'^ s "^ ^ / ^^ V \ .0 .v"?-' '^■^ .<^ .^^ c- '^ x'^'' % cN> .-. ^ ' « ve ^ . V. s " \ THE FRENCH READER, CONSISTING OF SELECTIONS CLASSICAL FRENCH WRITERS, ADAPTED TO THE USE OF SCHOOLS AND PRIVATll CLASSES." - X —- - ■ ./*g^% 'j A NEW EDITION, - 3^ EDIT^.D BY J. FROST. V PHILADELPHIA : f J. CRISSY, NO. 4 MINOR STREET. / ^ J ^ - Entered according to the Act of Congress, in the year 1840, by J. CRISSY, in the clerk's office of the district court, for the eastern district of Pennsylvania. ^/ '^J^ J. FAGAN, STEREOTYPER. J. CRISSY, PRINTER. (2) ~ ABLE DES MATIERES. Pages. 1. Socrate , 9 â. Charles XII 9 3. L'avare de Saint-Pétersbourg. — Bouilly, Porte- feuille de la jeunesse 10 4. Simplicité et sobriété des Spartiates. — Barthe. LExMY . . . , 10 5. Epaminondas. — Le même 11 6. Alexandre-le-Grand. — De Segur; Histoire uni- verselle 16 7. Alexandre après la conquête de la Perse. — Le même 19 8. Les Romains. — Bossuet 22 9. Pyrrhus et son Médecin. — De Segur 24 10. Régulus. — Le même 26 1 1. Mort de César. — Le même 30 12. Mort de Néron. — Le même 34 13. Siég-e et prise de Jérusalem par les Romains. — Le même 37 14. Titus. — Le même 41 15. Prise de Constantinople par les Turcs. — Le même 43 16. Charlemagne, — Le même 56 (3) IV TABLE DES MATIERES. 17. Louis IX. dit Saint-Louis. — Le même , .> 18. Décadence de la chevalerie. — Le même . . 19. Jeanne d'Arc. — Le même t 20. Mort de Jeanne d'Arc. — Le même 68 21. Lettre de Christophe Colomb au roi d'Espagne . . 72 22. Le Connétable de Bourbon et Bayard. — Fene- LON , 78 23. Mort de Rabaut-Saint-Etienne. — Lacretelle jeune, Histoire de la révolution française 83 24. Bonaparte après la bataille d'Arcole. — Le même . 85 25. Le Gaucho. — Rev» brit.. Voyage du capitaine Head 86 26. Les oiseaux des Andes au Pérou. — Même voyage 94 27. La cataracte de Niagara. — Chateaubriand 95 28. Le Meschacebé ou le Mississippi. — Le même ... 96 29. Religion des Indiens de l'Amérique du nord. — Revue britannique 98 30. Mexico. — Même ouvrage 100 31. Les Chinois. — Encyclopédie Moderne 101 32. Les arbres. — Richard, EUmens de botanique . . . 105 33. Le grand figuier des Indes. — Propiac 108 34. Les insectes. — Farcy 110 35. Môme sujet. — Aime-Martin 114 36. Les poissons. — Cuvier, Histoire naturelle des poissons 117 37. Les oiseaux. — Le même 121 38. Les reptiles ou amphibies. — De divers 123 39. Les serpens à sonnettes. — Revue britannique ... 125 40. Le crocodile américain. — Revue britannique .... 129 41. Les nids des oiseaux. — Revue encyclopédique^ traduit de l'anglais de Rennie 132 42. L'oiseau-mouche. — Buffon 136 TABLE DES MATIERES, V Pages. 43. L'aigle chauve. — Revue britannique (de POrni- thologie de Wilson) 140 44. L'oiseau moqueur des Etats-Unis. — Même ou- vrage 142 45. La fauvette. — Buffon 144 46. L'hirondelle. — Le même 146 47. Le paon. — Le même 148 48. La poule et les poussins. — Le même 150 49. Mœurs des dindons sauvages. — Charles-Lucien Bonaparte, Revue britannique 152 50. Portée de la vue des vautours. — Même ouvrage . . 157 51. Les cétacés. — Extrait de divers 158 52. Les hibous et les marmottes d'Amérique. — Ch. Luc. BOxNAPARTE 163 53. Le paresseux. — Promenades de Waterton dans V Amérique du sud (Rev. brit.) 167 \54. Le désert en Egypte. — Extrait des Scènes et im- pressions en Egypte et en Italie^ par un officier anglais, 1824, et de Denon 169 ^5. Multitude d'êtres vivans dans les forêts du Brésil. — Spix et Martius, Voyage au Brésil 171 /56. Les montagnes de l'Himalaya. — Revue britanni- que 174 57. La saison des pluies entre les Tropiques. — Voyage de capitaine Hall c 177 58. Les vents alizés. — Dampier 180 59. Voyage du capitaine Hall à Valparaiso 183 60. Mœurs des Dahomans. — Maccarthy, Choix des Voyages 185 6L Les Boschismans du Cap. — Le même 188 62. Les Cafres. — Le même 190 a2 VI TABLE DES MATIERES. 63. L'intérieur du Liban. — Volnet, Voyage en Syrie et en Egypte 193 64. Le Khan ou Kiarvanserai. — Choiseul-Goufpter 194 65. Les ruines d'Ephèse, — Forbin, Voyage au Le- vant 196 66. Jérusalem. — Chateaubriand 198 67. Les environs de Jérusalem. — Revue britannique: Lettres sur VOrient 200 68. L'écureuil. — Buffon 202 69. La chèvre et la brebis. — Le même 204 70. Métamorphoses des abeilles. — Revue britannique 209 71. Activité des abeilles. — Même ouvrage , 211 72. Voyage dans les airs. — Revue Britannique 213 73. L'âne. — Le même 215 74. Le son. — Même ouvrage 217 75. Influence du froid sur le fil des rasoirs 220 76. Changemens de temps indiqués par la toile d'araignée 221 77. L'eau, la neige et la glace. — Brard, Maître Pierre^ Entretiens sur la physique 222 78. La lumière et les couleurs. — Même ouvrage .... 224 79. Le Cheval. — BuFFON 228 80. Variété des couleurs. — Brard, Maître Pierre . . . 229 81. L'électricité. — Le même 230 82. Les miroirs ardens 232 83. Un mécanicien aveugle. — Revue britannique . . . 233 84. Festin chinois 235 85. Le chien. — Buffon 237 86. Puissance des machines. — Revue britannique . . . 240 87. Le coton. — Brard, Maître Pierre^ Entretiens sur Vindustrie 241 TABLE DES MATIERES. Vil Pages. 243 . 247 88. L'histoire d'un chiffonnier. — Même ouvrage .... 89. Les chiens des Esquimaux. — Revue de Paris . . . 90. Du mouvement apparent des astres. — Lalande, Astronomie des dames 249 91. L'éléphant et le chameau, animaux domestiques dans l'Inde 251 THE FRENCH READER. 1. SOCRATE. Quand on médisait de Socrate*, il disait : " Si le mal qu'on dit de moi est vrai, cela servira à me corriger; s'il ne l'est pas, cela ne me regarde point, ce n'est pas de moi qu'on parle." 2. CHARLES XII. Charles XII., roi de Suède, avait un jour, dans l'ivresse, perdu le respect qu'il devait à la reine, son aïeule; elle se retira, pénétrée de douleur, dans son appartement. Le lendemain, comme elle ne paraissait pas, le roi en demanda la cause : on la lui dit. It fit remplir un verre et alla trouver cette princesse. " Madame, lui dit-il, j'ai appris qu'hier, dans le vin, je me suis oublié à votre égard ; je viens vous en demander pardon ; et afin que je ne tombe plus dans cette faute, je bois ce verre à votre santé : ce sera le dernier de ma vie." Il tint parole, et depuis ce jour-là il ne but jamais plus de vin. * Le plus sage des Grecs anciens, fut condamné à boire la ciguë en 400 avant J. C. (9) 10 THE FRENCH READER. 3. l'avare de SAINT-PÉTERSBOURG. Un négociant russe, immensément riche, qui en une seule fois prêta à l'impératrice Catherine un million de roubles, habitait une petite chambre triste et sombre ; il n'avait ni feu, ni meubles, ni domestiques, quoique sa maison fût plus grande que beaucoup de palais. Il enterrait son argent dans une cave; et telle était son avarice, qu'à peine il se réservait de quoi vivre. 11 avait pour garde de sûreté un chien d'une grandeur et d'une férocité extraordinaires, dont les aboiemens terri- bles se faisaient entendre pendant toute la nuit. Ce chien mourut. Son maître, soit avarice, soit crainte de ne plus trouver un gardien aussi fidèle, n'en acheta point d'autre ; mais il adopta la singu- lière habitude de faire la ronde pendant la nuit, en imitant les aboiemens de son ancien serviteur. 4. SIMPLICITÉ ET SOBRIÉTÉ DES SPARTIATES."^ Les maisons sont petites, et construites sans art : on ne doit travailler les portes qu'avec la scie, les planchers qu'avec la cognée : des troncs d'arbres à peine dépouillés de leur écorce servent de poutres. Les meubles, quoique plus élégans, participent à la même simplicité; ils ne sont jamais confusé- ment entassés. Les Spartiates ont sous la main * Du temps de Léonidas. THE FRENCH READER. II tout ce dont ils ont besoin, parce qu'ils se font un devoir de mettre chaque chose à sa place. Ces petites attentions entretiennent chez eux l'amour de l'ordre et de la discipline. Leur régime est austère. Un étranger qui les avait vus étendus autour d'une table et sur le champ de bataille, trouvait plus aisé de supporter une telle mort qu'une telle vie. Cependant Lycurgue* n'a retranché de leurs repas que le superflu, et s'ils sont frugals, c'est plutôt par vertu que par néces- sité. Ils ont de la viande de boucherie ; le mont Taygète leur fournit une chasse abondante ; leurs plaines, des lièvres, des perdrix, et d'autres espèces de gibier ; la mer et rEurotas,f du poisson. Leur fromage de Gythium est estimé. Ils ont de plus différentes sortes de légumes, de fruits, de pains et de gâteaux. 5. ÉPAMINOlN'DAS.lj: Épaminondas nous pria de le voir souvent. Nous le vîmes tous les jours. Nous assistions aux en- tretiens qu'il avait avec les Thébains les plus éclairés, avec les officiers les plus habiles. — Quoiqu'il eût enrichi son esprit de toutes les con- ^ Législateur de Sparte, vers 870 avant J. Ch. -j- Rivière du pays. X Cet illustre général thébain mourut en 363 avant J. Ch. 12 THE FRENCH READER. naissances, il aimait mieux écouter que de parler. Ses réflexions étaient toujours justes et profondes. Dans les occasions d'éclat, lorsqu'il s'agissait de se défendre, ses réponses étaient toujours promptes, vigoureuses et précises. Sa maison était moins l'asile que le sanctuaire de la pauvreté. Elle y régnait avec la joie pure de l'innocence, avec la paix inaltérable du bonheur, au milieu des autres vertus auxquelles elle prêtait de nouvelles forces, et qui la paraient de leur éclat. Elle y régnait dans un dénuement si absolu, qu'on aurait de la peine à le croire. Nous le trouvâmes un jour avec plusieurs de ses amis qu'il avait rassemblés. Il leur disait : Sphon- drias a une fille en âge d'être mariée. Il est trop pauvre pour lui constituer* une dot. Je vous ai taxés chacun en particulier suivant vos facultés. f Je suis obligé de rester quelques jours chez moi ; mais à ma première sortie, je vous présenterai cet honnête citoyen. Il est juste qu'il reçoive de vous ce bienfait, et qu'il en connaisse les auteurs. Tous souscrivirent:!: à cet arrangement, et le quittèrent en le remerciant de sa confiance. Timagène, in- quiet de ce projet de retraite, lui en demanda le motif. Il répondit simplement : " Je suis obligé de faire blanchir mon manteau." En effet, il n'en avait qu'un. * Faire. -j- Vos moyens. ij: Consentirent. THE FRENCH READER. 13 Un moment après entra Micythus. C'étoit un jeune homme qu'il aimait beaucoup. Diomédon de Cyzique est arrivé, dit Micythus ; il s'est adressé à moi pour l'introduire auprès de vous. Il a des propositions à vous faire de la part du roi de Perse, qui l'a chargé de vous remettre une somme considérable. Il m'a même forcé d'accep- ter cinq talens.* Faites-le venir, répondit Epami- nondas. " Ecoutez, Diomédon, lui dit-il ; si les vues d'Artaxercel sont conformes aux intérêts de ma patrie, je n'ai pas besoin de ses présens. Si elles ne le sont pas, tout l'or de son empire ne me ferait pas trahir mon devoir. Vous avez jugé de mon cœur par le vôtre : je vous le pardonne ; mais sortez au plus tôt de cette ville, de peur que vous ne corrompiez les habitans. Et vous, Micythus, si vous ne rendez à l'instant même l'argent que vous avez reçu, je vais vous livrer au magistrat." Zélé disciple de Pythagore,:}: il en imitait la fru- galité. Il s'était interdit l'usage du vin, et prenait souvent un peu de miel pour toute nourriture. La * Un talent valait environ 54,000 francs. f Artaxerce II. dit Mnémon, roi de Perse. X Pythagore, célèbre philosophe grec, chef de la secte italique, naquit, dit-on, à Samos, dans le sixième siècle avant l'ère chrétienne. Les Pythagoriciens se distin- guaient par de grandes vertus, et surtout par leur con- stance en amitié. B 14 THE FRENCH READER. musique qu'il avait apprise sous les plus habiles maîtres, charmait quelquefois ses loisirs. Il ex- cellait dans le jeu de la flûte ; et, dans les repas où il était prié, il chantait à son tour en s'accom- pagnant de la lyre. Jamais il ne brigua ni ne refusa les charges pub- liques. Plus d'une fois il servit comme simple soldat, sous des généraux sans expérience, que l'intrigue lui avait fait préférer. Plus d'une fois les troupes, assiégées dans leur camp, et réduites aux plus fâcheuses extrémités, implorèrent son secours. Alors il dirigeait les opérations, repous- sait l'ennemi, et ramenait tranquillement l'armée, sans se souvenir de l'injustice de sa patrie, ni du service qu'il venait de lui rendre. Épaminondas, sans ambition, sans vanité, sans intérêt, éleva en peu d'années sa nation au point de grandeur oià nous avons vu les Thébains. Il opéra ce prodige, d'abord par l'influence de ses vertus et de ses talens. En même temps qu'il dominait sur les esprits par la supériorité de son génie et de ses lumières, il disposait à son gré des passions des autres, parce qu'il était maître des siennes. Jamais Épaminondas ne déploya plus de talent qu'à la bataille de Mantinée.* Il suivit, dans son ^ Gagnée par les Thébains, en 363, sur les Lacédémo- niens, ainsi que celle de Leiictres, en 371 avant J, Ch. THE FRENCH READER. 15 ordre de bataille, les principes qui lui avaient pro- curé la victoire de Leuctres. Une de ses ailes formée en colonne, tomba sur la phalange lacédé- monienne, qu'elle n'aurait peut-être jamais en- foncée, s'il n'était venu lui-même fortifier ses troupes par son exemple, et par un corps d'élite dont il était suivi. Les ennemis, effrayés à son approche, s'ébranlent et prennent la fuite. Il les poursuit avec un courage dont il n'est plus le maître, et se trouve enveloppé par un corps de Spartiates, qui font tomber sur lui une grêle de traits. Après avoir long-temps écarté la mort et fait mordre la poussière à une foule de guerriers, il tomba percé d'un javelot dont le fer lui resta dans la poitrine. L'honneur de l'enlever engagea une action aussi vive, aussi sanglante que la pre- mière. Ses compagnons ayant redoublé leurs ef- forts, eurent la triste consolation de l'emporter dans sa tente. La blessure d'Épaminondas arrêta le carnage, et suspendit la fureur des soldats. Les troupes des deux partis, également étonnées, restèrent dans l'inaction. De part et d'autre, on sonna la retraite, et l'on dressa un trophée sur le champ de bataille. Épaminondas respirait encore. Ses amis, ses officiers fondaient en larmes autour de son lit. Le camp retentissait des cris de la douleur et du dé- sespoir. Les médecins avaient déclaré qu'il ex- 16 THE FRENCH READER. pirerait dès qu'on ôterait le fer de la plaie. Il craignit que son bouclier ne fût tombé entre les mains de l'ennemi ; on le lui montra, et il le baisa comme l'instrument de sa gloire. Il parut inquiet sur le sort de la bataille ; on lui dit que les Thé- bains l'avaient gagnée. " Voilà qui est bien, ré- pondit-il : j'ai assez vécu." Il demanda ensuite Daïphantus et lollidas, deux généraux qu'il ju- geait dignes de le remplacer. On lui dit qu'ils étaient morts. " Persuadez donc aux Thébains, reprit-il, de faire la paix." Alors il ordonna d'arracher le fer, et l'un de ses amis s'étant écrié dans l'égarement de sa douleur : " Vous mourez, Épaminondas ! si du moins vous laissiez des en- fans !" — "Je laisse, répondit il en expirant, deux filles immortelles : la victoire de Leuctres et celle de Mantinée." 6. ALEXANDRE-LE-GRAND.* Alexandre, le plus fameux et le plus extraordi- naire des héros qui ont brillé sur la terre, et doué par la nature des plus rares qualités, en reçut en même temps le germe des vices les plus dangereux. Son tempérament fougueux le disposait à la vio- * Fils de Philippe, roi de Macédoine, et conquérant de l'Asie, né en 356 avant J. Ch., et mort à Babylone à l'âge de 32 ans. THE FRENCH READER. 17 ïence ; l'élévation de son âme le portait aux senti- mens généreux. Ses traits étaient réguliers, son teint frais et vermeil, son nez aquilin, ses yeux grands et pleins de feu, ses cheveux blonds et bouclés, sa tête haute, mais un peu penchée vers l'épaule gauche. Il avait la taille moyenne, fine et dégagée, le corps bien proportionné, et fortifié par des exercices con- tinuels. On vantait sa légèreté à la course, et l'élégance de sa parure. Il joignit à un esprit très-vif un désir insatiable de s'instruire ; il aimait et protégeait les sciences et les arts. Sa conversation était agréable et pi- quante, son amitié constante. Tout était grand dans ses sentimens comme dans ses pensées. Alexandre fit connaître dès sa plus tendre jeu- nesse la fierté de son caractère et l'ardeur de son ambition. On lui proposait d'aller disputer le prix aux jeux olympiques ; il répondit : " J'irais si je ne devais y trouver que des rois pour rivaux." Lorsque le roi Philippe faisait la conquête de quelque ville, loin de s'en réjouir, il disait : " Hé- las, mes amis ! mon père ne nous laissera rien à faire." Lorsqu'il sortait à peine de l'enfance, le roi Philippe reçut en Macédoine des ambassadeurs du roi de Perse. Alexandre, au-dessus de son âge, b2 2 18 THE FRENCH READEE. ne les questionna point sur les jardins suspendus* de Babylone, sur la richesse des palais de Suse :*f il écouta avec indifférence ce qu'on disait du mag- nifique platane et de la vigne d'or, chargés d'ém- eraudes et de rubis, sous lesquels le roi de Perse donnait ses audiences ; mais il leur demanda quels chemins conduisaient dans la haute Asie, quelle était la population des Perses, la force et la tactique de leurs armées, la conduite du roi à l'égard de ses sujets. Aussi l'un des ambassadeurs s'écria : "Ce jeune prince est grand, le nôtre est riche." * L'une des sept merveilles de l'antiquité. f Résidence des rois de Perse. THE FRENCH READER. 19 7. ALEXANDRE APRES LA CONaUÊTB DE LA PERSE. Jusqu'à la prise de Babylone, le roi de Macé- doine, sobre, tempérant, frugal et continent, avait fait autant admirer sa sagesse que son courage; mais le vainqueur de la Perse fut enfin vaincu lui- même par la volupté. Enivré de gloire, de puis- sance et d'encens, il prit les mœurs, le costume et les vices des vaincus. Le caractère d'Alexandre changeait comme ses 20 THE FRENCH READER^ mœurs, et les vieux soldats disciient avec raison qu'il était devenu semblable aux satrapes de Da- rius ;* mais ce qui ne changea jamais en lui, ce fut son ardeur pour les conquêtes et son infatigable activité. Dans un festin où le vin troublait sa raison, Clitus, son compagnon d'armes, son ami, et frère dé la femme qui l'avait allaité, dénigra ses exploits, élevant ses propres actions au-dessus de celles du roi. Alexandre le reprit aigrement de cette inso- lence : Clitus, irrité, lui reprocha son ingratitude, rappelant imprudemment les services et le sort de Philotas et de Parménion.f Le roi, qui pouvait à peine se contenir, lui ordonna de sortir de table, et l'appela traître et lâche. Alors Clitus, perdant toute mesure : " Ce sont cependant, lui dit-il, ces hommes que vous appelez lâches qui vous ont fait remporter toutes vos victoires ; c'est cette main même que vous insultez, qui a sauvé vos jours sur les bords du Granique,:!^ lorsque vous présentiez le dos au fer de l'ennemi ; mais vous n'êtes pas fait pour entendre la vérité ; vous ne devez vivre qu'a- vec les barbares qui vous adorent et qui se pros- ternent devant votre robe persanne." * Aux lieutenans fastueux du roi de Perse, f Généraux que le roi avait fait mourir injustement. :(: A la bataille du Granique, première victoire d'Al- exandre sur les Perses. THE FRENCH READER. 21 En vain à ces mots les courtisans voulurent s'op- poser à la fureur d'Alexandre; il saisit une javeline, et la plongea dans le corps de Clitus. Le crime commis dissipa tout-à-coup l'ivresse: ie roi, voyant Clitus mort, fut saisi d'horreur; il se jeta sur son corps, et voulut se percer de la javeline qui l'avait tué. Ses amis l'emportèrent dans son palais ; il y resta deux jours couché sur la terre, faisant retentir l'air de ses cris, de ses san- glots, et décidé à se laisser mourir de faim. Les Macédoniens, trop touchés peut-être de son repentir, se rendirent complices de ce meurtre, en déclarant par un décret que Clitus avait mérité son châtiment. L'ambition, plus puissante que la flatterie sur l'âme d'Alexandre, pouvait seule le distraire de son juste chagrin ; et, pour fuir ses remords, il ne s'occupa qu'à étendre sa gloire ternie : il résolut la conquête de l'Inde. Alexandre offre au jugement de l'histoire deux hommes différens et presque opposés. Avant la prise de Babylone, elle peut louer un prince pru- dent, libéral et tempérant, clément, protecteur de l'indépendance des Grecs, et vengeur de leur gloire ; mais lorsque, enivré par la fortune, assis sur le trône de Xercès, il se fut revêtu de la robe des Perses, de l'orgueil des satrapes et de tous les vices, elle ne nous montre plus qu'un roi ingrat, 22 THE FRENCH READER. qu'un despote sanguinaire, qu'un homme faible et superstitieux, et qu'un insensé dont la ruine du monde n'aurait pu satisfaire la folle ambition. 8. LES ROMAINS. De tous les peuples du monde, le plus fier et le plus hardi, mais tout ensemble le plus réglé dans ; ses conseils, le plus constant dans ses maximes, le plus avisé, le plus laborieux, et enfin le plus pa- tient, a été le peuple romain. De tout cela s'est formée la meilleure milice, et la politique la plus prévoyante, la plus ferme, et la plus suivie* qui fût jamais. Le fond d'un Romain, pour ainsi parler, était l'amour de sa liberté et de sa patrie. Une de ces choses lui faisait aimer l'autre; car parce qu'il aimait sa liberté, il aimait aussi sa patrie, comme une mère qui le nourrissait dans des sentimens également généreux et libres. Sous le nom de liberté, les Romains se figu- raient, avec les Grecs, un état oii personne ne lut sujet que de la loi, et où la loi fut plus puissante que les hommes. La liberté leur était donc un trésor qu'ils pré- féraient à toutes les richesses de l'univers. Aussi * Une politique suivie est celle qui suit toujours les mêmes maximes et qui poursuit son but avec constance. THE FRENCH READER. 23 dans leurs commencemens, et même bien avant dans leurs progrès, la pauvreté n'était pas un mal pour eux : au contraire, ils la regardaient comme un moyen de garder leur liberté plus entière, n'y ayant rien de plus libre ni de plus indépendant qu'un homme qui sait vivre de peu, et qui, sans rien attendre de la protection ou de la libéralité d'autrui, ne fonde sa subsistance que sur son in- dustrie et sur son travail. C'est ce que faisaient les Romains. Nourrir du bétail, labourer la terre, se dérober à eux-mêmes tout ce qu'ils pouvaient, vivre d'épargne et de tra- vail : voilà quelle était leur vie ; c'est de quoi ils soutenaient leur famille, qu'ils accoutumaient à de semblables travaux. La milice d'un tel peuple ne pouvait manquer d'être admirable, puisqu'on y trouvait, avec des courages fermes et des corps vigoureux, une si prompte et si exacte obéissance. 24 THE FRENCH READER. 9. PYRRHUS ET SON MÉDECIN. Le sénat, croyant covenable de répondre à la courtoisie de Pyrrhus,* relativement au sort des prisonniers, lui envoya une ambassade, dont Caïus Fabricius était le chef. Le roi, instruit par la re- nommée des exploits et du crédit de ce sénateur, s'efforça de le gagner. Connaissant sa pauvreté et son désintéressement, il lui montra une haute estime, lui offrit des présens magnifiques, et lui promit de grandes possessions en Épire, s'il vou- lait entrer dans ses vues ; mais il le trouva incor- ruptible. Le lendemain, dans le dessein d'éprou- * Roi d'Epire, mort en 272 avant J. Ch. Il était venu en Italie sur l'invitation des Tarenlins, en guerre avec Rome. THE FRENCH READER. 25 ver son intrépidité, il fait cacher derrière une tapisserie le plus grand de ses éléphans. Au milieu de la conférence, le terrible animal se montre tout-à-coup, armé, tenant sa trompe élevée sur la tête du Romain, et jetant un cri effroyable. Fabricius, sans montrer la moindre émotion, dit au roi ; " Vous me voyez aujourd'hui tel que j'étais hier; votre éléphant ne m'effraie pas plus que votre or ne me tente." Le roi, estimant ce fier courage, déclara que, par considération pour Fabricius, il renvoyait tous les prisonniers sans rançon, à condition que Rome les lui rendrait, si elle persistait à continuer la guerre. Ils partirent, et l'inflexible sénat ordonna, sous peine de mort, aux captifs de retourner au camp de Pyrrhus. L'année suivante Fabricius et Emilius Papus, à la tête d'une forte armée, s'avancèrent encore pour combattre les Grecs. Les deux armées étaient en présence, lorsque Fabricius reçut une lettre du premier médecin de Pyrrhus, qui lui offrait de mettre fin à la guerre en empoisonnant le roi, si on voulait lui accorder une récompense propor- tionnée à l'importance de ce service. Fabricius, indigné, informa le monarque du com- plot tramé contre ses jours, et lui écrivit en ces termes ; " Pyrrhus choisit aussi' mal ses amis que ses ennemis : il fait la guerre à des hommes ver- c 26 THE FRENCH READER. tueux et se confie à des traîtres. Les Romains détestent tout genre de perfidie ; ils ne font la con- quête de la paix que par les armes, et ne l'achètent point par la trahison." Pyrrhus, rempli d'admiration pour cette géné- rosité du consul, s'écria : " Je vois qu'on détour- nerait plus facilement le soleil de son cours que Fabricius du chemin de la vertu !" Magnifique éloge qu'on pouvait alors appliquer à tout le peuple romain ! 10. RÉGULUS.* Les Carthaginois, humiliés depuis quatorze ans, se décidèrent alors à envoyer des ambassadeurs à Rome, dans le dessein d'obtenir une paix honora- ble. Ils espéraient qu'une longue captivité et le désir de vivre dans sa patrie détermineraient Ré- gulus à appuyer leurs négociations, et ils exigèrent que cet illustre captif accompagnât l'ambassade. On lui fit promettre de revenir à Carthage dans le cas oii la paix ne serait pas conclue. Lorsque les ambassadeurs, admis dans le sénat * Régulus, général romain, après plusieurs victoires remportées sur les Carthaginois, qui disputaient aux Romains l'empire de la Méditerranée, fut battu à son tour et fait prisonnier. Cette première guerre entre Rome et Carthage commença en 264 avant J. Ch., et dura 23 ans. THE FEENCH READEK. 27 romain, eurent expose l'objet de leur mission, Régulus dit : " En qualité d'esclave des Cartha- ginois, j'obéis â mes maîtres, et c'est en leur nom que je vous demande la paix et l'échange des pri- sonniers." Après ces mots il refusa de s'asseoir comme sénateur, jusqu'à ce que les ambassadeurs le lui eussent permis. Dès qu'ils furent sortis de la salle, la délibération commença, et les opinions se partagèrent, les uns inclinant pour la paix, et les autres pour la continuation de la guerre. Ré- gulus, appelé à son tour pour donner son avis, s'exprima en ces termes ; " Pères conscrits,* mal- gré mon malheur je suis Romain ; mon corps dépend des ennemis, mais mon âme est libre. J'étouffe les cris de l'un, j'écoute la voix de l'autre ! Je vous conseille donc de refuser la paix, et de ne point échanger les prisonniers ; si vous continuez la guerre, cet échange vous sera funeste, car vous ne recevrez que des lâches qui ont rendu leurs armes, ou des hommes cassés de vieillesse et de fatigues comme moi, et vous rendrez à Carthage une foule de jeunes guerriers dont je n'ai que trop éprouvé le courage et les forces. " Quant à la paix, je la regarde comme préju- diciable à la république, si elle ne traite pas les Carthaginois en vaincus, et si vous ne les forcez pas à se soumettre à vos lois." * Nom qu'on donnait aux sénateurs assemblés. 28 THE FRENCH READER. Ce noble discours entraîna tous les avis ; mais les sénateurs, en adoptant l'opinion de Régulus, le pressaient vivement de rester à Rome. Ils pré- tendaient qu'il était permis aux captifs échappés de demeurer dans leur patrie, et qu'il était à l'abri de toute revendication.^ Le grand-pontife lui- même, se joignant à leurs instances, l'assurait qu'il pouvait sans parjure violer un serment extorqué par la force. Régulus, prenant alors un ton sé- vère et majestueux, leur répondit : " Abjuronsf tous ces vains détours, suivez mes conseils, oubliez- moi ; si je cédais à vos sollicitations, vous seriez dans la suite les premiers à condamner ma fai- blesse ,* cette lâcheté me couvrirait d'infamie sans être utile à la république : votre bienveillance se refroidirait, et vous détesteriez plus mon retour que vous ne regretterez mon absence. "Mon parti est pris: esclave des Carthaginois, je ne resterai point à Rome, n'y pouvant vivre avec honneur. Quand même les hommes me rendraient libre, les dieux m'enchaînent ; car je les ai pris à témoin de la sincérité de mes pro- messes. Je crois à l'existence de ces dieux ; ils ne laissent pas le parjure impuni, et leur vengeance, en me frappant, s'étendrait peut-être sur le peuple romain. * Qu'on n'avait pas le droit de le réclamer, f Laissons. THE FRENCH READER. 29 ** Je sais qu'on me prépare à Carthage des sup- pliœs ; mais je crains plus la honte du parjure que îa cruauté de l'ennemi; l'une ne blesse que le corps, l'autre déchire l'âme. Ne plaignez point mon malheur, puisque je me sens assez de force pour le soutenir. La servitude, la douleur, la faim sont des accidens que l'habitude rend supportables : si ces maux deviennent excessifs, la mort nous en délivre, et je me serais déjà servi de ce remède, si je ne faisais consister mon courage plutôt à vaincre la douleur qu'à la fuir. Mon devoir m'ordonne de retourner à Carthage ; je le remplis. Quant au sort qui m'y attend, c'est l'affaire des dieux."* Les sénateurs, touchés de cette rare vertu, ne pouvaient se résoudre à le livrer. Les consuls ordonnèrent qu'on le laissât libre de suivre son généreux dessein. Le peuple en larmes voulait cependant employer la force pour le retenir. Sa famille éplorée faisait retentir l'air de ses gémissemens : lui seul, froid et inflexible au milieu de cette ville émue, refuse d'embrasser sa femme et ses enfans, et sort de Rome plus grand que tous les généraux qui y étaient entrés en triomphe. La négociation étant rompue, les ambassadeurs * Régulas suivait cette vieille maxime : fais ce que dois, advienne (arrive) que pourra, c2 30 THE FRENCH READER. s'embarquèrent et ramenèrent Régulus à Carthage. La fureur de cette nation perfide la porta aux plusi honteux excès. Après avoir coupé les paupières de cet illustre captif pour le priver du sommeil, on le tirait d'un sombre cachot, et on l'exposait nu à l'ardeur du soleil. Enfin on l'enferma dans un tonneau étroit et hérissé de longues pointes de fer. Ce grand homme y périt dans les plus affreux tourmens. 11. MORT DE CÉSAR.* jjlllil^ Cependant le jour qui devait terminer sa destinée Jules-César, après avoir conquis les Gaules et vaincu Pompée, son rival, se fit soupçonner d'aspirer à la roy- auté. Il périt en 44 avant J. Ch. THE FRENCH READER. 31 étant arrivé, sa femme Calpurnie, troublée par un songe dans lequel elle avait cru le voir assassiné entre ses bras, se jette à ses pieds, et le conjure de ne pas sortir de sa maison, dans un moment que tant de présages^ devaient lui faire regarder comme funeste. La grande âme de César, touchée par les craintes de l'amour, fut un moment ébranlée. Cédant aux larmes de Calpurnie, il se décide à contremander l'assemblée du sénat. Un des conjurés, Decimus Brutus, qui entrait alors chez lui, prévoyant que ce délai pouvait renverser tous leurs desseins, lui représenta vivement l'injure qu'il ferait au sénat en refusant d'y venir, lorsqu'il l'attendait pour le couronner, et la tache dont il couvrirait sa gloire, si un songe de Calpurnie le décidait à faire une telle insulte au premier corps de l'État. César sortit, et la fortune sembla vouloir encore sur sa route le détourner du précipice où il allait tomber. Ayant recontré l'auguref Spurina, qui lui avait annoncé son malheur : ^' Tu le vois, lui dit-il, voilà cependans les idesij: de Mars venues." — ^ Les Romains croyaient aux présages. f On appelait augures les fonctionnaires chargés d'in- terpréter les présages, et principalement le vol des oiseaux. X Le 15 Mars. Les ides étaient le 15 ou le 13 du mois. 32 THE FRENCH READER. " Oui, lui répondit le devin ; mais elles ne sont pas encore passées." Un esclave voulait l'avertir du péril qui le me- naçait ; il ne put percer la foule dont il était en- vironné. Arthémidore, philosophe grec, lié avec les prin- cipaux conjurés, avait pénétré leur secret ; se mê- lant au grand nombre de ceux qui présentaient des placets à César, il lui remit un mémoire qui con- tenait tous les détails de la conjuration, et lui dit : " Lisez promptement ; ceci est pour vous d'un intérêt urgent." César, obsédé, n'eut pas le temps de lire cet écrit qu'il tenait encore lorsqu'il entra dans le sénat. Les conspirateurs, qui l'y attendaient, cachaient sous un calme profond les mouvcmens divers dont ils étaient agités. L'œil le plus pénétrant n'aurait pu deviner à leur maintien le coup terrible qu'ils méditaient.... Dès qu'on vit paraître le dictateur,* la plupart des conjurés, comme ils en étaient convenus, al- lèrent au-devant de lui, et l'accompagnèrent jusqu'à sa chaise curule,")* tandis que d'autres éloignaient de lui Antoine, son ami et son collègue au consu- * C'est ainsi qu'on nommait le magistrat souverain, que, dans des temps difficiles, les Romains chargeaient de veiller au salut de la république. I Chaise d'ivoire où s'asseyaient les sénateurs. THE FRENCH READER. 33 îat, en prétextant la nécessité de lui parler d'une affaire importante. Pendant que César s'avançait, un sénateur, Popilius Lena, qu'on savait instruit de la conjura- tion, s'approche de lui, et lui parle quelque temps à l'oreille : une consternation soudaine saisit alors tous les conjurés, qui, se croyant trahis, portent déjà leurs mains sur leurs poignards, décidés à se tuer pour éviter le supplice : Brutus* seul, ju- geant au maintien de Popilius, qu'il était plutôt suppliant qu'accusateur, rassure d'un coup d'œil ses complices. Dès que César fût assis, Cimber se jeta à ses pieds, lui demandant le rappel de son frère qu'il avait exilé. Les autres conjurés entourent César pour appuyer cette demande : le dictateur refuse ; trop pressé par leurs instances, il veut se lever; Cimber le retient par sa robe. C'était le signal convenu. César s'écrie : " Ce ne sont plus des prières, c'est de la violence î" Casca, placé der- rière son siège, le frappe à l'épaule, mais faible- ment ; car la crainte d'un coup si hardi rendait sa main tremblante et son poignard incertain. " Misé- rable ! que fais-tu?" dit César en se retournant: en même temps il perce le bras de Casca avec un poinçon qu'il tenait dans la main. Casca appelle * Marcus Brutus, un des chefs de la conspiration, 3 34 THE FRENCH READER. son frère a son secours ; tous les conspirateurs tirent leurs poignards ; César s'élance sur eux ; il reçoit enfin un coup de poignard dans la poitrine. Le sang qu'il perd, les glaives qu'on présente à ses yeux n'effraient pas son courage ; il se défend de tous côtés, quoique sans armes, comme un lion furieux et blessé ; mais, au moment où il aperçoit Brutus, qui lui enfonce son poignard dans le flanc, il prononce en gémissant ces mots : " Et toi, Brutus, aussi !" Alors il cesse toute résistance^ s'enveloppe la tête, baisse sa robe, pour mourir encore avec décence, reçoit sans se plaindre tous les coups qu'on lui porte, et, par un sort étrange, tomb et meurt aux pieds de là statue de Pompée. 12. MORT DE NÉRON.* Le sénat, les patriciens,! les chevaliers, le peu- ple, les soldats, tous se révoltent, et jurent la mort de ce monstre. Il apprend à table ce soulèvement général ; il brise dans sa fureur deux vases de cristal, et demande à ses esclaves une boîte d'or qui renfermait un poison subtil. Un moment après * Cet empereur romain, dont le nom est devenu une injure pour les plus mauvais princes, périt en 69 après J. Ch. t C'est ainsi qu'on appelait les familles nobles à Rome. THE FRENCH READER. 35 H dépèche des courriers à Ortie* pour ordonner à sa flotte de se tenir prête à le recevoir. Au milieu de la nuit il s'aperçoit que sa garde l'a abandonné, et que son palais est livré au pillage ; il sort précipitamment du lit, appelle ses indignes ministres, ses lâches favoris, nul ne lui répond ; il se trouve, au milieu de la capitale du monde, comme un esclave fugitif dans un désert. Il veut avoir recours au poison ; on le lui avait enlevé : il appelle vainement à grands cris le gladiateurf Spicilius. "Ne trouverai-je donc pas, s'écriait-il, d'amis pour me défendre, ou d'ennemis 4)our me tuer ?" Furieux, il s'éloigne du palais, et court pour se précipiter dans le Tibre. Phaon, un de ses affranchis, l'arrête, et lui offre un asile dans sa maison de campagne, à quatre milles de Rome : il l'accepte, et fuit enveloppé dans un manteau grossier. L'infâme Sporus et trois esclaves composaient sa seule escorte. Pendant sa route une violente secousse de trem- blement de terre, et la lueur des éclairs qui sillon- naient les sombres nuages, augmentent ses terreurs. Il se croit poursuivi par les dieux comme par les * Port de mer, à quelques lieues de Romer f Les Gladiateurs étaient des esclaves qui, en présence du peuple, se battaient à mort entre eux ou contre des bêtes féroces. 36 THE FRENCH READER. hommes, et prend chaque objet et chaque bruit pour l'ombre et pour le cri d'une de ses victimes. En passant près du camp des prétoriens,* il entend les soldats qui l'accablent d'imprécations, et il rencontre des voyageurs qui disent en le voy- ant : " Voilà sûrement des hommes qui cherchent l'infâme Néron pour le tuer." Saisi d'horreur et d'effroi, il s'éloigne précipitamment de la route, s'enfonce dans des sentiers remplis de ronces ; il arrive enfin derrière la basse-cour de Phaon, se jette, accablé de lassitude, sur des roseaux, et pre- nant dans ses mains l'eau d'une mare; "Voilà donc, dit-il, la liqueur réservée désormais à Né- ron !" Ses esclaves percent un trou sous la mu- raille : et l'empereur, se traînant comme un vil serpent, entre dans la cour par cette ouverture, et parvient à une chambre retirée, où il reste vingt- quatre heures enfermé. La crainte du supplice dont il était menacé parut d'abord lui donner un peu de fermeté ; tirant de sa ceinture un poignard, il en approcha la pointe de son sein ; mais sa lâcheté l'empochant de frap- per, il fondit en larmes, et pria ceux qui l'en- touraient de lui donner l'exemple du courage. Tout-à-coup un grand bruit de chevaux fait re- tentir la cour ; il entend la voix des officiers qui le * La garde impériale. THE FRENCH READER. 37 cherchent; alors, fortifié par le désespoir, it fait soutenir son bras par Épaphrodite,"^ et s'enfonce le poignard dans la gorge. Il respirait encore; le centurion chargé de l'arrêter entre dans l'ap- partement, veut panser sa blessure, et lui dit qu'il vient le secourir. " Tu arrives trop tard, répondit Néron: est-ce là cette fidélité que tu m'as jurée?" A ces mots il expira, en menaçant encore le ciel par ses affreux regards. 13. SIÈGE, PRISE ET DESTRUCTION DE JÉRUSALEM PAR LES R03IAINS. Les Juifs, resserrés dans Jerusalem, se battaient et se déchiraient entre eux. Au milieu de cette ville, dans le moment même où elle était assiégée par Vespasien,"f" la guerre civile exerçait ses fureurs dans les rues, dans les places publiques et dans le temple. Les zélaieurs,:): après avoir massacré le sacrificateur Zacharie, se divisèrent en deux fac- tions, qui, l'une sous le commandement de Simon, fils de Joras, et l'autre sous celui de Jean de Gis- cala, remplissaient la cité sainte de massacres et de pillage. Vespasien, à la mort de Néron, ayant été pro- * Un esclave affranchi. j- Vespasien, qui bientôt après devint empereur. j;. C'était cette secte fanatique qui, trente-sept ans auparavant, avait fait mourir Jésus-Christ. D 38 THE FRENCH READER. clamé empereur, chargea son fils Titus de con- tinuer la guerre de Judée. Il entoura Jérusalem d'une grande muraille, garnie de tours, pour la priver de vivres et de tout secours. Ce péril ne fit pas cesser la discorde civile : Éleazar, occupant la partie supérieure du temple^ Simon la ville haute, et Jean la ville basse, se battaient entre eux ; leurs troupes se réunissaient pour repousser les as- siégeans, et puis revenaient dans la ville se battre entre elles. Jamais aucune autre cité ne fut en proie à plus de malheurs. La haine, la vengeance, l'avarice, l'ambition, le fanatisme^ et le désespoir se joig- naient aux désastres de la guerre pour déchirer Jérusalem. Le fléau de la famine vint mettre le comble à ces calamités, et les morts y servirent bientôt de pâture aux vivans. On vit une mère égorger son propre enfant, pour en faire un affreux repas. Rien ne pouvait calmer ni fléchir ces cœurs barbares. Titus, plus humain, attendri sur leur * Le fanatisme est un attachennent outré aux croyances et aux institutions religieuses, attachement qui va jus- qu'à l'oubli de la raison et de la morale. La religion a été donnée aux hommes pour les consoler, pour éclairer leur raison sur leur destination, et pour rendre plus saintes à leurs yeux les lois de la morale et de l'humanité. Donc, tout ce qui est contraire à ces lois ne saurait être commandé par la religion. THE FRENCH READER. 89 sort, leur envoya Josèphe* pour les engager à se rendre et à sauver ainsi leur peuple, leur temple, leur culte, leur capitale et leurs lois. On ne lui répondit que par des menaces. Les chrétiens avaient quitté la ville avant le siège, et beaucoup de Juifs, plus modérés, étaient venus au camp des Romains, pour échapper au poignard des zélateurs. Tout le reste des habitans, égaré par le fanatisme, ne pensait qu'à donner la mort ou à la recevoir. Titus, maître de la première et de la seconde muraille de Jérusalem, assiégea le temple ; il pénétra enfin dans l'enceinte sacrée, et fit tout ce qu'il pouvait pour sauver ce monument. Mais un soldat romain, sans avoir reçu aucun ordre, jeta une poutre enflammée, au travers de la fenêtre d'or, dans l'intérieur du saint asile. Les ordres de Titus pour arrêter le feu furent inutiles : la foule des légions qui se pressaient, la rage du peuple qui voulait les repousser, la fureur des combattans, le bruit des armes, les cris des mou- rans ne laissaient entendre aucun commandement. La flamme dévorante augmenta l'horreur de cette scène de désordre et de carnage, de sorte qu'en peu d'heures la destruction du temple fut entière- ment consommée. f Historien juif, qui a écrit l'Histoire du siège de Jérusalem et qui, après s'être défendu avec un grand courage, avait été fait prisonnier par les Romains. 40 THE FSENCH READER. Les zélateurs, retirés dans la ville haute et dans le palais, tentèrent encore de s'y défendre ; mais les Romains s'étant emparés de leurs tours, les ex- terminèrent et livrèrent toute la ville aux flammes et au pillage. Ce siège coûta la vie à onze cent mille Juifs ; quatre-vingt-dix-sept mille furent faits prisonniers. Les Romains rasèrent les murailles et la plupart des maisons de Jérusalem (en 70.) Les Juifs, conquis, opprimés, tentèrent encore plusieurs fois de se soulever. Enfin, sous le règne d'Adrien, cinquante ans après la destruction du temple, ayant tous pris de nouveau les armes, cet empereur leur fit une guerre cruelle, dans laquelle périrent cinq cent quatre-vingt-six mille Juifs. Adrien acheva de détruire tout ce que Titus avait épargné dans Jérusalem. Il éleva sur les ruines une autre ville, qu'il nomma ^lia Capitolina, dont il défendit l'entrée aux Juifs sous peine de mort. Un écrivain de ces temps dit cependant qu'on leur permettait d'entrer à ^lia une fois par an pour y pleurer; et un autre ajoute qu'on leur vendait au poids de l'or cette permission de verser des larmes sur les cendres de leur patrie. THE FRENCH READER. 41 14. TITUS.* Affable et populaire, il ne repoussait aucune de- mande, aucune réclamation ; ^sa grace ajoutait au bienfait et adoucissait le refus. Comme on lui reprochait un jour dans son conseil de promettre plus qu'il ne pouvait tenir: *' Il ne faut, dit-il, ôter à personne l'espérance, et jamais on ne doit sortir mécontent de l'audience du prince." Se rappelant un soir, pendant son repas, qu'il avait passé toute la journée sans obliger personne : " Hélas ! mes amis, dit-il, j'ai perdu un jour." Lorsqu'on se sent fort par l'amour qu'on inspire, on est inaccessible à la crainte; informé qu'on avait publié des libellesf contre lui : " Pourquoi, dit-il, redouterais-je des écrits que tout le monde trouvera calomnieux, si je ne fais rien qui soit digne de blâme ?" Cependant sa constante bonté n'empêcha pas quelques hommes ambitieux de former des projets contre lui. Deux patriciens conspirèrent pour le renverser du trône ; il en fut informé, les fit venir * Titus, empereur romain, qui mérita d'être appelé les délices du genre humain^ périt victime de l'ambition de son frère Domitien en 81. C'est lui qui, n'étant encore que prince impérial, prit et détruisit Jérusalem en 70. f Ecrits diffamatoires. d2 42 THE FRENCH READER. en sa présence, leur conseilla de renoncer à des desseins contraires aux lois divines et humaines, envoya un courrier à la mère de l'un d'eux pour la rassurer sur le sort de son fils, invita les deux conjurés à sa table ; et, le lendemain, les plaçant à côté de lui à un combat de gladiateurs, remit dans leurs mains les épées qu'on lui portait selon l'usage avant le combat, et les chargea de les examiner. La rigueur des princes faibles tue quelques con- spirateurs : la clémence des grands caractères tue les conspirations. THE FRENCH READER. 43 15. PRISE DE CONSTANTINOPLE PAR LES TURCS.* L'heure fatale était sonnée ; bientôt Constanti- nople se vit investie par l'armée de Mahomet,"]* forte, dit-on, de trois cent mille hommes ,* selon d'autres récits, de cent cinquante mille. La grandeur majestueuse de cette ville, sa forte position, èes glorieux souvenirs, ses murs épais, ses menaçantes tours, ses fossés profonds, les deux mers qui lui servaient de défense et dont elle était le lien, les forts qui couvraient le côté du conti- * En 1453. f Le Sultan Mahomet II, 44 THE FRENCH READER. nent, la rendaient encore formidable ; trente fois on l'avait vue vainement assiégée, trente fois du haut de ses remparts elle avait mis en fuite d'in- nombrables armées de musulmans, de barbares, et incendié leur flotte ; mais tout, excepté son aspect, était changé : ce colosse n'avait plus d'âme ; ces hautes murailles ne trouvaient plus de bras pour les défendre, ou ces bras, au lieu de s'étendre pour frapper l'ennemi, ne se levaient plus que vers le ciel pour implorer sa pitié. Un dénombrement ordonné par l'empereur montra la capitale peuplée de deux cent mille habitans, et, lorsqu'il fallut compter les courages, on ne trouva que quatre mille neuf cent soixante- dix combattans, dignes de porter encore, comme ils le prétendaient, le nom de Romains. Deux mille étrangers joignirent leurs armes à ce petit nombre de braves. Quatorze batteries turques foudroyaient les murs avec plus de bruit que d'effet; cet art terrible était encore dans son enfance. Sept mille guerriers, dignes de voir associer leurs noms à ceux des héros des Thermopyles, défendaient avec intrépidité, contre trois cent mille hommes, une ville dont l'étendue était de cinq lieues de tour. Les premiers jours, loin de se renfermer timidement à l'abri de leurs murailles, ils sortirent avec audace, attaquèrent les assiégeans, THE FRENCH READER. 45 renversèrent leurs travaux et jetèrent l'effroi dans les rangs ennemis ; mais Constantin* comprit bientôt que de telles victoires, payées trop chère- ment, augmentaient ses périls au lieu de les éloigner, et que la mort de vingt musulmans ne pouvait compenser la perte d'un brave dans sa faible garnison. Les Turcs, n'étant plus troublés dans leurs travaux, fortifièrent leurs lignes, renversèrent plusieurs tours, ébranlèrent les murs de la pre- mière enceinte, et tentèrent de l'escalader, tandis que leurs mineurs s'efforçaient de leur ouvrir sous terre un secret passage. Au même moment cent galèresf et deux cents autres bâtimens réunissaient leurs efforts pour rompre la chaîne:j: et forcer l'entrée du port. De leur côté les assiégés faisaient pleuvoir sur les assaillans une nuée de traits, de balles et de boulets ; ils roulaient sur eux des rocs et d'énormes meules. Le feu grégeois§ consumait les tours de bois que Mahomet avait fait avancer contre les remparts ; les piques et les lances des chrétiens renversaient en foule dans les fossés les Turcs * Dernier empereur de Constantinople. f Vaisseaux qui vont ordinairement à rames. i^ Cette chaîne fermait le port. § Feu inventé par les Grecs et qui brûlait dans l'eau. 46 THE FRENCH READER. intrépides qui, bravant tout obstacle, parvenaient jusqu'aux créneaux. Pendant que ce combat opiniâtre se prolongeait avec une égale furie, une colonne turque s'avance par une route souterraine à la suite des mineurs, brûlant d'impatience de pénétrer au centre de la ville ; mais un ingénieur nommé Le Grand écoute leurs pas, entend leurs coups, creuse une contre- mine, marche à leur rencontre, les combat, les couvre de feu, de fumée, et les force à prendre la fuite. La flotte ottomane trouve dans la chaîne qu'on lui oppose un obstacle inexpugnable ; sous son abri, les galères grecques foudroient et dispersent les bâtimens ennemis ; des milliers de musulmans encombrent les fossés qu'ils ne peuvent franchir ; leurs cadavres amoncelés glacent le courage de leurs compagnons : soudain un météore lumineux brille dans les airs ; les musulmans consternés le regardent comme un signe sinistre, les Grecs comme un augure de salut et de victoire ; enfin la fortune se déclare pour les Chrétiens ; les Otto- mans* fatigués rentrent dans leurs lignes, et Con- stantinople expirante voit encore un jour de tri- omphe. Le lendemain les assiégeans voulaient recom- * Les Turcs sont aussi appelés Ottomans, Osmanlis et Musulmans ou croyans. THE FRENCH READER. 47 mencer l'attaque ; mais, au lever de l'aurore, Ma- homet voit avec surprise que l'infatigable Con- stantin, au lieu de donner la nuit au repos, l'a employée tout entière au travail. Par ses ordres, une activité presque sans exemple a fermé toutes les brèches, a réparé les murs, a relevé les tours. Mahomet adopte un avis conforme à sa passion : cependant, avant de combattre, il négocie. Ses envoyés proposent à Constantin la possession tranquille de la Grèce et de la Morée, s'il veut livrer Constantinople aux musulmans. " Je sauverai ma capitale, répondit l'empereur, ou je m'ensevelirai sous ses décombres. Un tribut est le seul sacrifice auquel je puisse consentir." Lorsqu'on rapporta cette réponse au sultan, il s'écria; "J'en jure par le prophète,* Constanti- nople sera mon trône ou mon tombeau." Après ces mots il appelle les janissairesf au combat ; il annonce un assaut général, et le fixe au 29 de Mai 1453. Pour rendre le ciel propice à ses armes, la veille de ce jour décisif est consacrée par ses ordres aux jeûnes et aux ablutions ; le soir et pendant la nuit, ses tentes, ses lignes sont illuminées ; les * C'est-à-dire par Mahomet (622.) f Milice turque, supprimée par le sultan actuel Mah- moud. 48 THE FRENCH BEADEH. derviches* parcourent le camp, qui se change en mosquée;"!" les imans:}: enflamment par leurs prières le fanatisme des soldats ; ils montrent le ciel ouvert aux vainqueurs de la croix. " Je vous abandonne, dit Mahomet, les hommes, les femmes, les richesses de la ville profane ; je ne réserve pour moi que son trône et ses édifices ; ceux qui franchiront les premiers les murs seront comblés d'honneurs et de dignités." Ces promesses, l'ardeur de la gloire, la soif des plaisirs et du pillage, excitent les transports d'un zèle fanatique et guerrier. L'air retentit de ce cri prolongé : Il n'y a d^autre dieu que Dieu et Ma- homet est son prophète. Mahomet, bientôt après, exécuta une entreprise dont l'audace étonne l'imagination ; on n'oserait la raconter si ce fait n'était attesté par tous les his- toriens du temps. Indigné de l'obstacle qui lui défendait l'entrée du port, il fait tirer ses vaisseaux sur le rivage. Un chemin inégal, montueux, hérissé de buissons, fut, dans l'espace de deux lieues, aplani, couvert de madriers et de planches enduites de suif. La flotte, traînée sur cette route glissante, tourne ^ Espèce de religieux mahométans. I Un temple mahométan. X Prêtres mahométans. THE FRENCH READER. 49 Galata,* et tous ces bâtimens sont lancés dans le port intérieur. Cet effort prodigieux est l'ouvrage d'une armée et d'une nuit. Au point du jour, les Grecs, du haut des rem- parts, voient avec consternation leur port, leur der- nier refuge, rempli par les vaisseaux de Mahomet. Dans cette extrémité, l'empereur, conservant seul un courage inébranlable, rassemble ses guer- riers, convoque les grands et les sénateurs. " Com- pagnons, dit-il, voilà notre dernier triomphe ou notre dernière heure ; nos périls sont grands, mais il n'en est point qu'un courage ferme ne puisse vaincre. " Vos ancêtres ont dompté le monde armé con- tre eux; depuis plusieurs siècles nous avons résisté aux attaques perpétuelles des Persans, des Sarrasins, des Scythes, des Bulgares, des Huns et d'une foule innombrable de Barbares. Ces mêmes Turcs qui nous attaquent, ont souvent fui devant nous, ils n'ont dû leur force apparente qu'à nos funestes dissensions ; soyons unis, ils ne pourront nous résister. "Vingt fois leurs armes se sont brisées devant nos murailles ; récemment encore, Amuratf s'est * Faubourg de Constantinople. f Amurat IL père de Mahomet II. avait conquis une partie de l'empire grec. E 4 50 THE FRENCH READER. VU repoussé loin de nos remparts ; il y a peu de jours, votre vaillance a fait reculer les soldats de Mahomet ; nos fossés, nos champs, leurs re- tranchemens même sont jonchés de leurs blessés et de leurs morts. Le nouvel assaut que prépare le sultan n'est qu'un dernier effort tenté par le désespoir. " L'Europe s'arme pour nous ; Huniade* et ses Hongrois s'approchent ; une escadre vénitienne traverse la mer pour nous secourir ; encore un jour de courage et tout est sauvé ! " Nous défendons ce que les hommes ont de plus sacré : notre religion, notre patrie, notre li- berté ! Méritons, dans une si sainte cause, la pro- tection divine, par l'aveu, par le repentir de nos fautes ! J'en donne l'exemple : s'il est quelqu'un de vous que j'aie offensé, comme prince, comme frère, comme chrétien, je lui en demande l'oubli. " La gloire nous attend, la patrie nous appelle, les ombres de nos héros nous contemplent, mar- chons ! Je partagerai avec vous tous les périls du combat, comme tous les fruits de la victoire ; mais si Constantinople tombe, si mes braves compag- nons périssent, je ne leur survivrai pas I" On ne répond à cette oraison funèbre de l'em- * Jean Huniade, général des Hongrois, était la ter- reur des Turcs. THE FRENCH READER. 51 pire que par des larmes, que par des sanglots : chacun jure de vaincre ou de mourir. Le canon des musulmans se fait entendre, le ;Signal du combat se donne. Constantin rentre quelques instans dans la demeure impériale, em- brasse sa famille, revêt son armure, et sort du palais des Césars,* qu'il ne doit plus revoir. Au lever de l'aurore, les Ottomans donnent, par terre et par mer, l'assaut général ; toute l'artillerie du sultan s'approche des murs ; les proues des galères et leurs échelles d'escalade menacent les remparts du havre ; les fossés sont bordés de fascines, les lignes musulmanes s'avancent si serrées, si continues, qu'un historien les comparait à une longue corde tressée et fortement tordue. Les murs, précipitamment réparés, cèdent aux coups des foudres qui les écrasent ; de larges brèches s'ouvrent ; les musulmans s'y précipitent en foule, brûlant de remporter la palme de la vic- toire ou celle du martyre. Les intrépides compagnons de Constantin, plus difficiles à renverser que leurs murailles, re- poussent, foudroient, précipitent dans les fossés ces premiers assaillans ; dans cette dernière lutte de l'ancien monde contre le nouveaux,- les armes de l'antiquité, celles des temps modernes sem- blaient s'unir pour attaquer et pour défendre la * Des empereurs, ainsi nommés de Jules-César. 62 THE FRENCH READER. ville des Césars. L'air, obscurci par des nuées de javelots et de flèches, retentissait à la fois du bruit sourd des lourds rochers lancés par les cata- pultes,* du sifflement des balles, de l'éclat terrible du canon. L'obscurité répandue autour des combattans par la poussière, par la fumée, était dissipée à chaque instant par les éclairs de la poudre, par les flammes du feu grégeois ; partout on entendait un mélange affreux d'imprécations, de prières, du tintement des cloches alarmantes, du retentissement de l'airain tonnant, du cliquetis des armes, des cris de la haine et de la vengeance, du son aigu des clairons, du chant de guerre et des clameurs des mourans. Mahomet relève le courage de ses soldats vain- cus ; d'autres troupes renouvellent l'attaque. Le Coranf les arme contre l'Évangile. Ma- homet, à leur tête, excite par sa voix terrible leur fanatisme aveugle; derrière eux sont placés des bourreaux, qui ne leur laissent que le choix de la mort sur la brèche ou de la mort dans la fuite. Leurs cohortes chargent successivement les chrétiens, qui bravent leurs efforts ; les fossés, comblés par des milliers de cadavres entassés, * Machine de guerre, au moyen de laquelle les an- ciens lançaient des pierres et des traits, t Le livre sacré des Mahometans. THE FRENCH READER. 53 servent de pont et de passage aux troupes qui les suivent : enfin Constantin, excitant les Grecs à sauver, par un dernier effort, leur culte, leur prince, leur patrie, s'élance au-delà de la brèche, enfonce, disperse, extermine les assaillans, et les force à laisser un vaste intervalle entre la ville et leur armée. Tant de triomphes, contre une masse d'ennemis toujours renaissante, avaient épuisé la force et le sang des héros chrétiens ; dans ce moment les janissaires, que Mahomet tenait en réserve et qui n'avaient point encore combattu, s'ébranlent, mar- chent, s'avancent ; le sultan à cheval les précède, armé d'une massue; une garde d'élite l'entoure; il presse leur course de la voix et du geste ; une montagne de morts les aide à s'élever au niveau des remparts ; une musique guerrière, couvrant les murmures de l'effroi et les cris des blessés, anime l'ardeur des assaillans. Les Grecs réunis rassemblent toutes leurs forces pour lutter contre ce dernier péril ; de toutes parts les foudres du canon, le choc des glaives et des cimeterres font retentir leur affreux tumulte. Has- san, janissaire d'une force prodigieuse, s'élance le premier sur les créneaux ; frappé de plusieurs glaives, percé de plusieurs lances, il tombe, se relève, franchit le rempart et retombe encore expi- rant, mais vainqueur. e2 54 THE FRENCH READEK. Une foule de vengeurs l'ont suivi ; le courage cède au nombre ; la première enceinte est forcée; enfin, un événement funeste décide le sort de cette journée ; Jiistiniani,* blessé, ne peut plus soutenir le poids des armes ; en vain Constantin lui repré- sente l'imminence du danger ; il s'éloigne, se jette dans une barque, fuit à la fois l'honneur et la mort, et fait voile pour l'Archipel. Sa retraite décourage les troupes : vainement Constantin veut les rallier et les conduire en ordre à la seconde enceinte, elles ne fécoutent plus. Tous, entraînés par la terreur, se précipitent vers un étroit passage; leur foule l'obstrue; les janissaires se jettent avec fureur sur eux ; ce n'est plus un combat, c'est un horrible carnage ; tous ces braves tombent sous le cimeterre musulman. Constantin désespéré s'écrie : '' N'existe-t-il plus un chrétien qui puisse, en m'ôtant la vie, m'épargner l'opprobre de la captivité ou le malheur de périr sous le fer d'un infidèle?" Aucune voix ne lui répond; furieux d'avoir survécu un moment à l'empire, il se jette au milieu des rangs ennemis, immole à sa vengeance un grand nombre de vic- times, et, percé de coups, disparaît dans la foule des morts. Par une mort glorieuse, le dernier maître de * Génois qui commandait les deux mille étrangers. THE FRENCH READER. 55 l'empire grec se montra digne de porter le nom du grand Constantin* qui l'avait fondé. L'armée musulmane victorieuse entre, et se répand à grands flots dans la ville conquise ; un siège de cinquante -sept jours a fait disparaître quinze siècles de gloire : la ville encore, Con- stantinople, dépôt des triomphes, des trophées, des richesses de l'univers, offrait aux regards une image vivante de Rome et de la Grèce. En un instant le fer de Mahomet a tout détruit, et les derniers vestiges de l'ancien monde ont disparu. Une soldatesque furieuse se livre sans frein à l'affreuse licence de la victoire ; le palais est forcé ; la famille impériale se voit livrée aux plus honteux outrages. Le sang inonde les rues ; quarante mille citoyens sont égorgés ; soixante mille, plus infortunés, se voient jetés dans les fers. Rangs, dignités, vertus, force, faiblesse, richesse, pauvreté, tout se voit confondu dans un malheur commun ; le patricien, l'artisan, le prêtre, le guer- rier, le prince, le mendiant, le vieillard, l'enfant, la mère de famille éplorée, sont enchaînés deux à deux au hasard, et livrés aux caprices de leurs farouches maîtres : la dévastation se répand égale- * Constantin-le-Grand,qui embrassa le christianisme et fonda Constantinople ; il mourut 337. •56 THE FRENCH READER. ment dans les palais, dans les cabanes, dans les monastères ; elle engloutit les trésors de plusieurs siècles. Cette scène de désolation et de pillage dura deux jours ; enfin, rassasiés de sang et gorgés d'or, les vainqueurs dans leur délire portaient déjà la hache destructive sur les édifices publics, mais Mahomet parut ; sa voix redoutable commanda le silence et rétablit l'ordre; il accorda la vie et la liberté à tous les chrétiens échappés aux calamités de ces journées sanglantes. La sécurité rentra dans les asiles domestiques ; les vaincus obtinrent la liberté du culte ; un tribut fut le prix de leur repos, si on peut donner ce nom à une humiliante servitude. 16. CHARLEMAGNE.* Ce prince célèbre avait été favorisé de tous les dons de la nature, et il excitait également l'admi- ration par la majesté de sa personne, par l'étendue de son esprit, par son éloquence et par sa beauté ; tout en lui était grand : aussi l'on peut concevoir l'impression profonde que dut produire l'aspect du nouvel empereur sur une ville si riche en grands souvenirs,! et sur ce peuple-roi qui, conservant ^ C'est-à-dire Charles-le-Grand, roi des Français, vainqueur des Saxons et des Lombards, fut couronné empereur romain en 800 et mourut en 814. f C'est-à-dire Rome. THE FRENCH READER. 57 encore dans sa dégradation présente l'orgueil de sa gloire passée, croyait revoir à la fois en Charle- magne ses rois, ses consuls, ses dictateurs, ses Césars, ses anciens triomphes et ses anciens tri- omphateurs. Charles joignait à la vaillance et au génie des héros de l'histoire la force prodigieuse et la taille presque colossale des héros de la fable : il avait, dit-on, plus de six pieds; son teint était d'une blancheur éclatante, son nez, aquilin, son œil, plein de feu, sa physionomie, ouverte, son maintien, majestueux, son sourire, gracieux et doux; quoiqu'il eût acquis un peu trop d'embonpoint, et que le haut de sa tête fut légèrement aplati, la juste proportion qui existait entre toutes les parties de son corps, donnait à son ensemble une beauté mâle, ferme et noble, qui, à la première vue, irappait d'étonnement et de vénération. Sa voix seule manquait de force; elle était claire, douce, et ce défaut même avait le mérite de tempérer la sévérité de son maintien ; ses traits commandaient le respect, et ses paroles at- tiraient raffection. Il fut toujours sobre, tempérant, et montrait une «orte d^horreur pour l'ivresse, qui, selon lui, dé- gradait l'homme : son estomac soutenait avec peine l'abstinence et le jeûne; on ne servait habituellement sur sa table que quatre plats: il 56 THE FRENCH READER. préférait à tout autre mets la viande rôtie et le gibier que ses chasseurs lui apportaient sur la broche. Ce prince ne buvait jamais à son dîner que trois ou quatre fois ; il donnait très-rarement de somptueux festins : il admettait alors à ces solennités un très grand nombre de convives. Pendant la durée de ses repas on lui lisait les histoires des hommes illustres de l'antiquité, les chants guerriers des héros francs et germains, dont il avait fait composer un recueil. Après son dîner il se déshabillait et dormait deux ou trois heures : durant la nuit, il se levait plusieurs fois pour travailler. Ses amis les plus intimes étaient admis en sa présence pendant qu'on l'habillait. Charlemagne permettait qu'à toute heure, et pour les affaires urgentes, le comte du palais introduisît chez lui les personnes qu'il de- vait écouter et juger. Alors il prononçait ses arrêts comme s'il eût été assis à son tribunal. Avant lui les Francs ne connaissaient que la tyrannie et la licence ; sous sa conduite ils entre- virent la liberté ; ils n'avaient eu qu'un pays, ils eurent une patrie; ils n'étaient que conquérans, ils devinrent citoyens. Son génie changea pour quelque temps les hommes et les mœurs : les nobles et les prêtres suspendirent leurs querelles. Le peuple fut soulagé du poids qui l'opprimait; tous concoururent au bien général, et, à cette THE FRENCH READER. 59^ époque brillante mais trop courte, les Francs se montrèrent presque dignes du grand homme qui les gouvernait. Sévère pour la répression des vices, il réprima celui de tous auquel les Francs se livraient géné- ralement avec le plus d'excès,^ et par une loi il priva tout ivrogne du droit de plaider ou de témoigner. Un jour, voyant ses courtisans parés de soie légère, de fines pelleteries, de plumes brillantes, tandis qu'il n'était couvert, suivant sa coutume, que de son simple pourpoint de peau de loutre, de sa tunique de laine et de son manteau de drap bfeu, il se divertit à les emmener avec lui à la chasse ; là ils furent bientôt déchirés par les ronces, transis par les vents et par la neige, inondés de pluie, et ils revinrent au palais dans un état de désordre, que les débris de leur magnificence rendaient encore plus ridicule. Charles, se séchant promp- tement près d'un grand feu, dit alors en riant, et au grand plaisir de la multitude, à ses courtisans mouillés, percés et défigurés: "Jeunes insensés, voyez la différence de votre luxe et de ma sim- plicité ; mes vêtemens me couvrent, me défen- dent, coûtent peu et ne craignent point les injures du temps ; ils sont promptement et facilement =^ L'ivrogne vie. 60 THE FRENCH READER. remplacés : vous dépensez des trésors pour les vôtres, et le moindre accident les anéantit." Ce grand homme, qui donna son nom à son- siècle et à sa race, descendit dans la tombe, avec la gloire de la France, le 28 Janvier 814; il était dans sa soixante-douzième année. Ce prince avait régné quarante-sept ans sur les Francs, et quatorze comme empereur d'Occident. Il fut enterré à Aix-la-Chapelle dans un caveau que l'on fit murer. Il y était représenté assis sur un trône d'or, revêtu de ses habits impériaux et du cilice qu'il portait habituellement ; son manteau royal était attaché sur ses épaules ; on avait sus' pendu son glaive à son baudrier ; la couronne impériale était placée sur sa tête, une bourse de pèlerin et le livre des évangiles, sur ses genoux ; son sceptre et son bouclier, à ses pieds. On brûla dans ce caveau une grande quantité de parfums ; il fut rempli de pièces d'or et scellé. Enfin, audessus de son tombeau s'éleva un su- perbe arc de triomphe, où l'on grava cette noble et simple épitaphe : " Ici repose le corps de Charles, grand et orthodoxe* empereur, qui étendit glorieusement le royaume des Francs, et le gou- verna heureusement pendant quarante-sept an- nées." * On appelait orthodoxes ceux qui croyaient ce que l'Eglise ordonnait de croire. THE FRENCH READER. 61 17. LOUIS IX, DIT SAINT-LOUIS.* Louis se montra toujours charitable pour les pauvres, clément pour ses ennemis, indulgent pour les faiblesses d'autrui, sévère pour les siennes, ami de la justice, scrupuleux jusqu'à l'excès dans ses promesses et dans ses traités, en un mot, tellement intègre et impartial, que tous les peuples et tous les rois se soumettaient volontairement à son ar- bitrage. Doux jusqu'à la faiblesse dans sa vie domes- tique, il bravait les périls avec l'audace d'un lion ; compatissant aux maux de ses soldats, il était avare de leur sang, prodigue du sien ; et, chrétien sous la tente comme dans les temples, il soignait avec un courage évangélique, dans les hôpitaux, les pestiférés. Ces infortunés, abandonnés par tous leurs compagnons, n'étaient visités et con- solés que par leur roi. Saint-Louis, dans sa vie privée, aimait la sim- plicité ; mais, dans les fêtes, il déployait un luxe convenable à sa dignité ; au reste, ce luxe paraî- * Louis IX monta sur le trône de France en 1226, sons la tutelle de sa mère Blanche de Castille ; il fit une croisade en Egypte, où il fut fait prisonnier (en 1250.) De retour en France, à la mort de sa mère, il régna avec sagesse. En 1270 il entreprit une seconde croisade contre Tunis en Afrique, et y mourut la même année. F 62 THE FRENCH READER. trait bien mesquin, en le comparant à la magnifi- cence moderne, puisqu'au mariage de ce prince on admirait, comme une grande rareté, deux cuillères d'or qui ornaient sa table. Ce prince ne croyait pas que l'oisiveté fût jamais permise à un roi : occupé sans relâcbe à remplir ses devoirs, lorsque la paix lui laissait quelques loisirs, il ne se reposait de ses travaux guerriers qu'en se livrant avec assiduité à ceux de la piété, de la justice et de l'administration. Sûr de raffection qu'il inspirait, ce roi vertueux marchait partout sans défense comme sans crainte : accessible à tous ses sujets, écoutant leurs plaintes, il daignait juger lui-même leurs contestations et concilier leurs différends. L'imagination peut être éblouie par l'éclat d'un monarque puissant, entouré sur son trône d'une cour pompeuse et d'une garde imposante ; mais le cœur est profondément ému au souvenir de ce vénérable chêne* au pied duquel Saint-Louis, vêtu sans faste, donnait familièrement audience, et, sans distinction de rang, rendait la justice à tous ses sujets. Aussi le nom de Louis, redouté dans les châ- teaux, vénéré dans les cloîtres, était béni dans les * Saint-Louis rendait souvent la justice, assis au pied d'un chêne, au bois de Vincennes, près de Paris. THE FRENCH READER. 63 campagnes. Le sceptre protégeait la charrue, et le glaive royal, écartant de toutes les routes les brigands, qui les avaient si long-temps infestées, ouvrait au commerce et à l'industrie une circula- tion libre et paisible. 18. DÉCADENCE DE LA CHEVALERIE. Ce fut l'invention de la poudre* qui fit évanouir rapidement les prestiges de la chevalerie. Jusques là les paladins, f couverts de cottes de maille, de cuirasses, de brassards, de cuissards, de boucliers et de casques impénétrables, montés sur des che- vaux bardés de fer, s'illustraient sans péril par leurs exploits. Tombant à grands coups de bâche, de lance ou d'épée, sur une infanterie plébéienne,:[: dénuée d'armes défensives, ils la moissonnaient, dit un auteur ancien, comme les moissonneurs coupent les blés. Mais la poudre, les canons, les fusils rétablirent l'égalité entre les diverses classes de combattans ; * La poudre à canon, dont l'invention est communé- ment attribuée à un moine allemand du 14. siècle, nom- mé Berthold Schwarz, paraît avoir été connue long-temps auparavant; mais on n'en fit usage à la guerre, au moyen du canon, que vers le milieu de ce même siècle. Cette poudre si terrible se compose de salpêtre, de char- bon, et de soufre. f Ancien nom des chevaliers. % C'est-à-dire composée de gens du peuple, mal armés. 64 THE FRENCH READER. les chevaliers se signalèrent encore par des prou- esses, mais ils ne firent plus de prodiges, et l'arme à feu du paysan brava la lance et le glaive du no- ble baron et de son écuyer. 19. JEANNE d'arc Au moment oia le monarque Français* croyait sa couronne perdue sans ressource, une jeune pay- sanne qui se dit et qu'on crut inspirée par les puissances célestes, parut, parla, combattit, ranima les conseillers timides, releva les guerriers abattus, changea la fortune, fixa la victoire, frappa l'ennemi d'une terreur panique, et rendit au roi Charles son sceptre ainsi que son honneur. Ce fut dans le village de Domremi sur la Meuse, entre Neufchâteau et Vacouleurs,f que Jeanne d'Arc vit le jour. Jacques d'Arc, son père, Isa- belle Ronsé, sa mère, étaient d'honnêtes la- boureurs, dont on estimait la probité, les mœurs simples et hospitalières. Trois fils et deux filles partageaient leurs travaux champêtres. Loin des orages du monde, leur vie obscure et laborieuse les rendait étrangers à tout sentiment d'ambition et de cupidité, et nul n'aurait pu prévoir que sous * Charles VII. En 1427, au moment où parut Jeanne d'Arc, les Anglais étaient maîtres d'une grand partie de la France. f En Lorraine, département de la Meuse. THE FRENCH READER. 65 ce chaume paisible naîtrait une héroïne, libératrice de la France. Jeanne passa son enfance et les premiers jours de sa jeunesse à coudre, à filer, à conduire les troupeaux dans les champs. Elle était douce, obéissante, timide, et ne se distinguait de ses com- pagnes que par une dévotion tendre et exaltée, qui l'exposait à leur raillerie. Sa taille était médiocre ; son corps robuste; son teint, blanc, mais bruni par le soleil ; ses yeux, grands et noirs : sa cheve- lure, de la même couleur, descendait jusqu'à ses genoux. Son regard expressif et fier marquait un caractère élevé, tandis que la douceur de sa voix et la modestie de ses paroles annonçaient la pureté de ses mœurs, et inspiraient pour elle uae affection mêlée de respect. Dans le voisinage de Domremi existait un bois antique, nommé le Bois-Chenu, qu'on croyait encore habité par des fées.* Jeanne voyait de sa maison ce bois mystérieux, où se trouvait une source pure, près de laquelle s'élevait un hêtre majestueux, et les vieillards assuraient que souvent on avait entendu les fées chantant le soir sous son épais ombrage. La source qui l'arrosait était regardée comme sacrée, * Génies-femmes, imaginées au moyen âge, et que lô peuple croyait douées du don des prodiges, f2 5 66 THE FRENCH READER. et de loin les malades y accouraient dans l'espoir de recouvrer la santé. Dès l'âge de treize ans, l'active imagination de Jeanne la jeta dans des extases pendant lesquelles, la nuit, elle entendait, dans le jardin de son père, une voix qui lui parlait et paraissait venir du côté de l'église. Elle dit que c'était l'archange Michel qui lui était apparu. Ses extases étant devenues de plus en plus fré- quentes, elle assura qu'elle avait vu l'ange Gabriel, mais plus souvent sainte Catherine et sainte Mar- guerite, qui l'appelaient près de l'arbre des fées. Jeanne entendait partout les Lorrains et les Français se plaindre des brigandages commis par les Anglais, de l'oppression du peuple, des infor- tunes du roi de France, et de l'usurpation "^ de son trône, occupé par un prince étranger. La jeune vierge, émue par ces récits, qui touchaient, agitaient et indignaient son ame ar- dente, raconta bientôt que les voix célestes qui interrompaient son sommeil, lui ordonnaient de s'armer, de se rendre en France, de faire lever le siège d'Orléans, f et d'annoncer, avant tout, sa mission au capitaine Baudricour, qui commandait à Vau couleurs. * Prise de possession violente et illégitime, f Assiégé par les Anglais. THE FRENCH READER. 67 Presque toute sa famille n'ajoutait aucune foi à ses visions. Un seul de ses parens, son oncle Bertrand Laxar, se laissa persuader par elle ; et, convaincu de la réalité de ses inspirations, il en parla au capitaine Baudricour. Celui-ci l'accueil- lit avec dédain ; il lui dit que sa nièce était une possédée ou une folle, et qu'il lui conseillait, dans le premier cas, de la faire exorciser,* et, dans le second, de la souffleter. Cependant Jeanne, dont rien ne pouvait ébranler la constance, brava tout obstacle. Surmontant sa timidité naturelle, elle courut seule chez le gouver- neur, et le reconnut au milieu de plusieurs cheva- liers qui l'entouraient, quoiqu'elle assurât ne l'avoir jamais vu. Alors, l'abordant sans crainte, elle lui transmit les ordres qu'elle avait reçus de son seigneur, " Et quel est ce seigneur 1 demanda Baudricour." — " Le roi du ciel, répliqua Jeanne, qui m'a ordonné de délivrer Orléans, de faire le dauphinf roi, et de le conduire à Reims." ^ Lorsque, d'après les superstitions de ces temps, on croyait que quelqu'un était possédé du malin esprit, les prêtres chassaient le démon à force de prières: c'est ce qu'on appelait exorciser. f Elle appelle ainsi Charles VII, parce qu'il n'avait pas encore été couronné à Reims, occupé par les An- glais. Le prince royal destiné à succéder au trône se nommait dauphin. 68 THE FRENCH READER. Le feu des regards de Jeanne, l'assurance et le ton de conviction avec lequel elle s'exprimait, ébranlèrent la résolution du vieux guerrier qui l'écoutait. Baudricour céda : Jeanne se fit couper les che- veux, prit des habits d'hornme et fixa le jour de son départ. 20. MORT DE JEANNE d'aRC. (Jeanne d'Arc ayant été admise à la cour, relève bientôt le courage des Français, frappe de terreur l'armée anglaise, et marche au secours d'Orléans, as- siégé par l'ennemi. Huit jours après son arrivée, cette ville est délivrée. Puis, renversant tous les obstacles, elle conduit le roi à Reims, et l'y fait sacrer le 14 Juillet 1429. Elle demanda ensuite la permission de retourner dans son village ; mais le roi lui ordonna de rester et de combattre encore. Ayant voulu faire lever le siège de Compiégne, elle est faite prisonnière, livrée aux An- glais, transportée à Rouen, accusée de sorcellerie et condamnée à mort; voici quelle fut sa conduite pendant le procès et au moment du supplice :) Pendant son procès, on vit en elle le mélange de la plus inébranlable fermeté et de la plus tou- chante douleur. Elle pleurait comme une jeune fille, et se conduisait comme un héros. En vain, pour la faire tomber dans quelque plége, on mul- tipliait tour-c\-tour les conseils, les menaces, les mensonges, les questions insidieuses ,* elle réduisait THE FRENCH READER. 69 ses accusateurs au silence par la candeur, par la précision, par l'énergie de ses réponses. Lorsque les jiges dirent à Jeanne de jurer sur les saints évangiles qu'elle dirait la vérité, relative- ment à toutes les choses qu'on lui demanderait, elle répondit ; " Mais je ne sais sur quoi vous me voulez interroger. Par aventure, me pourriez- vous demander telles choses que je ne vous dirais point, quand on devrait me couper la tête ?" Un jour on lui demanda si Dieu haïssait les Anglais ; elle répondit : " De l'amour ou de la haine que Dieu porte à leurs âmes, je ne sais rien ; mais je sais bien qu'ils seront boutés^ hors de France, excepté ceux qui y mourront, et que Dieu enverra victoire anx Français contre eux." On la pressa de rétracter toutes ses erreurs ; elle répondit : "Je veux maintenir ce que j'ai toujours soutenu : si j'é _ is condamnée, si je voyais le feu allumé, le bois préparé, le bourreau prêt à me jeter au bûcher, et encore quand je serais au feu, je ne dirais autre chose que ce que j'ai dit, voulant le soutenir jusqu'à la mort." L'innocence de l'accusée fatiguait et décon- certait ses accusateurs. Les juges ne pouvaient trouver de preuves pour la condamner. Ses pa- * Chassés, jetés. 70 THE FUENCH READER. roles, ses actions, les témoins appelés contre elle et pour elle, tout déposait en sa faveur. L'évêque de Beauvais fit paraître à ses yeux les instrumens de torture.* Ils ne l'effrayèrent pas plus que le glaive des Anglais ne l'avc^it in- timidée. On la pressa de nouveau ; on employa tour-à- tour les conseils, les prières, les menaces ; enfin, vaincue, elle signa une cédule de huit lignes, après qu'on lui en eut fait lecture. Elle semblait ne contenir que la simple promesse de ne plus porter les armes, de laisser croître ses cheveux, et de quitter l'habit d'homme. Mais les fourbes avaient abusé de son ignorance. La pièce qu'on lui fit signer était beaucoup plus étendue. Par cet acte elle se reconnaissait héré- tique,! dissolue et adonnée au démon. Enfin, l'évêque de Beauvais lut publiquement l'arrêt qui condamnait Jeanne, pour réparation de ses fautes, à passer le reste de ses jours au pain de douleur et à Veau d'^angoisse. Cet arrêt, tout cruel qu'il était, ne satisfaisait pas la rage de ses ennemis ; les troupes anglaises, * Autrefois, pour forcer les accusés à faire des aveux, on les livrait à toute sorte de tourmens, appelés la torture ou la question. f C'est-à-dire ayant des opinions condamnées par l'Eglise. Alors on punissait l'erreur comme un crime. THE FRENCH READER. 71 furieuses de voir échapper à lu mort l'héroïne qui les avait fait fuir tant de fois, murmurent, s'ameu- tent, se rassemblent éclatant en menaces. De ce moment la prison de Jeanne ne fut qu'un supplice prolongé. Deux soldats se tenaient à sa iporfe, et trois dans son cachot. La nuit elle était enchaînée sur son lit, et le jour à un poteau. Ce- pendant, soumise et résignée, elle avait repris ses habits de femme, et ne donnait aucun prétexte à ces nouvelles rigueurs. Un matin, tandis qu'elle dormait, on lui enleva ses vêtemens, qu'on remplaça par des habits d'homme. Vainement elle conjure ses barbares gardiens de lui rendre sa robe ; ils Tinsultent et la forcent ainsi de se revêtir des habits qu'elle avait juré de ne plus porter. Soudain l'évêque de Beauvais paraît, avec l'An- glais Warvick et d'autres témoins. Dans le cachot même ils dressent un procès-verbal, pour attester que Jeanne a violé son serment. Le lendemain le tribunal délibère pour la forme, et prononce la sentence qui condamne Jeanne d'Arc à la mort du bûcher. L'héroïne fut conduite au supplice. Jeanne demanda qu'on dit une messe pour elle ; ensuite, voyant la flamme s'approcher, elle dit à son confesseur de se retirer et de tenir la croix élevée, pour qu'elle pût fixer sur elle ses derniers 72 THE FRENCH READER. regards. Tant que cette vierge put respirer, elle prononça le nom de Jésus. La plupart des assis- tans s'éloignèrent en pleurant: ils s'écriaient qu'elle était innocente, injustement condamnée et vraiment chrétienne. Plus tard, par ordre du pape, son procès fut revisé et sa mémoire fut justifiée. La plupart de ses premiers juges, bourrelés de remords, poursuivis par la haine et le mépris pub- lic, terminèrent leurs jours, dit-on, par une mort subite ou infâme. Enfin, la France reconnaissante, entourant son nom d'un éternel hommage, lui érigea une statue dans le lieu même où elle avait péri sur le bûcher. 21. lettre de christophe colomb* au roi d'espagke. Sire, Diego Mondes et ces papiers que je lui remets, apprendront à Votre Majesté quelles riches * En 1502, Christophe Colomb, accompagné de son frère Barthélémy et de son fils Ferdinand, entreprit son quatrième et dernier voyage. Le gouverneur de Saint- Domingue, Ovando, refusa de le recevoir. Colomb découvrit ensuite le Mexique, où il aurait voulu fonder une colonie; mais l'inconduile de ses gens le força à renoncer à ce dessein. Les tempêtes détruisirent ses vaisseaux et le forcèrent a chercher un refuge sur la côte de la Jamaïque. C'est sa malheureuse position dans cette île que décrit cette lettre. Il fut sauvé enfin, retourna en Europe, où il arriva à la fin de 1504. Il mourut à Valladolid, en 1506. THE FRENCH READER. 73 mines d'or j'ai découvertes à Veragua,"^' et com- ment je me proposais de laisser mon frère à la rivière Belem, si les volontés du Ciel et les plus grands mplh urs du monde ne m'en eussent em- pêché. Il suffit, au reste, que Votre Majesté et ses successeurs recueilleni la gloire et les avan- tages du tout, que la découverte s'achève, et que les premiers établissemens se iassent par quelqu'un plus heureux que l'infortuné Colomb. Si Dieu m'est rssez favorable pour conduire Mondes en Espagne, il fera sans doute comprendre à la reine ma maîtresse,! ainsi qu'à Votre Majesté, que ce ne sera pas ici seulement un fort ou un château, mais la découverte d'un monde de sujets, de terres et de richesses, plus grand que l'imagination la plus vaste n'aurait pu se le figiu^er, ou que l'ava- rice e«''':^-iiierne n'aurait pu le désirer. Ma 3 ni le papier, ni la langue d'aucun mortel, ne pourront ianv'"'s vous exprimer l'angoisse et les afflictions de mou corps et de mon âme, ni vous peindre la misère et les dangers de mon fils, de mon fi'ère et de n.es amis. Depuis plus de dix mois nous sommes ici logés à découvert sur les ponts de nos vaisseaux échoués sur la côte. Ceux de mon équipage qui sont demeurés sains, se sont * Dans le Mexique. f Isabelle de Castille, femme de Ferdinand d'Aragon. 74 THE FREXCH KEADEE. mutinés, et mes amis, ceux qui me sont restés fidèles, sont ou malades ou mourans. Nous avons détruit les provisions des Indiens, de manière qu'ils nous abandonnent, et que probablement nous périrons de faim. Tous ces malheurs sont aug- mentés par tant de circonstances qui les aggravent, qu'ils m'ont rendu le plus ^'éplorable objet d'in- fortune que le monde puisse jamais voir : comme si le mécontentement du Ciel secondait l'envie* de l'Espagne, et qu'il voulut punir comme des crimes des entreprises et d?s services méritoires. Ciel, et vous. Saints qui i'baoitez, que le roi Don Ferdinand et mon illustre maîtresse Dona Isabelle sachent que mon zèle pour leur service et pour leurs intérêts m'a rendu le plus malheureux des hommes vivans ; car il est impossible de vivre et d'avoir des afflictions sen il la blés aux miennes. J'appréhende et je prévois avec horreur ma des- tru^-tion et celle de ces malheureux et braves gens qui vont périr pour l'amour de moi. Hélas ! la justice ot la pitié se sont rftirr'es aux cieux ; et c'est un crime aujourd'hui d'uvoir fait trop de bien aux hommes, ou de leur en avoir trop promis. Mes malheurs m'ont fait de la vie un fardeau, et *e crains que les vains titres de vice-roi perpétuel •l'amiral ne m'aient rendu odieux à la nation ^ole. ^nvie qu'on lui portait en Espagne. THE FREXCH EEADEîl. 75 On rirait d'indignation en voyant toutes les méthodes employées pour couper une trame déjà prête à se rompre ; car je suis dans mon vieil âge ; la goutte me cause des peines insupportables ; languissant à présent, presque mourant de ce mal et de beaucoup d'autres, parmi des sauvages, où je n'ai ni alimens ni remèdes pour mon corps, ni prêtres ni sacremens pour mon âme ; mes gens mutinés ; mion fils et tous mes amis malades, épuisés et mourans. Les Indiens m'ont aban- donné, et le gouverneur de Saint-Domingue a envoyé plutôt pour savoir si j'étais mort, ou pour m'enterrer vivant ici, que pour nous secourir ; car son bateau ne nous a point parlé, ne nous a point donné de lettres, et n'a voulu en recevoir aucune de nous : d'où je conclus que les officiers de Votre Majesté ont intention que mes voyages et ma vie finissent ici. O sainte Mère de Dieu, qui avez compassion des malheureux et des opprimés, pourquoi Bo- vadilla ne m'a-t-il p^is tué lorsqu'il nous dépouilla, mon frère et moi, do l'or qui nous avait coûté si cher, et nous envoya chargés de chaînes en Es- p'agne, sans jugement, sans délit, sans l'ombre même d'un crime ? Ces chaînes, hélas ! sont aujourd'hui mon seul tréjor, et elles seront enter- rées avec moi, si j'ai le bonheur d'avoir un cer- cueil ou un tombeau ; car je veux que le souvenir 76 THE FEENCH EEADER. d'une action si tragique et si injuste meure avec moi, et que, pour l'honneur du nom espagnol, elle soit à jamais oubliée. S'il en eût été ?Àn^-\) ô bien- heureuse Vierge ! Ovando ne nous aurait pas laissés, pendant dix à douze mois, près de périr par une méchanceté aussi grande que nos mal- heurs. Ah ! que cette nouvelle infamie ne souille pas encore le nom castillan, et puissent les siècles futurs ne jamais savoir qu'il y eut dans celui-ci des misérables assez viis pour croire se faire un mérite auprès de Ferdinand, en détruisant l'infortuné Co- lomb, non pour ses crimes, mais pour avoir décou- vert et donné à l'Espagne un nouveau nionde ! Ce fut vous, ô grand Dieu ! qui m'inspirâtes et m'y conduisîtes ! riiontrez-moi quelque pitic ; dai- gnez faire grâce à cette malheureuse entreprise ; que la terre entière, et que tout ce qui dan*:; l'univers aime la justice et l'humanité, pleure sur moi : et vous, saints Anges du ciel qui connaissez mon in- nocence, pardonnez au siècle présent, tro-) envieux et trop endurci pour me plaindre! Sûrem^'i^ ceux qui sont à naître pleureront un jour, lorsqu'on leur dira que Colomb uvec sa propre fortune, avec peu de frais, ou môme aucun de la part de la couronne, au hasard de sa vie et de celle de son frère, en vingt années et quatre voyages, a rendu He plus grands services à l'Espagne que jamais prince ou royaume n'en a reçu d'aucun homme ,* que cepen- THE FRENCH READER. 77 danf, sans l'accuser de moindre crime, on l'a laissé périr pauvre et misérable, après lui avoir tout en- levé, excepté ses chaînes ; de manière que celui qui a donné à l'Espagne un nouveau monde, n'a pu trouver, ni dans celui-ci, ni dans l'ancien, une chaumière pour sa misérable famille et pour lui. Mais si le Ciel doit me persécuter encore, et semble mécontent de ce que j'ai fait, comme si la découverte de ce nouveau monde devait être fatale à l'ancien ; s'il doit, par châtiment, mettre un terme, en ce lieu de misère, à ma malheureuse vie; vous, saints Anges, qui secourez l'innocent et l'op- primé, faites parvenir ce papier à mon illustre maî- tresse : elle sait combien j'ai souffert pour sa gloire et pour son service, et elle aura assez de justice et de piété pour rse pas souffrir que le frère et les enfans d'un homm»^' qui a donné à l'Espagne des richesses immenses, "et qui a ajouté à ses domaines de vastes empires et des royaumes inconnus, soient réduits à manquer de pain, ou à vivre d'au- mônes. Elle ^erra, si elle vit, que l'ingratitude et la cruauté provoqueront la colère céleste. Les richesses que j'ai découvertes appelleront tout le genre humain au pillage, et me susciteront des ven- geurs, et la nation un jour souffrira peut-être pour ks crimes que commettent aujourd'hui la méchan- ceté, l'ingratitude et l'envie. g2 78 THE FRENCH READER. 22. LE CONNETABLE DE BOURBON* ET BAYARD. (Il n'est jamais permis de prendre les armes contre sa patrie.) Le Connétable, N'est-ce point le pauvre Bayard que je vois, au pied de cet arbre, étendu sur l'herbe, et percé d'un grand coup ? Oui, c'est lui-même. Hélas ! je le plains. En voilà deux qui périssent aujourd'hui par nos armes, Vandenesse et lui. Ces deux Fran- çais étaient deux ornemens de leur nation par leur courage. Je sens que mon cœur est encore touché pour sa patrie. Mais avançons pour lui parler. Ah ! mon pauvre Bayard, c'est avec douleur que je te vois en cet état. Bayard» C'est avec douleur que j.e vous vois aussi. Le Connétable. Je comprends bien que tu es fâché de te voir dans mes mains par le sort de la guerre. Mais je * Ce prince, pour se venger des injustices de Fran- çois I., trahit la France et se mit au service de l'empe- reur Charles-Qnint. Il força les Français à sortir d'Italie, et c'est en les poursuivant qu'il rencontra Bayard, le chevalier sans peur et sans reproche, mourant au pied d'un arbre ; à la retraite de Romagnano, le 30 Avril, 1524. THE FRENCH READER. 79* ne veux point te traiter en prisonnier ; je te veux garder comme un bon ami, et prendre soin de ta guérison comme si tu étais mon propre frère, ainsi tu ne dois point être fâché de me voir. Bayard, Hé ! croyez-vous que je ne sois point fâché d'avoir obligation au plus grand ennemi de la France ? Ce n'est point de ma captivité ni de ma blessure que je suis en peine. Je meurs dans un moment ; la mort va me délivrer de vos mains. Le Connétable, Non, mon cher Bayard, j'espère que nos soins réussiront à te guérir. Bayard, < Ce n'est point là ce que je cherche, et je suis content de mourir. Le Connétable. Qu'as-tu donc ? est-ce que tu ne saurais te con- soler d'avoir été vaincu et fait prisonnier dans la retraite de Bonnivet ?* Ce n'est pas ta faute, c'est la sienne : les armes sont journalières.f Ta gloire * Mauvais général, que la faveur avait porté au com- mandement. f C'est-à-dire le vainqueur d'aujourd'hui peut être vaincu demain. 80 THE FRENCH READEB. est assez bien établie par tant de belles actions. Les impériaux ne pourront jamais oublier cette vigoureuse défense de Mézières contre eux.* Bayard* Pour moi, je ne puis jamais oublier que vous êtes ce grand connétable,f ce prince du plus noble sang qu'il y ait dans le monde, et qui travaille à déchirer de ses propres mains sa patrie et le roy- aume de ses ancêtres. Le Connétable. Quoi ! Bayard, je te loue, et tu me condamnes ! je te plains, et tu m'insultes ! Bayard, ^ Si vous me plaignez, je vous plains aussi, et je vous trouve bien plus à plaindre que moi : je sors de la vie sans tache. J'ai sacrifié la mienne à mon devoir ,* je meurs pour mon pays, pour mon roi, estimé des ennemis de la France, et regretté de tous les bons Français. Mon état est digne d'envie. * Bayard avait défendu la ville de Mézières trois se- maines contre toute l'armée de Charles-Quint jusqu'à ce que François I. vint faire lever le siège. I La dignité de connétable était la plus haute dignité militaire. THE FRENCH READER. 81 Le Connétable. Et moi, je suis victorieux d'un ennemi qui m'a outragé; je me \enge de lui; je le chasse du Milanais ; je fais sentir à toute la France combien elle est malheureuse de m'avoir perdu en me pous- sant à bout : appelles-tu cela être à plaindre ? Bayard, Oui, on est toujours à plaindre quand on agit contre son devoir ; il vaut mieux périr en combat- tant pour la patrie, que de la vaincre et de triom- pher d'elle. Ah ! quelle horrible gloire que celle de détruire son propre pays ! Le Connétable. Mais ma patrie a été ingrate après tant de ser- vices que je lui avais rendus. Madame* m'a fait traiter indignement. Le roi, par faiblesse pour elle, m'a fait une injustice énorme. En me dé- pouillant de mon bien, on a détaché de moi jus- qu'à mes domestiques. J'ai été contraint, pour sauver ma vie, de m'enfuir presque seul ; que vou- lais-tu que je fisse ? Bayard. Que vous souffrissiez toutes sortes de maux, plutôt que de manquer à la France et à la grandeur * La mère du roi, 6 82 THE FRENCH READER. de votre maison. Si la persécution était trop vio- lente, vous pouviez vous retirer; mais il valait mieux être pauvre, obscur, inutile à tout, que de prendre les armes contre nous. Votre gloire eût été au comble dans la pauvreté et dans le plus misérable exil. Le Connétable. Mais ne vois-tu pas que la vengeance s'est jointe à l'ambition pour me jeter dans cette ex^ trémité? J'ai voulu que le roi se repentit de m'a voir traité si mal. Bayard» Il fallait l'en faire repentir par une patience à toute épreuve, qui n'est pas moins la vertu d'un héros que le courage. Le Connétable* Mais le roi, étant si injuste et si aveuglé par sa mère, méritait-il que j'eusse de si grands égards pour lui ? Bayard, Si le roi ne le méritait pas, la France entière le méritait. La dignité même de la couronne, dont vous êtes un des héritiers, le méritait. Vous vous deviez à vous-même d'épargner la France, dont vous pouviez être un jour roi. THE FRENCH READER. 83 Le Connétable, Hé bien ! j'ai tort, je l'avoue ; mais ne sais-tu p'as combien les meilleurs cœurs ont de peine à ré- sister à leur ressentiment ? Bayard. Je le sais bien : mais le vrai courage consiste à résister. Si vous connaissez votre faute, hâtez- vous de la réparer. Pour moi, je meurs, et je vous trouve plus à plaindre dans vos prospérités que moi dans mes souffrances. Quand l'empereur ne vous tromperait pas, quand même il vous don- nerait sa sœur en mariage, et qu'il partagerait la France avec vous, il n'effacerait point la tache qui déshonore votre vie. Le connétable de Bourbon rebelle ! ah ! quelle honte ! Ecoutez Bayard mou- rant comme il a vécu, et ne cessant de dire la vérité. 23. MORT DE RABAUT-SAINT-ÊTIENNE.* Le plus vertueux de ces proscrits, l'un des * Fils de Paul Rabaut, pasteur de l'église réformée de Nimes, et pasteur protestant lui-même, né en 1743. Il fut nommé en 1789 député à l'Assemblée consti- tuante, dont il fut un des principaux orateurs. Nommé en 1792 membre de la troisième assemblée, dite la Con- vention, il fut enveloppé dans la chute du parti modéré, connu sous le nom de Girondins, et mis hors la loi le 31 Mai, 1793. Rabaut est l'auteur du morceau précédent. 84 THE FRENCH READER. hommes les plus éclairés de ce temps, Rabaut- Saint-Etienne, fatigué d'errer de tous côtés, était rentré dans Paris même, et y vivait caché chez un ami. Animée du plus tendre amour, sa femme veillait sur ses dangers. Elle sortait quelquefois. Elle rencontra un jour un des collègues de son mari, qui avait le plus concouru à la proscription des Girondins. Il avait beaucoup connu Rabaut : malgré la division des partis, il ne lui avait jamais montré d'inimitié personnelle. Madame Rabaut, épouvantée à l'aspect de cet homme, veut le fuir. Il j'aborde avec les traits et le langage de l'intérêt et de la douleur. Il veut, dit-il, protéger Rabaut dans sa retraite; il lui donnerait un asile jusque dans sa maison. Cet entretien est rapporté à Ra- baut. Il s'ouvre à l'espoir. Son cœur lui interdit la défiance. Pourquoi ne se découvrirait-il, pas à ce collègue compatissant? Il mettrait à l'abri de tout danger l'honnête famille qui lui donne l'hospitalité. Il fait connaître sa demeure au montagnard.* Une heure de la nuit est indiquée pour le recevoir. A cette même heure la porte est ouverte avec fracas. C'est lui ; ce monstre de perfidie est accompagné de gardes. Il vient arrêter le malheureux qui lui tendait les bras, et son frère Rabaut-Pommier. * Le parti exagéré et terroriste de la Convention la Montagne, de la place élevée où il siégeait. THE FRENCH READER. 85 Rabaut était hors la loi. Il ne fit que passer du tribunal à l'échafaud. Son hôte, son hôtesse, furent immolés après lui. Sa femme avait été seule épargnée par le traître ; dans son désespoir elle se donna la mort. Elle était simple et mo- deste ; elle était belle ; son esprit était éclairé ; elle était vertueuse.... Telle fut sa destinée ! 24. BONAPARTE APRÈS LA BATAILLE d'aRCOLE.* Après la conquête d'Arcole, l'infatigable Bona- parte parcourait le camp dans la nuit. Il aperçoit une sentinelle endormie ; il lui enlève doucement, et sans l'éveiller, son fusil, fait la faction à sa place, attend qu'on vienne le relever. Le soldat s'éveille enfin : quel est son trouble quand il aper- çoit son général dans cette attitude ! Il fait un cri : Bonaparte, je suis perdu ! — Rassure-toi, mon ami, lui répond le général ; après tant de fatigues, il est bien permis à un brave comme toi de s'endormir, mais une autre fois choisis mieux ton temps. * Gagnée par Napoléon Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, le 16 November, 1796. Bonaparte avait alors vingt-sept ans. 86 THE FRENCH READER. 25. LE GUACHO.* Les Pampas sont des plaines qui s'étendent de- puis le Rio de la Plata jusqu'aux Andes. On évalue la largeur de ses steppes du Nouveau- Monde à 350 ou 400 lieues. Elles abondent sur- tout en herbages et en chardons. Les sentiers qui les traversent sont à peine tracés ; elles sont cou- pées de marais, de fondrières et de sables. La population y est très clair-semée. Toutes les pro- priétés consistent en troupeaux de chevaux et de bœufs. Pourvu qu'il ait à sa disposition un che- val, un lasso (filet à nœuds coulans) et une paire d'éperons, l'infatigable Guaclio (c'est ainsi qu'on nomme l'habitant d'origine espagnole) ignore les privations. Il n'a d'autre boisson que de l'eau, * Il faut distinguer les Pampas des Llanos, qui sont plus au nord. THE FRENCH READER. 87 d'autre nourriture qu'une tranche de bœuf. Son seul plaisir est d'aller, sur un coursier rapide, à la chasse des chevaux sauvages, des taureaux ou des autruches. Infatigable dans ses courses, il passe la nuit en plein air, sans autre couverture que son manteau, sans autre lit que la housse de sa mon- ture, sans autre oreiller que le squelette d'une tête de cheval. Il vit de privations, mais son luxe est la liberté ; il ne connaît d'autre frein que celui de la lassitude ; il est heureux comme le sauvage ; dans ses forêts il commande en maître. " La grande plaine des Pampas, dit le capitaine Head, qui la parcourut à cheval, il y a peu d'an- nées, a 300 lieues de largeur, et la portion que j'en ai parcourue est divisée en trois régions. La première, à partir de Buénos-Ayres, est, sur une ligne de 100 lieues, couverte de trèfles et de char- dons ; la seconde est un herbage de 150 lieues d'étendue, et la troisième, qui touche aux Cordil- lères,* forme une immense forêt. " Quoique les sentiers qui traversent ces plaines soient, de loin en loin, occupés de chétives habita- tions, ces contrées conservent l'auguste empreinte des mains du Créateur, et l'on ne peut les parcou- rir sans une religieuse émotion. " Dans ces contrées, les rivières ne quittent ja- * Des Andes. 88 THE FRENCH READER. mais leur lit, et les produits du sol sont distribués d'une manière si admirable que, s'il se couvrait subitement de villages et de cités placés à des dis- tances convenables, leurs habitans n'auraient d'au- tre soin à prendre que de faire paître leurs trou- peaux, et de mettre en labour, sans aucune prépa- ration préalable, la portion de terrain nécessaire à leur subsistance. " Le Guacho est, dès son enfance, livré à lui- même, et on ne l'exerce qu'à sauter du haut du toit sur des peaux de taureau suspendues aux qua- tre coins par des courroies de cuir. A un an, il se traine nu sur la terre, et j'ai vu souvent des mères donner aux enfans de cet âge une dague pour jouet. Dès qu'il peut marcher, les jeux de son enfance le préparent aux travaux de l'âge viril. Avec des lacs de fil on lui apprend à attrapper des oiseaux ou des chiens. A quatre ans il monte à cheval avec une adresse étonnante, et il aide ses parens à conduire les bestiaux au pâturage. Dans l'adolescence le Guacho, sans craindre les trous que l'animal ap- pelé Biscacho * creuse à fleur de terre, s'élance ^ Les Biscachos, communs dans les Pampas, vivent, comme les lapins, dans des terriers qui rendent la route dangereuse pour les chevaux. A peine le soleil est-il couché, on les voit sortir de leurs trous,lesquels sont grou- pés comme les maisons d'un village. Ils sont presque THE FRENCH READER. 89 sur un coursier rapide à la chasse de l'autruche, du lion et du tigre.* Chaque jour il jette le lasso aux bêtes fauves et les conduit à sa hutte, ou bien il s'efforce à dompter les chevaux. Comme il se nourrit uniquement de bœuf et d'eau, sa constitu- tion s'endurcit aux plus rudes fatigues, et lui per- met de parcourir à cheval des distances incroya- bles. Fier d'une indépendance sans bornes, ses sentimens, sauvages comme sa vie, sont pourtant nobles et bons. " On accuse le Giiacho d'indolence ; il est vrai qu'en visitant sa hutte on le voit assis les bras croi- sés et le manteau espagnol sur l'épaule gauche ; que cette hutte ressemble à une tanière ; que sous le plus beau ciel il n'a ni légumes, ni fruits ; qu'au milieu des troupeaux il manque souvent de laitage, et qu'il n'a pas de pain. Mais, s'il n'a pas de luxe, il est sans besoins. Habitué à vivre en plein aussi gros que des blaireaux; leur tête est grisâtre et ressemble à celle du lapin ; seulement ils ont le poil du museau très-épais. Dans la journée deux petits font le guet à l'extrémité des terriers ; s'ils voient approcher un ennemi, après l'avoir observé quelque temps, ils prennent tout à coup un air menaçant et rentrent aussitôt dans leurs trous. * On sait que le lion et le tigre d'Amérique sont des animaux moins redoutables que le tigre et le lion pro- prement dits. H 2 90 THE FRENCH READER. air et à coucher sur la dure, il ne voit ce qu'il ga- gnerait à agrandir, à embellir sa cabane ; il aime le laitage, mais il préfère aller en chercher au lion que d'en trouver à sa porte : il pourrait faire des fromages et les vendre ; mais dès qu'il s'est muni d'une bonne selle et de bons éperons, il ne sait plus à quoi lui servirait l'argent. " Le caractère du Guacho est d'ailleurs recom- mandable, surtout par son hospitalité. Il accueille le voyageur avec une cordialité et une dignité qu'on serait loin d'attendre en voyant l'aspect misérable de sa hutte. Il est curieux de lui voir ôter son chapeau avec gravité et une certaine grace, à tous ceux qui viennent le voir dans une cabane sans croisées et dont l'entrée est bouchée par une peau de bœuf" D'innombrables troupeaux de chevaux sau- vages, issus des premiers animaux de cette espèce, amenés dans cette partie du Nouveau-Monde, errent dans les Pampas. Voici de quelle manière, au récit du capitaine Head, l'intrépide Guacho parvient à les dompter. " A l'une des postes, j'accompagnai les Gua- chos au parc plein de chevaux. L'un des Gva- chos, très-bien monté, y pénétra, jeta son lasso au cou d'un jeune cheval et l'attira à la porte. L'ani- mal eut à peine été entrainé au-dehors, qu'il cher- cha à s'échapper. Les postillons s'avancèrent THE FRENCH READER. 91 alors à pied et lui jetèrent leurs lacs aux quatre membres, et les retirant à la fois, ils l'abattirent si promptement qu'un instant je le crus mort. Aussitôt l'un d'eux sauta sur sa tête et lui coupa la crinière, tandis qu'un autre fit de même à la queue. Puis on lui mit un mors et un licou en cuir, et tandis qu'on le maintenait, l'écuyer chargé de le dompter, armé de longs éperons, lui mit une selle, dont il serra fortement les sangles et monta dessus. Aussitôt le cheval se prit à ruer et à bon- dir ; mais le cavalier tint ferme, piqua des deux, et l'animal prit son essor. Dans moins d'une heure on dompta ainsi douze chevaux ; chacun d'eux témoigna son impatience d'une manière dif- férente. Quand le Guaclio posait la selle, les uns poussaient d'affreux hennissemens, d'autres se couchaient sur elle, en se roulant. Ils rentrèrent enfin au parc, domptés ou plutôt épuisés de fatigue. Aussitôt ils furent rejoints par les autres chevaux, qui semblaient, par leurs hennissemens, s'apitoyer sur leur sort." Les Pampas sont encore habitées par des tribus d'Indiens, qui sont les ennemis irréconciliables des Guachos, " Les Indiens des Pampas passent leur vie à cheval, et bravent, dans une complete nudité, les rigueurs d'un climat brûlant en été et glacial en hiver. Ils forment plusieurs tribus nomades et in- 92 THE FRENCH READER. dépendantes, dont chacune est sous les ordres d'un cacique. Ces tribus indomptées s'arrêtent dans les cantons où le pacage est le plus fertile, et quand leurs chevaux l'ont dévoré, elles passent à un autre. Privés de pain, de fruits, de légumes, les Indiens se nourrissent de la chair de cheval, et leur seul genre de luxe est de teindre leur chevelure dans le sang. La guerre est leur seule occupation. Leur arme principale est une dague très-longue, qu'ils lancent avec beaucoup de dextérité.... Dès l'enfance on leur enseigne à braver la mort et les tortures qui les attendent, s'ils tombent vivans aux mains de leurs ennemis. " Ils croient cà un bon et à un mauvais génie, qu'ils invoquent tous les deux. Ils pensent qu'a- près leur mort ils passeront à une autre vie, consa- crée à boire et à chasser, et, quand la nuit ils par- courent la plaine la lance au poing, ils croient voir dans les constellations l'image de leurs aïeux, montés sur des chevaux plus légers que le vent et pursuivant l'autruche sur une plaine d'azur. Ils brûlent les morts et immolent sur leur tombe leurs meilleurs chevaux. " Ces sauvages, comme ceux de l'Amérique du Nord, aiment beaucoup les liqueurs fortes. Lors- qu'ils sont en paix avec les Espagnols, ils appor- tent dans la ville la plus voisine des peaux d'au- truches, des cuirs, etc., qu'ils échangent contre de THE FRENCH READER. 93 la coutellerie, des éperons, du sucre, de l'eau-de- vie, etc. A leur arrivée dans le lieu du marché, ils passent la journée à boire ; mais ils déposent auparavant leurs armes dans les mains de leur cacique,* prévoyant bien que l'orgie ne finira pas sans querelle; puis ils s'enivrent au point de ne plus y voir clair, et se battent et se déchirent à coups de dents." =^ Ou chef. 94 THE FRENCH READER. 26. LES OISEAUX DES ANDES AU PÉROU, SUR LES BORDS DU LAC ACULEO. âLJE^SS^-^fe»^- Après le déjeûner la partie faite d'aller visiter le lac Aculeo. Il nous fallut traverser pendant quel- que temps les sommets des basses Andes avant d'arriver au lac, qui se trouve situé au milieu des montagnes, position qui donne à cet immense bas- sin tant de grace et de majesté. Le calme et la limpidité des eaux, la douce solitude qui règne au loin, forment un heureux contraste avec les riches tableaux d'une nature sauvage. Les oiseaux n'étaient point effrayés de notre aspect ; ils se laissaient approcher à quelques pas ; ils nous fut facile de reconnaître les canards sau- vages, les cygnes, ainsi que le flamengo;* plu- * Ou flammant. THE FRENCH READER. 95 sieurs espèces nous étaient entièrement inconnues. Un bruit effrayant retentit tout-à-coup au-dessus de nos têtes ; c'était une troupe nombreuse de perro- quets qui traversaient les airs. Leur cri, qui n'avait rien d'harmonieux, épouvanta nos oreilles, mais en même temps leur plumage, enrichi des nuances les plus variées, brillait aux rayons du soleil. La nature n'offre aux yeux aucun pres- tige plus digne d'elle, aucune parure qui atteste mieux son luxe et la fécondité de sa création. Par- mi ces oiseaux je reconnus le flamengo, aux cou- leurs d'oeillet qui sont au-dessous de ses ailes. Le flamengo, cet oiseau si remarquable, et l'un des plus beaux de ces contrées, me rappela que je n'étais plus dans mon pays, et que je foulais le sol d'une terre étrangère. 27. LA CATARACTE DE NIAGARA.* Nous arrivâmes bientôt au bord de la cataracte, qui s'annonçait par d'affreux mugissemens. Elle est formée par la rivière Niagara, qui sort du lac Erié et se jette dans le lac Ontario ; sa hauteur per- pendiculaire est de cent quarante-quatre pieds : de- puis le lac Erié jusqu'au saut, le fleuve arrive tou- jours en déclinant par une pente rapide; et, au * On prétend que le bruit de cette cataracte se fait entendre à une distance de deux à trois lieues. 96 THE FRENCH READER. moment de la chute, c'est moins un fleuve qu'une mer, dont les torrens se pressent à la bouche béante d'un gouffre. La cataracte se divise en deux bran- ches, et se courbe en fer-à-cheval. — Entre les deux chutes s'avance une île, creusée en dessous, qui pend, avec tous ses arbres, sur le chaos des ondes. La masse du fleuve qui se précipite au midi, s'ar-^ rendit en un vaste cylindre, puis se déroule en nappe de neige, et brille au soleil de toutes les cou- leurs : celle qui tombe au levant, descend dans une ombre effrayante ; on dirait* une colonne d'eau du déluge. Mille arcs-en-ciel se courbent et se croisent sur l'abîme. L'onde, frappant le roc ébranlée, rejaillit en tourbillons d'écume qui s'élè- vent au-dessus des forêts, comme les fumées d'un vaste embrasement. Des pins, des noyers sau- vages, des rochers taillés en forme de fantômes, décorent la scène. Des aigles, entraînés par le courant d'air, descendent en tournoyant au fond du gouffre, et des carcajoux se suspendent par leurs longues queues au bout d'une branche abaissée, pour saisir dans l'abîme les cadavres brisés des élans et des ours. 28. LE MESCHACEBÉ OU MISSISSIPPI. Les deux rives du Meschacebé présentent le ta- bleau le plus extraordinaire. Sur le bord occidental, * Sous-entendu : que c'est. THE FEENCH READER. 97 des savannes se déroulent à perle de vue : leurs flots de verdure, en s'éloignant, semblent monter dans l'azur du ciel, où ils s'évanouissent. On voit dans ces prairies sans bornes, errer à l'aventure des troupeaux de trois ou quatre mille buffles sauvages. Quelquefois un bison, chargé d'années, fendant les flots à la nage, vient se coucher parmi les hautes herbes, dans une île du Meschacebé. Telle est la scène sur le bord occidental ; mais elle change tout-à-coup sur la rive opposée, et forme avec la première un admirable contraste. Suspendus sur le cours des ondes, groupés sur les rochers et sur les montagnes, dispersés dans les vallées, des arbres de toutes les formes, de toutes les couleurs, de tous les parfums, se mêlent, se croisent ensemble, montent dans les airs à des hauteurs qui fatiguent les regards. Les vignes sau- vages, les coloquintes,* s'entrelacent au pied de ces arbres, escaladent leurs rameaux, grimpent à l'extrémité des branches, s'élancent de l'érable au tulipier, en formant mille grottes, mille voûtes, mille portiques. Souvent, égarées d'arbre en arbre, ces lianes traversent des bras de rivières, sur lesquels elles jettent des ponts et des arches de fleurs. Du sein de ces massifs embaumés, le superbe magnolie relève son cône immobile : sur- * Espèce de citrouille, I 7 98 THE FRENCH READER. monté de ses larges roses blanches, il domine toute la forêt, et n'a d'autre rival que le palmier, qui balance légèrement auprès de lui ses éventails de verdure. Une multitude d'animaux, placés dans ces belles retraites par la main du Créateur, y répandent l'enchantement et la vie. De l'extrémité des avenues on aperçoit des ours enivrés de raisins, qui chancellent sur les branches des ormeaux ; des troupes de cariboux * se baignent dans un lac ; des écureuils noirs se jouent dans l'épaisseur des feuil- lages ; des oiseaux moqueurs, des colombes virgi- niennes de la grosseur d'un passereau, descendent sur les gazons rougis par les fraises ; des perro- quets verts, à tête jaune, des piverts empourprés, des cardinaux de feu grimpent en circulant au haut des cyprès ; des colibris étincellent sur le jasmin des Florides, et des serpens-oiseleurs sifflent sus- pendus aux dômes des bois, en s'y balançant comme des lianes. 29. RELIGION DES INDIENS DE l'aMÉRIQUE DU NORD.f Les notions religieuses des Potawatomis, tribu * Sorte de rennes. f Extrait de la relation d'un voyage fait à la source de la rivière de Saint-Pierre en 1823. THE FRENCH READER. 99 d'Indiens, qui habitent entre le Saint-Joseph, le Milwacke et la rivière des Illinois, sont d'une ex- trême simplicité. Ils croient à l'existence d'un seul Dieu qu'ils appellent Cachamanito, ou grand esprit. Ils reconnaissent aussi un mauvais génie, qu'ils nomment Matchamanito, ou l'être malfai- sant. Ils attribuent au grand esprit les vents chauds qui soufflent du sud, et au mauvais les vents froids et les tempêtes du nord. Le premier habite le pays du midi ; le second, les régions sep- tentrionales où le soleil ne brille jamais. Leurs prières s'adressent principalement au Matchama- nito, pour détourner sa colère. Ils ne pensent pas que leurs prières au malin esprit puissent déplaire au bon. En certains cas, quand ils sont affligés d'une maladie, ou quand ils y sont excités par un rêve, ils offrent à Cachamanito le sacrifice d'un animal vivant. Les Potawatomis croient à l'immortalité de l'âme. Pour se rendre à la grande prairie, lieu de récompenses et de délices, les âmes ont à traverser une large rivière sur laquelle est jeté un tronc d'ar- bre, en forme de pont. Ce tronc est constamment dans une telle agitation, que les âmes seules des hommes vertueux peuvent le traverser en sûreté, tandis que celles des méchans tombent dans l'eaq, où elles disparaissent pour toujours. 100 THE FRENCH READER. 30. MEXICO. Mexico est bien certainement la ville la plus régulière et la plus belle que j'aie vue de ma vie ; mais elle est située au milieu d'une grande plaine de l'aspect le plus triste. D'un côté est un marais fangeux; de l'autre, un terrain aride et couvert d'algues en putréfaction. Les rues de cette superbe ville, qui sont toutes tirées au cordeau et se coupant à angles droits, ont pour la plupart un mille (un tiers de lieue) à un mille et demi de longueur. Rien n'y borne la vue, ni ne la fixe désagréablement ; l'uniformité des façades, ainsi que celle des toits en terrasse, pré- sente une perspective dont le regard se détache avec peine. Mais les environs de Mexico, comme ceux des villes d'Espagne, sont encombrés de masures, de plâtras et d'immondices. Les maisons, en pierres de taille, ont deux ou trois étages, dont les fenêtres donnent toutes sur les balcons couverts de vases de fleurs et d'arbustes. On en voit aussi quelquefois sur les terrasses qui forment une promenade agréable ; mais assez ordi- nairement ces terrasses sont le séjour d'un gros chien, destiné à empêcher les voleurs de pénétrer par les balcons, dans l'intérieur. THE FRENCH READER. 101 31. LES CHINOIS. Les Chinois, de même que la plupart des peu- ples de l'Asie orientale, appartiennent à la race jaune ; ils sont d'assez grande taille, ils ont la figure large et carrée, les pommettes des joues saillantes, le front découvert, les yeux alongés, dis- posés obliquement, placés à fleur de tête, le nez petit, aplati à la racine, la bouche médiocre, les oreilles très-larges : ils ont peu de barbe, surtout ceux qui sont natifs des provinces méridionales ; leurs cheveux sont noirs, forts et épais. Leur teint est d'un brun clair ; les laboureurs, les ouv- riers et les hommes de peine sont très-basanés ; les gens aisés ont le teint plus clair et quelquefois fleuri. Pour obtenir de la considération, il faut être gras et replet, et pouvoir remplir un fauteuil bien large. i2 102 THE FRENCH READER. Les Chinois supposent que les talens et l'impor- tance d'un homme sont en raison de son embon- point. Un autre moyen d'obtenir des égards, c'est de laisser croître les ongles de la main gauche, surtout celui du petit doigt. Cela prouve que l'on n'exerce pas une profession manuelle pour vivre. Quelques particuliers ont les ongles longs de six pouces et même d'un pied. Les femmes ont les yeux étroits et alongés, un nez retroussé, mais peu saillant. D'ailleurs, elles ont la bouche petite et vermeille, la taille assez mince ; quelques-unes sont jolies et fort agréables. Dès l'âge le plus tendre toutes se fardent : elles serrent et relèvent sur le sommet de la tête leurs cheveux d'un noir de jais, et les chargent de gros bouquets de fleurs artificielles. Deux longues aiguilles d'argent, de cuivre ou de fer, suivant la condition de celles qui en font usage, se croisent obliquement sur le haut de leur tête. Les très- jeunes filles ont les cheveux épars ; lorsqu'elles deviennent nubiles, elles en font une tresse pen- dante ou relevée. Elles se peignent les sourcils en noir, et tracent au-dessous de la lèvre inférieure et au bout du menton, un rond d'un vermillon très- vif, de la grandeur (\\\a petit pain à cacheter. L'usage immodéré du fard produit son effet ordi- naire, il gâte la peau. Ce qui rend les Chinoises encore plus singu- THÉ FRENCH ÎIEADER. 103 lières aux yeux des Européens, c'est leur démarche chancelante, causée par la difformité de leurs pieds. Dès leur naissance, on enveloppe le pied de bande- lettes qui le serrent et le compriment, à l'exception du gros orteil, et Ton arrête ainsi sa croissance : il n'a guère quatre pouces de long, sur un pouce de large, et il se forme à la cheville une enflure con- sidérable ; une femme qui n'a pas le pied ainsi estropié, est méprisée. Les Chinois, depuis qu'ils sont sous la domina- tion des Tartares-Mandchoux, se rasent la tête, en conservant seulement sur le haut une touffe de che- veux qu'ils laissent croître et dont ils font une longue queue. La plupart des voyageurs se sont accordés à ne pas faire un grand éloge du caractère moral des Chinois ; mais en même temps ils attribuent les défauts de ce peuple à la nature de son gouverne- ment. Les Chinois sont doux, obligeans, paisi- bles, timides ; leur état social les a rendus indifîe- rens, insensibles et même cruels. Ils sont inté- ressés et enclins à tromper ; sous un extérieur grave et décent, ils savent cacher leur goût pour la débauche et le jeu. Humbles dans leurs discours, polis sans sincérité, ils masquent sous un dehors froid un caractère vindicatif; ils montrent peu d'élévation et peu de délicatesse dans leurs senti- mens. S'ils sont respectueux pour les morts, ils 104 THE FRENCH READER. n'ont pas beaucoup d'humanité pour les vivans. La seule chose qu'on ne puisse leur reprocher, c'est l'ivrognerie. L'empereur exerce le pouvoir le plus absolu ; il peut abroger les lois établies et en faire de nouvel- les. Le respect qu'on a pour lui, va jusqu'à l'ado- ration ; lui désobéir est un crime irrémissible ; il se montre rarement en public, et dans ces occa- sions, il est environné de la pompe la plus impo- sante : on se prosterne devant lui quand il passe. Il prend les titres de fils du Ciel et de seul gou- verneur du monde. Tout, à la Chine, est soumis à des lois invaria- bles ; le cérémonial même entre égaux est réglé ; tous les points en sont minutieusement observés. Une salutation ordinaire a des formes prescrites par le tribunal des cérémonies ; l'oubli d'une de ces formes de la part d'un simple particulier e^^t suivi de la bastonnade ; si le délinquant occupe un emploi, il est dégradé, ou suspendu de ses fonctions. THE FRENCH READER. 105 32. LES ARBRES. Les arbres sont, en général, d'autant plus forts et plus élevés que le sol, le climat et la situation où ils se trouvent, sont plus convenables à leur accroissement. Une certaine humidité, jointe à un degré de chaleur assez considérable, paraît être la circonstance la plus propre au développement des arbres : aussi est-ce dans les régions qui pré- sentent ces conditions qu'ils acquièrent la hauteur la plus grande. Les forêts de l'Amérique méri- dionale sont peuplées en général d'arbres qui, par leur port, leur taille élevée, la beauté de leur feuil- 106 THE FRENCH READER. lage et de leurs fleurs, l'emportent de beaucoup sur ceux de nos climats tempérés. Il est certains arbres qui n'acquièrent que par une longue suite d'années une hauteur et un di- amètre considérables : tels sont, par exemple, le chêne, l'orme, le cèdre. D'autres, au contraire, prennent un accroissement plus rapide dans un temps beaucoup plus court ; ce sont principale- ment ceux dont le bois est tendre et légf'^r^ comme les peupliers, les sapins, les acacias, etc. Enfin, il est certaines plantes qui se développent avec tant de rapidité, qu'on peut, en quelque sorte, suivre de l'œil les progrès de leur développement : Vagave^ est de ce nombre. Celte plan^-^, que j'ai vue tapissant hs rochers qui bordent la ^Mediterra née dans le golfe de Gênes, lorsqu'elle fleurit, dé- veloppe, dans l'espace de trente à quarante jours, souvent plus rapidement, une hampe c^A acquiert quelquefois trente pieds de hauteur. Croissant ainsi de près d'un pied par jour, ou conçoit qu'il serait en quelque façon possible que son développe- ment successif fût perceptible aux yeux de l'obser- vateur. En général, le plus grand accroissement en hau- teur que puissent acquérir les arbres de nos forêts est de cent vingt à cent trente pieds. En Amé- * Plante du genre Liliacé. THE FRENCH READER. 107 rique méridionale les palmiers et beaucoup d'autres arbres dépassent souvent cent cinquante pieds. La grosseur des arbres n'est pas moins variée que leur hauteur. Il en est qui acquièrent quelque- fois des dimensions monstrueuses. Nous ne par- lerons pas ici de ce châtaignier si renommé du mont Etna,* qui, au rapport de quelques voya- geurs, avait cent soixante pieds de circonférence, parce qu'on s'accorde à le considérer comme composé de plusieurs troncs soudés en un seul ; mais nous pouvons citer comme exemples bien avérés d'une grosseur énorme, les baobabs ob- servés par Adansonf aux îles du Cap-Vert, et dont quelques-uns présentaient quatre-vingt-dix pieds de circonférence. Dans nos climats on voit des chênes, des ormes, des tilleuls, des poiriers et des pommiers acquérir jusqu'à vingt-cinq et trente pieds de circonférence. Les arbres placés dans des terrains qui leur conviennen!:, dans une situation appropriée à leur nature, sont susceptibles de vivre pendant des siè- cles. Ainsi l'olivier peut exister pendant trois cents ans : le chêne environ six cents. Les cèdres du Liban paraissent en quelque sorte indestructibles. * Connu sous le nom de châtaignier aux cent chevaux, \ Célèbre botaniste français, auteur d'un Voyage au Sénégal, et mort en 1806. 108 THE FRENCH READER. D'après des calculs fort ingénieux, Adanson estinne que les baobabs pouvaient avoir environ six mille ans. 33. LE GRAND FIGUIER DES INDES. La manière dont cet arbre se propage, doit le faire considérer comme une des plus belles et des plus curieuses productions de la nature dans l'Inde. Indépendamment de la propriété qu'il a de former à lui seul un bocage entier, il en possède une autre qui lui est particulière, et qu'on ne rencontre, ni dans le règne animal, ni dans le règne végétal, celle de s'accroître continuellement sans être irré- vocablement sujet à l'inévitable loi de la destruc- tion. Des extrémités extérieures de chacune des branches qui sortent de son tronc principal, pous- sent d'abord à quelque distance du sol de petits jets infiniment tendres, et qui grossissent ensuite journellement, jusqu'au moment où, atteignant la terre, ils y prennent racine et deviennent bientôt un arbre qui suit à son tour la même marche pro- gressive. Il résulte de là qu'un seul figuier, s'étendant et se multipliant ainsi, de tous côtés, sans interruption, offre une seule cime, d'une éten- due prodigieuse, et qui semble posée sur un grand nombre de troncs, de différentes grosseurs, comme le serait la voûte d'un vaste édifice, soutenu par beaucoup de colonnes. THE FRENCH READER. 109 Il n'est point de promenades plus agréables, ni de retraites plus fraîches que celles que procure cette espèce de figuier. De larges feuilles, douces au toucher, et d'un vert tendre à la vue, au milieu desquelles brillent de petites figues, d'un rouge écarlat'^, donnent une ombre paisible et salutaire au vovctreur fatigué. Les Indcus ont la plus grande vénérçition pour cet arbre, et lui rendent, en quelque sorte, les honneurs divins. Les bramines^ ont grand soin d'en planter dans le voisinage de leurs temples, et aussitôt qu'ils les voient parvenus à un accroissement convenable, ils les érigent en bocage sacré, et y passent une partie des jours et des nuits, dans une religieuse solitude. Dans les villages où il n'y a point de temple, c'est sous un grand figuier qu'est placée l'image de Brama ;f et c'est là que le peuple se rend, soir et matin, pour adresser des prières et des sacrifices à cette di- vinité. Les branches de cet arbre merveilleux sont la demeure d'une infinité d'animaux qui s'y nourris- sent et s'y multiplient. On y remarque surtout des paons, des écureuils et des singes. On peut facilement se faire une idée du mouvement conti- nuel qu'y produit la nombreuse population de ces derniers. Rien de si divertissant que leurs mines * Pràfcres de l'Inde. t Le Dieu suprême. K IIQ THE FRENCH READER. grotesques, leur humeur fantasque, et le spectacle de la manière dont ils s'y prennent pour apprendre à leurs petits à devenir agiles, et à sauter adroite- ment de branche en branche. Ces leçons, qui sont accompagnées de caresses, quand l'élève est docile, et de coups, quand il est revêche, le con- duisent insensiblement à faire sans crainte les sauts les plus périlleux, et à acquérir cette adresse, cette vivacité et cette souplesse qui distinguent ces ani- maux. 34. LES INSECTES. Les insectes sont dépourvus de vertèbres; la respiration s'exécute par des trachées ; le corps et les membres sont articulés en dehors. Le corps des insectes se divise en tronc et en membres ; le tronc est composé de la tête, du corselet ou poi- trine, et de l'abdomen ; les membres sont les pattes et les ailes ; la tête porte, outre la bouche et les yeux, deux espèces de cornes articulées de forme très-variée, qu'on appelle antennes, La bouche est différemment conformée, suivant que les insectes se nourrissent d'alimens liquides ou de solides. Dans ceux qui font usage d'alimens solides, on remarque deux lèvres, une supérieure et l'autre in- férieure, qui closent l'orifice de la bouche dans l'état de repos ; puis deux mâchoires, une de chaque côté, qui se meuvent en travers ; la supérieure THE FRENCH READER. Ill porte le nom de mandibule^ l'inférieure est ordi- nairement munie d'appendices articulés (palpes,) qu'on croit destinés à l'organe du toucher; il en existe également à la lèvre inférieure. Parmi les insectes qui vivent de substances liquides, les uns ne font que pomper les sucs à la surface des corp^, et sont munis d'une trompe charnue formée d'un tube contractile, le plus sou- vent terminée par un disque qui fait l'office de ven- touse, ou bien d'une langue composée de plusieurs lames droites ou roulées en spirale.* Les autres sont forcés de piquer la peau des animaux ou l'écorce des plantes pour en tirer leur nourriture, et sont pourvus d'instrumens propres à cet usage. Cet appareil porte le nom de suçoir. Les yeux, le plus ordinairement au nombre de deux, sont placés sur les côtés de la tête ; ils sont immobiles, sans paupières, et taillés à facettes. Les araignées en ont jusqu'à huit. Le corselet est la partie du tronc située entre la tête et l'abdomen : il se compose, dans le plus grand nombre d'in- sectes, de trois anneaux ou segmens, dont chacun porte une paire de pattes. L'abdomen vient im- médiatement après : il n'est souvent attaché au corselet que par une partie étranglée, nommée pé- dicule. Les pattes sont toujours par paires symé- * Les papillons sont dans ce cas. 112 THE FRENCH READER. triques et au nombre de six dans la plupart des in- sectes ; quelques-uns en ont huit, et d'autres plu- sieurs centaines.*' Chez les insectes qui n'ont que six pattes, on distingue dans chaque patte, la hanche, la cuisse, la jambe, et enfin le tane, rare- ment composé de plus de cinq pièces ou articles. La patte est généralement terminée par des ongles ou des crochets différemment comormes, suivant le besoin des espèces, en pince, en griffe, ei serre, en tire-bourre, etc. Les ailes sont des mem.branes à l'aide desquelles les insectes s'appuient sur l'air et se transportent dans l'atmosphère. Il y a des insectes sans ailes, mais la plupart jouissent de la faculté de voler. Ces ailes sont au nombre de deux ou de quatre. Selon leurs organes locomo- teurs, les insectes peuvent exécuter des mouve- mens très-variés, marcher, sauter, na^er, voler; S(juvent la même espèce jouit de toutes ces facul- tés à la fois. Le système nerveux des insectes ressemble à celui des crustacés et à celui des vers ; il est com- posé d'un cordon nerveux qui s'étend dans toute la longueur du corps depuis la tête jusqu'à l'ex- trémité opposée. Le sens du goût et celui de l'odorat existent * Les mille-pieds. THE FRENCH READER. 113 bien certainement dans les insectes. Le goût réside probablement dans la bouche ou à l'entrée du tube digestif, comme chez la plupart des ani- maux. Mais, l'air étant le véhicule des odeurs, l'odorat doit avoir son siège dans la membrane qui tapisse les trachées. On peut présumer que les insectes perçoivent les sons, puisque la plupart en produisent quand il leur devient important de se manifester réciproquement leur existence ; mais on ignore quelle est la partie spécialement destinée à leur transmettre les ébranlemens de l'air. Tous les insectes parfaits, et même les larves, qui sont obligées d'aller chercher elles-mêmes leur nourriture, ont des yeux immobiles, dont la surface est taillée en facettes ou présente l'aspect d'un réseau ; chaque maille de ce réseau est une petite cornée que traverse la lumière, pour aller peindre les images sur la rétine ; cette disposition était né- cessaire pour suppléer à l'immobilité de l'organe de la vue. La surface du corps, quant au toucher, étant recouverte d'une peau dure et cornée, ce sens doit être peu développé chez les insectes ; on sup- pose que les antennes sont principalement les organes de cette perception. La reproduction des insectes n'a lieu qu'à l'épo- que de leur entier développement, leur sexe est toujours distinct, et la femelle, en général, est plus k2 8 114 THE FRENCH READER. grosse que le mâle. Dans quelques genres * il y a des individus qui n'ont point de sexe. Certains insectes naissent avec la forme qu'ils doivent conserver toute leur vie ; d'autres subissent des métamorphoses, c'est-à-dire qu'il se fait des changemens très-remarquables, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur du corps ; souvent même les habi- tudes et la manière de vivre changent tout-à-coup. L'insecte qui fournit la soie, par exemple, est ren- fermé et immobile dans un œuf, six mois environ ; il en sort sous la forme de larve ou d'une chenille à seize pattes, qui se nourrit de feuilles de mûrier ; après quatre changemens de peaux ou mues suc- cessives, il construit avec la soie une demeure, ap- pelée cocon, dans laquelle il se renferme pour quitter sa cinqi;ièn"ie peau et prendre une forme toute différente, qu'on appelle /eue, Jiyjnphe, ou chrysalide ; vingt jours environ après cette trans- formation, on voit sertir du cocon un petit insecte blanc à quatre ailes, qu'on nomme bombyx, 35. MÊME SUJET. Jetons les yeux sur ce que la nature a créé de plus faible, sur ce^: atomes animés, pour lesquels une fleur est un monde, et une goutte, un océan. Les plus brillans tableaux vont nous frapper d'ad- * Les fourmis et les abeilles. THE FRENCH READER. 115 miration. L'or, le saphir, le rubis ont été prodi- gués à des insectes invisibles. Les uns marchent le front orné de panaches, sonnent la trompette, et semblent armés pour la guerre ; d'autres portent des turbans enrichis de pierreries, leurs robes sont étincelantes d'azur et de pourpre. Ils ont de longues lunettes, comme pour découvrir leurs enne- mis, et des boucliers pour s'en défendre. Il en est qui exhalent le parfum des fleurs, et sont créés pour le plaisir. On les voit avec des ailes de gaze, des casques d'argent, des épieux noirs comme le fer, effleurer les ondes, voltiger dans les prairies, s'élancer dans les airs. Ici on exerce tous les arts, toutes les industries ; c'est un petit monde qui a ses tisserands, ses maçons, ses architectes. On y reconnaît les lois de l'équilibre et les formes savantes de la géométrie. Je vois parmi eux des voyageurs qui vont à la découverte, des pilotes qui, sans voile et sans boussole, voguent sur une goutte d'eau à la conquête d'un nouveau monde. Quel est le sage qui les éclaire, le savant qui les instruit, le héros qui les guide et les asservit ? Quel est le Lycurgue"^ qui a dicté des lois si parfaites 1 Quel est l'Orphée| qui leur enseigna les règles de l'har- monie? Ont-ils des conquérans qui les égorgent, et qu'ils couvrent de gloire? Se croient-ils les * Législateur de Sparte. f Ancien poète grec. 116 THE FRENCH READER. maîtres de l'univers, parce qu'ils rampent sur sa surface? Contemplons ces petits ménages, ces royaumes, ces républiques, ces hordes semblables à celles des Arabes : une mite va occuper cette pensée qui calcule la grandeur des astres, émou- voir ce cœur que rien ne peut remplir, étonner cette admiration accoutumée aux prodiges. Voici un insecte impur qui s'enveloppe d'un tissu de soie, et se repose sous une tente ; celui-ci s'empare d'une bulle d'air, s'enfonce au fond des eaux, et se promène dans son palais aérien. Il en est un au- tre qui se forme, avec un coquillage, une grotte flottante, qu'il couronne d'une tige de verdure. Une araignée tend sous le feuillage des filets d'or, de pourpre et d'azur, dont les reflets sont sembla- bles à ceux de l'arc-en-ciel. Mais quelle flamme brillante se répand tout-à-coup au milieu de cette multitude d'atomes animés? Ces richesses sont efl^acées par de nouvelles richesses. Voici des in- sectes à qui l'aurore semble avoir prodigué ses rayons les plus doux. Ce sont des flambeaux vivans qu'elle répand dans les prairies ; voyez cette mouche qui luit d'une clarté semblable à celle de la lune, elle porte avec elle le phare qui doit la guider. Tandis qu'elle s'élance dans les airs, un ver rampe au dessous d'elle ; vous croyez qu'il va disparaître dans l'ombre; tout-à-coup il se revêt de lumière comme un habitant du ciel ; il s'avance comme le fils des astres. THE FRENCH READER. IIT 36. LES roissoNs. Plus des deux tiers de la surface du globe sont couverts par les eaux de la mer : des parties con- sidérables des îles et des continens sont arrosées par des rivières de toutes les grandeurs, ou occu- pées par des lacs, des étangs et des marais, et cet empire des eaux qui surpasse si fort en étendue celui de la terre sèche, ne lui cède en rien quant au nombre et à la variété des êtres animés qui l'habitent. Dans les eaux, et surtout dans la mer, tout semble animé ; les animaux n'y vivent qu'aux dépens les uns des autres, ou de la mucosité et des autres détritus* des corps des animaux. C'est là * Débris et restes. 118 THE FRENCH READER. que le règne animal offre les extrêmes de la gran- deur et de la petitesse, depuis ces myriades de monades et d'autres espèces qui auraient été éternellement invisibles pour nous, sans le pouvoir merveilleux du microscope, jusqu'à ces baleines et ces cachalots, qui surpassent vingt fois les plus grands des quadrupèdes terrestres. Parmi les innombrables créatures qui peuplent et vivifient l'élément liquide, il n'en est point qui y dominent davantage, qui lui soient plus exclu- sivement propres, et qui s'y fassent plus remar- quer par leur nombre, leurs formes variées, leurs belles couleurs, et surtout par les avantages infinis que l'homme en retire, que ceux qui appartiennent à la classe des poissons. Ce sont des animaux vertébrés et à sang rouge, qui respirent par des branchies et par l'intermède de l'eau. Les poissons sont de tous les vertébrés ceux qui donnent le moins de signes apparens de sensi- bilité. Ils sont muets ou à peu près, et tous les sentimens que la voix réveille ou entretient, ont dû leur demeurer étrangers; leurs yeux comme im- mobiles, leur face osseuse et fixe, leurs membres sans inflexions et se mouvant tout d'une pièce, ne laissent aucun jeu à leur physionomie, aucune expression à leurs émotions : leur oreille, enfermée de toute part dans les os du crâne, sans conque THE FRENCH READER. 119 extérieure, sans limaçon à l'intérieur, composée seulement de quelques sacs et canaux membraneux, doit leur suffire à peine pour distinguer les sons les plus frappans, et aussi avaient-ils peu d'usage à faire du sens de l'ouïe, eux qui sont condamnés à vivre dans l'empire du silence, et autour des- quels tout se tait. Leur vue même, dans les pro- fondeurs où ils vivent, aurait peu d'exercice, si la plupart des espèces n'avaient, par la grandeur de leurs yeux, un moyen de suppléer à la faiblesse de la lumière ; mais dans celles-là même l'œil change à peine de direction ; encore moins peut-il changer ses dimensions et s'accommoder aux distances des objets : son iris ne se dilate ni ne se rétrécit, et sa pupille demeure la même à tous les degrés de lumière. Aucune larme n'arrose cet œil, aucune paupière ne l'essuie ou ne le protège ; il n'est plus dans le poisson qu'une faible image de cet organe si beau, si vif, si animé dans les classes supérieures- Ne pouvant se nourrir qu'en poursuivant à la nage une proie qui nage elle-même plus ou moins ra- pidement, n'ayant de moyens de la saisir que de l'engloutir, un sentiment délicat des saveurs leur aurait été inutile, si la nature le leur avait donné ; mais leur langue, presque immobile, souvent tout- à-fait osseuse ou cuirassée, nous montre du reste que l'organe est aussi émoussé que son peu d'usage devait nous le faire supposer^ L'odorat 120 THE FRENCH READER. même ne peut être aussi continuellement en exer- cice dans les poissons que dans les animaux qui respirent l'air, et qui ont sans cesse les narines traversées par les vapeurs odorantes. Enfin leur tact, presque annulé à la surface de leur corps par les écailles, et dans leurs membres par le défaut de flexibilité de leurs rayons et par la sécheresse des membranes qui les enveloppent, a été contraint de se réfugier au bout de leurs lèvres, qui même, dans quelques-uns, sont réduites à une dureté osseuse et insensible. Ainsi les sens extérieurs des poissons leur donnent peu d'impressions vives et nettes ; la nature qui les entoure ne doit les affecter que d'une manière confuse ; leurs plaisirs sont peu variés ; ils n'ont de souffrances à craindre du dehors que les douleurs produites par des blessures effectives. A quelques exceptions près, les poissons n'ont point de nid à construire, point de petits à nourrir et à défendre ; en un mot, jusque dans les der- niers détails leur économie tout entière contraste avec celle des oiseaux. THE FRENCH HEADER. 12X 37. LES OISEAUX. L'être aérien découvre nettement un horizon immense ; son ouïe subtile apprécie tous les sons, toutes les intonations ; sa voix les reproduit ; si son bec est dur, si son corps a dû être enveloppé d'un duvet qui le préservât du froid des hautes régions qu'il visite, il retrouve dans ses pattes toute la perfection du toucher le plus délicat. Il jouit de toutes les douceurs de l'amour conjugal et paternel ; il en remplit les devoirs avec courage : les époux se défendent, défendent leur progéniture; un art surprenant préside à la construction de leur demeure ; quand le temps est venu, ils y travail- lent ensemble et sans relâche : pendant que la mère couve ses œufs avec une constance si admi- rable, le père charme par ses chants les ennuis de s^ compagne. Dans Fesclavage même l'oiseau L 122 THE FRENCH READER. s'attache à son maître ; il se soumet à lui et exé- cute sous ses ordres les actes les plus adroits, les plus délicats : il chasse pour lui comme le chien, et il revient à sa voix du plus haut des airs ; il imite jusqu'à son langage, et ce n'est qu'avec peine que l'on se décide à lui refuser une sorte de raison. L'habitant des eaux, au contraire, ne s'attache point ; il n'a point de langage, point d'affection ; il ne sait ce que c'est que d'être époux et père, ni que de se préparer un abri : dans le danger il se cache sous les rochers de la mer, ou se précipite dans la profondeur des eaux ; sa vie est silencieuse et monotone ; sa voracité seule l'occupe, et ce n'est que pai" elle qu'on peut lui enseigner à diriger ses mouvemens par quelques signes venus du dehors. Et cependant ces êtres, à qui il a été ménagé si peu de jouissances, ont été ornés par la nature de tous les genres de beauté ; variété dans les formes, élégance dans les proportions, diversité et vivacité de couleur, rien ne leur manque pour attirer l'attention de l'homme, et il semble que ce soit cette attention que la nature a eu en effet le dessein d'exciter: l'éclat de tous les métaux, de toutes les pierres précieuses dont ils resplendissent, les couleurs de l'iris qui se brisent, se reflètent en bandes, en taches, en lignes onduleuses, angu- leuses et toujours régulières, symétriques, toujours THE FRENCH READER. 123 de nuances admirablement assorties ou contrastées, pour qui avaient-ils reçu tous ces dons, eux qui ne peuvent au plus que s'entrevoir dans ces profon- deurs, où la lumière a peine à pénétrer ; et quand ils se verraient, quel genre de plaisirs pourraient réveiller en eux de pareils rapports ? 38. LES REPTILES OU AMPHIBIES. On appelle reptiles les animaux vertébrés à sang rouge et froid, respirant par des poumons, n'ayant ni plumes ni poils. Il y a des espèces qui mar- chent ou qui rampent ; d'autres qui nagent, et quelques-uns qui volent, ou du m.oins qui peuvent se soutenir dans l'air pendant un certain temps. Ils vivent pour la plupart tour-à-tour dans Peau et sur la terre, ce qui leur a fait donner le nom d'am- phibies. Excepté les tortues, la plupart n'ont pas 124 THE FRENCH READER. de col bien distinct, et la poitrine n'est jamais séparée de l'abdomen par une cloison charnue ou un diaphragme. Parmi les reptiles qui ont une queue, il en est auxquels elle sert de main ou de nageoire. Il y a des amphibies qui ont deux pieds très-courts ; d'autres, qui en ont quatre, en forme de pattes ou de nageoires, comme les tortues, les lézards, les grenouilles. Des serpens n'ont pas du tout de membres. Le cerveau des reptiles est petit et leurs nerfs sont très-solides : ils ont cinq sens, mais aucun ne paraît bien parfait. Le toucher, par exemple, est en général très-peu développé, parce que leur peau est ordinairement recouverte d'ecailles ou de pla- ques cornées ; et quand elle est nue, comme chez les grenouilles, elle n'adhère pas au corps et le renferme comme dans un sac. Tantôt les yeux n'ont point de paupières ; souvent ils sont im- mobiles et couverts d'une espèce de corne ; tantôt on distingue trois paupières ; quelques espèces paraissent privés de la vue. L'oreille est dépour- vue de conques ; les narines sont peu étendues et leur odorat paraît faible, ainsi que l'organe du goût ; la plupart avalent leur proie sans la mâcher. Les reptiles sont ovipares. THE FRENCH READER. 125 39. LES SERPENS A SONNETTES. Un citoyen des États-Unis* donne les détails suivans sur ces fameux reptiles : " Le serpent à sonnettes a reçu de la nature une vue excellente, la faculté d'étendre ou de con- tracter presque toutes les parties de son corps, de rester engourdi pendant l'hiver, et de supporter les plus longs jeûnes. " Ces reptiles comptent principalement, pour leur nourriture, sur les écureuils gris, qui sont en si grand nombre dans nos forêts ; et pour atteindre des animaux aussi lestes, ils sont pourvus eux- mêmes d'une grande puissance de mouvement. Je fus un jour témoin d'une de ces chasses. Un écureuil gris sortit d'un buisson, courant de toute sa vitesse ; un serpent à sonnettes était à sa pour- suite. L'écureuil allait être saisi, lorsqu'il s'élança * M. Audubon, l2 126 THE FRENCH READER. sur un arbre et sauta de branche en branche ; le reptile suivit tous ses mouvemens. Les bonds de l'écureuil le dérobaient quelquefois à mes regards ; mais à la vue du serpent je devinais sur quelle branche était sa proie. Enfin, la terreur et la fa- tigue ôtèrent au pauvre animal tous les moyens de trouver un asile sur l'arbre où il était : d'un saut désespéré il s'élance sur le sol. Le serpent qui le suivait toujours des yeux, fut bientôt à terre, et ne laissa pas à l'écureuil le temps de gagner un autre arbre. Il saisit sa proie par la tête et l'en- veloppa tellement que je ne voyais plus aucune partie du corps de la victime, quoique j'entendisse ses cris. Au bout de quelques minutes le reptile se déroula et me laissa voir l'écureuil privé de vie. Il procéda ensuite à l'opération difficile de le dévorer, en commençant par la queue. Après avoir avalé tout le corps, le serpent offrait assez l'image d'une bourse dans laquelle on aurait mis un rouleau d'écus. Il fit quelques tentatives inutiles pour changer de place. Je le frappais d'une baguette sur la tête : alors il souleva la tête et la queue, et fit entendre pour la première fois le bruissement auquel il doit son nom. Je le tuai sans peine et l'ouvris.... " Le serpent à sonnettes se meut avec une très- grande vitesse sur la terre et sur les arbres. Il est aussi pourvu d'excellens yeux. Lorsqu'un bruit THE FRENCH READER. 127 soudain, dans l'herbe ou les feuilles sèches, m'avertit que je suis près d'un serpent à son- nettes, je reconnais presque toujours que cet ani- mal fuit un vautour ou un faucon, qu'il a vu dans les airs à une hauteur prodigieuse. Plusieurs fois je me suis mis en observation, afin de bien voir ce qui se passerait entre le serpent et l'oiseau. Le craintif animal se blottissait sous un buisson, sous une pierre, ne perdant point de vue son ennemi, jusqu'à ce que le danger fût passé. J'ai vu souvent ces reptiles épier des oiseaux sur les arbres, non pour leur faire le chasse, mais afin de profiter de leur absence pour visiter leurs nids et dévorer leurs petits. " On sait que la plupart des serpens nagent très-bien, et qu'ils peuvent rester long-temps sous i'eau ; mais ils ont aussi la faculté de poursuivre et de saisir leur proie dans cet élément. Ils font la chasse aux poissons et aux grenouilles. "Les serpens, comme les lézards et les alli- gators, s'engourdissent en hiver. Ils sont alors raides et durs comme du bois. J'ai souvent trouvé des serpens gelés et j'en ai conservé dans cet état pendant des semaines, des mois. La morsure de ces animaux est très-profonde ; les crochets (les dents) ne sont point arrêtés par les habits, ni même par un cuir épais. Le venin conserve long-temps ses fatales propriétés. Au centre de la Pensyl- 128 THE FRENCH READER. vanie, un fermier, travaillant dans les champs, fut mordu à la jambe, à travers sa botte, par un ser- pent à sonnettes, sans qu'il l'eût vu ni entendu. Il crut d'abord avoir été piqué par une épine, et n'y fit aucune attention. Mais en rentrant dans sa maison, de violentes douleurs d'estomac et des vomissemens convulsifs terminèrent sa vie au bout de quelques heures. Un an après cet événement, son fils aîné chaussa les bottes de son père et garda cette chaussure jusqu'au soir. En l'ôtant, il crut sentir une légère écorchure à sa jambe. Au bout de quelques heures des douleurs très- vives le réveillèrent, et la mort survint avant qu'on eût pu faire arriver du secours. Quelque temps après un des frères du défunt eut le même sort et de la même cause. L'événement fit du bruit : un médecin examina les bottes fatales et trouva dans l'une la pointe d'une dent de serpent à sonnettes, enfoncée dans le cuir. Pour s'assurer qu'elle avait été réellement la cause de ses accidens, il en piqua le museau d'un chien, et l'animal expira peu de temps après. "La chair de ces serpens est bonne à manger: leurs peaux tannées servaient autrefois à faire des chaussures. Ils peuvent supporter très-longtemps la privation totale d'alimens. J'ai soumis à cette épreuve un individu qui, enfermé dans une cage, supporta pendant trois ans le jeûne le plus absolu. THE FRENCH READER. 129 Au printemps de la première année de sa captivité il changea de peau, mais depuis je ne remarquai plus en lui aucun changement." 40. LE CROCODILE AMÉRICAIN. Un des animaux les plus remarquables de l'Amérique est l'alligator ou le caïman, assez semblable au crocodile de l'Afrique. On les rencontre surtout à l'embouchure des grands fleuves ; on en aperçoit des bandes sur les rivages fangeux, sur les troncs d'arbres fîottans, où ils viennent se chauffer au soleil, se reposer et dormir tandis que d'autres fendent les eaux dans tous les sens pour leur nourriture. La rivière Rouge, avant qu'elle reçût des bateaux à vapeur, était comme le rendez- vous général des alligators. On les voyait par centaines sur les bois fîottans ou échoués : dans ces troupes immenses, les petits 9 130 THE FRENCH READER. étaient ordinairement établis sur le dos des plus gros, et tous ensemble ne faisaient pas moins de vacarme que des milliers de taureaux acharnés au combat. A terre, l'alligator marche lentement et avec un air de nonchalance. Ses courtes jambes peuvent à peine soulever sa lourde masse ; sa queue pesante traîne dans la vase et y laisse la trace de son passage. L'animal vient à terre pour y cher- cher sa proie ou pour y déposer ses œufs, dans quelque lieu bien caché. Dès qu'il est un peu loin des eaux, il devient extrêmement craintif. On peut le tuer sans peine, en prenant la précaution de ne pas approcher de sa queue. La queue de l'alligator est son arme offensive et défensive ; la force musculaire de cette partie et la rapidité de ses mouvemens sont prodigieuses. Tout ce qui se rencontre dans l'espace que parcourt cette rapide massue, est brisé en un instant. En se tenant en face du plus formidable de ces animaux, et hors de la portée de sa queue, on pourrait l'assommer à coups de bâton, sans qu'il fut en état de se défendre. Une balle qui le frappe dans l'œil le fait mourir à l'instant ; frappé ailleurs, sa vie est extrêmement tenace. On leur fait la chasse plus que jamais depuis que leur huile est /employée comme celle de la baleine, pour les THE FRENCH READER. 131 machines à vapeur, dans les filatures et à l'éclair- age. Quand les forêts d'Amérique se parent des cou- leurs de l'automne, que les nuits deviennent froides, les alligators quittent les eaux et vont prendre leurs quartiers d'hiver sous des racines d'arbres, ou bien ils se couvrent d'une couche de terre ; ils s'engourdissent peu à peu et sont enfin tellement immobiles, qu'on peut les manier et monter dessus comme les enfans sur leurs chevaux de bois. Au commencement de Juin, la femelle fait son nid. Elle le place dans un fourré de ronces ou de roseaux; elle y transporte, avec sa gueule, des feuilles, des branchages, tous les débris qu'elle peut arracher, et quand cette œuvre est achevée, elle y pond une dizaine d'oeufs, qu'elle couvre soigneusement des mêmes matériaux que ceux du nid. Elle construit plusieurs nids de cette ma- nière, pond jusqu'à soixante œufs et plus. Une couche de terre humide est jetée par-dessus le tout, et de longues herbes bien tressées consolident tellement toute la structure, qu'on peut marcher dessus sans que les œufs en éprouvent aucun dommage. La mère ne quitte son nid que pour aller chercher sa subsistance : l'amour maternel redouble sa vigilance et son courage. Tous les œufs du même nid éclosent presque en même 182! THE FRENCH READER. temps ; dans l'espace de quelques heures la mèr^ a rassemblé sa nouvelle famille, et l'a conduite, non pas aux grands lacs, mais aux mares les moins fréquentées. Un alligator de douze pieds peut avoir cin- quante ans, et le colosse de dix-sept pieds, tué par l'auteur de cette relation et un de ses amis, de-*^ vait être centenaire. 41. LES NIDS DES OISEAUX. En lisant la description des nids, nous recon- naissons des oiseaux mineurs, maçons, charpen- tiers, tisserands et tailleurs. Les uns cherchent dans le sein de la terre une température plus égale et plus chaude pour leurs tendres œufs ; les autres leur maçonnent une chaumière : attendant avec patience que les petits fondemens de boue mêlée de paille soient bien secs, ils les resserrent, en y collant leur queue, et en les pressant de tout le ) THE FRENCH READER. 133 poids le leur petit corps, jusqu'à ce que la pre- miere couche de maçonnerie puisse, sans crouler, en supporter une seconde. Le pic des bois, à bec d'ivoire,* est le roi des oiseaux charpentiers ; l'écorce des bois les plus durs s'ouvre pour lui fournir sa nourriture, et dans l'aubier s'arrondit son nid. Dans les bas pays de la Caroline,! cet oiseau, pour y établir sa demeure, choisit le puissant cyprès des marais. Mâle et femelle, travaillant ensemble alternativement, s'y creusent une large cavité de deux à cinq pieds de profondeur et faite en tournant de telle sorte que le vent n'y puisse pénétrer. L'Écossais WilsonJ raconte qu'ayant pris une pic à bec d'ivoire et l'ayant enfermé dans une chambre d'auberge, il le trouva, après moins d'une heure d'absence, sur le point de percer le mur. " Grimpant le long de la fenêtre, dit-il, presque à la hauteur du plafond, il avait commencé à percer le mur. Le lit était couvert de larges morceaux de plâtre ; près de seize pouces carrés de latte étaient mis à découvert, et un trou, assez large pour y mettre le poing, était creusé dans la solive* Certainement il n'aurait pas fallu une heure de plus pour que l'oiseau eût ouvert sa route par là. * Pitus principalis, ] L'un des Etats-Unis. X Voyez la lettre d'un naturaliste, p. 33n. 134 THE FRENCH READER. Attachant alors une corde à son pied, je le liai solidement à la table. Je désirais le conserver en vie, et allai lui chercher une nourriture qui pût lui convenir. En redescendant, je l'entendis encore à l'ouvrage, et, en rentrant, j'eus la contrariété de trouver qu'il avait abîmé, en déchargeant sur elle sa colère, la table d'acajou à laquelle il était lié. Il me blessa assez fortement, à plusieurs reprises, pendant que je le dessinais, et déploya tant d'au- dace, un si indomptable courage, que je fus fré- quemment tenté de le rendre à ses forêts natales. Il passa avec moi près de trois jours, refusant toute nourriture, et je le vis mourir à regret." Parmi les oiseaux fabricans de paniers, il faut distinguer le haya^ espèce de moineau que l'on trouve dans l'Indoustan, et qui se distingue par la beauté de son plumage et sa sagacité à faire son nid ; il le tresse fort habilement avec de longs brins d'herbe, dans la forme des bouteilles à large ventre et à cols étroits dont se servent les chimistes, et il le suspend, par le bout le plus mince, à l'ex- trémité d'une branche assez forte seulement pour soutenir le poids de la petite habitation et de ses hôtes, garantis ainsi des attaques des serpens, des écureuils et des oiseaux de proie. Ces nids ont plusieurs divisions ; ce sont des appartemens com- plets. Dans l'un la femelle couve ; l'autre, con- sistant en un petit toit de chaume, abrite une courte THE FRENCH READER. 135 perche horizontale, sur laquelle le mâle se perche à l'abri de la pluie, gardant son nid, balancé par le vent au bout d'un fil léger, et amusant sa famille par ses joyeux gazouillemens. On voit des cen- taines de ces petits paniers suspendus au même arbre. Les moineaux des haies, la bergeronnette, la rouge -gorge, la linotte, sont tisserands et bordent leurs nids d'une trame ouvrée en cheveux, et d'une grande épaisseur ; mais l'étourneau de Baltimore est plus habile ouvrier : il fabrique une espèce de feutre, dont il forme une poche de six à sept pieds de longueur qu'il fourre de ce qu'il peut trouver de plus doux, et termine avec une couche de crin. Le lit douillet est abrité par un dais naturel ou parasol de feuilles ; car, comme la demeure du baya, il est attaché à l'extrémité d'un léger rameau. Dans la saison où le baltimore fait son nid, les femmes sont obligées de veiller sur le fil ou le coton qu'elles mettent blanchir dehors, car l'oiseau en dérobe souvent une grande quantité. Le loxia du Bengale, très-commun dans l'Inde, tisse avec des brins de gazon un nid semblable au drap, en forme de bouteille, l'attache fortement aux branches élevées du haut figuier des Indes ou du palmier, au-dessus des fraîches émana- tions d'un puits ou d'un ruisseau murmurant, ex- posé de façon à ce que les vents le balancent, et il 186 THE FRENCH READER. place l'entrée au-dessous pour mettre la couvée à l'abri des oiseaux de proie. Ce nid, qui renferme deux ou trois pièces séparées, il l'éclairé la nuit avec un ver luisant ; il attrape l'insecte vivant et le colle, le fixe aux parois de son petit palais avec un peu de terre humide et grasse. L'oiseau4ailleur, plus petit que notre roitelet et vivant dans l'Inde, coud, en se servant de son bec comme d'une aiguille, une feuille morte et une vivace, et y attache son léger nid de duvet. D'au- tres oiseaux foulent le feutre de leurs nids ; d'au- tres encore les fabriquent en pâtes succulentes, dé- lices de la Chine, et l'un des revenus les plus con- sidérables de l'île de Java. 42. l'oiseau-mouche. De tous les êtres animés, voici le plus élégant pour la forme, et le plus brillant pour les couleurs. Les pierres et les métaux polis par notre art ne sont pas comparables à ce bijou de la nature : elle l'a placé dans l'ordre des oiseaux au dernier degré de l'échelle de grandeur ; son chef-d'œuvre est le petit oiseau-mouche ; elle l'a comblé de tous les THE FRENCH READER. 137 dons qu'elle n'a fait que partager aux autres oiseaux : légèreté, rapidité, prestesse, grâce et riche parure, tout appartient à ce petit favori. L'éme- raude, le rubis, la topaze brillent sur ses habits ; il ne les souille jamais de la poussière de la terre ; et, dans sa vie tout aérienne, on le voit à peine toucher le gazon par instans : il est toujours en l'air, volant de fleurs en fleurs ; il a leur fraîcheur, comme il a leur éclat; il vit de leur nectar, et n'habite que les climats où sans cesse elles se renouvellent. C'est dans les contrées les plus chaudes du Nouveau-Monde, que se trouvent toutes les espèces d'oiseaux-mouches ; elles sont assez nombreuses, et paraissent confinées entre les deux tropiques : car ceux qui s'avancent en été dans les zones tempé- rées, n'y font qu'un court séjour : ils semblent suivre le soleil, s'avancer, se retirer avec lui, et voler sur l'aile des zéphyrs à la suite d'un prin- temps éternel. Les Indiens, frappés de l'éclat et du feu que rendent les couleurs de ces brillans oiseaux, leur avaient donné les noms de rayons ou cheveux du soleil. Pour le volume, les petites espèces de ces oiseaux sont au dessous de la grande mouche asile* pour la grandeur, et du bourdon pour la * Vulgairement appelée le taon. m2 138 THE FRENCH READER. grosseur. Leur bec est une aiguille fine, et leur langue un fil délié ; leurs petits yeux noirs ne paraissent que deux points brillans; les plumes de leurs ailes sont si délicates, qu'elles en paraissent transparentes. A peine aperçoit-on leurs pieds, tants ils sont courts et menus : ils en font peu d'usage, et ils ne se posent que pour passer la nuit, et se laissent, pendant le jour, emporter dans les airs; leur vol est continu, bourdonnant et rapide: on compare le bruit de leurs ailes à celui d'un rouet. Leur battement est si vif, que l'oiseau, s'arrêtant dans les airs, paraît non-seulement im- mobile, mais tout-à-fait sans action. On le voit s'arrêter ainsi quelques instans devant une fieur, et partir comme un trait pour aller à une autre ; il les visite toutes, plongeant sa petite langue dans leur sein, les flattant de ses ailes, sans jamais s'y fixer, niais aussi sans les quitter jamais. Cet amant léger des fleurs vit à leurs dépens sans les flétrir; il ne fait que pomper leur miel, et c'est à cet usage que sa langue paraît uniquement destinée : elle est composée de deux fibres creuses, formant un petit canal, divisé au bout en deux filets ; elle a la forme d'une trompe, dont elle fait les fonctions : l'oiseau la darde hors de son bec, et la plonge jus- qu'au fond du calice des fleurs pour en tirer les sucs. Rien n'égale la vivacité de ces petits oiseaux, si THE FRENCH READER. 139 ce n'est leur courage, ou plutôt leur audace. On les voit poursuivre avec furie des oiseaux vingt fois plus gros qu'eux, s'attacher à leurs corps, et, se laissant emporter par leur vol, les becqueter à coups redoublés jusqu'à ce qu'ils aient assouvi leur petite colère. Quelquefois même ils se livrent entre eux de très-vifs combats : l'impatience paraît être leur âme ; s'ils s'approchent l'une fleur, et qu'ils la trouvent fanée, ils lui arrachent les pétales avec une précipitation qui marque leur dépit. Ils n'ont d'autre voix qu'un petit cri fréquent et répété ; ils le font entendre dans les bois dés l'aurore jusqu'à ce qu'aux premiers rayons du soleil tous prennent l'essor, et se dispersent dans les campagnes. 140 the french reader. 43. l'aigle chauve. Ce noble oiseau, le plus beau de son genre dans cette partie du monde,* habite les deux continens et sous toutes les latitudes, depuis les régions po- laires jusqu'à l'équateur. Il fréquente les bords de la mer, des lacs et des grands fleuves, et vit aux dépens des habitans des eaux, aussi bien que do ceux de la terre. Doué d'une grande puissance de vol, il s'élève jusqu'à la région des tempêtes, brave leur furie, et ne redoute que l'homme. Du haut des airs, son regard perçant explore une im- mense étendue de forêts, de champs, de lacs, ou les plages de l'Océan. Indifférent aux tempéra- tures extrêmes, il passe, en quelques minutes, du froid des plus hautes régions de l'atmosphère aux chaleurs de la zone torride. Les saisons ne l'obli- * Amérique du nord. THE FRENCH READER. 141 gent point à changer de climat, ni à quitter les lieux qu'il a choisis ; mais comme il préfère le poisson à toute autre nourriture, c'est près des grands amas d'eaux qu'il établit sa demeure. La manière dont cet aigle parvient à se procurer son aliment de prédilection, manifeste à la fois ses bonnes qualités et ses vices ; on y reconnaît la patience et l'habileté de l'observateur, la fierté et l'audace du guerrier, la cruelle inflexibilité du tyran. Penché sur une branche morte, au sommet de quelque arbre gigantesque, il observe, avec une immobilité qui ressemble à de l'indifférence, les mouvemens des diverses troupes d'oiseaux, tandis que les mouettes, au plumage argenté, planent lentement dans les airs ; que les grues silencieuses et vigilantes marchent avec gravité sur le sable; que les canards se reposent sur les flots ; que les bruyantes corneilles exécutent leurs évolutions dans l'air, en redoublant leurs cris. Mais un spec- tacle plus intéressant vient frapper ses regards : le balbuzard a déployé ses grandes ailes ; suspendu au-dessus des flots où il a choisi sa proie, il se dis- pose à la ravir. L'aigle le voit, son œil s'allume son corps frémit sur la branche; ses ailes s'en tr'ouvrent ; le combat va commencer. Le bal buzard s'est élancé avec la rapidité d'une flèche ; il plonge un instant, et le choc de ses ailes a fait jaillir l'écume : l'aigle saisit le moment où, chargé 142 THE FRENCH READER. d'un gros poisson dent les mouvement le fatiguent, l'oiseau pêcheur remonte paisiblement dans les airs, en célébrant, par des cris, son inlructueuse victoire. L'aigle l'atteint, l'attaque, et c'coC alors qu'il faut voir l'intrépidité et les manœuvres habiles des deux combattans. Mais l'aigle, que rien n'embarrasse, n'a pas de peine à triompher d'un ennemi chargé de butin ; le balbuzard pousse un cri de désespoir ; son fardeau lui échappe ; le vainqueur, toujours avisé, toujours maître de ses mouvemens, a reconnu d'un coup d'œil ce qu'il faut faire : l'impétuosité de son vol agite l'air en tourbillons; il atteint le poisson avant qu'il ait touché le flot, l'emporte dans ses serres, et va faire dans les bois, ou dans quelque autre lieu soli- taire, un repas qui est plutôt le fruit du brigan- dage, que le prix de la valeur. 44. l'oiseau MOaUEUR DES ÉTATS-UNIS. Le plumage du moqueur n'a rien qui le fasse remarquer ; mais la forme de cet oiseau ne manque THE FRENCH READERi 143 point de graces. Ses mouvemens faciles, élégans et rap' les, le fea de ses yeux, l'intelligence qu'ils expriirent si bien lorsque cet habile imitateur écoute ou répète les leçons qu'il reçoit de toutes les tribus emplumées, sont l'étonnant caractère de son espèce. A toutes ces qualités il joint une voix flexible et sonore, susceptible de toutes les modifications, capable de rendre toutes les nuances de sons, depuis les modulations douces et tendres de la grive des bois, jusqu'aux cris rauques et sau- vages ce Vaigle chauve. Le moqueur saisit, avec une extrême justesse, la mesure et l'accent de ses modèles ; mais il les surpasse par la douceur et l'expression que son bel organe sait donner aux chants qu'il imite. Dès le matin, les chantres ailés font retentir les forêts de leurs difierens ramages : perché sur une jeune arbre ou sur un buisson de son bosquet natal, le moqueur fait dominer ses chants, com.me un virtuose dans un concert ; il semble que les autres oiseaux ne soient là que pour l'accom- pagner. Son talent ne se borne pas à l'imitation : son chant naturel est à la fois brillant et mélo- dieux ; mais il l'interrompt souvent pour se hvrer à ses caprices d'imitation, et il le reprend ensuite ; cet exercice ne dure pas moins d'une demi-heure, quelquefois une heure s'écoule avant que le chan- teur se taise. Pendant ce t^^mps, ses ailes éten- dues, sa queue tachetée de blanc, ses mouvemens 144 THE FRENCH READER. gais et vifs, ne plaisent pas moins aux yeux que l'éclat et la douceur de ses modulations ne char- ment l'oreille. On le voit pirouetter, comme dans le délire de l'enthousiasme, monter ou descendre^ suivant les inflexions de sa voix. Un aveugle qui l'écouterait, imaginerait que les oiseaux de toutes les espèces se sont réunis pour se disputer le prix du chant. Son imitation est si parfaite qu'elle trompe, non-seulement le chasseur et le chercheur d'oiseaux, mais les oiseaux eux-mêmes, qui ne manquent point d'accourir dès qu'ils entendent cette voix mensongère, pour s'assurer si c'est une invitation, un cri d'appel. D'autres fois, saisis d'épouvante, ils se réfugient dans l'épaisseur des buissons ; c'est le moqueur qui a causé cette alarme, en imitant le cri du faucon. 45. LA FAUVETTE. Le triste hiver, saison de mort, est le temps à\> sommeil ou plutôt de la torpeur de la nature; les insectes sans vie, les reptiles sans mouvement, les végétaux sans verdure et sans accroissement, tous les habita ns de l'air détruits ou relégués, ceux des eaux renfermés dans des prisons de glace, et la plupart des animaux terrestres confinés dans les cavernes, les antres et les territ3rs, tout nous pré- sente les images de la langueur et de la dcpopula- THE FRENCH READER. 145 tion ; mais le retour des oiseaux au printemps est le premier signal et la douce annonce du réveil de la nature vivante, et les feuillages renaissans et les bocages revêtus de leur nouvelle parure, semble- raient moins frais et moins touchans sans les nou- veaux hôtes qui viennent les animer. De ces hôtes des bois, les fauvettes sont les plus nombreuses, comme les plus aimables; vives, agiles, légères et sans cesse remuées, tous leurs mouvemens ont Pair du sentiment, tous leurs accens, le ton de la joie, et tous leurs jeux, l'in- térêt de l'amour. Ces jolis oiseaux arrivent au moment où les arbres développent leurs feuilles et commencent à laisser épanouir leurs fleurs ; ils se dispersent dans toute l'étendue de nos campagnes : les uns viennent habiter nos jardins ; d'autres préfèrent les avenues et les bosquets ; plusieurs espèces s'enfoncent dans les grands bois, et quel- ques-unes se cachent au milieu des roseaux. Ainsi les fauvettes remplissent tous les lieux de la terre, et les animent par les mouvemens et les accens de leur tendre gaieté. La fauvette à tête noire est de toutes les fau- vettes celle qui a le chant le plus agréable et le plus continu ; il tient un peu de celui du rossignol, et l'on en jouit plus long-temps ; car plusieurs semaines après que ce chantre du printemps s'est tu, l'on entend les bois résonner partout du chant N 10 146 THE FRENCH READER. de ces fauvettes: leur voix est facile, pure ei légère, et leur chant s'exprime par une suite de modulations peu étendues, mais agréables, flexi- bles et nuancées. Ce chant semble tenir de la fraîcheur des lieux où il se fait entendre: il en peint la tranquillité, il en exprime m.ême le bon- heur; car les cœurs sensibles n'entendent pas sans une douce émotion les accens inspirés par la nature aux êtres qu'elle rend heureux. 46. l'hirondelle. Le vol est l'état naturel, je dirais presque l'état nécessaire de l'hirondelle. Elle mange en volant, elle boit en volant, se baigne en volant, et quel- quefois donne à manger à ses petits en volant...» Elle sent que l'air est son domaine ; elle en par- court toutes les dimensions et dans tous les sens, comme pour en jouir dans tous les détails, et le plaisir de cette jouissance se marque par de petits cris de gaieté. Tantôt elle donne la chasse aux insectes voltigeans, et suit avec une agilité souple THE FKENCH READER. 147 ^eur trace oblique et tortueuse; tantôt elle rase légèrement la surface de la terre, pour saisir ceux que la pluie ou la fraîcheur y rassemble ; tantôt elle échappe elle-même à l'impétuosité de l'oiseau de proie par la flexibilité preste de ses mouve- mens ; toujours maîtresse de son vol dans sa plus grande vitesse, elle en change à tout instant la direction ; elle semble décrire au milieu des airs un dédale mobile et fugitif, dont les routes se croi- sent, s'entrelacent, se fuient, se rapprochent, se heurtent, se roulent, montent, descendent, se per- dent et reparaissent pour se croiser, se rebrouiller encore en mille manières, et dont le plan, trop compliqué pour être représenté aux yeux par l'art du dessin, peut à peine être indiqué à l'imagina- tion par le pinceau de la parole. 148 THE FRENCH READER. 47. LE PAON. Si l'empire appartenait à la beauté et non à la force, le paon serait, sans contredit, le roi des oiseaux ; il n'en est point sur qui la nature ait versé ses trésors avec plus de profusion : la taille grande, le port imposant, la démarche fiére, la figure noble, les proportions du corps élégantes et sveltes, tout ce qui annonce un être de distinction lui a été donné; une aigrette mobile et légère, peinte des plus riches couleurs, orne sa tête, et l'élève sans la charger ; son incomparable plumage semble réunir tout ce qui flatte nos yeux dans le coloris tendre et frais des plus belles fleurs, tout ce qui les éblouit dans les reflets pétillans des pierre- ries, tout ce qui les étonne dans l'éclat majestueux de l'arc-en-ciel : non-seulement la nature a réuni sur le plumage du paon toutes les couleurs du ciel THE FRENCH READER. 149 et de la terre, pour en faire le chef-d'œuvre de sa magnificence ; elle les a encore mêlées, assorties, nuancées, fondues de son inimitable pinceau, et en a fait un tableau unique, où elles tirent de leur mé- lange avec des nuances plus sombres et de leurs oppositions entre elles, un nouveau lustre, et des effets de lumière si sublimes, que notre art ne peut ni les imiter ni les décrire. Mais' ces plumes brillantes, qui surpassent en éclat les plus belles couleurs, se flétrissent aussi comme elles, et tombent chaque année ; le paon, comme s'il sentait la honte de sa perte, craint de se faire voir dans cet état humiliant, et cherche les retraites les plus sombres pour s'y cacher à tous les yeux, jusqu'à ce qu'un nouveau printemps, lui rendant sa parure accoutumée, le ramène sur la scène pour y jouir des hommages dus à la beauté : car on prétend qu'il en jouit en effet; qu'il est sensible à l'admiration ; que le vrai moyen de l'engager à étaler ses belles plumes, c'est de lui donner des regards d'attention et des louanges, et qu'au contraire, lorsqu'on paraît le regarder froide- ment et sans beaucoup d'intérêt, il replie tous ses trésors : et les cache à qui ne sait point les ad- mirer. n2 150 THE FRENCH READER. 48. LA POULE ET SES POUSSINS. ^1»*.^ Cette mère qui a montré tant d'ardeur pour cou- ver, qui a couvé avec tant d'assiduité, qui a soigné avec tant d'intérêt des êtres qui n'existaient point encore pour elle, ne se refroidit pas lorsque ses poussins sont éclos ; son attachement, fortifié par la vue de ces petits êtres qui lui doivent la nais- sance, s'accroit encore tous les jours par les nou- veaux soins qu'exige leur faiblesse: sans cesse occupée d'eux, elle ne cherche de la nourriture que pour eux ; si elle n'en trouve point, elle gratte la terre avec ses ongles pour lui arracher les alimens qu'elle recèle dans son sein, et elle s'en prive en leur faveur ; elle les rappelle lorsqu'ils s'égarent, les met sous ses ailes à l'abri des intempéries, et les couve une seconde fois ; elle se livre à ces ten- dres soins avec tant d'ardeur et de souci, que sa THE FRENCH READER. 151 constitution en est sensiblement altérée, et qu'il est facile de distinguer de toute autre poule une mère qui mène ses petits, soit à ses plumes héris- sées et à ses ailes traînantes, soit au son enroué de sa voix, et à ses différentes inflexions toutes ex- pressives, et ayant toutes une forte empreinte de sollicitude et d'affection maternelle. Mais si elle s'oublie elle-même pour conserver ses petits, elle s'expose à tout pour les défendre : parait-il un épervier dans l'air, cette mère si faible, si timide, et qui, en toute autre circonstance, cher- cherait son salut dans la fuite, devient intrépide par tendresse : elle s'élance au-devant de la serre redoutable, et, par ses cris redoublés, ses batte- mens d'ailes et son audace, elle en impose souvent à l'oiseau carnassier, qui, rebuté d'une résistance imprévue, s'éloigne et va chercher une proie plus facile. Elle parait avoir toutes les qualités du bon cœur ; mais ce qui ne fait pas autant d'honneur au surplus de son instinct, c'est que, si par hasard on lui a donné à couver des œufs de cane ou de tout autre oiseau de rivière, son affection n'est pas moindre pour ces étrangers qu'elle le serait pour ses propres poussins : elle ne voit pas que'elle n'est que leur nourrice ou leur hojine, et non pas leur mère ; et lorsqu'ils vont, guidés par la nature, s'ébattre ou se plonger dans la rivière voisine, c'est un spectacle singulier de voir la surprise, les 152 THE FRENCH READER. inquiétudes, les transes de cette pauvre nourrice, qui se croit encore mère, et qui, pressée du désir de les suivre au milieu des eaux, mais retenue par une répugnance invincible pour cet élément, s'agite, incertaine sur le rivage, tremble et se désole, voyant toute sa couvée dans un péril évi- dent, sans oser lui donner du secours. 49. MŒURS DES DINDONS SAUVAGES.* Lorsqu'une troupe de ces oiseaux veut entre- prendre le passage d'une large rivière, ils choisis- sent le point le plus élevé et le plus rapproché du bord. Ils restent fort longtemps dans cette station, quelquefois tout un jour, et plus encore ; la pas- sage dangereux qu'ils vont tenter ne peut être * En Amérique. THE FRENCH READER. 153 entrepris qu'après de mûres délibérations. Durant ce conseil général, les mâles gloussent avec un grand bruit, font la roue, et toutes leurs démon- strations semblent avoir pour but de s'encourager mutuellement. En effet, l'enthousiasme gagne toute la troupe ; les femelles et les jeunes imitent les mâles: enfin, chaque individu va se percher sur le sommet de l'arbre le plus haut qu'il peut choisir ; le chef de la bande donne le signal ; tous partent et s'efforcent d'atteindre l'autre bord de la rivière. Les plus robustes en viennent facilement à bout, lors même que la traversée est d'un mille ; mais les jeunes et les individus chétifs et faibles ne sont pas toujours si heureux. Ramenés mal- gré eux à la surface de l'eau, c'est à la nage qu'ils doivent achever le trajet ; ils s'en tirent avec adresse, étalant leur queue pour se soutenir, ser- rant leurs ailes afin d'éprouver moins de résistance en fendant l'eau, et ramant avec une force extraor- dinaire au moyen de leurs pieds, qui cependant ne semblent pas conformés pour cette manœuvre. S'ils arrivent contre un bord escarpé et qu'ils ne puissent gravir, ils se reposent quelques momens, recueillent leurs forces, et tentent de reprendre leur vol ; vain effort du malheureux oiseau qui ne peut éviter sa destinée ! Après avoir renouvelé plu- sieurs fois ces vols, qui achèvent d'épuiser leurs forces, les plus faibles ne se relèvent plus, et 154 THE FRENCH READER. périssent dans la rivière. Ceux qui ont pu gagner la rive opposée, paraissent fatigués et comme étourdis ; on les voit errer quelque temps sans aucun but apparent : aussi les chasseurs profitent- ils de ce moment, et ils en prennent une grande quantité ; mais à l'époque de ces migrations, les dindons sont maigres, et leur chair est peu estimée. Chacun de ces oiseaux veille à la sûreté com- mune ; le premier qui aperçoit un aigle, un faucon ou quelque autre ennemi, donne le signal d'alarme, et tous se précipitent du haut de l'arbre oïj ils étaient perchés, se blottissent à terre, et attendent, dans cette position, que le danger soit passé. Comme ils ont l'habitude de se rassembler sur les branches desséchées d'un grand arbre, pour y passer la nuit, leur retraite est bientôt découverte par les oiseaux de proie nocturnes ; mais ils leur échappent par une adresse assez singulière. L'oi- seau de proie vole circulairement autour de l'arbre, pour choisir sa victime; quoiqu'il fasse peu de bruit, il y a toujours quelque dormeur dont l'oreille attentive et exercée saisit ce faible son ; un glous- sement particulier réveille toute la bande, et chacun se dresse sur ses pieds. Le déprédateur s'élance sur le dindon qu'il a choisi ; celui-ci s'accroupit sur-le-champ, cache sa tête, et renverse sur son dos sa queue étalée. L'ennemi s'arrête surpris, n'apercevant rien qu'une surface sur laquelle ses THE FRENCH READER. 155 sefres et son bee n'ont point de prise. Le dindon met à profit ce moment d'hésitation ; il se laisse tomber à terre, où son terrible ennemi n'oserait l'attaquer. Les dindons sauvages ne quittent pas volontiers les lieux de leur naissance ; ils semblent même prendre une sorte d'affection pour les arbres sur lesquels ils ont l'habitude de se percher. Con- traints à de fréquentes émigrations, pour aller chercher leur subsistance dans des lieux souvent fort éloignés, on les voit revenir, plusieurs années de suite, à leurs arbres de prédilection. Ces arbres sont ordinairement sur une langue de terre entourée par une rivière. Lorsque le temps du repos approche, les dindons se rassemblent, et un gloussement prolongé est le signal du départ : on n'entend plus ensuite que le bruit des ailes jusqu'à ce qu'ils soient posés sur leur arbre, serrés les uns contre les autres, quelquefois en si grand nombre^ qu'il semble que tous les dindons du pays se soi- ent donné un rendez-vous général. Mais ce lieu- de repos n'est pas tellement caché, que le chasseur ne parvienne à le découvrir. Après l'avoir re^ connu pendant le jour, il choisit une position bien à portée, et va l'occuper par un beau clair de lune, lumière suffisante pour qu'il puisse convenable- ment ajuster ses coups. Il a le soin de choisir les oiseaux qui sont le plus à découvert, afin que leur 156 THE FRENCH READER. chute n'occasionne pas trop de mouvement dans l'arbre, et trop d'agitation parmi les dormeurs. Ce qui est singulier, c'est que ces oiseaux, que l'ap- parition d'un hibou frappe d'une terreur qui se répand sur-le-champ dans toute la bande, ne parais- sent nullement intimidés par la présence du chas- seur, par les coups de fusil multipliés et la chute successive de plusieurs d'entre eux. Chaque ex- plosion n'excite dans la troupe qu'un bourdonne- ment, qui semble exprimer la surprise plutôt que l'effroi. Cette imprévoyance ou cette stupidité, pendant le sommeil, est commune à tous les gal- linacés de l'Amérique du nord : c'est un de leurs traits caractéristiques. THE FSENCH READER. 157 50. PORTÉE DE LA VUE DES VAUTOURS. .x.^î^^^''f^^^ ^f La portée de la vue des vautours est vraiment prodigieuse. Un voyageur, qui a parcouru l'Amé- rique du sud,* assure que, quelque désert que soit l'endroit où meurt une vache, un mouton, un che- val, une demi-heure après, on ne manque jamais d'apercevoir, à une haute élévation dans le ciel, un certain nombre de petits points noirs, qui s'abais- sent en spirale. On ne tarde pas à reconnaître que c'est une volée de vautours qui, d'une hauteur inaccsssible à l'œil humain, avaient vu tomber l'animal dont ils viennent faire leur pâture. * M. Lichtenstein. 158 THE FRENCH READER, 51. LES CÉTACÉS. On appelle cétacés certains animaux qui sont des poissons pour les formes extérieures et quant à l'élément qu'ils habitent, mais qui en diffèrent par leur organisation, et sont de véritables mammi- fères : de ce genre sont les dauphins, les cachalots, le narval, les baleines, etc. Ils sont entièrement dépourvus de membres postérieurs ; le tronc et la queue, confondus en un cône immense, donnent à l'animal une forme parfaitement appropriée à la natation. Une énorme nageoire horizontale ter- mine le cétacé et lui forme cette queue à l'aide de laquelle il se dirige dans l'immensité des mers, et si renommée par la puissance de ses coups, que les vaisseaux pêcheurs la redoutent chez les baleines. Les membres antérieurs, aplatis sur leur largeur, sont de véritables nageoires pectorales et servent aux cétacés de rames pour changer de direction quand ils nagent. La grandeur des os de la ièie est énorme, le col n'existe point, l'animal se meut tout d'une pièce. Quoique habitant les eaux, ils sont obligés de venir respirer à leur surface l'air atmosphérique. L'ouverture par laquelle la respi- ration s'opère est placée sur le point le plus élevé de la tête, de manière qu'elle se trouve nécessaire- ment au-dessus de la surface de l'eau, quand l'ani- mal la sillonne. THE FRENCH READEE. 159 On appelle events ces conduits de Pair par les- quels le cétacé lance avec bruit l'eau mêlée à l'air respiré. Le sang de ces animaux est plus chaud que celui des mammifères terrestres. Les mères allaitent leurs petits, leur portent la plus vive tendresse et les défendent avec fureur contre leurs ennemis. Les uns sont herbivores, d'autres sont carnivores ; d'autres encore, comme les baleines, sont l'un et l'autre. On en trouve dans toutes les latitudes, et la plupart vivent par troupes ; les grandes espèces de baleines préfèrent les régions froides. Ce sont en général des ani- maux stupides et d'un instinct fort borné. Leurs sens sont très-imparfaits. Croissant sans inquié- tudes, à peu près à l'abri de tout danger par leur force et inattaquables par d'autres que l'homme, trouvant toujours une nourriture abondante, les cétacés vivent fort long-temps. Ils seraient de- meurés presque sans ennemis, si nous n'eussions trouvé dans leur graisse et dans quelques autres parties de leur corps des matières utiles. Les genres de cétacés les plus connus sont les dauphins, les narvals, les cachalots et les baleines. Le dauphin commun se trouve dans la Méditer- ranée et dans l'océan Atlantique. La forme alon- gée n'est pas sans élégance ; sa tête, terminée en pointe ou plutôt en bec, présente de fortes mâ- choires que garnissent de chaque côté de quarante- 160 THE FRENCH READER. deux à quarante-sept dents : l'œil est petit, mais assez vif. Les parties supérieures du corps sont d'un brun noirâtre ; le ventre est d'un blanc parti- culier, dont la nuance, jointe au poli de la peau, ressemble à l'ivoire. Les marsouins diffèrent des dauphins proprement dits, en ce que leurs mâ- choires ne sont pas prolongées en forme de bec. Il y en a qui ont plus de vingt pieds de long.* Une bande de marsouins vint échouer il y a vingt ans sur les côtes de la Bretagne. Les plus grands en avaient dix-huit à vingt-un pieds de long, et six de circonférence; les petits qui tétaient encore avaient six pieds et demi de long. Le marsouin le plus répandu de tous, celui qui fait la chasse aux poissons volans, et qui amuse si souvent les navigateurs, dépasse rarement cinq pieds. Jl nage avec une grande vitesse et plus rapidement que les vaisseaux ne fendent les flots. Le narval n'a que deux dents, dont l'une dé- passe quelquefois six ou huit pieds de longueur. C'est un cétacé de grande taille, arrondi, vigour- eux nageur, difficile à harponner. Il se nourrit de soles et de coquillages. L'huile qu'il fournit n'est pas aussi abondante que celle des autres cétacés, mais elle est de meilleure qualité. Sa dent est un ivoire magnifique, très-dur et très-pesant. * Par exemple l'epaulard ou l'orque. THE FRENCH READER. 161 Les cachalots sont beaucoup plus grands et ne îe cèdent à cet égard qu'aux baleines. Il en existe des individus de quatre-vingts pieds de long; on en trouve dans toutes les mers, et partout on leur fait la guerre, à cause de la graisse et de l'huile qu'ils fournissent en abondance. Leur tête est énorme, même en comparaison du reste du corps. Un naturaliste voyageur rapporte que la tête d'un cachalot pris aux Moluques, donna jus- qu'à vingt-quatre barils de graisse et plus de cent barils d'huile. Ce qui caractérise surtout les haleines^ ce sont les fanons ou lames cornées qui garnissent, en place de dents, la mâchoire supérieure, et la dou- ble ouverture des events qui se font jour sur le milieu du front. Seules, parmi les cétacés, les baleines jouissent du sens de l'odorat, porté à un certain degré de perfection ; leur vue est aussi moins mauvaise, mais l'ouïe est toujours très- faible* Ce sont les plus grands animaux connus ; nos éléphaiis terrestres ne sont rien auprès d'eux. Mais, si l'on mesure le degré de leur intelligence sur la capacité du crâne, en proportion du corps, les baleines doivent être les plus stupides des cétacés. Pour manger, l'animal monstrueux entr'ouvre sa bouche énorme, et sa proie, qui consiste en pois- sons et mollusques, se trouve engloutie, comme o2 11 162 THE FRENCH READER. attirée par l'aspiration. Les baleines proprement dites n'ont point de nageoires sur le dos, et leur ventre est lisse. La baleine franche est la plus commune ; elle ne fréquente guère que les régions polaires. On l'y voit frapper la surface des flots de sa redoutable queue, et briser d'un coup de son vaste museau les monts de glace dont elle sou- lève d'énormes fragmens. La guerre active qu'on leur fait pour s'emparer de leur lard et de leur graisse, ne permet plus à ces animaux de parvenir à tout le développement dont ils sont susceptibles ; on n'en rencontre guère qui aient plus de soixante- cinq à soixante-dix pieds de long. La baleine appelée le nord-caper, moins épaisse que la précédente, est plus alongée, et ses na- geoires sont encore plus puissantes. Elle fait quatre lieues à l'heure ; elle se nourrit de harengs, de merlans, etc., dont elle poursuit les troupes avec une ardeur qui l'entraine jusque dans L s mers de la zone tempérée, où l'on en a trouvé échouées sur le rivage, ayant plus de six cents morues et autant de sardines dans l'estomac. La demeure ordinaire du nord-caper et de la baleine franche sont les eaux qui baignent les rives désolées du Groen- land et du Spitzberg ; mais l'un et l'autre entre- prennent du longs voyages, puisqu'on en a rencon- tré sur les côtes du Japon, qui portaient, engagés dans leur peau, des harpons européens. THE FRENCH READER. 163 62. LES HIBOUS ET LES MARMOTTES d'aMÊRIQUE. LHdée de hibou rappelle à notre imagination les •lieux que cet oiseau choisit pour sa demeure ; de vénérables ruines dont le temps et les météores achèvent lentement la destruction, ou de vastes forêts, dont l'obscurité semble encore plus redouta- ble, quand cet amant des ténèbres y fait entendre •sa voix discordante. Lorsqu'il pousse son cri sinis- tre du haut d'une tour antique, dont la douce lumière de la lune adoucit à peine l'aspect désolé, l'imagination le transforme en génie du mal, célé- brant quelque nouveau triomphe digne de sa per- versité. Le hibou que nous allons faire connaître diffère totalement de tous les autres : il n'habite pas les lieux abandonnés par l'homme ; c'est sous la terre qu'il cherche un asile. Loin de s'accom- moder du séjour des forêts, il choisit des plaines entièrement découvertes et très-peuplées ; il établit 164 THE FRENCH READER. son domicile au milieu des villes construites par des animaux que leurs dispositions sociales, leur esprit d'ordre, leurs habitudes de propreté et leur vie innocente, devraient faire épargner. Enfin, ce hibou n'est point un oiseau de ténèbres ; il se plaît à la lumière du soleil, et prend cet astre pour témoin de ses chasses, de ses ébats et de ses travaux. Le hibou dont nous parlons n'a été rencontré, sur le territoire des Etats-Unis, qu'au-delà du Mis- sissippi, dans les villages ou villes des marmottes, nommés très-improprement chiens de prairie»* Notre oiseau trouve très-commode de s'emparer d'une habitation toute faite et bien distribuée, et de s'épargner ainsi la fatigue de s'en creuser une lui- même. Les établissemens de marmottes, trés- multipliés dans cette contrée, ne sont quelquefois que des hameaux, et ne couvrent qu'un petit nom- bre d'acres ; ailleurs, ils occupent plusieurs milles, et méritent le nom de ville. L'habitation d'une marmotte est annoncée au dehors par une petite butte en cône tronqué, large de deux pieds à la base, et d'environ huit pouces de hauteur. L'entrée est placée au sommet, et quelquefois sur le côté. La terre de ces monti- cules est battue avec soin, et aussi dure que le * Frairic-dos-s, THE FRENCH READER. 165 devient celle d'un sentier très-fréquenté. L'entrée est creusée verticalement jusqu'à la profondeur d'un pied ou deux ; elle se prolonge ensuite en rampe douce, jusqu'à une chambre où l'indus- Irieux et prévoyant animal fait ses apprêts, et ras- semble ce qu'il lui faut pour son long sommeil d'hiver. L'enveloppe qui doit la contenir alors est d'un tissu admirable, composée d'herbes sèches et fines, arrondie, ayant au sommet une petite ouverture et assez solide pour qu'on puisse la rouler sans l'endommager. Dans les beaux jours, rien n'est plus divertis- sant que le spectacle des jeux de ces animaux, à l'entrée de leurs terriers. Si quelque redouta- ble ennemi vient les effrayer, tout s'enfuit sous terre; mais si l'alarme n'est pas aussi forte, chaque marmotte reste à l'entrée de sa demeure, agitant sa queue d'un air de défi, et se dressant de temps en temps sur ses pieds, comme pour observer les mouvemens de son adversaire. Les monticules élevés par les marmottes, au pied des Montagnes Rocheuses, paraissent plus anciens que ceux des plaines : leur base est beau- coup plus large, quoique la hauteur soit à peu près la même, et une maigre végétation commence à les couvrir. Plusieurs villages n'en offrent aucune apparence; et quand on pense que leurs habitans se nourrissent exclusivement de végétaux 166 THE FRENCH READER. herbacés, on s'étonne qu'ils établissent, de préfé- rence, leur domicile dans les lieux les plus arides. Mais ces lieux sont découverts ; ils n'offrent aucune position où l'ennemi puisse dresser une embuscade; le danger est aperçu de loin, et la population, dépourvue de force et d'armes natu- relles, a le temps de pourvoir à sa sûreté, en se cachant sous terre. Seul, ou avec quelques compagnons, notre hibou s'établit dans ces villages. Vu d'une Certaine dis- tance, on le prendrait pour une marmotte dressée sur ses pieds. Ses mouvemens sont rapides ; il n'est point timide et se laisse approcher plus qu'il ne faut pour que le chasseur ne manque pas son coup. Lorsque ces oiseaux forment de petites troupes, si quelque objet les épouvante, ils s'élèvent d'abord à une certaine hauteur, et reviennent se poser à une petite distance. Si l'alarme continue ils prennent leur vol et ne s'arrêtent que beaucoup plus loin, ou bien ils se réfugient dans leurs sou- terrains, d'où il n'est pas aisé de les faire déloger. Rien ne prouve que la marmotte et le hibou vivent habituellement dans la môme demeure, quoi- qu'un danger commun les y réunisse quelquefois avec d'autres hôtes fort différons, tels que des lézards et des serpens à sonnettes, comme le rap- portent quelques témoins oculaires. THE FÏIENCH READER. 16*7 63. LE PARESSEUX. Ori dirait que le paresseux cherche à obtenir votre pitié à la fois par ses regards, par ses gestes et par ses cris. Ce sont les seules armes que la nature lui ait données pour sa défense. Quelques feuilles de l'espèce la plus commune et la plus grossière, sont tout ce dont il a besoin pour sa nourriture. Cette créature bizarre vit au fond de sombres forêts, habitées par d'affreux serpens, par des fourmis et des scorpions non moins redoutables, et que des marécages et d'innombrables buis- sons épineux rendent presque impénétrables à l'homme. Il n'a point de plantes aux pieds et ne peut pas mouvoir ses doigts séparément. Sa chevelure est plate et ressemble à du gazon desséché par les vents d'hiver. Ses pattes sont très-courtes et la manière dont elles sont attachées au corps leur donne un aspect difforme : elles ne paraissent pro- 168 THE FRENCH READER. près qu'à lui fournir les moyens de grimper sur les arbres. Ses pattes de devant paraissent trop longues, tandis que celles de derrière sont très- courtes et ont une forme extraordinaire, assez sem- blable à celle d'un tire-bouchon. Il résulte de leur conformation singulière que ces pattes ne peuvent prendre une direction perpendiculaire et soutenir le corps comme sont soutenus les autres quadru- pèdes. Aussi, quand il est par terre, son corps touche-t-il le sol. Ses pattes sont garnies d& griffes longues, pointues et recourbées. Si le sol présentait une surface polie, le paresseux resterait immobile ; mais, comme il est généralement rabo- teux et embarrassé de pierres ou de touffes de gazon, le paresseux s'y accroche et se pousse en avant, mais avec tant de lenteur et de gaucherie, qu'il a semblé mériter le nom qu'il porte. Dans l'état sauvage le paresseux passe toute sa vie sur les arbres, et ne les quitte que par force ou par accident. Ce n'est point sur les branches qu'il se tient, comme le singe et l'écureuil, mais par-dessous. Il est toujours suspendu aux branches, lorsqu'il se meut, qu'il se repose ou qu'il dort. Sa fourrure a tellement la couleur de la mousse des arbres, qu'il est difficile de l'en distinguer quand il se repose. Il se meut sur les arbres et voyage de l'un à l'autre avec une assez grande rapidité. THE FRENCH READER. 109 54. LE DÉSERT EN EGYPTE. Un voyageur anglais* a décrit le désert d'Egypte de la manière suivante : ''La route à travers le désert offre plus d'in- térêt qu'on ne serait tenté de le croire. Elle est large, ferme, et pendant les deux tiers de la dis- tance qui sépare Kosséir de Thèbes, elle serpente à travers des rochers qui tantôt s'élèvent perpen- diculairement de chaque côté du voyageur, comme s'ils avaient été dressés par l'art, et tantôt, proje- * Scènes et impressions en Egypte et en Italie, par un officier anglais ; 1824. p 170 THE FRENCH READER. tant en avant leurs formes irrégulières, ressemblent aux rives d'un grand fleuve dont le lit serait des- séché. " Je ne conçois pas, lorsqu'on a voyagé dans le désert, que l'on soutienne que tout y est stérile et inanimé. Dès le matin le perdrix et le pigeon viennent voltiger à vos pieds, et chercher leur nourriture sur le sentier battu par le chameau ; ils ne sont pas timides, car ils n'ont pas appris à craindre l'homme qui traverse ces solitudes. Je ne vis qu'un seul daim, mais c'était de très-loin qu'il suivait la trace de nos chameaux : il s'arrêta un instant, avança la tête pour écouter ; puis, fran- chissant la route, il s'éloigna avec rapidité et se dirigea probablement vers quelque source, qui jail- lit peut-être dans un endroit où l'homme n'a pas encore porté ses pas." Un autre voyageur, M. Denon, n'en fait pas un tableau aussi séduisant ; " Haletant de fatigue et de soif, la gorge dessé- chée, respirant avec peine un air ardent qui le dévore, le voyageur espère qu'un instant de repos lui rendra quelques forces : il s'arrête, il voit défiler ceux qui étaient ses compagnons, et dont il sollicite en vain le secours ; le malheur a fermé tous les cœurs ; sans détourner un regard, l'œil fixe, chacun suit en silence la trace de celui qui le précède, tout passe, tout fuit, et les membres en- THE FRENCH READEE. 171 gourdis, déjà trop chargés de leur pénible exis- tence, s'affaissent, et ne peuvent être ranimés ni par la terreur : la caravane a passé ; elle n'est déjà plus pour lui qu'une ligne ondoyante dans l'espace, bientôt elle n'est plus qu'un point, et ce point s'éteint ; ses regards égarés cherchent et ne ren- contrent plus rien ; il les ramène sur lui-même, et bientôt ferme les yeux pour échapper à l'aspect du vide affreux qui l'environne ; il n'entend plus que ses soupirs, ce qui lui reste d'existence appartient à la mort ; seul, tout seul au monde, il va mourir, sans que l'espérance vienne un instant s'asseoir auprès de son lit de mort : et son cadavre, dévoré par l'aridité du sol, ne laissera bientôt que des os blanchis, qui serviront de guide à la marche incer- taine du voyageur qui aura osé braver le même sort." 65. MULTITUDE d'eTRES VIVANS DANS LES FORÊTS DU BRÉSIL. Le naturaliste qui arrive ici pour la première fois, ne sait pas ce qu'il doit le plus admirer, des formes, des couleurs, ou des cris si divers des ani- maux. Excepté à midi, lorsque toutes les créa- tures de la zone tor ride cherchent l'ombre et le repos, et qu'un silence solennel se répand sur toute 1^ nature qu'illuminent les rayons d'un soleil 172 THE FRENCH READER. éblouissant, chaque heure du jour met en mouve- ment une race différente d'animaux. Le matin est annoncé par les glapissemens des singes, par les sons aigus que forment les crapauds et les grenouilles, et par le ramage monotone des cigales. Lorsque le soleil a dissipé les vapeurs qui le précédaient, tous les animaux se félicitent à la fois de la renaissance du jour. Les guêpes quit- tent leurs longs nids suspendus aux branches des arbres. Les fourmis sortent des habitations sin- gulières qu'elles se sont construites, et s'avancent sur les sentiers qu'elles ont elles-mêmes tracés pour leur usage. De charmans papillons, dont les couleurs sont aussi éclatantes que celles de l'arc- en-ciel, tantôt isolés et tantôt réunis, voltigent de fleur en fleur, ou vont chercher leur nourriture sur les routes et sur les bords sablonneux des ruis- seaux. Des myriades d'escarbots bourdonnent dans l'air ou étincellent comme des diamans parmi les fleurs et sur la verdure. Dans le même temps, d'agiles lézards, remar- quables par leur forme et la vivacité de leurs cou- leurs, sortent de dessous le gazon et de trous creu- sés dans le sol. Des serpens venimeux d'une couleur sombre, d'autres reptiles inoffensifs, plus brillans que l'émail des fleurs, se glissent sur la tige des arbres, et guettent, en s'épanouissant au soleil, les insectes et les oiseaux. THE FRENCH READER. 173 A partir de cet intervalle de la journée, tout est vie et mouvement. Des écureuils et des singes, réunis en troupes, sortent des forêts et se dirigent vers les plantations en sifflant, en s'appelant et en bondissant d'arbre en arbre. Une multitude d'oi- seaux, de formes singulières et du plus beau plu- mage, voltigent ensemble ou séparément à travers les buissons. Des perroquets verts, bleus, rouges, re rassemblent sur le sommet des arbres, ou volent vers les îles, en remplissant l'air de leurs cris perçans. Le toucan, posé sur l'extrémité des branches, appelle la pluie d'un ton plaintif, avec son grand bec creux. Les loriots sortent de leurs nids, auxquels ils donnent la forme d'un sac, pour aller visiter les orangers, et leurs sentinelles annon- cent l'approche de l'homme par des cris aigus. En même temps la grive, cachée dans l'épaisseur du feuillage, témoigne sa joie par des chants pleins de douceur et de mélodie. Le manakin, dont la voix ressemble à celle du rossignol, s'amuse, en chantant dans les buissons tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, à égarer les chasseurs : tandis que le pivert fait au loin résonner la forêt en arrachant l'écorce des arbres. Tandis que chaque créature vivant salute de cette manière la splendeur du jour, le charmant oiseau- mouche, dont la beauté et le lustre rivalisent avec ceux des diamans, des émeraudes et des saphirs, p2 174 THE FRENCH READER. se balance sur ses ailes au-dessus des fleurs. Lorsque le soleil commence à baisser, la plupart des animaux se retirent et vont prendre du repos ; mais le daim, le timide pécari, le tapir, le craintif agouti continuent à brouter le gazon. L'opossum et tous les animaux rusés de l'espèce du chat, se glissent à travers l'obscurité de la forêt pour sur- prendre leur proie, jusqu'à ce qu'enfin les glapis- semens du singe, les cris des paresseux, qui res- semblent à des cris de détresse, le coassement des grenouilles, le bruit monotone des sauterelles ter- minent la journée. La nuit tombe ; alors d'in- nombrables essaims de mouches et de vers luisans commencent à briller dans l'ombre, et d'énormes chauves-souris voltigent comme des fantômes dans l'épaisseur des ténèbres. 56. LES MONTAGNES DE l'hIMALAYA.* Nous approchâmes bientôt de l'Himalaya, et la * Les sommets les plus hauts des Alpes, comme le Mont-Blanc, TOrtler et le Mont-Rosa, ne sont élevés au-dessus du niveau de la mer que de 14,000 à 15,000 pieds. Les plus hautes montagnes de la chaîne des Andes de l'Amérique méridionale, le Chimboraço, le Cayumbé,rAntisana,le Cotopaxi, s'élèvent de 18,000 à 23,000 pieds. Les pics les plus élevés de l'Hima- laya, mesurés jusqu'ici, le Jawahir et l'Yaraanavatari, sont d'une hauteur de 24,000 pieds. THE FRENCH READER. 175 scène ne tarda pas à changer. Au lieu de ces vastes plaines cultivées, qui avaient frappé et enchanté nos regards, nous ne trouvâmes plus que des landes arides, semées de quelques rares habi- tations. Au lieux de cette population active et laborieuse, quelques cabanes éparses. Le sol était stérile, l'air insalubre, l'aspect des habitans mala- dif. Le gibier abondait dans cette région peu connue. Des couvées de perdrix, tachetées de noir, s'élevaient sous nos pas : l'antilope, la vache bleue aux yeux noirs, le lièvre, le busard, le san- glier, fuyaient de toutes parts : la panthère, l'ours, le lynx, l'éléphant sauvage, fixaient sur nous leurs yeux terribles. Les fusils de nos chasseurs jon- chèrent de cadavres ces plaines giboyeuses. Mais l'Himalaya apparut enfin devant nous. Qui eût osé, en face de ce géant, regretter les pay- sages vulgaires ? Certes les Hindous * ne pou- vaient choisir un autre sanctuaire pour y placer l'image du Dieu incormu. Rien dans ces contrées n'est en rapport avec nos régions d'occident. Toutes les proportions sont démesurées. Ne cherchez nulle parte une impression compa- rable, pour la grandeur et la solennité, à celle dont on est pénétré aux pieds de l'Himalaya. L'esprit exalté vole sur la cime, et là, au milieu de la soli- * Les habitans de l'Inde ou Indoustan. 176 THE FRENCH READER. tude et d'un silence éternel, que pas un bruit ne trouble, si ce n'est celui du tonnerre, il comprend l'idée de Téternité. L'Océan n'est pis aussi majes- tueux que les sommets de l'Himalaya. Les vagues ont leur tumulte, leur murmure, leur vie ,* ici tout est mort ; au lieu d'un horizon borné, vous avez un ciel dans les profondeurs duquel le regard se perd. Et si par hasard l'ouragan tonne et gronde dans ce silence, quelle solciinité nouvelle vient animer cette scène ! L'Himalaya est le plus subhme des tem- ples où la Divinité puisse être adorée ! Les Persans prétendent qu'au-delà de ces mon- tagnes le monde finit et Vlnestann ou le domaine des génies commence. En effet, à mesure que l'on gravit l'Himalaya, le son meurt, le bruit expire ; un coup de pistolet ne produit qu'un léger murmure ; le sentiment de la vie languit dans notre âme. Je ne sais quelle mélancolie profonde s'em- para de mes compatriotes.* Peut-être en face de ces neiges éternelles, se rappelaient-ils les joies pures du foyer domestique, et les monts neigeux de l'Ecosse et les plaines brumeuses de l'Angle- terre. Je ne sais pourquoi ; mais il y a quelque chose * C'est un officier de l'armée britannique dans les Indes qui parle. I THE FRENCH READER. 177 de saint et de religieux sur les cimes des monts ; le bruit de la terre expire sur ses sommités, et les passions humaines n'y trouvent point de place. 57. LA SAISON DES PL^^IES ENTRE LES TROPIQrES.* San-Blas,t Juin, 1^22. Ce jour l'obscurité fut extraordinaire ; un bi:. ilîard tel qu'un épais rideau enveloppa l'horizon. L . ciel, qui avait été si long- temps pur et sans tache, se couvrit de nuées isolées qui couraient dans di .^rentes directions. Des va- peurs et des nuage«: ^3 levèrent en même temps que le soleil, et le dérobèrent à noire vue. Le vent de mer, qui, les jouxS précédens, commençait doucement, et n'était qu'une brise agréable, souffla tout-à-coup et avec une grande violence ; les ondes se soulevèrent et se brisèrent de tous côtés avec fracas. La mer était ^oire et orageuse: son aspect sinistre présageait l'nnproche d'un vaste amas d'épouvantables nuages . qui s'élevèrent dans l'ouest, arrivèrent perpendiculairement au-dessus de nos * On appelle tropiques i'-.s deux cercles qui enferment la zone torride, et qui r^arquent les deux lignes sur lesquelles, alternativement, aux deux solstices, les rayons du soleil tomben. perpendiculairement. f San-Blas, ville et port du Mexique; sur la côte occidentale. 12 178 THE FRENCH READER» têtes, et restèrent là suspendus toute la journée. Les navires, qui jusqu'à ce nioment étaient restés immobiles dans la baie, descendaient au sa'm des abîmes et en remontaient tour-à-tour, l-iurs câbles s'étendant au large. Les bateaux qui établissaient la communication entre le rivage et les bahmens à l'ancre avaient diminué leurs voiles : ils furent violemment ballottés par les vagues ; ce n'était qu'à force d'avirons qu'ils luttaient contre le ressac* qui venait en rugissant se briser sur la côte. Les flammes,! qui d'ordinaire retombaient mollement sur les mâts, flottaient dans toute leur exleiision. Une troupe innombrable d'oiseaux de mer rrdèrent pendant toute la jourr^ée autour du rocher sur lequel la ville est située, jetant de gran^^.s cris, comme s'ils eussent été épouvantés de cet*e subite révolution de la nature. La poussière qii^, dans l'intervalle de six mois, une insuppoi table chaleur avait entassée sur la terre, s'éleva en hautes pyrar mides, et, poussée par de violens coups de vent, se précipita dans les rues et jusque dans l'inférieur des maisons. Long-temps avant 1? coucher du soleil, le jour s'eftaca devant les ténèbres qu'avaient hâtées cette poussière répandue dans l'air et le$ * Choc des vagues contre la terre, f Les banderoles au haut des mâts. THE FRENCH READER. 179 masses énormes de nuages pluvieux qui s'étendaient dans l'immensité des cieux. Un éclair brilla dans les montagnes ; ce fut le signal d'un orage qui surpassa en violence tout ce dont j'avais entendu parler dans mes voyages. Pendant huit heures consécuiivcs un déluge de pluie ravagea le pays : les rues de la ville se couvrirent de torrens impé- tueux ; le passage devint dangereux et même im- praticable <^'ans quelques endroits. L'eau pénétra les toits et entra dans les maisons ; le mugissement des torrens s'augmenta d'heure en heure ; le tonnerre ^'attachant au roc, sembla vouloir le foudroyer, et les éclairs qui se succédaient du zénith à rhorizon, briîlans et rapides, éclairèrent par intervcxile cette scène terrible et majestueuse: jainais je n'ai vu de pareille nuit. A l'approche du joui la pluie cessa ; un ca^me lourd ]égnait pendant toute la matinée. L'air était étouiîant; on avait peine à respirer. Quoique le ciel lùt toujours couvert, le soleil perçait les nuages qui s'étendaient sur toute la plaine jusqu'au pied des montagnes. Après cet horrible débordement, il ne tomba plus vie pluie violente jusq-rau soir du 4 Juin, époque où la saison pluvieuse commença son cours. Dans les maUnées le temps était en général clair et beau : vers trois heures et demie ou quatre 180 THE FRENCH READER. heures, le ciel se couvrait tout-à-coup et la pluie commençait. C'était rarement avant huit heures qu'elle tombait par torijns et que les éclairs et le tonnerre se mêlaient à l'orage. 58. LES VENTS ALIZÉS.* Les vents de mer se lèvent d'ordinaire vers les neuf heures du matin, quelquefois plus tôt et quel- quefois plus tard : d'abord ils s'approchent de terre si doucement qu'on dirait qu'ils craignent de la froisser ; tantôt ils soufflent en légères, et comme s'ils ne voulaient pas se rendre importuns, ils font halte, et semblent incertains s'ils vont se retirer. J'ai souvent pris plaisir, sur le bord de la mer, à observer toutes ces variations, et sur mer, j'en ai plus d'une fois tiré avantage. Aux approches de ce vent, la mer qui est entre la terre et le vent est unie comme une glace ; d'abord il ride l'eau tout doucement et lui donne une teinte noirâtre ; une demi-heure après qu'il a atteint la terre, il souffle avec un peu plus d'ardeur, * On appelle ainsi les vents qui soufflent régulière- ment de l'est à Touest entre les tropiques. Il faut les distinguer des moussons ou vents périodiques qui sou^ flent dans la mer des Indes. THE FREJ^CH READER. 181 et sa force va toujours croissant jusqu'à midi; alors il est au plus haut degré de son énergie et continue ainsi jusqu'à deux ou trois heures. Après trois heures il commence à s'apaiser; vers cinq heures, plus ou moins, et suivant le temps, il cesse et ne reparait que le lendemain. Les vents de terre sont aussi remarquables qu'aucun de ceux dont j'ai fait mention, et tout différons des vents de mer ; ceux-ci soufflent droit dans la côte ; ceux-là soufflent de la côte. Les vents de mer ne soufflent que le jour et se reposent la nuit ; les vents de terre ne soufflent que la nuit et se reposent le jour; ainsi chacun d'eux a son tour. Aussitôt que les brises de mer ont rempli leur mission, en parcourant leurs côtes respectives, dans la soirée elles s'éloignent de la côte et ne se font plus sentir ; au même instant les brises de terre, mues par une puissance supérieure, sortent de leurs retraites, et s'emparent de la nuit. Elles agitent doucement les airs jusqu'au lendemain matin, et, leur tâche finie, elles disparaissent à leur tour. On ne saurait assigner d'une manière précise le temps où ces vents commencement, ni celui auquel ils cessent; ils ne sont pas d'une exactitude rigoureuse. Ordinairement il's se lèvent entre la sixième et la douzième heure de la nuit, et continu- Q 182 THE FRENCH READER. ent jusqu'à six, huit ou dix heures du matin^ Ils se lèvent et tombent plus tôt ou plus tard, selon le temps, la saison de l'année, ou quelque cause accidentelle de la terre. Sur certaines côtes, ces vents se lèvent plus tôt, soufflent plus fort, et durent plus long-temps que sur d'autres. Ces vents soufflent au large plus ou moins, selon que la côte est plus ou moins ouverte aux vents de mer. Dans quelques endroits ils ont de la fraîcheur à trois ou quatre lieues de la terre; dans d'autres, ils ne dépassent pas cette distance ; quelquefois ils ne s'éloignent pas des rochers. Si parfois, dans un beau temps, il leur arrive de s'échapper un mille ou deux, ils ne sont pas de durée et s'éteignent presque aussitôt; quoiqu'il y ait, toutes les nuits, sur ces côtes, un vent aussi frais qu'en aucune partie du monde. THE FRENCH READER. 183 59. VOYAOE DU CAPITAINE HALL A VALPARAISO.* Le 10 Août 1820 le vaisseau le Conway, sous mon commandement, fit voile d'Angleterre, et, après avoir touché à TénérifFe, à Rio-Janéiro et à la rivière de la Plata, reçut ordre de se diriger vers Valparaiso, principal port du Chili. Le passage du cap Horn est renommé dans l'histoire nautique ;f les obstacles qu'a surmontés l'amiral Anson l'ont rendu célèbre.:]: Les progrès * Nous plaçons ici ce commencement du Voyage du capitaine Hall, pour donner une idée de la facilité avec laquelle on fait aujourd'hui les plus longs voyages sur mer, autrefois si difficiles et si périlleux. f C'est-à-dire dans l'histoire des expéditions mari- times. X L'amiral Anson fit le tour du globe de 1740 à 1744. Il lui fallut trois mois pour doubler le cap Horn. 184 THE FRENCH READER. de la navigation ont diminué les craintes qu'on éprouvait ; s'il offre toujours quelques dangers, on peut aujourd'hui les braver avec plus de coniiance. Cependant ce grand promontoire offre encore un spectacle digne d'intérêt. Le 26 Novembre, à six heures du matin, nous étions à dix ou douze milles du cap Horn ; en le doublant pour entrer dans la mer Pacifique, nous pûmes l'apercevoir de plusieurs côtés. L'ubpect hardi et majestueux qu'il présente est digne d'un tel continent. Ce roc à pic s'élève au milieu du pays environnant, et étend au loin dans la mer sa tête triste et solitaire. Les détails d'un voyage sans périls seraient peu intéressans pour le lecteur : il nous suffira de noter qu'après une navigation prolongée pendant quinze jours contre les vents de l'ouest, nous atteignîmes le 62 degré de latitude sud, et voguâmes à pleines voiles dans la mer Pacifique, nous dirigeant vers le cap Horn, danger qui se retrouve si fréquemment dans l'histoire dc3 premiers voyages. Avouons toutefois, à la gloire de nos ancêtres, que la science nautique était alors dans son enfance : les premiers navigateurs pouvaient à peine deviner leur position sur le globe: dans l'état actuel de nos con- naissances, le marin peut s'élancer avec confiance sur l'Océan, et défie ces erreurs dont les censé- THE FRENCH READER. 185 quences étaient souvent terribles. Une étude plus étendue de l'astronomie, le perfectionnement des instrumens nautiques, le rassurent contre les courans et les écueils, qui aujourd'hui sont bien marqués sur les cartes, et qui, au temps passé, embarrassaient les navigateurs. Le 19 Décembre nous jetâmes l'ancre dans la baie de Valparaiso, port principal du Chili, trente- huit jours après avoir passé de la Plata. Après une traversée longue et pénible, le marin découvre la terre avec transport ; ce fut cette cause sans doute qui fit donner à ce pays le nom de Valparaiso (vallée du paradis) ; rien, au premier aspect, ne semble justifier cette brillante dénomi- nation. 60. MŒURS DES DAHOMANS.* Plusieurs voyageurs français et anglais sont parvenus assez récemment à pénétrer jusqu'à Abomey, capitale du Dahomé, et ont fourni quel- ques détails sur les institutions extraordinaires et le système politique qui régissent cet état. Toutes * Ou habitans du Dahomé ; ils sont les voisins orien- taux des Achantis, qu'ils égalent en férocité. a2 186 THE FRENCH READER. les formes les plus arbitraires du despotisme orien- tal paraissent douces et bienfaisantes, quand on les compare à celles établies dans ce pays. Ce despotisme n'est fondé ni sur la force ni sur la terreur, et ne tient point à la timidité ni à la mollesse des naturels, qui sont les hommes les plus intré- pides et les meilleurs soldats de l'Afrique entière. Il repose sur la vénération à la fois aveugle et idolâtre qu'ils ont pour leur souverain, qu'ils con- sidèrent comme un être supérieur. Chez eux, c'est un crime de supposer qu'il mange, boive, dorme, ou remplisse aucune des autres fonctions naturelles auxquelles tous les hommes sont soumis. A son accession au trône, le roi Bossa-Ahadi fit mettre à mort tous ceux qui, dans l'étendue du royaume, portaient le nom de Bossa, attendu que c'eût été le comble de la présomption qu'un sujet s'appelât comme son maître. Il n'est permis aux plus grands seigneurs de s'approcher du roi qu'en se traînant la face contre terre, et en se roulant la tête dans la poussière. La férocité des Dahomans passe toute croyance. Des crânes humains forment le principal ornement de leurs temples. Le plancher de la chambre à coucher du roi est garni des crânes et le plafond orné des mâchoires de tous les chefs ennemis qu'il a vaincus. Il y a chaque année une grande fête THE FRENCH READER. 187 qui dure plusieurs semaines, et durant laquelle le roi arrose les tombeaux de ses ancêtres du sang d'un grand nombre de victimes humaines ; ce sont pour la plupart des prisonniers de guerre. Leurs cadavres sont jetés dans les champs, où ils devien- nent la pâture des vautours et des bêtes féroces, ou sont suspendus par les talons aux arbres voisins. Les têtes, mises en pile dans le premier moment, sont ensuite employées à décorer les murs des palais royaux, dont quelques-uns ont plusieurs milles de circonférence. 188 THE FRENCH READER. 61. LES BOSCHISMANS DU CAP.* A Roggeveldjf tandis qu'ilsj dînaient dans la maison d'un colon, ils furent tout-à-coup surpris par l'apparition inattendue de deux Boschismans ou habitans des bois. Ayant appris qu'un des principaux magistrats de la colonie était dans les environs, ils étaient venus dans l'espérance de recevoir quelques cadeaux. Ils s'approchèrent de * Ainsi appelés de l'allemand Buschmann, homme des bois. f Etablisssement de colons hollandais dans l'inté- rieur du Cap. :|: La société du professeur Lichtenstein, qui visita ce pays en 1803. Depuis le Cap a été cédé aux Anglais. THE FRENCH READER. 189 la société avec des témoignages évidens de crainte et d'embarras ; mais un verre de vin et quelques témoignages de bienveillance leur inspirèrent bien- tôt plus de confiance. Ils n'avaient pas plus de quatre pieds de haut, et la couleur jaune de leur peau était à peine reconnaissable, en quelques endroits, à travers la croûte épaisse de graisse et d'ordure, qui, comme une écorce, couvrait leurs figures et leurs membres décharnés. Le regard farouche et soupçonneux, l'air artificieux et rusé du Boschisman, forment un contraste frappant avec la physionomie franche et ouverte du Hotten-^ tot. " C'est une erreur, dit M. Lichtenstein, d'avan- cer, comme on l'a toujours fait, que la nation des Boschismans est composée d'esclaves fugitifs et de Hottentots. Ils sont et ont toujours été une nation distincte, ayant ses usages et sa langue particulière, si l'on peut qualifier ainsi des sons à peine articulés." Il assure positivement que les Boschismans ne portent point de noms, et qu'ils ne semblent pas s'apercevoir de la privation d'un tel moyen pour distinguer un individu d'un autre. Les Hottentots n'entendent pas un seul mot de l'idiome des Boschismans, et cette nation était un objet de haine pour toutes les autres tribus long- temps avant l'établissement des Européens dans l'Afrique méridionale. Chaque Boschisman porte sur le dos un arc 190 THE FRENCH READER. et un carquois rempli de flèches empoisonnées. Celles-ci, lorsqu'il veut combattre ou piller, sont passées dans une bande de cuir autour de sa tête. Un morceau de bois ou un piquant de porc-épic qui traverse le cartilage de son nez, contribue à le rendre encore plus hideux. Lorsqu'il a enlevé quelque bétail toute la horde entoure la proie et la dévore au milieu des milans, des vautours et des corbeaux. 62. LES CAPRES.* Les traits physiques des différentes tribus de cette grande nation sont très-distincts de ceux de leurs voisins. Ces peuples son plus grands, plus vigoureux et mieux pris dans leur taille. Leur teint est brun : leurs cheveux sont noir et laineux. Ils ont les lèvres épaisses du nègre, et les pom- mettes saillantes du Hottentot ; leur barbe est noire et plus fournie que celle des Hottentots. Ils ont plus de ressemblance avec les Européens qu'avec les Nègres ou les Hottentots, et cette ressemblance se fait principalement remarquer dans la forme des os du visage et dans celle du crâne. On les dis- tingue d'ailleurs au premier coup d'œil par leur couleur et leurs cheveux crépus. *Les Cafres habitent la côte orientale de ce qu'on appelle le territoire du Cap. THE FRENCH READER. 19Î Les hommes de la tribu des Kousas, que le pro- fesseur Lichtensteia dépeint d'après ses propres observations, sont d'une taille élevée. Ils ont généralement de cinq pieds cinq pouces à cinq pieds huit pouces ; et il en est beaucoup, tels que leur roi Gaika, qui sont encore plus grands. Le crâne du Cafre et très-bombé : son œil est vif, son nez saillant, et ses dents sont du plus brillant émail. Son attitude est droite, sa démarche vive et assurée ; et tout en lui dénote la vigueur et l'in- telligence. Les femmes sont très-jolies, quoique beaucoup plus petites que les hommes. Une peau douce et unie, des dents blanches comme l'ivoire, des traits gracieux, une physionomie qui respire la gaieté et la bienveillance, et une taille svelte, les rendent attrayantes, même aux yeux des Euro- péens. Les Cafres croient en un être invisible ; mais ils ne le désignent par aucun nom, et ne lui rendent aucun culte. Ils ajoutent cependant la foi la plus entière aux sortilèges, aux enchantemens et aux prédictions» Il en est parmi eux qui s'adonnent entièrement à ces pratiques supersti- tieuses, et que Ton regarde comme une espèce de prêtres. Ils paraissent n'avoir aucun mot pour exprimer tout nombre au-dessus de dix. Avec une arithmé- tique aussi bornée, ils n'en comptent pas moins avec une grande promptitude les choses auxquelles" 192 THE FRENCH READER. ils sont accoutumés. Lorsqu'un troupeau de quatre ou cinq cents bœufs rentre à la bergerie, lé propriétaire reconnaît presque d'un seul coup d'œil s'il en manque un ou non. Les Cafres n'ont ni caractères alphabétiques, ni aucune espèce d'écriture ,* tout ce qu'ils savent, c'est de graver grossièrement sur les métaux, comme le faisaient, dit-on, les Hottentots avant l'arrivée des Européens chez eux. Les Kousas portent un grand respect aux au- teurs de leurs jours et à leurs autres parens âgés. Lorsqu'un père ne se sent plus, par son âge, en état de veiller à ses affaires, il donne toutes ses propriétés à ses enfans, certain d'être traité par eux avec les plus grands soins et la plus vive ten- dresse jusqu'au terme de sa vie. On témoigne toutes sortes d'égards aux vieillards; on recherche leur avis avec confiance ; et, s'ils sont malades ou infirmes, chacun s'empresse de les soigner. La manière dont les Cafres font la guerre entre eux est empreinte d'une générosité fort différente des usages adoptés soit chez les autres nations sauvages, soit même chez les peuples civilisés. Lorsque la guerre a été déclarée, ce qui a toujours lieu par un ambassadeur portant en main une queue de lion ou de panthère, les chefs reçoivent ordre de rejoindre le roi avec leurs vassaux. Quand en- suite l'armée, conduisant avec elle un grand nom- THE FRENCH READER. 193^ bre de bœufs pour sa subsistance, s'approche du territoire ennemi, un nouvel ambassadeur est en- voyé pour prévenir de son approche ; et si l'ennemi déclare qu'il n'est pas préparé, et que ses forces ne sont pas rassemblées, l'armée attaquante fait halte, et attend que l'autre soit prête à combattre. Afin de rendre une embuscade impossible, chose qui serait d'ailleurs considérée comme déshono- rante, on choisit pour le champ de bataille un espace découvert, sans buissons ni rochers. Ils se battent alors avec autant de valeur que d'opiniâ- treté. Lorsque l'une des deux armées est vaincue, la même générosité se fait remarquer encore dans la conduite du vainqueur. Enfin, une partie du butin est envoyée à l'ennemi ; car ils ont pour principe qu'en ne doit pas laisser même son en- nemi mourir de faim. 63. l'intérieur du liban. Lorsque le voyageur parcourt l'intérieur de ces montagnes, l'aspérité des chemins, la rapidité des pentes, la profondeur des précipices, commencent par l'effrayer. Bientôt l'adresse des mulets qui le portent le rassure, et il examine à son aise les sites pittoresques qui se succèdent pour le distraire. Là, comme dans les Alpes, il marche des journées entières pour arriver dans un lieu qui, dès le dé- part, est en vue: il tourne, il descend, il côtoie, R 13 Î94 THE FRENCH READER. il grimpe; et, dans ce changement perpétuel de sites, on dirait qu'un pouvoir magique varie à chaque pas les décorations de la scène. Tantôt ce sont des villages prêts à glisser sur des pentes rapides et tellement disposées que les terrasses d'un rang de maisons servent de rue au rang qui les domine. Tantôt c'est un couvent placé sur un cône isolé ; ici, un rocher, percé par un torrent, est devenu une arcade naturelle; là, un autre rocher, taillé à pic, ressemble à une haute mu- raille ; souvent, sur les coteaux, les bancs de pierre, dépouillés et isolés par les eaux, ressem- blent à des ruines que l'art aurait disposées. En plusieurs lieux, les eaux, trouvant des couches in- clinées, ont miné la terre intermédiaire, et ont formé des cavernes ; ailleurs, elles se sont pratiqué des cours souterrains, où coulent des ruisseaux pendant une partie de l'année. 64. LE KHAN OU KIARVANSERAI. On appelle* du mot générique Khan, tous les lieux publics où les voyageurs sont admis ; on donne plus particulièrement le nom de Kiarvan^se- rai aux bâtimens assez vastes pour recevoir de nombreuses troupes de marchands, nommés Kiar- van, et que nous appelons assez improprement * Au Levant. THE FRENCH READER. 195 Caravanes. Ces édifices sont dûs, presque tous, à la piété des pachas, ou de riches particuliers qui les ont fait construire, et les ont placés sous la sauve-garde de la religion, en consacrant à des mosquées le modique revenu qu'on en retire. Les Kiarvanserai sont presque toujours formés de quatre bâtimens qui renferment une vaste cour : au rez-de-chaussée sont des écuries et des magasins ; l'étage supérieur est divisé en un grand nombre de chambres ; elles ont presque toutes une cheminée et communiquent par une galerie extérieure; au milieu de la cour est une fontaine abondante et richement décorée ; de magnifiques platanes en ombragent le pourtour, et présentent leur abri aux voyageurs fatigués. C'est un spectacle intéressant que celui d'un Khan, lorsque, vers la fin du jour, plusieurs caravanes arrivent de divers endroits pour y passer la nuit : de longues files de chameaux viennent y déposer leurs charges précieuses ; une foule de cavaliers les accompagnent ou les suivent ; ils ont des vêtemens variés, des armes, des figures différentes. Le mouvement est général ; on parle à la fois plusieurs langues ; on se retrouve avec surprise ; on se reconnait avec joie. Les uns pro- posent des marchés; les autres s'interrogent sur les dangers de la route : toutes les nations, toutes les religions se rapprochent pour leur intérêt com- mun. Un vieillard, inspecteur du Khan, chargé 196 THE FRENCH READER. d'y maintenir le bon ordre, est assis à l'entrée ; il ;accueille les voyageurs, leur rend le salut et les vœux qu'ils lui adressent ; il s'informe de ceux qu'il n'aperçoit point encore : tous se félicitent de le revoir, et le traitent avec égards. Il veille aux intérêts de ses hôtes, assigne les places, prévient les discordes. Et si, à la suite de ces riches con- vois, venus des régions lointaines, il se trouve, par un contraste trop fréquent, quelques malheureux dénués de tout, au nom de Dieu et de Mahomet, ils sont traités comme des frères qui achèvent plus laborieusement que d'autres le pèlerinage de la vie. Ils n'ont pas craint d'entrer ; sur la porte ils ont lu ces mots, gravés en lettres d'or : Le paradis est à ceux qui nourrissent, pour Vamour de Dieu, les malheureux sans ressources, les orphelins et les esclaves, 65. LES RUINES d'ÉPHÈSE. Je parvins avec assez de difficulté, par une jour- née brûlante, jusqu'à la vaste enceinte du temple de Diane.* L'ensemble paraît être de la grandeur du Louvre et des Tuileries, en y comprenant le * L'ancien temple d'Ephèse, une des merveilles de l'antiquité, fut brûle par E rostrate en 356 avant J. Ch. : «'était un sanctuaire commun à tous les Grecs. THE FBENCH READER. 197 jardin.... A la vue de ces constructions gigan- tesques, il est aisé de concevoir les dépenses qu'elles coûtèrent à tous les peuples de la Grèce et de l'Asie. On rencontre, derrière le temple de Diane, un monument circulaire orné de colonnes ; un autre de forme carrée, et au milieu un emplace- ment dont le pavé était de marbre. Un édifice assis sur des souterrains est entièrement tombé. Ces ruines composent un grand monticule entouré de plusieurs autres, tous formés des débris portant la merveilleuse empreinte du goût exquis des Grecs, à l'époque brillante de leur puissance, de leurs succès dans tous les genres. Quel sujet d'émotions plus profondes, que celui de cette grande destruction ! Quelle terrible et sin- gulière leçon que cette promenade d'une lieue, où l'on marche sans cesse sur des décombres, où des matériaux d'une admirable richesse couvrent des plaines, des montagnes, des vallées, n'offrant d'asile qu'aux loups et à de nombreux sangliers ! La porte de la Persécution est un monument en marbre, construit des arrachemens et des restes d'édifices postérieurs ; elle me rappela les monu- mens romains.... Le dernier tremblement de terre a renversé cette porte, qui était si bien conservée lorsque je la dessinai. On marche pendant un quart de lieue sur un terrain couvert d'un épouvan- table chaos de pierres et de marbres amoncelés, r2 Î98 THE FRENCH READER. empilés : frises, frontons, architraves, statues, tout ce qui charmait autrefois les yeux par sa régularité et sa perfection, les effraie aujourd'hui par la con- fusion de ses débris. Je suivis un aqueduc qui réunit dans les mon- tagnes les eaux des sources les plus abondantes ; il les amène encore, mais personne ne va s'y dé- saltérer. Cette rivière, portée sur des murs élevés, rencontre enfin une brèche chargée de vignes sau- vages ; elle tombe alors en cascade, et sa nappe limpide se brise sur le dôme des ruines et des bains turcs. Les siècles les plus reculés et les âges de bar- barie ont écrit leurs annales dans ce lieu des regrets, des hautes réflexions, où tout parle si noblement de la mort.... 66. JÉRUSALEM. Entre la vallée du Jourdain et les plaines de l'Idumée, s'étend une chaîne de montagnes qui commence aux champs fertiles de la Galilée, et va se perdre dans les sables de l'Yémen. Au centre de ces montagnes se trouve un bassin aride, fermé de toutes parts par des sommets jaunes et rocail- leux; ces sommets ne s'entr'ouvrent qu'au levant pour laisser voir le gouffre de la mer Morte et les montagnes lointaines de l'Arabie. Au milieu de THE FRENCH READER. 199 ce passage de pierres, sur un terrain inégal et pen- chant, dans l'enceinte d'un mur jadis ébranlé sous les coups du bélier, et fortifié par des tours qui tombent, on aperçoit de vastes débris ; des cyprès épars, des buissons d'aloès et de nopals, quelques masures arabes pareilles à des sépulcres blanchis, recouvrent cet amas de ruines : c'est la triste Jéru- salem. Les maisons de Jérusalem sont de lourdes masses carrées, fort basses, sans cheminées et sans fenêtres ; elles se terminent en terrasses aplaties ou en dômes, et elles ressemblent à des prisons ou à des sépulcres. Tout serait à l'œil d'un niveau égal, si les clochers des églises, les mina- rets des mosquées, les cimes de quelques cyprès et les buissons de nopals ne rompaient l'uniformité du plan. A la vue de ces maisons de pierre, ren- fermées dans un paysage de pierres, on se de- mande si ce ne sont pas là les monumens confus d'un cimetière au milieu d'un désert. Entrez dans la ville, rien ne vous consolera de la tristesse extérieure : vous vous égarez dans le petites rues non pavées, qui montent et descendent sur un sol inégal, et vous marchez dans des flots de poussière ou parmi des cailloux roulans. Des toiles jetées d'une maison à l'autre augmentent l'obscurité de ce labyrinthe ; des bazars voûtés et infects achèvent d'ôter la lumière à la ville désolée ; 200 THE FRENCH READER. quelques chétives boutiques n'étalent aux yeux que la misère ; et souvent ces boutiques mêmes sont fermées, dans la crainte du passage d'un cadi. Personne dans les rues, personne aux portes de la ville ; quelquefois seulement un paysan se glisse dans l'ombre, cachant sous ses habits le fruit de son labeur, dans la crainte d'être dépouillé par le soldat ; dans un coin à l'écart le boucher arabe égorge quelque bête suspendue par les pieds à un mur en ruines ; à l'air hagard et féroce de cet homme, à ses bras ensanglantés vous croiriez qu'il vient plutôt de tuer son semblable que d'immoler un agneau. 67. LES ENVIRONS DE JÉRUSALEM. Je visitai d'abord les environs de la Cité sainte du côté du sud. En sortant par la porte de Beth- léem et en traversant une partie du ravin qui s'étend au-dessous, on arrive à la montagne du Jugement ou de Sion. Combien son aspect est majestueux du fond de la vallée sauvage de l'Hin- nom, bordée d'une chaîne de rochers qui lui ser- vent de rempart ! Rien ne trouble le silence de cette solitude. Sur la droite, la montagne des Oliviers distrait agréablement la vue. A ses pieds s'étend la vallée de Josaphat, où l'on distingue à travers les arbres le tombeau de Zacharie, le der- THE FRENCH READER. 201 nier des prophètes mis à mort par les Juifs. Le seul ruisseau que l'on aperçoive de ce côté vient de la fontaine de Siloam, au revers opposé de Sion. La Cité fidèle a disparu, et avec elle les monumens sacrés qui couvraient son enceinte. Mais l'aspect de cette contrée si fertile en miracles est resté le même. Les rochers, les lacs, les vallées, les mon- tagnes de la Terre-Sainte sont toujours là ; seule- ment la solitude et la désolation y ont remplacé le mouvement et la vie. Leur gloire est absente ; mais leur beauté subsiste encore, triste, sévère et silencieuse. L'étranger éprouve un charme mé- lancolique à les parcourir. A chaque pas son imagination ranime la nature expirante sur ces monts arides, dans ces plaines qui ont perdu l'em- preinte des pieds de l'homme, dans ces vallées sans écho ; et elle lui montre la vie et l'immorta- lité s'élevant radieuses du sein des misères hu- maines. ^^ii^^^^;^:ss^^B 202 THE FRENCH READER. 68. l'êcureuil. L'écureuil est un joli petit animal qui n'est qu'à demi sauvage, et qui, par sa gentillesse, par sa do- cilité, par l'innocence de ses mœurs, mériterait d'être épargné ; il n'est ni carnassier, ni nuisible, quoiqu'il saisisse quelquefois des oiseaux ; sa nourriture ordinaire sont des fruits, des amandes, des noisettes, de la faîne et du gland ; il est propre, leste, vif, très-alerte, très-éveillé, très-industrieux; il a les yeux pleins de feu, la physionomie fine, le corps nerveux, les membres trés-dispos : sa jolie figure est encore rehaussée, parée par une belle queue en forme de panache, qu'il relève jus- que par dessus sa tête, et sous laquelle il se met à l'ombre. Il est, pour ainsi dire, moins quadru- pède que les autres ; il se tient ordinairement assis THE FRENCH READER. 203 presque debout, et se sert de ses pieds de devant comme d'une main, pour porter sa nourriture à sa bouche ; au lieu de se cacher sous terre, il est tou- jours en l'air ; il approche des oiseaux par sa légè- reté ; il demeure comme eux sur la cime des arbres, parcourt les forêts en sautant de l'un à l'autre, y fait son nid, cueille les graines, boit la rosée et ne descend à terre que quand les arbres sont agités par la violence des vents. On ne le trouve point dans les champs, dans les lieux décou- verts, dans les pays de plaine; il n'approche jamais des habitations ; il ne reste point dans les' taillis, mais dans les bois de hauteur, sur les vieux arbres des plus belles futaies. Il craint l'eau plus encore que la terre, et l'on assure que, lorsqu'il faut la passer, il se sert d'une écorce pour vais- seau, et de sa queue pour voiles et pour gouvernail. Il ne s'engourdit pas, comme le loir, pendant l'hiver ; il est en tout temps très-éveillé ; et pour peu qu'on touche au pied de l'arbre s-ur lequel il repose, il sort de sa petite bauge, fuit sur un autre arbre, ou se cache à l'abri d'une branche. Il ramasse des noisettes pendant l'été, en remplit les troncs, les fentes d'un vieux arbre, et a recours en hiver à sa provision ; il les cherche aussi sous la neige, qu'il détourne en grattant. Il a la voix éclatante et plus perçante encore que celle de la fouine ; il a de plus un murmure à bouche fermées 204 THE FRENCH READER. un petit grognement de mécontentement, qu'il fait entendre toutes les fois qu'on l'irrite. Il est trop léger pour marcher, il va ordinairement par petits sauts, et quelquefois par bonds ; il a les ongles si pointus et les mouvemens si prompts, qu'il grimpe en un instant sur un hêtre dont l'écorce est fort lisse. 69. LA CHEVRE ET LA BREBIS. La chèvre a, de sa nature, plus de sentiment et de ressource que la brebis ; elle vient à l'homme volontiers, elle se familiarise aisément, elle est sen- sible aux caresses et capable d'attachement; elle est aussi plus forte, plus légère, plus agile et moins timide que la brebis : elle est vive, capricieuse et vagabonde. Ce n'est qu'avec peine qu'on la con- duit et qu'on peut la réduire en troupeau ; elle aime à s'écarter dans les solitudes, à grimper sur les lieux escarpés, à se placer, et môme à dormir THE FRENCH READER. 205 sur la pointe des rochers et sur le bord des préci- pices ; elle est robuste, aisée à nourrir ; presque toutes les herbes lui sont bonnes, et il y en a peu qui l'incommodent. Le tempérament, qui dans tous les animaux influe beaucoup sur le naturel, ne paraît cependant pas dans la chèvre différer essen- tiellement de celui de la brebis. Ces deux espèces d'animaux, dont l'organisation intérieure est pres- que entièrement semblable, se nourrissent, crois- sent et multiplient de la même manière, et se res- semblent encore par le caractère des maladies, qui sont les mêmes, à l'exception de quelques-unes auxquelles la chèvre n'est pas sujette ; elle ne craint pas, comme la brebis, la trop grande cha- leur ; elle dort au soleil, et s'expose volontiers à ses rayons les plus vifs, sans en être incommodée, et sans que cette ardeur lui cause ni étourdisse- mens, ni vertiges ; elle ne s'effraie point des orages, ne s'impatiente pas à la pluie; mais elle paraît être sensible à la rigueur du froid. Les mouvemens extérieurs sont beaucoup moins me- surés, beaucoup plus vifs dans la chèvre que dans la brebis. L'inconstance de son naturel se marque par l'irrégularité de ses actions ; elle marche, elle s'arrête, elle court, elle bondit, elle saute, s'ap* proche, se montre, se cache, ou fuit, comme par caprice, et sans autre cause déterminante que celle de la vivacité bizarre de son sentiment intérieur ; 206 THE FRENCH READER. et toute la souplesse des organes, tout le nerf dû corps, suffisent à peine à la pétulance et à la rapidité de ces mouvemens, qui lui sont naturels. Si l'on fait attention à la faiblesse et à la stupi- dité de la brebis; si l'on considère en même temps que cet animal sans défense ne peut même trouver son salut dans la fuite ; qu'il a pour enne- mis tous les animaux carnassiers, qui semblent le chercher de préférence et le dévorer par goût ; que d'ailleurs cette espèce produit peu ; que chaque individu ne vit que peu de temps, on serait tenté d'imaginer que dès les commencemens la brebis a été confiée à la garde de l'homme; qu'elle a eu besoin de sa protection pour subsister, et de ses soins pour se multiplier, puisqu'en effet on ne trouve point de brebis sauvages dans les déserts ; que, dans tous les lieux où l'homme ne commande pas, le lion, le tigre, le loup, régnent par la force et par la cruauté ; que ces animaux de sang et de carnage vivent plus long-temps et multiplient tous beaucoup plus que la brebis ; et qu'enfin, si l'on abandonnait encore aujourd'hui dans nos cam- pagnes les troupeaux nombreux de cette espèce que nous avons tant multipliée, ils seraient bientôt détruits sous nos yeux, et l'espèce entière serait anéantie par le nombre et la voracité des espèces ennemies. Il paraît donc que ce n'est que par notre secours THE FRENCH READER. 207 et par nos soins que cette espèce a duré, et pourra durer encore : il paraît qu'elle ne subsisterait pas par elle-même. La brebis est absolument sans ressource et sans défense ; le bélier n'a que de fai- bles armes ; son courage n'est qu'une pétulance inutile pour lui-même, incommode pour les autres. Les moutons sont encore plus timides que les bre- bis : c'est par crainte qu'ils se rassemblent si sou- vent en troupeaux ; le moindre bruit extraordinaire suffit pour qu'ils se précipitent et se serrent les uns contre les autres, et cette crainte est accom- pagnée de la plus grande stupidité, car ils ne savent pas fuir le danger ; ils semblent même ne pas sen- tir l'incommodité de leur situation : ils restent oii ils se trouvent, à la pluie, à la neige ; ils y demeu- rent opiniâtrement ; et pour les obliger à changer de lieu et à prendre une route, il leur faut un chef, qu'on instruit à marcher le premier et dont ils sui- vent tous les mouvemens pas à pas : ce chef de- meurerait également avec le reste du troupeau, sans mouvement, dans la même place, s'il n'était chassé par le berger ou excité par le chien commis à leur garde, lequel sait en effet veiller à leur sûreté, les défendre, les diriger, les séparer, les rassembler, et leur communiquer les mouvemens qui leur manquent. Ce sont donc, de tous les animaux quadrupèdes, les plus stupides : ce sont ceux qui ont le moins 208 THE FRENCH READER. de ressources et d'instinct ; les chèvres, qui leur ressemblent à tant d'autres égards, ont beaucoup plus de sentiment; elles savent se conduire, elles évitent les dangers, elles se familiarisent aisément avec les nouveaux objets, au lieu que la brebis ne sait ni fuir, ni s'approcher ; quelque besoin qu'elle ait de secours, elle ne vient point à l'homme aussi volontiers que la chèvre ,* et, ce qui dans les ani- maux paraît être le premier degré de la timidité ou de l'insensibilité, elle se laisse enlever son agneau sans le défendre, sans résister et sans marquer sa douleur par une cri différent du bêlement ordinaire. Mais cet animal si chétif en lui-même, si dé- pourvu de sentiment, si dénué de qualités inté- rieures, est pour l'homme l'animal le plus pré- cieux, celui dont l'utilité est la plus immédiate et la plus étendue ; seul il peut suffire aux besoins de première nécessité, il fournit tout à la fois de quoi se vêtir, sans compter les avantages particu- liers que l'on sait tirer du suif, du lait, de la peau, et même des boyaux, des os et du fumier de cet animal, auquel il semble que la nature n'ait, pour ainsi dire, rien accordé en propre, rien donné que pour le rendre à l'homme.... L'on dit aussi que les moutons sont sensibles aux douceurs du chant, qu'ils paissent avec plus d'assiduité, qu'ils se por- tent mieux, qu'ils engraissent au son du chalumeau, que la musique a pour eux des attraits ; mais l'on THE FRENCH READER. 209 dit encore plus souvent, et avec plus de fondement, ^ qu'elle sert au moins à charmer l'ennui du berger, et que c'est à ce genre de vie oisive et solitaire que l'on doit rapporter l'origine de cet art. 70. MÉTAMORPHOSES DES ABEILLES. Il ne faut pas plus de quatre jours pour que l'œuf éclose, et, au bout de cinq à six jours, la larve remplit toute la capacité de sa loge. Les ouvrières qui l'avaient nourrie copieusement jus- qu'à cette époque, cessent de lui fournir des ali- mens : elles ferment la loge avec un mince couver- cle de matière brune. Cette clôture doit être flexible et se prêter aux mouvemens de l'insecte, qui se dispose alors à filer le cocon de soie blanche dont il s'enveloppera pour se transformer en nymphe : cette opération dure six heures. Enfin, le vingt-unième jour de son existence, à dater du s2 14 210 THE FRENCH READER. moment où l'œuf fut déposé, la jeune abeille dé- chire son enveloppe et sort dans l'état d'insecte parfait, avec ses ailes et tous ses organes. Les métamorphoses successives de la reine sont plus rapides ; son enfance ne se prolonge pas autant que celle de ses futurs sujets : trois jours pour que l'œuf éclose : cinq jours dans l'état de larve. Dès que son habitation est close, elle file son cocon en vingt-quatre heures, et alors, épuisée par l'excès du travail, elle tombe dans un état d'immobilité que l'on nomme repos, et qui se prolonge jusqu'au douzième jour de son existence. Après avoir passé quatre jours dans cet état, sa transformation est terminée, et sa royauté com- mence. Les mâles procèdent avec plus de len- teur; il leur faut vingt-quatre ou vingt-huit jours pour arriver à l'état d'insectes parfaits. C'est avec ses dents que la jeune abeille, quit- tant l'état de nymphe, déchire son enveloppe et se met en liberté. Une officieuse ouvrière s'empare de la nouvelle venue, fait sa toilette, développe et lisse ses ailes, et, dès que cette opération est finie, l'institutrice et l'élève prennent leur vol, et vont butiner dans la campagne. La sortie d'une reine abeille, au contraire, n'est pas seulement l'œuvre de cette personne royale ; dès que la nymphe s'apprête à changer d'état, les ouvrières accourent, déchirent le cocon, et à peine THE FRENCH READER. 211 a-t-elle joui d'un moment de liberté, que ses pro- pres sujets la constituent prisonnière. On craint apparemment que son premier essor ne soit pas heureux, et ne compromette une existence si pré- cieuse. On veut aussi préserver les autres reines qui ne sont pas encore écloses, des attaques de leur mortelle ennemie, c'est-à-dire de leur sœur aînée. Si on la laissait seule, cette sœur massa- crerait sans pitié toute rivale qui lui porterait om- brage, toute la génération royale dont elle redou- terait la concurrence. 71. ACTIVITÉ DES ABEILLES. Chacun a pu remarquer les mouvemens lestes et l'air empressé d'une abeille occupée sur une fleur à faire sa provision de pollen, dont elle forme deux pelotes attachées à ses pattes de manière qu'aucun de ses mouvemens ne soit gêné. Si la saison est très-sèche, les particules de cette sub- stance ne peuvent adhérer les unes aux autres, et l'insecte ne peut les réunir en les pétrissant ; il prend le parti d'en couvrir tout son corps, et revient ainsi à la ruche, enfariné, méconnaissable; on le prendrait pour une abeille d'une autre espèce. Arrivée dans la ruche, la diligente ouvrière secoue cette précieuse poussière, ou bien ses compagnes lui rendent le service de l'en débarrasser. Plu- 212 THE FRENCH READER. sieyrs observateurs disent que les abeilles préfèrent la matinée pour faire leur récolte, apparemment à cause que l'humidité que le pollen a contractée, pendant la nuit, donne alors à l'insecte la facilité de faire ses pelotes, et de transporter plus aisé- ment son butin. "Elles devancent quelquefois l'aurore, dit Reaumur ;* je les ai vues à l'ouvrage, quoique la nuit fût encore assez sombre pour que je ne pusse les reconnaître que difficilement : elles continuent ordinairement leur récolte jusqu'à dix heures, pendant les chaleurs de l'été, mais en Avril et en Mai, ou lorsqu'un essaim vient de former son établissement, la journée tout entière est consacrée au travail. Afin de le rendre plus profitable et moins pénible, les abeilles choisissent les lieux humides ou ombragés, et vont quelquefois les chercher assez loin. "Dès qu'une pourvoyeuse revient à la ruche avec une ample récolte, les abeilles nourrices s'em- parent d'une partie de ce qu'elle apporte, et parais- sent le manger avec avidité ; c'est une préparation qu'elles lui font subir, afin qu'elle puisse être digérée par les larves, auxquelles cet aliment sera distri- bué ; le reste de la provision est mis en magasin pour les besoins futurs. Voici comment on procède * Un des plus célèbres naturalistes et physiciens fran- çais, mort en 1787. THE FRENCH READER. 213 à cette œuvre d'économie publique. L'abeille qui apporte sa charge, se met en quête d'un alvéole con- venable pour l'y déposer; dès qu'elle a fait son choix, elle agite ses ailes pour avertir ses compagnes qui comprennent le signal, et arrivent sans retard. Alors l'abeille chargée pose ses deux pattes du mi- lieu et celles de derrière sur le bord de l'alvéole, détache ses pelotes avec les pattes de devant et les fait tomber dans la case destinée à les recevoir ; elle prend ensuite son vol et va recueillir une nouvelle charge. La pétrisseuse entre dans la case, hu- mecte avec un peu de miel la matière déposée, la met en place, et termine son travail par l'applica- tion d'une très-mince couche de vernis." 72. VOYAGE DANS LES AIRS. Voici comment un de ceux qui ont le plus récemment voyagé dans les airs, le docteur For- ster, qui monta un ballon le 30 Avril 1831, décrit son ascension et les sensations qu'il éprouva. " Le ballon, qui avait quarante-huit pieds de hau- teur sur trente-deux de largeur, s'éleva d'abord avec un léger mouvement de rotation, et fut porté par une douce brise d'est, à la hauteur d'environ mille pieds. Peu de minutes après, sa rapidité étant diminuée, M. Forster reconnut bientôt qu'un changement avait eu lieu dans le courant 214 THE FRENCH READER. d'air. Le ballon fut alors emporté dans une direc- tion presque complètement opposée, sans cepen- dant cesser de monter rapidement. A la hauteur d'environ quatre mille pieds, un nouveau courant porta le ballon du sud-ouest vers le nord-est ; son mouvement ascendant se ralentit tout-à-coup. Le pilote jeta quelque portion de lest, et après cette manœuvre le ballon commença à monter rapide- ment, en suivant une spirale irrégulière, mais si douce qu'on pouvait à peine s'apercevoir du mouvement. Enfin, à la hauteur d'environ six mille pieds, le ballon devint tout-à-coup immobile et resta ainsi durant un quart d'heure. Le docteur Forster éprouva pendant ce temps une sensation délicieuse. Mollement balancé dans une région parfaitement calme, au milieu des formes vapo- reuses des nuages, ses regards embrassaient le vaste panorama qu'offrait le pays. Pendant ce peu de momens, les voyageurs aériens jouirent d'un repos qu'on trouve rarement sur la terre, au milieu des inquiétudes et des bruits du monde. Ils jetè- rent de nouveau du lest, et le ballon monta encore; mais alors le docteur Forster, ayant éprouvé une sensation désagréable, semblable à une pression sur le tympan des oreilles, prit le parti d'ouvrir le robinet, et la descente s'accomplit sans accident,'' THE FRENCH READER. 215 73. l'ane. L'âne est de son naturel aussi humble, aussi patient, aussi tranquille, que le cheval est fier, ardent, impétueux ; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtimens et les coups; il est sobre, et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures, les plus désagréables, que le cheval et les autres animaux lui laissent et dédaignent : il est fort dé- licat sur l'eau, il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus ; il boit aussi sobrement qu'il mange, et n'enfonce point du tout son nez dans l'eau, par la peur que lui fait, dit-on, l'ombre de ses oreilles. Comme l'on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon, 216 THE FRENCH READER. sur les chardons, sur la fougère ; et, sans se sou- cier beaucoup de ce qu'on lui fait porter il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu'on prend de lui ; car il ne se vautre pas, comme le cheval, dans la fange et dans l'eau ; il craint même de se mouiller les pieds, et se dé- tourne pour éviter la boue ; aussi a-t-il la jambe plus sèche et plus nette que le cheval : il est sus- ceptible d'éducation, et l'on en a vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle. Dans la première jeunesse il est gai et même assez joli, il a de la gentillesse; mais il la perd bientôt, soit par Tàge, soit par les mauvais traite- rnens, et il devient lent, indocile et têtu.... Il s'attache cependant à son maître, quoiqu'il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin et le distingue de tous les autres hommes ; il reconnaît aussi les lieux qu'il a coutume d'habiter, les che- mins qu'il a fréquentés ; il a les yeux bons, l'odo- rat admirable, l'oreille excellente, ce qui a encore contribué à le faire mettre au nombre des animaux timides, qui ont tous, à ce qu'on prétend, l'ouïe très-fine et les oreilles longues ; lorsqu'on le sur- charge, il le marque en inclinant la tête et baissant les oreilles; lorsqu'on le tourmente trop, il ouvre la bouche et retire les lèvres d'une manière très- désagréable, ce qui lui donne l'air moqueur et dé- THE FEEXCH READER. 217 risoife ; si on lui couvre les yeux, il reste immo- bile ; et lorsqu'il est couché sur le côté, si on lui place la tête de manière que l'œil soit appuyé sur la terre, et qu'on couvre l'autre œil avec une pierre ou un morceau de bois, il restera dans cette situa- tion sans faire aucun mouvement et sans se secouer pour se relever ; il marche, il trotte et il galope comme le cheval : mais tous ses mouvemens sont petits et beaucoup plus lents ; quoiqu'il puisse d'abord courir avec assez de vitesse, il ne peut fournir qu'une petite carrière pendant un petit espace de temps, et, quelque allure qu'il prenne, si on le presse, il est bientôt rendu. 74. LE SON. Le son se transmet par l'air, sans lequel l'uni- vers serait plongé dans le plus profond silence. Un Anglais * démontra ce fait, en suspendant une sonnette dans une cloche de verre. A mesure qu'on retirait l'air de la cloche, le son de la sonnette s'affaiblissait de plus en plus ; et lorsque l'air avait été complètement retiré, la sonnette ne faisait plus entendre aucun bruit. Mais, lorsque ensuite on réintroduisait l'air dans la cloche, la sonnette recommençait de nouveau à se faire en- tendre ; le son s'accroissait successivement et * Hanksbee, au 17. siècle. 218 THE FRENCH READER. reprenait son intensité primitive, quand la cloche se trouvait remplie de l'air atmosphérique. De là ce silence profond qui règne dans les hautes régions du globe, et qui, joint à leur soli- tude habituelle, remplit l'homme d'une crainte respectueuse. A mesure que le voyageur s'élève, les accens de sa voix, le bruit de ses pas s'affaiblissent graduelle- ment, et ne s'entendent plus qu'à des distances très-courtes. Saussure^' a vérifié qu'au sommet du Mont-Blanc, un pistolet rendait à peine le même son que les petits canons de cuivre qui ser- vent de jouets à l'enfance. Le son ne se transmet pas sur-le-champ dans l'atmosphère. On voit la lumière d'un canon avant d'entendre le bruit de son explosion, et plus la dis- tance d'un canon est grande, plus cet intervalle est long. On aperçoit l'éclair avant d'ouïr la foudre. Il résulte des expériences qu'on a faites que, dans un temps sec et à la température de la glace, le son parcourt 360 mètres environ dans une seconde, et 255 lieues dans une heure. L'humi- dité de l'air, les brouillards, la pluie ralentissent la transmission du son ; une couche de neige nou- vellement tombée produit des résultats encore plus extraordinaires. ^ Célèbre naturaliste de Genève, mort en 1799. THE FRENCH READER. 219 Un officier anglais qui a servi dans la dernière campagne d'Amérique, a raconté un fait de ce genre fort singulier. Une rivière séparait les lignes anglaises des lignes américaiaes, et les avant-postes étaient si rapprochés, qu'il était facile de distinguer, d'une rive à l'autre, ceux qui en faisaient partie. L'attention de l'officier fut attirée par un tambour qui commençait à battre sa caisse. On distinguait parfaitement le mouvement continuel de ses bras, mais l'observateur n'entendait pas un seul son : une couche de neige fraîchement tombée l'étouffait. Un efîët tout contraire est produit par la neige durcie ou par une surface glacée. On a observé que sur un sol glacé, la voix humaine se fait en- tendre à plus d'une lieue. Quand le sol est sec et dur, et repose sur une couche de rochers, le son se propage à une distance beaucoup plus étendue. A la guerre on met l'oreille près de la terre, pour s'assurer de l'approche de la cavalerie. Le son du canon se fait quelquefois entendre à quarante lieues. Quand le son est arrêté par une surface unie, telle qu'un mur, un rocher ou une colline, il est réfléchi et ramené en arrière, comme la lumière l'est par un miroir. Si, par exemple, quelqu'un est en face d'un rocher, à une distance d'environ mille pieds, et tire un pistolet, il faudra au son une seconde pour atteindre le roc, et une autre seconde 220 THE FRENCH READER. pour en revenir, de manière que Pécho se fera en- tendre deux secondes après la décharge du pistolet. Pour entendre parfaitement l'écho, il faut que l'observateur soit placé en face du milieu du mur ou de l'obstacle qui le produit. L'écho du parc de Woodstock répète dix-sept syllables le jour et vingt la nuit. Un des échos les plus remarquables est celui de Roseneath, dans le comté d'Argyle. Huit ou dix notes, exécutées sur une trompette, sont correctement répétées, mais d'un ton plus bas. Après un court silence, une autre répétition a lieu d'une manière plus faible, puis une troisième, encore plus affaiblie que la précédente. 75. INFLUENCE DE FROID SUR LE FIL DES RASOIRS. On demande pourquoi, dans un temps de gelée, un rasoir, à moins d'etre chauffé, ne coupe pas sans irriter la peau? C'est parce que, lorsqu'il gèle, le fil du rasoir, examiné au microscope, est comme une scie, et que, dès qu'on le chauffe, il devient uni. THE FRENCH READER. 221 76. CHANGEMENS DE TEMPS INDIQUÉS PAR LA TOILE d'aRAIGNÊE. Lorsqu'il doit faire de la pluie ou du vent, Faraignée raccourcit beaucoup les derniers fils aux- quels sa toile est suspendue, et elle la laisse dans cet état tant que le temps reste variable. Quand au contraire les derniers fils sont longs, on peut être assuré qu'il fera beau, et l'on pourra juger de la durée du beau temps d'après le degré de lon- gueur de ces mêmes fils. Si l'araignée demeure dans l'inaction, il faut s'attendre à la pluie ; mais si elle se remet au travail pendant qu'il pleut, on doit en conclure que la pluie sera de courte durée et qu'elle sera même suivie d'un beau temps fixe. D'autres observations sur l'araignée nous appren- nent qu'elle fait des changemens à sa toile toutes t2 222 THE FRENCH READER. les vingt-quatre heures, et que, si ces changemens ont lieu vers les six ou sept heures du soir, on peut compter sur une nuit belle et claire. 77. l'eau, la neige et la glace. L'eau n'est point un élémeni, comme on le croyait autrefois ; car c'est un fluide composé de deux gaz, comme l'air, c'est-à-dire d'une partie de gaz oxygène, et de deux parties de ga% hydrO' gène, autrement nommé gaz inflammable. Liteau liquide, qui nous intéresse le plus, pèse 70 livres (35 kilog.) le pied cube. On ne peut la comprimer ou lui faire tenir moins de place qu'elle n'en tient naturellement, qu'en employant des moyens extraordinaires. L'eau qui tombe du ciel est à peu près aussi pure que l'eau distillée et dans cet état c'est un liquide sans saveur, sans cou- leur et sans odeur ; mais les eaux qui s'échappent du sein de la terre, qui donnent naissance aux sources, aux fontaines, aux ruisseaux, et par suite aux rivières et aux fleuves qui vont se jeter dans la mer, ces eaux contiennent presque toujours quelques substances terreuses ou salines en disso- lution; quand ces substances sont assez abon- dantes pour donner un goût, ou pour influer sur la santé de ceux qui les boivent, elles prennent le nom (Teaux minérales, et quand elles sont naturelle- ment chaudes, on les nomme eaux thermales. THE FRENCH READER. 223 L'eau, comme la plupart des autres liquides, a la propriété de s'évaporer, surtout quand le soleil darde ses rayons à sa surface. Cette eau qui s'échappe ainsi, se mêle à l'air sans en altérer la pureté; mais cependant, quand elle s'y accumule en trop grande quantité, elle nous dérobe une partie de la lumière, donne naissance aux nuages, aux brouillards, à la pluie ou à la neige. La glace n'est autre chose que de l'eau rendue solide par l'effet du froid. Dans ce nouvel état l'eau a perdu sa fluidité, sa mobilité ; elle ressem- ble à du cristal ; elle a augmenté de volume et est devenue plus légère, puisque l'on voit nager les glaçons à la surface des rivières qui charient, et cette augmentation de volume, cette espèce de gonflement est la cause qui fait casser nos cruches quand l'eau qu'elles contiennent vient à s'y conge- ler. L'eau salée ou l'eau qui est mêlée à quelque liqueur spiritueuse, se sépare et se congèle seule; c'est pour celte raison que les glaçons de la mer ne sont point salés, et que l'on parvient à rendre le vin fort et spiritueux en le faisant geler et en le soutirant avant le dégel ; c'est un moyen d'en séparer l'eau. La neige est le produit d'un brouillard épais que le froid change en une infinité de petits glaçons imperceptibles qui, en se réunissant, forment le plus ordinairement de légers flocons irréguliers, 224 THE FRENCH READER. qui tombent avec plus ou moins d'abondance, et qui couvrent la terre d'une couche plus ou moins épaisse, dont l'effet est de préserver du plus grand froid les végétaux qu'elle cache. Il arrive quel- quefois, et principalement quand l'air est tranquille, que chaque particule de neige a la forme d'une jolie petite étoile à six rayons d'une délicatesse extrême, et qui ressemblent à de petites plumes. lu eau réduite en vapeur au moyen du feu que l'on entretient sous un vase ou par l'effet de la chaleur du soleil, tient plus de 1700 fois autant de place que l'eau liquide, c'est-à-dire qu'un pied cube d'eau produit 1700 pieds cubes de vapeur, et c'est à cause de cette grande augmentation de volume et de la force énorme qui en est le résultat, que la vapeur d'eau devient capable de produire des effets beaucoup plus étonnans que ceux de la poudre à canon. 78. LA LUMIERE ET LES COULEURS. Le soleil est pour notre globe la première source de la lumière, car la lune, quelques astres que l'on appelle planètes, ne' font que nous renvoyer la lumière qu'elles reçoivent de cet astre. Le feu, la combustion et plusieurs autres phénomènes pro- duisent aussi une lumière, qui a les mêmes pro- priétés que celle qui provient directement du soleil, et ce sont ces propriétés que je vais tâcher de vous expliquer. THE FRENCH READER. 225 La vitesse avec laquelle la lumière traverse l'es- pace qui nous sépare des corps qui la produisent est telle, qu'elle parcourt en 8 minutes 13 secondes la distance moyenne de la terre au soleil, c'est-à- dire 34 millions de lieues de 2250 toises, ou 68 mille lieues par seconde, tandis que le bruit ou le son^ qui paraîtrait devoir être aussi fin et aussi subtil que la lumière, ne parcourt que 175 toises par seconde ; donc il marche 900 mille fois moins vite qu'elle. La lumière, à partir de l'objet qui l'a produit, s'élance au loin sous la forme d'une infinité de traits ou de rayons lumineux qui vont toujours en s'écartant les uns des autres, de manière à pouvoir éclairer de grands espaces; mais aussi plus les corps en sont éloignés et moins ils sont éclairés ; ainsi, par exemple, une carte qui sera trois fois plus éloignée qu'une autre d'une chandelle al- lumée, sera neuf fois moins éclairée que celle qui en est la plus proche. Vous vous êtes sûrement déjà trouvés dans une chambre fermée, où le soleil ne pénétrait que par les trous des volets, et vous avez remarqué que la lumière formait dans l'obscurité des espèces de rayons ou de traits lumineux qui traçaient sur le mur ou sur le plancher des places rondes éclairées et brillantes. Hé bien, il paraît que la lumière est ainsi composée ; car lorsque les savans veulent 15 226 THE FRENCH READER. faire leurs expériences, ils s'enferment dans une chambre noire tête-à-tête avec un de ces rayons, et là ils lui font subir toutes sortes d'épreuves, soit au moyen de verres plats, de verres bombés ou len- ticulaires.,^ soit au moyen de miroirs ou de mor- ceaux de cristal qui ont la forme d'un coin, à tra- vers lesquels ils le font passer et repasser, et c'est à l'aide de toutes ces expériences qu'ils sont par- venus à expliquer d'une manière assez satisfaisante comment s'opère la vision chez l'homme et chez les animaux, et comment il se fait que cette lu- mière blanche qui nous éclaire, est composée de sept espèces de rayons différemment colorés, les- quels prêtent à chaque objet la couleur qui lui est propre. Ces sept couleurs, que l'on nomme primitives, parce qu'elles servent à former toutes les autres, sont : le violet, Vindigo, le bleu, le vert, le jaune, Vorangé et le rouge; or, pour séparer ces cou- leurs, il suffit de barrer le chemin au rayon de la chambre noire dont je vous ai parlé, en le forçant de passer à travers un coin de cristal : on appelle cet instrument le prisme. Alors, au lieu d'obtenir une place blanche et brillante sur le mur, on a une image ovale décorée de ces mêmes couleurs que nous admirons dans l'arc-en-ciel, dans les iris, et * Ayant la forme d'une lentille. THE FRENCH READER. 2^7 qui sont produites par les gouttelettes de la pluie, de la rosée du matin, par les jets d'eau ou les cas- cades de nos montagnes frappées par les rayons du soleil qu'elles décomposent, tout comme le feraient autant de petits prismes de cristal. Tous les objets n'agissent pas de même sur la lumière. Les uns absorbent ou anéantissent tous les rayons de cette lumière : ils ne nous en ren- voient aucun : ce sont les corps noii^s^ qui ne sont visibles que par l'opposition qu'ils forment avec les autres, et qui ont la propriété de s'échauffer beau- coup plus vite que les autres corps. Les autres les réfléchissent tous ou les renvoient à notre œil d'une manière tumultueuse ; ce sont les corps blancs^ qui s'échauffent beaucoup plus lentement que les noirs. D'autres en absorbent une partie et nous ren- voient le reste ; ce sont les corps colorés en géné- ral, tels que les fleurs, les papillons, les étoffes, etc. Les rayons qui nous sont ainsi renvoyés font que nous trouvons que telle fleur est rouge, oue l'herbe est verte, etc. Ainsi le coquelicot absorbe tous les rayons, excepte les rouges, tan- dis que le bluet ne nous renvoie que les rayons bleus. Les corps transparens, tels que l'air, l'eau, le verre, le cristal, se laissent traverser par la lumière. Les verres transparens dont la forme approche dé 228 THE FRENCH READER. celle d'une graine de lentille, ont la faculté de ras- sembler les rayons lumineux dans un plus petit espace, de concentrer leur chaleur à tel point que ces lentilles ardentes peuvent mettre le feu à la poudre à canon. Le feu était un des élémens des anciens ; mais aujourd'hui on le considère comme un effet et non comme un corps. Le feu paraît toutes les fois que des matières combustibles sont portées à une très-haute température, par quelque cause que ce soit ; il se communique de proche en proche jus- qu'à ce qu'il ait détruit tout ce qui pouvait l'entre- tenir, ou qu'on l'ait privé d'air ; alors il s'éteint. 79. LE CHEVAL. La plus noble conquête que l'homme ait jamais faite est celle de ce fier et fougueux animal qui THE FRENCH READER. 229 partage avec lui les fatigues de la guerre et la gloire des combats : aussi intrépide que son maître, le cheval voit le péril et l'affronte ; il se fait au bruit des armes, il l'aime, il le cherche, et s'anime de la même ardeur : il partage aussi ses plaisirs ; à la chasse, aux tournois,* à la course, il brille, il étincelle ; mais, docile autant que cou- rageux, il ne se laisse point emporter à son feu, il sait réprimer ses mouvemens ; non-seulement il fléchit sous la main de celui qui le guide, mais il semble consulter ses désirs ; et obéissant tou- jours aux impressions qu'il en reçoit, il se préci- pite, se modère ou s'arrête, et n'agit que pour y satisfaire : c'est une créature qui renonce à son être pour n'exister que par la volonté d'un autre, qui sait même la prévenir ; qui, par la promptitude et la précision de ses mouvemens, l'exprime et l'exécute ; qui sent autant qu'on le désire, et ne rend qu'autant qu'on veut ; qui, se livrant sans réserve, ne se refuse à rien, sert de toutes ses forces, s'excède, et même meurt pour mieux obéir. 80. VARIÉTÉ DES COULEURS. On lit dans un ouvrage du célèbre Goethe, que es fabricans de mosaïque, à Rome, emploient * Les tournois, exercices chevaleresques, ont cessé d'être en usage depuis le milieu du seizième siècle, u 230 THE FRENCH READER. 15,000 variétés de couleur ; chaque variété a cin- quante nuances, depuis la plus foncée jusqu'à la plus claire, ce qui fait 750,000 teintes différentes, que les artistes apprennent à distinguer. On croi- rait qu'avec un choix de 750,000 couleurs il n'est pas d'objet qu'on ne puisse peindre avec exactitude : cependant les ouvriers, au milieu d'une si éton« nante richesse, manquent souvent de nuances in- dispensables. 81. l'électricité. Les éclairs sont produits par un fluide particulier que l'on nomme électricité, et qui se développe dans l'air, particulièrement quand il fait chaud. Ce fluide, qui manifeste sa présence par une lumière si vive, est aussi la cause du tonnerre» C'est lui qui se précipite si souvent sur la terre, et qui tombe de préférence sur les édifices pointus et sur les arbres ; c'est la matière de la foudre. On est tellement certain que la foudre et le fluide électrique sont de môme nature, que l'on est par- venu à soutirer ce fluide du ciel, qu'on l'a étudié avec des instrumens particuliers, et qu'il s'est trouvé semblable en tout au fluide électrique arti- ficiel que l'on produit à volonté, dans les cabinets de physique, au moyen de divers instrumens que je pourrais bien vous décrire, mais qu'il faut avoir vus pour en comprendre le jeu. On est même THE FRENCH READER. 231 arrivé au point d'imiter, quoique d'assez loin en- core, les terribles effets de la foudre, car on peut en accumuler une quantité assez grand pour tuer un bœuf. 'L'' électricité existe dans la plupart des corps ; il ne faut que les chauffer ou les frotter pour que ce fluide devienne sensible à l'œil, soit par des étin- celles, soit en attirant les corps légers. Vous savez tous qu'il suffit de frotter le dos d'un chat la nuit à rebrousse-poil, quand il fait bien froid, pour que l'on aperçoive des étincelles sur son dos ; si vous frottez de la cire à cacheter sur du drap et que vous l'approchiez de quelques corps légers, elle les attirera et les retiendra attachés à sa sur- face : hé bien, les petites étincelles du chat, les faibles attractions de la cire, les éclairs et la foudre, dépendent de ce même fluide électrique. Franklin, l'un des fondateurs de l'Amérique indépendante, et qui était aussi l'un des plus savans physiciens de son temps, ayant remarqué que les corps pointus soutiraient l'électricité de nos machines avec une telle force qu'ils en atté- nuaient les effets presque subitement, imagina de soutirer la foudre par le même moyen, et en cela il avait deux points de vue également excellens : celui de diminuer le danger de l'orage pour tous, et de garantir les édifices qui seraient porteurs de ces pointes de fer que l'on nomme paratonnerres* 232 THE FRENCH READER. Les métaux sont les meilleurs conducteurs de l'électricité, et la foudre tombe plus souvent sur les pointes de fer ou de tout autre métal ; elles les suit de préférence aux autres corps, tandis que le verre, la soie, la cire et quelques autres substances se refusent à son passage. Rappelez-vous surtout qu'il est excessivement dangereux de se mettre à l'abri sous les arbres, et de sonner les cloches quand le tonnerre est près de nous ; car les arbres sont autant de pointes dans l'espace, et le plus lé- ger ébranlement dans l'air peut déterminer la foudre à se précipiter plutôt sur tel point que sur tel autre. Enfin, l'orage est d'autant plus proche, que le tonnerre suit de plus près l'éclair qui le précède toujours; car vous savez que la lumière marche bien plus vite que le son. 82. LES MIROIRS ARDENS. On a souvent révoqué en doute un fait rapporté par plusieurs historiens au sujet des effets mer- veilleux produits par les miroirs ardens d'Archi- mède,* qui réduisirent en cendres les vaisseaux romains devant Syracuse. Buffon inventa une machine formée d'un certeiin * Archimède, célèbre physicien grec, tué lors de la prise de Syracuse par les Romains, en 208 avant J. Ch. THE FRENCH READER. 233 nombre de miroirs, et paraît avoir retrouvé le se- cret d'Archimède. Il fit sa première expérience à Paide de viugt-quatre miroirs, qui embrasèrent aus- sitôt un combustible placé à une distance de soix- ante-six pieds. Il résolut de tenter une nouvelle expérience, et rassembla, à cet effet, cent soix- ante-huit miroirs à forme plane, chacun de six pouces carrés ; et leurs rayons brûlèrent des mor- ceaux de bois à une distance de cent cinquante pieds, et firent fondre un plat d'argent. Cet appa- reil, après de nouveaux perfectionnemens, fut com- posé de trois cent soixante miroirs à forme plane, ayant chacun huit pouces de long sur six de large, dans un cadre de huit pieds de haut sur sept de large. Au moyen de douze de ces miroirs, des matières combustibles prenaient feu à une distance de vingt pieds ; quarante-cinq de ces mêmes miroirs firent fondre un grand vase d'étain, et cent dix- sept un morceau d'argent de peu d'épaisseur. Quand on se servait de tout l'appareil, on faisait fondre toute espèce de métaux et de minéraux à la distance de vingt-cinq et même de quarante pieds. 83. UN MÉCANICIEN AVEUGLE. Rien ne commande plus notre admiration que la manière dont la nature compense ordinairement l'absence d'une faculté par le développement d'une u2 234 THE FRENCH READER. autre. Ainsi, les sourds ont, en général, une ex- cellente vue, et les aveugles ont presque toujours le sens du toucher très-fin et très-délicat. En voici un exemple extrêmement remarquable, M. Kidd, fils d'un marin, et âgé maintenant* d'environ cinquante ans, est né dans la ville mari- time de Greenock en Ecosse. A l'âge de quatre ans il eut le malheur de perdre la vue par suite de la petite vérole. Quoique aveugle, il montra de très-bonne heure des dispositions particulières pour les arts mécaniques. Un morceau de bois qu'il venait à se procurer, était toujours pour lui une acquisition précieuse : et, sans autre instrument qu'un couteau, il savait lui faire prendre une grande diversité de formes ; mais son plus grand plaisir était de tailler le bois en forme de bateau ; prédilection qui s'explique aisément par la nature du lieu qu'il habitait, et par l'état de son père. Tout le loisir que sa profession de musicien lui a laissé, il l'a consacré à cette occupation favorite. Outre son couteau, seul instrument dont il faisait d'abord usage, il emploie maintenant la scie et le rabot, et il manie ces outils avec une dextérité ad- mirable. Son dernier ouvrage de ce genre est le modèle d'un vaisseau de guerre de soixante-quatorze *Eii 1825. THE FRENCH READER. 235 canons, ouvrage qui occupe ses loisirs depuis sept années, et qui est maintenant sur le point d'être terminé. Ce modèle a quatre pieds de quille et six pieds de longueur de la proue à la poupe. Le corps du navire est achevé. Les ponts sont formés d'ais, comme ceux de tout autre bâtiment. Les embrasures pour les canons sont pratiquées avec la plus grande justesse, et les canons eux-mêmes, quant à la longueur et au calibre, sont dans les pro- portions les plus exactes. Ce vaisseau est con- struit suivant les règles ordinaires de l'architecture navale : c'est un véritable bâtiment de guerre en miniature. Une chaloupe et trois petits canots sont attachés au navire. La première est com- posée de plusieurs pièces, et les autres sont taillés dans le boi massif. Tous sont également pour- vus de bancs pour les rameurs. La seule portion de ce prodigieux travail, qui soit étrangère à M. Kidd, c'est la peinture. 84. FESTIN CHINOIS. Un négociant chinois, établi à Sincapour,* donna il y a quelque temps, aux négocians euro- péens établis dans cette île et aux officiers qui s'y * Ville dans Tîle du même nom, près de la côte sud de la presqu'île de Malacca dans les Indes. 236 THE FRENCH READER. trouvaient, un festin dans le goût chinois. On y .servit les mets suivans : un potage aux nids d'oi- seaux ;* un hachis de queues d'éléphans avec sauce aux œufs de lézards, un porc-èpic à l'é- tuvée, servi dans le gras vert de la tortue, mets que quelque Français qui assistaient au festin parurent trouver fort bons: des gésiers de poissons, en- tourés d'herbes marines ; enfin, des bécassines garnies de crêtes de paons, mets d'un goût exquis, qui n'est servi en Chine que dans les plus grandes solennités. Ce plat, à lui seul, avait pu coûter en- viron 1100 francs. Au dessert on remarquait des gelées, dont la peau du rhinocéros avait fourni l'élément; on ne les trouva pas d'un goût fort délicat. * Ces nids très-recherchés parles gourmands chinois, sont ceux d'une espèce d'hirondel (Jiirundo escuïenta,) fréquente dans l'archipel de l'Inde. Les meilleurs nids sont ceux qu'on trouve dans les cavernes humides, avant que les œufs y aient été déposés ; ils sont blancs et se vendent au poids de l'or. On les recueille deux fois l'an. Les plus purs se vendent 137 francs la livre. On en exporte tous les ans pour près de 12,000,000 de francs. THE FRENCH READER. 237 85. XE CHIEN. Le chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l'homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rend le chien sauvage redoutable à tous les ani- maux, et cède dans le chien domestique aux senti- mens les plus doux, au plaisir de s'attacher et au désir de plaire; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talens ; il attend ses ordres pour en faire usage ; il le consulte, il l'interroge, il le supplie : un coup d'œil suffit, il entend les signes de sa volonté ; sans avoir, comme l'homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment ; il a de ^38 THE FRENCH READER. plus que lui la fidélité, la constance dans ses af- fections ; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle de déplaire ; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu'à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitemens; il les subit, il les oublie, ou ne s'en souvient que pour s'attacher davantage ; loin de s'irriter ou de fuir, il s'expose de lui-même à de nouvelles épreuves, il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de le frapper ; il ne lui op- pose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission. Plus docile que l'homme, plus souple qu'aucun des animaux, non seulement le chien s'instruit en peu de temps, mais même il se conforme aux mouvemens, aux manières, à toutes les habitudes de ceux qui lui commandent ; il prend le ton de la maison qu'il habite, comme les autres domestiques : il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne ; toujours empressé pour son maître et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indifférons, et se déclare contre ceux qui, par état, ne sont faits que pour im- portuner ; il les connaît aux vêtemens, à la voix, à leurs gestes, et les empêche d'approcher; lorsqu'on lui a confié pendant la nuit la garde de la maison, il devient plus fier, et quelquefois THE FRENCH READER. 239 féroce ; il veille, il fait la ronde, il sent de loin les étrangers, et pour peu qu'ils s'arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s'élance, s'oppose, et, par des aboiemens réitérés, des efforts et des cris de colère, il donne l'alarme, avertit et combat; aussi furieux contre les hommes de proie que contre^ les animaux carnassiers, il se précipite sur eux, les blesse, les déchire, leur ôte ce qu'ils s'efforçaient d'enlever; mais, content d'avoir vaincu, il se repose sur les dépouilles, n'y touche pas même pour satisfaire à son appétit, et donne en même temps des exemples de courage, de tempérance et de fidélité. L'on peut dire que le chien est le seul animal dont la fidélité soit à l'épreuve ; le seul qui con- naisse toujours son maître et les amis de la maison, le seul qui, lorsqu'il arrive un inconnu, s'en aperçoive; le seul qui entende son nom; le seul qui, lorsqu'il a perdu son maître, et qu'il ne peut le retrouver, l'appelle par ses gémissemens ; le seul qui, dans un voyage long qu'il n'aura fait qu'une fois, se souvienne du chemin et retrouve la route; le seul, enfin, dont les talens naturels soient évidens et l'éducation toujours heureuse. 240 THE FRENCH READER. 86. PUISSANCE DES MACHINES. On calcule qu'à l'aide des machines deux cents bras fabriquent de nos jours autant de coton que pouvaient en fabriquer vingt millions de bras sans machines, il y a quarante ans, et que pour fabri- quer sans machines la quantité de coton qui se fabrique annuellement dans la Grande-Bretagne, il' faudrait le travail de seize millions d'ouvriers, qui emploieraient la simple roue à filer. On calcule en outre que la quantité des produits^ de tout genre fabriqués aujourd'hui à l'aide des machines, est telle que, pour fabriquer cette même quantité sans machines, il faudrait y employer le travail de quatre cents millions d'ouvriers. Vu les grands changemens que Jacques Watt* a introduits dans la construction de la machine à vapeur et dans son application aux arts, on pour- rait dire qu'il en est le véritable inventeur. C'est lui qui en a réglé les mouvemens avec assez de bonheur pour la rendre applicable aux fabrications les plus délicates, et qui lui a donné assez de force et de solidité pour triompher des résistances les plus énergiques. La trompe d'un éléphant, qui * Jacques Watt naquit à Greenock en Ecosse, en 173G, et mourut en 1819. THE FRENCH READER. 241 saisit une épingle et brise un chêne, ne saurait lui être comparée. Au moyen de la machine à vapeur on grave un cachet, on aplatit comme de la cire les métaux les plus durs : on file, sans le rompre, un fil aussi fin que le plus léger duvet: on soulève un vaisseau de guerre comme une chaloupe; on brode la mousseline et l'on forge des ancres ; on taille l'acier en petits rubans et l'on fait marcher des navires en dépit des courans et des tempêtes. Cette découverte a augmenté indéfiniment la masse des jouissances humaines; elle a rendu accessibles au monde entier les ressources de l'ai- sance et de la prospérité. Elle a donné aux fai- bles mains de l'homme un pouvoir sans limites et assuré à l'intelligence un triomphe perpétuel sur la matière. 87. LE COTON. Le coton est le produit d'une herbe qui devient un arbuste dans les pays très-chauds, et qui n'at- teint jamais la même hauteur et la même consis- tance dans les pays tempérés ; là c'est le coton- nier en arbre et ici le cotonnier en herbe ; mais c'est toujours le même végétal. Le cotonnier ressemble à une grand mauve; il a beaucoup de branches ; ses feuilles sont décou- pées comme celles de la vigne, et ses fleurs, à peu V 16 242 THE FRENCH READER. près grandes comme celles d'un lis, blanches, rougeâtres ou jaunes, suivant l'espèce, donnent naissance à une sorte de coques qui s'ouvrent quand elles sont mûres, et qui renferment les graines et le coton du commerce. Ce précieux duvet forme de petites houppes qui se développent avec la maturité, et dont chaque plante fournit plu- sieurs onces. On sème les graines de cotonnier comme les haricots ; la plante vit trois ans dans les pays très- chauds, et c'est la seconde année qui donne la plus belle récolte. On ramasse le coton à mesure qu'il sort des coques ; on l'épluche une première fois et on le verse dans le commerce en balles de plu- sieurs quintaux, qui nous arrivent du Levant et surtout des îles d'Amérique : ce dernier est le plus estimé, à cause de sa finesse et de sa netteté. Les Chinois connaissent le coton de temps im- mémorial ; ils en font des étoffes et du papier. Quant à nous, avant la découverte de l'Amérique nous le tirions de Perse, d'Egypte, de Syrie et de quelques îles de l'Archipel grec, d'oij il est pro- bable que l'on en transporta les graines dans nos colonies. On a essayé, et l'on a mcme réussi à cultiver le cotonnier à Toulon et à Aix ; mais on n'a pas donné suite à cette culture, qui se fait en petit dans le royaume de Naples et à Valence en Espagne- THE FRENCH READER. ^43 II y a plusieurs espèces de cotonniers, mais la plus remarquable est celle qui produit le coton dont la couleur jaune permet de fabriquer le nan- kin naturel et sans teinture. Une livre de coton en laine, dont le prix moyen est de 1 fr. 50 c, acquiert une valeur de 8 à 10 francs quand elle est convertie en calicot teint ou imprimé; elle devient de 14 à 16 francs quand elle est tissée en mousseline, et monte jusqu'à 40 francs quand elle est changée en fil à broder. Ainsi les différentes façons qu'on a données à cette livre de coton l'ont élevée de plus de vingt- cinq fois sa valeur première.* 88. l'histoire d'un chiffonnier. Un jour que je suivais l'une des rues les plus longues de Paris, je fus frappé de l'activité d'un petit homme qui portait une hotte sur son dos et une grande poche en place de tablier. Il s'arrêtait à chaque borne, à chaque coin de rue, portait un bâton terminé par un crochet de fer, et jetait avec ''^ On a calculé qu'il s'écoule une période de trois ans depuis l'époque où le coton est emballé dans l'Inde jus- qu'à celle où il est livré au consommateur ; une livre de coton, au moment où on la vend en tissu, a parcouru sou- vent plus de 1400 lieues, et a fait travailler cent cin- (ju^nte ouvriers au moins. 244 THE FRENCH READER. adresse et dextérité dans sa hotte ou dans sa poche différentes choses que je ne distinguai pas d'abord. Je ne comprenais rien à son travail ; mais à force de le suivre, je vis qu'il ramassait des os^ du cui?*, du papier, des chiffons, du verre cassé, des cendres, des morceaux de porcelaine dorée, de petite ferraille, etc. Poussé de plus en plus par la curiosité, je m'attachai à ses pas ; je le vis causer avec un confrère et lui faire part de ses trouvailles, et enfin je finis par lier conversation avec lui. Il vit que je ne me moquais pas de son métier et que j'étais loin de le mépriser lui-même, puisque je lui proposai de boire bouteille ensemble : il accepta, à condition toutefois que j'irais goûter son vin chez lui dimanche matin, ce que je promis sans façon. Alors mon homme posa sa hotte et sa poche, se lava les mains à la pompe et me suivit dans la chambre d'un petit cabaret voisin. " Je vois bien. Monsieur, me dit-il, que vous êtes étranger et que mon petit commerce vous étonne. Je gagerais même que vous vous êtes déjà demandé comment je pouvais y gagner ma vie." Je lui avouai franchement qu'il avait dit vrai, et je n'eus point de peine à lui faire raconter ce que je voulais apprendre de lui ; il me dit : " Je suis chiffonnier de mon état, comme vous le voyez. Nous sommes à peu près trois cents dans Paris, en comptant les gratte-ruisseaux, qui THE FRENCH READER. 245 ae travaillent guère que la nuit. Notre établisse- ment n'est pas cher ; une hotte, un bon crochet et quelques vieux tonneaux défoncés pour mettre la marchandise^ et voilà tout. Point d'avance, point de crédit, et par conséquent point de banqueroutes ; tout est profit dans notre partie. Je tiens tou- jours le même quartier, j'y suis connu, ma tournée finit tous les jours à peu près à la même heure, et le reste de la journée est employé à préparer la marchandise ou à courir chez les fabricans et les commissionnaires ; car nous faisons des affaires avec ces messieurs-là. "Chez l'un je vends Vos et le cuir ; c'est pour faire le sel ammoniac et le noir animal, qui ser- vent aux étameurs, aux fabricans de cirages et aux confiseurs. Chez l'autre je porte le chiffon et le papier ; c'est pour faire le carton de pâte et le papier. Je place la cendre et le verre cassé chez les verriers, la petite ferraille chez le fabricant de vitriol, les vieux clous redressés chez les layetiers, enfin la porcelaine dorée chez le chimiste du fau- bourg Saint-Antoine, qui sait en retirer ce chien de métal qu'on a tant de mal à gagner. Ce n'est pas tout ; car, soit dit entre nous, il arrive quelquefois par-ci par-là que nous trouvons du 5ezzr/*e." A ce mot je levai la tête, et mon homme, voyant que je ne le comprenais pas, me dit en riant : " du beurre, c'est-à-dire quelques pièces d'argenterie que les v2 246 THE FRENCH READER. domestiques négligens jettent avec les épluchures ; et nous avons tous remarqué que c'est surtout dans le temps des asperges et des artichauts que nous faisons ces trouvailles ; mais, comme dit le pro- verbe, ce qui tombe dans le fossé, c'est pour le soldat." Nous nous quittâmes, mais le dimanche suivant je me rendis chez mon petit industriel, tant pour lui tenir parole, que pour achever de connaître son singulier commerce. Je ne dirai pas que je trouvai un appartement soigné et les marques d'une grande aisance ,* mais le fait est que le brave homme m'attendait au coin d'un bon feu, dans une petite chambre bien propre, avec d'excellent vin, la tranche de jambon et du pain, blanc comme la neige. Il me conduisit après dans ce qu'il appelait son magasin, espèce de petite cour, dans laquelle tout ce qu'il ramassait était rangé et séparé par ordre et en telle quantité, que j'avais peine à concevoir qu'un seul homme pût ramasser autant et en si peu de temps ; car il m'apprit que ce que je voyais là n'était que le produit d'un mois de travail. Je compris alors la possibilité qu'un tel métier puisse faire vivre celui qui le pratique avec intelligence ; car effec- tivement tout est profit dans cette partie^ comme le disait mon chiffonnier, et rien n'est plus perdu pour l'industrie. I Ï'HE FRENCH READER, 247 89. LES CHIENS DES ESQUIMAUX. tFn traîneau esquimau est tiré par une espèce de chiens assez semblables aux loups par la forme. Comme les loups, ces chiens n'aboient pas ; ils hurlent d'une voix désagréable. Ils sont en- tretenus par les Esquimaux en meutes ou en at- telages plus ou moins considérables, proportion- nellement à la richesse du maître. Ils se laissent tranquillement enharnacher et atteler, quoique traités sans pitié par les Esquimaux païens, qui leur rendent la vie dure et les nourrissent fort mal. Leur nourriture consiste en débris de viandes, en vieilles peaux, en morceaux de baleine pourris, etc., et si cette provision leur manque, on les envoie chercher eux-mêmes des poissons morts ou des coquillages sur la grève. Lorsque la faim 248 THE FRENCH READER. tourmente ces pauvres chiens, il n'est rien qu'ils ne soient prêts à dévorer, et il est nécessaire, lorsqu'on les dételle, de cacher les harnais dans la maison de neige,* pendant la nuit, de peur qu'ils ne deviennent leur proie, ce qui rendrait le voyage impossible le lendemain matin. Arrivés à leur hutte de nuit, les voyageurs ôtent les harnais à leurs chiens, et les laissent se creuser un trou dans la neige, où ils dorment jusqu'à ce que le conduc- teur les rappelle pour leur donner, au lever du jour, leur pâture quotidienne. Leur ardeur et leur vitesse sont inimaginables. En les mettant traîneau, il faut prendre garde de ne pas les atteler de front. On les attache par des courroies séparées, de longueur inégale, à une barre horizontale, en avant du traî- neau. Le plus vieux et le plus habile conduit la bande, courant à dix ou vingt pas des autres, dirigé lui-même par le fouet du cocher, qui est très-long et n'est bien manié que par un Esquimau. Les autres chiens suivent comme un troupeau de moutons. Si l'un d'eux reçoit un coup de fouet, il mord généralement son voisin, qui en mord un troisième, et ainsi de suite. * Que l'on construit à la hâte pour y passer le nuit THE FRENCH READER. 249 90. DU MOUVEMENT APPARENT DES ASTRES. Pour prendre une idée du ciel, dans une belle nuit, il faut considérer d'abord le mouvement diurne ou le mouvement commun de tout le ciel, qui se fait chaque jour autour des deux pôles ou de l'axe du monde. Il n'y a personne qui ne connaisse la grande Ourse ou le Chariot^ con- stellation composée de sept étoiles, qui se voient toujours du côté du nord ; mais tantôt plus haut, tantôt plus bas, suivant le temps de l'année où l'on observe. Au mois d'Avril, vers les neuf heures du soir, nous la voyons sur notre tête ou à notre zénith ; au mois d'Octobre elle est au con- traire fort basse ou près de l'horizon: cela suffit pour indiquer qu'elle tourne. On veut ensuite savoir autour de quel point elle tourne : c'est celui qui est dans le milieu de son cours ou de son cercle, et c'est à peu près à la moitié de la hauteur qu'il y a depuis l'horizon jusqu'au zénith, c'est-à- dire depuis le cercle qui nous environne et borne notre vue à la hauteur de l'œil jusqu'au sommet du ciel, ou au point le plus élevé sur notre tête. C'est au moyen de cette circulation ou révolution que nous voyons la grande Ourse s'élever et s'a- baisser ensuite. Si l'on y regarde plusieurs fois dans une nuit, on la verra monter et descendre 250 THE FRENCH READER. sensiblement, comme on voit le soleil monter le matin et descendre le soir ; par là on peut recon- naître que les étoiles, aussi bien que le soleil, tournent ou paraissent tourner autour de nous chaque jour. Le point du ciel autour duquel se fait ce mouve- ment est pour ainsi dire marqué par l'étoile po- laire. On peut s'en apercevoir en cherchant du côté du nord quelle est l'étoile qui ne change pas sensiblement de place dans l'espace d'une nuit; car l'étoile polaire est la seule dans ce cas. Quand on a reconnu l'étoile polaire, qui est comme le centre du mouvement général, et l'essieu ou le moyeu de la grande roue céleste, on peut concevoir la manière dont les différentes étoiles tournent autour de celle-là ; les étoiles qui en sont très-près décrivent de petits cercles, celles qui sont plus éloignés en décrivent de plus grands, et quand ces cercles deviennent assez grands pour atteindre l'horizon, les étoiles se couchent ; jusque-là elles paraissent toute la nuit. Le soleil se lève et se couche tous les jours, parce qu'il est très-loin de l'étoile polaire ou du pôle, et que son cercle journalier étant toujours très-grand, il ne peut tenir dans l'espace qu'il y a depuis le pôle jusqu'à l'horizon ; il en est de même (Je la lune et des autres planètes. THE FRENCH READER. 251 91. l'éléphant et le CHAMEAU, ANIMAUX DO- MESTiaUES DANS l'iNDE. Un voyageur anglais* décrit ainsi ces deux ani- maux, que l'homme a su asservir à son usage, et qui sont d'une grande utilité dans les pays de l'Orient. " Pendant qu'on préparait le déjeûner, je m'amusais à regarder un éléphant et quelques chameaux que des domestiques chargeaient du bagage d'un général. L'intelligence de l'éléphant et son caractère docile, sont connus. Mais, voir ce puissant et monstrueux animal s'agenouiller au seul son de la voix humaine, et lorsqu'il est relevé, avancer sa trompe, pour en faire un marche-pied à son conducteur, afin de l'aider à monter, ou bien, * Esquisses de l'Inde, par un officier anglais, 1824. 252 THE FRENCH READER. dans le même but, plier les jointures de ces jambes de derrière, dont on se sert comme d'un degré ; puis, avec l'obéissance d'un chien, employer d*^ nouveau sa trompe pour ramasser et remettre a leur place les cordes ou les paquets qui pourraient être tombés : c'est un spectacle qui étonne et qui ne cesse pas d'intéresser, alors même qu'il a perdu l'attrait de la nouveauté. Lorsque l'éléphant que j'avais sous les yeux fut chargé, il détacha une large branche d'un arbre fort élevé, qui était prés de lui, et il s'en servit comme d'un éventail ou d'un chasse-mouche, avec toute la nonchalance d'une femme à la mode, jusqu'à ce que les cha- meaux fussents prêts. "Ces derniers animaux s'agenouillent aussi quand on les charge. Lorsqu'ils sont en mouve- ment, leur allure a quelque chose de gauche et ils vont beaucoup plus vite qu'ils n'en ont l'air. Leurs grands cous alongés, leurs larges pieds, leurs membres, dont tous les nerfs sont fortement prononcés, leurs garnitures de tête, leurs sonnettes, les anneaux suspendus à leurs narines, le bagage élevé sur leurs dos, et le conducteur ordinairement placé sur la croupe de celui qui est en tête, pré- sentent un aspect assez singulier." THE END. i' «iw %.é 'o-?<:' -->'!- <."-^>--- .-.■i' -*>. OO t^V^^% ^' .é>-^h ^^ v^ \' v,^' ^- ^yjl,^ ^ V „ „ , •*■ ,A ^ '^,, ' ^ « . s m\ •^r ^ ^^^ <^^%. ^'>\}^ - Deacidified using the Bookkeeper process Neutralizing agent: Magnesium Oxide ..:%"' ^ ^;àf' "^ -> Treatment Date: August 2006 o^\ PreservationTechnologies ^' < A WORLD LEADER IN PAPER PRESERVATION ,x^ -%. 1 1 1 Thomson Park Dnve Cranberry Township, PA 1 6066 (724) 779-21 1 1 ^^ , '^StiJ'^^ V . ■?- <^ ^0, ^* ,A .-è> m^-'. ""^^ v^' ^ o^ LIBRARY OF CONGRESS 003 110 037 9