieux se presenta a lui, tenant a la main un glaiye ensanglante : a Que me donneras- tu, dit^il, pour avoir tue ton ennemi qui t'eut fait mourir s'il eut vecu ? » Louis ne repondit point. On dit meme que les emirs, pleins d'admiration 30 pour sa noblesse d ame, songerent un moment a le prendre pour roi. Enfin ils le delivrerent, lui et l'armee. Un seigneur vint dire joyeusement qu'en pesant I'or de la rangon on avait fait tort aux Sar- 58 HISTOIRE DE FRANCE rasins de dix mille livres. Le roi se facha et or- donna de les rendre. ^ , Louis ne veut pas encore rentrer en Europe ; il va en Syrie fortifier les derniers boulevards des Chre- tiens, Cesaree, Ascalon, Saint-Jean-d'Acre. ir y 5 resta meme pres de deux ans apres la mort de sa mere Blanche de Castille, dont I'administration vigi- lante avait conserve la paix au royaume. Un epi- sode du retour acheve de faire connaitre saint Louis. En vue de Chypre, son vaisseau qui a heurte un 10 ecueil est sur le point de sombrer ; on supplie instam- ment le roi de passer sur un autre vaisseau, avec sa femme Marguerite de Provence, qui I'a suivi dans sa terrible expedition. « Non, dit le roi, si je quitte ce navire le pilote en prendra moins de soin, et cinq 15 cents personnes qui aiment autant leur vie que moi la mienne, periront; j'aime mieux mettre mon corps, ma femme et mes enfants en la main de Dieu que de faire si grand dommage a tant de gens.)) 20 Louis IX etait la charite meme. Comme les seigneurs murmuraient de voir tant d'argent em- ploye en charites, le roi dit : « J'aime mieux que I'exces de mes depenses soit fait en aumones pour I'amour de Dieu, qu'en luxe ou en vaine gloire de 25 ce monde.)) On le voyait reunir deux cents, trois cents pauvres autour de lui et leur distribuer de 1 'argent. Une fois, a I'entree d'une ville, une pauvre vieille femme qui etait a la porte de sa maisonnette, dit au roi en lui montrant un pain qu'elle tenait en 30 sa main : « Bon roi, de ce pain qui est de ton au- mone est soutenu mon mari qui est malade.)) Alors le roi prit le pain en sa main, et dit : « C'est d'assez LES CROISADES — LA CHEVALERIE 59 dur pain,)) et il entra dans la maison pour visiter le malade. Un jour, on le vit, a Compiegne, servir cent trente-quatre malades de sa personne. II ne crai- S gnait pas d'approcher des lepreux, et de les secourir, de leur donner lui-meme a manger. Le pieux roi fonda la maison des aveugles de Paris, appelee les Quinze-Vingts, parce qu'elle etait destinee a trois cents aveugles (quinze fois vingt). 10 La huitieme croisade. — Louis IX ne pouvait- se -^ consoler de Tissue malheureuse de sa premiere croi- sade. Affaibli par I'age et les austerites, il voulut en entreprendre une nouvelle : ce f ut la huitieme et derniere croisade. 15 La flotte fran<;aise se dirigea du cote de I'Afrique. A peine debarque sur le rivage de Tunis, pres de I'ancienne Carthage, Louis IX fut atteint avec une grande partie' de ses soldats par la peste. II voulut, sentant sa derniere heure approcher, et pour donner 20 encore un exemple d'humilite, qu'on le couchat sur un lit de cendres. Les dernieres paroles qu'il adressa a son fils sont le plus beau testament royal : « Beau fils, dit-il, aie le coeur doux et compatissant aux pauvres : ne mets pas de trop grands impots 25 sur ton peuple, si ce n'est par necessite, pour ton royaume defendre. Fais justice et droiture a cha- cun, taht au pauvre qu'au riche.)) Le pieux roi montrait la plus sereine resignation au milieu de ses souffrances. II rendit Tame le 30 25 aout 1270 au milieu de la desolation generale. Au meme moment, on entendit le son de joyeuses trompettes. C'etait le frere de saint Louis, Charles d'Anjou, roi de Naples et de Sicile, qui annongait 6o HISTOIRE DE FRANCE son arrivee. Charles ne put que recueillir et ra- mener les debris de Tarmee. Aujourd'hui le drapeau frangais flotte sur cette plage de Tunis illustree par la mort de saint Louis. '' Philippe le Hardi (1270-1285). — Le fils de saint 5 Louis, Philippe le Hardi, fut un prince sage et pieux, mais ne justifia nullement durant son regne de quinze ans le surnom de Hardi qu'on lui avait donne sur la plage de Tunis. Le seul resultat important de son regne fut la reunion du comte de Toulouse 10 a la couronne apres la mort d'Alphonse de Poitiers, comte de Toulouse (1270), oncle de Philippe, qui avait epouse I'heritiere de cette riche province. Cette reunion, accomplie en execution du traite de Meaux de 1229, achevait de joindre la France du 15 midi a celle du nord. \Jn frere de saint Louis, Charles d'Anjou, etait devenu roi de Naples et de Sicile. Mais la tyrannic des Fran(;ais amena un soulevement en Sicile et un affreux massacre des Frangais, a Palerme, le lundi 20 de Paques 1282, a I'heure des vepres. De la, le nom de vepres siciliennes donne a ce massacre que Phi- lippe le Hardi voulut venger en faisant la guerre au roi d'Aragon, qui avait soutenu les Siciliens. Cette expedition (1248) fut sterile et Philippe mou- 25 rut au retour (1285), a Perpignan. PHILIPPE LE BEL ET SES FILS 6 1 CHAPITRE VII PHILIPPE LE BEL ET SES FILS — LES VALOIS — GUERRE DE CENT ANS Philippe le Bel (1285-1314). — Philippe le Bel fut en tout I'oppose de son aieul samt Louis. Au- tant I'un avait aime la justice et la paix; autant I'autre chercha le succes par une politique deloyale 5 et guerriere. Tous deux poursuivaient le meme but : fortifier Tautorite royale. Saint Louis y reus- sit naturellement, par la sagesse de son administra- tion et le prestige de ses vertus. Philippe le Bel se vit sur le point d'echouer par suite de ses violences. 10 Philippe avait d'abord enleve la Guyenne a fidou- ard I^"^ d'Angleterre ; mais il fut force de la lui rendre en 1299 et crut bien faire en mariant sa fille Isabelle au fils d'fidouard. Ce mariage devait etre plus tard la cause des pretentions des rois d'Angle- 15 terre a la couronne de France. Toujours a court d'argent, Philippe le Bel ne ces- sait d'en demander au clerge et le pape protestait. Boniface VIII, d'ailleurs, renouvelant les traditions de plusieurs papes celebres, surtout de Gregoire 20 VII, pretendait regenter les rois. La querelle devint si vive que Boniface appela le clerge franqais a Rome afin de travailler avec lui a la correction du roi et du gouvernement de la France. Philippe 62 HISTOIRE DE FRANCE chercha contre le pape un appiii dans la nation. II convoqua, pour la premiere fois, avec les nobles et le clerge, les deputes des villes qui formaient ainsi le troisieme ordre ou tiers etat. C'est ce qu'on ap- pelle la reunion des Trois Etats ou Etats generaux. 5 La lutte devint si vive que le pape voulait deposer le roi. Mais Philippe envoya un de ses legistes en Italie, Guillaume de Nogaret, qui se rendit maitre de la personne du pape. Boniface VIII, outrage, mourut de douleur (1303), et Philippe fit arriver 10 au trone pontifical Clement V, qui transporta le Saint-Siege a Avignon en France. Les fils de Philippe le Bel (1314-1328), — Les trois fils de Philippe le Bel regnerent et moururent Tun apres I'autre dans I'espace de quatorze ans 15 (13 14- 1 328). Louis X le Hutin ou le Querelleur sacrifia d'abord aux vengeances des seigneurs un des ministres de son pere, Enguerrand de Marigny. Puis il affranchit les serfs du domaine royal. II ne laissait point de fils et, en vertu de la loi salique, 20 Philippe, frere de Louis X, lui succeda. Philippe V (1316-1322) rendit de sages ordonnances, mais lui- meme n'eut que des filles, qui furent ecartees du trone. Le frere de Philippe, Charles IV, mourut egalement sans laisser de fils, et la ligne des Cape- 25 tiens directs s'eteignit (1328). Philippe VI de Valois (1328-1350); la guerre de Cent Ans. — Le roi d'Angleterre, fidouard III, petit- fils de Philippe le Bel par sa mere Isabelle, recla- mait la couronne de France. Mais on avait deja 30 applique deux fois la loi salique, et les barons fran- gais ne voulaient point y renoncer au moment oil elle devenait une garantie pour la nationalite fran- GUERRE DE CENT ANS 63 ^aise. lis lie voulaient point d'un roi anglais. Aussi choisirent-ils pour roi un prince franqais, Philippe de Valois, qui descendait de Charles de Valois, frere de Philippe le Bel. Cette famille etait 5 done une branche collaterale des Capetiens. L'a- venement de Philippe de Valois, ravivant I'ancienne rivalite de la France et de I'Angleterre, fut la cause d'une guerre acharnee qui, sauf quelques intervalles, devait durer cent ans. 10 Bataille de Crecy. — En 1346, fidouard III en- vahit et pilla la Normandie. Les barons de France accoururent en si grand nombre sous la banniere de Philippe, que les Anglais, forces de se replier, se trouverent dans une situation dangereuse. fidouard 15 III, avec le sang-froid qui caracterisait deja les An- glais, s'arreta pres du village de Crecy, prit position sur une colline et fit faire un grand pare avec les charrettes de I'armee. Ses archers se placerent, les * uns sur les chariots, les autres dessous, cherchant a 20 se bien couvrir. Cependant, le roi de France, parti d'Abbeville, chevauchait, bannieres deployees, au milieu d'une foule de seigneurs montes sur de beaux chevaux et richement pares. lis arrivaient confusement, pleins 25 d'orgueil, se disputant a qui le premier verrait Tennemi. Les archers genois places en avant se plaignent de ne pouvoir se servir de leurs arcs dont les cordes sont humides; Philippe ordonne a ses gens d'armes de tuer cette canaille qui lui barre le 30 chemin ; le desordre se met dans I'armee f rangaise ; les archers anglais, qui ont abrite leurs arcs, tirent a coup sur dans cette melee. Tout a coup un bruit terrible eclate, on eut cru 64 HISTOIRE DE FRANCE entendre le tonnerre : c'etait Tartillerie, dont les An- glais se servaient pour la premiere fois dans une bataille et qui fit plus de peur que de mal. fidouard, du haut d'un moulin qu'on montre encore a Crecy, voyait les seigneurs frangais arriver tout desordon- , 5 nes, entremeles, s'etouffer les uns les autres ou perir ' sous les fleches de ses archers, sous les coups des haches et des epees de ses hommes d'armes. Plus de 30,000 soldats, 1200 chevaliers, 80 sei- gneurs, II princes et un roi resterent sur le champ 10 de bataille. C'etait le vieux roi de Boheme Jean de Luxembourg, qui, aveugle, avait lie son cheval a celui de deux chevaliers et etait alle perir au plus epais de la melee en donnant un dernier coup de lance. On eut pu dire que tons dans cette armee 15 allaient en aveugles comme le roi Jean, lies les uns aux autres par un faux point d'honneur. C'etait le 26 aout 1346. Le soir, un petit groupe de chevaliers harasses se presente devant le chateau de Broye. Les ponts etaient deja releves, les portes 20 fermees. « Qui etes-vous ? demanda le chatelain. — Ouvrez, ouvrez, repondit le chef de la troupe, c'est I'infortune roi de France.)) C'etait Philippe, en effet, qu'on avait difficilement eloigne du champ de bataille; quelques seigneurs a peine I'accompa- 25 gnaient, restes de la brillante noblesse qui I'entourait le matin. Prise de Calais ; devouement d'Eustache de Saint- Pierre. — Le vainqueur alia aussitot mettre le siege devant Calais ; il y fut retenu plus de dix mois, mais 30 il detestait les habitants de cette ville, qui par leurs courses sur mer avaient cause de grands dommages au commerce anglais. Pour montrer sa ferme reso- GUERRE DE CENT ANS 65 lution de s emparer de la place, il traqa autour d'elle, non plus seulement un camp, mais une veritable ville. Philippe VI essaya en vain de secourir Calais ; il ne put approcher, et I'lieroique gouverneur Jean 5 de Vienne dut en fin capituler (1347). ]&douard III voulait d'abord que la ville se rendit a discretion; il exigea ensuite que six bourgeois vinssent lui apporter les clefs de la place. La deso- lation fut grande dans Calais. Alors Eustache de 10 Saint-Pierre se devoua avec cinq autres bourgeois; ils allerent pieds nus, la corde au cou, presenter an roi anglais les clefs de la ville. Celui-ci ordonna aussitot de faire venir le bourreau. Les seigneurs intercedaient inutilement en faveur de ces malheu- 15 reux. Le roi n'ecouta rien et repeta son ordre cruel. La reine alia se jeter aux pieds d'fidouard, le sup- pliant d'avoir pitie de ces hommes. « Le roi atten- dit un peu, dit I'historien du temps, Froissart, et regarda la bonne dame sa femme qui pleurait a 20 genoux ; le coeur lui mollit et il dit : « Vous me priez tant que je ne vous ose refuser, et quoique je le fasse avec peine, je vous les donne.)) La reine fit lever les six bourgeois, les fit revetir et donner a diner et reconduire dans la ville. 25 ifidouard chassa tons les habitants de Calais et re- peupla la ville avec des families anglaises. Jean II le Bon (1350-1364). — Le fils de Phi- lippe, Jean, qui lui succeda en 1350, et que bien a tort on a surnomme le Bon, etait un prince violent, 30 temeraire et prodigue. II recommenga la guerre contre les Anglais et s'attira une defaite plus hon- teuse encore, plus desastreuse que la defaite de Crecy. En 1356, le prince de Galles, fils d'fidouard 66 HISTOIRE DE FRANCE III, et surnomme le prince Noir, a cause de son ar- mure, descendit en Guyenne, ravagea le riche Lan- guedoc, le Limousin, le Berry, et s'avanga sur la Loire. Le roi Jean marcha contre lui, le depassa et lui 5 coupa la retraite. Le prince de Galles se trouva presque bloque pres de Poitiers. II s'etait retran- che, comme son pere a Crecy, sur une colline ; mais presse par la famine, il negociait. Les chevaliers frauQais demanderent le combat, et la bataille s'en- 10 gagea precipitamment. Le premier corps s'elan9a, sans etre soutenu, dans un chemin creux, seule route qui menat aux Anglais ; les archers, postes a droite et a gauche, le criblerent de fleches et le mirent en deroute. Le second corps arriva trop tard et fut 15 culbute a son tour. « La bataille est a nous,)) dit un des meilleurs capitaines anglais, Jean Chandos, au prince de Galles ; et fondant a bride abattue, avec toutes les forces anglaises, sur le troisieme corps fran^ais, il le dispersa. 20 Restait la division du roi Jean. Celui-ci, croyant bien faire en imitant mal les Anglais, commanda a ses chevaliers de mettre pied a terre : autour de lui se forme un bataillon 1:arre qui revolt vigoureuse- ment les charges de la cavalerie ennemie. Mais 25 ces lourds chevaliers, revetus d'armures de fer, n'e- taient pas hommes a soutenir longtemps un combat a pied : Tinfanterie anglaise, plus agile, arriva a son tour. Les Frangais furent rompus. Le roi Jean avait a cote de lui son plus jeune fils, Philippe, il 3° veut I'eloigner. L'enfant obeit d'abord et monte a cheval ; mais il revient presque aussitot, et, ne pou- vant frapper comme son pere, il s'abritait derriere GUERRE DE CENT ANS 67 lui en criant : « Pere, gardez-vous a droite ! pere, gardez-vous a gauche ! » Ce combat hero'ique ne pouvait durer. Jean, blesse, entoure d un cercle d'enneniis, fut oblige de se rendre. Une foule de 5 comtes et de barons furent, avec lui, emmenes pri- sonniers en Angleterre. Le roi Jean fut delivre moyennant une rangon de trois millions d ecus d'or qui vaudraient aujourd'hui deux cent cinquante millions de notre monnaie. II 10 donna comnie otages deux de ses fils et plusieurs seigneurs. Un de ses fils, le due d'Anjou, quitta Londres et refusa d'y retourner. Le roi Jean, qui n'avait pu encore payer sa rangon entiere, irrite de ce manque de foi, retourna se constituer lui-meme 15 prisonnier et mourut a Londres en 1364. Charles V le Sage ( 1 364-1 380). — Le fils de Jean le Bon, Charles, instruit par le malheur et qui a merite le beau nom de Sage, s'appliqua, par d'ha- biles mesures, a ramener I'ordre, la securite. II 20 n'aimait point les batailles, comme Jean et Philippe VI : on n'avait pas encore vu de prince aussi eloigne du gout des amies, aussi content de demeurer enfer- me dans ses chateaux avec de prudents conseillers et de savants livres. Mais il ne cessait de veiller sur 25 le royaume, de preparer les moyens de le delivrer et sut choisir un vaillant guerrier qui fut son bras droit, Bertrand Du Guesclin. Bertrand Du Guesclin. — C'etait un chevalier breton ne en 1321. II avait conquis une grande 30 renommee dans la guerre qui se prolongeait en Bretagne entre les partisans de Jean de Montfort et ceux de Charles de Blois. Ce qui le distinguait des anciens chevaliers, c'est 68 HISTOIRE DE FRANCE qu'a la bravoure il unissait I'intelligence et la ruse : il s'empara du chateau de Fougeray en y arrivant avec quelques hommes deguises en bucherons; aux sieges de Rennes, de Dinan, il se fit remarquer par son habilete a tendre des pieges aux ennemis, a les 5 surprendre. C'est le commencement de Tart de la guerre; cet art, Du Guesclin le developpa de plus en plus quand il fut passe au service du roi de P>ance. Le royaume regorgeait de gens de guerre qui 10 allaient, par compagnies, ravageant et pillant. C'etait une foule d'hommes de toutes nations, Alle- mands. Anglais, Flamands : sans patrie et sans fa- mille, ces hommes, habitues a vivre de rapines, etaient devenus les maitres du pays qu'ils foulaient 15 horriblement. Bertrand offrit au roi d'emmener toutes ces compagnies en Espagne faire la guerre au roi don Pedre le Cruel, qui venait de se souiller d'un crime abominable, le meurtre de sa femme, Blanche de Bourbon, soeur de la reine de France. 20 Mais don Pedre appela les Anglais a son secours : le prince Noir arriva. Les Frangais perdirent la bataille de Navarette, engagee malgre les avis de Du Guesclin, qui s'y conduisit avec son intrepidite habituelle et fut encore fait prisonnier. Le prince 25 Noir le garda longtemps et ne consentit qu'a grand'peine a le mettre a rangon (1367). Aussitot qu'il fut libre, Du Guesclin reparut en Espagne, battit a Montiel I'armee de don Pedre que les Anglais avaient abandonne, et fit le prince pri- 30 sonnier. Henri et don Pedre ne se furent pas plus tot aperqus qu'ils se precipiterent I'un contre I'autre ; tous deux rovilerent a terre. Henri parvint GUERRE DE CENT ANS 69 a egorger son frere et regna sans crainte comme sans remords. Henri demeura du moins un allie fidele a la France (1369). Charles V, ayant remis de Tordre dans ses finan- 5 ces, jngea le moment venu de recommencer la guerre, et provoqua le roi Edouard qui envahit de nouveau notre pays. Charles donna a Bertrand I'epee de connctahle que celui-ci se defendait d'ac- cepter: ((Cher sire, disait-il, je suis pauvre cheva- 10 Her d'humble origine, et Toff ice de connetable est si haut qu'il faut commander avec autorite et meme plutot aux grands qu'aux petits. Or, voici mes seigneurs vos freres, vos neveux, vos cousins : com- ment oserai-je leur commander?)) Le roi Ty obli- 15 gea, detruisant ses objections par ces paroles: (( Messire Bertrand, je n'ai ni frere, ni cousin, ni comte, ni baron en mon royaume qui ne vous obeisse.)) Les Anglais n'obtenaient plus les succes d'autre- 20 fois, Charles V avait adopte un nouveau systeme de guerre. Toutes les villes etaient fermees ; les Anglais tenaient la campagne, ravageant, briilant, sans emouvoir les Francais. Du Guesclin de son cote formait des camps re- 25 tranches, simulait des retraites, raffermissait la dis- cipline. Inventif en ruses de guerre, actif, infati- gable, il portait des coups imprevus aux Anglais : a Pontvallain, par une nuit de tempete, il vint fondre sur une de leurs armees et la dispersa. 30 Trois fois encore, en 1370, en 1373, en 1376 les Anglais recommencerent leurs invasions sans plus de succes. Obliges de repasser dans les pays qu'ils avaient deja ravages, ils trouvaient devant eux tou- 70 HISTOIRE DE FRANCE jours les memes villes bien gardees ; derriere eux, sur leiirs flancs, se tenaient les troupes de Du Gues- clin, promptes a profiter des occasions pour frapper un bon coup et a disparaitre. Les armees anglaises finirent par se retirer, semblables a ces inondations s qui ravageut les campagnes, puis les rendent aux laboureurs dont le travail repare les pertes. Du Guesclin fut surpris par la maladie au mo- ment oh il assiegeait Chateauneuf-Randon. Le gouverneur avait promis de rendre la place s'il n'e- lo tait pas secouru dans six jours. Le delai passe, le gouverneur, quoiqu'il eiit appris le peril de Du Guesclin, n'en voulut pas moins faire honneur a sa parole. II vint presenter au heros mourant les clefs de la place: a Voici, dit-il, les clefs de la ville 15 dont le roi d'Angleterre m'a confie la defense; je les rends au plus preux chevalier qui ait vecu de- puis cent ans passes.)) Charles V voulut que Du Guesclin fut enterre a Saint-Denis, dans les tombeaux des rois de France 20 oia lui-meme ne tarda pas a le rejoindre (1380). Charles V avait delivre et pacific le royaume. II organisa les finances et augmenta I'autorite du Parlement. Prince ami des livres, il fonda au Louvre la pre- 25 mi ere bibliotheque royale, qui ne se composait que de 950 manuscrits, car I'imprimerie n'etait pas en- core inventee. II avait aussi recule I'enceinte de Paris et fait edifier la bastille Saint-Antoine, for- teresse destinee a devenir celebre. 2° A cette epoque vivait Froissart (1333-1^10), le chroniqueur naif et pittoresque qui nous a laisse des recits animes des combats de la guerre de Cent ans. CHARLES VI 7r CHAPITRE VIII CHARLES VI Minorite de Charles VI (1380-1388). — A un prince qui avait merite le surnom de Sage, succeda un enfant de douze ans, Charies VI, qui, a peine arrive a Tage d'homme, fut atteint de folie. 5 Les oncles du roi, les dues d'Anjou, de Berri, de Bourgogne, se disputerent la regence pendant la minorite du jeune prince, et, par leurs exactions, leurs pillages, souleverent dans les grandes villes des insurrections. 10 En Flandre, les Gantois s'etaient souleves contre leur comte et avaient pris pour chef Philippe Arte- velde. Les oncles de Charles VI emmenerent le jeune roi contre les Flamands, qui furent vaincus a la journee de Roosebecque. Fiers de leur victoire 15 sur les Flamands, les princes se vengerent cruelle- ment des Parisiens qui avaient desire le triomphe des Gantois. Quelques annees seulement, de 1388 a 1392, le jeune roi, qui avait epouse une princesse allemande, 20 Isabeau de Baviere, gouverna par lui-meme et re- prit les prudents ministres de son pere. En 1392, Charles, malade de corps et deja d'esprit, car les exces I'avaient use avant I'age, par- 72 HISTOIRE DE FRANCE tail en guerre centre le due de Bretagne. Le 5 aout, par une brulante journee on traversa la foret du Mans : tout a coup, un homme, la tete nue, vetu d'une pauvre cotte de bure blanc, s'elanga, prit le cheval du roi par la bride et s'ecria « Arrete, 5 noble roi, tu es trahi ! » Charles tressaillit, mais passa outre. On sortit des bois, on entra dans une plaine sablonneuse. Le soleil etait beau, clair, res- plendissant a grands rayons, d'une force dange- reuse. Un des pages s'endort et laisse tomber sa 10 lance sur le casque d'un autre page : a ce bruit de fer qu'il entend, le roi se trouble, se croit trahi, tire son epee, s'ecrie : « en avant ! en avant ! sus aux traitres ! » blesse, tue plusieurs liommes de sa suite, se precipite meme contre son frere le due d'Or- 15 leans, s'epuise en courses furieuses, et, lorsqu'on parvient a le desarmer, a Tetendre sur le sol, il reste sans connaissance, les yeux hagards : il etait fou. Le royaume fut replonge dans I'anarchie. En 1407, le frere du roi, le due d'Orleans, prince 20 aimable et spirituel mais debauche, perit assassine, un soir, a Paris. C'etait le due de Bourgogne, Jean sans Peur, rival et cousin du due, qui avait dresse ce guet-apens. Alors se forment deux partis, ce- lui des Bourguignons, celui des Armagnacs, dirige 25 par le comte d'Armagnac, beau-pere d'un fils de la victime. Paris que se disputent tour a tour les deux factions, est inonde de sang. Les Anglais profitent de ces discordes pour envahir de nouveau la France (1415)- 30 La bataille d'Azincourt. — Les chefs du parti armagnac, maitres du roi et du gouvernement, s'etaient decides a marcher contre les Anglais. A CHARLES VI 73 leur appel la noblesse accourut, mais insouciante et indisciplinee comme aux jours de Crecy et de Poi- tiers. Fiers de leur nombre imposant, car ils avaient reuni plus de cent mille hommes, les Fran- 5 9ais se croyaient certains d ecraser la petite armee des Anglais qui battait en retraite, cherchant a gagner Calais. Le pays que ceux-ci avaient a traverser se soulevait, et les Picards barrerent le chemin a Tarmee de Henri V pres d'Azincourt. lo L'armee frangaise, commandee par le connetable d'Albret, arriva, et le 25 octobre 141 5 le combat s'engagea sur un terrain detrempe par les pluies d'automne. Selon leur habitude les Anglais se posterent 15 derriere leurs archers. Una nuee de f leches s'a- battit sur les rangs des chevaliers frangais, obliges de baisser la tete pour que les traits n'entrassent point dans la visiere de leurs casques. Les Fran- gais s'etaient ranges en escadrons si serres qu'ils ao ne pouvaient lever leurs bras pour frapper sur leurs ennemis. Leurs lourds chevaux enfon^aient dans les terres fraichement labourees, et les chevaliers ne pouvaient atteindre leurs ennemis avec leurs lances, qu'ils avaient coupees par le milieu afin de z5 pouvoir s'approcher plus pres des Anglais. L'a- vant-garde rompue mit le desordre dans le corps de bataille. Ce que voyant, les Anglais, jetant bas leurs arcs, prirent leurs epees, leurs haches, leurs maillets, se jeterent au milieu des Fran^ais, frap- 30 pant, abattant tout ce qui se trouvait devant eux. Beaucoup de seigneurs se rendirent. Or voici qu'une troupe fran9aise, faisant un de- tour, attaque les bagages des Anglais. Le roi 74 HISTOIRE DE FRANCE Henri V effraye ordonne de ne plus faire de pri- sonniers et de massacrer tous cetix qui s'etaient ren- dus. Lorsqu'il fut revenu de remotion causee par cette alerte, il commanda de cesser le massacre, mais une foule de seigneurs avaient peri. Sur le 5 champ de bataille, le roi anglais, pour relever en- core sa victoire, s'ecria « qu'il avait ete I'instrument de Dieu choisi pour punir les peches des Fran(;ais.)) Un crime des Armagnacs vint achever le tri- omphe du roi anglais, Les Armagnacs etaient 10 maitres du jeune fils de Charles VI, le dauphin, lis feignirent vouloir se reconcilier avec les Bour- guignons, et attirerent Jean sans Peur a une entre- vue avec le dauphin, sur le pont de Montereau. Jean s'y rendit et y perit egorge sous les yeux 15 memes du jeune prince (1419). Ce meurtre jeta tout a fait les Bourgignons dans les bras des Anglais. Philippe le Bon, fils de Jean sans Peur, maitre du roi Charles VI, et la reine Isabeau, qui renia son fils, signerent avec Henri V 20 le honteux traite de Troyes (1420). Ce traite desheritait le dauphin Charles, accordait a Henri V la main de la fille de Charles VI et assurait la cou- ronne de France a ses descendants. Henri V se trouvait maitre du pays. 25 CHARLES VII 75 CHAPITRE IX CHARLES VII — JEANNE D'ARC Charles VII; la France en 1429; Jeanne d^Arc. — En 1422, Henri V et Charles VI moururent tous deux a quelques mois I'un de I'autre. Suivant le traite de Troves, Henri VI, fils de Catherine de 5 France et de Henri V d'Angleterre, fut proclame a Paris roi de France et d'Angleterre. Plusieurs seigneurs restes fideles a I'heritier legitime, au re- presentant de la nationalite frangaise, proclamerent Charles VII. II y eut ainsi deux rois, I'un anglais, 10 I'autre francais; deux Frances, la France anglaise et la vraie France. D'ailleurs Charles VII paraissait avoir peu de chances et meme nulle volonte de re- couvrer sa couronne ; ses ennemis I'appelaient par derision le roi de Bourges. Le decouragement 15 gagnait les meilleurs capitaines. Tou jours battus, ils ne pouvaient arreter les Anglais qui s'empa- raient successivement de toutes les cites et en 1428 vinrent mettre le siege devant Orleans. Le pays semblait perdu quand Jeanne d'Arc parut. 20 Jeanne d^Arc. — Jeanne etait Lorraine. Le vil- lage de Doniremy, ou elle est nee, est situe sur la rive gauche de la Meuse et Ton y montre la maison ou s'ecoula son enfance. Son pere, Jacques d'Arc, et sa mere, Isabelle Romee, vivaient, comme de la- 76 HISTOIRE DE FRANCE borieux paysans, du travail des champs et avaient eleve cinq enfants, trois gardens et deux filles. Jeanne, ou comme on disait dans le village, Jean- nette, etait I'ainee des deux filles : simple et douce, elle s'occupait des soins du menage et ne savait rien 5 de plus que ses parents et ses compagnes, dans ces temps de profonde ignorance. Sa piete faisait I'ad- miration de tous. Charitable envers les pauvres et les malades, Jeanne etait d'ailleurs si bonne pour tous que tous I'aimaient. 10 Un jour d'ete, dans le jardin de son pere, qui touchait a I'eglise, elle vit, a midi, ainsi qu'elle le raconta, une grande lumiere ; elle entendit une voix celeste qui lui disait de se bien conduire, d'etre tou- jours douce et pieuse, et qu'elle etait appelee a aller 15 au secours du roi. Jusqu'a I'age de dix-sept ans, Jeanne ne cessa d'avoir des visions et de s'entretenir avec ses voix qui la guidaient et lui racontaient « la grande pitie du royaume de France.)) Elle la connaissait bien d'ailleurs cette misere: 20 car son pays meme avait ressenti les maux de la guerre civile et de la guerre etrangere. Malgre ses parents, qui ne comprenaient rien a sa resolu- tion, elle vint a Vaucouleurs trouver le capitaine Robert de Baudricourt, auquel elle expliqua sa mis- 25 sion, demandant qu'on la conduisit vers le roi. « Et certes, disait-elle, j'aimeras mieux filer aupres de ma pauvre mere, mais il faut que_j'aille; mon seigneur le veut. — Et qui est votre seigneur? dit- on. — C'est Dieu,)) repondit-elle. Robert riait d'a- 30 bord, mais le peuple de Vaucouleurs crut en la jeune fille, et le seigneur de Baudricourt, emu lui- meme, donna a Jeanne une escorte. JEANNE d'aRC 77 Apres un long et perilleux voyage a travers un pays occupe par les Anglais, Jeanne arriva a Chi- no'n, equipee comme un guerrier, mais ton jours simple et pure comme une jeune fille. Le roi, afin 5 de I'eprouver, se confondit dans la foule des sei- gneurs. Jeanne, bien qu'elle ne I'eiit jamais vu, alia droit a lui, s'agenouilla, lui promettant, s'il lui donnait une armee, de delivrer Orleans, puis de le mener lui-meme a Reims recevoir la couronne. 10 Les eveques, les plus eminents docteurs inter- rogerent cette fille des champs, qui les etonna par ses reponses : « Si c'est le plaisir de Dieu, lui disait- on, que les Anglais s'en aillent en leur pays, il n'est pas besoin de gens d'armes. — Les gens d'armes 15 batailleront, repondit-elle, et Dieu donnera la vic- toire.)) Jeanne put enfin, malgre les Anglais, entrer dans la ville d'Orleans avec quelques vaillants capitaines. Accueillie avec enthousiasme, elle reveillait partout 20 I'esprit de foi, de discipline, de patriotisme : tons ceux qui I'approchaient devenaient meilleurs et sinon plus braves, du moins plus confiants. Sans autre arme que son etendard, Jeanne marchait a la tete des combattants, et tons la suivaient. Les 25 Anglais, ne comprenant rien au courage indomp- table de cette jeune fille, se troublaient, lachaient pied; les plus importantes bastilles qu'ils avaient elev6es pour bloquer Orleans furent prises. Jeanne, blessee dans une attaque, fit aussitot panser sa bles- 30 sure et reparut au milieu des combattants : « Tout est votre, criait-elle aux Frangais, tout est votre ! )) La plus importante des bastilles qui commandait le pont de la Loire, fut enlevee. Les Anglais se 78 HISTOIRE DE FRANCE virent obliges d'abandonner le siege le 8 mai 1429, date celebre que les Orleanais reconnaissants fetent encore aujourd'hui. La fortune, des ce moment, tourna. Le pays fut rapidement delivre. Les Franqais, tou jours con- 5 duits par Jeanne d'Arc, reprirent les villes des bords de la Loire qui restaient aux Anglais, et gagnerent sur eux la bataille de Patay (18 juin). Malgre tant de succes, les conseillers du roi hesitaient en- core. Jeanne les entraina au voyage de Reims, et 10 le 17 juiliet Charles VII etait sacre en grande pompe dans la cathedrale oil se faisaient couronner ses predecesseurs. Jeanne se tenait debout aux cotes du roi, son etendard^a la main, et comme plus tard, dans son proces, on lui en faisait un reproche, 15 elle repondit avcc une legitime fierte : « II avait ete a la peine, il meritait bien d'etre a I'honneur.)) Jeanne avait le pressentiment d'un malheur, mais elle n'en continuait pas moins de combattre, allant partout ou on I'appelait, car sa presence valait une 20 armee. En 1430 elle se jeta dans la ville de Compiegne, serree de pres par les troupes du due de Bourgogne. Dans une sortie, il fallut battre en retraite. Elle resta, comme tou jours, la derniere. Les defenseurs 25 de Compiegne, craignant de voir entrer les ennemis avec les fuyards, fermerent trop tot les barrieres du pont. Jeanne demeura isolee avec quelques cavaliers et, accablee par le nombre, fut prise par Tecuyer d'un seigneur du parti bourguignon. 30 Vendue aux Anglais, Jeanne fut conduite a Rou- en. Les Anglais lui fireht son proces comme a une sorciere, a une heretique; mais souvent la JEANNE d'aRC 79 sagesse de ses reponses deconcerta ses juges. Comme elle parlait des voix qui I'avaient insplree, les juges lui demanderent: « Sainte Catherine et sainte Marguerite haissent-elles les Anglais ? — 5 Elles aiment ce que Notre-Seigneur aime, et hais- sent ce qu'il hait. — Dieu hait-il les Anglais ? — De Tamour ou de la haine que Dieu a pour les Anglais, je n'en sais rien: mais je sais bien qu'ils seront mis hors de France, sauf ceux qui periront.)) Le pro- lo ces n'avait rien prouve, mais on fit signer a Jeanne, sous la menace d'etre briilee, une abjuration de ses pretendues erreurs, et on la condamna a la prison perpetuelle. Plus tard elle desavoua Tab juration qu'on lui avait surprise et maintint la verite de sa 15 mission. « Si je disais, repondit-elle, que Dieu ne m'a pas envo3^ee, je me damnerais ; la verite est que Dieu m'a envoy ee.)) Les juges d'figlise alors I'abandonnerent au bras seculier, c'est-a-dire a la justice civile, et le 30 mai (1431) on la conduisit 20 au biicher sur la place du Vieux-Marche. Jeanne, qui n'avait encore que vingt ans, pleurait en disant : « O Rouen, dois-je done mourir ici ! » Elle demanda une croix : on lui en fit une avec un baton, mais elle obtint qu'on lui apportat celle de 25 la paroisse voisine. Enfin, les Anglais s'impatien- tant, deux sergents la saisirent et la livrerent au bourreau. Le feu fut allume. Jeanne s'oublia pour ne penser qu'au frere Isambart qui I'exhortait tou jours, et lui dit de descendre, mais de tenir haut 30 la croix, qu'elle ne voulait pas perdre de vue. Toute la foule pleurait. Quelques Anglais es- sayaient de rire. Un d'eux, des plus furieux, avait jure de mettre un fagot au biicher ; Jeanne expirait 8o HISTOIRE DE FRANCE au moment ou il le jeta et il s'evanouit: « J^ai vu, disait-il hors de lui-meme, j'ai vu de sa bouche s'en- voler une colombe.)) Un seigneur anglais disait tout haut en revenant : « Nous sommes perdus, nous avons hrule une sainte.)) 5 Les Anglais redouterent Jeanne meme apres sa mort, et, de peur que ses cendres ne devinssent des reliques pour le peuple, ils les firent jeter dans la Seine. Mais I'impulsion etait donnee ; le pays, re- veille, repoussait partout I'etranger, et en 1453 ^^^ ^° Anglais avaient perdu toutes leurs conquetes en France. Les malheurs de ces invasions avaient eu au moins pour resultat de faire naitre chez tons les habitants de la France le sentiment de I'amour dc la patrie. 15 LOUIS XI 8 1 CHAPITRE X LOUIS XI (1461-1483) Charles VII mourut en 1461 et eut pour succes- seuf son fils, Louis XI. A cette epoque des changements importants ont lieu en Europe et dans le monde. Un peuple nou- 5 veau s'etablit a I'orient de TEurope, les Turcs qui se sont empares de Constantinople (1453). Les peuples Chretiens ne se sont point souleves a cette nouvelle: le temps des expeditions religieuses, des croisades est bien fini. Les nations ne songent 10 qu'a se constituer, a s'organiser, malheureusement aussi a s'entre-dechirer, et I'epoque des grandes ligues, des guerres europeennes va s'ouvrir. Ce qui valait mieux, les Portugais et les Espagnols indiquaient de nouvelles routes au commerce et 15 decouvraient de nouvelles terres. Les premiers avaient acheve, en 1497, sous la conduite de Vasco de Gama, de faire, par mer, le tour de I'Afrique et montraient la route des Indes. Christophe Co- lomb, savant navigateur genois, avec trois navires 20 que lui avaient donnes les souverains de I'Espagne, Ferdinand et Isabelle, decouvrit en 1492 un nou- yeau monde auquel on a injustement donne le nom S2 HISTOIRE DE FRANCE d'un autre navigateur florentin, Amerigo Vespucci, rAmerique. II semblait que Dieu, par une seconde creation, eut double I'etendue du monde habitable. On se precipitait vers ces contrees parees d'une vege- 5 tation brillante, riches de bois precieux et de mines d'or et d'argent. Le commerce prit un rapide es- sor, la condition des fortunes changea, car jus- qu'alors la terre avait ete la seule richesse. La science se developpait en meme temps, grace 10 a la decouverte de I'imprimerie. Gutenberg, ne a Mayence, mais qui travailla le plus souvent a Stras- bourg, etait parvenu (de 1440 a 1446) a graver en metal des lettres mobiles qu'il assemblait ou se- parait a volonte; il composait ainsi des mots, des 15 phrases, des pages entieres ; puis pressant ces pages imbibees d'encre sur du papier, il les reproduisait autant de fois qu'il voulait. Un copiste ne pouvait ecrire a la fois qu'un seul livre. Grace a I'impri- merie, des que le livre etait compose avec des 20 lettres en metal, on pouvait le reproduire, en peu de temps, par milliers d'exemplaires. Le premier livre sorti des presses de Gutenberg etait une Bible datee de 1456. L'imprimerie devait etre I'instrument le plus puissant pour le progres 25 de la science humaine. Des temps nouveaux com- men9aient: les temps modernes, ceux qui durent encore aujourd'hui. Les progres dont nous sommes temoins ont pour point de depart ces importants changements qui se produisirent au quinzieme 30 siecle et qui rendirent Thomme plus libre de sa raison, plus hardi dans ses pensees comme dans ses entreprises, plus soucieux du bien-etre et de Teqiii- LOUIS XI 83 te. La science etendait son esprit, doublait ses moyens d'action et allait lui permettre de rendre moins miserable sa condition terrestre. La politique aussi allait changer. Le premier 5 roi des temps modernes est Louis XI, de sombre renommee, mais qui, malgre ses fourberies et ses cruautes, avanga singulierement I'unite politique de la France* Louis XI. — Louis XI est le premier type, quoi- 10 que pen flatteur, du roi moderne ; il se fie a I'in- telligence plus qu'a la force corporelle. II est tout Toppose des chevaliers. Ayant grandi au milieu des trahisons et des revokes, il ne crut qu'a une seule force, celle de la ruse. Depourvu de con- 15 science, mais superstitieux a I'exces, il attachait a son chapeau des images de la Vierge et des saints en plomb ou en etain: il les prenait ou les baisait, quelque part qu'il se trouvat, si soudainement quel- quefois qu'on I'aurait pris pour un insense. II se 20 faisait petit, s'entourait de petites gens, s'habillait pauvrement et s'affranchissait de tout ceremonial. Louis XI (c'est la ce qui le releve de ses fai- blesses et de ses perfidies) prenait au serieux son metier de roi: actif, infatigable, il travailla sans 25 cesse a etendre, a organiser son royaume, se fit craindre comme personne avant lui. Des les premieres annees, les nobles, mecontents de voir Louis XI, qui les avait flattes dans sa jeu- nesse, se tourner contre eux des qu'il fut roi, com- 30 mencerent la guerre dite dn Bien public (1465). line bataille indecise se livra entre les coalises que commandait Charles, fils du due de Bou^rgogne, comte de Charolais, et I'armee royale a Montlhery 84 HISTOIRE DE FRANCE (pres de Paris). Des deux cotes on se crut vain- queur, et des deux cotes il y eut des fuyards. Louis XI se hata de negocier et promit a tous, et a chacun en particulier, provinces, honneurs, pen- sions. Les traites de Conflans et de Saint-Maur 5 (pres Paris), qui terminerent cette campagne deri- soire, furent de honteux marches. Une premiere fois detruite, la feodalite avait ete reformee par les rois eux-memes, qui avaient dis- tribue a leurs enfants, aux princes de leurs maisons, 10 de magnifiques seigneuries, des apanages. Ainsi s'etaient constituees les maisons de Bourbon, d'An- jou, d'Orleans, etc. Mais le grand danger pour les rois, c'etait la puissance de la maison de Bourgogne. Le due Philippe le Bon, mourut en 1467, et son fils, 15 Charles le Temeraire, etait I'orgueil meme. Charles se regardait comme superieur a son cou- sin le roi de France, Louis XI, auquel il ne voulait pas rendre hommage. Autant celui-ci dedaignait le faste et les grandeurs, autant le due de Bour- 20 gogne aimait a etaler son luxe et sa puissance. Ambitieux comme Louis XI, il n'avait ni sa pa- tience ni sa souplesse, et plus sa temerite lui faisait eprouver de revers, plus il s'obstinait. Louis XI pourtant commit bien des f antes. La 25 guerre ayant recommence entre lui et le due de Bourgogne, il voulut negocier au lieu de combattre et, pour mieux gagner son ennemi, alia se mettre entre ses mains a Peronne ou il demeura prisonnier et ne fut relache qu'a de dures conditions (1468). 30 La guerre recommenga. Le due de Bourgogne courut aussitot a Beauvais, esperant enlever la ville - par surprise. Mais les habitants sent sur les rem- LOUIS XI 85 parts et se def endent : les f emmes memes les aident. Deja cependant des soldats bourguignons avaient escalade la muraille et y plantaient leur etendard. Une jeune fille, Jeanne Laisne (on la nomma de- 5 puis Jeanne Hachette), s'elance, une hache a la main, saisit I'etendard et I'emporte en triomphe. Cet exemple heroique ranime le courage des habi- tants, qui repoussent avec succes toutes les attaques. Charles se vit oblige d'entreprendre un siege re- lo gulier, puis, a I'arrivee des troupes royales, de se retirer. Loin d'abattre le puissant due, les echecs ne font que piquer son orgueil. II ne renonce pas a ses pro jets; au contraire, il les veut tons pour- suivre a la fois : il reve la conquete de la Lorraine, 15 de r Alsace, de la Suisse, afin de se faire ainsi un royaume. En meme temps il rappelle les An- glais en France pour renverser Louis XL Celui-ci, fidele a son systeme d'eviter les batailles, achete la paix du roi d'Angleterre Edouard IV. Des ce mo- 20 ment il n'a plus qu a regarder son rival se heurter contre I'Allemagne, puis contre les montagnes de la Suisse. Charles est vaincu a Granson et a Morat (1476). Apres ces sanglantes defaites, Charles devient 25, fou de fureur : il laisse croitre sa barbe comme un sauvage, il s'enferme dans sa tente. II apprend que la Lorraine s'est soulevee et que le due Rene a repris sa capitale, Nancy. II y court, malgre I'hiver, et perit dans un combat. On retrouva son 30 corps a demi enfonce dans la glace d'un ruisseau Craint de tout le monde, Louis XI craignait lui-meme tout le monde et s'enfermait dans son S6 HISTOIRE DE FRANCE chateau de Plessis-lez-Tours, ou des arbaletriers veillaient nuit et jour pres des fosses avec ordre de tirer sur tout homme suspect qui approchait. II semblait plutot mort que vif , tant il etait maigre ; il faisait d'apres punitions pour inspirer la terreur 5 et de peur de perdre I'obeissance. II avait soupqon de tout le monde, de son fils qu'il faisait etroite- ment garder, de sa fille, de son gendre. II com- blait de presents son medecin Coictier pour qu'il allongeat sa vie; il avait recours aux personnages 10 renommes pour leur saintete et fit venir d'ltalie un ermite, saint Frangois de Paule : il lui demandait la sante du corps plutot que le repos de Tame. (( Le tout n'y fit rien, ajoute son historien Corn- mines ; il fallait qu'il passat par ou les autres sont 15 passes.)) Louis XI mourut en 1483, apres avoir, dans ses dernieres annees, recueilli le riche heritage de la maison d'Anjou, c'est-a-dire le Maine, TAnjou et la Provence. 20 Si Louis XI a laisse une sombre memoire, il est juste de lui tenir compte de I'agrandissement du royaume, et surtout de la securite qu'il y retablit. La securite ranima le commerce et Louis XI le facilita en ameliorant les routes. Pour etendre son 25 action sur les provinces les plus eloignees, il or- ganisa les postes, d'abord des courriers qui ne ser- virent qu'a transmettre ses ordres, mais qui plus tard furent d'une grande utilite aux particuliers. CHARLES VIII 87 CHAPITRE XI CHARLES VIII — LOUIS XII — FRANCOIS P^ Charles VIII (1483-1498). — Le fils de Louis XI etait encore un enfant et les seigneurs crurent pou- voir profiler d'une minorite pour reprendre tout ce qu'ils avaient perdu. Une main de femme les con- 5 tint. Mme de Beaujeu, fille de Louis XI, et qui avait ses qualites sans ses vices, mit a la raison les seigneurs deja plus turbulents que redoutables; elle forga a la soumission Louis, due d'Orleans, le chef des mecontents, puis fit epouser a son jeune 10 frere I'heritiere d'un beau duche, Anne de Bre- tagne, et prepara ainsi la reunion a la France d'une grande province. Nourri de romans de chevalerie, Charles VIII ne fut pas plus tot le maitre qu'il voulut monter a 15 cheval, s'armer de la lance et imiter les fabuleux exploits des paladins de Charlemagne. II resolut de faire valoir sur le royaume de Naples des droits qu'il tenait de la maison d'Anjou. II partit en 1494 avec une belle armee, mais sans argent : il lui f allut 20 emprunter aux petits princes italiens qui I'avaient appele et lui facilitaient le passage. L'epouvante que repandait chez des populations BS HISTOIRE DE FRANCE amollies I'arrivee des rudes guerriers du Nord, fa- cilita singulierement la route. Les Fran^ais pas- serent les Alpes avec un attirail tout nouveau de canons. Arrives en Italic, ils travcrserent sans combat les villes magnifiques de Florence et de 5 Rome. Charles gagna Naples a petites journees, y entra sans effort et s'y montra avec tout I'appareil d'un empereur. Puis il ne pensa plus qu'aux fetes et distribua heritieres et heritages a ses barons. Pendant qu'il s'amusait aux tournois, Maximilien 10 d'Autriche, le roi d'Espagne Ferdinand le Catholi- que, Henri VII d'Angleterre, jaloux de la puissance frangaise, se liguaient avec les princes du nord de ritalie. Charles courait le risque d'etre enferme dans sa conquete. Averti a temps, il dut se hater, 15 reprit le meme cheniin, retraga presque les memes pas, et trouva la route barree par les Milanais et les Venitiens, a Fornoue, sur les bords de la riviere le Taro. Une bataille serieuse s'of f rait a lui ; aussi attaqua-t-il avec ardeur et iorqa. le passage (juillet 20 1495)- II n'eut pas le temps de recommencer cette ex- pedition comme il le voulait, car trois ans apres, s'etant heurte la tete contre une voute au chateau d'Amboise, il mourut (1498). 25 Louis XII (1498-1515). — Louis XII, cousin et successeur de Charles VIII, se montra plus pru- dent, surtout dans sa politique interieure, et epousa la veuve de Charles VIII pour retenir attache au domaine royal le beau duche de Bretagne. Mais 30 a Texterieur, il montra la meme legerete que Char- les Vin et n'eut d'yeux que pour I'ltalie. Afin d'obtenir plus surement le royaume de LOUIS XII 89 Naples, Louis XII le partagea avec le roi d'Es- pagne, Ferdinand le Catholique. Celui-ci, des qu'il eut sa part, voulut prendre I'autre, et trompa hon- teusement Louis XII. Le roi, lorsqu'il apprit la 5 trahison, avait chez lui le gendre de Ferdinand, Philippe le Beau; celui-ci pouvait craindre d'etre garde prisonnier. « Ne craignez rien, lui dit Louis XII, j'aime mieux perdre un royaume qu'on pent regagner, que I'honneur dont la perte est irre- 10 parable.)) Louis XII ne put regagner le royaume perdu, mais ces guerres d'ltalie mirent en relief un grand nombre de vaillants capitaines: le plus illustre fut sans contredit le chevalier Bayard. 15 Le jeune Bayard n'avait pas dix-sept ans qu'il se mesura dans un tournoi avec un des plus redou- tables chevaliers et sortit de cette epreuve a son honneur. A la bataille de Fornoue, il eut deux chevaux tues sous lui et rapporta une enseigne en- 20 nemie. Ce qui le faisait surtout aimer, c'est qu'on n'eiat pu trouver de plus liberal ni gracieux com- battant; s'il avait un ecu, chacun en avait sa part. Bayard prit part a toutes les guerres d'ltalie et se 25 signala par les exploits les plus hardis. Comme I'armee se tenait derriere une riviere, le Garigliano, les Espagnols paraissent tout a coup et cherchent a s'emparer d'un pont mal garde. Bayard s'arme au premier tumulte; il voit une troupe de deux 30 cents cavaliers qui venaient surprendre le pont, il se jette au-devant, tout seul, en disant a ses com- pagnons d'aller chercher du secours. Semblable a un lion furieux, Bayard met sa lance en arret et 90 HISTOIRE DE FRANCE attaque la troupe qui etait deja sur le pont: plu- sieurs chancelerent, deux hommes tomberent dans Teau. Neanmoins il fut assailli si rudement que sans sa grande bravoure il n'edt pu resister. Comme un tigre echauffe, il s'accula a la barriere du pont, 5 de peur qu'on ne I'attaquat par derriere, et avec son epee il se defendit si bien que les Espagnols ne croyaient point que ce fiit un homme. Les secours eurent le temps d'arriver. Bayard poursuivit I'en- nemi, mais celui-ci regut des renforts. II fallut 10 battre en retraite, et le vaillant chevalier, tou jours le dernier, fut pris. II se garda bien de se nommer : ses compagnons, s'apercevant de son absence, re- tournerent le delivrer. N'ayant pas ete desarme, il sauta sur un cheval et se remit a I'oeuvre en cri- 15 ant : « France ! France ! Bayard ! Bayard que vous avez laisse aller ! » Ce nom terrifia les Espagnols, qui s'enfuirent. Les Frangais s'en retournerent tout joyeux d'avoir recouvre celui qu'ils appelaient (( leur vrai guidon d'honneur.)) 20 Malgre ses fautes et ses malheurs, Louis XII est un des rois dont la France a garde la memoire. En 1506 les £tats generaux de Tours lui avaient donne le beau nom de Pere du peiiple. Les guerres dTtalie en effet se passaient au loin 25 et occupaient surtout la noblesse. Le pays demeu- rait tranquille et prospere. ficonome des deniers de ses sujets, le roi s'appliquait a alleger les impots. (( J'aime mieux, disait-il, voir les courtisans rire de mon avarice que le peuple pleurer de mes depenses.)) 30 Ami de la justice qu'il s'etudia a reformer, il se montra le rigoureux ennemi de tons les pillards, grands ou petits : aussi, depuis ses justes severites, FRANgOIS I 91 « nul, dit un ecrlvain du temps, n'eut rien ose prendre sans payer, et les poules couraient aux champs sans peril et sans risques.)) Frangois P^ (1515-1547). — La couronne echut 5 encore a une autre branche de la famille des Valois, a Francois I^^, comte d'Angouleme, cousin et gendre de Louis XII. Jeune, ardent, grand et fort,^ il etait habile a tons les exercices du corps, et en meme temps intelligent, fin, spirituel, ami des etudes et 10 des beaux-arts, dont les Frangais avaient pris le gout dans les opulentes cites de I'ltalie. Francois I^"^ avait vingt et un ans lorsqu'il fut reconnu roi. II voulut reparer les malheurs de Louis XII et reconquerir I'ltalie. II la ressaisit a 15 la fameuse journee de Marignan (1515). Bataille de Marignan. — Vingt mille Suisses gardaient solidement les passages des Alpes ; Fran- cois I^"^ resolut d'escalader ces montagnes, les plus hautes de I'Europe. On traga une route a I'armee 20 en faisant sauter, a force de poudre, des blocs enormes, en jetant des ponts avec des sapins sur les abimes. On traina les canons avec des cordages et on finit, au bout de six jours d'un travail prodi- gieux, par triompher des plus grands obstacles que 25 la nature eiit opposes a une armee. Le general ennemi, quand on lui annon<;a Tarri- vee des Frangais, n'y voulut pas croire. « Ont-ils vole par-dessus les montagnes ? » disait-il en rail- lant. C'etait pourtant la verite, car une heure 30 apres, Bayard et le sire de la Palisse, un autre de 1 On possede encore au musee du Louvre son armure gigan- tesque. 92 HISTOIRE DE FRANCE- iios grands capitaines, le faisaient prisonnier pen- dant son diner. Les Suisses se replierent sur la capitale de la Lombardie, Milan. Les Frangais les y suivirent et une bataille acharnee s'engagea a quelque distance 5 de cette ville, pres du village de Marignan. Com- mence dans I'apres-midi, le combat se prolongea une partie de la nuit, a la clarte d'une lune parfois voilee de nuages. Le succes fut dii a la superiorite de I'artillerie frangaise : les Suisses, avec un cou- lo rage admirable, s'avan^aient en masses serrees, avec leurs longues piques ; des files entieres tombaient, ils avancaient ton jours. Le roi chargea avec toute sa cavalerie et entra si loin dans la melee que sa visiere fut percee d'un coup de pique. Vers minuit, 15 la lune se deroba tout a fait et on s'arreta. Les deux armees etaient confondues Tune dans Tautre et le roi se concha sur I'affut d'un canon, a deux pas des ennemis. Le lendemain, an point du jour, la bataille recom- 20 menga aussi acharnee que la veille. Mais les Veni- tiens, allies des Francais, arriverent, et les Suisses, craignant d'etre enveloppes, se retirerent (14 sep- tembre 15 15). Frangois I^^, vainqueur, voulut etre arme chevalier par Bayard; c'etait I'honneur 25 le plus insigne que le roi piat faire au vaillant capi- taine. Bayard ne cessa de s'illustrer dans les guerres de Francois I^^ Envoye en Italic ou les troupes frangaises avaient ete battues a la Bicoque (1522), 30 il .n'y parut que pour assister a la defaite de Bonni- vet a Biagrasso et pour y mourir. Bayard ne com- mandait pas en chef; recevant les ordres de courti- FRANgOIS I 93 sans jaloux, il perit victime de leur fautes. Bonni- vet blesse lui confia le soin de diriger la retraite ; Bayard la dirigea, comme on pouvait I'attendre de lui, faisant toujoiirs face a I'ennemi. Apres le 5 passage de la Sesia, comme il rejoignait, vainqueur, sa troupe d'hommes d'armes, une pierre lancee par une arquebuse le frappa dans les reins et lui brisa I'epine dorsale. On I'assit au pied d'un arbre. ^ Le bon Chevalier, se sentant mourir, planta son epee lo devant lui et en baisa la poignee qui figurait une croix. Les ennemis accoururent et parurent aussi attristes que les compagnons de Bayard. ♦ Parmi les chefs ennemis se trouvait alors un prince frangais, le connetable de Bourbon, qui, me- 15 contant, s'etait jete dans le parti de Charles-Quint: il survint et plaignit le bon Chevalier, qui lui repon- dit ces belles paroles : « II n'y a point de pitie a avoir de moi, car je meurs en homme de bien : mais j'ai pitie de vous qui servez contre votre prince, votre 20 patrie et votre serment.)) Quelques heures^ apres, expirait le dernier modele du parfait chevalier (30 avril 1524). Bataille de Pavie. — Les Imperiaux, conduits par le connetable de Bourbon, poursuivirent I'armee 25 frangaise et envahirent la Provence. Bourbon atta- qua Marseille, mais les habitants resisterent heroi- quement. Frangois I^^ accourut. Les Imperiaux se retirerent en toute hate. Frangois les poursuivit au dela des Alpes, s'empara facilement de Milan et 30 mit le siege devant Pavie. La resistance de cette ville, prolongee quatre mois, donna a Bourbon le temps d'aller en Allemagne chercher des troupes.^ Frangois commit la faute de s'affaiblir en deta- 94 HISTOIRE DE FRANCE chant un corps d'armee vers Naples, et bientot il se trouva enferme entre la ville de Pavie et les troupes espagnoles et italiennes. On propose a Francois P^ de se replier. L'orgueil le pousse a suivre le conseil de Bonnivet qui parle au contraire 5 de combattre. La bataille s'engage (24 fevrier 1525). Genouillac avec son artillerie fit d'abord meryeille ; il ouvrit coup sur coup des breches dans les bataillons ennemis, « de sorte que vous n'eussiez vu que bras et tetes voler.)) Frangois P^ croit deja 10 I'ennemi en fuite et s'elance avec ses gens d'armes. • Les ennemis reformerent leur ligne. Le roi, comme a Marignan, fit des prodiges de valeur lorsqu'on lui en aurait demande de sagesse. Mais les rangs de Tennemi se reformaient toujours; les meilleurs capi- 15 taines, dont on avait neglige les conseils, sentaient bien que la victoire etait impossible et tombaient tous frappes les uns apres les autres autour du roi, qu'ils ne voulaient pas abandonner. Fran9ois ne tarda pas a etre entoure d'ennemis. 20 (( Apres avoir, dit Brantome, bien combattu tant qu'il n'en pouvait plus, son cheval fort blesse tomba par terre et lui dessous.)) Francois P^ se vit oblige de se rendre et demanda qu'on appelat Charles de Lannoi. Celui-ci arriva, le fit degager et I'aida a 25 se lever. Le soir, Francois P^ ecrivit a sa mere une longue lettre dans laquelle il disait : « De toutes choses ne m'est demeure que I'honneur et la vie qui est sauve.)) On en a fait le mot celebre : « Tout est perdu, fors 30 [hors] I'honneur.)) Apres un sejour de plusieurs mois dans une forte- resse d'ltalie, Fran9ois I^^ fut conduit en Espagne, FRANgOIS I 95 ou Charles-Quint le fit renfermer dans I'Alcazar, a Madrid. Le donjon ou il devait passer tant de mois dans les tristesses de la prison, les accablements de la 5 maladie, les angoisses d'une negociation agitee et interminable, etait haut, etroit et sombre. La chambre disposee pour le roi prisonnier n'etait pas tres spacieuse; on y arrivait par une seule entree, et I'unique fenetre qui y laissait penetrer la lumiere lo s'ouvrait du cote du midi a environ cent pieds du sol. Les concessions que Charles-Quint voulait arracher a son prisonnier etaient exorbitantes et n'allaient rien moins qu'a demembrer le royaume de France. Desesperant d'ebranler son vainquem-, 15 Frangois P"" resolut un moment d'abdiquer en faveur de son fils et de ne plus laisser entre les mains de Charles qu'un prisonnier ordinaire. Ce prisonnier faillit meme echapper a I'inflexible empereur, car Francois tomba gravement malade; on desespera 20 de sa vie. Le roi fut pourtant sauve, mais non re- lache, et n'obtint sa delivrance qu'en accordant tout ce qu'on lui demandait, se promettant bien de ne pas tout remplir. II protesta en secret contre la violence qui lui etait faite et signa le traite de 25 Madrid (6 Janvier 1526). On le conduisit a la frontiere et, sur la Bidassoa,^ on Techangea contre ses deux fils, qu'on devait gar- der comme otages. Lorsqu'on Teut ramene sur la rive frangaise, il s'elanga vivement sur son cheval 30 et s'ecria: « Maintenant je suis roi, je suis roi en- core ! )) » ' i ■ 1 Petit fleuve qui separe la France de I'Espagne. 96 HISTOIRE DE FRANCE La puissance de Charles-Quint effraya les autres princes, naguere si jaloux du vainqueur de Mari- gnan. Le roi d'Angleterre Henri VIII, le pape Clement VII, la republique de Venise, les Suisses s'unirent a Francois I^^qui, delivre, avait rompu le 5 traite de Madrid. Encore etourdi du desastre de Pavie, Francois ne sut point cependant profiter des secours qui s'of- fraient a lui, et donna le temps aux generaux de Charles-Quint d'ecraser ses allies d'ltalie. Le 10 connetable de Bourbon, a la tete de bandes alle- mandes, se precipita sur Rome (1527). II fut tue en montant a I'assaut, mais les soldats prirent la ville, et pendant neuf mois y vecurent en maitres sauvages, se livrant a tons les exces et aux plus 15 odieuses profanations. L'approche tardive d'une armee frangaise amena seule la retraite des bri- gands, qui se retirerent dans le royaume de Naples. Les Frangais les y poursuivirent et soumirent ra- pi dement ce pays, mais echouerent au siege de 20 Naples. Frangois I^^' se trouva heureux de conclure la paix de Cambrai (1529). Charls-Quint ne s'etait hate de signer la paix de Cambrai que pour aller combattre les Turcs qui menagaient Vienne. Les Turcs, en effet, maitres 25 de Constantinople, etendaient leurs conquetes en Europe. La Hongrie seule put les arreter. Charles- Quint soutenait les Hongrois dans cette lutte achar- nee. On vit alors combien I'esprit des temps etait change. Le souverain du pays qui avait pris une part 30 si glorieuse aux croisades, Frangois PS s'alliait avec les Turcs, ne regardant que I'interet politique et ne voyant en eux que des ennemis de Charles-Quint. FRANCOIS I 97 Tandis que les Turcs renouvelaient leurs invasions clans la vallee du Danube, Fran(;ois P^ recommen- 9ait la guerre et s'emparait de la Savoie (1535). En 1536, Charles, irrite, envahit a son tour la Provence. 5 Mais la guerre trainait, car les grandes batailles etaient interdites aux generaux. Cependant un jeune prince, le due d'Enghien, commandait en Italic et brulait de se battre avec les Espagnols qui, confiants, lui of fraient de belles occasions de succes. 10 II envoya un de ses bons capitaines, Montluc, de- mander au roi la permission de livrer bataille, et le roi, entraine par Tardeur du vaillant guerrier, s'e- cria, apres s'etre recueilli : « Qu'il combatte ! » Le due d'Enghien gagna une brillante victoire a Ceri- 15 soles (avril 1544), en enfoncant une armee espa- gnole bien superieure en nombre. La paix de Crespy (Crepy) (1544) termina les longues guerres du regne de Frangois I^"". Celui-ci mourut en 1547, sans avoir rien perdu, 20 malgre tant de revers. II avait 52 ans, Frangois P"" ne fut pas seulement un roi batail- leur; ce qui lui a valu sa renommee et ce qui lui a fait pardonner ses fautes, c'est la generosite avec laquelle il protegea les lettres et les arts, les arts 25 surtout. C'est la belle epoque de la Renaissance, de laquelle datent plusieurs des beaux palais et cha- teaux de la France. « Entre autres belles vertus que le roi eut, dit Brantome, c'est qu'il fut fort amateur des bonnes 30 lettres et des gens savants de son royaume: il les entretenait tou jours de discours grands et savants, leur en donnant la plupart du temps les sujets et les themes. q8 HISTOIRE DE FRANCE (( De telle fagon la table du roi etait line vraie ecole, car la il s'y traitait de toutes matieres, autant de la guerre que des sciences hautes et basses. II fut appele pere et le vrai restaurateur des arts et des lettres, car, avant lui, Tignorance regnait quel- s que peu en France.)) L'imprimerie multipliait les livres. Francois 1% qui se piquait quelquefois de poesie, protegea les poetes comme les artistes, mais favorisa surtout les savants, les erudits, qui commengaient a battre en lo breche I'ignorance si longtemps souveraine. II fonda en 1530 un college d'un genre tout nouveau, appele le College de France, et destine a rendre la science accessible a tous. CHAPITRE XII LES GUERRES DE RELIGION LE successeur de Frangois P'' fut Henri 11. Profitant des guerres religieuses qui avaient eclate en Allemagne, Henri H s'allia avec les princes protestants ennemis de Charles-Quint et 5 occupa les trois villes anciennes de Metz, Toul, Verdun. Charles-Quint, irrite, vint mettre le siege devant Metz, que le due Frangois de Guise defendit avec energie (1552). Vaincu de nouveau a Renty 10 (1554), Charles-Quint signa une treve (1556) et abdiqua la meme annee, renongant a toutes ses cou- ronnes. Henri II (i547-i559). — Le fils de Charles-Quint, Philippe n, demeurait aussi redoutable pour la 15 France, quoiqu'il ne dominat plus ni I'Autriche ni TAllemagne. II avait epouse Marie Tudor, reine d'Angleterre, et les Anglais I'aiderent dans les guerres qu'il recommeilga contre la France. Son general, le due de Savoie Philibert Emmanuel, en- 20 vahit la Picardie et se porta sur Saint-Quentin. Le connetable de Montmorency accourut avec une armee. Mais il se laissa envelopper par Tarmee !00 HISTOIRE DE FRANCE espagnole, eprouva une sanglante defaite et fut oblige de se rendre (1557). Pour reparer ce desastre, le due de Guise alia surprendre Calais, la derniere ville que les Anglais eussent en France, et la reine Marie Tudor en mourut de chagrin (1558). 5 La paix de Cateau-Cambresis (1559) termina les guerres dTtalie. Pendant les fetes qui celebrerent la paix et les mariages princiers par lesquels on la consacra, Henri II, luttant dans un tournoi contre son capitaine des gardes, Montgommery, fut grieve- 10 ment blesse d'un eclat de lance qui penetra dans sa tete, et mourut quelques jours apres (1559). La reforme; Francois II (1559-1560); Charles IX (1560-1574). — Une reforme religieuse commencee en Allemagne par Luther amena le dechirement de 35 I'unite chretienne et bouleversa I'Europe. En France la doctrine de Calvin, plus hardie en- core que celle de Luther, se repandit. La division se mit dans tout le royaume, partage entre les catho- liques et les reformes, qu'on appelait generalement 20 les Protestants ou les huguenots. Les progres du calvinisme etaient deja grands lorsque Henri II mourut. Ce prince laissait quatre fils, dont trois devaient regner, de 1559 a 1589: Frangois II, Charles IX, Henri III. 25 L'aine, Frangois II, d'une sante debile, ne regna qu'un an (1559- 1560). Encore le vrai maitre etait- il le due Frangois de Guise, dont la niece, Marie Stuart, avait epouse le roi Francois II. Les pro- testants, soutenus par la famille des Bourbons, es- 30 sayerent d'enlever le jeune roi a la famille des Guises et ourdirent la conjuration d'Amboise. Elle echoua et un grand nombre de protestants furent LES GUERRES DE RELIGION lol saisis, pendus ou decapites. Mais les guerres de religion lie commencerent que sous Charles IX, qui, a peine age de dix ans et demi en 1560, regna d'a- bord sous la tutelle de sa mere Catherine de Medicis. 5 Catherine de Medicis. — Catherine de Medicis, princesse italienne, avait epouse le fils de Francois I^*", Henri II, mais ce prince I'avait tenue a Fecart du gouvernement. Elle eut encore a souffrir de cet isolement sous le regne de son premier-ne, 10 Frangois 11. C'etait la belle et gracieuse Marie Stuart qui dominait a la cour et assurait la realite du pouvoir a son oncle Frangois de Guise. Mais en 1560 Francois II mourut, et Catherine de Medi- cis se vit appelee a prendre la regence au nom de 15 son second fils, Charles IX. Sa passion de regner fut alors satisfaite. Mais Catherine avait a se defendre contre I'influence de deux grandes families rivales,les Guises et les Bour- bons, et a pacifier le royaume, deja trouble par les 20 guerres religieuses. Astucieuse et perfide, Cathe- rine de Medicis s'appliqua a opposer les Bourbons aux Guises, et a tenir la balance egale entre les ca- tholiques et les protestants. « Chacun, dit un con- temporain, d'Aubigne, admirait de voir une femme 25 etrangere se jouer d'un tel royaume et d'un tel peu- ple que les Francais, mener a la chaine de si grands princes.)) Sa politique double ne contribua pas pen a exciter les divisions et a dechainer les guerres reli- gieuses dont elle put voir les tristes resultats, car ces 30 guerres amenerent la ruine de la famille des Valois. Catherine de Medicis vit disparaitre avant elle ses enfants, et, au moment ou elle mourut, en 1589, son dernier fils, Henri III, etait presque detrone. I02 HISTOIRE DE FRANCE La Saint- Barthelemy. — Parmi ks protestants, rhomme qui merita le plus de respect et eut la fin la plus tragique, ce fut Coligny, dont 1 'illustration comme celle de Guise datait des guerres de Henri II. Le parti protestant n'avait pu etre accable. II retai- 5 blissait tou jours ses affaires, grace aux talents de Coligny, qui recueillait les debris de I'armee, defen- dait les villes, soutenait le courage, et ramenait quelquefois la victoire. La guerre n'aboutissait a rien. 10 En 1570, Catherine de Medicis fit aux reformes des concessions trop larges pour etre sinceres. Les chefs protestants furent attires a la cour de Charles IX pour le mariage du jeune Henri de Beam, leur chef, avec Marguerite de Valois, soeur du roi. 15 Charles IX se prit meme d'amitie pour I'amiral Co- ligny. Celui-ci donnait au roi les plus sages con- seils et lui proposait de detourner contre les etran- gers I'exaltation guerriere de la noblesse. Mais les catholiques s'indignaient de la puissance des pro- 20 testants. Excites par eux, la cour organisa en secret le plus odieux guet-apens. Quelques jours apres les fetes du mariage de Henri de Beam, le 24 aoiit 1572, fete de saint Bar- thelemy, a deux heures du matin, la cloche de Saint- 25 Germain I'Auxerrois sonne, et le tocsin des autres eglises lui repond. Des bandes armees s'elancent dans les rues aux cris de : Mort aux huguenots ! Un affreux massacre souille Paris. Le due Henri de Guise et le due d'Aumale, qui ont arrache au roi 30 I'arret de mort de Coligny, se dirigent vers la de- meure de Tamiral, tout pres du Louvre. Un assas- sin a leurs gages lui avait deja tire, quelques jours LES GUERRES DE RELIGION 103 auparavant, un coup d'arquebuse et I'avait blesse a la main. Coligny reposait sous la protection d'une compagnie des gardes du roi. Les dues signifient au capitaine la volonte de Charles IX. On monte, 5 cinq Suisses se tenaient au haut de I'escalier. lis resistent, se barricadent ; le bruit de la lutte reveille Coligny, qui se met en priere. Ses serviteurs sont tues ou disperses. Les arquebusiers arrivent a la chambre de I'amiral, dont I'aspect grave et venerable 10 les saisit. Mais I'un d'eux, Beme, plus feroce que les autres, s'approche: « N'es-tu pas I'amiral? )) dit- il. ((Je le suis, jeune homme, repondit Coligny, respecte ma vieillesse et ma faiblesse.)) Beme le frappe, le renverse ; Coligny est perce de coups, puis 15 jete par la fenetre. Le massacre de Paris fut imite dans les provinces. Quelques gouverneurs cependant refuserent d'or- donner ce3 affreuses executions. « Je n'ai que des soldats et pas un bourreau,)) repondit Tun d'eux. 20 Un moment frappes de stupeur, les protestants ne tarderent pas a se lever en masse ; I'armee royale ne put prendre la Rochelle, qui etait devenue la cita- delle du parti, et Charles IX fut oblige de signer la paix (1573). L'annee suivante, il mourait au mi- 25 lieu des plus violentes convulsions ; dans son delire, souvent trouble par de sombres visions, il n'aperce- vait, si Ton en croit la tradition, que des meurtres _ et du sang (i574)- Henri III (1574-1589).— Le frere de Charles IX, 30 Henri III, qui lui succeda, etait un prince frivole. II se composa une cour de seigneurs dissolus. II aimait a s'entourer de petits chiens, de perroquets, de singes, et se fardait le visage comme une femme. 104 HISTOIRE DE FRANCE Le parti protestant s'etait releve, et Henri III s'etait vu oblige de lui faire d'importantes conces- sions. Les catholiques, exaltes, formerent entre enx line vaste association, appelee sainte Ligue (1576). Le chef en etait Henri de Guise, fils de s Frangois de Guise, que les catholiques revaient deja de placer sur le trone. En effet la famille des Valois semblait pres de s'eteindre. Henri HI n'avait point de fils qui put lui succeder; son frere, le due d'Alen9on, mourut 10 sans enfants en 1584. II y avait pourtant un heri- tier legitime, Henri de Bourbon, prince de Beam et roi de Navarre; mais il etait protestant, et les ligueurs n'en voulaient a aucun prix. Henri de Guise, soutenu par le roi d'Espagne Philippe II, 15 brava Henri III et souleva Paris. Henri III dut se jeter dans les bras des protes- tants et vint avec Henri de Navarre assieger la ca- pitale ; mais il fut poignarde a Saint-Cloud par un fanatique, Jacques Clement (1589). 20 A la mort de Henri III, Henri de Navarre fut sa- lue roi seulement par les protestants et une petite partie des fideles de Henri III. Henri IV (1589-1610). — Henri IV etait fils d'Antoine de Bourbon, prince de Beam et roi de 25 Navarre, mais roi sans royaume, car la Navarre etait aux mains des Espagnols. II etait ne au chateau de Pau en 1553. Sa mere, Jeanne d'Albret, ordonna de le nourrir sans delicatesse, de ne point I'habiller richement, de ne point le flatter du titre 30 de prince, et de ne le distinguer en rien des enfants du pays. On vit done Henri, tout jeune, aller tete nue, pieds nus, se battant avec les autres enfants, LES GUERRES DE RELIGION I05 escaladant, sous le soleil ou la pluie, les rochers des Pyrenees. On I'habituait a coucher sur la dure ; on le forcait a de longues courses matinales et a des chasses fatigantes. II acquit ainsi sante, force, 5 agilite, et il avait une gaiete franche et naturelle qui lui gagnait tons les coeurs. Jeanne d'Albret, cependant, tres instruite, ne voulut pas que les buissons et les bois fussent la seule ecole de son fils. Pour qu'il ne devint pas, 10 comme elle le disait, un illustre ignorant, elle lui mit les meilleurs livres entre les mains. Elle le confia a un precepteur et lui recommanda d'obeir a son maitre comme a elle-meme : « Je ne vous ai donne que la vie, disait-elle a Henri, mais il vous appren- 15 dra a bien vivre, ce qui est preferable.)) Henri HI, en mourant, avait commande a tons ses officiers de reconnaitre pour son successeur Henri de Navarre. Beaucoup de seigneurs catho- liques, a enfongant leurs chapeaux ou les jetant par 20 terre, fermant le poing, murmurent qu'ils se ren- dront a toutes sortes de personnes plutot que de souffrir un roi huguenot.)) lis viennent le som- mer de se faire catholique. En vain Henri repond que « c'est le prendre a la gorge, ne pas I'estimer de 25 croire qu'il pent a ce point faire violence a I'ame et au coeur a I'entree de la royaute.)) II en appelle a eux-memes, sur d'avoir pour lui « tous les catho- liques qui aiment la France et I'honneur.)) En vain le brave Givry declare tout haut que Henri « est le 30 roi des braves et qu'il ne sera abandonne que des poltrons ; )> en vain Plenri declare etre pret a se faire instruire : un grand nombre de seigneurs I'a- bandonnetit, lo6 HISTOIRE DE FRANCE Henri se trouvait dans une situation presque des- esperee: pen de soldats et point d'argent, mais une petite armee anglaise envoyee par la reine Elisa- beth, alliee de Henri IV, debarqua fort a pro- pos a Dieppe, et Henri put reprendre I'offensive s (1589)-, L'annee suivante, une bataille tourna encore a I'avantage de Henri, a Ivry. En face d'une armee ennemie bien plus nombreuse on parlait au roi d'assurer sa retraite : « Point d'autre retraite, dit-il, 10 que le champ de bataille.)) Puis, apres une courte priere, mettant son casque en tete, il accompagna d'un sourire ces paroles : « Compagnons, Dieu est pour nous ; voici ses ennemis et les notres ; voici votre roi! Si vos cornettes vous manquent, ralliez- 15 vous a mon panache blanc : vous le trouverez au chemin de la victoire et de Thonneur.)) Le combat fut rude; un instant ses troupes cederent; Henri courut en avant : « Tournez visage, leur crie-t-il ; si vous ne voulez combattre, regardez-moi mourir ; » 20 et il se precipita au plus epais des ennemis. Enfin la victoire est remportee : alors ce « bon Fran^ais, )> qui appelait la guerre civile « un mal bien doulou- reux, )) s'ecria : « Ouartier aux Frangais ; mais mort aux etrangers ! )) 25 Depuis quelques annees, Paris etait en proie au plus affreux desordre. Les Espagnols avaient de- voile leurs desseins, et les plus acharnes d'entre les ligueurs les soutenaient seuls. Le bon sens ne triomphait pas encore des passions, mais parlait 30 deja avec hardiesse. Henri de Navarre resolut en- fin d'aider le parti royaliste en supprimant I'objec- tion qu'on lui faisait tou jours de sa religion. Les LES GUERRES DE RELIGION 10/ plus fideles de ses conseillers huguenots Tencoura- geaient a faire le sacrifice que lui demandait le peuple. Le 25 juillet 1593, Henri abjura solennel- lement a Saint-Denis la religion protestante et fut 5 sacre a Chartres le 27 fevrier 1594. Sully trouva de I'argent, tout en murmurant, pour acheter les gouverneurs des villes. « S'il fal- lait les prendre par la force, disait le roi, elles nous coiiteraient dix fois autant.)) Brissac, apres avoir 10 fait ses conditions, livra Paris (mars 1594), ou Henri IV entra salue avec une allegresse sincere, car ce n'etait pas riiomme mais I'heretique qu'on avait combattu en lui. Le jour meme, la garnison espagnole se retira avec les honneurs de la guerre. 15 Henri la regarda partir, et, saluant les chefs, leur dit : (( Messieurs, recommandez-moi a votre maitre, mais n'y revenez plus.)) II promet de tout oublier, mais il n'oublie pas qu'il a ete oblige d'acheter sa capitale et les plus grandes villes de son royaume. 20 (( Que dites-vous de me voir ainsi a Paris ? )) de- mande-t-il a son secretaire. — Je dis qu'on a rendu a Cesar ce qui appartient a Cesar, comme il faut rendre a Dieu ce qui est a Dieu. — Dame, repondit le roi, on ne m'a pas fait comme a Cesar : car on ne 25 me I'a pas rendu, on me Ta bien vendu.)) Et cela etait dit en presence de Brissac et d'autres ven- deurs. Toutefois il n'a aucune pensee de ven- geance. II accepte, il recherche les services de ceux qui I'ont combattu. 30 En 1598 les Espagnols quittent la France. Henri IV a termine la guerre etrangere en signant avec Philippe II la paix de Vervins. L*£dit dQ Nantes, — II a deja enleve tout pre- Io8 HISTOIRE DE FRANCE texte aiix discordes civiles en accordant aux pro- testants I'exercice de leur culte et meme de grandes garanties. C'est I'fidit de Nantes (1598). Henri ne voulait plus de partis. « Je couperai, disait-il, les racines de toutes ces factions. Je ne detruirai 5 pas la religion reformee, ajoutait-il, mais la faction huguenote si elle se mutine. II ne faut plus faire de distinction de catholiques et de huguenots : il faut que tons soient bons Frangais.)) Un grand ministre aida Henri IV dans la tache 10 immense qu'il avait entreprise de reparer les des- astres de quarante ans de guerre civile. C'etait le baron de Rosny, plus tard due de Sully, ne au cha- teau de Rosny, pres de Mantes, en 1560. Tout jeune il avait echappe au massacre de la Saint-Bar- 15 thelemy par une presence d'esprit rare chez un enfant de douze ans : ayant pris sous son bras un gros missel, il avait traverse les rues pleines de bandes fvuieuses et avait couru se refugier a son college, dont le principal le cacha. II resta tou jours 20 attache au parti protestant, servant d'abord dans I'infanterie, pour apprendre le metier des armes, — ce qui repugnait fort aux gentilshommes ; — il com- battit avec beaucoup de courage pour sa religion, fut souvent blesse, et particulierement a Ivry, oil 25 Henri, qui le croyait presque mort lorsqu'on I'em- porta, I'embrassa avec joie. Sully remit I'ordre dans les finances : ce qui n'etait pas chose facile dans un siecle ou ceux qui maniaient I'argent de I'fitat le prenaient pour eux, 30 puis tourna son attention vers Tagriculture. Des routes furent percees et plantees d'arbres. Le com- merce se ranima. Sully permit de vendre des LES GUERRES DE RELIGION I09 grains a I'etranger : ce qui stimula energiquement les paysans a prodiiire du ble. La plus grande entente ne cessait d'exister entre le maitre et le serviteur. « Je suis plus fort en mon 5 conseil, quand je sais que vous y etes,)) ecrivait un jour Henri pour hater le retour de Sully. Henri aidait son ministre dans toutes ses amelio- rations ; il aimait les petites gens. Quand il allait par le pays, il s'arretait pour parler au peuple, s'in- 10 formait des passants d'oii ils venaient, oil ils al- laient, quelles denrees ils portaient, quel etait le prix de chaque chose, et, remarquant qu'il semblait a plusieurs que cette facilite populaire offensait la gravite royale, il disait : « Les rois tenaient a des- 15 honneur de savoir combien valait un ecu, et moi je voudrais savoir ce que vaut un Hard, combien de peines ont ces pauvres gens pour I'acquerir, afin qu'ils ne soient charges que selon leur portee.)) Dans les campagnes on aimait a repeter des mots de 20 lui qui couraient : « Si Ton mine le peuple, qui sou- tiendra les charges de I'fitat?)) Le 14 mai, 1610, Henri IV etait agite : il ne pou- vait ni s'occuper ni dormir. « Votre Majeste de- vrait sortir, dit un garde, et prendre I'air : cela la 25 rejouirait. — Tu as raison : qu'on apprete mon carrosse.)) Comme le temps etait beau et chaud, on prit un carrosse tout ouvert. Henri y monta avec les dues d'fipernon et Montbazon et cinq autres seigneurs, sans escorte : seulement quelques gentils- 30 hommes a cheval et valets de pied suivirent. On se dirigea vers TArsenal, ou le roi voulait voir Sully malade. En passant de la rue Saint-Honore dans la rue de la Ferronnerie, un embarras de voitures ild HIStOIRE DE FRANCE arreta le carrosse. Fran9ois Ravaillac I'avait suivi depuis le Louvre ; il monta sur une borne, et comme le roi etait attentif a ecouter une lettre que le due d'fipernon lisait, le miserable s'elan9a et frappa Henri IV de deux coups de couteau dans la region 5 du coeur. Pendant que les archers arretaient I'as- sassin et remmenaient prisonnier dans un hotel voisin pour le soustraire a la fureur de la foule, les seigneurs couvrirent Henri IV d'un manteau et firent retourner le carrosse vers le Louvre. lis re- 10 pandaient le bruit que le roi n'etait que blesse, mais Henri IV etait mort sur-le-champ, et, quand le peu- ple connut la verite, ce fut un deuil universel, car aucun roi n'avait ete, comme Henri IV, a la fois grand et bon. LOUIS XIII m CHAPITRE XIII LOUIS XIII (1610-1643) - MINISTERE DU CARDINAL DE RICHELIEU Regence de Marie de Medicis. — La mort pre- maturee de Henri IV re j eta le royaume dans la con- fusion. Son fils, Louis XIII, n'avait pas neuf ans, et la regente, Marie de Medicis, princesse etran- 5 gere, d'un caractere faible, n'etait point femme a continuer la sage et ferme politique de Henri IV. Elle combla de dignites et des plus hautes charges de la cour un Italien, Concini, et, en quatre ans, son faible et funeste gouvernement avait dissipe les I© millions amasses par Henri. Les seigneurs se revoltaient pour se faire acheter leur soumission par de grosses pensions. Voulant paraitre faire quelque chose pour le bien public, ils demanderent la convocation des Etats generaux 15 (1614). Dans cette reunion on vit commencer entre les trois Ordres la lutte qui, un siecle plus tard, devait dcchirer la France. Le president du tiers etat dit que les trois Ordres etaient trois freres, enfants de leur mere commune, la France. 20 La noblesse protesta contre cette comparaison qui tendait a etablir I'egalite des seigneurs et du peuple. Elle chercha a humilier les deputes du tiers, et la querelle devint si vive que la cour, des qu'elle eut 112 HISTOIRE DE FRANCE obtenu les subsides demandes, se hata de renvoyer les fitats. Ce furent les derniers avant ceux de 1789. Concini et de Luynes. — La faveur insolente de Concini, devenii marquis d'Ancre et marechal de 5 France, ne put durer. Louis XIII, ecarte des af- faires et livre aux amusements les plus puerils, ecouta les conseils d'un gentilhomme, Albert de Luynes, qu'il affectionnait beaucoup a cause de son habilete a dresser des pieges aux oiseaux. De 10 Luynes persuada au jeune prince de ressaisir I'au- torite par un coup hardi. Le marechal d'Ancre fut tue un matin qu'il entrait au Louvre (1617). La reine mere dut se retirer a Blois, et Louis XIII crut enfin regner, lorsque le vrai maitre c'etait de 15 Luynes. Au favori de la reine mere succeda le favori du roi, et le vainqueur montra meme avidite, meme in- capacity. Albert de Luynes fut fait connetable sans avoir jamais commande un regiment, puis chance- 20 Her. Aussi a-t-on dit de lui « qu'il etait aussi propre a faire un magistrat en temps de guerre qu'un general en temps de paix.)) Albert de Luynes mon- tra cependant quelque energie contre le parti pro- testant qui reprenait les armes, et mourut enleve 25 par une epidemic au siege de Montauban (1621). x\u regne des favoris qui peuvent a peine distraire un roi ennuye, succede enfin le regne d'un vrai mi- nistre. Le ministere de Richelieu. — En 1624 arriva au 30 pouvoir Armand du Plessis de Richelieu. Riche- lieu etait le troisieme fils d'un capitaine des gardes de Henri IV. Suivant Tusage, I'aine suivit la car- MINISTERE DE RICHELIEU 113 riere des armes, le second embrassa I'etat eccle- siastique, mais bientot se confina dans un cloitre, et le trojsieme le remplaqa dans les dignites ecclesias- tiques et devint eveque de Lugon. Aumonier de 5 la reine Marie de Medicis, protege par elle, il parta- gea sa mauvaise fortune apres la chute de Concini, puis s'entremit avec zele pour reconcilier la mere et le fils. Apres la mort de Luynes, I'eveque de Lugon qui avait deja donne bien des preuves de sa TO haute intelligence, regut le chapeau de cardinal; le roi refusait cependant de I'admettre au conseil. (( Cet homme, disait-il a la reine mere, je le connais mieux que vous, madame ; il est d'une ambition demesuree.)) L'habilete et la patience du cardinal, 15 la volonte de Marie de Medicis triompherent des hesitations du roi, et, des que Richelieu fut au con- seil (1624), il y fut bientot le maitre. Richelieu, une fois au pouvoir, jugea nettement la situation. 11 inaugura une politique nouvelle, -10 bardie a I'interieur comme a I'exterieur. « Le roi a change de conseil et le ministere de maximes,)) ecrivait-il dans une de ses plus fieres depeches. Ayant resolu d'abord d'en finir avec les pro- testants qui remuaient tou jours, il conduisit le roi 25 au siege de la Rochelle, « ce nid d'ou avaient cou- tume d'eclore les desseins de revolte.)) C'etait la grande forteresse du parti protestant et les sei- gneurs catholiques ne se dissimulaient pas qu'elle leur etait utile en embarrassant la royaute. Le car- 30 dinal de Richelieu anime tout de son ame; le mot d'ordre est: « passer ou mourir.)) Enfin on par- yi-ent, malgre la flotte anglaise, a jeter dans I'ile 6000 soldats; les Anglais, vaincus dans une bataille 114 HISTOIRE DE FRANCE sanglante, sont obliges de se retirer et d'abandonner la Rochelle a ses seules ressources. Mais la ville etait forte. L'energie des habitants s'exalta, soute- nne par les ardentes predications du ministre Sal- bert, par le courage viril de la vieille duchesse de ^ Rohan, et surtout par son maire, le rude marin Gui- ton. En acceptant cette charge, Guiton declara qu'il poignarderait de sa propre main quiconque parlerait de se rendre; pour rappeler cette menace, il pla9ait son poignard sur la table du conseil. Le lo ministre cependant se montrait general, intendant des vivres, ingenieur; pour affamer la ville, il eut recours a une digue de 700 toises ; du cote de la terre une circonvallation s'etendait sur plus de trois lieues, garnie de treize forts. Enfin la famine est 15 dans la Rochelle; Guiton reste inebranlable, atten- dant les secours de la flotte anglaise qui deux fois apparait a la vue de la ville assiegee et deux fois recule devant la marine improvisee de Richelieu. On montre a Guiton des habitants expirant de faim : 20 (( II faudra bien que nous en venions tons la,)) se contente-t-il de repondre. « Mais bientot la ville n'aura plus d'habitants. — C'est assez qu'il en reste un pour fermer les portes.)) Enfin la revoke se met dans la ville, il a fallu executer plusieurs des 25 malheureux qui demandent du pain ou la capitu- lation. Les rues sont parcourues par des « ombres d'hommes vivants )) et encombrees de cadavres qu'on n'a plus le courage d'ensevelir. II faut finir par se rendre au cardinal qui entre dans la ville pre- 30 cede d'un grand convoi de vivres, « marchant seul devant le roi,)) comme pour bien montrer qu'il etait la seconde personne de France (1628). •\ MINISTERE DE RICHELIEU II5 All dehors, Richelieu defendait les interets de la France, a Jusqu'ou allait la Gaule, disait-il, j us- que-la doit aller la France.)) Ce ne fut pas sa faute s'il ne realisa pas cette parole : il en fut bien pres. 5 II prit surtout part a la grande lutte qui armait alors une moitie de TEurope contre I'autre, et con- nue dans I'histoire sous le nom de guerre de Trente Ans (1618-1648), lutte qui avait pour but d'erh- pecher I'Allemagne de devenir la proie de la maison 10 d'Autriche. Celle-ci avait deja ecrase deux adversaires. Ri- chelieu va en chercher un troisieme au fond du Nord, le roi de Suede Gustave-Adolphe, un des plus grands capitaines de I'epoque, « un soleil le- 15 vant,)) comme on I'appelait. Gustave-Adolphe se lance sur TAllemagne, « fait une guerre a coups de foudre,)) mais tombe bientot enseveli dans un der- nier triomphe a Lutzen (1632). Mais des la seconde campagne la France est en- 20 vahie. La ville de Corbie est prise ; I'ef f roi regne dans Paris. Deja les bourgeois s'imaginaient voir arriver les Imperiaux. Quelques-uns, collant I'o- reille contre terre, pretendaient entendre le canon ennemi. Richelieu lui-meme desespere. Son fi- 25 dele conseiller, le capucin Pere Joseph, ranime son courage et I'engage a se montrer. Richelieu sort: il va a THotel de ville pour reclamer I'appui du peuple. Le patriotisme eclate. Les volontaires af- fluent et le marechal de la Force re^oit leurs noms 30 sur le perron de I'Hotel de ville. L'armee marche sur Corbie, qui est repris aux Espagnols. ■ Meme pendant qu'il epuisait sa vie a la poursuite de ces grands desseins, Richelieu avait encore a se Il6 HISTOIRE DE FRANCE defendre contre les intrigues et les complots. II avait du reprimer une revoke du comte de Soissons qui perit au combat de la Marfee (1641). II lui fa] hit, aussi en 1642, donner encore un terrible exemple par le supplice d'un jeune seigneur, Cinq- 5 Mars, qui avait conspire et traite avec I'Espagne. Cinq-Mars fut decapite, a Lyon, avec son ami, le jeune de Thou, accuse seulement de ne pas I'avoir denonce et dont le sort inspira une juste pitie (12 septembre 1642). 10 Richelieu etait deja atteint de la maladie qui devait I'enlever quelques mois apres. II voyageait tantot sur un bateau, tantot, quand on ne pouvait naviguer, dans une vaste litiere portee sur les epaules de ses gardes: cette litiere etait si vaste et 15 si haute qu'on abattait devant elle des pans de murailles, les portes des villes et des edifices etant trop etroites pour lui donner passage ; il arriva ainsi a Paris le 17 octobre, au milieu de la foule etonnee et terrifiee en presence d'un pareil triomphateur. 20 Cependant sa sante, minee par les travaux, par les soucis du pouvoir, faisait prevoir une fin prochaine. Louis XIII vint lui rendre visite et essa^/a de lui donner quelques consolations. « Sire, lui dit le cardinal, voici le dernier adieu. En prenant conge 25 de Votre Majeste, j'ai la consolation de laisser son royaume plus puissant qu'il n'a jamais ete et vos ennemis abattus.)) Aux derniers moments, Riche- lieu, qui ne voulait plus etre flatte, fit signe a celui des medecins en qui il avait le plus de confiance : 30 (( Parlez-moi, dit-il, a coeur ouvert, non en medecin, mais en ami. — Monseigneur, dans vingt-quatre heures vous serez mort ou gueri. — Cast parler, MINISTERE DE RICHELIEU 1 17 cela, dit Richelieu, je vous entends.)) Et il se re- cueillit pour mourir. « Voila mon juge qui doit bientot prononcer mon arret, dit-il: je le supplie de me condamner si pendant mon ministere j'ai eu 5 d'autre objet que le bien de I'^&tat, le service de mon souverain, la gloire de Dieu et les avantages de la religion.)) En entendant ces dernieres paroles, Teveque de Lisieux ne put s'empecher de dire tout bas : (( Voila une assurance qui m'epouvante.)) Ri- lo chelieu expira le 4 decembre 1642. Pierre Corneille (1606-1684.) — L'epoque de Louis XIII est celle ou la nation frangaise est vrai- ment constituee. Des ce jour aussi sa langue est formee et sa litterature arrive au plus haut point 15 de la perfection avec le philosophe Rene Descartes et le poete Pierre Corneille. Corneille etait ne a Rouen le 6 juin 1606; son pere etait avocat du roi au parlement de Normandie. L'aine de sept enfants, Pierre fut place de bonne 20 heure au college des Jesuites de la ville, et il fut recu avocat comme son pere. Mais sa vocation le portait vers la poesie et le theatre. Sa tragedie, le Cid, fut accueilli avec un enthousiasme sans prece- dent. On ne pouvait se lasser de voir cette piece; 25 chacun en savait quelque partie par coeur; on la faisait apprendre aux enfants, et il etait passe en proverbe de dire: Cela est beau comme le Cid. En 1639 et 1640, Corneille ecrivit encore Horace, Cinna, Polyeitcte, trois chefs-d'oeuvre. Sa vie, 30 vouee tout entiere a la culture des lettres, fut sans agitation exterieure, et ses dernieres annees s'ecou- lerent dans la gene et dans la tristesse, II mourut a Paris, en 1684. Il8 HISTOIRE DE FRANCE La popularite du grand poete a survecu et s'est meme augmentee avec le temps. Selon I'expres- sion d'un eminent critique, elle honore notre pays. (( Elle y est I'effet de cet amour pour les grandes choses et de cette passion pour les grands hommes s qui sont un des traits de notre caractere national. Le jour ou Corneille cesserait d'etre populaire sur notre theatre, nous aurions cesse d'etre une grande nation.)) II ne faut pas non plus oublier les services ren- lo dus aux lettres par Richelieu, qui aimait les poetes jusqu'a en etre jaloux;"les pensions accordees aux ecrivains ; la creation de la presse periodique, par le privilege de la Gazette de France, accorde au me- decin Renaudot; et surtout I'institution de VAca- 15 demie frangaise (1635). LOUIS XIV 119 CHAPITRE XIV LOUIS XIV (1643-1715)— MAZARIN Bataille de Rocroy. — Richelieu n'avait pas eu le temps d'achever la longue guerre dans laquelle nous etions engages. Louis XIII le suivit quel- ques mois apres au tombeau (mai 1643). Cette 5 double mort releva le courage des Espagnols; le trone passait a un enfant de cinq ans, la regence a une femme. Les ennemis avaient repris I'offensive du cote de la Champagne et assiegeaient Rocroy. Le jeune due d'Enghien, fils du prince de Conde, 10 commandait de ce cote : il avait regu comme dot de son mariage avec une niece de Richelieu la direc- tion d'une armee, et il en etait digne. Ayant la ressemblance il a aussi I'audace de I'aigle. Cinq jour^ apres la mort du roi, malgre I'avis de ses 15 plus vieux officiers, il ose attaquer une armee pres- que double de la sienne et composee en grande partie de ces vieilles bandes espagnoles dont, depuis Pavie, la reputation etait si grande. Les Espagnols, suffisamment converts par les marais et les bois 20 dont Rocroy est entoure, pressaient vivement le siege. On se canonna d'abord jusqu'a la nuit, et le lendemain (19 mai 1643) ^^ s'ebranle pour un 1 2D • HISTOIRE DE FRANCE choc declsif. Le due d'Enghien avec Gassion, en- fonce I'aile gauche des Espagnols ; les deux chefs, manoeuvrant habilement, se separent : Gassion pour- suit les fuyards, Enghien se jette sur le centre enne- mi. Or, a ce moment I'aile droite des Espagnols, 5 victorieuse, ecrasait les Frangais dont les chefs etaient mis hors de combat. Enghien voit le danger et le previent. II passe avec sa cavalerie derriere les lignes ennemies et court attaquer Taile droite espagnole qui se croyait maitresse du champ 10 de bataille. Cette manoeuvre, dont on n'avait point eu d'exemple, decida du succes; il fallait le com- pleter. Restaient au milieu de la plaine les gros bataillons de I'infanterie espagnole jusque-la invin- cibles : ils se forment en carres ; des que les notres 15 approchent, les carres s'ouvrent, demasquant dix- huit pieces de canon, qui vomissent la mort de toutes parts. Mais les bandes espagnoles sont en- tourees ; Gassion a rejoint le due d'Enghien. Toute I'armee frangaise se precipite contre les quatre mille 20 vieux soldats qui resistent avec la plus admirable intrepidite. Enfin, pour eviter un carnage inutile, des of ficiers espagnols demandent quartier. En- ghien s'avance pour les ecouter; soit erreur, soit exaltation, les soldats espagnols continuent l^feu. 25 Alors nos troupes indignees se precipitent de nou- veau avec fureur et cette glorieuse journee se ter- mina par le carnage le plus affreux. Sept mille ennemis jonchaient le champ de bataille; deux cents etendards etaient le trophee de cette victoire 30 d'un general de vingt-deux ans. La reputation que venaient de gagner et nos troupes et Conde fut soutenue I'annee suivante a LOUIS XIV 121 Fribourg (grand-duche de Bade), ou, de concert avec un autre illustre capitaine, le vicomte de Tu- renne, il vainquit, apres plusieurs attaques meur- trieres, I'habile general bavarois Merci (1644). 5 Turenne. Tout jeune, Turenne avait mani- feste un vif amour des combats. Par une froide soiree d'hiver, il s'echappa du chateau. Sa mere, saisie d'une inquietude mortelle, envoya a sa re- cherche. Son pere, le due de Bouillon, averti, 10 s'ecria : « Je gage qu'il est sur les remparts, dans quelque bivouac, a se faire raconter des histoires de guerre.)) Le due de Bouillon alia done de bi- vouac en bivouac et bientot rencontra son fils qui, de lassitude, dormait sur I'affut dun canon. ((L'en- 15 nemi, I'ennemi ! )) lui cria son pere. Turenne s'e- veilla aussitot et se mettait dans I'attitude du com- bat, lorsque son pere I'entoura dans ses bras en lui disant : « Prisonnier ! prisonnier ! )) Fort gronde, Turenne s'excusa en repondant : « Je voulais, mon 20 pere, en me couchant sur la dure par cette nuit glacee, m'essayer aux fatigues de la guerre et voir si je serais capable de faire bientot mes premieres armes sous vos ordres.)) Mazarin. — A Paris heureusement regne, sous 25 le nom de la regente Anne d'Autriche, un ministre qui s'entend a recueillir le fruit de ces victoires et continue la politique de Richelieu ; c'est Mazarin. Ne a Rome en 1602, d'une famille sicilienne assez obscure, Mazarin avait d'abord etudie chez les je- 30 suites: il se distingua de bonne heure, aux repre- sentations du college, par cet art de comedien qu'il deploya plus tard sur le theatre de la politique. Ami des plaisirs et du jeu, on le vit s'attacher a 122 HISTOIRE DE FRANCE une grande famille, celle des Colonna, accompagner un jeune prince de cette maison aux universites d'Espagne, jouer a Madrid comme a Rome, mais etudier neanmoins. II laissa bientot les livres pour I'epee et partit capitaine dans un regiment. Puis 5 il debuta dans la diplomatic comme attache de le- gation, et, du premier coup, effaga ses maitres. II arreta deux armees, dont I'une etait I'armee fran- gaise, pretes a engager une grande bataille (1630 ii 1631). Richelieu I'apprecia, I'attira en France et 10 obtint pour lui en 1640 le chapeau de cardinal bien qu'il ne fiit pas pretre. Si Mazarin etait etranger, il avait le coeur frangais et le prouva des qu'Anne d'Autriche lui eut confie le pouvoir. Mazarin donna toute son attention a la grande lutte contre 15 I'Empire et contre I'Espagne, et, lorsque de nou- velles victoires de Conde a Nordlingen (1645) ^^ a Lens (en Artois) (1648) eurent enfin determine I'Empire a signer la paix, I'habile ministre conclut le traite de Westphalie qui modifiait ou plutot re- 20 tablissait Fequilibre de I'Europe. La France y gagnait 1' Alsace. L'Espagne continua la guerre, mais onze ans plus tard elle ceda a son tour; Mazarin eut encore la gloire de negocier et de signer le traite des Pyrenees, qui nous abandonnait I'Ar- 25 tois et le Roussillon. La France avangait ainsi de plus en plus vers ses limites naturelles. La Fronde. — Le ministre etait moins- heureux a I'interieur. Mazarin ne ressemblait en rien a Richelieu. Done de beaucoup d'esprit, actif, il 30 etait surtout souple et patient; il savait courber la tete devant I'orage, pour surnager ensuite « comme le liege qui revient sur I'eau.)) Son titre d'etranger LOUIS XIV 123 avait oblige Mazarin, comme la reine, a beaucoup donner au commencement de son ministere ; la guerre vint encore aj outer a la penurie du tresor epuise. 5 Au mois de Janvier 1649, ^^ regente s'enfuit de Paris a Saint-Germain, ou la cour coucha presque sur la paille, en plein hiver. Une guerre pen serieuse commenga, a laquelle on donna le nom d'un jeu d'enfants, la Fronde : Les Parisiens sortaient en 10 campagne ornes de plumes et de rubans. lis fu- yaient des qu'ils rencontraient deux cents hommes de I'armee rovale. Tout se tournait en raillerie. Les troupes parisiennes, qui revenaient tou jours battues, etaient re9ues avec des huees et des eclats 15 de rire . . . Les cabarets etaient les tentes ou Ton tenait les conseils de guerre, au milieu des plaisan- teries, des chansons et de la gaiete la plus dis- solue. On lisait autrefois I'histoire de la Fronde en riant, 20 il faut en realite la lire en pleurant. En plein dix- septieme siecle, on peut se croire revenu aux guer- res des Anglais ou aux luttes des Bourguignons et des Armagnacs.^ Les terres sont tombees en friche sur beaucoup de points du royaume et des 25 villages entiers abandonnes de leurs habitants ; les routes couvertes de milliers de malheureux expirant de faim, I'infection repandue partout dans les cam- pagnes par des cadavres sans sepulture. Dans les campagnes on ne laboure plus, ou on s'attroupe 30 pour aller a la charrue en armes a cause des bandes de pillards et de soldats errants; en Picardie, des 1 Voir page 72. 124 HISTOIkE DE FRANCE populations entieres vivent dans des grottes ou dans des carrieres ; les loups se multiplient et prennent possession des villages deserts. Saint Vincent de Paul. — Les miseres que causa la guerre folle de la Fronde mirent en relief les 5 vertus de saint Vincent de Paul qui avait voue sa vie aux oeuvres de charite. II avait deja, sous le regne de Louis XIII, fonde la confrerie des Pretres de la Mission pour evangeliser les campagnes, et institue la congregation des Filles ou Sceurs de la Charite. 10 £mu de compassion pour les nombreux enfants qu'on abandonnait, il les avait recueillis. Faisant appel a la generosite des puissantes families qui le secondaient, il vit les plus grandes dames lui ap- porter leurs bijoux, leurs bracelets, leurs colliers 15 et fonda I'CEuvre des Enfants-Trouves (1638). Mazarin mourut en 1661 apres avoir apaise les troubles au dedans et termine les guerres au dehors. II laissa a Louis XIV une autorite tellement ab- solue que jamais souverain en France n'en avait eu 20 de semblable. Noblesse, Parlement, peuple, tout etait aux pieds du roi. Louis XIV et sa cour. — Louis XIV ne voulut plus de premier ministre. Quand on vint lui de- mander, a la mort de Mazarin, a qui il fallait s'a- 25 dresser pour les affaires : « A moi,)) repondit-il, et il commen9a, des ce jour, a gouverner par lui-meme. Son education pourtant avait ete fort negligee, mais il y supplea par un esprit naturel. D'ailleurs sa taille, son port, son grand air, I'adresse et la 30 grace majestueuse de toute sa personne le faisaient distinguer au milieu de tons les autres hommes, selon une heureuse expresion, comme le roi des LOUIS XIV 125 abeilles. II aima Tordre et la regie. II aima la gloire et la magnificence. Mais il imposa I'ordre et la regie jusqn'a la tyrannie; son amour de la gloire degenera en une ambition immoderee et son 5 gout de la magnificence alia jusqu'a la profusion. La flatterie I'enivra a un tel point que sans la crainte du diable, dit dans ses Memoires le due de Saint-Simon, il se serait fait adorer. II reduisit les nobles a servir d'ornements a sa 10 cour. Pour lui plaire, ils se jeterent en des de- penses excessives en habits, en equipages, en bati- ments, si bien qu'il leur fallait, pour soutenir ce luxe, recourir a ses liberalites. Afin de piquer I'emulation des seigneurs, Louis 15 XIV multipliait les distinctions. Les uns avaient le droit d entrer dans sa chambre des son reveil et pendant qu'il s'habillait. Les autres n'entraient que plus tard. Le soir, quand il se couchait, il donnait le bougeoir a tenir a Tun des plus titres 20 et c'etait une faveur ; il fallait lui demander la per- mission de I'accompagner dans ses voyages. II vi- vait ainsi au milieu de sa noblesse comme jadis les rois francs au milieu de leurs guerriers, avec cette difference que la politesse la plus raffinee avait 25 remplace la grossierete barbare. Les courtisans epiaient jusqu'aux paroles, jusqu'au sourire du roi et se trouvaient honores d'un regard. ^ Ministres et grands hommes. — ^ Louis eut le bon- heur de rencontrer et le merite d'apprecier des 30 ministres d'un rare genie. Colbert retablit les fi- nances, developpa notre Industrie et notre com- merce. Louvois organisa Tarmee. Vauban fortifia les places et perfectionna I'art de prendre les villes. 126 HISTOIRE DE FRANCE Turenne, Conde ne demandaient qu'a gagner de nouvelles victoires. Colbert (1619-1683). — Colbert fut, si Ton peut ainsi parler, le ministre de la paix. Fils d'un mar- chand de drap de Reims, il entra au service de Le 5 Tellier, puis a celui de Mazarin. Avant de mourir, Mazarin dit a Louis XIV: « Sire, je vous dois tout, mais je crois ni'acquitter en quelque maniere en vous donnant Colbert.)) Ce fut en effet le ministre le plus sage comme le plus utile de Louis XIV. 10 Parvenu a la plus haute fortune, il ne I'oublia point et ecrivait dans ses instructions a son fils : « Mon fils doit souvent faire reflexion sur ce que sa naissance I'aurait fait etre si Dieu n'avait pas beni mon travail et si ce travail n'avait pas ete ex- 15 treme.)) Ce financier austere et dur, a cet homme de mar- bre )) avait' des sentiments eleves et genereux. « II faut, ecrivait-il a Louis XIV, epargner cinq sous aux choses non necessaires et jeter les millions 20 quand il s'agit de notre gloire. Un repas inutile de 3000 livres me fait une peine incroyable, et lors- qu'il est question de millions d'or pour I'affaire de Pologne, je vendrais tout mon bien, j'engagerais ma femme et mes enfants, et j'irais a pied toute ma 25 vie pour y fournir.)) « Je voudrais, disait-il dans une autre circonstance, que mes pro jets eussent une fin heureuse, que I'abondance regnat dans le royaume, que tout le monde y fiit content, et que, sans emploi, sans dignite, eloigne de la cour et des 30 affaires, I'herbe crut dans ma cour.)) Colbert encouragea I'agriculture, exempta de la taille les families nombreuses et, comme Sully, inter- LOUIS XIV 127 dit la saisie des instruments de labour, mals il cher- cha surtout a developper rir^dustrie. II voulut que la France n achetat plus au dehors les etoffes dont elle avait besoin, attira d'habiles ouvriers et leva, 5 aux f rontieres, de droits considerables sur les^ pro - duits des manufactures etrangeres. Bientot a Se- dan, a Louviers, a Abbeville, a Elbeuf, on fabriqua des draps recherches; a Lyon, des etoffes de sole melees d'or et d'argent; aux Gobelins, a Paris, de 10 plus belles tapisseries que celles de Flandre. Afin de faciliter le commerce, il supprima quel- ques-unes des douanes qui existaient entre les pro- vinces, agrandit les ports, repara les routes. II fit declarer que le commerce de mer ne derogeait point 15 a la noblesse; racheta plusieurs des iles des An- tilles et developpa les colonies en Amerique et en Asie. La marine marchande devint bientot floris- sante, et Louis XIV eut a Brest une flotte militaire de cinquante vaisseaux. 20 Malgre tant de services et bien d'autres que nous ne pouvons enumerer, Colbert, qui cherchait en vain a arreter Louis XIV sur la voie des funestes et ruineuses entreprises, niourut presque disgracie du roi pour la gloire duquel il avait tant travaille. « Si 25 j'avais fait pour Dieu ce que j'ai fait pour cet homme, disait-il, je serais sauve dix fois.)) II refusa de lire une lettre que le roi lui adressait. Le peuple meme, mecontent des derniers edits financiers dont Colbert n'etait certes point coupable, voulait outra- 30 ger les restes de ce grand ministre, trop dur et trop inflexible a la verite pour etre populaire. « Le roi fut ingrat, le peuple fut ingrat, la posterite seule, dit Augustin Thierry, a ete juste.)) ^^^ 128 HISTOIRE DE FRANCE Louvois (1641-1691). — Louvois organisa le sys- teme militaire qui devait se maintenir jusqu'en 1789. Fils de Michel Le Tellier, secretaire d'Etat de la guerre, il fut designe, des I'age de quinze ans, pour obtenir la charge de son pere. II fut en quelque 5 sorte eleve pour les fonctions qu'il allait remplir. Serviteur parfois desagreable, trop souvent com- plaisant, tou jours associe a la pensee de son maitre, il etait integre, soucieux des interets du soldat; il etablit un ordre severe dans I'administration, les 10 subsistances de Farmee, ce qui ne I'empechait pas de faire ravager d'une maniere horrible les pays ennemis. Louvois obligea les proprietaires de regiments (car les regiments etaient alors une propriete) a les 15 tenir complets, a veiller a leur subsistance, a leur habillement, qui fut uniforme dans chaque regi- ment; de la I'origine de Tuniforme. La discipline militaire s'exerga a tons les rangs de la hierarchic militaire, des reproches atteignirent 20 les officiers negligents. Mme de Sevigne nous a conserve un curieux dialogue entre un colonel de bonne famille et le rude ministre. «. M. de Louvois dit I'autre jour tout haut a M. de Nogaret : « Mon- sieur, votre compagnie est en fort mauvais etat. 25 — Monsieur, je ne le savais pas. — II faut le savoir, dit M. de Louvois; I'avez-vous vue? — Non, mon- sieur, dit Nogaret. — II faudrait I'avoir vue, mon- sieur. — Monsieur, j'y donnerai ordre. — II fau- drait I'avoir donne ; car enfin il faut prendre parti, 30 monsieur, ou se declarer courtisan, ou faire son devoir quand on est officier.)) Les officiers gene- raux avancerent selon la duree des services. Lou- LOUIS XIV 129 vois rempla^a la pique par le fusil arme de la ba'ion- nette. II crea des magasins de vivres pour I'appro- visionnement des armees en campagne, des hopi- taux militaires, et, sur les conseils de Louis XIV, 5 fit construire le magnifique Hotel des Invalides. Mais Louvois poussa trop Louis XIV a la guerre et mourut en 1691, au moment ou ses funestes inspira- tions engageaient le roi dans les luttes les plus acharnees contre I'Europe. 10 Vauban (1633-1707) « Ne le plus pauvre gen- tilhomme du royaume,» comme il le disait lui-meme, Sebastien Le Prestre, seigneur de Vauban, n'avait qu'une chaumiere de paysan : une seule chambre, une grange et une ecurie ; on la montre encore dans 15 le Morvan bourguignon, et elle fut longtemps au dix-huitieme siecle occupee par un sabotier. Or- phelin a Tage de dix ans, il regut quelques legons du pauvre cure de son village, pour lequel il travail- lait en echange de I'abri qu'il avait regu chez lui. 20 A dix-sept ans, il s'engage dans les troupes de Conde pendant la Fronde, se distingue, est fait pri- sonnier. Mazarin, qui a entendu dire que le jeune soldat s'entend en fortifications, le convertit facile- ment a la cause royale. On I'attache comme aide 25 a un homme mediocre qui passait pour le premier ingenieur du temps. Vauban eut bientot depasse son maitre, qui mourut a temps pour lui laisser sa place; des 1677 il fut nomme commissaire general des fortifications du rojaume. 30 Sa vie militaire est des mieux remplies : « il a fait reparer 300 places fortes anciennes, en a fait cons- truire 33 neuves ; il a conduit 53 sieges et s'est trou- ve en personne a 143 engagements de vigueur.)) II 130 HISTOIRE DE FRANCE porte Tart de la defense au degre de perfection ou il avait aussi porte I'art de I'attaque, de sorte que dans Tarmee il y avait deux dictons militaires : « Ville assiegee par Vauban, ville prise ; ville for- tifiee par Vauban, ville imprenable.)) 5 Vauban, pour lui-meme hardi jusqu'a la temerite, se montra tou jours menager au plus haut degre du sang des autres ; a ce point de vue, rhomme de guerre est digne de veneration. « II ne faut jamais, a-t-il ecrit quelque part, faire a decouvert ni par 10 force ce qu'on peut faire par industrie. La preci- pitation ne hate point la prise des places ... II vaut mieux briiler plus de poudre et verser moins de sang.)) — (( Sire, disait-il a Louis XIV, j'aime mieux conserver 100 soldats a Votre Majeste que 15 d'en tuer 3000 aux ennemis ; )) et une autre fois : « Vous gagnerez un jour, mais vous perdrez 1000 hommes : ne le faites pas ; )) ou : « Vous perdrez tel homme qui vaut mieux que le fort : n'attaquez pas.)) — C'etait, nous dit Saint-Simon qui n'a pas 20 habitude de flatter, « le plus honnete homme et le plus vertueux homme de son siecle, le plus simple, le plus vrai, le plus modeste.)) C'etait aussi un grand citoyen, pour lequel ce severe Saint-Simon crea le nom de patriote. 25 Jeune, ardent, ambitieux, Louis XIV voulut en- core agrandir la France. Dans une campagne qui sembla le voyage d'une cour (1667), il fit la con- quete de la Flandre et gagna la possession de la forte place de Lille, conquete precieuse qui fut con- 30 firmee par le traite d'Aix-la-Chapelle (1668). En 1672, il envahit la Hollande et s'en fut rendu maitre si les Hollandais, desesperes, n'eussent rompu les LOUIS XIV 131 digues qui retenaient la mer, et inonde une partie de leur pays. lis furent soutenus par une coalition des princi- pales puissances de I'Europe. Mais les armees de 5 Louis XIV tinrent tete aux HoUandais, aux Alle- mands, aux Espagnols. Conde gagna sur Guil- laume d'Orange, chef ou stathouder de la Hollande, la sanglante bataille de Senef (1674). Turenne delivra I'Alsace, envahie par les Imperiaux, et les 10 poursuivit en Allemagne (1675). Malheureuse- ment I'armee se vit tout a coup privee de ce grand general, qui fut tue par un boulet. Les Frangais battirent en retraite. II fallut envoyer le prince de Conde pour prendre le commandement ; mais ce fut 15 la aussi sa derniere campagne. Son age et ses in- firmites le condamnaient au repos. Bien que prive de ces deux fameux capitaines, Louis XIV continua la guerre, prit les villes de Valenciennes, de Cambrai, de Gand, et signa les 20 traites de Nimegue (1678) qui lui assuraient la possession de la Flandre et celle de la Franche- Comte. Mort de Turenne. — La plus belle de toutes ceS campagnes fut celle de Turenne, qui, en plein hiver, 25 delivra I'Alsace, occupee par les Imperiaux. Mal- heureusement c'etait sa derniere. Au mois de juil- let 1675, Turenne, qui etait alle chercher les Im- periaux au dela du Rhin, avait en face de lui un ad- versaire redoutable, Montecuculli. Tous deux, en 30 generaux habiles, semblaient faire, avec leurs ma- noeuvres savantes, une vraie partie d'echecs. La partie etait sur le point de se terminer, et Turenne allait la gagner. II avait choisi pour livrer bataille 132 HISTOIRE DE FRANCE d admirables positions. II n'avait pu, lui d'ordi- naire si modeste, s'empecher de s'ecrier en voyant les ennemis : « Je les tiens ! » Le 27 juillet 1675, la veille de la bataille, Turenne acheve ses dernieres dispositions. Dans le milieu de la journee, pres 5 d'un bouquet de vieux arbres, il s'assied sur le gazon pour dejeuner tranquillement. Vis-a-vis se trou- vait une batterie ennemie, dont les decharges ne troublerent point le repas frugal du heros. Cepen- dant le lieutenant general Saint-Hilaire etait sou- 10 cieux. Cette batterie suspecte lui paraissait avoir pour but de detourner I'attention d'un mouvement que faisaient les troupes ennemies. II alia en ob- servation et se confirma dans son opinion. Aussi- tot il en fait part a Turenne. Turenne monte a 15 cheval pour aller reconnaitre le point faible ou I'en- nemi se proposait de porter ses efforts, et I'emplace- ment d'une batterie que Saint-Hilaire voulait y eta- blir. (( Oui, dit Turenne en arrivant au lieu desi- gne, oui, Saint-Hilaire, le conseil est bon : dressez 20 une batterie ici.)) Au meme moment, un boulet casse le bras de Saint-Hilaire et vient frapper Turenne au coeur. Le fils de Saint-Hilaire, voyant son pere blesse, se jette sur lui en pleurant: « Ce n'est pas moi, mon fils, repond le blesse en montrant le ca- 25 davre de Turenne, c'est ce grand homme qu'il faut pleurer.)) Ce fut, en effet, une perte irreparable et un deuil universel. Le secret de la bataille du lendemain perit avec Turenne. L'armee fut saisie d'une vraie 30 panique; il fallut battre en retraite, et les soldats, repetant « qu'ils avaient perdu le^Jir pere,)) repas- serent le Rhin. Louis XIV fit rendre les plus LOUIS XIV ^33 grands honneurs a Turenne et voulut qu'il fut eii- terre dans les caveanx de Saint-Denis ; depuis on I'a transports aux Invalides. 11 fallut, pour retablir les affaires, une campagne 5 de Conde. Mais ce fut, a lui aussi, sa derniere cam- pagne. Ses infirmites lobligerent a se retirer dans son domaine de Chantilly. II y passa le reste de sa vie, qui se prolongea jusqu'en i686, se consolant de ses douleurs dans la conversation des hommes de lo genie en tout genre dont la France etait alors rem- plie. Une foule de poetes, de savants, d'orateurs, d'artistes, rehaussait et glorifiait par des chefs- d'oeuvre immortels ce regne si brillant. Louis XIV est alors au comble de la puissance. 15 II n'y avait qu'une autorite en France, celle du roi. Loui's XIV ne voulut plus qu'une foi religieuse. Cependant les protestants, paisibles, ne formaient plus un parti politique ; mais Louis XIV voulut les forcer a se convertir. Enfin il revoqua VEdit de 20 Nantes (1685). L'exercice du culte protestant fut interdit, ses ministres furent bannis du royaume ; trois cent mille reformes les suivirent malgre ^la surveillance rigoureuse exercee pour empecher I'e- niigration et les supplices qui la punissaient. Cette 25 persecution depeupla un quart du royaume. File arreta les progres de I'industrie, qui presque tout entiere etait entre les mains des protestants. ^ File fit passer les secrets de nos manufactures aux etran- gers et fit fleurir leurs fitats aux depens du notre. 30 " Louvois, pour hater le succes des missions or- ganisees pour la conversion des protestants, imagina d'y meler du militaire. II logea des gens de guerre chez les calvinistes. Ces soldats commirent les plus 134 HISTOIRE DE FRANCE grands exces, et, comme les dragons se distmguerent surtout par les violences, on appela cette execution les Dragonnades. ■ L'intendant de Beam ecrivait dans son journal : (( II s'est converti six cents personnes dans cinq villes 5 ou bourgs sur le simple avis que les compagnies etaient en marclie. De quatre mille religionnaires qu'il y avait a Orthez, il s'en convertit deux mille avant I'arrivee des troupes, en sorte que, pendant le sejour que j'y fis avec des missionnaires, ils se lo convertirent tons, a la reserve de vingt families opiniatres.)) Les nouvelles de conversions ainsi ar- rachees arrivaient par milliers a la cour. Louvois ecrivait a son pere, le chancelier Le Tellier : « II s'est fait 60,000 conversions dans la generalite de 15 Bordeaux et 20,000 dans celle de Montauban. La rapidite dont cela va est telle qu'il ne restera pas 10,000 religionnaires dans toute la generalite de Bordeaux, ou il y en avait 150,000 le 15 du mois passe.)) 20 Ces conversions apparentes firent illusion a Louis XIV et lui persuaderent qu'il n'avait plus qu'a signer la revocation de I'fidit de Nantes pour que le protestantisme fut detruit. Ce fut le commence- ment de ses fautes et de ses malheurs. 25 Cette persecution des protestants contribua a rendre plus hostiles les nations protestantes, aux- quelles se joignirent les nations catholiques ef- frayees deja de I'ambition de Louis XIV. La ligue d'Augsbourg se forma (1686). Louis XIV en- 30 gagea la lutte (1688) et bientot compliqua cette nouvelle guerre en voulant retablir sur le trone d'Angleterre le roi Jacques II, renverse par ses LOUIS XIV 135 sujets, qu'il avait voulu ramener au catholi- cisme. Les vaisseaux franqais, conduits par I'amiral Tourville, porterent Jacques II et une armee en Ir- S lande (1690). Mais la cause de ce roi incapable etait desesperee. Louis XIV ne s'en obstina pas moins. Tourville soutint un combat glorieux sur mer contre des forces superieures, mais une partie de ses vaisseaux vint echouer dans la rade de la 10 Hougue, ou leurs equipages les brulerent pour ne pas les laisser prendre par I'ennemi (1692). On ne livra plus des lors de grands combats sur mer, mais de hardis marins, Jean Bart, Duguay- Trouin et une foule d'autres, dans leurs courses 15 audacieuses, infatigables, causent beaucoup de mal au commerce ennemi. Jean Bart et Duguay-Trouin etaient les fils d'ar- mateurs, I'un de Dunkerque, I'autre de Saint-Malo. Jean Bart tout enfant avait revele sa vocation ; il se 20 plaisait surtout, dans les longues veillees, a cons- truire de petits navires. Jean Bart entre comme lieutenant dans la marine royale en 1679. Duguay- Trouin, plus jeune, n'y entre qu'a la fin de la guerre de la ligue d'Augsbourg. Leurs noms toute- 25 fois retentissent ensemble pendant cette guerre. Jean Bart, fait prisonnier par trahison, menace de mettre le feu aux poudres du batiment sur lequel on I'a attire si on ne le delivre aussitot. Duguay-Trouin, avec son navire, soutient seul 30 un combat acharne pendant douze heures contre six navires anglais. Jean Bart s'en va chercher, dans le Nord, un convoi de ble vivement attendu de la France affamee; il le rencontre, mais deja I $6 HISTOIRE DE FRANCE pris et escorte de huit vaisseaux de guerre hollan- dais ; avec six fregates, il attaque les huit vaisseaux, les bat, en prend trois et rentre triomphant avec le convoi de ble (1694). En 1696, quatorze vais- seaux bloquent Dunkerque pour empecher Jean 5 Bart de sortir : il sort neanmoins ; il rencontre une flotte marchande hollandaise bien escortee : il prend cinq vaisseaux et vingt-cinq batiments marchands. Survient une flotte hollandaise: Jean Bart renvoie ses prisonniers sur les cinq vaisseaux dont il s'est 10 rendu maitre, et briile les autres navires en presence des ennemis stupefaits. Duguay-Trouin, non plus que lui, ne compte ses adversaires et, comme lui, marque chaque annee par des prises nombreuses qui ruinent bien plus encore I'ennemi qu'elles n'en- 15 richissent les armateurs. Duguay-Trouin, luttant contre six vaisseaux anglais, force, I'epee a la main, ses matelots a retourner a un combat dont ils ne veulent plus. Un officier se plaignait d'avoir ete mal seconde par son equipage. « Mon cher, lui re- 20 pondit Duguay-Trouin, c'est que vous n'aviez pas de courage pour eux tons.)) Jean Bart transportait le prince de Conti en Pologne ; on rencontra des forces ennemies bien superieures, mais on leur echappa. « C'est bien heureux, dit le prince, car 25 nous etions pris. — Non, repondit Jean Bart. — Comment auriez-vous fait ? — Plutot que de me rendre, dit froidement le capitaine, j'aurais fait mettre le feu au-vaisseau: nous aurions saute, mais ils ne nous auraient pas pris.)) Le prince fremit 30 a cette revelation : « Le remede est pire que le mal, dit-il; je vous defends de vous en servir tant que je serai sur votre vaisseau.)) LOUIS XIV 137 Jean Bart meurt en 1702 prematurement, car il n'avait que cinquante ans. Duguay-Trouin lui sur- vit et fournit une brillante carriere pendant la nou- velle Ititte que Louis XIV soutient de 1702 a 1714 5 contre I'Europe coalisee. Guerre de la Succession d'Espagne. — Les guerres nombreuses avaient deja epuise le royaume quand, en 1700, mourut le roi d'Espagne, Charles II, frere de la reine de France. Louis XIV pretendait 10 a la succession pour ses enfants. D'ailleurs, par un testament qu'on avait su obtenir de lui, Charles II avait legue a un petit-fils de Louis XIV la mo- narchic espagnole, qui comprenait I'Espagne, les Pays-Bas, le royaume de Naples et le Milanais. 15 Louis, presentant son petit-fils a sa cour, dit simple- ment : « Messieurs, voila le roi d'Espagne.)) Puis se tournant vers son petit-fils, il lui dit : « Seulement n'oubliez pas que vous etes fils de France.)) L'am- bassadeur d'Espagne fit observer que le passage 20 allait devenir aise, « que les Pyrenees etaient fon- dues.)) On a fait de cette remarque ie mot celebre : (( II n'y a plus de Pyrenees.)) L'Europe s'effraya de la puissance que cet avene- ment d'un prince franqais au trone d'Espagne don- 25 nait a notre pays. EUe craignit que I'Espagne, ritalie, les Pays-Bas fussent un jour reunis a la France, et Louis XIV commit la faute de laisser voir qu'il esperait cette reunion. La France eiit alors constitue une puissance beaucoup plus redoutable 30 que celle de Charles-Quint. Des lors ce fut de la part de I'Europe une haine violente et une guerre acharnee qui se prolongea treize ans. ]Les premieres annees, Louis Xiy soutint la lutt^ 138 HISTOIRE DE FRANCE avec avantage, mais il confiait trop souvent ses armees a cles favoris et pretendait les diriger de Versailles. II fallut sortir de rAUemagne, puis de I'ltalie apres la bataille de Turin (1706). Les de- faites de Ramillies (1706), d'Oudenarde (1708), 5 nous forcerent a abandonner les Pays-Bas. La France fut envahie. Malgre Theroique defense du marechal de Bouf flers, la ville de Lille dut capituler (1708). Des cavaliers ennemis coururent jusqu'a Versailles et enleverent sur le pont de Sevres un 10 officier de la maison du roi qu'ils prirent pour le dauphin. L'hiver de 1709 fut horrible. « Une gelee, qui dura pres de deux mois de la meme force, avait, des ses premiers jours, rendu les rivieres solides jusqu'a 15 leur embouchure et les bords de la mer capables de porter des charrettes. Les arbres fruitiers pe- rirent, il ne resta plus ni noyers, ni oliviers, ni pom- miers, ni vignes ; les autres arbres moururent en tres grand nombre; les jardins perirent et tous les 20 grains dans la terre. On ne pent comprendre la de- solation de cette ruine generale.)) Louis XIV, courbant son orgueil devant tant de malheurs, demanda la paix. Les coalises, le croyant reduit a toute extremite n'en devinrent que plus 25 acharnes : ils voulurent le forcer a chasser lui-meme Philippe V d'Espagne. « Mieux vaut faire la guerre a mes ennemis qu'a mes enfants,)) repondit- il, et il releva la tete; il ecrivit a tous les gouver- neurs, aux eveques, une lettre noble et patriotique. 30 Le sentiment national eclata et fit oublier toutes les souf frances. « Les soldats de Villars n'avaient - point de pain et ils etaient gais.)) — « Quand des LOUIS XIV 139 brigades marchent, ecrivait Villars, il faut que les brigades qui ne marchent pas jeiinent. On s'ac- coutume a tout. Je crois cependant que I'habitude de ne pas manger n'est pas bien facile a prendre.)) 5 Attaques a Malplaquet (septembre 1709), les sol- dats jeterent le pain qu'on venait de leur distribuer, pour courir plus legerement au combat. lis furent vaincus, mais causerent a I'ennemi plus de mal qu'ils n'en regurent. L'espoir revint a la France. 10 En Espagne, Vendome gagna la bataille de Villa- viciosa et dit a Philippe V fatigue : « Je vais vous faire donner le plus beau lit sur lequel un roi ait couche.)) II fit apporter les etendards et les dra- peaux pris a I'ennemi. 15 Des malheurs domestiques vinrent, en meme temps que les malheurs de I'fitat, accabler Louis XIV vieillissant. Le dauphin mourut en 1711; le fils du dauphin, le due de Bourgogne, mourut avec sa femme en 1712. Louis XIV se trouva 20 presque isole ; il n'avait plus pour heritier qu'un arriere-petit-fils age de cinq ans. Et a ce moment la France etait menacee d'une invasion. Louis XIV confia a Villars sa derniere armee, il lui dit d'un ton penetre : « Vous voyez mon etat, monsieur le 25 marechal ; il y a bien peu d'exemples de ce qui m'ar- rive et que Ton perde, dans la meme semaine, son petit-fils, sa petite belle-fille, et leur fils, tons de tres grande esperance et tres tendrement aimes. Dieu me punit: je I'ai bien merite,)) puis il ajouta: 30 (( La confiance que j'ai en vous est bien marquee, puisque je vous remets les forces et le salut de I'fitat.. Je connais votre zele et la valeur de mes troupes, mais enfin la fortune pent vous etre contraire: s'il I40 HISTOIRE DE FRANCE arrivait ce malheur a rarmee que vous commandez, quel serait votre sentiment sur le parti que j'aurais a prendre ? » Villars n'osait repondre, balbutiait. Le roi reprit : « Je compterais aller a Peronne ou a Saint-Quentin y ramasser tout ce que j'aurais de s troupes, faire un dernier effort avec vous et perir ensemble ou sauver I'fitat.)) Noble parole qui en fait oublier d'autres, trop egoistes ; il n'eut pas be- soin de la tenir. Villars, avec une habile et lieureuse audace, en- lo leva un camp retranche a Denain (1712). Ce fut une victoire complete, que suivit la conquete des places surprises par les ennemis. La France etait sauvee. Louis XIV et les lettres. — La France, a cette 15 epoque, s'enorgueillissait de ses ecrivains et de ses artistes, que Louis XIV encourageait. Aussi a-t- on reconnu cette protection royale en reunissant au- tour de son nom tons les hommes de genie du siecle. Le roi combla de faveurs Racine, qui nous a laisse 20 des tragedies aussi nobles que touchantes; Boileau, qui par ses preceptes et ses exemples donna dans ses vers les regies de Tart d'ecrire; Moliere, dont les comedies spirituelles tournaient en ridicule les vices et les defauts de la societe. Apprenant qu'a sa cour 25 Moliere subissait des avanies parce qu'il etait come- dien^ Louis XIV le fit un jour, asseoir a sa table: ((Vous me voyez, dit-il aux seigneurs, occupe a faire manger Moliere, que mes officiers ne trouvent pas d'assez bonne compagnie pour eux.)) 30 Boileau, dont les satires etaient mordantes, avait cependant le caractere le plus genereux. Appre- nant que des necessites financieres avaient fait sup- LOUIS XIV 141 primer la pension du vieux Corneille/ il ecrivait aussitot au roi et offrit le sacrifice de sa propre pension. Louis XIV n'accepta pas ce sacrifice, maintint la pension de Corneille et lui envoya en 5 outre deux cents louis d'or. Mais le charmant fabuliste La Fontaine deplaisait au roi, qui ne comprenait pas le genie du Bon- ho^me aujourd'hui tant aime de I'enfance. En 171 5 Louis mourait, a I'age de yj ans, laissant 10 la France plus grande qu'il ne I'avait regue, mais meurtrie et epuisee. 1 Voir page 117. 142 lilSTOlRE DE FRANCE CHAPITRE XV LOUIS XV (1715-1774) Louis XV; la Regence. — Une joie inconvenante accompagna les funerailles du grand roi. La Re- gence commenga, temps reste fameux par la licence a laquelle s'abandonnerent la cour et la noblesse, in- vitees au plaisir par le regent lui-meme, le due 5 d'Orleans, neveu de Louis XIV, qui se degrada au milieu des debauches avec ses amis. La grande difficulte etait de trouver de Targent pour payer les dettes de I'fitat et aussi celles des seigneurs. Le due d'Orleans accorda sa confiance 10 a un ficossais Lav/. Celui-ci voulait repandre I'u- sage du papier comme monnaie. II crea une banque qui emettait des billets tres utiles pour les grandes transactions. II fonda aussi une Conipagnie des Indes, destinee, selon lui, a realiser d'immenses be- 15 nefices ; tout le monde voulait s'associer a une entreprise qui promettait d'etre si fructueuse et on acheta en foule des actions de la compagnie. Toutes les tetes etaient tournees. Le prix de ces actions s'elevant sans cesse, avec une rapidite incroyable, 20 on n'avait qu'a revendre aussitot pour faire des gains enormes : des artisans, des laquais devinrent millionaires. Pour satisfaire I'avidite du public, on multiplia outre mesure les billets de la banque, re- LOUIS XV 143 unie a la Compagnie. La confiance s'ebranla; on voulut de Targent, la banque ne put en donner : tons les porteurs de billets se trouverent n'avoir que du papier. Ce fut une mine immense. Law s'enfuit 5 (1720). Mais s'il avait echoue, il avait revele la puissance du credit. Louis XV etait a peine reconnu majeur, en 1723, que le regent mourut; son ministre trop pen scru- puleux, le cardinal Dubois, 1 'avait precede au tom- 10 beau. Le due de Bourbon, homme avide et sans moeurs, prit la place de premier ministre. Le roi de Pologne detrone, Stanislas Leczinski, vivait en France oti on I'avait accueilli. L^n jour il entre dans la chambre ou etaient sa femme et sa fille. 15 (( Mettons-nous a genoux, dit-il, et remercions Dieu. — Seriez-vous rappele au trone de Pologne ? lui dit sa fille. — C'est bien mieux, vous etes reine de France ! » La pieuse et douce Marie Leczinska devint, en effet, la femme de Louis XV, qui, a 20 Texemple de son aieul, ne tarda pas a la delaisser, poussant le scandale bien plus loin que Louis XIV. En 1733, le cardinal Fleury, ancien precepteur de Louis XV, et qui avait succede au due de Bourbon, fut oblige, malgre son amour de la paix et de I'eco- 25 nomie, de prendre part a une guerre presque gene- rale et dite de la succession de Pologne. Cette guerre, qui aurait pu avoir de grands resultats, si elle avait ete energiquement conduite, releva cepen- dant, par quelques victoires, le prestige de nos 30 armes, et la France parut au traite de Vienne (1738) Tarbitre de I'Europe. Stanislas n'eut point le trone de Pologne, mais garda le titre de roi, si desire pour Thonneur de son gendre : on lui ceda 144 HISTOIRE DE FRANCE la Lorraine; apres sa mort, cette province, impor- tante comme frontiere, devait retourner a la France. Ce retour eut lieu en 1766. Bataille de Fontenoy (1745). — Le cardinal Fleury, plus qu'octogenaire et peu belliqueux, vit 5 encore, malgre lui, commencer une guerre generale a I'occasion de la succession au trone d'Autriche (1740- 1 748). Plusieurs competiteurs disputaient a la fois les fitats autrichiens a Marie-Therese et la couronne imperiale a Francois de Lorraine. Cette 10 guerre ne profita qu'au roi de Prusse, le celebre Frederic II, qui se porta avec trop peu de loyaute tantot d'un cote, tantot de I'autre. La France se rangea parmi les ennemis de I'Autriche. Notre armee, mal payee, mal nourrie par le trop 15 econome Fleury, se disperse, apres de faciles succes, partout ou elle pent vivre. En 1744, Louis XV, j usque-la inerte, fit un effort. II entre dans les Pays-Bas avec Maurice de Saxe qui s'empare de plusieurs villes. On mit le siege devant Tournai. 20 Les Anglais et les Hollandais vinrent pour defendre cette place et il fallut se battre a Fontenoy (1745). Les Frangais etaient retranches dans d'excel- lentes positions et appuyes au village de Fontenoy. On s'aborda. Un regiment des gardes anglaises 25 parut le premier. A cinquante pas de distance, les officiers anglais saluerent les Fran^ais en otant leurs chapeaux. Les officiers des gardes-frangaises leur rendirent leur salut. Lord Charles Hay, capi- taine aux gardes-anglaises, cria : « Messieurs des 30 gardes-frangaises, tirez.)) Le comte d'Auteroche leur dit a voix haute : « Messieurs, nous ne tirons jamais les premiers ; tirez vous-memes.)) Les An- LOUIS XV 145 glais firent un feu roulant. Dix-neuf officiers des gardes tomberent blesses a cette seule decharge, 95 soldats demeurerent sur la place, 215 furent blesses, sans compter les ravages faits dans les regiments 5 suisses. Le premier rang abattu, les autres terri- fies se disperserent. Les Anglais, formant une co- lonne longue et epaisse, avangaient a pas lents, comme faisant I'exercice. Le marechal de Saxe, qui voyait de sang-froid combien I'affaire etait pe- 10 rilleuse, fit dire au roi qu'il le conjurait de se retirer avec le dauphin. ((Oh! je suis bien siir qu'il fera ce qu'il faudra, repondit le roi, mais je resterai oil je suis.)) Le marechal de Saxe tente une derniere attaque : on braque des pieces de canon qui font de 15 larges trouees dans I'epaisse colonne anglaise; tons les regiments I'enveloppent : la colonne s'entr'ouvre, est mise en pieces et la bataille est gagnee. Cette victoire eut d'importants resultats ; elle nous donna tous les Pays-Bas, et les ennemis se de- 20 ciderent enfin a signer la paix d'Aix-la-Chapelle (1748). Mais a cause de quelques defaites en Italic et sur mer, Louis XV (( qui traitait en roi et non en marchand,)) ne sut rien demander pour nous. Nous tenions les Pays-Bas ; il les rendit. (( La 25 France en rendant ses conquetes, dit le marechal de Saxe, s'est fait la guerre a elle-meme. Les enne- mis ont conserve leur meme puissance; elle seule s'est affaiblie.)) Guerre de sept ans(i756-i763). — Huit ans apres, 30 I'Angleterre, jalouse de notre prosperite renaissante, nous declarait de nouveau la guerre. Dupleix aux Indes. — Tout le fort de cette guerre se passa dans les Indes et en Amerique, car TAn- 146 HISTOIRE DE FRANCE gleterre etait principalement jalouse de nos colonies qui n'avaient jamais connu une si grande prosperite. Aux Indes, nous aurions conquis un immense em- pire si le gouvernement avait soutenu les entreprises intelligentes et hardies de Dupleix. Fils d'une fa- 5 mille de financiers et d'administrateurs, Dupleix devint, par I'influence de son pere, un des directeurs de la Compagnie. Nomme gouverneur general des possessions frangaises en 1741, il avait conqu, pour etablir notre puissance dans ces contrees, le pro jet 10 de s'immiscer dans les querelles des sduverains de rinde. Dupleix etait surtout aide par sa femme, Jeanne Albert, fille d'un medecin de Paris et d'une Creole portugaise, celebre dans Tlnde sous le nom de princesse Jeanne; familiere avec tous les dia- 15 lectes du pays, elle entretint, pour le compte de son mari, une vaste correspondance diplomatique. Du- pleix, intervenant dans les guerres que se faisaient les gouverneurs des provinces, acquit deux cents lieux de cotes. Mais il n'obtenait pas de renforts ; 20 il eprouva quelques echecs. Enfin le ministere an- glais se plaignit imperieusement du genie ambitieux de cet homme qui troublait toute TAsie ; le deplo- rable gouvernement de Louis XV rappela Dupleix (1755). Avec lui disparut son oeuvre; un jeune 25 commis de la compagnie anglaise, devenu le general Clive, suivit ses traces, et, mieux compris, donna a sa patrie un vaste empire qui aurait pu etre le notre. Montcalm au Canada. — Meme desastre au Ca- nada. Pour sauver le Canada il eut suffi de cinq 30 ou six mille soldats, et de quelques millions d'ar- gent; on ne jugea pas a Versailles que la Nouvelle- France, si digne de ce nom par son devouement a LOUIS XV 147 la mere patrie, meritait ce sacrifice. « Ces deserts glaces,)) comme on disait, coutaient trop cher a de- fendre. « Nous combattrons, ecrivait Montcalm au mi- 5 nistre qui I'abandonnait, et nous nous ensevelirons, s'il le faut, sous les mines de la coionie.)) La popu- lation canadienne etait digne d'un pareil chef. On decida que tons ceux qui pouvaient porter un fusil iraient a la guerre, et qu'on laisserait les travaux des 10 champs aux femmes, aux moines, aux enfants, aux vieillards. Mais Montcalm et ses braves troupes ne pouvaient etre partout sur la ligne immense des operations. L'ennemi parut enfin devant Quebec; Montcalm 15 prend avec lui ce qu'il a de troupes disponibles, court aux Anglais pour ne point leur laisser le temps de rendre lexir position inexpugnable, et se trouve avec 4500 hommes en face de 8000, ranges en carre et decides a se bien battre, car, en cas de 20 defaite, la retraite leur est impossible; Bougain- ville, le fameux navigateur, alors colonel, n'etait pas loin de la avec 3000 hommes. Montcalm ne I'attend pas; il ne se donne meme pas le temps de ranger son armee en deux lignes ; il n'etablit pas de 25 reserve; il oublie toute sa science au moment ou il fallait surtout s'en souvenir. Le general anglais Wolfe avait donne I'ordre de ne tirer qu'a vingt pas, et avait fait mettre deux balles dans les fusils. Ce feu meurtrier causa du desordre dans les rangs 30 franqais. Les Canadiens, excellents comme tirail- ' leurs, valaient moins en ligne, ils se replierent pour se battre a leur maniere, isolement, derriere les arbres. Wolfe deploya alors ses colonnes et chargea 148 HISTOIRE DE FRANCE a son tour. Deja blesse au poignet, il se mit a la tete de ses grenadiers : une balle I'atteignit encore et lui traversa la poitrine ; on Temporta sur les derrieres de Tarmee, tandis que les siens pour- suivaient leurs succes. « lis f uient ! » s'ecrie un de 5 ceux qui accompagnaient le general mourant. Cette parole le ranime. « Qui ? demande-t-il. — Les Fran- gais, lui repond-on. — Alors je meurs content.)) Montcalm tombait au meme moment. Malgre deux blessures, il dirigeait la retraite, lorsqu'un coup 10 de feu dans les reins le jeta a bas de son cheval. (( Au moins, dit-il, je ne verrai pas les Anglais dans Quebec.)) II mourut le lendemain. Ses soldats Tenterrerent dans un trou fait par une bombe. Trois jours apres, Quebec capitula. 15 Un habile ministre, le due de Choiseul, essaya de relever le royaume en retablissant la marine et en reformant I'armee; a la mort de Stanislas (1766), il reunit a la France la Lorraine, et puis en 1768 acheta I'ile de Corse aux Genois. 20 Choiseul tendait aussi une main amie a la Pologne que menagaient la Prusse, la Russie et TAutriche. Mais la grande politique ne convenait pas aux cour- tisans de Louis XV. Choiseul s'etait fait de puis- sants ennemis en bannissant les jesuites (1762), il 25 ne voulut pas s'humilier devant une nouvelle favo- rite, la cynique Mme du Barry et il fut disgracie ( 1770) . Le chevalier Meaupou et I'abbe Terray, con- troteur des finances, prirent le pouvoir : ils entrerent en lutte contre les parlements. La magistrature 30 elevait en ef fet la voix contre ce gouvernement qui patronnait I'association dite Facte de famine pour Taccaparement des grains; qui laissait demembrer LOUIS XV 149 la Pologne (1773) et creusait chaque jour le gouffre du deficit. Les coleres s'amassaient. Louis XV disait (( Ceci durera bien autant que moi, mon suc- cesseur s'en tirera comme il pourra.)) Et la favorite 5 repetait avec lui : « Apres nous le deluge.)) Le mouvement intellectuel etait immense; jamais on n'avait mieux compris le vice des institutions et les abus qu'au moment ou le pouvoir cherchait a les maintenir sans compensation. Le gouvernement de- 10 meurait absolu. Louis XV n'etait pas homme a oublier les leqons qu'il avait regues. Lorsqu'il etait jeune, la multitude, le jour de la fete de Saint- Louis, encombra le jardin des Tuileries, pour le voir. Le marechal de Villeroy, son gouverneur, lui fit re- 15 marquer cette multitude prodigieuse qui venait pour le saluer: ((Voyez, lui disait-il, cette affluence, ce peuple ; tout cela est a vous, vous en etes le maitre,)) et sans cesse lui repetait cette le^on pour la lui bien inculquer. 20 Les lettres de cachet (ordres d'emprisonnement) se donnaient avec une facilite incroyable. A la mort de Louis XIV « il y eut, dit Saint-Simon, des his- toires fort e,tranges. Parmi les prisonniers de la Bastille, ^ il s'en trouva un arrete depuis trente-cinq 25 ans, le jour qu'il arriva a Paris, d'ltalie d'oii il etait, et qui venait voyager. On n'a jamais su pourquoi, et sans qu'il eiit jamais ete interroge, ainsi que la plupart des autres. Quand on lui annon^a sa liberte, il demanda tristement ce qu'on pretendait qu'il en 1 Forteresse construite a la Porte Saint- Antoine par Charles V. Cette forteresse tenait la capitale sous son canon, et depuis long- temps elle $?rvait de prison d'^^tfit, 150 HISTOIRE DE FRANCE put faire. II dit qu'il n'avait pas un sou, qu'il ne connaissait personne a Paris, pas meme une seule rue, que ses parents d'ltalie etaient apparemment morts. II demanda de rester a la Bastille le reste de ses jours avec la nourriture et le logement.)) 5 Devant les tribunaux point de defenseur pour Tac- cuse, procedure tou jours secrete, la question ou la torture pour arracher des aveux, et comme sanction de lois inegales et cruelles, des supplices plus cruels encore. 10 Les crimes, du reste, etaient nombreux, parce que la misere etait profonde. D'Argenson ecrivait, pour Tannee 1739 : « En pleine paix, avec les apparences d'une recolte, sinon abondante, du moins passable, les hommes meurent tout autour de nous, comme 15 des mouches, de pauvrete, et broutent I'herbe. Le cri sinistre : a Du pain ! Du pain ! » sera le premier cri des emeutes terribles de la Revolution. Cette Revolution est prochaine.)) LOUIS XVI — LA REVOLUTION I^I CHAPITRE XVI LOUIS XVI — LA REVOLUTION (1774-1793) Louis XVI.— Le fils de Louis XV, le Dauphin, etait mort avant lui, en 1765, laissant trois fils qui, comme les trois fils de Philippe le Bel, et comme les trois derniers Valois, devaient tons monter sur le 5 trone, mais aussi etre les derniers rois de la maison de Bourbon. A I'avenement de I'aine, Louis XVI (1774), qui avait vingt ans, on espera un change- ment complet de I'fitat. On trouva un matin sur le piedestal de la statue de Henri IV, au Pont-Neuf , 10 cette inscription : « II est ressuscite.)) Louis XVI comprenait peu les progres politiques a realiser, mais il avait un desir sincere d'ameliorer la condition du peuple : il encouragea toutes les in- ventions, toutes les decouvertes utiles. II fut un 15 des premiers a comprendre I'utilite de la vaccine et a la defendre contre les prejuges. II encouragea et seconda Parmentier qui s'efforgait de repandre I'usage de la pomme de terre ; pour vaincre le de- dain des courtisans, il fit servir sur sa table ce mets 20 aujourd'hui populaire et porta a sa boutonniere la fleur de cette plante meprisee. Louis XVI, pour eviter de grands malheurs, n'au- rait eu qu'a soutenir de son autorite les deux hommes de bien qu'il avait d'abord fait entrer au 152 HISTOIRE DE FRANCE ministere, Malesherbes et Turgot. Malesherbes voulait reformer la justice, donner des defenseurs aux accuses, rendre aux protestants la liberte de conscience et a tons les Frangais la siirete de leur personne par la suppression des lettres de cachet. 5 Turgot, deja renomme par I'habilete qu'il avait deployee dans I'administration du Limousin, voulait proclamer la liberte du commerce et de I'industrie alors genes par une foule d'entraves. Afin de pre- venir les famines trop nombreuses dans le cours 10 du dix-huitieme siecle, il rendit libre le commerce des grains et ameliora la navigation interieure. Mais ces reformes soulevaient contre lui tous les privilegies qu'elles blessaient. Malesherbes, le premier, donna sa demission au 15 roi, qui lui dit : « Vous etes plus heureux que moi, vous pouvez abdiquer.)) Turgot attendit d'etre ren- voye. Louis XVI eut la faiblesse de congedier un ministre dont il avait dit : « II n'y a que Turgot et moi qui aimons le peuple.)) 20 Guerre d^Amerique (i 778-1 783). — La guerre d'Amerique vint un moment faire diversion aux difficultes interieures. Les colonies, que TAngle- terre avait fondees au dela de I'Atlantique, s'etaient soulevees et avaient, en 1776, proclame leur inde- 25 pendance. Un planteur devenu general, Washington, di- rigeait les armees. Franklin, autre grand citoyen, homme aussi savant que vertueux, qui a invente le paratonnerre et travaille a la delivrance de sa patrie, 30 vint solliciter les secours de la France. Le jeune marquis de La Fayette alia le premier offrir son epee a Washington, Louis XVJ envoya 8000 LOUIS'' XVI — LA REVOLUTION 153 hommes sous la conduite de Rochambeau, un des brillants eleves du marechal de Saxe (1778). A cette troupe vinrent se joindre en volontaires bon nombre de gentilshommes. Une lettre de La Fayette a sa 5 femme, qui desirait le voir revenir (6 Janvier 1778), montre qu'a cote de I'exaltation du jeune marquis, il y avait une haute raison : « L'abaissement de I'An- gleterre, ecrit-il, Tavantage de ma patrie, le bonheur de I'humanite, qui est interessee a ce qu'il y ait 10 dans le monde un peuple entierement libre, tout m 'engage a ne pas quitter.)) La France, dont la marine s'etait relevee, ouvrit glorieusement les hostilites. Un combat naval in- decis pres d'Ouessant etonna I'Angleterre ; une tem- 15 pete seule empecha notre flotte, unie a une escadre espagnole, de debarquer a Plymouth et d'attaquer I'Angleterre j usque dans son ile. Les flottes fran- gaises avec d'Estaing et le comte de Grasse, dont ses matelots disaient : « II a six pieds, et six pieds 20 un pouce les jours de bataille,)) dominerent dans les mers des Antilles. L'amiral de Grasse vint con- courir au plan forme par Washington, Rochambeau et La Fayette, de cerner I'armee anglaise de lord Cornwallis dans York-Town. Conduite par La Fa- 25 yette avec une prudence et une fermete qu'on n'eiit pas attendues d'un jeune general de vingt-quatre ans ; secondee par la bravoure des soldats d'un fameux regiment commande par Rochambeau, I'en- treprise reussit completement et I'armee anglaise 30 se rendit (1781). Ce fut le salut des Americains. Les ]&tats generaux (5 mai 1789). — La guerre d'Amerique, entreprise pour la liberte d'un peuple, avait, en France, excite les desirs de liberte ; de plus 154 HISTOIRE DE FRANCE elle avait coute cher et accru le deficit dans les fi- nances. Pour sortir des embarras financiers, Louis XVI rappela Necker, habile banquier genevois, Necker cependant ne pouvait retablir I'equilibre entre les recettes et les depenses sans remedier aux 5 abus, sans demander des reformes politiques. II voulut porter la lumiere dans I'administration en publiant le budget. II se rendit impopulaire et fut disgracie, Sa retraite mecontenta I'opinion deja toute puissante. 10 La reine Marie- Antoinette, qui etait Autrichienne - et qui gardait a la cour de France la fierte de sa maison, etait deja regardee comme Fame du parti qui s'opposait aux reformes. Elle fit donner le controle des finances a un dissipateur, Calonne, qui, 15 pour faire croire I'fitat plus riche, depensait beau- coup. Le moment vint enfin ou il fallut avouer qu'on ne pouvait aller plus loin. Calonne ceda la place a Lomenie de Brienne, qui se montra encore moins capable de remedier au mal, 20 et il fut lui-meme oblige de proposer au roi la con- vocation des £tats-Generaux. Les elections faites au commencement de I'annee 1789, firent comprendre que la nation etait deter- minee a soutenir ses deputes. La Revolution com- 25 mengait, et, avec elle, un nouvel age de la France et du monde. La premiere seance des fitats (5 mai) fut un jour de joie et d'esperance. Le roi prononga un discours plein d'excellentes intentions et de promesses ; il 30 recommanda I'accord, mais des les premiers jours, les defiances s'eveillerent, les haines se montrerent. On y voyait trois nations, representees par les LOUIS XVI — LA REVOLUTION 1 55 trois Ordres : noblesse, clerge, tiers etat. Mais les deputes du Tiers voulurent tout d'abord qu'on sup- primat cette distinction des trois Ordres. En nombre double des deux premiers Ordres, les deputes du 5 Tiers n'etaient rien si Ton votait par ordre. lis etaient tout si I'on votait par tete. Les ordres privilegies refuserent de deliberer avec le tiers etat. Celui-ci passa outre. II considera qu'a lui seul il representait la masse la plus nom- 10 breuse de la nation et, le 17 juin, se declara Assem- blee nationale (plus tard la Constituante) . Le serment du Jeu de paume (20 juin 1789). — La cour, irritee de la resistance du tiers etat, qui demandait la reunion des trois Ordres, decide le roi 15 a tenir un seance solennelle pour imposer le main- tien des trois Ordres. On ferme la salle sous un pretexte frivole. C'etait le samedi 20 juin. Les deputes, auxquels on refuse I'entree de la salle, s'assemblent par groupes, les uns demandant a de- 20 liberer en plein air, d'autres sous les fenetres memes du roi. Le president Bailly, leur propose de se re- unir dans une salle de jeu de paume, — ce jeu etait alors fort a la mode ; — ils s'y rendent. La, dans cette salle sombre et nue, un bureau est improvise 25 avec un etabli de menuisier, quelques planches et quelques banquettes. Tons debout repetent avec enthousiasme la formule d'un serment memorable par lequel ils s'engagent « a ne point se separer jus- qu'a ce que la Constitution du royaume soit af fermie 30 sur des fondements solides.)) Le comte d'Artois, frere du roi, s'imagine decon- certer les deputes en louant la salle pour y jouer a la paume. Les deputes, auxquels se joint la ma- 156 HISTOIRE DE FRANCE jorite des deputes du clerge, siegent alors dans I'eglise Saint-Louis. La seance du 23 jixin. — Le 2^ juin, se tint la seance royale, et les deputes du tiers etat pour ce jour-la rentrerent dans leur salle. Louis XVI vint, 5 avec un cortege solennel, faire entendre des paroles severes et casser les decisions prises par les deputes. II ordonnait que les ;fitats deliberassent suivant les anciennes formes, par Ordres. Apres le discours du roi la seance fut levee. Les 10 deputes du tiers etat ne bougerent pas de leur place. Le grand maitre des ceremonies vint dire aux de- putes de se separer comme I'avait ordonne le roi. Alors le comte de Mirabeau, depute du tiers etat, et qui deja avait une haute reputation d'eloquence, re- 15 pondit : « Allez dire a votre maitre que nous sommes ici par la volonte du peuple et qu'on ne nous en arrachera que par la force des baionnettes.)) Louis XVI ceda. A quelques jours de la il engageait lui- meme les nobles a se joindre aux deputes du tiers 20 etat. La prise de la Bastille. — Louis XVI n'avait cede que pour gagner du temps. II appelait autour de Paris de nombreux regiments, la plupart etran- gers, puis renvoya I'habile ministre Necker, qui con- 25 seillait de marcher d'accord avec I'Assemblee. Le renvoi de Necker alarme les Parisiens, mecontents deja d'etre entoures de troupes. Des groupes nom- breux se forment au Palais-Royal. Un jeune avo- cat au Parlement, Camille Desmoulins, monte sur 30 une table, un pistolet a la main, et ameute la foule ; des rixes avec la troupe font des victimes. Le peuple veut des armes, envahit I'Hotel des Invalides^ LOUIS XVI — LA REVOLUTION 157 ou il preiid des canons et des fusils. Enfin, le 14 juillet, un cri general entraine la population pari- sienne : A la Bastille ! Comme un torrent furieux, la foule, au milieu de 5 laquelle on remarquait beaucoup de gardes-fran- gaises et que conduisaient deux soldats, £lie et Hullin, se precipite contre la redoutable forteresse, a peine defendue alors par quelques Suisses et des invalides. Les portes sont enfoncees a coups de 10 canon, et, apres quelques heures de resistance, la garnison capitule. Cette premiere victoire popu- laire fut malheureusement souillee par des ven- geances, le meurtre du gouverneur de Launay, de . plusieurs officiers, du prevot des marchands, Fles- 15 selles. Louis XVI, apprenant la prise de la Bastille, s'ecria : aC'est done une revoke? — Dites une re- volution, sire,)) lui repondit-on. Comptant encore sur le prestige de la royaute, il se rendit a Paris. 20 II y fut bien accueilli, mais par une population en armes. Bailly, nomme maire de Paris, lui presenta les clefs de la ville, offertes jadis a Henri IV. « Ce bon roi, dit-il, avait conquis son peuple; c'est au- jourd'hui le peuple qui a reconquis son roi.)) Louis 25 XVI confirma la nomination de Bailly comme maire et du marquis de La Fayette comme chef de la milice bourgeoise ou garde nationale. II mit a son chapeau la cocarde bleue et rouge des Parisiens. La Fayette y ajouta ensuite le blanc, couleur de la 30 royaute : ce furent desormais les trois couleurs nationales, la cocarde tricolore. « Prenez-la, sire, disait-il a Louis XVI : voila une cocarde qui fera le tour du monde.)) II disait vrai. 158 HISTOIRE DE FRANCE Tous ces evenements exciterent une vive agitar tion dans les provinces. Les paysans, las du regime feodal, se precipiterent sur les chateaux, les ab- bayes, qui etaient leurs bastilles. Alors I'Assem- blee resolut de calmer cette effervescence par des s decisions promptes et hardies. A la seance de nuit du 4 aout, le comte de Noailles declare que le grand moyen, c'est de donner satisfaction au peuple en abolissant le regime feodal. Aussitot seigneurs, eveques, deputes des villes se succedent a la tribune 10 et viennent tous, au milieu des applaudissements, renoncer a leurs privileges. On decreta en quel- ques heures la destruction du regime feodal qui du- ' rait depuis tant de siecles. On rivalisait de ge- nerosite. On s'embrassait au milieu de la joie 15 universelle. II semblait qu'une France nouvelle fut nee en cette nuit memorable du 4 aoiit, qui est restee la plus belle date de la Revolution. Les journees des 5 et 6 octobre. — Au mois d'octobre, des demonstrations imprudentes de la 20 cour et la famine amenent un nouveau souleve- ment de la capitale. La population de Paris marche le 5 octobre sur Versailles, les femmes en tete, portant des armes et criant : « Du pain ! du pain ! » Le roi accueille 25 une deputation et promet de prendre les mesures qu'on lui demande. Bientot la nuit, la pluie, la fatigue dispersent les attroupements. La Fayette cependant, qui n'avait pu arreter cette invasion, la suivait pour la contenir avec la garde nationale. II 30 n'arriva a Versailles que pendant la nuit, et eut bien de la peine a parler a Louis XVI, car dans ces LOUIS XVI — LA REVOLUTION 159 moments de danger on respectait encore les lois de 1 'etiquette. Vers le matin, voyant la foule refu- giee dans les abris qu'elle avait pu rencontrer, et tranquille, il se retire, epuise de fatigue. II com- 5 mengait a peine a reposer qu'on vint lui dire que le palais etait force. Le 6 octobre, vers les sept heures du matin, les bandes d'hommes et de femmes qui rodaient depuis la veille autour du chateau, trouverent enfin le 10 moyen de s'introduire, non seulement dans les cours, mais dans les appartements. Des gardes qui cher- chaient a les arreter sont massacres. Tremblante, la reine se refugie aupres du roi. Les gardes de- fendent vaillamment sa chambre et se font tuer. 15 Le plus affreux pillage commengait, et les scenes les plus sanglantes allaient avoir lieu, quand La Fayette, averti, accourt. II penetre dans le chateau et fait evacuer les appartements. Mais la foule ras- semblee dans la cour demandait que le roi vint a 20 Paris. II fallut que Louis XVI se montrat et pro- mit d'y aller. La famille royale se dirigea vers Paris au milieu de cette foule qui temoignait par les oris les plus grossiers de sa joie farouche. Le roi fut des lors comme prisonnier dans sa capitale et 25 se trouva a la merci des emeutes. L'Assemblee vint a son tour se fixer a Paris et s'installa dans la salle du Manege, pres du jardin des Tuileries. Deja elle avait fixe les principes sur lesquels elle entendait etablir le gouvernement, dans une Decla^ 30 ration celebre dite des droits de I'homme. Ces principes, ou verites premieres, appeles les prin- .cipes de 1789, etablissaient la souverainete du peu-^ pie, Vegalite, la libertc de tous les citoyens. l6o HISTOIRE DE FRANCE Mirabeau (1749-1791). — L'Assemblee, dans ses travaux, avait ete souvent dominee par la grande voix de Mirabeau, I'orateur le plus eloquent qu'on eut encore vu a la tribune. Des les premieres se- ances des £tats generaux il se fit remarquer par 5 son rare talent d'orateur. II prit une part active et decisive aux grandes discussions de I'Assemblee constituante. Toutefois la marche rapide de la Re- volution I'effraya. Dans I'hiver de 1790 a 1791 il guida la cour et s'efforga de raffermir le trone que 10 sa voix puissante avait ebranle. Sa popularite en regut de vives atteintes, et des publications hostiles le denongaient comme traitre. L'orateur n'en parut point affecte et a la tribune accabla de son mepris ses accusateurs. 15 Bientot cependant Mirabeau, vieux avant I'age (il avait quarante-deux ans), epuise par les exces de deux annees d'un travail prodigieux, sentit son corps defaillir et plier sous le poids de son ame energique. II mourut le 2 avril 1791. 20 La fuite de Varennes. — Louis XVI, prive des conseils et de I'appui de Mirabeau, ne compta plus que sur la force pour arreter la Revolution : il vou- lut aller rejoindre une petite armee qu'on lui pre- parait dans le Nord, et tout fut dispose pour la 25 fuite. Le 20 juin 1791, a minuit, le roi, la reine, la soeur du roi, Madame Elisabeth, sortent, les uns apres les autres et deguises, par une porte derobee du palais des Tuileries. lis se reunissent ensuite, non sans peine, et parviennent a sortir de Paris. 30 Une berline a six chevaux les entraina rapidement sur la route de Chalons, ou les fugitifs arriverent heureusement. lis continuerent leur route vers LOUIS XVI LA REVOLUTION l6l Montmedy, ou les attendait une petite armee com- mandee par le marquis de Bouille. Mais a Sainte-Menehould le roi, qui commettait I'imprudence de mettre trop souvent la tete^ a la 5 portiere, fut reconnu, tandis qu'on changeait les chevaux, par le fils du maitre de poste, Drouet. N'ayant point le temps de le faire arreter, Drouet saute sur un cheval et court a Varennes prevenir les autorites. Quand la voiture arrive, au milieu 10 de la nuit, on demande le passeport: il faut des- cendre. Les gardes nationales averties arriverent; on forga le roi a remonter dans la voiture, qui reprit le chemin de Paris. A ce moment les dragons de Bouille apparaissaient aupres de Varennes, mais il 15 etait trop tard. Le retour dura huit jours; la voiture marchait au pas, au milieu des gardes nationales qui I'escor- taient et par une chaleur accablante. Trois deputes, envoyes par I'Assemblee, accompagnaient la famille 20 royale, pour la surveiller. L'entree a Paris fut morne et silencieuse, le roi fut plus que jamais captif aux Tuileries. L'Autriche et la Prusse, excitees par les emigres, declaraient vouloir retablir le roi dans son autorite 25 absolue, et la guerre etrangere s'ajouta a la guerre civile. La France fut envahie par les Prussiens. L'Assemblee decrete aussitot que la patrie est en danger, et le 22 juillet 1792 la proclamation en est faite avec un appareil imposant. D'heure en heure 30 le canon tonnait en signe d'alarme; un cortege militaire, portant des bannieres avec des inscrip- tions, parcourut la ville de Paris, s'arretant sur les places pour lire le decret de TAssemblee. Huit 102 HISTOIRE DE FRANCE amphitheatres avaient ete dresses sur differents points : une table posee sur deux caisses de tam- bour y servait de bureau aux officiers municipaux pour inscrire les noms des citoyens qui demandaient a rejoindre les armees. Les volontaires affluaient 5 et se faisaient inscrire au milieu des applaudisse- ments. On compta cinq mille enrolements en deux jours. Ces soldats im.provises, indisciplines, cau- serent d'abord beaucoup d'embarras ; mais, encadres dans les vieux regiments, ils ne tarderent pas a 10 montrer une grande solidite. Mais bientot le peril grandit. Les Prussiens s'em- paraient de Longwy, de Verdun. Alors les ministres decretent la formation de plusieurs camps, on con- vertit les cloches en canons, les fers des grilles en 15 piques; on arrete en masse toutes les personnes suspectes, c'est-a-dire soupgonnees de rester atta- chees a la royaute ; les prisons se remplissent de nobles, de pretres. Puis des bandes organisees et payees par quelques chefs, sans que les ministres 20 cherchent a s'y opposer, se precipitent dans les pri- sons et egorgent en foule les prisonniers de tout age et de tout rang (3, 4, 5 et 6 septembre). Victoire de Valmy. — Des massacres ne sauvent pas un pays. Ce qui le delivra, ce fut I'ardeur des 25 volontaires qui, joints aux vieux regiments, arre- terent I'ennemi. Les Prussiens avaient surpris les defiles des montagnes de I'Argonne et se prepa- raient a envahir la Champagne. Dumouriez essaya encore une fois de les arreter: il se posta pres de 30 Sainte-Menehould et occupa les hauteurs ou Ton re- marquait le moulin de Valmy. II garnit ces hau- teurs d'artillerie et attendit de pied ferme les Prus- LOUIS XVI — LA REVOLUTION 1 63 siens qui, commandes par le due de Brunswick, tenterent de les esealader. Immobiles dans leurs lignes, les Frangais accueillirent I'ennemi par un feu terrible, aux cris de Vive la nation ! Les Prus- 5 siens reculerent et attendirent un corps autrichien qui arrivait: les allies donnerent un nouvel assaut vers le soir ; ils se heurterent a la meme resistance et battirent en retraite (20 septembre 1792)- La Champagne ou plutot la France entiere^ etait deli- 10 vree. Le canon, qui annongait cette victoire, an- non(;ait en meme temps I'ouverture de la Conven- tion. 164 HISTOIRE DE FRANCE CHAPITRE XVII LA REPUBLIQUE FRANCAISE La Convention. — La Convention, la troisieme Assemblee depuis 1789, se reunit le 21 septembre 1792. Elle abolit la royaute, proclama la Repu- blique, mais en realite concentra en elle-meme tons les pouvoirs. Ses membres faisaient les lois, et, di- 5 vises en comites, s'etaient partage I'administration. Deux grands partis s'etaient tout de suite dessi- nes au sein de la Convention : les Girondins et les Montagnards. Les Girondins, ainsi nommes, parce qu'ils avaient pour chefs plusieurs deputes de la 10 Gironde,^ Brissot, Petion, Vergniaud, Guadet, etc., croyaient la Revolution terminee et prechaient la moderation. Les Montagnards, ainsi appeles parce qu'ils etaient groupes sur les bancs les plus eleves, avaient pour chefs les deputes de Paris, Robes- 15 pierre, Danton, Marat, etc. lis voulaient, au con- traire, pousser plus loin les changements et deman- daient des mesures terribles pour effrayer les enne- mis de la Revolution. Proems et mort de Louis XVI. — La decouverte 20 d'une armoire de fer cachee dans un mur des Tuile- ries venait de reveler les correspondances de la cour 1 Gironde, departement au sud-ouest de la France. LA REPUBLIQUE FRANQAISE 1 65 avec Temigration et Tetranger. Les Montagnards demanderent la mise en accusation de Louis XVI et disaient qu'il fallait « jeter en defi aux souverains une tete de roi.)) La Convention instruisit le pro- 5 ces du roi. Malesherbes, age de J2. ans, s'offrit pour servir de conseil au prince qu'il avait servi et aida les avocats Tronchet et de Seze. Louis XVI, touche de ce devouement, lui dit : « Votre sacrifice est d'autant plus genereux que vous exposez votre 10 vie et que vous ne sauverez pas la mienne.)) Heri- tier malheureux de haines accumulees depuis un siecle, Louis XVI fut condamne a mort, mal- gre I'eloquente defense de I'avocat de Seze. « Je cherche en vous des juges, s'ecria-t-il avec vehe- 15 mence, et je ne vois que des accusateurs ! » La majorite de la Convention se prononga pour la mort. Le roi, qui dans sa prison du Temple avait garde la plus sereine resignation, monta avec calme et 20 dignite sur I'echafaud dresse sur la place Louis XV devenue place de la Revolution, et aujourd'hui place de la Concorde (21 Janvier 1793). « Je meurs innocent, s'ecria-t-il, de tous les crimes qu'on m'im- pute. Je pardonne aux auteurs de ma mort et je 25 prie Dieu que le sang que vous allez repandre ne re- tombe jamais sur la France.)) II allait en dire da- vantage lorsqu'un roulement de tambours couvrit la voix de Louis XVI qui se livra aux executeurs. La Terreur. — Maitres du pouvoir, les Monta- 30 gnards deployerent contre les ennemis de I'interieur et de I'exterieur une energie farouche. Le pouvoir se trouva bientot concentre entre les mains du Co- , mite de sahit public. Maximilien Robespierre ne X66 HISTOIRE DE FRANCE tarda pas a devenir Tame de ce comite redoutable qui, pendant quatorze mois, fit planer sur la France une terreur profonde. Le Tribunal revolutionnaire devint impitoyable. Le general Custine, pour avoir ete malheureux, fiit traine a I'echafaud. La reine 5 Marie-Antoinette refusa de se defendre contre d'in- fames calomnies. Condamnee a mort dans la nuit du 16 octobre 1793, apres une seance de vingt heures et le matin meme, elle fut conduite au sup- plice dans la charette ordinaire sous le feu des in- 10 suites. Vingt-deux Girondins, parmi lesquels des orateurs du plus grand talent, perirent ensuite, sou- tenant mutuellement leur courage par des chants patriotiques. Mme Roland, femme d'un ancien mi- nistre, et du parti de la Gironde, s'ecria sur I'echa- 15 faud, en saluant une statue de la liberte : « O liberte, que de crimes on commet en ton nom ! » Le due Philippe d'Orleans, qui s'etait rallie a la Revolution et avait vote la mort de Louis XVI, n'echappa point lui-meme au supplice, ainsi que Bailly, un des sa- 20 vants renommes du temps, le venerable president de I'Assemblee constituante, le premier maire de Paris. Le 9 thermidor.^ — La terreur n'avait cesse d'al- ler en croissant dans les premiers mois de I'annee 25 1794. Chaque jour des charrettes emmenaient des 1 Le calendrier avait ete change pendant la Revolution : I'ere republicaine votee le 24 novembre 1793 partit non de cette date, mais du jour de la proclamation de la Republique, le 22 septem- bre 1792. L'an I fut done de septembre 1792 a septembre 1793, I'an II de septembre 1793 ^ ^794 ^t ainsi de suite. Les noms des mois furent empruntes aux saisons: Vendhniaire, ven- danges (septembre-octobre) ; brum-aire, brouillards (octobre- LA REPUBLIQUE FRANgAISE 1 67 victinies vers la barriere du Troiie, ou Techaf aud etait en permanence. Ces cruautes firent horreur, d'autant plus qu'a ce moment les perils exterieurs disparaissaient, grace aux victoires des armees. 5 Robespierre devint 1 objet de Tanimadversion ge- nerale, et, le 9 thermidor, les deputes de la Conven- tion, secouant le joug de la peur, I'attaquerent en face, fipuise par les efforts qu'il faisait pour parler au milieu des clameurs, Robespierre pouvait a peine 10 respirer. La Convention enfin le fit arreter avec son frere et ses coUegues, Couthon, Lebas, Saint- Just. Robespierre toutefois ne tarda pas a etre delivre par ses partisans les chefs de la Commune de Paris. 15 II se rendit a I'Hotel de ville pour preparer une in- surrection. Mais la Convention appela a elle la garde nationale : des bataillons f ideles se dirigerent pendant la nuit sur I'Hotel de ville, qui bientot se trouva cerne. Robespierre se tira un coup de pisto- 20 let qui lui brisa la machoire. Apres avoir passe toute la matinee du 10 etendu sur une table, il fut porte tout meurtri a I'echafaud avec vingt-deux de ses amis. Le lendemain, on executa encore soi- xante-dix de ses partisans, et cette sanglante heca- 25 tombe fut une digne fin de la Terreur. Le Directoire (27 octobre 1 795-9 novembre i799)- novembre); frimaire, froids (novembre-decembre) ; nivose, neige (decembre-janvier) ; pluviose, pluie (janvier-fevrier) ; ventose, vent (fevrier-mars) ; germinal, germination des plantes (mars-avril) ; floreal, floraison (avril-mai) ; prairial, prairies (mai-juin); messidor, mois de la moisson (juin-juillet); thermi- dor, mois de la chaleur, (juillet-aout) ; /rz/:^/zV/^r, mois des fruits (aout-septembre). L'ere republicaine fut en usage jusqu'en 1805* 1 68- HISTOIRE DE FRANCE — La Convention avait organise un nouveau gou- vernement republicain qui se composait de deux Chambres distinctes, le Conseil des Anciens et le Conseil des Cinq-Cents. Le pouvoir executif etait compose de cinq membres qui formaient le Direc- s toire. Divise, mal obei, le Directoire s'epuisa en luttes incessantes contre les partis, il ne put se soute- nir qu'en ayant recours a des coups d'fitat et devait perir lui-meme victime d'un coup d'fitat. Cette epoque eut un caractere particulier de lo licence qui s'explique par les terribles epreuves qu'on avait subies. La societe s'abandonnait au luxe, aux fetes avec une liberte que ne genait plus I'ancienne distinction des classes et qui rappelait celle de la Regence.^ 15 Le general Bonaparte. — Mais I'interet de I'his- toire se porte au dehors ; les armees f rangaises passent de tons les cotes les frontieres pour triom- pher de I'Autriche tou jours en armes et tou jours soutenue par I'Angleterre. Le general Bonaparte 20 etonne alors le monde par ses victoires et cherchera bientot a le dominer. Ne a Ajaccio le 15 aoiit 1769, il etait le second de huit enfants. A I'age de dix ans, son pere le fit ad- mettre a Tecole de Brienne, ou les jeunes gentils- 25 hommes recevaient les principes d'une education militaire. Bientot il se fit remarquer par son ardeur pour 1 'etude et surtout par son goiit pour les mathe- matiques. Son amour-propre etait vif. Con- damne un jour a diner a genoux au refectoire, avec 30 la robe de bure, il s'evanouit. On raconte aussi que manifestant un gout precoce pour les combats, il 1 Voir page 142, - LA REPUBLIQUE FRANQAISE 1 69 faisait elever des retranchements de neige par ses camarades. Au bout de cinq ans, il passa a Tecole militaire de Paris. Reserve, taciturne, absorbe dans ses etudes 5 ou ses lectures, il etonna bientot ses maitres : « Corse de nation et de caractere, disait son professeur d'his- toire, il ira loin si les circonstances le favorisent.)) II sortit de I'ecole lieutenant dans un regiment d'ar- tillerie; des les premiers jours de la Revolution il 10 se montra favorable aux idees nouvelles. Mais sa carriere militaire ne commenga qu'au siege de Tou- lon. C'etait en 1793, au milieu des plus grands perils de la France. Les generaux envoyes par la Con- 15 vention s'efforgaient en vain de reprendre Toulon, tombe au pouvoir des Anglais. Le commandement de Tartillerie est donne a Bonaparte, qui n'avait en- core que vingt-quatre ans. Lorsqu'il arriva, le ge- neral Carteaux lui dit : « C'etait bien inutile : nous 20 n'avons plus besoin de rien pour reprendre Toulon. Cependant soyez le bienvenu; vous partagerez la gloire de le briiler demain sans en avoir eu la fati- gue.)) Puis il le conduisit vers les travaux. Le com- mandant d'artillerie apergoit alors quelques pieces de 25 canon, mais elles se trouvaient a une distance beau- coup trop eloignee. Survient le representant du peuple, commissaire de la Convention. Bonaparte se redresse, I'interpelle, lui demontre I'ignorance in- ouie de tons ceux qui I'entourent, et le somme de 30 lui faire donner la direction absolue de sa besogne. De ce jour il eut en realite la direction du siege, et Toulon ne tarda pas a etre enleve. Ce brillant fait d'armes attira sur lui les regards, et le general Du- 170 HISTOIRE DE FRANCE gommier apprecia le merite de Bonaparte. « Re- compensez ce jeune homme, disait-il, car si Ton etait ingrat envers lui, il s'avancerait de lui-meme.)) La revolution du 9 thermidor vint pourtant ar- reter sa carriere. Un moment il fut emprisonne, 5 on le mit bientot en liberte, mais on le priva de son commandement. Alors il vint a Paris, ou il recla- mait en vain, dans les bureaux de la guerre, la place qui lui etait due. Aubry, membre du comite, la lui refusait. « Vous etes trop jeune. — On vieillit 10 vite sur le champ de bataille, repliqua Bonaparte, et j'en arrive.)) II resta quelque temps a Paris presque sans resources. Devore d'un immense be- soin d'activite, Bonaparte soUicita la faveur d'aller en Turquie, comptant regenerer I'Orient. II allait 15 partir lorsque, le 13 vendemiaire (5 octobre 1795), la Convention, attaquee par les royalistes, I'appela pour la defendre sous les ordres de Barras. Bona- parte prit des mesures energiques, d'habiles dis- positions et triompha de I'insurrection. On lui 20 donna le commandement de I'armee de I'interieur. Un jeune enfant de douze ans vint un jour, lors- qu'on avait ordonne le desarmement, reclamer I'epee de son pere, le general de Beauharnais, mort sur I'echafaud. On la lui rendit; I'enfant pleura a la 25 vue de cette epee. Bonaparte, touche de ce senti- ment, le combla de caresses. Sur le recit qu'il fit a sa mere de I'accueil qu'il avait regu, Mme de Beauharnais, Josephine Tascher de La Pagerie, en- core dans tout I'eclat de la jeunesse, alia remercier 30 Bonaparte. A quelque temps de la leur manage fut conclu; mais le general courut vite prendre le commandement, vivement desire, de Tarrnee d'ltalie. LA REPUBLIQUE FRANgAISE I? I La campagne d'ltalie (1796-1797). — Bona- parte, en arrivant a I'armee d'ltalie, ranime tout de suite les soldats par une energique proclamation: (( Soldats, leur dit-il, vous etes mal nourris et pres- 5 que nus; votre patience et votre courage vous honorent, mais ne vous procurent ni gloire ni avan- tage; je vais vous conduire dans les plus fertiles plaines du monde; vous y trouverez de grandes villes, de riches provinces; vous y trouverez hon- 10 neur, gloire et richesses. Soldats d'ltalie, man- queriez-vous de courage ? » II franchit les Alpes au point ou elles sont le plus bas; puis de victoire en victoire, a Monte- notte, Mondovi, Lodi il s'avance dans les belles 15 plaines de la Lombardie. II triomphe encore des Autrichiens a Castiglione, puis a la celebre bataille d'Arcole. Les Autrichiens cependant n'abandonnent pas I'ltalie. Bonaparte les bat encore a la fameuse jour- 20 nee de Rivoli (14 Janvier 1797), s'avance toujours plus loin et se dirige vers les Alpes pour entrer en Autriche. II franchit de nouveau les Alpes, a leur autre ex- tremite, a Test, par le col de Tarwis, et menace la 25 capitale de TAutriche. Les Autrichiens I'arretent alors en acceptant la paix de Campo-Formio. Les armees d'Allemagne avaient ete moins heu- reuses. Mais, en 1796, le general Moreau s'etait distingue par une retraite demeuree justement ce- 30 lebre. II avait traverse I'Allemagne pour rentrer en France sans perdre ni un drapeau, ni un canon, ni une voiture. Cette armee se prepara a recom- mencer la campagne avec une autre qui fut confiee 172 HISTOIRE DE FRANCE au general Hoche, I'un des hommes qui ont laisse la renommee la plus pure. Hoche et Marceau. — Hoche, ne a Versailles, en 1768, etait sergent au moment ou eclata la Revo- lution. II avanga rapidement; a 25 ans, il com- s mandait en chef I'armee de la Moselle, et delivra I'Alsace. Le plus brillant avenir s'ouvrait devant lui. II comptait traverser I'Allemagne pour joindre Bonaparte sous les murs de Vienne. II debuta par de brillants succes au commencement de I'annee 10 1797; mais, quelques mois apres il mourait pre- maturement a Tage de 29 ans. Son emule et son ami, Marceau, ne a Chartres, s'etait distingue et etait mort I'annee precedente, plus jeune encore. Soldat a seize ans, general a 15 2.2 ans, il vainquit dans les champs de Fleurus, sur les bords de la Moselle et du Rhin, et, a 27 ans, il tombait frappe d'une balle ennemie. Les Autri- chiens, qui I'estimaient, lui rendirent les honneurs funebres dans leur camp et renvoyerent solennelle- 20 ment son corps a I'armee frangaise desolee. Sur le monument qu'on lui a eleve a Coblentz on lit en- core: (( Qui que tu sois, ami ou ennemi, de ce jeune heros respecte les cendres.)) Expedition d'Egypte (1798- 1799). — Restait a 25 dompter I'Angleterre. Bonaparte, pour la frap- per dans son commerce, fit decider I'expedition d';figypte, par laquelle il menagait la route des In- des. Le jeune general part avec trente mille hom- mes pour conquerir un vaste et riche pays. II 30 debarque a Alexandrie (le"" juillet 1798), traverse le desert et parait devant les Pyramides, les plus grands et les plus anciens monuments qui soient LA REPUBLIQUE FRANQAISE 1 73 sortis de la main des hommes. <( Songez, s'ecria Bonaparte, en les montrant a ses soldats, songez que du haut de ces pyramides quarante siecles vous contemplent ! » Une brillante victoire disperse la 5 redoutable cavalerie des Mameluks. Bonaparte en- tre an Caire et ne tarde pas a rester maitre de rfigypte. II gouverne alors et administre sa conquete. II envoie de tons cotes des savants qu'il a amenes avec lo lui pour etudier les monuments mysterieux de cette terre, jadis si renommee. Puis il s'en va au-devant des Turcs qui arrivent par la Syrie: il les bat a la journee du Mont-Thabor. Mais il echoue au siege de Saint-Jean-d'Acre, car la flotte anglaise protege 15 cette ville. La flotte frangaise qui I'avait amene, avait ete detruite par les Anglais dans la rade d'Aboukir. Bonaparte n'a plus aucune communi- cation avec la France. Les Anglais debarquent une nouvelle armee turque a la pointe d'Aboukir. Bo- 20 naparte n'attend point qu'elle attaque : il va au- devant d'elle, la jette a la mer et la detruit (25 juillet 1799). Bonaparte ayant appris les revers de nos armees et I'agitation du pays, laissa son armee a I'un de ses plus habiles lieutenants, Kleber, 25 et quitta I'Egypte seul. II echappa aux croisieres anglaises, debarqua a Frejus, arriva a Paris ou il ne tarda pas a renverser le Directoire et a se rendre maitre du gouvernement par le coup d'^fitat du 18 et du 19 brumaire (9 et 10 novembre 1799). 174 HtSTOIRE m FRANCIS CHAPITRE XVIII LE CONSULAT (1799-1804) Bonaparte organisa un notiveau gouvernement : le Consulat. Trois consuls devaient exercer le pou- voir, mais Bonaparte, nomme Premier Consul, con- centra en lui toute Tautorite. En quelques mois I'administration fut reorganisee, les finances, Tar- 5 mee, tout fut remis en ordre sous I'impulsion vi- goureuse de Bonaparte, qui s'entendait a tout, aux lois comme a la politique, aux chiffres comme aux batailles. La seconde campagne d' Italic. — Le Premier 10 Consul ne perd point de temps pour relever au dehors la France, menacee de perdre toutes ses conquetes. Les Autrichiens, en Italic, pressaient dans Genes I'intrepide Massena qui soutenait une lutte heroique. La famine desolait la ville. Mas- 15 sena regla tellement les rations, recourut a tant d'ex- pedients, qu'on vecut la ou d'autres seraient morts. (( II nous fera manger jusqu'a nos bottes,)) disaient les soldats. Bonaparte se porte a son secours, et pour surprendre I'ennemi, tente de franchir les 20 Alpes sur un point imprevu. II choisit la route, a peine praticable, du Grand Saint-Bernard (entre la Suisse et I'ltalie). Les troupes commencerent a monter dans la nuit du 14 au 15 mai (1800). Les LE CONSULAT 175 vivres, les munitions passerent a la suite des regi- ments; mais Tobstacle c'etait Tartillerie. On ima- gina de partager par le milieu des troncs de sapins, de les creuser, d'envelopper avec ces deux demi- 5 troncs une piece d'artillerie et de la trainer ainsi enveloppee le long des ravins. Des mulcts furent atteles a ce singulier fardeau ; mais bientot les mu- lcts manquerent; les soldats s'attelerent alors aux pieces et les trainerent. La musique jouait des airs 10 animes dans les passages difficiles et encourageait les troupes a vaincre ces obstacles d'une nature si nouvelle. Au sommet, I'armee trouva des vivres prepares par les religieux du Saint-Bernard et apres quelque repos commenga la descente, qui ne presen- 15 tait pas m.oins de difficultes que I'ascension. Bataille de Marengo. — En quelques jours, le Premier Consul avait jete au dela des Alpes qua- rante mille Frangais. Vingt mille autres venaient les rejoindre par d'autres passages, Toutefois il y 20 avait eu des retards qui amenerent la chute de Genes ou la famine etait devenue extreme. Massena ob- tint les conditions les plus honorables. « Je serai de retour dans quinze jours,)) dit-il en rendant la place. Bonaparte assura I'execution de cette pa- 25 role. Le 14 juin 1800 il rencontra I'armee autrichienne pres de Marengo. Oblige de disperser son monde dans la crainte de voir I'ennemi iui echapper, le Premier Consul ne put 30 d'abord opposer que des forces inferieures aux troupes autrichiennes. Jusqu'a trois heures il per- dait la bataille, mais il tient bon et ne recule que pas a pas. Heureusement le general Desaix, re- 176 HISTOIRE DE FRANCE cemment arrive d'^figypt, avait ete la veille detache avec sa division, dans une autre direction. II en- tend le bruit du canon ; il descend de cheval, et approche son oreille de la terre. Nul doute, une bataille est engagee ; son devoir est d'y courir ; il 5 y court avec ses six mille hommes. Lorsqu'il arrive, les generaux I'entourent. Bonaparte, qui persiste, malgre I'avis de ses lieutenants, a poursuivre la lutte, demande I'avis de Desaix. Celui-ci regarde le champ de bataille : « La bataille est perdue, re- 10 pond-il, mais nous avons encore le temps d'en gagner une.)) Bonaparte ravi donne ses ordres. (( Enfants, cria-t-il, nous avons fait trop de pas en arriere ; le moment est venu de marcher en avant ! Rappelez-vous que mon habitude est de coucher sur 15 le champ de bataille.)) Le general autrichien, M. de Melas, ne se doutait point du desastre qui le mena^ait. II etait rentre dans Alexandrie et expediait a son souverain des courriers lui annongant son triomphe. La division 20 Desaix s'avance et arrete les colonnes autrichiennes sur la route. Le general lui-meme s'elance a la tete d'un regiment, mais des les premieres decharges il tombe frappe a mort. Les soldats desesperes se precipitent avec une veritable fureur sur les masses 25 profondes des Autrichiens que des charges de ca- valerie achevent de mettre en deroute. L'armee tout entiere pleura Desaix et Napoleon le regretta plus d'une fois dans le cours de ses longues guerres. 30 Une autre victoire du general Moreau, en Alle- magne, forga I'Autriche a signer la paix qui fut conclue a Luneville (1801). L'Angleterre elle- LE CONSULAT l77 meme, rennemie la plus acharnee qu'ait eue notre Revolution, signa la paix d'Amiens (1802). Organisation de la societe nouvelle. — Le Pre- mier Consul, des qu'il put donner ses soins au gou- 5 vernement interieur, organisa la societe nouvelle. II crea un systeme regulier d'administration, qui dure encore. II fit constituer la Banque de France, qui est encore la plus importante de nos institutions de credit. II regla la distribution de la justice et fit 10 rediger le Code civil, recueil des lois qui protegent encore aujourd'hui la famille et la propriete des citoyens. II signa, en 1802, avec le Pape, un traite, le Concordat, qui decida le retablissement en France du culte catholique et d'apres lequel sont encore 15 fixes les rapports de I'figlise et de I'fitat. Les anciens ordres de chevalerie supprimes fu- rent remplaces par I'Ordre de la Legion d'honneur auquel tout le monde pouvait pretendre sans distinc- tion de naissance ou de fortune. La croix d'hon- 20 neur brilla sur la poitrine du simple soldat comme sur celle du general et signalait les services civils aussi bien que les services militaires. Elle portait une simple et noble devise : Honneur et Patrie. En meme temps, il encourageait I'agriculture, I'in- 25 dustrie, le commerce, que tant d'annees de troubles avaient mines, et le pays, rassure, oublia ses divi- sions pour se remettre avec ardeur au travail qui ramena la prosperite. L'Angleterre, jalouse de voir la France s'agran- 30 dir, relever sa marine et ses colonies, nous declara de nauveau la guerre en faisant saisir douze cents navires frangais. lyS HISTOIRE DE I^RANCE CHAPITRE XIX L'EMPIRE (1804-1815) Napoleon I^^. — Les complots sans cesse renais- sants favoriserent d'ailleurs rambition du Premier Consul. Deja nomme consul a vie, il obtint le retablissement de la monarchie declaree hereditaire dans sa famille, et le Senat renouvela pour lui le 5 titre romain d'empereur (18 mai 1804). Le general Bonaparte etait devenu Napoleon ler. Napoleon cependant, pour attaquer I'Angleterre, rassemble une armee a Boulogne et prepare tons les moyens de la transporter en quelques heures au 10 dela de la Manche. Pour etre maitre de la mer pendant quelques heures, il fallait I'arrivee d'une flotte superieure a celle des Anglais. Napoleon apprit bientot que sa flotte etait retardee. De plus I'Angleterre detourna le peril en soulevant de nou- 15 veau le continent et en determinant I'Autriche et la Russie a former une coalition. Oblige d'aban- donner son pro jet, Napoleon se retourna avec I'ar- deur de la colere contre les ennemis qu'il pouvait saisir. II frappa des coups decisifs. 20 Tandis que notre flotte essuyait un desastre sur Jes, xotes . d'Espagne . pres du cap Trafalgar, I'em- pereur transportait avec une rapidite merveilleuse sa grande armee du camp de Boulogne en Alle- L*kMPtRfi i79 magne. II marcha sur Vienne ou il entra sans resistance. L'armee autrichienne s'etait retiree en Moravie pour se joindre a Tarmee russe. Bataille d'Austerlitz. — Napoleon, sans perdre de 5 temps, etait alle au-devant des deux armees russe et autrichienne. II se dirigea sur Briinn et arriva en face de Tennemi, non loin du village d'Austerlitz. Ses forces etaient inferieures a celles des deux em- pereurs d'Autriche et de Russie qui cherchaient a 10 lui couper la retraite. Napoleon devinait leur plan comme s'il eiit assiste a leurs conseils. II les en- couragea, en feignant d'avoir peur, a poursuivre les mouvements qu'ils avaient ordonnes de maniere a amener leurs troupes sur le champ de bataille 15 qu'il avait choisi. Le ler decembre 1805, au soir, voyant les Russes quitter en masses serrees les hauteurs dont lui-meme convoitait la possession, il ne put s'empecher de s'ecrier : « Cette armee est a moi ! » Comme il par- 20 courait son camp, les soldats allumerent des milliers ' de torches, le saluant de leurs vivats et lui pro- mettant pour le lendemain, anniversaire de son cou- ronnement, une belle victoire. lis tinrent parole. Le 2 decembre, un soleil brillant qui avait dissipe 25 les brouillards du matin, eclaira un terrain affermi par la gelee. La bataille s'engagea et ne fut qu'une serie de manoeuvres precises par lesquelles I'armee alliee fut coupee en plusieurs trongons. Les Fran- gais s'etablirent en maitres sur les hauteurs que les 30 Russes avaient abandonnees et plusieurs divisions russes se trouverent enveloppees dans une etroite vallee que fermaient des etangs. Les Russes cher- -cherent a s'echapper par ces etangs recouverts de l8o HISTOIRE DE PRANCE glace : les boulets briserent la glace et un grand nombre de fuyards perirent. Les armees russe et autrichienne etaient tellement defaites que Vtm- pereur d'Autriche se hata de demander une entrevue au vainquer, aux avant-postes. S Un armistice fut conclu ; I'armee russe eut la liberte de se retirer et la paix de Presbourg termina la guerre (26 decembre 1805). Guerre contre la Prusse et la Russie. — La Prusse qui n'avait pas ose se joindre aux coalises, 10 engagea seule, I'annee suivante, la lutte contre Na- poleon. Tandis que les Prussiens se dirigeaient vers le Rhin, Tempereur, les trompant, se dirigea vers I'Elbe pour leur couper la retraite. L'armee prussienne revint en toute hate sur ses pas, divisee 15 en deux corps. Napoleon ecrasa un de ces corps d'armee a la fameuse journee d'lena (14 octobre 1806), tandis que I'autre corps d'armee etait defait, le meme jour par le marechal Davout, pres du vil- lage d'Auerstaedt. L'armee prussienne, complete- 20 ment dispersee, n'existait plus. Cependant les Rus- ses arrivaient au secours des Prussiens. Napoleon alia au-devant d'eux. Les Russes voulurent le sur- prendre pendant I'hiver ; il les repoussa et leur livra dans un pays convert de neige (8 fevrier 1807) ^5 la sanglante bataille d'Eylau. Un de nos corps d'armee s'egara, aveugle par la neige qui tombait en abondance et se fit ecraser, ce qui causa un moment un grand desordre et faillit compromettre le succes. 30 La campagne d'ete fut courte et brillante. Les Russes avaient reforme une nouvelle armee et re- venaient conduits par I'empereur Alexandre lui- l'empire i8i meme. lis furent ecrases a Friedland (14 juin 1807). Alexandre, bien vaincu cette fois, demanda la paix et I'obtint a I'entrevue de Tilsitt sur un radeau 5 construit au milieu du Niemen. II renon^ait a une partie de la Pologne et s'engageait a fermer ses ports aux Anglais. Napoleon rendit au roi de Prusse son royaume, mais mutile. Des provinces du Rliin, il forma pour son frere Jerome le royaume 10 deWestphalie. Un des freres de I'empereur, Joseph, occupait deja le trone de Naples; les autres mem- bres de sa famille avaient des principautes et il en donnait a ses plus habiles ministres, formant ainsi a TEmpire une ceinture de monarchies vassales. 15 L'Empire s'agrandit encore de la HoUande, qu'un des freres de Napoleon, Louis, gouvernait en qua- lite de roi, mais ou il refusait d'appliquer des mesures rigoureuses qui ruinaient le commerce du pays. L'empereur ne souffrait plus d'obstacle a 20 sa volonte: il reunit la Hollande a la France (juillet 1810). L'empire franqais compta alors 130 departe- ments. Un des marechaux de Napoleon, Berna- dotte, etait designe comme prince heritier de la Suede. La Prusse, mutilee, n'existait que parce 25 qu'il I'avait bien voulu ; il s'attachait I'Autriche par une alliance de famille. Mariage de Napoleon avec Marie-Louise d*Au- triche. — De son mariage avec Josephine de Beau- harnais, Napoleon n'avait pas d'enfant; malgre son 30 affection pour Eugene Beauharnais, qu'il avait adopte et cree vice-roi d'ltalie, il ne voulait pas le declarer son heritier. II fit annuler son mariage avec Josephixie, divorce qu'on n'approuva point et 1 82 HISTOIRE DE FRANCE _qui parut un divorce avec le bonheur. II demanda a I'empereur d'Autriche la main de Tarchiduchesse Marie-Louise (iSio) et fit asseoir sur son trone, a ses cotes, une fille des Cesars. Un fils lui etant ne le 20 mars 181 1, I'empereur le decora du nom 5 de roi de Rome. Napoleon etait alors a Tapogee de la puissance et de la gloire. Rien ne resistait plus a ses volontes. Les grands corps de I'fitat restaient muets ou ne parlaient que pour applaudir aux vastes pro jets du 10 maitre et exalter ses succes. L'empereur s'effor- 9ait de se faire pardonner ce gouvernement arbi- traire en developpant toutes les ressources de la prosperite publique. II perfectionnait le systeme financier, la Banque de France, promulgait le Code 15 de Commerce. II entreprenait de grands travaux d'art ou d'uti- lite generale en France et dans les pays annexes: la colonne Vendome, Tare de triomphe de I'fitoile, I'achevement du Louvre et des Tuileries, des fon- 20 taines, des canaux, des routes, etc. II encouragea aussi I'industrie et crea le Conseil general des fabriques et manufactures. Le blocus continental, qui ecartait du continent les produits de I'industrie anglaise, fit naitre des industries nouvelles. Par 25 un decret du 15 Janvier 1812, Napoleon destina cent mille hectares de terrain a la culture des betteraves, pour la fabrication du sucre indigene, qui devait remplacer le sucre des colonies. Napoleon favorisa surtout I'application des scien- 30 ces utiles a I'industrie. II honora et recompensa les savants aussi bien que les manufacturiers. On vit naitre deux sciences nouvelles : la geologic. l'empire 183 ou histoire naturelle de la terre, et la paleontologie, science qui traite d'animaux et vegetaux disparus, dont les debris sont enfouis dans la terre. La litte- rature et les arts pourtant, ne brillerent pas du 5 meme eclat a cette epoque. Campagne de Russie. — La France, malgre cette prosperite, avait besoin de repos et d'un gouverne- ment moins despotique. Mais Napoleon, resolu a dominer TEurope entiere, rompit avec la Russie et 10 voulut aller a Moscou. Cette temerite le perdit. La Russie n'executait qu'a moitie le blocus or- donne contre les Anglais. Napoleon lui declara la guerre tandis que ses meilleurs soldats etaient encore occupes a soumettre I'Espagne. II marcha 15 vers le Niemen a la tete de six cent quarante mille hommes de toute nation : il entrainait pour ainsi dire toute I'Europe a sa suite (1812). II franchit le Niemen, le 24 juin, entra a Wilna, ou il s'arreta trop longtemps, s'empara de Smolensk, 20 apres un combat acharne (17 aoiit). Les Russes reculaient toujours, devastant le pays. Cependant le general Kutusoff decida a livrer une bataille sur les bords de la Moskowa, a Boro- dino (7 septembre 1812). Ce fut un des plus ter- 25 ribles chocs des temps modernes. L'action dura toute la journee, mais les Russes se retirerent hor- riblement maltraites. Les Frangais a Moscou. — Cette victoire, bien qu'elle eut coute cher, ouvrait la route de Moscou ; 30 I'armee se dirigea vers cette fameuse capitale. Le 14 septembre elle depassa la derniere hauteur qui lui derobait la vieille cite russe. Les soldats, emus au spectacle grandiose qui se deroulait devant leurs 184 HISTOIRE DE FRANCE yeux, s'arreterent en criant : « Moscou ! Moscou ! » Moitie europeenne, moitie asiatlque, demi-orientale et demi-grecque, Moscou, ville immense, sur la limite de la civilisation et de la barbaric, offrait le melange le plus singulier de palais, d'eglises, de 5 domes dores etincelant aux rayons d'un soleil d'au- tomne, de jardins, de bosquets, de maisons aux toits brillant de couleurs varices, et de pauvres cabanes tartares. Bien des soldats avaient vu le Caire, les Pyramides, Milan, Vienne, Berlin, Madrid : Moscou 10 surprenait ces hommes deshabitues de Tetonnement. L'armee defila, ivre d'enthousiasme, et entra dans la cite sainte des Russes. La joie fut courte. La ville etait deserte et morne: toute la population avait fui a la suite de 15 l'armee russe. Dans la nuit du 15 au 16 septembre, un immense incendie eclata, allume par les bandits qu'avait laisses le gouverneur Rostopchine. Un vent furieux vint aider les incendiaires, et, changeant presque chaque jour, porta tour a tour les flammes 20 dans les differents quartiers de la ville. Trois jours et trois nuits, Moscou presenta Taspect d'un horrible brasier, dont Tarmee cut beaucoup de peine a sortir ; les flammes ne s'arreterent qu'apres avoir devore les quatre cinquiemes de cette opulente cite 25 ou les soldats esperaient trouver, sinon la paix, du moins le repos pendant I'hiver. Cet acte sauvage indiquait assez a quelle nation on faisait la guerre. Napoleon neanmoins engagea des negociations. II perdit un temps precieux, croyant tou jours que Fem- 30 pereur Alexandre traiterait. Mais Alexandre ne pensait qu'a le jouer, comptant pour nous chasser sur son allie favori, I'hiver, l'empire 185 La retraite de Russie. — Cet allie fut plus fidele encore qu'a I'ordinaire et plus energique. Napo- leon se decida enfin a partir le 15 octobre. Des le 2^ le mauvais temps commenqa. Le 9 novembre le 5 del, sur lequel on avait tant compte, se declara contre nous. La neige tomba. Tout alors est con- fondu et meconnaissable ; on marche sans savoir ou Ton est, sans apercevoir son but ; les flocons de neige, pousses par le tempete, s'amoncellent et s'ar- 10 retent dans toutes les cavites; la surface cache des profondeurs inconnues qui s'ouvrent perfidement sous nos pas. La le soldat s'engouffre, et les plus faibles s'abandonnant y restent souvent ensevelis. L'hiver russe attaque les soldats de toutes parts ; 15 il penetre au travers de leurs legers vetements et de leur chaussure dechiree ; leurs habits mouilles se gelent sur eux ; devant eux, autour d'eux, tout est neige ; c'est comme un grand linceul dont la nature enveloppe I'armee! Les seuls objets qui se voient, 20 ce sont de sombres sapins avec leur funebre verdure, et la gigantesque immobilite de leurs tiges noires, et leur grande tristesse qui complete cet aspect de- sole d'un deuil general, d'une nature sauvage et d'une armee mourante au milieu d'une nature morte. 25 A Smolensk, on ne trouva ni les vivres ni les secours esperes. Tout etait pille. On ne put s'y arreter. II fallut poursuivre cette retraite, de plus en plus desastreuse a mesure que le froid devenait plus rigoureux et que I'ennemi se rapprochait. II 30 fallait acheter par des combats une route couverte de neige. Ney a I'arriere-garde protegeait de son solide courage toute I'armee. Des lignes de ca- davres marquaient les bivouacs. Depuis longtemps r86 HISTOIRE DE FRANCE on laissait les canons faute de chevaux, et, ce qui est plus triste, les blesses. Presque toute la cava- lerie etait a pied. Les rangs etaient abandonnes, et une foule desarmee, souffrante, suivait les regi- ments qui conservaient encore quelque organisation 5 et quelque discipline. Ce fut cette foule accrue des marchands et des vivandiers qui occasionna I'en- combrement des ponts au passage de la Beresina, et fut en partie sacrifice pour le salut de I'armee, car on se vit oblige de rompre les ponts a I'arrivee 10 de Tennemi. Des scenes douloureuses se produi- sirent alors (28 novembre) et sont restees celebres sous le titre de passage de la Beresina. A Smorgoni, Napoleon quitta Tarmee pour pre- venir a Paris la nouvelle de son desastre. II tra- 15 versa TAllemagne incognito et arriva aux Tuileries, lorsqu'on commengait seulement a connaitre quelque chose de I'horrible verite. Apres son depart, la retraite devint plus desastreuse. Le froid redoubla. Le 9 decembre on arriva a Wilna, mais sans pou- 20 voir s'y arreter. II fallut reculer jusqu'au Niemen, et c'est a peine si une poignee de soldats, debris d'une armee de 400,000 hommes, repassa ce fleuve. Campagnes d^Allemagne et de France. — Ce desastre porta un coup mortel a la puissance de 25 Napoleon. Des qu'on vit son armee detruite par le froid, les defections commencerent. La Prusse d'a- bord se souleva. Meme le prince de Suede, un marechal de I'Empire, Bernadotte, entra dans la co- alition. Napoleon, cependant, reussit a recomposer 30 une armee de deux cent mille hommes avec les troupes laissees en Allemagne et les consents de France. . _ l'empire rS; Trois armees, prussienne, russe, autrichienne, se dirigent sur Dresde. Napoleon leur fait face. Le 26 et le 2y aout, il livre une grande bataille a Dresde et remporte une sanglante victoire. Mais les lieute- 5 nants de Napoleon se laissent battre, et bientot I'em- pereur voit trois cent mille coalises se reunir contre lui pres de Leipzig. Pendant trois jours Napoleon arrete, tour a tour, chacune des armees ennemies. Malgre Theroisme de ses soldats il ne peut continuer 10 cette lutte inegale. II fallut reculer encore et re- culer jusqu'en France. La France a son tour fut envahie. Trois masses enormes formant un total de quatre cent mille hommes arrivent par la Hollande et la Belgique, 15 par la Moselle, par la Bourgogne, et convergent vers Paris. Devant ce danger Napoleon retrouve son activite d'ltalie : il deploie dans cette lutte su- preme un genie qui excite I'admiration. Avec une poignee de soldats aguerris, trois mois il tient tete 20 a la coalition et frappe des coups energiques. Les allies negocient ; mais ils n'of frent a I'empereur que les limites de 1789. Napoleon s'indigne: (( Voulez-vous que j'abandonne les conquetes qui ont ete faites avant moi, s'ecrie-t-il, que je laisse la 25 France plus petite que je I'ai trouvee ! jamais ! » Nouveaux combats et nouveaux succes, mais les armees alliees se reunissent tou jours et, apres la bataille indecise d'Arcis-sur-Aube (20 et 21 mars), marchent sur la capitale. D'heroiques soldats re- 30 sistent, autant qu'ils peuvent, aux 180,000 hommes qui les attaquent; ils sont ecrases par le nombre. Paris capitule (31 mars), et on demanda a I'em- pereur son abdication. Abandonne de ses gene- 1 88 HISTOIRE DE FRANCE raux, il la signa enfin, plein de douleur (6 avril). Un traite lui assurait la souverainete derisoire de rile d'Elbe. Avant de partir, Napoleon composa un bataillon d'hommes et d'officiers de differents corps de la garde, bataillon qui devait raccom- s pagner; puis, dans la cour du palais de Fontaine- bleau, il fit aux regiments qui demeuraient de tou- chants adieux. Puis il partit, accompagne de quel- ques serviteurs fideles, pour un exil qui, dans sa pensee, n'etait point definitif. lo Premiere restauration des Bourbons. — Les Bourbons revinrent dans cette France entierement renouvelee a laquelle ils parurent des etrangers. Louis XVIII regardait comme nul tout ce qui s'e- tait fait en son absence et appelait 1814 la dix- 15 neuvieme annee de son regne. L'arrogance des emigres, leur pretention de detruire toutes les con- quetes de 1789, exciterent de vifs mecontentements. On regarda du cote de Tile d'Elbe, ou avait ete relegue le puissant empereur. Napoleon comprit 20 qu'on I'appelait. II arriva. ]&chappant a la vigilance des croisieres anglaises, il debarque le i^r mars 181 5 avec son bataillon de grenadiers de la garde, au golfe Jouan, pres de Cannes, et arrive a Grenoble, ou le colonel Labe- 25 doyere se rallia a lui. II poursuivit sa marche triomphale de Grenoble a Lyon, de Lyon a Paris. Le 20 mars 181 5 Napoleon rentrait aux Tuilerie.s, que Louis XVIII avait quittees pour s'enfuir en Belgique. 30 Instruit par le malheur. Napoleon declara qu'il allait satisfaire les desirs de liberte qu'il avait trop - meconnus. Mais Napoleon remontant sur le trone l'empire 189 fut un sujet d'effroi pour I'Europe. Les souverains resserrerent letir alliance et mirent en mouvement leurs armees. Bataille de Waterloo. — Napoleon, en quelques 5 mois, avait aussi reorganise son armee et entra en Belgique, a la tete de cent trente mille hommes. II battit les Prussiens a Fleurus et a Ligny (16 juin). Mais il fallait aussi arreter les Anglais. II les attaqua le 18 juin 181 5 au plateau du Mont-Saint- 10 Jean, pres du village de Waterloo. Le marechal Grouchy etait charge de poursuivre les Prussiens et de les empecher de secourir les Anglais. Ney entraina par son ardeur la cavalerie, qui executa des charges repetees. Ce furent des scenes gran- 15 dioses, telles qu'on n'en avait point vu. Les cuiras- siers surtout firent des prodiges. Napoleon se pre- parait a soutenir ces belles charges par son infante- rie, lorsque les Prussiens arriverent. Bulow de- bouchait sur la droite avec 30,000 ennemis, quand, 20 a sa place, on esperait Grouchy avec 30,000 Fran- gais. II fallut leur faire face. Toutefois le combat se soutenait, les Prussiens furent refoules. Ney entraine une seconde fois toute la cavalerie sur le plateau du Mont-Saint-Jean, 25 que Wellington a repris et qu'il veut defendre jus- qu'a la derniere extremite ; il sait qu'il sera secouru. Dix mille cavaliers se precipitent avec furie sur les bataillons anglais formes en carres, les entament, les ouvrent, s'emparent des canons. Deja les An- 30 glais se debandent, et Wellington inquiet ne sait si les Prussiens auront le temps de paraitre. II est sept heures du soir. Ney demande tou jours de I'in- fanterie : « De I'infanterie ! Ou voulez-vous que IQO HISTOIRE DE FRANCE j'en prenne? Voulez-vous que j'en fasse?)) re- pond Napoleon oblige de tenir tete aux Prussiens. Toutefois, ceux-ci avaient decidement recule. Na- poleon forme tine colonne de bataillons de la garde, destinee a enfoncer le centre des Anglais. EUe est 5 a peine organisee que le reste de Tarmee prussienne avec Bliicher se montre sur I'extreme droite : et Grouchy ne vient point ! Napoleon ordonne d'atta- quer avec quatre bataillons seulement. Peut-etre aura-t-il le temps de percer les Anglais. Tout cede 10 devant les redoutables bataillons que Ney dirige avec I'entrain du desespoir. On entoure Welling- ton, on lui demande ses instructions, s'il est tue. « Mes instructions, repond-il, c'est de tenir ici jus- qu'au dernier homme.)) II merita bien, ce jour-la, 15 par sa froide tenacite, le surnom de Due de fer. Des soldats de reserve, couches dans les bles, se levent tout a coup, et leur feu subit, meurtrier, met le des- ordre dans les rangs des Fran(;ais, qui plient. II est huit heures. On pourrait renouveler Tat- 20 taque avec les huit bataillons qui restent, mais Bliicher arrive et tourne notre aile droite. La vieille garde n'a plus qu'une mission a remplir : c'est de Jeter sur cet immense desastre un pen de gloire, par son sublime heroisme. Elle protege la deroute 25 de I'armee, qui s'enfuit, vivement poursuivie. De- cimes, les bataillons de veterans se sacrifient pour le salut de tons. lis se forment en carres qui retro- gradent en combattant : plusieurs sont detruits. (( La garde meurt et ne se rend pas,)) noble parole 30 qui fut reellement prononcee et admirabl'ement tenue. Napoleon, entoure par les debris de sa garde, fut entraine, la mort dans Tame, loin de ce l'empire 191 funeste champ de bataille de Waterloo ou venait de s'abimer sa merveilleuse carriere. Napoleon se hata d'accourir a Paris, croyant y trouver un appui. Se voyant abandonne, il abdiqua 5 en faveur de son fils. Mais les allies arriverent, rappelerent Louis XVIII et n'accorderent la paix qu'aux conditions les plus onereuses. Les traites de 181 5 ramenerent la France, au nord et a Test, en dega des limites de 1789. EUe perdait non seule- 10 ment les conquetes de I'Empire, mais encore toutes celles de la Republique et meme quelques-unes de I'ancienne monarchic. Hors du continent, la France renongait a la plu- part des colonies que I'Angleterre avait prises pen- 15 dant la guerre. L'Angleterre restait la plus grande puissance maritime. _ La Russie obtenait presque toute la Pologne. L'Autriche dominait I'ltalie. La Prusse recouvrait ses anciennes provinces et re- cevait la rive gauche du Rhin. La Belgique, reunie 20 a la Hollande, formait un royaume des Pays-Bas, destine a servir de barriere contre la France. Par- tout les allies de la France, les faibles, etaient ecrases. Napoleon a Sainte-Helene. — Napoleon avait de- 25 mande a I'Angleterre I'hospitalite et etait passe librement sur un vaisseau anglais : on le declara pri- sonnier et on I'envoya sur un ilot de I'ocean Atlan- tique, a Sainte-Helene, dans la zone torride. La encore on sembla vouloir le tuer lentement. Au lieu 30 de lui abandonner le chateau du gouverneur, situe dans une fraiche vallee, on choisit pour sa demeure un plateau brule par le soleil et desole par les vents. Une limite fut tracee aux promenades de celui qui T92 HISTOIRE DE FRANCE avait I'habitude de parcourir I'Eiirope. Hors de ces limites, Napoleon ne pouvait aller a cheval sans etre suivi. Aussi, pour eviter cette gene odietise, se livrait-il le moins possible a Texercice du cheval, necessaire a sa sante. Les generaux Bertrand, 5 Gourgatid et Montholon avec leurs families fai- saient tons leurs efforts pour adoucir ses peines ; ils n'y parvenaient pas. Ne voulant plus monter a cheval, il se livra a I'exercice du jardinage et eleva des epaulements en terre pour proteger sa demeure 10 contre les vents. En costume de planteur, on le voyait avec ses compagnons surveiller la culture de son jardin, et combattre encore la nature de ce roc sterile sur lequel on ne lui epargnait pas les humi- liations. 15 En 1 82 1, dans les premiers jours de mai, une maladie qui faisait souffrir Napoleon depuis plu- sieurs annees et que le climat avait developpee, fit des progres alarmants. Le 3, le delire commenga, et a travers ses paroles entrecoupees on saisit ces 20 mots : (( Mon fils . . . I'armee . . . Desaix ...» On eut dit, a une certaine agitation, qu'il avait une der- niere vision de la bataille de Marengo regagnee par Desaix. Le 4, I'agonie dura sans interruption. Le temps etait horrible; un ouragan des tropiques de- 25 chainait sa fureur sur Tile et y deracinait quelques- uns des grands arbres. Enfin, le 5 mai on ne douta plus que le dernier jour de cette existence extra- ordinaire ne flit arrive. Tons les serviteurs de Napoleon, agenouilles autour de son lit, epiaient 30 les dernieres lueurs de la vie. Ce jour-la, le temps etait redevenu calme et serein. Vers cinq heures quarante-cinq minutes, juste au moment ou le soleil L'EMPIRE 193 se couchait dans des flots de lumiere et ou le canon anglais donnait le signal de la retraite, les nom- brenx temoins qui observaient le mourant s'aper- gurent qu'il ne respirait plus, et s'ecrierent qu'il 5 etait mort. Napoleon avait alors cinquante-deux ans. On I'enterra dans Tile, pres d une fontaine qu'il affec- tionnait. II avait, dans son testament, exprime le desir d'etre enterre « sur les bords de la Seine, au 10 milieu de ce peuple frangais qu'il avait tant aime.)) Ce dernier voeu fut realise en 1840, et les restes de Napoleon reposent maintenant dans I'Hotel des In- valides a Paris. 194 HISTOIRE DE FRANCE CHAPITRE XX LA FRANCE DEPUIS 1815 La Restauration ; Louis XVIII (1815-1824). — Une invasion plus funeste que celle de 18 14 se con- tinua pendant plus de trois mois apres la bataille de Waterloo. Les Prussiens occupaient Paris, les An- glais tenaient les environs de la capitale. Pendant 5 trois ans une partie de la France resta occupee par les troupes etrangeres. La Chambre des deputes voulait retablir I'ancien regime, et Louis XVIII se vit oblige lui-meme de la dissoudre. II s'effor<;ait de reconcilier les classes 10 divisees par une revolution si profonde : il compre- nait que la royaute devait se rattacher la societe nouvelle et non la combattre. L'assassinat du due de Berry (13 fevrier 1820), neveu du roi et alors dernier heritier du trone, re j eta le gouvernement 15 dans les bras des royalistes exaltes. Les rigueurs recommencerent et provoquerent des conspirations qui amenerent de nouveaux supplices. Afin de regagner I'armee et pour defendre au dehors comme au dedans le principe de I'autorite 20 royale, le gouvernement entreprit I'expedition d'Es- pagne pour retablir sur le trone le roi Ferdinand VII, qui avait ete renverse par son peuple et se trouvait dans une situation analogue a celle ou LA FRANCE DEPUIS I815 195 s'etait trouve Louis XVI. L'armee frangaise, commandee par les marechaux et les generaux ex- perimentes de I'Empire, pacifia rapidement toute I'Espagne. 5 L'annee suivante, Louis XVIII, qui avait eu a traverser les temps les plus difficiles, acheva pai- siblement son regne. Charles X (1824-1830). — Son frere Charles lui succeda. Charles X avait alors soixante-sept ans: 10 le due de Bordeaux etait son petit-fils, et tout sem- blait I'inviter a continuer, apres les secousses vio- lentes des trente dernieres annees, la politique de Louis XVIII. II n'en fit rien. C'etait lui qui, en 1789, avait donne le signal de I'emigration, et il 15 disait en parlant de La Fayette, un des principaux chefs du parti liberal et I'un des premiers acteurs de la Revolution : « II n'y a que M. de La Fayette et moi qui n'ayons pas change depuis 1789.)) Un moment il ceda a I'opinion en prenant des ministres 20 moderes, mais il revint presque aussitot aux vieilles theories de pouvoir absolu, et se crut assez fort en 1830 pour dechirer la Charte consentie par Louis XVIII. Une revolution eclata et une bataille de trois 25 jours s'engagea dans les rues de Paris, 26, 2^ et 28 juillet 1830. Charles X abdiqua en faveur de son petit-fils le due de Bordeaux, mais trop tard, et s'embarqua a Cherbourg, partant pour un dernier et nouvel exil. Les Chambres donnerent la cou- 30 ronne a Louis-Philippe d'Orleans. La France re- prit le drapeau tricolore. Regne de Louis-Philippe P^^ (1830-1848). — Le nou- veau roi, Louis-Philippe I^^, rassurait par sa poli- 196 HISTOIRE DE FRANCE tique liberale la societe, qui ne craignait plus de retour en arriere. Mais les partis ne desarmaient point, et le regne de Louis-Philippe fut fort trouble jusqu'en 1840; a plusieurs reprises, des insurrec- tions ensanglanterent les rues de Paris et de Lyon. 5 Des attentats sans cesse repetes contre la vie du roi perpetuaient I'inquietude. Louis-Philippe, cependant, parvint a triompher de toutes les agitations : il maintenait au dehors la paix de I'Europe, mais on lui reprochait d'acheter 10 cette paix par de trop grandes concessions. L'in- dustrie et le commerce, qui, depuis le commence- ment du siecle, avaient pris un essor rapide, avaient accru I'importance de la population ouvriere, dont le gouvernement ne se preoccupait pas assez. Deux 15 maitres en I'art de la parole et en I'art d'ecrire, M. Thiers et M. Guizot, se disputaient sans cesse le pouvoir, et leur rivalite fut le grand evenement d'un regne ou les luttes de la tribune tinrent la place principale. Tandis que les amis memes de la 20 royaute reclamaient de justes reformes, ses enne- mis se preparaient a profiter de ces divisions. Une emeute commencee aux cris de Vive la reforme ! devint bientot, le 24 fevrier 1848, une revolution d'ou sortit pour la seconde fois la Republique, 25 Louis-Philippe n'essaya meme pas de lutter ; comme Charles X, il abdiqua en faveur de son petit-fils le comte de Paris, mais trop tard aussi, et il dut s'en- fuir en Angleterre, oh il mourut deux ans apres. Conquete de PAlgerie. — La plus grande oeuvre 30 et le plus beau resultat du regne de Louis-Philippe, ce fut la conquete de I'Algerie. La colonie s'est developpee, et la France possede ainsi sur la cote LA FRANCE DEPUIS 1815 197 d'Afrique un vaste territoire tres fertile qui compte trois millions d'habitants. Republique de 1848: le suffrage universel. — La revolution de fevrier 1848 assurait le triomphe 5 de la Republique. Le gouvernement provisoire, qu'on etablit d'abord a I'Hotel de ville, voulut tout de suite marquer la portee de la nouvelle revolu- tion par des mesures liberales. II abolit la peine de mort en matiere politique et, des le 2 mars, pro- 10 clama le suffrage universel. Le 27 avril, il pro- clama egalement I'abolition de I'esclavage dans les colonies. La Constitution nouvelle donnait le pouvoir a un President elu pour quatre ans et a une Assemblee 15 legislative. L'Assemblee et le President devaient etre nommes par le suffrage universel. Cinq mil- lions de suffrages designerent pour la presidence le prince Louis-Napoleon, dont le nom entraina les populations des campagnes. Deux fois deja, sous 20 le regne de Louis-Philippe, il avait tente de s'em- parer du pouvoir : deux fois il avait echoue. De- venu president de la Republique, il s'appliqua a pre- parer son avenement a I'Empire. Louis-Napoleon s'appuya d'abord sur les anciens 25 partis monarchiques, et commenga une veritable reaction contre les doctrines republicaines. Mais bientot il se separa des monarchistes, qui ne vou- laient point Taccepter pour souverain. Afin de se faire reelire, il demanda la revision de la Constitu- 30 tion, mais tons les partis se reunirent contre lui et repousserent la revision de la Constitution. Alors le President songea a recourir a la force. Coup defeat du 2 decembre 1851. — Le 2 de- T98 HISTOIRE DE FRANCE cembre 185 1, il fit arreter les deputes les plus in- fluents du parti republicain et des partis monar- chiques, occuper Paris militairement, fermer la salle des seances de I'Assemblee. II detruisait lui-meme la Constitution, qu'il avait fait serment et qu'il avait 5 pour mission de maintenir. La resistance qui s'or- ganisa a Paris, echoua devant I'attitude des troupes dont le President s'etait assure le concours. Des transportations sans jugement eloignerent les enne- mis du nouvel ordre de choses. Sept millions et 10 demi de suffrages (20 et 21 decembre) confierent a Louis-Napoleon la presidence pour dix ans. Louis-Napoleon se hata alors de publier une Constitution (14 Janvier 1852). L'autorite effec- tive, la pleine puissance etait concentree entre les 15 mains du President. Le pouvoir legislatif etait exerce par le Corps legislatif et le Senat. Louis- Napoleon se fit enfin, apres un nouveau plebiscite,^ proclamer empereur des Fran^ais (2 decembre 1852). 20 La guerre d'Orient. — Bien qu'il eut prononce, pour rassurer I'Europe, ces mots fameux : « L'Em- pire, c'est la paix,)) Napoleon III ne craignit pas d'inaugurer son regne par une grande guerre. Le tsar de Russie, Nicolas, avait envahi les provinces 25 du Danube, le 3 juillet 1853. Napoleon III s'allia alors avec I'Angleterre pour s'opposer aux projets ambitieux du tsar. Une flotte anglo-frangaise alia dans la mer Bal- tique. Une armee frangaise fut transportee en 30 Turquie, ou les troupes anglaises la rejoignirent. 1 Vote soumis a I'approbation du peuple entier. LA FRANCE DEPUIS I8I5 ^99 Les generaux allies, ne voulant point se lancer a la poursuite des armees russes au dela du Danube, se deciderent a attaquer Sebastopol, son principal arsenal, menace perpetuelle pour Constantinople. Le 5 14 septembre 1854, le corps expeditionnaire, dirige par le marechal Saint-Arnaud et lord Raglan, de- barqua en Crimee. Les Russes, retranches der- riere le petit fleuve de I'Alma, sur des hauteurs herissees d'artillerie, comptaient nous rejeter dans 10 la mer. Grace a Telan, a I'agilite des soldats fran- <;ais, les hauteurs furent escaladees, les Russes tournes, refoules : ce fut une victoire decisive et brillante (20 septembre 1854). La victoire de I'Alma ouvrait la route de Sebasto- 15 pol, dont le siege commenga (octobre 1854) sous les ordres du general Canrobert, puis du general Pelissier. II fallut creuser des tranchees dans un terrain rempli de rochers ; les armees operaient a cinq cents lieues de leur pays, attendant le plus sou- 20 vent leur materiel et leurs provisions, livres a la merci des vents impetueux qui soufflent dans la mer Noire. Survint un hiver des plus rigoureux. Dans les tranchees les souffrances etaient affreuses, et il 25 fallait travailler, combattre. Au mois de mars 1855 I'empereur Nicolas mourut, mais son fils, Alexan- dre II, continua la guerre. Alors les allies pous- serent le siege avec une nouvelle vigueur. Apres un bombardement terrible, la tour Mala- 30 koff, qui etait devenue, grace aux travaux des Russes, une citadelle redoutable, fut attaquee le 8 septembre, tandis que le reste de I'armee s'elan- gait sur les bastions voisins. Malgre un feu epou- 200 HISTOIRE DE FRANCE vantable et plusieurs retours offensifs, la division du general de Mac-Mahon demeura maitresse de la tour Malakoff, qui n'etait plus qu'un amas de de- combres. Le grand resultat etait obtenu : Malakoff pris, Sebastopol tombait au pouvoir des Fran9ais. 5 Ce magnifique succes termina la guerre. Un congres se reunit a Paris ; la paix fut signee le 30 mars 1856, et la Russie perdait le fruit de lon- gues annees de travail et d'enormes depenses. Guerre d'ltalie (1859). — Apres la Russie, Na- 10 poleon voulait abaisser TAutriche et delivrer I'ltalie, dont le nord appartenait depuis 181 5 aux Autri- chiens. Le roi de Sardaigne, Victor- Emmanuel, et surtout son ministre, le comte de Cavour, en- trainerent Napoleon a cette guerre, qui fut popu- 15 laire et brillante. Les Frangais battirent les Autrichiens a Monte- bello (20 mai 1859) et encore au village de Magenta (4 juin). Les Autrichiens semblerent alors abandonner la 20 Lombardie, mais, quand I'armee frangaise approcha des bords du Mincio, elle vit tout a coup les hau- teurs voisines de cette riviere couvertes d'ennemis. Les Frangais, sous un soleil ardent, s'elancerent a I'assaut des hauteurs de Solferino et de Cavriana 25 (24 juin), et s'en emparerent apres une lutte achar- nee. Un orage qui eclata empecha les Frangais de changer en deroute la defaite des Autrichiens, qui purent se retirer au dela du Mincio. On se repetait encore les derniers details de la 30 journee de Solferino, lorsque le telegraphe annonga tout a coup la conclusion de la paix. Une entrevue cut lieu a Villafranca, entre Tempereur d'Autriche LA FRANCE DEPUIS 1815 20I Frangois-Joseph et I'empereur Napoleon III. Les deux souverains signerent les preliminaires de la paix: Tempereur d'Autriche cedait la Lombardie a Napoleon III; qui la remettait au roi Victor-Em- 5 manuel. L'ltalie centrale demanda a s'unir au Piemont et, par une suite de revolutions, d'inva- sions successives, le Piemont devint le maitre de la peninsule. Le royaume de Sardaigne se trans- forma en royaume d'ltalie. L'unite italienne fut 10 faite. Des i860 la France, a raison de ces changements, avait reclame sa' frontiere naturelle des Alpes, per- due en partie lors des traites de 1815. La Savoie et le comte de Nice furent cedes a la France par le IS roi Victor-Emmanuel (mars i860), et les popula- tions, consultees par la voie du suffrage universel, accueillirent avec joie ce retour a la patrie fran- Qaise. Le 14 juin, le drapeau frangais etait porte par des guides hardis sur la plus haute cime du 20 mont Blanc. Guerre de 1870. — La Prusse n'avait ete depuis 181 5 qu'une puissance secondaire. Mais sous le roi Guillaume I^"^, monte sur le trone en 1861, un ministre habile et audacieux, le comte de Bismarck, 25 entreprit d'assurer a la Prusse Tempire de I'Alle- magne. II s'unit a l'ltalie contre I'Autriche, et I'armee prussienne remporta une victoire decisive a Sadowa (3 juillet 1866). L'Autriche signa la paix, et les :&tats allemands se virent obliges de 30 reconnaitre la suprematie de la Prusse. Ce royau- me, considerablement agrandi, devenait un dan- gereux voisin. Un conflit etait des lors inevitable avec la France. Le gouyernement imperial s'y 202 HISTOIRE DE FRANCE prepara d'une maniere insuffisante, et la Prusse, qui connaissait les imperfections de notre armee, eut I'art de se faire declarer la guerre qu'elle de- sirait (15 juillet 1870). Les Prussiens saisissent Toccasion que leur of- 5 frent les mauvaises positions de Tarmee, dispersee sur une ligne trop etendue le long de nos frontieres. Le 4 aoiit, au nombre de quarante mille hommes, ils ecrasent une division frangaise isolee sur les bords de la Lauter, a Wissembourg. L'ennemi 10 entre en France. Le marechal de Mac-Mahon, qui occupait I'Al- sace, cherche et trouve une forte position a Reichs- hoffen et a Froeschwiller. Mais il avait a peine trente-cinq mille hommes, et le prince royal de 15 Prusse lui en opposa cent vingt mille. Le marechal de Mac-Mahon, pour assurer sa retraite, dut sacri- fier sa magnifique brigade de cuirassiers. Le meme jour, a Forbach, le corps d'armee du general Frossard etait repousse et abime par une autre 20 armee prussienne (6 aout 1870). L'invasion s'etendit dans les departements de TEst, rapide, terrible, avec ses exigences, ses re- quisitions, ses cruautes meme. L'armee principale, commandee par le marechal 25 Bazaine, restait sous la protection de la place de Metz, au lieu de se replier rapidement : et malgre les glorieux combats de Borny (14 aout), de Grave- lotte (16 aoiit) et de Saint-Privat (18 aoiit), ou les armees prussiennes firent des pertes enormes, 30 l'armee frangaise fut entouree et resserree autour de Metz. Une nouvelle armee, formee a Chalons, fut t^- LA FRANCE DEPUIS 1815 203 merairement envoyee a son secours; cette seconde armee, acculee a la frontiere du Nord, fut enve- loppee autour de la petite place forte de Sedan. Apres deux jours de combats sanglants, cette ar- 5 mee, privee de son chef, le marechal Mac-Mahon, grievement blesse, se vit refoulee dans la place de Sedan, ou, accablee par I'artillerie allemande, elle ne pouvait ni resister ni vivre. L'empereur Napo- leon III, qui se trouvait avec cette armee, capitula 10 en se rendant prisonnier de guerre avec quatre-vingt mille hommes (2 septembre 1870). Lorsque cette nouvelle arriva a Paris, une revo- lution eclata (4 septembre) ; un gouvernement nouveau s'installa a I'Hotel de ville, prenant le 15 titre de gouvernement de la Defense nationale. Les principaux membres de ce gouvernement, pre- side par le general Trochu, gouverneur de Paris, etaient MM. Jules Favre, Ernest Picard, Jules Simon, Cremieux, Gambetta. 20 Tandis que les armees prussiennes, victorieuses a Sedan, venaient investir et assieger Paris, d'autres troupes allemandes s'emparaient successivement des forteresses. — Strasbourg, boulevard de I'Al- sace, investi le 13 aout, se vit, a partir du 15, ex- 25 pose a un bombardement qui s'attaquait a la ville meme. Tout le centre de la ville fut devaste par rincendie. La cathedrale elle-meme fut mutilee. La ville, a bout de ressources, dut capituler le 28 septembre. Paris cependant, investi depuis le 30 19 septembre, tenait a distance les Prussiens, qui ne se trouvaient pas en mesure de I'attaquer de vive force. Des troupes se rassemblaient sur les bords de la Loire, et la situation paraissait s'ame-. 204 HISTOIRE DE FRANCE liorer. La capitulation du marechal Bazaine^ a Metz (27 octobre) vint changer la face des choses. Investi, enserre par des lignes de batteries, qu'il n'etait pas aise de franchir, il n'essaya pas serieuse- ment, malgre la belle qualite de ses troupes aguer- 5 ries, qui constituaient la plus belle armee que la France ait cue depuis longtemps, de rompre le cercle de fer et de feu trace autour de lui. Lorsque les vivres diminuerent, il negocia. M. de Bismarck ne voulut plus entendre parler de convention lorsqu'il 10 comprit que Tarmee devait necessairement se ren- dre. Le jour fatal arriva en effet. Le marechal dut capituler, et livrer prisonniers de guerre les cent mille hommes qui lui restaient, un materiel enorme, des forts superbes, un arsenal de premier 15 ordre et une ville qui etait un des plus solides rem- parts de la France. Verdun, assiege depuis le 25 aoiit, capitule le 8 novembre et Belfort se pre- parait sous la direction du colonel Denfert a une resistance digne de la reputation de cette forteresse. 20 A Paris, le general Trochu se hata d'accelerer I'organisation de I'armee, qui deja avait tente plu- sieurs reconnaissances. Apprenant que I'armee de la Loire comptait s'approcher du cote de la vallee de la Seine, il prepara une sortie du cote de la 25 Marne. Deux combats (30 novembre et 2 decem- bre) furent honorables pour I'armee de Paris, mais n'eurent aucun resultat. En meme temps I'armee 1 Le marechal Bazaine, traduit en 1873 devant un conseil de guerre, fut condamne a la peine de mort et a la degradation militaire. Sa peine fut commuee en vingt ans de detention; mais Bazaine ne tarda pas a s'echapper de I'ile de Sainte-Mar- guerite ou il etait enferme. II moyrut a Madrid en 1888, LA FRANCE DEPUIS 1815 205 de la Loire avait a lutter contre Tarmee prussienne de Frederic-Charles, que la capitulation de Metz avait rendue libre. Une serie de combats, les 2, 3 et 4 decembre, en avant d'Orleans, se termina par 5 la retraite des Krangais et la reprise d'Orleans par les Prussiens. Paris, a bout de vivres et bombarde depuis le 6 Janvier, avait enfin capitule, Le gou- vernement de la Defense nationale signa un ar- mistice (28 Janvier 1871). Une assemblee se reunit 10 le 13 fevrier a Bordeaux, nomma M. Thiers chef du pouvoir executif, et, apres une douloureuse de- liberation, ratifia, le i^^ mars, les preliminaires de paix. La France etait forcee de payer cinq mil- liards et d'abandonner aux AUemands I'Alsace et 15 la partie de la Lorraine qu'ils appellent allemande. La guerre civile; la Commune de Paris. — Comme si ce n'etait pas assez de tant de malheurs, une affreuse guerre civile suivit la guerre etran- gere. Des ambitieux, exploitant les souffrances et 20 la colere de la population parisienne, souleverent une partie de la garde nationale (18 mars 1871), et organiserent la Commune. Le gouvernement legal fut oblige de se retirer a Versailles, et ne put rentrer a Paris qu'apres im siege de deux mois 25 (avril-mai). Encore, dans la derniere semaine, Paris faillit-il etre aneanti par les incendies qu'al- lumerent les vaincus. Cette lutte sinistre ne finit que le 28 mai. Presidence de Thiers (1871-1873). — Le gouver- 30 nement de la Defense nationale avait depose ses pouvoirs entre les mains des representants de la nation, et ceux-ci, quoique appartenant en majorite a des opinions monarchiques, n'oserent pas retablir 2o6 ■ HISTOIRE DE FRANCE la monarchie. lis choisirent pour President du pouvoir executif M. Thiers, designe d'ailleurs par ses lumieres, son experience et ses efforts, pendant la guerre, pour interesser I'Europe aux malheurs de la France. 5 Chef du pouvoir executif et vainqueur de I'in- surrection de la Commune, Thiers, travailleur in- fatigable, malgre son grand age, se hata de pre- parer, en devangant les epoques de payement de Tindemnite de guerre, Tevacuation du territoire lo frangais. En deux ans I'indemnite de guerre de cinq milliards etait payee, grace a I'empressement du public a souscrire aux emprunts destines a ces payements. Les Prussiens abandonnerent toutes les positions qu'ils occupaient sur le territoire fran- 15 9ais. En meme temps, de concert avec I'Assem- blee, Thiers reorganisait I'armee, I'administration, les finances. Une loi (27 juillet 1872) declarait le service militaire obligatoire pour tons les Fran- '^ais jusqu'a I'age de quarante ans. Mais Thiers, 20 qui s'efforgait de faire prevaloir la forme republi- caine, tomba sous une coalition des partis monar- chiques et donna sa demission le 24 mai 1873. Quelques mois auparavant (9 Janvier) etait mort en Angleterre I'empereur Napoleon III. 25 Presidence du marechal de Mac-Mahon (1873- 1879). — Le marechal de Mac-Mahon fut designe par I'Assemblee pour remplacer Thiers, et bientot, comme les efforts pour retablir la monarchie ne pouvaient reussir, les pouvoirs du marechal de Mac- 3.0 Mahon furent prolonges (20 novembre) pour une duree de sept annees. Toutefois il fallait une Cons- titution determines Republicains et monarchistes, LA FRANCE DEPUIS 1815 207 avec des vues differentes, s'entendirent pour or- ganiser un gouvernement. La Constitution du 25 fevrier 1875 etablit deux Chambres, le Senat et la Chambre des deputes. 5 Le President de la Republique etait elu pour sept ans par les deux Chambres reunies en Congres. La Republique devint des lors le gouvernement legal de la France, et I'Assemblee nationale se se- para a la fin de I'annee 1875 pour laisser s'accom- 10 plir les elections nouvelles qui donnerent dans la Chambre des deputes la majorite au parti republi- cain, mais en 1879, quand de nouvelles elections eurent enleve aux monarchistes la majorite au Se- nat, Mac-Mahon donna sa demission. 15 Presidence de Grevy. — Le Congres elut pour President un liberal eprouve, Jules Grevy. Toute- fois le vrai maitre du pouvoir etait Gambetta qui savait rallier les differentes fractions du parti re- publicain. Mais Gambetta, contraint d'accepter la 20 presidence du conseil, voulut trop marquer son au- torite, et en quelque sorte dominer la Chambre des deputes. II ne put la determiner a changer le mode de nomination des deputes et se retira (Jan- vier 1882). A la fin de la meme annee il mourait 25 prematurement, et c'est alors que le parti republi- cain mesura I'etendue de sa perte. Apres la mort de Gambetta, Jules Ferry parut le plus capable de devenir le guide du parti republi- cain. II resta deux ans au pouvoir, fit voter la 30 loi sur I'instruction primaire obligatoire et gratuite (mars 1882) et surtout s'appliqua a tourner vers les entreprises exterieures I'activite frangaise. II fit voter une expedition au Tonkin qui necessita 208 HISTOIRE DE FRANCE de grands sacrifices d'argent et surtout d'hommes, car le climat malsain en devorait beaucoup. La conquete du Tonkin amena une guerre avec la Chine. Mais un echec survenu au Tonkin produi- sit a Paris un mecontentement tel que Jules Ferry 5 dut se retirer (30 mars 1885). II mourut quelques annees plus tard (1893). Les differentes fractions du parti republicain se combattaient les uns les autres : ranimosite des dis- cussions politiques n'amena pas seulement de fre- 10 quents changements de ministere ; le President Grevy, qui pourtant en 1885 avait ete reelu et paraissait, quoique age, en etat de fournir une nouvelle periode de sept ans, se vit force de don- ner sa demission (2 decembre 1887). 15 La presidence de Carnot (1887-1894). — Grevy fut remplace par Sadi-Carnot, petit-fils du conven- tionnel Carnot et issu d'une vieille famille republi- caine. A I'occasion du centenaire de la Revolution de 20 1789, une admirable Exposition universelle attira, en 1889, a Paris, des etrangers de toutes les parties du monde. Une tour en fer, de 300 metres, le plus haut monument du globe, dressee par I'ingenieur Eiffel, dominait un ensemble magnifique de palais 25 et couronnait par une merveille de la science les merveilles accumulees de Tindustrie du monde en- tier. Tandis que la France paisible et laborieuse ne songeait qu'a developper les elements de sa richesse 30 et a multiplier les travaux qui profitent a tous, un peril grave menagait la societe. Poussant les idees de liberte jusqu'a I'extreme, des fanatiques preten- LA FRANCE DEPUIS 1815 209 daient supprimer toute autorite et proclamaient comme une doctrine Tanarchie, qui est la ruine de toute societe humaine. Des attentats repetes contre les souverains, les 5 particuliers, troublerent la Russie, TAllemagne, TEspagne. La France n'y echappa point. Des bombes chargees d'une substance explosible terrible, la dynamite, furent, depuis 1892, jetees dans les maisons de Paris et firent des victimes, Une bombe 10 fut meme lancee, le 9 decembre 1893, au milieu de la Chambre des deputes et en blessa plusieurs. Re- crutes dans tons les pays, ces anarchistes frapperent enfin, par la main d'un miserable Italien, a Lyon, le 24 juin 1894, le president Carnot, tue d'un coup 15 de poignard qui rappela le sinistre coup de Ra- vaillac/ La presidence de Casimir-Perier (1894). — Des le lendemain de la mort du president Carnot, les Chambres frangaises se preoccuperent de lui donner 20 un successeur. Le 27 juin, reunies en Congres a Versailles, elles nommerent M. Casimir-Perier, petit-fils de cet ancien ministre du roi Louis- Philippe qui avait beaucoup contribue, en 1831, a raffermir I'ordre profondement trouble. Mais M. 25 Casimir-Perier donna sa demission au bout de six mois. Presidence de M. Felix Faure. — Le Congres se reunit encore et son choix se porta sur M. Felix Faure, depute du Havre, ministre de la marine. 30 La nouvelle presidence fut heureusement inauguree par I'expedition de Madagascar qui assurait a la 1 Voir page no. 210 HISTOIRE DE FRANCE France la possession de cette grande ile (avril- septembre 1895). En 1896, le tsar Nicolas II vint a Paris avec Tim- peratrice et fut regu (6-8 octobre) avec des de- monstrations enthousiastes qui af firmaient et cimen- 5 taient I'union franco-russe. Le President Felix Faure alia a son tour rendre au tsar sa visite en Russie ou il arriva par mer. II debarqua a Cron- stadt le 23 aoiit et fut magnifiquement accueilli au palais de Peterhof. II visita Saint-Petersbourg oi^i 10 la population russe le salua des plus vives acclama- tions. Dans ce voyage fut prononcee par les chefs d'fitat la declaration precise de I'union des « deux nations amies et alliees.)) Le 16 fevrier 1899, le President Felix Faure est 15 mort subitement et, le 18 fevrier, M. fimile Loubet, president du Senat, a ete elu President de la Re- publique. Une nouvelle Exposition Universelle a eu lieu en 1900. LEXIQUE (^La prononciation fratiQaise des mots Hratigers est donnee dafis tons les cas.) AisnQ {ene), riviere au nord de la France. Aix {ess or eks), ancienne capitale de la Provence. Ajaccio {a-Jak-cio), ville de Corse. Albigeois, secte religieuse du midi de la France. Allemagne, empire de I'Europe centrale. Allemand-e, qui habite I'Allemagne. AUia, riviere d'ltalie pres de Rome. Anne d'Autriche, femme de Louis XIII et mere de Louis XIV. Armagnacs {ar-ma-nyak), parti oppose a celui des Bourgui- gnons et dont le chef fut Bernard, comte d'Armagnac. Augsbourg {oz-bour), ville d' Allemagne. Autriche, Etat de I'Europe {anglais Austria). Autrichien-ne, qui habite I'Autriche. Auxerre {o-cerr), ville de France. Auxerrois (x = ks^, Saint Germain, 1', eglise a Paris. Bailly {ba-yi), President de I'Assemblee constituante, puis maire de Paris. Bavarois, qui habite la Baviere. Baviere, pays d'Europe. Belgique, pays d'Europe au nord de la France. Bicoque {la), village du Milanais. Blucher {blu-kerr), general prussien. Boufflers {bott-flerr), marechal de France. 2U 212 LEXIQUE • BourgOgne, ancienne province de France {anglais Burgundy). Bourguignon-ne, qui habite, ou qui appartient a la Bour- gogne: Les Bourguignons, parti oppose a celui des Armagnacs, et dont le chef fut Jean, due de Bourgogne. Brest {brestt), ville de France; vaste port militaire, Bretagne, ancienne province de France {anglais Brittany). Breton-ne, qui habite la Bretagne. Brunswick {brons-vik), general allemand. Chramne {ch = k), fils de Clotaire ler. Christ {cristt) (mais voyez aussi Jesus-Christ). Chypre ou Cypre, ile dans la Mediterranee. Cinq-Mars {sain mar), Marquis de, favori de Louis XIII. Coblence {coblance), ville d'Allemagne au confluent du Rhin et de la Moselle. Corse, ile dans la Mediterranee {anglais Corsica); qui habite la Corse. Dupleix {du-plekss), gouverneur des Indes fran9aises. Desaix {de-ce), general fran9ais, tue a Marengo. Ebre, fleuve d'Espagne qui se jette dans la Mediterranee. Ecossais, qui habite I'Ecosse (Scotland). Eiffel {e-fel), ingenieur fran9ais, co^tructeur de la tour cele- bre a Paris. Enghien {an-gain), due d', titre du fils aine du prince de Conde. Etrurie, ancienne contree du centre de I'ltalie. Flamand, qui habite la Flandre {anglais Fleming). Flandre, ancienne province des Pays-Bas. Fleurus {fleu-rtiss), ville de Belgique. Fr^jus {fre-juss), port de France sur la Mediterranee. Galles, principaute a I'ouest de I'Angleterre: I'heritier de la couronne de la Grande-Bretagne porte le titre de Prince de Galles. Gand, ville de Belgique {anglais Ghent). Gantois, qui habite Gand. Garigliano {ga-ri-lyano), fleuve d'ltalie. Gaulois-e, qui habite la Gaule. Genes, ville d'ltalie {anglais Genoa). LEXIQUE 213 Gdnois-e, qui habite Genes. Guillaume {ghi-iome), nom de bapteme Guizot {gu-i-zo), historian et homme d'Etat. Hongrie, contree* de I'Europe centrale {anglais Hungary). Hongrois-e, qui habite la Hongrie. Imp^riaux, troupes de I'empereur d'Allemagne. Jerusalem {Je-m-za-leme), ville de Palestine. J^sus-Christ {je-zu-kri) (mais voyez aussi Christ). Kl^ber {kle-ber?), general fran9ais, assassine en Egypte. Leczinski (lek-zain-skt), roi de Pologne, fut detrone et re9ut en compensation le duche de Lorraine. Sa fille Marie Leczinska. epousa Louis XV. Leipzig ou Leipsick {Hp-cik), ville d'Allemagne. Lens (lanss), ville au Nord de la France. Lombard-e, qui habite la Lombardie. Lombardie, province d'ltalie. Longwy (/on-goid), ville de la France orientale. Lorraine, ancienne province de la France; habitante de la Lorraine. Manche (la), mer qui separe la France de I'Angleterre et qui communique par le pas de Calais avec la mer du Nord. Mahomet (ma-o-me), fondateur de la religion musulmane. Malesherbes {mal-zerb), un des defenseurs de Louis XVI. Mameluks, soldats egyptiens. Marignan {ina-ri-nyan), village d'ltalie. M^dicis {?ne-di-ciss), Catherine et Marie de, reines de France. M^las {me-lass), general autrichien. Metz {mess), ville d'Allemagne; autrefois de France. Michel (toujours mi-chel excepte dans Michel \^7ni-kel'\ Ange), nom de bapteme. Milanais, ancien £tat d'ltalie dont Milan etait la capitale; aussi, qui habite le Milanais. Morvan, ancien petit pays de France. Narbonne, ville de France pres de la Mediterranee. Ni^men {ni-e-mene), fleuve de la Russie occidentale qui se jette dans la mer Baltique, 214 LEXIQUE Oger ou Ogier, guerrier celebre dans les romans de la che- valerie. Orthez {or-tess), ville de la France meridionale. Ouessant, ile fran9aise pres des cotes du Finisterre. Pays-Bas, nom donne de 1814 jusqu'a 1830 a la Belgique et a la Hollande; depuis 1830 il s'applique a la derniere seulement. Picard, qui habite la Picardie. Picardie, ancienne province de la France septentrionale. Pi^mont, contree d'ltalie; depuis i860 reuni au royaume d'ltalie. Pologne, ancien Etat de I'Europe maintenant partage entre la Russie, la Prusse et I'Autriche. Reims {raince), ville de France. Saint-Cloud {clou), ville et chateau pres de Paris. Le cha- teau fut brule pendant la guerre de 1870-71. Sainte-Menehould {me-nou), village de la France orientale. Saint-Just (Justt), membre de la Convention et du Comite du Salut public. Saint-Siege, la papaute, la cour de Rome. Sardaigne, ile dans la Mediterranee au sud de la Corse; ancien royaume compris aujourd'hui dans le royaume d'ltalie. Thiers {tierr), historien et homme d'Etat celebre. Tite-Live, historien latin. Tonkin, province de I'empire d'Annam (Asie orientale). Tunis ou Tunisia, Etat de I'Afrique sous le protectorat de la France. Vergniaud {ver-nyo), chef du parti girondin. Versailles (ver-sa-z), ville de France pxes de Paris. OCT 17 1900