g LIBRARY OF CONGRESS DDD034^21ib3 >^ ^oVo' ^^^ ■■#,• ^^'\ Lib. ESQUISSE MORALE £T POLITIQUE ' DES ETATS-UNIS IMPRIMERIE DE M^' V* THWAU, ROS DO GLOlTRt-s'-BEKOlT, N. 4- ESQUISSE MORALE ET POLITIQUE ETATS-UNIS DE L'AMERIQUE DU NORD, PAR ty&cAu/e ^/6iira/j CITOYEN DES ^TATS-TJNIS, COLONEL- HONORAIRE DANS l'ARM^E BELGE; CI-DEVANT PBINCE ROYAL DES DEUX-SICILES. -K%- PARIS, CROCHARD, LIBRAIRE, PLACE DE l'eCOLE DE MEDECINE , NO l3. 1832 DEDICACE Joo?n^e ^/iwe(zaaa 'uu. 18 Mars 1 832. MON CHER AMI, Cest d'apres vos avis que je commengai a ecrire, il y a six ans , les lettres qui suivent sur les Etats-Unis; c'est a vous que les quatre premieres furent adres- sees : il est done bien juste que je vous dedie mon travail, car sans vous il n'eiit jamais vu le jour. Je desire que vous receviez les six dernieres lettres , avec I la meme indulgence que vous avez fait des premieres. Pres de 6 ans d'intervalle se sont passees entre leur composition , mais malgre cela le but de Touvrage est toujours reste le merae : celui de faire connaitre en Europe, et surtout en France, les institutions des Etats-Unis et les moeurs de leurs liatitans. Cette tache devient tons les jours plus importante , car une forme de gouverncment plus ou moins sem- blable a celle-la , est le point vers lequel gravite I'Europe, non seulement depuisnos jours, mais depuis la renaissance des lettres , et le premier moment oii la civilisation grecque et romaine commen^a a percer les sombres nuages du barbarisme. La race blanche a laquelle vous et moi appartenons est ^minemment per- fectible , c'est meme ce qui la distingue des autres especes d'hommes . Elle etait arrivee sans secours etran- gers a un tres haut point de civilisation (duquel meme, sous quelques rapports, nous sommes encore bien eloi- gn^s) , lorsque les barbares du Nord qui fondirent sur elle vinrent ralentir ses progres et la faire retrograder dans la carriere intellect uelle. De meme qu'un fluide glace ajoute a une masse deja en ebulli- tion I'arr^te imraediatement, et s'echauffe d'autant qu'il refroidit la liqueur bouillante avec laquelle il "J sest mele , de meme les barbares , tout en detrui- sant, en apparence, la civilisation romaine, en pro- fit^rent, et g'agnerenteux-memesenlumi^res, ce qu'ils faisaient perdre aux peuples conquis. La marche de I'esprit humain ne s'arreta done pas. II ne retro- grada pas non plus , mais toutes ses forces vitales furent employees a detruire les elTels de Tinvasion des barbares et a harmoniser et coordonner les nouveaux materiaux qui etaient veiius deranger Teconomie eta- blie. Des siecles furent necessaires a ce travail, mais enfiu il eut lieu, Les sciences se trouverent immediatement reportees , par la lecture de leurs livres , au point ou les anciens les avaient laissees 5 et les progres que nous avons faits sur eux sont trop patens pour avoir besoin d'etre releves. II n'en fut pas ainsi pourtant des institutions poli- tiques. EUes avaient ete entierement sapees depuis long-temps , et jusques aux traditions de liberte s'^- taient perduessous I'esclavagefeodal. L'interet de deux classes puissantes , la noblesse et le clerge resistaient a toute tentative d'araelioration. La barbaric devait bien ilnir par ceder pourtant a la marche progressive des lumieres , et au desir ai-dent d'emancipation intel- IV lectuelle qu'elles creaient. C'est alors (jue la matiere gouvernementale fut divisee. On fit la part du diable. On crea des systcmes mixtes. On continua a payer des rois, raais a condition qu'ils ne feraient rien. Les barons voalurent bien ecouter les humbles re- presentations des communes. Celles-cipourtant devin- rent de jour en jour plus puissantes et nous sommes arrives au temps ou elles sont tout , et les barons rien,quunrestefossile des ages passes, que Ton consi- dere encore comme piece necessaire de ces mccaniques usees et deju liors de date, appelees monarchies constitutionnelles par les liberaux , et gouvernemens d'etats par les rois de la Sainte- Alliance quand ils en promirent a leurs sujets. Toutes ces vicilles mecaniques ont ete reconnaes defectueuses, et un excellent ouvrier est occup^ dans ce moment a rapetasser la plus vieille , et celle qui avait servi de model e a toutes les autres. Elles ne sont bonnes tout au plus que comme gouvernement de transition , pour preparer une generation nouvelle a jouir d un gouvernement inconnu a ses aieux. Mais vous savez bien que les meilleures machines sont tou- jours les plus simples, et celles qui sont inventees les dernieres. C'est a supprimer des rouages inutiles que les plus grands perfectionnemens eii mecanique se sont homes. La meme cliose devait avoir lieu dans I'ordre moral. Mais il fallait changer les engrenages , doucement supprimer ceux qui etaient de trop , et sur- tout hien graisser le tout pour rempecher de crier , et non tout hriser a la fois. II aurait mieux valu no pas le faire, mais une fois fait tant mieux. II vaut mieux hatir de plan , que de replatrer une vieille hi- coque ; et la destruction generale operee il y a qua- rante ans , nous a certainement fait sauter a pieds joints par-dessus des temps de transition qui eussent peut-etre ahsorhe plusieurs generations. On voulait et Ton -veut maintenant un gouverne- ment rationel. L'a-t-on ohtenu ? Ne s'est-on pas remis dans I'orniere du passe ? N'a-t-on detruit un genre de tyrannic que pour en etahlir un autre? La vraie li- herte a-t-elle gagne au change? La masse du honheur des citoyens ( car voila la question reellement vitale ) a-t-elle ete augmentee? Ces questions ne s'appliquent pas a la revolution de 1850; car la reponse serait trop facile , ce serait enfoncer une porte ouverte ; mais elles ont en vue le premier grand elan de 89 , et tous les regimes qui nous ont gouvernes depuis. Je suis loin de nier qu'il n'y ait un grand progres de fait, mais n'aurions-nous pas droit en consideraiil le prix que nous avons paye pour lobtenir , de demander qu'il f'ut plus grand? On s'est perdu a cliereher une liberie m^taphysiqne , et on a entierement ahandonne la liherte pratique, qui est celle qui ni'imporle. II n'y a qu'aux Etats-Unis qu'on Tait ohtenuc, Je suis siir quevousallez me demander tout de suite si je crois la constitution des Etats-Unis la nieil- leure possible, etsi je la crois applicable a la France, ou a aucune partic de TEurope ? Cette question du moins ma ete faite mille Ibis. Je n"y rcpondrai pas, pour le moment du moins , parce que ce n est pas la ce dont il s'ajjit. Ce n'est pas tant la constitution el les lois des Etats-Unis que j'admire et que j'aime , que la raison qui I'ait que les Etats-Unis ont cette consti- tution ct ces lois. C'est le principe du {jouvernement. Vous allcz me demander si c'est la republique? Non plus, elle nYst encore qu'une consequence plus ou moins necessaire du principe en question. Ce principe dont tant de bien decoule , ct qui est destine a {jouverner le mondc , est ce que Ton appelle en AmeTi(iue\e self government. Le gouvernement DE soi-MEME. Pourvu quc cc soit le peuple qui (jou- veme, jesuis content. Peu m'importe la forme dc la machine et qui sont les personnes employees a en faire aller les rouages , pourvu qu'elle soit construite de maniere a recevoir et obeir le moindre souffle de I'opi- nion publique, qu'elle soit alors forte et irresistible , mais qu'elle se trouve sans moyen de Jui desobeir ou de lui resister. Voila , a mon avis , le grand probleme , celui qui a ete resolu d'une maniere si satisfaisante en Amerique. S'en est-on beaucoup occupe en Europe? L'opinion publique , il est vrai , fut une fois consultee , et elle consentit a se donner un maitre. Une seconde fois elle se pronon^a en faveur du meme homme d'une ma- niere non olEcielle , il est vrai , mais qui n'en etait pas moins energique. Mais horsde la, quand la nation a-t-elle manifeste une volonte ? On a eu vingt cliange- mens de gouvernement depuis quaranteans, mais (sans parler de ceux qui ont ete imposes par I'etranger) , e'est toujours une minorite qui les a operes. Car meme, en supposant que Paris fut unanime , les provinces n'ont jamais ete consul tees. Je crois que je connais mieux mes affaires que per- sonne, qued'ailleurs, memesi jeme trompe, c'est mon affaire , et que personne n'a le droit de venir me con- trecarrer. Je crois avoir le droit d'empecher que Ton ne VIIJ vienne m'apprendre ruagistialement, quel est mon meilleur interet et me forcer despotiquement a sou- mettre racslumieres a celles d'un autre. Je crois aussi que rintt-ret general est le resultat dc tons les iiite- rets particuliers , et que le gouvernement devrait etre demeraele resultat detouteslesvolontes individuelles. Mais en Europe , ce n'est pas cela. On vent trop gouverner. Tout devient matiere gouvernable, aussi bicn que niaticre taxable. Que ce soient la repu- blique ou les Bourbons qui me fassent surveiller par la liaute police, qui decacliettent mes lettres , censu- rent mes journaux,et exigent queje prenne un passe- port lorsqu'il me prend envie d'exercer mon droit naturcl de locomotion, ou est, je vous prie, la difle- rence? Qu"ai-je gagne a la republique , si elle est aussi tyrannique, aussi cbere, aussi soupconneuse que la mo- narchic ? Que m'iraporte que la noblesse soit ancienne ou nouvelle, tant qu'il y en a une? Quel interet ai-je dans un cliangement du personnel du gouvernement, lorsque ma voix aura tout aussi peu d influence avec les nouveau - venus qu avec les anciens depositaires du pouvoir j quand je resterai prive de mon vote ou qu il sera neutralise par des votes aclietes ou intimi- des? C'est contre toules ces choses que je voudrais IX Yoir une revolution I'aite. II sera temps, apr^s , des'oc- cuperetde discuter, d'une maniere calme,la forme du gouvernement. Cela n'est que d'une importance se- condaire. II fut un temps, immediatement apres la revolu- tion de juillet, que je crus que la chose etait faite. Lafayette entend les institutions republicaines , tout commeje lefais, a I'americaine. H avait proclame leur existence. 11 avait annonce le commencement de la meilleuredes repuHiques ! Je croyais que toute police politique allait etre detruite. Que toute entrave a la libertede locomotion des citoyens allait etre supprimee. Que Felection deses representans allait etre donnee au peuple lui-meme , et non a une aristocratic bourgeoise d'electeurs. Quun senat electif allait remplacer la chambre des pairs. Que I'initiative des charabres de- viendrait dorenavant le mode ordinaire de la presen- tation des lois. Que le droit de petition cesserait d'etre un mot vide de sens. Que la responsabilite ministe- rielle serait enfin etablie , ainsi que celle de tons les employes inferieurs. Que toute cumulation de places serait strictement defendue. Que le commerce serait rendu libre par I'abolition des monopoles et des en- traves qui Farretent a chaque pas en passant d'une commune dans une autre. Qu un systeme de douanes serait adopts , qui protegerait Tindustrie sans la for- cer dans des routes contre nature. Qu'un budget se- rait pr^sent^ qui definirait toutes les depenses d'une maniere speciale. Que les sinecures seraient abolies , les depenses inutiles supprimees. Que Ton cesserait d'influencer les discussions des tribunaux en matiere politique. Que les jurys d'accusation seraient retal)lis. Que tout prevenu serait admis a donner caution ex- cepte dans les cas capitaux. Que des moyens analo- gues aux writs A' habeas corpus y de mandamus et de quo warranto , seraient inventes afin de proteger la liberte des citoyens , d assurer Vexecution des lois et d'empecher Tempi^tement des pouvoirs. Que les com- munes , les villes , et merae les departemens , seraient affranchis de la centralisation et cesseraicnt d'etre en tutelle. Qu'elles auraient I'election de leurs magis- trats, la disposition de leur revenu et le droit de s'im- poser elles-memes pourvu quecefut sans generic com- merce interieur. Que la volonte du peuple gouvernc serait eniin mise partout a la place du bon plaisir des gouvernans. Je croyais bonnement qua Texterieur un systeme digne de la France serait adopte. Qu'ellc ne treniperait dans aucun complot de rois. Qu'elle no se lierait les mains par aucun dogme abstrait d'inter- vention ou de non-intervention , mais qu'en cela elle suivrait son interet et sa gloire. Je fus trompe — Pardieu , toute rEurope le fut, car elle arma. Plein de ces deuces illusions , brulant de revoir le lieu de ma naissance, d'erabrasser d'anciens amis et une famille cherie, a qui j'avais (dansmon delire) donne rendez-vous a Paris, je quitte ma plantation et mon etude , et j'accours , pensant que la cause de la liberte ne pouvait manquer d'etre attaquee , et stir qu'on ne refuserait pas un defenseur de plus , que ce ne serait pas a moi que Ton fermerait les rangs de Tarmee fran^aise. J'accours, mais il me faut pres de trois mois pour venir de chezmoi en Europe Dieu! quel desappointement ! Et c'est pour en venir a de si beaux resultats que le monde entier a ete ebranle dans ses fondemens ! On a certainement avance de quelques pas dans la carriere dela liberte, mais si pen, si peu II valait certainement mieux ajourner ces changemens au jour ou les comptes seront definitive- ment arretes entre la liberte et le despotisme , et qui ne saurait long-temps se faire attendre , que de sacrifier la vie de tant de braves patriotes pour rien ou pres- que rien Bref, I'entree de la France continuait a m'^tre interdite comine sous le gouvernement du droit divin. Cependant la guerre allait commencer. L'arm^efran^aise s'ebranlait. Mais ses rangs m'etaient fermes. Que faire? Una nation voisine avait conquis sa liberte , bien plus completement que la France n'avait su le faire. C'etait pour soutenirsa liberte que la France s'avancait. De Tautre cot^ les Hollandais semblaient compter sur les secours de la Prusse. La position meme que prenait Tarmee francaise faisait voir que son chef s'atlendait a une guerre generale , car il manoeuvrait de maniere a prendre la ligne de la Meuse centre les Prussiens , laissant les Beiges et les Hollandais s'arranger entre eux. La guerre generale, un vrai duel , en champ clos , entre la revolution et la contre-revolution , allait eclater , et je n y aurais pas pris part! Si I'armee francaise m'etait fermee, celle de ses allies ne I'etait pas. J'arrivai done , je demandaiet j'obtins du service. Un prince, non deceux qui ont peur de leur ombre j un prince qui entend mieux la liberty qu'aucun des journaux du mouvement a Paris ou des journaux Tory de Londres qui I'injurient tous les jours , tendit la main a Vexile et le recut de maniere a s'attirer sa reconnaissance. Elle lui est as- sur^e. L'oragese dissipa pourtant sans grele. Jequit- XllJ tai alors le commandement que j'avais re^Uj pret a le reprendre au premier bruit de guerre (car je ne compte pas servir pendant la paix), mais non sans avoir ete houspille par les representans des puissances despotiques. C'est juste : je ne m'en plains pas; au contraire. Ces attentions delicates avec lesquelles ces bonnes puissances poursuivent de tout leur pouvoir un jeune homme qui n'a encore jamais marque par rien dans le monde , qui n'a encore rien fait pour riiistoire , montrent I'opinion qu'elles enont. J'en suis fier. Ce sont elles qui me revelent mes moyens. Cette persecution s'etend des grandes aux petites choses. Elle forme une partie de mon existence, taut j'y suis accoutume. Si d'un cote, Ton tacbe (sans y reussir pourtant) , de me faire renvoyer du service beige (c est juste, puisque je n'y suis entre que pour me battre contre elles); deFautre, une celebre ambassadrice refuse d'endosser une carte de souscription , a un bal ( dont elle etait patroness), pour une femme, assurant quelle se compromettraitbeaucoup asa cour, si ellele faisait ! Quelle grandeur de vues ! La seule persecution qui me serait sensible , serait celle du gouvernement fran^ais ; parce qu'il pretend representer la France. Du temps de Charles X , cela XIV m'^tait egal , parce qiril n'av^ait pas celte pretention. Mais il me serait cruel de penser que c'est la nation qui continue mon exil. Ce serait detruirc une des illusions qui me restent. Mais laissons cette digression personnelle , et reve- nons aux esperances que la revolution de juillct m'a- vait fait concevoir. Vous me direz, j'en suis sur, que c'etait la republique que je desirais. Point : c'etait le GouvERNEMENT DE Sf)i-MEME . La republiquc n'est qu'un des moyens d arriver a ce but. G'est peut-etre le meil- leur, mais ce n'est pas le seul. C'est la liberte que je desire : peum'importe lenompourvu que j'aie la chose. Mais, me direz-vous, la croyez-vous possible en France ou en Europe ? — Distinguons. Si Ton vent d'abord tout detruire, avoir recoursa Tanarcbie, et deces materiaux informesconstruire un edifice republicain en conservant et exploitant au nom du nouveau gouvernement tons les outils et les moyens de gouvernement du despo- tisme, je ne crois pas que Ton arrive jamais a la liberte. Cela a deja ete essaye une fois. Maisje suis fermement convaincu quelle pent etre etablie d'en haut. Que le gouvernement la veuille de bonne foi ; qu'il cesse d'empieter continuellement sur le peuple , de vouloir tout fixer, tout regler, tout prevoir, tout pievenir ; qu'il laisse a cliaque brauciie du pouvoir, a cLaque opinion , a chaque parti et, a chaque ijndi- vidii . la part de pouvoir et le poids moral qui lui appartiennent et cela s'approchera bien pres de la li- berte, si meme ce ne Test pas. Je le repete. tous les gouvernemens d'Europe k quel- (|ues partis qu'ils appartiennent, veulent toujours trop gouverner. Le pouvoir executif, par exemple, quelle que soit sa forme ne doit pas diriger I'opinion publique, mais la suivre. Ce n est pas a lui a faire les lois , mais a les executer. Si des chambres , elues demaniere a etre vraiment la representation dela nation, et sans aucune influence ministerielle , passent de mauvaises lois, ce n'est pas son affaire. — I^ate vol, gran ducuy le gale sone vostre , leur dit-il. Je m'en lave les mains. — II ne peut en etre responsable , mais la nation verra bien ase faire justice elle-meme, et les represen- lans ou ignorans ou traitres qui auront vote pour la inesure qui aura ete reconnue mauvaise par I'expe- rience , seront mis a la porte a la procbaine elec- tion, et la mesure rapportee par une nouvelle Chambre. Croyez-vous quun pouvoir executif qui prendrait pour maxirae de ne diriger en rien I'opinion de la legis- lature, mais de la suivre; qui recommanderait quel- XVJ tjues ]ois , mais ii'en proposerait aucuue , laissant les chambres faire usage de leur initiative 5 qui n'ofFri- rait aucune opposition aux reductions qu'elles feraient dans le budget , mais s'attacherait a se renfermer dans les bornes qu'elles auraient lixees ; qui n'aurait pas de secret pour elles, qui serait pret a leur ouvrir tons ses cartons et leur donner tons les renseignemens qu elles demanderaient , croyez-vous , dis-je , qu'un pouvoir executif, qui fit cela , n'etablit pas bientot la libertc* dans le pays qu il gouvernerait? G'est ce que fit Wash- ington. II fut le premier president. C'est lui qui a cree le role. S'il se fut amuse a finasser avecle oongres, a vouloir le raaitriser , a mettre son nez dans tout , 'k dinger les elections dans les Etats , ou dieter des decisions auxcours de justice, la libertese serait etablie plus tard , parce que le peuple la connaissait et la voulait ; mais il eiit ete renverse , et eut probablement legue a son pays une longue carriere d'anarcbie. La tacbe du gouvernement doit etredivisee entre plusieurs. Cliacun doit s'occuper de son affaire pour le mieux. Celui qui paie , celui qui souffre de vos fautes et de vosbevues J le peuple, est la pour recompenser ou punir a la prochaine election. Ce gouvernement de bonne foi existe a present en XVIJ Belgique. Aussi y jouit-on d'une liberty entierej etsi la prosperite commerciale n'est pas encore revenue, cela est du a la position diplomatique du pays et a des causes tout-a-fait independantes du gouvernement et du peuple. Je ne crois pas que la nation ait beau- coup a se louer de ses representans : ils perdent trop de temps. Quant au senat, il dort tranquil- lement , personne ne s'occupe de lui et il ne s'oc- cupe de rien. Le peuple remediera a cela a la premiere election ; mais le gouvernement se renferme stricte- ment dans ses attributions avec une bonne foi qui lui fait iufiniment d'honneur. Les cours de justice sont independantes , et dernierement le firent voir dans I'affaire d'un journaliste orangiste , qui fut relacbe tout orangiste qu'il etait , car les lois sont pour tout le monde. Une decision pareille fait autant I'eloge du tribunal que dugouvernement, contre un agent duquel elle etait, et ftut sentir a chacun qu il vit dansun pays ou sa liberteest protegee. On se plaint de ceque le gou- vernement tombe dans les mains des catholiques. J'en suis fache , mais qu'y faire si la majorite de la nation appartient a ce parti? II fa ut changer la nation avant de changer sa representation , et en attendant se sou- inettre ou \ider le pays. XVllJ Je prerois vos objections. Un gouverueracnt pareil, dites-vous , ne pourrait s'etablir en France parce que Monsieur un tel ne pourrait rester h la tete deTadminis- tration. — Voyezlebeau mal ! Tant pis pour monsieur untel. — Mais, dites-vous, voici une quantite de fonc- lionnairespleinsdbabileteetd experience, qui ont prete serment et fidelement servi tons les regimes qui sc sont succededepuis40 ans. Le peuple les rejetterait imme- diatement : ils n ont pas sa confiance. Comment faire alors pour gouverner ? — Sanseux. Ne vousai-jcpasdit que le gouvernemcut de soi-ineme est ce que je clier- che. Les administrateurs qui n'ont pas la confiance des administrcs doivent sans doute etre jnis a la porte. Le peuple trouvera assez de monde pret a se char- ger de ses affaires , et saura bien les choisir. — Mais , ajoutez-vous , croyez-vous que le peuple soit assez eclaire sur ses propres interets pour faire de bons choix ? — Non peut-etre maintenant , et si le regime present continue il ne le sera jamais. Cest vouloir apprendre a danscr a quclqu'un en Jui attacliant les pieds. Mais que le systeme dYdection soit introduit, et en tres-peu de temps tout le monde s'accoutumera a penser a la chose publique. Sopposons , par exemple, que dans un departement des moins eclaires, le peuple XIX ait a elire son prefet. Je vous accorde que la pre- miere annee il fera un mauvais choix. II sera mal gouverne et s'en apercevra. II y aura certainement deux ou trois personnes qui auront envie de devenir prefets , et qui seront obligees d'aller solliciter les votes du peuple de porte en porte^ au lieu de fre- quenter les antichambres de Paris , comme cela se fait maintenant. L'un diraaux electeurs : ^Messieurs, vous etes mal gouvernes par telle raison. Si j'etais elu , je m'y prendrais de telle maniere et tout irait bien. — Tout irait mal, dit un autre candidat. Ce n'est pas la la cause du mauvais gouvernement du prefet actuel, mais la voici Et voici comment je my prendrais, moi, pour y remedier.» Eufin , il y aurait autant d'opi- nions que de candidats , et le peuple serait appele individuellement et contradictoirement a juger ces questions et s'eclairerait. Bientot des journaux s'etabli- raient dans cliaque departement pour servir de velii- cule a la politique locale et soutenir les differens candidats. Chaque question se trouverait ainsi mise a la portee de chacun ; les affaires publiques devien- draient le theme constant des conversations, et au bout de trois ou quatre elections le peuple serait sur de faire de bons clioix. Mais, dira-t-on peut-etre, et voici la derni^re objection a laquelle je rdpondrai , I'Europe nous eut- elle permis d'adopler un systeme plus complct de libertd' ? N'avons-nous pas ete oblieut etre verhable- meiit attendue ([ue dii tenii)setde Tinteret privii des proprietaires. Vouloir preeipiter cette me- sure, ce serait exposer les Ktafs dii sud a des convulsions intcrieures . et I'Lnion a se dis- soudre sans aiicun avantajjc pour les Eta(s dit nord. Une autre grande division sc fait reniarquer dans le caractere du peui)le , cntre les habitans du sud, du nord-est. de Touest et du centre. Elle est si forle ([u'elle elian[j«; tout-a-lait I'as- pect du jiays. Les six Etats de la Nouvelle- Aufrlctern* (New-England States) ^ jNIassaeliussetts , Con- necticut, New-Hampshire, Vennont, Maine et Rhode-Island , fornienf a eux senls inie constel- liili(m e\tremementremar(iuahie j)arnii les Etats de rUnion. Leurs interets, leurs prejuges , leurs lois , jus([n'a leurs ridicules et a leur accent, sont les nieiues. lis sont ee (jue dans le reste de TUnion nous appelons Yankees , noni que les An{;lais ont etendu tres-nial a propos a toute la nation. Ces six republiques frater- niscnt. Leur industrie et leurs eapitaux son I iinnienses. Elles couvrent TOcean de notre j)a- villon et peuplent notre marine marchande et militaire; elles ont donnc naissance a plusieurs de nos plus grands hommes. Le daractere du peuple y est extreraement remarquable , et ne pent se comparer a aucun autre sur la terre. Les entreprises les plus gigaiitesques ne Tef- fraient pas ; il n'est point rebute par celles de detail, et les conduit avec un esprit de suite et de minutie tout-a-fait particulier. La les hommes semblent nes pour calculer a sous et deniers ; mais ils s'clevent par-la a calculer par millions , sans rien perdre de leur exactitude et de leur petitesse de vues originaire. Ils ont une aviditc de profit dehontce , et vous avoucnt fran- chement , comme Petit- Jean , Que sans argent I'honneur n'est qu'une maladie. Get esprit de calcul et d'avarice s'unit a mer- veille avec I'observation meticuleuse du di- manclie, qu'ils appellent Sabath, et de toutes les pratiques puritaniques de la religion pres- byterienne qu'ils ont generalement adoptee. lis sont a cet egard si scrupuleux , qu'un brasseur fut censure a I'eglisc pour avoir brasscle samedi, ce qui avait expose la biere a travaillev le jour du Sabath. lis appellent cela morale, et la font consisterbeaucoup plus a ne pas jurer, chanter, danser et se promener un dimanche , qu'a ne pas faire une banqucroute fraudulcusc. Cettcespece d'hypocrisie religieuse leur est si naturelle, que le plus grand iiombrc la pratique do bonne foi. Eux-nienios appt'llcnt avor<;loirc leur pays, oeliii desmocursrangees [the country of steady habits)^ non j)as qu'ils y soient plus vertueux, mais parce qu'ils })rennent un air eontrit unc lois par semaine , et ne niangent le samedi que de la morue et des loiirtes de ponimes {apple pies). Boston, leur capitale , abunde crpendant en lionnues eminens dans Ics lettres ; c'est TAlbenes de IXnion; elle I'ut le bereeau de la liberie , et produisit j)lusieurs de ses plus zeles delenseurs dansles conseilseonnue surlechanq)debatadle. L'instruetion y est beaucouj) ])lus repandue que dans toute autre partie du nioiicle (pie ec soit. lis ont enfin tout ee qui luene a la grandeur, et ont de grandrs vues sans abandonner ret esprit ni('S([uin de detail (pii les suit j)arl(int. I'artijut on pent recninKiitr*' un Yankee a la nianiere adroite dont il (juestionne sur ce qu'il sait, a la nianiere evasive dont il repond aux questions qui lui sontl'aites, sans allirincr jamais rien , et surtout a I'adresse avee la([uelle il s'eelipse des qu'il laut jiayer. En jiolitique , ees six Etats sent unis ; iis votent comrae un houimc. C'est la quest le siege de Vinteret conimereial , quoique, depuis quelques annees , ils tournent leurs vues 9 vers les manufactures avec le succes qui suit tout ce qu'ils entreprennent. Le pays y est tres- peuple , tres-bien cultive , et , la meme , les capitaux employes dans Fagriculture sont aussi considerables que ceux qu'absorbe le com- merce. Les Etats du centre sont bien loin d'etre aussi unis d'interet et d'avoir une physionomie aussi marquee. L'Etat de New -York forme une nation de plus d'un million d'ames. La ville de New-York a cent vingt mille habitans^; on y a bati Fan passe quinze cents maisons, et on s'attend a en voir s'elever trois fois autant cette annee. Rien dans lemonde nepeut se comparer al'esprit d'entrcprise , a I'activite, a I'industrie du peuple. Ici ce ne sont pas des vues retrecies, on ne parle que par millions de dollars 5 les affaires s'y font avec une rapidite sans cgale , et pourtant sans trop fortes secousses. Tout marche en avant a pas de geant , mais a pas reguliers. ' Get etat de clioses a recu un grand elan par le genie du present gouverneur, M. deWitt Clinton, qui cut la premiere idee du grand canal qui unit le lac Erie a la mer. L'activite de cet Etat I Maintenant plus de cent cinquante mille. ( l*^ oc- tobre 1831.) 10 est si forte , qu'elle est entiercment absorb(5e eii lui-memc et qu'il ne lui en reste pas pour ses afftiires avec rUnion. En ji^oneral son influence ne s'y lait presque pas sentir ; car, ayant de tout enlui-meme , il centralise dans sa propre depu- tation les interets dera^jriculture, dueonnneree et des manui'actures. Vinteret connuercial y dtuuine pourtant. 11 est a reniar([uer que cet Etat a fourni aux conseils nationaux bien peu d'bonimes d'un esprit supcrieur. lis sont absor- bes et anniliilesdansla])()li(i([ue interieure, qui est extremement coni])liquL'e et (pii passe pour etre pleine d'intrigues assez sottes. Un etranjjer n'y comprend rien , mais s'aperooit (jue les partis y sont acharnes et personnels , deux trcs-mau- vais sifjnes. La Pensylvanie, le New-Jersey et le Dela- ware I'onnent un groupe ([ui se ressemble d;i- vantage. Le peujile s'y distingue par sa bonlio- mic, sa fraiKpiillite et son industrie. Exee]>t«3 Pliiladelpbie, Vintcret y est generalement ma- nuf'acturier etagricole. Ces Etatssonten grande partie peujdcs de paisibles rpiakers et d'Alle- mands. Tout y marche sans bruit , sans seeousse, sans i)Our ainsi dire qu'on s'en aper^oivc. Si Boston est le sejour des lettres , Philadelphie est celui des sciences ; ce qui y donne peut- 11 etre a la soci^t^ un caractere de pedanterie. Depuis un ou deux ans , le New- Jersey tachait de s'elancer dans la carriere perilleuse des gran- des entreprises , et d'imiter son voisin du nord; mais il a fait quelques ecoles et est revenu a des principes plus sages. La legislature , cette annee, vient de refuser peremptoirement d'incorporer de nouvelles banques , et a meme retire les chartes de quelques anciennes. Le Maryland est aussi divise d'interet que ces autres Etats. Car, tandis que Baltimore est une des villes Ics plus commercantes de I'Union , le reste du pays est agricole et manufacturier. Le caractere du peuple y est un singulier melange de la simplicite et de la bonhomie des quakers de la Pensylvanie et de I'orgueil des planteurs de Virginie. C'est le seul Etat ou existe I'intole- rance religieuse , plutot par ancienne habitude que par prejuge actuel ; les Juifs ne peuvent pas y voter. Get Etat se trouve, par rapport a ses negres , et peut-etre a un plus haut degre , dans la meme difficulte que la Virginie. Ce dernier Etat a joue pendant long-temps le premier role dans I'Union par sa politique et ses grands hommes. Quatre de nos presidens lui doivent le jour : mais la Virginie est bien de- cline de cet etat de splendeur quelle ne devait, dii reste, principalement qii'a I'irritation des partis. Les interets y sont entierement agricoles et maniifacturiers. Le caractere du peuple est Boble, genereux, hospitaller, mais rude, vani- teux et fier. II vante sa bonne foi au-dessus de toute chose. 6es lois, ses usages, sa politique, se ressentent de ce louable engouement. On y est tres-uni; on ne donne jamais son opinion sans I'appuyer du suffrage de toute la J^irginie, La pohtique y est pourtant personnelle , fac- tieuse , turbulente et criarde. C'est sans compa- raison I'Etat oii il y a le plus d'avocats, ou du moins de gens qui ont etudie pour I'etre. Quoi- qu'ils se vantent de democratie, ils sont les seuls vrais aristocrates de 1' Union : temoin le droit de suffrage dont la canaille est exclue dans cet Etat. La principale culture de la Virginie et du Maryland est le tabac et le ble. Le premier de ces articles exige le travail des negres, tandis que le second est plus profitable, cultive par des mains libres. Le tabac epuise tres-vite la terre , et ne croit que dans les terres neuves et tres-fertiles. II suit de cet etat de chosesque ces terres etant a peu pres epuisees aujourd'hui, au moins proportionnellement , et le prix du tabac etant diminue , a cause de la quantite qui en est 13 cultivee a I'ouest , les planteurs sont reduits au ble et obliges de se defaire de leurs esclaves qui ne donnent plus de profit. Lc jour n'est done pas eioigne ou Ton verra ces deux Etats s'unir a ceux du nord contre les Slave-holding States. Cependant depuis un ou deux ans, surtout la Virginie, ils ont entrepris avec succes la culture du coton court , ce qui a rendu de la valeur a leurs negres , et pourra peut-etre re- porter la Virginie a son ancienne splendeur. Mais depuis, le prix du coton court ayant subi la memebaisse que celui de tout autre coton, tous les Etats du sud sont en decadence. La Caroline du nord est une mauvaise copie de la Virginie : elle a les memes interets , la meme politique, etnaviguedans seseaux. C'est, malgre ses mines d'or , le plus pauvre Etat de rUnion, et celui qui fournit le plus d'emi- grans aux nouvelles contrees. La Caroline du sud , la Georgie , I'Alabama , leMississipiet la Louisiane constituent propre- ment ce qu'on appelle le Sud. Leur interet est sans melange, agricole. Le coton long et court, le Sucre, le riz et le raais forment leurs produits, qui necessitent le travail des noirs , et fournis- sent un prix assez avaniageux pour les empecher d'employer leurs fonds autrement. La bonte de 2 1-V la ti(ni('lt'srara(t('n's dcs pcujilfs > ariciit IjeaiKMHip siir line otciuliic de |»ays aiissi cimsi- derable , cepeiidaiit iiii Inud meridional s'y fait observer. La rrMiieliise , la {^('rn'rosit*' , I'liospi- lalitt*, la lib<'ialite des opinions dn jxMipIe y sunt passees en ju-ovrrhr. rj loinicnf iin parl';«if eontraste avee Ic earaeirn' ^ anUrr ipii n'est pas a ravantaije de ee drrnier. An niilien de ee groujM' . la ("..iiormr (III Niid sr j;iii n'ni;ir t.dcus. et est aussi loin de la jiedanterie (pir de rinsi|rnifianee. Dans tonics les (piestions d'un interet eoniinun , c'cst toujours cet Etat qui luene. La politique des autres , e\eej)te la Georgie , n'est pas encore as- • )lainlcnanl jiii .iii'l.pies iloulcj siir (clu. 15 sez bien etablie pour que j'en puissc parler. Quant a la Georgie, c'est avec peine queje dois vous le declarer , rien n'egale racharnement de ses factions, si ce n'est celles du Kentucky; en- core celles-ci sont-elles pour des principes , tan- dis qu'en Georgie c'est pour des hommes que Ton se dispute. Le present gouverneur a pousse les choses si loin , que le mal trouvera proba- blement son remede dans son exces. Les autres Etats forraent I'Ouest. Incorapara- blement la plus grande et la plus ricbe partie dc rUnion , ellc sera dans pcu, si elle ne Test pas deja , la plus peuplee ; et le pouvoir ne tardera pas a lui arriver , ainsi quele luxe , Tinstruction etles arts, qui sont sa consequence. Lcnr inte- ret est manufacturier et agricole, quoique le premier I'emporte de beaucoup. Le caractere du peuple y est fortement marque par un rude instinct de male liberte degenerant souvent en licence , une simplicite de moiurs et une rudesse de manieres s'approchant quelquefois de la gros- sierete et de I'independance cynique. Ces Etats sont trop jeunes pour que je puisse beaucoup vous parler de leur politique : elle est genera- lement acre et ignorante. Les universites, eta- blies partout avec luxe, promettent cependant une generation de politiciena instruits qui au- 16 ront sous lesyeux, pour s'eclairer,lesfautesde leurs peres. Notre pays est si heureusement constitue que Ton peut , sans un grand danger, mettre a I'essai une loi ou une constitution. Les Etats se soutiennent Fun I'autrc comme de bons nageurs, et sont toujours prets a remettrea flot celui qui se noie. La constitution federale, d'ail- leurs , est la pour empeclier que Ton ne fasse des essais trop dangereux; Ses bornes arretent les experimentateurs , et c'est surtout en cela que chaque citoyen , de quelque Etat qu'il soit , est oblige de la considerer comme la sauvegarde et la source de la grandeur a laquelle s'eleveront nos Republiques. Je vous ai parle de I'interet manufacturier , commercial et agricole , sans vous dire ce que c'est. Vous allez croire, j'en suis sur, que les Etats de I'ouest sont pleins de manufactures , et vous vous tromperiez. Leur interet ne se con- stitue pas par les manufactures qu'ils ont, mais par celles qu'ils comptent avoir. II y a deux ans qu'une reforme du tarif des douanes fut propo- see au Congres. Cela mit tout en mouvement. Les anciens partis se rechaufferent , mais ce fut en vain. Pour que cela devint une affaire de parti, I'interet du peuple etait trop patent, et il y voyait trop clair. Les villes del'interieur. 17 une partie des Etats dii centre et presque tout I'ouest voterent en faveur d'une mesure qui fa- vorisait leurs manufactures presentes ou futures. Les villes maritimes et quelques places sur des canaux dans Test , coniposant Vinteret commer- cial , s'opposerent a tout ce qui pouvait diminuer, memo momentaiidmeut, Tactivitedu commerce. Tout le sud , unissant ses interets a ceux du commerce , se prononca fortement contre le ta- rif. Cela vous semblera singulier, jefus, je m'en souviens , du petit nombre qui combattit cet aveuglement. Le tarif passa , mais amende de telle maniere qu'ila perdubeaucoup desaforce, quoiqu'il lui en reste assez pour faire beaucoup de bien, comme nos planteurs commencent a s'en apercevoir , depuis qu'un marche interieur pour leurs cotons s'ouvre au nord et a I'ouest , au lieu de dependre de I'etranger. Dans ce cas, je vous prie d'observer quele centre etait divise, que Test et le sud etaient reunis contre I'ouest. Dans le cas d'une guerre europeenne , ce serait le contraire, I'ouest et le sud se reuniraient. Independamment des deux divisions queje vous ai indiquees , il en existe encore une troi- sieme : les anciennes ct les nouvelles contrees. Cette division, qui s'explique par son nom , ne peut pas se marquer sur la carte , parce qu il y 18 a beaucoup de districts de nouvelles contrees enclaves dans les anciennes ; et cependant en general les territoires et tout Touest des monts Alleghanys sont nouveaux. Cette division est la plus interessante pour vous. C'est la le point qu'il vous faut surtout examiner. Youlez-vous vous fixer dans la partie du pays nouvellement ou anciennement peuplee ? L'un et I'autre de ces deux partis ont leurs desagreniens et leurs avantages. Si, ennemi de la peine, content de votre position dans I'echelle des etres , ne cher- chant pas a vous y avancer, votre fortune vous permet de vivre de vos rentes, vivez dans les anciennes contrees. Yous y trouverez les arts d'Europe , son luxe , sa politesse et un pen plus d'hospitalite , mais vous y serez etranger pen- dant cinq ans ; et alors toutes les bevues que vous aurez commises pendant ce temps vous se- ront comptees. D'ailleurs quelle profession pren- drez-vous ? car il ne faut pas penser ici a vivre sans occupation , vous secheriez d'ennui , et vous perdriez toute consideration. Si vous comptez vous adonner au commerce , ou si Esculape a recu vos premiers hommages , les anciennes contrees vous offrent plus de ressources. Ce ii'est que la que les affaires , commercialemcnt parlant, se fimt en grand, et vos assassinats 19 patentes seront perdus dans la foule , tandis que le recit touchant d'une cure miraculeuse , insere adroitement dans le journal du soir, mettra entre vos mains la vie et la bourse d'une nou- velle volee de patiens. L'agriculture ne vous y rapportera rien , et emploiera tout votre temps. EUe n'est profitable qu'aux petits proprietaires , a ceux qui sont habitues a mener eux-memes la charrue. Lebarreau vous ouvreunvaste champ ; mais vous allez vous trouver en rivalite avec les premiers hommes de la nation , et vous serez immanquablement ecrase. Gependant, pour un Europeen , cette partie du pays convient peut- etre mieux : elle ressemble davantage a I'Eu- rope ; mais s'il n'est pas tres-persecute dans son pays , ou si son amour pour nos institutions n'est pas extreme , je lui conseille de rester chez lui. Mais au lieu de cela qu'il vienne dans nos nou- velles contrees ; qu'il ait le courage de plonger tout d'un coup dans nos mceurs , nos lois et nos forets ! Que laissant en arriere pour quelques annees les souvenirs de delicatesses passees, il s'endurcisse contre des privations par un effort passager! S'il se destine au commerce, qu'il etablisse un marche ou il n'en existait pas ! Au barreau , qu'il soit Ic premier avocat a plai- 20 der la premiere cause au premier terme de la nouvelle Gour ! S'il est medecin , qii'il etablisse sa reputation ou il n'aura personne pour le con- tredire, pas meme les morts. S'il se destine a I'agriculture , qu'il defriche des terres neuves , seul , sans voisin , ne dependant que de lui- meme, et il en sera liberalement recompense. II se trouvera de fait , sinon de droit , naturalise des le premier jour, car personne ne I'inquiete. Si vous venez d'Europe ou d'un Etat lointain , point de prejuges etablis, de reputations faites contre lesquelles il faille lutter. La tout depend des efforts individuals. II ne faat compter que sur soi-meme. Aucun gouvernement ne se fait reellement sentir ; aucune simagree sociale n'en- trave la raarche de I'esprit. Get etat dure peu; quatre ou cinq ans au plus voient croitre des villages , des villes, des universites, etc. ; alors vous vous trouverez interesse dans tout cela et pourrez dire avec fierte : Quorum pars magna fui. Et si , comme beaucoup d'autres , vous con- servez le goiit de la vie cliampetre dans les bois, partez , emigrez tons les deux ou trois ans vers I'ouest, emportant avec vous votrelegerbagage, jusqu'a ce que I'Occan Pacifique vousarrete. Ge 21 ne serait pourtant pas mon gout. II me semble que j'aimerais la ville dont j'ai vu poser la pre- miere pierre , dont j'ai defriche une partie ; a observer I'essort qua pris , dans I'espace magi- quement court de trois ou six ans, un nouvel Etat souverain ; a voir de nouvelles lois , un nouvel edifice social s'elever la oii les crisbarba- res de I'lndien epouvantaient sa timide proie ; a y entendre discuter nos interets , ou effrayer les pecheurs par les accens non moins barbares d'un precheur methodiste. G'est le parti que j'ai pris moi-menie , me sentant degoute des affaires et de la societe , et etant trop actif pour rester sans rien faire. Pour un etranger, ce parti a un autre avantage : ii le fait sauter a pieds joints sur ces cinq annees de probation oii il n'est pas encore citoyen et cesse d'etre etranger, situation gauche qu'il evite dans le desert. Je ne me deguise pas les difficultes et les privations qui accompagnent une semblable resolution, surtout pour un etranger. Le plus grand inconvenient est dans le grand nombre de fripons et d'intrigans qui , de toutes les parties des Etats-Unis , se donnent rendez-vous dans une nouvelle contree , et sont quelquefois assez nombreux pour s'emparer du gouvernement. Mais cela n'est que momentane; les honnetes gens reprennent tot ou tard le dessus , et cela ne fait que donner une agreable occupation. Je ne connais rien de si amusant que de travailler a mettre ces colons a la porte. C'est I'image d'une revolution , comme la chassc est I'image de la guerre. Outre cette objection principale , il faut une espece de courage pour se sevrer, pendant quelques annees, de toute societe assortie a I'education et aux habitudes d'un homme bien eleve, pour renoncer aux theatres , aux comforts de la vie , a une bonne maison, au journal tons les soirs, a ses lettres tous les matins. Ici point de bon vin qui nous grise et nous darane. Nous n*avons pour produire les memes effets que du lohiskey, ce que vous connaissez sous le nom de schnaps. Nous vivons tres-siraplement, sans ostentation. Tout cela changera dans deux ou trois ans ; et en verite , celui qui est assez ef- femine pour regarder ces privations momenta- nees comme un prix trop cher pour Fetat de male independance que je vous ai depeint, pent rester chez lui ; nous ne le desirous pas. Je relis ma lettre , et je vois qu'elle sera inin- telligible pour vous si je la laisse seule. Bon! je regarde ce commencement comme une espece d'enga^emcnt de vous donner des nouvellos de mon pays , jusqu'a ce que vous me disiez que vous en avez assez, ou que vous veniez vous- meme me prouver que je vous ai persuade des avantages sans nombre dont notre gouverne- raent , et notre gouvernement seul , nous fait jouir sur I'Europe. Je vous ai developpe quel- ques vues neuves pour la France. On n'y con- nait que les Etats-Unis. Les vingt-quatre repu- bliques independantes qui les composent , qui ont chacune leur constitution , leurs lois , leur politique , leurs partis , qui se meuvent dans un ordre sublime, sans jusqu'ici s'entrechoquer dans les orbites qui leur sont traces par le gou- vernement federal , personne n'en parle , per- sonne ne s'en occupe. G'est sur leur politique interieure et leurs relations entre elles que je me propose d'attirer vos regards. II faut voir la marche tranquille et majes- tueuse de cette Republique. Vous ne pouvez vous en faire une idee , vous qui n'avez connu la liberte qu'au milieu de la tempete (qui certes a bien aussi ses charmes) et attaquee par des partis subversifs. Ici les principes sont inamo- viblement etablis dans les esprits et les coeurs. Le peuple est unanime sur le gouvernement. On ne diflfere que sur les personnes et surquelques mesures secondaires. Etablira-t-onunebanque? Fcra-t-on un canal ici ou la? Fera-t-on line loi contre I'usure? Enverrons-nous tcl ou tel au Congres? Yoila les ohjets qui occupent non pas une niinorite rcniuantc, niais toute la nation. On s'agite jusqu'a ce que la loi ou I'election soit faite ; ensuite il n'en est plus question ; personne ne pense a reelanier. Je me j)ropose done d'at- tirer vos regards sur la politique interieure de ces republiques et sur leurs relations entre el les. LETTRE II. Viie generale. — Origine et histoire des partis. Wascissa , pres de Tallahassee {Floride),juillet 1826. Je ne vous ai rien dit, dans maderniere lettre, des partis qui divisent la Republique ; cela est pourtant necessaire pour achever le tableau ge- neral. Si tous les homines avaient les memes gouts et entendaient aussi bien les uns que les autres leurs interets, il n'y aurait point de par- tis , point de choc , point de divisions ; mais il n'y aurait point non plus de changement, de diversion, de nouveaute; rhomme, transforme en une simple machine a plaisir, vegeterait, semblable a tous les autres hommes , comme une plante de froment au milieu d'un champ. Serait-il plus heureux? M. Ptobert Owen le croit; c'est sur ce principe qu'il etablit ses nouvelles 3 soci^tes. Pour moi , je pense ditferemment : le plaisir ne consiste que dans raccomplisseraent de nos desirs , comme le bonheur dans celui de nos passions ; mais pour que les desirs devien- nent des passions, I'opposition est necessaire; sans opposition il n'y a done point de bonheur, point de choc d'opinions d'oii jaillisse la verite. Les pouvoirs de I'esprit sont aussi difFerens que ceux du corps. II suit de la qu'ils varient non seulement dans leurs desirs, mais dans les moyens de les satisfaire. C'est ce qui constitue la difference entre un parti et un interet politique ; I'un est un objet de fait , reconnu par tout le monde , I'autre une division surle moyen d'y parvenir ; cependant, raveuglement des passions est quelquefois assez considerable pour changer I'interet reel, et merae I'ignorance fait qn'on se trompe. Les ha- bitans du sud sont, par exemple, dans ce cas par rapport au tarif des douanes : ils meconnaissent leurs interets, non par aveuglement de passion, mais par ignorance des vrais principes d'eco- nomie politique. En Espagne, au contraire, la miserable canaille qui crie : Viva el rey abso- luto ! muera la nacion / doit etre dans un pa- roxisme de manie pour meconnaitre a un tel point ses veritables interets. 27 Chez nous il n'y a point de cette espece de partis ; les principes fondamentaux du gouver- nement sont fixes. Par la loi, le peuple est sou- verain; ce n'est plus un objet de speculation ; quelle que soit a cet egard I'opinion theorique , ici c'est une matiere de fait , reconnue par la loi ecrite du pays. Le peuple est lib re de decla- rer sa volonte, soit individuellement , par la presse, etc. , soit coUectivement par des conven- tions et des assemblees que chaque citoyen a le droit de convoquer, et qui prennent un carac- tere officiel des qu'elles sont composees d'une majorite. La constitution reconnait le droit de resistance a I'oppression. Ge n'est done pas sur la forme ou les principes du gouverneraent que roulent les partis ; c'est principalement sur les mesuresd'administration et sur les hommes. Les partis, fondes sur de semblables differences d'opinions sont favorables a la chose publique ; ce sont les vents qui font marcher le navire et contre lesquels il pent toujours se redresser; les autres sont les courans qui le font echouer et I'entrainent inevitablement a sa perte. Quel- que acharnement , au reste , qui existe entre les partis , notre amour pour un gouvernement dont tout le monde est content fait que cette irrita- tion est sans danger. A la derniere election du 28 President , toute rUnion etait divisee en partis tres-violens ; le jour oii il fut elu tons ces partis disparurent, ou plutot s'ajournerent jusqu'a la prochaine election ; mais il ne vint a I'idee de personne de resister aux formes de la constitu- tion, quoique le candidat prefere eut decide- ment une majorite centre lui. J'ai vu dans les campagnes des elections tres-tumultueuses , des gens ivres , des coups de poing , etc 5 mais je n'ai jamais vu penser a violer la boite aux suf- frages ou la liberte des votans. Un parti ne consiste pas seulement dans une difference d'opinionsurune mesure isolee ; c'est une collection d'hommes ayant un code politi- que , y rapportant tout , jrgeant d'apres lui les hom.mes et les mesures , ayant une hierarchic , et recevant plus ou moins aveuglement son im- pulsion. D'apres cette definition , il n'existeque deux partis aux Etats-TJnis, mais qui, sous des noms differens , promettent de se perpetuer tant que notre gouvernement durera ; ce sont les fedemlistes et les democrates . Pour comprendre leur histoire, il faut remonter a leur origine, et, pour expliquer leurs principes, tracer le plan coraplique de notre constitution. Lorsque les colonies anglaises , qui avaient fait tant de sacrifices pendant la guerre centre 29 la France et montre un si vif attachement a la raere-patrie , furcnt obligees de recourir a la force des armes pour resister a la tyrannic de George III et de son venal parlement , il n'exis- tait encore aucune idee d'independance. Tres- peu d'hommes la previrent, et la masse du peu- ple y etait opposee. Washington lui-meme , au commencement, n'en eutpasl'idee. Les colonies formaient alors treize gouvernemens , parfaite- ment isoles les uns des autres , ayant tons une constitution representative et recevant leurs gouverneurs d'Angleterre. Un interet commun les engagea a former un Congres compose de plenipotentiaires d'Etats souverains. Lorsque ce Congres proclamal'independance des colonies, il ne s'agissait encore d'aucun pacte entre elles ; ce n'etait qu'une alliance contre I'ennemi com- mun. En 1778, ces Etats formerent une Con- federation qui etait loin d'etre aussi intime que la Confederation germanique. Un Congres com- pose de delegues , elus dans cliaque Etat d'une maniere differente , votant par Etats , represen- tes pendant les vacaiices [the recess) par un co- mite des Etats , avait le droit de faire la paix ou de declarer la guerre , de repartir entre les Etats les contingens de troupes et d'argent , de con- tracter des dettes , de fixer une monnaie fedc- 30 rale, d'etablir la poste, de cr^er des cours d'amiraute, etenfin de juger les difFerents entre les Etats. LesJEtats, de leur cote, renoncaient, en temps de paix , au privilege de lever des forces de terre et de mer pour leur propre compte , mais nommaient les officiers de leur propre contingent. lis renoncaient a traiter entre eux hors du Congres. Les citoyens d'un Etatdevaient jouir dans tons les autres de droits egaux a ceux des citoyens de FEtat oii ils se trouvaient. Les Etats gardaient le pouvoir de regler le commerce interieur, et en general tons les autres droits souverains qu'ils ne dele- gualent pas explicitement au Congres. Ces ar- ticles ne furent ratifies qu'en 1 781 , et en vigueur que jusqu'en 1787. On s'etait deja apercudela faiblesse de ce pacte , et que I'anarchie et pro- bablement la guerre entre les Etats en serait la consequence. Une nouvclle constitution fut pro- posee, et, apres beaucoup d'opposition , fut enfin adoptee et ratifiee par les Etats; et, a quelques legers amendemens pros , elle conti- nue encore a nous gouverner. L'liistoire de tout gouvernement federatif ademontre combien est faible I'autorite qui s'adresse a des gouvernemens. Pour remedier a cet inconvenient on resolut d'investir le gouvernement federal du pouvoir 31 de s'adresser directement aux iiidivldus et de les forcer a I'obeissance. Pour cela on divisa la matiere gouvernahle en deux classes : les objets d'un interet commun , et ceux d'un interet par- ticulier. La guerre et la paix, Tarmee et la marine, le commerce etranger, la poste et la raonnaie appartiennent exclusivement au gou- vernement federal. Lesloisciviles etcriminelles, ainsi que I'administration interieure, furent conservees aux Etats. L*armee en fut rendue independante ; ils n'eurent plus de contingent a fournir, mais le gouvernement federal put lever des troupes a volonte. II fut egalement rendu independant des Etats pour sesdepenses, par la creation d'une tresorerie nationale , et le pouvoir de lever des contributions. Un pou- voir judiciaire federal fut institue pour connai- tre des cas entre etrangers et citoyens, entre citoyens de difFerens Etats , entre Etats , et des cas ou les Etats-Unis sont partie. La juridiction d'arairaute lui fut attribuee ^ Cette reforme dans les pouvoirs du Congres I L'Etat de New-York a toujours contesle la juridic- tion d'amiraute exclusive aux cours des Etats-ITnis; mais il semble que la constitution est claire sur ce point-la. Au reste cette difference d'opinion n'a pas encore efe jnjree. 32 en exigeait une dans sa forme. Tant qu'iln'avait d'autorite que sur les gouvernemens , il pouvait n'etre compose que de plenipotcntiaires ; mai« des qu'il agissait pour les individus, il l\illait qu'ils y fussent representes. Deux elianibres s'ensuivirent. Le senat est compose de deux membrcs de chaque Etat , quelle que soit sa population. lis sont nommes pour six ans par la legislature de I'Etat, et recoivent des instruc- tions. La Chambre des reprc'sentans est com- poseedes deputesdespeuplesdes Etats-Unis divi- ses en districts electionnaires, d'une population cliacun de quarante niille ames; ils ne sont sujets a aucune instruction et restent deux ans en fonctions. Dans les deux Ghanibres, les votes sont individuels. Le concours des deux cham- bres est necessaire pour passer une loi. Le pouvoir cxecutif reside dans le President, qui est elu jiour (piatre ans, et dans le Senat, qui ratifie les traites , coiisent et conseilh' la paix et la guerre , et les nominations aux differentes places. Le pouvoir judiciaire est confie a une cour supreme , a des cours de circuits et a des cours de districts. ^ ous voyez, d'apres cela, que tout citoyense trouve concourir a I'exercice de trois pouvolrs 33 tout-a-fait distincts , et est represeiite trois fois: comme citoyen des Etats-Unis dans la Chambre des representans ; comme citoyen de son Etat dans sa legislature ; comme membre de la con- federation et partie d'un Etat souverain dans le Senat federal. Le Congres est done compose de deux elemens, I'un repulsif, I'autre attractif. Le Senat represente les interets individuels des Etats isoles , la Chambre des representans les interets du peuple en general , ou des citoyens de rUnion. De cet crdre de chose, extremement complique, mais tout-a-fait nouveau, nait un systeme de balance et de contre-poids infini- ment au-dessus de tout ce que Ton avait aupara- vant. La force de ce gouvernement ne peut se calculer. II est construit de maniere a recevoir le moindre souffle de I'opinion publique et a lui obeir, et se trouve completement depourvu de force pour lui resister. Ce gouvernement ne fut pas gcneralement bien compris a son origine, et eut beaucoup d'ennemis jusqu'a ce que Texperience en eut demonire la solidite. Ceux qui furent en faveur dela constitution prirent le nom de Federalistes, leurs opposans celui de Democ rates. Les Fede- ralistes de ce temps-la se coraposaient : 1° de gens a grandes vues (lorsque Washington fut 34 leur chef), ddsirant reiidrc runion dcs fitats perpetuelle ; 2° de gens ambitieux qui trouvaient les petits Etats un trop petit theatre ; 3° enfin d'un reste du parti tonj ou aristocrate, qui voyait dans rado})tion de cette constitution un grand pas de fait vers une monarchic ou vers une reunion avec I'Angleterre. Cette derniere partie du parti federalistefut pendant long-temps sa tete, raais elle a maintenant completement disparu. Le parti democratique etait compose : 1" de gens de bonne foi republicains , enivres du triomphe momentanc que la paix venait de leur donner sur I'Angleterre , et beaucoup trop confians dans la force d'Etats isoles ; 2" de quelques ambitieux qui , ayant figure dans leur Etat, craignaient d'etre eclipses sur un nouveau theatre ou ils ne se sentaient pas la force de paraitre ; 3» enfin de quelques gens senses , sur qui la crainte d'une monarchic etait plus forte que celle dune division de 1' Union. Dans ce teraps-la , la revolution francaise eten- dait ses bienfaits etses ravages sur toutel'Europe continentale. L' Angleterre , ne pouvant la vain- cre , lacaloraniaitdans ses journaux, qui etaient les seuls generalement lus ici , a cause de I'iden- tite de la langue. Les Federalistes compare- rent les Deraocrates aux Jacobins et pronosti- 35 querent la meme anarchie s'ils triomphaient , tandis que les Democrates appelaient les Fede- ralistes agens de I'Angleterre , ennemis de I'in- dependance nationale, aristocrates , etc. Cette premiere division continua et crea un parti an- glais et un parti francais , qui durerent sous le gouvernement de Bonaparte. Dans ce temps^, ces partis (qui n'etaient que les Federalistes et les Democrates deguises sous d'autres noms) prirent une figure plus decidement nationale , par I'effet du systeme continental qui fit res- sentir ses effets jusque chez nous. Les habitans des ports de mer, et tout ce que je vous ai de- peint comme Vinteret commercial, ici , comme en Europe , dans ce meme temps , devinrent anti-Francais , et par consequent Anglais et Fe- deralistes. Ceux, au contraire, qui pensaient comme Jefferson et Patrik-Henry, considerant les grandes villes comme les ulceres des repu- bliques, se confirmerent dans leurs principes. Les restrictions du commerce causerent une irritation generale qui redoubla par les mesures arbitraires de I'Angleterre ; on commenca a pre- voir une guerre. Les Federalistes la craignaient et s'y opposaient, soit parce qu'ils pensaient qu'elle affaiblirait le gouvernement federal ; soit parce qu'il leur pesait de s'unir a la France 36 contre I'Angleterre ; soil enfinparce que le com- merce leur paraissait devoir souflVir encore plus d'une guerre , meme de courte duree , que des entraves que lui opposaient les puissances belli- gerantes de Tl'^urope. Les Dcmocrates, au con- traire, voyaient dans la guerre une chance ouverte pourfaire regagneraux Etatsleur inde- pendance primitive, et abaisser TAnglcterre. Pleins d'un noble esprit national , ils osaient se flatter du succes dans une lutte aussi incgale. Les evcnemens donnerent dune naissance a deux nouveaux ])artis , ceux de la guerre et de la paix , qui n'etaient encore que les«memes partis consideres sous un diderent point de vue. Washington fut elu president lors de I'aecep- tation dela constitution. 11 iiit un des premiers a recommander une union aussi in time que possible entre les Ktats ; et quoiqu'il fut trop sage et trop ferme pour etre le chef ou le jouet d'un parti , I'opinion le considerait comme favorisant les principes des redcralistcs. Sa fer- metc envers Tambassadeur de la republique francaise confirma cette opinion. A son admi- nistration succeda celle de M. Adams, qui fut tout anglaise, toute tory, et devint si impopu- laire qu'il ne put etre reelu. L'exces de son fede- 37 ralisme fit pencher la balance en faveur des Democrates, qui elurent M.Jefferson. Sans avoir, aproprementparler,des talens aussi superieurs qu'on Fa represents, il etait philosophe, homme de lettres et homme aimable. Jamais personne ne serendit aussi populaire, et ne s'entendit aussi bien que lui a organiser un parti. Ilfuttellementmaitre dusienque , quel que mesure que I'adrainistration proposat , elle prenait immediatement le nom de democrate, et etait enlevee (camec?) par ce parti. Nous eiiraes pendant son administration un parti d'opposition qui resistait aveuglement a {'administration, comme en Angleterre, ets'appclaitFederaliste. M. James Madison , qui avait commence sa carriere avec les Federalistes , mais qui depuis occupait un rang distingue dans I'autre parti , succeda a Jefferson dans la presidence et dans son influence sur son parti. II declara la guerre. Cette mesure occasiona une scission dans le parti federaliste , et pen apres sa mine appa- rente et I'abandon dunom. Je vous ai dit qu'une partie des Federalistes etait republicaine et patriote , tandis que I'autre etait aristocrate et anglaise. Les premiers residaient principale- ment dans la sud , les seconds dans le nord et Test. Tons deux s'opposerent tant qu'ils purent 4 38 a la guerre ; mais des qu'elle fut declaree , les premiers joignirent I'armee et verserent leur sang pour la cause commune, tandis que les autres s'opposerent a toute mesure de de- fense. Les partis , a cette epoque , se trouvaient agir en parfaite opposition a leurs principes. Sans I'idolatrie des Dcmocrates pour Jefferson et I'excitement des passions , la constitution aurait probablement souffert de la guerre ; mais ce fut, au contraire, ce qui la consolida a jamais. Les Democrates voterent, malgrc leur defiance du gouvernement federal , une armee de cent mille hommes et des contributions directes (ce qu'ils consideraient comme inconstitutionnel et impo- litique dans le gouvernement general) ; ils reta- blirent la marine, que M. Jefferson avait anean- tie, et , par leur confiance dans I'adrainistration , decuplerent sa force en mettant un grand zele a mobiliser les milices des Etats oii ils etaient les maitres. Les Federalistes , au contraire, opposaient entraves sur entraves a la marchedu gouvernement. Le gouverneur du Connecticut refusa d'appeler la milice sur la demande du President. Enfin, apres deux campagnes mal- heureuses , surtout par leur faute , dans le nord, des deputes des differens Etats de la Nouvelle- 39 Angleterre se reunirent a Hartford pour aviser aux moyens de terminer cette guerre denaturee (comme les partisans de I'Angleterre I'appe- laient). Cette Convention fut secrete; elle envoy a une deputation a Washington ; mais elle n'y arriva qu'au moment de la paix et ne fit aucune communication. On a accuse cette Convention d'avoir voulu separer de I'Union les Etats de la Nouvelle- Angleterre ; mais ses deliberations ayant ete secretes , il est difficile de rien savoir de positif la-dessus, et je souliaite pour ces mes- sieurs qu'ils n'aient jamais eu cette idee , quoique j'en doute. Si la guerre n'avait pas toujours ete heu- reuse, rien de plus glorieux que la paix qui la suivit. Elle scella le triomphe du parti demo- cratique. II avait reussi au-dela de ses espe- rances les plus exagerees , et profita en entier de la victoire. Les Federalistes qui prirent part a la guerre renoncerent a ce nom devenu odieux, et il ne fut conserve aux membres de la Conven- tion d'Hartford et a leurs partisans que comme une epithete injurieuse. Tons les journaux, tons les discours, etc. , proclamerent la cessa- tion , le triomphe oula reconciliation des partis, chacun suivant sa couleur; mais il fut bien reconnu qu'il n'en existait plus. Toute irritation 40 disparut, etiesnoms inemesn'en furent rappelds que clans les disputes d'elections. II vous sera pourtant facile de voir que ces deux partis ( dans le sens primitif de leur nom purge detoutes circonstancesaccidentelles) sont de I'essence dugouvernement, et, sousdesnoms differens, doivent se perpetuer. lis se servent de contrepoids I'un a I'autre et maintiennent le gouvernement dans une ligne mitoyenne. Une observation dissipera les craintes qu'on pour- rait avoir sur leur effet futur : c'est qu'aucun d'eux ne desire changer la Constitution , mais redoute au contraire quelle ne soit detruite , Tun par rempietement du gouvernement fede- ral, I'autre par I'empietement des gouverne- niens d'Etats. Ce sont deux sentinelles vigilantes dont I'objet est negatif. II parait qua la presente session du Congres , ces deux partis reparaitront depouilles de tout ornement exterieur. Le traite de la Georgie avec les Creeks et la question des travaux publics {internal improvements) donneront probable- ment lieu a une division. Je vous en rendrai compte separement. Vous avez sans doute vu dans les journaux beaucoup de bruit a propos de la derniere elec- tion du President , et je ne doute pas que quel- 41 ques personnes en Europe n'aient pense que la guerre civile etait snr le point d'eclater. Rien pourtant de plus ridicule que cette crainte. Les partis dont je viens de parler n'etaient pour rien dans cette affaire, I'irritation provenant entierement de I'opinion personnelle que cha- cun avait des candidats. II est vrai qu'un reste de parti federaliste se remuait en faveur de M. Adams , tandis que I'opinion opposee etait divisee entre ses trois rivaux. Les sentimens locaux {sectional feelings) eurent beaucoup de part dans I'election. Tout Test vota pour M. Adams, tandis que I'ouest se trouva divise entre Jackson et Clay. La Georgie fut pour Crawford. Si vous voulez en connaitre toute I'histoire , la voici. II faut d'abord que vous sachiez que la maniere d'elire le President dif- fere dans les differens Etats. Chaque Etat en- voie un nombre d'electeurs egal a sa delegation au Congres; ils votent individuellement. Mais dans quelques Etats le peuple vote pour tons ses electeurs a la fois ; cela s'appelle Election by general ticket; dans d'autres , le peuple est divise en districts dont chacun nomme un elec- teur, cela s'appelle voter bij district; dans d'autres enfin, les electeurs sont nommes par la legislature. Siaucun des candidats n'a la moitie 42 plus un des votes, I'election tombe dans les mains de la Charabre des representans , qui est obligee de choisir entre les trois candidats qui ont le plus de voix, en votant par Etat. Quatre candidats s'offrirent , tous horames de beaucoup de talent, mais dont le merite etait differemment estime par chacun , les uns les elevantjusqu'aux nues , tandis que d'autres les calomniaient a plaisir. Voici leurs noras et leurs titres de recommandation : 1« John Quincy Adams, de Massachussets , fils de I'ancien President. II a passe la plus grande partie de sa vie dans les emplois pu- blics , mais toujours hors des Etats-Unis. II a ete professeur de belles-lettres , et est tout-a-fait un litterateur. II appartint toujours au parti federa- liste, jusquedans ces derniers temps qu'il essaya vivementde ledeprecier. II est remarquable par son style etsesmanieres serrees etdiplomatiques, et est de I'ecole de ceux qui croient qu'il est ne- cessaire de tromper le peuple pour le gouverner. Lors de I'election il etait secretaire d'Etat. 2" Andrew Jackson, de Tennessee. Eleve pour le barreau, oii il se distingua ; au commen- cement de la derniere guerre , a la tete de quel- ques milices , il deploya les plus grands talens militaires contreles Indiens. Nomme general de 43 I I'armee , il remporta la fameuse victoire de New-Orleans , et sauva , par ses talens adininis- tratifs nonmoins quemilitaires, tout I'ouest d'une invasion. II fut toujours democrate. II est re- marquable par son austere republicanisme , sa resolution , la clarte de ses vues , sa droiture , une probite et une purete au-dessus de tout soupcon. Lors de I'election , il etait senateur au Gongres pour I'Etat de Tennessee. 3° W. H. Crawford, de Georgie. Sa carriere a ete principalement legislative et diplomatique. Ilaeteambassadeur en France. II fut toujours de- mocrate. S'il est remarquable par quelque chose, c'est par un esprit turbulent d'intrigue et de cor- ruption . II se servit, dit-on, pour ses vues privees, de I'influence que lui donnait la secretairerie de la tresorerie , qu'il occupait lors de I'election. -4° Henry Clay, de Kentucky. Sa carriere a ete legislative. II fut un des plenipotentiaires de Gand. II est remarquable parson eloquence, son adresse , son talent comrae avocat , et son amabilite personnelle. II etait president [speaker) de la Chambre des representans , et possedait une grande influence parmi eux. II ne s'en fallut que de tres-peu de votes que M. Jackson ne fiit elu. Adams le suivit de loin, et Crawford suivit ce dernier de tres-pres. La 4-4 Chambre eut done a choisir entre ces trois can- didats. Leur force dans la Chambre, oii le vote se prend par £tat , se trouvait a peu pres egale, et I'eleetion dependait du parti que prendraient Ics amis de Clay. lis se rangerent pour Adams. L'opiiiion publique condamna liautement cette election comme contraire a lavolonte dupeuple, car Jackson avait certainement une majorite tres-considerable sur chacun de ses concurrens. La nation pensa que sa volonte aurait du faire loi pour ses representans. Les cris redoublerent encore, lorsque , pour premier acte de son administration, M. Adams nomma M. Clay secretaire d'Etat. D'un bout de I'Union a I'autre, on cria au scandale , a la corruption , a la vena- lite, etc. Ces bruits sont peut-etre exageres, mais les preuves d'un marclie odieux me sem- blent trop claires pour que je puissem'y refuser. Quel aurait ete en Europe le resultat d'une election pareille , oii le choix du pcuple eiit ete renverse par I'intrigue et la corruption la plus deliontee? Une guerre civile aurait peut- etre eu lieu, et pendant quelque temps, on aurait eu deux presidens. Ici , point du tout. Chacun se soumit paisiblement a la loi , se pro- raettant bien de n'etre plus dupe a la prochaine election. Pden ne futplus majestueux que le 48 spectacle qu'offrit la nation , courbant la t^te en silence sous le joiig de lois qu'elle-merae s'etait forgees. Quolque le present president soit, dans mon opinion , le plus mauvais choix que les representans aient pu faire , et que je n'attende rien de grand de la presente administration , je crois pourtant que cet exemple de soumission a la loi sera du plus heureux effet pour I'avenir. L'opinion publique au reste est si forte ici que , quelle que soit I'administration , elle est entrai- nee ; et si elle ne fait pas de bien , elle ne pent faire aucun nial. Un semblable etat de clioses ne serait-il pas desirable partout ^? J'oubliais de vous dire que, le 18 Janvier, nons avons pose a Tallahassee la premiere pierre du capitole futur. II n'y a pas plus d'un an , que ce n'etait qu'une foret. II y a aujourd'hui plus de cent maisons et deux cents habitans , et un journal. A cette occasion on a prononce un tres-bon discours , et il y a eu un diner de cin- quante personnes. N'est-ce pas de la magie? J Les partis s'ajournerent apres Telection de M. Adaras par la chambre des representans , et a la prochaine elec- tion Andre Jackson fut eln par une immense majorite. Cest lui qui est president acluellement, et quoique son administration n'aitpas repondu a Tidee que ses amis s'en etaient faite , il est probable cependant qu'il sera reelu pour un autre termo de quatre ans. LETTRE III. Description des nouveaux etablissetnsns. Lipona, juillel 1826. Vols me demandez ce que c'est qu'un terri- toire ; il n'est pas facile de repondre a cette question ; je vais cependant I'essayer. Je vais vous faire la peinture d'un de ces etres hetcrogenes dont parlent les fables grecques ; vous I'allez voir, nouveau Prothee , changer continuellement de forme sous mon pinceau. Puisse la copie avoir une partie de I'interet qu'inspire I'original ! C'est la naissance d'une nation , I'histoirc de ses progres , jusqu'a ce qu'elle soit parvenue a sa majorite , que je vais vous tracer. Ne riez pas. 47 Vous I'allez voir, en une douzaine d'annees, s'elever par degres de la barbaric et de I'igno- rance au sommet de la civilisation. C'cst un miracle dontdouze Etats nous offrent la preuve; et dans ce moment trois Etats naissans , qui sont sur le chantier, nous permettent d'observer le procede de cette transformation et de prendre la nature sur le fait. Ici , nous voyons passer rapidement sous nos yeux et nous pouvons etudier ce que les historiens nous representent commel'oeuvre dessiecles. Cepays-ci ressemble aux jardins encliantes d'Armide : les peuples et les nations s'y multiplient dans un eternel printemps , E mentre spunla I'un , I'altro matura. ( Tasso. ) Vous avez , sans doute , observe sur une carte des Etats-Unisla petite proportion dans laquelle y figurent les Etats. Vous etes-vous jamais demande par quel procede ces immenses con- trees , qui appartiennent a la Confederation , sont peuplees et gouvernees? Je vais tacher de vous le dire. Je ne ierai I'histoire d'aucun terri- toire en particulier, mais mon recit sera une formule generale applicable a tons. Les Indiens occupentl'espace hors deslimites des Etats et meme au-dedans beaucoup de ter- res que , de bon gre ou de force , la Confedera- ^8 tion leur fait abandonner peu a pen. Lorsque je parle d'lndiens, je n'entends pas preoisement parler de Sauvages. G'est ici, en efFet, qne le merveillenxprocededelacivilisationcommence. Beaucoup de penples ou de tribus a I'ouest du Missouri, qni n'ont jamais vu d'homme blanc , ni en de relations directes avec Ini , sont sans doute des Sauvages ; mais le Creek on le Cherokee, enferme an milieu de la civilisation, cultivant ses terres , ayant organise nn gouver- nement representatif et etabli des ecoles , est plus pres d'elle qne le paysan d'Irlande on d'Antriche. Un liomme blanc arrive an milieu d'une na- tion encore entierement sauvage et vivant dans tonte la barbaric et la fierte de I'ignorance et de I'anarchie ; cet homme est en general ce qu'on appelleun^wc?^af* Trader; intrepide chasseur, tri- clieurdebonte , il fait le metier perilleux d'aller, a travers des contrees et des dangers inconnns , vendre aux Indiens de la poudre, des armes, des etoffes grossieres, mais surtont du whiskey % en echange de pelleteries. lis sont en general etablis sur quelque riviere navigable a I'extreme circonference de la civilisation. Ges liomraes I Sorte d'eau-cle-vie de grains. -49 blancs vivent ordinairement avec des femmes indiennes qui leur servent d'interpretes. Tous les ans, ils viennent s'approvisionner dans quelque grande villc, et sont long-temps les seuls intermediaires entre I'liorame de leur cou- leuret I'homme rouge. Bientot les Indiens, non seulement s'accoutument aux commodites de la vie, mais ne peuvent plus s'en passer. G'etait seulement pour leur nourriture qu'ils clias- saient, maintenant c'est de plus dans le but d'un trafic avantageux. Voila le premier degre de civilisation etabli. D'un autre cote , le chasseur americain forme une classe aussi entreprenante qu'intrepide. Le retour d'un indian Trader, avec un riclie butin qu'il ra})porte d'une contrce non encore explo- ree oii il a trouve la cliasse abondante, la terre fertile , I'eau salubre , determine aussitot une emigration de ses pareils. Comment vous les de- peindre apres Cooper dans ses Pioneers et les derniers des lUohicans?l\ es^tmxmiidilAe. Je vous renvoie a ces dcuxromans. Vousy verrez qu'ils ontadopte la vie du sauvage , beaucoup plus par gout que par necessite , et qu'ils reunissent a son adresse, a sa patience, eta son courage energique, la douceur et I'humanite de I'homme blanc. C'est par eux que commence la connaissance du nou- 5 50 veau pays ; ils en explorent toutes les parties , et en font des rapports plus ou moins exageres. L'Indien cependant ne reste pas stationnaire. II ne pent plus se passer de fusil , de poudre , de liqueurs , de couvertures ; il se fixe aupres de son marchand , et commence a acheter des che- vaux et des bestiaux, L'introduction des outils lui offre la facilite de se batir d'excellentes ca- banes ; les femmes (Squaws) commencent a de- fricher tout a I'entour et a planter un peu de mais et de tabac. Enfin des villages indiens naissent dans le desert. Jj'indian Trader fait de bonnes affaires ; d'autres marchands le suivent, le pays est inonde de chasseurs. Ils se melent aux Indiens, et ne sont pas long-temps sans avoir quelque dispute avec eux. G'est ordinai- rement a I'occasion d'unc de ces disputes , qui presque toujours degenere en guerre, que le gouvernement de TUnion intervient pour la premiere fois. Les Indiens tuent les blancs qu'ils rencontrent, et quelquefois meme s'avancent au milieu des etablissemens , et massacrent femmes et enfans. Les chasseurs , de leur cote, continuent la guerre avec non moins d'ardeur , et ne tardent pas a recevoir I'assistance des trou- pes de ligne , ou de la mi lice de quelque Etat voisin. Les Indiens sont defaits , leurs huttes SI brulees , leurs bestiaux tues , et les hostilites se terminent par un traite de paix , apres qu'ils ont appris a apprecier le pouvoir des Etats-Unis. Les Indiens se choisissent des chefs qui se rassemblent sur quelque point central oii se trouvent des coramissaires des Etats-Unis. lis y ont un talk ou conference. Les articles du traite sont en general ceux-ci : 1 ° Les Indiens renon- cent a la plus grande et plus fertile partie de leurs terres , et le gouvernement , sous le nom de reserve, leur en garantitce qu'il juge a propos. 2° Les Etats-Unis leur paient une annuite, par- tie en bestiaux , en outils , en instrumens d'agri- culture, en provisions, et partie en argent. 3° Les Etats-Unis etablissent pres de la nation un agent, sans la permission duquel aucun blanc ne pent commercer , ni meme depasser les frontieres, 4° Les Indiens ne peuvent aussi quitter leurs limites sans un passe-port de I'agent. 5'' C'est a lui que les Indiens et les blancs doivent porter leurs plaintes les uns con- tre les autres , et c'est a lui a voir que justice se fasse. 6° Les Etats-Unis etablissent a I'agence (agency)^ ou maison de I'agent, un forgeron, un charpentier et un maitre d'ecole a I'usage de la nation. 7*^ Si les recoltes ont ete detruites , les Etats-Unis donnent des rations jusqu'a la saison 52 prochaine. On trouve encore de ces reserves dans les vieux Etats et meme dans la Nouvelle- Angleterre. Ainsi parques , les Indiens s'adon- nent a Tagriculture. Quelquefois, au sud, ils ont prospere et se sont civilises ; mais , en ge- neral , ils sont torabes dans la paresse et la mi- sere , et leur nombre est diminue d'une maniere effrayante ; des tribus autrefois puissantes se sont entierement eteintes. Mais laissonsla les Indiens ponr nous occuper de la population blanche qui maintenant s'etend autour d'eux. La guerre qui a eu lieu a fait con- naitre davantage le pays dont elle a ete le theatre ; le gouvernement commence a s'en oc- cuper. II y etablit , a portee de I'agence , un poste militaire compose d'une quarantaine d'hommes de troupes de ligne. La premiere especc de settlers, ou colons, est ce que nous appelons squatters. Ce sont de pau- vres citoyens , en general peu industrieux , qui, n'ayant pas le moyen d'acheter des terres, vivent sur celles d'autrui , et les exploitent jus- qu'a ce qu'ils en soient expulses par le proprie- taire. Leur pauvrete est entierement le fruit de leur paresse et de leur ivrognerie, car ceux d'entre eux qui sont industrieux ne manquent jamais de faire fortune. II en est cependant beau- 53 coup qui , industrieux et avec le moyen d'aug- menter rapidement leur avoir, poursuivent ce genre de vie par choix, par gout, peut-etre meme par habitude. lis ont en general femrae et enfans , quelques negres , et des troupeaux parfois tres-nombreux. lis ne font presque jamais deux recoltes sur la meme terre ; au contraire,- ils quittent un district des qu'il devient peuple. Sous leurs mains le pays a bientot pris un nouvel aspect. Tons les sept a hiiit milles s'ele- vent des cabines de troncs d'arbres. Le fer est trop precieux pour qu'ils puissent s'en permettre I'usage ; le bois y supplee done , meme pour les gonds et serrures. Une de ces cabines pent facilementetre construiteen deux outrois jours; on les voit pousser comme des champignons. Plus d'une fois , etant a cheval dans les bois a chercher mes chevaux ou mes boeufs egares , j'ai rencontre au beau milieu de la foret une charrette chargee de meubles et d'enfans , et un ou deux hommes escortant une trentaine de vaches et decochons. Apres les questions : D'oii venez-vous? ou allez-vous? qui sont toujours cordialement repondues , le chef de la familfe m'a demande des details sur le pays, et m'a prie de le diriger sur le creek ou la source ia plus voisinc. Une semaine apres, j'etais tout 5. M etonne d'y voir une bonne cabine , un pare a bestiaiix , de la volaille ; la femme filant du coton , le mari tuant des arbres en leur faisant une incision circulaire, ce que nous appelons girdle J enfin fixant leurs penates, sans s'en- querir a qui laterre appartenait. Souvent aussi, je les ai vus au bout de quelques jours aban- donner leur logis pour la cause la plus legere , et se transporter.... Dieu soit oii. Cette popula- tion de .«f^?«a^^ers est quelquefois tres-nombreuse; elle attire le speculateur en bestiaux , et le pedlary espece de porte-balles , qui ne dififere de celui d'Europe qu'en ce que sa boutique est sur une charrette. Parmi ces premiers settlers, dont quelques- uns sont destines a faire de grandes fortunes, dont d'autres resteront toujours errans , 11 n'existe aucune forme de gouvernement ; to'ute dispute se termine amicalement a coups de poing. Comme ils vivent hors des Etats-Unis, ils n'ont ni election ni politique ; la terre ou les maisons ne sont pour eux que d'une valeur secondaire; ils n'attachent I'idee de propriete qu'aux bestiaux ; cliacun a sa marque ; et s'il est vole , il rassemble ses voisins , et les preuves en main, ils vont ensemble chez le voleur, et lui administrent une correction plus ou moins severe. Dans leur morale le cowstealing (vol de vache) est le plus grand crime; il n'existe pas encore de lois , et cependant la population aug- mente d'une maniere a faire trembler M. Mal- thus et ses amis ; la religion se borne a I'obser- vation du dimanche , et a aller entendre quelque energumene methodiste, lorsqu'il s'en egare dansunecontrce, qu'ilabandonnebientotcomme trop pauvre et trop penible a exploiter. Autour deshuttes quej'ai depeintes s'ouvrent des champs irreguliers ; les arbres y sont encore debout et seulement morts; des barrieres de bois fendu les entourent. Denombreux sentiers, bien battus et marques sur I'ecorce des arbres , menent d'une cabine a I'autre, et quelques routes a charrettes serpentent a travers la foret a I'ombre de I'antique verdure. Cependant les yeux des citoyens entrepre- nans des Etats voisins sont ouverts sur ce riche butin ; quelques-uns d'eux le vont reconnaitre ; il en est parle au Gongres. Le gouvernement propose d'eriger en territory I'espace compris entre telles et telles limites ; un bill fixe la forme du gouvernement territorial ; la voici dans ce premier degre : 1° Un gouverneur, pouvoir executif , nomme par le President des Etats-Unis pour un nombre d'annees determine. II nomme aux places tcrritoriales , et a le droit de grace dans tous les cas d'offense contre le territoire , et de sursis quand I'offense est contre les Etats- Unis : il est aide par un secretaire d'Etat qui est en meme temps tresorier. 2° Un conseil legislatif , pouvoir legislatif , compose d'une douzaine de membres , nommes tous les ans par le President des Etats-Unis. lis font des lois en toutes matieres , qui doivent pourtant etre sanc- tionnees par le gouverneur, et qui peuvent etre rejetees parle Congres. 3"Le pouvoir judiciaire est compose d'un juge pour chacun des dis- tricts entre lesquels le territoire est divise ; il reunit la juridiction des Etats-Unis et du terri- toire. -4° Un delegue est tous les deux ans elu par le peuple , pour le representor au Congres , oil cependant il n'a point de vote 5 il complete ce gouvernement bien simple que je vais tacher de montrer en action. Le second pas, qui suit ordinairement de tres- pres la creation d'un gouvernement territorial, est I'etablissement d'un land-district. J'ai deja dit que toutes les terres vacantes appartenaient aux Etats-Unis ; ils'agit de les vendre. Dans tous les Etats qui ont etc recus depuis I'union , cette regie ne s'est pas trouvee vraie ; au Kentucky il existait des land-ivarrants (patentes) de I'Etat de Virgi- 57 nie, a qui le pays appartenait originairement. Dans la Louisiane et clans la Floride , des con- cessions de terras , faites par les anciens gouver- nemens, et les droits acquis des anciens habitans, des achats reels ou simules faits aux Indiens, qui sont encore venus embrouiller les titres , qu'il a ete quelquefois impossible d'ajuster. On a eu gene- ralement recours pour cela a une commission administrative qui, sansprononcersur les conflits de reclamations entre particuliers , s'est bornee a separer les terres alienees de celles restant au pouvoir des Etats-Unis : ce n'est que de celles de cette derniere espece qu'il s'agit a present. II existe a Washington un Departement des terres publiques , qui correspond avec les diffe- rens districts entre lesquels le pays est divise. S'agit-il de creer un nouveau district, on lui assigne des limites exterieures , et en general un point central destine a batir une ville , proba- blement la future capitale de I'Etat. Un arpen- teur general [surveyor general) est nomme; il se transporte avec sa famille et ses aides au point de depart ; de ce point , avec I'aide de la boussole , les arpenteurs commencent par tracer la base et la meridienne , en allant nord et sud, est et ouest , en ligne droite , a travers bois , marais, rivieres , etc.; la ligne est marquee sur , 5« les arbres , de chaque cote de la chaine , de facon qu'elle est aisee a suivre. A tous les six milles les arpenteurs plantent un poteau ; de ces poteaux , d'autres lignes sont tirees paralleles a la base et au meridien , ce qui divise le pays en Carres de six milles. Chacun de ces carres est appele ville (township) et recoit un numero d'apres sa place ; chaque ville est ensuite divisee en carres d'un mille par des lignes tracees sur les arbres , de la meme maniere , mais avec des marques difierentes ; ces secondes divisions , appelees sections , contiennent six cent quarante acres , et sont divisees par des lignes iraagi- naires en liuitiemes de quatre-vingts acres cha- cun. Les sections et huitiemes sont numerotes dans chaque ville , et ces numeros sont indiques sur les poteaux qui se trouvent aux coins ; de fa9on qu'en rencontrant une ligne au milieu des bois, et en la suivant jusqu'au coin (corner)^ on sait oii Ton est \ Une provision tres-impor- tante est celle-ci : la section numero seize de chaque ville est destinee a defrayer I'education publique, etne pent pas etre vendue. Cette ope- » Par exemple ma maison , d'oii j'ecris , est siluee — Eastern half of the S.-E. quarter of sectionS , town- ship I, range 3, S.-E. from Tallahassee. ration donne de Temploi a beaucoup de monde , Tarpenteur general faisant des contrats genera- lement avantageux avec des arpenteurs , pour telle quantite d'ouvrage qu'il juge convenable. Le maximum du prix fixe par la loi est de 4 dollars par mille courant, ce qui n'est pas trop si Ton considere que chaque arpenteur doit avoir six ou sept hommes avec lui pour I'aider. Pendant que ces operations geodesiqucs ont Jieu, le gouvernement s'organise; le gouverneur, generalement un homme distingue, et qui a lui- meme le projet de s'etablir dans le territoire , est arrive avec sa famille et ses negres. Les juges arrivent a leur tour, les avocats les suivent avec ce que Figaro appelle toute Fenragee boutique a proces du pays. Chacun de ces employes a une famille et des amis qui viennent s'etablir. La legislature se rassemble au milieu d'un bois ; une cabane de troncs d'arbres , un peu plus vaste mais aussi grossiere que de coutume , est erigee , et I'assemblee rustique y siege avec au- tant de dignite et souvent autant de talent quelle pourrait le faire dans le Capitole. Quels peuvent etre , demandera-t-on , les points de legislation pour une societe si neuve , et dont , pour ainsi dire , il n'existe que les cadres? Les voici : fixer une place pour la capitale et d'autres 60 villes , s'il y a lieu j diviser le territoire en comtes [counties) ; organiser les justices de paix et les cours superieures ; faire des lois civiles et criminelles , ear eette assemblee , quoique tenue en tutelle par le Congres, est deja souveraine; enfin petitionner le Congres sur tous les sujets quelle trouve convenables. Cette premiere session du conseil donne un immense elan au territoire ; mais ce qui lui donne du corps , c'est la vente des terres publi- ques. Le President, lorsqu'il le juge apropos, public une proclamation annoncant, qu'en tel temps , en tel lieu , tcllcs terres publiques seront vendues. Un register et un receiver sont nommes par le President, et le grand jour de I'enchere arrive enfin , cpoque de la plus haute impor- tance pour la petite societe naissante. Deja, de- puis la publication de la proclamation , le pays s'est rempli d'etrangers. Les uns cherchent des terres pour s'etablir eux-memes le plus tot possi- ble ; d'autres pour un fils ou un gendre ; d'au- tres ne sont que speculateurs , et n'acbetent que pourrevendre. Tous se repandent dans le pays, avec leursboussolcs a la main, suivant les lignes marquees , examinant les terres , prenant des notes , gardant un profond silence , s'evitant I'un I'autre. Peut-etre auront-ils acliete d'un arpen- 61 teur le secret suppose d'une section excellente et ignoree. De petits plans a la main avec des chiffres mysterieux , circulent sous le manteau. II n'est question que de terres , de leurs quali- tes, de leur prix probable, etc. L'intrigue et la coquinerie la plus debontee s'y deploient dans tout leur lustre. La capitale naissante oii cette vente a lieu a pourtant pris deja une forme depuis la session du conseil. Un plan a ete adopte , les rues out fite nettoyees , les lots vendus a credit ; on a decrete un Capitole, Une foule de peuple est attendue aux ventes , aux cours , aux assemblees de la legislature. Des tavernes s'elevent; desertes la plus grande partie de I'annee , leurs murs a jour sont remplis dans ces occasions marquees d'avance. Le couvert est mis pour trente per- sonnes. Deux ou trois grandes chambres, que vous ne daigneriez pas appeler granges , recoi- vent , dans une douzaine de lits , deux fois ce nombre d'hotes. Ceux qui n'ont pas pu trouver de place s'etendent sur le planclier dans leurs couvertures. Point de places reservees pour diner ou couclier ; nous somraes pour cela trop republicaliis. Chacun paie son dollar, et a le droit de manger et de dormir oii il lui plait, pourvu qu'il ne derange pas un premier occu- 6 pant. II est recu qu'un lit contient deux indi- Tidus , et personne n'est assez ridicule pour s'inquieter qui est son voisin, pas plus qu'au parterre du theatre. Le grand jour arrive enfin. La foule des af- faires et des curieux s'est augmentee ; le specu- lateur , I'agioteur sonten mouvementet en con- sultation. Le fermier qui veut s'etablir est calme ; il a arrete ses vues et fixe son prix. L'heure s'approche , le pauvre squatter accourt en ville. II a travaille toute I'annee pour aclieter la terre sur laquelle sa maison est situee. Peut-etre, faute d'un dollar ou deux , lui sera-t-elle enle- vee par d'avides speculateurs. L'anxiete et le trouble sont points sur son honnete et sauvage contenance. Un agioteur s'approche, le plaint, et offre de se desister de ses pretentions pour la somme de trois dollars ; le pauvre ignorant les donne sans se douter que I'agioteur n'a pas de quoi encherir sur lui. Cela s'appelle hush-money (ar- gent qui fait garder le silence ) . Le crieur appelle les terres par huitieme , commencant par une section et ville en ordre regulier ; les prix sont differens, mais I'enchere s'ouvre toujours a 1 dollar 25 c. I'acre; c'est le plus has prix auquel les Etats-Unis vendent. Un ancien village indien, une situation pour un moulin , la plantation d'un 63 squatter, I'endroit oii mene une route ou une riviere , ou qui seroble devoir devenir le siege d'une ville ou d'un entrepot , sont autant de circonstances qui augmententla valeur des terres au decuple ou davantage. Toutes les ventes se faisant d'ailleurs suivant les lignes reelles ou imaginaires , il arrive souvent que le champ ou la maison d'un squdtter se trouvent coupes en deux. La vente et tout le mouvement qui en resulte continuent jusqu'a ce que toutes les terres con- tenues dans la proclamation aient ete offertes, Celles qui res tent apres cela dans la possession des Etats-Unis peuvent etre entered, pour 100 dollars par huitieme. Ceux done qui connaissent les bonnes terres , et savent qu'ils sont les seuls, font mieux d'attendre ce temps-la 5 car , se trou- vant sans competiteurs , ils les obtiennent a bas prix, Cependant la vente a cesse. Les speculateurs , leurs titres dans leur poche, sont retournes chez eux voir venir. Le planteur est alle chercher ses negres et sa famille. Le pauvre squatter est re- venu chez lui, le coeur gros de n'avoir pu realiser ses esperances , et d'etre oblige d'aller encore une fois chercher ou etablir ses penates; peut-etre aussi s'est-il loue , comme gerant , au 64 planteur qai a achete sa maison et ses terres. II faut du reste remarquer qu'il est dans I'interet du planteur , jusqu'au moment oii il a besoin de sa terre, d'y laisser le squatter , car sa presence en double la valeur. Les habitans de la ville , particulierementles aubergistes , ont fait beaucoup d'argent. Au lieu de leurs log-houses (maisons d'arbres), d'ele- gantes maisons de cliarpente et de planches , peintes de toutes sortes de couleurs , s'elevent comme par enchantement au milieu du bois qui est appele Ville. Les arbres tombent de tons cotes ; les souches brulees indiquent les rues et les places publiques. L'importance du lieu est bientot accrue par un post-office ^ ou bureau de poste aux lettres (il n'y en a pas d'autre) , et la residence d'un directeur de postes , personnage important, car, dans Vetat actuel, I'accession d'une famille ou meme d'un individu n'est pas indififerente. Alors les journaux abondent; cha- cun, outre un journal de Washington ou de quelque ville atlantique , recoit celui du village d'oii il a emigre , car tout village a le sien , et nous aurons bientot le notre. Les revues et ma- gasins, les journaux litteraires, les nouveautes de tout genre nous viennent de New - York , de Philadelphia et de I'Angleterre a un prix mo- 65 dique , et un ou deux mois apres leur publica- tion sur I'Atlantique. J'ai lu, j'en suis sur, le dernier roman de Walter Scott , avant qu'il fut parvenu a Vienne. Mais laissons la la ville, et voyons si les progres des campagnes sont en proportion. Le planteur est retourne chez lui , a vendu ses terres , sa maison , a augmente le nombre de ses negres , est parti avec tout ce qui lui ap- partient, ses meubles et ses provisions sur des charrettes , ses negres a pied , lui-meme et sa famille en voiture ou a cheval selon sa fortune, lis campent tons les soirs , traversentles deserts, ouvrent des cherains , font des ponts et arrivent enfin sur la nouvelle propriete. La premiere chose a faire est de batir des cabanes de troncs d'arbres pour les negres et la famille. Cela dure de deux a trois semaines ; pen- dant ce temps-la , on bivouaque. Un champ est bientot ouvert et plante ; mais le grand em- barras est de subsister la premiere annee. Le mais est rare, toujours cher, et les transports sont tres-coiiteux. Heureux le squatter qui a fait une bonne recolte et pent s'en passer, s'il est pres d'un planteur. II a son prix, il entre ses terres, devient planteur lui-meme, et jette les fondemens d'une fortune independante. Ce ne 6. 66 sont plus maintenaiit de petits defrichemens irreguliers , de petites huttes eparses au milieu des arbres. Ce sont de grands defrichemens de cinquante a cent acres pour la premiere annee , entoures de bonnes fences ou haies , des villages de huttes baties regulierement pour les negres, et une grande log-house de trois ou quatre chambres bien commodes , avec cuisine , ecu- rie, etc., pour la famille. Ces batiraens sont bien miserables sans doute au dehors , mais entrez-y! Ce pays est celui des contrastes. Sous cette habitation presque sauvage vous trouverez une famille aussi bien elevee et aussi instruite que vous pourriez le faire a Boston ou a New-York . Ses manieres ne sont pas rustiques. Elle a quitte le raonde pour quelque temps , elle est occupee a creer autour d'elle un monde nouveau. Elle recoit ses lettres , ses journaux ; elle est au cou- rant de la politique du jour. Dans un de ces eta- blissemens vous trouverez souvent tel nom que vous etes accoutume a lire avec respect sur les journaux , et figurant avec eclat au Congres ou dans les legislatures d'Etats. C'est un citoyen qui est venu fonder une nouvelle patrie. Les femmes surtout supportent ces privations avec une pa- tience angelique , adoucissent par leur presence ce que cette scene energique a peut-etre de trop 67 sauvage , et produisent un contraste des plus singuliers. Un planteur ne vient jamais seul ; il a persuade a des parens , a des amis , d'emigrer avec lui , ou du moins de venir voir le pays. La plus grande partie de ces visiteurs s'y fixe. Au milieu de sa plantation naissante et de ce cercle d'amis et d'anciennes connaissances , il vit heureux et tranquille chez lui, et les affaires qui I'appellent au dehors sont bien rares. II est pourtant oblige de servir dans lejury, car la premiere cour va ouvrir sa session , et le sherif est venu le citer et diner avec lui. Un juge est arrive, ordinairement un homme de merite , mais pourtant , assez souvent dans cet etat de societe , le rebut des autres tribunaux. II n'existe pas encore de court-house ( palais de justice). Le juge choisit ,_ou la grande chambre d'une taverne , ou un grenier spacieux. J'ai vu la cour sieger dans un magasin , oii des plan- ches , posees sur des barils de pore ou defarine, formaient les sieges del'audience. Une semaine de cour est aussi une occasion d'excitement et de fortune pour les aubergistes. Le peuple s'y rend en foule de cinquante milles a la ronde, soit pour affaires , soit par curiosite. L'epoque de cette reunion est mise a profit par tous ceux 68 qui ont besoin du public. L'un offre son n^gre a I'enchere , I'autre donne une exhibition des graces de son etalon pour lui attirer des prati- ques. Les avocats cherchent des cliens , les me- decins des patiens. Le sherif ouvre la cour et appelle les causes, le bruit cesse. Sur deux planches sont ranges vingt - quatre homines libres , chefs de families, house-keepers, formant le grand jury. Quel assemblage! Depuis le chasseur en culotte et chemise de peau, dont la barbe n'a pas vu de rasoir depuis un mois , le squatter en chapeau depaille et habille d'etoflfes domestiques fabriquees par sa femme , le petit marchand dans toutes les graces exagerees du comptoir, siegeant a cote du forgcron, jasqu'au riche planteur, dernierement arrive , tons les rangs , toutes les professions y sont confondues. Le silence s'ctablit. Les avocats commencent leurs plaidoyers avec plus ou moins de talent. Le jugefait son resume {his charges) avec autant de dignite que s'il siegeait a Westminster, et les verdicts ne se ressentent pas de I'heteroclite apparence de la cour et du jury. Le soir la cour s'ajourne au lendemain. C'est la meme scene ; a quoi il faut aj outer les plaideurs haranguant le peuple dans les tavernes sur la justice de leur cause, etc. 69 Le temps des cours est aussi le moment que les candidats a la place de delegue clioisissefit pour se presenter au peuple. Eux et leurs amis sont occupes a gagner les suffrages de la multi- tude par tous les moyens possibles de persua- sion et quelquefois de deception. Des histoires sur les candidats sont tour a tour racontees et dementies. Cliacun harangue ou fait haranguer le peuple par sesamis. Des disputes s'ensuivent et finissent en general par des coups de poing , surtoutle soir, oiila temperance n'estpas al'ordre du jour; car chacun des candidats a traite ses amis. C'est dans les campagnes qu'il faut voir une election. Le jour arrive. Deja depuis quelques mois les candidats et leurs amis sont en mouve- ment , font leur tournee d'habitation en habita- tion , tachent de persuader , d'accuser , d'expli- quer , etc. En general les amis prennent plus de peine que les candidats eux-memes. Le gou- verneur, par une proclamation, a fixe le jour et divise le pays en precincts (sections), dans chacun desquels il choisit une maison centrale , et nomme trois juges des elections. Ces trois dignitaires d'un jour se rassemblent des le ma- tin , et jurent , en baisant la Bible , de se con- duire avec integrite, etc. lis s'asseoient autour 70 d'une table aupres d'une fenetre. Une vieille boite a cigai^es dument rapetasssee , avec un trou dans le couvercle , une feuille de papier et une ecritoire , forment le materiel de I'etablisse- ment. Chacun se presente en dehors de la fenetre , dit son nom , qui est enregistre sur la feuille, depose son bulletin dans la boite qui lui est presentee et se retire. Si lesjuges doutent de la qualitede I'electeur (fautede residence ou d'iige ) , ils lui font preter serment. Dans la cliambre , tout se passe avec ordre , mais il n'en est pas de meme au dehors. Le bois est bientot rempli de chevaux et de charrettes. Les elec- teurs arrivent en troupes , riant et chantant , souvent a moitie gris des le matin, et s'excitant a soutenir leur candidat. Eux-memes ou leurs amis se presentent aux arrivans avec des bulle- tins tout faits , souvent imprimes , et s'exposent a leurs railleries et a leur grossierete. Tout arrivant est questionne sur son vote ; il est re9U avec applaudissemens ou a coups de sifflet. Un liomme influent se presente pour voter, enonce son opinion et ses raisons dans un petit discours; le bruit cesse pour un moment et il entraine beaucoup de monde avec lui ; personne ne le moleste.Cependant le w^hiskey circule; le soir chacun est plus ou moins gris , et il est rare que 71 le peuple souverain abdique son pouvoir sans une bataille generale , oupersonne ne s'entend, et oil tons ceux qui ont encore leur voiture ont bien soin de ne pas s'engager. Ghacun s'en va coucher cliez soi. Les juges depouillent les suf- frages , et envoient le resultat a la capitale. Le lendemain , battus et battans sont bons amis comme si de rien n'etait, car chacun a appris des son enfance a plier devant la majorite. Vox populi, vox Dei est ici un axiome absolu. II est a remarquer que I'interet public ne souffre pas de ce tumulte, parce que generalemenc, avant de voter, chacun a fait son clioix long-temps d'avance , et , gris ou sobre , s'y tient. L'excite- ment d'une election passe avec une extreme rapidite. Auparavant on n'entend parler que de cela , le lendeijiain il n'en est pas plus question que du Grand-Mogol. Le poste de delegue est le plus recherche de ceux qu'ofl're un Territoire ; car outre I'avantage d'etre membre du Congres, de passer I'liiver delicieusement au milieu des fetes et de la meib leure compagnie , d'etre personnellementconnu de tout ce qu'il y a de plus distingue dans rUnion , son influence sur les destinees du Ter- ritoire est immense. II est consul te ex officio sur tout ce qui s'y rapporte, et o'est generalement sur sa presentation que les places sont remplies» II a fait au peuple des promesses qu'il tachera de realiser. Ce seront probablement des routes, des canaux , des bureaux de poste ; de changer les districts des cours, d'en augmenter ou d'en diminuer le nombre ; d'obtenir gratis des terres publiques pour batir des villes , d'etablir des ponts , d'augmenter le nombre des membres de la legislature, d'avoir telle loi confirmee ou rejetee , etc. II obtiendra quelques-uns de ces points, et manquera dans les autres. Son parti tachera de lejustifier , I'autre trouvera mauvais tout ce qu'il fera; et au milieu de ce conflit d'opinions , ilest a parier qu'il ne sera pasreelu, d'autant plus que , pendant ses deux ans d'exer- cice , les intercts de la population auront changej elle se sera meme alteree. La premiere annee, le planteur a apporte avec lui ses provisions , ses outils et tout ce dont il a besoin pour habiller ses negres ; mais il n'en est pas ainsi des annees suivantes. Des chargemens assortis sont envoyes des villes atlantiques par nos immenses rivieres ou canaux; des magasins sont etablis dans les villes naisr santes ; ils donnent de grands benefices , car tout s'y vend deux ou trois fois son prix. Les premiers envois consistent enprovisions, comme 73 boeuf, pore et poisson sales, jambon, beurre, lard , esprits , farines , et en etoffes pour les families et les negres , en fonte , en terraille , sellerie, quincaillerie , raedecine , etc. Tout cela se vend pele-mele dans la meme boutique, par la meme personne. Le marcliand, qui , en general , n'est que le commis interesse de quelque grande maison du nord , amene ordinairement sa famille , et apporte les graces et les modes de la grande ville d'oii il vient. II s'habille a I'in- croyable et forme un parfait contraste avec le reste de la population. II fait , en general , de tres- bonnes affaires , quoiqu'il soit souvent oblige de donner credit a tout planteur jusqu'a la recolte. II engage presque toujours les pro- duits du pays d'oii il va retourner au nord, lorsque le premier chargement est epuise , et ou il reviendra avec un nouvel assortiment. Les /ait'yers,juriscon suites , avocats, procu- reurs, notaires, car le mot signifie tout cela, et la profession embrasse toutes ces branches , arrivent de leur cote. Notre pays abonde en pauvres diables sans aucun moyen pecuniaire , qui pourtant ont recu une espece d'education. lis etudient les lois tout seuls, en faisant un autre metier, a I'armee , dans un comptoir, ou une taverne par exemple ; et des qu'ils peuvent soutenir un examen , se font recevoir et vivpnt la-dessus. Je n'ai pas besoin de dire combien peu d'entre eux sortentdela boue. Petits chica- neurs , la plus grande partie ne s'attache qu'a faire naitrc des discussions entre les pauvres ignorans, pour les trainer en justice pendant cinq a six cours et faire une trentaine de dollars. Rien de plus respectable que le barreau des anciens Etats , mais rien de plus miserable que Tassem- blage qui , dans un nouveaupays , puUule autour d'unecour. Beaucoup de ces messieurs pourtant se perfectionnent dans leurs etudes par la pra- tique , font do I'argent , acquierent des principes et de la consideration. Quelque laicyer eleve regulierement pour sa profession , vient cepen- dant bientot s'etablir dans le pays: il monopo- lise la pratique et les salaires (fees) ; tons les chicaneurs sont eclipses , aneantis , obliges de deguerpir ou de cliercber fortune d'une autre maniere. C'est a cette periode que le Territoire devient la proie des vagabonds , des banqueroutiers , des agioteurs de toute espece , qui semblent s'y donner rendez-vous de toutes les parties de rUnion. Auparavant, le pays etaittrop pauvre, et n'offrait aucune proie d'importance ; plus tard ils seront demasques et dejoues trop aise- 75 ment. II est pourtant une espece d'escrocs qui vaut la peine d'un article a part. Je voiis ai dit que jusqu'ici nos Territoires avaient une grande partie de leurs terres concedees par les gouver- nemens anterieurs. Des agioteurs ont achete pour rien les titres douteux des pauvres conces- sionnaires originaires , souvent lis ont pratiqxie de faux titres, ou ont achete des terres des Indiens, ce qui est contraire aux lois, et par consequent nul. lis font faire de beaux plans , bien enlumines , de leurs possessions ; si les titres sont douteux , ils ont des latvyers qui leur font des consultations oii leur droit devient patent. Armes de ces instrumens de deception , ils vont dans les pays oii Temigration a commence , et echangent leurs terres imaginaires centre toute espece de proprietes reelles. On ne pent se faire une idee de I'adresse et du talent que quelques- uns d'eux ont deployes , et de I'etendue de leurs plans. lis deviennent quelquefois assez puissans pour entraver la niarche de la civilisation. Ils gagnent beaucoup d'influence par leurs impos- tures , et sont quelquefois en etat de controler les elections. Mais cet etat de corruption n'est jamais de longue duree : la population augmente tons les jours, la societe se forme, et les vampires sont 76 obliges de se retirer. La societe commence en general par des fetes pnbliques. Le -4 juillet, jour del'independance, le 22 fevrier, naissance de Washington , le 8 Janvier, bataillede la Nou- velle-Orleans , sont autant d'occasions. Quelque temps auparavant une assemblee publique est convoquee dans une taverne. Un president et un secretaire , car tout se fait en forme , sont nommes par acclamation. Un orateur propose de celebrer lejour, et dit pourquoi; ensuite un autre fait la motion d'avoir un diner : lamise *aux voix est opinee ; elle est combattue , faute de chambre assez grande pour tons ceux qui desirent y prendre part. Un autre propose un harhacue, diner en plein air; appuye, adopte; un autre, qu'un discours soit prononce : adopte. Quelqu'un propose un bal ; mais il n'y a que trois ladies en ville qui dan sent ; car s'il y en avait quatre , assurement la motion passerait. L'assemblee nomme un orateur et un comite d'execution , et se scpare. Le proces-verbal , dument certifie, est insere dans le journal (car il y en a deja un hebdomadaire) , au grand con- tentement du redacteur-imprimeur, qui man- quait de materiaux. Au jour fixe, les citoyens se rassemblent en procession , et vont a Teglise ou a la taverne, a la court-house ou dans un 77 grenier, selon les circonstances , entendre un discours , en general bon et eloquent ; car je dois toujours montrer le contraste qui existe ici entre rhomme et son entourage. De la ils se rendent sous des arbres oii un bauf et quelques cochons rotis les attendent. II est pourvu a la depense par une souscription , et Ton porte des toasts qui servent a montrer I'opinion politique du peuple. L'annee suivante il y aura un autre harhacue J discours et bal. Lebal se donne aussi par souscription. La coitrt-house a ete preparee pour cet usage. Le banc du juge est occupe par un vieux negre raclant du violon , accompagne de deuxpetits negrillons jouant dutambourin et du triangle ; des chandelles de suif eclairent la scene; mais les femmes sont aussi jolieset aussi bien mises qua New-York. Le planteur a quitte son habit de chasse grossier, et tire de la malle le frac bleu qu'il portait dans un autre temps et un autre pays , et ses manieres sont celles de la meilleure societe. Le defaut de musique, etc. , ne sert qu'a augmenter I'hilarite des danseurs. Cependant les sessions de la legislature se sont succede , et chaque annee a vu le nombre de ses membres s'augmenter. Le gouvernement a pris son assiette. Des cours de justice, respec- tables par les talens du juge et du barreau, ont 78 ete etablies dans chaque comte ; le nombre de ceux-ci a double chaque annee. Des taxes sur les negres, Ics bestiaux, etc., ont ete etablies; des cliartes d'incorporation ont ete donncesaux differentes villes : le temps est venu de passer au second degre de gouvernement territorial. II consiste a donner au peuple I'election du Con- seil et d'autres privileges dans I'organisation judiciaire , dont je ne puis parler sans entrer dans de trop longs details d'une nature technique. Le peuple n'est pas long-temps sans ressentir les bienfaits du selfgovernment (gouvernement de soi-meme). L'opinion publique prend un ca- ractere decide ; les intrigans et escrocs se refor- ment ou changent de pays ; enfin les derniers pas se font avec la plus grande rapidite. L'emi- gration continue en progression geometrique; les capitaux s'accuraulent ; une banque publique est etablie. D'annee en annee un recensement est ordonne. II arrive enfin, ce temps desire oii le Terri- toire compte quarante mille ames ; il est admis au rang d'Etat. Une convention se rassemble pour organiser sa constitution , qui consiste tou- jours dans un gouverneur electif et deux Gham- bres legislatives. La legislature envoie deux senateurs , et le peuple un representant a Wash- 79 iiigton ; et le nouvel ]&tat commence a rouler dans son orbite , augmentant les forces de tel ou tel interest , et changeant I'equilibre et la balance politique dans le Senat. Dans cette esquisse rapide il faut observer que je n'ai pas parle de religion ; c'est qu'ordi- nairement , dans cct etat de societe, elle est une imposture si degoutante , sous le nom de metho- disme ou de baptisme , que je n'aime pas a en parler. A mesure que les moeurs se perfection- nent , la religion pourtant s'epure , et Ton peut juger des progres de la civilisation par I'etablis- sement d'une eglise presbyterienne , mais sur- tout d'une eglise episcopale, qui est la reli- gion comme il faut. Dans I'etat de societe que j'ai tache de decrire , I'education est jointe a la religion, et marclie d'un pas egal. Des ecoles primaires , dans les mains ou sous I'influence des ministres, et des academies dans les mains de quelques Yankees y sont tout ce qui existe. Mais des que le territoire devient Etat, etmeme souvent plus tot , la seizieme section devient sa propriete , et sert a I'etablissement d'un fonds permanent pour I'education publique , employe soit en detail dans cliaque ville , ou centralise dans des universites , colleges, etc. Ce sujet est au reste assez important pour etre traite a part. 80 Je n'ai parle que dii sud. Je n'ai jamais voyage dans les parties nord-ouest des Etats-Unis. J'imagine pourtant que raa formule peut s'y ap- pliquer en grande partie , si vous supprimez les negres et si vous supposez plus d'activite et d'industrie aux squatters. La religion aussi doit y jouer un role plus considerable. Les specula- tions en terres dans le nord ont aussi ete faites, je crois, dans un esprit plus liberal. Le specu- lateur ne s'est pas contente de voir venir , mais il a improved (mis en valeur) les terres, en fai- sant des routes , etablissant des usines , et les donnant en ferme. Ces differences sont deci- sives, mais je ne peux vous les tracer en de- tail. Je terminerai cette esquisse par une reflexion importante. Nous avons achete a la France la Louisiane, a I'Espagne la Floride. Ces pays etaient peuples , et avaient des lois en general si opposees a I'esprit de notre gouvernement que , quand bien meme ils auraient eu la popu- lation necessaire pour devenir Etats, il aurait fallu tout de suite un gouvernement territorial pour les amalgamer, et briser d'anciennes rou- tines. II n'en serait pas de meme des possessions britanniques sur le continent et dans les Indes occi den tales ; elles sont organisees en provinces 81 qui ont leurs legislatures et leurs lois. Pour les reunir a I'Union , il ne faudrait que les admettre et recevoir leurs senateurs et representans au Congres. Mais Dieu nous en preserve! L'aug- mentation d'influence que Vinteret meridional recevrait , serait loin d'egaler la proportion qui echerrait aunord. Dansl'etatpresentderUnion, c'est la seule chance de dissolution qui la me- nace. Dans vingt ans, lorsque le sud aura pris un ascendant qui raettra ses interets a convert , cet accroisseraent de territoire sera desirable , mais beaucoup plus pour les sujets de sa majeste britannique que pour nous. LETTRE IV Do I'esclavage. Lipona, feviier 1827. « Je suis fache dc voir que voiis partagiez le prejuge trop general en Europe contre nos Etats meridionaux. Comme beaucoupd'autreschoses, Fesclavage vu de loin a une toute autre pliysio- nomie que vu de pres. Ce que la loi a de dur est adouci par I'usage; les abus s'entre-detrui- sent, et ce qui est horrible et monstrueux en theorie devient souvent parfaitement tolerable en pratique. G'est done a redresser vos vues, et a vous donner une juste idee de la condition de nos negres que je vais consacrer cette lettre. Sur notre continent et nos iles il n'existe pas d'objet plus important ; et je suis constamment a me demander comment , de tant d'auteurs de voyages qui ont ecrit sur rAmerique , aucun n'a donne a ce sujet la place qu'il merite. Vous trouverez bien dans quelques voyageurs anglais des peintures aussi degoiitantes qu exagerees de 83 la salete des negres et de la cruaute des maitres , mais je vous defie de me montrersurresclavage une page qui ait le sens commun. A moins de changer le sort de la classe ou- vriere et par consequent toutes les relations so- ciales , a moins de creer des moeurs tout-a-fait differentes , et d'exercer la plus grande influence sur la religion et I'education , I'esclavage est et sera le grand pivot sur lequel tourne toute notre politique interieure. Son influence se fait sentir dans toutes ses parties , meme dans celles qui semblent avoir avec lui le moins de rapport. Je ne refuterai point des calomnies aussigros- sieres que ridicules contre les possesseurs d'es- claves, elles n'en valent pas la peine. Ce n'est pas du pathos sentimental qu'il faut opposer a I'usage general de tous les siecles, ce sont de bons raisonnemens bien fondes en morale et surtout en economic politique. Pourquoi les amis des noirs n'en ont-ils jamais fourni de cette espece? Les calomnies et les prejuges doivent leur existence en Europe particulierement a la jalousie britannique. Le ministere anglais, vou- lant empecher I'emigration aux Etats-Unis , est descendu jusqu'a faire ecrire par des auteurs mercenaires des voyages pleins de mensonges sur le peuple et le gouvernement. Dans tous ces u livres , qui ont eu une grande vogue chez John Bull, I'esclavagejoue toujours un role tres im- portant. Une autre cause d'erreur est la, jiais- sance en Angleterre et par consequent I'eta- blissement ici de certaines sectes religieuses , ayant une tendance theocratique , et dont je vous parlerai une autre fois. Elles ont pense qu'elles devaient sauver nos ames aux depens de nos vies et de nos proprietes , et le ministere anglais , pour s'emparer de leur influence , est oblige de les seconder. G'est a ces sectes que Ton doit la suppression de la traite des negres , et les lois pour proteger la liberte des chevaux. G'est a elles que I'Angleterre devra bientot la perte de ses colonies dans les Indes occiden- tales ; car la marclie qu'y suit le gouvernement est diametralement opposee a la raison. Les motifs que Ton pent avoir pour ne pas devenir possesseur d'esclaves , ne peuvent etre que de deux classes, de droit ou de calcul. Je tacherai de les detruire et d'abord de justifier le droit du maitre , ensuite de vous montrer qu'a certaines periodes de la societe, cet ordre de cboses est aussi avantageux a I'esclave qu'au maitre. II ne peut exister aucun doute sur la question de droit, si Ton veut s'expliquer et s'entendre. 85 L'erreur est venue de ce qu'on a considere le droit comrae une chose absolue , tandis qii'il est toujours relatif par rapport a la regie ct a la per- sonnalite. En droit tndividuel (inaucuns , mal a propos, nomment droit naturel , I'individu a droit d'approprier a son usage tout objet exte- rieur, et de detruire tout obstacle qui s'oppose a ses vues. Que le sujet de son action soit une pierre , une plante , un animal , cela ne change rien a sa qualitc subjective d'objet exterieur ou d'obstacle. Or, I'individu ne pent juger que sub- jectivement. Ilfautbien faire attention pourtant que ce droit de I'individu n'est relatif qu'a lui- meme , car I'obstacle a egalement droit d'appro- prier a son usage I'individu ou de le detruire; dans ce cas il change de place et de nom. Un homme rencontre un lion : il a incontestable- inent le droit de s'en approprier la peau ; mais le lion a un droit tout aussi incontestable sur la viande del'homrae. Or, comme I'un defend sa peauetl'autre sa viande, il arrive que la sponta- neite objective de chacun d'eux devient un ob- stacle pour I'autre , qu'il a le droit de detruire. Voici done deux droits bien constates mis en presence ; il n'existe ni ne pent exister entre eux d'autre arbitre que les grandes lois gene- rales de la nature.' L'homme ne pretend pas 8 86 faire reconnaitre par le lion son droit a I'ecor- cher, alepunir, s'il ne se sonmet pas ; il pretend le forcer, le contraindre. L'etat social apporte de grands changemens dans les droits des individus ; cependant les trois regies suivantes peuvent etre considerees comrae certaines. 1° Les societes agissent entre elles comme les individus entre eux , sans etre reglees autrement que par le droit individuel {naturel). 2° Les societes agissent suivant le meme droit envers les individus qui leur sont etrangers. 3° Les membres d'une societe recouvrent leur independance individuelle envers les objets etrangers aux lois de cette societe. Un bonime attrape un cheval et le dorapte : a-t-il acquis aucun droit sur ce cheval par rap- port a ce cheval? Non. II a le droit d'approprier le cheval a son usage , le cheval a le droit de le Jeter par terre et de s'enfuir. Les lois de la na- ture , qui garantissent la victoire au plus fort , mais surtout au plus habile , decideront ce con- flit de droits individuels. Le cavalier a pourtant acquis un droit social sur ce cheval , non envers lui, mais envers la societe. Elle s'engage apro- teger son industrie et son travail, et a lui ga- rantir I'usage de leurs produits. Elle empechera done que ce cheval ne soit tue ou vole; s'il 87 s'ecbappe , elle ott'rira au cavalier des facilites pour le rattraper , lui periuettra enfiii d'echanger la commodite qu'il s'est acquise par son travail , contre toute autre commodite acquise par un autre , et de substituer cet autre dans ses droits. Un homme n'a sans doute aucun droit sur un autre homme par rapport a cet autre; cepen- dant il pent avoir un droit sur lui par rapport a la societe. I*' Si , etant tons les deux membres de la societe , ils sont lies par un contrat quel- conque , le violateur du contrat commet une offense morale pour laquelle il merite que la so- ciete lui inflige un chatiment proportionne a I'ofFense.^^Siun seuldes deux est membre de la societe , et qu'elle lui garantisse des droits quel- conques sur I'autre. Dans ce cas point de contrat , point d'ofFense morale, point de chatiment; mais en cas de resistance un combat que chacun a le droit de pousser a outrance , et dans lequel le membre de la societe a droit de requerir son aide. En resume, Tesclave a autant de droit de resistor a son maitre et de s'echapper , que celui-ci en a de I'approprier a son usage et de le contraindre a I'obeissance. II n'existe aucun contrat entre eux , par consequent aucun droit reciproque , car un droit social ne pent etre fonde que sur un autre. L'erreur est venue de 88 ce qu'on a voulu faire a I'esclave un devoir moral de I'obeissance passive, ce qui est ab- surde ; car cela supposerait un contrat ou tous les avantages seraient d'uii cote et tous les des- avantages de I'autre , contrat qui est nul ipso facto. Le maitre a cependant autant de droits a etre soutenu par la societe dans son auto- rite sur son esclave que dans celle sur son clie- val. Mais laissons ces considerations abstraites et venous aucas particulier. Lors de la colonisation de I'Amerique, il n'existait certainement aucun contrat entre les Indiens et les blancs. lis avaient done reciproquement le droit de s'approprier les uns a I'usage des autres , et de s'entre-de- truiretoutes lesfoisqu'ilslejugeraient a propos. Selon les lois eternelles de la nature , les plus faibles , mais les plus habiles , triompherent , et les indigenes furent reduits en esclavage dans toutes les possessions espagnoles en Amerique , qui etaient habitees par des nations moUes et effeminees. II n'en fut pas de meme dans les Etats-Unis. Des nations belliqueuses resisterent aux attaques des blancs , et userent souvent du droit qu'elles avaient de les detruire et d'appro- prier leurs depouilles a leur usage. Les blancs traiterent avec elles , et finirent par faire avee presque toutes des conventions plus ou moins avantageuses. Tout travail doit avoir son prix. Des nego- cians allerent sur la cote de Guinee et y ache- terent des esclaves a des nations qui n'avaient aucun pacte avec la leur. Ces esclaves etaient vendus ou en vertu des lois de leur societe qui considerent Tesclavage comme une punition legale, ou pour avoir ete pris a la guerre et ap- propries a I'usage du vainqueur. Mais ces ne- gocians les auraient pris pour rien que cela ne changerait pas leur droit. Si j'attrape un cheval sauvage dans les plaines du Missouri , la peine de le prendre et de le dompter, le risque queje cours qu'il ne s'echappe , sont tout le prix que j'ai paye. L'intervention de la societe se borne a s'assurer qu'aucun de ses membres n'avait sur mon butin un droit anterieur au mien. Toute societe a sans doute le droit de regler le travail de ses nienibrcs, et d'interdire telle ou telle espece d'industrie ; mais dans le cas present tout le contraire arriva. Toutes les nations d'Europe encouragerent plus ou moins la traite des negres. Plusieurs colonies tenterent de resister a I'in- troduction des esclaves chez elles , raais furent forcees par la metropole d'ouvrir leurs ports a ce trafic. Les maitres se trouverent done avoir 8. 90 de leur cote non seulement le droit theorique , mais la legislation expresse et positive des so- cietes dont ils etaient membres. La revolution sur notre continent, quoique presque simultanee , fut pourtant partielle. Chaque colonic conserva son independance pen- dant tout le temps de la lutte , et lorsque les treize republiques unies furent reconnues , bien qu'un gouvernement central fut etabli, clles n'en resterent pas moins Etats souverains , parfaitement independans les uns des autres dans tout ce qui concerne leur legislation inte- rieure. Lors de la revolution , une partie des Etats-Unis s'etait deja defaite de ses esclaves ; d'autres ont iraite cet exemple depuis ; d'autres Timiteront probablement dans le temps futur ; mais quelques-uns sont dans I'impossibilite la plus positive de se passer, d'esclaves , et conti- nueront probablement long-temps encore a en avoir. Aucune autorite n'ale droit, ou n'ameme pretendu I'avoir , de regler leurs affaires do- mestiques. Mais des questions relatives a I'cscla- vage sont tons les jours soumises au Congres. Les Etats-Unis , qui ont le droit exclusif de re- gler le commerce, ont defendu la traite des negres depuis 1808. Personne ne s'est plaint de cette mesure qui avait ete annoncee long-temps 91 d'avance; mais, je ne crains pas de le dire, toute tentative pour faire des lois sur nos esclaves obligerait les Etats du sud a se separer de I'U- nion. C'est une obligation fondee sur le droit qu'a chaque liommc de defendre sa vie et sa propriete. Croiriez-vous qu'il y a des gens assez fous pour nc pas sentir cela , et assez impre- voyans pour vouloir en courir le risque ) L'opinion publique dans les Etats du sud est, je crois , que Tesclavage est necessaire , mais qu'il est un mal. Je suis loin de considerer la chose sous ce point de vue ; au contraire , je suis tente de la considerer , dans certaines pe- riodes de la vie des nations , comme un bien. Comment , parexemple , employer sans esclaves de grands capitaux dans I'agriculture d'un pays neuf ? C'est a cela qu'est due la rapide popula- tion de nos deserts. De meme que le marbre faconne en statue a ete tire de la carriere avec le pic , a ete travaille par le ciseau et a ete poli par la lime , de meme il est necessaire qu'une terre sauvage , avant de devenir capable de re- cevoir un peuple eminemment civilise , passe par les mains de differentes classes de popula- tion, llfaut une succession d'outils pour cultiver le sol, comme une succession de livres pour I'education d'un homme, et ime succession din- stitutions pour I'education d'un peuple. Dans les pays coupes du nord , ou toute la terre est fertile , oil de nomb reuses rivieres offrent des moyens fa- ciles de communication , oii les chaleurs de I'ete sont temperees par les brises de mer et I'eleva- tion du sol, une population de petits proprietaires pent s'etablir , et jouir , dans peu d'annees , de toutes les commodites de la vie. Mais dans les immenses plaines meridionales , qui ne sont ar- roSees par de grandes rivieres qua des distances considerables , oii les bonnes terres ne sont que dans une proportion infiniment petite avec les landes eternelles , oii la chaleur du climat rend mortel pour tout liomme blanc un travail con- tinu en plein air; de grands capitaux et une population noire sont necessaires pour mettre les terres en culture. Si de petits proprietaires seuls tentaient de semblables etablissemens , ils s'isoleraient entierement de la civilisation et consumeraient leurs ressources en transports et approvisionnemens. La main - d'oeuvre serait trop chere , car il faudrait payer les risques que cTiacun courrait pour sa vie. De grands capita- listes , aucontraire, decouvrentl'oasis du desert, y transportent tout d'un coup une population entiere , ouvrent des routes , font des ponts , des- sechent des marais , et , apres quelques annees 93 de d^pense , realisent d'immenses profits. A Torabre de ces grands proprietaires , le pays se peuple bientot de fortunes mediocres. Bientot les grandes fortunes sont divisees par la mort des possesscurs. De petits proprietaires pren- dront leurs places ; leur nombre s'accroitra; ils s'acclimateront , et des lors partageront le tra- Tail avec les negres , pour lesquels le climat est extremement salubre , car ce n'est jamais de la chaleur qu'ils se plaignent. Des terres, qui main- tenant sont considereescommede nulle valeur, seront cultiveesdes que toutes les bonnes terres seront prises , et que Ton coramencera a prati- quer le systeme des engrais. Si I'esclavage en economic politique a le resultat de faciliter la population de nos terres meridionales , son effet pour la societe n'est pas moins avantageux. Le planteur , degage de tout travail manuel , a beau- coup plus de temps pour cultiver son esprit. X'liabitude de se considerer comme moralement responsable du sort d'un grand nombre d'indi- vidus , donne a son caractere une sorte de di- gnite austere qui conduit a la vertu , et qui , temperee par les arts , les sciences , la littera- ture , contribue a former du planteur meridional un des plus parfaits modeles de Tespece hu- maine? Sa maison est ouverte a tout venant 94 avec une genereuse hospitalite ; sa bourse ne Test que trop souvent avec profusion. L'habi- tude d'etre obei lui donne une noble fierte en traitant avec ses egaux , c'est-a-dire avec tout homme blanc , et une independance de vues en politique et en religion qui forme un parfait contraste avec la reserve et I'hypocrisie , qu'on ne rencontre que trop souvent au nord. Pour ses esclaves , il est un pere plutot qu'un maitre, car il est trop fort pour etre cruel.' En politique , le resultat n'est pas moins fa- vorable. Notre pays est encore jeune, la popu- lation est clair-semee , chacun a ses affaires : ici point d'oisifs , de badauds , de populace ; mais il n'en sera pastoujours ainsi.Deja dans les grandes villes du nord , en plusieurs occasions , des tu- multes out eulieuparmila classe ouvriereet les matelots. Sommes-nous destines a voir renaitre chez nous les scenes du forum romain? Pour nous en garantir , aurons-nous recours a la ca- valerie, commeen Angleterre ? Le remede serait pire quele mal. Un Etat isole n'a rien a craindre de semblables emeutes, car les autres vien- draient a son secours et le soutiendraient ; raais que deviendrait I'Union si le Gongres etait dis- sous ou asservi par la populace de Washington? Refuser aux citoyens qui n'ont pas une fortune 95 donnee le droit de voter , comme cela a lieu en Virginie , est sans doute un moyen ; mais cela est contraire a I'esprit de nos institutions, et toute fixation dece genre est toujoursarbitraire; d'ailleurs , cela n'empecherait pas le peuple de s'ameuter. Comparez les elections dans les grandes villes du sud et du nord ; quel tumulte dans les unes , quel calme dans les aiitres ! Dans le nord , les classes inferieures de la societe s'emparent tumultueusement du lieu des elec- tions , et en chassent , pour ainsi dire , par leur conduite indecente, tout liomme instruit et eclaire. Dans le sud, au contraire, toutes les classes inferieures sontnoires, esclaves, muettes. Les gens eclaires conduisent les elections tran- quillement et raisonnablement ; et c'est peut- etre a cela seul qu'est due la superiorite de ta- lens qui se fait remarquer dans le Congres des Etats-Unis, en faveur du sud. Jusqu'ici je ne vous ai parle des avantages comparatifs de I'esclavage que par rapport aux maitres , mais les esclaves sont les premiers qui profitent de cet etat de chose. Dans tons les pays et tons les temps , une grande majorite de la race humaine est condamnee a subsister par son travail manuel, et je ne doute pas que cette portion de la societe no soit plus heureuse et plus utile dans un etat d'esclavage qu'autrement. Comparez le sort de nos negres, bien vetus, bien nourris et n'ayant aucun souci du lende- main , aucune peine au sujet de leur famille ; comparez-le, je ne dis pas a la race degradee des negres et mulatres libres, ayant tout le poids de laliberte sans avoir aucun de ses avantages, mais aux ouvriers blancs d'Europe , travaillant deux ou trois fois autant et toujours a la veille de mourir de faim cux et leurs families. Je ne balance pas a dire que nos negres sont plus heureux non seulement que les ouvriers des villes manufacturieres d'Angleterre, mais meme que les paysans ne le sont generaleraent dans toute I'Europe^ Me direz-vous que la seule idee de la liberte contrebalance les privations et les inquietudes auxquelles cette meme liberte donne lieu? Je vous repondrai que cela est vrai pour vous et pour moi ; mais il faut un certain degrc d'instruction, une certaine energie de vie morale pour gouter la noble idee de la liberte. Prenez un paysan autrichien , hongrois ou bo- heme , transportez-le en Amerique , et dites-lui qu'il est libre. Le premier dimanche, il ne trou- vera personne pour w^alser avec lui ; il maudira le pays , sa liberte et ses elections, et pref'erera retourner a son SchatZy a son T'^er waiter, a son 97 TVirths-Haus et a son Roborth. Au contraire I'idee de devoir reconnaitre un supcrieur ren- drait un de nos squatters malheureux , si vous le transportiez en Europe, lors meme que vous lui feriez tous les avantages imaginables. Ceux qui, en detruisantle systeme feodal en Autriche, s'imagineraient ameliorer le sort du paysan, se tromperaient grossierement , s'ils ne com- menraient par I'eclairer. Ce changement de condition lui serait necessaire , car il ne pour- rait vivre heureux en sentant sa degradation morale. G'est a pen pres le cas des negres et mu- latres libres dans quelques parties de I'Union. Mais nos esclaves sont heureux et ne desirent aucun changement. Quoi qu'on en ait dit d'ail- leurs , le negre est incontestablement une race d'hommc inferieure au blanc , et qui ne semble pas capable des memes jouissances intellec- tuelles. Pourquoi sont-ils restes sauvages depuis le commencement du monde jusqu'a ce jour? Pourquoi redcviennent-ils sauvages des qu'ils sont abandonnes a eux-memes , comnie cela ar- rive dans ce moment a Haiti? Leur felicite se borne a la felicite aniniale, et celle-la ils en jouissent plus librement dans I'etat d'esclaves , qu'ils ne le feraient ou libres ou sauvages. Cette peinture ne s'accorde pas sans doute avec celle 9 98 deM. Willberforce et de ses saints. Comment, direz-vous , un negre peut-il etre heureux sous le fouet d'un commandeur, continuellement expose a se voir separe de sa famille , ou de la voir deshonoree par le libertinage d'un maitre ou d'un gerant? Tout cela est du pathos raal a propos. Je loue un ouvrier blanc; il force la porte de mon magasin , me vole , est decouvert et condamne aux travaux publics , desho- nore pour la vie , et perd le peu de morale et d'honnetete qu'il avait; sesmaux sont peut-etre aggraves par ceux de sa famille , a la nourriture de laquelle son travail etait necessaire. Qu'un de mes negres en fasse autant, il est fouette et se corrige. La peine corporelle une fois subie, il n'en ressent aucune mauvaise consequence , et des enfans innocens ne sont pas punis de la faute de leur pere. Quoi qu'on en dise, les chatimens cruels n'ont pas lieu, car ils seraient contre I'interet du maitre. Qu'un ouvrier que je loue ne travaille pas , je le renvoie ; mais je ne peux pas me defaire ainsi des mes negres , et je suis oblige de les forcer au travail par des punitions corporelles. Dans de grandes plantations, oii quelques centaines de negres sont reunis, une discipline et des regies de police plus ou moins rigoureuses sont necessaires, sans quoi tout 99 serait bientot detruit ou vole. Quant a se voir separer de leur famille, ilfaudrait d'abord qu'ils en eussent une. Generalement ils s'attachent a une femme et s'y tiennent ; mais ils sont tres- enclins a en changer. Ceux d'entre eux qui sont religieux se marient, il est vrai , a Teglise ; mais toutes les fois qu'ils changent de femme , ils en fontautant, et j'en connais qui ont recu le sacre- ment une douzaine de fois , et ont autant de femmes vivantes dont chacune a autant de maris. Quant a deshonorer les jeunes negresses , cela serait en effet curieux. C'est en vain que leur modeste rongeur est cachee par la couleur de leur teint. Gombien de fois ai-je appris avec efFroi que mes jeunes botes avaient quitte le lit que mon hospitalite leur avait prepare , pour aller se glisser dans le cottori-hoiise I Je craignais de voirlelendemain monnegre Virginius immoler sa fille Dolly. . . . Mais pas du tout ; le bon pere etait trop siir de sa vertu ; je I'ai vu sourire au tentateur, et poliment lui demander une chique de tabac , comme pour se moquer de I'inutilite de ses efforts. Quant a la vertu des vieilles ne- gresses , meres de famille , qui aurait le courage de s'y frotter? Loin que cet etat de choses soit une aggravation au sort des esclaves , je consi- dere la liberte entiere dont ils jouissent sous ce 100 rapport comme une espece de compensation de leur servitude. Quoique les maitres taclient d'encourager les manages en faisant une foule de petits avantages aux parties contractantes , il est rare qu'un negre se marie sur la planta- tion oii il vit; il aime mieux aller chez les voi- sins. Une plantation Lien reglee est en verite un spectacle tres-intercssant : tout y prospere et y va de I'avant dans un ordre parfait. Chaque negre a une case 5 en general elles sont dispo- sees dans un ordre regulier; il a des ponies et des cochons a lui ; il cultive des legumes et les vend au marche. An lever du soleil , le son d'un cornet a bouquin I'appelle au travail; cliacun a une tache proportionnee a ses forces et a son talent. En general cette tache est finie des trois a quatre heures de I'apres-midi ; a midi le travail est interrompu par le diner. La tache faite , on n'exige aucun service de lui ; il cultive son jar- din ou se loue a son maitre pour des travaux extraordinaires , ou hien va voir sa femme ou sa maitresse sur les plantations voisines. Le di- manche matin , il met ses beaux habits, et va a riiabitation recevoir sa ration hebdomadaire ; il emploie comme il veutle reste du jour, souvent a danser. Le gerant n'a qu'a donncrle matin les 101 taches , et qu'a veiller le soir a ce qu'elles soieiit bien finies. Le maitre fait a cheval une tournee sur les champs et donne des ordres generaux ; tout cela marche en regie comme un regiment ; et j'ai vu s'ecouler six mois sans avoir meme a gronder. Cependant il j ^ de temps en temps des disputes et des vols a punir. A Noel, les negres ont trois jours de repos ; deux fois par an on leur donne I'etoffe necessaire a leur liabil- lement , qu'ils font eux-memes chacun a son goiit. Ceux qui vivent dans la maison sont exactement traites comme les domestiques blancs en Europe; ils sont en general nes et eleves dans la famille, dont ils se considerent comme faisant partie ; ils y sont tres-attachcs et tres-fideles ; toutes les fois que le maitre a un enfant , il lui donne de suite un petit esclave de son sexe et de son age qui est eleve avec lui et devient son domestique de confiance. Les petites negresses ou mula- tresses ainsi elevees dans la maison sont en ge- neral d'excellentes ouvrieres et souvent tres- jolies; mais les maitresses font une grande attention a leurs mceurs , surtout si elles vivent aupres des demoiselles ; si elles se conduisent raal , la punition dont elles sont le plus effrayees est d'etre vendues. 9. 102 Outre ces deux classes de negres , il y a beau- coup d'ouvriers, comme charpentiers , forge- rons, tailleurs, etc; en general les proprie- taires les prennent a louage etles traitent comme des ouvriersblancs. Souvent les maitres se con- tentent d'en exiger une retribution annuelle , et les laissent se louer comme bon leur semble. Gette peinture , qui est vraie, ressemble-t-elle aux absurdites imprimees par les missionnaires? II est facile de prendre un cas particulier, de Fexagerer, de le generaliser, et ensuite d'ecrire des declamations. II n'existe a la verite aucune loi qui protege Fesclave contre les mauvais trai- temens du maitre ; mais il a dans I'opinion pu- blique une protection plus forte que toutes les lois ; riiomme qui se laisserait eraporter par ses passions, comme je I'ai vu decrit par des ecri- vains anglais, perdrait pour toujours le carac- tere de gentleman. Les negres cultivateurs ne sont pas traites partout de la meme raaniere. En Virginie et Maryland, par exemple, les fermiers ne leur donnentpas detache, les logout dans degrandes maisons en briques , leur font faire la cuisine , enfin les traitent comme les valets de ferme en Europe. II en resulte que I'esclave, perdantde vue la distance qui le separe de I'homme libre , 103 est mecontent de n'etre pas entierement son egal et de ne pas recevoir de gages ; il devient insolent , est puni , deserte , est repris , et finit probablement par etre vendu a un emigrant dans une nouvelle contree qui I'aura bientotmis au pas. Dans ces nouvelles contrees , les pro- prietaires en general , outre les vieux negres de famille, emmenent tout ce que leurs moyens leur permettent d'aclieter. Un certain degre de severite devient done necessaire au commence- ment pour mettre de I'ordre dans cette masse heterogene, d'autant plus que le travail etant irregulier , ne pent pas etre divise en taches , et que les nouveaux negres essaient le caractere de leur maitre ; s'il a pourtant un pen d'energie , ce temps d'essai et de desordre n'est pas de longue duree. II serait impossible de vous donner le digeste des lois qui concernent les esclaves , car elles changent dans les differens Etats ; la constitu- tion des Etats-Unis garantit au maitre le droit de poursuivre son esclave deserteur dans les Etats ou I'esclavage n'est pas admis. Les lois particulieres aux differens Etats garantissent toute facilite au maitre dans le meme cas. Voler un negre ou I'aider a s'enfuir, est presque par- tout uncas pendable. Un negre libre ou esclave 104 ne peutToyager sans passeport, et tout blanc a, dans ce cas , le droit del'arreter et de le deposer dans la premiere prison, oiion le detient, s'il ne pent pas prouver sa liberie. Les enfans suivent toujours la condition de la mere. La peine de mort est infligee au negre qui attaque un blanc ou lui resiste violemment. Le temoignage d'un negre n'est pas recu en justice centre un blanc. Enfin presque partout la peine de mort encourue par un esclave, pent etre commuee dans sa vente, a condition de son exportation de I'Etat. Les lois concernant les negres libres sont beaueoup plus compliquees , ct out donne lieu a beauconp de debats tant dans le Congres qu'au dehors. La situation equivoque de cette popu- lation la rend tres-dangereuse a nos Etats meri- dionaux ; ce sont eux , et non nos esclaves , qui sont mecontens ; c'est d'eux et non de nous que ces derniers sont jaloux. Tons les Etats du sud ont des lois pour regler I'emancipation qui , en general , n'est permise qu'autant que les esclaves emancipes quittent I'Etat dans un certain delai. lis sont soumis a une police tres- severe, et dans beaueoup d'endroits a des taxes par- ticulieres. Dans quelques Etats ils sont obliges d'avoir des curateurs de leurs biens. Dans la plupart , ils peuvent etre vendus pour payer les 105 dettes de leurs maitrcs contractees avant leur emancipation , ou raeme pour payer leurs frais de prison , s'ils sent arretes voyageant sans passe- port ou certificat de leur liberie. II semble enfin que toute la legislation des Etats meridio- naux ait pour but de diminuer cette classe infor- tunee , maisdangereuse, ou du moins de les en- gager a emigrer au nord. Mais ils tiennent au climat du sud , et d'ailleurs on se tromperait grossierement si Ton croyait qu'ils sont mieux traites au nord ou dans la Nouvelle Angleterre. Dans treize des vingt-quatre Etats, ils ne sont pas admis a voter par la Constitution , et dans presque tons les autres il y a des lois particu- lieres qui les en empeclient ; il n'y a , je crois , qu'en Pensylvanie et New-York oii ils en aient le droit. Par des lois tres-severes , quelques-uns des Etats meridionaux ont defendu I'importation des negres libres et les ont soumis a des pci- nes tres-fortes , si de bon gre ils violent ces lois. La eonstitutionnalite de cette mesure a donne lieu a une question qui n'est pas en- core decidee , et qui ne le sera probablement pas de long-temps ; elle est delicate et personne n'aime a I'aborder. La Constitution des Etats- Unis (art. 4, sect. 2, § 1«^') declare que tout 106 citoyen d'un Etat jouira dans tous les autres Etats des droits dont y jouissent leurs citoyens. Or un negre iibre de New-York est citoyen de cet Etat , et par consequent des Etats-Unis ; mais un negre Iibre de la Caroline du sud n'est citoyen ni de cet Etat ni des Etats-Unis ; les negres lib res de New-York pretendent jouira Charleston des droits de citoyen. Au sud , on leur oppose qu'ils doivent etre assimiles aux negres libres et non aux citoyens des Etats ou ils se trouvent ; quand je dis qu'ils pretendent , ce n'est pas eux, ils ne se soucient pas de voter, mais ce sont leurs amis blancs qui elevent cette pretention pour eux. La question n'a pas encore etedecidee, et chacun s'en tient a son explication. Lors de I'admission de I'Etat du Missouri dans rUnion, en 1820-21 , un article de la Constitution du nouvel Etat qui defendait I'entree des per- sonnes libres de couleur dans seslimites , donna lieu , dans le Congres , a un long et dangereux debat; I'article fut cependant approuve, avec la condition qu'il ne serait applicable a aucun citoyen d'un autre Etat; ce qui n'est qu'em- brouiller de plus en plus la chose , au lieu de I'eclaircir. La discussion sur I'admission de cet Etat , communement appelee the Missouri ques- tion j agita violemment I'Union, et fit, a una 107 certaine periode , craindre sa dissolution. Pour eviter d'aborder de semblables questions , quel- ques Etats ont pris le parti d'asseoir une capita- tion extremcment forte sur tout individu de couleur libra , et meme d'en autoriser la vente s'il ne peut pas la payer autreraent ; cettc me- sure n'est-elle pas aussi inconstitutionnelle que I'autre ? Cette classe , des hommes de couleur libres , est tres-erabarrassante , car si d'un cote le sens commun dit qu'une fois libres ils devraient etre entierement assimiles aux citoyens blancs , d'un autre cote un prejuge , plus fort que toute raison, les maintient dans un etat de degradation mo- rale , etles exclut de toute occupation honorable. Ce prejuge est meme plus fort a Test , oii ils sont traites avec beaucoup plus de mepris qu'au sud. lis sont tres-dangcreux pour nos esclaves qui envient leur oisivete ; ils ont parmi eux des precheurs qui sont allies aux societes religieuses du nord dont je vous parlerai bientot , et qui ne cessent de travailler nos negres pour les exciter au mecontentement. Si vous faites attention que la vie et la propriete de chaque habitant d'un Etat meridional sont interessees dans ces me- sures , vous vous persuaderez facilement que , constitutionnellement ou non , nous ne pouvons 108 pas y renoncer, et que notre separation de rUnion aurait lieu , si Ton voiilait nous y con- traindre. Quelque desastreux que ce pas put etre , il vaudrait mieux le franchir que d'etre aneantis. Ces questions ne sont passpeculatives, elles touclient a I'interet prive de cliacun ; il est done ridicule de chercher a lui persuader le contraire. Vous vous tromperiez pourtant beau- coup si vous pensiez que nous courons aucun danger. L'Union est-autant en siirete de ce cote-la que de tout autre ; la division d'interets et d'opi- nion ne sert qua exciter une agitation et souvent des tempetes qui empechent I'ocean politique de croupir. En effet , quels sont ceux qui veulent I'emancipation subite denos negres? desenthou- siastes ou des hypocrites religieux. II est vrai que ces nobles Don Quichottes ont un puissant soutien dans I'opinion publique au nord ; mais cela peut-il se comparer avec I'unanimite du sud, fondee sur le plus grand ressort politique , Fin- teretprive?D'ailleurslesEtatsdusudsontlesplus forts et les plus riches ; une separation serait un coup beaucoup plus rude pour le nord que pour nous. Leurs vaisseaux viendraient de raeme exporter nos tabacs , nos cotons, nos sucres, mais ils paieraient des droits et ils ne pourraient pas soutenir la concurrence des manufactures 109 anglaises. Nous continuerions a nous approvi- sionner au meilleur marche. L'enthousiasme religieux chez un Yankee ne va pas au point de sauver son ame aux depcns de ses fabriques et de son commerce. lis out aussi beaucoup moins de part dans les societes d'emancipation , d' abo- lition , de manumission , de transportation , de colonisation, etc., que n'en out les lionnetes quakers de Pensylvanie on de Maryland. II faudrait cent bouches, cbacune avec cent langues , et des poumons d'airain , pour vous reciter les differentes Chartes de ces societes ; d'ailleurs il faudrait les connaitre. Quelques- unstachent, dit-on, de faire revolter nos ne- gres , croyant par la sauver nos ames ; mais j'ai peine a croire a un tel degre d'absurdite. La plupart tachent de faire emanciper les escla- ves, prennent sous leur protection ceux qui I'ont deja ete , et empechent que les lois, qui sont deja si severes, ne soient encore aggravees. Leur but est honnete , mais ils se conduisent si imprudemment qu'ils deviennent dangereux aux maitres en faisant autant de bien a Icurs prote- ges que Don Quichotte en faisait aux siens. La societe de colonisation vaut pourtant la peine d'etre distinguce. Elle a achete ou pris, je ne sais lequel , mais enfin elle a en Afrique un en- 10 110 droit appeleZzZ)ma, ouelle transporte les negres libres qui consentent a emigrer ; ils y redevien- nent sauvages aussi vite qu'ils peuvent ; mais cela nous est egal pourvu que nous en soyons debarrasses. La grande difificulte est la lenteur des operations de la societe ; elle transporte par an deux ou trois douzaines de porte-faix et de filles de joie repenties des grandes villes At- lantiques, et en 1820 nous avions 233, S27 per- sonnes de couleur libres. H y a deux ou trois ans qu'un envoye de Saint - Domingue , un homme tres comrae il faut , M. Grain\ ille , vint visiter les Etats du nord et persuader a une grande quantite de personnesd'emigreraHaiti; mais elies sont presque toutes revenues , prefe- rant I'oisivete et la corruption de nos grandes villes 5 a une honnete industrie dans un pays libre. En terminant ce tableau de I'esclavage et de ses suites, permettez-moi de vous faire une nouvelle observation contre les projets ridicules de nos Don Quicliotte emancipateurs. A quoi bon pressor le temps? L'abolition totale de I'es- clavage aura lieu aux Etats-Unis , lorsque le travail libre sera a meilleur marche que le tra- vail des esclaves. Est-ce le christianisme qui a aboli I'esclavage en Europe ? Est-ce I'islamisme Ill qui le perpetue en Asie ? Ni I'un ni I'autre n'out eu ce resultat ; ce n'est qu'aux calculs de Vinteret prive que Ton doit attribuer ces effets coiitra- dictoires. Autrefois I'esclavage etait general aux Etats-Unis ; mais a mesure que le travail libre est devenu meilleur raarche, les legislateurs I'ontaboli. La meme eliose a lieu sous nos yeux maintenant en Virginie et Maryland : la popu- lation s'etant augmentee , le prix du travail et celui des negres out baisse. Les proprietaires s'en defont aussi vite qu'ils le peuvent ; ces ne- gres sont achetes pour etre transportes dans les Etats nouveaux ou la main d'oeuvre est cliere. Dans quelques annees , il ne restera presque plus d'esclaves dans ces deux Etats , et alors la legislature fera bien , pour la forme , d'y abolir I'esclavage, La meme chose aura lieu avec le temps pour tons les Etats presens et futurs , et rUnion sera enfin debarrassee de cette peste domestique. II est plus difficile de savoir comment nous nous deferons des negres libres ; il est cependant bien clair qu'ils cesseraient d'etre dangereux fi'ils n'etaient pas soutenus par ceux dont la grandc affaire est de se meler de ce qui ne les regarde pas. La philantropie generale et uni- verselle est sans doute una bien belle chos#; mais ce n'est pas a elle que nous devons notre liberte et notre prosperite; elle n'a, que je sache , enrichi personne ; c'est a nous a nous occuper assidument de nos propres affaires, sans regarder celles de nos voisins. C'est une maxinie en politique qui nous a ete leguee par Washington , et qui devrait bien etre adoptee par les differentes sectes religieuses dont nous sommes bigarres. LETTRE iV. De la Religion. Londres, mars 1831. Tandis qii'une liitte a mort s'est engagee en Europe entre cenx qui veulent maintenir des institutions nees des siecles de barbaric , et ceux qui veulent les mettre de niveau avec les lu- mieres du siecle ; tandis que , cliez tous les peu- ples civilises , une portion plus ou moins consi- derable des nations s'agite pour obtenir une liberte qu'elles ne connaissent pas et qu'elles sem- blent chercher plutot par instinct que par calcul , marchant vers ce grand but par des chemins trompeurs, qui ne font que les en eloigner da- 10. 114 vantage , il est curieux d'observer le calme qui regne aux Etats-Unis , le seul pays du monde oii lesprincipes delaliberte soient etablis sans me- lange et sans opposition. C'est un gouvernement a-peu-pres semblable a celui-la qui est appele par les voeux des nations de I'Europe; mais leur ignorance de I'objet de leurs desirs fait que leurs efforts sont presque toujours mal diriges. Ces reflexions me sontsuggerees paries tumultes populaires qui ont eu lieu dernier ement en France , et dans lesquels le peuple s'est amuse a abattre les croix des eglises , et par la loi qui assimile les rabbins aux pretres catholiques et aux ministres protestans , en les rendant pen- sionnairesdel'Etat. Ilnem'appartientpas de cri- tiquer ou d'approuver ce qui s'est fait en France ; je me contenterai de vous tracer un tableau de I'etat de la religion aux Etats-Unis, ou elle existe parfaitement libre et independante du gouvernement , sans le gener en rien. II vous sera aise de voir, d'apres ce que je vais dire , quelle est mon opinion sur ce sajet. Ne croyez pas pourtant que j'aiile entreprendre de vous expliquer les dogmes des mille et une sectes qui partagent le peuple des Etats-Unis. Les enumerer seulement serait impossible , car elles changent tons les jours, paraissent, dispa- raissent, se reunissent, se separent, et n'ont rien de stable que leur instabilite. Depuis les dogmes purs de runitarianisme jusqu'aiix absurdites grossieres du metbodisme, toutes les nuances s'y trouvent , et toutes les opinions y ont leurs sectateurs et y vivent en paix les unes aupres des autres. Dans cette variete de religions , cbacun peut ehoisir celle qu'il veut , en cbanger quand celalui plait, ou rester en suspend et n'en suivre aucune. Cependant, avec toute cette liberte,iln'y a pas de pays oii le peuple soit aussi religieux qu'aux Etats-Unis : aux yeux d'un etranger, il a meme Fair de I'etre trop ; mais cela n'est qu'ap- parent , comme je vous I'expliquerai. Lorsque les Etats de la nouvelle Angleterre furent peuples par des gens bannis de la mere- patrie pour cause de religion, ils etablirent parmi eux une espece de gouverncmenttheocra- tique. Quoique les persecutions qu'ils avaient eprouves eussent dii leur enseigner la tole- rance, ils se mirent a persecuter de tout leur pouvoir les quakers , les catlioliques et les sor- cieres. Ils avaient redigeuncode de lois, que je ne sais pourquoi on appelait hhie laics, qui eta- blissait un grand nombre de pratiques ridicules corame partie integrante des bonnes mosurs. Le diraanche devait etre observe d'une maniere 116 tres rigoureuse. II n*etait pemiis ce jour la ni de voyager ni de marcher dans la rue (que pour aller et revenir de I'eglise) , ni de faire la cuisine, ni meme d'embrasser sa femme. Une coupe particuliere etait prescrite pour les che- veux, et certains mets n'etaient perrais qu'a certains temps de I'annee. Un 36™*^ des terres publiques fut mis en reserve dans chaque ville pour doter une ecole et une eglise d'une deno- mination quelconque, pourvu qu'elle fiit protes- tante. Dans les Etats colonises par le gouver- nement , comme la Virginie et la Caroline du Sud , I'eglise d' Angleterre fut etablie comme elle I'etait dans la mere-patrie , et dura ainsi jusqu'a la revolution. Les catholiques bannis d' Angle- terre fonderent le JNlaryland et y etablirent Tin- tolerance. LaLouisianeet les Florides , peuplees deFrancaisetd'Espagnols, avaient des eglises et des couvens ricbement dotes. II etait reserve au grand Penn d'etablir le premier la tolerance la plus entiere dans la colonic de Pensylvanie. Ce systeme fut graduellement suivi par les autres colonies , et est maintenant la loi de tons les Etats. Lors de I'adoption de la constitution des Etats-Unis , le principe de la tolerance generale fut non seulement adopte comme partie du pacte federal , mais il fut meme interdit au Congres de legisler sur des suiets de religion. 117 Dans tous les Etats, les eglises et leurs pro- prietes, si elles en ont, appartiennent , non aux pretres, mais a la congregation. Ainsi, lorsqu'une nouvelle ville est fondee , un lot est mis de cote pour la premiere congregation qui le demande ; des trustees (espece de fidei-com- missaires) sontnommes a qui et aux successeurs desquelsles terres sontdonneesou vendues pour I'usage de telle ou telle congregation. De ce moment la corporation est formeeetdevientune personne capable de vendre et d'acheter , de poursuivreet d'etre poursuivie en justice, selon les conditions mises a son existence par la charte d'incorporation. Cctte personne morale fait des quetes , emprunte de I'argent , batit une eglise , vend une partie des bancs, en loue une autre, vend ou loue des endroits choisis dans le cime- tiere, etc.; et lorsque tout cela est pret , clit un pasteur, le paie, le garde, le renvoie, le change comme il lui plait. Tantot ils ont un salaire fixe seulement, tantot, outre cela, un casuel, Tusage d'une maison , ou le revenu des bancs loues. Enfin chaque congregation fait son marche avec son pasteur comme elle I'entend. Beau- coup de ces congregations sont tres riches , beau- coup sontpauvres, ou, gachantleursmoyens, font banqueroute , etleur eglise est vendue a I'enchere 118 comme tout autre propriety le serait. II arrive souvent qu'un precheur s'imagine de precher une doctrine mal soniiante pour les oreilles pieuses. L'eveque ou le consistoire I'excom- munie; alors la congregation, ou change de reli- gion et garde son pasteur, ou change depasteur at garde sa religion. II arrive en general que le pasteur excoramunie , avec une minorite de la congregation , forme une nouvclle secte ; alors line nouvelle corporation est formee , une nou- velle eglise est bade ou achetee. La secte prend, et d'autres eglises de la meme denomination s'e- tablissent , ou elle mcurt avec son fondateur et la congregation , ou v.l:ange encore de religion ou se divisc, oureste sans pasteur. ce qui pour- tant n'est pas ordinaire. Les sectes les plus repandues aux Etats-Unis sont les episcopaux , ou eglise d'Angleterre , et les presbyterieiis. En efifet, presque toutes les autres peuvent se reduire a celles-la. Chaque etat forme un diocese. Dans quelques-uns il y a un fond appartenant en commun a toutes les congregations episcopales , afin de pourvoir aux frais d'un eveque , d'une cathedrale et d'un seminaire ; dans d'autres , chaque congregation contribue d'une certaine portion de son revenu pour cetobjet. Une convention episcopale, com- 119 posee d'un certain nombre de deputes dechaque congregation et d'un certain nombre de gens du clerge , elitl'eveque, le paie, etdirigede con- cert avec lui tous les interets spirituels de I'eglise dans I'Etat. Des deputes , des conventions d'Etat se reunissent de temps en temps en convention generale de I'eglise episcopate protestante en Amerique. Les presbyteriens font la meme chose, excepte que n'ayant pas d'eveques , c'est dans les con- ventions que le pouvoir spirituel supreme reside. Cela est de meme le cas dans toutes les autres sectesqui sontassez nombreuses pour suivre cet exemple. C'est enfin le dogme de la souverai- nete du peuple qui gouverne i'eglise comma I'Etat. Chaque congregation dit a son pasteur: nous te donnerons tant pour precher telle doc- trine. Lorsqu'une congregation differe de doc- trine avec la convention, il faut qu'elle cede ou qu'elle fasse schisme , et cela , comme vous pouvez bien penser, arrive tous les jours. Au reste , toutes ces congregations , conven- tions , etc. , ne sont reconnues par la loi que comme corporations ayant la faculte d'ache- ter, de vendre , de poursuivre et d'etre pour- suivies en justice , de la meme maniere que les autres corporations qui ont pour object des 120 charites, des travaux publics on des specu- lations commerciales. Les loges et les chapi- tres maconniques sont incorpores de la meme maniere, ainsi que les musees, les galeries de tableaux et les societes savantes. Les privi- leges des membres du clerge se bornent a etre exempts de la milice et du jury , de meme que les maitres de postes , les maitres d'ecole , les medecins, etc. Dans quelques etats aussi, ils sont exempts de payer aux ponts et barrieres tant qu'ils voyagent pour affaires de religion. Dans quelques autres , ils sont exclus de toutc eligibilite a des charges publiques. Mais ces privileges et ces incapacites s'appliquent ega- lement aux rainistres de toutes les religions , pourvu qu'ils soient reconnus comme tels par une congregation , etne durent pas s'ils quittent I'eglise. Chacunalaverite qui en a I'envie, pent precher s'il trouve des auditeurs , et cela n'est pas difficile ; de ce moment il devient membre du clerge [clergiman). Cela a lieu surtout chez les Methodistes et les Baptistes. Ces deux sectes, qui sont les plus nombreuses aux Etats-Unis, surtout dans le sud , croient a la predestination et a la grace efficiente. Elles pensent que des qu'un liorame a eu la grace, a etc converti et a ete assure par la possession interieure 121 du Saint-Esprit, qu'il est elu, quedes ce moment la il ne peut plus pecher , mais que e'est le diable qui peche en lui. Les methodistes sont la secte certainement la plus extraordinaire, comme la plus caracteristique et la plus repandue dans les Etats-Unis. lis ont des eveques , des congre- gations , des eglises comme les autres sectes ; mais outre cela ils ont des assemblees de ceux qui sont convertis , ou , pour se servir de leurs expressions , des saints , oii tout le raonde pre- che, parle et chante a la fois. Oii ils n'ont pas d'eglises fixes, ils ont desanciens qui exhorfcent, et tout le pays est partage en districts, qui chacun a un coureur de district {circuit rider) , dont le metier consiste a visiter toutes les eglises, les congregations, les assemblees et les families de son district, et aentretenir partout lefanatisme. Une ou deux fois par an , dans chaque dis- trict , on tient ce qu'on appelle un caynp meeting , ouassemblee ducamp. Pour cet efFet, Ton choi- sit un endroit propice dans le bois , generale- ment aupres d'un ruisseau ou d'une source. On y nettoie un grand espace circulaire sous I'om- bre antique des geans de la foret ; Ton y place des troncs d'arbres fendus en guise de bancs ; Ton y batitune espece de tribune aux harangues, II 122 ou chaire capable de contenir une douzaine de precheurs a la fois ; I'endroit le plus remarquable pourtant de ce temple rustique est le penn ou bercail, le sanctum sanctorum. C'est un endroit d'une douzaine de metres carres, enclos comme un pare a brebis , et rempli d'un pied de paille fraiche. Toutes les families religieuses des envi- rons viennent ou envoient d'avance se batir une baraqueen dehors de I'endroit nettoye. De sorte que vers le temps fixe pour I'assemblee, la foret a pris Fair d'un petit village de huttes champe- tres , et ressemble beaucoup aux baraques d'un regiment de cavalerie , excepte qu'elles ne sont pas si regulieres. Aujour fixe, en general un di- manche , les families arrivent en foule a cheval , en voitureouencharette,portantavecellesleurlit, leurs meubles et leur batterie de cuisine; chacun s'instale dans sa liutte comme s'il devait y rester queiques mois. Tons les precheurs methodistes, exhortateurs , anciens (elders), coureurs de cir- cuits, etc., ont bien soin de s'y rendre de cent millesala ronde. L'eveque oule precheur local , ou le circuit rider, suivant les circonstances, commence la ceremonie en donnant unpsaume qui est chante par le peuple; ensuite vient une priere , puis un sermon , ou deux , ou trois, selon I'inspiration des precheurs qui remplissent 123 la chaire. Le service continue de cette maniere, sans presque aiicune interruption , pendant cinq ou six jours. Je ne veux pas dire que chacun reste a ecouter ou a precher tout ce temps la ; au contraire, chacun fait ce qu'il veut. Les ri- ches ont de tres-hons diners , dans leurs huttes , et y invitentlesprecheursetlespauvres. On prend part aux devotions autant que Ton veut, ou pas du tout. C'est un endroit choisi par les jeunes gens des deux sexes pour se faire la cour et preparer les manages. En efFet, rien n'est poe- tique comme d'errer dans I'ombre de la foret, au clair de la lune , entendant de loin le chant des hymnes ou I'eloquence enragee des in- spires, avec une jeune fiUe dont tous les sens sont agites et la raison ebranlee par ce tapage , pendant que sa mere la croit occupee a prior. La piete dans le coeur des femmes a une douce influence qui les dispose a aimer, et il ne faut pas s'etonner si dans ces promenades nocturnes des prieres sont adressees a d'autres qu'au bon Dieu et d'autres faveurs obtenues que la grace du Saint-Esprit. En effet, un camp meeting est un excellent endroit pour toutes sortes d'af- faires. C'est un point de reunion pour tous les flaneurs et les jeunes gens , pour ceux qui ont des marches a propOvSer ou a conclure , pour 124 les candidats qui viennent electioner , ( un mot que vous n'avez pas en francais , mais que vous serez oblige d'adopter des que vous aurez un gouvernement vraiment libre. ) Chacun vaque a ses affaires, dort, mange, fait I'amour, mar- chande un (;heval , rabaisse ou exhalte un can- didat. Le lieu saint est desert, le silence pour la premiere fois regne autour de la chaire 5 la pleine lune , ijuoique au milieu de son cours , est voilee parun nuage passagcr, et tout semble inviter au repos et a une suspension des travaux de la journee ; quand un precheur, reste seul agenouille dans le fond de la chaire , se leve lentement; I'inspiration vient de lui arriver; il entonne un hymne d'une voix d'abord faible , mais qui, crescendo par degre, abientot atteintla melodic deStentor. Ouelques ames pieuses vont reprendre leur place sur les bancs, d'autres preclieurs lejoignent, et la curiosite abientot reproduit un auditoire. Une priere enthousiaste et pathetique suit : il engage les saints a prier pour la conversion des pauvres peclieurs qui sont au milieu d'eux ; il leur represente la grandeur de la misericorde de Dieu , les peines de I'enfer ; il les exliorte a laisser de cote la fausse honte a venir faire amende honorable devant leurs fre- res. Cinq ou six personnes se levent et s'avan- 125 cent lentement vers le sanctum sanctorum^ et a la vue de tant de convertis , renergumene redouble de clialeur , il depute deux saints pour prier avec chacun des nouveaux venus. Le neo- phite est agenouille sur la paille, soupirant, s'accusant, sanglotant et pleurant , tandis que de cliaque cote un saint , a genoux aupres de lui , lui vocifere dans I'oreille dont il s'est empare, une description, a sa maniere, de la gloire de Dieuet dela mechancete de Satan. Ces dix-huit ou vingt personnes , homines et femnies, dans le bercail , font un tapage qu'on peut entendre a quelquesmilles,toutleniondecrie, cliante,prie, pleure, preche a la fois. Les chouettes et les hibous , attires par I'odeur des cuisines , leur re- pondent du haut de la futaie, et s'eloignent efifrayes de ce Tacarme qu'ils ne peuvent cga- ler. Une jeune fille cependant avait erre dans les bois avec son amant plus long -temps quelle ne croyait. Le temps passe si vite lorsque Ton est avec I'objet aime , et cela pour la premiere fois , au printemps de la vie , revant des sieclcs de bonlieur dans une union cherie , en goutant peut-etre la realite dans des declarations pas- sionnees... Elle venait d'etre rappelee ases sens par ce tapage, I'esprit encore tout trouble, I'ame tout emuc d'un plaisir inconnn, les nerfs 126 etonnes, ebranles. EUe s'approche, se trouble, lafrayeur s'empared'elle.Elle se croitdamnee. . . puis convertie . . . elle entre dans I'enceinte sacree , y est bientot etourdie et saisie de convulsions histeriques ; elle crie , pleure , sanglotte , se roule sur la paille dans un delire affreux. Les assistans , les precheurs et les saints redoublent de vociferations, le peuple crie Amen! Lc ta- page, le vacarme s'accroit; une conversion si sincere, si exeniplaire ne doit pas etre cachee par les ombres de la nuit ; des torches de bois resineux, fournics par les pins voisins, sont bientot apportees, et jettent une vive clarte sur cette scene d'horreur La mere, les sceurs de la jeune fille accourent au bruit , mais au lieu de la secourir, admirent la misericorde de Dieu qui s'est plu a I'appeler parmi les saints. Elles joignent leurs voix a celles du peuple , et ne I'em- portent dans leur cabane que lorsqu'elle atout- a-fait perdu connaissance. Le lendemain elle se croira sainte, etn'etre plus sujette a pecher, quel- que chose qu'elle fasse. Bien plus, elle donnera son experience ( comme cela s'appelle) pour Fedi- fication de la communaute, et racontera en public par quelles voies detournees le seigneur s'est plii a la conduire a lui , et exhortera les au- tres a suivre son exemple. Au reste . le pouvoir d'iraitation est si fort sur les nerfs , qu'il est rare qu'une conversion de ce genre ait lieu sans que quelques autres personnes ne tombent en his- terie aussi. Souvent une vingtaine de person- nes de tout age, tout sexe et toute couleur, sont a se rouler pele-mele sur la paille, I'oeil hagard et la bouche ecumante , au milieu des saints qui prient, chantent, sanglottent et pleurent de joie de voir un si beau triomphe remporte sur Satan. Le methodisme egalise tout, de facon que vous voyez une vieille ncgresse preclier a son maitre , un negre prier sur sa jeune mai- tresse. Vous croyez que je plaisante, que je vous parle des farces de wSaint - Medard qui firent tant de bruit du temps de Voltaire ; mais que direz-vous lorsque vous saurez que chez un peuple eminemment raisonnable, cette secte est la plus repandue et compte peut-etre trois fois plus de sectateurs que tout autre ! EUe augmente tons les jours , et probablement sera dans quelques annees la seule religion parmi les classes ignorantes du peuple. L'unitarianisme, de son cote, promet de de- venir la secte dominante chez les personnes eclairecs. Quoi quelle soit encore pen nom- breuse, elie fait cependant de rapides progres. Rien n'est plus simple que leurs dogmes. lis 128 lie croient pas au Saint-Esprit , ne regardent Jesus-Christ que comme un homme inspire , cree pour servir de modele au monde. lis ne croient pas a I'eternite des peines futures, et rejettent I'inspiration de rancien testament. Leur culte est pur, elegant et degage de toute espece de ceremonie ou de superstition ; ils ne s'adressent qua la raison , soit dans les hymnes bien choisis qu'ils chantent , soit dans leurs sermons , qui sont en general des discours mo- raux d'un vrai merite litteraire. lis out a leur tete , dans ce moment-ci , un homme du plus rare merite et d'une vertu exemplaire , un vrai Platon, c'est le docteur Channing : rien ne pent surpasser son eloquence ni la purete de la morale et de la doctrine qu'il preche. II a forme une grande quantite de disciples qui en general promettent heaucoup pour I'avenir, La libera- iite de cette secte leur attire I'inimitie de toutes les autres, mais surtout des presbyteriens. lis leur reprochent de n'etre que des deistes mal deguises, et de blasphemer le nom de Christ chaquefois qu'ils I'invoquent. D'autres trouvent que le premier reproche est fonde , et qu'ils ne vont pas assez loin. De toutes les sectes des Etats-Unis , ceile qui est la plus redoutable est la presbyteriennc. Ses 129 billeux enfans , disciples austeres du sombre Calvin , ont herite de tout son fiel et de tout son venin , et ne se font pas scrupule de preter a la Divinite leur esprit de vengeance et de raechan- cete satanique. Selon leur doctrine, tons les hommes ont ete crees indistinctement pour etre damnes, et le meritent richement pour avoir comniis le crime de naitre. Dieu pourtant, par un retour de clemence , envoya son fils souffrir pour une partie des races futures, et permit que ses merites fussent appliques a un petit nombre d'etres predestines. Ceux done qui sont compris dans ce nombre serontsauves ; lesautres, quels que soientleurs merites, seront damnes , car les bonnes oeuvres ne peuvent d'elles seules raclie- ter le peche originel , et Jesus-Christ n'applique les merites de son attonement qua qui il lui plait. II y en a meme entre eux qui vont jusqu'a precher que les bonnes oeuvres sont contraires au salut, en ce qu'elles inspirent une fausse confiance ! ! Jolie petite religion ! il vaut autant adorer le diable tout d'un coup , qu'un dieu de leur facon ! Cette secte, qui etait et est encore la religion dominante d'Ecosse , oii Tinimitable Walter Scott nous I'a peinte avec des couleurs si vraies dans les temps de toute sa force , est tres-nombreuse aux Etats-Unis. Soitfoi reelle , 130 soit hypocrisie , elle montre plus de zele a con- vertir que toutes les autres mises ensemble. Si on la laissait faire, elle nous aurait bientot reportes au temps des bleii, laivs. Elle est , il est vrai, divisce en mille sectes differentes sous le rapport de la doctrine , car peu de leurs precheurs vont aussi loin que je viens de le dire; mais malgre cela , ils sont tons unis par leur discipline, et presentent une phalange so- lide au dehors , quelque desunis qu'ils soient entre eux. Ce sont principalement ceux qui envoientdes missionnaires precherpartout, qui publient des brochures et qui fondent des socieles de mille especes differentes. Aux Etats-Unis la concurrence est la grande maxime de I'esprit public, et ce trait distinctif se retrouve partout , aussi bien dans le gouver- nement que dans les entreprises privees et dans I'eglise. Beaucoup de jeunes gens recoivent une education tout-a-fait litteraire dans les mille et un colleges de I'Union; ceux qui ont de quoi vivre independans , ou de quoi du moins commencer une profession sans en dependre absolument, s'en trouvent tres-bien. Mais il y en a beaucoup qui n'ayant rien , fils de pauvres cultivateurs ou artisans , ne peuvent plus quitter les Muses pour la charrue ou le rabot. Cela est 131 surtout le cas dans la nouvelle Angleterre , ou tout le raonde est bien eleve. Les plus entrepre- nans deviennent avocats ou medecins , et trou- vant la place prise autour d'eux , vont s'etablir sur les frontieres. Beaueoup deviennent maitreg d'ecole, et en verite dans toute I'Union il n'y a presque pas de maitre d'ecole qui ne vienne de ces etats. Les plus paresseux deviennent precheurs. Cette route ne mene jamais aussi loin que les deux premieres , mais elle est plus sure et rapporte des le commencement , au lieu que dans les autres professions , il faut avoir obtenu quelque reputation avant de se faire de quoi vivre. Si le jeune prechenr a du talent, il va se disputer avec les anciens sur quelque point obscur de doctrine; etre excommunie, crier a la persecution des saints, fonder une nouvelle secte, et sa fortune est faite. II pent pourtant etre enfonce dans cette tentative, etle plus siir est de s'enroler tout tranquillement dansle clerge presbyterien. Mais comment, avec un nombre limite de bonnes congregations qui paient bien , et que les anciens naturellement veulent garder pour eux raemes , comment pour- voir a cette innombrable quantite de petits precheurs. Voici ou I'ingenuite sacerdotale se deploie. 132 D'abord il faut envoyer des missions chez tous les peuples paiens. II y en a aux Grandes Indes, mais surtoiit dans les iles de I'Ocean Pacifique, oii les pretres americains se sont cree un petit Paraguai dans les iles Sandwich, ou ils ont fait beaucoup de mal en arretant le seul commerce pour lequel les habitans du pays se sentissent du gout. II y en a aussi chez nos Indiensqu'ilsfont semblant de civiliser, et aux- quels ils font grand tort, en les encourageant a resister au gouvernement, de peur de perdre leurs stations, qui sont de belles et bonnes fer- mestresproductives. II y en a ensuite d'envoyes partout dans les Etats-Unisouil n'y a pas d'eglise de leur denomination regulierement etablie. Ils voyagent a clieval, s'arretant chez les devots, oil eux et leur monture sont bien choyes , et oii ils paient en prieres et sermons. lis corres- pondent avec des comites directeurs , levent des souscriptions pour batir des eglises qui peut-etre n'existeront jamais, prechent partout, convertissent , intriguent , sement la zizanie dans les families , et lorsqu'ils ont fait quelque impression sur quelques douzaines de per- sonnes dans un village, celebrent ce quils ap- pellent un revival of fait] t ( une resurrection de foi). Pour cet efi'et, cinq ou six precheurs au 133 moins se reunissent et prient , chantent et pre- c'hent pendant toute la journee pour plusieurs jours de suite. L'exhaltation s'empare des es- prits , surtout de ceux des ferames ; Ton jeune, Ton fait des quetes pour batir ou reparer I'e- glise , ou pour quelqu'autre objet pieux. L'on distribue des bibles, des brochures et desjour- naux religieux , Ton organise quelque societe religieuse , Ton nomme enfin un comite de laiques pour aller de porte en porte s'enquerir del'etat spirituel des families, et les exhorter a aller a I'eglise et profiter du moment ou la porte de merci est ouverte, pour entrer dans la com- munion des saints. Ces messieurs sont mal recus par les gens dont I'opinion est decidee ; mais les gens timides , qui s'etaient d'abord caches , n'osent leur resister et vont grossir de leur con- version la liste que Ton envoie au quartier-ge- neral. L'effet apparent de ces revivals est de placer une belle bible neuve dans toutes les maisons de I'endroit , de deplacer une certaine quantite d'argent de la poche des citoyens pour lefaire passer, vous vous imaginez bien oii , de faire cesser la joie, casser les violons et les flutes, emigrer le maitrede danse, alonger d'un pied le visage des habitans et faire jaunir leur teint. Ces efl'ets, au reste, ne durent pas tres 12 134 - long-temps , car bientot les demoiselles s'aper- coivent que ces changemens n'augmentent pas leurs chances d'avoir des maris ; et maintenant que les jeunes precheurs si saints , si eloquens , qui montraient de si belles dents et un jabot si bien plisse, sont partis sans faire de choix parmi les belles de I'endroit , maintenant qu'ils sont remplaces par une brigade d'ingenieurs topo- graphes qui 1 event le plan d'un canal , qui ont de jolis uniformes, jurent, boivent du mint julep, ne vont pas a I'eglise , mais airaent a danser, la gaiterenait, et pour les captiver la foi disparait, les visages se rarrondissent, et les belles reprennent le teint de rose qui leur est naturel. Le mariage est en effet une speculation favo- rite des jeunes precheurs. S'ils sont jolis gar- cons, qu'ils semettentbien, qu'ils aient tant soit peu le don de la parole , ils se montrent avec beaucoup davantage de la chaire , et si le pere de quelque jeune personne riche est tant soit peu devotement dispose , il ne tient qua lui de s'assurer les secours spirituels aux memos con- ditions que le malade imaginaire voulait s'as- surer ceux de la medecine\ En general pourtant, s'il est jeune , le precheur qui epouse une per- 135 Sonne riche quitte le froc et devient fermier ou marchand. Les araes pieuses ont tant de soin des conforts des preclieurs, qu'il existe vraiment dans la nou- velle Angleterre (a New-Haven , je crois,) une societe de dames dont le but est de fournir de femmes {wires) les missionnaires qui doivent partir pour des pays lointains. S'ils ont jete les yeux sur quelqu'un,elles se chargent de la nego- ciation; mais sans cela, elles ont toujours pret un magasin de beautes disponibles, lilies pieu- ses, reeevantun salaire de la societe a condition d'etre toujours pretes a cpouser le premier venu, etle suivre et i'aider partout et en tout dans son devoir apostolique. Des que la societe des mis- sions etrangeres et domestiques (foreign and home missionary society) a resolu d'etablir une nouvelle station, soit en Cochinchine, soit dans une des iles de I'Ocean Pacifique , ou dans les deserts de I'Ouest, elle fixe un salaire a ce tra- vail et fait choix d'un jeune homme pour rem- plir ce poste. Aussitot il donne avis officielle- ment de sa nomination a la societe femelle, qui lui trouve une femme ; ils sont maries souvent sans s'etre vus, et quelquefois passent del'autel a bord du navire qui doit leur faire faire la moi tie du tour du monde avant qu'ils soient reve- 136 nus de Tetonnement de se trouver ensemble. La quantite de societes religieuses qui exis- tent aux Etats-Unis est vraiment surprenante. II y en a partout. Par exemple : pour repandre la bible , pour distribuer des brocbures , pour encourager des journaux religieux , pour con- vertir, civiliser, elever les sauvages, pour nia- rier les preclieurs , pour prendre soin de leurs veuves et de leurs orphelins, pour preclier, etendre, epurer, conserver, reformer la foi; pour batir des eglises, doter des congregations, sou- tenir des seminaires , pour catecliiser et con- vertir les matelots , les negres et les filles de joie ; pour assurer I'observation du dimanche et empecber le blaspbeme en poursuivant juridi- quement les violateurs, pour etablir des ecoles du dimancbe ou des demoiselles apprennent a lire et le catecbisme aux petits polissons et po- lissonnes,pour empecber I'ivrognerie, etc. Cette derniere societe surtout est tres repandue et tres singuliere. Les membres s'engagent a ne jamais boire aucune liqueur distillee ni a en permettre I'usage cbez eux, mais rien ne les empeche de boire du vin. C'est croire le bon Dieu bien mauvais chimiste! Le nombre de ces societes est encore centuple, parce qued'abord il y en a une au moins de cbaque espece dans 137 chaque etat et par chaque secte ou denomina- tion (pour me servir de I'expression techni- que) un peu repandue. Ainsi il y a des Pro- testant-Episcopal y Methodist-episcopal , metho- dist, preshiterian , baptist, evangelical, etc., etc., tract society , for the state of New- York , New- Jerseij, Pensilvania, etc., etc., e/c.Celan'enfinit plus.Ilfautpenserensuite que quel que soitl'objet de la societe , il faut au moins un secretaire et un tresorier, un local, des frais de bureau, d'impression, de poste, des commis , et tout le personnel d'une administration, dont toutes les places sont remplies par des precheurs et paves plus ou moins. Cela fait comprendro un peu comment la vigrie du seigneur est exploitee de maniere a soutirer a la nation des sommes im- menses. II n'y a certainement pas de clerge qui coute si cher au peuple que le clerge americain ; mais il faut etre juste , ces contributions sont entierementvolontaires,etmoi,parexemple,qui vous en parle, j'aurais tort de m'enplaindre, car jamais preclieur n'a recu un centime de moi. Mais pour bien vous montrer leur art en tout son lustre , transportez-vous a New-York , au bout de Nassau-street : vous y verrez un hotel magnifique afacadeperystileetperron de marbre blanc. Levez les yeux ; il appartient a la societe 138 pour repandre la bible, comme vous pouvez voiis en convaincre par des lettres d'or d'un pied de haut. Entrez ; im long corridor donne acces a plusieurs chambres fermees de portes d'acajou ; lisez les inscriptions sur ces portes ; comptoir de telle ou telle societe ; comptoir du reverend M. un tel, tresorier ou secretaire de telle ou telle societe. Entrez plus avant, vous trouverez un grosjoufHu de reverend gentleman, perche sur un haut tabouret a trois pieds devant un pupitre occupe a poster ses livres. Autour de lui, de petitsreyerewc?* I'aident dans son travail. Vous etes bien reellement dans un comptoir. Je le sais, p[\rce que j'ai eu des traites sur ces mes- sieurs, et que toute la difierence que j'ai trouve entre eux et un banquier, c'est qu'ils voulaient toujours m'engager a leur abandonner I'ap- point pour I'objet de la societe. Un jeune homme , done , qui entre dans I'e- glise, y trouve toujours sa place et un moyen d'y faire , sinon fortune , du moins d'y trainer une existence douce dans I'abondance. S'il est joli garcon , il se marie; s'il est homme a talens, il preclie, il devient chef de secte et ecrivain ; s'il a de I'aptitude en affaires , il inventc quelque nouvelie societe , se charge d'en diriger les af- faires, et vous n'y voyez plus que du feu. 139 Vous me demanderez probablement , apres avoir lu ceci, si la religion soutenue par detels iiioyens et disposant de tels capitaux ne fait pas de grands progres , et siellene va pasbientot tout envahir? Au contraire , a peine peut-elle garder son terrain: comme un navire, avancant contre la maree , semble faire beaucoup de cliemin si Ton regarde I'eau, etreste stationnaire par rap- port a la terre, de meme I'eglise est emporteepar le grand courant des opinions, de lalitterature, de la pliilosopliie du siecle a cpii rien ne resiste. Yoila d'abord la grande cause qui la combat, et qui certainenient finira par detruire la religion cbretienne. Peut-ctre nienie cette destruction, comme unite , est-elle plus avancee aux Etats- Unis que Ton ne croit gcneralement. Mais outre cela d'autres causes y travaillent. L'elevation de la secte des Unitairiens est peut-etre une des plus efficaces. Theistes purs , pliilosophes eclaires et vertueux , ils n'attaquent pas de front, ilest vrai, la superstition , mais ils lui otent I'appui de leurs noms , etc'est beaucouprBoston, par exemple, etait le centre de la bigotterie. II est devenu celui de cette secte pliilosophique et le sanctuaire des lettres. Qu'on me cite un homme distingue en politique ou en litterature de cette ville, qui ne soit Unitairien. L'univer- uo site de Cambridge , qui est aupres , est le chef- lieu de la seete, et la repand d'un bout de I'U- nion a I'autre. Mais outre cela, il y a d'autres sectes philosophiques qui font une guerre di- recte a la religion. Dans cepays de liberte on pent avoir quelque opinion que Ton veuille , et la publier ou meme vivre d'apres elle, pourvu que Ton n'agisse pas contre la loi civile du pays. Aussi les Etats-Unis ont ete le refuge de presque tons les visionnaires . G'est ainsi que les freres Moraves , les quakers trembleurs, les harmonistes, M. R.. Owen et Miss Wright s'y sont transportcs et y ont fixe leur domicile. Je ne parlerai pas des premiers , especes de monomaniaques , dont le nombre n'accroit ni ne decroit depuis leur fondation , dont personne ne s'occupe, et qui n'ont aucune influence sur I'esprit du siecle. Mais les deux derniers valent la peine qu'on en parle. Vous ' connaissez M. Owen . le proprietaire de New Lannarck en Ecosse , oii il fonda une commu- naute d'ouvriers pour exploiter une filature. Ces gens vivaient en commun , leurs enfans etaient eleves, ils etaient tres bien mis , s'occu- paient de litterature et des arts dans les inter- valles de leur travail , qui , quoique beaucoup })lus court , etait beaucoup plus productif que Ul celui des autres fabriques . tant tout etait bien arrange. De la I'idee lui vint que I'ordre de so- ciete actual pouvait etre rcforme de maniere a detruire entierement toutes les causes da mal moral et meme du mal physique. II ne s'agis- sait pour cela que de vivre en commun d'apres un plan qu'il proposa. Proprietaire d'une im- mense fortune , suivi de quelques disciples ardens, lui-meme extremement enthousiaste et de tres bonne foi , done de beaucoup d'apti- tude aux affaires , de Fart de persuader et d'une patience a toute epreuve, il vint aux Etats- Unis tacher d'y etablir ses villes-communautes. Sa doctrine est le materialisme et Fatheisme le plus complet. II nie I'existence de toute mo- rale , ne reconnait d'autre but a I'existence que le bonheur, et tout lui semble bon pour y ar- river. II rapporte a I'ordre physique tons les phenomenes de I'ordre moral. II ne nie pas I'existence du crime, mais I'attribue aux obsta- cles que la societe actuelle oppose au bonheur d'une majorite des individus, etcroit en renver- sant ces obstacles les detruire entierement. II n'y a pas de doute que si tout le monde etait lieureux, il n'y auraitpas de crimes. Mais le bon- heur n'est pasle meme pour tout le monde , aussi M. Owen compte-t-il tirer un grand parti de 142 cela. II pretend que chacun adestalenspourune chose particuliere dont il ne doit pas etre fier, puisque c'est le resultat de son organisation; que tous les arts , les metiers , les professions , sont done egaux en dignite, que tout travail devrait done etre egal en salaire , que si dans ses villes-communautes , chacun travaillait six ou huit heures par jour a ce que chacun vou- drait , il en naitrait I'abondance et toutes les jouissances du luxe et des arts , meme un sur- croit de capital pour etre employe a Teducation de la generation future , qui venue au monde au sein de Tabondance et du bonheur, elevee sans aucuns de nos prcjuges , loin du vice et du besoin, en ignorant jusques au nom, ne pour- rait manquer de faire faire des pas immenses aux sciences et aux arts necessaires au bonheur. Mais souvenez-vous bicn qu'il n'existe aucun frein a la liberte illimitee qu'il accorde. Le ma- nage n'existe pas. On se prend, on se quitte comme Ton veut. Les enfans sont eleves aux frais de tous. II est vrai que loin d'encourager le libertinage , il pretend que I'liomme etant un animal monogame , ilse choisiraune compagne, peut-etre apres quelques coups d'essai , et s'y tiendra beaucoup plus fidelement que s'il y etait contraint par les lois. II y a assez de pro- 143 babilite a cela. Pvevant done la transformation de la terre en une Arcadie universelle , celle de rhorarae et de la femme en etres innocens, jouissant sans interruption d'un bonheur au- dessus de ce que nous pouvons concevoir dans notre etat de corruption presente , annoncant la destruction des institutions du pays et de ses villes avantle terme de deux ans, et prechant Fatheisme , cet honnete enthousiaste traversa le pays et acheta enfin de tres-grandes pro- prietes dans I'ouest. II avait preche partout, meme devant le congres ; il avait fait beaucoup de partisans parmi la classe litteraire, c'est-a- dire de jeunes naturalistes et des eleves en medecine s'etaient declares ses disciples. II partit avec eux pour le desert, y etablit une communaute , y depensa beaucoup d'argent, et revint quelque temps apres. Mais Philadelphie n'etaitpas encore depeuplee, les institutions des vieilles societes duraient encore; en un mot, il avait tout-a-fait manque son coup. Ilretourna en Angleterre , oii il est maintenant , declarant que TAraerique etait de tons les pays le plus corrompu et le moins capable de recevoir ses doctrines. La societe qu'il avait fondee existe pourtant, et meme public un journal. Ses disci- ples , en adoptant sa theorie jusqu'a un cerfain U4 point , ont abandonne I'idee de ses villes-com- munautes. Eneffet, il etaitplus facile de trouver des artistes , des medecins et des naturalistes , que des ouvriers, des cuisiniers et des decro- teurs sentimentaux , jeunes gens bien eleves qui se sentissent un gout nalurel pour brosser des habits ou gacher du mortier pendant une partie de la journee , pour venir en passer le reste en conversations litteraires et philosophiques , s'adonnant en meme temps aux plaisirs purs et raffines du sentiment. Owen manqua done son coup. Mais il a cer- tainement fait epoque. Sa maniere franclie et polie, mais irrevocable, d'attaquer la revelation, produisit un tres grand etfet. II ne s'offense jamais , considerant un homme qui lui donne un soufflet du meme oeil qu'un arbre qui lui tomberait sur la tete. II tache de I'empecher, mais il ne se faclie pas. Le clerge fut tout etourdide son arrivee, et n'osa le persecuterde peur d'augmenter sa force. Meme plus tard un precheur, le reverend M. Campbell , consentit a soutenir une these publique contre lui , dans une eglise. Elle dura plusieurs jours, devant un auditoire extremement nombreux, et lorsque Ton prit les voix par assis et leve , le pretre cut une immense majorite. Malgre cela, le peuple 145 s'accoutume a entendre et a lire des discussions libres sur les bases de sa foi , et a reflechir sans prejuges sur ces objets. II y a trente ans que Tom Payne manqua d'etre lapide , pour sou- tenir des doctrines qui sont maintenant propa- gces par cinq ou six journaux dans les Etats- Unis. II y a certaineraent progres. II serai t encore bien plus remarquable si les disciples de M. R. Onen voulaient se borner a attaquer les vieilles erreurs sans tacher d'en eta- blir de nouvelles , et sans vouloir reformer la societe. Miss Wright, femme de beaucoup d'es- prit , a pris en main la cause de son sexe si cruel- lement opprime par ce tyrannique sexe masculin, celle des negres et des indiens. EUe y ajoute de temps en temps de petites diatribes contre toute espece d'ordre social et parcourt I'Union en prechant le materialisme et I'anarchie au nom de la vertu et de la liberte. Beaucoup d'autres disciples de la meraesecte se sont etablis dans les grandes villes, et ta- chent de produire une convulsion politique en s'emparant de I'esprit des pauvres et des ou- vriers , et les dirigeant contre les riches et tout ordre social quelconque. lis prechent des lois agraires , la division egale des proprietes , I'uni- versalite d'une education classique gratuite, 13 146 et tachent par la de s'elever au pouvoir. lis ont deja reussi dans la ville nieme de New-Yorck a conduire une ou deux elections, mais cet en- gouement ne pent qu'etre temporaire. Le peu- ple aux Etats-Unis est trop heureux et trop raisonnable pour se laisser entrainer a une semblable jonglerie , vrai St-Siraonisme Atliee. Toutes ces sectes au reste produisent beaucoup plus de bien que de mal , car si elles egarent quelques maniaques , elles entretiennent un choc d'opinions dont la lumiere doit naitre , et contrebalancent les efforts du clerge. La masse du peuple athenien n'etait ni cinique , ni epicu- rienne , niperipateticienne. Ces sectes existaient, se disputaient, la nation s'eclairait , jugeait des coups et. . . doutait. C'est oii tendent les peuples des Etats-Unis. Dans une generation la nation ne sera plus chretienne, mais elle ne sera pas Owenite. Elle sera sage , heureuse , et delivree du joug des pretres qui pese encore sur elle. Ilfauten convenir, de toutelaphysionomie des Etats-Unis , la religion est le seul trait qui de- goute un etranger. Un dimanche , surtout dans le nord et Test , est un jour mortel et fait pour faire regretter tout autre sejour, meme celui de Vienne a un captif. Les Israelites redeman- daient bien daris le desert les oignons d'Egypte. U7 Pas de theatre ce jour la , iii de societe. Les boutiques sont fermees , les rues desertes , les communications interrompues. A peine permet- on a la poste des Etats-Unis de transporter les depeches, et cela grace aux representans du Sud. , On ne sort que pour aller a V Eglise . Tout le mond e a un air morne et taciturne. Dans les families on ne fait pas la cuisine ce jOur la. On vit des restes de la veille. Les femmes s'assemblent en cercle , chacune une bible a la main, qu'elle fait semblant de lire en baillant. Les hommes en font autant , ou sous ce pretexte s'enferment dans leur cabinet et s'occupent d'affaires privees , surs de n'etrepas deranges lejour du sabbat, commecela s'appelle. Ah! ga, qui done est-ce que Ton tronipe? me suis-je souvent demande en assistant a de semblables scenes de families et connaissant les opinions individuelles des differens membres. Le fait est que Ton ne trompe personne , quoi- que Ton desire tromper tout le monde. Gliacun sait bien a quoi s'en tenir sur la religion de son voisin , mais personne ne veut etre le premier a attacher le grelot. Le maitre est la, tout le monde est candidat pour sa favour dans un pays oil I'opinion publique regno sans melange. 11 faut le flatter, et les flatteurs se trompent sur les opinions du maitre. L'opinion que Ton a gene- U8 ralemeiit de la force des prcjuges religieux est de beaucoup exageree, et le monument n'est pas loin qui raettra un terme a I'influence du clerge et a rhypocrisie foreee quelle produit, en faisant voir que ceux qui y sont directement soumis sont dans une tres-faible minorite. Le parti de I'incredulite n'a qu'a connaitre sa force pour secouer entierement le joug de la suj)erstition , et depuis quelque temps il fait des progres im- menses vers ce but." L'influence au reste du clerge n'est qu'apparente; elle esttyrannique, il estvrai, sur les raatieres de formes ,maisquand au fond personne ne se soucie de lui. Meme autrefois elle ne fut pas assez forte pour empe- cher I'election de M. Jefferson , qui refusait pu- bliquement toutc croyance a la bible. Aujour- d'liui elle pourrait encore beaucoup moins. Dans SO anselle ne pourra plus rien.* LETTRE VI. De l administration de la Justice. Brijxelles, Janvier 1832. Ma vie a ete Men agitee. Le sort ni'a place dans beaucoup de positions singulieres , sou- vent contradictoires les imes aux autres. J'ai toujoui's obei a ses decrets , curieux de voir ou me menerait le fil de I'eau sur laquelle j'ctais embarque; et, ma foi, je ne ni'en suis jamais trop mal trouve, etj'ai ciieilli Men des fleurs sur les rivages oii j'ai ete transporte sans trop savoir comment; et souvent la plage que je m'attendais a trouver la plus aride a ete celle qu'en abordant j'ai trouvee la plus fertile en 13. 150 sensations agreables.. En voici un exemple : Etabli dans un pays neuf comme celui que je vous ai decrit, des revers de fortune rendirent ma position financiere embarrassante. A I'age de vingt-six ans, je me fis avocat. J'achetai d'un de mes voisins , qui quittait la pratique , sa bi- bliothequejoro/emon/ie/Zepourunepairedeboeufs comptant et un billet a long terme , et je me mis a etudier le droit pendant la saison morte de I'lii- ver, tout en donnant mes soins a ma plantation. Je me tirai d'affaires. Mais oii je m'attendais a ne trouver qu'une corvee extremement desagreable , une occupation tout-a-fait opposee a mes goiits , mes habitudes et mes idees precedentes , je ren- contraiune profession extremement attachante, quej'aisuivie depuisavec enthousiasmeetdontje neparle jamais qu'avec plaisir. Chez nous I'avo- cat estle premier hommede I'etat, c'estla la ve- ritable aristocratic du pays , et outre rinflaence morale et politique dont il jouit, sa vie est une suite continuelle d'occupations interessantes ou il est a la fois acteur et spectateur. Pvien en effet pour moi n'est comparable a I'interieur d'un tribunal. J'y passerais ma vie avec plaisir, meme si j'etais force a m'y taire. On parle du theatre! ce n'est qu'une bien faible et bien gauche copie d'une cour dejustice. Ici , nous avons la realite. 151 Tragedie, farce, drame, comedie, tout s'y troiive, et les acteurs sont bieii meilleurs , parce que ce qu'ils representent sont les passions qu'ils sentent vraiment. Je parle des parties et des tenioins. 11 faut avoir pratique pour connaitre le plaisir qu'il y a a poursuivre one idee , a denicher une loi qui semble vous eviter au travers de vingt volumes, a la forcer d'un retranclieinent dans Fautre. Lorsque vous latenez enfin, apres avoir verifie mille citations , quel triomphe ! G'est bien autre chose que d'avoir attrape un renard rouge, apres une course de vingt milles? Vous arrivez a I'audience : avec quel plaisir vous jouissez de la surprise que votre trouvaille cause a la partie adverse. II veut reraettre la cause. Vous ne le permettez pas ; il faut plaider in- stanter. L'audition des teraoins commence. Tons sont pour lui jusqu'a ce que vous les examiniez. Je ne connais rien de plus amusant que d'examiner un temoin moitie sot , moitie fripon, et bien endoctrine par la partie adverse devant un bon jury. Quel art il faut pour le faire se contredire, et avec quelle facilite, apres cela, ondetruit I'edifice du raisonnement de son adversaire ! Les plaidoiries viennent apres : alors on est acteur, c'est la le plus beau du me- tier 5 et lorsque Ton s'en tire bien , que Ton perde JS2 ou que Ton gagne la cause , on emporte la con- science d'avoir fait tout ce qu'il etait possible de faire, et votre client meme, perdant, se joint aux suffrages unanimes de I'assemblee et du tribunal. De maniere que quel que soit le sort de la cause , elle fournit toujours un raoyen de triomphe a I'avocat. Je ne puis parler de cette profession que con amove , car les heures les plus heureuses de ma vie sont celles que j'y aidevouees , et je vais tacher tant bien quemal de vous donner un apercu , bien imparfait sans doute, de I'administration de la justice aux Etats-Unis. Je tacherai de le mettre dans le meilleur ordre possible , mais je vous previens d'avance que je n'ai aucun livre avec moi , que par consequent je ne puis citer mes autorites , coinraecela devrait enetre le cas. Je serai aussi oblige de me servir de beaucoup de mots tech- niques , parce que , vu la difference des lois , ou ils n'ont pas de traduction en francais , ou s'ils en ontune , jel'ignore. Jem'abstiendrai de faireau- cune comparaison entre le systeme americain et lesystemefrancais , parce quele dernier nem'est pas aussi familier, et parce que cbacun pourra les faire. Notre gouvernement et nos institutions sont une experience. II est vrai que pres de deux 153 generations se sont ecoulees depuis la revolu- tion a laquelle les Etats-Unis doivent leur exis- tence , et que jusqu'ici , si Ton considere les progres que nous avons faits de toutes les ma- nieres , il faut convenir que notre essai n'a pas mal tourne. Mais, commej'ai eu deja Toccasion de vous le dire , le principe de notre gouverne- ment est tout-a-fait nouveau et tres-peu connu hors du pays. II consiste dans la souverainete de la loi , et dans la suprematie accordee a ses ministres et a ses iriterpretes. II devient done important d'examiner I'ori- gine de la loi et ses diffe rentes especes. Le peuple aux Etats-Unis etant souverain , non seulement en theorie et de droit eomme partout , mais en pratique et par la loi ecrite du pays , il lui a plu de se donner une constitution et de remettre en certaines mains I'exercice de son pouvoir supreme. Tant done que la consti- tution existe, eWe estlnloi pat^amount J tout-a-fait supreme , a laquelle tout doit ceder. Le peuple I'a faite , le peuple seul pent la defaire ou I'amender ; jusque la elle est executoire dans toutes les cours de justice , et aucune loi qui lui est contraire ne pent exister. Voila la grande difiference entre I'Angleterre et les Etats-Unis. En Angleterre , d'apres la loi du pays , le parlc- 154 ment britannique , compose du roi , des pairs et des communes , est absolu et ne connait aucun frein a son autorite. II peut se reconstituer lui-merae , comme il I'a deja fait plusieurs fois dans I'histoire, et comme il est occupea lefaire maintenant. Aux Etats-Uniscepouvoirne reside que dans le peuple assemble en convention ou exprimant sa volonte de toute autre maniere aussi explicite. Tout le droit americain derive done de la declaration solennelle d'independance faite , le 4 juillet 1776, par le congres americain. Le peuple s'y reconnait libre , independant et sou- verain , et jusqu'a ce que par une declaration nouvelle et aussi solennelle il se soit donne un maitre , il Test de fait et de droit. Comme je vous I'ai deja dit , la constitution presente des Etats-Unis fut adoptee par une convention en 1788; elle a ete amendee deja plusieurs fois , et jusqu'a ce quelle soit chan- gee, elle nous gouverne. Ah! puisse-t-elle le faire encore long-temps et continuer a proteger nos progres ! c'est a elle en grande partie qu'ils sont diis. Elle estl'arche du Seigneur, malheur a qui y touche ! Mais outre la constitution des Etats-Unis , chaque etat a la sienne. Quelques-unes plus 155 anciennes , d'autres plus nouvelles que celle cles Etats-Unis. II y en a memeune ou deux qui sont anterieures a la revolution, et portent encore le nora de chartes, etant censees avoir ete octroyees par les proprietaires ou par la couronne. Lorsqu'un territoire atteint une population de quarante mille ames , il est auto- rise par un acte du congres a convoquer une convention et a se donner une constitution, qui doit etre approuvec par le congres , avant que le nouvel etat ne soit admis dans I'Union. Au reste , faire une constitution aux Etats-Unis , ou Ton a tant de raodeles devant soi , n'est pas difficile. Lorsque le peuple d'un etat croit de- couvrir des defauts dans la constitution, il ne se revolte point : il n'y a point d'emeute ; on tache tout bonnenient d'elire des merabres a la legislature, qui consentent a convoquer une convention. L'etat de Yirginie en offre un exemple reraarqnable. Depuis long-temps, deux partis y etaient en presence, dont I'un voulait renverser la constitution. Ce qu'il y trouvait surtout a redire , etait la fixation d'un cens elec- toral et la repartition de la representation , qui donnait toute I'influence et le pouvoir a la partie de I'Etat la plus anciennement habitee , tandis que la plus nouvelle , quoique maintenant 156 laplus riche, etait tout-a-fait sacrifice. Ceuxqui trouvaient un avantagc a Tancienne constitution la defendaient j les autres I'attaquaient. Les partis etaient presque egaux , et depuis plusieurs annees toutes les elections roulaient sur cette question. La legislature enfin , ne voulant pas trancher la question , ordonna par une loi , qua la prochaine election chacun ajouterait a son vote les mots de convention ou de no conven- tion, et que la majorite deciderait. En effet, le parti des novateurs reussit par une faible majo- rite. La convention fut convoquee , et jamais peut-etre ne siegea une assemblee si remar- quable par ses talens , ses vertus et son expe- rience. Tons les hommes marquans de I'Etat y furent elus, car tout le monde est eligible a une convention , quelque place qu'il remplisse d'ailleurs. Ainsi les membres du congres, les anciens presidens, les juges, tant des Etats- Unis que de I'Etat, les officiers de I'armee federale et de la marine, toutes personnes ineli- gibles par leur place , s'y trouverent reunis. Apres une session tres-longue et tres-orageuse , ils adopterent une constitution qui fut soumise au suffrage du peuple , et passa ainsi a une foible majorite et est de venue la loi fondamentale de I'Etat, Cette constitution etend le droit electoral 157 a tout homme blanc payant des taxes , egalise la representation et change corapletement I'orga- nisation des tribunaux. Ne vaut-il pas mieux s'y prendre ainsi pour reformer les institutions , que de s'entr'egorger pendant quelques annees pour n'obtenir que I'anarchie ou le despotisme? La constitution des Etats-Unis est au-dessus de celles des Etats, de maniere que si quelqu'une de celles-ci contenait des provisions contraires a. celle-la, elle serait nulie de plein droit. Si , par exeniple , une convention d'Etat adop- tait des magistratures hereditaires ou des titres de noblesse , cet article serait considere comme non avenu, et les cours de justice lui refuseraient toute execution. La constitution est done , res- pectivement pour les Etats-Unis et pour chaque Etat, la plus haute loi, et celle centre laquelle aucun pouvoir ne pent legisler. Les traites avec les puissances etrangeres sont I'espece de loi qui tient le second rang en dignite. D'apres la constitution ils sont la loi supreme du pays. De facon que toute loi pent etreabrogeeouamendee par untraite.Cette pro- vision est extreraement remarquable en ceci ; que les traites sont negocies par le pouvoir exe- cutif tout seul, et qu'ils sont ratifies par le pre- sident et le senat seulement; de facon que la 14 1^8 constitution semble donner a ces deux pouvoirs la faculte de detruire a eux seuls des actes auxquels la chambre des representans a aussi concouru. Cette provision pourtant est sage. Gar s'il devient necessaire pour faire un traite de modifier une loi , il est bon de simplifier autant que possible les moyens de le faire. D'ailleurs, comme toute loi de finance doit d'abord etre portee a la chambre des representans, il en resulte que tout traite qui aurait une influence sur les finances de I'Etat ou necessiterait une depense pour etre mis a execution, ne pent I'etre sous ce rapport que d'apres un acte des trois pouvoirs, presente d'abord a la chambre des representans. II s'etablit done toujours un compromis entre les deux chambres , et le senat ne ratlfic qu'apres etre sur que les representans voteront les fonds. Aureste, cette question est encore un peu obscure et ne pourra, comme beaucoup d'autres, etre eclaircie que par des decisions judiciaires. La troisieme espece de loi qui obtienne aux Etats-Unis, sont les statutes, ou lois ecrites. Ge sont les actes passes par le senat et la chambre des representans et approuves par le president. On les public a mesure qu'ils sont passes, et de plus a la fin de chaque session. II en existe deja 159 plusieurs editions avec des notes et des renvois aux decisions des tribunaux qui en expliquent le sens. Mais ceci n'est qu'une bienfaible partie de laloiecrite. En matiere politique ou criminelle, en general les lois des Etats-Unis suffisent dans les cours federales ( a moins qu'elles ne jugent d'apres \3ilexloci, comme je I'expliquerai apres); mais en matiere civile et dans les Etats , cela est bien different. D'abord toute la loi ecrite anglaise, depuis le commencement jusqu'au -4 juillet 1776 obtient. Ensuite les lois promulguees par la legislature de I'Etat depuis le commencement. Dans quelques Etats , comme la Louisiane , le Missouri , le Mississipi , les ordonnances fran- ^aises et espagnoles ont aussi leur part de pouvoir. D'apres la constitution des Etats-Unis, leurs lois sont superieures acellesdes Etats dans les cas tres-rares oii ces deux puissances peu- vent legisler sur la meme matiere. Mais ce qui vient compliquer de plus la matiere , c'est qu'un statute ne doit jamais etre pris isolement , mais qu'il est cense faire partie et etre le complement de tons les statuts in pare materia. Une loi done passee bier abrogeant une loi passee il y a vingt ans , remet en vigueur sans s'en douter une loi passee il y a cent ans , qui ne se trouvait abroge'e que par une clause de la loi d'il y a vingt ans. 160 Dans les dispositions contradictoires , la der- niere loi atoujours I'avantage, amoins pourtant que le sens n'en soit obscur , dans lequel cas il faut I'expliquer par tout ce qui a ete legisle sur la meme matiere auparavant et surtout par les decisions des tribunaux. Des regies d'explica- tions generales existent pourtant : par exemple , tout statut penal doit etre construit en faveur des prevenus; tout statut fiscal en faveur du fisc ; tout statut civil de la maniere la plus equitable { mot technique qui a un sens parti- culier que je vous expliquerai plus tard): niais partout ou le sens est clair, le statut doit etre entendu a la lettre. Le maxime etant sic lex scripta est. Nous arrivons enfin a la quatrieme espece de loi ; celle vraiment qui embrasse , vivifie et har- monise toutes les autres. Je veux parler de la common law ou coutume. Comment vous la definir ? Incube gigantesque qui s'etend depuis les temps les plus reculesjusqu'a nos jours ; etre invisible qui nous enveloppe comme I'air que nous respirons , elle est une , et pourtant con- stamment changeante. Sybille mysterieuse , elle a toujours une reponse satisfaisante pour celui qui la consulte; mais divinite douce, elle permet a ses pontifes de concilier comme ils 161 petivent ses oracles contradictoires , et change sa volonte siiivant leur derniere decision. Son pouvoir couvre, explique , modifie tout; depuis la constitution jusqu'a I'evangile, tout y est soumis : les peuples , les rois et les pontifes , nobles ou roturiers, esclaves ou maitres, tous sont egaux devant elle. Mais si sa puissance est irresistible, elle n'est pas tyrannique. Elle est toujours prete a ecouter un bon avis , a en pro- fiter et a regler tout pour le mieux. Comment pouvoir vous expliquer autrement I'existence decette loi, qui a son origine, si vous en croyez les auteurs legaux, dans les couturaes des anciensbretons, qui fut modifiee par les lois et les usages des Anglo-Saxons; qui, sous les Normands, se mela a la doctrine feodale ; qui suivit pas a pas les progres des lumieres et fut toujours I'expression exacte des besoins de la nation? Oii la trouver pour vous la montrer? Elle change chaque jour dans cliaque Etat. Sir William Blackstone, dans son savant commen- taire , I'a prise pour ainsi dire au vol , et en a fait un portrait qui devait etre tres ressemblant a I'epoque et en Angleterre ; on I'y reconnait bien encore , raais elle est bien cliangce et ame- lioree depuis. Cependant Blackstone est toujours une autorite. Elle consiste en raaximes gene- 14. 162 rales , souvent contradictoires , surcbargees de divisions, de distinctions, de decisions, que Ton explique encore peur de s'entendre ; d'nii cote, par exeniple, Milord Coke vous dit tres-gravenient que Ic sens commun est line partie de la common law {is part and parcel of the law of E mjland) : (pie n'ai-je son livre jjour pouvoir citcr...! mais un pen plus loin il vous ajoute que la religion chretienne, comme elle est entendue par Veglise anglicane de son tenq)s , est aussi une portion de la menie coutunie. En suite il vous dit que la comf/wn law existe de tenq)s innuenioiial. II e\prK[ue ajires que le sens commun dont il jKirle n'est ])as celui de tout le monde, mais un sens connnun legal moule ))rol)al)l('ment sur Tintcrieur de la per- ruque des juges de son temps. Mais a quoi sert-il de vous montrer les absur- dites apparentes de la connnon law? .le pourrais vous en entasser des volumes. Ce serait unebien petite tacbe a la beaute des institutions quelle acrcees.Etpuiscesabsurditesevistent-ellesmain- tenant? Peut-etre en Angleterre, si j'en crois lord Brougham et Jeremie Bentham (homme a systeme et trop passionne pour etre legere- mentpris pour guide), mais en Amerique jepuis afiirmer qu'elles ont presque toutes disparu. 163 En Angleterre il existe un parti tenant, aux vieilles erreurs du temps passe ; il est possi- ble qu'avec les perruques et les robes des tri- bunaux il ait garde la peine forte et dure, le jury de ventre inspiciendo, le ivadger of battel,, et le wadger of law : je ne le crois pas cependant; mais en Amerique, oii le passe n'a pas de parti , ou toute la nation s'elance dans un avenir de gloire , de lumiere et de prosperite , elles ont toutes disparu dans la pratique , et Ton pent dire emphatiquement que le sens comniun forme la plus grande partie de la common law ameri- caine. La loi commune existe avant toute constitu- tion , toute loi ecrite et memo tout tribunal , car c'est elle qui regie la maniere de proceder dans les charabres legislatives , et memo dans les conventions. C'est elle qui indique la ma- niere de rediger les statuts, et des qu'un tri- bunal est cree, c'est elle qui I'investit a I'instant de tons les pouvoirs necessaires a sa conserva- tion, qui regie la maniere d'y proceder, fixe I'etendue de sa juridiction et les fonctions res- pectives de ses difierens officiers. II est vrai que de temps en temps un statut vicnt etourdi- ment se jeter au travers de sa marche , mais le grand toutl'absorbe , Vharmonise , le coordonne avec la masse de la legislation , le commente , Texplique jusqu'a ce que le fond soit ouLlie et que Ton ne connaisse plus que les decisions aux- quellcs il a donne lieu. Y a-t-il un entre cent avocals anglais, ou niille aniericains qui aient lu les f'anieuY statuts de Donis (qui reglent la possession des Liens de main morte et les tenu- res feodales), ou le siMul -of frauds ((|ui regie les garanties reciproques en matiere mobiliere)? On les eite eependant tous les jours, ou, pour luieuxdire, on eite I'incrustationde decisions ju- ridiques qui les recouvrent. ]\lais,medemandcz-vous, oiidone la trouver. ou done I'etudier votre common law? D'aboid dans les livres clenientaires, e'est-a-dire les traltes nonibreux publics sur rensembledelaloi ou ses dillerentes j)arties par des magistrals emi- nens , qui ])rennent soin de citer les decisions des cours sur lesquelles ils s'appuient. On en fait tous les jours de nouvelles editions avec des notes explicatives, des changemens que la loi a rerus depuis le tem])s, et la dcrniere edition est toujours la meilleure. Ensuite dans les rapports des decisions des tribunaux superieurs , ear chaque cour supreme paie un rapporteur, dont I'office consiste a publier les decisions de la cour avec les motifs qui I'ont fait prendre, et un 165 narre succinct de la cause. Comme ces livres de rapports se multiplient a rinfini tant en Angle- terre qu'aux Etats-Unis , on a inventc des Di- ^es^es,c'est-a-dire des tables raisonnees, par ordre alphabetique , des matieres de toutes ces decisions qui vous renvoient a la cause la plus importante ou explicite de I'espece , et abregent de beau- coup le travail de la recherche. Lorsqu'une question douteuse de droit se presente devant une cour inferieure, elle la de- cide d'apres les decisions de la cour d'appel de laquelle elle depend, si cette cour a deja decide. Dans le cas contraire , la cour ecoute les deci- sions des tribunaux anglais , de ceux des Etats- Unis ou des autres Etats , et les opinions des jurisconsultes fameux, comme renseignemens seulement, leur accordant plusoumoinsdepoids suivant la reputation des juges qui les ont emi- ses. Ensuiteelle decide, lejuge charge de deli- vrer I'opinion de la cour le faisant tout aii long par ecrit, et repondant aux raisons donnees par les avocats. Cette opinion , qui reste au greffe , devient la loi de ce tribunal jusqu'a ce quelle ait ete detruite (reversed) par une cour supe- rieure. Chaquepartie qui se croit lesee par cette opinion pent en appeler a qui de droit, et ce n'est que quand la cour supreme des Etats- 166 Unis ou de I'Etat a decide , que la loi a ete flxee surlamatiere. Et encore, comiiie il n'y a jamais eu deux cas entiercment seniblables, il est tou- jours facile a la cour superieure de decouvrir quclque circonstance sufilsante pour detruirc I'analogie apparente et lui permettre de refor- mer la premiere decision. C'est ce que nous autresdu metier appelons, par maniere d'hila- rite , fendre un poil en quatre ; (^e qui n'est pas una des occupations les moins agreables de la profession. C'est done surtout dans les cours que la loi s'apprend; les juges sont ses professeurs, leurs opinions de veritables lecons . comme les plai- doyers des avoeats de veritables (beses. Cela est si vrai qu'en Angleterre il n'existe pas de chaire de common law ' ; ceux qui se destinent au barreau ctant recus dans les etudes des praticiens ' 11 est vrai qu'cn 1758 sir W. Blackslone fut nomine professeur d'uue elasse de covimon law fondee a I'univer- sitedOxfoid , par M. Viner. C'est a cela que nous sonimes redevables de ses excellens conunentaires, mais apres lui la chaire de common laic est entierement devenue una si- necure. Un jeuiie hoinnie qui se destine au barreau n'en pouvant apprendre assez a Tuniversite, et pour les jjens du nionde . la lecture de lilackstnne tilant plus que snlli- sante. 167 les suivant aux tribunaux et vivant en commun, soumis a une discipline universitaire dans des batimens attenant aux palais de justice et ap- peles the inns of courts , ne recoivent d'autre enseignement que de la bouche des juges, vraie source et fontaine de la common law. Pour bien comprendre les difFerentes especes de tribunaux qui existent aux Etats-Unis, il faut les envisager sous difFerens points de vue, et d'abord sous celui de leur origine. Or, toutes les cours ou ont ete creees par la constitution , ou par une loi du pouvoir constitue , ou elles existent anterieurement a toute constitution et toutes lois de temps immemorial. Les cours de la premiere espece sont la clef de la voute sociale ; elles durent autant que la constitution , sont un des pouvoirs coordonnes de I'Etat et au-dessus de toutes les lois de la le- gislature, qui ne pent changer leurs attributions ou leur en donner de nouvelles. La cour su- preme des Etats-CJnis est de cette espece. Sa composition et sa juridiction etant fixees par la constitution, ne peuvent etre changees; et dans plus d'une occasion oii le congres avait juge a propos par une loi de lui confier des fonctions additionnelles, la cour se declara incompetente et considera la loi comme nuUe et non avenue. 168 Dans presque tous les Etats il existe des cours de cette espece, niais voiis ne poiivez vous at- tendre a ce que je vous donne iin corapte de- tallle de la legislation des vincrt-quatre Etats. Elles se ressembient an reste toutes tellement qu'en vous luuntiant celles des Etats-Unis et vous faisant observer les diflcrenees les plus saillantespartout ou elles setrouvent, vous sercz a meme de vous former une idee gcnerale du tout. En general la eonstitution , apres avoir etabli la eour supreme , laisse le soin a la legislature d'etablir les tribunaux inferieurs, de les repar- tir et de les modifier suivant I'interet du mo- ment. Ceri est necessairc dans un pays ou la marrlic do la rivilisation est aussi rapide. Car il arriverait autrement (jue de vastes et popu- leux pays seraient depourvus de tribunaux, tandis qu'il y en aurait trop dans I'endroit par ou la colonisation aurait ronnuence. La loi qui cree ces cours, que Ton i\\)\)v\\Q statu^onj courts, est la condition de leur existence et regie tout ce qui les touche. C'est a elles })ourtant a expli- quercetteloietsd'appliquer, toujours, bien en- tendu, sous la sanction hierarchique de la cour supreme. Toutes les cours des Etats-Unis, excepte la cour supreme , sont de cette espece , 169 qui comprend aussi presque tous les tribunaux d'Etat. Les coiirs raartiales , militaires et nava- les , les cours de chancellerie ou d'equite, ainsi que les cours de corporation , en font generale- ment aussi partie, Les cours martiales doi- vent leur origine aux rcglemens pour le gou- vernenient de I'armee et de la marine , et repon- dent entierement aux conseils de guerre. Les cours d'equite n'existent pas dans tous les Etats. Dans quelques-uns , elles sont etablies par la constitution ; dans d'autres leurs pouvoirs sont confies aux juges ordinaires. Quant aux cours de corporations , elles sont accordees par la legislature aux grandes villes , et sont char- gees de la police correctionnelle dans I'interieur de la cite , et de regler les petits proces civils qui ne depassent pas une certaine somme , qui varie dans chaque cas particulier. Toutes ces cours peuvent etre detruites , modifiees et re- construites d'apres le fiat de la legislature. Les cours existant de temps immemorial, qu'on distingue par le nom de common lata courts, sont celles qui administrent la justice en Angleterre ; I'origine du King's bench se perd dans la nuit des temps. Je crois, mais n'en suis pourtant pas sur, que la cour des common pleas siegeant a Philadelphie existe pareillement de- 15 170 puis la colonisation du pays , sans avoir etc creee par aucune loi. C'est peut-etre la seule cour de record dans cc cas au\ Etats-Unis. Mais tons les juges de pai\ sont dans ce cas. Cost la lo y)rcmier degrc do la liierarchic juri- dique. Leur existence est anterieure a toute constitution ou loi ; leurs I'onetions , tant civiles que criminelles, ainsi que leur juridietion, sont fixeespar la conwionlaw. EUes sont les intones en Angleterre qu'aux Etats-Unis. 11 est vrai que leurs fonetions j)oliti(jues ou administratives varient , ainsi que le mode de leur nomination et la sonnue a laquelle leur juridietion civile s'etend. Ces diflerens objets sont fixes par les constitutions, ou les lois de clia([ue I'^tat. Tous les juges de paix des Etats sont en commun aux Etats-Unis, et remplissent leurs fonetions aupres des cours federales ; ce sont les seuls magistrats c[ui jouissent de cette double capa- cite. Une ,autre maniere d'cnvisager les dilfe- rentes cours, est par leur dignite. Elles se divi- sent en cours of record et not of record. Celles qui sont de la premiere espece , sont munics d'un greffe ou record qui est suppose rapporter fide- lement tout ce qui s'est dit et fait par la cour, ou devant la cour depuis son origine , d'une 171 maniere non interrompue. La verite du record ne peut etre mise en doute ni contredite dans aucun cas ; et j'ai vu une partie etre mise hors de cour, parce que, par une erreur denom , elle avail ete marquee comme morte sur le record. C'est la verite absolue ; on peut I'inspecter, en payant le greffier, et en avoir des extraits sous le sceau de la cour, qui font foi jusqu'a ce que Ton prouve une erreur de copiste , ou un faux (diminution of record). Toutes les cours civiles et criminelles sont courts of record, et comme telles , jouissent en vertu de la common Imv du droit de punir par la prison et I'a- mende de toute insulte qui leur serait faite soit directement, soit en desobeissant a leurs ordres et arrets. Ainsi, des qu'une constitution ou une loi etablit une cour et dit qu'elle aura un greffe, elle lui donne en meme temps un pouvoir bien defini par la loi commune. Les cours martiales , les juges de paix , et quelques cours de corporation , ne sont pas de record ; tout y est cense fait d'une maniere orale, et elles ne gardent aucun registre de leurs trans- actions. II est vrai que les juges de paix, dans quelques Etats, sont autorises a tenir certains re- gistres , mais ils ne jouissent pas de la saintete du record et ne sont consideres que comme memorandum. 172 Nous arrivons enfin a la distinction la plus importante entre les differentes cours, je veux parler de leur juridiction. Je vais tacher d'ex- pliquer clairement la diflerence qui existe entre celle des cours fcderales ct cclle des cours d'Ktat, faisant observer qu'en exposant la juri- diction des premieres , j'cxpose aussi celle des secondes, car ccllcs-ci out juridiction plelne et entiere en tout cc qui , par la constitution des Etats-Unis , n'a pas ete attribue a celle-la. Jo considererai done d'abord la juridiction civile, criminclle , d'equitc et d'amiraute des tribu- naux federaux , d'apres ce qui la leur donne : le lieu J la pcrsonne et la matitrc { Jurisdiction in loco, in persona , in subjecta materia). J'ana- lyserai ensuitele systeme federal des Etats-Unis, et ferai voir de conibien de cours il est com- pose , et leur juridiction origitielle on d'appel (original ou appellate). Je ferai ensuite la memo chose pour les cours de quelques Etats. Pour commencer done , la juridiction civile in loco des cours federates s'etend sur le district de Columbia, oii est situe Washington , sur les terrains ou cette juridiction a ete cedee aux Etats-Unis par un acte special d'un Etat, et sur tout le territoire immense appartenant a rUnion , et compris hors des limites des Etats. 173 Dans tons ces cas , les cours suivent la lex loci ou jurisprudence locale. II y a un peu d'incer- titude pour savoir si la juridiction dcs cours federales s'etend aussi , et jusqu'a quel point, sur les terrains des Indiens qui sont enclaves dans les limites des Etats. Leur juridiction civile in persona s'etend a toute cause oii les Etats-Unis , un de leurs offi- cierscomme tel, ou un etranger,. sont parties, a celles entre deux etrangers ou des citoyens d'E- tat different , et enfin entre un Etat et le ci- toyen d'un autre Etat. Les cours sont encore , dans ces cas, obligees de se conformer a la juris- prudence locale. Leur juridiction civile in suhjecta materia embrasse tous les cas auxquels la constitution des Etats-Unis , les traites avec des puissances etrangeres ou les lois des Etats-Unis donnent lieu, et dans ce cas, elle juge d'apres la consti- tution et les lois des Etats-Unis : tout proces de la ban que des Etats-Unis , par exemple, est porte devant ces tribunaux, parce que c'est une institution fedcrale devant son existence a un acte du congres. Tout le contentieux de I'admi- nistration des Etats-Unis et de son fisc leur ap- partient egalement. Aux Etats-Unis, comme en Angleterre, la 15. 174 juridiction criminelle est confiee aux memes tri- bunaux, II n'y a pas de cour civile et de cour criminelle distincte. La Louisiane est le seul Etat oiicette distinction ait lieu et oii il existe un tribunal dont la juridiction soit purement cri- minelle. Toutes les autres cours , tant d'Etat que federales, jugent, pendant les assises, des causes oriminelles etciviles pele-mele. Pour que la juridiction criminelle des cours des Etats- Unis obtienne in loco, il faut que le crime ait ete commis ou dans le district de Columbia , ou dans des endroits oii cette juridiction a ete cedee par un Etat, comme cela est le cas dans les forts, arsenaux et chantiers des Etats-Unis , ou hors des limites des Etats, ou enfin en pleine mer. Dans tons ces cas , excepte le der- nier, la cour applique la peine fixee par les lois locales ; dans le dernier , lc3 lois des Etats- Unis. II n'y a que la qualite d'ambassadeur ou con- sul etranger qui donne aux cours federales lajuridiction criminelle in persona, et alors elles jugent toujours d'apres la loi locale. Toute action rendue criminelle ' ou punie comme telle par la constitution, les traites ou les lois des Etats-Unis , donne a leurs cours la juridiction criminelle i7i subjecta materia ; ainsi 178 done rebellion contre les 6tats-Unis , fabrica- tion de fausse monnaie , attentat a la siirete de la poste, etc., sont des crimes dont la connais- sance est reservee aux cours federales , qui se conduisent alors d'apres les lois des Etats-Unis. Faites bien attention que les cours des Etats- Unis , etant creees par une loi , n'ontde juridic- tion que dans le cas compris dans cette loi, et que comme tout statut penal doit etre construit en favour des prevenus , a moins qu'un crime ne soit bien clairement prevu par les lois , quel- qu'attentatoire qu'il soit a la paix et a la dignity des Etats- Unis ( comme est la phrase technique), elles ne peuvent pas le punir. Le cas serait dif- ferent si elles derivaient leur pouvoir de la loi commune , parce que celle-ci a tout prevu. Avant de voiis exposer en quels cas les cours federales exercent une juridiction d'equite ou de chancellerie (ce qui est synonyme) , il faut d'abord que je vous explique maintenant ce que c'est. Lors de la renaissance des lettres, les pretres etaient presque les seuls lettres , I'Eglise avait ete presque la seule pendant long-temps a profiter de la decouverte des Pandectes et les avait incorporees dans le Droit-Canon. Ce Droit devint plus ou moins celui de I'Europe au bout de quelques siecles , excepte en Angleterre , oii 176 le pouvoir feodal des barons et I'esprit turbulent des communes resisterent constamment a son introduction. De la naquit une lutte continuelle entre les tribunaux civils et criminels , oii Ton suivait la coutume ou common Imc , et les cours ecclesiastiques qui jugeaient suivant le Droit- Ganon. Cette juridiction ecclesiastique existe encore en Angleterre pour toutes les causes de divorce, de preuves testamentaircs , etc. ; mais aux Etats-Unis , elle est attribuee aux tribunaux ordinaires , excepte dans la Caroline du Sud , et peut-etre encore un ou deux Etats qui ont des cours laiques particulieres revetues de cette ju- ridiction. Les tribunaux laiques cependant resis- terent avec succes aux empietemens des juges ecclesiastiques en Angleterre , et restreignirent toujours de plus en plus leur juridiction. Mais cependant les chanceliers d'Angleterre , qui , dans ces temps recules , etaient toujours eve- ques, faisant en meme temps les fonctions d'au- raoniers et de directeurs de la conscience du roi (titres qu'ils conservent encore aujourd'liui) , s'arrogerent un pouvoir discretionnaire qui est descendu a leurs successeurs laiques dans tons les cas oii les lois ordinaires n'offraient pas de remede. lis etaient censes rendre la justice, non d'apres des lois fixes , mais d'apres leur con- 177 science et I'equite naturelle. De la Topposition que Ton fait toujours en anglais entre loi et equite. II arrive souvent que la loi, suivant des decisions anterieures etdes formes certaines et lentes , ne pourrait rendre vraiment justice aux parties , ou meme deciderait injustement. Dans tous ces cas , c'est au chancelier qu'on a recours, et c'est lui qui donne un remede. II a done le pouvoir , par des writs particuliers , de suspendre tout proces dans les cours de lois , ou raeme de suspendre I'execution de leurs juge- niens. II ne pent pourtant jamais connaitre d'une question de fait, mais quand elle se presente il doit la renvoyer devant un jury et une cour de loi qui lui fait le rapport du verdict, et lui, ensuite , statue au fond. Le chancelier procede seul, sans jury, sur des depositions ecrites, prises devant des commissaires. Son pouvoir est cense entierement discretionnaire ; mais comme les decisions de ses predecesseurs sont consignees dans des livres de rapports , il est oblige de s'y conformer, ainsi qu'aux formes recues dans sa cour. II ne rend pas de jugement, mais donne des ordres ou des defenses , et toutes les contraventions sont considerees comme une insulte a la cour , et punies par des araendes et emprisonnemens successifs , jusqu'a 178 ce qu'ils contreignent les parties recalcitrant es a Tobeissance. II me serait difficile de vous faire comprendre cettejuridiction sans vous enciter des exemples. 11 faut vous dire d'abord que la cour de chancellerie est toujours ouverte , jour et nuit , tandis que les cours de loi ne le sont qu'a certain temps de Tannee. Si, par exemple, tandis que j'ai commence une action devant une cour de loi contre quelqu'un , il se dispose a se soustraire a la juridiction de la cour en quittant le pays , sur ma petition au chancelier , il emettra le torit de ne exeat , par lequel il lui de- fend de partiravant de lui avoir prouve, contra- dictoirement avec moi, que mes interets n'en souffriront pas , ou d'avoir donne caution , soit pour son retour en temps utile, soit pour le paiement de la dette en cas de condamnation. Si une dispute existe sur la propriete d'un im- meuble et que la partie en possession abatte les maisons , coupe les arbres ou endommage la propriete , de quelque maniere que ce soit , le chancelier donne une injunction to stay waste, De raeme il pent par une injunction to stay pro- ceedings , defendre a une partie d'intenter un procesavant qu'un autre ne soit juge, ou meme , en cas de dol manifesto, defendre d'intenter une action avant d'avoir sa permission, ou faire 179 surseoir a rexecution d'un arret, afin|de sauver les droits d'un tiers. Dans tons les cas oii il s'agit de fidei-cotnmissaires [trustees) et de mineurs, le chancelier intervient pour s'assurer que jus- tice soit faite suivant I'intention du testateur ou du fondateur de la trust. II peut ordonner Fexe- cution specifique d'un contrat en expliquant ce que les parties ont equitahlement droit d'exiger les unes des autres , etc., etc. Les Etats-Unis n'ont pas de chancelier. Quel- ques Etats en ont ; d'autres ont des cours de chancelleries avec plusieurs degres d'appel; d'autres enfin n'en ont pas , mais dans ce der- nier cas les pouvoirs de chancellerie sont con- fies auxjuges ordinaires: de facon que, si d'un cote, commejuges de loi, ils prennent connais- sance d'une action, de I'autre, commejuges d'equite , ils defendent aux parties et a eux- memes de passer outre. Cela est le cas des cours federates : elles peuvent enjoindre les cours d'Etats et celles des Etats-Unis , en suivant la hierarchic. D'apres ce que j'ai dit, il est facile de voir que la juridiction equitable des cours federales est coextensive a leur juridiction ci- vile, puisque , pour ainsi dire , elle n'en est que le complement; et corame celle-la, lorsqu'elle 180 s'applique in loco et in persona, elle suit la juris- prudence locale. Nous arrivons enfin a la juridiction d'ami- raute, qui appartient entierement aux cours federales. Elles jugent d'apres le droit maritime universel , et les lois des Etats-Unis particu- lieres a la matiere ; leur maniere de proceder dans tons les cas in perso7iam , est celle de la common law, c'est-a-dire un jury et I'audition orale des temoins , et dans tons les cas in rem les formes du droit civil , c'est-a-dire sans jury et par depositions ecrites. Elles sont toujours obligees cependant de se conformer aux deci- sions anterieures des cours qui leur sont supe- rieures dans la hierarchic , de facon que meme le droit maritime et I'equite sont regies et font partie de la common laio. Aucurie cour ne pent prendre I'initiative en rien , excepte celle d'insulte flagrante a sa di- gnite , de facon que tout est ignore jusqu'a ce qu'elles en aient recu connaissance , d'apres les formes voulues. II arrive done que les cours federales ne savent jamais ce qui se passe dans les cours d'Etats , a moins qu'une des parties ne vienne les mettre en possession des faits. Mais il existe beaucoup de cas oii la juridiction des cours federales et des cours d'Etats est concur- 1BI rente , par exemple , la juridiction civile in persona ; car c'est un privilege que la constitu- tion a voulu donner a un etranger , que de pou- voir plaider devant les cours federales ; et il pent y renoncer , en portant son action devant une cour d'Etat , ou ne la recusant pas comma incorapetente. La cour d'Etat n'est pas obligee de le connaitre comme etranger, et une fois quelle est saisie d'une affaire, il est trop tard pour opposer des fins de non recevoir. Beau- coup de ces conflits de juridiction cependant n'ont pas encore ete decides et ne le seront qu'a mesure qu'ils seront portes a la cour supe- rieure des Etats-Unis. Tout le territoire des Etats-Unis convert par les Etats, est divise en c?/5^r?c^5 judiciaires, dans chacun desquels siege une district court. Elle tient plusieurs terraes par an , dans diffe- rentes villes du district , suivant des lois parti- culieres, qui cliangent en raison des besoins de la population; et outre cela, elle est toujours ouverte comme cour de chancellerie et d'ami- raute. C'est a ces cours que toute affaire doit etre d'abord portce. II n'y a qu'un juge par district. Plusieurs de ces districts reunis forment un circuit, qui a une circuit court , composee des 18 182 juges de districts reuiiis , et presidee par un circuit judge. Ccttc cour siege dans les dilFeren- tes villes de son ressort , et sa juridiction se borne a ccouter les appels des cours de districts, sur Icsquels elle statue definitivement, si la somme en litige n'excede pas 5,000 dollars. De meme que les autres cours , elle est censee tou- jours ouverte aux plaideurs , en chancellerie et amiraute devant le juge de circuit. Les sept juges de circuits se rcunissent enfin a Washington , le premier lundi du mois de Janvier de chaque annce , et constituent la su- preme con it of the United-States J le j)lushaut tri- bunal du pays. 11 est preside par un des juges de circuit, qui a le titre de chief justice. Cette place est reniplie dans ce moment par le vene- rable John Marshall , un des plus profonds ju- risconsultes et des hommes les plus integres et les plus eclaircs qui aient jamais vecu. C'est a lui peut-etre et a ses vertus qu'est dii beauconp du respect dont ce tribunal est entoure. Le pouvoir de cette cour est immense, car c'est elle en dernier lieu qui decide de tons les points douteux de la constitution , et qui refuse d'exe- cuter les lois du congres etdes Etats lorsqu'elles lui sont contraires. Jusqu'ici elle a pleinement justific la confiance que Ton a reposcc en elle , 183 et je la regarde comme le premier pouvoir des Etats-Unis , et comme celui qui conservera tous les autres en harmonic, tant que la constitution sera la meme. Sa juridiction est purement d'ap- pel , excepte dans les causes criminelles contre les ministres ou consuls etrangers, oii elle a une juridiction originelle. Le district de Columbia et les territoires hors les limites des Etats , ont des courspartictdieres et provisoires, jusqu'a ce qu'ils deviennent Etats eux-memes. L'appel en definitive vient toujours a la cour supreme des Etats-TJnis. Dans tous les Etats , excepte celui de la Geor- gie , un systeme a pen pres semblable est suivi ; le nombre de degres varie depuis deux a trois , mais partout il y a une cour supreme ou meme deux, lorsqu'il existe des cours d'equite sepa- rees ; partout les cours inferieures siegent en diflferens endroits plusieurs fois par an , de ma- niere a amener la justice a la porte des plai - deurs. Chaque Etat a done une unite legale , un tribunal qui rend les oracles de la common laio de cet Etat et qui explique les lois de sa Icgisla ture. Mais I'etat de Georgie en a huit ! ! G'est le nombre des districts dans lequel I'Etat est di- vise. Dans chacun il y a un juge qui est elu tous les trois ans par le peuple , et qui tient , a ISA diifcrens termes , en differens lieux de son dis- trict , deux sortes de cours , inferior court et superior court : la premiere est une cour de pre- miere instance; la seconde une cour d'appel oii il est aide par un jury special ( c'est-a-dire choisi d'une maniere particuliere par les parties), de facoii que Fappel d'une cause se lait devant le meme jugc qui est aussi revctu des pouvoirs de chanccllerie , ct dont les decisions dans son district sont definitives, car il n'existe pas de cour supreme. 11 y a done liuit common laws en Georgie , et encore elles changent tous les trois ans ! ! Systcme absurde qui n'a pas ete introduit depuis long-temps, ct ne saurait durer au mi- lieu d'une nation aussi eclairee. Toutes ces cours de record^ tant celles des Etats-Unis que des Etats , sont chargees de main- tenir et laire executer la constitution et les lois, cliacune dans son ressort , et d'empecher tout empietement. Comme je I'ai deja dit, la cour ne pent jamais prendre rinitiative , avant que la partie lesee ne vienne la saisir de sa plainte ; mais alors la constitution et les lois la revetent de pouvoirs trcs-etendus, d'apres la common law, pour leur defense. Ce sont les writs ( ou pour me scrvir du vieux mot normand dont les anciens auteurs de loi font usage , les 185 brefs ) , d'habeas corpus , de mandamus et de quo warranto. Par le premier de ces brefs , la cour ordonne a toute personne qui s'est saisie de la personne d'une autre, d'avoir devant elle a tel jour, et heurc, ie corps d'un tel, ou de dire les raisons qui Ten empeclient. Ge bref est emis par le greffier d'apres I'ordre d'un juge , sur la de- mande non seulement , des parties mais du pre- mier venu ; il Test toujours sans nul delai. La personne a qui il est dirige doit representer le sujet du bref au juge. Aucune autorite ne pent resister a I'execution de ce bref. Si done quel- qu'un est arbitrairement detenu par une auto- rite queleonque ; par exemple : une jeune personne enfermee par ses parens pour la for- cer a un manage, un soldat par son offi- cier pour le contraindre a se reengager , un matelot retenu a bord apres son temps de service expire , un creancier prevenu ou cri- minel en prison plus long-temps que la loi ne I'autorise , un negre arrete sous pretexte qu'il est esclave, une religieuse renfermee dans un convent, etc., etc. Dans tons ces cas,la partie lesee, par elle-meme ou par un defenseur officieux, pent demander ce bref, et etre menee devant le juge , qui statue sur la cause de son 16. 186 .uTCstation ou detention ct la fait remettrc en llbcrtc s'il y a lieu. La eour pourtant sur nn bref d' habeas corpus ne decide pas le nierite de la eause de Tarres- tation,niais seulenient la lejjalite. Si,parexeni- ple, un brel" iVhabeas corpus est adresse a un {jeolier pour qu'il represente le corps d'un })ri- soiniier (pii se plaint d'etre ille^alenient detenu et qu'il repondeau bref par unecopiederecroue [comtnifment) ^ faisant voir qu'il est detenu par I'ordre d'une eour qui a une juridietion conipetente, cela suffit , car le ])ris()iniier a (Taut res nioyens de faire juger le nierite de son arrestation , soit ])ar un appel ou une plainte en cassation (writ of error ou bill of exception) ; niais s'il est delenu par ordre du pouvoir exe- cutif, d'un ollicier niilitaire, ou de toute autre nianiere illegale , la eour le fait immediatement niettre en liberte, et de plus il a son action en dommajjes et interets contre son detenteur pour false imprisonment, Le icrit de maiidamns est accorde a toute personne Icsee par le refus d'un olTicier public ou d'une corporation ])olitique , de remplir son devoir. II est d'abord accorde , sous une i'orine alternative , de faire telle chose , ou dire la rai- son du refus. Gc n'est ([u'apres avoir entendu 187 les parties que la cour rend le mandamus pe- remptoire , s'il y a lieu. Si , par exemple , une personne a droit a une piece de terre , en vertu d'une loi , et que Tadministration des terres publiques se refuse a la luidonner; si unhomme a ete nomme a une place , et que I'officier qui en est charge se refuse a lui remettre son brevet, lui faire preter serment , ou le reconnaitre en cette qualite ; si un juge de paix ou toute autre cour inferieure se refuse a exercer un acte de son ministere ; dans tons ces cas , le href les oblige a le faire , a moins qu'ils n'aient unfe excuse legale. Mais ce ivrit n'obtient que lors- qu'il n'y a pas d'autre remede , et ne s'applique pas aux actes judiciaires ; car une cour supe- rieure pent bien , par un mandamus, ordonner, dans certains cas , a une cour inferieure , de prononcer i«wjugement, mais non lui dire quel jugement. Ce n'est qu'en appel ou cassation qu'elle pent prendre connaissance de I'arret prononce. Le troisieme writ , celui de quo tvarranto , est un bref par lequel la cour deraande a une autorite constituee quelconque , de quel droit [h\j what warrant) elle s'arroge tel ou tel pou- voir. Sur ce ivrit\2i cour juge an fond , et meme en cas d'usurpation de pouvoir , et si la demande 188 du writa.et6fa.ite parune information criminelle , elle }>asserait sentence contre la partie coupa- ble. Ces trois tvrits sont la sauve-garde de la liberie du citoyen , en ce que le premier assure sa personne contre toute detention arbitraire, le second empeche la negligence des magistrats et les force a executer les lois , tandis que le troisieme einpeche tout empietement de pou- voirs. Je ne puis concevoir de liberte civile la ou des pouvoirs analogues a ceux que ces writs donnent aux cours n'existent pas. Le retard ou le refus d'obeissance a ces ivrits est puni extre- mement severement , comrae insulte a la cour, non par une peine dxe , mais par un emprison- nement et des amendes qui se prolongent et se repetcnt jusqu'a ce qu'on ait obei. Des pou- voirs aussi etendus ne sont pourtantpas dange- reux , parce que les cours n'ont point d'initia- tive , et que le fils ou la femme du juge seraient illegalenient arretes; il ne pourrait en prendre connaissance que si un tiers venait en porter plainte. Rien n'est simple comme I'organisation iTun tribunal en Ameri que. Ceux des Etats-Unis sont, en general, composes d'unseuljuge; c'est aussi le cas de presque tous les tribunaux inferieurs d'Etats. La cour supcrieure des Etats-Unis est , 189 je crois, le tribunal le plus nombreux derUnion. Les juges des Etats-Unis sont nommes par le president , avec le consentement et de I'avis du senat pour tout le temps qu'ils se comporteront bien , et ne sont amovibles qu'en consequence d'unjugement du senat, siegeant comme court of impeachment ; car toutes les foisqu'unjugeou quel que autre fonctionnaire des Etats-Unis, fut-ce le president, donne lieu a des plaintes fondees dans I'exercice de ses fonctions , au ju- gement de la chambre des representans , celle-ci le traduit devant le senat , qui statue definiti- vement sur la plainte en destituant le fonction- naire. C'est la la seule fonction judiciaire du senat, qui n'est pas, comrae la chambre des lords en Angleterre , la cour de justice supreme du pays. Dans tons les Etats , excepte en Georgie , ou ils sont eligibles et changent tous les trois ans , les juges sont inamovibles , a moins d'etre juges, ou par le senat ou par les deux cliambres de la legislature reunies. Dans I'Etat de New-York seulement , tout juge quitte ses fonctions a I'age deGOans, ce quip rive le peuplede sesmeilleurs magistrats. Presque partout ils sont nommes par le gouverneur. Dans quelques Etats pourtant ils sont elus par la legislature. Ils sont partout 190 tres-bien payes (peut-etre pas encore assez pour- tant) , et jouissent d'une grande consideration et de beaucoup d'influence. Le juge forme bien la cour a lui tout seul , mais il nepourrait pas proceder sansles ofllciers de la cour, qui sont ; le clerk, le sheriff et ies avocats. Le clerk on greffier , est un personnage tres-important. C'est lui qui tient le i^ecord et qui emet Ies tvrits ou ordres de la cour. II est en general a la nomination des juges ou elu par le peuple , et est paye par Ies piaideurs pour chaque acte de son ministere. C'est lui qui ad- ministre tons Ies sermons , dont il y a profusion dans une cour americaine. Mais le sheriff" {que dans Ies cours des Etats- Unis on appelle tnarshal) , est un homme bien autrement important. C'est I'liuissier de la cour, tant au civil qu'au criminel. II y en a un par comte, qui, est I'officier de toutes Ies cours de I'Etat qui y siegent. De meme dans chaque dis- trict des Etats-Unis , il y a un marshal qui exe- cute Ies jugemens de la Cour et sort ses proces. Ce que je dis d'un de ces fonctionnaires s'appli- que done a I'autre. Les marshals sont nommes par le president ; les sheriffs , en general , sont elus par le peuple des comtes ; cependant , dans quelques Etats, je crois qu'ils sont nommes par 191 les gouverneurs ou les legislatures. Ces places sont extremement lucratives , mais elles entrai- nent une tres-forte responsabilite , et les sheriffs sont obliges de donner de tres-forts cautionne- mens. Quoiquele sheriff' soit unhomme qui sorte rarement de son bureau , et agisse presque tou- jours par ses deputes ou remplacans , dont il a un nombre illimite , cependant c'est lui qui est charge de faire toutes les sommations, do servir tons les imits, c'est-a-dire de les communiquer aux parties ou de les executer lorsqu'ils lui sont adresses. C'est lui qui vend les proprietes des debiteurs , ou les arrete , s'ils ne peuvent payer autrement , et donne possession des immeubles en contestation a celui en favour de qui la cour decide. II poursuit et arrete les prisonniers, les garde et les execute s'ils sontcondamnes. Enfin, la cour ne connait que lui . C'est lui qui est respon- sablea la cour de I'execution de ces writs , et doit cndosser dessus chacun le return , c'est-a-dire le resultat. Par exeraple , sur le dos d'un capias ad respondendum (sommation de comparaitrc) , il endosse ou : execute tel jour , en donnant une copie a lapartie ou a sa femme, etc. ; ou bien : Non est inventus, s'il n'a pas pu le trouver. De meme sur un tvrit de 'venditioni exponas, il en- dosse : j'ai vendu telle propriete tel jour pour 192 taut , et ai dispose des fonds de telle maniere ; et ainsi dii reste , tant au civil qu'aii criminel. Tous ces 'Writs, ainsi retournes ^ restent au greffe. II a la faculte, lorsquelecas est litigieux, de faire un special return , c'est-a-dire de de- taiiler tous les faits qui out accorapagne I'exe- cution ou la non execution du ivrit , afin que la cour specific dessus. II est investi d'un pouvoir auquel personne n'a le droit de resister. II peut arreter qui il veut , saisir et vendre toute pro- priete. II a a ses ordres des huissiers , consta- bles , sergens , records , geoliers et Lourreaux , autant qu'il en peut avoir besoin. II peut non seulement requerir I'aide de I'armee des Etats- Unis, ou de la milice, mais il peut aussi ap- peler le /?osse comitatiis , c'est-a-dire , ordonner a tout habitant du comte de I'aider et de lui preter main-forte. On I'a meme vu ordonner au juge de descendre de son siege pour lui preter son assistance a arreter quelque malfaiteur re- calcitrant. Enfin , c'est le pouvoir physique de la societe ; personne ne lui resiste. Mais s'il est investi de pouvoirs aussi considerables , il est strictement responsable de tout ce qu'il fait. S'il se trompe , et m'arrete pour un autre , je le poursuisen dommages etinterets, et meme d'une maniere criminelle s'il s'est permis des se vices 193 sans provocation. Je ne defends pas ma pro- priete contre lui , mais le rends responsable de tout dommage qui pourrait m'en resulter. La double responsabilite du sheriff est tellement bien equilibree qu'il n'en resulte jamais de dan- ger pour la propriete ou la liberte individuelle , et les affaires se trouvent considerablement sim- plifiees en etant toutes reunies dans une seule main.Outrecesfonctions , le sheriff e^iixw&siQ.Gini qui rapporte le resultat des elections tenues dans le comte ; dans quelques Etats il est aussi percepteur des contributions. Ces places sont tres-considerees et tres-reclierchees , et sont entierement payees par les parties. Mais quelque bien constituee que soit la cour , son enceinte resterait muette et deserte sans les avocats. Les tribunaux et les plaideurs ont certainement ete inventes pour eux , car ils sont ceux a qui ils profitent le plus. II n'y a aux Etats-Unis qu'une classe d'hommes de lois , lawyers, ce sont les avocats. Ils font les fonc- tions de notaires , procureurs , avoues , etc. ; leur titre legal est counsellor at law ou conseillers es lois. lis sont officiers de la cour, et comme tels pretent serment de bonne conduite , et sont sujets a un systeme disciplinaire. Ils peuvent etre suspendus ou meme casses par le tribunal. 17 19-4 lis sont admis sur un examen , qui a lieu en pleine cour, sans qu'aucun cours d'etudes prea lable soit necessaire. Les Etats-Unis et les Etats emploient un conseiller Eiupves de chacunedeleurs cours, mais cela ne le constitue pas ministere public. Les Etats-Unis sont son client , voila tout. II parait dans toutes leurs causes civiles ou criminelles ; et comme ces dernieres sont toujours poursui- vies au nom des Etats-Unis , ou du peuple de I'Etat , c'est lui qui plaide pour eux ; mais c'est bien le peuple lui-meme , par son grand jury, qui poursuit. II est paye comme tout autre avocat, en fournissant a la fin de chaque terme le compte de ses-honoraires, que le juge cer- tifie. La place d'avocat des Etats-Unis est tres- recliercliee , parce qu'outre d'etre assez lucra- tive, les Etats-Unis etant de tres-bons cliens et payeurs , cela donne la precedence au barreau ; mais voila tout , carle district attorney ( comme on Tappelle) pent etre suspendu par la cour, ou meme casse comme tout autre praticien; rien ne rempeclie non plus de se charger d'autres causes, pourvu qu'elles ne soient pas contre les Etats-Unis. L'avocat des Etats-Unis aupres de la cour supreme a le titre d'avocat - general ( attorney 195 general)', il est le chef du barreau , le veritable miiiistre de la justice. Les cours dtant tout-a-fait independantes , tant du pouvoir executif que du pouvoir legislatif , ce n'est que comme partie que le premier peut paraitre devant elles. Tous les district attorneys recoivent les ordres , les instructions , les consultations de Y attorney general. II donne des consultations aux officiers du gouvernement dans tous les cas douteux. II ordonne de faire ou de cesser les poursuites partout ou le fise ou les Etats - Unis sont con- cernes. Mais c'est lui-meme qui plaide leurs causes devant la cour supreme , ou meme devant les cours de circuits , lorsqu'elles sont tres- importantes. II est considere comme faisant partie du cabinet du president. Mais, maintenant que la cour est constituee, il faut tacher de vous la montrer en action. Mais pour cela il faut avoir des jures. Quelque temps done avant la tenue du terme , et suivant les delais requis par la loi , et qui varient dans chaque etat , le clerk remet au sheriff deux writs de venire facias, par I'un desquels il lui commande Aq faire veniruYi grand jury , et par I'autre un ou deux pannels de quarante-huit petits jures cbacun , ayant soin de choisir boni et legales homines. Les qualites necessaires 196 d'apres cette clause, varient uii peu dans les differens Etats ; cependant elles sont en general les memes que celles necessaires pour voter, c'est-a-dire , d'etre libre , majeur , et de payer une taxe quelconque. Pour etre du grand jury , il faut de plus etre housekeeper , c'est-a-dire chef de menage. Le ^Aen^/'cliolsit les jures en rotation sur une liste , qu'il a de tous ceux qui peuvent servir dans son ressort, de manlere pourtant a ce que toutes les parties de son comte ou dis- trict soient aussi egalement representees que possible. II consulte aussi leur convenance, en appelant ceux qui ont d'autres affaires au lieu ou se tient la cour, et laissant de cote ceux que cela derangerait trop . Cela p ourtant est obtionnel pour lui , car ceux qui sont appeles doivent venir. Au jour fixe par la loi , le juge et tous ceux qui ont affaire a la justice , ou sont attires par la curiosite , se rendent a la court house. Aucun costume particulier ne distingue ni le juge , ni personne. L'on ne voit ni gendarmes, ni soldats d'aucune espece. Une espece de tribune recoit le juge. G'est le bench , des bancs sont prepares de chaque cote , pour les jures. Le clerk est assis a sa table , immediatement au-dessous des juges. Les avocats, ranges autour d'une table 197 dans .renceinte , qui leur est reservee. L'au- dience derriere. Le sheriff ei ses gens, partout oil ils veuicnt. Des que la cour a pris sa place , le sheriff' ouvre la cour par une proclamation a haute voix. Tout bruit cesse , car ce qui n'etait auparavant qu'une reunion composee de citoyens egaux, devient par le fait de la proclamation un tribunal. Le sheriffs endosse sur les venire les nonis des personnes qu'il a choisies. Le clerck les appelle. Celles qui ne sont pas presentes , sont mises a I'amende , on meme , s'il n'y a pas d'excuses , emprisonnees pour insulte a la cour. On com- mence toujours par le grand jury. II faut qu'il soit compose de plus de douze , et de moins de vingt-quatre personnes , en general de seize a vingt-trois. Des qu'ils ont repondu a leurs noms , qu'ils sont entres dans I'enceinte , que le juge a statue sur les raisons que quelques- uns d'entre eux donnent pour s'excuser, et qu'il a nomme un foreman ou president, le clerk leur fait preter serment de s'enquerir de toute contravention aux lois qui a eu lieu dans le comte, et de le representerk la cour, n'accusant personne par malice , ne permettant a aucune €rainte de les empecher d'accuser personne , et degarder strictement secret toutce qui se passe 17. 198 devant eux, ou tout ce qu'ils apprendront. Ce serment prete , le juge leur delivre ses charges ^ c'est-a-dire une espece d'adnionition dans laqiielle il les instruit sur leiirs devoirs, leur communique les changemens qui pourraient etre survenus dans la loi criminelle , et appelle plus particulierement leur attention sur telle ou telle loi, suivant les circonstances. Cela fait, Je grand jury ou la grande enquete , (the grand inquest for the county ) se retire dans la chambre qui lui est preparee. II recoit immediatement un rapport de chaque juge de paix , de tons les prevenus qu'il a fait arreter, ou pour la compa- rution desquels il a recu caution, avec la cause de leur arrestation, et la liste des temoins a charge. Car si le sheriff o\i meme tout citoyen, sur des presomptions legitimes , peut arreter un individu, il faut que dans le plus court delai il soit mene devant un juge de paix , qui seul a le droit de I'ecrouer ( commit) ou lui faire donner caution [hail) et qui estresponsable en domraages et interets d'une detention illegale. Le juge de paix examine I'accuse et les temoins a charge et a decharge. S'il croit qu'il y ait lieu a suivre, ilfait donner caution , non seulementa I'accuse, mais aux temoins a charge , et les represente corame nous avous vu au grand jury, le jour de 199 Touverture cles assises. S'il ii'y a pas lieu a suivre, il fait elargir I'accuse immediatement. Le grand jury est muni par le district attor- ney d'un indictment ou acte d'accusation , au nom du peuple ou des Etats-Unis ou du jury lui-meme , suivant Ics formes locales ; ils en •examinent la proLabilite , en n'ecoutant que des temoins a charge, et sans jamais questionner le prisonnier, qui pent toujours retracter les con- fessions qu'il a faites devant le juge de paix. Car c'est une des premieres maximes de la common law, qu'un prevenu ne pent rien dire contre son interet. Si le grand jury trouve qu'il y a proba- bilite de crime, le president endosse sur V in- dictment : a true hill, un vrai hill; mais s'ils croient le prevenu innocent , il ecrit : ignoramus, et le prisonnier est elargi de suite. Tons ces pro- cedes ainsi que I'audition des temoins , et pour cause facile a comprendre , sont tonus stricte- ment secrets. Mais ce n'est pas seulement les juges de paix qui ont droit de porter plainte devant le grand jury ; ce droit appartient a tout le monde , c'est peut-etre le plus sacre de tous les droits civi- ques. La plainte reste secrete , jusqu'a ce que le grand jury ait statue sur Vindictment, que le district attorney redige d'api-es ses ordres. Dans 200 les cas, aussi, de crimes contre lesEtats-Unisou I'Etat , leur avocat profere une plainte et un indictment en leur noiu. Le grand jury a droit d'appeler devant lui , sous peine d'aniende et de prison, tons ceu\ dont il eroit le (enioignage utile a eelaireir un fait. Lorsqu'il a des doutes sur un ])oint de loi, c'est an julios, ce qui est utile, qu'on le redige en un seul statut, qui recevrait la sanction legislative , et que le reste soit jete au feu. Les jurisconsultes sont eux-memes divises d'opinion. Les gens pares- seux qui n'aimentpas la recherche , ni ]^ travail d'esprit , croient que par ce moyen , ils seraient mis de niveau avec les jurisconsultes erudits, qui ont toujours un precedent concluant a citer en reponse a tout ce qu'ils avancent. D'autres jurisconsultes, fort savans,mais imbus des principes philosophiques des encyclope- distes, voudraient simplifier et regulariser la 225 loi , en la reduisant en une seule formule. Ce parti-la a triomphe dans I'Etat de Louisiane. On y a adopte un code , qui est moitie la loi romaine, et moitie la common law, mais qui n'est considere que comme point de depart , et sur lequel une vaste incrustation de common lata s'est deja formee. Les jurisconsultes les plus savans pourtant des Etats-Unis , preferent la loi commune tout simplement comme elle existe. N'avons-nous pas, disent-ils, des digestes et des traites ele- mentaires sur chaque partie de la loi, et sur la loi de chaque Etat. Ges livres , il est vrai, ne sont pas revetus de la sanction legislative , et cela vaut beaucoup mieux. Car les noms de Blackstone, Gommyn , Deane, Ingersoll , etc., ne peuvent pas consacrer une erreur, ou arre- ter les progres de la science du droit , tandis qu'un acte legislatif le ferait. Si Ton decou- vrait maintenant que telle opinion d'un juris- consulte, ou telle decision d'une courfut erronee, et produisit en pratique de grandes injustices, les cours superieures n'auraient aucune diffi- culte a la corriger , et a y substituer une nou- velle decision , plus en harmonic avec les besoins presens de la societe. De cette maniere , les perfectionnemens dans la science du droit , se 226 font lentement et imperceptiblement , mais lou- jours exactement au moment oii le besoin s'en fait sentir, tandis que si la loi etait ecrite, et revetue de la sanction legislative, il faudrait pour la changer une loi nouvelle, qui ne vien- drait que long-temps apres que les abusseraieut devenus insupportables. Je vous citerai quelques exemples de ce perfec- tionnement necessaire de la loi commune ;4ians ce qui regarde le serment , par exemple. Autre- fois , il n'y avait que ceux qui etaient dans la communion de la sainte eglise catholique , apos- tolique et romaine , qui pussent etre recus a preter serment; tons les heretiques, juifs et paiens, et a bienplus forte raison les incredules, ne jouissaient pas de ce privilege. Dans la suite des temps , pourtant , et a mesure que I'Angle- terre elle-meme devint protestante , tous les Chretiens furent admis a preter serment sur I'Evangile. Les juifs furent ensuite admis, a mesure que les relations commerciales s'elar- girent , a le faire a leur maniere ; ce privilege fut ensuite etendu aux Turcs et aux paiens. Les Quakers ne voulant pas preter serment, leur simple affirmation fut crue en justice ; la loi anglaise aujourd'hui , est, je pense, que tout homme qui croit a des peines et a des recom- 227 penses futures , peut preter serment , s'il donne son existence future comme garant de la ve- rite du fait qu'il avance. De cette maniere , les incredules et les deistes purs sont prives de pouvoir testifier en justice. Dans quelques Etats de rUnion , oii il existe encore Leaucoup de bigoterie , comme dans les Etats de la Nouvelle- Angleterre , les cours suivent ces decisions , de facon que, lorsqu'un temoin est introduit, la partie adverse peut lui demander : monsieur, cro3 ez-vous au bon Dieu ou au diable ? et dans le cas ou sa reponse est negative, il ne peut etre admisa temoigner. Dans le sud, pourtant, il y a eu dernierement une decision tres-impor- tante de la cour d'appel de I'Etat de laCaroline- sud , qui , sans decider si le serment de quel- qu'un' qui ne croit pas a une autre vie , peut etre recu , dit que ces questions sur la foi ne peuvent etre adressees a un temoin , parce que ce serait I'obliger peut-etre a s'accuser d'une chose lionteuse pour lui , comme s'il etait force d'avouer son incredulite. Voila comme la loi est aujourd' hut dans les Etats du sud. Mais je vais vous dire comme elle le sera , dans quelque temps , dans toute I'Union , des que le cas se sera presente devant les cours federales. Au- cune croyance n'est necessaire , d'apres la con- 228 stitution des Etats-Unis, pour etre admisou elu a une place quelconque 5 mais , d'apres la loi , tout magistrat ou officier , avant d'entrer en fonctions, doit preter serment de soutenir et defendre la constitution et les lois des Etats- Unis. Or, maintenant, si Ton refusait le ser- ment sous pretexte d'incredulite , on rendrait une croyance reJigieuse necessaire pour etre nomme a une place , ce qui est evidemment contraire a la constitution. Le cas ne s'est pas encore presente , et les cours ne vont pas in- ventor des difficul,tes avant qu'elles n'arrivent ; mais du moment ou cela aurait lieu , les cours decideraient de cette maniere. M. Jef- ferson , par exemple , etait tout-a-fait incredule; il I'a dit , ecrit et imprime mille fois , comme vous pouvez voir dans ses oeuvres , long-temps avant d'etre elu president des Etats-Unis. Si, lors de son installation, le chief justice des^ Etats- Unis eiit refuse de lui administrer le serment , il se serait adresse aux tribunaux pour avoir un lorit de mandmnus centre le chief justice , lui ordonnant de proceder a I'administration du serment. Cette question eut ete debattue en pleine cour et eiit fixe la loi. II n'est pas douteux que dans une generation ou deux , le serment aura perdu tout caractere 229 religieux devant les cours des Etats-Unis, et qu'il ne sera considere que comrae une assu- rance solennelle, faite d'apres des formes an- ciennes, consacrees par desprejuges et des opi- nions oublies. Mais si Ton s'adressait maintenant aux legislateurs pour obtenir que les incredules pussent preter serment, ce qui, comme vous avez vu , est de fait la loi , quelles disputes de religion ne souleverait-on pas dans le sein de I'assemblee? Une loi de cette nature ne pour- rait passer qu'apres plusieurs deliberations tres-orageuses , et arrivant tout d'un coup , fe- rait une espece de revolution dans la jurispru- dence, tandis que les changeraens progressifs et lents de la common law , obtiennent le meme resultat sans secousses et sans choquer per- sonne. Du temps de la conquete des Normands , la common laiv adopta entierement le systeme feo- dal ; c'est peut-etre meme a cette race extreme- ment remarquable dans les annales judiciaires par I'csprit de chicane qu'elle a implante par- tout oil elle s'est etablie , que la common law a peut-etre dii son plus grand developpement. Dans ce temps-la , la seule richesse consistait en terres et en chateaux , ou en meubles qui y etaient annexes, tels que troupeaux, etc. Le 20 230 commerce n'existait pas, ouetait concentre dans la main de quelques juifs et de quelques Lom- bards. La common law de ce temps-la ne s'oc- cupait done que de la propriete immeuble en reglant tons les cas d'acquisition , de succes- sion, de confiscation, de fiefs avec la plus grande et la plus minutieuse exactitude. Dans ce temps-la , elle ne connaissait que le reals ac- tions y et si vous la consultiez sur des interets mobiliers , les juges du banc du roi {king's bench ) vous envoyaient promener avec la maxime de minimis non curat lex, pour toute cor^olation. L'interet de I'aristocratie feodale etait de conserver les proprietes dans leurs families ; aussi toute la loi etait dirigee a assurer les sub- stitutions. Que Ton compare cetetat, non a celui del'Amerique, mais seulement a I'etat actuel de I'Angleterre, oii les terres et les recoltes, l'in- teret immobilier en un mot , ne forment qu'une partie bien inferieure de la ricbesse du pays. Ses fabriques , ses usines , ses mines , ses vais- seaux, I'immense amas de ses capitaux, sont la veritable source de sa prosperite. Ce n'est plus lorsqu'il s'agit de transactions commer- ciales, emportant un interet plus considerable qu'aucun seigneur Normand n'enposseda jamais, 231 que les jiiges actuels peuvent repondre de mini- mis non curat lex. Aussi , comme je vous I'ai dit, les real-actions ont etetout-a-faitabandonnees, et maintenant Ton ne se sert plus en pratique que des personnal actions. Mais cet immense chan- gement s'est fait sans secousses, sans revolu- tions , par la marche constante et lente de la common laiv , suivant d'aussi pres que possible les pas de I'industrie nationale. En Angleterre , une vieille aristocratie existe encore , parti tenant au passe et se debattant vigoureusement centre tout perfectionnement , de maniere que la common law ne suit que de loin , et pour ainsi dire en se trainant, la marche sociale. La difference qui existe encore , par exeraple , entre la propriete meuble et immeuble , la diffi- culte dont la transmission de la derniere espece est entouree , la distinction faite entre un instru- ment signe seulement , ou signe et scelle , sont autant de restes de la barbaric feodale. Mais en Amerique , il n'en est pas ainsi ; la common law est presque au niveau des besoins. Dans ce pays, ou I'activite dans toutes les branches d'occupa- tion est a I'ordre dujour, les jurisconsultes s'e- vertuent comme le reste ; et si, d'un cote, la sur- face du pays se couvre de chaussees , de canaux et de routes en fer , si les villes se remplissent 232 de bibliotheques , de colleges et d'uiiiversites ; si les Indiens sont repousses , les deserts con- quis, de nouvelles recoltes creees et transpor- tees a des marches inconnus il y a quelques annees; si I'empire de la superstition s'eteint; d'un autre cote, les cours de justice, le supreme pouvoir de I'Etat, s'occupent continuellement a perfectionner la common law , et a la rendre digne d'une nation aussi riche , industrielle et eclairce. En efl'et, pourquoi me faudrait-il plus de ceremonie pour vendre un huitieme de terre publique qui m'a coiite 100 dollars , qu'un che- val qui m'en a coute 300; qu'une action de banque qui en vaut j)eut-etre 10,000 ou qu'un des beaux vaisseaux qui ont sillonne toutes les mers, et dont le prix pent s'elever a 50,000? Quel besoin de faire une distinction entre les heritiers et les administrateurs ou executeurs testamentaires , des que toute substitution sur la propriete immeuble a cesse , que rien ne m'em- peche de laisser mon bien , de quelque nature qu'il soit , a qui bon me semble ; lorsque si je meurs ah intestato, ma propriete sera partagee egalement entre tous mes enfans, et soumise egalement , tant meuble qu'immeuble , au paie- ment de mes dettes? Aussi ces distinctions com- mencent rapidement a s'evanouir , et Ton pent 233 deja prevoir le terme ou Ton pourra dire de la loi commune americaine , comparee a la com- mon law anglaise , pulcra mater, sed filia pul- chrior. Que les legislatures s'occapent de passer les iois de finances, les lois politiques et toutes celles d'un interet local et temporaire ; mais , pour Dieu , qu'elles laissent a la sagesse des tri- bunaux regler dans leurs details les lois civiles et criminelles ; qu'elles ne s'en melent que lors- qu'ils prennent une fausse route , et seulement pour les redresser, et lesremettre dans la bonne voie. 11 est de mode aux Etats-Unis , comme en Angleterre, et comme jecroispartout aumonde, de se plaindre de I'incertitude des lois ; mais ce reproche est-il fonde? Je sens deja votre re- ponse , qu'il ne Test pas sous I'empired'un Code, mais qu'il Test sous celui d'une coutume. Je vous repondrai d'abord , c{ue souvent I'incerti- tude des lois n'est qu'apparente , non seulement a I'oeil ignorant du vulgaire , mais meme a celui plus exerce du jurisconsulte. Le client est na- turellement aveugle par son propre interet, et I'avocat, quelqu'instruit , quelqu'erudit qu'il soit , lorsqu'il a employe ses veilles a trouver de bonnes raisons pour son client , ne s'occupant 20. 234 que fort peu de celles de son adversaire , finit par se persuader plus ou moins qu'il a raison , et accuse I'incertitude de la loi , lorsqu'une deci- sion dujuge vient le tirer de son erreur. Le juge lui-meme enfin , entre deux avocats , soutenant des opinions contraires , par les meilleurs argu- mens possibles , doit se trouver extremement embarrasse de decider, et accuse I'incertitude de la loi , de ce qui n'est que manque de pers- picacite en lui , ou impuissance de resister a I'e- loquence des parties. C'est I'esprit humain qui estimparfait, et qui pecbe toujours dansles appli- cations des plus belles theories ; c'est a lui qu'il faut s'en prendre et non a I'imperfection de la loi. Mais cette incertitude, si tant est qu'elle existe , est-elle un malheur? C'est un vieux pro- verbe que la lettre de la loi tue , et son esprit vivifie. Eh bien ! sous le regime de la common Imv , nous n'avons que I'esprit de la loi , sa let- tre n'existe pas. Combien d'injustices criantes en efFet resulteraient de I'application a la lettre des articles du meilleur code? Aussi, dans les pays regis par ce systeme , voyons-nous les cours constamment occupees a expliquer la lettre de la loi , de maniere a en changer tout- a-fait le sens ; mais sous Tempi re de la common 235 law , cette incertitude est un grand bien , car c'est elle qui investit les cours du pouvoir dis- cretionnaire , qui leur permet de perfectionner la loi ; et puis n'oubliez pas que d'apres mylord Coke, le sens commun est une partie de la common Imv. Voici, en effet, comment les choses se passent en general dans un tribunal anglais ou americain : les avocats des deux cotes se sont consumes en frais d'erudition et en cita- tions , toutes contradictoires ; le juge est dans la plus grande perplexite , il ne sait auquel don- ner raison ; mais les honnetes gens du jury ont ecoute attentivement les temoins , n'ont pas compris un seul mot de ce que les avocats ont dit ; ils se retirent , et au bout de quelques mi- nutes rentrent tout etonnes de se trouver d'ac- cord sur une question qui embarrasse la cour. Leur verdict tranche le noeud, il porte toujours en lui un caractere interieur de justice , qui se fait reconnaitre , et persuade au premier abord. Le juge tout effare est oblige d'en convenir, et n'a plus qu'a trouver de bonnes raisons legates, des autorites et des precedens pour confirmer I'opinion du jury, qui alors devient loi elle- meme, et regie les cas qui surviendront jusqu'a ce que I'interet social ait de nouveau necessite un changement dans la loi ou dans la coutume. 23r> .le lie me souvieiis pas , dans toute nia prati- que, d'avoir vu plus d'un ou deux cas, oii d'apres moii opinion froide et reflechie, les tri- bunaux anicricains n'aient decide snivant le nie- rite reel des causes , et d'une luaniere equitable et juste entre les parties. Le melange de I'eru- Ions les eas , ou suivant Tanciennc common lair , le j)rivilej;e clerical cut pu etre obtcnu, de facon fpie , cpioicpie menie aujour- d'hui la common Icnr anglaise prononce la [)eiue de mort. pour un grand nombre de cas ; cepen- dant , en pratique, ces dispositions sont modi- fiees dans pres([ue tons, par le pririlegium cfen'cale . et par les lois qui en reglent I'applica- tion. 241 Dans presque tous les Etats de FAmerique , on a conserve la definition des crimes , donnes par la common law. Et tout jurisconsulte doit comprendre la sagesse de cette mesure, en re- flechissant combien les definitions elementaires sont difficiles , combien il est important qu'elles soient d'une exactitude rigoureuse , et que cette exactitude ne peut s'obtenir, quelque explicitc que soit la loi , que par une longue suite d'expo- sitions et de decisions judiciaires. Un petit nombre d'Etats , pourtant, on t change ces defi- nitions , et ont adopte une nomenclature tout- a-fait differente ; tous au contraire ont passe des lois fixant une peine a chaque delit, et il n'y a que dans les cas oii un crime a ete oublic dans les statuts , qu'il peut etre puni d'apres la common lata. Dans presque tous les Etats la peine de mort a ete supprimee, excepte pour la haute trahi- son, la piratic, I'homicide premedite , I'in- cendie ou le viol. Mais dans quelques-uns , comme la Pensylvanie, par exemple, elle a ete entierement abolie , et un emprisonnement soli- taire pour la vie y a ete substitue. Le mcme sys- teme est sur le point d'etre ctabli en Louisiane et dans quelques autres Etats , et tous les ju- risconsultes de I'Union sont partages sur la 21 242 grande question de savoir si la peine de mort doit continuer a subsister pour les crimes atro- ces , oil s'il vaut mieux qu'elle soit entierement abolie. Le nouveau systeme est en essai depuis quelque temps dans les Etats qui I'ont adopte , et les autres probablement regleront leur con- duite d'apres les resultats qui s'en suivront. Quant a raoi , je vois beaucoup d'inconveniens et aucun avantage a supprimer la peine de mort entierement. Les partisans de ce systeme oublient que I'objet que la societe doit se proposer en punis- sant , n'est pas du tout de frapper le coupable , ou de se venger, raais bien d'empecberle renou- vellementdu crime, dans d'autres, parl'exemple du cbatiment du criminel, et dans lui-meme, en le mettant hors d'etat de recommencer. L'effet que le cliatiment produit sur le condamne lui- meme est une consideration tout-a-fait subor- donnee , et qui ne pent entrer en ligne de compte , que toutes clioses etant d'ailleurs ega- les. II est des crimes qui laissent subsister I'es- perance que le coupable puisse encore se cor- riger; pour ceux-la le systeme penitentaire americain , de reclusion plus ou moins prolon- gee, avec un travail modere, des instructions morales et religieuses , une surveillance et une discipline continuelle, active et severe est certai- nement ce qu'il y a de mieu];^. Mais il est d'au- tres actions , par lesquelles I'homme se declare ouvertement en guerre avec la societe , et qxd ne laisse plus d'esperances de le voir se cor- riger, et quand meme cela serait encore possi- ble , le risque que courrait la societe en le met- tant a I'essai, serait trop grand. II est devenu dangereux , et doit etre mis hors d'etat de nuire. Si un rocher pendant menace d'ecraser ma maison, le seul probleme a resoudre pour moi est de le faire disparaitre , de la maniere la plus siire , la plus expeditive et la plus economique. Si ce rocher etait done de sentimens, je tache- rais certainement , s'il y avait plusieurs moyens qui remplissent egalement bien ces trois objets, de choisircelui qui lui futle moins desagreable; mais ce ne serait qu'apres avoir mis ma maison en surete que je penserais a ses aises et a ses convenances. De meme I'homme qui a mis une vie en danger , qui a compromis tous les plus chers interets que puisse avoir I'homme en so- ciete par un complot pour renverser la forme d'un gouvernement populaire, celui qui non seulement a eu la volonte , mais presque le pou- voir de faire actuellement la guerre a la societe civile, celui-laest dangereux, et il estdel'interet 244 et du devoir de la societe de s'en defaire. Ce raisonneiiient s'applique aussi a ceux qui sont coupables d'lioniicido j)remidite , de piratie ou d'incendie, crimes qui a eux seuls coniprennent tousles autres. Je crois que ce n'estque pources quatre casque la peiue de mortdevrait etre eon- servee. Lcs amis du systcme pcnitcntiaire repondent a cela , qu'en enfermaiU un houiiue, seul, pour sa vie, dans un donjon, il cesse ejjalement d'etre danfjereux })our la societe et soufTre beaucoup moins. Jc nie les deux choscs. 11 n'y a pas de cachot si sur dont on ne puisse s'cehap])er, ou ([ui nc ])uisse ctre force, soit par unc eineute populairc, une guerre, un trend^lenicnt deterre ou un incendie. Le joli effet que produirait sur la societe I'un de ccs c\ enemens qui ouvrirait la prison de Philadclphie et remettrait en circu- lation quelques centaines des plus infames sce- Icrats que le nionde ait produits ? Car , la de- pravation morale est toujours en raison inverse des causes qui portent au crime , et ceux qui se rcndent criniinels dans un pays de liberte, d'abondance et de bonbeur , comme les Etats- Unis , sont sans doute plus depraves que ceux qui gcmissent sous I'oppression, croupissent dans I'ignorance et palissent dans le besoin. Eh quoi I nous rejetons loin de nos foyers , loin de nos villes, toutes les ordures qui s'y produisent, et nous irions a grands frais batirde somptueux edifices pour entasser avec soin et trailer avec tendresse toule la corruption , tous les excre- mens pestilentiels de la societe morale? et nous ne craindrions pas la contagion ? et nous irions depenser notre argent , prodiguer nos soins et notre temps a un si vil usage ! Ce meme bati- ment pourrait servir d'hospice , d'hopital ; ce meme pain trempe de larmes innocentes , sou- tiendrait la vie de la veuve ou de I'orphelin, et c'est a eux qu'on le retire , non pas comme les amis du systeme penitentiaire vous disent, pour soulager le malheur des condamnes, niais pour prolonger a grands frais et sans aucune utilite pour la societe , leur tourment pendant de lon- gues annees de peine et d'agonie. Que cliacun se mette la main sur le coeur, et qu'il dise de bonne foi s'il n'aimerait pas mieux etre execute que de rester seul , emprisonne , sans esperance aucune d'elargissement. Et qu'il voie alors si ce n'est pas un sentiment d'humanite mal entendu , qui veut substituer de preference I'emprisonnement perpetuel a la peine de mort. Le seul moyen de supprimer la peine de mort est a mon avis d'y substituer la deportation. Ce 21. 246 systeme a ete dans ces dernicrs temps extreme- ment pcrfectionne dans retablissemcnt anglais dc Botany-Bay ; pourqiioi Ics autrcs nations ne chercheraient-elles pas quelques rivages eloi- gncs ou isoles , oii iinc nouvellc colonic ])ut ctre etablic sur dcs princij)cs parcils? Lc crime alors se trouverait utilise en reculant les frontieres de la civilisation, ct en devenant la source d'un nouvcau commerce avec la socicte odcnsee; Mais alors la peine de mort devrait ctre con- servce dans la colonic pcnitcntiairc, comme seul moyen de conduire une socicte aussi de- pravee , et dans la mere-patrie pour lc cas seu- Icment d'un condannic y revenant avant que le tcnq)s dc sa deportation ne fut expire. Alors, les ordures que la socicte rejette loin d'clle , au lieu d'etre dctruitcs ou cntassccs en pure perte, serviraient a fertiliser et a engraisser de nouveaux champs lointains. C'est a ce systeme probablcmcnt que toutcs les nations en vien- dront, mais il faudrait qu'il fiit etcndu a tons les crimes , au lieu qu'en Angleterre la peine de mort est encore en usage dans beaucoup trop de circonstances. Dans tons les etats les delits qui n'entrainent pas la peine de mort , sont punis par une reclu- sion plus ou moins longue dans des prisons 247 fort bien tenues et gouvernees par une excel- lente discipline ; les condamnes y sont occupes a differens ouvrages , et une partie du profit de leur travail leur revient. lis y sont separes des prisonniers pour dettes et de ceux qui ne sont pas encore condamnes , car la maxime legale est qu'un homme doit etre considere et traite comme innocentjusqu'a ce qu'un jury ait donne un verdict contre lui. Les arrestations preven- tives sont extremement rares , car ce n'est que dans les cas entrainant la peine icapitale que les magistrats de paix peuvent se refuser a rela- cher le prevenu sur caution. Sa detention alors ne depend de la volonte arbitraire de pcrsonne ; c'est un grand jury qui au terme le plus pro- chain de la cour le met en accusation ou le relache. L'avocat du peuple n'en pent pas ap- peler a minima de sa decision. Le prevenu peut in sister pour etre juge le plus tot possible, et le seul pouvoir discretionnaire auquel il soit soumis, est celui du magistrat qui le fait ecrouer; mais meme alors si ce magistrat exige une cau- tion trop forte ou refuse de I'admettre a en presenter une , il peut toujours en appeler a un juge superieur, meme pendant les vaca- tions, soit par un icrit of error ou par un habeas corpus, et il a apresune action pour/a/se impri- 246 sonment. La societe se charge depoursuivrc par les moyens queje vousai dccrits noii-seulemciit les crimes, mais iiieme les delits corrcction- nels : insuUes, voics de fait . tapaj^es nocturnes, offenses a la decence publi([uc , niauvais etat des grandes routes. Enfin tout ce (pii trouble la ])aix des citoyens est un bon sujet lYindictcment d'apres la common law ; et les lois ecrites en jjencral n'ont lait le et si noiif. II immortalisera le general. La veritable force niilitaire des Etats-Unis ne consiste pas dans son armee , c'est la milice qui la constitne. Tout eitoyen en fait partie jusqii*a un age (|ui varie dans les diflercns Ktats ; car, si rarmce appartient au gouvernement federal, la milice depend entiereuient des Etats. Les ])rechenrs, niaitres d'ecoles. nu'decins et quel- ques autres personnes en sont exeraptcs. Les Quakers et les sectes religieuses qui refuscnt de so battrc doivent payer tonics les anicndcs dis- cij)linaires ou marcher. Tons les employes des Etats-Lnis en sont anssi exempts ainsi que les magistrats . en fcni])s (]r paix. Partout le gouvenuiir de I'Etat est comman- dant en chef dc la milice. (I'est a lui qu'il ap- j)artient dc hi niohiliser , soit d'apres la demande du president en cas de guerre generale, soit de hii-meme si les bcsoins de I'Etat le requierent. Les ofliciers sont elus ])ar la troupe , excepte les generaux , qui sont nommes en general ])ar la legisL^turc ou le gouverneur. La milice a la meme organisation et le meme uuiforme que Farmee ; et du moment qu'elle est appelee au service actif. elle esf payee comme les aulrcs 273 troupes des Etats-Unis. La loi fixe certain jour oil elle s'assemble pour manoeuvrer , et le colo- nel ou capitaine peut de plus les appeler plus souvent pour s'exercer ou pour proceder aux elections d'officiers. Ces rassemblemens sont toftjours des fetes plus ou moins militaires. II faut faire une grande difference entre la milice des nouveaux pays et celle des parties de rUnion qui ont ete habites depuis long-temps , surtout les grandes villes du nord-est. La, elles sontcomposeesd'artisans et d'ouvriers, de com- mis de boutique et garcons apotliicaires , com- mandes par leurs bourgeois, tons gens qui ne sont aucunement familiarises avec I'usage des at-mes , ou les habitudes des camps. En general, ils ma- noeuvrent assez bien, surtout pour faire beau- coup d'evolutions de theatre , qui ne servent de rien, et pour lesqu elles ils ont un grand gout ; mais si , au milieu d'une parade , la pluie sur- vient, vousles verrez bien vite decamper. Quel- que bien disposes qu'ils soient, ils ne pourraient souteijir les privations et les marches d'une campagne. Vous me direz que la bataille de Baltimore fut gagnee par cette espece de milice. C'est vrai , mais c'etait a la porte de la ville. L'Americain est brave , il est surtout remar- quable par un courage rationel et reflechi , ce iT4 n'est jamais sous ce rapport que Ton peut atta- qucrla milice. Mais a la bataille de lialtimore, les soldats-citoycus sortaient de chez eux , ils avaient dejeune , s'etaient rases, et s'ils avaient du, au lieu decela. bivouacjuerdansla houeseu- lenient pendant unc seniaine, ils auraient ete ereintes avant de rencontrer I'ennemi. Voila le grand avantajje que les niilices des eanipagnes out sur eelles des villes. Les hoinnies qui les composentsontaccoutunies aux inteniperies des saisons. Tous vont a la ehasse , et sunt familia- rises avec I'usage d'un liisil. 11 est vrai qu'ils ne sont pas si bien mis , qu'ils ne manoiuvrent pas aussi bien , qu'ils sont un peu j»lus turbulens , mais cela ne les empeelie jias de rendre de bien meilleurs services devant I'ennemi. Mais e'est la milice de I'ouest et du sud qu'il faut voir. Un regiment de mounted ri/letncfi, c'est-a-dirc , d'horames endurcis a toutes les fa- tigues et privations de la vie presque sauvage d'un premier etablissement, montes chacun sur son clieval qu'il connait bien , arme de sa ca- rabine fidele a laquelle il a du , ainsi que sa fa- mille, plus d'un diner dans un moment de be- soin. Ces gens-la se font un jeu de toutes les fatigues. Pour eux une campagne est une vraie partie de plaisir. Us connaissent les bois, sa- 27S vent trouver leur chemin par le soleil et Tecorce des arbres , suivant un ennemi ou un cerf a la piste; leurs chiens lesyaident, car chacuna son chienavec lui. lis n'ont pas d'uniforme, chacun arrive comme il est pour son travail journalier, reconvert d'habits files et tissus par sa femme , du coton que lui-meme a plante. Un chapeau de feuilles de palmes tressees recouvre sa fi- gure noircie par la fumee du bivouac. Une peau de loutre artistement repliee et cousue , contient ses munitions, ce qu'il faut pour allumer un feu, et sa petite provision de tabac. Une besace derriere la selle porte les provisions de bouche pour lui et son clieval. L'animal lui-meme n'est pas plus difficile que le maitre. Quelques poi- gnees de mais par jour lui suffisent , mais le soir, en arrivant au camp , on le deselle , le de- bride, eton attache ensemble deux de ses pieds, puis on le lache dans le bois , oii I'herbe abon- dante lui ofiFre bien vite un souper frugal. Pas grande discipline parmi une troupe pareille. Pas de mouvemens rcguliers : chacun fait la guerre pour son compte et comme par instinct. C'est une partie de chasse en grand ; ce sont pour- tant la les troupes qui se sont le plus distinguees dans la derniere guerre, et qui ont repousse les Anglais a la bataille de la Nouvelle-Orleans. 278 ,\\\i moi-meiiie fait uiie cainpagne avec une armee pareille , forte de trois cents hoiiimes. Elle ctait coniinandco par iin {^^eneral do bri- {j^ade. Je ])artls rninnie son aide-de-cani]) , for- niant a nioi st'ul (out I'etat-major de rarmee. Je rev ins coloiu'l d un regiment; peude periodes deniavie ni'ont laisse des souvenirs ]iliis ajyiea- bles. Je me souviendr'ai toujours dii ])assa|je de la ^^hitthlicootchie a {;ne , a niinuit , an elair de la luiic, eclain* de nos feu\. et de la lu- miere encoie plus lorlc niais liien plus eloi{;nee des Ijois ([iw les liidirus avaient incendies pour eouvrir leurs retiaites. (lette j^^rande riviere, dans tnute la niajestc de la nature vierjje, cou- laitentre deux rives perprndiculaires de roehers de ])res de sijixante picds de liaut. I ii sentier etroit et ])res(pie a pie, menait d<3 ehaque cote au gue. La lune se refleehissait dans ses flots argentes , et leur elarfe j)res(pie ])liosphorique n'etait interronipue que ])ar ia longue ligne noire forniee par Tarinee niarehant sur uneseule file. Nous restanies a-j)eu-pres six seniaines de eette nianiere, a eheval toute la journee , cam- pant la nuit dans les bois. Nousne reneontrames les Indiens que trois on quatre fois, mais leurs traces fourmillaient autour de nous , et il etait aise de voir que nous en ctions continuellement Ill entoures. Unenuit, ils nous attaquerent a notre camp et perdirent deux horames. Un jour ils nous disputerentun gue, et trois d'entr'eux res- terent sur le champ de bataille. Enfin sept fu- rent pris sur une petite lie a I'embouchure d'une riviere, furentjuges etabsous par le jury. Toute la cause de cette guerre avait ete le massacre d'une famille blanche , de mon voisinage, fait par les Indiens avec des circonstances d'une cruaute inouie. Six enfans blancs de deux a douze ans avaient ete brules en vie et le pere mas- sacre. G'etait pour arreter les meurtriers , pour forcer les autres Indiens a rentrer dans leurs li- mites, pour assurer enfin la tranquillite et la paix de nos families et les sauver peut-etre d'un massacre general , que nous avions pris les ar- mes. Nous reussimes completement. L'espece de railice a demi-sauvage dont je viens de parler, ne se trouve , comme je I'ai deja dit , que sur les frontieres de la civilisa- tion. Elle formerait peut-etre les meilleures troupes de I'univers , si elle etait bien disci- plinee et exercee ; mais cela ne peut s'obtenir qu'apres I'avoir gardee quelques mois sous le drapeau. II est done toujours a parier qu'en rase campagne , et pendant la premiere annee d'une guerre, cesmilicesseraient battues par des 24 278 troupes reglees ; mais le cas serait bien dififereiit des la seconde campagne , et meme des la pre- miere dans des bois sans routes , sans magasins et sans ressources d'aucunc espece. 11 existe encore aux Etats-Unis une autre es- pece dc milicc qui est toujours prcte a entreren canipagne , dont rcqiiipcMiicnt , rarmenient et les exercices ne laissentrien a desirer, et qui est comnianfloe pnrdesofiuMcrs cxperinientes sortis en general do ranuce(ie{)uis laderniere guerre. Ce sont Ics cumpagnies volontaires. Tous ceux qui se trouvciit unis par les liens d'une profes- sion ou d'une origine commune, s'associent en- semble pour lornicr des corps de cette espece. L'acte d'association duinrnt dresse, etapprouve par le colonel du regiment aucpiel ils sont atta- ches , regie Icur armemcnt , leur uniforme , le mode d'election des olllcicrs, cclui d'admission pour les soldats, celui de retraite, etc. Ces com- pagnies possedent souvent de tres grandes pro- prietcs , et les conditions d'ndinission sont quel- quefois tres-dillicilcs. L'honorahle compacjuie d'artillerie de Boston , par exemple , possede un petit arsenal et un tres joli materiel a elle , et je crois qu'il en coute a peu pres cent louis pour y etre admis. Ces compagnies, pour tout ce qui est de leur discipline etdeleurs affaires interieures, 279 sont tout-a-fait independantes des officiers de la milice reguliere , mais elles sont soumises a leurs ordres lorsqu' elles sont appelees au service actif, quoiqu'en general on les emploie pour des expeditions detachees. Leur uniforrae est entie- rement a lear choix , de facon qu'il n'y a pas de grandeville oiiiln'y ait plusieurs compagnies de tirailleurs en costume de montagnards ecos- sais qui a ete mis extremement en vogue par les nouvelles de sir Walter Scott. Les negocians, de leur cote , forment des compagnies dont I'uni- forme consiste en un pantalon blanc , frac bleu , chapeau rond et buffleterie de maroquin rouge. Les Francais ou ceux qui en descendent se reunis- sent aussi de leur cote , commandent dans leur langue, y adoptent la tenue de quelques unsdes corps de I'ancienne garde ou celle de la garde nationale francaise; partout ily a des compa- gnies irlandaises et allemandes. Gette bigarrure produit un tres-singulier effet, mais elle excite I'emulation a un haut degre , et ces compagnies volontaires seraient partout des corps d'elite. Outre les exercices communs a toute la milice , ou elles sont obligees d'assister, elles sereunissent pour manoeuvrer ou tirer a la cible toutes les fois qu'il plait au capitaine de les appeler. Une ou deux fois par an , quelques compagnies vo- 280 lontaires d'une ville vont avcc lout I'appareil de Ja guerre visiter les villes voisines. Les I'oiids iiecessaires a Texpedition sunt souscrits par les luembres du corps, et remis au quartier-niaitre , qui les precede et fiiit les ](){;eiiiens (fuiie ina- iiiere tout-a-f"ait reguliere. i outesles coinpaguies de volontaires de la ville ouils se rendent, vout a leur rencontre et leur doiinent un diner. On fait des niantcuvres en connnun , on fait connais- sance, on danse, des invitations et des proiuesses de visites reciproques sont echangees , et c'est encore la un des biens qui contribuent a atta- cher et rclier les p(>pulali(jns des ditierens Etats entre elles. Tous CCS mouveniens de trou})es se font sans que le gouvernenient en soit aucunenient ins- truit. Quebpi'un des gros bonnets de la coinpa- gnie observe en ouvrant sa fenetre le matin, qu'il fait beau tenqjs. 11 se souvient (ju'il n'a rieii a faire de la journee. \ite, il court chez le capi- taine , lui proj)ose une promenade militaire ; I'idee plait a celui-ci, on envoie ciienlier les tam- bours , on fait battre la generale , et rasserabler la troupe. (Junirpie ce soit bien le capitaine qui la commande. malgre cela, il ne pourrait pas prendre sur lui une mesure aussi importante sans le consentement de toute la corapagnie; 281 aussi des qu'elle est reunie , la discussion com- mence. C'est a la majorite des voix que Ton fixe ce que Ton fera. La minorite se soumet ou paie I'amende, et des que la resolution est prise , le capitaine la fait executer avec un air d'autorite qui le ferait presque prendre pour un petit des- pote. Au milieu de la paix la plus profonde, dans un etat de tranquillite politique qui n'ad- met pas merae le soupcon d'une emeute , I'etran- gerest toutetonned'entendre la generale battre de tons les cotes. II sort, il ne rencontre qu'hommes armes , courant pour rejoindre leurs drapeaux , des compagnies deja formees cir- culent de tons cotes ; il croit qu'il reve , il n'avait pas vu de soldats la va^lle et ne pent expliquer leur presence qu'en supposant que la ville ait ete prise d'assaut pendant la nuit. II est pour- tant bientot rassure par Fair d'indifference et de securite avec lequel le paisible bourgeois voit passer innocemment toute cette pompe mi- litaire. Personne meme ne pent repondre a ses questions sur la cause ou I'objet de ce mouve- ment general. Et en eftet, dans les villes du Nord , il n'y a gueres que les petits negres ou mulatres qui assistent aux parades ou qui s'en soucient ; ce sont les seuls oisifs , car les polis- sons blancs sont a lecole , et envient en cela comme en beaucoup d'autres choses , Tindepen- dance de leurs fnvres au teint de suie. Les grandes villes , telles que Pliiladelphie et New-York, comptaient peut-etre chacune dix ou douze iiiillo de ces volontaircs. lis soiit con- staimncnt prets a marcher , ils sontparlaitement bien arines et exerccs, et rendent de grands services en temps de guerre ; leur grand defaut cunsiste dans la dillieuhe i[u'il y a a leur laire abandonner la defense immediate de leurs foyers; ear etant prescpie tons des jeunes gens de famille et de propriete , ils ont un interet trop inmicdiat dans leur ville natale pour ai- mer a s'en eearter. Cela pourtant, si Tun ])rend en consideration la p(ii^tion partieidiere des Etats-Unis , n'est pas d'nae tres-grande impor- tance. 11 n'e\iste en ellet qu'une seule fron- tiere a defendre, celle de I'Atlantique. Tons les points de debarquemens sont converts par des forts def'endus par Tarmee reguliere ; en seeonde ligne se trouvent immediatement les grandes villes defendues par des eompagnies volontaires et leur miliee reguliere , puis le eoiur du pays , defendu par sa miliee ou levee en masse. II n'y aurait done besoin de mobiliser les nii- lices des grandes villes qu'apres que celles-ci 283 seraienttombees aupouvoir de I'ennemi, et alors cela ne soufFrirait aucune difficiilte. II y a une autre defense d'ailleurs dont je ne vous ai pas parle et qui cependant est celle sur laquelle nous comptons le plus , c'est notre ma- rine. C'est a elle qu'ont ete dus les plus grands triomphes de la derniere guerre ; car quoique jeune , elle a battu les Anglais sur toutes les mers et ses succes ont etonne I'Europe. Elle n'est pourtant pas tres - nombreuse ; nous n'avons gueres dans ce moment , je crois , qu'une dou- zaine de vaisseaux de ligne, mais ils sont de toutebeaute. L'architecturenavale, tant pour les constructions marchandes que pour les cons- tructions militaires , a fait d'immenses progres en Amerique. Par une invention bien simple , on a reussi a rendre les fregates presque aussi fortes que les vaisseaux , et les vaisseaux a deux ponts egaux a des trois-ponts. Elle consiste tout bonnement a supprimer le passavant et a continuer les gaillards de bout en bout. On construit le pont assez fort pour supporter des pieces d'un calibre egal a celles de la bat- terie. Cette construction vient d'etre adaptee a un immense vaisseau construit a Philadelphie et pret a etre lance ; il a cent huit bouches a feu couvertes , et trente-six surle pont. C'est le plus {•rand vaisseau (\\u' Vtm aif encore constniit. Le CiouvrrntMucnt an reste ne nt''}jli{re aucune depcnso pour It's constructions navales , et ellcs sont faites avec le plus {rpand luxe ; et la qualite du hois, ])rcsque iiidcstructiMc . (juc Ton cni- ploicniaintenant exciusiveujcnt dans la marine, fait presunier (pi'elle s'elevera avant lon'j-teinps a un jjrand ('tat dc sjilrndcur ct a nnc loico nu- Hicricjuc iniposantc. Qu«u(pic Ics vaisseaiix (!<'•> lM;i(s-l nis soiciit pen ii(iml>i(Mi\ cii cr nionn'iit . Iciir iiomhrc pourrail rtrc aujjnicnte avcc la plus ijrande ra- piditt'. II existe liuit ou dix arscnaux luaritinies (jui sont a nn ine, du moment ou on le voudra, de construire un jjrand nondire de vaisseaux. II existe dans chacun d'eux un {jrand nombre deealles , dontplusieurscouverlesetd'immenses magasins de bois et de {jreement. D'ailleurs, dans la villede New-York . de Pliiladelphieet de llaltinioi'c , it exist*' dcs iiiiiimfartures de vais- seatix (!«' ;;uerre appait»'naiis a dcs individus. lis ont fb'ja . du fcnijis de la dcrniere >juerre , bati plusieurs vaisseau \ pour le eom[)te du Gouverneinent. et depuis ee sont eux (jui ont fourni des flottes a (lolinnbia et au Perou , a TEspagne et au Mexique, au Brcsil et a Buenos- Aires, lis avaient constiuit dernierement deux 285 fregates pour les Grecs ; une a ete envoyce a sa destination , et I'autre , achetee par le gouverne- ment americain, fait maintenant partie de sa marine. II y a quelques mois , le gouvernement russe acheta une superbe corvette a Pbiladel- phie, etje n'ai pas de doute que les chantiers prives des grandes villes de I'Union ne pussent fournir une vingtaine de fregates de premiere classe completement equipees tous lesans, sans compter ce que les arsenaux du Gouvernement pourraient faire. Le Gouvernement est si sur de ses ressources de ce cote, qu'il ne desire pas augmenter le nombre de ses vaisseaux pen- dant la periode de paix dont nous jouissons. L'entretien des vaisseaux en desarmement est tres-coiiteux ; quelques soins qu'on prenne , un vieux vaisseau n'en vaut jamais un neuf. Dans la liste des vaisseaux de la marine americaine , il n'y en a pas de non valeur. L'Angleterre est loin d'en pouvoir dire autant. C'est la seule puissance avec laquelle nous puissions avoir une guerre maritime. En un mois de temi)s , toute notre marine serait armee, et prete a disputer I'approcbe de nos cotes; et avant, pour ainsi dire, qu'une flotte de douze vaisseaux de lignes ait pu les venir attaquer , nos arsenaux auraient vomi une douaaine de vaisseaux tout -286 neufs prets a les rencontrer. D'ailleurs de grands perl'crtionnemens se font tous les jours dans I'architecture navale , et le dernier vais- seau construit est presque toujours le nieilleur ; il y a done un grand avantage a avoir tous les materiaux prets , et a ne les niettre en oeuvre que dans le moment du besoin. La seule diilieulteque les Etats-L nis eprouve- raient a equiper une llotte , serait de trouver des matelots ; ear le systeme anglais de la presse n'existe pas. Les equipages sont enrolcs volon- tairement, et a un prix toujours superieur a eelui de la marine marchande; aussi jusqu'iei n'y a-t-il pas eu de dilVieulle. 11 est pourtant a craindre qu'au moment d'une guerre, ou une grande demande aurait lieu tant pour la marine que pour d'innombrables eorsaires qui offri- raient, outre I'appat d'unc liaute-paie, I'espe- rance de riches captures; il est a craindre, dis-je, qu'on ne trouve alors quelques difficultcs a completer les equipages. INIalgrc cela, il y a une consideration qui me rassure ; c'est qu'au- cune guerre ne pent etre entreprise qu'elle ne soit sanctionnee par la volonte de la majorite : une guerre impopulaire ne pent avoir lieu aux Etats-Unis, et si le peuple veut la guerre il saura bien la faire. 287 II est juste de dire que le service militaire n'ofFre pas de grands attraits pour des gens d'un caractere aussi turbulent que les niatelots americains. En efFet, la discipline a bord des vaisseaux de guerre est extremement severe, plus peut-etre que dans aucun autre service, et cela est necessaire, je crois, pour faire oublier aux matelots I'egalite republicaine qui ne pourrait etre admise a la mer sans le plus grand danger. Les officiers de marine sont tres-nombreux , surtout dans les grades inferieurs. Ces grades sont les memes qu'en Angleterre. Les' officiers ne sont pas tons en activite soit a bord des vaisseaux de guerre, soit dans les arsenaux, chantiers, etc. II y en a en disponibilite [tcaiting' arders) qui ont recu I'ordre du ministere de se rendre a telle station, et de s'y tenir a la dis- position du gouvernement ; ils y recoivent leur paie entiere , raais n'ont pas de vivres. D'autres sont en conge d' absence pour un terrae deter- mine. D'autres enfin sont en conge absolu, ne recoivent aucune paie , et restent dans cet etat lajusqu'a ce qu'ilsdemandentau gouvernement d'etre remis en activite. Lorsqu'ils sont ainsi en conge, ils peuvent disposer d'eux et de leur temps comme ils veulent. Beaucoup d'entre 288 cux , par exemple , commandent des vaisseaux raarchands, qui fontle commerce de la Cliiiie, ou sc livrent a tout autre espece d'industrie. Tant qu'im ofTicier pourtant fait j)artie de la marine d'une iiianiere ([uelconque, il ne peut etre eiu ou iionime a aucune place. En temps de guerre, le commerce americain , qui se trouve en j^^rande partie paralyse, fournit une immense quantite de corsaires. Les goelettes de Baltimore, pendant la dcrniere guerre , firent un mal epouvantable au commerce anglais, et s'etaient meme repanducs entre I'An- gleterre et I'lrlande. Ceci aurait lieu d'une ma- niere encore bien plus fatale , si les hostilites se renouvelaient maintenant, car la marine mar- chande a au moins double depuis dix ans , et Texperience des fortunes immenses faites de cette maniere dans le passe, encouragerait a embrassercesystemede guerre, immediatement apres sa declaration. La marine marchande des Etats-Unis est im- mense; elles'etendsur toutes les mers. Pour ceux qui ont vu les paquets qui vont de New-York au Havre , a Londres et Liverpool , il serait inutile de dire que ce sont les plus beaux vais- seaux qui flottent, tant sous le rapport de la construction en elle-meme , que sous celui de la ^289 marche et des araenageraens. Ce sont, en efifet, d'excellentes auberges voyageant entre TEurope et rAmerique; on y vit aussi bien qu'on pourrait le faire a terre , pour le meme prix, et on a le passage pour rien. La surete de ce mode de communication ne laisse rien a desirer , car sur 2,160 passages que ces paquets ont faits depuis dix ans , il ne s'en est perdu que trois. Leur rapidite est inconcevable ; je me souviens d'avoir vu, il y a quelques annees a New-York, le 4 de Janvier, le message du president , prononce a Washington le 1^*^ decembre, iraprime dans le journal de Liver- pool du 16 du meme mois. Ces exemples pour- tant sont rares, la traversee moyenne est de vingt jours pour venir d'Amerique, et vingt- cinq pour y aller. Les Etats-Unis n'ont eu encore que deux guerres avec les puissances europeennes , car je ne compte pas la declaration de guerre centre la France en 1798, qui n'eut aucune suite. Ces deux guerres furent centre I'Angleterre, et dans les deux, I'avantage resta entiereraent aux Ame- ricains. Je sais bien que les Anglais se vantent dans la derniere guerre d'avoir pris Washing- ton et d'avoir brule le capitole; mais ce bel exploit , qui dans le temps fit tant de bruit en 25 290 Europe , n'a besoin, pour etre apprecie a sa juste valeur, que d'etre eonnu dans tous ses details. La ville de Washington, quoique la eapitale ofTicielle des Etats-Unis, n'ctait dansee temps-la qu'une petite ville de sept a huit raille habitans. Les troupes anglaises, qui se trouvaient a flot dans la Cheasapeake, remonterent de nuit, favo- risees par la raaree, une des rivieres qui portent leur tribut dans eette immense baie, et debar- querent le matin a quelques milles de Wash- ington. lis marcherent immediatement sur la ville , ou ils ne trouverent aucune resistance ; car les deux ou trois cents soldats de marine qui y etaient I'avaient evacuee a leur approche, et s'etaient portes a Bladensbourg, a six milles sur la route de Baltimore. Apres avoir briile le capitole , ou pour mieux dire le peu de meubles qui s'y trouvaient ; car les murs de pierre de taille ne sont pas faciles a faire dispa- raitre , I'armee anglaise se porta sur Bladens- bourg , ou elle defit les soldats de marine et quelques milices qui s'etaient jointes a eux. Forte de cet avantage , elle continua sa route sur Baltimore, oii elle fut completement battue par la milice de la ville et eut son general tue. Cette expedition , qui avait coutiB de fortes somraes 291 a FAngleterre, et etait destinee afaire une puis- sante diversion dans les Etats du centre , man- qua done entierement son objet et fut com- pletement detruite , moins de huit jours apres avoir debarque. L'incendie de Washington fut meme un bonbeur pour la cause americaine , car cet acte de vandalisme , joint aux horreurs et aux cruautes commises par I'armee anglaise sur son passage , fit taire entierement le parti oppose a la guerre , et en reunissant toute la nation par un sentiment de vengeance , centu- pla les forces du gouvernement. L'expedition faite par les Anglais sur la Nouvellc- Orleans fut encore bien plus malheureuse ; mais il est vrai de dire qu'ils eurent quelque succes dans le Canada, succes pourtant qui ne pouvait menerarien, et qui etait entierement du a I'op- position que les federalistes mettaient a toutes les mesures du gouvernement, et an refus de quelques-uns des Etats de la Nouvelle-Angle- terre demobiliserleurs milices , sur la demande du president. Mais a quoi bon examiner ces deux campagnes de cette maniere ? Le vaincu convient-il jamais de I'etre ? et , au milieu de tant de rapports contradictoires , le meilleur moyen de juger du succes d'une guerre, est par le resultat. Faible encore, ne <'omptantpas cinq 292 millions de population, sans gouvernement , sans finances , sans armee , sans marine, TA- merique obligea rAngleterre de reconnaitre son independance , et George III fut oblige de recevoir a sacour cememe ^NF. Adams, qui avait ete dcnoncc comme un traitre et un rebelle, comme le premier ambassadeur d'une puissance desorniais rivale. II est juste dlle d'un pays. Voila la seule (pi'un bon gouvernement doit taeher de faire surgir j)ar un systrnie prohibitif , et de proteger justju'aceque la jeuneplante soit assez forte et ait pousse des racines assez profondes. Si, ])ar e\eiui)le . le gouvernenient anglais n'ini- posait des droits de (l()uan«.*s que dans la vue de protegerl'industrie etnondans eelle dese creer un revenu , ce ([ui est. a inon avis , le meilleur de tous les systenies , tout droit sur Tiniporta- tion des vins , des huiles, des denrees colonia- les , en un mot, de tcjut ce qu'elle ne peut ni ne pourra jamais produire , devrait etre entiere- ment supprime. Cela diminuerait de beaucoup le pri\ de la vie et contribuerait a rendre la main-d'o'uvre meilleur niarclie. D'un autre cote, de forts droits devraient etre frappes sur Tim- portation de tout objet manufacture , ou meme brut , que le pays peut produire aussi bien que Tetranger. Au commencement , la taxe protec- 339 trice creera des gains assez considerables pour engager les capitaux dans une nouvelle voie : le succes d'une fabrique entrainera I'etablisse- ment de plusieurs autres ; la concurrence qui s'etablira reduira bientot les prix au-dessous de ceux auxquels les etrangers pourraient livrer, etle droit d'importation deviendraparfaitcment nominal. D'apres ce que je dis la , les Etats- Unis etant , pris dans Icur ensemble , un des plus riches pays de la terre , je semble approu- ver I'etablissement d'un systeme fortenient pro- hibitif , comme cclui du tarif actuel. Ceci est pourtant bien loin d'etre raon opinion. Le peu- ple des Etats-Unis a bien autre chose a faire qu'a s'enfermer entre quatre murs , a respirer I'air corrompu des ateliers. La foret lui tend les bras , les routes de I'oucst sont encore ouvertes, et leflot de la civilisation n'a pas encore ete re- pousse par le flot de I'ocean Pacifique. Taut que tout le pays n'est pas defriche , tant que personne ne manque de pain ni d'ouvrage , jiourquoi de deux occupations, luneennoblissant Thomme et redoublant son energie, I'autre le ravalant a jouer le role d'une piece de meca- nisme ; pourquoi , dis-je , aller choisir la der- niere ? Pourquoi forcer les capitaux a prendre cette voie , excepte pour quelques genres d'in- 340 dustrie , dont les produits sont extremeraent lourds ou fragiles , tcls que le fer et le verre , par exeraple, et pour lesquels le transport est presque toujours une protection suflisante ? Pour- quoi chercher a etablir des manufactures? Ne pouvons-nous pas toujours commander celles de I'etranger avec nos produits bruts? Serait-ce un desavantage pour nous si nous ne portions que des etoffes de fabrique anglaise, et si Ic peuple en Angleterre ne se nourrissait que de pain fait de farine americaine? Nous aurions partage alors , entre nous et les etrangers , les differens travaux de la civilisation , de maniere a garder pour nous ceux qui sont agreables et qui conviennent a la dignite de I'homme libre, laissant auxautres notre rebut et les occupations qui enervcnt et degradent Tbomme. Le systeme americain (comrae celui de M. Clay et de ses amis s'appelle ) , est bon en lui-meme , mais premature de quelques siecles. II a fiiit surgir, il est vrai , quantite de belles fabriques dont nous sommes tres-fiers. Pour quelques objets meme, les manufactures americaines peuvent, meme a I'etranger , soutcnir la concurrence des fabriques anglaises. Mais n'avons - nous pas achete ces avantages par le sacrifice d'une masse de couforts que la difference du prix ne peut 341 payer? et par un commencement de degra- dation morale et politique dans ceux qu'on a forces a devenir ouvriers ? qui sans cela seraient cultivateurs libres et independans, d'un sol qu'ils eussent defriche eux-memes et qui leur appartiendrait. Ges verites commencent a so faire sentir , et il est probable que le systeme americain ne sera pas de tres-longue duree. Nous serons peut-etre obliges d'y revenir lo rsque toutes les terres publiques auront ete vendues , mais par bonheur il y a du temps pour cela. Les difFerens Etats ont aussi leur revenu , derive dans chacun d'eux d'un systeme de taxe dififerent. Gomme je vous I'ai deja dit, ils ne peuvent etablir aucun droit sur Texportation , I'importation ni le transit des marcliandises , mais ils peuvent etablir des taxes directes , des capitations , des accises sur les fabrications des liqueurs, des droits de patentes, etc. Ils peu- vent aussi faire des emprunts, employer leurs capitaux a des travaux publics , qui pour eux deviennent productifs; et presque tons sc ser- vent de plusieurs de ces moyens a la fois, et quelquefois de tous. Dans chaque comte il existe des depenses pour subvenir auxquelles la cour du comte im- pose des taxes sur ses habitans ; dans chaque 29. 342 viilc les depenscs de la corporation sont de- I'rayees de la nu'ine luaniere. Quelcjucs-unes des j;randes-villes out mcnie de tres-fortes depenses/ Le reveiiu et le budjjet de la ville de iNe\v-York , par exeniple , sont beancoup plus considerables que ceux de TEtat , et les taxes sur la propriete Ibnciere y sont tres-fortes. Philadelpliie se trou- vaitdans lenRMnecas;niaisparun evenenientfor- tuit sa position est rendue tres-extraordinaire et <'lle ne prut nianqucr de devenir en tres-peu de temps la plus belle ville du nionde ; cela vaut la peine d'etre explicpie. L n Francais , nomme (iirard , qui avait quitte la France extrenienuMit pauvre, je erois nieme corame mousse (»u iiiiitclof font au jdus. v niourut der- nierement a Tajje de quatre-vin<;ts et quel([ues annees, laissant nne fortune d'a pen j)res cent millions de francs, qu'il avail amassee par une longue vie d'industrie , de probiteet de pri- vations. C'etait un bomnie d'une tele extreme- ment forte, tres-estirac et vivant d'une maniere tres-singuliere. II etait (res-ran«»c', mais ne se refusait raccomplissement d'aucun de ses gouts et depensait son immense revenu en travaux publics et entreprises utiles. A sa niort , il laissa entre autres legs , dix millions de francs })our I'etablissement d'un college , a condition qu'au- 343 cun pretre, d'aucune religion, ne puisse se meler de son administration sous aucun pre- texte. Mais la plus grande partie de sa fortune, plus de soixante millions , furent laisses par lui a la ville de Philadelphie. II est impossible de prcvoir I'elan qu'un legs pareil pent donner, s'ilestbien administre, a cette ville. L'interet de cette somrae etant beaucoup plus que sullisant pour couvrir toutes les depenses municipales , il est probable que toutes les taxes seront abo- lies , ce qui augnientera de beaucoup la j)opula- tion de la ville etdonnera un immense avantage a ses fabriques. Qui peut caiculer Ics routes et canaux et autres travaux publics auxquels la corporation va se livrer? C'est dans vingt ans qu'il faudra voir le resultat de ce legs immense. La principale des depenses des Etats-Unis a ete le paiement du capital et des interets de la dette qu'ils avaient contractee pendant la der- niere guerre. Du temps de la guerre de la revo- lution , les Etats-Unis , pour subvenir a ses frais , et n'ayant pas etc a mcme au conmience- ment de pouvoir faire d'emprunts , avaient dte obliges d'emettre un papier-monnaie semblable aux assignats de France. Ce papier, qui avait etc extremement deprecie pendant la guerre . fut rachete plus tard aux prix de la place, re qui passapourune banqueroute, mais qui pour- tantn'en etaitpasune, car commece papier avait ete emis aupair, qu'il avait continuellement cir- cule perdaiit succcssivement, mais insensible- mcnt sa valeur , les derniers detenteurs ne per- daieiit pas davantage que les premiers, et leurs pertes etaient exactement egales a la j)ortion qii'ils auraient du payer d'une taxe quelconque qui eiit etc levee pour racheter ce papier au pair : ce qui cut d'ailleurs donne un avantage tout-a-l"ait iiijuste aux possesseurs actuels du papier, sur ceux par les mains desquels il avait circule aiijiaravant. Au commencement de la derniere guerre, le credit des Etats-Unis ctait extrcmement bas , ils rcussirent pourtant a faire dcs cmprunts ct dcpuis ils les ont tons rem- boursosjus(|u'a concurrence de trente ou trente- cinq millions de dollars , qui seront payes dans deux ou trois ans : les Etats-Unis se trouveront alors avoir un exces de rcvenude douze a quinze millions de dollars j)ar an , et Ton commence des aujourd'hui a se disputer sur I'emploi qu'on en doit faire. La question est en effet beaucoup plus embarrassante quelle ne semble au pre- mier abord , car si Ton diminuait les impots de maniere a reduire la recctte au niveau des dc- penses , on ruinerait tons les raanufacturiers , 3i5 qui n'ont engage leurs capitaux dans cette route que sur la foi de la nation. Je desire cer- tainement que le tarif subisse de fortes modifi- cations , mais graduellement et non de maniere a operer une secousse desastreuse pour I'indus- triemanufacturiere, dont toutesles classes, d'une maniere ou de I'autre , se ressentiraient plus ou raoins. Un parti propose de partager ce surplus de revenu parmi les Etats dans une proportion donnee ; mais il y aurait de graves inconveniens. L'equilibre entre le pouvoir des gouvernemens d'Etat et celui du gouvernement federal serait detruit a I'avantage des premiers ; d'ailleurs il serait impossible d'etablir un mode de repartition qui parut equitable a tout le monde. Un autre parti voudrait que le gouvernement federal em- ployat ces sommes a entreprendre de grands travaux d'utilite publique. Ceci a encore bien plus d'inconveniens , et I'independance des Etats en souffrirait beaucoup. On s'arretera probablement a un terme moyen. Pendant les premieres annees ces sommes seront employees a completer tout d'un coup les immenses tra- vaux de fortifications des cotes qui, comme je vous I'ai dit dans une autre lettre , ont ete en- trepris par les Etats-Unis sur une echelle gigan- tesque. Une fois cela fait , le gouvernement 346 souscrira une proi)ortion donnee dans toutes les societes incorporees pour des travaux publics par les Etats. De cette maniere le gouver- nemcnt se vcrra, tous les ans, accumuler un capital de douze a quinze millions de dollars en actions de routes et de canaux , qui lui rappor- teront un fort interrt , qui pourra etre de nou- veau employe en actions dans de nouvelles en- treprises. De facon qua la premiere guerre , ou au premier evenement fortuit qui exigerait des depenscs imprevues , au lieu de faire un emprunt, le gouvernement n'aura qu'a jeter sur la j)lace ct faire vcndrc au prix du jour une quantite d'actions suilisante pour ses be- soins. Si I'etat de paix et de prosperito dans lequel I'L nion se trouve aujourd'hui continue seulement dix ans, elle se trouverait par ce moyen elevce bien au-dcssus de tous ses besoins eventucls et pourrait, dans la suite des temps, cntreprendre des travaux publics aupres desquels les pyra- mides d'Egypte ne sont que jeux d'enfant. Aux yeux de I'Europcen des projets de cette espece semblent gigantesques , mais en Ameri- que ils n'ont rien d'etonnant. Le gouvernement ne ferait que ce quo beaucoup d'individus et beaucoup de corporations ont fait avant lui ; en 347 eflfet, la rapidite aveclaquelle les capitaux s'aug- mentent aux Etats-Unis passe toute croyance. Le besoin que Yon a des capitaux est tel , et les entreprises commerciales , manufacturiercs et agricoles sont si nombreuses, que quel que soit leur accroissement ils sont a Tinstant absorbes. lis peuvent toujours commander du sept au dix pour cent d'interet , et en rapportent bien da- vantage a ceux qui les mettent en oeuvre. Ge qui produit la gene de I'industrie en Europe , est la surabondance des capitaux , tandis ([u'en Amerique les progres de Findustrie n'ont d'au- tre limite que leur rarete. II devint done neces- saire, pour obvier a cet inconvenient, d'adopter un systeme de credit universel et qui permit meme , pour ainsi dire , de creer des capitaux factices. Aussioneut recours a ce moyen. Toute affaire se fait a de longs credits. Souvent un marchand acbete a trois mois une cargaison qu'il salt devoir etre oblige de vendrea perte, a Cuba , par exemple ; mais il trouvera immediatement a emprunter de nouveau la valeur de ce char- gement, en le donnant pour garantie. Avec ces deux sommes reunies il rapportera un char- geraent de sucre et de cafe , et aura deja realise d'immenses benefices avant que I'echeance de ces deux premieres dettes et de ses obligations 348 envers la douane pour payer les droits d'iiu- portation soit arrivee. Tous les marchands des grandes villes vendent aux inarchaiids des eampagnes a des credits de six mois ou un an, Ceux-ci font la meme chose avec le planteur. Combien de planteurs meme ont paye leurs terres ou leurs negres avec leur reeolte ou des entreprises particulieres ! Toutenfin va par spe- culation ; personne ne vit de Tinteret de son ar- gent ou de sa rente; tout est aCtivite, entre- prises, speculations, hasards. Souvent des profits immenses sont realises; d'autres lois un faux calcul entraine une ruine complete, mais ce- peiulant comme le capital general de la nation augraente tous les ans imnienscment, ee qui suppose que tout le monde fait de bonnes affai- res , il est bien clair que les gagiians doivent etre plus nombreux que les perdans dans cette loterie gencrale. Un charpentier de la Nouvelle-Angleterre, par exemple , qui corame tous les Yankees a ete bien elevc, quitte sa petite ville oii il n'aura guere d'autreavenirdevant lui que celui d'etre charpentier toute sa vie , et va s'etablir dans un des pays neufs de I'ouest , au bord de quelque grande riviere. Le voila d'abord devenu entre- preneur de batimens ; il se charge de construire, 349 soit des maisons particulieres , soit des edificeB publics a credit, lui-meme paie ses ouvriers en credit, vit a credit dans son auberge , chez son tailleur, etc. II ne manquera pas de faire dt- bonnes affaires ; alors , il acbetera une piece du terre, il batlra des moulins ou des fabriques, et le voila devenu meunier ou manufacturier. II accompagnera son premier chargenient jus- qu'a la Nouvelle-Orleans. Commencera a faire d'autres speculations connnerriales , acbetera un bateau a vapeur, s'etablira dans la grande ville , et par suite d'un faux calcul perdra tout , mais rien ne Tempeche de recoramencer. Au contraire , etant connu comrae un liomme d'en- treprise , qui a deja fait fortune et a ete raal- heureux , il trouvera tout de suite quelqu'uu , ou quelque compagnie , qui lui confiera ou I'erection d'une maison, ou la direction d'un chantier, ou I'administration d'une plantation, ou le coinmandement d'un bateau a vapeur; de facon qu'il rccoramenccra sa carriere finan- ciere, d'un point beaucoup plus eleve qu'il n'etait parti. Mais supposons qu'il ait pris I'adraini- stration d'une plantation , le voila overseer ou gerant ; rien ne I'empeche pendant ce temps-la d'economiser son salaire , et de faire des specu- lations privees, souvent aux depens de son 30 niaitrc. An bout d'nn ou deux ans, ils se ([iiit- leroiit Lieu on mal. II ira diuis qiielquc pays neuf, s'etablira sur iin petit inorceau de terre, (au passajje d'une riviere, ou il eonstruira nn bac), coiiime aubergiste, niecanicien, entrepre- neur de toute espece de choses ; il se rendra Ires-popidaire, deviendra rhonnne influent de son district, sera elu d'abord ollieier dans la niiliee, j)nis jn^ye de paix , puis nienibrc de la lejjislatnre, et peut-etre ])ien niendire du eon- gres. La son esprit, se I'rottant eontre celui des premiers hommes de la nation , y gagnera tou- jours qnel(jueebose; b*s discussions contiiuielles I'eclaireront . il se faconnera aux uianieres du monde, deviendra beau j)arleur, s'il ne I'etaitpas deja, et brefen rentrant cliez lui. entre deux ses- sions, sefera recevoiravocat.Souvent I'ambition etles afl'aires publi([ues lui font negiigerles sien nes propres; la ]K)liti(pie cliange, son parti se tronveleplus faible. il n'est j)asreeluetsetrouve rcduit a sa simple pratique. 11 faut alors reconi- mencer encore. Mais bienplusprobableinent, il deviendra gouverneur de son Etat , directeur des banques, et finira sa carriere honorable et laborieuse, comme juge d'une des cours snpre- mes.' II y a peu d'americains en effet, parmi cenx qui sont les plus distingues, qui n'aient passe 351 par beaucoup de ces peripeties, qui n'aicnt eu trois ou quatre melius , de ceux souvent qui paraitraient les plus discordans eu Europe. Yous avez connu un liomme comme avocat , vous le revoyez au bout de quelques annees , a Tautre bout de rUnion, capitaine de vaisseau, ou planteur, ou oflicier, ou negociant et meme quelquefois precheur; quelquefois il a etc tout cela a tour de role * et quoique peut-etre il n'ait pas fait sa fortune, soitpar lafautede son etoile, soit par la sienne, cependant la cominiinaute profile toujours de son travail, carl'arbre qu'il a plantc dans le desert portera toujours son fruit, qu'il soit destine a apaiser sa soif'ou celle d'un autre. Pour faciliter autant que j)ossible ce mou- vement progressif , si rapide et souvent si turbulent et si irregulier , on a invente le systerne des banques , et on lui a donne le plus grand dcvelopperaent dont il soit sus- ceptible. L'argent ne circule pas aux Etats- Unis , on n'en voit pas ; il est bien enferme en barils et en caisses , bien et dunient eti- quetes et cachetes , et ne sort des voutes d'une banque que pour aller , en cliarrettes , se reposer dans celles d'une autre. Les banques emettent , en billets, pour trois ou quatre fois 352 la valeur des especes qu'elles ont dans leurs caves ; ces billets , dans le sud , sont quel- quelbis pour de tres-petites sommes , merae pour 6 1/4 cents. Dans quelques etats ils ne peuvent etre au-dessous d'un dollar , et la banque des Etats-Unis n'en emet que de cinq dollars et au-dessus. Ces banques , dont le nombre est infmi , sont des compagnies ano- nynies par actions ; les actionnaires elisent tous les ans des directeurs qui nomnient un president , uu caissier et les autres olliciers de la banque, chacune suivant sa constitution. Ces ofiiciers dirigent toutes les affaires de la societe et rccoivent des depots , escomptent des billets , pretent de I'argcnt sur interet , enfin font toute espece d'affaire demandant I'avance d'un capital quclconque. Ces banques sont tenues a racheter leurs billets en argent comptant , toutes les fois qu'ils sont repre- sentes. Elles sont en compte ouvert les unes avec les autres. Souvent les Etats sont eux- nienies actionnaires dans une de leurs banques. Au milieu de la concurrence de toutes ces institutions tan tot s'entr'aidant , tantot s'entre- choquant , le grand Leviathan , la banque des Etats-Unis , etend ses branches et ses bureaux d'escomptes et de depots , d'un bout 353 des 6tats-Unis a I'autre. C'est la Ic grand volant qui regularise toute la machine, et qui empeche des secousses trop violentes d'avoir lieu. Avant son institution, beaucoup de banques pouvaient suspendre leurs paie- mens en especes, le cours de leurs papiers devenait variable ; I'escompte d'une ville sur I'autre etait sans cesse changeant , et toujours arrange de maniere a faire perdre des sommes immenses au gouverneraent des Etats-Unis. Maintenant toutes les banques sont endettees envers celle des Etats-Unis. EUe se charge des transports de fonds d'un bout de I'Union a I'autre , pour un escompte qui , dans aucun cas, ne passe 2 p. "/o , et qui en general est au pair pour les particuliers. Conime je vous I'ai deja dit , elle fait le service du gouvernement au pair ; les autres banques sont done obli- gees de reduire leur escompte au moins au taux de celui de la banque des Etats-Unis, car sans cela elles ne trouveraient pas d'affaires. Toutes ces banques font circuler une masse immense de capitaux avec une incroyable rapidite. Elles vivifient , animent, encoura- gent tout et sont le trait distinctif du systeme industriel americain. D'un autre cote les hasards enormes auxquels 30. 354 tant d'entreprises concurrentes doivent neces- sairement dormer lieu , sont converts par des societes d'assurances innombrables. Elles sont aussi anonymes et constituces do meme que les Lanques; il en est contre toute espece de si- nistres. Ceaucoup de fabriques,de mines, et d'exploi- tations de tout genre, se font aussi par des socie- tes semblables qui reunissent souvent le privi- lege d'cmettre des billets aux autres facultes qui leur sont donnees par la legislature. Les routes , les ct^naux , les ponts, les routes enfer, enfin tons les travaux publics sont construits et exploites de la meme maniere. Toutes ces so- cietes sont des corporations ayant une existence civile et politique, pouvant poursuivre et etre poursuivies en justice comme toute personne naturelle pourrait le faire. Chacune d'elle em- ploie desavocats, des arrliitectes, des graveurs, desingenieurs, etc., etc., et devientune source immense de prosperite pour la petite ville ou elles etablissent leurs bureaux. Quelquefois, il est vrai, elles fontde mauvaises aflaires et man- quent, mais le cas est extreraement rare. II est ordinaire aux etrangers qui ont ete pour afifaire aux Etats-Unis , de se plaindre de la mauvaise foi qu'on y trouve dans le com- 355 merce et de rinstabilite des fortunes qui s'y font. Je crois que cela est du d'abord au mau- vais choix qu'ils font de leurs correspondans , et ensuite a ce qu'ils s'endorment dans leurs affaires. En effet , au milieu d'une foulesembla- ble ou tons courent vers le meme but , il est necessaire de courir aussi et de bien se tenir sur ses jambes , si Ton ne veut etre devance ou renverse. II arrive souvent que des terres tres- fertiles ont ete decouvertes dans une localite. Le gouvernement les vend a tres-haut prix, des speculateurs s'en emparent , une espece d'en- gouenienta lieu, la population s'y porte en foule, des travaux d'utilite publique y sont commen- ces, des boutiques s'y clevent de tout cote, les prix des terres continuent a augmenter , enfin on y etablit une banque , tout y respire la pros- perity ; tout-a-coup une ou plusieurs mauvaises recoltes successives ou des fievres jaunes ou la fondation d'etablissemens de la meme espece dans une situation encore plus favorable , I'es- prit de changeraent enfin et le gout de la nou- veaute, substituent le decouragement a I'en- gouement primitif. Les terres qui avaient monte beaucoup au-dessus de leur valeur reelle , tom- bent au-dessous ; la population, trouvant qu'elle ne fait pas fortune assez vite, sedegoute etemi- 356 tjre aussi facileinent qu'clle etait accourue; tout tonibe ciiriii dans uii etat de marasiiie aussi siii- jjulier et aussi fictif que I'etat de pi^osperite qui I'avait precede. Ces deux etats continuent a se suceeder alternativenient juscpi'a ee qu'apres plusieurs oscillations , le nouveau district soit mieux ap[)recie et que sa valeur reelle soit fixee d'uiie nianiere pernianente, autant que rieii peut I'etre dans un jiays aussi progressif que les Etats-Unis. Ileureuxdonccelui qui, connais- sant le genie du peuple et ses institutions, ainsi que la geographic du pays, son climat et ses productions, sait acheter et vendre a tenq)s, niais iuallicur a rKuro})ecn sans connaissanco locale, (pii agirait d'apres les conseils d'amis ou interesses ou se tronq)ant eux-menies de bonne I'oi. 11 est sur en suivant le principe de Panurge, d'acheter cher et de vendre bon niar- che . d'arriver au nieme resultatet d'etre bientot llanibe, a moins qu'il n'ait le courage, la pre- sence d'esprit et la flexibilite qu'un Americain opj)Ose aucoups du sort.et qu'il ne sache comme lui, les chats et les abbes toujours retomber sur ses pattes. LETTRE X. Des Moeurs , das Beaux-Arts et de la Litterutnre. Bnixellcs, mars 1832. Si aux Etats-Unis le gouverneinent est etabli sur un principe toiit-a-fait neuf et inconnu, au moins dans son application , celui de la soii- verainete du peuple dans son sens le plus absolu, de meme la societe et les relations des indi- vidus entr'eux sont etablies sur une base non moins nouvelle ; c'est la concurrence. II n'existe aucune espece d'aristocratie de naissance, la fortune ne donne droit qu'aux avantages phy- siques qu'elle peut acheter, mais le talent le 358 nierite, ne voieiit pasdebornesaleurjuste ambi- tion. Toutle monde, dans notre systerae republi- cain, est rigoureusement classe d'apres sa capa- cite. Vous allez nous croire St-Simoniens. Eh non, moncherami, detrompez-vous. Est-ce que vous croyez que moi,horameblancetlibre,jevais aller soumettre ma raison a celle d'aucun de mes egaux? Croyez-vous que j'irai demander a quelque farceur de me classer, quand je suis sur de conqucrir par moi-meme la place quel- conque a laquelle j'ai droit dans reclielle des etres? Croyez-vous que j'irai reconnaitre le pere Enfantin, ou tout autre oiseau auquel il peut passer par la tete de se poser sur une branche de I'arbre social , moi qui ne depends de per- sonne, et suis libre comme Fair que je respire? Tout au contraire, le systeme Saint-Simonien et le systeme americain , sont les deux extre- niites du diametre de la pensee humaine. L'un est base sur une dependance absolue , un esclavage beaucoup plus fort qu'il n'a jamais existe , puisqu'il s'etend jusqu'a la pensee , et si Ton en croit certains bruits peut-etrecalomnieux, meme sur les affections les plus sacrees : I'autre, au contraire, est base sur le principe de la liberte la plus absolue ; I'independance en est le resultat. L'un veut me proteger contre tous les 359 dangers imaginaires ou reels, et me forcer d'etre heureux a sa maniere , merae contre ma volonte ; I'autre, au contraire, me laclie jeune et robuste sur le flot de la vie . pour y prendre mes ebats a loisir, me tirer d'aflfaire comrae je pourrai , et etre heureux ou perir a ma maniere, car il est bien siir, qu'a moins de changer de peau et de perdre raon identite , je ne puis Tetre a la maniere d'un autre. Concurrence, voila le secret du systeme americain ; tout est au con- pours : fortune , pouvoir, amour, richesse , tons ces tresors sont ouverts, c'est au plus habile a les aller chercher. Comme dans les anciens contes de fees , ces princesses enchantces sont defendues par des dragons , des vautours , des lions rugissans, mais plus encore par les rivaux qui se pressent sur la meme route, et ne se feront pas faute d'un coup de pied , pour vous aider a degringoler. Par bonheur pourtant dans notre pays d'abondance , les princesses a con- querir et a delivrer sont en nombre suffisant pour contenter tousles preux chevaliers, et meme beaucoup de leurs ecuyers; de facon que le combat n'est pas si acharne qu'on pourrait bien le croire. II y a place pour chacun au banquet de la vie, et surtout la table n'a pas de haut bout, ni de place qui soit marquee par un dai. 30)0 Tous les liomraes naisscnt cgaux en droits et en chances de succes; car si d'un cote la for- tune donne a quelques-uns des avantages , d*un autre elle leur retire I'aiguillon du besoin, et afTaiblit de beaucoup leur enerjjie. Tous out des chances egales de parvenir a tout. Le sot riche n'en sera pas moins sot , et ne pourra qu'avec peine delendn^ sa fortune contreles attaques de I'hommed'espritpousseparle besoin. L'homme, une fois engage dans une carriere quclconque, ne pent s'arreter un instant, ni se ralentir dans ses efforts, sans etre a I'instant depasse par de jeunes rivaux dont les nonis niemes etaient incMjnnus la veille. Ce concours cuntinuel, cette lutte perpetuelle de tous contre tous, main- tient une activite dans la socictc, qui a les j)lus heureuxn'sultats. (^uelque carriere qu'on siiive, Ton est entierement dependant de Topinion publique. C'est elle qui regno en despote, et classe chacun suivant ses ocuvres, car elle est toujours desinteressee , et son jugement ne se trompe jamais. Elle a besoin pourtant, pour s'eclairer, d'etre aidee par la jilus grande publi- cite ; aussi tout est-il arrange aux Etats-Unis , de faron a la fL\ciliter de toutcs les manieres. La presse est entierement libre. La publication des journaux et leur circulation, loin d'etre entravees 361 par des droits de cautionnenient et de timbres , ou d'etre geiiee a la poste, est an contraire encouragee partous les moyens possibles. Aussi les journaux puUulent-ils. Chaque ville ou vil- lage en a au moins un ; chaque nuance d'opi- nion, quelque legere quelle soil, est sure d'avoir son interprete. Tout se sait, tout se conimente , tout s'interprete , et le seul moyen aux Etats- Unis de n'etre pas decouvert, est de ne pas avoir de secret. Eclaire par un fanal aussi sur, le peuple juge et ne se trompe jamais dans son verdict. Je ne veux pas ici defendre la presse perio- dique americaine. A peine ya-t-ilquatreou cinq bons journaux dans la foule ; les autrcs les rej)e- tent, et sont tres-peu delicats sur les moyens dont ils se servent pour soutenir Icur opinion. Mais leur virulence se serf, de contre-poison a elle-meme; et d'ailleurs une personnalite ne reste jamais sans reponse , de facon que le ton deplorable qui les anime ne produit auciin effet sur des oreilles habituees a entendre les reproches que les partis opposes s'adressent. Lors de I'election contestee entre Adams et Jackson , les journaux des deux partis avaient prisune teinte si virulente , etpubliaient tantde calomnies, qu'il ctait vraiment degou(ant d'y 31 362 toucher. Qui les eiit crus , eiit sincerement plaint le sort de la nation, obligee do choisir entre deux scelerats tels que les candidats etaient rcpresentes , chacun par les journaux du parti oppose. II faut etre juste pourtant, la grande difficulte que Ton rencontre aux Etats-Unis dans les elections , est do choisir entre plusieurs personnes d'un raerite egal. La nation avance tranquillement en prospcrite, sans aucune de ces secousses qui donnent I'occasion de de- ploycr des talens d'un ordre superieur. Elle compte certainement des gens du premier me- rite et en abondance , mais il leur est presque impossible, dans I'etat de paix et de tranquillite qui existe a present , de se placer a la hauteur qui leur convient, au-dessus du rang de merite qui leur est immcdiatement inferieur. Moins done la difference entre deux candidats est grande, plus elle doit etre exageree par les journaux de leurs partis respectifs , qui en cela font I'office des cercles repctiteurs. La difference est si petite qu'elle passerait inapercue, si elle n'etait multipliee quelques millions de fois. Un des effels les plus remarquables de cette publicite est I'interet que chacun prend a la po- litique du jour, ce qui fait que la conversation est toujours la meme dans quelque societe que 363 vous alliez. Le fiacre causant aux coins des rues avec un porte-faix, I'avocat, le planteur, le precheur, reunisadiner chez le riclie marchand, parlent tons de la meme chose. L'election pro- chaine, la mesureproposee soit au congres, soit a la legislature de I'Etat , on le dernier proces qui a attire la foule , font le sujet de la conver- sation ; il est traite differemment par les diffe- rens cercles , mais enfin c'est toujours le meme sujet , et il est egalement bien compris par toutes les classes , car les journaux sont lus par tout le monde. II est facile de voir que lorsque dans un pays il regne une telle unanimite d'opinions, une telle similitude de goiits et d'occupations intel- lectuelles, les differences entre les classes qui composent la societe sont tout-a-fait chime- riques. Je ne veux pas dire qu'il n'existe pas aux Etats-Unis plusieurs cercles de societe , cela ne pent etre autrement dans toute societe poli- cee ; mais je veux dire que les limites qui les divisent sont tellement deliees qu'ils se fon- dent tous les uns dans l^s autres, et que s'il y a plusieurs cercles , il n'y a ni castes ni rangs. L'Americain est doux , poli , mais fier comme il convient a un homme libre de I'etre ; il ne pretend a aucunesuperiorite, maisne se soiimet (laiis aucuii cas a etre traitcen inferieiir. Chacun eviisiderc tpi'il fait un metier pour vivre, et loin de I'envier il meprise I'oisivete ; il pense que tous les metiers honnetes sont ej^jauv en dijjnite , j (pi(>i(pie, demandant des cpiantites detalensdil- i'erentes,ils aient droit a d'inegales retributions. Le domestique d'un avocat on d'un medecin, par exemple , ne voit pas de diilerenee materielle cntre lui et son employeur (employer) (car le mot de maitre n'est en usaj;e que dans la bou- elie des jjens de couleur). J^'un brosse des lia- biis . I'autre plaide des causes , ou tate le pouls, ou jiivrbe , ou jn^e , ou fait des lois, ou [;ou- verne vuWn pour de I'ar^ent. 11 n'y a pas tant de (liflerence : ehaeun tache de faire son devoir de son mieux. Ainsi le domestique sera extre- raement attentif et soumis. Des cpie son service ne luiconviendra plusil renverra son maitre, et dans aurun cas ne souflVira de sa part ni insulte ni violence. Qu'il tombc malade ou qu'il ait un proccs, il donnera sa pratique a son maitre, le paicra et sc considcrcra quoad comme ayant cbange de role avec lui. Get esprit d'independance fait le grand caractere distinctif entre les manieres anglaises et les manieres americaines, car exterieun?- 365 nient et physiquemeiit dies se ressembleiit beaucoup. Si , par exemple , vous allez dans ce que ceux qui la composent appellent la pre- miere societe de New-York , vous y trouverez tres-peu de difference avec les nianieres de la bonne societe anglaise. A New-York , ce cercle est compose de marchands nouvellement arri- ves au sommet de la roue , oii il est tout a parier qu'ils ne resteront pas long-temps. lis profitent de leurs quelques jours de prosperite pour etaler autant de luxe et de folic que leur situation le leur permet. Tons ont fait un voyage en Europe , tachent de singer les manieres exclusives dont ils ont ete victimes de I'autre cote de I'Atlantique , affectent de priser tout ce qui est etranger , et de considerer TAmerique comme un pays barbare , oii Ton n'a jamais rien invente d'elegant , pas meme la galoppade et les manches en gigot de mouton. Le pre- mier escroc ou chevalier d'industrie europeen qui prend la peine de se faire passer pour due ou pour marquis , est siir d'emporter tous leurs suffrages, jusqu'a ce qu'il lui plaisc d'y joindre leurs bourses. Les liommes de cette societe font semblant de ne pas s'occuper de politique , ou du moins de ne pas en causer , car c'est un vsujet si vulgaire et si mauvais 31. 366 ton a Londres ! Us tachent d'imiter la nullitc parfaite de la conversation de cette ville , et en general , aides par leurs moyens naturels , ils ne reussissent pas mal. Mais a cote de cette societe , est celle formee par les negocians, les arniateurs , les avocats, les mederins et les niajyistrats de la ville. Celle- ei est vraiment amerieaine : elle ne s'aniuse pas a singer les manieres europeennes ; la con- versation V est solide et instructive, elle roule sur la politique du jour et les ail'aires. La so- ciete est ])eut-etre, a New^-York , plus teinte de manieres europeennes que dans les autres grandes villes des Ktats-Lnis , et cela est tout 6inq)le , si Ton considere Timinense norabre d'etrangers (pii y resident. C'est la ville qui a le plus de theatres , car elle en corupte jusqu'a cinq , et a meme eu un opera italien et un corps de ballet. *I1 y existe plus de dissipation et Ton y fait plus de folles depenses qu'autre part. La grande rue de Broadway donne une grande idee de I'Anierique a TEuropeen qui debarque. Apres Regent's street a Londres, c'est la plus belle rue que jeeonnaisse. Les immenses trottoirs bordes d'elegans niagasins , sont , a certaines heures de la journee , couverts de tout ce que la population possede de plus 367 fashionable. Toutes les jolies femmes vont y fairc un tour , tous les elegans s'empressent de les y rencontrer. L'etranger lisant son journal dans le salon commun de city-hotel , voit tout ce beau monde defiler devant lui. La societe de Philadelphie est beaucoup plus tranquille : les Quakers sont une 'population heureuse qui donne un aspect de repos a toute la ville. Ici , point de bruit corame a New-York, les voituresy sont beaucoup moins nombreuses, les rues etant si propres que Ton n'en a pas besoin. Toutes les rues sont pareilles , aucune ne sert done de ralliement comme le Broadway de New-York. Chesnutstreet cepcndant estcelle qui est la mieux construite , et oii les gens a la mode viennent prendre leurs ebats. La librai- rie de Messieurs Carrey et Lea est I'endroit oii il faut aller s'etablir vers le midi pour voir cette rue dans tout son lustre. La sociele de Phila- delphie est beaucoup plus instruite que celle de New-York ; les professeurs de I'universitc y donnent le ton . ce qui lui communique peut- etreunleger degre, presque imperceptible pour- tant , de pedanterie. Les TVistarparties &oni des assemblees de savans et de gens de lettres , auxquels les citoyens les plus marquans par un merite quelconque sont ajoutes , et qui sont 368 toujours ouvertes aux etrangers recommandes. Lesfemmes n'en font pas partie. Elles setiennent a jour fixe chez differentes personnes par rota- tion ; on y cause de sciences , de litterature ^ d'arts et de politique , et Ton y deploie , en ge- neral , beaucoup de connaissances et d'urbanite ; elles se terminent toujours par un souper , et donnent aux etrangers une haute idee des ressources intellectuelles de cette ville. Mais c'est a Charleston qu'il faut aller pour jouir de la societc americaine dans tout son luxe. La les cercles composes de planteurs , d'avocats et de medecins , forment la societe la plus agreable que j'aie jamais connue. Les ma- nieres du sud sont d'une elegance parfaite , les esprits sont extremement cultives et la conver- sation roule sur mille sujets differens avec aise, grace et facilite. L'affectation de frivolite ou de manieres etrangeres en est aussi bien ban- nie que la pedanterie et I'hypocrisie religieuse; tout y est intellectuel , vertiieux et rationnel. Charleston fait la residence ordinaire de beau- coup des hommes d'etat les plus distingues de rUnion, qui sont toujours prets dans la societe a expliquer leurs vues a leurs concitoyens. Helas! pourquoi faut-il que je ne puisse me rappeler les heures charmantes que j'ai passees 369 dans cette societe , sans que ce souvenir ne re veille celui de la perte de I'ami dans la maison hospitaliere duquel je commencai a la connai- tre ! II n'est plus , et Charleston a perdu pour moi une des choses qui m'y attiraient le plus. La societe de Richmont ressemble beaucoup a celle de Charleston et est aussi agreable. En Virginie la bonne societe est repandue sur toute la surface de I'Etat , encore plus que par- tout ailleurs , par le manque d'une grande ca- pitale qui I'attire et donne le tonexclusivement. L'hospitalite Virginienne a toujours passe en proverbe et a juste titre. La Nouvelle-Orleans forme un contraste par- fait avec toutes les autres villes : ici point de conversations intellectuelles , point d'instruc- tion ; il n'y a que trois libraires pour une ville de soixante mille ames,et encore leurs magasins se composent-ils du rebut de ce que la littera- ture francaise a produit de plus sale. Mais si Ton ne cause pas , Ton mange, Ton joue, Ton danse et fait I'araour. Une institution toute particu- liere a cette ville , sont les bals de quarteronnes oil les femmes libres de couleur sont seules admises pour avoir I'honneur de danser avec leurs seigneurs les blancs, car les hommes de couleur en sont severement exclus. G'est un 370 spectacle vraiment magique , que de voir qiiel- ques centaines de femmes toutes tres-jolies et tres-bien mises, et de toutes les nuances depuis celle du cafe a la creme jusqu'au blanc le plus delicat , reunies dans de superbes salons pour y exposer leurs graces venales. Les gens les plus commeilfaut frequentent ces bals, qui sont entierement publics etoii tout se passe toujours avec la plus grande bienseance. Les maisons de jeu sont aussi extremement nombreuses a la Nouvelle-Orleans et ont servi a miner bien des jeunes gens du Kentucky, qui etaientvenus pas- ser leur carnaval dans cette Babylone del'ouest. Mais I'endroit oii la societe americaine se montre avec le plus d'avantage , c'est Washing- ton pendant I'hiver. En ete , la ville est presque deserte, et n'est pour ainsi dire habitee que par les membres et les employes du gouverne- ment. Mais le premier lundi de decembre est le jour fixe auquel le congres s'assemble chaque annee . Vers I'approche de ce temps , les senateurs et les representans arrivent en foule , accorapa- gnes deleurs families et suivis d'une armee de solli- citeurs et de gens ayant affaire avec le congres. La ville se peuple en un instant. Les ministres et le corps diplomatique donnent des fetes. Les membres du congres rendentdes diners, et 371 si la journee se passe dans le tourbillon des affaires, la nuit est emportee par celui des plaisirs. Le president donne un levee une fois par semaine, c'est-a-dire, une fois par semaine le soir il ouvre sa mai^on a tous ceux qui veu- lent Taller voir. Rien n'est simple comme I'eti- quette du chef du gouverneraent. L'affluence des visiteurs est tout ee qui distingue cesreuions de celles de tout autre particulier. Les conditions etant parfaitement egales en Amerique, les parens n'ont pas de raisons pour s'opposer aux choix que leurs filles peuvent faire d'un mari. Aussi est-il recu , dans toute r Union , que ce choix ne regarde que les demoi- selles, et c'est a leur prudence a ne pas s'en- gager avec quelqu'un qui serait indigne de leur main. Mais on considererait presque comme un acte d'indiscretion de la part des parens, de vouloir guider leur choix. Rien au monde n'est aussi heureux que le sort d'une jeune americaine de quinze a vingt-cinq ans , surtout si elle est jolie, comme au reste elle le sont presque toutes , et qu'elle ait de la fortune. Elle se trouve le centre de I'admiration et de I'adoration generales ; sa vie se passe en fetes et en plaisirs, elle ne connait pas la contradiction, et encore moins les refus. Elle n'a qu'a choisir 37^ parmi uiie centaine d'adorateurs , celui qu'ellc croira le plus propre a assurer son bonheur futur ; car ici tout le monde se marie, et tout le monde est heureux en mariage. Get etat de helle , corame cela s'appelle , est trop attrayant pour que les demoiselles conscntent a le quitter trop tot ; et ce n'est, en general, qu'apres avoir refuse bien des partis qu'elles finissent par se choisir un maitre , mais seulement lorsqu'elles parviennent a s'apercevoir que leurs charmes comraeneent a perdre de leur empire. C'est sur- touta Washington que les belles detous les Etats viennent briller. Espece de congres femelle ; les graces de tons les points de I'Union y sont representees. Un fougueux depute du sud est captive par les charmes modestes d'une beaute de Test ; tandis qu'une fille de la Caroline refuse les hommages d'un senateur du nord. Tout cependant n'est pas refus , car au bout de chaque session un certain nombre de mariages est declare ; ils servent encore a raffermir rUnion des Etats, et a multiplier les liens qui enlacent toutes les parties de ce grand tout d'une maniere indissoluble. Une fois mariee , la demoiselle change tout- a-fait d'habitudes. Adieu la gaite etla frivolite. Elle n'est pas moins heureuse , mais son bonheur 373 est d'un genre scrieux ; ellc devient mere , s'occupe de son menage , se concentre entiere- ment dans les affections domestiques,et jouitde I'estime de tout ce qui la connait et I'entoure. La societe partout aux Etats-Unis se divise done en deux classes bien marquees : celle des per- sonnes non mariees des deux sexes, dont la grande occupation est de se faiie la cour et de se trouver un compagnon ou une corapagne assortis pour le voyage de la vie; I'autre , des gens qui ont deja fait ce choix. Vous voyez dans le coin d'un salon les gens de cette derniere classe formant des groupes entr'eux et causant politique ou affaires : a peine adressent-ils la parole aux jeunes fiUes qui voltigent autour d'eux, a moins que ce ne soit pour les plai- santer sur le succes de quelque espieglerie coquette; les meres sont dans un autre coin, causant entr'elles de leurs menages et recevant des attentions interessees de la part des admira- teurs de leurs fiUes. Mais pour celles-ci et les jeunes gens une salle de danse est un veritable champ de bataille. Elles se vantent entr'elles du nombre de declarations et de refus qui ont fait la part de la soiree; mille petites coquetteries ont lieu pour amener un jeune homme a se declarer , seulement pour avoir le 32 374 plaisir de le refuser cnsiiite. Toutes ces petites ruses, res petites guerres, sont parfaitement innocentes , car les moeurs sont d'une telle pu- rete qu'il n'en resulte jamais aucun inconve- nient. Si Washington est le theatre de la campa^ne d'hiver, la canipagne d'elc s'ouvre a Saratoga: c'est une source d'eanx niinerales dans I'Etat de New-York . oii tout l(* beau monde de I'Union va faire nn tour ])ciulant les inois de juin , de juiilet ct d'aout de chaque annce. La chaleur du climat (hi sud et les fievres intermittentes qui desolent les ])lantations dans cotte saison , chas- sent tous les planteurs rers le nord; ils vont avec leurs families a New-York , d'oii ils remon- tent la riviere du nord jusqu'a Albany , et de la vont passer quelques jours a Saratoga, vont ensuite voir les grands lacs ; de la, la chute du Niagara . le grand canal , les montagnes de Catskill, et poussent peut-etre leur excursion jusqu'au Canada. L'Etat de New^York se rem- plit pendant I'ete d'un nombre immense de cu- rieux voyageant pour leur jdaisir et leur sante. A Saratoga Ton vit dans d'immenses auberges , horriblement mal loge dans de petites cham- bres de six pieds carrcs. Mais les salons coni- muns sont de toute beaute , et I'exterieur de ces 375 h6tels a vraiment un air monumental. On se leve de bonne heure. va boire ou du moins faire semblant de boire de I'eau a la fontaine ; Ton rentre pour dejeuner en commun; les pa])as et maraans s'ennuyent a perir toute la journee, les jeunes personnes font de la musique , les jeunes gens leur font la cour, on fait de temps en temps quelque excursion dans les environs. Le soir on danse, et Ton estbientot fatigue de ce genre de vie qui ne laisse pas que d'avoir ses charmes pour quatre ou cinq jours. C'est a Saratoga que les amans qui sd sont quittes I'hiver a Wa- shington se sont donne rendez-vous ; c'est a Washington qu*ils promettent de so retrouver en se quittant a Saratoga ; ces points de reunion et surtout la maniere publique ct commune dont on vit auxeaux, offrent toute especc de fa- cilite pour augmenter le cercle de ses connais- sances. En effet, un Americain a des amis dans toutes les villes de TUnion, qui partout oii il peut aller lui assurent , ainsi qu'a ccux qu'il re- commande, une reception hospitaliere. Dans chaque ville , les principaux citoyens , ceux qui sont a la tete de la cite par leur in- fluence , leur fortune ou leurs talens , se font un devoir de faire les honneurs de leur ville a tout etranger un peu connu. Aussitot qu'iU 376 sont informes ou par les journaux ou par le bruit public, de I'arrivee d'unhomme distingue dans leur ville , ils vont a son auberge lui faire la premiere visite et I'inviter a diner. L'etranger ne quitte jamais la table sans avoir ete invite de la meme maniere par I'un des convives , de facon qu'en tres-peu de temps il se trouve avoir fait la connaissance de toute la societe de la ville. S'il y a des bals ou des diners publics , il est siir de recevoir une invitation , et si c'est un homme politiquement influent ou populaire d'une maniere quelconque , on lui donne des diners publics par souscription. Ges politesses sont rendues par le voyageur , une fois qu'il est rentre chez lui , a tout citoyen de la ville oii il a ete si bien recu , qui vient visiter I'endroit de sa residence. De facon , qu'un cercle de bons offices s'etablit , qui relic encore tres-fortement les difierentes villes de I'Union entr'elles. Outre cela , les diff"e rentes professions ont un esprit de corps qui les fait s'entr'aider , mais surtout les avocats. lis fraternisent tons ensem- ble d'une maniere qui rend la pratique extre- mement agreable ; car , de quelque maniere qu'on se dispute a I'audience , il n'en est plus question en sortant de la , et en general tous les membres d'un meme barreau vivent dans la 377 plus grande intimite. Les assises sont toujours un temps de fete , car, non seulement les mem- bres du barreau residant dans la ville ou elles se tiennent , mais meme les principaux citoyens de I'endroit , se font un devoir d'inviter a diner, a tour de role , la cour , ses officiers et tout le barreau. Ce que j'ai dit de la bonne societe doit s'en- tendre de toutesles classes, en faisant attention, pourtant, qu'amesure que Ton descend les gens sont moins instruits, les manieres moins ele- gantes et raffinees, et les moeurs moins pures. Mais le genre des manieres est toujours le meme, et jusqu'a nos negres, tout le monde donne des tea parties et des bals. La grande difiference qui existe entre les manieres americaines et an- glaises , et qui caracterise entierement les deux societes, est le manque total en Amerique de cet esprit de servilite sociale , qui forme en An- gleterre un tel contraste avec les institutions lib res dont ce peuple se vante avec raison. II n'y a pas d'homme ou de femme comme il faut en Angleterre qui ne soit constamment ronge du desir de paraitre plus qu'il n'est. II n'y a pas de bassesse qu'on ne fasse pour etre invite dans une societe d'un cran plus haut que la sienne. Les negocians , les bourgeois ne s'entretiennent 32, 378 pas des affaires , du diner on du bal de leur voi- sin , mais ils ne cessent de parler du diner du due un tel , ou du raout de tel ou tel marquis , duquel ils n'approcherent jamais, et qu'ils ne connaissent que de nom ; tout le monde a la genealogie des pairs dans la main , et s*inquiete beaucoup plus de leurs alliances que de oelles de leurs amis etconnaissances. Des qu'un etran- ger est presente , meme dans une maison du haut commerce, la maitresse de la maison a bien soin de lui rabacher les noms de tous les nobles qui lui ont fait I'honneur de lui parler , et s'imagine par la donner a I'etranger une haute idee de sa respectabilite sociale. Cette lache servilite , qui pour moi est degoutante au dernier point , n'existe pas du tout aux Etats- Unis. 11 n'y a pas d'Americain qui ne rougit de mendier une invitation, et il a trop de fierte pour reconnaitre quaucun cercle de societe soit au-dessus du sien en dignite. Le simple ouvrier , s'il lui convient , se trouve assis a cc>te du riche, aux diners politiques, et toute femme honnete pent etre conduite aux bals de sous- cription quelle que soit sa fortune. Au contraire , meme, ce qui entreticnt une distinction entre les differens cercles, est la fierte que chacun ade ne pas recevoir de politesses qu'il ne puisserendrc. 379 C'est sur cela qu'est etablie en partie I'egalite sociale que Ton remarque. Pour jouir de la vie d'une maniere independante en Amerique , il faut depenser de 4 a S mille dollars par an. Geux qui en depensent moins ne veulent pas vivre dans une societe oii ils se trouveraient humilies par leur manque de fortune , et ceux qui pourraient en depenser bien davantage ne le peuvent faire sans s'isoler entierement. Per- sonne ne depenseplusde 10,000 dollars, quelle que soit sa fortune. C'est cela aussi qui rend les salaires des employes inferieurs du gouver- nement beaucoup plus hauts que ceux qui leur correspondent en France ; tandis que le salaire d'un ministre est beaucoup moindre. Dans un pays ou tout le raonde est plus ou moins occupe d'affaires , oii tres-peu de per- sonnes sont a meme de vivre de leurs rentes ou de I'interet de leurs capitaux , on ne doit pas s'attendre a ce que les beaux-arts et la littera- ture aient recu tout leur developperaent. Ce n'est certainement pas le genie ou le gout na- turel qui manquent en Amerique , mais c'est un encouragement pecuniaire; et tant que le tra- vail dupoete et dupeintrene sera pas aussi bien retribue que celui de I'avocat ou du precheur, on parlera et Ton n'ecrira pas. La litterature 380 dans ce liioment-ci est presque entierement orale, I'eloquence etant la branche qui en est le plus developpee. Les revues americaines pourtant font aisement voir, au talent avec lequel elles sont ecrites , que ce n'est pas le pouvoir, mais le temps qui manque aux ecrivains. Un homme engage dans les affaires peut bien leur derober quelques heures , pour faire un article scienti- fique ou litteraire, mais il ne pourrait, sans faire tort a ses occupations , entreprendre d'ouvrage sur une plus grande eclielle. Je sais bien que nous comptons des litterateurs extremeraent distingues dans les genres de litterature qui requierent le plus de legeretc dans le style , et de grace et de fraicheur dans le coloris , mais ce sont des exceptions a la regie generale , ce sont les avant-coureurs isoles d'une generation d'hommes de lettres encore a naitre. Tout le monde est litterateur aux Etats-Unis, car tout le monde a recu une bonne education. L'enseignement est entierement libre. West- jioint est le seul college oii I'education soit donnee aux frais du gouvernement des Etats- Unis. Dans quelques Etats , il existe des sys- lenies d'education primaire extremement eten- (lus. L'Etat de New-York surtout possedc ces etablissemens sur une echelle qui n'a pas de 381 parallele au monde. Les universit(5s qui seules ont le droit de doniier les degres , sont iucor- poreespar les gouvernemens d'Etats, mais elles en sont entierement independantes,nommentles professeurs elles-memes, at suivent la doctrine qui leur convient. Quiconque pent trouver des ecoliers est le maitre de fonder un college , ou une pension, ou une ecole quelconque. Les jesuites ont deux colleges qui sont parmi les ineilleurs de I'Union. 11 y a deux ou trois cou- vens de religieuses pour I'education des demoi- selles* Ghaque secte religieuse fonde des semi- naires pour I'education des ministres de leur religion. Depuis quelque temps deux sectes rivales se sont elevees et se disputent en matiere d'edu- cation : I'une veut continuer I'ancien systeme et faire, des langues raortes et de leur litterature, la base generale de toute education; I'autre, aucontraire,voudrait en supprimer entierement I'etude pour ne s'occuper que de sciences exac- tes et de connaissances positivement utiles. Chacune de ces deux sectes a ses journaux , ses professeurs et ses ecoliers , et nous jugerons bientot des resultats qu'elles auront obtenus. II me semble pourtant que dans un pays ou tout tend aussi fortement a donner une tournure 382 positive et peut-^tre trop serieuse a Tesprit, on devrait quelqiicfois sacrifier aux graces, et que le melange de la litteratiirc ancienne ne pour- rait* qu'augraenter I'urbanite des manieres et leur enlever beaucoup de leur austerite primi- tive. Cette observation s'apj)lique encore plus aux beaux-arts. Celle qui ne s'occupe que de la matiere morte , I'arcliitecture , est arrivee a un liaut degre de perfection. Les banques, les eglises, les capitoles, les niaisons de ville, les bourses, les palais de justice, etc. , sont tons batis avec beaucoup de luxe , d'une maniere tres-solide et surtout parfaitcment appropriee a I'objet auquel ils sont destines. Les maisons particulieres sont en general petites et baties beaucoup plus Icgereraent ; cela vient de ce que jamais j)lus d'une iamille ne vit dans la mememaison; mais elles sont toutes extrenie- raent commodes, et surtout dans le sud on en voit beaucoup qui sont remarquablcs par leur elegance. Richmont et Savanab surtout pos- sedent beaucoup de demeures particulieres qui sont vraiment de petits palais. L'architecture a fleuri |)arce qu'elle etait encouragee, les autres arts feraient la meme chose dans le meme cas. Mais comment ployer I'austerite 383 presbyterienne qui fait encore le fond des ma- nieres , surtout au nord , a abandonner son plain-chant nazal pour la musiquc chaude et passionnee de nos theatres raodernes? Toutes les demoiselles, il est vrai, tappotent plus ou raoins du piano et soupirent des romances. Un maitre de musique gagne done sa vie , lorsqu'il se borne la ; mais lorsqu'on en sait assez pour faire danser et pour travestir quelques mor- ceaux de Tancrede en chant d'eglise , on a atteint la perfection a laquelle on vise et qui consiste a chanter juste et jouer en mesure, Quunt a I'expression , nos femmes sont trop chas- tes pour vouloir en mettre dans leur chant , de facon que les plus beaux morceaux prennent dans leur bouche un ton de virginite glaciale. II y a encore quelques annees que la walse etait entierement proscrite de la societe; Ton ne dansait que des quadrilles et des ecossaises. La walse fut consideree lors de son introduction comme une danse d'une indecence inouie. On precha en chaire centre Tabomination de per- mettre a un homme qui n'etait votre amant ou votre epoux de vous enlacer de ses bras et pres- ser legerement le contour de votre taille. Que fut-ce done quand un corps de ballet de Paris arriva a New-York ! J'etais a la premiere re- 384 presentation : Tapparition des danseuses en courts jupons crea un etonnement que je ne saurais decrire, mais a la premiere pirouette, quand les courtes jupes chargees de plomb aux extremites coramencerent a voltiger et a affecter une position horizontale, ce fut bien autre chose : les femmes jeterent des hauts cris et la plus grande partie quitta le theatre ; les hom- ines resterent pour la plupart criant et pleurant de joie, la seule idee qui les frappait etant celle du ridicule. lis n'avaient pas encore ap- pris a admirer la grace de ces pas voluptueux. Et c*est dans un pays oii le respect pour les mceurs et la decence est poussee a ce point que Ton se plaint de n'avoir aucun artiste distin- gue ! Eh ! pour Dieu , comment pourrait-ce etre autrement ? Un peintre , un statuaire, ne peuvent jamais arriver a la perfection de leur art , qu'apres de longues etudes faites sur le nud. II faut qu'ils sentent profondement le beau , que leur coeur se laisse emporter a toutes les illusions de I'a- mour avant qu'il puissent rechauffer de leurs mains briilantes ou le marbre ou la toile. Et comment faire cela aux Etats-Unis? Tout artiste serait perdu de reputation s'il faisait voir dans un tableau plus haut que la cheville ou le coude. 385 Meme les statues anciennes qui se trouvent dans les musees sont soigneusement voilees ; et quant a avoir un modele vivant , cela exciterait une telle indignation que le peintre serait oblige de quitter le pays. Les artistes et les acteurs sont des gens maries , tres comme il faut , vivant dans la meilleure societe , et recevant chez eux . La moindre irregularite dans leur conduite morale les isolerait completement. Je connais meme une ac trice qui , ayant commis quelques legeres imprudences , fut exclue de la societe , et obligee de quitter le theatre , car ni acteurs ni actrices ne voulaient jouer avec elle. L'on veut des moeurs jusque chez les danseuses , et Ton se plaint de ne pas avoir d'artistes ! Mais cela est tout simple ; c'est la decence , la chas- tete poussee a son exces qui coupe les ailes du genie, refroidit les passions et brise les pinceaux , etles pallettes. La preuve que c'est la la seule chose qui empeche les Americains de s'elever dans les arts , c'est que nous avons des peintres de portrait excellens. Nos graveurs sont aussi bons qu'en Europe. Mais pour le tableau d'his- toire , le genie manque , il a ete gele dans le bouton. De grands efforts se font maintenant sur tous les points des Etats-Unis pour proteger les arts. 33 386 Chaque ville, grande ou petite, a un musee de bustes en platre , et de croutes decorees des noms des premiers maitres. Mais tousces efforts sont inutiles. Le sentiment des arts , ce senti- ment intime sans lequel le genie ne pent rien , n'existe pas , et ne pent exister aux Etats-Unis , tant que les moeursresteront les memes. Prenez Phidias ou Apetle , jettez-les dans une de nos villes . ail milieu d'une ceremonie publique , le 4 juillet par exempli; , I'anniversaire de la declaration de I'independanee , de Tacte le plus courageux et le plus rationnel qu' une nation ait jamais I'aif. D'abord ils entendront le canon ronfler de tous les cotes , les vaisseaux seront pavoiscs, toufe la milice sera sous les amies , les differentes societes , les differentes profes- sions et metiers se reuniront en corps pour se joindre a la procession formee par les magis- trats et par la milice. Elle se rendra dans quel- queeglise. oii un homme bien serieux , bien triste, au tcint bilieux et a la figure alongee , vetu d'une robe noire, leur annoncera d'un ton lugubre que quoique leurs ancetres aient signe rette declaration immortelle , ils n'en sont ])as moins damnes s'ils ont continue a jurer ou a danger les dimanches , et que ce n'estpas tout d'etre libre , mais qu'il faut aussi etre chretien 387 et ^lu pour etre sauve. Apr^s cela un autre homme , dans quelque autre local , debitera une oraison qui , etant la cent mille et quelques sur le meme sujet, fera probablement bailler Taudi- toire, quoique certainement un plus grand theme pour I'eloquence n'ait jamaisexiste. Apres le discours vient le diner , puis dcs toasts , puis des discours sur les evenemens du jour, bons d'abord puis diminuant en qualitc a mesure que la consommation du vin augmente. Puis enfin chacun se retire chez soi plus ou moins gris , mais certain d'avoir dument fait bonneur a I'anniversaire de i'indcpendance. Y a-t-il dans toute cette solennite rieii de poe- tique, rien qui parle a la vue ou aux sens? tout le monde est en habit bourgeois , ou en uniforme de milice , excepte le precheur, qui est en robe noire , a moins que le chapitre des macons de I'arche royale ne joigne la procession. Alors on aurait, il est vrai, le roi Salomon en robe rouge et couronne de papier dore, le roi Hiram en robe bleue, et couronne de papier argente, et le Grand Pontife des Juifs en robe bariolee avec douze pierrcs fausses sur la poitrine. II n'y a que cela qui rompe I'uniformite , et la proces- sion a plutot Fair de suivre un enterrement que de feter un anniversaire si important dans This- 388 toire de la civiliaation. Croye^-vous, de bonn, foi , que s. nos artistes grecs n'eussent jamais y, de rejouissanees populaires d'une autre espece .Is eussent produit leurs chefs-d'oeurre? C'etai- 1 ame encore pleine desjeux de la palestre ou iU ava,e„t.ulutterlesviersesdeLacedemonesa„s vetemens superflus; c'etait encore couverts de ia poussiere olympique , gagnee la ou tout avau parle a leurs sens et a leur imagination; c eta.t apres avoir pris part au culte de Ceres ou de Bacchus ; c'etait enfin en sortant des bras de Lais de Phrynee et d'Aspasie , et c'etait en sui- vant leurs conseils et meme ceux d'Alcibiade que le marbre s'animait, que la toile devenait parlante Tant que I'on n'aura pas des mceurs pareUles 1 on nepourra rivaliser les productions des grecs. Mais je suis loin de dire que les arts et tout leur enthousiasrae vaillentle sacrifice de la vertu pudique qui assure le repos de nos foyers. Je suis loin de precher la corruption des mcBurs et de vouloir acheter par leur sacri- fice quelques tableaux et quelques statues qui apres tout, quelqu'enthousiasme qu'ils exci- tent en moi, ne me procureront jamais une »asse de bonheur egale a celle que chacun refre aux Etats-Unis de la societe intime de sa chaste epouse et du cerele d'une petite femiUe 389 dont il est bien sxLt d'etre pere. Je veux seule- ment dire qu'il y a contradiction palpable entre les efforts que Ton fait en Amerique pour en- courager les beaux-arts et I'austerite de la mo- rale publique ; je veux dire que dans notre etat social actuel nous n'avons ni ne pouvons avoir d'artistes, je veux dire enfin que nous ne sommes pas le pays dela poesie, mais celui de laraison; que notre sol est plus propice a la culture des sciences qu'a celle des arts et que nous n'ofFrons pas le plaisir, mais que nous assurons le bon- heur. Lequel vaut mieux ? je crois que pour rendre tout parfait il faudrait peut-etre inoculer dans notre systeme social un peu dejusfe-mi- lieu. C 310 B8 0^ «.rv°. •^^ ^\ 7 ^^^ •1°^ •=>■ ^"•^^. ECKMAN NDERY INC. ^ AUG 88