y f VIGIÎAUD PAMPHLETS Instinct and Intelligence | f I U Ame des "betes. Barbaste. 1^5^ Considérâtions Physiologiques sur l'Instinct de l'Homme et des Animaux. Bebiaru Mélanges. Opérations intellectuelles du Sourd-Muet. Bertille, A. \ % (o L] Deux articlessur la protection: Du langage des animaux, etc. Bouchitte'. De la. Spontane'tie' du Développement Sensible- Intelligent dans les Enfants ïïouveau-Ee's. Briard, Emmanuel, i L 1 Ame des Betes. Ohiavernini, -L* I % De 11 Intelligence et de 1!Instinct. Forlenze. Première Observation, sur Louis 3a-rin, v Aveugle de Naissance. Gerdy, P. H. ê jtH<5L De'la Ge'ne'ration et du Développement Successif - des Facultés. H. ,' M. ïï. Have Animais Reason and Language? Meret, M. t. E. 1 T (pif De l'Instinct et de l'Intelligence du Animaux. Mesnet, E. ^ l^.lçS* Eftude Médico-Psychologique sur l'Homme dit le Sauvage du Var* p Mind in Animais. Mind in the Lower Animais. Minci in the Lower Animais, in Health and Disease. Mind of Man. Morris, F. 0. 1ns t iw t. H. , D. P. d., i t 0 ^ Sur l'Instinct, Nourrisson. ]% L'Ame des plantes et 11 am.e des Betes. Rumball, Ja.mes Ouilter. )%'aZL On Instinct and Reason; Or, the Intellectuel Différence between Man and Animais. Soury, Jules, La Vie Psychique des Betes* Wortley, Stuart. Instinct* A M B .29 Çes deux frères avoientété, l'un après l'autre, professeurs de botanique à Bologne ; ils ont laissé plusieurs ouvrages qui sont absolument oubliés. ( B. M. ) AMBULI , nom brachmane d'une herbe aquatique de l'Inde, qui paroit appartenir à la famille des lysimachies, et qu'on trouve décrite et figurée dans Rheede, Malab. 10, p. 11, t. 6, sous le nom de manga-nari. Sa tige, haute d'un pied, grosse, tendre, creuse, articulée, porte à chaque nœud deux ou trois feuilles sessiles, ayant chacune à leur aisselle, vers le sommet de la plante , une fleur purpu- rine, pédonculée, qui a le calice d'une seule pièce et à cinq dents; la corolle tubulée, monopétaie et à cinq lobes; les étamines au nombre de quatre.; et l'ovaire libre, terminé par un style et un stigmate. Le fruit est une capsule pen- tagone à une seule loge remplie de graines. Toute la plante, et principalement les feuilles et les fleurs, répandent une odeur suave; sa décoction, d'une saveur très-amère, est un excellent fébrifuge : on la fait prendre aussi dans du lait, contre le vertige. ( B. M. ) AMBULON. Scaliger et Bauhin parlent d'une graine de ce nom qui a la grosseur d'une coriandre et la couleur blanche d'une dragée, et croît sur un arbre de Me Aru- chit. Cette description convient assez bien au fruit du ci- rier ou galé cirier, myrica cerifera, L., couvert d'une subs- tance blanche qui, séparée dans l'eau chaude, devient une véritable cire. Voyez Galé. ( J. ) AMBUYA-EMBO. Très-belle espèce d'aristoloche grim- pante du Brésil ( Pison , Bras.) , voisine de Varistolochia gran- difloray Sw. Ses feuilles sont en cœur; sa fleur, inodore, jaunâtre, veinée etpointillée de rouge, très-grande et pré- sentant la forme d'un estomac humain, se prolonge à son sommet en une languette longue et étroite , et un filet terminé par un large appendice. Cette plante en décoc- tion est donnée avec succès dans les obstructions; on l'emploie aussi en bains et en fumigations , comme forti- fiante. (J. ) AMB^SE. Ce nom a été donné par Niéremberg à un phoque qu'il a regardé, par erreur, comme un poisson. Voyez Phoque. (F. M. D.) Y .a. . 5» - ,. AME :' AME des bêtes. Les bêtes sont les animaux non ralsoiï- nabïeS^c'est- à - dire les animaux différant de l'homme? puisque c'est à lui seul que nous attribuons la raison. La question de l'ame des bêtes n'appartient à l'histoire naturelle qu'autant qu'on se borne à comparer les facultés intellectuelles des bêtes avec les nôtres, ou que l'on cherche à expliquer quelques - unes de ces facultés par des causes ou par des limitations physiques. / En général elles ont les mêmes sens que nous , et en sont affectées de la même manière; elles se meuvent en conséquence des sensations qu'elles reçoivent, et cherchent à fuir, à se défendre, à saisir, à attaquer, selon qu'elles sont mues par le plaisir ou par la peine. Elles sont susceptibles de rapports moraux avec les au- tres êtres sensibles : elles s'affectionnent pour les hommes ou pour les animaux qui leur font du bien: elles prennen t de l'aversion pour ceux qui les tourmentent. L'affection peut naître entre elles de la seule habitude d'être ensemble, et quelquefois leur haine semble venir d'un simple caprice. Ces dispositions supposent de la mémoire , et le senti- ment au moins confus des rapports des qualités au sujet, et de ceux des autres êtres avec l'être sentant. Elles peu- vent exister à différens degrés pour une multitude d'êtres différens que le même animal distinguera parfaitement les uns des autres. Les bêtes donnent des signes de ces affec- tions avec la seule intention de les témoigner, et ces signes «ont très-semblables à ceux que nous donnerions. Les bêtes acquièrent par l'expérience une certaine con- noissance des choses physiques , de celles qui sont dange- reuses, de celles qui ne le sont point; et elles évitent les premières par l'effet de cette expérience seulement et de la mémoire qui en est la source, et sans être déterminées par un attrait ou une répugnance actuelle. Cette même expérience leur fait connoître les suites que leurs actions leur attirent dans l'état de domesticité. Elles savent que telle action sera punie par leur maître, et que telle autre sera récompensée; elles s'en abstiennent ou les font, non- seulement sans y être déterminées par un attrait ou une ré- pugnance actuels, mais même malgré cet attrait ou cette A M E répugnance, et par la seule connoissance qu'il leur en re- viendra un châtiment ou une récompense -7 connoissance qui suppose, et la mémoire, et le sentiment de l'analogie ,. c'est-à-dire, de ce principe qu'une chose déjà arrivée arrivera encore , si les mêmes circonstances se repré- sentent. Les bûtes sentent même leur subordination; elles sem- blent connoître que l'être qui les punit est libre de ne le pas faire, puisqu'elles prennent devant lui l'air de sup- pliantes lorsqu'elles se sentent coupables ou quelles le voient fâché. Lorsque leurs émotions et leurs passions réagissent sur leurs fonctions involontaires, elles le font absolument de la même manière que chez nous: ainsi la surprise arrête leur respiration; la peur les fait trembler; la terreur ex- cite en elles une sueur froide, elle leur lâche le ventre: l'amour les agite comme nous. Les bêtes .se perfectionnent ou se corrompent dans notre société à peu près de la même manière que nous. L'habi- tude de l'aisance leur donne des besoins qu'elles n'auroient pas connus dans les champs: l'éducation les fait réussir dans des actions auxquelles leur structure ne les disposoit point; elle peut, si elle est bien dirigée, leur donner de la docilité, de la douceur, de l'activité, ou si elle l'est mal, les rendre plus hargneuses,, plus colères, plus re- belles et plus paresseuses qu'elles ne le seroient naturel- lement Elles sont susceptibles de ces qualités qui ne se rappor- tent évidemment qu'à un principe sensitif, par exemple, l'émulation ; les chevaux de course en donnent des preu- ves sensibles : la jalousie, non-seulement celle qui a pour objet des jouissances physiques que d'autres individus ne pourroient avoir sans les en priver , mais encore celle qui se rapporte aux affections morales; qui ne sait que les chiens se disputent les caresses de leurs maîtres? Les bêtes ont non - seulement entre elles un langage na- turel, qui n est à la vérité que l'expression de leurs sensa- tions du moment, mais l'homme leur apprend à connoître un langage beaucoup plus compliqué, et par lequel il leur A M E fait entendre ses volontés et les détermine à lés exécuter avec précision. Ainsi non -seulement les petits entendent leur mère, viennent à elle lorsqu'elle les appelle, et fuient lorsquelle les avertit de l'approche du danger; mais les bêtes appren- nent la signification d'une multitude de paroles articulée^ par l'homme , et agissent en conséquence sans se mé- prendre. / On ne peut donc nier qu'il n'y ait dans les bêtes, per- ception , mémoire, jugement et habitude • et l'habitude elle-même n'est autre chose qu'un jugement devenu si facile pour avoir été répété, que nous nous y conformons en action avant de nous être aperçus que nous l'avons fait en esprit. Il nous paroît même qu'on aperçoit dans les bêtes les mêmes facultés que dans les enfans : seulement l'enfant perfectionne son état, et il le perfectionne à me- sure qu'il apprend à parler, c'est-à-dire à mesure qu'il forme de ses sensations particulières des idées généralesj et qu'il apprend à exprimer des idées abstraites par des signes convenus. Ce n'est aussi que de cette époque que date en lui le souvenir distinct des faits. La mémoire historique a la même origine et le même instrument que le raisonnement: cet instrument, c'est le langage abstrait. Pourquoi l'animal n'est-il point susceptible du même perfectionnement que l'enfant? pourquoi n'a-t-il jamais ni langage abstrait, ni réflexion, ni mémoire détaillée dès faits, ni suite de raisonnemens compliqués , ni transmis- sion d'expériences acquises? ou, ce qui revient au même, pourquoi chaque individu voit-il son intelligence renfer- mée dans des bornes si étroites, et pourquoi est-il forcé de parcourir précisément le même cercle que les individu^ de la même espèce qui l'ont devancé? Nous verrons à l'article Animal que les grandes différences qui distin- guent les espèces , suffisent bien pour expliquer les diffé- rences de leurs facultés; mais en est-il qui puisse rendre raison de l'énorme distance qui existe, quant à l'intelli- gence, entre l'homme et le plus parfait des animaux, tan- dis qu'il y en a si peu dans l'organisation? Nous savons, et nous prouverons à l'article de FHomme, AME que notre espèce a de grands avantages sur les brutes, par son attitude qui lui laisse l'usage entier de la partie supé- rieure de son corps pour l'examen des objets environnans; par la forme de ses mains , qui est mieux appropriée au sens du tact; par les justes limites données à son odorat et à son goût, limites qui l'empêchent de se trop livrer.aux: appétits brutaux; par la facilité que ses organes de la voix lui donnent pour se faire un langage riche et sonore; en- fin, par la foiblesse de son premier âge, lien durable et solide qui l'attache à ses parens en prolongeant nécessai- rement son éducation (v. Homme) : mais ces avantages de- yroient, à ce qu'il semble , influer seulement sur le degré de ses facultés, et non sur leur espèce. En y réfléchissant, nous reconnoîtrons aisément que les facultés qui distinguent si avantageusement notre substance pensante, ne lui sont point essentielles , puisqu'elle les perd dans une multitude de cas; une maladie, un coup, la vieillesse, peuvent ramener le plus grand génie à l'état de l'enfant ou de l'animal: il y a donc dans notre corps une partie dont le bon état est Une condition de la pen- sée; nous ne pensons qu'avec cet organe, comme nous ne voyons qu'avec l'œil. Et remarquez que c'est là un fait de simple histoire naturelle, qui n'a rien de commun avec le système métaphysique, qu'on nomme matérialisme, systè- me d'autant plus foible que nous avons encore bien moins de notions sur l'essence de la matière , que sur celle de l'être pensant, et qu'il n'éclaircit par conséquent aucune des difficultés de ce profond mystère. L'état où se trouve notre instrument à penser , influant si fort sur la faculté elle-même, et pouvant aller jusqu'à l'anéantir, on conçoit que des instrumens originairement dilférens doivent aussi faire puissamment varier cette faculté dans les divers êtres auxquels ils ont été donnés. Le naturaliste n'a donc nul besoin d'entrer dans les dis- cussions sur la nature de l'ame des bêtes; il lui suffit que leur cerveau soit différent, pour qu'il conçoive que leur intelligence doit être différente, tout comme il juge que leur vue n'est pas la même, quand leurs yeux lui présen- tent des structures diverses; mais il y a encore cette grande 34 A M E différence, qu'il yoit clairement les rapports entre les struc- tures des yeux et les sortes de vues qui y correspondent, parce qu'il connoît les effets physiques qui produisent la> vision ; tandis qu'il ne peut voir de même les rapports entre la structure du cerveau et l'étendue de- la pensée, parce qu'il ignorera nécessairement toujours ce qui produit cet acte sublime. Il peut donc établir une théorie de l'œil'; il peut dire? tel œil fait voir ainsi, par telle raison : mais il ne peut que faire une histoire de l'organe à penser, et dire, tel cerveau fait penser ainsi, mais je ne sais pourquoi. Or cette histoire est à peu près faite : l'anatomie com- parée nous a fait connoître des rapports constans entre les formes, les grandeurs et la composition des cerveaux et des autres parties du système nerveux, et principale- ment du cerveau des animaux, et l'étendue de leurs facultés intellectuelles. Nous les exposerons ailleurs; il nous suffit ici de les avoir annoncés d'une manière générale. Voyez Cerveau , Système nerveux, et Instinct. (C)(\f Ame (Siège de 1'). La nature du principe sensitif et intel- lectuel n'est point du ressort de l'histoire naturelle; mais c'est ..une question de pure anatomie que celle de savoir à quel point du corps il faut qu'arrivent les agens physiques qui occasionnent les sensations, et de quel point il faut que partent ceux qui produisent les inouvemens volontaires pour que ces sensations et ces mouvemens aient lieu. C'est ce point commun, terme de nos rapports passifs, et source de nos rapports actifs avec les corps extérieurs, que l'on a nommé le siège de l'aine, ou le sensorium commune. En effet, il ne suffit pas pour voir que l'œil soit frappé par la lumière, ni pour sentir que le nez soit rempli de vapeurs odorantes; si le nerf optique , ou le nerf olfactif sont détruits ou paralysés, ou seulement comprimés, on ne voit et on ne sent rien. Cette expérience répétée sur tous les autres nerfs, a donné le même résultat : les par- ties du corps deviennent insensibles, et cessent d'obéir à notre volonté, pour peu que la communication soit inter- ceptée dans quelque point des nerfs qui s'y distribuent; et comme tous les nerfs aboutissent médiatement ou immé- AME 35 diatemeni au cerveau, il a été facile de conclure que c'est dans le cerveau que doit se trouver ce sensorium que l'on cherchoit. Cette conclusion est pleinement confirmée par les expé- riences faites sur le cerveau lui - même; une compression quelconque} exercée sur cet organe, soit par dehors, lors- que le crâne ouvert ne le protège plus, soit par dedans 9 lorsque le sang s'y épanche avec trop d'abondance ou qu'il s'y forme quelque tumeur > anéantit sur le champ le sentiment et la volonté. Mais il n'est pas aussi aisé de déterminer la partie du cerveau qui est spécialement consacrée à cette fonction importante. Cet organe, qui cesse totalement ses fonctions, à la moindre compression, peut perdre des portions con- sidérables de sa substance sans qu'on remarque d'affoiblis- sèment sensible dans ces mêmes fonctions; ce n'est donc pas tout le cerveau qui est le sensorium commune , mais seulement quelqu'une de ses parties: mais laquelle? Ici l'expérience ne peut pas nous conduire fort loin. Des blessures qui pénètrent profondément dans la substance du cerveau, produisent des désordres trop violens et trop subits dans l'économie animale, pour qu'on puisse nette- ment distinguer les effets propres à chacune d'elles. A la vérité, on a cru remarquer que les blessures du cervelet arrêtaient les mouvemens vitaux et involontaires? tels que celui du cœur, et que celles du cerveau exerçoient leur influence principale sur les mouvemens animaux ef volontaires; mais cette observation n'est pas confirmée. On a donc été obligé de se contenter du raisonnement, et c'est ce qui a fait diverger les opinions. D'abord il étoit naturel de chercher ce point central à quelque endroit où tous les nerfs parussent se rendre; mais comme il n'y a pas un tel endroit , et que l'œil ne peut suivre les nerfs que jusqu'à des points encore assez éloignés les uns des autres , l'imagination a tracé le reste de leur route : les uns ont donc supposé qu'ils arrivoient tous au cervelet; d'autres à la glande pinéale; d'autres au corps calleux. (Pour apprendre à connoître ces différentes parties , voyez Cerveau.) 56 A M E Descartes a pris le parti de la glande pinéale, et a rendu célèbre ce petit corpuscule; mais il est peu vraisemblable qu'il remplisse de si hautes fonctions, parce qu'il est sou- vent altéré 7 et contient presque toujours des concrétions pierreuses. Bontevox , Lancisi et Lapeyronie sont ceux qui ont parlé pour le corps calleux; mais cette partie manque à tous les animaux non - mammifères , et il est à croire que le sensorium commune doit être une partie essen- tielle , et qui disparoît ou change de forme la dernière de toutes. La même objection a lieu par rapport au septum lucidum adopté par Digby. Enfin, pour ce qui concerne le cervelet, dont l'impor- tance a été soutenue par Drclincourt, il y a cette grande difficulté, que c'est presque la seule partie du cerveau où l'on ne voit clairement aucun nerf se rendre. On ne peut guères non plus regarder comme le siège de l'a me quelque partie double, (comme les corps cannelés , pour lesquels s'est déclaré "Willis, et les deux grands hé- misphères, ou plutôt leur partie médullaire, appelée centre ovale , et défendue par Vieussens. D'ailleurs Sœmmer- ring nous parcît assez bien prouver qu'aucune partie solide n'est propre à cette importante fonction. 11 semble, en effet, que les nerfs agissent en conduisant quelque fluide vers le cerveau ou vers les muscles , et que le sujet cor- porel affecté par l'arrivée ou le départ des fluides des dilférens nerfs, doit lui-même être fluide pour être sus- ceptible de modifications mécaniques ou chimiques , aussi rapides et aussi variées que le sont les différent états que les modifications occasionnent dans l'ame. C'est d'après cette manière de voir que Sœmmerring regarde l'hu- meur renfermée dans les ventricules du cerveau, comme le véritable organe de l'ame. Suivant les recherches de ces anatomistes la plupart des nerfs viennent visiblement se terminer sur les parois des ventricules, ou très-près de ces parois. L'humeur qui les remplit existe toujours dans les corps bien sains, et n'est pas seulement épanchée après la mort, comme l'ont cm Haller et d'autres physi- ciens. ( C. ) [{ A M M 45 Linnaeus a placé parmi les scombres , et Lacépède a en- suite reporté dans son genre Caranx, un poisson nommé scômber amia par Artédi. Voyez Caranx. Salvian a donné le nom à'amia à un autre poisson que Lacépède regarde comme appartenant à son centronote lysan , et que Bonaterre a cependant figuré par erreur, dans l'Encyclopédie méthodique, sous le nom de scombre amie. ( F. M. D. ) AM1GDALITES -, synonyme J'Amygdaloïdes.. Voyez ce mot. (B.) AMILACÉE. (Chim.) Ce mot ne se dit qu'à la suite des mots matière ou fécule, pour désigner l'amidon, qui est une fécule fine ou pure pour les chimistes. Voyez les mots Amidon et Fécule. (F.) AIVIINIIU, nom brésilien du coton herbacé, gossypium herbaceum, L., que les Portugais nomment algodon. Pison, Bras. p. 186. (J.) AMIRAL, espèce de mollusque du genre Cône. Voyez ce mot. (D.) AMIRAL. Quelques amateurs d'insectes désignent sous ce nom le papillon de jour que Geoffroy appelle vulcain, et les autres auteurs , d'après Linnaeus, atalante. (C. D.) AMIRI. Voyez Aymiri. AMIUDUTUS, espèce de couleuvre, coluber ammodytes. L. Voyez Couleuvre. (F. M. D.) AMMACO-MACHO. Les Portugais de la côte de Majabar donnent ce nom au scœvola, TcoenigiiVahl, que Rheede décrit et figure sous le nom de lela-modagan, vol, 4? t. 59, et dont Gœrtner fait une lobelia. Ils nomment ammaco le modagan du même auteur, t. 59, petit arbre du même pays, dont la fleur a cinq pétales, cinq étamines et un seul style, et dont le fruit en forme de poire est rempli de beau- coup de graines menues. Cette description est insuffisante pour déterminer son genre. (J.) AMMANE, Ammania , Houst., Juss., genre de plantes de la seconde section de la famille des lythraires. Il com- prend des herbes aquatiques à feuilles opposées. Les fleurs viennent en grand nombre aux aisselles des feuilles : elles sont sessiles et très-petites , opposées et presque verticiîlées; 46 A M M leur calice est en cloche, strié , à huit dents; la corolle est à quatre pétales, quatre étamines, et quelquefois nulle. Le fruit est une capsule à quatre loges , recouverte par le calice; elle renferme plusieurs semences. Les ammanes croissent la plupart dans les lieux aquatiques. On a donné à ces plantes le nom d'un botaniste qui a décrit les, plantes de la Russie. ( J. S. H. ) AMMI, Ammi, genre de plantes de la famille des om- bellifères, très-voisines des carottes, dont elles ne diffèrent essentiellement que par leurs semences glabres. Ses carac- tères sont d'avoir cinq pétales en cœur , inégaux à la circonférence, plus petits dans le disque; les ombelles mu- nies d'un involucre à folioles pinnatifides; deux semences petites , glabres? striées. Les espèces de ce genre ont les feuilles finement découpées. On y distingue: L'Ammi commun , Ammi majus, Linn., Dodon. pempt. 415- Les tiges sont striées, un peu flexueuses , les feuilles glabres , les fleurs blanches, les semences oblongues, marquées de neuf stries. Elle croît dans les champs sur les bords des chemins. Les semences sont chaudes, aromatiques, un peu âcres, et d'une saveur piquante; elles passent pour un excellent carminatif, quoique peu employées. L'Ammi visnague , Daueus visnaga , Linn., Ammi visnaga , Lam. Dict., Jacq. Hort. vind. 5, t. 26. Ses tiges sont droites 7 le réceptacle de l'ombelle universelle est épais et arrondi, les pétales égaux et blancs, les semences oblongues, lisses et marquées de trois stries. Cette plante croît en Barbarie, en Espagne, et même en France dans les moissons. Elle passe pour apéritive et diurétique. Les rayons de ses om- belles se durcissent en vieillissant , et acquièrent, en jaunissant, une odeur aromatique très - agréable. Ils ont assez de fermeté pour servir de cure-dents: on les apporte du Levant et de l'Afrique à Marseille; ils se vendent pour cet usage. (P.) AMMOBATE. C'est un serpent de Guinée qu7on dit véni- ineux. Selon l'abbé Ray, il a des grandes écailles cendrées en lozanges réguliers; le ventre est ardoisé , la tête plate et la gueule très-fendue. Ce reptile n'est pas suffisamment connu. ( C-} A M M AMMOCHRYSE. Ce mot veut dire sable d'or. Il a été employé par Agricola et Boetius de Soor pour désigner le mica jaune (B. ) AMMODYTE. ( Poissons. ) Ce nom, qui indique un animal ayant la faculté de plonger dans le sable, convient par- faitement au petit poisson que les Naturalistes modernes ont rangé sous ce nom dans un genre particulier, et que Lacépède a placé immédiatement après les murènes. L'am- modyte est le trente-troisième genre établi par ce savant naturaliste, et il appartient aux poissons osseux et apodes. Caract. gen. Il a une nageoire ovale; la nageoire caudale est séparée de l'anale et de la dorsale; sa tête est com- primée et plus étroite que le corps; la lèvre supérieure est double, la mâchoire inférieure est étroite et pointue, le corps est très-allongé. L'ammodyte a beaucoup de ressemblance avec les mu- rènes , soit par la forme de son corps, soit par ses mœurs. Il s'enfonce à deux décimètres environ dans le sable de la mer pour y chercher des vers, dont il est très-avide * et pour se mettre à l'abri de la voracité de plusieurs pois- sons, entre autres des maquereaux et des.autres scombres. Les pêcheurs sur les côtes de France emploient, à cause de cela, ce petit poisson comme un appât excellent pour pé- cher; ils en prennent tous les jours un grand nombre dans le sable que le reflux de la mer a laissé à découvert. 1. Ammodyte appât. Ammodites tobianus, Linn. La mâchoire inférieure est plus avancée que la supé- rieure, la nageoire caudale est fourchue, l'orifice de chaque narine est double , les yeux ne sont pas voilés par une peau demi-transparente comme ceux des murènes. H y a trois lignes latérales sur chaque côté du corps. B.—7. D. —60. P.— 12. A. —28. C— 16. Longuëùr, un décimètre ^t demi environ. On le trouve sur les rivages de l'Europe dans le sable: il a ordinairement soixante-trois vertèbres qui sont légère- ment articulées; aussi a-t-il la faculté de se rouler en spi- rale, presque comme une couleuvre* Sa couleur est d'un 43 A MM bleu argentin, plus clair en dessous et très - luisant, avec des traits blancs et bleuâtres sur l'abdomen , et une tache brune contre l'anus. J'ai trouvé à Dieppe des ammodytes presque entièrement argentés , avec les deux mâchoires égales, et quatorze rayons seulement , à la queue. Les pêcheurs y connoissent l'aramo- dyte sous le nom béquille. (F. M.D.) AMMODYTE. (Reptile.) C'est une espèce de vipère , coluber ammodytes, L. La treille a aussi décrit un scytale ammodyte. Voyez Couleuvre et Scytale. (C. ) AMMONIAC. (Chim.) Ce mot étoit autrefois la déno- mination du sel qu'on nomme aujourd'hui muriate d'am- moniaque , ou muriate ammoniacal. Il n'est plus d'usage maintenant. ( F. ) AMMONIACAL (Chim.) , adjectif tiré du mot ammoniac ancien , et qui est encore employé pour désigner les sels formés par la combinaison des différens acides avec l'am- moniaque. (F.) AMMONfAQUE. (Chim.) L'ammoniaque est une espèce d'alcali, très - distinguée des quatre autres espèces de ce genre, par son odeur vive et sa volatilité très-grande. Elle avoit été nommée autrefois alcali volatil, esprit volatil de sel ammoniac, alcali volatil caustique ou fluor. Les sels qu'elle forme avec les acides étant depuis long-temps nom- més sels ammoniacaux, les chimistes modernes ont adopté le nom d'ammoniaque pour désigner cet alcali. Quoiqu'on puisse obtenir l'ammoniaque des matières ani- males par la distillation à feu nu , ce produit étant ordinairement à l'état de sel ammoniacal et toujours sali par une huile einpyreumatique , on préfère de séparer cet alcali du muriate d'ammoniaque, à l'aide de la chaux qu'on mêle avec ce sel, et en distillant ce mélange dans un appareil de Woulf. L'ammoniaque, qui se dégage en gaz, est conduite , à l'aide de tubes de verre ou de grès , au fond de flacons remplis d'eau froide, où elle se condense et qu'elle sature. On voit par là que l'ammoniaque peut être dans deux états; celui de gaz et l'état liquide. 11 faut donc cormoîtrc cet alcali dans chacun de ces états. DE L'INSTINCT CONSIDÉRATIONS PHYSIOLOGIQUES SUR L'INSTINCT L'HOMME ET DES ANIM1UX LE DR BARBASTE Extrait du Dictionnaire universel des Connaissances humaines PARIS TYPOGRAPHIE MORRIS ET COMPAGNIE Rue Amelot, 6G. 1858 DE L'INSTINCT  « Il y a certaines inclinations d'affection qui naissent quelquefois en nous sans le conseil de la raison... » Montaigne, Essai sur tes Mœurs, t. IV. liv. II, chap. XII. En dérivant le mot instinct des deux radicauxén, de dans, et stizéin, piquer, aiguillonner, on fait enten- dre que ce principe d'action n'est que le résultat des impressions reçues sur les organes internes. Or, cette étymologie, admise par Cabanis, n'est peut-être pas assez compréhensive, et nous lui préférons celle des Latins : instinctus, de instinguere, qui veut dire pousser, porter, exciter, et qui exprime certain sentiment et certain mouvement naturels, irré- fléchis, par lesquels les végétaux, les animaux et l'homme sont déterminés à agir. Les phénomènes in- stinctifs se trouvant liés à tous ceux de la nature vi- vante, cette dernière acception nous paraît plus con- venable. — 6 — I Les théologiens, les philosophes, les naturalistes et les médecins, ont pu remarquer, de tout temps, combien est étendu l'empire de l'instinct sur les actes de la vie; mai6 leurs explications, sur ce su- jet, ont varié à l'infini. Dans l'antiquité, plusieurs sectes d'Orient accordent une âme aux bêtes. Platon veut que l'âme des plantes soit une portion de l'âme du monde. Dans son Tintée, l'âme irrationnelle, qu'il distingue de Fâme raisonnable, est déjà un équivalent de l'instinct des modernes. Platarque^. Lactance et Montaigne se montrent très-favorables à l'opinion de l'intelligence des bêtes; ils se mon- trent même très-crédules à l'égard des faits qu'ils invoquent. Par contre, Phérécrate, Anaxagore et Aristote re- fusent la compréhension aux bêtes. Leur manière de voir trouvera de l'écho parmi les modernes. En attendant, c'est à la médecine que l'on doit les ob- servations les plus exactes sur la faculté qui nous occupe. Hippocrate parle, en maint endroit, d'une force qui fait les choses, pour le mieux, sans les avoir jamais apprises. Nous devons à Galien la belle expérience d'une chèvre tirée à terme de la matrice de sa mère,, et qui fut portée dans un en- droit où il y. avait des vases contenant du lait, du miel,, de l'huile, des céréales et des fruits: après avoir flairé, le jeune animal se décida pour le lait. La plus vieille intelligence aurait-elle mieux fait? Cette expérience nous en dit plus, sur le pouvoir et sur la nature de l'instinct, que toutes les subtilités de la théorie. Le dogme antique de la métempsycose a dû ausrà retarder la connaissance de l'instinct. La transmu- tation des âmes, leur passage successif dans les di- vers êtres organisés, n'étaient possibles que par la confusion, l'identification des dynamismes dans toute la série organique. Une opinion qui a encore contribué à obscurcir \v problème de l'instinct, c'est celle d'Aristote sur l'âme. En prenant cette dernière dans un sens gé- nérique, et en la considérant comme le principe qui nous fait vivre, sentir, mouvoir et comprendre [anima est principium quo vivimus, sentimus, mo- vemur et intelligimus), ce philosophe a mis tous ceux venus après lui dans le cas de rapporter à une commune origine les phénomènes d'instinct et les phénomènes d'intelligence. Il est vrai que, pour échapper aux embarras d'un semblable système, l'âme a été divisée en nutritive ou végétative pour les plantes, en nutritive et sensitive pour les ani- maux, et en nutritive, sensitive et intellective pour l'homme. Mais comme ces trois espèces distinctes d'âmes dérivent constamment d'une même forme substantielle, il s'ensuit un monothêlisme désespé- rant pour la science. Par l'identification de natures causales différentes, ce monothêlisme verra néces- sairement s'élever contre lui l'observation, la com- paraison des faits, les résultats de l'analyse et le témoignage de la conscience. Cependant, grâce à l'autorité presque fabuleuse d'Aristote, ce système s'est imposé à la science pres- que jusqu'à notre époque. Transmis par Galien et les Arabes, on le retrouve chez Fernel, Sennert, Rivière, Curreau de la Chambre, Etmuller, etc. En 1683, Dedu, de l'école de Montpellier, soutient le système de l'âme des plantes, tant les habitudes de péripatétisme étaient enracinées en Europe! Le système animiste, auquel ont adhéré saint Thomas, Descartes, Stahl, Sauvages et plusieurs autres/constitue une autre forme de monothélisme peu propre à dissiper les obscurités accumulées au- tour de l'instinct et de Fintelligence. Avec Bacon, Ton voit reparaître les notions, ou- bliées depuis Hippocrate, de Tordre mental et de Tordre vital, Tinstinct faisant partie intégrante de ce dernier ordre. Le grand chancelier semble s'être concerté avec Descartes pour démolir le péripaté- tisme et tout ce qui conserve quelque odeur de sco- lastique; mais tandis que le philosophe français, rejetant impitoyablement toutes les formes substan- tielles, et par conséquent les âmes, excepté la rai- sonnable, retombe dans la doctrine des atomes de Démocrite et d'Épicure, en voulant expliquer, par les principes infaillibles de la mécanique, les opéra- tions des corps naturels et des animaux vivants , Bacon, au contraire, moins hardi, mais plus sage, plus circonspect, plus sûr dans sa marche, remet en question toutes les choses litigieuses, provoque l'ob- servation et Texpérimentation sur tous les points, use du .flambeau de Tanalyse, et enseigne le grand art de différencier et de limiter les natures causales. Leibnitz, quoique cartésien par principe, abjure le mécanicisme de son maître, et devient, en Europe, le fondateur du dynamisme, que Ton voit désormais vivifier les sciences physiques et physiologiques. Le trait de séparation qu'il tire entre les perceptions et les aperceptions, est aussi exact que solide: il suffit pour consacrer la distinction de l'instinct d'avec l'intelligence. Les opinions de ce grand philosophe ne pouvaient manquer d'avoir du retentissement en médecine. Stahl se présente pour séparer à jamais les corps bruts des corps vivants : c'est là sa gloire. Puis il se jette dans Tune des moitiés du système cartésien, et dénature Texplication des phénomènes instinctifs eri les refoulant forcément dans Tâme pensante qu'il admet comme moteur unique de l'économie. Ces mêmes phénomènes devaient être encore plus em- barrassants pour Boerhaave et pour Hoffmann, les- quels n'avaient retenu du cartésianisme que le côté mécanicien dont ils faisaient le principe des corps vivants. Les physiciens, les chimistes, les organi- ciens, les phrénologistes sont les descendants de cette secte : les phénomènes vitaux ou instinctifs seront toujours pour eux tous une pierre d'achoppe- ment. L'instinct ne pouvant trouver une place naturelle ni dans Y animisme, ni dans le mécanisme, il était logique de lui en trouver une dans le domaine de la vitalité. Dès que Tordre vital a été rétabli dans la science, il y a eu là un nouveau monde à explorer: l'œuvre a été immense, les horizons infinis, les points de vue inépuisables; les systèmes se sont ren- versés les uns sur les autres, jusqu'au jour de l'avé- nement de la théorie naturelle ou hippocratique. L'indispensabilité de l'ordre vital, dans les explica- tions des phénomènes de la vie, est prouvée par l'embarras de ceux qui ont voulu le rejeter. Des- cartes lui-même, poussé à bout, renonce à son pur automatisme, et accorde aux animaux la vie et le sentiment. Buffon va encore plus loin : sans rejeter le système cartésien, il ajoute à la vie et au sentiment des animaux la conscience de leur existence actuelle, une sorte de mémoire, un mécanisme instinctif. Dans un sens opposé, Tenthousiasme entraîne Héaumur à élever, par Y intelligence, les insectes au- dessus des autres animaux, mettant ainsi tout ce qui est instinctif sur le compl-e de ce dernier prin- cipe. Condillac, qui fait toujours bon marché de toute activité interne, ne voit entre l'instinct et l'in- telligence que des différences comblées par l'habi- tude; et G. Leroy, aussi peu disposé à différencier ces deux faits fondamentaux, est persuadé que les animaux réunissent, à un degré seulement inférieur — 10 — a nous, tous les caractères de l'intelligence. Cette ma- nière de voir, qui est aussi celle de M. Bory de Saint- Vincent, est l'extrême opposé de celle de Descartes. Or, cette opposition, sur des matières d'observation, n'indique-t-elle pas un vice, une lacune, dans l'in- terprétation des phénomènes de la nature? L'éta- blissement de l'ordre vital pouvait seul dissiper les nuages amoncelés sur ce sujet. La philosophie contemporaine a apporté son con- tingent de lumière à cette discussion. T. Reid, Du- gald-Stewart, Cousin, Ch. Bénard, etc., admettent l'ordre vital, et savent distinguer les principes mé- caniques, les principes animaux d'action, d'avec les principes rationnels. Pour eux, les facultés actives;, les facultés morales et les facultés intellectuelles ne sont pas une seule et même chose. On les surprend parler action vitale et instinct, comme le feraient les physiologistes les plus consommés. Ces habitudes philosophiques devaient porter leurs fruits. Le vitalisme s'est irrévocablement fixé dans; la science. En botanique, en zoologie, en physiolo- gie, en médecine, on ne se montre plus étranger maintenant aux notions de la force vitale, ni à celle de Yinstinct qui en dérive. Les livres classiques des Mirbel, de Candolle, Richard, Duméril, Bichat, Ca- banis, Richerand, Milne-Edwards, Dugès, Lordat, Du- bois d'Amiens, Frédéric Cuvier,Flourens, témoignent de cette vérité. Les travaux de ces trois derniers au- teurs sont ceux où l'on s'est le plus occupé, depuis ISarlhez, de l'existence et de la démarcation des deux puissances actives, l'instinct et l'intelligence, comme si Ton s'était donné le mot pour renverser celte opi- nion extrême de Gall : « Que le naturaliste se trouve quelquefois embarrassé de dire où Yanimalité finit si. où Vhumanité commence.. »■ II Les manifestations d'activité de la nature vi- vante sont ou intellectuellesy ou morales, ou vitales. Les phénomènes instinctifs appartiennent à ces der- nières. C'est dire, par anticipation, que l'instinct se- rait vainement cherché dans le domaine des corps bruts, lesquels n'obéissent qu'aux lois de la pesan- teur, de l'affinité, des attractions et des répulsions moléculaires. Mais la vitalité étant commune à l'homme, aux plantes et aux animaux, il s'ensuit que nous devons trouver dans chacun de ces trois groupes des traces de phénomènes instinctifs. Dans les plantes, nous considérons comme tels le mouvement invincible qui porte la racine vers le centre de la terre, et la plumuîe vers le ciel. De- puis les observations d'Auguste Broussonnet, on sait que les plantes volubiles dépérissent plutôt que d'a- bandonner la forme spirale prise par leurs tiges. Le sommeil des feuilles, l'inclinaison des tiges vers la lumière, se trouvent liés aussi à des états vitaux in- térieurs. La mobilité que présentent les feuilles du dionœa muscipula, de Yhedysarum gyrans ont sem- blablement exercé la sagacité des physiologistes. Le mouvement, à l'époque de la fécondation, des éU- mines vers le pistil, l'inclinaison du pistil vers les étamines, l'application du stygmate sur ces der- nières, sont encore des phénomènes instinctifs qui président à la conservation des espèces végétales. La valisneria spiralis, plante dioïque qui croît dans le canal du Languedoc, présente ce phénomène au plus haut degré. « Cette plante, dit Richard, est attachée au fond de l'eau et entièrement submergée. Les in- dividus mâles et femelles naissent pêle-mêle. Les fleurs femelles, portées sur des pédoncules longs de — 12 — deux ou trois pieds,, et coulés en spirale ou tire- bouchon,, se présentent à la surface de l'eau pour ^épanouir. Les. fleurs mâles, au contraire, sont ren- fermées plusieurs ensemble dans une spathe mem- braneuse portée sur un pédoncule très-court. Lorsque le temps de la fécondation arrive, elles font effort contre cette spathe, la déchirent, se détachent de leur support et de la plante à laquelle elles appar- tenaient, et viennent à la surface de l'eau s'épanouir et féconder les fleurs femelles. Bientôt, celles-ci par le retrait des spirales qui les supportent, redes- cendent au-dessous de l'eau, où leurs fruits par- viennent à une parfaite maturité. » Les phénomènes d'instinct sont si multipliés et si saillants chez les animaux, que les Buflfon, les Virey, les Lordat se sont crus autorisés à ne pas leur re- connaître d autres facultés internes. Les principales actions instinctives se rapportent à la conservation de l'individu, à la conservation de l'espèce, et aux relations des individus entre eux. De là les instincts par lesquels les animaux sont portés à rechercher leur nourriture spéciale, à éviter la disette, à se pré- munir contre les intempéries des saisons, à protéger la progéniture, et qui les rendent laborieux, coura- geux, économes, prévoyants, maçons, architectes, chasseurs, dresseurs d'embûches, voyageurs, com- munistes, sociables. Les migrations des mammifères, des oiseaux, des poissons et même des insectes; les facultés d'orientation dont sont doués les pigeons et les hirondelles; le don musical de certains; la répu- blique des abeilles, des guêpes, des fourmis et des castors, se rattachent immédiatement aux opérations de l'instinct. Du0ès a divisé les instincts des bêtes en instincts splanchniques ou vitaux, en instincts animaux, et en instincts encéphaliques. Les premiers ont pour fin la satisfaction de besoins naturels ou non provoqués, à — as- savoir: la faim, la soif, le besoin de respirer, le be- soin d'excréter, les attractions sexuelles. Les fonc- tions relatives à ces divers besoins nécessitent la mise en jeu d'un nombre infini de mouvements musculaires; elles supposent les plus savantes com- binaisons; elles s'accomplissent pourtant sans au- cune expérience, et souvent sans la participation de la volonté. C'est bien là le caractère de l'instinct. Dans l'exercice des instincts animaux, les déter- minations sembfent se régler sur la conformation extérieure. On conçoit, à la première vue, que le serpent est fait pour ramper, le cerf pour courir, l'oiseau pour voler;, le poisson pour nager, la puce pour sauter, la taupe pour s'enfouir dans la terre. L'instinct de propreté sollicite les mouches et les araignées à se servir des brosses, des peignes, des étrilles dont leurs pattes sont pourvues; les oiseaux à lisser leurs plumes avec le bec, le chat à se lécher, le chien à se secouer, à se frotter, à se gratter, et lé cheval à froncer sa peau et à se servir de sa queue pour chasseï" les insectes. D'autres animaux se ser- vent des armes que la nature leur a données pour attaquer ou pour se défendre. Le chien sauvage et le lapin se creusent des terriers; la hyène sait fouir aussi la terre pour découvrir les cadavres. 11 s'éta- blit ainsi d^s corrélations intimes entre les besoins, les fonctions et les organes. Les instincts encéphaliques, les animaux les tien- nent d'une véritable transmission héréditaire; ils les ont en naissant. Le jeune canard, élevé par une poule et au milieu de poussins, se jette à l'eau dès qu'il la rencontre, quoique personne ne lui ait appris les rapports de ce milieu avec son organisation. Un castor retenu dans une cage se met à bâtir, si on lui fournit des matériaux, et sans qu'il y ait pour :lui utilité de le faire. 1/hirondelle construit un nid do mor:ier de la même façon que sa mère, dont elle — 14 — n'a pourtant reçu aucune leçon. Les rossignols et les serins, élevés en cage, retiennent les chants de leurs ancêtres. Les chevaux conservent aussi plusieurs in- stincts de leurs ascendants. Le chien de race chasse. Ce proverbe confirme Yhérédité du pouvoir instinctif: c'est ce qui faisait dire à de Bonald, que les ani- maux naissent âgés. Curreau de la Chambre et Gu- vier concevaient pour eux un patron intellectuel, une sorte de fantôme perpétuellement présent à leur imagination. Dugès leur suppose une science infuse, et admet une aptitude encéphalique certainement innée, primordiale et spécifique, puisqu'elle se main- tient dans les espèces, qu'elle commence avec elles, et qu'elle remonte jusqu'à leur création. Le développement de l'instinct et celui de l'intelli- gence se font en sens inverse l'un de l'autre. Or, puis- que le principe intellectuel domine chez l'homme, il faut s'attendre à y trouver les phénomènes d'instinct moins nombreux et réduits à leur minimum de puissance. Toutefois, il importe de savoir démêler les actes qui découlent de cette source. Les premiers vagissements de l'enfant sont des cris instinctifs, destinés à réveiller la sollicitude maternelle, et re- latifs à des premiers besoins de nourriture ou de propreté. "Viennent ensuite les actes de préhension du sein, de succion et de déglutition du lait, lesquels s'accomplissent avec une perfection qui ferait suppo- ser une longue expérience. L'instinct d'imitation, ce- lui de musculation sont excessivement prononcés dans l'enfance. On cligne instinctivement les yeux pour protéger les organes de la vue. On retire instincti- vement la main avec la rapidité de l'éclair lors- qu'on se brûle le bout des doigts. Après un faux pas, et quand une chute peut en résulter, on rétablit in- stinctivement l'équilibre par un effort en sens in- verse. Tous ces mouvements se font avant même que la volonté ait eu le temps de se reconnaître. — 15 — Les opérations instinctive?, chez l'homme, sont encore plus étendues. Outre les suggestions relatives aux fonctions naturelles ou vitales, il faut de même rattacher à l'instinct toutes les actions synergiques, mises en branle à l'occasion de ces fonctions, soit en dehors de la sphère du sens intime, soit avec la participation de ce principe d'activité. Les batte- ments du cœur, la respiration pendant le sommeil^ le hoquet, les épreintes, la toux, l'éternument, le sanglot, les tics, les convulsions toniques et cloni- ques, etc., nécessitent un concours de ce genre. Il serait utile que l'on déterminât ce qu'il y a d'instinctif dans la manifestation des phénomènes sympathiques et automatiques, dans ceux qui sont, réglés par l'habitude, dans ceux qui résultent des salutaires efforts de la force conservatrice et de la force m'édicatrice. On aimerait aussi de savoir si les mouvements réflexes de quelques auteurs ne sont pas exclusivement de source instinctive. C'est l'instinct qui fomente la plupart des propen- sions vers le vol, vers l'incendie, vers le suicide, l'homicide, l'infanticide et vers la fureur anthropo- phagique. Dans les morosités de Sauvages, dans les morosophies du professeur Lordat, les initiatives par- tent aussi de ce principe d'action. 11 n'est pas permis de méconnaître la part que prend l'instinct dans les plus grandes manifestations de l'existence humaine, telles que la foi, le senti- ment, les goûts, les inclinations, les penchants, les désirs, les affections, les passions. Le génie même, dans sa spontanéité, retient plutôt les caractères de l'instinct que ceux de l'intelligence. Les sympathies et les antipathies morale*, les at- tractions et les répulsions de peuple à peuple, qui engendrent le prosélytisme, l'esprit de parti et sou- vent des haines indestructibles; les affinités de race 4'où naissent les fédérations, les communions ou — 16 — les discordes politiques et religieuses, ayant pour cortège habituel la fureur martiale: ces diverses si- tuations ne sont-elles pas des écoulements ou des écarts de l'instinct de sociabilité ? Sans doute l'intel- ligence, témoin de toutes ces scènes, participe à l'action, puisque c'est avec les organes tenus sous sa dépendance que l'action s'accomplit. Mais il est vrai de dire que vaincu, à la longue, par les luttes ou par les importunités de son antagoniste, le principe rationnel finit par abandonner la direction. Voilà comment s'explique la facilité des débordements po- pulaires. III La sphère de l'instinct est immense, nous venons de le voir. Aveugle, ordonné, machinal, il confine par là aux forces de l'ordre physique ; parla finalité de ses opérai ions, il devient l'analogue de {'intelligence; mais il diffère des premières et de la dernière par ses propres caractères, qui sont: Y in- néité, Yhérèdité, la spontanéité, la spécificité, Yim- perfectïbïlité, la particularité, le mutisme, la caducité. Les philosophes modernes ont fortement discuté sur Vorigine des idées, les uns les croyant innées, les autres les croyant acquises. Locke, Condillac, Hel- vétius et leurs partisans peuvent avoir raison lors- qu'il s'agit de l'intelligence proprement dite, laquelle, étant progressive, se développe peu à peu par l'édu- cation. Mais, dès qu'il s'agit des merveilles des ac- tions instinctives qui s'étendent si loin, Descartes reprend tous ses droits contre ses adversaires. Ce grand homme a eu tort de si mal doter les bêtes, attendu qu'elles donnent gain de cause à son sys- tème des idées innées. Des notions précises sur l'instinct serviront tou- jours à le différentiel" de l'intelligence. Ce problème est ardu; c'est principalement à l'occasion des bêtes qu'il a été soulevé. Descartes ne voyait en elles que des machines et leur refusait tout esprit. Le père Boujeant, au contraire, leur en trouve tant, qu'il le croit emprunté des diables. Dupont de Nemours les croit aussi tout intelligence. A ces opinions extrê- mes il convient d'opposer d'abord celle de Buffon, de Virey, et de M. Lordat, qui ramènent à l'instinct les nombreux prodiges des bêtes; et, ensuite, celle de Dureau de la Malle, de Dugès, de Bory de Saint- Vincent, de Mîlne-Edwards, d'Alfred de Nore, de Frédéric Cuvier et de M. Flourens, qui admettent à la fois, chez les brutes, l'instinct et l'intelligence. Il nous est impossible d'avoir une opinion après ces hommes si compétents. Nous nous bornerons donc à hasarder quelques réflexions. L'instinct, soit de prévoyance, soit de progéniture, porté au plus haut degré par. certains insectes, peut en imposer pour de l'intelligence. Les nécrophores, les pompilles et les œilocopes présentent cette parti- cularité: les femelles, au moment de pondre, ont toujours le soin d'enterrer le cadavre de quelque animal et d'y déposer les œufs ou de les placer à côté, de manière à ce que les petits se trouvent en naissant au milieu des matières les plus propres à les nourrir. Les insectes de ces deux dernières es- pèces agissent ainsi, quoique leur régime soit végé- tal et que leurs larves seules soient carnassières. Le raisonnement le plus profond semble avoir présidé à ces divers préparatifs. L'insecte, ne devant pa§ survivré à sa progéniture, veut, en bonne mère, lui assurer la nourriture, et, comme il sait que l'organi- sation et les goûts dé ses petits ne seront pas les siens, il leur procure une pitance spéciale. Duméril et Dugès avaient été frappés de ces faits, et M. Mil ne-Edwards, qui les a observés, au lieu de les - 18 - dériver de l'intelligence, les croit, au contraire, très- propres à donner iHie idée nette de ce que Ton doit entendre par instinct Laissons un moment la parole à ce célèbre zoologiste: « Ces animaux ne verront jamais leur progéniture, et ne peuvent avoir aucune notion acquise de ce que deviendront leurs œufs, et, cependant, ils ont souvent la singulière habitude de placer, à côté de chacun de ces corps, un dépôt de matières alimentaires propres à la nourriture de la larve qui en naîtra, et cela lors même que le régime de celle-ci diffère totalement du leur, et que les ali- ments qu'ils déposent ainsi ne leur seraient bons à rien pour eux-mêmes. Aucune espèce de raisonne- ment ne peut les guider dans cette action; car, s'ils avaient la faculté de raisonner, les faits leur man- queraient pour arriver à de pareilles conclusions, et c'est en aveugles qu'ils doivent nécessairement agir; mais leur instinct supplée au défaut d'expé- rience et de raison, et leur apprend à faire précisé- ment ce qui convient pour atteindre le but qu'ils devraient se proposer. » Après avoir parlé d'un orang-outang, étudié par Frédéric Cuvier, et qui avait donné des signes d'in- telligence, M. Flourens conclut en ces termes: « C'est que l'intelligence de l'orang-outang, cette intelligence si développée et développée de si bonne heure, décroît avec l'âge. L'orang-outang, lorsqu'il est jeune, nous étonne par sa pénétration, par sa ruse, par son adresse; l'orang-outang, devenu adulte n'est plus qu'un animal grossier, brutal, intraita- ble. Et il en est de tous les singes comme de l'orang- outang. Dans tous, l'intelligence décroît à mesure que les forces s'accroissent. L'animal, considéré comme être perfectible, a donc sa borne marquée, non-seulement comme espèce, il Ta comme indi- vidu. L'animal qui a le plus d'intelligence n'a toute cette intelligence que dans le jeune âge. » Évidemment, les procédés d e l'intelligence humaine ne sont pas de cette sorte. Et cette caducité prématu- rée des facultés de l'animal nous paraît être plutôt du ressort de l'instinct; car le propre de l'intelligence c'est d'être pei fectible et de résister aux ruines du temps. Ce fait a acquis toute son évidence depuis que le professeur Lordat a soutenu, sans opposition, sa fameuse thèse de Y insénescence du sens intime. L'in- telligence des Sophocle, des Voltaire, des Fontenelle, a marché d'une façon radicalement opposée à celle de l'orang-outang et de tous les singes: les nations civilisées sont encore fîètes des chefs-d'œuvre de leur vieillesse. Ce qui autorise à penser que les sub- strata intellectuels des uns et des autres ne sont pas de la même fabrique. S'il n'en était ainsi, ce serait obligatoire de faire sortir des académies ou des facultés les vieillards illustres qui en font l'orne- ment. Du reste, dans l'estimation des facultés internes des animaux, il est bon de savoir qu'ils sont doués de Yaffectibilité. A ce titre, ils se montrent capables d'affection et de passion; la joie, la tristesse, ratta- chement, la générosité, la colère, la vengeance, la sympathie entre individus de ,1a même espèce ou d'espèces différentes, sont des actes qui leur sont or- dinaires, et qui répondent à des modes d'être de la. vi- talité. 11 ne faudrait pas confondre les émanations de cette source avec celles qui partent de l'intelligence. Le prétendu langage des bêtes est constamment lié à quelque état pathétique vital. Aussi est-il toujours naturel, et jimais conventionnel comme celui de l'homme. IV Les opérations de l'instinct, toutes ordonnées, toutes machinales qu'elles sont, n'ont pas néan- moins cette sûreté de résultat qui autorise à les pren- dre pour guide dans tous les cas. Il ne faut pas compter sur leur infaillibité: la contingence est l'a- panage de tout ce qui appartient à la vie, ou comme faculté, ou comme phénomène. Un citoyen de Cyzi- que, dit Montaigne, se fit une grande réputation pour avoir pénétré le secret du hérisson, dont la tannière était toujours fermée au vent à venir. Les augures tirés du vol des oiseaux étaient fort en cré- dit parmi les anciens. Chez nous, il est des gens qui s'attendent au mauvais temps lorsqu'ils voient les abeilles massacrer leurs compagnes en prévision d'une disette de fleurs. 11 en est qui ne croient au re- tour du printemps, dans nos climats, que lorsque les hirondelles s'y sont fixées. Nous savons qu'avant d'é- migrer, elles envoient toujours leurs ambassadrices pour explorer les lieux, et qu'elles savent fuir les pays méphitisés. Le corbeau est affecté aux présages; la corneille prophétise les maux à venir. Pour avoir un bon chien de race, il est plus sûr de laisser le choix à la mère qui sait le trier parmi ses frères. La cigogne se donne des clystères avec son bec, l'hip- popotame se déchire la peau au milieu des buissons pour provoquer des émissions de sang, le chien mahge du chiendent pour se purger. Ce sont là des analo- gies éloignées qu'on ne doit pas négliger, mais sur lesquelles il serait imprudent de trop faire fonds. Les suggestions de l'instinct, cbez l'homme, sont encore plus susceptibles d'égarer, à cause de la haute main que l'intelligence s'arroge dans la plu- — 21 — part de nos actions. La science ne renferme qu'un très-petit nombre de faits où Ton se soit bien trouvé de satisfaire à ce genre d'indications pressantes. Ces faits, néanmoins, doivent être connus des médecins. Le précepte hippocratique qui prescrit d'agir selon les tendances de la nature: Quo natura pergit, eô ducendq est, ne doit être suivi qu'avec réserve. La grande difficulté de la médecine pratique sera tou- jours de savoir là où il faut seconder la nature, et là où il faut la combattre. V Nous avons beaucoup parlé de l'instinct, il est temps de nous élever à sa notion synthétique. Nous avons compris, sous ce nom collectif, la faculté directrice de tous les actes de spontanéité qui ont pour objet la satisfaction de besoins naturels ou anor- maux, qui sont relatifs à la conservation de l'indi- vidu ou de l'espèce, et souvent aussi à leur destruc- tion. Mais puisque cette faculté est constamment liée aux opérations irréfléchies de la nature vivante, elle ne saurait être le produit de Pâme pensante. Ses ca- ractères à'innéité et de spontanéité la rendent sem- blablement indépendante des impressions, soit vis- cérales, soit extérieures. Quant à la conformation extérieure, elle est, il est vrai, coordonnée, dans plu- sieurs cas, en vue des instincts; mais elle n'en est point la cause productrice. Ce serait prendre l'effet pour la cause que de penser autrement. L'instinct préexiste à l'organisme et survit à ses mutilations. Donc il n'en découle pas immédiatement. Les faits abondent pour le prouver. Un canard fait plusieurs fois le tour d'une basse- cour après avoir eu la tête emportée par un coup de — 22 — sabre. Le mâle d'une grenouille, dont la tête a été coupée, persiste dans l'acte générateur de la copula- tion. Des mouches se meuvent longtemps encore après avoir été décapitées; Boyle rapporte qu'elles s'accouplent et font des œufs après cette mutilation. Perault raconte que des tronçons de vipère à qui l'on avait coupé la tête et enlevé les entrailles allaient se coucher sous un amas de pierres où l'animal avait coutume de se réfugier. Un coq décapité se jetait en- core sur le grain qu'on lui avait offert pour l'attirer. Legallois a vu des lapins et des chats décapités se frotter encore le cou avec leurs pattes, comme pour chercher leur tête. Aristote, Averrohès et Avicenne avaient déjà rapporté des faits analogues et plus sur- prenants (1). Celui dont M. Poiret a été le témoin mérite d'être reproduit. Il s'agit de deux mantes mises dans un vase, a Le mâle s'étant approché de la femelle, celle-ci lui saisit la tête de ses pattes tran- chantes et la lui coupe. Cette décapitation ne ralentit point l'ardeur du mâle, et l'accouplement eut lieu; mais dès que le but de la nature eut été rempli, la femelle impitoyable dévora celui dont elle venait d'accueillir les étreintes. » Les faits de ce genre non-seulement affranchis- sent l'instinct du joug de l'organisation, mais encore ils ruinent de fond en comble toute théorie organi- cienne, phrénologiste et localisatrice. On ne com- prend pas, en présence de tels faits, que Dugès, s'oc- cupant de la théorie de l'instinct, n'ait vu dans ce phénomène que la sensation des besoins trans- mise d'abord au grand sympathique, et de là à la moelle épinière, ou bien par le pneumo-gastrique, directement à la moelle allongée, au cervelet, et en- fin, dans certains cas, au cerveau même par une propagation extraordinaire (1). L'instinct est partout dans l'organisme, aucune partie n'est soustraite à (1) Alfred de Nore, les Animaux raisonnent. — 23 - son action; il agit aussi bien sur les centres nerveux que sur les autres organes. On ne comprend pas non plus qu'à la vue de faits aussi probants, on puisse s'obstiner à établir dans le cerveau le siège exclusif de Vintelligence ou de Yin- stinct des animaux, et dans le cervelet le principe des mouvements de locomotion. Ces vues, qui sont celles de l'illustre M. Flourens, nous paraissent inac- ceptables au même titre que celles de Gall. Les foi ces de la vie agissent dans l'organisme; mais el'es ne lui sont pas nécessairement subordonnées. Los or- ganes sont des conditions de causalité, mais c'est une grande méprise de les prendre pour la causalité elle- même. Enfin, si l'instinct ne peut être dérivé ni de l'âme pensante, ni de l'exercice des sensations externes ou internes, ni de l'organisation, il ne reste plus que le principe de la vie, à qui on puisse légitimement le rapporter. En effet, universel comme la vie, l'instinct ne s'ébranle que pour satisfaire aux besoins de cette dernière, que pour assurer sa conservation. Il est donc logique d'en faire, à l'exemple du profes- seur Lordat, une faculté de la force vitale, ou de le considérer avec M. Flourens comme une force pri- mitive, propre, au même titre que la sensibilité, la motilité, la plasticités la caloricité. Dr Barbaste. Paris. — Typographie Morris et Oc, ruo Arnold, G4. ( *4i ) notices et mélanges; 2° analyses d'ouvrages; 5° bulletin bi- bliographique; 4° nouvelles scientifiques et littéraires T. L'étendue de la Revue encyclopédique fait pressentir néan- moins qu'elle n'exclut pas les recueils qui ont pour objet d'apprécier la civilisation sous un point de vue spécial: ainsi le Journal de CInstruction publique développe une théorie, présente des faits particuliers, dont la Revue ne saurait s'oc- cuper avec détail; mais, comparés ensemble, considérés comme le complément l'un de l'autre , ces deux recueils suffi- sent au philanthrope, jaloux de connaître les résultats des tra- vaux de l'esprit, les moyens qui les ont amenés et ceux qui doivent les répandre sur la surface du globe. 1 La Revue paraît tous les mois par cahier de 14 à 18 feuilles d'impression; on souscrit à Paris, au Bureau central, rue d'Enfer St.-Michel, N° 18. Le prix d'abonnement est, pour Paris, de f\6 fr. par an, de 26 fr. pour six mois ; pour les départements, de 53 fr. par an , de 3o fr. pour six mois ; pour l'étranger , de 60 fr. par an , de 34 fr. pour six mois ; pour l'Angleterre , de ?5 fr. par an, de 42 fr. pour six mois. ( a4a ) DEUXIÈME PARTIE. MÉLANGES. OPÉRATIONS INTELLECTUELLES DU SOURD-MUET. Arrêtons encore un moment notre attention sur l'état in- tellectuel du Sourd-Muet. C'est un champ qui n'a presque pas été exploré; nous y trouvons pour ainsi dire à nu sur le sol, des vérités inaperçues jusqu'ici, et que nous ne pouvons découvrir en nous-mêmes qu'en perçant une croûte épaisse de préjugés. La philosophie y pourra venir observer l'enten- dement humain dans un état moins compliqué, avant qu'il se soit moulé sur les formes artificielles de nos langues, et que l'habitude de la parole y ait opéré la fusion, ou , si l'on veut, la confusion des idées et des mots. II faut l'avouer cependant, loin d'avoir jeté quelques lu- mières sur le principe des facultés intellectuelles, l'ensei- gnement des Sourds-Muets est encore, dans le public, l'objet d'une foule d'opinions erronées, que ne dissipent point les fréquentes séances de l'institution royale. C'est du merveilleux qu'on est habitué à y venir chercher; et l'on craindrait de perdre quelque chose du plaisir de la surprise, si l'on se permettait d'examiner avant d'applaudir. Combien de fois n'ai-je pas entendu demander si les Sourds- Muets apprennent la musique. J'ai vu des gens de beaucoup d'esprit tomber dans des naïvetés de ce genre. En général Ton est beaucoup plus étonné du silence du Sourd-Muet, que de l'infirmité qui ferme ses oreilles à l'expression de nos idées. Le cardinal Maury, visitant l'institution de l'abbé Sicard, ( *43 ) î „ on fit ouvrir la bouche aux élèves, pour s'assurer voulut c 1 Savaient pas la langue autrement conformée que nous, il Oubliait que le mutisme n'est chez eux que la conséquence forcée de la surdité. La parole n'est qu'une imitation. On ne peut copier ce qu'on ne connaît pas. Le Sourd-Muet (sans une invention toute particulière) ne saurait imiter des sons qui n'ont jamais existé pour lui. Ces erreurs sont légères; elles naissent de l'inattention et passent sans conséquence. Il en est d'autres, en plus grand nombre, qui ont de profondes racines, et qui méritent plus d'attention; car elles touchent au principe même de l'enten- dement. Dans quelle langue pensent les Sourds-Muets, s'enquièrent d'abord les personnes qui se piquent de métaphysique. Telle est aussi la question que j'entendis un jour adresser à l'abbé Sicard par deux professeurs de philosophie. Le cé- lèbre instituteur la transmit au fameux Massieu, qui était l'aigle de l'institution. Celui-ci écrivit longuement sans donner au- cune solution. Là dessus force raisonnements , les plus beaux du monde. Mais je restais tout surpris qu'une question si simple pût offrir matière à controverse; et je ne pouvais re- venir qu'on n'eût été frappé tout d'abord de l'erreur qui s'y trouvait implicitement cachée sous la forme d'un axiome. En effet, demander dans quelle langue pense le Sourd-Muet; n'est-ce pas supposer que l'on pense nécessairement dans une langue. Si je n'avais été trop jeune et trop timide pour oser entrer en argumentation avec de tels maîtres, je me serais hasardé à répondre par une autre question, et à demander au* interrogateurs, dans quelle langue doit penser celui qui ne connaît aucune langue; et, comme la chose se débattait entre théologiens, j'aurais pu ajouter: dans quelle langue pensent les purs esprits? Si l'on me dit que sans une langue point de pensée , que les idées sont inséparables de leurs signes, et que les signes qui servent à exprimer les idées servent aussi à les former; on pour- lirait s'appuyer de l'opinion de bien des philosophes depuis Aris- ( *44 ) tote lui-même jusqu'à M. de Bonald. Mais, en suppo^* qu u ne tut pas tacile de prononcer rigoureusement qu'un 0,an(j nombre d'idées et de jugements ont dû précéder la formatic, du premier signe, que peut une opinion, que peuvent tous^ les arguments contre un fait, un fait constant, journalier, dont les Sourds-Muets particulièrement nous offrent la preuve permanente et ostensible? Il faut donc convenir que l'on pense, ou du moins que l'on peut penser sans le secours d'aucune langue. On pense avec les idées, en les rapprochant, en les comparant pour en saisir les rapports. Est-ce une va W, relation entre les termes que cherche le raisonnement? et les mots dévoilent-ils le rapport des idées, qui constitue l'essence de toute pensée? Il est vrai que le langage donne à l'acte de la pensée une marche plus simple, plus régulière, qui double les forces de l'esprit actif; mais quelquefois aussi il Fégare par la rapidité de ses opérations, et presque toujours il favo- rise la paresse de l'esprit indolent, que le mécanisme parfait de nos langues mène comme à la lisière. Souvent on croit penser quand on ne fait qu'enfiler des mots par le mécanisme de l'habitude et de la mémoire, et sans que la raison prenne aucune part au travail. Qu'est-ce que l'on entend , ou plutôt qu'est-ce que l'on doit entendre, par ces mots: penser en français, penser en an- glais, en allemand, etc.? Supposerait-on que, pour combiner nos idées, nous ayons besoin du secours des mots? Mais quel est celui qui ne s'est pas vu quelquefois embar- rassé pour trouver l'expression juste d'une idée nettement perçue? qui n'a pas été quelquefois obligé de chercher long- temps et péniblement le terme ou le tour propre à rendre sa pensée tout entière, et telle qu'il l'avait conçue? quel est l'auteur qui n'a jamais été réduit à sacrifier quelque chose de ses idées à la pénurie de la langue? Ge qui peut avoir lieu aujourd'hui pour une idée , peut avoir lieu demain pour une autre. Il est donc constant que les mots ne sont pas indispen- sables aux idées, et que les idées ne sont pas inhérentes aux mots; il est encore incontestable que les mots manquent sou- ( *45 ) vent aux idées; car nous avons plus d'idées que de mots. De là les métaphores, qui attestent l'indigence des langues dont elles sont devenues ensuite les plus brillants ornements. Quand on dit que l'on pense en telle ou telle langue, on entend que les idées, en se formant, se revêtent immédiate- ment des mots de cette langue et prennent même les formes et les tours qui en caractérisent le génie. D'après cette expli- cation, la question qui nous occupe ne peut regarder que les Sourds-Muets instruits. Croira-t-on qu'ils pensent dans la langue qu'ils ont apprise, et que leurs idées s'offrent toujours à leur esprit revêtues des mots de cette langue? L'on conviendra sans peine que , pour penser dans une langue, il faut que cette langue nous soit familière, et que nous ayons une longue habitude de la parler. Le Français qui parle anglais ou allemand ne fait le plus souvent que traduire l'expression française qui se présente d'abord à son esprit, par l'expression*anglaise ou allemande correspondante. De là vient qu'il est si difficile à celui qui écrit dans une langue étrangère, de ne pas laisser apercevoir quelques traces qui décèlent sa langue maternelle, et le premier moule de ses idées. A mesure que nos idées se sont formées, nous avons appris à les lier à certains mots; un usage continuel a rendu cette union si intime, qu'il nous est ensuite difficile de concevoir comment nos idées pourraient être indépendantes des mots. Il en est tout autrement pour les Sourds-Muets. Ils ont long-temps pensé avec des idées seulement avant de connaître les mots; en supposant que l'instruction et l'usage tardif de la lecture pussent, à la longue, les habituer à penser avec des mots, il serait encore impossible de fixer l'époque de ce changement dans le mode de leurs perceptions. D'abord il faut observer que les Sourds-Muets ne peuvent connaître une langue que par la vue, ils ne peuvent connaître que la langue écrite. S'ils pensent dans la langue qu'ils ont apprise, ce sont les mots écrits qui se présenteront à leur regard intérieur, con- jointement avec les idées, comme les sons articulés retentis- ( «46 ) sent tout bas à nos oreilles quand nous pensons. Ils pense- raient donc par écrit, ils penseraient avec des lettres. Les mots sont composés de plusieurs lettres; ces lettres? formées de plusieurs traits, ne peuvent être ni transposées, ni changées. D'un autre côté, une pensée, quelque complexe qu'elle soit, quant à ses éléments, est le produit d'un seul regard de l'esprit; et, sous ce rapport, elle est une, elle est simple. Comment concilier cette simplicité de la pensée, et surtout la rapidité de la perception avec les éléments multipliés des lettres qui composent les mots, et des mots qui forment les propositions? Les Sourds-Muets ne pensent avec des mots ni avant ni après leur instruction. Ils pensaient, ils réfléchissaient avant d'apprendre la langue. Ils ne l'ont apprise que parce qu'ils pensaient et réfléchissaient. La pensée préexiste au langage, et a présidé à sa formation. Mais, à son tour, le langage fé- conde et développe là pensée» Il en fait un art, le plus mer- veilleux de tous* Nos termes abstraits sont au raisonnement ce que les signes de l'algèbre sont au calcul. Us forment des espèces de formules qui fixent une foule d'idées toujours prêtes à nous échapper. Mais on peut calculer sans l'algèbre; on calculait avant l'invention de l'algèbre: on peut penser sans la parole; on a pensé avant de parler. Les Sourds-Muets pensent-ils avec des signes? 1 Autre question encore plus délicate. Nous ne pouvons penser qu'avec les idées qui sont actuel- lement dans notre esprit. Les signes des Sourds-Muets sont des portraits plus ou moins fidèles, plus ou moins complets de leurs idées. A-t-on besoin du portrait pour voir l'objet présent? Les Sourds-Muets ont , comme nous, des idées. Ils sentent, T Nous avons souvent restreint la signification du mot signes aux signes ?nlmiques. ( 47 ) aperçoivent, ou découvrent les rapports qui les lient entre elles. C'est dans ce sentiment, dans cette perception que consiste l'acte de la pensée, acte purement intellectuel et in- dépendant de tout signe, Si cette perception est quelquefois confuse et ce sentiment vague, ce n'est point faute d'un lan- gage, puisque, malgré le secours de là parole, la même ob- scurité règne souvent dans nos pensées; c'est faute de savoir faire replier l'esprit sur lui-même et appliquer l'attention aux opérations de l'entendement. Les Sourds-Muets ne pensent point avec des signes. L'ob- servation et le raisonnement sont d'accord sur ce point. Ce principe est vrai, incontestable: cependant il doit subir une légère restriction. Lorsque l'esprit du Sourd-Muet travaille sur des notions superficielles qui ne sont point sorties de son propre fonds, mais qu'il a reçues de confiance, avec des signes tout faits, sans se les être appropriées par la réflexion, l'idée, trop vague alors, a besoin de s'appuyer sur le signe. Elle glisse sur l'intelligence, comme une ombre incertaine, fugitive : le signe seul s'arrête dans la mémoire. Il en est souvent de même encore quand la pensée roule sur des abstractions de plusieurs degrés, et toujours quand le caractère général de l'idée.a été mal saisi, et par consé- quent mal reproduit dans le signe. Encore serait-il inexact de dire dans ces deux circonstances que le Sourd-Muet pense avec des signes, puisque tous les autres éléments qui concou- rent à former sa pensée sont indépendants de tout signe. Nous trouvons dans les songes des Sourds-Muets une nou- velle preuve de la vérité qui nous occupe. C'est ordinaire- ment 1 sans l'intermédiaire d'aucun signe que les idées se 5 Je dis ordinairement, car comme les songes retracent les scènes de la vie journalière, si le Sourd-Muet a un grand usage de la conversation par écrit, il croira aussi écrire et lire dans les songes; il pourra de même faire usage de la dactylologie, et même de la parole articulée, si l'usage lui en est familier; souvent aussi il fera ( a48 ) reproduisent à leur imagination pendant le sommeil, non seu- lement lorsque les unes leur retracent leurs propres pensées ou les mettent en conversation avec d'autres Sourds-Muets , mais encore, et plus particulièrement peut-être, quand ils s'imagi- nent assister aux conversations de gens qui font usage de la pa- role. Le Sourd-Muet voit ou plutôt il sent leurs pensées qui s'interrogent et se répondent. Il les voit sans le concours d'au- cun signe, ni articulé, ni gesticulé, ni écrit; il voit la pensée toute nue. Le Sourd-Muet pense par intuition. Le Sourd-Muet n'a pas besoin de signes pour former sa pensée; il n'y a recours que pour la manifester au dehors. Et alors même, chose bien remarquable, la pensée toute nue est présente à son esprit; seule elle occupe toute son attention. Comment pourrai-je exposer nettement ce phénomène in- tellectuel? Comment pourrai-je me faire comprendre des per- sonnes qui n'ont aucune connaissance des signes des Sourds- Muets? Puis-je me flatter de tracer une esquisse fidèle de ce langage, qui est si diffèrent de toutes nos langues instituées, et dont la marche contrarie souvent les habitudes dé notre langue et les préjugés de notre métaphysique grammaticale? Le langage d'action, quand il s'agit de notions intellec- tuelles , est l'empreinte, ou, pour mieux dire , le calque de la pensée. Je demande pardon pour cette expression qui a besoin d'explication. Si vous calquez un tableau, l'œil suit les contours des figures que la main retrace avec une pointe ou un crayon. Pendant cette opération votre attention est bien plus occupée des traits que vous voulez reproduire que de ceux que vous formez, usage des signes mimiques; mais alors ils se représentent à son imagination sans le concours des organes qui gesticulent; ce sont comme des images aériennes, fugitives. Quelquefois même récri- ture prend cette forme; souvent aussi, ce qu'expliqnent fort bien la bizarrerie et l'incohérence des songes, les mots écrits prennent une signification tout-à-fait fantastique, ( a49 ) De môme aussi, quand le Sourd-Muet veut produire au dehors l'empreinte du tableau des conceptions de son esprit, son regard intérieur s'attache presque exclusivement à la pensée qui l'occupe; il en démêle, il en suit, pour ainsi dire, les contours que son geste dessine aux yeux. S'il reporte ensuite son attention sur Içjs signes, c'est pour comparer l'empreinte avec le relief, le calque avec le tableau, et juger de la fidélité et de l'exactitude de la copie. L'on entrevoit par là que les signes des Sourds-Muets doi- vent se succéder et s'enchaîner dans un ordre bien différent de la construction de nos langues , et particulièrement de la construction française, qui obéit à l'influence réciproque des mots bien plus qu'aux rapports des idées,. et suit moins la marche de l'esprit que les règles, de la grammaire. Ce langage a une construction qui lui est propre , ou plutôt qui est propre à l'esprit. Le SouTct-Muet a rarement besoin de chercher des signes pour exprimer sa pensée. Une autre conséquence de cette observation, c'est que le Sourd-Muet, ou celui qui possède bien ce langage , n'a pas besoin d'inventer ni de chercher des signes: il les découvre dans la perception claire et distincte de ses idées» Mais il faut qu'aucun nuage ne voile la clarté de sa pensée. Si l'on est quelquefois arrêté, l'embarras ne vjent pas du défaut de signes; ce ne sont point les signes que l'on cherche comme l'on cherche quelquefois un mot; ce sont les idées que l'on démêle. La pensée bien saisie produit le signe Comme sa conséquence immédiate. Le signe suit l'idée comme l'ombre suit le corps, Mais, encore une fois, la condition essen- tielle est que l'attention voie la pensée dans l'esprit comme dans une glace: transparente et pure qui n'altère rien des con- tours les plus délicats, ni des nuances les plus légères. Une pensée complète est comme un petit tableau que l'es- prit embrasse dans son ensemble. Les rapports qui en lient les diverses parties les, éclairent les unes par les autres; et il n'est point de pensée bien claire qui ne puisse se trans- mettre par le langage des gestes. Mais peut-on donner un K 21 ( 250 ) signé juste pour chaque mot pris isolément? Non, certaine- ment, parce que la plupart des mots n'ont qu'une signification plus ou moins vague, qui est ensuite déterminée par le rôje qu'ils jouent dans la proposition. Il n'y a guère, dans nos langues, que les noms des actes et des objets sensibles qui aient une signification fixe, absolue, et auxquels on puisse affecter un signe fixe; mais il est rare qu'une idée précise ne se reproduise pas avec précision dans le langage mimique. Le iangUge des gestes se prête mieux à l'expression des actes de Centendement quà Cexpression des objets sensibles. II n'est pas nécessaire d'avoir fait une longue étude du langage des gestes pour exprimer les actes extérieurs par la panto- mime , et convenir avec le Sourd-Muet d'un signe pour chaque objet. Il suffit d'imiter les actes pour les rappeler; et, quant aux objets, il suffît de les montrer en faisant le signe adopté. La simultanéité suffit pour opérer la liaison du signe et de l'idée. Néanmoins, il est bon que le signe ait un rapport naturel et direct avec la chose signifiée; leur union dans l'esprit en est plus prompte, plus sûre , plus durable; mais eût-on adopté un signe parfaitement arbitraire , il ne s'en lierait pas moins à l'idée, puisque la convention se fait en présence même de l'objet. Les instituteurs superficiels, ayant reconnu cette facilité d'affecter des signes aux objets sensibles , en ont inféré que le langage dés gestes n'était propre qu'à exprimer les idées sensibles. Cette opinion, généralement adoptée, a été fortifiée encore par Terreur trop commune où Ton est à l'égard des notions intellectuelles, qu'on suppose enveloppées de ténè- bres presque impénétrables. Habitués, comme nous l'avons été, à passer des mots aux idées, au lieu de passer des idées aux mots , nous attribuons aux idées l'incertitude et le vague qui règne dans les mots. Cependant si le langage des gestes, en se perfectionnant, peut obtenir un jour quelque supériorité sur la parole; s'il peut mériter de fixer l'attention des philosophes , ce sera par les signes des notions intellectuelles. ( a51 ) Les signes des idées sensibles sont presque toujours incom- plets. L'objet physique le plus simple est néanmoins très com- posé. Dans tout corps nous distinguons la forme, la couleur, la largeur, la longueur, la profondeur; il est dur ou mou, pesant ou léger , etc. , etc. Cette idée qui paraît si simple est cependant complexe. C'est un faisceau d'idées; et, ce qui ajoute à la difficulté, ces idées ne sont pas réunies par un lien nécessaire. La forme de la pêche est indépendante de sa saveur, sa saveur est indépen- dante de sa couleur; sa couleur, de son odeur. Il en est autrement par rapport aux idées métaphysiques. D'abord elles sont généralement moins composées , et elles s'enchaînent souvent et se tiennent par un nœud indissoluble, inhérent à leur nature; de telle sorte que si vous tenez le haut bout de la chaîne, vous pouvez descendre jusqu'au premier anneau. Par exemple, le jugement suppose la comparaison; la comparaison , l'attention; l'attention , une ou plusieurs sen- sations. Si je trouve un signe juste pour le jugement, je n'ai pas besoin de chercher à exprimer tous les éléments qui con- courent nécessairement à le former. Mais si j'ai à exprimer une pêche, puis-je me borner au signe de sa couleur, à celui de son odeur, (s'il élait possible d'en donner un) ? de sa forme, de sa saveur ? faudra-t-il réu- nir toutes ces qualités? Ce serait une description et non pas un signe. Mais l'expression dé la pensée a besoin d'être rapide pour être claire, Si vous traînez l'esprit sur une foule de circons- tances accessoires , l'attention se fatigue et se détourne, l'idée' échappe , et vous errez dans lé vague. Il faut foire un choix parmi tous ces signes; et la préférence ést due à celui qui est emprunté du caractère le plus essentiel. C'est toujours en éclairant l'esprit, et en formant des notions nettes et précises, que l'on parviendra à obtenir des signes simples et vrais. Le Sourd-Muet na pas besoin de connaître nos langues pour connaître ses devoirs. Il est vrai que sans le secours d'un instituteur, le Sourd-Muet n'atteindrait jamais aux hautes ( 252 ) régions de la métaphysique , où , transportés comme par en- chantement, aux moyens de nos termes abstraits , nous n'a- vons qu'à suivre les traces et reconnaître les découvertes des grands hommes qui ont exploré et défriché les champs si ri""* ches de la philosophie. Mais ces spéculations sublimes , le plus digne aliment d'un esprit élevé, ne sont cependant pas indispensables pour le commerce de la société, ni pour le bonheur de la vie; et quoi- qu'on ait pu dire à cet égard, les Sourds-Muets n'en ont pas plus besoin pour l'apprentissage d'une profession , dont l'exer- cice assurera leur existence , que pour acquérir la connais- sance de leur haute destinée et des principes éternels de morale, qui doivent régler leur conduite et faire leur félicité dans cette vie et dans l'autre. Cependant, quelques instituteurs viennent nous dire que le Sourd-Muet ne peut avoir l'idée de Dieu qu'à la fin de son édu- cation. Voilà, si on veut les en croire, l'unique but ainsi que le terme de toute leur instruction; et le sublime échafaudage, par lequel ils prétendent élever ce faible enfant à la connais- sance de son créateur, n'épouvante pas moins l'esprit par l'immensité du travail qu'il exige , que par le chaos qui y règne. Sont-ils donc si difficiles à comprendre les préceptes de ce- lui dont la voix divine félicitait les pauvres d'esprit et appelait à lui les petits enfants! La nature , par ses merveilles, révèle son auteur aux plus faibles esprits. L'idée d'un Dieu est la première étincelle de la raison; et le premier mouvement d'un cœur pur est d'adorer l'auteur de tous les biens. Aussi, et ce témoignage peut être opposé avec avantage aux assertions hardies de quelques phi- losophes, la plupart des Sourds-Muets ont déjà, avant leur instruction, l'idée, je ne dirai pas d'une cause première, no- tion trop compliquée encore pour la faiblesse de leur intelli- gence, mais celle d'un être souverain. Ils ont tous, sinon l'i- dée, du moins le sentiment du bien et du mal. Ils portent donc en eux les deux bases fondamentales de toute religion et de toute morale. II ne s'agit plus que de développer ces ( 255 ) germes heureux pour leur lime connaître les vérités conso- lantes et les préceptes éternels qui doivent régler leurs cœurs, et diriger leurs actions. // faut que le Sourd-Muet étudie la langue de son paya pour rentrer dans La société. C'est beaucoup sans doute; mais ce n'est pas encore assez pour leur bonheur. Il faut les rap- peler de cette sorte d'exil auquel la nature les avait condam- nés; il faut les ramener au sein de la société d'où ils sem- blaient exclus. Il faut enfin les mettre en rapport avec les hommes au milieu desquels ils sont destinés à passer leur vie. Ceux-ci n'iront pas s'astreindre à apprendre le langage du Sourd-Muet, c'est au Sourd-Muet à subir la loi de la majorité. Il faut qu'il apprenne la langue de son pays. Voilà le but vers lequel l'instituteur doit diriger toutes ses pensées , tous ses tra- vaux. Il rencontrera bien des difficultés; mais un plein succès couronnera son zèle et ses efforts, s'il sait préférer la lumière de la raison et l'humble sentier du bon sens aux prestiges éclatants et trompeurs de systèmes spécieux. Il semble que, jusqu'ici, on ait pris à tâche d'envelopper cet art d'un voile mystérieux. L'on en a fait une sorte de science occulte, d'au- tant plus admirée qu'elle paraissait plus impénétrable. La voix de la raison et de l'humanité demande que cet enseignement soit dégagé de tous les faux brillants dont il est surchargé. Il faut qu'il rentre enfin dans les voies de la nature , et soit rappelé à cette simplicité, caractère de la vérité, d'où nous pourrions nous étonner que l'on se soit si long temps écarté, si nous ne savions que les premiers aperçus de l'esprit sont toujours enveloppés de nuages; et qu'il n'est donné qu'à quel- ques génies privilégiés d'envisager les choses nouvelles sous leur véritable point de vue, et, pour ainsi dire, dans leur es- sence même. Loin de moi la pensée d'accuser tel ou tel instituteur. Sé- duits eux-mêmes par quelques systèmes brillants, ils en ont transporté dans leurs leçons les théories mal interprétées, au lieu d'observer et de suivre la nature , source et type de toute vérité, seul modèle de toute bonne doctrine. Bébian, ( aS4 ) COURS D'ÉLOQUENCE FRANÇAISE DE M. VILLEMAIN. > Plan général et appréciation détaillée de /'Esprit des Lois. En retraçant les souvenirs de l'antiquité et des temps mo- dernes qui se rattachent à l'histoire delà législation, M. Vil- lemain n'a pas nommé tous les écrivains , même célèbres, qui, avant Montesquieu, avaient tourné leurs regards vers les questions les plus importantes de Tordre social. Il croit devoir réparer cette lacune en rappelant que Montaigne, spéculatif et pyrrhonien par caractère, devint souvent dogmatiste pour élever !a voix contre les procédures absurdes et sanguinaires encore usitées de son temps; que Charron, faible imitateur de ce philosophe, mais pénétré de ses principes, exprima sur la tolérance religieuse et civile des idées mûries et fécon- dées plus tard par le génie des publicistes; que Bodin tenta de ramener à quelques principes dominants tous les systèmes sociaux de l'univers; que La Bruyère lui-même, dans un cha- pitre de son ouvrage , intitulé du Souverain et de la Politique, sortit un instant du genre satirique pour aborder avec assez de hardiesse des questions d'ordre social; que plusieurs écri- vains de l'école de Port-royal déposèrent pareillement dans leurs œuvres morales ou même théologiques des idées sévères et justes sur le gouvernement des peuples, et que Fénelon, avec plus d'enthousiasme et d'éloquence, consacra à ces mêmes idées les plus belles pages du Télémaque. Arrivé maintenant à l'examen de Y Esprit des Lois /M. Vil- lemain cherche à expliquer d'abord la fameuse épigraphe 1 Nous avertissons le lecteur que quelques fautes typographi- ques se sont glissées dans le compte rendu du cours d éloquence française. Page >68 , ligne 53 > au lieu de: VEsprit des Lois> lisez: si YEsprit des Lois ; pag. 174 ? Y\%. 2° , au lieu de : oraison., lisez: oraison funèbre; pag. 177,lig. 21, au lieu de : d'indépendants pu- ritains, lisez d'indépendants? de puritains. — 157 — donc toi qui lui as appris à venir manger sans plus de céré- monie dans les assiettes de tes hôtes. Je t'en fais mon com- pliment! » DEUX ARTICLES SUR LA PROTECTION DES ANIMAUX, Extraits des Œuvres diverses de M. &!• A. ffiJei»ville (1). Orateur brillant, écrivain distingué, maniant aussi bien la parole que la plume, M. Berville a conquis une place hono- rable au barreau et dans les lettres. Avocat général, puis président de chambre à la Cour impériale, il a laissé la répu- tation d'un magistrat aussi recommandable par son esprit d'indépendance que par la sûreté de son jugement. Il est mort l'année dernière, au moment où il résumait en quelque sorte sa carrière, en réunissant, pour les publier, un choix de ses divers travaux. L'œuvre interrompue par la mort est poursuivie avec un soin pieux par sa fille et son gendre. Nous avons trouvé, à la fin du troisième volume qui vient de pa- raître, des articles écrits au point de vue cle l'œuvre protec- trice, et que nous sommes heureux d'offrir à nos lecteurs. Nous reproduirons prochainement une belle pièce de vers, la Chasse du cerf, empruntée au premier volume. Ces divers morceaux prouvent que, si M. Berville n'a jamais figuré sur nos listes, il était de cœur avec nous. A. B. Un médecin , homme d'esprit, qui s'était spécialement occupé d'étudier les organes de la voix, soutenait, dans un fragment qu'il lut à Tune des séances de la Société philotech- nique, que la conformation physique n'est pour rien dans le mutisme des animaux; qu'ils ont, comme nous, les organes matériels de la parole; que, si les «chats et les chiens ne « parlent pas, c'est qu'ils n'ont rien à dire. » Le trait était spirituel : était-il vrai? c'est grande hardiesse à moi de con- tredire en telle matière un savant docteur. Pourtant, j'oserai opposer à son assertion un triple doute. Est-il vrai qu'ils ne disent rien dans le langage que leur a donné la nature ? Est-il vrai que, s'ils possédaient un langage articulé, ils n'auraient rien de plus à dire? Sur le premier point, je distinguerai d'abord deux choses (1) Paris, librairie-française de E. Maillet, rue Tronchet, 15, in-18 anglais. — 158 — qu'il faut se garder de confondre, l'appareil de la voix et l'ap- pareil de l'articulation. Quant à la voix, c'est-à-dire à la production du son, j'accorderai sans peine que beaucoup d'a- nimaux n'ont rien à envier à l'homme. J'avouerai même que les matous, les coqs et les roquets ne me semblent que trop bien doués à cet égard. Mais cette autre faculté que possède la bouche humaine de modifier la voix par des articulations variées, et dans laquelle seule réside le don de la parole, croit- on que la gueule du quadrupède en soit également pourvue? Je vois, dans la première, une cavité close de toutes parts, sauf un orifice médiocrement ouvert, et placé justement à l'opposé du corps sonore, de sorte que le son ne puisse s'exha- ler du dehors qu'après avoir été touché par trois modifica- teurs, la langue, les dents et les lèvres. Dans l'autre, je ne vois qu'un espace béant, s'ouvrant de trois côtés, garni, dans une portion seulement de son étendue, de dents pointues et disjointes, et duquel la voix s'échappe sans obstacle en tous sens. En bonne foi, ces deux appareils peuvent-ils se compa- rer? Autant vaudrait dire qu'un entonnoir est un instrument aussi complet que la flûte ou la clarinette. D'ailleurs, si le don d'articuler n'est qu'un phénomène purement intellectuel, qu'on me dise en quoi l'intelligence de tel oiseau parleur, du perroquet, de la pie, est supérieure à celle de l'hirondelle, dont nous admirons l'architecture ingénieuse et l'instinct voyageur ; à celle du pigeon, qui navigue sans boussole dans le vaste océan des airs. À ce premier doute, j'ose en ajouter un second. Est-il bien sûr que les animaux ne disent rien ? Je sais bien que les épa- gneuls ne font pas de vers, que les passereaux n'ont pas de tribune, et qu'aucun singe n'a professé la philosophie. Sans moyen d'articuler, réduits au seul langage des voyelles, les animaux ne peuvent avoir qu'un langage, bien borné, expri- mer que des idées bien simples. Mais de ce que ce langage est borné, s'ensuit-il qu'il n'existe pas? Ne voyons-nous pas les mêmes manifestations correspondre régulièrement à des incitations semblables? Comment cela s'expliquerait-il, si cha- cune d'elles n'avait sa signification spéciale, son caractère propre, son emploi déterminé? Le chien qui accueille son maître, celui qui dénonce la présence de l'étranger suspect, celui qui gronde et menace, celui qui sollicite une part de votre repas, celui qui gémit enfermé ou mis à la chaîne, celui qui dépiste la proie, ou qui la poursuit, ou qui vient de la manquer, ont-ils les mêmes accents? Hésitez-vous à distin- guer et à comprendre la chatte qui demande en suppliante l'entrée de votre chambre, celle qui répond à vos caresses par un doux murmure, celle qui gronde à Faspect du chien intrus dans son domicile, celle qui roucoule en suivant sa géniture bien-aimée, celle à qui votre étourdi d'enfant a marché sur la patte, celle qui appelle les amours, tantôt par une tendre romance, tantôt par un air de grande expression? Enfin, et c'est ici que la question prend pour nous un cer- tain intérêt philosophique, est-il bien certain que si les ani- maux possédaient une langue articulée, ils n'auraient pas d'idées à transmettre par elle, comme celui qui possède un instrument de musique et qui n'a pas de musique à jouer? Il est difficile ici de rien affirmer, car nulle expérience di- recte, faite ou à faire, n'est là pour nous éclairer. Mais, pour dire sincèrement ma pensée, je ne crois nullement à cette stu- pidité absolue que notre docteur leur suppose. Prétendre que l'animal n'a rien à dire, c'est affirmer qu'il n'a point de pensée à communiquer. Or, cette affirmation est- elle admissible en présence des scènes qui se passent tous les jours sous nos yeux? Voyez, dans mille occasions, les efforts de pantomime, de geste, d'accentuation que fait votre chien pour se faire com- prendre de vous. Croyez-vous que, s'il pouvait parler, il ne substituerait pas la parole à cette action, dont l'invention et l'emploi annoncent si clairement une intelligence en travail? Me sera-t-il permis de citer ici quelques faits empruntés à mon observation personnelle ? En voici un dont le souvenir me touche encore après bien des années. J'avais, dans mon enfance, une assez belle chienne épa- gneule. Je l'aimais, comme les enfants aiment les animaux; elle m'aimait, comme les chiens aiment les enfants. Quoique notre âge fût pareil, elle vieillit avant moi; c'est le sort de sa race. Un jour, à mon lever, je trouve Zémire, qui, couchée sur une chaise, se lève à mon arrivée, et me comble de ca- resses avec une expression, une persistance tout inaccoutu- mée : elle semblait ne pouvoir se détacher de moi. Gela fait, elle se recouche, tombe dans l'assoupissement, et pour ne plus se réveiller. La pauvre bête, sentant sa fin prochaine, avait voulu prendre congé de son ami. N'y a-t-il pas, non- — 160 — seulement bien du cœur, mais bien de l'intelligence dans cet adieu suprême et tendre de l'animal qui se sent mourir? Une chatte d'apparence assez vulgaire, qui vieillit et mou- rut chez moi, me divertissait tous les jours par son industrie à faire comprendre ses pensées et ses désirs. C'est elle qui, ayant à délivrer son petit, prisonnier dans un cabinet dont nous séparaient plusieurs portes fermées, vint un matin re- quérir mon assistance et parvint, non-seulement à se faire suivre de moi, mais à me diriger dans cette recherche assez peu fa- cile. Voulait-elle me demander à boire? posée devant ma ca- rafe, dont elle préférait l'eau filtrée et limpide à sa boisson ordinaire, elle me montrait du regard le précieux cristal, placé sur la tablette de la cheminée : puis, quand elle avait attiré mon attention, elle courait, en m'appelant des yeux, vers la porte d'un cabinet voisin, où se trouvait une cuvette dans la- quelle je lui avais une première fois versé de mon eau pré- férée. A qui persuaderez-vous que l'animal assez ingénieux pour exécuter cette action parlante, ou plutôt cette série d'ac- tions, n'eût pas dans la tête l'équivalent de ces trois mots: Bonne-moi à boire (1)? Irons-nous dire pourtant que l'imperfection toute physique des organes de la parole soit la cause unique qui rende muets les animaux? Ce serait aller trop loin. Le perroquet articule, il ne converse pas. Si j'accorde à l'animal quelques idées, je n'aperçois pas chez lui cette aptitude, si remarquable chez l'homme, à lier ses idées à des signes de convention : aptitude qui doit se rapporter à une supériorité de l'intelligence, car, (1) Voici deux autres anecdotes que nous extrayons d'une lettre adressée, en 1866, par M. Berville à M. Bourguin, un de nos présidents honoraires: « Un ami m'écrit ceci d'Amiens : Je m'apprête à sortir pour la promenade. Mon chien me témoigne à sa façon le désir de m'accompagner. Je reste froid à ses instances. Que fait-il? il va chercher mes gants et rient me les présen- ter. Comment trouvez-vous cette idée de se rendre agréable pour faire agréer sa requête? « J'ai répondu : Votre trait est charmant; celui-ci a bien aussi sa gentil- lesse: « Je reviens de la campagne avec ma chatte pleine et une petite d'une portée antérieure. Arrivée à Paris, la mère met bas sa portée nouvelle et commence à l'allaiter. A cette vue, la fille du premier lit s'inquiète et tourne, d'un air intrigué, autour du panier. La mère l'invite par de petits roucoulements à prendre place à la table commune. « La petite n'en fait rien et continue son manège. Alors la mère la prend par la peau du cou, la met dans le panier et lui présente sa mamelle. — Et voilà la concorde établie dans le ménage. « Puis, croyez à Descartes et à BufTon. » — 161 — même dans l'espèce humaine, l'idiot de naissance et l'homme tombé en imbécilité sont presque dépourvus de la faculté du langage. Gequejenepuis admettre, c'est que, chez les animaux, l'absence de cette faculté accuse une complète absence d'i- dées, je dirai même d'idées composées jusqu'à certain degré. Un fait encore, qui n'est pas indigne de remarque, c'est que ce langage inarticulé, le seul qui soit donné aux animaux, se perfectionne pourtant avec l'animal lui-même. Comparez la voix monotone de l'animal sauvage avec les accents si va- riés de nos animaux domestiques. Le loup ne sait que hurler; le chien semble presque parler. Le chien lui-même est divers de langage en des états divers. Les premiers visiteurs de l'Australie l'y ont trouvé presque sauvage, et n'ayant pour toute voie qu'un rauque aboiement. On trouve en Asie, dit Buffon, des races de chiens muets. Les nôtres n'ont certaine- ment pas ce défaut. Les choses, au surplus, se passent de même chez l'homme. Le stupide, le brute, l'idiot, n'ont presque pas d'inflexions en parlant. Deux choses accentuent le langage humain, la pas- sion et l'intelligence, et ce n'est pas un spectacle sans intérêt de voir, toute proportion gardée, le même phénomène se re- produire chez les animaux. N'est-ce pas au défaut de langage articulé qu'on doit attri- buer, en partie du moins, le peu de perfectibilité des races? L'intelligence humaine est sensiblement progressive de géné- ration en génération; chez les races subalternes, le progrès se révèle dans l'individu; il est, je ne dirai pas nul, mais lent et presque insensible dans l'espèce. C'est que, pour les races, l'instrument principal du progrès est la tradition, et la tra- dition ne s'accomplit qu'au moyen du langage articulé. Non que chez les animaux eux-mêmes les espèces restent absolument stationnaires. Il n'est pas déraisonnable de pen- ser que l'éducation, à force d'agir uniformément sur une suc- cession d'individus, doit arriver, après plusieurs générations, à modifier dans une mesure quelconque la constitution céré- brale des espèces. Le chien primitif, que des voyageurs ont rencontré aux terres australes, n'est qu'une bête brute aussi farouche et plus stupide que le loup. Quelle différence avec nos barbets, nos braques, nos épagneuls, qui naissent si in- telligents et si sociables! Le même résultat se déduit d'un fait inverse chez l'âne, fier et noble animal dans sa contrée — 162 — native, et que la transplantation et les mauvais traitements ont fini par abrutir. Quelquefois j'ai regretté de n'avoir pas assez de jeunesse et de fortune : j'aurais voulu expérimenter si le temps, l'éducation, les bons traitements ne pourraient - pas, au bout de quelques générations, relever un peu cette espèce abâtardie! Toutefois, en faisant cette juste part à la perfectibilité des espèces inférieures, il faut bien reconnaître que de tels pro- grès sont fort loin de pouvoir se comparer avec ceux qui ré- sultent de la parole et de la tradition. Ajoutons que, chez l'animal, le progrès ne paraît pas être spontané; il est le fruit de son contact avec l'homme. Du moins aucun fait observé n'autorise à supposer que la brute puisse se perfectionner d'elle-même. S'il en est ainsi, peut-être ne sera-t-il pas hors de propos de terminer ces réfléxions par quelques remarques sur l'édu- cation des animaux. Faire l'éducation d'un animal, ce n'est point forcer sa na- ture : c'est l'assouplir et la diriger, de manière à le rendre propre au service ou à la société de l'homme. Pour qui sait bien s'y prendre, cette tâche n'est pas très-difficile. Sauf quelques* espèces exceptionnellement brutes et farouches, l'animal est porté vers l'homme, dont il reconnaît par instinct la supriorité, auquel il est fier de complaire, dont il lui est doux d'être aimé et avantageux d'être protégé. Mais,, avant que les rapports s'établissent, il est un obstacle à vaincre^, la défiance, naturelle aux êtres inférieurs. Le premier pas à faire, c'est donc d'inspirer confiance à l'élève. Malheureusement, beaucoup font tout le contraire de ce qu'il faut pour cela. Les uns, brutaux, ne savent que maltrai- ter l'animal qui n'obéit pas parce qu'il ne comprend pas en- core; d'autres s'en font un jouet; d'autres, caressants impor- tuns, le fatiguent de leurs empressements. Rien de tout cela. Pour s'apprivoiser à vous, ce que l'animal vous demande, c'est la sécurité. Ne lui faites aucun mal, et vous aurez bientôt sa confiance. Quand vos premiers rapports seront établis, c'est lui-même qui viendra solliciter vos caresses. Soyez alors bienveillant, mais sans faiblesse et sans importunité. Ne tolérez aucun acte de méchanceté ; ne vous laissez jamais braver; mais montrez- vous indulgent pour la désobéissance involontaire, pour le dommage fait sans intention. Dans ces derniers cas, conten- tez-vous de faire comprendre le mécontentement sans exagé- rer la sévérité. En retour, qu'une caresse récompense toujours l'obéissance. Dans le commerce habituel, soyez affectueux si vous voulez; mais avant tout soyez raisonnable. Ne prodi- guez pas vos caresses; imposez-les encore moins; mais que votre autorité reste douce, paisible et juste. Pour ranimalcommepourrhomme,la violence et les coups sont de mauvais moyens d'éducation. La force se fait obéir, mais à la condition d'agir toujours : triste condition! Encore arrive-t-il quelquefois que le désespoir se révolte contre la force même : nous le voyons souvent chez l'âne, quelquefois chez le cheval. Puis, en se faisant matériellement obéir, elle ôte à l'animal sa spontanéité, sa grâce, son amabilité, son ardeur dans l'obéissance : sans compter qu'en ménageant ce ressort, vous vous réservez une extrême ressource pour les circonstances extrêmes. Voyez, au reste, les faits. Vos pauvres ânes sont roués de coups et sont rétifs.. Vos durs charretiers assomment leurs chevaux et ont souvent bien de la peine à les gouverner : PÂrabe caresse les siens, leur parle, vit avec eux, et en fait tout ce qu'il veut. Pour ma part, dans mes rap- ports avec les animaux, je me suis toujours fait une amusante étude d'obtenir l'obéissance aux moindres frais possibles, et je l'ai obtenue. Dans ma jeunesse, cavalier plus que médiocre, je manœuvrais pourtant assez bien un cheval sans cravache et sans éperons, A Paris, dans ces cellules pénitentiaires qu'on nomme des appartements, où, faute d'espace, il faut réduire son do- mestique, le cheval, le chien même sont des hôtes peu lo- geables : force est de se rabattre sur le chat, qui ne vaut pas le chien, mais qui fait peu de bruit, peu d'embarras, et qui satisfait envers nous à la première condition d'une bonne al- liance, qui est d'être l'ennemi de nos ennemis. Eh bien! dans cet animal, réputé si indisciplinable, j'ai trouvé toujours la plus facile docilité. Souvent je me complais à le voir accou- rir à l'appel de la voix ou seulement du regard, descendre, au plus léger signe du doigt, du meuble qu'il vient d'escala- der, ou, sur un petit murmure négatif, s'abstenir du morceau qu'il convoite, m'interroger de l'œil avant tel ou tel acte, pour voir si je veux le permettre. Et pour cela, qu'ai-je eu à faire? Ge que je viens de dire; presque rien. L'art de l'édu- cation est un peu comme l'art musical, où Mozart, Haydn ob- — 164 — tiennent plus d'effet par de simples nuances heureusement ménagées, que tel compositeur moderne par l'assourdissante uniformité d'un orchestre toujours formidable. Peut-être m'allez-vous dire que je suis un grand enfant d'en - écrire si long sur les bêtes. Soit. Pourtant j'ai dans l'idée qu'en étudiant bien l'animal, on arrive quelquefois à mieux con- naître l'homme. PROTECTION DES ANIMAUX. (1868) Beaucoup d'Amiénois ignorent sans doute qu'Amiens pos- sède une Société protectrice des animaux, laquelle a pour se- crétaire perpétuel un honorable jurisconsulte de cette ville. Je l'ignorais comme eux il y a peu de jours, et c'est M. Guer- rier de Dumast qui m'a révélé le fait, en m'adressant la bro- chure dont je viens dire un mot à nos lecteurs. M. de Du- mast, académicien de Nancy, poëte, prosateur, philologue distingué, est en partie, mais n'est pas seul, auteur de cet écrit. Le fond en appartient à M. Fée, directeur du jardin botanique de Strasbourg (1). C'est dans un volume par lui publié sous ce titre : Voyage autour de ma bibliothèque, que M. de Dumast, trouvant un chapitre de bon sens et de vérité sur la protection des animaux, a obtenu la permission de le reproduire à part, avec quelques changements de rédaction et avec des notes qui sont son œuvre personnelle. Les éloges dus à cette publication estimable devront donc se partager entre les deux auteurs. La protection des animaux est une pensée de ce siècle, et c'est une excellente pensée. Rien n'est plus louable que de chercher à réduire la somme des souffrances qui pèsent en ce monde sur toute la nature animée. Secourir l'homme est sans doute le premier devoir de l'homme: mais ce devoir accom- pli, il est bon qu'il lui reste encore une portion de bienveil- lance dans le cœur pour des êtres, non égaux à lui, mais en beaucoup de points semblables à lui, pour des êtres qui, pla- cés au-dessous de l'homme dans l'échelle de la création, se rapprochent pourtant de l'homme par le sentiment et par l'intelligence* D'ailleurs, l'un conduit à l'autre; toutes les charités sont sœurs. Longtemps Forgueil humain s'est com- plu à regarder les bêtes comme des machines ; nul aujour- (1) Bulletin mensuel, année 1855, p. 21. — 165 — d'hui n'oserait tenir sérieusement un tel langage. Les ani- maux n'ont-ils pas reçu de Dieu, en partage avec l'homme, ce don mystérieux et suprême, la vie? N'ont-ils pas des or- ganes sensibles au plaisir et à la douleur, une intelligence plus ou moins étendue et souvent digne d'admiration, des sentiments de sympathie, de reconnaissance, quelquefois de dévouement ? Ils rendent de précieux services, et les rendent d'autant mieux qu'on n'abuse pas d'eux ; ils sont nos compa- gnons; ils savent aimer et se souvenir des bienfaits. N'y a-t- il donc pas dureté, ingratitude et sottise à les maltraiter sans raison (1). Bien plus : la cruauté envers les animaux, comme le remarquent très-bien MM. Fée et de Dumast, est un ap- prentissage à la cruauté envers les hommes. « Les Romains, « qui avaient leurs combats de bêtes féroces, ne tardèrent « pas à avoir leurs duels de gladiateurs, puis à livrer aux tigres « dans le Cirque leurs prisonniers de guerre, et bientôt leurs « concitoyens accusés de dissidence religieuse. Us s'étaient « plu à regarder mourir les rougets pour observer le change- « ment de couleur de leurs écailles : ils en vinrent à jeter des « esclaves aux lamproies, pour les rendre plus savoureuses. « — Quand on voit les Espagnols tuer les poules en les plu- « mant vives, ou bien n'avoir pas de plus grands plaisirs que « les combats de taureaux, et crier bravo toro, quand la bête « indignée, poussée à bout, éventre de sa corne un pauvre « cheval ou en perce la poitrine d'un Picador, on s'explique « la chasse faite par eux avec des dogues aux malheureux des « Antilles, les traitements atroces qu'ils firent subir aux Pé- « ruviens et aux Mexicains, les raffinements d'horreur de « leurs tortures inquisitoriales, et les cruautés qui ont rendu (1) « Croirai-je ce qu'on m'a dit, qu'il se trouve des barbares qui, non con- « tents d'encager les rossignols, leur crèvent les yeux, dans l'idée qu'ils chan- « teront mieux, étant aveugles? Ce n'est pas seulement de la barbarie, c'est « de la stupidité; car, dans un salon le chant du rossignol est sans valeur; sa « tonalité n'est pas la nôtre; comme musicien, il est inférieur au moindre « élève de Dorus ou de Tulou. Ce qui rend ce chant si suave, c'est qu'il est « une note de la grande harmonie de la nature. Le chant du rossignol n'est « pas une mélodie, c'est une expression, c'est un accord avec ce qui l'entoure. « Son charme, c'est l'amour, c'est le printemps, c'est la solitude des bois, le « calme voluptueux des nuits; c'est la brise murmurant dans les feuillages, « c'est cette universelle expansion de jeunesse et de fécondité, signal de l'an- « nde renaissante. Voulez-vous jouir de ses accents? Laissez-lui la liberté, les « bois et l'amour. » (Extrait d'une allocution, intitulée la Charité envws les animaux, pronon- cée par M. Berville, à la Société de la Morale chrétienne, le 8 mai 1859. — L. W.) — 166 — a exécrable dans les deux Flandres la mémoire de l'Es- « pagne. » En plaidant la cause des animaux, nos auteurs ont évité Texagération si commune dans les plaidoyers, et je les en re- mercie, car l'exagération de la vérité est la plus dange- reuse ennemie de la vérité. L'homme a besoin du service des animaux : plusieurs sont nécessaires à son alimentation. M. Fée et son ami ne se révoltent point contre cette loi de la nature. Ils ne veulent point réduire le genre humain au régime de Pythagore, pour lequel l'anatomie et la physio- logie montrent qu'il n'est point fait. S'ils louent la douceur des peuples de FInde, ils ne proposent pas d'imiter leur scru- puleuse abstinence de tout ce qui a reçu le don de la vie. Ce qu'ils attaquent, c'est la cruauté gratuite, la barbarie inutile, et ce champ où se renferment leurs réclamations n'est encore malheureusement que trop vaste. « Tout animal, dit M. Du- ce mast dans une note que nous abrégeons, a droit de ne pas « être sacrifié sans nécessité ou sans utilité vraie, et quand « même il Test dans ces conditions, de ne pas l'être d'une « manière cruelle. » Une telle exigence est assurément bien modeste, et il serait difficile de lui refuser son assentiment. C'est toujours avec cette mesure que les deux auteurs ap- précient les rapports divers de l'homme avec les autres créa- tures. M. Fée n'interdit pas la chasse et la pêche, mais il ne veut pas qu'elles aillent jusqu'à l'extermination, ni qu'elles dégénèrent en un jeu barbare où l'homme tue pour s'amu- ser et non pour se nourrir. Il trouve bon qu'on se serve des animaux,, mais non qu'on les excède de fatigue ou qu'on les frappe avec brutalité. Il condamne comme stupide et cruel ce bizarre amusement appelé steeple-chasse, dont le résultat le plus commun est de briser |les membres du che- val et du cavalier. Encore, observe l'écrivain, l'homme blessé reçoit des soins et gémit ; le cheval blessé est envoyé à l'a- battoir. Pourtant l'homme a commandé et le cheval n'a fait qu'obéir. Une autre barbarie appelle l'attention de nos deux zoo- philes, qui s'accordent à la réprouver, bien qu'à des degrés différents. Nous voulons parler de ces cruelles expériences, trop communes dans nos amphithéâtres, et connues sous le nom repoussant de vivisections. M. Fée, qu'elles révoltent à juste titre, consentirait pourtant à les tolérer quelquefois dans — 167 — l'intérêt de la science : il se borne à demander qu'on les ré- duise au plus strict nécessaire. M. de Dumast est plus absolu: il refuse nettement à l'homme le droit de torture sur les ani- maux. « Si Dieu, -dit'il, a permis à l'homme de tuer les ani- « maux pour ses besoins, jamais il ne lui a permis de les « tourmenter par des souffrances longues et raffinées. » A parler franc, j'inclinerais beaucoup vers cette dernière opi- nion. Sans doute la science est chose sublime, mais la torture est chose infernale, et l'utilité même ne l'autorise pas suffi- samment à mes yeux. Voyez en matière de lois répressives: quelque instante que soit la nécessité de protéger l'ordre so- cial contre les attentats de la scélératesse, les tortures ont dû disparaître et ont disparu de nos codes criminels. Le sage lé- gislateur a pensé qu'il est des horreurs que l'intérêt public lui-même ne saurait justifier. Est-ce trop demander à la science que de l'inviter à s'arrêter où s'est arrêtée la justice? Dans tous les cas, au moins, une fois le fait acquis à la science, pourquoi ne pas s'en tenir là? pourquoi répéter à l'infini l'affreuse expérience pour le seul avantage de la dé- monstration? N'est-ce pas faire trop bon marché de la bar- barie (1)? J'ai lu avec intérêt ce petit écrit, et j'en sais gré à ses deux auteurs. Ces idées d'universelle bienveillance sont bonnes à répandre, non-seulement pour supprimer des souffrances, mais pour améliorer le cœur humain. Au surplus, la pensée de protéger les animaux n'est plus à l'état de germe. Elle fait son chemin. L'Angleterre a donné l'exemple : Paris l'a suivi en 1845; maints départements ont imité Paris. Des médecins, des administrateurs, des propriétaires influents, des membres de l'Institut se sont affiliés aux Sociétés protectrices. Déjà une loi tutélaire est intervenue sur l'honorable initiative du général de Grammont (1) « Mais d'ailleurs l'intérêt de la science ne commande pas cette prodiga- « lité de supplices. Je aais que Spallanzani et d'autres ont arraché quelques « secrets à la nature par des expériences cruelles, mais rares, mais non pu- « bliques. Une fois le secret dévoilé, quel besoin de renouveler à l'infini l'af- « freuse expérience? <« Oh! que j'aime voet honnête savant (.c'est Lyonnet qu'il s'appelle) qui, « ayant écrit en grand détail la monographie d'un genre d'insecte, s'applaudit a à la fin de son livre d'avoir pu recueillir cette masse d'observations, sans a qu'il lui ait fallu sacrifier plus de TROIS individus! Et pourtant la vie .d'un « insecte semble si peu de chose! Sa suppression entraîne si peu de souffrance! « Honneur à Lyonnet! Voilà les exemples qu'il faut se proposer. » {Extrait de la même allocution,) — 168 — _Et pourtant, au mépris de cette loi, des combats de tau- raux ensanglantent nos villes du midi! et on les tolère! et des écrivains racontent ces scènes de carnage, comme on ren- drait compte d'une comédie ou d'un concert! Pauvre na- ture humaine! OPINION d'un inspecteur des écoles primaires sur la protection des animaux Les demandes de récompenses par les instituteurs qui ont introduit les idées protectrices dans leur enseignement doi- vent être appuyées d'une attestation de l'inspecteur des éco- les , ou du délégué cantonnai. Noussommes heureux de voir la sympathie que notre œuvre rencontre parmi ces fonctionnaires. Nous pourrions le mon- trer par de nombreuses citations, nous nous bornons à dé- tacher quelques lignes d'une lettre adressée à un instituteur par l'inspecteur primaire de l'arrondissement de Falaise. « En faisant bien comprendre à vos élèves qu'il faut mé- nager les serviteurs que Dieu nous a donnés, sous le triple rapport de la moralité, du gentiment et de l'intérêt, vous avez fait une bonne, une excellente œuvre d'instruction. « .... Grâce à vos bons soins, vos élèves ne dérobent plus les nids des oiseaux. Si quelque infraction exceptionnelle a lieu, les coupables sont l'objet du mépris de leurs cama- rades. « Vous avez avec raison, monsieur l'instituteur, mis sous les yeux de vos élèves le bien triste et récent exemple d'un jeune criminel, meurtrier de sa famille, qui avait commencé par tuer, de sang-froid, un geai apprivoisé, et qui mourut sur Téchafaud à vingt-deux ans. « En leur prêchant sans cesse la douceur, la pitié, la pru- dence pour éviter le mal, le dévouement pour l'empêcher, non-seulement vous travaillez à la protection des animaux, mais, de plus, vous jetez dans le cœur de vos élèves de pré- cieux germes de paix et de concorde qui devront s'y déve- lopper un jour. » PARIS. — E. DE SOYE, IMPRIMEUR, PLACE DU PAiNTHÉON , 2. EXTRAIT DU I." VOLUME DES MÉMOIRES 'DE LA Société des Sciences Morales, des lettres et des Arts de Seinc-ct-Oise. DE LA SPONTANÉITÉ DU DÉVELOPPEMENT SENSIBLE-INTELLIGENT DANS LES ENFANTS NOUVEAU-NÉS, Par M. BOUCHITTÉ,, 2S8PBCTB0B DE I^ACADKIHE DS PARIS, MEMBttE TITULAIRE Une sensation n'est pas une notion; et combien l'idée d'existence est-elle réfléchie] Ch. Boxnht, Essai Analytique, Ch. Yr. Tout le monde connaît la fiction à l'aide de laquelle Gondillac, dans son Traité des Sensations, et Ch. Bon- net, dans son Essai analytique sur les Facultés de l'Ame, ont tenté de décrire le procédé en vertu duquel l'intelligence s'ouvre, sous Faction des sens, aux premières idées qui l'éclairent, et atteint les notions indispensables à son développement ultérieur. Malheureusement, les sta- tues de ces deux métaphysiciens ne sont pas seulement des fictions dans la partie hypothétique avouée pour telle par les auteurs; le procédé scientifique, la marche même de l'observation suivie par eux n'est pas moins fictive et fausse que l'hypothèse elle-même. Il en faut dire autant du morceau poétique plus que philosophique par lequel Buffon termine son chapitre sur les sens en général. Une erreur fondamentale fausse dans leur principe même les recherches de ces philosophes. Non-seulement les statues des premiers, et l'homme du second ont atteint leur entier développement physique, époque peu favorable à l'observation du travail des sens à leur naissance; mais encore, et ceci est bien plus grave, ils jouissent d'un dé- veloppement intellectuel tel, qu'il est impossible de ne pas saisir, à la première vue, le cercle vicieux dans lequel ces auteurs tournent malgré eux. Du moins doit-on le conclure des raisonnements qu'ils sont forcés de prêter à ces êtres imaginaires. Je n'ignore pas que cette observation paraîtra aux par- tisans de la doctrine de ces écrivains célèbres, une accu- sation fausse, et qu'ils allégueront que leurs maîtres ont toujours considéré la statue, ou l'âme humaine, comme une intelligence rase, vide de toute conception antérieure, et attendant de l'action des sens sa première impulsion. Ils pourront même ajouter que le reproche que leur adresse la philosophie spii itualiste, celui que nous leur adressons nous-même, consiste précisément dans cette hypothèse d'une intelligence sans facultés innées insé- parables de sa nature, et recevant sa constitution intellec- tuelle des transformations successives de la sensation. Il nous est cependant facile de justifier cette réflexion. Oui! les philosophes sensualistes ont considéré à tort l'âme comme une capacité vide, dans laquelle le monde extérieur, par l'entremise des sens, infuse tout ce qui dans la suite constituera ses facultés; mais il n'est pas moins vrai que, par une contradiction que leurs livres présentent aux moins clairvoyants, ils supposent, dans la description de l'éducation de l'amc par les sens, éducation qui appartient principalement à la première année de l'en- fance , une rigueur de procédé , une induction nette et précise, un caractère enfin de conscience réfléchie, que la raison et l'expérience démontrent ne point exister dans les premières années de la vie. Un exemple fera mieux comprendre le vice de leur méthode. Condillac et Bonnet réduisent d'abord la statue au sens de l'odorat, et, lui faisant éprouver une sensation de cet ordre, ils en concluent, le premier, que la statue se croit odeur, le second, qu'il n'y a encore là qu'une sensation; mais il assure plus loin (Chap. vu) qu'à mesure que la sen- sation s'affaiblit, t'ame de notre statue a ta conscience de ta dégradation de ta sensation. Puis il ajoute :Le sentiment de ces degrés les plus sensihtes emporte né- cessairement une comparaison entre ces degrés, et cette comparaison donne naissance à un sentiment que je rendrai par les termes de mieux être et de moins bien être (1). Ainsi, et que l'on n'oublie pas de le remar- quer, la statue se croit, et se croit positivement, distincte- ment odeur; elle a non moins distinctement ia conscience de ia dégradation de ta sensation; elle compare entre eux ces degrés, et le fruit de cette comparaison est un sentiment de mieux être et de moins bien être. Cette régularité, cette précision anticipée du procédé de l'esprit réagissant sur les données de la sensation, est une chimère, une induction logique extérieure, partie de l'intelligence d'un observateur prévenu, mais ne représen- tant point la vraie marche de la nature. Ces formes dé- (1) Nous devons cependant reconnaître que Bonnet modifie celte opi- nion par quelques passages, notamment dans celui que nous avons pris pour épigraphe, et qui se trouve dans le ch. vi de VEssai, II est fâcheux qu'il n'ait pas toujours eu cette pensée assez présente pour se méfier de ses autres conclusions. — h — terminées, ces conclusions rigoureuses supposent l'homme parvenu à son entier développement intellectuel, et sont entièrement contradictoires avec ce qui se remarque dans l'enfant. Le premier développement intellectuel et sensible de l'enfant, présente à l'observateur attentif un spectacle tout différent. Évidemment, dès les premiers instants, il reçoit des sensations, non pas sens par sens, comme la statue , mais h. la fois par tous, à des degrés inégaux, il est vrai, d'intensité; et, s'il devait commencer par l'un d'eux, ce serait bien plutôt par le goût. C'est du moins évidem- ment le premier sous l'empire duquel ses instincts le font spontanément agir. ïl est même important de faire re- marquer ici que l'enfant n'attend pas qu'un aliment pris par hasard ait réveillé en lui le besoin de satisfaire un plai- sir qui ne lui est pas encore connu ; il s'y dirige lui-même, dès le premier moment; il appelle, par ses cris et par son agitation, le sein de sa nourrice, dont il n'a ni l'idée, ni la connaissance, ni l'expérience. Ce n'est donc qu'à une observation superficielle et incomplète qu'il appartient de supposer l'ame dans une passivité stérile, ne pouvant devoir qu'au hasard la réaction extérieure qui amène son développement, et ne possédant en elle aucune impulsion virtuelle et nécessaire, aucun principe de mouvement in- stinctif , indépendant d'une volonté qui n'a pas encore at- teint le développement qui doit constituer la volonté libre et réfléchie. L'activité spontanée est le fait qui s'observe le plus gé- néralement, celui qui résulte le plus évidemment d'un examen même peu approfondi dans les premiers mois de l'existence de l'enfant. A l'exemple des animaux, dont il dif- fère, il est vrai, par plusieurs conditions physiques, il ne pa- raît pas avoir l'aperception claire et distincte des sensations — 5 — qu'il éprouve, ni même de la conscience du moi. Il se sent être, nul doute, mais ce sentiment n'est point arrivé chez lui au degré de netteté où la réflexion le fera parvenir plus tard, et où il pourra dire, où même il dira nécessairement, moi. Il se distingue des objets extérieurs, mais non d'une manière tout-à-fait précise et tranchée; ce fait est corré- latif du fait précédent, et on peut dire que le même carac- tère de vague et d'indécision qui se manifeste chez l'enfant dans l'aperception du moi, se montre dans le sentiment qu'il éprouve, en se distinguant des objets extérieurs. Ces deux faits, à proprement parler, n'en constituent qu'un seul. Mais cette confusion même, ce défaut de netteté qui accompagne ses premiers efforts, ne nuit en rien à l'activité spontanée de l'enfant; il semble même que ces espèces de problèmes que présente à résoudre à ses sens le monde extérieur, animent de plus en plus sa pensée encore in- forme et vacillante. Tous ses mouvements, la direction sur-tout de ses regards, expriment le besoin de distin- guer plus nettement ce qu'il voit, de s'assurer de ce qui se présente à lui. Il n'y a rien là qui ressemble à la froi- deur logique, à l'induction sans vie de la statue, qui n'a d'activité que celle que lui communiquent les réactions extérieures, et qui retomberait dans le néant à chaque in- tervalle de modifications, si l'inconséquence des observa- teurs que nous avons cités, ne passait par dessus les diffi- cultés qu'ils ont eux-mêmes créées. On peut donc dire que l'activité spontanée de l'enfant nouveau-né, son instinct né- cessaire, appellent la sensation, le jettent au-devant d'elle, bien plus qu'il ne l'attend pour savoir qu'il est et pour agir en conséquence. Il y a donc une activité première, un principe de mouvement inné qui, dans l'homme, précède la sensation, activité beaucoup plus visible que ne l'est la sensation; car ce mouvement est positif, extérieur, lisible — 6 — pour ainsi dire, tandis que la sensation est encore certai- nement obscure, indécise, ne pénètre, en quelque sorte, jusqu'à l'aine qu'à travers le voile épais d'organes qui ne sont pas encore suffisamment développés pour la rece- voir, et pour la transmettre dans toute sa pureté. Deux conséquences principales, les seules auxquelles nous ayons dessein d'appliquer la critique, dominent le travail des métaphysiciens dont nous parlons. Ce sont: 1,° la netteté de la sensation et le procédé logique réagis- sant sur elle; 2.° l'opinion qui a long-temps dominé dans les écoles modernes, qui croient que la notion d'extériorité ne saurait être donnée par aucun de ces quatre sens, vue, odorat, ouïe, goût; mais que c'est au toucher seul, ou au moins à sa combinaison avec quelqu'un des autres que nous la devons. La cause de ces deux erreurs, comme il est facile de s'en assurer, consiste principalement dans l'essai mal- heureux et tout-à-fait contraire aux données de l'expé- rience, par lequel on a introduit un procédé logique dans les premiers développements des sens, c'est-à-dire, substi- tué à la spontanéité instinctive que la nature a placée dans l'enfant à son premier jour, l'induction et le raisonnement qui lui sont tout-à-fait étrangers à ce moment de son existence. « Si nous faisons, dit Condillac, sentir à notre statue « une odeur qui lui est familière, voilà une manière d'être « qu'elle a comparée, dont elle a jugé et qu'elle a liée à a quelques unes des parties de la chaîne que sa mémoire « est dans {'habitude de parcourir. C'est pourquoi elle « juge que l'état où elle se trouve est le même que celui où « elle s'est déjà trouvée. Mais une odeur qu'elle n'a point « sentie, n'est pas dans le même cas; elle doit donc lui pa- rt raître toute nouvelle (p. 83, Traité des Sensations), y* Il est nécessaire de remarquer ici que la statue, c'est-à- — 7 — dire l'enfant nouveau-né, arrivée à ce degré de logique savante que décrit l'auteur, n'a encore, dans l'hypothèse du livre, que l'odorat en développement, et que, pour le moment, les autres sens dorment encore d'un profond sommeil. Ch. Bonnet, dans son Essai analytique sur l'Ame, s'est placé à la fois au point de vue psychologique et au point de vue physiologique, de manière que l'observation métaphysique disparaît sous la dissection des fibres et l'a- nalyse de leurs fonctions. Au point de vue psychologique, il établit formellement l'activité de l'ame, sauf à la détruire ensuite par la prédominance des influences extérieures, déterminant les modes de cette activité. De cette contradic- tion-là même, il résulte une recherche plus consciencieuse, une analyse plus ample où les éléments sont, il est vrai, mal coordonnés, mal conciliés, ou même ne le sont point du tout, mais où ils se trouvent tous, ou à peu près tous, énumérés. Cependant cet esprit logique, si clairement introduit dans l'enfant par Condillac, se retrouve aussi çà et là dans Charles Bonnet. Nous en citerons un exemple : « Lastatue « n'a et ne peut avoir aucune connaissance des objets de ses « sensations. Elle ne peut, par conséquent, distinguer l'odeur « que sa mémoire lui rappelle, de celle que l'objet excite. « Mais elle peut sentir que l'une l'affecte moins vivement que « l'autre (p. 58, ici. in-4.°). » Si la comparaison n'est pas ici formellement exprimée, l'idée de comparaison y est du moins contenue assez pour supposer l'intervention des formes logiques dans le développement de l'enfant, où l'expérience prouve qu'elles n'existent pas. Il faut remar- quer aussi que la statue de Bonnet n'en est encore qu'à l'odorat, sens par lequel elle commence à se mettre en rapport avec le monde extérieur , comme celle de Con- dillac. Que dire d'ailleurs de ce souvenir de l'odeur qui est lui-même une odeur, seulement à un degré moindre d'intensité? L'homme de Buffon est bien plus qu'une statue, bien plus qu'un enfant , c'est l'homme sortant des mains du Créateur selon la tradition biblique. Il semble qu'il n'a pas eu besoin d'éducation, et l'auteur qui le présente comme armé d'un développement intellectuel complet, procédant par comparaison et par déduction, aurait pu avec non moins de vraisemblance le supposer aussi avarrcé sous le rapport du développement des sens. Mais nous avons déjà fait remarquer que le morceau de Buffon était plutôt un essai poétique et oratoire qu'une exposition scientifique. Ainsi donc, avoué dans Condillac, moins évident, sans doute, mais existant positivement dans Ch. Bonnet, exprimé sans détours dans Buffon, le procédé logique domine, aux yeux de ces écrivains, le développement sensible-intelli- gent de l'homme, dès le premier instant que son œil s'ouvre à la lumière. Or, au premier pas que nous avons fait dans la carrière de l'observation, ce n'est ni la sensation, ni la réaction logique sur elle, mais bien l'activité spontanée quis'est mon- trée comme le fait dominant, palpable, visible avant tout autre. Il est vrai que nous pouvons constater le phéno- mène de l'activité qui se manifeste au dehors, tandis qu'il nous est moins facile de constater le fait de la sensation, et le degré où elle est sentie. Mais la difficulté même qui se présente dans le second cas, est déjà un motif pour soup- çonner que, chez l'enfant, la sensation est faible, confuse, peu réfléchie. En effet, si nous observons les phases de la sensation dans l'adulte, nous saisissons ejn quelque sorte toutes les nuances par lesquelles elle passe en lui. Nous dis- tinguons facilement si elle appartient à la vue, au goût, au toucher, à l'ouïe, etc. Nous voyons clairement qu'elle est aperçue, savourée, goûtée, réfléchie, voulue. Rien de semblable ne se manifeste chez l'enfant nouveau-né. Rien chez lui, que le besoin du sein de sa nourrice, plus comme besoin instinctif que comme recherche d'une sensation agréable, ne se présente dès les premiers mo- ments. La vie active s'y manifeste par des mouvements ou par des cris, mais nullement par l'aperception des sensations. Tout porte à croire que, dans l'enfant, à l'instant de la naissance, les sens sont dans un état d'en- gourdissement tel, que les objets extérieurs les ébranlent difficilement. C'est plus tard qu'ils commencent à se dé- velopper, et leur développement continue lentement, par des expériences répétées et nombreuses, soit de la part des objets extérieurs qui produisent les sensations, soit de la part de l'activité intellectuelle qui réagit sur celles-ci. Plusieurs faits étrangers à l'enfance peuvent cependant, par analogie, appuyer ces conclusions. On sait combien les sensations de plaisir et de douleur sont plus vives lors- qu'elles sont réfléchies. On sait aussi combien la réflexion portée sur un sujet étranger à celui qui cause la sensation, ou ce qu'on appelle la distraction, atténue l'intensité de l'impression produite sur les sens par tel ou tel objet exté- rieur. Or, si la situation intellectuelle de l'enfant n'est pas celle de l'homme distrait, elle est incontestablement celle de l'homme privé de réflexion soit par une cause, soit par une autre, sommeil, distraction, ivresse, etc. Tout le monde sait par expérience qu'à l'instant qui suit le som- meil, la vue a besoin de refaire son éducation, que la lu- mière est d'abord trop vive au sortir des ténèbres de la nuit, et que l'on ne s'y réaccoutume qu'après quelques instants d'un nouvel exercice. Si nous réfléchissons au degré de parfaite d'éducation auquel parvient le sens de — 1,0 — l'ouïe, dans celui qui se livre à l'étude de la musique, en remontant l'échelle qu'il a parcourue, nous arriverons né- cessairement à une époque où tous ces sons si distincts, si précisément appréciés par lui, étaient confus pour son oreille comme pour la nôtre, et nous pourrons dire,sans toutefois attacher à cette proportion une rigueur mathéma- tique, que l'oreille de l'enfant est, quant à l'aperception du son, à l'oreille de l'adulte, ce que celle-ci est à l'oreille du musicien. L'auteur de ce Mémoire, chargé, dans les pre- mières années de sa jeunesse, de surveiller dans une seule étude le travail d'un assez grand nombre de jeunes gens, se rappelle très bien qu'il était souvent distrait de ses propres travaux, par les chuchottements et les bruissements de toute espèce qui sont inévitables dans une grande réunion. Ce bruit cependant était beaucoup moins sensible le matin, immédiatement après le lever. Comme les mêmes mouve- ments apparents de la part des élèves accusaient évidem- ment les mêmes bruits, de nombreuses expériences répé- tées dans les mêmes circonstances, amenèrent cette con- clusion, savoir :que le sens de l'ouïe était moins actif après la nuit passée dans le sommeil, et que, par consé- quent, l'aperception des sens était plus vague, moins in- tense et par suite causait moins de distraction. Or, de quel sommeil plus intense l'enfant ne sort-il pas! quelles ténè- bres plus profondes ne quitte-t-il pas, lorsqu'il vient à la lumière du jour et au bruit de la vie! L'expérience est donc d'accord avec ces inductions et ces analogies. C'est un fait admis de tous que les enfants ne voient pas pendant les trois ou quatre premiers jours qui suivent leur naissance. Or, cela n'est dû à aucun objet matériel qui soit placé devant leur œil, comme le serait une pellicule ou un voile quelconque; cela doit, sans doute, être attribué à une cause physiologique, à la fai- — 11 — blesse de l'organe arrivé subitement en présence d'une lumière trop vive ; il faut donc, avant tout, le temps néces- saire pour que l'organe se fortifie. Or, l'organe ne se fortifie que lentement, et l'enfant commence à apercevoir, à voir même, à une époque où n'est pas achevé l'entier développe- ment de l'œil. Reste .donc encore l'éducation intellectuelle du sens, dont tout dans l'enfant révèle l'incertitude. Quant à l'organe de l'ouïe, l'expérience autorise à croire que l'enfant n'entend pas distinctement dans les premiers temps de son développement; en effet, à moins qu'un son ne soit très fort et sur-tout aigu, on ne le voit point sortir de sa tranquillité. Le goût ne donnant en général, même dans l'adulte, aucun signe extérieur de la sensation, il est impossible de s'assurer par expérience du degré de sa dé- licatesse dans l'enfant; mais il est logique d'en juger par induction: or, nous avons déjà indiqué le défaut de subti- lité de la vue et de l'ouïe, nous pouvons ajouter que les sensations d'odeur ne sont pas non plus très vives chez l'enfant; quant au toucher, il ne fait qu'un usage restreint de ses mains dans les premiers mois de son existence, et même, en soumettant à l'expérience le toucher diffus sur toute la surface du corps, on ne peut obtenir que des ré- sultats peu sûrs. La seconde erreur que nous rencontrons comme consé- quence de l'introduction du procédé logique là où il ne saurait être, c'est la théorie en vertu de laquelle on a at- tribué à Taction du toucher et refusé à celle de tout autre sens la notion d'extériorité. Cette opinion appartient en propre à Gondillac; Buffon ne paraît pas la partager, et si elle se trouve dans les écrits de Ch. Bonnet, on l'y dé- couvre beaucoup plutôt par induction sur quelques pas- sages, par conclusion, que formellement exprimée. Condillac fait reposer toute sa théorie sur la qualité — 12 — qu'ont les corps d'être impénétrables, qualité toutefois que nous n'abordons pas directement, immédiatement, mais seulement par un jugement, une induction partie de la sensation que le corps opère sur nos organes. Il affirme que l'enfant qui regarde comme ses modifications propres, comme lui-même, les sensations de l'ouïe, de l'odorat, du goût et de la vue, se distingue nécessairement et complè- tement de celles que lui fait éprouver l'impénétrabilité des corps: pourquoi? parce que le propre de cette sensa- tion étant de représenter deux choses qui se placent néces- sairement l'une hors de l'autre (un corps ne pouvant en effet occuper le même espace qu'un autre corps), l'enfant ou la statue conclura qu'il y a là un autre objet, un objet qui n'est pas lui ou elle. On voit par ce raisonnement à quel degré d'intelligence il est nécessaire qu'un enfant soit parvenu, à quelle finesse de discernement il doit s'élever pour satisfaire aux conditions de développement intellec- tuel posées par notre métaphysicien. On peut hardiment avancer qu'il est une grande partie de l'espèce humaine qui a vécu et quitté cette terre, sans avoir jamais joui du déve- loppement intellectuel d'un pareil enfant au premier jour de la vie. Toutefois il ne paraît pas à Condillac possible qu'il en soit autrement. « Comment, dit-il, un enfant qui « vient de naître, s'occuper ait-ii de ses besoins, s'il n'avait « aucune connaissance de son corps, et s'il ne se faisait « pas, avec ia même facilité, quelque idée des corps qui « le peuvent soulager?» {Traité des Sensations, chap. V et Vide la 2.« partie.) L'impossibilité de cette induction logique n'est pas ici la seule erreur de Condillac. On peut ajouter que si la notion d'extériorité ne nous est donnée qu'à la condition qu'il indique, elle n'existe pas. La sensation de l'extériorité, en tant que sensation, est comme toutes les autres, et ne — 13 — révèle rien de plus que celle de l'ouïe, de l'odorat, de la vue, du goût. Elle est sous ce point de vue exclusif une mo- dification de l'être sentant, ni plus ni moins. Pour arriver par elle à la notion de corps, il faut que de Và parte une induction de causalité nette ou confuse. Or, cette induc- tion de causalité a lieu aussi bien à la vue d'une couleur, à l'audition d'un son, à la saveur d'un mets. Ou donc la notion d'extériorité est donnée par tous les sens, ou elle n'est donnée par aucun. On peut s'assurer par cet exemple comme par d'autres encore , que Condillac et les méta- physiciens de son école, ne sont arrivés à de si singulières conclusions, que pour avoir voulu se soustraire à la nécessité d'admettre que la providence a mis dans tous les êtres un instinct, inexplicable il est vrai, mais incontestable, et tenté d'y substituer, par une admiration prématurée pour la raison, un procédé logique démontré impossible soit par le raisonnement, soit par l'expérience. Prenons individuellement chaque sens, et demandons- lui s'il réveille en nous la notion d'extériorité, et comment il la réveille. Adressons-nous successivement à la raison et à l'expérience. Odorat. — Quant à ce sens, le plus simple de tous, si nous raisonnons dans l'hypothèse que la première sensa- tion d'odeur dans l'enfant est précise, unique, qu'elle y précède toutes les autres à quelque sens qu'elles appar- tiennent, il est évident qu'en fermant ainsi à l'enfant les yeux, la bouche, les oreilles, en anéantissant l'organe du toucher, nous pourrons croire, avec quelque apparence de raison, qu'il se confond avec la sensation, qu'il la consi- dère comme une modification de lui-même dont il pour- rait bien être la cause, et que, dans tous les cas, rien ne l'engage à l'attribuer à une cause extérieure qu'il ne soup- çonne pas. Mais qu'est-ce qu'un raisonnement qui com- — ïk — mence par retrancher d'un problème tous les éléments qui le gênent, pour le réduire à une forme plus simple, il est vrai, mais incomplète, fausse, mensongère? Le raisonne- ment, au contraire, n'exige-t-il pas qu'on ne tente point d'expliquer la nature en l'environnant de conditions qui ne sauraient exister, en s'appuyant sur "des hypothèses inac- ceptables ? Or, en nous plaçant dans les conditions possibles, en ne demandant à l'enfant que ce qui se trouve dans la portée limitée de ses organes, ne raisonnons-nous pas exactement en faisant remarquer : 1.° que l'odorat, comme l'expérience le prouve, n'est pas le premier sens qui se développe; 2.° que la sensation d'odeur est dans l'enfant nécessairement confuse; qu'à moins qu'elle ne soit très forte, elle n'atteint pas son sens; que, comme il ne se peut distinguer d'elle, il ne la distingue pas de lui; qu'à peine par conséquent il y a sensation, et qu'à bien plus forte raison l'induction en vertu de laquelle l'enfant l'attribue- rait à une cause extérieure, ou se l'attribuerait à lui-même est prématurée, et fondée sur les suppositions les plus in- admissibles. Il est aussi indispensable de faire remarquer que l'homme, aussitôt après sa naissance, n'est pas aban- donné à lui-même; alors moins que jamais les soins des autres lui manquent; la mère ou la nourrice font con- jointement, et souvent sans plan pérmédité, l'éducation physique et intellectuelle du nouveau-né î Au milieu donc de cette attention continuelle, provoquée et soutenue par les sentiments les plus puissants, mille choses viendront aider l'enfant, et probablement long-temps avant d'éprou- ver la première sensation d'odeur d'une manière précise et claire, il aura été averti, guidé par mille circonstances qu'il est impossible de spécifier, mais que l'on peut prévoir à coup sûr. Plus d'un geste, plus d'un fait dont il aura été témoin, auront établi clairement pour lui la relation de — 15 — l'odeur qu'il aura sentie avec la cause qui aura occasionné la sensation. Or, quel est l'enfant qui se développe sous d'autres conditions que celles que nous venons d'indiquer, quel est celui qui se trouve en dehors de cette loi , qui survit à l'absence totale de soins, au défaut complet d'autres êtres pour assister ses premiers moments? Ainsi donc la supposition de l'école de Condillac est impossible et absurde, et si l'on nous disait que ce métaphysicien a voulu chercher par quels moyens l'enfant livré à lui- même pourrait se développer, nous pourrions répondre que l'enfant ainsi abandonné ne se développe pas, mais meurt; et nous ajouterions qu'il est déraisonnable de sup- primer ainsi toutes les prévisions de la nature et de la pro- vidence , et de se placer, quand on prétend expliquer des réalités, dans des conditions, heureusement pour l'huma- nité , impossibles à. réaliser. Ainsi donc le raisonnement, lorsqu'il tient compte de tous les éléments du problême, ne trouve dans l'enfant, par rapport à la sensation de l'odorat, qu'une aperception confuse, de laquelle on ne peut dire qu'elle révèle immédiatement ou ne révèle pas une cause extérieure. On peut cependant soupçonner que l'induction d'un objet extérieur est cachée en germe dans la sensation, et qu'il se découvrira peu à peu à mesure que la sensation deviendra elle-même plus nette, et plus dis- tincte du sujet sentant, à sa propre conscience. Si maintenant nous appliquons l'expérience à l'examen des sensations d'odeur dans l'enfant'nouveau-né, nous ob- tiendrons les mêmes résultats que ceux auxquels nous a conduits le raisonnement. Et d'abord, on doit comprendre qu'il y a une difficulté insurmontable à constater comment, dès le commencement de la vie, les sens et l'intelligence de l'enfant se comportent par rapport à la sensation d'o- deur: 1.° l'enfant est alors envahi presque tout entier par — 16 — des besoins, par un principe d'activité intérieure qui éloi- gne de lui toute espèce d'attention, et ce fait, s'il y a sen- sation, la rend du moins fugitive et presque inaperçue; 2.° il est impossible d'ailleurs de placer un enfant dans des circonstances où l'odeur lui vienne spontanément, et où l'on puisse en même temps observer ce qui se passe en lui à l'apparition de ce phénomène nouveau. On est donc forcé de faire cette expérience en plaçant auprès de l'or- gane olfactif du sujet un corps qui exhale une odeur agréa- ble ou désagréable; mais on ne saurait le faire dans les premiers moments de la vie de l'enfant, parce que alors, ou l'odeur est trop faible, et elle n'est point sentie par un organe trop peu exercé, ou elle est trop forte, et dans ce cas il y aurait à craindre que le système nerveux de l'en- fant, étant trop fortement affecté, ne portât quelque at- teinte à sa santé. Aussi n'est-ce qu'au quatrième mois de son développement, que nous avons présenté à un enfant un flacon rempli d'une substance odorante. Aussitôt l'en- fant a senti son sens agréablement excité, ses narines se sont dilatées, il s'est rapproché avec un sentiment de joie du flacon, il l'a cherché encore après qu'on le lui a eu re- tiré. Ce résultat était prévu; on aurait pu le conclure à priori sans doute, mais il était nécessaire que l'expérience le constatât. Or, il y a ici plusieurs réflexions à faire: l'en - fant était alors suffisamment développé pour se distinguer de la sensation; s'en distinguant, il en a instinctivement conclu que ce phénomène se rapportait à une cause exté- rieure , et il n'a pas balancé à la placer dans l'objet que tenait l'observateur; il y avait donc évidemment lâ induc- tion instinctive d'extériorité. Et qu'on ne dise pas que la présence de l'objet tenu par l'observateur est la raison de cette induction; si l'enfant n'avait pas été par sa nature même nécessairement poussé à attribuer à une cause ex- térieure la sensation qu'il éprouvait, il n'en aurait pas cherché le point de départ dans le flacon plus que dans tout autre objet; il eût joui de la sensation et l'eût oubliée, peut-être regrettée après qu'elle aurait disparu, mais n'au- rait pas plus manifesté d'efforts vers un objet extérieur, qu'il ne le Fait quand" il éprouve des tranchées, ou quel- que autre douleur interne. On ne manquera pas de dire qu'à l'âge où nous avons expérimenté, le toucher avait déjà assez agi pour que l'enfant eût acquis par ce moyen la notion d'extériorité qu'il appliquait au moment de l'ex- périence; mais, indépendamment de ce que nous dirons plus tard quand nous en serons à l'organe du toucher, nous ferons remarquer en passant que le sens du toucher, révélant dans les corps des qualités entièrement contrai- res à celles que révèle l'odorat , il n'y a aucune connexion à établir entre les données de l'un et les données de l'au- tre, aucune induction de causalité ou autre à tirer de l'o- deur à la dureté ou à l'impénétrabilité, aucune de la du- reté et de l'impénétrabilité à l'odeur. Que l'on ne se trompe donc pas sur la nature du phénomène; lorsqu'à une époque où il se sert librement de sa raison et de ses or- ganes, l'homme, guidé par une odeur qui l'a frappé, est remonté en suivant sa direction jusqu'à la cause qui l'a occasionnée, lorsque sa main a saisi la fleur d'où elle éma- nait, et qu'en la rapprochant de l'organe affecté , il a pu constater par l'intensité de l'odeur que c'était bien la même qu'il avait sentie plus faible à quelques pas; le tou- cher , en tant que faisant connaître les qualités des corps qui sont en rapport avec lui, ne joue ici aucun rôle qui aide à la découverte de la cause de la sensation d'odeur, et la main n'y remplit d'autre fonction que de saisir la fleur et de la porter à l'organe ; toute l'induction a lieu de l'odeur faible devenue plus forte à l'objet dont l'éloigné- — 18 — ment ou la proximité semblent causer cette différence , sans mélange aucun des données d'un autre sens. L'expé- rience et le raisonnement se réunissent donc pour prouver que l'induction d'extériorité est renfermée dans la sensation occasionnée par l'odorat. Si nous passons maintenant au goût, nous trouvons, quant à l'examen qui nous occupe, que ce sens a plus d'un caractère du précédent. S'il y en avait parmi les cinq sens quelques-uns qui ne donnassent pas la notion d'extériorité, ce serait évidemment l'odorat et le goût, appelés ingé- nieusement sens chimiques par quelques physiologistes. En effet, les sensations qui sont la suite de l'action des ob- jets sur les organes de ces sens, ressemblent assez, et du moins plus que toutes les autres, aux sentiments de plaisir et de douleur qui ont leur cause dans l'intérieur même de l'organisme de l'être vivant. Quoiqu'on ne puisse pas dire proprement qu'une sensation du goût ou de l'odorat res- semble à une tranchée ou à une douleur de tête, elle y ressemble néanmoins plus qu'un son, qu'une couleur, que la dureté ou l'aspérité d'un corps que la main touche. On ne conçoit pas facilement, il est vrai, que la saveur du su- cre ou l'odeur de la rose soit le fruit d'une modification spontanée des organes ; mais enfin, s'il le fallait, on l'ad- mettrait plus volontiers qu'on n'attribuerait à cette cause l'harmonie d'un concert ou la vue d'une plaine émaillée de mille couLeurs. En tous cas, si nous avons démontré que, même pour l'odorat, il y a induction d'extériorité, vague, peut-être, indécise, obscure, mais réelle, il ne sera pas plus difficile de le faire pour le goût. Mais il y a dans les circonstances qui accompagnent la sensation du goût, des conditions qui rendent impossible l'épreuve pure et simple de l'impression des objets sur cet organe. La supposition de l'organe du goût excité sans — 19 — que quelque autre faculté ait agi et agisse dans Fenfant, est une hypothèse dénuée de possibilité. L'organe qui éprouve les odeurs, est toujours ouvert; les impressions qu'il reçoit lui parviennent, sans qu'aucun changement soit nécessaire dans sa position relative. Il n'en est pas de même du goût. Il faut que la bouche s'ouvre et qu'elle reçoive un corps étranger, sous quelque forme qu'il se présente, liquide ou solide. Nous ne sachions pas que personne ait jusqu'à présent trouvé un moyen d'ingérer la nourriture en éludant cette nécessité. Gondillac, cepen- dant, a pensé à cette difficulté, et Fa remplacée par Fin- croyable supposition que nous citons : « Ne donnant de « sensibilité qu'à l'intérieur de la bouche de notre statue, « je ne saurais lui faire prendre aucune nourriture ; mais je « suppose que F air lui apporte à mon gré toutes sortes de « saveurs, et soit propre à la nourrir toutes les fois que je « le jugerai nécessaire.» (P. 135, ch. X, l.rc partie.) Dépa- reilles suppositions ne peuvent pas être sans inconvénient dans les sciences d'observation. Il est toujours de la plus haute importance de reproduire les faits dans leur pureté, et clans leur ensemble parfait. Lorsqu'après avoir ainsi tronqué les phénomènes, Gondillac conclura que quatre de nos cinq sens ne donnent pas l'idée d'extériorité, quelle valeur pouvons-nous attribuer à des inductions ti- rées d'observations hypothétiques et incomplètes? Il y a donc impossibilité pour l'observateur de constater le fait de la sensation du goût sans combinaison ou con- comitance de la sensation du toucher, au moins quant à l'induction d'extériorité qui nous occupe. Nous prions toutefois le lecteur de se rappeler, et de rapporter ici à la sensation du goût, ce que nous avons dit plus haut sur l'impossibilité de conclure du toucher à l'odorat, et réci- proquement, et de la nécessité d'une induction instinctive — 20 — de l'extériorité qui précède tous ces phénomènes. Or, cette induction instinctive est donnée dans l'enfant par l'expé- rience avant toute sensation précise. Nous la décrirons ici parce qu'elle a pour but premier la satisfaction du be- soin de nourriture, et qu'elle s'adresse avant tout au goût. Après la naissance de l'enfant, un observateur attentif démêle facilement au milieu de ses cris et de ses mou- vements multipliés, quelque chose qui appelle une satisfac- tion de l'extérieur, qui exprime le besoin d'une chose qu'il ne saurait se donner à lui-même. Évidemment l'enfant, lorsqu'il prend le sein, le veut avant de le connaître, avant d'en avoir la moindre idée. La première sensation du goût ne vient pas le trouver de manière qu'il soit im- mobile en l'attendant, comme la statue sans vie de Gondillac; il l'appelle, et l'appelle par ses cris et ses mouvements; il est très facile de reconnaître que tel est le but de cette activité inintelligente et désordon- née, au calme qui succède lorsque l'enfant est en pos- session du sein désiré. Si les choses se passaient comme le décrit Gondillac; si l'activité innée dans l'homme n'é- tait pas avant toute sensation, si l'impérieux besoin ne lui faisait pas pressentir des satisfactions qu'il ne connaît pas encore; s'il lui fallait attendre la sensation agréable d'un objet savoureux pour sentir le besoin de nourriture (1), il périrait mille fois dans sa stérile et impuissante inac- tivité. Il nous est impossible de décrire ici la situation de l'en- fant , l'intention de ses cris et de ses gestes, de manière à faire bien saisir au lecteur ce que la vue seule du phé- nomène lui ferait comprendre en un moment. Nous ferons (1) Il est très probable que dans les premiers inois de la vie, ce n'est pas la saveur du lait, qu'il ne sent que faiblement, mais la faim ou une gloutonnerie irréfléchie qui porte l'enfant à téter très fréquemment. — 21 — remarquer qu'il y a, dans certaines expériences, une sorte de physionomie, aussi difficile à exprimer que celle d'une figure, et qui met l'observateur dans la nécessité d'en ap- peler à la bonne foi de ses lecteurs, en les priant de se placer dans les circonstances où il s'est placé lui-même, et de voir si l'impression qu'ils en recevront sera la même que celle qu'il a éprouvée. Un fait d'aillçurs qui de- mande un observation moins subtile, et qui vient à l'appui de ce que nous avons posé, c'est que les mères n'ont pas besoin d'insérer le sein dans la bouche de l'enfant; il suf- fit qu'elles l'en approchent, et la plupart des nouveau-nés se précipitent en quelque sorte dessus, et le saisissent sans hésiter. Il résulte de là qu'ils portent en eux un mouve- ment instinctif qui leur fait sentir que là est la satisfaction qu'ils cherchent, et leur indique, en quelque sorte à leur insu, ce qu'ils doivent faire, et comment ils doivent user de ce qui leur est livré. Ne voit-on pas que si l'on rejette l'instinct qui pousse l'enfant à vouloir le sein, qui plus tard l'invite à le saisir, il faudra au moins l'admettre pour dé- terminer la succion, que la mère apparemment ne saurait lui enseigner; et s'il faut nécessairement admettre l'instinct à un certain degré , par quelle singulière aberration l'exclure d'autres faits, où il domine également, pour y substituer des inductions logiques, et une série de raison- nements dont le simple bon sens de la nourrice la moins éclairée ne saurait manquer de sourire? On nous dira peut-être que nous avons, non pas résolu, mais éludé la difficulté qui consistait à savoir, oui ou non, si la sensation du goût conduit à la notion d'extériorité. Indépendamment de ce que nous avons dit plus haut sur l'odorat et sur le goût, nous répondrons que nous ne sa- vons pas observer en dehors des faits, et raisonner sur des bypothèses qu'il ne sera jamais au pouvoir de personne de réaliser. D'ailleurs, en posant la notion d'extériorité comme déjà contenue en germe dans le mouvement spon- tané de l'activité innée à l'enfant, nous avons prouvé à l'avance qu'elle se trouvait déjà sous les sensations di- verses dont nos sens sont les organes. L'examen des trois sens qui nous restent encore à analyser nous présentera les mêmes résultats. La statue de Gondillac, après avoir été successivement une odeur et une saveur , devient un son au premier bruit qui frappe son oreille. « Lorsque son oreille sera frappée, « dit l'auteur, elle deviendra la sensation qu'elle éprouvera. « Elle sera comme l'écho dont Ovide ûit, sonus est qui vivit « in Ma; c'est le son qui vit en elle. Ainsi, nous la trans- « formerons à notre gré en un bruit, un son, une sympho- « nie, etc. » (p. 124, ch. VII, l.re partie). En faisant remar- quer plus haut que les sensations du goût et de l'odorat sont plus que les autres de nature à être attribuées à un mouvement spontané de l'être, nous n'avons pas cru de- voir admettre que l'être pût se confondre absolument avec elles à la moindre lueur de réflexion, à l'instant où il fait le retour même le plus confus, le moins précis sur lui-même. Or, avant que ce mouvement intellectuel ait eu lieu, on ne peut pas dire que l'enfant se distingue ou ne se distingue pas de la sensation , se confond ou ne se confond pas avec elle. Comment se croirait-il saveur ou odeur, à un mo- ment de la vie où on ne peut pas dire qu'il croie quelque chose? Il n'y a donc pas lieu à l'observation de Gondillac, et nous avons dû chercher par une autre voie quel était l'état de l'enfant à cette époque par rapport à la notion telle quelle d'extériorité. Mais vouloir qu'il en soit des sensations de l'ouïe comme de celles du goût et de l'odorat; vouloir que l'être qui en- tend se croie un instant le son même qui retentit à ses — 23 — oreilles, est une prétention tellement singulière qu'il nous semblerait en quelque sorte suffisant de l'énoncer pour en faire comprendre l'absurdité, si l'école de Condillac n'a- vait pas encore une importance qui exige une réfutation plus sérieuse. Depuis les travaux de Reid et de son école, on ne peut plus douter que l'homme ne se conclut pas de prémisses qui seraient ses sensations ou ses pensées. Il s'atteint lui- même, se perçoit directement comme être substantiel dis- tinct de ses mille modifications diverses. Si la conscience de son identité est due à la mémoire, elle ne l'est du moins qu'en partie, et seulement à la mémoire appliquée à l'être lui-même, à sa substantialité propre qui dure toujours la même en tant que sujet de modifications successives. Ce n'est pas parce qu'il a le sentiment de sa durée que l'homme se croit identique; c'est parce qu'il se croit avant tout identique, qu'il transporte cette identité dans la durée et se l'approprie. S'il était dans la triste nécessité de conclure son existence de ses sensations, ou du souvenir de ses sensations, on peut affirmer qu'il n'arriverait jamais à cètte connaissance. En effet, la con- naissance de son existence devant être la conclusion du syllogisme, et se trouvant d'un autre côté une des prémis- ses nécessaires, il y aurait pour lui impossibilité d'échap- per à ce cercle vicieux, où périrait sans retour la conscience de lui-même. Mais heureusement la nature a été plus avi- sée que les philosophes, et elle n'a pas mis la notion de l'existence de l'homme k la condition d'un procédé logique dont il est si facile de démontrer l'impuissance. Ainsi l'homme atteint directement et sans intermédiaire son moi substantiel. Il y a même ici vice dans cette expression at- teint, la seule que la langue nous fournisse, car l'homme ne vient pas du dehors jusqu'à lui-même, il ne se touche — 24 — pas en prenant son point d'appui à l'extérieur, mais il se sait être par le même acte par lequel il est; l'être et la con- naissance de son moi sont un même fait central de sa nature, constituant sa personnalité. Si telle est, comme on n'en saurait douter, la manière dont l'homme connaît son existence, elle ne saurait être autre dans l'homme et dans l'enfant L'homme n'atteint en effet son existence dans sa maturité, qu'au même titre et par le même procédé qui la lui a révélée dans ses pre- miers moments. Il la saisit sans doute plus claire, plus dis- tincte , il se rend un compte plus exact de ses différents modes, mais il ne saurait l'atteindre autrement qu'il ne l'a toujours fait. Cela posé, comment l'enfant pourrait-il se confondre avec la sensation du son, sensation éminemment limitée , sensation qui ne saurait le frapper qu'à une époque où il a déjà vécu sous l'aperception immédiate et en quelque sorte pure de lui-même, sensation qui ne peut l'occuper sans l'avoir surpris, étonné; sans s'être annoncée comme arri- vant d'ailleurs que du sein de son moi intelligent. Com- prend-on facilement un effort d'imagination en vertu duquel on peut admettre qu'un homme se croit un son? et si le phi- losophe dont nous attaquons la doctrine n'y avait pas été conduit par une déduction logique, si ce n'était pas chez lui une préoccupation systématique, n'eût-il pas été le pre- mier à s'apercevoir de ce qu'il y a d'impossible dans une semblable conclusion? Cependant, nous demandons que le lecteur ne perde pas de vue le principe général qui, pour nous, domine toute cette recherche, c'est-à-dire le caractère de confusion et d'incertitude qui se trouve mêlé à toutes les perceptions de l'enfant. En niant qu'il se confonde positivement avec la sensation du son^ nous ne voulons pas dire qu'il s'en distin- gue avec la précision et la netteté avec lesquelles il le fera plus tard, nous voulons dire seulement que cette distinc- tion, en quelque sorte à l'état de germe, et qui se déve- loppera de plus en plus dans la suite, est en lui spontané- ment, instinctivement, et n'y est introduite par aucun pro- cédé logique. Si de ces considérations rationnelles nous passons à l'expérience, nous voyons l'enfant peu sensible au son dans les premiers moments de son existence. Un peu plus tard, lorsque l'intensité du son ou ses organes plus exercés lui rendent cette sensation plus familière, il commence à la saisir et à la distinguer des autres; on le voit pester l'o- reille, et dans cette physionomie d'une attention qui com- mence à s'exercer, il est évident qu'il ne se confond pas avec la sensation, mais qu'il la cherche et qu'il tâche de la retenir comme une chose qui n'est pas lui; plus tard en- core il cherchera manifestement d'où vient le son, sans le trouver sans doute, mais avec le sentiment bien exprimé qu'il l'attribue à une cause extérieure. L'enfant sur lequel j'ai pu faire quelque expérience n'avait guère plus de deux mois, lorsqu'on l'approcha d'un piano dont les touches étaient mises en mouvement. Ses traits annonçaient visi- blement qu'il entendait et, au lieu de donner à croire qu'il se confondît lui-même avec ce son, il était visible qu'il en cherchait la cause à l'extérieur; ses yeux errants avec l'ex- pression d'une sorte d'inqiiiétude au plafond, montraient en même temps qu'il ne savait pas localiser exactement la cause de ce qu'il entendait, mais qu'il le rapportait à un objet extérieur. Depuis ce temps il a continué à développer cette faculté, et au quatrième mois il parvenait déjà à dis- tinguer et à trouver la voix qui l'appelait. Sans doute il avait été aidé dans ce progrès par tous les moyens qu'a- vait pu suggérer à ceux qui l'entouraient l'intérêt qu'excite — 26 — un enfant dans sa faiblesse; mais le phénomène du déve- loppement à cet âge est complexe, les sens n'y agissent guère les uns à part des autres, et c'est déjà se placer dans une condition féconde en faux résultats que de renoncer dès l'abord à la marche de la nature. Si la Providence a préordonné la famille pour recevoir l'enfant et coopérer à son développement, c'est qu'aux yeux de la sagesse qui a conçu l'organisation du monde , cet élément a paru indis- pensable. Vouloir le supprimer et supposer une statue que le hasard seul se charge d'animer, est une faute, irré- missible dans une science d'observation, et qui ne peut aboutir ipi'à des erreurs. Les sensations de la vue renferment encore plus évidem- ment que celles du son la notion d'extériorité. Si l'on ne comprend pas que l'homme se croie un son, encore com- prend-on moins qu'il se croie l'espace coloré, étendu qu'il a sous les yeux, qu'il se croie successivement les arbres, le ciel, les maisons et tout le spectacle qui frappe ses regards. Qu'il ne distingue pas au premier coup-d'œil les objets les uns des autres, qu'il ne les distingue pas suffi- samment de lui-même, à la bonne heure; mais que la con- fusion, due au défaut d'expérience, aille jusqu'à ce point, qu'il regarde tout cela comme étant lui-même, c'est une conclusion que repoussent également le raisonnement et l'expérience. Condillac fait remarquer, pour appuyer son opinion, que nous voyons les objets en nous. Cette observation, physiologiquement vraie, ne l'est pas métaphysiquement. Indépendamment de ce que nous pouvons dire que, dans l'a- perception externe matérielle, l'homme prétend bien abor- der l'objet lui-même, quel que soit le mode de transmission que son organisation impose à cet objet, Condillac aurait dû remarquer que, quelque part que soit dans le cerveau — 27 — l'image peinte sur la rétine, il ne s'agit pas du dévelop- pement du moi matériel, du corps, mais bien du dévelop- pement du moi immatériel, abstraction faite de cette portion de matière qui lui est attachée. Que la rétine soit dans l'in- térieur de l'organisme, et, par conséquent, qu'il en soit de même de l'image qui se peint sur elle, cela constitue tou- jours un fait extérieur au moi véritable, au moi spirituel, au moi du métaphysicien. D'ailleurs, si l'œil est pour le physiologiste un composé de divers éléments qu'il analyse et décrit (car tel est son but et la question qu'il se pose), il est pour le métaphysicien un instrument sûr de l'action duquel il cherche le résultat intellectuel. Or, la question pour lui n'est pas la description du phénomène de la vi- sion; c'est de savoir, la vision étant donnée, quelles sont les idées qui se réveillent dans l'esprit à l'occasion de la mise en jeu de cette partie de l'organisme; quels sont les principes intuitifs ou logiques qui l'accompagnent. Jus- qu'à présent les sensations, que nous avons examinées dans leurs rapports avec le moi, avaient dans leur résultat un caractère de simplicité qui s'opposait moins à ce qu'elles se confondissent avec le moi; et cependant nous avons noté quelques éléments qui rendaient cette confusion impossible. Mais ces raisons n'existent pas pour la vue; toute sensation obtenue par ce sens, encore qu'elle la ré- vèle incomplètement, révèle cependant l'existence de l'étendue; car dans l'aperception immédiate de lui-même, dans le sentiment intime de sa propre existence, le moi aborde sa simplicité constitutive, et quand il ne la réflé- chit pas d'une manière bien précise, il n'échappe pas pour cela à l'influence qu'elle exerce instinctivement sur lui. Il arrive donc que, lorsqu'une surface éclairée et colorée frappe ses regards, il ne saurait la confondre avec lui- même; il sent dès ce moment qu'elle n'est pas lui, et dans — 28 — ce seul fait, encore mal analysé sans doute, se trouve le germe de toutes les distinctions, de toutes les connais- sances qui se développeront dans la suite. L'expérience donne les mêmes résultats que les induc- tions précédentes où aucun des éléments n'est omis sous le prétexte qu'il n'est pas explicable. Le fait célèbre du jeune homme,'âgé de treize ans, auquel Gheselden rendit la vue, qu'une cataracte lui avait ôtée dès sa naissance, prouverait ce que nous avons annoncé, s'il ne fallait pas cependant faire observer que les développements qu'il avait dû rece- voir nécessairement par les autres sens, et les connais- sances qui en étaient la suite, durent influer sur le phé- nomène qui accompagna son initiation à la lumière, de manière que l'on ne peut qu'en user sobrement dans la question qui nous occupe. Quoi qu'il en soit, au premier instant où il put apercevoir les objets, il ne les conçut pas en lui, mais il crut que tous ces objets indifféremment tou- chaient ses yeux. Ce sont ses propres paroles. Le résultat des expériences sur l'enfant dont nous avons déjà parlé, nous fournit des données analogues, et d'autant plus sûres, que dans les premiers mois de sa naissance, où nous l'avons observé, les autres sens n'étaient pas plus avancés que celui de la vue, et n'en secondaient l'acti- vité que dans la mesure établie et voulue par la nature elle-même. Quelques jours après sa naissance, à cette époque com- mune à tous les enfants, où, selon l'opinion générale, ils commencent à voir, les couleurs les plus vives, les étoffes dont les dessins étaient le plus variés, attiraient, plus forte- ment que le reste, ou peut-être même exclusivement ses regards. Il est impossible de faire l'expérience plus tôt que nous ne l'avons faite, et si l'on nous disait que déjà le toucher avait agi, nous serions autorisé à le nier par — 29 — l'expérience même, et d'ailleurs nous avons déjà suffisam- ment démontré qu'à cette époque l'enfant n'est pas ca- pable du procédé logique que Condillac prête à la statue. Or, il était facile de voir, à l'expression seule de sa physionomie inquiète, qu'il concevait déjà l'objet qu'il voyait comme n'étant pas lui, qu'il le cherchait comme extérieur à lui. Si l'enfant ne pouvait pas nous le dire, ce fait, du moins, était écrit sur ses traits et dans tout le mou- vement de sa figure, de manière que l'observateur le moins attentif l'eût constaté. Il est nécessaire de distinguer ici deux moments divers dans le phénomène de la vision. L'organe qui transmet à l'homme les phénomènes de la vue, l'œil, se présente et comme actif et comme passif; c'est-à-dire que, comme passif, il reçoit l'image de Fobjet, la transforme d'une manière analogue, quoique plus par- faite, à celle suivant laquelle se comportent les lunettes; comme actif, la volonté le dirige vers l'objet, l'y applique plus ou moins fortement, commande à cette attention une intensité plus ou moins grande , une durée plus ou moins longue. Or, ces diverses conditions de la vue se peignent, dans leur action, sur l'organe lui-même. Si la vue se borne à transmettre confusément les objets extérieurs à l'ame, comme il peut arriver dans un homme préoccupé d'un sentiment vif ou d'une attention profonde, l'expression du regard est autre que lorsque l'œil cherche sérieusement à saisir l'objet lui-même, à s'y appliquer pour le voir sous toutes ses faces. Or, c'est cette dernière expression que nous avons constamment saisie dans l'enfant, et ce mouve- ment, si fortement prononcé de l'intérieur à l'extérieur, est une preuve irréfragable, qu'aux premiers instants de la vie, l'homme conçoit déjà l'objet vers lequel il dirige ses regards comme distinct de lui-même et extérieur à lui. Ce mouvement, que nous avons soigneusement constaté — 30 — dès la naissance, n'a pas changé dans la suite. Seule- ment il s'est distingué de plus en plus, il est devenu de plus en plus clair pour l'observateur, en devenant de plus en plus volontaire, de plus en plus déterminé dans l'en- fant. Ce n'est que plus tard que la corrélation entre la vue et les autres sens s'est établie. Les rapports continuels de l'enfant avec sa mère ou avec sa bonne, dont le secours lui était à chaque instant nécessaire, n'ont pu manquer d'accélérer cette corrélation par rapport à ces personnes. Il a reconnu que telle voix appartenait à sa mère, telle inflexion h sa bonne, avant d'avoir établi le même rapport avec d'autres personnes. Il souriait volontiers à une figure riante et inattendue, montrait un vif intérêt pour tout ce qui se passait autour de lui, sur-tout les premières fois qu'on le fit sortir; mais ce n'est que vers le milieu du cin- quième mois qu'il commença pour les personnes étran- gères aux deux que nous avons nommées, à lier le son à la bouche qui l'articulait. Quand on l'appelait, il se re- tournait sans beaucoup hésiter, et arrêtait les yeux sur ce- lui qui avait prononcé son nom, ou, ce qui était la même chose pour lui, un son appellatif quelconque. Cependant, nous devons faire observer qu'il fallait être assez près de M, et qu'à une distance un peu plus considérable, cette liaison ne se faisait plus sentir. A cette occasion, nous avons pu nous assurer par l'expérience que le phénomène de la vision avait besoin dans l'enfant d'une éducation assez longue. Comme nous avons dit qu'il ne distinguait pas de suite la cause du son, nous pouvons faire la même re- marque quant au sens de la vue. Évidemment, l'enfant ne localise pas exactement les objets, sur-tout il ne leur assigne pas dès l'abord leur place, soit clans la hauteur, soit dans la profondeur de l'espace; il est généralement plus heu- reux pour trouver le point qu'ils occupent dans la largeur. — 31 — Lorsque l'enfant que nous avons observé put comprendre, ce qui n'arrivait pas sans quelque peine, que celui qui lui tendait la main voulait qu'il y plaçât la sienne, il commença toujours par porter sa main à la hauteur de sa Louche, et de là, en décrivant une courbe assez gauche, il la laissait tomber dans celle qui l'avait sollicité. Il y a là, sans doute, à faire un examen physiologique et phy- sique sur la direction plus ou moins vacillante du rayon visuel dans l'enfant; mais nous ne nous y livrerons pas. Notre but a été de prouver que la notion d'extériorité était instinctivement, et comme en germe, dans les pre- miers actes de l'enfant, et qu'il n'y avait aucune de ses sensations, de quelque nature qu'elle fût, qui ne contînt implicitement la distinction du sujet et celle de l'objet. Pour compléter ce qui concerne, sous ce rapport, l'ac- tion des sens, il nous reste à parler du toucher. Ici, l'expérience nous force à établir des conclusions entièrement contraires à celles de la philosophie sensua- liste. Et d'abord, dans l'hypothèse de Gondillac, la sensa- tion du toucher ne saurait donner l'idée d'extériorité plus que tout autre sens mis en mouvement. Il est facile de montrer que ce philosophe, en renonçant au mouvement spontané qui porte l'enfant à agir de l'intérieur à l'exté- rieur, a été obligé, pour remplacer cette omission, d'ajou- ter, dans l'analyse de la sensation du toucher, des élé- ments qui n'y sont point et qui ne sauraient y être. « En « portant les mains sur elle-même, la statue ne décou- « vrira qu'elle a un corps, que lorsqu'elle en distinguera « les différentes parties, et qu'elle se reconnaîtra dans « chacune pour le même être sentant; et elle ne décou- « vrira qu'il y a d'autres corps, que parce qu'elle ne se « retrouvera pas dans celle qu'elle touchera. » (Traité des Sensations, n.c partie ,, ch. 5.) Pourquoi doit- il en être — 32 — ainsi selon Conclillac? le voici en résumé : La statue, en touchant une partie de son corps, éprouvera la sensation du toucher et dans la main, et sur le point du corps tou- ché. Elle aura, par conséquent, l'idée de deux corps im- pénétrables qui s'excluent l'un l'autre, et elle en conclura leur existence réciproque et distincte. Le lecteur découvre déjà l'intervention d'un procédé logique qui n'existe nul- lement dans l'enfant, erreur que nous avons déjà signalée d'une manière générale; mais ce n'est pas le seul motif qui doit faire rejeter cette analyse. Nous avons déjà fait remarquer que, dans l'enfant, la sensation est confuse, et d'autant moins caractérisée qu'on recule plus loin vers les premiers rpoments de sa vie. La raison et l'expérience se joignent pour mettre ce fait hors de doute. Lors même que la sensation serait plus précise qu'elle ne l'est en effet, on ne peut disconvenir que le toucher diffus dans le corps n'est pas comparable, pour la délicatesse, avec celui qui caractérise la main. Il est donc très probable que, dans le cas décrit, une des deux sensations sera plus vive que l'autre, et par-là devra absorber l'autre, sur-tout à une époque de la vie où l'attention n'est point, ou n'est que peu développée. A proprement parler, il n'y aura qu'une seule sensation, et cette sensation ainsi isolée, ne sera, dans le système de l'auteur, pour l'être sentant, qu'une modification de lui - même. Admettons même que les deux sensations soient senties; que le point touché soit affecté à l'égal de la main qui touche; il y aura à la fois deux sensations du toucher. Or, si l'idée d'extériorité n'est pas contenue dans la première, elle ne le sera pas dans la seconde, et.nous devrons la chercher dans le rapport des deux sensations. Mais ces deux sensations ne présentent qu'un rapport de con- comitance et de ressemblance; elles sont en même temps, — 33 — elles sont de même nature. Ajoutons encore que toutes deux, par des voies différentes, il est vrai, Tune par les nerfs du bras, l'autre par le tissu de tout le corps, arrivent à un même sensorium; que c'est là où elles sont senties, et senties à la fois, senties comme une seule; qu'elles ne peuvent, par conséquent, être distinguées et localisées que par suite du développement d'une autre fa- culté ou d'une autre notion, et qu'enfin, loin d'indiquer d'elles-mêmes la place où elles se passent et les points qu'elles occupent, en tant que distinctes, elles réclament, pour cette connaissance, le jeu d'un élément intellectuel indépendant de leur action. Si maintenant nous avons recours à l'expérience pour résoudre cette question subsidiaire, savoir: comment se comporte la double sensation qui résulte de l'application de la main sur une partie quelconque du corps auquel elle appartient; nous dirons sans crainte de nous tromper, que, dans l'homme arrivé à maturité d'intelligence, c'est à grand'peine, et c'est en en faisant une étude attentive, que les deux sensations se distinguent l'une de l'autre, et que toujours la sensation dominante ou plutôt unique est celle de la partie touchée, et non de l'organe qui touche. Or, comment une distinction impossible ou du moins très dif- ficile à l'âge de la force et de l'intelligence, pourrait - elle être facile, simple, toute naturelle dans les premiers mo- ments de la vie? On peut donc conclure de tout ce que nous venons de dire, que,dans l'enfant comme dans l'homme,toute sensa- tion du toucher réfléchi est une et non double, et que par conséquent on ne saurait, en admettant même un procédé logique impossible, lui attribuer une vertu que le philosophe cité refuse aux sensations du goût, de l'odorat, de l'ouïe et de la vue. La statue de Gondillac avec les seuls moyens 3 — 34 - que son créateur lui accorde, serait donc dans l'impuis- sance d'arriver, par le toucher comme par les autres sens, à la notion d'extériorité. Ajoutons que l'enfant se touche rarement lui-même, que toute son activité, toute Timpul- sion de ses mouvements le pousse à l'extérieur, et que les attentions mêmes de la mère, la nature des soins qu'elle lui donne, rendent ce toucher réfléchi souvent impossible. On ne voit pas cependant que le développement intellectuel soit plus rapide chez les enfants abandonnés à eux-mêmes, qu'il ne l'est chez ceux qui reçoivent les soins assidus de la famille. Mais nous allons plus loin, et nous affirmons que le toucher dans les enfants suppose la notion antécédemment acquise d'extériorité, et que l'enfant ne l'exerce avec vo- lonté de le faire que lorsque déjà il sait positivement qu'il y a autour de lui des objets qui ne sont pas lui. Appuyons- nous, comme nous l'avons fait pour les autres sens, et sur le raisonnement et sur l'expérience. Le toucher se trouve dans l'homme principalement sous deux formes; il est ou diffus par tout le corps, ou localisé particulièrement dans la main. En tant que diffus dans tout le corps, il est continuellement affecté par le milieu qui l'environne, mais l'habitude ou l'impossibilité de tou- jours réfléchir à une même sensation, réduit les sensations du toucher diffus à n'être véritablement senties que lors- qu'elles prennent une certaine intensité. Du reste, dans la plupart des cas, non-seulement ces sensations sont in- volontaires, mais il dépend rarement de la volonté de les empêcher d'être. Le toucher considéré sous ce rapport, est le toucher en quelque sorte passif et qui ne communi- que à l'esprit que des connaissances bornées et peu préci- ses. Quant au toucher que nous appellerons actif et dont la main est l'organe, c'est lui sur-tout qui est soumis à — 35 — la condition d'être volontaire, c'est lui qui nous fait réel- lement connaître, dans les objets, les qualités qui s'y rap- portent en tant qu'objets tangibles. Tandis que le corps ne touche guère que par la conséquence nécessaire de ce qu'il est touché, la main ne touche à son tour que parce qu'elle veut, ou plutôt parce que l'esprit veut pour elle. Or, cette volonté est antécédente au mouvement. Le mouvement n'a lieu que parce qu'il est voulu, et il n'est voulu pour le toucher que parce qu'il y a une connaissance antérieure de quelque chose qui peut être atteint, d'un objet exté- rieur qui peut être touché. Sans doute, avant de toucher par suite d'une volonté réfléchie et précise, la main a heurté plus d'un objet, mais ce toucher dont les conséquences sont faibles et obscures, doit rentrer dans le toucher diffus dont nous avons parlé. D'ailleurs, nous avons démontré que la sensation pure et simple du toucher ne donnait pas l'extériorité plus que les autres sens, ou que les autres sens la donnaient au même titre. Ce qui est vrai sur-tout du toucher diffus, le premier, et pendant quelque temps le seul que l'enfant exerce. Quant au toucher réfléchi et voulu, celui dont la main est l'organe, il est évident qu'il suppose la connais- sance antérieure d'objets étrangers à nous. Si maintenant nous avons recours à l'expérience pour confirmer ces inductions de la raison, nous remarquerons que l'enfant n'use guère de ses mains, au moins d'une ma- nière qui mérite l'attention, dans les premiers jours de son développement; ce n'est qu'après quelque temps qu'il les étend pour vérifier ce qu'il a sous les yeux, pour constater l'existence des objets qu'il conçoit déjà comme hors de lui, pour en acquérir une connaissance plus exacte. La raison et l'expérience s'accordent donc ici pour mon- trer que l'idée d'extériorité n'est pas renfermée dans le seul — 36 — sens du toucher, et qu'elle ressort de toutes les autres sen- sations. Bien entendu qu'elle se cache sous le toucher dif- fus, avant de devenir l'objet des déterminations du toucher voulu et réfléchi. Au reste, nous pensons qu'en généralisant, comme nous y sommes d'ailleurs autorisés par la nature même des cho- ses, ce que nous avons dit du toucher réfléchi, nous pou- vons l'affirmer de tous les sens à l'état actif, c'est-à-dire lorsqu'ils agissent en vertu d'une volonté précise et déter- minée qui les dirige. En effet, ni le goût ne savoure avec conscience de ce qu'il fait, sans savoir précisément que la cause de la sensation est extérieure à lui; ni l'odorat, sous cette même condition, n'ignore que la cause de l'odeur n'est pas le sujet auquel il appartient; ni la vue ne se con- fond avec les objets colorés ou lumineux qu'elle examine attentivement; ni l'oreille ne se croit le son qu'elle saisit ardemment et dont elle suit avec charme toutes les modu- lations. Il y a donc deux moments dans le développement des sens, le premier vague, confus, dans lequel néanmoins se révèle de plus en plus la notion d'extériorité ; le second précis, déterminé, voulu, qui suppose cette notion acquise, qui peut-être sert à la préciser dans les divers objets, mais qui nécessairement l'a trouvée établie et dominante. Comment les philosophes et les observateurs dont nous avons réfuté les conclusions, sont-ils parvenus à donner pour les découvertes les plus importantes les résultats les plus faciles à attaquer et à infirmer? C'est, comme nous l'avons dit, en introduisant dans le développement sensible- intellectuel de l'enfant un procédé logique impossible, et qui de plus suppose déjà tout acquises les connaissances auxquelles on se propose de parvenir par son moyen. Mais pourquoi l'introduction de ce procédé logique? parce qu'il fallait avant tout, pour étendre son domaine, placer — 37 — la raison là même où elle ne pouvait se trouver; parce que, pour répondre à l'abus que les siècles précédents avaient fait des causes occultes, il fallait ne plus rien trouver d'oc- culte, rien qui ressemblât à une cause irrationnelle, à quel- que chose d'instinctif et de spontané. C'est le caractère du XVIII.e siècle d'avoir cherché à enlever le plus possible Dieu à son œuvre, et soustrait à son influence directe le monde créé par lui. Condillac a été, après Locke, un des chefs les plus populaires de cette école, tant par ses ta- lents, que parce que, ayant introduit l'esprit de ce siècle dans la philosophie, il porta le matérialisme, ou plutôt le sensualisme, à son expression la plus générale et la plus haute. L'école écossaise a pénétré avec l'œil d'une critique judicieuse jusqu'à ce point de départ de la philosophie de Locke et de Condillac, elle a rétabli dans leurs droits les lois de la Providence, et rendu à leur action dans les phénomè- nes de l'intelligence et des sens, son importance et son rôle véritable. Nous avons pensé qu'il ne serait pas sans intérêt pour la science d'ajouter à ce qu'ils ont dit sur ce sujet quelques inductions et quelques observations nouvelles. En traitant la question du mode par lequel nous parvient la notion d'extériorité, nous avons traité.par le fait celle du mouvement spontané de l'esprit, qui, sur les données des sens, développe par sa force virtuelle les notions nécessai- res qui doivent guider l'intelligence dans le reste de son développement. C'est sur-tout cette spontanéité intime, cette vie propre de l'homme, indépendante en quelque sorte des sens eux-mêmes que nous avons cherché à démon- trer. L'observation, même superficielle, des premiers temps de l'existence de l'enfant, présente bien plutôt le tableau des résultats d'un mouvement qui a sa cause en lui que le développement refléchi des sens, bien plus le besoin d'é- clore au-dehors que celui de se concentrer pour distinguer 4- — 38 — par un travail laborieux la nature de ses diverses sensa- tions, bien plus enfin* l'action que la réflexion. Ainsi se trouve rattaché à l'esprit créateur dont il émane, l'esprit de l'homme individuel; ainsi il retrouve sa priorité dans lé phénomène complexe de l'homme, et s'y rétablit au rang qui lui est dû, se replace au point d'où il lui est désormais possible d'éclairer tout le développement intellectuel. Dans le cours des observations que nous venons de rap- porter , nous avons remarqué plusieurs faits qui ne se rap- portent point au développement de la notion d'extériorité, mais qui portent avec eux un caractère incontestable de spontanéité. Nous demanderons au lecteur la permission de les indiquer en terminant ce Mémoire. Le premier a rapport au langage, à la manière dont l'enfant procède pour arriver à participer à ce moyen gé- néral de communication de la pensée. Si les grammaires faites sur les données abstraites fon- dées sur l'expérience, et généralisées par l'intelligence sa- vante de l'homme instruit, commencent à priori par les éléments premiers du langage; si, par une synthèse appro- priée à des intelligences déjà exercées, ils construisent successivement l'ensemble d'une langue par la combinai- son de ses parties; ce n'est pas une raison pour que la nature agisse de même en ce point de son développement; c'est bien plutôt une raison pour qu'il en soit autrement. L'enfant ne commence pas par apprendre les mots pour en former ensuite des phrases; il commence par des phra- ses entières, courtes il est vrai, mais qui sont composées de plusieurs mots. Je veux ça-—maman promener, et mille autres locutions familières à l'enfant, ne sont pas pour lui tel et tel mot, mais une phrase tout entière, une locution dont il est incapable de se rendre compte. M. de Bonald a fait observer avec beaucoup de sagacité — 39 — que les personnes qui ne savent ni lire ni écrire , ne pou- vaient distinguer les mots, mais qu'elles articulaient des phrases toutes faites qu'elles avaient l'habitude d'énoncer toujours ainsi, qu'elles combinaient même entre elles par la grande habitude qu'elles en avaient, mais dont elles ne pouvaient distinguer les différentes parties, faute de l'instrument analytique (l'écriture) qu'elles ne possédaient pas.*La même remarque s'applique exactement aux en- fants plongés dans une même ignorance, et aussi incapa- bles d'un travail intellectuel impossible sans les conditions de lecture et d'écriture énoncées plus haut II serait facile de conclure de cela et de beaucoup d'exemples analogues l'opposition du procédé logique ou rationnel que suit l'art humain, et du procédé spontané qu'emploie la nature. Il serait facile de s'assurer que le procédé que la nature a imposé à l'homme consiste à voir d'abord un ensemble, et à n'aborder les détails que plus tard , à ne les distinguer qu'à l'aide de la réflexion et de l'exercice. Ces observations seront plus facilement comprises, et l'on entrera sans peine dans l'esprit qui les a dictées, si l'on étu- die avec soin le fait suivant: l'enfant qui n'articule pas en- core de mots, ou plutôt de ces phrases d'ensemble telles que je les ai indiquées, s'adresse cependant à ceux qui l'entourent et qui subviennent à ses besoins naissants. Soit dans sa joie, soit dans ses petites tristesses, il trouve une expression qui n'est pas un cri, et il s'essaie, principalement quand il est de bonne humeur, à faire comme ceux qu'il entend causer. Or, il ne distingue pas les mots, et les seuls accidents qui le frappent dans les sons qui parviennent jus- qu'à lui, ce sont les caractères variés des intonations di- verses de la voix humaine. Il s'ensuit que l'enfant exprime ses différentes passions ou affections, ses désirs divers par une série d'inflexions de voix, par une sorte de récitatif — ZlO — sans mots, qui n'en fait pas moins connaître clairement ce qu'il désire et ce qu'il éprouve. C'est dans le cercle de cette phrase, en quelque sorte instinctive, que plus tard il placera, en les articulant, les diverses formes du langage; commençant ainsi, comme la nature fait en toutes choses, par l'ensemble, et descendant progressivement aux détails. Ce fait est d'autant plus spontané, qu'il appartient moins à la réflexion, à la volonté exercée et ayant conscience d'elle-même; qu'il n'est nullement dû à l'art, aux moyens imaginés, par exemple, pour apprendre une langue étran- gère à la nôtre. Ce n'est donc pas sans raison que nous l'avons apporté comme un fait duquel découle naturelle- ment la démonstration du développement spontané de l'intelligence sensible dans les enfants nouveau-nés. Le second fait est h la fois spontané, instinctif et sympa- thique. Il est tel que, si je n'en avais pas renouvelé très fréquemment l'expérience, je n'oserais l'affirmer. Vers le milieu du troisième mois de la naissance de l'enfant que j'ai observé, cherchant à le distraire par tous les moyens possibles, j'imaginai, pour attirer son attention, de frapper son oreille par un bruit fait à l'aide de la langue, et sem- blable & celui qu'on prête aux marionnettes dans les foires. Les impressions les plus naturelles à l'enfant ne sont pas les impressions d'une douceur calme, qui ne s'ac- cordent pas avec le besoin d'activité de ce premier âge de la vie. Celles auxquelles il cède le plus souvent, et alternati- vement, sont bien plutôt le rire et les larmes. Ce jeu déter- minait toujours clans l'enfant une explosion de gaîté très marquée; jusque là, il n'y avait rien que de fort ordinaire, rien que de tout simple; mais je ne tardai pas à remar- quer qu'il faisait des efforts pour m'imiter, et je m'assurai, par des observations réitérées à l'instant où le rire lui ou- vrait , en quelque sorte malgré lui, les lèvres, qu'il con- — M — tournait sa langue de mille manières, pour produire un résultat analogue à celui qui l'avait frappé. Or, comment expliquer cette perspicacité dans l'enfant, cet instinct divinateur, ou plutôt (car des mots ne sau- raient convenir à ce degré de connaissance, ou mieux à cette absence de développement intellectuel à un âge aussi tendre) comment l'expliquer autrement que par une sym- pathie entre le fait, la perception du fait, et le mouve- ment instinctif dans l'organe qui en est l'agent? N'est-on pas tenté d'établir, sur cette donnée, un système de la sympathie qui se reproduirait facilement dans mille faits analogues , une fois que l'attention serait éveillée sur cet important sujet? Dans la limite du but que nous nous sommes proposé d'atteindre dans ce Mémoire, nous ne tirerons de cette observation qu'une preuve de plus que le développement sensible-intelligent chez l'enfant nou- veau-né, s'opère spontanément par le jeu seul des forces que la nature y a déposées , et sans intervention aucune d'un élément logique qui n'y est point encore, du moins en action, et qui n'y a été introduite, contre l'évidence, que par une philosophie plus livrée à un rationalisme déplacé, qu'à une expérimentation consciencieuse. Des faits et des considérations que nous venons de pré- senter dans ce qui précède, il résulte, ce nous semble, une preuve de l'intervention toujours actuelle et tou- jours présente de la cause créatrice dans ses œuvres. Quels que soient à nos yeux les vices du système sensua- liste de Condillac , nous ne porterons point contre ce philosophe l'accusation d'avoir nié ou méconnu la cause première : seulement, en prenant dans l'enfant la raison, en quelque sorte arrivée à. maturité, en supposant son esprit pour ainsi dire tout armé, et habile à se servir de ses armes, Condillac l'a isolé, autant que possible, de — 42 — l'action supérieure, a délié la chaîne qui unit la longue suite des êtres et la rattache au principe suprême. Il a tenté de faire de la volonté et de l'intelligence un être entièrement indépendant, qui ne relève que de lui-même, et qui, à la condition de la peine qu'il se donne, n'a plus rien à devoir à personne. C'est là, si l'on peut s'expri- mer ainsi, l'athéisme du déisme. C'est une manière d'en- visager les choses en vertu de laquelle on peut, sinon exclure Dieu de son œuvre, au moins l'y rendre de moins en moins nécessaire, et par conséquent de moins en moins présent. Tel a été le mouvement le plus général du XVIII.e siècle. S'il y a eu de l'athéisme systématique et réfléchi, il a été rare, peu étendu, et nous avons vu faci- lement, dès le commencement du XIX. % que le déisme de Rousseau y avait exercé une plus grande influence. Mais le vice principal de la philosophie de ce temps a été, sans con- tredit, de n'admettre la cause première que comme ayant agi une fois, créé et ordonné le monde, laissant ensuite l'homme s'agiter au milieu de ses ténèbres, dans le cercle limité de sa puissance et de sa pénétration. Le résultat était le même. Il y avait bien un Dieu, mais hors du monde; l'homme n'en restait pas moins livré à lui-même. La raison humaine se plaçait au sein de la création comme souveraine. L'intelligence suprême avait été bonne pour créer, bonne pour donner l'impulsion, l'homme se char- geait du reste et semblait, par légèreté plutôt que par un sentiment plus coupable, pressé d'effacer des temples le nom de Dieu, et son souvenir de la surface de la terre. Il y avait donc, dans cette doctrine, un vide qui la ré- duisait à l'absurde et à l'impuissance. Les philosophes du XVIII.e siècle ne doutaient pas plus que nous que l'esprit de l'ouvrier ne saurait se séparer de son œuvre, et que Dieu ne peut manquer d'être lié à l'univers phy- — 43 — sique, intellectuel et moral auquel sa volonté a donné l'être ; mais, organes d'une réaction qui n'était pas tout-à- fait sans motifs, ils y obéissaient aveuglément. L'interven- tion de la divinité semble plus immédiate dans les phé- nomènes que nous avons tâché de décrire. Lorsque l'en- fant ne pense point encore, ne sait pas encore réfléchir, et que, cependant, une sorte d'intelligence ressort de ses actes, un autre apparemment pense pour lui; la pensée créatrice le suit jusque dans ces premiers moments de l'existence, le dirige et le protège, ouvre peu à peu son intelligence et la développe successivement. Là, la raison humaine, à l'état où elle se trouve, ne saurait s'isoler; en se manifestant, elle manifeste une autre intelligence que la sienne, qui la soutient et la guide, et l'intelligence su- prême, dans sa sollicitude pour l'homme, s'y montre d'une manière aussi incontestable que touchante. Telle est l'une des lois que nous nous sommes proposé de mettre en lumière, en présentant l'état réel et la marche véritable du développement sensible - intelligent chez les enfants nouveau-nés. Versailles. — Irap. de Montalant-Bougteux. Deuxième année, N° 23. DIX CENTIMES. Dimanche 18 Octobre 1868» LA SCIENCES, LETTRES, ARTS, HISTOIRE ET PHILOSOPHIE JOURNAL HEBDOMADAIRE ABONNEMENTS PARIS Un an. ... 6 fr. j Six mois ........ 3 fr. DEPARTEMENTS (15 centimes le numéro) Un an 7 fr. | Six mois 3 fr. 50 ÉTRANGER, le port en sus. ON S'ABONNE AUX BUREAUX DU JOURNAL Le mode d'abonnement le plus simple est renvoi d'un mandat sur la poste. — Le talon sert de reçu. s°eç*is chez M. MoMn, 98, rue de BS-aBysfos-oecï*, h IBjruxelleg. (7 fr. 50 par a se). • , ■' = :, '. , . i 1 SOMMAIRE Bulletin E. Briard. Une Utopie morte 'André Lefèvre. Le dernier des hommes G. Letourneau. La morale religieuse Emile Leclercq. La nouvelle collection Janet A, L. BULLEjm La question de l'âme des bêtes est une de celles que les phi- losophes spiritualistes éludent le plus volontiers; ils s'échappent tant qu'ils peuvent de ce terrain glissant; mais enfin, si ou les y presse de manière à rendre toute retraite impossible, ils s'exé- cutent d'assez bonne grâce, et accordent volontiers une âme à leur frère le singe, à leur sœur l'huître; ils distribuent avec em- pressement des âmes à tout le règne animal. Tout le monde en a; il n y a qu'à en demander. Libéralité vraiment touchante! mais qui fait de la peine pour ceux qui l'exercent, car ils com- promettent ainsi gravement leur système. L'âme des bêtes, qui est un coup mortel pour la théologie catholique, porte un coup bien dangereux à la philosophie spiritualiste. Tous les raisonnements par lesquels les spiritualistes ont es- sayé d'établir l'existence de l'âme, font complètement abstrac- tion de la vie. Non-seulement la vie ne sert de rien pour prouver l'âme, mais elle est un obstacle à la démonstration. De la ma- tière d'une part, de l'autre de l'esprit; voilà le monde de Des- cartes. Cela est fort simple, mais cela est parfaitement chimé- rique. On se garde bien de remarquer que la matière affecte différents états, qu'elle peut être organisée ou non organisée; de il matière vivante, il serait trop facile de s'élever à la matière pensante. On a donc laissé dans l'ombre ce phénomène mysté- rieux de la vie. Mais il est venu un moment où le progrès des BUREAUX A PARIS, RUE DES NOYERS, 3*7 (Boulevard Saint-Germain) Adresser toutes les communications et correspondances a M..E. Eudes LES BUREAUX SONT OUVERTS DE H HEURES A 2 HEURES sciences médicales et physiologiques a mis en lumière une mul- titude de faits nouveaux quiy faisant irruption dans le domaine philosophique, menaçaient le dualisme commode de Descartes. Pour le sauver, on a imaginé l'animisme. On a décidé, après quelques mouvements de pudeur et de dignité froissées, que c'était l'âme qui vivait, qui digérait, qui présidait à la formation des excréments, etc.. Solution bien maladroite, et, selon moi la plus évidemment fausse des trois fameuses explications de la vie! En effet, faire dépendre la vie de l'âme, dire que la vie est une fonction de l'âme, cela ne tient pas devant cette simple ob- servation que la vie se rencontre là où l'âme ne se rencontre pas. Or, quand deux choses se montrent séparées, l'une ne peut être l'effet de l'autre. Que la vie humaine soit une fonclion du moi libre et responsable, soit! mais alors comment expli- quez-vous la vie de la puce, de l'huître, du végétal? Est-ce que la puce, l'huître, le végétal, ont un moi libre et responsable? Vous avez la prétention d'expliquer un fait et votre explication ne convient pas à la généralité des cas; donc elle est fausse. On me répondra que la puce, l'huître, le végétal, ont aussi une âme, seulement une âme d'une autre nature, moins com- plète que celle de l'homme; et c'est ici qu'intervient la fameuse théorie des trois âmes, trinité ou trinalité, l'âme végétative, l'âme sensitive, et l'âme pensante. Je ferai d'abord remarquer avec M. André Lefèvre que c'est la dernière qui est la bonne, la seule vraie âme; les autres ne peuvent évidemment avoir avec elle rien de commun, si ce n'est le nom. Après s'être attaché exclusivement à la pensée, et encore à un certain genre de pen- sée, pour prouver l'existence de l'âme humaine, et avoir re- poussé les phénomènes vitaux, voilà qu'on s'attache unique- ment à ces phénomènes pour créer l'âme sensitive! Et puis, une fois dans cette voie, on ne va pas assez loin. Si l'on reconnaît que c'est à Y influence d'un principe immatériel que les plantes doivent de pouvoir accomplir les fonctions nécessaires à leur existence, si c'est ce principe immatériel qui détermine la plante de telle espèce à garder toujours la même forme et à procréer des individus semblables à elle, il faut dire aussi que c'est un principe immatériel qui détermine les cristaux à se présenter sous des formes définies, slablcs et spéciales pour chaque espèce de corps. Si l'on donne une âme au végétal, il faut aussi en donner une au cristal. Et, comme tous les corpus sont cristal- lisables, il faut aller jusqu'à dire que tout a une âme. C'est ce que le néo-spiritualisme est bien près d'admettre. « La tendance i des philosophes spiritualistes contemporains, dit M. liavaisson. 178 LA PENSEE NOUVELLE dans son rapport sur les progrès de la philosophie; est de consi- dérer la matière comme de l'esprit qui dort » C'est par ce dynamisme effréné que le spiritualisme espère se sauver. Pour lui, il n'y a de réel que l'esprit : le monde est dominé par un principe spirituel qui, inerte dans le minéral, vit dans le végétal, sent dans Tanimal, pense dans l'homme. Le matérialisme dit: La matière se manifeste par une série de propriétés qui sont : la cristallisation, la vie, la pensée. Entre les deux formules, la dif- férence n'est pas bien grande. Cependant, c'est la différence même du spiritualisme et du matérialisme. C'est une manière différente, non pas seulement d'exprimer, mais de concevoir les choses qui, dès le berceau de la philosophie, divisait déjà les grandes écoles de la Grèce an- tique. Ici on n'accorde de réalité qu'à la force; là on ne recon- naît l'existence qu'à la matière : la force n'est rien autre chose que la matière en action; admettre qu'elle existe réellement, c'est faire une abstraction, prendre nos idées pour des êtres vi- vants. Le premier système repose en entier sur l'abstraction; il s'épanouit complètement, avec toutes ses conséquences logi- ques, dans la philosophie de Platon, pour qui il n'y a de réel que les idées : ainsi les objets verts n'existent que parce qu'il y a quelque part un M. le Vert, immuable, éternel, dont il sont les représentants sur cette terre. Dans la pensée de Platon, la théo- rie de l'âme n'était qu'une dépendance de la théorie des idées, des universaux, comme diront les platoniciens du moyen âge. Comment les spiritualistes modernes, qui ont rejeté les idées de Platon, le réalisme des scolastiques, ont-ils conservé l'âme? Au- jourd'hui, ils voient qu'ils ont été ou trop loin ou pas assez, et ils essayent de rétablir le système dans toute sa généralité. Mais ils ne font que rendre ainsi leur réfutation beaucoup plus aisée. En effet, il y avait peut-être des raisons spéciales pour prêter à la pensée une cause immatérielle : la conscience, l'identité du JEoj^ semblaient ne pouvoir s'expliquer par les propriétés de la matière; on prétendait même qu'il y avait opposition complète entre la matière et l'esprit. A ce point de vue, la création de l'âme pouvait se comprendre. Mais du moment que cette créa- tion n'est plus que l'application particulière d'un procédé géné- ral, elle ne se justifie ni par une raison d'utilité, ni par un sem- blant de vérité. Les motifs qui avaient fait établir un principe spirituel cause de la pensée ne militent plus en faveur d'un prin. cipe spirituel qui serait par exemple la cause de la vie. Le vita- lisme est aujourd'hui une doctrine ruinée0 S'il semble qu'il y ait opposition entre la matière et la pensée, personne n'en voit entre la matière et la vie, et surtout entre la matière et la cristallisa- tion, puisque la cristallisation est en définitive l'état régulier et normal de la matière; et l'on peut soutenir que la vie, que la cellule vivante, n'est qu'une espèce de cristallisation, La pensée n'apparaît que là où la vie existe ; on peut donc soutenir qu'elle est une conséquence de la vie; or, la vie n'est qu'une forme de la matière. Il y a de la matière amorphe à l'homme une grada- tion ininterrompue et insensible : cette matière amorphe est sus- ceptible de cristalliser ; de même, elle peut devenir le théâtre de phénomènes de diffusion, qui ne sont véritablement que des phénomènes physiques et chimiques ordinaires, et offrir ainsi le spectacle de la vie. L'être vivant n'est d'abord qu'une simple cellule, n'appartenant ni au règne végétal, ni au règne animal, se reproduisant par scissiparité; puis plusieurs cellules se grou- pent; il se forme un consensus vital; la bifurcation des deux règnes apparaît. L'animal est doué d'un système nerveux; il sent. La sensation produit la pensée qui d'abord ne s'en dis- tingue pas, mais qui, peu à peu, arrive à se suffire à elle-même, et devient capable d'abstraction. Si vous croyez que la pensée a une cause immatérielle, à partir de quel moment ce principe fera-t-il son entrée dans le monde? Devant cette chaîne suivie, où l'on ne peut intercaler aucun anneau, il faut bien avouer que tous les êtres ne sont que les formes et le- développement d'une substance unique. Il n'y a alors que deux partis à prendre: dire que cette chose unique c'estTesprit, ou bien dire que cette chose unique c'est la matière. Or, comme je ne sais pas ce quP, c'est que l'esprit, que je ne l'ai jamais vu ni touché, et que je vois tous les jours la matière; comme je sais de plus que toute qualité conçue indépendamment de la substance est une abstrac- tion, une création de mon esprit, le choix est facile. Du reste, qu'on subordonne la matière à la force ou la force à la matière, peu importe, pourvu qu'on reconnaisse que la matière et la force- son t inséparables. Or, c'est ce que commencent à admettre les spiritualistes; ils adoptent volontiers l'axiome matérialiste : Sans cerveau, point de pensée; ne voulant pas que le cerveau soit la cause de la pensée, mais consentant à ce qu'il en soit la condi- tion. C'est toujours cela. Seulement ils ajoutent : dans l'état ac- tuel des choses. Supprimons cette restriction, qui n'a pas de valeur pour ceux qui croient à l'universalité et à la constance des lois de la nature, et il se trouvera que spiritualistes et maté- rialistes sont bien près d'être d'accord. Espérons donc qu'une conciliation est prochaine; seulement, faisons bien remarquer que cette conciliation, si elle a lieu, ne sera pas une transaction intéressée, qu'il n'y aura pas dommage égal pour chaque parti, mais bien une victoire d'un côté et une défaite de l'autre, que ce n'est pas nous qui irons aux spiritualistes, que ce seront les spiritualistes qui viendront à nous, et que la cause de la fusion sera, non une concession de notre part, mais un aveu forcé d'impuissance de la part de nos adversaires. Emmanuel Briard. UNE UTOPIE MORTE. Certaines doctrines, bien que vivantes encore et représentées *par quelques hommes de talent et de conviction, sont réellement passées à l'état de curiosités morales et intellectuelles. De ce nombre est la fameuse utopie de Fourier, qui a dépassé dans ses conceptions philosophiques tout ce qu'a pu rêver depuis le com- mencement du monde l'aberration humaine. On voit bien qu'elle est morte, mais on ne conçoit guère commentellea pu naître; on ne sait comment reconstituer par la pensée le milieu où elle est éclose; il est enfin presque impossible que cette étrange fille d'un génie solitaire ait séduit pendant quelques années tout un groupe d'esprits distingués. Les nombres de Pythagore.; la théurgie pan- théistique des Plotin, des mages, des Swedenborg, des Saint- Martin, des Jean Reynaud, le mysticisme des Bâbis de la Perse, se combinent ici dans vm amalgame fabuleux, souvent inintelli- gible, avec certaines données critiques parfois justes, mais sur- tout avec des vues sociales fausses (qui ne sont point de notre domaine), pour former un gigantesque édifice de nuages. Les nuages se sont écroulés et le vent les emporte. Nous avons pensé qu'il ne serait ni sans intérêt, ni sans agrément parfois, de jeter un coup d'œil rétrospectif sur ces fantaisies transcendantes, d'en suivre les lignes capricieuses, les astragales folles, comme on regarde l'architecture incohérente de ces palais vaporeux suspendus entre le jour et la nuit au-dessus d'un soleil couchant. Une agréable occasion se présente : c'est la réédition de Y Es- prit des bêtes, livre singulier, souvent charmant, où M. Tous- sencl, un chasseur émérite, a enjolivé d'arabesques phalansté- riennesses très-vives peintures de la vie animale (1). L'ouvrage est précédé d'une très-amusante introduction où se déploie dans toute sa richesse l'illusion fouriériste. Ce morceau est intitulé: Discours sur Vorigine des têtes et sur l'analogie universelle; il contient tout un système du monde, que nous allons résumer pour nos lecteurs. Le début respire un mysticisme sensuel, qui ne fut étranger (1) L'esprit~des bêtes, zoologie passionnelle, par A Toussenel, nouvelle édition, illustrée par Émile Bayard. (Hetzel, in-4°.) 'ESSAI D'ANALYSE COMPARATIVE SFft LES PRINCIPAUX? CARACTÈRES ORGANIQUES ET PHYSIOLOGIQUES DE L'INTELLIGENCE ET de i/instinct; "^ Par LfçÏHIAVERINI, DU COLLÈGE DE NAPLES, PROFESSEUR DE MEDECINE; Membre de la Société Royale Académique des Sciences; de celle de Médecine, et de l'Athénée de Médecine, de Paris. PARIS, ADRIEN ÉGRON, Imprimeur, rue des Noyers n° S/> G^BON, Libraire, place de l'Ecole de Médecine n° 1815. V PRÉFACE. Depuis que la raison humaine, affr anchie des présomptions de l'autorité , et désabusée des arlifices des sopbismes, et des prestiges de l'imagination y a désavouél'înnéiié des idées; et depuis qu'on a commencé a examiner les ressorts mécani- ques et la progression empirique de la pensée ,1a Psycholo- gie a établi avec la Médecine, l'Idéologie > et la Législation même, une communication de principes sûrs, et d'utiles ap- plications. Ainsi , une analyse comparative des caractères organiques et physiologiques de l'intelligence et de l'instinct pourrait maintenant promettre tout a la fois de l'intérêt et de l'agrément. J'ai pris a tâche d'essayer cette thèse. Je sens bien que je suis encore exotérique en Histoire naturelle; et qu'en écri- vant en France, j'apporte de la poterie à Samos; mais je ne puis pas résister au devoir d'offrir un hommage aux illus- tres Académies qui m'ont fait l'honneur d'inscrire mon nom. On a beaucoup écrit sur l'Instinct; mais on l'a fait ou dans des vues purement ascétiques? ou dans un esprit tout-a-fait métaphysique. Il fallait cependant rapprocher des conditions et des phases de l'organisation animale les phénomènes intellectuels et instinctifs, pour en définir les caractères essentiels y et pour apercevoir les nuances et le progrès de leurs rapports réciproques, iLes recherches des Zoonomistes et les spéculations des Idéologistes modernes, ont accumulé déjà des matériaux , et ont tracé le dessein de cette branche de l'Anthropologie. Je ne fais maintenant que profiter de leurs travaux , pour en déduire des principes capables de m'éclairer dans cet objet, sur lequel je trouve encore du vague et du dissentiment* D'après cela, je n'ai pas la vaine ambition de rechercher la nature de l'âme, ni le,procédé intime de ses fonctions : cette question n'est point de mon ressort. Je me borne ici à con- sidérer en général les organes de Faîne , et leur influence sur lés opérations de celle-ci»; | On convient aujourd'hui, que lés progrès de la Science Psychologique nécessitent la rectification de son technicisme/ JeVose porter la main à une néologie scientifique, qui exige unegrande pénétration, habileté,et justesse de l'esprit;mais jè rie puis" m'empêcher de me permettre une modification de quelques termes, pour exprimer la distinction d'idées, que je crois puisée dans les faits; et pour éloigner , autant que possible , l'amphibologie. Je soumets à la critique cette modification de mots,loin de vouloir en imposer l'accepta- tion. J'ai écrit avec concision , afin qu'on puisse , sans dé- tours et sans illusion , saisir le vrai ou le faux des énoncia- lions, pour les admettre ou les rejeter. On ne doit pas s'at- tendre a un luxe d'éloquence dans un ouvrage du genre di- dactique; et comme il m'a fallu écrire dans une langue qui ne m'est pas assez familière,il m'a été difficile de traduire mes idées avec précision et élégance. p Je divise ce Mémoire en trois chapitres : dans le premier, je rappelle les principaux reliefs anatomiques du système nerveux et des organes des sens; je considère, dans le se- cond , les fonctions principales et la progression de l'intelli- gence chez l'homme; dans ie troisième , je fais une analyse sommaire des traits anatomiques et physiologiques de l'intel- ligence et de l'instinct dans la série des différentes classes d'animaux , afin d'observer s'il y a des lignes de démarca- tion, ou bien des peints de contiguïté', ou de transition dans leurs facultés. ESSAI D'ANALYSE COMPARATIVE BBS Ç\R\CTÈRE5. ORGANIQUES ET PttYSI0T,O:;ïQHE5 DE l/ï~\T~ - TELLIGENCE ET DE LINSTINÇT. CHAPITRE PREMIER. g îer. J?ouR procéder avec ordre et précision , autant qu'il m'est possible, dans l'expo^ilion de ces recherches, et afin de nous entendre, je dois faire précéder quelques don- nées anaîomiques, d'ailleurs bien, c mnucs; et je dois fixer certaines significations physiologiques qui me semblent en- core capables d'entretenir l'ambiguïté et l'indécision dans nos raisonnemens. Je débute donc par des autorités, non du Péripate, mais de deux grands analystes des organes et de la progression de la pensée. « On pourrait penser, d?a- près cela 5 qu'au fond toutes les parties du système nerveux sont homogènes et susceptibles d'un certain nombre de fonc- tions semblables, à peu près comme les fragmens d'Un grand ai- mant que Pon brise deviennent chacun un aimant plus petit, qui a ses pôles et son courant 5. et que ce sont des circonstances accessoires seulement, et !a complication des fondions que ces parties ont à remplir dans les animaux très-élevés, qui rendent leur concours nécessaire, et.qui font que chacune d'elles a une destination particulière ( 1 ) » — « Le juge- ment, la réflexion, les passions, tontes les facultés de Pâme ne sont que la sensation transformée (2). » § Iï. Ayant de tirer le parti que je me propose des cita- tions précédentes, il faut présenter une idée, descriptive aa (1) Cuvier, Leçons cCjlnat. comparée. (a), Conclillac, Art de Penser. (6)' moins, sinon définitive, des mots sensibilité et sensation, pour commencer a éloigner l'équivoque et les contestations. Une altération quelconque excitée sur une partie d'un ani- mal vivant vertébré, par exemple, se communique instanta- nément Na toutes les autres parties du corps, et se concentre au cerveau plus qu'ailleurs; doù résulte un changement subit dans l'état et dans l'ordre actuel des fonctions de l'âme; ce qui quelquefois détermine des mouvemens vo- lontaires. Cette faculté ou propriété de recevoir et de con- cevoir immédiatement des excitations plus ou moins locales, et de les propager rapidement a tout le reste du corps, de l'accumuler dans le cerveau, et d'en occasionner des mou- vernens musculaires, appartient exclusivement an système nerveux, et se manifeste d'une manière éminente dans les animaux nerveux. Elle a été nommée en général sensibilitéy excitabilité nerveuse. A. Ces vérités (§ 1er) déjà posées , on peut modifier; tm même terme général, pour exprimer les modifications prin- cipales d'une même propriété et d'une même fonction,com- munes et primitives. Ainsi i. l'excitabilité du système ner- veux , jusqu'à présent dite indistinctement sensibilité (§ II )t je l'appelle sensilite; la fonction ge'nérale de la sensilité^ sens; lui - même^système sensile. Donc la sensilite et le sens sont la propriété et la fonction fondamentale et géné- rale du système nerveux. — 2. La sensilite des organesy dans lesquels les extrémités des nerfs subissent une modifi- cation spécifique,, je l'appelle proprement sensibilité; sa fonction locale, sension ou impression; l'organe même, sensible. Le mot sensibilité donc n'exprime que la sensî- lité spécifique ou modifiée des organes des sens. — 3. Je nomme sensidvitè la sensilite spécifique ou modifiée du cer- veau; sa fonction proprement, sensation; l'organe même, sensorium^ et son adjectif, sensitif. Donc, par le mot sensation on peut désigner le sens spécifique composé et central du sensorium, — 4. La sensilité spécifique des viscères et d'autres organes influencés immédiatement par le système du nerf trisplanchnique, je l'appelle sensualité t elle est la base des appétits fondamentaux* il) B. — 1. Diaprés cette signification, la sensation pro-* rement dite n'appartient pas aux animaux acéphales (i), et ien moins aux plantes. — 2. Puisque le sensorium rap- porte l'origine de la sensation à l'organe qui a reçu l'im- pression , le terme sensibilité , accordé aux organes qui rece- vant l'impression excitent la sensation, peut signifier ici la ca- pacité d'être senti, comme Buisson l'a remarqué. — 3. Le terme général sensilité peut^nieux indiquer la faculté com- mune et fondamentale du système nerveux; tandis que le mot susceptibilité est trop universel, applicable même aux corps inorganiques : celui d'excitabilité est commun a toutes les parties des êtres vivans. C. Comme les termes sensible et insensible, a l'égard de la eontractilité, etc. r donnent désormais une idée équi- voque, incompatible avec la rigueur de la philosophie phy- siologique, on peut changer le nom composé de eontrac- tilité insensible avec celui de tonicité ou ton; et ceux de eontractilité et dve contraction sensible avec ceux de con- traotilité, et de contraction simplement. Pour éviter le même inconvénient, on peut substituer au terme de eon- tractilité et contraction animale, celui de eontractilité et contraction volontaire; et a celui d'organique celui àJauto« viatique. Ainsi,. je préfère le terme simple sensation a ce- lui composé de sensation animale, et celui de sens a celui de sensation organique; enfin je crois plus propre d'adopter les mois, vie automatique, et vie sensitiva, plutôt que ceux d'organique et d'animale. § III. Toutes les parties de Torganîsine possèdent la dis- position organique a concevoir, immédiatement ou par com- munication, un mouvement ou excitation toute propre, a l'occasion d'un contact ou application d'un stimulus : cette disposition organique s'appelle en général excitabilité. Elle est l'expression immédiate du ton organiquey ou tonicité, c'est-a-dire r une espèce de densité ou attraction organique entre les élémens des fibres, et soutenue par le courant gal- vanique. Cette tonicité ou excitabilité est très obtuse dans (1) J'entends par animaux ace'phales ceux qui n'oot pas de cerveauj et par céphalés, ceux epu ont un cerveau. (8) les os, les cartilages, peu a peu avancée dans les parties molles en général, et enfin elle est la plus exaltée, la plus -visible et la plus énergique dans les fibres musculaires, et la plus prompte et la plus délicate dans les nerfs. Ainsi, les nerfs sont le plus promptement, les muscles le plus fortement excitables; tandis que les os, les cartilages, etc. le sont très- peu. Ainsi, la tonicité est la propriété fondamentale de tous les organes élémentaires et primitifs de l'organisme : le de- gré le plus manifeste et énergique de la tonicité est la con- tractilité (ou irritabilité) : elle est l'expression générale et radicale de la vitalité inhérente a chaque fibre élémentaire de l'organisme; tandis que le degré infiniment petit de la tonicité dans les os, les ongles, les cognes, les dents, les coquilles, etc. se rapproche de la dureté des phosphates, des carbonates, etc, calcaires bruts. J[. L'excitabilité générale se trouve modifiée dans les parties différentes de l'animal; et cette modification tient k la composition chimique et a la déposition physique des par* lies mêmes. § IV. Il est certain que les nerfs entretiennent une com-r munication d'énergie, une diffusion d'excitabilité entre tons les organes de l'animal. On ne peut désavouer ni mécon- .naître la présence et les effets du galvanisme , qui affecte un fond d'analogie incontestable avec rélectricilégénérale, dont le galvanisme semble une modification travaillée dans l'ani- mal même. On connaît déjà la propriété éminemment ana- galvanique de la substance nerveuse. C'est donc le fluide nerveux ou galvanique, qui soutient le ton organique ou excitabilité. Cette électricité animale semble se répandre a l'aide de la substance du système nerveux ; ces ganglions en général > et en particulier la substance grise du système ner- veux, semblent en être les élaboratenrs, les condensateurs, les réservoirs , les conducteurs immédiats. Le prof. Geoffroi S. Hil. a démontré que la partie essentielle des organes ou batteries électriques de la torpille, du gymnote engourdis- sant, du silure trembleur, est toujours le concours d'un nerf quelconque bien développé ( 1 ). (î _) Si même} selon Jacobson , dans ta raie .cet appareil est un organ© ( 9 ) A. Gomme la diffusion paisible du galvanisme ou de la force nerveuse produit ou soutient la tonicité', et comme un excès de galvanisme dirige' sur quelque série de muscles pro- duit le mouvement volontaire; il e^t plausible d'envisager •la contraction musculaire comme un excès plus ou moins temporaire du ton musculaire; et celui-ci comme Péle'meut -de la contraction musculaire. B* On sait que la contraction musculaire en général n'a besoin que de la continuité' de la substance et de la pro- priété anagalvanique ou conductrice des nerfs, pour en re- cevoir l'action tonique et contractile (A.)-, tandis que l'in- tégrité du mécanisme des sensations nécessite aussi l'intégrité de l'organisme intime des nerfs : car si l'on coupe et si Ton fait réunir H cicatriser les deux bouts d'un nerf qui se porte seul à quelque muscle volontaire, celui-ci conserve ou acquiert de nouveau la faculté contractile jusqu'à un certain point, mais il ne recouvre pas sa sensibilité. § V. Tous les phénomènes des corps vivans se décom- posent en deux fonctions radicales, savoir, sens et mouve- ment : les propriétés communes et élémentaire? correspon- dantes sont la sensilité et la contractilité; et celles-ci sont inhérentes , la première au sj'stème nerveux , la secondé aux fibres musculaires, quels que soient leurs rapports d'in- fluence et de dépendance réciproques. La contraction et la turgescence, ou le relâchement, sont les foi mes radicales et communes de tout mouvement organique, c'est-a-dire, des fibres élémentaires dont le mouvement ne peut être que contraction et relâchement on turgescence : c'est un phéno- mène de chimie vitale. Les formes secondaires et spécifiques du mouvement de chaque organe compliqué, tiennent a la forme extérieure, a la direction, a la complexion, etc. des fibres composantes : c'est un procédé de la mécanique ani- male. A, Si l'on remarque des phénomènes semolables de sens du toucher, il n'en est pas moins un organe électrique : iJ peut avoir la faculté électrique également et Ja sensible. Tous (es appareils des sens sont peut-être aussi des appareils galvaniques. Cette idee , origi- naire du célèbre Pr. N. Andria, sera développée ailleurs. .10) et de contraction dans les animaux sans système nerveux et musculaire app?)rens, et si on fesenirevôiî uiêwie jusque dan"s- les plantes, on doit supposer que ces êtres ont des systèmes sensile et contractile tout particuliers : donc ils peuvent jouir d'une sensilité et d'une,irritabilité ou coniraetilité quel- conques toutes propres; et ainsi ils peuvent sentir (furie manière spéciale ; comme ils jouissent d'un mode de circula- tion et de respiration tout particulier,*par des systèmes cir- culatoires et respiratoires tout différens de ceux des ani- maux. Il n'est donc pas nécessaire, ou plutôt il n'est pas possible ni régulier qu'ils aient des systèmes nerveux et mus- culaire anal< gues a ceux des animaux n système nerveux et musculaire visibles : car, même dans ceux-ci, nous voyons les phénomènes du sens et du mouvement volontaire exécu- tés par des systèmes nerveux et musculaires évidemment mo- difies, dégradés, etc. dans leurs classes différentes ( i ). § VL Les ganglions du système îrisplanchnique ou vis- céral ne peuvent pas être la seule des causes qni dérobent à la perception ou conscience le sens et le mouvement: c'est- à-dire, ils ne sont pas la seule cause qui isole en quelque manière le sens et le mouvement automatique de la cons- cience et de la volition. Car, —• ï. des organes d:i système- trisplanchnique reçoivent aussi des filets nerveux directement du cerveau ; — 2, un stimulus fort et extraordinaire, lin— flammation, l'irritation intense dans ces organes , excitent la sensation ; — 5. la respiration des amphibies, la rumina- tion, sont tout-a-fait volontaires, quoique leurs organes re- çoivent les mêmes branehes du même trisplanchnique, comme- dans les autres vertébrés; — 4. on a réussi quelquefois à contracter la faculté de vomir à volonté. — 5. La huitième paire cérébrale qui se distribue a Porgane vocal, a des gan- (i) Le Dr. Lamatlt, dont j'admire l'esprit synthétique, objecte des argumens , qui, au lieu d'inGrmer, confirment au contraire l'opinion que les mouvemens de certaines parties des végétaux ne sont que des signes d'une irritabilité et d'une sensilité toules propres aux végétaux;, que les propriétés végétales sont ruditnentaires de celles des animaux - que les fondions des êtres vivans ont leurs élémens dans les fonctions générales de la matière ; que le mécanisme de la vie proprement dite- n'est qu'une complexion des forces simples et initiales de la physique et de la chimie générales : ce que je nie propose d'analyser ailleurs. ( 11 ) glions ou des plexus, sans être pour cela moins volontaire; et celui-ci même, par ses anastomoses nombreuses avec les autres deux nerfs sympathiques, est a même de participer auxsentimens de l'organisme, et de les exprimer par la voix non moins que par la physionomie active. — 6. Le^ poissons n'offrent pas de ganglions dans les anastomoses du tiisplanch- nique avec les paires vertébrales; — 7. Bichat lui-même avoue que la sensibilité organique peut s'élever a la sensibi- lité animale. — 8. Les animaux a sang blanc n'ont pas de moelle épinièreproprement,mais un nerf trisplancbniqne ou gangliaire, qui donne des filets nerveux aux viscères et aux membres, c'est.-a-dire, aux organes automatiques ainsi qu'aux volontaires. On peut donc conclure que, selon le plan d'économie générale de la nature, qui est de coordon- ner et d'employer plusieurs causes a la production d'un effet, les causes qui concourent plus ou moins h la \ olontai iété ou involontariété des mouvemensmusculaires, et a la sensibi- lité ou insensibilité des organes, peuvent être non-seule- ment la présence ou l'absence des ganglions, mais aussi la différence de constitution infime des organes, qui les rend plus ou moins exposés a l'action-ou a la léaction du sensn— rium; l'habitude, qui efface plus ou moins la sensibilité et la volontariété innées des organes; et la différente intensité des impressions et de la volition, Enfin la sensitivité ( la seb- silité cérébrale} et la sensualité (sensilité trisphinchnique ) , sontidentiques, et sont transitives l'une a l'autre. a. Déjà on peut entendre que l'excès d'irritation dans les viscères du système trisplancbnique peut exciter !a sensa- tion; et que la passion ou excès de volition appoite une réac- tion dans les organes du système trisplanchnique. § VIT. Les nerfs trijnmaux ( la cinquième paire céré- brale ) donnent des filets de communication a l'iris, aux narines, a la langue , et à tant d'autres parties de la face, qui cependant dans la langue sentent les saveurs, qui dans le nez peuvent sentir les odeurs, et qui dans l'iris sentent indirectement la lumière. — Le nerf optique ne peut sentir par l'œil que les rayons lumineux; l'acoustique ne peut sentir que le son par l'appareil auditif, etc. Dans Us poissons; des branches de la cinquième paire peuvent ( 12} servir au goût ;. car l'hypoglosse manque. Lé trîsplnncîi- nique même donne de? filets a l'estomac, au foie, etc. ; ce- pendant la douleur aigre dans le gastritis ordinairement e t bien différente de la douleur obtuse dans l'hépatins, etc. Donc la cause primitive organique de la.spécificité des sen- sations est —^ i. la spécifici:é de l'organisation des organes sensibles, qui sont disposés a modifier, a recevoir, et a transmettre aux nerfs correspondans l'impression spe'cifique de certaines propriétés des corps extérieurs; — 2. ta modifica- bili:é spécifique de chaque nerf intermédiaire a l'organe sen- sible et au sensorium. Les nerfs peuvent être originairement disposés à recevoir indifféremment les impressions des pro- piiétés des corps extérieurs; mais, par l'intermède des or- ganes sensibles spéciaux, ils ne reçoivent que l'impression de telle propriété, et non des autres; et pour cela ils s'habi- tuent a recevoir par les organes correspondans , et a trans- mettre au sensorium telle et non pas une autre sensation: ils subissent donc une modification habituelle de sensilité , et par 1^ une inflexion de leur organisation. —- 3. La sensilité compliquée et concentrée du sensorium est la raison de la concentration et de la perception de tant de sensations spé- cifiques différentes. a. Le docteur Gall, qui a toute la déférence pour le.cer- veau et les nerfs dans les sensations, ne peut pas s'empêcher de dire: (( Puisque cette paire de nerfs ( la cinquième) se- divise en un si grand nombre de branches qui ont des fonc- tions diverses, qui se répandent tantôt dans les parties du . mouvement volontaire , tantôt dans celles du mouvement involontaire, et qui ta-utôt sont affectés a un sens spécial, comme celui du goût.... )) Donc on peut déduire évidem- ment que.la spécificité des sensations tient en premier lieu, a la spécificité de structure de chacun des organes sensibles» A. La septième paire ( portion dure de l'acoustique) , et particulièrement la cinquièmecérébrales, anastomosées et éparses immédiatement dans tous les organes sensibles et xnotiles de la face, produisent dans les traits de celle-ci une altération plus^ou moins fugace ou permanente, correspon- dante aux affections plus ou moins fugaces ou pernianénles (1V du sensorium et du trisplanchnique. Cette physionomie s'an- nonce dans Pétât sain , non moins que dans l'état patholo- 1 gique; elle peut être nationale et individuelle. Cela prouve que la manière et l'habitude de sentir, de penser, d'agir, influe a son tour a imprimer dans l'homme des traits organi- ques superficiels, et a donner une inflexion particulière aux fibres composantes. B. La huitième paire cérébrale, qui sympathise par ses nombreuses anastomoses particulièrement avec la cin- quième ,1a septième et le trisplanchnique, va presque seule sur l'organe vocal ; elle est donc a même de participer a tons les sentîmens intimes de l'animal, et de les énoncer. La voix est commune a tous les animaux a poumons: les ani- 1 maux possèdent la faculté de donnera leur voix quelques inflexions; elle est bien remarquable dans quelques oiseaux imitateurs; mais Phommie seul jouit du plus haut degré de la faculté de donner a sa voix des articulations, des modifi- cations infiniment nombreuses, correspondantes au nombre - •de ses idées. § VÎÏT. Dans l'organisme, toutes les parties ont une con- nexion médiate ou immédiate entr'elles : ainsi, elles se com- muniquent mutuellement l;excitation , c'est-à-dire, elles sont consensuelles; elles ont une co-ordination de leurs fonctions, un ensemble de résultats, l'unité ou la conspira- tion a un but , soit-il prévu et preordorïué, ou bien éven- tuel. Il s'en suit que l'altération dans un organe peut exciter et communiquer une altération c msensuelle dans les fonc- tions du sensorium. Le cerveau et îe nerf trisplanchnique' se communiquent réciproquement l'excitation : ainsi, la sensi - lité du sensorium et celle du trisplanchnique sont congé- nères, communicables, transitives. ( § VI.) § IX. Si le sensorium avait une organisation parfaitement homogène, il ne pourrait s'y exécuter qu'un mouvement homotone , qui n'y pourrait représenter des sensations diffé- rentes; par conséquent la comparaison des idées et la déter- mination des volitions différentes seraient impossibles. Donc le sensorium doit être un organe individu, maiscompliqué, résultant des extrémités des nerfs des organes diflerens. Ce (i4) n'est que cette convergence des nerfs d'organes divers qui explique la concentration des impressions variées , néces- saire pour l'imité et pour l'identité de la conscience dans les sensations et dans les volitions simultanées et successives) cet organe central ou sensorium peut être lui-même l'organe immédiat d'un moi immatériel, qui ne pourrait avoir une action réciproque avec les organes différens subalternes, qu'a l'aide d'un organe central et commun : celui-ci peut être l'organe commun et primitif d'autres centres nerveux des organes des sens et des organes des dispositions innées- du docteur Gall, quand elles seraient avérées. A. Quelquefois un poulet a peine décapité, une oie, Un reptile, privés de cerveau , exécutent des mouvemens; mais ceux-ci sont incertains et irréguliers , dus a la sensation et a la volition locales ( § XII. A. ) et à un résidu d'habitude. Donc ces phénomènes n'excluent pas la nécessité d'un centre nerveux pour les sensations et pour les mouvemens volon- taires, particulièrement dans les vertébrés. B. Si l'on est forcé d'admettre plusieurs organes ou plu- sieurs parties différemment organisées dans le cerveau, cela n'exclut pas cette concentration des sensations et cette unité delà pensée :car ce n'est que la connexion médiate de ces di- vers organes qui constitue aussi la concentration des nerfs et l'unité de coorganisation. Il est bien indifférent que le centre de réunion ou de communication des nerfs soit un point dans le cerveau, ou bien le cerveau tout entier; car ce point n'en serait pas moins matériel et divisible que le cerveau tout ensemble. § X. Le sensorium représente le plexus ou gangliori com- mun de tous les plexus ou ganglions secondaires et de tous les nerfs, qui tous y constituent cet organe central commun. Les plexus nerveux, en général, acquièrent ou constituent une exaltation ou condensation de sensilité, par laquelle ils sont capables d'une exaltation ou condensation de sens en général; ils forment des réunions immédiates des nerfs d'organes plus ou moins éloignés entr'eux, et ils établissent ainsi une communicabilité immédiate et réciproque de l'ex- cès d'excitation. Ces plexus donc sont en général les ressorts principaux du consensus ou de la sympathie, • i .( 15} a. Si l'on veut considérer la partie cendrée du cerveau tt des ganglions comme Porg-me de renforcement et !a ma- trice des nerfs, selon M. Gai); cette idée n'exclut pas la îhienne, de regarder cette même substance comme un organe d'élaboration , de condensation, etc, du fluide nerveux. A* A. l'occasion d'une impression, le sensorium repré- sente la partie secondaire du consensus; l'impression locale produit dans le nerf intermédiaire une excitation qui, selon l'expression du professeur Tommasini, se répète jusque dans le sensorium, et la elle acquiert une forme et une intensité propres a la forme et a l'énergie de l'organisation du senso- rium même. Les plexus subalternes et les organes qui sont en connexion ou dépendance avec eux, conçoivent aussi par consensus une excitation correspondante a la forme et à l'énergie de son organisation. Dans le mouvement volon- taire, le sensorium représente la partie primitive du consen- sus , dont la partie secondaire est représentée par les mus- cles, dans lesquels l'excitation volitive du sensorium sè trans- forme en contraction, c'est-a-dire en une fonction toute propre a l'organisation de la fibre musculaire, § XI. L'excitabilité', en général, et particulièrement la sensilité, peut s'accumuler dans un organe ou système, ou par dts causes extraordinaires, par exemple dans le système génital de la femme pendant la gestation, etc. ;ou pardévelop* peinent progressif d'un organe ou système, comme du sys- tème génital dans la puberté $ ou par des causes morbifiques, comme dans l'inflammation : alors l'organe, le système où ^'accumule la sensilité, acquiert une prépondérance dans le consensus des fonctions de la vie. a. L'accumulation et la prépondérance de l'excitabilité peut être organique et permanente comme dans le cas de la puberté à l'égard du système sexuel; dans le sensorium, a l'oc- casion d'habitude a la méditation, etc. ; ou bien dans des ma- ladies organiques. Cette prépondérance d'excitabilité peut être éphémère et mobile, comme dans des maladies aiguës et sympathiques, dans des affections nerveuses, dans des fonctions extraordinaires, comme de quelques impressions ou sensations; dans la digestion ; etc. : car alors L'excitabilité se 1 i6) transporte davantage dans la partie malade, dans la partie sentante , dans le système digestif, etc., temporairement. § XII. Tous les nerfs participent k la sensation; car les nerfs, en convergeant et en se communiquant dans le cer- veau, constituent !e sensorium : ainsi le sensorium n'est que ie centre du système nerveux, et la sensitivité n'est que la sensiiité spécifique, concentrée et complexe du senso- rium; c'est-à-dire, que la sensiiité, inhérente et répandue es- sentiellement au système nerveux et a chacune de ses distri- butions et de ses sections, est modifiée spécifiquement dans l'organisation spéciale des organes avec lesquels ses extré- mités sont coorganisées. Elle est complexe et exaltée dans le sensorium par la complexion et par l'énergie de cet or- gane même, et par la réunion et par la communication im- médiate des nerfs cérébraux dans le sensorium : ainsi la sen- siiité spécifique du sensorium ou la sensitivité (§ II. A. ) devient une faculté capable de concentrer toutes les sensa- tions différentes, et de disposer ou d'exécuter la comparaison et la réminiscence de celles-ci; tellement que l'on peut imaginer que la sensiiité de chaque nerf est simple, et celle du sensorium ou la sensitivité n'est que la complexion de la sensiiité de tons les nerfs, qui par la est extrêmement com- pliquée. Les impressions différentes vont se concentrer d^ns le sensorium par l'intermède des nerfs, et là elles occasion- nent la sensation et toutes ses formes de composition ( § IL 'et XVII. ); comme différens sons simples qui partiraient de divers points de la base d'une superficie parabolique élas- tique , par exemple, iraient converger et former une har- monie dans le centre ou ombilic de cette superficie. A. Chaque partie ou membre du corps animal a ainsi presque sa sensibilité et sa volonté locales, qui peuvent, jus- qu'à un certain point, s'exercer a l'insu du sensorium, c'est- a-dire sans conscience. Les nerfs isolés dans les astéries et les autres animaux sans moelle épinière et sans cerveau, ont leur sensiiité indépendante. L'excitation locale ou le sens peut se communiquer a tout le reste du système nerveux , ei occasionner l'unité, la sinergîe des sensions ou impression s C ç IL A. ) et des mouvemens des autres parties., sans par- ( 17} tïcipation ou influence de la conscience, c'est-a-dire sans sensation et volition sensoriale. jB. Les nerfs en général sont plus forts et le cerveau plus petit en proportion, dans la série descendante des animaux céphalés. .C'est pour cela particulièrement qivils' devancent l'homme par la sensiliié locale ou sensibilité, de quelque or- gane des sens; mais ils lui sont beaucoup inférieurs par la sensitivité, ou sensilité du sensorinm , c'est-a-dire par l'intel- ligence. Le nerf, par exemple, olfaciif dans le chien, l'oph- talmique dans les oiseaux, l'acoustique dans la taupey êtc4 sont extrêmement forts, et ces animaux ont la sensibilité de l'odorat, de la vue, de.l'ouïe,- extrêmement exquise;. Lés céphalés offrent des phénomènes non équivoques èè sens < qui en dernier résultat d'analyse n'est que la forme fonda-a- mentale et commune des sensations. Les mouvemens d'ani- maux .décapités, et particulièrement des reptiles, ne sont pas dus.à la seule irritabilité, comme on le prétend : car des petits chats, des lapins,-etc., décapités vont quelquefois se frotter avec leurs pattes postérieures sur la blessure. (1) Ce sontdonc des preuves incontestables que la sensilité desparties est homogène et communiquable a celle du cerveau ;:que chaque membre a sa sensation et sa volition , locales et élé- mentaires ^ que la sension , ou impression locale, peut queU- quefois se communiquer a tout le reste du système nerveux, et exciter des nïouvemens musculaires sans participation de conscience; et que dans des. circonstances pu de mons- truosité et de pathologie, etc., ou de constitution originaire dans les animaux acéphales, un autre centre nerveux ou seu« sile, comme la moelle épinière seule, ou les plexus du tris— plonchnique, peuvent pendant un certain tempset jusqu'à un .certain degré suppléer a l'officë du sensorinm, pour la com- munication des impressions ou des sensations locales, et pour la détermination vojitive des mouvemens. , (1) Voyez Legallois, Expériences sur le principe de la rie, etc. ( i8) CHAPITRE SECOND. § XI1I. Le Sens intime du système de la nutrition, de celui de la génération, et même de celui des ïmiscles, etc.? indiquent le? besoin, de l'aliment f du sexey de l'exercice, ou de la quîescenceou repos des fibres , etc- : ces sens intimes sofct proprement les appétits. Ceux-ci sont lés premiers U susciter des mou veine ns musculaires j qui.d'abord sont au^- toruatiques, ensuite se rendent de plus en plus volontaires, et enfin,; à force de répétitions Fréquentes , deviennent plus ou moins habituels/ Les organes extérieurs des sensations reçoivent des objets externes les impressions qui som trans- mises plus ou moins efficacement au sensofittm : celui-cî commence a connaître les objets mêïaes, k en apercevoir les qualités relatives a la sensilké générale, et apprend déterminer et a diriger les mou verneus : ceux-ci enfin mettent l'organisme en rapport avec les objets extérieurs. Doue là sensilité générale est inhérente essentiellement et primiti- vement au système nerveux chez les animaux où notis là reconnaissons, et modifiée dans les organes sensibles ex- ternes et internes. Cette sensilité ainsi répandue dans tout le système nerveux ^ mais concentrée, composée et modifiée particulièrement dans le cerveau ^ est la propriété orga- nique et la condition principale intrinsèque de l'intellt- §ence. Donc l'organe essentiel et principal de Fjntelli»- gênee est le cerveau : le système nerveux est en connexion avec des organes différens, qui le rendent accessible à Fac- tion médiate ou immédiate de divers objets extérieurs; il est en connexion particulièrement avec les organes de la diges- ( *9 ) tîôii., de la respiration, de la génération, etc., qui provo-^ qtient les inouvemens extérieurs relatifs aux besoin^ Sentis} il est Organisé et disposé de manière a pouvoir transmettra et à concentrer les impressions diverses dans le sensOrium^ et a en occasionner les fbnctiôbs. Il établit donc peu a peu le consensus entre les organes de l'intelligence, et ainsi l'as* sociaiion de leurs fonctions. § XÎV* L'affection immédiate de la sensualité des or- ganes internes est le sens de privation des objets relatifs h latJ Sensualité même desdiîs organes : e'efct l'appétit de chacun d'eux, c*est l'éleVientdn désir, un désir initial, mais aveugle^ indéterminé, automatique dans son origine, c'est-a-diré &àns aucune connaissance préalable des objets relatifs. Les sensations extérieures, pàr Texpériencë successive, font connaître peu a peu les objets extérieurs relatifs aux appé- tits* C'est alors qu'on commence a désirer ou a haïr cer- tains objets j selon qu'on se souvient ou qu'on conclut dtt plaisir ou de la douleur qu'ils produisent; e'est alors donG cfu'on aie désir on l'aversion compîette. Ces affections $ tjuand elles réagissent et se propagent sur le système ou sur l'organe appétilif, et sur le système trisplancnniquë-en gé- néral} excitent la passion ; comme a son tour l'excitabilité exaltée ou l'excitation de l'organe ou. du système appétitif excite et rappelle l'idée de l'objet autrefois senti ^ et déter- mine en conséquence le désir ou l'aversion : l'origine' clone où le foyer des appétits primitifs n'est que dans le système' de la1 dige;tioft et nittritîon, de la génération , etc. Les pas- sions sont consécutives à la première impression du plaisir ou dé la douleur; elles n'ont leitr impulsion immédiate que: dans le sensorinm $ et précisément dans fa mémoire : c'est- k-dire le désir ou l'aversion, les passions en un mot, ne Kuvent éelore sâns connaissance préalable des objets de ppétit; tandis qùe les appétits naissent sans connaissancë de leurs objets ï ce ne sont que les organes extérieurs , an- nexés ou associés aux organes internes àppétitifs, qui mettent Ceux-ci en rapport avec leurs objets. a* L'estoinac est le foyer dé l'appétit des âlimen^dit (20) faim; les organes sexuels sont !e foyer de l'amour physique^ k cerveau a son appétit, celui de connaître les objets, di: curio- sité'. La faim, l'amour, etc., se répandent sur tous les autres organes annexes au système alimentaire, sexuel, etc. 9 et même sur tous les autres systèmes du corps, quand ces appé- tits sont exce sifs ; de même que la curiosité centrale du sensorium se communique a toutes les ramifications du sys- tème sensile en général. C'est pour cela que l'amour, la faim, la curiosité, etc., ont leur physionomie, comme ces désirs assouvis ont aussi la leur. b. Les affections primitives immédiates et générales de la sensibilité sont le plaisir et la douleur : celles-ci sont les causes immédiates et déterminantes des actions, qui d'abord sont spontanées et instinctives , ensuite se rendent volontaires et senties, enfin elles deviennent habituelles5 comme le plaisir et la douleur modérés peuvent se rendre peu a peu indifférens. Ces affections appartiennent essentiellement au système sen- sile et a tous ses points, et constituent le sens: elles produi- sent la sensation quand elles sont fortes, et concentrées dans le sensorium. §XV. La sensation Je jugement, la réminiscence peuvent produire dans le sensorium une réaction, qui dispose a cher- cher Pobjet du plaisir, ou a éviter celui de la douleur. Cette réaction élémentaire constitue la polition, dont la fa- culté est dite volonté. L'élément de la volitiou constitue le désir ou l'aversion ; mais quand elle est très forte, elle produit une réaction consensuelle dans le système des nerfs tris— plauchnique et pneumo- gastrique : et comme ses plexus nerveux sont , aussi autant de condensateurs de la sensi- lité(§X.^f. ), les passions exploitent leur force particulière- ment dans la région du plexus céiiaqne et des autres plexus subalternes, et ainsi elles altèrent la circulation , la respira- tion, etc. L'excès de volition produit aussi une forte réac- tion dans le système musculaire en général. C'est le méca- nisme des passions. On conçoit donc que la passion est. un excès de sensation et de volition. La volition est propor- _ . ( 21 ) donnée a la sensation , non seulement dans la passion , comme M. de Tracy l'a bien observé, mais aussi dans tous les phénomènes et. dans toutes les modifications de la sensation; car la volonté suit toujours le développement, la gradation l'altération , etc., de la sensili vite; et pour cela la réaction volitive accompagne toujours la sensation. La volition est comme la fonction réactive du sensorium k l'occasion d'une sensation : c'est aussi l'intensité de la voli- tion qui augmente l'intensité de la sensation. a. La volition concentrée dans le sensorium produit la mé- ditation ; répandue aux organes extérieurs des sens , elle produit l'attention; propagée aux fibres musculaires, elle en produit la contraction. Dans la douleur, la réaction voliiive se manifeste par des efforts de l'éviter, de la venger, par des pleurs, etc. b. Puisque la sensilité appartient au système nerveux, en général; que la volition accompagne la sensation; et que la sensation peut être locale et partielle (§ XII), la volonté peut être aussi locale et partielle. La rétraction sou- daine d'un membre agacé pendant le sommeil, dans la dis- traction de l'âme, etck, le mouvement des tentacules des po- lypes, des membres coupés des animaux a sang froid, etc.r ne serait-ce pas une volition locale? {voyez aussi le § XXXI) — On pourrait m'opposer ici que clans les paralysies on perd tantôt la sensibilité, tantôt la contractiiité, très-rare- ment l'une et l'autre à la Fois.Cette objection disparaît, quand on réfléchit que l'exécution du mouvement volontaire néces- site seulement la continuité électromotrice dans le nerf, tandis que la sensation nécessite aussi l'intégrité de l'organisation intime du nerf intermédiaire ( voyez § IV. C. ).' § XVI. Depuis l'enfant, qui d'abord sent à peine,par exemple* la chute d'un corps auprès de lui, commence a distinguer, a. reconnaître, a comparer, a éviter, etc., les circonstances de la chute des corps, en apprend ensuite les causes extérieu- res , etc., jusqu'à Galilée, qui en déduit, les lois fécondes de la mécanique, élevées depuis par Kepler et Newton au sys- tème universel, et que Lagrange, Laplace ont compris / $oii5 des formules plus générales; et depuis l'insecte, qui ne connaît que des qualités de quelques objets relatives a sa conservation, jusqu'à Bacon qui sent l'étendue eî les cor- rélations des objets de l'esprit humain , on voit une progrès* sion, ou une gradation plus ou moins interrompue de sensa- tions et de jugemens toujours plus composés. Il est encore facile d'observer qu'un enfant ou un idiot peut regarder in- différemment les oscillations d'une lampe, desquelles cepen- dant Galilée en déduit la mesure exacte du temps > et en prélude ainsi toutes les très-, heureuses applications a l'as-* tronomie, a la géographie, à la nautique, etc.] "La lu- mière frappe les plantes, les polypes, les nouveaux-nés; elle y excire des mouvemens simples et automatiques, des sens ou excitations obscures, qui cependant deviennent les élé- mens de l'Optique pour le génie de La Porta et de Newton. A, On sent immédiatement que le liège est moins dense que le fer; que la lumière est plus forte près du corps lumi-» ueux; qu'un cône équiialère et un cylindre rectangle, cir-^ conscrits a une sphère 9 et la sphère même inscrite, sont graduellement plus grands l'un que l'autre; mais ou peut découvrir, par le raisonnement, que par exemple l'asté- roïde Jupiter est moins dense que la Terre; que la lumière est en raison inverse double des distances; que le cône , le cylindre ciiconscripts, et la sphère inscrite soiit exi raison continue sesquialtère. Un larron peut bien avoir de la jouissance en volant; mais il ne peut apprendre qu'en ré-< fléchissant que. par les lois de la réaction animale,il est ex-* posé a la représaille, et qu'il a perdu la garantie publique. a. Il y a donc des propriétés relatives ou des rapporta des corps qu'on sent immédiatement, c'est-à-dire par im-* pression et par sensation simple; il y a d'autres propriétés qu'on ne peut connaître que médiatement ou par raisonne- ment. Les premiers sont dés rapports immédiats ou &en-v siblesy les autres sont éloignés ou ratiqnauxi et les, idées correspondantes sont sensibles, ou rationnelles, h. Les rapports sont artificiels on arbitraires, aoçi*. (letitels ou variables, esv&itieh pu ço,n&tgms ; les rapparia moraux sont les actions de Phomme, capables d'affecter d'une manière quelconque la sensibilité des autres. § XVIIé La sensation des rapports immédiats ou sensibles est la sensation.proprement dite ( §IL^. ) La répétition spontanée ou hâtée d'une idée, c'est la réminiscence, dont la faculté s'appelle mémoire. Le jugement est la sensation des rapports ratjonaiix : le jugement se réduit donc a sentir de$ rapports éloignés de deux objets : la faculté de juger se dit proprement intelligence, et chez l'homme raison. L'abs- traction est la sensation fixée, ou l'attention, sur une seule des qualités ou des rapports d'un objet. Généraliser une idée, c'est reconnaître une même qualité, un même rapport dans plusieurs pbjets; et pour cela , autant on connaît d'objets, autant on peut étendre Pidée de cette qualité. L'art de rai- sonner se dit idéologie ou logique, l'habitude de raisonner, philosophie (i). L'imagination est la faculté de multiplier, d'exagérer, de combiner, etc., des ide'es simples, et non pas; d'en créer : c'est l'observation qui en donne de nouvelles. Enfin, la sensation des fonctions propres s'appelle cons* cience : c'est la sensation des sensations. La conscience mo- rale est la conscience des rapports moraux de ses propres actions : le sentiment est la sensation des rapports moraux. La conscience comprend donc la sensation de l'identité de son moi ; et celle-pi contient la sensation de l'existence des objets extérieurs, A* Ainsi l'homme commence d'abord a recevoir et con- cevoir des impressions (ou sensations locales inaperçues )^ celles-ci commencent à produire des sensations; peuapeti il rapporte celles ci aux organes sensibles d'où elles pro- viennent; enfin, il distingue les objets extérieurs qui les oc- casionnent. Comme la connaissante quelconque de l'exis- tence de «es organes sensibles et des objets extérieurs n'est qu'un jugement; et comme le moir dans cet acte, reeon* (j) Les racines étymologiques dq mot; philosophie eo ex prime o.tplur- tôi le hut, c'est-à-dire l'amour dé la science, de la vérités (*4) naît son identité en comparant et en rappelant les sensations diverses et successives et les objets différons ; et comme enfin la faculté de juger se développe par des degrés plus ou moins rapides; on connaît aisément que la conscience se développe s'étend, s'éelaireit, et se perfectionne a proportion de la fa- culté et de l'habitude de jnger. B. La mémoire de rapports sensibles est automatique; celle de rapports essentiels et rationaux ( XVI, a. £. ) est ra- tiônnelle.-La première est commune a l'homme et aux autres animaux céphalés 3 la seconde appartient éminemment a l'homme. C. Il me semble que non seulement c'est le tact actif, mais ce sont toutes les sensations voulues, qui contribuent plus ou moins a constater l'identité de son principe cognoscitif ou ?noiy et l'existence et les modes des objets extérieurs. C'est le tact le premier qui produit moins d'illusion ; mais tous les autres sens concourent aussi par un témoignage réciproque a cons- tater l'existence des corps extérieurs. Pour cela, des or- ganes plus nombreux et plus exquis donnent des idées plus nombreuses,plus exactes , et plus sûres : et ces organes, em- ployés avec plus d- attention, rendent la conscience plus énergique et moins perplexe. a. L'idée primitive de la distance dérive exclusivement du tact (en tarant ou en marchant) : c'est ensuite l'œil qui y supplée presque pour toujours , et par le moyen du juge- ment. On dit que des aveugles-nés savent connaître la proxi- mité ou l'éloignement d'un objet par l'intensité de l'odeur ou du bruit j etc., et on conclut de là que l'idée de la dis- tance: peut s'acquérir même avec dVutres sens que ceux du tact et de la: vue. Mais l'homme et d'autres animaux aveu- gles péiivent se former une idée quelconque , un signe de l'approche ou de l'éloignement dès objets, mais jamais ne peuvent acquérir l'idée de la distance proprement dite: l'homme aveugle peut se former une idée supplémentaire % mais elle n'est pas celle de la mesure de l'espace. —©T-t'illusion de nos sens peut regarder moins l'existence, que les modes des corps extérieurs, savoir, leur forme, leur §&tiflëïir5 leur mouvementetc. Du reste y je ne vois pas (25 ) qu'il soit aussi nécessaire qu'impossible de démentir notre illusion. Je demande seulement si cette apparence quel- conque des corps produit en nons des affections constantes , si elle est capable d'offrir l'objet de règles invariables pour l'idéologie. On a jusqu'à présent raisonné avec succès et uti- lité sur l'astronomie, sur la physique, sur la chimie, etc. , sans que la grande question de Zénon et de Diogène soit en- core décidée. § XVIII. Pour sentir le rapport de deux objets , il est nécessaire d'avoir la réminiscence plus ou moins îempuscu— laire d'un ou des deux objets k comparer. Dans la sensation, on connaît l'objet qui l'excite, et on la rapporte a l'organe qui reçoit l'excitation. Dans la réminiscence , on compare l'idée actuelle avec celle déjà reçue autrefois. Donc la sen- sation et la réminiscence sont elles-mêmes des jugemens élémentaires; comme ensuite celles-ci deviennent les fonc- tions élémentaires ou les facteurs du jugement complet. A. La sensation et la 'mémoire peuvent avoir pour objet les rapports essentiels., les accidentels, ou les arbitraires. (§ XVI. a. b.) Alors le jugement peut être plus ou moins exact ; et les systèmes scientifiques fondés sur ces rapports peuvent être plus ou moins artificiels et caducs. . B. Les systèmes donc , les méthodes, le langage , l'algo- rithme, sont autant de mécanismes ou d'artifices pour aider la mémoire et faciliter la sensation dans le jugement (§ XVIil) sur des objets nombreux et compliqués. § XIX. Les actions d'abord sont excitées par les appétits (§ XIII. ) : elles ne sont alors que spontanées; mais répétées jusqu'à un certain point, elles se rendent de plus en plus perçues et volontaires; c'cst-a-dire que le sensorhuo apprend à rapporter a certains organes l'origine de la sensation 3 et a déterminer , diriger, et associer les mouvemensdes muscles volontaires: enfin, ces actions efficacement voulues et sen- ties, quand elles sont répc;ées avec fréquence et homoto- . nie , peuvent se rendre peu a peu habituelles, savoir moins voulues et senties, plus faciles et parfaites. § XX. Toutes les opérations de l'intelligence et de la «ontractililé musculaire acquièrent plus ou moins d'habi- ( *6 ) tude, c'eskk-dire de rapidité et d'exactitude. On a attribué ces opérations intellectuelles et musculaires > si rapides et si exacies, a un instinct, k une impulsion spontanée, a un sens intérieur, ou inné. Un homme, k la vue d'un cheval fougueux qui l'approche, ou d'un corps énorme qui va s'é- crouler , s'écarte épouvanté a l'instant et presque spontané*- ment; mais c'est toujours l'effet d'un jugement on d'une ré^- miniscence rapide du danger : on se jette avidement sans hésitation, par exemple sur l'or ; mais parce qu'on en a appris la valeur et l'usage de convention sociale. 11 n'y a pas ici l'instantanéité, mais plutôt la rapidité habituelle , c'est ï dire acquise de se souvenir, de juger , et d'exécuter des moiivemens volontaires correspondans, a. Ordinairement on s'habitue à passer immédiatement d'une première donnée k une dernière conséquence , par élimination de plusieurs jugemens intermèdes, en se souve- nant ainsi des rapports essentiels et démontrés entre le pre- mier et le dernier terme. Un géomètre se souvient que les trois angles d'un triangle rectiligne égalent deux; angles droits; le physicien, par le temps qui passe entre l'éclair et le tonnerre, conclue immédiatement a la distance d'un nuage; le médecin, d'un symptôme , peut prévoir a l'instant le siège ? la nature ., l'indication, et l'issue d'une maladie, etc. sans qu'ils aient besoin de répéter toujours la série des juge- mens intermèdes, § XXI. La volition est déterminée par une sensation ; ou, dans le concours de plusieurs objets ou motifs, par la sensa- tion plus forte. Si donc la sensation est bornée et fixée sur un seul rapport ou motif, il n'y a pas de délibération. Mais quand on connaît plusieurs rapports , on peut porter Fat-r Cent ion sur chacun d'eux, et en sentir le plus fort qui déter- mine la volition. Cette sensation portée sur chacun des rap- ports ou motifs, pour déterminer une action , c'est-à-dire l'acte de passer en revue plusieurs idées , et de juger quelle est la plus convenable pour atteindre un but, et de se dé- terminer a une ou a une autre action se dit délibération\ dont la faculté se dit liberté. Donc la liberté n'est autre ebose que la faculté délibérative; et la délibération n'est (*7 ) 4|>u\trî jugement sur ce qu'il convient de faire, sur les moyens h employer; elle a ^donc d'autant pins d'étendue que le nombre des idées est plus grand , que les juge mens peuvent jetre composés et multipliés , et que la raison est plus déve- loppée; et elle est moins faillible quand les idées sont moins erronées : savoir^ la faculté de connaître et de reconnaître plusieurs rapports, c'est-à-dire l'intelligence, quand elle est plus étendue et rectifiée, elle augmente l'extension de la li- berté, et diminue la faillibijité des actions. Donc la liberté dans l'homme, et particulièrement dans le philosophe, ac- quiert le complément de sa latitude; tandis que chez les au- tres animaux, la liberté ou lafacnltédélibérativeestrétrécis et bornée de plus en plus, par le petit nombre et par l'ira**- perfection de leurs idées. Cette liberté si rétrécie enfin, reste insensiblement abolie par l'habitude; ou bien elle dis- paraît , par une organisation très-simple , et par le défaut de pluralité d'organes sensibles; puisque la monotonie des im*- pressions et des idées n'admet pa6 de délibération. a. Dans la concurrence d'un nombre quelconque de mor- tifs, c'est toujours la sensation la pics forte qui détermine la volonté : donc cette liberté ne consiste essentiellement que dans la faculté de délibérer, et non pas dans celle de choi- sir, même malgré Ja sensation plus forte , malgré le motif ou le moyen le plus efficace. L'indifférence dans les a étions est incompatible avec la sensitivité exposée a l'impression de plusieurs motifs ou rapports. b. Jusqu'ici, je n'ai prétendu parler que de la liberté in~ tellective ( XXI ) : celle-ci doit être distinguée de la liberté physique, qui est la faculté d'agir selon et d'après la voli*- tion. La faculté de faire ce qui peut être utile ou non nui- sible aux autres, est dite liberté morale ou civile, c. L'homme jouit de la plénitude de sa propre satis- faction, quand il peut exécuter sa volonté. Que sa volonté soit toujours déterminéepar des motifs plus ou moins secrets, il ne le sent pas, ou peu lui importe. C'est donc la liberté physique la plus manifeste et réelle. —La liberté civile semble donner des restrictions a la liberté physique: mais elle a plus de force et moins d'erronéité que celle-ci ; car elle affermit ( 28 ) et rassure le résidu de la liberté physique; a laquelle l'eco- nomie politique doit déroger, pour assurer la prospérité com- mune, qui se décompose enfin en prospérité individuelle. M. Ferguson dit, que la sécurité, dans le fait, est de l'es- sence de la liberté, ou plutôt elle la constitue;, celui qui ac- quiert cet avantage, acquiert tout'et ne cède rien (i) : ou je crois mieux dit, que la sécurité est le but et l'effet immédiat de la liberté civile; et que l'homme en société cède des pe- tits droits de sa liberté physique , pour s'assurer de plus grands avantages par la liberté civile. § XXII. 11 est vrai que les appétits sont les élémens des passions ( § XIII); mais celles-ci ne prennent leur forme et leur développement, que dans le sensorium (ib.). Enfin, dans l'homme, les facultés organiques du sensorium ont une grande prépondérance sur le reste du système nerveux et des organes sensuels ( § XI. B. ). Donc les passions sont im- médiatement exposées ou subordonnées a la raison ; par conséquent, des actions dérivatives des passions sont tou- jours morales; et pour cela les conditions de tempérament, d'âge, de sexe, d'ignorance, du moment primitif de l'éclat des passions, etc., ne peuvent que modifier l'imputabilité ou attribution des actions morales : enfin l'aliénation mentale neutralise la moralité des actions , démoralise ou rend in- différentes les actions. § XXIII. L'amour propre ( philautie) est l'affection im- médiate et fondamentale delà sensibilité, qui, modifié dans lés deux formes primitives, désir et aversion , subit différentes formes subalternes el spécifiques, acquiert divers degrés d'in- tensité, et reçoit ainsi des dénominations vaiiées selon l'ac- croissement et l'inflexion des organes sensibles, la progres- sion de l'âge, l'influence de l'habitude, et les conditions des objets. Cette passion radicale, qui constitue le ressort de la conservation de l'individu et de la société, quand elle se soustrait au frein dé la raison, ne fait que miner la santé physique et morale, particulière et publique. § XXIV.,Si l'essence de l'intelligence est la faculté de ju- ger ( § XVII.), si sa manifestation est le mouvement délibéré, le caractère collectif de l'intelligence est la liberté ou faculté ( 1) Principles of moral andpoiiUcal Science. C 29 ) délibérative (§. XXI.) Cette faculté, dont les élémens existent dans toutes les branches du système nerveux (§XII. ), n'est que la sensilité concentrée et compliquée du seusorii)mp c'est a dire la sensitivité ( § Il .A.5.) Le jugement est toujours pré- cédé , i° des sensations intimes , ou appétits, qni déterminent d'abord des mouvemens spontanés dès muscles annexés ou associés aux organes appétitifs ; 20 des sensations extérieures, à l'aide desquelles on connaît les objets qui l'occasionnent, et qui ont des rapports avec les appétits. Enfin l'intelligence se manifeste par des actions musculaires ? qui d'abord étant automatiques et incertaines, peu a peu deviennent volon- taires et décidées; a force de répétition fréquente, elles se rendent plus ou moins habituelles, savoir , moins voulues et moins aperçues . plus faciles et plus sûres. C'est-à-dire,, que l'organisme de l'intelligence est essentiellement fondé sur la sensitivité , et il est aidé et manifesté par la motilité; sa fonction fondamentale et primitive est le jugement ; sa fonc- tion démonstrative est le mouvement volontaire; l'organe essentiel, central, immédiat et premier de l'intelligence est le sensorinm : les nerfs en sont comme des parties intégran- tes, et les moyens de communication et de concentration de toutes les sensations qui y aboutissent; ils deviennent donc par là les iustiumens immédiats du développement de l'in- telligence : les organes internes donnent l'origine et sont le foyer et le centre des appétits, qui sont pour cela les causes primitives et excitatrices des mouvemens spontanés : les or- ganes sensibles extérieurs sont;les moyens de rendre l'âme accessible aux impressions spécifiques des objets extérieurs: les muscles volontaires servent à mettre l'organisme en rap- port avec les objets extérieurs; ils sont donc auxiliaires au développement de l'intelligence : enfin les objets extérieurs sont les causes occasionnelles dé/son évolution. A. Les fonctions, qui, par des mouvemens immédiats et spontanés, n'annoncent aucun jugement ou réflexion, c'est-à-dire, ne manifestent aucune délibération préalable , sont instinctives, et cette faculté est dite instinct. En un mot , le jugement et les actions délibérées appartiennent a l'intelligence : la sensation locale ou sens (§ îï. A. 1. ), et Us actions indélibérées, constituent complètement l'instinct. (Se) CHAPITRE TROISIEME* PSYCHOLOGIE COMPARÉE, J^É croîs avoir prouvé jusqu'ici que tes organes de l'in- telligence sont le cerveau, le reste du système des nerfs, leà Organes des Sens, et les muscles volontaires. Je passe à une comparaison sommaire de ces organes dans la série des ani- maux : car l'existence et la différence quelconque de ces or- ganes peuvent être la cause organique de l'existence oit pos- sibilité, et de la différence de l'intelligence; ou bien elles peuvent y entrer pour beaucoup. § XXV. Le système nerveux, peu apparent mais pré- sumé dans les polypes,d'après leur sensibilité, est peut-être fondu dans leur substance gélatineuse : il commence a ma- nifester des ganglions dans des radiaires , et dans des an-* nélides; dans les mollusques acéphales commence a paraître un cervelet bilobé; dans les insectes un très petit cerveau bilobé aussi se montre : celui-ci va toujours en augmentant de proportion dans les poissons, les reptiles, les oiseaux f les mammifères, jusqu'à l'homme > dans lequel le cerveau a la plus grande proportion de volume et de densité , de nom- bre et de profondeur de ses circonvolutions. Dans la progres- sion de l'âge, chez l'homme, par exemple, de tout le.sys- tème nerveux, le cerveau est le dernier a atteindre son en- tière évolution. Dans les variétés nationales ou individuelles de l'espèce humaine, les hémisphères du cerveau ont des dif- férences de développement, qui correspondent en général k la différence de leur intelligence. Les lésions du cerveau ( 5i ) Appcnétit des altérations dans les fonctions intellectuelles* Ainsi, a mesure qu'on-remonte des zoophytes jusqu'à l'hom- me, lesystème nerveux acquiert toujours plus de concentra- tion du volume et de l'énergie; les parties subissent toujours plus de dépendance vitale; et les'fonctions acquièrent plus de variétés, et d'unité ou conspiration. ÏI semble donc que le cerveau est l'organe immédiat de l'intelligence; et que la différence de perfection du cerveau contient la raison pri- mitive de la différence de perfection de l'intelligence (i)- § XXVI. Les organes sensibles internes, appétitifs ront la première influence sur l'évolution de l'intelligence : c'est d'eux que les mouvemens instinctifs et ensuite les inlëftec-*- tuelsont leur origine spontanée. La voracité des carnivores1, la tempérance du bradypus ou du chameau r la respiration si modifiée dans les oiseaux, les mammifères terrestres, les amphibies, les poissons et les anirnaux inférieurs; l'amour sexuel chez les androgynes, les hermaphrodites, les mono- sexuels , etc., sont des sensations de besoins, ou appétits, qui imposent des habitudes différentes (2), exposent les ani- maux a diverses sensations extérieures, provoquent divers mouvemens musculaires, et concourent ainsi a différencier le développement et la constitution de l'intelligence. C'est donc dans la constitution, les degrés, et les modifications des, forces et des organes de la digestion , de la respiration i de la génération, etc., qu'on doit chercher les premiers efforts 9 les premiers mouvemens de l'instinct et de l'intelligence. § XXVII. Mais les appétits ne sont que des sensations ma- ternes spontanées et incertaines ( § XIII. ). Ce sont les or- (1) Les rapports spéciaux d'autres différences d'organisation et de développement d'autres parties du cerveau aux fonctions intellectuel- les, jusqu'à présent sont inconnus , ou hypothétiques. (1 me suffît d'envisager et de poser les rapports généraux et avérés du système nerveux-. (2) L'organisation et la fonction d'un organe s'influencent mutuelle- ment clans leur développement j mais dans l'origine , on ne peut sup- poser une fonction initiale sans les rudimens préexistans de l'organi- sation. (5a)_ ganes sensibles extérieurs qui font connaître a l'animal les objets de ses appétits, et ensuite de ses passions ( ib. .). Les coiidiiions de ces organes concourent ainsi au dévelop- pement de l'intelligence : il faut donc les parcourir. L'or- gane du toucher est commun a tous les animaux; mais il est le seul.dont jouissent les radiaires, les vers, les polypes, les infusoires : donc ceux-ci ne peuvent acquérir qu'une idée de quelque propriété tangible des corps; ceci constitue chez eux l'organe du .goût dans leurs palpes et dans leur es- tomac. L'on commence a trou ver des yeux dans les.insectes, quelques annélides, les mollusques céphalésyjusqu'à l'hom- me : tous ceux Va donc peuvent acquérir encore des idées de lumière , de grandeur relative, de couleur, de distance, etc. L'organe de l'ouïe, qu'on présume exister dans quelques animaux invertébrés, est bien manifeste chez les vertébrés: ceux-ci donc acquièrent l'idée-du son. L'organe olfactif se retrouve jusque dans des insectes : ainsi ils peuvent avoir quelque idée des odeurs. L'organe du goût est complet dans les mammifères; mais il est commun a tous les animaux : les oiseaux et autres animaux qui ne Pont pas bien prononcé dans les parties de la bouche, peuvent y suppléer par l'odo- rat, la vue, le tact (i). § XXVUI. Les organes locomotiles mettent les organes sensibles de Panimai en rapport avec les objets de ses appé- tits ou de ses passions: ainsi ils ont leur influence sur l'évo- lution de l'intelligence. On doit donc les introduire dans l'évaluation des causes organiques de celle-là. La motilitë des doigts de l'homme, unie \\ leur sensibilité exquise, cons- titue l'organe le moins illusoire des autres, et l'instrument le plus adroit de la pensée. La faculté préhensile de la queue dansdesquadrumanes, les ooeseoes, les kirikajous, les sarigues, multiplie les moyens de leur intelligence. Au con- (i) Ces observations ge'nérales ont quelques exceptions :par exem- ple , tes yeux du proteus,du spalax,dela t «upe, etc. , sont oblitères; on en peutaire autant de quelqu'autre organe chezd autres animaux. Mais ces exceptions sont trop peu nombreuses et trop légères, pour qu'elles puissent altérer l'exactitude et la légitimité de la proposition générale. (•53 ) traire, le trop peu de motilité des doigts de l'éléphant, du dauphin, empêche en partie ceux-ci d'acquérir des idées, demi ils sont peut-être capables par les conditions avanta- geuses de leur cerveau. Donc la différente motilité immé- diate ou médiate des organes sensibles externes, donne plus ou moins de facilité et de moyens pour le développement de l'intelligence. §XXÏX. La différence du tissu intime d\in même sys- tème, d'un même organe, chez les animaux hétérogènes, concourt également a modifier la constitution et les habi- tudes de ceux ci. Elle est bien visible la différence de cou- leur, de structure, etc., entre le tissu musculaire des verté- brés a sang rouge, et celui des animaux a sang blanc,et même entre celui des mammifères, des poissons, des reptiles. La cellulaire est très-différente dans l'homme et les mammifères, les poissons, les polypes, les méduses, etc. Elle est aussi vi- siblement différente la structure intérieure du système ner- veux dans les animaux hétérogènes. C'est donc la différence de la structure intime d?s systèmes nerveux d'animaux di-* vers, qui constitue la modification principale de leur sensi- lité, etc. Est-ce la modification du système nerveux chez les divers individus de l'espèce humaine, qui est aussi la cause principale de la diversité de leurs tempéramens? § XXX. La différence des organes extérieurs homo- nymes des sens chez les animaux hétérogènes est bien plus manifeste et non moins importante. L'organe du tact est plus exquis dans l'homme, plus obtns dans les oiseaux, les poissons, les quadrupèdes: l'organe de l'odorat est nul dans les polypes, ambigu dans les poissons, très-sensible dans le chien, etc. : l'organe de la vue est le plus simple dans les crustacés, composé dans les insectes; il est télescopique dans les oiseaux en général; le vespertilio, le strix, sont nyctalopes; l'anabieps, le gyrinus, sont amphilopes : l'ouïe est exquise dans les oiseaux, les reptiles, le lièvre, la loutre; et dégradée dans les poissons, les insectes. Cela nous fait sou- venir d'abord, que l'homme est devancé parla délicatesse de quelque organe sensible et motile de certains animaux, 5 ( 34 ) et peut-être par quelque autre organe qui nous manque, qui pour cela, nous est inconnu; et que cependant l'im- perfection relative de leurs organes peut être la cause pri- mitive par laquelle ces animaux ne sentent qu'un petit nombre de propriétés des corps extérieurs. Il ne faut donc pas croire que les conditions de nombre, de qualité et de perfection des organes sensibles externes ne soient pour rien dans le développement de l'intelligence, quoique la condition or- ganique essentielle et principale de celle-ci soit le senso- rium ( § XXII. ). A. Le nombre et la perfection des organes sensibles et motiles augmentant, non seulement on a des idées simples et on exécute aussi les mouvemens simples, correspondans aux nombres des organes; mais on a encore les idées et les mouvemens composés, qui proviennent des comparaisons nombreuses et répétées^. Ainsi le nombre des idées et des morivemens volontaires devient la somme d'une série géomé- trique, sur la série arithmétique des organes mêmes : car ceux-ci agissent en communication, et produisent ou occa- sionnent la combinaison des idées, non moins que des mou- vemens volontaires. B. De ce que je viens d'exposer, l'on peut conclure que la perfection organique du sensorium, sans celle des organes des sens et des mouvemens volontaires, ou la perfection d'un, de plusieurs, ou même de tous ceux-ci, sans la perfection du cerveau , constitue toujours la disposition organique d'une intelligence très-bornée. Au contraire, la perfection réunie et proportionnellement avancée du sensorium prin- cipalement et des organes sensibles et motiles, constitue la disposition à une intelligence plus élevée; laquelle condi- tion est avérée dans l'espèce .humaine. § XXXI. Ceux des animaux dont le système nerveux, plus ou moins constaté, n'a. aucune trace de cerveau, et conséquemmentde sensorium, ne peuvent avoir qu'un sens local, simple, et homotone au contact de corps extérieurs, sans jugement et sans volition délibérée : ainsi, ils n'ont qu'une sensation et une volition tout-a-fait automatiques et locales» ( 55 ) Le sens et le mouvement, par exemple, d'un polype peuvent être comparés au sens et au mouvement spontané' d'un mem- bre d'un vertébré dans le sommeil , fâché par une longue compression , extension, ou contraction, ou agacé par un sti- mulus modéré : ils peuvent être comparés au mouvement et au sens d'une grenouille.préparée, ou d'un membre récemment coupé d'un animal même a sang chaud, exposé au galva- nisme. Il n'y manque dans ces cas-la que la sensation et la volition proprement dites ( § II, XV), c'est-a-dire du sen- sorium. § XXXIÏ. Si on imaginait d'élever, de composer et de concentrer de plus en plus ces facultés simples et automa- tiques , on trouverait les fonctions de l'intelligence de plus en plus composées et perfectionnées. Dans les animaux céphalés les plus simples, on commence à reconnaître les organes rudimentaires, les facullés élémentaires, et les fonc- tions initiales de l'intelligence , qui se développent et se composent de plus en plus dans la série ascendante des ani- maux , et se trouvent enfin dans l'homme portées au plus haut degré de composition et de perfection. Ainsi l'homme est capable de s'élever aux idées les plus abstraites, aux conclusions et aux formules les plus générales, aux ex- pressions et aux définitions les plus réduites ; et de descendre par l'application des principes à un nombre indéfini de cas particuliers, a la solution de plusieurs problêmes spéciaux, et a la déduction d'autres rapports inconnus: c'est-à-dire, l'homme a la faculté d'exécuter la synthèse et l'analyse d'une progression indéfinie; tandis qu'elle va se décomposant ra- pidement dans les autres animajux?qui sont bornes a très-peu de jugemens et a des idées très-peu générales. A. Donc les conditions organiques de la plus grande in- telligence, sont : i°. la plus grande proportion de la masse cérébrale ( bien organisée et bien excitable ) a tout le reste du système nerveux; 2°. la plus grande proportion du sys- tème nerveux au musculaire; 3°. le plus grand nombre, la plus grande perfection et complication, et la correspondance réciproque, des organes sensibles internes et externes, non moins que des mobiles. (56) § XXXIII. Retenons donc que la fonction essentielle et principale de l'intelligence est le jugement; que le jugement n?est que la sensation des rapports; que la mémoire doit re- présenter l'idée pins oli moins antérieure . au moins d'un des sujets a comparer; que la déduction est toujours une pré- voyance plus ou moins étendue ; et enfin, que ces fonctions intellectuelles se manifestent par des mouvemens délibérés. Voyons a présent si d'autres animaux nous donnent des in- dices de ces mêmes fonctions, et s'il y a quelque correspon- dance entre celles-ci et l'organisation du système sensile. Les vertébrés qui, par la complexion du système nerveux et du cerveau en particulier, sont immédiatement au-des- sous de l'bomme et a la 1ete des autres animaux, jouissent d'un degré bien connu d'intelligence, qui a ses nuances aussi dans les classes et jusque dans les espèces différentes. Je ne saurais rien ajouter a tout ce qu'ont éloqnemment rapporté Condillac , Darwin , sur les traits de l'intelligence des vertébrés; et il est inutile d'exposer ici tout.ee qu'où observe ordinairement sur les actions, les habitudes et la do- cilité des animaux domestiques; mais il n'est pas moins vrai, quoique généralement contesté que même les insectes en général manifestent quelque trait d'intelligence: Si on ob- serve sans aucune prévention des insectes les plus connus, par exemple, l'araignée, l'abeille, la fourmi, le scarabé, etc., on voit leur adresse, leur ruse, leur hésitation, soit pour éluder leurs ennemis, soit pour surprendre leur proie, soit pour voler la provision d'autrui, soit pour s'assurer des dis- positions de l'autre sexe à l'époque de leurs amours, soit enfin polir se conduire dans des circonstances nouvelles auxquelles on les expose, et parmi des objets nouveaux qui s'offrent aeux. Ces opérations supposent ou annoncent quel- que degré de mémoire, de prévoyance, de volition , de ju- gement, c'est-a-dire d'intelligence. On ne peut pas dire que les insectes en général, les mollusques céphalés, les crus- tacés, soient dépourvus de quelque degré de docilité; puis— . qu'on n'en a pas suffisamment essayé l'éducation, et puis- qu'on n'en connaît pas assez les habitudes. § XXXIV. L'anatomie comparée peut nous conduire k quelque principe incontestable sur les limites de l'intelligence dans les animaux inférieurs. La concentration cérébrale du système nerveux , et la pluralité d'organes sensibles, cons- tituent la condition organique essentielle de l'intelligence: on voit, en effet, ces deux conditions toujours réunies;; dans les animaux a cerveau il y a toujours plus d'un organe sensible, et cela est avéré jusqu'aux insectes. Quand on se souvient que le cerveau dégrade depuis l'homme jusqu'aux insectes, et qu'il commence a disparaître dans les vers, les radiaires et les polypes ( § XXV. on peut décider que la perfectionna dégradation, ou la nullité du cerveau annon- cent la condition principale de la perfection , de la dégra- dation, ou de la nullité de là faculté intellective. Les .polypes et les autres animaux qui n'ont aucun vestige de cerveau, ni pluralité d'organes sensibles, ne peuvent jouir de la fa- culté comparative et volitive qui nécessite la pluralité et la concentration des sensations. Ils ne peuvent donc avoir d'in- telligence. A, Ainsi, on peut conclure que la dégradation de l'in- telligence corrrespond a la décomposition, diminution, et imperfection du cerveau ou sensoriuin et des organes sen- sibles- et la nullité absolue de l'intelligence tient a l'absence totale d'un sensorium ou centre sensitif. Ces animaux vrai- ment ont presque tout-a-fait entières leurs facultés vitales r reproductives, digestives, dans chaque point, dans chaque section de leur corps (1). § XXXV. Mais quoique un animal soit doué des condi- tions organiques requises pour l'intelligence, il ne peut pas en atteindre le comble, s'il ne se trouve parmi des circons- tances opportunes; car celles-ci peuvent occasionner le dé- veloppement et les modifications de l'organisme, et par (1) L'observation dernièrement émise, que les polypes on-t aussi des organes reproductifs locaux, en général sous la bouche, n'a pas encore obtenu l'assentiment unanime des Naturalistes. Cependant on peut croire que ces animaux peuvent se reproduire par ovules, nonmoins que par morceaux; comme un arbre peut se reproduire d'une semence, ainsi que d'une branche ou d'une feuille vivantes, détachées d'ijn arb^ de la même espèce. La faculté reproductrice spontanée, se retrouve jusque dans les membres des reptiles en général. conséquent des habitudes. Le docteur Lamarek établît que ce l'influence des circonstances est effectivement en tout temps et partout agissante sur les corps qui jouissent de la vie.... A mesure que les circonstances d'habitation , d'expo- sition, de climat, de nourriture, d'habitude de vivre, etc, viennent a changer, les caractères de taille , de forme, de proportion entre les parties, de couleur, de consistance, d'agilité et d'industrie changent proportionnellement. » En résumé donc , les circonstances influent sur l'organisation et sur l'habitude. N'est-ce pas l'éducation, l'émigration, etc, qui ont tant modifié la forme, l'habitude et le penchant d'un animal, dont l'original est si rapproché du loup méchant et presque indocile? N'est-ce pas l'avarice et la cruauté du paysan, ainsi que le peu de convenance de climat et de nourriture, qui ont défiguré et hébété un des plus beaux et des plus vifs quadrupèdes de l'Arabie? Ne sont-ce pas les circonstances de la société qui ont amené et amènent les progrès de l'esprit humain tant en bien qu'en mal? § XXXVI. Les modes d'agir des animaux en général ne sont pas une mesure toujours exacte des degrés possibles de leur intelligence; parce que l'imperfection de celle- ci peut tenir non-seulement a l'imperfection du sensorium, ou des organes des sens, ou au manque de circonstances oppor- tunes; mais quelquefois a l'imperfection des organes de l'ex- pression , des actions, etc. : de même qu'on aurait bien tort de croire idiots des aveugles-nés, des sourds-muets, les aphones, si ceux-ci jouissent d'ailleurs d'un cerveau bien organisé; car dans ce cas il n'y aurait que le défaut ou l'im- perfection des organes propres a l'expression convention- nelle, ou de ceux des mouvemens volontaires, ou bien le défaut ou l'imperfection des organes propres à introduire les idées. La facilité qu'ont la pie, le perroquet, d'articuler leur voix, n'annonce pas leur intelligence plus grande que celle de l'ourang, qui a plutôt une imperfection des organes vocales qu'une infériorité d'intelligence. § XXXVII. 11 est incontestable que des indices d'intelli- gence dans la série des animaux correspondent jusqu'à un ( % ) certain point aux différences d'organisation du système ner- veux. Nous ne pouvons considérer que la surface de l'orga- nisation; cependant on ne doit pas dérogera l'organisation intime et profonde du système sensile en général , et parti- culièrement du cerveau , dans les fonctions intellectuelles. Il est hors de doute que l'organisation commence dans les élérnens des matières organisées; et pour cela, on devrait évaluer d'abord l'organisation intime et élémentaire; qu'où peut cependant supposer, faute d'une démonstration pra- tique. A. Les rapports constans de l'organisation même gros- sière et superficielle, avec les fonctions intellectuelles, nous prouvent la nécessité d'une organisation élémentaire parti- culière dans le cerveau et dans tout le reste du système ner- veux. Chacun des rudimens, des fibrilles élémentaires, et chaque système et organe de l'être vivant a son degré, son mode de sensibilité et d'irritabilité simple : l'ensemble de ces propriétés et de ces fonctions spontanées , toujours plus ou moins composées dans l'échelle des êtres vivans, constitue d'abord l'instinct. « L'instinct est dans la fibre vivante de chaque partie du corps, » dit M. Virey; c'est-a-dire les élé- mens de l'instinct sont inhérens aux élémens organiques a Mais l'organisation extérieure ou superficielle du système nerveux est un résultat correspondant et intégral de son organisation profonde; et pour cela, elle peut servir d'indice approximatif de la gradation organique de l'intelligence, B. Mais, toute exacte qu'elle pourrait être, l'équation des conditions organiques de l'intelligence, toute exquise et parfaite qu'on pourrait en imaginer l'organisme secret et élé- mentaire , doit on supposer dans le mystère de l'organisa- tion intime et élémentaire du cerveau, etc, la raison suffi- sante de la différence énorme qui sépare l'homme de Pourang même, dont le cerveau , etc., par l'organisation grossière et visible, ne diffère pas beaucoup de celui de l'homme? ou bien faut-il remplir ce vide immense par un principe sentant immatériel? Les métaphysiciens spiritualistes et les matéria- listes les plus outrés 3 de tous les temps 5 balancent leuss- opinions. Ce n'est que la théologie qui peut couper cenœuâ4., et amortir la-dessus noire curiosité importune. C. Le terme instinct peut être synonyme de celui de na- ture animale. Ils ont les mêmes fondemens organiques, les mêmes phases, les mêmes phénomènes, la même progression et succession , et produisent les mêmes résultats, ou, comme on le dit, sont dirigés au même but de la conservation et jouissance individuelle. La réaction de la nature[molimina naturae), comme celle de l'instinct, n'est pas ion jours in- faillible, tant dans l'état de santé, que dans celui de ma- ladie : ces réactions doivent être bien surveillées et évaluées par le médecin , pour les seconder, ou les modérer, ou les accroître, ou les détourner, selon ln-idication. Hoc opus9 hic labor est! $ XXXVIII. L'organisation ou disposition réciproque des parties intégrantes de l'organisme ne suffit pas pour l'exécution des fonctions et pour l'exercice des facultés. Dans la mort violente et soudaine, les parties, dans les premiers momens, ne perdent pas leur organisation, mais leur ton organique, leur excitabilité. Pour les fonctions intellectuelles aussi elle est nécessairement la force tonique ( § III. ) des parties organiques de l'intelligence. Dans quelques cas d'exaltation ou ipersthénie cérébrale, idiopatbique ou sym- pathique, comme dans des fièvres ou dans des aliénations mentales, nous voyons une exaltation ou excès d'énergie des fonctions intellectuelles. Au contraire, dans des mo- ment de mélancolie, de faiblesse immédiatement nerveuse, de démence temporaire, le talent le pins vif peut ressembler a celui d'un imbéeille. On a des exemples, très-fréquens de mobilité et disquilibre de l'excitabilité dans les sympathies [consensus morbosus) ; et la thérapeutique en tire sou- vent le parti le plus avantageux pour l'indication contre- irritative. Le plaisir dans le goût est proportionné a l'éré- tisme des papilles nerveuses de cet organe, etc. La première indication pour faire revivre un hommeexanimé,par exemple, d'inanition,, est celle d'ériger immédiatement et par degrés la tonicité de l'estomac avec des excitans difïusibles, et non pas de l'accabler avec des alimens, etc. Donc la force ner- (*.) vfcuse , ou ton organique on excitabilité du syslème ner- veux, et principalement du cerveau, n'a pas peu d'impor- tance dans les fonctions intellectuelles; et l'altération, la mobilité, le disquilibrc, etc. , de l'excitabilité nerveuse peut altérer l'énergie, l'équilibre , l'harmonie des mêmes fonctions. § XXXÏX. Après avoir rédigé les caractères physiolo- giques et anatomiques principaux de l'intelligence, on peut établir ceux de l'instinct. Celui-ci est borné a des mouve- mens spontanés excités immédiatement par les appétits, ou par les impressions extérieures , mais sans conscience, sans délibération, sans détermination volitive; il est renfermé donc dans une vie tout-a-fait automatique. Ainsi, les actions instinctives appartiennent aussi au S3^stèmesensile et motile, mais privé de concentration cérébrale : la propriété de l'ins- tinct est la sensilité et la motilité automatique; l'expression en est le sens purement local, et le mouvement tout-a-fait spontané. L'instinct donc appartient d'abord a tout corps vivant en général , mais principalement a tous les ani- maux acéphales. Les phénomènes purement instinctifs sont presque des sensations et des volitions locales et excentri- ques (§ XII. sans sensation et volition proprement dites, ou centrales. A. Les céphalés peuvent aussi exécuter des actions ins- tinctives, c'est-à-dire sans délibération. Les mouvemens par exemple du nouveau-né ne sont qu'instinctifs; peu a peu les impressions occasionnent la sensation , le jugement, la délibération, et les mouvemens deviennent voulus, dé- libérés, libres. Ainsi, les premières actions ici sont instinc- tives, non par l'absence, mais par le peu de développement du sensorium. Dans les imbécilles,. les idiots , les actions peuvent être instinctives par imperfection du sensorium. § XL. Le caractère organique principal de l'intelligence est le sensorium, point central commun du système ner- veux. Le caractère organique de l'instinct est la nullité d'un sensorium. Les acéphales donc sont exclus de l'intelligence , €t sont bornés a l'instinct stationnaire, par condition orga- nîque. L'intelligence ne peut être ébauchée, que chez les animaux qui commencent a offrir un système nerveux concentrique ou cerveau; c'est-a-dire on peut entrevoir quelque trait anatomique et physiologique d'intelligence élé- mentaire , et la plus incomplette par exemple dans les in- sectes en général, et dans tous les autres animaux supérieurs invertébrés, jusqu'aux vertébrés, où ces traits sont de plus en plus prononcés et complexes. a. La présence d'un cerveau donc, comme disposition organique ou possibilité d'intelligence , peut offrir le carac- tère exclusif de l'animalité, et celui-ci pour cela pourrait exclure tous les autres, qui sont équivoques et con- testables. On pourrait donc considérer comme animaux proprement les seuls céphalés, chez lesquels cependant l'a- nimalité a toujours ses nuances. C'est a grande raison que MM. Duméril et Blainville prennent du système nerveux le caractère principal dans le système zoologique. L'animalité s'exténue et disparaît dans les acéphales (apathiques de M. Lamarck); et ceux-ci font une transition naturelle aux plantes, sous le rapport de la sensilité. b. Vu la distance énorme de l'intelligence de l'homme a celle des autres animaux, on marque le degré suprême de l'intellia;ence de l'homme a préférence par le titre de raison. Celle-ci n'a pas moins ses nuances remarquables du génie , des talens, de l'imbécillité. A* Dans la progression ascendante des animaux céphalés^ depuis l'insecte par exemple, les organes rudimentaires et les fonctions initiales de l'intelligence se multiplient et se composent de plus en plus jusqu'au plus haut degré de per- fection dans l'homme; tandis que depuis l'homme au con- traire, c'est l'instinctqui prédomine jusqu'aux polypes , chez lesquels il commence à se rendre tout-a-fait absolu et sta- îionnaire, et va aboutir a la manière de vivre du nymphaea, delà mimosa, de la dionaea, etc., et va toujours se sim- plifiant jusqu'aux plantes les plus brutes; enfin , il se réduit à son radical, a sa forme élémentaire et universelle de l'at- traction dans les corps dits inorganiques. ( M ) B. Puisque'la sensilité quelconque est la faculté orga- nique fondamentale-de l'intelligence et de l'instinct-, puis- que l'instinct est comme le terme simple de la sensilité, et que l'intelligence dans l'homme en est le terme le plus com- posé; ou peut imaginer que l'instinct est comme l'ébauche ou avorton de la raison dans les autres animaux; comme Pembrion et l'enfance de la raison dans l'enfant; et que la raison dans l'homme est comme le complément, l'évolution totale de l'instinct. S'il était permis d'employer ici le langage mathématique, on pourrait représenter la sensilité radi- cale par x y la série ^, ,5 ,. • • pourrait exprimer la grada- tion de l'instinct, depuis les premiers animaux acéphales jusqu'aux plantes mêmes ; et la série 2#, 5#, 4x,... les nuances de l'intelligence dans les céphalés jusqu'à l'ourang; et dont la puissance 4#n.... indiquerait le degré suprême de l'intelligence de l'homme ou la raison. § XLI. L'instinct n'est pas toujours infaillible comme on Ta exagéré. Un enfant tombé dans l'eau , par exemple, pour ne pas se noyer fait des efforts irréguliers, qui, au con- traire, le perdent. Une irritation aux yeux, etc., sollicite l'homme a les frotter pour s'en soulager, et il ne fait que l'accroître : voila des mouvemens spontanés ou instinctifs, qui sont erronés. Le genre equus mange inconsidérément le coniummacuiatum, qui pour lui est un poison.Le cucu- lus va déposer quelquefois érronément ses œufs dans le nid d'oiseaux non insectivores, et ses petits en conséquence en meurent de faim. La musca vomitoria va pondre quelque- fois érronément dans l'arum putrifié, ou dans la fleur de la stapelia , où ses larves meurent, faute de nourriture con- venable, c'est à-dire de viande pourrie. Les oiseaux et au- tres animaux qui se laissent attraper par des voix, des sons, des alimens faux , prouvent que l'instinct n'est pas toujours infaillible; comme malheureusement il y a des marques de faillibilité de la raison dans l'homme. § XLII. Les actions spontanées, excitées d'abord par les appétits, appartiennent a l'instinct proprement inné; mais des actions nécessitées par des circonstances extérieures peu- < 44 ) / vent se rendre habituelles, et constituer un instinct acquis et transmissible : car la modification fréquente et monotone des mêmes actions, amène peu a peu celle des organes y comme la modification des organes amène a son tour celle des fonctions. Et puisque la modification contractée des or- ganes principaux particulièrement, peut se transmettre a la postériié, elle peut donc transmettre aussi la modificabilité des actions spontanées, laquelle est le germe de t'insiiuct acquis. Ainsi, les habitudes des animaux aboiigènes, né- cessitées pas les circonstances externes,ont pu se transmettre avec la modification de l'organisme. « Ainsi, les facultés ac- quises se propagent par la génération et deviennent hérédi- taires » 5 dit Fréd. Cuvier. a. Les animaux ne manquent pas de traditionaliste par laquelle des petits, qui, dès leur naissance, n'ont pas assez de décision, de facilité, ni de précaution dans leurs premières actions ( quoiqu'on en pense différemment ), apprennent par l'exemple , la voix, les attitudes , etc., de leurs païens et d'autres animaux congénères a connaître, a chercher, a saisir, a éviter des objets relatifs à leurs sensibilité, ou, comme on le dit, relatifs a leur conservation. L'expérience donc peut aussi les instruire, selon l'étendue de leur intelli- gence et la durée de leur vie. b. Des animaux sociables, comment pourraient-ils l'être, sans se communiquer leurs idées? N'ont-ils pas les moyens de s'entendre? Les hirondelles accourent pour refaire a la hâte le nid défait d'un autre couple, dont la femelle est prête a pondre, et qui fait retentir l'air de ses plaintes; les fourmis se donnent l'avis d'une provision a piller ; les abeilles s'en- tre-aident pour exporter de leurs ruches les cadavres d'au- tres abeilles, pour attaquer leurs ennemis, etc. Condillac, 'malgré qu'il refuse aux bêtes la faculté traditionale, en par- lant" des signes abstraits, dit : « Or les bêtes n'ont pas, ou du moins ont fort peu l'usage de ces signes. Il convient aussi que les animaux apprennent par expérience. c. «ILestcertaiu (a écrit le profess. GecflYoi St.-Hilaire) que, quoique les animaux naissent avec un instinct déter- mine, ils le modifient pourtant selon que changent autour d'eux les localités et les êtres au milieu desquels ils se trou- vent. » Le prof. Lamarck .a fait une observation allusive a ce propos. ( § XXXV. ) d. Enfin, Jes céphalés en général ner manquent pas de mémoire, d'éducabilité, de faculté délibérative, mais tou- jours élémentaires, plus ou moins avancées, et proportion- nées au petit nombre et a la perfection relative de leurs idées. Les animaux sociables ont des égards réciproques, soit en ne s'offensant pas, soit en se défendant mutuelle- ment contre leurs ennemis, soit en surveillant a la sûreté com- mune , soit en s'entre-aidant dans leurs travaux, etc., et ce ne sont pas des actions tout-a-fait automatiques. Aussi les animaux sociables ont-ils l'ébauche d'une liberté civile? § XL1TI. L'instinct et l'intelligence ne peuvent pas naître des idées innées : ils ont une faculté commune inhérente a l'organisation. Les dispositions et les instrnmens organiques, les causes excitatrices internes et externes, le mécanisme et le but de l'instinct et de l'intelligence en général et de la raison en particulier, sont les mêmes : leur différence ne consiste que dans le nombre, la complication la propor- tion, le perfectionnement, l'énergie, et l'opportunité des conditions organiques et des circonstances extérieures. La grenouille est Carnivore, et sa larve est frugivore; la larve de l'hydrophyle est Carnivore, et son insecte parfait est phytophage : ces deux larves sont tout-a-fait aquatiques, et ses animaux parfaits sont amphibies: c'est parce que,.par leur métamorphose, ils changent les conditions organiques, et par conséquent les appétits de leurs systèmes alimentaires, respiratoires, etc.; en un mot, ils changent leurs habitudes. Le nouveau-né humain commence par être ébloui des inà- pressions extérieurs, a ramper et a marcher eu chancelant, a chercher a tâtons; peu a peu avec révolution de son orga- nisation , il se dispose jusqu'à mesurer la distance des astres, a en évaluer la pesanteur, la densité, etc. Donc l'instinct et la raison ont le même dessein, la5 même base, la progres- sion même de l'organisme. J'aperçois une transition de l'ins- tinct a l'intelligence . et non pas une antithèse d'essence qui puisse les rendre incommensurables. (46) § XLIV. Je suis bien loin d'imaginer et d'énoncer une gradation suivie, une série non interrompue, une progres- sion continue des facultés organiques de l'instinct et de l'intelligence, depuis les plantes, les infusoires, les poly- pes,etc., jusqu'aux Aristote, aux Leibnitz.. Elle est dé- mentie par des interruptions qu'on trouve dans la série des animaux , et même par une sorte d'inversion d'organisation parmi la plupart des plantes et quelques animaux des der- nières classes : ainsi il y a des plantes dioïques et des ani- maux androgynes; il y a des animaux qui se reproduisent par bouture, et des végétaux qui ne se reproduisent que par des œufs ou graines fécondées. Je ne dissimule pas la dis- tance énorme entre l'intelligence de Phomme et celle même de l'ourang, qui lui paraît si contigu par son organisation vi- sible. Je n'ignore pas le vide immense qui sépare la perfec- tibilité de l'homme de celle même des autres animaux verté- brés. Je n'ose pas rapprocher la salutation du corbeau a Au- guste, du panégyrique de Pline a Trajan; ni les talens de l'oiseau-moqueur, de celui de Pylade et deBathille; ni la docilité des chevaux de Franconi de celle des disciples de M. Sicard. Je dis seulement, que le dessein organique de l'intelligence et de l'instinct est le même; quoique l'intel- ligence soit la plus éminente dans l'homme , très-dégradée dans les vertébrés, très-petite dans les insectes, enfin nulle dans les animaux inférieurs : et pour cela, les facultés orga- niques de fintelligence de l'homme et celles des autres ani- maux ne sont pas incommensurables. Du degré le plus émi- rent de la raison au plus bas de l'instinct stationnaire, il y a une progression, plus ou moins interrompue, d'organisa- tion. Enfin toutes les facultés et tous les attributs de l'intel- ligence ont leurs élémens,, leurs rudimens, leurs ébauches plus ou moins composées dans tous les animaux. L'instinct de la construction dans le castor, de la musique dans le serin, de la ruse dans le renard ne serait-il pas une fraction infiniment petite du talent deBonarota, de Rameau, d'Ulysse?. . N'observons-nous pas des gradatious remar- quables de l'intelligence, mrme dans les variétés et les indi- vidus même divers de l'espèce humaine? Un idiot ne peut .( 47} pas comprendre le premier axiome d'Euclide, et Pyîhagoras démontre le fécond théorème ije. Si on remarque quelque perfectionnement stationnaire dans les travaux des abeilles, des araignées, des oiseaux, ne remarquons - nous pas aussi en général un état d'immobilité dans l'esprit des Orientaux? Depuis la fleur dutulipa, depuis le poisson ccbhis, etc., qui pressentent, et annoncent par des mouvemens extraor- dinaires les orages, jusqu'à Halley, qui par une série de calculs prédit le retour des comètes; et depuis les vagisse- mens de l'enfance, jusqu'aux traits pathétiques des Philip- piques et des Catilinaires, on peut apercevoir un jeu tou- jours et de plus en plus compliqué de sensilité; on entrevoit une transition et une progression plus ou moins interrompue de l'instinct le plus automatique au degré le plus transcen- dant de l'intelligence et de la raison. § XLV". Puisque dans les céplialés on retrouve les rudi- mens des facultés et les élémens des fonctions intellectuelles de plus en plus composés, exquis, et parfaits; on peut con- clure que le caractère physiologique privatif de l'homme n'est pas la possession exclusive de quelqu'une de ces facul- tés, mais plutôt le degré le plus avancé d'extension, de com- position , de perfectionnement et de co-ordination de celles* ci, lesquelles conditions constituent la plus grande perfec- tibilité. A. Les autres animaux n'ayant qu'une petite dimension a remplir, savoir, n'ayant qu'un petit nombre d'appétits a satisfaire, d'idées a acquérir, et de mouvemens a exécu- ter, ils ont pu se rapprocher du terme de leur perfectibilité. L'homme, au contraire, parcourant l'asymptote fatale des catastrophes, a bien pu parcourir une grande partie de sa perfectibilité, jusqu'à nos siècles féconds en funestes occa- sions d'exploiter les ressorts nombreux de son intelligence; mais il est encore bien loin de fixer ses habitudes, d'assouvir sa curiosité , d'épuiser son intelligence. 25. Lactance ne distingue l'homme des bêtes, que par le sentiment de la religion; Hutton , et Fréd. Cuvier, par la faculté de réfléchir, Or la religion est suggérée par la réflexion ( 48} même; et celle-ci n'est qu'une formule d'abstraction, dont la faculté démentait e ne manque pas aux autres animaux in- telligens. Ainsi, ces énonciations rentrent dans la mienne; c'est-à-dire, la différence ne consisie que dans le maximum et le minimum d'intelligence ( § XLV ). «. Comme l'idée quelconque de Dieu est le résultat d'un degré élevé de réflexion, elle appartient exclusivement a l'homme; malgré ce qu'un zèle trop outré a dit de la reli- gion des bêtes. Il est facile encore à concevoir , que la per- suasion de l'existence de Dieu s'accroît avec la progression de l'intelligence. L'homme simple de la nature se crée par sa réflexion une idée de Dieu, et une religion; qui cependant peut dégénérer en superstition ou en fanatisme. Un demi-sa- vant, ou méchant peut méconnaître un Dieu, pour détester les absurdités du fanatisme et de la superstition, ou pour trou- ver sous l'athéisme l'impunité de ses crimes. L'homme qui a l'étendue et la profondeur possible des connaissances sur les détails , l'harmonie,.et la magnificence de l'univers , et quia toute la pureté de sa raison et de sa morale, petit sentir l'existence du Créateur. C'est même l'étude de la Nature qui démontre l'existence de Dieu aux Newton, aux Derham, aux Pasqual, pour ne pas m7affliger, à une époque ou une pareille nouvelle aurait pu m'être- très-funeste. — Et que fîtes-vous en- suite? —Je me décidai sur le champ à faire avec mon malheureux enfant le voyage de Paris. J'y vins, conduite par l'espérance. Je visitai les oculistes les plus célèbres. Les uns me dirent que le mal était sans remède; les autres, pour ne pas m'affliger trop cruellement, m'enga- gèrent à venir les revoir au bout de quel- ques années, me faisant espérer qu'à cette époque, il y aurait peut-être quoique res- source. 11 me fallut retourner à mon vil- lage , sans avoir retiré aucun fruit de mon déplacement. Mon fils grandit. Plusieurs fois encore je fis examiner ses yeux, mais (6) toujours en vain. Cependant quelques personnes s'intéressèrent à lui, car i) an- nonçait beaucoup d'intelligence. On le fit entrer à l'institution des Aveugles , où il a reçu 1 éducation la plus soignée. C/est dans cette maison qu'il a été vu par le digne homme qui doit entreprendre aujourd'hui une opération qu'aucun des oculistes de Paris n'a osé tenter. —La cé- cité de Garni est-elle absolue, ou distin- pue-t-il la lumière des ténèbres ?— il distingue la lumière des ténèbres , et même il distingue la lumière d'une chan- delle de celle du soleil. —Il y a des enfans qui apprennent plus facilement à parler que d'autres; cela dépend de plusieurs causes. Garin a-t-il su parler de bonne heure ? —Oh ! sans doute ; jamais enfant n'a eu tant de facilité que lui à cet égard: tout le village en était étonné. Mon (ils, à huit ou neuf mois , parlait aussi bien que d'autres e-nfans à deux ou trois ans, Je m'attendais à cette réponse de la mère Garin. il est dans Tordre, en effet, '( 7 > qu'un enfant privé de la vue exerce da*- vantage son ouïe, qui alors est moins distraite. Or, plus un enfant a de facilité à entendre, à distinguer les sons, plus il doit en avoir à les imiter. Garin, attentif à une conversation dont il était Tunique objet, manifestait/ par l'expression de sa physionomie, sa satisfaction intéi^ieure j et bientôt, se mê- lant à l'entretien y il nous donnalui même sur son propre compte tous les détails qui pouvaient nous intéresser. Il nous-dit que ce qui lui faisait le plus désirer le succès de l'opération que le généreux Forlenze allait tenter sur ses yeux, c'était la satisfaction extrême qu'il éprouverait en voyant sa mère. Depuis ma naissance, ajouta-t-il, elle a tout fait pour moi : elle m'a nourri elle-même ; elle s'est toujours efforcée de me procurer toutes les dis- tractions que pouvait comporter mon état; et de me faire en quelque sorte oiir hlier mon infirmité. Oh ! qu'il me sera doux de pouvoir jouir de sa vue; et de ( 8 ) distinguer par lés yeux tm objet si cher à mou cœur! En parlant ainsi, Garni envoyait sa main tout autour cte lui , et cherchait à rencontrer celle de sa mère. 11 la prit , la serra dans les siennes-, et ce spectacle attendrit toute rassemblée. Je m'approchai de lui, et je lui fis quelques questions sur son état passé. Je fus curieux de savoir si, dans son en- fance , avant son entrée à l'institution des Aveugles , il avait quelque moyen de mesurer la durée élu temps. Il me ré- pondit là-dessus d'une manière satisfai- sante. Dès mon premier âge, me dit-il , j'ai distingué le jour de la nuit, parce quie mes yeux sont assez sensibles à l'impres- sion de la lumière, pour me la faire dis- tinguer des ténèbres. Je m'aperçus donc de bonne heure de la succession des jours et des nuits. D'ailleurs, je fus frappé, dès ma plus tendre enfance, du son périodi- que des horloges. L'attention que j'y pré» lai me fit connaître aisément que l'époque (9) du jour et F époque de la nuit se divisent, par le retour de ces sons, en douze por- tions égales, dont chacune amène suc- cessivement le travail, les repas et le sommeil. Je lui demandai quelques autres dé- tails sur son enfance; il me les donna avec plaisir, et montra qu'il était sensible à •l'intérêt avec lequel je 1 écoutais. Il me dit qu étant enfant, il se promenait assez souvent dans un petit bois dont il con- naissait bien les sentiers; que le chant des oiseaux le remplissait de joie; que depuis il était devenu très-sensible aux impres- sions de la musique, et que le son d'un instrument lui causait un plaisir très-vif. Interrogé sur la manière dont il pouvait distinguer, au premier abord, le sexe et l'âgé des personnes qui l'approchaient, il répondit que le son de la voix ne Je trompait jamais sur l'âge, et que, pour le sexe , il faisait moins d'attention encore au son de la voix, qui est presque aussi doux dans un jeune garçon que dans uiie ( io ) femme , qu'à la nature du discours , qui -est infiniment plus rapide chez les fem^ mes que chez les hommes. C'est seulement par un de ses yeux que Garnij à ce qu'il a dit, peut distin- guer la lumière des ténèbres. D'un coin de cet œil, il distingue même les couleurs très-vives, quand il applique l'œil dessus. On lui a présenté trois bobines de soie: la première garnie de soie rouge, la se- conde de soie orange, la troisième de soie verte. 11 les a successivement appli- quées contre son œil, et a dit: « Voilà >) du rouge. 3 celle-là est une espèce » de rouge 5 celle-ci est d une cou- » leur que je ne puis pas distinguer, » On lui a présenté ensuite plusieurs ob- jets, il n'a pu en distinguer aucun. Le moment dé l'opération approchait. Un silence profond régnait dans rassem- blée tous les cœurs palpitaient d'émo- tion} tous les regards étaient fixés sur l'opérateur. Celui-ci annonça d'abord à Cassent-* C M ) blée que les cataractes liquides et capsu- laires étaient la véritable cause de la cé- cité de Garin. Il observa que l'opération qu'il allait faire sur ce jeune homme pré- sentait d'autant plus de difficultés, que ses deux yeux; par leur mobilité exces- sive, ôtaient à la main de l'opérateur le pouvoir d'agir avec assurance. De plus, la cornée d'un des yeux était dure; les cap- sules étaient adhérentes, il fallait que For- lenze déployât toute l'habileté qui le ca- ractérise , pour réussir malgré des diffi- cultés si multipliées. D une main adroite, il applique l'instrument sur l'un des yeux de Garin, La capsule qui l'enve- loppait cède au rapide effort de la lame affilée; et Garin , ébloui tout à coup par l'éclat du jour, s'écrie : Mon Dieu! QUELLE VIVE LUMIERE! Il est impossible de peindre l'expres- sion que firent ces paroles sur l'esprit et sur le cœur de tous les membres de l'as- semblée; chacun aurait voulu pouvoir interroger Garin, et savoir de lui l'effet (») exact que la lumière et les objets ve- naient de faire sur son organe ;mais on s'aperçut tout de suite que l'impression du grand jour sur un organe qui le re- cevait pour la première fois, ne pouvait qu être douloureuse. Les yeux de Garin furent bandés; et pour les soustraire tout à fait au contact de la lumière, on mit isur la tête du jeune homme un capuchon garni de soie noire. Forlenze annonça qu'on ne procéderait que le sixième jour à la levée de l'appareil; que jusque-là il ne serait point permis à Garin d'exercer son organe; que le jour où l'appareil se- rait levé y les commissaires nommés par le département et par l'Institut pour sui- vre le développement de l'organe de la vue dans l'aveugle-né, pourraient faire toutes les expériences propres à avancer les connaissances physiologiques. Le jour fixé pour la seconde séance ctant arrivé, je me rendis à midi à l'hos- pice des Vieillards; il y avait nombreuse compagnie: les membres du départe- ( ,3 ) ment, les commissaires nommés par l'Institut: Garât, Lebreton , de Trâcy, Halle, et d'autres savans non moins dis- tingués 5 Thouret, Sue , Charles, Hauy, çtc. 5 quelques étrangers d'un rare mérite, tels que Mascharoni, Fabroni, Van- Swinden (i), remplissaient la salle, oit se trouvaient aussi quelques dames. Garin fut bientôt introduit. Il vint, guidé par sa mère \ et jugeant, au parler despersonnesqui F entouraient, qu il était au milieu d'une grande assemblée , il la salua d'un air riant. Alors on le fit asseoir sur un fauteuil, et on commença à lui faire diverses questions. Quelle impression, lui demanda-4-on f fait sur vous la lumière? Je vois répondit-il, une lumière beau- coup plus vive qu avant qu'on m'eût ôté mes cataractes. (i) Ce savant hollandais a rédigé des notes très- exactes sur cette belle opération ; et ces notes manus,- cntes m'ont beaucoup aidé dans la rédaction de cet article. ( »4 ) ■— Cela vous cause-t-il de la joie ou de la douleur? — Pas de douleur une grande joie. \c\Forlenze fit tourner Garin du côte opposé à la croisée, dont on avait ferme les volets et tiré les rideaux, et lui ôta par degrés le bandeau qui couvrait ses yeux. Pendant qu'il y procédait , on fit à Garin la question suivante : Que voyez- vous?— Je vois ,répondil-il, la lumière beaucoup plus forte; elle semble venir de derrière moi. Quand ses yeux furent tout à fait ou- verts, je vois , dit^-il; beaucoup de lu- mière elle est bien grande. On lui présenta, à la distance de deux pieds ou environ, un papier blanc. Il s'écria : je vois du blanc. Il reconnut, à la même distance; la couleur rouge d'un ruban; ce qu il n'aurait pu faire, avant l'opéra- tion , qu'en l'appliquant contre son œil. Un peu après; quelqu'un, sans l'en a ver- C 15 ) tir , remtia la main à une distance de deux ou trois pieds, et Garin s'écria: je vois remuer quelque chose. Ceux qui jouissent pleinement , depuis leur naissance, du bienfaitde la lumière, oublient trop qu'il fut un temps où leurs yeux n'ayant pas encore reçu leur édu- cation y ne pouvaient encore distinguer aucun objet ,et se trouvaient précisément; dans le même cas que ceux de Gar in au moment de l'opération. Pour peu que l'on veuille y réfléchir, il est cependant impos- sible de ne pas reconnaître que l'enfant qui vient au monde , est, du côté de la vue^ comme l'aveugle de naissance que l'on vient d'opérer. Ses yeux sont ouverts; mais ils ne voient que des masses de lu- mière, ils ne distinguent aucune forme; il leur faut du temps avant que ce chaos s'éclaireisse pour eux. (Test le toucher qui les instruit surtout de la forme et de la situation des corps; et voilà pourquoi les jeunes enfans sont si portés â toucher les objets qui les environnent ; ce n'est ( iG") qu'en les touchant qu'ils peu vent appren- dre à les Voir. Aussi G#rin,envoyantsarnainpourla première fois, n'a pas dû la reconnaître; encore moinsaurait-il reconnu celle d'un autre. Incapable de juger de la forme des objets exposés à ses yeux y il a dû l'être aussi de juger de leur distance. Toutes ses réponses aux questions qui lui ont été faites à ce sujet le prouvent invinci- blement. Connaissez-vous quelqu'objet ? lùïa-i> on demandé. —.Non? a-t-il répondu-; mais j'ai vu la cravate du docteur For* lenze. — Comment cela? —-Le voici i Le docteur Forlenze, en pansant mes yeux, était devant moi. Je vois quelque chose} lui ai je dit ;j'ignore ce que c'est 9 mais il y a du blanc et du noir* Alors il ma permis de porter ma main sur le hlaric \jeï aï fait, et en le touchant ,j'ai connu que ce Manc était une cravate. —' Quelle idée vous faites-vous du noir? ^Lcnoirrquand]elevoiS) c'est comme (■»7) quand la lumière disparaît, — Avez- vous à présent uae autre idée de la cra- vate que ci-devant ? —<- iVoft, ne con~ nais la cravate que par le toucher} je ri ai vu que du blanc. Il est aisé de conclure de cette réponse de Garin, que si, dès le moment de topé- lotion, il lui avait été permis de toucher les objets, il ri aurait pas tardé à s'ins- truire 5 mais la nécessité pour les com- missaires d'assister à 1 éducation de son organe; faisait un devoir de lui en dé- fendre l'usage /excepté en leur présence j il eût été impossible sans cela de l'inter- roger avec fruit. Ùurin eut donc en- core une fois les yeux bandés, et Ton fixa un jour prochain pour la suite des obser- vations. Ce jour-là, le jeune homme nous pa* rut encore plus satisfait qu'à la précé- dente séance, Forlenze nous raconta que la veille , comme il lui pansait les yeux , une femme (la mère de Garin ) était dans la chambre. Elle se trouvait à peu près ( *8 ) devafct lui quand il ouvrit les y eut. Oh l s'écria Q&vm>quel est cet objet si grandi si singulier, que je vois la \ oh il y a tant de blanc ? que cela est énorme M3u lui dit que c'était une femme , et celle-ci ayant prononcé quelques mots, Garin, transporté y. s'écria; Dieu ! a est ma mère! • . Il ttous fut; aisé de Juger par nous^- inêxnes des progrès de 'Garin , en écou^ tan t ses réponses aux nouvelles questions qni lui furent faites par lea comniissairesi Voyez-vous quelque chose ? lui deman- 4a-t pu au moment qu'on lui découvrit les >yeax>; Ah. t aJi ! sécria-t-il, voilà qui est drôle ! Je crois voir des corps . . .; ce pourraient bien être des personnesi Puis, les indiquant avec le doigt :.En .voiçiun 1En voilà un autre! ....llf a du blanc} du noir, d'autres couleurs*... JLn voici un om il y & tant de blanc, qu& ce pourraient bien être des fem- mes. ( En effet; il regardait alors madame t$çhimmelpemimkflemme de laaxbas* ( '9 ) sadear dé Hollande, qui faisait partie dè rassemblée.) Il f a beaucoup de noir à coté de ce blanc. ( Ses yeux se portaient alors sur l'habit noir de Vmi^Swinden y assis à côté de madame Schirnmelpen* ninck. ) Je vois du blanc sur ce nmr. ( 11 regardait le visage et laperruque pou- drée de Van-Swinden. ) f Cette dernière parole de Garin né^- chappa point a la sagacité des physiolo^ gistes et des métaphysiciens qui se trou* vaient daias l'assemblée. Elle paraît fri* -vole eu apparence } m&is dans ls fond elle sert, sinon à: décidelr eûtièi&nïeût , du too ras- à éclair cir une questi on d:élicate]} et qui xlivîsedepuislong-téîîips les savans. Suivant Lecat,Buffoa > Condill&c et plu- sieurs autres, nous voyons, en naissant, les objets renversés, et nous ne rectifions cette erreur de la vue que par le secours :du toucher, qui nous accoutume- insensi- blement à voiries objets dans leur vérita- ble situation. Or, si cela était ainsi, Garin Payant pu^, depuis le jaiometitderopérâ-- 1*6) tiôn^ rectifier l'erreur de ses yeux, puis- que le toucher ne lui a pas été permis, il aurait du commencer par voir tous les objets renversés, et, par conséquent / il aurait du se tromper sur la véritable si- tuation de la perruque de F an-Svyinden. Pour mieux constater le fait, les com- missaires montrèrent à Gàrin du rouge et du Manc s«r du noir. Il n hésita pas un seul moment, et désigna fort bien le rang occupé par chaque couleur : ce qui parut une démonstration complète de Terreur de Lecat et de Buffon, et un excellent ar- gument en faveur de la nouvelle doc- trine, suivant laquelle nous voyons na- turellement les objets dans leur véritable situation. Ici, les commissaires ayant présenté à . Garin un chapeau, il s'écria:... Je vois -du nmr9 mm s je ne sais pas ce que c'est. On lui présenta une orange, en lui disant: Que voyez-vous? Il répondit 4 Je vois un rouge-pâle. '—Pouvez-vous distinguer ce que c'est ?—Non,, je ne le connais pas y C $ maîs-cel(?e$t plus petit qu e le corps noir: Onmit deuxoranges à coté l'une de lau^ tre. Garin dit ; Je vois plus de rouge-- pale. On sépara les oranges , en» mettant7 la main entre deux. Il dit alors x J& voip deux rouges^pâles. Les commissaires désirant savoir jus- qu à quel point l'organe delà vue pourrait s'instruire de la forme des corps sans le secours du toucher, présentèrent à Ga- rin un globe et un prisme. Garin en fit fort bien la distinction; il reconnut de plus qu'un disque Manc , ombré pour re- présenter un globe, n'était pas le globe de bois qu on lui avait montré d'abord. Il fit plus : il compta les quinze personnes qui, à une distance de quelques pieds, formaient un cercle autour de lui; ses re- gards , arrêtés sur l'habillement d'une dame, en distinguèrent les différentes nuances. Les progrès de son organe devinrent plus sensibles d'une séance à l'autre. A la cinquième , il se présenta sans guide, (( ^ ). et nous dit qu'il commençait à parvenir marcher seul clans les corridors de Y.hos* pi-ce* En jetant les yeux sur les personnes qui composaient rassemblée, il recnar-v qua qu'il . s'y ■ trouvait quelques dames 5 et comme on lui demanda à quoi il les reconnaissait., il répondit ; C'est parce quelles ont plus de blanc > surtout à la partie supérieure. Charles, le physicien voulut alors égayer un peu la séance : il ôta son chapeau, s'encapuchonna la tête avec un mouchoir blanc, mit un autre mouchoir blanc sur ses épaulesy en forme de fichu | et,.. dans cet accoutrement bi- zarre, vint se placer devant Garin, Ce- lui-ci l'examina long-temps d un air em- barrassé; deux fois il fut prêt à dire de lui : C'est- une femme; deux fois il se retint, et finit par prononcer ces mots en hésitant : Je crois pourtant que c'est un homme. Je pense qu'il est inutile d'entrer ici dans des détails plus étendus sur le compte de G ai in. Je dirai seulement ( ^ ) que son organe sest fortifié peu â peu? et qu'il a été de plûs en plus sensible à l'impressiou de la lumière. La joie que-? prouve Garin en voyant les objets est inexprimable; sa mère la partage. Cette» bonne mère, s adressant à nous d; une voix, attendrie, nous dit ces mots touchans: J'ai pourtant euy avant ma mort > la. consolation d'avoir été, vue par mon fils; il me reconnaît. Garin n'avait pas encore vu le spec-* tacle de la nature; on n'avait pas osé en-: core le placer au grand jour d'une fe- nêtre entrouverte. Quand ou jugea que ses yeux pourraient soutenir l'éclat d'une grande lumière, on lui-montra le jardin r et Forlenze lui fit cette question : Quelle sensation fait actuellement sur vous le jpur? Il m est impossible^ répondit-il, de vous exprimer la sensibilité que f é~ prouve dans tout mon être , en étant entouré d'un jour si beau. En promenant sa vue au loin, Garin distingua les cou-^ leurs du ciel, le rouge qu'il y avait à l'ho^ C *4 ) rjzon, la couleur de la pèlouse, et il prit pour des bâtons les jeunes arbres plantés dans le jardin. L'étonnement dont il pa- raissait rempli frappa tous ceux qui étaient présens; et chacun enviait kFor- lenze la satisfaction bien douce que de* vait éprouver son cœur, en considérant Je succès de son admirable opération. : Cet homme, dont les vertus égalent le talent, mérite d'être placé par les sa- vans à côté de Cheselden, qui, en 1728, eut la gloire d exécuter, à Londres, sur un jeune homme de treize à quatorze ans, né aveugle, une opération sembla- ble, et de Daniel9 qui opéra aussi en France, en iySo; quelques cataractes de naissance. Sans entrer dans aucune discussion scientifique sur le plus ou moins de conformité que ces cliverses opérations ont entr'eiles, je placerai ici quelques détails sur VaveugLe-né de Che- selden , qui viennent à l'appui de ceux que j'ai donnés sur l'aveugle-né de For- lenze* . ( *5 ) : Comme ce dernier, l'aveugle-né de Cheselden , aiprès F opération, eut besoia d'apprendre à voir. Dans les premiers temps, il ne pouvait regarder long-temps de suite. Quand il vit les couleurs pour la première fois , il ne les trouva point telles qu'il les avait crues suivant leurs noms. La vivacité de l'impression qu'il reçut deTécarlate , lui fît juger cette couleur la plus belle de toutes } il se plai- sait à la voir, et le noir lui donnait de Finquiétiide. Il n'avait jamais eu aucune idée de la distance des objets\ il croyait que ceux qu'on lui présentait , quels qu ils fussent , devaient toucher ses yeux, comme ce qui touchait sa peau ( c'était son expres- sion ). Il ne concevait point ce que pou- vaient être la figure ni la grandeur des corps. Il s'était imaginé qu'il n'y avait de beau à voir que ce qui lui avait paru uni et régulier au bout de ses doigts. Il était fort étonné de ce que différentes choses qu'il estimait avant sonopération, ( fl6 } ne lui paraissaient pas fort agréables â 1^ vue. = : :\. '\ Ce ne fût que deux m oi s après avoir été opéré, qu'il découvrit que des ta- bleaux ne faisaient que représenter les corps : car, pendant les premiers temps, il voyait que ces corps y étant touchée sur la toile , devaient lui être repré- sentés tels qu'ils sont en; nature; et, surpris de voir que les choses repré- sentées par la peinture, -rondes ou de quelquautre figure; n étaient qne plates en lés touchant, il demandait assez in- génument lequel dès deux sens le trom- pait , de la vue ou du toucher. Chaque objet nouveau présenté à ses* regards lui faisait un nouveau plaisir, et le spectacle de la nature ne se développa à lui quepeu à péu. Sa vue étant bien affer- mie,, il fit un voyage, dans lequel il eut occasion d'aller sur les montagnes d'Ep* son;, d/oitil pouvait découvrir une grande étendue de pays; et comme il n avait ja^ mais pu juger des distances, son étonne^ 07) ment fut extrême; àprèsçquot, il en parut charmé. Enfin, il conserva line espèce d'avantage , que son aveuglement lui avait procuré: c'était dVler ouhonlui semblait dans l'obscurité , beaucoup plus sûre- ment que ceux qui ont toujours vu clair; et il ne voulait point de lumière pour al- ler la nuit dans la maison. Il est à désirer, pour l'avancement des connaissances humaines, que de sem- blables opérations se répètent, et soient suivies avec soin. Si, comme nous l'es- pérons, Forlenze en exécute bientôt uue seconde, je voudrais que les com- missaires nommés pour y assister, pus- sent communiquer avec Faveugle-né, quelques jours avant 1 opération; je vou- drais aussi que, dans la crainte d'obser- ver avec moins de fruit, e^ d'attribuer à la nature des impressions acquises dans l'intervalle d une séance à l'autre, Faveugle-né fût, dès l'instant de Topé- ration , sous l'inspection et sous la clef des commissaires. C ) :: On me saura gré dé terminer cet article par lai lettre suivante, que Louis Garin vient d'adresser depuis peu à son bienfaiteur: 'm C>9> A l'Hospice des Vieillards, le 5 fructidor an 7. « En sortant de cet hospice, où j'ai » reçu le plus grand des bienfaits, celui » de la lumière, mon cœur doit le pre~ » mier tribut de reconnaissance à celui » qui me Ta donnée, et aux personnes » qui m'y ont prodigué leurs soins. C'est » ici où, à l'âge de vingt-quatre ans? » j'ai vu, pour la première fois , celle qui » m a donné le jour ^ c'est ici où j'ai ap. « pris à connaître le magnifique tableau » de l'univers , à distinguer les couleurs » et les formes des corps. Cette époquç » de ma vie a été celle de mon bonheur, » d'un bonheur qui s'accroît chaque d jour, et qui ne peut être senti que par » un être, comme moi, arrivé à l'âge de » la raison , avant d'avoir pu exercer le » plus précieux des sens...... Mais vous, » citoyen Forlenze, à qui je dois un « hienfaitaussi inappréciable; vous dont ( 3? )• » l'humanité et les attentions égaleraient »< votre habileté dans votre art, si dans » votre art vous pouviez avoir des égaux, » par quelles expressions vous témoigne- » rai-je ma reconnaissance?...'.. Je n'ai » qu'un regret : c'est que la nature, qui » m'avait privé du jour que je dois n à votre habile main , ni ait aussi privé »; de la fortune et des moyens de l'acquêt » rir,. C'est dans mon cœur que vous » trouverez votre récompense. à . "/ . ' 'Signéy Lo-uis:. G-ARrN-.. « 1 Louis Gàrîn, en quittâût l'hospice des Vieillards, s est retiré au sein de sa fa- tnillë, oh il passe sès jours dans une jouis- sance continuelle. ■('Si ) AUTRES EXPÉRIENCES. a" deuxième'expérience à été faite, en mai 1796, dans l'hôpital de Lucerne; en Suisse; sur &ne tille âgée de 23 ans, opé- rée des deux yeux, en présence des mem- bres de la Faculté de médecine, qui, complètement satisfaite, agrégea le doc- teur Forlenze au nombre de ses mem- bres. La troisième a été faite à Amsterdam, en 1798 , sur mademoiselle Rysendaal, âgée de 12 ans, opérée de l'œil droit, de- vant une commission de savans, prési- dée par le célèbre Wan-Swinden. La quatrième a été faite,à l'hôpital de Dijon , en 1801, sur un jeune homme %é de i6vanâ, p^éiç de l'œil gauche. (3.) La cinquième a eu lieu à l'hôpital d'A* niienâ, eu 1807 , sur une jeune fille âgéô de 14 ans , opérée de l'œil droit* La sixième, à l'hôpital de Rouen, sur Antoni Pichaud > âgé de 36 ans, opéré des deux yeux, en 1807* La septième, à Lyon, en i8i4^sur mademoiselle de Préville, âgée de di$ ans, opérée de l'œil droit. La huitième, à Avignon, en 1815, sut* M. Crose,âgé de 20 ans* Le sujet de cette observation i ayant été précédemment opéré à Lyon par un oculiste qui avait laissé les capsules , le docteur Forlenze crut ne devoir tenter une seconde opé- ration que sur un seul œil y et fitl'extrac- tion de ces capsules. La neuvième, à l'hôpital de Nîmes 3 en 1815, sur Sanier, âgé de 15 ans, opéré de l'œil gauche. , La dixième, àThôpital de Carcassonne, en i8i5, sur les deux frères Ghapuis. dont J'un âgé de >4 ans, et l'autre de 12 C 33 ) m& y opérés,T'un de Tœil droit, l'autre de l'œil gauche. La onzième , à l'hôpital de Rennes, en 1816, sur mademoiselle Chéraux ± agee de i3 ans, opérée de l'œil droit. La douzième, à F hôpital de Nantes, en ï8i6, sur Marie Godais, âgée de n ans, opérée de l'œil droit. La treizième ; à l'hôpital d'Ântgers, en ï 816 y sur Batelier, âgé de 26 a as, opéré de l'œil gauche; le cristallin était o^silïé à et l'œil droit perdu sans ressourcé. La quatorzième, âa,m le même hôpi- tal -, et la même année, sur Marie Gaehet âgée de 11 an s, opérée de Y œil gauche. • La (juinzièule, àrhôpital civil de Stras- bourg, le ^7 avril ?§t^ ( $u présence de? com missaires de la Fac ulté de médecine, -nommés par le. préfet po#r; faire des ex- périences physiologiques;, de concerÇ avec M, le docteur Forlenze ), sur Da- vid 'Baumann, âgé de 16 ans, opéré des deux yeux. h% seizièrfcié, dans le même hôpital > { 34 ) sur Catherine Eruwein, âgée de ansV opérée des deux yeux. La dix-septième, à l'hôpital de €ol- xiiar, le i o septembre 1817, sur Martin. Bùrglin , âgé de 32 ans, opéré des deux yeux. La dix-huitième, dans le même hôpi- tal , sur Joseph Welter,, âgé de 21 ans, opéré de l'œil droit seulement, les ra- vages de la petite-vérole ayant ôté tout espoir de lui donner la vue de l'œil gauche. La dix-neuvième, dans l'hôpital d'Auch, au mois de juin iS 18, sur Jean Abeille, âgé de 15 ans , opéré des deux yeux. La vingtième , dans l'hôpital de Mont- de-Marsan, au mois d'août 1818, sur Marguerite Taris , âgée de 19 ans, opé- rée de l'œil droit seulement, le gauche étant perdu sans ressource. La vingt-unième, dans le même hô- pital, sur la nommée Tite, âgée de 16 ans? opérée de l'œil droit. La v ingt-deu&ième, à l'hôpital de Bar* C 35 ) Ïe-Duc, au mois d'avril 1819, sur Jean Devaux, âgé de 5o ans, opère de l'œil gauche, Tœil droit étant perdu- La vingt-troisième, à Dijon, au mois de juillet 1819, sur Melle. Raclât,âgée de 18 ans opérée de l'oeil droit seulement; La vingt-quatrième , à l'hôpital de Di- jon , à la même époque y sur Reine Sor- del, âgée de i4 ans, opérée d'un œiL La vingt-cinquième? à l'hôpital de Mâcon, en juillet 1819, sur Jean Du- migueux, âgé de 18 ans, opéré d'un œil seulement. La vingt-sixième, à IBôpital de Bourg, au mois d'août 1819,sur Claudine Per* raud, âgée de 2a ans* La malade, à l'âge de 12 ans, avait été opérée des deux yeux à rhôpitaldeLyon, par la méthode d'abaissement ou dépression : à la suite de cette opération^ l'œil droit s'étant pa- ralysé , le docteur Forlenze n'a pu opé- rer l'extraction que sur l'œil gauche, qui avait été moins maltraité. Le succès a été complète. ( 56.) La vingt-septième, à l'hôpital de Mar- seille, (tans le courant de novembre 1819^ sur Claire Renaud, âgée de 22 ans, opé- rée des deux yeux. La vingt-hui tième, dans le même hôpi* tal, sur Jean-Dominique Gired., âgé de à3 ang , opéré des deux yeux. La yingtiieuvième , dans le même hô- pital, sur Pierre Grand jean, âgé de 17 ans, opéré d'un, seul eeii. La trentième , dana l'hôpital de Tou- lon, dans le mois de février 1820, sur Marié-Elisabeth Donadai, âgée de 22 ans , opérée de l'œil gauche seulement r l'opération ayant été pratiquée par un oculiste, quatre ans auparavant, sur l'œil droit, et ayant été suivie de la perte com* plète de cet œil. La trente-unième, h Toulon, sur M. An- dré G astinel , de Draguignan , âgé de 4^ ans, opéré de Vœil droit. La trente-deuxième; dans la même ville; sur M. Aquaron, âgé de 48 ans> opéré des deux yeux. La cataracte de ( 57 ) l'œil gauche était ossifiée} celle dé T œil droit était vasçulaire. Le trente-troisième, enfin , dans Tb.ôr pital de Valence , le 5 mars 1820 , sur Jean Rosiers , âgé de 16 ans, opéré des deux yeux. Toutes ces opérations de cataractes de naissance ont été pratiquées devant les autorités locales, et en présence des Sociétés de médecine etdessavansréunis. Le compte en a été rendu à Son Excel- lence le Ministre de l'intérieur par MM. les préfets respectifs. Les expériences méthaphysiques qui en ont été la suite, donnent pour résul- tat que jusqu'à présent on n'a pas eu des idées bien précises sur celles qui ré- sultent des sensations de la vue, et que l'observation , très-incomplète, de Che- selden , faite à Londres, et dont se sont uniquement servis Locke, Bonnet, Con* dillac y etc., n'a pu les préserver des hypothèses qu'ils ont mises à la place (38) des faits, dont la science, dans son état actuel, réclame impérieusement le réta- blissement. Par le Dr, JL FORLENZE, Chirurgien-oculiste detous le&lio* pitaux yétablissernens de bien- faisance , et des collège & royaux de France > Membre correspon- dant de plusieurs Sociétésr sa- vantes ) tant étrangères que ré~ gnicoles. (39) Lettre écrite par M. le Maire de Tou- lon au Rédacteur du Moniteur. Toulon ? le 12 février 1820. Le'département du Var vient de se ressentir des nouveaux effets de la bienfaisante solli^ ci rude du Gouvernement, par la tournée que vient d'y faire M. le docteur Forlenze, de- puis long-temps célèbre oculiste des hôpi- taux et établissemens du royaume. L'annonce de son arrivée à Draguignan, par M. le préfet, avait versé toutes les dou- ceurs de l'espérance dansPame des infortunés aveugles des contrées environnantes; il j était attendu avec la plus vive impatience y et ils Pont j alternent accueilli 9 le 14 décem- bre y aveo joie et confiance. Quoique^ parmi le grand nombre de sujets d^s deux sexes et de divers âges qui lui ont été présentés, il en ait reconnu beaucoup d'incurables, 25 opérations de cataracte par .extraction ont néanmoins été exécutées, le % janvier f dans l'hospice de Draguignan, en (4o )" présence de M. le préfet, d'autres autorité^ et de plusieurs citoyens recommandables. Tous les opérés jouissent actuellement des précieux avantages de la vue* 11 s'est ensuite rendu à Toulon le a i jan- vier: un grand nombre de sujets y ont été. soumis à son exartien, dans Tune des salles de Thospice civil; mais trois seulement ont été jugés susceptibles d'une opération heu- reuse, au nombre desquels une fille âgée de 22 ans , aveugle de naissance par deux cala^ ractes: tous jouissent aujourd'hui du bien- fait de la lumière. D'autres opérés en ville, parmi lesquels un autre sujet âgé de 48 ans, aveugle de nais- sance par deux cataractes, dont l'une s'esfc trouvée ossifiée , quoiqu'ayant présenté les plus grandes difficultés que l'art puisse ren- contrer, assurent déjà les mêmes succès. Les opérations de l'hospice civil et une en ville, sur un sujet de 45 ans, aveugle encore de naissance par deux cataractes, ont été faites en présence de M. le Maire, de plu- sieurs autorités, fonctionnaires civils et mi* litaires; il n'est point de connaisseur, témoin impartial de ses procédés, qui puisse ne pas convenir que cet habile operateur, par sà ( 4i X' ^ure dexlérité; par l'aplomb imperturbable^ les ressources variées par lesquelles il est tou- jours prêt à vaincre les obstacles qiie l'âge, l'indocilité des malades, le caractère des ma- ladies, leurs circonstances aggravantes, etc. 7 lui opposent, ne présente cet ensemble pré- cieux de rareis q^alitçs qui èonstitue le talent du premier rang, Le Maire de la ville de Toulon, Officier de VOrdre royal de la Légion d'hon- ■;\ . mur% ■ 'v GIRARD. ■J (40 Extrait d'une lettre écrite à le Docteur Forlenze, par M, Gastinel} Qi>eugle de naissance. Draguignan i le 4 avril 1820; je suis de jour eu jour plus con- tent de mon oeil j j'ai déjà vu des choses dont jene m'étais jamais douté. Quel Service vous m'avez rendu ! vous m'avez donné une nou- velle vie: aussi j'ai et j'aurai pour vousj tant que je vivrai, les sentimens du liis le plus tendre J'ai besoin d'apprendre à marcher j car je suis tellement occupé de tout ce que je vois autour de moi, que j'oublie souvent de regarder où mettre les pieds. * GASTINEL. RECHERCHES PHYSIOLOGIQUES SUR L'ENTENDEMENT, PAR P.-N. GERDY, Professeur à la faculté de médecine de Paris, chirurgien de l'Iiôpital de la Charité, membre de l'Académie royale de médecine. Extrait des Annales médico-psïchologiques. Cahier de Mai 1845. DE LA GÉNÉRATION ET DU DÉVELOPPEMENT SUCCESSIF DES FACULTÉS, ET DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT, LU A L'ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES, EN AOUT 1842. J'aborde un sujet neuf et difficile; j'ai donc besoin d'indul- gence, et je la réclame sincèrement. Je puis m'égarer, mais je ;uis tout prêt à rétrograder, si l'on veut bien m'éelairer et me irer de l'erreur. Je cherche la vérité de bonne foi, et je rc- nercierai, toujours, avec reconnaissance ceux qui daigneront ne la faire voir. Je m'occuperai, d'abord, du développement de l'intelligence 1 2 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT dans la première enfance, depuis le moment de la naissance jus^ qu'à l'âge de trois ans \ je décrirai ensuite son développement et ses progrès dans la seconde enfance T depuis l'âge de quatre ans jusqu'à la puberté. DÉVELOPPEMENT DE L'INTELLIGENCE DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 11 y a un moment, dans la vie de la femme, c'est dix, douze jours après la conception, où l'ovule, l'œuf membraneux qui doit servir de berceau à l'enfant y dans le sein de sa mère, consiste en une vésicule transparente, gélatiniforme, à peine visible. On y chercherait vainement, alors, les traces de l'enfant qui doit s'y développer bientôt. Est-il nécessaire de dire qu'à cette époque, il n'y a pas plu& d'intelligence que d'homme dans le berceau de l'humanité? Un peu plus tard, le fœtus commence à poindre à la surface interne de la vésicule, des vaisseaux s'y forment, une circula- tion s'y établit; on n'y distingue aucun autre organe, même en s'aidant du microscope qui en montre les éléments globulaires. Mais ce germe, si simple, est doué de la faculté d'acquérir d'au- très facultés, de la faculté de développer successivement tous les organes de l'homme et toutes les facultés de l'intelligence la plus élevée; en sorte qu'à cet état de simplicité, le germe humain peut renfermer les plus hautes destinées de l'avenir, les destinées d'un Alexandre ou d'un César, d'un Charlemagne ou d'un Na- poléon. Un peu plus tard, se montre le système nerveux, qui doit être, un jour, le théâtre des phénomènes de sensation et de percep- tion : mais à ce moment ces phénomènes n'existent pas encore. Quand le développement des systèmes nerveux et musculaire est achevé, mais que le cerveau est encore d'une extrême mol- lesse, l'enfant s'agite quand on le presse dans le sein de sa mère, quand il reçoit un coup, probablement parce qu'il en souffre DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 3 ou en éprouve de la gêne. A-t-il alors la conscience de ces sen- sations? en a-t-il une idée quelconque? est-il, sous ce rapport, plus avancé que k sensitive qui ferme ses feuilles et replie ses rameaux et ses branches lorsqu'on l'irrite? Je n'oserais pas l'af- firmer. A la naissance même, il me paraît plus stupide, encore, que le dernier des animaux, car les derniers des animaux sa- vent mieux que lui chercher leur nourriture. Il suce alors le sein qu'on lui présente, comme il respire par des mouvements tout instinctifs, tout irréfléchis. Par une prévoyance intelligente et toute maternelle, la nature a lié si étroitement ces mouvements aux besoins de respirer et de se nourrir, que l'enfant respire et exécute involontairement, a chaque instant, des mouvements de succion. Il les fait, même sans rien avoir entre les lèvres, mais surtout quand il y sent un corps quelconque , le mamelon ou le doigt de sa nourrice. A peine ses besoins sont-ils satisfaits, à peine ses souffrances sont-elles apaisées, qu'il se rendort, son intelligence impuissante n'ayant rien à voir encore dans l'univers qu'elle ne peut comprendre, et manquant même de la plupart des sens pour l'éclairer. En effet, l'enfant à la naissance n'a guère que la sensibilité qui lui donne la faim et la soif, que la sensibilité physique gé- nérale pour sentir la douleur et les mouvements qu'on peut lui imprimer, que la sensiblité gustative pour sentir les saveurs qui lui sont agréables ou désagréables; et, assurément, s'il est doué de la sensibilité tactile, qu'il ne faut pas confondre avec la sen- sibilité physique générale, il est incapable de distinguer les di- verses qualités tactiles des corps. 11 n'a encore que la faculté de percevoir, confusément, les sensations que lui fournissent ces di- verses sensibilités; il n'y distingue que de la peine, du plaisir, ou des impressions auxquelles il est indifférent; il n'y aperçoit aucun objet, et son intelligence est complètement ude d'idées, du moins je ne sache pas que personne ait jamais donné une preuve évidente et incontestable du contraire. Cependant je dois dire qu'à l'exemple des derniers animaux , des polypes, des ac- 4 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT tinies, qui s'emparent de tous les^corps que le hasard présente à l'ouverture de leur bouche, pour les rejeter un instant après si ces corps ne leur conviennent pas, l'enfant saisit avec avidité tous les objets qu'on lui offre et que ses lèvres peuvent em- brasser; qu'il les repousse s'ils lui déplaisent; qu'il détourne même la bouche, et finit par crier, et par crier avec une vio- lence croissante si l'on persiste à lui présenter l'objet qu'il a déjà repoussé, le sein eu le biberon, qu'on veut lui faire accepter^ Indépendamment de la faculté de percevoir de la peine ou du plaisir, il a encore celles de se mettre en colère et de vou- loir. Comment comprendre autrement les faits si connus que je viens de raconter? Mais l'enfant a-t-il déjà des perceptions assez claires pour qu'on puisse dire qu'il a des idées, et peut-il en conserver le souvenir? Je ne le pense pas ; ce n'est que plus tard que j'en trouve des témoignages évidents. De l'ensemble de ces faits il suit que l'intelligence est ab- solument nulle dans les premiers temps de la conception, où l'homme n'est qu'un germe invisible dans les parois transpa- rentes de la vésicule qui doit lui servir de berceau; qu'elle pa- raît nulle ou profondément assoupie dans le reste de la vie intra- utérine. Je conçois même difficilement que le fœtus, tenant à sa mère par les racines vasculaires de son cordon ombilical 7 plongé dans le fluide de l'amnios, où il flotte, comme les plantes des eaux, puisse y recevoir des impressions assez variées et assez distinctes pour que son intelligence s'éveille. Jl suit aussi de ce que nous venons de dire que l'intelligence qui ne fait que poindre à la naissance, se révèle et commence par des perceptions premières de peine ou de plaisir qui ne lui donnent pas la connaissance des choses; qu'à ces émotions de peine ou de plaisir en succèdent d'autres qui sont toutes des es- pèces de mouvements ou d'agitations de l'âme. Nous verrons, plus tard, que l'entendement entre en exercice de la même manière chez l'homme adulte. Il résulte enfin de ce que nous avons dit qu'à la naissance DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 5 même, on ne distingue, dans l'entendement, que quelques fa- cultés intellectuelles; que les phénomènes qui en sont les symp- tômes ne se manifestent qu'après les organes qui en sont le théâtre, et ne se développent que successivement, comme toutes les autres facultés que la physiologie fait connaître dans l'écono- mie animale, à un âge plus avancé. Le développement successif des facultés de l'intelligence est donc lié à une loi générale pour toutes les facultés de la vie. Cette loi, que je ne puis démontrer ici, révèle une des grandes unités dépensée, qu'on rencontre, à chaque instant, dans tes êtres organisés, et prouve l'influence du physique sur le moral. L'enfant, à la naissance, est donc un être imparfait et incom- plet qui périrait bientôt, si la nature, en brisant dans l'accou- chement les liens matériels qui l'unissaient à sa mère, n'eût, par une sagesse où éclate encore l'intelligence la plus profonde, rattaché la mère à l'enfant par l'affection la plus tendre, par la sollicitude la plus vive, et conséquemment par des liens moraux aussi puissants que les liens physiques qu'elle venait de rompre pour toujours. Mais comme le développement ou l'accroissement de l'enfant est rapide, bien qu'il soit toujours trop lent aux yeux des parents, l'enfant donne bientôt des signes évidents de mémoire. Si on le berce ou qu'on le promène sur les bras pour apaiser ses cris ou pour l'endormir, il finit bientôt par saisir ce rapport de succes- sion , par observer que lorsqu'il crie on le berce et on le pro- mène. Aussi, tandis que dans les premiers temps il ne s'apaise que lentement et graduellement par le plaisir qu'on lui procure, quand il l'a éprouvé assez souvent pour en conserver le souvenir, il se tait aussitôt qu'on le prend pour le promener ou que l'on commence à le bercer, parce qu'il juge du présent par le passé. Il est impossible de distinguer le moment où l'enfant peut apprécier les qualités tactiles des corps, leur température , leur sécheresse, leur consistance , et je n'ai aucune preuve qu'il y 6 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT parvienne avant de distinguer par la vue les caractères des objets. Les mouvements de ses mains semblent subordonnés à ses yeux, du moment qu'il jouit évidemment de l'usage de ces organes, et il ne paraît se servir de ses mains pour toucher que lorsque ses yeux ont éveillé sa curiosité. Il est difficile de distinguer le mo- ment où il acquiert la faculté de voir et d'entendre, parce que ces facultés, nulles d'abord, ne se développent, comme toutes les autres, que graduellement. En effet, il est fort douteux qu'il distingue le jour d'avec la nuit, au moment de la naissance. S'il ferme, parfois, les yeux, lorsqu'on le soumet à une lumière vive, il est difficile d'en rien conclure, parce qu'il les ferme à tout instant, et que d'ailleurs j'ai trouvé toujours ses pupilles immo- biles. Or, cette immobilité de l'iris est un caractère de l'insensi- bilité de la rétine à la lumière. D'ailleurs, si l'enfant est déjà sensible à son influence, il ne peut pas plus distinguer les objets que l'homme affecté d'une amaurose presque complète et qui ne distingue plus que le jour et la nuit; ses yeux toujours errants ne se fixent sur aucun objet, et n'en suivent pas les mouve- ments. L'ouïe, d'abord insensible au son , à la naissance > devient peu à peu sensible aux sons très forts, ou très aigus, avant de l'être aux sons modérés. Jusqu'à quel point l'enfant a-t-il con- science de ces sensations obtuses, jusqu'à quel point les distingue- t-il et peut-il s'en souvenir et les apprécier? C'est ce qu'il nous est impossible de déterminer. Ses perceptions sont-elles assez nettes et assez claires pour qu'il puisse en concevoir des idées proprement dites? C'est encore ce que nous ne pouvons dire; mais il est probable que tontes ces perceptions sont encore fort obeurcs alors et fort confuses, parce que l'intelligence est aussi imparfaite et aussi peu avancée dans son développement que la sensibilité des sens, et que les facultés intellectuelles paraissent se développer en même temps que les facultés sensitives; mais celles-ci arrivent beaucoupplustôt à leur développement complet, il y a donc encore une harmonie intelligente, pleine de sagesse, dans ce progrès des sens et de l'entendement. A quoi servirait DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 7 pour l'enfant d'avoir l'intelligence toute-puissante quand les sens sont impuissants, ou d'avoir des sens délicats quand l'in- telligence est obtuse ou complètement nulle? Le développe- ment de l'odorat est plus obscur encore que celui de la vue et de l'ouïe, mais comme il éclaire beaucoup moins l'intelligence que la vue et l'ouïe, son développement nous intéresse beaucoup moins. Condillac fait donc une description tout imaginaire de la génération des idées, quand, supposant une statue qui acquiert successivement chacun des sens, il lui donne tout d'un coup des sens parfaits et une intelligence capable d'analyser avec sagacité ses sensations et de raisonner comme un philosophe. Les faits ne se passent point ainsi dans la nature. Il commet une autre erreur quand il décrit les sens comme se développant tous, l'un après l'autre, car la sensibilité physique générale et le goût sont déjà développés à la naissance ; la vue, l'ouïe et le tact se déve- loppent un peu plus tard, mais à peu près en même temps; l'odorat, au contraire, paraît ne se développer qu'après. Sous ce rapport, Condillac a procédé contrairement à la nature, en dotant, d'abord, sa statue du sens de l'odorat. Il s'en est encore écarté en séparant, par trop complètement, Tune de l'autre les influences des différents sens qui agissent souvent de concert pour éclairer l'intelligence. Lorsque les sens sont assez parfaits pour fournira l'entende- ment des sensations vives et nettes, l'entendement, ne se déve- loppant pas aussi rapidement que les sens, ne peut avoir encore une conscience bien claire de ces sensations. Néanmoins ses perceptions doivent être moins confuses, mais il lui est encore impossible de se faire une idée des êtres ou des corps et de leurs phénomènes. L'idée des corps et de leurs phénomènes est complexe et comprend la connaissance de leurs caractères , c'est-à-dire de leurs manières d'être , de l'étendue, de la forme, de la couleur, de la consistance, etc. , etc. , qui les •distinguent les uns des autres. Mais pour s'élever à cette notion^ $ DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDElY/ENT il lui faut avec des sens très développés, sinon parfaits, une intelligence qui en soit capable. Aussi, dès qu'il en est doué, il { eut acquérir l'idée d'une partie des caractères des corps et de leurs phénomènes. Il acquiert ces idées abstraites d'abord, quoique son esprit les conçoive séparément et abstractivement des corps, parce que ces idées sont plus simples que les idées complexes des corps. Il y arrive par l'analyse, c'est-à-dire en considérant, successi- vement et à bien des fois les caractères des corps et des phé- nomènes qui le frappent le plus et sont le plus à la portée de ses sens. Cette observation est une des belles découvertes de Condillac; et quoiqu'il n'en ait pas tiré toutes les conséquences qu'il pouvait en déduire pour créer Fart d'étudier, elle fait trop d'honneur à la philosophie frauçaise, aujourd'hui si ra- baissée , pour que je puisse résister au plaisir de la rappeler avec fierté. ï/enfant ne peut guère commencer eet immense travail d'a- nalyse que de trois à quatre mois, mais ses progrès seront d'autant plus faciles et plus rapides qu'il sera plus aidé par l'in- telligence de sa nourrice, son premier maître. Sous ce rapport il y a une grande différence dans la première éducation des en- fants, et les résultats qui en sont la suite sont également très différents. Voyons donc comment chaque sens concourt à lui faire con- naître les caractères des corps et de leurs phénomènes. Quoi- qu'il semble que, parmi les caractères des corps, leur consis- tance, le poli de leurs surfaces, les divers degrés de leur température soient les premiers caractères qui doivent frapper l'intelligence de l'enfant, par l'intermédiaire du sens du tou- cher, il est probable que s'il peut distinguer d'abord ces ca- ractères , avant de pouvoir distinguer par la vue les autres caractères des corps, son intelligence en retire peu de lumière. Il ne doit distinguer encore que des sensations différentes, sans pouvoir en déduire la conséquence qu'elles lui viennent de ce DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 9 qu'il touche des corps différents les uns des autres, quand ces propriétés appartiennent à différents corps. Bien que le tou- cher puisse lui fournir des idées de nombre, de situation, d'étendue, de direction et de forme , il n'est pas probable que les notions que l'enfant en reçoit lui inspirent assez d'intérêt et de curiosité, s'il ne distingue encore aucun des caractères visi- bles des corps, pour l'engager à examiner avec attention les pro- priétés tactiles dont je viens de parler. Le toucher, je l'ai déjà dit, ne devient évidemment actif que lorsque l'enfant jouit du sens de la vue. La vue semble, souvent alors, lui inspirer de l'étonnement et la curiosité de toucher les objets qu'il aperçoit; c'est alors , du moins, qu'on le voit tendre à chaque instant les bras, et di- riger les mains vers les objets qui frappent ses yeux. C'est alors aussi que l'entendement acquiert, évidemment, une faculté nou- velle qui ajoute beaucoup à sa puissance, et ouvre une nouvelle ère à son activité , l'attention. Par elle il peut volontairement appliquer d'une manière plus forte et plus soutenue ses facultés de percevoir, de se souvenir et déjuger à l'examen des sen- sations. Je crois donc que la curiosité et l'attention ne viennent à l'en- fant qu'avec la vue nette des objets. C'est à cette époque, de trois à quatre mois, qu'il commence à distinguer sa nourrice, à répondre à ses caresses et à ses ris par ses ris et sa gaieté. La joie et la gaieté sont donc encore deux émotions nouvelles qui animent déjà son âme. Malheureusement elles n'y sont venues qu'après celle de la colère; mais bientôt, par une heureuse compensation, l'amitié et la reconnaissance pour sa nourrice s'y développeront à leur tour. Malheureusement encore , l'égoïsme s'y manifestera clairement aussi. Mais il y règne depuis les premiers jours de la naissance, et c'est le sentiment auquel on doit rapporter en partie ces témoignages de colère que l'enfant donne, pour ainsi dire, dès les premiers jours. Quoi qu'il en soit, les premiers caractères qui me semblent 10 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT devoir frapper son attention, dans les corps, sont ceux de leur nombre, de leur situation respective, de leur étendue, de leur direction, de leur forme, de leur couleur et de leur structure. Mais bien que leur nombre le frappe et puisse fixer son attention, il ne peut en avoir qu'une idée fort confuse ; car plusieurs années après la naissance il peut, quelquefois, à peine compter jusqu'à dix, bien même qu'on lui ait donné quelques leçons à cet égard. Il en est de même de la situation des objets qui font partie d'un ensem- ble de corps, il n'en acquiert qu'une idée vague; et comme on ne la lui fait point observer méthodiquement et complètement, il se borne à remarquer que les fenêtres d'un appartement en occupent tel côté; mais il ne sait pas observer d'abord et successivement ce qui est à droite et à gauche des fenêtres, à quelles parties de l'ap- partement celles-ci correspondent par en bas, de combien elles sont éloignées du plafond ou du plancher; si elles regardent le nord ou le midi, le levant ou le couchant, parce qu'il est complète- ment incapable de suivre et d'imaginer une méthode aussi sa- vante. Et comment le pourrait-il? L'illustre Condillac, après avoir observé qu'on n'apprend par soi-même qu'en analysant, n'a jamais songé, lui-même, qu'il fût nécessaire et possible de tracer des règles pour diriger l'esprit dans l'analyse; en sorte que l'art d'étudier manque encore d'une méthode si importante et si précieuse. Je ne connais sur ce sujet que celles que j'ai pu- bliées dans l'introduction de ma physiologie. L'enfant ne se fait pas d'abord d'idées plus exactes de Y éten- due des corps. Il voit bien leur hauteur et leur largeur, mais il ne lui vient pas à la pensée d'en examiner aussi l'épaisseur. Il le ferait par hasard, qu'il ne pourrait mesurer toutes leurs sur- faces pour en calculer rigoureusement l'étendue totale. Il en est de même de la direction des corps. Il aperçoit bien qu'un arbre s'élève perpendiculairement vers le ciel, ou qu'il s'incline légèrement d'un ou de plusieurs côtés à la fois, mais il ne pense pas à étudier toutes ces inclinaisons, et il n'a ni l'idée, ni les moyens d'en mesurer les degrés avec exactitude. DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. î i Il ne peut pas être plus habile pour étudier la forme des êtres, car c'est plus difficile encore. Il faudrait qu'il mesurât l'étendue de chacune des surfaces, leurs inclinaisons et leurs angles, à la manière des mathématiciens, ou qu'il observât celte forme à la manière d'un sculpteur, en la regardant, avec attention , par tous ses côtés successivement. Il distingue donc plus vague- ment les formes des corps que leur étendue et leur direction , par cela même que ce caractère est plus complexe, et je dois ajouter parce qu'il change suivant la perspective, suivant la dis- tance et la direction de l'observateur par rapport aux corps. Il lui est beaucoup plus facile de prendre une idée précise de leur couleur, et il doit y arriver bientôt, malgré les variations que la lumière et les ombres y apportent. Il n'en est pas de même de la structure. Comme il faut bri- ser, couper, déchirer les corps pour observer l'arrangement in- térieur de leurs parties, et qu'il faut suivre une analyse très méthodique et très éclairée pour étudier cette disposition inté- rieure , l'enfant n'en peut prendre que des idées très imparfaites. Aussi l'enfant ne peut avoir que des notions très incomplètes sur les caractères visibles des corps. Quand il a l'odorat et le goût suffisamment développés, il pourrait s'en servir avec plus de succès que de la vue, s'il en faisait autant d'usage que de ses yeux. Les odeurs et les saveurs sont des caractères beaucoup plus simples que les carac- tères visibles, celui delà couleur excepté. Il n'est pas besoin d'au- tant d'intelligence pour les distinguer. Néanmoins l'expérience prouve qu'il faut encore une assez longue habitude, car on ne devient pas plus en un jour un bon dégustateur de vins et de liqueurs, qu'on ne devient un parfumeur exercé. Mais si l'odo- rat et le goût ne lui fournissent que peu d'idées, le goût lui in- spire de bonne heure la passion de la gourmandise. L'ouïe ne peut rien apprendre immédiatement à l'enfant sur la disposition matérielle des corps; mais à un âge plus avancé , l'enfant pourra s'en servir avec avantage pour savoir si un corps. 12 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT esl creux et renferme des gaz ou des liquides. Il le pourra en per- cutant ce corps pour apprécier sa sonorité. L'enfant, à cet âge, ne peut apprécier, non plus, qu'un petit nombre de caractères dans les phénomènes des corps, et il ne peut les apercevoir, les observer que dans un petit nombre de phénomènes. Mais quels sont les phénomènes qui frappent le plus ses sens? Il est difficile de répondre d'une manière certaine à cette question, c'est même impossible; mais il y a des proba- bilités pour croire que ce sont les phénomènes de la lumière et de la chaleur, les mouvements, le bruit et les sons. Il n'est pas probable qu'il ait une idée, un peu claire, d'aucun de ces phéno- mènes avant d'en avoir aperçu les causes par les yeux. Il a bien senti du plaisir lorsqu'on le berçait ou qu'on le promenait sur les bras dès les premiers jours de sa naissance; il a bien senti une impression pénible de froid lorsqu'on le changeait de vête- ment , mais probablement il n'en concevait qu'une sensation de plaisir et de peine; assurément il n'avait pas la moindre idée des causes qui lui procuraient ces sensations. Il ne doit plus en être de même lorsqu'il voit les agents qui les produisent, la nourrice qui le berce, le feu qui le réchauffe et qui doit le frapper plus vivement encore par l'éclat de sa lumière; lorsqu'il voit les per- sonnes et les animaux domestiques, marchant autour de lui, s'approchant et s'éloignant tour à tour; lorsqu'il entend les pa- roles de sa nourrice et des personnes voisines, les aboiements du chien , les chants de l'oiseau dans sa cage, et les bruits de toute espèce qui se fout autour de lui. Néanmoins, il ne doit pas s'étonner de ce spectacle, parce qu'il y a été graduellement amené par le développement succes- sif des sens. Aussi ne s'en étonne-t-il que lorsque, tout-à-coup, ces phénomènes prennent une intensité inaccoutumée, que les personnes ou les animaux s'agitent avec violence, que la flamme du foyer prend un accroissement extraordinaire, qu'il entend crier avec force des gens qui se disputent. On le voit même alors s'épouvanter ■ mais s'épouvantc-t-il DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 13 parce que, clans des circonstances semblables, il a reçu des chocs qui l'ont blessé, parce qu'il a souffert de l'action du feu? Il est possible que sa frayeur prenne sa source dans le pénible souvenir de quelque accident de ce genre. Il est possible aussi qu'il s'en épouvante sans jamais avoir été blessé. Le bruit du fusil produit cet effet, même sur les jeunes animaux qui n'en ont pas ressenti les atteintes. D'ailleurs les grands bruits paraissent fatiguer le tympan, chez l'enfant; du moins on lui voit parfois porter ses mains à ses oreilles, comme il se cache dans le sein de sa nourrice lorsqu'il aperçoit quelque chose qui l'effraie. Quoiqu'il en soit, comme il s'épouvante dans des cas semblables et dans une foule d'autres , dès l'âge de trois à quatre mois, il est évident que la crainte est déjà entrée dans son cœur. Il me semble difficile qu'en présence de tous ces faits il ne sai- sisse pas un rapport de cause à effet entre le feu, les mouvements, les bruits dont je viens de parler, et les sensations agréables ou pénibles qu'il en reçoit. La crainte, surtout, qu'ils lui causent quand ils l'ont blessé, prouve même évidemment que des idées de causes et d'effets ont pénétré dans son esprit. Mais il est vrai qu'elles doivent être bien confuses. Témoin de ces faits et d'une multitude d'autres phénomènes de lumière et de chaleur, de mouvement et de sons divers, il doit y distinguer plusieurs caractères, et surtout les caractères spéciaux à chaque phénomène, par exemple l'éclat et la couleur de la lumière, les diverses sensations que lui cause la chaleur, depuis les plus agréables jusqu'aux plus pénibles. Mais il est cer- tain qu'il ne s'avise pas d'attribuer la sensation du froid à l'ab- sence du principe de la chaleur. Il doit apercevoir que les mouvements ont des directions, une force, une vitesse et une durée variées et variables; que l'in- tensité du bruit est également variable, et que la nourrice qui, pour apaiser ses pleurs, le berce et l'endort au bruit de ses chansons, produit des sons divers plus agréables que les bruits 1/4- DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT de la parole. La précocité même avec laquelle certains enfants commencent à balbutier des airs, dès l'âge de trois ans, montre qu'ils distinguent de bonne heure la diversité des tons. Le plaisir qu'ils prennent à entendre un instrument de musique , l'atten- tion qu'ils y apportent, le prouvent encore. Lorsque l'enfant a déjà remarqué dans les corps les caractères matériels du nombre, de la situation, de l'étendue, de la direc- tion , de la forme, de la couleur, de la consistance, de la tem- pérature, du poli ou de l'état raboteux de leur surface, je crois que, s'il ne les a pas vus se mouvoir indépendamment des corps qui les environnent, s'il les a toujours vus immobiles, comme les gros meubles de nos appartements, qui semblent faire partie des murailles qu'ils touchent, il pourra bien les confondre avec les murs, et les prendre pour une disposition particulière de leur forme. D'un autre côté, il est possible que, jugeant par analogie, il les regarde comme des corps particuliers; mais alors sa croyance est réellement hasardée, et quoiqu'il arrive à la vérité, il y parvient par une mauvaise voie. Pour acquérir certainement l'idée de l'existence d'un corps, et pour en avoir une idée légitime et fondée, il faut en avoir observé toute la circonscription, et s'être assuré qu'il est indépendant des corps voisins et n'en fait réellement point partie. Mais du moment que l'enfant arrive à l'idée des corps, comme il n'y parvient que par la connaissance de plusieurs de leurs ca- ractères , il doit en distinguer les plus frappantes analogies, les différences les plus sensibles, et prendre des idées confuses des genres et des espèces. De très bonne heure, on voit les enfants caresser les animaux domestiques avec une affection qu'ils ne té- moignent point pour les corps inanimés , pour les meubles qui les entourent. Ils distinguent donc très bien les êtres animés des êtres inanimés? Qui pourrait douter qu'ils reconnaissent que des chats de diverses couleurs sont tous des chats, des chiens de chasse et des chiens de cour, tous des chiens? Ils ont par consé- quent des idées génériques et des idées générales. DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 15 Lorsque les enfants sont parvenus à ce degré d'intelligence r leurs progrès deviennent très variables et très différents, parce qu'ils sont soumis à beaucoup d'influences diverses, la capa- cité, la précocité individuelles, l'éducation des personnes qui les entourent, et d'autres circonstances encore. Mais, bien que l'enfant ait déjà une idée des caractères ma- tériels et des phénomènes des corps, bien qu'il ait quelques idées des analogies et des différences observables entre les êtres qui tombent sous ses sens, je ne puis croire qu'il se fasse la moindre idée du nombre indéfini, de l'étendue illimitée, d'une durée sans fin, du nombre, de l'étendue et de la duré? en gé- néral, parce que ces idées abstraites, fort générales, ne naissent que d'une multitude d'observations particulières sur le nombre, l'étendue, le temps, et des réflexions de l'esprit sur ces observa- tions. L'enfant n'arrivera que beaucoup plus tard à ces idées , que l'on a regardées comme innées. 11 n'a pour le moment que la faculté de les acquérir, et si l'éducation et l'instruction ne ve- naient développerchez lui, ces hautes facultés, ces germes pourraient demeurer latents, dans son esprit, pendant long- temps, comme ils y sont, en effet, chez une foule d'hommes qu'aucune éducation n'a jamais éclairés. En est-il de môme de l'idée de justice? La faculté d'où elle dérive existe assurément dans le cœur de l'enfant; niais l'idée de justice peut-elle se développer chez lui sans le secours de l'éducation ou de l'expérience? et si elle ne peut se développer sans ce secours, la morale a-t-elle à y perdre? Permettez-moi, messieurs, de discuter brièvement ces grandes questions en votre présence. L'enfant, dès l'âge de trois ans, est tellement dominé par son égoïsme naturel, par sa gourmandise et sa cupidité, quand l'éducation ne lui a point appris encore à réprimer ces pen- chants, ou quand l'expérience ne lui a point enseigné à res- pecter les droits d'autrui pour qu'on respecte les siens, que si vous lui offrez des bonbons, il choisit d'abord les lô DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT plus gros, et que si vous le laissez faire, il fiait par tout, prendre. S'il est avec ua enfant de son âge, gâté, comme lui, par ses parents, les bonbons que vous leur offrirez deviendront, entre eux, une pomme de discorde. Ce sera à celui des deux qui aura la plus grosse part; bien heureux si, au bout d'un instant, ils ne se battent pas! Pourquoi cela? parce que le sentiment de la justice, quoique réel au fond de leur cœur, est étouffé par des penchants plus forts; parce qu'ils n'ont encore que la faculté de comprendre ce qui est juste , mais que l'idée ne leur en vien- dra que bien plus tard, si on les abandonne entièrement à eux- mêmes. Cette idée ne leur viendra que lorsqu'un enfant, plus fort, leur aura plusieurs fois arraché ce qui leur appartient. C'est alors que l'idée des avantages de la justice se développera dans leur esprit. Alors la peine d'avoir été volés, la crainte de l'être encore, leur fera sentir le prix de la justice, pour eux- mêmes d'abord, et ensuite pour toute la société. Cette idée, qui est une pensée politique, ne peut leur venir que longtemps après qu'ils auront été dépouillés, à plusieurs reprises, comme ils dépouillaient les autres, et lorsqu'ils trouveront un tourment perpétuel dans la crainte d'être dépouillés encore. Mais si l'éducation, devançant l'expérience, montre à l'en- fant, par des exemples supposés, bien clairs et bien choisis, des actes justes et injustes qui ne touchent f as à ses intérêts , les premiers lui donneront un sentiment de plaisir, les seconds une émotion de peine; il approuvera les premiers, détestera les seconds; il apercevra l'idée de justice, non parce que l'idée est innée dans son cœur, mais parce que la faculté de juger d'où elle dérive est innée chez tous les hommes. Il trou- vera juste, alors, de ne pas faire souffrir aux autres ce qu'il ne souffre qu'avec peine, de ne se permettre vis-à-vis d'eux que ce qu'ils doivent se permettre vû-à-vis de lui ; la réciprocité la plus égale entre les hommes ou entre les membres d'une so- ciété lui paraîtra le principe général le plus sage. Et en se con- duisant d'après ce principe , il sera sans remords, il éprouveia DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 17 même une satisfaction intérieure véritable. En se conduisant autrement, il craindra qu'on en agisse de même à son égard, il se sentira coupable, il sera mécontent de lui-même. Et tandis que dans le premier cas il trouvait sa récompense dans la joie de son cœur, dans le second il trouvera le châtiment qu'il mé- rite dans les remords de sa conscience. A l'idée de la justice se joint donc un sentiment moral qui éveille chez nous un senti- ment de plaisir ou de peine par le spectacle de la justice ou de l'iniquité. Mais comme une faculté qui n'agit pas ne produit rien, ne donne lieu à aucun résultat, à aucune idée, tant qu'on n'aura pas mis sous les yeux de l'enfant des exemples de justice ou d'injustice, ou qu'il n'en aura pas éprouvé les effets, son ju- gement n'ayant point eu l'occasion de les apprécier, il n'aura pas plus d'idée de justice que si son esprit manquait de faculté pour distinguer ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Cette faculté a besoin de l'observation extérieure pour entrer en exer- cice, comme la vie particulière du germe a besoin de l'étincelle de la fécondation pour s'animer. L'idée de justice, comme les idées générales du nombre, de l'étendue, de la durée, ne se développe donc que lorsque l'esprit, par les relations qu'il en- tretient avec la nature, aperçoit dans l'univers des actes d'é- quité ou d'iniquité, et qu'il les y a souvent aperçus. Plus les idées sont générales, plus il faut d'observations particulières et de réflexions pour les acquérir. Ce sont là des vérités triviales dans toutes les sciences naturelles, où la certitude des faits est portée si loin, de l'aveu de Joufîroy, comparativement à la certitude des faits dont s'occupent les sciences philosophiques. C'est que chacun y a appris, par sa propre expérience, qu'on n'arrive à se faire des idées générales des êtres ou de leurs phénomènes qu'après les avoir bien vus, bien observés et bien étudiés en particulier. On en a la preuve dans ce qui est arrivé à un des plus beaux génies dont la France s'honore. Buffon commença à écrire sur l'histoire naturelle des ani- 2 718 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENUEiWENT maux sans avoir étudié , en particulier , les animaux qu'il ne connaissait pas. Qu'en résulta-t-il? que ne pouvant s'élever, sur ce sujet, aux idées générales, il méconnut les ressemblances naturelles des animaux, qui les réunissent en genres, en familles et en classes, et fut obligé de les décrire pêle-mêle, sans ordre et sans classification, c'est-à-dire sans idées générales. Non seulement ce grand génie fit cette faute, mais il en fil une plus grave encore : ce fut de se moquer de la classification de Linné , qu'il ne comprenait pas. Aussi, tandis que les natu- ralistes se sont efforcés de conserver, en la perfectionnant, la classification de Linné, il ne s'en est pas trouvé un seul pour suivre le plan adopté par Buffon. Il est fâcheux que l'illustre auteur ait décrit les animaux un à un, car personne n'eût traité avec plus d'avantage que lui les hautes généralités de la science, s'il en avait connu les particularités lorsqu'il entreprit d'écrire son Histoire naturelle. Je n'en dirai pas davantage aujourd'hui sur les idées géné- rales , parce que je me propose d'y revenir ailleurs; mais il me reste à examiner si l'origine que j'assigne à l'idée de justice peut compromettre la morale. A mes yeux, la morale est ce qu'il y a de plus saint et de plus sacré dans les principes humains; c'est ce que j'honore le plus, et je la révère à tel point que je mets les qualités morales et la justice bien au-dessus de toutes les qualités de l'esprit Pour tout dire en quelques mots, je place le parfait honnête hoinme beaucoup au-dessus des plus grands hommes par leur intelligence; c'est pour moi l'image de la Divinité sur la terre. Je serais donc bien malheureux, si ce que je proclame comme la vérité pouvait être contraire à la morale. Mais en quoi pourrais-jc offenser la morale en reconnaissant que l'enfant n'a point d'idée de justice avant la naissance, qu'il ne l'a même pas plusieurs mois après la naissance, mais qu'il possède la faculté d'acquérir un jour cette idée, plus tôt par l'é- ducation, et beaucoup plus tard par sa propre expérience, par DANS LA PREMIÈRE ENFANCE, 19 ses relations avec ses semblables? Si je niais l'idée de justice, et surtout la faculté de distinguer le juste d'avec l'injuste, je concevrais que ce fût contraire à la morale; mais du moment que je reconnais en nous cette faculté, que je la proclame la plus noble des vertus du cœur humain, en quoi puis-je manquer à la morale? On m'appliquera peut-être dédaigneusement l'épithète de sen- sualiste! Mais si l'on ne peut pas démontrer que mon sensua- lisme porte la plus légère atteinte à la morale ; si je j uis prouver, au contraire, qu'il offre à la morale un appui plus naturel et plus vrai, une base plus incontestable, plus évidente et plus ferme que les doctrines de mes adversaires, la vérité triomphe- rait-elle moins? Et s'il était possible, ce que je ne puis croire , que l'erreur eût recours à de mauvais moyens pour se défendre, sommes-nous à une époque où elle pourrait se soutenir long- temps? ne se ruinerait-elle pas elle-même, et ne succomberait- elle pas avec plus d'éclat? Ces réflexions me sont inspirées parce qu'on a fait au sensua- lisme une guerre qui ne m'a pas toujours paru juste et fondée; parce qu'on a tiré de cette doctrine des principes qui n'en sor- tent pas. Ainsi, on l'a présentée comme rattachant la morale aux intérêts particuliers, aux intérêts d'un ignoble égoïsme. Eh bien! j'ose dire qu'on s'est mépris, et que, sans le vouloir assurément, on l'a calomniée. En effet, s'il y a des intérêts méprisables et ignobles que la morale doit flétrir, il y en a d'estimables et de nobles qu'elle doit honorer. Ainsi les intérêts ignobles sont ceux qui nous attachent exclusivement à notre intérêt particulier, quelque contraire qu'il puisse être à celui des autres, quelque mal, quelque peine qui en puisse résulter pour autrui. Ces sentiments sont ignobles, parce que ce sont des intérêts tout personnels, vulgaires, des intérêts qui dominent la brute et nous l'avalent à son niveau, désintérêts qui tendent à la destruction de la société, et sont la cause de mille maux. f20 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT Les intérêts nobles et moraux, au contraire, sont ceux qui nous attachent à notre famille, à nos amis, à la patrie, à l'hu- manité tout entière; et ils sont d'autant plus nobles, qu'ils sont plus généraux, plus universels, et nous attachent I un plus grand nombre d'hommes. Que quelqu'un se donne beaucoup de mouvement et d'agita- tion , qu'il se livre incessamment à l'intrigue, pour acquérir de la fortune, des honneurs qui n'intéressent que lui, qui ne pro- fitent qu'à lui, à sa vanité y à son orgeuil, c'est sacrifier à des intérêts méprisables. Mais qu'un homme s'intéresse à sa famille, à ses amis, aux malheureux, à son pays, à l'humanité tout entière, à la défense des principes de la justice et de la morale qui font la force et le bien des sociétés humaines; qu'il s'y intéresse jusqu'à exposer sa fortune, son repos et sa vie, parce qu'il trouve plus de plaisir à s'occuper des autres que de lui-même; cet homme sacrifie à de nobles intérêts qu'on ne saurait trop louer. Qu'un Décius s'immole pour assurer la victoire à sa patrie, c'est un dévoue- ment qu'on ne peut trop honorer. Qu'un Régulus s'immole au seul sentiment du devoir, c'est un dévouement sublime, c'est une vertu surhumaine que l'on ne peut qu'admirer, tant il est impossible de la louer dignement. Eh bien ! qui oserait dire que ces grands hommes n'ont pas eu plus de plaisir à obéir à leur conscience, à leurs saintes affec- tions, au généreux et sublime penchant qui les entraînait qu'à y résister? Et qu'y a-t-il d'immoral à reconnaître qu'ils ont cédé à l'attrait de nobles plaisirs, aux plus respectables intérêts de la nature humaine? Convenons donc que si la morale des intérêts ignobles et mé- prisables est repoussante, la morale fondée sur l'intérêt général, sur les plus nobles intérêts de l'homme , et sur le sacrifice des intérêts personnels au vif intérêt que nous portons à notre fa- mille , à nos amis, à notre pays, à l'humanité, est admirable, et mérite la louange et les respects de tous. DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 21 Suivant graduellement, et pas à pas, la nature, nous avons ob- servé comment se développent successivement les facultés intel- lectuelles , les idées et les émotions chez l'enfant, à mesure que se développaient les facultés sensitives. Nous avons vu , à la suite des sensations, éclore les perceptions sensoriales, qui sont des idées abstraites, puis les souvenirs, les jugements et les idées générales. Nous les avons vus, d'abord très obscurs, s'éclaircir peu à peu, en se répétant et se multipliant sans cesse, tandis que l'intelligence prenait plus de force et de puissance. Nous avons vu les émotions commencer par des émotions premières de peine, de plaisir, de volonté et de colère; s'augmenter de celles de curiosité, d'attention, de joie , et d'autres encore. Nous de- vons maintenant rechercher comment l'enfant arrive à com- prendre la langue de sa nourrice et à saisir les règles du langage, quoiqu'il n'ait pas d'interprète pour lui traduire et lui expliquer ce qu'il ne comprend pas. Comment procède-l-il dans ce travail, si difficile pour les hommes adultes jetés dans un pays étranger, bien qu'Hs aient presque toujours des interprètes pour les éclairer? Ce phénomène est assurément un des plus remarquables du développement de l'esprit humain chez l'enfant, bien que la phi- losophie ne s'en soit jamais occupée et n'y ait jamais porté ses investigations. L'enfant apprend à parler par l'intermédiaire de sa nourrice et des femmes qui l'entourent. Est-ce pour qu'elles remplissent mieux leur destination que la nature leur a donné tant de plaisir à parler, tant de patience à répéter les mêmes choses? Je l'i- gnore , mais il est sûr que le penchant qu'elles ont à parler les rend très propres à éveiller, à exciter, à exercer incessam- ment l'intelligence et la langue des enfants. Chez elles, ce n'est point un art qu'elles pratiquent avec mé- thode , c'est un instinct qui les entraîne irrésistiblement, c'est une vivacité et une mobilité de sentiment qui ne leur laissent aucun repos. Aussi parlent-elles incessamment à l'enfant pour 22 i ks r-iiÉ.\o;ui-;;>i:s de l'entendement obéir à l'instinct qui les presse ; et pour rendre leur babil plus intarissable encore, elles feignent toutes les émotions imagi- nables : elles rient, pleurent, se fâchent, grondent l'enfant et le caressent tour à tour. Leur physionomie, leurs gestes sont en harmonie avec les émotions qu'elles veulent exprimer; et à tra- vers cette comédie, ridicule aux yeux du vulgaire, l'observateur aperçoit les profonds desseins delà nature pour la première édu- cation de l'enfant. U en résulte du moins, sous ce rapport, de réels avantages. Néanmoins, si les femmes trouvent en elles les qualités pro- pres à remplir le vœu de la nature, elles ne l'accomplissent pas d'une manière méthodique et logique. Elles ne commencent point par nommer à l'enfant, en les lui montrant, les objets ou leurs caractères matériels les plus frappants, puis leurs phéno- mènes dans différents corps successivement, afin de lui faire observer que c'est à tel caractère ou à tel phénomène, existant constamment dans ces différents corps, que s'applique le mot dont elles veulent lui apprendre la. signification; elles lui disent tout ce qui leur passe par la tête, bien qu'il n'y comprenne rien. Aussi, quel incroyable travail d'analyse, de raisonnement par exclusion et de synthèse n'est-il pas obligé de faire, pour distin- guer d'abord la prononciation ouïes mots prononcés les uns des autres; pour saisir ensuite à quel corps, à quel phénomène, à quel caractère des corps et des phénomènes s'applique chacun des mots qu'il entend! Pour apprendre à distinguer les mots prononcés dans une langue étrangère que nous ne parlons pas, il nous faut, à nous, beaucoup de temps, et il nous en faut encore davantage pour les comprendre , bien qu'habituellement un interprète ou un maître , nous aidant de son secours, nous traduise ce que nous entendons et nous apprenne à le traduire. Eh bien ! l'enfant ac- complit cet immense travail sans maître, sans interprète, sans dictionnaire qui puisse lui traduire ou lui apprendre à traduire ce qu'il entend. El, chose merveilleuse! il semble faire plus de DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 23 progrès dans cet effrayant travail que n'en fait un adulte entouré de toutes sortes de secours. Cependant mille difficultés, que l'adulte ne rencontre point sur son chemin, l'arrêtent ou l'égarent. Lorsque sa nourrice, qui l'accable incessamment de paroles inutiles, lui dit quand il pleure : Tais-toi, tu auras du bonbon; y peut-il rien compren- dre d'abord? Si elle eût été plus méthodique et qu'elle se fût bornée à lui dire de se taire et à le lui répéter, en lui mettant doucement la main sur la bouche, il aurait pu comprendre l'in- vitation de sa nourrice, parce que sa phrase courte n'aurait con- tenu que les mots essentiels à la pensée qu'elle voulait exprimer. Si au lieu de lui promettre du bonbon, sans le lui montrer, elle se fût bornée à le nommer en le lui présentant et le lui mettant dans la bouche, il aurait pu arriver rapidement à deviner ce que signifie le mot bonbon. Mais les nourrices ne procèdent pas ainsi: elles reproduisent souvent les mêmes idées en termes différents. Elles ajoutent aux mots essentiels des mots auxiliaires, chan- gent souvent ceux-ci s et quelquefois même ceux-là, comme lorsqu'après les paroles citées plus haut elles disent : Tais-toi, je te donnerai du bonbon. Alors l'enfant est obligé de séparer dans sa pensée, par un véritable travail d'analyse, les mots essentiels ou importants, comme tais-toi et bonbon, qu'il entend pronon- cer quand il pleure et quand on lui donne du bonbon, d'avec les mots auxiliaires qui varient dans ces circonstances suivant les phrases que prononce sa nourrice. Il n'arrive, en effet, à la comprendre qu'en saisissant un rapport constant entre la circonstance où il pleure et le mot tais-toi, entre le mot bonbon et la circonstance où on le lui donne. Mais quelquefois, lorsqu'il est tout près de saisir ce rap- port, sa nourrice tout-à-coup l'en empêche en exprimant la même pensée en d'autres termes et lui disant : Ne pleure pas, et tu auras cette dragée. Si l'enfant n'a pas encore entendu le mot pleurer, il ne le comprend pas; si le mot dragée est égale- ment nouveau pour lui, bien qu'il connaisse parfaitement la 26 hr.s I'jNénomL;\es de l'el\ten dément chose, ses idées s'embrouillent, il ne saisit plus aucun rapport entre la circonstance et ce qu'il entend, et les paroles de sa nour- rice ne sont pour lui que de vains sons qui frappent ses oreilles: Un autre jour, l'enfant est prêt à pleurer, sa nourrice lui dit tout-à-coup pour le distraire : Tiens, regarde le chat; et elle le lui montre du doigt. L'enfant regarde; mais quelle relation aperc^vra-t-iï entre la phrase de la nourrice et l'animal? Com- prendra-t-il que la phrase entière est le nom de l'animal, ou que c'est le mot tiens qui en est le premier, ou le mot regarde, ou les mots le chat qui sont les derniers? Dans le langage le plus naturel par sa construction , l'homme nomme d'abord ce qui le frappe le plus. Or, l'enfant appliquera-t-il le mot tiens à l'ani- mal? c'est possible; mais je le sais d'autant moins qu'il se pré- sente bien d'autres difficultés dans le détail desquelles je dois entrer. Supposons que la nourrice, prononçant un substantif seule- ment, le mot chat, montre en même temps l'animal à l'enfant. Croit-on qu'il appliquera immédiatement le mot à l'animal? Il s'en faut de beaucoup que ce soit démontré. Bien des caractères frappent l'enfant à la fois. Ce sont, par exemple, la situation^ l'animai reposant près du foyer ; c'est son volume ou son étendue qui est moindre que celle du chien, placé de l'autre côté du fôyer; ce sont la direction de son corps, sa forme, sa couleur, ses miaulements qu'il fait entendre de temps en temps, les mou- vements qu'il exécute en appropriant et lustrant sa robe; ses yeux qui brillent, et tant d'autres... Auxquels de tous ces ca- ractères l'enfant appliquera-t-il le nom qu'il a entendu? Comme il n'est pas encore capable de beaucoup d'attention et d'effort d'intelligence, il est probable que ne comprenant rien à cette énigme il ne s'en occupera pas , et qu'il l'oubliera jusqu'à ce que de nouvelles circonstances la lui rappellent et le mettent à même de la comprendre. En général, il aura, je crois, plus de tendance à appliquer le mot chat à l'animal lui-même qu'à un de ses caractères, parce DAÎNS LA PREMIÈRE ENFANCE. 2.) que l'animal doit le frapper plus qu'aucun de ses caractères; ce- pendant je n'oserais pas l'affirmer. Les idées des caractères des corps étant plus simples et arrivant plus tôt à notre esprit que les idées très complexes des corps, il est très possible, quoique l'enfant ne commence guère à parler que lorsqu'il a déjà l'idée des corps, il applique très fréquemment les mots et même les substantifs aux qualités qui le frappent le plus vivement dans un objet. J'ai lu quelque part qu'un enfant appelait ses bas, des chats. Ils étaient faits de poil de lapin , et par conséquent aussi doux au toucher que le pelage du chat. JN'appliquait-il pas le nom de chat à la sensation tactile qui l'avait charmé, précisément parce qu'il était plus frappé de la moelleuse douceur du pelage de l'a- nimal que de l'ensemble de ses autres caractères? Il n'est pas rare de voir les enfants tomber dans des erreurs de ce genre, qui trahissent les fausses routes que fait l'esprit avant d'arriver à de- viner et à comprendre les mots du langage. Il est probable que lorsqu'on ne prononce qu'un mot en atti- rant l'attention de l'enfant sur une chose, corps ou phénomène, il l'applique toujours à ce qui le frappe le plus. Ainsi montrez- lui un torrent énorme qui l'étourdisse par le bruit qu'il cause, et prononcez le mot torrent; que le lendemain il entende le bruit du tonnerre ou d'un violent ouragan, il est capable de leur ap- pliquer le nom de torrent. Montrez-lui un clocher dont la flèche se perd dans les nues et prononcez le mot clocher; le lende- main, s'il voit un arbre élancé comme la flèche du clocher, et dont le sommet semble se perdre dans les nuages, il est possible qu'il l'appelle clocher. Et il restera dans ces idées jusqu'à ce qu'il en- tende appliquer à plusieurs reprises le mot de torrent à une masse d'eau rapide qui court avec violence; le mot de clocher, à l'édifice pointu qui s'élève au-dessus d'une église et en ren- ferme les cloches, et jusqu'à ce qu'il aperçoive la vraie signifi- cation de ces mots, dans le rapport constant de l'application de ees mots aux choses qu'ils expriment. Il cessera de les appliquer 26 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT aux divers caractères des torrents et des clochers qu'il aura pu voir, parce que, ces caractères n'ayant pas de constance, le même mot ne pourrait pas leur être appliqué. Gomment l'enfant arrive-t-il donc à reconnaître que le mot chat s'applique à l'animal et qu'il ne se rapporte à aucun de ses caractères en particulier? Il y arrive en observant qu'il ne s'applique ni à la situation de l'animal, ni à sa grosseur, ni à sa direction, ni à sa couleur, ni à ses attitudes, ni à ses mouve- ments particuliers, parce qu'il a entendu donner le même nom à des chats placés dans une situation différente, gros ou petits, de diverses couleurs, en repos ou en mouvement. Il donne donc le nom de chat à un animal qui a la forme, les yeux, les miaulements du chat, c'est-à-dire à un certain ensemble de ca- ractères qui appartiennent à l'espèce; et sans se guider d'après les mêmes caractères qu'un naturaliste, il suit la même mé- thode. Il arrive à cette découverte par l'observation analytique, par la méthode logique de l'exclusion et par la synthèse. Il parvient par le même mécanisme à découvrir la signification de tous les substantifs collectifs , métaphysiques; mais comme il en est qui ne s'appliquent qu'à des caractères moraux, il ne pourra les comprendre que lorsqu'il connaîtra les actes moraux qu'ils dé- signent. Il ne lui sera pas aussi difficile de deviner le sens des articles et surtout des pronoms, parce qu'ils sont beaucoup moins nom- breux et peu variés. Riais il éprouvera plus de difficultés pour les adjectifs. Ils sont nombreux, très variés, et plus variés encore par suite de la diver- sité de leur genre que ne le sont les substantifs. Ils lui offriront aussi plus de difficulté, parce que, s'ils s'appliquent quelquefois à des qualités saillantes, à des caractères frappants, comme les adjectifs : aurore, rouge, jaune, noir, blanc, qui rappellent des couleurs très visibles, les adjectifs ne désignent souvent que des qualités peu apparentes ou peu frappantes. Dites à un en- DANS LA PREMIÈRE ENFANCE. 27 faut que le chien qui le caresse est bon, que le mouton est doux, que le serin est joli, que l'arbre qu'il voit est rond, que le miroir est carré, et ne prononcez que l'adjectif en lui montrant l'objet dont vous parlez. 11 me paraît certain que , s'il ne connaît pas le nom de l'animal ou de l'objet dont vous parlez, il aura bien plus de tendance à appliquer l'adjectif à l'animal ou à quel- ques uns de ses caractères les plus apparents qu'à l'appliquer à ceux que vous désignez. Il y a bien plus de chances pour lui de tomber dans celte erreur que de l'éviter. îî se trompera longtemps avant de découvrir la signification de l'adjectif, et il se trompera jusqu'à ce qu'il ait observé qu'on applique, toujours et seulement, l'adjectif aux corps qui possè- dent, parmi leurs nombreux caractères, le caractère que l'adjec- tif désigne. C'est donc toujours au rapport de constance, entre le mot prononcé et l'existence du caractère que le mot désigne, qu'il découvrira la signification du mot. Ce travail qui s'accomplit graduellement et sans efforts dans la tête d'un enfant prouve, à la fois , une mémoire puissante , une sagacité comparative et un jugement merveilleux, pour de- viner et apprécier la valeur des mots , à cet âge de la vie. Les difficultés que l'enfant rencontre dans les verbes sont bien plus grandes encore. C'est que les verbes ne s'appliquent point à des choses qui persistent d'une manière visible, comme les çorps ou la plupart de leurs qualités , mais à des actions ou à des états passagers et fugitifs dont l'enfant ne peut avoir qu'un instant le spectacle sous les yeux, et dont il ne voit même souvent que les symptômes. C'est ainsi qu'il apprend qu'un autre enfant le hait, par les mauvais traitements qu'il en essuie. Et puis, les verbes sont les protées du langage : par leurs modes , leurs temps, leur nombre et leurs personnes, ils re- vêtent des formes si diversifiées et si multipliées, que je reste confondu de voir l'enfant débrouiller la vérité au milieu de tant d'obstacles. 28 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT Quelle prodigieuse puissance d'analyse ne lui faut-il pas pour distinguer toutes les modifications que présente le même mot dans toute une conjugaison ! Quelle puissance de synthèse ne lui faut- il pas pour conserver dans son langage, à tous les modes, à tous les temps, à toutes les personnes du même temps, la significa- tion du verbe, du mode, du nombre et de la personne, du temps! L'enfant accomplit ce travail, bien que les différentes modifi- cations du verbe se présentent pêle-mêle, sans aucun ordre, à son esprit, comme le hasard des événements et les mobiles ca- prices d'une femme peuvent les inspirer à sa nourrice. 11 triomphe de ces obstacles, sans avoir entendu prononcer toutes les modifications du même verbe, et quand il les entendra pour la première fois, à l'âge de trois, quatre ou cinq ans, il devinera leur signification par leur analogie avec les modifica- tions semblables d'autres verbes dont il aura déjà pénétré le sens. Bien que les adverbes ne paraissent pas devoir présenter au- tant de difficultés à l'intelligence que les verbes, l'enfant en fait peu d'usage, parce qu'ils s'appliquent rarement à des ca- ractères très apparents de l'action ou de l'état exprimés par le verbe. il en est de même des prépositions et des conjonctions. Aussi on trouve-t-on assez peu dans le langage des enfants, d'ailleurs longtemps pauvre et borné. Il est probable que la limite de leurs idées ne s'étend pas sensiblement au-delà des limites de leur lan- gage , et qu'elle donne aussi les bornes de la puissance de leur entendement à cette époque de leur existence Nous montrerons plus tard qu'il en est de même du lan- gage de l'homme dans les premiers degrés de la civilisation , parce que l'intelligence et la civilisation du genre humain , qui en est le produit, se développent d'après les mêmes lois que r entendement des individus. Et ces lois sont les mêmes pour tous, parce qu'elles se lient à une organisation qui est la même DANS LA PREMIÈRE ENFAINCE. 29 pour tous. Ainsi l'a voulu la haute intelligence qui a imprimé à la nature l'unité de dessein et de pensée qu'on y retrouve sans cesse. L'enfant, dans la première éducation qu'il reçoit de sa nour- rice, n'apprend pas seulement la signification d'un certain nombre de mots, il apprend encore, jusqu'à un certain point, les règles du langage ou de la syntaxe. Vous en avez la preuve , non dans les erreurs qu'il commet à chaque instant, mais dans les membres de phrase ou dans les phrases qu'il com- pose spontanément et régulièrement , par analogie avec les phrases qu'il a entendu prononcer à sa nourrice et aux personnes qui l'entourent. Ainsi, quand il a entendu dire : la statue, la belle femme , il lui arrive de dire la belle statue , et non le beau statue; lorsqu'il a entendu dire les chevaux, les gros taureaux, il lui arrive de dire les gros chevaux, et non les grosses chevaux; lorsqu'il a entendu dire la montagne, le grand arbre, il lui ar- rive de dire la grande montagne ; parce qu'avec le temps il finit par saisir les rapports de nombre et de genre entre les mots , bien qu'il n'ait pas la moindre idée du nombre, du genre et de la règle de leur accord avec le substantif qui les régit. Toutes les personnes qui n'ont jamais étudié la grammaire parlent ainsi, et en suivent les règles avec plus ou moins de bonheur, sans se douter qu'elles les suivent. Elles font de la prose sans le savoir, et ne se doutent pas plus de ce qu'elles savent, qu'elles ne savent comment elles l'ont appris. La scène du Bourgeois gentilhomme ne saurait faire que ce ne soit pas un phénomène très merveilleux. A mesure que l'enfant apprend le nom des corps, de leurs phénomènes et de leurs caractères, par l'intermédiaire de ces noms il s'en fait des idées plus claires et plus nettes, sa mémoire les conserve plus fidèlement, l'esprit en saisit plus aisément les rapports; à l'aide de ces mots il raisonne sur les objets, sans avoir les objets sous les yeux , et acquiert ainsi une multitude d'idées qu'il n'avait point auparavant. Les mots du 30 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENt langage deviennent autant d'appuis et de degrés à la faveur des- quels il s'élève rapidement, et de plus en plus haut, sur l'hcri- zon des connaissances humaines, et y fait, par l'observation et et par le raisonnement, une moisson de plus en plus abondante qui l'enrichit incessamment et agrandit immensément son do- maine et sa puissance. Pour en juger par nous-mêmes, cherchons a savoir le nombre des auteurs que renferme notre bibliothèque, sans leur imposer aucune dénomination numérique, sans dire verbalement, ni mentalement, un , deux , trois , quatre, et ainsi de suite. Nous ne serons pas arrivés au dixième , que déjà nous ne saurons pas le nombre d'auteurs sur lesquels nous aurons fixé notre atten^ tion; nous serons obligés de les compter pour le savoir, c'est-à- dire de leur imposer, à chacun en particulier, un nom de nombre qui nous serve d'appui et de degré pour nous élever plus haut. La connaissance de ce fait est si vulgaire, que si vous disiez au plus ignorant des hommes : Combien y a-t-il de francs dans ce sac d'argent? il vous répondrait ; Je ne le sais pas, je ne les ai pas comptés. Cherchons-nous à nous rappeler nos amis, nos connaissances ou des objets quelconques, sans le secours de leur nom , mais seulement par la figure des personnes, par les actes de leur vie, par les usages et les qualités des objets, c'est leur nom qui se présente toujours le premier à notre mémoire. Essayons de faire un raisonnement sur une chose quelconque, c'est le nom de cette chose qui s'offre d'abord à notre pensée, et quelque effort que nous fassions pour l'éloigner, il revient sans cesse à notre souvenir, comme si l'esprit ne pouvait rai- sonner que par l'intermédiaire des mots. Ainsi, avons-nous à sa- voir combien font 10 + 15 + 9 + 6, nous nommons et addi- tionnons verbalement, ou en nous-mêmes , chacun de ces nom- bres, et nous trouvons que leur somme égale /i0. Voulons-nous partir pour un voyage à cinq heures du matin , nous nous di- sons : Il faut nous lever à quatre heures et demie. DANS LA PREMililîE LNFAXCE. Si Voilà pourquoi les idées que l'enfant a des personnes et des choses deviennent plus claires et plus nettes aussitôt qu'il con- naît le nom des choses; pourquoi, en se rappelant leur nom, les idées se représentent plus facilement à son souvenir ; pourquoi il en saisit plus rapidement les rapports, raisonne avec beaucoup plus de facilité, et trouve dans le langage un auxiliaire si puis- sant pour ajouter de nouvelles idées à ses premières idées, et augmenter indéfiniment le nombre de ses connaissances. Mais le langage, en le mettant en relation avec les autres hommes , ouvre un champ bien autrement vaste à ses progrès. 11 lui ouvre l'histoire du monde, le grand livre des connaissances humaines, des générations passées et des générations pré- sentes. Ainsi, bien que le langage soit le fruit de ^intelligence de l'homme , bien qu'il en soit le miroir, en sorte qu'il suffirait de faire l'histoire du langage pour tracer celle de l'entendement; bien qu'il ne se perfectionne que par le perfectionnement de l'intelligence, il est certain que l'esprit centuple ses forces et accroît indéfiniment sa puissance par le langage. Le langage est le levier de l'intelligence. C'est, dans les choses intellectuelles , l'appui qu'Archimède demandait dans les choses physiques pour soulever le monde; c'est le microscope qui nous montre les infi- niment petits; c'est le télescope qui nous découvre les infiniment grands des profondeurs de l'immensité, et nous en révèle les mys- tères. Et, chose merveilleuse! qui proclame peut-être plus haut qu'aucun autre fait la haute destinée de l'homme et l'immense Providence qui le soutient, c'est que cette invention est au- tant le fruit de l'instinct que de l'entendement humain. En effet, à quelque degré de barbarie sauvage qu'on observe l'homme , on lui trouve un langage quelconque, en sorte qu'il se montre aussi empressé, aussi obligé par les instincts de son intelligence de parler, que de manger et de marcher. Je n'abandonnerai pas ce sujet sans faire observer que cette immense découverte philosophique, de /influence du langage sur 32 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT l'esprit humain, appartient à Condillac, et par conséquent à cette illustre école française , que nous avons aujourd'hui l'ingratitude de dédaigner et de placer à la queue des philosophies étrangères. Je respecte et j'honore les convictions; mais, en grâce ! qu'on nous montre dans ces philosophies, après la grande découverte de Locke, une découverte philosophique de taille à se mesurer avec celle de l'analyse et avec celle de l'influence du langage, et alors nous nous empresserons de leur payer le tribut d'admiration qui leur sera dû. 33 DÉVELOPPEMENT ET PROGRÈS DE L'INTELLIGENCE DANS LA SECONDE ENFANCE , LA JEUNESSE, L'AGE MUR , LA VIEILLESSE, ET APPLICATIONS QUI EN DECOULENT, A L'INSTRUCTION PUBLIQUE , A LA MORALE ET A LA POLITIQUE. Maintenant que nous savons comment se développe l'en- tendement jjhumainçjclans la première enfance, combien sont confuses les premières impressions, comment les premières per- ceptions sensoriales étant fort obscures l'intelligence n'y dis- tingue d'abord que de la peine, du plaisir ou des sensations indif- férentes sans en apercevoir l'objet; comment se développeent le premières perceptions de mémoire et de jugement, les premières émotions de volonté et de colère sous l'influence de la sensation des besoins naturels, des sensations de douleur et de quelques sensations gustatives; comment le toucher, la vue, l'ouïe et l'o- dorat, n'étant point encore actifs à la naissance et le goût l'étant à peine ^l'intelligence ne peut en recevoir de lumière; comment la statue de Gondillac n'est qu'une fiction et non l'image de la nature ; comment, lorsque les sens sont enfin développés, nous n'avons d'abord que des sensations plus vives et toujours encore des perceptions obscures; comment ensuite l'enfant acquiert. 3 Zk DKS PUKINOMKïNjES DE l'ENTI-NDEMENT successivement une notion vague et. abstraite des caractères des corps et de leurs phénomènes, puis l'idée physique des corps eux-mêmes et les idées abstraites des genres et des espèces ; com- ment, il ne peut concevoir, encore, d'idées abstraites fort géné- rales; comment il n'arrive que plus lard, aussi, à l'idée de jus- tice et à mesure qu'il en puise la notion , hors de lui, dans les actes de justice et d'iniquité dont iî est rendu témoin par ses propres yeux, ou qui viennent à sa connaissance par l'éducation; comment cette origine de l'idée de justice ne compromet en rien la morale; comment le sensualisme n'établit point, nécessaire- ment, la morale sur les intérêts ignobles et méprisables du cœur humain, et peut la fonder sur les intérêts les plus nobles et les plus respectables; comment l'enfant, sans interprète,sans traducteur pour lui expliquer le langage qu'il ne comprend pas, arrive d'a- bord à en deviner le sens , par l'observation analytique , par la méthode logique de l'exclusion et par la synthèse, c'est-à-dire par un travail d'intelligence admirable; comment il arrive à con- naître ainsi le sens des substantifs, des articles, des pronoms, des adjectifs, des verbes et de leurs nombreuses modifications, des adverbes , des prépositions et d'une partie des règles de la syn- taxe; comment, ensuite, il se sert du langage comme d'un ap- pui et de degrés pour s'élever plus haut sur la sphère des idées du monde intellectuel et s'approprier toutes les découvertes des temps passés et du présent; comment cette admirable décou- verte de l'influence du langage appartient, ainsi que celle de l'a- nalyse, a la philosophie française, à laquelle elle fait le plus grand honneur. Maintenant que nous savons toutes ces choses, suivons l'évolution et les progrès de l'intelligence dans la seconde en- fance, de trois à douze ou quinze ans. DU DÉVELOPPEMENT DE L'ENTENDEMENT DANS LA SECONDE ENFANCE. Aussi impressionnable au physique qu'au moral, l'enfant, à cette période de la vie, est dans une agitation perpétuelle. ïl se DÀINS f.A SIXOlnIJE iuvfanœ. 35 meut, cric cl parle sans cesse, et, commeii aime le bruit avec passion, il en fait autant avec ses mains que par sa voix. Celte agitation est chez lui io résultat des impulsions irrésistibles de l'instinct : aussi le repos e( le silence sont pour lui une sorte de supplice. Par suite de cette incessante mobilité, il n'est pas plus suscep- tible d'une attention soutenue que d'une immobilité constante . et, comme il a fort peu d'expérience, il est d'un imprévoyance extrême et d'une étourderie sans bornes. Sa curiosité est proportionnée à son ignorance; il touche à tout et veut tout voir et tout savoir , pour peu que la chose l'in- téresse et n'exige que l'application des sens; mais dès qu'il faut une attention soutenue, l'ennui le prend, et il abandonne. A mesure qu'il s'éloigne de la première enfance et approche de la puberté, un sentiment de curiosité pour les différences des sexes, l'avant-coureur d'une passion que la puberté doit déve- lopper bientôt, se révèle dans son âme, tandis que des besoins prématurés s'éveillent parfois dans ses sens. Dans le cours de cette période de l'enfance, se développent plusieurs sentiments qu'on n'observe pas ou qu'on ne voit que rarement plus tôt. Ce sont la compassion, qui attache l'enfant aux malheureux et le fait parliciper à leurs souffrances; la bonté, qui lui inspire de l'affection pour les êtres sensibles et l'envie de leur faire du bien; la sociabilité, qui le pousse à rechercher la société de ses semblables, et que clans la première enfance on ne peut distinguer de l'amitié qu'il porte aux personnes qui lui donnent des soins; la haine , qui est un sentiment pénible de répulsion, que nous cause la vue ou le souvenir de la personne qui en est l'objet; la jalousie, qui se manifeste , parfois, dès le berceau, contre un second frère, et peut devenir la cause d'un-4 maladie sérieuse et d'un dépérissement grave; la méchanceté, qui trouve son plaisir dans le mal; l'amour-propre , qui rend content de soi ; l'orgueil, qui porte à s'estimer plus que les autres et a prendre avec eux des airs de supériorité; la timidité, qui 3(5 DES PHÉNOMÈNES DE l/ENTENDEMENT embarrasse l'enfant et le fait rougir en présence des étrangers d'un âge supérieur au sien; la honte, qui le rend confus et le fait rougir de ses fautes; la crainte, sentiment pénible de défiance en soi, qu'il doit, en grande partie, à la conscience de sa faiblesse et à la sévérité dont on use à son égard; Ventête- ment , volonté opiniâtre qui annonce une volonté personnelle indépendante qu'on ne rendra pas facilement docile ou esclave. L'intelligence continue ses progrès, dans la seconde enfance , par Véducation naturelle que l'enfant puise dans la société où il vit, dans la nature, qui l'entoure, et dont le livre est toujours ouvert sous ses yeux. Quand sa curiosité est souvent excitée par ce qu'on lui montre et par ce qu'il entend, comme on l'observe plus tôt chez les enfants dont les parents sont aisés et éclairés que chez les enfants des malheureux , d'ailleurs peu éclairés, l'enfant hâte souvent ses progrès par d'incessantes questions qui contribuent à l'instruire. L'éducation publique, à laquelle on le livre plus tôt ou plus tard, ouvre encore pour lui une nouvelle ère de progrès ulté- rieurs , éloignés; car elle les prépare de loin , bien plus qu'elle ne les accomplit immédiatement. Aussi, de deux enfants du même âge, élevés d'ailleurs de la même manière , celui qui a appris à lire n'est point, par là même, supérieur à l'autre en in- telligence; souvent même il lui est encore inférieur. Cela est dû là ce que les méthodes d'enseignement généralement en usage ne sont point, qu'on me permette l'expression , assez physiolo- giques , assez fondées sur les goûts, les penchants, les besoins et les facultés de l'enfance. L'enfant, en entrant dans sa seconde enfance, est toujours obligé d'observer les caractères des corps, à plusieurs reprises, pour parvenir à connaître ces corps; ses observations sont d'au- tant plus répétées, que les objets ont entre eux des différences moins tranchées et moins apparentes. Ainsi il distingue bien plus tôt un peuplier d'un chêne qu'un pommier d'un poirier et surtout qu'un pommier d'un pommier. Par la même raison il DANS LA SECONDE ENFANCE. 37 dislingue bien plus promptement un m d'un o , dans l'alphabet, qu'un m d'un n. Mais, chose remarquable, et qui montre bien l'influence de l'exercice habituel de l'intelligence sur les progrès de l'intelli- gence elle-même, ces lettres que l'enfant avait tant de peine à reconnaître d'abord, au bout d'un certain temps d'exercice il les reconnaît, au premier coup d'œil, et dans un instant, sans durée. Le même phénomène s'observe dans la lecture : l'enfant n'assemble d'abord les lettres en syllabes et les syllabes en mots qu'avec beaucoup de peine et de lenteur. Lorsqu'au contraire il sait bien lire, ses yeux courent avec rapidité sur les lignes d'une page, et ce coup d'œil rapide lui suffit pour saisir les idées qu'elles expriment, bien qu'il ait vu les lettres et les mots d'une manière si confuse que les fautes d'impression lui échappent. Il en est de même pour tous les arts que nous commençons à apprendre, et pour les arts mécaniques comme pour les arts pu- rement intellectuels. Ainsi l'enfant qui apprend à danser a d'abord beaucoup de peine à exécuter, un à un, les mouvements les plus simples; il a ensuite beaucoup de peine à les exécuter successivement, sans interruption, avec rapidité; il est obligé d'y apporter une attention extrême, beaucoup de volonté , et au bout d'un certain temps, il danse avec facilité, sans attention et l'esprit occupé de toute autre chose. Il en est de même de celui qui apprend la musique. Lorsqu'il connaît les notes, il a d'abord une grande difficulté à recon- naître les touches du piano qui correspondent aux différentes notes et aux différentes octaves ; il lui faut beaucoup d'attention et d'efforts pour y parvenir et pour les frapper sans hésiter. Par un exercice habituel, il acquiert une telle facilité qu'il finit par exécuter avec habileté, sans regarder les touches, sans atten- tion et tout en soutenant une conversation suivie sur un sujet quelconque qui l'intéresse. On croirait que dans ces cas l'intel- ligence est étrangère aux mouvements des mains et aux mouve- ments des jambes et du corps, tandis que c'est elle qui joue le 38 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT rôle principal, qui commande, qui dirige les mouvements , et quel 'habileté des pieds et des mains est toujours subordonnée à l'habileté de l'intelligence, comme le montrent les efforts d'at- tention et de volonté qu'elle est obligée de faire dans les com- mencements et dans tous les cas où se présente une nouvelle difficulté d'exécution. Il suit de là que les hommes d'une intelligence distinguée, tout étant égal d'ailleurs, font des progrès plus rapides dans les arts manuels, dans les arts mécaniques, que les hommes d'une intelligence médiocre. C'est ce qui permet de former en France de bannes troupes plus rapidement que dans le nord de l'Europe, C'est aussi pour cela que les recrues tirées des grosses villes ap- prennent bien plus promptement les manœuvres de l'art mili- taire que les paysans tirés des hameaux, où la civilisation est arriérée et l'intelligence moins exercée. Il est sans doute curieux et intéressant pour la science d'étu- dier le développement des penchants et des facultés intellec- tuelles de l'enfant; mais il serait plus avantageux encore d'en déduire des conséquences propres à perfectionner, s'il est pos- sible , l'éducation publique. C'est ce que je vais tenter ici, mes- sieurs, sans avoir la prétention d'imposer mes idées, soit en totalité, soit en partie. Mais je serais heureux que l'on y trouvât quelques vues utiles. Je me bornerai d'ailleurs à de simples re- marques. Messieurs , vous le savez , l'immobilité et le silence prolongés sont impossibles aux enfants, parce que ces petits êtres sont in- cessamment tourmentés du besoin de se mouvoir et de parler. Ils ne sont pas plus susceptibles d'une attention soutenue, sur- tout, pour l'étude de choses sérieuses. L'étourderie et la gaieté sont des caractères de leur âge. En exigeant d'eux de la tran- quillité , du silence et une attention prolongée dans les écoles, on leur demandedonc l'impossible. N'est-ce pas un premier vice? Ne pourrait-on pas les instruire en les faisant parler haut, en les laissant se mouvoir et soulageant, leur attention en aidant leur DANS LA SECONDE ENFANCE. 39 intelligence? n'est-ce pas ce que l'on fait dans renseignement mutuel, où ces avantages sont déjà réalisés? Un second ordre de vices de l'enseignement le plus générale- ment en usage, c'est d'occuper d'abord les enfants de choses sans intérêt pour eux, de choses incapables d'éveiller leur cu- riosité et de fixer leur attention; c'est de les occuper de l'étude de l'alphabet et des lettres, puis un peu plus tard de lectures de syllabes, fort ennuyeuses, qui, ne leur inspirant aucun intérêt, les dégoûtent du travail et nuisent à leurs progrès. Croit-on qu'on ne les intéresserait pas davantage, si l'on se bornait à leur donner successivement ou en même temps, par d'agréables et joyeuses promenades dans la campagne, les no- tions les plus superficielles et les plus intelligibles, sur la gécgra- phie, la géologie, les minéraux, les végétaux, les animaux, l'agriculture et quelques uns des arts du pays qu'ils habitent? Ne pourrait-on pas leur faire ensuite étudier dans les écoles, pendant les journées pluvieuses, les collections d'histoire natu- relle qu'ils auraient rapportées, pour l'école et pour eux-mêmes, de leurs promenades? Une semblable éducation ne serait-elle pas plus en harmonie avec les facultés de leur esprit, avec les goûts de leur âge ; ne serait-elle pas plus facile pour eux, qui ne comprennent facilement que ce qui tombe sous les sens, que ce qui étant matériel peut se toucher et se voir sous toutes les faces? ne serait-elle pas beaucoup plus intéressante et plus amu- sante pour eux, que l'étude de l'alphabet? Serait-il donc coupable de les instruire en les amusant? Faut-il étouffer leur aimable enjouement, leur gaieté si franche et si innocente, sous les dégoûts de l'ennui? et d'ailleurs, par la méthode que nous proposons, ne rentreraient-ils pas plus riches d'idées et de connaissances nouvelles après un jour de promenade ^qu'après un mois de lecture à l'école? Leur curiosité étant vivement sti- mulée par le spectacle de la nature et des arts, à un âge où la mémoire est si puissante , ne s'enrichiraient-ils pas rapidement de beaucoup de connaissances? ^0 [des phénomènes de l'entendement Plus tard, quand leur intelligence se serait déjà fortifiée par ces exercices habituels dans l'étude de l'histoire naturelle, ne devrait-on pas profiter de la facilité avec laquelle ils ou- blieraient ce qu'ils auraient appris, pour leur inspirer le goût de la lecture, qui leur permettrait de retrouver à vo- lonté, dans des livres fort abrégés et très clairs, faits ex- près pour eux, une partie des explications, des indications qu'ils auraient reçues de leur maîtres et qu'ils auraient ou- bliées? Ce mode d'éducation ne serait pas seulement favorable à l'in- telligence , il réunirait encore deux avantages immenses qui, j'espère, en assureront un jour le succès, et dont on ne se préoccupe guère aujourd'hui, quoiqu'on y pense un peu plus qu'autrefois : ce serait de fortifier le corps et la santé, et de révenir ces déplorables habitudes qui infestent les écoles, s'y épandent par imitation et y deviennent des épidémies aussi dangereuses pour l'intelligence et pour les mœurs que pour la santé du corps. En effet, toujours sous les yeux les uns des autres et de leurs maîtres, sans autres récréations que celles de leurs amusantes promenades, les enfants ne pourraient s'isoler, du moins on ne le leur permettrait pas, et trouver dans l'oisiveté les mauvaises ha- bitudes qu'ils y puisent. Fatigués le soir par les courses de la journée, ils auraient un tel besoin de repos et de sommeil qu'ils ne tarderaient guère à s'endormir. Je crois que si par là on ne prévenait pas entièrement le mal, on le diminuerait beaucoup. Il ne resterait plus qu'à trouver le moyen de l'anéantir entiè- rement. On prévoit, par ce que je viens de dire, que je ne puis ap- prouver la punition du cachot, encore en usage. L'enfant seul ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour se désennuyer. Le danger n'est pas moindre s'il a un compagnon de captivité. Ce genre de punitiôn est par trop périlleux pour n'être pas sup- primé. Il n'a été inventé que par des personnes qui ne connais- DANS LA SECONDE ENFANCE. ki saiertt pas les penchants de l'enfonce et du cœur humain , et ces réflexions, qu'on le sache bien, doivent, dans notre pensée, s'appliquer à l'éducation des deux sexes! Par la même raison , pour ne pas favoriser les penchants qui me préoccupent en ce moment, je proscrirais toute relation d'éducation, toute relation habituelle, entre les enfants des deux sexes, dès l'âge le plus tendre. On ne doit pas ignorer que sou- vent , dès l'âge de quatre à cinq ans, ils se recherchent avec plaisir, par l'attrait de la curiosité que leur causent les diffé- rences des sexes; et comme on leur a donné déjà des principes de pudeur, ils cachent soigneusement leurs actions aux yeux de leurs parents. Qu'on songe bien que je ne parle point par théorie, mais par expérience, et que les médecins sont témoins de faits semblables, et quelquefois même des maladies qui en sont la suite. Par les mêmes motifs encore, je proscrirais l'usage fréquent du fouet dans l'éducation, surtout lorsqu'il est administré par des mains féminines chez des enfants de huit à neuf ans. 11 suffit de rappeler les effets que produisaient sur Rousseau les châti- ments de mademoiselle Lambercier pour sentir l'importance de ce précepte.... Mais revenons aux études des enfants. Pendant les jours de pluie qu 'ils passeraient à l'école, on leur exercerait le corps par l'enseignement mutuel, à haute voix et debout, pour les laisser libres de se mouvoir, et surtout par des exercices gymnastiques prudents et incapables de leur faire courir aucun danger. Lorsque l'intelligence des enfants serait parvenue à un certain développement, lorsqu'ils auraient des notions superficielles, mais exactes, sur la nature, qu'ils connaîtraient ces précautions intelligentes et sages qu'on y observe pour la conservation des êtres organisés depuis leur naissance jusqu'à leur mort, ne serait-il pas facile de leur inspirer des idées religieuses, des idées de morale, d'ordre et de sociabilité, de commencer, en un mot, leur éducation morale et religieuse? DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT Ne pourrait-on pas, d'une autre part, leur inspirer le désir d'apprendre à écrire pour étiqueter leurs collections particu- lières d'histoire naturelle, et d'apprendre à dessiner au simple Irait pour figurer les espèces qu'elles renfermeraient? Ne les conduirait-on pas ainsi, par un intérêt immédiat, à apprendre ces deux arts si importants pour toutes les professions? On diminuerait alors le temps consacré aux études d'histoire naturelle, on le restreindrait au temps des promenades, elles- mêmes diminuées, dans leur durée, pour tout le reste des études. On augmenterait, au contraire, le temps consacré aux études de l'école. On étendrait graduellement le cercle de la géographie de la localité à celle du canton, de l'arrondissement, du département, du pays entier, et ainsi de suite. On ajouterait a cet enseigne- ment des notions très superficielles d'astronomie, de 'physique et de chimie expérimentales. On aurait soin de choisir les faits les plus simples, les plus intelligibles et les plus intéressants, afin de donner plus d'attrait à l'enseignement. D'ailleurs, des livres faits exprès serviraient, à cet égard, de guide au profes- seur et de mémento à l'élève. ïl serait temps aussi d'inspirer aux enfants le goût du calcul. Ne pourrait-on pas les y conduire, par leur intérêt particulier, en leur faisant donner par leurs parents des récompenses en argent, en leur apprenant et les obligeant à en tenir un livre de compte, à justifier l'usage qu'ils en feraient d'après les règles qui leur seraient imposées ? Ne serait-ce pas un bon moyen de leur inspirer de bonne heure des idées d'ordre et d'économie, et même d'apprécier, à l'avance, leurs penchants à venir, pour les combattre et en prévenir à temps les mauvais effets? Comme les enfants seraient alors parvenus à l'âge de neuf à dix ans; comme ils seraient déjà riches de beaucoup de con- naissances positives qui donneraient de la force à leur intelli- gence; comme ils seraient susceptibles de plus d'attention , on pourrait les initier à l'étude si abstraite des langues, en com- mençant par leur langue maternelle. DANS LA SECONDE ENFANCE. 43 Je ne crois pas qu'on doive les y conduire plus tôt. L'élude des langues est d'abord difficile et ennuyeuse, et il faut tout faire pour éviter d'ennuyer les enfants et pour leur épargner des diffi- cultés. Pourquoi voudrait-on qu'à leur âge, où la raison et la volonté sont si faibles, ils aient la force de chercher longtemps à surmonter des obstacles, quand nous mêmes, dans l'âge de la raison, nous repoussons si vite les livres obscurs et as- soupissants? Pour leur épargner ces peines et ces dégoûts qui empêchent leurs progrès dans l'étude des langues, j'ai recherché avec beau- coup de soin les causes de ces difficultés, et si je ne les ai pas trouvées toutes, j'ai du moins découvert quelques uns des vices qui les produisent. Un de ces vices de l'enseignement, c'est de faire travailler les enfants, seul à seul, et sans secours, pour les aider à vaincre les obstacles qui les arrêtent. Il en résulte que les paresseux, et ceux qui sont moins intelligents, n'étudient pas leurs lettres, n'apprennent pas leurs leçons, ne font pas leurs thèmes, ne tra- duisent pas leurs versions, ne composent pas leurs vers, en un mot, ne font pas leurs devoirs ou les copient sur ceux de leurs voisins, et que tous perdent un temps considérable et peut-être beaucoup plus de la moitié des années qu'ils consacrent à l'édu- cation, depuis l'âge de quatre ou cinq ans qu'ils commencent à apprendre à lire , jusqu'à l'âge de seize ou dix-huit qu'ils achè- vent leurs études de collège. Pour remédier à la paresse , à l'ennui ou à l'incapacité, je voudrais qu'on les divisât en classe de vingt à vingt-cinq au plus, d'égale force à peu près ; qu'on les fît travailler ensemble, comme dans l'enseignement mutuel; qu'on ne les laissât point se heurter indéfiniment contre les difficultés qu'ils ne peuvent résoudre; qu'on ne leur fît point apprendre de mémoire , par théorie, et seul à seul, les règles de la grammaire, de la versification, etc.; mais qu'on les leur fit apprendre par pratique, en leur expli- quant successivement chaque règle, et en la leur faisant appli- DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT quer immédiatement, sur le tableau, jusqu'à ce qu'ils n'y man- quent plus. Ils les apprendraient ainsi beaucoup plus facilement et avec beaucoup moins de dégoût qu'ils ne le font en étudiant des règles abstraites dont ils auront besoin un jour, et qu'ils ne se rappelle- ront plus quand ils auront besoin d'en faire l'application. Qu'on le sache bien, les enfants n'accordent leur attention à une chose qu'autant qu'elle intéresse leur curiosité, qu'ils en voient l'importance, l'application et l'immédiate utilité. Parla marche qu'on leur fait suivre, le temps employé à apprendre leurs règles, de mémoire, est presque entièrement perdu. Toujours par les mêmes motifs, pour ne pas les ennuyer et les dégoûter du travail, je voudrais qu'ils ne fussent astreints à chercher leurs mots dans les dictionnaires que dans les classes les plus élevées; qu'un maître leur donnât le mot propre dans les dernières classes; que dans les classes moyennes il leur en donnât plusieurs, pour les habituer à choisir. Par là, on leur économiserait beaucoup de temps. Pour alléger encore les diffi- cultés , et répandre de l'intérêt et de la clarté dans leurs études, je voudrais aussi qu'avant d'aborder un auteur, un historien, on leur en donnât une idée générale * et qu'ils étudiassent la géographie nécessaire à l'intelligence de l'auteur pour le bien comprendre. G'est ainsi que je leur apprendrais, tout à la fois, la géographie et l'histoire particulières. Par les différents moyens dont je viens de parler, je crois que l'on raccourcirait beaucoup l'étude des langues, parce qu'on la rendrait beaucoup moins difficile, moins nauséeuse, et qu'il y aurait moins d'incapables et de paresseux. Si l'on relève, en effet, le temps perdu par les élèves qui s'ennuient au lieu de travailler, qui s'arrêtent en face des difficultés au lieu de les sur- monter, qui n'apprennent pas leurs leçons, ne font pas leurs devoirs et se bornent à les copier; si l'on compte le temps qu'ils perdent pour apprendre des règles qu'ils ne comprennent pas d'abord, qu'ils apprennent à plusieurs reprises avant de les corn- DANS LA SECONDE ENFANCE. 65 prendre, et d'y attacher de l'intérêt parce qu'ils n'en sentent pas l'importance; si l'on compte le temps qu'ils perdent à cher- cher leurs mots dans les dictionnaires, et qu'un maître pourrait leur épargner, on conviendra, je crois, que le temps perdu s'élève au total, comme je l'ai déjà dit, à plus de la moitié de celui qui est actuellement consacré à l'instruction de la jeunesse. Après l'étude des langues, viendraient, d'après mon plan, celles de la géographie et de l'histoire générales, celle de la rhétorique, celle des mathématiques et de la philosophie. Mais comme le temps employé à l'étude de la lecture, de l'écriture, des langues, etc., aurait été raccourci de beaucoup par la mé- thode que je propose, ne pourrais-je pas y ajouter, à cause de leur immense utilité, des notions précises, limitées et bien choi- sies d'anatomie, de physiologie, d'hygiène, de médecine, de droit, de la Charte constitutionnelle du pays, et des principes généraux de la politique? Des notions d'anatomie , de physiologie, d'hygiène et de mé- decine, compléteraient l'enseignement de la philosophie, avec laquelle la médecine a été autrefois confondue; des notions d'hygiène et de médecine pourraient être utiles à la santé pu- blique , permettre de sauver la vie à des hommes privés des secours d'un médecin, et de soulager bien des malheureux dans leurs souffrances. Des notions superficielles de droit nous intéressent tous, non seulement en nous faisant connaître nos droits, mais aussi en nous apprenant nos devoirs. N'est-il pas contradictoire, d'ail- leurs, que la société impose à tous ses membres l'obligation d'obéir a des lois qu'elle ne leur enseigne poin t par son instruc- tion publique? Le droit, la Charte, et des principes généraux de politique, enseigneraient à la jeunesse d'une part l'importance , l'utilité de l'ordre et des lois ; d'autre part l'importance et l'utilité de la liberté, qu'ils lui apprendraient à distinguer de la licence, dans l'intérêt de la société. Ils lui apprendraient, en même temps, U6 DES PHÉNOMÈNES DE l/'ENTENDEMENT aussi les causes qui préparent et amènent le bouleversement des empires, les malheurs publics et particuliers des nations, et la nécessité d'employer tous ses efforts pour les prévenir ou les éloigner. Gomment conjurer de semblables calamités si l'on n'emploie pas l'instruction publique à cet usage? A quoi bon la monopov liser pour n'en rien faire dans l'intérêt delà société, et laisser aller au hasard les générations futures, au lieu de les guider et de les conduire? Ne dirait-on pas que les gouvernements se sont em- parés de ce puissant levier sans savoir qu'en faire? Le législa- teur ne devrait-il pas être appelé à régler une institution aussi importante, qui prépare incessamment les fondements de l'a- venir? Et puis l'instruction publique ne doit-elle pas faire de nos en- fants des hommes, des citoyens pour la société ? Croit-on qu'elle y parvienne en leur enseignant précisément ce dont la plupart n'auront jamais à se servir? Mais parla, dira-t-on peut-être, on les prépare à l'art d'écrire. Sans doute. Mais ne pourriez-vous pas les y préparer également en leur enseignant des langues plus utiles que des langues mortes? Et puis, est-ce un avantage pour îa société de regorger d'écrivains et de littérateurs? N'est-ce pas, pour eux-mêmes, une cause de concurrence et de gêne, et pour la société une source inépuisable d'embarras et de désor- dres? On se plaint partout de la vénalité des écrivains, des trou- bles qu'ils suscitent par leurs diffamations et leurs calomnies; on fait contre eux des lois sévères; les tribunaux sont sans cesse occupés à les appliquer et à punir; et tandis que d'une main le gouvernement s'efforce d'étouffer le mal, d'éteindre l'in- cendie par les lois, de l'autre, par une instruction publique vi- cieuse , il attise le feu en multipliant les écrivains, au lieu d'en diminuer le nombre. Ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas le di- minuer, en dirigeant la jeunesse vers des professions devenues aujourd'hui plus nécessaires, plus utiles, et par suite plus lucra- tives? DANS LA SLCONDE ENFANCE, kl Je fais ces réflexion;; sans amertume ; elles ne me sont point in- spirées par un sentiment hostile d'opposition ou de critique, mais par l'amour de l'ordre bien entendu, par l'amour de l'ordre mo- ral, et par l'amour du bien public. Il a pu être utile et nécessaire à une autre époque de favoriser la littérature et la multiplication des écrivains. Le genre humain, comme les individus, arrive à la période des beaux-arts, qui exige surtout de l'imagination , avant d'atteindre la période philosophique, pour laquelle il faut toute la raison de l'âge mûr. Mais depuis que , par des progrès sans exemple chez les anciens, les modernes les ont presque égalés dans les beaux-arts, et les ont prodigieusement surpassés par la création des sciences modernes et de la philosophie natu- relle et positive, il y a moins à se préoccuper de la littérature et des beaux-arts, et plus, au contraire, de l'industrie et des arts qui font la richesse et la puissance des nations. En résumé, je proposerais trois degrés successifs d'enseigne- ment : 1° sciences naturelles, lecture, écriture, dessin, calcul et premiers principes de la religion, de l'âge de cinq ou de six à neuf ans; 2° continuation des enseignements précédents, avec diminution du temps accordé aux sciences naturelles, enseignées seulement dans les promenades, dans les récréations de l'école, et addition de l'étude des langues, depuis l'âge de neuf à quinze ans; 3° enseignement supérieur de la rhétorique, des mathé- matiques, de la philosophie, du droit, de la politique, et de quelques notions de médecine, de quinze à dix-huit ans. Tels sont à mes yeux les objets qui doivent composer une éducation générale complète. L'enseignement de tant de choses paraîtra peut-être trop considérable pour le temps que l'enfance et la jeunesse peuvent y consacrer. Mais si l'on réfléchit que l'étude des langues serait sensiblement abrégée, et que j'ajoute peu de chose à l'enseigne- ment actuel des collèges, on conviendra que le temps de l'en- fance et de la jeunesse pourra facilement y suffire. D'ailleurs, comme il est toujours aisé d'en retrancher une h% DES PHÉNOMÈNES DE E'ENTEÎNbEMENT partie, les parents qui ne voudraient pas de l'un des enseigne- ments dont j'ai parlé, le feraient supprimer pour leur enfant. Les enfants qui se présenteraient au collège à neuf ou dix ans, sa- chant déjà lire ou écrire, seraient classés avec ceux qui com- menceraient l'étude des langues, et prendraient des sciences naturelles, dans les promenades et dans les récréations, ce qu'ils pourraient en saisir, aidés des explications des maîtres, de celles des moniteurs et de leurs camarades. Au reste, tous ces enseignements seraient toujours généraux et superficiels, n'étant point destinés à faire des naturalistes, des physiciens, des chimistes, des médecins et des littérateurs de profession. Ce but ne pourrait être que celui des enseignements professionnels spéciaux qui succéderaient à l'enseignement gé- néral. Pour l'enseignement primaire, on pourrait retrancher celui des langues, à l'exception de la langue maternelle; celui de la physique, de la chimie et l'enseignement supérieur du troisième degré. Je ne retrancherais pas volontairement celui des sciences naturelles, parce que, devant occuper les premières années de la seconde enfance, de cinq ou six ans à neuf, il prendrait un temps que les enfants ne peuvent mieux employer, et servirait autant à leur fortifier l'esprit et le corps, à prévenir de mau- vaises habitudes de toute espèce , qu'à les instruire. J'y ajoute- rais même, vers la fin , quelques notions de droit et l'enseigne- ment de la Charte, à cause de leur importance et de leur grande utilité. Mais c'en est assez , beaucoup trop peut-être, pour prouver que l'instruction publique n'est pas en harmonie avec les pen- chants , les goûts , les facultés de l'enfance, et qu'il est possible de la perfectionner. Bien que l'enfance soit regardée comme l'âge du bonheur, parce que cet âge est exempt des soucis et des cha- grins que causent les passions de l'âge mûr, le temps des écoles est toujours l'époque de la vie qui paraît la plus longue. C'est que ce temps est pour l'enfance un supplice dont la contrainte PENDANT L'ADOLESCENCE. M el les dégoûts pèsent lourdement dans la mémoire, et où les souvenirs voient longtemps une large place assombrie par les ennuis. Si l'enfant était abandonné à lui-même , dès son bas âge , au lieu d'être livré aux mains de l'enseignement public, il conti- nuerait, sans doute, à faire des progrès par l'éducation naturelle, mais il en ferait infiniment moins, et ses progrès dans la con- naissance de la vérité seraient moins solides et moins sûrs. Des idées d'imagination se développeraient, sans doute, dans son esprit. Néanmoins, il est probable que ses premières idées d'imagination lui viendraient, comme elles lui viennent ordi- nairement, des contes que ne manquent pas de lui faire les per- sonnes qui l'entourent. En lui parlant des diables des enfers, qui avec une figure humaine portent des cornes au front, des ongles crochus aux mains et aux pieds, et à la croupe une queue de bête, ne lui donnent-elles pas des idées imaginaires? Ne con- çoit-il pas avec étonnement une idée toute nouvelle pour lui, l'idée d'un être matériel dont il a vu tous les éléments dans la nature, mais qu'il n'a jamais vus réunis à la figure humaine? C'est une imagination matérielle. Tout ce qu'on lui dit de la puissance, de la méchanceté de ces démons, forme également un ensemble de qualités dont il a vu des exemples dans la matière, mais qu'il n'a jamais vus ainsi réunis, et réunis au même degré de puissance et de méchanceté qu'on le lui raconte. Ne pourrait-on pas désigner sous le nom d'imagina- tions actionnelles ou phénoménales, ces imaginations qui résul- tent pour l'esprit d'une succession d'actions ou de phénomènes supposés, comme ils le sont dans les contes, les romans et les pièces de théâtre? DE L'INTELLIGENCE PENDANT L'ADOLESCENCE. Parvenu à l'âge de puberté, l'enfant devient adolescent. C'est un jeune homme. Il est toujours étourdi, il aime encore le bruit et le mouvement, mais moins que dans l'enfance. Des nuages al- k 50 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT tèrent plus souvent sa gaieté ; il est moins gourmand , mais il a plus de présomption et d'orgueil. Les vieillards qui aiment à lui donner des conseils au nom de l'expérience perdent généralement leur temps. Il semble que la faculté de les comprendre manque au j eune homme; il méprise avec orgueil des conseils qui l'ennuient, lia trop de confiance en lui pour ne pas braver les obstacles qui s'opposent à ses passions, jusqu'à ce qu'il ait maintes fois essuyé les dures leçons de l'expérience. Chaque âge n'arrive ainsi à la sa- gesse qu'à ses dépens, et il ne faut rien moins pour dissiper la folle confiance de la présomption de la jeunesse. Malgré la bonne opinion qu'ils ont d'eux-mêmes, les jeunes gens sont souvent timides en face des étrangers, et surtout des étrangers d'un sexe différent du leur. La timidité et la pudeur sont surtout des sentiments de la jeunesse. ïl y a une émotion qui joue à cet âge un bien plus grand rôle: c'est un sentiment d'affection, mais d'une affection de nature différente de celle de la reconnaissance, de l'amitié, de l'amour filial et de la sociabilité, que l'adolescent a jusqu'alors éprou- vés. Ce sentiment le porte, d'abord, vers tous les êtres d'un sexe différent et du même âge à peu près que le sien. Mais si les circonstances lui permettent de fréquenter l'une des personnes qui l'attirent, ou si les grâces de l'une d'elles font sur lui une impression plus vive, le moindre témoignage de sympathie , le plus léger regard d'attention qu'elle laisse tomber sur lui, l'at- teint au cœur et l'embrase d'une ardeur inconnue. C'est l'étin- celle qui tombe sur un foyer de matières inflammables. Mais la passion s'allume aussi dans le cœur du jeune homme sans aucun témoignage de sympathie propre à l'encourager ; elle s'allume même malgré des témoignages manifestes d'antipa- thie. Alors , tout entier à l'objet de son amour, il ne voit plus que lui dans la nature, il n'entend que lui, ne pense qu'à lui, pendant la veille et pendant le sommeil; tous les besoins semblent se taire en lui; la passion le dévore comme une fièvre ardente PENDANT l/ADOLESCENGE. 51 jusqu'à ce que la possession de l'objet aimé vienne l'apaiser; ou qu'elle s'apaise d'elle-même avec le temps; ou que la raison s'égare jusqu'à la folie, au suicide ;,ou que la vie, consumée par la violence delà passion, s'éteigne à la longue et succombe à ses souffrances. D'autres fois, comme on le voit dans les pays corrompus, chez les jeunes gens riches ou aisés que le lâche amour des parents a gâtés, la passion prend un tout autre caractère. C'est une suite d'amours vagabonds, d'affections volages et changeantes, de caprices ardents qui s'enflamment et s'éteignent aussitôt, pour se rallumer ailleurs, jusqu'à ce que cette fièvre d'accès de liber- tinage , qui s'accompagne de débauches et de dépenses folles, se termine par la misère, ou par le retour complet ou incomplet à la raison , triple fin de cette époque orageuse de la vie. Le jeune homme rachète ses faiblesses par des qualités bien précieuses. ïl est en général sensible , compatissant et géné- reux. Il est très accessible à l'amitié; et quoique , par suite de sa présomption naturelle, il soit trop enclin à manquer de respect à ses supérieurs et à ses parents, il a horreur de Tin- gratitude , méprise la cupidité et l'égoïsme , estime les senti- ments nobles et généreux : le dévouement, la franchise et le courage porté jusqu'à l'audace, li aime la justice et la liberté avec passion. Mais son étourderie, sa présomption, son igno- rance du cœur humain, son défaut d'expérience , en un mot, lui inspirent une confiance aveugle pour les paroles sentimen- tales des hommes à illusions ou le livrent sans défense aux charlatans qui l'abusent. Il prend facilement la licence pour de la liberté , et court se jeter, tête baissée, dans les pièges qu'on tend à son innocence. C'est encore l'expérience qui le gué- rira de cette frénésie. Les conseils de la vieillesse y font peu de chose, et souvent les jeunes gens que leurs parents parvien- nent à contenir par leur sévérité ne sont que physiquement contenus; ils murmurent intérieurement, et leur raison n'est point soumise. Ceux qui échappent à cet enivrement ne le doivent 52 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT fréquemment qu'à l'absence des circonstances, qui, n'agissant point sur eux , ne peuvent y produire leurs effets naturels. Bien qu'après la 'puberté Ventendement n'ait pas encore at- teint toute sa puissance , il a tous les genres de facultés qu'il peut avoir; il a le jugement assez développé pour aborder les difficultés les plus ardues des connaissances humaines , des sciences et des arts; il peut tout apprendre, mais il ne peut pas encore découvrir et inventer tout ce que l'esprit humain peut découvrir et inventer; il ne sait pas encore assez observer et raisonner. Les facultés intellectuelles dominantes à cet âge sont la mémoire, qui est heureuse et fidèle; l'imagination, qui est vive et brillante , mais trop peu réglée par le juge- ment. Il aura plus tard son tour de supériorité, mais le temps n'en est pas encore arrivé. Ces trois facultés sont-elles uniques et simples, chacune en particulier, en sorte que la mémoire se montre également facile et fidèle pour tous les faits qu'on lui confie, le jugement égale- ment prompt et sûr pour toutes les questions auxquelles on l'applique, l'imagination également vive et heureuse pour tous les sujets qu'elle conçoit et dont elle fait l'objet de ses compositions? L'observateur a pu apercevoir que dès la seconde enfance ces facultés paraissent déjà multiples; mais les faits parlent un lan- gage bien plus clair à l'époque de l'adolescence, où les facultés intellectuelles sont mieux dessinées et mieux caractérisées. Qui ne s'est aperçu que parmi les jeunes gens les uns ont plus de facilité à retenir la prose que les vers, et d'autres les vers que la prose; que les uns ne peuvent apprendre que ce qu'ils com- prennent; que d'autres apprennent même ce qu'ils ne com- prennent point; que les uns retiennent très facilement des airs et très difficilement des règles de grammaire; que ceux-ci gar- dent mal le souvenir des lieux par où ils passent et très bien la mémoire des figures; qu'ainsi le même jeune homme retient certaines choses avec une très grande facilité et d'autres avec une extrême difficulté? PENDANT L'ADOLESCENCE. 53 Ce n'est clone pas la même faculté qui préside à tous ces sou- venirs? Si la mémoire est une faculté unique, pourquoi se montre-t-elle si inégale, si puissante et si fidèle pour certains souvenirs, si faible et si infidèle pour d'autres souvenirs, chez le même individu? La mémoire est donc une faculté qui se compose de plusieurs facultés de mémoire, comme les genres des naturalistes qui embrassent plusieurs espèces distinctes? Ce n'est donc qu'une faculté générique et multiple? Voyons s'il en serait de même pour le jugement. Les enfants se montrent-ils également capables dans la traduction des thèmes et des versions? Assurément non. Cependant n'est-ce pas tou- jours par des opérations de jugement que se font les traductions? L'imagination peut bien en colorer le style , mais est-ce l'ima- gination qui saisit la véritable signification des mots et qui évite les contre-sens? Quelle différence n'y a-t-il pas encore, chez le même individu , dans les jeunes gens, sous le rapport du calcul, de la musique et du dessin qu'ils apprennent en même temps! Pour toutes ces études il ne faut encore que du jugement pour saisir les rapports de quantité dans les nombres, les rapports d'étendue, de direc- tion dans les lignes du dessin , les rapports de gravité , d'acuité et de durée dans les sons de la musique. ïl ne s'agit pas de composition où l'imagination ait rien à créer. Combien les différences ne deviennent-elles pas plus pronon- cées et plus remarquables lorsqu'on voit surgir, tout-à-coup, de ces petits phénomènes qui, doués d'un jugement médiocre en toute autre chose, résolvent immédiatement et sans plume des problèmes qui arrêtent des mathématiciens consommés ; ou exé- cutent , après quelques essais, des morceaux de musique que les autres ne parviennent à exécuter qu'après des études longues et prolongées! Quand on observe que celui qui fait preuve d'un jugement si prompt et si sûr pour le calcul, pour le dessin et pour l'exé- cution musicale, pour les versions grecques et latines, ou 5k DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT pour les thèmes, ne montre qu'un jugement lent et faible dans les autres choses, peut-on croire que le jugement soit une faculté simple et unique? Si cette faculté était unique, comme la force de la contrac- tilité musculaire, le même sujet qui fait preuve d'un bon juge- ment en thème ne devrait-il pas se montrer à peu près également capable en version, en calcul, en dessin, en exécution musi- cale? Doué d'un jugement supérieur, ne devrait-il pas se mon- trer supérieur dans toutes les circonstances où il faut surtout du jugement, comme l'athlète qui est toujours fort partout où il faut déployer de la force musculaire? Le jugement est donc encore un genre de facultés qui em- brasse beaucoup d'espèces, en un mot, une faculté générique et multiple? Quelle prodigieuse inégalité ne rencontre-t-on pas aussi dans les œuvres d'imagination chez les jeunes gens! Tel qui brille dans le genre comique est éclipsé dans le genre tragique par celui-là même qu'il éclipsait dans le premier cas; l'un a du succès dans les compositions légères et échoue dans les compo- sitions graves et sérieuses, où triomphe, au contraire, un autre qui succombe dans les premières. Celui-là fera un littérateur distingué, celui-ci un merveilleux compositeur de musique, un troisième un grand sculpteur, et le quatrième un peintre fa- meux. Un autre improvise avec une extrême facilité en poésie; vous lui jetez les mots les plus bizarrement décousus, il vous les renvoie aussitôt en vers spirituels, rendus plus piquants par la circonstance même. Un autre, encore, improvise en musique et parle la langue d'Orphée, comme un orateur, en prose, sa langue maternelle. Un autre enfin dessine des figures au trait avec au- tant de facilité qu'un écrivain public jette des parafes, ou com- pose immédiatement une figure sur quatre ou cinq points aux- quels vous donnez, sur le papier, toutes les positions imaginables. II place un membre sur le premier, un second membre sur le second, un troisième sur le troisième , et ainsi de suite , jusqu'à DANS LA VIRILITÉ OU AGE MUR. 55 ce qu'une figure régulière couvre tous les points marqués sur le papier. Néanmoins, malgré leur extrême facilité , les improvisateurs n'atteignent presque jamais-la supériorité à laquelle s'élèvent les auteurs de génie qui travaillant avec lenteur , qui vingt fois , sur le métier, remettent leur ouvrage. Vainement ils voudraient suivre le précepte du poète, généralement ils n'y parviendraient pas. Cela ne tiendrait-il pas à ce qu'ils manquent de la sévérité du goût, de ce goût délicat et fin qui est le jugement appliqué aux choses d'imagination? Et n'est-ce pas , en partie , parce qu'ils manquent de cette extrême délicatesse du goût qu'ils s'abandon- nent si facilement à leur talent d'improvisation? L'imagination n'est donc pas plus que la mémoire une faculté unique, c'est donc encore un genre de facultés, une faculté gé- nérique comprenant diverses espèces, des espèces qui existent aussi à différents degrés chez les différents individus? Voilà, je crois, messieurs, la clef des profondes inégalités qui s'observent entre les intelligences. Il y a d'autres causes encore d'inégalités; mais celles-ci n'affectent qu'accidentellement les intelligences en gênant et dirigeant leur développement d'une manière défavorable. Cette théorie de la multiplicité des facultés intellectuelles est aussi la clef de l'analyse des facultés de l'en- tendement; c'est elle qui nous en ouvrira le sanctuaire et qu1 nous permettra de les observer une à une et en détail sur nous- mêmes, chez les autres hommes , dans les affections mentales et chez les animaux. La doctrine qui en sortira nous permettra , en passant au crible de la vérité les doctrines contradictoires des philosophes en général et des écoles philosophiques de Gall et de Reid en particulier, de séparer l'ivraie du bon grain , et de concilier leurs philosophies opposées. DE L'ENTENDEMENT HUMAIN DANS LA VIRILITÉ OU AGE MUR. Parvenu au terme de son accroissement, vers l'âge de vingt- cinq ans, l'adolescent entre dans l'âge de la virilité et devient 56 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT un homme. Son intelligence est plus grave et plus sérieuse, sa mémoire est encore facile et sûre, son imagination vive, mais son jugement est plus sévère et plus juste. Il a moins de goût pour les œuvres d'imagination, il en a davantage pour la vérité; il s'étonne lui-même de son refroidissement pour les fictions ma- gnifiques de la poésie qui charmaient sa jeunesse; il s'étonne de n'y plus retrouver les plaisirs qui l'ont tant ému. 11 ne s'aper- çoit pas que, depuis cette époque, la raison s'est emparée de son esprit, et que le jugement y domine pour le reste de sa vie. Sans doute il y a des hommes qui restent toujours jeunes par leur esprit, même sous les glaces de la vieillesse : ce sont des exceptions au développement naturel de l'entendement humain. On en observe de bien plus extraordinaires dans l'histoire de l'humanité; car la civilisation du genre humain suit, comme nous l'avons déjà dit et comme nous le démontrerons plus tard , les mêmes lois dans son développement que l'intelligence des individus. L'histoire montre des nations libres qui, restées, comme la nation grecque, pendant douze siècles d'une bril- lante civilisation, à la période des arts d'magination, sont à peine entrées dans la période de la philosophie naturelle et posi- tive, bien que quelques hommes, chez ces nations, comme Aris- tote, les anatomistes de l'école d'Alexandrie et Galien, l'aient cul- tivée avec ardeur. Vous voyez, messieurs, que je confonds, pour le moment, le jugement avec la raison , et que j'en fais la première qualité de l'esprit. C'est que le jugement est la faculté qui apprécie les actes des autres facultés, les souvenirs de la mémoire, les con- ceptions de l'imagination qu'il dirige; c'est lui qui découvre les mystères de la nature et invente les arts utiles par les déductions qu'il tire de la nature , ainsi que je crois l'avoir démontré ail- leurs (1). C'est lui qui fait distinguer la vérité de l'erreur, l'utile de ce qui n'est qu'agréable, ce qui est certain de ce qui est (f) Voy. ma thèse pour le doctorat, Paris, 1823, chez Labbé, place de l'Écolc-dc-Médcnne. L-..-J L- DANS LA VIRILITÉ OU AGE MUR. 57 douteux , le bien du mal, ce qu'il convient de faire dans les en - (reprises importantes ou difficiles, et ce qu'il faut éviter dans les circonstances périlleuses. C'est que Je jugement est la sagesse des conseils, la lumière qui dissipe les ténèbres, la prudence qui dirige l'homme à travers les écueils , le rend supérieur aux autres hommes, l'élève au commandement et en fait le guide suprême de la société dans les calamités publiques. C'était Thé- mistocle à Salamîne, Annibal attaquant Rome en Italie , Fabius Maximus défendant Rome contre Annibal , Mirabeau dans l'as- semblée constituante , Napoléon dans plusieurs circonstances de sa vie. Si la raison de l'âge mûr met ordinairement l'homme à l'abri des orages de la jeunesse, elle ne le protège pas contre toutes les passions. Chaque âge a les siennes , et en passant de l'un à l'autre, l'homme ne fait ordinairement que changer ses anciens penchants contre des penchants nouveaux. D'autres fois, il les cumule, pour ainsi dire, et se prépare ainsi des chagrins amers ou même de grands et irréparables malheurs. Ainsi, quoique les passions dominantes de l'âge mûr soient la cupidité et l'ambition, elles n'étouffent pas toujours celle du libertinage. La cupidité et l'ambition sont de la même famille , ce sont deux sœurs qui se ressemblent beaucoup : la première ne désire que des richesses; la seconde, plus avide encore, con- voite richesses, honneurs et pouvoir. La première s'observe presque toujours seule dans les classes inférieures et ignorantes de la société; la seconde vit au contraire dans les classes plus élevées, plus éclairées, et y est évidemment développée par les lumières de l'instruction ou de l'éducation ; Tune est la passion des petits, l'autre la passion des grands. Ce n'est pas un motif de supprimer l'éducation et l'instruction qui élèvent l'homme et le grandissent; mais c'est un motif pour y apporter un contrepoids et des précautions. L'instruction est une arme offensive et défensive terrible; c'est, plus encore , c'est un œil qui éclaire , c'est un conseil qui 58 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT dirige. Tandis que l'homme éclairé aperçoit de loin son adver- saire et en apprécie les forces et les moyens, l'ignorant marche en aveugle dans les ténèbres de la nuit; tandis que le premier lui tend mille embûches, l'ignorant ne les reconnaît que lorsqu'il y est tombé. Aussi rien de plus dangereux pour la société et pour eux-mêmes que les hommes instruits, sans fortune et sans ressources, qui entrent dans la société armés de leur capacité, sans qu'on leur ait préparé les moyens d'en faire un bon usage. On ne saurait imaginer tous les troubles et tous lejs maux qui en résultent. Les uns, n'ayant pas assez d'ambition ou ayant trop de con- science pour vivre aux dépens des autres, et abandonner les voies de l'honnête homme, vivent malheureux; les autres, am- bitieux et hardis, se fraient violemment le chemin des honneurs et de la plus haute fortune, l'épée à la main, pour ainsi dire, comme les héros des temps fabuleux; d'autres, moins auda- cieux , s'avancent en rampant par des souterrains tortueux; d'autres s'organisent en camaraderies, et forment de redouta- bles coalitions au sein de la grande société, qu'ils troublent in- cessamment par leurs entreprises et leurs intrigues. Malheur à ceux qui se rencontrent sur leurs pas! ils tombent, déchirés de toutes parts, sans avoir aperçu d'où sont partis les coups qui les ont frappés. Ne serait-il pas possible de moraliser et de régulariser, en la dirigeant, l'activité de toutes ces intelligences, de toutes ces forces vives? Ne serait-il pas possible d'en tirer parti et de les faire tourner au profit de la société en les faisant travailler à leur bonheur même? Ne serait-il pas possible, pour y parvenir, de compléter l'enseignement professionnel qui existe déjà en grande partie; de créer et d'organiser convenablement des écoles profession- nelles pour les besoins publics qui en manquent ? Ne pourrait-on pas diriger ensuite, dans des voies préparées d'avance, toutes les capacités que révéleraient des concours publics convenable- DANS LA VIRILITÉ OU AGE MUR. 59 ment institués? Ne pourrait-on pas, dans un concours, tenir un compte juste de la moralité des jeunes gens? Voyez alors les avantages qui en résulteraient pour la société: les capacités mises en relief par leur bonne conduite et par leurs talents éprouvés pourraient entrer de droit, comme le font les élèves de l'École polytechnique, de l'École normale, dans les diverses carrières publiques, où l'avancement devrait être réglé d'après l'intérêt général. Les capacités moins élevées entreraient dans une foule d'administrations et d'entreprises particulières auxquelles les recommanderaient leurs succès des écoles , l'estime de leurs maîtres et même l'appui du gouvernement. L'intelligence aurait alors, dans la société, la haute place qu'elle devrait toujours y occuper dans l'intérêt de tous, pour le bien et pour la sécurité même de la société. Je ne sais si je m'abuse; mais je crois qu'une telle organisa- tion , dont je ne présente ici qu'en passant l'idée fondamen- tale , de peur de m'éloigner par trop de mon sujet, donnerait au gouvernement de la force et de la stabilité , à la société des ressources et de la grandeur; car à sa tête se trouveraient l'in- telligence et la moralité, qui sont la véritable aristocratie de la nature, aristocratie un peu plus forte et plus respectable que l'aveugle et fatale aristocratie de l'hérédité. J'aime à penser , surtout, qu'elle mettrait un terme à ces habitudes d'intrigue qui corrompent les mœurs et l'esprit des nations et en prépa- rent l'opprobre et la ruine. Des passions de la cupidité et de l'ambition qui ont provoqué ces réflexions et ces remarques, découlent d'autres passions pénibles et également dangereuses : ce sont l'amour du jeu et les horribles émotions qu'il traîne à sa suite, l'aversion, la haine, la jalousie, l'envie, qui sont encore des sources inépuisables de crimes publics et particuliers, de troubles et de désordres dans l'État, en sorte que directement et indirectement l'ambition excessive est une des plus terribles passions et une de celles que la société a le plus d'intérêt à contenir et à diriger, 60 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT Enfin, à l'âge de la virilité, il en est encore une qui joue un grand rôle dans la vie de l'homme : c'est l'amour paternel. DE L'ENTENDEMENT DANS LA VIEILLESSE. A mesure que l'homme approche de la vieillesse et entre plus profondément dans cette période de la vie, de nouvelles révolu- tions se passent dans son entendement. Dès le milieu de l'âge mûr, la mémoire perd de sa fidélité pour les impressions qu'elle reçoit; mais les impressions anciennes et surtout les im- pressions de la seconde enfance s'y conservent avec une admi- rable fraîcheur, qui fait un frappant contraste avec l'éclat terne et effacé de souvenirs beaucoup plus récents. Souvent même, du jour au lendemain, le vieillard oublie des faits qu'il lui importe de retenir. L'imagination, déjà refroidie dans l'âge mûr, se refroidit et se décolore de plus en plus dans la vieillesse. Le jugement conserve souvent toute sa force et ordinairement sa supériorité sur les autres facultés, soit qu'il n'ait rien perdu, encore, de sa capacité, soit qu'il la doive à la grande expérience qui l'éclairé, soit à ce que la voix des passions qui l'égarent, dans la jeunesse, est éteinte ou fort affaiblie. N'est-il pas permis de croire que toutes ces causes réunies contribuent à donner à la vieillesse la modération, la prudence et la sagesse qui la caractérisent, et qui est reconnue par tous les peuples, par les peuples civilisés comme par les sauvages les plus barbares? Aussi les vieillards siègent-ils tou- jours en grand nombre dans les conseils des nations. Cependant la vieillesse a, comme tous les âges, ses faiblesses et ses passions qui lui rappellent incessamment que, malgré les lumières de sa grande expérience, elle fait toujours partie de l'humanité, et s'en rapproche d'autant plus qu'elle s'éloigne du type de sagesse dont je viens de tracer l'esquisse. N'ayant point encore franchi la période de l'âge mûr, je ne puis m'aider de mes observations sur moi-même, pour parler des sentiments et des passions de la vieillesse; je ne puis le faire DANS LA VIEILLESSE. 61 que d'après les observations des autres et d'après celles que j'ai recueillies moi-môme. Cette circonstance, je dois l'avouer, me cause de l'embarras et à cause des exceptions individuelles et parce qu'on apprécie bien mieux la puissance relative d'un sentiment, à une époque déterminée de la vie, lors même qu'on l'a faiblement éprouvé soi-même, que lorsqu'on n'a pu en ressentir l'influence et en apprécier l'activité, comparativement à celle des autres émo- tions. Aussi, mes incertitudes et mes embarras se trahiront né- cessairement dans le peu que j'en dirai. Et si j'en parle, c'est pour ne pas laisser, dans cette histoire des phases de l'entende- ment, un vide par trop manifeste et trop profond. Bien que certains vieillards se montrent fort gais et fort ai- mables , la vieillesse passe pour être d'une humeur triste et chagrine. On voit, en effet, des vieillards qui offrent ce carac- tère à un très haut degré. On en voit qui, après avoir été très doux et peu susceptibles dans le cours de leur vie, sont devenus d'une irritabilité et d'une impatience extrêmes. Souvent louan- geurs du passé , ils déprécient et calomnient le présent, comme s'ils se vengeaient de ce qu'il leur échappe trop vite. Quelques uns se montrent d'une sévérité pour les jeunes gens qui semble aller jusqu'à la méchanceté. C'est, dit-on , une des faiblesses du sexe, et cette faiblesse a bien des excuses. Les femmes perdent une si belle couronne et un si grand em- pire , en gagnant des années et franchissant l'automne de la vie! Les vieillards passent pour aimer généralement la bonne chère; mais il y a bien des exceptions. Il y en a dont l'esprit pousse le libertinage jusqu'à la dépravation. La jeunesse, surtout, reproche à la vieillesse son égoïsme, sa cupidité, son avarice. Si le reproche est souvent fondé, la jeunesse a ses raisons pour y insister : elle aime autant à dissiper que la vieillesse à con- server. 02 DES PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT L'expérience prouve que l'ambition ne s'éteint pas toujours dans le cœur du vieillard. Elle y bride même parfois d'une ar- deur dévorante, quoique le corps tombe en ruines. Cependant le vieillard ne se laisse plus guère enivrer par les fumées de l'orgueil, quoiqu'il puisse tenir encore aux hochets de la vanité. Malgré l'affaiblissement de son corps, son esprit peut conserver un grand courage, mais il n'a plus l'audace de la jeunesse. Il peut regarder la mort face à face, d'un œil tranquille, comme Socrate, mais il ne se précipite point, seul, au milieu des enne- mis, dans une ville assiégée, comme Alexandre chez les Oxy- draques. La prudence est au contraire un des caractères sail - lants de son âge. Mais, en général, lorsqu'il est susceptible de commettre une honteuse action, son âme n'en rougit pas plus que sa figure. Généralement peu sensible et peu compatissant, il ne s'émeut guère que pour ses intimes amis , sa famille, et il aime surtout ses petits-enfants. Rendu calme par l'affaiblissement des passions, son imagina- tion ne pouvant plus le bercer d'espérances trompeuses que son jugement et sa froide raison apprécient à leur juste valeur, il se résigne et ne se passionne plus que pour la conservation de son repos et de sa tranquillité : aussi offre-t-il le plus frappant contraste avec le jeune homme. Trop riche de passé, pauvre d'avenir, le vieillard vit de son passé et tient beaucoup au pré- sent; le jeune homme, au contraire, riche d'avenir, gaspille le présent et ne vit que dans l'avenir. Aussi le vieillard est, en gé- néral, pour les institutions politiques, comme pour sa fortune particulière, essentiellement conservateur, et le jeune homme essentiellement innovateur et dissipateur. Le caractère politique et la conduite de la vie sont ainsi, bien plus qu'on ne le pense, le produit immédiat et irréfléchi de nos penchants. Ce n'est pas que le jugement et la volonté y soient pour rien, mais ils sont à notre insu fortement influencés dans leurs décisions par nos propres penchants. DANS LA VIEILLESSE, 63 Quand, réfléchissant à l'influence des passions dans le cours de la vie, j'aperçois que l'absence de toute émotion, et surtout de toute émotion d'attachement, nous plonge dans uninsuppor table ennui qui nous détache de la vie et nous en donne un pro- fond dégoût, je me demande si la plus grande partie des émo- tions de l'âme n'est pas précisément destinée à nous rattacher à la vie, à en rendre le fardeau supportable et même agréable? Et, je l'avoue, je ne puis surtout m'empêcher d'y croire, lorsque j'observe que les sentiments d'affection qui nous y rattachent le plus ne nous abandonnent à aucun âge. On dirait que si le temps les affaiblit, le temps les renouvelle et leur conserve toute leur vivacité et toute leur fraîcheur. Ainsi, tandis que dans l'enfance nous nous attachons, surtout, aux personnes qui nous donnent des soins et à nos parents, plus tard nous aimons nos frères et nos camarades d'enfance; dans la jeunesse, c'est l'amour du sexe opposé qui remplit notre âme; dans la virilité, c'est l'amour de nos enfants; et dans la vieillesse, l'amour de nos petits-enfants. Comment se refuser à croire que cette harmonieuse succession de sentiments d'amour ne soit pas destinée à répandre inces- samment de nouveaux charmes dans la vie et à nous y rattacher par des attraits toujours nouveaux.? Enfin, souvent il arrive un moment, dansla vieillesse, où les or- ganes se détériorant par les progrès de l'âge, une partie des sens s'oblitère, l'intelligence tombe graduellement, et quelquefois rapidement en ruine par la perte successive des facultés de la mémoire , de l'imagination et du jugement. On dit alors que le vieillard est en enfance; mais on se tromperait si l'on croyait que l'entendement revient réellement à l'état où il était dans le premier âge de la vie. Cette situation nouvelle est un état de décadence et de maladie incurable qui ne fait que s'aggraver chaque jour; qui peut abaisser l'homme au-dessous de la brute; qui peut aller jusqu'à le priver des instincts de conservation les plus importants à la vie, et faire du plus noble des animaux, du roi de la terre, la plus triste chose qu'on puisse imaginer. iSU PHÉNOMÈNES DE L'ENTENDEMENT DANS LA VIEILLESSE» Remarquons en finissant, et contradictoireinent avec la phi- losophie moderne, que la plupart des faits dont nous avons parlé jusqu'ici, dans l'histoire des phases de l'entendement aux diffé- rents âges, ne nous ont pas été fournis par la seule observation intérieure de nous-mêmes, mais par l'observation extérieure et par l'observation intérieure; que l'homme ne porte point en lui, le sujet entier de ses observations philosophiques, comme le croyait l'illustre Jouffroy, et qu'on ne parviendrait jamais à Connaître l'entendement humain , et surtout la multiplicité des espèces de ses facultés génériques, si l'on se bornait à l'étudier en soi-même. Nous en aurons bien d'autres preuves par la suite; mais celles-ci suffisent pour rectifier cette grave erreur. Maintenant que nous avons suivi rapidement l'intelligence dans son développement, ses progrès et sa décadence, nous de- vons l'examinerjen détail dans son exercice et son activité, pour passer plus tard à l'analyse de tous ses phénomènes et de toutes ses facultés , considérés séparément les uns des autres et chacun en particulier. Ce sera le sujet de mémoires ultérieurs. PARIS. IMPRIMERIE DE BOURGOGNE ET MARTINET, rue Jacob, 3o. 'guent psychical superiority of the lower ani- NEW BOOKS. If live Animals Keaton and I^anurnaare 9 In two large volumes, comprising upward of 1.100 pages, the subject of Mind in the Lower Animals" is discussed from the point of a view of a physician-naturalist by Dr. W. L. Lindsay [Appletons]. Tho author of this work, which, regarded merely as an accumulation T>f verified and classified facts, is a unique and precious contribution to the data of compara- tive psychology, claims that he entered on his Inquiry without any theory to defend, support, .or illustrate. We are bound to say that while his general conclusions are boldly and con- tinually avowed, his, claim of fairness and caution is justified by his method of examin- ing particular phenomena; that he seems willing at all times to renounce any im- pression or belief which is shown to be scientifically untenable. He has been at sin- gular pains to authenticate the incidents and anecdotes here cited by communication With the oye witnesses, and often by personal observation. It is a part of his plan to under- take a rough classification of the facts thus veri- fied, so as to bring out their relative import- ance, or significance. He shows, too, a com- mendable discretion in restraining himself from inference on many topics where the mate- rials of induction are inadequate, recognizing mat the time has not yet come for full general- ization on such a subject as mind in the lower and especially in the lowest animals. But, While no excursion isattempted into the re- gion of pure speculation, it is the object of this ■ book to show that exact and indisputable facts already exist in sufficient quantity to demon- strate the possession, by certain animals at all Dvents, of the higher mental faculties as they occur in man—in other words, of reason, as contra-distinguished in common language from mere instinct. / The clue which has guided the author of this remarkable work in his laborious inquiry may be indicated in a sentence. He nowhere com- pares the subjects of his study with the most highly developed adult specimens of civilized humanity, but contrasts step by step the gene- sis and evolution of mind in the young of the lower animals with the dawn and gradual ex- pansion of intelligence, on the one- hand, in the human infant or child of civilized races, and, on Ihe other, in savage man under the different de- crees and conditions of his savagery. The re- mits of such parallelism, however, on his part, flo not always accord with the view advocated *9y Locke, and in our own day by Carpenter, Ihat the mental development of a child at va- rious ages marks the levels which, in other an- imals, intelligence permanently attains. On Jho contrary, they go far to attest the not infre-. mals—the dog, horse, elephant, parrot, or ape— j over the human child, and even over the adult : savage. j Obviously the animals that would best repay man's observation and experiment are those ihat most closely resemble him. on the one hand, in structure and functions, as coming nearest in the scale of organized being, or, on the other hand, in habits, as being most inti- mately associated with him. as companions, servants, playthings. Tho fittest objects of in- guiry, therefore, would naturally be the anthro- poid apes on the one side, and the dog on the other, and we -find these animals oftenest se- lected for study in these volumes. To these, accordingly, we shall mainly confine ourselves In a survey which, owing to the great scope of ihe work before us, must needs be lax and cur- i Bory. Before looking, however, at the evidence; brought forward to substantiate the possession 1 by animals of a moral sense, a religious feel- ing, a capacity for education, a vocal and; non-vocal language, a comprehension of . liuman speech, an adaptiveness to man's , Instruments and appliances, and even a faculty Of numeration and calculation, we may pause far a moment to point out the prevalence of Ignorance, error, and prejudice evinced in the current misconceptions of animal character. It is amazing, indeed, to note how signally the tonclusions of vulgar observers have been ritiated by their indifference or imagined; superiority to the so-called lower animals—how j Widely, in other words, the reputations popu- I larly assigned to certain species fail to reprer Sent their real moral or intellectual qualitiesT We hear a great deal, for instance, of the lion as the king of beasts, and of its alleged bravery.. But African travellers and sportsmen have ex- posed the pretensions of this animal, de- scribing cowardice as Its true character rather than courage, and showing that it Will run away like a whipped cur under circumstances in which tho tiger will boldly attack and kill. The ideas generally as- sociated with the last-named beast are those of ferocious courage, bloodthirstiness, untamea- bility; but according to Jamrach, the well- known wild animal dealer of London, the tiger can be tamed, if taken young, and then forms harmless companionships with dogs or other animals. Its tractability is further proved by the fact that Indian fakirs travel about the eountry with tame tigers, which they simply lead with a slight string, and which will allow themselves to be caressed by tho hands of chil- dren. Even the mature wild tiger exhibits cer- tain moral qualities that are considered admi- rable when they occur in man—as. for example, a wonderful magnanimity sometimes in tho case of. a weak adversary that dis- plays dauntless pluck, manifesting respect not only by sparing the victim's life when completely S powerless, but even by contracting an attach-" ment for it, taking it under protection, and, in short, making a comrade of it. All this, we are assured, on indisputable authority, has been flone by a tiger toward a dog that stood up to it In the fight, to the tiger's obvious amazement, followed by its ardent admiration. Next to the tiger, the common hyena bears the most de- cided character for ferocity in the popular mind, tts laughter is supposed to be of the kind that we call fiendish, and which wo ascribe to the typical demons of opera or pantomime. Never- theless, the hyena maybe trained to act in place of a watch dog; it becomes attached to man, and is sensitive to kindness. Again, we are accustomed to think of the wolf in connec- tion with incorrigible voracity and blood- thirstiness, yet numerous authors of un- questioned competence describe it as capa- ble of being tamed, as being affectionate and emotional, moved equally by joy and sorrow. Frederick Cuvier gives the case of a tame one that was as tractable as a dog and as fond of its master, drooping in his absence and making demonstrations of delight on his return, plants Ing its forefeet on his shoulders, and lickimî : his face. Such companionships, with all the j affection they embody or illustrate, must be borne in mind in judging of the probable veri- ty, of various storie.s current at the present day in India about the upbringing by wolves of human children. To cite another instance of misconception, we speak of a man being a bear, When we mean that he is gruff or rough, stupid, callous, cold, and cruel. In reality, however, the Arctic bear, with which species we should be most familiar through aocurate description,is intelligent, ingenuous, affectionate, compan- ionable, and tractable. Their whelps frequent- ly become not only amusing, but harmless play- fellows of children, and they will also mess umicably with cats, dogs, and birds. There is, in fact, a rarity of bad humor—of any loss of lemper—in bear whelps brought up with hu- man infants; even teazing by the latter is borne With wonderful equanimity, and, in some cases, a decided affection is contracted for some child companion, whom the bear cub may even feed, protect, and caress. It is no peculiarity of the Arctic bear that it is sometimes unhappy, sul- len, and revengeful. In this case, as in that of bo many other animals, it is under the influence of man's persecution of their cubs that such inoral or mental qualities are developed. It would seem, too, that the cat has been quite as mu*h maligned and misunderstood as it has been petted. Its apparent affection is often de- scribed as a cupboard love; it is said to be at- tached to places, not to persons, and it is asso- ciated with ideas of greediness, spitofulness, and calculating cruelty. The truth is that the cat is a singularly unselfish and generous ani- mal, capable of great self-sacrifice. In one authenticated instance it was accustomed to feed a jay twice a day with mice, and another cat always laid at her master's feet the mice she had caught before she would eat them, making use of them only when they were given back to her by her master. The attachment of the cat is frequently as great to persons as to places, such fondness, however, naturally deoending on how well she is treated. Cases are cited of oats following their masters from place to place as unconcernedly as the dog. and it is certain that they may be trained to guard and defend like the last-named animal. ^ Passing to the dog, we are reminded that in the East his name is a term of profound- est contumely when used by man toward his brother man, and in the Turkish dominions, where the poor animal is either utterly ne- glected or cruelly 411 used, it unquestionably possesses evil qualities that are not developed in happier circumstances. We ourselves use the word "dogged" in a contemptuous sense, as synonymous with a stupid, hopeless obstinacy. But such self-willedness, or perversity, is no more a feature of the natural character of the dog than it is of that of the ass, mule, or pig. When it exists it is usually the fruit of man's training or usage. Even the bulldog, which is popularly supposed incapable of anything but ferocity and combat, becomes, under kindly treatment, companionable and good-tempered; he may be taught tricks or feats like those performed by the poodle or other dogs, and he often shows attachment to his master. There is an authentic account of a bulldog that died of grief on being transferred to a new owner, and another is recorded to have saved human life by carrying a rope ashore from a shipwrecked vessel, a fact the more re- markable because animals of this species are not water dogs. By another careless and*erro- neous metaphor,, we speak of ill-matehe_d spouses as leading a cat-and-dog life. The fact is, that when left alone, cats and dogs, so far from quarrelling with each other, form the closest companionships or friendships, and their fights, when they do occur, are commonly the direct result of man's intervention, of his cruel propensity for what he calls sport. The alleged mutual antipathy of the dog and cat are shown by a number of verified facts here cited to be one of man's many fables, Actions, or popular delusions concerning other animals. Neither do tho useful oxen, our domestic cat- tle, get credit for other psychical qualities than those of a negative or passive kind; but what they may become under proper training is, or was, illustrated by the aptitudes of Hottentot oxen. They used to be taught to fight for and to pay respect to man. to take the place of watch djgs in guarding his flocks, to understand his signals and obey his commands; to distinguish the inmates of their master's kraal jfrom foes or strangers, an^Tb^ttack ïhëlàtter. Among other popular delusions may be noted the belief in the alleged malignity of reptiles. It was proved by Buckland, some years ago, I in the ease of the tamed snakes of Chelsea, that the animals in question were amiable, in- nocent, amusing house pets, and other evi- dence indicates that if snakes or ser-pents are dangerous to man, ho himself is too frequently to blame for the injury inflicted. Another ab- surd misconception is that which endows the eagle with dignity and bravery.^ All com- petent naturalists have confirmed Benjamin Franklin's assertion that the real character- istics of the American eagle are .cowardice, dishonesty, injustice, sharping, and robbery. In one respect alone their moral character is not bad, for it turns out that eagles are really paragons of as sincere conjugal fidelity as is to be found among monogamous mankind. The dove, on the other hand, is by no means an ap- propriate emblem of conjugal affection and constancy. The male dove is a regular liber- tine, and the female often deserts her mate, and sometimes neglects her offspring. So much for the heedless and erroneous notions of animal character which have entered into the vocabulary of common speech. Let us now see what light is thrown on the range and quality of animal intelligence by facts gathered, tested, and classified with scientific caution and accuracy. And first, as to their possession of a • moral sense, that term being understood to cover an appreciation of right and wrong, and a feeling of moral obligation. It is certain that the dog at least, occasionally exhibits the moral courage to choose the right, and to suffer for it—to bear wrong rather than to do it. In the dog there is sometimes, obviously, the same kind of conflict, and collision, as in the man, between virtue and selfishness; and equally in dog and man the resistance of temptation is far less common than submission to vicious propensities. In the dog, cat, and other animals, this wrongdoing, however, may be, and often is, accompanied by a perfect consciousness or conception of the nature of their behaviorJs "We ! may speak quite correctly of the conseience- j stricken animal thief, the cat or dog caught in I the act of pilfering from the larder. The ani- I ! mal, like the human child, if rendered sensitive by previous moral training, shows unmistak- ably its consciousness of delinquency. A mul- titude of influences are cited on this point, among othe'rs the example of a bitch who, hav- ing taken a quantity of shrimps intended for her master's dinner, had only to be asked ever after, " Who stole the shrimps ?" to cause her to take to ignominious flight, ears and tail down, refusing to be comforted, the picture of remorse and shame. No doubt what is hero spoken of as a sense of right or wrong in the lower ani^ ., mal may, if strictly analyzed, bo reduced to li what is forbidden by man, who is recognized as II an all-sufficient lawgiver. But this is just the ,'j kind of feeling as to right and wrong, legality r j and illegality, that exists in the savage mind. I that is generated at first in the civilized child, I that is exhibited in the criminal, the lunatic or ! the idiot. It is to be remarked that the moral virtues are illustrated mainly by or in those animals, 6uch as the dog, elephant, or horse, that have received their moral training from man. As a general rule, to which of course there are exceptions, the human child, and the young | animal can equally be educated both to distin- tinguish and do the right. This inference is fairly deducible from the evidence collected by Dr. Lindsay, .for whoso details we must re- ! fer the reader to his pages. It seems scarcely possible to conceive a definition of the moral sense which should exclude the lower animals from participation in it, since the most in- genious formula fashioned to that end would 'inevitably exclude whole races and ranks of mankind. Metaphysicians are almost con- stantly guilty of basing their generalizations on psychical phenomena which occur only in the most highly-cultured individuals of the most highly-civilized human races. Their "moral sense" is that of the ethical philosopher, their "religious feeling'* that of the Christian theo- logian. ^ As regards the capacity of religious feeling in the lowest races of mankind—so far as the senti- ment involves the conception of a God or Supreme Being—this question has been dis- posed of hi Lubbock, Tyler, and others. The Australian, the Andaman islander, the Veddaof Ceylon, the native of Dahomey, the negro of An- gola, and many other savages of the same grade, have absolutely no idea of a Deity, of a soul, or of a future life. The worship of man, on the other hand, by his fellow man is and has been prevalent in all degrees or stages of sav- agery. That precisely the same attitude is as- sumed by certain dogs toward their master, man; that, according to the saying attributed to Burns, man is the god of the dog, his deity. ! idol, or hero, is a fact easily demonstrated; indeed, the dog's worship of man in many respects compares favorably with much at least of man's worship of superior be- ings, animate or inanimate. As. for instance. ; in the duration of the love whioh it lavishes. ; not alone upon the person, but upon the mem- ory and the belongings of the being it adores. ! Its affection is disinterested, surviving neglect i I and cruelty; so intense at times that any sud-; !" den rupture of the relationship by death or temporary absence bérets à fatal grief; so life- \ lasting and unchanging that it not unfrequent- ly attaches itself to'à grave for months, or even years, after its mortal deity has vanished, j Grayfriar's " Bobby." whose monument may be ( seen in Edinburgh, and wfcose stpr/ was care- . fully verified by Dr. Lindsay, is but the type of S .numerous incidents of a similar kind. In con- nection with the dog's worship of man we have to note that it possesses the power ^of prayer, petition, entreaty, appeal in many different forms, all of them more oHess elo- quent. The true spirit of supplication for mercy or pardon, for reconciliation and resti- tution to favor, is frequently conveyed by the mere look or attitude of the dog:. Again the sinning animal is observed, in certain cases, to seek to make atonement for its wrongdoing, and among the means whereby it tries to pro- pitiate is the making of offerings to $Jie person supposed to be offended. To us these offerings appear at first sight trivial or absurd, as when a cat lays a captured rat or mouse at its master's feet. But in judging of the action and its mo- tive we must bear in mind that in such a case -the article offered is one which is of the highest value in the eyes of the offerer. As much as this cannot often be said of the propitiatory offerings, religious or otherwise, of man. <] The current supposition that instinct is im- mutable, being already perfect.cannot well be maintained, in view of the evidence submitted by Dr. Lindsay, that the moral and intellectual faculties of the lower animals are capable of improvement to a high degree. This mental progress is shown to comprehend the acquisi- tion of new faculties, the development of those which are latent, as well as the perfecting of others. On the. other hand, the non-improva- bility, the, non-progressiveness of savage man, his frequent incapacity for education or civili- zation, is attested' by abundant testimony, re- cently laid before the world by Livingstone, Monteiro, Burton. Baker, and other travellers. The same incapability of improvement by edu- cation occurs amidst our highest civilization in many forms of mental defect or derangement, includingcertauvstates of idiocy, an d*perhaps we ought to add in whole classes of criminals. Cer- tain of the lower animals, however, evince a sin- gular moral and intellectual p lasticity, respond- ing readily to all efforts, or in fluences that lead to the evolution of their varied fac ulties. There is a speedy or gradual acquisition of knowledge, and a due application of that knowledge to cir- cumstances. It is true that heretofore man's education of the lower animals has tended rather to develop the keenness of special senses, or intellectual sagacity, than their moral 'character. There is proof, however, that he might, by applying the proper correctives, erad- icate the viijes he has himself implanted in other animals ; thus dogs that have been taught by him to steal may be cured of the bad habit by care, and honesty may be substituted. In Dr. Lindsay's opinion, the most promising of all animals on whom to try the effects of moral education would be the anthropoid apes, such as the ourang and chimpanzee. We know *"hôw humanlike ,has been. their behavior when, they, have been civilized by man, madeJhis sejp-.! vants or companions on board ship or in Els 1 household. We know how in them politeness or refinement of manners may be developed— with how much decency they can behave at table and take their meals—and how, from the time of the ancient Egyptians to our own day. they have been taught to act as substitutes for the negro in various kinds of domestic service. But we do not yet know how good they can be made, to what extent or in what directions their moral nature may be evolved. Dr. Lindsay does not hesitate to avow his belief that could our missionaries be induced to bestow patient efforts in this direction—on our anthropoid poor relations, instead of on their negro fellow creatures^-they might produce results of a startling character, results that might put an end once and for all to current sneers as to the psychical connection between men and naonkeys; We may note here that cer- tain tribes of Centrai Africa, whom Livingstone pronounces hopelessly vicious and unimprova- ble, regard the soko, a recently discovered variety of anthropoid ape, as a human being, while by their epithets and attitude they recog- nize his moral superiority to themselves. Since the writing of this notice was begun, we learn by cable that the skull of a soko, has been exam- ined by Prof. Huxley, and is affirmed by him to possess a strictly human conformation. y An idea of what one man can do in developing the mental ,pcjwers of. animals may be gained, from a study of "the feats which resulted from the labors of Bisset, the animal trainer or teacher of Perth. In his hands animals of the most diverse genera and species, including such an intractable type as the pig, became | pliant, obedient, good-natured. Among the | varied accomplishments acquired by his pupils j were writing, arithmetic, spelling names, play- j ing tunes on the dulcimer, and telling hours on i the clock. The ourang has been taught to; wait at table and perform other household offices belonging to house servants. A chim- panzee has been trained to feed and attend a baker's oven fire on board ship, to act as galley fireman, regulating the temperature. A well-known female chimpanzee, in the London Zoological Gardens, ate her egg with a spoon and took her grog daily, mixing the beverage for herself. She could lock and unlock a door or drawer, could thread any needle, and is described as shaking hands in a very cordial manner with children. In taking her meals she used knife, fork, spoon, and drinking cup with the same ease as a human being. The chacma baboon has been taught to blow bel- lows and to drive teams of wagon horses. Other baboons have acted as torch-bearers, and, we repeat, were employed as workmen, or artizans by the Egyptians four thou- sand years ago. Large apes are now regularly engaged in the Straits settlements to pull oocoanuts, being imported from Aoheenj in gangs like coolies, and are marched roundi! irj3J3U)ne-pLajQt#te They climb the trees, select suitable fruit with 1 great discrimination, and twist the nut round and round until it falls. Other anthropoid apes are said to be employed at the Gape in a num- ber.of'useful labors of the house and field. On shipboard they help to reef and furl the sails, i make themselves a bed with a raised pillow, .show an inclination for ladies, light a Are and cook food, dust furniture and clean the floors. Bastian saw in an English man-of-war an ape sitting among the sailors sewing as zealously as they. The education of animals by each other, also an indisputable fact, is inconsistent with the notion of immutable and perfect instinct. The truth is, that many young animals require tui- tion.for the proper development of their physi- cal and mental nature, just as the human child ; does. Thus the eider duck gives its offspring ! lessons in swimming, the sea swallow in flsh- 1 ing, the eagle in flight, the horse and mule in the application of cautiousness and adroitness in the avoidance of obstacles. The cow and goat instruct their young in the use of the head as a weapon of offence and defence; falcons teach their offspring to catch and eat their prey în the air 5 chickens have to learn not to eat certain substances as well as how to drink; many young birds require tuition}in song, inas- much as they are not natural songsters. We scarcely need remind thé reader that in the training or breaking in of Sporting dogs, old thoroughly-bred animals act as tutors, man here, however, supervising the process of in- struction. In like manner domestic elephants are almost indispensable co-agents in taming their wild comrades. Q Self-education .occurs in other animals under the same circumstances as in man, involving the same mental, qualities, displayed in the same way. Various birds learn for themselves the songs or notes of other species, and have concerts among themselves. The mocking bird and jay learn their lessons by practice, pre- cisely as children do. Elephants have their re- hearsals by themselves, as was long ago pointed out by Pliny, and has been confirmed in mod- ern timed by Buckland; they practise for their, dancing feats. The horse, too, when alone, practises its dancing lessons. Many animals profit by the very accidents that befall them. Thus the bee, after one attack on its hive by the deatli's-head moth, accepts the incident as a warning of what is likely to happen again, and forthwith makes provision for the contingency. This learning of lessons involves the percep- tion and correction of mistakes, and implies àî^o w'batln man is called study or meditation.* Pr, ^in jsaygives many iUu»tratimeet him. The parrot, too, not only recognizes its own name when cursorily spoken of, but understands commendatory or dispar- aging comments. J *t" Suph ability to understand man's language implies, of course, an aptitude to learn it, and also an especial study of it. Again, this apti- tude and study unquestionably involve a high degree of intelligence, the power of close and keen, long and careful observation, the faoulty of reflection and ability to draw inferences from the facts of observation. With Houzeau, Dr. Lindsay regards the power of talking, the gift of articulate speech, as latent in all anthropoid apes, and as a feasible result of man's system- atic efforts in their education, Heretofore, t&e trailing of tfteqaaflyumana, where attempt- ed at all, has been prosecuted on a very limited scale utterly insufficient to enable us to meas- ure the extent to which their intellectual and moral powers may be developed. Were the benefits of systematic and judicious education bestowed on the soko, chimpanzee, and other highly-organized types, and prolonged through generations, as in the case of the dog. the an- thropoid ape might be expeoted to stand next to civilized man in moral and intellectual capacity, as he indisputably does in aspect and struc- ture. And why should naturalists trouble themselves to seek what is known as the miss- ing link when the soko described by Liyingstone is pronounced the ethioal and mental superior of the negro races in his vicinity ?i ; M. W. H. DE L'INSTINCT DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX M. L. E. MÉRET PARIS VICTOR MASSON ET FILS PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINF. 1864 DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIfxENCE DES ANIMAUX Paris. — Imprimerie de E. Martinet, rue Mignon, 2. DE L'INSTINCT ET DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX PAR M. L. E. MÉRET PARIS VICTOR MASSON ET FILS PLACE DE L'ÉCOLE-DE-MÉDECINF. 1864 INTRODUCTION Mon but, en faisant imprimer quelques exem- plaires de mes remarques faites sur l'instinct et l'intelligence des animaux, est d'engager les per- sonnes qui le peuvent au plaisir de faire des obser- vations amusantes ou pleines d'intérêt et de les envoyer à nos maîtres dans cette science. Elles seront appréciées dans tout ce qu'elles auront d'agréable et de précieux; elles pourront être répétées d'une manière plus étendue. Sans cesse on nous engage, avec bonté, à ne rien voir de futile dans de bonnes observations sur toutes choses de la nature. Les observations qui se répètent deviennent meilleures et sont utiles à tout le monde. L'année dernière, étant retenu dans mon lit par un blessure grave, j'ai lu et relu maintes fois le travail de M. Flourens sur l'instinct et l'intel- ligence des animaux. C'est dire consciencieuse- ment que j'ai éprouvé un charme infini. J'y trou- vais la méthode et la vérité. Cela m'a été agréable, utile, m'a rempli d'un certain bonheur d'élévation et m'a fait du bien. J'aurais voulu avoir de meil- leures notes à envoyer à M. Flourens, pour lui témoigner mieux ma part de reconnaissance pu- blique. Si de justes critiques me trouvent un peu facile à produire de si faibles observations, il en ressor- tira cette vérité : c'est que précisément il y a beau- coup de personnes qui font bien et très-bien ce qu'elles entreprennent, et qui gardent leur trésor d'observations par une modestie que l'avenir lèvera sans doute; mais on n'en jouit pas pour le mo- ment. Aujourd'hui que les librairies donnent, avec beau- coup d'obligeance et beaucoup de bonne grâce, la facilité d'imprimer peu de feuilles, on en profite parfois : et la bienveillance admet déjà qu'une petite brochure puisse passer pour une carte de visite. Je remercie donc MM, Masson et fils, tout d'abord, et du plus profond de mon âme. L. E. MÉRET. Le 4864. PREMIÈRE PARTIE RÉFLEXIONS SUR LES LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX Les limites qui séparent l'intelligence d'une ma- nière précise, entre les différentes espèces d'ani- maux, sont possibles à déterminer, mais ne sont pas faciles surtout quand on descend dans les petits détails de l'observation. Pour trancher avec netteté ces valeurs sépara- tives de l'intelligence suivant chaque espèce, il faut, pour un grand nombre d'animaux, tenir compte des facultés intelligentes de certaines fe- melles, que leurs mâles ne possèdent pas au même degré. Il y a progression d'intelligence, chez quelques espèces, avec l'âge; et il y a décroissance chez 8 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE d'autres. Il faut faire la distinction, pour certaines espèces, entre des individus qui restent à letat sau- vage et des individus pareils que l'homme possède aussi à l'état privé. Enfin, clans l'état privé il faut tenir compte des milieux où l'intelligence cle l'homme les domine et les développe par des moyens de plus en plus sensibles. L'intelligence me paraît spontanée chez les ani- maux, grands et petits, dans l'état sauvage, à peu près de même pour toutes les espèces que nous pouvons le plus facilement étudier. Si leur intelligence est spontanée comme les actes cle leur instinct, et qu'elle soit une lueur de leur instinct, il en résulte qu'elle est d'une nature instinctive, qui n'a plus le caractère de l'intelli- gence, variable à volonté, qu'on accorde aux ani- maux : de sorte qu'en observant purement l'in- telligence de chaque espèce, pour en comparer les différences, il devient utile de bien considérer, chez ces diverses espèces, et la durée et le carac- tère cle cette intelligence. On accorde de l'intelligence progressive au re- nard! Il devient, dit-on, plus rusé et plus redou- table en vieillissant! Il en est de même chez les ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 9 bètes féroces. Il y a donc de l'apprentissage en instinct et en intelligence chez bien des espèces dans l'état sauvage! Comment donc se fait-il que, privés de leur liberté, certains animaux, comme l'orang-outang et le chimpanzé, avec l'âge, per- dent peu à peu l'élan de leur intelligence? N'est- ce pas parce que, d'abord, sous la main de l'homme, cette captivité diminue leur instinct et favorise prématurément leur intelligence; et, qu'ensuite, le sentiment de leur captivité mine peu à peu un ressort qu'on a trop forcé et que la variété de la vie extérieure ne peut plus entretenir? Quand nous nous lassons d'exercer un animal à une intelligence d'emprunt, son intelligence retombe peu à peu; de même que la captivité mine de plus en plus sa santé. Que serait devenu l'homme si les animaux , autrefois, avaient eu l'intelligence de réunir leurs facultés et leur force musculaire? Il est certain qu'ils n'ont pu saisir en eux-mêmes et entre eux le côté de leur intelligence propre. Avec leur instinct entièrement dominant, l'intelligence individuelle est restée limitée et isolée, précisément parce qu'elle n'est que spontanée et que momentanée. Et l'on ne nous a pas transmis le moyen de comparer si, JO LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE de nos jours, elle est mieux comprise entre eux. Du moment que l'homme a voulu étendre ses cultures, il a senti bien plus encore le besoin de se débarrasser des animaux sauvages; de sorte que ces animaux, toujours plus disséminés et plus craintifs, ont encore bien moins l'idée d'associa- tion et sont réduits à peu près à la simple action vitale de leur instinct naturel. Les bètes féroces b refoulées par la force et par la crainte, perdent par le côté de l'intelligence, tandis que celles réduites en captivité s'élèvent en intelligence quand l'homme en veut tirer de l'in- telligence; car, à l'état de captivité ou de liberté, je ne vois pas que les animaux entretiennent l'in- telligence en l'absence de l'image. Je donne ici quelques observations faites sur le chat, appartenant à une classe dite assez élevée chez les mammifères/et sur les rongeurs, mam- mifères aussi, dont l'intelligence est dite classée au plus bas degré. LA CHATTE. Je n'ai jamais vu que les chattes, une fois échap- pées d'un piège, vinssent se reprendre au même ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 11 piège! Tandis que les matous s'y laissent parfaite- ment reprendre !... Dans toutes mes observations, je remarque une distance considérable entre le matou et la chatte, malgré qu'ils soient de la même espèce et malgré le volume de la tête du mâle. La chatte que j'observe chaque jour, revient de continuité autour du piège où elle a été prise. Elle y pense et repense! J'en rends l'appât de plus en plus attrayant, aussi, de plus en plus, il rappelle la chatte. Elle fait tomber le tonneau, puis le pousse pour le faire manquer de dessus sa plate-forme, et elle regarde tout autour. Sa griffe creuse même le sol d'alentour pour comparer des résistances diffé- rentes. Le sol cède, mais la plate-forme ne cède pas. Cela touche de bien près à l'intelligence hu- maine! La chatte, donc, prévoit en conséquence de deux impressions éprouvées : la captivité et la proie!... La captivité, c'est le côté de l'intelligence; la proie, c'est le côté de l'instinct. Ses souvenirs éveillent la réflexion de captivité malgré le charme de la proie . 12 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE La mémoire de sa captivité passée l'emporte sur la sensation présente de l'appât. Le sentiment de sa liberté domine !... L'instinct est corroboré par l'intelligence; mais il persiste seul, la lueur d'intelligence s'efface; car c'est l'instinct seul qui ramène si souvent la chatte vers la proie. Où donc le chat met-il de l'intelligence ailleurs qu'à l'occasion d'une proie?... LA CHATTE ROGER. Cette chatte âgée, d'abord m'aimait beaucoup. Je la sauve un jour d'un piège à trappes! Elle me montre beaucoup d'ingratitude et ne vient plus à moi que quand je lui présente quelque chose de très-bon pour elle. La seconde fois, elle se prend à un piège à fouines. Elle se met la patte en sang pour s'arra- cher de là, et elle crie à faire peine ! Je demande à la société, qui était au salon de ma mère, de venir pour voir si la chatte tiendrait compte de la pré- sence de tout son monde habituel. Je la délivre. Les jours suivants, elle revient peu à peu vers ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 13 son monde connu. Mais ingrate pour moi, elle ne veut plus jamais m'aborder. En cela, elle n'a ni discernement ni intelligence. La petite Clémence Anf.. .y, à lage de deux ans, a été cruellement brûlée en tombant à la renverse dans de l'eau bouillante. Je l'ai secourue. Le souvenir de ses souffrances fit, sans doute, qu'elle ne pouvait plus me voir sans crier d'hor- reur! On a rectifié son intelligence naissante : elle a compris, et elle est devenue ma petite amie. LA SOURIS. Une toute jeune souris entre dans ma chambre à quatre heures et demie du matin. Je comprends, par ses allures, qu'elle veut reprendre le même chemin pour en sortir. Il lui faut pour cela passer entre la cheminée et une armoire. Je lui tends un piège avec un garde-feu de toile métallique. Mais la petite souris ne veut pas se laisser prendre à cet appareil qu'elle n'a pas remarqué à son arrivée. Elle fait beaucoup de tentatives pour passer plus loin, et revient bien des fois à la charge, guettant si je me lasse à force de temps. U LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE A cinq heures et demie, je fais venir deux per- sonnes pour m'aider, et alors on l'inquiète juste ce qu'il faut pour lui faire sentir du danger à rester dans la chambre et de manière à ne lui laisser que la faculté de passer par le garde-feu. Elle fait une infinité d'inspections pour trouver ou pressentir une issue par ce garde-feu, et lève plusieurs fois la tète pour voir si elle peut s'élancer sur la toile mé- tallique même, et elle ne veut pas s'engager dans les feuilles qui ne lui laissent voir aucune issue. Je développe les feuilles, ce qui double la course. Elle vient vérifier cette tactique, en s'engageant à peine de la longueur de son corps. Je comprends, par son regard, qu'elle ne voit pas davantage d'issue dans cette élongation. Alors j'incline mes feuilles sur des lignes brisées. La souris n'a pas plus confiance en cette nou- velle disposition. On la fatigue de poursuites. Plus de dix fois elle désire s'assurer si elle trouvera un débouché à la suite de cet angle des feuilles ; et enfin, comme un éclair, elle s'élance jusqu'à l'angle pour reconnaître le biais, voit et se retourne aussi vivement. Mais elle est prise rapidement aussi entre les feuilles, au moment d'en sortir, au moyen d'un long bâton ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 15 tout apprêté pour pousser de loin et resserrer les feuilles sur elles-mêmes. Il est six heures un quart. L'œil rapide de cette toute jeune souris a dû rendre compte à son cerveau des distances et des lignes droites et brisées. Il y a là certainement de l'intelligence. DEUX RONGEURS. Amita (fille de Chéri et de Mémère), lapine d'un blanc pur, aux grands yeux d'un bleu pur, de la case n° 7, fait sa première portée dans un nid sur terre et apparent. Cette portée est détruite par un rat. La lapine s'en souvient, et croit bien faire, pour sa seconde portée, de l'enfouir fort avant dans le sol, en fermant bien la descente, en durcissant l'entrée et en veillant sans cesse. La cabane est parfaitement bouchée, et un bon piège est tendu dans lalapinerie. Le rat commence par manger encore la deuxième portée et se prend ensuite au piège. Mais pour arriver à la septième case, le rat com- bine son introduction par la troisième case, chez 1G LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE Bib, passe sous celle de Zoë, quatrième case pro- fondément dallée, puis franchit encore sous la cinquième et la sixième case, et parvient ainsi juste aux petits lapins qu'il emporte. L'instinct d'Amita me semble grossier, tandis que le rat fait un siège tourné de loin et me paraît avoir de la réflexion et de l'intelligence. Il avait pu regarder, entendre ou comprendre que la mère encavait ses petits. Il en connaissait le goût, et avant tout il lui fallait cette proie. RAT DU GRENIER. Un vieux rat malin, pendant l'été, profite des issues ouvertes pour visiter ma maison. Il évite tous les moyens employés pour le prendre. Je le pourchasse jusque dans un grenier, d'où je ne peux l'expulser parce que la tuile est apparente et lui permet de passer par toute la toiture. Le voilà donc retranché. J'augmente l'emploi des pièges et d'appâts pré- parés. Je sème de la poussière fine de vieux plâtres sur l'aire pour étudier ses allures journalières. ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 17 Je m'aperçois bientôt qu'il pénètre clans un se- cond grenier fermé. L'observation me fait recon- naître qu'il doit se faufiler d'un grenier à l'autre par-dessous les tuiles, descendre les chevrons, et je suis ses traces commençant à un trou de bou- lon laissé dans une ferme de bois. Il descend prin- cipalement sur une pièce de bois très-inclinée et se promène à satiété dans la pièce bien plafonnée et sans autre issue. On ne laisse aucun objet dans ce second gre- nier, on le balaye bien, on sème de la poussière sur l'aire, et le rat piétine à l'aise, mais ne se prend pas. Je mets, avec soin, une glace polie sur la pièce de bois inclinée, afin que si le rat glisse, il soit précipité sur de puissants pièges à détente placés au bas de cette pièce de bois, et je sème de la poussière fine sur la glace comme sur le bois. Le rat y vient une fois, ses pattes de devant glissent, mais il est probable qu'employant à temps la force musculaire de ses pattes de der- rière, il s'élance si fort qu'il saute par-dessus les pièges, et je vois l'endroit de sa chute, puis son échappement par les traces qu'il laisse. Il débouche toujours le trou du boulon et met 18 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE une opiniâtreté singulière à venir dans ce grenier où il n'y a absolument rien pour lui. J'ajoute un tonneau avec un quatre de chiffre, le rat y tourne autour du soutien et bat la pous- sière qui l'entoure, mais il se contente d'observer. Je varie inutilement les appâts; je supprime le quatre de chiffre, et je suspends le tonneau au moyen d'une ficelle partant du plafond et ayant un nœud glissant. De ce moment le rat n'approche plus le ton- neau. L'hiver fait oublier le rat et ses ruses, mais une belle nuit du printemps suivant la maison résonne d'un bruit sourd et retentissant : le tonneau est tombé, et le rat est pris. Quand j'eus réfléchi qu'il fallait plus ou moins de temps aux rats, mulots, musaraignes et autres pour s'approcher des pièges, je frottai les pièges avec des victimes chaudes encore, et alors et tou- jours j'ai pris rapidement tous les membres de la famille. Il me paraît donc que c'est une erreur de dire qu'il faut passer au feu tous les pièges pour ôter l'odeur que laissent ces animaux. Je rappelle l'animal à l'instinct seul; il perd ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 19 toute réflexion, toute prudence, ne voit plus la supercherie; l'odeur fauve domine celle du tou- cher de l'homme et commande à ses sens. SOURIS FAUVE. Les souris goûtaient à des restes de pain mis en réserve chaque jour pour les lapins. J'élevai la corbeille à pain sur une colonne de marbre poli, et je fus bien surpris de remarquer toujours le même dégât, malgré qu'il me parût impossible à ces rongeurs de monter sur le poli du marbre. Enfin, un jour je surprends une souris. Elle sort de la corbeille élevée et se laisse tomber sur la huche, comme si elle en avait l'habitude. J'ai la constance de me placer souvent dans un escalier du grenier et de guetter comment une souris peut monter à une colonne polie. Je suis bien étonné de voir ma souris gravir par le mur, des bois, un manche de faux et par les solives du plafond, puis mesurer sa chute dans la corbeille et s'y laisser tomber. Je jette un petit plâtras sur les cabanes grillagées 20 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE des lapins, et la souris aussitôt saute comme d'ha- bitude sur la huche. Je ne bouge pas tout de suite. Je vais chercher trois souricières garnies de fa- rine, de suif et de noix. Le lendemain j'ai la satisfaction de voir la souris bien prise. Elle est encore vivante. Elle a les doigts et les ongles roses; je remarque surtout sa robe d'une couleur bien également fauve pâle en dessus, chose rare, pour moi, dans un mâle. Et quel âge pouvait avoir cette souris? Ces dernières remarques m'engagèrent à la por- ter à M. Valenciennes, au jardin des plantes. Cette souris fauve, aux ressources curieuses, juge bien des distances, et son intelligence est ré- fléchie. Elle voit bien la même corbeille; elle sent que le pain y est encore ; elle veut s'en assurer et trouve une idée pour s'en emparer. Or, cette faculté intelligente semble approcher de bien près de l'intelligence de l'homme. Ce- pourtant je vois ici que le succès n'est pas com- plet, puisque la souris n'a ni pressenti, ni craint les souricières placées dans la corbeille. Le pain faisait-il tout d'abord sa seule préoccupation? L'in- ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 21 telligence ne se soutient pas, l'instinct persiste seul auprès du pain et se porte sur une noix. SOURIS DE LA CUISINE. Une souris, jouissant de toute la liberté de son cerveau, fait un trou dans un tiroir pour y man- der du riz à son aise. Je finis par prendre cette souris dans une ra- tière, et je remarque qu'elle aurait eu le temps de faire un trou à sa prison et de s'échapper; mais elle n'en fait rien. Je la laisse captive un jour déplus, en envelop- pant la ratière d'une toile métallique pour plus de sûreté. Elle ne fait aucune tentative pour couper le bois avec ses dents. Son cervelet lui laisse donc la simple faculté de parcourir sa prison ; mais elle perd et la liberté du cerveau et son instinct essentiel de rongeur. Puis- sance, expérience, mémoire, raisonnement, tout est en défaut, au moins pour un espace de temps bien long. Des circonstances totalement opposées ne per- mettent pas d'établir la différence d'intelligence 22 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE qui existe entre ma souris fauve et ma souris de cuisine; il faudrait qu'un hasard inattendu ou que la puissance de l'homme pût faire passer ces deux sortes de souris par les mêmes circonstances. Le trouble ôte quelquefois à l'homme le plus simple instinct. M. G...t, en chassant, franchit un ruisseau et se donne une entorse. Son cerveau ne comprend pas qu'il a précisément le remède de l'eau à ses pieds. Une hyène tombée dans un silo, ayant avec elle ses deux petits, se laisse prendre sans faire mine de la moindre défense. Ce ne sera donc qu'à force de bonnes obser- vations naturelles et expérimentales qu'on pourra préciser les limites qui séparent l'intelligence dans les différentes espèces d'animaux. L'intelligence, pour moi, est une essence de la vie universelle, et puisqu'elle est attachée à la vie, il doit y avoir de l'intelligence chez tous les animaux, depuis l'intelligence merveilleuse de l'homme jusqu'à celle totalement imperceptible, pour nous, chez les animaux qui nous semblent en être totalement dépourvus. Une bête doit-elle être sans intelligence parce que les hommes ne la comprennent pas, et que ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 23 nos sens ne sont pas assez perfectionnés pour l'ob- server? Il y a donc dans la vie universelle tous les élé- ments flexibles à la disposition de toutes les créa- tions de la nature. Ce n'est pas que la nature nous refuse délaisser pénétrer ses secrets, mais c'est que nous ne sommes pas toujours aptes à les comprendre ou à saisir l'occasion d'en profiter. Tout a une vie, et tout vit dans ce milieu de vie. Les animaux suivent donc cette loi ! — Leur instinct s'accroît momentanément en in- telligence suivant les milieux naturels dans lesquels ils se trouvent. Mais cette intelligence retombe par le défaut de graduer des progrès, et, puisqu'elle n'est ni progressive ni transmissible, elle ne peut s'élever insensiblement qu'entraînée elle-même par les milieux toujours en progrès des hommes. Pourrait-on dire quelle est et quelle sera l'étendue de l'intelligence des hommes? Non, assurément. L'homme n'a pas assez observé, et observe de- puis trop peu de temps pour constater des progrès naturels chez les animaux restés tout à fait à l'état sauvage, ou chez ceux mêmes qui s'approchent de nos cultures, qui s'habituent au pain, aux fils 24 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE télégraphiques, etc., etc., et dont les ressources inattendues sont en raison de milieux différents. Les hirondelles, qui autrefois s'abritaient sous des rochers, se sont peu à peu familiarisées avec l'homme, parce qu'elles ont compris un intérêt à s'en rapprocher. Et quoique nos constructions aient subi bien des changements qui ont modifié quelques-unes de leurs habitudes, elles les recher- chent encore davantage. On les voit s'aligner au soleil sur les lignes d'or- nements de façade de nos maisons, sur les minces cordons en plâtre, sur les balcons, les gouttières, les rampes en fer des terrasses, sur les fils télé- graphiques, etc. Enfin elles se comportent suivant les milieux où elles se trouvent placées. 'Il en est de môme dans les habitudes d'autres animaux qui se mettent au courant des produits de nos jardins. Les moutons, autrefois, avaient sans doute do l'intelligence; aujourd'hui on leur fait donner de la graisse, et nos besoins demandent d'autres ser- vices au chien. Une preuve qu'on ne peut pas comparer à des machines les animaux qui ne se dégradent pas, ENTRE LES DIFFÉRENTES ESPÈCES D'ANIMAUX. 25 c'est que les machines et les mécaniques, inventées par les hommes, ont besoin d'une force d'emprunt pour les faire mouvoir et qu'elles se dégradent toujours. Cepourtant il est curieux de voir que chez les hommes, c'est avec ces mécaniques qui s'usent que les progrès avancent toujours, et qu'avec des choses périssables on fait des choses presque immor- telles. RÉSUMÉ DE LA PREMIÈRE PARTIE. Les études naturelles et expérimentales servent à donner des résultats précis pour la classification de l'intelligence entre les diverses espèces d'ani- maux. Mais il faut tenir compte des milieux et des circonstances qui agissent sur eux et qui leur donnent des impulsions souvent bien diverses, tantôt en paralysant leur intelligence et tantôt en la développant Il me semble qu'il y aura toute une histoire à faire sur l'étendue de l'intelligence d'une même espèce, puisque sa flexibilité recule ou avance sui- vant les circonstances... DEUXIÈME PARTIE RÉFLEXIONS SUR LES LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX 'Il y a une liaison si fine entre l'instinct et l'in- telligence des animaux, qu'on ne saisit pas tout d'un coup là où finit leur instinct et là où com- mence leur intelligence. Des causes infinies produisent des différences sensibles dans l'instinct et l'intelligence des ani- maux; dans les classes, genres, espèces et entre les individus nés d'une même mère, suivant les milieux si variés où ils se trouvent placés. Notre sociabilité ne détruit-elle pas réellement notre instinct naturel propre? et, par contre, notre LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT, ETC. 27 intelligence ne détruit-elle pas l'intelligence natu- relle propre des animaux ?.... Ou bien la nature, en perfectionnant les êtres, ne détermine-t-elle pas de plus en plus les limites séparatives aussi bien pour leurs facultés que pour leur corps, où le perfectionnement forme partout des essences de plus en plus distinctes? Bien qu'on nous initie à ces merveilles, le point séparatif entre l'instinct et l'intelligence est difficile à bien déterminer chez les animaux. Leur instinct est d'une création vitale d'impul- sion, il occupe toute l'économie matérielle. Et leur intelligence est le résultat appréciable du cerveau; des forces secondaires la font surgir au service de l'instinct. Leur intelligence est-elle donc une émanation comme leur réflexion? Mais toujours cette éma- nation intelligente reste dans le domaine invariable de la puissance instinctive; elle dure peu de temps ou meurt tout à coup, sans le besoin propre de reparaître. L'animal ne peut ni raisonner ni modifier son intelligence parce qu'elle est spontanée, et pour réfléchir il a besoin de voir l'image. C'est ainsi que l'éléphant et le chien, qui refusent d'obéir d'abord, 28 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT cèdent en s'habituant à l'image. Et toutes ces qua- lités qu'en eux on perfectionne ou qu'on leur impose, s'évanouissent aussitôt l'absence du motif, ou que la volonté de l'homme cesse de les entre- tenir. Ils ne se sont pas perfectionnés d'eux- mêmes. Ils ne peuvent pas se servir eux-mêmes de leur flexibilité d'attention pour faire tout autre chose. Et loin de créer, ils laissent et oublient bien vite et bien volontiers les travaux imposés. Rendus à l'état de nature, ils redeviennent sau- vages et en reprennent les habitudes. Toutes les qualités de leur instinct se trans- mettent exactement. Leurs petits sauront observer de la même ma- nière. Les petits, d'abord, n'ont pas d'habitudes : ils tettent avant l'habitude. L'instinct prend aussi ses habitudes. Les causes extérieures apportent des modifi- cations à leurs habitudes, et alors éveillent forcé- ment leur intelligence; mais cela n'est pas un progrès acquis. Il n'y a pas aptitude à disposer de l'intelligence. Ils ne commandent pas à leur intelligence, mais bien ils lui obéissent. DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 29 J'avais appris à un rossignol à venir à ma voix n'importe de quelle distance du jardin. Il me sui- vait et venait voltiger jusque sur la fenêtre de ma salle à manger aux heures de mes repas. Mme Lamy qui me servait, lui disait : « Eh bien, ne te gêne pas, mets-toi à table. » Les animaux, encore, offrent des variantes à l'infini. Ils ont des mouvements irréfléchis suivant les circonstances. Une mère chatte ne voulait en rien toucher à l'appât d'un piège: elle n'y regardait même plus du tout. Mais quand un de ses petits voulut mal- gré elle enlever l'appât, elle se précipita aussi, et tellement vite dessus cet appât, que la mère et le. petit furent pris ensemble, ce qui est un fait inouï. Le point de séparation entre l'instinct et l'in- telligence des animaux est même difficile à déter- miner chez un seul individu. Et bien qu'il nous paraisse plus facile de déterminer l'extension de leur intelligence, le peu d'observations recueillies reculent encore le moment de la préciser. Eh! comment en effet en fixer les limites, si les milieux qui l'influencent n'en ont pas. L'homme sent tellement que les animaux revien- nent à leur instinct, qu'il fait des efforts pour 30 LIMITES £UI SÉPARENT L'INSTINCT maintenir leur éducation d'intelligence, car aussi- tôt qu'il l'abandonne à elle-même la nature aussi la laisse s'évanouir! Ce fait-là, seul, prouve que les bêtes ne dirigent pas leur intelligence à volonté en dehors de leur instinct, ce qui a pu les faire regarder comme des machines instinctives. L'animal, en fermant les yeux, ne songe plus à Pimage. L'homme reprend et lit, dans son cerveau, chaque idée à volonté et sans confusion* Il la voit isolée, s'il le veut, à travers la masse d'images et sans déplacement. Et ces images, ces pensées, apparaissent au moindre commandement. L'intel- ligence de l'homme reçoit et perçoit une multi- tude d'impressions, et toutes se trouvent gravées dans le cerveau et rangées avec ordre comme des sons d'harmonie, pour apparaître seules ou plusieurs soudain à la moindre volonté, pour ren- trer au repos, reparaître ou se succéder et gran- dir aussi rapidement que cette volonté le désire; et l'extension et la variation de chacune de ces pensées peuvent avoir d'immenses étendues. Rien de semblable n'a lieu chez les animaux. Us reviennent autour d'une proie, tant que la sen- sation instinctive voit ou sent la proie. Le cerveau DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 31 pense matériellement à l'estomac, et la réflexion ne fait pas de progrès. Ce n'estque la réflexion instinc- tive. L'homme peut imiter intelligemment les ani- maux, mais les animaux ne peuvent pas ainsi imi- ter l'homme. L'araignée, l'abeille, la fourmi, etc., ne font pas de progrès de travail. Le chien, l'éléphant, peuvent recevoir d'autant plus de per- fectionnement que l'intelligence de l'homme les dresse mieux. Le cerveau des animaux trouve des moyens... c'est donc qu'il travaille... et c'est un travail qui produit l'intelligence Mais on demande à pré- ciser la valeur de cette intelligence... L'instinct demande un secours au cerveau chez qui reflète l'image. L'instinct ne s'inspire que de l'image, c'est pourquoi l'intelligence des animaux ne peut franchir la limite d'intelligence instinctive qui, telle que chez ma chatte et ma souris fauve, est produite sans qu'ils l'aient appris et sans qu'ils aient pu l'apprendre. L'intelligence instinctive des animaux apparaît, s'étend et s'accroît suivant des forces d'emprunt qui viennent en partie de l'intelligence de l'homme. Mais cette puissance n'est ni appropriée ni persis- 32 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT tante chez les animaux qui, machinalement, obéissent d'habitude, et qui, chaque fois, comme les mécaniques, perdent l'élan d'impulsion et tom- bent au repos. Les animaux n'ont donc en premier titre que leur intelligence spontanée. Celle-là peut naturel- lement se reproduire, tandis que celle donnée par l'homme ne peut se maintenir toute seule. Nos chiens sont issus de familles privées; eh bien, qu'on réfléchisse un peu aux tourments qu'on leur fait endurer pour leur donner des habi- tudes d'intelligence. D'un côté, il semble qu'aucune gravure ne se fasse dans le cerveau du lapin. Si l'on ôte un des lapins d'une cabane et qu'on l'y remette au bout d'une heure de temps, et même moins, le malheu- reux perd jusqu'au secours de son instinct; il ne reconnaît plus ni la cabane ni les lapins dont il a été séparé; et les autres lapins ne le reconnais- sent pas mieux, et bien souvent le poursuivent sans cesse. J'enlevais encore une mère et ses petits, quand il faisait beau temps, pour les mettre dans une cabane au soleil et au milieu de bonnes herbes; chaque fois qu'on les rentrait, ils ne reconnais- DE I/INTEEUGENCE DES ANIMAUX. 33 saient plus leur cabane accoutumée, et chaque fois c'était le même défaut d'habitude et de connaissance. Les lapins se prêtent pourtant à une infinité de dispositions que j'obtiens d'eux quand je sais les prendre. La première, c'est de les empêcher de se battre entre eux. Or, si je veux réunir dans une même cabane trois ou quatre portées de lapins de deux, de trois et de quatre mois, je commence par les caresser et par les sortir tous sur le sol de la lapinerie. Ils se dépaysent et ne se reconnaissent plus. Je les caresse de nouveau, et pendant qu'ils flairent et cherchent à s'orienter, je nettoyé à fond une ca- bane destinée pour eux; puis, j'y mets au même moment tous les lapins ensemble et pêle-mêle, et je les caresse encore. Ils commencent tous par flairer la cabane et la passent en revue assez long- temps. Ils s'y habituent. Ils s'acceptent les uns les autres et vivent ensemble parfaitement en paix. On ôte plus tard les mâles, quand ils sont d'âge à tourmenter les femelles. D'un autre côté, je cite deux lapines qui, cares- sées dès leur naissance par un enfant, possèdent 3 34 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT une certaine grâce que n'ont jamais les lapins si peu caressants. Devenues mères, elles demandent des caresses pour leurs petits, se laissent caresser elles-mêmes pendant qu elles leur donnent à teter et qu'elles les lèchent, et leurs grands yeux bleus ont une douceur expressive. Les autres lapines sont aussi bien soignées et reçoivent beaucoup de caresses ; mais leurs jeux obtenus par Y étude d'une intelligence déjà faite, n'ont pas le même genre que ceux obtenus par les caresses d'un enfant. Si ce fait se reproduit ail- leurs, il sera évident que la nature des milieux a une influence sensible même sur des lapins; il fau- drait leur continuer ces soins de famille en famille. Malgré cette qualité, je n'ai jamais vu ces deux lapines tirer à manger pour leurs petits, et, bien qu'elles ne se jettent pas avidement sur les herbes qu'on leur donne, elles prennent ce qu'il y a de mieux, comme fait chaque lapin qui tire du râte- lier tout pour lui d'abord. Un petit lapin gris connaissait si bien le petit enfant de mon jardinier, qu'il obéissait à sa parole et le suivait partout. Une grande personne, tout en imitant le langage enfantin, ne détournait pas le petit lapin de l'enfant. DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 35 La première marche du logis étant trop haute pour le petit lapin, il retombait et roulait. Alors il prenait son élan de plus loin et franchissait la marche. Le chien privé se laisse facilement attraper par l'homme; mais le chat, moins privé, est plus clair- voyant, et ne se fie pas toujours à l'apparente fran- chise de l'homme. L'oiseau n'attaque pas une grappe de raisin dans un sac de mousseline ni dans un cornet de papier. La souris troue parfaitement le sac et le cornet ; ainsi, la souris semblerait ici être supé- rieure en intelligence à l'oiseau ; mais on sait que c'est dans sa nature instinctive de couper le papier, le linge, etc. Il est bien connu que les chats, en général, ne mangent pas les loirs, les mulots, les musaraignes et autres rongeurs; mais le hérisson les mange avec, recherche. Les rats mangent surtout les jeunes rats qu'on a tués et sont particulièrement avides de la queue. Le lion sait que son rugissement de colère trouble d'avance les victimes qu'il doit faire. La lionne frappe ses petits pour leur faire man- ger de la chair une première fois. 35 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT Les animaux sauvages connaissent les poisons, et ne s'y laissent pas prendre comme nous. C'est l'instinct qui agit naturellement en eux. Mais le chien privé, alléché par un appât em- poisonné, s'y laisse toujours prendre. La gazelle appréhende le lion,... le chien le bâton,... l'enfant les verges.... C'est là une pure conséquence instinctive. Le chien n'a pas l'intelli- gence de jeter le bâton au feu, l'enfant y jette les verges!... L'imprimerie, la vapeur, les outils, etc., etc.... sont des productions de l'intelligence humaine! Mais l'éléphant, si intelligent, n'invente pas le marteau avec lequel il enfonce un clou dans une planche. Le singe, si adroit, peut grimacer et imi- ter quelques mouvements, parce que c'est dans son instinct; mais ce n'est pas par un progrès propre de raisonnement! il ne sait rien inventer ! il n'at- teint que le côté matériel des images ! Il n'a pas même, ici, l'intelligence de sauver son instinct en ouvrant la main pour échapper au piège, au long col où l'on met des noix! pas la moindre réflexion. Son instinct aveugle est matériellement de conser- ver la proie. Les ours du jardin des plantes, sans l'avoir DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 37 appris, et l'homme, l'ayant appris, savent que l'eau étend les poisons. Mais le chien empoisonné n'a jamais pensé à boire beaucoup d'eau. Les ours dont parle M. Flourens, avaient pu voir un des gâteaux rouler dans l'eau et y perdre une propriété malfaisante. D'ailleurs, depuis long- temps, ils avaient l'habiiude d'être joués par le public avec des gâteaux, ils avaient acquis l'habi- tude de réflexion et d'adresse dans un milieu où les images dépendent des hommes. Tous les cris entre les animaux sont des cris compris par eux! Dans nos bosquets, les oiseaux avertissent leurs petits de se taire quand une pie les cherche pour les ravir à la pauvre mère. Leurs cris sont donc un langage, et ce langage est instinctif. Chez nous, un muet de naissance qui a une intelligence remarquable, ne peut que pousser des cris. Dira-t-on que ces cris ne sont pas un langage? Seront-ils purement des cris du corps? Quand une femme crie à son enfant : «Petit, tais- toi ! »la mère a une raison d'intelligence en donnant l'ordre, tandis que l'enfant obéit encore machina- lement.Noire voix, par un seul cri, a donc son lan- 38 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT gage, puisque la sensation est pleinement produite. L'instinct n'a pas la faculté de modifier la sen- sation. Le corps est impuissant pour empêcher le cri d'une mère. Le corps ne dort plus dès que l'instinct veille. C'est donc la vie qui est intelligente; ce n'est pas le corps. La vie instinctive qui anime le corps, et la vie intelligente qui anime l'esprit, dépendent donc toutes deux d'une puissance extérieure. C'est l'instinct qui fait que la femme, belle- mère, aime mieux son enfant que l'enfant adop'if. Elle ne peut se défendre, en général, d'une pré- férence instinctive qui la domine tout en faveur de son propre enfant. Et c'est une injustice que de ne pas se rendre à cette loi instinctive. Le moyen de modifier cet instinct, c'est de savoir le prendre. L'amour pour les enfants croît d'autant plus chez la femme qu'elle se sera d'abord intéressée à un enfant caressant et qu'elle aura sacrifié pour lui. L'animal qui crie n'a pas le temps ni la volonté d'apprécier; il crie parce qu'il sent. Mais pourquoi le chien, à l'état privé, crie-t-il si fort quand on fait semblant de vouloir le frap- DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 39 per? 11 ne juge donc pas juste? Dira-t-on qu'il juge avec trop d'esprit, au point, sans regarder, de se culbuter dans le feu, dans les obstacles ou de causer bien des accidents? Les animaux conservent les mêmes besoins ma- tériels et ne les dépassent pas. C'est encore parce que les animaux, en général, sortent d'embarras sans hésitation, qu'on cherche à les troubler dans leur instinct. Il n'y a pas méprise d'instinct chez les animaux. L'hésitation, chez eux, commence avec l'intelli- gence que leur procure l'homme, ou lorsque l'homme les force à l'intelligence. Les animaux font bien tout d'un coup; ils ne tâtonnent pas dans leur impulsion. C'est donc qu'ils n'ont pas à étudier et à raisonner ce qu'ils ont à faire. Et, telles soient les circonstances ou les influen- ces qui les entourent, il n'y a pas la volonté, chez eux, de choisir parmi les moyens pour parvenir; les ongles et les dents agissent tout d'abord. Tel coup reçu par le chien le plus sauvage le porte facilement à la colère et à la vengeance; tandis que le chien le plus domestique exprime plutôt le chagrin et la soumission. AO LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT Voici en présence le chacal et le chien: Un jour, au puits du vieil Arzew, un Arabe tenait en laisse un jeune chacal. Les officiers fran- çais, qui avaient chassé avec leurs chiens doux et familiers, excitèrent ces animaux domestiques contre le chacal. Leshuit chiens semblèrent d'abord ne devoir faire qu'une bouchée du chacal qui, fixe, ne bronchait pas. Mais lorsque l'Arabe eut dit à son chacal : Sus aux chiens, ce qu'il fit, alors les huit chiens , en criant, s'échappèrent comme l'éclair, et l'on ne put les ramener contre le chacal. Je me demande si la défection de ces chiens de chasse ne vient pas partie de leur nature peu guer- rière, et partie de ce qu'ils ne prenaient pas au sérieux l'attaque commandée contre un chacal tenu prisonnier sous la main d'un homme. Le fait matériel, c'est que le chacal a fait peur à huit chiens de chasse réunis. Un chien gourmand n'a point d'esprit. Le chien ne s'habitue pas plus à la musique de l'orgue des rues dans un temps que dans un autre. Il n'invente pas de tourner dans un tambour d'une roue de pompe, ou d'une roue de rémouleur, comme un écureuil. Il obéit machinalement et ne cherche pas à deviner ce qu'il fait. DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. 41 Le chien ne transmet aucune idée d'éducation, aucun lien de famille à ses petits, pas plus que les autres animaux! Oui, le chien sait retrouver les lieux dont il se souvient; oui, il les reconnaît de très-loin !... Mais il ne voit pas un lièvre devant ses yeux! La gravure des lieux, par longue habitude, est faite dans le cerveau du chien. C'est le côté de l'intelligence instinctive; mais ses yeux n'ont pas encore transmis l'image du lièvre au cerveau. Ce n'est pas ce sens de l'instinct qui doit fonctionner. C'est au nez qu'est réservé la mission instinctive dans toute sa vigueur, parce que chez le chien encore les sens ne peuvent se remplacer les uns par les autres pour la transmission au cerveau! Condillac a-t-il réellement tort quand il dit que les castors comprennent, découvrent, jugent, etc.? Les castors repousseraient la cage, tout exprès essayée par F. Cuvier, s'ils le pouvaient. Ils jugent bien que la cage n'a rien de naturel pour eux, puisqu'elle est contre leur nature et que, par conséquent, elle leur est contraire. Ils comprennent ici, aussi bien que l'homme, que cette cage est étrangère à ce que leur instinct leur indique de faire. à2 LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT La cage n'est pour eux que le supplice de la captivité; elle ne prouve pas la logique de l'homme. Les cages sont à la mode; on leur donne d'abord une cage. Eh bien, c'est cette cage, ce tombeau qui force encore davantage les castors à bâtir, à se préserver et à chercher à revenir à la liberté pour reconnaître quelque chose qui leur est dû à l'état de liberté. L'instinct semble donc s'élever à quelque intel- ligence chez le castor, là où l'intelligence de l'homme semble faiblir en un point. Mais ici cette intelligence du castor me paraît n'être encore qu'une lueur intelligente de l'instinct. Combien mon rat du grenier et ma souris fauve sont au-dessus du castor! Si l'on pouvait donner à de jeunes castors une cabane toute bâtie par d'autres castors, ces pre- miers bâtiraient-ils encore, poussés par la môme force machinale et aveugle? Tout le monde sait que les lapins petits ou gros se prennent, à la bouche, les herbes et le pain jusqu'à extinction sans se mordre, sans jalousie, sans avidité, sans orage du cœur; et ils ne mani- festent aucun regret quand la nourriture est finie. 11 semble n'en rester aucune trace dans leur pen- DE L'INTELLIGENCE DES ANIMAUX. d'S sée, ils ne cherchent pas plus loin. Mais quand on leur retire la nourriture qu'ils n'ont pas achevée, ils cherchent partout parce qu'ils savent bien qu'ils n'ont pas fini le manger, et ils font bien la distinction entre ces deux faits : ils pensent donc? ils apprécient donc? On a peut-être été sévère en ne voulant pas voir la moindre intelligence chez l'araignée pré- voyante qui répare un fil manquant à sa toile, et qui bouche ainsi un passage à la proie. De même, pourquoi refuser au castor le coup d'œil intelligent pour mesurer les écartements et les dimensions nécessités dans des cabanes de grandeurs variées? Pourquoi, aussi, n'accorderait-on aucune in- telligence aux abeilles, qui songent à leurs lois de postérité et qui font si à propos de la pâtée royale, etc.? Faut-il donc, d'un seul coup de plume, rayer l'intelligence chez une foule d'animaux? Je ne le pense pas non plus, parce que le peu d'étendue apparente d'intelligence n'est pas une raison pour la rayer tout à fait, et parce que je vois encore que l'intelligence des animaux est une valeur fine de l'instinct et limitée comme l'instinct. M LIMITES QUI SÉPARENT L'INSTINCT, ETC. Ainsi, je ne dirai pas qu'il n'y a aucune intelli- gence chez une poule et chez les animaux parce qu'on les trompe!!! Mais bien, je me demande si c'est parce qu'il n'y a pas lieu à un secours, que la nature a refusé à la poule inquiète une idée pour tirer de l'eau les petits canards qu'elle a couvés? • L'instinct parle maternellement, mais l'intelli- gence, ici, fait complètement défaut, parce qu'elle ne peut s'employer à toute autre chose que dans l'état naturel instinctif. RÉSUMÉ DE LA DEUXIÈME PARTIE. La séparation entre l'instinct et l'intelligence des animaux se manifeste en ce que leur instinct est impérieux et toujours persistant, et qu'il reste fixe- ment sous une puissance secrète de la nature. Tandis que leur intelligence, bien qu'elle soit émise suivant aussi une puissance secrète de la nature, diffère de l'instinct matériel en ce qu'elle est une faculté supérieure de l'instinct; qu'elle est momen- tanée, et qu'elle ne surgit pas constamment. TROISIÈME PARTIE RÉFLEXIONS SUR LES LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE DE L'HOMME DÉ CELLE DES ANIMAUX Il est facile de voir l'immense séparation qui existe entre l'intelligence cle l'homme et celle des animaux. Or, il ne s'agit pas ici de démontrer toute l'intelligence de l'homme, mais seulement de faire ressortir jusqu'où peut s'étendre l'intelli- gence des animaux vis-à-vis de celle de l'homme. Mes observations réduisent une partie de l'in- telligence naturelle si souvent exagérée qu'on se plaît à accorder aux animaux, et elles distinguent bien aussi celle que l'homme leur donne déjà comme une intelligence d'emprunt. Ils obéissent 4G LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE plus ou moins à cette intelligence, mais ils ne savent pas encore la conserver. L'homme en continuant ses expériences cher- che, par une étude plus profonde et mieux appro- priée , à fixer davantage l'intelligence chez les animaux, et réfléchit aux moyens pour en tirer quelques résultats. C'est donc reconnaître de l'in- telligence chez les animaux. La flexibilité des organes du chien existe aujour- d'hui. Mais le chien était-il bien flexible dans l'ori- gine? Le chien existe-t-il encore à l'état sauvage? On ne connaît aucun animal primitif, ou type voisin de son espèce, qui soit flexible volontiers. Il ne faut pas confondre la flexibilité d'organes avec l'intelligence, car, à ce compte-là, un végétal qu'on dirige à volonté aurait donc autant d'intel- ligence que bien des animaux. La flexibilité des organes chez les animaux a donc permis de leur donner de l'intelligence d'em- prunt; et cette disposition flexible ne me paraît, en général, exister qu'aux dépens de l'instinct. Il ne faut donc pas confondre une bête féroce réduite à la captivité avec celle qui reste libre. L'homme a de rudes moyens d'influencer les DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 47 sens, et de disposer différents milieux pour sou- mettre les animaux, en leur ôtant, s'il le faut, jus- qu'au besoin de leur instinct pour les rendre atten- tifs à notre intelligence. L'animal privé de sa liberté a son instinct brisé. Les images habituelles disparaissent, et il reste confondu devant la nourriture toute trouvée que lui sert, chaque jour, le pouvoir de l'homme. De même que, chaque jour, le soleil l'éclairé de sa lumière puissante, sans que l'un et l'autre lui donnent l'espoir de sortir de son tombeau. MaisThomme noble, quoique captif et chargé de fers, peut exhaler des pensées sublimes. L'homme observe que la bête sauvage dévore l'oiseau le plus riche en brillant plumage sans s'occuper de la forme pauvre du corps mis à nu; et que l'instinct matériel et avide ressort tout entier. Il observe que le chien respecte quelquefois cFaussi beau gibier, au logis, parce que la puissance de l'homme est là qui lui parle par l'éducation journalière, et qui lui impose une intelligence d'emprunt forcé. Le chat, cet autre mammifère, nous laisse voir qu'il comprend bien, mais qu'il ne veut pas céder; qu'il n'a pas la flexibilité du chien, qu'il ne veut pas 48 LIMITES QUI SÉPARENT -L'INTELLIGENCE l'avoir; et qu'il distinguo bien les caresses de l'homme de celles de l'enfant naïf, sans, pour cela, avoir beaucoup plus degards pour les enfants. L'homme, toujours plus observateur, est témoin des modifications apportées çà et là sans cesse par la nature dans les éléments apparents qui nous en- vironnent. Il a découvert que les abeilles ont la faculté de modifications pour l'organisation de leur espèce. Il sait aussi que, parmi ses travaux infinis de tous genres, il a la puissance de modifier l'instinct et l'intelligence de certains animaux, etc., il en con- clut : Que l'intelligence donne la faculté; Que les degrés de l'intelligence donnent les de- grés de faculté; Que le degré de l'intelligence des abeilles est degré unique et instinctif; Et que les degrés de l'intelligence humaine sont infinis, illimités, parce qu'ils peuvent s'agrandir sur l'immensité sans limites de l'âme. L'homme ne peut pas établir la paix entre un chat et un chien, d'instincts contraires, parce que l'intelligence fait défaut. Mais il s'y prend autre- ment: il élève ensemble dès leur naissance un chat et un chien, qui restent les meilleurs amis. DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 49 L'habitude remplace l'intelligence. L'homme leur donne cette habitude sans qu'ils la raisonnent, et sans que cela détruise leur instinct naturel d'espèce envers les autres animaux. L'homme habitue un animal à l'instinct d'un autre animal, mais il ne peut pas transmettre l'in- stinct de telle espèce à telle autre espèce. Il en est de même pour leur intelligence. Chez nous on ne peut pas transmettre l'instinct d'un homme à un autre homme, mais on lui transmet Tintelligence des autres hommes, ou, en d'autres termes, on éveille son intelligence telle- ment qu'elle peut égaler ou dépasser celle des autres hommes. L'homme dispose et façonne un peu les animaux à son intelligence, et différents animaux font des services, jeux et tours comme l'homme les leur apprend par une habitude toujours la même. Autant leur intelligence est fugace, autant celle de l'homme est durable et toujours présente, et c'est parce qu'elle est toujours présente chez l'homme que les animaux finissent par s'y faire et s'y soumettre. Deux chiens d'une même mère peuvent être élevés d'une manière tout opposée par l'homme. 50 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE Deux plantes pareilles, de graines semblables, subissent des cultures différentes, au point, Tune de finir herbacée et l'autre de rester ligneuse. Il n'y a pas dans ces chiens et ces plantes la moindre volonté propre d'action préférable. C'est l'intelligence de l'homme qui comprend la flexi- bilité des organismes, comme aussi par la taille du diamant il en révèle la lumière. Le chien est sincèrement reconnaissant, et les fruits qui répondent à nos soins sont plus beaux, meilleurs et plus abondants. L'intelligence de l'homme partout domine, elle contraint et régit les bètes qui ne peuvent rien de semblable envers nous. Les animaux qui perdent la vue ne peuvent plus rien pour eux-mêmes. L'homme devenu muet ou aveugle conserve tou- jours la pénétration intelligente du cerveau; sou- vent même elle s'accroît. Les grands maîtresse forment tout seuls. Ils ont la connaissance de l'âme; ils savent que lame les anime, les éveille, les inspire; et ils en tirent une puissance infinie d'intelligence. L'homme, grandissant en intelligence et en puis- sance sur ce monde, a dû remarquer que l'instinct DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 51 naturel du chien carnassier était d'être chasseur. Il a façonné et dirigé cet instinct par une étude de plus en plus combinée elle-même. Et de siècle en siècle, le chien, malgré lui, dressé, privé et grandi par des soins continus, a compris forcément la supériorité , l'influence et la protection de l'homme; il l'interroge même. Il trouve près de lui tout ce qu'il faut à ses besoins ; il s'y attache et s'y habitue. Les animaux sont poussés dans leurs actions; mais ils n'ont pas d'inspirations raisonnées, ni pour le présent ni pour l'avenir. Ils n'ont pas les pressentiments de Vâme. L'âme est tellement universelle pour les hommes qu'elle leur donne, pour ainsi dire, une vue occulte. Elle est plus sensible chez les uns que chez les autres. Il semble qu'on la surprenne au passage comme si elle voyageait dans le fluide espace. Les révélations le prouvent encore> Ainsi, je vois nettement qu'il n'est pas possible de déterminer une limite à l'intelligence humaine puisque le dernier terme est inconnu. Mais je dis que celle des animaux, qui se place entre deux termes connus, devient possible à établir si l'on suit l'indication de vues fines expérimentales de 52 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE M. Flourens, que chacun apporte sa part d'obser- vations et de réflexions et alors nos grands maîtres jugeront. Et par cela même qu'il y a chez l'enfant, l'homme et le vieillard des facultés progressives d'instinct, d'intelligence et de'pénétrations divines, il s'ensuit que l'homme, qui est effectivement d'une nature bien supérieure à celle du plus intelligent de tous les animaux, ne provient pas d'une autre espèce; et ce qui prouve encore sa création particulière, c'est que son intelligence progressive apprécie de plus en plus les dons divins que la nature lui a faits. L'action de l'âme sur l'esprit, qui inspire l'in- telligence de l'homme, nous permet d'étendre encore une partie de cette puissance, mais passa- gèrement, sur la nature des animaux. L'intelligence naturelle des animaux est supé- rieure à celle que l'homme peut leur procurer, en ce qu'elle est fidèle et infaillible, qu'elle apparaît et sert à la volonté de leur instinct, et qu'elle s'har- monise avec les besoins de leur instinct. Tandis que l'intelligence que leur procure l'homme est une partie de celle de l'homme et contraire à leur instinct, et l'animal n'y cède que parce qu'il ne peut pas faire autrement. DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 53 Ainsi donc, on dressera d'autant mieux un animal qu'on appréciera mieux son instinct. Et aussi donc, l'homme fainéant, ce réfractaire esclave de la paresse pourrait s'éveiller, il n'aurait qu'à le vouloir. Dans le cerveau de l'homme, l'impression d'une dernière image n'est pas effacée par la gravure d'une autre image qui vient se fixer ensuite. Le cerveau recueille toutes ces gravures. De même, quand le cerveau émet une volonté, un plan, les yeux semblent intermédiaires, à leur tour, pour transmettre l'image et jusqu'à la pensée... Dans un duel, les yeux de chaque combattant cherchent à lire dans les yeux de son adversaire ce que l'intelligence commande ou laisse transpirer malgré l'art de la dissimulation. Si l'intelligence d'un homme lit les impressions qui se produisent dans les yeux d'un autre homme, c'est qu'un cerveau pénètre un autre cerveau. Chez les animaux, il y a donc aussi une force vitale universelle qui favorise leurs yeux et leur cerveau ? Ils se servent des yeux avec une rapidité divine ; même quand deux oiseaux se poursuivent de très-près, le second ne voit pas les yeux du 54 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE premier, et pourtant il suit bien vivement les détours de celui qu'il poursuit. C'est là le côté où je vois l'intelligence des animaux approcher le plus de celle de l'homme. Elle a une puissance par le choc, pour ainsi dire, de la vue. Les animaux lisent dans les yeux de l'homme avec certitude. Le regard de l'homme a une supé- riorité qui les fait reculer; mais alors la vue est donc le sens le plus parfait au service du cerveau? M. de Blainville, au jardin des plantes, autrefois ne nous disait-il pas que c'était l'ouïe !... Le cerveau de l'homme ne croit pas tout de suite que la terre tourne. Nos yeux laissent quelquefois tromper le cerveau par le toucher d'habitude des doigts: quand on croise le médium sur l'index et qu'on roule une bille entre l'extrémité de ces deux doigts, le tou- cher accuse deux billes, et le cerveau accepte l'er- reur malgré que les yeux voient pendant tout ce temps-là. L'intelligence s'en étonne, mais la ré- flexion vient à son aide et rectifie. L'intelligence et la réflexion ne sont donc pas même chose !.,. Sentir, c'est recevoir une sensation qui impres- sionne vitalement les sens chez les bêtes et chez les DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 55 hommes, avec cette différence que la sensation éprouvée chez les bêtes n'est pas raisonnée; que les actions diverses du sentir sont d'un champ plus limité que chez l'homme, et que les ordres et les conséquences y sont d'une nature bien infé- rieure. La valeur de la chose sentie devient une distinc- tion immédiate et tout autre pour l'homme, et j'y vois pour les bêtes à peu près le même fait de dénomination instinctive pour la sensation comme pour Tintelligence. Il n'y a qu'un mot pour dire- intelligence, et j'ai dit intelligence instinctive pour les animaux, et intelligence infinie pour l'homme. L'homme raisonne ses souffrances. Il discerne aussi ce que sentent les autres hommes et les ani- maux: coups, blessures, maladies, etc., le frap- pent d'une impression profonde, réfléchie, infinie. L'esprit est atteint et souffre souvent plus doulou- reusement, par la blessure, que le corps qui l'a reçue. On a souvent rapporté que de malheureuses vic- times, en mourant, avaient gardé dans leurs doigts crispés des cheveux de leur assassin. Je remarque là que le cerveau n'a pas donné contre-ordre aux forces musculaires pour relâcher 56 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE les cheveux, et que les doigts n'ont plus dû s'ou- vrir. C'est encore une preuve de la puissance du cer- veau et bien plus encore de la puissance créatrice et secrète de la nature. On ne peut plus nier qu'un tel fait dépende de la vie universelle, puisque la matière organique est toujours soumise à des fonc- tions, et le cerveau agit encore au dernier instant quand tous les sens périssent à leur poste. Les impulsions données à l'action musculaire peuvent donc avoir lieu en bien des circonstances inaperçues! elles nous échappent faute d'être assez attentifs à les voir, à les saisir et par manque d'ha- bitude de les reconnaître; et c'est bien ce qui nous porte à des observations plus délicates et toujours croissantes en raison cle l'aptitude même à ob- server. Les enfants s'amusent à remuer les doigts devant les yeux des lapins qu'on a tués, et regardent avec curiosité la pupille qui rend encore le mouvement de ce qu'on lui présente, comme tout objet qu'on agite devant un miroir. Seulement il faut de bons yeux pour voir les images qui sont si peu appa- rentes sur la pupille. On ne peut plus refuser à la nature ces dons DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 57 sensibles de puissance qu'elle nous fait, où elle nous appelle à la pénétrer peu à peu. Ces révéla- tions progressives forcent notre attention de plus en plus pour découvrir davantage. La nature agit donc comme si elle causait avec les hommes et qu'elle raisonnât avec eux; ce qui prouve un côté bien grandiose de notre intelli- gence. Nous n'apercevons pas ce môme mode de lan- gage delà nature avec les animaux, Cette particularité de langage de la nature avec l'homme, à mon sens, rehausse encore F homme; elle marque une séparation si tranchée entre l'in- telligence de l'homme et celle des animaux que, pour un peu, je désirerais que l'homme ne fût plus classé parmi les animaux. Il faudrait qu'on pût ennoblir tous les hommes et les tenir élevés au-dessus des besoins de la vie journelle qui les laisse retomber vers l'instinct. C'est donc le côté de l'instinct qui maintient l'homme au nombre des animaux. C'est donc le côté de son intelligence qui l'élève vers la création. Entre l'homme et Dieu il y a encore la création de toutes choses. 58 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE Puis Dieu apparaît par tout l'univers. Notre corps a besoin de l'âme, et notre esprit en conçoit la valeur. Tandis que les bêtes semblent ne donner aucun signe de sentiment de l'âme. L'animal qui sent le froid s'endort ou n'obéit qu'à la faim. Il ne se fait ni bons vêtements ni bon gîte; la nature y pourvoit. Mais l'homme dans son antre, ou au coin de son feu, raisonne sur le froid que sentent les hommes et les animaux domesti- ques. Il y apporte le soulagement et la conserva- tion, et c'est parce qu'il sent plus qu'il agit davan- tage. Les animaux ne jugent pas plus une souffrance qu'ils ne songent à se rendre compte s'ils sont au monde, ni ce que peut être la terre, ni si la na- ture habille d'autant plus richement les animaux que leurs formes sont plus grossières, etc. Ils se tranchent un membre endommagé et n'ont pas l'air d'y réfléchir ni d'hésiter. S'ils n'ont pas l'idée de lame ni de l'éternel, ils n'ont pas par conséquent la connaissance réfléchie du bien ou du mal et ne peuvent analyser ni nos facultés, ni nos desseins, ni nos moyens d'exécu- tion. Le pouvoir de l'âme sur la pensée prouve la DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 59 connaissance de l'âme par toutes les facultés de notre cerveau. L'homme seul révère l'âme et la fait ressortir chez les enfants. M. Lebrun a dit que quand cette étincelle divine n'apparaît pas, c'est que l'on ne frappe pas assez fort ou qu'elle est mal touchée, car elle doit toujours jaillir. Le chien a le cœur, l'attachement, etc., très- bien. Mais il n'a pas l'âme, ce levier si puissant qui fait l'intelligence progressive, parce que l'âme est continue. L'âme sépare à tout jamais rintelligence de l'homme de celle des animaux. L'intelligence des animaux provient de l'in- stinct; elle est tout instinctive et limitée aux be- soins matériels et particuliers de l'instinct, tandis que l'intelligence de l'homme provient de l'âme; elle est infinie dans ses travaux, ses découvertes et jusque dans les changements de ses besoins et de ses jouissances. Pourquoi donc cette puissance infinie de l'homme, en créant les sociétés d'hommes intelli- gents et laborieux, a-t-elle laissé un faux intérêt détruire l'instinct humain? instinct traité d'habi- tude ou qualifié d'erreur, conventions funestes CO LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE d'injustices qui ont sacrifié tant d'hommes du mo- ment qu'on ne les comprenait pas ou qu'on n'en voulait plus. Il en est peut-être de l'intelligence comme du bonheur. La Providence n'a pas réparti le bonheur d'une manière égale entre tous les hommes sur la terre, pensée qui élève celui qui le peut à faire le plus de bien possible. Oui, les bêtes sentent, réfléchissent, comparent, jugent, etc. Elles ont de la mémoire, des idées, de la pensée, de l'intelligence, etc. Oui, chez elles tout est acte secret et particulier. Mais elles n'ont pas la lumière de ces qualités. La nature, à leur insu, agit pour elles et reflète dans leur cerveau les ob- jets dont elles ne raisonnent pas la valeur, tandis que l'homme puise lui-même dans l'âme et pour toute l'étendue de ses pensées. Les idées supérieures ne viennent pas des sens. C'est l'âme qui inspire le cerveau, et les révéla- tions que nous fait la nature se font précisément dans l'inaction la plus parfaite des sens. Les sens ne sont plus alors que des serviteurs qui seraient fort embarrassés si la puissance du cerveau ne leur donnait ensuite leur jeu dans leur attribution. Le cerveau se divinise, M. Flourens en donne un DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 61 exemple admirable en précisant les caractères les plus tranchés qui séparent l'instinct de l'intel- ligence. L'homme lève les yeux. Il sonde la profondeur des cieux et cherche à comprendre l'Éternel. Il baisse le regard et fore un puits artésien. Il n'a pas vu matériellement une locomotive dans les images de la nature, son intelligence Ta comprise. Partout il imagine et compose des images où lame de création se révèle; ce qui établit une différence éternelle entre l'intelligence de l'homme et celle des animaux. Malgré la limite, à nos sens, de tout percevoir, il y a toutefois une immensité divine dans l'homme. Il peut envisager que la nature, pour ainsi dire, n'a pas posé de limites aux puissances progressives de son intelligence, et que ce qu'on n'a pas étudié n'est pas introuvable. Les inspirations profondes de M. Flourens font comprendre le temps qu'il a fallu pour produire, aussi, les Cuvier, les Newton, les Christophe Co- lomb. Partout l'homme comprend la puissance infinie de la nature, non-seulement l'intelligence humaine la prouve et la révèle partout, mais l'instinct G2 LIMITES QUI SÉPARENT L'INTELLIGENCE merveilleux des animaux suffit pour l'attester encore. RÉSUMÉ DE LA TROISIÈME PARTIE. L'intelligence naturelle des animaux n'existe donc pas sans l'instinct. Elle est limitée au besoin de l'instinct. Elle se produit naturellement chez les animaux à l'état de liberté, suivant le besoin et la puissance de leur instinct. A l'état privé, elle est plus étendue par l'éduca- tion qu'entretient l'homme; mais alors elle ne peut se soutenir elle-même. L'homme, en brisant ou affaiblissant l'instinct des animaux par la captivité et la domination, peut détruire leur intelligence en la laissant succomber, comme il peut, au contraire, l'élever beaucoup en lui prodiguant tous ses soins. L'animal ne peut modifier lui-même son intel- ligence, et plus il en doit à l'homme, plus il perd de la sienne. Tandis que chez l'homme tout, jusqu'aux con- ventions sociales, semble concourir à détruire l'instinct. DE L'HOMME DE CELLE DES ANIMAUX. 03 L'âme ouvre des étendues infinies à l'intelligence humaine, comme si c'était une loi de tendre à une unité plus dégagée et plus pure pour un corps qui se perfectionne toujours. FIN. TABLE DES MATIÈRES Introduction 5 Première partie. — Réflexions sur les limites qui séparent l'intelligence entre les différentes espèces d'ani- maux 7 La Chatte 4 0 La Chatte Roger 4 2 La Souris 4 3 Deux Rongeurs 4 5 Rat du grenier 4 6 Souris fauve 4 9 Souris de la cuisine 24 Résumé de la première partie 25 Deuxième partie. —Réflexions sur les limites qui séparent l'instinct de l'intelligence des animaux. < 26 Résumé de la deuxième partie 44 Troisième partie. — Réflexions sur les limites qui séparent l'intelligence de l'homme de celle des animaux... 45 Résumé de la troisième partie 62 Paris. — Imprimerie de E. Martinet, rue Mignon, 2. PARIS. — IMPRIMERIE DP, E. MARTINET, RUE MIGNON, sur l'homme dit LE SAUVAGE DU VAR PAR L facile, et qu'il serait heureux de vivre en communauté d'idées » et de sentiments avec lui. » Nous engageâmes Laurent à ne tenir aucun compte de cette lettre, lui disant que cet ami prétendu de l'avenir, ne le con- naissait pas; que vraisemblablement il accepterait, avec peine, sa manière de vivre; qu'il ne se ferait peut-être pas autant que lui l'homme de la nature. Qiïil servait mille fois préférable de le voir, lui Laurent, rompre résolument avec l'existence malheureuse qu'il mène depuis six ans, pour rentrer parmi les hommes, prendre la place qui lui convenait. Sourd à notre appel et aux exhortations que nous venions de lui faire, il nous répondit: — Qu'il n'avait jamais été aussi heureux; qu'il ne voulait pas changer, et qu'à Pâques il aurait atteint son but. . — Eh bien! si tel est votre bonheur, ne le compromettez pas par une tentative hasardeuse, et n'engagez pas cet ho/nme à as- socier ses malheurs aux vôtres! — Maïs je n'ai jamais eu de malheurs, exclama Laurent, je suis ainsi parce que je le veux, parce que c'est là mon idée ; je ne tiens pas à voir venir cet homme; qu'il s'arrange comme il voudra; il vaut mieux que je ne lui écrive point. Il se mit à notre disposition pour les nouvelles épreuves pho- tographiques que nous désirions faire. Après quoi l'heure du départ arriva, et nous insistâmes encore pour lui laisser quelque chose, il ne voulut point d'argent. Plusieurs fois nous lui avions entendu parier d'une sorte de moulin à broyer, composé de deux pierres roulant l'une sur l'autre, et inventé par le général Lamoricière, je crois, pour l'usage des troupes d'Afrique. Laurent désirait en avoir un pour — 16:— moudre les grains de tous les jours. Je lui offris de lui envoyer de Toulon ce petit moulin, le priant de l'accepter comme souvenir. Il n'y consentit que moyennant l'engagement pris par moi, qu'il m'en rendrait l'équivalent soit en argent soit en travail, voulant, disait-il, ne rien devoir aux autres et rester Vhomme de la nature. Laurent L... n'est point un sauvage jusqu'à ce jour; il ne fuit point le contact des autres hommes, leur vue ne lui est point désagréable, il se montre affable et obligeant pour eux, il est doux et d'un abord facile, il n'a point choisi pour demeure un lieu sombre et désert, il travaille pour être heureux et désire le bonheur de tous. Sa nouvelle cabane établie au milieu des bois, dans un des plus beaux sites de la vallée, est voisine d'une route très-fréquentée qui le met presque chaque jour en rapport avec les habitants du voisinage. Les conditions toutes particulières de sol et de climat du beau pays dans lequel il s'est fixé rendent possible sa singulière existence, et j'imagine qu'il aurait à modifier beaucoup sa ma- nière de vivre si les bienfaisants rayons du soleil et la végétation sans cesse renaissante n'avaient fait d'Hyères et de ses environs une de ces contrées privilégiées qui ne connaissent point les rigueurs des hivers. Quel défi imprévu jeté aux assertions contradictoires écrites en courant, sur les climats du midi de la France, à titre ou non de mission scientifique!!! Laurent est un homme sans instruction, sachant à peine lire, incapable d'écrire une lettre, pouvant tout au plus tracer en ca- ractères imparfaits quelques mots qui lui servent à enregistrer les dates importantes de sa vie singulière. La note écrite de sa main, que nous avons reproduite plus haut, donne la mesure exacte de ce qu'il sait faire. Cependant il est doué d'une certaine somme d'intelligence, supérieure à celle des hommes de sa classe; il parle français beaucoup mieux que les ouvriers du pays, et il a même parfois des expressions assez originales pour caractériser ses idées et ses aspirations. * Né en Savoie d'un famille de charbonniers, il fut éloigné de son père dès sa première jeunesse, et dut chercher de bonne heure dans le travail les moyens de suffire à ses besoins. ïl n'a jamais connu personne ayant eu les mêmes idées que lui; son père, qui habitait une petite ville, n'a jamais cherché la vie so- litaire, non plus que l'éloignement dans les bois. Vers l'âge de vingt ans, Laurent est venu vivre dans le Midi, tantôt à Marseille, tantôt à Toulon ou à Hyères, gagnant sa vie soit comme ouvrier jardinier, soit comme terrassier. Contrarié, dit-il, devoir les hommes jaloux les uns des autres, et tourmentés par les mauvaises passions, il a songé à s'éloigner d'eux pour se rapprocher le plus possible de la vie d'innocence et de nature. Tout ce qui fait l'homme dépendant, tout ce qui asservit sa liberté d'action, le travail comme la famille, est de- venu pour lui autant de charges dont il a voulu s'affranchir. Et c'est alors que, rompant avec sa vie passée, il s'est retiré dans les bois, et a marché à la réalisation de l'idée que nous allons mettre en relief. L'affranchissement de l'homme tel que Laurent paraît l'en- tendre, comporte la négation de tout travail et de toute idée de propriété. Le travail salarié est pour lui une déviation de la loi naturelle, quelle qu'en soit la rémunération, il la déclare non pas insuffisante mais imparfaite, parce que le produit de la terre est la seule vraie et légitime récompense du travail. L'argent ne peut, dit-il, jamais tenir lieu du produit naturel; il le considère comme une triste nécessité à laquelle il cède parfois encore en donnant son travail en échange de quelques pièces de monnaie, mais si, en agissant ainsi, il porte atteinte à sa liberté, il entre- voit le jour heureux où il cessera d'être mulâtre, c'est-à-dire de vivre moitié de la vie ordinaire, moitié de la vie de nature. Il n'est point sans quelques ressources qui lui permettraient d'apporter dans sa vie ce que nous appellerions nous, du bien- 2 — 18 — être; sa sœur lui apprend que la succession d'un de ses oncles lui laisse une somme relativement assez importante dont il peut disposer à sa guise, mais il ne veut pas la prendre, parce que dit-il, cet argent n'a pas été gagné par lui. Il pourrait, avec cet argent, acheter de la terre et devenu propriétaire, la cultivera loisir; non, la terre attache, la propriété est une servitude qui entrave la liberté de l'homme, il ne veut point posséder, il veut rester libre de quitter demain la place qu'il occupe aujourd'hui. Tourmenté par la commune, il ira plus loin porter sa tente; poursuivi encore, il fuira dans les bois ; et s'il en est besoin, il vivra sous terre comme les animaux. Il veut la terre libre, il veut que tous les hommes l'aiment sans abuser d'elle, qu'ils ne la fatiguent point par une production exagérée, et qu'ils aient pour elle le respect qu'on a pour une mère qui d'elle-même nous nourrit et pourvoit libéralement à tous nos besoins. L'activité que Laurent déploie aujourd'hui a pour but de préparer, pour le terme qu'il s'est fixé à l'avance, tout ce qui est nécessaire à l'organisation de sa vie plus parfaite. Ce n'est point qu'il songe à s'éloigner plus encore du contact des hommes; non, il veut seulement compléter son idéal en ne demandant qu'à la nature, et à la nature seule, les ressources nécessaires à son existence. Laurent est donc en voie de progrès, à son point de vue; c'est pour cela que depuis cinq à six ans il cultive sa chevelure et sa barbe avec le plus grand soin, qu'il les récolte tous les mois, et les conserve précieusement; qu'il collec- tionne une immense quantité de graines de pin qu'il renouvel- lera au furet à mesure de ses besoins; et il exprime hautement l'espérance d'arriver vers Pâques, au jour tant désiré par lui, où vêtu de ses cheveux, simple produit de son corps, empruntant a la graine du pin sa nourriture et son lit; il aura ainsi com- plètement satisfait à la nature et cessé d'être mulâtre ou métis, comme il dit l'être encore aujourd'hui. Les convictions de Laurent sont profondes, rien ne peut le détourner de son bul, il écoute les observations qu'on lui fait, — 19 — mais il ne les accepte pas; il refuse l'argent qu'on lui offre, ne voulant devoir qu'à lui-même ; il veut être Vhomme de la nature. Conséquent avec ses idées, il supprimerait volontiers tout ou partie des haillons qui le couvrent encore, mais il a le sentiment obscur du sacrifice à faire aux lois de la décence et de la société; confiné dans sa hutte, il est maître de lui et s'arrange à sa guise* L'étude psychologique de cet homme présente un singulier contraste dans l'expression des sentiments et des idées. A côté des manifestations les plus excentriques et de la négation la plus absolue des avantages de la vie de société ; il a le désir, je dirai même la volonté, de compter parmi les hommes avec ses droits et ses prérogatives de citoyen, il réclame son vote d'électeur pour le donner au plus digne de rendre les autres heureux. Peu lui importe l'éclat de la grandeur, les hommes ne comptent à ses yeux que par les qualités naturelles qui les rendent bons et secourables les uns envers les autres; c'est là, nous dit-il, sa religion naturelle. Il est obligeant et serviable pour les gens de son voisinage, toujours prêt à venir en àide à ceux qui ont be- soin de lui, ne voulant pour récompense que des services en retour, et lorsque l'incendie de la forêt de Pierrefeu détruisit, il y a quelques années, une grande étendue de bois, il fut un des premiers à combattre le feu, peut-être prévint-il de plus grands dommages! Tel est notre homme dans ses manifestations affec- tives, trouvant en lui-même les impulsions et les mouvements qui constituent une des plus nobles prérogatives de la création humaine. Laurent s'est fait ce qu'il est, sous l'empire d'une idée qui, maîtresse de son esprit, le pousse vers le plus monstrueux réa- lisme. Tous les siècles écoulés ne comptent point pour lui, les progrès des Sociétés ne sont à ses yeux qu'un triste mensonge, il veut être l'homme des premiers temps du monde, trouvant dans la nature seule de quoi pourvoira tous ses besoins. Loin de lui la pensée de se mettre en lutte avec la société, et de séduire les hommes en faisant valoir à leurs yeux les avan- — 20 — tagesde son système; son respect pour la liberté de chacun, l'éloigné même de toute idée de prosélytisme. Il ne tient point a être connu, il fait ainsi parce que c'est là son idée, et il éprouve, à la réaliser, tout le bonheur que donne un projet long- temps préparé et conduit à bonne fin. Dans le bizarre assemblage de conceptions fantastiques que nous présente Laurent, celle qui me paraît avoir occupé le plus son esprit, et devoir résumer la plus haute expression de ses désirs, est la confection du vêtement qu'il veut faire avec ses cheveux. C'est là son trésor, depuis six années il le grossit peu à peu, jamais il ne s'en sépare, aucune somme d'argent ne pour- rait le payer. Couvert de ce précieux tissu, n'ayant plus à de- mander à la terre que son aliment de chaque jour, la nature sera satisfaite, et lui triomphant dans son œuvre. Depuis la découverte du sauvage de l'Aveyron, la vie des bois n'a jamais produit, que je sache, un plus singulier personnage que celui dont je viens de présenter le tableau. Le point de départ de ces deux êtres bien loin d'être le même, les éloigne de toule la distance qui sépare l'homme intelligent du malheureux idiot. Laurent ne fuit point les hommes, mais il poursuit un but avec l'activité qu'un monomane seul sait mettre au service de l'idée fixe. Il vit sur une idée et par une idée, dont la fascina- tion lui fait trouver du bonheur dans les conditions les plus mi- sérables que l'homme puisse avoir sur la terre. Sans pain, sans vêtement, sans lit, il brave les nécessités les plus impérieuses de la vie., et marche résolûment vers une existence plus rétrécie encore s'il est possible. Ce n'est point la haine des hommes, non plus que la misère, qui le guide, il croit voir son rêve aux limites de l'horizon, et il marche toujours!... Nulle intervention humaine n'est venue jusqu'à ce jour con- trarier ses progrès; il a pu en toute liberté d'action, courir vers son but avec le respect dû à la propriété et à la commune. On peut donc dire de lui qu'il est heureux, si la misère a jamais fait le bonheur! RAPPORT LU A L'ACADÉMIE IMPÉRIALE DE MÉDECINE SÉANCE DU 22 AOUT 1805, Par le Docteur €ERI§E Membre de l'Académie impériale de 'médecine et de la Société médico-psychologique, etc., etc. Messieurs, Dans la séance du 28 février dernier, M. Tardieu vous a présenté une Etude médico-psychologique de Vhomme dit le Sauvage du Var, adressée à l'Académie par M. le docteur Mes- net, médecin des hôpitaux de Paris, membre de la Société mé- dico-psychologique. Une commission composée de MM. Bail- larger, Tardieu et Cerise, a été chargée de vous rendre compte de cette étude. C'est ce que je viens faire en son nom. Si le sens étymologique suffisait pour assurer à un mot sa véritable signification, le bon et excentrique Laurent, observe par M. Mesnet, mériterait la qualification de sauvage qui lui a été donnée dans les journaux. Sauvage, en italien selvaggio ou salvaggio, en espagnol salvaje, racine latine silva, signifie ha- bitants des bois, habitants des forêts. Laurent, en effet, habite une forêt, il a élu domicile dans un bois; mais ne vous effrayez pas, la forêt qu'il a choisie est un séjour qui ne manque pas d'agréments. Si elle est moins peuplée d'hommes qu'une ville ou un village, elle n'est pas pour cela peuplée de bêtes féroces. D'honnêtes charbonniers y séjournent, de laborieux bûcherons la parcourent, de paisibles promeneurs la visitent; son étendue n'est point immense comme une forêt vierge de l'Amérique. Du centre on rayonne pédestrement, en deux ou trois petites heures, vers les villages de Collobrières et de Pierrefeu, et la ville d'Hyères n'est pas loin. Elle n'est point impénétrable à la — 22 — clarté du jour, grâce à une exploitation régulière des chênes lièges et de pins qui la composent. Je ferai même observer que les deux cabanes de Laurent, placées, l'une sur le versant mé- ridional de la colline boisée, et l'autre près d'un limpide ruis- seau, non loin de la route, dans un des plus beaux sites de la forêt, permettent aux doux rayons du soleiLde Provence de les visiter à leur heure. Ceci a son importance, car Laurent affec- tionne médiocrement les vêtements dont la nature ne fait pas seule les frais. A. tout prendre, pour un fils émigré de la Savoie qui a passé les hivers de son enfance et de son adolescence sous un ciel très-rigoureux, le choix spontané de la forêt de Pierre- feu, où il n'avait été ni charbonnier, ni bûcheron, où il n'avait contracté aucune habitude, témoigne d'une prévoyance qui doit nous rassurer. L'homme des bois n'est pas aussi sauvage qu'il en a l'air. Mais les mois ont une signification traditionnelle dont il faut tenir compte. D'après la tradition anthropologique, homme sauvage signifie homme naturel, homme primitif, homme anté- rieur ou étranger à la civilisation. Heureux âge de paix et d'in- nocence que les poètes du paganisme ont chanté sous le nom d'âge d'or, et que les philosophes du xvni0 siècle ont célébré sous le nom d'état de nature. L'état de nature a occupé une grande place dans le rêve et le paradoxe. On aurait pu, confor- mément aux idées de Hobbes, imaginer pour l'homme primitif les instincts naturels, violents et égoïstes, que ne tempère pas l'hypocrisie sociale. On aurait même pu imaginer, selon les principes d'une anthropogénie qui ne manquait pas d'adhérents, les conditions de la bête aux quatre mains en voie d'évolution humaine et encore occupée des chasses sanglantes, avec les arbres pour retraite inaccessible. On a préféré imaginer une ère d'égalité, de sérénité et d'abondance. On a fait de l'état de nature une pastorale et une églogue. Grâce à ce mirage, l'état de nature, mis à la mode, est devenu pour nos aïeux du xvin0 siècle la bergerie enguirlandée de Watteau, la féerie agricole du docteur Quesnay, et l'utopie sociale de J. J. Rousseau. La question des commencements de l'humanité a été long- temps débattue. Parmi les hypothèses que l'interminable débat a suscitées, il faut placer en première ligne celle de l'homme sauvage. Il y a des esprits qui s'en préoccupent encore. Je n'o- serais affirmer qu'il en existe au XIXe siècle, mettant en doute, comme au xviu°, la nature bimane et bipède de l'homme; mais il est certain que, dans l'opinion de quelques anthropologistes, l'état naturel se distingue de l'état social qui l'enveloppe et le dissimule. Selon eux, le masque étant levé par une habile abs- traction, l'état réel de l'homme ne peut échapper à l'observateur exact. On conçoit que, voyant dans l'humanité une classe su- périeure du règne animal plutôt qu'un règne distinct, ils re- cherchent avec obstination dans l'homme social les traces non encore effacées de l'homme animal qui aurait failli à sa voca- tion. Mais ils devraient ne pas oublier qu'une semblable recher- che implique la notion précise, et que personne ne possède, de l'état naturel, c'est-à-dire de l'état antérieur à toute institution humaine. Pour acquérir cette notion, pour découvrir dans l'homme actuel les caractères de l'homme prétendu primitif, il faudrait recourir aux deux méthodes de découverte et de véri- fication dont la science dispose, à l'expérience et à l'observation. Par l'expérience, il s'agirait d'obtenir dans toute sa pureté et en pleine lumière l'état de nature volontairement reproduit. Par l'observation, il s'agirait d'observer les individus qu'un ex- ceptionnel concours de circonstances aurait isolés de toute in- fluence éducatrice. Rousseau a eu l'idée de recourir à l'expérience; mais il ne l'a pas jugée praticable. Voici ses paroles: » Le problème suivant, dit-il, ne me paraîtrait pas indigne » des Aristotes et des Plines de notre siècle : Quelles expé- » riences seraient nécessaires pour parvenir à connaître « l'homme naturel, et quels seraient les moyens de faire ces » expériences au scinde la société? Loin d'entreprendre de » résoudre ce problème, je crois en avoir assez médité le sujet — 24 — » pour oser répondre d'avance que les plus grands philosophes » ne seront pas trop bons pour diriger ces expériences, ni les » plus puissants souverains pour les faire, concours auquel il » n'est guère raisonnable de s'attendre, etc. » Évidemment, de pareilles expériences sont impossibles. Même avec le concours des princes exerçant dans toute sa plénitude la souveraine puissance, quel anthropologiste sérieux songera jamais à soumettre un peuple à l'épreuve du néant social, à excommunier, en quelque sorte, tous les nouveau-nés d'une génération, à frapper d'interdiction toutes les aptitudes que dé- veloppe l'atmosphère éducatrice de la société? Celui qui limi- terait sur un ou sur plusieurs enfants la criminelle expérience de la séquestration morale et intellectuelle, aboutirait à une monstruosité plutôt qu'à l'humanité naturelle. On ne discute pas de pareilles chimères. Il fallait le singulier génie de J. J. Rousseau pour demander aux naturalistes contemporains un programme d'expériences impossibles, et que Buffon, pour lequel il avait une admiration profonde, aurait inévitablement refusé. ^ Si l'expérience en masse ne peut être tentée, si l'expérience privée ne peut servir à vérifier l'hypothèse de l'état de nature en le reproduisant, il reste peut-être la ressource d'observer les individus qui, sous l'empire de circonstances extraordinaires ou de criminelles tentatives., auraient été élevés et maintenus dans l'état sauvage. Ce serait, eu quelque sorte, l'observation clinique offerte par les hasards de la maladie, efse substituant à l'expérimentation physiologique impossible. 11 faut se résigner à reconnaître que l'état "de nature, pour l'homme, se soustrait à l'observation comme à l'expérience. Malgré la découverte de prétendus sauvages, on n'a jamais ren- contré des exemples 'de l'homme naturel, c'est-à-dire des hommes ayant atteint un développement régulier, en dehors de toute influence éducatrice ou sociale.|En d'autres termes, l'hy- pothèse ne s'est pas plus vérifiée par l'observation que par l'ex- périence. Les hommes signalés comme sauvages, victimes du hasard ou du crime, étaient frappés dans leur intelligence, ar- rêtés dans leur développement psycho-cérébral, idiots, imbé- ciles ou monomaniaques. Plusieurs disposaient de mots, de signes et d'idées attestant un abandon tardif ou une influence éducatrice qui n'avait pas été absolument supprimée. Rousseau, qui avait recueilli les récils de prétendus sauvages trouvés dans les bois, ne paraît pas les avoir pris en sérieuse considération. Voici quelques exemples cités par lui, et qui mettent en évi- dence la crédulité des utopistes de l'état de nature qui les ont accueillis: » Il y a, dit-il, divers exemples d'hommes quadrupèdes, et >> je pourrai, entre autres, citer celui de cet enfant qui fut » trouvé, en auprès de Hesse, où il avait été nourri par » des loups, et qui disait depuis, à la cour du prince Henri, » que, s'il n'eût tenu qu'à lui, il eût mieux aimé retourner avec- » eux que de vivre parmi les hommes. Il avait tellement pris » l'habitude de marcher comme ces animaux, qu'il fallait lui » attacher des pièces de bois qui le forçaient-à se tenir debout » et en équilibre sur ses deux pieds. Il en était de même de » l'enfant qu'on trouva, en 1694, dans les forêts de la Lithuanie » et qui vivait parmi les ours. Il ne donnait, dit M. de Condil- » lac, aucune marque de raison, marchant sur ses pieds et sur » ses mains, n'avait aucun langage, et formait des sons qui ne » ressemblaient en rien à ceux d'un homme. Le petit sauvage » du Hanovre, qu'on mena, il y a-quelques années, à la cour » d'Angleterre, avait toutes les peines du monde à marcher sur » ses deux pieds, et Ton trouva, en 1719, deux autres sauvages » dans les Pyrénées, qui couraient dans les montagnes, à la ma- » nière des quadrupèdes. » Rousseau, après avoir rapporté ces exemples avec quelque complaisance, n'hésite pas à les regarder comme des anomalies, où la nature véritable de l'homme, si éloquemment démontrée par Bufïon, a été vaincue par l'empire fatal des habitudes, et — 26 — j'ajouterai, où la nature vraie de l'humanité a été troublée dans son évolution normale par l'abandon ou par l'infirmité. Tels ont été, pour ne rappeler que les exemples les plus authenti- ques, les jeunes et célèbres infortunés qui ont vécu dans ce siècle: le sauvage de l'Àveyron et le séquestré de Nuremberg. Le premier, qui vient d'être l'objet d'une étude nouvelle et ap- profondie par M. Delasiauve, fut assimilé, par Pinel, à un idiot incurable \ il exerça néanmoins la sollicitude éducatrice d'Itard, qui, dans la culture de cet esprit rebelle, déploya sans beau- coup de succès une-sagacité et une patience admirables. On en trouve la preuve dans la notice qu'il a publiée en 1801, sous ce titre : De Véducation d'un homme sauvage, ou des premiers développements physiques et moraux du jeune sauvage de l'A- veyron, et, dans le rapport qu'il publia en 1807, sur les nou- veaux développements du sauvage deVAveyron. On pense qu'il avait été abandonné dans un bois à l'âge de cinq ans. Le second, Gaspard Hauser, trouvé, en 1828, non dans un bois, mais dans la ville même de Nuremberg, âgé d'environ quatorze ans, et sachant à peine parler, avait été séquestré dès sa plus tendre enfance. Il succomba, en 1833, à une seconde ou troisième tentative de meurtre. L'histoire de ce mystérieux enfant a été racontée par Fenerbach, sous ce titre significatif : Gaspar Hau- ser; exemple d'un attentat à l'existence intellectuelle d'un être humain. L'hypothèse de l'état de nature reste donc sans vérification possible. Sa destination est de se maintenir dans le rêve ou dans le paradoxe comme au xvme siècle. L'expérience impos- sible et l'observation impuissante laissent libre carrière à l'ima- gination. Jamais on n'a pu créer de toute pièce un homme na- turel, un sauvage; jamais on n'a pu saisir un homme sain d'esprit et de corps en authentique condition primitive. Toute démonstration devait nécessairement échouer. Quand on a pris au sérieux la découverte d'un homme à l'état de nature, on a été mystifié. Rousseau lui-même, on l'a vu, a eu soin de nous avertir qu'il échappait à cette mystification. Quant aux peu- plades appelées sauvages par les voyageurs, elles ne réalisent pas davantage l'état de nature. Elles sont arriérées ou déchues' elles ne sont pas primitives. De déplorables idées religieuses et sociales, venues on ne sait d'où ni comment, président à leurs destinées. Dans leur barbarie, elles ne représentent point l'hu- manité à son aurore, libre de toute tradition et en pleine posses- sion de ses instincts primordiaux. Dans tous les cas, les jours qu'elles coulent ne sont pas dignes d'envie. M. Mesnet, en se rendant l'hiver dernier à la forêt de Pier- refeu, n'avait aucune mystification à craindre nia prévoir. Notre distingué confrère, je me hâte de le dire, n'est point d'humeur à courir après l'homme naturel. Il sait très-bien qu'un homme atteint et convaincu de civilisation ne s'improvise pas à volonté homme primitif. Il s'attendait, en visitant le prétendu sauvage du Var, à trouver un homme se distinguant des autres hommes par un goût très-prononcé pour l'indépendance qu'assurent la vie solitaire au grand air et le mépris des choses superflues. Laurent a, en effet, pour cette sorte d'indépendance, une véri- table passion qu'il élève, en termes répétés d'une façon un peu monotone, à la hauteur d'une théorie. Il a conçu du bonheur une idée qu'il réalise chaque jour davantage, en vivant comme il dit du travail de la nature, loin des passions humaines. Mais ce puissant attrait pour une existence exceptionnelle dans les bois ne fait pas nécessairement d'un honnête ouvrier un homme insociable. Laurent a l'humeur douce, il est bon et obligeant, il aime à rendre service aux travailleurs qu'il rencontre dans la forêt; il se dévoue à éteindre les incendies qui menace de les dévorer; il respecte les lois et les convenances sociales, il lit et garde les lettres qu'on lui adresse; il sait écrire au besoin; il ne recule pas devant le devoir électoral qu'il tient à accomplir pour élire l'homme le plus capable de rendre le monde heureux. Vous le voyez, le prétendu, sauvage a des qualités qu'on ne ren- contre pas toujours dans les civilisés, et qui n'attestent pas moins une inoculation sociale, profonde et indestructible. — 28 — Ce n'est donc pas l'homme à l'état de nature que M, Mesnet a désiré visiter. L'exemplaire tant attendu du véritable sauvage n'était pas encore venu. Il y avait là, néanmoins, une étude médico-psychologique à faire, car les types sincères d'un état mental exceptionnel intéressent autant le médecin que le philo- sophe. Laurent est un membre de ces types difficiles à classer, où l'idée dominante, exempte d'hallucination et de délire, sem- ble osciller entre l'aliénation, l'utopie et l'excentricité, pour s'arrêter définitivement dans celle-ci. Sans exagérer l'impor- tance de pareils types, où ne brille pas, en général, une grande intelligence, et qui ne sont pas extrêmement rares, il est bon de les connaître, et il est méritoire de les mettre en évidence. Ce que Laurent appelle la vie de la nature, c'est la vie libre, îa vie sans attachement, sans propriété, sans désirs ni besoins. Pour demeure, une place à l'ombre ou au soleil, hutte, case ou cabane, comme en ont les charbonniers de la forêt; pour nour- riture, un approvisionnement d'herbes et de graines à broyer entre deux pierres, que la terre produit sans fatigue, c'est-à- dire sans culture; pour vêtement une sorte de caleçon de bain et de bourgeron en toile de coton, en attendant un tissu plus primitif dont nous parlerons bientôt; un lit, un hamac ou un amas de lamelles servant d'enveloppe aux graines de pin ; pour famille, des parents morts ou vivants, n'importe, dont il n'a aucune nouvelle; pour héritage, une somme d'argent qu'il a refusée, comme il refuse les pièces de monnaie que lui offre M. Mesnet, parce qu'il ne l'a pas gagnée et qu'elle ne vient pas du travail de la nature; pour médecin, en cas de fièvre ou de fracture, la ressource des prévisions, l'expectation et la pa- tience. Pour compagne, la nature bien-aimée. Laurent, qui est entré en solitude à l'âge de trente-trois ans, et qui en a trente-neuf, s'imagine que la femme affaiblit et épuise le corps de l'homme, et il veut rester fort. Il ne croit pas, d'ailleurs, qu'une femme consentirait à s'associer à sa vie. Laurent, on le voit, a l'étoffe d'un stoïcien doublé d'un — M — anachorète. Il ne relève pourtant ni de Zenon m de Sakia- mouni; ce sont de trop profonds penseurs, et Laurent est la simplicité même. Il relèverait peut-être de Diogène, si Diogône pouvait être pris au sérieux. Esprit naïf et sincère, ne visant point à l'effet, il ne pousse pas les choses à l'extrême comme le disciple d'Antisthène. Il est poli avec ses visiteurs ; M. Mesnet l'atteste. Il préférerait peut-être l'ombre d'un grand chêne à celle d'un grand roi; mais il serait plus respectueux pour celle d'Alexandre le Grand. Il a plus de pudeur dans sa solitude que le célèbre cynique dans les rues d'Athènes; il n'a nul penchant à imiter les bêtes, sous prétexte de vivre à l'état de nature; il ne veut étonner personne; avec la même aversion pour les choses inutiles, il garde son écuelle de bois; s'il n'habite pas un tonneau, c'est que, pour changer de lieu, il préfère impro- viser une case nouvelle, que toujours rouler dans la même. Ni Laurent le terrassier, ni son père le charbonnier, n'ont volé le prochain comme l'ont fait Diogène et son père le changeur de monnaies ; il n'a donc point à cacher dans la vie de nature la honte acquise dans la vie de la société. Décidément, Laurent vaut mieux que Diogène, dont le nom n'est, d'ailleurs, jamais venu jusqu'à lui. Laurent n'est d'aucune école; nul n'a été son maître, et, quoiqu'il y ait en lui quelques-unes des conditions qui font les chefs de sectes, il n'aura point de disciples. Il aime trop sa solitaire" indépendance pour l'entourer de compagnons ou d'élèves; il ne répond pas à une lettre où un inconnu lui offre de venir partager sa solitude; il est heureux de la vie qu'il s'est faite, et il ne la recommande à personne; il lui suffit que chacun soit heureux à sa manière. La vie de la nature est sa formule de prédilection pour exprimer une existence aus- tère, isolée, libre et heureuse, dégagée, à la fois, de préoccupa* lions sensuelles et de préoccupations mystiques. L'idée, du reste, il faut s'y attendre, n'est pas très-nette dans son esprit peu cultivé. Sa conception^ de la vie de nature laisse beaucoup à désirer ; il la définit; le travail pour soi, sans abuser du corps, — 30 — loin des hommes qui se jalousent; le travail qui ne fatigue pas la terre, notre mère, qui récolte les produits dont elle abonde, etc. Maximes qui peuvent se résumer dans le respect de la terre qu'on ne ménage pas assez, et dans l'éloignement des hommes qui se haïssent trop. Mais si la théorie manque de force et de clarté, la pratique est, comme on vient de le voir, nette et résolue. Ce qui nous frappe dans cette étude médico-psychologique de Laurent, c'est, d'une part, le bonheur calme et vrai qu'il affirme, et dont il jouit; c'est, de l'autre, l'espoir d'un bonheur plus grand encore, d'un bonheur complet, absolu, sans nua- ges, dont il jouira infailliblement le jour où il aura dépouillé tout à fait l'homme ancien pour revêtir l'homme nouveau. Tout l'arrangement de sa vie de nature devait être achevé à Pâques. Alors, plus d'outils fabriqués par l'industrie humaine, plus de farine venant du moulin, plus de coton tissé à Mul- house ou à Manchester; alors, l'idéal, que poursuit Laurent sera réalisé; son rêve de bonheur sera une vérité ; jusqu'à Pâques, il est métis, il est mulâtre; ce sont ses expressions. 11 n'est plus l'homme de la société, et il n'est pas encore l'homme de la nature; la conscience de cette contradiction trouble sa sérénité, et il aspire passionnément à en sortir. Lorsque, en février, Laurent annonçait ce jour de bienheureuse transforma- tion, la semaine de Pâques n'était pas éloignée; il la voyait venir avec une vive et joyeuse émotion. Ici se place le trait saillant de cette étude. Depuis son entrée en solitude, Laurent nourrissait l'ardent désir de faire un vête- ment de ses cheveux, de sa barbe, de sa moustache et de ses poils. L'idée est originale et ne manque pas de logique. Elle a pris dans l'esprit du solitaire un caractère de fixité qui étonne et qui mérite une mention spéciale. Pendant six ans, Laurent a récolté les produits de son domaine pileux avec la régularité d'une opération agricole bien dirigée, et elle a donné des résul- tats tels que le vêtement désiré est enfin possible. Le 8 février, — 31 - la matière première était en suffisante quantité et attendait l'emploi, déposée dans un sac que Laurent emportait toujours avec lui. Il l'appelait son trésor; c'était son espérance et sa joie. Il y avait dans le sac : 1° une masse de cheveux du volume de la tête; 2° quatre énormes pelotons des mêmes produits; 3° un paquet plus petit, que Laurent, par pudeur, appelait plus particulièrement la récolte de son corps; k° un fanon de baleine, long de 70 centimètres, autour duquel étaient atta- chées, en nombre considérable, des mèches numérotées, éti- quetées. Chaque mèche représentait la récolte d'un mois de barbe, et l'étiquette indiquait le mois et l'année. Pour ménager sa précieuse toison, il avait adopté une toilette des plus com- pliquées. Il nattait ses cheveux et sa barbe, enveloppait chaque natte d'un ruban de coton, et la recouvrait d'un enduit fait avec de l'écorce de chêne vert. Il disposait ces nattes sur sa tête en forme de turban. Il réunissait les nattes de sa barbe en un seul faisceau., qui se relevant vers la joue droite, contour- nait la nuque pour s'attacher au-dessous de l'oreille gauche. Les moustaches, enduites de la même préparation, et dirigées vers les oreilles, rejoignaient les nattes de cheveux. Cette toilette de préservation durait deux jours et demi à chaque récolte mensuelle. Le grand souci de Laurent, une fois en possession de ce tré- sor amassé avec tant de patience, était d'en faire un tissu. Il avait confié à M. Mesnet cette grave affaire de sa vie. Quelle fut sa joie lorsque l'un des visiteurs, qui accompagnaient notre confrère dans sa seconde visite, lui eut appris à fabriquer une sorte de tissage à la main d'une exécution simple et facile! Tisser de sa propre main, sans l'aide de personne, les produits naturels de son corps, c'était pour Laurent le comble du bon- heur. Dans sa gratitude, il n'hésita pas à poser pour la photo- graphie qui vous a été soumise. Le jour de Pâques est arrivé et il est déjà loin de nous, Lau- rent est-il en possession da vêtement de ses rêves? Jouit-il du bonheur sans nuages, vers lequel remportaient toutes ses espé- rances? Poiine-t-il aux arbres de la forêt et aux plages de la terre le spectacle rare et peut-être unique, de l'homme parfai- tement heureux? Humble et cependant remarquable exemple de la puissance d'une idée sur une âme et sur un organisme! Laurent doit son bonheur, sa force, sa santé, sa paix inaltéra- ble, sa vertu même, à l'utopie satisfaite de la misère selon la nature. L'idée inflexible, étrange, folle, la monomanie, si l'on veut, plus ou moins contenue dans les limites physiolo- giques, voilà l'élément des existences exceptionnelles. Une in- dividualité remarquable, sinon puissante, pourrait surgir de cet élément, si, à l'idée stérile et personnelle du solitaire, se substituait l'idée féconde et impersonnelle d'un réformateur apparaissant sur un sol préparé et à l'heure propice. ^'oublions pas que notre homme des bois est le modeste serviteur d'une idée qui le condamne au silence, à l'inaction et à l'obscurité. C'est surtout pour le bonheur incomparable ,dont il jouit dans sa misère systématique et volontaire que Laurent est digne de l'élude à la fois judicieuse et délicate que M. le docteur Mesnet, observateur compétent, a communiquée à l'Académie. La commission vous propose de remercier M. Mesnet de cette communication et de déposer honorablement dans vos archives VEtude médico-psychologique de l'homme dit le Sauvage du Var. Le Rapport de M. Cerise est extrait du Bulletin de VAcadémie impériale de médecine, 1865, tome XXX, p. 1148. Paris. — Imprimerie de E. Martinet, me Mignon, 2. FUBLTCATIONS • . mwb .w animals; ■ i i^JM-Ài, IKTEJjHferEXCE. Tho International Scién- I ti&'c >:crt«&. liy Gaoaoa J. KoaAwas. New-York i iL; - i>., Apptecon & Co. I- ïu has been, the intention of the Zoological jj'jfocrat&ry of the Lirinseari Society in collecting ij: materials for this work to divide it into parts.; i»' The first was to concsrn itself with the facts'' I of animal intelligence, while the second "was '( to have treated of these facts in their relation [ to tho theory' of descent." But the bulk of ^material wté so great that the author deter- | mined,to 'incorporate all his facts into a single I rolume, the one now under review, and in time I Vo present-a second work, which will have for Its,title ,l Mental Evolution." / The effort is then to be made by Mr. Ro- manes to present a work which will be 'a text- |j book of comparative psychology, explanatory i- D:f the particular levels of intelligence of the I various species of animals. This is a subject [, which has been before this frequently at- ji rempted, but aa it was carried out rather by Î popular than by scientific writers, a want of jj proper discrimination has led to the introduc- tion of many anecdotes, amusing of their kind, ^but which rested on no solid basis of fact. Tn- i deed, so little has been the reliance placed in :.. such aveoiloetion of stories that it has had some- ■ [•'What the eiïect of excluding the study of com- • Lparative psychology from the hierarchy of the' iBcionces. What has been wa-nted is the scien-: I title- arrangement of the facts, eliminating ! from the work all the sli^-shod stories of the ; animal anecdote mongers. The author has, :then, been under the necessity, as he expresses j .it, '' of casting his" net as wide as possible," and kho 'has fished1 " the seas of popular litera- ture as well as the rivers of scien- f tific writing," but in the first he states ■that, he usually found^ "that the most I remarkable- instances; of the display of intelli- h gence were recorded by nersons bearing names [ more or less unknown to fame." The f ollow- f ing plan was, however, adopted in the searcn [ for truth: "Never to acknowledge an alleged rf act without the authority of some name, but if the name was unknown and the fact im- portant,, to consider whether there were ehanoes of mal-obserration, and lastly if the } observations were important, due fco several ( unknown observers, to tabulate them so that [they might bo corroborated by similar or , j analogous observations.," I Disoardir.% "Descartes s theory of animal au- tomatism, -whioh- no ono accepts to«day, this (■ question has assumed a new arid more defined I aspect, "for it now runs straight into the most profound and insoluble problem that has îver been presented to human; thought. vi&, j the relation of body to mind in view of the doctrine of the conservation of energy." If the automatic theory cannot be applied to I uàn it can never comprehend the dog* When any living organism is able to learn something through its own individual experi- ence, all automatism is impossible. As Mr. Ro- manes presents it, "a dog has always been accustomed to eat a piece of meat when his organism requires nourishment and when his olfactory nerves respond to the particular stimulus occasioned by the proximity of the food." We may put aside any mind power here, but the instant the animal has been: taught not fco ©at his meat until he is told to, do. matter how hungry he isv and he obeys, then we must at once and forever be s atisfled "that we have the same kind of evidence that dog's actions are prompted by mind as ^es have that the actions of a man are so prompted, The lower we go down in the animal kingdom, the more positive becomes reflex action, which is in . contradistinction with mental adjustment, because then the mental units, become fewer and less definite, ^ VAs to the marked expressions of affection^ ^ym^tlry. jealousy, and rage exhibited by aij ^p^Ii^y-or a do^s,"t:iej Veswmble so closely t£afj tame emotions shown by man that we arel| îoreed to believe in the existence of mental itates analogous to that found in human be-; ngs. What are we to do whon ants or be'es leem to show by their actions these same ©mo^ < • taons? Their organization clifïers so widely; ïrom that of man that "it becomes auestib^ r àbîe how far analogy drawn from the aetion| of the insect is a safe guide to the inferring o| mental states." Then instinct is more power-* - fui ' tnan reason. We can, of course, only argue by, inference on these abstruse questions! , To draw the exact distinction between instinct tive and reflex action according to Yirchow is quite impossible. The last is a non-mental and unconscious adjustment, while in the former there must be some dim mind effort. We cer- tainly find the one merging in the, other. 2k. Dhiid in utero lives and thrives by re- lier action, taking its nourishment from its mother, but . "in later life, when consciousness becomes more developed and the child seeks.the breast, sucking may be called an instinctive action," There are then subordinate distinctions, as instinctive actions only performed under particular circum- stances, frequently experienced (luring the lifetime ol the species, whereas the rational ac- tions are performed under varied circum- p.? «£ay never before hâve occurred, even* in,,the, ? life history of an individual:" t ;. ■X'- Commencing with the lowest creatures, Mrl Romanes takes his x first illustration of" animal f Intelligence from' the Protozoa, -Infusoria avoid 'collisions, and it is possible that they are-aware ypf danger simply by the facts of appreciating |^be currents which they produce. This seems ?| to be a mechanical explanation, but when we i'see infinitesimally small organisms seeking J one another, apparently for sport, prey, or re- production, any idea akin to-automatism: cçase^. One rotifer will seize another • with, its active tail armed, with a forceps. The one so caught will exert ail its power: to disengagedtself. An enormous amount of !?.vital force is expendedj which lasts until the ^attacking party is disengaged. It is a seene in ; 'which there is quite as much intelligible action jshown as when two dogs are fighting^ It De- comes 'evident that, microscopical organ- ; isms are endowed with some kind of mtelli- iagence. In the An^elidœ^ Mr. DarwnVs observa- \ lions of earth-worms show that these creatures , work with intelligence. In carrying leaves ! .they always took hold of them where the trac- ■■; lion would present the least resistance. Sir E. jM-ennent, speaking of the land-leeches of Cey- • Ion, describes them as planting one of their ex- i .fcremities on the earth and raising the other perpendicularly in order to watch for their 'gictini. Once their prey is seen, let it be a man kv horse, they make rapid advanced. When they roach the traveler's" foot they ascend in order to reach a vulnerable spot. They may r'aqt have any power of lnter-communica- : fiïon, but once warned of the approach of any tiling they can feed on, the leeches con- gregate with si nguiar céleri by. Two sn ails are in a garden, wnieh provides them with little •food: one snail is a healthy individual, the : other sickly. The more hardy snail disappears ; "for. a time, and an observer, Mr. JLonsdale, quoted by .Darwin, believed at first that it was v .a case- of desertion. The vigorous snail was, t'however, tracked to a neighboring luxuriant -gardon. He returned, and apparently com- 'mnnicatG.d with his mate, and i in time both v'started on tne same track for the better garden anjd disappeared over a wali. Now, can this be thought to be au accident? If so considered there must be two accidents to -be ac- counted for—the return of one of, the. t'snails and then again the doparture •'©f both of them. Mr. Darwin believed that , this action could only be explained as , due-to intelligence on the part of ~th© snails. ■ There wa^ something like permanent at-; tachment, and ''the sympathetic desire '^that another should share in the good things 'which one has found. Writing of the Cejihal- ■ hpoda, the'scientific study of which has been- rio thoroughly carried out by Prof. Yerrill, Mr. '^Romane thinks them to be among the most 'Intelligent members of the sun-kingdom, \ Schneider, who had an opportunity of watch- ; fog the octopuses in the Naples Aquarium, says 4hat'thev seemed to recognize their keeper, , jmd ftpll'man tells of an,octopus, which, after - 'naviiiga^uarrel with a lobster, (the crustacean 'if ter Ward being removed and placed in an ad-: 'facent tanlc,) followed it to where it had been : >ut fbjr "safety and killed it.' * . ' , John liUbhock'S observation on^ bees. : wasp$, anpres- ent work, "though Mr. ttomanes ~ adds, to this testimony ' à great many facts derived from the studies of Bates, Belt, Midler, Moggridge, Lincecum, and MacCook. What is exceeding^ ly interesting is where, the author shows how bees adapt themselves to new circum- stances. Buchner gives a graphic account of a well-known and remarkable habit be.es practice for the obvious purpose oï ventilating their hives. The bees sit in clusters one above another, and by the rapid motion of their wings start a current of air. This has sufficient force to move little bits of paper hung - in front of the entrance to the hive, and will ex- tingui'sh a lighted match. In a state of nature there wouldhave been no need of such ven- tilation, for then bees live in hollow trees and clefts of rock. If, however, in their new state this ventilation did not take place, dis- ease would ensue and the heat mieht be suffi- cient to melt the wax. "It follows, therefore1, that the fanning and ventilating can have ab- solutely nothing to do with an inborn tend- ency or instinct, but have been gradually evoked by necessity, thought, and experi- ence." • 14 Mr. Romanes cities the cautious sagacity of wasps, on a reliable authority. An apple was found in an orchard, apparently in good condition. The person who picked it up, gave it a shake, wheu out of a "small, hole came a wasp, not head foremost, wnich would seem the natural method of egress, but • with its tail, darting out its sting.and brandishing it furiously. No sooner had one wasp emerged and flown away than another tail was pre- sented with the protruding sting. Dozens of wasps followed .in the same manner/ If/the wasps had first presented their heads they might have been taken at a disadvantage and been destroyed in detail. The intelligence of: the wasp is further shown by Buchner. A robber wasp has killed a large fly and tried to fly away with it. but the wind is blowing, and the fly"s ■ wings, caught by the breeze, render the task, difficult. The wasp bit off the fly's wings, then picked it up and easily carried it up in the air. Quite as wonderful as this is, the action of a hornet. He .hart killed a cicada, and was trying to fly away with it^ ■ but found it difficult to take his spring from the ground. The cicada. was slowly hauled up to ' the limb of . a tree which was some 12 feet high; the victim wa3 then firmly grasped and the hornet then flew away with it, "That which it was unable to raise off the ground it could now carry easily once high in the air/' An observer quoted in the proceedings of the Academy of Natural His- _tory of Philadelphia records a similar case. Mr. Romanes might have recalled to him some of Mr. W, H. Gibson's delightful studies of inr sect life, as, for ' instance, the'ants, who have hold, we think, of a cricket. He is too strong for his enemies and drags them along. To in- crease, however, their power of résistance, while the ants hold the cricket1 tight in their mandibles, with their hind legs they lay fast hold of bits of twigs, which act as drags, and so put on the brakes. This we consider às one of ,the .most marked facts, 'demonstrating the intelligence of ants.. ...... . - ', WTS t'reatxûg'oï ..the emotional life of insects the /author ^citôs; particiilarijf tho action- of spiders..and scorpions. The loves, of spiders fresênt-anomalous circumstances. The males,' èing ridiculously small atid weak, .can only - conduct the marriage rites with enormousi and voracious • brides • *' by , a process of active manoeuvring, which if unsuccessful may cost them their lives." It.,is. not coquetry.on the I part of the female spiders,, but their hungry' ■ferocity. "What Mr. Darwin called "the law of battle" is an important factor, then, in the maintenance of all life, as it tends toward the perpetuation o£ the stronger stock. _' «'But the benefit to the species is not so obvious where-the danger of courtship arises from tue side of the female. Still, that there must be some bene- fit is obvious, .seeing that the whole structure.of the male,.if we take that of the female as the orig- inal type, has been greatly modified with référença to this danger; had the latter been wholly useless, either it would not have been allowed to arise or .the speeres must have become extinct. The only suggestion I. can make to meet this aberrant «ase is that the courage and determination required of the male, besides being, no doubt, of use to have I in other relations of life, may be of benefit to the j species by instilling those qualities into the psychol- ; ogy- both of his male and female descendants."/) As to supposed liking spiders have for : music,, Mr. Romanes has properly ascribed it not to an emotional sense, but to a perfectly instinctive cause. The web of the spider vibrates with any sound. When, then, a tun- s ing fork is applied to a web, the vibrations are ! repeated, aa$ the spider believes it to be some-: 1 thine caught in. hiè gossamer toil, and recalls perhaps the buzzing of a fly. There can be little doubt, from the number of* observers,, that spiders can be tamed. One wonderful* I instance of "their intelligence is that during ah çrêorm, in, order to §av© $heir webs,, spiders wilJ^ 4t%{^ q^^»Btip.a ^f :th^fr!-threads to a/b&Mj vwobdj îidt fixed to thé ground, but detached 1 and light enough'to, sway, to and fro -with the; wind. JWhen- thestorni is over tho spiders' will sever their web fr@m the movable anchor ; aiid' secure it to some* fixed object. Tho alleged tendency of the scorpion to com- ! mit suicide Mr. Romanes dwells on at length. ; Dr.> Allen Thomson, a Fellow of the Royal • Society, has /presented some observations in : regard to it. The natives inhabiting countries i where scorpions are found all believe in it, but i sqme recent, observations, published in various • scientific journals in this country and in Eu- i rope, still leave this question of insect suicide in doubt. 44 For if it is a fact," as Mr. ^Romaines writes, it stands as a unique case of instinct, detrimental alike to the individual and to the species." We are therefore inclined to believe—as does perhaps the careful writar of this work, that the self- inflicted death of the scorpion may be purely : -accidental. Man is perhaps the only animal that' commits therhorrid crime of suicide. • passing by the intelligence of' the coleopfcera, • the crustaceans, even that developed in larval "forms, when we come .to caterpillars, some of ;the facts are of the most curious character. One hundred, and fifty-four caterpillars are crossing a road in, single file and are "moving- like a living, cordi*' An observer breaks the line by ' removing a caterpillar. - Then, the "swhole line stops; the news of the interruption sesms to be instantly communicated.' The in- ■ J&iXLdUjai-Wjiicj^^ ^rolled up and motionless, but dp. being placed !- near..the column it tried to get its place, and :• finally succeeding,'the whole column took up its march again.' "It toojk. just. 30 seconds to in- form the leading caterpillar that some acci- dent had happened- to his followers. Another t observer tried -the same experiment with a '600-çàterpiîlar.train,, and the interference was : instantaneously communicated, the whole line ■ suddenly halting.- • -, In-fish, a£.showing intelligence, M. Roïnanes; .cites the Lophius, our angler, and the Ghel- mon kostraius. The first uses his angling ap- paratus to -hire his prey, and the other shoots ; \a drop of . water at an insect, which, when hit, drops /into the water. The sticklebat : cares for 'its young, and our' own black bass (MicrppCerus achigan and Pallidus) might: vbe presented as showing among fish absolute 'afcection for their offspring. . When the ba- tachrians and reptiles are studied in order to give them their proper place in the scale of an- imal intelligence, among the toads the Bufo vbstetricanS: is presented for the remarkable fact that hê performs somewhat the function of an accoucheur, severing for the female the gelatinous cord to which her ova are attached. Of the affections of the alligator we are' somewhat skeptical, though Jessie. Is quoted' -for the statement that an alligator. showed some affection for a cat, and was tame enough • ' to climb up and clown stairs. As to boas, the > most convincing: proof can be presented that :: the python can be not only tamed, but by kind treatment can become affectionate. A Mr. and» ^'Mrs. Mann, in London, had a large boa under the most perfect control. The snake was as , thick round as a small tree. With the slightest / muscular effort it could have crushed Mrs/. Mann. It twined playfully around the lady^'s waist and neck, and was perfectly obedient. A very remarkable incident, almost unac- countable, is cited in connection with/ this. python, which is absolutely pathetic. ' Mr. Mann having been stricken with an apopOectic ,fit, when his wife was absent, the ,-sns.ke I crawled up stairs from tbe room ' below j i to' where her husband was lyirig and i was stretched beside him dead. Gould emo- tional feelings have killed the python i Pre- vious to this the snake had been taken to the ^•Zoological Gardens, where it seemed to pine. ^Whether the shock of seeing its friend ap- parently dead killed the snake it is impossible ■) to state. - L It is but lately that, through Mr.. Gould, in his 4' History of the Birds - of New $outh.,■ Wales," we have become better acquainted with the habits of the bower birds^, and can appreciate the evidence that there are birds "who have absolutely sesthetie appreciativeness. For the purpose of upholstering their bowers •these birds are always searching for small, at-; tractive objects. Pretty objects dropped in the bush they carry off. As to general intelli-' gence, or, more particularly* the observance of s new facts, there are many of us who remem- ber when a line of • telegraph wires was the ■cause of the destruction of birds, from the fact . that, they ilew-against them and were killed 4 But in a short time birds learned that there was danger, acquired experience, the instinct was transmitted, and then the cases of jiestruetiqn from flying against wires ceased. Tha î^chast ftolxï fro: iiiauirv is found when 'mïm%Mm$elligeïice of mammals-is consîd- if eresl.^ Unfortunately apochryphal anecdotes j of animals have tended to discredit this fieldL |i of study. Perhaps the most notable storv of -IÎ this kind is Pliny's, repeated by Plutarch, I which teljs of an elephant, under a course of i dancing instruction, who, when having been i beaten for not dancing properly, was seen af- terward executing his steps lor himself by 1 the light of the moon. A great many nus-: takes are made in regard to the intelligence of the horse. In point of brain power he has less \ of it than any of the larger carnivora, while' among the herbiverous quadrupeds his saga- city is greatly exceeded by that, of the ele-: pbant. Still he has his peculiarities, and among them is the development of the eroo-; tiunal feature, for there are few animais | which become more subject to fright. Under certain circumstances he seems to lose his; head. - Any horseman'of experience knows1 that horses under peculiar conditions are subject to actual dementia. Still excep- tional intelligence is shown, as there are I well-authenticated instances, of horses go-1 ing of their own a.ccord to farriers to be shod, and of their having saved the lives of j children from drowning by holding, them j above the water with their teeth. Pigs nave j been placed coo low in the scale of intelligence,: as they receive instruction readily. There are many well-known cases of pigs which have: been taught to stand well at partridges and general game, like pointers. Of the ro- dents, Mr. Romanes places the rabbit lower than the hare. Rats and mice are well known to exhibit intelligence. Rats dip their tails in the narrow necks of oil bottles and thus help themselves, ana in regard to mice, Mr. Ro- manes cites a reliable fact that these smail rodents piled up bits of plaster until they could reach the top of a preserve-jar; and even threw in pieces of rubbish in order to raise the level of the-honey in a jar. As to beavers, for natural instinct and intelligence they stand the highest. Mr. Romanes quotes largely from Mr. L. H. Morgan's most interesting booK, "The American Beaver and his Works." , Forms of beaver lodges are considered as modified borrows, and there is local variation \ of instinctifas shown in dam and lodge build- '■■iàs.' It Almost surpasses man's power of 'judgment to understand\ how the beaver con- structs canals and applies to his artificial water sources a principle of locks. Here are the absolutè evidences Tof engineering talents of a much higher order than shown bv many races of men existing to-day. Prof. Agassiz obtained geological evidences of the truth ad- vanced by Mr. Morgan as to the antiquitv of some of these beaver-works, which "may be hundreds, if not thousands, of years in course of continuous formation. Arguing from cause to effect, it seems that the worn of the beaver was intended by a Supreme Being to change the aspect of some of the earth's surface by covering tracts of country with water and checking the growth of the woods. <ï The mental faculties of the elephant are more advanced than those of any other animal except the dos and monkey. Mr. W. A. Conklin, of Central Park, is cited by our au- | •thor as having witnessed an elepnant who, in j hot weather and when the flies were biting'\ him. too_k up nav and completely thatched his, j backf Éléphants "wilt- break ont a ■ supple o bi-anch'fromi a tree, strip it carefully cHts -\ leaves; take it. in their trunk, and then use it- to remove leeches or âies from such parts of their bqdies as ;they-could not get at other- wise; Their cunning is -told by an amusing story. A chained elephant sees his keeper baking rice cakes in an oven. The driver goes away for a short time. The elephant un- fastens the chain from his foot/goes to the. oven, removes the cakes, eats them, replaces the cover on the oven, and then tries to put the chain around his leg. "The driver went to his cakes, discovered the theft, and, looking around, caught the elephant's eye as he looked, over his shoulder out . of the "corner of it." Thjs curious trait, of emotional psychology is presented by tjhe author in regard to elephants '—that they "of ten die suddenly from what the natives call "a broken heart." A rogue ele- phant has bean caught, and when overpowered has laid down peacefully and died so quietly that his death' , was only perceived by the myriads of flies, which swarmed on him. There m seems to be always some risk of the loss of an * elephant f rpm"this curious excess of emotional feeling.' What Mr. Romanes has to say about the cat is particularly-interesting, and; to many will present this animal, the domestic rival of the dog, in an entirely new light: . "Comparatively unsocial in temperament; wan- dering'ly preda^us fln habits, and lacking in the affectionate docility' of, the. canine nature, that' animal has never in any eoasiderable-degrree been* subject to thoge psychologically transforming in: fluences whereby a prolonged and intimate asso- ciation with m^nfihas so profoundly modified the psychology ot$$y$og." ' . - ^ , yirrofcber believed what I saw unless Ï had repeatedly seen .it with my own eyes. As my sister once observed, while we were watch- ing him'conducting some of his researched, in oblivion of his food and all his other surround- ings, 1 When a monkey;' "behaves. like this it is no wonder that man is y scientific animal.',}- . Between, Mr.- Romaneses work and one pub- lished some years -ago on a similar topic by a learned ÎEnglish^aatliority everything seems i in favor of tne book,under "review; The metn- Od" employed must, be a. philosophical one, and .as all- dépends on. the . facts present- ed, with such a critical observer as is the au- , th'or _ there can be xio cloubt.as to their authen- ticity, c The public will await, then, Mr. Romanes's second'yoïuniô with soma inana. . . s..;J_Li.... ,' \ WÉW BOOKS. -Jtëjnjd In tne Xewer Animais* So far âlrwe are aware there'has been no treatise upon the subject of animal intelli- gence so broad in its foundations, so well con- sidered, or so scientific in its' methods of in- quiry as that which has been prepared by Dr. "W. Lauder Lindsay, in two large volumes, entitled "Mind in the Lower Animals in Health and Disease," the first-volume being cLévoted to a study of animal mind in health, :$nd the second to animal mind in disease. / Indeed, when we take into account the fact that Dr. Lindsay is eminent in his profession Iboth as an alienist and as a learned compara- tive psychologist, and the further fact that this studies have not been confined to any sin- gle class of animal minds, we may safely say ithat his work is, in some respects, the: most important essay of the kind that; lias yet been undertaken. The study of anind,- both in its healthful and in its- tnorbid manifestations, has been the special frork of the author's life. His capacity te observe such manifestations skilfully and to : *neasure their significance accurately is,, three- \&ore, a trained capacity. His attitude toward ] the subject is eminently scientific; that ;ls to say;^ the* single purpose of his fctudy has-been to discover - truth for truth's sake. His observations have been supplemented by a thorough mastery of the tristory and literature of the subject, and fience his conclusions rest upon the broadest possible foundation of safe induction. .The: «Uthpr says in his introduction, by way of vmdieatinghis right to treat his theme *with '-confidence^; Theologians, metaphysicians, psychologists, •physiologists, naturalists, physicians, veterinari- ans, philosophers, so called, of the most diverse > views and fe^lmgs, naturally and necessarily ap- proach such , a subject actuated by the most inflicting motives and opinions, by preju- dice the most unreasonable, by ignorance the most profunda Now I aafe studied the" subject of mind in other animals as^compàr- ëd with that of man for a series of years, simply -as a physician naturalist, As a physician it has rfceen the special business of my professional life - to deal prac tically -*wrth the phenomena of abnor* 1 analméntàlizat4onited by the nervous ^ Then, after describing the course taken by Jus studies in comparative pathology, he adds: "Latterly my studies in comparative pathol- ogy have been determined in the direction of psycho-pathology. I was led in the first place to inquire what relation madness in the lower ani- mals bears to insanity in man, the result being the conviction that the lo^er animals are subject to the same kinds of mental disorders, producible J>y the same causes, as in man." JL The jpurpose of thé work is so strictly scien- tific, and the compass of the inquiry is so great, that it has been necessary diligently to sift the mass of facts upon which the conclu- sions rest and to exclude all facts, however Interesting in themselves, which relate, to points' already sufficiently established. Only eo much is given with reference to each mat- ter as is necessary to .its full exhibition; yet the'work is so rich in its store of curious anec- dotes that it might very well become popu- lar as an entertaining collection of well- authenticated facts, irrespective of its scienti- fic valutas a treatise upon one of the most interesting of themes. Without attempting to.follow the author in his argument, which is from first to last the object of his greatest solicitude, we present some of fiie more significant and suggestive passages which illustrate the - reasoning in its course. It is necessary to say, however,, in the outset that Dr. Lindsay totally rejects the commonly acceptedclassification of intelli- gence which assigns to man reason or mind> «nd to the lower animals instinct, a classifica- tion which is founded upon the assumption that there is a difference in kind between the mind of man and that of animals. He objects also to the assumption im- plied in the phrase "dumb animals," that animals are without language with which to make their thought known to man or to each other. This, he says, is one of many error* Attributable to man's ignorance. He says also that " it is not true that all animals are neces- sarily lower, psychically,: than all men ; for the converse i&^pa, that many individual' animals—dogs, horses, elephants, parrots— are both morally and intell ectually higher than j thousands of men, even in*the very centres of I western and modem civilization.'' ; Aa à hint of the nature of the author's con- clusions—and it must be regarded as a mere : hintt—we append the folio wing list of facts i which at the beginning of his fourth chapter, a chapter on,.Moral Responsibility, he sçts forth as established in the preceding chap- ters: , . , : . • • :- . "It has been shown in other chapters that cer- tain animals possess a sense of right and wrong, » with a power of choice - between thêïa ; oornmit 'ferimes and are aware of the ei&mmtrltt^ofPtheir écts;liave a wonderful power of selfrcontrol ttpmém not only a moral Bût a religious «énse» including a conscience; have a knowledge, and dread of consequences; can deliberate and de- cide oh proposed courses of conduct; have free- dom of will, , the faculty of voluntary action; i balance or weigh present or immediate pleasures against prospective pains; appreciate rewards and punishments; perceive and correct their own tnisl^&es, as well frequently as those of man; have a knowledge of duty or trust. Such moral and mental qualities seem to me necessary to im- ply or involve moral responsibility." With respect to the matter of articulate speech in birds the author's investigations have been very careful and thorough, and his ; conclusions flatly contradict the commonly 'received theory that parrots, starlings and ■ ether birds merely imitate human speech ! without understanding its significance. He rejects, upon evidence, the thought that a parrot's speaking is what we are accustomed to call parrot talk. Upon this point he offers •evidence which it is difficult to interpret' foy any 6ther_ hypothesis than that of the conscious and intelligent use of words by parrots and similar birds, for the communication of ideas. In one instance a parroquet which both English and French, and talked with a degree of coherence and aptness that [ precluded all doubt of intelligent purpose, became sick with a fever, and while the ill- ness lasted the bird's talking was excited and incoherent, just as the speech of human beings is in delirium. This fact is justly regarded by the author" as one having special signifi- cance with respect to the question of mind. $ Dr. X/indsay not 6n|y denies to vain man the distinction of being the only animal en- dowed with reason and speech, but refuses also to admit the classification which holds him to be the only laughing animal. Many animals, he argues, possess the power to do this; and he discovers very positive evidence that animals have a keen sense of the humor- ous. "A sense of fun is exhibited in various ways 1jy a considerable variety of animals, including especially among the mammalia the monkey and the dog, and among birds the parrot, mock- ing bird and starting. They show it more par- ticularly—both adult and young animals—in their jywn practical jokes and spores or games, and in the part which these animals so firequentLy play I In the jokes andrsports of men." j\. In illustration of this the author cites a long ! Est of anecdotes relateet by various observers and duly authenticated, including one from Miss Cobbe> who tells of a flock of geese con- spiring- to play a practical" joke- upon some pigs, with the etident purpose of enjoying the sport. In another part of the Work there is «, chapter devoted especially to the practical jokes of animals, but the author's purpose 1)eing the serious one of interpreting' the observed facts and combining JiJieir significance into what ~ wè . may jcall a systematic body of philosophy he makes use of anecdote only by way of il- ; lustration,jnever for the sake of merely anec- dotal interest. A very interesting group of f acts are given to sustain the author's opinion that the intellect of some animals, and espe- cially dogs—perhaps because of their better opportunities in association with man—is capable of grasping the idea of exchange, and even of the office that money performs in <îommercjial transactions. These facts have been drawn from various sources, but all of them are believed to be well authenticated, f "In the town near which I reside there are at least two large dogs whose peculiarities are well fcnown to many of the inhabitants, and especial- ly to school children, which dogs are habitually «ent by their masters—merchants of the town—- i to purchase bread for themselves. Each carries 'a, peuny in its mouth and each trots off, when- ever a penny is given to it, to a certain baker's shop. There they rear-themselves upon their hind legsA place their fore paws well on the coun- ter, and thus firmly supporting themselves, they drop their penny on the coùn- tert receiving a roll in return. ^This they carry back in their moujh in one case intact,\the dog not eating its allowance till, the bread being/broken up and offered, it under- stands it. to be for its own use, and devours the fragments. * * * Much less common, but more suggestive incidents are the following; A certain I terrier, now dead—* Captain'—long well known in Rothesay, publicly begged money from suitable persons, showing great discrimination in the selection of persons to whom he made bis appeal. When he had an excess of funds—more than he required to buy his, ncodicum of bread at the baker's—he hib> Ms! money in the office of his master (who was and is still harbor-master) or sometimes about the ( ^quay, in which latter case his hoards were fre- i quent/ly found and appropriated by needy and; greedy quay porters or street àrabs. He carried on this profitable business of begging on his own account till his teeth were quite worn down by the incessant friction of the coins he had caught up and carried." Here are some^ other anecdotes from various jsources still more strongly suggestive of the possession by dogs' of an intelligent compre- hension of. business methods: - "A certain Newfoundland dog when offered a coin, if not at the moment hungry would hide it under bis mat thus gradually accumulating a fund of coppers, from which he abstracted a penny -or half-penny at a time, ^according to the state of lus appetite. He knew perfectly well the difference between the coins and their rela- tive value, and that he was entitled to receive two biscuits for the larger sum and only one for the, half penny. Sometimes , he only wanted a single biscuit and wished fôr the change out of his penny. Now and then he took a fancy lor a French roll by way of variety. If you gave him, sixpence he would receive the change, and then allow you to take it out of his mouth^satisfled with his two biscuits. A re- triever, 4 in consequence of being repeatedly tricked, never lets the penny out of his reach un- til the .roll is laid down.' Another dog 'quite knew the right sized bun and used to keep his paw on the penny until,he got it.' A third dog, having once been deceived by a baker, went ever afterward to a rival establishment on the other side of, the -street, always, however* calling first at the deceiver's shop to let him see the coin and t custom he was losing." *T The last anecdote has the authority of Wood, the naturalist, to support it. The au- thor adds accounts of some other cases which he thinks should be more fully observed than they have been before being accepted. - The whole chapter from which the. foregoing; pas- sages have been taken is one of great interest, illustrating in many ways the intelligent use* of ' means for the accomplishment of ends by animals.' In thé second volume, which treats of the phenomena of morbid mental conditions as these are manifested in man and the lower animals, there is a very significant chapter concerning suicide. Every reader is familiar with th% dispute with respect to the existence of suicide among other animais than 'ton, and it is therefore a noter worî% fact that Drr -Lindsay's investi- gations ha^e led him tov the conclusion not onlyjthat animals do sometimes commit sui- cide with deliberate mteht/'hut that instances of the kind are by no means rare or confined toiany;single species. * .-• S:: After explaining the causes which mo3t fre- quently lead; to animal suicide the author writes: • • ■ ■ • fe|hi É!L the gommai loy^oÇiffe, no^ee- of 'a* minor r$ .,-.Ji,., . r^ulte l^tJnjptB^tey^pTeeec or lead to; suicide are - - i m g^iy^ee- oira" ^—^ . ajmajor evfi; 3; Formation of a ^lan of suicide* 4. Resolution or determination irig out that plan, invoivirigr- Repeated effort, if obstacles are inter- 5. Refusal of all meansvof help, c. Adoption of efilcâent means of securing the desired enoV & 5. Farewell-taking, by look or otherwise, of familiar and loved scenes, persons or objects. "All these and other preliminaries of suicide in the lower animals may be illustrated by such incidents or anecdotes as the following: "A case of suicide in the dog is given by Mor- ris, as illustrative of man's pltilessness to his worn out animal dependents. The poor animal was old, infirm, paralyzed, useless, an outcast and a wanderer. Prior to its suicide by drown- ing it was characterized by sadness of look. It obyiously pondered its course of action, exhibit- ed for a time hesitancy, but at last came to à decision, and acted upon it with promptness and resolution. It preferred death to its experience of life, and refused to allow itself to be saved. "In another instance, cited by the same author, the dog was old, diseased, distracted with pain. It, too, drowned itself with the ut- most deliberation, first casting a last piteous, '-logging, lingering lôok7 at its master, who had ! suspected it of being affected by, and probably 'had discarded it for the suspected, rabies. u An, old collie (shepherd's dog) in Caithness, troubled with the infirmities of age, including deafness and the loss of teeth, in 1876 committed suicide—here, again by drowning. * Evidently age was a burden to iwm. The day before the last scene in the drama was enacted he was ob- served to take a general survey of the locality he was about to ouit forever—in a very shaky way, He then wended his way over ground familiar to him in his hunting days to the sea-shore—a distance of about two miles—and without taking a longing, lingering: look behind he plunged into the sea and expired. The act was witnessed by a number of persons on the shore.' "A Newfoundland dog * of great age? had his feelings wounded by being scolded, beaten in .pretence only by means of a pocket handkerchief, land having a#door shut in his face when about 'to leave a room with his usual companions—a nurse and her group of children. Soon after he •was found alive, but with his head altogether or partly submerged in a ditch. He was dragged out. BuiT now he refused to eat or drink, and befdro long he was found in the^me position in the same dito{i, but this time dead. He had suc- ceeded in this second determined attempt at drowning, having failed in securing his purpose with sufficient rapidity and directness by starva- tion. * * *' **A captive monkey that committed suicide by drowning, prior to the aet was*ioticèd to become morose; it refused all companionship, bit vicious- ly, and had a marked fixity and vagueness—as. if contemplative—of gaze (Forbes). ^ *' An American çanvas-back duck used its bill to keep itself submerged till it was drowned, seizing water-weeds attached to or growing froin the bottom of a pond or lake. (G-illmore). • Ger^ tain -fowls were determined upon suicide, and many jumped deliberately overboard' on. the African-lake Albert Nyanza (Baker). Captive birds sometimes poison themselves, apparently preferring death to confinement,' ; "The American stak or deer commits, suicide sometimes when seized or attacked by the glutton ^bv^ecipitating itself against trees (Fierquin Dr. Bidie has put upon ïecord a very decide<£ j fase of suicide in the common black scorpion or outhern India, as it. ©gouts* vfor instance, in j Madras. One was placed experimentally in a glazed entomological case and- exposed to the' ^un'&ràys. • The flight ànd.heat saemed to irrS j tafe xit. very much. ~* * * Taking a codé* inon botanical lens, I fôcnisJed tne rays oll^he smT ^ on its back. The moment this was done-it be^ - gan to run hurriedly about the case, hissing and ^ spitting in a very fierce way. This experiment *j was repeated some four or five times with like j results. But, on trying it once again, tbe scor-H ,pion turned up its tail and plunged the sting I * * '* into its own back. * * * In less than half a minute lifé. was quite extinct.'! Another Indian officer confirmed Dr. Bidie's ob,- \ servation subsequently by asserting 'that scor- i pions do commit suicide * * * is a well- known fact. * * * They turn back their tails and sting themselves to death for instance, i when surrounded by a circle of glowing embers,' from which presumably they infer escape to be; impossible and death by the torture of burning imminent. Pasley'à experiments on scorpions also led toytheir death by suicide. "Acertain trap-door spider of New Zealand combines murder of its young with voluntary sacrifice of its own life. * It is perfectly clear to me,7 says a most intelligent observer and de-, scribes of its habits, Robert Gillies, CE, presi- dent of the Otago Institute, * that the spider de- I liberately sealed its nest and starved itself and j its young to death. It evidently could not bear to leave its home, foe it could have done so easily at any time with its young. The partial mar- ring of its handiwork seemed to have so dis-i1 heartened it that it sealed itself up in it3 own ruined house—a broken-hearted architect and! builder.7 77 ^ There is- a good analy tical index to the book, \ as thëfe ought to be in the case of every work of the k'ipd. :; J "-; D. Appleton & Co., publishers, New York. V •r tentment, while if thëNfrog is touched with a A REMARKABLE BOOK. IND IN THE LOWER ANIMALS, IN HEALTH AND 'ISEASE. By W. Lander Lindsay, M. D. D. Appleton & Co, / In this work—two volumes of over five hundred pages each—Dr. Lindsay marshals a proportionately large number of . facts against those men of science and those philosophers who maintain that the intelligence of man differs in kind and not simply in degree from that of the lower animals,, even of those which are not supposed by anybody to act wholly from instinct, but are capable of pur- posive actions—the purpose being present in the mind as a purpose — and of deliberately adapting chosen means to chosen ends. It is one purpose of his book to show that the main differences between men and lower creatures exist rather in their physi- cal than in their mental structure, the ant, for instance, being nearly if not quite as intelli- gent as man within certain limits and much more intelligent than the highest anthropoid apes to which, according to the theory of de- scent, the human frame is most closely allied in consanguinity. In this way of think- ing all animals, and even the protists which occupy the border-land between plants and animals, possess not the semblance of, but the true substance of mind and will. By the almost common con- sent of physiologists some acts which in man we should unhesitatingly refer to intelligence and volition—such for example as show, or seem to. show, perception, choice and pur- pose—are, when found in brainless animals, assigned to the category of what are variously called reflex, automatic, mechanical, excito- motor, or sensori-motor actions, which are supposed to be independent of or unasso- ciated with intelligence, memory, reason, sensation, consciousness and will. Dr. Lind- say believes that such assignment of such acts is not justified by facts, and is due solely to the prévalent theory that consciousness and volition cannot exist where there is no brain. Issue is taken with this theory in the book now under consideration, the author holding that both consciousness and volition, in some form or degree, are exhibited not only by animals deprived, or naturally destitute of brains, but even of a nervous system, as well as by certain plants. He looks upon the whole body as the true seat or organ of the mind, and instances in evidence of the truth of this view, Goltz's well-known experiment in which in a frog from which the cerebral hemispheres have been removed, gentle stroking with the finger or any broad, smooth surface produces a croak such as 4 under normal conditions is judicative of con- sharp instrument it does not croak but exe- cutes defensive movements. Another point is made by Dr. Lindsay in favor of his theory (which by the way is entertained by several distinguished biologists) by noting that when a myriapod has been decapitated and cut into sections the segments walk as usuaU4 the capital segment avoiding obtacles—in the absence of vision. Experiments like these are, of course, common property a*nd the books are full of them; it is Dr. Lind- say's departure from the usual way of inten- preting them jthat is interesting, coming as it does in a remarkable way from the psycho- logical rather than the physiological and anatomical side of a hot controversy, and from a man who believes in the essential identity of mental nature in all sentient be- ings, from the lowest to the highest. The book will be found an excellent and most en- tertaining piece of work in descriptive com- parative psychology, whatever valuation may be set upon the author's main thesis of the identity of man and other animals, so far as their minds are concerned. It is 'in effect a sort of non-re- ligious, scientific "Canticle of the Creatures," in which donkeys and lions, fleas and hyenas are looked upon as ÎLdisputably man's real brothers and sisters, who are en- titled tp respect or reprobation according to their individual intellectual and -moral: quali- ties; for it seems that our "poor relations" are as truly amenable to the moral law and as deserving 6f its sanctions of praise or blame, «ven unto capital punishment, as man himself. Although Dr. Lindsay has much to say in regard to common abuse of the term " in- stinct" in speaking of animals, including man, and although he does not believe that it has much real differentiating meaning when brought into juxtaposition with "reason," yet he would not discard it, since we cannot yet re- Î fer all the mental or pseudo-mental phenomena [ exhibited either by man or other animals to I reason or intelligence, and some term of the f sort is needed, though simply as a cloak for our ignorance. In truth thé psychical organiza- tion of. all sentient beings is alike, and if mental philosophers are right in telling us that a being capable of comparing, abstracting, generalizing, recollecting, reflecting and imagining is a reasoning creature, it must be conceded, says Dr. Lindsay, that certain animals other than man are reasoning beings, since they evidently go through these mental processes. The author, in elaborating his subject, examines and catalogues various traits as they^ appear in man and then com- pares them with similar (or identical) traits in' the lower animals to see if there is any «igu_of an _ essential difference or likeness between them tending to show that they have" or have not their source in identical or similar fountains. He would have the student of comparative psychology begin his \ inquiries with systematic investigations of the i simplest forms and earliest stages of reason as illustrated in the children of civilized and 'savage races of men, and then continue his • investigations by observing the lowest forms i of life in other animals and in the young of ! the higher groups.Ç Having thus studied'the j rudiments of mind, he should then study ! first, the psychical condition of man in all ! stages of savagery, barbarism and civilization, J aiid secondly, other animals in their different species, genera and classes, beginning at the lowest and mounting , step by step to the highest. Dr. Lindsay finds the human infant to be devoid of language except in its . rudiments, without consciousness, religious or moral sense, emotional, vicious, reckless, imitative, inquisitive •and governed solely by its passions , and appetites. This sad animal is much inferior to an intelligent, well-trained dog, which, according to Miss Frances Power Cobbe, to quote no higher authority, has a dis- tinctly marked moral sense, is morally respon- sible and is sometimes really religious. Savage ^(primitive) men are found to resemble the beasts in many ways. • Like wild carnivora they live in caves, are naked, ignorant of the use of fire, filthy, indecent and devoid, of natural affection; make no use of tools, are fond of the company of other animals, are possessed of very acute senses in some cases and obtuse senses in others, have no religion or morals and cannot be educated. Some of them, as for instance the Veddas of Ceylon, never even laugh, and others' have no proper spoken language and no friendly salutations; in these latter points being inferior to sokos and monkeys which, ev"en when wild> will shake hands with strangers and can both laugh and weep. It is easy to see from Dr. Lind- say's standpoint how much inferior the typical savage man is even to some of the inverte- brates, such as ants, bees and wasps, and, as has been said before, how greatly in- ferior they are to the best blooded and edu- cated dogs. To show the mental and moral gap by which the lowest men, as' described aboye, are sundered from the ants, the author makes a summary of the leading character- istics of these insects and finds them to be cooperation for a given purpose; division and alternation Of labor; the use of the "lan- guage" of touch, military organizaition, con- sciousness of power; judicial punishment of disobedience; forethought; interment, of the dead with funeral proces- sions, imagination and its derangement in delusion. Dr. Lindsay does not go so far as to infer from the funeral proces- sions and "respect for the dead" among them that ants believe in a future life or in ghosts, or that they have funeral orations over their departed friends and hang their, cell- doors with anything analogous to crape,' since there is no direct way of knowing such things, even if they exist. It will be seen how much such views as these* differ from those of Mr. Spencer or Mr. Tylor or Mr. Cox, or rather how they fail to bear them out unless indeed it is within the^ bounds of pos- sibility that the ancestors of contemporary ants went through experiences so closely similar to those of ancient men as • to have emerged in identical ceremonies and customs, for instance upon occasion of the interment of the dead. But this by the way. Passing from invertebrates to vertebrates, we find in some of the birds articulate speech, including conversation, high capacity for . education, lové of practical joking, the holding of de- liberative assemblies, judicial trials and other ceremonies, and in general a course of con- duct nearèr to that of man than is found in the lower (conventionally lower) orders of being. With J. C. Houzeau, Dr. Lindsay regards it as possible that if properly trained through generations of selected j pairs the anthropoid apes • would develop the faculty of rational conversation which, it may be remembered, Dr. Adam Clarke believed they once possessed, but have lest. How greatly such a faculty would facili- tate the. advance of gorillas in morals and religion—in both of which they are now in a shockingly low estate—may readily be divined, and the belief that such would be the outcome of artificial selection on the part j : of man, should seem to' follow legitimately j i from Dr. Lindsay's doctrine that the only -j difference between mind in lower animals and ^ mind in man is in different degrees of development and modes of manifesta- tion, of what are virtually the same I mental and moral powers. In the i controversy as to whether any tribes of men have/been found destitute of all ^ idea oî a supreme being, the author takes sides with the affirmative, supporting his opinion with quotations from Lieutenant Ellis in regard to- the natives of Dahomey, B. F. Hartshorne on the Veddas of Ceylon, J. J. Monteiro on the negroes of Angola and Dr. ]\llouat and Lieu- tenant Low on the Andaman Islanders, all going to show that certain savages have no idea of God or a future state, no worship, no idols, no superstition and none even of the crudest rudiments of religion* On the other hand, he believes that dogs are re- ^ Jijgious, man taking with them the ""place of God, and that they are superstitious and exhibit practical belief in spectres and ghosts. In connection with this subject the reader will doubtless recall Sir J. Lubbock's notion that ants also are religious and seclude beetles for the sake of worship- ping them, after the manner of the devotees of the Grand Lama-. In contrast with the alleged non-improvability of certain savages (vide Livingstone, Monteiro, Burton, Baker and other travellers) Dr. Lindsay sets forth the receptivity for education' shown in domestic animals and the self-education of1 wild ani- mals when they have become acquainted with the habits of men^such advance as is shown, for instance, in rooks and crows, which will carefully keep out of the way of men who carry guns, though an unarmed man may ap- proach quite near to them. c\" laughter and weeping are sometimes spoken of as being expressions of emotion peculiar to. men. But Dr. Lindsay refers to the fact that there are races of men, like the Veddas, who never, laugh, while some of the*anthropoid apes at least chuckle, grin and titter, while the parrot laughs aloud at its own mistakes or mischief. Dr. Darwin and other writers say that the prang and chimpanzee laugh when they, are tickled and that certain apes and monkeys do likewise when they are pleased— their laughter being "noisy, expansive, hila- rious," and showing their appreciation of fun; while it is indisputable thajfc dogs, horses, éléphants, rats, deer . and othfer ànimal&^&hed ;tears -and- st>% when they are" grieved or hurt, and chimpanzees will even I weep in expectation of punishment for wrong- i doing. But perhaps enough has been said to give the reader a tolerably good notion of the 'drift and ingenuity of Dr^ Lindsay's mind and ! the means by which he supports his theory, I which, as willhave been seen, is most completely and^thoroughly anthropomorphic, and conse- \ quently out of tune with most of the science and philosophy now in vogue. To show to what extremes it is parried it should be said, however, that the author believes, from their actions, that storks have advanced so far in their knowledge of law as to be acquainted with trial by jury, to hold "public conventions at which harangues are delivered, accusations made, defenses offered by public orators and other officials, while the I* mass of the audience takes a lively interest in the proceedings. Consultations are held, sentence is pronounced and capital punish- ment inflicted for such supposed crimes as the hatching of a gosling." It appears also that "the public trial of a prisoner beforé a court by the aid of advocates" is common among the Barbary apes. The second volume of this work deals with the pathology of mind in'the lower animals, ja subject which has not hitherto received t£e amount of study which should be given to it. Many causes of insanity are common to ani- mals and men, and its natural terminations are similar in both'cases. Forbes, Levrafc, Pierquin, Latreille and Figuier describe cases of insanity apparently of; the character of hu- man insanity in the ehimpan, horse, elephant, dog, cat, cow, bull, sheep, hen and even in the ant. In the lower animals mania is usually acute and transitory, but this, says Dr. Lind- say, is because man does not suffer it to become chronic, dangerous animals being generally put out of the way at once. It is epidemic, as in the case of 4 stampedes, and its type seems to have changed for the better since the Middle Ages. Melancholia and dementia are frequent, the former form of alienation sometimes leading, as in man, to wilful suicide, of which several instances are given, one being that of a poor old Newfound-, land dog which, having had a door shut in his face as he was about to walk out with the nurse and children, according to custom, went away and submerged his head and face in a ditch. He was dragged out, but then re- fused to eat and drink, and before long was found in the same position in the ditch, but this time quite dead. - Another whose legs had been broken drowned himself in the nearest pond. Monkeys, ducks, stags and other animals sometimes commit self-murder, and it is recorded by Dr. Bidie that the black scorpion of Southern India, when in despair of release from torment, will sting itself to death. Kleptomania and dipsomania are also found in the lower animals. Infanticide is common, as, too, is murder out of pure viciousness, the murderers carefully conceal- ing the bodies of their victims. Insanity among them is, as in man, amenable to treat- ment, and for this reason, if for no other, it should be carefully studied, as in one way and another it is a source of harm and pecuniary loss to mankind. If "Mind in the Lower Animals" be not, as at times one is more than half-inclined to believe it is, a laborious and gigantic piece of mystification, constructed as a satire upon the anthropomorphic habit of looking Upon the world and all that therein is with the purpose of finding man's spirit" an*d the "things of man," it is a most remarkable production. At all events, and whatever be its real purpose, it makes most interesting and instructive read- ing.. \,TheJ^jm,d of Man. By Alfred Smee, F.R.S.", ! &c. &c. London : Georse Bell and Sons. !.. 1875. Mr. Smee has been for thirty-five years engaged in studying psychology by the aid of physics; and, although the very opposite of a naturalist, he believes that he can explain the phenomena of life in the terms of physical formulée. I The result of these studies he has embodied in the valuable and suggestive book now lying ■ on our library table. His speculations embrace I logic, the philosophy of will and consciousness, j and, in fact, run over the whole range of mental science. Mr. Smee is primarily known as the inventor of the voltaic i battery which bears his name, and by his useful researches in electro-metallurgy. We are glad that he has applied his physical knowledge to mental science, although, no doubt, many of his speculations are thrown out as mere "guesses at truth." His system, which he supports with much ingenuity, has some points of contact with that of Mr. Herbert Spencer, As concerns religion, however, he differs widely from that philosopher. In scientific language, Mr. Spencer is an agnostic— that is to say, while he affirms the existence of the Divine nature, he believes, also, that it is absolutely and permanently inscrutable. Mr. Smee, on the other hand, is old-fashioned enough to think that certain ideas originate antecedently to experience in the mind itself, I and that man thus forms, by intuition, an adequate and inspiring conception of ; the Eternity, Omnipotence, and Omnipresence of God. These opinions are stated in full ! detail in the second, , tenth, and eleventh ; chapters. In an age like this it is. refreshing to find a man who does not reject Revelation for the sake of science, and who boldly takes his I stand upon a recognition of the supernatural , and the universality of the moral law. The : thirteenth chapter deals with the nature and I l limits of faith, and the fifteenth lays down a i general theory of mental action. But the - portion of the book that has most attracted our attention is the last chapter, in which Mr. Smee j contends that the mechanism of the nervous i system is strictly voltaic. The result of nume- I rous experiments has been to convince him 1 that nervous action springs from electricity, or ; can at least be expressed in terms of electrology. ; These experiments are elaborately described by the aid of good and copious woodcuts. We are afraid, however, that 'the enemies of vivi- section will regret to notice that it has been necessary to perform painful demonstrations on the lower animals. But, as for this, we say frankly that the question is one of ex- pediency, and that an exaggerated fear of cruelty, should not be allowed to inter- fere with purely scientific research. Many of Mr. Smee's conclusions will be disputed by rival savants ; but this we must say, that he appears to have made out a good prima facie case, and that he has shown a singular resem- blance of nervous to electrical phenomena. In other words, he regards every living animal body as a voltaic battery, or rather as a ,com- (pound of batteries. The nerves he likens to metallic wires coated with gutta-percha. '' They are," he says, "tubes hollow in the inside and coated with a non-conducting fatty substance." The nervous organisation of animals he believes to consist of a voltaic circuit, one pole being in the organs of sensation and one in the muscu- lar system. The analytical index has been prepared by Mr. Smee's daughter, Mrs. Odling. INSTINCT. j We have received some additional letters on the ? instinct of birds. The Rev. F. 0. Morris, of BTun- buraholme Rectory, Yorkshire, writ^f:— "I had no thought whatever of intruding another • 1 word of my own on the ahove subject on tb© notice of your readers, nor should I have presumed to do so, but that I , have received the following letter from Mr. 0. E. Beadnell, ! of the lioyal Horse Artillery, dated from Furlough-house, in the county of Gal way, which bears so strikingly on the letters of your two correspondents, Mr. Weld-Blundell and Colonel Stuart-Wortley, in 'J he Times of Jan. 6, that I feel sure it will bo of interest to those gentlemen,and probably to many others also, who, like them and myself, * have pleasure,' as David had, in the ' wonderful works 'of the great God of Naturo :— \ "'Will you permit me to give you some of my experience in this matter, as I think it may interest you and casta strong light upon the subject ? 'When, serving at Peshawur, in the yea:- 18ti6,I obtained leave of absence and went away into Cashmere to shoot. One evening, when near dusk, I took a stroll from my tent and came across an old red bear, which I eventually stalked and got a couple of bullets into, but without killing him. He bolted into the jungle, and as night was fast closing in I did not follow him up, but care- fully marked his point of entry into the jungle by blood- spots on the grass and bushes, with a view to tracking him nexc morning. At daylight next day I started off with my native shikary, and wo commenced tracking our friend. The jungle was very thick in pkces, but by keeping the track of the bear we managed to get through. After we had gone, as nearly as I could judge, about a mile, we came j to a place where the poor brute had evidently rested, and here the spots of blood were so fresh in appearance ttat I made sure we were close upon him. However, it turned out that it was not so. We commenced tracking again, and after we h?id proceeded about auotber half-mile my shikary halted, and called my atteution to a fiock of •vultures soaring round and round, most of them at an j enormous height, but some within a couple of hundred i yards of the tops of the trees; at the same time he ! cautioned ^mo to look out, as we were close upon the bear, and he pointed again to the vultures and grinned all ovor I his face with evident confidence in his assertion. Sure enough another 200 vards brought us up wi*h the bear,which ; was still going on slowly in a very weak state. As soon as ; he heard us he turned rouud with a very ugly growl, and I ; gave him the finishing bullet at about 25 yards,puttiog him I out of his misery, f was so much struck with what mv : shikary had said about the vultures that I determined to watch and see what would happen ; so I retired to some little distance, and in less than a quarter of an hour all the ! large trees round about the place were full of them, and very few minutes more sufficed to bring them down to the ■ body itself. Not wishing the skin to be spoilt, I hunted 1 off these filthy scavengers, and, after removing poor Bruin's skin, left them to enjoy their feast. Next day nothing wan left but the skeleton. I would particularly notice that this happened in a cold climate just under the snows, where vultures are not nearly so common as in the plains, and 'when it would take considerable time for any flesh to K putrefy. Moreover, the natives commonly track out wounded game by these vultures, and my shikary was most positive in his statement that they invariably find out a wounded animal. I think it best to give you the simple i facts as they occurred, so as to allow you to form your own was too thick for birds to see through it. Large trees were scarce, though the underwood was thick bush m manv I places, and often the bear must have passed open spots of I from 20 to 50 yards in extent/ "My own notion about this statement—but; it is only my own, ami need therefore be taken only for what it is worth- is that in such cases the vultures are guided by the scent of . the blood, which naturally must, more or less rapidly, turn j to decomposition where it has dropped, or, even if not> j must have some scent which they perceive. I "The bear appears to have fallen in the jungle or Ibrush.; wood, an oes on to say, * I tried tne experiment often, afterwards, and always with the same result. In these cases no taint of decompo- sition had set in, and the only other possible alternative^ (to the assumption that they had descried the carcass from i a vast distance) would be that the birds could have heard the report of my gun and ^been attracted by it.' ^ "In both these extracts the writers are, in fact, asBuming the point which has to be proved. All that they really know is that there was no smell perceptible by them ; but that does not prove that there was none perceptible by the vul'tures. They would find it difficult to 'wind' a part- j ridge 20 yards off, which a pointer does with ease, or to j trace, as a beagle does, the scent of a hare on ground which ! it had passed over a quarter of an hour before. I have known horse3 refuse to pass a butcher's shop, frightened by 'the smell of the freshly-killed meat, at a distance at which I could not detect the faintest odour ; I had one which in- variably did so. The following incident may be worth re- I latiug,as bearing closely on this subject. The person to whom lit happened is an intimate acquaintance of nay own, still living. When quite a girl, in India, she was watching by ; the bedside of a ypung friend in the last ntaçe of fever. I Towards morning, when she thought the patient was still i sleeping, she was alarmed by a flapping of wings at the ooen window-doors, and, turning, saw threo or four large birds—doubtless of the vulture tribe—only restrained from i entering the chamber by fear of the ligh fcs within. She vainly tried to drive them away, they still hung about the ! opening ; and when at length assistance came, the. girl by i whom she had been watching was found dead. It seems j difficult to resist the conviction that the birds wer« a.t- | tracted by the effluvium from the corpse, though so recently I dead. Of course I am not ignorant of the conclusion to I which M. Audubon was led by his experiments; never- ! theless, it seems, on the whole, most probable from such evidence as can be procured that these birds are endued with a faculty of smell as much more acute tban ours as their faculty of sight confessedly is, and that both are alike j useful in guiding them to their prey." j "A Physiologist " writes :— -f !"There never was anything botter written oninstinc» than the practical example which Falstaff gives of its influ- ence in excuse for his cowardice (which, by-the-by, is truly instinctive). * Why, thou knowest I am as valiant as ! Hercules : but beware, instinct. Instinct is a great matter; , I was a coward on instinct/ (Ben. IV., p. I., act. 2.) And so whenever the word is introduced into the dialogue it is 'done in the most humourous manner possible. "But, seldom as Shakespeare introduces the word in any I sense—as, e.g., ' The very rats instiaotively have left it,' or in the soliloquy of Belarius, * 'Tis wonder that an in- visible instinct should frame them to royalty unleorn'd — it is clear that instinct was to his mind a very indefinite stimulant to thought or action. The question of the sight of birds is noc so difficult to decide as might bo supposed. The naturalist and the anatomist have settled it between them long ago, and when they read some of the letters of your correspondents, they wonder that the average amount of information on the subjeot should be so small. For in- ; stance, such a fact as this may induce some to hesitate be- ! fore beginning to talk about instinct. There is a species of pigeon remarkable for its long flights, which has an eye that is actually larger than our eyes and much larger than its own brain. Imagine what we should bo able to do if we had eyes as big in proportion. It is only by some such rude conception that wo can form an idea, without special knowledge, of the powers of the senses in animals. Wo Eossess a good average endowment of sight, hearing, &o., ut the dog's nose, the stag's ear, and the eagle's eye, are as superior to our senses as our reasoning powers are to theirs. Those who know best the habits of the lower ani- mals, and can thus exnlain what would otherwise be anin- | telligible, do not feel aisposed to argue with others who i have never learnt the simplest lessons of scientino teach lias." y~£*>tA+ ,&*y //. /y>&. SUR L'INSTINCT, ÎMOIRE lu à la Classe des Sciences Physiques et Mathèmathiques de VInstitut national y dans ses séances du 21 Juillet, du 11 et du ï8 Août 1806. L'instinct est une raison rapide qui, s?exerçant avec un grand intérêt sur un nombre d'objets très-borné , par- vient à faire, presque dans un instant, la reconnais- sance du fait, l'argumentation survie motif, et la conclusion décisive pour là volonté. Philosophie de l'Univers. A PARIS , l'Imprimerie de ia Revue Philosophique, lue de Grenelle, 1N° 521, vis-à-rvis la rue des Saints- 'ères, faubourg Saint-Germain. 1806.! 1 ■ 1 . 1 SUR' L'INSTINCT. IjA plupart des philosophes , et même quelques grands phi- losophes ont des idées étranges sur l'instinct des animaux; et, ce qui est plus étrange , elles leur sont demeurées comme.un sédiment d'une erreur aujourd'hui généralement abandonnée,, et d'un préjugé ^ regardé en son tems comme religieux, auquel ils ne tiennent pas davantage. L'erreur est celle des idées-innées qui , bien discutées entre les hommes les plus éclairas , a cédé enfin à l'axiome d'ARiS- TOTE"; Il ny a rien dans Ventendement qui ny soit arrivé par les ■sens, LÉïbnitz a très-sagement vu qu'au lieu des idées innées , il n'y avait que des dispositions innées. Chaque espèce d'animal tient en effet de son organisation des besoins , des passions , des aptitudes qui le consument telle espèce. Et de plus, dans chaque espèce , il n'existe pas un individu que l'intensité de ses besoins , la force de ses passions , l'éten- due de ses aptitudes ne différencie des autres individus,, Ce sont ces différences que nous exprimons en disant qu'il y a des forts et des faibles, dès voluptueux et des froids , des braves et des poltrons , des caractères élevés et des pusilla- nimes , des gens d'esprit et des sots , des millions de nuances de tout cela dans tous les degrés possibles de combinaison. Avoir des dispositions , ce n'est pas avoir des idées. Il faut l'occasion , l'attention , la réflexion et le travail , pour former celles-ci , de quelque disposition qu'on puisse avoir été doué. Des idées innées qui seraient l'apanage de toute une espèce ne comporteraient pas la variété que celle des dispositions fait naître. Par la raison qu'elles seraient pour cette espèce , ou un présent général , ou l'interdiction générale des idées contraires, (4) le fond au moins en serait uniforme quelles que fussent les dispositions: et c'est bien cë qu'on prétendait des' idées que l'on croyait innées» Des idées innées réduiraient l'espèce ou l'individu qui les au- lait â un état passif. Elles ne seraient pas le fruit de son intel- ligence. Elles seraient involontaires. Les bonnes actions qu'elles lui inspireraient seraient sans vertu. On s'en servirait comme de motif ou de prétexte pour excuser tous les vices. Sans s'arrêter à ces causes finales , qui sont pourtant de quel- que pords quand il s'agit des œuvres d'un DïEU très-juste et très-bienfaisant,, on a reconnu que les hommes ont plus ou inoins d'idées, selon qu'ils font plus ou moins d'observations; et qu'ils n'ont pas une idée , ni sage , ni folle , ni obscure , ni .claire ; , ni incomplette, ni exacte , qui ne soit le résultat plus ou moins régulier , la conséquence plus ou moins logique , selon qu'ils ont un plus ou moins bon esprit, d'une ou de plusieurs observations plus ou moins bien faites , soit par eux- mêmes , soit par ceux de leurs semblables auxquels ils, ont confiance, et dont ils regardent les observations comme bonnes. Mais, en renonçant à croire aux hommes desidées innées, on a continué de les attribuer aux autres animaux, sous le nom d'instinct. Parce qu'on ne se donnait pas la peine d'étudier leurs mœurs et leur intelligence, en leur voyant faire des choses assez ingénieuses , au lieu;de remarquer qu'ils ont de l'esprit et de la mémoire , qu'ils acquièrent des connaissances , qu'ils for- ment des conjectures , qu'ils prévoient , qu'ils combinent , on a imaginé qu'ils étaient plus habiles que les philosophes , qu'ils savaient plusieurs belles choses sans les avoir apprises , qu'ils avaient des idées innées. Oui , ce sont des philosophes qui ont dit , qui ont cru cela. Cependant comment pourrait-on avoir des idées innées? Com- ment des animaux inférieurs à l'homme en auraient-ils? Il serait impossible d'expliquer une chose si extraordinaire , autrement que par l'une ou l'autre de deux suppositions entre lesquelles il faut choisir. Une construction mécanique qui produirait des idées , des ( 5 ) raisonnemens , des conclusions, comme une horloge sonne l'heure. Ou bien une intelligence qui recevrait de DIEU une révé- lation immédiate» Quoi ? l'homme sait qu'il acquiert ses idées par le travail de son intelligence sur les perceptions que ses sens lui procurent, sans aucune révélation directe ; et les autres animaux auraient des révélations directes! L'intelligence de ces créatures d'un rang au-dessous du sien , serait dans une communication plus intime avec la Divinité , avec I'Intelligence Reine du monde* Cela1 est trop absurde pour qu'on le soutienne. L'autre hy- pothèse ne l'est pas moins. Une machine ayant des idées: c'est une terrible confusion d'idées et de mots. — Des idées supposent une intelligence. Une machine en est tout l'opposé. » .L'homme ne peut nier qu'il ne soit une intelligence , ou que la machine appelée son corps , ne renferme une intelligence qui l'anime. . Et à quoi reconnaît-il son intelligence ? A ses observations , aux raisonnemens qu'il fait sur elles , aux décisions que prend sa volonté , aux actions qu'elle dirige ensuite. C'est son intel- ligence qui se dit à elle-même :je suis. Mais lorsqu'il voit avec évidence les autres animaux obser- ver comme lui , raisonner et calculer avec une logique toute pareille à la sienne , avoir les mêmes passions que lui , se per- pétuer de la même manière , comment peut-il croire qu'ils ne soient que des machines ? Comment conçoit il que leurs ma- chines puissent produire des actes si parfaitement semblables à ceux de son intelligence? Une si frappante analogie n'a pas suffi pour arrêter l'orgueil , j'allais dire stupide , avec lequel un nombre imposant de sa- vans , d'ailleurs très-respectables, ont tenté, comme le vul- gaire, de ravaler les autres animaux loin au-dessous de l'homme et de l'intelligence , à l'état de simples machines: ce qui n'a pas peu contribué à nous entretenir dans notre tyrannie et notre cruauté , et à en augmenter le poids , même au-delà de notre intérêt, envers une multitude d'êtres sensibles. ( 6 ) , . J'ai peine à me persuader que dans leurs assertions à ce sujet, tous les philosophes aient été de bonne foi. J'ai toujours re- gardé , je regarderai toujours ce que Descartes en a écrit comme une précaution qu'il a prise pour se garantir de la per- sécution des théologiens.— Mais de nos jours encore , lors- qu'il n'y avait plus de danger , lorsqu'on aim-iit même les ex- pressions qui unissaient au bon sens une apparence de courage, le troisième de nos grands écrivains, un homme d'un beau gé- nie et d'un superbe talent , qui montre ordinairement beau- coup de vues très-philosophiques , Buffon , après avoir exposé les actions raisonnées du F u n go ^ termine le récit par ces mots % tt Cependant le Pungo ne pense pointe 55 Est-il possible qu'il y ait eu chez Buffon une telle absence de pensée? Qu'est-ce qui a pu induire tant d'hommes habiles et de bons observateurs aune prévention si contraire aux faits qu'ils avaient sous les yeux et à leurs conséquences naturelles ? Les préjugés de leur enfance , qui avaient laissé de fâcheuses traces dans leur cerveau , même après que leur raison s'en était affranchie. Une religion dont les dogmes principaux qui sont indiens , grossièrement mêlés à des accessoires chaldéens, ont été unis à une morale céleste, et à des traditions sur la vie d'un Philo- sophe parfaitement aimable , très- sage , odieusement persécuté , a pris sa forme dans un pays et dans un terns où l'on ignorait -que les autres planètes pussent être habitées, où-l'on n'avait aucune notion raisonnable de l'Univers , où l'on appelait notre soleil et notre lune de grands luminaires et les étoiles de petits luminaires, où la terre paraissait le seul véritable monde et l'homme le but unique de la création. Cette religion qui , par sa moralité",'sa charité , ses prin- cipes de fraternité t et d'égalité , a conquis l'Europe , avait em- prunté de celle des Brames l'idée de la régénération , ou plutôt de la génération des races qui répare les ravages ^de la mort , et cette observation du. plus grand bienfait de I'Etre-SuprÊME aurait pu , dans la nouvelle doctrine comme, aux Indes et comme dans la nature , embrasser tous les animaux. Mais par malheur on n'avait pas bien conçu , ni bien traduit le mal que produit la mort, et les diverses incarnations de Vishnou y ou pour em~ ployer un nom plus antique , de Fo , èe Sommona-Codom , qui successivement plante , animal et homme avait rendu tous les êtres mortels Capables de reprendre la vie par le mystère-de la génération renouvellèe ou de la régénération» C'était la nation juive que Ton avait eu l'occasion et,l'intention de convertir la première. On avait en conséquence été obligé de recevoir le dogme fondamental tel que les livres juifs l'avaient déjà défiguré-. Il avait fallu y raccorder les autres. L'idée du mal originel a'v'ait été rendue par celle d'un péché originel dont il ne résultait qu'une dégradation , un esclavage , une peine mystique , une damnation., La régénération alors et la multiplicité des incar- nations réparatrices n'avaient plus *été nécessaires. Une rédemp- tion opérée par une seule incarnation et une seule mort avait Suffi. Elle n'était applicable qu'à l'homme seul- pécheur'. C'était pour rhomme seul que le DIEU de la nature avait voulu naître homme et mourir par la main des hommes , victime d'un crime beaucoup plus grand que celui qui avait anciennement excité son courroux. L'idée une fois adoptée d'une telle prédilection de Dieu pour l'homme , quoique celui-ci s'en fût- montré si indigne et eût si barbarement reçu son bienfaiteur , à dû notablement augmenter la vanité humaine, et faire regarder les animaux qui s'approchent le plus de nous par leur intelligence et par leurs mœurs, comme en étant néanmoins à une distance infinie. Si l'on ne pouvait se dissimuler qu'à beaucoup d'égards l'hornme ne fût awâsi un animal r il était du moins le seul animal raisonnable * les autres raisonnaient sans raison. ïl était le seul qui sût parler , attendu qu'il n'avait pas appris la langue de; son chien et de son cheval qui ont assez d'esprit pour apprendre la sienne. Les animaux de proie déployaient d«s ruses savantes , sa? CHRÉTIEN.55 Si la mère doit le nourrir, elles ajoutent: uVous 55 pouvez lui offrir votre lait. 55 Si non , u Voulez-vous l'embras- 55 ser , Madame. 55 Lorsque les sciences ont commencé à poindre , les médecins , que le vulgaire croit moins habiles quand ils le sont assez pour ne pas répondre à tout , ont cherché une raison à cet visage barbare , mais établi , de priver un enfant du sein de sa mère pendant un jour ou deux. C'était un acte d'autorité qu'ils n'eusse'nt peut-être pas pu détruire , et dont ils ne voulaient point laisser l'honneur aux prêtres , car il y avait déjà de la jalousie de métier. Us ont imaginé de dire : u que le premier 55 lait était mal-sain , et pouvait donner des tranchées à Venfant. 55 Comme s'il n'avait pas été fait précisément pour lui ; et quant aux tranchées , ou coliques , comme s'il n'était pas nécessaire qu'il y en eût quelques-unes, grandes ou petites , pour l'éva- cuation du méconium. En refusant au nouveau né le premier lait que la nature pré- pare tel qu'il doit être pour faciliter cette évacuation , il fallait cependant y suppléer d'une manière quelconque; carie séjour du méconium donne effectivement aux enfans des tranchées violentes , quelquefois des convulsions périlleuses. — On leur fait prendre dans les villes du syrop de chicorée composé de rhubarbe. Les apothicaires ont trouvé que c'était une invention (i4) très-belle; et le malheureux enfant entre dans la vie , comme il en sortira peut-être , comme tant d'hommes en sortent, par une médecine. Les femmes de campagne donnent de Veau miellée: cela est,, un peu moins mauvais. Quelques vigoureux pères de famille font prendre du vin , sur-tout à leurs garçons; l'enfant vit s'il peut. — Le bon Henri IV a vécu malgré le vin renforcé d'ail. — Les délicats périssent. Tous sont conduits par un raisonnement fort sensé , sur une expérience contre nature , mais la seule qu'on leur ait permise, à une action et à une habitude qui leur devient très-nuisible. \Le seul soulagement qu'ait éprouvé leur douleur, a été donné par la liqueur telle quelle qu'on leur a introduite dans la bouche avec une petite cuiller; et ce souîagementn'a pu leur être accordé que quand ils ouvraient les lèvres et la mâchoire. La première idée qui se forme dans lenr tête est donc que pour obtenir la sensation d'une liqueur sucrée, après avoir crié, il faut ouvrir la bouche. Ils le font. Et ce sont ceux qui sont nés pour avoir un jour le plus d'intelligence , ceux dont la mémo-ire est la meilleure , ceux qui lient le mieux leur sensation à leur ébauche de penséè, qui acquièrent le plus vite cette habileté de l'esprit , si contraire à celle dont leur corps aurait besoin. Ils seront amèrement et sévèrement punis pour avoir mieux raisonné que leurs pères. — La bonne dit à la mère : u Monsieur votre fils 55 boit très-bien , comme s*il n avait jamais fait autre chose. ?» Eh ! parbleu! c'est parce qu'on n'a pas laissé faire autre chose au pauvre petit, et qu'il répète la leçon qu'il a reçue; mais mieux il boit et moins bien il tétera. Enfin après qu'il a été purgé , baptisé , tourmenté , compli- menté au gré de toutes les commères de l'un et de l'autre sexe , et qu'il a étudié Fart de boire au point de perfection , on rend l'infortuné à sa mère impatiente , dont le sein , durci alors par l'abondance du lait et d'un lait qui s'épaissit , deman- derait, pour être tété, une compression plus grande, une as- piration beaucoup plus forte que le premier jour. — Donner cette compression , opérer cette aspiration , n'est point la science dans laquelle les premières expériences qu'on a mis ( ,5 ) l'enfant à portée de faire l'ont'instruit. —On lui présente îâ mamelle , il n'en a point d'idée. Elle exigerait de sa part un travail : il ne sait point travailler. Il ne connaît que la cuiller qui verse d'elle-même. II ouvre une grande bouche , et se garde bien de la refermer. Il ne reçoit rien. Il crie , et rouvre la bouche encore plus grande. Rien. — Il crie de nouveau , il se dépite. Au lieu du plaisir que , d'après son expérience , il attendait , il a de la souffrance , il essuie de la contradiction , il éprouve le premier élément de la colère. La mère s'afflige. On envoie chercher l'accoucheur ou la sage* femme pour savoir si l'enfant n'a pas le filet. On l'examine, on le tourmente encore. — Et, puisqu'il ne veut pas léter , provi- soirement on lui redonne à boire, La mère se désole. La fièvre arrive. Le sein se gonfle de plus en plus. Le lait s'y aigrit, quelquefois il s'y forme des ulcères , quelquefois ceux-ci dé- truisent le mamelon: (triste perte à tous égards î ) Souvent on croit devoir chercher une autre nourrice , dont le lait convien- dra moins à l'enfant, dont les soins à quelque point qu'elle s'affectionne , n'égaleront jamais les soins maternels. Si l'on est plus sage , si l'on détend le sein avec des cata- plasmes , si on le dégorge à tems , ce dont il y a plusieurs moyens , et les plus naturels sont les meilleurs ; si en rendant là mamelle à l'enfant , on l'attache à lapfY^4tf*en mouillant la papille de son propre lait artificiellement tiré ; si en em- ployant cette manière de lui donner quelque aliment , on sus- pend entièrement celle de boiie , il oublie par degrés une mé- thode qui ne lui est plus utile , et les dernières idées devenant les plus fortes , il s'attache à la succion. Celle-ci épuisant bien- tôt l'approvisionnement extérieur , l'enfant serre les lèvres da- vantage , ilj aspire plus fort, il s'aide de la langue , et au prix de quelques douleurs assez vives qui résultent en grande partie pour la mère de l'engorgement que le sein avait subi (i) le petit (i) Ces douleurs ont aussi d'autres causes , dont les .9 ) .... . .. . . . . oîes, des canards et des hirondelles, sont précédées d'un conseil général et très-bruyant. Léur retour est suivi d'une conférence qui se tient avant leur dispersion (3). Et quand ils volent ea escadres pour leurs grands voyages, ils ne cessent de chanter en-chœur comme font aussi les canards et les oies pour régler la vitesse du vol , afin que la troupe ne soit pas rompue et (2) Il est beaucoup plus commode d'étudier les animaux après leur mort que de leur vivant. Ils ne fuient alors ni ne résistent. On le» dessine , on les dépèce, on les dissèque, on les décrit , et on les em- paille à l'aise dans son cabinet. C'est un travail si doux, qui porte sur des faits si sûrs , par lequel on connaît si bien leur corps, qu'on ne se soucie presque plus de leurs mœurs , ni de Içur âme, et que les observations relatives à ces deux points , assez importais néan- moins de leur histoire, sont fort négligées, décriées peut-être: car qui est-ce qui applaudit à autre chose qu'à ce qu'il sait et ce qu'il fait? Je crois voir quelques-uns de mes respectables collègues et qui me sont les plus chers , sourire à ce que je dis sur les dialogues des corbeaux auxquels ils ne connaissent qu'un cri assez vilain. Je voudrais vivre avec eux aux champs', m'y éclairer de leurs lu- mières j et les mener aussi quelquefois loin du village dans un sau- vage réduit, bien immobiles , bien silencieux, l'œil au guet, l'c- reille attentive , un crayon et un petit livre blanc à la main, les corbeaux, ni les autres animaux n'ont pas peur des livres. Là, j'inviterais mes dignes amis à étudier la nature vivante , et à noter leurs remarques sous son auguste et correcte dictée. Ils appren- draientbeaucoup de mots du dictionnaire de plusieurs espèces. C'est un travail long. Les corbeaux m'ont coûté deux hivers , et grand froid aux pieds et aux mains. — yoici ce que j'ai recueilli de leur cri qu'on croit toujours le même , quand on l'écoute rarement et avec distraction. Cra, Cré, Cro, Crou, Crouou. Grass , Gress,.; Gross , Grouss, Grououss^ Craé, Créa , Croa , Croua, Grouass. Crao, Créo, Croé , Croué, Grouess. Craou, Créou , Croo, Crouo, Crouoss. Ce sont vingt - cinq mots. Leur analogie est très-grammaticale. — Et si nous pensons qu'avec nos dix chiffres arabes , qui sont dix lettres ou dix mots , .en les combinant deux à deux , trois à trois , quatre à quatre , on forme et l'on varie à volonté les trois chiffres diplomatiques de cent, de mille et de dix mille caractères , et que ( 20 ) que lés plus faibles puissent suivre les plus forts dont la mesurtf modère le mouvement» C'est par la même raison que les ma- telots indiens et chinois chantent pour ramer d'accord, et les nôtres pour tirer la corde ensemble. C'est par la* même raison que nos guerriers battent le tambour et partent du même pied . Dans leur marche encore , les corbeaux , les oies et les canards obéissent à un commandant qui se met à la tête et règle les poses. Il y a quelque apparence que ce n'est pas le moins ins- truit dont les autres consentent à suivre les ordres : Duces ex virtute (3). C'est donc un résultat très-simple de ces dispositions sociales, si on les combinait cinq à cinq, on ferait un chiffre de cent mille caractères , ou de beauconp plus de mots «que n'eu a aucune langue connue , on aura moins de peine à comprendre que les corbeaux puissent se communiquer leurs idées.— Au reste, je suis loin de croire qu'ils fassent tant de combinaisons, ni même aucune com- binaison de leur dictionnaire. Leurs vingt-cinq mots suffisent bien pour exprimer ici, là, droite, gauche, en avant , halte , pâture , garde- à vous., l'homme armé ^ froid, chaud, partir, j^e t'aime y moi de mêmey nid, et une dixaine d'autres avis qu'ils ont à se donner selon leur» besoins, Ils sont très-raisonnables, etjrès instruits de ce qui les con^ cerne. La raison et l'instruction de l'homme valent mieux. (3) Les marsouins qui sont des cétacées voyageurs, se réunissent de même en escadres quand il faut traverser la haute mer, et y obéissent.à un commandant au signal duquel ils se rangent en bataille, en demi-cercle au vent d'un vaisseau qu'ils rencontrent % y foht diverses évolutions , et par des culbutes bruyantes , aussi régulièrement exécutées que le feu d'un bataillon , et plusieurs fois répétées , cherchent à effrayer le navire qui leur paraît sans doute un ennemi gigantesque; et qu'ils se flattent vraisemblable-* ment d'avoir mis en fuite, quand cet ennemi prétendu , qui est sous le vent, et dont;ilsne peuvent long-tems suivre la course,s'éloigne d'eux : à peu près çoinme nos. chiens s'énorgueitlissent de la retraite d'un carrosse qu'ils ont poursuivi en aboyant. Mais c'est individuels lement que les chiens fônt cette prouesse ; celle des marsouins a lieu en société, suivant les ordres et l'exemple de leur généra], sous un©: discipline civile et. militaire., (21) 'et des lumières acquises par les voyages, què les corbeaux qui Tont essuyé des coups de fusil, même hors de portée , ou seu- lement qui en ont vu tirer sur d'autres oiseaux , sur des per- drix innocentes, les craignant beaucoup pour eux-mêmes , se soient appliques à connaître les fusils et à flairer la poudre , et qu'ils avertissent leurs compagnons du danger. Les Oies, les Canards faisant des voyages semblables, et même encore mieux ordonnés, ont une expérience de la même nature* Ils sont aussi très-difficiles à joindre. C'est pour eux, ou plutôt contre eux , qu'on a inventé ces longs fusils d'une énorme por* ïée , qu'on appelle cânardïères , et encore faut-il les avoir bien cachés pour que le coup arrive à sa destination. Le premier qui voit le danger sonne l'alarme , et tous prennent leur vol à l'instant. Très - vraisemblablement dans les pays où les hommes ne sont armés que de flèches, les corbeaux , les canards* et les oies sont autant soigneux de ne pas approcher le carquois , ni l'arc , que chez nous de se tenir assez loin de la carabine et de l'a poire à poudre. Je vais citer un fait qui montre leur discipline-et avec quelle sagacité ils jugent la nature du. danger auquel nos armes les exposent. — Un chêne touffu et très-élevé , éloigné des habi- tations , servait la nuit d'asyle à un grand nombre de corbeaux. On les y avait vu se retirer tous les soirs. On y va deux heures après le coucher du soleil par une nuit assez claire 5 et on lâche sur l'arbre un coup de fusil chargé de gros plomb. Les c'orbeaux partent, mais aucun en fuyant; tous au contraire s'élèvent en ligne presque perpendiculaire comme une gerbe d'ânifice. Leur calcul unanime avait été que le coup de fusil partant du pied de l'arbre et pouvant être suivi d'un second sur ceux qui auraient filé , l'intérêt commun était de se mettre en hauteur , hors de portée , dans une direction où les branches pouvaient les garantir et où les Veuilles intercep- taient la vue. Ils ne commencèrent à se disperser qu'à une très-grande élévation. Dans le jour , lorsque la troupe s'abat et se répand sur les champs pour chercher sa subsistance , quatre ou six éclaireurs ( 22 ) restent toujours en l'air, volant doucement de côté et d'autre,, observant ce qui se passe , et chargés d'en avertir. On les relève d'heure en heure. L'intelligence des animaux ayant eu principalement à s'exer- cer pour leur sûreté , ils prennent des précautions et font des reconnaissances dont ils retrouvent l'utilité au besoin , et qui les empêchent de perdre la tête dans le danger comme ils feraient s'il était entièrement imprévu , et comme font trop souvent les hommes qui ont négligé de s'occuper des accidens possibles et d'y préparer les ressources de leurs courage. — L'exact et sage M. Messier nous a peint , dans le quatrième volume des Mémoires de cette Classe, la suite des mouvemens que firent , le 20 juin 1778, les moineaux francs des environs v d'Eiampes pour se défendre d'un ouragan. La pluspart y péri- rent; mais leur retraite fut savamment graduée de poste en poste , comme elle eût pu l'être sous les ordres d'un bon gé- néral. — Parmi eux ainsi que parmi nous , dans les grands périls , le sang-froid , le bon exemple , le bon propos , ont bien vite distingué ceux auxquels on doit obéir. —Je connais, et j'aime un citoyen qui, simple grenadier , un jour de défaite f tant que l'action a pu être soutenue -, a commandé sans con- tradiction ses généraux, ses "officiers , ses camarades , et après que tout a été perdu , a fait encore une honorable retraite lorsque sa troupe était réduite â huit combattans. De l'ange au polype , toutes les conduites sont en raison du caractère individuel et du plus ou moins grand développement de l'intelligence. Et daiis les mêmes espèces , ce que l'on croit semblable n'est qu'analogue. Ce sont des observations négligemment faites qui nous per- suadent que tous les nids des oiseaux de la même espèce sont exactement pareils. Nous examinerons plus bas en quoi et comment ils doivent naturellement se ressembler. Nous allons faire voir jusqu'à quel point ils diffèrent quelquefois. — On trouve dans la Bibliothèque Britannique , tome XI , page *]3 v que des corbeaux avaient , en 1783 , établi leur nid au milieu de la ville de Newcastle et de la place du marché , sur la girouette du bâtiment de la Bourse. Ce nid était fortement ( 23 ) attaché au pivot central qui dépassait la girouette , et s'éten- dait d'une manière très - ingénieuse et très - solide sur le corps de celle-ci. Il tournait avec elle au moindre mouvement de l'air ; et ces corbeaux ayant considérablement haussé le côté du nid qui tenait au pivot , étaient toujours garantis du vent, eux et leur famille, de quelque point qu'il vînt à souffler. — Combien d'observations et de réflexions ne leur avait-il pas fallu pour reconnaître ainsi les propriétés de la girouette , et pour Jes trouver si admirables que l'avantage de jouir de la même température dans leur maison Tait emporté sur la répugnance à bâtir si près des hommes au sein d'une grvande ville î II est clair qu'ils avaient aussi vérifié que la girouette était assez haute et assez isolée des autres édifices pour que les coups de fusil n'y fussent point à craindre. La première année ils élevè- rent très-paisiblement leur nichée. Ils y revinrent en 1784» Mais leur habileté avait excité l'envie des autres corbeaux qui insul- tèrent les novateurs et les attaquèrent dans leur château tant de fois , avec un tel acharnement que , malgré la plus énergique résistance , ils réussirent enfin à les en déposséder. Dans ces combats le nid avait souffert , et les usurpateurs ayant moins d'esprit ou plus de paresse que les propriétaires; dédaignèrent ou négligèrent d'en faire usage. 11 ne profitèrent point de leur conquête. Ils se bornèrent à nuire , ils firent le mal pour le mal , comme tant d'autres usurpateurs. En 1785 , le couple laboiieux de retour répara le nid , et y fit ses petits. Il recommença en 1786 , 1787 et 1788. Ainsi la girouette a porté cinq nichées. En 1789 ils ne reparurent plus. On peut croire que l'un des deux époux avait péri. En 1790 le nid subsistait encore , et les débris ont duré plus long-tems* Voilà un nid dont les constructeurs n'avaient jamais eu le modèle , et que les oiseaux de la même espèce qui ont vu ce modèle, qui en ont été jaloux, n'ont pas su imiter. —Il nous apprend deux choses: combien l'intelligence des animaux peut se perfectionner par son propre emploi ; et encore que les cor- beaux , comme les hirondelles , ont des amours constans , qui ( M ) durent plusieurs années; que ce ne sont pas des rencontres fortuites , une union frivole et passagère ; que ce sont de véri- tables mariages qui supposent un sentiment très-tendre et une grande moralité. On voit que chez eux comme chez nous y ceux qui ont le plus d'esprit et d'instruction , sont aussi les meilleurs maris les meilleurs pères ^ les plus aimans, les plus aimables. Et puisque l'instruction est le fruit du travail et de la pensée qui développent l'esprit chez tous les animaux , pour- quoi attribuerions - nous les connaissançe/acquises à un ins^ tinct nécessité? Il n'est ni sûr, ni vraisemblable , que les abeilles et les four- mis aient de tout tems vécu en sociétés aussi parfaites , ni exé- cuté des travaux aussi savans que ceux que nous admirons aujourd'hui. Il y a encore des abeilles presque solitaires et des fourmis à demi sauvages. Il est malheureusement trop vrai que les diverses nations humaines sont, quant aux lumières et à la civilisation , dans la plus surprenante inégalité. On doit soupçonner que les Eléphans, qui ont naturellement tant d'esprit , avaient beaucoup amélioré leur société du tems où ils étaient les seigneurs de la terre , tems que nous atteste la multitude de leurs os fossiles que Ton trouve en tout pays , et qui aura cessé par quelque cataclysme , ou par la famine à laquelle de si gros mangeurs , qui ne paraissent pas avoir pu s'élever jusqu'à la culture , ont dû être exposés. Il est certain que les Castors n'ont pas toujours et partout construit des digues, bâti des ponts , élevé des maisons de char- pente. — Ceux qui habitaient la Gaule , et dont on prétend qu'il y a quelques restes en France , n'avaient pas cette industrie» Les castors lapons et russes ne l'ont pas. Ils se bornent à cons- truire deux terriers , l'un au-dessus , l'autre au-dessous du ni- veau de l'eau, et à établir entre eux une communication; ce qui au surplus est déjà un très-ingénieux ouvrage. — Il a fallu à ceux de l'Amérique une profonde paix , pendant plusieurs siècles , pour que leur esprit se soit éclairé par la communi- cation entre des familles nombreuses , pour que leur langue ait acquis quelque richesse , pour que leurs sages aient gagné ( 25 ) du crédit sur la multitude , pour que leurs, sciences et leurs art? se soient perfectionnés, pour qu'ils se soit établi parmi eux une police et des magistrats. — La guerre que leur font les hommes, en massacrant leurs principaux chefs qui justifient leur rang par leur courage et détruisant leurs habitations , les dégoûte de faire de nouveaux édifices qu'ils n'auraient pas plus d'espoir de conserver , les disperse , les ramène à la bar- barie. Le paisible Castor ainsi tourmenté fuit dans des déserts plus éloignés ou devient hermite. Les Rats musqués, moins timides que les castors , avec les- quels ils ont d'ailleurs tant de rapport pour la figure et pour les moeurs , quoique plus petits et plus faibles , disputent leur terrein. Us ne font point de digues ; mais ils détruisent celles de l'homme. Us remettent l'eau dans les marais qu'il avait des- séchés et changés en prairies. Us n'ont jamais été si bons archi- tectes que les castors civilisés , parce qu'ils n'ont pas comme eux la force nécessaire pour couper et transporter de longs et gros morceaux de bois à leurs habitations. Ils ne font que de doubles terriers pareils à ceux des castors sauvages. Mais bien plus nombreux, très-unis , et ayant pris Je parti de tenir ferme sur le domaine de leurs ancêtres, ils ont perfectionné la guerre défensive et multiplié les vedettes , les postes avancés , les moyens d'avertissement. Us ont des ruses pour distraire le chasseur et donner à leurs factionnaires le te'ms d'échapper. Au ^premier cri de la sentinelle , le corps de garde , composé de huit à dix ou douze individus , sort tout entier, crie et bat l'eau. L'homme qui allait mettre en joue, le premier rat musqué* préfère de lâcher son coup sur la troupe. Mais celle-ci avait mieux que lui mesuré la distance , il tire de trop loin ; et pen- dant la manœuvre , l'avertisseur qui a plongé s'esç mis hors de risque. Ce n'est que dans les pays envahis par l'homme que les rats musqués ont acquis cette discipline et cette habi- leté qui les maintiennent sur la Passaïk et PHackinsack, à quatre lieues de New-York. Au désert ils n'ont pas eu' si grand be- soin de secours réciproques , et ils n*y ont pas songé: si on les y attaque ,'îa fuite individuelle est presque leur seule ressource. ( 26 ) Les castors sont comme la société des Amis, improprement nommés Quakers, qui , persécutés , ont été fonder au loin là Pensylvanie. Les rats musqués ressemblent aux Bataves qui, avec de petits moyens et un granc| courage , ont résisté à la maison d'Autriche. Don Félix d'Azara^ dans les fertiles et sauvages contrées où la Condamine nous a dit, et où nous n'avions pu croire , ce que l'illustre naturaliste espagnol confirme aujourd'hui, qu'ha- bitent des hommes si brutes qu'ils ne savent *pas compter jus- qu'au nombre de leurs doigts (4) , Don Félix a trouvé dés, Arai- (4) Ces hommes de l'Amérique méridionale sont demeurés au- dessous des JP es de nos climats, qui se rappellant leurs observations par le nombre de leurs doigts, comptent très-bien jusqu'à quatre? et n'embrouillent leurs idées d'arithmétique qu'au -dessus de ce nombre , comme l'a vérifié M. Le Ror, lieutenant des chasses de Versailles. Voici ce qu'il en rapporte dans le charmant ouvrage qu'il a publié sous îe nom du Philosophe de Nuremberg. Pour savoir jusqu'où s'étendait le calcul arithmétique d'une pie 9 il avait établi au pied de l'arbre portant un nid de pie , une cabane de feuillage , et y fit entrer un chasseur. À l'arrivée du chasseur , la pie quitte l'arbre et n'y revient pas que le chasseur ne soit sorti. On y envoie deux chasseurs, la pie les compte à leur entrée et à leur sortie, et ne se hasarde au retour qu'après leur départ. Elle en fait autant de trois, puis de quatre chasseurs, Elle exécute ainsi l'addition et la soustraction de quatre sans erreur. Mais lorsqu'il y en a cinq, la force de sa tête pour additionner et soustraire est épuisée. Elle reste éloignée jusqu'à la sortie du quatrième chasseur; et n'ayant pas l'idée nette du nombre cinq, n'ayant pas pu le no- ter sur les doigts de sa patte, elle rentre chez elle sans attendre que le cinquième chasseur soit sorti. — Tel est l'état de cette science chez les pies ordinaires. II ne serait pas impossible cependant qu'une pie d'élite, douée d'une attention plus profonde , et d'une pensée plus constante, parvînt à compter sur ses deux pattes jusqu'à huit; qu'elle se fit ainsi une arithmétique octogésimale , comme nous nous en sommes fait une décimale ; qu'elle l'apprît à son mâle et à ses enfans. II est seulement fâcheux que des hommes, même faisant peuplade , aient pu rester dans un tel état de stupidité, qu'ils ne sachent pas compter jusqu'aux doigts d'une de leurs mains.-— C *7 ) gnées dont la paix et l'abondance ont adouci les mœurs , et qui vivent en société de cinq à six mille individus. , Elles ont quinze à dix-huit lignes de longueur sur un pouce de grosseur. Elles s'emparent d'un atbre et le couvrent d'un filet tissu en commun , amarré à terre ou sur les arbrisseaux voisins par des cordes de leur fabrique. Elle se dispersent à des distances égales sur cette forteresse , sur-tout du côté du vent. Là elles vivent en paix entr'elles. Un scarabée, un papillon, un oiseau-mouche qui tombe dans le domaine de leur répu- blique attire les cinq ou six araignées les plus voisines. Celles qui peuvent l'entourer se le partagent ou mangent â même sans se quereller , les autres restent à leur poste. La multitude des insectes est si effrayante dans ce pays inculte , que nulle araignée n'est long-tems sans proie. Elles n'éprouvent jamais les horreurs de la faim. Les combats ne leur offriraient que des dangers sans objet. Elles voient alors dans leurs sembla- bles des alliés secouràbles qui aident à raccommoder la toile et à saisir l'ennemi. Elles se défendent l'une l'autre -, et l'homme n'attaque pas impunément ces étranges cités. Rien ne peut différer davantage des mœurs de nos Araignées d'Europe et d'Asie , affamées au point de se dévorer les unes les autres , et même d'uu sexe à l'autre. (5). — Chez tous les êtres vivans , Mais rien ne prouve mieux que ce n'est pas un instinct qui les éclaire , que c'est l'observation et la réflexion sur un travail. (5) Chez les Araignées en général, comme chez les oiseaux de proie , la femelle est plus grosse et plus forte que le mâ>e. La na- ture a confié dans ces espèces les petits à celui qui est le plus propre à les défendre. — Le mâle araignée les ma ngerait sans pitié. Mais il s'exposerait *du côté de la femelle à une terrible réprésaille.—Notre araignée d'Europe, toujours tourmenlée de la faim , n'est que fai- blement et passagèrement susceptible de tendresse. Au plus fort même de la passion , son mâle ne s'en approche qu'avec le plus juste effroi. Il supplie long-lems et de loin par les mots répétés tack , tack? tack, tack ; et si elle ne répond pas teck ^ teck, teck, teck7 il se garde bien d'avancer. L'interrogation et la réponse sont re- nouvelles pendant des heures entières; et à mesure que le son de ( *8 )'. pâture abondante , douceur sociale. Nos chats domestiqués , qui sontyde petits tigres, mais très-bien nourris , attaquent ra- rement nos poulets. Le Conseiller-d'Etat Mouriier, dont nous pleurons la perte, avait , lorsqu'il était préfet d'IIle et Vilaine , apprivoisé une louve. On lui donnait largement à manger toutes les deux heures ; elle était devenue obéissante et caressante comme un chien. —Et qui sait si , lorsque les hommes ou les nations s'égorgent, ce n'est point parce que leurs chefs ont trouvé plus court de prendre que'de produire , et n'ont pas su s'oc- cuper assez utilemeut de l'agriculture , des arts , et "sur-tout de la conservation des propriétés , pour que chacun trouve aisé- ment sa subsistance et puisse en jouir d'une manière assurée? — Où le travail profite , il a lieu et se perfectionne insensible- ment. La démonstration qu'il n'est pas l'effet d'un instinct né^ cessaire et uniforme se trouve dans les diflérens degrés de sa perfection. Il y a des Ecureuils qui se contentent d'habiter le creux des vieux arbres tels qu'ils les rencontrent i d'autres qui, voulant y être à couvert de la pluie , ajoutent un toît à cette maison naturelle ; d'autres qui, pour avoir un asyle plus éloigné des serpens 'ou des ennemis quels qu'ils soient , choisisseut au point de subdivision de trois branches , disposées de manière à les garantir de la vue des méchans ; un emplacement , et y établissent un plancher sur lequel ils fabriquent une tourelle couverte d'un toît conique , selon les règles d'une agréable et voix devient plus doux et que l'espérance augmente , l'amant fait quelques pas. Quand le consentement semble donner un véritable sauf-conduit, il allonge la main et se permet une caresse que quel- ques naturalistes allemands ont pris pour une jouissance , mais qui n'est encore qu'un prépara tif ou un préliminaire, après lequel, lors- que le cœur de la dame est tout à fait ému ,-l'union fort courte de ces amours timides d'une part , sauvages de l'autre, est suivie de la fuite du mâle qui ne la précipite pas sans raison, — Ce ne son t point là dû tout les fraternelles araignées des rives de l'Amazone. C'est la misère extrême, mère du soupçon et de la férocité, comparée*à la richesse sans inquiétude et sans souci,'"disposant à la bienveillance. (29): mile architecture , très-supérieure pour la grâce et la commo- dité aux retraites que se font , aussi sur les arbres , les nègres indigènes de File de Luçon , et même aux wighvams des sau- vages américains. — Ce sont des écureuils d'esprit , inventeurs d'une science que Vinslinct n'a point encore apprise à leurs semblables , mais que l'exemple qu'ils donnent et l'imitation qui en sera la suite rendront plus générale. Nous les tenons dans le cours de leurs progrès. — Ce qu'ils savent bien tous , est l'art de tourner autour de l'arbre à mesure que l'homme avance, de sorte que le tronc soit toujours entre eux et lui , et tellement que dans une forêt pltfFHë'd'écureuils , on peut se promener long-tems sans en voir un1,'sûr-tout si l'on a tiré. Tous sont excellens pères et approvisionnent abondamment leurs femelles et leurs petits. Ils sont braves : quand la famille est obligée de fuir, le père couvre la retraite , et s'expose souvent pour l'assurer. —Aussi tue-t-on beaucoup plus de mâles que de femelles. — Plusieurs personnes peuvent se rap- peler d'avoir vu abattre le parc de Versailles en 1785. Il était peuplé d'une multitude d'écureuils, dont à peine on soupçonnait l'existence. Leur désolation fut affreuse. Les mères couraient éplorées de côté et d'autre , à travers les arbres renversés , leurs enfans dans les bras , ne sachant où les cacher. Les mâles bordaient l'abattis , se précipitant du côté où paraissaient les curieux , disant avec les grimaces et les gromellemens du singe aux humains , ou aux inhumains , qui s'amusaient de leur mal- heur , toutes les injures imaginables : dernière ressource du courage des opprimés. La perdrix du New-Jersey , jolie petite espèce , appuie dans son pays natal , sur deux racines un peu saillantes , un appentis de,bois et de fourrage qui souiient la neige , et sous lequel elle se retire avec sa famille , chacun contribuant de sa faible cha- leur à la consolation commune. —' Ses sœurs apportées à Ram- bouillet , où le climat est moins sévère , où la neiçe n'est ni épaisse , ni opiniâtre , négligent cette industrie : quoique de la même race , elles montrent moins d'esprit , parce qu'elles ont moins besoin de le développer. Le coq1, en vivant dans nos basses-cours , a fait bien pis, 3 ( 3o ) Il a perdu ses plus aimables vertus et une partie de son cou- rage. — Nous tuons les sept-huitièmes de ses enfans mâles ou nous les traitons plus cruellement encore pour les manger ensuite un peu plus gras» Nous lui préparons et lui entretenons ainsi un serrail de femelles. II n'accorde plus à chacune d'elles qu'une légère , fastueuse et hautaine attention. Il oublie l'ab- sente lorsqu'elle couve , s'amusant avec celles qui restent dé- vouées à ses plaisirs. Les poussins qui paraissent ensuile sont pour lui des inconnus. Il n'y prend aucun intérêt, et la mère seule les protège. Ce n'est plus un généreux ef hardi Gaulois, Oallus hellator , ni un citqyen français défendant au son de l'Hymne de Marseille sa . -compagne et ses fis. Nous l'avons changé en un Sultan d'Asie, égoïste et jaloux , qui ne combat que contre ses rivaux pour ses odaliques ou pour un sot point d'honneur. — Tel n'était pas le coq de la nature; tel n'est pas celui qui peut vivre en liberté. — Comme chez la perdrix , la gélinotte, le tétras et les autres gallinacées , le nombre des mâles et des femelles est à peu près égal dans son espèce , et il s'apparie. Alors le coq prend soin de son épouse et la nourrit pendant la couvaison. Il concourt avec elle à l'édu- cation des poulets, et qui les attaque éprouve à l'instant que la nature l'a pourvu de deux bonnes épées , outre l'arme com- mune à tous les oiseaux. — Voilà le coq que DIEU avait fait , que le célèbre Vaillant a retrouvé ou plutôt refait en Afrique , et qui réprimait si vertement les entreprises du singe sur les œufs de sa compagne. — Par quel art Vaillant est-il parvenu , sans y songer , et même sans en avoir fait la remarque , à cons- tater le véritable type du coq ? En le rappellant à son état primitif , en ne lui donnant qu'une seule poule. — Voulez vous savoir jusqu'où peuvent aller les vertus d'une espèce ? ayez des mâles doués de tempérament et que chacun d'eux n'ait qu'une femelle. Cette position sage et fortunée rend le besoin de plaire si pressant et le sentiment si affectueux , elle établit si bien l'unité d'intérêt , que l'esprit est toujours occupé avec attrait , que tous les talens s% déploient , qu'ils se tournent tous- à bien faire , à resserrer de si doux nœuds , à en choyer les heureux fruits. Et la surabondance d'une force qui n'est jamais ( 3r ) épuisée soutient le courage pour les travaux journaliers, l'élève si les combats deviennent nécessaires. Le profond amour et la moralité vigoureuse n'existent qu'en ménage. — Voyez pour le bonheur, pour la santé, pour la raison , pour tous les vrais et vifs et nobles plaisirs , la différence d'un berger suisse ou d'un fermier américain , père et roi dans sa maison , avec ces jeunes gens des grandes villes qui , traîtres à l'amour et à l'amitié , séduisent et trompent des femmes nées pour être ho-n- nêtes; ou qui, moins coupables peut-être , mais plus vils en- core, achettent â prix d'or l'indifférence et la vieillesse.—Voyez combien sont plats , froids et de mauvais goût les romans du petit Crébillon , dignes du tems où le crayon faux et le coloris plus faux de Boucher perdaient notre école et dégradaient la peinture. Comparez-les aux poèmes de Richardson et des bons romanciers anglais , ou seulement à ceux de l'abbé Prévôt. Et quand vous pouvez être coqs et hommes naturels , rougissez de devenir coqs et hommes dépravés. On ferait l'histoire de tous les animaux -, depuis le Dail , enfermé dans la roche qu'il ronge , jusqu'à l'homme , sans trou- ver aucune action qui ne fût l'effet d'une intelligence expéri- mentale et expérimentée. Dans toutes les espèces la nature des besoins excite la réflexion; et celle-ci, d'après les circonstances , détermine à une conduite ou à une autre. Rien ne se fait sans raisonnement. Ce qui nous empêche rje comprendre les raisonnemens de la pluspart des animaux est la peine que nous avons à nous mettre à leur place; peine qui tient principalement aux pré- jugés par lesquels nous les avons avilis plus qu'ils ne méritent de l'être , et avons exagéré notre importance. Mais quand nous avons acquis la conviction eue les animaux qui nous sont inférieurs sont néanmoins des êtres intelligens , et que par cela même qu'ils n'ont à exercer leur intelligence que aurun moindre .nombre d'idées et d'intérêts , ils y portent une attention plus durable et plus répétée , en sont plus - fortement frappés , les repassent plus souvent dans leur mémoire; quand, revenant ensuite sur nous-mêmes , nous réfléchissons à ce qu'éprouverait notre intelligence avec des organes semblables , dans des cir- ( 3a ) constances pareilles , nous pouvons , d'après leurs sensations de la même nature que les nôtres , et leurs conclusions con- formes à notre logique, découvrir la chaîne de leurs pensées: nous pouvons reconnaître la suite de souvenirs , de notions , d'inductions qui mène de leurs perceptions à leurs œuvres. Alors ce qui paraissait incompréhensible s'explique aisément. Nous ne sommes plus obligés de supposer des machines qui se conduiraient comme des intelligences , ou des intelligences qui pourraient savoir ce qu'elles n'apuraient point appris, ou une intervention directe de la Divinité dans les actions des moin- dres insectes. Nous voyons le monde intelligent agir suivant les principes communs à toutes les intelligences ; de même que le monde mécanique obéit aux lois uniformes de la mécanique , de la statique , de la dynamique, de l'impulsion, de la gravi- tation , des affinités électives. , On nous demande si ce n'est point par les lumières d'un instinct irraisonné que chez tous les animaux les sexes se re- connaissent et s'unissent. Nous répondons que la puberté leur donnant comme à nous , qui sommes d'antres animaux , des sensations nouvelles, il est tout simple qu'il en résulte de leur part comme de la nôtre de nouvelles observations ; et que ces observations mêlées d'attrait sur des rapports et des différences qui deviennent d'un grand intérêt, la curiosité qu'elles excitent, les tentatives , les expériences , les efforts qu'elles entraînent , amènent celte union qui est sans contredit le plus doux bienfait du Ciel , et d'autant plus doux qu'en raison de ce que les animaux sont plus parfaits , tant comme espèce que dans leur espèce , il est pour eux l'effet d'une intelligence plus développée, ou même plus religieusement reconnaissante. On nous demande comment les oiseaux apprennent à faire un nid, et chaque espèce un nid qui , malgré de légères diffé- rences , est cependant semblable en général aux autres nids des oiseaux de la même espèce ? Nous avons vu par l'exemple des corbeaux de Newcastle quelles singulières exceptions cette res- semblance peut comporter. Mais en convenant qu'il est vrai que les nids des oiseaux de chaque espèce ont ordinairement beaucoup de rapports , nous en trouvons une raison bien na- C ">5 ) turelle. Depuis des milliers de siècles , il n'y a pas eu d'oiseaux nicheurs qui soient nés ailleurs que dans un nid , et qui ne l'aient eu pour habitation pendant un long période de leur vie. Ils n'en sortent ordinairement qu'à un âge qui, relativement à l'é- tendue de leurs facultés et à la durée ordinaire de leur exis- tence , répond à peu près à l'époque de développement que nos enfans atteignent vers leur sixième année. Est-il un de nos enfans , est-il un de nous qui , ayant vécu jusqu'à six ou sept ans dans la maison paternelle , n'ait pas conservé une idée fort nette de la chambre de sa mère, n'en pût donner une bonne description , n'arrangeât la sienne à peu près de même , s'il en était besoin , et n'y prît quelque plaisir ? Nos idées étant beau- coup plus multipliées , nous avons pourtant eu une multitude de distractions dont les animaux ne sont pas susceptibles. Leur mémoire est plus exacte que la nôtre , plus facilement avertie. Un cheval est si sensible au plaisir que lui ont causé un bois- seau d'avoine et de la litière, qu'il se souvient au bout de plu- sieurs années de l'auberge où il n'a couché qu'une seule nuit, la reconnaît, la salue quelquefois d'un hennissement, s'arrête de lui-même à la porte. On insiste , et convenant qu'un oiseau sorti d'un nid peut en avoir gardé quelque idée, on veut que nous expliquions comment une femelle d'oiseau éclose sans nid , par une cha- leur artificielle, fera néanmoins un nid , et du même genre que celui de sa mère et de son aïeule qu'elle n'a jamais connues; comment elle le fait, même retenue loin de toute communi- cation avec les autres oiseau», son mâle excepté? On veut qu'elle sache par révélation, ou par instinct ce qui serait la même chose , qu'elle va pondre , et de quelle manière doit être construite la première habitation de ses enfans. Nous répondons qu'il ne faut pas imaginer ces inconcevables merveilles ; que DIEU a fait des loix admirables dont les plus admirables sont celles de l'intelligence , et qu'il ne fait point de miracles pour des chardonnerets , ni pour nous qui ne va- lons guères davantage ; qu'il n'a pas assez peu de puissance et de prévoyance pour être réduit à intervenir ainsi directe- ment dans les affaires de tant de petites familles. C 34 ) L'oiseau femelle mis , non par la nature , mais par Tart et la tyrannie des hommes , dans la même position où aura pu être la première femelle d'oiseau , éprouve, comme toutes les femelles en gestation , de la fatigue , une sorte de maladie. Cette maladie , qui pèse sur les extrémités inférieures, porte la femelle à s'accroupir •: ce qui est nécessaire aussi chez les oiseaux pour que l'œuf ne se brise pas , et chez les mammi- fères pour que le petit ne fasse pas une chute lors de l'ac- couchement. La forme du sternum des oiseaux , en quille de navire , qui est indispensable pour l'équilibre de leur vol, leur rendrait l'attitude accroupie très-pénible, leur excorierait la poi- trine s'ils la reposaient sur un corps dur. Ils sont donc invités par les premières atteintes de cette incommodité â s'environner de corps mous qui la rendent supportable , et qui se trouvant de bons conservateurs du calorique , si le calorique est une matière , ou de chaleur, si la chaleur n'est qu'un état, con- courent au succès de la couvaison. — Cette femelle , dans ses premières et innocentes amours , au milieu de ce paradis ter- restre , dont quelques douleurs commencent à calmer l'ivresse' physique , sans en détruire le charme moral , cherche un sou- lagement à cette douleur imprévue et le choisit bien , le com- bine ingénieusement. — Ce n'est pas un nid qu'elle construit en ce moment ; ce n'est encore quan lit (6). Elle le fait avec (6) Une Jeune Serine était en cage avec son jeune mâle : tous deux ignorant où leur bonheur devait les conduire. Leur maître , qui en savait davantage, avait suspendu le petit panier et fourni les pointes de jonc , la mousse, le crin , le coton , la laine qui pouvaient leur être nécessaires. Les deux amans garnissaient le panier, et le lit était déjà bien avancé: la femelle avait, à plusieurs reprises, essayé si elle s'y trouverait à son aise. On perfectionnait. Mais l'ingénue ne' savait pas qu'elle allait pondre. En se pro- menant au bas de sa cabane, la douleur la saisit , elle s'accroupit et pose son premier œuf. — Grand étonnement, grand plaisir» grand embarras , grande inquiétude dans le petit ménage. La mère ne voulait point quitter l'œuf. Nous verrons dans un moment quelle sensation de tendresse, de volupté , de soulagement ( 35 ) les matériaux qui sont le plus à sa portée : si c'est un oiseau de n'vage , avec du mortier, ou des roseaux , ou des joncs; si c'est un oiseau des bois ou des champs , avec de petites branches desséchées , des herbes fanées et de la mousse. Tous le tapissent avec la dépouille des plantes cotoneuses , ou la laine , ou le poil des quadrupèdes , et avec des plumes , soit trouvées , dont la mue couvre tous les ans les campagnes , soit arrachées de leur propre sein. Elles emploient et disposent ces diverses matières, selon leur plus grande commodité , dans les formes qui leur conviennent le mieux ; et de là vient que les espèces étant différemment modelées , le lit ou nid doit être approprié à chaque espèce , à peu près sur le même plan pour toute l'espèce , sans autre instruction que ceile du besoin qui lui est particulier. — Quand la femelle est d'une espèce qui s'apparie , ce qui a été donné à presque tous les oiseaux, son époux l'aide avec le zèle et la tendresse d'un ami , d'un amant : ce sont trois qualités sans la réunion desquelles il n'y a de bonheur vif et pur pour aucun animal. Après l'expérience ou l'exemple la jeune amie sait mieux lui rendait utile et agréable de ne s'en pas séparer,—Et cependant le plancher de la cage lui était fort incommode. Le mâle vole au panier, et en apporte à la hâte, en gros lam- beaux, à voyages précipités, le plus qu'il peut de matériaux qu'il dépose autour de l'œuf. La femelle sent le prix du service, re- mercie son ami et l'imite. Tous deux alternativement glissent sous l'œuf de la mousse , du coton , des plumes; l'un poussant le petit globe d'un côté, tandis que l'autre arrange le matelas sur lequel on le repousse doucement, on achève de défaire le premier lit avec une grande rapidité , et Ton construit le nid à la place où se trouvait l'œuf. Ou y achève la ponte et la couvée. Voilà des oiseaux bocagers , destinés par la nature à nicher au point de départ commun de trois ou quatre petites branches , d'a- bord conduits par leur esclavage à se servir d'un panier, puis dé- terminés par la circonstance à prendre un parti tout différent, et nichant à terre comme des Alouettes , des Cailles ou des Perdrix , non sans avoir employé le double de matériaux et fait un mur circulaire très-élevé de mousse et de jonc , pour retrouver le point d'appui et la courbure que le panier ne donnait plus. ( 36 ) ce qu'elle fait et y déploie une habileté plus grande. Le sen- timent de la maternité , celui même de la paternité, qui chez les mâles n'est d'abord que l'amitié pour la mère , se joignent aux autres motifs , donnent une intention de plus au travail , mêlent des plaisirs à la soufFrance. Mais , au commencement du monde , ce fut pour consoler sa compagne par les protes- tations d'un extrême amour , que le premier Rossignol com- posa et chanta cette belle chanson dont les principales idées et les plus doux sons ayant passé de face en race , nous fait à nous-mêmes une impression si vive (7) \ et le monde recom- (7) Tous les animaux gui ne vivent pas absolument solitaires ont un langage. Pour ceux qui. forment des sociétés politiques , comme les Cas- tors , les Rats musqués, les Abeilles, les Guêpes et les Fourmis? il est nécessaire que ce langage ait une assez grande étendue, puis- qu'il doit exprimer Beaucoup d'instructions , d'observations et d'ordres qui tiennent à la société constante et à la nature de leurs travaux d'arcbilecture et de fortification. Mais nous n'approchons pas assez des deux premières espèces pour nous initier dans leur langue , et nous n'avons pas l'oreille assez fine pour y parvenir avec les trois autres sur lesquelles on a seulement remarqué dans ces derniers tems , comme nous l'exposerons plus bas , que le geste et l'attouchement des antennes ajoutent ou suppléent beaucoup au langage oral. Les animaux qui ne se réunissent que dans leurs voyages, et ne gardent que des liaisons de bienveillance durant leurs séjours, ne peuvent avoir qu'une langue plus abrégée, parce qu'ils n'ont pas autant d'arts à exercer , ni par conséquent les idées relatives à ces arts. Mais ils ont cependant les mots indispensables pour leur discipline, inutiles aux animaux qui se bornent à vivre en ménage ou en famille. Et ceux-ci ont à se faire connaître des émotions ignorées de ceux qui ne s'apparient pas , ou ne soignent pas leurs petits. Outre le langage parlé, l'homme et la pluspart des oiseaux ont le cluxnU Cette énergique accentuation du discours , cette vive ex- pression du sentiment, tient aux rapports entre les organes de la génération et ceux de la voix, à la surabondance de l'amour. Seul entre les mammifères, l'homme est propre en toute saison à cette félicité suprême. Et quoique moins heureux en ce point, les oiseaux ( 37 ) mence pour un pauvre animal auquel on a ravi les traces qui pouvaient lier son intelligence à celle de ses parens. ne peuvent trouver la force énorme des muscles de leurs ailes qui élève et soutient leur corps en état de natation ,au sein d'un fluide aussi léger que l'air, que dans un excès de vie dont les élémens donnent à leurs amours une extrême ardeur. En pareil cas il ne suffit pas d'aimer , il faut chanter sa flâme , il faut ajouter à la pensée même par les intonations et par le rythme. C'est ce qui fait nos poètes et ce qui rend nos oiseaux musiciens. Le Coq parle la langue de ses Poules, et la parle comme elles; mais de plus qu'elles il se vante en chantant du pouvoir qu'il a de renouveller les preuves de sa tendresse. Il chante sa vaillance et sa gloire. Le Chardonneret, la Linotte , ïa Fauvette chantent leurs amours. Le Pinçon chante son amour et son amour-propre. Le Serin son amour et son talent réel. Le maie Alouette chante un hymne sur les beautés de ïa na- ture, et la vigueur avec laquelle il fend les airs et s'élève aux yeux de sa femelle qui l'admire. L'Hirondelle ,toute tendresse et toute affection , chante rarement seule ; mais en duo , en trio , en quatuor, en sextuor, en autant de parties qu'il y a de membres dans la famille. Sa gamme n'a que peu d'étendue, et pourtant son petit concert est plein de dou- ceur et de charme. Le Rossignol a trois chansons. Celle de l'amour suppliant, d'abord langoureuse, puis mêlée d'accens d'impatience très-vifs, qui se terminent par des sons filés, respectueux , qui vont au cœur. Dans cette chanson la femelle fait sa partie en interrompant le couplet par des non très-doux, auxquels succède un oui timide et plein d'expression. Elle fuit alors : mais se cupit ante videri. Les deux amans vol- tigent de branche en branche. Le mâle chante avec éclat très-peu de paroles rapides , coupées, suspendues par des poursuites qu'on prendrait pour de la colère : aimable colère! C'est sa seconde chanson à laquelle la femelle répond en des mots plus courts encore ami.,.* mon ami...., ah! mon ami! Que peut dire de mieux une femelle? Enfin l'on travaille au nid. C'est une affaire trop grande , on ne chante plus. Le dialogue continue; mais il n'est que parlé,et on? y dislingue à peine le sexe des interlocuteurs. (38 ) La maladie se termine par là ponte. Quel délicieux spec- tacle ! de petits corps ronds , brillans , polis , propres , n'ayant C'est après la ponte que perché sur une jeune branche toute voi- sine de celle qui porte sa famille, un peu au-dessus d'elle, battant la mesure par le petit balancement qu'il imprime au rarneau et quelquefois par un léger mouvement des ailes, il amuse ordinai- rement pendant la huit , félicite, loue son épouse et ses petits avec toutes les tendresses unies de l'amour conjugal et paternel. C'est cette chanson que j'ai tâché de traduire , et quoique ce soit trës-imparfaitement , si je parlais à la seconde Classe, je lui dirais de suite ce que j'en ai pu recueillir. Mais ici l'on est plus sérieux , on veut savoir la raison et les moyens de tout. On m'arrête donc, et l'on me demande « comment on peut apprendre des langues d'ani- » maux et parvenir à se former de leurs discours une idée qui en » approche? » Je répondrai que le premier pas pour y réussir était d'observer soigneusement les animaux; de remarquer que ceux qui profèrent des sons j attachent eux-mêmes et entre eux une signification; et que des cris originairement arrachés par des passions , puis recommen- cés en pareille circonstance, sont, par un mélange de la nature et de l'habitude, devenus l'expression constante des passions qui les ont fait naître. Lorsque l'on vit familièrement avec des animaux, pour peu que l'on soit susceptible d'attention, il est impossible de ne pas demeurer convaincu de cette vérité. Ces langues reconnues, comment les apprendre ? Comme nous ap- prenons celles des peuples sauvages, ou même de toute nation étran- gère dont nous n'avons pus le dictionnaire et dont nous ignorons la grammaire. — En écoulant le.son , nous le gravant dans la mé- moire , le reconnaissant lorsqu'il est répété , le discernant de ceux qui ont avec lui quelques rapports sans être exactement les mêmes , l'écrivant quand il est constaté, et à l'occasion de chaque son observant la chose avec laquelle il coïncide, le geste dont il est accompagné. Les animaux n'ont que très-peu de besoins et de passions. Ces besoins sont impérieux et ces passions vives. L'expression est donc assez marquée ; mais les idées sont peu nombreuses et le dictionnaire court; la grammaire plus que simple : -^-très-peu de noms , environ ]e double d'adjectifs, le verbe presque toujours sous-entendu; des 'interjections qui, comme l'a très-bien prouvé M. DE Tracy , sont en seul mot des phrases entières: aucune autre partie du discours. ( % ) point de rapport ave*c les autres émanations , parant le nid qu'elles auraient souillé , l'ornant de meubles dont rattouche- Ed comparaison de cela nous avons des langues {rès-riches, une multitude de manières d'exprimer les nuances de nos idées. Ce n'est donc pas nons qui devons être embarrassés pour traduire de l'animal én langue humaine. Ce qui est plus difficile à comprendre , est que les animaux traduisent nos langues si abondantes dans la leur si pauvre. Ils le font cependant; et sans cela comment notre Chien , notre Cheval, nos Oiseauxprivés obéiraient-ils à notre voix? Désirant que cette explication paraisse satisfaisante , je reviens à ce qu'il m'a été possible de comprendre de la chanson du Ros- signol. Mais je réclame votre indulgence, et si vous étiez des Rossignols, je l'invoquerais encore bien plus. Vous savez combien toute tra- duction affaiblit l'original. Je ne puis rendre que les paroles, et tout au plus saisir très-faiblement ce qu'en musique on appelle le motif. Oter à un Rossignol sa musique véritable, c'est lui faire un tort affreux. Imaginez l'abbé Desfontaines traduisant Virgile. — Cependant, ces paroles que je vais transcrire telles que me les ont dictées, les uns mieux , les autres plus mal ( car il y a Rossignols et Ressignols) t ceux auprès desquels j'ai vécu , il est possible qu'un jeune artiste, à côté de son épouse enceinte , attentif aux sons mé- lodieux du charmant oiseau , en écrive la musique et la fasse exé- cuter par le gosier flexible de son amie. Ceux qui auront pris cet amusement rentreront plus heureux à la maison , et je leur aurai donné un douce soirée. Chanson dû Rossignol pendant la couvaison. « Dors, dors , dors, dors, dors, dors , ma douce amie, » Amie, amie, » Si belle et si chérie: » Dors en aimant, x Dors en couvant, x Ma belle amie , » Nos jolis enfans; » No,s jolis, jolis, jolis , jolis, jolis, 9 Si jolis , si jolis , si jolis » Petits enfans. \ f Un petit silence. J ( 4o ) ment est un remède Contre le prurit inquiétant qui dure encore, —- Saint-Lambert observe que tous les corps arrondis et résis- ta Mon amie , » Ma belle amie, a> A l'amour, » A l'amour ils doivent la vie, » A tes soins, ils devront le jour. » Dors, dors, dors , dors , dors , dors , ma douce amie; » Auprès de toi veille l'amour, , » L'amour, » Auprès de toi veille l'amour. » Tel est l'esprit et le fonds des paroles de la chanson , qui selon la sensibilité de l'âme du chanteur , est sujette à beaucoup de varia- tions ; car il ne faut pas plus croire que tous les individus chantent exactement les mêmes couplets, qu'il ne faut croire qu'ils fassent précisément les mêmes actions. Ils ont le même sentiment et le ma- nifestent d'une manière qui n'est pas sans analogie :.voilà tout. Les différences échappent le plus souvent à nos observations impar- faites ou négligées. Un autre animal , même qui aurait autant d'es- prit que nous , mais dont l'espèce serait aussi éloignée de la nôtre , que nous le sommes des oiseaux , et qui ne saurait pas plus le fran- çais que nous ne pouvons savoir le rossignol , confondrait aisément Campistron et Racine. Il suffit à ces énormes distances, d'arriver à comprendre à peu près ce dont il est question , et je ne prétends à rien de plus dans les traductions que j'ai essayées de quelques discours ou dialogues d'animaux. Il y a des oiseaux qui chantent sans attacher beaucoup d'impor- tance aux paroles, pour le seul plaisir de produire et de répéter des sons harmonieux, comme font plusieurs de nos dames dans les ariettes italiennes dont elles embellissent nos concerts. Tel est 2e Perroquet qui cependant, à force de redire nosphrases et de remarquer avec quels gestes et quelles réponses nous les écou- tons, parvient à y attacher un sens. Sa propre langue n'a aucun rapport avec son caquet. Il en est de même du Moqueur d'Amérique ( Mocking Bird) véri- table espiègle qui abuse de la facilité de son organe pour attirer les autres oiseaux dont il imite le chant et le cri , et qui se divertit de leur méprise , qu'il siffle et raille avec ses compagnons dans son lan- gage naturel. * ' •> un tans donnent une impression de volupté, la mère s'y livre , elle s'arrange sur ses œufs , elle les couve avec délices 5 et si elle est à sa première porite , si elle a vécu solitaire , c'est sans sa- voir qu'elle aura une autre progéniture. II est si vrai qu'un prurit violent rend l'attouchement des œufs nécessaire à la couveuse et qu'elle en est soulagée, que nous voyons nos Poules chercher ce soulagement sur des morceaux de craie arrondis en forme d'œufs quand on les a privées de leurs ceufs véritables ; et que plusieurs de nos fermières , pour pro- longer la ponte de leurs Poules1, ont imaginé avec succès d:in- fliger artificiellement à des Chapons un prurit semblable à celui que les Poules ressentent pendant la couvaison , et les déter- minent ainsi à couver comme des Poules. — L'opération est très-cruelle et ne fait pas honneur à la moralité de ces fermières* Mais elle constate^deux faits importans pour les Zoologistes; la nature de la sensation qui porte les oiseaux à couver , et celle de l'attachement d'adoption dont plusieurs animaux sont sus- ceptibles : attachement qui perpétue les trois grandes familles des Abeilles , des Guêpes , et des Fourmis , mais qui n'est pas l'objet actuel de nos recherches et auquel nous ne négligerons pas de revenir. —Voici quel est cet abus de la cupidité et de la puissance humaine sur les Chapons , déjà si malheureux. Les femmes impitoyables qui se le permettentS&pluraent le ventre du ci-devant coq. Elles fouettent avec des orties la partie déplumée et placent ensuite l'animal infortuné , gémissant en- core d'un tel supplice , sur le nombre d'œufs qu'il peut cou- vrir. Il y reste parce que leur forme et leur polissure adoucis- sent un peu son mal. Il s'y affectionne à cause du bien qu'il en a ressenti , et parce que la douleur qui se prolonge lui rend la continuation du remède agréable et utile. Les Poussins éclo- sent et se serrent près de lui , car ils ont besoin de sa chaleur. Il est émerveillé de leur naissance, et touché de leur bienveil- lance , il la paye de la sienne; ce sont les premiers animaux de son espèce qui ne le méprisent pas , qui, au contraire , lui témoignent affection et respect, à qui sa protection puisse sem- bler avantageuse. 11 les soigne , les conduit, les appelle , leur distribue le grain répandu , les défend même contre le Chien, ( 4» ) aussi bien qu'une Poule pourrait le faire, — On voit que dan* toute cette aventure la honte est pour la fermière qu'une avidité que je crois mal entendue dégrade (8), et l'honneur pour le Chapon qui, malgré son malheur, parvient encore à être utile , à devenir aimable , à être aimé , à chérir quelqu'un. Ge que le Chapon fait pour appaiser une douleur affreuse , la Poule l'aurait fait d'elle-même pour en adoucir une moins amère, et de plus émue par un plaisir moral; car la Poule de basse-cour n'est pas ignorante comme l'oiseau tenu solitaire; elle a vu ses sœurs et leur intéressante famille , ce sont des poulets qu'elle veut couver ; et la preuve est qu'elle va placer une autre couvée dans les bois , si on ne lui laisse pas achever paisiblement celle qu'elle avait commencée à la maison; la preuve est encore qu'elle couve jusqu'à extinction , si les oeufs qu'on lui laisse ou qu'on lui donne n'ont pas été fécondés. Revenons, soit à la Poule elle-même , soit à tout autre oiseau femelle qu'on aurait fait éclore par art et privé de la société de ses semblables , même de celle de son mâle aussitôt après la fécondation , et qui n'ayant reçu aucune instruction ne couve que pour le plaisir qu'elle trouve à sentir ses œufs sous elle. — Il en sort des petits. Voyez sa surprise et sa joie. Elle re- connaît qu'ils ont un bec et des pattes , que ce sont des oiseaux comme ell^Ils vivent, ils remuent. Elle admire leurs gestes: « Mes petits sont mignons, » disent tous les oiseaux, et nous le disons comme eux. Us pous- sent des cris. Ils expriment des besoins. S'ils sont des espèces qui naissent sur les arbres et sans plumes , la mère , le père aussi, vont chercher de la pâture , et la broient et l'humectent pour les becs ouverts et supplians de la nichée. — Si ce sont des gallinacées qui nichent à terre, sont couverts d'un duvet , (8) Les Poules auxquelles on a refusé la couvaison, afin qu'elles pondent quelques œufs de plus, s'épuisent et périssent de phtisie. La fermière a perdu plus qu'elle n'a gagné. Son mari qui lui a vu le cœur si dur l'aime moins; ses enfans auxquels le déplumage et la fustigation du chapon ont fait verser des larmes t ont pour elle inoins de respect. ( 43 ) marchent en naissant , et ont les Fourmis, les vermisseaux pour premier aliment, les tendres parens apprennent aux petits à piquer la proie. On objecte que les gallinacées éclos au four piquent d'eux- mêmes sans avoir reçu d'exemple: cela est vrai jusqu'à un cer- tain point , mais ils ne piquent pas si bien , ni si juste que ceux qui sont guidés par leur mère. Ils ont besoin d'essayer leur bec, comme-nos enfans de faire la grimace; ils ont besoin comme eux aussi de répéter des aspirations et le font d:abord sans dis- cernement, quand l'instruction maternelle leur manque. Notre savant collègue Tenon a de plus observé qu'ils ont besoin de débarrasser la pointe de leur bec d'une petite couverture d'é- mail de la même nature que l'émail des dents , qui leur a été donnée pour les aider à percer la coquille de l'œuf, et qui doit tomber peu après leur naissance. Cette excellent naturaliste a remarqué que les œufs des gallinacées qui nichent et couvent à terre ont la coque plus dure et plus épaisse que ceux des oiseaux qui les placent plus loin du danger. Il faut au petit un plus grand effort pour rompre sa prison. Son bec d'une corne nou- velle , et tenue dans un état de mollesse par trente-deux degrés de chaleur , pourrait n'avoir pas^a force suffisante. La nature a pris soiti d'en armer la pointe avec ce petit éperon d'émail qui Femboite; mais qui n'est plus nécessaire dès que le Poussin a conquis sa liberté , et qui gênerait l'accroissement rapide du bec grossissant de moment en moment , dont l'extrémité se trouve serrée comme par un étui dans celte croûte peu flexible. L'animal pincé cherche donc à se délivrer de sa petite douleur, il frappe de côté et d'autre sous divers angles le point où il la ressent ; il pique la terre , et si c'est dans une chambre qu'on l'a placé, il pique même le carreau. Mais le besoin d'aspirer, commun à tous les nouveaux nés , n'est pas moins vif chez lui que chez les autres ; empiquant , il aspire. Si la mère le con- duit , elle le mène où ce qu'il aspirera pourra lui être utile ; et Texcite , le guide par de douxaccens. En même tems qu'il dé- livre son bec , l'expérieuce lui apprend à manger , comme elle apprend à nos enfans A téter. S'il n'a point de mère, il piquera indifféremment un caillou, un insecte >fou un grain de mil, ( 44 ) et îa méprise lui est souvent funeste. Les Poulets artificiellement, nés périssent presque tous; les uns de froid , les autres de faim , d'autres de déchirement d'entrailles, d'autres d'indigestion, s'ils ne sont promptement joints à des Poulets plus heureux, naturellement nés, et sous la tutelle d'une Poule. On ne supplée ni les leçons , ni les soins d'une mère; c'est à ces soins , â ces leçons , au petit caquetage qui les accompagne , à tout ce bon-/ heur de l'enfance que les jeunes oiseaux doivent un si doux souvenir de leur nid , et tant d'art dans la suite pour en re- faire un pareil. C'est ainsi qu'ils ont de tout tems embelli les bois , et que nos maisons voisines des eaux sont égayées par les hirondelles. — Gomment , pour étudier l'histoire naturelle , a-t-on été chercher prolem sine maire creatam f et des races dont il a fallu violer toutes les mœurs afin de se procurer quel- ques petits qui n'aient pas goûté les douceurs de la famille (9)? (9) Il est à peu près inutile de répondre à l'objection vulgaire tirée de l'empressement avec lequel les petits canards couvés par une poule, se jettent à l'eau dès qu'ils en rencontrent. — Ce n'est point par une connaissance intuitive du bien que l'eau pourra leur faire, mais par un attrait que leur cgpformation leur rend fort sensible. Nous avons remarqué au commencement de cet écrit que les dif- férons organes et les diverses appétences sont ce qui constitue et par- ticularise les races d'animaux: mais que des appétences, et les or- ganes qui leur sont propres ou les font naître , ne sont pas des idées ; que ce sont seulement des moyens d'en acquérir, selon l'u- sage que les appétences auront pu faire des organes , et en raison de la réflexion sur les sensations qui en seront résultées. Demander pourquoi le Canard se plonge dans l'eau , quoique couvé et conduit par une poule , ce serait demander pourquoi l'oi- seau vole après qu'on l'a fait éclore par la chaleur d'un four , tan- dis qu'il est soigné par des hommes qui ne s'élèvent pas comme lui dans les airs. — L'oiseau vole parce qu'il a des ailes; et que , dès qu'en les déployant et les agitant, elles lui ont fait quitter la terre, il trouve cette manière ds se transporter très-agréable et plus prompte que l'autre. Ce n'est qu'après avoir voleté , qu'il conçoit qu'il volera, et s'y exerce. Le Canard entre dans l'eau parce que la fraîcheur l'attire , et que la terre lui donne une sensation incom- mode d'aridité; et dès qu'il a vu qu'il flotte; il reste sur l'élément (45 ) Maïs il y a quelques races, en petit nombrê, dans lesquelles les mères et les enfans sont entièrement privés de communi- fluide et y nage, parce qu'il a les pieds palmés, parce qu'il est un bateau vivant tout gréé, parce qu'à terre il se traînait, et que sur la rivière, la mare ,ou l'étang, il parcourt de grandes distances en peu de t7ems sans effort. Le Phoque femelle se rend à terre et y met Bas ses petits, parce que lorsqu'ils sont prêts à naître, leur fardeau lui rend la nata- tion plus fatiguante; et qu'ayant commencé sa vie à terre, et y ayant été plusieurs fois conduit par ses parens, il n'a pour elle aucune répugnance. Elle lui devient même nécessaire après qu'il a fait un assez long séjour dans l'eau. Au printems , l'Aloze, le Saumon, l'Esturgeon remontent les ri- vières, tourmentés par un échauffement durant lequel l'eau douce leur convient mieux que l'eau salée. Ni l'un ni l'autre ne songent à la postérité qui va naître d'eux. Les amours des poissons sont presque aussi froids que ceux des plantes uni-sexuelles, et mêlés d'une odieuse voracité; la Raie seule y met un peu d'affection, et connaît les plaisirs d'une coopération volontaire. C'est -Je désir d'un air humide qui amène le Crabe de montagne au bord de la mer, où il abandonne ses œufs. Et c'est un autre besoin qui guide ensuite les petits, vers la montagne qu'ont habité leurs pères. Ces migrations , qui tiennent aussi à des vols pério- diques d'insectes , font acquérir à ces animaux voyageurs des idées, leur donnent des lumières, et ne sont nullement l'effet de la ■prê-science, de la science infuse, de l'espèce de révélation qu'on cru voir dans ce qu'on nommait Yinstinct. On dit encore qu'il faut bien que ce soit par instinct qu'un Ver-à-soie et beaucoup d'autres Chenilles font leur cocon , n'ayant rien vu de pareil.— Non pas, Messieurs : les Vers-à-soie et les autres Chenilles fileuses éprouvent vers la fin de leur existence , sous cette forme, une maladie qui les force d'émettre du fil. Elles en seraient très-embarrassées. Elles l'attachent le plus loin qu'elles peuvent d'elles - mêmes pour le dévider. Elles ne veulent que se soulager de cette émission forcée, et ne se doutent pas qu'elles filent, une coque. Mais les premiers fils posés, elles y sont em- prisonnées et ne peuvent plus dévider qu'en dedans. Elles le font tant que la clôture ne les empêche pas de se remuer. La matière (épuisée et la place manquant pour agir t elles s'endorment, puis 4 I («6) cations sociales , et où les premières cependant travaillent d'une manière efficace et savante à l'existence ,. à l'éducation des autres avec autant de soin que si elles avaient pu la prévoir. Il est intéressant d'étudier comment la chose peut avoir lieu. Cette étude nous mettra sur la voie d'un beau fait de zoolo- gie jusqu'à présent ignoré , qui explique de la manière la plus simple le travail de ces mères , et n'y laisse rien de merveil- leux; condition indispensable : car lorsqu'il s'agit des œuvres de la nature et de la haute sagesse qui en a dicté les loix, ce qu'on doit le plus éviter, est de supposer de la part de celle- ci aucune intervention surnaturelle. La plus surprenante au premier aspect de ces races singu- lières, est celle dé la Guêpe maçonne, qui creusé un trou cylin- drique au fond duquel elle dépose son œuf; place sur lui un petit ver qui, en se roulant, forme un anneau contenu par la circonférence du cylindre , et sur ce ver en met successive- ment dix à douze autres de la même espèce , puis bouche le trou avec du mortier.— L'œuf éclos , la larve mange les douze vers , s'endort ensuite en prenant la forme de Chrysalide , et se réveille Guêpe qui perce le mortier , et recommencera dans la suite une opération semblable pour un autre œuf. Au Paraguay , une guêpe beaucoup plus grosse fait précisé- ment la même chose , mais au lieu de vers, ce sont des arai- gnées dont elle forme la provision de son petit; le poison que son dard verse dans ces araignées en les poignardant, les em- baume et les préserve de la corruption. Comment , dit-on , ces Guêpes ont-elles pu prévoir l'espèce et la quantité de nourriture qu'il faudrait à leur enfant, à moins d'un instinct révélateur ? — La question paraît forte. Il ne faut pour la résoudre aucune autre supposition que sa réveillent pubères vis-à-vis du trou qui a servi d'axe au dévi- doir.— Le Papillon sort par cette ouverture Et à peine a-i-il eu le tcms de se reconnaître que > pressé par les aiguillons de l'amour, il s'y livre à peu près sans relâche avec une pnssion (elle qu'il meurt aussitôt que sa force ne peut pins suffire à en prolonger, à eu renouveller les plaisirs. Heureux ^animaux! ( 47 ) celte de la mémoire des circonstances , très-importantes pour l'insecte, qiii l'ont environné lorsqu'il était un simple ver % et que son sommeil de chrysalide n'a pu effacer. Que le Ver , la Chrysalide et la Mouche soient le même animal, cela est parfaitement démontré. Que la Chrysalide soit dans un état de sommeil , tel que l'assoupissement qui accompagne les grandes maladies , c'est ce dont nous ne pouvons douter davantage. Que le sommeil comateux , même des plus grandes maladies , ne détruise pas , lorsqu'il a complett-çment cessé , la mémoire des événemens antérieurs , c'est ce dont nous avons la preuve tous les jours et en nous-mêmes. Qu'un très-grand changement dans la figure n'anéantisse pas le souvenir des faits qui l'ont précédé et qui nous ont intéressé fortement ; cela est encore incontestable. Lorsque nous avons acquis cinq à six pieds de haut, de la barbe , du poil sur tout le corps , des formes carrées et trente-deux dents , nous ne|pressemblbns guères plus au petit bambin tout arrondi, cou- leur de rose et blanc , dont la taille n'excédait pas trente potices $ et à qui seize dents suffisaient pour manger tous les alimens qu'il pouvait désirer , nous ne lui ressemblons guères plus que la duêpe à sa larve , et nous avons été ce bambin. Nous ne l'avons point oublié. Nous raconterions , nous aimons à ra- conter nos jeux, nos courses, nos premiers travaux , nos petits combats; et comment notre père était logé , et combien étaient bons le lait, les confitures , les fruits , les gâteaux que nous avons dévorés* Les moindres détails nous en sont plus présens què ceux de ce que nous avons fait il y a dix années. Mais une Larve prisonnière dans un cylindre , qui pour ft* riger sa conduite a été forcée d'y observer une , deux , tr^is , jusqu'à douze araignées , ou autant de vers , et qui hs y a mangés l'un après l'autre , -qui s'y est endormie , qui j'y est f éveillée Mouche , qui sous ces deux formes a dû se promener dans Son souterrain et en mesurer les contours à l'échelle de son corps, sondant les parois , reconnaissant celle ^ui présente le moins dè résistance , la perçant par ses propres forces; qui s'iest essayée à forer ainsi la terre et le mortier , doit avoir l'âme ( 48 ) presque exclusivement remplie de ces idées , et sê retracer tou- jours ce période de sa vie , le seul où elle ait été dans l'abon- dance. Et si un moment d'amour IV distraite , lorsque la pas- sion est amortie , c'est le cher souterrain qui doit revenir à sa pensée; le seul travail qui puisse occuper son imagination est d'en construire et d'en approvisionner un pareil. Voyez nos en- fans bâtir de petites maisons , ils en ont bien moins de motifs. La Guêpe maçonne , n'a presque jamais songé à autre chose» •Elle ne sait que cela. Quand elle a creusé son trou , la fatigue même peut et doit vraisemblablement hâter, fixer le terme de sa gestation; elle pose son œuf , et il y a beaucoup d'apparence qu'elle ignore que c'est un œuf qu'elle a posé. Mais il faut parachever l'édifice ; c'est sa douce chimère , c'est le projet favori de son intelligence.^ Elle vole , elle cherche le ver ou l'araignée avec qui elle fit dans son enfance une connaissance qui lui fut si douce et pour eux si funeste. Elle en trouve de la même espèce; elle s'en empare et les emprisonne 5 puis^sa tâche accomplie , elle meurt de lassitude et d'ennui , comme tous les autres animaux. — Cela suffit à l'emploi de sa vie , et cela est conforme à la vie des autres êtres intelligens , à la façon dont ils acquièrent des connaissances , et dont ils en font usage. Pour ces ingénieux développemens de son esprit et de ses facultés , elle n'a pas besoin , ce qui répugnerait à la nature, de savoir quelque chose sans l'avoir appris, ou ce qui répugnerait encore plus à la raison , d'avoir un ange, et plus qu'un ange qui lui parle à l'oreille. Mais cette Guêpe était un être intelligent et mémoratif , elle a observé quelques faits qui lui ont procuré de grandes jouissances; elle a eu le tems de réfléchir sur eux ; et d'après l'instruction qu'elle en a tirée elle s^est amusée à les imiter. -—Son travail nous fait connaître, ou du moins nous indique avec un degré d'apparence qui tient de la ceïtitude , que les insectes à trois formes conservent la mémoire de leur jeunesse qui fut une longue , chez quelques- uns la plus longue partie de leur vie.— L'état de Chrysalide est leur passage à la puberté. — La nôtre aussi se manifeste à la suite d'un sommeil qui, en nous mettant à portée de goûter (49 ) lin àutre'lâonheur , ne nous fait pas oublier le tems paisible et doux qui le précéda. — Cette observation curieuse ne s'écarte point des analogies de la nature. — Si l'Abeille se rappelle d'avoir été ver , et quand elle était sous cette forme d'avoir été secourue par une soigneuse nourrice , la tendre affection qu'elle prend à son tour étant devenue mouche pour le ver indigent qu'elle retrouve dans l'état par lequel elle a passé, n'est que l'acquit d'une dette contractée par une âme sensible, non ignara foàli. Rien n'est plus naturel. Reconnaître «qu'un animal dans son âge mûr peut conserver et conserve ordinairement la mémoire de ce qui lui a fait une grande impression dans sa jeunesse , ce dont nous avons l'ex- périence par nous-mêmes et sur tous les animaux avec qui nous pouvons communiquer plus intimement qu'avec les insectes; penser qu'il n'y a point de raison pour qu'il en soit autrement de ceux-ci; c'est remarquer sinplement à quel point la nature est uniforme dans ses loix. Il n'y a rien là-dedans que de raisonnable; et c'est un grand caractère de toute vérité. * Ce -caractère auguste manque aux hypothèses par lesquelles on voudrait expliquer autrement les faits qui donnent lieu à c~ette observation. Supposer que des animaux inférieurs à l'homme aient plus d^habileté que lui , et une autre sorte d'habileté , ce serait sup- poser deux ordres différens de loix naturelles dans l'animation et l'intelligence; ce serait imaginer entre elles un rapport in- verse de celui qu'elles doivent avoir; car comment et pourquoi le moindre âpprocherait-il de la perfection plus que le supé- rieur ? Cela répugne au bon sens* Ne voir que des machines en des êtres nos pareils à mille égards , doués comme, nous de sensations , de mémoire , de jugement , de volonté , dont nous sommes forcés d'admirer l'intelligence et les raisonnemens ; ce serait une absurdité corn- "plette. La raison , la vérité doivent être et sont dans le milieu entre -Ces deux hypothèses erronées. -11 est vrai que les animaux exécutent avec tant dé justesse f 5o ) le nombre borné-des arts qu'ils sont à portée de bien apprendre, et nous-mêmes avec tant de vivacité les mouvemens que nous avons eu à répéter souvent, . qu'en y trouvant une régularité comparable à celle des machines, on a pu se laisser conduire à les regarder comme mécaniques , ou selon l'expression em- ployée dans ces derniers tems comme instinctives ; aussi eu nous déclarant raisonnables., on disait que néanmoins nous n'étions pas dénués à'instinct, dans le sens de motif involontaire , et ce» pendant éclairé , de plusieurs actions utiles , que l'on croyait le partage des bêtes: il était -possible qu'on s'y trompât: de grands physiciens s'y sont trompés. — Pour quelques actions de l'homme et des autres animaux , le raisonnement est fait et conclu avec une . telle promptitude que celui même dont l'intelligence le conçoit et l'accomplit , n'a pas le tems de s'en, appercevoir r et qu*il est très-pardonnable aux autres de croire l'action irraisonnée. Il en est comme d'une roue qxii tourne ai rapidement qu'on n'en voie plus les. rayons ; ce qui ne dé- truit pas l'évidente nécessité que les jantes soient liées au moyeu par quelque chose. Nous avons trouvé , dans l'art de lire , un exemple de ces. raisonnemens nécessaires et sous-entendus. Un corps étranger passe près de notre œil: nous le fermons subitement; et nous ne remarquons pas que c'est par une juste appréhension de notre âme qui en pareil cas s'est exercée dès. notre première enfance à prendre la précaution que renferme ce geste , qu'il faut ranger â la suite des autres phénomènes dépendans de la vision. — Avant qu'ils soient accoutumés à\ voir , l'enfant et l'aveugle - né qu'on vient de guérir , ont le regard fixe et la prunelle presque immobile. Leur œil ne sait pas encore avertir leur âme et s'avertir par elle» Mais si nous voulons suivre tontes,les gradations, de-cette; çspèce de raisonnement trop inapperçu f et des actions qu'il dirige, prenons d'autres exemples dans lesquels l'enchaînement des idées clair et incontestable amène la conclusion avec une inexprimable rapidité , et où loin que là moiudre chose soit ou puisse paraître la conséquence d'un instinct naturel , rien n'est applicable, qu'à des cas. absolument contre nature % ne l'est; ( 5, ) même qué pour quelques individus, après une étude particulière faite dans un âge déjà raisonnable et dont on peut considérer le perfectionnement à toutes les époques. Avant de devenir Claveciniste , une jeune personne a com- mencé par distinguer avec peine les notes , et par les toucher lentement, timidement, d'une seule main sur le clavier, quand elle les a eu reconnues. Plus savante et plus hardie , elle em- ploie ensuite les deux mains selon l'instruction que ses yeux se sont habitués à recevoir du papier qui est devant elle. Elle sait alors prendre et communiquer la notion de deux pensées à peu près en même tems. Enfin elle devient capable de lire presque au même moment et d'exprimer à la fois cinq discours en. deux langues; celle des paroles qu'elle prononce , et celle de la musique qui lui offre quatre ordres de pensées , l'air qu'elle chante , le dessus de l'accompagnement que touche sa main droite, la basse de ce même accompagnement que rend sa main gauche , et les points d'orgue que donnent les pédales mues par son pied. — Cela est plus fort que César qui dictait à quatre secrétaires, et que nous admirons en essayant de dicter â trois. Est ce par instinct que cette aimable demoiselle de quatorze à quinze ans se montre , dans cet exercice de son esprit et de ses organes, supérieure à ce que nos barbes grises peuvent obtenir de notre intelligence appliquée aux choses que nous savons le mieux? Point du tout. — Elle n'aurait jamais su connaître une note ni poser les doigts sur un instrument, sans une longue suite de leçons que nous lui avons vu prendre. — Ces leçons lui ont fait; acquérir une science réelle dans laquelle elle est de- venue si habile , qu'elle en suit les préceptes sans qu'ils ab- sorbent même les forces de sa faculté d'observer et de con- clure ; car ordinairement, tout en nous faisant admirer tant de* beaux sons , elle songe à ceux qui l'écoutent, et quelquefois plus particulièrement à l'un d'eux. — Elle savoure leurs ap- plaudiss,emens» — C'est bien autre chose qu'un quadrige à mener: il y a sept pensées de front. Pas une ne trouble F autre11 son aUçuti.on n'est point disiraite \ elle ne se trompe \ ( 5a ) ) m dans les paroles qu'elle doit dire , ni sur nitcune des quatre ilotes qu'elle exécute. Elle tourne ou fait tourner le feuillet pour ne les pas perdre de vue. Et le livre nouveau , le livre inconnu qu'on lui présente , qu'elle n'avait jamais ouvert, est obéi comme celui auquel elle était accoutumée , dônt elle avait les paroles et les airs dans la mémoire. Il n'y a rien là-dedans d'inné , d'inspiré , de fait sans savoir pourquoi. Tout est connaissance spéciale , approfondie, par- faite , devenue très- familière . par l'exercice d'un travail mille fois répété. Voici un autre exemple de la même nature qui ne sera pas moins démonstratif, et dont plusieurs d'entre nous ont fait eux- mêmes l'expérience. Un jeune homme apprend l'escrime , et quoiqu'il mette uri grand intérêt, un grand amour-propre à n'être point touché , il n'a d'abord aucunement Vinstinct de la parade: tous les coups qu'on lui porte passent sans difficulté. Il faut lui expliquer long-tems et doucement la manière dont ees coups sont dirigés , et les mouvemens qu'il doit donner à son poignet pour se préserver de leur atteinte. Il faut que le inaître guide à plusieurs ^reprises l'intelligence , la main , le fleuret de l'écolier. Au bout de quelques mois , celui-ci parvient à raisonner sa conduite , à tenter de lui-même les parades indiquées , à en exécuter quelques-unes. — Mais en général c'est avec trop de lenteur.— Sa perception n'a point encore acquis la netteté nécessaire pour éviter toute méprise , et quand il ne se mé- prend pas, pour décider assez promptement sa volonté; ni celle-ci un empire assez rapide sur les organes qu'il doit em- ployer, pour s'en faire obéir assez tôt. Lorsqu'il s'est exercé trois ou quatre années avec une ap- plication soutenue, il finit par savoir avec tant de justesse re* Connaître les diverses attaques dont il peut être l'objet , que chacune d'elles rencontre dans son fer un obstacle invincible. Ce^n'ôst point par instinct qu'il pare alors avec une pres- tesse surprenante ; ce n'est que par une observation très-atten- tive, et un raisonnement très exact, qu'il peut juger dans les yeux (55) ou au plus léger mouvement de son adversaire, s'il y a feinte ou non , et quelle sera la détermination de l'assaillant. La preuve évidente de la parfaite logique de celui qui se tient avec succès sur la défensive est ce succès lui-même. S'il tombait dans la moindre erreur, sa parade serait fausse et inefficace. Un clin-d'œil cependant, moins d'un clin-d'œil, a suffi pour l'observation, pour la conception , pour le raisonnement, pour la conclusion, pour la formation de la volonté; puis pour le se- cond raisonnement par lequel celle-ci détermine , commande et opère le mouvement préservateur qu'il fallait faire , êt qui se trouve fait. — Toutes ces opérations de l'intelligence sont tel- lement instantanées , quoique non simultanées , que , démon- trées à l'esprit par leur ensemble et par leurs conséquences , chacune d'elles lui échappe par sa vélocité. Apprenons donc à ne pas méconnaître la raison quand elle va vite : c'est en cela même qu'elle est plus admirable; et cessons d'attribuer à une mécanique aveugle., ou à des inspira- tions surnaturelles , le fruit si visible de l'intelligence perfec- tionnée par son propre travail et par les habitudes qu'il lui a fait contracter. Résumons-nous en peu de mots. Tous les êtres sensibles ont reçu de la nature une organisa- tion qui différencie leurs espèces , et dans chaque espèce des dispositions qui distinguent les individus. Cette organisation, ces dispositions rendent ceux qui en sont doués susceptibles de certains attraits , propres à de certains travaux: nul ne peut atteindre aux connaissances dont il n'au- rait pas les organes. Mais à quelque point que les dispositions puissent être heu- reuses , si l'occasion de les employer manque , si l'expérience et le travail pour les développer n'ont pas lieu , elles demeu- rent comme des germes étouffés. Il n'en peut résulter aucune idée , partant aucune lumière , panant aucun progrès.' Il y a certainement eu plusieurs Homères , et plusieurs Newtons; c'est-à-dire plusieurs hommes qui auraient été capables d'égaler l'un on l'autre, si des circonstances semblables leur eussent fourni les moyens de déployer toute l'étendue de leurs ( 54 ) dispositions naturelles, et1 qui sont morts inconnus d'eux- mêmes , ignorant leur propre- génie. Si ces hommes , qui dans une autre position auraient pu s'é* lèvera une .si émihente gloire, n'ont rien su faute d'avoir rien appris , ou n'ont su êt imaginé que fort peu de chose faute d'avoir été plus à portée d'apprendre , comment des êtres d^un ordre très-inférieur sauraient-ils «quoique ce soit par infusion ou en naissant? Ne méprisons point les autres animaux , ils sont aussi deâ intelligences. Ne les élevons pas au-dessus de nous. Observons et travaillons; puisque l'observation et le travail étendent l'esprit, fortifient le jugement. . Aidons nos frères à observer et à travailler. Simplifions et améliorons pour eux les méthodes d'enseignement, afin qu'il arrive plus d'idées à leur intelligence. Ils en seront plus éclairés, ils connaîtront mieux leurs devoirs, ils respecteront davantage la justice ; leurs efforts produiront plus de choses utiles; il y aura plus de moyeus d'exercer la bonté; et le bonheur général s'accroîtra en proportion'de ce que les conseils donnés par la raison , devenant d'un usage plus commun, plus familier , plus habituel, seront plus souvent suivis sans effort, et passeront sur un plus grand nombre de points pour l'effet d'un instinct irré- sistible. — C'est ce qui est arrivé à tous ces raisonnemens dont les conséquences ont porté jusqu'à ce jour le nom d'instinct: nom très-bon à conserver sans doute , mais seulement pour exprimer raison instantanée , et dont il faut écarter les idées vulgaires de machinal , d'inné , dinspiré , qui ne seraient con- formes ni à la dignité du MAITRE du monde , ni à la moralité dont sa bienfaisante sagesse a doué, les intelligences. D. P. d. N. Ce Mémoire n'étant qu'une note destinée pour la quatrième édi- tion de la Philosophie de l'Univers, l'Auteur n'a pas cru devoir y rappeller un grand nombre d'autres faits d'histoire naturelle qui concourent tous à établir les mêmes vérités, et qui ont trouvé leur place dans l'ouvrage principal. La Philosophie de /'Univers se trouve rue Taranne , librairie de G-oujokJils , au Bureau du Manuel forestier. 14 Janvier 1872 année. M. Paul Janet, bien qu'il ne fût que de deuxième année, obtint de M. Yacherot, alors directeur de l'école, la permission de sui- vre son cours. En même temps qu'il se vouait à l'enseigner ,— cnt familier de ceux qui bientôt allaient en- seigner à leur tour, M.- Jules Simon déployait ailleurs, c'est-à-dire dans la chaire de M. Cou- sin, d'autres qualités. Il analysait les doctrines de la philosophie ancienne et de cette école fa- meuse d'Alexandrie, qu'il a fait connaître. Les documents faisaient alors défaut, et c'était des mystères qu'il avait à expliquer. Sans doute les difficultés de cette tâche étaient bien peu de chose, comparées aux graves difficultés de la politique: cependant on n'oubliera pas les: belles leçons d'où est sortie Y Histoire de l'Ecole d'Alexandrie. M. Paul Janet remercie M. Jules Simon, au nom de l'Académie, du temps et des soins qu'il lui a consacrés. Il est bien vrai que d'im- périeux devoirs l'ont trop souvent tenu éloigné d'elle; mais elle Ta toujours trouvé prêt à la représenter dans les circonstances solennelles. M. Paul Janet termine en promettant à l'A- cadémie de remplir avec zèle les fonctions qui lui sont confiées et de coopérer assidûmeut à ses travaux. * L'ordre du jour appelle l'élection des deux membres de îa commission administrative. MM. Barthélémy Saint-Hilaire et Louis Rey- baud sont continués dans leurs fonctions. M. Hippolyte Passy présente à l'Académie un ouvrage de M. Julien Le Rousseau, inti- tulé : La-Prospérité de VElat et la stabilité dts pouvoirs par la réforme économique et Vorgani- sation des. libertés. Dans la première partie du livre, l'auteur apprécie à sa manière les faits qui se scm.t.aLCmmplis^dep-aie le~4'-^eptemirrev-- "C'est dans la secondé partie seulement qu'il expose quelles .sont, selon lui, les conditions .de stabilité des pouvoirs publics, et qu'il abor- de, à ce propos, un très-grand nombre de questions. M. J. Le Rousseau appartient, ou il a ap- partenu, a l'école fouriériste, .et il réclame l'association du capital, du travail et du talent. M. H. Passy fait remarquer que cette asso- ciation a existé de tout temps, suivant des rè • gles normales nées de la force des choses. L'auteur, au surplus, ne prétend point impo- ser l'organisation nouvelle, ou prétendue telle, qu'il présente; mais, comme tous ceux qui ont« trempé dans le socialisme, il croit trop à la puissance des mécanismes. Quoi qu'on dise, il n?y a, pour l'amélioration du sort des masses, que deux conditions efficaces : l'instruction et te goût de l'épargne. Hors de là, aucun des systèmes qu'on a proposés ne saurait aboutir. Tel était le sentiment de Franklin, qui décla- . rftit empoisonneur quiconque prêche au peuple; autre chose que l'épargne et le travail. / H. Nourrisson continue et achève la \&&*\ tare dé^on travail sur ^J^SÊÉ^J^SÈLÛâÉ^ JtègJ^g^ Il a montré, dans sa^j^cSïïênœiec- iure, que ce ne peut être que par métaphore que l'on parle de l'âme des plantes, et que loin d'attribuer aux végétaux un principe de senti- ment et d'intelligence qui ressemble en quoi que ce soit à l'âme humaine, on ne peut même pas leur accorder un principe analogue à ce / qu'on a nommé « l'âme des bêtes. » Mais peut- on même parler de cette âme des bêtes? II y a entre les végétaux et les animaux des diffé rences innombrables et irréductibles. Il n'y a point, à proprement parler, d'animal-plan te, ni de plante-animal. L'origine et l'organisation diffèrent de part et d'autre, absolument, ainsi JOURNAL OFFICIEL DE LA REWfiLlQtJE FRANÇAISE m différences irréductibles, contrastant avec leur apparente similitude pu anaïogie d'organisation- La précision merveilleuse et infaillible dés actes instinctifs de l'animal atteste son irrémédiable que les conditions d'existence. La plante est immobile; l'animal se meut, et se meut spon- tanément. La plante, il est vrai, manifeste parfois une certaine excitabilité; mais elle manque entièrement du système nerveux, qui est le propre de l'animal. La plante respire, mais ce phénomène est chez elle juste l'inverse de ce qu'il est chez ranimai. Enfin la plante végète, l'animal vit, il a de l'instinct. Cepen- dant, tandis que, de toute évidence, l'animal est plus qu'un nouveau mode de la plante, faut-il croire que les bêtes ont une âme qui ne diffère qu'en degré de l'âme humaine? La totalité des animaux ne sauraient être com- pris sous la forme d'une série simple partant de la monade ou dè l'éponge de mer, et s'éle- vant graduellement jusqu'à l'homme. Toute- fois, il demeure vrai que la nature procède tou- jours par transitions et ne fait pas de sauts. La science démontre que, du minéral à la plante, de la plante à l'animal, de la monade à l'homme,-il existe des intermédiaires. M. Nourrisson invoque ici, comme exemple, la classification des animaux par Lamarck. C'est par des degrés infinis que dans l'embran- chement des vertébrés le mammifère s'élève au-dessus de l'oiseau, l'oiseau au-dessus du reptile et du poisson. Dans la classe même des mammifères et dans l'ordre supérieur des pri- mates de Linné, on observe la même loi d'as- cension graduelle. L'irritabilité est un caractère commun à tous les êtres, mais elle croît à me- sure que leur organisme se complique; elle se change de plus en plus en instinet, et ftul doute que cet instinct même ne grandisse en raison des développements du cerveau. L'âme de l'homme ne serait-elle donc que l'instinct à son degré le plus élevé? ou, ce qui revient au mêmer les mimet^-airraient^^ qui ne serait inférieure qu'en degré à l'âme de l'homme? Tout semble, au premier abord, militer en faveur de l'affirmative. Non-seulement le vul- gaire, mais les philosophes et surtout les physio- logistes sont disposés à voir dans les prodiges de l'instinct une manisfestation de l'âme des bêtes, une source d'énergie différente du système ner< veux, puisqu'elle en est séparable et qui existe à des degrés divers, chez tous les animaux, y com- pris l'homme. Certains physiologistes soutien- nent qu'entre l'homme et le gorille, la diffé- rence est moindre qu'entre le gorille et Jes der- •niers singes. Pourquoi, d'ailleurs, demandent- ils, limiter la puissance ejt la bonté divines? Pourquoi, ayant fait les bêtes et Phomme en même nature, Dieu n'aurait-il pas donné une âme aux premières comme au second? Et eux qui refusent à l'homme des idées innées, ils en viennent à accorder aux bêtes le raisonne- ment l Agassi z même pense que l'âme des bêtes est immortelle. ) Les arguments contre de telles doctrines abondent aux yeux de qui étudie les choses sans parti pris et ne se contente pas d'une ob- servation superficielle. M. Nourrisson s'attache à établir l'immense supériorité de l'organisme humain sur celui des animaux, et il y voit une première preuve de l'excellence incomparable de son être et de sa destination toute spéciale. Il insiste en particulier sur la station verticale, qui est exclusivement propre à l'homme et sur le développement exceptionnel de son cerveau, comparé même à celui des grands singes an- thropomorphes! Il ajoute que chez ï'homme, l'intelligence grandit indéfiniment, tandis que chez ces grands singes, elle s'atrophie avec l'âge; que d'ailleurs les actes de l'homme et ceux des animaux accusent entre lui et eux des infériorité. On peut, selon M. Nourrisson, ap- pliquer à toutes les bêtes ce que disent, à pro- pos des abeilles, Muraldi, les deux Huber et Schirach, que « l'ordre que nous admirons tant en elles n'est qu'une impulsion nécessaire; i et Ton se convainc, avec Bossuet, avec Buffon; que les animaux exécutent sans intelligence les actes en apparence les plus intelligents. D^utre part, on attribue souvent à l'intelli- gence des animaux, notamment des animaux domestiques, ce qui est le fait de notre intelli- gence à nous, et Ton oublie que c'est l'influence continue et voulue de l'homme qui modifie et guide les animaux soumis à sa volonté. L'hom- me enfin se sépare des autres êtres par des phé- nomènes décisifs : les phénomènes de l'ordre moral èt métaphysique. Il pense, il a des idées; conçoit un idéal qu'il ne cesse de chercher; il est libre et aime cette liberté dont il sent qu'il use et abuse. Sans ;nvçntinn, sans idéal, les animaux sont incapables de progrès; ils sont destitués de réflexion et de liberté. * Ont-ils vraiment des idées? Les images du moins leur sont toujours nécessaires; ils ne perçoivent que le particulier, ne raisonnent pas,- se règlent sur l'exemple. Tout en eux se réduit aux sens? Leur-mémoire ni leur langage ne peuvent se comparer à notre mémoire et à notre langage: Huxley ne voit dans le langage que le résul- tat d'une faible différence d'organisation, cause première de la différence infinie qui sépare l'homme du singe. A cette assertion, ^. Nour- risson oppose l'opinion de G. de Humboldt, qui dit que l'homme n'est pas seulement l'homme parce qu'il parle, car-il-âr ééjà ■ fatiai~ qu'il fût l'homme pour inventer le langage. Les bêtes, en réalité, ne parlent point, parce qu'elles ne pensent point. Elles n'ont qu'une notion obscure du passé; elles n'en ont aucune de l'avenir: d'où leur stupide quiétude. Leur' individualité n'est en rien compàra^lô-*! celle du moi humain. Elles n'aiment pp.int; elles peuvent avoir de l'attachement, mais non de l'amitié, qui n'émane que de la raison. « C'eÉ l'âme de son ami que l'on aime, dit Buffon, et pour aimer une âme il faut en avoir une. » En- fin, incapables de concevoir l'abstrait, les ani- maux ne peuvent s'élever à l'absolu ; ils n'ont la notion ni du temps, ni d'espace, ni de cause, ni du vrai, ni du beau, ni du bien; ils n'ont ni moralité, ni religion. Dès lors, quelle immor- talité serait possible pour eux? Mais affirmer la mortalité des bêtes, serait-ce affirmer du même coup la mortalité de l'homme? Non, car il y a entre l'homme et la bête différence radicale de nature, non simplement différence de degré. Que l'homme s'estime donc son prix et ne se compare pas aux bêtes. Cependant, si l'animal est plus qu'une machine, qu'est-ce que son instinct, qu'est-ce que son âme 2 On a mal interprété la pensée de" Descartes et de quelques autres philosophes, relative- ment à l'automatisme des bêtes. Les êtres doivent se classer en êtres organiques doués d'affinités; êtres organiques doués de vie; être animal doué d-instinct; être humain doué de moralité. Il y a donc quatre règnes: minéral, végétal, animal et humain. La raison d'ailleurs nous fait concevoir l'unité de l'être. En un sens, tout être a une âme, car l'âme c'est l'être; mais ce n'est qu'élevé à une certaine hauteur que l'être peut être dit une âme. C'est l'âme qui est vraiment la matière, ei; le cdfps n'est qu'une forme... ^90 JOURNAL OFFICIEL DE LA ftÊPUÊLIQUÏ! îïtAtipJgE sî l'on «temàgdô ce que devient l'âme £es bête§, il faux réfléchir que lès "têtes rfont "as une fin qui leur soit propre. €'est l'honnne faui est leur fin. Ën dépit de ee qu'on a pu dire Ses erreuffe gêocentriqu© et anthropocentri- que, la preinière faisant de la terre le centre de l'univers et la seconde faisant de l'homme le Rentre de la création, M. Nourrisson incline à •croire que l'homme est bien la fin de la na- ture, parce que seul dans la nature il est vrai- ment une âme destinée à l'immortalité. Arthur Manoin. SOUSCRIPTION •AU PROFIT DES VICTIMES DES INCENDIES DE LA POINTE-A-PITRE (GUADELOUPE) <8e liste.) Le président de la République de Venezuela ,250 tr. — Souscriptions recueillies à la Guyane versées par M. Schœlcher, député, 1,939.— cheurer, député, 20. — Laserve, député, 25. — 'ouscriplions des conseils généraux (suite) : Le onseil général du département 4u Var, 500. — je conseil général du département de la Man- , he, 300. — Le conseil général du département Îles Hautes-Pyrénées, 500. — Le conseil général Mu département du Rhône, 1,000. — Le conseil général du département des Pyrénées-Orientales, 500. — Le conseil, général - du département de l'Oise, 500.— Le conseil gén. du départ, des Gôtes- )du-Nord, 500. — Le cons. gén. départ de la Lo- gère, 50. — Souscriptions des conseils municipaux: . |Le conseil mun. d'Aix, 200. — Conseil municipal Jâ'Issy, 200. — Commune de Duvivier (Algérie), 142. ^g-g'^jaiifig^fe^raii-Ydépartemeiit du Gers), 93 ,^0. — Oran, 206 60. — Colonies françaises (suite): Sénégal, 3,834. 50. — Saint-Pierre et Miquelon, 13. Etablissements français-de l'Inde (2° liste), 12,766 76. — Guyana, 1,939. — Martinique, 1,302 40.— Cochinchine française, 2,910 09.— Réu- nion (Assist.[puni, de la), 3,000.— Sénégal etdépen- dancesÏ2° envoi), 2,416 20. —Gabon, 555. — Eta- blissement français de l'Inde (3° envoi), 6,280 38. — Souscriptions recueillies par les trésoreries gé- nérales, des départements (Suite) : Charente, 121 f. - >- Lozère, 20. — Drôme, 134. — Gard, 203 fr. 70. U-Ain, 427 fr. 55. — Aveyron, 20. — Charente- Inférieure, 450 fr. 20. — Lot-et-Garonne, 115.— Puv-de-Dôme, 123. — Finistère, 76. — Nord, 207 fr. "50. — Jura,75. — Aude, 285 fr. 20. — Seine, |75 fr. 95. —Pyrénées-Orientales, 90 fr. 20. — $Tonne, 54 fr. 20. — Hautes-Alpes, 20. — Haute- Savoie, 25. — Indre-et-Loire, 45. — Pas-de-Calais, 55 — Loir-et-Cher, 25. — Rhône, 1,157. — Allier, a61. — Somme, 35. — Creuse, 47 fr. 70.—Mor- bihan, 60. — Gironde, 574. — Loire-Inférieure, £95 fr. 50. — Hérault, 257 fr. 45. — Deux-Sèvres, 116. — Aube, 70; — Manche, 210. — Seine-Infé- ïieure, 349 fr. 50. — Oise, 50. — Haute-Loire, 20. >- Eure-et-Loir, 105. — Saône-et-Loire, 5. — Seine-et-Oise, 61 fr. 20. — Marne, 2,433. — Vau- cluse, 61. — Doubs, 118. — Maine-et-Loire, : 154 fr. 25. — Vosges, 35 fr. 75. — Haute-Garonne, 53 fr. 05. — Isère, 10. — Ardennes, 7 fr. 85. — Bas- ses-Pyrénées, 550 fr. 80. — Nièvre, 328 fr. 75. — Orne, 17. — Landes, 73 fr. 70. — Gers, 193 fr. 60. Seine-et-Marne, 533 fr. 40. — Constantine, 70. Oran, 206 fr. 60. - Alger, 148. - Puy-de-Dô- ïne, 20. — Basses-Alpes, 78. — Haute-Vienne, 45. — Côtes-du-Nord, 50. — Sarthe, 20. — Ariège, 394 fr. 60. — Charente-Inférieure, 195 fr. 45. — &rdèche, 15. — Cher, 80fr.50.— Cantal, 20. — Var, 200. — Gironde, 600 fr. — Ille-et-Vilaine, 282f. 50. ^- Souscriptions recueillies dans les trésoreries fies invalides de la marine : A la trésorerie gé- nérale, M. ;Cordier, 10. — les internes de l'Hôtel- £>ieu, 15. — Pallu de la Bonnière, capitaine de frégate, 20. — A. Ferté, 50. — A. Isambert, 50. — Service de la vidange, 92. — Manigot, 20. — de jBois-le-Conte, 20. — Reynouard, directeur de /l'école municipale de Toulon. 100. — lre section des infirmiers militaires, 125 r. 10.— Veuve Mas- felin, 50. — Fuzon, 5. — Sapeurs-pompiers de >aris, 55 f. 70. — G. L. T., 20. — Rolland, 20. — (Trésorerie de Lorient, 131 f. 35..— Languet et compagnie, a Saint-Nazaire, 50. — Quartier de Dax, 169 f. 50. — Quartier l'Ajaccio, 103 f. 75. — Havre, Joseph Clerc, 50. — Cherbourg, état-ma- jor de YArcole, 65 f. 65. — Direction des tra- vaux hydrauliques, 108 f. 80. — Inspection de la marine, 27. — M. de Geraudo, 20. — Lepoitevin et Ciaston, 25. — Quartier d'Oléron, 32. — Souscriptions diverses : Souscriptions recueillies par les soins de Mme de Rialle, 508 f. 50. — Souscriptions recueillies dans les établissements relevant du ministère de Vagriculture et du com- merce : Chambres de commerce : de Boulogne, 500. — de Fougère, 100. — de Rouen, 500. — Vé- rificateurs des poids et mesures, 164 fr. 50.— Dépôts d'étalons, 40. — Depot de Rodez, 195. — Fermes-écoles et écoles diverses : Ecole de Vau- cluse, 25. — Directeur de l'école de Salgues, 10.— Livet, inspecteur général des écoles d'art., 10. — Halma de Pretay, inspecteur principal, 10. — Tisserand, 10. — Kirgenner de la Planta, 25. — Dolerme, chef d'atelier, 10. — Le directeur de l'école de Saint-Remy, 50. — L'abbé Pahier, école d'Alfort, 20. — La ferme-école de Malgran- ge, 25 fr. — Directeur et employés de Grignon, 70. — Directeur et employés d'Alfort, 70. — Ecole centrale des arts et manufactures, 361 fr. 75. — Ecole d'agriculture de Montpellier, 126. — Conservatoire des arts et métiers, 40. — Méde- cins et directeur de la Santé, 80 50. — Souscrip- tions recueillies par les soins du docteur Gin- gembre : A Cette, 1,525. — A Mèze, 512.fr. 50. 14 Janvier 1872 Spectacles du Dimanche 14 Janvier. Il y a" un an, les héroïques soldats de Cha- rette se faisaient décimer pour sauver l'armée. Tout le monde se reporte à ce souvenir et lit .la Campagne des zouaves pontificaux en France, par M. S. Jacquemont. Joli vol. in-18. Prix, 2 fr. 50 franco. H. Pion, édit., 10, r. Garancière, Paris. ANNALES lATIONALll COMPTE-RENDU IN-EXTENSO DES SEANCES Annexes : Rapports, Projets de lois, Propositions, etc. L'administration de l'Assemblée nationale fait imprimer, par ordre de l'Assemoléé, en volume in-4° à deux colonnes, la collection complète du compte • rendu in-extenso de ses séances à Bor- deaux et à Tersailles, avec tous les documents déposés à la tribune et distribués à MM. les Députés. — Cette publication unique reproduit, sous le titre d'Annales de l'Assemblée nationale, le texte même du Journal officiel, révisé et corrigé avec soin par le Chef du service sténograp'Kique. Le premier volume comprend les séances de Bordeaux, et les quatre suivants les séances de "Versailles jusqu'à la - prorogatiôn (17 septem-" bre 1871). — Les tomes VI et suivants compren- dront la continuation des séances, à partir de la reprise des travaux au 4 décembre, ainsi que tous les documents qui s'y rattachent. L'administration ae l'Assemblée a autorisé M. Witlersheim, imprimeur-gérant du Journal officiel, à faire un tirage à part de ces volumes et à les mettre en vente. Opéra. — (Lupdi) Le Prp^Jrèîc. Français. — Le Gendre de m. Poirier, ^cs Ouvriers. Odéon. — Mademoiselle Aïssé. Opéra-Comique. — Le Domino noir. Athénée. — Marïha. Gymnase. 8 h. — Visite de Noces. I> Princesse Georges. Vaudeville. — Les Faux Bonshommes. Palais-Royal. 8 li. — TrJcocHe,et Gac?let„ Elle est bête. Variétés. -— Le' Trône 'ÏEcosse. Gaité. — Relâche. Ambigu. 7 h. V%. — L;ArtjcIea-47. Châtelet. — Le Juif>?ï£4.ht. Bouffes-Par. — Boulelle Neige. Folies. 7h.>é. —La Tour:du Chien vert. Folies-Marigny. Tli. — Les Forfaits de Pipermans. Cluny. 8 h. — Une Mère. — Sous le même toit. Menus-Plaisirs. — Relâche. Nouveautés. — C'est toujours la môme choses Château-d'Eau. — Qui veut voir la lune? Cirque d'hiver, 1.1. j. — Éxercices équestres. Siège de Paris.'Exp*>° peinture, 10 à 10 h. r. Lepelletier, tî Beaumarchais. — Le Muet de Toulon. Folies-Nouvelles.— Le Nouvel Aladîn. Th. Miniature, 12, bd Montmartre.— Pied de Mouton. Rohert-Hoùdih. 8 h, — Séance- par Clevermaa. Valentino. — Soirées musicales et dansantes. ^Maç^injes cylindriques "de H. Màrinoni. — Encres de Lorilleax HALLEÔ ET Cours du 13 Janvier Bulletin commercial authentique. Huile de colza dispon., tous fûts 106 7$ d° tl0 eu tonnes. • J^108 25 . xi0 épurée, en tonnes.. .'^116 25 d° de lin, en fûts 96 50 d° d° entonnes 98 Sucres bruts. —Titre saccharinrêt. 88M1. 69 50 Rnn.rfts T>lanr>g pti pmrdrA, type"n° 3 ~.• .* • 79 50 Sucres raffinés.— Bonne--so-pteW-rï-rï-rs** 152 .» d° Belle sorte ^153 „- Esprit 3/6dispon., fin,lrcqté,90°. .. .. à 56 Suifs de France .r... 111 Farines. — Prix moyen: 52 fr. 24 c. le quintal.1 Grains. (Cours comm.) L'hect. et demi. Choix 45 .. à 46 .. lre qualité 43 50 à 44 50 Ordinaires 39 .. à 41 .. De pays à .. Sortes courantes 41 50 à 42 50 Avoines Les 100 kil. 37 50 à 38 33 36 25 à 37 05 32 50 à 34 15 34 58 à 35 40 Cours commerciaux hors Paris. Entrée : 1 f.\ 25 par 100 kil. Les trois hect. Les IflQ kil. Choix 150 k. 25 88 à 26 25 17 25 à 17 50 lrcqualité... 150k. 25 50 à 25 88 17 .. à 17 25 2equalité... 150 k. 24 38 à 25 13 16 25 à 16 75 Nouvelles... Wk à .. .. à .. Valeurs se négociant à trois mois. La collection comprenant les séances de Bor- deaux et de Versailles jusqu'au 17 septembre, forme cinq volumes et est mise à la disposition du public au prix de 75 fr., port en sus. — On peut se la procurer en envoyant un mandat- poste ou un billet à vue sur Paris, à l'ordre de MM. A. Wittersheim et C% 31, quai Voltaire, à Paris. Le tome premier, comprenant les séances de Bor- deaux, est vendu seul, 45 fr. (port en sus). A vendre ou à louer, Grande Maison, dans le qruartier du Temple, avec Boutique, grands Ateliers et Cours vitrés, pouvant servir au com- merce et à l'industrie, et occupant une superficie, d'environ 700< mètres au minimum. — Pour Les renseignements, s'adresser à M. L. Bernard, ar- chitecte, 44, rue Laffitte, — On peut entrer en jouissance de suite. CHANGE. % Amsterd. Hambs.. Berlin... Francfort Trieste.. Vienne.. Barcei°n0 Cadix... Madrid.. Lisbonne Porto.... Pétersbe. PAPIER LONG. M à 214 . .. a 188 î .. à 378 . V% à 21b . .. à 213 .. à 215 .. à 513 .. à 529 .. à 5îl .. à 555 .. à 560 , ..à 343 N.-York.j 460 ..à 455 214 189 379 215 212 216 514 530 512 5d0 555 342 PAPIER COURT. 214 % à 214 ..à 188 .. à 378 )i à 215 .. à 215 % à 218 .. à 513 .. à 530 .. à 51i .. à 555 H à 561 .. à 345 .. à 465 189 379 215 214 218 514 531 512 560 556 344 470 Valeurs se négociant à vue 3 % Londres. 2%% Belgique. 5 % Italie.... 5 % Italie(or) 5 % Rome... 25 60 à 25 55 . \ p° à 1 .. % b. 6 % %\ .. % p. 5 M % à 5 % p. m. 3.. 25 60.. à 25 55 . . %y>k 1 .. %b 6 % à . .. %p, 1 l à 1 % %p- Matières d'or, etc. Or en barre k 1000/1000, le k°5 3,434 fr.44. 14 à 16 0/00 pr. Or (pièces de 20 francs) 7 à 8 0 00 pr. AÏgent, d<> àl000/1000, leko, 218 fr. 89... 37 à 35 0/00 Quadruples espagnols............ b5 .. a 8dW — colombiens et mexicains 81 50 a M Ducats de Hollande et d'Autriche 11 80 à 11 9tf Piastres à colonnes Ferdinand 5 45 a ï> M -r- mexicaines tkV-™ï 9- 7A Souverains anglais ^ \l \ BiZ Bancknotes ®° \ &' Aigles d'Amérique (5 dollars) 26^ à X>W Dollar 5 ^ A CM Mental Suggestion, Association, and Reproduction. By the •Rpy,, W, ft Tfaws , . . . \ . . .:: The Medical Council. ii about it. Would gross ignorance and malpractice be infamous in a professional respect? For our own part, we should answer in the affirmative, and should rejoice to see the guilty persons removed from the profession. The examination of a licensing body is but an imperfect test of fitness to practise; and the only real test is applied by the events of life. We would allow the latter to reverse conclusions based only upon the former, and, under whatever name denounced, we would have the ignorant or the careless deprived of the status afforded them by a legal qualification. Habitual drunkenness is infamous enough, and is, perhaps, the vice that most frequently brings its medical victims within the grasp of the law; but is it infamous in a professional respect? and could the Council disqualify a sot when, as yet, he had not disembowelled a parturient woman, or left a patient to die of undetected hernia? On these and on some kindred matters the Act, when amended, should speak clearly. Among alterations of detail, however, that might justifiably precede a general measure, we would suggest that power should be given to the Council to appoint a writer of English at a rea- sonable stipend, whose duty it should be to translate motions, amendments, and reports, out of the dialects in which they are framed, into the vulgar tongue, before they are either put to the vote or published in the minutes. We have been much struck with one amendment, that was agreed to solely in order to render a previous motion intelligible; and much also with the following curious passage, which we publish, without comment, further than to explain that the words italicised are not intended to relate to the registration of the Eegistrar himself, but to that of some other individual. A Committee of Council, reporting upon the method of entering names in the Register, says—■ "The Act clearly affords liberty for entrance on the Register in any one of the three following ways :—ist. Production to the Registrar of the Branch Council of the document conferring or evidencing the qualification. 2nd. Transmission by post to such Registrar of information of his name and address, and evidence of the qualification or qualifications in respect whereof he seeks to be registered, and of the time or times at which the same was or ivere obtained" Shade of Cobbett! If the councillors speak as they write, we cease to wonder that reporters should be excluded. 13 Art. IL—ON INSTINCT AND REASON; OR, THE INTELLECTUAL DIFFERENCE BETWEEN MAN AND ANIMALS. By James Quilter Rumball, M.R.C.S., etc. In a former essay upon this subject* I endeavoured to show that all preceding writers had failed to establish any line of demarca- tion between the intellectual faculties of man and animals, and that their denial of reason to the brute was unsupported either by argument or fact. I proved that animals have reason differing only in degree, not in kind, from that of man, and that the only intellectual difference consists in the possession by man of articu- late speech, which no other animal has. I traced up the formation of brain from its lowest to its highest development, and established the two following propositions :— 1st. The brain is the organ of the mind. 2nd. As brain so mind. Before entering upon the second portion of this inquiry, viz., "The Moral difference between Animals and Man," it is necessary to apply my doctrine to an elucidation of some other intellectual results, such as (: understanding, judgment, and memory;" and if we find that these terms no longer express in- definite ideas, but have each of them a clear and practical meaning, we shall obtain a strong a posteriori confirmation of the sound- ness of the data whence they spring. Much of our miscon- ception and most of our disputes arise from the abuse of terms, or, at all events, from an extreme laxity in their use. If I refer to Johnson for the meaning of the word perception, I find it described as "the power of perceiving; knowledge; conscious- ness; notion; idea; feeling ;" and he quotes Watts, Bentley, and Hale in support or these definitions; whilst Lord Bacon attributes perception to plants, and even to mountains. What sort of pyscho- logical philosophy must that be which permits or is based upon terms thus evasively applied, may be gathered from the wild theories it has produced and the useless results obtained. In my former paper, I have restricted the word to what appears to be its essential signification, namely, The cognition by the mind of exter- nal objects through the medium of the senses, or, in other words, the means by which we become acquainted with the physical properties of bodies. This includes all impressions coming from without, * See Journal ofPsychological Medicine, vol. iv. p. 392. On Instinct and Reason. J3 and is embodied in the Aristotelian dictum, "Nihil est in mente quod non fuit primum in sensu." But the proposition is only true when restricted to our knowledge; for although we have no innate notions or ideas, all our feelings are horn with us, and are merely developed into activity as we grow. This, however, will be treated of at length when we come to consider the feelings. Such, however, is the force of habit and the difficulty of coining new words, that though I may be compelled to use the term perception when speaking of moral cognition, yet do I protest against this double application of what should never be employed but in a single sense. The word "reflection" apart from optics (wherein it seems used definitely enough), is also applied to mental operations, and if ^confined to the definition "Thought thrown back upon the past, 'or the absent, or itself," I know not if much mischief would ensue. It is used in one or other of these senses by Dryden, Locke, and others, but when the latter declares it to be the "Action of the mind upon itself," he includes all passions and their results; the more violent and the more lasting in exact proportion as they are disconnected from reflection. I accept Johnson's definition of the word "judgment." He says it is "The power of discerning the relations between one term, or one proposition, and another,'' and I think it may be illus- trated as follows. Suppose a man blind from his birth could be placed, like Mahomet's tomb, midway 'twixt earth and heaven, with no object visible but "the blue above and the blue below," inter- minable, shadeless, shapeless; and that he could then and there discharge the "drop serene," and suddenly and perfectly obtain his sight. It is evident that the simple perception of colour would be the only visual one called into existence; and as we will also demand that he shall never have had the word colour named to him, or have formed any conception of it, so will he have no pre- vious mental perceptions with which to compare what he now sees, nor will he have any data whereon to exercise his reason. To him it will, therefore, be a simple perception without antecedent or relation: he consequently forms no judgment upon it. Suppose another man to be placed in the same spot; his vision having been perfect from his birth. He at once exclaims that a blue colour surrounds him. Comparing it with past per- ceptions he names its shade, its apparent and probable extent, and as many of its other relations as to him are known. He judges, but his judgment is imperfect. Suppose a wind to arise, and the orbs of day and night to appear, the earth still distant, but near enough to delight him On Instinct and Reason; or> the -with its infinite variety, lie now begins to compare distances, but never having been so placed till now, his perception of perspec- tive is very inaccurate. He judges better, but still ill. Land him on the mountain-top, and all the elements necessary to right judgment are present. The blue above is the sky he had so often admired; intangible as he had lately experienced, boundless as it seemed, involving the earth as well as stars, and not the well-defined arch he hitherto had thought it: so that his elevation has improved his judgment, but not perfected it. Chemical and optical knowledge may add further to his stock of facts and inferences, but so long as essences and laws, moral or physical, are abstract principles and not appreciable entities, so long will human judgment necessarily remain imperfect. Still simple perception is not judgment. The blind man saw, but judged not; and till comparisons are made no judgment can be formed. All those metaphysicians, then, have erred who consider judg- ment a fundamental power of the mind. Gall was equally wrong in calling it the third degree of activity of every fundamental faculty; and Spurzheim was as little accurate when he declared that " there are as many kinds of judgment as there are percep- tive faculties." But he himself is dissatisfied with this, and goes on immediately to say, "The regular and perfect manifestation of the (two ?) reflective powers, however, examining the relations of all the intellectual and affective faculties to their respective objects, and the relations of the various powers among them- selves, particularly deserves the name of judgment It is necessary, then, to right judgment that everything belonging to the matter before the reason should be present to it, and that the reflective powers should be perfect, but as neither of these postu- lates can be granted, so perfect judgment can never be arrived at by mortal man. True! the reflective faculties only judge; per- ceptions are the tools with which they work; but perceptions do not judge, and a man's judgment will be more or less correct as his perceptions and consequent reflections are so. Understanding comprehends more than judgment, as will pre- sently be shown, but both terms have been ever used in a loose and unsatisfactory manner. If Spurzheim be not quite correct in his definition, a very little alteration of it will make him so. If we say that judgment consists in a combination of facts and arguments, and will be more or less accurate as they are compre- hensive and true, or in other words, that "the result of our reflections upon our perceptions constitutes judgment," we shall have rendered his definition more precise, and, as I believe, more * Philosophical Principles, p. 27. Intellectual Difference between Man and Animals. 15 true. The argument derived from the preceding remarks flows from all possible perceptions, intellectual or moral. Whether I feel love or anger, am delighted with painting or music, examine a question, political or religious, mechanical or metaphysical, some, and only some, of my mental powers are engaged; hut whatever may be the nature of my perceptions, whether physical, as of natural objects, or affective, as of moral or social sympa- thies, it is only when I have reasoned upon them that my judg- ment is formed. Many or few may be my perceptions, hasty and untrue my deductions from them, wit may jump to general conclu- sions unwarranted by the particulars, comparison may reject all analogies, and so leave out the larger data, causality may assign causes before effects are proved; all these errors will detract more or less from the value of the judgment when formed, but touch not the judgment itself; and though Spurzheim is near the mark if we confine his definition to perfect judgment, yet do I believe that as there can be no such a thing with man, it will be found more accurate to define judgment as "the conclusion arrived at by all the mental faculties engaged/' Many judgments, therefore, are directly opposed to each other, may be formed upon the same subject, not only by different individuals, but by the same person, and "quot homines, tot sentientise" is a philoso- phical truth. But if the foregoing be true in respect to our judgment of physical existence, and especially of things exernal to ourselves, it is even more palpably so when we attempt to judge of our own emotions. They judge not, but our intellect judges of them. Feeling (until a better word be found) is perception; and not until we can analyse and correct the perception with previous ones, and look as well to cause and consequence, are we able to form any idea of the nature even of a feeling. Thus men often think that they are acting under one feeling, when the world sees plainly that they are impelled by another; the alms that self-love attributes to benevolence may be but too pal- pably traced to vanity, and what we think love is ofttimes fancy, or worse. So difficult indeed is it to judge of our feelings, that some men never try. We cannot investigate the nature of a feeble emotion, that vanishes before we can examine it, nor a powerful one, which blinds our intellect by its violence; and, as it will hereafter be shown that the lunatic is only mad because there is no internal gauge by which he can measure his emotions, and therefore he acts under excited ones, as though they were still healthy, so in passion, or even less excited states of feeling, we are apt to compare our emotions one with the other as if all were equally sound, and our judgment is incorrect accordingly. Thus the. 16 On Instinct and Reason; or} the world always doubts the propriety of any counsel dictated by Reeling; and a review of every mans life will be a strange one if it do not reveal to him that 'twere well had he always done so too. Judgment, then, is but conviction more or less correct; and conviction is but another word for belief—not that which men profess, but that which they inwardly acknowledge, except, per- haps, that these terms do express degrees of judgment. "I believe so," implies less perfect judgment than "I am convinced of it." "I think so, am certain of it, cannot be deceived," are all so many expressions indicating more or less reliance placed upon our judgment by ourselves when considering the data on which it is built. That animals perceive and judge of external objects requires no argument to prove; that they reason upon their own emotions is more than doubtful; they judge as man judges of things they can perceive, but there is no inward looking, no self-examination; and this constitutes one of the prerogatives of humanity. Understanding may be called passive judgment. "I under- stand" implies " I comprehend," that is, I have formed a judg- ment of the relations existing between any given subjects, and have examined the results. A friend is in a dilemma, he lays his case before me, I under- stand it. He asks me how to extricate himself, and after mature examination of all probable means and consequences, I give him my judgment. I understand chemistry; I judge of its value to the arts and to its professors. I understand the world; I judge best how to go through it. My understanding has been built up upon perceptions reasoned upon, but passes not beyond them. It takes no account of modes of action incidental to them; I may understand how to do a thing, and why I do it; but I judge of the best time and manner as of the propriety or not of doing it. I can understand why I so judge, and judge why I so under- stand. The one, then, is the minor and the other the major of the same proposition. We cannot understand until we have reasoned, but the process of reasoning is not understanding any more than it is judgment. It was abundantly shown in the essay on Instinct and Eeason that animals perceive and reason, that they therefore understand and judge, and that they differ only in degree, not in kind, with respect to both, from the wisest among us. That animals have memory is so evident that it were waste of time to argue the point. The only distinction between them and man seems to be that they have the better memory of the two. Ulysses' dog was the only one who remembered him after his long wanderings, and horses seem never to forget a place they once have seen. But it Intellectual Difference between Man and Animals. 17 may not be out of place here to attempt a definition of memory itself, seeing that two opposite opinions have been held by philo- sophers about it: one set declaring it to be a primitive faculty of the mind, the other that it is no more a primitive faculty than is imagination or wit!! Phrenology rightly interpreted teaches that it is the highest power of any perceptive faculty. To see is one thing, to look another, to look long and steadfastly with good eyes and brain is a third, and memory is good or bad, as these latter conditions are fulfilled. The feelings have no memory. I can remember that the wine was good or bad, that I was happy or miserable, excited or depressed, but I cannot feel either the one or the other unless I drink similar wine, or am placed again in similar positions. But this has been already discussed, and we have now to consider what it is that constitutes the moral difference between other animals and man. And as this is a subject perfectly ignored by all writers preceding Dr. Gall, so to him is due the honour of having not only broached the question but solved it. In prosecuting this subject, it seems necessary to advert very briefly to the origin of man. For although to Christians the Bible sufficiently demonstrates him to have descended from one pair, yet to those who know not or believe not the inspired book, other facts and other arguments must be adduced. The psycho- logist must address himself to all people, and to all times, and there must be no question raised as to the authority he quotes. If man has arisen from many stocks, then may the doctrine of Monboddo be in part correct, men may be merely tailless mon- keys, and the gorilla will be one of us: but man— "Distinguished link in being's endless chain, Midway from nothing to the Deity," first link in creation, last of divinity, in both, of both, will be found to possess in common, attributes assignable to him alone, and his de- rivation from one stock is, I think, easily demonstrable. For how- ever, and wherever in the beginning man was created and placed, we findthatnow, although he livesin every zone, and maintains his supre- macy in all, he does so at the expense of much of his original perfec- tion; hehasin all instances become identified with his altered habits, and offers corresponding indication s of his lo cality; n ations, provinces and districts, trades and professions, cities and families, stamp their offspring with a peculiar, a distinct, a neverto be mistaken character. And as like produces like, the constitutional tendencies of parents, their vigour or debility, sagacity or folly, descend as heir- looms to their children, thus fulfilling the law which has declared that "The sins of the father shall be visited upon the children unto the third and fourth generation." No. V. c 18 On Instinct and Reason; or, the If our bodies are strongly tenacious of habit, they are equally slow to acquire it. If it take years to establish a peculiar cha- racter in a nation or family, it will require years also of equally powerful operating causes to remove that peculiarity; and this is the true history of predisposition whether of mind or body. I know that this has been denied. Lawrence, in his Lectures on the natural history of Man, says, that climate produces only a temporary effect, which dies with the individual. That if a white man go into a tropical climate, and contract a colour as deep as the native there, his child will be white, and his child's child, and all succeeding generations so long as the world shall last; and he cites the Jews as examples of the truth. They are to be found in every climate under heaven, and are not altered one jot from the likeness and habits of their forefathers. But it should be remembered, that long before their dispersion they lived shel- tered from the sun in house or tent, were clothed in soft rai- ment, and fed on the produce of an overflowing land, and even now are only to be met with in cities where the art of man opposes and counteracts the influence of nature. But transpose a Jew into the wastes of Africa, and let him and his descendants hunt the beasts of the forest for their food, wear their fat as their only garment, have the bare earth for their bed, and the sky for their canopy, as the children of Ham did and do, and how many generations would it take to make him as black as Afric's darkest child? That the children of negroes are born white or pink coloured, as told us by Goldsmith and Pritchard, not only destroys the argument of Lawrence, but completely confirms the scriptural account of the primaeval origin of us all, and proves also that the first man was white; for a black child from white parents has never yet astonished the world. The primitive blood then some- times does appear and tell us whence we come. However, Dr. Pritchard in his admirable book on the Physical History of Mankind considers it sufficiently evident that we do all proceed from one stock, and that climate, and occupation and habits transmitted from parent to child, constitute the differences observable in the human race. It may be well to quote some of his arguments in support of the assertion. The duration of life, of utero-gestation, and the internal organization, are universally similar, and have ever been so among all the races of men. The progeny of the black and white breed; they are therefore not hybrid, for hybrids never breed. "Negro children are white when born, but soon change." Occasionally the children of negroes remain white. Intellectual Difference between Man and Animals. 19 The differences of colour observable in the human species are equally prevalent among animals. In Guinea, dogs and fowls (gallœ) are all black; in the Mysore, the same breed of sheep are red, white, and black; the wild horses in the Pampas of South America are brown, the tamed ones of all colours; xanthous and albino varieties spring frequently from melœna ;* the wild ass (onager) has a tuberculated skin, from which shagreen is made, but this is lost in the tamed animal. In some hogs the hoof has become solid, in others five-cleft. Some fowls (as the Dorking) have five claws, some are without any rump, others with feathered legs, and some with their feathers turned the wrong way. In the Isle of Man the cats have no tails. The deviations from a common model in mankind, then, are less in degree than those which are found in many other species, and are analogous in kind as far as such analogy can be expected, and perhaps as conclusive as analogical reasoning can be upon this subject. Let us then examine whether there is any visible connexion between mental and bodily constitutions thus produced, and whether the appearance of the one is any indication of the actual quality of the other. That the outward forms of all animals do indicate their inward natures, is notorious to all. The form best adapted to their modes of life has been given to each. The lion, tiger, lynx, leopard, panther, cat, and indeed all the carnivores, are armed with great muscular strength in their jaws, necks, and limbs. They are furnished with sharp, curved, and cutting teeth, for tearing their prey, and an exquisite perfection of the senses of smelling and vision. Among birds the powerful crooked beak, enormous talons and eagle eye, are sufficiently indicative of certain habits, nor are fishes wanting in corresponding indiciee. All the above have a savage character; in a state of nature are ferocious and courageous, and are incapable as well as unconscious of kindness. Shall we say that here is no external evidence of internal faculties or propensities, or should we not, upon seeing a new species with such a conformation, conclude that the corresponding disposition was not wanting, and that it was equally allied to its class in character as in form? The light elegant form of deer, the antelope, hare, and others, is constituted for speed. The more powerful among the former are armed with horns, and * A man named Pearce, who lived in the Bull Ring, Birmingham, some twenty years ago, was a perfect Albino. No other member of his family (and they were many) was born so; and he was said to be affected in his mother's womb by a neighbouring gossip giving her a vivid description of an Albino exhibited at the fair. C % 20 On Instinct and Reason; or, the in the rutting time are as bold and as ferocious as the lion himself, but as a rule this class is powerless for attack. Their safety con- sists in flight, courage in them would only invite destruction; they are therefore gifted with great timidity, and an extraordinary quickness of hearing, seeing, and smelling the approach of an enemy. Here again we have a strict connexion between the ex- ternal and internal being. Domestication considerably modifies the original character of some animals, but never entirely changes them. The bulldog is courageous, the spaniel fawning, the greyhound swift, and their forms at once proclaim their breed, but the type is ever present in them all. Those accustomed to horses, know that the full round forehead and ears wide set, indicate a good temper and high courage, whilst a hollow forehead and ears set narrowly on the head, denote timidity and vice. We find then throughout the animal kingdom that, Form indicates character, and that nature never gives power of any description without the propensity to use it. Animal phy- siognomy therefore, is easy of attainment and never deceives. "We have now to inquire whether form, which denotes indivi- dual character in beast, is significant of similar characters in man." So says Lavater, and we cannot do better than follow his plan. But we shall find this a more difficult operation, as the mental faculties of man are more complex. "He has had given to him not one character or quality, but a world of qualities interwoven with, and obscuring each other; his mind consists of interminable combinations of a few simple powers, and the indica- tions of these powers will be as numerous and obscure." In him too a continual struggle is going on between what he really feels, and the feeling he wishes to exhibit, which will create a confused manifestation, compounded of the emotion experienced and the effort to conceal it: men's faces are so marked with this constant warfare that hypocrisy becomes their prevailing character, as it is their all-prevailing propensity. Some forms express so little, and have so little to express, that no determinate judgment can be formed of them. They are blanks wherein is seen nor good nor evil. "They die and make no sign." Much difficulty will also arise from our own limited powers of observation. Man judges of others by himself; " the best, the greatest, the most philosophical physiognomist is still but a man, a prejudiced man, and to judge perfectly, he mus1 himself be perfect." Nature is, however, always true to herself. She never em nor deceives, and if we cannot always find her out, "the fault U not in the object but in the observer." There are, however characters so marked, connexions so palpable, and consequences Intellectual Difference between Man and Animals. 21 so inevitable, that " he who runs may read." The physiognomical evidences of wisdom or of folly, the slightest shades of some passions and the extremes of all, are written upon the faces and the forms of men as truly as beauty or deformity. "It cannot be too emphatically repeated that blind chance and arbitrary disorder constitute the philosophy of fools." "Traversing the face of the earth and beginning at the north, we find in Lapland, and on the coast of Tartary, a race of men small of stature, singular of form, and with countenances as savage as their manners." The intellectual faculties of these northern nations are extremely feeble; they are bound up in the same icy fetters which equally forbid the growth of fruit or flower. Everything is degraded, deformed, desolate, and man is a type of all around him. These nations resemble each other in ugliness, size, colour of their hair (which is black), in their gross manners, inclinations, superstitions, cowardice, stupidity and indecency. As we proceed eastward, the features of the tribes soften until we come to China, where we find a fat, well-proportioned race, more than half civilized, industrious and peaceful. The people of Cashmere are renowned for their beauty; BufTon says that " no ugly face is to be found among them," and that "the men have good understanding, but bad education renders them vicious; nevertheless, they are civil, humane, and moderate." The natives of Van Dieman's Land, New Holland, New Guinea, and some neighbouring islands, are even yet "hideous savages they are but one remove above a monkey, and want even his attachment to their females and their offspring. All writers describe them as amongst the most degraded of the human race. The differences between the Irish, Scotch, English and French, are too familiar to require comment. Tacitus attributes to the Greeks the same precipitate volatile gaiety; to the Britons the same cool, considerate, intellectual talent; to the Germans the same bold, virtuous, self-denying prudence, which are strong characteristics of the same nations at the present day.* From the accounts of travellers it appears that there are as many varieties among the blacks as among the whites. On the coast of Guinea the natives are remarkably ugly; those of Sofala and Mozambique are handsome; those of Senegal the best informed; of Cape de Verd, well-made, their features soft and tempers mild. The Phrenological Society of Edinburgh possesses sixteen * The result would almost seem to justify the remark of Lavater, that "the morally best are the most beautiful; the morally worst the most deformed." 22 On Instinct and Reason; or> the skulls of Hindoos that completely bear out the character of this race, which is kind and virtuous, but timid, cunning, and fond of metaphors. All the skulls obtained from Egyptian mummies present a European development :—the arts and sciences were cultivated among the ancient Egyptians as with us. It has been said that all the members of a royal family in Africa, although black, possess Roman noses! The poet remarks a facial peculiarity in the Austrian; "Why boasts the Austrian lip the Austrian line?" Compare the Laplanders and the Greeks even of our day. The former are stunted in form, and brutes in intellect: "Scarce half made up, and that so lamely and unfashionably that the dogs bark at them." The latter have descended from a nation of sages and heroes, who, when the world lay in savage darkness around them, formed a constellation of beautiful forms and bright minds, scattering rays of knowledge into all space and time, and realizing in their own forms their boldest conception of the Godhead. Between twenty degrees of latitude and fifty-five, dwell the élite of mankind. In these climes the temperature is mild, food abundant, and the opportunities for bodily and mental exercise innumerable and uninterrupted. In the tropics a burning sun renders any exertion, either mental or bodily, distasteful and difficult; and in the frigid zones men spend half their time in seeking and storing food for the remaining half, which they pass in a state of almost torpid insensibility. Six months in the year do they lie buried in continued darkness coiled up in a cave, covered with moss or with fern, and only wake into a foraging existence when the sun revisits their inhospitable homes. The gradations between these two extremes are numerous and regular, as are the changes of climate and of the earth's face from the pole to the equator; nevertheless the perpetual intermixture of one variety with another now in progress—the commercial intercourse between far distant nations and the active dispersion of informa- tion in all, must materially confuse and soften down effects derivable from external influences, and draw more to one level the present widely-separated descendants of Adam. However great the variety therefore observable in the human as in other races, there is no one so great as to indicate a different species or origin, and the genus homo may, for all ethnological purposes, be considered as one, and compared with other genera accordingly. That he is deteriorated and fallen is provable both by fact and argument. He evidences no powers which, however extended, could create Intellectual Difference between Man and Animals. 23 himself. It is impossible to consider him as having existed for ever; therefore he was created by some other power. Now in the beginning he was either created perfect man or he was not; if imperfect, then every improvement in his nature is a new creation. But the history of all living things proves that each class was formed upon a certain model, which is much departed from when subjected to local influences; that the breed degenerates under unfavourable circumstances, and that this degeneration may be arrested and the higher qualities restored by removing for several generations those deteriorating influences. But no one will contend for the possibility of eliciting attributes not inherent in the race; therefore a perfect animal must embody in all fulness the whole of the properties of the whole class. A perfect man must evidence all the powers of all men. No one mental power will be stronger or weaker than the others, just as a Venus or an Apollo exhibits no part of the body more beautiful than the rest. So must the perfect man be in his own person capable of all that the whole race can do. Since Adam there has only been one of whom this might be predicated, and it is not irreverent to suppose that it was intended to show forth in his humanity an example of what man may be, in illustration of the doctrine which taught him what he ought to be. Now as no man is perfect, and as God created all things "good after their kind," man has fallen! how or when philosophy teacheth not, but the Bible does, and all we know of ourselves confirms the fact. Men differ from each other in what each has lost, not in anything any one has gained. The old Adam is in us all, but shivered and broken. We have now to investigate the moral nature of man—and to Dr. Gall we owe the only clear and definite description of it we possess. I shall not go over the ground again I so wearily trod in my first essay, but briefly expound his doctrine which, if found to be true, upsets every preceding theory and constitutes, as I believe, a second revelation to man. The first trace of mind evidenced by the new-born animal would seem to be conscious- ness, which instantly excites volition ; muscular motion ensues, and then hunger. The motions of the foetus in utero are probably automatic, devoid of consciousness and certainly of hunger. Consciousness is excited through the medium of the senses, and in the child pain is the first evidence of it; in animals this pain is not so certain. Hunger arises from within, and is an innate instinctive propensity of so much importance that life itself depends upon it. This desire is manifested by all animals, including man; it varies much in various classes; it is entirely independent of reason, and acts prior to it; neither the child nor the lamb is H On Instinct and Reason; or, the aware of the necessity for eating or drinking, nor can it create the desire; it is an instinct, and not an intellectual faculty, evidently depending for its manifestation on the brain or some portion of it, for if you divide the nerves proceeding thence to the stomach, hunger is destroyed; and as I have had 1200 pro- fessional opportunities of testing the organology of Gall, I un- hesitatingly avow my perfect belief in his doctrine. However, it is sufficient for my present purpose to treat hunger psychologically, deferring all craniological discussion for the present. Until Dr. Crook called the attention of phrenologists to the subject, it was thought that hunger and thirst were but simple modifications of the same instinct; and that alimentativeness, the term given to it by Gall and Spurzheim, and adopted by Combe, comprised all that we know of both. But when we find that the horse, the cow, the goat, and others, not only accurately dis tinguish, and invariably select those herbs only which are suited to their natures, and this without any teaching, but as constantly reject those which are unsuited to them, and this not by any instinct common to them all (for the cow will eat what the horse refuses, and so on through the whole of the herbivorous tribes); that carnivorous animals do not eat herbs, and that children instinctively reject some food which other children prefer, we must agree with him that gustativeness is a better term. But hence arises another difficulty: are hunger and thirst but modi- fications of the same faculty? If so, they should appear and disappear together. Whereas exactly the opposite is the fact. A horse will cease eating his corn until you give him drink; man's hunger gives way to his thirst; what excites the one has no effect upon the other. He who drinks most often eats least, and men cast away at sea, frequently die mad from thirst long after their hunger has left them. There are, therefore, two pro- pensities common to man and brutes: the desire for food and the desire for drink, and, as it will hereafter be proved, there are two portions of the brain that manifest them. I retain both the terms. Either faculty may be abused by man, but not by any other animal; gluttony is the abuse of alimentativeness, epicurism of gustativeness. If the instincts were one, the duck and the pig should be as dainty as they are voracious, and the ass as vora- cious as he is dainty, but this is not so. Again, the portions of brain manifesting them may be diseased. In bulimia, or depraved appetite, alimentativeness, in fever gustativeness, is affected. There was a French prisoner at Portsmouth who was tested one day by his medical attendant; he ate sixteen pounds of food in twelve hours, six pounds of it consisting of soap and candles. Birds do not seem to possess any innate power of choosing Intellectual Difference between Man and Animals. 25 proper food for themselves. The mother invariably feeds her offspring. The chicken will pick up gravel stones or anything, until its mother directs its choice by taking up that which is proper, clucking her little ones around her, and then dropping it before them. Birds do not appear to possess taste, probably fishes do not either, though as the smell of both is exquisite, and as the nasal and oral membranes are continuous, it is difficult to deny it to them. The desire to acquire is an instinct exhibited by the babe in the cradle who tries to grasp at everything. It is also exhibited by the squirrel in the forest, who gathers nuts not only for pre- sent food but future use, and hides them in the hollow beech- tree, unknowing that winter will come and pass, when, after his long sleep, he will wake to starve unless a store be provided. And the child is as eager as the squirrel to gather and to keep. Acquisitiveness reasons not, neither does it perceive, it is excited into activity by the intellect, and should be controlled by it; rarely is it to be found acting alone, it runs in couples with secre- tiveness, which before we understand its nature we must describe. Secretiveness, or the desire to keep, seems a propensity as innate in animals and man as is the desire to gain. Its tendency is to conceal. It is exceedingly developed in the wolf, the fox, spiders, and many others of the animal kingdom. According to Dr. Pattison the Hindoos exhibit this propen- sity in a high degree in the form of cunning or duplicity. Wellington was famous for, and because of it; like Louis XI. of Trance, he is reported to have declared that if he thought a hair of bis head knew his intentions, he would cut it off and wear a wig. As the abuse of this instinct is to lie, that is, to conceal the truth actively, so do very secretive people generally deceive. Wellington never did. He was one of the very few men who stood on the precipice but never fell over. His great rival, Napoleon, never scrupled to call black white whenever it suited his policy, though he was truthful enough in private life. Napo- leon the Third is perhaps the most secretive man that ever lived, and probably truthful in his domestic relations; but men act in a corporate or political capacity in a manner that would scarcely be tolerated in private :—his whole political life has been a lie—a successful one if you will, but still a lie; and in our own Parliament men at times suppress the truth to serve a political purpose; and in courts of justice, where the truth, the whole truth, and nothing but the truth, should be worshipped, men are counselled to plead not guilty when they are guilty; witnesses are almost invited to perjure themselves by being asked if they are "for the plaintiff or defendant," and a counsel has been known to call God as witness to the inno- 26 On Instinct and Reason; or, the cenoe of a murderer, when at that very moment the confession of the man's guilt was in his pocket. The whole system of our law proceedings requires reform. John Doe and Richard Eoe are declared to be creditors to some unfortunate, although there are no such people. Men are indicted for stealing one thousand pigs and five hundred sheep, when only one pig and one sheep are known to have been lost; and an attorney's bill of taxed costs means that he may charge as much more than the law allows as his cupidity may suggest. Secretiveness seems to permeate trade—false news, false assertions—goods in shop windows, marked with a large is. in ink, and a small iod. in pencil, are practical lies, and should be punished as such; in fashionable society, the "not at home," the friendly greeting hiding a slanderous hate, the rouge on the face, and the falsehoods on the head, all evidence secretiveness as the agents, whatever other motive may have been the instigator—whether vanity or pride. Women are more secretive than men. They are brought up to conceal their thoughts, and falsehood is too frequently re- sorted to as the surest means of doing so. Maid servants are very commonly driven by fear to shelter themselves behind it, for we expect them to be perfect even though we ourselves are not, and bitterly condemn the errors of humanity they exhibit. As a rule, the most truthful class of men I am acquainted with are agricultural labourers, and they are among the most independent. Individual cases of an extraordinary development of this faculty are common enough. Ann .Ross was treated by Mr. Carmichael for what were after- wards found to be simulated insanity, epilepsy, asthma, and excruciating pains in the limbs, for which she underwent several operations with great fortitude, and afterwards had an arm taken off. The disease she had herself produced by thrusting needles into the limb, several of their points having been found, even in the bones. She was eminently pietistical, never without her Bible in her hand by day, and at night under her pillow. I myself saw Mr. Luke at the London Hospital, cut down upon a needle, and extract it from the painfully sore leg of a girl, one of many needles so found, and which were inserted by herself. One boy, a liar from his cradle, was sent to gaol, and the governor offered him a reward to abstain from lying for one week. He answered that he would not make the atttempt,/or he knexv he should fail. I was consulted about a boy at Kidderminster, who would never give a direct reply to anything. When asked if he had been out or dined, or any other question, to which there could be no demur, about which no doubt could exist, he would say, "I think so," "I believe I have/ Never yes or no. Craniology disclosed Intellectual Difference between Man and Animals. 27 secretiveness, conscientiousness, and fear, as dominant features in his mind. I asked if he had always been truthful, and was informed that he had been a liar from his cradle! Having been convicted of his sin, he so feared now to commit himself, that he never risked the chance. It is a prudential instinct, common to animals and man, capable of abuse in him, but not in them. The reason why will appear hereafter. But it is in their combined action that these two instincts, acquisitiveness and secretiveness, play so important a rôle in the affairs of life. Under their influence men rise up early, and so late take rest, and eat the "bread of watch- fulness and care/' that they may gain and keep what their intellects may suggest—and it is well. But here steps in a moral law, that affects every mental power, but which, as far as I know, has been unnoticed by preceding writers, although its importance can scarcely be exaggerated. It is this, that whenever any of our faculties are used as ends instead of means, the object for which they were given is entirely defeated; thus we should eat and drink to live; so surely as we live to eat and drink, we die. Used as means the joint action of acquisitiveness and secretiveness produce industry, competence, and wealth. We are justified in earning our daily bread, in storing up food and raiment for that time when "the night cometh and no man may work." The comforts, and even luxuries of life, are legitimate objects of exertion. Our children, our friends, the hungry and the naked, the wounded and the sick, are all interested in our success, for they have all a right to share in it, and the educa- tion of the young, the sustenance of the old, and, above all, the spread of true religion, offer to the wealthy man opportunities which it will peril his soul to neglect, of " lending to the Lord." But so soon as man gains for the sake of gain, and keeps, because to hoard with him is his greatest pleasure, every object of these faculties is lost. The Nemesis of unholy wealth surrounds him. He becomes a contracted misery, a miser. He casts off his luxuries, denies himself his comforts, and is an enemy to his friends; Midas like, he turns everything he touches into gold, and dies starved amidst the heap. "Oh, it is easy to be rich! it is only to trust nobody, to help nobody, to get everything we can and save everything we get, to stint ourselves and every- body belonging to us, to be the friend of no man, and have no man for our friend; to be mean, miserable, and despised, for some twenty or thirty years, and riches will come as surely as disease and death."* Remarkable instances abound in every Paulding. 28 On Instinct and Reason; ory the country, have appeared in every age, illustrating the truth of this. At Eckington, Worcestershire, not many years since, there died, at an advanced age, Mrs. Mary Barnes, on whose premises there were discovered after her decease 543 gown pieces, upwards of 100 gowns, and a large assortment of valuable shawls. She usually had in her house fourteen cats, and a great number of rabbits. A female mendicant, about the same period, was taken before the magistrate of Amboise, France. On investigation, it appeared that she was the owner of a small cottage, for which she had paid 50of. A sum of 2600 francs in silver money, and 8000 francs in two-sou pieces, were found hid away in closets, chests, baskets, and wherever she could find a hole. She had ninety knives, and plate, linen, and jewellery in abundance, all of which she had earned by gathering herbs and collecting manure from the roads. Queen Elizabeth is said to have had at her death upwards of 1000 dresses, and other goods in proportion. The history of old Elwes the miser is well known. How he gathered bones and eggshells on the high road, for broth, and yet could give his thousands when the whim took him. But as remarkable a man as any was old Daniel Dancer, of Harrow Weald. It is reported of him that he lived a life of abject want. He allowed his sister and himself one red herring and one hard dumpling each for dinner ; he never burnt a candle, but sometimes indulged in a rushlight, which he thus obtained. He carried a snuff-box, and begged a pinch of all he met, which he put quietly into his box. When full he exchanged it with the grocer for a rushlight. He wore haybands for stockings, and went al fresco whilst his one shirt dried. He was subpoenaed once to a trial at Aylesbury. He rode thither with a friend. On his arrival he told his friend to order for himself and horse whatsoever he would; he did so, and the charge was 15s., which Daniel cheer- fully paid. His own expenses amounted to twopence for some bread and cheese, which he eat in the stable with his horse, shared the water in his pail, and slept under the manger. He died worth 3000;. per annum. In stockings and chairs, in garrets and bay lofts, up thatch and chimney, guineas, golden guineas, tumbled out by thousands; and his misery was not the result of early poverty, as is sometimes the case, where much has been suffered and much is feared, but the result of two of our strongest propensities, used as an end, instead of a means, and illustrating the moral law that governs us. Man is omnivorous; in common with the carnivorse he has the power and the disposition to destroy, and rightly used destruc- tiveness is as proper to his nature as is benevolence. Intellectual Difference between Man and Animals. 29 That the propensity is innate, may be easily seen in children, who in early infancy are more cruel than cats; that it is more in- tensely manifest in the carnivorse than the herbivorae is also evident, but the latter have it. The worm even will turn if trod upon, and the poor timid hare will bite the hand that grasps it, and fight to the death when it meets a rival in the field. That the instinct is dependent upon the brain and not the stomach, has been well observed by Gall, who says, "Give the teeth and claws of a tiger to a sheep, and you do not therewith transfer the sanguinary dis- position. It is not therefore hunger or thirst which induces to slay. And they who examine the stomach or teeth of an animal to determine its class, are examining but instruments, in harmony it is true with the disposition, but not creating it. He calls it "L'instinct carnassier, penchant au meurtre." But this is a mistake which Spurzheim corrected. He names it the desire to destroy, which appears to be a perfect definition. Nothing, how- ever, more clearly proves Dr. Gall's honesty, than this and other mistakes. He found murderers, such as Gottefried, exhibiting a peculiar cranial conformation, and he named the motive power after its abuse, not its use. Beasts do not murder, they merely destroy, and yet they have it. Gottefried was executed for mur- dering thirteen persons, viz., both parents, two husbands, four chil- dren, her brother, and several acquaintances. Louis XI. of France was at heart a tiger. When James D'Armagnac was executed for treason, Louis caused his sons to be placed under the scaffold that their father s blood might fall upon their heads. Like our own Richard, he could smile, and murder whilst he smiled. He caused four thousand persons to be executed during his reign. That Chinese devil, Yeh, is credibly supposed to have executed more that seventy thousand. It may be said that these latter atrocities were committed under a cold-blooded policy, without any desire to destroy, only to remove, and might be equally perpetrated by the gentle and kind, as by the naturally savage man. Granted. Some of the most religious as well as most amiable men, have caused their thousands to be slain. Butchers need not be, and as a rule are not, cruel, but some are, and there is a wide difference between those who, like our own judges, destroy life as a duty, and those who delight in blood and gloat over the sufferings of others. It is when excited that all the feelings stand prominently forward, clear of the ranks, and free from all intermixture—it is then that they can be analysed and defined, and from such evidence we determine destructiveness to be an innate primitive instinct, and not an intellectual faculty. The instinctive desire to defend oneself is not a modification of the desire to offend another. The bravest among all animals, including man, are generally 3° On Instinct and Reason; ory the the quietest, and we distrust the courage of a passionate man, as much as we do his judgment. Timid animals hiss and hark, hold ones meet the danger as pious men pray, silently: "Now shrieked the timid, and stood still the brave." "When defending one's life," said Major Murray, who preserved his against fearful odds in Northumberland Street, Strand, "one must not waste one's breath ;" bullies endeavour to intimidate the enemy they know they dare not oppose. But man may possess abundance of both bravery and cruelty and be like the tiger, or he may have little of either and yield to every foe. Bat there are two kinds of courage, the one physical so called, the other moral; the one faces danger impulsively without considering means or ends, as Charles the Twelfth of Sweden did when he turned sharply round upon the burning shell that fell into his tent, and moral courage was as strikingly exhibited by him, when folding his arms he stood undaunted and erect until it exploded. His Secretary displayed neither, for he jumped out of the window. Metaphysicians, and especially moralists, have been altogether lost in their estimates of these two faculties. By some it has been considered that a man may be brave if he will, cowardice has been looked upon, not as a weakness but a crime, and to Gall we owe the true description of its nature. The North American Indian is more firm than combative; he counts the odds, attacks in the dark, and slays the defenceless. But take him prisoner, let the pride of his tribe be bound up in his person to the stake, and let his foes torment him with all the ingenuity of devils, he suffers in silence; "for the son of Aornooko will never complain." I have said that physical courage is excited into activity by danger, it operates at once and without reflection, animals have it to an extent as great or greater than man; but moral courage they have not; it is called into play by reflection, and is the result of calculation ; but thousands calculate and yet are not firm. Dr. Gall calls combativeness " Instinct de la defense de soi-même, et de sa propriété: penchant aux rixes, courage,"*" and gives several illustrations in support of these definitions. He gathered together a variety of characters, gave them money and wine, and obtained their confidence. He then noted their habits, manners, and con- versation, and separated the bold from the timid; this he did for craniological purposes, with which at present we have nothing to do, but it is necessary to advert to his mode of investigation, and reasons for it, in order to judge of the value of them. "Dans * Sur les Fonctions du Cerveau, tome iv. p. i. Intellectual Difference between Man and Animals. 31 certain cas," he says, "il est bien plus facile de découvrir l'organe qui determine une certaine manière d'agir, que la qualité ou la faculté fondementale elle-même. Des actions qui sont une suite de l'activité extraordinaire d'un organe, frappe beaucoup plus que la destination primitive de cet organe, et sa manière d'agir ordinaire. C'est par cette raison que j'ai été dans le cas de commencer par observer presques tous les organes, toutes les qualités, et toutes les facultés dans leur activité excessive. Lorsque les qualités et les facultés sont une fois reconnues comme propres et indépendantes, il est possible d'en inférer peu-à-peu la destination primitive d'un organe."* Well, lie found some of these men peaceable, some quarrelsome, and erroneously inferring courage from violence, he taught that love of quarrelling was an excited manifestation of combativeness,—I have already shown that it is just the reverse. But he instances also one of his friends as having been expelled from several universities as a duellist, and of another whose delight it was to excite the revellers at a wine shop, put out the lights, break the furniture, and fight pellmell in the dark, with chairs or anything that came to hand. He knew a young girl, who from her infancy was accustomed to dress herself in boy's clothes, and mixing with the gamins in the street, very soon became the hero of a fray; she continued the habit after she was married. But his chief argument is derived from its supposed diseased manifestations in insanity, and he cites several cases from Pinel of great violence both of word and deed in proof. One, of a religieuse at the Hospital Salpêtrière, who heaped upon all around her every possible outrage and abuse; swearing at, and attempting to strike every one who approached her, tearing her clothes to pieces, and remaining naked. "She dared not brave the authority of the Governor when he was present, but abused him behind his back." Another, an only son, humoured and spoilt, gave himself up to every caprice, attacking with audacity all who opposed him. Let any animal offend him and he instantly put it to death. He generally involved himself in a fight in any assembly he joined, and left it bleeding ; he was confined at length in the hospital of Bicêtre. Although he declares it to be very difficult to discover the fundamental force of a faculty, yet he believes that " the instinc- tive desire for quarrels and combats may be traced in all its ramifications to the instinct of self-defence or combativeness. And both Spurzheim and Combe endorse and adopt his opinion. But the very essence of combativeness is "self-defence" not offence, and no exaggerated manifestation of it can alter its character; destructiveness is the instinct of offence, and who does not recog- * Ibid. pp. 1, 2, et seq. 32 On Instinct and Reason; ory the nise at once in the cases quoted its legitimate although diseased action? And one is astonished how Gall could have fallen into so grave an error, and still more so that it should have remained undiscovered until now. But a word and a blow, and frequently the blow first, are so commonly associated, and the courageous man is always so ready to attack if no other defence of himself succeeds, that at first blush Gall would seem to be correct. But violence, whether of tongue or hand, is the essential attri- bute of destructiveness; from the sneer to the stab, from malice to murder, the gradations are short and sure, the links are per- fectly sound and coherent, and insanity only rivets them the faster. Strange that Gall should not have seen this—still more strange that he should have witnessed the violence committed by lunatics upon themselves, and attributed it all to self-defence. But how is it that if a brave man be attacked, he very soon quits his defensive for an offensive attitude? I reply that a sympathetic action connects the whole of the separate mental powers together, that the excitement of one very soon engages others, and that comba- tiveness cannot be aroused in any man without very soon bring- ing whatever amount of destructiveness he may possess into play. "Stand back !" he exclaims to his assailant, "stand back, I don't want to hurt you, but shall not put up with any nonsense." Well, but the opponent wont stand back; he abuses, he strikes, and the brave man wards off the one and treats with contempt the other, till at last finding his defensive attitude useless, he steps forward and knocks the bully down, with some such remark as, "Well, you would have it, and now you've got it! Another time you'll leave peaceable men alone." In fact, the two instincts are very good friends, and very ready to assist each other. A bold savage attacks openly, a timid one cunningly. The combined action of one or more of the mental powers constitutes the various characters observable among men. And when we know that they vary among them- selves both in strength and activity, the actions of men are as many motived and as interminable as are the changes from a peal of many bells. Moral courage has been supposed to be but another term for firmness, which Combe denies to animals because they have no moral sentiments, and because it has always attracted the attention of psychologists, when exhibited in defence of some moral principle; but it is a misnomer altogether, it is as strikingly displayed by the murderer as the martyr. Thurtell, who was ex- ecuted at Hertford for the murder of Weare, one of the most cold- blooded upon record, exclaimed, "Now I will show them how a brave man can die!" and neither blanched in cheek nor shook in limb. It is still more flagrantly wrong to call it firmness, and deny it to animals. I think it is clearly demonstrable that there is.no such a primitive faculty as firmness, consequently no organ Intellectual Difference between Man and Animals, 33 of the brain to manifest it; and up to this time I have erred, as well as all other phrenologists, in believing that there was. How is it attempted to be proved? listen to Gall! He says that " the character of man depends much more upon the senti- ments than the faculties. A feeble and indecisive man and a man of firm character are equally ignorant; the first, because he floats from one project to another; the second, because he persists determinately in the path he has taken and he cites Cicero as an instance of wavering uncertainty, and Cato of fixedness of purpose. Of the latter, he relates that Pompedius demanded of him, when a child, that he should be reconciled to his uncle. The boy was silent, but showed by a look and an air of dissatisfaction that he wished not to do what was demanded of him. Pompedius insisted, and taking him in his arms, carried him to the window, threatening to throw him out if he persisted in his refusal. But fear had no effect upon him. He would die rather than submit to his enemy.f Children generally may be divided into two classes—those who yield, and those who do not. Men differ in a similar manner. The vacillating man is not to be depended upon, either by himself or others; the unswerving man is to be depended upon by all. "Tu ne cede malis," is his device; menaces and danger only make him more firm; of such it may- be said, "Si fractus illabatur orbis, impavidum ferient ruinas." "Take any form but that, and my firm nerves shall never tremble," says Shakespeare; and Scott illustrates it in the character of James Fitz-Jarnes— "Come one, come all, this rock shall fly From its firm basis, soon as I." But who does not perceive that in all these and similar instances there have been intellectual faculties at work, and many sentiments aroused. Conscientiousness, Jove of approba- tion, pride, courage, with many more, are excited and combined, and each for itself will never yield. The lower animal instincts are equally obstinate. Children will look you in the face and lie, and no punishment will some- times elicit the truth. I knew a girl who stole some small thing, and when taxed with it, and even promised forgiveness, declared and persisted that she had never seen it, although it was in her clenched hand all the time. Animals are even more firm than men. Try to take a horse from a stable on fire, and he will die first. The obstinacy of fear is scarcely excelled by that of con- scientiousness. Self-esteem seldom gives up—veneration rarely * Tome v., pp. 399, 400, et seq. No. V. d t Ibid. 34 On Instinct and Reason; or, the —ignorance never; and the firmness of a brute always exceeds that of man. Try to drive a pig, try to urge a donkey or a mule the way he would not go; with what firmness a bull-dog keeps his hold, how pertinacious in his attempts to escape is Edmond's hyaena, how consistent, how certain, are all the actions of animals, and yet forsooth they are said to have no firmness! The truth is, that there are two kinds of firmness, as there are of courage—the one consists in an excitement and persistent action of any of the lower faculties, and is common to animals and man; the other is the result of thought, and involves prin- ciple; it is the determination of the whole mind upon the whole matter, and should be called will, only that animals have a will, but have not this. Moral courage is not its proper designation, because a man's social and selfish feelings have all a voice in the matter as well as his moral sentiments; a mother's love for her child will produce an amount of firmness not to be quelled by man; decision is a better term, because it presupposes nothing, but describes the fact. The firmest men are those nearest allied to the brute, they are firm by impulse, and it is ofte.ner called into play; fear is the only thing that checks them, and that of course only in proportion to its amount. The most vacillating men are those endowed with the largest intellect and the higher moral sentiments. They must canvass a proposition in all its bearings before they decide, and consult the divinities of their nature before they act. But this once done and their minds made up, "quod si cœlum ruat," they are immoveable as the earth. The firmness of an Indian arises from his pride, of a religious man from his creed, of a conscientious man from his sense of right, but these are all antagonized, and in proportion to his doubt is the wise mans indecision. Lord Eldon doubted, and decided not; Lord Brougham has wandered through every phase of science—I had almost said of politics. But the merely animal man, the unreflecting man, wavers not. George the Third was an instance of the latter, thousands upon thousands of the former. Cranmer only evinced firmness in his death, he had been lamentably deficient of it until then. Women are more firm than men, first, because they are more secretive, and secondly, because they have been hitherto less cultivated. Men who have mastered any subject whatever, who have confidence in themselves, and who are not swayed by vanity, nor passion, nor prejudice, nor fear, are firm as rocks. Wellington was one of these, and perhaps Napoleon III. is another. Fear has been well called the master passion of the mind. It is common to all sentient beings, but very differently manifested in each: timid as a dove or a hare is a household phrase, bold as Intellectual 'Difference between Man and Animals. 35 a lion is equally so, but the absence of fear does not produce courage, though it contributes to presence of mind, and the absence of courage does not produce fear, though it leaves it un- autagonized. Gall attributes to fear properties belonging to secre- tiveness and conscientiousness; he calls it "circonspection, prévoyance," and cites two illustrations; the one a prelate who hesitated so much that it was painful to listen to him, the other a councillor of state, who, from his eternal irresolutions, obtained the name of Cacadubio. And Combe, following up the idea, has named it cautiousness. That it is a primitive faculty there can be no doubt; if there be a single mental manifestation reduced to its root this is the one. It is entirely independent of intellect, or of health, or age, or sex. It varies in amount in animals of the same species almost as greatly as in different races. It has dwelt in palaces surrounded with guards, and been almost absent on the rocking mast where the sea-boy slept. It has hunted a Louis XI., a James I., an Aristippus, and a Paul, from chamber to chamber in the vain hope of repose, and allows not the miser to rest away from his hoard. It is not judgment nor prudence nor foresight, still less is it caution, though it may produce it. To fear coming evil just enough to arrest the career and enlist the intellect of those who are rushing headlong into it, allows other instincts to come into play. But when excited beyond this, when obeyed as the end instead of the means, fear produces the greatest possible im- prudence and incautiousness. Under its unbridled influence the suicide " rushes into the arms of death to avoid the terrors of his countenance."* Shrieking women and timorous men snatch the reins from the driver's hand when the horse runs off, upset lurching boats by rushing to the toppling side, "et corde et genibus trement" before the infu- riated bull, and fall headlong from the cliff a bold man folds his arms upon in safety. If fear and cautiousness were synonyms, the increase of one would be the increase of the other, whereas, beyond a certain point, where fear shakes itself loose from its neighbours, it para- lyses and destroys. These constitute as far as I yet know the selfish propensities common to animals as well as man. They are given for his self-preservation, and are as capable of their fullest action in the wilderness, away from all human beings, as in the crowded haunts of men. Robinson Crusoe exhibited them as well before Friday joined him as afterwards. He ate and drank, destroyed fish and * Young. D % 3* On Instinct and Reason, birds and beasts for food. He acquired and secreted with a squirrel's instinct and with human caution. He trembled at the print of the savage foot in the sand, then shot its owner; and he exhibited as much moral courage as physical during his whole career. Except in monomania these instincts rarely act alone, and even then their independence is of short duration. But it is curious to witness the result of their combined action, and to trace the several motives by which an animal is impelled. I remember walking in Belfast when an urchin from a hovel threw a stone at two dogs leisurely walking on before me. The one was a bull- dog, the other a spaniel. The stone passed between them. The spaniel yelped and fled, the bull-dog turned short round on his hind legs as on a pivot, and seeing no one but me (for the boy had concealed himself), uttered a most menacing growl, as much as to say, "Don't do that again ! my combativeness is always up, my destructiveness is easily aroused." I stopped short, and almost cried, "It wasn't I," but I was silent, and after another growl he turned and went on his way, only more slowly than before. The spaniel ran some twenty yards and stopped, then taking courage from his friend came rushing back open-mouthed and noisy, and would have torn me to pieces if he had dared. The animals went their way, the bull-dog every now and then checking my advance by a retrospective look and snarl, until they reached their turning home, when he stopped, and looked, and growled again, then left me in peace. There are other instincts common to animals and man, but they come not within this cate- gory. Before, however, parting from these, one or two points require notice. The retributive law already noticed attends their abuse. Combative men provoke offence, and are not always strong enough to defend themselves. A destructive man, whose hand is raised against every one, will find every one's hand raised against him; and " whoso would save his life shall lose it." There is nothing so fatal as terror; and the obstinate man is always kicked to the wall by those who have the power to do it. If the above faculties constituted a man's whole affective mind, he would be a serpent. The devil is a personification of them; he goes about seeking whom he may devour. He seeks to acquire the souls of men, he is the father of lies, his obsti- nacy is indomitable, he défies the Omnipotent, but he believes and trembles. I have said that animals cannot abuse these or any other of their mental powers. But it would appear that the cat does when she torments a mouse. Unnecessary pain seems not to emanate from Divine beneficence, and unnecessary pain is uniformly in- Periodicity. 37 flicted by the cat. But I apprehend that man does this. It may almost be said of him, "non tetigit quod non damnavit and to its domestication may the cat's apparent cruelty be traced. In the wilderness the animal destroys for food, but in our houses we feed it, even to repletion, and although this tames much, it leaves destructiveness a leading and unsatisfied instinct, which now and then delights to enjoy itself. So when a cat catches a mouse, as it is not hungry, it just gives the prey a loving bite and lets it go, secretly watching from the corner of the eye, and spring- ing upon it with a joyous bound when just about to escape, the animal has caught the mouse a second time, tvhich is, with it, equi- valent to a second mouse, and so enjoyment is prolonged and multiplied by the captive's agonies. The butcher indulges his acquisitiveness in a similar manner, when he tosses the hansel shilling in the air and catches it in its fall. The miser hides his money that he may reacquire it every time he steals to his chest in the dead of the night, and opening the lid looks down with joy upon the treasure which every day and every night is lost and found, arousing modified feelings such as would in a greater intensity hail the advent of a really new and sudden acquisition of wealth. These instincts exist in diffe- rent degrees in the same individual. A man may be timid yet brave, ferocious yet benevolent, truthful yet deceitful, but the intellect and higher feelings direct and develop these emotions, or are directed by them. We defer, however, any further remarks upon this point. Art. III.—PERIODICITY* We learn from the early English metrical romances relating to King Arthur, that Sir Gawain, one of the most redoubted of the valiant knights of the Round Table, possessed (thanks to a saintly benediction) a very peculiar privilege. A man of mighty thews and sinews,his strength at all times surpassed that of common men, but it was subject to considerable oscillations, depending upon the diurnal progress of the sun. Thus from overtime, that is to say, nine o'clock in the morning, until noon, Sir Gawain's mus- cular powers were doubled; from thence until three o'clock in the afternoon they relapsed into their ordinary state ; from three * Health and Disease as Influenced by the Daily, Seasonal, and other Cyclical Changes in the Human System. By Edward Smith, M.D., LL.B., F.R. S. Svo, pp. 409. London. 1861. 3» Periodicity. until evensong they were again doubled; after which thi preternatural accession of strength once more subsided until day break. Remarkable as this phenomenon might at the first aspec appear, it holds but a véry modest rank among the many marvel which distinguished the epoch of knight-errantry. Rarely di< the supernatural in that mythical period condescend to ally itsel so closely with the natural. Swords tempered in no earthly fire and of irresistible edge (witness the Escalibore of King Arthur, an( the Aroundight of Sir Lancelot), mystic rings, which shielded th< possessor from enchantment, and from clanger by fire and by water impenetrable armour, and magical cantrips of sundry descriptions were the aids by which heroic distinction was chiefly acquirec among Sir Gawain's compeers; but his own marvellous power were brought about by the simple exaggeration of a natural phe nomenon. That the harmonious and periodical changes observed in thi position of the sun and other heavenly bodies to the earth, wer< intimately reflected in man as well as in the varied phenomem occurring on the surface of the globe, was a belief entertainec from the remotest period of which we have any definite account It has been handed down to us, indeed, as a necessary assmnptior from matters of ordinary observation. Night and morning, th( progress of the months, the succession of seasons, and the revolu- tions of the moon, on the one hand ; and on the other, the diurna occurrence in man of sleeping and waking, of fatigue and rénova- tion, of appetites and wants, the greater liability to certain diseases at certain seasons, and the menstrual flux in woman, formed i wide foundation on which to build the assumption that th( periodical changes going on in the human frame were closer} linked to the periodical changes in the position of the heavenl) bodies to the earth, and among themselves. Broadly stated, this assumption is simply a truism-; and if we permit ourselves tc laugh at the extravagancies into which it often led the philo- sophers and physicians of the early and middle ages, in theii attempts to trace the connexion between every variation in man's state and condition with the changes observed in the position oi the sun and the moon, the stars and the planets, let us also take shame to ourselves that modern science has hitherto clone so little to follow out the consequences of the great truth which lies under the assumption. Truly it was a pleasant conceit that the whole history of man from the cradle to the grave was figured within the narrow bounds of a single day. In the morning he arises flushed with renovated vigour—at mid-day his powers culminate—in the evening his matured forces wane—and in the night he gladly seeks repose for Qui pourrait, sans ingratitude, o^BlSr" TRIBITN XJ 2£ COUR D'ASSISES D'AIX. udiencQ du 21 ma£. ffRÈ&E ISIDORE ATTENTAT A LA PUDEUR La cour d'assises des Bouches-du-Rhône, siégeant à Aix, a jugé le nommé «Etienne Boudou, en religion frère Isidore, qui était .accusé d'attentats à la pudeur sur neuf en* fants de son école située rue Grignon, à Marseille. Le jury a rendu un verdict de culpabilité. En conséquence, Etienne Boudou a été condamné à six ans de réclusion. VARIÉTÉS M PSYCHIQUE DES BÊTES fV;r'iPAR I/Ë DOCTEUR L. BUECHNÈR (1) / |r iÔn ne sait trop à qui s'adresse ce non- v^jti, livre du docteur Bueehner. La ter- rible réputation de Fauteur de Force ''0.$tfyfièr& ne nous avait point préparés l^ï'eniendre discourir avec bonhomie, >$p&i qu'un magister de village au milieu ■•'dei§es' élèves, des merveilles de l'instinct l^^dë l'intelligence chez les abeilles et r:p|);ioiirmis. Nous ne sommes point l^cjàxfqur affectent de dédaigner les tra- plîx^lô philosophie naturelle du docteur wlf^ïiner. Le livre qui l'a rendu célèbre d'êlre sans mérite, comme l'a |i^fiÉu M.PaulJanet :« On y trouve, très- *||lïïïentgroupées, les théories récent |SSï0ciences physiques et naturelles(2)., l^#s hommes de notre temps se sou- vent encore, sans doute, de Timpres- ^^fâklîèfende que laissa dans leur esprit fa^pïïr.è-de Force et Matière. Ils avaient "^ l^îrigt ans, j'imagine; ils en ont aujourd'hui. Qu'ils essayent de :" catéchisme athée et matérialiste: verontaussi superficiel, aussi in- f^vgon dogmatisme naïf que ÉglÉ#c^têchjsmes .rçligieu:£-4®.i£ ^«^gfphïques. Mais à qui 1$ faute? A j iprous, qui avons vieilli, non au vaillant ! petit livre qui, en son temps, éveilla no- Ltre esprit, fit battre notre cœur. qu'il doit à ce livre quelques-unes* dès plus fortes émotions de sa jeunesse, I|èn'4 thousiasme silencieux de ses premières rêveries philosophiques, et ce frissba dé* licieux qui accompagne les première^ révélations du système de l'univers?' Nous avons perdu la foi ; conéervonsK pieusement le souvenir de ces joies pureg et désintéressées, les plus hautes qû'fl nous soit donné d'éprouver. Traversons tous les systèmes sans nous y arrêter, puisque aussi bien ils ne reflètent tous qu'un aspect des choses; mais traversons- les comme des temples où d'innombra* blés générations de croyants se sont âgé* nouillées, je veux dire avec une sym- pathie vive et profonde. Qu'importe que l'erreur habite au fond de toute]doctrine ?^ Ce qui importe, c'est de penser, c'est de réfléchir, c'est de scruter avec anxiété, avec tremblement, les mystères de cet in- fini qui nous déborde de toutes parts; la vérité, qui avait d'abord allumé de si beaux feux en nos âmes, on se console, en la cherchant de ne la plus posséder* Faut-il regretter l'illusion d'amour*; l'é- clair1 de poésie, qui nous la moiitra çLâaâT sa vague et idéale beauté? A ne considérer que les choses vraies* et utiles qui sont dans ce nouveau liyr% la Vie psychique des bêtes, et en laissant de côté maintes allusions politiques et digressions économiques d'un [goût dou- teux, on doit se féliciter de pouvoir met-? tre aux mains des jeunes gens et des per- sonnes du monde un ouvrage qui pré* sente un résumé élégant des observations et des théories relatives à l'intelligence, aux mœurs et aux sociétés des fourmis et des abeilles. Après Lindsay, Morgan et beaucoup d'autressavants, M. Buechner11 rappelle qu'«il n'y a point d'instinct, | dans l'ancienne acception du moi ». Si*; en effet, on entend par instinct quelque J chose de distinct de l'intelligence, ou même d'opposé à l'essence de sllnteÏK* , gence, il n'y a pas d'instinct. « Il existe incontestablement, comme Ta noté Biie-rj chner, beaucoup d'actes instinctifs ; ton*-; f; tes les fois qu'ils ne sont pas l'effet d'ac^ tions réflexes, de l'imitation, de l'habit; tude, de la délibération, de l'expériencef* de l'éducation; chaque fois qu'ils ne dé- pendent pas du développement raffiné d'un sens spécial ou de quelque autre _ / |;particularité de l'organisme, ils sont 1 I bien certainement le résultat de pen-^ | tehanjs, d'aptitudes, d'habitudes reçues des j ^ancêtres par voie d'hérédité... Mais ce§,| penchants et ces habitudes ont été lentes ment et graduellement acquis par les parents et les ancêtres au cours -de leur existence, et cela durant de longs sièc les. » L'instinct, cette force accumulée de gêné*' ration en génération/ a eu pour origine; l'avantage que certaines actions assu- raient aux êtres vivants dans leur lutta pour l'existence. D'autre part, l'éducation^' artificielle peut exercer sur les penchants et les habitudes héréditaires une influence analogue à celle qui, dans l'état de na«* ture, dérive de la lutte pour l'existence et de la sélection. Ainsi, le jeune chien de chasse vient évidemment au monde avec c ertaines prédispositions héréditaires; néanmoins, il doit être dressé et soumis à une rçourriture et à des punitions ap* ,propriées avant de devenir un chien de chasse véritablement utile. \ Considéré, ainsi que l'a fait Lamarcli, comme lé résultat d'habitudes progressi- vement acquises, fixées et transmises par l'hérédité, comme une prédispositionj des organes des seng et de l'intelligence à l'accomplissement de .certaines actions i I prédéterminées, l'instinct est-il compati- 1 ble ayec la raison? Ouviersoutenait, on le sait, que l'instinct et l'intelligence sont en t raisjiiu.inverse, et tout le monde, au fond, -sérà .^l'avis de Cuvier. Cependant, les in- sectes qui possèdent les inistints les plus ; remarquables sont aussi les plus intelli- gents. lies moins intelligents de la classe ; deg vertébrés/ les pois^p-ns et les amphi-' bies, cfntpeud'instinct; parmi les mammi- fères, l'animal le plus admirable par ses instincts, le castor, possède, dit Darwin, « une grande intelligence » (3). I Chez l'homme même, Buechner a I noté le penchant impérieux, profond et funiversel, comme un instinct qui, dès —-—-—■ — ■ | (1) La Vie psychique des bêles, par le doc- fteur L. Buechner, traduit dé l'allemand! par le ^docteur Cb. Letourneau. Avec gravures sur mois. (Paris-Reinwal'l, 1vol. in-8.) I (2} Paul Janet. Le Matérialisme contempo* main. Examen du système du docteur Buechner^ ÉParis, 1864.) . S (3) La. Descendance de l'homme et la sélection ; êexueUe (Paris, Keinwald, 1881), p. 69. Nous j parlerons bientôt de la nouvelle" édition fran- çaise de ce grand livre. \l l'enfance, le porte à-détruire, à briser, à tuér, presque toujours avec des.raffïne- > ! ments de cruauté, penchant qui serait 'comme un ibintain souvenir de ces luttes atroces de tctas contre tous, belhtm om- nium contrit oranes, cju'on peut placer à ces hautes\époques où les poètes anti- ques et quelques philosophes du dernier siècle avaient rêvé l'âge d'or. Que peu- 1 vent, et les préceptes de l'éducation, et la sanction des ihœurs, et l'arsenal des lois, et l'épouvaiitail de la vindicte pu- blique, contre ces impulsions intimes, inconscientes, irrésistibles de la nature humaine? L'animal le mieux domestiqué, le plus habitué au mors et à la bride9 se cabre, à certaines heures, rue de grands l coups et redevient sauvage. u Mais, on ne saurait le nier, c'est sur- tout chez l'animai que î'instinct règne et gouverne. Les vues profondes de Descar- tes sur l'automatisme des bêtes reçoivent chaque jour, en ce domaine, la plus éclatante confirmation. Les plus intelli* ; gents insectes, les « primates », du monde dès arthropodes, comme on lés a ; appelés, sont les fourmis. Leur intelli- gence n'est pas seulement supérieure à celle du reste des invertébrés; elle s'é- lève sûrement au-dessus de celle dés classes inférieures des vertébrés eux-mê^ mes, des poissons et des amphibies et, par- mi les autres vertébrés, les singes, les élé- phants et les hommes remportent seuls à jcet égard. ^ Dans l'admirable préface de ses Ques* lions naturelles, Sehèque se demande quelle différence existe entre les hommes et les fourmis. Ii n'en découvre d'autre que celle de deux atomes plus petits l'un que l'autre, — simple question de quan^ • tité, non de qualité, exigui mensura, cor- '. pusculi. La raison de cette supériorité ^intellectuelle* est tout entière dans la structure et là masse relativement con- sidérable du système nerveux des.four- mis. Ce système nerveux, dont on peut •> étudier chez Leydig l'anatomie, ce cer- f, veau , qui rç'est qu'uh point en quelque \sorte/a garu ^,Gh§irles Darwin aiajlus | [i%ëfvèî11èiûvà^ particule de matière ' dé 1 i l'univers, plus merveilleuse, peut-être, 'que le cerveau de l'homme ». Après tout, l'unité fondamentale que -..manifestent les fonctions de la substance '^nerveuse indépendamment de la formé ides organes dans tout le règiae animal, implique l'unité de conscience chez tous i les êtres, non pas seulement de la fourmi, mais de la monè»e à l'homme. L'antique muraille qui séparait l'intelligence de l'instinct est tombé. Tous les naturalistes ont reconnu que, chez l'homme cofrrme chez lés autres animaux, Jesproeessus in- tellectuels de'l'instinct étaient, au fond, identiques à ceux de l'intelligence. A la vérité, quelques naturalistes objectent encore que les animaux n'ont pas la fa- culté du langage. « Comment, s écriait Broca, comment a-t-on pu prétendre que. l'homme seul possède la faculté du lan- gage, et qu'elle manque aux animaux? Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que les animaux ont des moyens de se communiquer leurs idées, moyens qui, '■ pour être différents de ceux qui soat usi- , tés par l'homme, n'en constituent pas moins des formés diverses u*e lan-*; 1 gage » (1). K' 'Dans ses cours comme dans ses; livres, M. de Quatrefages a maintes fois exposé £ tarnàture des caractères psychiques corn- j ! muns aux hommes, et aux animaux. Où | [ sont les raisons des différences qu'on! f observe chez les uns et chez les autres? * Sont-elles dans Tanatomie? s'est de- mandé Féminent professeur du Muséum. Non, chez les êtres les plus rapprochés de l'homme, l'identité de composition , existe presque os par os, muscle par muscle, nerf par nerf.. D'ailleurs, la science qui traite de la formation des tissus vivants, qui les résout en éléments simples et décomposé ceux-ci en prin- cipes immédiats l'histologie, a montré j que l'identité s'étend jusqu'aux principes | mêmes de l'organisme. — Sont-elles les i raisons de ces différences dans la phy- [ siologi.e? Non, car des organes consti* \ i tués par des éléments4 semblables ne; peuvent fonctionner différemment.—Sont- elles dans la station droite, si souvent re* j 'vendiquée pour l'homme? Non ; car cer-; tains singés marchent sur leurs pieds; le grand manchot et telle racé de canards domestiques possèdent aussi la station verticale. — Sont-elles dans rintelli- gence? Non : comme nous, le dernier des zoophy tes éprouve des sensations internes et externes i^çojmm^ conscience de lui-même et du monde ambiant; cemme nous, il associe des idées et des imprèâsions i il raisonne. L'animal per- çoit, il juge, il veut. après, les* naturalistes du langage vocal etijiimiquè des abeilles, des « accents de joie ou de tristesse ». qu'elles font entendre au retour de la reine fé- condée, après l'essor nuptial; la note . claire et perçante que produit alors la vibration ra'pidè'de •" ïéurs * aîîëïHn*£ ''"Hon'"*"' de commun avec le « sifflement de colè- re » ou le « gémissement plaintif » qui retentit dans les ruches orphelines de leur reine. Parmi les scarabées, les nécro* phores possèdent un appareil vibratoire au moyen duquel ils émettent un son i particulier qui rappelle le son delà vielle et qui leur sert probablement à s'appeler qpand ils ont quelque ouvrage à faire en | commun,quelques cadavres à enfouir,etc. , En outre, ainsi que les fourmis et les! I abeilles, ils communiquent surtout entre eux en s'effléurant de leurs entérines de mille manières diverses. % Ce n'est pas Sans effort qu'on parvient à imaginer ce qu'il a fallu de temps et fde patience aux Huber, aux Lubock, aux Forei, pour réunir les observations, pro- voquer les expériences sur les faits et gestes de fourmilières d'espèces différent tes, par exempte sur leurs rapports ami« eaux ou hostiles, la tactique des armées et l'ordre des batailles, les moeurs pu- bliques et domestiques des diverses* colo- nies, les habitudes et, les usages fondés { sur la division du travail, * sur l'éco- no mie de la chose publique, et des ma- 'i' nières d'être individuelles, suivant les j circonstances, les saisons, la tempé- | rature, l'heure du jour. Ainsi, tous ! les auteurs insistènt sur l'immense I variété que présentent les diverses races j de fourmis dans l'art de bâtir* variétés > qui augmentent encore dans la même race, selon lescirconstancesde temps et de lieux. « Le trait caractéristique de l'architecture des fourmis, a dit Forél, est le manque à peu près complet d'un plan géométrique invariable oujpeu variable.f» Au>contraire, I les guêpes et les abeilles, moins intelli- j gentes que les fourmis, bâtissent, on le sait, avec une certaine régularité et pres- que toujours de l la même manière dans : la même espèce. Chez les fourmis (en ! particulier dans un type fort commun, la I F./usca), telle ouvrière (1) exécute s ou- j vent seule le plan d'un nid; ses compagnes ne lui viennent en aide qu'après avoir ; compris son idée. Rien ne prouve mieux la supériorité intellectuelle, partant la perfection relative du système nerveux de ces insectes. Treviranus avait déjà trouvé que le cerveau était beaucoup plus déve- loppé chez les hyménoptères vivant' en ^société que chez les autres insectes. Mal- heureusement, si Ton excepte le cerveau r l'ànatomie et la physiologie du système nerveux des fourmis sont presque tout à faire. % Toutefois, dès h présent on en sait assez pour pénétrer dans la vie psychique de ces êtres et pour soumettre leurs façons d'agir à de délicates et curieuses ana- lyses. Jjes observateurs ne manquent pas, comme en témoignent les relations particulières que reçoivent les naturalis- tes de tous les points de la teçre. C'est ainsi que le docteur Lincecum et sa fille ont étudié pendant dix ans, au Texas , les mœurs d'une grosse fourmi brune qui, non contente de rassembler le grain dans ses greniers, l'ensemence et le moissonne quand il est parvenu à sa maturité. Ces fourmis agricoles, comme on les appelle, pratiquent en fait l'agriculture et savent en quelles saisons on sème et on récolte. Le grand naturaliste Ch.Darwin a communi- qué les faits recueillis a ce sujet à la Société • linnéenne de Londres, On connaît aussi des fourmis glaneuses: une partie des : ouvrières montent sur les épis d'un champ, détachent les grains mûrs et les jettent sur la terre, où d'autres ouvrières les ra- massent et leâ emportent. On savait de- puis longtemps que les fourmis sont « un ; peuple pasteur », comme parle Huber, et Linné avait appelé « vaches des four- mis » ces pucerons qu'elles domestiquent comme un bétail et dont elles traient un liquide sucré, sorte de lait'fort nutritif. Chez les fourmis, comme dans le reste dii monde, organique, on voit clairement que tel acte4 d'abord volo ntaire et cons- cient^ devient inconscient, instinctif, pu- rement réflexe.Ce n'est certes pas en vertu | de connaissances ahatomiques innées I que les fourmis de certaines espèces, aux prises avec un ennemi, enfoncent comme dçg poignards leurs mandibules dans la tête de cet ennemi, et cela en choisissant (1) Ces ouvrières asexuées (comme on les nomme) des fourmis et des abeilles ne sont .point réellement $ dépourvues de sexe; ce sont des femelles dont les organes sexuels (les ovai- res) oiit subi un arrêt de développement. Le développement parfait de ces organes peut être obtenu par un repos complet et une a,boh« riante alimentation. i toujours là placé ou se trouve le cerveau? \ \ les centres nerveux étant ainsi lacérés et; désorganisés, les nerfs, mandîbuiaires de; l'adversaire ne peuvent plus fonctionner; il lâche prise et tombe en convulsions* L'instinct social dés fourmis a surtout été observé avec finesse. Sans compa*: rer, comme Ta fait Swammerdam, les ! sociétés des fourmis aux communautés i des premiers chrétiens, on peut, dire \ 'que ces insectes présentent un type parfait \ i de hésitent, puis, emportées comme dans ur! tourbillon par. le dieu des armées, elles, | détournent la tête et se rejettent dans ^a icnêlée. Il y a d'ailleurs bien des exce^ lions*.bien des différences individuellcÉ mais elles sont naturellemen t plus rar*\' chez les fourmis que chez les yertéb^ supérieurs* ^ Jules Soury. . h INSTINCT, Ivpfo^ ; ^Tow for a .few-words-on dogs and other lacrimals. I am one of those who believe that |we. usually under-estimate the reasoning jppwer of animals. 1 believe they think and "tëasori ^ out a course of action from their f&oughts. The following anecdotes bear on inis point. I have a very favorite Skye ^rrier, bred and sold to me by the famous ÎB111 George many years ago. His eyes are ftfow'dim with age, he is stone deaf, but he is jajte|ing>now by my side with his wise old face KSiied up towards me, and a look of reason- |f g love upon it. This dog is a thinker and a |Èéasoneri witness his acts. ^.;Some years since I spent a winter in jfràj>ies, and went often to the library to read ^he newspapers. My dog went with me, but 4s he would quarrel with the library dog, he I |was shut out. But one morning the door bell yrang, and on the door being opened, in rushed £ Cloudy." There was no one at the door, ?ahd as the same thing occurred again on my kiv&t visit, it was clear the dog rang the bell. iThe door was watched the next time, and it ^as so; the bell pull was a cord, hanging |dbwn, and the doe: jumped at it till either îfwàfopaws or teeth he jerked it sufficiently to «ring the bell. But once he heard the bell ftinkle inside, he left off jumping, and posted ^himself in position to rush in the moment the Boor was opened. Again, at a croquet party, P Ml was knocked into the water; "Cloudy" t^ëùt in after it, but it was much too big for 5fSs'mouth, and after many vain attempts to |*fi$;Jiold of it he swam back. Half-way to Ifhe bank, however, he reasoned, and swim- ming back to the ball, he paddled it along in ffront of him by nose and feet to the bank, up évhich and on to the lawn he brought it in the |ame way. I could tell many more stories of ^his dog's wisdom, but will only mention one 'more trait in his character. He had to make jithe journey from Paris to Marseilles in a dog jlbox, and he never now is taken to a railway ''station but he instantly flies into a carriage [fand ensconës himself in a corner, whence no I frail way porter in England could "draw" Jhim. This is from his recollection and horror \ot his dog-box prison. Another dog of mine reasoned. After the battle of Inkerman a fine Russian dog re- | mained with his master's bod3r, and I took .him away. He tolerated me, but at intervals £| ten days or so would go off down a valley & front of our camp into Sevastopol, and not [return for a day or two. Clearly he went to t search for his lost and loved master, and fail- ring to find him returned to his friend. This 'clog never recovered the lost of his master, and even when living in England, would go restlessly off in search of him. Many of my friends and relations will remember old "MenshikofE." Even my pug, by no means *a clever dog, has sufficient reasoning power to I have learnt to open the lid of the croquet box ■and fish out a ball whea he wants to have a game of play. Few people would credit a cat with reason- ing power, but the one which acted as follows certainly had it. After the French troops had taken the Malakoff I was sent into it on duty, and found an unhappy cat bayonetted through the foot and pinned to the ground. I took her to my tent, she was carefully vtended, and every morning taken to the i dootor to have her wound attended to. Four I or five days after I was too ill one morning I to get up, and puss came and scratched at my tent door. I took no notice, but not long after- - wards the doctor came to say that mine was a wise cat, for she had come to his tent and sat quietly down for her foot to be examined and have its usual bandaging. She was watched to see what she would do the next I morning, but she declined wasting her time (Scratching for me, and went straight to the ! doctor's tent and scratched there. Surely, she j reasoned. She was a very affectionate j'animai, and it was absurd to see her follow- I ing me all over the camp with her tail carried I stifx in the air.— Col. B. Stuart 'Wortley, j London Times, January 5th. I 0 1 date due SBMAL /T' DO NOT REMOVE OR MUTILATE CARD