\ HISTOIRE POLITIQUE ET ANBCDOTIQUE DBS PRISONS DE LA SEINE. *KM.I<- IMrRIXEf.lE DE MADAME FES-ART. HISTOIRE POLITIQUE ET ANECDOTIQl'E DES PRISONS DE LA CONTEHANT DES RENsElGNEMENS ENTttREMEST IXEDITS SVR LA PERIODS REVOLUTIONSAIRE , BARTHELEMY MAURICE, ELETE DE L'AKOENKB ECOLE MORHALE. PARIS, GUILLAUMIN, LIBRAIRE EDITELR, RUB SAINT-HAKC, GALEKIR DC LA BOL'BSE, 5. 1840 m POLITIQUE ET ANECDOTIQUE PRIMS CHAPiTRE PREMIER. l)es anciennes Prisons. De I'adrainistration des Prisons dc la Seine en general. Joseph flit mis en prison, c'est la premiere fois que cc mot se trouve dans la Genese, mais noiis le rencontrons ensuite dans presque tous les livresde Bible. Etque ce prison mot nc nous inspire pas trop d'effroi, trop d'horreur, quelque tristes quesoient les idees qu'il reveille, ce sont deja des idees de civilisation et de progres. Vous connaissez ce bon conte d'un naufrage, qui avail parcouru, trois jours durant , la plage deserte oil 1'avait jete la temp^te; a la fin du troisieme jour, apercevant une potence et un pendu , il tomba a genoux et s"ecria : Dieu soit beni, je suis dans un pays civi- 1 2503304 2 HIST01IIE DES PRISONS Iis6. Quand nous parcourons Thistoire d'un pcu- ple naissant, nous aussi nous pouvons rendrc graces a Dieu la premiere fois que le mot prison s'offre a nos regards ; nous aussi nous pouvons nous eerier : Je suis dans unpays civilise. Les prisonniers, a tort ou a raison, sont les vaincus de la soci6t6; et nepas egorger immediatement tous les vaincus , c'est deja un progres , c'est deja mi pas immense versla civilisation. Quand Romulus jetait les fondemens de la ville immortelle, il ne dit pas : Celui qui franchira ce fosse sera mis en prison; mais bien celui qui franchira ce fosse sera mis a mort, et Romulus tint pajpole. Voulez-vous apprecier le degr6 de moralite auquel un peuple est parvenu, mesurer, pour ainsi dire, sa civilisation ? voyez comment ce peu- ple traite ses prisonniers. Quand la prison com- mence a preceder ou a remplacer la mort, c'est une peine qui ne lui est de guere inferieure ; puis les adoucissemens viennent graduellement, len- tement, jusqu'a ce que la prison ne soil plus, suivant la definition de I'AcadeJnie, qu'un lieu ou 1'onenferme lescondamnes etles prevenus. Les coudamnes el les prevenus ! Ainsi ces mots se confondent presque dans le langage, comme nous les confondons dans la pratique , et cepen- DE LA SEINE. 3 prisons d Etat. et Vincennes, ] Le For-1'EvSque, maison de detention pour les dettiers , ainsi que pour les come'diens re'fractaires ou iticivils. La Conciergerie, La Tournelle, prisons proprement dites- Le Grand et le Petit^Chatelet, ' Maisons de force et de Biceire , ~, correction, moitiehopitaux, Lnarenton, ,,, . _ moiti6 prisons, egalement samt-Lazare, _ , deplorables sous 1'un et La balpetnere, 1'autre rapports. De ce qu*ont 6te les prisons de la Seine pendant la revolution , nous aurons occasion d'en parler en fesant 1'histoire de la Conciergerie, du tribunal revolutionnaire et des massacres de septembre. Sous 1'ancien regime, a 1'exception de la Bas- tille et de Vincennes, dont le gouverneur ne de- pendait que du roi ou de 1'un de ses ministres, DE LA SEINE. 9 les prisons de la Seine etaient regies par le lieute- nant de police, apres 1'avoir 6t6 par le preA'ot de Paris, lequel y conservait, nominativement au moins, la haute main, et nommait a tous les emplois. Pendant la revolution , elles ont passe , comme toutes celles du royaume, tantot dans les attri- butions du ministre de 1'interieur , tantot dans celles du ministre de la justice. Cependant, la Commune exercait dans toutes une notable in- fluence , et fut seule chargee de la garde et du gouvernement du Temple. Le decret du 29 sep- tembre 1791 obligeait 1'un des officiers munici- paux de visiter toutes les prisons de Paris au moins deux fois par semaine. Les decrets du 12 messidor an vm et du 5 bru- maire an ix , instituant la Prefecture de police , mettent au premier rang de ses attributions la garde et le gouvernement des prisons de la Seine, par exception aux autres prisons du royaume , lesquelles dependent immediatement du ministre de Tinterieur. Cependaut toutes les fois que, depuis cette epoque , la police n'a pas form6 un ministere parliculier, nul doute que le ministre de 1'interieur n'ait eu le droit, corame c'etait son devoir d'ailleurs , de s'occuper des prisons de la 10 HIST01KE DES PRISONS Seine, aussi bien que de toutes les autres; nul doute que les inspecteurs-generaux des prisons de France ne pussent se faire ouvrir celles de la Seine, s'ils s'y presentaient; mais ils s'eu soot abstenus, et ils ont bien fait. Rien de plus equitable que de laisser foute I'autorite a celui qui encourt toute la responsa- bilite. Or, dans le public au moins, la police, annexe constitutionnelle de I'interieur, atoujours etc considered comme une administration a part; de tout temps on a souvent maudil et quelquefois beni le prefet de police, sans s'occuper de son superieur. Au prefet de police done notre blame et notre eloge , suivant que nous croirons devoir exprimer 1'un ou 1'autre. Nous sommes de 1'avis du peuple en cela, et quand nous parlons de pri- sons de la Seine et de police, nous ne voyons devautnous de responsablequ'un prefet. En 1850, aux jours fievreux du triomphe , si M. Mangin flit tombe entre les mains du peuple, pensez- vous qu'il lui eut servi de beaucoup de s'6crier : J'ai un superieur legal , le ministre de I'inte- rieur! i) Non cerles, le peuple a tort peut-etre, mais il ressent trop vivement 1'influence du prefet de police, pour ne pas 1'isoler de lout autre pou- voir. II se decouvrira volontiers devant 1'hotel de DE LA SEINE. 11 la rue de Crenelle ou siege la veritable police po- -litique, et malgre lui le cceur lui faut quand il passe devant celui de la rue de Jerusalem, dont la police est presque toute de surete, de salubrite et de protection. Que voulez-vous? il n'est rien de routinier comme les souvenirs du malheur, et long-temps apres que, rendue tout-a-fait a son but premier, la police ne sera plus qu'une institution tutelaire pour les honnetes gens, bien des gens honneles s'obstineront a n'y voir qu'une source de rigueurs et de vexations. Pour nous qui tenons a etre juste envers tout le monde, meme envers la police , pour nous qui savons faire la part des positions et des circons- tances , qui savons que tant vaut I'homme tant vaut la place, nous nous batons de proclamer que, s'il ressort pour le public quelques enseigne- mens bons et utiles du travail auquel nous allons nous livrer, les elemens n'en ont pas etc surpris en coutant aux portes. Elles nous ont our dettes el aux coniodiens refraclaires ou incivils , qui y demeuroronl 56 HISTOlRti DES PRISONS jusqu'au inois d'aout 1780 , epoque a laquelle ils fureut transferes dans 1'hotel du due de la Force. Le 9 mars 1793, la Convention abrogea la conlrair.te par corps en matiere civile. C'est ce meme jour que, sous 1'influence de la Commune, elle decrla 1'etablissement d'un Tribunal extra- ordinaire , qui bientot devait s'appeler Tribunal R6volutionnaire; qu'elle frappa les riches d'une taxe de guerre; qu'elle envoy a 182 commissaires dans les departemens pour accelerer le recrute- ment, saisir les cbevaux de luxe, arreter les suspects; qu'elle deereta que les bourses des colleges seraient reservees exclusivement aux fils de ceux qui seraient partis aux armees, et que les commis celibataires seraiont remplaces par des peres de famille dans tous les bureaux de la Republique. Dans de telles circonstances , 1'epreuve ne fut pas libre de la part du gouvernement ; il faut ajouter qu'elle ne fut pas longue; le 14 mars 1797 (24 ventosc an v) , une loi votee d'urgence par les deux -Conseils , sur la proposition du Direc- toire, rappela celle do 95 et remit les choses sous 1'cmpire des anciennes lois. Le i avril 1798 (15 germinal an vi), loi qui determine le mode .DE LA SEINE. 57 d'exercer la contrainte par corps en maliere civile et en matiere de commerce; I'execution des jugemens est confiee atous huissiers, concurrem- ment avec les anciens gardes da commerce. Le 14 mars 1808, decret imperial creant 10 gardes du commerce dans le departemeiit de la Seine, conformement a 1'art. 625 du Code de commerce. EnGn, le 17 avril 1852, hi sur la contrainte par corps, que nos lecteurs ont tons encore presente a la mmoire. La contrainte par corps *retablie , comme il n'existail pas de prison pour les dettiers , on aflecta a ce service un batiment special dans 1'an- cien couvent de Sainte-Pelagie. Le plus ancien ecrou est date du 16 fioreal an vi, c'est celui da eitoyen Pierre Noel , marchand de vin, pour une somme principale de 550 liv. 10 s. Ce premier registre va jusqu'au 17 fructidor an vn; il a done fait plus d'une annee. Aujourd'hui il en laut deux par an, et trois ne suffisaient pas tou- jours avant la reforme de 1852. Le cent troi- sieme registre en est raainfenant a la moilie , et le jour ou j'ai visile I'etablissement pour la pre- miere fois (27 (lecembre 1858), j'ai vu proceder au OZ.'n c ecrou. La femme la plus ancienncmcul arrctee pour 58 HISTOIRE DBS PRISONS dettes, est uue dame Guerrier, marchaud^ publi- que, ecrouee le 27mai 1807, aux Madelonnetes. Les dettieres passerent a Saint-Lazare, le 21 avril 1828. Enfin, elles furent transferees dans la nou- velle maison de Clichy , en meme temps que les hommes , dans la nuit da 5 au 4 Janvier 1834. Les femmes detenues pour dettes ont toujours etc dans une proportion fort miniinc par rapport aux hommes; leur iiombre n'a jamais depasse treize, et plusieurs fois il n'a ete que de trois. Nous y reviendrons. Pour apprecier les heureux effets de la loi du 17 avril 1852 sur la contrainte par corps , nous dirons que du 18 avril au 51 decembre 1851 in- clusivement, il y avail eu trois cent trente-trois ecrous, et qu'en 1852 , pendant le meme espacc de temps, il n'y en a plus eu que deux cent qua- rante. Difference en moins quatre-vingt-treize. Le chiffre de la population a ete Au l er Janvier 1850 de 224 1851 de 120 1852 de 129 1855 de 167 1851 de 145 1855 de 151, donl 8 femmes. 1856 de 170, dout 8 femmes. DE LA SEINE. ,!) Au l er janvter 1837 de 185, dwrt 9 femmes. 1858 de 155, dont 1) femmes. 1859 de 150, dont 7 femmes. 1840 de 155 dont 8 femmes Dans Thistoire moderne de chactine des prisons de la Seine, nous rechercherons 1'iniluence qu'y ontexerc^e deux grands evenemens, la revolution de juilletet le cholera. Le 27jui'Het,a la fermeture des portes , on avail eonstaf6 , a Ste-Pelagie, la presence de 256 detenus pourdeltes; ils occupaient le balimcnt separe qui longe la rue de la Cle, et qoi y avail son entree parfieuliere. Le 28 , des assaillans du dehors ayant echange quelques coups de fusil avcc le poste de la ligne, les prevenus ou condamnes ordinaires se revolterenl, briserent la porte qui les separail du quartier de la Delte , et puis celle de la rue, sans qu'on essayal de leur opposer aucune resistance. Les portes grandes oaverles, 168 delUiers sorlirent ce premier jour, 65 ne le firenl que le lendemain. Enfin , il y en eul 26 qui ne daignerent pas mettre un pied de- hors pour voir ce qui se passait dans Paris, quoi- que la chose en valul certaiuemenl la peine. On ne se bat jamais si bien que lorsquc Ton a tout a gagncr et rien a perdrc. II n'ost dope pas elonnant qu'un certain nombrc de dottiers aient 60 HISTOIRE DBS PRISONS pris une part active aux affaires , el que qqel- ques-uns se soieot fait luer ou decorer de Juillet. Le 51 , 19 de ceux qui 6taient sorlis rentrereut volontairement , 15 furent reintegres par suite de mandats lances par le nouveau prefet de police, 101 le furent a diverses epoques par 1'en- tremise des gardes du commerce; reslent done 96 qui ne rentrerent pas du tout. Le 10 avril 1852, plusieurs cas de cholera s'etaient declares dans le quarlier de la Dette , 5 ou 6 malades avaient ete transferes a la Pitie , et tous y etaient mods. L'epouvante s'empara des malheureux detenus ; un tiers a peu pres , les plus aises, avaient obtenu de passer dans des maisons de sante, tous le voulurent faire. Le directeuret legreflicrallerent par la \ille, enap- pelant a rhiimanite des creanciers. Les frais pour le trausferement dans une maison de sante s'e- levent a 400 francs. M. Debelleyme, qui tenait les referes de jour et de nuit , permit qu'on lui preseutat requete pour 10 a 12 detenus a la fois, ce qui reduisait la depense a 50 francs par indi- vidu. Le directeur, M. Lepreux invoquala bieu- fesance du roi et deux beures apres , il recut une somme de 1500 fr. , c'est-a-dire le moyeu de sauver 30 hommes de plus. Directeur, em- t)E LA SEINE. 61 ployes, creanciers, gouvernement, tous lulterent de zcle et d'humanite. Les gardes du commerce eontribuerent eux-m^mes a toutes ces bonnes opuvres ; il y en eut un qui profita de ce que la maison etait completement vide pour en visitor I'interieur, ce qu'il n'eut pu faire en d'autres temps; car ces messieurs, pour raisons a eux connues , ne s'aveuturent jamais au-dela de la grille du grefFe. Pour la plupart des dettiers , la maison de sante qu'on leur accordait n'6tait qu'une illu- sion ; comment auraient-ils pu y vivre avec leur solde de 20 fr. par mois ? Us s'en allerent done chacun ou ils purent, et ne se rendaient dans la maison oil ils etaient censes resider que le jour et a Theure ou le greffier devait venir leur apporter la paie. C'etait la une fiction pieuse dont les magistrals et les creanciers avaient bien voulu paraitre dupes. Mais tous les dettiers ne se montrerent pas dignes de ce qu'on avail fait pour eux; un certain nombre s'evaderent, et 12 n'ont jamais etc raltrap6s. Parmi ceux-ci se trouvait un M. Leroux, ex-notaire, detenu pour 5 ou 400,000 francs, qui se sauva en Belgique. Ses creanciers appelerent en garantie M. Bernier, medecin, rue d'lvry, dans la maison duquel il 62 HISTOIRE DES PRISONS avail etc transfere, et le poursuivirent avec la derniere rigueur. Le pauvre docteur, qui n'avait a se reprocher que trop d'humanite, se vit mine, exproprie et jete lui-meme dang la prison de la Dette. C'est quelquefois un animal hien ingrat, bien indigoe que 1'homme ! Une cUose qui frappe toujours dans le greffe d'une prison, c'est la regularite avec laquelle se balancent les entrees et les sorties. A la Bette, par exemple, en 1851 , les en trees ontete 503,;les sorties 452, dont Ideces; en 1852, 402 entrees, 595 sor- ties, dont8;deces; en 1855, 400 entrees, 429 sorties, dont 2 deces., 1 suicide et 1 evasion ; en 1854, 456 entrees, .459 sorties; en 1855 , 429 cntrers, 408 sorties, dont 1 deces; (en 1856, pour memoire '); en 1857, 475 entrees et 455 sorties ; eq 1858, 456 .entrees et 470 sorties, dont 1 deceset 1 sui- cide; en 1859, 552 entrees et 5;60 sorties, Les registres de la prison pour detles renfer- ment les noms Jes plus connus et les plus illus- tres. Nous serons sobres de citations, niais en nous permettant les suivantes , nous n'appren- drons ricn a personne. 1 Le tableau statistiquc de celte annee s'elanl egare dans les bureaux do 1'inspeclion generate ou dans coax de Vinterieur. 1)E LA SEINE. 63 James Swan, negociant americain , fut ecroue a Sainte-Pelagie le 28 juillet 1808 pour une somme de 625,640 francs, il en est sorti lors de 1'ouverture des portcs, le 28 juillet 1850, il y tait resle 22 ans, jour pour jour. Swan, dont ia fortune s'elevait a 5 ou 4 millions , aurait pu payer, il ne le voulut pas, il pretendait ne devoir que 6 a, 7,000 fr. au pluset il rSsolut de passer, s'il le fallait , toule sa vie en prison, plutot que d'obtemperer a une sentence qu'il Irouvait in- juste. Son premier soin fut de faire signifier en bonne forme a sa femme et a ses enfans qu'il les desheriterait jusqu'au dernier Hard s'ils avaient le malheur de payer ce qu'on appelait ses dettes. Cela fait, il moota sa maison de pri- sonnier sur un pied de prince, il loua dans la rue de lade, vis-a-vis Sainte-Pelagie, un ap- partement complet, avec ecurie et remise, pour y logerses maitressesv, ses cuisiniers et ses amis. Ceux-ci, a la disposition desquels il avail mis deux voitures , etaient charges d'aller pour lui promener au bois, visiter la ville, courir les bals et assister a toutes les premieres represen- tations. C'etait un etrauge original quo James Swan ; il se pavanait et se posait dans sa prison comme Chodruc-Duclos dans ses haillons : c'c- Gt IIISTOIUE DES PRISONS tait un defi qu'il jetait a la face de I'huiuanite. Consequent avec lui-m^me, il se disposait a rentrer dans sa prison trois jours apres en 6tre sorli, lorsque le 51 juillet il fut frappe d'apo- plexie foudroyante, ou d'un coup de sang], dans la rue de 1'Echiquier, ou il avail cherche un asile raomentane. Les motifs de M. Ouvrard gfaient d'une autre nature : il ne disait pas , lui , qu'il ne devait pas, mais qu'il ne voulait pas payer, et puis, en sa qualite de francais , son epreuve ne pouvait etre que de 5 ans. Lui aussi menait train de prince a Sainte-Pelagie ; c'est lui qui , pour ajouter une piece a son logcment , paya la delte d'un petit . detenu son voisin. Un jour qu'il recevait a diner M. de \~illele, ministre des finances , etquecelui- ci 1'engageait a arranger ses affaires avecSeguin, lui representant tout le tort qu'un pareil scan- dale fesait au gouvernement , qui 1'avait eu re- cemment pour munitionnaire general : Parbleq, monseigneur, repondit Ouvrard , vous en parlez a votre aise ; je suis ici pour 5 millions et 5 ans , j'y gagne done un million par an ; si vous con- naissez uue speculation plus lucrative et plus sure, je n'y tiens pas, voyez-vous, je paie des demain. DE LA SEINE. 05 Depuis 1'entree dans la nouvelle maisoa de Clichy, la Dette n'a eu qu'un seul suicide , celui du comte de Roberti que nous raconterons plus loin. Elle n'a eu que deux deces naturels. Le 7 mai 1835, celui du comte de Monteal- bano, ecroue depuis moins de treize mois. Ce comte de Montealbano etait un original de pre- miere force ; il faisait le personnage important et myst6rieux, et se donnait pour Ills naturel de Charles IV d'Espagne. II poussa son role plus loin qu'on ne le fait or- dinairement. Mes amis,dit-il d'une voixmou- ranteaux detenus qui entouraient son lit, quand je ne serai plus, qu'on visite attentivement mon corps , on y trouvera quelque chose qui revolu- tionnera le monde. II le repeta si souvent et d'un ton si solennel qu'encore qu'on fut habitue a ses gasconnades , on crut qu'il y avail quelque cbose de serieux la-dessous ; le moyen de penser qu'un mortseveuillejouerdesvivans. Notre hom- me bien et dument trepasse, le directeur pre>int 1'autorite competente , et , en sa presence ainsi qu'en celle de plusieurs detenus , il fut proc6d6 a la visite minutieuse du corps de M. le comte de Montealbano. On le trouva de tout point sem- blable aux autres corps, et Ton le confia a la 5 66 HISTOIRE DBS PRISONS terre apres lui avoir fait faire un tour a la cha- pelle. Apres James Swaii et Ouvrard, on cite, tant pour sa position sociale que pour le chiffre de son ecrou, M. le prince de Kaunitz, incarcere Ie27 septembre 1850 pour 400 et tant de mille francs, line erreur d'hommes d'affaires fit qu'il manqua d'alimens vers la fin de noverabre 1856 et que naturellement il fut mis dehors. Le jour meme il etait au balcon de droite des Varietes , ou vous le pourrez voir encore tous les soirs , a moins qu'il ne soil a celui du Palais-Royal. C'est encore fauted'alimens quesortit Auguste Dante , comte de Foscolo , patriarche de Jerusa- lem, incarcere pour uue somme de 100,000 fr. par Tun des cures de Paris, lequel porte un nom qui appartient desormais a 1 histoire. C'etait un honnete homme que ce patriarche ; quand il cut ainsi recouvre sa liberte et que rien ne pouvait plus 1'y contraindre, il paya int^gralement le capital de sa dette, et M. le cure ne perdit que les frais , que dans un esprit plus dvangelique il se fut abstenu de faire . Beaumarcbais definissait le gentilhomme : un animal qui a des dettes; la Restauration n'avait pasdeg6ner6; en 1818, sur 151 detenus k Ste- DE LA SEINE. 67 Pelagic, on comptait 99 gentilshommes ou pre- tendus tels. De ces 99 gentilshommes je me soucie peu, je vous jure. Peu m'importi aussi de voir sur le repertoire de la Dette le nom d'un ministre (M. de Martignac) , de deux pairs de la Restauralion , de trois gen^raux de division , et de presque tous les fils des illustrations de 1'Empire. Mais ce qui m'a pein6, je 1'avoue , 5 'a 6t6 d'y trouver iterativement le nom d'un mem- bre de 1'Academie des sciences , professeur au college de France , examinaleur a 1'Ecole poly- technique. Les mathematiciens ne sont pas ceux qui calculent le mieux leschoses de la vie r6elle; mais enfin ce n'est pas pour eux, j'imagiue, qu'a etc inventee la contrainte par corps. Napoleon paya trois fois les dettes de 1'abbe Sicard et plus souvent celles de Talma : il ne se trouva personne pour payer celles de notre savant ; on le mit a la retraite tandis qu'il etait en prison. Ses Sieves eurent le cur meilleur que ses collegues ; tous les mercredis trois ou quatre fesaient le peleri- nage de 1'Ecole a la rue de Clichy et venaient lui demander une le$on qu'ils lui payaient chacun dix fr. Aussi le vieillard attendait-il le mercredi avec impatience , egalement heureux de toucher un peu d'argent et de faire des mathSmatiques. 68 HIST01RE DBS PRISONS L/annee 1858 a presente un deces naturel et a etc attristee d'un suicide, celui du comte de Roberti. Le deces naturel n'a rien de particulier. Un d6- tenu a succombe en huit jours a Une hydropisie" generate de tout le corps , cela lui fut arrive^ parlout ailleurs , le regime de la prison n'y a 6t6 pour rien , car il ne s'en plaignait pas , au con- traire. Le suicide a quelque chose de plus drama- tique et de plus aflligeant ; vous pensez bien qu'en vous le racontant nous n'entendons pas vous affirmer 1'exactitude des details qu'on nous a fournis dans la prison. Fils d'un general italien mort au service de France , Francesco , comte de Roberti , avait eu le malheur de tomber amoureux d'une jeune actrice franchise , et le malbeur plus grand de 1'epouser. II 1'aimait de son aUne italienne, elle le pay a de peu de gratitude et de beaucoup de coquetterie. Apres avoir derange sa 'fortune pour satisfaire aux caprices couteux de sa femme , le comte de Roberti se trouva ecroue a Clichy le 27 novembre 1857.D'abordils'etonna de nepas recevoir de visites de celle qu'il aimait si 6perdu- ment ; puis, a tort ou a raison , il en vint a pen- ser que , loin de chercher a mettre un lerme a sa captivity , elle en etait 1'auteur , et que , pour DE LA SEINE. C9 se livrer plus a Taise aux carresses de son atnant, elle avail fait acheter parcelui-ciles litres en vertu desquels on leretenait, lui mari, sous les verroux. Des-Iors la prison lui devint insupportable. II ne rougissait pas de raconter a tous ses compagnons ce qu'il regardait comme un raalheur certain , parce qu'il en prenait occasion de parler en meme temps de ses projets de vengeance , et que , dans une ame italienne, le mari qui se venge n'est plus deshonore. Sombre , taciturne , sauvage a mesure que sa terrible idee le rongeait plus pro- fondement, Roberti passait des journees entieres seul dans sa chambre, il n'en sortait que pour aller dix fois le jour acheler du papier a la can- tine. 11 commenait vingt lettres a sa femme , et vingt fois les froissait, les dechirait entre ses doigts crispes, trouvantle papier trop froid pour recevoir tout ce que son co3ur renfermait d'amour et de colere. On 1'entendait par intervalles arti- culer les noms de sa femme et de celui qu'il croyait son amant ; puis c'etaient des sanglots , des maledictions , des menaces de mort. II ne demandait qu'une heure de liberte pour aller poignarder les deux Stres qui lui avaient bris6 le coeur , et puis il fut rentre volontiers dans sa 70 HISTOIRE DBS PRISONS prison et volontiers il cut port6 sur 1'^chafaud sa I6le lavee du deshonneur. Deja le raalheureux Roberti elail 1'objet d'une surveillance speciale de la part des employes de la prison , lorsque le 3 aout le directeur s'apercut qu'apres avoir degrade avec un couleau le pla- fond de sa cellule, situee au quatrieme etage, il avail du passer la nuit a essayer de bruler une poutre avec le feu de sa chandelle entierement consumee. Sans doute il avail espere se frayer ainsi un chemin sur les toils ; mais que serail-il devenu a une hauleur de 60 pieds et avec un mur de ronde a franchir ? Plein de pitie pour un lei etat de folie , le di- recteur ne crul devoir employer aucun des moyens de punilion dont le reglement I'armait ; il se contenla de faire descendre Roberli au second elage , pour qu'en cas de nouvelles lentalives ses voisins de dessus et de dessous le sauvassent de lui-meme. Le 5 , vers les quatre heures du soir, Roberti , passant pres de la lable sur laquelle le canlinier distribuail des porlions , s'empara de son couleau de cuisine , el le cachant sous sa re- dingote, il se hata de regagner sa cbambre et se le plongea dans le bas-ventre jusqu'au manche. Des ce moment il ne prononga plus une parole et DE LA SEINE. 71 il expira deux heures apres , en depit des soins qu'on s'empressa de lui prodiguer. Ses corapalriotes obtinrent du directeur la per- mission de lui rendre les derniers honneurs , suivant 1'usage de leur pays. Tls laverent et par- fumerent le corps , ils le ceignirent d'une cou- ronne de fleurs, 1'etendirent sur un lit de parade, au milieu d'une foret de cierges , et passerent la nuit en prieres. Le lendemain le corps fut porte a la chapelle ; Pantaleoni chanla de sa voix puis- sante la belle messe de Cherubini , et Grazianni forca un piano de Pleyel a imiter les sous ma- jestueux de 1'orguc. C'etait chose triste et belle, je vous jure, que ce dernier bommage rendu par de grands artistes , a un compagnon de cap- tivite, a un compatriote , tombe loin du pays, jeune, beau , plein d'avenir, victime d'un amour mal place et d'une loi raal faite*. Et quand il fallut se separer, quand Maurice Alhoy eul pro- nonce devant la biere de Roberti le discours qu'il ne lui elait pas permis de prononcer sur sa tombe, quand les grilles de fer s'ouvrirent pour ne laisser passer que le cadavre, elles durent peser bien lourdement sur 1'ame de ses couipa- gnons restes derriere. On dit qu'une main inconnue a 6leve une la HISTOIRE DES PRISONS pierre sur la fosse qu'une collecte des prisonniers avail achetee a Robert! : on dit que sou vent cette pierre est environnee de fleurs , que souvent on y voit tine femme s'agenouiller et pleurer ! De toutes les legendes de laDette , la plus in- teressante c'est celle de Kallewig : nous aliens vous la raconter telle qu'on la dit a Clichy , et ce sera la derniere. Kallewig etait un noble Su6- dois, fils d'un chambellan de Bernadotte. Son pere , en I'envoyant a Paris , Pavait associe avec un horaine puissant dans le corps diploma- tique; malheureusement , il plut a la femme de son associe ; il etait jeune et beau. Vengeance de mari , dit le proverbe italien , le diable ne I'in- venterait pas ; parce qu'il n'a jamais etc marie. Or done , le diplomate pr^senta au jeune homme une balance, en vertu de laquelle celui-ci lui redevait 150,000 francs; et le 10 octobre 1829, il le fit ecrouer a Sainte-Pelagie. II y versa bien des larmes , le beau Suedois ; mais enfin , le 28 juillet suivant , les evenemens que vous savez le rendirent a la liberte. Deux ans il sejourna a 1'e- tranger, ne s'6loignant jamais de la frontiere de cette France ou il avait laisse la meilleure portion de lui-meme, ses premieres illusions , ses amours de jeune homme. Knfin, vint une lettre de femme: D LA SEINE. . 73 etait-ce une infame trahison , ou la malheureuse y avait-elle etc contrainte par la force ? nul ne le salt. On lui disait dans cette lettre qu'on bru- lait de le voir, que toutetait oublie, qu'il pouvait revenir. II revint. Le noble comte, son ennemi, 1'invita a diner au Palais-Royal pour le designer mieuxaux gardes du Commerce et le leur livrer. Le 5 novembre 1852, il etait reintegre dans sa prison : treizemois plus tard, une biere en sortait. Kallewig n'avait pluseuqu'une pensee, et c/ avait 6te unepens6e deliberteet d'amour; enfin, apres bien des efforts infructueux, il 6tait parvenu a se procurer une longue corde ; il avait scie un barreau d'une fene"tre du quatrieme ; il devait s'elancer dans la rue ; tout fut decouvert, et sans lui rien dire , on le changea de cellule. Sans rien dire non plus , il s'y rendit ; mais le lende- main matin , quand il n'eut pas repondu a Tap- pel, et que le greffier inquiet fut accouru dans sa chambre, il fit de vains efforts pour le reveiller; dans ses mains etait un portrait ; dans ses yeux fixes , des traces de larmes ; a ses pieds , un fourneau et des charbons en cendres. Kallevig , le beau Suedois , n'avait peut-6tre pas cesse d'ai- mer, mais il avait cesse de souffrir '. 1 Cette Herniere anecdote a etc 1'objet d'une letlre 74 HISTOIRE DBS PRISONS Nous avons donne plus haut le chiffre des in- carc^ratious et des sorties pour chaque annee depuis 1830. Ce chiffre sommaire est susceptible d'analyses statistiques innoinbrables. Nous allons indiquer ici pour les 3 dernieres annees les chif- fres les plus curieux et les plus propres a eclairer le probleme de la contrainte par corps. II y a eu en 1837, 473 detenus; en 1838, 456; en 1839, 552, parrni lesquels on comptait: En 1837 1838 1839 Appartenant au departement de la Seine. ... 114 106 121 Aux aulres departemens 287 198 380 Strangers 72 52 51 Sous le premier chiffre on comprend toutesles personnes ayant domicile a Paris , qu'elles y soient nees ou non. Si Ton s'etonne du nombre pretendue rectificative dans les journatux le Droit et le Commerce. El cependant nous y avions mis quelquesme- nagemens; nous eussions pu ajouter que le noble incar- ceraleur s'est fait rendre au greffe les quelques francs non employes de sa derniere consignation. Qu'il r'efusa de reconnaitre une avance de 30 francs faile par le greffier au malheureux Kallewig. Qu'enfin il s'emporta centre le direeteur,le menacant de se plaindrea 1'autorite superieure de ce qu'il se fut permis de proceder a 1'inhu- mation sans Ten prevenir, et 1'eul ainsi prive du droit de voir le cadavre Etait-ce la un simple creancier? DE LA SEINE. 76 des detenus appartenanl a d'autres departemens , il faut se rappeler que beaucoup de debiteurs chercheat a se cacher dans Paris ; que beaucoup aussi viennent s'y faire incarcerer , parce que Clichy est un paradis en comparaison des prisons departementales , et qu'enfin la loi de 1852 ac- corde 30 fr. d'alimens par mois a Paris , tandis qu'elle n'en donne que 25 partout ailleurs. En 1857, sur 72 etrangers, on en comptait 60 de langue anglaise, c'est-a-dire Anglais ou Ameri- cains ; il est naturel d'abord que les peuples les plus commercans fournissent le plus de victimes a la contrainte par corps , ensuite il ne faut pas oublier que parmi les negocians et les ind\istriels ce ne sont pas les meilleurs qui voyagent. Par contre, nous donnerons quelque jour le chiffre des Francais detenus pour dettes dans les Trois- Royaumes et aux Etats-Unis. Voici maintenant 1'age des detenus au jour de 1'incarceration. En 1837 1838 1839 Ue 20 a 25 ans 33 69 "3 25 a 30 ans 73 85 30 a 40 ans. ........ . .'. :'/.... 176 99 156 40 a 70 ans . . . .'. .... 191 203 238 On s'etonnera que ce tableau commence a 20 ans etnon pas a 21 , mais chaque annee on amene 76 HISTOIRE DBS PRISONS a Clichy trois ou quatre jeunes fous qui ne re- couvrent leur liberte qu'apres qu'ils ont justifie de leur 6tat de minorite. De meme le tableau se termineaTOans (les stellionnataires exceptes), et cependant , en 1853 , on ecroua a onze heures du soir un respectable ecclesiastique , vicaire de St- Me>y, lequel sorlit a minuit un quart, ayant prouve" qu'iletaitpresque octogenaire. Soncrean- cier le savait , mais il acheta pres de 500 fr. le plaisir d'humilier des cheveux blancs. Ce crean- cier s'appelait En verite, il y a de certains momens ou les noms propres bouillon nent dans la bouche , et Ton a toutes les peines du raonde a les retenir % Par rapport a leur profession , les detenus se divisaient ainsi : En 1857 1838 1839 Avocals 5 6 2 Negocians 49 43 68 Marchands 99 90 80 Entrepreneurs de batimens . . . . 14 It 35 Tailleurs d'habits 13 8 18 Employes 36 29 36 Proprietaires et rentiers 85 83 105 Voituriers 2 3 4 Jurisconsulles 1 5 5 Hommes de lettres 12 17 22 Ex-militaireE 14 15 12 Ouvriers . . *j 7 f -t* 28 39 26 DE LA SEINE. 77 Sans profession 33 18 15 Militaires en activite ..... . , 5 4 2 M^caniciens. . . 7 3 Charbonniers , porteurs d'eau . . . . 4 7 7 Etudians 12 13 12 Professeurs 1 2 6 Fabricans 6 8 17 Courtiers . . . , . . , 1 4 2 Medecins 4 2 6 Artistes 12 13 13 Industriels 20 38 58 Plus, pour memoire, en 1837, 10 faillis; ou, no tenant pas compte de ces 10 faillis, 215 personnes qui seraient susceptibles de payer pa- tente, et248 qu'acoup surlapatenten'atteintpas. Quelque precieux que soil ce document, releve au greffe, il n'est pas encore completement satis- fesant. Que sont , par exemple, ces 35, ces 18, ces 15 iudividus sans profession sur une liste oil Ton peut prendre les professions si elastiques de proprietaire et de rentier? C'est sous cette deno- mination qu'on englobait, en 1851 , les avocats , les jnrisconsultes , les medecins, les artistes, les professeurs , les hommes de lettres. En 1832 et 1833, on coufond encore les avocats avecles jurisconsultes , mot qui veut dire sans doute des agens d'affaires. Sur le tableau de 1837, vous tes frappe peut-ptre de cette coincidence : 12 78 HIST01RE DES PRISONS hommes delettres, 12 etudians et 12 artistes. La proportion a varie. Ainsi , on a compte 20 hommes de lettres en 1834, 18 en 1855 ; 6 artistes en 1855; 2 etudiaus en 1851 , 4 en 1852, 5 en 1855, 9 en 1854, et 7 en 1855. Les ex-mili- taires sont ceux dont le chiffre s'est le plus exac- tement maintenu stalionnaire : 15 en 1852, 14 en 1855, 17 en 1854, et 15 en 1855. Les mili- taires en activite arrivent a peine au tiers de ce nombre ; les reglemens leur defendent d'avoir des dettes criardes. Lors done qu'ils sont amenes a Clichy, de deux choses Tune : Si la somme esl peu considerable , si 1'individu peche pour la premiere fois , s'il est aime et digne d'intere't , le corps d'officiers paie par les mains du quartier- maitre ; dans le cas contraire , en 1'absence de 1'une de ces conditions , 1'officier est oblige de donner sa demission ou de 1'accepter. En regard de la profession des incareres, pla- cons celle des incarcerateurs ; sur les 475 ecrous de 1'annee 1857 , 1'incarcerateur est qualifier 150 fois de Negociant. 80 Marchand. 10 Banquier. 147 Non sujet a patente. 101 Proprietaire. DE LA SEINE. 79 3 fois de Horn me de lettres. 2 Ecclesiastique. En admettant, ce qui est fort douteux, que ces d x banquiers, qui raettent les gens a Clicby, paient patente, nous trouverons que sur 475 fois que ce mode d'arriver au paiement a 616 employe , il Fa etc 220 fois par des patentes et 255 fois par des individus qui ne 1'etaient pas. Sur ces 475 ecrous de Fannee 1857 , 451 in- carcerateurs y ont mis chacun un debileur ; 5 en ont mis 2; 1 en a mis 5 ; 2 en ont mis 4; 1 en a mis 5. Que pensez-vous du genre d'affaires de ce negotiant assez malheureux pour faire ecrouer 5 debiteurs par an ? Notez que nous n'avons pas re- Iev6 les recommandalions , ce travail eut 6t6 trop long, et cependant il eut 616 curieux par la mo- notonie des noms propres. Notez encore que les incarcerateurs par etat se c^chent souvent derriere des hommes de paille, des croupiers d'usure, des boucs emissaires de la coulisse. II y a un an en- viron un arret de la Gourde cassation a apprisau public que c'etait a la requete d'un marchand de jouets d'enfans qu'avait et6 incarcer6 M. de Kau- nitz. Sans contredit , M. le prince de Kaunitz , beau-frere de M. deMetternich, passe pour s'Stre beaucoup amuse; cependant il est peu probable 80 HISTOIRE DBS PRISONS qu'il ait jamais achet6 pour 400,000 fr. de jou- joux. Les gardes du commerce en savent plus long que les ecrous , et ils nous ont dit que leur clientelle active et passive est extremement li- mite : qu'ils travaillent presque toujours pour les memes contre les mfimes. En effet, on comptait Sur 475 detenus : en 1857; 456 en 1858; 552 en 1859 Detenus pour la premiere fois 587 568 457 Deuxieme ..".... 50 65 82 Troisieme 24 15 21 Quatrieme 7 7 5 Cinquieme 5 2 7 Croyez-vous que ce soient des n^gocians , ces hommes incarcer6s pour la quatrieme et la cin- quieme fois ' ? Un autre element important du probleme de la contrainte par corps , c'est le chiffre de la dette pour le recouvrement de laquelle on y a eu re- coursM)r, on comptait Sur 475 detenus: en 1837; 456 en 1838; 552 en 1839 DebiteursdelOO a 500 f. .... 199 190 199 500 a 1,000 99 84 135 1,000 a 2,000 71 58 94 * Notez qu'en ne poussanl ce tableau qne jusqu'aux detenus pour la 5 e fois, on a neglige volontairement quelques cas rares; ainsi le processif ancien officier d'or- donnance de 1'empereur est ecroue pour la 7 e fois, et 1'un de nos homonymes et confreres en litterature . ne I'a pas etc moins de huit. Et il est encore fort jeune ! ^ i * DE LA SEINE. 81 1837. 1838. lr>9. 2,000 a 3,000 43 55 57 3,000 a 4,000 15 - 27 24 4,000 a 5,000 7 8 10 5,000 a 6,000 6 15 19 6,000 a 100,000 23 20 14 100,000 fr. et au-dessus. ... 1 Plus, en 1857, 10 faillis; en 1S38, 3 faillis; en 1839, 4 faillis. La loi de 1852 n'accordant la contrainte par corps que pour des somraes de 200 aii moins, et notre tableau commencant a 100 fr. , il est boa d'observer que les dommages-inlerets, memeau- dessous de cette somme, soiit recouvrables par cette voie. C'est ce qu'au greffe de Clichy on ap- pelle dettes civile;. On a cherche quelle 6tait la somme totale de la dette et quelle etait la moyenne pour chaque detenu. Ces chiffres , faciles a obtenir , sont de nature a egarer ceux qui s'occupent de la loi sur la contrainte par corps. En eflet, au l er Janvier 1833, 167 detenus devaient en somme 1,859,097 fr. 05 c., soit, en moyenne pour cha- que detenu , 11,012 fr. 55 c. Amenez M. Ou- vrard , avec sa dette de 5 millions , voila volre moyenne triplee ; faites sortir M. de Kaunitz , et la voila diminuee d'un tiers. Peut-on dire que la moyenne soit de plus de 10,000 fr. , lorsqu'en 1857, sur 475 detenus , 288 devaient moins de G 82 HISTOIRE DBS PRISONS 1,000 fr. etque 199 en devaient moins de 500? Voici mainteaant la nature des differeutes dettes: Incarceres : En 1857. 1858. 1839. Pour dettes civilcs .... 10 12 8 billets a ordrc 274 258 521 Icttres de clmnge 145 137 164 Venle et achat do marcbandises 24 33 31 Rcsu'itat decomptes 11 25 14 Stcllionataires 1 2 Faillis 10 .5 5 Travaux publics non executes 5 5 Debiteurs de 1'Etat 2 Restitutions 1 5 Les debiteurs de 1'Etat sont ceux qui n'ont pas pas paye les araendcs auxquelles ils ont 6te con- damnes; on les met ordinairementa Ste-Pelagie, ou ils recoivent les vivres et le coucher commun; mais quelques-uns sollicitent la faveur d'entrer a Clichy, ce qui ne leur est pas refuse; seulement ils ne recoivent pas les 30 fr. par mois comme les autres debiteurs : 1'Etat ne leur doit rien , ils se nourrissent else meublenta leurs frais. En 1857, il n'y a pas eu de detenus de cette espece ; en 1858, il y en a deux fort celebres, lesieur Joyeux pour une amende de 10,000 fr., et le sieur Jean- nin, pour une de 40,000, outre le decime de guerre. Enfin, Ton sera curieux deconnaitre l'6tat civil des detenus pour dettes. On comptait: DE LA SEINE. Kn l'T>7. 1858. 15i 152 1C5 Veufs sans cnfuns 3 3 I* arcc ciifans. . . 14 26 41 Maries sans cnfans 86 56 75 avcc enfans 225 258 259 Divorces . . . 1 1 Ainsi, la contrainte par corps a frappeen 1857 140 individus plus ou moins independans , 156 en 1858; 179 en 1859, eten 1857, 525 chefs de famille, 520 en 1858; 373 en 1859. Nous avons vu comment on est entre dans la prison de la Dette pendant les trois dernieres annees, voyons maintenant comment et au bout de combien de temps on en est sorti. Constatons d'abord qu'en 1857 sur 475 detenus, et en 1859 sur 552, il n'y a eu ni evasion, ni suicide, ni deces naturel ; toutes les sorties ont done 6le or- dinaires et legales; elles se sont elevees en 1857 a 455, en 1858 a 470 ( dont un suicide et une mort nalurelle), en 1859 a 560. En 1837. <83P k 183P. Dans les 15 premiers jours 139 143 198 DC I o jours a 1 mois 79 64 70 De 1 mois a 5 mois .,. 64 80 93 De 3 mois a 6 mois 46 81 74 - De C mois a 1 an 87 81 75 DC 1 an a2ans 27 30 50 DC 2 ans a 5 ans 11 11 13 A I'expiralion de 5 ans 1 Au-dela tie .% ans. . 100 M 111STOIUE DBS PRISONS Nous ne pouvons nous empgcher de dire ici qu'a moins d'etre absurde, la contrainte par corps ne doit 99 sur 100 preferent louer celui del'6- tablissement dont voici le tarif par jour : Une couchette en fer, 1 centime. Une paillasse (renouvelee tous les six mois), 1 Un matelas de 50 livres, 3 1/2 Deux draps fins (renouveles tous les 20 jours) , 5 Un oreiller, 1 Une taie d'oreiller, 1 Une chaise 1 Une table, 1 Uue couverture de laine, 2 Une serviette, 2 1/2 Un torchon, 1 1/2 D'ou il suit que chaque detenu peut se meu- bler tres-proprement pour 6 fir. par mois. L'ad- ministralion lui fournit gratuiteraent une grande arraoire en chene. Quand il est dans sa cellule, et qu'il y regoit ses amis, il peut fermer sa portc interieurement au verrou , et le voila chez lui. Quand il en sort dans la journec, il peut y ap- DE LA SEINE. 113 poser a 1'exterieur un cadenas, et nul n'y penetre sans son consentement. Lesoir, a dix heures, tous les cadenas disparaissent; c'est le tour de cle du surveillant, et le detenu se trouve reelle- ment et etroitement prisonnier jusqu'au lende- main matin. Les cellules sont au nombrede 167; il y a de plus un grand dorloir coramun, pon- vantcontenir au besoin 50 lils, mais que, grace a Dieu, on n'a pas encore eu occasion d'occuper. Quand ils arriverent a Clichy , les dettiers se trouverent dans un paradis , dans un palais de fees, par comparaison avec Sainte-Pelagie. De- puis, comme on s'habitue facilement au bien, ils ont recommence a se plaindre. Trouvez-moi done des prisonniers qui ne se plaignent pas? En revanche, les creanciers crient que leurs debi- teurs sont vingt fois trop heureux, qu'un sem- blable emprisonnement est une partiede campa- gne, une vie de chateau , etc. L'administration, parfaitement secondee par le directeur, les laisse dire; la loi lui a donn6 des hommes malheureux a garder, et non pas des malfaiteurs a punir; aussi leur accorde-t-elle la plus grande masse de libertes et de jouissances que comporte leur position. Dans lejardin, promenade admirable, jeu de siam, jeu de boule , jeu de quilles : dans Hi HISTOIRE DES PRISONS le promenoir d'hiver, jeu de tonneau , jeu de palets,jeu d'echecs, de dames, de trictac, lecture de livres et de journaux; dans les chambres, on joue, on rit , on dine , on fait de la musique, et, par permission speciale, le comte Leon fesait re- tentir Clichy du bruit de cette meme trompe de chassequeM. leprefetachasseedeParis; heureu- semenl d'un c6te il avaitpour voisin de chambre un sourd-muet. Les fleurets sont proscrits dans la nouvelle maison ; tandis qu'un maitre d'armes avait ecrit au-dessus de sa cellule, a Sainte- Pelagie : Crevecceur, premier maitre de la grande arme'e; id I* on apprend en 15 lecons a tuer propre- ment son creamier. Dans une prison pour dettes, il ne peut etre question d'un travail force, cependant ceux des detenus qui ont une profession , sont libres de 1'exercer. Toutefois , pour 6viter la concurrence dans une societe si peu nombreuse, un seul bomme de chaque etat est autorise a travailler pour ses compagnons d'infortune. II n'y a done qu'un botlier, qu'un tailleur; un pbarmacien, porteur d'un diplome, vend les drogues et 1'her- boristerie; un detenu tient cabinet de lecture, il a une cellule supplemental , ornee d'une table, d'un tapis vert, d'une lampe elegante; on y lit DE LA SEINE. 115 lesjournaux au mois et a la stance. Inutile de vous dire quels sont ces journaux ; regne qui voudra , les prisonniers seront toujours de Top- position. Nousdemandions ace detenu s'il fesait bien ses affaires; on fait des affaires, nous repon- dit-il, mais ce sont les credits qui tuent; on paie si mal a Clichy! Parmi les cellules du rez-de-chaussee , il y en a une destiuee a un barbier qui \ient du dehors. C'est un ancien officier , decore de la Legion- d'Honneur et de Juillet; sa place pent lui valoir 1 ,200 fr. nets par an. On avail crie avec raison contre le restaurant et le cafe de Clichy ; les detenus y passaient des journees entieres et s'y livraient a des depenses scandaleuses. Les salles publiques ont ete fer- mees par ordonnance en date du l er aout 1858. Depuis cette epoque, les detenus viennent au tour commander leurs repas ; les mets leur sont apportes dans leur chambre, ou ils recoivent autant de convives qu'ils veulent, du dedans ou du debors. Le traiteur est M. Dubois, successeur de Michel , que nous avons tous connu place Dauphine. La Ville lui fournit le local et les fourneaux , a condition de nourrir huit auxiliai*- res ou hommes de peines, et de se conformer au 116 HISTOIRE DBS PRISONS tarif arrfite a un prix (res-mode 1 re 1 pour tous le$ objels de consommation journaliere. Du temps des salles communes, M. Dubois fesait plus de 400 fr. d'affaires par jour, en y comprenant trois cents francs de credits dans lesquels il rentrait bien difficilement. Aujourd'hui -sa vcnte n'est guere que de 150 francs, mais elle est tout au comptact, et il y gagne. A Sainle-Pelagie , les detenus avaient et ont encore cliacun un petit fourneau dans leur cham- bre. On les a supprimes a Clichy, on a etabli un grand fourneau auquel ils ont le droil de re- chauffer les alimens qui leur seraient apporl6s du dehors. Ce fourneau est alimente par la Societe Philanthropique. Chaque detenu laisse dix centimes tous les trols jours en recevant ses alimens. Cette reteaue sert aussi a payer une bai- gnoire et 1'entretien du jardin. C'est encore celte societ6 qui fournit aux necessiteux les douze francs qu'il en coute pour sortir de Clichy par defaut d'alimens. Les visiteurs sont admis de dix heures a qua- tre, et de huit heures a six, suivant la saison. Sur 1,200 permis delivres , il en est present6 jusqu'a 800 chaque jour. Les hommes regoivent dans leur chambre et s'y enferment, s'ils le DE LA SEINE. 117 jugenl convenable ; OD ne voit les dames que dans un parloir expose de tous cotes a I'oeil des surveillans. Quand nous avons demaude a notre guide la raison de ceJte difference, il s'est pris a rire. N'oubliez done pas, nous a-l-il repon- du, que nous dcvons rendre nos prisonniersdans 1'etat ou nous les avons recus , ce n'est qu'a Saint-Lazare qne vous trouverez un corridor des nourrices. De celle Iibert6 dans les chambres d'hommes, il resulte que la Delte est enlierement pure des desordres qui affligent les autres prisons. Sous la Restauration, un jeune etourdi, tils d'un pair de France , 6crivit a 31. Franchet : Je prie le prefet de police d'envoyer un permis de visile a la nominee N..., fiilepublique, dont j'ai besoin. Le devot prefet fit peut-elre la grimace, mais dans les vingt-quatre heures la permission fut oclroyee. II ne manquait pas a Sainle-Pelagie de ces visiteuses , qui chaque jour colportaient de cbambre en chambre leur dangereuse visile. Les chosesetaient arrives a ce point que les d6- tenus eux-m6mes se sont plainls. Aujourd'hui, des qu'une femme de ce genre esl signalee par les surveillans , on la consigue a la porle avec loule 1'urbanite desirable. 113 HISTOIKE DES PRISONS Les femmes occupent dans la premiere cour un petit batiment, tout-a-fait isole; elles cominu- niquent avec le traiteur par un tour particulier; mais comme le calorifere ne regne pas dans leur section, elles ont une cheminee dans leur eham- bre, et il leur est alloueachacune unedemi voie de bois. Dix-huit chambres leur sonl reservees ; il n'y en a que huit d'occupecs en ce moment, et jamais il n'y en a eu plus de douze. Elles out un petit jardin et entendent la messe dans une tribune grillee. La chapelle est simple et de boa gout; 1'auradnier, aux appoinlemens de 700 fr., est un vieillard tres-aimable, ancien precepjeur de M. Gisquet. L'infirmerie, vaste et bien aeree , equivaul au moins aux plus belles salles d'officier du Val- de-Grace. Cependant Jes deltiers repugnent a s'y rendre, a cause de 1'isolement. Us preferent se faire trailer dans leur chambre, et dans ce cas, ils paient les visiles et les medicamens. Le medecin de la maison aux appoinlemens de 1,000 fr. est M. Petit de Maurienne; il a pour adjoints gratuits MM. Boucher du Gua et He- diard. Le personnel de Clichy se compose d'un di- recteur, 2 greffiers, 1 brigadier, 6 surveillans, DE LA SEINE. 119 4 gar^ons de service, 8 auxiliaires, bons pauvres du depot de Saint-Denis, d'une lingere ctd'une fouilleuse servant les femmes. Sa force est un corps-de-garde de 30 hommes commandes par un officier. Pour nous resumer, Clichy est une prison modele, eu egard a sa destination. En aucun lieu du monde, les detenus pour dettes ne sont plus humainement etplus convenablement traites. DE LA SEINE. 121 CHAPITRE IV. Saiute-Pelagie, maison d'arrel et da correction, prison d'etat sous I'empire. Ceux qui se plaisent a des rapprocheaiens dc noms ne seront pas f^ches d'apprendre que cette maison , qui devait cent ans plus tard servir do prison a 1'excellente Josephine ainsi qu'a la com- tesse Fanny de Beauharnais , avait ete fondee en 1681, par Marie Bonneau, veuve du sieur Beau- harnais de Miramion, a laquelle on devait deja le couvent des Miramionnes. C'etait la mode du temps. De grandes dames qui souvent avaient effraye la cour et la ville du bruit de leurs de- bordemens , trouvant difficile peut-e"tre de se con- vertir elles-memes, entrepreuaient picusemenl la conversion des courtisannes, On imtissait un couvent, puis, a jour dit,M- le lieutenant-general de police aidant, on trouvait pour 1'habiter trenle ou quaraute femmes ou filles pretendues repen- ties. Le roi, dans son zele pour la religion et les moeurs , autorisait une ou'deux loteries pour ai- 1> HISTOIRE DES PRISONS der a coustruire 1'edifice. (Cinq cents families se soul minces dans les loteries qui ont aide a batir Saint-Sulpice.) Monsieur de Paris venait proces- sionnellement benir la chapelle; on chantait un Te Dcum, et voila trente ou quarante ames de sauvees. Comme la Madelaine avait deja bon nora- bre de maisons de ce genre sous son invocation , on placa le nouveau Refuse sous celle de sainte Pelagic. Apres avoir joue la comedie a Antioche vers le milieu du cinquiemesiecle, sainte Pelagic avait embrasse la vie religieuse; elle s'etait retiree sur le mont des Oliviers, et y etait morte dans les ri- gueurs d'une austere penitence. C'etait done pour le Refuge une digne patronneque cette sainte P- lagie , dont les dettiers ont si souvent inaudit le iiom , ramene au theatre par les joyeux auteurs de Monsieur Jovial , quatorze siecles apres qu'il avait cesse d'y retentir. II y a comme cela des destinies ! En 1790, les portes de Sainte-Pelagie s'ouvri- rent comme celles de tous les autres couvens et les pauvres repenties porterent dans le monde la bonne odeur de leurs vertus de fraiche date. Deux, ans plus tard , la commune de Paris couvertit les batimens en une prison , ainsi qu'il est mentionne DE LA SEINE. 1-23 au premier feuillet du premier registre d'ecrous , dans lequel est signe Chaumelte. Sainte-Pelagie , des ce moment jusqu'a celui oil nons ecrivons , a ete la prison la plus defec- tueuse de Paris, quant au classenaent des detenus. Jusqu'au 22 messidor an iv, elle a recu a la Ibis des homines et des femmes, aussi bien pour cau- ses poliliques que pour crimes et drills, des con- damnes en m6me temps que des prevenus. De- puis le 14 mars 1797 jusqu'au 4 Janvier 1834, les detenus pour dettes y ont ete renfermes. Toute- fois , en 1828 , des 1'avenement de M. de Belley- me a la Prefecture de police , la inaison fut de- double'e ; il y eut deuxguichets, deux concierges, deux grefles , en un mot deux prisons dislinctes, 1'une de la detention et 1'autre de la delte. Enfin , Sainte-Pelagie a servi jusqu'a la m6me epoque de maison de correction pour les petits voleurs , les vagabonds au-dessous del Cans, et les enfans enfermes sur la demande de leurs parens. C'est ce qu'en terme de prison on appelait les mAmes. Sainte-Pelagie n'a pas ete qu'une prison legale politique, c'est-a-dire , qu'elle n'a pas renferme que des liommes politiques , condamnes , ou at- tendant leur jugement; on y a mis aussi, pen- dant loutle temps de 1'Empire et pendant les prc- 124 H1STOI11E DBS PRISONS mieres annees de la Restauration , des horames doat les actes ou Ics opinions deplaisaient au chef de 1'Etat , sans qu'on invoquat centre eux les ar- ticles d'aucune loi, sans qu'on s'occupat a leur faire leur proces. a done etc une prison d'Etat, et lepeuple, qui avail detruit la Bastille, en a, sans parler des departemens, souffert trois a Paris seu- lemeut : le Temple, Vincennes et Sainte-Pelagie. Jusqu'au 1 er avril 1811, les prisonniers d'Etat se trouvent confondus pele-mele avec les autres sur les livres generaux d'ecrou. A partir de cette epoque, il leur estouvert deux registres speciaux, dits regi.itres des pre'venus administralifs ; le premier est signe et paraphe sous la date du 31 mars 1811, par M. Pasquier, prefet de police. Nous y re- viendrons. Des prisonniers d'Etat ! C'est , grace a Dieu , ce que nous ne reyerrons plus en France , tant que la Charte et la liberte de la presse ne seront pas de vaiiis mots. Mais nous avons , et peut-etre aurons-nous long-temps encore des prisonniers politiques. Un len^ps yiendra cependant ou nous ne comprendrons pas plus les guerres et les proces pour opinions poliliques, que deja nous ne com- pre ons aujourd'hui les guerres etles proces pour opinions religieuses. Le requisitoirc a beau reser- DE LA SEINE. 125 ver les foudres les plus terribes pour les crimes et les delits politiques , je ne sais quel instinct nous crie que ce ne sont pas la des crimes et des debits comme les autres. Notre haine contre eux tient plutot de la passion que de la justice ; aussi n'cst-elle que de courte duree. Aux yeux de la froide raison comme a ceux de 1'histoire , dans les revolutions , dans les crises politiques , il y a peu de coupables , il n'y a guere que des vain- queurs et des vaincus. Juges de Louis XVI, du due d'Enghien ou du marechal Ney, en quelque surele de conscience que vous ayez prononce votre verdict , n'est-il pas vrai que dix ans apres vous eussiez eflac6 de vos larmes la trace de votre nom au has de la sentence homicide? Apres 1850, vous rappe- lez-vous quels flots de peuple assiegeaient le Luxembourg ? Eh bien ! si vous pouviez aujour- d'hui rassembler au memo lieu les elemens dont se composait celte multitude, alors avide de ven- geance, vous ne trouveriez pas vingt hommes pour proferer un cri de mort. Ces souvenjrs vous paraissent-ils trop pleins encore d'actualite ; remontons plus haul, deman- dons a 1'histoire d'autrefois ce que nous devons penser des choses d'aujourd'hui. Qui de vous se 142 HISTORE UES PRISONS soucie que Tun de ses a'ieux ait el6 Arraagnac ou Bourguignon, Frondeur ou Mazarin? Qui de vous ne serait peine , au contraire , de compter parmi les siens un Poltrot , une Brinvilliers, un Cartouche , un Desrues ? Encore un coup , toutes les phrases du monde n'y feront rien, les crimes et les delits politiques ne nous inspirent pas la mSme horreur que les autres. En fait de polili- que tolerance et oubli sont presque synonymes de bons sens et de justice. La Revolution n'a paseu, elle, de prisonniers d'Etat; tous ceux qu'elle entassait dans ses pri- sons dcvaient passer en jugement , et rarement sefesait-il attendre. Sainte-Pclagie ne commu- niquait pas directement avec le Tribunal revolu- tionnaire, dont la Conciergerie etait le vestibule oblige : aussi ne trouve-t-on pas sur ses regis- tres, en regard de 1'ecrou , la mention sanglante de 1'execution. La Terreur y apparait plutot sous son aspect trivial et pour ainsi dire comique. Aussi parmi des ecrous de gens condamnes a dix et a vingt ans de travaux forces, a six et a huit heures d'exposition, pour assassinat, pour vol et pour faux, en rencontre-t-on de bizarres, comme ceux-ci : Du 20 frimaire an H: Joseph Lebrun , age de DE LA SEINE. 125 38 ans, ne aDouai, architecte : arrte com in e suspect sous lous les rapports , chaud partisan du blondin Lafayette et persecuteur de patriotes. Du 18 mai 1793 : Barthelemy Boisset, age de 36 ans , tisserand , sans domicile , prevenu de fanatisme et d'etre envoye ici pour le propager. Du 15 mai 1793 : Jacques-Antoine Laivain- court, age de 19 ans, n6 a Paris , prevenu d'etre un mauvais sujet par des exces dont on 1'accuse de s'etre vantd. Du 3 avril 1793: Louis-Jacques Auffroy, age de 57 ans, ne a Paris, ci-devant pr^tre, prevenu... ayant dit la messe en cachette , ce qui a fanatise le peuple, et, dans les circonstances presentes, occasionn6 les troubles qui assiegent la Republi- que. Du 20 septembre 1793: Claude-Denis Bour- dain , age de 22 ans , prevenu de s'enr6ler dans des corps inconnus et clandestins. Du25 aout 1793: Charles-Alexandre Crequy- Montmorency , age de 58 ans , homme suspect sous plusieurs rapports. Puis c'est une femme Bourry, prevenue d'avoir vendu des chemises de la nation; un boulanger, pour avoir vendu de la farine a un parliculier demeurant a quatre Heues de Paris ; un aulre 128 HISTOIRE DBS PRISONS citoyen, pr6venu d'avoir passe" un pain a la bar- riere ; un troisieme, d'avoir vendu et achete des pieces d'or dites des louis; et Tun est prevenu de suspicion, 1'autre d'avoir recu et signe la petition des 20,000. Quel delit que celui qui fournissait d'un seul coup a la nation 20,000 coupables! Souvent, a cot6 du prevenu A., se trouve la mention : Ar- rete sans cause connue; puis viennent les prevenus B. , C., D. , etc , jusqu'au has dc la page, et en marge il est ecrit : Monies motifs que dessus. Quelquefois l a Republique se prend d'un beau zele pour la morale; on arrete 20 ou 50 fenames qualifiers dans 1'ecrou filles publi- ques, et a la colonne des motifs , on lit : Pr6- venues de prostitution. Le 5 aout 1795, en vertu de la loi qui met en etat d'arrestation les acteurs du Theatre-Fran- cais, dit Theatre de la Nation, on ecroue a Sainte- Pelagie les citoyennes Lange, Petit, Fleury, Suin , Joly, Devienne, Lachassaigne , Raucourt et Mezerai, et a cote de chaque nom il est ecrit : Cette ciloyenne est assez connue pour ne pas mettre ici son signalement. Le 15 septembre, Larive est arrete, et nous trouvons la memo note a la colonne des signalemens. II n'y a pas jus- PE LA SEINE. 129 qu'a la protection que la police doit aux alienes et aux ivrognes, qui ne devienne grotesque sous la plume des greffiers de ce temps-la. Ainsi, le 7 brumaire an in, 1'ecrou d'une femme porle: Prevenue de s'etre porte deux coups de couteau et de mauvaise vie. Au milieu de ces ecrous ridicules , il en est quelques-uns qui honorenl Thumanite, comme celui-ci : Du 15 nivose an u , Angelique Du- pres, femme de chambre de la citoyenne Aubigne Touloageon ; elle s'est constitute prisonniere pour aider sa maitresse a s'habiller. A cote dc ce devoument obscure, placons un nom que 1'histoire ne se lassera pas de repeter: Du 25 juin 1795, Marie-Jeanne Philipon , femme Holland, ex-ministre (nouscopions textuelle- ment), agee de trente-neuf ans, native de Paris, y demeurant rue de La Harpe, 51 ; ledit ordfe motive d'apres la lettre trouvee chez 1'ex-minis- tre Rolland , la fuite de son inari. la suspicion de sa complicity avec lui , et la notoriete de ses liaisons avec des conspirateurs contre la liberte, et la clameur publique qui s'eleve contre elle Et plus bas, a la colonne des sorties: Du dixieme jour du deuxieme mois appele brumaire de 1'an 11 de la Republique, en vertu d'un man- 9 130 HISTOIRE DES PRISONS dat d'arret decerne par le Tribunal revolution- naire extraordinaire, etabli par decret de la Convention nationale du 10 mars 1795, en date de ce jour, Marie-Jeanne Philipon, femme Hol- land, ex-minislre, ecrouee ci-confre, a ete ex- traite des prisons de ceans et transferee a la raaison de justice de la Conciergerie. Sublime femrae, que les Republiques ancien- nes nous eusseut enviee. En marchant a 1'echa- faud elle sernblait une statue de celte liberte dont elle mourait la victime ! Tous les biographes s'accordent a dire que Josephine dc Beauharnais fut enfermee a Sainte- Pelagie en meme temps que le general 1'etait a la Conciergerie. Nous avons vainement cherche son 6crou ; peut-e"tre y a-t-il eu confusion , et lui a-t-on atlribue celui de sa tante la comlcsse Marie-Francoise de Beauharnais, plus connue sous le nom de Stephanie ou de Fanny de Beau- harnais, inscriteeflectivement a la date du 4 no- vembre 1794, sans cause connue, et qui mourut a Paris en 1813. C'est d'elle que Lebrun-Pindare a dit : Egle belle et poele a deux pelits Iravers, Elle fait son visage et ne fait pas ses vers. ' 1 Dans un ouvrage tout recent, la Biographic des pre- DE LA SEINE. J31 C'est une observation generale que pendant la Terreur les detenus eurent beaucoup moins a souffrir dans les nouvelles que dans les anciennes miercs annccs de Napoleon Bonaparte , Fauleur, M. le baron de Coston dit: Madame de Beauharnais renfer- mee elle-raeme pendant 18 raois dans la maison des Car- tries de la rue de Vaugirard, y tomba graveraent malade lorsque son acte d'accusation, c'esl-a-dire l'arrl de sa rnort, lui fut signifie. Heureusement un brave et gene- reux raedecin polonais, charge de la soigner, declara que ia maladie allait en faire justice el qu'elle n'availpas trois jours a vivre si elle etail retenue plus loug-lemps pri- sonniere. Elle oblint la liberte. Nous croyons qu'il y a erreur dans ce recit; 1'empri- sonnemenl de Josephine n'a pas dure 18 raois el c'esl probablement a Sainte-Pelagie qu'il a eu lieu, du moins pour une parlie de sa duree. II faut un fond an bruit ge- oeralement repandu a eel egard; il n y a pas un prison- nier un peu marquanl auquel on n'ait dit qu'ii y occupait sa chambre, le n 6 du corridor rouge. Cependanl son ecrou ne trouve pas. Lorsque M. Dubois etait prefet de police, et c'est un Tail que nous tenons de la bouche raeme de son flls, un employe qui mettait quelque ordre dans les archives, lui presenta le certificat en vertu duquel Josephine etait sortie de prison. M. Dubois, pensant qu'uue pareille piece ne devait pas rester dans les cartons la mitdans sa poche. Qu'il Tail gardee ou qu'il en ait fait hommage a 1'empe- reur, c'esl ce que j'ignore, mais ou sent que le rodme motif qui a fait enlevcr le cerlificat a bien pu faire dispa- raltre 1'ecrou el la menlion nominative an repertoire. 132 H1STOIRE DES PRISONS prisons. Sainte-Pelagie, naguere couvent, ne fut done pas Tune des pires. II s'en fallait que les batimens ne fussent aussi vastes et aussi bien distributes qu'ils le sont aujourd'hui ; 550 pri- sonniers y tenaient mal a 1'aise, on peut aujour- d'hui en meltre pres du double sans blesscr les lois de 1'hygiene ou de 1'humanile. Une anecdote conservee dans un almanneh de 1'an v, peut nous donner une idee du singulier melange des prisonniers poliliques a Sainte- Pelagie. Un jour Cortey 1'epicier , qui se trouvait de complicile avec le ci-devant comte de Laval- Montmorency, 1'ex-marquis de Pons, Sombreuil, ci-devant gouverneur des Invalides, etc., lous pr6venus de conspiration et guillotines depuis, faisait des signaux a travers la fenetre du corri- dor, a la ci-devant princesse de Monaco, et lui envoyait des baisers; le marquis de Pons, qui etait present, lui dit avec hauteur: // faut que vous soyez bien mal eleve, monsieur Cortey, pour vous familiariser avec une 'personne de ce rang-la ; il n'est pas elonnant qu'on veuille vous guillotiner avec nous, puisque vous nous traitez en e'gal. A 1'epoque du 9 thermidor, il y avail plusde Irois mois que toules communications avaient 'V DE LA SEINE. i33 16 interdites aux prisonniers entre cux. Ce jour- la, ils surent vaguemeat que de grands eveoe- mens se passaient dans Paris; ils compreiiaient qu'il y avail eu une lutle ; mais ils en ignoraient encore Tissue qu'il leur importait tant de con- naitre, lorsque le soir ils entendirent un guiche- tier donner UQ coup de pied a SOD chien et lui dire : Va te coucher , Robespierre. Ce fut la le premier verset du Te Deum a Sainte-Pelagie. De toules les cellules partirent des cris de joie, meles a des vive la republique! vive la nation! vive le roij suivant les opinions particulieresdes mallieureux qui les habitaient. Le lenderaain fut encore un beau jour pour eux ; ils virent arriver successivement Lavalelte, Dumas, un aide-de-camp d'Henriot et la famille Duplaix tout entiere. Le pere, ancien menuisier, etait un des jures de Fouquier-Tainville; les deux lils etaient gardes-du-corps du lyran, sous les ordres de Boulanger; la mere Duplaix etait appelee la superieure des devotes de Robespierre, parmi lesquelles ses deux lilies tenaient un rang distingue. Pour donner uoe idee du personnel des prisons a celte epoque, il suffira de dire que la mere Duplaix se pendit dans sa prison , des le 1 1 thermidor, et que pendant viugt jours un 134 HISTOIUE DBS PRISONS guichelier recut uu louis d'or del'un de ses fifs pour aller s'iaformer de sa sante qu'il lui rap- portait toujours elre tres-satisfesante. Pour rechercher les prisonniers d'Etat ante- rieurementau l er avril 1811, il faudrait parcou- rir neuf gros registres d'^crous generaux , dont les repertoires, quand il en existe, sont on ne peut plus mal etablis. Nous lie nous occuperons done que des deux regislres administralifs. Du 12 avril 1811 au 26 mars 1814, nous avons compte 254 arrestations de police imperiale, pour Sainte-Pelagie seulement. Ce sont des noms obscurs pour la plupart; les personnages impor- tans etaient renfermes au Temple el a Vincennes. La formule d'ecrou varie peu : N..., prevenu de manoeuvres frauduleuses, de mene'es ou de corres- pondences contraires alasuretedel'Elat. En marge il est ecrit : Maintenu en detention par decision de S. M., r endue en seance de son conseil privd du.... Donuous pour modele 1'ecrou d'un directeur- general de la police sous la Restauration : Du 15 Janvier 1811, Franehet (Nicolas), premier commis des droits reunis de la direction du Rhone, age de 53 ans, n6 a Lyon, y demeurant : 4'ordre de son excellence le ministre de la police generale. A la colonne des motifs : a Prevenu DE LA SEINE. 1. $ de correspondances attentatoires a la surete inte- rieure de 1'Etat. En marge : Au secret (il y est rest six mois pleins) , puis a la colonnc des trans feremens, morts ou sortis, on lit ces mots qui n'oul pas begoin de commentaire : Le l er avril, an 1814, le nomme Franchel (Nicolas) a e(6 mis en liberte par ordre de M. le conseiller d'Etat prdfet de police, en execution des ordres de Sa Majeste 1'empereur Alexandre. Soixantc- huit detenus sortirent ainsi le l er avril en verlu d'ordresd'un souverain elranger; paraii eux se trouvaientdix-neuf sous-officiers et gardes d'hoii- neur du 5 e regiment. Sur ce registre imperial nous avons trouve la mention suivante : Du 19 Janvier 1815, Salmon, ex-employ6 au miuis- tere de la guerre, 55 ans, extrait le 11 mai 1815, pour contractor mariage au 11 arrondissement , reintegre le meme jour. Du 15 avril 1814 au 29 Janvier 1815 ,' nous trouvons sur le registre administralif, 155 arrcs- lations de la police de Louis XVIII ; il ne s'y ren- contre pas un seul nom Lien connu. Ce sont pres- que tous des ofliciers de 1'ex-armee imperiale. Pendant les Cent Jours, il ne se voit pas trace d'une arrestation polilique. C'est a tort que les Ermites en prison accusent Napoleon d'avoir fait 136 HISTOIKE DES PRISONS arreter Miua ct Torreno , au mepris du droit des gens; Us ont ete arretes effectivement , mais ce u'est pas a lui qu'ea revient le reproche. Voici leur ecrou : Du l er mai 1816. Mina (Espoz y), general Mina , 54 ans , ne en Espagne , arrete d'ordre de M. le conseiller d'etat prefet de police Angles ; et en note : Le 22 uiai , le general Mina a etc transfere dans une maison de sante.w Du meme jour, le comle de Torreno est ecroue, et le 12 mai il est egalement transfere dans une maison du meme genre. Heureuse la restauration, si elle avail toujours accorde la maison de sante a ses prisonniers po- litiques ! Voici un ecrou qui ne lui fait pas hon- neur : Du 5 juillet 1816. Eutre Bonnaire (ge- neral de division), 45 ans, par suite du jugement a la date du 5 juin, rendu par le l cr Conseil de guerre scant a Paris , qui 1'a condamue a la de- portation , comme coupable : 1 de n'avoir pas reprime le meurlre du colonel Gordon ; 2 d'a- voir viole le droit des gens dans la personne dudit colonel, parlementaire de S M. le roi de France. Ce jugement ordonnait la degradation : on amena le brave Bonnaire sur la place Vendome; la, on lui commanda de s'agenouiller. Je ne le puis , dit-il ; il y a dix ans que je ne sau- DE LA SEINE. 137 rais plier le genou droit , ou j'ai recu un coup de feu. On insista et il repeta doucement : En verile , je ne le puis. Alors des hommes qui portaient de grosses epaulettes, etqui se disaient militaires , se jeterent sur le vieux soldat ; quel- ques-uns lui souleverent les pieds, d'autres ap- puyerent sur ses epaules, je ne sais quel horrible craquement , quel bruit d'os se fit entendre , le general tomba a genoux , mais il ne se releva pas. II olait venu a pied, il i'allut une voiture pour le reconduire a 1'Abbaye. Et le 16 novem- bre 1816, on lisait en marge de son ecrou : Ce jourd'hui , a deux heures apres midi , M. Bon- naire est decede dans sa chambre des suites d'une fievre ailynamique et aussi des blessures qui s'e- taient rouverles. Celte blessure rouverte , c'etail celle du genou droit !... En verile , je vous le dis , pour la jus- lice et pour i'bumanile , ce sont de trisles choses que les prisons et les condamnalions poliliques ! Nous avons vu 68 detenus poliliques sorlir de celte prison , le l er avril 1814 , d'ordre de 1'em- pereur Alexandre. Nous relrouvons sur le m6me reyislre adminislralif une autre trace (lu sejour a Paris des armees etrangeres. Du 1 1 septembre 1815 au 26 Janvier 1816, 192 individus, qua- 138 H1STO1UE DBS PRISONS lifies de'serleurs russes, sont ecroues a Sainle-P6- lagie. Copions le premier de ces ecrous, c'est un monument historique ; esperons que nos neveux n'en auront pas de semblables a enregistrer : Du 11 septembre 1815, Joseff Blocas (suit le signa- lement), deserteur russe, quaranle-six ans , u6 a Varsovie , venant des bureaux militaires de 1'armee russe , a 6le amene en cette maison , en vertu de 1'ordre dont la teneur suit : Le colonel commandant la place de Paris pour sa majeste I'empereur de Russie, aM. le concierge. Monsieur, J'ai 1'honncur de vous envoyer le sieur Joseff Blocas, deserteur russe a votre disposition. Certes , pour des vaiuqueurs, on u'est pas plus poli. Mais etait-ce bien tous des deserleurs russes que ces 192 mililaires? Une trenlaine , comme Joseff Blocas, etaient n6s dans le royaume de Po- logne ; trois ou quatre font consigner a la colonne 'des observations qu'ils sont sujets suisses ou bava- rois. On n'en lit pas motns a celles des sorties , a cote de leur nom , comme a cote de celui des autres, cette formule d'un effrayant laconisme : Cejourd'bui le denomme ci-conlre a ete remis entre les mains de M. N... f capitaine d'etat-ma- DE LA SEINE. 139 jor , d'ordre de M. le colonel commandant la place de Paris , pour S. M. 1'empereur de Russie, lequel en donne recu et decharge. Que sont de- venus ces 192 malheureux que le sol francais ne pouvait alors proteger? La justice niilitaire russe est toujours terrible, et a cette epoque il y avait necessite qu'elle le fut plus quo jamais , autre- ment ils en auraient ramene bien peu dans leur pays de ces soldats dont le baton fait naitre et entretient seul la vocation ! En meme temps que ces deserteurs russes , Sainte-Pelagie recevait les viclimes de la reaction royaliste. Plus de la moitie ne passerent point en jugement, quelques-uns ne virent pas meme la figure d'ua juge d'instruclion ; leur detention preventive n'en dura pas moins trois , quatre ou six mois. Du l er au 16 mai 1816, la pretendue conspiration de Yepingle noire jeta vingt-deux prevenus de loutes classes dans cette prison seu- lement. Au l cr Janvier 1817 s'arrete la permission a nous accordee de relever des ecrous desormais historiques. A partir de celle epoque, nous n'au- rions rien d'authentique a apprendre a nos lec- leurs sur 1'incarceration de prevenus politiques, dont les plus celebres sont les colonels Amoros , tiO HISTOIttE DES PRISONS de Lriqueville , Caron et Fabvier. II semblerait que le reyistre administralif aurait du disparaitre des 1'etablissement du gouvernement constitu- tionnel; il a existe cependant jusqu'en 1831, mais ne recevant plus qu'un bien petit nombre d'ecrotis a de rares intervalles. Sainte-Pelagie n'a pas remplace la Bastille que comme prison d'Etal , elle 1'a remplacee aussi comme prison de gens de lettres, qui y ont en- traine a leur suite les imprimeurs et les libraires. Si le 24 avril 1793 J.-B. Lenormand y 6tait incarcere comme prevenu d'avoir imprime une tragedie de la Mort de Louis XVI , le 10 mars 1816, MM. Beaupre et Bougnot 1'etaient egale- ment comme preveiius d'avoir iniprime et debite des brochures seditieuses, et notamment le Nam tricolore. Excepte dans les temps comme ceux ou Lenormand jouait sa lete , si le tribunal r6volu- tionnaire ne Teut acquitte seize jours apres , je ne connais rien de plus inutilement cruel que 1'incarceration preventive d'imprirneurs et de li- braires auxquels on ne peut reprocher au plus qu'une coinplicite de deiit , et qui ne sauraient disparaitre du jour au lendemain pour en eviter les suites. Lors de la discussion de la loi de 1822 , M. de DE LA SEINE. 141 Serre disait que ce serait faire injure ail gouver- nement du roi de supposer qu'il voulut traiter'les ecrivains politiques comme des volcurs , qu'en attendant qu'on eut dispose pour eux une prison speciale, probablement 1'ancien hotel Bazancourt, le corridor rouge de Sainte-Pelagie (25 cellules) leur serait exclusivement reserve. Cela paraissait assez convenahle , aussi cela n'a-t-il jamais ete execute , et les ecrivains politiques sont encore aujourd'hui , comme sous la Restauration , en assez mauvaise compagnie , bien que le bail- ment neuf ait ete erige en prison politique par arrSte de M. Baude, le 15 fevrier 1851 , avec cette distinction que 1'aile droit serait pour les prevenus, et 1'aile gauche pour les condamnes. On ne se serait pourtant pas compromis beau- coup en temoignantquelquesegards a des coupa bles comme MM. Beranger, Jay, Jouy, Cau- chois Lemaire , Barthelemy, Bert , Lapelouze , P.Duboisel le regrettable Chatelain, pour ne rien dire des successeurs que le gouvernement de Juil- let leur a donnes. On pourrait encore considerer comme prison- niers d'Etat 182 prevenus politiques qui furent amenes a Sainte-Pelagie, sans mandate , dans les journees des 13 et 14 avril 1854 , parce que le U2 HISTOIRE DES PRISONS depdt de la Prefecture et la Conciergerie ^talent si pleins, qu'il etait physiquement impossible d'y en mellre davantage.L'encombrement n'avait pas ete moindre, lors des evenemens de 1852. Le 7 juin , le ministre de 1'interieur avail ordonne le transferement au chateau de Vinccnnes de 150 detenus politiques. M. Moreau-Chrislophe, alors inspecteur des prisons de la Seine , se rendit pres du gouverneurpour s'entendre avec lui surl'exe- cution de cet ordre. La visile des lieux le con- vainquil, au premier coup d'oeil, qu'on avail tellement renforce le personnel et le materiel de la place , qu'il n'y reslail pas uue chambre de dix pieds carres ou placer des prisonniers. II se reliraii done , declarant la chose impossible. Monsieur, lui dil le general Daumesnil, je suis en mesure; je les logerai dans les fosses, et jeleur donnerai pour geoliers deux pieces chargees a milraille. Pour I'honneur du minislre, nous devons ajouler qu'il rejeta energiquement ce petit moyen , reminiscence honteuse du regime des bagnes. Dieu nous garde du gouvernement des traineurs de sabres, puisque les meilleurs d'entre cux entendent de celle facon les affaires. Les detenus politiques resterent done a Sainle- Pelagie , et de grands evenemens y signalerent DE LA SEINE. 143 leur sejour. Deja le 1" avril 1852 , le republi- cain Jacoboeus avail ete tue d'un coup de fusil par un garde municipal. A quelques mois de la, le Carlisle Zanoff se coupa la gorge avec son ra- soir, elcomrae le suicide esl uue folie contagieuse partout, mais surloul en prison, dans la meme semaine deux aulres prevenus essayerent de se pendre el furent sauves par les camarades de chambree. Avec le systeme cellulaire , e'en etait 6fait fait de ces raalheureux. Nous 1'avons dil, les prisonnierspoliliques ne sont pas,quoi qu'on fasse, des prisonniers or- dinaires. Dans I'administration elle-meme, de- puis le rainislre jusqu'au dernier guichelier, nul n'a jamais pu prendre sur soi de les Irailer comme les aulres. Aussi ne se monlra-l-on pas fort diffi- cile quand les prevenus de juin demanderent a recevoir dans leur chambre leur mere , leur so?ur , elc. , el ne veriGa-t-on pas non plus de trop pres le degre de parenle. Les dames ont tou- jours eu un gout tres-prononce pour les hommes politiques , pour les malheureux el les proscrits. Les visiteuses se multiplierent, et tel des pri- sonniers qui n'avait peut-6tre pas eu une aven- ture de sa vie, se trouva un Lovelace, par cela seul qu'il etait a Sainte-Pelagie , et repute 14* HISTOIRE DBS PRISONS conspirateur. Avec le nombre, la quality d6g6- ne>a , et 1'on remarqua cerlaines visiteuses qui , passant de cellule en cellule , se disaient les pa- rentes d'un demi-corridor. Les choses allerent au point que M. le preTet dut prendre un arrete por- tant que, dorenavant , les detenus politiques ne recevraient plus les personnes du sexe qu'au par- loir commun. Dans les considerations de cet ar- rte, on disait , entre autres , qu'il etail rendu dans 1'interet de la santedes prisonniers. Grande rumeur , on peut le croire , au-dedans et au- dehors. Ledimanche suivant, tandis que M. le direc- teur et son 6tat-major entendaient la messe, les deux grilles de bois pesaient egalement aux vi- sites et aux visiteuses , reunis dans le grand parloir. Quand il s'est enivr6 des douceurs du tete-a-tete, 1'amour s'arrange peu d'une conver- sation a haute voix et a deux pieds de distance. Une main , puis deux, puis dix etreignirent , se- couerent convulsivement chacun des malencon- treux barreaux. Les plus pelites forces devien- nent grandes en s'unissant ; sans doute il y cut plus d'un joli gant dechire, plus d'une main mi- gnonne ampoulee; mais enfin la grille tomba du co(6 des dames au me'me moment que de celui DE LA SEINE. 1*5 des hommes. Alorsce furent deshourah, des cris de joie furieuse a reveiller un mort. On s'embrassa, on bouscula ceux des gardiens qui se presente- rent , on prit les dames dans les bras, et on les emporta jusque dans les charabres. Cette fameuse journ^e s'appela Yenlevement des Sabines. Cepen- dant la garde intervint, ilyeutquelques transfe- remens, quelques misesau cachot , et tout rentra dans 1'ordre. II faut un peu de bonne volont6 pour appeler de I'ordre 1'etat des choses a Sainte-P6lagie, tant que les detenus politiques y ont ete accumules en grand nombre. Les gardiens , et generalement tous les employes subalternes, les regrettent peu ; ils preferent les detenus ordinaires , et cela se conceit. Ces derniers ont, en g6ne"ral, le senti- ment de leur degradation morale, et comme ils se m^prisent eux-memes, ils ne trouveut pas trop mauvais qu'on les traite avec m^pris. Les de- tenus politiques , au contraire , ne se sentent pas dgrads ; ils ue regrettent qu'une chose , de n'avoir pas reussi. Le sentiment de la dignito personnelle s'exagere chez eux par la souffrance ; ils deviennent susceptibles , difficiles et quelque- fois injustes. Fondees ou non, leurs plaintes ont du retentissement dans la presse , et 1'adminislra- 10 14 HISTOIRE DES PRISONS lion superieure , qui se (argue de dedaigner la presse, en a toujours souci. Les gardiens et les employes se trouvaient done dans une position nouvelle et fausse ; on leur ordonnait de mainte- nir la discipline, et en me^ine temps on leur re- commandait une douceur , une politesse et des egards qui ne pouvaient etre dans leurs habitudes. II y cut done entre les gardiens et les detenus bien des collisions, bien des querelles, dont quel- ques-unes fussent devenues sanglantes, sans 1'in- tervention des chefs de ceux-ci. Car les deux partis , carlistes et republicans , avaient, a Sainte-Pelagie , des chefs reunis en comits. Les membres du comite carliste portaient des bonnets verts , le rouge etait la couleur des republicans. Ces comites distribuaient des vete- mens, des alimens, du bois, du vin et une solde, pour ainsi dire reguliere. C'est de cette distribu- tion , pi u lot que de leur education superieure, qu'ils tiraient leur autorite , toujours reconnue parmi les carlistes, souvent contestee dans le parti republicain , par suite du grand principe de 1'egalite. Les chefs des deux partis vivaient assez bien entre eux , bien qu'ils s'appelassent r6cipro- quement chouans , vendeens , jacobins , buveurs de sang ; mais souvent ils avaient fort a faire pour DE LA SEINE. 147 empgcher leurs soldats d'en venir au\ mains , el 1' experience put leur apprendre qu'il est plus aise dedechainer le vulgaireque de I'arrfiter, une fois lance. Un autre soin bien honorable les preoccu- pait ; c'elait d'cmpeeher que leurs bomrncs ne se corrompissent par la frequentation des voleurs au milieu desquels on les avail jet6s; aussi les pr6- chaient-ils sans cesse a cet egard. Us firent plus , ils ouvrirent des ecoles et entreprirent de mora- liser les detenus civils. De 1824 a 1851 , le departement de la Seine 4 consacre 787,257 fr. a 1'agrandissement et aux grosses reparations de Sainte-Pelagie. A une epo- que ou les detenus manquaient de tout , ou ils a'avaient que des vetemens de toile en hiver, point de cliauffoirset des infirmeries degoutantes, on a employe la inoi tie de cette somme a batir une chapelle monumentale , laquelle n'a jamais servi et ne servira jamais. Cela parait incroyable, n'est-ce pas ? et cependant la chose est ainsi. l/architecte charge de sa construction , Petail en meme temps de celle de Saint-Lazarre; sans s'oc- cuperle moins du monde de la difference qui pou- vait exister entre les hdtes des deux prisons , il a fait tout uniinent deux fois la m&me chose ; les deux chapelles sont tellement pareilles qu'ou les 1i8 HISTOIRE DES PRISONS dirait coulees dans le me'me moule. C'est le m6me portail a colonnes, le me me agencement de gale- ries et de tribunes, le meme choeur, le me'me au- tel, la metne sacristie. Et ce monument , dont la richesse contrastait si peniblement avec la misere de ceux qui y devaient prier , ou l'est-il alle" placer ? Tout-a-fait en dehors de la maison a la- quelle il ne touche que par le chemin de ronde , snr un terrain achele expres , au milieu des jar- dins voisins. II a travaille avec tant de tact, qu'il a laisse derriere la sacristie trente pieds de long sur huit de large, ou fleurissent a loisir les mau- vaises herbes. C'est au point que le vent ayant ferme Tun des volets , il faudrait escalader les murs pour aller le rouvrir ; il en serait de meme chaque fois qu'on voudrait nettoyer les carraux. Main tenant, vous figurez-vous six cents detenus a la messe , n'ayant entre eux et la liberte que le mur du chemin de ronde ou les faibles barreaux des fen&res de la sacristie ?Depuis tantdt neuf ans que cette belle chapelle est terminee , on ne les y a jamais conduits et probablement on ne les y conduira jamais. ED attendant, cela sert de ma- gasin ; les mousses et agarics devorent les colon- nes toutes neuves. Voila 300,000 francs bien employes. DE LA SEINE. 149 Vis-a-vis de la chapelle , entre deux superbes grilles de fer , qui devaient fermer le chemin de ronde pendant les offices , se trouve un faction- naireauquel il faut donner le mot de passe avant que de penetrer dans 1'escalier qui conduit a la terrasse. Get escalier a cent sept marches. La ter- rasse dallee forme les trois cdtes d'un carr6 ; elle a deux pieds et demi de large , elle est entouree d'une grille de fer a hauteur d'appui , et flanquee de quatre guerites en pierres. On y met une sen- tinelle de jour et deux pendant la nuit ; les fac- tions n'y sont que d'une heure en hiver , et ne laissent pas encore que d'etre fort penibles. La sentinelle doit donner 1'alarme en cas d'incendie, et si elle voit ou entend quelque chose qui lui fasse craindre une evasion ou une attaque du dehors. C'estdu haul de cette terrasse qu'on voit com- bien Sainte-Pelagie est une prison peu sure , en- touree qu'elle est de tous cdtes de vastes jardins et de rues desertes ; il faut me"me y regarder at- tentivement pour distinguer ses constructions de celles de Notre-Dame-de-la-Piti6, dont elles for- maient originairement un annexe. Aussi n'y a-t- on misconstammentque lesprisonniers les moins dangereux, ceux qu'on supposait devoir le moins ISO HISTOIRE DBS PRISONS . hasarder , parce qu'il leur restait le plus a per- dre. Les gardiens , encore 6bahis , montrent avec peine aux visiteurs le point par lequel a eu lieu, le 12 juillet 1835, la fameuse evasion des 28. G'est a Tangle nord-est du bailment , dans uoe cave ou M. Kersausie avail obtenu la permission de mettre une barrique dc biere ; le boyau , dans la cave, avait bait pieds; il etait pratique a deux pieds et demi sculement du sol ; il traversait le chemin deronde, de dix-huit pieds huit pouces, et un mur de deux pieds d'epaisseur , pour de- boucherdans lejardin du n9,rueCopeau. Vingt- huit detenus poliliques , sur quarante-quatre, sa sont evades par la , et tous Tauraient fait sans doute, s'ils 1'avaient voulu. Deux mois apres , le comte de Richmond , qui se disait fils de Louis XVI et s'appelait due de Normandie, suivi de Couderc et de Rossignol, de- tenus dans le pavilion de Test , se procure la cle d'une grille qui separe le rez-de-chaussee d'une petite cour dite cour des Cuisines. Tous trois avaient le chapeau sur la lele, des papiers sous le bras ; Ics voila dans le chemin de ronde , le fac- tionnaire leur demande ou ils vont : a Vous ne me connaissez done pas? repondM. de Richmond; DE LA SEINE. 151 je suis le directeur. Laissez passer ces messieurs : celui-ci est mon greffier et I'autre 1'architecte. La-dessus le factionoaire reprend sa promenade au pas ordinaire , M. de Richmond ouvre uno petite porte qui donnait dans la rue , et les trois detenus s'en vont en plein jour, le plus tranquil- lement du monde. Pour etre juste , il faut dire que, le Icndemain , cette petite porte fut muree, comme aussi qu'on a construit de fort beaux ou- vrages en briques dans la cave dite de Kersausie, le lendemain de Invasion des 28. Sainte-P6lagie , formee , comme nous 1'avons dit, des batimens de 1'ancien couvent et de cons- tructions qu'a difierentes epoques on ya ajoutees pour les rendre moins impropres a leur nouvelle destination , se divise en trois grandes sections ayaut chacune soupreau, son cbauffbir, et isolees entre elles au moyen de portes et de grilles d'une force suffisante. Ges trois sections sont appelees : le batiment de 1'Est , le bat i men t de 1'ancienne Dette, et le batiment Neuf. II y a du choix par- tout, meme en prison : le dernier de ces batimens est preferable aux deux autres, et Ton est moins mal encore daus le second que dans le premier. Le ehiffre des ecrous s'est eleve , en 1838, a 2,675. et eelui des sortie9a2,653. Le maximum 152 HISTOIRE DBS PRISONS de population a etc , sur dix annees , de 730 , le minimum de 98. Ce sont la de rares exceptions. En general , Sainte-Pelagie renferme de 430 a 450 detenus. Le premier jour ou nous 1'avons visitees (19 septembre 1838), il y en avait 424 qui se divisaient ainsi : Condamnes a la reclusion 2 a plus d'un an de prison. . . 21 a un an 116 a moins d'un an 174 a des peines de simple police. . 4 Prevenus. . 80 Debiteurs envers 1'Etat 27 Total egal. . 424 Ces deux condamnes a la reclusion, et ces 21 condamnes a plus d'un an de prison , auraient du, aux termes des reglemens et ordonnances, tre transferes dansune maison centrale* Ce n'est done que par une faveur speciale de 1'administra- tion qu'ils ont obtenu de faire leur temps dans 1'une des prisons de la Seine. Mais comme leur entretien se trouve a la charge , non plus du de- partement, mais de 1'Etat, une des conditions de cette faveur , c'est qu'ils deposent par mois et d'avance , entre les mains du directeur , les frais DE LA SEINE. 153 de cet entretien , fixes a 61 centimes par jour. Les debiteurs de 1'Etat sont ceux qui n'ont pu ou n'ont pas voulu s'acquitter des amendes pro- noncees centre eux par les Tribunaux , ou payer les frais auxquels ils ont etc condamnes pour toutes sortes de delits , et surtout pour ceux contre les lois des Droits-Reunis et de TOctroi. A part quelques cas exceptionnels et que 1'adminis- tration serait, sans doute, la premiere a d6plorer, on doit dire qu'elle se montre creanciere miseri- cordieuse, et qu'en general elle ne jette guereen prison que des creanciers iteratifs ou demauvaise foi. Parmi ceux-ci nous avons remarque les sieurs Joyeux et Jeannin , condamnes , 1'un a 40,000, 1'autre a 14,000 fr. d'amende, pour delit habi- tuel d'usure.' Sur leur demande de s'entretenir a leurs frais, on Jes avait d'abord mis a Clichy; mais la volonte de payer ne leur 6tanl pas venue dans une maison d'un regime aussi doux, on les a, au bout d'un an, transferes a Sainte-Pelagie. Les condamnes a des peines de simple police ou a un emprisonnement n'exc^dant pas cinq jours occupent une grande salle speciale, dite Salle des Conductors, parce qu'elle re^ut, a peine terminee, une quarantine de conducteurs et facteurs de messageries, pour faits de coalition. On L'appelle 154 HISTOIRE DES PRISONS encore Salle des Boulangers , parce que ses hdtes les plus ordinaires son t des boulangers ayan t veudu a faux poids ou avec de fausses balances. Nos 424 detenus se divisent , pour la nourri- ture, en 202 travailleurs et 222 oisifs. Sur 424 detenus, notons encore que 105seulement etaient pistoliers, c'est-a-dire que, ne se contentant pas du mobilier fourni gratis par l'administration,ils le complctaient en lui louant certains objets au prix d'un tarif que nousavons precedemment fait connatlre dans notre chapitre sur Clichy. Les pre>enus paient leur pistole par dixaine de jours et les condamues par mois et toujours d'avance. Les couchers a Sainte-Pelagie ne sont pas uni- formesj on y voit un quart de lits de fer, un quart de lits de sangles , et la moitie de grosses cou- chettes en bois qui, peut-elre, existaient deja du temps des Filles-Repenties. C'est le moment de parler d'un industriel , fort peu connu dans le nionde, sans doute, mais tres utiledans nos pri- sons , d'un destructeur de punaises , lequel recoil 1,200 francs par an pour purger les prisons de la Seine de ces h&tes incommodes. Quels que soient les moycns qu'il emploie et dont il s'est reserv fe secret, constatons que ses travaux ont et6 jus- qw'ici couronn^s d'un succea complet. DELA SEINE. 155 Puisque nous en sommes aux choses de la pro- prete, n'oublions pas un personnage bien autrc- ment important , le barbier de Sainte-Pelagie , lequel, moyennant 120 fr. par an, doit faire la barbe une fois par semaine a chaque detenu. Si nous multiplions par 52 , nombre des seniaines, 450 que nous avons pris pour moyenne de la population, nous trouverons que cet entrepreneur doit , pour 120 fr. , faire 23,400 barbes , soit 234 barbes pour 24 sous, ou une barbe pour un peu plus d'un demi-centime , le tout en four- nissant le rasoir, la brosse, le bassin, le savon et la serviette. Les detenus sont appeles un a un dans une chambre ad hoc, et toujoursen presence d'un gar- dien , pour empe'cher qu'un prisonnier de mau- vaise humeur ne cherche a s'eraparer du rasoir, et veiller en meme temps a ce que maitre Figaro n'ait pas la languetroplongue. Ce n'estpas qu'on pousse la rigueur jusqu'a vouloir l'empcher de parler, mais on exige qu'il ne disc que des choses insignifiantes. Ainsi, il lui est notamment perrais de raconter a chaque nouveau venu 1'histoire de Pelisson. Volant enlrer dans son cachot un mon- sieur qui le saluait jusqu'a terre : Qui e" tes-vous. monsieur? Je suis le barbier de la Bastille. 156 HISTOIRE DBS PRISONS Parbleu ! mon ami, vous devriez bien la raser. Maitre Figaro vit trois cent soixantc-ciiiq jours dans 1'annee avec cette seule histoire , et serait cependant bien fache que quelqu'un rasat Sainte- Pelagie, ou il fait encore d'assez bonnes affaires, malgre 1'exiguite de ses appointemens. D'abord, la coupe des eheveux se paie a part, ainsi que les barbes extra dans la semaine, ensuite il debite un petit assortment deparfumeries. II y a dans toutes les prisons certains iudividus qui tiennent a etre toujours frisks et pommades com me des femmes. Ceux-la surtout sont d'excellenles pratiques pour le barbier administratif. Le travail est la condition naturellede I 'bom me, condition anterieure a toutes conventions sociales et , par une admirable dispensation de la provi- dence, en meme temps que rhomme trouve dans le travail le pain de chaque jour , il y trouve la sante du corps et le calme de 1'esprit. Aussi 1'in- troduction du travail dans nos prisons a-t-elle fait plus pour 1'amelioration physique et morale des detenus, que le poids des chaines et les ob- servances rigoureusement devotes , dont on les accablait auparavant; Nagueres encore, les con- damned a la prison pourmoins desixmois, etaient exempts de tout travail, comme ne pouvant ap- DE LA SEINE. 157 prendre un etat dans un temps aussi court ; au- jourd'hui Ponyastreinttousceuxqui ont encouru une condamnation a plus de 15 jours. Les pre- renus sont admis, quand ils le veulent , dans les ateliers, mais ils ne sont pas forces de s'y rendre; effectiveraent la societe n'a encore d'autres droits sur eux que celui de les priver de leur liberte, pour qu'ensuite ils n'echappent pas a sa vindicte. Ainsi que M. Thiers Pa dit a la tribune en 1854, opposant, sur ce point, la conduite du gouverne- ment de juillet a celle du gouvernement de la restauration, on n'exige aucun travail des prison- niers politiques. ,~ f ;,.< Malheurcuseroent la necessite de reunir les tra- vailleurs dans un nombre limile de salles , dont chacune est surveillee par un gardien , n'a pas permis d'admettre une grande diversity de pro- fessions et a force de rejeter toutes celles qui ne peuvent s'exercer que dans de grands locaux. Nous avons trouve a Sainte-Pelagie , deux ateliers de chaussonniers en tresses, un de claqueurs ou se- meleursde chaussons, un detailleurs d'habits, un de coloristes en gravures, un de fabricant de tentes de campement et de porte-manteaux , enfin , ce qu'on aura peine acroire, un atelier d'armuriers. Ce n'etait la qu'un essai auquel on a bientdt re- 15K HISTOIRE DES PRISONS nonce. II s'agissait de rcparer et de fourbir dans les prisons les armes de la garde nationale. On s'etait des 1'abord oppose a 1'introduction des baionnettes, on supprima ensuite la balterie, puis le tonnerre, enfin la permission ayant etc bornee a la reparation des bois et an polissage des ca- nons, 1'entrepreneur dut y renoncer. Les ateliers, ouverts douze heures par jour, son* chauffes et eclaires pendant la semaine aux frais de 1'entrepreneur des travaux, etledimanche a ceux de 1'administration, parce que ce jour-la ils ne resolvent, non plus que la chapelle, qu'un petit nornbre d'hommes de bonne volonte Le di- mancbe est le jour ou la discipline est le plus dif- ficile a raaintenir , parce que c'est le jour de la paie. Tous les detenus travaillent a leurs pieces, ils ont done interet a deployer de 1'activite et du zele.La moyenne du prix de journee est de 1 f. 50 c. Sur le produit de la semaine, un tiers est compte chaque dimanche au detenu, un second tiers s'a- joute a la masse qui lui sera remise a sa sortie sans int&reis, et le troisieme appartient a 1'entre- preneur general des travaux. C'est ce troisieme tiers , dans le produit des travaux de toutes les prisons de la Seine, qui a etc adjuge a MM. Foulon et compagnie jusqu'au l er novembre 1859 , pour DE LA SEINE. 15* la somme dc 56,104 fr. II y avait lieu de croire que I'administration obtiendrait des conditions infiniment plus avantageuses dans un nouveau bail , depuis que celui-ci avait ete consenti en 1853, Ic travaux ayant acquis plus if importance etde perfection. Cependant elle vient de contrac- ter au prix de 42,000 fr. seulement. La paie n'est pas le seul avantage que la fre- quent a lion de 1'atelier procure au detenu. Dans la prison , il y a Irois regimes sous le rapport de 1'alimentation : vivres de non travailleurs, vivres de travailleurs , et vivres d'infirmerie. Les pre- miers consistent invariablement en deux tiers de litre de bouillon maigre. Les seconds, cinq jours par semaiiie, en un demi-litre de bouillon maigre etun tiers de litre de legumes fricasses,et les deux autres jours, en un demi-litre de bouillon graset quatre onces debceuf bouilli, sans os.Les troisiemes consistent dans les vivres gras tousles jours, avec cet avantage que les malades a la demi-portion refoivent en exchange de 1'autre moitie" des oaufs, des pruneaux , ou des legumes frais, et un quart de litre de vin des que le medecin le permet. Ces vivres content par jour et par homme : pour I'infirmerie , 57 centimes; pour les travailleurs 15 centimes ; et poor les non travailleurs 8 ecu- 160 HISTOIRE DBS PRISONS times. II y a pour les preparer et les dresser un chef dans chaque prison , aux gages de M. Mi- gnot, qui en a soumissionne la fourniture g6ne- rale jusqu'en 1840. Mignot! Jugez si les plus lettres des detenus se font faute de citer les deux vers du diner de Boileau; a coup sur, il n'y en a pas dans toute noire litterature qui soient plus sou vent repetes que ceux-la. Et cependant 1'ad- ministralion estfort contente, elle, deM. Mignot, qui de son cote atrouve moyen de n'y pas perdre avec ses diners a 7 sous, a trois sous et a 6 Hards. Ce que c'est que de travailler en grand , que de mettre tous les jours la marmite pour 4, 200 con- sommateurs obliges! Outre les fournitures de M. Mignot, les detenus regoivent chaque jour, a leur choix, un pain bis d'une livre et demie, ou un pain blanc d'une livre. Ges deux pains sonl cuits de la veille et d'excellente qualite. Les infirmeries, naguere encore si d^plorables a Sainte-Pelagie , viennent de subir de notables ameliorations. Nous y ayons vu deux salles qui rappellent les plus belles de Saint-Lazarre ; on se dispose a en ouvrir incessamment une troi- sieme, exclusivement destinee aux prevenus et condamnes politiques. Le medecin en chef est M. Pinel , seconde par deux adjoints et un infir- DE LA SEINE. 161 mier-pharmacien. Nous n'avons trouve que 13 maladessur 424 detenus ; on n'avait constate 1'an- nee precedente que 7 deces, dont trois naturels. Eneas d'epidemie, ou pour les maladies chirurgi- cales , on evacue de Sainte-Pelagie sur I'hopital de la Pilie. N'oublions pas de menlionner une salle de bains et des baignoires modeles. Au commencement del'liiver dernier, iln'exis- tait a Ste-Pelagie que deux chauffoirs tout a fait insuffisans ; aujourd'hui il y en a trois pouvant contenir chacun 60 a 80 personnes. La necessite d'utiliser les anciens batimens tels qu'ils se com- porfaient n'a permis d'etablir pour la nuit ni le systcme des dortoirs , ni celui des cellules ; les detenus sont loges dans des chambres , depuis 3 jusqu'a 7, suivant qu'elles se trouvent plus ou moins grandes. Get elat de choses , commode sous le rapport de la garde des prisonniers , est deplorable sous celui de la surveillance morale. Pour adoucir leur position sous le rapport ali- mentaire (les condamnes ne peuvent recevoir du dehors que 2 fr. 50 c. , et les prevenus que 7 ou 8 fr. par semaine) ; les prevenus peuvent se faire servir du dehors , et les condamnes acheter a la cantine des objets vendus pour le compte de 1'ad- ministration , doot la qualite est saine et le prix U 169 H1STOIRE DES PRISONS moius eleve qu'il ne le serait partout ailleurs. II y a encore a Sainte-Pelagie un abus , reform^ a Clichy : nous voulons parier des petits fourneaux portatifs sur lesquels on tolere que les prisonniers preparent leurs alimens. C'est une cause de mal- proprete et de mauvaise odeur dans les corri- dors , et en outre c'est un moyen d'asphyxie. Sur 424 detenus il y en avail 7 recommandes pour dettes et qui a 1'expiration de leur peine ou de leur prevention devront etre tranferes a Cli- chy. Cependant , il n'est pas sans exemple que quelques-uns aient demande a rester a Sainte- Pelagie , et alors ils y jouissent des 50 fr. d'ali- mens que leur alloue la loi de 1852. Le personnel de Sainte - Pelagic se compose de: 1 directeur aux appointemens de 4,000 fr. 1 grcffier 1,800 1 commis-greffier 1,200 1 agent des travanx 1,500 1 brigadier 1,400 9 surveillans, chacun 1,200 3 garcons de service, chacun 900 3 commissionnaires agrees Neant. 1 fouilleuse 400 1 medecin en chef 700 DE LA SEINE. 163 2 medecins adjoints Noant 1 infirmier-pharmacien 1,100 1 aumdnier 1,000 1 lingere 600 1 cantinier 1,000 1 barbier 120 8 detenus dits auxiliaires, chacun 72 La force de Ste-Pelagie consiste en cinquante hommes , officier et tambour compris , et divises en trois corps-de-garde. C'est , pour nous resu- mer, une prison mal situee, peu sure, ou Ton a depense inutilement de grandes sommes , et que tot ou tard il faudra transporter ailleurs. Le re- gime y est assez doux , mais 1'arbitraire y parait occuper plus de place que le reglement , et la bienveillance plus que la justice. Les detenus , dont quefques-uns se plaignent des caprices du directeur, sont unanimes pour louer son bon C03ur et sa haute probite. II fait generalement bien , et ferait rnieux encore s'il savait etre ou si on voulait le laisser etre un plus peu le maltrc dans cette importante maison. DE LA SEINE. 165 CHAPITRE V. La CoDciergerie, maison de justice. Pour ceux qui ne s'occupent que des mots , tonciergerie vient de custodia , comme concierge de custos. 6n n'est guere plus avance quand les dic- tionnaires vous ont donne cette explication laco- nique , et Ton ii'en 0009011 pas beaucoup plus claircment pourquoi Tune des prisons de Paris porte , a 1'exclusion des autres , ce nom de Con- ciergerie. Heureusement , 1'histoire est , a cet egard, plus explicite que 1'art incertain des ety- mologistes. Le anciennes maisons royales avaient toutes , sans exception , deux appendices obliges : une eglise et une prison. Pour le Palais, l'6glise, c'est la Sainte-Chapelle ; la prison , c'est la Concier- gerie. Chaque maison royale avail son capitaine, ou gouverneur, appele concierge ou commentaire, lequel instituait un 6ai7/ pour administrer la jus- tice en son nom. Au premier rang de ses fonc- tions se trouvait la garde des prison niors royauv . 166 HLSTOIRE DBS PRISONS il avail pour les loger dans 1'interieur du palais des ceps ou prisons, et, comme il y habitait lui- meme , cette partie des batimens s'est naturelle- ment appelee la Conciergerie. La Conciergerie est dans Yancienne cour du Pa- lais, au lieu qu'avait occupe auparavant le jardin du roi, lequel s'appelait legrandpre'au (pre'au dimi- nutif de pre ) , d'ou le nom de preau donne dans toute la France au promenoir des prisonniers. Dans la suite, le jardin royal fut transporte SUF 1'autre bras de la Seine, et le jardin particulier du prefet de police ( quai des Orfevres , entre la rue de Jerusalem et la caserne des pompiers ) , est le dernier vestige de celui qu'avait plante Hugues- Capet. Avec le temps , le concierge du Palais devint un trop grand personnage pourhabiter une prison. On lui construisit le lieu appele de son nouveau titre, VHolel du bailliage, autrefois hotel de la Cour des comptes. Quand le bailli occupa personnelle- ment cet hotel, il continua de garder a la Con- ciergerie les prisonniers confies a sa surveillance, c'e&t-a-dire les prisonniers de la juridiction du Palais et ceux qui devaient etre juges au crimi- nel par le Parlement. Dela vientque la Concier- gerie est quelquefois appelee prtsonduParlement. DE LA SEINE. 167 Le concierge du Palais etail un juge royal. Sous la premiere et Ja secoude race de nos rois , ia justice etait readue daas le Palais parle maitre ou maire du Palais. Eu 988 cet office fut exerce, quant a la justice dans le Palais, sous le litre de concierge du Palais , avec moyenne et basse jus- tice, dont le territoire etait peuetendu. Philippe- Auguste , par lettres-patentes de 1'an 1202, y ajouta le faubourg Saint-Jacques , Notre-Dame- des-Champs et le fief royal de Saint- Andre. En 1 548 , le concierge prit le litre officiel de bailii , mais dans la pratique ou reunit les deux noras et on 1'appela le concierge-bailli. Des per- sonuages de la plus haute distinclion ont occupe ces fonctions , enlr'autres Philippe de Savoisy et Juvenal des Ursins. ED 1412 , la reine tint la Conciergerieenses mains, le roi lui en avail t fait don , et sur I'empechement qui lui fut fait a ce sujet par le procureur- general, disant que entre mari et femme donation ne vaut, elle repondil que cette loi n'avait pas lieu pour elle ; etde fait deux arriHs furent rendus en ce sens le 29 juil- let 1412 et 22 mai 1415. Jacques Coictier, le farneux inedecin de Louis XI est le premier qui ait reuni les fonctions du bailii a celles du concierge du palais. Son maitre. qui 168 HISTOIRE DBS PRISONS tremblait devant lui, 1'y avait nomine en septem- bre 1482. Toutefois , le Parleraent n'enregistra les lettres-patentes que le 10 Janvier suivant, et avec la formule du commandement expres du rot plusieurs fois reitere. (De expresso maudalo domini noslri regis, pluribus et iteratis vicibus facto. ) Des lettres-patentcs de Charles V, regent pour le roi Jean, datecs de Janvier 1558, fixent les attributions du concierge du Palais et lui confe- rent diflerens droits singuliers , entre autres la justice sur les auvens ou petites boutiques ados- sees aux murs du Palais ; des cens ct rentes sur plusieurs maisons ; le droit de donner et oter les places aux raerciers qui vendent dans les allees de la Mercerie et en haut et en has du Palais , et les lettres lui permettent d'en recevoir un present une fois Tan. Toutefois, les marchands se refu- serent au paiement de celte taxe indirecte , et le Parlement leur donna gain de cause chaque fois que le concierge voulut arguer de son droit. Quand on fesait un nouveau boucher en la bou- cberie du Chatelet , le concierge devait avoir, a cause de sa Conciergerie , trente livres et demie , la moilie d'un quarteron et la moitie de demi- quarteron pesant de chair, moitie boeuf et moiti6 pore ; la moitie d'un chapon plum6 , demi-setier DE LA SEINE. 169 de vin et deux gateaux ; et celui qui les allait chercher devait donner deux deniers au chanteur qui etait en la salle des touchers. Lorsque le concierge du Palais ecrivait a Gonesse pour faire venir du ble et autres choses au grenier du roi . les ecorcheurs de la boucherie de Paris etaient tenus de porter ou envoyer ses lettres a leurs frais , sous peine d'amcnde. La juridiction de la conciergerie , ou bailliage du Palais , se composait d'uo bailli d'epee , un lieutenant-general , un procureur du roi , uo greffier et plusieurs huissiers ; les avocats et pro- cureurs au Parlement y plaidaient et occupaient. II n'existe dans Dulaure rien qui puisse servir a 1'hisloire monunienlale de la Couciergerie. F6- .libien , que Dulaure a copie si souvent sans le tropcoraprendre, secontente de dire que la Con- ciergerie occupait une partie de ce qui avail 6te autrefois les cuisines du palais de nos rois, et qu'on trouvait encore dans ses anciens cachots des vestiges d'anciennes cheminees , telles qu'il en existait dans les maisons royales. Effective- ment, dans le Depot Judiciaire ( Souriciere du Palais ) , on a r^pare , en 1830 , une grande che- minee que le gardien salari6 des huissiers montre aux visiteurs sous \eaomdechemineede saint Louis. 170 HISTOIRE DES PRISONS Felibien doune encore le nom de tour de Mont- gomery a la premiere tour sur le quai . touchant presque la boutique de 1'ingenieur Chevalier , laquelle s'est appel^e successivement tour de Ra- vaillac et de Damiens, et sert aujourd'hui , ainsi que nous le verrons, de chauffoir aux prisonniers. Quant aux reparations architecturales de la Cou- ciergerie, nous ne savous que deux choses : 1 qu'en 1776 elle fut enveloppee partiellement dans 1'incendie general du Palais, et recoostruite en 1779. Louis XVI, qui rendit a celte occasion one ordonnanceou se denote, a chaque phrase, la belle ame de Turgot, ne se doutait guere, en ame- liorant la demeure des pauvre prisonniers, qu'il preparaitle futurlogemenld'une reine de France, d'une archiduchesse d'Autriche ; 2 que de 1828 a 1829 les grosses reparations de la Couciergerie ont coute 348,550 fr. Quant au gouvernement de cette importante prison, nous nous sommes minutieusement assure qu'il n'y a rien qui y ait trail dans la fameuse collection Lamoignon. Pour ce qui est de la partie economiquc, les arrets du Parlement, dans 1'af- faire de Jehan Chastel, nous fournissent deux documens qui ne sont pas sans quelque valeur. Jehan Lebel , escholier de Clermont, ust condamne DE LA SEINE. 171 (le 10 jaovier 1595) , a un bannissement perpe- tuel, et ses biens confisques au roi , sur lesquels seront pris prealablement 100 ecus au soletl , applicables aux reparations necessaires en la con- ciergerie du Palais. Un autre arrt du meme jour condamne Jean Gueret , prStre jesuite , ancien precepteur dudit Chastel , en un bannissement perpetuel , plus en 2,000 ecus d'amende envers le roi , applicables a 1'acquit, et pour la fouruiture du pain des pri- sonniers de la Conciergerie. Eufin, comme sujet de rapprochemens avec les tableaux statistiques que nous donnerons plus tard , OD ne lira pas sans interet ce que le phi- lanthrope anglais Howard dit de la Conciergerie, dans son excellent livre des Prisons de France. Elle a une cour bien aeree , longue de 105 pieds sur 114 de large. 11 y a une belle place, les cachots y sont obscurs et infects. On y a construit une nouyelle iufirmerie, avec deslits quinerecoiventchacunqu'un malade. II y avail one chambre de torture qu'on ne retrouveplus. Les prisonniers y paraissent tranquilles et calmes. II y avail en cette prison , en 1776 , 99 hommes et 22 femmes sur la paille ; 15 homines et 14 femmes dans riufirmerie; 25- 172 HISTOIRE DES PRISONS i> hommes dans les cachots et 29 qui payaient leur chambre; en tout 222 prisonniers. En mai 1785, il y avail 126 hommes sur la paille , 18 a 1'in- firmerie, 16 dans les cachots, 22 dans les cham- bresqu'on paie ; en tout 182 prisonniers. II en est qui paient 45 livres par mois pour leur cbambre, d'autres 22 livres, d'autres 8 li- ft vres. Bien que 1'existence de la Conciergerie, comme prison, soit incontestable , a compter du dixieme siecle, le plus ancien registre conserve part de 1500, c'est-a-dire de la troisieme annee du regne de Louis XII. Le 25 juin 1827, depot fut fait aux archives de la Prefecture de police de 145 regis- tres d'ecrous in-folio , et de 10 plus petits allant ensemble de 1500 a 1787. Depuis la Revolution de Juillet , depot fut fait de 25 autres registres allant de 1787 au 10 avril 1826, et comprenant entre autres tous les Serous du Tribunal revolu- tionnaire , avec mention a la marge de la con- damnation et de 1' execution. * . Malheureusementcette collection, unique peut- Stre au monde , 6tait dans un pitoyable etat de degradation , surtout pour la p6riode revolu- tionnaire. Sur 1'ordre de M. Delessert , on a plonge tous ces regislres dans une dissolution DE LA SEINE. 173 mercurielle ; on les a renfermes dans des cartons fails expres , et il est a esperer qu'on pourra du moins les conserver tels qu'ils sont. Evidemment, ces registres offrent de deplorables lacunes ; ainsi le premier commencant en 1500 et le second en 1506, le troisieme ne commence qu'en 1552, et le quatrieme en 1564. Les suivans presentent plus de regularite ; ils commencent en 1569, 1572, 1573, 1583,1584, 1586, etc. Nous verrons plus tard que ceux de la periode r6volu- tionnaire laissent pareillement des lacunes , non pas peut-etre de registres entiers, mais d'ecrous individuels, que probablement on ne pourra ja- mais combier. Les plus anciens de ces registres sont pour ainsi dire perdus pour Phistoire a laquelle ils auraient offert Dependant de precieux documens , parce qu'ils sont ecrits d'une ecriture de fantaisie, n'ap- parteuanl a aucune epoque, a aucun systeme. A grand'peine allons-nous donneni^i 1'ecrou de Ra vaillac et la copie de son arr6t ; encore *e le pou\ons-nous faire qu'en les rapprochant deceux de Jehan Chastel et les comparant mot a mot a ceux de Damiens, Merits decettemagniflque Ven- ture coulee qui fit la glbire des Rossignol et des Saint-Omer. 174 U1STOIRE DBS PRISONS Du samedy 16 mai 1610. Francois Ravaillac, praticien ' , natif d'An- gouiesme, amene prisonnier par M.Joachim de Bellangeville, chevalier (unmot illisible}, prevost de 1'hostel du roy et grand-prevost de France par le commandement du roi pour 1'inhumain parricide par lui commis sur la personne du roy Henry quatrieme. En regard a la marge, il est 6crit : 4^jlO7vi OKJDONNANCE. * Condamne faire amende honorable devant la principale eglise de Paris , ou il sera men6 et conduit dans ung tombereau : la, nrtrd en che- mise, tenant une torche ardente rfu poids de deux livres , dire et declarer que , malheureu- sement et proditoirement, it a commis ledit tres meschant , tres abominable et tres detestable parricide, et tue ledit seigneur roy dedeux coups de cousteau dans le corps : dont se repend , deniaiide pardon a Dieu, au roy et a justice; de 3KJOV- 1 Praticien veut dire ici. agent d'affaires ou clerc de pro- cureur. Bien que cette qaalite soit donnee a Ravaillac royaume, avec deffenses d'y revenir jamais , a peine d'estre pcndus ct estranglez sans autre forme, ni figure de proces. A fait deffenses a ses freres , soeurs , oncles et autres porter cy- apres ledit nom de Ravaillac ; leur enjoint le changer en autre sur les memes peines. Et au substitut du procureur-general du roy , faire publier et executer le present arrest a peine de s'en prcndre a lui; et, avantl'execution d'iceluy Ravaillac, ordonne qu'il sera de rechef applique x> a la question , pour la revelation de ses com- plices. Prononce et execute le 27 e may 1610. Signe VOYSIN. N'oublions pas de mentionnerunecirconstance qui a donne beaucoup a penser aux hisloriens du temps, c'est-a-dire aux faiseurs de memoires. Le crime de Ravaillac est du 44 mai 1610 , et son ecrou n'est que du 16; il avail passe deux jours a I'hdtel de Retz, sous la garde du grand-prevot, et pendant ces deux jours cbacun put le voir li- hrement et lui parler. Voici un autre fait qui sc rapporte singulie- remeat a notre sujet. On lit dans la collection impropreraent appelee Memoires de Conde, to- me 6 : DE LA SEINE. 177 Leurs majestez avaient resolu ensemble de faire donner la liberte a tous prisonniers, entre le jour du couronnement (de Marie de Medicis) et celui de 1'entree (a Paris) , non-seulement a ceux des prisons communes, mais a ceux de la Bastille. Pour les prisons communes, le roi en avail donue la charge aux maistres des re- wquestes; pour ceux de la Bastille, it en voulait lui-mme deliberer sur les lieux a 1' Arsenal. La formule que nous venons de donner pour 1'ecrou et 1'acle d'execution de Ravaillac parait avoir ete consacree par Fusage pour tous les cas de regicide, on la retrouve presque identiquement la meme, sauf 1'orthographe, pour Jehan Chaste et pour Robert-Francois Damiens. II y a cepen- dant cetle difference que 1'arret du 10 Janvier 1595, qui condamne Jean Gueret , jesuite ; Alexandra Haius, idem, au banuissement perpe- tuel ; Pierre Chastel (le pere) a un bannissement de neuf ans de France , et a perpetuite de Paris et ses faubourgs , et qui renvoie de la plaintc Denise Hazard , mere de Jehan Chastel , femme decelui-ci; Magdeleine Chastel, sa sceur, lillea marier; Antoine de Villiers et Pierre Roussel , leursserviteurs; Simontte Turin ct Louise Camus, filles a marier, leurs servantes ; MM. Claude 12 178 H1STOIHE DBS PRISONS 1' Alternant , Jacques Bernard et Lucas Morin , prelres de Saint-Pierre-des-Arcis, ne fait aucune inhibition aux membres de la faniille de Jehan Chastel de porter ce nom a 1'avenir. L'ecrou de Damiens a cela de particulier qu'il decrit son costume au moment de 1'arrestation : Lesdites hardes consistant en un habit de dro- guet d'Angleterre , petit-gris , double de serge , une veste rouge de velours de gueux , doublee en serge blanche , une culotte de panne cramoisie , doublee de peau, une paire de has de laine petit- gris , une paire de souliers , et une chemise de toile d'Alencon garnie en batiste. Encore un mot , et nous en aurons fini avec les regicides. Le troisieme interrogatoire de Ra- vaillac devant MM. du Parlement est signe d'une main ferme RAVAILLAC , et dans le paraphe ce malheureux a ajoute : Que toujours dans mon coeur, Jesus soil le vainqueur. Les proces-verbaux d'execution de Chastel , de Ravaillac et de Damiens presentent des details plus epouvanlables encore que leurs arr6ts de condamnation. De nos jours , quelques insens6s ont demande le retour a de semblables barbaries, DE LA SEINE. 179 croyant qoe Peffroi du supplice serait propre a pr6venirlesattentats centre lapersonne du souve- rain. A ceux-la, nous repondrons que ces ignobles atrocites deshonorent la legislation et la civilisa- tion d'un pays sans atteindre le but qu'elles sem- blent se proposer. En effet, le crime de Ravaillac avail 6te precede de huit attentats contre la vie de Henri IV ; et des huit assassins , six avaient peri an milieu des plus epouvantables supplices. DE LA SEINE. CHAPITRE VI. La Couciergerie, periode r6volutionnaire. Deux registres speciaux , le premier entiere- meot plein el le second aux trois quarts seule- ment , contieiment les noms des prisonniers de la Conciergerie juges par le Tribunal Extraordinaire, qui prit depuis le litre plus franc de Tribunal Rt- volutionnaire. Le premier de ces registres ne com- mence pas avec la periods revolutionnaire , car il porte a la premiere page : Registre contenant 320 feuillets cottes et paraphes par nous Jean- Antoine Lavau , president de la seconde section du tribunal criminel extraordinaire, le premier novembre 1792. Or, des le 26 aout on execu- tait Louis -David Collenot , dit d'Angremont, c.ondamne a inert par ledit tribunal pour crime d'embauchage. Le premier ecrou est dat6 du 8 novembre , il se rapporte a un nomme Jean Fournel , arr6t6 la veille sous le noui de Francois Chandelle, a la re- qu^te du citoyen Le Bois, directeur du jury d'ac- cusation... Malheureusemenf le reste de 1'ecrou 1 HISTOIRK DES PRISONS a 6t6 devor6 par les rats ainsi que la partie infe- rieure des 60 premiers fcuillets, ce qui rend plus ou moins illisibles un nombre double d'ecrous , parmi lesquels celui de Marie- Antoinette au feuil- let 25. Le second ecrou , celui du norame Tessot, gar- on limonadier , a lieu le 9 novembre , a la re- quite du e&tnmissaire national pws le directoire du JURE tTaccu&tttion. Au troisieme feuillet (il n*y a qu'un numero pour cbaque feuille , folio et verso] , le registre est tout-a-coup interrompu apres un 6crou du 28 novembre 1792. Dans cette premiere partie quel- ques ecrous portent en marge mention de la mise en liberte , quelques autres de renvoi des accuses devant les tribunaux d'Orleans , de Versailles , etc. , d'autres en petit nombre, de condamnation a six heures d'exposition et aux Fers , pour six , huit et vingt ans ; pas une seule condamnation a mort. Aussi pensa-t-on que ce premier tribunal ne fonctionnait que mollement, et trouvons-nous au cinquieme feuillet un nouvel EN TETE : Registre coatenaot 315 feuillets pour servir au concierge de la Couciergerie a Teffet d'y enregistrer les prisonniers qui doivent etre ju ges par le tribunal criminel extraordinaire et DE LA SEINE. 183 revolutionnaire etabli par la loi du 10 mars 1793 , I' an deuxieme de la republique , ious lesquels feuillets out ete cottes et paraphes par nous Jacques-Bernard-Marie Montane , presi- dent, fait en la chambre du coiiseil, au Palais, a Paris , le 18 mars 1795, 1'an deuxieme de la republique. Des ce moment le tribunal revolutionnaire n'a plus que deux sentences , 1'acquitteinent ou la aiort. I ne seule fois , il a prononce une peine raoindre, en faveur du Fiomnie Sainte - Marie , age de 14 ans , condamn6 le 26 messidor an 11 , a six heures d 'ex posit ion et a 10 ans de detention corame complice de la pretendue conspiration des prisons . Nous verrons dans la suite qu'il ne s'est pas toujours montr6 si indulgent et qu'anterieu- inent il avail verse lesang d'un autre enfant de 14 ans. En somme, les acquittemenset les condamna- tions se balancent presque egalement, mais leurs chiffres sont loin d'etre egaux, a telle ou telle epoque donnee , en les comparant, on peut, pour ainsi dire, later le pouls a la Revolution et dire a quel degre de fievre elle elail en proie a tel mois ou a tel jour ; nous y reviendrous. Cent cinquaute mille francs portes annuelle- ment au budget de I'lnstruction publique sprvonl 18* HIST01RE DBS PRISONS a imprimer des roraans , des fabliaux , des fa- daises du moyen-age, qu'on decore du titre de materiaux pour servir a 1'histoire de France , et le gouvernement ne pread nul souci des monu- mens de notre revolution , le plus grand 6vene- ment des temps modernes ; telle bibliotheque particuliere est dix fois plus riche en documens qui s'y rapportent que la bibliotheque nationale. Pendant quarante ans les precieux registres de la Conciergerie ont moisi au rayon le plus inferieur du greffe et les rats y ont ronge 1'ecrou de la reine de France , aussi tranquillement que s'ifs eussent ronge les bonnets de colon despailleux. Nous retablissons ici cet ecrou avec le concours obligeantdeM. Labat, archiviste de la Prefecture. Ce n'est pas le seul service dont nous soyons re- devable a ce savant aussi modeste qu'aimable. Nous respectons 1'orthographe du texte, les mots en italiques sont ceux qui ont peri sous la dent des rats. Le mot du a la derniere ligne avait etc originairemeut saute. Du deuxieme jour de la troisieme decade du premier mois de 1'an second de la republique francaise une et indivisible (13 octobre 1795). La nominee Marie- Antoinette , dite Lorraine d'Autriche, veuve de Louis Capet, pre'venue DE LA SEINE. 185 d'avoir conspire centre la France et recomman- dee a la requete du ciloyen , accusateur public du tribunal revolulionnaire , etabli au Palais a Paris, par la loi du 10 mars dernier, qui fait ( election de domicile au greffe dudit tribunal , en vertu d'un jugement rendu par ledit tribu- nal, en date de cejourd'hui, dument en forme pour par elle rester en cette maison, comme en celle de justice , jusqu'a ce qu'il en ait etc au- trement ordonne , et 1'avons laissee a la charge du citoyen Baule, concierge de ladite maison, qui a promis la representer quand il en sera requis, et ayant a ladite veuve Capet , en par- lant a sa personne , entre les deux guichets de cette maison , comme en lieu de liberty , laisse copie de 1'acte d'accusation dresse contre elle le jour d'hier , requisitoire etant ensuite (du) jugement sus-dale et du present.. MONET. En marge est ecrit : Du 25 e jour du premier mois de 1'an deuxieme de la republique francaise une et indivisible. La nominee Marie - Antoinette dite Lorraine d'Autriche , veuve de Louis Capet , a etc , a la requete du citoyen accusateur public du tribu- nal revolutionnaire, extraite de cette maison et 186 H1ST01RE DBS PRISONS remise a 1'executeur des jugemens criminals et conduite a la place de la Revolution pour y subir la peine de mort a laquelle elle a 6te con- dam nee par jugemeut du tribunal revolutiou- naire, en date de cejourd'hui, par nous, huis- sier audiencier audit tribunal et soussigne\ HAPPIER. Voici main tenant 1'ecrou de Philippe-Egalit6 : Du meme jour de brumaire , 1'au ueuxieme de la republique (2 novembre 1795), une et indivisible, le nomme Philippe -Egalite , cy devant depute de la convention nationale , a et6 constitue prisonnier et ecroue ^sur ce regis- tre en vertu d'un jugement du tribunal revo- lutionnaire, en date du 14 octobre , vieux stile 1793, duement en forme, et a la requete du citoyen accusateur public dudit tribunal, qui fait election de domicile au greffe dudit tribunal , pour , par lui , rester en eette maison comme en celle de justice du tribunal, jusqu'au jugement definitif , au moyen de quoi Tavons laisse a la charge et garde du citoyen Baule, concierge, qui a promis de le representer quand il en sera lega- lement requis. Dont acte par raoi , huissier audit tribunal , soussigue ; el avous , audit Philippe- DE LA SEINE. 187 Egaiite, en parlant a sa persoune , entre les deux guichets, comme lieu de liberte, laisse copie taut de 1'acte d'accusation , decret et jugement et du present. MONET. En marge esl ecrit : L'an deuxieme de la Iibert6 , le l er jour de bruraaire (le 6 novembre 1793) , en vertu d'un jugement rendue cejourd'hui au tribunal revolu- tionnaire, duement en forme executoire , signe et scellc'e, et a la requete du citoyen accusateur public dudit tribunal , nous Jean-Benoit Auvray, huissier audiencier audit tribunal, avons fait ex- traire des prisons de scans le nomine Philippe-Ega- lite , ci-devant Dorle'ans, et cy-devant depute a la convention nationale , ecrou6 cy centre, pour, CONFORMEMENT AU DESiR dudit jugement , ale de rhomme , n'avait rien d'extraordi- naire dans ces temps la, et des le 3 septem- bre 1792, on lit sur la lisle des guillotines , sous le n 4 bis : Jean .1 alien , ci - devant charretier a Vaugi- rard, avait 6t6 condamrie a 12 ans de gene (galeres) , arrive sur la place commune, il s'avisa de crier : Vive le roi ! vive la reine ! Au /I.... la nation! Sur la declaration du jury que c'est mechamment et a dessein que ledit Jean Julieii a excite une grande emeute , le tribunal D 1'a coudamne a mort. DE LA SEINE. 193 N'oublions pas une note au Moniteur du quin- lidi , 25 germinal an n : a Le bulletin de la police porte le nombre des prisounicrs a 7,241. Cette note se trouve au has de la troisieme colonne de la 4 page imm6- diatement avant 1'annonce des spectacles. ' \c- [&? -Vr '{: ;.'.;' Pour simplitier les recherches de ceux que pourrait embarrasser comme nous , 1'ordre des mois de 1'annee republicaine , nous croyons pou- voir leur offrir un sccours mnemonique dans la piece de vers suivante, improvisee par M. Haussi de Robecourt , dans la prison d'Amiens , ou il fut jete 24 heures par ordre du represenlant du peuple Andr6 Dumont. Ce ne sont que des bouts- rimes , si Ton veut, mais c'est encore un monu- ment de 1'epoque qui a du moins le merite d'etre fort pen connu : Le ciloycn Duraont, dans sa vendemiaire Par le fdcheux effet de son humeur brumaire, Nous a bien mal loges pour la saison frimaire. El quand nous serions lous blancs comme nivote, Que de petitions nous ferions pluviose, Autanl, helas ! en eraportc venlote. Mais quand le mois que Ton dit germinal * Aura fait place au riant floreal Libre*, foulerons-nous le tapis pra irial ? 13 19* HISTOIRE DES PRISONS Irons-nous recueillir les dons de mcssidor ? Ouvrira-l-on pour nous les bains de thermidor ? Oa verrons-uous, ici, le tardif fruclidor ? . Puisque nous parlons du Moniteur, qu'on nous perraettede lui faire encore un emprunt. Cegou- vernement qui tuait des femmes , parlait de mo- rale et de vertus. Le diable aussi , disent les Anglais, cite la Bible , quand cela rentre dans ses vues. Voici un entre-frlets qui ne manque pas d'originalite : Extrait du Moniteur du nonidi 29 brumaire, (19 novembre 1795, vieux style. ) Aux republicaines. En peu de temps le tribunal revolutionnaire vient do donner aux femmes un grand exemple qui ne sera sans doute pas perdu pour elles ; car sa justice , toujours imparliale , place sans cesse la lecon a cdte de la s6verite\ Marie-Antoinette, 6levee dans une cour per- fide et ambitieuse , apporta en France les vices de sa famille , elle sacriiia son epoux , ses en- fans et le pays qui 1'avait adoptee , aux vues ambitieuses de la maison d'Autriche , dont elle servait les projets , en disposant du sang , dc 1'argent du peuple et des secrets du gouverne- DE LA SEINE. 1SS raent. Elle fut mauvaise mere, epouse debau- chee, et elle est morle chargee des imprecations de ceux dont elle avail consomme la mine. Son nora sera a jamais en horreur a la poslcrile. Olympe de Gouges , nee avec une imagina- lion exaltee , prit son delire pour une inspi- ralion de la nalure. Elle commenca par derai- sonner , el finil par adopler le projel des perfides qui voulaient diviser la France ( les Girondins ), elle voulait etre homme d'etat, el i il semble que la loi ail puni celle conspiralrice d'avoir oublie les verlus qui conviennent a son sexe. La femrae Roland , bel cspril a grands pro- jels , philosophe a pelits billels , reine d'un momenl, entouree d'ecrivains mercenaires , a qui elle donnail des soupers , dislribuait des faveurs , des places et de 1'argenl , ful un monslre sous tous les rapporls. Sa conlenance dedaigneuse envers le peuple et les juges cboi- sis par lui ; 1'opiniatrete orgueilleuse de ses reponses, sa gaile ironiquc ct cetle fermele dont elle fesait parade dans son trajet du Pa- lais-dc-Ju slice a la place de la Revolulion , prouvent qu'aucun souvenir douloureux ne Voccupait. Cependant elle etail mere ; mais U)6 HISTOIRE DES PRISONS elle avail sacrifi6 la nature , en voulant s'e- lever au-dessus d'elle ; le desir d'etre sa- vanle, la conduisit a 1'oubli des vertus de son sexe , et cet oubli , toujours dangereux, finit par la faire perir sur un echafaud. Femmes ! voulez-vous etre republicaines ? aimez , suivez et enseignez les lois qui rappel- lent vos epoux et vos enfans a 1'exercice de leurs droits. Soyez glorieuses des actions ecla- tantes qii'ils pourront compter en faveur de la patrie , parce qu'elles temoignent en votre fa- veur. Soyez simples dans votre raise , labo- rieuse dans votre menage ; ne suivez jamais les assemblees populaires avec le desir d'y parler ; mais que votre presence y encourage quelques fois vos enfans; alors la patrie vous benira , parce que vous aurez reellement fait pour elle ce qu'elle a droit d'attendre de vous. ( Tire de la Feuille de salut public. ) En verite , en lisant de pareils ecrous , de pa- reils arrets, de pareilles reflexions , on se demande laquelle a recu de plus sanglans outrages , de la raison ou de 1'humanite ? DE LA SEI.NE. 197 CHAPIT11E VII. La Conciergerie. Le Journal des Guillotine*. Bien que nous ayons appele la Coucicrgerie le vestibule du tribunal revolutionnaire , quelques ac- cuses, en moindrenombre, y sonl allesdu Luxem- bourg , des Cannes, de Saint-Lazare et la mai- sou de la Bourbe, que, par une araere anlipLrase . on noramait alors Port-libre. Dans le fort de la tcrreur, la Conciergerie cut une sorte de maison d'alteute dans les colleges du Plessis el Louis-le- Grand (prison de I'Egalite); 1,800 a 1,900 de- tenus y attendaient des places vacantes a la Con- ciergerie. Peut-6tre quelques jours nous occu- perons-nous de ces prisons qui n'exislent plus ( Saint -Lazarc exceple ) ; aujourd'hui nous ne voulons parler que de la Conciergerie. Nous avons vu qu'en 1785, au temoignage du philanthrope Howard, celie prison renfermail 182 detenus, de ceux qu'cn tcrmcs d'adminislration on appelle civffs, pour les distinguer des detenus politiqvet ou des prisonniers d'etat. Le voisinage 198 HISTO1RE DBS PRISONS ' 1 DanslaMeurUiu, CD 1813. 204 H1STOIRE DES PRISONS Conciergerie revolulionnaire pour lire les dia- logues de Platon! quel auditoire , que les Giron- dins , pourecouter les sublimes lecons de Socrate au lit de niort ! Ea vain le baron prussien, Anacharsis Cloots, eelui-la qui avail dit aux Jacobins : Mon coeur est francais et mon time sans culottes ! celui-la qui s'intitulait I'ami du genre humain et I'cnnemi per- sonnel de Jesus-Christ, voulut-il continuer a la Onciergerie son apostolat d'atheisme. On ne I'ecoula pas, les doctrines du Phedon avaient quelque chose de plus consolant ; en presence de 1'echafaud polilique , I'honnete hommc croitfaci- lement a I'immorlalit6 de Tame. L'eveque consti- tutionnelLamourelte 1'interrorapait en s'ecriant : Xon , mes amis , on ne tue pas la pensee.w Chaque jour quand les condamnes revenaient du tribunal, Lamouretle el Cloots se les dispu taient , se les arrachaient ; le premier pour essayer de sauver quelques ames a son Dieu , le second pour empecher ce qu'il appelait le scan- dale d'une faiblesse. On eut dit la realisation de ce vieux mythe des deux genies du bien et du mal. Pour rendre justice a tout In mondc , nous devons dire que chacun des deux adversaires est morf comme il avait vecu : Lamourette en ap6lre DE LA SEINE. 205 duchristianisme, Ciootsenprofesseur d'atheisme. Qu'est-ce que la guillotine ? une chique- naude surle cou, disait ce meme Lamourettc , fesant gaiment son dernier repas avec scs cama- rades de chambree. Puis , s'animant par degres , il leur parla encore une fois de I'immortalite de IMm, en pretre catholique. C'etait chose commune que d'allumer sa pipe avec son acte d'accusation. L'avocatdonne d'office a Gonnay, ex-hussard deBerchini, voulait, pour le sauver, insinuer qu'il n'avait pas la tete a lui. Jamais ma tete n'a ele plus a moi que dans ce moment, quoique je sois a la veille de la perdre. Defenseur officieux, je te defends de me defendre, et qu'ou me mene a la guillotine. Un ramas de peuple entourait la charrette ou Custine allait monter, et vociferait : A la guil- lotine ! a la guillotine ! On y va canaille , repond le vieux soldat , on y va... vous ne pou- vez pas atteudre ? Une chanson composee a la Conciergerie avait pour refrain : Quand Us m'auront guillotine, Je n'aurai plus besoin (ie ne. Car Laliarpe, penitent, a commis uue erreur 206 HISTOWE DES PRISONS volontaire quand il a dit que les Francais avaienf chante a toutes les 6poques de leur histoire, ex- cepte sous la Terreur. Noa-seulement on a chant6 sous la Terreur, mais on a chante en prison, dans toutes les prisons , et souvent on y a chante des couplets composes dans les courts instans qui se- paraient le jugement de 1'execution. Pierre Du- cournean, Theillard, Hollier furent les premiers chansonniers de la Conciergerie. Apres eux, Ni- colas Monjourdain prenait pour theme 1'air : Cest aujourd'hui monjour de barbe. Ducosecrivait un pot-pourri sur les airs des Folies d'Espagne ; Je ne saurais danser; des Guillotine's, ci-devant des Pendus , du Haut en Bos ; Malborough sen va-t-en guerre; Ou allez-vous, Monsieur I' abbe? etc. Voici trois couplets de Monjourdain , sur les huit qu'il composa dans la nuit qui preceda sa mort : L'heure avance ou je vais mourir, L'heure soiuio et la raorl m'appelle ; Je n'ai point de Inches desirs, Je ne fuirai point devant elle; Je incurs plein de foi, plein d'honnear ; Mais je laisse ma douce amic Dans le veuvage et la dooleur, Ah ! je dois regrelter la vie. * . '. I)E LA SEINE. 207 Domain mcs ycux inaninn's Ne s'ouvrironl plus sur tes charmes ; Tes beaux yeux a I'amour fermes, Demain seront noyes de larmes. La roort glacera cette main Qui m'uni t a ma douce amie ; Je ne vivrai plus sur ton sein ; Ah ! je dois regretter la vie. Mes chers el trisles compagnons, Ne pleurez point mon inforlune ; C'est dans le siecle oil nous vivons L'ne misere trop commune. Par vos gailes, dans vos ebals, Buvanl, criant, fesant lempete, Mes amis, ne m'avez-vous pas Fait quelquefois perdre la t6te. Voici maintenant un couplet du pot-pourri de Ducos : Air: Que ne suis-je la fougcre. H61as! voudra-l-on le croire? II le fit corame il le dit, Je voulus faire une hisloire, Mais je Cus tout interdit. D'avance perdant la tele, Daranl ce conflit soudain, Je passai pour une bete, Et c'esl mon plus vif chagrin. Qui ne connait ces quatre vers que Boucher envova a sa femme et k ses enfans, avec son por- 208 HISTOIKE DES PRISONS trait que venait de terminer Sauvee , sou cama- rade de prison : Ne vousetonnez-pas, objets touchans et doux, Si 1'air de la trislesse obscurcit mon visage ; Lorsqu'un crayon savant dessinait cette image. On dressail 1'echafaud et je songeais a vous. Quoi qu'en ait dit Laharpe, on fesait done des vers , on chautait done sous la Terreur, on ehan- tait en prison et presque jusqu'au pied de la guil- lotine. Quelquefois au milieu de cette joie inqualifia- ble, de celte ivresse fievreuse, prevenus et con- damnes quittaient tout-a-coup la table ou quel- ques-uns s'asseyaient pour la derniere fois , on se pressait dans 1'embrasure d'une fenetre pour ecouter la voix avinee du marchand de nou- \elles : Voila la liste des 25, des 50 , des 4-0 bri- gands qui ont gagne aujourd'hui a la loterie de la sainte guillotine. C'etait ainsi qu'on annoncait alors la liste des condamnes ou des executes. Nous avons parle d'un chien dans 1'histoire de Sainte-Pelagie ; a 1'epoque revolutionnaire, il y en avail dans toutes les prisons ; on en comptait six a la Conciergerie. C'etaient les geoliers les plus surs et les plus redoutes , parce qu'ils ne s'enivraient pas ou ne se laissaienl pas corrompre DE LA SEINE. 209 comme les autrcs. Parmi ces six chiens de la Con- ciergerie , il en etait un distingue pour sa taille , sa force et son intelligence ; ce cerbere, qui s'ap- pelait Ravage , etait charge pendant la nuit de la garde du grand preau. Des prisonniers avaient , pour s'echapper, fait un trou ( en argot un houzard]. Rien ne s'oppo- sait plus a leur evasion , sinon la vigilance de Ravage et le bruit qu'il pouvait faire. L'evasion eut lieu et Ravage se tut ; mais le lendemain ma- tin on s'appercut qu'on lui avait attach^ a la queue un assignat de cent sous avec un petit billet sur lequel etaient ecrits ces mots : On peut corrom- pre Ravage avec un assignat de cent sous et un paquet de pieds demoutons. Ravage promenant et publiant ainsi son infamie , fut un peu decon- tenance par les attroupemens qui se formerent autour de lui et les eclats de rire qui partaientde lous cotes. II en fut quitte , dit-on , pour celte petite humiliation ct quelques heures de cachot. Nous venons de voir avec quelle avide curio- site les prisonniers se pressaient aux fenetres pour ecouter la \o'm. des crieurs qui vendaient les ca- nards de la police. On peul juger que ces canards, a cause de leur importance , ne manquaient pas d'achetcurs. Les pauvres prisonniers les payaient 14 210 HISTOIRE DES PRISONS souvent 50, 60 et jusqu'a 100 livresen assignats. Le 9 thermidor, le journal du soir se vendit 150 livres , et il n'y en eut pas pour tout le monde. Mais ce qu'on aurait peine a croire, c'est qu'il se soil trouv6 un sp6culateur pour faire un jour- nal uniquement avec la lisle des executes, et qu'il en ait public dix numeros in-12 de 32 feuillets chacun. C'est ceque les collectionneurs appcllent le Journal des Guillotines. Nous lui restituons son litre , que nous transcrivons tout entier ici : NO. LISTE GENERALE ET TRfiS-EXACTE Des noms, ages, qualites el demeures de lous les conspirateurs qui onl ete condamnes a mort par le tribunal revolulionnaire ctabli a Paris par la loi du 17 mars 1792, el par le second tribunal etabli par la loi du 10 mars 1793 , pour juger les ennemis de la patrie. Tout qui failes lanl de viclimes, Ennemis de 1'cgalilc, Rccevez le prix de vos crimes, Et nous aurons la liber Id. Prix: 15 sols. A PARIS , Chez le ciloyen MARCDAND, galerie neuve du Palais-halite ; l)E LA. SEINE. 211 Chez le citoyen BERTHE, rue Honore, vis-a-vis la rue FJorentin , 41 ; Le citoyen CHANNAUD , rue Eloi , 17 , pres le Palais ; Tous les libraires et marchands de nou- veautes. L'an deuxieme de la Republique Franchise, une, indivisible et imperissable. Le premier cahier offre cette variante : LTSTE GERERALE et tres-exacte DE TOCS LES CONSPIRATEURS Qui ont etc condamnes a etre guillotines , fu- silles et foudroyes a la bouche du canon , par les commissions militaires etablies par decret de la Convention nationale , dans la Ville-af- franchie, ci-devant Lyon, a Ville-sans-nom, ci- devant Marseille, Bordeaux, Feurs-aux-Sa- bles, et autres villes de la Vendee ; leurs noms, surnoms , ages , qualites et demeures , lieux de raissance , et leurs departemens. Eflectivement, ce numero contient la lisle de 422 individus fusilles a Lyon, de 404 guillotines ct 212 11ISTO1RE DES PRISONS de 28 foudroyes ; en lout 854 executions a Lyon ; Bordeaux, guillotines, 51; Marseille, id, 59; Feurs, guillotines el fusilles, 85. II est a regretter que le journaliste n'ait pas continue soa OBUvre pour les departemens. On se fera une idee de ce qu'elle eut ete , quand nous aurons dit que la guillotine politique a existe dans 75 departemens;quc sur le sol entierde la France, 148 tribunaux, commissions populaires, revolu- tionnaires et militaires ont aliment^ ces 75 guil- lotines, et qu'enfin la Convention a rendu 41 de- crets emportant peine de mort en mafieres poli- tiques. De nos jours , un numero prospectus ne man- que pas d'apprendre au public que le besoin d'un petit journal bleu , jaune ou rouge se fesait ge- neralement sentir. Notre anonyme, lui, proclame en ces termes la necessite d'un Journal des Guil- lotine's. AVIS AUX CITOYENS. Dans tous les temps et chez tous les peuples republicans , quand les malveillans et les enne- mis du bien public ont voulu s'opposer a la mar- che du gouvernement , les representans et les magistrals, investis de la confiance du peuple, ont pris des mesures sages et revolutionnaires ; DE LA SEINE. 213 aussi c'est ce que les republicans francais ont fait con Ire les traitres et les malveillans, en les livrant au glaive de la loi ; et depuis le commencement de la revolution on trouvera la lisle g6ne>ale des noms , ages , anciennes qualites et demeures des contre-revolutionnaires qui ont ete condamnes a mort par le tribunal revolutionnaire etabli a Paris par la loi du 10 mars 1793. Cette lisle interes- sante est imprimee avec la plus grande exactitude sur leurs noms, ages, anciennes professions, etc. Deja cinq numeros sont sortis de la presse , et Ton continue avec celerit6 a fur et mesure. II paraitra tous les quinze jours un numero, plus ou moins , suivant la quantite des conspira- teurs condamnes a mort. De nos jours , le journaliste qui ne voit pas 1'abonne venir assez nombreux a sa caisse , lui donne de temps a aulre ce qu'on appelle en termes du metier un coup de fouet. II s'accuse modestement de quelques negligences dans le passe , ct promet pour 1'aveuir plus d'exactitude et de zelc. Rien de nouveau sous le soleil; cou- tez ce petit avis du sanglant edileur : Comme il s'etait glisse plusieurs crreursdans le numero premier de noire Liste des Guillotines, a cause de la trop grande promptitude avec la- 2t4 HISTOIRE DES PRISONS quelle elle avail etc redigee; pour ne rien laisser a desirer a nos lecteurs Sans-cu!ottes, nous avons cru satisfaire davantage leur curiosite , en ajou- tant avec la plus scrupuleuse exactitude, les qua- lites et le jour ou chaque individu de la bande infernale des conspiraleurs est allc se jeter a tele perdue enlre les bras de Ires-ulile et tres-r6veree dame Guillotine. En faveur de notre zele, nous osons esperer que ceux de nos lecteurs qui se se- raient procure notre premiere liste , ne verront pas d'un mauvais oeil quelques norns repetes a la tte de ce numero, puisque cette repetition n'est due qu'a une redaction plus circouslanciee des qualites , demeures et fin de tous les scelerats contre-revolutionnaires. Enfin , un journal ne veut jamais convenir qu'il est mort ; il lui en coule de prendre conge detiaitif de ses lecteurs , il s'efforce de leur per- suader et de se persuader a lui - meme que ce n'est la qu'une separation momentanee. Le tri- bunal revolutiounaire detruit aux applaudisse- mens de rhuraanite entiere, notre bomme attend qu'on en cree un autre , apres quoi il reprendra sa besogne. Avis. Les circonstances du temps et la sus- pension du tribunal revolulioimaire font que nous DE LA SEINE. 215 sorames obliges de donner a nos abonues un sup- plement au n 9, attendu que le tribunal revolu- lionnairc, qui n'est pas encore en activile, en- trainerait trop de temps pour 6lre a memo de faire paraitre les noms des complices de 1'infame Robespierre et des traitres de la commune rebelle de Paris , que nos abonnes demandent dc toutes parts ; et au n i nous promotions a nos abonn6s de leur donner la liste des membres qui compo- sent le tribunal revolulionnaire , ainsi que des juri; et nous leur promettons aussi la plus graude exactitude sur les soins de la continuation de notrc liste; nous nous engageons aussi a donner dans nos numeros 1'analyse de chaque individu cou- damne a niort.Le prix de I'abonnement, etc. etc. On voit que lestyle du journalisle est a la hau- teur de la lacbe qu'il s'etail donnee. Tel qu'il est, son recueil singulier n'offre pas moins Tun des documens les plus precieux de 1'epoque. C'est 1'hisloire jour par jour du Tribunal Rcvolution- naire, et une bistoire tres exacle ; il faut que les materiaux en aient etc fournis par quelque gref- fier ou quelque huissier, car nous les avous rap- proches du registre d'ecrous et nous les avons reconnus identiques. Cette liste des guillotines, nous 1'avons soumise a lous les calculs , a loulcs 216 HISTOIRE DES PRISONS les combinaisonsde la statistique.Nouspublierons dans le chapitre suivant ce travail aride, mais fe- cond en resultat et qui n'avait pas encore etc entrepris. DE LA SEINE. 217 CHAP1TRE VIII. Stalistique des executes revoluliounairemeut a Paris. Quand on parlc de monceaux de cadavres, de flots de sang, etc., qu'a-t-on dit autre chose que des mots sonores ? Pourquoi ne pas douner des chiffres quand il y en a de possibles , pour- quoi ne pas jauger tout ce sang , divisor , classer toutes ces tetes ? Des chiffres groupes d'une naa- niere intelligente , ne sont pas moins eloquens que des phrases; ils sont plus vrais et se gravent plus profondement dans la raemoire. Et d'abord pourle chiffre des executes revolulionnairement a Paris qui est-ce qui le cite? qui est-ce qui le connail? qui est-ce qui ne 1'exagere pas , tout monstrueux qu'il soil en Iui-m6me ! Ce chiffre il esl de 2,742 ! 2,742 ! il n'est point de maladie contagieuse qui ne cause chaque dix ans , a la capitale, une perte plus forte, pas de bataillc oil ne s'eteignent sans fruit plus de 2,742 existences. Pourquoi done la guillotine revolutionnaire est-elle encore aujourd'hui un souvenir si vivant, si plein de detestation et d'horreur ? Pourquoi ? pour deux 218 HIST01HE DBS PRISONS raisons principales. D'abord a cause de la nou- veaute du fl&iu. C'est ainsi que Paris a trembl6 devant le cholera, el qu'il ne preud pas garde a la phtysie pulraonaire qui le decime a petit bruit. Et puis c'est qu'il n'y a qu'a se soumeltre en pre- sence d'un fleau naturel, et que la guillotine a i'!e un mal dont nous pouvons demander corapte a la justice et surtout a la raison humaine. Sans doute dans le vrai des choses, dans la verite absolue, cetle raison humaine ne s'indigne pas moins de la guerre que de 1'echafaud politi- cjue, mais,dans Tapplicaliou^un long usage a tel- lement fausse notre jugeraent, que deux milions d'hommes morts sur les champs de bataille de la republique et de I'empire nous frappent bien moins que les quelques milliers tues revolution- nairemeiit. Cependaat quelle guerre fut jamais motivee par de plus longs et de plus grands griefs? Quelle guerre fut jamais plus juste , plus sainte que celle du regime nouveau centre le regime ancien ? Et puis, quand est-ce que le sang verse sur les champs de bataiile a produit en dernierc analyse les resultats de ce sang verse sur I'echafaud... la liberle , Fegalile , la loi ! En sommc , la revolution francaise est le plus DE LA SEINE. 219 difficile et le plus beau triomphe qu'ait jamais remporte la raison; ca etc le plus grand bicnfait confere a la race humaine toute entiere. La seule question qu'on se puisse poser est celle-ci : Pour arriver a un pareil resullat etait-il done neces- saire d'employer de si horribles moyens? Fallait- il que tant d'innoccns perissent avec quelques coupables? La Iibert6 ne devait-elle 6tre feconde qu'au prix de tant de sang? Pour moi je ne le crois pas. J'aime, je benis la Revolution, mais je la voudrais plus pure , pour la trouver plus belle encore. J'avouerai meme que, dans la lache aride que je ra'etais imposee , j'ai ete telleraent frappe de 1'horreur des details, que, parfois , perdant de vue la magniflcence de 1'en- semble , je me suis surpris tout pres de la mau- dire. C'est que les bommes ct les choses de :e temps-la ne se peuvent et ne se doivent pas juger comme les chosas et les hommes des temps ordi- diuaires. C'est que sur le pouls d'un peuple que tourmente la flevre, il ne faut pas porter un doigt glace. Comme 1'eleve, qui ne cboisilpas sa place dans 1'alelier , et ne peut reproduire du modele que la partie qu'il en voit, je ne suis pas a blanier si la Revolution ne parait pas belle dans cetle esquisse, 2-20 HISTOiRE DBS PRISONS j'etais place vis-a-vis 1'echafaud , et c'est son vi- lain cote. Sans chercher a les justifier, je m'explique les massacres du 2 septerabre et des prisonniers de Versailles ; puisque je sais qu'il y a des assassins ct des assassinats isoles,jeconcois des assassins et des assassinats collectifs ; mais ce que je ne con- cois pas , c'est que , pendant sept cent dix-huit jours, moins de cinquante furieux aient joue aux juges et aux jures , et qu'empruntant les formes de la justice ils aient en face de 28 millions de de citoyens commis 2,742 assassinats. En verite c'est le cas de dire avec Tacite : Quand les na- tions souffrent de pareilles tyrannies , elles les merilent. Ed quod passi sunt , meriti. Voulez-vous etudier la revolution a ses difie- rentes phases , voyez dans quelles proportions elles frappe les femmes, les enfans, les vieillards, dans quelles classes elle cboisit ses victimes a telle ou telle epoque , dans quels nombres elle les abat. Si nous ne nous trompons , de grands euseignemens doivent ressortir du tableau sui vant : DE LA SEINE. 2-2 1 A PARIS PAR JUGEMENT DU THIBCXAL REVOLDTIOIT- NAIUE ETABLI EN VERTU DES LOIS DES 17 AoOx 1792 ET 10 MARS 1793. (Duree du tribunal, 718 jours. ) o c '"> a o re c ^^^c s sin Z -~ 2 j C l " X * ^1 JJS B * 01 B- :-; ? c 3 cc to 3 S rt - w 3 re i I o-SS 2 S'-t'W =-2 - C--;= B B - ^ S. * H c P ^ B If* pQ * = re o V 3 - cs r n . . ' ' S cc a **" "d 5' V"o s"^ E, barriere Renvers ditc du Trdne ). sii a S a irSP* | Mfta iTi; cs" ?* 2."a.^ - g-= S . r-ifS" ' 1 = 1' s ? ^ o ^c a" oo O to c^ re. e ^i "* i-J?* n ? =? S" B-til l- s ^l f-^-? KRIE, rtu Carrousel 792 an 8 mail 793, en 2 23 Louis XVI, place ux D'EXECUTION --o' "o"* 5- 13 re- . n SL c' rg . . re's c ~* . a; 5"'S* . ST 1 " * ^-^ re co ' re- s x * IS? "^ * * * ' 1 . re r T""** i " )s Jj ( - 1 fde fcO a W. 1 O V 1C -. 1 - de 90 ft au-dcssuF. Age non > 3i i U eg iixlique. | I iS B g i ci!;,n\ particls. 2-22 HISTOIRE DES PRISONS Comme on le voit, j'ai d'abord partage le 2,742 guillotines en cinq series d'apres les lieux d'execution. Cette division qui ne parait quo materielle, et qui m'etait indiquee par le journal singulier que j'ai deja cite, a cependant une va- leur morale. Les executions des criminels ordinaires avaient eu lieu de tout temps sur le carreau deshalles et place de I'Hotel-de-Ville. C'est sur cette der- niere qu'on avait pendu Favras et amen6 les restes palpitans de Launay, de Flesselles, etc. Mais on s'avisa que le palais du peuple ne derail point etre souill6 du sang de ses ennemis et qu'il etait juste de reporter ce triste spectacle devant le palais des rois. On choisit done la place du Carrousel d'abord , puis cellc de la Concorde. On prefera dans la suite cette derniere pour la meme raison qui 1'avait fait adopter exception- nellement le jour du supplice de Louis XVI, la n6cessite d'un grand deploiement de forces. Quand on y cut fait 1,221 executions en un an inoins un jour, on commenca a se degouter de ce spectacle, on en redouta les efiets, on vou- lut eloigner la guillotine de la Convention et 1'appuyer sur le faubourg Antoine. Elle se trouva mal a 1'aise encore sur la place de la DE LA SEINE. 22-1 Bastille; il fallut de nouveau la pousscr plus loin. Et puis, c'est horrible a dire, la barriere du Trone oflfrait dcs moyens plus faciles pour 6couler celte mare de sang et pour inhumer tous ces cadavres. Mais quand la chute de Ro- bespierre et de la Commune cut rendu aux exe- cutions un caraclere de justice et de nalionalite, on ne craignil pas de les reporter a la place de la Revolution. Dans la seconde division par sexes , on voit que le nombre total des femmes est au nombre total des hommes comme 1 est a 7,02 , mais cette proportion n'est pas la meme a toules les Spoques; elle n'est que d'un 17 e dans la pre- miere serie, elle approche d'un 5 e dans la qua- trieme, enfin la dernicre n'est souillee du meur- tre juridique d'aucune femme. Meme observation a la troisieme division, celle des ages. La premiere et la derniere series ne prodiguent pas le sang des enfans et des vieillards (les deux individus au-dessous de vingt ans qui se trouvent dans la premiere, fe- saient parlie des voleurs du Garde-Meuble et eussent etc punis de mort sous Tancienne legis- lation) , il faut arriver aux 45 jours qui prece- derent la chute de Robespierre pour voir immo- 22t HISTOIRE DBS PRISONS ler 27 enfans, 46 septuagenaires, 9 octogenaires et 1 nonagenaire. Qu'on me permette de le dire , 1'horrible a depasse mes provisions. Quand j'ai commence d'esquisser ce tableau , je n'avais pas trace de colonnes pour les enfans au-dessus de 20 ans , non plus que pour les vieillards au-dessus de 70. Quand j'en ai rencontre d'abord un ou deux, j'avais cru que ce seraient des exceptions insi- gnifiantes; il m'a fallu recommencer a nouveau. Dans la seance du 26 dccembre 1789 , 1'As- scmblee nationale s'occupait de la suppression et de la reduction des pensions; M. de Montes- quieu faisait une motion en faveur des vieillards et de tous ceux qui par leur faiblesse etaient dans la dependance absolue de 1'Etat. Un heros , dit-il , qui a ete peint sous des traits presque feroces, Achille, en fesant le recit d'une victoire qu'il a reraportee, en poignant avcc orgueil les flots de sang qu'il a fait couler dans une ville qu'il a prise (Lesbos], ajoute avec un sentiment profond de satisfaction... Nul viciUard ria ele frappe ! . . . Ni vous non plus, Mes- sieurs , vous ne frapperez aucun vieillard. Non , vous ne depouillerez point cet age que la nature a presque deja depouillc de tous les biens de la DE LA. SEINE. 223 \ie. Presque toutes les revolutions qui sc sont faites dans les empires ont ete cruelles et san- glantes, parce qu'elles ont ete faites presque toutes dans des temps barbares ; que la r.otre, Messieurs, faite dans le siecle le plus eclaire , ne presente que des images douces et consolantes, et que 1'humanite s'en applaudisse autant que la liberte. Engelbert Bosselman, qui nous a conserve cette anecdote, a cru devoir ajouter sous forme de note au bas de la page : Si dans le nombre des personnes que je connais et qui attachent quelque prix a mon estime, il en est qui ne trouvent point ce trait sublime, qu'elles ne viennent point me le dire, je sens que je leur refuserais la mienne. Je ne sais quel est le plus admirable du vers d'Homere, si beau apres trois mille ans , du general marquis de Monlesquiou ou du na'if annolateur. Ob ! oui , notre revolution serait bien plus belle encore, si nous aussi, fils des vainquours, nous pouvions dire avec Achille : Nul vieiUard n'a ele frappe'! Heureuse la Revo- lution si elle eut persevere dans les voies si graudes et si pures dc 89! II ne faut pas se le dissimuler, 1'imniPDse majorite de la Consti- 15 22G HISTOIRE DES PRISONS tuante etait anirae"e des sentimens les plus nobles et les pjus genereux; Robespierre lui-meme etait de bonne foi, quand il proposait 1'abolition de la peine de mort; de vertueux regrets bourrelaient Camille Desmoulins quand il ecrivait son Vieux Cordelier, et qu'il demandait trop tard la creation d'un Comite de Cle'mence. Trop tard! car telle est I'imbecillite de notre nature, qu'une fois lances bors de Vcrniere nous ne savons ou nous pour- rons nous arreter. Que ditcs-vous de cette revolution qui metlait quatorze armees en campagne , qui fesait la guerre centre sept tetes couronnees, qui luttait contre 66 departemens insurges, qui, pendant cette double lutte, n'a pas abandonne un pouce de territoire, concede un principe, laisse un affront impuni, et qui cependant s'amuse a tuer 544 femmes , 41 enfans , 102 septuagenai- res , 11 octogenaires et un vieillard de quatre- vingt-treize ans, oui, de quatre-\ingt-treize ans, le nomme T.-G. Dervilly, epicier, rue Mouffe- tard ! Que dites-vous de cette revolution qui guillotine un roi , unereine, des princes, des marecbaux, des ev6ques, et qui ne dedaigne pas d'abaltre des epiciers, des gagne-deniers, des toucbeurs de bo?ufs, et jusqu'a un certain Osta- E LA SEINE. 22T !^er, qualifie de bon pauvrc a Bicelre! N'est-ce pas que Dieu , en pcrmeltant la revolution fran- caise , a voulu glorifier et humiiier a la fois la raison bumaine? A ceux qui pretendent que leur caste seule a souffert dans cette terrible revolution, a ceux ie, du 26 aout 1792 au 8 mai 1795, o5 executions en 254 jours, soit 0,09 par jour. Deuxieme se>ie , du 8 mai 1795 au 17 prai- rial an vm ( 6 juin 1794 ) , 1,221 executions en 364 jours , soit 5,09 par jour. Troisieme se>ie, du 21 floreal an n ( 21 mai 1794 ) au 25 prairial meme annee ( 15 juin ), 97 executions en 23 jours , soit 4,21 par jour. Qualrieme seYie , du 26 prairial an n (14 juin 1794 ) au 10 thermidor an n (28juillet 1794). 1,284 executions 'en 45 jours, soit 28, 55 par jour. Cinquieme serie, du 10 au 28 thermidor ami (du 28 juillet au 15 aout 1794) 105 executions en 18 jours , soit 5,85 par jour. Si vous vous rappelez dans quelle emotion geqs ont contfoue trente ans a faire boa menage, el que la pauvre ferame n'a jamais soup?onne la pelile d^mar- ehe que son mari s'6tait permise a son sujet. 234 H1STOIRE DBS PRISONS etait naguere la grande cite et la France tout entierc , parcc qu'on ne savait si un condamne porterait ou non sa tete sur 1'echafaud politique. eoncevez-vous quc Paris ait vecu 718 jours avec trois executions par jour, et qu'il ait passe les 45 qui precederent la chute de Robespierre avec une moyennc de 28, 55 executions par jour ! A boa droit, cctle epoque conservera-t-elle son nom caracteristique de la Terreur ! Nous voici , graces a Dieu , au bout de noire tache. Que faut-il conclure de tant de chiirres abominables? Faut-il, comme quelques-uns nous le prechent, chercher dans 1'absolutisme un abri centre la tourmente revolulionnaire? Non , sans doule, car 1'absolutisme a, lui aussi, un effrayant comple de sang a regler. Sans sortir de noire histoire , et sans remonter trop baut , la Sainl- Barthelemy , la Revocation de 1'Edit de Nantes , les Dragonnades sont , aux yeux de la raison et de rhumanite , des crimes aussi grands qu'aucun de ceux que la revolution a pu commettre , avec cette difference qu'Hs n'etaient pas excuses par de longs griefs, m par leur but, et qu'enfin ils n'ont produit que du mal , tandis que tous les peuples de i'univers jouiront tour-a-tour des bienfaits de no tre revolution. DE LA SEINE. 333 Que faut-il done conclure de taut de chiffres abominables ? II faut rep6ter avec M. Thiers : Nous qui, pour 6tre libres, n'avons eu quc la peine de naitre , nous serions bien laches , bien infames, de laisser perir la liberte , car nos peres nous 1'ont acbetee au prix de bien des vertus et de bien de crimes. HISTOIRE DES PRISONS DE LA SEIKE. CHAPITRE IX. Massacres de septembre 1792. Leurs causes. Leors auteurs. Pendant que je me livrais a mon travailsur le Tribunal Revolutionnaire , depuis surtout que je 1'ai acheve, il n'a pas manqu& d'honngtes gens qui, tout en s'etonnant que le chiffre des victimes eut 6te si au-dessous de ce qu'ils croyaient, sont venu me dire : Mais les massacres de septem- bre ! vous ne comptez pas les massacres de sep- tembre ? Les massacres de septembre ont etc bien autre chose encore ! Et moi aussi je savais que ces massacres , a cause des lieux memcs qui en avaient etc le theatre , rentraient forcement dans le cadre que je m'etais trace ; qu'une Ilisloire des Prisons de la Seine serait incomplete si elle n'en renfermait pas une narration large et conscien- cieuse. Mais , je 1'avouerai , je reculais devaut cette partiede ma tache, j'aurais voulu 1'eluder; il me semblait par trop p^nible de rcmuer toute ceffe boue, tout ce sang, d'evoquer, de compfer 238 HISTOIRE DES PRISONS tous ces cadavres; de n'avoir a raconter que des crimes odieux, sans excuses, honteux pour le pays, degradans pour 1'bumanite. Cependant, purmoatant mon dugout, je me suis mis a TCBU- vre , j'ai etudie cette terrible epoque dans les sources memes , ouvertes si liberalement a mes investigations, dans les ctiiffres, dans les docu- mens contemporains qui ne mentent pas , et jamais etude ne m'avait presente un intGret aussi vif, jamais travail personnel n'avait detruit chez moi une aussi grande masse d'idees precon- cues. A Dieu ne plaise quej'aie la pensee de justi- fier une aussi horrible violation de la loi , un aussi odieux abus de la force centre la justice et le droit ; mais je me suis demande" si tout etait dit quand la violation de la loi etait confessee , si I'Gcrivain n'avait pas le droit de faire une fois dans un journal ou dans un livre, ce que 1'avocat a le devoir do faire chaque jour au palais, si, enfin, il n'etait pas permis d'invoquer pour un peuple, comme pour un individu, le benefice des circonstances attenuantes. Et, je suis heureux de le proclamer des le debut,. il en existe ici de toutes puissantes. Je pose comme autarit de fails averes , que le DE LA SEINE. 239 chiffre des massacres dc seplembre a ele singu- lierement exagere; que ces massacres ont eu lieu sous deux influences bien distinctes, 1'une spon- tanee, irreflechie, aveugle, furieuse et presqu'ir- responsable ; 1'aulre premeditee, reflechie, cons- ciencieuse et par consequent responsable; que ces massacres ne doivent pas tre portes exclu- sivement au compte des classes iufimes, mais que les classes moyenncs y ont une part peut- etre egalc , {1'aristocratie en est pure, a 1'excep- tion douteuse d'un de ses mcmbres) , que les massacres ne sont pas le fait du plus petit nom- bre, mais du plus grand; qu'enfin ils sont plutot le produit de circonstances terribles , exception- nelles, que de la volonte libre de qui queccsoit. Quoiqu'en aient dit les Girondins et les moderes de toutes les epoques, les massacres de septem- breont eteun corollaire tellement lie au 10 aout, qu'ils ne forment guere avec celui-ci qu'un seul et meme fait ; essayez de les en detacher, vous n'aurez plus qu'une monstruosite sans cause , impossible a comprendre et a expliquer. Le 10 aout a sa justification dans les aveux mSraes de tous les 6crivains royalistes; s'il n'avnit pas eu lieu , ou s'il avail ete relarde sculemcnt d'un mois, e'en etait fait de la Revolution. Or, du 2iO lilSTOlRE DES PRISONS consentement de tous les publicistes, le premier devoir d'un gouvernement quelconque, c'esi d'assurer sa propre existence, c'est surtout de prevenir 1'iutervention de 1'etranger el la viola- tion du territoire. Mais le 10 aout, c'etait implicitement un deft, une declaration de guerre, et de guerre a raort , que la Revolution lancait a la face dc ses enne- mis de Finterieur et de I'exlerieur, el la Revo- lution le sentit bien. Aussi , apres le 10 aout , il y cut comme un temps d'arret ; on se regarda , on.se compta, et devant cet avenir gros d'orages> on peut dire que les vainqueurs ne furent pas moins stupefies que les vaincus. Garat , dans son memoire apologelique (1794), me parail celui qui a le mieux compris les massacres de scplembre, en les appelant le produit de 1'wwttr reclion, ct par ce mot insurrection il entend 1'es- pece d'anarchie, 1'absenoe presque lolale de gouvernement dans lequel se trouva la France, du 10 aout au 27 septembre. En effet; un trdne de 14 siecles ne s'ecroule pas sans resistance, une republique ne s'improvise pas sans un tra- vail penible, ou exislait un pareil Irone. A Rome aussi le passage de la monarchic a la republique et dc la republique a 1'empire, furenl des epoques dilficiles et sanglantes. DE LA SEINE. &{ L' Assemble Legislative, dont les pouvoirs al- laient expirer, brulait de se decharger sur une assemblee nouvelle, de la responsabilite qu'elle avail assumee en dechirant la Constitution piece apiece. Haletante , epuisee, elle se voyait de- bordee par la Commune , et celle-ci 1'etait a son tour par les clubs et les comit^s des sections. A cette epoque , le pouvoir n'etait nulle part , parce qu'il entail partout ; au lieu de partir de 1'uuite pour se diviser dans les fractions, il paf- tait d'une fraction pour remonter jusqu'a une unite qui n'etait plus que nominale. Le premier venu fesait une motion quelconque dans sa sec- tion ; pour peu qu'elle fut extravagante dans la pensee et dans 1'expression , qu'elle fut d la hauteur, elle y etait adoptee a I'unanimit6. Des deputes de la section la portaient aussilot a la Commune dont les commissaires la transmel- laient a 1'Assemblee Legislative, laqUelle, trans- formee , pour ainsi dire, en un simple bureau d'enregistreraent , 1'adoptait presque toujours sans discussion. En sorte que , ce qui avail ete le matin 1'idee du premier venu , se trouvait le soir la loi du pays ; et que 1'Assembtee rapporlait souvent le soir, sur la motion de la section des Gravilliers, ledecret qu'elle avail rendu le matin 16 242 HISTOJRE DES PRISON'S sur la motion de celle des Filles-Saint-Thomas. Ajoutez a cela qu'on deliberait dans toules les casernes , dans lous les corps-de-garde, et que cbaque bataillon de la garde nalionale , soldee ou volontaire , avail ses canons qu'il tournait ou et comme bon lui serablait. L'Assemblee Legisla- tive ( 1200 membres) rendait un decret pour enjoindre telle chose a la Commune ( 288 mem- bres ) , et celle-ci n'en tenait compte ; ou bien la Commune adoplait une resolution et la com- muniquait aux sections ; la moilie de celies-ci repondaient qu'elles n'approuvaient pas et qu'a compter de ce moment elles retiraient leurs pou- voirs a leurs representans comme a des brigands et a des trailres. Le ministre de 1'interieur ( Ro- land ) prenait un arrete et l'adres?ait au mairc ( Petion ) , autorite distincte de la Commune , et qui n'habitait meme pas dans le meme local ; le maire le transmettait au commandant de la garde nationale ( Santerre ) , qui repondait qu'il ne pouvait reunir les bataillons , ou que ceux-ci refusaient d'obeir. A vrai dire , les mouvemens politiques avaient commence avec le regne de Louis XVI , mais a coup sur , ils n'avaient pas discontinue a partir de la convocation des Etats-Gen6raux. Depuis ce DE LA SEINE. * moment )e commerce interieur avail langui el le commerce exlerieur avail et6 presque nul ; on peul juger de Fetal des affaires apres le 10 aout. Inclemence des saisons , imperitie des minislres, infames speculations ; les cereales manquaienl ou semblaienl manquer dans toule la France , et 1'honnele Roland , qui ne savail pas mentir au peuple, non pas meme dans 1'interet de celui-ci , croyait le rassurer beaucoup en publianl que Paris avail encore du pain pour 8, pour 6, pour 3 jours. La guerre avail ele d^claree conlre quelques puissances el Ton comprenail qu'on allait bienlol 1'avoir avec toutes. Cependanl Tannee 6lait tellc- ment desorganisee que la France, pour soulenir une telle lutle, n'avait pas cenl mille homines qu'elle pul mellre en ligne. La profession des armes etait de lemps immemorial le domaine presque exclusif de la noblesse , du moins quant aux grades de quelqu'imporlance , et voila que la pluparl des officiers nobles avaienl deserle leurs regimens ou n'y etaienl restes que pour trabir la revolulion des que 1'occasion s'cn pr6senlerait. Deja Royal-Allemand el les hussards de Laujzun avaienl passe a 1'ennemi ; Berchini el Royal-Ma- rine ne devaienl pas larder a suivre cet exemple ; 244 H1STOIHE DES PRISONS les officiers emigres des autres corps etaienl si uombreux qu'il fallut en composer des regimens ou< lout le monde portait a la fois l'6paulelle et le mousquet. Longwy, qui aurait du resistor trois mois , avail ouvert ses portes apres un simu- lacre de defense et les vierges de Verdun prepa- raienl leurs bouquets et leurs mouchoirs blancs pour aller au devanl des vieiiles bandes de Fr6- deric qui s'avancaienl dans la Champagne, a Irois journees de Paris. El quand la Revolution , ne desesperanl pas pour si peu , improvisa des so!- dats en attendant qu'elle improvisal des gen6- raux, il ne se trouva dans les magasins de 1'etat, malgre les sommes enormes confiees aux anciens ministres, ni munitions, ni arraes, ni habits, ni souliers... Nous avons dejadit qu'on manquait de pain ! Certes , dans de pareils momens , les patriotes devaient ressentir bien peniblement les ecrils et les discours jactancieux des nobles Emigres. Ales en croire, la Revolution allait etre etou(T6e par les faciles efforls d'eux et de leurs allies ; il ne s'agissait pour le due de Brunswick que d'une promenade militaire a Paris ; c'etait une crava- che el non pas une epee a la main que quelques- uns s'apprfitaient a en chatier les habitans re- 1)E LA SEINE. S45 belles. II etait bien insolent le manifesto tie ce due de Brunswick , el cependant on lui en pre- iait un autre qui 1'eut ete bien davanlage. Liscz dans le Courrier des Dc'partcmens , redige par le Girondin Gorsas (tome 40, page 17) , un pre- lenduplandesalliescontrelaFrance,vousy verrez qu'on ne'gJigera les places fortes pour marcher dircc- tement sur Paris , qu'on attaquera d'abord par la famine ; que, la ville prise , les liabilans seronl conduits en rase campayne et lous les re'vohdlonnaires supplicie's. D'autres disaient qu'on n'epargnerait que les femmes el les enfans. Enfin le pretendu plan se terminait en disantqu'en cas d'iuferiorile de nombre on aurait recours a 1'incendie : On fera des deserts , parce que les deserts sout prefera- bles a des villes de rcvolte's. Rappelez-vous que ce stimulant etail donne au peuple par le girondin Gorsas; qu'il y a dans Brissot v'mgt passages de cette nature , et vous comprendrez qu'aucun parti ue peul dire qu'il n'ait conlribue ni direc- tement ni indireclement aux fatales jouruees de seplembrc. Paris, la France entiere, 6taieul en proie a un aulrc fleau qu'un ecrivain de 1'epoquc a pillores- quemenl appele la peur desinconnus. L'rison- Ution. nctnens .^^-^ Aoflt. CHAMJ3RE DU "CONSEIL. Aoul. 18 t>7 Matlomoisclledc Sonbrcuil Madame do Tarcnlc. DC son propre mouvemnnt Par le comile do police. . 18 96 -JS Mademoiselle Lapri oufc. DC son propre mouvcmcnt 28 250 HIST01RE DES PRISONS Dates d'em- prison nemens NOMS DES DETENUS. ORDRES DONNES. Aout. CHAMBRE A COUCHER DU CONCIERGE. 15 MM. Thierry Par la Commune. 19 Gilie Par le comite de Police 27 Boisgelin Id. CHAMBRE A COTE DE LA CUISINE. 16 Montmorin de Fontaiiie- bleau. ' Par le comiti de Police Diespach, sous le nom de Var.dmeiz Id. 27 Lalli Tollendal Id. N. 1. 12 Duperron Par la Commune. 12 Buob Id. Bosquillon Id. 2 Lalain Comite de Surveillance de I'Assemblee nationale. 1* Romainville Par la Commune. N. 12. Champlost i Grandmaison ? Anciens prijonniers. Mantelan ( N. 9. Maillc Comile de Police. *y Champlalrenx Id. 11 Peron Id. Jeaucourt Id. N. 10. Wittgenstein Comite de Surveillance de I'Assertblec nationalc. Chabot Decret de I'Assemblee na- lionalo Sombreuil Comile c!e Police. Montmorin , ex-ministre. Comile de Surveillance de 1'Asserablee nationale. N. 11. Vacq / Marcon \ Lhost .\Ancienr prijonniers. Cerleux I Lefevre \ DE LA SEINE. 251 bates d'ena- prison- nemens Aout. 12 13 U 15 15 17 40 Hi 13 12 14 16 18 26 NOMS DES DETENUS. ORDRES DONNES. Jours "attes- tation. N. 7. Comile de Police. Commune. Id. Id. Id. Section dc Marseille. 13. Anciens prisonniert. 14. Anciens prisonniers. 15. Par des gardes nationaux du bataill. dcs Au^ustin Id. Comite de Surveillance de I'Assembiec nationalc. Section de Marseille. Commune. Comite de Surveillance d i'Assemblee nationalc. Section des 4 nations. Coaiile de Police. Aout. 11 13 14 15 19 17 10 10 15 12 U Vilette do la Musselierc. Champlot Doyen Defaleu C!i;uiibl.iiii. ...... N. Walvin ( Jouncau 1 Ferrat. . ' N. Mathicu ( N. Moreau de Marsans. . . Rousseau de Nancy. . . Didicr D'Ernest, sous le nom dc Howcrmann. . Evidemment cette liste esl incomplete ; nous y voyons les locataires d'une chambre n 15, cl, a supposer qu'aucune ne porlat un numdro plus leve, ou sontles n os 2, 5, 4, 5, 6 et 8? ou sont I.es prisonniers detenus dans la chapelle ? parmi lesquels Journiac de Saint-Meard , 1'historien le plus na'if et le plus vrai des terribles ^vcnemeni 2S2 HISTOIRE DBS PRISONS de seplembre? Nous n'avons ici que 51 detenus, etregislre en mains leur nombre etait quadruple des le 28aout. Toutefoisce document est curieux, ne fut-ce que pour la colonne des ordres donnc's; nousy voyons deux detenues de leur propre mou- vement , M lles de Sombreuil et Laperouse, aussi ne serons-nous pas etonnes de ne point trouver leur ecrou sur le livre; elles n'ont pas ele jugees, parce qu'on n'a pretendu juger que les prison- niers; elles sont sorties librement de 1'Abbaye , comme elles y etaient entrees. Mais remarquez que d'auloritesdifferentes ont ordonn6 les 49 au- tres incarcerations : Un decret de 1'Assemblee nationale, son Comite de Surveillance, la Com- mune, son Coraite de Police, la section de Mar- seille, celle des Qualre-Nations , et enfin des gardes nalionauxdu bataillon des Augustins. Dans un pareil conflit, en quelles mains etait le pou- voir, sur qui doit reposerla responsabilile? La preuve de la premeditation des journees de septembre ne se rencontre pas seulement dans la demande des listes d'ecrous, elle se trouve encore dans le grand nombre d'elargissemens ordonnes dans les derniers jours d'aout et constates encore aujourd'hui maleriellement par les regislres. Et de plus, par une circonstance remarquable ct DE LA SEINE. 233 qui nous parait prouvee. A (later (lu 27 aout, les concierges des prisons avaient regu 1'ordre de laisser les detenus consacrer a leurs depenses de table tout 1'argent qu'ils voudraient , respectant cet usage immemorial de laisser le condamne manger et boire tout ce qui lui fait plaisir. Le 2 septembre apres ledejeunerlescouteaux avaient ete retires de loutes les serviettes. On voulait se debarrasser des ennemis nalu- rels du nouvel ordre de choses et certainement on crovait le devoir; mais ce d6barras, a-t-on d'a- bord songe a se le procurer par 1'egorgement ? Je ne le crois pas ; je penserais bien plul6t qu'on n'avait eu d'abord en vuequ'une deportation. En eflet un decret du 17 aout avait condamne a la deportation tous les pretres insermentes , et ce ne fut que le 27, lors de la fermeturedes barrieres, qu'on y arreta les eccl^siastiques qui e presen- laient pour sortir. Or, je crois que c'est de cette 6poque qu'il faut dater la premiere pens6e des massacres. Mais celte pensee qui est-ce qui 1'a concue? M. Thiers, en depit de sa juvenile ad- miration pour Danton, semble la lui attribuer; il a tort s'il veut dire que Danton a imaging et or- donne; il a raison s'il veut dire que Danton a prevu, qu'il a su et qu'il a laisse fairc. La seule J54 HISTOIRE DES PRISONS piece authentique sur les massacres , c'est la fa-< meuse circulaire adressee le 3 septembre par le Coraite de Surveillance delaCommune a toutes les municipaliles de France. La Commune de Paris^e hate d'informer ses freres de tous les departemens qu'une partie des conspiratears feroces detenus dans les pri- sons, a ete mise a rnort par le peuple, acJe de justice qui lui a paru indispensable pour re- tenir par la terreur ces legions de traitres ca- ches dans ses murs, au moment ou il allait marcher a 1'ennemi ; et sans doute la nation entiere, apres la longue suite des trahisons qui Font conduite sur les bords de 1'abime , s'em- pressera d'adopter ce moyen si necessaire de salut public, et tous les Francais s'ecrieront comme les Parisiens : Nous marchons a 1'enne- mi, mais nous ne laisserons pas derriere nous des brigands pour egorger nos femmes et nos enfans Cette circulaire etant envoyee sous le contre- seing du ministre de la justice, Danton, et por- tant la signature des 10 membres du Comit6 dont nous avons donn6 les noms , rien n'a paru plus simple quE LA SEINE. 283 etait vrai , comme certains auteurs 1'ont ecrit , qu'un grand nombre d'individus aient etc amends dans les prisons pendant la duree des massacres. Au verso de la feuille 1 1 , en marge de 1'ac- quittement d'un sieur La Vieuville, on ajoute que ce citoyen a depos6 sur le bureau un don patrio- tique de 50 livres. Sur la meme feuille , en marge de 1'ecrou d'un sieur Chatriat, au lieu de la for^ mule de condamnation ou d'acquittement on lit: Jugement retarde. Celtenoteest un premier dementi a 1'opinion ge- nerate quetoules les prisons se sont trouv6es vides apres les massacres. En effet, leregistre de 1'Abbaye presente 52 ecrous en marge desquels ne se trouve aucune mention d'acquittement ou de raise a mort, et les individus auxquels ils se rapportent ont si bien survecu a ces terribles journees que nous en avonsretrouve plusieurs sur la Lisle des Guillotines. En outre, le 3 septembre la Commune nomme uo sieur Bouillon concierge provisoi re de la Concier- gerie ; a quoi bon si cette prison eut ete vide ? Pour nous resumer, le livre d'6crous de 1'Ab- baye nous a donne Mis a mort 1^3 Acquittes '.';. :i i 45 Sauves apres condamnation. ... 5 284 HISTOIRE DBS PRISONS Ineertains , 2 Laisses dans la prison ou mis en liberte autrement que par jugement ou or- dres des autorites constitutes. . . 57 Remarquons qu'il n'y avail dans cette prison que cinq femmes detenues, qu'elles out toutes ete jugees et mises en liberte et parmi elles madame de Tarente ramenee en triomphe dans son domi- cile, apres avoir repondu exactement dans les memes termes que madame de Lamballe. Puisque nous en sommes a parler des femmes, il faut bien pourtant dire un mot du pretendu verre de sang de mademoiselle de Sombreuil. Ce sont des faits horribles que ceux de septembre ; eh bien ! tout horribles qu'ils sont , il s'est trouve de beaux esprits qui ont cru devoir prendie la peine d'y ajouter. Le vieux Sombreuil , gouver- neur des Invalides , ennemi declare de la R6vo- lution , avait ete condamne par ceux qui s'en etaient faits les vengeurs , et sa fille le sauva, absolument comme Elizabeth avait sauve la veille le vieux Cazotte , en fesant parler de beaux yeux pleins de larmes. Certes , c'est un petit merite que celui de s'etre ainsi laisse attendrir a la vue de son devouement filial ; mais les juges du Tri- bunal Revolution naire ne Ton I jamais eu en pa- DE LA SEINE. 285 reille circonstance , et peut-6tre ne fallait-il pas Jeravir aux pr6tendus juges de 1'Abbaye, qui oot assume aux yeux dela posteYite une responsabi- lite deja si redoutable. Les historiens del'epoque racontent tous la mise en liberte de Sombreuil absolument dans les memes termes que celle de Cazotte. Peltier, Maton de la Varennes, si fa- ciles a croire les contes les plus absurdes centre leurs adversaires politiques, n'eussent pas man- que de recueillir celui-la s'il eut 6t6 invents de leur temps. Que dit le second ? Ceux in erne qui s'etaient montres les plus acharnes a la perte de Sombreuil le porterent en triomphe ainsi que sa fille.w Le premier, apres s'e"tre exprime dans les memes termes , ajoute : Tandis que la fille de Sombreuil recueillait les palmes dela vertu filliale, son fils se couvrait des lauriers de 1'honneur dans les plaines de la Champagne, et recevait de la mainmeme du roi de Prusse 1'ordre du merite militaire , sur le champ de bataille ou il 1'avait conquis. Unhistorien qui appreciede cette facon la conduite du fils de Sombreuil eut-il manque de parler du verre de sang, s'il se fut passe reel- lement rien qui y ressemblat de pres ou de loin. Convaincu que le fait n'avait pas eu lieu, his- toriquement parlant , nous voulumes savoir si du 286 HISTOIRE DBS PRISONS moins il fctait physiquement possible. Nous nous sommes adfesse aux maitres de la science, et lous nous ont r6pondu : Quand on abat un homme, qu'on ne 1'egorge pas , qu'on ne le saigne pas , on n'obtient pas un verre de sang potable; en outre, le sang, a moins qu'on ne 1'agite, qu'on de le batte, s'epaissit, se coagule si rapidement, qu'a supposer que la premiere gorgee fut potable le derniere ne le serait pas. On a vu des fa- meliques, des fous furieux , des sauvages se jeter sur leur victime et lui succer en aspirant plus d'un verre de sang; mais le boire a pro- prement parler, le boire dans un verre cela n'est pas possible. D'ailleurs le degout une fois vaincu par suite d'une surexcitation quelconque, cette ingurgitation serait probablementsansresul- tat facheux pour 1'economie animale. Qnidonca inventecet horribleconte?Je nesais, mais le livre le plus ancien ou on le trouve c'est le Me'rite des Femmes de Legoutoe, dont la premiere edition parut en 1801 '. Le bon abbe Del il 1 e ne le repeta pas dans sa ./We 2 (1802), mais depuis tous * C'est dans les notes que Legonte rapporte ee fait, re- grettant de n'avoir pu le placer dans sec vers. 2 On a vu les bourreaux, fatignes de carnage, Aux cris de la Pitie laisser flechir leur rage, DE LA SEINE. 281 ceux qui ont parle de la Revolution en ters ou en prose ont saute comme les moutons de Panurge. 11 est a regretter qu'un esprit aussi judicieux que celui de M. Thiers ne se soil pas mis en garde contre le defaut d'authenticite d'un fait aussi im- portant dont ne parle aucun des recits contempo- rains , non pas meme les plus injustes et les plus hos tiles. Nous avons dit combien peu de foi merite la relation de 1'abbe Sicard ; apres avoir perdu com- pletemeut la tete , il agit dans cette circonstance comme dans toutes celles de sa vie ; il se drapa , se posa, s'encensa et sortit en charlatan d'un danger ou il etait entr6 en lache. Mon agonie de irente-huit heures par Journiac de Saint-Meard , offre au contraire. m6me encore aujourd'hui , la lecture la plus attachante qu'il se puisse imaginer, non settlement pour Vimpor- tance des faits,mais encore pour la simplicite du style et la sincerite du recit.Capitaine comman- ,> Rendre a sa fille ea plears tin pire malheureax >> Et, tout couvertde sang, s'atlendrir avec ea*. 1 dans les notes: Mademoiselle de Sombreuil se pre- cipita au travers des bourreaux pour sauver son pere. C, hero'isme de la piele filliale desarma les assassins, e M to Sombreuil fu< reconduit par eux n triomphe.. 288 HISTOIRE DBS PRISONS .dant des chasseurs du regiment du Roi, Journiac etaitdejaconnuavant la revolution pour 1'amenite de son caractere et 1'originale gaiete de son es- prit. A peine echappe a une mort imminente , il ne se fit pas porter en triomphe a 1'Assemblee , comme Sicard , il ne se cacha pas comme Matou de la Varenne , il s'en fut tranquillement deviser et bouquiner a la porte du libraire Desenne, dans la galerie de bois du Palais-Egalite (Palais-Royal) absolument comme il 1'avait fait la veille de son arrestation. Le 11 septembre il vendit sa bro- chure a Desenne et la signa : LA/ A HI:, ci-devant JOURNIAC SAINT-MEARD, Ne varietur. Elle parut le 15, le 20 il fallut une seconde edition , sans compter deux contrefacons tiroes a grand nombre. Enfin il s'en vendit 280,000 exem- plaires en six mois, et sans compter les compila- tions ou elle est entree entiere ou par fragmens ; il s'en est public soixante editions en France seu- lement. Journiac de St-Meard continua jusqu'a sa mort, arrivee en 1827 , de frequenter la boutique du libraire Desenne, ou il fesait des stations de plu- sieurs heures chaque jour. L'aimable bonhomie avec laquelle il racontait ou ecoutait les histoires DE LA SEINE. 28!) les plus droles et les plus invraisemblables , 1'a- vait fait surnommer par ses nombreux amis Pie- sident et General en chef de la Societe Universelle des Gobe-Mouches . Loin de s'enfacher, Jouruiac fonda reellement une sociele de ce nom, et eut la ma- lencontreuse idee d'envoyer, signe et parapbe de sa main, un brevet demembre au premier consul. Napoleon, no conuaissant pas ce delicieux origi- nal, se facha tout rouge et le fit jeter au Temple. Dubois etFouche, apres de vains efforts pourob- tenir sa grace, prirent sur eux de lui rendre la liberte en lui recommandant de ne plus corres- pondre avec le chef de la republique , et de faire en sortequ'il n'entendit plus parlerde lui. Jour- niac se le tint pour dit et n'en presida pas moins jusqu'au bout sa regrettable societe. La relation de Journiac est trop connue pour que nous la transcrivions ici ; son interrogaloire ne contient pas moins de huit pages in-8; on voit qu'il a etc ecoute avec convenance, avec egards meme. Des le debut, Tun des juges lui dit : Le moindre mensonge vous perd et quand unmur- mure s'etait eleve dans 1'auditoire a celte reponse de Journiac : J'etais franc royaliste, le mdine juge s'ecrie : Ce n'est pas pour juger les opi- nions que nous sommes ici, c'est pour en juger 19 1M HTSTOIRE DES PRISONS les resultals. Pluta Dieu que, dans les causes politiques, les magistrals, par qui quc ce soit qu'ils aient ele nommes , eussent ainsi compris leur mandat. Nous remarquerons encore dans le recil dc Journiac ces mots : Un garde national qui n'e- tait pas au nombre des juges. II y avail done des gardes nationaux qui prenaient la parole, bien qu'ils ne fissenl pas parlie du soi-disant tribunal; il y en avail done qui entraient et sortaient libre- ment dans le greffe et ravanl-grefle, commeront fail les commissaires del'Assemblee el de la Com- mune, comme 1'ont fail les deputes des sections et des bataillons de la milice ciloyenne. Jourdan, president du comile civil et de surveillance des Quatre-Nations, parled'un posle dedouze gardes nationaux places sous la porle cochere, avec con- signe de leur commandant de laisser entrer tout le monde et de ne laisser sortir personne. Et 1'on viendra nous dire que ces executions, quionldure cinq jours , etaienl le fail d'une cinquautaiue d'hommes de la lie du peuple. Observons encore que, pour s'eviter des scenes dechirantes et ne faire souffrirles prisonniers qu'au dernier moment, on ne leur disait a aucuns qu'ils etaient condamnes. fn Conduisez monsieur a la Force, Idle etait la DE LA SEINE. 2t formule employee a 1'Abbaye. A la Force, on disait : Elargissez monsieur. Revenons a Journiac. A peine eut-il termine ses explications que le president, apres avoir pris 1'avis des juges, dit : Je ne vois rien qui doive fairesuspecter monsieur; je lui accordela liberte. Aussitot trois deputes le conduisent hors du gui- chet : Citoyens... chapeau bas, voila celui pour lequel vos juges demandent aide et secours. A ces mots on 1'enleve, on 1'embrasse. Les trois de- putes le ramenent en fiacre a son domicile , on Jeur oflfre de 1'argent, ils n'acceptent qu'un verre d'eau-de-vie. Journiac avait demande a ses juges un certifi- cat d'acquittement. II le rec^it et nous 1'a trans- mis : (r Nous, commissaires nommes par le peuple, pour faire justice des traitres detenus dans la pri- son de 1'Abbaye, avons fait com paraitre, Ie4sep- tembre, le citoyen Journiac de St-M6ard , ancien 6fficier decor6, lequel a prouv6 que les accusations portees contre lui etaient fausses et n'6tre jamais entre dans aucun complot contre les patriots : nous 1'avons fait pfoclamer innocent en presence du peuple , qui a applaudi a la liberle que nous lui avons donnee. En foi de quoi nous lui avons 292 H1STQ1RE DES PRISONS delivre le present certiticat , a sa demande. Nous invitons tous les citoyens a lui accorder aide et secours. Signe PAH BER.... A 1'Abbaye, 1'an iv e de la liberte, etle l er de 1'egalite. Gorsas pretend avoir vu tin cerlificat de la meme nature delivre a la date du 9 septembre et sign6 N f '*, par un quidam, lequel s'y qualifie fajuffe souverain, elu par le peuple aux journees des 2 et 5 septembre. Peltier, redacteur des Actes des Apolres , dans son Histoiredu Dix Aout, ecrite a Londres en 1 795, conclut de ce qui precede qu'il ne serai t pas im- possible de retrouver en grande partie les juges et les bourreaux de septembre. Au surplus, ajoute-t-il, ces decouvertes seront 1'objet des re- cherches d'un tribunal prevotal , et je doule fort que jamais aucune hisloire de la revolution des- cende jusqu'a ces noms ignobles. On n'ecrit pas 1'histoire des loups. Voila un echanlillon du style de Peltier ; nous avons vu qu'il appelait Cazotte vieux troubadour, ii appelle les hommesde septembre de mediants assassins. Pendant la paix d' Amiens, Bonaparte le fit condamner devant les tribunaux anglais a une amende insignifiante pour DE LA SEINE. p . 295 libellc contre sa personne et SOD gouvernement. II niourut a Paris en 1825 , bibliothecaire de la bibliolheque dcs Quatre-Nations. Le registre des ecrous du Chatelet existe aux archives de la prefecture de police, maisiloffre bien inoins d'interet que celui de 1'Abbaye. D'abord parce que ce u'etait pas une prison politique et ensuite a cause de la brievete et de I'uniformite des annotations a la colonne des sorties. Tous les prisonniers du Chatelet, sans exception, etaientdes condamnes ou des accuses de crimes ou delits or- dinaires. II ne se rencontre pas sur ce registre un seul noni connu ; generalement a la colonne des motifs on ne lit que le mot criminel ; rarement la cause d' incarceration y est-elle plus longuement developpee, et alors on y lit : Condamne a la gene (tr|yaux forces) , a tant d'annees de prison pour vol ou bien prevenu d'assassinat , pre- venu de fabrication de fausse monnaie , etc. Ajoutons que le plus ancien ecrou de ce registre est du l er avril 1791 et qu'il n'en renferme peot- otre pas dix posterieurs au 10 aout, etqu'encore ceux-la se rapportentades individus pr^venusde fabrication de faux assignats. Un tribunal popu- laire s'inslalla au Chatelet le 5 septembre; le re- cistre constate 151 executions a mort et 57 mise 29* HISTOIRE DES PRISONS ea liberte ; la colonne des sorties porte invaria- 1) lenient : 3 septembre. Mis a mort parlepeu- ple; ou 3 septembre. Mis en liberte par 1 peuple. Ces annotations paraissent etre de la main du greffier. Voici le texte du dernier ecrou, du seul qui suit curieux : Du 2 septembre 1792. Le sieur Auger... , dont il ne m'a pas et6 possible de transcrire 1'ecrou , le registre ayant et6 vole et emprunte le 3 ats ? N'est-il pas evident que la au moins ainsi qu'a la Salpetriere et a Bicetre, ce massacre n'a eu que le but proclame pour toutes les pri- sons : assurer scs derrieres et empecher qu'en cas DE LA SEINE. 307 (Taltaque des cnnemis extericurs, ils ne trouvas- sent des allies dans celle 6cunie de la soci&e qui n 'avail qu'a gagner a un bouleversement. D'ail- leurs , en fesant YJKstoire des Prisotis sous la ter- reur nous avons deja eu occasion de remarquer que les voleurs et les assassins detestaient le nouveau regime tout cntier et particulierement restitution du jury. Sous le nom identique d'Hopitat Paris avail deuxsentines, la Salpetriere et Bieetre, 1'unepour les femmes, 1'autre pour les horames ; on y renfer- maltp^le-m^le jusqu'en 1790, separ6ment depuis, les alienes, furieux ou non, les epileptiques , les galenx , les veneriens , les voleurs condamnes ou pr^venus , et puis , arbitrairement , sous forme de lettre de cachet , d'ordres du roi , etc. , tous les eefans de famille accuses de dishonorer leur nom , tous ceux que des parens puissans , un mari, une femme, avaient un inte're't quelconque ii faire incarc6rer, enfin les filles puhliques et les miserable* partageant avec elles le fruit de leur prostitution. Dans un chapitre que nous consa- crerons aux Livres des ordres du Roi. nous exami- nerons tous les motifs divers qui fesaient jeler les gens a rhdpitat, et nous reproduirons d'e- tranges Serous, 303 HISTOIRE DBS PRISONS Quoi qu'il en soil les registres de la Salpetriere a 1'epoque revolutionnaire, paraissent, quant a present, perdus. Le royaliste Peltier dit que 45 femmes seulement perirent a la Salpetriere , et parmi elles la veuve et complice de 1'epicier Des- rues, roue en 1777. Elle-meme avail etc foueltee, marquee et condamnee a la reclusion a vie , par arret du parlement. Apres 15 ans d'un empri- sonnement rigoureux , cette malheureuse allait recevoir sa grace ; elle 1'avait meritee par sa resi- gnation et la regularity de sa conduite. Ce chifl're de 45 semble indiquer que le massacre ne s'eten- dit qu'aux femmes regulierement condamnees aux travaux forces ou a la reclusion. MM. Bar- riere et Berville n'etaient pas hommes a se con- tenter pour si peu, ils portent le chiffre des mas- sacres de la Salpetriere a 2195, c'est-a-dire probablement au-dela de la population lotale de niopital a cette epoque. T>E LA SEINE. 309 CHAPITRE XI. Massacres a Bicelre. Recil el documens cnlifereineut neufs. C'etait une chose recue pour (ous ceux qui se sont occupes jusqu'ici des evenemens de septem- bre, que les registres de Bicetre n'existaient plus, si inenie il en avail jamais eKi tenu. Du reste on s'accordait a dire que cette maison , attaquee a roiips de canon ct defendue de meme , avait ete le theatre de la plus epouvantable boucherie. Tout y avait peri, etl'on ne craignait pas de por- ter a 6,000 le nombre des victimes. Ces evene- rnens nous touchent pour ainsi dire, les documens sont la , nous les mettrons sous les yeux de DOS lecleurs ; mais que de contes on nous a fails, bon Dieu ! Que doit-ce etrede 1'histoire ancienne, si 1'histoire conteraporaine est ainsi raconlee. Avant re, d'ordre du departement de la police. Sorti 13 mars 1795, son temps etant fini. Voici quelquesecrous remarquables pour leurs annotations. Du 1" mars 1788. Joseph Chevillard, ditPrivard, age de 10 ans. En marge a gauche : Correction jusqu'a sa majorite. Et a droite : Enleve le 7 septembre 1 792 par les volontaires de la section des Terraes de Julien. Louis Verdure, age de 12 ans correction pour 2 ans enleve le 6 septembre 1792 par les volontaires de la section de 1'Observatoire , en detachement dans cette maison. Le 7 dudit mois recu un arrete de ladite section qui atteste que ledit Verdure y a ete amene et qu'il a et en- r6l6 dans le 2 e bataillon pour parlir aux fron- tieres Lous-Joseph Merrier, jockey, ag6 de 15 ans , condamne a deux ans de correction enleve le 5 septembre 1792 par le tambour des grena- diers de 1'Observatoire et par plusieurs volon- taires de ladite section. Nous expliquerons la presence et Tiiifluencc de ces bataillons a Bicetre, dans les journees des 5 , C et 7 septembre. 21 3:2 HISTOIRE DES PRISONS Biea qu'apres les v6nemens des 3 et 4 nous ne trouvions aucun ecrou avant la date du 1 1 , ie service du greffe avail repris sa r^gularite. Cabanons ' pour un an du 9 scptcmbre 1 Le volgairc est assez porte a prendre cabanon pour jynooyme de culde basse-fosse, c'est a dire pour un affreux cachot oil ue penetre ni 1'air, ni le jour; il n'en etait pas ninsi. Cabanon est pour aiusi dire le maseulin de cabane el ne signifie rien autre chose qiTun espace petit et soli laire ou Ton renfermailun fouou un prisonnier. Bicetre- prison avait quatre etages de cabanons au-dessus du r>] II en avait eu au-dessousetdc bien affreux, mais LouisX VI les avait fait combler peu apres son aveneraent, n'en lais sant exister que cinq sous la chapelle ( de la prison, ne pas confondre avec 1'eglise de Thospice) pour scrvir de cachets de punition aux criminals les plus endurcis ou les plus oulrageux. Chaque cabanon avait et a encore au- jourd'hui huit pieds de haul et huit pieds de profondeur sur six de large, y compris une fenelre grillee a maillc fl'un pouce carr6. Ce qui enfesaitl'horreur ce n'etait done pas I'etroitesse ou I'obscurile, c'etait risolement et le si- lence; car les prisonniers dans les cabanons, a la diffe- rence de ceux da batimenl ditla force oudes infirmerics, ne descendaient jama is dans les cours et ne sortaienl ja- mais de leur cellule, non pas meme pour salisfaire aux necessiles les plus iraperieuses. Les murs de separation etaienl si epais que, ne pouvant faire catcndrc leur voix auxraalheureuxqui gemissaient a droite et a gauche, au- dessusou au-dessous, ils n'avaicnl d'aulres moyens pour communiquer et rccevoir la pens6e humaine que de frapper centre la parois voisine un nombre de coups DE LA SEINE. 323 1791 Charles Disly , compagnon bijoutier. gargoa , age de 50 ans sorti le 9 septembre 1792, son temps etant expire. Si 1'on me demande comment le registre si im- portant que jeviens d'analyser a pu echapper aux recherches de tous eeux qui ont ecrit anterieure- ment sur ce sujel, je repondrai : d'abord , parce qu'ils n'en ont pas fait , trouvant plus commode de se copier lesunsles aulres; etpuis, parcc qu'au egal aa rang que chaque letlre occupe dans {'alphabet. C'etait done 1'emprisonnement solitaire dans toute sa jiurete, et pendant qif on delruit lescabanons de Bicelre, ea se prepare a en construire ailleurs pour essayer Ic fameux systeme ! Pauvre espece humaine qui croit inno- ver! Tourne, lourne, c'est dans 1'une de tes anciennes er- reurs qu'il te faudra retomber. II est vrai qu'autrefois on voulait toarmenter, punir leprisonnier,etqu'aujourd'hui on pretend le moraliser, le transformer e'est bien dif- ferent. Eh mon Dieu I il n'etait pas besoin d envoyer a Brands frais vos inspecteurs au bout du nionde pour vpus en rapporter desbilleveseesbibliques. Lesregistres deBi- >tre sont la peur vousdire si 1'emprisonnemcnt solitaire previenl la recidive, et puis ils VOHS auraient fonrni unc lonnee jmporlanle, ils vous auraicnt dilcombien de mal lieareux passaient chaque annee du cahanon des crinii nelsa eelui des alien^s, lorsque tontefoison (rouvnil q-i'ii vaWt la peine de lesy transferor; car le regime de ccu\- oi n'etait guere plus don\ que le regime de reux-la avani Piuel, et malheureii'semenlpeBr i'hurnanite Piuel n'cntra i BicMre qu'on 179-2. 3-2+ HIST01RE DES PRISONS lieu d'etre a sa place naturelle aux archives dela prefecture de police, ce precieux document avail suivi le dep6t des coodamnes deBicetre a la Roquet- te.encompagniedes 65regislresdesOrdm du rot. Apres me 1'avoir communique avec toute 1'ur- banite et tout 1'empressement desirables , le di- recteur, M. Becquerel , et ses deux greffiers me tiirent : Ce livre, c'est une lettre morte, mais si le pere Richard vit encore il vous expliquera tout <:ela. Qu'est-ce done que le pere Richard? Le pere Richard c'est le directeur des postes a Bi- c6tre, c'est le doyen de cette population de 4,000 ames; il assistait aux massacres de septembre en qualite d'employ6 de la maison ; il ne l'a pas quittee depuis. Et croyez-vous qu'il consente a me raconter? Comment done ! il ne parle que de cela, il vous en racontera pendant deux jours et deux nuits, si vous le voulez... c'est-a-dire s'il n'est pas mort, toutefois. Mort! et depuis quand Tavez-vous vu? Pas depuis la separation des deux 6tablissemens, en 1836. Et il avail alors? 70 ans a peu pres. Oh! inon Dieu ! pourvu que le pere Richard ne soil pas mort , ou qu'il n'ait pas perdu la memoire. Le premier cas est scul a craindre , le second n'cst pas pos- sible; songez done qu'il n'y a eu qu'un seul 6v6- DE LA SEI>E. 325 ncment dans la vie de ce bon hominc, les massa- cres de septembre il vous les racoolerait sur HOD lit de mort, comme Dumarsais y fesait de la grammaire et Maupertuis des malhematiques. Diable ! moi qui arrive precisement de BicStre ! et les employes de la direction n'ont pas eu 1'idea de me parler du pere Richard ; mais 1'adminis- tration des hospices , c'est tout dire ; il n'y en a pas uue au monde oil Ton puisse tomberplus mal pour demander un chiffre ou un renseignement. II est trop lard poury retourner aujourd'hui, mais tleinain j'y serai de bonne heure. La nuit je revai massacres, Bieetre et pere Ri- chard. Le matin je me levai plein d'impatience, et quaod la Favorite m'eut depose a la barriers de Fonlainebleau, il eut fait beau me voir arpen- ter la demi-lieue qui me separait encore de 1'hos- pice. Un galant en bonne fortune , un amateur qui va voir un Raphael inedit , ou un Othon de bronze , n'eprouvent pas plus d'empressement , plus d'inquietudes. Que de foisjem'ecriaichemin faisant : mon Dieu ! pourvu que le pere Richard nc soil pas mort ! Je vais done causer avec un temoin oculaire, avecunacleur force decedrame si terrible et si peu connu. Enverile, le pere Ri- chard cut ete de mes parens que je n'aurais pap 326 11ISTOIKE DES PtllSOXS fait ties vceux plus sincere** pour qu'il cut plu a Dieu de lui conserver la vie et la me^noire. Enfin j'arrive, le cucur me battait bien fort en lournaiil le bouton du iaineux bureau de poste. Je vois un petit vieillard tout habille de gris , la le"tecouvertede deux bonnets de colon, 1'un blanc par dessous , 1'autre noir par dessus, le visage ros6, pas de lunettes , I'&il evidemment faible. mais intelligent et vif; et tout cela oflVait un en- semble plein de resignation , de quietude et dc bonte\ M. Richard ? G'est moi, monsieur. Je viens de la partde MM. lels et tels , qui m'ont promis que vous seriez assez bon pour me ra- conter ce qui s'est passe dans cette maison, lors des evenemens de septembre. (Le petit vieillard bondit a ce mot, et sa taille se redressa de deux pouces au moins; j'avais louche sa corde.) Mais dans quel but? Je m'occupe d'une histoire des prisons dans laquelle enlrenecessairemenl un recit de ces 6venemens , et j'ai cru ne pouvoir mieux faire que de m'adresser a vous pour savoir la verite\ -^-C'est bien de Phonneur que vous me faites, asseyez-vous la; j'en ai bien lu des nar- rations de seplembre, je n'en ai pas vu une qui cut le sens commun. Figurez - vous , mon cher jnonsieur, ^ue vous dies le premier homme Msto- I)E LA SEINE. 327 rique qui soyez veuu me consulter. J'aurai* eu pourtant bien des ehoses curieuses a leur dire , mats, bah ! il faudrait deux jours pour vous ra- conter tout cela. Voyons, mettons-y del'ordre; t'ommencous par le commencement. Volontiers; le roi Louis XIII , qui etait Ills de Henri IV... (diable, tis-je a part mot , s'il prend son recit a Louis XIII, nous n'avons pas lini...) le roi Louis XIII vouiait etablir ici la commanderie de Saint-Louis, mais... Je sais cela, passons, s'il vous plait. C'est juste, j'oubliais, vous 6tes uo homme historique; Louis XIV est un roi qui eut, a ce qu'il parait , de grandes guerres avec les-2- Hollandais , et avec 1'argent qu'il leur prit a la guerre, il batit les Invalides , en sorte que Bic6- tre... Passons , s'il vous plait, passons; c'est 1'histoire des massacres que je vous demande et nou pas toute Tbistoire deBicetre... Mais tone/, si nous parlions un peu de vous-memes ; vous n'avez pas eu une existence ordinaire, si vous me racontiez votre histoire. II y a bien long-temps que vous etes ici ? Depuisl'annee 1786, ah ! monDieuoui ! j'y suis entr le 19 novembre 1786, mais je n'ai 4te enregistre que le 20. En qualite d'employe de 1'administration ? Non, monsieur, non, pas tout 323 UlSTOlfeE DES rillSONS de suite; je n'yai ele attache qu'un peuplus lard. a ue me fait pas beaucoup d'honneur peut-etre, mais eniin je suis en (re en qualile d'orphelin in- digent; j'avais perdu fort jeune mon pere et ma mere; vous voyez mon pauvre bras droit , il est casse; c'est ma nourrice qui me laissa tomber en revenant du baplcme , et puis j'ai toujours eu la vue extremement faibie. Mes autres parens m'e leverent Je mieux qu'ils purent jusqu'a 17 ans, qu'ils me firent entrer ici a force de protections; comme j'etais geutil et que j'avais de I'educalioii je ne tardai pas a travailler dans les bureaux ; je ne les ai pas quittes, et je tiens celui de la posl depuis 1794 ou, si vous voulez, depuisle27 mes- sidor anil. Oh ! je suis bien, je crois, le plus an- cien directeur de France. Mais, en 1792, je tra- vaillais au greffe de la prison et comme j'etais le plus jeune et que j'etais toujours orphel in-indi- gent , naturellement on me donnait la plus mau- vaise besogne ; c'est ainsi que j'elais charge d'ar- reter la situation tous les soirs, et c'est ainsi qu't/.s m'ont fait venir la pour dire ou etaient tels ou tels prisonniers . -*- Qui Us ? de qui parlez-vous done? Mais des assommeurs. (Et dans le resle de son recit le vieillard ne dit jamais autrement que Us et les assommeurs. DE LA SEINE. .129 Le pere Richard s'interrompaut se mil a tracer sur le papier les trois chiffres 166, 55 et 22. Qu'est-ce que cela, lui demandai-je? 166 c'est lenombre desmorls. Mais, repris-je, j'ai releve exactement le livre d'ecrous , je n'en ai comple que 165 et je suis d'accord avec le directeur , M. Becquercl , qui avail anterieurement fail le mdme travail. Vous m'elonnez , diable! j'ai pourlanlla dans ma tele 166... Attendez done... m'y voici ; vous n'avez releve que les prisonniers lues, moi j'ai de plus deux indigens et I'econome de I'hospice. Mais ce 55 et ce 22, qu'est-ce que sigDifieDt ces chiffres-la? 55 c'6tail le nombre des enfans a la correction, il ne nous en estreste que 22; Us en ont tue 55 , les malbeureux ! Us nous disaient , les assommeurs , d'ailleurs nous 1'avons pu voir par nous-memes que ces pauvres enfans etaienl bien plus difiiciles a achever que les hommes fails ; vous comprenez, a eel ago la vie lienl si bien. Us nous en onl tue 55; on en avail fail une montagne, la dans ce coin oil Ton demolit a volre droite ; le lendemain quand il a fallu les enterrcr c'etait un spectacle a fendre I'amc; il y en avail un qui avail 1'air do dorniir comme un ange du bon dieu , mais les autres etaienl horriblcmenl mutiles. Vous me demandc/. 330 HISTOIRE DES PRISONS H je me rappelle Lien Ics journees de septembre ! oui, mon cber monsieur, oui , comme si entail hier ; qua nd on a eu le malheur de voir des chosen comme celles-la , on vivrait cent ans qu'oo ne pourrait pas lesoublier. J'en ai r6ve long-temps, vous me pouvez croire... et cependant , arrange/ cela, j'aime a en parler. Mais dites-raoi , M. Ricbard , quel jour et comment cela a-t-il commence? Us sont arrives ici le lundi 3 a 10 heures du matin. Est-ce que vous n'etiez pas prevenus ? est-ce que vous D saviez pas, par exemple, que la veille on avail massacre aux Carmes et a 1'Abbaye ? Oh ! mon Dieu non; c'est-a-dire nous savions bien qu'il y avail eu quelque chose, mais quoi? voila; d'ailleurs il y avail deja plusieurs jours que nous etions menaces. Le malheur, mon cbc-r monsieur, c'est qu'a cette epoque il n'y avail pas de gouver- nement du tout, parce que... Je saiscela, pas- sons. Pardon , j'oublie ton jours que vous eles un komme historique ; c'est qu'ici, quand je le leur racoote, je suis oblig6 de dire tout. II y avail un bon-pauvre qui etait sorti la veille et qui demand* a sortir encore le lundi matin. On le lui refu&t, parce que c'etait un mauvais homme que ce bon- pauvre. Pour lors il se repandit en invectives DP. LA SEINE. 331 conlrc nous , il cria que nous allions la daosur, que les vengeurs allaienl venir, que nous serious fousegorg^s. Nous pensions qu'il disait vrai; DOUS ne erosions pas que ce futanos prisonniersqu'ou en voulait; au contraire, nous croyions que c'e- taient leurs cainarades de Paris qui venaient les delivrer, et il y en avail beaucoup dans les ca- banons qui le croyaient de memo et qui pous- saient des cris de joie. Ce meine bon-pauvre . resolu a sortir malgre nous, escalada la muraille, mais Us le tuerent d'un coup de fusil au coin d'un champ, pensant que c'etait un prisonnier qui sc sauvait. L'autre bon-pauvre fut tut- aussi par megarde , au moment ou il tra versa! t la cour, malgre la consigoe. Fort bien, mais comment se sont-ils intro- duits, comment avez-vous su enfin qu'ils ve- naient ? a s'est annoncc d'abord par un epou- vantable silence; vous n'avez pas d'idee de ce silence-la; on aurait dit un soir d'ete quand il va lomber une averse; dans tout BicStre, ou il y avail peut-6tre ce jour-la trois mille hoiumes, vous aurtez entendu volr une mouche. Mais vous aviez des canons, vous vous etes defendus ; votre directecira etc tue dcvant la grill*... Qui est-ce qui vous a fait ces contes-la ? ricn de tout cela 33-2 HISTOIRE DES PRISONS n'est vrai: on n'a pas essay e uu moment de sa defendre, nous n'avions pas de canons, notre di- recteur n'a couru aucun danger. Nous avions bien notre garde , mais elle est restee 1'arme au pied. Comment votre garde ! je n'en ai jama is entendu parler? Qu'est-ce que c'elait que cette garde ? La garde de 1'Hospice - general , nourrie , habillee, soldee par lui , une compa- gnie de 86 homines , y compris un tambour , un capitaine et uu lieutenant, qui etait en menuj temps gouverneurdes cabanons. Quandlesassom- ineurs sont entres par la grande grille, ils sesont radges en batailie et se sont reconnus mililaire- ment avec noire garde , absolument com me 1'au- raient fait deux troupes regulieres. Puis notre garde a inis Tanne au pied, elle a continue le ser- vice de ses factionnaires a 1'interieur et 1'exterieur coucurremrnent avec ceux des assommeurs, c'est si vrai que c'est un faclionnaire de notre gardn qui a tue ce pauvre M. Bechel , I'econoine de 1'Hospice, le meilleur horame du monde. Com- ment cela? 11 faut vous dire que notre garde avail presente une petition a I'Assemblee pour etre assimilee a 1'armee , non pas qu'il voulus- sent aller a la frontiere, c'etaieut de pauvres sol- DE LA SEINE. 33S dats , mais ils de"siraienl s'assurer la retraite des invalides, parce que celle de la maison etaitbien inferieure. Le ministre consulta les chefs de Bi- eelre qui repondirent que la deniande n'etail pas admissible ; que ce u'etaient pas a proprement parler des soldals de ligne ; mais une garde do- mestique. Ce mot domestique ful mal pris par nos hommes ; ils crureat qu'oa avail cru les assimi- ler a des valets , tandis qu'on avail voulu dire ^implement qu'ils avaient un service special comme on disail alors la maison du roi. Vous savez en latin damns ? Oui , oui contituez. Ah, c'esl vrai , pardon, vous savez le latin , vous ; je 1'avais commence aulrefois. Ils en gar- daienl done rancune, el lorsque M. Bechel renlra par la porte rouge, le faclionnaire lui dit qu'ou le demandait au greffe de la prison pour signer je nc sais quoi ou donner je ne sais quel renseigne- menl. M. Bechel ne voulail d'abord pas y aller, parce que, disait-il , econome de I'liospice, il n'avail rien a faire dans la prison. Mais enfin, la senlinelle insistant, il se dccida. A peine avait-il fait trois pas en avant que cclle-ci lui lacha son coup de fusil dans les reins. Le pauvre M. Bechel tomba el dit Iranquillemenl : Ah! malheureux, lu m'as pris en trailre. Comme il gisail lit , se 331 HISTOIRE 1)ES PRISONS dchatlant contre la mort, arrive un gros garde national en uniforme , je le vois encore , je rroi* que c'etait un federe breton , il lui appliqua le canon de son fusil surle front etsa cervelle sauta de tous cOtes. On le traina sur le bord d'un fosse en dehors de la porte rouge et , comme il y etait seul, ily resta quarante-huit heures et fut enterre tout le dernier. L'eeonome de la prison , M. Le- (ournaux eourut grand risque aussi , toujours de la part de notre garde , et ee furent les assom- meurs eux-memes qui empgcherent qu'ils ne lui fissent du mal. Quant a moi, j'eus le bonbeur ce jour-la de sauver la vie a la mere-sup6rieure. Encore cette histoire, mon brave M. Richard, encore cette histoire. Je le veux bien; cependant vous me faites jaser et voila Theure de la poste qui s'avance. Lesassommeurs avaient deja acquitte plusieurs prisonniers, et ceux-la on les portait en triom- phe au cris de Vive la Nation ; mais ils nc pouvaient pas sortir avec leurs vestes et leurs cu- lottes de bure; avant de les mettre dehors il s'a- gissait de leur rendre les habits avec lesquels ils etaient entres dans la prison. Les assommenrs aviserent la mere superieure qui travcrsait la cour et lui demanderent ou elaittemagasin. Elle, toute DE LA SEINE. 335 inlerdile , ne repoudit pas, el se jela a genoux , pensant quo sa derniere heure elait arriv6e.Corame elle moltipliait les signes de croix el les prieres du chapelet, ils crurent qu'elle dcmandait le mar- tvr, comme les pretres des Carmes et de Saint- Firmin , et se mirent a 1'accabler de coups de pieds et de poings et de bourades de fusil. J'ac- eourus et ni'oflris de les conduire oil ils souhai- laient allcr. Ils me suivirent , laissant la pauvre mere superieure etendue sur le pa\6. Parmi les coups qu'elle avail recus il y CD avail un dans les seins , il se declara un cancer dont elle mou- rut 18 mois apres, simple reposanle dans I'hos- pice. Revenons, je vous prie, a vos assommours. rombien etaient-ils ? Peut-6tre bien 5,000, mais il n'y en eut guere que 200 qoi prirent part aux aflaires, soit comme juges, soil comme bour- reaux. Ils avaient amene du canon ? On I'a dit , mais dans ce cas , ils Tauraient laiss^ en deliors , car je suis alle maintes fois , pour mon service, jusqu'aupres de la grande grille et je n'en ai pas vu. Comment done etaienl-ils armes ? Quelques-uns en petit nombre avaient de me- chans fusils , d'autres des sabres, dos baches, des buches , dfts crochets , mais ce qui dominail c'c- 33 HISTOIRE DES PRISONS talent les piques. J'oubliais de vous dire que ces gens la qui nous fesaient si grande peur a tous. n'etaient pas eux-memes trop rassures non plus. Quand ils entrerent il y avail par hasard des cou- vreurs sur le toil d'un des balimens de 1'hospice, dans la sex>nde cour. Ils les firent descendre , craignantque ce ne fussentdes homines apostes la pour leur tirer des coups de fusil. Y en avait- il de bien babilles? Oui , quelques-uns , dans les jugeurs surtout , mais les autres n'etaient guere elegans. Est-ce qu'ils avaient 1'air plus feroces que d'autres hommes ? Non , mais ils etaient terriblement animes: ils disaient qu'ils ne voulaient pas que des scelerats egorgeassent leurs femmes et leurs enfans tandis qu'ils iraient se battre a Verdun. Ah , il disaient cela! Oui , et puis quand il y en avail un d'acquitte, il fallal t voir quels cris de joie ils poussaient , comme ils 1'embrassaient. Vous ne pouvez pas vous figurer cela , mon cher Monsieur. Et les juges , com- bien etaient -ils? Une douzaine , mais ils se relayaient. En connaissez-vous quelqu'un par son nom ? Pas un , mais j'ai encore leur figure presente a la memoire, et si je les voyais , je les reconnaitrais entre mille. El vous n'en avez jamais rencontre auoun ? Aucun... Altende/ ' DE LA SEINE. 337 le-huit sections. en liberte le 2 septem- bre 1792, par ordre de MM. Truchon et Duval Destaines. Marie -The'rese- Louise de SAVOIE de BOIRBON- LAMBALLE , conduite le 3 septembre 1 792 , au grand h6tel de la Force. , Gouvcrnante des en- fans du roi. Toutes sept conduites dans cette prison par arre'te du con?eil gcnr- ral, de MM les Commissaires des quarante-huit sections, ordonne en outre qu'ellcs seront en etat d'arrestation et renfermees s^paremciit. Vient apres, sous la meme date, 1'ecrou d'une prevenue civile. II est impossible en exarainant cettc feuille, de ne pas penser qu'une destinee particuliere 6tait reservee a cette malheureuse princesse : seule on ne lui donne pas de profession, les mots Savoie et Itourbon-Lamballe sont mis en saillie avec une in- tention quelconque , et quand on dit au dessons : Conduite le 3 septembre 1792 au grand hfttel 350 HISTOIRE DBS PRISONS de la Force, on ne prend pas la peine de nous appreudre par 1'ordre de qui elle y a ete conduite, et quel sort elle y a 6prouve. Le 30 aout nous trouvons un autre 6crou poli- tique. Angclique Euphrasie Peignon , epouse de M. de Septeuil, sortie Ic 3 septembre 1792. Nalive de Paris, agec de 21 ans et demie envoy^e dans cette prison , pour y etre detenue jusqu'a nou- vel ordre. De 1'ordre de MM. les administrateurs du departement de po- lice. Enfin en voici un du 2 septembre meine , alors que les massacres etaient deja commences : Madame Mackau, sortie avec sa femme de chambre, le 3 sep- tembre 1792. Envoyee dans cette pri- son avec la demoiselle Adelaide Rotin sa fem- me de chain! in , pri- sonniere volontaire aupres de sa maitres- se. De 1'ordre dc MM. les administrateurs de police, membres de la commission dc surveillance et de salut public. Le l er septembre on avait ecroue 14 prisonnie- rcsciviles; ily a interruption le 2 , apres madame de Mackau, jusqu'au 9 , ou nous voyons trois ecrous, pois le livre reprend sa regularite ordi- naire. Le registre de la grande Force presente 575 blancs a la colonne dcs sorties, en marge de 375 ecrous d'individus, politiques pour les deux tiers environ, et emprisonnes du l cr juilletau l cr sep- terabre. II paratlratt done que ces 575 individus DE LA SEINE. 351 auraient paru devant le pretendu tribunal qui sY- tait installe dans cette prison les 2 et 3 septembrc. Mais quel a ete le nombre des condamnes et quel a 6te celui des acquittes, c'est ce qu'i) est impos- sible de dire aujourd'hui d'une maniere precise. MM. Barriereet Bervillecomptent l,760morts. Si nous reduisons a un dixieme, comme nous avons vu qu'il le fallait toujours faire avec ces mes- sieurs, nous aurons 176. Peltier donne pour chif- fre 164 ; or nous avons montre qu'il avait exa- gere d'un tiers celui des executions a 1'Abbaye , ecrous d'individus, politiques pour les deux tiers environ, et emprisonn^s du l* r juillet au l cr sep- tembre. II paraitrait done que ces 575 individus et de plus d'un quart celui des executions au ChiHelet, que nous avons pu verifier avec exac- titude. Si nous appliquons une moyenne de re- duction proportionnelle , nous trouverons que le chiffre des executions a la Force n'a pas du de- passer 120. En effet, Maton de la Varennes , ac- quitle lui-meme, cite infiniment plus d'acquitte- mens que de condamnations. Un tribunal s'installa a la Force et y jugea . mais non sans interruption pendant la soiree du 2, pendant toute la nuit et toute la journ6e du 3. Les personnages qui le composaient etaient tous 352 HISTOIHE DBS PRISONS en ecbarpe tricolore , mais quels etaient-ils ? Ma- ton de la Varenne 1 pretend que Dange, Michonis, Monneuse et Laiguillon , membres de la Com- mune, furent installes grands juges du peuph. Peltier assure que le fameux auteur du pere Du- chesne, Hebert, presidait le 5 a sept heures du matin , lorsque madame de Lamballe fut amenee devant le soi-disant tribunal. Maton repete ce fait dans ses editions de 1806; il n'en avail pas dit un mot dans cellede 1795; aucontraire, lui juge le 5 a la meme heure,et quelques minutes avant cette infortunee princesse, dit dans cette version : Moi je fus traduit devant le personnage en echarpe qui y siegeait. II etait boiteux , assez grand et fluet de taille. 11 m'a reconnu et parle 7 ou 8 mois apres. Quelques personnes-m'ont assure qu'il etait fils d'un ancien procureur et se nommait Chepy. Ailleurs il le designe par 1'i- niliale C. et ajoute pede claudo. D'un autre cote, Roch Marcandier, dans son Histoire des Oiseaux de Proie, dit que madame de Lamballe fut inter- rogee par Fiefle, greffier de la Force , et que le tribunal etait compose de quelques particuliers. Quels qu'aient ete ses juges etses bourreaux , ' Ancien avocat, morl inconnu a Fontaiueblcau, en 1816. DE LA SEINE. 353 pourquoi madame de Lamballe a-t-elle peri?c'esl la un probleme tout aussi obscur et dont la solution importerait bien autrement a 1'histoire. Un fait incontestable c'est que les septembriseurs,ala diffe- rence d u Tribunal Re volut ion tia ire, se montreren t tres-avares du sang des femmes, et des femmes politiques surtout . Nous avons vu que cinq surcinq furent epargnees a 1'Abbaye, et parmi elles ma- dame de Tarente qui fit absolument les memes r^ponses qu'on pre*teala malheureuse princesse. Le commissaire de la Commune, Truchon , vint dans la nuit du 2 au 3 au sein du Comite des Vingt-et-Un et fit rapport qu'ayant trouve les massacres commences a 1'hotel de la Force , il avail cru qu'il 6tait de son devoir de faire sortir les femmes. En consequence, il en avait mis 2i en liberte, dans le nombre desquelles etaient ma- demoiselle de Tourzel et madame de St-Brice. (Peltier). II ne dit pas un mot de madame de Lamballe. S'il 1'a oublie"e, la chose peut paraitre Strange. Si c'est un arr&e de mort qu'il a vouJu signaler, pourquoi laisser aussi a la Force mes- damesBazire,Thibault, de Septeuil etde Navarre, qui cependant furent acquittees le lendemain ? Que faut-il croire d'une somme de 150,000 f. que Manuel aurait recue pour sauver la prin- 23 354 HISTOIRE DES PRISONS cesse ? Evidemment c'est un conte ; Manuel est mort pauvre, et dire qu'il aurait recu de 1'argent pour sauver un prisonnier , ce serait avouer qu'il aurait trempe dans le meurtre des autres , tandis que nous avons vu qu'il avail fait tout pour 1'empecher. Philippe-Egalite gagnait . dit-on 500,000 fr. de douaire a la mort de ma- dame de Lamballe , sans compter sa part dans 1'heritage de M. de Penthieve; etil est, de plus, certain que du jour oil mourut cette princesse , toute intimite cessa entre le due et Manuel , et qu'ils devinrent ennemis, d'amis qu'ils etaient auparavant. De ce que deux fails sont arrives a la meme epoque , s'en suit-il necessairement que 1'un ait etc la consequence de 1'autre? On a ditque d'an- ciens domestiques de la maison d'Orleans avaient eie reconnus parmi les egorgeurs de ma dame de Lamballe et parmi ceux qui insulterent si mise- rablement son cadavre ; on 1'a dit , mais sans le prouver aucunement. Je sais bien qu'on ne prete qu'aux ricbes , mais je ne vois pas qu'on soit au- trement autorise a porter ce crime de plus au compte d'un homme qui en a commis tant d'au- tres , au compte d'un homme que tous les partis s'accordent a detester , et qui depuis 50 ans u'a DE LA SEINE. 355 pas trouve une voix pour le defendre, non pas meme celle de son fils. Madame de Lamballe , disent d'autres histo- riens, est tombee victime de la haine que le pcu- ple portait a Marie-Antoinette. II est incontestable que, merited ou non, cetle haine existait, ardente, inveteree, presqu'unanime dans les basses classes, cbez les femmes surtout. Mais si c/avait etc la, la scule cause de cette mort deplorable , pourquoi les autres dames de la reine auraient-elles etc epargnees, acquittees, reconduites en triomphe? On reprochait , ajoute-t-on , a madame de Lam- balle de mauvaises muuirs et des amours infamcs avec Marie-Antoinette. Hatons-nous de dire que si les documens de 1'epoque etablissent bien des legeretes dans la conduite de ces deux jeunes et belles femmes, rien ne justifie le moins du monde une aussi odieuse accusation, et que tout au con- traire semblerait la dementi r. Rien de moins authentique que le pretendu in- terrogatoire de madame de Lamballe ; tous les ecrivains 1'ont reproduit d'apres Peltier ; mais Peltier ecrivait a Londres , et quelle foi merite le pretendu temoin oculaire, qui le lui aurait rap- portS ? Quelques contemporains ont dit au con- traire qu'introduile dans le grefle, la princesse se 356 HISTOIRE DES PRISONS trouva mal et oe put profcrer un seul mot , ot qu'alors le president, quel qu'il fut, prononca la terrible formule : Elargissez madame. On I'entraiiia dans ce qui etait alors 1'impasse des pr6tres, dans la partie de la rue des Balets qui s6pare aujourd'hui la Force de la rue St-Antoine. Un premier coup de sabre 1'atteignit derriere le eou et la jeta sur un tas de cadavres. On 1'acheva lentement, cruellement, a coups de pi- ques , et Ton se Hvra sur son corps a des indi- gnites dont auraient rougi des cannibales. A 1'ex- ception de la jambe gauche qui aurait elc mise dans un canon , ce qui est un conte absurde, tout le reste n'est que trop \rai. II n'est que trop vrai qu'apres avoir 6t6 expos6 plus de deux heures aux regards lubriques, son beau corps futtaillade, depece , cjue la tSte , les seins et d'autres parties plus secretes furent promenees chacune au bout d'une pique. Voici mfrne une anecdote peu connue et dont Tun des acteurs principaux n'est mort que tout rcemraent. La femme d'un peintre qui a joui d'une certaine celebrite , madame Lebel etait 1'amic et 1'obligee de la princesse de Lamballe. Le 5 septembre elle rodait autour de la prison , s'approchant autant que le dugout le lui pcrmet- DE LA SEINE. 357 tail, esperant apprendre deses nouvelles. Vers midi , il se fit un grand mouvement dans la foule, oil , comme aux abords de toutes les prisons ce jour-la, comme a la Greve les jours d'execution , comme a la cour d'assises , il se trouvait trois fois plus de femmes que d'hommes. Madame Le- bel s'informe de ce qu'il y a et on lui repond que c'est la tele de la Lamballe qu'on va promener dans Paris. Pour ecbapper a cet odieux spectacle, la pauvre madame Lebel franchit en courant la moiti de la rue Saint-Antoine , et cherche uo asile , place de la Bastille , chez un perruquier qu'elle avail nagueres connu valet 'de chambre dans une grande maison. A peine s'y est-elle re- posee un instant qu'on voit s'approcher le fatal cortege , il fait une halte, et c'est chez ce perru- quier qu'on s'arrete precisement pour faire acco- tnoder la tete de la princesse. A cette vue madame Lebel tombe sans connaissance les pieds dans la boutique le reste du corps dans la piece du fond. Le perruquier elait royaliste , comme tous les perruquiers ; il ne perdit pas cependantson sang- froid , il se plaja de facon a cacher madame Lebel, etdu pied il la repoussait dans le cabinet, tandis qu'il decolait, qu'il lavait, qu'il tressait et poudrait les blondes tresses souillees de sang 358 HISTOIRE DBS PRISONS Le cortege se dirigea vers le Temple et s'arreta cependant devant un ruban tricolore portant cette inscription : Citoyens, Vous qui, dune juste vengeance, Savez oilier I' amour de I'ordre , Respectez cette barriere , Elle est necessaire a noire surveillance Et a notre responsabilite. Cependant les commissaires de la Commune . furent obliges de permettre que les porteurs de la te"te entrasseut dans la cour, et Louis XVI fut contraint de regarder aux carreaux pour la voir passer. Un evanouissement epargna ce degoutant spectacle a la reine et a madame Elizabeth. Parmi les acquittesa laForce,ilfautremarquer M.deChamilly, valet de chambre duroi, Weber, frere de lait de Marie-Antoinette, et parmi les condamnesBaudin de la Chenaye, Rulhiere, frere de celui qui a 6crit YJIistoiie del' Anarchic de Polo- gne et I'abb6 Bardy, sur le compte duquel son co- detenu Maton de la Varenne s'exprime ainsi. II 6tait accuse d'avoir, de concert avec sa concubine, assassine et coupe en morceaux , 5 ou 6 ans au- paravant, son frere, auditeur en la chambre des DE LA SEINE. 359 comples de Montpellier, et dejouait la science de tous ses juges par la subtilite, 1'adresse, 1'elo- quence m6me de ses reponses et par les incidens qu'il fesait naitre. Nous avons prouve combien on exagerait ordi- nairement le nombre des victimes de septembre pour chaque prison en particulier, maintenant il s'agit d'additionner tous ces totaux partiels pour en former un total general. Chiffres verifies sur Ics livres d'ecrous. Chiffres donnes par les autrfurs contemporains ou calculcs d'apresles probabilites. ALbaye Chatelet Bicetre . . . 125 . . . 154 . . . 166 Cannes et St-Firmin. . . Conciergerie. ....... Cloltre des Bernardins. . Salpetriere . 200 . 83 . 73 45 443 Tot . 120 al general 966 523 Void maintenant les cbilTres dounes par les auteurs : MM. Barriere et Berville 12,852 Peltier (Bicdtre non compris) . 1,005 Maton de la Varenne 1,089 MM. Buchez et Roux se contentent de rappor- ter les chiffres precedens , sans dire celui auquel ils s'arretent. II en est de meme dc MM. Dupont 360 HISTOIRE DES PRISONS et Marrast. Quant a M. Thiers, il a eu le mal- heur d'ecrire : Enfin presque toutes les victimes designe'es avaient peri ; les prisons e'taient vides; les furieux demandaient encore du sang... L'evalua- tion du nombre des victimes diflere dans tous les rapports du temps; cette Evaluation varie desixd douze mille dans les prisons de Paris. Nous qui avons vu les chiffres verifies cons- tamment au-dessous de ceux donnes paries plus moderns des 6crivains de 1'epoque , nous croyons . . .50 liv, Mandat du 5 septembre , signe" Simon , Mi- chonis , au porteur, pour 21 heures qu'il a etc employe avec son carosse pour conduirc les deux commissaires prig parmi le peuple present a la seance, pour se transporter a Bicetre et a la 24 370 H[STOIRE DES PRISONS Salpetriere , a 1'efiet de calmer les citoyens , ci 25 liv. 12 s. Suivent diflferens articles de 120 livres , 94 liv. etc. , pour creusage de fosses , inhumations de cadavres et fournitures de 21 tombereaux de chaux de chacun 41 minots. Voila les depenses necessities par les massacres de septembre qu'on a affecte de prendre pour la remuneration de ces memes massacres. L'article que nous avons marqu6 d'une ^ est le scul qui semble d'abord se prater a cette interpretation. Mais si Ton reflechit que le mandat est du 4 , que Gil..., Pet... et ses trois camarades, ont mis deux jours a V expedition dont il s'agit , tandis qu'il est de notoriete publique que tout etait lini le 2 a S l -Firmin avant la nuit; on sera convaincu que Youvrage auquel ces quatre individus ont etc mis est 1'enlevement , 1 inhumation et non l'e"gorge- ment des pr^tres. Les evenemens de septembre a peine accomplis, ceux-la memo qui en avaient coucu la pensce les d6savouerent, et ceux qui 1'avaient executee par- tirent pour la frontiere ou renlrerent dans 1'ob- scurite oil leur position infime leur permettait de se cacher. Ces 6v6nemens creerent un mot nou- veau dans la langue , une epithete que les partis DE LA SEINE. 371 se renvoyerent comme la plus cruelle injure. Aujourd'hui encore nous voyons des vieillards qui se glorifient d'avoir etc republicans , qui avouent avoir ete jacobins , sans-culottes meme . personne, absolument personne ne veut avoir 6t6 septembnseur. Et cela se concoit, M. De Maistre appelle le bourreau la clef de voute de l'6diflce social , tant son ministere lui parait utile , in- dispensable ; et cependant le bourreau se sauvo et se cache des qu'il vient de prater a la societe son terrible ministere. Autrefois le peuple lui je- tait des pierres. Continuons done d'en jeter, nous aussi, aux hommes de septembre, c'est le prix du sang ; mais rappelons-nous qu'ils n'oat pas etc qu'unecinquantaine ; rappelons-nous qu'on a vu dans leurs rangs les elemens du corps electoral et de la garde nationale actuels ; rappelons-nous que les corps constitues, que 10s corps arm&s ont vu et qu'ils ont laisse faire ; rappelons-nous qu'on insulte une population de 600,000ames, dont plus de 100,000 etaient armes alors; quand on dit que 50 brigands ont vers6 le sang a flots dans Paris pendant trois jours a la face du soleil. Les eveneniens de septembre , aussi bien que la mort de Louis XVI , aussi bien que le 20 mars , aussi bien que la revolution de juillet sont le fait de la 372 HISTOIRE DES PRISONS majorite, car si elle ne les avait pas vouliiSj ces evenemeiis n'auraient pas eu lieu. DE LA SEINE. 373 CHAPITRE XIII. Les prisons d'etat modernes. Le Temple et Viucemies. Docamens inedils. Pour qui desire s'instruire reellement de la verite des choses, il n'est rien de plus dangereux. ([u'un certain nombre de phrases toutes faites , lesquelles sont censeescontenir, resumerdes idees et n'expriment en derniere analyse que des erreurs et des mensonges. Qui de nous n'a eu des sajeu- nesse les oreilles rebattues de cette phrase sonore: le Directoire apres la Terreur , ce fut la petite piece apres la grande. Cette sorte de r6sum6 a d'abord un premier inconvenient , c'est de nous faire croire que le Directoire a succ6de imm6dia- tement a Robespierre et d'aneantir ainsi les 15 mois les plus curieux peut-e"lre a etudier de toute la periode revolutionnaire. Ensuite , lorsque par- courant les ecrous du Temple, nous y trouverons la trace des affaires deBabauf, du camp deGre- nelle, du camp des Sablons, du 18 fructidor, etc., 371 HISTOIRE DES PRISONS nous nous demanderons si ce fut bien reellement une petile comedie cjue cette epoque si difficile du Directoire. Et cependant, M. Thiers excepte , c'est celle pour laquelle les ecrivains de loutes les opinions se sont mo'ntres le plus severes et le plus injusles. On embarrasse grandement les louangeurs du temps passe, quand on leur deraande de vou- loir bien preciser le moment de I'ancienne mo- narchie auquel ils pretendraient nous ramener. Oa n'embarrasserait pas moins les republicans actuels. et , a coup sur on les diviserait davan- tage , si on leur demandait sur quelle epoque dc notre Republique ils voudraient modeler celle qu'ils nous preparent. A dater du Consulat , la Republique n'exisle plus que de nom ; le Direc- toire ne la sauvaau 18 fructidorqu'enenseignant les moyens qui la devaient tuer deux ans plus tard ; ce fut essenliellement un gouvernement de transition ; otez a la Terreur ce meme caractere de transition, supposez-la un gouvernement assis, normal, et vous reculerez devant une odieuse impossibilite. Nous avons vu par les registres de la Concier- gerie , par la statistique du Tribunal Revolution- naire , par les evenemens de septembre, en quels DE LA SEINE. 375 dangers se trouvaient tous les jours la vie et la liberte des citoyens du 10 aout au 9 ihermidor. Voyons raaintenant si le gouvernement directo- rial est bien pur de sang ; voyons s'il a scrupu- Icusement respect^ la liberte iudividuellc. Constatons d'abord une double lacune dans nos doc u me us ; nous n'avons de registres d'ecrous po- litiques ni pour les quinze derniers mois de la Convention , ni pour les six premiers du Direc- loire. Cependant les evenemens du 12 germinal ct du l cr prairial donnerent lieu a des arrestations nombreuses et tout- a- fait arbitraires; quant a ceux du 13 vendemiaire ils firent beaucoup de niorts , mais pas un prisonnier. Dans un chapitre precedent nousavons dit que le peuple qui s'etait revolte pour detruire la Bas- tille en avail laisse ouvrir trois: le Temple, Vin- cennes et Sainte-Pelagie. C'est une erreur ; le Temple et Vincennes n'ont pas existe comme pri- sons d'etat simultanement, mais successivement. On ne sait pas bien exactement a quelle epoque remonte la construction du Palais du Temple; ce qu'il y a de certain c'est que les Templiers Tha- bitaient deja avant 1182. Trente ans plus tard la fameuse tour fut batie sur les dessins de frere Hubert, tresorier des Templiers. C'ctait un edi- 376 HISTOIUE DBS PRISONS fice carre avec quatre tourelles aux angles. Cc devait etre un triste sejour, a en juger par les gravures et les plans que nous en possedons a differentes epoques ; et cependant , lors de son voyage a Paris en 1254 , Henri III d'Angleterre prefera y habiter plutot qu'au Palais (de Justice) que Saint-Louis offrait de lui ceder. Plusieurs de nos rois enfermerent leur tresor dans la tour du Temple, comme dans le lieu le plus sur que Ton connut. On y garda aussi les archives de 1'ordre du Temple d'abord, puis celles du grand prieure de Malte. Ce qu'on appelait la Ville-Neuve du Temple, ou 1'enclos du Temple fut vendu en 1779. On y construisit la rotonde en 1781 , et la halle au vieux linge en 1809 La tour a etc demolie en 1811. Deux ans plus tard Napoleon avait bati sur remplacement du Temple le ministere des cul- tes ; depuis 1814 c'est un couvent dont made- moiselle de Conti fut la premiere abbesse. L'Assemblee Nationale voulait apres le 1 aout donner pour asile a Louis XVI le palais du Luxembourg; ce fut la Commune qui imposa le choix de la Tour du Temple, et fit ajouter au decret qu'elle serait chargee d'y garder ce mal- heureux prince et sa famille. Ainsi sous pretexte DE LA SEINE. 377 de le proteger centre la fureur du peuple on le jeta en prison en attendant qu'on 1'envoyal a Techafaud. L'histoirede la captivite de Louis XVI et de sa famille est partout, et d'ailleurs elle n'appartient pas imperieusement a notre sujet ; le Temple n'etait pas alors a proprement parler une prison , mais bien une propriete nationale a laquelle on avail donn6 une destination excep- liounelle et passagere. A 1'epoque ou comraencent les registres que nous allons examiner (19 mai 1796), Louis XVI, Marie-Antoinette , Madame Elizabeth et le Dau- phin avaient peri, Mademoiselle avail etc echangee contre les representans livres a 1'Aulriche par la trahison de Dumouriex. Que le Temple ait , ou non , renferme d'autres prisonniers en meme temps que ces holes illustres , c'est ce qu'il nous esl impossible de verifier. Car le premier livre d'ecrous ne commence pas, a propremenl parler, il ne presente pas d'en-tele, comme les aulres ; le premier feuillet, cote tel aujourd'hui, porlail le numero 58; ce premier feuillel esl colle grossie- remenl au suivanl avec des pains a cacheter. Sur le plat interieur du registre, au-dessous de 1'a- dresse du papclier on avail ecril : Ce 23 mai 1795, Tan n de la Uepublique, ct la premiere de 378 HISTOIRE DES PRISONS la mart du tyran Depuis, comme ce regislre pou- vait passer sous les yeux dc Bonaparte qui goii- tait peu cette fagon de parler, on a bifle les mols que nous meltons en italique. Les livres du Temple et de Vincennes sont au nombre de quatre, du 19 raai 1796 au 9 fevricr 1814; un cinquieme ouvert exclusivement pour les prevenus dans 1'aflaires de Georges et de Mo- reau , fait double eraploi : les memes e"crous se retrouvant sur le registre ordinaire. Le releve du repertoire, lequel n'est pas rigoureusement exact parce qu'on n'y a pas porte le nora de quelques personnes dontla detention a ete" fort courte, pre- sente 1697 prisonniers, parmi Iesquels9i femmes. 1697 divises par la duree de la p6riode qu'em- brassent ces quatre registres, 17 ans 3 mois et 10 jours, donneraient pres de 100 ecrous par ac. Mais cette moyenne ne serait propre qu'a in- duire en erreur, et nous avons voulu savoirplus exacteraent quelle portion de ces 1697 arresta- tions politiques etait au compte de Bonaparte, et quelle a celui du Directoire. Puis nous avons re- commence" ce travail par ann6e, et.il nous a sem- bleque les totaux partiels cadraient bien avec les difficultes de chaque epoquc, ct y trouvaient une explication surtisanle: DE LA SEINE. 379 Du 10 novembre 1799 aul Janvier 1800. . . . 7fecnous. En 1800 267 1801 221$ Transition du Directoirc \ auConsulat. 1802 87 1803 65 ism onol passa S e du Consulat a ibu* 52uy< .,_ ( 1 Empire. 1&05 35 1806 22 1807 20 1808. ..... 15 1809. ..... 7 1810 15 1811 27 1812 U 1813 15 1814 _0_ TOTAL 1028 Si nous nous rappelons quo du l er avril 1811 au 26 mars 1814, Napoleon a mis a Sainle-Pela- gie 254 prisonniers politiqucs , nous trouve- rons que le compte total de son regne, consu- laire et imperial, s'eleve a 1262, dont il convien- dra de retrancher au moins la fraction 62, eu 6gard au nombre des prisonuiers qui , ayant 6te trans- lores de Tune des deux prisons d'Elat dans 1'au- tre, figurent sur les registres de toutcs lesdcux. En outre ces 1262 ecrous nc supposcnt pas 1262 380 HISTOIRE DES PRISONS individus differens arretes ; car plusieurs 1'ont efe deux , trois el quatre fois , Faucbe Borel entr'au- tres I'a etc cinq fois. Si du chiffre total des ecrous du Temple et de Vincennes 1697, nous retranchons 1028, comme appartenant au gouverment dc Napoleon, en 14 ans; il nousen restcra 675, au compte du Directoire , du 19 mai 1796 au 10 novembre 1799, c'est-a-dire en 3 ans 5 moiset 21 jours, soit en raoyenne pres de 200 par an, Maintenant qu'on nous permette deux obser- vations. Est-ce que le Directoire avec ses 200 detenus politiques par an, a biea etc un gouver- nement si d6bonnaire ? Est-ce que le 18 fruclidor, pour ne pas parler des autres ev6nemens qui 1'ont signale , est bien de nature a figurer dans une petite piece ? Par centre qui ne s'etonnera du petit norabre de prisonnniers d'Etat sous I'Em- pire ; 20, 15 , 7, par exemple, pendant les an- nees 1807, 8 et 9?Et cependant quels souvenirs ne nous reste-t-il pas de la pretendue tyrannic de cette 6poque , quels recits ne nous en a-t-on pas faits ? Les conspirations royalistes et jacobines n'ont pas plus cess6 un moment sous le consular et 1'empire que sons leDircctoire, et nons verrons que pendant les II annees du regne de Napoleon DE LA SEINE. 381 il y a cu iniinimenl moins de condamnajions a mort pour crimes politiques que pendant inoins de quatre annees qu'a dure le Directoirc. N'im- porte, on continuera d'appeler celui-ci une petite piece et 1'autre le regime du sabre et d'un cruel despotisme. Nous avons dit quel 6tait 1'etat materiel du premier registre de la prison du Temple, voici le texte du premier ecrou : Du 30 floreal an iv ( 19 mai 1796 ). Je soussigne Andr6 Gerard , 1'un des direc- teurs du jury d'accusation du canton de Paris , departement de la Seine, reuni au palais de jus- tice, procedanten vertu de 1'article 701 du code des delits et des peines , mande et ordonne a tout huissier d'ecrouer en la maison d'arre"t du Tem- ple , Charles GERMAIN , age de 25 ans , natif de Narbonne , departement de 1'Aube , lieutenant d'hussard destilue , demeurant a Paris , rue de CarSme-Prenant , section deBondy, pr6venu de conspiration tendant au renversement de la con- stitution et du gouvernement , dissoudre les au- torites constitutes et en substituer d'autrcs , delit prevu par 1'article premier de la loi du 27 ger- minal dernier. Mande au gardien de laditemaisou d'arrdt de le recevoir, le tout en se conformant 382 iUSTOIKE DES PRISONS a la loi , rcquiers tous depositaires de la force publiquede prefer main encasde necessite. Fait au tribunal , le 50 flor6al an quatrieme de la republiquc franchise une et indivisibe. Signe, GERARD. Le sus-nomme a etc amene par moi , huis- sier soussigne, AUBRY. Les chefs de prevention enonces ci-dessus se relrouvent presqu'identiquement sur tous les ccrous de Tepoque du Directoire, nous aurons soin d'avertir le lecteur lorsque la formule variera. Au second feuillet on lit : Nous, Andre Gerard, juge du tribunal civil et directeur du jury d'accusation du canton de Paris, departeraent de la Seine, scant au palais de justice. Atlendu qu'il peut importer a la surete publique que parmi les individus detenus en la maison d'arret de TAbbaye , en execution d'ar- retes du Directoire executif du 19 floreal dernier et jours suivans, comme pr6venus de conspiraliou tendanteau renversement de la constitution etdu gouvernement , plusieurs soient transferes dans une autre maison, jusqu'ace quel'immensite des travaux auxqucls nous forcent la nature de 1'af- DE LA SEINE. 383 faire dans laquelle ils sont irapliques nous per- mette de procedera Icurs interrogatoires. Disons que les nommes Gracchus BABOEUF, etc. Auguste-Alexandre-Joseph DACTIIE , etc. Jean-Bapliste DIDIER , etc. Philippe BUONAROTI, etc. Guillaume-Gilles-Anne MASSARD , etc. Seront transferee sous bonne et sure garde, de la maison de 1'Abbaye, ou ils sont en arresla- tion, en la maison d'arret du Temple, pour y parleJugede Paix de la section dela place Vend6me, tant sur ce fait que sur les autres attentats au droit des gens, dont Sidney Shmith est prevcnu de s'etre 25 38<> HISTOIRE DES PRISONS rendu coupable envcrs la Republique francaiso, depuis le commencement de la guerre actuelle. Le present arrele ne sera pas imprim6. Signe, P. BARB AS. Contresigne , LAGARDE, secretaire. Certifie, MERLIN, Ministre de la Justice.)) Chaque fois qu'une piece transcrite 6mane du Direcloire, nous voyons en marge deux magnifi- ques signatures avec paraphe OCDARD et LEGROS. et au bas de 1'acte est 6crit : Les deux signa- tures ci -centre sont celles des deux experts veri- ticateurs. L'illustre commodore se soumit de bonne grace aux ordres du Directoire, il n'en fut pas ainsi du jeune et bouillant capitaine Wright ; il r^sista autant qu'il le put a tout ce qui lui sem- blait une violation du droit des gens ; cbaquc fois qu'on le voulut conduire a I'instruction , il fallut recourir a la force, le lier, le garotter; il ne parut que comme contraint et force et refusa opiniatrement de r6pondre. Voici deux documens relatifs aux memes An- glais et qui ne sont pas depourvus d'un certain interfit bistorique : Paris , le 5 floreal an vl de la Republique une et indivisible (24 avril 1798). DE LA SEINE. 387 Le Ministre de la Marine et des Colonies au citoyen Boniface , prepose a la garde du Temple. Le Directoire excutif ayant ordonne par son arret6 du 23 ventose, ci-joint, la reunion de tous les prisonniers de guerre anglais , sans dis- tinction de grade , je vous charge , citoyen , do remettre sur-le-champ sous la garde du citoyen Etienne-Armand Auger, porteur du present or- dre , le comodore Sidney Smith et le sieur Wright, prisonniers de guerre anglais, pour etre transfers au depot general du departement de Seine-et- Marne, a Fontainebleau. II vous est enjoint , citoyen , d'observer le plus grand secret dans I'ex6cution du present or- dre, dont j'avertis lemiaistrede la Police gene>ale, afin d'empecher toute tentative d'enlever ces pri- sonniers en route. Le Ministre de la Marine et des Colonies, Sign6, PLEVILLE LEPELYE. Arrete du 23 ventose an vi (15 mai 1798). Le Directoire, surle rapport du Ministre de la Marine et des Colonies , arr&e : Art. l er . Tous les prisonniers de guerre anglais , sans distinc- tion de grade , seront inearceres de meme. Ces represailles auront lieu jusqu'a ce que le Gou- 38S HISTOIRE DES PRISONS vernement anglais , rendu a des principes d'hu- manile conformes au droit des gens, agisse en- voi's les prisonniers de la R6publique d'une facon analogue a ce qui a toujours etc observe entre les nations policies , etc., etc. Signe, MERLIN, President LAGARDE, Secretaire general. Rendu a la liber le par la paix d' Amiens, le capitaine Wrigbt fut ecrou6 de nouveau au Temple , le 50 floreal an xn , avec quinze autres anglais provenant de la corvette le Vencego. Deux mois apres ses compagnons furent transfer's au chateau de Vincennes , comme prisonniers de guerre, lui seul resla au Temple, et nous lisons sur le registre , a la date du 4 brumaire an xiv (26octobre 1805) : Le sieur John Wesley Wright , capitaine anglais, entre en cette maison par ordre de M. le Conseiller d'6tat Real , en date du 30 flo- real an xn (28 mai 1804), s'est suicide dans sa chambre et dans son lit , la nuit du 4 bru- maire de 1'an xiv , en se coupant le col avec son rasoir Nous n'avons constate sur les registres que quatre suicides y compris celui dePichegru ; nous n'avons aussi compte que quatre dces naturel* . DE LA SEINE. 380 et un transferement a Charenton pour cause de demence, cequi semble indiquer, qu'a tout pren- dre, le regime etait encore tolerable au Temple et a Vincennes. Le 24 fructidor an iv (24 aout 1796), on ar- rete , et on ecroue au Temple deux jours apres , 1 35 individus , lesquels ont passes devant le con- seil militaire , scant au Temple , et voici leur sort : Fusilles, 32 Acquitles , 44 Condamnesa la deportation . 29 Id. a la prison oa a la detention , 28 A 3 ans de fer , I Evade , 1 Nous avons remarque 1'ecrou suivant, a cause de son annotation : Frangois BONBON, Age de 54 ans, nalif d'Or- leans , departement du Loiret , cordonnier, con- damn^ a mort par jugement rendu par le conseil militaire, seant au Temple, le 18 -vendemiaire an v (9 octobre 1796) II s'est jete du haul en bas de la tour au moment de partir pour subir ledit jugement, le 19. Cette fournee de 135 prisonniers , c'est la suite de 1'affaire dile du Camp de Grenelle , la moins prouvee et la moins grave des conspirations qui 390 mSTOlltE DES PRISONS auraient eu lieu contre le Directoire. Voici ce que dit a ce sujet Paganel' dans son Essaihistorique et critique sur la Revolution francaise (Paris , 5 v . 1 8 1 0) . L'autre evenement est un massacre nocturne d'environ deux cents citoyens dans le camp de Crenelle. ^ Les motifs et les auteurs de cette tragedie sont un de ces secrets d'etat dont le mot conspi- ration est le sceau. Quelle main oserait le briser? Quoiqu'il en soit, voici les faits : Au mois de fructidor an iv, un rassemblement d'environ deux cents ouvriers se porta, la nuit, au camp de Crenelle. Us etaient sans armes. Us se pre- senterent avec coniiance et sur la foi d'une sorte de fraternite qui , par les soins de quelques per- fides mediateurs, s'etait etablie dans les cabarets entre les soldats et les ouvriers, tous egalement trompes , tous marchant un bandeau sur les yeux, soit au crime , soit a la mort. Les mal- heureux la recoivent au moment oil ils tendent la main aux faux amis qui les ont attires dans 'Paganel, qui avail etc sous 1'Empire chef de divi- sion a la grande Chancellerie de la Legion-d'Honneur, fut exile comme regicide en 1816, etmourut a Bruxelles, le 20 novembre 1826. 1)E LA SEINE. 391 lo piege. Ceux que 1'arme a feu n'a pas atteinls tombetit sous le fer du soldat. Et pour donner a la conspiratioQ une authenticity legale, on poursuit ceux de ces ouvriers qui ont pris la fuite; on les juge; on les execute militairement peu de jours apres au Champ-de-Mars. Deux membres de la Convention subissent le meme sort , prevenus , bien qu'ctrangers a 1'attroupement , de complicity avec les assaillans du camp de Crenelle. Ce jugement ne persuada a personne que la Republique et le Directoire eussent couru un grand danger. M. Thiers (vol. 7, p. 457), apres avoir dit aussicombien peu il y avail de preuves contre les pretendus coupables , ajoute : Us furent cepen- dant condamnes, car une commission mili- laire a laquelle un Gouvernement envoie des accuses importans ne sail jamais les renvoyer absous. Que dites-vous de ce Gouvernement d6bon- naire, de cette petite piece apres la trag6die? N'est-ce point assez ? passons au 1 8 fructidor. Pour 6tre juste envers tout le monde, com- mengons par proclamer que le coup-d'6tat du 1 8 fructidor a sauve momentanement la Repu- 392 HISTOIRE UES PRISONS blique et que sans iui clle perissait deux ans plus I6t. Nous disons la Republique, car Bonaparte ne tua pas la Revolution , il la continua en la modifiant. La Revolution, elle dure encore et c'est pour s'etre stupidement berces du fol espoir qu'ils la pouvaient terminer ou detruire que les Bourbons sont tombes une seconde fois. La Re- volution , c'est le faisceau , 1'ensemble d'une seriedeprincipesfondessurlaraison de I'homme, et correspondans aux besoins les plus releves de son intelligence. Des principes ainsi fond6s, on ne les tue pas, on les gene, on les comprime pour un temps dans leur essor, on les modifie dans leur manifestation, voila tout. La Republique 6tait la forme et la forme seule a pri. La minorite du Directoire et la majorite des deux Conseils trempaient , non pas dans une conspiration royaliste, mais dans plusieurs, car ca toujours et6 le propre de ce parti de se divi- ser davantage a mesure qu'il a ete plus faible. Les uns voulaient appeler au trone le comte de Provence avec la constitution de 91 , les autres le comte d'Artois dans toute la plenitude du pouvoir absolu dont avaient joui ses ancetres. Le jeune due d'Orleans, qui n'avait pas cesse d'avoir des partisans parmi les ancicns conven- DE LA SEINE. 393 tionnels, etait repasse r6cemmentdesEtats-Unis en Europe, il travaillait aussi et certainement il ne travaillait que pour lui. II avail plus de chances alors qu'on ne se Fimagine aujourd'hui . plus peut-etre qu'en 1830, car seul entre les Bour- bons, il pouvait, sansrenier ses propres principes, accepter les faits acquis de la Revolution et sou- der la monarchic a la Jiberle par un alliage quelconque. Seul entre les Bourbons il n'avait mendie dans aucune cour elrangere ; depuis qu'il avail quille la France, il ne s'etait uni a aucun de ses ennemis , il n'avail rien 6cril , rien essaye oonlre elle. II etait jeune, brave, vigoureux, de mo3urs pures, d'un esprit cultive, exempt de prejug^s sur les homines ou sur les choses ; il . savait vouloir, il savait attendre ; enfin quoique de race royale, il 6tail tils de regicide el c'etait un litre de plus aux yeux des membres des Con- seils qui 1'avaientexigede tousceuxqu'ils avaient appeles au direcloral. A coup sur si Carnot avail pu , comme on Ten a accuse^ , conspirer en fa- veur d'un Bourbon , c'eul 616 en faveur de ce- lui-la. Quoiqu'il en soil, la republique 6tail sur un abime, le royalisme debordait , el si leDirectoirc n'eut execute son hardi coup da main conlre les 394 IIISTOIRE DBS PRISONS conseils, ceux-ci en accompHssaient un contro lui; les deux partis s'epiaient , s'observaient , se comprenaient , la victoire devait rester au plus Labile ou au plus tot pret. Ce fut leDirectoire qui 1'obtint. Sur le registredu Temple, a la date du 18 fruc- lidor (4 septembre 1797) nous lisons : Ce jourd'hui , a neuf heures du matin , en vertu de 1'arrete du Directoire executif ont ete ecrouespar lecitoyen Verdier, general de brigade, comman- dant la place de Paris, d'ordre du ministre de la police generate, apres s'elre concerte avec le ge- neral en chef, commandant la 17 mc division mili- taire ( Augereau. ) Delarue, membre du con- seildes 500 Deporte le 23 fructidor. Descourtils, idem idem. . Mis en liberte le 20. Delametherie, depute du Cher Mem idem. JarryDesloges,desanciens Idem idem. Uovere, 500 Deporte le 23. Fayollc, idem . Mis en liberte le 20. Perree , idem Idem idem. Dauchy , idem Idem idem. Tupignier, idem Idem idem. Derumare , idem Idem idem. Bourdon de 1'Oisc, idem.. Deporte le 23. Willot, general de divi- sion, idem Idem idem. DE LA SEINE. 395 Pichegru , ex - general , idem Idem idem. Tousles individus ci-dessus prevenus d'avoir pris part a la conspiration royale qui a et6 de- couverte , et qui ont etc" trouves cetle nuit ras- sembles dans la salle des inspecteurs du conseil . ont etc ecroues a la Tour du Temple, ce 18 fruc- tidor an v. Apres cette observation , la liste continue , ap- paremment sous la memo date : Aubry , membre du con- seil des 500 Deporte le 23 fructidor. Lafont Ladebat, des an- ciens Idem Idem. Maillard Rollin, des 500. . Mis en liberle le 21. Goupil de Prefeln, des an- ciens Idem idem. Ramel (Pierre) , comman- dant de la garde du corps legislatif. Deporle le 23 Cruclidor. Barbe Marbois, des an- ciens Idem Idem. i TrongonDucoudray, idem Idem idem. Launois , des 500 Mis en liberte le 20. Murinais , des anciens. . . Deporle Ie23 fruclidor. Dossonville.ex-inspecteur general de police Idem idem. Sont ecroues le 22. v Barlhelemy,ex-directeur. Deporle le 23 fruclidor. 396 1IISTOWE DES PRISONS Brollier , conspiraleur royalisle Idem idem. Laville-Heurnois, idem. . Idem idem. Enfin , sous la dale du 25. Gilbert-Desmoliere , des 500 Deportele 21 frimaire an.vi. Le 19 fructidor, les deux Conseils avaient le- gislativement coudamne a etre deports, au lieu qu'ii plairait auDirectoire de designer, 43mem- bres des 500 ; 1 1 des anciens ; les deux ex-direc- teur Carnot et Barthelemy; Ramel, commandant de la garde desConseils; 1'ex-ministre de la po- lice , Cochon ; Dossonville , son inspecteur gene- ral ; les trois agens royalistes , Brottier , Laville- Heurnois et Duverne de Presles ; enfin , en bloc tous les redacteurs et proprietaires des journaux hostiles au gouvernement. Des precedens indiquaient pour lieu de depor- tation les bord de la Sinnamari, a 30 lieues de Cayenne , dans la Guyane franchise , la ou ge- missaient deja Billaud-Varennes et Collol-d'Her- bois. Un pareil exile equivalait a un arret de mort. Le Directoire ne Tinfligea qu'a 15 des condamnes , Barthelemy , Pichegru , Willot , Rovere , Aubry , Bourdon de 1'Oise , Delarue , Ramcl , Dossonville, Troncon Ducoudray, Barbe- DE LA SEINE. 397 Marbois, Lafond-Ladebat , Brottier et Laville- Ileurnois ' . Un homme dont le devouement obscur merite d'etre consign^ dans 1'histoire, Letellier, domestique de Barthelemy , ayant sol- licite la faveur de partager son sort , le nombre des dportes se trouva de 16. Six y perirent mi- serablement , ce sont : Murinais , Bourdon de FOise, Troncon Ducoudray, Delaville-Heurnois, Rovere et Brottier ; huit s'evaderent , gagnerent la colonie hollandaise de Surinam et debarque- rent a Londres un an jour pour jour apres leur depart deRochefort, cesont : Ramel , Pichegru, Barlhelemy , Dossonville, Aubry , Delarue, Wil- lot et Letellier. Plusieurs des condani nes , Carnot en te~ te , avaient fui a 1'etranger, lesautres furent depor- tes a 1'ile d'Oleron , oil Ton avail accumule deja une foule d'emigres st de pr^tres insermenl^s. Nousavons vu que laloi du 22 fructidor con- damnait a la deportation les propri6taires, 6di- teurs et redacteurs desjournaux hostiles augou- vernement. M. Thiers porle le nombre de ces 1 Gallais en coraple 17; il ajoule a la lisle de M. Thier?, Job Aime, des 500, qui ne fut transpose que le IGnivose an vi (5 Janvier 1798) et Blain (des Bouchcs-du-Rhdne), aussi des 500. 398 HISTOIRE DBS PRISONS journaux a 42, c'est la probablement une faute d'impression qui , de la premiere edition , sera passed dans toutes les autres. Gallais ' , Tun de ceux que cette mesure atteignait, nous en a donn6 la liste suivante, qui ne les porte qu'a 22* JOCRNAUX. REDACTECKS. L'Accusateur Public Richer Serisi. Jjes Acles des Apotres Baruel Beauvert. Les Annales Chretiennes . . . L'abbe de Boulogne Le Censeur des Journaux. . . Gallais. Le Courrier Republicain. . . Poncelin. Le Dejeuner. Fabiea et Fillet; L'Eclair Berlin. L'Europe Lilleraire Durand-MollarL La Gazelle Franfaisc Fievee. La Gazette Universelle .... Idem. Le Journal General Mai t re et Jolivet. L 'Invariable Royon. Le Memorial Laharpe, Fontanes et Du- vauxelles. Le Messager du Soir Isidor Langlois et l.unier Le Miroir Beauliea. LesNouvelles Politiqucs. . . Suard et La Cretelle* Perlet. Lagarde. Le Postilion des Armees. . . . Cretot. Le Prdcurseur Duval. La Quotidienne Michaud. Les Bapsodies Villiers. Le Veridique. Ladeveze. Gallais, benediclin , membre du Caveau , morl n DK LA SEINE. 399 Par suite de cette mesure legislative et en de- pit de la Constitution de 1'an m , laquelle garan- tissait la liberte la plus illimitee de la presse , nous trouvons surles registres du Temple Tecrou de plusieurs hommes de lettres ; a la date du 27 fructidor celui d'Isidor Langlois, tranfere plus tard a 1'infirmerie de la Grande-Force; a la date du 23 frimaire, le citoyen Perlet, redacteur du journal de ce nom ; du 17, Joseph -Alexandrc S6gur, 42 ans , rentier, redacteur du journal le The, mis en liberty le 6 nivose suivant , son jour- nal n'ayant pas etc proscrit. Du 9 pluviose an vi, Crappart , imprimeur du Memorial, deports a 1'ile d'Oleron. Mais tous ceux qui 6crivent dans un journal n'en sont pas redacteurs au memo litre , il y a une distinction a faire et un arrele du Dircctoire a pris la peine dc le constater : Dul er frimaire an vi(21novembre!797),Ecrou Paris, en 1821 , est autear d'une hisloire du 18 fruclidor , de ses causes et de ses effete, el d'uu grand nombre d'autres ouvrages qa'il a tous publics sous le voile de 1'anonyme ou d'un pseudonyme, nous cilerons le suivant pour la bizarrcrie de son litre : Extrail d'un dictionnairc inu- tile, compose par une societe en commandite el rtdige par wn hommc scul, A 500 LIEUES DE L'ASSKMBLEE NATIOHALE, 1790 , in-8. 400 HJSTOIRE DBS PRISONS du nomine Auvray, 21 ans, Tun des redacteufa du Courrier dit Republicain, Et du 19 pluviose (7 fevrier 1798). Le Directoire executif, sur le rapport du ministre de la Police generate : Considerant que les citoyens qui n'etaient oc- cup6s qu'a la redaction des seances du Corps Legislatif , dans plusieurs journaux dont les au- teurs ont 6t6 frappes de deportation par la loi du 1 1 fructidor, ont etc formellement exceptes de la peine pronoricee par ladite loi. Consid6rant que plusieurs pieces et declarations authenliques , prouvent que le citoyen Auvray n'6tait en eflet occupe qu'a la partie des seances dans la redaclion du Courrier Republicain dont les auteurs sont frappes par la loi precitee. ArrSte : ART. l er . La loi du 22 fructidor n'est pas applicable au citoyen Auvray. ART. 2. En consequence le citoyen Auvray, arrete comme pr6venu d 'avoir cored igc la partie polilique du Courrier Republicain, sera remis sur le champ en liberte. DE LA SEINE. 401 ART. 5. Le Ministre de la Police-Generale est charge du present arrel6 qui ne sera pas im prime. Signe, P. BARRAS. Contresigne , LAGARDE. A la bonne heure , il y a quelque raison la- dedans. Mais en avril 1834, lorsque les agens furent envoyes pour arreler , disait le mandat , tous ceux qui seraient trouves conspirans dans les bureaux de la Tribune , ils arreterent non seule- raent le redacteur des Chambres , mais celui de 1' Academic des Sciences et jusqu'au caissier du journal , qui , pour le dire en passant , 6tait bien le plus grand sinecuristede France et de Navarre. Voici quelques ecrous qui nous ont paru cu- rieux : Du 4 vendemiaire an vi (27 sept rc 1797) , Gaspard Mollien, prevenu de tenir un entrep6t pour la correspondance etablie entre les emigres d'Angleterre et les ennemis du gouvernement re- sidans en France. Du 25 id. 42 individus sont arrdtes , preve- nus de conspiration contre la Republique. Le 50 floreal (19 mai) 25 sont transferes dans les prisons de Versailles, les 17 autres sont mis en liberte. 36 402 HISTOIRE DES PRISONS Du 2 brumaire an vi. L'Epe'e prevenu d'escroquerie et de vendre des places dans les bureaux du Ministre de la Police-G6nerale. Liberte quatre jours apres. Du 9 id. De'bonnaire Quevreux, se disant fabricant , prevenu d'avoir fait contriver des personnes pour leur procurer leur radiation de- finitive. Radiation de la iiste g6nerale des Emigres: trois ou quatre mille individus des deux sexes n'exer- caient pas d'autre Industrie a celle epoque quc d'amener des radiations em donnant ou forgeaiU des attestations de presence dans telle ou telfe commune. II est probable que ce Debonnaire Quevreux dont on fait ici un exemple, etait quel- que pauvre diable, travaillant en petit. Du 21 brumaire an vi. Louis Fulaine , raaitre de poste de Dormant , prevenu d'avoir refus^ 4es clievaux de selle au courrier d'Allo- magne. Libert6 deux jours apres. II y aurait beaucoup a dire a 1'occasion de rot ecrow , il -se rattache a 1'tin des embarras les plus grabds qtt'ait ordonne qu'il sera sur le champ mis en liberle. Du 15 brumaire an vn (7 novembre 1799) , ecrou de Jean-Rene-Marie Lavallette , 50 ans , adjudant-gene>al des armees de la Republiqae. Libert^ le 7 frimaire suivant. Nous ne citons pas cet ecrou seulement a cause de la celebrite d nom , mais encore parce que c'est le premier qui fasse mention de nageoires a la colonne du signalement. II nous a fallu voir ce mot se repeter souvent, rencon- trer des nageoires, tantot brunes, lantol blon- des, tantot petites, tantot epaisscs, et arriver jusqu'aux nageoires rouges de lord Camelsford (7 germinal at) xi) , sans profession , 28 ans , prevenu d'espionnage , pour comprendre que, dans le dictionnaire de cette epoque , nageoires est synonyme de favoris. Un ex-elegant du Direc- toire a bien voulu nous apprendreque les nageoires ou premiers favoris qu'on ait portes en France , ne se dirigeaient pas en avant com me aojour- d'hui pour accompagner la figure , mais que la mode 6tait des les porter droit perpendiculaire- ment a la joue, ou micux encore de les peignr et cirer en arriere, de maniere a couvrir tout on partie de 1'oreille. \npol-(Mi n,i pas invenie 1'inji 416 HISTOIRE DES PRISONS Mayes , dont il a fait un si deplorable usage lors de la rupture de la paix d' Amiens , nous avons deja vu le Directoire y avoir recours , en voici un nouvel exemple. Du 17 fructidor an vu (3 septembre 1799 ), le concierge de la maison d'arr^t du Temple recevra du citoyen Deguigne , officier de paix , les ci-apres nommes pour y rester comme dtages conformement a la decision du Directoire ex6cu- tif , laquelle nous a et6 transmise le 11 de ce mois par le Ministre de la Police-G^nerale : Caraccioli, ex-charge d'affaires du roi de Naples a Paris , et Batistessa, negotiant napolitain. Mis enliberte, le l er le 8 nivose, 1'autrele 11 frimaire an vin. Du 4 brumaire an vu. Ecrou du iiomin^ Broquette, 53 ans , negotiant, prevenu d'attenter a la fortune publique par remission de fausses lettres de change qu'il vendait a vil prix. Voici la premiere mention du nom de Bona- parte sur un ecrou politique : Au quartier general de Paris , le 5 pluviose an vin (23 Janvier 1800.) Lefebvre , commandant la division , an con- cierge du Temple : D*apres les ordres du consul Bonaparte, vous laisserez entrer dans la prison le ciloyen Riou , BE LA SEINE. 417 capitaine rapporteur du 2 me conseil de guerre, afin qu'il puisse interroger le nomme Toutin , accuse d'espionnage et d'embauchage. A dater de l'annale , Sign6 , FOCCH. Du 13 floreal an vm (2 mai 1800 ). 27 418 HISTOIRE DES PRISONS Le concierge du Temple recevra provisoire- ment et en se conformant a la loi, le citoyen Hide Ncuville (Hyde de Neuville) , pr6venu de cons- piration contre la surete de la r^publique , et le tiendraau secret, sign6 Fardel et Fouche , 22 ans , natif de la Charite-sur-Loire , employ^ dans la marine en qualile d'aspirant. 11 ther- midor an vra (50 juillet) en Iibert6, mis a la disposition da ministre de la marine. 22 messidor an vm (11 juillet 1800). IScrou de Louis-Francois Berlin , natif de Paris , y demeurant , rue Germain-rAuxerrois , 35 , homme de lettres, 33 ans 3 mois, pre- venu d'espionage et de correspondance avec les ennemis exterieurs, et il sera mis au secret jus- qu'a nouvel ordre , sign6 Fouche, liberte da 5 thermidor (24 juillet 1800). Consul ou empereur, Napoleon, qui se connais- saiten hommcs, n'a jamais aime ceux du Journal desDe'bats; d'abord illeurimposaletitrede/owrna/ de I'Empire, puis du droit du lion, il s'attribua la moitie de leurpropriete surlaquelle il deleguades pensions a des savans et a des bommes de lettres, comme les Bourbons 1'avaient fait auparavant sur le Mercure et la Gazette. Enlr'autres pensions, il en avait ainsi conferee unede 6,000 fr. a Ber- DE LA SEINE. 419 nardin de Saint-Pierre , a 1'occasion du mariage qu'il venait de contracter a 64 ans, avec made* moiselle Pelleport.Les MM. Berlin payaient exac- tement , mais il se vengeaient en decbirant a belles dents les oeuvres du pensionnaire qu'on leur avail donn6 malgr6 eux. Quaod sa jeune femme ou ses amis reprdsentaient au philosophe que ces critiques etaient aussi apres qu'injustes el qu'il n'aurait pour les faire cesser qu'un mot a dire a son collegue dc 1'Inslitut , Laissez les faire , repondait en sourianl Bernardin, laissez- les essayer de me mordre ces ehiens-la , enrages qu'ils sont de tourner ma broche. Puisque nous parlons de journalistes et de gens de leltres , mentionnons Joseph Fieve'e , 33 ans , ecroue le 18 frimaire an ix (9 decembre 1800) , mi^ en liberte le 25 vent6se suivant (14 mars 1801), et Benoil-Joseph Marsollier, 51 ans, ecroue le 20 ventose an ix (11 mai 1801) , sous prevention de correspoudance avec les ennemis de 1'etat, mis en liberle des le lendemain. Du 5 fructidor an ix , James-Edward Hamilton , irlandais , prevenu d'etre sans passe- port^'avoiraffiche'uneaffichecontraireaugouver- nement et d'etre sans moyens d'existence counus. Du 10 frimaire , la veuve Allard , 30 ans , 4-20 HISTOIRE DES PRISONS femme de Temigre Allard, arr^tee comme ayaut voulu se jeter a 1'eau, transferee huit jours apres a 1 -Hospice de Phtfmanite (Hotel-Dieu). Du 6 floreal an ix (26 mai 1801 ), Francois- Victor Montchenu, pr^venu d'emigration, 42 ans. mis en liberte le 12 aout suivant. C'est ce meme baron qui fut depuis commissaire representant la France ou pour mieux dire les Bourbons aupres de Napoleon , a Sainte-Helene. Vicissitudes hu- maines ! Qui aurait dit en 1801 a ce Montchenu que 14 ans plus tard il serait Tun des geoliers du heros, pour compte de 1'Angleterre. Sauf quelques ecrous exceptionnels comme ceux que nous venons de citer, les chefs de pre- vention varient fort peu, prevenu d'emigration, faux passeports , trafic de faux papiers, propos contre le gouvernement , intelligences ou correspondances avec les ennemis de 1'exte- rieur, pretres refractaires , chouau amnis- ti6 , ex-chouan , ex-brigand , attaqu.es et vols de diligences. Mais a dater de 1801 , il est rare qu'on daigne indiquer aucun sujet de prevention , le maudat d'arret est on ne peut plus laconique, en voici la formule : Paris, le Le prefet de police mande et ordonne au DE LA SEINE. +21 concierge de la maison d'arre"t du] Temple de re- cevoir et de garder jusqu'a nouvel ordre le nomine N***. Le pre"fet de police , Signd , DUBOIS. Les signalemens sont pris dans les details les plus munilieux : Ulliac Kervallant , 58 ans , natif de Rennes en Bretagne, rentier, taille de 1 metre 66 centimetres, cheveux et sourcils chatains gris fonces , front eleve , yeux grands et gris verda- tres , nez ordinaire , piuce du haul , large des narines et pointu du bout, bouche petite, men- ton plat , visage rond et les joues un peu creuscs, portantde longues nageoires. Un signe a la joue droite. - Du 14 floreal an x (4 mai 1802). Gabriel Donadieu , 24 ans , natif de Nimes , chef-d'esca- 41 Bicelre 724 La Salpetriere 43,1 Chambre d'arrgta la mairie (Dp6l) 53 Luxembourg 425 Maison de suspicion, rue delaBourbe 3i4 Picpus , faubourg Antoine , 91 Les Anglaises , rue Victor . 133 Idem rue de 1'Oursine *. 91 Idem faubourg Antoine 73 Les Cannes, rue de Yaugirard 182 Ecossais , rue des fosses Victor 76 Lazare , faubourg Lazare 28i Belhomme , rue Charonne ,70 1 J> Benedictins Anglais, rue de I'Observatoire 113 Maison du Plessis 406 Maison de repression , rue Victor 4C Maison de Coignard , a Picpus 3a Montprin 4? Femes 4 .... * Caserne des Petits-Pcres 143 Idem, rue de Sevres. 120 Idem des Carmes , rue de Vaugirard 182 Vincennes 291 Total 510G Certifie conforrae aux feuilles journalieres, a nous re- mises par les concierges de justice et d'arret du departe- rnent de Paris. Signe, OLIVIER et MERCY. Get etat est pris 35 jours apres la chute de Robespierre. Le 3 messidor (20 juin). 36 jours avant cet evenement , la liste de presence dans les meraes prisons s'eteye a 7465 individusde tout 3ge et de tout sexe. TABLE. CHAPITRB i er . Des anciennes Prisons. De 1'admi- nistration des Prisons de la Seine en general. . . 1 CHAPITRE ii. Le grand depdt de la Prefecture. . . 39 CHAPITBB HI. Clichy, prison pour detles. ... 49 CUAPITRE iv. Sainte-Pelagie, maison d'arrfit et de correction, prison d'Etat sous 1'erapire. .... 121 CBAPITBE v. La Conciergerie , maison de justice. 1G5 CHAPITRE vi. La Conciergerie , periode revolu- tionnaire 181 CHAPITBE vn. La Conciergerie , Journal des Guil- lotines 197 CHAPITRE vm. Statistiqne des executes revolulion- nairement a Paris 217 CHAPITRE ix. Massacres de septerabre 1792 , leurs causes, leurs auteurs. ... 4 237 CHAPITHE x. Massacres de septembre 1792. Nar- ration. Documens 263 CHAPITKB xi. Massacres a Bicetre. Recit et do- cumens enlierement neufs 309 CSAPITRE xii. Massacre de la Force. Recapitu- lation generate. Conclusion 347 CHAPITBE xin. Les prisons d'Elat modernes. Le Temple et Vincennes. Documens inedits. . . 373 FIN DE LA TABLE.