..nes; quelle etoit leur condition : cela est pe- nible a rappeler, mais il fautbien le dire: leur condition etoit deplorable. Cepen- dant nous allons voir ces memes homines figurer dans les assemblies nationales comme membres du corps politique, et partager avec la noblesse et le clerge le i. 4 INTRODUCTION, clroit de s'imposer eux-memes. Comment cette grande revolution s'est-elle operee? ;i quelles causes faut-il attribuer un chan- gement aussi extraordinaire dans 1'etat de la societe? Ces causes, je les vois dans 1'extension du commerce, dans les pro- gres de la civilisation, dans 1'affranchisse- ment des communes, et sur-tout dans la necessite ou les rois se trouverent d'e- tablir des impots. Ce commerce, ces arts, cette civilisa- tion, qui font aujourd'hui notre orgueil, nous devons leur renaissance parmi nous a cescroisades qui ensanglanterentl'Asie, depeuplerent 1'Europe, et ruinerent la noblesse. Les seigneurs, persuades que la fortune aussi bien que la gloire les attendoit au-dela des mers , et que 1'ar- (>ent absorbe par les frais d'une guerre aussi sainte seroit place a un interet in- calculable, vendirent leurs terres, et les donnerent au plus bas prix. Les rois ache- terent les plus importantes; les moins considerables passerent dans les mains INTRODUCTION. 5 des particuliers; et le premier resultat de ces expeditions romanesques f'ut, dans toutes les parties de FEurope, d'affoiblir 1'aristocratie au profit des couronnes et de la democratic. Ces expeditions, qui jeterent TEurope sur 1'Asie, opererent dans le commerce une revolution encore plus favorable a la liberte. Les premiers croises s'etoient diriges sur Constantinople par rAHema- gne et la Hongrie; ceux qui les suivirerit prefererent s'y rendre par mer. Les villes de Venise, de Genes et de Pise, four- nirent les batiments de transport, et en tirerent des sommes prodigieuses : ces be- nefices eveillerent I'industrie. De tous les ports d'ltalie sortirent des vaisseaux qui porterent aux armees chretiennes tous les approvisionnements qui leur etoient necessaires; ces vaisseaux se chargeoient, a leur retour, des objets d'agrement et de luxe qui manquoient a 1'Occident ; ces objets, dissemines par la main du com- merce chez tous les peuples de 1'Europe , 6 INTRODUCTION, leur donnerent des besoins nouveaux et des jouissances nouvelles. Bientot 1'Italie devint le plus grand marche qui fut alors dans le monde entier; et la plupart des villes furent, les unes assez riches pour acheter leur independance, et les autres assez fortes pour la conquerir. REPUBLIQUES D'lTALIE. II seroit trop long, et d'ailleurs tres dif- ficile d'exposer les differentes constitu- tions d'environ trente villes qui se for- merent alors en cites iridependantes. Toutes ces constitutions differoient par quelques nuances, mais elles avoient cela de commun que dans toutes la puis- sance legislative etoit exercee par 1'uni- versalite des habitants; que dans toutes le peuple elisoit ses magistrals ; qu'a cote de ces magistrats etoit place un conseil compose des plus notables citoyens; que les magistrats et les conseils, elus pour un, deux, ou trois ans, etoient investis INTRODUCTION. 7 du pouvoir executif; qu'en consequence ils avoient Tadmini strati on de la cite; mais que toutes les fois qu'il s'agissoit de faire la paix ou la guerre, et sur-tout quelques changements dans la constitu- tion de 1'etat, ils etoieut obliges d'en referer a Fassemblee generale des ci- toyens (i). Vers la fin du douziemesiecle, il se fit un grand changement dans la plupart de ces petites republiques. Aux magistra- tures collectives, dont nous venons de parler, elles substituerent un magistral unique sous le nom de podestat. Suivant M. Hallam, dans son Histoire du rnoyen age (2), le podestat etoit quel- quefois e'lu par une assemblee generale, (1) Si 1'on veut des notions plus exactes sur ces diffe'- rentes constitutions, il faut recourir au bel ouvrage de M. Sismondi sur les republiques d'ltalie. On peut consul- ter aussi YHisloire de Florence , par Villani , et les Annales de Gdnes , par Stalla. (2) Tome III, page 7 1 . 8 INTRODUCTION, quelquefois seulement par les notables de la cite. La duree de sa charge etoit d'un an; mais on prolongeoit ce terme en cer- taines circonstances. II etoit indispensa- ble qu'il fut d'une famille noble, dans les etats meme ou la noblesse du pays etoit exclue de touxe participation au gouver- nement. II recevoit un traitement deter- mine. II etoit contraint de resfer dans la ville apres 1'expiration de sa charge, pour repondre aux accusations auxquelles sa conduite auroit pu donner lieu. II ne lui etoit permis ni d'epouser une femme du pays, ni d'avoir aucun parent domicilie sur le territoire de 1'etat, ni meme (telle etoit leur jalouse defiance) de boire ou de manger dans la maison d'aucun ci- toyen. Ces magistrals ne jouissoient pas par-tout du meme pouvoir : dans quel- ques villes ils commandoient les armees; dans d'autres, telles que Milan et Flo- rence, ils n'avoient qu'une autorite pure- ment judiciaire. INTRODUCTION. 9 LIGUE ANSEATIQUE. Le nord de 1'Europe ne tarda pas a partager avec le midi les bienfaits du commerce; mais les pirates sur mer, et sur la terre les seigneurs, entravoient les relations commerciales : les premiers en rendant les communications tres peril- leuses; les seconds par les droits qu'ils imposoient sur les marchaiidises qui tra- versoient leurs terres, souvent par des confiscations prononcees sous les pre- textes les plus frivoles, quelquefois meme en organisant des bandes de voleurs pour depouiller les marchands. Telle etoit la foiblesse des gouvernements d'alors que ces brigandages s'exercoient impunement et publiquement. Ainsi privees de la protection des lois, les villes de commerce prirent la gene- reuse resolution de se proteger elles- memes. Mais elles ne pouvoient le faire efficacement qu'en reunissant leurs forces. io INTRODUCTION. Elles le sentirent et se coaliserent. Magde- bourg et Lubeck donnerent 1'exemple; et vers Je milieu du treizieme siecle les villes eparses dans les vastes contrees qui s'etendent du fond de la Baltique jusqu'a Cologne se reunirent au nombre de quatre-vingts, etformerent lafameuse li- gue Anseatique qui, sous la forme d'une republique federative, s'eleva au niveau des monarques les plus puissants. CHARTES DE COMMUNES. Les grandes villes avoient appele la liberte ; cette meme liberte leur donna le gout des jouissances intellectuelles. Tel est son noble cortege. C'est toujours accom- pagnee des lettres, des sciences, et des arts qu'elle apparoit sur la terre, lors- qu'elle s'y montre sous ses veri tables traits. Comme rhomme sent avant de raison- ner, et que 1'imagination est la premiere faculte qui se developpe en lui; en France, INTRODUCTION. n conime par-tout ailleurs, les poetes pre- cederent les savants , et nous eumes d'a- bord nos troubadours. Les esprits ne tarde- rent pas a se porter vers les sciences; mais malheureusement ils prirent une fausse direction. Au lieu d'etudier 1'homme, la morale, et la nature, ils s'egarerent dans des recherches frivoles ; et la dialectique des Grecs, la theologie scolastique, les subtilites metaphysiques des Arabes, fu- rent a-peu-pres les seuls objets de leurs meditations (i). Cependant la science, telle qu'on la concevoit alors, etoit couverte de la vene- ration universelle. On a peine h concevoir 1'enthousiasme qu'elle inspiroit. Ouicon- que se distinguoit dans les ecoles, fut-il de la plus basse extraction , parvenoit aux premiers emplois civils et aux plus hautes (i) Par exemple, si la lumiere qui apparut a Jesus- Christ sur le Thabor etoit cree'e ou increee. 12 INTRODUCTION, dignites de I'Eglise. Dans les colleges, et sur-tout dans les universites, le nombre des etudian ts etoit immense ; a Paris , disent quelques historiens, il surpassoit quel- quefois celui des habitants. Le professeur Abailard(i) avoit habituellementplus de trois mille auditeurs; et dans 1'impossibi- lite de trouver des salles qui pussent les contenir, il donnoit quelquefois ses le- cons en plein air. Cette revolution dans la sphere de 1'in- telligence produisit une commotion gene- rale, et de cette fermentation sortirent les chartes de communes; ces chartes qui nous, ont donne le regime municipal, bienfait inestimable, qui a brise le joug des servitudes feodales, et rendu les (i) Abailard etoit ne au Palais, pres de Nantes, en 1079. II surpassoit deja tous les lettres de la Bretagne par 1'e- tendue de ses connoissances, lorsqu'il vint a Paris pour suivre les lecons de Guillaume de Champeaux , qui pro- fessoit la theologie a 1'ecole episcopale , et la rhetorique a celle de Saint- Victor. A son retour Abailard tint ecolc a Melun , a Corbeil , et a Paris. INTRODUCTION. i3 hommes la liberte civile (i). Mais il y avoit loin encore de cette liberte civile a la liberte politique, je veux dire au droit (i) Les chartes de communes differoient par quelques nuances. En France elles etoient uniformes sur les points suivants : i Affranchissement de toutes les servitudes person- nelles ; 2 Abonnement des taxes arbitraires a des sommes de- terminees ; 3 Ces chartes renfermoient un certain nombre de dis- positions legislatives qui regloient les principaux actes civils , et fixoient les peiries des delits les plus ordinaires , et notamment des delits de police; 4 Elles garantissoient aux membres de la commune le droit de n'etre juges que par leurs pairs, c'est-a-dire par des officiers de leur choix, qui avoient la manutention des affaires de la commune, y maintenoient la police, et y rendoient la justice ; 5 Ces officiers etoient autorises a armer les habitants toutes les fois qu'ils le jugeoient necessaire pour la de- fense de la commune et de ses privileges , soil centre des voisins entreprenants , soit contre le seigneur lui-meme. Dans la charte de commune de la ville de Saint-Jean- d'Angely, Philippe IV non seulement permet , mais or- donne aux habitants de s'armer et de repousser par la force toutes les entreprises contre leurs droits et leurs privileges. Dans celle de la ville de Roye, il est dit que si'un etran- i4 INTRODUCTION, qui appartient & une nation de s'im- poser eile-meme, et de concourir, par ses representants, h la confection des lois qui la gouvernent. A quelle epoque, et de quelle maniere cette distance a-t-elle ete franchie? (Test ce qui nous reste a exa- miner. . INTRODUCTION DU TIERS-fiTAT DANS LES ASSEMBLIES NATIONALES. L'Europe , pendant la plus grande partie de la periode que nous parcourons, offre un spectacle aussi bizarre que nouveau. Sur le premier plan se presentent les rois et les seigneurs , rivaux superbes qui ab- sorbent tous les regards; et dans le fond du tableau figurent les peuples que Ton apercoit a peine. Les rois, couverts des ger cause quelque dommage a la commune, et qu'il se refuse a la sommation de le reparer, le maire, a la tete de ses concitoyens, ira detruire 1'habitation du coupable; et que si les forces de la commune sont insuffisantes , le roi y joindra les siennes. INTRODUCTION. i5 insignes de la royaute, ne jouissent des attributs qui en. constituent la force que dans les seigneuries qui leur appartien- nent; la seulernent ils ont des sujets. Hors de leurs domaines ils n'ont que des vas- saux; et ces vassaux ne connoissent d'au- tres devoirs que ceux que la feodalite leur impose. Enfin les peuples courbes sous le joug des servitudes feodales, et presque par-tout attaches a la glebe, sont, comme les terres qu'ils cultivent, la propriete des seigneurs. Les vassaux du roi lui devoient un triple service: & la guerre, dans ses con- seils, et dans sa cour de justice. La duree du service militaire, proportionnee a 1'importance du fief, etoit ordinairement de quarante jours , quelquefois desoixante, et rarement de quatre-vingts. Ce temps expire, Jes seigneurs, suivis des hommes d'armes qui les avoient accompagnes, quittoient 1'armee, et la campagne etoit finie. II n'en fallut pas davantage tout le i6 INTRODUCTION, temps que les rois n'eurent a combattre que les pretentious, n'eurent a reprimer que les entreprises des grands feudataires. Comme ces sortes de guerres exigeoient peu de preparatifs , que pour 1'ordinaire les combattants residoient sur les lieux qui en etoient le theatre, et que le plus souvent une campagne d'un mois ou deux sufiisoit pour les terminer, quiconque possedoit un fief etoit toujours pret a re- pondre a lappel de son seigneur. II n'e- toit question alors ni de solde, ni de re- traite, ni de decoration. On avoit pris les armes pour remplir un devoir, on trouvoit sa recompense dans la maniere honorable dont on 1'avoit rempli. Ces petites guerres, que Ton pourroit appeler des querelles domestiques, occu- perent exclusivement tous les rois de 1'Eu- rope pendant les onzieme et douzieme siecles, etmeme pendant une grande par- tie du treizieme. Rattacher a leur cou- ronne les prerogatives et les domaines usurpes par les grands feudataires fut, INTRODUCTION. 17 pendant toute la duree de cette periode , leur prande, leur unique affaire. Com me elle exigeoit 1'emploi de tous leurs moyens, 1'idee de prendre part a ce qui se passoit ailleurs ne se presentoit pas meme a leur esprit. Enfin 1'autorite royale prevalut sur la puissance des seigneurs, etl'Europe chan- gea de face. Libres des eiitraves qui jus- qu'alors avoient gene leurs mouvements et comprime leur ambition, les rois jet- tent sur les pays qui les environnent des regards inquiets et jaloux, et prennent respectivement des attitudes hostiles. Transportee sur ce nouveau theatre, la guerre devint une science qui apprit aux conquerants, non seulement a faire le meilleur emploi de leurs forces, mais a les augmenter par des alliances sage- ment combinees. Cette lecon ne fut pas perdue pour les souverains d'alors. Les princes qui regnoient sur la partie septen- trionale de 1'Espagne se reunirent contre les Maures qui en occupoient la partie i8 INTRODUCTION, meridionale; Jes rois d'Angleterre s'allie- rent avec les Flamands centre la France; et les rois de France avec les Ecossois centre 1'Angleterre. Jusque-la les souverains avoient convert Jeurs depenses avec les produits de leurs domaines et le service personnel de leurs vassaux; mais ces ressources se trouve- rent bien inferieures a leurs besoins, lors- qu'ils s'armerent les uns contre les au- tres. Les guerres devenues longues et plus opiniatres exigerent des troupes soldees; et 1'argent en devint le premier mobile. Mais comment s'en procurer? la voie des impots n'etoit pas encore ouverte; les peuples n'en avoient jamais paye, et les rois n'avoient pas le droit d'en exiger. En demander a leurs sujets et n^gocier avec eux etoit done le seul moyen d'en obtenir. Ge moyen fut mis en usage; et ces grandes assemblies, connues en Es- pagne sous le nom de Cortes, en Angle- terre sous celui de Parlement , et en France sous celui d'Etats-Generaux, fu- INTRODUCTION. 19 rent convoquees. II falloit bien que les representants du peuple y figurassent a cote de la noblesse et du clerge, puisque le peuple devoit, comme ces deux or- dres, et memedans une proportion plus considerable, fournir les secours dont on avoit besoin. CORTES D'ESPAGNE. L'Espagnedonnarexemple.Des provin- ces qui avoient echappe a 1'invasion des Maures(i) et de celles qui avoient etc suc- (i) L'Espagne, appelee par les Grecs Hespdrie, c'est-a- dire occidentale , et Iberie a cause du fleuve Iberus, 1'Ebre', qui 1'arrose, fut conquise environ Tan 220 avant Jesus- Christ sur les Carthaginois par les Remains, qui en ont etc maitres plus de six cents ans. Vers le commence- ment du cinquieme siecle les Sueves, les Goths, les Alains, en chasserent les Remains, et y regnerent envi- ron trois cents ans. L'an 712 les Sarrasins, alors maitres de 1'Afrique, y #rent une invasion, et y regnerent plus de cinq cents ans. En 712 de Jesus-Christ (g3 de 1'hegire), Mousa ou Musa, gouverneur d'Afrique pour le calife Valid, apres 20 INTRODUCTION, cessivement reconquises sur euxs'etoient formees plusieurs principautes. La liberte que le midi de 1'Europe avoit recuedes peuples dunord,etouffeechezles autres nations par le regihie feodal, s'e- toit entitlement mieux conservee dansles ames fieres et genereusesdesEspagnols: et tous ces petits etats avoient chacun leur constitution. Enfin ces differentes principautes se reunirent aux royaumes de Castille et la bataille de Xeres en Andalousie , gagnee par son gene- ral Tarik , sur Rodrigue , roi d'Espagne , le 1 7 juillet 712, etendit rapidement ses conquetes en Espagne, et soumit presque tout ce vaste pays dans le cours de deux ans. Les villes quise donnerent a lui sans resistance furent niain- tenues dans leurs privileges et leurs lois ; celles qu'il em- porta d'assaut furent saccagees, re'duites en cendres, et leurs habitants massacres ou condamne's a la captivite. On donna le nom de Maures aux nouveaux conquerants de 1'Espagne , parcequ'ils etoient venus de Mauritanie pour la plupart. Des parties de 1'Espagne arrache'es aux Maures par les Espagnols refugies dans les Asturies se^ forma d'abord le royaume connu sous le nom d'Oviedo , dont le siege fut transfere a Leon en 984. Tandis que les rois de Leon s'occupoient a reconquerir INTRODUCTION. 21 d'Aragon ; les constitutions se confbndi- rentcomme les peuples; et la Peninsule, danssapartie occupeepar les Espagnols, n'eut plus que ^deux gouvernements. Ces gouvernements, etablispardes cori- querants qui avoient voulu se donner des chefs et non des maitres, n'avoient des monarchies que le nom et la forme. Tous ceux qui avoient partage les travaux et le* dangers de la guerre avoient part au pou- I'ouest de 1'Espagne , d'autres princes chretiens , sortis des Pyrene'es, formoient le royaume de Navarre. Le territoire de la ville de Jaca , situee dans les vallees qui traversent les branches meridionales des Pyrenees, suc- cessivement accru par les conquetes de ses habitants sur les Maures, devint le royaume d'Aragon. Jacques I", roi d'Aragon , sourait la ville et le royaume de Valence , les iles Baleares, et le royaume de Murcie. Enfin , dans les dernieres annees du quinzieme siecle, Ferdinand, roi d'Aragon , termina cette lutte , qui duroit depuis pres de huit siecles , par la conquete du royaume de Grenade, et par la prise de sa capitale , qui eut lieu le 2 Janvier i49 2 * Par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle , et la mort de Jean II arrivee en i479> ^ es vieux royaumes de Cas- tille et d'Aragon se trouverent reunis a jamais, et for- merentla monarchic d'Espagne. 22 INTRODUCTION. voir ; et dans aucun pays de 1'Europe ce- lui des rois n'etoit plus restreint. Dans le royaume d'Aragon , les cortes etoient composees de quatre armes ou clas- ses differentes ; i la noblesse du premier rang; 2 1'ordre equestre ou la noblesse du second rang ; 3 1'ordre ecclesiastique , compose des dignitaires de 1'Eglise et des representants du clerge inferieur; 4 ^ es representants des villes et des bourgs. Aucune loi ne passoit dans cette assem- blee sans le consentement unanime des quatre ordres. Seule elle etablissoit les impots. Leroirie pouvoit, sans son aveu, faire la paix ou la guerre. Elle avoit le droit de redresser tous les griefs, de re- former tous les abus, de reviser tous les jugements et tous les actes de Fadministra- tion. Elle ne pouvoit etre ni prorogee ni dissoute que de son consentement, et la session duroit quarante jours. Avant de se separer, les etats nommoient mi juge supreme qu'ils appeloientjustiza, INTRODUCTION. 2 3 et qui , dans 1'intervalle des sessions , exer- coit une autorite bien supeVieure & celle du roi. Nous lisons dans 1'Introduction & YHistoire de Charles-Quint, par Robertson : La personne de ce fonctionnaire etoit sacree , et sa juridiction presque sans bornes. II etoit 1'interprete supreme des lois. Non seulement les juges iriferieurs , mais encore les rois eux-memes etoient obliges de Je consulter dans tous les cas douteux, et de se conformer a sa decision avec une deference implicite. On appeloit a lui de tous les tribunaux. II ne jouissoil pas d'un pouvoir moins absolu et moins efficace pour reformer l'administration du gouvernement que pour regler le cours de la justice. Sa prerogative lui donnoit Finspection sur la conduite meme du roi. Le justiza avoit droit d'examiner toutes les proclamations et les ordonnances du prince; de declarer si elles etoient con- formes auxlois; si elles devoient etremises a execution. Ilpouvoit, de sa propre au- 24 INTRODUCTION, to rite, exclure les ministres du roi de la conduitedes affaires, etlesobligera rendre compte de leur administration. Dans le royaume de Castille, les cortes n'etoient composes que de trois ordres ; la noblesse, le clerge, et les representants des villes. Ces trois ordres s'assembloieiit dans le meme local, deliberoient en com- niun, et les resolutions etoient prises a la pluralite des suffrages : leur autorite etoit a peu pres la meme que dans 1'Aragon. Le pouvoir executif residoit dans la main du roi; mais des limites tres etroites en genoient 1'exercice. Ce- pendant les cortes de Castille n'avoient pas imagine d'etablir un justiza; et dans 1'intervalle des sessions le roi gouver- noit. L'organisation de ces assemblies, sur- tout dans 1'Aragon, etoit vicieuse; c'e- toit Tabus de la liberte. Comment de cet exces les Espagnols sont-ils tombes dans 1'autre? cela s'explique en peu de mots. Ferdinand IV ayant reuni la Cas- INTRODUCTION. 2 5 tille a 1'Aragon par son mariage avec Isabelle, il arriva & ce prince ce qui arrive toujours. L'accroissement de la puissance augmenta chez lui la soif du pouvoir, et 1'abaissement de la noblesse fut sa grande affaire pendant tout le cours de son regne. Apres lui le despotisme de Charles-Quint, lapolitique artificieuse de Philippe II, et, sous les successeurs de ces deux princes, la superstition et les inquisi- teurs, ont faitle reste. CORTES DE PORTUGAL. Le Portugal a eu aussi sa loi fonda- mentale. Elle est connue sous le nom de Cortes de Lamego : en voici Forigine (i). (i) Le Portugal , qui comprend 1'ancienne Lusitanie , borne a Poccident et au sud par 1'Ocean, a Test et au nord par 1'Espagne, s'etend sur environ cent vingt-cinq lieues de longueur et soixante de largeur. Dans la deca- dence de 1'empire remain il e'prouva le sort des autres provinces d'Espagne, et fut successivement soumis aux Sueves et aux Alains , aux Visigoths et aux Maures. En- 26 INTRODUCTION. Henri de Bourgogne, ne vers 1'an 1 060, petit-fils par Henri, son pere, de Ro- bert I er due de Bourgogne, etant venu au secours d'Alphonse VI, roi de Castille et de Leon, contre les Maures, recut pour recompense de ses services la main de Therese, fille naturelle d'Alphonse, avec le canton de la Lusitanie, situe entre le Douro et le Minho, sous la condition de le tenir en fief et d'en rendre hommage a la couronne de Castille. Ce prince se signala par plusieurs victoires rempor- tees sur les Maures auxquels il enleva Visco, Lainego, Brague et Coimbre. II mourut en 1'annee 1112. fin , apres que les Espagnols eurent secoue le joug des Barbares , le Portugal recouvra sa liberte , et devint dans la suite un royaume d'Espagne. On n'a rien d'assure sur 1'origine du nom de Portugal: 1'opinion la plus com- mune est qu'il vient de celui de Portus Cale ou Portus CO/MB, qu'on donna autrefois a la ville de Porto sur le Douro , et qui s'e'tendit ensuite a tout le diocese situe entre les rivieres de Douro et Minho , puis a toutes le terres qu'on y joignit par la suite des temps. INTRODUCTION. 27 Alphonse Henriquez son fils lui succeda. Aussi grand capitaine que son pere, il fut, comme lui, continuellement en guerre avec les Maures. Apres une grande vic- toire remportee sur cinq rois de cette nation, le 26 juillet de 1'annee 1 189, ses soldats le proclamerent roi de Portugal; mais ne voulant tenir la couronne que de la nation, il re'unit, dans la ville de Lamego, les eveques, les nobles et les notables de ses etats, qui confirmerent le choix de J'armee. Cette assemblee est 1'e- poque de 1'etablissement de la monar- chic du Portugal. Voici comment les cho- ses s'y passerent. Le roi etant sur son tr6ne, convert de toutes les marques exterieures de la royaute, excepte la couronne, Laurent Venegas, son procureur, s'est leve, et a dit : Don Alphonse, que vous avez choisi pour votre roi dans la plaine d'Ourique, vous assemble ici pour vous demander si vous persistez a le vouloir pour roi. 28 INTRODUCTION. Nous desirons et nous voulons qu'il soit notre roi , repondit toute 1'assemblee. Alors Venegas dit : De quelle maniere voulez-vous qu'il regne sur vous ? seul , ou avec ses enfants? Seul taut qu'il vivra; apres sa mort ses enfants regneront. Si c'est la votre volonte, ajouta Venegas, donnez-lui les marques de la royaute. Tous repondirent : Donnons-lui les mar- ques de la royaute au nom du Seigneur ! Aussitot 1'archeveque de Brague posa sur sa tete une couronne d'or orne de pier- reries. Alphonse avoit 1'epee nue a la main. Des qu'il eut la couronne sur la tete, il dit : Je vous ai delivres avec cette epee de 1'esclavage des Maures; j'ai vaincu vos ennemis; vous m'avez fait votre roi : etablissons presentement des lois pour maintenir Fordre, la justice, et la paix dans le pays. Tous repondirent: Nous vou- lons et nous trouvons a propos d'etablir telles lois qu'il vous plaira. Commandez , nous obeirons, nous, nos fils, nos filles, nos petits-fils, et nos petites-tilles. Alors INTRODUCTION. 29 le roi fit approcher les eveques, les sei- gneurs, et les gouverneurs des places, et leur dit : Faisons des lois. Faisons des lois, dirent-ils entre eux : premierement sur la succession du royaume. Et ils firent les suivantes. i Que le roi Alphonse vive, et qu'il possede ce royaume; s'il a des enfants males, ils lui succederont ainsi : le fils succedera au pere; apres le fils le petit- fils; ensuite le fils du petit-fils; ainsi de tous les autres jusqu'a la fin des siecles. 2 Si le premier fils du roi vient a mourir, le second sera roi; si le second meurt, le troisieme sera roi; et ainsi de tous les autres qui succederont les uns aux autres. 3 Si le roi meurt sans enfants, et qu'il ait un frere, il sera roi; et lorsqu'il sera mort, son fils ne pourra succeder a la royaute a moins que les eveques, les gouverneurs des villes , et les chefs de la noblesse n'y consentent. S'ils y consentent, il sera roi. 3o INTRODUCTION. Laurent Venegas, procureur du roi, dit aux eVeques, aux gouverneurs, et aux seigneurs: Le roi vous demande si vous voulez que les filles succedent a la cou- ronne, et s'il faut faire des lois touchant la maniere dont elles succederont. Apres quelques instants de reflexion , ils repon- dirent : Puisqu' elles sont aussi du sang royal, nous voulons qu'elles succedent, et qu'on etablisse des lois sur ce qui les regarde. Alors les eveques, les gouver- neurs, et les seigneurs firent les regle- ments suivants. i Si le roi de Portugal meurt sans enfants males, et qu'il laisse une fille, elle sera reine; inais elle ne pourra se marier qu'a un Portugais noble, lequel ne sera reconnu pour roi que lorsqu'il aura eu un enfant male de la reine. Lors- qu'il se irouvera a une assemblee avec elle, nous voulons qu'il s'e place a sa gauche, et qu'il soit sans couronne a la . A . tete. 2 Nous voulons que cette loi soit tou- INTRODUCTION. 3i jours observee; savoir: Que la fille ainee du roi se marie a un Portugais, afin que le royaume ne puisse jamais passer dans des mains etrangeres. Si elle ne le fait pas, elle sera des ce moment exclue de la succession, parceque nous ne voulons point que la couronne tombe en d'autres mains qu'en celles des Portugais. Telles sont les lois que nous etablis- sons touchant la succession de notre royaume. Le chancelier les lut hautement. Toute I'assemblee dit : Elles sont bonnes et justes; nous voulons qu'elles soient observees par nous et nos descendants. Venegas reprit: Le roi demande si vous voulez faire des lois touchant le gouvernement civil et touchant la no- blesse. Nous le voulons, repondirent tous, au nom du Seigneur. On fit les lois sui- vantes. i Tous ceux qui descendront de la reine, de ses fils, et de ses petits-fils, se- ront tres nobles. Tout Portugais (pourvu qu'il ne soit ni Maure ni Juif) qui aura 32 INTRODUCTION, delivre le roi de quelque peril sera no- ble. S'il a ete pris par les infideles, et qu'il demeure constamment attache a la loi de Jesus-Christ, ses enfants seront nobles. Gelui qui aura tue le roi des ennemis , ou son fils, ou fait prisonnier son ecuyer, sera noble. Toute 1'ancienne noblesse con- servera son rang , tel qu'elle le possedoit. Tous ceux qui ont combattu a la bataille d'Ourique seront toujours nobles, et ap- peles mes sujets par excellence, 2 Si des personnes nobles se sont en- fuies du combat ; si elles ont frappe une femme de leur epee ou de leur lance; si elles n'ont pas delivre dans 1'occasion d'un peril leroi, son fils, ou son ecuyer, pouvant le faire ; si elles ont porte de faux temoignages; si elles ont deguise la verite an roi; si elles ont nial parle de la reine, ou de ses filles; si elles se sont reti- rees chez les Maures ; si elles ont vole , blas- pheme contre Dieu et Jesus-Christ, ou at- tente h la vie du roi , elles seront degradees, elles et leur poste'rite, de leur noblesse. INTRODUCTION. 33 Telles sont les lois qu'on fit touchant la noblesse. Le chancelier les lut a haute voix. Toute 1'assemblee dit: Elles sont bonnes et justes, et nous voulons qu'elles soient observees par nous et nos descen- dants. Les dispositions qui suivent appar- tiennent au droit civil , et particuliere- ment a la police; on y remarque 1'article suivant : Celui qui outragera de paroles ou qui frappera un gouverneur de place ou tout autre magistral, sera marque d'un fer chaud, a moins qu'il ne lui fasse repa- ration dhonneur, ou qu'il ne lui paie une certaine somme d'argent. Ce travail termine, Venegas se leva et ajouta: Voulez-vous que le roi paie un tribut au roi de Castille , et qu'il se trouve aux assemblies de ce royaume comme vassal ? Tous ceux qui etoient presents se leverent, mirent Tepee a la main, et crierent qu'ils etoienl libres et leur roi aussi. Aces mots Alphonse, ayantla cou- ronne sur la tete et Tepee nue a la main, 3 34 INTRODUCTION. se leva a son tour et dit : Vous n'ignorez point tout ce que j'ai fait pour vous pro- curer la liberte dont vousjouissez; je jure de ne rien faire et de ne rien entreprendre qui ne tende a vous la conserver; que tous ceux qui pensent autrement expirent dans 1'instant: si c'est mon fils ou mon petit- fils, qu'il soit prive de la royaute. L'as- semblee applaudit, et les etats se sepa- rerent. Telle a etc jusqu'a ces derniers temps la loi fondamentale des Portugais. C'est en vertu de cette constitution qu'en 1 640 le Portugal a secoue le joug des rois d'Espagne descendus d'Isabelle de Portugal, mere de Philippe II, et qu'il a place sur le trone la maison de Bra- gance. G'est sur le meme fondement qu'en 1777, apres la mort du roi Joseph, de- cede sans enfant male, Marie-Francoise- * j Elisabeth sa fille ainee, mariee avec D. Pedre son oncle, frere du roi, a ete proclamee reine. INTRODUCTION. 35 PARLEMENT D'ANGLETERRE. En Angleterre (i) Guillaume-le-Con- querant substitua le regime feodal a la liberte que ce beau royaume avoit recue des Anglo-Saxons. Mais, suivant la loi des fiefs, le vassal devoit servir son sei- gneur dans ses conseils comme dans ses armees et dans ses cours de justice. II y eut done en Angleterre des assemblies politiques composees des vassaux de la couronne. Le roi, qui en etoit le president, (i) Les anciens appeloient cette ile Albio ou Britannia. Agricola la conquit sous le regne de Domitien. Elle fut plus qu'aucune autre partie de 1'Europe en proie aux ra- vages des peuples du Nord. Vers Pan 420 les Scots ou Ecossois s'empar.erent de sa partie occidentale, et en for- merent un royaume. En 449 I GS Anglois et les Saxons y aborderent, se rendirent maitres des pays qui n'e'toient pas occupes par les Ecossois, et en formerent sept royau- mes , dont trois pour les Anglois et trois pour les Saxons ; le septieme, forme de la principaute de Kent et de Pile de Wight, fut lepartaged'une petite nation sortie e'galement des cotes du Nord, et connue sous lenotnde Jutes. Les na- turelsdupaysresterentmaitresdelaprincipautedeGalles. Les Anglois eurent le meilleur lot, et c'est pour cela que les autres ont e'te compris dans la denomination d'Angle- terre. Rapin Thoiras fixe cette e'poque a Panne'e 585. 3. 36 INTRODUCTION, les convoquoit lorsqu'il le jugeoit neces- saire. On y traitoit de la paix, de la guerre, et de tous les interets de 1'etat. Tel etoit alors I'abaissement dupeuple, quel'idee d'appeler a ces grands conseils( i ) les deputes des bourgs ne se presentoit a 1'esprit de personne. Ainsi les droits de la couronne et les exigences de la no- blesse etoient constamment en presence et dans un contact habituel. De la des froissements continuels, qui degenererent en une rebellion ouverte surlafmduregne de Jean-Sans-Terre. Le fameux traite que les Anglois appellent leur grande charte, et qu'ils regardent coninie le palladium de leurs libertes, termina cette lutte. Cette charte est du 19 juin 121 5. Elle se compose de trois parties. La premiere, qui concerne uniquement le clerge, lui assure le droit d'elire ses eveques, et de- termine le mode des elections. La seconde modifie et regie d'une ma- (i) Ces conseils prirent le nom de parlement sous le regne de Henri III , qui monta sur le trone en 1216. INTRODUCTION. 3 7 niere invariable les droits du roi sur les vassaux de la couronne. La troisieme, dont 1'influence se fait sentir encore auj on rd'hui,embrassetoutes les classes de la societe, et peut etre re- gardee comme le fondement de la liberte civile en Angleterre. On y remarque les dispositions suivantes : Les memes poids et les memes niesures auront lieu dans tout le royaume. Les marchands pourront circuler libre- nient sans etre assujettis a aucune taxe. II leur est permis de sortir du royaume et d'y rentrer, quand ils le jugeront a propos. Londres, les villes et les bourgs con- servent leurs anciennes libertes, immuni- tes,et franchises. Onn'exigera plus d'elles aucun subside qui ne soit accorde par le grand conseil.* Aucun individu ne pourra etre con- traint a reparer des chemins ou des ponts, a moins qu'il n'y soit oblige par des titres particuliers. 38 INTRODUCTION. II ^n'est permis a aucun officier de la couronne d'enlever a qui que ce soit des chevaux , des charrettes , ou du bois , sans le consenlement du proprietaire. Les cours de justice seront fixees dans des lieux determines. II leur est enjoint de rendre la justice publiquement. II leur est defendu de la differer, de Ja refuser, et encore moins de la vendre. Aucun homme libre ne peut etre ar- rete , emprisonne , depossede , ou con- damne, que par lejugement de ses pairs. Les aniendes doivent etre proportion- nees a la fortune du condamne, de ma- niere qu'elles n'entrainent pas sa ruine totale. Nul paysan ne pourra etre prive, pour 1'acquit d'une amende, de ses charrettes, de sa charrue, ou autres instruments du labourage. Gependantcette charte, toute favorable qu'elle est a la liber te civile, ne change rienal'etat politique du pays, et nous n'y voyons encore qu'une monarchic aristo- INTRODUCTION. 3 9 cratique; mais les temps nesontpas eloi- gnes ou la democratic entrera dans le gouvernement, et partagera Fexercice de la puissance publique avec 1'aristocratie. Ces temps arriverent sous le regne d'Edouard I er . Attaque par la France et par 1'Ecosse reunies, des armees nom- breuses, et par consequent des sommes considerables lui etoient necessaires; mais les taxes que la loi des fiefs 1'autorisoit a imposer sur ses vassaux etoient bien in- suffisantes , et il iie pouvoit rien deman- der au-dela. Ce prince, qui se montra toujours au niveau. des circonstances , irnagina de s'adresser aux habitants des bourgs (i), de leur exposer franche- (i)Icijemeconformeal'opiniongenerale,maisellen'est pas parfaitement exacte. Avant Edouard P r , le comte de Leicester s'e'tant empare du trone, apres avoir fait Henri III prisonnier, assembla un parlement compose des barons de son parti , auxquels il adjoignit deux chevaliers de chaque comte , et des deputes elus par les bourgs. Mais , dit David Hume, la politique de Leicester, s'il faut attri- buer a cet ambitieux un si grand avantage , ne fit qu'ac- cele'rer de quelques anne'es 1'etablissement d'une insti- 4o INTRODUCTION, ment les difficultes de sa position, et d'en obtenir ce qu'il n'avoit pas le droit d'exi- ger (i). Une demarche aussi loyale eut le succes qu'elle devoit avoir. L'urgence des besoins ne permettant pas de nego- cier avec chaque bourg en particulier, Edouard les determina a nommer des deputes (2) auxquels il ouvrit 1'entree du parlement, et qui, reunis a la noblesse, lui accordereiit , toutes les fois qu'il crut tution a laquelle 1'etat des choses avoit cleja prepare la nation ; autrement il seroitinconcevablequ'untelarbre, plante par une main si empoisonne'e, eut pu oroitre et fleurir au sein de semblables orages. (Histoire d'^ngle- terresous I'annee ia65.) (1) Les ordres adresse's aux sbe'rifs pour ces convoca- tions portoient qu'ils enverroient deux deputes de cha- que bourg, investisde pouvoirs suffisants, pour consentir en leur nom a ce dont ils seroient requis par le roi et par son conseil. On lisoit dans le pre'ambule de ces or- dres : C'est une regie tres juste que ce qui est de 1'inte'- ret de tous soit approuve par tous, et que les dangers communs a toussoient repousses par leurs efforts reunis. (2) Ceux qui etoient elus donnoient caution de se ren- dre au parlement , et le bourg pourvoyoit a leurs de- pen ses. INTRODUCTION. 4i devoir les convoquer, les secours qui fu- rent juges necessaires. La perception de ces impotsn'eprouvoit aucune resistance, parcequ'ils etoient librement consen- tis. Cette grande innovation est de 1'an- nee 1294. Les deputes des bourgs ne faisoient pas partie du parlement. Reunis dans un local separe de celui qu'occupoient les barons, ils ne votoient pas avec eux: des qu'ils avoient donne leur consentement aux taxes, ils se separoient, et le parle- ment continuoit ses seances (i). (i) L'impot n'etoit pas egalement reparti entre les trois ordres : chacun d'eux accordoit la somme qu'il jugeoit a proposde payer. Ainsi, dans lavingt-troisiemeanneed'E- douard 1", les comtes , barons , et chevaliers , donnerent au roi la oiizieme partie de leurs revenus ; le clerge, un dixieme; les citoyens et bourgeois, un septieme. L'annee suivante, les deux premiers ordres donnerent un dou- zieme; le dernier, un huitieme ; dans la trente-troisieme annee du meme prince, les barons, les chevaliers, et le clerge , accorderent un trentieme; les villes et cites, un vingtieme. Dans la premiere d'Edouard II, les comtes 42 INTRODUCTION. Celui qui donne s'apercoit bientot qu'il peut exiger, et*les deputes des bourgs ne tarderent pas a presenter des petitions par lesquelles ils demandoient la reforme des abus qui pesoient sur eux. Prenant chaque jour plus de consistance, on les vit, sous le regne d'Edouard III, accuser les rninistres du roi, et obliger le roi lui- meme a congedier sa maitresse. Le roi faisoit examiner par son con- seil les remontrances des communes, et quand il croyoit devoir les accueillir, il les faisoit rediger en forme de loi, et en ordonnoit la publication de son autorite seule, et sans communication prealable a la chambre des pairs. Elle s'en plai- gnit, et elle exigea qu'aucune loi ne fut desormais publiee sans son assentiment. Sous Henri V, les communes obtinrent qu'elles redigeroient elles-memes les lois payerent unvingtieme; les villes, unquinzieme. Dans la sixieme d'Edouard III, la proportion fut d'un quinzieme a un dixieme. INTRODUCTION. 43 qu'elles auroient provoquees, et qu'au- cun statut ne seroit public , a moins qu'il n'eut passe dans leur chambre en forme de bill (i). A-peu-pres a la meme epoque la pai- rie, de reelle qu'elle etoit dans son ori- gine, devint personnelle; et cette grande innovation s'est encore operee comme d'elle-meme et par la seule force des choses. (i) Les she'rifs presidoient aux elections. S'ils com- mettoient des fraudes, ils en e'toient severement punis ; en voici un exemple. Dans la cinquieme annee de Hen- ri IV, les communes , conside'rant que 1'ordre de convo- cation au parlement n'avoit pas ete execute d'une maniere satfsfaisante par le she'rif de Rutlane, supplierent le roi et les lords de faire examiner 1'affaire en parlement , et d'infliger un chatiment exemplaire , s'il y avoit lieu. Les lords firent venir le sherif et Oneby, qui etoit le depute nomme au proces-verbal , ainsi que Thorp, qui avoit ete dument e'lu;et, apres avoir examine les faits, ils ordonnerent que le proces-verbal d'election fut chan- ge, que le nom de Thorp y fut porte, et que le she'rif fut detenu en prison, jusqu'a ce qu'il cut paye une amende qui seroit de'terminee suivant le plaisir du roi. (Henri Hailam, t.II,p. 3 12.) 44 INTRODUCTION. Guillaume-le-conquerant avoit partage 1'Angleterre en sept cents baronnies et soixante mille fiefs de chevaliers. Les sept cents barons, tous vassaux immediats de la couronne, etoient membres necessaires du grand conseil national. Des ventes forcees , les legitimes des puines , ne tar- derent pas a diviser un grand nombre de ces baronnies, et chaque fraction con- fera a celui qui en devenoit proprietaire le litre de vassal immediat du roi, et par consequent le droit de sieger au parle- ment. Ce nouvel etat de choses etablit une distinction entre les baronnies entieres et celles qui etoient divisees entre plusieurs proprietaires; et la grande charte donnee par le roi Jean disposaque les grands ba- rons seroient convoques par un writ, c'est- a-dire un ordre particulier du roi , et que les barons de la seconde classe, c'est-a- dire ceux qui ne possedoient que des por- tions de baronnie seroient convoques par une citation generale du sherif. INTRODUCTION. 45 Cette difference dans la maniere de convoquer les grands et les petits barons produisit trois innovations. i Les barons convoques par writ se regarderent comme formant une classe superieure; 2 Comme il arrivoit souvent que ceux qui n'avoient pas recu le writ ne se pre- sentoient pas pour sieger au parlement, quoiqu'ils en eussent le droit en vertu de leur fief, on s'accoutuma insensible- ment a regarder ce droit comme deri- vant de la volonte du roi; et la pairie, de reelle qu'elle etoit, devint personnelle; 3 Les petits barons, en general peu riches, et qui regardoient 1'assistance au parlement moins comme un droit hono- rifique que comme une obligation one- reuse, obtinrent la permission de s'y faire representer par des deputes de leur choix. David Hume, dans sa belle Histoire d'Angleterre, ajoute : Les divisions des fiefs ayant prodigieusement multiplie les petites baronnies et les tenures de 46 INTRODUCTION. chevaliers, ceux-ci perdirent de leur "consideration, ne s'assemblerent plus avec les Hants barons , et se reunirent aux deputes des bourgs. Par cette reu- nion, la chambre des communes se trouva composee des deputes de la pe- tite noblesse des comtes et de ceux des bourgs. Enfin, dans les premieres annees du regne de Richard II , les communes se choisirent un president qui, sous la de- nomination d'orateur, a la police de la chambre et en dirige les deliberations. Je n'ai voulu que rappeler la ma- niere dont s'est forme le parlement d'An- gleterre tel qu'il existe aujourd'hui. Je crois avoir rempli mon objet. ETATS GENERAUX DE FLANDRE. La partie de notre continent, aujour- d'hui connue sous la denomination collec- tive de royaume des Pays-Bas, est 1'une des premieres qui, dans le moyen age, INTRODUCTION. 4 7 ait joui des bitnfaits de la liberte. Elle doit cet avantage a sa situation topogra- phique. Le nombre et la surete de ses ports et de ses rades en firent de bonne heure le centre des relations cominer- ciales du nord de 1'Europe; et les fre- quents debordements des fleuves qui 1'arrosent obligerent les habitants a se coaliser pour opposer des digues a 1'en- vahissement des eaux. Ainsi, enrichies par le commerce , et deja reunies par des interets materiels, les villes des Pays- Bas n'avoient plus qu'un pas h faire pour se former en commune, et ce pas, elles le franchirent pendant le cours du onzieme siecle. A peine ces villes ont-elles recouvre les droits de s'administrer elles-memes, et d'elire leurs officiers municipaux, qu'e nous voyons ces magistrals figurer en leur nom dans les assemblies politiques. Cela nous est atteste par une foule de mo- numents; 1'un des hommes les plus sa- vants de notre epoque les a recueillis dans 48 INTRODUCTION, un ouvrage intitule : Histoire de loriyine, de I organisation et des pouvoirs des Etats- Generanx etprovinciaux dans les Gaides (i). En Flandre comme dans tons les gou- vernements feodaux, les etats ne furent d'abord composes que du prince et de ses vassaux immediats. Le tiers-etat prenant, comme nous venons de le dire, chaque jour plus d'importance, les representants des villes y furent admis; mais ce privi- lege ne fut d'abord accorde qu'aux cites les plus riches et les plus populeuses. En Fannee 1 1 1 1 , Baudouin VII fut pro- clame comte de Flandre par les Etats- Generaux. Le pays etoit infeste de bri- gands. Dans des etats tenus a Ypres 1'annee suivante, il fit rendre une loi qui mit fin a ces desordres (2). Non moins severe envers les seigneurs de fiefs, il se (1) M. Raepsaet, chevalier du Lion-Belgique , conseil- ler-d'etat extraordinaire du roi, membre de 1'institut belgique , etc. , etc. (2) On lit dans MArt de verifier les dates : II fut surnom- me A la hache, parcequ'il portoit cet instrument avec lui pour en frapper les criminels qu'il rencontroit. INTRODUCTION. 4 9 placa entre eux et leurs vassaux , et cou- vrant ces derniers de toute sa puissance, non seulement il les affranchit de 1'arbi- traire sous lequel ils gemissoient, mais il ouvrit 1'entree des etats aux representants de toutes les villes indistinctement. CONSTITUTION DE LA SUEDE. L'origine des assemblies nationales en Suede se perd dans la nuit des temps. Les chroniques les plus anciennes en par- lent. On y voit qu'elles etoient convo- quees par le roi; qu'elles se reunissoient a des epoques plus ou moins eloignees suivant les circonstarices; que les deputes s'y rendoient en armes; qu'il etoit dans leurs attributions d'elire le monarque, de voter les impots, de statuer sur les af- faires d'un interet general, et meme de juger les proces particuliers lorsqu'ils se rattachoient a 1'ordre public. D'ailleurs rien de precis sur la division des citoyens en differents ordres. En parlant de ceux 4 5o INTRODUCTION, qui avoient droit d'assister aux etats, les anciens historiens disent, et rien de plus, Proceres etlpopulus ; ndbiles et plebs uni- versa. Ce^n'est que dans le quinzieme sie- cle que Ton commence a trouver des no- tions plus exactes sur cette division. * Christophore, qui regnoit en i44 2 > r eu- nit les lambeaux epars des anciennes lois, en donna de nouvelles, et de cet en- semble il forma un Code que Ton peut regarder comme la premiere constitu- tion de la Sue Le litre premier est intitule, du Rot; on y lit : Lorsque le trone devient va- cant, un nouveau roi doit etre appele au royaume de Suede, non par droit de succession, mais par election. Les chapitres suivants traitent du ser- ment que le roi doit preter a la nation, et que les magistrals provinciaux et la nation doivent, a leur tour, preter au roi; le sixieme de 1'obligation imposee au roi de parcourir, apres 1'election, les pro- vinces de son royaume, d'y preter son INTRODUCTION. 5i serment et de recevoir celui de ses sujets; le septieme du couronnement et del'inau- guration; le huitieme du choix des |mem- bres du senat qni doit etre fait par le roi apres son couronnement. Ces membres sont au nombre de douze, pris parmi les nobles et cbevaliers; I'archevequed'Upsal y est de droit. Le sermenf du roi se compose de sept articles. On lui fait promettre de con- server les droits de toute la nation, les lois constitutives, les privileges du clerge, ceux de la noblesse. Un des articles les plus remarquables est le sixieme par lequel il jure de n imposer des tributs extraor- dinaires que dans certains cas determines, et apres que les eveques, les magistrals de cbaque juridiction, avec six nobles et six individus plebeiens, en auront re- connu la necessite, et regie le mode de les percevoir. Nous ne voyons pas encore les deputes partages en quatre ordres distincts, le clerge, les grands, les bourgeois, et les 4- 52 INTRODUCTION. paysans; mais cet article du serment con- tient le germe de cette division. C'est a la mort de Christophore, en 1 448? que 1'histoire presente 1'indication precise des differents ordres. Plusieurs grands aspiroient a la royaute; un decret du gouvernement intermediate convo- qua le peuple a Stokholm, pour 1'election du roi. Au lieu et au jour fixes, dit 1'his- torieii Eric d'Upsal, se rendirent aux cornices les eveques et les prelats, les nobles et chevaliers, ainsi que les de- u putes speciaux des paysans et des villes. Cette phrase est la premiere trace que Ton rencontre de la presence dans 1'assemblee nationale de representants des villes. Louenius, auteur d'une histoire de Suede et des antiquites suedoises, ecri- voit en 1608: Des expressions de Jean Magnus qui dit que le roi Beric convo- qua dans les cornices les grands et les plebeiens (nobiles et plebein), peut-etre conclurez-vous que , dans les coutumes de nos an cet res, on n'appeloit point au INTRODUCTION. 53 nombre des ordres les pretres ni les ha- bitants des villes; cependant, etc., avec le temps on admit dans les cornices meme les deputes des villes. (Progressu utemporis, etiam cives urbium ad comitia Hddmissi sunt. ) Et il cite, pour le prou- ver, le passage d'Eric d'Upsal relatif a 1'assemblee nationale dans laquelle on remplaca Christophore. Quelques lignes plus loin il expose les avantages qu'il y a a. consulter les classes inferieures du peuple. Ce n'est point inconaiderement, dit-il, que 1'antiquite a admis comme membres des cornices, meme les ple- beiens et les paysans. (Plebeios et ruri- colas. ) Ainsi tout nous prouve quo, dans ces mots repetes par-tout chez les historiens des temps antiques : proceres et plebem, on a voulu designer les grands et les paysans. La division des ordres continua a se marquer de plus en plus dans les etats- generaux qui suivirent ceux de i44&' En 1620 ce futdans uneassemblee parti- 54 INTRODUCTION, culiere des paysans de la province de Dalecarlie que Gustave Vasa porta le premier coup a 1'oppression de Chris- tiern. Le soulevement de ces paysans amena celui de la Suede entiere, et bien- tot fut brise le joug du Danemarck, sous lequel la nation s'etoit imprudemment jetee. Gustave Vasa recut des etats-gene- raux convoques a Vadestene en 1621 la qualite d'administrateur du royaume; des etats-generaux convoques a Stregnez en 1628, celle de roi; enfin, le i3 Jan- vier 1 544> dans les etats-generaux d'Ar- hosen, le droit d'election fut aboli, et la couronne declaree hereditaire dans la famille de Gustave. Des la premiere annee du regne de ce guerrier politique les pouvoirs du mo- narque commencerent a augmenter et ceux des etats-generaux a diminuer. Cette progression croissante pourl'un, decrois- sante pour 1'autre, continua sous ses suc- cesseurs et fut portee a une tres haute periode sous Gharles XI, et sous le des- INTRODUCTION. 55 potisme militaire de 1'aventureux Char- les XII. Cepeiidant 1 organisation de ces etats s'etoit achevee; 1'etiquette avoit regie la place de chaque ordre, la forme des suffrages, 1'instant ou Ton devoit les don- ner. II existe dans YHistoire de Charles- Gustave , par Puffendorf, un tableau figu- ratif des etats-generaux de Suede lors de 1'abdication de Christine. On y voit la place du monarque, celle des senateurs, celle des orateurs de chaque ordre, enfin celle des ordres. Les paysans a cette epoque sont places apres les deputes des villes. Cependant, sous les successeurs de Gus- tave Vasa, les assemblees nationales con- tinuerent a voter les subsides et a con- noitre des grands iuterets du royaume. On voit les rois les plus absolus de cette epoque soumettre a ces assemblees 1'etat des finances , leur communiquer les pro- jets de guerre ou de paix, leur demander des levees d'hommes et des subsides d'ar- gent. On voit les etats-generaux profiler 56 INTRODUCTION, des minorites pour reprendreun moment leur attitude independante. C'estainsi qu'a la mort de Charles X, en 1 660, Puffendorf nous les montre examinant le testament duj7oi, J 'et changeant plusieurs de ses dis- positions relatives a la tutele de son fils Charles XI. Enfin, apres la mort de Char- les XII, qui ne laissa point d'enfants, les etats-generaux, reunis en 1718 pour lui donner un successeur, abolirent 1'here- dite et ne porterent sur le trone la prin- cesse Ulrique Eleonore , sa soeur, qu'apres qu'elle eut declare qu'elle reconnoissoit tenir la couronne de la volonte libre et spontanee de la nation. CONFEDERATION SUISSE. L'Helvetie(i), aujourd'hui la Suisse, faisoit partie de 1'ancien royaume de (i) Le nom d'Helvetie fut commun a tous les peuples de cette contre'e jusqu'a la grande confederation qu'ils nrent entre eux, au quatorzieme siecle , et depuis laquelle ils ne sont plus connus que sous le nom de Suisses. INTRODUCTION. 5; Bourgogne. Les premiers successeurs de Clovis en firent Ja conquete en 532, et la reunirent a la France. Elle en fut se- paree par le partage que les fils de Louis- le-Debonnaire firent entre eux des vastes etats de Charlemagne. Placee dans le lot qui echut a Lothaire, elle devint une province du royaume dlialie. Apres la mort de Lothaire ses fils partagerent le royaume dltalie. Le lot de l'un d'eux forma le royaume d' Aries , et la Suisse en fit partie(i). En 1082 Rodolphe III n'ayant point d'enfants legua le royaume d'Arles et tous ses etats a 1'ernpereur Conrad-le-Salique. Cette donation fit entrer la Suisse dans le corps germaiiique, et la placa sous (i) Celtes, ou Gaulois d'origine, les Suisses avoient souffert que des colonies de Cimbres et de Sueves vins- ent s'etablir parmi eux, et leur avoient abandonne la partie septentrionale de 1'Helve'tie. C'est par-la qu'on peut expliquer ce qui a donne naissance a la diversite de langage qui subsiste encore entre cette partie et le reste de la Suisse. 58 INTRODUCTION. la domination des empereurs d'Allema- gne(i). Dans la Suisse , comme dans toutes les monarchies feodales , le pays etoit divise en benefices ou fiefs, et en gouvernements ou comtes; ces fiefs, ces comtes, n etoient conferes qu'a vie. Conrad-le-Salique les rendit hereditaires ; et les seigneurs et les comtes, profitant de Feloignement on ils etoient du chef de 1'empire, usurperent tons les droits regaliens , de maniere que les empereurs ne conserverent sur eux qu'une superiorite nominale. Les seigneurs, abusant de cette inde- pendance, exercoient sur leurs vassaux le pouvoir le plus arbitraire. Les villes helvetiques, pour se mettre a 1'abri de 1'oppression, se confederererit; mais ayant bientot reconnu leur impuissance, elles (i) Les trois royaumes de Provence, de la Bourgogne- Transjurane, et d'Arles, finirent en la personne de Ro- dolphe III, apres avoir dure cent soixante-dix-sept ans. INTRODUCTION. 5 9 se choisirent des protecteurs qui ne tar- derent pas a devenir leurs tyrans. Des differents seigneurs de la Suisse, Rodolphe de Habsbourg etoit le plus puis- sant par 1'etendue de ses domaines; plu- sieurs villes se placerent sous sa protec- tion. Juste et bon il repondit a leur attente, mais Albert son fils la trompa. 11 envoya dans les parties de la Suisse qui s'etoient placees sous sa protection des baillis im- periaux charges de rendre la justice aux habitants , et qui leur firent eprouver les vexations les plus intolerables ; en voici un exemple. Geisler, bailli d'Uri, s'avisade placer au bout d'une perche son bonnet dans le marche public d'AItorff, avec ordre h tous les passants de le saluer sous peine de la vie. Guillaume Tell, farueux arbaletrier, ayant meprise cet ordre, fut oblige pour expier sa desobeissance d'abattre d'assez loin d'un coup de fleche une pomine sur la tete de son fils; il eut 1'adresse et Je bonheur de reussir. Cette atrocite, qui 60 INTRODUCTION. eut lieu le 18 novembre 1807, souleva les trois cantons d'Uri, de Schwitz, et d'Underval: leurs habitants reunis et di- riges par trois d'entre eux (i) attaquerent les agents imperiaux, et en purgerent leur sol. L'empereur se preparoit a venger son autorite meprisee , mais il mourut le i er mai de 1'annee 1808. Get evenement laissa aux trois cantons le temps de con- solider leur alliance , et lorsque Leo- pold III, fils de 1'empereur Albert, vint a la tete de neuf rnille hommes pour les reduire et les punir, ces braves monta- gnards , au nombre de treize cents hommes sans discipline et mal armes, remporterent sur lui la victoire la plus complete. Cette victoire k jamais celebre est 1'epoque de la liberte des Suisses. Par suite de ce grand evenement les (i) Ces genereux citoyens meritent d'etre connus; ils se nommoient Walther-Furst , Werner-de-Stauffach , et Arnold-de-Melcthal. INTRODUCTION. 61 trois cantons, qui d'abord ne s'etoient unis que pour dix ans, contracterent une alliance perpetuelle. Ouelque temps apres la ville de Lu- cerne, raprochee de ces trois cantons par des interets communs, entra dans leur confederation. Vers le milieu du quator- zieme siecle (i) Zurich, Claris, Zug, et Berne, s'y reunirent et en firent partie. II en fut de meme des cantons de Fri- bourg, deSoleure, deBale, deSchaffouse, et d Appenzel , qui s'y reunirent egale- ment ; savoir, Fribourg et Soleure en 1 48 1 , Bale et Schafiouse en i5oi, et Appenzel en i5i3. Ainsi s'est formee la confederation hel- vetique. Cependant les liens qui attachoient la Suisse au corps germanique n'etoient pas tout-a-fait rompus, et les empereurs con- servoient encore sur elle une sorte de (i) En i35i et 62 INTRODUCTION, superiorite. Maximilien I er (i) voulut s'en prevaloir. La diete de Worms ayant etabli la chambre imperiale (2), les Suisses fu- rent sommes de reconnoitre sa juridiction. Sur leur refus Fempereur leur declara la guerre. Elle fut ce qu'elle sera tou- jours lorsque les hommes qui defendront (1) Maximilien P r , ne le 22 mars 1469, de 1'empereur Frederic III et d'Eleonore de Portugal, elu roi des Ro- mains le 16 fevrier i486, et couronne le 10 avril suivant a Aix-la-Chapelle , fut nomme empereur 1'an i49^ , apres la mort de son pere. Philippe son fils epousa Jeanne , fille de Ferdinand , roi d'Aragon, et d'Isabelle , reine de Castille, mariage qui fit passer 1'Espagne dans la maison d'Autriche. L'an i49&, diete de Worms, ou 1'on dressa la celebre constitution pour la conservation de la paix publique dans 1'Empire. (2) Cette chambre etoit composee de juges nomme's en partie par 1'empereur, en partie par les diffe'rents etats. Ces juges etoient autorise's a juger en dernier ressort tous les proces entre les membres du corps germanique. Quelques annees apres Maximilien donna une nouvelle forme au conseil aulique , ou se portoient toutes les causes feodales et celles qui appartenoient a la juridiction im- mediate de 1'empereur, et par-la il rendit quelque vi- gueur a 1'autorite de la couronne imperiale. INTRODUCTION. 63 leur liberte n'auront a combattreque des troupes mercenaires Apres plusieurs de- faites 1'empereur conclut avec les cantons un traite par lequel ils furent declares affranchis de la juridiction imperiale, et de toutes les contributions imposees par la diete de Worms. Ce traite laissoit encore auxempereurs d'Allemagne quelquespre- textes pour attaquer 1'independance des cantons suisses; mais cette independance fut definitivement reconnue par le traite de Westphalie. EMPIRE D'ALLEMAGNE. Les Germains qui avoient brise le joug des Remains dans tous les lieux ou ils s'e- toient etablis, ces fiers Germains eux- memes perdirent la liberte a la meme epoque que les nations qu'ils avoient af- franchies. II en devoit etre ainsi, puisque, comme elles, ils avoient adopte le re- gime feodal. Mais ce qui doit surprendre c'est quece regime oppresseur s'est main- 64 INTRODUCTION, term plus long-temps et avec plus de force en Allemagne que par-tout ailleurs; de maniere que la liberte qui en etoit sortie y est rentree plus tard que dans les autres pays; encore n'y apparoit-elle aujourd'hui que dans quelques con- trees. Comment des peuples si voisins et si long-temps gouvernes par les memes lois se trouvent-ils aujourd'hui soumis a des regimes si differents? II y en a plusieurs causes. Apres la mort de Louis -le-Debon- naire, ses trois fils, Louis, Charles, et Lothaire, reunis a Verdun en 843, par- tagent entre eux le vaste empire de Char- lemagne. Charles-le-Chauve conserve 1'A- quitaine avec la Neustrie; Louis a toute la Germanic, d'ou il fut appele le Germa- nique; et Lothaire, qui etoit 1'aine, cut avec le litre d'empereur 1'Italie, et (en termes expres) la ville de Rome; il cut encore la Provence, la Franche-Comte, le Lyonnois, et les autres contrees qui se INTRODUCTION. 65 trouvent enclavees entre le Rhone, le Rhin, la Saone, la Meuse, et 1'Escaut. Ces trois branches de la dynastic car- lovingienne ne conserverent pas long- temps I'heritage de Charlemagne. En France, Louis V etant mort sans enfants en 987, les grands du royaume lui donnerent, pour successeur Hugues Capet. Ce prince etoit tout a-la-fois le plus grand capital ne, le plus riche proprie- taire et le seigneur le plus distingue du royaume. Ce triple avantage, des nego- ciations et quelques victoires, fixerent pour jamais la couronne dans sa dynastic. A la verite la magnifique qualification de roi des Francois ne fut guere pour ses premiers successeurs qu'un vain litre; mais, par des mesures sagement combi- nees, par un systeme d'agrandissement constamment suivi sous plusieurs regnes, la couronne redevint ce qu'elle n'auroit pas du cesser d'etre, un asile pour les opprimes, unfrein pour les oppresseurs; enfin plus tard 1'autorite royale, fortifiee 5 66 INTRODUCTION, tout a-la-fois par 1'abaissement des sei- gneurs et par 1'elevation des communes, preValut tellement sur la puissance feo- dale que, sous Philippe-le-Bel , les ba- rons virent, non sans etonnement, mais sans reclamation, les deputes des villes sieger comme eux dans les grands con- seils nationaux, et partager avec eux 1'exer- cice de la puissance publique. Les Carlovingiens d'Allemagne, dege- neres comme ceux de France, perdirent la couronne a-peu-pres a la meme epo- que et de la meme maniere. Louis IV, roi de Germanic, arriere- petit-fils de Louis-le-Germanique, etant mort en 912 sans posterite, les grands de 1'Empire, quoiqu'il ne fut pas le dernier prince du sang de Charlemagne, donne- rent sa couronne a Conrad , due de Fran- conie (i). (i) Pendant tres long-temps tous les membres du corps germanique concoururent a 1'e'lection de 1'empereur ; mais au milieu des troubles et de Panarchie auxquels 1'Europe INTRODUCTION. 67 Conrad n'avoit ni les grandes qualites ni les riches domaines de Hugues Capet, il ne comptoit pas, comme ce prince, deux rois dans sa famille; aussi n'eut-il pas la gloire de fonder une dynastic. Apres sa mort, qui arriva en 919, les grands lui donnerent pour successeur Henri, dit 1'Oiseleur, due de Saxe. Ce prince, digne de la couronne, la transmit a son fils Othon, que la poste- rite a surnomme* le Grand. Oth on-le-G rand, vainqueur de 1'Italie, se fit couronner empereur par les mains du pape, formalite que ses deux prede- cesseurs avoient neglige de remplir. La vigueur de son administration, 1'eclat de ses victoires, et un regne de trente-sept ans, affermirent tellement la couronne sur sa tete que (}e son vivant meme, f ut en proie pendant plusieurs siecles , sept princes , pos- sesseurs de vastes territoires, s'arrogerent le privilege ex- clusif d'elire 1'empereur. Ce privilege leur fut confirme par la bulle d'or qui determina la maniere de 1'exercer. 5. 68 INTRODUCTION, il fit elire et sacrer son fils Othon II, et qu'apres sa mort cet Othon II et son petit-fils Othon III, quoique peine age de trois ans, lui succederent sans con- firmation pour 1'un et sans election pour Tautre. II est probable que la succession au trdne se seroit etablie dans la famille des Othons comme dans celle des Hugues Capet, si Othon III avoit eu les grandes qualites de ses deux prddecesseurs; mais etant mort sans enfants, presque au sortir d'une minorite orageuse, les grands vas- saux se ressaisirent du droit d'elire le chef de 1'Empire. Henri II, due de Baviere etarriere-petit- fils d'Henri 1'Oiseleur, fut elu roi de Ger- manic dans une diete tenue a Mayence le 10 juin de Fan 1002. Ce prince, in- quiete pendant tout le cours de son regne par des rivaux puissants qu'il n'apaisa qu'a force de largesses, laissa 1'autorite imperiale plus foible et les vassaux de la INTRODUCTION. 69 couronne plus forts qu'avant son avene- ment a Fempire. II mourut en 1024, el en lui finit la branche des empereurs de la maison de Saxe. Conrad, dit le Salique, fils de Henri, due de Franconie, fut elu roi de Ger- manic dans une diete tenue & Worms en 1'annee 1024 , et couronne empereur par les mains du pape en 1027. ^ peine monte sur le trone, une conspiration formee dans le sein de sa propre famille eclata contre lui; et dans la confusion in- separable des discordes civiles , la puis- sance des hauts barons, deja rivale de celle des empereurs, prit un nouvel ac- croissement. Henri III et Henri IV, fils et petit-fils de Conrad-le-Salique, furent successivement eleves a la dignite imperiale. Henri IV porta sur le trone toutes les qualites qui font les grands princes; mais la penitence humiliante que le trop fa- meux Gregoire VII cut 1'audage de lui 7 o INTRODUCTION, imposer, et qu'il fut oblige de subir, en degradant sa personne, affoiblit encore 1'autorite imperiale (i). Cependant son fils lui succeda sous le nom d'Henri V. Les grands de 1'etat, te- moins des humiliations du pere, se mon- trerent peu disposes h reconnoitre un sou- verain dans la personne du fils; et les concessions qu'il fut force de faire a la haute noblesse acheverent d'etablir 1'in- dependance des grands offices et des grands fiefs. (i) Gregoire commenca sa rupture avec Henri IV, sur un pretexte specieux et populaire. II se plaignit de la ve- nalite et de la corruption introduites par cet empereur dans la collation des benefices aux eccle'siastiques. II pretendit que le droit de collation lui appartenoit comme au chef de 1'Eglise ; et il requit Henri de se renfermer dans les bornes de sa juridiction civile, et de s'abstenir pour 1'avenir tie ces usurpations sacrileges sur 1'autorite spirituelle du saint-siege. L'empereur, ayant refuse de renoncer a exercer des droits dont ses pre'decesseurs avoient constamment joui , vit fondre sur sa tete tous les anathenles de 1'Eglise. Les princes etles eccle'siastiques les plus considerables d'Allemagne se souleverent et pri- INTRODUCTION. 71 Henri V mourut en Tan 1 1 26, et en lui s'eteignit la maison de Franconie. Apres sa mort les empereurs furent elus, en quelque sorte, au hasard; et Ja couronne imperiale reposa successive- ment sur la tete de Lothaire II, de Con- rad III, de Frederic I er , dit Barberousse, de Henri VI, de la maison de Souabe, de Philippe I er , egalement de la maison de Souabe, d'Othon IV, comte palatin rent les armes centre lui; on excita sa mere, sa femme, ses enfants memes a briser tous les liens de la nature et du devoir, et a se joindre aux ennemis de ce malheureux prince. Tels furent les moyens dont se servit la cour de Rome pour enflammer le zele aveugle de la superstition ; elle sut diriger avec tant de succes 1'esprit factieux des Italiens et des Allemands , qu'un empereur, distingue non seulement par des vertus, mais encore par des talents peu communs , fut oblige de paroitre en suppliant a la porte du chateau ou residoit le pape, et d'y rester trois jours, tete nue, expose a toutes les rigueurs de 1'hiver, pour implorer un pardon qu'il n'obtint meme qu'avec beaucoup de peine, et aux conditions les plus fle'trissan- tes. (Introduction a VHistoire de Charles-Quint, par Ro- bertson.) 72 INTRODUCTION. deBaviere,de Frederic II, et cleConradIV, descendant de Frederic-Barberousse. Apres un interregne de dix-sept ans pendant lequel le comte Guillaume de Hollande, le due Richard de Gornouailies, et le roi Alphonse de Castille se dispu- terent la couronne imperiale, Rodolphe de Habsbourg fut elu empereur dans une diete tenue a Francfort le 3o septem- bre 1273. Ce prince est la tige de la maison d'Autriche : il descendoit de Gontran-le- Riche, comte d'Alsace, soucbe commune de la maison de Habsbourg- Autriche et de celle de Lorraine. En 1 278 Rodolphe remporta une grande victoire sur Ottocare, roi de Boheme, qui perit dans la bataille. L'an 1282 il investit, dans la diete d'Ausbourg, Albert, son fils, du duche d'Autriche qu'il avoit enleve au roi de Boheme. Depuis lors les comtes de Habsbourg ont pris le nom de ce duche, et fonde la deuxieme maisoa d'Autriche. INTRODUCTION. 78 Enfin depuis la mort de Rodolphe en 1291, jusqu'au regne de Maximilien I er couronne empereur en 1403, des princes de la maison d'Autriche, des rois de Bo- heme, des dues de Souabe, de Luxem- bourg, de Baviere et de Moravie, ont oc- cupe successivement le trone imperial. Tous les etats, tous les princes qui composoient le corps germanique, recon- noissoient 1'empereur pour leur chef. Les lois et les rescrits d'un interet general etoient publics en son nom. Mais ce fan- tome d'autorite disparoissoit devant les dietes de 1'Empire. Chaque prince , cbaque etat souverain avoit le droit d'assister a ces grandes assemblees, d'y deliberer, et d'y voter. Les decrets ou recez de la diete formoient les lois de 1'Empire, et 1'empe- reur etoit oblige de les ratifier et de les faire executer. Nous voyons maintenant pourquoi 1'Al- lemagne est demeuree etrangereaux mou- vements qui , vers le commencement du quatorzieme siecle, ont change la face 7 4 INTRODUCTION, de 1'Europe; pourquoi le peuple de ces riches et vastes contrees, immobile au milieu de la fermentation generale, n'a pas imite ses voisins, n'a pas comme eux brise ses fers , et comme eux pris place dans les dietes nationales. Cela s'explique, ainsi que nous 1'avons deja dit,parla difference dans la dureedes dynasties regnantes. Que celles de Hugues Capet et de Guillaume-le-Conquerant, affermies par les siecles sur des trones hereditaires, et constamment occupees du soin de s'agrandir, se soient elevees a une hauteur telle, qu'elles ont pu favoriser et meme provoquer I'etablissement des communes, faire ensuite de ces nouvelles corporations des puissances rivales de la puissance des hauts barons, et les appeler enfin dans les grands conseils nationaux, jusqu'alors uniquement composes des vas- saux de la couronne, celase concoitaise- ment. Mais il ne pouvoit pas en etre de meme sous des princes chancelants sur des INTRODUCTION. 7 5 trones viagers. Ghaque election nouvelle affoiblissoit 1'autorite imperiale et ajou- toit a celle des vassaux de 1'Empire. Ainsi, la puissance feodale, toujours croissante, et constamment interposee entre les chefs de 1'Empire et les hommes de chaque seigneurie, interceptoit toute communication entre eux, et mettoit les empereurs dans 1'impuissance d'etendre une main protectrice sur les habitants des campagnes. . Si Ton se reporte sur ce que Ton vient de lire, on en voit sortir cette grande verite: autant 1'autorite royale est im- puissante pour faire le bien quand elle repose, comme un vain simulacre, dans des mains foibles ou inhabiles; autant elle est bienfaisante lorsque, grande et forte, elle impose a tous le joug salutaire des lois, lorsque, semblable a un fleuve majestueux et tranquille, elle coule paisi- blement dans un lit creuse par la sagesse. 76 INTRODUCTION. DU ROYAUME DE HONGRIE. Quelques tribus de ces Huns qui inon- derent 1'Europe vers la fin du quatrieme siecle s'arreterent dans la Pannonie, et prirent dans cette province le nom de Hongrois. La ils paroissent , jusqu'au dixieme siecle, avoir vecu sous une espece de gouvernement federatif , commandes par differents chefs niilitaires qu'ils se choisissoient.Une affaire interessant toute la nation s'elevoit-elle; une expedition generale devoit-elle avoir lieu ; on pro- menoit dans les differentes bourgades une epee nue, en proclamant ces mots : Voici la voix de Dieu et 1'ordre de toute la com- ic munaute : que chacun comparoisse arme, ou comme il le pourra, dans tel lieu; il y entendra la deliberation et la deci- sion de la communaute. Ainsi avoient deja lieu des assemblies publiques de la nation. Ce fat en 966 que, d'un commun con- INTRODUCTION. 77 sentement, les grands et les nobles de Hongrie choisirent pour roi 1'un d'eux, Etienne, qui, dissipant les tenebres du paganisme, etablit la religion chretienne dans ses etats, organisa 1'eglise catholi- que de Hongrie, et qui est connu dans 1'histoire sous le nom de saint Etienne. A ce prince commence la monarchic elective de Hongrie. La legislation progressive de cette mo- narchic a ete conservee avec une rare exactitude : les recueils qui la renferment remontent jusqu'a leur premier roi. II est un de ces decrets qui appartient a saint Etienne. On y remarque ces pa- roles adressees a son fils : Si tu te mon- tres affable, tu seras proclame roi, et toute la noblesse taimera; si tu es iras- ucible, imperieux, intolerant, si tu veux clever un front superbe au-dessus des comtes et des grands, alors sans aucun doute tu te verras depouille de la di- gnite royale, et c'est a un autre qu'ils livreront ton royaume. 78 INTRODUCTION. On voit ici la reconnoissance du droit d'election qu'avoit la noblesse hongroise, droit qui s'etablit comme une coutume inviolable, sans etre ecrit positivement dans aucune constitution. Parmi les successeurs de saint Etienne, le premier dont les lois offrent un carac- tere remarquable est Andre II, porte sur le trone en 1206. C'est ce prince qui , dans un decret promulgue en 1222, con- sacra les libertes des nobles hongrois, leur accordaplusieurs privileges, et les af- franchit de plusieurs obligations dont ils etoient tenus envers la couronne. Et si nous, ou Fun de nos successeurs, porte ule dernier article, nous voulions jamais wcontrevenir aux dispositions de iiotre decret, qu'en vertu de ce decret les eveques , les barons et les nobles du royaume, presents et a venir, tous en masse et chacuii en particulier, aient a perpetuite la libre faculte de nous con- tredire nous et nos successeurs, meme INTRODUCTION. 79 de nous resister sans encourir aucune note de felonie. Aussi le nom d'Andre passa-t-il revere dans la memoire des Hongrois. Son decret devint 1'arme de la noblesse toutes les fois qu'elle voulut reclamer ses libertes, et chaque roi de Hongrie fut oblige avant son couronnement de jurer respect et obeissance a ce decret. Sous les rois diaries I er et Louis I er le royaume de Hongrie atteignit son plus haut point de splendeur. La Dalmatie, la Croatie, la Servie, la Bulgarie, la Bosnie, la Transylvanie , la Valachie, la Molda- vie, y furent successivement reunies. Mais en 1686, sous le regne de Sigismond, les Turcs parurent dans la Hongrie, et alors commencerent ces guerres dont la duree embrasse plus d'un siecle. Bien que les chretiens de toute 1'Europe accourussent, nouveaux croises, pour secourir les Hon- grois, les Turcs marcherent de pro- gres en progres. Les trois fameuses ba- 8o INTRODUCTION, tallies de Nicopolis en 1896, de Warne en i444> de Mohatz en 1626, furent fu- nestes aux armes chretiennes. Profitant des dissensions qui s'etoient elevees pour la couronne de Hongrie entre la fa- mille de Jean Zapoli et la maison d'Au- triche, Soliman II etendit chaque jour ses possessions. Des pachaliks s'etablirent, des mosquees s'eleverent, et la Hongrie demembree se trouva divisee en Hongrie mahometane et en Hongrie cbretienne. Ces evenements nous conduisent jus- qu'au moment ou le sceptre de Hongrie tomba dans la maison d'Autricbe en 1627. A cette epoque les actes legislatifs e.toient dejafortnombreux.Parmicesactesdoivent etre remarques le decret rendu par Al- bert en 14^9, a la priere des prelats, des comtes et barons (decret qui, confirmant celui d' Andre II , contient une grande partie de la constitution et du droit pu- blic du royaume); les articles que la no- blesse presenta en 1490 a Ladislas et que celui-ci jura d'observer; enfin les decrets INTRODUCTION. 81 qui suivirent et develcpperent ces articles en i49 2 et dans les annees suivantes. Voici le sy steme du gouvernement hongrois, tel que le presentent ces lois et les antecedents historiques. La couronne est elective; cependant la posterite du prince regnant y a des droits de preference que les dietes reconnoissent Le choix des electeurs peut se porter sur des femrnes. En 1882, Marie, fille de Louis I er , succeda a son pere. Lors de son couronnement le roi doit prononcer le serment dont voici la for- mule: Nous jurons par le Dieu vivant, par la bienheureuse vierge Marie sa mere et par tous les saints, que nous conserverons les eglises consacrees a <'Dieu, et tous les seigneurs prelats, ba- rons, nobles, et villes libres de Hongrie, et tous les habitants de ce royaume, dans leurs franchises, exemptions, libertes, droits et privileges; que nous garderons , toutes les coutumes bonnes, anciennes et generalement approuvees; que nous 6 82 INTRODUCTION. rendrons a tons justice suivant la teneur des lois et les usages du royaume, et que nous observerons inviolablement le decret du serenissime roi Andre, etc. Le roi doit resider en Hongrie. C'est a Jui qu'appartient la libre disposition des emplois et des dignites, mais il ne peut les conferer qu'a des Hongrois. II a le pouvoir de rendre des decrets; mais il est d'usage qu'il les soumette a 1'avis des grands et nobles du royaume. Du reste c'est un principe constant du droit public qu'il ne peut, sans le consentement for- mel des dietes, deroger en rien soit aux anciennes coutumes, soit aux libertes na- tionales. II arrive frequemment que les nobles , reunis dans les dietes , arretent eux-memes une serie d'articles qu'ils pre- sentent au prince en le suppliant de les sanctionner, quelquefois meme en lui en imposant 1'obligation comme une condi- tion de son election. Ces decrets, qui sont en grand nombre, commencent par une preface dans laquelle le roi expose que INTRODUCTION. 83 Jes barons et grands du royaume lui ont presente les articles dont la teneur suit. Us sont termines par la confirmation de ces articles. Apres la dignite de roi, la premiere est celle de palatin de Hongrie. C'est par le prince et par 1'assemblee nationale que doit etre elu ce palatin ; ainsi le prescrit 1'article 2 du decret public par Albert en 1439. On trouve dans une constitution, rendue en i486 par une diete reunie pour la nomination d'un palatin, Enu- meration des fonctions diverses de ce di- gnitaire. General et grand juge du royau- me, il doit porter aux oreilles du prince les plaintes des sujets, se presenter comme mediateur lorsque quelque dissension s th- ieve entre le monarque et la nation. En 1'absence du roi il tient les renes du gouvernement. Apres sa mort il est le tuteur ou le curateur des heritiers qu'il a laisses. C'est lui qui convoque alors les dietes necessaires pour regler les affaires publiques. 6. 84 INTRODUCTION. Dans la monarchic hongroise Taristo- cratie est toute-puissante; les nobles n'ont aucun droit de suzerainete les uns sur les autres; tous jouissent des memes fran- chises. Les quatre principales sont : La premiere de ne pouvoir etre ni saisi ni detenu avant d'avoir etc cite dans les formes et condamne judiciairement ; La seconde de ne relever dans tout Je royaume que du roi legalement elu et couronne; La troisieme de jouir sur leur territoire de tous les droits et revenus, libres de toute servitude envers la couronne, taxe, impot , redevance , sauf 1'obligation de marcher a 1'armde pour la defense du royaume ; La quatrieme enfin de pouvoir, sans encourir aucune note de felonie. resister au roi s'il attentoit a la constitution d' An- dre II et aux franchises nationales. G'etoit sur-tout dans les dietes que la noblesse hongroise usoit de ses libertes et exercoit son influence. INTRODUCTION. 85 Un decret de i458 ordonne qu'une diete aura lieu chaque annee dans la ville de Pest, a la Pentecote. Le roi Mathias, en 147 1? fixa cetteepoque & la fete de 1' As- cension. Enfin un decret presente par la noblesse & Ladislas, en 1498? remit la reu- nion reVuliere des dietes , de trois ans en trois ans, dans le champ Rakos, a la fete de Saint-Georges. Ces dietes ne devoient durer que quinze jours. Les rois convo- quoient des dietes extraordinaires lorsque des affaires urgentes 1'exigeoient. On trouve dans les lois diverses peines prononcees contre les nobles qui ne se rendroient pas aux assemblies. On ne doit, d'apres un decret rendu en i49 2 > attendre les retardataires que pendant quatre jours. Ce delai expire , les opera- tions peuvent commencer, et les absents seront lies par les decisions de la diete, comme s'ils y avoient pris part. Le decret de i49^, sous le roi Ladislas, presente quelques dispositions assez de- taillees sur 1'ordre de ces assemblies. Les 86 INTRODUCTION, articles 26 et 26 portent que le roi doit convoquer les prelats , les barons et les nobles, chacun en particulier, un mois entier avant le jour fixe pour la diete; qu'il doit y appeler non pas des deputes elus dans chaque comte , comme cela s'etoit pratique quelquefois, mais tous les nobles , chacun individuellement ; qu'il doit exposer a 1'assemblee les motifs de sa reunion, les besoins du royaume, la situation de ses affaires; que les nobles doivent deliberer avec dignite dans le si- lence, et que s'il s'eleve parmi eux des avis differents, le maitre des huissiers (i), present a la deliberation, doit recueillir separement le vote de chacun. Pendant la duree des dietes le cours de la justice est suspendu et les tribunaux sont fermes. Quiconque frappoit un individu dans 1'assemblee, ou cherchoit a troubler les (i) Magister janitorum. INTRODUCTION. 87 deliberations, etoit note d'infamie (i). Les dietes doivent etre necessairement consul tees : pour les impots, qui ne peu- vent etre etablis sans leur consentement; pour la conservation et la defense des li- mites du royaume; pour le mariage des filles du roi; et en general pour tout ce qui interesse 1'etat (2). (t) Quod durantibus generalibus dietis universa ju- dicia in curia regia, sedibus spiritualibus et comitatibus cessent, ut unusquisque rebus totius regni, eo facilius intendere valeat. Praeterea , si quis forte aliquem in ipsa dieta verberaret , vulneraret, vel libertatem dieta? turbaret, quae nota infidelitatis est, talis personaliter citari semper poterit, ibidemque judicium de eo fieri valebit. (Seizieme decret de Ladislas , an i5oy, art. 12.) (2) Item quod nos de caetero, nullam dicam sive taxarn , praeterquam lucrum cameras , generaliter a reg- nicolis , propter aliquam causam , exigamus , aut exigere faciamus, praeter voluntatem eorum et consensum. ( Troisieme decret de Mathias, an i/[ji, art. 1 1.) In defensionibus et conscrvationibus metarum et con- finiorum hujus regni, consiliis regnicolarum utemur. (Decret d' Albert , an i43g, art. 14.) De maritatione filiarum nostrarum agemus cum con- silio praelatorum et baronum ac nobilium regni nostri Hungariae. ( Meme decret, art. 20.) 88 INTRODUCTION. La couronne de Hongrie ayant passe dans la maison d'Autriche en 1627 par 1'election de Ferdinand, ce prince qui, comme ses predecesseurs , avoit jure de se conformer aux constitutions de 1'etat, ne tarda pas a s'en ecarter. Ses successeurs les respecterent encore moins. La noblesse prit enfin le parti de recourir aux armes; mais, trop foible pour resister seule a la maison d'Autriche, elle engagea les Turcs dans sa querelle. Les succes f'urent long- temps balances. Enfin le 12 aout 1687, dans la plaine de Mohatz, les generaux de 1'empereur mettent dans la deroute la plus complete une armee de 80,000 Turcs, commandee par le grand visir. Fort de ce succes, Fempereur Leopold assemble les etats a Presbourg, le 3i octobre de la meme annee 1687, fait declarer la cou- ronne de Hongrie hereditaire dans sa maison, et la cede en meme. temps a son fils aine 1'archiduc Joseph (i). (i) Art de verifier les dates , troisieme edit. , t. II, p. 65. DES ASSEMBLIES NATIONALES EN FRANCE, DEPUIS L'ETABLISSEMENT DE LA MONARCHIE JUSQD'EN 1614. GHAPITRE PREMIER. Des assemblies nationales sous les deux premieres races. (481-987.) Quoique Fespece humaine soil, ou du moins paroisse etre par-tout la meme, ce- pendant chaque peuple dent du climat, du sol, ou si Ton veut de la nature, un carao tere qui lui est propre. Le trait le plus sail- lant de celui des anciens peuples de la Ger- manic (i) etoit un vif attachement a la (i) Sous cette denomination , je comprends toutes les nations, toutes les tribus, qui, apres avoir successive- ment occupe la Germanic , s'etablirent sur les debris de Tempire romain. 90 ASSEMBLERS NATIONALES liberte. Ce sentiment dominoit toutes leurs pensees, dirigeoit toutes leurs actions, et, par un phenomene fort reraarquable, seul il les conduisit a une forme de gouverne- ment qui suppose des connoissances, alors infiniment rares, meme chez les nations les plus civilisees. Je lis dans Tacite(i): Leurs rois n'ont pas une puissance illimitee ou indepen- udante, et leurs generaux commandent par 1'exemple plus que par Fautorite. Plus has Tacite ajoute : Les affaires peu ( importantes sont reglees par les chefs, les uautres par la nation, de maniere toutefois uque dans celles meme dont la decision appartient au peuple, la discussion est re- servee aux chefs , hormis des cas extraor- dinaires et pressants ; ils s'assemblent a des jours fixes, au commencement de la nou- velle et de la pleine lune, temps qu'ils (i) Je donne la traduction de M. Bureau de Lamalle, generaleinent estimee. DE FRANCE. CHAP. I. 91 ujugent le plus favorable pour traiter les uaffaires... Lorsque 1'assemblee paroit suf- ((fisamment iiombreuse, ils prennent place tout armes. Les pretres (i), qui sont alors (i) Chez les peuples barbares, les pretres ont ordinai- rement du pouvoir, parcequ'ils ont, et 1'autorite qu'ils doivent tenir de la religion, et la puissance que chez des peuples pareils donne la superstition. Aussi voyons-nous dans Tacite que les pretres etoient fort accredited chez les Germains, qu'ils mettoient la police dans I'assemblee du peuple. II n'e'toit permis qu'a eux de chatier, de lier, de frapper : ce qu'ils faisoient, non pas par un ordre du prince, ni pour infliger une peine, mais comme une inspiration de la Divinite, toujours presente & ceux qui font la guerre. (Esprit des Lois, liv. XVIII, chap, xxxi.) M. Meyer, dans son savant ouvrage intitule Esprit , origine, et progres des institutions judiciaires, etc., torn. I, liv. II, ajoute: Les Germains etoient extremement su- perstitieux: a tout moment ils consultoient leurs pretres, dont 1'autorite devoit etre tres grande, quoique rien ne prouve qu'ils aient forme un e'tat separe, comme les Druides-Gaulois. Les femmes ou vierges sacre'es jouis- soient d'une grande faveur; et les noms de Ganna, de Velleda, d'Aurinia, sont connus dans 1'histoire, a cote de ceux d'Armenius et de Claudius Civilis. 92 ASSEMBLEES NATIONALES charges de la police, imposent silence j en- suite le roi ou le chef prend la parole, et u selon ce qu'il a d'age, de naissance , de con- sideration militaire, d'eloquence, il sefait ecouter par la force des raisons, plutot que <' par celle de l'autorite\ Si son avis a deplu, un cri general 1'annonce; s'ils 1'approu- vent, ils agitent leurs framees. Cette ma- ce niere d'exprimer leur approbation par les arnies est la plus flatteuse... On peut aussi a ces assemblees generales porter les accu- sations et les affaires criminelles... G'est dans ces memes assemblees qu'on elit aussi les chefs, qui rendent la justice dans les cantons et dans les bourgades. Dans cet ordre de choses, le roi propose la loi tons les honimes admis a Thonneur de porter les arnies, reunis en assemblee gene- rale, Fadoptent ou la rejettent; cette assem- blee, conjointement avec le roi, regie les af- faires generales de la nation-, le roi, seul charge" du pouvoir executif, fait seul les ac- tes d'administration; enfin la meme assem- blee, toujours presidee par le roi, prononce sur les crimes d'etat, et nomme des juges DE FRANCE. CHAP. I. g3 pour statuer sur les affaires qui n'inteVes- sent que les particuliers (i). Voila bien la separation des pouvoirs. II faut que cette belle conception soit, en quel- quesorte, une idee innee, puisqu'elle s'est presentee a 1'esprit d'une nation barbare, d'une nation qui, etrangere a nos connois- sances comme a nos vices, n'etoit eclairee que par les lumieres du plus simple bon sens. (i) Ces assemblees sont designees dans les anciens mo- numents sous plusieurs denominations. Tacite les appelle concilium, congressus: les Francs les appeloient ma//um, placitiim regium, genera leplacitum ; ensuite plena sy nodus, conventus , concilium. Comme ces assemblees s'etoient tenues d'abord au mois de mars et ensuite au mois de mai , les historiens les appellent aussi Champs-de-Mars et Champs-de-Mai. II y avoit aussi des assemblees particulieres , qui avoient lieu dans les differents comtes, et qui n'etoient composees que de ceux qui habitoient ces comtes. Les Germains et les premiers Francs les appeloient mallum grafionis: plus tard elles furent connues sous le nom de placitum comitis, placitum missi. Je ne m'occupe dans cet ouvrage que des assemble'es generales. 94 ASSEMBLIES NATIONALES Ce bon sens continuera-t-il d'inspirer la nation , lorsqne, par la conquete des Gaules, elle sera devenue maitresse de Tune des plus riches con trees de la terre? Les monuments contemporains repondent a cette question. Deja les Visigoths et les Bourguignons s'etoient empares d'une partie des Gaules, lorsque, vers le milieu du cinquieme siecle, les Francs parvinrent a s'y etablir. On decoroit du nom de Francs ceux de ces peuples qui se faisoient le plus remar- quer par leur amour pour la liberte. Les principaux etoient les Saliens, les Ripuaires, les Cherusques, et les Bructeres. Ainsi, Ton disoit: Les Francs-Saliens, les Francs- Ripuaires, etc. Les Saliens occuperent Tournay (i), les Ripuaires Cologne, les deux autres Te- rouane et Cambrai. En 4^1 Clovis succeda a Chilp^ric son pere , roi de la tribu des Saliens. La guerre (i) En 1 653 on decouvrit a Tournay la tombe et le squelette de Chilperic , pere de Clovis. DE FRANCE. CHAP. I. g5 e*toit un besoin pour lui; et il avoit e*mi- nemment le courage de ces temps-la, c'est- a-dire un courage feroce. Lenombre d'hom- mes de sa nation , en etat de porter les armes, ne s'elevoit guere au-dessus de trois ou quatre mille; mais sa grande reputation at- tiroit sous ses drapeaux une foule de braves des tribus voisines, ceux sur-toutqui regar- doient Je pillage comme le seul moyen d'ac- querir qui fut digne d'un soldat. A la tete de cette armee, Clovis battit les Romains a Soissons, et les Germains a Tol- biac(i). (i) On assure qu'un voeu fait au fort de Faction , et les instances de son epouse Clotilde , princesse de Bourgo- gne , le determinerent a embrasser le christianisme. II seroit inutile aujourd'hui d'examiner si sa conversion fut sincere ; mais il est certain du moins qu'aucun acte politique ne pouvoit avoir de resultats plus heureux. L'arianisme introduit de bonne heure chez les nations barbares dominoit, toutefois sans intolerance, a la cour de Bourgogne , et dans celle des rois visigoths ; aussi le clerge des Gaules , fortement attache au parti catholi- que , avoit soutenu les armes de Clovis , meme avant sa conversion. Depuis il se de'clara hautement en sa fa- 96 ASSEMBLIES NATIONALES Ces deux victoires etendirent sa domina- tion jusqu'a 1'Ocean ; jusqu'a la Loire qui servoit de limite a celle des Visigoths; jus- qu'au Rhone qui la separoit des Bourgui- gnons, et jusqu'au Rhin, ou elle confinoit avec les Allemands et avec d'autres Francs. Devenu ainsi Tun des plus puissants mo- narques de 1'Europe, Glovis voudra-t-il par- tager avec ses sujets Fexercice de la puis- sance legislative? respectera-t-il encore les limites de son autorite ? 11 n'aura pas meme 1'idee de les ebranler. veur ; le monarque recompensa son zele, ainsi que 1'exi- geoit une adroite politique, et ses descendants le traite- rent avec une munificence prodigue. S'appuyant du pretexte de la religion , Glovis attaqua Alaric , roi des Visigoths , et , par une eclatante vicloire aupres de Poi- tiers , renversa leur empire dans les Gaules , et les rejeta dans la province maritime de la Septimanie , ligne etroite de cotes situee entre le Rhone et les Pyrenees. Ses der- niers exploits consisterent a soumettre certains chefs in- dependants de sa tribu et de sa propre famille , qui s'e- toient etablis vers les bords du Rhin ; il les fit tons perir par violence ou par trahison. (U 'Europe au moyen age , par M. Hallam, 1. 1.) DE FRANCE. CHAP. I. 9-7 La raison en est simple : c'est qu'alors il n'y avoit pas une nation et une arme'e , raais une armee qui se composoit de la nation entiere, c'est-a-dire de tous les hommes en tat de porter les armes; de maniere que la consti- tution de 1'etat etoit sous la garde de la force publique. Les assemblies nationales furent done, apres la conquete, ce qu'elles etoient au- dela du Rhin , et, comme on va le voir, il n'y eut rien de change, ni quant a leur com- position , ni quant a leur maniere de deli- berer. La conquete fut rapide, mais il falloit du temps pour Faffermir ; aussi Clovis ne licen- cia-t-il pas son armee. Trop foible pour qu'il put la repartir sur differents points, il la te- noitcampee pres des lieux de sa residence; et, toujours a sa tete, il se portoit par-tout ou des symptomes de rebellion se laissoient en- trevoir. Cependant, aux approches de 1'hi- ver, il etendoit ses quartiers, afin qu'elle put subsister avec plus de facilite; mais des les premiers jours du printemps les batail- lons epars se reunissoient en corps d'armee, 7 98 ASSEMBLEES RATIONALES et formoient ces assemblees connues sous la denomination de Champ-de-Mars(i). Dans ces assemblees, la nation represen- tee par ses braves, et deliberant comme dans les forets de la Germanic, sous la pre- sidence et sur les propositions de son chef, regloit les affaires de Tetat. Get ordre de clioses se maintint sous les premiers successeurs de Glovis (2), mais sous ses petits-fils un grand changement s'opera. L'habitude de vivre sous le meme regime ay ant reuni les Francs et les Gaulois, (i) Gela n'est pas textuellement ecrit dans les anciens monuments ; mais on y entrevoit que c'est de cette ma- niereque les choses se sont passees. (a) Clovis laissa quatre fils , qui partagerent ses etats. L'Austrasie echut a Thierry 1'aine, qui choisit Metz pour sa capitale ; Clodomir fixa son sejour a Orleans ; Childe- bert , a Paris ; et Clotaire , a Soissons. Sous leurs regnes , la conquete de la Bourgogne agrandit la monarchic. Clotaire , le plus jeune des freres , reunit enfin tous ces royaumes : divises une seconde fois a sa mort entre ses quatre enfants , ils furent reunis de -nouveau sous Clo- taire II , petit-fils du premier. Les regnes suivants n'offrent qu'une longue serie de DK FRANCE. CHAP. I. yy et les deux peuples ne formant plus, en quelque sorte, qu'une nation, les conque- rants sentirent raoins la n^cessite de tenir Farmed reunie sur le meme point. Les corps dont elle se composoit furent can tonnes dans les differentes provinces ; et les soldats, que 1'age ou les blessures rendoient moms propres au service, obtinrent facilement la permission de se retirer dans les domaines dont la conqutite les avoit rendus proprie- taires. Ces hommes, bientot aniollis par les dou- ceurs de la vie privee, places a de grandes distances du centre des affaires publiques, crimes et de malhenrs. II seroit difficile, comme le dit tres bien Gibbon , de trouver ailleurs plus de vices et moins de vertus. Deux reines se distinguent par Te'normite de leurs crimes: Fr^degonde, femme deChilperic, et Brunehaut, reine d'Austrasie. Les princes qui regnerent apres elles tomberent dans un tel etat de nullite, que les maires du palais , qui , dans 1'origine, n'etoient que de simples officiers de la maison du roi , parvinrent a transformer leur place en une dignite elective , et finirent par s'emparer du trone. 100 ASSEMBLEES NATIONALES ne tarderent pas a perdre de vue les assem- blies du Champ-de-Mars , et negligerent de s'y reiidre. II resulta de cette negligence que les as- semblees nationales ne furent plus compo- sees que des generaux et des officiers de la maison du prince, en un mot de ceux que les monuments de ces temps-la designent sous le nom de proceres. Mais la place de- sertee par les soldats ne resta pas long- temps vacante; les pretres, qui jusqu'alors n'avoient figure dans ces assemblies que pour y maintenir la police, s'empresserent de Foccuper. Une fois entre dans le gouvernement, le clerge n'en sortira plus ; et, devenu membre du corps politique, il formera desormais un ordre dans 1'etat. Gette innovation changea la forme et en partie Fobjet des assemblies nationales. Au- paravant la nation y etoit representee par tous les hommes en etat de porter les armes ; elle ne le fut plus que par les officiers supe- rieurs du palais et de 1'armee, et cessa tota- lement de 1'etre , lorsque , ces grands offices DE FRANCE. CHAP. I. IOI etant devenus her&litaires , ceux qui les poss^doient formerent la classeque Ton a de- puis appelee Ford re de la noblesse. Auparavant les guerriers qui formoient ces assemblies , plus homines de bien qu'hommes d'esprit, plus judicieux qu'eclai- res, plus raisonnables que raisonneurs, adoptoient les lois qui leur etoient soumises, en frappaiit sur leurs boucliers, ou les rejetoient par un cri d'im probation. Sans doute ces formes etoient trop simples ; mais le defaut d'eloquence vaut encore mieux que Tabus de Feloquence; et cet abus entra dans les assemblies avec les eveques. Ac- coutumesaux disputes tlieologiques,ilsypor- terent les subtilites de 1'ecole, et sur- tout Fesprit de domination. Cet esprit prevalut : il en devoit etre ainsi. La plus profonde ignorance toit le partage des grands de Fetat, et les connoissances du clerge, quoique tres bornees, embrassoient tout ce que Fon savoit alors; ces connois- sances, comme cela arrive toujours, ren- dirent le eveques niaitres des deliberations, et tout fut regie par eux. On voit, en lisant 102 ASSEMBLIES NATIONALES les capitulaires de ces temps-la, qu'il y est beaucoup plus question de Finteret de FE- glise que de I'interet de 1'etat, et on les croiroit bieii plutot emanes d'un concile que d'une assemblee politique. Sous les rois faineants Gliarles-Martel s'empara du pouvoir. L'importance de ses guerres et 1'eclat de ses conquetes firent oublier pour toujours la race de Clovis, et momentanement les assemblies nationales. Pepin les retablit. Adroit usurpateur il augmenta la puissance du clerge, sous la condition tacite que celui-ci affermiroit la sienne. Les eveques le comprirent : ils an- noncerent 1'usurpateur comme Tenvoy^ du ciel, et le pape Etienne II, en le sacrant lui- meme, 1'environna de tout ce que la reli- gion pent aj outer a la majeste des rois. De son cote Pepin reconnoissant combla le clerge de richesses et de privileges. Ainsi converts de la faveur royale, les eveques marcherent avec tantde succes a la conqueite du pouvoir qu'ils depouillerent les grands, qui com|X)Soient avec eux les assemblees nationales, du peu d'influence qu'ils conser- DE FRANCE. CHAP. I. JO.3 voient encore. La puissance legislative passa tout entiere dans leurs mains, et la reVolu- tion fut telle, que Ton pouvoit dire alors: L'etat cest VEglise. A Pepin succeda Charlemagne. Charle- magne! toutes leside*es de grandeur, de sa- gesse, de force et de majest, se rattachent a ce nom a jamais celebre. Ce vaste et puis- sant genie porta la reforme dans toutes les parties de Fadministration publique. La na- tion recut de son grand caractere une em- preinte toute nouvelle, et 1'autorite des as- semblees nationales cessa d'etre concentric dans les mains du clerge. Cependant, il faut le reconnoitre, ce changement fut moins 1'effet des combinaisons de son esprit que le restiltat de ses guerres continuelles. Toujours a la tete de ses armees , toujours en action, et par-tout victorieux, Charle- magne n'en respectoit pas moiiis les libertes publiques. Chaque annee, au retour du printemps, il tenoit et presidoit les dietes nationales (i). Pendant la guerre il les con- (i) Hincmar, archeveque de Keims, dans ses lettres a 104 ASSEMBLIES RATIONALES voquoit dans les lieux ou ill avoit etabli le centre des operations de la campagne. Aussi voyons-nous que les capitulaires de cette epoque soiit dates les uns de Paderborn, de Worms, de Spire, de Ratisbonne ; les autres d'Aix-la-Chapelle, de Metz, etc. Louis-le-Begue , nous donne sur ces assemblies les details que 1'on va lire. S'il faisoit beau temps, ils s'assembloient quelquefois en plein air; sinon il y avoit deux salles principales, une pour les evdques, les abbes et autres du haut clergd ; 1'autre etoit pour les comtes et autres de meme rang : il e'toit libre aux deux chambres de deliberer a part ou en chambres reunies. II y avoit encore plusieurs autres salles, diversa loca, pour le reste de 1'assemblee, ccetera multitude , qu'on ap- peloit minores: c'e'toient \esnotablcs, les scabini oue'che- vins des villes et districts, dont les comtes et gouverneurs devoient se faire accompagner a 1'assemblee generate, et dont le nombre, pour cbaque comte, fut success! ve- ment augmente , et enfin porte a douze par le deuxieme capitulaire de Louis-le-De'bonnaire de 1'an 819. L'appel de ces notables aux etats-generaux, suivant le temoignage d'Hincmar, avoit pour but d'obtenir d'eux des renseignements sur les besoins et les avantages lo- caux , d'entendre leurs avis , et de les mettre en e'tat de convaincreleurs concitoyensde 1'utiliteou de la necessite DE FRANCE. CHAP. I. Io5 La legislature ainsi placed dans les camps fut necessairement composed de tous les chefs de 1'armee, c'est-a-dire de tous les grands de 1'etat. Quant aux eveques, beau- coup d'entre eux ne"gligerent des fonctions devenues, par les d placements qu'elles exi- geoient, incompatibles avec leurs habitudes. de la mesure prise, puisqu'ils avoient assiste a la discus- sion , et avoient entendu le pour et le centre. II y avoit cependant une difference de rang entre ces notables et les membres des deux ordres; Hincmar dit que ces derniers e'toient assis sur des banquettes riche- mentgarnies, et qu'aucun autre, d'un ruoindre rang, n'etoit assis a cote d'eux. Hincmar nous apprend encore qu'apres que toutes les affaires de I'assemblee generale e'toient finies, et avoient obtenu la sanction royale, le roi complimentoit I'as- semblee sur ses travaux, et en la conge'diant ou la pro- rogeant, chargeoit spe'cialement chaque membre, arctius erat commissum , de s'informer scrupuleusement, pour 1'ouverture de I'assemblee suivante , s'il y avoit du trouble dans le royaume, s'il s'e'levoit quelque mur- mure ou mecontentement , et quelle pouvoit en etre la cause. Voyez le chapitre premier de YHistoire de Forigine de I' organisation et des pouvoirs des etats-generaux et provin- ciaux des Gau!es , par le savant M Rapsaet. 106 ASSEMBLEES NATIONALES Leur absence rendit aux seigneurs la'iques Tinfluence qu'ils avoient perdue. Ces assem- blees , qui sous le regne de Pepin n'etoient guere que des conciles, reprirent un carac- tere vraiment national; et, sans perdre de vue les affaires de 1'Eglise, on s'y occupa beaucoup plus des grands inter6ts de 1'^tat. Tout cela disparut dans la confusion des derniers regnes de la seconde race : de cette confusion sortit une France nouvelle. Je la ferai connoitre dans les chapitres suivants. Je continue celui-ci pour faire remarquer la difference que Ton mettoit alors entre les lois et les capitulaires. Toutes les fois que des hommes se reunis- sent en societe, a Finstant et par la seule force des choses^ deux pouvoirs s'elevent au milieu d'eux; Tun investide la puissance le- gislative, Tautre charge du soin de faire exe- cuter les lois. Ces deux pouvoirs existoient chez les an- ciens Germains: le pouvoir executif appar- tenoit au prince; la puissance legislative residoit dans la nation entiere. Tacite nous 1'apprend par ce peu de mots qui renferment DE FRANCE. CHAP. I. 107 tant cie choses: De minoribus rebus principes- consultant) de major ibus omnes; ita tamen ut ea quorum penes plebem arbitrium est, apud principes quoque pertractentur. Gette reunion de tons les Francois en un seul corps d^liberant presentoit peu de dif- ficulte lorsque la nation des Francs, encore au-dela du Rhin , ne consistoit qu'en une cite* peu populeuse ; maisapres son etablissement dans les Gaules, et lorsqu'enfin les vain- queurs et les vaincus ne formerent plus qu'un seul peuple, il devint impossible de re\mir tant d'hommes epars sur un vaste territoire. On le sen tit, et Ton prit un parti dont la sagesse etonne dans une nation a peine civilisee. Les assemblees nationales ne f'urent plus composees que des grands et des eveques; et cependant le peuple ne fut pas desherite du droit de concourir a la confec- tion des lois. Les affaires de nature a etre souinises aux assemblees nationales etoient partakes en causes majeures, et causes niin cures: causes majores, causce minores. On reputoit causes mineures celles qui 108 ASSEMBLERS NATIONALES concernoient la discipline de 1'Eglise , la ju- ridiction des eveques , les privileges du clerge, les moeurs des pretres, les ordres monastiques; la formation de 1'armee, sa discipline, le mode de recrutement ; 1'or- ganisation des tribunaux , leur hierar- chic, leur placement, leur competence, le nombre des juges, les regies a suivre dans leur election, les inspections auxquelles ils etoient soumis, les peines qu'ils encouroient pour deni de justice et autres delits de meme nature. La cause etoit majeure toutes les fois qu'il s'agissoit de r^gler les successions, les parta- ges, les transmissions de biens; toutes les fois qu'a raison des progres de la civilisation et de 1'industrie, on croyoit necessaire de faire quelques changements a la loi salique, aux codes cles Ripuaires , des Bourguignons et des Bavarois. Les empechements de ma- riage etoient aussi mis au rang des causes ma j cures. Les assemblies nationales connoissoient des causes mineures, et les regloient seules et definitivement par des actes l^gislatifs DE FRANCE. CHAP. I. 1 09 que Ton publioit sous la denomination de Capitulaires (i^. A 1'^gard des causes majeures, les formes etoient bien autrement solennelles. La loi etoit d'abord redigee en simple projet. Ce projet etoit adresse a tous. les gouverneurs (i) Ces assemblies avoient aussi une juridiction con- tentieuse: on y discutoit les affaires des grands de 1'e'tat, lorsqu'elles inte'ressoient 1'ordre public. II y a beaucoup de preuves de cette assertion. Voici comment Hertius, savant publiciste allemand , s'exprime a cet egard dans le second volume de ses oeuvres, chap, v, 36: In comi- tatihus populi generalibus causas principum , sive primorum, qualestuncfuere duces, episcopi, comitum prcecipui , saltern illas quce rempublicam attinebant , decisas fuisse exemplis compluribus probatur. II arrive it, et meme assez fre\juemment, que le prince renvoyoit des proces a 1'assemblee generale, et les sou- mettoit a sa decision. On lit dans la chronique de Ful- de , chap, xxi , qu'en 1'an 670 , Childeric , de 1'avis des grands, suadentibus potentibus , fit enfermer 1'eveque d'Autun dans un monastere, pour y demeurer jusqu'a ce qu'il cut etc statue sur son affaire par 1'assemblee ge- nerale : donee conventus haberetur, ac denuo deliberaretur quid fieri placeret. Ce fut de meme par une assemblee gc- ne'rale de la nation que Charlemagne fit juger Tassillon , due de Baviere. 110 ASSEMBLEES NATION ALES de provinces, alors conn us sous le nom de comtes. Chaque comte assembloit les juges , les administrateurs, les notables de son comte, leur communiquoit le projet, re- cueilloit leurs opinions et les portoit a Fas- serablee nationale : la les suffrages etoient calcules , et le projet faisoit loi , si la majorite des comtes Fadoptoit; autrement il etoit rejete(i). Nous disons que le projet etoit transforme en loi. C'est en effet sous ce nom , et non sous celui de capitulaire, que les decisions, ainsi revetues de la sanction generale, etoient pu- (i) Cela est bien prouve par le troisieme capitulaire de 1'an 8o3. On y voit que Charlemagne, jugeant qu'il etoit necessaire de faire quelques additions a la loi sali- que, soumit a la sanction du peuple les dispositions qu'il vouloitajouter a cette loi. Voici comment est concu le chap, xix de ce capitulaire : Ut populus interrogetur de capitulis quce in iege noviter addita sunf. Et postquam omnes consenserint , subscription's et maniifirmationes suas in ipsis capitulis faciant. En 1'annee 63o, Dagobert fit publier une nouvelle redaction de la loi des Ripuaires; et dans 1'avertissement qui est en tete , nous lisons : Hoc decrelum est apud regem, DE FRANCE. CHAP. 1. Ill hliees. Aussi voyons-nousquela loi salique, par exemple, n'est pas intituled: Capitularia leg is salicce , mais Lex salica, vel Pactum legis salicce. Je ne dis pas que cette division a toujours ete respectee; que jamais on n'a decide par des capitulaires ce qui auroit du Fetre par des lois. Je parle du droit, et noil du fait. Quoi qu'il en soit, telle (koit 1'autorite de ces dietes generales, que les rois eux-memes ne croyoient pas avoir le droit de suppleer a I'insuffisance des actes emanes d'elles par des dispositions interpretatives ou supplemen- taires. Le plus grand, le pluspuissantd'entre etprincipes, etapud cunctum populum christianum. Voyez Baluze, torn. I, pag. 28, edition de 1780. J'ai dit que les empechements de mariage etoient mis au rang des causes majeures, et que les dispositions qui les concernoient etoient prealablement souniises a la sanction du peuple : je le prouve par le capitulaire de 1'annee 767, qui porte expressement que ses disposi- tions ont ete delibere'es in general! populi conventu. Ce capitulaire renferme vingt-un articles , dont dix-huit sont relatifs aux empechements de mariage. ( Capit. de Baluze, torn. I, pay. 179.) I 1 2 ASSEMBLIES NATIONALES eux, Charlemagne, a qui Ton demandoit si les comtes avoient le droit d'exiger un sou, solidum y pour Fexpedition de certains actes, repondit: Consultez la loi romaine ou la loi salique, et, si elles sont muettes, adressez- vous a 1'assemblee generale. Les termes de cette belle reponse termineront ce chapitre. Me interrogasti , si comes de notitid solidum unum accipere deberet, et scabini sive cancel- lariuSy lege romanam legem; et sicut ibi in- veneris , exinde facias. Si autem ad salicam pertinet legem, et ibi minime repereris quid exinde facere debeas , ad placitum nostrum generate exinde inter rog are facias. (Sixieme capitulaire de 1'annee 8o3, chap. II. Baluze, torn. I, pag. 402.) DE FRANCE. CHAP. II. n3 CHAP1TRE II. La France depuis Hugues Capet jusqu'a Philippe-le-Bel. (9871285.) La revolution qui, sous les derniers Car- lovingiens, avoit fait passer les clomainesde Fetat et presque tons les attributs de la souverainete* dans les mains des grands du royaume, s'etoit operee avant 1'avenement de Hugues Capet au trone ; et ce prince n'a- voit pu prendre la couronne que telle qu'il Favoit trouvee. Ainsi le roi, qui fondoit une nouvelle dynastie, les seigneurs de fiefs et les gouver- neurs des comtes , qui venoient de conquerir Fh^r^dite de leurs offices et de leurs fiefs, posse'doient tous au meme titre. Dans cette confusion le regime feodal pr^valut; le principe monarchiqne s'altera; etles premiers successeurs de Hugues Capet furent bien moins les rois des Francois, que les chefs impuissants d'un gouvernement 8 I 1 4 ASSEMBLIES RATIONALES federatif. Les seigneurs, forts de 1'opinion que leurs droits etoient aussi anciens, et avoient la meme origine que ceux des rois, rivaliserent coustamment de puissance avec * eux. La France se couvrit de chateaux forts. Comme Fart de Fortifier les places avoit deja fait assez de progres, et que celui de les at- taquer etoit encore tout-a-fait inconnu, les seigneurs, inaccessibles dans leur donjon, bravoieiit arrogainment 1'autorite royale(i ). (i) Les passages suivants de \Abreye clironologique de I'Histoire de France, par Mezerai, nous donnent une idee fort exacte de 1'e'tat du royaume a cette epoque. Que ceux qui regrettent les siecles d'ignorance et de barbaric lisent et prononcent. I1 n'y avoit, dit ce judicieux ecrivain, sousl'annee 1096, si petit seigneur qui ne bravast le roy Philippe , Miles , seigneur de Montlehery, et Guy Troussel stn fils, le laisoient suer d'angoisse par le moyen de leur cbasteau de Montlehery, et de quatre ou cinq autres qu'ils avoient en ces quartiers- la, avec quoy ils gourmandoient tout le pays, et rom- poient le commerce de Paris a Orleans.)) Le meme historien, sous 1'annee 1116, continue en ces termes: Hugues du Puiset s'estant revoke pour la DE FRANCi:. CHAP. H. Il5 Cependant ils vouloient bien reconnoitre qu'ils avoient des devoirs a reraplir envers le roi; mais ces devoirs etoient ceux d'un vassal et non ceux d'un stijet. Les litres d'in- vestiture de leurs fiefs en etoient Ja mesure. troisieme fois , le roy rassiegea ce rkasteau , le rasa , puis despouilla ce rebelle de tous ses biens. Ce malheureux ayant dans une sortie tue Anseau de Garlande, grand se'nechal et favory du roy, et n'osant plus deraeurer au pays, passa quelque temps apres en Terre-Sainte , qui en ces temps-la estoit le refuge des condamne's et des bannis, comme aussi des ve'ritables penitents. Thomas de Marie, seigneur de Coucy, ayant etc ex- communie et degrade de noblesse par le legat du pape, pour les sacrileges qu'il commettoit journellement, en vintaun tel excesde rage, qu'il incendiala villede Laon, mit le feu a Teglise de Nostre-Dame de Liesse, et inassa era 1'eveque , apres lui avoir coupe le doigt, auquel il portoit 1'anneau episcopal. Le roi (Louis-le-Gros), qui se rendoit present par-tout avec une celerite incroyable, courut de ce cote-la avant que ce voleur se fust saisi de la tour de Laon , forca et rasa ses chasleaux de Crecy et de Nogent , et le red uisit a la raison. u 11 dompta aussi un autre tyranneau , nomme Adam , qui ravageoit tous les environs d'Amiens. II s' estoit em- pare de la tour de la ville, qui ostoit CNtraordinairement forte, et donna bien de la peine: mais le roy 1'ayant te- nue investie pres dedeux ans, en vint about , et la rasa.* 8. I 1 6 ASSEMBLIES NAT1ONALES Le roi ne pouvoit exiger que ceux nomina- tivement stipules par ces litres; et la cou- ronne etoit regardee bien moins comrne le symbole de la souverainete que comme le sommet de 1'echelle feodale. Juges en dernier ressort dans leurs terres, les seigneurs en etoient reelleraent les seuls legislateurs (i): et de la cette division de la France en pays de \obeissance le roi, et hors Vobeissance le roi (2) ; de la ces maximes qui constituoient le droit public d'alors, et que Ton trouve encore dans les ecrits de la fin du treizieme siecle. Bers si a toutes justices en (1) Eneffet, leslois nesont obligate ires, etpar conse- quent n'ont le caractere de lois , que lorsque 1'autorite dont elles emanent est investie de moyens propres a les faire executer: et ces moyens manquent a celui qui n'a pas le dernier ressort de la justice, puisqu'il seroit oblige de deferer les infractions a ce qu'il appelleroit ses lois, a des tribunaux etrangers, et que ces tribunaux, sur lesquels il n'auroit aucune superiorite, ne statueroient que quand et comme il leur plairoit: de la cette niaxime consignee dans tous les publicistes: Point de souverain sans cour souveraine. (2) Etablissements de saint Louis, liv. II, chap. xv. DE FRANCE. CHAP. II. 1 1 -7 sa terre; ne li roi ne puet mettre ban en la terre au baron sans son assentement ne li hers ne puet mettre ban en la terre au vavasor (i) chascun des barons si est souverain en sa ba- ronnie (2). Par noire usage n'a il entre toi et ton vilain T juge,fors Dieu; tant coume il est tes coukans et tes levans, se il n'a autre loi vers toi ke le coumunete (3). Tuit gentils-hommes , cfui ontvoirie en leur terre, pendent larrons dc auelaue larrecin aue il ait fait en leur terre (4). Ce droit de vie et de mort, attribue aux seigneurs hauls justiciers, cheque tellement nos moeurs, et il y a si loin de cet etat de choses a notre jury actuel, que Ton doit eprou- ver le desir de connoitre les monuments d'une jurisprudence aussi monstrueuse. Nous lisons dans le traite de Y Usage des fiefs de Brussel, pag. 221 : (1) Etablissements de saint Louis, liv. I, chap. xxiv. (2) Beaumanoir, chap, xxxiv. (3) Pierre Desfontaines , chap, xxi, art. 8. (4) Etablissements de saint Louis, liv. I, chap, xxxvm. I 1 8 ASSEMBLIES NATIONALES Non seulement les seigneurs regaliens, <5, est ainsi concur Vobis mandamus , et per fidem quam nobis debetis , vos requiri- mus , quatenns per lotam terrain , id publico clamore faciatis etfirmiter observari. L'ordonnance dont il est parle dans ce mandement portoit que la longueur des batons dont les roturiers se serviroient dans les combats judiciaires ne pourroit exceder trois pieds. (Ordonnances du Louvre, torn. I, pag. 35.) La maniere dont ce mandement est concu presente bien moins 1'usage de la puissance legislative qu'un essai de cette puissance. Effectivement Philippe-Auguste n'y dit pas : Voulons et ordonnons ; il se contente de mander, requerir, et d'invoquer la fidelite qui lui est due. DE FRANCE. CHAP. 11. 1 35 lequel les droits les plus sacre"s ne sonl re- gardes que corame^des preventions, en un mot des forces capables^d'en imposer aux barons refractaires. Nos rois, qui nelesentoientque trop, iraa- ginerent un expedient tres sage et tres pro- pre a suppleer a leur irapuissance. Get ex- pedient, dont la premiere ide"e appartient a Philippe- Auguste^( i ), consistoit a s'envi- ronner d'une partie des'- hauls barons, de discuter avec eux la loi nouvelle, et de leur faire jurer qu'ils joindroient leurs forces a celles du roi pour en maintenir Fex^cution. C'est avec cette solennit qu'en 1280 fut redigee 1'ordon nance concernant les juifs et les usuriers : le preambule porte qu'elle est faite pour 1'utilite generale du royaume, de la volonte expresse du roi , et par le con- seil de ses barons. Pro utilitate totius regni nostri, de sincera voluntate nostra, etde corn- muni consilio baronum nostrorum. Elle est (i) Voyez 1'ordonnance de 1209, Ordonnances du Lou- vre , to in. I, pag. 29. I 36 ASSEMBLEES IS ATIOISALES signee des comtes de Boulogne, de Cham- pagne, de la Marche, de Montfort, de Saint- Paul, d'Auvergne, et 1'article 5 est concu en ces termes : Et si aliqui barones hoc nolue- runt observare , ipsos ad hoc compellemus , ad quod alii barones nostri, cum posse suo , bona Jide juvare tenebuntur, et si aliqui in terris baronum inveniantur rebelles , nos alii barones nostri juvabunt ad compellendos rebelles pros- dicta statuta servare(i^). Comme nos rois etoient les maitres de choisir, pour discuter leurs ordonnances, ceux des barons qui avoient le plus de de- voueraent pour leur personne, on sent com- bien cet usage pouvoit donner d'extension a 1'autorite royale. Gette ordoiinance , comme on le voit par sa date, appartient au regne de saint Louis. Ce beau regne est Taurore du jour qui nous claire aujourd'hni (2); il nous iraporte done de le bien connoitre. Gependant je (i) Ordonnances du Louvre , torn. I. (7) Le regne de saint Louis peut etre regarde comme DE FRANCE. CHAP. II. 187 n'en dirai que ce qui va directement a mon sujet ; c'est-a-dire que je me bornerai a re- chercher les changements qui, pendant sa duree, se sont ope res dans les esprits et dans les formes du gouvernement, notam- la veritable epoque de la renaissance des lettres parmi nous. Ce prince avoit e'te eleve avec un soin extreme par sa mere, la reine Blanche, 1'une des femmes les plus instrui- tes de son temps, amie des Jettres et de ceux qui les cul- tivoient. Plusieurs maitres, alors reputes habiles, avoient mis Louis IX en etat d'entendre le latin d'e'glise, et meme d'expliquer les e'crits de quelques saints Peres. Par ses propres reflexions il sentit la necessite d'accele'rer les progres, jusqu'alors bien lents, de la langue vulgaire : il fit traduire en Francois diverses parties de la Bible et de quelques autres ouvrages ; il paroit meme qu'il s'exer- ca quelquefois lui-meme dans ce genre de travail. L'interet qu'il prenoit a toutes les compositions litte'rai- res en fit e'clore ou achever un tres grand nombre dans le cours de son regne. II encouragea particulierement Vincent de Beauvais, qui avoit entrepris un recueil im- mense de fails et de doctrines. Du reste, les livres des scolastiques n'e'toient pas ceux que saint Louis goutoit le plus: la rectitude naturelle de son esprit 1'entrainoit a des etudes moins obscures et plus positives. Une atten- tion constante a ne tenir compte, dans la distribution des emplois , que des bonnes tnoeurs et de la science; de nou- I 38 ASSEMBLIES RATIONALES mentdans la discipline del'Eglise, 1'exercice de la puissance legislative, et radministra- tion de la justice. Je vais parcourir successi- vement ces trois objets. I. Les tribunaux ecclesiastiques resser- roient les justices seculieres dans des limites chaque jour plus etroites; et toute resis- tance a ces entreprises etoit punie par des excommunications: il falloit ou les braver, ou tout perdre. Dans cette alternative, les seigneurs eurent recours a un expedient fort remarquable. Us formerent un comite compose de quatre d'entre eux, auxquels ils donnerent pouvoir de declarer iiulles, et comme noil avenues, les excommunications veaux codes re'diges sous sa direction; de longs voyages faits par ses ordres en Tartarie et en d'autres contre'es asiatiques; la creation des premieres archives francoises et de la premiere bibliotheque publique; la fondation du college de Sorbonne; Tentretien vigilant de tout ce qui existoit avant lui d'e'tablissements d'instruction ; presque tous les actes enfin de son gouvernement inte- rieur tendoient a ranimer le gout des lettres. (Voyez le beau Discours pre'liminaire du torn. XIII de VHistoire lit- teraire de la France. ) DE FRANCE. CHAP. II. 189 dirig^es centre eux, toutes les fois qu'ils les trouveroient contraires a la justice et a la saine raisoii (i). Cette mesure supposoit qu'il (i) Pierre de Dreux fut 1'auteur de cette ligue , et 1'un des quatre chefs qu'elle se donna. Les trois autres etoient son fils Jean, due de Bretagne, le comte d'Angouleme, et le comte de Saint- Pol. Voici 1'acte qui en fut redige. A tous ceux qui ces lettres verront, nous tous, des- quels les sceaux pendent a cest present escrit, faisons scavoir que nous , par la foi de nos corps , avons fiance et sommes alliances , tant nous comme nos hoirs , a tou- jours aider les uns aux autres , et a tous ceux de nos terres et d'autres terres qui voudront estre de ceste compagnie , a pourchasser, requeriret defendrenos droits etles leurs en bonne justice envers la clergie. Et pour ce que seroit griefve chose, nous tous assembler pour ceste besogne , nous avons eslu par le comrnun assent et octroy de nous tous, le due de Bretaigne, le comte Pierre de Bretaigne, le comte d'Angouleme, et le comte de Saint-Pol.... Et si aucun de ceste compagnie estoit excommunie, pour tort cogneu par ces quatre, que la clergie luy feit, il ne laisseroit aller son droit ne sa querelle pour 1'excommu- niement, ne pour autre chose qu'on luy fasse, etc. Les eveques , dit M. Darn dans sa belle Histoire de Bre- tagne, torn. II , pag. 3 1 , imitoient lespapes, etlancoient les foudres de 1'Eglise pour la defense de leurs interets temporels. Us excommunioient les officiers du prince, et le prince lui-meme; ils meltoient leur diocese en inter- 4o ASSEMBLERS RATIONALES pouvoit y avoir des excommunications in- justes, des excommunications telles qu'il n'etoit pas necessaire d'en solliciter 1'abso- lution. C'etoit briser dans la main du clerge son arme favorite. Aussi cria-t-il au scan- dale, au sacrilege. Les eveques s'en plai- gnirent a saint Louis. C'est le sire de Join- ville qui nous Tapprend dans ses Memoires sur la vie de saint Louis. Nous y lisons: Je vy une journee que tous les prelatz cle France se trouverent a Paris pour parler au bon saint Loys, et lui faire une re- queste. Et quand il le scent, il se rendit au palais pour la les o'ir de ce qu'ilz vouloient dit. Alors plus d'offices divins , plus de bapteme pour les nouveau-ne's, plus de consecration du mariage, plus de secours spirituels pour les malades, plus deprieres, plus de terre pour les morts. Un e'veque de Beauvais, un archeveque de Rouen, firentdemeubler leseglises; on en emporta les ornements, les croix, les reliques, les vases sacres, pour les deposer au milieu des champs, dans une enceinte formee de r6ncesetd ? epines. Ces privations, ce spectacle, cette desolation des lieux saints, n'etoient que des excitations a la revolte; les pasteurs {jemissoient, le peuple les croyoit persecutes. DE FRANCE. CHAP. II. 1^1 dire. Et quant tous furent assemblez, ce fust 1'evesque Guy d'Auseure qui fust filz de monseigneur Guillaume de Metot, qui conimenca a dire au roi, par le congie et commun assentement de tous les autres prelatz : Sire, sachez que tous ces prelatz qui cy sont en votre presence, me font dire que vous lessez perir toute la chres- tienete, et qu'elle se pert entre vos mains. A done le bon roi se signe de la croiz et dist: Evesque, or mexdites comment il se fait et par quelle raison. Sire, fit 1'evesque, c'estpour ce qu'on ne tient plus compte des ((excommunications; car aujourd'huy, un uhomme aymeroit mieulx mourir tout ex- communie que de se faire absoudre , et ne veult nully faire satisfaction a 1'Eglise. ((Pourtant, sire, ils vous requierent tous a v une voiz pour Dieu , et pour ce que ainsy le devez faire, qu'il vous plaise comman- der a tous vos baillifz, prevotz, et autres ((administrateurs de justice, que oil il sera trouve aucun en votre royaume, qui aura este an et jour continuellement excom- ((inuiiie, qu'ilz le contraignent a se faire 1 42 ASSEMBLIES NAT1ONALES absoudre par la prinse de ses biens; et le saint omme respondit que tres volontiers le commanderoit faire de ceulx qu'on trou- veroit estre torconnes a I'Eglise et a son presnie. Et 1'evesque dit qu'il ne leur ap- ccpartenoit a cognoistre de leurs causes. Et a ce respondit le bon roi, que il ne le feroit (otitrement, et disoit que ce seroit contre Dieu et raison qu'il fist contraindre a soy ccfaire absoudre ceulx a qui les clercs fe- roient tort, et qu'ilz ne fussent oiz en leur bon droit. Et de ce leur donna exemple du comte de Bretaigne tout excommunie, et finablement a si bien conduite et menee sa cause que notre saiiict pere le pape les a condampnez envers iceluy comte de Bre- taio-ne. Pourquoy disoit que si dez la pre- M miere annee, il eust voulu contraindre iceluy comte de Bretaigne a soi faire ab- souldre, illuy eustconvenulaissera iceulx prelatz contre raison ce qu'ilz lui deman- wdoient outre son vouloir: et que en ce faisant il eust grandement meffait envers ((Dieu et envers ledit comte de Bretaigne. Apres lesquelles choses ouyes pour tous DE FRANCE. CHAP. II. I 43 iceulx prelatz, il leur suffisit de la bonne responce du roy. Et oncques puis ne ouy parler, qu'il fust fait demande de telles choses. Ces memes eveques s'etoient exagere les privileges de Fepiscopat au point de se per- suader, qu'exclusivement soumis a la juri- diction du pape, la justice du roi ne pouvoit jamais les atteindre. Cette prevention, qui avoit pris beaucoup de consistance sous les derniers regiies , fut proscrite sous celui de saint Louis. M. d'Aguesseau en rapporte plusieurs exemples, dont le premier concerne Feve- que de Chalons-sur-Marne. Voici le compte qu'il rend de cette affaire. Sous le regne de saint Louis , et en Fannee 1 267, Feveque de Chalons-sur-Marne fut accuse d'avoir ccdonne lieu, par sa negligence, a la mort ude deux prisonniers qui avoient ete tues dans les prisons: il pretendit que, s'agis- wsant d'une action personnelle, il n'etoit pas oblige de comparoitre au parlement, ou il avoit ete cite pour repondre sur ce (tsnjet; mais la cour des pairs n'eut aucun I 44 ASSEMBLIES NATIONALES egard a ees exceptions, et elle ordonna qu'il procederoit devant elle, non seule- ment parcequ'il etoit baron et pair de ((France, mais parcequ'il s'agissoit d'un for- fait commis dans sa justice temporelle, qu'il tenoit du roi. Ainsi sabolissoit cette prevention eta- ublie dans les siecles precedents, que les juges seculiers ne pouvoient faire le proces a des ecclesiastiques. Pendant le regne de saint Louis le siege de Rome fut successivement occupe par Gregoi re IX et Innocent IV. Gesdeuxpapes, fiers d'avoir dispose des couronnes de Naples et d'Aragon , et depose le plus grand , le plus puissant des empereurs depuis Charlema- gne, Fempereur Frederic II, se perinet- toieiit chaque jour les infractions les plus scandaleuses aux libertes de 1'Eglise galli- cane, aux iramunites du clerge, aux droits des patrons et des collateurs. Le saint roi, qui ne confondit jainais Tin- teret de la religion avec celui de ses minis- tres, reprima ces abus, et refoula la puis- sance de TEglise dans ses limites naturelles DE FRANCE. CHAP. II. 1 45 par sa celebre ordonnance, connue sous la denomination de pragmatique de saint Louis , qu'il publia au mois de Janvier 1268: son importance m'autorise a la rapporter ici, et son peu d'etendue le permet. En voici la traduction : LOUIS, par la grace de Dieu, roi des ((Francois, pour assurer Fetat tranquille et salutaire de FEglise de notre royaume, pour augmenter le culte divin, pour le salut des ames des fideles du Christ, et pour ob- tenir nous-memes la grace et le secours du Dieu tout-puissant, a la domination et & la protection duquel notre royaume a tou- jours ete soumis, ainsi que nous voulons u qu'il le soit encore, nous statuons et or- (( donnons ce qui suit, par cet : -r~l ,ii GHAPITRE III. V.I ; '>'< I 1 ' '' Philippe-le-Bel. Origine des etats-generaux. Pendant toute la duree du treizieme siecle, la puissance feodale ayoit constam- ment recule devant 1'autorite des rois; a chaque pas retrograde de cette puissance anarchique, la monarchic s'etoit avanc^e grande, forte, et dans tout Fappareil de la puissance absolue; dans sa marche, de jour en jour plus imposante, elle avoit, par des alliances, des negociations et des victoires, prevalu sur toutes les resistances, et brise les liens qui uiiissoient les hauts barons entre eux. Ces superbes rivaux de la cou- ronne toient enfin obliges de flechir de- vant elle; et la nature du gouvernement etoit changee. Cette revolution, principal em ent due a la sagesse de saint Louis, a son courage, a DE FRANCE. CHAP. III. I 75 sa legislation , avoit et commencee par Philippe- Auguste ; Philippe-le-Bel la con- somma , et sur la fin de son regne il n'y avoit plus en France qu'un roi et des sujets. A peine monte sur le trone, ce prince comprit que le temps etoit arrive de dechi- rer le voile qui, depuis trois siecles, cou- vroit Fautorite royale, et il publia successi- vement plusieurs ordon nances general es dans lesquelles la nation etonnee vit, pour la premiere fois, cette formule, en vertu de la plenitude de notre puissance et autorite royale (i). Cependant le baronnage de France, si riche de ses souvenirs, ne devoit s'e'teindre que dans les convulsions d'une lutte opi- niatre : aussi les seigneurs, appuyes sur Fopinion que leurs droits etoient aussi in- contestables que ceux du roi , se montrerent- ils determines a faire un dernier effort, et (i) Voyez \Art de verifier les dates, page 55 1 , edition de 1770. 176 ASSEMBLIES NATIONALES des ligues defensives s'organiserent sur tous les points du royaume. Mais , en reclamant les droits usurpes sur sa couronn^, Philippe avoit beaucoup plus comple" sur les ressources de sa politique que sur la force de ses armes. Consomme dans Fart de dissimuler, il entraina les sei- gneurs dans une mesure qui lui donnoit sur eux une superiorite que personne ne pou- voit lui contester. Inspirant aux uns des doutes, aux autres des inquietudes et des craintes, il les determina tous a negocier avec lui : comme il avoit eleve ses pre- tentions beaucoup au-dessus du but au- quel il se proposoit d'atteindre, il obtint de cette lutte a-peu-pres ce qu'il s'en etoit promis, Aucun de ses pre"de"cesseurs n'avoit tra- vaill^ a 1'agrandissement de Tautorite royale avec autant de perseverance , de bonheur et de succes. Mais la ne s'est pas bornee sa sollici- tude. II a donn^ une organisation reguliere a ce parlementde Paris qui , pendant cinq siecles , DE FRANCE. CHAP. III. 177 a exerce" sur notre legislation une si grande influence \ c'est encore lui qui, par 1'etablis- sement des etats-geneVaux, a rendu a la na- tion le droit d'intervenir dans Tadministra- tion publique, et de s'imposer elle-meme. Vers le commencement du quatorzieme siecle, Boniface VIII, qui occupoit le siege pontifical , plein de 1'esprit entreprenant de Gregoire VII, eleva des pretentious qui compromettoient 1'independance de la cou- ronne. Voici les principales ( i) : (i) On trouve sur cette grande affaire des details tres exacts et tres interessants dans VAbrege du president Hesnaut. On y lit, sous 1'anne'e i3o3: Les demeles si connus , entre Boniface VIII et Phi- lippe-le-Bel , commencent a e'clater. Le premier sujet de mecontentement du pape venoit de ce que le roi avoit donne retraite aux Colonne , ses ennemis ; mais le roi avoit des sujets bien plus graves de se plaindre de Bo- niface : ce pontife , se croyant autorise par ses prede- cesseurs, vouloit partager avec lui les decimes levees sur le clerge de France. La resistance de Philippe irrite le pape, et, pour premiere vengeance, il cree le nouvel eveche de Pamiers sans le concours de la puissance royale, necessaire en cette matiere. Boniface fait plus ; il se plait a braver le roi , en nommant pour legal eu 12 178 ASSEMBLERS NATIONALES i Le pape vouloit partager avec le roi les impositions levees sur le clerge ; 2 II pretendoit avoir le droit d'etablir en France tel n ombre d'eveches qu'il jugeroit a propos. En consequence il avoit erige 1'eve- che de Pamiers sans le concours de 1'autorite royale. Le roi s'y etant oppose^ le pape lui France le meme homme appele Bernard Saisset , qui s'etoit fait ordonner eveque malgre ce prince : Bernard , en vertu de ses pouvoirs de legal , ordonne au roi de partir pour une nouvelle croisade, et de mettre le comte de Flandre en liberte ; le roi fit arreter Bernard , et le remit entre les mains de 1'archeveque de Nar- bonne, son metropolitain. Le pape lanca une.bulle foudroyante, qui mil le royaume en interdit; Philippe ^assemble les trois etats du royaume (on croit que ce fut la premiere fois que le tiers-etat y fut admis) et u convient de convoquer un concile : on en donne avis u aux princes voisins; et dans les etats il est arrete qu'on appellera au futur concile de tout ce que le pape a fait. uNogaret part en apparence pour signifier 1'appel, mais ( en effet pour enlever le pape. Sciarra Colonne et lui 1'investissent dans la ville d'Agnanie: Sciarra donne u un soufflet au pape , et se met en devoir de le tuer ; " Nogaret Pen empeche ; le pape meurt peu de temps " apres. DE FRANCE. CHAP. III. 179 fit ordonner par son lgat d'entreprendre, en expiation de sa desobeissance , une nou- velle croisade contre les infideles ; et sur son refus , il lanca contre lui une bulle que les historiens du temps appellent foudroyante , et qui mit le royaume en interdit(i). Les temps ou ces interdits mettoient en danger les trones et les rois eux-memes n'etoient pas encore eloignes ; mais les pro- gres que Fesprit humain avoit faits pendant le treizieme siecle, et sur-tout la resistance que saint Louis avoit constamment opposee aux entreprises de la cour de Rome , avoient beaucoup affoibli la puissance des papes. Gependant Feffroi qu'elle inspiroit etoit en- core tel, que Philippe-le-Bel pensa que, pour lui resister avec succes, il ne falloit rien moins que la nation tout entiere; et il appela aupres de lui non seulement les de- (i) Dans une bulle adressee au roi, sous la date du 5 decembre i3oo, Boniface dit: Ne vous laissez point persuader que vous n'avez point de superieur, et que vous n'etes pas soumis au chef de la hierarchic eccle- u siastique : qui pense ainsi est un insense. 12. 180 ASSEMBLIES RATIONALES putes de la noblesse et du clerg, mais encore ceux du tiers-etat (i). u Invention grandement sage et politique, dit Pasquier. Car comme ainsi soit que le commun peu- pie trouve toujours a redire sur ceux qui usont appeles aux plus grandes charges, et qu'il peiise qu'en decouvrant ses doleances, u on retablira toutes choses de mal en bien, il ne desire rien tant que Fouverture de telles assemblies. D'ailleurs, se voyant ho- nore pour y avoir lieu , et cliatouille du vent de ce vain honneur, il se rend plus hardi prometteur a ce qu'on lui demande. (Recherches, chap. VII.) La nation se montra digne de ce grand bienfait. Les trois ordres, egalement revokes des pretentious du pape, proclamerent una- nimement 1'independance de la couronne; et le resultat de cette memorable assemblee (i) On lit dans \Art de. verifier tes dates que cette assemblee cut lieu le 10 avril i3o3. Edition de 1770, page 226. Mezerai place cette assemblee sous la date du i3 avril i3oi. DE FRANCE. CHAP. III. l8l fut un appel an futur concile; appel qui neutralisa la bulle, et suspendit les effets de 1'interdit jusqu'a la mort de Boniface, qui eutlieu quelque temps apres, et qui mit fin a cette scandaleuse affaire. La France entiere se leva dans cette grande circonstance. Toutes les universitds du royaume, plus de sept cents corporations tant ecclesiastiques que laiques, presen- terent au roi des adresses d'adhesion a 1'appel au futur coiicile, et 1'ordre de la noblesse ecrivit aux cardinaux une lettre dans la- quelle il se plaint de ce que le pape pretend que le roi est son sujet, quant au temporel , et le doit tenir de lui; au lieu que le roi et tous les Francois ont toujours dit que, pour le temporel, le royaume ne releve que de Dieu seul. II ajoute : Nous disons avec une extreme douleur que de tels exces ne peuvent plaire a aucun homme de bonne volonte; que jamais ils ne sont wvenus en pensee a personne, et qu'on ii'a pu les entendre que pour le temps de 1'Ari- techrist; et, quoique celui-ci dise qu'il agit (tainsi par votre conseil, nous ne povivons 1 82 ASSEMBLES NATION ALES croire que vous conseiitiez a de telles nou- veautes ni a de si folles entreprises. C'est pourquoi nous vous prions d'y apporter tels remedes, que Fun ion entre FEglise et le royaume soil maiiitenue, etc. La lettre du clerge , adressee au pape lui- meme, est en termes plus mesures; cepen- dant il lui declare qu'il a fait serment de defendre Findependance de la couronne. La lettre du tiers-etat n'est pas parvenue jusqu'a nous: nous ne la connoissons que par la reponse que lui adresserent les car- clinaux, dans laquelle ceux-ci lui reprochent cFavoir affecte de ne pas nommer le pape, et d'en avoir parle d'une maniere peu res- pectueuse ; mais il presenta au roi une re- quete, que Savaron nous a conservee, et dont voici les termes : uA vous, tres noble prince, notre sire ((Philippe, par la grace de Dieu, roi de ((France, supplie et requiert le peuple de votre royaume, pour cequi lui appartient que ce soit fait, que vous gardiez la souve- raine franchise de votre royaume, qui est w telle que vous ne reconnoissiez de votre DE FRANCE, CHAP. III. I 83 temporel souverain en terre, forsque Dieu , et que vous fassiez declarer, si que tout le monde le sache, que le pape Boniface erra (cmanifestement, et fit peche mortel notoi- rement en vous mandant, par lettres bul- lees, qu'il etoit votre souverain de votre temporel , et que vous ne pouviez preten- ce des donner, ne les fruits des eglises cathe- ecdrales vacants retenir, et que tous ceux qui croyent au contraire il tient pour he- reges. II circula aussi dans le public une lettre de Philippe-le-Bel a Boniface VIII. II est certain qu'elle a existe ; mais on doute si elle a te adressee au pape, et si elle lui est par- venue. Ce doute est fonde sur la circonstance qu'il ne reste aucune preuve qu'il s'en soit jama is plaint. Quoi qu'il en soit, voici la te- neur de cette lettre : Philippe, par la grace cede Dieu, roi cles Francois, a Boniface, qui se donne pour pape , peu ou point de salut. (t Que ta tres graiide fatuite sache que nous ne sommes soumis a personne pour le tem- porel; que la collation des eglises et des u prebendes vacantes nous appartient par 1 84 ASSEMBLERS NATION ALES le droit royal , que les fruits en sont a nous ; que les collations faites et a faire par nous sont valides au passe et a 1'avenir, que nous maintiendrons leurs possesseurs de tout notre pouvoir, et que nous tenons pour fous et insenses ceux qui croiront afre- et ment(i). En i3i3 Philippe-le-Bel se trouvoit en- gage dans une guerre centre les Flamands , guerre longue, difficile, et dont les frais excedoient les revenus ordinaires de la cou- ronne, revenus qui jusqu'alors avoient stiffi (i) Gette lettre etoit une reponse a Boniface VIII, qui avoit ecrit au roi : Boniface, eveque, serviteur des serviteurs de Dieu , a Philippe, roi de France, crains <( Dieu et garde ses commandements. Tu dois savoir que nous sommes par-dessus toi, tant es choses spirituelles que temporelles , et que la collation des benefices ne t'appartient point: partant, si tu as en garde ceux qui sont vacants, je veux que tu en reserves les fruits a ceux qui en seront par nous pourvus, et si tu les as conferes a aucuns , nous declarons nulle ta collation , et repu- tons pour fous ceux qui croyent autrement. Donne a Latran , le quatrieme des nones de decembre , 1'an sixieme de notre pontifical. (On eleve des doutes sur 1'authenticite de cette lettre.) DE FRANCE. CHAP. HI. l85 aux charges du gou vernement. On etoit done oblige de recourir a des moyens extraordi- naires , c'est-a-dire a un impot ; mais ce mot seul pouvoit causer un soulevement general; il falloit done, non 1'exiger, mais 1'obtenir : on le sentit; et cette assemblee des trois ordres du royaume, qui venoit de se- conder Philippe-le-Bel d'une maniere si effi- cace contre les entreprises de la cour de Rome, fut convoquee pour la seconde fois( i ). (i) A la meme epoque, et pour la meme cause, c'est- a-dire le besoin d'argent, les deputes des bourgs furent admis dans leparlement de laGrande-Bretagne: ainsila chambre des communes en Angleterre et celle du tiers- etat en France ont la meme origine. Comment ces deux pouvoirs, partis du meme point, se sont-ils trouves , presque des leur naissance, a une si grande distance 1'un de 1'autre? c'est 1'histoire qui doit repondre a cette question. Je cherche dans celle de M. Hume la maniere dont les choses se sont passees en Angleterre , et j'y lis : Les rois d'Angleterre, comme ceux de France, erige- rent des bourgs, c'est-a-dire donnerent aux villes de leurs doniaines le droit d'elire leurs magistrats , et abonne- rent a des rentes fixes les droits et les peages auxquels ils etoient tenus. Cependant en affranchissant les bourgs de leurs doniaines, les rois s' etoient reserve le droit I 86 ASSEMBLEES RATIONALES On trouve dans les Recherches de Pasquier cles details fort precieux sur la maniere dont les choses se passerent dans cette seconde assemblee, la premiere qui ait vote des im- pots. Ges details, je vais les transcrire: Le premier qui init cette innovation en avant fut Philippe-le-Bel, sous lequel ad- feodal , que 1'on appeloit taille a volonte. Mais lorsque , sous Edouard I", les guerres centre 1'Ecosse exigerent que cette taille fut portee tres haut, il devint tres diffi- cile de la percevoir: il falloit negocier avec chaque bourg en particulier. Comme cela entrainoit des longueurs , Edouard I" imagina d'admettre les bourgs au parleraent par des deputes. Ceux qui etoient elus donnoient caution de se rend re au parlement, et le bourg pourvoyoit a leur depense. Us ne composoient pas proprement dit une partie essentielle du parlement. Us s'asserabloient separement des barons et des chevaliers, et des qu'ils avoient donne leur consentement aux taxes, ils se separoient, et le par- lement continuoit ses seances. Cependant comme ils donnoient , ils sentirent de bonne heure qu'ils pouvoient demander, et ils presen- toient des petitions tendantes a la reforme des abus qui pesoient le plus sur eux. Quand le roi daignoit accueillir leurs doleances, il DE FRANCE. CHAP. III. 187 a vinrent plusieurs mutations, tant en police seculiere qu'ecclesiastique. II avoit innove ((certain tribut, qui estoit pour la premiere fois le centieme, pour la seconde le cin- ((quantieme de tout notre bien. Get impot ufut cause que les manants et habitants de ((Paris, Rouen, Orleans, se revolterent, et mirentci morttousceux quifurent deputes pour la levee de ces deniers. Et lui encore, a son retour d'une expedition centre les Fla- les faisoit rediger par des juges , et les publioit comme loi, souvent sans les avoir communiquees a la chambre des barons : ceux-ci s'en plaignirent et commanderent qu'aucune loi ne fut publie'e sans leur approbation. Sous Henri V les communes demanderent que nulle loi ne fut dresse'e sur leur proposition a nioins que les statuts n'en fussent rediges par elles-memes et non par les juges, et qu'ils n'eussent passe dans leur propre chambre en forme de bill. Les divisions des fiefs , dont nous avons parle plus haut, ayant prodigieusement multiplie les petites ba- ronnies et les tenures de chevaliers, ceux-ci perdirent de leur consideration, ne s'assemblerent plus avec les hauts barons , et se re'unirent aux deputes des bourgs. Par cette reunion, la chambre des communes se trouva compose'e des deputes de la petite noblesse des comte's, et de ceux des bourgs. 1 88 ASSEMBLEES NATION ALES ccmands, voulut imposer une autre charge de six deniers pour livre de chaque denree vendue : toutefois on ne lui voulut obeir. Au moyen de quoi, par 1'avis de d'Anguer- urand de Marigny, grand superintendant de ses finances, pour obvier aces emeutes, il pourpensa d'obtenir cela de son peuple aveque plus de douceur. Car s'etant fait usage par son exeniple, et voulant faire un autre nouvel impot , Guillaume Nangy (( nous apprend qu'il fit eriger un grand a echafaud dedans la ville de Paris; et la , par u 1'organe de d'Anguerrand, apres avoir haul u loue la ville, 1'appelant chanabre-royale, en ulaquelle les rois anciennement prenoient uleur premiere nourriture. il remontra aux syndics des trois etats les urgentes affaires uqui tenoient le roi assiege, pour subvenir c aux guerres de Flandre , les exhortant de le ((vouloir secourir en cette necessity publi- uque, ou il y alloit du fait de tons. Auquel lieu on lui presenta corps et biens; levant, c par le moyen des offres liberates qui lui (( furent faites, vine imposition fort grieve par tout le royaume. L'heureux succes de DE FRANCE. CHAP. III. 189 ce premier coup d'essai se totirna depuis en u coutume, non tant sous Loys Hutin, Phi- lippe-le-Long et Charles-le-Bel , que sous la lignee des Valois. Les etats , soit generaux , soit particu- wliers, sont composes des deputes de trois ordres du royaume, qui sont le clerge, la noblesse, et les deputes des communautes , n qui dans la suite ont etc nomme's le tiers- etat ; assembles par Ford re du roi , qui leur fait savoir les raisons pour lesquelles il les a convoques. Chapitre VII. Mezerai ajoute : Le roi etoit sur un thea- tre fort ^leve , ou il fit asseoir les deputes de la noblesse et du clerge" ; ceux du tiers- etat etant assis en bas. 1'origine de nos etats-g^neraux. 190 ASSEMBLIES NAT1ONALES GHAPITRE IV. Suite du chapitre precedent. Changement dans la constitution de 1'etat. Le tiers-^tat) si long-temps opprim, est enfin compte pour quelque chose, et rentre dans Fadministration publique. Gependant ce ne sont pas les droits qu'il exercoit sous les descendants de Clovis qui lui sont ren- dus ; c'est un ordre nouveau qui s'etablit : et, comme on vient de le voir, cette innovation est due aux necessites du temps; des besoins nouveaux font recourir a des secours extraor- dinaires, et les lecons du malheur, jointes aux conseils de 1'experience, ont appele une constitution nouvelle. Une lutte s'engage entre Philippe et Bo- niface. Le roi, craignant de succomber, s'il n'etoit seconde que par les deux premiers ordres de Petat, appelle le troisieme, lui deinande aide etconseil, met sous sa garde DE FRANCE. CHAP. IV. 191 1'independance de la couronne, et triomphe de son dangereux adversaire. Philippe soutient centre les Flamands une guerre dispendieuse. II lui faut des impots ; n'osant les exiger, il assemble les trois ordres, et en obtient tout 1'argent qui lui est neces- saire. Ges heureux r^sultats clairent Fopinion. On comprend enfin que la force des empires reside dans 1'union et le concours de tous les ordres de citoyensj eta cote des regies anar- chiques du regime feodal se forme un nou- veau droit public, dont la maxime fonda- mentale est que nul impot ne peut etre eta- bli sans le consentement de la nation. Nous lisons dans la sixieme lettre du comte de Boulainvilliers sur les parlements de France , que Nicolas Gille et le Rosier de France disent positivement qu'il fut arrete dans les etats de France que Ton ne pour- a roit imposer aucun subside sur les peu- pies, si urgente necessite, ou evidente uti- lit^ le requeroit , que de 1'octroi des gens des etats. Les etats votoient 1'impot j la finissoit leur 192 ASSEMBLIES RATIONALES pouvoir. Quant a Texercice de la puissance legislative, ils n'y concouroient que par des remontrances , qu'ils ne manquoient jamais de deposer au pied du trone, remontran- ces , a la verite sans suites necessaires , mais qui, toujours interpretes fideles des besoins de la societe, eclairoieiit le gouver- nement sur ses devoirs, et auxquelles nous devons nos plus celebres ordonnances. DE FRANCE. CHAP. V. ig3 GHAPITRE V. Qu'il n'y cut point d'etats-generaux sous les quatre pre- miers successeurs de Philippe-le-Bel. Expedient em- ploye pour subvenir aux depenses extraordinaires , sans recourir a la nation. - i35o. Philippe-le-Bel laissa trois fils : Louis X , dit le Hutin .; Philippe V, dit le Long; Char- les IV, dit le Belj et deux freres, Charles, cointe de Valois, et Louis, comte d'Evreux. Ce dernier, d'un caractere doux et tran- quille, prit peu de part aux affaires, mais le comte de Valois, Fun des hommes les plus habiles de son temps , les dirigeoit toutes. Ce prince, d'un esprit eminemment che- valeresque, et pour qui la caste des nobles etoit la nation tout entiere, avoit vu de 1'ceil le plus chagrin 1'etablissement des etats- generaux. Cette innovation qui, donnant a la bourgeoisie une existence politique, la placoit sur la meme ligne que la noblesse et i3 194 ASSEMBLERS RATIONALES le clerge", revoltoit son orgueil et confon- doit toutes ses idees(i). II y voyoit une veri- table anarchic , un assemblage bizarre d'ele- ments heterogenes, en un mot le renverse- meiit de 1'etat. Aussi ne fut-il pas question d'assembler les etats-generaux sous ces trois regnes; et le meme esprit dirigea 1'adminis- tration de Philippe-de-Valois, qui succeda aux trois fils de Philippe-le-Bel. Cependant ces princes , souveiit en guerre, eurent frequemment besoin de secours ex- traordinaires. On les auroit obtenus de la nation en convoquant les etats-generaux. On preTera recourir a des mesures partielles, mesures toujours injustes et vexatoires, en ce qu'elles font supporter a quelques indi- vidus des depenses faites dans 1'interet de tous. L'orage tomba d'abord sur les financiers. Deux surintendants des finances, Engue- rand-de-Marigny et Pierre Remy, furent pendus , et tous leurs biens confisques. (i) II fut fils, frere, oncle, pere, gendre, et beau- pere de rois ; il mourut en DE FRANCE. CHAP. V. jg5 Des chefs on passa aux subalternes ; on les soumit aux recherches les plus severes. Presqtietous Lombards et Italiens, ils avoient fait des gains immenses dans la manuten- tion des deniers publics. Tous en furent de- pouilles, et renvoyes dans leur patrie aussi pauvres qu'ils en etoient sortis. Apres qu'on se fut occupe des sangsues pu- bliques , les regards se porterent sur les usu- riers. On avoit precedemment chasse les juifs, et 1'injustice a leur ^gard avoit ^te port^e jusqu'a leur interdire toute espece d'action contre leurs debiteurs : on leur fait acheter le droit de rentrer en France, et la faculte de poursuivre le recouvrement de leurs dettes leur est rendue, mais a la charge d'en verser les deux tiers dans le tresor pu- blic(i). On avoit vendu la justice: on vendit 1'af- franchissement de la servitude. Le pen de liberte dont le peuple jouissoit e"toit con- (i) Ordonnancedu 28 juillet i3i5. L'art. 4 porte: "Les juifs recouvrerout et auront le tiers, et nous les deux u autres tiers, des dettes qui leur sont dues. J 3 . 196 ASSEMBLIES NATIONALES centre dans les villes. Les habitants des campagnes etoient serfs , ou , comme Ton parloit alors , gens de corps et de morte-main . Louis-le-Hutin mit a prix 1'affranchissement de cette servitude dans les terres de ses do- maines ( i ) : 1'humanite ne pouvoi t qu'applau- dir a cette mesure ; mais le besoin d'argent en fit bientot un instrument de vexation. Ce qu'une premiere ordonnance avoit offert comme un bienfait, une seconde 1'exigea comme un impot. Geux de ces malheureux auxquels on soupconna quelque aisance furent contraints d'acheter leur affranchis- sement au prix que des commissaires nom- mes par le roi jugerent a propos d'y mettre. En meme temps que Ton ruinoit les indi- vidus par des vexations particulieres , on de- soloit la nation par des mesures generales. (i) Cette ordonnance est du 3 juillet i3i5. Les charges de la mainmorte etoient les droits de pour- suite, de taille, de corvee a volonte, de fermariage, la defense d'aliener, de tester, et le droit d'eclmte. Je serois trop long si j'exposois ce tervalle de i3io a i355. Cependant quelques historiens parlent d'une asseinblee generale des e'tats tenue a Paris au mois de novembre i35o. Mais si cette assemblee a existe, il en reste si peu de traces, que je crois pouvoir donner les etats-generaux de i355 comme les piemiers qui aient eu lieu sous le regne du roi Jean. I/,. 2 1 2 ASSEMBLIES NATIONALES CHAPITRE VII. Etats-gene'raux de i355. Suivant Froissard, les prelats, les cha- pitres, les barons, et les bourgeois des bonnes villes du royaume de France (i), furent convoques a Paris par le commande- nient du roi. L'assemblee se tint dans la chambre du parlement, lemercredi apres la Saint-Andre. Pierre de La Foret, chancelier de France et archeveque de Rouen, apres avoir expose* que le roi se trouvoit engage dans une guerre longue et cruelle , les requit de deli- berer sur Faide qu'ils pourroient lui accor- der pour le mettre en etat de la soutenir. (i) Les historians du temps ne disent pas quel etoit le nombre de ces deputes. En ge'neral, les anciennes chro- niques parlent tres longuement des guerres et des faits de chevalerie , et sont fort laeoniques sur tout ce qui con- cerue le droit public. DE FRANCE. CHAP. VII. 2l3 Les trois ordres, savoir: le clerge, par 1'organe de Jean de Craon, archeveque de Reims j les nobles, par celui du due d'A- thenes, et les bonnes villes, par celui d'E- tienne Marcel , prevot des marchands de la bonne ville de Paris, demanderent et obtin- rent la permission de deliberer ensemble. Leur deliberation arretee, ils se presen- terent devant le roi , dans la meme chambre du parlement, etlui offrirent, par la bouche des orateurs qui avoient deja porte la parole en leur iiom, d'entretenir pendant une an- nee trente mille hommes d'armes a leurs depens (i). Les etats s'occuperent ensuite des moyens de procurer au roi les sommes necessaires pour la solde de cette armee ; et il fut decide, pour cette annee, qu'il seroit percu un droit de liuit deniers pour livre sur toutes les (i) Comme chaque liomme d'armes avoit ordinaire- ment a sa suite trois personnes , savoir : un ecuyer, un page, et un gendarme, ces trente mille homines for- moient une armee de plus dc cent mille. 21 4 ASSEMBLIES NATIONALES ventes de denrees, boissons, et marchau- dises(i). Cependant le grand objet de Fassembl^e n*etoit pas reinpli. Tout le monde sentoit la necessite de constituer, ou au moins d'e- baucher un gouvernement. A Favenement de Hugues-Capet au trone, le gouvernement raonarchique avoit fait place au regime feodal; et, sous le vain titre de roi, ses premiers successeurs n'a- voient guere ete que les chefs d\me conf^- deration composee dun grand nombre de petits souverains qui , sous la denomination de seigneurs et de barons, exercoient dans leurs terres le pouvoir le plus absolu, et croyoient ii'avoir au-dessus d'eux autre juge fors Dieu. A la verite, dans Tintervalle qui s'etoit ecoule depuis Philippe Auguste jusqu'au roi Jean, la couronne avoit beaucoup ga- gn^; un grand nombre de seigneuries, et meme des provinces entieres, avoient e (i) Voyez la preface du tome III des Ordonnances du Louvre. DE FRANCE. CHAP. VII. 2l5 r^unies au domaine de 1'etat ; mais cela s'etoit fait successivement par des actes particu- liers, et les rois s'etoient bien plus occupes des moyens d'acquerir que du soin d'orga- niser. Aussi Fadministration publique etoit-elle livree a 1'arbitraire le plus desastreux. Le desordre etoit par-tout, et principalement dans les finances. La reforme de tant d'abus etoit difficile , mais elle e*toit necessaire. Sur la presentation des etats, le roi y pourvut par une ordonnance que Ton peut regarder comme la charte constitutionnelle de ces temps-la. Cette ordonnance est du 22 de- cembre i355: en voici les principales dis- positions : Par le premier article, le roi ayant expose qu'il a convoque les bonnes gens de son royaume de la Langue d'oyl et du pays cou- tumier de tous les trois etats, pour avoir avis, conseil, et deliberation sur la maniere de resister aux anciens ennemis du royaume , declare qu'il a ete conclu qu'il devoit faire rude guerre a ses adversaires par mer et par terre, et que, pour faire payer les frais et 2l6 ASSEMBLEES NATIONALES depens de cette guerre, il seroit impose une gabelle sur le sel dans toute Fetendue du pays coutumier, et pareillement im droit de huit deniers pour livre sur toutes choses qui seront vendues audit pays, excepte vente d'heritage, lequel droit sera paye par le vendeur, sans exception de personne, soit clercs, nobles, gens d'eglise, hospitaliers nobles et non nobles , ou autres. Veut le roi, pour donner bon exemple, que m lui, ni la reine sa femme, et ses enfants, ni ceux de son lignage, en soient exempts ; promet faire office pourinduireoti contraindre, par toutes les voies qui seront conseillees par les trois etats, ceux qui ne voudroient satisfaire a ladite imposition', et ou le roi ne pourroit faire consentir a icelle tous ces differents pays, il feroit apparoir les diligences qu'il auroitfaitespourleditpaiement. Cette meme imposition cessera dans le prochaiii mois de mars, et sera pourvu d'autres manieres par les trois etats au paiement des troupes, sans que la voix de deux des trois etats puisse engager le troisieme... Veut au surplus le roi que, pour le recouvrement dudit i in pot, DE FRANCE. CHAP. VII. 217 soient etablis des receveurs au choix des etats, qui seront tenus de se conduire sui- vant les instructions qui par eux seroiit donnees. Par le second article, il est ordonne que, dans chaque bailliage ou senechaussee, il sera etabli par les etats neuf personnes loya- les, bonnes, honnetes, trois de chacun or- dre, qui seront generaux-suriiitendants de toute affaire de ladite imposition , sans etre iieanmoins tenus d'en rendre aucun compte, parcequ'ils commettront d'autres personnes bonnes et solvables pour faire la recette, les- quelles seront tenues de rendre compte. Par le quatrieme, il est ordonne que les surintendants preteront serment aux etats, et les commis ou receveurs aux surinten- dants , de se comporter dument en Fexercice de leurs fonctions. L'article six dispose que les tats se ras- sembleront au premier jourcle mars, lors pro- chain, (( pour voir et ouir le compte desdites aides, et le produit d'icelles en presence des gens du conseil du roi : et si les aides du pre- sent subside ne se trouvoieiit suffisantes, ils 2l8 ASSEMBLIES NAT1ONALES seroient autorises d'augmenter la gabelle et aide, ainsi que necessite le requerra, ou pourvoir d'aulre maniere au paiement des troupes , sans neanmoins que la voix de deux ordres puisse lier ou engager le troi- sieme. Par les articles suivants , le roi , louche (jiiil est des clameurs de son peuple , et de la grande oppression quit a soufferte , promet que desormais il fera bonne et forte mon- noie ; Qu'a 1'avenir il ne convoquera Farriere- ban que du conseil des etats, et lorsqu'il y aura urgence ; Que les aides cesseront avec 1'annee ; et que, si une nouvelle imposition est neces- saire, les etats-generaux seront convoques ; Qu'en cas de guerre les depenses seront reglees par deliberation des ^tats, sans que deux puissent lier le troisieme ; ( Qu'il ne fera ni paix ni treve sans le con- sentement des etats-generaux. Le roi s'engage a preter serment, et a le faire preter par sonfils le due de Normandie, et par ses autres enfants; par les seigneurs DE FRANCE. CHAP. VII. 219 de son lignage, par le chancelier, les gens du conseil, maitres des requetes, officiers du parlement, tresorier, maitres-gardes , et of- ficiers des monnoies, d'executer a jamais le present reglement. Dans le cas oil il arrive- roit que quelqu'un d'eux osat conseiller le contraire, il sera a 1'instant destitue de son office, et tenu , pour 1'avenir, incapable d'en exercer un autre. L'ordonnanceajouteque, dans lecas oule roi donneroit des ordres contraires aux dis- positions qu'elle renferme , les deputes char- ges de son execution sont obliges , sous la foi de leur serment , de desobeir et de resister aux violences qui leur seroient faites a cet egard. Apres avoir pourvu aux besoins de Farmee et an fait des monnoies, Fordonnance sup- prime un genre de vexation qui desoloit alors , et depuis long-temps , les villes et les campagnes , et dont Fusage avoit fait un droit regulier. Par une disposition de cette ordonnance, le roi, tant pour la reiiie son Spouse, ses en- fants, les princes de son sang, que pour ses 220 ASSEMBLERS NATIONALES officiers, tels que le connetable, les mare- chaux, le maitre des arbaletriers, les maitres- d'hotel, les amiraux, les inaitres des garni- sons, chatelains et capitaines , renonce a perpetuite au droit usite jusqu'alors de prendre sur les gens du peuple bleds ., vins, vivres , charrettes , chevaux , ou autres choses quelles quelles soient, se reservant cependant, lorsqu'il voyageroit, le droit de faire fournir a ses inaitres-d'hotel , par la justice des lieux, les choses indispensablement necessaires, telles que formes , tables, treteaux , couettes , coussins, feutre ou paille battue, et foins, ainsi que des voitures pour les porter, en payant le juste prix desdites fournitures le jour meme ou le lendemain ; et faute de paiemeiit, ceux qui les auroient prises de- voient etre poursuivis pour y satisfaire par- devantlejuge deslievixou le prevotde Paris. A 1'egard de toutes autres persoiines, de quelque qualite qu'elles fussent, quipreten- droient user d'un semblable droit , sa majeste permit non settlement qu'on put leur resis- ter par soi-meme, et en appelant a son se- DE FRANCE. CHAP. VII. 221 cours les voisins et les communes les plus prochaines, mais encore qu'en cas de vio- lence on saisit tons ceux qui auroient pris quelque chose, etqu ils fussent punis comme voleurs et perturbateurs du repos public, et condamnes a la peine du quadruple envers la partie offensee. Enjoint, sous les peines les plus severes, aux juges de tenir la main a 1'execution de cet article de Fordonnance. Pour donner encore plus de vigueur a cette loi, il fut ajoute que le procureur general du roi, present et a venir, feroit serment de poursuivre avec la plus grande rigueur tous ceux qui oseroient y contrevenir, aussitot qu'il en seroit averti, quand meme il n'y au- roit aucune plainte formee ace sujet.... Le roi, par ce meme e\lit, ordonne que toute juridiction soit laissee aux juges or- dinaires, sans que desormais on puisse tra- duire aucun de ses sujets par-devant ses maitres-d'hotel , etc Les capitaines sont rendus responsables des desordres que leurs gens pourront faire dans leslieux de leur passage. Les troupes ne 222 ASSEMBLEES NATIONALES peuvent sejourner plus d'un jour dans les villes de leur route j permis de leur refuser des vivres au-dela de ce terme, et meme de les contraindre d'aller en avant. DE FRANCE. CHAP. VIII. 223 CHAPITRE VIII. De 1'etat de la France et de la disposition des esprits a 1'ouverture des etats-generaux de i356. S'il est vrai que les lois d'un peuplesoient les temoins les plus fideles des besoins qu'il a eprouves, des abus qui ont pese sur lui, et des progres qu'il a faits dans la civilisation , c'est dans les deliberations des etats-generaux de i355 que nous devons principalement chercher quelle etoit la disposition des es- prits a 1'ouverture des etats de i356. Ces deliberations sont sanctionne'es par 1'ordon- nance dont 1'analyse termine le chapitre precedent. On y remarque les trois dispo- sitions suivantes. Inattention se porte d'abord sur ces mots qui terminent 1'article premier, sans que la voix de deux des trois etats puisse engager le troisieme j et Ton cherche les motifs d'une mesure aussi extraordinaire, aussi contraire aux usages recus dans les assemblies delibe- 224 ASSEMBLIES NATION ALES rantes. On ne pent pas s'y meprendre. (Test dansl'interet du tiers-etat qu'elle a ete inse- ree dans 1'ordoiinance *, cest le tiers-etat qui, s'elevant tout-a-coup a la hauteur des deux premiers ordres, 1'a exigee comme une ga- rantie que la noblesse et le clerge ne pour- roient pas, en se coalisant, porter sur lui tout le poids cles impositions. La deuxieme remarque a pour objet les finances del'etat. Jusqu'alorsles prodigalites du roi, Favidite des courtisans, avoient dissi- pe, devore les deriiers publics. II n'echappoit a personne que confier aux agents du fisc le recouvrenient et Femploi du nouvel imp( A )t c'etoit le livrer a une depredation presque certaine, et par consequent compromettre Fexistence de Farmee. Entraines par des motifs aussi graves, les etats-generaux de- mandent que le reconvrement du nouvel impot soit fait par des commissaires de leur choix, et que Farmee receive sa solde des mains de cesmemes commissaires. Enfin, et c'est notre derniere remarque, le subside n'est accorde que pour un an. Precaution d'une haute politique, que le DE FRANCE. CHAP. VIII. 225 seul instinct de la liberte" avoit revelee aux hommes de ce temps-la, quatre siecles avant que Montesquieu n'eut dit(i): Si la puis- sance legislative statue, non pas d'ann^e en annee, mais pour toujours, sur la levee ades deniers publics, elle court risque de uperdre sa liberte; parceque la puissance t< executrice ne dependra plus d'elle ; et , quand on tient un pareil droit pour tou- jours, il est assez indifferentqu'on letienne de soi ou d\m autre. Cette conformite entre les actes des Tels etoient 1'^tat de la France et la disposi- tion des esprits a Fouverture des ^tats-g^ne- raux de i356. On pressent deja que leurs deliberations porteront 1'empreinte de la dif- ficulte des circonstances. 232 ASSEMBLERS RATIONALES CHAPITRE IX. Etats-generaux de i356. La France avoit perdu son roi , ses braves, et ses finances. EUe toit envahie par une armee victorieuse , et les renes de l'etat flottoient dans les mains inexperimentees d'un jeuiie prince dont les precedents inspi- roient peu de confiance. Depuis ravenement de Hugues-Capet la nation ne s'etoit pas trouve'e dans des circonstances aussi desas- treuses. Pour en triompher le concours de toutes ses forces morales et materielles etoit necessaire. Le due de Normandie(i) le com- prit , et les etats-generaux de la Languedoyl f'urent convoques a Paris pour le i5 octo- bre 1 356. (i) Charles no portoit alors que le litre de due de Nor- niandie; il ne prit que plus tard celui de regent du rovaume. DE FRANCE. CHAP. IX. 233 II falloit pourvoir au gouvernement du royaume pendant la prison du roi. 11 felloit improviser une armee, et sur-tout pourvoir a ce queles subsides leves pour son entretien ne fussent pas detournes de leur destination, comme cela n'etoit arrive que trop souvent depuis le commencement des hostilites. En dernier resultat, il s'agissoit de conserver la dynastie et de sauver la nation. Des interets d'une si haute importance ne pouvoient inanquer d'agir puissamment sur les esprits ; aussi les trois ordres s'empresse- rent-ils de deputer aux etats les homines les plus dignes de cette honorable et p^nible mission , et jamais assemblee nationale en France ne fut plus solennelle. Nous lisons dans le proces- verbal de cette assemblee : L'etat du clerge etoit compose ((d'archeveques, eveques, et de sages pro- cureurs des eveques absents , d'abbes mit- tres et atitres , et de procureurs des absents, de procureurs des chapitres, doyens et ar- chidiacres , dont plusieurs etoient mattres en divinite (ou en theologie) et en decret , et seigneurs en lois. 234 ASSEMBLIES RATIONALES L'etat des nobles etoit compost de plu- sieurs de nos seigneurs des fleurs de lys , wducs, conites, barons, et chevaliers, etc. ; du nombre desquels etoient M. le due ctd'Orleans, M. deBretaigne, M. d'Alencon, M. d'Estampes, M. de Saint-Pol, M. de <( Roussi , etc. Lesquels faisoient parler M. de uBretaigne au nom de tous les nobles. L'etat des bonnes villes etoit compose de deux maitres en divinite, et de bourgeois cctres sages et notables homines, en iiombre de plus de qualre cents. Le 1 5 octobre, disent les Chroniques de Saint-Denis, les deputes s'assemblerent en la chambre du parlement; cetla, en pre- sence du due de Normandie, Pierre de La Foret, archeveque de Rouen et chancelier de France , exposa , en la presence desdits trois etats, dont dessus est fait mention , la prinse du roi, et comment il s'etoit vail- (( lamment combattu de sa propre main : et unonobstant ce, avoit te prins par grande u infortunit^ ; et leur montra combien cha- cun devoit mettre peine a la delivrance du roi ; et apres leur requit, de par monseigneur DE FRANCE. CHAP. IX. 2 35 le due, conseil comment le roi pourroit c etre delivre , et aussi de gouverner les Kguerres, et aider a ce faire; lesquels des c. trois etats, c'est a savoir: les gens d'eglise repondirent par la bouche de monseigneur Jehan de Craon , archeveque de Rheims; ules nobles, par la bouche de monseigneur Philippe, ducd'Orleans, et frere-germain du roi ; et les gens des bonnes villes , par la bouche d'Etienne Marcel, bourgeois de Paris, etalors preVot des marchands: qu'ils voilloient faire tout ce qu'ils pourroient ccaux fins dessus dites, et requierent delai a pour eux assembler, et parler ensemble sur les choses dessus dites, lequel leur fut donne, etfurent ordonnes par ledit mon- seigneur le due de Normandie , plusieurs udes conseillers du roi, pour aller au ch?i- teau desdits trois etats. Et quand ils eurent ete par deux jours , on leur fit dire que (desdits trois etats ne besoigneroient point tant que les gens du conseil du roi y fussent presents.)) Ces pr^liminaires accomplis, les etats s'occuperent de 1'objet de leur convocation. 236 ASSEMBLIES NATION ALES Get objet n'etoit pas facile a remplir. Tout etoit dans la confusion ; et de cette espece de chaos il falloit faire sortir une armee for- midable, et un gouvernemeiit regulier- Une assemblee composee de pkis de liuit cents personnes ne seroit jamais parvenue a s'entendre. On prit un parti fort sage. Une commission composee de trente-six mem- bres, dont douze clioisis dans chacun des trois ordres, fut chargee de rediger un pro- jet de deliberation qui presenteroit les me- sures qu'il coiivenoit de prendre pour la delivrance du roi, pour la defense del'etat, pour le reglement des finances, pour la reformation des abus dans toutes les parties de 1'administration , enfin pour eloigner du due de Normandie les conseillers auxquels la nation attribuoit ses malheurs. On s'est beaucoup eleve contre cette com- mission ; on a dit: Les etats n'avoient a s'oc- cuper que de la defense du royaume et de la delivrance du roi. Leiir convocation ii'a-^ voit pas d'autre objet. Tout ce qu'ils onl. fait au-dela les constitue done en etat de revoke contre 1'autorite royale; et les inves- DE FRANCE. CHAP. IX. tigations quela commission a ordonnees sur Femploi des finances, sur les abus de Tad- ministration , sur les prevarications impu- tees aiix conseillers de la couronne, sont autant d'actes de rebellion. Mais d'abord le chancelier de France dans son discours d'ouverture avoit dit aux etats qu'ils etoient requis de par monsei- gneur le due de lui donner aide et conseil. Ainsi le prince demandoit tout a-la-fois des subsides et des conseils. II n'est done pas vrai de dire que les etats n'etoient reunis que pour voter un impot. En second lieu, Tarmee que Ton alloit mettre sur pied ^toit la derniere ressource de la France. Mai payee, elle auroit mal servi; et depuis le commencement de la guerre , les prodigalites du roi , 1'avidite des courtisans, avoient absorbe, au moins en grande partie, les sommes destinees a la solde des troupes. Ce fait etoit uotoire; les etats -generaux de 1'annee precedente Ta- voientsolennellementproclame;et la France tout entiere attribuoit a ces dissipations les desastres dont elle etoit la victime. Entrai- 238 ASSEMBLIES NATION ALES nes par oette opinion , qui malheureusement n'etoit que trop fondee, les etats n'etoient- ils pas, en quelque sorte , autorises a penser que, pour cette fois, et par la force des cir- constances, la mission d'ordonner la levee d'un impot emportoit implicitement celle d'en surveiller Feraploi? Les circonstances exigeoient des sacrifices tels , qu'nn gouvernement investi de la con- fiance generale pouvoit seul les obtenir; et cette confiance, les ministres d'alors etoient loin de la posseder. Leur destitution se trouvoit done intimement liee a la defense de 1'etat. Enfin les commissaires demandoient que les ministres fussent juges sur les chefs d'ac- cusation qu'ils produiroient centre eux , pour les punir s'ils etoient coupables : se soumet- tant a perdre tous leurs biens et a etre de- clares pour jamais incapables de posseder aucunes charges s'ils etoient juges inno- cents (i). (i) Ordonnances du Louvre, tome III ; preface , pages 5i et 5'4. DE FRANCE. CHAP. IX. 289 Au surplus, voici les principaux articles de la deliberation prise par cette commis- sion. On y verra 1'esprit qui 1'animoit, beau- coup mieux que dans tout ce que les histo- riens en ont ^crit. Par cette deliberation , les trois e^tats don- nent conseil a M. le due de Normandie: Qu'il ecoute Dieu , qu'il Je craigne et 1'ho- nore, lui et ses ministres, qu'il garde ses commandements, et qu'il fasse bonne jus- tice au royaume, tant du grand comme du petit; Qu'il elise , par le conseil des trois etats , anciens, grands, sages et notables du clerge, des nobjes et bourgeois, anciens, loyaux et meurs qui continuellement prs de lui fus- sent, et par qui il se conseillat, et que rien par les jeunes, simples et ignorants du fait du gouvernement du royaume et de justice, il ne ordonnat(i); (i) Pour comprendre cet article, il faut se rappeler qu'a cette epoque la majorite des rois e'toit a vingt et un ans; que Charles en avoit a peine dix-neuf , et que par consequent c'e'toit le cas de nommer un conseil de re- gence. 24o ASSEMBLIES NATION ALES Qu'il revoque les alienations des domai- nes, a 1'exception de celles f'aites aux eglises , aux princes du sang, et a des hommes qui auroient rendu de grands services a 1'etat; Qu'il reduise a six le nombre des maitres des requetes; et qu'il ne confere ces places qu'a des hommes d'une grande sagesse, ex- perience , et murete ; Que des trois etats M. le due elise certain nombre de personnes notables, puissants, sages , prud'hommes, et loyaux, en tel nom- bre que bon lui sembleroit, qui fussent resi- dents a Paris, pour le grand et secret con- seil , et que eux fussent unis et etablis par M. le due, souverain de tous les officiers du royaume de France uEtleur fut enjoint par M.le due, parser- ment, que principalement et deligemment ils s'entendroient sur le gouvernement du royaume et de la chose publique, et non pas a leur profit singulier, ne a leurs amis ; fit tous les jours qu'ils defaudroient d'etre au conseil, si justes causes et legitimes n'a- voient, ils perdroient les gages de la jour- nee, et par ordonnance de M. le due leur DE FRANCE. CHAP. IX. 2/^1 seroit donne* gages tels que M. le due verroit que bon seroit ; wQu'il ne nomme aucuns officiers, si ce n'est apres grande et mure deliberation de son conseil, pourvoyant aux offices et non aux personnes ; Que aucuns qui notoirement ont eu le gouvernement du royaume, du temps du roi notre sire, et qui tres mauvaisement, desordonne'ment et non profitablement ont encore ledit gouvernement au tres grand dommage du roi , du royaume , et des su jets , si comme dessus est dit, desquels aucuns ont ete nommes a M. le due , soient otes per- petuellement de tous offices royaux; car no- toirement il appert de leur desordonn^ et mauvais gouvernement et conseil, et que par leur fait et coulpe damnable, plusieurs griefs, doulours, et dommages sont avenus au roi notre sire, au royaume et aux sujets, et aussi par leur evidente negligence (i). (i) Les conseillers de la couronne signales par les etats , et dont ils demandoient la destitution , sont nom- if) 242 ASSEMBLIES NATIONALES La commission, s'occupant ensuite de la composition de 1'armee, arrete qu'il sera fait une levee de trente mille hommes d'armes; que pour subvenir a son entretien les eccle- siastiques et les nobles paieront un dixieme et demi de leurs revenus, et que chaque commune entretiendra un homme d'arines par cent feux. La deliberation ajoute: wet toutes lesquelles aides levees et distributes par ceux qui seront a ce commis par les trois etats , et autorises par M. le due ( I ). Les trois ordres s'etant reunis pour en- tendre la lecture de cette deliberation, Fap- prouverent unanimement ; et il fut arrete qu'elle seroit presentee a M. le due de Nor- mandie. mes ailleurs. Ilsetoient au nombre de viiigt-deux ; savoir , le chancelier, le premier president du parlement, le souverain maitre des monnoies, etc. (i) Nous trouvons une resolution semblable dans les fastes du parlemeut d'Angleterre. On y voit que dans la sixieme annee du regne de Henri IV les communes ac- corderent un subside au roi , et qu'elles nommerent un tresorier pour veiller a 1'emploi de cet argent, selon sa destination. DE FRANCE. CHAP. IX. 243 II paroit que 1'intention des tats 6toit que res remon trances fussenttenues secretes. En effet nous lisons dans la Chronique de Saint- Denis: Les elus des trois tats firent dire & monseigneur le due de Normandie qu'ils parleroient volontiers a lui secretement, etpour ce alia leditduc, lui sixieme tout seulement, auxdits freresmineurs par-de- avers lesdits elus, lesquels lui dirent qu'ils e"toient tous d'un accord. Si requierent a monseigneur le due qu'il voulut tenir se- er cret tout ce qu'ils lui diroient pour le sau- vement du royaume, lequel monseigneur le due r^pondit qu'il ne juroit pas, et pour ce, ne laisserent mie qu'ils ne lui dissent les choses des susdites. Ces remontrances jeterent la cour dans la consternation et 1'effroi. Les ministres y virent le renversement de la monarchic, et proposerent de dissoudre les etats. G'etoit risquer de tout perdre, puisque rien encore n'etoit arrete pour la defense du royaume. Gette consideration n'arreta pas les con- seillers du jeune prince. Apres plusieurs de- liberations, il fut arrete quele prince, usant 16. 244 ASSEMBLERS NATIONALES de dissimulation, feroit savoir aux deputes que le lundi, veille de la Toussaint, il se rendroit au parlement, et que la il donne- roit une declaration conforme aux remon- trances arretees par les etats. Le lundi , jour indique , les deputes se ren- dirent au parlement; Farrivee du prince fit eVanouir les esperances qu'il avoit donnees. Il declara qu'avant de prendre une resolu- tion definitive, il vouloit connoitre les in- tentions du roi son pere, et avoir Fa vis de 1'empereur Charles IV, son oncle, et il ajourna 1'assemblee au jeudi suivant. Le surlendemain le prince manda plusieurs d&- putes et leur dit qu'ils eussent a se retirer jusqu'a nouvel ordre; qu'il les manderoit lorsqu'il le jugeroit a propos. En consequence les deputes se separerent , et dans le double but de justifier leurs in- tentions et d'accuser celles des miiiistres, chacun d'eux reporta et dissemina dans sa province des copies du projet de remon- trances dontje viens de rappeler les princi- pales dispositions. La dissolution des tats eut lieu le 2 no- DE FRANCE. CHAP. IX. 245 vembre, dix-sept jours apres Fouverture des stances. Elle fit sur la nation entiere 1'im- pression la plus facheuse. Nous en expose- rons les consequences dans le chapitre sui- vant. 246 ASSEMBLIES RATIONALES GHAPITRE X. Suite des etats-generaux de 1 356. La dissolution desekats prononcee, comme on vient de le voir, au moment ou Tassem- blee etoit sur le point de decreter la forma- tion d'une armee, et d'en voter la solde, porta la fermentation des esprits a son com- ble, jeta la France dans des malheurs qui se prolongerent pendant le cours des deux an- nees suivantes, et dont on ne trouve aucun exemple dans les fastes des nations. Immediatement apres la separation des deputes, le due de Normandie alia, comme il en avoit pris 1'engagement , consulter Fem- pereur son oncle qui etoit alors a Metz(i); (i) Get empereur etoit ce ineme Charles IV qui cut la foiblesse de signer un traite par lequel il s'engageoit a n'entrer dans Rome que le jour de son couronnement, encore sous la condition humiliante d'eii sortir le meme jour, et de n'y rentrer jamais sans la permission du pape. DE FRANCE. CHAP. X. 24 7 mais il manquoit d'argent. Pour s'en procu- rer, il imagina d'altrer la monnoie; et, par un edit qu'il chargea son frere , le due d'An- jou, de publier en son absence, il ordonna la fabrication de nouvelles especes. Cette publication excita dans Paris un soulevement general. Le prevot des mar- chands , homme turbulent et audacieux, qui ne recula janiais devant une action crimi- nelle , et qu'une eloquence populaire rendoit 1'idole dela multitude, comprit que le mo- ment etoit arrive de donner 1'essor a son ambition. Suivi d'une foule ^garee, il se rendit aupres du due d'Anjou , et lui deman- da la revocation cle 1'edit. Le prince, voulant gagner du temps, ajourna sa reponse. Le lendemain Marcel, a la tete d'une troupe armee , exigea ce qu'il avoit demande la Cette conduite dans un prince qui portoit la couronne de Charlemagne 1'avoit rendu ridicule auxyeux de toute 1'Europe. On 1'appeloit communement rempereur des pretres. Un pareil empereur etoit loin d'avoir les qualites necessaires pour diriger le due de Noi'iuandie dans des circonstances aussi difficiles. 248 ASSEMBLIES NATIONALES veille, et Fexecution de 1'edit fut suspen- due. De retour a Paris, le due de Normandie, effraye des desordres qui avoieut eu lieu pendant son absence, entra en negotiation avec le prevot des marchands. Une confe- rence fut arretee entre cet insolent ma- gistrat et des commissaires nommes par le prince. Marcel s'y rendit dans Fappareil le plus menacant. JMon seulement il rejeta toutes les propositions qui lui furent faites, mais au sortir de la conference il souleva la populace, fit fermer les boutiques, cesser le travail des ouvriers, et ordonna aux bour- geois de prendre les armes. Le due, sans moyens de resistance, se rendit le lendemain au palais, et la, en pr- sence des chefs de la sedition, il declara qu'il pardonnoit tout ce qui avoit ete fait contre son autorite , et particulierement les troubles de la veille ; enfin il donna 1'assu- rance qu'il ne seroit plus question de la nouvelle monnoie. Tels etoient raveugleraent du peuple et 1'audace des factieux, que ces concessions, DE FRANCE. CHAP. X. ifo loin de les satisfaire, augmenterent leur insolence, et les desordres continuereiit. II ne restoit plus a 1'autorite meconnue qu'un moyen de salut, c'etoit de rappeler ces memes tats-generaux que Ton avoit si imprudemment congedi^s. Us furent con- voques pour le 5 fevrier suivant. Un ministere sage, et qui auroit senti les difficultes de sa position , se seroit retire. II en fut autrement. Les deputes retrouverent en place ces memes ministres qui venoient de les renvoyer dans leurs foyers d'une ma- niere si brusque et si humiliante. II arriva ce qu'il eut etc facile de prevoir. A 1'esprit de reforme, qui dans la precedente session avoit anim les deputes , se joignit le desir de la vengeance; et cette assemblee, derniere ressource de 1'autorite chancelante, acheva de la renverser. Ce qu'elle n'avoit propos trois mois auparavant que comme un voeu, elle 1'imposa comme un ordre. Precedem- ment elle avoit demande que le conseil de la couronne fut compose de vingt-huit de ses membres, an choix du prince; aujourd'hui elle en choisit elle-meme trente-six , aux- 25o ASSEMBLIES NATIONALES quels de son an tori te seule elle con Fere le gouvernement de Fetat, et specialement I'ad- ministration des finances (i). La souverainet^ se trouvoit ainsi placee dans la commission ; et si la nation etoit en- core avertie qu'elle avoit un roi, ce n'etoit plus qu'a des intervalles eloignes, et uni- quement parceque les lois etoient publiees sous son nom (2). Mais ce ne fut que le troisieme jour du (1) Les Chroniques de Froissard, chapitres 872 et 3y3, parlent de cette commission; voici 1'idee qu'elles nous en donnent. Si se accorderent que les prelats elirent douze personnes bonnes et sages entre eux , qui auroient pouvoir de par eux et de par le clerge de ordonner et aviser voies convenables pour faire ce que dessus estdit. Les barons et les chevaliers ainsi elirent douze autres chevaliers entre eux, les plus sages et les plus discrets, pour entendre a ces besognes; et les bourgeois douze en telle maniere. Ainsi fut confirme et accorde de commuii accord : lesquelles trente-six personnes devoient etre moult souvent a Paris ensemble, et la parler et ordonner des besognes du royaume. Et toutes manieres de choses se devoient deporter par ces trois etats. (2) Pour etre juste, je dois dire que les etats rirent pu- blier uneordonnance qui renfermoit des dispositions fort DE FRANCE. CHAP. X. 261 raois de mars que le due de Normandie con- nut toute 1'etendue des sacrifices que Ton exigeoit de lui. Les e"tats etoient reunis dans la chambredu parlement; le prince s'y ren- dit, etla, en presence du due d'Anjou et du comte de Poitiers, ses freres, et d'un grand concours de nobles etgens des bonnes villes en si grand nombre, disent les historiens, que la chambre en etoit pleine, Robert le Goq, eveque de Laon, lui notifia les inten- sages ; elles portoient : Les dons excessifs du domaine de 1'etat sont revoques. On n'accordera plus de pardons ni de remissions a ceux qui auront commis des meurtres de guet-apens, a ceux qui auront enleve ou viole des filles ou des femmes, aux incendiaires , a ceux qui n'auront pas observe les treves ou paix faites dans le cas de guerres privees , aux infrac- teurs des sauves-gardes. Tous les juges rendront bonne et brieve justice. Comme il y a devant les gens du parlement plusieurs proces en etat d'etre juges , et dont le jugement a etc retarde par la faute des presidents, les gens du parlement, et ceux de la chambre des enquetes s'assembleront tous les jours , dans cette chambre , a 1'heure du soleil levant, pour tra- vailler a ces proces, jusqu'a ce qu'ils soient tous jugo's. Us se partageront en deux chambres , dont 1'une jugera 252 ASSEMBLIES NATIONALES tions ou plutot les ordres de Fassemble"e. Voici quelques fragments du discours prononce par cet insolent prelat. Je copie la Chronique de Saint-Denis. Nous y lisons : Ledit eveque commenca par exposer que le royaume de France avoit etc* au temps passe mal gouverne* , que le peuple avoit ete moult vexe par les officiers du roi , que les grandes sommes de deniers levees sur la nation avoient ete mal administrees, dont grandes sommes avoient ete donnees par les proees de rapport , et 1'autre ceux qui seront portes a 1'audience. Les offices de justice ne seront plus dans la suite ven- dus ni afferme's, mais ils seront donne's en garde, et nul ne pourra etre juge dans le pays dans lequel il est ne , ou dans celui dans lequel il demeure. On ne pourra faire de compositions (accommode- ments) sur les crimes. Les proces seront juge'ssuivant le role des presenta- tions. Les commissaires du parlementne pourront prendre que quarante sols par jour pour eux et pour leurs clercs. Cette ordonnance sera publiee et enregistree au par- lement. Les gens de la chambre des comptes y viendront a DE FRANCE. CHAP. X. 253 plusieurs fois a plusieurs personnes qui en avoient mal use ; et toutes ces clioses avoient t faites, si com me disoit ledit eveque, par le conseil des dessus nomme*s chanceliers et autres qui avoient gouverne le roi et le royaume au temps passe; et dit lors encore ledit eveque que le peuple ne pouvoit plus souffrir ces choses , et pour ce avoient deli- be're' ensemble que les dessus nommes offi- ciers et autres qu'ils nommerent au nombre devingt-deux,fussentprivesdeleurscharges. Requit aussi ledit eveque de Laon , que tous les officiers du royaume de France 1'heure du soleil levant , et y expedieront promptement les affaires , sans s'entreraettre de cognoissance de cause aucune. II sera fait une ordonnance qui reglera le nombre des officiers du parlement et des autres officiers. Le prevot de Paris , privativement a tout autre juge connoitra de 1'execution des actes scelles du seel du Cha- telet, si le cre'ancier le veut. Le parlement ne pourra attirer par-devers lui les af- faires ordinaires qui sont de la competence du prevot de Paris. Les senechaux, baillis,et vicomtes, n'attireront point a eux les affaires qui sont de la competence des prevots.o 254 ASSEMBLEE8 RATIONALES fussent suspendus, et que plusieurs refor- mateurs fussent donnes, lesquels seroient nommes par Jesdits trois etats,qui auroient la cognoissance de tout ce que on voudroit demander aux dessus nommes, et centre iceux dire et proposer. Dit encore ledit eveque de Laon que bonne monnoye courut, telle que lesdits trois etats 1'ordonneroient (i). Et plusieurs requetes fit lors un cheva- lier, appele messire Jean de Pequigni, et, au nom des nobles, avoua ledit eveque; un avo- cat de Baville, appele Nicolas le Chanteur, et Marcel prevot des marchands de Paris, en firent de meme au nom du tiers-etat. Le due de Normandie, dans 1'impuis- sance de resister efficacemeiit, souscrivit a tout, et sanctionna toutes les resolutions qui lui furent presentees. (i) Robert-le-Coq,originaired'Orleans, etoit ne a Mont- Didier de parents conside're's dans la bourgeoisie, avoit ete d'abord avocat au parlement de Paris , puis maitre des requetes , ensuite chanoine et grand chantre du chapitre d'Amiens, enfin eveque de Laon en i35r. DE FRANCE. CHAP. X. 255 Gelle concernant les tribunaux ne tarda pas a recevoir son execution. Le cours de la justice fut suspendu dans Paris pendant quatorze jours, plus ou moins long-temps dans les autres parties du royaume, et les reformateurs nommes par les etats, faisant ce que de nos jours on a appele une epura- tion , reduisirent a seize le nombre des ma- gistrals du parlement, destituerent tousceux de la chambre des comptes, et leur ensubsti- tuerent quatre de leur choix. Quant aux ministres, ils se deroberent par la fuite aux poursuites dont ils etoienl menaces. Cependant, au milieu de ce desordre, la defense du royaume et la delivrance du roi ne furent pas negligees. Les etats arreterent qu'il seroit fait une levee de trente mille hommes d'armes ( i ) ; et pour subvenir a Fen- tretien de cette arm^e , ils ordonnerent que (i) Uii homme d'armes avoit toujours a sa suite au moins trois personnes ; savoir , un ecuyer, un page , et un gendarme. Ainsi trente mille hommes d'armes formoient une armee de cent vingt mille combattants. 256 ASSEMBLIES N ATIONALES les gens d'^glise et les nobles paieroient un dixieme et demi de tous leurs revenus, c'est a savoir, de cent livres de terre quinze li- vres; et que les gens des bonnes villes fe- roient pour cent feux un liomme d'armes, dont la solde seroit d'un derai-ecu par jour, u Lesquels subsides , ajoute la deliberation, seront leves par ceux que les etats ordon- neront. Une treve de deux ans , qui fut alors con- clue a Bordeaux, ajourna 1'execution de.ces pr^paratifs ; et le prince , n'ayant plus besoin des etats-g^neraux , en ordonna la cloture. Mais en quittant Paris , les deputes y lais- soient la commission qu'ils y avoient eta- blie ; et 1'autorite du roi continua d'etre me- connue. Cette commission qui ne devoit son exis- tence qu'a la force, qui ne pouvoit se main- tenir que par elle, en abusa tellement, que le peuple reconnut enfin que la monarchic la plus absolue est encore plus supportable que le joug des factieux ; et les regards com- mencerent a se tourner vers la couronne. La plupart des commissaires , voyant le pou- DE FRANCE. CHAP. X. 257 voir echapper eta leurs mains, se retire- rent; 1'eveque de Laon lui-meme retourna dans son diocese , et Marcel effraye de son isolement se rapprocha du due de Nor- mandie. Le calme se retablissoit; il fut trouble par deux evenements que personne n'avoit pu preVoir. Le roi de Navarre , si j ustement surnomme le Mauvais, s'echappa de sa prison, se ren- dit a Paris, rallia les factieux, et releva Fe*- tendard de la revoke. L'autre eVenement amena le fanatisme sur cette scene deplorable. Un miserable assassina Jean Baillet, tr^sorier du due de Normandie, en plein jour, dans la rue Saint- Merry, et se refugia dans 1'eglise du meme nom. Le due de Normandie commanda au inarechal de Clermont et a Jean de Chalons, senechal de Champagne , de livrer ce scele- rat au prevotde Paris. L'ordre fut execut^, et des le lendemain 1'assassin fut pendu. Mais il avoit fallu briser les portes de 1'e- et le clerge avoit vu dans cet acte de 258 ASSEMBLIES NATION ALES justice une violation de ses privileges. II les defendit avec ses armes ordinaires. II cria au sacrilege, a I'impiete". Ges cris ne furent que trop bien entendus. Le peuple , stupidement superstitieux parceque son ignorance etoit extreme, se porta sur le lieu de Fex^cution, detacha le corps de la potence, et le remit entre les mains du clerge, qui lui lit im ser- vice solennel , des obseques honorables , et 1'eVeque de Paris excommunia les auteurs de ce pr^tendu sacrilege (i). Ces auteurs n'etoient pas d^signes nomi- nativement , mais Marcel ne s'y meprit pas. Heureux de pouvoir, sous un pretexte reli- gieux, porter une nouvelle atteinte a 1'auto- rite du due de Normandie, il fit armer les artisans , se mit a leur tete ; et d'abord pour les familiariser avec I'effusion du sang, il (i) Les eglises, dit Mezerai, estoient alors des azyles inviolables ; le clerge et le peuple s'eschaufferent de ce u qu'on avoit arrache un criminel du pied des autels, et aux de son royaurae , et leur soumettre la question de savoir s'il avoit pu legalement recevoir Fappel des tri- bunaux de la Guienne. On n'est pas d'accord sur la qualification que Ton doit donner a cette assemblee. Les uns lui refusent celle d'etats-generaux, les autres la lui accordent. II est difficile, dit M. Secousse ( i ) dans sa preface du VI 6 tome (i) Denis Francois Secousse, de 1'Academie des in- scriptions et belles-lettres, naquit a Paris le 8 Janvier 1 69 1 ; il fut e'leve de M. Rollin. Son pere, avocat ce'lebre, le destinoit au barreau, et il fut en effet recu avocat en 1710. A la mort de son pere, il se livra tout entier a Petude de 1'histoire. II fut recu a 1'Acade'mie des belles- lettres en 1722, et le recueil de cette Academic est plein de savants memoires qu'il a lus. M. Secousse qui d'abord embrassoit toute 1'histoire se borna dans la suite a 1'histoire de France. II fut charge du grand recueil des ordonnances de nos rois de la troi- sieme race en 1728, apres M. de Lauriere. Devenu aveugle plusieurs annees avant sa mort, il se fit faire sans succes, en 1761 , 1'operation de la cataracte. II mou- rut le i5 mars 1764. 2O. 3o8 ASSEMBLIES RATIONALES des Ordonnances du Louvre, il est difficile de decider si cette assemblee doit etre mise au rang des etats-generaux , ou si ce fut seulement un de ces conseils extraordi- naires que nos rois convoquoient quelque- fois lorsqu'ils avoient a deli be re r sur des affaires majeures. Je penchois vers ce der- nier sentiment lorsque je travaillois a la preface du V e volume de ce recueil , dans laquelle j'aurois du parler de cette assem- blee , si je 1'eusse regardee alors com me une convocation d'etats-generaux. Ayant relu depuis avec attention ce qu'en disent les Chroniques de Saint-Denis, j'ai change d'avis non seulement parceque cette as- semblee fut composee de trois ordres, mais parcequ'il est dit qu'il y assisla des person nes envoyees par le clerge et par les villes. Gette deputation est ce qui caracte- rise les assemblees des etats-generaux, et qui les distingue des assemblees des nota- bles , qui ne sont formees que de ceux que (de roi a nommes pour y assister, et des conseils extraordinaii^es. La Ghronique de Saint-Denis, que cite DE FRANCE. CHAP. XIX. M. Secousse, paroit etre la seule qui expose avec detail ce qui s'est passe dans cette as- semblee. Voiei comme elle en parle : La veille de 1'Ascension, Charles V vint en la chambre du parlement, et Ton ob- serva le ceremonial qui est en. usage lors- que les rois de France honorent cette com- pagnie de leur presence. La reine estoit a coste du roy, et le cardinal de Beauvais , chancelier de France, estoit assis au-des- sous, dans la place ou se met ordinaire- ment le premier president. A ce rang, sur les memes banes et par terre, estoient assis les gens d'^glise qui avoient este envoy ez a eette assemblee, les archeveques de Reims et de Tours, quarante eveques, etplusieurs abbez. Sur les banes ou estoient assis les conseillers-lais du parlement, estoient pla- ucez les dues d'Orleans et de Bourgogne, les comtes d'Alencon, d'Eu, et d'Estampes , et plusieurs autres nobles. II y avoit un si grand nombre de gens des bonnes villes qui avoient este envoyez a cette assemblee , que toute la chambre en estoit pleine. Le chancelier et son frere, Guillaume 3 10 ASSEMBLES NATION ALES de Dormans, qui estoit de retour d'Angle- u terre ou Charles V 1'avoit envoye , dirent a 1'assemblee que le roi ayant etc requis, par les seigneurs et les habitants de la wGuyenne, de recevoir les appels qu'ils avoient interjetez du prince de Galles leur due, il les avoit recus, et avoit decerne un adjournement contre ce prince; que le roi ayant recu a ce sujet des deputez d'E- udouard, roi d'Angleterre , il lui avoit CH- IC voye les conates de Tancarville et de Sar- wrebruck, Guillaume de Dormans, et le doyen de Paris. Guillaume de Dormans, par ordre du roi, rendit compte a 1'assemblee de ce qu'il avoit dit estant en Angleterre , pour refu- ter les requester que le roi Edouard avoit envovees a Charles V a 1'occasion de cet J adjournement; et de ce qui lui avoit este respondu par le conseil du roi d' Angle- it terre. Le roi prit ensuite la parole, et dit que si dans cette affaire on jugeoit qu'il en eut trop fait, ou qu'il n'en eut pas fait assez, il DE FRANCE. CHAP. XIX. 3 1 t trouvoit bon que Ton le lui repr&entast ; et qu'il estoit encore en estat de corriger ce que Ton trouveroit a reprendre dans la conduite qu'il avoit tenue. u Le roi et le chancelier dirent ensuite a ceux qui composoient I'assembl^e de pen- c ser a cette affaire importante, et de se re- trouver le vendredi de grand matin dans la merae chambre ou s'etoit tenue la pre- miere stance, pour en dire leur avis. Le lendemain jeudi , apres disn^ , le roi , a la reine, un grand nombre de conseillers du roi, tous les prelats et nobles, se trou- verent dans la chambre du parlement. Le chancelier et Guillaume de Dormans re- peterent encore les raisons qui avoient de- termine le roi a recevoir 1'appel des sei- gneurs et des habitants de la Guyenne. Le roi, qui parla aussi sur ce sujet, ajouta qu'il demandoit conseil sur les fautes qu'il avoit pu commettre dans cette affaire. Toute 1'assemblee respondit d'un com- mun accord que le roi avoit suivi les regies de la justice; qu'il n'avoit pu rejeter Tap- 3l2 ASSEMBLIES NATIONALES pel ; et que si le roi d'Angleterre en prenoi t occasion de lui declarer la guerre, elle se- tt roit juste. Le vendredi matin 1 1 de may, tous ceux qui avoient assiste a la premiere seance se rendirent dans la chambre du parlement; wet d'un consentement nnanime on y ap- wprouva ce qui avoit este dit dans 1'assem- blee qui s'estoit tenue la veille. On lut ensuite la response que Ton estoit convenu de faire au memoire qui avoit este donne en Angleterre a ceux que le roi y avoit envoyez. Cette response fut ap- wprouvee par toute 1'assemblee, et il fut or- donne qu'elle seroit envoyee au conseil du roi d'Angleterre. DE FRANCE. CHAP. XX. 3 1 3 GHAPITRE XX. Suite des e'tats-generaux de i36g, et de Petal de la France jusqu'aux etats-generaux de i38i. Charles V etoit si sur que la nation secon- deroit ses g^nereux desseins centre 1' Angle - terre, que, lorsqu'il convoqua les etats-ge- neraux, dont je viens d'exposer les details, les mesures les plus propres a assurer le suc- ces d'uiie nouvelle guerre etoient deja prises; et la campagne ne tarda pas a s'ouvrir. Deux armees sous le commandement des dues de Berri et d'Anjou, freres du roi, en- trerent Tune dans 1'Anjou et 1'autre dans le Languedoc. La noblesse de ces deux pro- vinces se joignit aux princes ; mais les troupes angloises stationne'es dansle royaume, et des secours qui arriverent promptement d'An- gleterre , soutinrentce premier choc, et pen- dant le cours de cette annee il n'y eut que 3l4 ASSEMBLIES NAT1ONALES des combats partiels et de peu d'irapor- tance. L'annee suivante ( i3yo) la guerre chan- gea de theatre. Charles V eut recours a un genre d'attaque qui , sans compromettre ses forces materielles, devoit beaucoup ajouter a ses forces morales. Le i4 niai iSyo, il fit publier des lettres-patentes dans lesquelles, apres avoir expose qu'un arret de la cour des Pairs, rendu surl'appel deshabitantsde la Guienne, avoit condamne le roi d'Angle- terre comme vassal rebelle et felon, il declare qu'il confisque le duche d'Aquitaine et toutes les autres terres que les princes anglois possedoient avant leur rebellion dans le royaume et sous la superiorite et le ressort de la couronne de France. Les habitants des parties de la France, soumis a la domination angloise , avertis par cette proclamation qu'ils trouveroient dans le roi de France line protection efficace, dissimulerent beaucoup moins leur haine contre les Anglois. Plusieurs eveques de ces provinces que Charles V avoit eu 1'art de DE FRANCE. CHAP. XX. 3 1 5 s'attacher seconderent ces heureuses dispo- sitions, et des insurrections e'claterent sur differents points. Edouard, qui vit dans la conduite de Charles a son e"gard une infraction au traite de Bretigny, reprit le titre de roi des Fran- cois qu'il avoit abdique par ce meme traite, et fit passer en France une nombreuse ar- me dont il donna le commandement au prince de Galles ; Charles V lui opposa DuGuesclin. La victoire incertain centre ces deux grands capitaines passoit alternative- men t d'un camp dans Fautre, personne ne pouvoit prevoir quel seroit le terme de cette malheureuse guerre. Mais une mort pr- maturee enleva le prince de Galles a son armee dont il etoit 1'idole, et cette perte, qui fut bientot suivie de celle d'Edouard III, changea la face des affaires. La fortune s'eloigna des drapeaux de 1'Angleterre, et Charles V auroit de*livre la France des An- glois si, peu de temps apres, une maladie lente occasionee par des chagrins domes- tiques, et peut-etre par le poison, n'avoit 3 1 6 ASSEMBLERS NATIONALES termine sa glorieuse carriere dans un age oil ses peuples pouvoient esperer de le con- server encore long-temps (i). Charles V est le premier des fils de France qui ait port le titre de dauphin. Aucun roi ne prit plus de conseils, et ne se laissa moins gouverner. (i) Bertrand Du Guesclin , conne*table de France, ne en Bretagne en i3i i , mourut au milieu de ses triomphes devant Ghateauneuf-de-Randon en i38o; il a ete en- terre a Saint-Denis. II ne savoit ni lire ni ecrire. Le prince de Galles est mort a Westminster le 8 juin 1876 age de quarante-six ans. II y en avoit vingt qu'il avoit gagne la celebre bataille de Poitiers. Sa mort jeta 1'An- gleterre dans la plus profonde consternation. Edouard III, ne le i3 novembre i3i2, est mort le 21 juin iSyy, age d'environ soixante-cinq ans. On attribue sa mort a Tusage immodere des plaisirs. En effet, deja sexagenaire, il oublia cinquante ans de gloire dans les bras d'Alix Pierce. Gette femme intri- gante et avide porta le scandalesi loin, que la chambre des communes se crut obligee de demander son eloigne- ment. Charles V monta sur le trone en i364, ge de vingt- sept ans. II mourut au chateau de Beaute-sur-Marne, le 16 septembre i38o, apres un regne malheureusement irop court: sa duree ne fut que de seize ans. DE FRANCE. CHAP. XX. II ne parut jamais a la tete de ses armees. // riy eut one roy qui moin s'arma , disent les chroiiiques, et il reprit sur les Anglois pres- que tous les pays que son pere et son aieul , constamment en armes , s'etoient vus forces de leur abandonner. II aimoit les gens de lettres , et se plaisoit a converser avec eux. On ne peut trop re- peter la reponse qu'il fit a Tun de ses courti- sans qui lui paroissoit surpris des egards qu'il temoignoit aux savants. Cette reponse, la voici : Les clercs ou sapience Von ne peut trop honorer, et tant cjue sapience sera honoree en ce royaume , il continuera a prosperite, mais quand deboutee en sera, il decherra. II n'avoit trouve que vingt volumes dans le cabinet du roi Jean ; il en laissa neuf cents a son successeur, nombre prodigieux dans un temps ou l'imprinierie n'etoit pas con- nue. On remarquoit dans cette collection, Ovide, Lucain, et Boece, des traductions en Francois de Tite-Live, Valere-Maxime , la Cite de Dieu, la Bible, etc. C'est cette bibliotheque qui , successivement augmen- tee, forme aujourd'hui la Bibliotheque du Roi, 3l8 ASSEMBLIES NATIONALES la plus nombreuse et la plus riche qui soil peut-etre dans le monde entier. Les dues d'Anjou , de Bourgogne, de Berri, et de Bourbon, les trois premiers freres et le quatrieme beau-frere du roi , s'etoient rendus a la cour quelques heures avant sa mort. II expiroit a peine que le due d'Anjou se fit livrer tous les joyaux de la couronne, et tout le tresor du roi qui etoit conserve dans une des salles du meoie palais, partie en argent monnoye, partie en lingots. II pre- tendit que tous ces objets lui appartenoient en sa qualite de premier prince du sang. Les dues de Bourgogne, de Berri , et de Bourbon, temoins de cet acte de violence, ne voulurent ou n'oserent s'y opposer. Charles V laissoit trois enfants: Char- les VI, son fils aine, ne le 3 decembre i368, et par consequent age de douze ans neuf mois (i); Louis, son second fils, age de (i) Sous le regne de Charles VI les fleurs de lis sont reduites a trois. On peut cependant rapporter au regne de Charles V 1'origine de cette reduction. Abregede FHis- toire de France du president Henault sous Fannee 1 38o. DE FRANCE. CHAP. XX. huit ans et demi , et Catherine age de trois ans. Charles VI n'ayant pas encore atteint sa majorite , ses quatre oncles se diviserent sur la maniere d'executer 1'ordonnance que Charles V venoit de rendre concernant la regence du royaume , la ttitele , et la garde du roi mineur. N'ayant pu se concilier entre eux, ils assemblerent les pairs et les barons qui, partageseux-memes, soumirent le dif- ferent a des arbitres choisis dans leur sein. Apres quelques jours de deliberation ces arbitres defererent an due d'Anjou la r- gence et la presidence du conseil; decla- rerent que les dues de Bourgogne et de Bourbon auroient 1'education du roi avec la surintendance de sa maison, et arreterent que Ton avanceroit Fage auquel le roi auroit du etre sacre. On 1'avanca en effet, et des le 4 novembre le due d'Anjou cessa d'etre regent. Mais le calme , i 322 ASSEMBLIES NATION ALES les determiner a se conformer a 1'intention du roi. Les deputes de la province de Sens furent les seuls qui consentirent a Fetablis- sement d'un impot. On congedia les deputes apres leur avoir donn ordre de se trouver a Meaux le jour qu'on leur marqua, pour y rendre compte de la resolution qu'auroient prise ceux qui les avoient envoyes. Quelques jours apres quelques uns de ces deputes se rendirentaupres du roi, & Meaux et a Pontoise, et ils declarerent qu'on ne pouvoit vaincre 1'opposition generate des peuples au r^tablissement des impots, et qu'ils etoient resolus de se porter aux der- nieres extremit^s pour I'empeclier. On ap- prit meme que les deputes de Sens, qui avoient depass^ leurs pouvoirs, avoient ete desavoues. DE FRANCE. CHAP. XXII. 323 CHAPITRE XXII. CHARLES VII. * Les historians disent qu'il n'y eut qua des e tats particuliers sous le regne cle Charles VII, et je 1'ai dit cornme eux, et d'apres eux, dans la premiere edition de cet ouvrage: cette assertion n'est pas exacte; il paroit certain qu'il y eut aussi des etats-gneraux> A la verite les proces-verbaux n'en sont pas parvenus jusqu'a nous, mais il en reste des traces dans deux ordonnances rendues par ce prince. La premiere concerne une aide imposee pour subvenir aux frais de la guerre ; elle est du 28 fevrier i435. On y lit: Instruc- tions et ordonnances faites et advisees par u le roy nostre seigneur et les seigneurs de v son sang et grand conseil , sur la maniere de lever et gouverner le fait des aides qui souloient avoir cours pour la guerre ; les- 21 . 324 ASSEMBLERS NATIONALES quelz le roy nostre dit seigneur, depuis son partement de Paris , et du consentement des trois etats de son obeissance, a reniis sus le vingt-huitieme jour de fevrier, Fan 1 435. La seconde, donnee a Orleans le 12 no- vembre 14^9, est le celebre edit qui assure aux armees une solde reguliere, et par sui^ duquel furent etablies les compagnies d'hommes d'arme (T). En voioi le pre"am- (i) Apres s'etre procure, par 1'etablissement de la taillc dont il est parle dans cette ordonnance, les fonds suf- fisants pour la solde d'une armee reguliere, Charles VII s'occupa de son organisation. II la composa de quinze compagnies de cent lances; chaque lance ou homme d'armes avoit sous lui trois archers, un ecuyer, et un page, tous a cheval ; ce qui formoit un corps de neuf mille hommes. La paye de chaque homme d'armes etoit de dix livres par mois, celle de Pecuyer de cent sous, celle de 1'archer de quatre francs, et celle du page de soixante sous, Un grand nombre de gentilshommes , et meme de roturiers assez riches pour servira leurs frais, se reunirent a ces compagnies comme volontaires; de maniere que bientot chacune d'elles se trouva monter au moins a douze cents hommes, ce qui forma le plus beau corps de cavalerie et le plus redoutable qu'il y cut en Europe. Les chefs etoient responsables des fautes dc leurs sol- DE FRANCE. CHAP. XXII. 3 25 bule: Pour obvenir et donner remede a faire cesser les grands excez et pilleries u faites et commises par les gens de guerre, (( qui long temps ont v^cu et vivent encore sur' le peuple sans ordre de justice, ainsi que bien au long a est dit et remontre au roy par les gens des trois etats de son royaume , de present estant assemblez en (( cette ville d' Or leans, le roy par 1'avis et de- liberation, etc., a fait, constitue, ordonne et estably , fait et etablit par loy et edit ((general, perpetuel et non revocable, par ((forme de pragmatique sanction , les edits, (( loix , statuts , et ordonnances qui s'ensui- vent (i). dats, et tous en temps de paix et dans les quartiers d'hiver etoient soumis aux juges ordinaires de leur gar- nison. Comme plusieurs cadets de maisons nobles n'a- voient pas pu entrer dans ces compagnies en qualite de surnumerairs, faute de moyens,le roi en forma un corps et leur donna a chacun vingt ecus par mois (1'ecu valoit alors treize sous six deniers) : voila 1'origine de la maison noble du roi. (i) L'article l\i de la meme ordonnance prouve ega- lement que plus d'une fois Charles VII eut recours aux 326 ASSEMBLEES NATJONALES Ces deux ordonnances sont remarqua- bles. Elles prouvent que sous les regnes malheureux de Charles VI et de Charles VII, malgre la guerre et ses fureurs, m'algre" les factions et leurs crimes, la nation s'etoit maintenue dans le droit de s'imposer elle- meme; et que ce droit, s'il ne fut pas tou- jours respecte, fut constamment reconnu. Cette opinion que les impots ne sont legi- times qu'autant qu'ils sont consentis par les contribuables etoit alors si bien DE FRANCE. CHAP. XXII. 827 troy et consenteinent de ceux qui le doi- wvent payer, sinon par tyrannic ou vio- lence. On pourroit respondre qu'il y a des saisons qu'il ne faut pas attendre I'assem- blee , et que la chose seroit trop longue a Kcommencer la guerre et a 1'entreprendre. Je reponds a cela qu'il ne faut point tant haster , et Ton a assez de temps ; et si vous dis que les roys et princes en sont trop plus forts , quand ilscntreprennent quelque af- faire du consentenient de leurs subjets, et en sont plus craints de leurs ennemis ( i). Puisque j'ai parle des eta ts provinciaux, je dirai qu'ils n'etoient pas toujours convo- ques dans la seule vue dobtenir des subsi- des; que souvent ils avoient lieu pour sub- venir a des besoins locaux, ou pour corriger des abus proteges par des homines si nom- breux et si forts que leur extirpation exi- geoit le concours des trois ordres de la pro- vince. En voici un exemple qui appartient au regne de Charles VII. (i) Memoire de Cotntnines, 1. V, c. xix. 328 ASSEMBLEES NATIONALES Ge prince, informe que les seigneurs dont les terres bordoient la Loire et ses af- fluents entravoient la navigation et rui- noient le commerce par des plages exces- sifs et des vexations de toute espece, y pourvut par une ordonnaiice du*i5 mars i43o, dans laquelle nous lisons: Veulant donner et mettre provision a ce, comme tenus y sommes, et afin que le faict de mar- chandises qui est necessaire pour le bien de nos sujets se puisse conduire et entre- teniret remettre sur, et que iceux mar- chandsetleursmarchandises soient etpuis- sent estre gardez etpreservez d'oppressions et vexations indues, tant par la deliberation et adviSy etc., des gens de nostre grandconseil y et des trois etats des pays a nous obeissans environ ladite riviere de Loire , assemble?, a baoitre : 342 ASSEMBLIES NATIONALES (( Cependant les etats ne vonlurent pas se separer sans avoir fait quelques remori- trances dans 1'interet du pauvre people. Us se plaignirent des desordres des gens de guerre, de la facon dont la justice etoit rendue , et de la mauvaise administration des finances. Le roi repondit que les sedi- u tions excitees par ses ennemis etoient la cause de ces desordres; qu'il vouloit tra- vailler a les corriger, et que, pour cela, il convenoit que les etats fissent choix de plusieurs sages personnes , afin de tra- c vailler a la reforme. Cettereponseexcitade ((grandes protestations de reconnoissance, ((de zele et de fidelite. Cliacun, dans cette assemblee , celebroit a 1'envi les louanges du roi, et, pour mieux montrer la con- fiance qu'on mettoit en lui, les deputes des etats choisirent des commissaires qui ne pouvoient songer a contredire ses vo- lontes. G'etoit le cardinal Balue, les comtes d'Eu et de Dunois, le patriarche de Jeru- usalem, 1'archeveque de Reims, leseveques de Langres et de Paris, le sire de Torcy, grand-maitredesarbaletriers, un des gens DE FRANCE. CHAP. XXIII. 343 u du roi de Sicile, un depute de chacuiie des uvilles de Paris, Rouen, Bordeaux, Lyon, Tournai, Toulouse, et des senechaussees de Carcassonne, Beaucaire et Basse-J\or- man die. 344 ASSEMBLIES NATIONALES CHAPITRE XXIV. Mort de Louis XI. Difficulte's concernant la regence. Convocation des etats-ge'neraux. Arrive a cette heure supreme ou les rois restent seuls avec la verite (i), Louis XI jette des regards inquiets et douloureux sur cette belle France qui lui echappe pour ja- mais; et ce prince dont il n'y a qu'un instant le nom seul glacoit d'effroi la nation entiere eprouve a son tour le meme sentiment. II craint que les haines accumulees sur sa tete ne retombent sur celle deson fils; etcomme ce fils n'avoit alors que treize ans, il craint encore les debats qui ne manqueront pas de s'elever entre les pretendants a la regence. Ces pretendants ^toient au nombre de trois: Charlotte de Savoie, mere du jeune (i) Louis XI rnourut le i4 aout i/|83, age de soixante ans et deux niois. DE FRANCE. CHAP. XXIV. 345 prince, qui avoit en sa faveur Pexemple de Blanche de Gastille, regente du royaume pendant la minorite de Louis IX; Louis d'Orleans naturellement appele a exercer lesdroitsdelacouronne,puisque, en sa qua- lite de premier prince du sang, il etoit le plus interesse a les defendre; enfin le due de Bourbon plus eloigne du trone que Louis d'Orleans, mais qu'il croyoit pouvoir ecarter par le motif que, n'ayant encore que vingt- trois ans , la loi le declaroit incapable d'ad- ministrer ses propres affaires. Louis XI, qui avoit prevu ces difficultes, s'^toit flatte de les ecarter en disposant lui- meme de la regence; et par une disposition de son testament, donnant 1'exclusion a la reine qu'il n'aimoit pas, au due d'Orleans qu'il redoutoit, au due de Bourbon que la goutte retenoit-dans son lit pendant la ma- jeure partiedel'annee, il avoit confere la tu- tele de son fils et 1'administration du royaume a sa fille ainee, Anne de France, femme de Pierre de Bourbon sire de Beaujeu. Cette princesse etoit douee des plus rares qualites. Les historiens lui accordent un 346 ASSEMBLIES NATIONALES genie profond, une ame forte, toutes les graces de son sexe et les vertus qui font les grands homines. Ce beau caractere etoit sans doute un titre a la consideration, mais ne doiinoit pas droit a la regence : et la volonte du roi , toute-puissante pendant sa vie, n'etoit plus apres sa niort qu'un simple conseil. La dame de Beaujeu raisonna differemment; et sur la foi du testament de son pere, elle se saisit du pouvoir. La maniere dont elle en usa montra qu'elle en etoit digne. Le premier acte de son autorite fut de rendre les exiles a leur patrie, et a la liberte une foule de malheureux jetes dans les cachots sans forme de proces, et le plus souvent sur de simples soupcons. Elle fit, inieux encore, elle fit pendre les deux prin- cipaux agents des cruautes de son pere, Olivier le Daim et Jean Doyac. Le peuple etoit ecrase sous le poids des impots, elle commenca par lui faire la remise du dernier quartier de 1'anuee couraiite; portant plus loin sa sollicitude, ellediminua les depenses de la cour, et congedia six mille Suisses qui DE FRANCE. CHAP. XXIV. etoient au service de France. Louis XI avoit prodigue les domaines de 1'etat a ses favoris; et sa main, de fer pour les pretres, s'etoit ouverte en faveur des eglises avec une li- beralite que son aveugle superstition pent seule expliquer. Toutes ces alienations f'u- rent revoquees. La raort de la reine mere avoit suivi de pres celle du roi, et la dame de Beaujeu n'avoit plus que deux concurrents ; elle essaya d'obtenir leur desistement en les com- blant d'honneurs. Elle confera au due d'Or- leans le (jouvernement de Paris, de Flle- de-France, de Champagne et de Brie, avec le droit d'assister a tous les conseils; et au due de Bourbon, la charge de connetable et de lieutenant-general du rovaume quil desiroit ardemment. Les deux princes accepterent ces bon- neurs, et conserverent leurs pretentions. La dame de Beaujeu continua de defendre les siennes. Lestrois pretendants comprirent enfin que la nation represeiitee par scs de- putes pouvoit seule mettre fin a leurs debats : et les etats-generaux furent convoques. 348 ASSEMBLIES NATIONALES CHAPITRE XXV. fitats-generaux tenus a Tours en i483. Le 1 4 Janvier le roi se rendit a Tours, et Je leiidemain les etats s'ouvrirent. Dans une vaste salle de 1'eveche 011 avoit eleve une estrade; au milieu ^toit place un trone cou- vert d'un tapis de soie parseme de fleurs de lis ; a main droite et a six pieds de distance du trone etoit un fauteuil convert d'un tapis pour le due de Bourbon, connetable de France , a gauche , et un peu plus has , un autre fauteuil pour le chancelier Guil- laume de Rochefort; derriere le fauteuil du connetable on avoit mis un bane sur lequel toient assis les cardinaux de Lyon et de Tours, les six pairs ecclesiastiques et le comte de Vendome , de Tautre cote et plus pres du trone, un autre bane etoit occupe par les dues d'Orleans et d'Alencon , les corntes d'Angouleme, de Beaujeu, et de DE FRANCE. CHAP. XXV. Bresse; dans le parquet inferieur siegeoieiit les eveques et les barons: au centre etoient les greffiers ou secretaires des etats. Voici Fordre dans lequel les deputes furent ap- peles: i les deputes de Paris; 2 les deputes de Bourgogne, premiere pairie de France; 3de Normandie; 4 du duche de Guienne; 5 du comte de Champagne; 6 du comte de Toulouse; 7 du comte deFlandre. Apres les deputes des six anciennes pairies, on ap- pela ceux des senechaussees et des bailliages, en observant pour les rangs la date de leur reunion a la couronne. Get appel termine, et chaque depute ayant pris la place qui lui etoit assignee, le chancelier, apres s'etre profondement in- cline vers le roi, adressa a Tassemblee un tres beau discours dont je vais transcrire quelques passages. MESSEIGNEUES DES fiTATS. . Deux objets importants occtipent priii- cipalement le roi : la legislation , et la re*- forme du clerge. Quant au premier, il a 35o ASSEMBLERS NATION ALES fait rechercher les ordonnances du glo- u rieux roi Charles VII, afin de les mettre u en vigue'ur; par rapport a la reforme du clerge, il a cru que, sans manquer an res- pect dont il est penetre pour les decisions ((del'Eglise, il pouvoit, comme chef de Fe- stal, prendre connoissance de ce qui con- cerne la discipline et les moeurs (( Le roi exige de vous que vous lui decou- vriez tous les abus qui peuvent etre echap- pes a sa connoissance, et que vous ne lui de^uisiez aucun des maux qui affligent le upeuple; ne craignez pas que vos plaintes usoient importunes, le roi aura egard a vos remontrances ; et vous , princes qui m'e- coutez, je vous supplie et vous adjure au unom de la patrie, notre mere commune, d'oublier tout esprit de parti , et de laisser aux deputes une pleine et entiere liberte. all est question, et c'est encore un des motifs de cette assemblee, de former au roi un conseil qui puisse le seconder dans (de dessein qu'il a forme de maintenir le royaume en paix , d'y retablir la police, et (( d'y faire fleurir la justice et le commerce : DE FRANCE. CHAP. XXV. 35 I ce conseil doit etre compose d'hommes a u qui 1'experience du passe ait appris a. pre- u voir I'avenir, qui aient un caractere propre a concilier au roi 1'amour de ses sujets, 1'estime et la confiance de ses voisins, qui connoissent la constitution de Tetat, et qui, sur le modele eternel du ciel, fassent mouvoir tous les ressorts du corps politi- ctque sans embarras et sans confusion. Si (des voeux du roi sont remplis, la justice siegera sur le trone, et dictera des lois. uCelui qui offensera la justice offensera le roi; et quiconque voudra prouver qu'il (( aime le roi commencera par observer la ((justice. ' Apres que le chancelier eut cesse de par- ler, Jean de Rely, docteur de Sorbonne, et chanoine de 1'eglise de Paris , prit la parole au nom des trois ordres, et prononca un dis- cours qui ne dut pas moins etonner par son erudition que fatiguer par sa longueur, mais d'ailleurs remarquable et par Finde- pendance des opinions et par la sagesse des vues qu'il renferme. J'en transcris quelques fragments : 352 ASSEMBLERS NATION ALES (( Sire, doncques, s'il vous plait, en pour- voyant a tout ce qui sera advise, delibe're, et consulte , vous aurez devant les yeux la crainte de Dieu et le bien de son peuple, c'est-a-dire, Sire, que la puissance des roys de la terre, et tous les royauraes du monde, soiit en la main de Dieu , le sou- verain Seigneur, et qu'ils en jouissent sous ctsa main, et non pas a toujours, mais tant et si peu qu'il lui plaira j et qu'ils rendront compte tres exact de tout ce qu'ils auront fait Sire, les flatteurs vous disent que tout va bien, et que le peuple n'a charge qu'il ne porte bien , et que encore la porteroit-il u plus grande. Et le pauvre peuple, qui meurt de faim et de mal-aise en 1'amer- tume de son ame, crie a Dieu vengeance.... II n'est nul doute que 1'Eglise n'ait este u instituee de Jesus-Christ pour interceder et moyenner envers Dieu pour le peuple, pour edifier, enseigner, et tirer a Dieu le peuple par sainte doctrine et bon exemple. A quoy tres pen fait la grande sumptuosite des grands Edifices, la beaute des pierres DE FRANCE. CHAP. XXV. 353 et des niarbres, Tor et Fargent des calices et des lampes, la richesse des chappes et parements d'autels, de draps d'or de ve- lours et de soye, sans election de 1'idoneyte des nainistres. Plus plaisoit a Dieu la vie et la doctrine de saint Martin, qui fut eslu par le clerge de Tours ;*la vie et la doctrine de ceux a qui il conferoit les benefices sans aller a Rome; plus ornoit FEglise, et plus u faisoit pour le bien du roi et du royaume, que tout ce qu'on y a adjouste depuis. L'attention des etats-generaux se fixa par- ticulierement sur trois objets: I'administra- tion du royaume pendant la minoriteduroi; la maniere de pourvoir aux offices de judi- cature; les moyens de diminuer les impots. Les deputes se diviserent sur le premier de ces trois points : les uns pretendoient que les princes et les grands avoient seuls le droit de disposer de la regence, et de regler la forme du gouvernement pendant la mi- norite des rois ; les autres soutenoient que ce droit appartenoit exclusivement aux e*tats- generaux. Philippe Pot, seigneur de la Ro- che, depute de la noblesse de Bourgogne, 23 354 ASSEMBLIES NATIONALES se prononca pour la seconde opinion , clans un discours fort remarquable, sur-tout par le passage suivant : Lorsque les hoinmes commencerent a former des societes. ils elurent pour mai- tres ceux de leurs egaux qu'ils regard erent comme les plus eclaires et les plus inte- gres ; en un mot ceux qui par leurs qualites personnelles pouvoient procurer de plus grands avantages a la societe naissante. Geux qui apres leur election ne songerent (( qu'a s'enrichir aux depens de leurs sujets u ne furent point regardes comme de verita- bles pasteurs, mais comme des loups ra- u vissants-, et ceux qui, sans attendre Telec- ((tioii, s'emparerent de 1'autorite supreme , ne furent point reputes des rois , mais des tyrans. II importe extremement au peuple quel est celui qui le gouverne, puisque du caractere de ce seul homme depend le bonheur ou le malheur de toute la societe. Appliquons maintenant ces principes ge- uneraux: s'il s'eleve quelque contestation par rapport a la succession au trone on a DE FRANCE. CHAP. XXV. 355 <( la regence , a qui appartient-il cle la deci- der, sinon a ce raeme peuple qui a d'abord elu ses rois, qui leur a confer^ toute 1'au- utorite dont ils se trouvent revetus, et en qui reside foncierement la souveraine puissance? Car un etat ou un gouverne- nient quelconque est la chose publique est la chose du peuple; quand je dis le peuple, j'entends parler de la collection ou de la tolalite des citoyens, et dans cette totalite sont compris les princes du sang eux-memes, comme chefs de la noblesse. Vous done , qui etes les representants du (t peuple, et obliges par serment de defendre ses droits, pourriez-vous encore douter a que ce ne soit a vous de regler 1'adminis- tration et la forme du conseil ? Qui peut maintenant vous arreter ? Le chancelier ne vous a-t-il pas declare que le roi et les ^princes attendent de vous ce reglement? On m'objecte qu'immediatement apres la inort du dernier roi, et, sans attendre notre consentement , on a pourvu a Fadministra- ution,et dresse un conseil, et quainsi nos 356 ASSEMBLERS NATION ALES soins seroient desormais tardifs et super- it flus. Je reponds que 1'etat, ne pouvant se passer d'administrateurs, il a ete neces- saire d'en nommer sur-le-champ , pour vaquer aux affaires les plus urgentes ; mais que ce choix et tous les autres reglements qui ont ete faits depuis la inort du roi ne sont que des reglements provisoires, et qu'ils n'auront d'autorite qti'autant que vous les aurez confirmes. Ces assemblies d'^tats, et le pouvoir que je leur donne, ne sont point une nouveaute, et ne peuvent etre ignores par ceux qui ont lu Fhistoire. Lorsqu'apres la mort de Philippe-le-Long il s'eleva une dispute entre Philippe de Va- lois et Edouard , roi d'Angleterre , par rap- port a la succession a la couronne, les deux contendants se soumirent, comme ils le devoient, a la decision des etats-generaux, qui prononcerent en faveur de Philippe. Or, si dans cette occasion les etats ont pu l^gitiniement disposer de la couronne , wcomment leur contesteroit-on le droit de pourvoir a 1'administration et a la regence? DE FRANCE. CHAP. XXV. Sous le roi Jean , et lorsque ce prince va- leureux, raais imprudent, fut emmene' pri- sonnier en Angleterre, les etats assembles ne confierent pas 1'administration a son u fils, quoiqu'il eut alors vingt ans accom- plis; ce ne fut que deux ans plus tard que ces memes etats , assembles pour la seconde fois, lui defererent le litre et 1'autorite de regent. Enfin , lorsque le roi Charles VI parvint a la couronne, age seulement de douze ans, ce furent aussi les e'tats-ge'ne'- raux qui, pendant le temps de sa minorite*, pourvurent a la regence et au gouverne- (( ment. C'estun fait dont il reste aujourd'hui des temoins. Apres des autorites si posi- tives, douterez-Yous encore de vos droits? et puisque, par la forme de votre serment, vous etes ici assembles pourfaire et conseil- u ler ce qtie, selon Dieu et votre conscience, vous jugerez de plus utile a Vetat, pouvez- vous negliger le point fondamental de tons vos reglements? car si Ton n'observe rien de tout ce qu'on va vous promettre, a qui adresserez-vous vos plaintes? Farticle du 358 ASSEMBLIES IS ATI ON A LES conseil une fois omis, je ne vois pas a quoi bon vous vous donnerez taut de peines sur tout le reste(i). Ce discours entraina I'assemblee, qui prit la resolution suivante : Le roi etant dans sa quatorzieme annee, et montrant une sagesse, une prudence et une discretion au-dessus de son age, expe- ct diera lui-meme toutes lettres -paten tes, reglements et ordonnances, d'apres les de- liberations de son conseil. II ordonnera tout en son nom , et personne que lui n'aura le pouvoir de faire aucune ordon- v nance en quelque genre que ce soit. Les etats supplient le roi de presider lui-meme son conseil le plus souvent qu'il lui sera u possible , afin qu'il puisse se former de bonne heure aux affaires, et apprendre a bieh gouverner. En 1'absence du roi, le due d'Orleans, premier prince du sang, (i) Ce discours est extrait d'un ancien manuscrit que Ton conserve a la Bibliotheque du roi : je le rapporte lei qu'il est consigne dans VHistoire dc France de 1'abbe Gar- nier. On voit bien que le style en est rajeuni. DE FRANCE. CHAP. XXV. presidera le conseil, et conclura a la plu- ralite des voix; apres le due d'Orleans, et en son absence, le due de Bourbon, con- netable de France. Enfin le sire de Beaujeu, qui a deja reiidu des services si importants a 1'etat, u aura la troisieme place, et presidera en Tabsence des dues d'Orleans et de Bour- bon. Les autres princes du sang auront stance et voix deliberative dans le conseil, sui- vant 1'ordre de leur naissance. u Et d'autant que les affaires, dont le con- seil doit prendre connoissance , sont en grand nombre, et qu'il est utile que le con- (( sell soit toujours rempli d'hommes intelli- gents et laborieux, les etats pensent qu'il seroit a propos que Ton tirat des douze gou- vernements douze personnes recomman- dables par leur probite et leurs lumieres , (( et qu'on les associat aux anciens conseil- w lers d'etat j ils laissent le choix de ces douze iiouveaux conseillers au roi et aux princes. Enfiii les etats considerant avec quelle prudence le roi a ete jusqu'ici eleve et 36o ASSEMBLERS NATIONALES unourri, souhaitent qu'il ait toujours au- pres de sa personne des gens sages, eclai- u res, et vertueux, qui continuent de veiiler usur sa sante, et de lui inspirer des prin- cipes de moderation et de vertu. Quelques jours apres, le roi se rendit aux elats; et le chancelier, portant la parole, leur dit: Le roi est content de votre conduite; il loue votre zele pour le bien public, et ad- niire 1'ordre et la clarte que vous avez re- pandus sur des matieres si difficiles ; mais comme la plupart de ces matieres exigent uencore quelques discussions, il ne repond aujourd'hui qu'a 1'article du conseil. Le roi adopte sans restriction tout ce que vous avez regie a cet gard ( i ). (i) La minoritede Charles VIII etoit la sixieme depuis Hugues Capet. Philippe I", Philippe-Auguste, Louis IX, Jean fils de Louis Hutin, et Charles VI avoient suc- cede a la couronne avant d'avoir atteint leur niajorite. Chacune de ces minorites avoit donne lieu a une re- gence, et cependant Ton se demandoit encore comment et par qui le regent devoit etre nomme; si, a defaut de dispositions du pere, la regence appartenoit de droit a DE FRANCE. CHAP. XXV. 36 1 Apr&s s'tre occupes du conseil , les etats- (jeneraux porterent leurs sollicitudes sur la la mere du roi mineur ou au premier prince du sang royal; enfin , si, dans le cas ou la reine auroit la re- gence, elle ne devoit pas en partager 1'exercice avec un conseil compose des princes et des grands du royaume. Les exemples que 1'on avoit sous les yeux n'e'toient ni assez nombreux ni assez uniformes pour former un pre- cedent. Au surplus je vais les exposer. Philippe I", quatrieme roi de la troisieme race, n'avoit que huit ans lorsqu'il monta sur le trone. Baudouin, comte de Flaiidre, eut la regence du royaume en vertu d'une disposition du dernier roi , et a 1'exclusion de la reine-mere qui vivoit encore. Philippe-Auguste , roi a quinze ans, eut pour tuteur le comte de Flandre. La reine sa mere ne prit aucune part a I'administration du royaume : on ne voit pas meme qu'elle ait eleve la plus le'gere reclamation a cet egard. Louis IX succe'da a la couronne n'etant age que de onze ans et six mois. Sur le temoignage de quelques seigneurs de la cour, qui declarerent que, dans ses der- niers moments, Louis VIII avoit manifeste le desir que I'autorite re'sidat dans les mains de sa veuve pendant la minorite de son fils, Blanche de Castille se constitua tu- trice du roi mineur, et regente du royaume. L'autorite royale, ainsi placee dans des mains que la loi fondamentale du royaume declaroit inhabiles ti por- ter le sceptre, pa rut, a la plupart des grands, une nou- 362 ASSEMBLIES NATIONALES maniere de pourvoir aux offices de judica- ture. veaute si choquante, qu'ils formerent centre la re'gente une ligue qu'elle cut beaucoup de peine a dissiper. Les mal-contents , dit Me'zerai dans son Histoire du regne de saint Lows , ne pouvoient digerer que le gouvernement fust entre les mains de deux e'trangers , une femme espagnole et un cardinal italien ; Us re- u prennent done les armes, attirent a eux Robert, comte de Dreux, frere aisne du due Breton, et Philippe, comte de Boulogne , oncle paternel du roi , auquel ils u promettoient la couronne : tellement qu'une seconde fois le roi pensa estre enveloppe par cette conspiration, et eust este' surpris si le comte de Champagne ne fust accouru fort a propos avec trois cents chevaliers pour le degager. Au printemps les conspirez tournerent tous leurs efforts centre le comte de Champagne et de Brie : ils lui demandoient ces comtez pour Alix, reyne de Chy- pre, fille de Henry son oncle; et outre cela 1'appeloient traistre, et 1'accusoient d'avoir empoisonne le de'funt roy, offrant de Ten convaincre par le duel, reproche (i qui le noircit tellement aupres de ses vassaux , qu'ils se lignerent centre lui avec ses ennemis. Le comte, se voyant un si pesant fardeau sur les a bras, et sa ville de Troyes assie'gee, implore 1'ayde de la rege'nte, qui fait marcher le roy a son secours, et leur commande, s'ils avoient quelque chose a dire DE FRANCE. CHAP. XXV. 363 Pleins de cette verit, que les bons juge- ments dependent encore plus des bons juges (icontre le comte, qu'ils eussent a venir demander jus- it tice en sa cour. Mais eux, qui ne vouloient point reconnoistre sa re'gence, comme si le royaume eust este vacant, eslu- rent roy, dans une assemble'e secrete, le seigneur de "Coucy, qui estoit en grande reputation de sagesse et de justice. La regente en ayant eu avis le fit aussitost savoir a Philippe, comte de Boulogne, a qui ils avoient fait esperer la royaute: par ce moyen elle le destacha d'avec eux, puis avec diverses adresses aneantit tous leurs desseins , non pas toutefois leurs mauvaises in- tentions. Louis Hutin, qui mourut a Vincennes le 5 juin i3i6, apres un regne de dix-neuf mois, laissoit une fille de sa premiere femme, et sa seconde, Clemence de Hongrie, grosse de cinq a six mois. Philippe-le-Long, qui e'toit a Lyon, ne fut pas plus tot instruit de cet evenement qu'il se rendit a Paris. Trouvant le palais du roi vacant, par- ceque la reine etoit encore a Vincennes, il s'y etablit, etse saisitdes renes du gouvernement. Quelques jours apres, la reine lui ayant notifie sa grossesse, il assembla les pairs et les barons afin de prendre avec eux les mesures que les circonstances exigeoient, et dans cette me'morable assemblee il fut arrete que Philippe seroit gouverneur du royaume, qu'il en percevroit tous les revenus, et qu'il fourniroit a la reine le necessaire ; que si elle accou- 364 ASSEMBLERS NATIONALES que des bonnes lois, ils traduisent le roi au tribunal de sa conscience, lui representent que toutes les injustices que pourroientcom- mettre des juges nial choisis retomberoient sur sa tete, et lui indiquent un moyen, le seul peut-etre, de bien remplir les devoirs que la royaute lui impose a cet egard. Voici comme ils s'expriment : choitd'un fils, Philippe retiendroit la garde du royaume jusqu'a sa majorite; qu'il administreroit la guerre et les autres affaires, et qu'il assigneroit vingt mille livres de revenu a la reine, dont quatre mille lui resteroient en heritage; que si au contraire il naissoit une fille, Phi- lippe seroit des-lors reconnu par tous comme roi, et il pourvoiroit au sort de la jeune fille, selon que le droit et la coutume le requierent. Charles V mourut en i38o, laissant la couronne a Charles VI encore mineur, et sans avoir dispose de la regence. Cette regence divisa les oncles du jeune roi. Le due d'Anjou s'en saisit en sa qualite de premier prince du sang. Les dues de Bourgogne, de Berri, et de Bourbon , se fondant sur certaines dispositions verbales, attribue'es a Charles V, pretendoient en partager 1'exercice. Une assemblee de notables, convoquee a 1'effet de concilier ces grands inte'rets, se trouvant elle-meme divisee, sou- mit 1'affaire a des commissaires, qui, apres quatre jours DE FKANCE. CHAP. XXV. 365 uComme un roi ne peut suffire seul a rendre la justice a tous ses sujets, il a etc necessaire qu'il se fit remplacer par un grand nombre d'officiers subordonnes les uuns aux autres, et repandus dans toutes les provinces de la monarchic; mais il doit bien prendre garde a quelles mains il ((confie ce precieux d^pot, autrement il est de deliberation, lui en firent le rapport, sur lequel il fut resolu que Ton abregeroit le temps de la majorite du roi, dont le couronnement et le sacre se feroient a la fin du mois; que le due d'Anjou prendroit le titre de re'gent; qu'en cette qualite il feroit emanciper le jeune prince avant le sacre, et que des-lors le royaume seroit gou- verne, au noni du roi, par les conseils et avis de nos sei- gneurs ses oncles. Enfin une ordonnance du meme roi Charles VI, pu- bliee le 26 decembre i47) porte que la garde, nourri- ture, et affaires des rois mineurs de quatorze ans seront et demeureront entre les mains des reines leurs meres , si elles sont vivantes, et des plus prochains du lignage et du sang royal de France, qui lors seront assistes du connetable, du chancelier, et des sages hommes du con- seil du roi defunt. M. de Boulainvilliers, dans sa neuvieme lettre sur les parlements de France, dit: On voit bien que cette loi fut faile pour favoriser la reine Isabelle. 366 ASSEMBLIES NATIONALES (( responsabie devant Dieu et devant les u hommes de toutes les injustices qui se commettent en son nom : c'est pour cette uraison que nos plus grands rois, tels que saint Louis, Philippe-le-Bel, Charles V, vet le glorieux Charles VII, considerant qu'ils ne pouvoient avoir par eux-memes (i une connoissance assez exacte de leurs su- it jets, pour n'etre pas souvent exposes a se dtromper dans le choix qu'ils en feroient, uavoient ordonne que toutes les fois qu'il vaqueroit une place de judicature, le tri- bunal ou elle vaqueroit eliroit, a la plura- lite des voix , les trois hommes qu'il croi- roit le plus capables de la bien remplir, et les presenteroit au roi, qui confereroit la place a un des trois: par ce rnoyen la con- ic science du roi etoit dechargee, et les pla- ces etoient toujours bien remplies. Mais depuis la mort de Charles, ce bel ordre a ete entierement perverti , et Ton a (( fait un trafic honteux de tous les emplois : souvent on donnoit a des facteurs les pro- visions d'un office avec le nom en blanc, pour y inscrire celui qui offriroit une plus DE FRANCE. CHAP. XXV. 867 (f grosse somrae de deniers. Par-la les places ont te avilies ; la porte a ete ouverte a la ((corruption, et 1'exercice de la justice est devenu un brigandage. Sous Charles VII les tailles montoient a 1,200,000 livres; pendant le regne de Louis XI elles furent successivement ele- v^es jusqu'a 4 millions. Les etats-generaux reduisirent cet impot a son ancienne quo- tite, c'est-a-dire a 1,200,000 livres; et at- tendu le rencherissement des denrees et le changement dans la valeur des monnoies, ils ajouterent a cette somnie celle de 3oo,ooo livres. Voici les termes de Tarrete qu'ils pri- rent a cet egard. Pour subvenir aux frais de Fadministra- tion , et assurer la tranquillite du royaume, (des gens des trois etats accordent au roi, (deur souverain seigneur, par maniere de don et octroi, et non autrement, et sans ((qu'on puisse Fappeler dorenavant taille, mais don et octroi, telle et seniblable ((somme qui, du temps de Charles VII, etoit levee sur le royaume, et ce pour deux ans tant seulement, et non plus, a condi- 368 ASSEMBLIES NATIONALES (( tion que cette somme sera repartie egale- ment sur tontes les provinces qui compo- sent actuellement la monarchic. Les e*tats travailloient a la redaction de leurscahiers, et 1'assemblee etoit surle point de se separer, lorsque des debats fort serieux s'eleverent entrel'ordreduclerge et celuidu tiers. L'abbe Garnier, dans son histoire du regne de Charles VIII , rapporte les details de cette affaire tels qu'ils sont consignes dans un manuscrit que Ton conserve a la Bibliotheque du roi, et dont il n'a fait que rajeunir le style. Ces details, les voici: II s'agissoit de la Pragmatique de Char- les VII, recemment abolie par Louis XI: tous les grands corps de 1'etat en vouloient le retablissement, et le tiers en avoit coiisi- gne le voeu dans ses cahiers (i). Les eveques (i) Cette ordoiinance celebre avoit e'te faitea 1'occasion du schisme qui etoit entre le concile de Bale et le pape Eugene IV : le concile avoit etc indique par Martin V ; Eugene, son successeur, qui savoit qu'un concile pou- voit etre utile a 1'Eglise, mais qu'il etoit toujours con- traire a 1'autorite des papes, cherchoit a 1'eluder par DE FRANCE. CHAP. XXV. 36g de Fassemblee s'y etoient opposes, et, voyant que Ton refasoit de faire droit sur leur oppo- sition, ils avoient presente au roi une tres longue requete dans laquelle ils ^tablissoient qu'etant les principaux membres , ou plutot les chefs de 1'Eglise gallicane, ils avoient des retardements, et voulut le transferer a Bologne, et ensuite a Ferrare. Les peres du concile, au lieu d'acquies- cer a la bulle d'Eugene, le citerent a comparoitre, et le menacerent de le deposer s'il n'obeissoit pas. Le pape , irrite de cette menace, excommunia le concile, qui de son cote deposa Eugene, et nomma a sa place Ame- dee VIII, due de Savoie, sous le nom de Felix V. Charles VII, apres avoir cherche inutilement a conci- lier le concile et le pape , craignit que le schisme ne se repandit en France. II convoqua en i438 une assemblee a Bourges, oil se trouverent le dauphin, les princes du sang, tous les grands, et les prelats du royaume: le concile y envoya des ambassadeurs , qui pre'senterent a 1'assemblee les canons qui venoient d'etre faits a Bale. Le roi les fit examiner avec soin, et, apres avoir pris les avis de tous les ecclesiastiques et laiques , qui declare- rent qu'ils etoient propres a retablir une bonne discipline dans 1'Eglise, il fit une ordonnance de tous ces decrets, sous le nom de Pragmatic/tie sanction, et la fit publier et enregistrer en parlement, pour etre observee dans tout le royaume. 24 3yO ASSEMBLIES NATION ALES seuls le droit de proposer des reglements par rapport a la discipline ecclesiastique ; que toutes les fois qu'il plairoit au roi de changer quelque chose a Ford re etabli, il devoit pre'alablement convoquer le corps entier des eveques , ce qui ne s'^toit point fait dans cette assemblee des etats, ou ils n'e*toient qu'en petit nombre : ils declaroient Le premier article contient deux canons , par lesquels le concile declare que tout concile general represente 1'Eglise universelle , et qu'il a une autorite spirituelle a laquelle celle du pape meme est soumise. Le second article contient le decret du concile tou- chant les elections : la nomination aux eveches, et autres benefices, est otee aux papes, qui 1'avoient usurpee. II est ordonne que chaque eglise elira son eveque , chaque monastere son abbe ou prieur, et ainsi des autres. Le troisieme article abolit 1'abus des reservations et des graces expectatives. Les papes, afin de prevenir les elec- tions, nommoient aux benefices avant qu'ils fussent va- cants: ces nominations s'appeloient graces expectatives, Si le pape n'avoit pas pris cette precaution avant la mort du titulaire, il de'claroit qu'il s'etoit reserve depuis long- temps la nomination a ce benefice: cet abus, qu'on nommoit reservation, privoit du droit d'election ou de nomination ceux a qui il appartenoit le'gitimement. DUCLOS, Histoire de Louis XI , tome I, DK FRANCE. CHAP. XXV. 3} I que pour le bien de lapaix et 1'utilite publi- que, ils consentoient et approuvoient tous les articles coiitenus dans les cahiers , a 1'ex- ception de ceux qui regardoient la discipline de 1'Eglise; mais qu'ayant ete temoins de la maniere peu respectueuse dont on s'enon- coit a Fegard du saint siege, et des efforts que Ton faisoit pour le retablissement dela Pragmatique , ils se croyoient obliges, en vertu du serment d'obeissance qu'ils avoient prete au souverain pontife , de s'opposer de toutes leurs forces a de pareils reglements , et qu'ils emploieroient toute leur autorite pour le combattre. Cette requete, ayant ete^ comniuniquee aux etats, excita une indignation g^nerale: on se d^chaina contre la conduite des oppo- sants, et on trouva leurs pretentions nou- velles et abusives. On ajouta que ceux qui com posoien t Jes etats sedisoient, ainsi que leseveques, enfants de TEglise, et faisoient profession d'etre soumis au saint siege, mais qu'ils ne croyoient point deroger a 1'obeis- sance filiale en adoptant une constitution fondee sur Fautorite des conciles, approuvee 24. 372 ASSEMBLIES NATION ALES par les etats-generaux du royaume, et adop- tee par un grand nombre de prelats, qui, pour ne rien dire de trop, valoient bien ceux qui la rejetoient avec tant de mepris. Quel- ques deputes, plus emportes que les autres, ajoutoient que les prelats ne se inontroient si opposes a la Pragmatique , que parceque leur nomination avoit ete contraire a ses decrets: ils disoient qu'on ne devoit point les nommer les eveques de 1'Eglise gallicane, mais les eveques du roi Louis XI, et qu'il paroissoit assez qu'ils visoient au chapeau rouge. Geci s'etoit passe dans 1'assemblee des etats : la dispute se renouvela avec aigreur dans la maison du cardinal de Bourbon , et elle auroit ete poussee plus loin , si le procu- reur-general , qui avoit eu ordre d'assister a cette conference, n'eut interpose son auto- rite', et oblige les esprits les plus echauffes a garder le silence. II declara qu'etant le pro- cureur du roi et du royaume, il etoit auto- rise^ a prendre connoissance de tout ce qui avoit rapport a la tranquillite ou a la pros- prit de 1'^tat ; que la Pragmatique sanction DE FRANCE. CHAP. XXV. etoit de toutes les constitutions la plus pre- cieuse, puisqu'elle empechoit que 1'argent ne sortit du royaume, et qu'elle donnoit a FEglise des pasteurs eclaire"s et vigilants; qu'il ne souffriroit pas qu'on donnat at- teinte a ce sage reglement, et qu'il e"toit resolu de traduire an parlement quiconque oseroit s'y opposer desormais. Malgre cette menace, le procureur-ge'ne'- ral ne cita personne a comparoitre, et la Pragmatique ne fut point retablie. Ces discussions retardoient la redaction des cahiers, mais lie la faisoient pas perdre de vue. Enfin les trois ordres furent admis a presenter leurs doleances au roi. Elles etoient divis^es en cinq chapitres : le premier intitul^ de 1'etat de 1'Eglise', le second de la noblesse ; le troisieme du tiers- etat ; le quatrieme de la justice ; le cinquieme du commerce ou de la marchandise. Le chapitre du tiers-^tat est sur-tout re- marquable par les details qu'il renferme stir les causes de I'epuisenient du royaume. On y lit : L'argent est dans le corps politique ce que 374 ASSEMBLIES NATION ALES le sang est dans le corps humain : il importe done d'exatniner quelles saignees et cjuelles evacuations on a faites a la monarchic dcpuis environ uii siecle. La premiere fut du temps des papes Alexandre et Martin, qui, en quatre ans, tirerent de ce royaume des sommes si con- siderables, qu'elles furent evaluees a plus de deux millions d'or. Pour etancher cette merveilleuse evacuation depecune, furent f aits certains concordats avec le pape Martin, mais I'on ne scut si bien Her la plaiepar concordats , qiie la subtilite romaine ne rouvrit la cicatrice , tellement qu'iiifinie somme d'or et d'argent alia en cour de Rome, dont jurent jconduites les guerres d'ltalie entre les heritiers du pape Martin. Les calamites sans nombre auxquelles ce royaume fut en proie n'arreterent point cet ecoulement. Tandis que les Anglois conqu^roient nos provinces; que des ar- mees de brigands desoloient les campagnes, les collecteurs de decimes et de pensions apostoliques continuoient tranquillement a pomper la substance de 1'etat: et si Char- DE FRANCE. CHAP. XXV. les VI, par les ordonnances qu'il rendit en 1 4o6 et en i/i 1 ^, n'eut remedi a une partie de ces abus, la France etoit perdue sans ressource. Tout le inonde salt a quel exces d'humi- liation et de misere 1'etat etoit reduit lors- que Charles VII monta sur le trone : ce grand roi retablit tellement la police g4ne- rale, et tint si bien la main a ce que 1'argent nesortit plus du royaume,qu'en peude temps le corps politique commenca a respirer, et a eiitrer en convalescence; mais il ne put entierement recouvrer ses forces. Ce boil roifutenlevetroptotala nation, et, presque immediatementapresson trepas,le royaume fut livre de nouvcau a Tavidite des etran- gers. Ce fut alors que Louis XI, seduit par les artifices du cardinal Jouffroi, revoqua la Pragmatique, et soumit son royaume an pape, pour en user a volonte : demarche en- tierement contraire aux droits et a la liberte dessujets, prejudiciable au roi lui-meme, et qui a enleve a la France des sommes pro- digieuses ; car dans ce royaume il y a cent uii 876 ASSEMBLIES NATION ALES eveches, et il n'y en a aucun qui, depuis la mort de Charles VII , n'ait etc vacant au inoins une ou deux fois , et aucun dont la va- cance n'ait produit au sain t siege au m oiiis six mille ducats. Quant aux abbayes et prieures, qui sont au.nombre de plus de trois mille en France, il n'y en a point dont la vacance n'ait fait sortir cinq cents ducats, en pre- nant un terme moyen, ce qui, bien calcule, monte a des sommes merveilleuses et innu- merables. Ajoutez-y cependant celles qui sont sor- ties pour indulgences, decimes, dispenses, et voyages en cour de Rome; ajoutez-y en- core les taxes imposees au profit des legats : car, sous leregne precedent, on en a compte jusqua trois ou quatre , qui ont donne de mer- veilleuses evacuations a ce pauvre royaume ; et voyoit-on mener apres eux des mulets char- ges d'or et d'argent. En consequence, les trois etats supplient le roi de refuser 1'entree du royaume a Balue qui y venoit encore en qualite de legat; car, sans parler des raisons qu'on a voit tie le regarder comme un homme DE FRANCE. CHAP. XXV. 877 suspect, sa legation etoit entierement inu- tile , puisque la France toit en paix. Les victimes des injustices du dernier regne s'empresserent de solliciter la me'dia- tion des ^tats aupres du nouveau gouverne- ment. Dans le nombre on remarquoit le seigneur de Cro'i , le due de Lorraine, Charles d'Armagnac frere puine du comte d'Arma- gnac tue dans Lectoure, et les enfants du due de Nemours. Le premier demandoit la restitution de ses terres de Cro'i et de Renti, restitution qui lui e*toit assured par le traite* d'Arras, et que Louis XI avoittoujourselu- dee. Le due de Lorraine re*clamoit la suc- cession du due d'Anjou son a'ieul, dont le gouvernement s'etoit mis en possession. Charles d'Armagnac repre"sentoit que, par la plus criante injustice, on 1'avoit depouille de tous ses biens , et supplioit les etats d'in- terceder en sa faveur. Les enfants du due de Nemours se presenterent par le ministere d'un avocat; Tassembl^e ayant bien voulu 1'entendre, il lui fit un discours tres tou- chant, dont voici la conclusion : Ses tristes 378 ASSEMBLERS NAT1ONALES enfants Sieves dans la splendeur, et a qui tout ce qu'il y avoit de grand dans le uroyaume se faisoit honneur cl'appartenir, dechus dans un instant de ce liaut rang, pleurant la mort d'une mere, arros^s du sang de leur pere, converts d'opprobre, et reduits a la plus affreuse indigence, n'ont plus oil reposer leur tete, et ne subsistent que d'aumones. Soyez sensibles a leur mal- heur; et puisque le roi vous a charges de ului decouvrir toutes les injustices qui de- (cfigurent le gouvernement , ne lui cachez point celle qui deshonore le plus la nation . Les esperances des petitionnaires ne fu- rent pas trompees. Les ^tats-generaux ex- poserent leurs griefs au roi , et justice leur fut rendue. Je terminerai ce chapitre par les re- flexions suivantes que je trouve dans les Me- moir es de Philippe de Comities, livre V, cha- pitre XIX. Et pour parler de 1'experience de la bonte de Francois, il ne faut alleguer de nostre temps que les trois estats tenus ^ Tours, apres le deces de nostre bon maistre DE FRANCE. CHAP. XXV. 879 (( le roy Louis XI (a qui Dieu face pardon ), qui fut Fan mil quatre cent quatre-vingt et trois. L'on pouvoit estimer lors que cette bonne assemblee estoit dangereuse, et di- soient quelques uns de petite condition et de petite vertue, et ont dit par plusieurs fois depuis que c'est un crime de leze-ma- jeste que de parler d'assembler les ^tats, (( et que c'est pour diminuer 1'autorite du wroy, et ce sont ceux qui commettent ce (crime envers Dieu et le roy, et la chose upublique; mais servoient ces paroles, et servent a ceux qui sont en autorite et cre- u dit, sans en rien 1'avoir merite, et qui ne sont point propres d'y estre, et n'ont ac- ucoutume que de flageoler et fleureter en 1'oreille, et parler de choses de peu de va- (deur, et craignent les grandes assemblees, de peur qu'ils soient connus ou que leurs u oeuvres ne soient blasmees Et suppliereiit lesdits etats qu'au bout de (cdeux ans ils fussent rassemblez, et que si le roy n'avoit assez argent qu'ils luy en bailleroient a son plaisir; et que s'il avoit 38o ASSEMBLEES NATIONALES, etc. uguerres, ou quelqu'un qui le vousiste of- fenser, qu'ils y raettiroientleurs personnes et leurs biens, sans rien luy refuser de ce qui luy feroit besoin. uEst-ce done surtelssubjetsqueleroy doit alleguer privilege de pouvoir prendre a son plaisir, qui si liberalementlui donnent? ne (cseroit-il pas plus juste envers Dieu et le monde, de lever par cette forme, que par (cvoloiite desordonnee? car nul prince ne le peut autrement lever, que par octroy, corame j'ai dit, si ce n'est par tyrannic. FIN DU TOME PREMIER. DBS ASSEMBLIES NATIONALES EN FRANCE. 1MPR1METUE TIE JULES TIDOT A1NE liuj.Miii' in du Roi, rue dn I'onl-de-Lodi, n" 6. DES ASSEMBLIES NATIONALES EN FRANCE, DEPUIS L'ETABLISSEMENT DE LA MONARCHIE JUSQU'EN 1614, PAR M. LE BARON HENRION DE PANSEY, PREMIER PRESIDENT DE LA COUB DE CASSATION, CONSEILLER o'&TAT, CHEF DU CONSE1L DE S. A. n. M c " LE DUG D 'ORLEANS, COMSIANDEUR DE L*ORDRE ROYAL DE LA LEGION D'HONNEUR, CHEVALIER DE L'oRDRE DE SAINT-MICHEL. SECONDE EDITION. TOME SECOND. PARIS, THEOPHILE BARROIS PERE ET BENJAMIN DUPRAT, RUE IIAUTEFEUILLE, N 28. 1829. TABLE DES CHAPITRES CONTENDS DANS CE VOLUME. CHAPITKE XXVI. Louis XII. Etats-generaux tenus a Tours en i5o6. Page. i CHAP. XXVII. Francois I", Etats tenus a Cognac en i SaG. 12 CHAP. XXVIII. Henri II. Etats-generaux tenus a Paris en i558. 26 CHAP. XXIX. Francois II. Evenements de son regne relatifs aux e"tats-generaux de 1660. 38 CHAP. XXX. Continuation du meme sujet. Assem- blee de Fontainebleau. Condamnation du p'rince de Conde. Mort de Francois II. 53 CHAP. XXXI. Etats-generaux tenus a Orleans en 1 56o. 66 CHAP. XXXII. Des catholiques et des reforme's de- puis 1660 jusqu'en i5y6. n4 CHAP. XXXIII. Etats-generaux tenus a Blois en 1 576. 1 2 1 CHAP. XXXIV. De la Ligue. i4p CHAP. XXXV. Etats-generaux tenus a Blois en i588. i64 CHAP. XXXVI. Etats-generaux de la Ligue tenus a Paris en iSgS. Observations sur la loi salique. ig3 VJ TABLE DES CHAPITRES. CHAP. XXXVII. Henri IV et Marie de Medicis. (i5g3 1614.) Page. 228 CHAP. XXXVIII. Etats-generaux tenus a Paris en 1 6 1 4- 281 CHAP. XXXIX ET DERNIER. De la convocation des etats - gene'raux ; du nombre des deputes; du mode de leur election; de la nature du mandat qu'ils recevoient de leurs concitoyens ; des solen- nite's qui accompagnoient 1'ouverture des etats; de la maniere dont les trois ordres communi- quoient entre eux, et de la forme de leurs de'libe'ra- tions. 267 FIN DE LA TABLE DU TOME SECOND. DES ASSEMBLIES NATIONALES EN FRANCE, DEPUIS i/ETABLissEMENT DE LA MONARCHIE JUSQU'EN 1G14. GHAPITRE XXVI. LOUIS XII. Etats-generaux tenus a Tours en 1 5o6. Les etats-ge"neraux de i5o6 pre"sentent un beau spectacle: on y voit, aux pieds d'un prince adore, des sujets reconnois- sants , des enfants heureux , qui , n'ayant plus de vceux a former pour eux-memes, n'en font que pour Je pere commun, et n'ont qu'a lui offrir des actions de graces. Aussi dans ces etats ne parla-t-on ni de subsi- des ui de griefs: il ne fut question que du mariage de madame Claude de France, fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne, 2 ASSEMBLIES NATIONALES dont elle etoit ['unique lieritiere. Par un traite signe a. Blois le 22 septembre i5o4, le roi Tavoit promise a Charles, clue de Luxem- bourg (i) : ce manage, qui auroit fait passer la Bretagne dans une maison etrangere, pouvoit avoir les suites les plus funestes. La nation en etoit effrayee, et desiroit que la princesse epousat Francois de Valois, comte d'Angouleme, premier prince du sang. Le roi voulut bien discuter cette importante question avec les etats-generaux de son royaume ; et ils furent convoques a Tours. (i) Charles de Luxembourg, depuis si ce'lebre sous le noin de Charles-Quint, etoit ne du mariage de 1'archi- duc Philippe, fits de 1'enipereur Maximilien, etdeJeanne- la-P'olle, fille de Ferdinand-le-Catholique. Ainsi du cote paternel, il etoit he'ritier de tons les e'tats de la maison d'Autriche, et, du chef de sa mere, il etoit appele a re- gner sur les Espagnes. Son mariage avec Claude de France, heritiere par sa mere de la Bretagne, auroit ajoute a ses vastes etats cette belle et riche province, et lui auroit en quelque sorte livre le royaume. Louis XII , a la suite des malheureuses batailles de Seminare et de Cerignole, nyant perdu Naples, avoit cru ne pouvoir echapper aux revers dont il etoit encore menace qu'en signant ce traite desastreux. DE FRANCE. CHAP. XXVI. 3 On lit dans un vieux manuscrit(i): Au mois de mai de Tan i5o6, le roi fit convo- quer les etats-gneraux de son royaume.... Lesdits etats , par la bouche d'un docteur de Paris, nomme Thomas Bricot, firent u entendre au roi que pour avoir donne la paix a ses sujets, remis le quart des tailles, et nomme bops juges par-tout; et pour autres causes, qui seroient longues a rci- ter, il devoit etre appele le roi Louis XII, upere du peuple(z). uEt apres ledit Bricot, ceux desdits e*tats se mirent a genoux, et dit ledit Bricot: uSire, nous sommes ici venus sous votre u bon plaisir pour vous faire une requete pour le general bien de votre royaume, qui est tel que vos humbles sujets vous ((supplient qu'il vous plaise de donner ma- ((dame votre fille en mariage a monsieur (1) Voyez le recueil intitule, des Etats-G6neraux , im- prime a Paris en 1789, tome X, page i83. (2) A ces mots pere du peuple , il s'eleva dans I'assem- blee, disent les historiens, un doux mtirmure qui fut suivi d'applaudissements unanimes. I. 4 ASSEMBLIES NATIONALES Francois, qui est ici present. Disant outre plusieurs belles paroles, qui emurent le roi, et les assistants a pleurer(i). Thomas Bricot ayant cesse de parler, le chancelier Gui de Rochefort, apres avoir pris les ordres du roi, s'avanca vers 1'assem- blee, et dit: MESSEIGNEURS des etats, le roi, notre u souverain et naturel seigneur , accepte peuple que vous lui defe- rez; vous ne pouviez lui faire un don qui lui fut plus agreable. Si les soins qu'il s'est (i) La Bretagne etoit entree dans la maisoii de France par le niariage de Pierre de Dreux avec 1'he'ritiere de oette province; et Philippe-le-Bel 1'avoit erigee en pairie eii 1 297. Les Bretons, voulant prevenir 1'incorpo ration de leur pays a la France, n'avoient consent! au mariage de la princesse Anne avec Louis XII que sous la condition ex- presse que jamais la Bretagne n'appartiendroit aux prin- ces destines a succeder a la couronne; et que si le roi avoit deux fils, elle seroit necessairement 1'apanage du puine. Le mariage de la princesse Claude avec Francois de Valois, premier prince du sang, contrevenoit a cette clause; mais les Bretons crurent devoir ceder aux vceux de la nation, exprimes par 1'organe des etats-generaux. DE FRANCE. CHAP. XXVI. 5 donnas ont tourne" au profit de la chose publique , il declare qu'il faut en rendre graces a Dieu , et qu'il s'efforcera de mieux faire & Favenir. Quant a la requete que vous lui avez presentee, son objet est si important qne, quelque deference qu'il ait pour les conseils de ses fideles sujets, il ne veut rien statuer a cet ^ard sans avoir pris Favis des princes de son sang, des grands, et des premiers magistrats du royaume. Retrouvez-vous done ici dans six jours, et le roi viendra lui-meme vous apprendre sa r^ponse. Les deputes de la Bretagne n'avoient pris aucunepart a ces deliberations, parceque la reine, dont ils etoient les sujets, s'opposoit au mariage de sa fille avec le comte d'An- gouleme ; mais ce jour-la meme ils pre- senterent au roi line requete entierement conforme au voeu des etats. Des le lendemain, le roi assembla uii con- seil extraordinaire, compose des premiers presidents des parlements de Paris, de Rouen , de Bordeaux, et d'un grand nombre de prelats et de seigneurs : apres leur avoiv 6 ASSEMBLIES RATIONALES franchement declare les engagements qu'il avoit pris avec la maison d'Autriche, et les serments qu'il avoit pretes et fait preter par les gouverneurs de plusieurs provinces a 1'archiduc et a 1'empereur, il ajouta qu'il se croiroit oblige* de les accomplir a quelque prix que ce fut, s'il ne s'agissoit que de ses interets personnels. II les pria de considerer que la parole desrois est sacre'e, et leur or- donna de declarer, comme ses fideles sujets, sans management et sans crainte, ce qu'ils croiroient juste et conforme a 1'^quite natu- relle. Les avis ne furent point partages : tous opinerent que 1'engagement pris avec 1'ar- chiduc e"toit nul, comme contraire aux lois fondamentales de la monarchic. Si ces lois, disoit-on, d^clarent nulle toute alienation du domaine de la couronne, quoique faite sans fraude, et en f'aveur de ceux qui ont le mieux servi 1'etat, a plus forte raison pro- scri vent-elles un traite captieux ou Ton trans- porteroit a Tetranger des provinces entieres, des places fortes, les clefs et la surete du royaume. Ils montrerent ensuite que tous les serments que le roi avoit pu preter soit DE FRANCE. CHAP. XXVI. 7 a Farchiduc, soit a 1'empereur, se trouvoient pareillement annul^s par un autre serraent phis auguste et toujours subsistant, celui qu'il avoit prete en recevant 1'onction saere"e, de procurer l'avantage a son peupie, des'op- poser de toute sa puissance a ce qui pourroit lui prejudicier. Or que pouvoit-il arriver de plus prejudiciable a Tetat que d'intro- duire dans son sein, sous le specjeux nom d'allie, un ennemi doraestique qui ne man- queroit pas d'y semer le trouble, qui cher- cheroit a tout perdre, a tout envahir? Enfin ils observerent que ee pretendu engagement se reduisoit encore a des promesses, a un projet; qu'il n'y avoit point eu de gages don- nes, ni consentement des deux epoux ; qu'il n'etoit pas rare de voir rompre de pareils contrats entre des particuliers pour des rai- sons beaucoup moins fortes, souvent meme par pur caprice; que 1'empereur et 1'archi- duc avoient assez montre, par la conduite qu'ils avoient tenue depuis ce temps avec la France, et par le peu d'attention qu'ils avoient apporte a observer de leur part des traites d'ailleurs si favorables a leur maison , 8 ASSEMBLIES RATIONALES combien pen ils comptoient sur ces arran- gements politiques et variables; d'ou ils con- clurent que Louis, sans inanquer aux regies les plus austeres de rhonneur et de la pro- bite, pouvoit comrae homme, et devoit comme roi, satisfaire au voeu de la nation, en rompant des noeuds si funestes et si mal assortis (i). La deliberation du conseil ainsi arretee, le roi voulut bien la communiquer lui-meme aux etats; et, le mercredi 20 du mois de mai , suivi de toute sa cour, il se rendit a 1'as- sembl^e. Lesherauts ayant impose silence, le chancelier, apres avoir pris les ordres du roi, dit: Leroi, comme il 1'avoitannonce, a fait examiner votre requete ; quelque confiance qti'il ait d'ailleurs en votre zele wet en vos lumieres, il n'a pu se dispenser de consulter, sur unematiere qui interesse si essentiellement le salut de 1'etat, les princes de son sang, et les hommes distin- (i) Histoire de France de 1'abbe Gamier, regne de Louis XII. DE FRANCE. CHAP. XXVI. 9 gues qui forment son conseil. Puisque leur avis a ete conforme a vos desirs, il ne veut pas differer plus long-temps a vous dormer une pleine satisfaction; il ra'a charge de vous inviter, pour jeudi prochain, a la ce- remonie des fiancailles de sa fille avec 6 monseigneur le due de Valois. C'est le seul engagement que la jeunesse des deux epoux leur permette encore de contracter. Vous aurez soin , lorsqu'il en sera temps, d'ache- ver un ou vrage que vous avez si bien com- mence. Sa majeste exige done, des ce mo- ument, que vous promettiez et juriez, que vous fassiez promettre et jurer, par tous ceux qui vous ont elus pour leurs deputes, u qu'aussitot que les deux epoux auront at- teint 1'age nubile, vous ferez et accompli- rez le mariage projete; que vous ne souf- frirez point que personne ose s'y opposer, et que vous verserez, s'il est necessaire, jusqu'a la derniere goutte de votre sang pour en assurer Texecution. L'orateurdes etatsalloit repondre: 011 ne lui en laissa pas le temps; la salle retentit dVipplaudissements, de cris de joie, de voeux 10 ASSEMBLIES NATIONALES pour la conservation du roi; chaque depute couroit a Fenvi preter les serments que le roi demandoit, et recevoir une formule ^crite de ce meme serment qu'il devoit faire preter a son retour par la ville ou la communaute dont il toit le representant. Je reviens au manuscrit que j'ai cite plus haut. J'y lis: Le jeudi vingt et unieme du mois de mai, le roi et la reine vindrent en la salle qui etoit fort richement paree; et si tot apres y fut apportee madam e Claude, laquelle le seigneur infant deFoix portoit dans ses bras, et avec eux vin- drent le due de Valois , et tous les autres princes et barons; aussi madame de Bour- ubon, d'Angouleme, et les autres prin- cesses, et tant de dames et demoiselles, qu'il sembloit que le royaume des femmes > Le president de Selves prenant ensuite la parole prononca un discours tres remar- quable, qu'il termina par ces mots : II s'agit d'obliger 1'empereur de se contenter d'une somme de deux millions d'ecus d'or pour la ment s'etoit retire dans le chateau Saint-Ange. II y fut assiege, et n'en sortit qu'au bout de sept mois, la nuit du 9 au 10 decembre, deguise en marrhand. DE FRANCE. CHAP. XXVII. 23 rancon des fils de France. Ce nom seul in- dique assez nos obligations a leur egard; ils sont la portion la plus pr^cieuse de notre h- ritage, le gage de la felicite publique, 1'es- perance et Fappui de la patrie. C'est de cette mere commune que nous tenons notre exis- tence, nos biens, notre rang, nos privileges; en nous en conferant Tusage , elle n'a point eu intention que nous nous en prevalussions a son prejudice; elle s'en est reserv^ la pro- priete, et elle a le droit d'en depouiller les enfants ingrats qui la negligeroient dans ses besoins. Les membres de votre parlement de Paris, sire, les deputes des cours souve- raines de votre royaume, detesteroient toutes distinctions qui les exempteroientde contri- buer a une dette sacree. Ils demandent d'etre taxes conime le reste des citoyens, et ils vous offrent, des ce moment, leurs biens, leurs corps et leur vie. Le prevot et les echevins de Paris , rivali- sant de devourment et de zele avec les ora- teurs qui les avoient precedes, ajouterent a ce que venoit de dire le president de Selves que les fils de France leur appartenoient a 2 4 ASSEMBLIES NATION ALES un titre plus special qua tout le reste du royaume, puisqu'ils etoient enfants de Pa- ris; que ses fideles bourgeois vouloient con- tribuer a leur rancon dans une proportion plus forte que les autres villes du royaume ; qu'ils supplioient sa majeste de disposer ab- solument de leurs biens et de'leur vie, et d'avoir tou jours pour recommandee sa bonne ville de Paris. Le roi, vivement touche d'un devouement aussi genereux et aussi unanime, remercia les trois ordres, et s'adressant a chacun d'eux en particulier, il repondit: Messieurs du clerge, je recois votre don. Je conserverai les privileges de vos eglises, et la purete de la foi dans mes etats. Quant au saint-pere, c'est principalement pour le tirer des mains de ses persecuteurs que je me propose de porter la guerre en Italic. Princes et seigneurs, je conserverai vos pri- vileges avec le meme soin que ceux du cler- g; car ces privileges sont les miens et ceux de mes enfants, puisque leur plus beau titre est celui de chefs de la noblesse. v Messieurs de la justice, et vous tous, mes DE FRANCE. CHAP. XXVJI. 25 fideles sujets, j'aurois fait avec joie le sacri- fice de ma liberte a mon peuple et a 1'interet de notre commune patrie; mais, puisque vous jugez ma presence necessaire, je vivrai au milieu de vous. A regard de la cession de la Bourgogne, si Ton me demandoit mon avis, je repon- drois comme gentilhomme qu'il faudroit me passer cent fois sur le ventre avant que d'obtenir mon consentement. Jugez de ce que j'en dois penser comme roi. Si je n'ai pas toujours repondu- a votre genereuse amide, si j'ai commis des fautes, songez combien il est difficile de n'en pas commettre dans une administration aussi etendue. Ne craignez pas de me donner des avertissements, je les prendrai toujours en bonne part. 26 ASSEMBLIES NATIONALES GHAPITRE XXVIII. HENRI II. Etats-generaux tenus a Paris en i558. Je sais tres bien que la denomination que je donne a cette assemblee ne lui appartient pas, et que dans la realite elle n'est autre chose qu'une assemblee de notables. En effet, tous ses membres furent choisis par le roi ; et Ton n'y vit figurer, pour le clerge, que des archeveques et deseveques; pour la noblesse, que des baillis, et pour le tiers-etat, que des maires et des echevins. Le roi avoit aussi juge a propos d'y appeler les premiers presidents de tontes les cours souveraines. Cependant, par une meprise difficile a expliquer, il est recu gen era lenient, et de- puis long-temps, de placer ce grand conseil dans la nomenclature de nos etats-generaux. Je me con forme a 1'usage. DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 27 La perte de la bataille de Saint-Quen- tin (i) avoit ouvert a Philippe II le chemin de la capitale. La terreur etoit dans Paris, et le decouragernent par-tout. Les debris de Tarmee, reunis a Laon, n'offroient qu'une (i) Cette memorable bataille, qui fut le terme des prosperites de Henri II, et qui eclipsa presque toute la gloire de son regne, fut donnee le 10 aout i55y. La deroute commenca par les goujats , les vivan- diers , et les autres gens de cette espece ; ils entrainerent les soldats. Le connetable, qui esperoit rallier ses trou- pes, et reformer ses bataillons et ses escadrons, ne put y parvenir. Enfin, apres un combat de quatre heures et un grand carnage, 1'armee francoise fut entitlement de- faite. A 1'exception de deux pieces de canon , qui , par les soins de Bourdillon, furent conduites a La Fere, les ennemis nous enleverent toute notre artillerie. Nous perdimes 2,5oohommes, entre autres plusieurs officiers- generaux du premier rang. Jean de Bourbon, qui avoit plusieurs fois retabli le combat, et donne' des preuves d'un courage digne de son noble sang, fut perce d'un coup d'arquebuse, et emporte dans le camp des Espa- gnols, ou un moment apres il mourut. Francois de La Tour, vicomte de Turenne, expira sur le champ de bataille. Le connetable Anne de Montmorency fut fait prisonnier, apres avoir recu une blessure dans les aines. Montpensier tomba aussi entre les mains des ennemis. Ils prirent egalement le marechal de Saint-Andre. 28 ASSEMBLIES NATIONALES barriere impuissante : il falloit de nouvelles levees, et par consequent de nouveaux im- pots. Ce ftit pour en obtenir que Henri II convoqua ces pretend us etats-generaux. J'emprunte a 1'histoire universelle du presi- dent de Thou les details dont je vais rendre cornpte. Le 6 de Janvier on s'assembla dans la chambre de Saint-Louis, qui etoit magnifi- quement preparee. Le roi nionta sur son trone, ayant a sa droite, un peu plus bas, le dauphin et le due de Lorraine, avec les car- dinaux; et a sa gauche le prince de La Ro- che-sur-Yon, le due de Nevers, Sancerre, d'Urfe, Bourdillon, et le reste de la noblesse; les autres ordres du royaume etoient au- dessous. Le roi fit Fouverture des etats par un discours majestueux et solide. II repre- senta que, depuis son avenement a la cou- ronne, il n'avoit rien eu plus a cceur que de soutenir, lion seulement la gloire de toute la nation, mais encore de temoigner a tons les ordres en particulier une affection pa- ternelle, et de conserver les droits et les privileges de chacun, comme un bon prince BE FRANCE. CHAP. XXVIII. 29 clevoit faire; qu'il etoit de la gloire clu royaume, et de 1'interetde tous les ordres particuliers, de repousser les efforts des en- nemis, de conserver les anciens fiefs cle la couronne, de recouvrer ce qu'on avoit perdu, d'assurer les frontieres; qu'ayant tou jours eu ces sentiments, des qu'il s'etoit vu sur le trone il avoit entrepris, pour re- couvrer Boulogne et les pays voisins, une guerre dangereusecontre 1'Angleterre, mais dont le succes avoit ete heureux; que pour soutenir cette guerre, et pour plusieurs au- tres besoins que , par un encliainement fatal, elle avoit fait naitre, il avoit fait des depenses excessives; que les revenus ordi- naires, ne pouvant y suffire, il avoit engage son domaine, et, ce qui lui faisoit plus de peine , qu'il avoit ete oblige d'etablir de nouveaux impots; queces extremites, ou il avoir, ete reduit, et auxquelles un bon prince devoit tou jours etre sensible, 1'avoient extre- mement louche, et Tavoient engage a de- inander la paix a des conditions desavanta- geuses; que, n'ayant pu Fobtenir, et sachant que 1'ennemi, enfle de ses succes, faisoit de 3o ASSEMBLEES NATIONALES plus grands preparatifs pour continuer la guerre, il avoit voulu declarer a tons les ordres de son royaume ses intentions et ses desseins, et leur temoigner publiquement combien , apres la confiance qu'il avoit aux secours du ciel , il comptoit sur la fidelite et le courage de ses sujets; qu'il croyoit done necessaire d'opposer toutes ses forces aux efforts des ennemis; que personne ii'igno- roit que Fargent etoit le plus grand ressort de la guerre, sans lequel on ne pouvoit ni entretenir une armee ni retenir des soldats dans le devoir, et sans quoi on perdoit or- dinairement les plus belles occasions de reussir qui se presentoient utilement ; qu'ainsi ils devoient donner tous les secours possibles a leur roi, et subvenir aux besoins du royaume et a la iie'cessite publique, puisqu'ils y etoient eux-memes interesses; qu'il n'ignoroit pas que le malheur des temps et les circonstances faclieuses avoient cor- rompu les moeurs , et introduit dans le gou- vernement des abus dont les peuples etoient les victimes; mais qu'il les reformeroit, et qu'il promettoit en meme temps de dechar- DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 3 1 ger le peuple des impots qui 1'accabloient, des que, par leurs secours, il seroit debarrasse des difficultes qui 1'environnoient, et qu'il auroit assure la paix par la force de ses ar- mes; qu'il avoit voulu que le dauphin , I'he- ritier du royaurae, fut present a cette assem- blee, non seulement comme temoin, et comnie garant des promesses de son pere, mais pour Fengager lui-meme a executer un jour ce que le roi proniettoit d'accomplir exactement sur la foi de sa parole royale. Apres que le roi eut ainsi parle., le cardi- nal de Lorraine se leva, et fit un discours enfle, diffus, et, selon sa coutume, rerapli de louanges et de flatteries. II s'etendit fort au long sur 1'affection du roi envers tous les ordres du royaume, et sur sa generosite, et il prorait, au nom du clerge\ de grandes sommes d'argent. Ensuite le due de Nevers, qui portoit la parole pour la noblesse (i), seleva, et dit (i) J'ai dit plus haut que dans cette assemblee 1'ordre de la noblesse ne fut represente que par des baillis. 3.3 ASSEMBLEES NATJONALES en pen de mots, qu'elle etoit prete, comme elle 1'avoit tou jours etc, de prodiguer et son sang et ses biens pour son roi, pour la de- fense du royaume, et pour la gloire de la nation. Alors Jean de Saint- Andre\ s'etant mis aux genoux du roi, le remercia, au nom du Pour ne pas s'y meprendre, il faut se rappeler que dans 1'ancien regime il y avoit deux especes de baillis, les uns d'epee, qui tous etoient nobles, les autres de robe longue, qui presque tous appartenoient au tiers-etat. On peut desirer de connoitre comment cette division s'etoit operee ; le voici : Apres que les seigneurs de fiefs et les gouverneurs des provinces, profitant de la foiblesse des derniers Carlo- vingiens, eurent usurpe la propriete du pouvoir, des prerogatives et des domaines dont ils n'avoient eu jus- qu'alors qu'une jouissance precaire, bientot on les vit commettre des prepose's pour exercer, en leur nom, 1'autorite judiciaire. Le temps exerca surcet abus son influence ordinaire: il 1'aggrava. Bientot ces lieutenants des seigneurs et des comtes, que dans la suite on appela baillis, c'est-a-dire gardiens de la justice, emporte's par 1'esprit national, qui ne voyoit de bonheur et de gloire que dans les ha- sards de la guerre, dedaignerent 1'exercice de leurs fonc- tions, se permirent de les deleguer, et, vers le treizieme DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 33 parlement et de toutes les cours superieures du royaume, dont les d^put^s toient pr- sents, de ce qu'il avoit forme et uni aux ^tats du royaume un quatrieme ordre dis- tingue des autres, qui etoit celui des ma- gistrats, qui, depositaires de son autorite, siecle, ces lieutenants avoient eux-memes des lieute- nants. L'abus fut porte si loin, que le meme bailli avoit plu- sieurs bailliages: des lieutenants, commissionnes par lui, rendoient la justice en son nom ; et, le plus souvent, ces commissions e'toient a 1'enchere. Les lois leur de'fen- doient ce trafic honteux, et leur imposoient 1'obligation de resider et d'exercer eux-memes : plus puissants que les lois , ils en bravoient 1'autorite. Get ordre de choses, tout vicieux qu'il etoit, subsista jusqu'au siecle de Francois I". Ce prince etablit que les lieutenants des baillis ne se- roient plus nommes que par lui; et 1'ordonnanee d'Or- le'ans defendit a ces memes baillis des'immiscer a 1'avenir dans 1'exercice des fonctions judiciaires : demaniereque de leurs anciennes autorite's il ne leur resta que les pre- rogatives honorifiques. Ce sont ces baillis, connus depuis sous le titre de baillis d'epee, que j'ai entendu designer, lorsque j'ai dit que dans 1'assemblee de i558 1'ordre de la noblesse ne fut repre'sente que par des baillis. 2. 3 34 ASSEMBLIES NATION ALES rendent la justice en son nom. Apres avoir loue la bonte et la prudence du roi , il offrit les biens et la vie de ceux pour lesquels il parloit. Enfin Andr Guillart du Mortier, pour le tiers-etat, s'etant aussi jete aux pieds de sa majeste, donna de grandes louanges a la bonte et a la sagesse du roi, qui avoit resolu de faire uiie paix glorieuse par la force des armes, et cle corriger les abus qui s'etoient glisses dans le gouvernement a la faveur du malheur des temps; il dit encore que quoi- que le people fut charge d'impots et accable par les maux d'une guerre continuelle, sa- chant neanmoins que des sujets devoient tout a leur roi, et voulant donner des mar- ques authentiques de leur parfait devoue- ment et de leur fidelite, dans les circon- stances presentes, ils ne refuseroient point de fournir des sommes assez considerables pour remedier aux besoins de Fetat, et sou- tenir avec gloire la guerre qu'on avoit com- mencee. Apres que du Mortier cut fini, Jean Ber- trandi, garde- des -sceaux, qu'on appeloit DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 35 alors le cardinal de Sens, se mit a genoux, suivant la couturae, pour prendre les ordres du roi : ayant repris sa place , il dit que sa majeste ordonnoit que, pour commencer la re forme, le tiers-etat donneroit un cahier, ou il exposeroit ses sujets de plaintes, et les diffe rents abus qu'il falloit reformer, et le remettroit entre les mains de du Mortier, qui en feroit son rapport ik sa majest, pour y remedier suivant sa volonte. Ensuite on congedia Fassemblee. Des que le roi fut sorti, le cardinal de Lorraine, par son ordre, fit venir en particulier les depu- tes du tiers-etat : il leur repr^senta que le roi avoit besoin de trois millions d'ecus d'or pour les frais de la guerre; que le clerge ayant offert un million, outre les de"cimes, il etoit juste que le tiers-e"tat fournit les deux autres; que pour le faire avec plus de commodite, et plus promptement, parceque le besoin qu'on en avoit demandoit plus de diligence, il falloit que les deputes donnas- sent les noms de deux mille bourgeois, les plus considerables de toutes les villes du royaume, qui preteroient chacun mille 3. 36 ASSEMBLIES RATIONALES ecus d'or. Les deputes refuserent de donner ces noms , et soutinrent que ce moyen etoit odieux, et qu'il y avoit meme du dan- ger a Fexecuter ; que d'un cote on ne pouvoit, sans exciter des mur mures et s'at- tirer la haine de tous les particuliers , les obliger de donner des declarations de tous leurs biens, et d'en faire une espece de de- nombrement; que d'un autre cote le com- merce du royaume souffriroit beaucoup, si les biens des negociants etoient coniius de tout le monde , parceque , comme on les croit souvent plus riches qu'ils ne le sont, la perte de leur credit ruineroit leur negoce. Enfin on jugea plus a propos de faire une imposition de cette somme sur les provinces et sur les villes qu'elles renferment, pour la repartir ensuite entre les plus riches parti- culiers , afin que cette contribution , qu'uii petit nombre de bourgeois n'auroient pu payer sans en etre accables, parut plus le- gere, par la repartition qui en seroit faite entre un grand nombre de personnes. Mezerai et le president Renault nous donnent aussi des notions fort exactes sur DE FRANCE. CHAP. XXVIII. 3 7 cette assemble de 1 558. Je vais rapporter ce qu'ils en disent: II ne manquoit plus que de 1'argent au roy : il assembla pour cela les etats a Paris le 6 Janvier de l'anne"e 1 558. Depuis le roy Jean,ils n'ont gueres servy qu'a augmen- ter les subsides. Cette fois on trouva a pro- pos de diviser 1'assemblee en quatre, dis- tinguant le tiers-etat d'avec lesofficiers de ((justice et de finance. Tons ensemble luy <( accorderent trois millions d'ecus d'or, qu'il demandoit : on les leva sur les plus aises du (croyaume. Histoire de France , regne de Henri II. u Assemblee des notables, tenue dans une chambre du parlement. Ce fut dans cette assemblee d'etat, que la magistrature prit seance pour la premiere fois, et forma un quatrieme ordre; j usque-la elle n'y avoit pas pris de place, et c'est a tort qu'on 1'a crue confondue avec le tiers-etat: elle n'y -a point reparu depuis; elle n'assista ni aux etats de JBlois , ni a ceux de Paris. Abrege chronologique du president Henault , regne de Henri II, annee i558. 38 ASSEMBLIES NATIONALES CHAPITRE XXIX. FRANCOIS II. fivenements de son regne relatifs aux etats-generaux de i56o. La mort de Henri II ( i ) avoit fait passer la couronne sur la tete de Francois II, a peine ag de seize ans. Ce prince, e"galernent foible de corps et d'esprit, et sans auctme espece d'instruction , quoique majeur aux yeux de la loi , etoit encore dans une sorte d'enfance. Roi d'Ecosse, par son mariage avec Marie (i) Le a5 juin i55g, Henri II courant dansuntournoi centre le comte de Mongommery , capitaine de la garde ecossoise, fut blesse d'un eclat de lance qui lui entra dans 1'oeil droit : des le premier appareil , la plaie fut jugee si dangereuse, qu'on desespera de sa vie; il mou- rut en effet le 10 juillet, laissant quatre fils en has age, 5 avoir: Francois II, Charles IX, Henri III, et le due J'Anjou. Francois II mourut le 5 decembre 1 56o. Dfe FRANCE. CHAP. XXIX. 89 Stuart, il etoit accable sous le poids de ses deux couronnes. La jeune reine, par un contraste fort remarquable,avoit des talents et une ambition fort au-dessus de son age. Gette ambition habilement dirigee par ses deux oncles, le due de Guise et le cardinal de Lorraine, 1'avoit rendue maitresse abso- lue des volontes du roi. Le pouvoir de la niece etoit devenu celui des oncles. Le due de Guise s'etoit fait donner le commande- ment des armees, et le cardinal de Lorraine la direction des affaires et Fadministration des finances. L'elevation de ces deux etrangers aux pre- mieres dignites de Fetat avoit reuni contre eux toutes les haines. Mais les interets s'- toient divises, et la cour toit partake en quatre factions : celle de Guise, soutenue par tous les zeles catholiques ; celle de la reine-mere, pour qui Fart de regner n'^toit autre chose que Fart de tromper et de s- duire, et qui auroit voulu que Fautorite de son fils residat tout entiere dans ses mains ; celle d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre, qui, fort de Fappui de tous ceux qui avoient 4o ASSEMBLIES RATIONALES embrasse la religion reformed, pretendoit qu'en sa qualite* de premier prince du sang, la lieutenance generale du royaume devoit lui etre conferee; enfin celle du connetable de Montmorency, chef de tous les mecon- tents, et particulierement de ceux qui re- grettoient la faveur dont ils avoient joui sous le dernier regne. La nation, froissee entre ces differents partis, attendoit avec anxiete le denoue- ment de ce nouveau drame, lorsque parut un ecrit contre les Guise et contre la reine- mere, ecrit tres violent et qui fit une grande sensation. On y disoit: Qui ne voit combien il est contraire a la raison de soutenir que le roi, en attendant un age plus avance , a pu confier le soin de son etat a la reine sa mere et aux oncles de la jeune reine, comme si un pupille pouvoit se choisir un tuteur, et comme si ce qui est defendu aux particuliers par les lois devoit etre permis en la personne d'un roi, dont la bonne ou la mauvaise administration in- teresse les peuples, et decide de la felicite ou du malheur de la nation?. . . II y a envi- DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4 l ron quatre-vingts ans, continuoit Fauteur, que Louis XI, en mourant, laissa ses ^tats a Charles VIII, son fils, encore dans 1'en- fance. Anne, soeur aine du jeune roi, pr- tendoit a la regence, que lui disputoit Louis, due d'Orleans, premier prince du sang. Ce grand different fut juge par les etats du royaume, assembles a Tours, qui pronoii- cerent qu'Anne ne se meleroit point du gou- vernement; que la regence lie seroit pas non plus deferee au due d'Orleans, parcequ'il n'avoit pas encore vingt-trois ans accomplis, mais que 1'etat seroit regi par un conseil souverain , compose des princes du sang et des grands du royaume. Si le pouvoir de la reine-mere paroit odieux, combien doit 1'etre davantage celui des Guise, etsur-tout du cardinal de Lorraine ! Les anciennes lois du royaume dependent aux pretres et a ceux qui sont soumis au pape d'avoir le principal gouvernement de 1'^tat. Le roi Jean ota les sceaux a Jean de Dormans, eveque de Beau- vais, et chancelier de France, lorsque ce prelat fut nomme cardinal.... On ne se sou- vient encore que trop des maux causes par 42 ASSEMBLIES NATIONALES les cardinaux de La Grange et de Balue. . . . D'ailleurs ne sait-on pas jusqu'a quel point les Guise doivent etre suspects? Us ne di- sent plus en secret, mais ils publient par- tout qu'ils descendent des rois carlovingiens, qui, selon eux, furent prives injustement de la couronne par Hugues Capet Ils osent meme avancer qu'on leur a enleve a eux-memes, avec une semblable injustice, le duelled' Anjou et le comte de Provence : ils en prennent les armoiries et les titres, et, tout etrangers qu'ils* sont , ils se glissent pour ainsi dire peu a peu dans la maison royale.... Tout le monde voit assez, poursuivoit 1'au- teur, oil tend leur grande soumission pour le pape et pour le saint-siege. Ils veulent, a 1'exemple de Charles Martel et de Pepin, dont ils pr^tendent faussement etre descen- dus, ravir par la faveur du clerge la couronne a ses legitimes possesseurs. Cetecrit, qui porta Firritation des Guise a son comble, fut generalenient attribue aux protestants, et les persecutions centre eux recommencerent avec plus de violence DE FRANCE. CHAP. XXIX. 43 que jamais. En voici le tableau trace* par une main aussi fidele que savante(i): On redoubla de toutes parts les perqui- asitions centre les personnes soupconnees de favoriser la nouvelle doctrine. Le pr- sident de Saint-Andre* et 1'inquisiteur Mou- chy(2), charges de ce soin, avoient des e*missaires qui leur rendoient compte de ce qui se passoit de plus secret dans les maisons. Souvent ces espions faisoient des rapports infideles. Un de ces miserables (( certifia qu'il s'etoit trouve a une assemblee (( nocturne chez un avocat loge a la place Maubert ; qu'on y avoit servi un grand urepas; qu'en sortant de table on avoit eteint les lumieres, et que chacun avoit satisfait ses desirs; que lui en particulier c avoit obtenu les dernieres faveurs de la fille ((de Favocat. Cette deposition fut reconnue (1) Le president de Thou, Hist, univ., livre X. (2) De la est venu le nora de mouchard dont on fletrit les espions de la police. 44 ASSEMBLIES NATIONALES fausse dans tous ses points. Cependant on ne punit point le delateur. Dans le faubourg Saint-Germain, qu'on uappeloit communement la petite Geneve, il y avoit une hotellerie frequentee par les M Allemands et par lesGenevois. Bragelon- gne, lieutenant criminel, assiegea cette <( maison avecune troupe d'archers. Seize des personnes qui y etoient a table s'enfuirent. II n'y resta que deux gentilshommes d'An- ujou, clomestiques du roi de Navarre. Ges Angevins etoient freres, et se nommoient Soubselle. Ayant mis 1'epee a la main , ils chargerent les licteurs de Bragelongne, et les dissiperent. Un des deux porta plus (doin lahardiesse. Non content d'avoir ob- tenu des lettres de remission par le credit ude son maitre, il demanda qu'on lui rendit plusieurs effets qu'il accusoit les archers de lui avoir enleves. Son audace acheva u d'irriter le cardinal de Lorraine, qui le fit arreter, et conduire au chateau de Vin- cennes. Gette prison , ainsi que toutesles autres, etoit pleins de victimes du ressentiment DE FRANCE. CHAP. XXIX. 4^ de ce cardinal. On trainoit chaque jour de nouveaux accuses devant les tribunaux. Plusieurs personnes ayant pris la fuite, (tleurs biens furent vendus a 1'encan. Tout - Charles de Marillac n'aimoit pas la maison de Guise. II fut constamment attache a celle de Bourbon. 58 ASSEMBLIES NATIONALES de gens, que tous les jours on cherche les moyens d'alte*rer la surct de 1'etat, ne sa- t< chant, les uns, en quelle disposition sont les affaires ni le fond des finances du roi; les autres abusant de ce pretexte pour mou- voir les simples a sedition : pour con tenter les bons, et fermer la bouche aux mauvais, y a-t-il remede plus prompt ni plus rece- vable quedefaire entendre en pleins etats, comme sont toutes choses, puisqu'il est permis la s'enquerir et de savoir la verite? u Si les premiers ministres du roi sont ca- ulomnies comme auteurs et cause de tout le mal passe et qui peut advenir, comme ceux qui tournent toutes choses a leur avantage, et font leur profit particulier de ula calamite de tous, y a-t-il autre moyen upour se faire nettoyer de tous soupcons quedefaire entendre en telle assemblee en quel etat on a trouve le royaume, comme il aete administr^, et comme ceux qui sont assures d'avoir bien agi ne veulent fuir la lumiere, ains sont appareill^s d'en rendre si bonne raison, qu'on aura cause d'en etre usatisfait? DE FRANCE. CHAP. XXX. 69 Bref , s'il y a crierie publique, sous quel- que pr^texte que ce soit, ou peut-elle etre mieux ou'ie qu'en assemblee generale(i)? L'opinion des deux eveques prevalut. La (i) Cediscoursdans lequel lesavant archeveque censure les abus qui affligent 1'Eglise, comme ceux qui troublent 1'etat, renferme encore le passage suivant: Gette sen- tence de Jesus-Christ est eternelle : Gratis accepistis, gratis date. Les choses spirituelles se baillent de Dieu gratui- u tenient , il ne nous est done licite en faire marchandise. Saint Louis voyant ce desordre qui commencoit, ne fit aucun doute d'ordonner que les pre'lats resideroient en leurs evesche* et qu'on ne porteroit plus d'argent a Rome , monstrant par-la combien ceste marchandise lui desplaisoit De notre temps, le pape Paul III voyant la defection que plusieurs pays faisoient de 1'Eglise romaine, com- manda certains personnages qui estoient les plus ap- parents en doctrine de leur temps, de luy mettre par escript ce qui leur sembloit estre digne d'estre reforme en 1'Eglise ,entreautres le cardinal Theatin , qui depuis a este pape, surnomme Paul IV, qu'on estimoit des premiers de 1'Eglise en integrite de vie, et en sublimite de doctrine Ces seigneurs, apres avoir assemble et con fere, don- nerent leur avis, qui est publier par-tout, contenant (i au premier point: Qu'en 1'usage et administration des 60 ASSEMBLIES NATIONALES convocation des etats-generaux fut r^solue, et il fut arrete qu'ils se tiendroient a Or- leans, dans le cours du niois de decembre prochain. Les catholiques et les reform es applau- dirent egalement a cette resolution. Chaque parti , plein de confiance dans ce qu'il croyoit etre la bonne cause, se flatta d'un triomphe assure. Les princes lorrains, qui ne partageoient pas cette securite , appelerent rintrigue a leur secours, et leur ambition inquiete couvrit la France de miserables charges de corrompre les electeurs. Ces man- oeuvres reussirent, et lorsqu'apres les elec- tions les deputes se compterent, les parti- sans des Guise se trouverent en grande majorite. Maitre des volontes de 1'assemblee, comme de Fesprit du roi, et deja souverain de fait, le due de Guise n'avoit plus que quelques clefs, c'est-a-dire de la puissance de 1'Eglise , ne se pou- voit ni devoit rien prendre sans contrevenir directe- 11 ment au commandement de Dieu et decrets des con- ciles. DE FRANCE. CHAP. XXX. 6 1 pas a faire pour franchir 1'intervalle qui le separoit du trone. Cependantil ne jouissoit pas du calme qne Tame eprouve ordinaire- merit a la veille d'un beau jour. Un prince d'unerarevaleur, d'un grand caractere,et qui disposoit de toutes les forces du parti pro- testant, Louis de Conde, frere d'Antoinede Bourbon, roi de Navarre, effrayoit son am- bition. II osa concevoir le projet de le per- dre ; il lui supposa le dessein d'attenter a la personne du roi, et, 1'ayant fait arreter, il le livra a une commission qui le condamna a mort. Deja la fatale sentence etoit revetue de la signature de presque tous les commis- saires, et le moment de son execution ap- prochoit, lorsque des symptomes effrayants annoncerent la mort prochaine de Fran- cois II. A peine la nouvelle en est-elle r^pandue que la cour prend une nouvelle face. L'au- reole qui environnoit le due de Guise et le cardinal de Lorraine s'evanouit comme un vain meteore, et ces deux honames qui disposoient , il n'y a qu'un instant, du royaume et du roi, ne sont plus que des 6 2 ASSEMBLIES NATION ALES chefsde parti ; cependantils n'en conservent pas moins le desir de perdre le roi de Na- varre et le prince de Conde. Mais aussi mo- destes qu'ils s'etoient montr^s superbes, ils s'adressent respectueusement a la reine- mere, et apres les plus humbles protesta- tions de devouement et de fidelite, ils lui representent qu'elle a tout a craindre de ces deux princes, si, avant que le roi expire, elle n'a pas fait executer Tun, et arreter 1'autre; que, devenu libre, le prince de Goiide, qui lui attribuera sa condamnation , soulevera contre elle ses iiombreux parti- sans ; que le roi de Navarre, premier prince du sang, se fera conferer la regence par les etats-generaux, et qu'elle se verra reduite a la nullite la plus humiliante. Catherine irresolue appelle le chancelier, lui communique Fa vis des Guise, et lui de- mandelesien. La reponse du chancelier fut digne de sa haute sagesse; en voici la substance : Le due de Guise, grand capitaine, et le cardinal de Lorraine, habile administrateur, ont rendu des services a Fetat ; on lie doit pas les ou- DE FRANCE. CHAP. XXX. 63 blier. La division qui regne entre eux et les princes du sang pourroit troubler le royaume; il faut les reconcilier. A Fegard de la regence, il ajouta qu'aucune loi n'ex- cluoit en France une reine-mere de la r^- gence du royaume; qne quelques unes, telles que Blanche de Castille, 1'avoient exercee de 1'aveu de la nation, avant que le roi Charles VI eut aboli, par son ordonnance de i47? 1'ti sage de la regence parmi nous, en snbstituant a une seule person ne un con- seil d'administration dirige par la reine- mere et compose des princes, des grands officiers, et des principaux seigneurs du royaume; que c'etoit a cette sage institution qu'il falloit s'en tenir, comme a la seule qui conciliat tous les interets ; enfin que le roi de Navarre, d'un caractere doux et tranquille, et d'une moderation qui alloit souvent jus- qu'a la foiblesse, se preteroit sans peine a tous les arrangements que la reine lui pro- poseroit. Eclair^e par des conseils aussi sages, la reine manda pres de sa personne le roi de Navarre et les princes lorrains; jetant sur 64 ASSEMBLIES RATIONALES le premier un regard severe, elle lui dit d'un ton menacant qifelle se porteroit envers lui aux dernieres extremites si, a 1'instant meme , il ne souscrivoit a la double condition de renoncer a la regence par un acte formel, et de se reconcilier avec les princes lor rains. Le roi de Navarre repondit qu'il pensoit que le prince qui succederoit au roi etant encore mineur, la regence du royaume de- voit lui appartenir en sa qualite de premier prince du sang, qu'il lie s'en croyoit pas in- digne, mais qu'il y renoncoit et qu'il etoit pret a signer 1'acte de sa renonciation ; et quant a la reconciliation avec les Guise, elle se fit avec toutes les demonstrations qui pou- voient la faire regarder comme sincere; et Catherine au comble de ses voeux, promit au roi de Navarre qu'il seroit le chef du conseil d'administration. A peine ces arrangements etoient-ils ter- mines que Francois II mourut, le 5 decem- bre , dans la dix-huitieme annee de son age , et apres un regne de dix-sept mois. Charles IX, qui succeda a son frere, ayant a peine atteint sa onzieme annee, la reine- DE FRANCE. CHAP. XXX. 65 mere se saisit de la r^gence. Mais, comme aucune loi ne la lui conferoit, et qu'elle sentoit bien qu'il ne lui etoit pas possible de se la dormer a elle-meme, elle voulut pa- roitre la tenir de son fils; et ce prince, en- core mineur, et par consequent sans pouvoir comme sans voloiite, ecrivit a toutes les cours souveraines que se confiant en la bonte de Dieu y et dans la prudence de la reine sa mere, il I'avoit priee de prendre les renes du gouvernement. Pendant que ces choses se passoient a la cour , les deputes s'etoient rendus a Orleans ; et toutes les pensees se toumerent vers les etats-generaux. 2. 66 ASSEMBLEES NATIONALES CHAPITRE XXXI. fitats-generaux tenus a Orleans en i56o. La lutte entre les catholiques et les re- formes devenoit chaque jour plus mena- cante. D'un autre cote, Henri II avoit laisse" les finances dans Tetat le plus desastreux. Un grand conseil , tenu a Fontainebleau, avoit jugeque les eta ts-ge'nerauxduroyaume pouvoient seuls fermer des plaies aussi pro- fondes, et Francois II les avoit convoques. La mort prematuree de ce prince laissa la couronne a Charles IX, a peine age de onze ans. Gette minorite acheva de porter la con- fusion dans les affaires. Catherine de Medicis se fit conferer la regence par le roi mineur, et s'en mit en possession. Cette espece d'investiture parut aussi ir- reguliere qu'elle etoit nouvelle ; les reformes re*clamoient cette meme regence pour le roi DE FRANCE. CHAP. XXXI. 67 de Navarre qu'ils regardoient comme leur chef. Ainsi les e"tats-generaux, que Ton n'avoit appel^s que pour calmer 1'effervescence des opinions religieuses et remplir le vide du tresor public, eurent encore a s'occuper d'une troisieme question, celle de savoir comment, et par qui, seroit admihistr le royaume pendant la minorite du roi. Le 1 3 decembre, jour fixe pour 1'ouver- ture cies etats, le due de Guise tenant a la main son baton de grand-maitre couvert d'un crepe, et assiste des maitres des cr&- monies, fit appeler par ordre et placer lui- meme les deputes des differents bailliages. La salle, comme il se pratiquoit dans ces sortes de ceremonies, etoit couple en deux parties ; 1'une superieure, Tautre inf^rieure. Dans Fenfoncement de la partie superieure, il y avoit deux sieges d'egale hauteur, 1'un pour le roi, 1'autre pour la reine-mere; a gauche de la reine, sur un siege moins eleve, madame Marguerite, sceur du roi; sur un autre siege moins eleve encore , ma- dame Renee de France, duchesse douairiere 68 ASSEMBLIES NATIONALES de Ferrare ; ensuite les cardinaux de Tour- non , de Lorraine , cle Bourbon , de Chatillon, et de Guise, selon la date de leur promotion ; a la droite du roi, sur un siege moins eleve, Monsieur, frere du roi; sur un siege moins eleve, le roi de Navarre, ensuite le prince, dauphin d'Auvergne, fils du due de Mont- pensier ; le prince de la Roche-sur-Yon , le marquis de Beaupreau, son fils, le prince de Joinville, fils aine du due de Guise, et le marquis d'Elbeuf ; sur deux escabelles avaii- cees a droite et a gauche du trone, le con- netable avec Tepee nue, et le chancelier, ayant Tun et 1'autre a leurs pieds deux huis- siers a genoux, tenant leurs masses hautes; sur le premier gradin du trone , le due de Guise, grand chambellan, avec le baton de grand-maitre ; devant les sieges des princes du sang, deux gradins plus bas, une ban- quette, sur laquelle etoient assis Claude de Gouffier, grand ecuyer, les marechaux de Brissac, de Saint- Andre, et Famiral Coli- gni; du cote oppose, au-dessous des cardi- naux, une banquette parallele pour les eve- ques d'Orleans, de Valence, et d'Amiens; DE FRANCE. CHAP. XXXI. 69 les seigneurs'du Mortier, d'Avanson, et de Selve, tous conseillers d'etat; autour d'un petit bureau, entre ces deux banquettes, les quatre secretaires d'etat; debout derriere le fauteuil du roi, le seigneur de Cipierre, son gouverneur; derriere cekii de la reine, le comte de Crnssol , son gentilhomme d'hon- neur; derriere celui de Monsieur, Carna- valet, son gouverneur; derriere celui du roi de Navarre, d'Escars, son chambellan ; aux deux cotes de la cherainee, les quatre capitaines des gardes; autour de Fenceinte et appuyes sur la cloison, les officiers de la chambre et ceux de la maison du roi avec leurs baches d'armes ; voila ce qui forrnoit la par tie superieure; les degres, qui la se- paroientde i'inferieure, les surintendants et generaux des finances. La partie inferieure etoit remplie de banes plus ou moins eleves ; a droite pour les eveques et autres deputes du clerge; a gauche pour les chevaliers de l'ordre,les barons et autres deputes de la no- blesse ; an centre, pour les deputes du tiers- etat. Des rois d'armes fermoient Ten tree de Tenceintequi separoitlesdeputesu une foule 70 ASSEMBLIES NATIONALES de spectateurs que la curiosite avoit attires. Lorsque tout le monde cut pris place, et qu'un heraut eut crie que le roi vouloit que tous fussent assis et couverts , le chancelier alia s'agenouiller aux pieds du roi, com me pour prendre ses derniers ordres, puis re- venu a sa place, il prononca un discours plein de 1'esprit de sagesse, de tolerance, et de moderation, dont tous les actes de son administration portent 1'empreinte. Je vais en transcrire une partie. II est certain que les anciens rois avoient coutume de tenir souvent les etats, qui etoient Tassemblee de tous leurs sujets ou deputes par eux , et n'est autre chose tenir les etats, que communiquer par le roi avec uses sujets de ses plus grandes affaires, prendre leur avis et conseil , ou'ir aussi leurs plaintes et doleances, et leur pour- u voir ainsi que de raison. Geci etoit ancieii- nement tenir le parlement, et encore a re- utenu le nom en Angleterre et Ecosse Les etats Etoient assembles pour diverses causes, et selon les occurrences et les oc- ucasions qui se presentoient, ou pour de- DE FRANCE. CHAP. XXXI. 71 mander secours de gens et deniers, ou pour dormer ordre a la justice et aux gens de wguerre, ou pour les apanages des enfants de France, comme advint au temps du roi Louis XI , ou pour pourvoir au gouverne- u ment du royaume, ou autres causes. Et y seoient et presidoient les rois, forsque aux u^tats, auxquels fut traitee la plus noble cause qui fut oncques (savoir est a qui devoit appartenir le royaume de France, apres la mort de Charles-le-Bel, a Philippe de Valois, son cousin, ou bien aEdouard ((d'Angleterre); le roi Philippe n'y pr^sida, car il n'^toit encore roi, et etoit partie. II est sans doute que le peuple recoit grand bien desdits etats ; car il a cet heur ud'approcher de la personne de son roi, de lui faire ses plaintes , lui presenter ses requetes et obtenir les remedes et provi- sions necessaires. Aucuns ont doute" s'il toit utile et pro- Stable aux rois de tenir les etats, clisant <( que le roi diminue aucunement sa puis- sance de prendre 1'avis et conseil de ses wsujets, n'y tant oblige ni tenu; et aussi 7-i ASSEMBLERS NAT1ONALE3 qu'il se rend trop familier a eux, ce qui engendre mepris, et abaisse la dignit et majeste royale. Telle opinion me semble avoir pen de uraison. Premierement, je dis qu'il n'y a acte tant digne d'un roi, et tant propice a lui, que tenir les etats, que donner au- u dience generale a ses sujets, et faire justice a chacun. Les rois ont ete elus , preraierement pour. faire la justice; et n'est acte tant royal faire la guerre , que faire la jus- tice; car 'les tyrans et les mauvais font la guerre autant que les bons rois, et bien souvent le mauvais la fait mieux que le bon . Aussi dedans le seel de France n'est em- ])reinte la figure du roi arme et a clieval , comme en beaucoup d'autres parties; mais seant en son trone royal, rendant et fai- sant la justice. ((Combien de pauvretes, d'injures, de u farces, d'injustices, qui se font aux peu- pies, sont cachees aux rois, qu'ils lie pen- DE FRANCE. CHAP. XXXI. 78 vent oui'r et entendre qu'en tenant les etats ! Cela retire les rois de trop charger et gre- ver leur peuple, d'imposer de nouveaux subsides, de faire grandes et extraordinai- re res depenses, de rend re offices a mauvais juges, de bailler eveches et abbayes a gens indignes, et d'autres infinis tnaux que, wsouvent par erreur, ils commettent; car, w la pluspart des rois ne voyent que par les u yeux d'autrui . 7 et n'oient que par les oreilles d'autrui, et au lieu qu'ils dussent mener les wautres, se laisseiit inener. cc Geux qui disent : Le roi diminue sa puissance, ne le prennent bien, car en- core que le roi ne soit contraint et neces- site prendre conseil des siens, toutesfois (t il est bon et lionnete qu'il fasse les clioses par conseil ; autrement il faudroit oter toutes mahieres de conseil , conime le prive u parlement et autres. Theopompe fut roi de Sparte : il crea des magistrals qui furent appeles les eplio- res, et ordonna que les rois ne f'eroient (( aucune chose d'importance sans leur con- 74 ASSEMBLIES NATION ALES seil: sa femme le tanca, lui disant que c'etoit honte & lui de laisser a ses enfants u la puissance royale moindre qu'il ne Favoit recue de ses predecesseurs. A quoi repondit Thopompe : Moindre n'est-elle, maisplus modeVee; et ores qu'elle fut moindre, elle sera par ce moyen de plus longue duree ; car toutes les choses violentes ne durent gueres. Reste a vous raconter du mesnage du roy, qui est en si pauvre et piteux etat, que je ne pourrois le vous dire, ne vous 1'ou'ir sans larmes et pleurs ; car jamais pere , de quelque etat ou condition qu'il fut, ne laissa orphelin plus engage, plus endette, plus empeche que notre jeune prince est demeure par la mort des rois ses pere et frere ( i ). (i) Nous trouvons dans les Memoires de Castelnau, liv. II, chap. 11, les de'tails suivants sur 1'etat du tresor public k 1'avenement de Charles IX. Les estats trouverent fort estrange que le roy fut en- dette de quarante et deux millions six cent et tant de DE FRANCE. CHAP. XXXI. 76 Tous les frais et expenses de douze on treize annees d'une grande , longue et continuelle guerre sont tombes sur luy : trois grands manages a payer, et autres choses longues a reciter, le domaine, les aides, les greniers a sel et partie de tailles tf alienes. Sa volonte est tres sainte de vou- loir acquitter la foi de ses predecesseurs ; en cela il ne refuse se require a telle me- sure et epargne, qu'un prive seroit con- tent, pourvu que sa majest royale n'en u soit avilie. II a recours a vous comme a ceux qui n'ont jamais failli a secourir leurs princes, vous demande conseil, avis, et moyeii de u livres, vu que le roy Henri II venant k la couronne, avoit trouve' en PEspargne dix-sept cent mille ecus , et le quartier de Janvier a recevoir, outre le profit qui venoit du rachat des offices. Et si n'estoit du que bien peu aux cantons des Suisses , que I'on n'avoit pas voulu payer, pour continuer 1'alliance avec eux. Toutes ces u grandes dettes furent faites en moins de douze ans , pendant lesquels on leva plus d'argent sur les sujets que I'on avoit fait de quatre-vingts ans auparavant , outre le domaine qui estoit presque tout vendu. 76 ASSEMBLIES NATIONALES sortir de ses affaires. Ce qui vous sera plus aise apres en avoir vu par vous-memes (( 1'etat, ou 1'avoir fait voir par auctm de vos deputes (t). (i) L'etat dont parle le chancelier fut mis sous les yeux des etats. Je vais le rapporter tel qu'il est consigne page 5oo, tome XI du recueil, publie par de Mayer, et intitule : Des Etats-generaux et autres assemblies nationales. Paris, 1788, 1 8 vol. in-8. ETAT ABREGE DES RECETTES ET DEFENSES Faitesparle tresorier de t' 'Epargne , M' Raoul-Moreau, durant Cannes finie le dernier decembre i56o. LA RECETTE TOTALE pour ladite annee monte, selori 1'etat qu'en a bailie ledit Moreau, a la somme de douze millions deux cent cinquante-iieuf mille neuf cent vingt- cinq livres six sols six deniers. Mais est a noter qu'en ladite somme sont compris quatre cent vingt-sept mille six cent vingt-cinq livres quinze sols deux deniers, d'une part, que se trouvent monter les mandemeiits et rescriptions qu'il a leve's sur les deniers de 1'anne'e presente, fmissant i56i , qui ont e'te revoques, et n'est entree et issue en sondit etat la somme de deux millions huit cent quatre-vingt-trois mille deux cent cinquante-trois livres sept sols, d'autres de prets, alienations, traite's, et autres parties extraor- dinaires, par lui recus durant ladite annee, outre les finances ordinaires d'icelles; et trois cent quatre-vingt- DE FRANCE. CHAP. XXXI. 77 Le lendemain, les trois ordres se retirfc- rent cliacun dans un local separe. Un inci- quinze mille quatre cent trente-deux livres d'assigna- tions, aussi levees sur les restes des comptes, qui ne peuvent etre pris pour revenus ordinaires , ne de finances dont on puisse faire etat certain. liv. s. d- Ci ne'anmoins la somme totale de re- cette 1 2,259,925 6 6 Ex LA DEFENSE TOTALE dudit etat en deniers payes comptant, et assignations bailk-essurles deniersde ladite recette, tant de ladite annee finie (i5Go) que dela presente, etautres parties extraor- dinaires dessus mentionne'es , monte a la somme de 12,260,829 1910 Savoir : Deniers comptables 7,698,499 2 i Pensions , gages , et entre- tenement, tant des annees pre- cedentes que de la presente. i,o3o,753 i3 4 Voyages et ambassadesmon- tent a 198,476 3 i Dons, presents, recompen- ses, et bienfaits, douze cent soixante-trois mille sept cent quatre-vingt-onze livres trois sols buit deniers; savoir, pour les menus dons, a la somme de. . 171,000 Pour autres dons , fails pour recompenses 6i6,4f>8 18 4 78 ASSEMBLEES NATIONALES dent s'eleva d'abord : plusieurs deputes de la noblesse et du tiers-etat representerent que leurs pouvoirs etant expires a la mort liv. s. d. Report de la recette 12,259,99.5 6 6 Pour gages , pensions , et au- tres deniers comptables , et en- core pour autres dons assignes sur parlies et deniers extraor- dinaires, dont on avoit fait etat pour recompenses de ser- vices 538,694 7 8 Achat de meubles, oiseaux, et chevaux 5o,654 4 4 Fondation et entretenement du service divin 1,260 1 1 Remboursements d'officiers alternatifs 124,795 10 Deniers payes par ordon- nances 210,784 10 8 Deniers payes a 1'acquit du roi 1,556,179 i3 8 Comptant es mains de sa majeste 9,209 Gages en finances 1 4,346 i5 8 Gardes des forets 21,487 10 Quittances de M e Jean Rayon , et celles des gardes des forets, montant a la somme de 18,280 TOTAL DE LA DEFENSE 12,260,829 19 10 Ainsi seroit du, k ce dit present tre'- sorier, la somme de go4 i3 4 Fait a Orleans, lequinzieme jour de Janvier i56o. DE FRANCE. CHAP. XXXI. 79 du roi, ils e*toient obliges de les faire renou veler. Cette question ayant etc* agite'e dans le conseil du roi , il fut arrete qu'ils n'avoient pasbesoin de nouvelle commission, attendu qu'en France le roi ne meurt pas. Cette difficulte re"solue , chaque ordre s'occupa du choix de son orateur. Avant la mort de Francois II , le cardinal de Lorraine avoit temoigne qu'il souhaitoit etre nomme orateur des trois ordres du royaume. Sa prevention etoit contraire a 1'usage et a la raison. Neanmoins, comme il e'toit alors tout-puissant, on ne 1'avoit pas absolument refuse, et Ton s'etoit contente de differer de lui accorder ce qu'il desiroit. Francois II etant mort, le tiers- etat rejeta formellement la proposition du cardinal, le plus grand nombre des deputes disant qu'elle etoit inoui'e, et que d'ailleurs ils n'avoient garde de confier leurs interets a quelqu'un contre qui ils a voient ordre, par leur commis- sion , de porter des plaintes. En consequence, Quentin, professeur en droit canon dans 1'u- niversite de Paris, fut choisi pour etre ora- teur du clerge; Jacques de Silly, comte de 8o ASSEMBLIES NATIONALES Rochefort, et Jean 1'Ange, avocat au parle- ment de Bordeaux, furent charges d'etre les organes, Tun de la noblesse, 1'autre du tiers- etat. Ges preliminaires remplis, les etats s'oc- cuperent des objetsque le discours du chan- celier avoit sourais a leur deliberation ; et le premier jour de Janvier, le roi, accompagne comme a Fouverture des tats, se reridit dans la salle de I'assemblee generate pour recevoir les cahiers et entendre les harangues des orateurs des trois ordres. Le docteur Quentin, organe du clerge", prit la parole, et se livra aux declamations les plus violentes contre la religion refor- mee. Voici quelques fragments de son dis- cours : uNous demandons, sire, nous supplions, (c nous requerons instamment, comme chose c plus que necessaire a 1'integrite, a la pure et sincere fidelite de votre royaume, que udesormais tout commerce de quelconque uniarchandise, livres, ou autre, soit inter- dit, nie, et defendu a tous heretiques, DE FRANCE. CHAR. XXXI. 8 I usectateurs, renovateurs , et d&endeurs de doctrine ja con damned. Certainemeiit tels marchandise et trafie ne sont qu'un vrai monopole d'heresie, et usont les marchands vrais monopoleurs, uvendant en gros et publiquement leurs draps etdenrees, debitant latilement leur (t heresie damnee. Qui ne nous croit-il pas le peut voir, tant est la chose decouverte. A cette cause, sire, nous tres humbles et devots orateurs du clergede votre royaume a vous supplions universelleraent de ne plus u adrnettreiii recevoir tels marchands a quel- que commerce que ce soit. u Si Jeremias visitoit aujourd'hui les trois etats de votre royaume, comme il visita les etats de Juda et Jerusalem , il pourroit faire un meme rapport a son Seigneur, et diroit : Je n'ai trouve justice ni foi; les pretres, les peuples, les grands, et les pe- tits, ont rompu le frein et le lien de la loi : tu les as affliges, et ils n'ont voulu douloir ; 2. 6 82 ASSEMBLIES NATIONALES tu les as attraits, et ils se sont endurois , et u n'ont voulu recevoir discipline. Vous supplions aussi tres humblement prendre pitie et compassion de nos per- sonnes qui prient pour vous, nous conser- ver et maintenir en nos privileges et pre- rogatives, qui nous sont et out e"te baillees uetiam par princes heretiques, puis apres par empereurs chretiens, et de rechef par v vos pred^cessetirs rois tres chretiens. uA cette cause, n'ayant egard a notre particulier, mais du tout a votre ame et de uceux eiitre les mains desquels elle est, tenons vous requerons et interpellons, sire, ucomme de chose qui ne se peut, ne doit < lors rabattu, parceque ceux qui estoient comptables (i estoient trop puissants , et par consequent c'estoit se i< remettre en danger de quelque nouveau trouble , si .< 1'on les vouloit recliercher. Mais Von advisa cle faire le 90 ASSEMBLIES NATIONALES etoit d'obtenir des etats la reconnoissance de son autorite. Cette reconnoissance agitoit fortement les esprits et partageoit les d&- putes. Le roi de Navarre, fidele a la promesse qu'il avoit faite a la reine,gardoit le silence; niais il etoit porte a la regence par les re for- mes qui le regardoient comme leur chef, et par le connetable de Montmorenci qui crai- gnoit que les Guise ne parvinssent a se res- saisir du pouvoir, s'il residoit dans les mains de Catherine. Dans 1'esperance de calmer cette agita- tion , la reine-mere fit faire par son conseil un reglement conforme a ledit de 1 ineilleur menage qu'il seroit possible , en retenant une a partie des gages des officiers pour cette annee-la. L'on retrancha de plus toutes les depenses de la uvenerie, et de plusieurs autres offices, qui sembloient estre inutiles; car il j avoit lors en la maison du roy plus de six cents officiers de toutes qualitez. J'ajoute queces projcts de reformealarmerent tellement le due de Guise, le connetable de Montmorenci, et le i ii, uvcli.il de Saint- Andre, qu'ils se reunirent, et for- merent ce triumvirat dont il est si souvent parle dans ls Memoires contentporains. DE FRANCE. CHAP. XXXI. 91 c'est-a-dire qui lui laissoit la tutele du roi mineur, mais qui conferoit 1'exercice de la puissance publique a un conseil de regence dont elle n'avoit que la presidence: elle etoit bien sure qu'elle parviendroit a rattacher toute 1'autorite a ce titre de presidente. Ce reglemenl se compose de sept articles, dont les trois premiers portent : Art. i er . Le roi veut et en tend que dore- navant tous les gouverneurs de province et capitaines de place qui se trouveront a la cour, et qui auront quelques demandes a faire relatives a leurs charges, s'adressent d'abord au roi de Navarre pour en faire le rapport a la reine-inere, laquelle en ordon- nera de 1'avis du conseil : Art. 2. Que tous memoires, lettres ou avis relatifs a 1'administration civile ou mi- litaire , soient adresses directemen t a la reine- mere , qui en prendra connoissance, les communiquera ensuite au roi de JNavarre [tour prendre son avis, puis les portera au conseil, ou ils seront r^pondus; Art. 3. x( Que les reglements qu'il convien- dra de faire par rapport a la justice, a la po- 92 ASSEMBLIES RATIONALES lice et aux finances, soient discutes dans le conseil, en presence de la reine-rnere, redi- ges par le secretaire d'etat du departemeiit , conformement a 1'arrete du conseil, puis scelles par le chancellor, sans qu'il en soit jamais expedie autrement. On joignit a ce reglement la liste des per- sonnes qui devoient composer le conseil d'e- tat. Presente aux trois ordres par le chan- celier et par Morviliers, eveque d'Orleans, ce reglement fut unanimement accueilli par celui du clerge; mais dans les deux autres, et iiotamment dans celui de la noblesse, il eprouva la plus forte opposition. Le parti qui pretendoit que la regence devoit appar- tenir an roi de Navarre, en sa qualite de pre- mier prince du sang, presenta au roi et a son conseil une requete par laquelle il declaroit que bien qu'il appartint incontestablement a la nation dont ils etoient les representants de regler Fadministration generale dans tin temps de minorite, et de former le conseil d'etatconjointementavec les princes du sang, il etoit vrai cependant que dans la conjonc- ture presente ils se trouvoient ^galenient DE FRANCE. CHAP. XXXI. 98 incompetents, et pour proceder a ce choix, et pour donner leur avis sur les deux pieces qui leur avoient ete presentees par le clian- celier et Feveque d'Orleans, parcequ'ils n'a- voient recu aucun pouvoir a cet egard de la partde leurs commettants, qui n'avoient pu ni du prevoir le cas qui se presentoit', qu'en consequence ils n'approuvoient ni ne desap- prouvoient ce pretendu rcglement ; qu'il leur paroissoit de toute iiecessite , si Ton vouloit proceder legalement dans cette grande affaire , que le roi , de Favis des princes du sang, . convoquat une seconde fois les etats provinciaux, et permit aux de- putes qui se trouvoient a Orleans d'aller les consulter et se procurer de nouvelles in- structions; que jusqu'a ce que cette forma- lite eut ete remplie, ils s'opposoient a tout ce qui seroit propose, delibere et arrete en cette matiere. La reine-mere, qui etoit parvenue a se procurer la majorite dans les trois ordres, rejeta cette requete, et declara imperieuse- ment qu'elle entendoit que son re^lement fut execute. 94 ASSEMBLIES RATIONALES Les partisans de la r^forme, qui n'en com- prirent que mieux combien il leur irnpor- toit que le roi de Navarre rut invest! de la regence, presenterent une seconde requete beaucoup plus energique que la premiere, et dans laquelle, abordant franchemeiit la question , ils s'efforcerent d'etablir qu'en France le gouvernement du royaume, pen- dant la minorite du roi, appartient de droit au premier prince du sang. Nous lisons dans cette requete : u Nous savons que le bas age du roi le laisse expose a la seduction , aux surprises et aux importunites de tout u ce qui Fentoure, et que notre devoir est de Ten preserver. Nous blesserions done notre u honneur et notre conscience en acc^dant ua Farrangement qu'on nous propose sans nous etre bieii assures auparavant que w ceux a qui Ton a donne entree dans le conseil sont veritablement dignes d'y te- nir place. Nous ne forinons aucune pre- utention nouvelle; nous ne demandons que ce qui s'est constamment pratique parmi c nous ; car, pour ne pas remon ter a des temps utrop anciens, Ihistoire nous apprend que DE FRANCE. CHAP. XXXI. 96 lorsque Blanche de Castille, mere de saint Louis, voulut 1'appliquer aux etudes dans 1'universite de Paris , les tats-gnraux u formerent un conseil d'administration compose de savants legistes et de notables chevaliers; qu'en 1827, a la mort de Char- ts les-le-Bel qui laissoit lareine enceinte, les etats-generaux assembles decernerent la regence a Philippe de Valoia(i); que, sous la minorite de Charles VI , ces memes etats (^assembles a Paris la decernerent au due d'Anjou, quoique Charles V en eutordonne autrement par son testament; qu'apres Finfortune survenue a ce meme Charles VI pres de la ville du Mans, ils s'assemblerent de nouveau pour donner ordre a 1'admi- nistration , tant que dureroit Fetat de de- inence ou il etoit tombe ; qu'enfin les der- (( niers etats-generaux tenus a Tours sous la minorite de Charles VIII coopeVerent (i) Ces deux assemblies , uniquement composees des grands du royaume, et auxquelles le tiers-e'tat ne fut pas appele', n'e'toient pas des etats-ge'ne'raux , mais de simples assemblees de notables. 96 ASSEMBLEES NATIONALES avec les princes du sang a la formation dn conseil d'etat, selon le temoignage de Phi- lippe de Comines qui en etoit membre. Cette requete ne fut pas mieux accueillie que la precedente; et comme le dit le chan- celier de L'Hospital dans son testament (i): Les etats induicts par equite; car quy a-t-il de plus equitable que de donner la chaise et tu- tele du fils a la mere? estant done yceulx in- duicts parequite, ET EN NOSTRE CONTINUELLE POURSUITE, donnerent a la reine-mere la charge et tutele du roy et de ses biens , lui associanl pour ayde et conseil le roy de Navarre. Enfin, par suite cles deliberations des etats, et peu de temps apres leur cloture, parut un edit de tolerance, par lequel il etoit enjoint aux juges de rendre la liberte et les biens a ceux qui en avoient ete prives pour cause de religion. Le meme edit portoit defense a tous les sujets du roi, sous peine (i) Ce testament est imprime dans le Recue'd des ceuvrc* completes de L'Hospitat, tome II, recueil precieux que nous devons aux laborieuses veilles de M. Dufey , avocat a la Cour royale de Paris. DE FRANCE. CHAP. XXXI. 97 de la vie, de s'attaquer les uns les autres, a ["occasion de la difference des dogmes. Ainsi furent regies les trois points soumis a la deliberation des etats. Le vide du tresor public fut comble par un retranchenient dans les depenses; les troubles religieux fu- rent calmes par un edit de pacification entre les catholiques et les re" formes. Enfin Cathe- rine de Medicis, sous le double titre de tu- trice du roi mineur, et de presidente du conseil, exerca toute Tautorite d'une veri- table regente. Cependant les etats-generaux ne furent pas dissous, mais prorogues au mois de mai suivant, epoque a laquelle il fut arrete qu'ils se reuniroient, non a Orleans, mais a Pon- toise. On devine aisement le motif de cette pro- rogation. La regente, qui apparemment ne trouvoit pas dans le retranchenient des pen- sions des ressources suffisantes, prit cette mesure dans 1'esperance que les deputes, qui jusqu'alors ne lui avoient donne que des conseils, se determineroient enfin a ve- 2. 7 98 ASSEMBLEES NATION ALES nir an secours du tresor public d'une ma- mere plus efficace. Quoi qu'il en soit, les etats se reunirent a Pontoise, etpeude temps apresfu rent trans- feres a Saint-Germain. J'empruiite les de- tails que Ton va lire au plus sage, an plus veridique de nos historiens(i). ((Nous avons dit que les etats etoient convoques pour le mois de mai : depuis ils ((furent proroges jusqu'au mois d'aout. Au u commencement de ce mois, ils s'assemble- rent a Pontoise, ainsi qu'il avoit et regie ; inais pen apres ils furent transferes a Saint- (( Germain. Les cardinaux, dans la premiere u seance, voulurent disputer la preseance ((aux princes du sang, et lie 1'obtinrent point. Le cardinal de Tournon, doyen, w et les cardinaux de Lorraine et de Guise u se retirerent de 1'assemblee fort irrites de ce que les cardinaux de Chatillon et d Ar- magnac ne suivoient point leur exemple. u La plupart des deputes etoient pen fa- (i) V)e Thou, Hi slot re universe tie, livre XII. DE FRANCE. CHAP. XXXI. 99 t( vorables aux ecclesiastiques. 11 i'ut pro- tcpose, pour acquitter les dettes publiques, tie prendre tons les revenus des benefices de douze mille livres et au-dessus, et de lie laisser que trois mille livres par an aiix u titulaires ; de prelever la moiti6 des reve- nus des benefices de trois mille livres, le tiers de ceux qui n'en rapportoient que mille, et le quart de ceux qui n'etoient que de cinq cents; d'oter aux ordres religieux tout ce qu'ils possedoient au-dela de ce u qui etoit necessaire pour la subsistance dc u leurs communautes, etdevendrecesbiens, ainsi que toutes les maisons qui apparte- ccrioient aux beneficiers, excepte celles qui servoient a loger les eveques et les cha- rt noines. Cette vente, disoit-on, devoit pro- ( duire six-vin^ts millions. La noblesse supplia aussi le roi de supprimer les juri- convoqua une assemblee de notables, a laquelle il proposa d'eta- blir, sous le nom de taille, un impot perpetuel, exclusi- vement destine a 1'entretien d'une arme'e reguliere, ajou- tant que si sa proposition etoit accueillie, il renonceroit au benefice qu'il pouvoit tirer de la fabrication et du changement des monnoies ; qu'il renonceroit egalement aux levees extraordinaires de deniers, connus sous le nom de taille seigneuriale , taille arbitraire, taille aux quatre cas , c'est-a-dire lorsque le roi armoit son fils aine' I 38 ASSEMBLIES NATION ALES Finfaiiterie seroit de vingt mille hommes, et de douze mille en temps de paix; que le produit de la taille et du tailloii seroit ex- clusivement affecte aux depenses de cette armee ; que pour en empecher le divertisse- ment a d'autres usages, la perception en se- chevalier, qu'il marioit sa fille ainee, qu'il faisoit le voyage d'outre-mer, ou qu'il etoit fait prisonnier. Ces propositions ayant ete agre'ees, le roi crea quinze compagnies de cent lances: chaque lance ou homine d'armes devoit avoir sous lui trois archers, un ecuyer, et un page, tous a cheval : ce qui formoit un corps de neuf mille hommes. La paie de chaque homme d'armes etoit de dix livres par mois , celle de 1'ecuyer de cent sous , celle des archers de quatre francs, et celle du page de soixante sous. Un grand nombre de gentilshommes et meme de rotu- riers assez riches pour servir a leurs frais se reunirent a ces compagnies comme volontaires, de maniere que bientot chacune d'elles se trouva monter au moins a douze cents homines : ce qui forma le plus beau corps de cavalerie, et le plus redoutable qu'il y cut en Europe. Gette premiere organisation avoit cela de remarquable que les officiers etoierit responsables des delits de leurs soldats; et que tous, en quartier d'hiver et dans leurs garnisons, etoient, dans tous les cas, justiciables des tribunaux ordinaires. DE FRANCE. CHAP. XXXIII. roit confiee a des notables clioisis dans les differentes communes, et que le roi seroit supplie de donner ses ordres pour que ce reglement recut son execution. Comme a cette epoque la noblesse etoit parvenue a s'affranchir de I'impot de la taille, qui dans 1'origine pesoit egalement sur tous ceux qui n'exercoient pas la profes- sion des armes, le but de cette proposition etoit evidemment de dispenser les nobles de concourir aux depenses de Farmee, et d'en charger exclusivement le tiers-etat; il le sen- tit si bien, que non seulement il rejeta la proposition, raais qu'il soutint que les fiefs ayant ete donnes a la charge du service mili- taire, c'etoit a la noblesse seule a supporter les frais que ce service pouvoit occasioner, puisque seule elle avoit droit de posseder les fiefs. Le meme jour, sur la demande de Bo- din (i), depute du Vermandois, il fut arrete (i) Jean Bodin exerca d'abord la profession d'avocat au parlementde Paris; mais se croyant inferieur h Pithou l4o ASSEMBLIES NATIONALES que dans le cahier du tiers-etat il seroit in- sere un article portant que le roi seroit sup- plie d'ordonner que les serpents et notaires seroieiit tenus de dater les actes par les heures, du moins devant ou apres midi; et quant aux testaments, qu'il seroit mis aussi s'ils etoient passes le jour ou la nuit. Les etats avoient adresse au roi une re- quete par laquelle ils supplioient sa majeste d'adjoindre a son conseil un depute de cha- que province. On procedoit au choix de ceux que Ton devoit presenter au roi pour rem- plir cette honorable mission. Bodin repre- senta que c'etoit, en quelque sorte, aneantir 1'autorite des etats, que de la confier a un et a Pasquier, ses confreres, et desesperant de s'e'lever a leur hauteur, il quitta le barreau. S'e'tant attache au due d'Alencon, frere de Henri III, il passa avec lui en Angle- terre. II venoit de publier son bel ouvrage de la Repu- bli(jue, et deja on I'enseignoit dans 1'universite d'Oxford. Pour faire ressortir le me'rite de cet ouvrage, il suffit de dire que Montesquieu lui doit beaucoup. De retour en France, Bodin se retira a Laon, ou il se pourvut de 1'of- fice d'avocat du roi au bailliage de cette ville, office qu'il exerca jusqu'a sa mort, arrivee en 1696. DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 1^1 si petit nombre de delegues, qui, tout in- corruptibles qu'on les supposat, pourroient se laisser intimider par la presence du roi , ou etre seduits par les insinuations de ceux qui gouvernoient a la cour; que Louis XI, qui le premier de nos rois avoit su s'arroger le pouvoir absolu , n'y avoit reussi qu'en attribuant ainsi le nom et le pouvoir des etats a une poignee de gens dont il disposoit a son gre; que jusqu'alors les etats n'avoient ete perpetuels ni ambulatoires, et que, par FarrangemeDt propose, ils devenoient Fun et Tautre. Sur ce que Tarcheveque de Lyon objecta qu'on pouvoit limiter le pouvoir des delegues, Bodin repliqua que, malgre cette precaution, leur seule presence au conseil donneroit toujours aux resolutions qui y seroient prises Fair d'etre approuvees, du moins tacitement, par la nation , et que par- la on se priveroit insensiblement du droit de remontrance : Tassemblee se rendit a ces raisons. Tout cela pouvoit etre fort sage, mais ne domioit point d'argent ; le roi , impatient d'en obtenir, fit mettre sous les yeux de Tassem- l4r ASSEMBLEES RATIONALES blee le tableau des charges qui pesoient sur le tresor public. Ces charges, suivant les pieces produites a 1'appui du tableau, s'ele- voierit a plus cle cent millions. Des deputes, au nonibre de trente-six, nommesparlestrois ordres pour verifier 1'exactitude de ces do- cuments, declarerent que les mis etoient insuffisants, les autres suspects; et il n'en fut plus question. Cependant cette communication ne fut pas sans effet : elle appela ['attention des de- putes sur les finances, et desormais cette grande affaire fera 1'unique objet des tra- vaux de Tassemblee. Des commissaires du roi proposerent d'a- bolir les anciens impots, et d'y substituer une taxe sur les feux, graduee de inaniere que la plus forte n'excedat pas cinquante livres, et que la moindre ne fut pas au des- sous cle douze deniers. Quelques autres de*- putes, et sur-tout Farcheveque de Lyon, ou- vrirent I'avis de faire une diminution de sept millions sur les rentes payees par Tetat : ces deux projets furent rejetes. Le roi fit de- mander un subside de deux millions, et les DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 1 43 (cfavoris, dit Mezerai, firent jouer tous les ressorts imaginables pour avoir cette gorge- chaude. Le tiers-etat, qui savoit bien qu'il eut paye pour tons, ne put jamais etre in- duit a y consentir. Les deputes etoient sur le point de se se- parer, lorsque Henri 111, accompagne de la reine sa mere, de la reine, des cardinaux de Bourbon, de Guise, et dEst, des dues de Guise, de Mayenne, etde Nevers, se rendit a Fassemblee. 11 annonca qu'il avoit resolu d'aliener a perpetuite cent raille ecus de rente du douiaine de la couronne; que par conse- quent il etoit necessaire que les etats conti- nuassent leurs seances pour en deliberer. La reponse des etats fut qu'ils suspen- droient volontiers leur separation pendant quelques jours, maia qu'ils ne pouvoient consentir a Talienation proposed, ni accor- der des subsides extraordinaires. Pompone de Bellievre retourna le jour suivant a 1'assemblee, et la sollicita forte- ment d'avoir egard aux necessites du tresor public. Bodin , avant remontre avec une liberte gauloise que le fonds du domaine ap- I 44 ASSEMBLIES NATIONALES partenoit a la nation, et que le roi n'eii etoit que simple usager, persuada telle- nient 1'assemblee, qu'elle repondit a Bellie- vre que le droit commun et la loi foiidamen- tale de 1'etat rendoient la ehose absolument impossible. Ainsi echoua la proposition du gouvernement. Les affaires soumises a la deliberation des etats ainsi reglees, les trois ordres presente- rent leurs cahiers au roi, et la session fut close(i). Sur les cahiers des etats fut redigee la celebre ordonnance de iSyo,. Cette ordon- nance en 363 articles renferme les regle- ments les plus sages concernant la discipline de 1'Eglise, Fadministration de la justice, la police interieure de 1'etat, les finances, et le commerce. On j remarque les disposi- tions suivantes: Geux que nous aurons nommes aux (i) Je n'ai pas parle des deputations que les trois ordres envoyerent au roi de Navarre et au prince de Conde afin de les ramener a la religion catholique, parceque ces ne'gociations n'eurent aucun re'sultat. DE FRANCE. CHAP. XXXIII. 1 45 eveches et archevechs seroiit, avant Texpe- dition de iios lettres de nomination, exa- mines par un archeveque ou eveque que nous commettrons, joints a lui deux doc- teurs en theologie, qui nous enverront leur certificat de la suffisance ou insuffisance desdits nommes. Art. 2. Suivant les aiiciennes ordonnances des roys nos predecesseurs, nous defendons tou- tes confreries, etc. Art. 3y. Nous voulons que notre garde des sceaux; bailie audience ouverte, a Tissue de son dis- ner, a tous ceux qui auront affaire a luy, a laquelle audience assisteront les maistres des requestes ordinaires de notre hostel , qui seront en quartier, ou deux d'iceux au moins, pour prendre les requestes des par- ties, et en fa ire rapport au premier conseil, si besoin est. Art. 90. u Et pour mieux effectuer notre intention , voulons qu'advenant vacation des offices de conseiller en nos cours de parlement et au- tres souveraines, lesdites cours ayent a nous nommer personnes de 1'aage, qualite, et ca- pacite requise, sans (jue nosdites cours puis- '2. K) l46 ASSEMBLIES NATIOJXALKS sent nommer plus d'un, natif de la ville oil elles sont etablies. Art. 102. D'autant que les offices de president des cours sont de ceux auxquels il est neeessaire de pourvoir de personnages de grand scavoir et longue experience, afin que par leur sca- voir, vertu, et aage, ils puissent estre res- pectez, et donner loy et exemple de faire a ceux auxquels ils president; ordonnons que nul ne sera doresnavant pourvu auxdits estats de president, tant de parlement, que des enquestes, grand conseil, et cours des aydes, qu'il n'ait atteint 1'aage de quarante ans pour le moins; qu'auparavantil n'ait este pendant dix ans conseiller de cours souve- raines, ou lieutenant-general d'un bailliage, ou qu'il n'ait acquis dans la profession d'avo- cat une reputation telle qu'il soit estime digne d'un si grand office. Art. 106. Voulons que les pourvus d'offices soyent examines tant sur la loy qui leur sera donnee, et sur la pratique, qu'en la fortuite ouverture du livre. Art. 108. Auparavant la reception de ceux qui se- ront par nous pourvus d'aucuns offices de DE FRANCE. CHAP. XXX11I. l^ judicature, sera informe de leur vie,moeurs, et conversations; et seront les informations faites par les juges des lieux auxquels lesdits pourvus auront reside. Art. 1 19. wDefendons a toutes nos cours souve- raines et autres de s'entremettre, de recom- mander ou sollicker IPS procez des parties plaidantes en icelles, sur peine d'estre pri- vez de Ten tree de nosdites cours et sieges, et de leurs gages pour un an. Art. 120, Nous faisons tres etroites inhibitions et defenses a toutes personnes, de quelque estat , aulhorite , qualite* , ou condition qu'elles soyent, sans nul excepter, de dor- esnavant entrer en aucune association, in- telligence, participation, ou ligue offensive ou defensive, avec princes, potentats, repu- bliques, communautez, dedans et dehors le royaume, directementou indirectement, par eux ou par personnes interposees, verbale- ment ou par ecrit , etc. n Art. i o,3. u Defendons aussi a tous gen til shorn rues et seigneurs decontraindre leurs sujetsetau tres abailler leurs filles, niepces, ou pupilles en manage a leurs serviteurs ou autres, centre 10. 1 48 ASSEMBLIES NATIONALES la volonte et liberte qui doit estre en tels contrats, sur peiiies d'estre privez du droit de noblesse, et punis comrne coupables de rapt. Ce que semblablement nous voulons aux mesmes peines estre observe contre ceux qui abusant de nostre faveur par im- portunite, ou plustost subrepticement ont obtenu ou obtiennent lettres de cachet clo- ses ou paten tes, en vertu desquelles ils font arreter et sequestrer filles, icelles espou- sent ou font espouser contre le gre et vou- loir du pere, mere, parents, tuteurs, et curateurs. Art. 281. DE FRANCE. CHAP. XXXIV. CHAPITRE XXXIV. De la Ligue. J'ai parle de la Ligue dans le chapitre precedent; mais je me suis born a rappeler ce qui s'est fait dans les etats-geneVaux de i5y6. Comme elle reparoitra dans cenx dont il nous reste a rendre cotnpte, qu'elle ren- ferme une grande lecon pour les gouver- nements, et que nous la verrons un poignard a la main porter ses mains sanglantesj usque sur le trone, je vais encore m'en occuper, non pour en faire Fhistoire, mais unique- ment pour signaler son esprit et son but. Vers 1'annee 1 5^5, des bourgeois de Paris, zeles catholiques, se reunirent dans rinteii- tion de s'opposer aux progres de la reform e. Cette association, a peine formee, fut clis- soute, non par le fait du gouvernement qui ne voyoit pas assez loin dans 1'avenir pour en craindre les suites, mais par Tautorite de Christophe deTliou, qui, plus clairvoyant l5o ASSEMBLEES RATIONALES que les ministres, la frappa de son impro- bation. A la meme epoque, des reunions plus ou moins considerables, et toutes animees du meme esprit, avoient lieu sur differents points du royaume; mais celle qui se forma dans la Picardie fut la seule qui se maintint. Voici quell e en fut Foceasion. Par un article secret du dernier traite de paix entre les catholiques et les reformes, le roi avoit promis au prince de Conde le gou- vernementde la Picardie, et Peronne pour sa residence. Le marquis d'Humieres, qui avoit le commandement de cette place, crai- gnarrt d'en etre depouille si le traite s'exe- cutoit, cut recours a 1'expedient ordinaire dans ces temps-la; il proclama et fit publier par ses agents que la religion courroit le danger le plus imminent si un gouvernement de cette importance etoit confie au chef du parti protestant. Comme le marquis d'Humieres etoit a la tete de la noblesse, qui dans cette pro- vince etoit aussi riche que nombreuse, il parvint a engager dans son parti un assez DE FRANCE. CHAP. XXXIV. l5l grand nombre de gentilshommes qui con- vinrent d'un traits d'union dont le but ap- parent etoit la defense de la religion catho- lique. Par la formule de cette union ( i ) qui devoit etre signee au nom de la tres sainte Trinite par tous les seigneurs , princes , barons , gentilshommes , bourgeois, chaque signa- taire s'engageoit par serment a vivre et mourir dans la Ligue pour Thonneur et le retablissement de la religion, pour la con- servation du vrai culte de Dieu , tel qu'il est observe dans la sainte Eglise romaine, condamnant et rejetant toutes erreurs con- traires; pour la defense du roi Henri III, sauf le respect et 1'obeissance que des sujets doivent a leur prince, ainsi qu'il devoit etre expliqu^ plus au long dans les articles qui seroient presentes aux prochains etats-ge- iieraux; enfin pour le maintien des diffe- rentes provinces du royaume dans tous leurs droits, privileges, et libertes, telles qu'elles (i) DBTHOU, Histoire univ., livre LXIII, tome VII, page 4^6. ID2 ASSEMBLIES NATIONALES les possedoient du temps de Clovis, qui le premier de nos rois etablit en France la re- ligion chretienne. On prescrivoit aussi les lois suivantes : Que chaque particulier s'engageroit a sacri- fier ses biens et sa vie meme pour empeclier toutes entreprises contraires a I'avancement de la sainte union , et a contribuer d'ailleurs de tout son possible a Tender accomplisse- ment des desseins qu'elle se proposoit ; que si quelqu'un des membres de 1'union rece- voit quelque tort ou dommage, quel que fut 1'agresseur, et sans egard pour la personne, on n'epargneroit rien pour en tirer ven- geance, soit par les voies ordinaires de la justice, soit meme que pour cela on fut oblige de prendre les armes; que si par un malheur, qu'on devoit prier le ciel de de- tourner, quelqu'un des unis venoit a rompre ses engagements , il en seroit puni avec la derniere rigueur comme traitre et refrac- taire a la volonte de Dieu, sans que pour cela ceux qui s'emploieroient a la juste pu- nition de ces sortes de deserteurs pussent en etre repris, soit en public, soit en parti- DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 53 culier; qu'on creeroit un chef de Funion a qui tous les autres jureroient line obeis- sance aveugle et sans bornes; que si quel- qu'un des particuliers manquoit a son de- voir, ou faisoit paroitre de Ja repugnance a s en acquitter, le chef seroit seul le maitre cVordonner de la peine que sa faute auroit meritee; que, dans les villes et a la canipa- gne, tout le monde seroit invite a se joindre a la sainte union ; qu'en y entrant on s'en- gageroit a fournir dans 1'occasion de 1'ar- gent, des hommes, et des armes, chacun se- loii son [)ouvoir; qu'on regard eroit com me ennemi qtiiconque refuseroit d'embrasser le parti de la Lij>ue, et que le commandement seul du chef de Tunion autoriseroit a lui courir sus a main armee; que si entre les unis il arrivoit des querelles, des contesta- tions, ou des proces, le chef seul en decide- roit, sans que pour cela on put recourir a la justice ordinaire sans sa permission, et qu'il auroit droit de punir les contrevenants dans leur corps ou dans leurs biens, selon qu'il le jugeroit a propos; enfin on avoit encore ajoute la formule du serment (jue chacuii l54 ASSEMBLIES NATION ALES des unis devoit prononcer sur les saints Evangiles en s'engageant dans le parti. Telle fat, dit le president deThou(i), I'origine de cette Ligue abominable, qui ne tendoit a rien moins qu'a renverser tous les droits divins et humains. Dja toute la noblesse et les villes de Pi- cardie, anim^es par les e*missaires des Guise, et soutenues par Tex em pie du seigneur d'Hu- mieres, avoieiit signe la Ligue , mais il fal- loit s'assurer de la ville de Peronne, qui, par le traite de paix, avoit ete, ainsi que nous 1'avons dit, cedee au prince de Conde pour lui servir de domicile. On chargea de cette commission un jeune gentilhomme des premieres families de la province, nomme Haplincourt, et il eut ordre de faire signer Funion par tous les habitants de cette ville, d'y commander au norn de la Ligue, etd'em- pecher le prince d'y mettre le pied. Gette en- treprise ne deplut pas au roi ; il la regarda com me une occasion favorable qui le dis- ;i)LivreLXIII. DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 55 pensoit de satisfaire a ses engagements. Ce- pendant pour apaiser le prince, en echange du gouvernement de Picardie, on lui ceda a 1'autre extremite du royaume Saint-Jean- d'Angely en Saintonge et Cognac en Angou- mois, en attendant qu'on put lui donner satisfaction surPeronne. En meme temps, Louis de La Tremouille, due de Thouars, le plus grand seigneur du Poitou, cedant aussi aux sollicitations des Guise qui n'avoient en vue, disoient-ils, que la defense de la religion, eut la foiblesse de signer la Ligue a la tete d'environ soixante gentilshommes de la province. Ces exem- ples se propagerent, et ce que Ton appeloit sainte union fit chaque jour de nouveaux progres. Le roi auroit pu les arreter en usant des moyens de repression qui etoient encore en son pouvoir ; mais il ne pensoit alors qu'a se relever du dernier edit qui lui avoit ete ex- torque, et d'ailleurs les mesures energiques effrayoient son indolence naturelle. Se fai- sant illusion sur le veritable but de la Li- gue, il se persuada qu'il cletourneroit les 1 56 ASSEMBLIES NATION ALES coups dont elle menacoit son autorite en se montrant zele catholique, et des-lors on le vit se livrer aux pratiques les plus supersti- tieuses, aller de pelerinage en pelerinage, et suivre les processions en habit de peni- tent. Gette conduite en revelant sa foiblesse augraenta 1'audace cles ligueurs, et les pre- dicateurs porterent Tinsolence jusqu'a le presenter dans leurs sermons comme un hypocrite s'enveloppant du manteau de la religion pour lui porter des coups plus as- sures (i). (i) Le predicateur de la cathedrale, nomme Poncet, appela publiquement une nouvelle confrerie de peni- tents erigee par le roi , la confrerie des hypocrites et athelsles: Et qu'il ne soit vrai , dit-il, en propres mots, j'ai ete averti cle bon lieu qu'hier au soir, qui e'toit le vendredi de leur procession , la broche tournoit pour le souper de ces gros penitents, et qu'apres avoir mange le gras chapon ils eurent pour collation de nuit le petit teridronqu'on leur tenoit tout pret. Ah ! malheureux bypo- crites! vous vous moquezdonc de Dieu sous le masque, et portez par contenance un fouet a votre ceinture?Ce n'est pas de par Dieu ou il faudroit le porter : c'est sur DE FRANCE. CHAP. XXXIV. l^'] En meme temps on exposoit aux portes des eglises et aux coins des rues des tableaux qui representoient les supplices dont on supposoit que les catholiques etoient punis en Angleterre et dans les Pays-Bas. Ainsi serez-vous trailed, disoient au peuple des gens apostes, lorsque le roi de Navarre oc- cupera le trone avec ses heretiques. Pendant que ces discours et ces images echauffoient la multitude, le due de Guise et le roi d'Espagne travailloient par leurs agents les classes superieures. Ges deux princes avoient egalement besoin d'une nou- votre dos et sur vos epaules, et vous en estriller tres bien. II n'y a pas un de vous qui ne 1'ait bien gagne. Le roi se contenta de relcguer ce predicateur insolent dans une abbaye qu'il possedoit. (Journal de Henri HI.) On lit dans Y Esprit de la Ligue, tome II, page SsG: (i Les predicateurs debitoient en chaire que le roi aban- donnoit la cause de Dieu... II y en eut un assez hardi pour appeler le roi en plein sermon tyran, et ses mi- nistres , fauteurs d'heretif/ues. Henri eut dessein de le punir: il se retint neanmoins, parcequ'il vit le peuple dispose a le defendre ; ensuite il prit le ( "parti de paroitre 1'avoir oublie. I 58 ASSEMBLIES NATION ALES velle guerre civile; le premier pour se ren- dre necessaire aux ligueurs, le second pour mettre Henri III dans 1'impuissance de don- nerdessecours aux Flamands revokes contre lui. Ges coupables manoeuvres rallumerent les torches du fanatisme, et bientot se forma dans Paris une association que je crois suf- fisamment caracteriser et fletrir en disant que de son sein est sortie 1'execrable faction des Seize. A cette association se reunirenttoutes les societes de la meme nature qui existoient sur les differents points du royaurne; et la Ligue ne forme plus des-lors qu'un tout ho- mogene, dont le due de Guise, qui en etoit le chef, dirigera desormais tous les mou- vements, Ce prince qui, apres la mort de Fran- cois II, ne s'etoit declare si ouvertement le chef du parti catholiqueque pour se donner de 1'importance a la cour, entrevitalorsqu'il pouvoit porter ses vues beaucoup plus loin , et le trone devint 1'objet de ses espe- rances. DE FRANCE. CHAP. XXXIV. I 5g De son cote, Philippe II, qui d'abord n'a- voit foment^ les troubles du royaume qu'a- fin de mettre le roi dans Finipuissance de donner des secours aux Flamands, osa se flatter que, dans Fegarement ou il voyoit les esprits, il pourroit faire de la couronne de France une annexe de celle d'Espagne en la faisant passer sur la tete de sa fille Isa- belle, niece de Henri III, et la derniere du sang des Valois. Cependant Henri III mourant sans pos- terit^ male, la loi fondamentale de Fetal, la loi salique, lui donnoit pour successeur le roi de Navarre, ce bon Henri IV, si digne par sa popularite, par son beau caractere, par son brillant courage, de r^gner sur la France. Mais il n'etoit pas catliolique, et, sur ce motif, on obtint une bulle par la- quelle Sixte- Quint, qui occupoit alors le siege pontifical , proscrivoit le roi de Na- varre comme heretique, relaps , fauteur d'heretiques, defenseur public et notoire de 1'heresie, et ennemi de Dieu et de la reli- gion ; le declaroit dechu de tous ses droits su r cette partie du royaume de Navarre sur la- 160 ASSEMBLIES NATIONALES quelle il avoit des preventions , meme sur la partie doiit il etoit en possession , aussi bien que sur la principaute de Beam, et qu'en consequence il seroit regarde des ce moment, et pour toujours, comme prive de tous les droits et privileges attaches a son rang, et indigne lui et ses descendants de posseder jamaisaucune principaute, et en particulier de succeder a la couronne de France. La ne s'arrete pas la bulle; elle exhorte Henri III a tenir la main a 1'execution de la sentence qu'elle prononce, et enjoint & tous les archeveques et eveques du royaume de la faire publier dans toutes les paroisses de leur diocese. La reponse du roi de Navarre ne se fit pas long-temps attendre. Peu de jours apres on vitafficliersurles mursdesprincipauxquar- tiers de Rome un ecrit par lequel ce prince protestoit contre la sentence prononcee contre lui par Sixte-Quint, soi-disant pape de Rome, s'inscrivant en faux contre les articles qu'elle contenoit, et en appelant comme d'abus au tribunal de la cour des pairs, a la tete desquels sa naissance 1'avoit DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 161 place*. A l'egard clu crime d'heVesie qu'on lui irnputoit & faux, il disoit qu'en cela, sauf le respect du a sa saintete", M. Sixte, soi-disant pape, avoit a tort et malicieusement menti; declarant qu'il le tenoit lui-meme pour he- retique, comine il s'offroit de le prouver dans uii concile libre et assemble legitime- ment, et que s'il refusoit de s'y soumettre comme il s'y e'toit oblige par ses propres lois, il ne vouloit plus le regarder que comme un excommunie et un antechrist, lui de- noncant en cette qualite une guerre mor- telle et irreconciliable. Gependant i I protestoit de nullit^ centre cet acte, sauf le droit d'exiger, tant de lui que de sessuccesseurs, une satisfaction con venable pour Faffront qu'il venoit de faire a sa personne et a la majeste royale. II ajou- toit que si les rois ses pr^decesseurs hvoient su chatier la temerite de ces sortes de brouil- lons, tels qu'etoit Sixte, toutes les fois qu'ou- bliant le devoir de leur ministere et con- fondant mal a propos les droits divins et humains, ils avoient passe les bornes de leur pouvoir; comme il ne leur cedoit en 2. I I 1 62 ASSEMBLERS NATIONALES rien , il esperoit, avec 1'aide de Dieu , tirer a son tour, de lui et de ses successeurs, une vengeance proportionnee a Voutrage fait au roi, a la famille royale, a son rang, et a tous les parlements du royaume. II imploroit en- suite le secours de tons les rois, princes, villes et republiques de la chretiente, qtii devoient s'interesser a empecher de pareilles entreprises, et prioit enfin toutes les puis- sances amies et alliees de la France de se reunir avec lui centre la tyrannic et Fusur- pation du pape. Sixte-Quint, qui n'avoit rien vu de sem- blable dans 1'histoire de ses predecesseurs , comprit que le roi de JXavarre etoit un do ces honimes superieurs faits pour donner la loi, non pour la recevoir, et des-lors il con- cut pour lui beaucoup d'estinie. II disoit souvent que dans tout le monde il ne con- noissoit qu'un honime et une femme qui, a la religion pres, fussent dignes de regner, et a qui il voudroit faire part des grands projets qu'il meditoit, qui etoient le roi do Navarre et la reine d'Angleterre. Aussi, quel- que effort que 1'on fit par la suite, il ne ful DE FRANCE. CHAP. XXXIV. 1 63 pas possible d'engager Sixte-Quint a con- courir aux frais de la guerre centre le roi de Navarre. Pour ne pas laisser ce precis incomplet, j'ai du dans ce chapitre anticiper un peu sur la suite des eVenements. Je reviens aux etats-geneVaux. i i . I 64 ASSEMBLIES NATIONALES GHAPITRE XXXV. / Etats-generaux tenus a Blois en i588. L'ouverture des tats se fit le 16 octobre, dans la grande salle du chateau de Blois. Le roi etoit assis sur son trone , ayant a sa droite la reine sa mere , la reine regnante a sa gau- che, et plus has les cardinaux de Bourbon et de Vendoine; Francois de Bourbon, prince de Conti; Charles de Bourbon, corate de Soissons ; son frere Francois de Bourbon , due de Montpensier ; les cardinaux de Guise , de Lenoncourt, et de Gondy; Charles de Savoie, due de Nemours; Louis de Gon- zague, due de Nevers; Albert de Gondy, due de Retz, et plusieurs autres seigneurs et conseillers d'etat. Le due de Guise, en sa qualite de grand-maitre de la maison du roi, etoit assis au pied du trone sur un ta- bouret, tenant a sa main un long baton seme de fleurs de lis d'or, qui etoit la marque DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 65 de cette dignite", et ayant une contenance et un air qui attiroient sur lui les regards de tous ceux de son parti, qui n'etoient qu'en trop grand nombre dans cette assemblee. Le roi prononca un discours assez long et fort eloquent, disent les historiens, dans lequel il exposa la resolution ou il etoit de maiiitenir son autorite, et de recouvrer celle qu'il avoit perdue (i). (i) Henri III eprouvoit ce qui ne manquera jama is d'arriver aux princes qui ne protegeront pas e'galement tous les interets, toutes les classes, toutes les croyances-, on un mot, tous leurs sujets. Son adhesion a 1'union des catholiques contre les protestants avoit beaucoup affoi- bli son autorite. II declare aujourd'hui qu'il veut la raf- fermir, c'est-a-dire que de'sormais il couvrira tous ses sujets indistinctement de la meme bienveillance, et d'une protection egale. Cette resolution, malheureusement tardive, etoit le fruit des conseils du premier president Christophe de Thou. Ce digne magistral, auquel le roi avoit fait de- mander ce qu'il pensoit de la Ligue, et particulierement, de 1'acte par lequel il s'en etoit declare le chef, avoit consigne sa re'ponse dans un me'moire dont je transcris le fragment qui suit : Deja le royaurne entier retentit du bruit cle la Ligue; de'ja presque toutes les villes et les provinces se sont 1 66 ASSEMBLIES NATIONALES On remarque dans ce discours les passages suivants : Je commence par demander a Dieu qu'il daigne m'accorder les lumieres de son es- u fait un devoir d'entrer dans cette monstrueuse associa- tion. J'ai averti plusieurs fois sa majeste de se mettre en garde centre les assemblies qui se tenoient dans cette ville, et centre les desseins seditieux qu'on y for- moit...; conseils peu ecoutes, soins inutiles, qui n'ont ete payes que par une froide indifference du cote de la cour, et par la haine de presque tout Paris... Qu'il me soit permis de le dire, le roi, en se declarant le chef u de La ligue, s'est depouille de la majeste royale; il a renonce au droit de n'avoir point d'egal ; il s'est demis lui-meme de cette autorite supreme que Dieu et sa naissance lui avoient donnee sur tous ses sujets. Quel peut etre le but de ces levees de soldats , qui se font udans les provinces au nom de 1'union..., sinon de n montrer aux Francois qu'il peut y avoir une autorite udistinguee de celle du roi, et assez puissante pour w former impunement, dans le sein du royaume, un w nouvel etat?... Je laisse a sa majeste a comprendre les suites malheureuses que peut avoir un dessein si hardi... a J'ajouterai seulement qu'on doit regarder ces com- mencements comme un prelude, par lequel les en- nemis du trone veulent eprouver jusqu'ou ira la pa- tience du roi, et ce qu'ils peuvent se promettre pour 1'avenir. DE FRANCE. CHAP. XXXV. 167 prit saint, afin que je puisse conduire heu- reusement a sa fin le grand ouvrage que j'entreprends pour sa gloire, pour la tran- ce quillite de mon royaume, pour le repos de mes sujets, et pour repondre a Fatten le ccdetoutela nation, doiit le bonheur depend du succes de cette assemblee. II s'agit au- jourd'hui de 1'etablissement de 1'etat et de la reformation des abus C'est un usage bien louable etabli par nos uancetres, et bien propre a affermir 1'auto- rite des lois et celle du prince, de con- uvoquer des ^tats, qui, de concert avec le souverain, prennent des mesures pour re- medier aux abus que les guerres civiles et les raalheurs des temps auroient pu intro- duire dans le gouvernement. Quoi que puissentdire les gens peu senses, et qui ne ccsavent pas porter un jugement sain de uchaque chose, ces sortes d'assemblees ne peuvent nuire a la puissance de celui qui gouverne ; elles ne servent au contraire u qu'a Fetablir; car, en rendant aux lois leur u vigueur, et en les faisant observer, on af- 1 68 ASSEMBLIES RATIONALES (( fermit le prince sur le trone contre tous les (t efforts de ceux qui oseroient Foutrager. Jugez done par-la de la droiture de nies ((intentions; c'est elle seule qui a rompu (( toutes les niesures des factieux., et qui a conduit ce grand ouvrage a un heureux coin men cement. Oui, Dieu m'est temoiri de Finnocence des demarches que j'ai faites pour procurer cette assemblee. Je n'ai mis en usage ni Fintrigue, ni la brigue, pour ((6ter aux etats leur liberte, et pour cor- (( rompre leurs suffrages. Vous etes ici pre- sents pour me dementir, et je rougirois si ((j'avois tenu une autre conduite, comme ((doivent rougir tous ceux qui, pour trou- ubler la tranquillite publique, auroient eu u 1'imprudence et la temerite d'employer de usemblables moyens pour s'assurer d'une assembled qui n'est etablie que pour tra- vailler an bonheur de Fetat, et pour faire inserer dans les instructions dont les pro- vinces ont charge leurs deputes certains (( chefs qui pourroient etre un obstacle a la paix, apres laquelle toute la natioYi soupire. DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 6f) Car ne vous imaginez pas qu'on doive me rendre responsable de tous les maux dont Fetat est afflige. II y a eu en partie de ma negligence, je Favoue; je sais que par la ccfaute de mes ministres il s'est introduit plusieurs abus qu'il est necessaire de re- c. former; mais j'y mettrai si bon ordre dans ula suite, qu'on n'aura lieu de se plaindre ni de moi ni des miens; et que ceux qui ont etc assez aveugles pour s'eloigner de leurs devoirs, et de 1'obeissance qui m'est due, seront force's de reconnoitre leu rs er- reurs Au reste, puisque le prince est comme le tableau sur lequel ses sujets aiment a se former, j'ai resolu de mettre uii tel ordre dans ma conduite interieure et exterieure, u et dans toute ma maison, que je puisse ser- vir* de modele a tous ceux qui voudront ui'imiter. Pour vous en convaincre par mes actions, vous faire voir comme je suis sin- cerement determine a observer tout ce qui c sera arrete par cette celebre compagnie, et dordonner en cela Fexemple a tons Ics 170 ASSEMBLIES NATIONALES princes et seigneurs de ma cour, et a tous les deputes qui cornposent cette assemblee, je vous declare que je suis resolu de pro- w mettre et jurer, apres avoir recu le saint uSacrement de 1'autel, qu'aussitpt que j'au- rai repoiidu a vos demaiides, et approuve vos resolutions, elles deviendront des-lors des lois inviolables dont il ne sera pas per- mis a qui que ce soit de s'ecarter. Le garde des sceaux, Francois de Mon- tholon(i), pritensuitela parole, etfitundis- (i) Francois de Montholon , second du nom, seigneur d'Ambervilliers , etc. , appele a reniplir un office de conseiller au parlement de Paris, prefera la profession d'avocat, qu'il exerca long-temps, et avec beaucoup de succes. Henri III lui donna les sceaux. Lors de la pre- sentation de ses lettres a 1'enregistrement, M. 1'avocat- general Seguier dit que ces leltres etoient tine declaration et protestation publique que le roi faisoit a tous les sujets de son royaume de vouloir honorer les charges par les hommes, et non les hommes par les charges...; que le roi rfeiit pu faire un meilleur clioix que dudit sieur garde des sceaux... ; que rien ne se pouvoit ajouler a I'honneur qu'il avoil recu de la cour, laquelle (quand il avoit plaide en qualite d'a- vocat) n'avoit jamais desire autres assurances de ses plai- iloyers, que ce qu'il avoit mis en avant par sa bouche, sans DE FRANCE. CHAP. XXXV. 171 cours qui dut passer alors pour fort eloquent. J'en extrais ce qui suit. On se plaint de toutes parts de la nd- ugligence des ecclesiastiques ; de 1'indiffe- rence avec laquelle on admet aux ordres usacres des sujets indignes, sans s'assurer de leurs moeurs et de leur capacit; de u 1'avarice et de 1'ainbition qui regnent dans le clerge ; du peu de residence des pas- <( teurs , enfin , des desordres des monasteres ou Ton foule aux pieds la saintete des voeux les plus solennels II n'y a point ude raoyen plus sur de retablir la subordi- u nation , et par consequent la tranquillite (tdans Tetat, que d'obliger les ministres de (da religion a enseigner au peuple, tout de u nouveau, ce que le pretexte de la religion leur a fait oublier A 1'egard des seigneurs et des gentils,- (( homines qui composent la noblesse du recourir aux pieces. Apres 1'assassinat de Henri III, il quitta la cour rnalgre les instances de Henri IV. La tradi- tion du palais est qu'il reprit inodestement la profession d'avocat. II mourut c-n 1.^90. I 7 2 ASSEMBLIES NATION ALES <( royaume, ils doivent tons concourir a faire le bonbeur de Fetat, chacun selon son pou- uvoir: la vertu seule est le fondement et le cc principe du rang distingue qu'ils tiennent dans la nation; par consequent, s'ils s'en ecartent , ils perdent en menie temps le ((privilege que leur naissance leur avoit udonne. C'est a eux a dormer au reste du royaume 1'exemple d'une soumission par- ((faite aux ordres du roi et des magistrals, u par leur probite et leur droiture. Le garde des seeaux s'occnpan t ensuite du tiers-etat, ajoute: C'est lui d'ou se tirent presque tous les magistrats qui rendent la justice dans le royaume. On peut done le uregarcler com me le principal fondement M de la societe et de la tranquillite publique, en sorte qu'on ne pent Febranler sans ren- ((verser en meme temps tout Fedifice qui porte dessus. Un empire est etendu a pro- u portion de la justice de ses lois et de 1'e- u quite de ceux qui gouvernent. Fonde sur (( cette maxime , Fempereur Trajan repondit uaux Partbes, qui clemandoient que FEu- (( plirate servit de frontieres aux deux etats, DE FRANCE. CHAP. XXXV. 173 que 1'^tendue de I'empire remain ne se mesuroit ni pat les fleuves ni par les mon- tagnes , et qu'il lie reconnoissoit pour ubornes que la justice de ses lois. Effecti- vement un etat qui n'est point fonde sur la ((justice n'est dans le fond qu'une retraite de voleurs. II revient cependant tous les wjours au roi, et on se plaint de toutes parts, it que Favarice ou la faveur fait commettre une infinite de fautes dans I'administration de la justice; que par la chicane et les mau- vais artifices des procureurs, aussi bien que par la negligence des juges , les proces trainent en longueur , au grand detriment des parties, et deviennent e tern els ; ou si on parvient enfin a obtenir un jugement, (( on sait Teluder par quelque nouvelle chi- cane, et recommencer la question qui (( sembloit terrain ee. Apresque Montholon cut parl^, Regnauld de Beaune, archeveque de Bourges, qui presidoit dans Fabsence des cardinaux de Bourbon et de Guise, fit un discours ou, apres avoir remercie le roi au nom du clerge, il ajouta qu'apres 1'borrible tern pete qui du- iy4 ASSEMBLIES NATION ALES roit depuis vingt-huit annees, le ciel venant enfin a se moiitrer plus serein, les etats avoient recu une grande consolation d'en- tendre la voix de leur souverain, qui passoit Nestor en sagesse, et dont 1'eloquence etoit plus douce que celle d'Ulysse ; que proster- nes a ses pieds , et les bras etendus pour les embrasser, ils supplioient tres huniblement sa majeste de leur tendre de meme ses deux bras, c'est-a-dire sa justice et sa clemence, afin qu'aide des sages conseils de la reine sa mere, qu'on pouvoit dire justement etre une autre Irene , il put empecher la chute de la France , qui se voyoit sur le penchant de sa ruine ; la relever comme ils esperoient qu'il en viendroit a bout, et lui rendre son an- cienne splendeur, etc. Apres 1'archeveque de Bourges, Claude de Beaufremont, baron de Senecey, haran- gua pour la noblesse ; et La Chapelle-Mar- teau, qui venoit d'etre fait prevot des mar- chands par les Parisiens, pour le tiers-etat. Tous deux firent de grands eloges de la piete du roi, et lui offrirent, au nom de leurs corps, leurs services et leurs conseils pour DE FRANCE. CHAP. XXXV. I 7 5 travailler a. 1'extirpation de l'hrsie, au r- tablissement de la religion dans le royaume, et a la reformation du gouvernement. Le roi ne tarda pas a reconnoitre combien peu ces protestations etoient sinceres de la part des Guise et de leurs partisans. Ceux- ci, cheques de quelques expressions dontle roi s'etoit servi dans son discours, s'en plai- gnirent hautement, etdemanderentqu'elles fussentsupprimeesdanslediscoursimprime. Le roi n'ayant pas r^pondu d'une maniere satisfaisante, 1'archeveque de Lyon s'oublia jusqu'alui dire que, s'il s'obstinoit a refuser ce qu'on souhaitoit de lui, la plus grande partie des deputes abandonneroit les etats, et qu'il verroit naitre une source de trou- bles plus funestes encore que ceux qu'il avoit assoupis. Le roi pique, mais intimide, dissimula, et ceda aux solicitations de la reine sa mere. Un procede aussi Strange, pour ne rien dire de plus, n'etoit cependant que le pre- lude du grand drame qui alloit s'ouvrir. Quelques jours apres, les membres de la sainte-union , tous devoues an due de Guise, 176 ASSEMBLERS NATIONALES et qui formoient la majorite de 1'assemblee, egares par le fanatisme le plus aveugle, de- clarerent le roi de Navarre ( Henri IV ) indi- gne de succeder au trone, et d^chu de tous ses droits a la couronne, comme her^tique relaps. Guillaume d'Avanson, archeveque d'Embrun , fut charge de presenter au roi cette deliberation, et de le prier de la con- firmer. Ce prelat, accompagne de douze deputes de chaque ordre, s'acquitta de sa commission. Le roi exigea que les etats deli- berasseiit de nouveau sur cette affaire ; et il temoigiia le desir qu'avant de se determiner on deputat au roi de Navarre pour le som- mer de rentrer dans le sein de FEglise. Mais, sans respect pour Fautorite du souve- rain, et sans egard pour sa volonte, les etats deciderent qu'une nouvelle sommation etoit inutile. Eii consequence 1'archeveque d'Em- brun se rendit de nouveau aupres du roi, et lui annonca que les etats avoient resolu de ne rien changer a ce qu'ils avoient arrete. Le due de Guise qui, pour 1'executioii de ses grands et desastreux pro jets, avoit iiit- ret a augmenter les embarras du gouverne- DE FRANCE. CHAP. XXXV. I 7 7 ment, persuada aux deputes de prier le roi d'ordonner la publication du concile de Trente. En renouvelant une clemande, faite tant de fois, et toujours rejetee, le due de Guise avoit un double but. Gette demarche lui assuroit la reconnoissance de la cour de Rome, si elle etoit accueillie, et rendoit le roi odieux a cette meme cour, si la demande etoit rejetee. Telles etoient les intentions du due de Guise ; elles furent trompees. Le roi repon- dit que 1'affaire etoit d'une si haute impor- tance, qu'avant de s'expliquer definitive- ment il vouloit qu'elle fut soumise a uii examen approfondi , et des commissaires furent nommes pour proceder a cet examen. Ici je m'arrete pour laisser parler le plus exact et le plus veridique de tous nos histo- riens, le president de Thou (i). Nous lisons (i) Jacques-Auguste de Thou etoit d'une famille dis- tinguee principalement dans la magistrature. Des le commencement du quatorzieme siecle, elle possedoit la seigneurie du Bignon dans 1'Orleanois. Le premier de cette famille qui s'etablit a Paris fut 2. 1 2 -178 ASSEMBLIES NATIONALES dans son Histoire universelle , livre XXXV : L'avocat-general Jacques Despesses ouvrit la conference en posant pour principe que les libertes de 1'Eglise gallicane n'avoient janiais ete contestees par aucun concile. II ajouta qu'elles consistoient en deux Jacques de Thou. II etubrassa d'abord la profession d'a- vocat. Apres s'y etre distingue pendant quelques an- ne'es, il fut fait conseiller, puis president du parlement en i5a5. L'aine de ses fils fut le premier president Christophe de Thou , pere de Jacques-Auguste de Thou , dont il est ici question. II naquit a Paris le 9 octobre i553. Apres de tres bonnes etudes dans les universites de Paris et d'Orle'ans , il voyagea en Italic et en Allemagne. Comme il e'toit le plus jeune des fils de Christophe de Thou, on le destinoit a 1'e'tat eccle'siastique. Son oncle, Nicolas de Thou, eve~ que de Chartres, qui cut 1'honneur de sacrer Henri IV, le dimanche 27 fevrier i5g4, lui avoit resigne tous ses benefices. Emporte par 1'amour de 1'e'tude il abandonna 1'etat eccle'siastique pour la magistrature ; il fut fait maitre des requetes en i584) et recu en 1686 dans celle de president a mortier. Apres la journee des Barri- cades il alia joindre a Chartres le roi Henri III, qui 1'em- ploya en differentes ne'gociations ; d'abord dans plu- sieurs provinces de France qu'il s'agissoit de maintenir DIi FRANCE. CHAP. XXXV. I 79 points principaux, qui etoient: i qu'au sujet du temporal, les papes n'ont point autorite de faire aucun statut on regle- ment dans toutcs les terres de la domina- tion du roi tres chretieri, et que, s'ils pas- sent en cela leur pouvoir, les sujets de sa c. inajeste, fussent-ils engages dans 1'etat dans le devoir, ou d'y ramener; puis en Allemagne et a Venise. II recut dans cette derniere ville la nouvelle de la mort de Henri III, et se rendit aussitot aupres de Henri IV, qui sentit aisement tout le parti qu'il pouvoit tirer de ses talents et de son zele. II fut employe en i5g3 a la conference de Surene. II traita dans la suite, pour les interets du roi, avec les deputes du due de Mercosur, le plus ardent et le plus opiniatre des ligueurs. II fut aussi un des commissaires catholiques a la conference de Fontainebleau en 1600, entre 1'eveque d'Evreux Duper- ron, depuis cardinal, et Duplessis-Mornay. A la raort du fameux Amyot, le roi le nomma grand-maitre de sa bibliotheque. Pendant la minorite de Louis XIII , il fut un des trois directeurs generaux des finances nonnnes pour remplacer le due de Sully en 161 1. Les deux autres etoient M. de Chateauneuf et le pre'sident Jeannin. C'est au milieu de tantd'emplois importants, d'occupations et d'agitations, qu'il parvint a clever le plus beau et le plus grand monument de notre histoire. II mourut a Paris en 1617. 1 8o ASSEMBLIES NATIONALES (( ecclesiastique, ne doivent point leur obeir ; 2 que, quoiqu'oii reconnoisse en France qu'en made re cle religion le pape a une autorite superieure , il n'a cependant ja- umais eu dans le royaume une puissance <( absolue et sans bornes; mais que son pou- voir y a toujours ete limite par les canons des anciens conciles recus par la nation , qui servent comme de barriere centre les entreprises du saint-siege. C'est en ces ter- mes, continua-t-il , que 1'universite de uParis, qui, par son zele pour la conserva- tion du depot de la foi, a merite d'etre re- <(gardee comme 1'oracle de la chretiente, s'en est expliquee lorsqu'elle s'opposa a 1'enregistrement des bulles accordees par u le pape a Georges, cardinal d'Amboise. Le cardinal de Gondy et Farcheveque de Lyon interrompirent successivement Des- apesses, et s'emporterent contre lui en in- vectives; mais ce magistral, par des repar- ties egalement justes et piquantes, leur u imposa silence. Lansac prit la parole. II fit un magnifique eloge du concile de Trente, tret il soutint que tout le monde etoit oblige DE FRANCE. CHAP. XXXV. l8l v* de s'y soumettre. Puisque je parle ici , lui dit Despesses, pour la defense des droits du roi et de la nation, permettez-moi d'user du meme privilege dont d'autres ont deja use* a nion egard, et de vous interrompre. c Apprenez-inoi, je vous prie, si vous pen- usiez ainsi qu'a present, lorsquevous assis- tates au concile en qualite" d'ambassadeur de France. Lansac ayant repondu qu'alors comme depuis il avoit toujours parle de cette assernblee avec le plus grand respect, (d'avocat- general tira des lettres, et lui (t demanda s'il les reconnoissoit pour etre de lui. Elles ne furent point desavouees par u Lansac, et Despesses en fit faire tout haul la lecture. Dans ces lettres e*crites a Andre u Guillart de Lille, alors ambassadeur de ^France a Rome, Lansac se plaignoit en u termes tres amers du concile et des resolu- te tioiis etranges que Ton y prenoit au preju- u dice des interets du roi etdu royaurae. II disoit que tout le monde etoit indigne de voir que, tandis que le concile etoit assem- ble a Trente, lout se decidoit a Rome; que ceux qui presidoient a 1'assemblee en- I 82 ASSEMBLEES NAT1ONALES (? voyoient an pape une note de tout ce qui c etoit propose; et que le souverain pontife/ ccapres avoir donne une decision a sa fan- taisie, leur renvoyoit le decret tout dresse , enfin que le discours commun des ambas- sadeurs etoit que toutes les semaines on u envoyoit de Rome aux Peres du concile le \ Saint- Esprit dans une valise. Lorsque Henri apprit que les magistrals, c charges particulierement de la defense de u ses droits, avoient etc traites d'une maniere si indigne par le clerge, il fut infiniment sensible a ce nouvel outrage. Persuade que ce n'etoit pas seulement aux commis- saires que ces coups etoient adresses, il c comprit que c'etoit lui-meme que les fac- et tieux vouloient rendre meprisable dans la personne de ceux qu'il avoit revetus de son uautorite. Le desespoir, plutot qu'un vrai sentiment de vigueur, se joignant a tant de motifs qui Texcitoient a la vengeance, il se confirma dans la resolution de se de- u faire du due de Guise. Cependant les etats ne perdoient pas de vue la profonde misere dans la(juelle le pen- DE FRANCE. CHAP. XXXV. I 83 pie etoit plonge. L'archeveque de Bourges, portant la parole au nom des trois ordres, en mit le tableau sous lesyeuxdu roi, dans un discours fort long, et qui fut regarde comme tres eloquent. En voici tin frag- ment: uSire, les anciens ont mis et propose un axiome tres certain auquel toutes maximes d'etat se doivent rapporter , toutes conside- rations y doivent tendre, et le bon prince uy doit dresser toutes ses pensees et des- useins; que le salut du peuple est la loi souveraine. II ne se peut conserver sans v moyens et argent; cela aussi estbien connu et assure. Mais si faut-il advouerqu'en toute u bonne presupposition naturelle etphiloso- uphique, il faut premierement etablir la u chose, et faut supposer qu'elle soit devant que parler de la conservation et manuten- tion : la chose qui n'est point n'a point de qualites , n'a point de circonstances , ne recoil aucunes considerations. Votre pen- ce pie n'est plus, il n'y a plus de peuple en France; il est peri ; il n'a plus de substance; il n'a plus de vie; et s'il ne vous plait la lui 1 84 ASSEMBLIES NATION ALES u remettre, vous n'avez plus de sujets: c'est un corps malade qui a ete trop saigne; il ulefaut un peu laisser respirer et prendre sa nourriture-, puis Ton parlera de le sai- gner: selou le bras la saignee, corn me Ton dit. Le faut-il done abandonner? non. II u le fa ut conserver et remettre sus , mais peu a peu selon ses forces naturelles. Touche de ces remontrances , le roi fit remise d'une partie considerable des tailles arrierees. Cette concession etoit un grand bienfait; mais il n'en resultoit qu'un soulagement momentane ; et 1'assemblee, au moins la par- tie saine de 1'assemblee j portoit sa sollici- tude beaucoup plus loin. Embrassant tout a-la-fois Favenir et le passe , elle demandoit que Ton reformat Fadministration et les finances ; que Ton reduisit les pensions et les dons excessifs; que tous les dilapidateurs du tresor public fussent recherclies, jug^s, et severement punis (i) ; enfin, vivement frap- (i) Les etats proposoient d'etablir a cet effet une com- mission composee de vinyt^quatre jiiges, dont dix-huit DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 85 pee des maux qui de'soloient la France depuis le regne de Francois I er , I'assemble'e e'mettoit le voeu que Ton environnat 1'autorite royale de barrieres telles qu'il lui fut desormais im- possible de les franchir. Pendant que ces hautes pensees occu- poient les deputes, Fassassinat du duc'de Guise, et la mort de Catherine de Me*dicis qui cut lieu quelque temps apres, jeterent dans les esprits et dans les affaires une con- fusion telle que Ton ne s'occupa plus que de la cloture des etats. Le 4 Janvier, les ordres presentment au roi leurs doleances, et jurerent pour la troi- sieme fois d'observer 1'edit d'uuion. Enfin le 16 du meme mois de Janvier, 1'assemblee se reunit pour la derniere fois. L'arclieveque de Bourses, devenu president du clerge par la mort du cardinal de Guise, porta la parole pour son ordre ; le conite de Brissac pour celui de la noblesse, et Etienne Bernard, de Dijon, pour le tiers-etat. seroient choisis parmi les deputes des etats , et six autres dans les differents parlements du royaume. [86 ASSEMBLIES NATIONALES Ces discours termines, le roi declara Fas- semblee dissoute, et congedia les deputes en leur faisant promettre que, de retour dans leurs provinces, ils travailleroient de tout leur pouvoir a niaintenir le peuple dans Fobeissance qn'il devoit a Fautorite royale. Voici quelques fragments des discours prononces au nora de chacuri des trois etats dans cette derniere seance. L'orateurdu clerge. u Sire, nous reconnois- sons la bonte naturelle qui reluit en votre majeste par vos actions particulieres, et par le temoignage de vos paroles que vous ren- clez chacun jour a vos sujets ; et croyons que si votre majeste etoit avertie de Fe'tat et pau- vrete en laquelle sont vos sujets, que par votre bonte vous les auriez ja soulages, voire pleure avec eux en leurs calamites et miseres. u L'einpereur Diocletien . . . interroge par ses familiers des causes qui 1'auroient mu de se decharger cle cette dignite imperiale, al- legua, entre autres causes et raisons, la mi- sere des empereurs, rois et princes, qui ores qu'ils soient pleins de bonnes volontes, el DE FRANCE. CHAP. XXXV. 187 desireux de bien faire envers leurs su jets, ce neanmoins toutes choses leur sont deguisees par ceux qui sont aupres d'eux, qui leur fas- cinent et enchantent ies yeux, et etant tous unis et bandes ensemble, ainsi que plusieurs tetes en un chaperon, comme Ton dit eii com mu n proverbe, font que leur roi ne voit que par leurs yeux, et n'oit que par leurs oreilles, et n'entend que par leur bouche, selon leurs passions et volontes, tellement qu'ils lui font croire ce qu'il leur plait; ils lui font hair ceux qu'ils haissent. Ils mettent en reputation bien sou vent Ies moins vertueux et dignes, reculent et font mepriser Ies bons et vertueux Votre majeste ne sait pas, et ses courti- sans se gardent bien de lui dire, que Ton vend Ies tuiles et couvertures des maisons des pauvres qui n'ont autre moyen de payer Ies tailles et impositions ; que Ies prisons en sont pleines pour la contrainte des paiemeuts, et ne leur baille-t-on pas du pain, rnais men- rent de faim en la prison. Une partie des su- jets de votre royaume se retirent chacun I 88 ASSEMBLIES NATIONALES jour aux royaumes et pays voisins pour cher- clier une vie plus douce, et moyen de se substanter a la sueur de leurs bras, telle- aient que, si bientot n'y est pourvu, vous serez roi d'une grande et spacieuse contree de terres vagues , mais sans hommes et sans sujets. L'orateur de la noblesse. Sire , votre ma- jeste a voulu, a 1'exemple de ses predeces- seurs, prendre Favis et conseil des trois etats et ordres de ce royaume, a ce que, par le conseil des gens Chretiens Francois, et de longue et generale experience interesses et affectionnes en la nieme cause, les saintes intentions de votre majest< soient conduites a leur fin. Sire, la France est travaillee par des ca- lami tes de toutes especes. L'uiie des princi- pales est Fheresie : pour reniedier a un aussi grand nial, nous avons reconnu qu'il faut que nos prelats fassent leur paix avec Dieu pour nioyenner le bien du peuple, et par la saintete de leurs vies, continence, charites, doctrines, et saintes conversations, fermcr DE FRANCE. CHAP. XXXV. 1 89 la porte aux scandales, provenants des abus, nourrissons de 1'here'sie; et par-la rendre leurs charges si onereuses en toute pi^te chretienne, qtie les mondains, attires par la porape, delices, et autres choses du tout, par le devoir eloignes de la discipline eccle- siastique, desisteiit de plus entrer en leurs chair es et cloitres. Votre noblesse francoise vous a toujours offertson tres humble service, qui ne sera petit quand votre majeste se servira des moyens employes par ses predecesseurs. Ces moyens sont la force inexpugnable et incomparable de votre noblesse, reglee he- r^ditairement, et rangee par regiments de grands dues et comtes, et par compagnies, sous les bannieres hereditaires de plus de six cents barons, qui sont, pourvu qu'il n'y ait privilege, exemption, ni fraude, plus de cinquante mille chevaux. (( Commandez done , sire , comme notre maitre, gouvernez-nous comme roi debon- naire que vous etes, aimez-nous comme 190 ASSEMBLEES NATIONALES pere, gardez-nous comme notre chef, et soyez tres chretien, souverain general des tres chretiens; et faites que, comme nous cherchons avec nos armes ce qui est cor- rompu en la terre pour le conduire au ciel , ainsi messieurs les prelats cherchent ce qui est au ciel pour donner a votre majeste victoire durable en la terre. n L'orateur du tiers -etat. uSire, vos tres humbles et tres obeissants sujets du tiers- etat de votre royaume, assembles par vos commandements, louent Dieu et vous ren- dent grace tout d'une meme voix, esprit, et volonte de reconnoitre, comme ils ont tou- jours fait, votre ferme Constance, zele, et sainte resolution a la defense de la vraie ancienne religion de leursperes, seul orne- ment de votre couronne, et foridement de votre etat. Ils ont aussi occasion de se consoler, et bien esperer plus que jamais de voir le jour tant souhaite auquel votre majeste est dis- posee d'oui'r leurs plaintes, entendre leurs remontrances, prendre leurs avis, et rece- voir leurs humbles supplications. DE FRANCE. CHAP. XXXV. 19 1 Leurs remontrances , sire, pour etre an bien de votre service, salutaires et profita- bles au public, ne seront par eux deguisees de quelque langage affected Us les veulent et entendent faire sim- ples, libres, justes, et veritables, sachant que les anciens avoient accoutume de pein- dre la verit toute nue, pour moiitrer qu'elle vouloit etre oui'e vive, et comrne a decou- vert, sans voile, fard, ni ornement quel- conque, Principalementquand Ton s'adresse aux rois, queerest tout un peuple qui parle, et qu'il y va du salut commuri. u Nous sommes a cela invites et contraints d'ailleurs par la franchise des etats, par la liberte donnee, par la surete promise, ne- cessitede nos charges publiques, et obliga- tions particulieres de nos serments; que quand nous n'aurions vos assurances et pro- messes, que nous tenons sacrees et inviola- bles, une seule raison nous pousseroit aux libres discours de nos plaintes et doleances. uG'est, sire, qu'ayant le principal interet a la conservation et restauration de votre 192 ASSEMBLERS NATIONALES etat, vous seul aurez jet la vue et dresse prudents conseils pour la convocation des trois ordres de votre peuple; vrai, ancien, et ordinaire remede pour sauver et garantir le royaume de sa ruine, decadence, et peril d'un prochaiii naufrage. L'orateur, apres cet exorcle, porte un ceil observateur sur toutes les parties de Fadmi- nistration publique; sur la cour, 1'JEglise, 1'armee, les tribunaux , la police , et les finances. II dechire d'une main hardie le voile qui couvre tous les abus; et franc et loyal depute, il les signale tous a la sagesse et a 1'animadversion du roi. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. CHAPITRE XXXVI. Etats-generaux de la Ligue tenus a Paris en iSgS. Observations sur la loi salique. Cette assembleene futpas seulementille- gale, elle fut seditieuse, puisqu'elle avoit pour objet de changer 1'ordre de la succes- sion a la couronne. Pour que la nation ne reculat pas devant ce grand crime, on le couvrit du manteau de la religion, on 1'environna de tout ce que le culte catholique a de plus imposant. Pen- dant plusieurs jours, un jeune general et des processions publiques solliciterent le ciel de s'unir aux factieux. L'ouverture des etats, qui eut lieu le 26 Janvier, fut precedee d'une messe solen- nelle dans 1'eglise metropolitaine, oil tous les deputes recurent la communion, et qui fut termine'e par un sermon prononce par 1'archeveque d'Aix, danslequel on remarque ces paroles qui serviront de textc aux revo-^ 2. J?) ASSEMBLIES NATIONALES lutionnaires de tons les temps et de tous les pays : La loi salique est positive et changeable au gre du legislateur , quiest le peuple francois en corps (i). Ce Jangage etoit conforme a celui du car- dinal de Pelleve, le"gat du saint-siege aupres de Ja Ligue, qui, dans une proclamation qu'il avoit fait publier quelques jours avant Fouverture des etats, avoit ose direquilfal- loit eslire un roy qui fust de nom et d'effet tres chrestien et vray catholique (2). (1) Mezerai, Histoire de France, annee i5g3. (2) Nous lisons dans les Memoires de Hurault de Che- verny, alors chancelier de France : Le cardinal de Plaisance, envoye par le pape Cle- ment huictiesme, estant a Paris, estima estre oblige a parler parmy tant de declarations, lettres et belles reponses de tous eostez, et fit publier et envoyer par- tout une grande exhortation de sa part sur tous les ucatholiques de toutes qualitez, servants et suivants le roy, portant le grand tort qu'ils faisoient a leur a conscience, et a leur honneur, de servir et assister un heretique , voulant prouver par ses raisons ne pouvoir estre roy de France, et ainsi les conviant de s'en separer pour servir a la conservation de la religion et de cet u estat avec les princes catholiques , et autres depute/ DE FRANCE. CHAP. XXXVI. La premiere seance eut lieu dans Tune des salles du Louvre. L'assemblee ne ful pas nombreuse. On n'y vit ni princes du sang, iii pairs de France, ni grands officiers de la couronne. Le due de Mayenne 1'ouvrit par un dis- cours que 1'archeveque de Lyon lui avoit compose; le cardinal de Pelleve parla pour le clerge; Senecay pour la noblesse, et Ho- iioredu Laurent, avocat du roi au parlement de Provence, pour le tiers-petal. A peine, dit Tauten r de 1'Esprit de la Ligue, les sean- uces e'toient-elles commencees, qu'elles fu- rent suspendues, sous pretext e d'expedi- tions militaires, qui obligeoient le due <( de Mayenne a quitter Paris, niais en effet des estats assemblez a Paris, afin de nommer tous u unanimement un roy qui fust vraiment catholiqut ', et doiie des qualitex convenables a cette grandeur, pro- mettant par 1'authorite de sa saintete tout libre accez et surete a tous ceux qui se voudroient reconnoistre, et n'oubliant a remarquer le soin continue! et successif qu'avoient eu de la conservation de la religion catho- lique, et de cet estat. tous les papes depuis Sixte cin- quieme, jusques audit Clement huictieme. 1 3, 196 ASSEMBLIES NATIONALES ((parcequil se menageoit une negociation, clont les parties interessees vouloient voir Tissue avant que d'aller plus loin, et aussi (( parceque les chefs de la Ligue et les Espa- gnols n'e"toient pas bien d'accord sur le but meme des etats. Pendant 1'absence du due de Mayenne, il se tint chez le legat uii conseil compose des ligueurs les plus influents, dans lequel le due de Feria, ambassadeur d'Espagne, dit nettement et sans detours que 1'intention du roi son niaitre toit que, vu Findignite d'Henri IV, heretique relaps, les etats decla- rassent que la couronne de France apparte- noit de droit a Finfante Isabelle, issue de la fille ainee d'Henri II, et par consequent de- venue reine de France par la mort des trois fils de ce prince. Le retour du due de Mayenne ayant per- mis aux etats de reprendre leurs seances, elles se rouvrirent le 2 avril : Fambassadeur d'Espagne sy rendit, et fit un tres long dis- cours pour tablir que la couronne apparte- noit a Isabelle. Une grande partie des depu- tes embrassa cette opinion: elle passa des DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 197 etats dans les eglises, et toutes les chaires en retentirent. Ainsi Ton repoussoit ce bon Henri, que la nation auroit du choisir pour son roi, lors raeme que la loi fondamentale de Tetat ne 1'auroit pas appele a regner sur elle. Sans doute il y avoit encore des coeurs vraiment francois; niais, glaces d'effroi, ils gemissoient, et ne parloient pas. Cepeiidant une voix se fait entendre , c'est celle du parlement. A la vue du danger dont le trone est menace, il oublie qu'il est encore sous la hache de ces memes tyrans qui vien- nent de le mutiler (i), et, bravaiit la fureur (i) Le lundi matin 16 Janvier 1689, Bussy-LeclerC, de procureur devenu gouverneur de la Bastille pour la Li- gue, entre dans la grande chambre arme d'une cuirasse et le pistolet a la main. II tire de sa poche une liste, ordonne a ceux qu'il va nommer de le suivre a 1'hotel- de-ville ou le peuple les demandoit. A la tete etoient le premier president, Achille de Harlai, et le president de Thou. // est inutile, interrompit celui-ci , d'en lire davan- tage ; it n'y a personne qui ne soit pret a suivre son chef. Tous se levent en meme temps, et suivent 1'audacieux Bussy. II les mene comrne en triomphe a travers une ly8 ASSEMBLIES NATIONALES des Seize, et les foudres du Vatican, uil fit uvoir, dit Mezerai , qifil etoit infaillible foule de populace qui poussoit des huees insolentes. Arrives a rhotel-de-ville, ils vouloient s'y arreter; mais on les fit passer outre jusqu'a la Bastille, et on les y renferma, Mais lesoiron relacha ceux qui n'etoient point sur la liste de Bussy. Le 16 novembre 1691, des deputes du conseil des Douze se rendent a la maison du president Brisson. II sortoit dans le moment pour aller au Palais. Ils lui di- sent que le conseil de 1'Union le demande a l'hotel-de- ville. Brisson se laisse conduire. En passant pres du Chatelet , ils detournent sa mule, et le font entrer en prison. 11 y trouve pour premier objet des homines converts (fun roquet noir, sur,lequel il y avoit une grande croix rouge. Sans lui donner le temps de se reconnoitre, ils lui annoncent qu'il faut mourir. LTun lui arrache son cha- peau; Vautre le fait mettre a genoux; le ^reffier lui lit sa sentence. II y etoit dit qu'on le condamnoit a etre pendu, pour avoir entretenu commerce avec les hereti- ques, ermemis de la religion et du royaume. Quels sont mes juges? demande Brisson e tonne; ou sont lestemoins!" quellessont les preuves? les scelerats se regardent, sou- rient de sa simplicite, et lui disent de se hater, qu'il n'y a pas de temps a perdre , et il fut execute. A peine e'tott-il rnort que d'autres satellites amenent Claude Larchet, oonseiller an parlement, et Jean Tardif, DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 199 uquand il s'agit des loix fondamentales de la monarchic, pour lesquelles il a tou jours veille tres utilement; car il donna un grand arrest qui ordonnoit que remontrances wseroieiit faites au due de Mayenne, a ce qu'il eust a les maintenir, et empescher que la couronne lie fust transported a des etrangers, et declaroit nuls et illicites tous traitez qui avoient este faits ou qui se feroient pour cela , comme estant con- u traires a la loy salique ( i). conseiller auChatelet, et les livrent aux memes bour- reaux. ANQUETIL, Esprit de la Ligue, tome III. (i) Hurault de Cheverny, alors chancelier de France, rend le meme te'moignage a la courageuse resistance des magistrals qui composoient la fraction du parlement res- tee a Paris. Voici comme il s'exprime dans les me'moires qu'il nous a laisse's : Le vingt-huitieme du mois de juin r5g3, comme ceux du parlement, demeurez a Paris, cognurent les grandes et diverses factions et cabales qui se fai- soient aux estats de la Ligue audit Paris, pour pour- voir a quelque sorte d'eslection d'un nouveau roy, et peut-etre transporter la grandeur et dignite de cette a couronne es-mains estrangeres au prejudice de la loy (i salique , et autres loyx fondamentales clc eel estat, se 200 ASSEMBLIES NATICMNALES Le president Le Maistre, charge de faire les remon trances ordonnees par cet arret, reraplit cette honorable et pe*rilleuse mission avec le courage d'un veritable magistral. Admis a 1'audience du due de Mayennej il prononca le discours que Ton va lire : uNosancetresontetablipardeuxraisonsla (( loi salique. Us ont voulu d'abord empecher quela couronn e ne passat a des etrangers; en u second lieu , ils ont craint que les Francois, cette nation belliqueuse, ne degenerassent de la vertu male de leurs peres, s'ils se uvoyoient soumis a Fempire d'une femme. re'solurent prudemment par divine inspiration de s'op- poser avec courage a telle entreprise, et donnerent un arrest sur la requisition des gens du roy audit parle- ment, portant qu'il fust fait remonstrance tres expresse <( par le principal d'entre eux a M. de Mayenne, comme lieutenant-general de 1'estat et couronne de France, en u presence de tous les autres princes of ficiers de la Ligue, et principaux du party, a ce que rien ne fust attente au prejudice des loyx de ce royaume; ainsi icelles observer u et respecter par qui que ce fust, declarant ledit arrest (i mil , et de nul effet tout ce qui seroit fait au con- traire. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2O1 Par les lettres patentes, enregistre"es en parlement il y a quelques mois, vous avez vous-meme confirme cette fameuse loi, en promettant de conserver toutes les consti- tutions du royaume. La noblesse, qui s'est attachee au roi de Navarre , nous croit vendusaux Espagnols : celle qui suit notre parti sera bientot de la meme opinion , o des qu'elle nous verra faire une election si <- 206 ASSEMBLEES NATIONALES Tons les membres du parlement, lors- qu'ils furent instructs de ce qni s'etoit passe en cette occasion, donnerent de Brands elo- ges a la fermete du premier president. Us promirent de sacrifier leurs vies, plutot que de permettre qn'on changeat quelque chose a leur arret, et ils chargererit trois conseil- lers de signifier au due de Mayenne leur resolution (i). serve la liberte de parler franchement, et principal- it ment des choses qui concernent 1'honneur de Dieu, la "justice, et le soulagement du peuple. Cinq personnes fort notables ont porte le nom de Le Maistre : Gilles Le Maistre, premier president du parle- ment de Paris sous Henri II; Jean Le Maistre, juriscon- sulte celeb re , d'abord avocat , ensuite avocat-ge'neral , et president du parlement; il nedut son elevation qu'a son me'rite: il mourut le 22 fevrier 1601; c'est de lui qifil est question ici; Antoine Le Maistre, celebre avoeat dont on lit encore aujourd'bui les plaidoyers; Le Maistre de Sacy, si connu par ses travaux sur la Bible, et par les persecutions dont il fut 1'objet ; Pierre Le Maistre , avocat au parlement, et. auteur d'un commentaire tres estime sur la coutume de Paris; mort nonagenaire en 1728. (i) Je dois ajouter que le ridicule, cette arrne si redou- table dans les mains des Francois, et dont les blessures sont si sou vent mortelles, servit tres efHcacement la DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 207 Le parlement etoit alors divise en trois sections, dont une etoit demeure'e a Paris, cause de la legitimite. On devine bien que je veux par- ler de cette Satire Menipee, qui , par une fiction fort inge'nieuse, substitue aux discours prononces dans les etats ce que chaque orateur auroit dit, s'il avoit exprime sa pense'e tout entiere. Get e'crit, avidement lu , acheva de faire tomber tous les masques, et le peuple, enfin e'claire sur le veritable esprit de la Ligue, ne vit plus dans ses cbefs que des intrigants, des histrions, et des fourbes. Voiei un exemple de cette espece de travestisse- ment ; c'est 1'archeveque de Lyon que 1'on fait parler. N'est-ce point une chose bien e'trange, messieurs les a ze'lateurs, dc voir notre union, inaintenant si sainte et si devote, avoir ete presque en toutes ses parties com- pose'e de gens qui, auparavant les saintes barricades, a e'toient tous tarez et entachez de quelque note mal sol- fie'e et mal accordante avec la Justice? Et par une mi- raculeuse nie'tamorpbose voir tout-a-coup 1'atheisme converty en ardeur de devotion , 1'ignorance en science u de toutes nouveautez, la concussion en piete et en jeune, la volerie en gene'rosite et vaillance; bref, le vice et le crime transmue en gloire et honneur ? N'est-ce pas, dis-je, grand cas que vous e'tiez tous na- gueres en Flandre, portant les armes contre les archi- catholiques espagnols en faveur des he're'tiques des Pays-Bas, et que vous vous soyez si catholiquement u rangez tout-a-coup au giron de la sainte Ligue roinaine, 208 ASSEMBLIES NATIONALES et les deux autres siegeoient, Tune a Tours, et la troisieme a Chalons-sur-Marne : toutes, dans cette grande circonstance, rivaliserent de zele, de devouement, et de courage. Le legat avoit public une bulle, par la- quelle il exhortoit les laiques a quitter le parti du roi, et 1'ordonnoit aux ecclesiasti- ques a peine d'excommunication et de pri- vation de leurs benefices. Les parlements cle Tours et de Chalons appelerent com me d'abus de cette bulle, la declarerent scandaleuse , pleine d'imposture, tendante a exciter la revoke; et, comme telle, la condamnerent a etre brulee par la main du bourreau. Ces cours decreterent le nonce lui-meme d'ajournement personnel, et ensuite de prise de corps. Elles promirent une recompense a ceux qui le livreroient, u et que tant de bons matois , banqueroutiers, saffra- niers, desesperez, haut-gourdiers et sargeurs , tous u gens de sac et de corde, se soient jetez si courageuse- ment en ce saint parti, pour faire leurs affaires, et soient devenus catholiques a double rebras? >- DE Trrou, Hisloire universelle , liv. XL. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 209 et defendirent, sous peine de mort, de le recevoir et de le loger chez soi. Les memes arrets declaroient criminelsdelese-majeste, dechus de leurs benefices, tons ceux qui pu- blieroient et souscriroient cette bulle. Us defendoient en outre d'envoyer de Fargent a Rome, enfin ils recevoient le procureur- general appelant au futur concile de Felec- tion de Gregoire XIV. L'inebranlable fermete des parlements, la jalousie qiie le due de Guise inspira au due de Mayenne, quelques autres incidents, et sur-tout la conversion du roi, en impose- rent tellement aux factieux, qu'il ne fut plus question de 1'election de 1'infante. Mais cette election n'etoit pas le seul objet de la sollicitude du legat. II ne demandoit pas avec moins d'instance la publication du coneile de Trente: on s'en etoit occupe des la premiere seance. Cette matiere ayant ete remise le 9 avril en deliberation, on nomma Jean Le Maistre et Guillaume du Vair pour examiner les actes du coneile, et pour y remarquer ce qu'ils renfermoieut de contraire aux libertes 210 ASSEMBLIES NATION ALES cle 1'eglise gallicane, aux lois, et aux usages clu royaume. Apres un mur examen , ces deux commis- saires, eloignes detout esprit de faction, et qui avoient autant de probite que de lumie- res, firent leur rapport. Us observerent que le contenu en la quatrieme session, qui ordonne que les auteurs et les imprirneurs des livres defendus seront punis par les eve- ques, etoit contraire a 1'edit donne en i5^i a Fontainebleau par Henri II, a celui de Chateaub riant de i55i, et a Fordonnance de Charles IX, rendue dans le temps des e'tats-generaux d'Orleans, et renouvelee a Moulinsen i566; Que le chapitre premier de la sixieme session, qui permet au pape de deposer les eveques, et d'en mettre d'autres en leur place, derogeoitauxdroitsduroi, et au con- cordat passe entre Leon X et Francois P r ; Que dans les sessions septieme, vingt- unieme, vingt-deuxieme, et vingt-cin- quieme, les eveques etoient declares execu- teurs des donations pieuses; qu'on leur don- noit un droit d'inspection sur les chapitres , DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2 I I hopitaux, fabriques, confre"ries laiques, et universites, avec pouvoir d'en administrer et d'en sequestrer les revenus, d'exiger des comptes, de casser les administrateurs, et d'en nommer de nouveaux-, mais qu'an con- traire les edits de 1544? i5/{5, i546, et i56o, attribuoient la connoissance de toutes les affaires de cette nature aux juges royaux; Que la session vingt-quatrieme, chapitre cinquieme, qui revoque les lettres de privi- lege, etles juges conservateurs, sans distinc- tion des juges ecclesiastiques et des laiques, detruisoit les dispositions de plusieurs arrets du parlement; Que la permission accordee aux eveques dans cette meme session, chapitre premier, d'imposer des peines aux personnes qui con- tractent des manages proscrits par les lois, etoit contraire a notre jurisprudence et a nos usages, suivant lesquels le juge eccle- siastique ne pent connoitre que du sacre- ment, et ne doit porter aucun jugement sur ce qui regarde la dot, les dommages, les in- t^rets, et la punition; Que la session vingt-einquieme, chapitre 2 I 2 ASSfcMBLEES NAT1ONALES iieuvieme, etablissoit les evcques juges des contestations mues a Foccasion des droits de patronage tant ecclesiastique que laique, au lieu que conformement an droit Francois et aux arrets des cours superieures , non seulement le possessoire et le petitoire d'un droit de patronage laique, niais encore les actions pour le possessoire ecclesiastique, doivent etre poursuivis devant les juges royaux j Que le chapitre quatrieme de la vingt- unieme session, par lequel il est ordonne que Teveque sera le maitre de detacher une portion congrue des biens de Teglise matrice en faveur des pretres qui desservent les eglises nouvellement erigees, et que, s'il en est besoin , il contraindra les peuples de fournir ce qui est necessaire pour la subsis- tance de ces pretres, contredisoit absolu- ment nos usages, Tautorite des eveques sur les la'iques etant bornee au spirituel, et ne s'etendant point sur ce qui regarde le tem- porel; que par cette session, chapitre hui- tienie, il etoit en joint aux eveques de visiter les presbyteres et les batiments qui en de- DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2l3 pendent, d'y faire faireles reparations et les rectifications necessaires, et d'y contraindre les titulaires, meme par sequestre des fruits des benefices, quecependantles parlements avoien.t souvent prononce que les seuls juges seculiers avoient droit d'ordonner des saisies ou des sequestres; Que I'autorite' royale et celle des magis- trats, qui seuls pouvoient interdire les offi- ciers royaux, etoientblessees par la disposi- tion de la session suivante, chapitre dixieme, laquelle autorisoit les eveques a informer, com me coin mi ssai res du saint-siege, contre les notaires tant de cour ecclesiastique que de cour seculiere, a leur faire subir des exa- rnens, eta les suspendre de leurs fonctions; Que les sessions vingt-troisieme et vingt- ([iiatrieme, chapitres sixieme et huitieme, suivant lesquelles les homines maries, lors- qu'ils ont etc tonsure's, sont soumis a la ju- ridiction episcoj)ale, et les eveques peuvent connoitre de 1'adult^re et du concubinage, portoient aux droits du souverain une at- teinte manifeste j Que la suppression des iiidults et droits 2l4 ASSEMBLIES NATION ALES de presentation accord es aux parlements, aux universites, aux chapitres, etc., etoit une disposition faite en haine et au preju- dice du parlement de Paris; Que par la session vingt-ciiiquieme, cha- pitre troisieme, il etoit perniis aux comniu- nautes religieuses, meme aux mendiants,a 1'exception des capucins, etc., de posseder des iuimeubles, quoique leurs constitutions le leur defendent; et que ces constitutions ayant ete approuvees et confirmees par plu- sieurs arrets, on ne pouvoity deroger, si ce n'etoit de Fexpres commandement du roi, et par des lettres paten tes enregistrees ; Que la disposition du chapitre troisieme de la meme session, qui laisse aux eveques la liberte d'accorder ou de refuser des moni- toires, et suivant lequel c'est un crime a un j uge seculier de declarer abusive une excom- munication, etoit un attentat contre l'au to- ri te des parlements, qui, en cas d'appel comme d'abus, ont droit d'ordonner que par provision I'excommunie' sera absous ad cautelam , et de contraindre Feveque ou ses DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 2l5 grands vicaires , par saisie du temporel, de dormer cette absolution ; Que le concile n'avoit pu excommunier, ainsi qu'il le fait dans la merae session , cha- pitre dix-neuvieme, les princes qui permet- toient le duel, ni confisquer le lieu ou le combat se seroit passe, parcequ'on ne peut oter au roi une partie de son domaine, et que pour le teniporel il ne reconnoit point de superieur; Que le chapitre suivant, dans lequel le concile ordonne que les saints canons, les conciles generaux et toutes les constitutions apostoliques soient exactement observes, meritoit une restriction, et que, si cette dis- position avoit lieu, il faudroit admettre tou- tes les decretales, toutes les extravagantes, et par consequent toutes les regies de la chancellerie romaine, dont la plupart ne sont point recues en France; Que 1'exception portee par le cliapitre vingt-unieme de la meme session , lequel dit que tout ce qui a ete fait dans le concile ne pourra prejudicier a 1'autoritedu saint-siege, 2 I 6 ASSEMBLIES NATIONALES etoit contraire a plusieurs arrets, qui out prononce qu'il n'etoit point perinis au sou- verain pontife d'accorder des dispenses dans des matieres clecidees par les saints canons et par les conciles; qu'autant de fois qu'il avoit paru des brefs, qui contenoient quel- ques dispositions contraires aux decisions des conciles, ils avoient ete declares nuls; que de plus ledit article detruiroit les appels com me d'abus (cet heureux moyen qui en France a tou jours conserve dans leur vi- gueur les decrets emanes d'une autorit^ si respectable), et qu'une telle reserve anean- tiroit insensiblement tous les conciles, sans en excepter meme le concile de Trente ; Que les conciles provinciaux et les metro- politains etant juges competents des crimes imputes aux eveques, le concile prononcoit mal-a-propos, dans la treizieme session, cha- pitre liuitieme, et dans la vingt-quatrieme, chapitre ciiiquieme, que les causes crimi- iielles des eveques seroient portees en cour de Rome; qu'im tel reglement attaquoit noii seulementFautorite des conciles proviiiciauv et des rnetropolitains, mais encore celle clu DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 217 roi et des magistrals, qui seuls sont juges coinpetents des cas royaux et privilegies, privativeinent an papeet a tousautres eccle- siastiques, quoique les accuses soient hono res de la dignite episcopale; Qu'avec aussi peu de fondement on avancoit dans la septieme session , chapitre sixieme, dans la vingt-quatrieme, chapitre treizieme, et dans la vingt-cinquieme, cha- pitre neuvierne, que le pape pouvoit confir- 111 er les unions des benefices, quoique faites contre les regies, et qu'il avoit droit d'accor- der des provisions en forme gracieuse , puis- ([iie divers conciles et plusieurs arrets des cours superieures annuloient tous actes de cette nature; Que dans la session cinquieme, chapitres premier et second; dans la septieme, cha- pitres sixieme et huitieme; dans la vingt- unieme, chapitres troisieme et suivaiits ; dans la vingt-deuxieme, chapitres cinquieme et sixieme, et dans la vingt-cinquieme, cha- pitre neuvieme, le concile n'attribuoit aux eveqnes la connoissance de certains cas, que comme a des commissaires du saint-^iege; 2 I 8 ASSEMBLIES NATIONALES que de telles decisions repugnoieiit a la ju- risprudence francoise, qui rejetoit les com- missions de la cour de Rome, et ce qui etoit fait en consequence (i). Ces remarques furent approuvees de tous les gens instruits et sense's, mais elles scan- daliserent un grand nombre de deputes. Le legal dissimula le depit qu'elles lui cause- rent, et il n'en continua pas moins de de- mander la publication du concile. (i) II faut joindre a ce rapport le discours prononce, en presence des peres du concile, par 1'eveque d'Auxerre. Amiot, ambassadeur d'Henri II aupres de cette assem- blee. Ce discours est rapporte en entier dans I'Histoire universelle du president de Thou, liv. IV. J'en extrais le fragment qui suit : Le roi tres chretien, fils aine de 1'Eglise, et qui se glorifie de ce titre, qu'il a herite de sesancetres, voyant qu'on se comporte a son egard avec tant de passion et d'iniquite, m'a ordonne de faire devant vous la meme "protestation qu'il a deja fait faire a Rome, et de vous declarer qu'il ne peut ni ne doit envoyer ici les eveques de France, ni tenir cette assemblee irreguliere, convo- que'e non en faveur de la religion et du bien public , mais pour les interets de quelques homines ambitieux qui veulent profiler des troubles ; qu'ainsi ni lui ni DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 219 Cependant le due de Mayenne vouloit dissoudre les tats, dont iletoit fort m ^con- tent; mais d'un autre cote' il falloit se de- barrasser du legat qui sollicitoit toujours, avec les plus vives instances, la reception du coiicile de Trente. Je vais laisser parler Tauteur de FEspritde la Ligue(i): wLeduc, udit M. Anquetil, apaisa le legat en faisant renouveler le serment d'union dans les a les etats de son royaume ne se soumettront aux decrets de cepretenduconcile, et qu'il emploiera, au contraire, pour les rejeter les moyensdontsespredecesseurs se sont servis en des occasions semblables; car vous n'ignorez pas le droit qu'ont les rois de France sur les choses sa- crees, et comment ils 1'ont toujours exerce des le com- mencement de la monarchic A 1'e'gard des vaines "menaces et des censures, le roi tres chretien ne les craint point II craint encore moins qu'on lance " un interdit sur son royaume : il sait assez de quelle maniere les etats-generaux de France et la faculte' de theologie de Paris se sont autrefois comportes sous le roi Philippe-le-Bel contre Boniface VIII; depuissous Charles VI contre Benoit, et enfin contre Jules II sous M Louis XII, dont la memoire est si chere et si respectable u aux Francois. ( j) Tome III, livre VIII. 220 ASSEMBLEES NATIONALES etats qui duroient encore. N'ayant pu en tirer tout ce qu'il auroit voulu, le prelat roniaiii souhaitoit du nioins y faire rece- voir le concile de Trente. On prit un sin- ce gulier moyeii pour le satisfaire sans enga- ugerles etats. Le lieutenant-general, dans u une assemblee solennelle , les prorogea jusqu'au mois de septembre , et permit aux deputes de se retirer. Apres cette ac- tion, par laquelle les etats etoient censes finis, le Jegat entra. On lut tout haut de- vant lui une ordonnance touchant la re- uceptioii pure et simple du concile de Trente. II en fit, ainsi que le cardinal de uPelleve aussi' present, un long remercie- ment aux deputes. II alia ensuite a leur u tete chanter le Te Dewn dans Feglise de (i Saint-Germain-rAuxerrois (i). Comme j'ai plusieurs fois parle de la loi salique clans le cours cle ce chapitre, je crois (i) Les etats avoient Jure sept mois, clepuisle 10 fcvrier jusqu'a la fin du mois tFaout DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 221 devoir le terminer par quelques observa- tions sur cette loi. Chez les anoiens Germains les terres etoient publiques. Chaque annee la distribution s'en faisoit aux membres des differentes tribus, en raison du nombre de Jeurs troupeaux et de leurs moyens de culture. Cependant ehaque chef de famille possedoit patrimo- nialement une habitation et quelques ar- pents qui en formoient 1'enceinte. On don- noit a cette habitation et a son enceinte la denomination de terre salifjne , et c'est a cette terre salique que les males succedoient a ('exclusion des femmes. On ne coniioit aucuii exemple de deroga- tion a cette coutume avant Tinvasioii des Gaules. Mais nous apprenons du moihe Marculfe, qui ecrivoit sous le regnc de Da^obert F r , que de son temps le pere avoit la faculte de rappelerses fillesa sa succession, et qu'alors elles |)arta^eoient avec leurs freres, non seulement les acquets faits par le pere com- mun, mais le domaine dont la cpnquete 222 ASSEMBLIES NATION ALES 1'avoit rendu proprietaire , domaine auquel on donnoit la denomination fallen, et que Ton regardoit comme subroge a la terre sa- lique (i). On ignore si ces derogations a la loi com- mune etoient plus ou moins frequentes. Les nuagesqui couvrent ces temps recules nous laissent a peine entrevoir ce qui s'y passoit. Cependant on peut conjecturer qu'elles etoient fort rares. En 788 Charlemagne fit proceder a une nouvelle redaction de la loi salique, qu'il publia sous le litre de pac- tum legis salicce; et la disposition qui declare les filles inhabiles a succeder a la terre sali- que y est consignee en termes si absolus, qu'il est difficile de ne pas les regarder comme exclusifs de toute espece d'exception. Ces termes, les voici : De terra verb sailed, nulla portio hcereditatis mulieri veniat , sed ad viri- (i) La formula de ces rappels est la douzieme du livre II des formules de Marculfe; elle est terminee par ces mots: Ut, tarn de alode paterna cjuam de comparalo , vel quodcumque moriens reliquero , cequali lance cumfiliis meis germanis luis , dividereve excequare debeas. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 223 lem sexum totius terrce htereditas perveniat. Titre 62, article 6. Le domaine de la couronne etant regarde comme le plus noble des alleux, et mis comme tel au rang des terres saliques, la loi s'appliquoit a la famille royale comme aux families particulieres; et relativement aux femmes, le trone, comme tout ce qui etoit compris sous la denomination de terres sa- liques, etoit hors de la succession du dernier roi. Si des changements a cet ordre de succe- der ont etc quelquefois toleres, si dans cer- tain es circonstances la volonte du pere a prevalu sur celle de la loi, cela ne s'est vu que dans des families particulieres , et la disposition de la loi salique a constamment regie la succession au trone. Presque tous les rois des deux premieres races ont eu des filles. La plupart de ces princesses avoient epouse les seigneurs les plus puissants d'alors (i). Ces hommes, dont (i) Clotilde, fille de Clovis, n'eut aucune part a la couronne, et le roi des Visigoths, qu'elle avoit epouse'e, 224 ASSEMBLEES NATION ALES le courage iiifatigable et feroce ne respiroit que la guerre, ri'auroieiit pas manque de faire valoir les droits de leurs femmes an ne fit entendre aucune reclamation. Theodechilde, fille da meme Clovis , et fondatrice du monastere de Saint-Pierre de Sens, fut traite'e comnie sa sceur. Une autre Theodechilde, fille de Thierri I", selon Flodoard , et marie'e au roi des Varnes, selon Procope, subit le meme sort. Theodebalde succeda seul a son pere Theo- debert au prejudice de ses deux soeurs, Regintrude et Bortoare. Chrodesinde et Chrotdeberge survecurent a Child ebert leur pere, puisqu'elles eurent apres sa mort Caribert, leur cousin germain, pour tuteur; cependant Clotaire, leur oncle, he'rita du royaume de Paris. Al- boin, roi des Lombards, avoit e'pouse Closinde, fille de Clotaire F' ; muis apres la mort de son beau-pere, Alboin ne prit aucunes mcsures pour faire valoir les droits de sa femme. - Ethelbert, roi de Kent, avoit epouse la fille ainee de Caribert, qui ne laissa pas de fils; neanmoins le royaume de Paris e'chut aux collateraux, sans opposi- tion de la part d'Ethelbert, Gontron avoit deuxfilles, lorsque se plaignant d'etre sans enfants males, il designa son neveu Childebert pour son successeur. Chilperic avoit perdu tous ses fils ; Uasine et Bigunthe lui restoient en- core lorsqu'il repondit aux ambassadeurs du meme Chil- debert : Puisque je n'ai pas de posterite masculine, le roi votre maitre> fils de mon frere, doit etre mon seul heritier. Foncemagne, Discours sur la loi salique. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 225 trone, s'ils avoient pu leur en soupconner. Cependant aucun.d'eux, pendant les quatrc siecles qui se sont coules depuis Clovis jusqu'a Tavenement de Hugues Capet an trone, n'a fait entendre la plus legere recla- mation. Sous la troisieme dynastie, meme exclu- sion des femmes, meme silence de leur part; en un mot, meme respect pour la loi salique. Depuis le commencement du XIV 6 siecle jusqu'a nos jours, elle a recu huit fois son application: i a la fille de Louis Hutin; 2 aux filles de Philippe-le-Long; 3 a la fille de Gharles-le-Bel , 4 aux filles de Louis XI; 5 aux filles de Louis XII; 6 a la fille de Charles IX; 7 a la petite-fille de Henri II, apres le deces de Henri III; 8 a 1'auguste fille de Louis XVI. Je viens de dire que dans ces huit circon- stances 1'exclusion des femmes n'avoit donne lieu a aucune reclamation : cela n'est pas parfaitement exact. Apres la mort de Louis Hutin, qui laissa une fille, le due de Bour- gogne, oncle de cette princesse, pretendit que la couronne lui appartenoit: c'etoit la 2 . 1 5 226 ASSEMBLEES RATIONALES premiere fois que la difficulte s'elevoit; pour la resoudre, Philippe-le-Long convoqtia les grands du royaume, et dans cette assemblee il fut decide que la loi salique ne permettoit pas que les femm es succedassent au royaume de France. Charles-le-Bel , ii'ayant de meme laisse qu'une fille, Edouard III, roi d'Angleterre, eleva la meme prevention: il etoit, par sa mere, petit-fils cle Philippe-le-Bel , et neveu du dernier roi, par consequent, plus pres que Philippe de Valois, qui n'eii etoit que le cousin. La prevention d'Edouard, soumise a une assemblee composes des pairs de France et d'un grand nombre de barons, ne fut pas jngee meilleure que celle de Jeanne, fille de Louis Hutin: il etoit male, a la verite, mais il descendoit d'une fille, et la loi salique lui fut applique'e. Le president Henault, apres avoir rap- porte ce memorable jugement, ajoute : // en couta la vie a un riche bourgeois de Com- piegne , nomme Simon Pouillet, pour avoir eu la temerite de se declarer enfaveur de la pre~ tention d'Edouard III. DE FRANCE. CHAP. XXXVI. 227 Le meme sort attend ceux qui imiteroient le bourgeois de Compiegne : il leur est assure par 1'article 87 du Code penal, dont voici les terraes : L'attentat ou le complot dont le but sera de detruire ou de changer le gouverne- ment ou Vordre de successibilite au trone sera puni de mort et. de la confiscation des biens. ID. 228 ASSEMBLIES NATIONALES GHAPITRE XXXVII. HENRI IV ET MARIE DE MEDICIS. (i5 9 3-i6i4.) Durant cet intervalle, c'est-a-dire pen- dant plus de virigt ans, les etats-generaux du royaume ne furent pas convoques : il y cut settlement en 1596 une assemblee de nota- bles, qui se prolongea en 1097. Gette assemblee fut composee cles princes, des seigneurs, et de deputes appeles tant des principales provinces que du parlement de la chambre des comptes , de la cour des aides, du Chatelet, et de I'hotel-de-ville de Paris. Le roi en fit Fouvertnre le 4 novembre. Dans son discours il dit, entre autres ( i ), qu'il avoit reuni les notables, non pour faire ap- (i) Etats-generaux , tome XVI, page 12. DE FRANCE. CHAP. XXXVII. 229 prouver ses volontes, comme Favoient fait ses prdcesseurs aux ^tats-generaux , mais pour recevoir leurs conseils, pour les suivre, bref pour se mettre en tutele entre leurs mains; en vie qui ne prenoit guere aux rois, aux barbes grises et aux victorieux. II ajouta que le violent amour qu'il portoit a ses sujets lui feroit trouver tout aise et honorable pour joindre au titre de roi ceux de liberateur et de restaurateur de Fetat. Les notables furent divis^s en trois cham- bres, qui delibererent ehaeune en particu- lier, et qui se communiquerent ensuite leurs deliberations en assemblee generale. Des cahiers furent rediges. On y signala plusieurs abus et des desordres dans les fi- nances j mais les mqyens indiques pour y remedier denotoient peu de connoissance des affaires, et n'etoient pas praticables. Sully fut charge de ce soin , et par une ad- ministration aussi ferine que prudente, il justifia pleinement la confiance intime de son roi. Apres 1'assassinat du meilleur, du plus populaire des souverains, M^irie d.e Medicis 230 ASSEMBLIES NATION ALES ayant et declaree reine re"gente pendant la minorite de Louis XIII, Sully, jalouse, ca- Jomnie, dut bientot quitter les affaires et s'eloigner de Paris. Plusieurs princes et sei- gneurs fi rent de meme. Des-lors la cour chan- gea de face, le gouvernement de maximes, les ininistres de clesseins. L'ordre etabli sous le regne du grand Henri fut renverse , ses Economies dissipees, ses alliances delaissees ; le nombre des mecontents devint chaque jour plus grand , sur-tout parmi les protes- tants. Les factions se multiplierent; la re- gente en fut extremement alarmee : elle se sentoit a la veille de voir renaitre les mal- heurs dont la France avoit ^te troublee sous les regnes precedents. Elle assenibla le conseil, qui fut cl'avis qu'il seroit a propos de convoquer procliainement les etats-gene- raux du royaume pour y prendre des reso- lutions convenables au bien public. La regente se rendit a cet avis, et les lettres patentes pour leur reunion furent expedites au mois de juin i6i4- DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 23 I CHAPITRE XXXVIII. Etats-generaux tenus a Paris en 16 1 4- Les e"tats de 1614 sont les derniers de nos anciens etats-generaux; leur ouverture cut lieu avec beaucoup de solennite. Je donne- rai quelques details a ce sujet dans le cha- pitre suivant. Les lettres patentes exp^diees le 7 juin enjoignoient aux provinces de proceder a 1'election des deputes des trois ordres pour etre reunis le 2 septembre dans la yille de Sens. Les deputes se disposoient a s'y rend re, mais le voyage que le roi et la reine regente firentdans I'intervalle, en Poitou et en Bre- tagne, pour y apaiser les troubles, eut un tel succes que leurs majestes, en revenant a Paris, deciderent d'y tenir les dtats-gene- raux. Le roi declare majeur a treize ans et un jour en fit 1'ouverture par le discoursqu'on va lire : 232 ASSEMBLEES NATIONALES u Messieurs, j'ai desire de vous cette grande uet notable assemblee, au commencement u de ma majorite, pour vous faire entendre u 1'etat present des affaires, pour etablir un u bon ordre, par le moyen duquel Dieu soit uservi et honore, mon pauvre peuple sou- ulage, et que chacun puisse etre maintenu et conserv^ en ce qui Jui appartient, sous ma protection et autorite. Je vousprie tous, (c et vous conjure de vous employer comme uvous devez pour une si bonne ceuvre; je u vous promets saintement de faire observer et executer ce qui sera resolu et avise en u cette assemblee ; vous entendrez plus am- u plement ma volonte par ce que dira M. le u chancelier. M. le chancelier de Sillery (i) assis a la gauche du roi , sur une chaise sans dossier, prit la parole, et fit un discours qui dura (i) Henri IV disoit u que tout pouvoit lui reussir par le moyen d'un connetable qu'il avoit qui ne savoit pas ecrire (Henri de Montmorency) et d'un chancelier qui ne savoit pas le latin. II parloit ainsi du chancelier de Sil- lery. J. Le Laboureur, Mcmoires de Castelnau. DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 233 prestVune lieure. Quand il eut fini, il se leva et alia prendre 1'avis du roi et de la reine ; puis s'etaiit remis en place, il dit aux depu- tes en general : Que sa majeste leur permet- toit de s'assembler et de dresser leurs ca- hiers, et que lorsqu'ils seroieiit prets, elle y donneroit une favorable reponse. Ensuite le roi fut harangue par 1'arche- veque de Lyon pour le clerge, par le baron Dupont-de-Saint-Pierre pour la noblesse, et par le president Miron pour le tiers-etat. La harangue du president Miron fut assez longue etfort energique; on y remarqua le passage suivant : a Nous remercions tres huniblement votre majeste de ce qu'elle daigne donner les premieres actions de sa majorite a ce (tbon oeuvre, que de s'incliiier a entendre les plaintes et doleances de ses sujets, et porter ses mains innocentes a redresser les ufautes qu'elle n'a point commises; ains nous-memes, par le trop d'aise ou nous nous sommes vus plonges par 1'abondance et delices, causes d'une profonde et longue paix pendant 1'heureux regne de Henri-le- 234 ASSEMBLIES NATION ALES Grand, de sorte que corame insenses et uennemis de nous-memes, courant a notre propre mine, nous avons tire notre mal- u heur des memes choses qui devoient operer et affermir de tout point notre bonheur; u mais qui croira ce paradoxe , trop veritable u neanmoins , que les vertus ayent engendre' les vices, et que 1'exces de la bonte, faci- lite et clemence de vos majestes ayent cause par rimportunite, 1'audace, Timpiete et Timpunite, a leur suite une infinite de (i maux, une contravention publique a tou- tes ordonnances divines et humaines, et u enfin uii clevoyement general de toutes regies, en tous les ordres et professions de ce royaume?)) Du 2.J octobre au 5 novembre on ne s'oc- cupa que de quelques diffe rents de pre- seance dans cliacun des trois ordres. Jls fu- rent regies provisoirement jusqu'a ce que le conseil eut ordonne sur le principal. Ledit jour 5 novembre, 1'eveque de Lu- con (i), accompagne de quatre ecclesiasti- (T) Si fameuxdepuis sousle nom decardinal deRichelieu. DE FRANCE. CHAP. XXXVUI. 235 ques se rendit a la chambre du tiers, et lui annonca qu'il venoit lui faire part de deux resolutions prises par le clerge: la premiere de faire preter serment solennel aux depu- tes de travailler saintement (pour la gloire de Dieu, le service du roi, et soulagement du peuple) aux cahiers, et de ne reveler en facon quelconque ce qui seroit avise aux chambres. La seconde, de venirdenx fois le jour aux Augustins; a savoir, la matinee depuis huit lieu res jusqu'a onze; et de relevee depuis deux jusqu'a quatre, a la reserve du jeudi et samedi 1'apres-dinee, lesquels jours seroit donne relaclie pour faire d'autres affaires, ainsi que chacun aviseroit. Le president Miron lui repondit que pour le regard de la premiere proposition , la compagnie n'y pouvoit encore satisfaire, d'autant que les pouvoirs n'etoient pas veri- fies; que pour la seconde, la compagnie se conformeroit toujours au bon vouloir et in- tention de MM. du clerge, comme de leurs peres communs. Le lendemain 1'eveque de Beauvais vint. 236 ASSEMBLEES NATIONALES egalement au nom de son ordre, proposer d'extraire des cahiers de chaque depute des trois ordres tout ce qui , concourant a 1'uti- lite publique, ne concerneroit en particu- lier ni le clerge, ni la noblesse, ni le tiers- etat, afin qu'etant d'accord sur divers points, on put les soumettre au roi, et en obtenir reponse avant de se separer. Cette proposi- tion excita de vives contestations; on crut y voir quelque artifice cache , et le president Miron jugea apropos del ever la seance, ren- voyant a en deliberer apres la verification des pouvoirs. Pendant ces communications , et quelques autres de meme nature, Jean, seigneur de Vertaut, et tresorier de France au bureau des finances de Chalons-sur-Marne, remit a la chambre du tiers une petition dans la- quelle il exposoit qu'ayant vu qu'il se fai- soit une levee de deniers dans le pays cle uRetlielois, sans commission du roi qui eut passe entre les mains des tresoriers de France a Chalons, il auroit fait son possi- ble pour empecher le cours de cette levee quise faisoit contre les formes, au preju- DE FRANCE. CHAP. XXXVIII. 287 (( dice de Fautorite royale et du service de sa majest^: ce qui avoit engage M. le due (cdeNevers, sous Tautorit^ duquel lesdits deniers etoient leves, de le faire prendre par cinq ou six hommes de sa suite, qui t( 1'auroient traduitde la ville de Chalons en (damaison de la Cassine, ou il auroit et& trois jours renferme, a la merci de plu- sieurs coupe-jarrets, qui lui avoient fait le poil etla barbe a moitie, et, 1'ayant convert ud'un coqueluchon de vert et de jaune, ourront mettre (( es-mains desdits prevot des marcliands et echevins, ou les deputes recevoir lesdites plaintes, ou icelles mettre dans un coffre, qui, pour cet effet, sera mis en Thotel-de- ville au grand bureau, ouvert en forme de tronc, pour apres etre fait ouverture du coffre par lesdits prevot des marchands, uechevins, deputes, et par eux dresse uii cahier desdites plaintes, doleances, et re- a montrances, et sera la presente ordonnance publiee a son de trornpe et cj'is publics par les carrefours de cette ville et faubourgs, u et affichee auxdits carrefours, places, et 18. 276 ASSEMBLERS NATIONALES uautres lieux, a ce que personiie n'en pre- tende cause d'ignorance. Fait au bureau de ladite ville le vendredi vingt-septienie jour de juin i6i4- En vertu de Fordonnance du bailliage, chaque municipalite convoquoit les notables de sa commune, c'est-a-dire les juges, les avocats, les medecins, les notaires, les pro- cureurs, les chefs des corporations, et autres notables bourgeois. Dans cette assemblee on choisissoit un certain nombre d'electeurs. Les nobles, les ecclesiastiques, et les elec- teurs des villes se rendoient an jour et au lieu iiidiques par 1'ordonnance du bailliage pour 1'assemblee generale. A Paris, elle se teiioit ordinairement au palais archiepisco- pal ou au Palais de justice. Dans d'autres villes, on choisissoit quelque maison reli- gieuse, ou meme 1'eglise. Le bailli s'y transportoit assiste des prin- cipaux of'ficiers de son siege. Le clerge etoit assis a la droite du bailli ; la noblesse a la gauche ; le tiers-etat a la suite de Fun et de 1'autre. On y lisoit les lettres du roi; le procureur du roi en DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 277 requeroit 1'ex^cution, et on appeloit tons les mandes par leur nom ; on prononcoit defaut contre les absents qu'on ajonrnoit a huitaine. Le procureur du roi ordonnoit ensuite que chaque ordre se retirat dans un local a part pour proceder a Telection, apres avoir fait le serin ent d'elire gens affectionnes au bien de Vetat, et de probite rcconnue. Alors on se separoit. Le clerge", dans les villes episcopates, demandoitordinairement son renvoi devant 1'eveque ; dans les a litres villes il snivoit la rnarche commune. II nom- moit u n president, a moins que le bailli on son lieutenant ne vouliit assister a ces assem- blies ; on en trouve plusieurs exemples. Le plus ordinairement ces officiers se joignoient cliacnn a 1'ordre auquel ils appartenoient ; ils v presidoient j ils y recueilloient les suf- frages que Ton donnoit a voix haute, sur Tap- peld'ungreffier; ils declaroientla nomination faite si elle etoit reguliere; ils Fannuloient" si elle toit vicieuse; ils prorogeoient 1'assi- g nation s'il y avoit lieu , ou defendoient a Fassemblee de se separer avan I que d'avoir 278 ASSEMBLIES NATIONALES fait 1'election si le service du roi 1'exigeoit. Les contestations qui s'elevoient dans les autres chambres etoient portees devant eux ; ils s'y transportoieiit s'ils le jugeoient neces- saire; enfin ils exercoient en tout Fautorite royale. Le clerge nommoit un eeclesiastique, la noblesse un noble, et le tiers-etat un no- table de la bourgeoisie, en sorte que chaque ordre etoit tou jours represente par 1'un de ses nierabres. Ges operations termin^es, tons les electeurs se reunissoient sous la presi- dencedu bailli ou deson lieutenant; etapres un recensement public des votes de cliacun des trois ordres, ceux qui avoient obtenu la majorite etoient proclames deputes du bail- liage. Le bailli faisoit proniettre aux elus de se trouver an jour present dans la ville in- diquee par le roi pour y tenir les etats, et d'y porter fidelernent les cahiers qui leur se- roient re mis. Ghaque ordre iiommoitensuite un certain nombre de commissaires pour la redaction du cahier dans lequel il consignoit les pou- voi rs et les instructions qu'il jugeoit a propos de donner a son depute. Quand le travail de DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 279 ces commissaires etoit firii, on eonvoqnoit de nouveau 1'assemblee generate pour y exa- miner les cahiers, les arreter, et les signer. On voit que dans tous ces preliminaires il n'est pas question des campagnes; que les villes seules jouissoient du droit de deptiter aux etats-generaux (i ), et Ton peut chercher le motif de cette preference. Cela s'explique par le deplorable etat auquel les habitants des campagnes, et meme ceux d'un grand nombrede villes, etoient alors reduits. Attaches a la glebe, ils etoient en quelque sorte la propriete de leurs seigneurs; ils etoient, suivant Fexpression de queiques coutumes, du fond et pied de la terre ; aussi (i ) Les etats etant la representation de tout cequi avoit une propriete libre, il s'ensuivoit que le peuple des cani- pagnes, tout ce qui etoit sous la dependancc d'un sei- ;;neur ii'avoit pas le droit d'y voter: ils etoient repre- sentes | ar leur seigneur. Ainsi les deputes qu'on appeloit le tiers-etat ne rt-presentoient nullement tout ce qui n'e- toit ni clerge ni noblesse, niais seulement les villes, parcequ'il n'y avoit qu<> les villes ou Ton reconnut dt-s droits a reux qui n'etoient ni ecclesiastiques ni gentils- hommes. Hisfoire dc Brrtagne,par M. Darn, page 33.V 280 ASSEMBLIES NATION ALES dansle vieuxlangagelesappeloit-on homines de pote; homines alienee potestatis; certes, 1'idee d'elever a des fonctions publiques des homines ainsi degrades ne pouvoit pas se presenter a Fesprit; mais les seigneurs re- presentoient leurs sujets et votoient Fimpot en leur nom et pour etix. Dans la preface du troisierne tome des Ordonnances du Louvre, page 26 , on lit que, dans des lettres patentes du 2 juin 1 352, le roi expose que les prelats, les barons et les nobles lui ont accorde une imposition de six deniers pour livre pour un an, payable par leurs sujets; et que les villes lui ont octroye un semblable subside. On vient de voir que chaque bailliage nommoit trois deputes, un pour le clerge, un pour la noblesse, et le troisieme pour le tiers-eta t. Sous cette denomination de bailliage, on ne comprenoit que les juridictions qui res- sortissoient nuement a une cour souveraine. Le nombre de ces bailliages, que Ton ap- peloit senechaussees dans les provinces du Midi, a constamment varie, tantot par des suppressions, tantot par des erections nou- DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 281 velles. Je crois que vers la fin du seizieme siecle, ce nombre pouvoit etre de cent soixante et dix, ou cent quatre-vingts. 11 y avoit aussi des villes qui, par un privilege special, avoientledroitde deputeraux etats- generaux. Aiiisi le nombre des deputes a ces assemblies a pu , a certaines epoques, s'elever jusqu'a six cents ou environ. On en compte meme huit cents aux etats de i356, don tquatre cents dela noblesse etdu clerge, et quatre cents des bonnes villes. Mais il paroit que les deputes n'etoient pas fort exacts a se rendre a ces assemblies. Les premiers etats deBloisdel'annee 1676 etoient composes de cent quatre deputes pour le clerge, de soixante et douze pour la noblesse, et de cent cinquante pour le tiers. u Aux seconds etats de Blois, en 1688 , le clerge avoit cent trente-quatre deputes, entre lesquels on voyoit quatre arche- veques, vingtet un eveques, et deux chefs d'ordres, vestus de leurs rochets et surplis. u La noblesse en avoit cent quatre-vingts avecla toque de velours et la cape, le tiers- 282 ASSEMBLIES NATION ALES etat cent nonante-un, partie gens de jus- tice, et partie gens de commerce, les pre- miers avec la robe et le bonnet quarre, les autres avec le capotet le bonnet rond (i). Aux etats de i6i4, le clerge avoit cent quarante deputes, la noblesse cent trente- deux, et le tiers -etat cent, quatre -vingt douze. Apres une procession (2) publique et une messe solennelle a Liquelle les deputes rece- voient la communion, le roi, sur son trone, et dans toiite la poinpe de la majeste royale, (1) Mezerai, Histoire du regne de Henri III. (2) Void I'ordre qui fut suivi a la procession qui pre- ce'da Pouverture des etats-generaux de i588. n Le roi, voulant oommenoer cette assemblee par une pubiique invocation du noin de Dieu , commanda une procession solennelle, depuis 1'eglise Saint-Sauveur de la grande cour du chateau de Blois jusqu'a celle deNotre- Uanie-des-Aidt's. an faubourg de Vienne: c'etoit comine un general etaleinent des pompes et magnificences Fran- coises et sur-tout delabeaute de la cour d'un grand roi. L'ordre etoit tel: lescommunautesdes eglises marchoient en tete; apres elles, les deputes du peuple, quatre a quatre; ceux de la noblesse les suivoient , et ceux-ci cloient suivis des ecclesiastiques; et apres (Mix marchoient DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 283 faisoit 1'ouverture des etats; le chancelier en exposoit 1'objet; les presidents de chacnn des trois ordres repondoient par des protes- tations de devouementetde zele; et les etats etoient constitnes. Voici ce qui se pratiqua a cet e'gard aux etats-generaux de 1676. Apres que le chancelier eut parle, dit un atiteur contemporain (i), il fut commande par un heraut a I'archeveque de Lyon, ora- teur dii clerge, de parler. Lors se mettant ^ un pupitre a (jenonx devant le roi, apres avoir dit une clause de sa harangue, on lui ]es abbes, les eveques, les archeveques, et les carclinaux: quatre chevaliers de 1'ordre du Saint-Esprit portoient le poele, sous lequel 1'archevequ'? d'Aix portoit le saint- sacrement; sa majeste suivoit a pied avec les reines, les princes, et princesses; 1'e'veque d'Evreux fit le sermon; 1'archeveque de Bourses dit la messe en 1'e'glise INotre- Dame, toute tenduedes plus riches tapisseries du roi. Sa majeste e'toit eleve'e au milieu du chceur sur un haut dais couvert de velours. Cette procession fut faite le di- manche 2 octobre i588. Le Ceremonial de France. (i) Voyez le recueil intitule* DCS Elats-get'raux, tome XIII, page aSi. 284 ASSEMBLIES NATIONALES dit qu'il se levat, comme il fit, et dura sa harangue cinq quarts d'heure. Puis le baron de Senecey parla pour la noblesse tin demi- quart d'heure ; et Versoris parla une heure et deraie, et fut a genoux en parlant pres d'uno demi-heure, jusqu'a ce que le heraut lui dit qu'il se levat par commaiidement du roi, et tous les deputes se leverent, et se decouvrirent quand 1'orateur du cler^ commenca de parler; et tot apres on leur dit qu'ils eusseut a s'asseoir. Autant en firent- ils quand 1'orateur de la noblesse commenca a parler; mais, quant an tiers-etat, il de- metira toujours debout et tete nue durant que 1'orateur du tiers-etat parla comme il leur avoit ete enjoint en entrant en la salle, combien que plusieurs de])utes du tiers-etat sassirent et se couvrirent, voyant que le clerge et la noblesse etoient assis et converts , et n'ayant eutendu le commaiidement de se tenir debout ni decouverts ; et depuis ils entendirent que le tiers-etat aux etats d'Or- leans avoit ^te autant privilege que les autres, x et que 1'orateur parla debout. Pour donner une idee plus exacte du ce- DE PRANCE. CHAP. XXXIX. reinonial qui s'observoit dans ces grandes solennites, j'exposerai la inaniere dont les choses se passerent lors de 1'ouverture et de la cloture des etats-gneraux de i6i4- Je prends ces details dans Thistoire de Flori- inond de Rapine, depute de Lyon a ces memes etats-g^neraux ( i ). Le dimanche 26 du mois d'octobre, veille de 1'ouverture des etats, se fit une grande procession. Tous les ordres ranges selon 1'or- dredesbaillia^es serendirent clans le cloitre des Augustins, sur les huit heures du ma- tin. Le roi , la reine, Monsieur, frere du roi, le prince de Conde, le due de Guise, de Joinville, plusieurs dues et grands officiers de la couronne, ensemble plusieurs prin- cesses, tant du sang qu'autres, y vinrent entre neuf et dix. M. de Rhodes, maitre cles ceremonies, ayant fait distribuer, de la part du roi, un cierge blanc a chacun des deputes, fit mettre a la tete de la procession (i) Cette histoire fait partie d'un recueil intitule Des Etats-generaux et autres ^tssemblees rationales; elle est inseree dans le tome XVI, pages L\- t c-t suiv. 286 ASSEMBLEES NATION ALES tons les meridian Is des paroisses de Paris, qui s'en allerent a Notre-Dame, et n'y flrent que ]>asser, de peur de remplir par trop Feglise; et apres il fit ranger les deputes du tiers-etat, que lui-meme appeloit par bail- liages, seloii Ford re observe en i588, aux etats de Blois, c'est-a-dire que les derniers nsarchoient tous les premiers et en front, parceque ceux qui sont plus proches du sairit-sacrement sont ceux qu'on estime etre en rang plus honorable. II nous fit tous mettre deux a deux, en forme de haie, et chacuu inarclioit avec les co-deputes d'un merne bailliage, sans qu'un bailliagedevan- cat ou marchat avec Tautre. Nous etions au nombre de pres de deux cents; ceux de justice, revetns de robe noire, cornette et bonnet carre; ceux de finances ou de robe courte avec le court manteau ouvert par les cotes pour passer le bras, et la toque. L'ori fit avancer les premiers par Tune des portes du cloitre, sans entrer dans Teglise; mais soudain 1 on vit venir un gentilhomme qui aidoit a M. de Rhodes, qui fit rentrer les premiersdans le meme cloitre, pour faire DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 287 passer toute 1'assemblee par le milieu de Feglise des Augustins, disant que le roi et la reine vouloient voir tous les ordres. Pro- che la porte du choeur de ladite eglise, aux hautes formes, a main droite, etoit le roi; a main gauche etoit la reine; dans la nef il v avoit un poele de toile d'argent, sous lequel le saint-sacrement se devoit mettre, et du- quel les quatre batons devoient etre tenus par Monsieur, frere du roi, M. le prince de Gonde, M. de Guise, et M. de Join- ville: eliacun en passant faisoit de grandes et profondes reverences a M. le prince, et il y en avoit la expres qui disoient aux depu- tes : Saluez M. le prince. Etant sortis de 1'e- glise des Augustins, la procession passa au milieu des regiments des gardes, tous dis- poses avec leurs armes en forme de haie; les rues etoient tapissees par ou la procession passa, qui fut tout le long du quai des Au- gustins; elle vint passer ensuite devant Saint-Severin, sous le petit Chatelet, et de la a Notre-Dame. 11 y avoit des milliers de personnes tant par les rues qu'aux fenetres, et jusque sur les toits des maisons. 288 ASSEMBLEES RATIONALES Au milieu de la iief de Notre-Dame etoit nn dais de velours violet, parseme de fleurs de lis d'or, pour le roi, la reine et les princes. Au-dessous il y avoit des carreaux et tapis de meme parure. Le choeur de ladite eglise etoit ferme, et au-devant de la porte Ton avoit dresse un autel eleve de quatre ou cinq marches, ri- cheinent pare, pour y dire la messe. Toute la nef etoit tendue des riches ta- pisseries du Louvre, comme 1'etoit aussi le reste de Feglise. Comme nous fumes arrives dans 1'eglise, M. de Rhodes nous fit tous asseoir sur des banes converts de tapis. Apres les gens du tiers -etat snivirent MM. de la noblesse en fort bel ordre, et bien vetus, Tepee au cote, deux a deux. Us prirent seance sur lesdits banes devant le tiers-eta t. Suivit aussi le clerge, compose de deux cardinauxj savoir, de MM. de Sourdis et de La Rochefaucauld , de trois areheveques et trente-deux ^veques, tous revetns de robes violettes, le surplis et le rochet par-dessus, DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 289 le bonnet carre, et ime infinit de prieurs et abb^s avec les manteaux et soutanes et le bonnet carre. Les archeveques et eveques se niirent devant le corps de la noblesse. Apres lesdits sieurs cardinaux etoit le poele, porte par lesdits princes, sous lequel etoit le corps de Notre -Seigneur- Jesus- Christ, qui etoit port^par M. Farcheveque de Paris. Suivoient apres le roi, sous un dais riche- ment pare, la reine, a pied et decouverte, avec plusieurs dames et princesses, les cent gentilshommes avec leurs bees de corbin; La cour de parlement avec les robes rou- ges, et MM. les presidents, le mortier en tete; la chambre des comptes vis-a-vis, et la cour des aides apres, tous deux a deux, ayant aussi un cierge en main. Les cours souveraines se placerent sur des banes se- pares. Tout le monde etant ainsi arrive, et ayant pris place, la messe commenca ; elle fut ce-* lebree par M. de Paris. M. le cardinal de Sourdis fit la predication, prechant de Fo- beissance qui etoit due au roi : il exliorta un 2. 19 290 ASSEMBLIES NATIONALES chacun de rendre au roi ce qui appartenoit an roi, et a Dieu ce qui appartenoit a Dieu ; il invita aussi les etats a prendre cle bonnes et saintes resolutions pour le bien du royaume. Ge fait , chacun se retira qu'il toit trois heures apres midi , quoiqu'il ne fut que onze heures quand le tiers-etat sortit des Augustins. Le lendemain 27 dudit rnois doctobre, tons les deputes du clerge, de la noblesse, et du tiers-etat, se trouverent a midi en Tassemblee de la grande salle de Bourbon pour Youverture des etats. II y avoit grancle quantite de banes a droite et a gauche, converts de tapis verts. Le tiers-etat se mit sur les derniers, la no- blesse sur le milieu, et le clerge devant. Toutes les loges, tant hautes que basses de ladite salle, etoient remplies d'hommes etde femmes, comme aussi tout le parterre de ladite salle ; ce qui apportoit une grande confusion de voir que toutes sortes de per- sonnes etoient la recues indifferemment, au lieu qu'il n'y devoit seulement avoir que les deputes et autres personnes servant a DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 291 Fetal. Cependant tout toit plein de dames et demoiselles, de gentilshommes, et autre peuple, coin me si Ton se fut transport^ la pour avoir le divertissement de quelque comedie. La plupart cles deputes etoient me- contents de ce desordre, et disoient que la France etoit incapable d'ordre, Le roi, la reine, Monsieur, frere du roi, M. le prince de Concle, M. le prince de Soissons tenant le baton de grand-maitre, M. de Mayenne, grand-chambellan , la reine Marguerite, plusieurs princes et princesses, dues, comtes , seigneurs, et barons, y ckoient. Le roi, la reine-mere, et la reine Marguerite, etoient sous un dais de velours violet, seme de fleurs de lis d'or; ledit sieur de Mayenne couche aux pieds du roi : M. le chancelier, au-devant duquel etoient les massiers, ayant la cliaine d'or au cou, vetu d'une robe de velours violet cramoisi , assiste de tous MM. les conseillers d'etat, et des quatre secretaires; M. de Villeroy qui mar- choit a cote, et M. le president Jeannin qui y etoit pareillement. Les oi'dres Etoient prets a se placer aux '9- 292 ASSEMBLERS NATION ALES places qui leur avoierit ete preparees, seloii les rangs des bailliages. MM. les conseillers d'etat, d'epee, et de robe longue, s'etant places sur les premiers banes, les deputes du clerge et de la noblesse representerent au roi qu'outre le deplaisir que leur cau- soit cette entreprise, il leur resteroit pour jamais un reproche d'avoir ete tenus en si pen de consideration, que MM. les conseil- lers eussent pretendu sur eux, qui represen- toient le royaume, cette preeminence. Us ajouterent fort respectueusement quey)lutot que faire paroitre une si grande foiblesse de jugement et de courage, et laisser une si lionteuse marque d'eux a la posterite, ils aimoient inieux se retirer. Sa majeste, assistee de la reine sa mere, de M. le chancelier, cles autres officiers de la couronne, et de MM. les secretaires d'etat, pourvut sur-le-cliamp a ce grabuge; et il fut ordoniie qu'un bane seroit mis de chacun cote devant ceux sur lesquels etoient assis MM. les conseillers d'etat : et cela etant ainsi execut^ fit que mesdits sieurs les conseillers DE FRANCE. CHAP. XXXIX. d'etat furent mis derriere les deputes du clerge et de la noblesse. Ensuite le roi prit la parole, apres lui le chancelier; et les orateurs des trois ordres ayant fini de le haranguer, il se leva, et chacun s'en retourna, etant presque nuit. Le vendredi matin 3i d'octobre, le clerge d^puta a la chanibre du tiers-eta t M. Feve- que d'Avranches assiste de quatre eccle- siastiques, lequel s'etant mis a la place du president, fit une exhortation sur la facon de se prepare r a la sainte communion, di- sant entre autres, qu'il nous exhortoit a deposertoutesliaines et rancunes, etoublier, par une sacree anmistie, toutes les injures, les pertes et les degats que les confusions et brouilleries du passe avoient cause's; qu'il cut bien laisse a la volont^ d'un chacun de faire en particulier ce qu'il nous invitoit de faire en public, et tous ensemble; mais que les prieres qui se font en public ont bien plus de poids et d'energie envers Dieu , que les privees et particulieres; ainsi, que le sa- medi, jour de Toussaint, nous nous trou- 294 ASSEMBLIES NAT1ONALES verions tous, tantle clerge, la noblesse, que le tiers-etat, daiisl'eglisedes Augustins pour y recevoir le precieux corps de notre sau- veur Jesus-Christ. Au reste, qu'il etoit charge de nous avertir que deux de chaque gouver- nement de leur ordre avoient ete deputes pour remercier le roi de ce qu'il lui avoit plu de faire I'ouverttire des etats; que c'e- toit a nous d'aviser si nous desirions faire de meme; et que M. le cardinal de Sourdis porteroit la parole. M. Miron lui repondit que le tiers- etat reniercioit tres hurablement MM. du clerge" de 1'affection paternelle qu'ils lui temoignoient ; que tant a cause du boil aver- tissement qu'ils lui faisoient comme peres spirituels, que de la rencontre du jour au- quel la vie et les actions de tant de saints personnages nous etoientproposees pour imi- tation et exemple cle vertu, il Fassuroit que sa compagnie se disposeroit a suivre ses bonnes et saintes exhortations, etc. Ledit saint eveque se retira et fut recon- duit hors la salie, comrae il avoit et^ recu a DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 296 Tentrfte, par une deputation composee d'un inembre de cheque gouvernemeut. En consequence, le samedi i er novembre, tons les deputes, tant de FEglise, de la no- blesse que du tiers-etat, s'assemblerent aux Augustins, sur les huit heures du matin. Chaque ordre en sa cliambre, et de la tous ensemble, entrerent dans le chceur par une petite porte seule laissee ouverte pour eYi- ter la foule; il y avoit a droite, a gauche, grande quantite de banes, converts de tapis verts, sur lesquels les deputes s'assirent; {avoir, MM, du clerge a la droite proche Tautel, le tiers-etat derriere eux; les liautes chaires des deux cotes etoient vides , et servoient de passage pour aller a la sainte communion. La inesse fut celebree avec musique fortsolennellement, en laquelle of- ficioit M. le cardinal de Sourdis, assiste de deux eveques, lequel fit mettre sa chaise du cote de 1'evangile, suivant le concile de T rente. La predication rut faite par M. Tarcheve- ([ue de Lyon, qui dura environ une demi- 296 ASSEMBLIES NATIONALES heure, sur le sujet de la celebrite de la fete des Saints, et des prieres et intercessions que les catlioliques leur adressent. J'observerai ( ce qui est tres singulier et remarquable) qu'il y avoit, parmi les depu- te*s de MM. du clerge, un pere capucin, depute du bailliage de Gex , parcequ'en ce bailliage il y a si peu de catlioliques, que les peres capucins sont obliges d'administrer les saints sacrements, et faire toutes les au- tres charges et fonctions auxquelles les au- tres ecclesiastiques sont obliges. La messe parachevee, MM. les archeve- ques et eveques se presenterent les premiers a la sainte Table pour communier, et furent suivis paries autres du clerge, selon le rang des banes, en bel ordre. Apres eux firent de meme MM. de la noblesse, puis MM. du tiers-etat; et, apres avoir communi^, chacun s'en retourna a sa place. Ge fait, M. le car- dinal donna 1'absolution generale, apres Ja- quelle MM. du clerge se leverent les pre- miers, et sortirent en ordre par une petite porte qui va dans le cloitre. La noblesse sui- vit, et le tiers-etat apres. DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 297 La cloture des etats de 1 6 1 1\ se fit aussi dans la salle Bourbon le 23 fevrier l6l5. Tous les deputes s'y rendirent vers onze heures du matin. II y eut pour entrer beaucoup de desordre et de confusion ; les cardinaux, les eveques, les abbes, la noblesse, et tout le tiers-etat, presses et pousses sans considera- tion au milieu des piques et des liallebardes, eurent beaucoup de peine a penetrer; tou- tes les galeries etoient pleines d'hommes et de femmes, et les meilleures places de 1 in- teVieur etoient occupees par deux millecour- tisans et gens de toute sorte. Enfin chacun etant entre, prit place comme il put. Le roi, la reine, Madame, les princesses du sang, et autres; M. le comte de Soissons, M. le due de Mayenne, M. le due de Mont- bazon, M. le due de Retz, y etoient pres de leurs majestes, placets stir un theatre haut eleve , sous un dais de fleurs de lis d'or. M. le chancelier etoit a cote du roi, et proche de lui MM. les conseillers d'etat. M. Teveque de Lucon parla pour 1'figlise assez long-temps, et ayant acheve, il porta le cahier du clerge au roi qui le prit et le 2Q8 ASSEMBLERS NATIONALES *J donna a M. le chancelier. M. cle Seneee parla un quart d'heure pour la noblesse, et porta semblablement son cahier au roi qui le remit, comme le precedent, audit chan- celier. M. Miron , etant a genoux sur un car- reau de velours, parla pour le tiers-etat. Apres sa harangue qui fut assez longue, il preseiita, comme les autres, son cahier cou- vert de velin & fleurs de lis d'or sans nombre , ayantauxdeux cotes les armes de France et de Navarre. Le roi le prit semblablement et le donna audit sieur clianceiier. Ce fait, le roi prononca ces paroles, s'etant decou- vert: Messieurs, je vous remercie de tant de peines qu'avez prises pour moi depuis quatre mois; je ferai voir vos cahiers et les repondrai promptement et favorable- (f meiit. Comme il eut acheve, chacun se retira qu'il etoit pres de huit heures de nuit. Une ordonnauce clu 28 juillet iGi4 de- fendit de recevoir aux etats des procureurs fondes. II en avoit ete admis entre autres en i355 et i4^>7- Une des causes de cette admission paroit etre de ce que peu de per- DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 299 sonnes savoient lire et ecrire ; aussi remar- que-t-oii qu'on y vit beaucoup de magis- trals. Le president etoit elu par les etats; il pre- toit serment debout , tete ime , de bien gerer, et de se rendre digne de la confiance dont il etoit lionore. Les deputes procedoient en suite au choix d'un greffier et de plusieurs secretaires qui pretoient serment entre les mains du pre- sident. Le president de chaque chambre avoit voix preponderante en cas que les avis fus- sent partakes. On mettoit ordinairement plusieurs mois entre la convocation et 1'ouverture des etats, afin que chaque depute put se preparer, et arriver au lieu indique pour leur tenue. Quant a la duree des assemblees, elle n'a rien eu de fixe. En general, elle paroit avoir ete de trois mois, mais il en est qui ne se sont separees qu'au boutde six et liuit mois. Le voyage, 1'eloignement de ses propres affaires, et lesejourdispendieux, furent sans doute les motifs qui firent accorder des in- 3oo ASSEMBLIES NATION ALES demnite'saux deputes. Chaqueordre payoit les siens. La taxe des deputes aux etats de Blois en i5y6 fut (i), savoir 26 1. par jour pour les archeveques. 20 1. pour les eveques. 1 5 1. pour un abbe chef d'ordre ou beni. 12 1. pour un abbe commendataire. 10 1. pour les doyens ou archidiacres. 9 ou 8 1. pour les autres deputes. On fixa en i483 1614 la taxe des depu- tes, ceux des sieges royaux a 7 1. los. par jour; a chacun des deputes du plat pays, 61.; aux deputes de la ville, 41- 10 s. La forme d'acceptation pour les deputes auxdits etats de Tours, en i4#3, portoit : Nous avons acceptela charge de procu- reur special des habitants en 1'assemblee de Tours, moyennant que lesdits habitants se sont obliges de rembourser les depens et frais de notre voyage. Le roi rendit une ordo nuance a. ce sujet (i) Etats-generaitX)tome VII, page 3g/. DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3oi lors de la convocation des etats de Blois en i56o. Les deputes aux etats recevoient de leurs commettants des instructions et pouvoirs qu'ils lie pouvoient clepasser. Les deputes de la province de Sens en i38i depasserent leurs pouvoirs, et furent desavoues par leurs commettants qui ne payerent point le sub- side accorde ; des bailliages ont meme quel- quefois refuse de contribuer aux charges de Tetat, sous pretexte qu'aucun representant n'avoit consenti en leur nom. L'usage etoit de representer les pouvoirs et de les enregistrer aussitot apres Felection du president. Chaque gouvernement v^ri- fioit les pouvoirs de ses deputes. La France etoit divisee en douze grands gouvernements (i), savoir: Paris, 1'Ile-de- (i) Lorsque le roi Jean convoqua les e'tats-generaux, la France formoit en quelque sorte deux etats distincts; 1'un qui etoit regi par les coutumes, et qui faisoit usage du mot oil, out, pour 1'affirmation, etoit nomme la langued'oyl; 1'autre qui etoit regi par le droit ecrit se nom mmt la langue d'oc, parcequ'on s'y servoit du mo- nosyllabr oc, egalement pour 1'affirmation. Cependant 302 ASSEMBLIES NATION ALES France, la Bourgogne, la Normandie, la Guienne, la Bretagne, la Champagne, le Languedoc, la Picardie, le Dauphin^, la Provence, Lyon et Orleans. Les deputes des bailliages etsenechauss^es de ohacun de ces gouvernements fornioient autantde reunions partielles qui nommoient un president ; chacune deliberoit dans un local particulier; les votes de chaque cham- bre etoient rapport^s a 1'assemblee generale a 1'effet de ne f'aire des douze cahiers qu'un seul cahier general pour chaque ordre, et Ton comptoit les voix, non par tete, mais par gouverneraent. II est arrive quelquefois ce- pendant que Ton a delibere et compte les voix par bailliage. Dans les bailliages, descommissaires noni- mes par 1'asseniblee recevoient les memoires, le Lyonnois qui envoyoit ses deputes a la langue d'oyl se regissoit aussi par le droit ecrit. La langue d'oyl etoit la partie septentrionale de la France, et la langue d'oc en etoit la meridionale. La Garonne et la Dordogne en faisoient la separation. Ces etats ne deliberoient pas ensemble. DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3o3 et de tous les caliiers particuliers se for- nioit celui du bailliage pour les e"tats. Le public n'etoit pas adiiiis aux assemblies generates ni partielles, et Charles IX rendit en i56o le mandement ci-apres relatif a la redaction des deliberations : S'etaiit conim par experience du passe, combien la plupart de ceux qui sont unis a rediger par ecrit les choses memorables, y ont ignoramnient precede, et quelques uns omis ou ajoute : de sorte qu'au lieu du fruit qui en devoit sortir, la chose est tour- nee a derision; et desirant y pourvoir pour ce qui s'est traite et pass^ aux ^tats-gene- raux dernierenient tenus en notre ville ud'Orleans, qne nous avons delibere faire ecrire par personnes qui ont certaine con- noissance de tout ce qui s'y est fait. A cette ((cause, nous voulons, nous mandons et or- c donnons tres expresseinent que vous ayez a faire expresses defenses de ])ar nous, a son de trompe et cri public, en votre res- sort et juridiction, a toutes personnes, de uquelque etat et qualite qu'elles soient, v. qu'elles n'aient a ecrire, imprimer, ne faire 3o4 ASSEMBLEES NATIONALES uimprimer aucune chose de ce qui s'est (comme clit est) fait es-dits etats, sur peine de dix mille livres parisis d'amende envers v nous ; et si ja ils en avoient ecrit aucune chose, le retenir a eux, sans mettre en evi- dence, ne faire servir en lumiere, siiion qu'ils aient ci-apres conge et permission de nous a cette fin ; et quant a ceux qui y con- u treviendront, faites-les si bien chatier que a les autres y prennent exemple. Les trois ordres avoient le veto Fun sur Fautre. L'ordonnance d'Orleans enrenferme une disposition expresse que voici : En toutes assemblies d'estats-generaux ou particuliers des provinces, ou se fera octroy de deniers, les trois estats s'accorde- ront de la cotte part et portion que chacun desdits estats portera , et ne pourront le uclerge et la noblesse seuls, comme faisant la plus grande partie. Art. i35. II resultoit dc cet ordre de choses , qu'en cas de dissentiment entre les trois ordres, Timpot n'etoit paye que par celui qui 1'avoit consenti. II a ete un temps ou les choses se passoient DE FRANCE. CHAP. XXXIX. 3o5 tie ineme en Angleterre. David Hume, qui en fait la remarque, ajoute la reflexion sui- vante : II etoittresconforineauxraaximesdetous les gouvernements feodaux, que chaque uordrede 1'etat donnat son consentement v aux actes qui Finteressoient plus immedia- tement. Comme 1'idee d'un systeme poli- wtique n'etoit pas encore bien entendue, w souvent , dans ces occasions , les autres uordres de 1'etat n'etoient pas consultes. Histoired'Angleterre, sous Vannce 1296. Les trois ordres conferoient entre eux par commissaires ou par deputations; dans ce dernier cas, le tiers-etat envoyoit au clerg^ un plus grand nombre de deputes que le clerge ne lui en envoyoit. La proportion n'e- toit pas fixe, raais elle etoit generaiement du double au triple. De la noblesse au clerge le nombre etoit ^gal. En 1614 la noblesse commenra la yire- miere &. visiter le clerge, qui recut les depu- tes & la porte par les eVeques d'Avranches et de Vabres, avec Fabbe Redon et 1'archidiacre de Bourges, qui les conduisirent aux quatre 2. 20 3o6 ASSEMBLIES NATIONALES, etc. cliaires vis-a-vis du cardinal president. Le comte de Grammont porta la parole. Le clerge alia peu apres visiter la noblesse; il fat recu par le comte de Tonnerre, et place au siege le plus honorable. Le tiers-etat envoya le lieutenant civil de Paris , assiste de huit deputes, pour saluer le clerge, qui les recut a la porte par Feveque d'Orleans et les abbes de Bourgueil et de Vendome, et ils furent conduits a la chaire et sur des banes vis-a-vis du Cardinal pre- sident. Le clerge deputa vers le tiers-etat 1'eveque de Grenoble et deux ecclesiastiques qui fu- rent recus par huit deputes bien avant la porte, conduits dans la salle et places au lieu d'honneur devant le president. On distinguoit les lois emanees du propre mouvement du roi, de celles donnees en conforraite des remontrancesdes etats-gene*- raux. On appeloit les premieres lois du roi, on donnoit aux autres la denomination de lois du royaume. FIN. TABLE DES MATlfcRES. A. ABAILARD. Professoit au commencement du douzieme siecle; avoit plus de trois mille e'le'ves, I, 12. ALIENATION. Voyez Domaine de I'etat. ALLEMAGNE (empire d'). Perd par 1'etablissement du regime feodal la liberte que les Germains y avoient introduite; causes pour lesquellescere'gimes'y main tiut plus long-temps que par-tout ailleurs, I, 63, 64. Coup d'oeil general sur les diffe'rentes dynasties d'Al- lemagne, I, 64 et suiv. Voyez Dietes d'Allemagne. ANGLETERRE. Conquise par Agricola sous le regne de Domitien; revolutions qu'elle a subies depuis, I, 35, a la note. Sa constitution. Voyez ParlementcT4n(jteterre. APANAGE. Celui de Charles, frere de Louis XI, est 1'objet des e'tats-generaux de i4^7, 1 } 33o. Origine et nature des apanages , 1 , 333 , note. Leur quotite fixe'e par Charles V, I, 34o. ARAGON (cortes d'). Voyez Cortes d'Espagne. ASSEMBLIES NATIONALES, connues sous le nom de Cortes en Espagne, de Parlement en Angleterre,et d'Etats-Gene'- raux en France, I, 18. 2O. 3o8 TABLE DES MAT1ERES. ASSEMBLEES NATIONAL'S. Leur denomination sous les deux premieres races, I, g3 , note. Leur organisation depuis Clovis jusqu'a Pepin, I, 89. Changements dans leur organisation sous les rois Pe'pin et Charlemagne, I, 100, io3. Perdues dans la confusion des derniers regnes de la seconde race, elles reparoissent en i3o3 sous le nom $ etats-generaux, I, i65, 179. ASSEMBLEES DE NOTABLES. Voyez Notables. ASSOCIATION. Celle qui etoit appelee faction des Seize. Voyez Union, Confrerie. AUTRICHE. Origine de la maison d'Autriche apres 1'ex- tinction des maisons de Charlemagne, de Saxe, et de Franconie, I, 72. AVOCATS. L'organisation de cet ordre, espece de magistra- ture, remonte a Philippe-le-Hardi , I, i63, note. Voyez Montholon. B. BAILLIS. On connoissoit dans 1'ancien regime deux es- peces de baillis; ceux d'epee, ceux de robe longue. Origine et attributions des uns et des autres, II, 3 1 , note. BATAILLE DE POITIERS. Le roi Jean y est fait prisonnier; elle donne lieu a la convocation des etats-generaux de i356, I, 228, a3a. De Saint-Quentin. Les de'sastres de cette bataille sont 1'occasion des etats-generaux de i558, II, 27. De Creci , 202 , note. BIBHOTHEQUE. Voyez Charles F. TABLE DES MATIERES. 809 BIENS DU CLERGE. Edit du 2$ mars i563, qui ordonne la vente d'une partie considerable des biens du clerge. Discours du chancelier de L'Hospital lors de 1'enregis- trementde cet edit, II, 100, note. BIRAGUE, chancelier de France sous Henri III; notice, II, 127. BODIN, depute du Vermamlois; : courte notice sur sa vie et ses ouvrages, II, i3g. BONIFACE VIII. Preventions de ce pape qui compromet- toient 1'inde'pendance de la couronne, I, 177. Sa bulle, en date du 5 de'cembre 3o5 a Philippe-le-Bel , met le royaume en interdit, I, 79. Les trois ordres de la nation, revokes de la conduite de ce pape, en appellent au futur concile. Mort de Boniface qui met fin a cette lutte , 1 , 181. Voyez Papes. BOURGOGNE. Voyez Francois I' r . BREF du pape contre Jeanne d'Albret, II, 1 16. BRETAGNE. Louis XII avoit promis sa fille, heritiere par sa mere du duche de Bretagne , au due de Luxembourg depuis Charles-Quint; ce traite est rompu sur les in- stances des e'tats-generaux de i5o6, et la princesse est fiancee dans le sein meme des etats au comte d'An- gouleme, qui, depuis, a re'gne sous le nom de Fran- cois P r , II, i. BRE.TIGNY (traite de), renferme les conditions sous les- quelles le roi Jean recouvre sa liberte, 1 , 296. BRIGANDS. Personnes auxquelles on donnoit cette denomi- nation, I, 291. BRISSON. Mort du president Brisson, II , 198, note. BULLE D'OR. Le pape confirme, par cette bulle, le privi- lege exclusif ques'etoient arrogesept princes puissants, d'elire rempereur d'Allemagne, 1 , 66, note. 3 10 TABLE DES MATIERES. BCSSY-LE-CLERC conduit le parlement a la Bastille , II , '97- C. CAPITULAIRES. Leur objet; comment ils etoient votes, I, 107, 108. GARDINAUX. Aux e'tats d'Orleans de 1660, les cardinaux pretendent avoir le droit de preceder les princes du sang royal. Cette pre'tejition ayant etc rejetee, trois d'entre eux se retirerent et quitterent 1'assemblee , 11,98- Apres comme avant leur promotion , ils sont sujets du roi , et sont obliges de lui faire un nouveau ser- ment de fidelite, II, 247, note. CASTILLE (cortes de). Voyez Cortes cTEspagne. CATHERINE DE MEDICIS, nominee tutrice de Charles IX par decision des e'tats de i56o, II, 96. Moyens qu'elle emploie pour se rendre maitresse des deux partis, protestant et catholique, II n4- Voyez' Regence. CAUSES. Leur distinction en majeures et mineures; com- ment decide'es, I, 108, 109. CHAMP-DE-MARS. Sous les premieres races on distinguoit par cette denomination les assemblies ou se regloient les affaires de 1'etat, parcequ'elles se reunissoient au mois de mars. Plus tard on les appela Champ-de-Mai, parceque ces reunions eurent lieu en mai, I, g3, 97. CHARLEMAGNE. Sous son regne , 1'autorite des assemblies nationales cesse d'etre concentree dans les mains du clerge, I, io3. TABLE DBS M ATIERES. 3 1 I Details historiques sur ces assemblies, I, io3, note. Voyez Loi salique. Partage de 1'empire de Charlemagne entre les trois fils de Louis-le-Debonnaire, I, 64- CHARLES-LE-BEL , permet an pape de lever des declines sur le clerge, I, 199. CHARLES-LE-MAUVAIS. Sa conduite envers le roi Jean , I, 208. CHARLES V, dit le Sage. Son caractere, I, 297. II re'tablit 1'ordre dans les finances et la discipline de I'arme'e; il convoque les etats-gene'raux pour deliberer sur une question touchant la validite du traite de Bre- tigny, I, 3o4 et suiv. Par lettres-patentes du i4 nnai iSyo, rendues a la suite de la deliberation des e'tats, il declare confisquer le duclie d'Aquitaine et toutes les autres terres que les princes anglois possedoient dans le royaume. Ces lettres rallument de nouveau la guerre entre la France et PAngleterre, I, 3i4 et suiv. Protection speciale qu'il accorde aux gens de lettres. II augmente la bibliotheque du roi Jean, qui, succes- sivement accrue, forme aujourd'hui la Bibliotheque du Roi, I,3i7. CHARLES-QUINT, issu de Maximilian et de Jeanne-la-Folle. Droits que lui assure cette double parente aux trones d'Autriche etd'Espagne, II, 2. CHARLES VII. Deux ordonnances , 1'une de i435, et 1'autre de 14^9, qui assure aux armees une solde reguliere, prouvent, centre 1'opinion des historiens, qu'il y a eu des etats-generaux sous son regne, I, 323. CHARLES IX. Sa minorite; etats d'Orleans convoques sous, son regne, II, 66. 3l2 TABLE DBS MATIERES. Son ordonnance d'Orleans est un des plus beaux mo- numents de la sagesse de nos peres ; ses dispositions principales, II, no. CHARTES DE COMMUNES. Des causes qui ont brise le joug des servitudes fe'odales et produit les chartes de com- munes, I, 10 et suiv. Principaux statuts des chartes de communes, I, i3, note. Toutes consacrent qu'en principe le choix des officiers> municipaux appartient aux habitants, I, ia5. Voyez Communes. CHEVALERIE. Troubadours ; premiers pas de la nation francoise vers la civilisation, I, 121, 122. CIVILISATION. Voyez Chevalerie, Croisades. CLERGE. Sous Glovis et ses premiers successeurs, le clerge ne figure dans les assemblies nationales que pour y maintenir la police, 1,91. - Plus tard il y obtient voix deliberative, et parvient a les dominer sous le regne de Pe'pin ; mais il perd beau- coup de son influence sous celui de Charlemagne, I, io3. Aux e'tats de i56o, il propose de contribuer a Fimpot pour quatre decimes par an pendant six ans, et apaise ainsi les plaintes du tiers-etat, qui avoit demande la reduction de ses revenus, la vente de ses biens, la sup- pression desa juridiction, et la liberte des preches des protestants, II, 99. Edit du 3 mars i563 portant qu'il sera vendu une par- tie notable des biens du clerge, II, 100, note. Voyez Bieiis du clerge, Louis IX, et Charles-le-Bel. Ci.ovis. Conquete qui e'tend sa domination jusqu'a I'O- TABLE DES MATIERES. 3l3 cean; devenu puissant, il respecte les institutions, 1, 95,96. Partagedu royaumeentre sesquatre fils; triste tableau des regnes suivants, I, 98, note. COMBAT JUDICIAIRE. Saint Louis 1'abolit dans ses do- maines; son exemple est suivi par un grand nombre de seigneurs; consequences de cette innovation, I, i5o. - Philippe-le-Bel , n'ayant pu le supprimer , le defend en temps de guerre , et 1'autorise en temps de paix , I, 1 54, note. COMMUNES DE FRANCE. Epoque et origine de leur etablis- sement; droits qu'elles ont d'elire leurs officiers mu- nicipaux ; leur police et le droit de faire prendre les armes aux habitants pour la defense de leurs droits et libertes, conties & ces officiers, I, i3, 123, note. Voyez Charles de communes. B'Angleterre. Leur origine, leurs attributions; epoque de 1'adrnission de leurs deputes au parlement. Voyez Parlement d 'Angleterre. Obtiennent sous Henri V le droit de re'diger elles- memes les lois qu'elles ont provoque'es, et que tous les statuts soient passes dans leur Chambre en forme de bill avant d'etre public's, I, 43. COMTES. Voyez Gouverneurs de provinces. CONCILE DE TRENTE. Conference ordonnee par le roi sur la question de savoir si les lois du royaume permettent la publication du concile deTrente, II, 278. Les e'tats de la Ligue nomment des comrnissaires pour examiner si les dispositions du concile de Trente sont cotnpatibles avec les lois du royaume; rapport de ces commissaires, II, 209. 3l4 TABLE DES MATIERES. Discours d' Amiot, eveque d'Auxerre, sur le meme sujet , II, 218. Singulier moyen employe par les etats de i5g3, pour satisfaire 1'insistance que mettoit le legat du pape a la publication du conciledeTrente, II, 220. Nouvelles tentatives du clerge pour faire ordonner la publication du concile deTrente; elle est rejete'e, II, 255. CONFEDERATION SUISSE. Voyez Suisse. CONFRERIE. Associations religieuses, II, i3o. GONSEIL D'ETAT. Les etats demandent que les membres du conseil d'etat soient re'duits a dix-huit, II, 128. Les etats proposent d'adjoindre au conseil d'etat un de'pute de chaque gouvernement ; Bodin s'oppose a cette deliberation, II, i4o. Remoiitrances des etats generaux de 161/1 sur la composition et les attributions du conseil d'etat, II, 264. Qualites que doit avoir un conseil d'etat; discours du chancelier de Rochefort, I, 349, 35o. CONSEILLERS D'ETAT. Ne siegent aux etats qu'apres les deputes du tiers, du clerge et de la noblesse, II, 292. CONSTITUTION. Celle d'Angleterre, d'AllemagDe, d'Espa- fj'ne, de Portugal, de Suede, de Hongrie, etc. Voyez ees diffe'rents.mots. CORTES D'ESPAGNE. Originede leur convocation, I, 18, 19. Leur composition, leurs pouvoirs, leur dure'e, I, 19 et suiv. Celles d'Aragon nommoient.avant de se separer un magistral appele justiza. Importance des attributions de ce magistral, I, 22. TABLE DES MATIERES. 3l5 - Oelles de Castille ne nommoient pas de justiza; \e roi gouvernoit seul dans 1'intervalle des sessions , 1,24. L'exces de la liberte etoit le vice de ces assemblies. Comment decet abus 1'Espagne est tombee dans 1'au- tre, ibid. CORTES DE PORTUGAL. Leur origine, I, 25. L'assemblee tenue a Lamego est 1'epoque de 1'e'tablissement de la monarchic en Portugal. C'est dans cette assemblee que flit vote'e la constitution du royaume; ses disposi- tions, I, 27 et suiv. CROISADES. Leur influence sur la civilisation, I, 4> 122. Voyez Liberte. D. DEPUTATIONS de la noblesse, du clerge et du tiers-e'tat. Leur composition, II, 3o5. DEPUTES. Formes de leur election, II, 276. Nombre des deputes composant chaque ordre, II, 280. Ne pouvoient depasser les pouvoirs qui leur etoient confie's, II, 273, 3oi. Taxes de leurs frais, II, 3oo. Comment .etoient charge's de transmettre aux etats les doleances et remontrances de chaque particulier, II, 274. Les deputes aux etats d'Orleans de 1660 repre'sentent que leurs pouvoirs ont cesse par la mort du roi. Deci- sion des etats, II, 78. Voyez Serment. DERNIER RESSORT. Depuis 1'avenement de Hugues-Capet jusqu'a la fin du treizieme siecle, les seigneurs etoient 3l6 TABLE DES MATIERES. juges en dernier ressort dans leurs terres. Preuves et consequences de cet e'tat de choses, I, i 16. La souverainete est attachee au dernier ressort de la justice, note, ibid. L'attribution aux rois du dernier ressort de la justice date des etablissetnents de saint Louis, I, i5a. DJETES d'Allemagne. Elisent les empereurs, I, 66 et suiv. - Les decrets ou recez de la diete formoient les lois de 1'Empire, I, y3. La celebre constitution pour la conservation de la paix publique est vote'e dans la diete de Worms , te- nue en i4g5 sous Maximilien I", I, 62. De Hongrie. Le roi ne peut sans leur consentement deroger aux anciennes coutumes et aux libertes natio- nales, I, 82. Elisent le palatin , premier dignitaire apres le roi, 1,83. DOMAINES DE L'ETAT. Henri III demande 1'autorisation d'alie'ner du domaine de 1'e'tat jusqu'a la concurrence de trois cent mille livres de rente. Cette automation lui est refusee. Motif, II, i43. Les etats-generaux de J 35g refusent de ratifier le traite par lequel le roi Jean avoit cede la Normandie au roi d'Angleterre pour prix de sa rancon, I, 288. Les etats-generaux de i5a6 refusent de ratitier le traite par lequel Francois I" avoit cede la Bourgogne a Charles-Quint pour prix de sa rancon, II, i5. DUPERRON (cardinal). Courte notice sur sa vie. Son dis- cours sur la question de savoir si les papes ont le droit de de'poser les rois de leur communion, II, 246, a la, note. TABLE DES MAT1ERES. 3iy ' E. - EDIT de Romorantin. Son objet. Plaintes auxquelles il donne lieu de la part des catholiques et des reformes , II, 260. De pacification rendu a la suite des etats-generaux de i56o. Ses dispositions, II, gG. Modifie par trois declarations du roi, II, n5, a la note. EDOUARD HI, roi d'Angleterre. Son caractere, I, 204. Son invasion en France ; il met le siege devant Reims dans Tespoir de se faire couronner roi de France ; traite qu'il fit a Rretigny, I, 298 etsuiv. ELECTEURS. Formes de leur convocation; quels individus pouvoient etre e'lecteurs, II, ay/j., 276. ELECTIONS. Premier exemple de manoeuvres employees pour influencer les elections, I, 33o. ESPAGNE. Revolutions que ce pays a subies avant d'etre erige en monarchic; la monarchic d'Espagne s'estcom- posee de la reunion des royaumes de Gastille et d'Ara- gon operee par le mariage de Ferdinand et d'Isabelle, I,ig, note. Voyez Cortes d'Espagne. ESPRIT PUBLIC. Dans les onzieme et douzieme siecles, il se forme un esprit public, qui , vers la fin du treizieme, donne a la France une face nouvelle ; de'veloppe- ments successifs de cet esprit public, I, 120. ETABHSSEMENTS DE SAINT Louis. Date de leur promulga- tion; leurs principales dispositions, I, i5r. ETATS-GENERAUX DE FRANCE. Leur origine, I, iy4- Forme de leur convocation, II , 267, 272. 3l8 TABLE DES MATIERES. Sont convoques pour la premiere fois sous Philippe- le-Bel, I, 179. Cere'monie d'ouverture, de cloture, et formes de leurs deliberations, II, 283, 297, 3oa. Leurs deliberations ne peuvent etre publiees, II, 3o3. Ordonnance du 22 decembre i355 qui regie leurs at- tributions, I, 2 1 5. Reflexions de Philippe de Commines sur les avantages qui resultent de leur convocation pour le roi et pour la nation, I, 3y8. Les etats-generaux choisissent leur president ; son ser- ment; ses attributions, II, 299. Geux de i356 nomment clans leur sein une commis- sion qui s'empare de la souverainete, I, a49- Discours de Robert le Coq, eveque de Laon, aux etats- generaux de i356,I,25i. Considerations generates sur ces etats, I, 264* Les e'tats de Blois demandent des reformes dans 1'ad- miriistration des finances, proposent de mettre en ju- gernent les dilapidateurs, etde choisir a cet effet dans leur sein une commission devingt-quatrejuges, II, 184. Discours des trois ordres, II, 186. ETATS-GENERAUX DE FLANDRE. Us ne sont d'abord com- poses que du roi et de ses vassaux imme'diats, I, 46. ETABLISSEMENT DES COMMUNES EN FLANDRE. Elles envoient toutes des deputes aux etats sous Baudouin VII, I, 48- EVEQUES. Sous le regne de saint-Louis , les eveques sont declares justiciables des tribunaux laiques, en matiere criminelle comme en matiere civile, I, i43. - Leur introduction dans les assemblies nationales y porta les subtilites de 1'ecole et 1'esprit de domination, I, 101. .TABLE DES MATIERES. 819 EXCOMMUNICATION. Mesures prises par les seigneurs de France contre les excommunications injustes; belle reponse de saint Louis aux eveques qui reclamoient contre les mesures, I, i38. F. FEODALITE. Son origine; ses progres, I, i et suiv. Sa puissance a 1'avenement de Hugues- Capet au trone, I, 1 13. Voyez Lois des fiefs. FRANCOIS I". Principales dispositions dutraitede Madrid qui lui rend la liberte, II, 12. II convoque une assemblee de notables pour aviser aux moyens de se procurer les deux millions d'ecus d'or offerts a Charles- Quint, en compensation de la Bourgogne ; composition de cette assemblee, II, 16. Voyez Domaine de L'etat. FRANCS. Denomination generique dont on decoroit les peuples germains qui se faisoient le plus remarquer par leur amour pour la liberte, I , g4- FROISSARD. Sa vie; ses Chroniques, I, 207, note. G. GAULES. Etat des Gaules sous Clovis, I, g4- GABELLE, etablie sous Philippe-de-Valois par ordon- nance du 20 mars 1 343 , 1 , 201. GERMAINS. Leur caractere ; leurs assemblies; leurs pre- tres, leurs juges, I, 89 et suiv. GouvERNEtmsDE PROVINCE, connus sous le nomdecomtes 320 TABLE DES MATIERES. au temps de Charlemagne, recueilloient les opinions des notables de chaque comte , et les portoient a 1'as- semblee nationale, I, 109. GREGOIHE VII. Preventions de ce pape; 1'humiliation qu'il fait subir a Henri IV empereur d'Allemagne, I, 70, note. GUERRE CIVILE. Circonstance qui la fait eclater entre les catholiques et les protestants, II, 117. GUISE. Texte d'un ecrit attribue aux protestants qui re- veille 1'irritation des Guise centre eux, II, 4o. Tableau des persecutions qu'ils exercent, II, 43. Leurs manoeuvres pour eorrompre les electeurs a Toc- casion des e'tats-generaux d'Orleans, II, 60. Le due de Guise accuse et fait condamner a mort le prince de Conde, II, 61. Chef de la Ligue, il en dirige tous les mouvements, II,i58. GUSTAVE VASA, delivre la Suede de 1'oppression de Chris- tiern ; en est proclame roi par les etats-gene'raux de i5a3, et la couronne est declaree hereditaire dans sa famille parceux de i554, 1, 54- H. HENRI III. Etat de la France a son avenement ; les etats de Blois sont convoques sous son regne, II, 121. Son discours a 1'ouverture des etats de Blois, II, i65. Les Guise demandent la suppression de certains pas- sages de ce discours qui leur deplaisent, II, 176. Son ordonnance de 1679 sur la discipline de 1'Eglise, 1'administration de la justice, la police interieure de TABLE DES MATIERES. 321 1'e'tat, les finances et le commerce; ses principales dis- positions, II, 1 44- Voyez Union. HENRI IV. Sa reponse a la lettre d'excommunication lan- ce'e centre lui par Sixte-Quint, II, 160. HOMMES D'ARMES. Compagnies d'hommes d'armes ; leur creation; leursolde; leur organisation, II, \"$-j. HONGRIE (royaume de). La Hongrie cut d'abord une es- pece de gouvernement fe'deratif forme de diffe'rentes tribus de Huns , commandees par des chefs militaires choisis par elles. En 966 les grands et les nobles choi- sissent 1'un d'eux , Etienne , pour roi ; legislation de cette monarchic, I, 76 et suiv. Systeme du gouvernement hongrois tel que le pre'sen- tent Jes loiset les monuments historiques, I, 81 etsuiv. La couronne de Hongrie passe dans la maison d'Au- triche en i5ay, et s'y fixe hereditairement le 3i octobre 1687, 1, 88. Voyez Dietes, HUGUES CAPET. Ce qu'etoit ce prince avant son avene- ment au trone, I, 65. Puissance des seigneurs et etat de la France a 1'epoque de cet avenement, I, n3. I. IMPOT. Philippe-le-Bel sent la ne'cessite de convoquer toute la nation pour le voter, I, i85. Motifs pour lesquels il ne pouvoit etre vote que pour un an, et par le concours unanime des trois ordres, I, 223. Difference entre ce que nous appelons impot aujour- d'hui, et ce que Ton appeloit subside autrefois, I, a^4- 2. 21 322 TABLE DES MATIERES. La nation ressaisit aux etats-generaux de i355 le droit de s'imposer elle-meme, I, an. INSTRUCTION PUBLIQUE. C'est a son influence que les com- munes ont du leurs chartes , et la nation le droit de concourir a la confection des lois, I, 10 et suiv. INQUISITION. Le cardinal de Lorraine propose de 1'etablir pour arreterles progres des protestants, II, 48. INTERPRETATION DES LOIS. Que sous les deux premieres races , elle appartenoit aux assemblies nationales ; belle reponse de Charlemagne, 1 , 1 1 1, 112. ITALIE. Voyez Republiques d'ltalie. J. JEAN, roi de France. Etat de la France a son avenement ; son caractere ; ses premiers actes ; luxe de son saere , I , 202 et suiv. Les etats-generaux de i355 sont convoques sous son regne, 1, 211. Ceux de i356 le sont pendant sa captivite, I, 282. Et ceux de i35g s'ouvrent par la lecture des conditions auxquelles le cabinet de Londres attache sa liberte ; ces conditions; resolutions prises par les etats, I, 188 et suiv. G'est du regne du roi Jean que datent les premieres troupes reglees , 1 , 2 1 3. JUGFS. Remontrances des etats sur 1'attention que les rois doivent apporter dans le choix des juges, I, 363. JURIDICTION ECCLESIASTIQUE. Ses entreprises sur les juri- dictions seculieres ; expedient imagine par les sei- gneurs pour conserver leurs droits ; belle reponse de saint Louis aux remon trances des ereques, I, i38. TABLE DES MATIERES. 323 JUSTICES SEIGNEIJRIALES. Exemple de leur independence sous Hugues Capet, I, 1 18, 119. JUVENAL DES URSINS, archeveque de Reims ; son discours sur le luxe des Brands, I, 337. L. LANGUE LATINE. Elle se parloit encore en France sous la premiere race ; la langue romane lui succe'da, I, i3y, 128, note. LEGAT DU SAINT SIEGE. Sa bulle par laquelle il exhorte les la'iques a quitter le parti du roi, II, 208. - En i5g5 les parlements de Tours et de Chalons le de- cretent de prise de corps , font bruler par la main du bourreau cette bulle qu'il venoit de publier ; de'fendent a tous Francois, sous peine de mort, de lui donner asile, et recoivent le procureur-gene'ral appelantcomme d'abus de 1'election de Grcgoire XIV au pontifical, II, 208, 209. L'HOSPITAL. Discours duchancelier de L'Hospital a 1'ou- verture des etats-ge'neraux d'Orle'ans, II, 70. Ses reflexions sur la liberte, I, 161, note. S'oppose a 1'etablissement de 1'inquisition propose par le cardinal de Lorraine, II, 5o. Sa retraite, a 1'instant ou la guerre civile se rallumc entre les protestants et les catholiques, met le comble aux malheurs publics, II, 1 19. LIBERTE. Les peuples du Nord 1'e'tablissent en Europe au cinquieme siecle; le regime feodal la tue trois cents ans apres ; rivalite des seigneurs avec les rois, I, i. - Les croisades affoiblissent la puissance fe'odale au 2 I . 324 TABLE DES MATIERES. profit des couronnes et de la democratic ; elles font fleurir les arts et le commerce, et sement dans 1'Europe des germes de liberte, I, 4- La partie du continent connue aujourd'hui sous le nom de Pays-Bas est 1'une des premieres qui ait joui des bienfaits de la liberte, I, 46. LIBERTES DE L'EGLISE GALLicANE. Elles font partie des lois du royaume; discours de 1'archeveque de Reims, I,33 7 . LIGUE. Association , sous pretexte de religion , des catho- liques contre les protestants. Voyez Union. LIGUE ANSEATIQUE. Son origine ; elle se forma de quatre- vingts villes de commerce, et, sous le nom de Repu- blique federative, s'eleva au niveau des monarques les plus puissarits , 1 , 9. LIGUE. Des seigneurs contre le clerge ; ses statuts ; sa composition, I, i38. Loi DES FIEFS. Elle formoit dans le principe le seul droit public de 1'Europe, 1,2. Loi SALIQUE. Son origine-, son execution entre particu- liers; son application constante aux princesses du sang royal, II, 220. Nouvelle redaction de la loi salique publiee par Char- lemagne sous le titre de Pactum legis salicce, II, 222. Ge prince voulant faire des additions a cette loi con- voque le peuple a cet effet, I , no. -*- Aux e'tats-generaux de i5g3 1'archeveque d'Aix pro- pose de changer la loi salique, II, ig3. Lois. Difference que Ton mettoit entre les lois et les ca- pitulaires , 1 , 106. Difference entre lois du roi et lois du royaume, II, 3o6. Louis IX (saint Louis). Son education; ses connois- TABLE DES MATIERES. 325 sances ; ce qu'il a fait pour les sciences et la civilisa- tion, I, 1 36, note. Changements qu'il apporte dans la discipline de 1'E- glise, 1'exercice de la puissance legislative et 1'admi- nistration de la justice, I, 137. Son ordonnance de 1262 relative a la monnoie des seigneurs et la juridiction qu'elle attribue aux juges royaux est une innovation importante qui etendit la prerogative royale, et donna lieu plus tard a 1'etablis- seraent des cas royaux, I, i/|8. Reglement de 1270, coiinu sous le nom d'fitablisse- ments de saint Louis, I, i5i. Sous le regne de saint Louis, et par suite du change- ment qu'il fit dans 1'ad ministration de la justice, s'eleve dans la societe une nouvelle classe d'hommes que Ton designa sous la denomination d'hommes de lois, I, i5g. Louis-LE-HuxrN. Son ordonnance du 3 juillet i3i5 met a prix dans ses terres 1'affranchissement de la servi- tude, et bientot une seconde ordonnance erige cet af- franchissement a titre d'impot, I, 196. Alteration des monnoies sous son regne et les sui- vants, I, 197. Louis XL II rassemble les etats en 1467 pour de'cider la question de savoir si la Normandie appartiendra en apanage a Charles due de Berri son frere, I, 33o. Son testament par lequel il confere la tutele de son fils et 1'administration du royaume a Anne de France sa fille aine'e; caractere et conduite de cette princesse, I, 345 et suiv. Louis XII. Par le traitesigne a Blois le 22 septembre iSo4, il promet madame Claude de France sa fille a Charles due de Luxembourg, depuis Charles-Quint, II, 2. 326 TABLE DES MATIERES. Les etats-generaux de 1 5o6 lui decernent le beau titre de Pere du Peuple, et le supplient de dormer sa fille au comted'Angouleme, depuis Francois I", II, 3. Sa re'ponse conforme au vreu des e'tats apres avoir pris 1'avis du conseil, II, 8. Louis XIII, declare majeur a treize ans et unjour, fait 1'ouverture des etats-generaux de i6i4; son discours, II,23l. G'est sous son regne que fut rendue la fameuse ordon- nance de 1629, II, 260. M. MAGISTRATS. Gette classe de fonctionnaires, inconnue en France avant la fin du treizieme siecle, doit son exis- tence aux changements operes par un reglement de saint Louis dans 1'administration de la justice, I, i5g. Leurs efforts constants pour rattacher a la couronne tous les elements de la souverainete que les seigneurs en avoient distraits, I, i5g. - Maniere de pourvoir a leur remplacement sous les regnes de saint Louis, Philippe-le-Bel , et les suivants, en cas de vacance de leurs offices, I, 366. MAGISTRATURE. Elle forme un quatrieme ordre aux e'tats de i558, II, 3 2 . MAJORITE DES ROIS DE FRANCE. Edit de Charles V de iSj^ qui la fixe a quatorze ans, I, 126. Difference entre la majorite des nobles et celle des roturiers, I, 166, note. MEDICIS ( Catherine de ). Voyez Regence. (Marie dej) Voyez Regence. TABLE DES MATIERES. 327 MARCEL, prevot des inarchands, deraande, a la tete d'une troupe de factieux, la revocation d'un edit sur la re- fonte des monnoies, I, 247- II fait envahir le Louvre et massacrer le marechal de Glermont et le senechal de Champagne, I, 25g. Sa mort, le 3 1 juillet i358 ; cet evenement fait prendre a Paris uneface nouvelle , I, 286, note. MARILLAC, archeveque de Vienne, ami de L'Hospital. Son discours sur la necessite de convoquer les etats-gene- raux pour remedier aux abus qui affligeoient I'Eglise et 1'etat, 11, 56. MONTHOLON. II est promu, de simple avocat, a la dignite de garde des sceaux, par Henri HI; belle reflexion de M. 1'avocat-general Se'guier a cette occasion, II, 170 note. Son discours aux etats de Blois, II, 171. Apres la mort de Henri III et malgre les instances de Henri IV, il reprend modestement la profession d'a- vocat, II, 171 , note. MONTMORENCI , connetable de France ; sa mort , II , 1 18. N. NOBLESSE. Offre qu'elle fait a Francois I" pour la rancon de ses fils, II, 22. NORMANDIE. Le roi Jean avoit cede cette province au roi d'Angleterre pour prix de sa rancon , par le traite de Londres; les etats-generaux de iSSg refusent de rati- fier ce traite, II, i5. NORMANDIE (due de). Voyez Regence. NOTABLES (assemblees de). Ce qui les distingue des etats- gene'raux, I, 3o8. 3a8 TABLE DES MATIERES. Convoquees en 1627 sous Francois I" et en i558 sous Henri II, II, 16, 26. Henri IV convoque une assemblee de notables en 1696 ; formes de deliberer de cette assemblee, II, 228. o. OFFICES DE JUDICATURE. La meilleure maniere d'y pour- voir est que les tribunaux presentent et que le roi choi- sisse, I, 365. ORDRE DE SUCCESSIBILITE AU TRONE. II est mis en question par les etats-gene'raux de i5g3 au sujet de 1'avenement de Henri IV, II, ig3. Peine prononcee centre ceux qui chercheroient a le detruire ou a le changer, II, 226,. P. PAIRIE. En Angleterre la pairie, de re'elle qu'elle etoit, devint personnelle sous Edouard HI ; consequence de cette innovation, I, 43. PALATIN DEHONGRIE. Son election; ses fonctions, I, 83. PAPES. La question de savoir si les papes ont le droit de detroner les rois catholiques est serieusement agitee dans les etats-ge'neraux de i6i4; discours du cardinal du Perron ; reponse du president du tiers-etat; arret du parlement ; arret du conseil , II , 248. Voyez Phi- lippe-le-Bel , Sixte-Quint, Tiers-Etat, Universites. PARLEMENT DE FRANCE. II recoit une organisation regu- liere sous Philippe-le-Bel , I, 176. TABLE DES MATIERES. Les premiers presidents des parlements du royaume sontappele's a 1'assemblee de i558, II, 26. Le president Saint-Andre remercie le roi au nom de toutes les cours superieures , de ce qu'il avoit uni aux etats du royaume un quatrieme ordre forme des ma- gistrats qui, de'positaires de son autorite, rendoient la justice en son nom , II, 3a. Cburageuse resistance du parlement de Paris lorsqu'il fut question aux etats-generaux de i5g3 de changer 1'ordre de succession au trone et d'y appeler a la place de Henri IV Isabelle d'Espagne, II, 197, note. Remontrances du president Le Maitre au nom du parlement sur cet objet, II, 200. - Reponse du due de Mayenne et trait de fermete du president Le Maitre, II, 2o3, note. Le parlement est divise en trois sections sous la Ligue, II, 207. PARLEMENT D'ANGLETERRE. Cette assemblee n'etoit origi- nairement composee que du roi et des vassaux de la couronne ; les deputes des bourgs en etoient exclus ; lutte continuelle dans laquelle cet etat de choses pla- (joit le roi avec la noblesse; traite du 19 juin 121 5, ap- pele grande charte d'Angleterre, qui met fin a cette lutte; ses principales dispositions, I, 35. Les depute's des bourgs ne sont admis au parlement qu'en 1'an 1294, sous Edouard I", I, 3g. Reunis dans un local se'pare', ils ne font partie de cette assemble'e que pour le vote de 1'impot, 1, 4 r - PAYS-BAS. Voyez Etats-Generaux de Flandre. PETITION. Celle qui fut remise aux etats de i6i4 par le seigneur de Vertaut, tresorier de France, dans laquelle 33o TABLE DES MATIERES. il expose les persecutions que lui a fait subir le due de Nevers, II, 2 36. PHILIPPE-AUGITSTE. Son caractcre ; progres que la civili- sation a faits sous son regne, 1 , 126 et suiv. II reunit au domaine de 1'etat une partie des pro- vinces qui en avoient etc detachees ; il organise des tribunaux , favorise 1'instruction publique ; disposi- tions de son ordonnance sur 1'universite de Paris ; sa reponse a 1'arabassadeur d'Angleterre , I, 128, 129, i3o, note. Voyez Puissance legislative. PHILIPPE-LE-BEL. Son caractere, sa politique; il acheve de dompter la puissance fe'odale , et sur la fin de son regne on ne distingue plus qu'un roi et des sujets, I,i 7 5. - II organise le parlement de Paris ; sa querelle avec Boniface VIII ; il convoque et consulte la nation en- tiere sur les preventions de ce pape ; cette convocation , qui cut lieu en 1 3o3 , est 1'origine de nos etats-gene- raux, I, 176 et suiv. - Lettre de Boniface VIII a Philippe-le-Bel et de ce dernier a Boniface, I, i83, 184. - En i3i? il reunit une seconde fois les etats-generaux pour voter I'impot ; ils sont convoques a la meme epoque en Angleterre et pour la meme cause, I, 186, note. PHILIPPK-LE-HARDI. Sous son regne la France passe d'une espece de gouvernement federatif au pouvoir absolu ; son despotisme, I, 164 et suiv. PHILIPPE-LE-LONG. Son ordonnance du 3g juillet i3i8, qui re'voque toutes les alienations du domaine fakes par son frere, son pere et son aieul, a servi de fonde- TABLE DES MAT1ERES. 33 I ment a la maxime que ledomaine de Petal est inalie- nable, I, 198. Sous son regne, les eglises nej>euvent posseder aucun fief sans en avoir obtenu la permission, I, 198. PHILIPPE-DE-VALOIS. Sous le regne des trois fils de Phi- lippe-le-Bel, il dirige toutes les affaires de 1'etat, I, ig3. - Son caractere, sa fiscalite ; les mesures arbitraires qu'il emploie pour se procurer de Fargent: c'est par son ordonnance du 20 mars i343 que fut etablie la gabelle, I, i63, 199, 201. PODESTAT. Voyez Republiques d'ltatie. PORTUGAL. II subit le sort des autres provinces d'Espagne dans la decadence de 1'empire remain, et devient dans la suite un royaume d'Espagne, I, 26, note. Sa constitution. Voyez Cortes de Portugal. Origine de la maison de Bragance, I, 34- POUVOIR EXECUTIF. Appartenoit aux princes sous les an- ciens Germains, I, 106. POUVOIR MUNICIPAL. Rendu aux communes au douzieme siecle, I, ia3. Voyez Communes. PRAGMATIQUE DE SAINT Louis. Ses dispositions, I, i45. - De Cbarles VII. Son origine ; ses principales disposi- tions; debats auxquels elle donne lieu; elle est abolie par Louis XI aux etats-generaux de i483; le tiers-etat en demande le retablissement ; le clerge s'y oppose, I, 368, note. PRETHES. Caractere et fonctions de ceux des Germains, I, 9 i. L'orateur de la noblesse demande aux etats d'Orleans que les pretres soient tenus de resider dans leurs be- nefices, II, 83. 332 TABLE DBS MATIERES. PUISSANCE LEGISLATIVE. Elle residoit dans la nation en- tiere sous les anciens Germains, I, 106. Comment exercee sous Charlemagne, I, 107. Philippe-Auguste fait le premier pas pour la recon- querir sur les seigneurs qui 1'avoient usurpee, I, i33, note. Voyez Remonlrances. R. REGENCE. La minorite de Charles VIII etoit la sixieme depuis Hugues Capet ; details sur la maniere dont la regence a etc conferee a ces differentes epoques , I , 358,36o. La mere de saint Louis est la premiere femme depuis Hugues Capet investie de la regence ; troubles occa- sione's par cette innovation, I, 36 1. Discours de Philippe Pot, seigneur de la Roche, sur la question de savoir si les etats pouvoient disposer de la regence; decision des etats, I, 353. Le due de Normandie regent pendant la captivite du roi Jean; etatde la France sous cette regence, I, 277, 284 et suiv. Catherine de Medicis se fait conferer la regence par leroi mineur apres la mortde Francois II, II, 66. Elle passe ensuite a un conseil preside par elle; re- glement ace sujet; ses dispositions, II, 90. - Marie de Medicis, regente pendant la minorite de Louis XIII, assemble le conseil qui propose la convo- cation des etats-generaux , II, 229. REMONTRANCES. Seul moyen a 1'aide duquel , a 1'exception du vote de 1'impot, le peuple prend part a la puis- TABLE DES MAT1ERES. 333 sance legislative sous le regne de Philippe-le-Bel et les suivants, I, 192. - Celles des e'tats de i6i4 sur les depenses de la maison du roi, II, 261. REPUBLIQUES D'!TALIE. Dans toutes les re'publiques la puissance legislative etoit exercee par 1'universalitedes habitants, et le pouvoir exe'cutif par des magistrals au choix du peuple, I, 6. A cette magistrature collective ces re'publiques substi- tuerent dans la suite un magistral connu sous le noni de podestat, 1,7. REPUBLIQUE FEDERATIVE. Voyez Ligue anseatitjue. RESSORT. Voyez dernier Ressort. s. SAINTE-UNION. Voyez Union. SATIRE MENIPPEE. Reflexions sur les suites de cette satire, II, 207, note. SEIGNEURS. Leurs devoirs envers le roi, I, i5. Juges en dernier ressort dans leurs terres'sous Hugues Capet, ils s'en rendent les seuls le'gislateurs, I, 116. - Confiscations, taxes, qu'ils imposent, I, 9. - Droit de vie et de mort attribue aux seigneurs hauts- justiciers, I, 117. Ils nomment un comite pour examiner si les excom- munications du pape sont injustes. Voyez Ligue des seigneurs contre le cterge. SERMENT. Formule du serment des deputes aux etats- generaux, 11,239. SIXTE-QUINT. Sabulle contre Henri IV, II, 169. SOUVERAINETF. Le roi n'en jouit qu'a titre de depot. II ne 334 TABLE DhS MAT1ERES. peut 1'aliener sans le concours de la nation , 1 , 297. Voyez dernier Ressort. SUBSIDE. Voyez Impot. SUCCESSIBILITE AU TRONE. Voyez Ordre de successibilite. SUEDE. Origine de sa constitution ; ses principales dispo- sitions ; droit d'elire le roi attribue aux assemblies ; leurs autres attributions ; leur division en quatre ordres, I, 49 etsuiv. Le droit d'election est aboli et la couronne declaree bereditaire en Suede par les etats-generaux de i546, I, 54. SUISSE. Etat de la Suisse avant qu'elle fit la conquete de sa liberte ; cette liberte due au courage de Guillaume Tell se consolide par la victoire remportee par les Suisses sur Leopold III, I, 56. Par suite de ce grand evenement les cantons d'Uri , de Schwitz, d'Underval, qui d'abord lie s'etoient unis que pourdix ans, contractent une alliance perpetuelle, etla reunion successive des autres cantons a ceux-ci forme la Confederation suisse, I, 60, 61. Maximilien I er defait par les Suisses conclut avec eux un traite' qui les affranchit de sa juridiction imperiale, 1,62,63. T. THOU (president de), ce'lebre bistorien du seizieme siecle; notice sur sa vie, II, 177, note. TIERS-ETAT. II est admis pour la premiere fois sous Phi- lippe-le-Bel aux assemblees nationales, et, reuni au clerge et a la noblesse, il forme un troisieme ordre dans 1'etat, I, 179. TABLE DES MATIERES. 335 Des causes qui ont retarde et fait introduire cette im- portante innovation, I, i4 II ecrit au roi Philippe-le-Bel pour le prier de main* tenirles droits de sa couronne contre les pretentious de Boniface VIII, I, 182. Le tievs-etat ne concourt dans les assemblies qu'au vote de i'impot, I, 190. Voyez Remontrances. Ses doleances au roi lors des etats tenus a Tours sur 1'epuisement d u royaume, et sur les causes de cet epui- sement qu'il attribue au clerge, I, SyS. fipoque a laquelle le tiers-etat est entre dans le parle- ment d'Angleterre ; circonstances qui ont amene ce grand eveneinent, I, 89, i85, note. Voyez Parlement d'Angleterre. TROUBADOURS. Voyez Chevalerie. U. UNION , SAINTE-UNION. Son origine et son organisation , II, i3o, 1/49. Dissoute dans son principe par 1'autorite de Chris- tophe de Thou, elle se reforme sous 1'influence du mar- quis d'Humieres; ses statuts, II, i56. Memoire presente au pape par la sainte-union par lequel elle le sollicitoit de se reunir a elle, pour sub- stituer la maison de Lorraine aux descendants de Hugues Capet, II, i34- - Le roi se declare chef de la sainte-union, II, i36. Faction des Seize, II, if>8. Memoire presente au roi par le premier president Christophe deThou sur les dangers de la sainte-union, II, 1 65, note. 336 TABLE DES MATIERES. Le due de Mayenne fait renouveler le sennent de 1'u- nion pour apaiser le legat du pape, II, 220. Elle fait enfermer a la Bastille le premier president , le procureur-general ; elle fait pendre un president et deux conseillers, II, 197. UNIVERSITES. Etat des universites du royaume pendant le treizieme siecle ; ordonnance de Philippe-Auguste sur cet objet, I, 1 3o. Effet de la protection qu'il accorde aux universites ; de'tails curieux stir ceux qui les frequentoient, I, i3a, note. Adherent a 1'appel au concile des preventions du pape Boniface VIII, I, 18 1. V. VENALITE DES EMPLOIS DE LA MAGISTRATURE. Depuis la mort de Charles VII, on en fit un honteux trafic, I, 366. FIN DE LA TABLE DES MATIERES. JA/ THE LIBRARY UNIVERSITY OF CALIFORNIA Santa Barbara THIS BOOK IS DUE ON THE LAST DATE STAMPED BELOW. Series 9482 $ && '**"-