. ; QJ> < — .» r UC-NRLF 1111 DICTIONNAIRE DE CHIMIE PURE ET APPLIQUÉE DISCOURS PRÉLIMINAIRE HISTOIRE D E 8 DOCTRINES CHIMIQUES DEPUIS LAVOISIER JUSQU'A NOS JOURS PA R AD. WURTZ Mi BRE DE L'IN TITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES) PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C'« BOULEVARD S A I K T-G E R M A 1 X , i\ 77 LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND - LEIPZIG, 3, KOIMG3 - STRASSE 1 8 () 8 '£ ;« f£ OF THE. UNIVERS1TY OF CViLIFOR^ HISTOIRE DES DOCTRINES CHIMIQUES DEPUIS LiVVOISIER JUSQU'A NOS JOURS DICTIONNAIRE DE CHIMIE PURE ET APPLIQUÉE DISCOURS PRELIMINAIRE HISTOIRE DES DOCTRINES CHIMIQUES DEPUIS LAVOISIER JUSQU'A NOS JOURS AD. WURTZ MEMBRE DE L'iNSTITUT (ACADÉMIE DES SCIENCES) PARIS LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET C' c BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 77 LONDRES, 18, KING WILLIAM STREET, STRAND - LEIPZIG, 3, KÔNIGS-STRASSE 1868 DISCOURS PRELIMINAIRE QX> IS' 13 6 S HISTOIRE DES DOCTRINES CHIMIQUES DEPUIS LAVOISIER La chimie est une science française. Elle fut constituée par Lavoisier, d'immortelle mémoire. Pendant des siècles elle n'avait été qu'un recueil de recettes obscures, souvent mensongères, à l'usage des alchimistes et, plus tard, des iatrochimistes. Vainement un grand esprit, Georges-Ernest Stahl, avait essayé, au commencement,du xvm e siècle, de lui donner une base scien- tifique. Son système ne put résister à l'épreuve des faits et à la puissante critique de Lavoisier. L'œuvre de Lavoisier est complexe : il fut en même temps l'auteur d'une nouvelle théorie et le créateur de la vraie méthode en chimie. Et la supério- rité de la méthode a donné des ailes à la théorie. Née de l'observation rigou- reuse des phénomènes de combustion, cette théorie a pu s'étendre à tous les faits importants connus à cette époque. Elle avait en elle la justesse et la portée : elle est devenue un système. Après quinze ans de lutte, son triomphe fut éclatant et. demeura incontesté pendant plus d'un demi-siècle : le maître avait trouvé de grands disciples pour consolider et développer son œuvre. Cependant une partie de la science était restée en dehors de leurs efforts et du système, qui s'appliquait plus particulièrement aux composés inorganiques. La chimie organique se bornait alors à la description qualitative des principes extraits des produits d'origine végétale et animale. A la vérité, le génie des découvertes avait amassé de précieux matériaux, mais la science, qui consiste à les coordonner, n'était pas née. Les éléments de cette coordination faisaient encore défaut : ils ne pouvaient être fournis que par l'étude des métamorphoses des composés organiques. Découvrir la constitution atomique de ces composés JÏÏ347363 u DISCOURS PRELIMINAIRE. et par elle expliquer leurs propriétés et établir leurs relations, tel est le but de la chimie organique. Déterminer la nature et le nombre de leurs atomes constituants, étudier leurs modes de formation, leurs métamorphoses, tels sont les moyens qu'elle. met en œuvre. Ce grand travail ne commença réellement que vers 1830, et, à partir de cette époque, il fut poursuivi avec vigueur et succès. Il n'est point achevé. Mais que de faits accumulés durant ce long espace de temps ! Nulle mémoire ne saurait les embrasser aujourd'hui, et l'on peut dire, sans exagération, que les richesses de la science ont centuplé depuis Lavoisier. Aussi le cadre où ce grand génie avait enfermé son système est-il devenu trop étroit. Un horizon élargi fait découvrir de nouveaux points de vue : faut-il s'étonner dès lors que les théories suggérées par l'étude des composés organiques, et restreintes d'abord au domaine qui les avait fait naître, aient pris leur essor, essayant de franchir les limites qui séparent la chimie organique de la chimie minérale? Elles les ont franchies. Elles embrassent aujourd'hui le champ tout entier de la science, et, grâce à elles, on peut dire qu'il n'y a qu'une chimie. Un si grand résultat n'est ni l'œuvre d'un jour, ni la conquête d'une révolution : c'est le fruit d'un progrès lent et continu. Mais si, oubliant un moment les étapes, nous nous reportons au point de départ, nous devons avouer que le progrès est immense. Comparée à la science d'alors, la science d'aujourd'hui nous apparaît non -seulement agrandie, mais transformée, rajeunie. Est-elle achevée en ce qui concerne les doctrines, et les voies nouvelles où elle marche irrésistiblement sont-elles tout à fait aplanies? Nous ne le pensons pas. Mais la grandeur du progrès nous permet d'affirmer que les voies sont bonnes. Nous pouvons donc nous recueillir un moment, et, jetant un coup d'œil sur la distance parcourue, marquer avec assurance le point que nous venons d'atteindre. Dans le grand ouvrage Çue nous offrons au public, avec le concours de collaborateurs distingués, les nouvelles idées régnent sans partage. Il convient donc de les affirmer résolument et de les exposer. Tel est le but de ce travail. LAVOISIER. Le système de Lavoisier a été qualifié d'antiphlogistique, par opposition à la théorie célèbre émise par Stahl dès les dernières années du xvn e siècle et connue sous le nom de « théorie du phlogistique » . Ce grand chimiste, qui fut aussi un grand médecin, en avait trouvé le germe dans les écrits de Bêcher 1 . Les métaux renferment un principe combustible, une « terre inflam- mable » , telle est l'idée de ce dernier savant encore dominé par les croyances des alchimistes, dont le rapprochent d'ailleurs un esprit inquiet et une carrière aventureuse. Mais ces croyances commençaient à décliner et l'étiquette atta- chée aux doctrines de Bêcher n'était plus une marque de faveur. Aussi son idée fut-elle à peine remarquée à l'origine. Pour la mettre en relief et en vogue, il lui a fallu un puissant commentateur, Stahl. « Becheriana sunt qua) profero, » avait dit celui-ci, et pourtant l'idée devint sienne. Il lui donna une expression claire et une forme générale : il en fit une théorie 2 . La terre inflammable de Bêcher reçut le nom de phlogistique. C'était, d'après Stahl, un principe subtil répandu dans les métaux ef, en général , dans les corps com- bustibles, qui le perdent lorsqu'ils sont brûlés ou calcinés. Un métal chauffé à l'air abandonne son phlogistique, en se transformant en une poudre terne, en une chaux métallique. Les battitures qui se sont détachées, étincelantes, du fer incandescent, sont du fer déphlogistiqué. Cette poudre jaune, la litharge, qui se forme par une calcination prolongée du plomb, c'est le plomb privé de son phlogistique. Incombustibles, les corps sont dépourvus de ce principe; inflammables, ils en sont très-riches. Le phénomène du feu est un puissant dégagement de phlogistique. Un corps qui subit l'action du feu se décompose, 1. Né à Spire en 1633, Jean-Joachim Bêcher mourut en Angleterre en 1682. II émit ses premières idées sur la nature des métaux dans ses Acta laboratorii chymici Monacensis seu Physica subterranea , 1669. Il les exposa principalement dans son dernier ouvrage, intitulé : Alphabetum minérale seu viginti quatuor thèses Chymicœ, 1682. 2. Georges-Ernest Stahl, né à Anspach en 1660, mourut, en 1734, premier médecin du roi de Prusse. Le premier en date de ses écrits chimiques, sa Zymotechnia fundamentalis, etc., publiée en 1697, renferme, avec l'affirmation des idées de Bêcher, les fondements de la théorie du phlogistique. Après avoir donné, en 1702, une nouvelle édition de la Physica subterranea de Bêcher, il développa ses idées principalement dans les ouvrages suivants : Spécimen Beche- rianum, fundamenta, documenta et expérimenta sistens ; — Expérimenta, observationes animadversiones, CGC numéro, chymicœ et physicœ (1731). iv DISCOURS PRELIMINAIRE. el ce qui reste après la combustion était d'abord un des éléments du corps combustible. Ainsi, les cendres des métaux ou les chaux métalliques étaient contenues dans les métaux eux-mêmes, en combinaison avec le phlogistique. On peut leur restituer ce dernier en les chauffant avec des substances riches en phlogistique, telles que le charbon, le bois, l'huile. Calcinez la litharge avec la poussière de charbon, vous retrouverez le plomb métallique. Le phlogistique aura abandonné le charbon pour se porter sur la litharge et former avec elle le plomb ré vivifié. Le triomphe d'une théorie, c'est d'embrasser les faits les plus nom- breux et les plus divers. Celle- ci s'appliquait avec un égal succès à deux ordres de phénomènes opposés, et établissait entre eux un lien théorique. Rappro- chant les phénomènes de la combustion des faits relatifs à la calcination des métaux à l'air et à leur transformation en chaux métalliques, elle expliquait les uns et les autres et donnait, en second lieu, une interprétation bien simple des phénomènes de réduction, inverses des premiers. Mais quel est le rôle de l'air dans la combustion? Sur ce point la théorie était muette, et pourtant l'observation l'avait devancée et avait fait pressentir depuis longtemps l'importance de ce rôle. Jean Rey, médecin du Périgord, l'avait entrevu dès 1630. Celui qui fut le premier président de la Société royale de Londres et aussi le premier, en date, des vrais chimistes, Robert Boyle, avait confirmé ce fait, déjà connu de Rey, que les métaux augmentent de poids par la calcination à l'air. Il y ajouta ce trait important que la conversion du plomb en litharge, dans un espace limité d'air, donne lieu à une diminution du volume de cet air. Il sauvait que celui-ci renferme un principe qui est consommé pendant la respiration et la combustion. Son contemporain et compatriote le médecin Jean Mayow avait soupçonné dès 1669 que l'air n'est pas formé par une seule et même substance, mais qu'il renferme des particules plus propres que les autres à entretenir la combustion, et que ces particules 1 , enlevées à l'air par les corps qui brûlent, sont aussi absorbées par le sang dans les poumons. Mais toutes ces observations étaient demeurées stériles au point de vue de la théorie. On n'en tenait aucun compte, ou on les écartait par des explications aussi superficielles qu'erronées. L'augmentation du poids des métaux par la calcination, Robert Boyle la met sur le compte de la chaleur absorbée. Stahl lui-même la connaît et la mentionne sans l'expliquer. Il la regarde comme un détail secondaire. A cette époque, les chimistes s'attachaient uniquement à l'apparence exté- rieure des faits, se bornant à contempler et à décrire ce qu'on pourrait nom- mer le côté qualitatif des phénomènes. L'étude des relations de quantité, dans les réactions chimiques, était négligée comme un luxe inutile pour la théorie, ou du moins était perdue pour elle. 1 . Particulœ nilroaereœ. LAVOISIER. II. Une ère nouvelle s'ouvre avec Lavoisier. Les faits relatifs à l'augmentation de poids des métaux pendant la combustion, confirmés par lui, multipliés par une série d'expériences décisives, mis en lumière par une discussion brillante, deviennent, entre ses mains, à la fois une arme victorieuse contre la théorie du phlogistique et la pierre angulaire d'un nouveau système. La combustion n'est pas une décomposition, c'est une combinaison résultant de la fixation d'un certain élément de l'air sur le corps combustible. Celui-ci augmente de poids en se consumant et cette augmentation de poids représente précisément le poids du corps gazeux ajouté. La découverte du gaz éminemment propre à entretenir la combustion, faite par Priestley en 177 A, donne une nouvelle force à cette théorie. Lavoisier montre que ce gaz est un des éléments de l'air et le nomme oxygène. Dès lors, le rôle de l'air dans les phénomènes de combustion est clairement établi. En vain les derniers défenseurs du phlogistique, Gavendish, Priestley, le grand Scheele lui-même essayent-ils de sauver la théorie de Stahl en la modifiant et en admettant que le rôle de l'air consiste à enlever le phlogistique aux corps combustibles. Un gaz, disait Priestley, est d'autant plus propre à entretenir la combustion qu'il renferme lui-même moins de phlogistique; l'air en contient peu, le gaz éminemment comburant qu'il renferme n'en contient point, l'autre élément de l'air en est saturé, il est incapable d'entretenir la combustion. Ces raisonnements, en représentant comme riche en phlogistique un gaz incom- bustible (l'azote), défiguraient la théorie au lieu de la sauver. Lavoisier leur opposa victorieusement un argument tiré des relations pondérales. Le tout, disait-il, est plus grand que la partie; les produits de la combustion, plus pesants que les corps combustibles, ne sauraient donc être un des éléments de ceux-ci; car rien ne se perd dans les réactions chimiques, et rien ne se crée, la matière étant indestructible. Si donc les corps augmentent de poids en brûlant, c'est par le gain r ou l'addition d'une nouvelle matière; lorsque, d'un autre côté, les chaux métalliques, les oxydes, sont ramenés à l'état de métal, ce n'est pas par la restitution du phlogistique, c'est par la perte de l'oxygène qu'ils renferment. C'est ainsi que Lavoisier établit le premier la nature élémentaire des métaux et fixa, en général, la notion des corps simples. 11 reconnut comme tels les corps dont on ne peut retirer qu'une seule espèce de matière et qui, soumis à l'épreuve de toutes les forces, se retrouvent toujours les mêmes, indestructibles, indécomposables. Ayant ainsi imprimé à un grand nombre de substances primordiales le sceau d'une individualité propre, il réforma définitivement les idées anciennes sur la nature des éléments et mit fin à l'espoir de réaliser des transmutations. Cette illusion séculaire, ni encouragée, ni détruite par les partisans du phlogistique, devait durer, en effet, aussi longtemps que les métaux étaient envisagés comme des corps composés. Les corps simples ainsi définis, Lavoisier les représente comme doués du vi DISCOURS PRELIMINAIRE. pouvoir de s'unir entre eux, de manière à former les corps composés, cette union s'effectuant sans perte de substance, de telle sorte qu'on retrouve dans la combinaison toute la matière pondérable des corps constituants. Ces grands principes forment la base de la chimie. Universellement acceptés, ils nous paraissent si simples, si indiscutables aujourd'hui, qu'ils s'imposent en quelque sorte comme des axiomes. Ils ne l'étaient pas alors, et c'est la gloire durable de Lavoisier de les avoir proclamés, nous dirons mieux, démontrés. Il l'a fait clans une série de travaux fortement enchaînés par l'idée dominante et deve- nus immortels par la sagacité des expériences, la clarté de l'exposition, la rigueur des déductions. Et si quelque chose pouvait rivaliser d'importance avec les découvertes mêmes du grand maître , ce serait sa méthode , cette méthode qui consiste à appliquer la balance à tous les phénomènes chimiques et qui est sienne parce qu'il en est le vrai promoteur. Cavendish, Bergman, Mar- graf avaient fait des analyses quantitatives ; aucun d'eux n'avait songé à appli- quer l'étude des relations pondérales à la solution d'une question théorique. Lavoisier a eu cette idée et ce mérite. La méthode qu'il a inaugurée est la seule bonne en chimie. Non-seulement elle n'a pas été remplacée, mais on ne comprendrait pas qu'elle pût l'être. Ayant pris pour point de départ l'étude des phénomènes d'oxydation, Lavoisier a naturellement accordé la plus grande attention à l'oxygène et aux composés qui en renferment. Il a fait connaître le rôle important de ce gaz dans la formation des acides, des oxydes, des sels. Les principes qui l'ont guidé dans l'étude de ces composés oxygénés, les plus importants de tous, ont pu être appliqués facilement à tous les composés chimiques. Il en est résulté une théorie générale qui a été opposée vers 1775 aux idées de Stahl alors domi- nantes. La lutte a été vive, et ceux-là mêmes qui ont le plus contribué, après Lavoisier, à ébranler la théorie du phlogistique par leurs découvertes, en ont été, à la fin, les champions les plus obstinés. Scheele mourut en 1784, à l'âge de quarante-trois ans, sinon partisan convaincu de l'idée même du phlogis- tique dans le sens qu'y avait attaché Stahl, du moins défenseur énergique du mot; tant il est vrai que l'habitude est notre maître. Dans cette même année 1784 , alors que la doctrine nouvelle avait subjugué en France tous les esprits éclairés, Berthollet à leur tête, Cavendish publia une exposition détaillée et une défense ingénieuse de la théorie du phlogistique. Plus tard, sans se rendre, il cessa son opposition. Priestley ne la cessa jamais. Il mourut en 1804, près des sources du Susquehannah, ayant emporté dans le nouveau monde son génie inquiet et son obstination. Pour Lavoisier, enlevé dans la vigueur de l'âge et dans la plénitude de l'activité, il eut la satisfaction, rare pour un si grand novateur, d'assister enfin au triomphe de ses idées. En 1794, au jour où la hache révolutionnaire mit fin à son existence, sa théorie était acceptée par le plus grand nombre des hommes compétents , et les rares opposants qui osaient encore élever la voix ne purent retarder la chute d'un système désor- mais condamné. LAVOISIER. vi III. Après avoir esquissé à grands traits l'œuvre de Lavoisier clans les pages précédentes, nous devons maintenant aborder quelques détails, et indiquer le développement de ses doctrines par la suite des découvertes qui lui appar- tiennent ou qui sont propres à ses successeurs. En 1772, Lavoisier dépose à l'Académie un pli cacheté. Il y traite, pour la première fois, de l'augmentation de poids des métaux par la calcination. Il démontre, en outre, que le soufre et le phosphore augmentent de poids lors- qu'ils brûlent à l'air, et que cette augmentation de poids est due à l'absorption (1 une certaine quantité d'air. Enfin, il établit que la réduction des chaux métalliques donne lieu à un dégagement d'air. Quelques-unes de ces expériences sont décrites d'une manière détaillée dans un mémoire publié en 111k. Ayant maintenu de l'étain longtemps en fusion dans un vase clos, Lavoisier observa, comme Black, une diminution du volume de l'air. Mais, plus profond et plus habile que son devancier, il put constater que l'augmentation de poids de l'étain représente précisément le poids de l'air qui rentre dans le vaisseau lorsqu'on ouvre celui-ci après le refroidissement. C'était démontrer que l'étain augmente de poids parce qu'il absorbe de l'air; car l'air qui disparaît du vaisseau par absorption pèse évidemment autant que celui qui le remplace, à volume égal, à la fin de l'expérience. Peu après la découverte de l'oxygène par Priestley en 1774, Lavoisier fait paraître un nouveau mémoire, où il montre que dans la calcination des métaux et la combustion ce n'est pas l'air tout entier, mais un de ses éléments, l'oxygène, qui est absorbé. Il le nomme d'abord air vital ou air éminemment propre à entretenir la combustion et la respiration. En préparant ce gaz, comme l'avait fait Priestley, par la calcination de la chaux mercurielle, il démontre que celle-ci est une combinaison de mercure et d'oxygène, et admet, par analogie, que toutes les chaux métalliques ont une semblable composition. Il les représente comme formées de métal et d'air vital (oxygène). Partant de ce fait connu de son temps que les chaux métalliques chauffées avec du charbon se convertissent en métal, tandis qu'il se dégage de l'air fixe (acide carbonique), Lavoisier envisage ce dernier comme une combinaison de charbon et d'air vital. Il admet en outre, que cet air vital est un des éléments du salpêtre , qui entretient si vivement la combustion du charbon , en déga- geant de l'air fixe. La composition de ce dernier gaz fut établie un peu plus tard par une brillante synthèse. Ayant effectué la combustion du diamant, pour la première fois depuis la célèbre expérience des académiciens del Cimento, Lavoisier montra que l'unique produit de cette combustion est l'air fixe, nommé depuis acide carbonique. Ainsi inaugurées, ses recherches sur la composition des acides furent continuées en 1777 par l'étude de l'acide phosphorique qui résulte de la corn- vin DISCOURS PRELIMINAIRE. bustion du phosphore. Après avoir constaté de nouveau que ce dernier corps augmente de poids en brûlant, Lavoisier précise le rôle de l'air dans le phéno- mène, en démontrant que le cinquième du volume de cet air est absorbé par le phosphore. D'autres expériences entreprises dans le cours de la même année le fortifient dans cette conclusion, que des deux éléments de l'air un seul, l'oxygène, est capable d'entretenir la combustion. Ses travaux sur la composition de l'acide sulfurique se rattachent aux pré- cédents. Il démontre que cet acide diffère du gaz sulfureux par une plus grande proportion d'oxygène. Il indique les mômes relations de composition entre l'acide nitrique et le gaz oxyde d'azote que Scheele venait de découvrir. Il signale comme un composé intermédiaire entre ces deux corps la vapeur rutilante produit de l'oxydation directe de l'oxyde d'azote. Tous ces travaux mettent en évidence le rôle que joue dans la formation des acides cet « air émi- nemment propre à entretenir la combustion et la respiration », qu'il nomme pour la première fois oxygène dans un mémoire publié en 1778. Plus tard, il revient aux oxydes et passe aux sels. S'étant efforcé de déter- miner les rapports clans lesquels l'oxygène s'unit aux métaux, il représente les oxydes comme les éléments nécessaires de tous les sels. Avant lui la constitu- tion de ces derniers était généralement méconnue. On les représentait tantôt comme formés d'un acide uni à un métal, tantôt comme résultant de l'union d'une chaux métallique avec un acide , les faits alors connus étant invoqués tour à tour à l'appui de l'une ou de l'autre manière de voir. On savait que la litharge est capable de former un sel en se dissolvant dans le vinaigre. Mais on connaissait aussi un grand nombre de sels formés par l'action d'un acide sur un métal. Le vitriol blanc ou sulfate de zinc ne se forme-t-il pas lorsqu'on arrose le métal zinc avec de l'acide sulfurique étendu? Le dégagement d'hydro- gène qui accompagne cette dissolution, d'abord passé inaperçu, avait reçu plus tard une fausse interprétation. Lavoisier prouva que cet hydrogène pro- vient de la décomposition de l'eau qui prend part à la réaction et dont l'oxygène se fixe sur le zinc. Ce n'est donc pas le zinc, c'est le zinc oxydé, ou l'oxyde de zinc, qui s'unit à l'acide sulfurique. L'action est différente, mais les résultats sont analogues lorsque le cuivre se dissout dans l'acide nitrique. Ici le métal exerce une action décomposante non sur l'eau, qui est toujours présente, mais sur une partie de l'acide lui- même qui lui cède de l'oxygène. Le cuivre se convertit ainsi en oxyde qui s'unit à une autre partie de l'acide nitrique pour former un sel. Quant à cette portion de l'acide qui a cédé de l'oxygène au métal, elle est ramenée par cette désoxydation ou réduction à l'état de vapeur rutilante ou d'acide hypo- azotique qui se dégage. Telle est l'interprétation que donna Lavoisier des phénomènes de dis- solution des métaux dans les acides, phénomènes dont la diversité avait embarrassé ses prédécesseurs et dont le sens leur avait échappé. Le grand réformateur les ramène à ce double mode d'action : oxydation préalable du métal, union de l'oxyde formé avec l'acide. Ayant ainsi reconnu le rôle de l'oxygène dans la formation des acides, des LÀVOISIER. ix oxydes, des sels, il jeta, par quelques définitions très -simples, les fonde- ments d'un nouveau système de chimie. Un acide résulte de l'union d'un corps simple, ordinairement non métal- lique, avec l'oxygène. Un oxyde est une combinaison de métal et d'oxygène. Un sel est formé par l'union d'un acide avec un oxyde. Ces principes, démontrés pour les composés oxygénés, pouvaient s'étendre immédiatement aux autres combinaisons chimiques. Un sulfure résulte de la combinaison du soufre avec un métal. Un phosphure renferme un métal, plus du phosphore. Seuls les chlorures restaient encore, sinon en dehors du système, du moins en dehors du groupe des définitions exactes. En effet, le chlore ayant été envisagé par Berthollet comme un composé d'acide muriatique et d'oxygène, les chlorures ont passé longtemps pour des sels oxygénés. Mais cette erreur, qui fut corrigée plus tard, ne put porter atteinte à la nouvelle théorie, qui représentait les corps simples comme doués du pouvoir de se combiner entre eux sans perte de substance en formant des composés de divers ordres, sui- vant leur complication. Un corps simple s'unit-il à un autre corps simple, il en résulte un com- posé binaire du premier ordre. Les acides, les oxydes, les sulfures, etc., appartiennent à ce genre de combinaisons, les plus simples de toutes. Mais les acides et les oxydes sont doués eux-mêmes du pouvoir de s'unir entre eux pour former des composés binaires du second ordre qui sont les sels. Quel que soit le degré de complication. d'un composé, on peut toujours y discerner deux parties constituantes, deux éléments immédiats, ceux-ci étant des corps simples ou des corps composés. Le sulfure de fer renferme deux parties constituantes, le soufre et le fer, tous deux corps simples. Dans le vitriol vert, un nouveau corps simple vient s'ajouter aux précédents : ce sel renferme, en effet, du soufre, du fer et de l'oxygène, mais ces éléments y sont combinés de telle manière que l'oxygène est partagé entre le soufre et le fer, formant avec le premier l'acide sulfurique, avec le second l'oxyde de fer. Cet acide et cet oxyde sont les éléments immédiats du sel. Ainsi, toutes les combinaisons chimiques sont binaires; tel est le trait caractéristique du système. Dans toutes, l'affinité s'exerce sur deux éléments simples ou composés. Ceux-ci s'attirent et s'unissent entre eux en vertu d'une certaine opposition de propriétés qui est précisément neutralisée par le fait de leur union. Voilà le dualisme. C'est le fondement de la théorie et le principe de la langue. Et cette langue chimique, si admirable dans sa précision, n'a pas peu contribué au triomphe des idées, à la fin du dernier siècle. IV. Il y avait alors au parlement de Dijon un avocat général, Guyton de Mor- veau, qui consacrait noblement ses loisirs à l'étude de la chimie et de la miné- x DISCOURS PRÉLIMINAIRE. ralogie. Il avait été frappé, dans ses leçons publiques, des inconvénients de la nomenclature, si l'on peut appeler ainsi une langue sans régies et sans clarté, collection de mots bizarres et de synonymes fatigants. Dès 1782 , il proposa de nouvelles dénominations qui ne furent pas acceptées, mais qui portaient en elles le germe d'une vraie nomenclature. Désigner par le nom même la composition d'une substance, tel était le but de la réforme entreprise par Guyton de Morveau. Elle trouva un puissant appui en Lavoisier qui, de son côté, réussit à gagner à la nouvelle doctrine l'auteur de la nomenclature. Une entente s'établit ainsi en 1787, et, grâce à l'influence prépondérante de Lavoisier et au con- cours de Berthollet et de Fourcroy, la nouvelle langue s'adapta à la nouvelle théorie. Les noms expriment la composition, mais comme celle-ci est binaire, chaque dénomination est formée de deux mots. La classe des combinaisons oxygénées a servi de modèle pour toutes les autres. Les composés les plus simples de l'oxygène sont les acides et les oxydes. Ces deux mots indiquent l'un et l'autre la présence de l'oxygène; ils marquent le genre de combinaison; l'espèce est indiquée par un autre mot, ordinaire- ment un adjectif, qui fait connaître le nom du corps simple, métalloïde ou métal, combiné avec l'oxygène. Ainsi on dit acide sulfurique, oxyde de plomb ou oxyde plombique. S'agit-il d'exprimer les divers degrés d'oxydation d'un seul et même corps, la nomenclature est féconde en artifices ingénieux; elle fait précéder l'un ou l'autre mot de prépositions grecques, ou elle ajoute à l'adjectif des terminaisons variables. Ainsi, elle désigne les divers degrés d'oxydation du soufre par les noms : acides hyposulfureux, sulfureux, sulfurique. Elle indique les degrés d'oxydation du plomb et du manganèse par les dénominations sui- vantes : protoxyde de plomb, bioxyde de plomb, protoxyde de manganèse, peroxyde de manganèse. Deux mots, de même, pour désigner les sels : l'un marquant le genre, déterminé par l'acide; l'autre l'espèce, déterminée par la base métallique. Ainsi sulfate de plomb veut dire combinaison d'acide sulfurique et d'oxyde de plomb; sulfite de potasse, combinaison d'acide sulfureux et de potasse. Les mêmes principes ont été appliqués à la nomenclature des composés que le soufre et le phosphore forment avec les métaux. Mais ce n'est pas ici le lieu d'insister sur ces détails, notre but étant seu- lement de faire ressortir l'influence des nouveaux noms sur la propagation des nouvelles idées. A partir de 1790, la notion fondamentale du système de Lavoisier, savoir le dualisme dans les combinaisons, s'est introduite dans l'esprit du lecteur, savant ou écolier, avec les mots mêmes de la langue chi- mique; et l'on sait quelle est, en pareil cas, la puissance des mots. Ce système, bien que reposant sur des faits, n'était pas exempt d'hypo- thèses. En considérant les sels comme renfermant deux éléments distincts, et en y admettant le partage de l'oxygène entre l'acide et la base, elle préjugeait un certain groupement des éléments qui n'était pas susceptible d'une démons- tration directe. C'était en réalité une hypothèse. Clairement indiquée dans la LAVOISIER. xi langue, elle s'est imposée aux esprits et transmise comme une vérité démon- trée, de génération en génération. En effet, elle avait la simplicité et la vraisem- blance. Non-seulement elle rendait compte de tous les faits connus, mais encore elle en fit découvrir de nouveaux et des plus importants ; elle était bonne, parce qu'elle était féconde. On savait, à la fin du siècle dernier, que les alcalis , les terres alcalines et les terres, telles que la potasse, la chaux, l'alumine, possèdent la propriété de s'unir aux acides pour former des sels, et pourtant ces bases salifiables n'avaient pas été décomposées. En les assimilant aux oxydes, Lavoisier en devina la nature ; mais personne n'en avait encore retiré les radicaux métal- liques. Depuis 1790, de nombreux essais, tentés pour la réduction des alcalis et des terres, n'avaient abouti qu'à des insuccès. Tant de déceptions avaient découragé les chimistes, à ce point que la grande découverte de H. Davy fut accueillie, en 1807, avec une véritable surprise. Mais le fait annoncé par le grand chimiste anglais de la réduction des alcalis par le courant d'une pile puissante fut bientôt confirmé par ceux-là mêmes qui avaient d'abord émis quelques doutes, Gay-Lussac et Thenard. On sait que ces chimistes sont parvenus à réduire la potasse et la soude en les sou- mettant à l'action du fer à une très-haute température. Seules quelques terres, telles que l'alumine et la magnésie, ont résisté à ces puissants moyens de décomposition. OErsted ayant appris plus tard à les convertir en chlorures anhydres par l'action simultanée du chlore et du charbon au rouge, M. Wœh- ler eut le premier la pensée et la gloire de décomposer ces chlorures anhydres par les métaux alcalins que Davy avait découverts. Il isola ainsi l'aluminium, qui est devenu depuis un métal usuel entre les mains de M. II. Sainte-Claire Deville. Toutes ces découvertes, qui ont illustré les plus grands noms de la chimie dans ce siècle, découlent d'une idée, l'idée de la constitution des sels émis? par Lavoisier. Sur un autre point la théorie s'est trouvée en défaut. Lavoisier avait admis d'abord que tous les acides renferment un élément commun, qu'il a nommé oxygène, parce qu'il l'envisageait comme le principe acidifiant, ou générateur des acides. Cette proposition, exacte dans beaucoup de cas, était trop absolue 'dans son énoncé. Berthollet en montra l'exagération dès 1789 par l'analyse de l'hydrogène sulfuré et de l'acide prussique, tous deux exempts d'oxygène, et doués de propriétés acides. Mais une des exceptions les plus importantes à la règle de Lavoisier, c'est l'acide muriatique, dont la composition fut recon- nue plus tard 1 . C'est un acide minéral énergique. Il neutralise la potasse comme l'acide sulfurique, en donnant lieu à des phénomènes analogues, élé- vation notable de la température, formation d'une matière saline, blanche, neutre, qui se précipite en petits cristaux, si les liqueurs sont concentrées. Dans les deux cas un acide est neutralisé par une, base, avec formation d'un sel, et pourtant le premier de ces acides ne renferme point d'oxygène. Comme il arrive souvent dans les sciences, ces faits, d'abord embarrassants 1. Note 1, p. lxxxvii. xii DISCOURS PRÉLIMINAIRE. pour la théorie et regardés comme exceptionnels, sont devenus le point de départ d'une généralisation nouvelle. IL Davy en fit la base d'une théorie sur les sels, que Dulong appuya, mais qui fut rejetée par leurs contemporains comme contraire aux idées reçues. Aujourd'hui elle est admise et nous aurons soin de l'exposer plus tard. Une seule remarque pour terminer notre sujet. Ce grand progrès qui consiste à con- fondre clans un même ordre des phénomènes, et à expliquer par la même théorie la neutralisation des bases par les hydracides et par les oxacides , et qui a ébranlé la théorie de Lavoisier sur la constitution des acides, découle des faits découverts par Berthollet, cà une époque où cette théorie venait de remporter ses premiers triomphes. Elle portait donc, presque en naissant, le germe de sa destruction. DALTON ET GAY-LUSSAC. i. A l'époque où Lavoisier posait les bases de la nouvelle chimie, un savant allemand, Wenzel, travaillait obscurément à élargir et à préciser, par des analyses exactes, les notions que l'on possédait alors sur la composition des sels. Les chimistes du temps avaient été frappés de ce fait, que deux sels neutres peuvent former, par un échange de bases et d'acides, deux nouveaux sels, neutres comme les premiers. Ainsi, lorsqu'on mêle des solutions con- centrées et neutres de sulfate de potasse et de nitrate de chaux, il se forme, par double décomposition, du sulfate de chaux qui se précipite et du nitrate de potasse qui reste en solution. Les deux nouveaux sels sont neutres comme les deux autres, et c'est la permanence de la neutralité qu'il s'agissait d'expli- quer. Wenzel fut assez heureux pour trouver cette explication. Il montra que lorsqu'on mêle deux sels neutres en quantités telles, que l'acide du premier est exactement neutralisé par la base du second, il arrive aussi que l'acide du second suffit exactement pour neutraliser la base du premier. En d'autres termes , il fit voir que lorsque deux sels neutres se décomposent réciproque- ment , la neutralité se maintient par cette raison que les quantités relatives de bases qui neutralisent un poids déterminé d'un certain acide sont précisément celles qui neutralisent un poids déterminé d'un autre acide. De là découle la loi de l'équivalence, qui fut développée vingt ans plus tard par Richter. Les quantités de différentes bases qui neutralisentlOOO grammes d'acide sulfurique sont proportionnelles aux quantités des mêmes bases qui neutralisent 1000 grammes d'acide nitrique. Les premières sont équivalentes entre elles, c'est-à-dire peuvent se remplacer par rapport à un certain poids d'acide sulfurique. Il en est de même des secondes, qui peuvent se remplacer par rapport à un certain poids d'acide nitrique. Si le poids de l'acide ne change pas, le poids de chacune des bases demeure invariable; s'il augmente ou s'il diminue, le poids de chacune des bases augmente ou diminue dans la même proportion. Les rapports pondéraux suivant lesquels les acides se combinent aux oxydes sont donc absolument fixes : tel est le fait fondamental qui se dégage des recherches qui ont été entreprises à la fin du siècle dernier sur la compo- sition des sels. La loi de l'équivalence implique la loi des proportions définies. Ces conséquences théoriques, qui se déduisent des travaux de Wenzel et qui leur donnent une si- haute importance, furent à peine remarquées, et les xiv DISCOURS PRELIMINAIRE. découvertes du chimiste de Freiberg, complétées par celles de Richter \ tom- bèrent bientôt dans un profond oubli." L'heure de Wenzel et de Richter n'était pas venue. Leurs contemporains agitaient des idées théoriques d'un ordre plus élevé. Les luttes et les triomphes de Lavoisier captivaient alors tous les esprits, et pourtant les faits dont il s'agit, interprétés comme ils devaient l'être vingt ans plus tard , seraient devenus pour le nouveau système une confirma- tion et un appui. Mais l'interprétation théorique faisait encore défaut. Elle découle des tra- vaux d'un savant anglais qui a doté la science de la conception à la fois la plus profonde et la plus féconde parmi toutes celles qui ont surgi depuis Lavoisier. II. Au commencement de ce siècle, la chimie était professée à Manchester par un homme qui joignait à un amour ardent de la science cette noble fierté du savant qui sait préférer l'indépendance aux honneurs, et à une vaine popu- larité la gloire des travaux solides. Ce professeur est Dalton; son nom est un des plus grands de la chimie. Ayant étudié la composition de deux gaz formés d'hydrogène et de char- bon, le gaz des marais et le gaz oléfiant, il reconnut que pour la même quan- tité de charbon ce dernier renferme exactement moitié moins d'hydrogène que le premier. Il fit des remarques analogues concernant la composition de l'acide carbonique et de l'oxyde de carbone et celle des composés oxygénés de l'azote. De ces recherches s'est dégagé un fait général qu'on peut énoncer ainsi : Lorsqu'un corps forme avec un autre plusieurs combinaisons, le poids de l'un d'eux étant considéré comme constant, les poids de l'autre varient suivant des rapports numériques très-simples : 1 à 2, 1 à 3, 2 à 3, i àï, 1 à 5, etc. Telle est la loi des proportions multiples formulée par Dalton. Une si grande découverte complétait heureusement celles de Wenzel et de Richter. Ces chimistes avaient établi que la combinaison entre les acides et les bases a lieu suivant des proportions invariables et définies. Dalton reconnut qu'il en est ainsi pour les combinaisons qui s'effectuent entredes corps simples. Au fait des proportions définies il ajouta le fait des proportions multiples. L'importance de ses travaux eût été peut-être méconnue si l'auteur, esprit élevé et profond, n'avait réussi à interpréter les faits qu'il avait découverts par une hypothèse saisissante et à les exprimer par une formule d'une grande simplicité. Reprenant l'idée de Leucippe et le mot d'Épicure, il supposa que les corps étaient formés de petites particules indivisibles qu'il nomma atomes. A cette notion ancienne et vague il donna un sens précis en admettant, d'une part, que pour chaque espèce de matière les atomes possèdent un poids invariable, et de l'autre, que la combinaison entre diverses espèces de ma- 1 . Richter a publié quelques analyses inexactes et a eu la mauvaise fortune de les adapter à certaines idées théoriques plus erronées encore. Cette circonstance a discrédité tous ses travaux, dont le mérite n'a été reconnu que vingt ans plus tard par Berzelius. DALTON ET GAY-LUSSAC. xv tière résulte, non pas de la pénétration de leur substance, mais de la juxta- position de leurs atomes. , Cette hypothèse fondamentale étant admise, le fait des proportions défi- nies et le fait des proportions multiples trouvent une explication simple et satisfaisante. Les proportions définies suivant lesquelles les corps se combinent repré- sentent les rapports invariables entre les poids des atomes qui se juxtaposent. Les proportions multiples indiquent le nombre variable d'atomes de la même espèce qui peuvent s'unir à un ou à plusieurs atomes d'une autre espèce, ce dernier cas étant celui où deux corps forment ensemble plusieurs combinaisons. De telles combinaisons multiples ne pouvant s'effectuer en effet que par l'addition de nouveaux atomes entiers, il en résulte évidemment que les rap- ports numériques entre ces atomes sont nécessairement rationnels et géné- ralement simples. De plus, le rapport entre les atomes d'un élément et ceux de l'autre demeure invariable dans une quelconque des combinaisons, quel que soit le poids que l'on considère. Si donc on prend dans des composés formés par l'union, à divers degrés, de deux éléments, des quantités qui renferment un poids constant de l'un d'eux, il est clair que les poids variables du second doivent être multiples les uns des autres comme le sont, dans les dernières molécules, les atomes de l'un par rapport aux atomes de l'autre. Les proportions définies , les proportions multiples suivant lesquelles les corps se combinent, représentent les poids de leurs atomes, non les poids absolus, mais les poids relatifs. Ce sont des nombres exprimant des rapports pondéraux. Le terme de comparaison, c'est le poids de l'un des atomes pris pour unité. Dalton choisit pour unité l'hydrogène. Si l'atome d'hydrogène pèse 1, quel sera le poids de l'atome d'oxygène? Il sera 7 d'après Dalton, qui admettait qu'il faut 7 parties d'oxygène pour former de l'eau avec 1 partie d'hydrogène. Nous savons aujourd'hui que le nombre 7 est inexact et que l'eau est formée de 8 parties d'oxygène pour 1 partie d'hydrogène. Mais ce qu'il importe d'établir, c'est que les nombres 1 et 7 que Dalton envisageait comme les poids atomiques de l'oxygène et de l'hydrogène, représentaient précisément les proportions suivant lesquelles ces corps se combinent pour former de l'eau. Ses contradicteurs ne pouvaient nier ce fait; mais, repoussant l'inter- prétation théorique, ils ne voulaient point accepter le mot. Ces poids atomiques de Dalton, Wollaston les nomma équivalents , H. Davy, nombres proportion- nels, et l'on voit que ces notions de poids atomiques et d'équivalents, qui ont été séparées plus tard, ont été confondues dans l'origine et ne représentaient autre chose que les proportions pondérales suivant lesquelles les corps se combinent. Remarquons d'ailleurs que les déterminations numériques publiées par Dalton étaient loin d'être exactes, circonstance qui a pu soulever des cri- tiques, mais qui n'enlève rien à la grandeur de sa découverte et à la force de sa conception. Voici un point important qu'il a déduit lui-même de l'idée des atomes. Si une combinaison donnée se forme par la juxtaposition d'atomes de diverse nature ayant chacun un poids déterminé, il est clair que la somme des poids xvi DISCOURS PRELIMINAIRE. de ces atomes doit représenter le poids de cette combinaison, et la plus petite quantité qu'on en puisse concevoir sera celle qui renfermera le plus petit nombre possible d'atomes élémentaires. C'est ce qu'on appelle une molécule d'un corps composé, et le poids de cette molécule sera évidemment formé par la somme des poids de tous les atomes élémentaires qu'elle ren- ferme. Mais les corps composés, en s'unissant entre eux, suivent les mêmes lois que les corps simples. Ils s'attirent et se juxtaposent par molécules entières, c'est-à-dire que tous les atomes qui forment la molécule de l'un des corps composés se transportent intégralement vers tous les atomes qui constituent une ou plusieurs molécules d'un autre corps composé. Ainsi l'acide carbonique s'unit-il à la chaux, tous les atomes élémentaires qui constituent la molécule de l'acide s'ajoutent aux atomes qui constituent la molécule de la chaux et il se forme ainsi une molécule de carbonate de chaux. Il en résulte que de telles combinaisons doivent s'effectuer, comme les autres, en proportions définies et en proportions multiples. En proportions définies, car on ne saurait concevoir moins d'une molé- cule s'unissant à une autre molécule, les deux possédant d'ailleurs un poids déterminé. En proportions multiples, car dans le cas où un corps composé est capable de former plusieurs combinaisons avec un autre corps composé, 1 ou 2 molé- cules de l'un doivent attirer 1, 2, 3 molécules entières de l'autre. On voit que la loi des proportions définies, ainsi élargie et interprétée par Dalton , comprenait comme un cas particulier les lois de composition des sels découvertes par Wenzel et Richter. Ainsi l'on peut dire que l'œuvre du grand chimiste anglais se résume en ces trois points : La loi des proportions définies confirmée et généralisée ; La loi des proportions multiples introduite dans la science ; Ces deux lois reliées l'une à l'autre et interprétées théoriquement par l'hypothèse des atomes. Dalton trouva dans son compatriote Thomson un interprète convaincu, mais les contradicteurs ne lui ont pas manqué. Le célèbre System of Che- mistry où Thomson avait fait connaître en 1807 les découvertes et les idées de Dalton ayant été traduit en français, Berthollet fit précéder cette traduction d'une préface écrite en 1808. Il y attaqua vivement la théorie atomique et même le fait des proportions définies. L'une et l'autre s'accordaient peu avec les opinions qu'il avait émises lui-même sur les rapports pondéraux des éléments dans les combinaisons. On connaît les recherches profondes de Berthollet sur l'affinité. Tous les corps possèdent à des degrés divers de l'affinité les uns pour les autres, mais cette force chimique subit l'influence de diverses forces physiques, telles que l'élasticité, la cohésion, qui peuvent la modifier profondément. Deux sels sont- ils en présence l'un de l'autre, les deux acides tendent à se partager les deux bases, deux nouveaux sels tendent à se former en vertu d'une double décom- position, c'est-à-dire d'un échange de bases et d'acides. Cependant cet échange est incomplet et la décomposition s'arrête à un certain point, de telle sorte que les deux nouveaux sels restent mélangés avec une certaine portion des sels DALTOiN ET GAY-LUSSAC. xvn primitifs non décomposés. Mais dans le cas où l'un des nouveaux sels est inso- luble ou volatil, la décomposition s'achève tout entière, car ce sel se dérobe en quelque sorte par son élasticité s'il se volatilise, par sa cohésion s'il se pré- cipite, et ses éléments ne sauraient exercer aucune action au sein du mélange. C'est ainsi que l'affinité, cause des réactions chimiques, est influencée, d'après Berthollet, par l'intervention de certaines forces physiques, et seules ces der- nières forces déterminent quelquefois la formation de combinaisons à com- position définie. Voici comment. Deux corps sont en présence; la cohésion de l'un n'est vaincue par l'affinité qu'au moment où une certaine proportion de l'autre corps s'est portée sur le premier. Les éléments des deux corps s'unissent alors suivant un rapport pon- déral fixe. Ou encore deux corps peuvent s'unir en proportions variables, mais parmi ces combinaisons l'une se distingue par la prédominance de la cohésion ou de l'élasticité : les éléments de cette dernière sont alors combinés en proportions définies, par la raison qu'elle cristallise, qu'elle est insoluble ou volatile. Berthollet admet donc les proportions définies, non comme une loi géné- rale, mais comme un fait accidentel se produisant sous l'empire de forces étrangères à l'affinité. Lorsque ces dernières forces, la cohésion, l'élasticité, se balancent, soit dans les corps composants, soit dans les produits de leur com- binaison, l'affinité, dégagée de ces entraves, peut s'exercer librement et n'est plus soumise qu'à l'influence des masses. Les combinaisons et en général les actions chimiques peuvent alors s'effectuer en proportions quelconques suivant les masses qui réagissent. On comprend l'accueil que le célèbre auteur de ces propositions a dû faire aux idées de Dalton. Il les a combattues vivement. Mais sa grande autorité ne put prévaloir contre l'autorité des faits. La thèse contraire fut soutenue par Proust, qui a opposé aux raisonnements de son adversaire des analyses exactes d'oxydes et de sulfures. Commencée en 1801, cette discussion se prolongea jusqu'en 1808. Le souvenir en est ineffaçable tant par la grandeur des résultats acquis que par les rares qualités déployées par les champions, tous deux puissants dans la lutte et également animés du respect de la vérité et des convenances. La loi des proportions fixes, fondamentale en chimie, est sortie triom- phante de ce grand débat. Depuis elle a été universellement acceptée, et pourquoi ne pas dire qu'elle a reçu de nos jours une éclatante confirmation? Cette vérité que des analyses approximatives avaient révélée au génie de Wenzel, de Richtér, de Proust, de Dalton, de Wollaston, M. Stas la établie par des déterminations tellement exactes, qu'elles approchent de la précision absolue. D'après Wenzel, Richter et Proust on pouvait admettre une grande loi de la nature, d'après M. Stas on peut affirmer que cette loi n'est pas sou- mise à des perturbations sensibles. III. Dans les premières années de ce siècle, où la question qui nous occupe était agitée par les maîtres de la science , un jeune savant à peine sorti de b XV1I1 DISCOURS PRELIMINAIRE. l'École polytechnique se préparait par de fortes études et par des travaux exacts aux plus belles découvertes. Joseph-Louis 'Gay-Lussac, élève ingénieur en 1801, allait devenir un grand maître lui-môme. Ses recherches sur les rapports volumétriques suivant lesquels les gaz se combinent entre eux ont conduit à ce double résultat , de fournir un argument nouveau et décisif en faveur des proportions définies, de donner à la théorie atomique un appui solide et une nouvelle expression. Rappelons d'abord les faits. Les rapports en volumes suivant lesquels les gaz hydrogène et oxygène se combinent pour former de l'eau n'étaient pas fixés avec certitude. On avait admis tour à tour que cette combinaison s'effectuait dans le rapport de 12 vo- lumes d'oxygène à 23 volumes d'hydrogène, de 100 volumes d'oxygène à 205 volumes d'hydrogène, de 72 volumes d'oxygène à 143 volumes d'hydro- gène. Gay-Lussac démontra en 1805, en collaboration avec A. de Humboldt, que les deux gaz se combinent exactement dans le rapport de 1 volume de l'un à 2 volumes de l'autre. Généralisant cette observation, il fit voir, en 1809, qu'il existe un rapport simple non -seulement entre les volumes de deux gaz qui se combinent, mais encore entre la somme des volumes des gaz qui entrent en combinaison et le volume qu'occupe la combinaison elle-même, prise à l'état gazeux. Ainsi 2 volumes d'hydrogène s'unissent à 1 volume d'oxygène pour former 2 volumes de vapeur d'eau. 2 volumes d'azote sont combinés avec 1 volume d'oxygène dans 2 vo- lumes de protoxyde d'azote. Dans ces deux cas, 3 volumes des gaz composants se réduisent à 2, par l'effet de la combinaison : le rapport de 3 à 2 est simple. Dans d'autres cas on constate les rapports de 2 à 2 ou de à à 2. Ainsi, 1 volume de chlore s'unit à 1 volume d'hydrogène pour former 2 volumes d'acide chlorhy- drique; 3 volumes d'hydrogène s'unissent cà 1 volume d'azote pour former 2 volumes d'ammoniaque. La découverte de Gay-Lussac a une portée immense. Pour saisir les consé- quences qui en découlent, rapprochons-la des faits découverts antérieurement. Les corps se combinent en proportions pondérales définies qui expriment, d'après Dalton, les poids relatifs de leurs atomes. Les gaz se combinent en proportions volumétriques définies et simples, c'est-à-dire qu'on constate un rapport simple entre les volumes des gaz qui entrent en combinaison. Si donc on applique aux gaz l'hypothèse de Dalton, n'est-il pas évident que les poids des volumes des gaz qui se combinent doivent représenter les poids de leurs atomes? Prenons un exemple. Si 1 volume de chlore s'unit à 1 volume d'hydrogène, le poids de 1 volume de chlore doit représenter le poids de 1 atome de chlore , et le poids de 1 volume d'hydrogène doit repré- senter le poids de 1 atome d'hydrogène. Mais les poids de volumes égaux des gaz, rapportés à l'un d'eux, sont ce qu'on nomme leur densité. Il doit donc exister une relation simple entre les densités des gaz et leurs poids atomiques. Cette relation existe. Nous verrons que les densités des gaz sont proportion- DALTON ET GAY-LUSSAC. xix nelles aux poids de leurs atomes ou à des multiples simples de ces poids atomiques. On le voit , la découverte de Gay-Lussac , après avoir apporté une puis- sante confirmation à la loi des proportions définies, a prêté un appui efficace à la théorie atomique, en montrant que les densités des gaz offraient un moyen de détermination ou de contrôle des poids atomiques. Et pourtant, par un singulier hasard, ces deux corollaires de la découverte dont il s'agit ont été méconnus par ceux-là mêmes qui avaient le plus grand intérêt à les mettre en lumière et à les faire accepter. Dalton a mis en doute l'exactitude des faits avancés par Gay-Lussac. Gay-Lussac, de son côté, estimait que le fait des rapports simples et définis entre les volumes des gaz qui se combinent pou- vait se concilier avec l'opinion de Berthollet que les corps s'unissent, en général, en proportions très -variables 1 . Il essayait ainsi de sauver les idées de Berthollet au moment même où il leur portait un coup décisif. Nous venons de signaler l'existence d'une relation simple entre les densi- tés des gaz et les poids de leurs plus petites particules. Un chimiste italien a essayé de la préciser peu de temps après la découverte de Gay-Lussac. Dans un mémoire publié en 1811, Amedeo Avogaclro 2 a émis l'opinion que les gaz sont formés de particules matérielles assez espacées pour être complètement affran- chies de toute attraction réciproque, et ne plus obéir qu'à l'action répulsive de la chaleur. Ces petites masses, il les nommait molécules intégrantes ou con- stituantes. En prenant la forme gazeuse, la matière se résout, d'après lui, en molécules intégrantes dont le nombre est le même pour des volumes égaux. Il en résulte que dans les gaz les poids de ces molécules intégrantes sont proportionnels aux densités. Avogadro appliquait cette proposition à tous les gaz, simples ou compo- sés. Dans sa pensée, les molécules intégrantes n'étaient donc pas les atomes proprement dits, c'est-à-dire les petites masses indivisibles par la force chi- mique, c'étaient des groupes d'atomes unis entre eux par l'affinité et mis en mouvement par la chaleur. En un mot, elles constituaient ce qu'on nomme aujourd'hui les molécules. Ces molécules étant contenues en égal nombre dans des volumes égaux de différents gaz, il est évident que la chaleur doit les écarter également. L'hypothèse d' Avogadro, il le fait remarquer lui-même, explique donc ce fait que les mêmes variations de température et de pression font subir à tous les gaz, à peu de chose près, les mêmes variations de volume. Une conception si juste et si simple semble avoir échappé à l'attention des contemporains, soit que son auteur ait manqué de l'autorité nécessaire pour la faire adopter, soit qu'il l'ait discréditée en essayant d'étendre son hypothèse aux corps non gazeux. Ampère a reproduit cette hypothèse en 1814 3 . Il nomme 1. Mémoires de la Société d'Arcueil, t. I, p. 232, 2. Essai d'une manière de déterminer les masses relatives des molécules élémentaires des corps et les proportions selon lesquelles elles entrent dans les combinaisons, par A. Avogadro, Journal de Physique , t. LXXIIL p. 58 ; juillet 1811. 3. Lettre de M. Ampère à M. le comte Berthollet, sur la détermination des proportions dans lesquelles les corps se combinent, d'après le nombre et la disposition relative des molécules dont leurs particules intégrantes sont composées. [Annales de Chimie A™ sér., t. XC, p. 43; 30 avril 1814.) xx DISCOURS PRÉLIMINAIRE. particules les molécules intégrantes d'Avogadro, molécules les atomes. « Je suis parti, dit-il, de la supposition que, dans le cas où les corps passent à l'état de gaz, leurs particules seules soient séparées par la force expansive du calo- rique , à des distances beaucoup plus grandes que celles où les forces d'affinité et de cohésion ont une action appréciable, en sorte que ces distances ne dépen- dent que de la température et de la pression que supporte le gaz, et qu'à des pressions et des températures égales les particules de tous les gaz, soit simples, soit composés, sont placées à la même distance les unes des autres. Le nombre des particules est, dans cette supposition, proportionnel au volume du gaz. » Ces particules que la chaleur fait mouvoir, Ampère les supposait formées d'un nombre plus ou moins considérable de molécules, c'est-à-dire d'atomes. Ainsi Ampère n'a garde de confondre les particules avec les atomes qui les composent. Cette confusion a été faite plus tard , car le mot atome a été souvent pris dans le sens qu'Ampère attachait au mot particule. Le grand promoteur de la théorie atomique, Berzelius, admettait plusieurs espèces d'atomes, des atomes simples et des atomes composés. Cette dernière expression, qui était vicieuse, s'appliquait aux particules d'Ampère. On disait donc il y a une tren- taine d'années : «Volumes égaux des gaz renfermant un égal nombre d'atomes, dans les mêmes conditions de température et de pression. » Dans le sens que nous attachons aujourd'hui au mot atome, cette proposition n'est vraie que pour un certain nombre de gaz simples, l'oxygène, l'hydrogène, le chlore, l'azote , etc. Elle est inexacte si on l'applique à tous les corps simples et aux corps composés pris à l'état de gaz ou de vapeur. Nous savons aujourd'hui, grâce aux recherches de M. Dumas, que la vapeur de phosphore, d'arsenic, de mercure, ne renferme pas sous le même volume le même nombre d'atomes que les gaz hydrogène, oxygène, azote, etc. Pareille remarque s'applique aux gaz composés. Ainsi, le gaz ammoniac renferme 1 atome d'azote et 3 atomes d'hydrogène, c'est-à-dire h atomes, alors que le gaz chlorhydrique ne ren- ferme, sous le même volume, que 1 atome d'hydrogène et 1 atome de chlore, en tout 2 atomes. Et pourtant les gaz composés sont soumis aux mêmes lois de dilatation que les gaz simples. Ampère et Avogadro avaient en vue les uns et les autres. Ils supposaient tous les corps gazeux formés, à volume égal, d'un même nombre de particules placées à des distances égales et obéissant de la même manière à l'action de la chaleur. Leur idée était juste. Elle procède des découvertes de Gay-Lussac, elle s'adapte à l'hypothèse de Dalton, elle rend compte des propriétés physiques des gaz, et pourtant elle n'a jamais obtenu l'assentiment unanime des chimistes. Appliquée aux atomes et énoncée dans les termes que nous avons rappelés plus haut, elle était une formule sai- sissante, mais inexacte, et ce n'est que de nos jours qu'elle a reçu une expres- sion correcte et un développement conséquent. Il en résulte que la belle conception d'Avogadro et d'Ampère est demeurée, pendant quarante ans, presque stérile pour la théorie atomique. Celle-ci a pris son essor néanmoins, mais l'impulsion est venue d\m autre côté. BERZELIUS Berzelius, le grand continuateur de Lavoisier, a complété le système de la chimie dualistique. Il a donné à la théorie atomique, d'une part, une base solide par des déterminations de poids atomiques aussi exactes que nombreuses, et, de l'autre, une expression nouvelle par l'usage de formules adaptées à l'idée du dualisme. Ce dualisme lui-même, il a cherché à l'expliquer par l'hypothèse électro-chimique. Telle est en peu de mots la grande part qui lui revient dans le progrès des idées. Jacques Berzelius était né en 1779 à Wafnersunda, dans la Gothie occi- dentale. Il mourut à Stockholm en 1848. Dans le cours d'une longue carrière entièrement consacrée à la science, il conquit l'autorité la plus incontestée et épuisa tous les honneurs qui peuvent tomber en partage à un savant. Titres académiques et titres de noblesse, position élevée dans l'enseignement et dans l'État, fortune et considération publique, tout cela est venu le combler sans diminuer chez lui le goût et le culte de la science. Il travailla jusqu'à son der- nier jour. Auteur de découvertes nombreuses et importantes, il a dû plus à la persévérance qu'au génie. Ce qui frappe d'admiration dans ses travaux, c'est l'exactitude des faits observés et la rigueur conséquente des déductions, plutôt que l'éclat et la profondeur des idées. Il porta les méthodes d'analyse à un degré de perfection inconnu auparavant, formant ainsi lui-même l'instrument de ses plus grandes découvertes. Il a fait connaître le premier les oxydes de cérium 1 , le sélénium (1818), la thorine (1828); il a isolé le silicium, le zirconium, le tantale. De telles découvertes frappent par leur importance, mais elles ont porté moins de fruits, au point de vue du progrès des doctrines, que les recherches poursuivies pen- dant trente années, par Berzelius, sur la fixation des poids atomiques. Dalton avait publié en 1808, dans son New System of chemical Philo- sophy, une table de poids atomiques. Il avait choisi pour unité le poids de l'atome de l'hydrogène. Les nombres qu'il donne pour les poids atomique^ de 4. En commun avec Hisinger, en 4 850. xxn DISCOURS PRÉLIMINAIRE. 17 autres corps simples, assez exacts pour quelques-uns, s'écartent notable- ment des chiffres vrais pour le plus grand nombre. Ces écarts sont moins sensibles dans la table que donna Wollaston en 18U 1 et dans laquelle les poids atomiques ou plutôt les équivalents (le mot est de Wollaston) sont rap- portés à l'équivalent de l'oxygène, qu'il posa égal à 10. Les tables qu'a publiées Berzelius sont à la fois plus complètes et plus exactes. Il y rapportait les poids atomiques à celui de l'oxygène, supposé égal à 100. La quantité d'un métal capable de former avec 100 d'oxygène le premier degré d'oxydation était prise, généralement, pour le poids atomique de ce métal. Dans certains cas il s'est écarté de cette règle. Il en a été ainsi pour quelques corps non métal- liques et aussi pour divers métaux. Wollaston, s' inspirant des idées de Dalton, avait pris pour poids atomique de l'hydrogène la quantité pondérale d'hydro- gène capable de s'unir à 10 d'oxygène, c'est-à-dire à 1 atome d'oxygène. En d'autres termes, les poids atomiques de l'hydrogène et de l'oxygène repré- sentaient les proportions relatives suivant lesquelles les deux corps se com- binent pour former de l'eau, celle-ci résultant de l'union de 1 atome ou équivalent d'hydrogène avec 1 atome ou équivalent d'oxygène. Les termes atome ou équivalent étaient, on le voit, synonymes. Berzelius, au contraire, s' appuyant sur les découvertes de Gay-Lussac, admettait que l'eau, qui résulte de l'union de 2 volumes d'hydrogène et de 1 volume d'oxygène, est formée de 2 atomes d'hydrogène et de 1 atome d'oxygène. Il a donc pris pour le poids atomiqua de l'hydrogène le poids de 1 volume de ce gaz, le poids de 1 volume d'oxygène étant représenté par 100. C'est ainsi que s'est introduite dans la science la distinction entre les atomes et lés équivalents : elle découle des découvertes de Gay-Lussac inter- prétées par Avogadro et Ampère. Elle apparaît pour la première fois dans les tables de Berzelius. Pour Dalton, les atomes représentent les proportions sui- vant lesquelles les corps se combinent, et les poids atomiques se confondent avec les équivalents. Pour Berzelius, les atomes représentent les volumes gazeux, et les poids atomiques ne sont autre chose que les poids relatifs de volumes égaux des gaz. Pour un certain nombre de corps gazeux, un équiva- lent est formé de 2 atomes. Il en est ainsi non-seulement pour l'hydrogène, mais pour l'azote, le chlore, le brome et l'iode, ces derniers étant supposés réduits en vapeur. Les poids atomiques de ces corps représentent les poids de 1 volume; mais comme il faut 2 volumes- d'azote, de chlore, etc., pour former avec 1 volume d'oxygène le premier degré d'oxydation, il est clair que les poids de 2 volumes d'azote, de chlore, représentent les équivalents de ces corps par rapport à l'oxygène. Berzelius admettait que les atomes de l'hydrogène, de l'azote, du chlore, du brome, de l'iode, étaient unis deux à deux. Il nom- mait ces couples A atomes doubles » et les supposait unis d'une façon indis- soluble, de manière à représenter précisément l'équivalent de ces gaz, c'est- à-dire la plus petite proportion capable d'entrer en combinaison. Ainsi l'eau renfermait, selon lui, 1 atome d'oxygène uni à 1 atome double d'hydrogène; l'acide chlorhydrique renfermait 1 atome double d'hydrogène uni à 1 atome 4. Annales de Chimie, t. XG, p. 438. BERZELIUS. xxin double de chlore; l'ammoniaque était formée de 1 atome double d'azote uni à 3 atomes doubles d'hydrogène. En un mot, aucune combinaison de l'hy- drogène, du chlore et de l'àzôte ne renfermait moins de 2 atomes de ces éléments, ces 2 atomes étant la proportion la plus petite capable d'exister . dans un composé. Cette proportion la plus petite représente un équivalent Ainsi l'idée des atomes doubles offrait le moyen de concilier les idées anté- rieures avec les découvertes de Gay-Lussac. Les poids atomiques des éléments gazeux représentaient les poids relatifs de leurs volumes, et pour quelques- uns de ces gaz simples 2 atomes formaient ce que Dalton avait envisagé comme un seul atome , ce que Wollaston avait nommé un équivalent. Si les principes qui ont guidé Berzelius dans la fixation de ses poids ato- miques marquaient un progrès assuré, il faut dire d'un autre côté que l'idée des atomes doubles l'a conduit à des conceptions inexactes sur les grandeurs moléculaires. Une molécule d'eau résulte bien de l'union de 2 atomes d'hydro- gène avec 1 atome d'oxygène; mais 2 atomes d'hydrogène, en s'unissant à 2 atomes de chlore, forment-ils 1 molécule d'acide chlorhydrique, comme le voulait Berzelius? Nullement. Une telle molécule serait deux fois trop forte. Nous savons aujourd'hui que la molécule de l'acide chlorhydrique ne renferme que 1 atome de chlore et 1 atome d'hydrogène, que la molécule de l'ammo- niaque ne renferme que 1 atome d'azote pour 3 atomes d'hydrogène. Ces molé- cules occupent le même volume, à l'état gazeux, qu'une molécule de vapeur d'eau. Telle est la conception qui découle du développement conséquent de la théorie des volumes. Berzelius, engagé un des premiers dans cette voie nou- velle, n'est pas allé jusqu'au bout. Cet honneur était réservé à Gerhardt. Mais le grand chimiste suédois a rendu à la théorie un service d'un autre genre. Il est l'auteur d'une notation propre à indiquer la composition ato- mique des corps. Les alchimistes, dans l'intention d'abréger ou d'obscurcir le langage, avaient coutume de substituer aux noms des signes dont on se rappelle la figure bizarre. C'étaient des symboles purement conventionnels qui ne rappe- laient que des mots. On doit à Dalton un essai plus rationnel. Les signes dont il avait proposé l'usage représentaient des atomes. C'étaient de petits cercles encadrant des marques caractéristiques pour chaque corps simple : ceux de l'hydrogène encadraient un point au centre, ceux d'azote une barre, ceux de soufre une croix, ceux de l'oxygène n'encadraient rien. Les atomes du charbon étaient noirs , comme de raison ; ceux des métaux portaient au centre une lettre, initiale du nom de chacun d'eux. Pour représenter les corps composés-, Dalton groupait les atomes de leurs éléments. L'eau étant formée, d'après lui, de 1 atome d'oxygène et de 1 atome d'hydrogène, était représentée par les symboles de ces 2 atomes juxtaposés. L'acide sulfurique formait un groupe de h atomes circulaires, 3 atomes d'oxygène disposés symétriquement autour d'un atome de soufre placé au centre. L'acide acétique comprenait 6 atomes, 2 atomes noirs de charbon, formant en quelque sorte l'axe de la molécule, et llanqués chacun par 1 atome d'oxygène et par 1 atome d'hydrogène. C'était très-ingénieux et très-clair. Pour prendre connaissance de la com- position atomique d'un corps, il suffisait, en effet, de compter le nombre de xxiv DISCOURS PRÉLIMINAIRE. ces atomes qui s'étalaient, en quelque sorte, les uns à côté des autres. Le seul inconvénient de cette représentation graphique des molécules, c'était l'étendue qu'elles prenaient sur le papier dès que la composition des corps se compliquait. Et puis n'y avait-il pas quelque chose d'arbitraire dans la dis- position symétrique que Dalton s'était efforcé de leur donner? Berzelius sut éviter ces écueils ; il eut l'idée de représenter les atomes par des lettres, initiales des noms latins de tous les éléments : O signifiait un atome d'oxygène, H un atome d'hydrogène, K un atome de kalium ou potassium, Sb un atome de stibium ou d'antimoine, et ainsi de suite. Une combinaison formée de deux atomes différents était représentée par deux lettres juxtaposées ; renfermait- elle plusieurs atomes d'un seul et même élément, le symbole de celui-ci était affecté d'un coefficient qui en indiquait le nombre. Ainsi, l'acide sulfurique était représenté par la formule SO 3 , l'ammo- niaque par la formule Az 2 H 6 . Ce système de notation, si simple dans son principe, se prêtait dans l'application à toutes les hypothèses sur le groupe- ment des atomes et à l'interprétation des réactions les plus compliquées. Le dualisme régnait alors dans les idées : Berzelius l'a introduit dans les formules. Le point de départ était la théorie des sels. Ilichter avait reconnu que les quantités de bases qui neutralisent le même poids d'acide renferment la même quantité d'oxygène, et qu'il existe, par conséquent, un rapport con- stant, dans une même classe de sels, entre la quantité d'oxygène de la base et la quantité d'acide. A cette proposition exacte, Berzelius ajoute un trait qui devait la préciser et la compléter. Il reconnaît que pour chaque genre de sel il existe un rapport constant et simple entre l'oxygène de la base et celui de l'acide. Dans les sulfates, l'acide renferme trois fois plus d'oxygène, dans les carbonates deux fois plus d'oxygène , dans les nitrates cinq fois plus d'oxy- gène que la base. Ces lois de composition des sels ont été exprimées de la manière la plus claire. Les proportions différentes d'oxygène représentent des atomes en nombres différents. Si donc on représente la composition du sel par la formule de l'acide, juxtaposée à celle de l'oxyde, il est clair que le rapport entre les quantités d'oxygène de ces deux éléments sera exprimé nécessaire- ment par le nombre des atomes d'oxygène qu'ils renferment l'un et l'autre. Pour 3 atomes d'oxygène que les sulfates renferment dans l'acide, ils devront contenir 1 atome d'oxygène dans l'oxyde. Il en résulte que la loi de composi- tion des sels, découverte par Berzelius, se dégage d'elle-même par l'inspec- tion de leurs formules *. Par la disposition même de ces formules où l'acide apparaissait d'un côté, avec le cortège des atomes d'oxygène qui lui appartiennent, la base métallique de l'autre, avec l'oxygène uni au métal, Berzelius a donné au système dualis- tique un degré de précision inconnu avant lui. Il y a ajouté un développement important en prouvant que, de même que les acides peuvent s'unir aux oxydes, les chlorures , les sulfures peuvent s'unir entre eux. Ainsi le chlorure de pla- tine s'unit au chlorure de potassium. Le chlorure double ainsi formé est une sojrte de sel, un chloro-sel; le chlorure de platine y joue le rôle d'acide, le 1 . Note 2, p. lxxxvii. BERZELIUS. xxv chlorure de potassium le rôle de base. Il existe de même des sulfures capables de jouer le rôle d'acides, d'autres qui se comportent comme des bases : en s'unissant entre eux ils forment des sulfo-sels. Dans la notation, la composi- tion de ces sels sans oxygène était exprimée par deux formules juxtaposées, la première représentant l'élément acide, la seconde l'élément basique. Ainsi le système grandissait non-seulement par l'expression saisissante que lui don- naient les formules atomiques, mais encore par d'importantes additions. IL Un système scientifique n'est vraiment digne de ce nom qu'à la condition de n'exclure aucun ordre de faits importants. Le dualisme s'appliquait plus particulièrement aux composés minéraux ; il n'était pas facile d'y faire rentrer les notions que l'on possédait alors sur la constitution des composés organiques. On savait que les principes immédiats que la nature a répandus dans l'orga- nisme des végétaux et des animaux renferment trois ou quatre éléments, le carbone, l'hydrogène, l'oxygène, auxquels vient s'ajouter souvent l'azote. On avait reconnu, parmi tant de substances diverses, des corps jouant le rôle d'acides, d'autres qui se montraient neutres; enfin on venait de découvrir des substances douées de propriétés basiques, c'est-à-dire capables de s'unir aux acides pour former des sels définis. A l'égard des acides organiques, Berzelius adopta les idées déjà émises par Lavoisier. Les acides végétaux renferment un radical uni à de l'oxygène, et ce radical est formé de carbone et d'hydrogène, combinés de manière à ne former qu'une seule et même « base ». Les acides végétaux diffèrent entre eux par les proportions suivant lesquelles les éléments sont unis dans le radical et par le degré d'oxygénation. Quant' aux acides tirés du règne animal, leur composition est plus complexe; ils renferment un radical où l'hydrogène et le carbone sont souvent associés à l'azote, quelquefois au phosphore. Telles étaient les vues de Lavoisier 1 . La théorie atomique et les progrès de l'analyse ont permis à Berzelius de les développer et de les préciser; il fixa d'abord les « équivalents » des princi- paux acides organiques, c'est-à-dire les grandeurs relatives de leurs molé- cules, en déterminant les quantités respectives de ces acides, qui s'unissent à un équivalent d'oxyde de plomb ou d'oxyde d'argent. L'analyse organique, dont le principe avait été indiqué par Gay-Lussac et Thenard et dont les procédés venaient d'être perfectionnés par M. Chevreul , lui enseigna les proportions des éléments dans les différents acides, et par conséquent le nombre des atomes élémentaires dans leurs « équivalents » ou molécules. Groupant les atomes de carbone et d'hydrogène, ou de carbone, d'hydro- gène et d'azote , il en forma les radicaux binaires ou ternaires qui entrent dans la composition des acides, ou, en général, des composés oxygénés d'origine 1 . Traité de Chimie, t. I, p. 4 97. xxvi DISCOURS PRELIMINAIRE. organique. D'après lui, le radical de l'acide formique, qu'il nomme formyle, est formé de 2 atomes de carbone et de 3 atomes d'hydrogène; celui de l'acide acétique, qu'il nomma acétyle, renferme h atomes de carbone et 6 atomes d'hydrogène. Mais le formyle, et l'acétyle s'unissent à 3 atomes d'oxygène pour former, le premier l'acide formique, le second l'acide acétique. On reconnaît là les idées de Lavoisier, revêtant la forme simple et précise que pouvaient leur donner les progrès accomplis. Berzelius les a étendues à tous les com- posés oxygénés. « Les substances organiques, disait-il, sont formées d'oxydes à radical composé 1 . » Parmi ces oxydes, il en est un qui a donné lieu à des travaux impor- tants et à des discussions animées : c'est l'éther, le produit de la réaction de l'acide sulfurique sur l'alcool. Il est connu depuis des siècles et a donné son nom à une classe nombreuse de composés qui ont été désignés sous le nom d'éthers. Les relations de ce corps avec l'alcool avaient été fixées, dès 1816, par Gay-Lussac, qui les avait exprimées de la manière suivante : Les deux substances renferment 2 volumes de gaz oléfiant combinés dans l'alcool avec 2 volumes, dans l'éther avec 1 volume de vapeur d'eau. MM. Dumas et Boullay ont publié sur les éthers qu'on nomme composés un travail qui fait époque dans la science. Ils reconnurent que ces corps ren- ferment les éléments d'un acide uni précisément à 2 volumes de gaz oléfiant et 1 volume de vapeur d'eau, c'est-à-dire aux éléments de l'éther. Attribuant au gaz oléfiant un rôle analogue, jusqu'à un certain point, à celui de l'ammo- niaque, ils ont comparé les éthers aux sels ammoniacaux. C'était la première fois qu'en chimie organique une série de phénomènes analogues était groupée parla théorie et que les faits relatifs à la formation, à la composition, aux métamorphoses d'une classe entière de corps recevait une interprétation simple, à l'aide de formules et d'équations atomiques. A cette théorie sur les éthers Berzelius en opposa une autre quelques années plus tard. Les comparant aux sels proprement dits, il y admit l'exis- tence d'un oxyde organique qui n'était autre que l'éther. Celui-ci renfermait, d'après lui, un radical formé de h atomes de carbone et de 10 atomes d'hydro- gène. Dans l'éther, ce radical, que M. Liebig nomma éthyle, est uni à 1 atome d'oxygène. Mais cet éthyle peut aussi s'unir au chlore et à d'autres corps simples. Il forme ainsi un chlorure ou d'autres combinaisons binaires. Le chlorure d' éthyle n'est autre que l'éther chlorhydrique qui était connu depuis longtemps. L'éther ordinaire, qui est l'oxyde d'éthyle, peut s'unir, comme les oxydes métalliques, à l'eau pour former un hydrate, qui est l'alcool, aux acides anhydres pour former de véritables sels, qui sont les éthers composés. Toutes ces combinaisons sont binaires 2 . Tels sont les traits principaux de cette belle conception, qui marque la phase la plus brillante de la théorie des radi- caux organiques. 1. Traité de Chimie, édit. française, 1830, t. II, p. 111. L'idée des radicaux organiques a été développée par Berzelius, dès 1817, dans la seconde édition suédoise de son Traité de Chimie. 2. ISote 3, p. Lxxxvn. BERZELIUS. xxvii Cette théorie a été l'objet de longs débats. Elle admet, disaient ses adver- saires, l'existence de nombreux corps hypothétiques, car enfin cet éthyle et tant d'autres radicaux sont des êtres de raison qui n'ont pas d'existence réelle. On les découvrira, répondaient ses partisans. Gay-Lussac n'a-t-il pas isolé le cyanogène? n'a-t-il pas établi que ce corps composé, formé de carbone et d'azote, se comporte comme un corps simple? Ne sait-on pas, d'un autre côté, que l'acide sulfureux s'unit directement à l'oxygène, l'oxyde de carbone au chlore et à l'oxygène? Ces arguments étaient sérieux. La découverte du cacodyle par M. Bunsen leur a donné plus tard un grand poids. Quel exemple plus concluant à opposer aux adversaires de l'idée des radicaux que ce corps formé de charbon, d'hydrogène et d'arsenic et doué d'une puissance de combinaison si extraordinaire, ce corps capable de s'unir directement et à plusieurs degrés à l'oxygène, au soufre et au chlore, ce corps qui se montre si violent dans ses affinités, qu'il brûle spontanément dans l'air et qu'il s'enflamme dans le chlore comme fait l'arsenic lui-même? Refuser le caractère d'un radical au cyanogène et au cacodyle, ne pas admettre dans ces corps composés une force analogue à celle qui porte un corps simple vers un autre corps simple, n'était-ce pas nier l'évidence? On l'a tenté pourtant, en se plaçant au point de vue exclusif d'une autre théorie célèbre, celle des substitutions, dont nous traiterons plus loin. Mais la théorie des radicaux est restée debout. Elle s'est même rajeunie depuis, et l'écho de ces premiers débats était à peine éteint lorsque, prenant un développement inattendu en même temps que sa rivale , elle a fait alliance avec elle. Mais revenons à ses débuts et cherchons à apprécier le parti que Berzelius en tira pour couronner l'œuvre qu'il avait entreprise, savoir : l'in- troduction en chimie organique des idées qui dominaient en chimie minérale. Cette comparaison qu'il avait établie entre l'éther et les oxydes de la chimie minérale était des plus heureuses. En assimilant l'alcool à un hydrate, les éthers composés à des sels, elle permettait de représenter la composition de tous ces corps par des formules dualistiques. On distinguait alors en chimie des composés du premier ordre, formés par l'union de deux corps simples, et des composés du second ordre, formés par l'union de corps composés binaires. L'oxyde et le chlorure d'éthyle, compa- rables à l'oxyde et au chlorure de potassium, représentaient ceux du premier ordre; l'hydrate d'oxyde d'éthyle (alcool) et l'acétate d'oxyde d'éthyle (éther acétique) étaient des composés binaires du second ordre, formés, le premier par l'union de l'oxyde d'éthyle avec l'eau, le second par l'union de l'oxyde d'éthyle avec l'acide acétique. Dans toutes ces combinaisons, deux éléments; dans leurs formules, deux termes. Entre ces formules et celles du composé de potassium correspondant, nulle autre différence que la substitution du radical composé éthyle au radical simple de potassium. Des analogies de même nature ont été signalées pour d'autres corps : l'acide acétique renfermant de l'acétyle et 3 atomes d'oxygène était comparé avec l'acide sulfurique qui ren- ferme du soufre et 3 atomes d'oxygène. C'était là une première tentative pour inaugurer cette alliance entre la chimie organique et la chimie minérale qu'il était si désirable de cimenter fortement. xxvni DISCOURS PRÉLIMINAIRE. L'édifice de Lavoisier avait de larges bases : il pouvait supporter ce beau couronnement. Au reste, le fondateur lui-même avait prévu cette extension de son œuvre. Son idée sur les radicaux organiques se retrouve, développée et précisée, dans la belle conception de Berzelius. Mais à l'époque où nous nous sommes arrêté, tous les chimistes n'étaient point d'accord sur la nature des radicaux organiques. Les uns, à l'exemple de Berzelius, en excluaient l'oxygène; d'autres admettaient qu'il peut en faire partie. Cette dernière opinion prenait son point d'appui dans un beau travail publié, en 1828, par deux jeunes chimistes qui débutaient alors dans la science et dont les efforts, tantôt réunis, tantôt isolés, devaient y laisser une profonde empreinte. En étudiant l'essence d'amandes amères, MM. Wœhler et Liebig découvrirent un certain nombre de composés offrant les relations de parenté les plus évidentes avec cette essence d'un côté, et, de l'autre, avec un acide qu'on avait retiré du benjoin et qu'on nommait benzoïque. Ces relations ont été exprimées très-heureusement par l'hypothèse d'un radical commun existant dans tous ces corps, et formé de carbone, d'hydrogène et d'oxygène. C'est le benzoyle. L'essence d'amandes amères était représentée comme une com- binaison de ce radical avec l'hydrogène. Ce dernier corps étant remplace par le chlore, l'hydrure de benzoyle se transforme en chlorure de benzoyle. Au contact de l'eau, celui-ci se décompose en acide chlorhydrique et en oxyde de benzoyle, lequel, restant uni aux éléments de l'eau, forme l'hydrate d'oxyde de benzoyle, et cet hydrate n'est autre que l'acide benzoïque lui-même. D'ail- leurs, ce dernier corps prend naissance aussi par la fixation directe de l'oxy- gène sur l'hydrure de benzoyle, c'est-à-dire sur l'essence d'amandes amères. Toutes ces réactions et d'autres qu'il serait trop long d'énumérer autorisaient cette conclusion, que l'essence d'amandes amères et ses nombreux dérivés renferment, en quelque sorte, un noyau commun qui s'y trouve combiné avec de l'hydrogène, du chlore, du brome, du soufre, de l'oxygène, et qui passe intact, par double décomposition, d'une combinaison dans une autre. Cette double propriété permettait de considérer ce noyau comme un radical, bien qu'on n'eût pas réussi à l'isoler 1 . La théorie du benzoyle a fait fortune. Elle avait le cachet des bonnes hypo- thèses. Elle enchaînait les faits d'une manière simple et portait en elle le germe de grands progrès. L'ayant d'abord accueillie avec faveur, Berzelius la repoussa plus tard pour revenir à sa première conception des radicaux non oxygénés, qui fut développée k outrance. Vingt ans après, la théorie du ben- zoyle fut vengée de cet abandon. On en retrouve la trace évidente dans les belles conceptions deWilliamson et de Gerhardt sur la constitution des acides. III. Les développements qui précèdent font voir comment le dualisme a péné- tré en chimie organique, par la théorie des radicaux. Il s'était fortement éta- 1 . Note 4, p. lxxxviii. BERZELIUS. xxix bli en chimie minérale par la théorie électro- chimique, grâce aux efforts et à l'autorité de Berzelius. Il n'est point le premier auteur de cette théorie, bien que ses recherches en forment la base expérimentale. Les travaux de Nicholson et Carlisle sur la décomposition de l'eau par la pile, ceux de Cruikshank sur les changements de teinte qu'éprouvent les couleurs végétales par le passage du courant, étaient des faits isolés lorsque Berzelius et Hisinger firent connaître, en 1803, l'inlluence décomposante de l'électricité galvanique sur un grand nombre de composés chimiques, notamment sur les sels. On sait avec quels succès Davy s'occupa de recherches analogues à partir de 4806. La découverte des métaux alcalins en est le brillant résultat expérimental, une vue nouvelle sur l'affi- nité en a été la conséquence théorique. Davy admettait que les corps qui possèdent de l'affinité chimique les uns pour les autres se trouvent dans des états électriques opposés. L'un est électro-positif, l'autre électro-négatif. C'est en vertu de ces tensions électriques opposées qu'ils se combinent, et l'énergie de cette combinaison, qui mesure l'affinité, est proportionnelle au degré des tensions. La force qui préside aux attractions et aux répulsions électriques est donc aussi celle qui gouverne les actions chimiques, avec cette différence que dans le premier cas elle se mani- feste dans les corps pris en masse, tandis que dans le second elle est à l'œuvre dans leurs plus petites particules. Volta avait fait voir que deux métaux qui se touchent développent de l'électricité et prennent chacun une tension électrique opposée. Davy fit remarquer que cet état électrique se manifeste au contact de tous les corps doués d'affinités chimiques les uns pour les autres, et que la tension est d'autant plus forte que ces affinités sont plus énergiques. La combinaison, c'est-à-dire le rapprochement intime des particules, est donc le fait d'attractions électriques. Les particules ayant pris au contact des tensions inverses, se juxtaposent, et par leur union s'effectue la neutralisation des deux tensions électriques contraires. D'après Davy, la chaleur et la lumière que dégagent certains corps en se combinant ne sont qu'une manifestation électrique semblable à la production de l'étincelle : ce sont, en quelque sorte, les témoins de cet échange d'élec- tricités qui s'accomplit pendant la combinaison. Enfin, la décomposition des corps par la pile restitue à leurs éléments les états électriques opposés qui les caractérisaient avant leur union, et les précipite chacun au pôle de nom con- traire. Telle est en peu de mots la première théorie électro-chimique. Berzelius en accepta l'idée fondamentale et lui donna une nouvelle forme. Reprenant une idée déjà émise par Schweigger, il admet que les atomes de tous les corps ont deux pôles où s'accumulent des quantités d'électricité qui ne sont pas toujours égales. Suivant la prédominance de l'une ou de l'autre électricité à chacun des pôles, l'atome est ou électro-négatif ou électro-positif; et les quantités d'électricité qui prédominent ainsi à l'un des pôles sont loin d'être égales pour les atomes des différents corps. En d'autres termes, les atomes de tous les corps sont polarisés d'une manière différente par l'électri- cité, et cette polarité peut varier avec la température. XX x i DISCOURS PRELIMINAIRE. Un corps s'unit-il à un autre, les atomes se juxtaposent par leurs pôles contraires, échangeant ainsi les électricités opposées qui s'y trouvent accumu- lées. Cet échange produit une neutralisation plus ou moins complète; il donne lieu à des phénomènes de chaleur et de lumière. Berzelius a donc partagé les corps simples en électro-négatifs et électro- positifs. Dans les premiers, c'est l'électricité négative qui prédomine, dans les seconds c'est l'électricité positive. Ils sont rangés dans les deux séries, suivant le degré de cette prédominance. Mais l'ordre électrique ne marque point l'ordre des affinités. Ainsi l'oxygène, le plus électro-négatif de tous les corps, possède plus d'affinités pour le soufre, son voisin dans la série électrique, que pour l'or, qui est électro-positif. Berzelius expliquait ce fait en admettant que l'affinité dépend de l'intensité de la polarisation, c'est-à-dire de la quantité absolue d'électricité accumulée dans les deux pôles. Pour le soufre, cette quantité est beaucoup plus forte que pour l'or. Le pôle positif de l'atome de soufre renferme une quantité d'électricité positive plus considérable que le pôle positif de l'atome d'or, et, comme les atomes s'attirent par leurs pôles contraires, il-est évident que le soufre doit exercer sur l'oxygène une attraction plus forte que l'or. On voit aussi que, dans le cas du soufre, il ne saurait y avoir neutralisa- tion, puisque d'une part l'électricité positive de l'atome de soufre ne suffit pas pour neutraliser l'électricité négative de l'atome d'oxygène, et que, d'autre part, cet atome de soufre apporte clans la combinaison un excès notable d'électricité négative accumulée à l'un de ses pôles. Il en résulte que le produit de la com- binaison doit être électro-négatif lui-même. C'est un acide puissant : c'est l'acide sulfurique. Ainsi, les acides résultent généralement de l'union d'un corps électro-négatif avec l'oxygène, les bases de l'union de l'oxygène avec un corps fortement électro-positif. Ce sont les métaux alcalins qui se trouvent au sommet de l'échelle électro-positive. Leurs combinaisons avec l'oxygène sont les bases les plus puissantes, et l'affinité si forte de ces bases pour les acides est due précisément à l'opposition de leurs états électriques, à l'intensité de leur polarisation. Il est à peine besoin de faire remarquer sur quelle base solide cette théo- rie posait le dualisme. Tout corps composé est formé de deux éléments, l'un électro-positif, l'autre électro-négatif. Quelle éclatante confirmation des idées de Lavoisier et particulièrement de la théorie des sels ! Vous voyez bien, disait le maître, que les sels renferment les éléments de l'acide juxtaposés à ceux de l'oxyde et non confondus avec eux, car lorsque nous soumettons à Faction décomposante du courant un sel, tel que le sulfate de soude, l'acide sulfurique, ou l'élément électro-négatif, se rend au pôle positif, et la soude, ou l'élément électro-positif, se rend au pôle né^tif. Lorsque le sulfate de cuivre se décom- pose sous l'influence du courant, ce n'est point l'oxyde de cuivre qui se dépose à ce même pôle, c'est le cuivre lui-même, car l'oxyde se réduit alors en ses deux éléments, oxygène et cuivre, l'oxygène se dégageant avec l'acide au pôle positif. Ainsi, les formules dualistiques des sels semblaient appuyées, non-seulement par les faits relatifs à la synthèse de ces composés et à leur mode de formation le plus ordinaire , mais encore par la décomposition que le courant électrique leur fait subir. Nous savons aujourd'hui que l'argument est BERZELIUS. xxxi mauvais, et qu'il peut être tourné contre l'hypothèse qui a régné si longtemps sur la constitution des sels. Nous savons que clans l'électrolyse du sulfate de soude, comme dans celle du sulfate de cuivre, ce n'est point l'oxyde, c'est Je métal, c'est le sodium qui se porte au pôle négatif, et que l'alcali libre n'y appa- raît qu'à la suite d'une action secondaire, savoir la décomposition de l'eau par le sodium autour de l'électrode négative. Nous savons que les faits relatifs au travail uniforme du courant dans les solutions salines sont contraires à l'hypo- thèse dualistique qui admettait dans les sels l'existence d'un oxyde tout formé. Mais on ne savait pas cela en 1830, et tous les chimistes acceptaient l'hypothèse électro-chimique de Berzelius. L'expérience de la décomposition électroly tique du sulfate de soude était devenue classique. Elle était faite dans tous les cours publics et invoquée en faveur des idées si généralement répan- dues alors sur la constitution des sels. Le système dualistique était alors à son apogée. Et, de fait, l'hypothèse de Lavoisier sur la constitution des sels, qui en était le fondement, est si simple, elle représente si bien la plupart des faits concernant le mode de formation et les décompositions des sels, qu'elle avait subjugué tous les esprits. Elle régnait dans les livres, elle était souveraine dans l'enseignement, elle donnait l'essor aux plus grandes découvertes, elle avait une histoire, mieux que cela, elle avait des traditions. « L'habitude d'une opinion engendre souvent la conviction de sa justesse. » Berzelius l'a dit, et ses paroles peuvent s'appliquer à ses propres opinions. Ces dernières ont régné si longtemps, qu'on s'est accoutumé insensi- blement à prendre pour vérités démontrées ce qui n'était qu'hypothèse. Nous en voulons pour preuve l'incrédulité générale qui a accueilli l'hypothèse de Davy sur la constitution des sels, hypothèse qui fut adoptée par Dulong et que nous indiquerons plus loin. Quant aux idées de Longchamp, ce n'est point de l'incrédulité qu'elles ont rencontré, c'est du dédain. Et pourtant Davy et Dulong ont été les précurseurs de Laurent et de Gerhardt, et, si l'on examine attentive- ment les formules par lesquelles on représente aujourd'hui la constitution atomique des sels, on pourrait y retrouver la trace des idées de Longchamp *. IV. A l'époque où Berzelius commençait à conquérir cette autorité qu'il a exercée si longtemps, où la chimie minérale semblait achevée, où tous les efforts tendaient à façonner la chimie organique à l'image de son aînée, un jeune homme préludait à Genève, par des recherches sur divers sujets de phy- siologie, à des découvertes qui devaient entraîner la chimie dans des voies nou- velles. M. Dumas était né à Mais en 1800; il avait à peine vingt ans lorsqu'il publia avec Bénéclict Prévost ces expériences sur le sang qui sont encore clas- siques aujourd'hui. Arrivé à Paris en 1821, il se voua entièrement à la chimie et fut bientôt en position d'entreprendre et de publier les travaux les plus 4. Note 5, p. lxxxviii. xxxn DISCOURS PRELIMINAIRE. importants. Développement indépendant de la chimie organique et réforme de la chimie minérale par les progrès ainsi accomplis, telle est l'ère qui com- mence avec M. Dumas. Ce programme, il l'a tracé le premier, mais il ne l'a point achevé. De puissants auxiliaires y ont mis la main avec lui et après lui, et parmi eux brillent au premier rang Laurent et Gerhardt qui ont trop tôt disparu de la scène, mais dont les noms demeurent ineffaçables dans l'histoire de la science. Des efforts réunis de ces trois savants est sortie une école, la nouvelle école française. Berzelius en fut l'adversaire dès le premier jour; M. Dumas en fut longtemps le chef et le soutien. On se rappelle cette discus- sion mémorable où il osait attaquer dans ses idées les plus chères le grand promoteur du dualisme et de la théorie électro-chimique. C'est M. Dumas qui le premier a soutenu le choc et supporté victorieusement le poids d'une lutte qui semblait désespérée. Il est donc juste d'associer son nom au grand nom de Berzelius. Parmi tant de travaux qu'il a publiés, nous devons nous borner à citer ceux qui ont exercé une influence décisive sur le développement théorique de la science. Signalons, au nombre des plus anciens, ses recherches sur les den- sités de vapeur, qui ont fourni à la physique une nouvelle méthode et à la chimie de riches matériaux pour la discussion de l'hypothèse d'Avogadro et d'Ampère. Les découvertes les plus importantes de M. Dumas datent de 183/i. Il étudiait à cette époque l'action du chlore sur diverses matières organiques. Ce sujet était presque neuf, car on ne possédait alors sur la matière qu'une observation de Gay-Lussac. En étudiant l'action du chlore sur la cire, ce grand chimiste avait constaté qu'elle perd de l'hydrogène et gagne pour chaque volume de ce gaz qui est enlevé un volume de chlore. M. Dumas fit une obser- vation analogue concernant l'action du chlore sur l'essence de térébenthine, sur la liqueur des Hollandais (1831), et plus tard sur l'alcool. Dans un mémoire lu à l'Académie des sciences le 13 janvier 1834, M. Dumas s'exprimait ainsi : « Le chlore possède le pouvoir singulier de s'emparer de l'hydrogène de certains corps et de le remplacer atome par atome. » On ne saurait donner à une pensée neuve un tour plus précis. Mais dans le mémoire même que nous citons, l'auteur a été conduit à formuler une restric- tion, car il a eu la singulière fortune et le mérite de découvrir les lois de la substitution, en étudiant un cas où, par une exception rare, ces lois ne res- sortent pas dans toute leur évidence. On sait, en effet, que le chloral, le dernier produit de l'action du chlore sur l'alcool, n'est pas un produit de substitution de ce corps. Néanmoins M. Dumas a été conduit, en groupant toutes ses obser- vations et en tenant compte de la dernière, à poser les règles suivantes : u 1° Quand un corps hydrogéné est soumis à l'action déshydrogénante du chlore, du brome, de l'iode, de l'oxygène, etc., par chaque atome d'hydro- gène qu'il perd, il gagne un atome de chlore, de brome ou d'iode, ou un demi- atome d'oxygène; a 2° Quand le corps hydrogéné renferme de l'oxygène, la même règle s'observe sans modification ; « 3° Quand le corps hydrogéné renferme de l'eau, celle-ci perd son hydro- BERZEL1US. xxxin gène sans que rien le remplace, et à partir de ce point, si on lui enlève une nouvelle quantité d'hydrogène, celle-ci est remplacée comme précédemment.» Ces règles sont purement empiriques, M. Dumas le fait remarquer en y insistant. A l'époque où elles ont été posées, il voulait simplement énoncer le fait du remplacement de l'hydrogène par le chlore, sans se préoccuper de la place que prend ce dernier élément dans les nouvelles combinaisons et du rôle qu'il y joue. Laurent, le premier, a osé émettre cette hypothèse, que le chlore y occupe la place de l'hydrogène et y joue le môme rôle. Il fondait son opinion sur la comparaison des propriétés du corps chloré avec le corps hydrogéné primitif. C'était là une extension importante des idées de M. Dumas, qui l'a d'abord taxée d'exagération; plus tard, il s'y est rallié. Aujourd'hui, après plus de trente ans écoulés depuis ces premiers débats , appréciateurs désintéressés et impartiaux, nous pouvons dire que la première idée des substitutions lui appartient tout entière, et qui pourrait méconnaître, en pareil cas, la puissance de l'idée mère, de la pensée créatrice, de la première ébauche? Sans doute quelques détails ont disparu dans le tableau magnifique que nous possédons maintenant. Il n'importe; les lignes fondamentales sont ineffaçables. Au reste, Laurent lui-même a reconnu la priorité de M. Dumas. En indiquant la compo- sition d'un des dérivés de la naphtaline, il s'exprime ainsi : « Cette composi- tion est assez remarquable, parce qu'elle vient confirmer parfaitement la loi des substitutions, découverte par M. Dumas, et la théorie des radicaux déri- vés, dont j'ai déjà donné un léger aperçu. » Tels ont été les débuts d'une théorie qui devait exercer sur les doctrines chimiques une influence décisive. Elle prit sa place dans la science lentement et avec effort, car elle choquait les idées reçues, et leur représentant le plus autorisé, Berzelius, l'accueillit avec dédain. Comment le défenseur de la théo- rie électro-chimique pouvait-il accepter, en effet, cette idée de Laurent, que le chlore , élément électro-négatif, est capable de jouer dans un composé le même rôle que l'hydrogène, élément électro-positif? Une telle assertion émise par un jeune chimiste, alors sans autorité, lui paraissait indigne d'une réfutation sérieuse. Plus tard, quand M. Dumas eut adopté lui-même cette idée et porté les premiers coups à la théorie électro-chimique , Berzelius , mesurant le danger, entra résolument dans l'arène et engagea, contre les partisans de la théorie des substitutions, une lutte acharnée. Cette théorie venait de recevoir une belle confirmation par la découverte de l'acide trichloracétique. On sait que cet acide diffère de l'acide acétique par 3 atomes de chlore substitués à 3 atomes d'hydrogène. « C'est du vinaigre chloré, dit M. Dumas, mais, chose remarquable, au moins pour ceux qui répugnent à trouver dans le chlore un corps capable de se substituer à l'hydrogène dans le sens exact et complet du mot, le vinaigre chloré est toujours un acide comme le vinaigre ordinaire. Son pouvoir acide n'a pas changé. Il sature la même quantité de base qu'auparavant; il la sature également bien, et les sels auxquels il donne naissance, comparés aux acétates, présentent des rapprochements pleins d'in- térêt et de généralité. « Voilà donc un nouvel acide organique dans lequel il entre une quantité e xxxiv DISCOURS PRELIMINAIRE. de chlore très- considérable et qui n'offre aucune des réactions du chlore, dans lequel l'hydrogène a disparu, remplacé par du chlore, et qui n'a éprouvé de cette substitution si étrange qu'un léger changement dans ses propriétés phy- siques. Tous les caractères essentiels de la substance sont demeurés intacts... u Si les propriétés intérieures se modifient, cette modification n'apparaît qu'autant qu'une force nouvelle intervenant, la molécule elle-même se trouve détruite et transformée en de nouveaux produits... Il est évident qu'en m' ar- rêtant à ce système d'idées dicté par les faits, je n'ai pris en rien en considé- ration les théories électro-chimiques sur lesquelles M. Berzelius a générale- ment basé les idées qui dominent dans les opinions que cet illustre chimiste a cherché à faire prévaloir. « Mais ces idées électro-chimiques, cette polarité spéciale attribuée aux molécules des corps simples , reposent-elles donc sur des faits tellement évi- dents qu'il faille les ériger en articles de foi? Ou du moins, s'il faut y voir des hypothèses, ont-elles la propriété de se plier aux faits , de les expliquer, de les faire prévoir avec une sûreté si parfaite qu'on en ait tiré un grand secours dans les recherches de la chimie? Il faut bien en convenir, il n'en est rien... » Ce langage hardi accusait fortement l'opposition qu'allaient rencontrer les théories électro-chimiques et qui, dépassant bientôt son premier objet, devait être dirigée contre le système dualistique. Berzelius, de son côté, ne se lassa point dans sa vigoureuse défensive. Ne pouvant nier les faits , il les interpréta à sa manière. Ce chlore, qui entre dans les combinaisons organiques à la place de l'hydrogène, y joue le même rôle que l'oxygène. Essentiellement électro-négatif lui-même , il est uni à des radi- caux hydrocarbonés positifs. Un corps ne renfermant que du carbone, de l'hy- drogène et du chlore, est un chlorure. Ainsi le chîoroforme est le trichlorure de formyle. Un composé renferme-t-il , comme quatrième élément, de l'oxy- gène, c'est à la fois un oxyde et un chlorure, tous deux composés binaires et formant par leur union un composé plus compliqué, mais binaire encore. L'acide acétique est le trioxyde d'acétyle, uni à de l'eau; l'acide trichloracétique possède une constitution tout à fait différente. C'est un composé de sesqui- chlorure de carbone et de sesquioxyde de carbone (acide oxalique), le tout uni à de l'eau. Ces deux corps entre lesquels M. Dumas signalait des rapports de composition si simples, des relations de parenté si évidentes, Berzelius les éloigne donc l'un de l'autre. Il fait de même avec les autres corps organiques et leurs dérivés chlorés. Ces derniers prennent souvent des formules extrêmement compliquées : plusieurs molécules d'un chlorure unies à plusieurs molécules d'un oxyde. Dans la con- struction de ces formules, Berzelius se montre à la fois ingénieux et arbitraire ; chaque jour il invente des radicaux qu'il unit tantôt au chlore, tantôt iï l'oxygène. Aussi fécond en hypothèses qu'il l'avait été autrefois en analyses exactes et en découvertes, il pousse son système jusqu'à ses dernières con- séquences et le ruine par son exagération même 1 . Une conception, nouvelle alors et qui a donné lieu à plusieurs reprises 1. Note 6, p. lxxxix. BERZELIUS. xxxv à des débats animés, joue un grand rôle dans ces productions de Berzelius : c'est l'idée que deux substances, en se combinant l'une à l'autre, peuvent contracter une union plus intime que celle où se trouvent les acides et les oxydes dans les sels. On remarque en effet que, dans- les combinaisons de l'acide sulfurique avec divers corps organiques, cet acide n'est plus précipité par la baryte; on en avait conclu que l'union entre l'acide et le corps orga- nique est tellement intime, qu'une des propriétés les plus importantes du premier, celle de former avec la baryte un composé insoluble, est abolie ou dissimulée. Gerhard t avait qualifié ce genre d'acides de « copules » ; le corps orga- nique intimement uni à l'acide était « la copule ». M. Dumas les a désignés plus tard sous le nom plus convenable de « combinaisons conjuguées » . Après avoir repoussé l'idée et s'être moqué du mot, Berzelius les a adoptés l'un et l'autre. Il rangea dans la classe des combinaisons « copulées » un très-grand nombre de corps organiques dont les formules étaient décomposées en deux parties intimement rivées l'une à l'autre. L'intimité de cette union rendait compte de la résistance que de telles combinaisons opposent aux doubles décompositions. L'acide sulfurique y perd la faculté de précipiter la baryte ; le chlore n'y est plus décelé par le nitrate d'argent. Cette impossibilité même de résoudre les combinaisons copulées en leurs éléments prochains donnait beau jeu à la verve de Berzelius : il multipliait à plaisir le nombre des « copules » sans prendre la peine superflue d'appuyer leur existence sur des preuves expé- rimentales. Et pendant que ce puissant esprit s'épuisait dans un travail si ingrat, que faisait-on dans le camp opposé? Des découvertes. Déjeunes hommes secon- daient efficacement M. Dumas. A leur tête nous trouvons Laurent, dont les admirables recherches sur la naphtaline enrichissent la science d'un grand nombre de composés formés par substitution. Un égal succès couronne les beaux mémoires de M. Regnault sur les dérivés chlorés de l'éther chlorhy- drique et de la liqueur des Hollandais, et, bientôt après, ceux où M. Malaguti étudie, avec une exactitude qui n'a pas été surpassée, l'action du chlore sur les éthers. Toutes ces recherches font époque dans l'histoire de la science ; les nou- veaux faits s'y pressent en foule et viennent corroborer la nouvelle théorie. Celle-ci s'est à la fois rectifiée et élargie, et, parmi ses développements les plus importants, nous devons signaler une idée, d'abord émise par M. Dumas, concernant la substitution de groupes d'atomes, de radicaux composés, à des corps simples tels que l'hydrogène. Les corps nitrogénés, c'est-à-dire formés par l'action de l'acide nitrique concentré sur un grand nombre de composés organiques, ont été envisagés comme renfermant les éléments de l'acide hyponitrique substitués à de l'hydrogène. C'est l'origine des idées qui ont eu cours plus tard sur la substitution des radicaux composés à des éléments , et qui forment un trait dominant dans la théorie des types. Celle-ci est fille de la théorie des substitutions , qui s'est montrée doublement féconde en mettant au jour non-seulement un nombre immense de faits, mais encore une nou- velle théorie. Rarement une idée a donné lieu à un si grand mouvement et à xxxv: DISCOURS PRÉLIMINAIRE. une si grande controverse. Entraînés par Berzelius, les savants étrangers l'ont d'abord accueillie avec défiance, sinon comme une innovation dange- reuse, du moins comme un développement superflu d'une doctrine connue. C'est un cas particulier de la théorie des équivalents, disait-on; M. Dumas a répondu victorieusement à cet argument 1 . Peu -à peu l'opposition s'est affaiblie devant l'évidence des faits, devant l'autorité des partisans gagnés à la nouvelle théorie. Dès 1839 , un homme qui a exercé une grande influence sur les progrès de la chimie, M. Liebig, a déclaré que l'interprétation, pro- posée par M. Dumas, des faits relatifs aux substitutions lui paraissait donner la clef d'un grand nombre de phénomènes en chimie organique 2 . « Je ne partage point, disait-il, les vues que Berzelius émet au sujet des combinai- sons découvertes par M. Malaguti; je crois, au contraire, que ces matières ont pris naissance par une simple substitution 3 . » La cause était gagnée. Ber- zelius lui-même a fini par faire des concessions. M. Melsens ayant réussi à convertir l'acide trichloracétique en acide acétique par substitution inverse, c'est-à-dire en remplaçant de nouveau le chlore par l'hydrogène, il n'était plus possible d'envisager ces deux acides comme possédant une constitution différente. « Ils sont donc l'un et l'autre des acides oxaliques copules, a dit alors Berzelius ; seulement l'acide trichloracétique renferme dans la copule 3 atomes de chlore substitués à 3 atomes d'hydrogène 4 . » Ainsi la substitution du chlore à l'hydrogène est possible et se fait atome par atome , sinon dans les molécules organiques en général , du moins dans les groupes hydrocarbonés qu'elles renferment à l'état de comÉinaison intime. Enfin Berzelius se rendait en sauvant les apparences par une restriction insignifiante. Mais, tout en admet- tant les substitutions qu'il avait d'abord tant combattues, il demeura ferme dans ses autres convictions. Le développement de la théorie des radicaux, doublée maintenant de cette conception d'un mode particulier de combinaison qu'ils peuvent affecter dans les corps copules, lui permettait de conserver dans la notation ces formules dualistiques, qui étaient l'expression de son système. Aujourd'hui, vingt ans après sa mort, devons-nous regretter pour sa mémoire les débats qui ont agité ses dernières années et dont il n'est point sorti victo- rieux? En aucune façon. Cette grande discussion a porté ses fruits, et l'oppo- sition violente de Berzelius a été plus salutaire que n'eussent été le silence et le repos. Ainsi, après avoir tant honoré la science par ses découvertes, ce puis- sant contradicteur l'a encore servie par ses écarts mêmes. Telle est la vertu bienfaisante du travail. 1. Comptes rendus, t. VIII, p. 610. (Voir la note 7, p. xc.) %. Annalen der Chemie and Pharmacie, t. XXXI, p. 419. 3. Annalen der Chemie und Pharmacie, t. XXXII, p. 72, 1839. 4. Note 8, p. xc. LAURENT ET GERHARDT Parmi les adversaires les plus convaincus des doctrines dualistiques de Berzelius, l'histoire de la science mentionnera en première ligne Laurent et Gerhardt. Ces noms sont inséparables et doivent être confondus dans un même hommage, comme les savants qui les ont illustrés ont été rapprochés par leurs travaux, leurs luttes, leur amitié. Laurent et Gerhardt étaient de même race et de même valeur. Esprits éminents, ils se sont attaqués aux questions les plus difficiles et ont porté leur attention plutôt vers les points de théorie que vers les applications. Avec des aptitudes diverses ils ont poursuivi le même but, se prêtant un mutuel appui pour la défense des mêmes idées. L'un d'eux, passé maître dans l'art difficile des expériences, était aussi habile à découvrir les faits qu'il était ingénieux et hardi à les interpréter; l'autre, moins apte à poursuivre les détails, brillait par la faculté d'embrasser les phénomènes dans leur ensemble. Laurent était fort par l'esprit d'analyse et de classification, Gerhardt était supérieur par l'esprit de généralisation. Dans l'exposé que nous allons présenter de leurs travaux, nous essayerons de faire la part de cha- cun d'eux, bien qu'à tout prendre leur œuvre puisse être considérée comme commune. Auguste Laurent était né le là novembre 1807, à La Folie, près de Langres. A l'âge de dix-neuf ans il entra comme élève externe à l'École des mines, d'où il sortit trois ans plus tard avec le diplôme d'ingénieur. En 1831 il fut nommé répétiteur du cours de chimie à l'École centrale des arts et manufactures. Le professeur était M. Dumas. Il accueillit le jeune Laurent et l'initia aux procédés de l'analyse organique. Laurent s'occupa d'abord de déterminer la composition de la naphtaline, qu'il réussit à extraire du goudron de houille. Ainsi, par une heureuse circonstance, il rencontra, dès le début, cette combinaison à la fois si stable et si plastique dont l'étude devait former plus tard le sujet préféré de ses travaux. Au point de vue historique les combinaisons chlorées de la naphtaline offrent une véritable importance, et les idées que Laurent avait émises sur leur constitution dans ses premiers travaux méritent d'être rapportées. Il avait xxxviii DISCOURS PRÉLIMINAIRE. avancé que le chlorure de naphtaline solide renferme moins d'hydrogène que la naphtaline, le chlore ayant emporté une portion de cet élément sous la forme d'acide chlorhydrique. En conséquence il envisagea le composé chloré dont il s'agit comme le chlorure d'un nouveau carbure d'hydrogène, moins hydrogéné que la naphtaline elle-même. L'idée qu'une portion du chlore pou- vait être subtituée à l'hydrogène enlevé et y jouer le même rôle que cet élément ne se présenta point à son esprit ou du moins n'est pas exprimée •dans ce premier mémoire. Le point de vue qui s'y trouve développé est con- forme à la théorie des radicaux. La naphtaline, en perdant de l'hydrogène sous l'influence du chlore, se convertit en un radical qui s'unit à du chlore pour former un chlorure. Dans celui-ci le chlore joue le même rôle que dans un chlorure minéral. Telle paraît avoir été la première idée de Laurent 1 . Mais ses vues se sont bientôt modifiées. Deux ans plus tard, adoptant l'idée des substitutions, il s'est arrêté à une interprétation différente. « En comparant, dit-il, les résultats de l'action du brome, du chlore, de l'oxygène, de l'acide nitrique sur divers hydrogènes carbonés, on arrive à cette conclusion, dont la première partie appartient cà M. Dumas : « 1° Toutes les fois que le chlore, le brome ou l'oxygène, ou l'acide nitrique exercent une action déshydrogénante sur un hydrogène carboné, l'hydrogène enlevé est remplacé par un équivalent de chlore, de brome ou d'oxygène. a 2° Il se forme en même temps de l'acide hydrochlorique, hydrobro- mique, de l'eau ou de l'acide nitreux, qui tantôt se dégagent, tantôt restent combinés avec le nouveau radical formé. » Ces deux propositions contiennent le germe d'une théorie que Laurent a énoncée d'abord en 1836 et développée dans sa dissertation inaugurale sou- tenue à la Faculté des sciences de Paris en 1837 : je veux parler de la théorie des noyaux, qui mérite ici une courte mention, bien qu'elle n'ait joué qu'un rôle secondaire dans le développement des théories modernes. En voici les traits principaux. Les molécules des corps organiques sont ou des noyaux ou des combi- naisons de ces noyaux avec d'autres substances qui se trouvent placées en dehors. Les noyaux eux-mêmes sont formés par des groupes d'atomes de carbone unis à d'autres éléments, chaque noyau renfermant un nombre fixe d'atomes de carbone unis à un nombre déterminé d'autres atomes, groupés autour des premiers suivant un ordre invariable ; et généralement le nombre des atomes de carbone se trouve dans un rapport très-simple dans chaque noyau avec le nombre des autres atomes. Les noyaux ou radicaux sont de deux espèces : fondamentaux ou dérivés. Les premiers ne renferment que du carbone et de l'hydrogène. Lorsqu'ils se modifient par substitution, ils constituent des noyaux ou radicaux dérivés. Les corps simples qui se substituent le plus souvent à l'hydrogène des radicaux sont le chlore, le brome, l'iode, l'oxygène, l'azote. Mais des corps composés faisant 1. Note 9, p. xc. LAURENT ET GERHARDT. xxxix fonction de radicaux peuvent, de même, se substituer à l'hydrogène et entrer dans le noyau. Ainsi l'acide hypoazotique qui est de l'acide azotique anhydre moins un atome d'oxygène, l'amidogène qui est de l'ammoniaque moins un atome d'hydrogène, Timide qui est de l'ammoniaque moins deux atomes d'hy- drogène, Tarside qui est de l'hydrogène arsénié moins un atome d'hydrogène, le cyanogène lui-même, tous ces radicaux peuvent remplacer atome par atome l'hydrogène des noyaux. Il en résulte qu'à chaque noyau ou radical fondamental correspondent un certain nombre de noyaux ou radicaux dérivés. Dans tous le nombre et l'arrangement des atomes demeurent les mêmes, en comptant, bien entendu, pour un seul atome les groupes composés faisant fonction de corps simples. D'autres éléments, tels que l'hydrogène, le chlore, le brome, l'iode, l'oxy- gène, le soufre, peuvent se grouper autour de chaque noyau pour former des combinaisons diverses appartenant à la même famille. Ainsi la famille de l'éthylène ou gaz oléfiant comprend, indépendamment de ce corps qui est le radical fondamental, le chlorure, le bromure d'éthylène formés par l'addition de 2 équivalents de chlore ou de brome, un oxyde qui est l'aldéhyde et qui est formé par l'addition de 2 équivalents d'oxygène, un acide monobasique qui est l'acide acétique et qui est formé par la fixation de k équivalents d'oxygène 1 . Les corps formés par addition d'oxygène à des noyaux possèdent des propriétés diverses, et ces propriétés sont en rapport avec le nombre des équivalents d'oxygène qui se sont ajoutés. L'aldéhyde qui n'en renferme que 2 est neutre, l'acide acétique qui en contient h est un acide monobasique. Un acide tribasique prend naissance par l'adjonction de 6 atomes d'oxygène à un noyau. Remarquons, en passant, l'importance de ce point de vue, qui a fait res- sortir pour la première fois l'influence de l'oxygène sur la basicité des acides. L'idée était juste, mais la forme qu'elle a revêtue n'est plus acceptable aujourd'hui. Laurent fait remarquer que ces additions de chlore, de brome, d'oxygène, ont toujours lieu par nombres pairs d'équivalents. Jamais on ne voit un seul équivalent de ces corps simples s'ajouter à un noyau; ce sont toujours 2, h ou 6 équivalents. Mais, d'après lui, la proportion d'oxygène ou de chlore ne peut augmenter au delà d'une certaine limite soit dans le noyau, soit en dehors, sans déterminer une sorte d'instabilité et une tendance marquée de la molécule à se dédoubler en deux ou plusieurs composés appartenant à des séries inférieures. C'est ainsi que le chloral se dédouble sous l'influence des alcalis en formiate et en chloroforme. On voit ici, par un nouvel exemple, que Laurent se préoccupait non-seu- lement de classer les corps d'après leur constitution, c'est-à-dire d'après la nature, le nombre et l'arrangement de leurs atomes, mais qu'il cherchait dans cette constitution même des données pour l'explication de leurs propriétés. Dans la thèse soutenue à la Sorbonne le 20 décembre 1837, il avait essayé de définir par une comparaison ingénieuse son idée des noyaux et des atomes groupés autour d'eux comme des appendices. 4. Note 10, p. xc. xl DISCOURS, PRÉLIMINAIRE. « Qu'on imagine, dit-il, un prisme droit à 16 pans, dont chaque base aurait par conséquent 16 angles solides et 16 arêtes. Plaçons à chaque an^le une molécule (un atome) de carbone et au milieu de chaque arête des bases une molécule (un atome) d'hydrogène ; ce prisme représentera le radical fonda- mental C 32 H 32 . Suspendons au-dessus de chaque base des molécules d'eau, nous aurons un prisme terminé par des espèces de pyramides; la formule du nouveau corps sera C 32 II 32 + 2 II 2 O. a Par certaines réactions on pourra, comme en cristallographie, cliver ce cristal, c'est-à-dire lui enlever les pyramides ou son eau pour le ramener à la forme primitive ou fondamentale. « Mettons en présence du radical fondamental de l'oxygène ou du chlore; celui-ci ayant beaucoup d'affinité pour l'hydrogène, en enlèvera une molécule : le prisme privé d'une arête se détruirait si l'on ne mettait à la place de celle-ci une arête équivalente, soit d'oxygène, soit de chlore, d'azote, etc. On aura donc un prisme à 16 pans (radical dérivé) , dans lequel le nombre des angles solides (atomes de carbone) sera à celui des arêtes (atomes de chlore et d'hydro- gène) comme 32 : 32. « L'oxygène ou le chlore qui ont enlevé de l'hydrogène ont formé de l'eau ou de l'acide chlorhydrique; ceux-ci peuvent se dégager ou se suspendre en pyramides au-dessus du prisme dérivé. Par le clivage on pourra enlever ces pyramides, c'est-à-dire que par tapotasse, par exemple, on pourra enlever la pyramide d'acide chlorhydrique; mais cet alcali ne pourra s'emparer du chlore qui est dans le prisme, ou bien, s'il le peut, il faudra nécessairement remettre à sa place une autre arête ou un autre équivalent. « Enfin on peut imaginer un prisme (radical) dérivé, qui pour 32 angles de carbone renfermerait 8 arêtes- d'hydrogène , 8 d'oxygène, h de chlore, h de brome, h d'iode, h de cyanogène. Sa forme et sa formule seraient toujours semblables à celles du radical fondamental. » Il ne reste plus rien ici de l'idée dualistique. D'après Laurent , la com- binaison formée d'un noyau et d'appendices constitue un tout comme un cristal. On voit aussi que la théorie des substitutions est la base du système développé par Laurent, comme elle a servi plus tard de fondement à la théorie des types. Et il n'est pas inutile de faire observer que cette dernière théorie n'est pas sans analogie, dans son idée fondamentale, avec la théorie des noyaux. Ainsi que Laurent, M. Dumas envisage les combinaisons chimiques comme des édifices simples. D'autre part, par une comparaison plus profonde peut-être que celle qu'avait employée son émule, il les assimilait à des sys- tèmes planétaires, dans lesquels les atomes seraient maintenus par l'affinité. La théorie des noyaux est la plus large conception de Laurent. Elle offrait le moyen de grouper un grand nombre de composés organiques, et son auteur n'a eu garde de méconnaître et de négliger un aussi précieux moyen de classification. Il rangeait les corps par séries, notion importante qui apparaît pour la première fois. Une série embrassait tous les corps qui renferment un certain radical fondamental ou l'un de ses dérivés. Mais parmi tous ces corps il y a des distinctions à établir. Bien qu'ils possèdent un fonds commun dans leur composition, ils peuvent différer par la nature du radical, qui LAURENT ET GERHARDT. xli est ou fondamental ou dérivé, et aussi par le nombre et la nature des atomes qui y sont ajoutés. Ils diffèrent donc par le type auquel ils appar- tiennent et naturellement aussi par les fonctions qu'ils sont aptes à remplir. De là la possibilité d'établir pour chaque série un certain nombre de types qui se reproduisent pour toutes les autres. Dans la création de ces types, Laurent s'est montré à la fois pénétrant et fécond, trop fécond peut-être. Si quelques- uns de ces types, qui marquent des fonctions, sont restés, d'autres sont tombés dans l'oubli. Encore aujourd'hui nous parlons d'anhydrides, d'amides, d'imides, d'acides amidés, d'aldéhydes; mais qui se souvient des analcides, des halydes, des camphides, des protogénides, etc.? Les mots ont disparu du langage scien- tifique, car les choses ne méritaient point d'être conservées. La classification de Laurent, dont nous venons de rappeler les bases, n'a donc été qu'un essai ingénieux, comme sa théorie des noyaux n'a été qu'un effort prématuré. À la vérité, un homme qui fut grand par son érudition et par l'indépendance de ses jugements, Léopold Gmelin, en a fait la base de son mé- morable Traité de Chimie, mais sans réussir à la répandre. Une autre théorie qui a surgi quelque temps après eut cette fortune. Elle était d'abord restreinte, comme la théorie des noyaux, et en perfectionnant plus tard celle-ci, Laurent a emprunté quelques traits à l'autre. Toutes deux reposaient d'ailleurs sur les mêmes bases, sur la théorie des substitutions, mais l'une portait en elle le germe de développements importants : nous voulons parler de la théorie des types, que nous aurons à exposer bientôt. Après avoir essayé de retracer la grande part de Laurent dans la théorie des substitutions et sa lutte contre le dualisme où il a été pour M. Dumas un puissant auxiliaire, nous avons rappelé dans ce qui précède les grandes conceptions qui lui sont propres. Ce ne sont point là les seuls services que Laurent ait rendus à la science. Ses travaux ont formé un élève qui valait à lui seul une école ef qui est devenu un grand maître. Le jeune Gerhardt s'était lié d'amitié avec Laurent, dont il avait adopté les idées. Plus tard, il lui a prêté les siennes, les rôles se ren- versant en quelque sorte. Il serait donc injuste de les subordonner l'un à l'autre. IL Charles-Frédéric Gerhardt naquit àjStrasbourg le 21 août 1816. Il donna de bonne heure la preuve d'un esprit distingué et d'un caractère indépendant. Après une jeunesse un peu agitée, il se voua à l'étude de la chi- mie sous les auspices de M. Liebig. C'était à Giessen, où ce maître, alors dans le premier éclat de sa renommée, attirait de jeunes savants venus de tous les pays du monde et fondait une école justement célèbre. Dès ses premiers pas dans la carrière, Gerhardt donna la mesure de ses puissantes facultés. Il était plus habile à saisir le côté général d'une question qu'à en poursuivre les détails par la voie de l'expérience. Passé maître dans xlii DISCOURS PRELIMINAIRE. l'art de grouper et d'interpréter les faits, il en tirait les conséquences les plus élevées et les plus utiles pour la théorie. Si Laurent excellait à appro- fondir et à trier les phénomènes par la plus fine analyse, Gerhardt possédait à un plus haut degré l'esprit de système et comme une intuition générale des choses. Il dominait son sujet. Le 5 septembre 1S/i2, il lut à l'Académie un mémoire intitulé : Recherches sur la classification chimique des substances organiques , dans lequel il a émis, au sujet des équivalents du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène, des vues nouvelles et importantes. Plus tard il les développa dans un travail plus étendu. Elles sont fondées sur le fait suivant : Lorsqu'une réaction orga- nique donne lieu à la formation de l'eau ou de l'acide carbonique, la proportion de ces corps ne correspond jamais à ce qu'on nommait alors un équivalent, mais toujours à deux équivalents ou à un multiple de cette quantité. Gerhardt fut frappé de ce fait, étrange selon lui, et qui semblait trahir quelque faute commise , soit dans la détermination de la grandeur moléculaire des substances organiques, soit dans celle des équivalents de l'acide carbonique et de l'eau, ou plutôt du carbone et de l'oxygène. En effet, on ne saurait admettre qu'aucune réaction de la chimie organique ne puisse donner naissance à une seule molé- cule d'eau ou d'acide carbonique. De deux choses l'une, dit-il 1 , « ou 11 4 2 et C 2 4 représentent un seul équivalent, ou ils en expriment deux. » Dans la pre- mière supposition, il faudrait doubler les formules de la chimie minérale « afin de les faire accorder avec les formules organiques » : c'est ce qu'il avait d'abord proposé de faire. Dans l'autre hypothèse il faudrait, au contraire, réduire à la moitié toutes les formules organiques. C'est à ce dernier parti qu'il s'est définitivement arrêté. Ces formules organiques qu'il réduit ainsi sont les formules atomiques de Berzelius. A l'exemple de ce chimiste, il considère l'eau comme formée de 2 atomes d'hydrogène et de 1 atome d'oxygène. Il revient donc, pour l'hy- drogène et l'oxygène, aux poids atomiques de Berzelius, comme aussi pour le carbone et l'azote, c'est-à-dire pour les éléments ordinaires des composés organiques. Avec les chimistes anglais, il rapporte ces poids atomiques à celui de l'hydrogène, pris pour unité. Il fait voir ensuite comment Berzelius a été conduit à attribuer à la plu- part des corps organiques des formules doubles de celles qui expriment en réalité la composition de leurs molécules. Il rappelle que ce sont les acides dont « l'équivalent », c'est-à-dire le poids moléculaire, a été déterminé en pre- mier lieu. Pour cette détermination, le grand chimiste suédois avait prescrit d'analyser des sels, ceux de plomb ou d'argent par exemple. L'équivalent d'un acide organique était pour lui la quantité de l'acide unie à une quantité d'oxyde d'argent renfermant 1 équivalent d'argent. Or Berzelius avait pris pour l'équiva- lent de l'argent un nombre double de celui qu'il convient de lui attribuer. Il en résulte que l'équivalent, c'est-à-dire le poids moléculaire de l'acide organique, était deux fois trop fort. Ceci s'applique particulièrement aux acides monoba- siques tels que l'acide acétique. Mais on voit immédiatement que les formules 1 . Précis de Chimie organique } t. I, p. 49. LAURENT ET GERHARDT. xliii des composés organiques les plus divers ont dû être affectées de la même irré- gularité. Ainsi, la formule de l'acide acétique étant double, il a fallu doubler celle de l'alcool et de la plupart des composés qui s'y rattachent. Mais sur quel argument se fondait Gerhardt pour admettre que le poids atomique de l'argent, tel que l'admettait Berzelius, était deux fois trop élevé? Il se laissait guider par l'analogie que l'on a souvent invoquée entre les protoxydes et l'eau. Si l'eau, disait-il, renferme 2 atomes d'hydrogène et 1 atome d'oxygène, l'oxyde d'argent doit avoir une constitution semblable. Pour 1 atome d'oxygène, il doit renfermer 2 atomes d'argent, et le poids de l'un d'eux doit être la moitié de celui que Berzelius attribuait à l'équivalent de l'ar- gent, dans l'oxyde formé, selon lui, de 1 équivalent d'argent et ciel équivalent d'oxygène. Ce point de vue a été étendu par Gerhardt non- seulement aux oxydes alcalins, mais à tous les protoxydes en général. Les poids atomiques des métaux correspondants ont donc été réduits de moitié. La notation fondée sur ce nouveau système de poids atomiques conduisait à des formules rigoureusement comparables entre elles. Gerhardt a fait remar- quer avec raison que les formules doubles des composés organiques telles que les avait construites Berzelius sont loin de correspondre aux formules de la plupart des composés minéraux. Celles de l'acide acétique et de l'alcool, qui correspondent à h volumes de vapeur, n'étaient point comparables à celles de l'eau, qui correspond à 2 volumes. Réduisez donc les premières à la moitié, elles vont exprimer 2 volumes de vapeur comme la formule de l'eau. Et l'on comprend le sens de ce langage. Si l'on dit qu'une molécule d'eau occupe 2 volumes, on n'exprime, à proprement parler, que le rapport du volume de cette molécule d'eau à celui d'un atome d'hydrogène qu'on suppose occuper un seul volume, ou l'unité du volume. Laurent et Gerhardt ont beaucoup insisté sur ce point. Les molécules des corps composés sont formées par les atomes des corps simples, que l'affinité maintient unis; elles diffèrent en grandeur et en poids, suivant le nombre et la nature de ces atomes juxtaposés. Pour chaque corps composé, une molé- cule unique est la plus petite quantité de ce corps qui puisse exister à l'état libre, qui puisse entrer dans une réaction ou en sortir. Toutes les autres molécules de ce corps composé sont semblables à celles-là. Les molécules des autres corps en diffèrent par le nombre et la nature de leurs atomes élémen- taires, ou, pour choisir un terme plus général, par leur grandeur. Les gran- deurs des molécules ne pouvant être déterminées que d'une manière relative, il est nécessaire de choisir une unité de molécule à laquelle on rapporte toutes les molécules des corps composés, comme on a choisi une unité d'atome, celui de l'hydrogène, auquel on a comparé tous les autres. Tous les corps et toutes les réactions doivent avoir, selon lui, une commune mesure. A cette condition seulement les grandeurs relatives de leurs molécules peuvent être lixées d'une manière rigoureuse. Cette commune mesure pour la détermination des grandeurs moléculaires est la molécule d'eau. A celle-là il convient de comparer les molécules de tous les autres corps qui doivent occuper comme elle, à l'état de gaz ou de vapeur, 2 volumes. xliv DISCOURS PRELIMINAIRE. C'est là un des points les plus importants de la doctrine de Gerhardt, qui repose, d'une manière générale, sur un développement très-conséquent de la théorie des volumes : les grandeurs moléculaires déduites rigoureusement de la considération des volumes , les poids moléculaires déterminés par la compa- raison du poids de volumes égaux des gaz ou des vapeurs, c'est-à-dire des densités de ces gaz ou de ces vapeurs. Ce point de vue ne s'appliquait pas seulement aux composés organiques. Gerhardt l'a étendu aux composés miné- raux les plus divers. Ainsi la molécule de l'ammoniaque ne renferme plus, comme Berzelius l'avait admis, 2 atomes d'azote et 6 atomes d'hydrogène, de manière à occuper k volumes; elle est formée de 1 atome d'azote et de 3 atomes d'hydrogène et n'occupe que 2 volumes. De môme, la molécule de l'acide chlorhydrique , qui n'est formée que d'un seul atome d'hydrogène et d'un seul atome de chlore, n'occupe 'que 2 volumes. C'est là la quantité com- parable à une molécule d'eau et non pas la quantité double, comme l'avait admis Berzelius. Les chlorures métalliques répondent aux protoxydes métal- liques de la même façon que l'acide chlorhydrique répond à l'eau. Ils ne ren- ferment qu'un seul atome de chlore uni à un seul atome de métal. De ces considérations est déduit un système de formules qui différait à la * fois de celui de Berzelius et de la notation en équivalents qui a été usitée depuis. Et cette nouvelle manière de formuler ne pouvait se concilier, pour un grand nombre de composés, avec les idées dualistiques. C'est là un point important qu'il est utile de mettre en lumière. Dans le sulfate d'argent Gerhardt admet 2 atomes d'argent. L'acide sulfu- rique hydraté, étant en effet bibasique, renferme 2 atomes d'hydrogène capables d'être remplacés par 2 atomes de métal, ou, selon la théorie du dualisme, une molécule d'acide sulfurique anhydre unie à une molécule d'eau. Dans les sulfates cette molécule d'eau est remplacée par une molécule de base. Celui d'argent renferme donc les éléments de l'acide sulfurique anhydre, plus ceux de l'oxyde d'argent. Gerhardt admet dans cet oxyde 2 atomes d'argent : ils se retrouvent dans le sulfate, et la formule qu'il attribue à ce dernier répond, pour la grandeur moléculaire, à la formule dualistique, en ce sens qu'elle ren- ferme, comme celle-ci, mais sans groupement déterminé, tous les éléments nécessaires pour constituer une molécule d'acide anhydre et une molécule d'oxyde. Mais il n'en est point ainsi de l'acétate d'argent. La formule que Berze- lius avait attribuée à ce sel représentait 1 équivalent d'acide et 1 équivalent d'oxyde. La formule dédoublée de Gerhardt, ne contenant que 1 atome de métal, ne permettait plus d'envisager l'acétate d'argent comme renfermant de l'oxyde d'argent; car 1 «équivalent 1 » de cet oxyde renferme, d'après Ger- hardt, 2 atomes d'argent. En d'autres termes, l'unique atome d'argent de l'acé- tate ne prendrait, pour former de l'oxyde, qu'un demi-atome d'oxygène et ne donnerait qu'un demi-équivalent d'oxyde d'argent, résultat inadmissible et inconciliable avec la théorie dualistique des sels. Cette théorie admet, en effet, 4. Gerhardt se servait de ce mot, qui signifie ici molécule et qu'il prenait alors dans ce sens.- LAURENT ET GERHARDT. xlv que chaque molécule d'un sel renferme un équivalent entier de l'acide et un équivalent entier de la base. La même remarque s'appliquerait à tous les sels formés par les acides monobasiques, tels que les nitrates, les chlorates. Gerhardt ne pouvait plus les envisager comme constituant des molécules binaires, des édifices doubles en quelque sorte. Généralisant les vues que MM. Dumas et Laurent avaient émises au sujet des combinaisons organiques, Gerhardt envisagea les sels dont il s'agit, et en général tous les sels, tous les acides, tous les oxydes de la chimie minérale, comme constituant des molécules uniques formées d'atomes dont quelques-uns peuvent être échangés par voie de double décomposition. Au point de vue dualistique il opposa donc le point de vue unitaire, à l'idée de combinaisons résultant d'une addition d'éléments, celle de composés formés par substitution. Un acide est un corps hydrogéné dont l'hydrogène peut être échangé facile- ment, par double décomposition, contre une quantité équivalente de métal. De cet échange résulte un sel. Gomment les choses se passent-elles lorsque l'acide nitrique réagit sur la potasse? L'atome de potassium de cette base, qui est un hydrate, va prendre la place de l'atome d'hydrogène de l'acide nitrique : il se forme du nitrate de potassium et de l'eau, car l'hydrogène qui a abandonné l'acide nitrique est nécessaire et suffît exactement pour former de l'eau avec les éléments de l'hydrate de potassium dont s'est séparé le potassium. C'est donc une double décomposition qui s'est accomplie; 2 mo- lécules sont entrées en réaction : l'acide nitrique et l'hydrate de potassium; 2 nouvelles molécules en sont sorties : le nitrate de potassium et l'eau. Le cas est un peu différent pour l'acide acétique et pour l'oxyde d'argent; celui-ci renferme 2 atomes d'argent et 1 seul atome d'oxygène. 2 molécules d'acide acétique doivent donc intervenir clans la formation de l'acétate d'argent. Chacune d'elles cède 1 atome d'hydrogène à l'oxygène de l'oxyde d'argent pour former de l'eau, et les 2 atomes d'argent, se séparant l'un de l'autre, vont se substituer à l'hydrogène dans les 2 molécules d'acide acétique; il se forme ainsi 2 molécules d'acétate d'argent. Il résulte de tout cela que les acides et les sels offrent la même constitution, les premiers étant des sels d'hydrogène, les autres des sels de métal. Telle est la théorie de Gerhardt sur la formation et la constitution des sels. On y voit la trace des idées autrefois émises par Davy et par Dulong et qui offrent une telle importance qu'il convient de les rappeler ici. En 1815, le grand chimiste anglais avait fait paraître un mémoire sur l'acide iodique , où il émettait l'opinion que les propriétés acides de ce corps étaient en rapport avec l'hydrogène qu'il renferme, en ce sens que cet hydrogène peut être remplacé par un métal. «L'hydrogène, disait-il, joue un rôle essentiel dans la Constitution et la formation des acides; c'est lui qui convertit l'iode en un acide, en s'unissant à cet élément pour former l'acide iodhydrique; c'est encore lui qui constitue à l'état d'acide 1 équivalent d'iode et 6 équivalents d'oxygène, unis dans l'acide iodique à un équivalent d'hydrogène. Dans l'acide chlorique, il joue un rôle analogue. » Dans un mémoire sur les chlorates, Davy avait relevé ce fait que le chlo- rate de potasse est un sel neutre et qu'en perdant tout son oxygène il se con- xlvi DISCOURS PRÉLIMINAIRE. vertit en un autre sel neutre, le chlorure de potassium. D'après lui, l'oxygène n'est point partagé, dans le chlorate, entre le chlore et le potassium, de manière à constituer un acide anhydre et un oxyde. Le chlorate de potassium ne renferme pas 2 constituants immédiats, il renferme 3 éléments : le potas- sium, le chlore, l'oxygène. Ces éléments y sont groupés de telle sorte que le potassium y prend la place que l'hydrogène occupe dans l'acide chlorique lui-même. Dulong avait adopté ces idées émises par Davy : il y ajouta ce trait que les oxacides possèdent une constitution binaire comme les hydracides. Ainsi que ces derniers, ils renferment de l'hydrogène, mais cet élément y est uni non pas à un corps simple , mais à un radical oxygéné faisant fonction de corps simple. Cette opinion a été exposée, en 1816, dans un mémoire sur l'acide oxalique. On sait que l'oxalate d'argent, soumis k une chaleur modérée, se dédouble brusquement en acide carbonique et en métal, et que la compo- sition de tous les oxalates neutres et secs est telle, qu'elle représente de l'acide carbonique auquel serait ajouté un métal. Dulong admettait que l'acide oxalique est de l'acide carbonique auquel serait ajouté de l'hydrogène, et que, dans la formation des oxalates, cet hydrogène s'unit à l'oxygène des oxydes pour former de l'eau et est remplacé par le métal. Il a fait remarquer qu'on pouvait appliquer ce point de vue à tous les acides oxygénés, qu'il assimile à des hydracides. Si ceux-ci renferment un corps simple fortement électro-négatif, uni à de l'hydrogène, les autres contiennent un groupe oxygéné faisant fonction de radical uni à l'hydrogène. Dans son remarquable mémoire sur les acides polybasiques, M. Liebig a développé le môme point de vue et a fait remarquer que l'affinité des acides pour les oxydes peut trouver sa raison d'être et son explication dans l'affinité puissante de l'hydrogène des acides pour l'oxygène des oxydes, la formation de l'eau accompagnant toujours la formation des sels, dans les cas dont il s'agit. Gerhardt est donc entré dans des idées qui avaient été énoncées avant lui, mais il les a faites siennes, non -seulement par les modifications intro- . duites dans la notation , mais encore par le caractère même de ses définitions et de ses formules unitaires. Un sel n'est plus un composé binaire, renfermant d'un côté un radical oxygéné, de l'autre un métal; c'est un tout, c'est un groupement unique d'atomes divers, parmi lesquels un ou plusieurs atomes de métaux capables d'être échangés contre d'autres atomes métalliques ou contre de l'hydrogène. Comment ces atomes sont-ils groupés dans la molécule du sel? Gerhardt n'aborde pas cette question, car il ne croit pas qu'on puisse la résoudre. « On admet, disait-il, que les sels renferment tout formés les éléments d'un acide et ceux d'un oxyde, et on fonde cette opinion sur ce fait que beaucoup de sels se forment par l'union directe d'un acide anhydre avec un oxyde. L'argu- ment est mauvais, car rien ne prouve que le groupement atomique des élé- ments qui s'unissent persiste après la combinaison; c'est là une pure hypo- thèse. » D'après Gerhardt, l'arrangement qu'affectent les atomes dans un composé complexe est inaccessible à l'expérience et défie le raisonnement. C'est donc une vaine entreprise que de définir les corps d'après leur constitu- LAURENT ET GERHARDT. xlvii tion; tout ce qu'on peut tenter, c'est de les classer d'après leurs fonctions et leurs métamorphoses. Pour exprimer ces dernières d'une manière correcte, il suffit de représenter la composition des corps par des formules unitaires, rigoureusement comparables et donnant une idée exacte de la grandeur moléculaire. Le mouvement atomique qui détermine les métamorphoses des corps peut alors s'exprimer par des équations, où interviennent de telles for- mules. Sans méconnaître les services que peuvent rendre les formules ration- nelles, Gerhardt en signale les inconvénients et en proscrit l'usage. Selon lui, de telles formules n'expriment que des réactions, mais nullement le groupement atomique. Une seule et môme substance peut éprouver diverses métamor- phoses : il en résulte qu'on peut lui attribuer plusieurs formules rationnelles. C'est ce qui arrive souvent, notamment pour l'alcool, pour lequel on a proposé six ou sept formules différentes, chaque auteur cherchant, par de nombreuses réactions, à appuyer la sienne qu'il croyait la meilleure, comme si l'on pouvait donner la moindre idée du groupement des molécules en disposant sur le papier, un peu plus à gauche ou à droite, tel ou tel symbole 1 . Pour Gerhardt les formules rationnelles sont donc des hypothèses et il s'élève avec force contre l'abus qu'en a fait Berzelius en chimie organique. Ces expressions compliquées, où l'on voit des radicaux hypothétiques sans nombre unis à de l'oxygène ou à du chlore, selon la règle électro-chimique, lui paraissent dénuées de fondement et de vraisemblance. « Qu'on nous montre un seul de ces radicaux, » s'écrie-t-il, niant, avec conviction, la possibilité de leur existence. Dans son ardeur il va même jusqu'à dépouiller le cyanogène, le cacodyle de leur caractère de radicaux composés. Au reste, il'conforme sa nomenclature à ses idées. Le corps qui résulte de l'action du chlore sur l'essence d'amandes amères n'est point le chlorure de benzoyle, c'est le ben- zoïlol chloré , nom qui se borne à rappeler, ainsi que la formule unitaire , les rapports de composition du corps chloré avec l'essence d'amandes amères ou benzoïlol dont il dérive par substitution. Ainsi, dans cette première période de son activité scientifique, Gerhardt n'admet ni formules rationnelles ni radicaux, ce dernier mot étant pris dans le sens de groupe d'atomes possédant une existence indépendante et la faculté d'entrer directement en combinaison. Mais le promoteur des idées unitaires était trop clairvoyant pour ne point s'apercevoir que, dans une foule de réactions, lorsque des corps composés ont perdu l'un ou l'autre de leurs éléments, les restes, qui sont comme les débris de la molécule, peuvent entrer en combinaison. C'est ce qu'il appelle substitutions par résidus. L'idée avait été énoncée par Laurent ( page xxxix), Gerhardt l'a adoptée. Plus tard elle a reçu de beaux développements et est devenue en quelque sorte le trait d'union entre la théorie des substitutions et la théorie des radicaux, développée elle-même et rajeunie. Ces résidus que Gerhardt admettait ne sont, en effet, que les radicaux dans le sens moderne du mot. Mais en 1842 Gerhardt n'en était pas là. Entraîné par son opposition aux 1. Précis de Chimie organique, t. I, p. 12. xlviii DISCOURS PRELIMINAIRE. doctrines qui régnaient alors et par la confiance que ui inspiraient ses propres idées, il n'a pas échappé au péril d'en exagérer les conséquences. Dans son Précis de Chimie organique, qui est le premier jet de ses idées et le premier témoin de sa puissante originalité, il prend les formules empiriques pour base unique d'une nouvelle classification. Il range tous les corps en progression ascendante, suivant le nombre d'atomes de carbone que renferme leur molé- cule, les composés plus simples formant la base, les plus compliqués le sommet de cette immense échelle. Il la nomme échelle de combustion par la raison que les procédés d'oxydation font descendre les corps de un ou de plusieurs rangs dans la série, en emportant un ou plusieurs atomes de carbone. Ce principe de classification est excellent, mais il a été appliqué d'une manière trop absolue dans ce premier es'sai.En s'appuyant uniquement sur les formules empiriques, Gerhardt a été amené à faire des rapprochements malheu- reux. L'acétate d'éthyle accompagne l'acide butyrique, les acides succinique, éthyloxalique et l'oxalate de méthyle se suivent de près, et l'acide adipique coudoie l'éther oxalique. Un ordre trop rigoureux a donc produit une certaine confusion que Ger- hardt a su éviter plus tard. Mais l'habitude qu'il avait prise de grouper les corps d'après leur composition et de comparer leurs formules empiriques a néanmoins porté des fruits. Elle a contribué à introduire dans la science une idée nouvelle et féconde, celle de la série homologue. Un chimiste allemand, M. Schiel, avait fait observer le premier les rela- tions de composition qui existent entre les alcools. Après lui, M. Dumas avait construit la série des acides gras qui commence avec le plus simple des acides organiques, l'acide formique, pour s'élever, par une gradation régulière, jus- qu'aux acides complexes qu'on retire du suif et de la cire. Gerhardt développa cette idée et la fortifia par de nouveaux exemples. Dans ces séries qu'il nomma homologues, les corps sont rangés suivant la progression régulière des atomes de carbone et d'hydrogène, les autres atomes demeurant invariables et chaque terme différant de celui qui le précède ou le suit immédiatement par GIF en plus ou en moins. Gerhardt ajoute que l'homologie découle non-seulement des relations de composition, mais encore de la similitude des fonctions chi- miques. Ainsi il a fixé l'idée et créé le mot. Par ses efforts, la doctrine des homologues est devenue une des bases les plus solides de la classification des substances organiques. Les travaux que nous venons d'esquisser à grands traits ont laissé dans la science des traces profondes et constituent en grande partie la base de nos idées modernes. Un système de poids atomiques nouveau, fondé sur un déve- loppement conséquent de la théorie des volumes et sur une appréciation saine des analogies, une notation où toutes les formules et toutes les réactions sont rendues comparables par une détermination plus exacte des grandeurs relatives des molécules, les combinaisons chimiques considérées comme des groupe- ments d'atomes formant un seul tout, un édifice simple en quelque sorte, et capable de se modifier par voie d'échange d'un élément contre un autre : tels sont les principaux traits d'une doctrine qui faisait corps déjà et qui commen- LAURENT ET GERHARDT. xlix çait à s'affirmer. Mais entre cette première affirmation et le triomphe, il devait s'écouler un long intervalle et la doctrine elle-même devait subir des modifi- cations sérieuses. III. Berzelius n'était plus. La théorie des substitutions avait prévalu, mais les développements qu'en avaient fait sortir Laurent et Gerhardt rencontraient une vive opposition. Les partisans de la doctrine des radicaux avaient accepté le fait des substitutions, mais gardaient une attitude hostile. Le dualisme était toujours en face de l'idée unitaire. De fait, celle-ci avait été entre les mains de Laurent et de Gerhardt un instrument plus propre à redresser des erreurs qu'à susciter de grandes découvertes. La théorie fleurissait, mais l'expérience languissait quelque peu. Or dans les sciences expérimentales une nouvelle doctrine ne s'impose point par la critique seule. Il lui faut, pour triompher, une auréole de découvertes. Cette sanction n'a pas manqué dans le cas présent. A partir de 1849 se sont succédé divers travaux qui ont vivement excité l'attention des chimistes et ont poussé Gerhardt lui-même dans des voies nouvelles : nous voulons parler de la découverte des ammoniaques composées par M. Wurtz, et de celle des éthers mixtes qu'on doit à M. Williamson. Ces travaux ont amené une conciliation entre la théorie des radicaux et celle des substitutions. Jusque-là rivales, elles se sont fondues dans une théorie nouvelle, celle des types. Mais pour bien faire ressortir les origines et la portée de cette théorie, il est nécessaire de prendre les choses de plus haut. En 1839 M. Dumas avait découvert l'acide chloracétique. Cet acide dérive de l'acide acétique par la substitution de 3 équivalents de chlore à 3 équiva- lents d'hydrogène, tous les autres éléments demeurant les mêmes. Mais, chose remarquable, cette introduction du chlore dans la molécule n'a pas imprimé une modification profonde aux propriétés fondamentales de l'acide acétique. Son dérivé chloré est, comme lui, un acide monobasique et peut subir par l'action de certains réactifs des dédoublements analogues. Ces faits n'admettent, d'après M. Dumas, qu'une seule explication : en se substituant à l'hydrogène dans l'acide acétique le chlore prend la place de cet élément et joue le même rôle dans le nouveau composé. Il exprime cela en disant que l'acide acétique et l'acide chloracétique appartiennent au même type chimique. Il admet d'ail- leurs que les propriétés d'une combinaison dépendent moins de la nature des atomes qu'elle renferme que de leur groupement et de leur position dans la molécule. Ces idées sont conformes à celles que Laurent avait émises lui-même, mais, s' appuyant sur des faits nouveaux et importants, elles ont eu plus d'au- torité. En outre, l'idée de la conservation du type, après la substitution d'un élément à un autre, clans un composé donné, a été énoncée plus clairement que Laurent ne l'avait fait dans sa théorie des noyaux. M. Dumas a donc rangé dans le même type chimique tous les corps qui renferment le même nombre « d'équivalents » groupés de la même manière, et L DISCOURS PRÉLIMINAIRE. qui possèdent, en outre, les mêmes propriétés fondamentales. Mais il fait remar- quer aussi que ces propriétés peuvent se modifier par le fait des substitutions. Des corps renfermant le môme nombre d'équivalents, mais qui diffèrent parleurs propriétés fondamentales, peuvent être réunis dans le même type mécanique. Il est juste d'ajouter que M. Regnault, dans ses travaux remar- quables concernant l'action du chlore sur la liqueur des Hollandais et sur l'éther chlorhydrique, avait déjà appelé l'attention sur la conservation du groupement atomique par le fait de telles substitutions. C'est ainsi que l'idée des types a été introduite dans la science; mais sous cette première forme elle n'était pas susceptible de grands développements. Se bornant à exprimer, d'une façon ' élégante et précise , les rapports que les substitutions créent entre un composé donné et ses dérivés, elle admettait autant de types qu'il existe de composés capables de se modifier par substitu- tion et elle laissait ces derniers sans aucun lien. C'était donc une idée ingénieuse et vraie; mais elle ne semblait pas destinée à devenir une théorie générale. Elle l'est devenue pourtant en se modifiant. Depuis longtemps les chimistes, frappés de ce fait que les alcaloïdes naturels renferment tous de l'azote et donnent de l'ammoniaque par la distilla- tion sèche, pressentaient l'existence de rapports intimes entre « l'alcali volatil » et les alcalis organiques. Berzelius avait admis que ces derniers doivent leurs propriétés alcalines à de l'ammoniaque toute formée et intimement conjuguée à leurs éléments. Plus tard, la grande découverte des amides, que l'on doit à M. Dumas, a fait surgir un autre point de vue. On pensait que les alcaloïdes ren- ferment, comme élément commun, le principe générateur des amides qu'on a nommé amidogène, et qui est de l'ammoniaque, moins un atome d'hydrogène. Cette question importante de la constitution des bases organiques a été éclaircie par la découverte d'une classe de corps qui offrent avec l'ammoniaque les relations de composition et de propriétés les plus frappantes : même ten- dance à s'unir aux acides, même causticité, même solubilité dans l'eau, même odeur: En annonçant l'existence de ces « ammoniaques composées », l'auteur a exprimé l'opinion qu'on pouvait les envisager, soit comme de l'éther dans lequel F oxygène était remplacé par de l'amidogène, soit comme de l'ammo- niaque dans laquelle 1 équivalent d'hydrogène était remplacé par 1 équivalent d'un radical alcoolique 1 . L'idée de les comparer à l'ammoniaque prise comme type était donc énoncée dans cette première communication, et, de fait, s'im- posait à l'esprit par une surprenante analogie de propriétés. Quelques mois plus tard, M. Hofmann, guidé par sa brillante découverte de la diéthylamine et de la triéthylamine , a accentué davantage l'idée typique et l'a fait triom- pher en envisageant toutes ces bases comme de l'ammoniaque dans laquelle 1, 2 ou 3 atomes d'hydrogène sont remplacés par 1, 2 ou 3 groupes ou radi- caux alcooliques 2 . Ainsi le type ammoniaque était créé, car il était facile d'étendre aux autres alcaloïdes et principalement aux bases volatiles, qu'on savait déjà préparer par 1. Comptes rendus, t. XXVIII, p. 224; février 1849. 2. Voir note 4 0. p. xc. LAURENT ET GERHARDT. ti les voies synthétiques, le point de vue qui s'adaptait si bien aux bases éthylées. Remarquons aussi que la théorie des substitutions s'emparait des radicaux. L'éthylamine n'est plus une combinaison binaire d'éthyle et d'amidogène, c'est de l'éther dont l'oxygène est remplacé par de Famidogène, ou de l'ammoniaque dans laquelle le radical éthyle s'est substitué à de l'hydrogène. Ici le mot radical est pris dans le sens de groupe d'atomes capables de se combiner à d'autres atomes par voie de substitution. Il n'est plus question de radicaux tout isolés, tout prêts à former des combinaisons binaires par voie d'addition, affectant, en un mot, les allures des corps simples; ce sont plutôt les résidus de Gerhardt qui passent intacts d'une combinaison dans une autre. Mais ils ne vont point s'y confondre dans la masse des éléments; ils gardent dans la molé- cule une place déterminée et une individualité distincte marquée par la for- mule même. Celle-ci n'est plus une expression unique. C'est une formule rationnelle indiquant clairement les rapports de composition des bases nou- velles avec l'ammoniaque. Ainsi, au moment même où la théorie des radicaux et celle des substitutions allaient se fondre clans la théorie des types, les for- mules rationnelles sont remises en honneur comme un moyen d'exprimer les liens de parenté des corps. Une nouvelle impulsion est ainsi donnée et une nouvelle découverte va accélérer le mouvement. En 1851, M. Williamson a publié ses belles recherches sur réthérification et sur l'existence d'éthers mixtes, recherches qui ont intro- duit dans la science le type eau. Laurent avait déjà comparé à l'eau l'oxyde de potassium anhydre et la potasse caustique. Il avait indiqué, par des formules abrégées et ingénieuses, les relations de composition qui existent entre l'alcool et l'éther 1 . Ses idées ont été développées avec talent par un chimiste américain, M. Sterry Hunt. M. Williamson est allé plus loin : il a comparé à l'eau non-seulement l'alcool et les éthers, mais encore les acides, les oxydes et les sels de la chimie minérale. L'eau étant formée de 1 atome d'oxygène et de 2 atomes d'hydro- gène, on peut remplacer ces derniers, soit par les atomes d'autres corps simples, soit par des groupes faisant fonction de radicaux. Remplacez dans une molécule d'eau 1 atome d'hydrogène par un groupe éthylique, vous aurez de l'alcool; le second atome d'hydrogène étant lui-même remplacé par de Y éthyle, il en résultera de l'éther. La potasse représente de l'eau dont 1 atome d'hydrogène a été remplacé par le potassium ; qu'on remplace l'autre atome d'hydrogène par un radical d'acide, cette double substitution donnera nais- sance à un sel. Ainsi, l'acétate de potassium dérive d'une molécule d'eau par la substitution de 1 atome de potassium à I atome d'hydrogène, l'autre atome d'hydrogène étant remplacé parle radical acétyle. M. Williamson a même prévu l'existence d'un corps qui dériverait de l'eau par la substitution de deux groupes acétyle aux 2 atomes d'hydrogène et qui serait à l'acide acétique ce que l'éther est à l'alcool. C'est l'anhydride acétique, qui a été découvert pins tard par Gerhardt 2 . 1. Note 4 4, p. xcï. "2. Note 41, p. xcï. lu DISCOURS PRELIMINAIRE. Tous ces corps appartiennent au même type. Ils renferment tous 1 atome d'oxygène et 2 autres éléments simples ou composés représentant les 2 atomes d'hydrogène de l'eau. A travers toutes les substitutions que peut éprouver la molécule, son squelette demeure en quelque sorte le même et offre la struc- ture relativement simple d'une molécule d'eau. Telles sont les idées émises par M. Williamson. A l'époque où Gerhardt a été amené à les adopter, le type eau était donc tout fait, ainsi que le type ammoniaque. Gerhardt, faisant fructifier une idée qui avait germé avant lui, y ajouta le type hydrogène et le type acide chlorhydrique. En outre, il donna une nouvelle extension au type eau par sa belle découverte des acides organi- ques anhydres. Il avait nié autrefois l'existence d'anhydrides dérivant d'acides monoba- siques et a eu la singulière fortune de les découvrir lui-même. En faisant réagir le chlorure du radical acétyle sur l'acétate de sodium, il a obtenu cet anhy- dride acétique dont M. Williamson avait prédit l'existence. Ce corps renferme 2 groupes acétyle unis à 1 seul atome d'oxygène , comme l'eau renferme 2 atomes d'hydrogène unis à 1 seul atome d'oxygène. Les 2 groupes acétyle, ou radicaux de l'acide acétique, jouent dans l'anhydride acétique le rôle de corps simple et y occupent en quelque sorte la place qu'occupent les 2 atomes d'hydrogène dans la molécule d'eau. C'est ainsi que le type eau, créé par M. Williamson, fut élargi par Gerhardt, qui a généralisé l'idée des types. Avec Laurent il envisagea la molécule d'hydrogène comme formée de 2 atomes. A l'état libre, disait-il, ce gaz constitue l'hydrure d'hydrogène, le chlore libre est du chlorure de chlore , le cyanogène libre du cyanure de cya- nogène. Et puisque les oxydes offrent une constitution analogue à celle de l'eau, les molécules de métaux sont comparables à celle de l'hydrogène : elles sont formées de 2 atomes. Le type hydrogène comprend donc tous les mé- taux. En chimie organique beaucoup de composés offrent la même constitution binaire. Leur molécule est double, c'est-à-dire formée de deux éléments dis- tincts soit simples, soit composés, et qui équivalent chacun à 1 atome d'hy- drogène. Gerhardt rangeait donc dans le type hydrogène les aldéhydes , les acétones et un grand nombre d'hydrocarbures, entre autres les radicaux alcooliques éthyle, méthyle, découverts par MM.Kolbe et Frankland et qui avaient été l'objet de si vives discussions. Chose curieuse, les partisans du dualisme les avaient envisagés comme des groupes uniques, le défenseur de l'idée uni- taire a fait voir qu'ils résultent de l'union de deux radicaux alcooliques et leur a attribué une constitution binaire, une formule double. Le type acide chlorhydrique comprenait les chlorures, bromures, iodures minéraux et organiques. A vrai dire, il se confondait avec le type hydrogène. C'étaient là des idées nouvelles. Voici un développement important. Les bases organiques volatiles constituaient à elles seules le type ammo- niaque. Gerhardt y rangea toutes les amides. L'acétamide, d'après lui, offre la même constitution moléculaire que l'éthy lamine. Elle n'en diffère que par la nature oxygénée de son radical. Si Y éthyle est un radical neutre, l'acétyle est un radical acide, parce qu'il renferme de l'oxygène. Comme F éthyle, il LAURENT ET GERHARDT. Lin peut se substituera l'hydrogène de l'ammoniaque; mais le corps qui résulte de cette substitution est neutre, par la raison que les propriétés acides de l'ammoniaque sont neutralisées par l'introduction d'un radical acide dans sa molécule. Ainsi des corps qui offrent une constitution moléculaire tout à fait sem- blable, et qui appartiennent par conséquent au même type, peuvent différer notablement par leurs propriétés, suivant la nature des éléments qui occupent dans la molécule une place donnée. Proposition importante, qui marque un retour vers des idées qu'on avait d'abord combattues, lorsqu'on attribuait une influence prédominante au groupement atomique, dans la manifestation des propriétés. Pour exprimer d'une manière saisissante cette influence de la nature des éléments sur les propriétés de corps offrant d'ailleurs la même constitution, on peut, à l'exemple de Gerhardt, ranger sur la même horizontale tous les corps appartenant au même type, les corps basiques occupant l'extrémité de gauche, les neutres le milieu, les acides l'extrémité de droite. Prenons pour exemple le type eau. La potasse, qui est un alcali puissant, sera placée d'un côté, les acides nitrique et acétique de l'autre côté, l'eau et l'alcool au milieu. Pourquoi les corps qui occupent la gauche sont-ils fortement basiques? Parce qu'ils renferment un atome d'un métal fortement électro-négatif, tel que le potassium. Ceux qui occupent le milieu sont neutres parce qu'ils renferment des élé- ments ou des radicaux indifférents; mais les corps qui sont placés à droite sont acides, en raison de la nature des radicaux oxygénés qu'ils renferment K D'après la théorie des types l'alcool est de l'eau dans laquelle 1 atome d'hydrogène est remplacé par le groupe hydrocarboné éthyle; ce groupe est basique, mais son pouvoir basique ne dépasse guère celui de l'hydrogène : aussi l'alcool est-il un liquide neutre comme l'eau elle-même. Mais que 1 atome d'oxygène vienne à s'introduire dans la molécule de l'alcool et prenne dans le radical éthyle la place de 2 atomes d'hydrogène, le radical ainsi modifié par substitution prendra un caractère acide et imprimera ce caractère à la molécule tout entière. Par le fait de cette substitution rien n'est changé dans le groupement moléculaire. Les deux corps offrent la même constitution : l'un est l'hydrate d'éthyle, l'autre est l'hydrate d'acétyle. Mais tandis que l'alcool est neutre, l'acide acétique qui résulte de son oxydation est un acide énergique. Telle est l'influence que la nature des atomes exerce sur les propriétés de molécules d'ailleurs semblables par le groupement des atomes. Cette influence apparaît de la manière la plus évidente dans les corps qui appartiennent au type ammoniaque. L'ammoniaque est un corps fortement basique. Que dans cette molécule formée d'azote et d'hydrogène l'hydrogène soit remplacé par des groupes hydrocarbonés neutres tels que le méthyle ou l' éthyle, le pouvoir basique sera conservé. On sait que les ammoniaques com- posées qui résultent d'une telle substitution sont des bases aussi puissantes que l'ammoniaque elle-même. Mais l'hydrogène de ce dernier corps peut être i. Note 13, p. xci. liv DISCOURS PRELIMINAIRE. remplacé, en totalité ou en partie, soit par un élément électro-négatif tel que le chlore ou le brome, soit par un radical d'acide; les dérivés de l'ammoniaque ainsi formés seront neutres ou même acides. En voici des exemples : L'aniline est une base énergique; la trichloraniline ou aniline trichlorée est, d'après M. Ilofmann, un corps neutre, c'est-à-dire incapable de se combiner avec les acides. De même, nous l'avons fait remarquer plus haut, le carac- tère basique de la molécule ammoniacale est effacé dans l'acétamide par la nature acide du radical oxygéné qui y est substitué à de l'hydrogène. La plupart des amides sont neutres comme l'acétamide. On en connaît un petit nombre qui sont franchement acides. Dans un de ses plus beaux mémoires, Gerhardt a décrit des amides résultant de la substitution de 2 radicaux oxy- génés à 2 atomes d'hydrogène de l'ammoniaque et dans lesquelles, grâce à l'influence prépondérante de ces groupes oxygénés, le caractère de la molé- cule ammoniacale est modifié à ce point qu'elle forme des sels, non pas avec les acides, mais avec les bases 1 . Les développements qui précèdent répondent à une des objections qui ont été dirigées contre la théorie des types. Lavoisier, disait-on, avait tant insisté sur les différences fondamentales qui séparent les acides, les oxydes et les sels. Est-il permis de les confondre comme fait la théorie des types? Quoi! la potasse caustique et l'acide hypochloreux, si dissemblables par leurs pro- priétés, pourraient être jetés dans le même moule, et, chose plus grave, com- parés avec le produit de leur combinaison, l'hypochlorite de potasse! On peut les comparer sans les confondre 2 . On les distingue par leurs propriétés; on les rapproche par leur constitution atomique. Ce sont là deux points de vue tout à fait différents. Lavoisier avait insisté sur le premier .orsqu'il opposait les oxydes aux acides. Le second ne pouvait le toucher. De son temps la théorie atomique n'était pas née : il ne pouvait donc s'occuper du groupement des atomes. Tout le monde accordera que des corps composés renfermant des atomes groupés de la même manière peuvent posséder des propriétés différentes si ces atomes sont différents eux-mêmes. Est-ce confondre l'acide hypochloreux avec la potasse caustique que de dire : ces deux corps renferment un égal nombre d'atomes groupés de la même manière, mais l'un renferme du chlore là où l'autre renferme du potas- sium? Cette différence fondamentale dans leur composition n'explique-t-elle pas l'opposition de leurs propriétés? De fait ils ne diffèrent pas plus l'un de l'autre que le chlore ne diffère du potassium. L'objection que nous venons de discuter est donc sans portée. M. Kolbe en a élevé une autre qui est plus sérieuse , car elle semble aller au fond des choses. Vos trois ou quatre types, disait ce chimiste, ne sont qu'un vain arti- fice. Pourquoi admettre que la nature se soit astreinte à façonner tous les corps sur le modèle de l'acide chlorhydrique, de l'eau, de l'ammoniaque? Pour- quoi ceux-là plutôt que d'autres? A ne considérer que les composés orga- niques, ne serait-il pas plus rationnel de les rapporter à l'acide carbonique? 1 . Note 4 2 , p. xci. 2. Note 13, p. xci LAURENT ET GERHARDT. lv C'est avec ce gaz, en effet, que le règne végétal les forme. Le type acide carbonique aurait donc sa raison d'être dans la nature môme des choses, et il semble logique d'y rapporter tous les composés organiques, puisque tous en dérivent de fait. A cela on peut répondre d'abord que l'eau et l'ammoniaque sont des agents aussi indispensables que le gaz carbonique dans les procédés de la vie végétale. Pour assimiler de l'hydrogène et de l'azote, les plantes ont besoin de décomposer l'eau et l'ammoniaque comme elles décomposent l'acide carbo- nique pour assimiler le carbone. Ce grand travail de l'élaboration de la matière organique exige donc le concours de trois composés minéraux, et si l'on veut fonder l'idée typique sur la question d'origine, il n'y a pas de raison d'exclure l'eau et l'ammoniaque au profit de l'acide carbonique. D'ailleurs* il est facile de montrer que le type acide carbonique peut être ramené au type eau. Si l'eau est l'oxyde d'hydrogène, le gaz carbonique est l'oxyde de carbonyie, c'est-à-dire l'oxyde du radical oxyde de carbone. On peut donc rapporter indifféremment à l'un ou l'autre corps les oxydes qui présentent une constitution semblable. Il faut ajouter pourtant qu'il est plus commode de les comparer à l'eau, car celle-ci renfermant 2 atomes d'hydrogène, on peut remplacer chacun d'eux par un autre corps simple ou par un radical. Le nombre des éléments et des radicaux étant très-considérable, les cas de substitution peuvent varier jusqu'à l'infini. Il existe donc un nombre immense de composés qu'on peut comparer à l'eau, si l'on admet que l'hydro- gène y soit remplacé en totalité ou en partie. Mais quoi! cette hypothèse d'éléments ou de radicaux substitués, dans un si grand nombre dé cas, à l'hydrogène de l'eau offre-t-elle une base solide? Est- elle fondée sur des faits ou n'est-elle qu'une vaine supposition? Il est temps de répondre à cette question. Qu'on jette un morceau de potassium sur l'eau, il va la décomposer avec une telle violence que l'hydrogène dégagé s'enflammera au contact du globule de métal porté au rouge. Dans la molécule d'eau décomposée, l'hydrogène sera rem- placé par le potassium, et il se formera de la potasse caustique. C'est ce fait que la théorie des types exprime en disant que l'hydrate de potassium est de l'eau dans laquelle 1 atome d'hydrogène a été remplacé par 1 atome de potassium. Prenons maintenant ce chlorure organique que Gerhardt a obtenu en dis- tillant l'acétate de soude avec du perchlorure de phosphore et qu'il a nommé chlorure d'acétyle. Mis en contact avec l'eau, ce corps va se décomposer sur- le-champ. Son chlore, s'emparant de 1 atome d'hydrogène, formera de l'acide chlorhydrique , et le radical acétyle, qui vient d'abandonner le chlore, va se substituer à cet atome d'hydrogène, qui vient d'abandonner l'eau. L'acide acé- tique se forme ainsi par un échange d'éléments entre le chlorure d'acétyle et l'eau ; celle-ci s'est donc transformée réellement en acide acétique par la substitution du radical acétyle à 1 atome d'hydrogène. La théorie des types exprime précisément ce fait en attribuant à l'acide acétique, c'est-à-dire à l'hydrate d'acétyle, une formule d'une simplicité extrême et écrite en quelque sorte sur le modèle de celle de l'eau *. 4 . Note 1 1 , p. xci. lvi , DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Cette formule n'exprime pas autre chose que la réaction que l'on vient de rappeler; elle représente un des modes de formation de l'acide acétique, elle admet dans cet acide l'existence d'un radical capable de passer intact d'une combinaison dans une autre par voie de double décomposition; elle rappelle de la manière la plus simple les relations qui existent entre l'acide acétique, le chlorure d'acétyle, l'aldéhyde ou hydrure d'acétyle, l'acétone ou le méthylure d'acétyle, l'acétamide, l'anhydride acétique et, en général, entre tous les com- posés qui .renferment le radical acétyle. Voilà une nombreuse parenté, une grande famille dont tous les membres offrent un trait de ressemblance et pos- sèdent un fonds commun, savoir le radical oxygéné de l'acide acétique. Il en est ainsi de toutes les formules typiques. Fondées sur l'étude attentive des réactions, elles en reflètent fidèlement l'image et représentent avec clarté les rapports de dérivation que ces réactions créent entre ces corps. Et ces réac- tions sont en général des doubles décompositions qui ne portent pas atteinte à l'existence des radicaux; ceux-ci demeurent inaltérés et se transportent par voie d'échange d'un composé dans un autre. Rien de plus simple, de plus clair que la représentation de ces métamorphoses dans la notation typique. C'était là le principal avantage de cette belle conception des types. Pour en marquer le vrai caractère, Gerhardt les avait nommés types de double décomposition. Les formules typiques expriment donc des réactions, et c'est dans les faits eux-mêmes que l'idée des types puise son origine et sa raison d'être. Est-ce à dire que cette théorie puisse rendre compte de tous les faits, que les symboles et les équations typiques soient propres à exprimer toutes les réactions? Il ne pouvait en être ainsi. Parmi tant de métamorphoses que peuvent subir les corps d'origine organique, la théorie des types s'était bornée à choisir les plus simples , celles qui , modifiant la forme extérieure de la molécule chimique et la nature de ses appendices, ne portent aucune atteinte au corps de la sub- stance, c'est-à-dire à son radical composé. Mais il est des réactions où celui-ci se modifie lui-même, où il se dédouble. Au lieu de passer intact dans un autre composé, il succombe. Ces métamorphoses profondes ne sont pas, en général, des doubles décompositions et ne peuvent plus être représentées par les for- mules relativement simples qui expriment ces dernières. Après avoir suivi la théorie des types dans son origine et dans ses déve- loppements, nous voici donc arrivés à ses limites. Elle avait pris à la théorie des radicaux l'idée de ces groupes d'atomes faisant fonction de corps simples; mais, au lieu de les représenter comme des corps doués d'une existence réelle et de la force de combinaison qui caractérise les éléments, elle les envisageait comme des restes, des résidus, capables de se substituer à des corps simples et de former ainsi une multitude de combinaisons appartenant à un petit nombre de types. Berzelius avait imaginé une foule de radicaux, en disant : On les isolera un jour. Gerhardt avait dit : Ce sont des débris de molécules qui ne peuvent exister à l'état libre, mais qui, dans les composés où ils existent, sont aptes à se substituer à des corps simples. C'est ainsi que la théorie des types s'est approprié l'idée des radicaux, en la rajeunissant par l'idée de substitution. En adaptant ces deux notions à des théories hostiles jusque-là, elle a fait disparaître cette opposition. LAURENT ET GERHARDT. lvii Mais tout en admettant les radicaux elle n'a point cherché à pénétrer leur constitution. Elle les représente, dans une formule unique, comme des groupes d'atomes intimement unis entre eux, elle montre leurs évolutions lorsqu'ils passent d'un composé dans un autre; mais lorsqu'ils se dédoublent eux- mêmes, elle est impuissante, dans la plupart des cas, à peindre cette transfor- mation profonde qui atteint le corps même de la molécule organique, car elle ignore comment les radicaux sont faits. Une théorie est bonne lorsqu'elle parvient à grouper les faits dans un ordre logique. Elle est féconde lorsqu'elle provoque des découvertes et qu'elle porte en elle le germe de progrès importants. Aucun de ces avantages n'a manqué à la théorie des types. De ses derniers développements est sortie une conception nouvelle, plus générale et qui supplée à l'insuffisance que nous venons de signaler. Nous voulons parler de la théorie de l'atomicité. Mais ce n'est point ici le lieu de l'exposer, et nous devons nous borner à cette seule indication, qu'elle a ses racines dans la théorie des types. Celle-ci, par une dernière évolution, avait établi des types condensés et des types mixtes. M. Williamson avait rapporté l'acide sulfurique à 2 molécules d'eau dans les- quelles 2 atomes d'hydrogène sont remplacés par le radical bibasique sulfu- ryle. Ce radical, pouvant ainsi se substituer à 2 atomes d'hydrogène pris dans 2 molécules d'eau , joint ensemble les restes de celles-ci et les rive en une seule molécule condensée 1 . Telle est l'origine de la doctrine des radicaux po- lyatomiques, telle est aussi l'idée de ces types condensés, auxquels Gerhardt, à l'exemple de M. Williamson, avait rapporté les acides analogues à l'acide sulfurique et saturant comme lui plusieurs molécules de base. Ces radicaux polyatomiques jouent un rôle analogue dans les types mixtes. Considérez une molécule d'eau juxtaposée à une molécule d'acide chlorhy- drique. Vous pourrez imaginer l'atome d'hydrogène de celui-ci, ainsi que 1 atome d'hydrogène de la molécule d'eau voisine, remplacés tous deux par un radical bibasique, le sulfuryle par exemple. Ce radical joindra alors la mo- lécule d'eau qui aura perdu un atome d'hydrogène à la molécule d'acide chlor- hydrique ayant perdu de même son hydrogène, et voilà ces deux molécules rivées en une seule par la vertu de ce radical bibasique. C'est ce que M. Odling a nommé un type mixte 1 . Tels sont les derniers développements de la théorie des types. Ils marquent l'origine d'une nouvelle période dans laquelle la science va entrer et qu'elle parcourt en ce moment. Nous aurons donc occasion d'y revenir en exposant les doctrines actuelles. S'il a eu la satisfaction d'assister au triomphe de la plupart de ses idées, Gerhardt ne fut point témoin de la transformation féconde qu'elles ont subie dans ces derniers temps. Il a succombé à quarante ans, suivant de près dans le tombeau son ami et son prédécesseur Laurent. Tous deux sont morts jeunes, épuisés par un travail immense et sans avoir rencontré cette faveur populaire qui mène aux honneurs. Ils ne l'ont point cherchée. Aimant la science pour elle-même, ils l'ont abordée par des voies \. Note 14, p. xcn. lviii DISCOURS PRELIMINAIRE. inaccessibles au plus grand nombre. Esprits indépendants, ils ont secoué la poussière de l'école; cœurs ardents, ils n'ont point dédaigné la lutte, trou- vant plus d'opposants que de contradicteurs sérieux et résistant avec fermeté au plus puissant de ces contradicteurs, à Berzelius. En dépit de l'insuffisance de quelques idées et de certaines exagérations de langage, ils sont sortis victo- rieux de ces débats, léguant à leurs successeurs un grand exemple et à l'his- toire deux noms inséparables. DOCTRINES ACTUELLES La théorie des types avait embrassé un nombre immense de composés mi- néraux et organiques qu'elle avait classés en les comparant à un petit nombre de combinaisons très-simples. Elle avait renversé les barrières que l'usage avait établies entre la chimie minérale et la chimie organique; elle avait classé et comparé une multitude de corps très -divers, sans distinction d'origine. Renonçant à dévoiler la constitution des corps, elle les avait groupés d'après leurs métamorphoses. Elle avait créé une notation incomparable pour la clarté de l'exposition et qui a été l'instrument de nombreuses découvertes, en permettant de saisir du premier coup des analogies ou des liens de parenté. Elle avait, en un mot, tous les caractères et tous les avantages d'une bonne théorie. Mais elle n'allait pas au fond des choses, et son principe même sem- blait avoir quelque chose d'artificiel. Elle admettait des combinaisons-types, sans en donner la raison d'être. Que représentent les types hydrogène, eau, ammoniaque, et pourquoi choisir ceux-là plutôt que d'autres? Question im- portante que la théorie des types n'a point posée d'abord, mais qui est résolue aujourd'hui. Ces types représentent diverses formes de combinaison, qui sont en rapport avec une propriété fondamentale des atomes, l'atomicité. Voilà une idée nouvelle qui est aujourd'hui à la base même de la science. Nous allons exposer son origine et ses progrès. I. Dans ses recherches mémorables sur la composition des sels, Berzelius avait été amené à confirmer et à préciser une proposition importante, d'abord émise par Richter, savoir : que la capacité de saturation d'un oxyde dépend de la quantité d'oxygène qu'il renferme. Il existe dans tous les sels neutres un rapport constant entre la quantité d'oxygène de l'oxyde et la quantité d'oxygène de l'acide. Telle est la formule de Berzelius. Énoncée en 1811, elle a fourni un nouveau point d'appui à la théorie ato- mique qui commençait à se répandre à cette époque. On peut dire qu'elle se pré- sente comme une conséquence de cette théorie. En effet, la combinaison entre un oxyde et un acide s' effectuant toujours selon les mêmes proportions, et les plus faibles quantités de cet oxyde, de cet acide, qui soient aptes à se com- biner, renfermant un nombre déterminé d'atomes d'oxygène, il est clair lx DISCOURS PRÉLIMINAIRE. que le rapport entre l'oxygène de l'oxyde et celui de l'acide doit être inva- riable. La plus petite quantité d'oxyde de calcium qui puisse exister renferme 1 atome d'oxygène ; la plus petite quantité d'acide sulfurique anhydre que l'on puisse concevoir renferme 3 atomes d'oxygène. C'est ce qu'on nommait alors un équivalent de cet oxyde ou de cet acide. Ce sont « ces équivalents » qui se combinent. Le sulfate de chaux renferme donc 1 équivalent d'acide sulfurique et 1 équivalent d'oxyde de calcium, et tous les sulfates dont l'oxyde contient, comme la chaux, 1 atome d'oxygène, possèdent une composition analogue. Or Berzelius avait reconnu le premier que l'oxyde d'aluminium ou l'alu- mine, cette terre qui existe dans l'argile et qu'on peut retirer de l'alun, ren- ferme 3 atomes d'oxygène pour 2 atomes de métal 1 . Appliquant au sulfate d'alumine la loi de composition qu'il avait découverte pour les sulfates, il a admis que ce sel renferme, pour 1 équivalent d'alumine, 3 équivalents d'acide sulfurique. En effet, pour que le rapport de 1 à 3 soit conservé dans un tel sulfate, il est nécessaire que l'oxyde qui renferme 3 atomes d'oxygène en trouve 9 dans l'acide; il faut donc qu'il prenne 3 équivalents d'acide sulfu- rique. Les oxydes ferrique, chromique, manganique possèdent une compo- sition analogue à celle de l'oxyde d'aluminium et se combinent, comme lui, avec 3 équivalents d'acide sulfurique. La composition des divers sulfates marque donc une différence fondamen- tale dans les propriétés des deux classes d'oxydes dont la chaux et l'alumine sont les représentants. Tandis que 1 molécule des uns ne se combine qu'à 1 molécule d'acide sulfurique, 1 molécule des autres s'unit à 3 molécules du même acide. Et pourtant, par une singulière confusion d'idées, on considérait la molécule de la chaux comme équivalente à la molécule d'alumine, bien que cette dernière se combinât avec une proportion d'acide sulfurique trois fois plus forte. Cette inconséquence n'avait pas échappé à l'esprit pénétrant de Gay-Lussac, et les personnes qui ont suivi il y a quarante ans le cours de l'École polytechnique se rappellent qu'il l'avait relevée et corrigée. Pour mettre en harmonie la formule du sulfate d'alumine avec celle du'sulfate de chaux, il coupait en trois la molécule- de l'alumine, il y admettait 1 atome d'oxygène et § d'atome d'aluminium, cette proportion d'oxyde étant unie, dans le sulfate, à une seule molécule d'acide sulfurique. Par cette proportion d'oxyde il marquait le véritable équi- valent de l'alumine par rapport à la chaux, car il est clair qu'on ne peut consi- dérer comme équivalentes que les quantités d'oxyde qui s'unissent à la même quantité d'acide. Mais les formules de Gay-Lussac n'ont pas été admises et les chimistes ont conservé, comme instinctivement, celles de Berzelius qui exprimaient, en effet, les vraies grandeurs moléculaires et qui marquaient une différence si tranchée dans la capacité de combinaison de deux classes d'oxydes dont les uns sont monacides et les autres triacides^ si l'on peut s'exprimer ainsi. 1. Note '15, p. xch. DOCTRINES ACTUELLES. lxi Une différence du môme ordre a été signalée plus tard pour les acides. On connaît les belles découvertes de M. Graham, qui a introduit dans la science la notion des acides polybasiques, parallèle en quelque sorte à celle des bases polyacides que nous venons de mentionner. Les chimistes avaient été frappés de certaines différences de propriétés que présente l'acide phosphorique en solution, suivant que cette solution vient d'être préparée avec l'acide anhydre ou l'acide vitreux, ou qu'elle a été con- servée pendant quelque temps. Bërzelius, considérant que la combinaison d'oxygène et de phosphore qui existe dans ces solutions est toujours la même, avait cherché la cause de ces différences dans un état particulier de la matière, dans un arrangement variable des atomes. Il a admis le premier que des corps qui offrent la même composition peuvent présenter des pro- priétés différentes si les mêmes éléments y sont combinés d'une autre façon. Ce sont ces faits et d'autres qu'il est inutile de mentionner ici qui ont intro- duit dans la science cette notion de l'isomérie, qui y tient aujourd'hui une place si importante et qui a tant exercé la sagacité des chimistes. Mais, par un singulier hasard, il s'est trouvé que les différents acides phosphoriques ne rentrent pas dans la classe des corps isomériques : ils ne présentent pas la même composition. Sans doute ils renferment tous ce composé d'oxygène et de phosphore que Berzelius y admettait. Mais ce corps oxygéné, cet acide anhydre y est uni à diverses proportions d'eau. Dans son classique mémoire, M. Graham a fait connaître trois combinaisons d'eau et d'acide phosphorique anhydre. Pour 1 molécule de cet acide anhydre elles renferment, la première 1 équivalent d'eau, la seconde 2 équivalents, la troisième 3 équivalents l . Ce sont là les vrais acides phosphoriques, et l'on voit qu'ils diffèrent par leur composition. Aussi M. Graham les a-t-il désignés sous des noms différents qui leur sont restés, et personne ne songe plus aujourd'hui à les envisager comme isomé- riques. Leurs sels possèdent une composition analogue à celle des acides eux- mêmes. L'acide monohydraté prend 1 équivalent d'oxyde, l'acide trihydraté en prend 3. Le premier précipite le nitrate d'argent en blanc, le dernier y forme un précipité jaune. Ces différences, qui avaient frappé les premiers observateurs, ne présentent rien d'anormal, car elles sont dues à des diffé- rences de composition. Le précipité blanc, ou métaphosphate d'argent, renferme 1 atome d'argent; le précipité jaune, ou phosphate ordinaire, en renferme 3. On exprime cela en disant que l'acide métaphosphorique est monobasique, que l'acide phosphorique ordinaire est tribasique. Nous voici arrivés au point que nous voulions mettre en lumière. Il y a des acides dont la molécule est ainsi faite qu'elle se contente, pour se satu- rer, d'un seul «équivalent» d'une certaine base; d'autres acides en prennent 2; d'autres enfin en exigent 3. Les molécules de ces acides ont-elles la même valeur et sont-elles ((équivalentes» entre elles? En aucune façon, puisque leur capacité de combinaison, qui est exprimée par les proportions de base qu'elles saturent, varie comme 1, 2, 3. 1 Note 16, p. xctii. lxii DISCOURS PRÉLIMINAIRE. Comparons les acides nitrique, sulfurique, phosphorique. Pour former un sel complètement saturé, le premier s'unit à 1 molécule de potasse, le second à 2, le troisième à 3. Et si nous considérons comme équivalentes les molécules des acides qui saturent la même quantité de base, il faudra bien admettre que 1 molécule d'acide sulfurique vaut 2 molécules d'acide nitrique , que 1 molécule d'acide phosphorique vaut 3 molécules d'acide nitrique. Telle est la notion importante des acides polybasiques. Elle offre la même signification et la 'même portée que le fait des bases polyacides , sans qu'on ait songé à faire un tel rapprochement pendant vingt ans. Les deux notions sont demeurées isolées dans Ja science et comme per- dues pour la théorie; cependant leur enchaînement a été mis en lumière par de nouvelles découvertes. Ce que Berzelius avait admis pour l'alumine et l'oxyde ferrique, qu'il représentait comme saturant 3 molécules d'acide, M. Berthelot l'a démontré pour la glycérine, qu'il a envisagée comme exigeant 3 molécules d'un acide pour former un corps gras neutre complètement saturé. On avait reconnu avant lui que la glycérine joue le rôle d'un alcool, c'est-à-dire d'un hydrate organique capable de former des éthers composés en s'unissant aux acides. Il y a cinquante ans, à une époque où la chimie organique était à peine née, M. Chevreul, dans ses admirables travaux sur les corps gras, avait rapproché des éthers composés les principes immédiats neutres contenus dans les graisses et les huiles. C'était là une grande et forte idée, un trait de lumière au milieu d'une nuit profonde. Cette idée fut mise au jour par l'étude attentive des phénomènes de la saponification, et avait permis de faire le rapprochement suivant : de même que les éthers composés se dédoublent, sous l'influence des alcalis, en alcool et en sels alcalins. , de même les corps gras neutres se décom- posent, sous l'influence des bases, en glycérine et en sels, qui sont les savons. La glycérine joue donc, dans les corps gras neutres, le même rôle que l'alcool dans les éthers. C'est un alcool. Mais tandis que l'alcool ordinaire ne s'unit qu'à 1 molécule d'un acide monobasique pour former un éther composé, la glycérine prend jusqu'à 3 molécules d'un tel acide pour former un corps gras neutre. Ainsi la stéarine, qui entre dans la composition de la plupart des graisses animales , renferme les éléments de 3 molécules d'acide stéarique unis à une seule molécule de glycérine, et cette union s'accomplit avec élimination de 3 molécules d'eau. Cet éther tristéarique n'est cependant pas la seule combinaison que la gly- cérine puisse former avec l'acide stéarique; au lieu de s'unir à 3 molécules de cet acide, la glycérine peut n'en prendre que 2, en éliminant 2 molé- cules d'eau; elle peut n'en fixer qu'un seul avec élimination d'une seule molécule d'eau. Il existe donc trois composés définis d'acide stéarique et de glycérine; ils renferment 1, 2 ou 3 molécules d'acide stéarique. Tous sont neutres au papier, un seul peut être considéré comme saturé d'acide, c'est celui qui en renferme 3 molécules. Ces faits ont été découverts par M. Berthelot et exposés dans un mémoire justement célèbre, publié en 1854.- Leur importance théorique n'a pas échappé à l'auteur, qui s'est exprimé ainsi : « Ces faits nous montrent que la glycérine présente vis-à-vis de l'alcool DOCTRINES ACTUELLES. lxiii précisément la même relation que l'acide phosphorique vis-à-vis de l'acide azotique. En effet, tandis que l'acide azotique ne produit qu'une seule série de sels neutres, l'acide phosphorique donne naissance à trois séries de sels neutres, les phosphates ordinaires, les pyrophosphates, les métaphosphates. Ces trois séries de sels, décomposés par les acides énergiques en présence de l'eau, reproduisent un seul et même acide phosphorique. «De même, tandis que l'alcool ne produit qu'une seule série d'éthers neutres, la glycérine donne naissance à trois séries distinctes de combinaisons neutres. Ces trois séries, par leur décomposition totale, en présence de l'eau, reproduisent un seul et même corps, la glycérine 1 . » Le double rapprochement que M. Berthelot établit entre l'alcool et l'acide nitrique, la glycérine et l'acide phosphorique, n'est exact qu'à condition que l'acide comparé à la glycérine soit l'acide phosphorique tribasique. Pour se saturer, cet acide prend 3 molécules d'une base telle que la potasse caustique, mais il peut n'en prendre que 2, ou même une seule; de là trois séries de phosphates, à 1, 2 ou 3 équivalents de base, qui correspondent aux trois séries de combinaisons glycériques, à 1, 2 ou 3 équivalents d'acide. De même que ces trois séries de phosphates ne renferment qu'un seul acide, l'acide phosphorique tribasique, de même les trois séries de combinaisons glycériques ne renferment qu'une seule base, la glycérine triatomique. Il était donc inexact de comparer aux pyrophosphates les combinaisons glycériques à 2 équivalents d'acide et aux métaphosphates les combinaisons glycériques à 1 équivalent d'acide. Ces trois acides présentent, quant à leur capacité de saturation, des différences fondamentales. Si la glycérine triatomique, comme on dit aujourd'hui, ressemble à l'acide phosphorique tribasique, elle ne sau- rait être rapprochée, quant à sa capacité de combinaison, de l'acide pyrophos- phorique bibasique et de l'acide métaphosphorique monobasique. Comparer la glycérine à la fois à un acide tribasique, à un acide bibasique et à un acide monobasique, c'était lui attribuer à la fois le caractère d'un alcool triatomique, d'un alcool diatonique, d'un alcool monatomique. Il y avait là une confusion dans les idées qui n'existait pas dans les faits, car les expériences de M. Ber- thelot étaient exactes et marquent un progrès très-important : la découverte d'alcools polyatomiques. La véritable interprétation de tous ces faits a été donnée quelques mois plus tard par M. Wurtz, dans une note intitulée : Théorie des combinaisons glycériques. La glycérine y est représentée comme un alcool tribasique ren- fermant 3 équivalents d'hydrogène pouvant être remplacés par 3 groupes ou radicaux composés. Les trois séries de combinaisons glycériques obtenues par M. Berthelot sont envisagées comme dérivant de cet alcool tribasique par la substitution de 1, de 2 ou de 3 radicaux à 1, 2 ou 3 atomes d'hydrogène. Ainsi la tristéarine apparaît comme de la glycérine dans laquelle 3 atomes d'hydrogène ont été remplacés par 3 radicaux de l'acide stéarique (radicaux stéaryle). Il serait inutile de mentionner cette interprétation, si la formule de la 1. Annales de Chimie et de Physique, 3 e série, t. XLI, p. 319. lxiv DISCOURS PRÉLIMINAIRE. glycérine qui a été proposée à cette occasion n'avait donné lieu à un déve- loppement important de la théorie des radicaux. C'est ce qu'il importe d'exposer maintenant. II. La théorie des types venait d'être rajeunie par MM. Williamson et Ger- harclt. Les corps minéraux et organiques étaient représentés comme déri- vant d'un petit nombre de composés-types par la substitution de radicaux à l'hydrogène de ces types. M. Williamson avait dit le premier que l'acide sulfurique pouvait être représenté comme dérivant de 2 molécules d'eau par la substitution du radical bibasique de l'acide sulfurique (radical sulfuryle) à 2 atomes d'hydrogène. Appliquant cette idée à la glycérine, l'auteur a repré- senté ce corps comme dérivant de 3 molécules d'eau par la substitution du radical tribasique glycéryle à 3 atomes d'hydrogène, enlevés aux 3 molécules d'eau. Il ne s'est point arrêté là. Faisant un nouveau pas, il a essayé de donner la raison théorique de cette propriété remarquable du radical de la glycérine, d'empiéter en quelque sorte sur 3 molécules d'eau, en se substituant dans chacune d'elles à 1 atome d'hydrogène. Il a fait observer que le radical glycé- ryle, formé de 3 atomes de carbone et de 5 atomes d'hydrogène, diffère par 2 atomes d'hydrogène en moins du radical propyle qui ne peut se substituer qu'à un seul atome d'hydrogène. En effet, dans l'alcool propylique, le propyle tient la place de 1 atome d'hydrogène et d'une molécule d'eau. La perte de 2 atomes d'hydrogène, qui a transformé le propyle en glycéryle, a donc augmenté de deux unités la capacité de substitution du premier radical, en d'autres termes, le radical monobasique est devenu tribasique en perdant 2 atomes d'hydrogène. Ce point de vue était nouveau et a conduit à des conséquences importantes concernant la capacité de saturation des radicaux : cette capacité de satura- tion, qu'on a nommée atomicité, était rattachée à leur composition même. Elle dépend du nombre d'atomes d'hydrogène qu'ils renferment, augmentant d'une unité pour chacun de ces atomes qui est enlevé à un carbure d'hydro- gène. Ces idées ne tardèrent point à recevoir une confirmation expérimentale qui a contribué à les répandre. Pour former un éther neutre, l'alcool ne prend que 1 molécule d'un acide monobasique; la glycérine peut en prendre jusqu'à 3. Il doit donc exister des corps intermédiaires entre l'alcool et la glycérine, capables d'éthérifier 2 molécules d'un acide. Tel est le raisonnement qui a conduit à la découverte des glycols ou alcools diatomiques. Aucun corps connu n'offrait les propriétés de ce genre d'alcools et, après en avoir conçu l'existence théoriquement, il a fallu songer aux moyens de les créer. On y a été conduit par les considéra- tions développées plus haut sur les fonctions du radical glycéryle. Les alcools diatomiques devaient renfermer un radical diatomique, et le gaz oléfiant ou éthylène a paru remplir les conditions d'un tel radical. Il ren- ferme en effet 1 atome d'hydrogène de moins que le radical monatomique èthyle. Il doit donc être diatomique. De fait, il se combine avec 2 atomes DOCTRINES ACTUELLES. lxv de chlore, pour former le dichlorure d'éthylène ou gaz oléfiant. Si au chlorure d'éthyle ou éther chlorhydrique il correspond un hydrate d'éthyle qui est l'alcool, au dichlorure d'éthylène il doit. correspondre un clihydrate d'éthylène. Ce dihy- drate est le glycol. M. Wurtz en a réalisé la formation en faisant réagir le diiodure ou le dibromure d'éthylène sur 2 molécules d'acétate d'argent et en décomposant par la potasse le diacétate d'éthylène qui prend naissance par double décomposition, en môme temps que le bromure d'argent. Le procédé synthétique qui vient d'être indiqué offre le caractère d'une méthode générale et a pu s'appliquer sans peine à la préparation de corps ana- logues au glycol par leur composition et par leurs propriétés. L'auteur les a nommés glycok, les qualifiant d'alcools diatomiqaes 1 , pour marquer leur pouvoir de combinaison qui est double de celui de l'alcool ordinaire et qui est en rapport d'ailleurs avec la complication plus grande de leur molécule. A cette époque la théorie des types régnait dans la science. Nous avons déjà fait remarquer comment elle avait conduit l'auteur à donner la vraie interprétation des faits concernant la glycérine. Cette même théorie a été le fil conducteur qui a permis de réaliser la découverte du glycol. Ce corps a été rapporté, comme tous ses congénères, au type de l'eau, mais à un type condensé formé de' 2 molécules. Le radical éthylène qui s'unit à 2 atomes de chlore ou de brome peut aussi se substituer à 2 atomes d'hydro- gène, pris dans 2 molécules d'eau, qu'il rive ainsi l'une à l'autre par la raison qu'il est indivisible. Telle est l'idée énoncée par l'auteur sur la fonction du radical éthylène dans le glycol, et exprimée par la formule rationnelle typique qu'il a attribuée à ce corps 2 . Mais voici un développement important. Aux glycols ainsi constitués, l'auteur a pu rattacher, non-seulement les combinaisons neutres qu'ils forment avec les acides et dans lesquelles leur radical diatomique demeure intact, mais encore les acides qui résultent de leur oxydation et dans lesquels leur radical diatomique se modifie par substitution. En s'oxydant, sous l'influence du noir de platine, l'alcool échange 2 atomes d'hydrogène contre 1 atome d'oxygène et devient acide acétique. Le radical s'est modifié par substitution et est devenu radical acétyle. Dans les mêmes circonstances, et par une réaction toute semblable, le glycol se convertit en acide glycolique; mais, tandis que l'alcool ne forme en s'oxydant qu'un seul acide, le glycol peut en former deux. Sous l'influence des oxydants énergiques, il échange li atomes d'hydrogène contre 2 atomes d'oxy- gène et devient acide oxalique. Deux acides dérivent donc, par oxydation, du glycol , dont le radical peut se modifier deux fois par substitution en échan- geant 2 ou 4 atomes d'hydrogène contre 1 ou 2 atomes d'oxygène. Cette substitution s'accomplit clans le radical éthylène, qui devient successivement radical glycolyle dans l'acide glycolique, radical oxalyle dans l'acide oxalique. L'un et l'autre acide sont diatomiques, car ils se rattachent à un alcool diato- mique ; mais tandis que l'un, l'acide oxalique, est bibasique, l'autre, l'acide • 4. Note 47, p. xcm. 2. Note 4 8, p. xcm. LXVl DISCOURS PRÉLIMINAIRE. glycolique, n'est que monobasique i . L'auteur, à qui l'on doit la connaissance de ces réactions, a fait remarquer le premier que la basicité des acides aug- mente avec le nombre des atomes d'oxygène qui sont contenus dans leur radical, et que les termes polyatomique et polybasique ne sont pas rigoureu- sement synonymes lorsqu'il s'agit des acides. Il a immédiatement étendu ces réactions à d'autres glycols, homologues supérieurs du glycol ordinaire, qu'il avait obtenus à l'aide de carbures d'hydrogène, homologues supérieurs de l'éthylène, et parmi lesquels il a étudié particulièrement le propylglycol et l'amylglycol. En s'oxyclant, le premier a donné l'acide lactique , le second un nouvel acide de la série lactique. C'est ainsi que les acides polyatomiques et pôlybasiques ont été rattachés à des alcools polyatomiques, comme les acides monobasiques, analogues à l'acide acétique, avaient été rattachés auparavant à des alcools monatomiques. Au point de vue de la classification des substances organiques, ces faits semblent offrir une haute importance ; on peut soutenir à bon droit qu'ils ont été l'occasion et l'origine d'une nouvelle méthode d'exposition en chimie orga- nique. Ils ont permis, en effet, de grouper à part les alcools polyatomiques avec tout le cortège des combinaisons qui s'y rattachent, telles que les carbures d'hydrogène, qui leur servent de radical, les acides polyatomiques, qui résul- tent de leur oxydation et auxquels on pourrait joindre des aldéhydes. Tous ces corps peuvent être réunis sous le nom de composés polyatomiques et défini- tivement séparés des alcools et des acides monatomiques et de tous les corps qui s'y rattachent. On le voit, les alcools d'atomicité diverse sont devenus en quelque sorte la base de 'la classification, et cette base a été singulièrement élargie par les belles expériences de M. Berthelot sur lamannite et les matières sucrées. On sait que ces corps ont été caractérisés comme alcools hexato- miques. Ils exigent pour se saturer 6 molécules d'un acide monobasique, alors que la glycérine n'en exige que 3, que le glycol n'en prend que 2, que l'alcool ordinaire se contente d'une seule. Pour apprécier la valeur de ce service rendu à la classification , il suffit de rappeler la méthode d'exposition usitée dans les cours de chimie organique il y a vingt ans. Après quelques prolégomènes sur la composition des matières organiques et sur l'analyse, on avait coutume de placer la description des principes immédiats neutres fournis par le règne végétal, tels que la cellulose, l'amidon, les matières sucrées. On y rattachait souvent les matières neutres de l'organisation animale, l'albumine et ses congénères. Ainsi on commençait par les substances les plus compliquées, dont on ignorait absolument la con- stitution , pour passer ensuite à la description des matières plus simples qui résultent de leur dédoublement; et l'ordre de cette exposition était déterminé uniquement par la coïncidence fortuite de certaines propriétés générales, la neutralité, l'acidité, l'alcalinité, nullement par la considération des liens de parenté et de dérivation. Tous les acides étaient groupés ensemble par cela seul qu'ils rougissent la teinture de . tournesol ; tous les alcalis étaient éunis par la raison qu'ils la ramènent au bleu. C'était l'enfance de l'art. \. Note 19, p. xciit. DOCTRINES ACTUELLES. lxvii Aujourd'hui on groupe les corps d'après l'ordre croissant de leur complica- tion moléculaire, en commençant par les plus simples, pour s'élever pro- gressivement dans la série à mesure que les molécules se compliquent. Mais quoi! cette complication de la molécule sera- 1- elle déterminée strictement et uniquement par le nombre d'atomes de carbone qu'elle ren- ferme? et convient-il d'adopter de nouveau, pour le principe de la classifi- cation, l'échelle de combustion de Gerhardt (p. xlviii)? En aucune façon. Un nouvel élément intervient dans les considérations à l'aide desquelles on détermine la complication moléculaire, c'est l'atomicité de la molécule, sa capacité de combinaison, qu'on peut exprimer en rapportant la molécule cà un type plus ou moins compliqué et qui est en rapport avec l'atomicité ou la saturation du radical que renferme cette molécule. A ce point de vue, l'acide oxalique, bien qu'il ne renferme que 2 atomes de carbone, appartient à un type de combinaison plus élevé que l'acide stéarique, qui renferme 18 atomes de carbone. Le premier est cliatomique et se rattache à un alcool diato- mique; le second est monatomique et se rattache à un alcool monato- mique. Il en résulte que le principe de classification générale qui prévaut aujourd'hui est tiré de l'atomicité. On réunit, comme formant de grandes classes, les corps d'atomicité égale. Les propriétés de tous ces corps diffèrent suivant la nature, le nombre et l'arrangement des éléments qu'ils renferment. De là la facilité d'établir des sous-divisions dans ces grandes classes, de grouper les corps d'une même classe par séries, par familles. La série comprend ceux qui , possédant une structure moléculaire sem- blable et des propriétés analogues, présentent clans leur composition des variations régulières, de telle sorte que la différence que l'on constate entre- deux molécules voisines se reproduise de la même façon pour toutes les autres. Tous les corps d'une même série appartiennent au même type. La famille comprend tous les corps qui offrent dans leur composition un élément commun, qui est le radical; celui-ci peut être engagé dans les com- binaisons les plus diverses. De là des composés appartenant à des types diffé- rents et doués de propriétés dissemblables, encore bien que tous renferment le même noyau. On range dans la série de l'alcool tous les corps qui présentent avec l'alcool certains rapports de composition et de propriétés. On groupe dans une même famille l'alcool et tous les corps qui présentent le radical de l'alcool, savoir l'éthyle. Tels sont, en peu de mots, les principes de la classification aujourd'hui en usage en chimie organique. On voit que l'atomicité, c'est-à-dire la capa- cité de combinaison des corps, intervient, comme élément dominant, dans ces considérations. Elle est en rapport, comme nous l'avons vu plus haut, avec l'atomicité des radicaux que renferment les combinaisons. Il nous reste à exposer les idées qui ont été émises concernant le mode de génération de ces radicaux. La découverte des acides polybasiques avait signalé des différences dans la capacité de saturation des acides; celle des alcools polyatomiques avait indiqué des différences du même ordre dans la capacité de combinaison des lxviii DISCOURS PRELIMINAIRE. alcools. Il est douteux qu'on eût réussi à tirer de ces faits quelque notion générale, si la théorie des types n'eût cherché à rattacher les variations dans la capacité de combinaison des acides et des alcools à des différences correspon- dantes dans la saturation des radicaux qu'ils renferment. On à dit : La glycérine triatomique renferme un radical qui est triatomique parce qu'il lui manque 3 atomes d'hydrogène pour arriver à l'état de satura- tion. Le glycol diatomique renferme un radical qui est diatomique parce qu'il lui manque 2 atomes d'hydrogène pour arriver à l'état de saturation. L'atomicité des radicaux renfermant de l'hydrogène et du carbone était ainsi rattachée à leur richesse en hydrogène, à leur état de saturation en ce qui concerne cet élément. Cette proposition, qui a été énoncée pour la pre- mière fois par l'auteur dans la note mentionnée page lxiii, a été développée par divers chimistes. Il convient de l'exposer avec quelques détails. 1 atome de carbone est uni dans le gaz des marais ou hydrogène proto- carboné à h atomes d'hydrogène, et on n'a point réussi jusqu'ici à obtenir un composé de charbon et d'hydrogène qui soit plus riche en hydrogène. Ce gaz des marais n'est pas le seul de son espèce. C'est le premier terme d'une série d'hydrocarbures qui sont tous saturés d'hydrogène et qui montrent dans leur composition une progression régulière d'atomes de carbone et d'hydro- gène, de telle sorte que chacun diffère de son voisin par 1 atome de carbone et par 2 atomes d'hydrogène. C'est ce qu'on nomme la série homologue du gaz des marais. Parmi tant d'hydrogènes carbonés, ce sont les plus riches en hydrogène. Ils en sont saturés et ne sauraient en prendre davantage. Mais, chose curieuse, ils sont aussi incapables de fixer directement un autre élément que de fixer de l'hy- drogène, et pour qu'un autre corps simple, tel que le chlore, puisse trou- ver place dans leur molécule, il faut qu'il commence par chasser de l'hydro- gène. En un mot, ces carbures d'hydrogène saturés se montrent incapables d'entrer directement en combinaison : ils ne peuvent se modifier que par sub- stitution. Il semble que toutes les affinités qui résident dans le carbone soient satisfaites par celles qui résident dans les atomes d'hydrogène , le tout formant en quelque sorte un système neutre. C'est ce qu'on nomme un carbure d'hy- drogène saturé. Qu'on enlève à un tel carbure d'hydrogène 1 atome d'hydrogène, les affi- nités qui résident dans les atomes de carbone ne seront plus satisfaites, et il arrivera que le reste, ou la molécule incomplète, différant de la combinaison saturée par 1 atome d'hydrogène, manifestera précisément la capacité de com- binaison qui réside dans cet atome d'hydrogène. Ce reste est capable de s'unir à 1 atome de chlore, de se substituer à 1 atome d'hydrogène. Il joue, en un mot, le rôle d'un radical monatomique. Enlevez 2 atomes d'hydrogène à un carbure d'hydrogène saturé, ce qui reste de la molécule tend à regagner les affinités qui résidaient dans ces 2 atomes d'hydrogène. La molécule incomplète pourra fixer 2 atomes d'hydro- gène ou 2 atomes de chlore, ou encore se substituer à 2 atomes d'hydrogène ou de chlore. Ce sont là les attributs d'un radical diatomique. Enfin, la soustraction de 3 atomes d'hydrogène d'un carbure d'hydrogène DOCTRINES ACTUELLES. lxix saturé convertira ce carbure en un radical triatomique , et ainsi de suite. Ces principes étant posés, en ce qui concerne la génération des radicaux hydrocarbonés dérivant des carbures d'hydrogène saturés, il devenait facile de les appliquer à tous les radicaux composés, de quelque nature qu'ils fussent. En effet, un radical quelconque peut toujours se rattacher à une combinaison saturée dont il dérive par la perte d'un ou de plusieurs éléments, et le degré de son atomicité est marqué précisément par la grandeur de cette perte , qui correspond cà un nombre plus ou moins grand d'atomes d'hydrogène. C'est ainsi que l'atomicité des radicaux a été rapportée à leur état de saturation. Progrès important, qui a établi une relation entre les fonctions des radicaux et leur composition même. Pour étendre cette notion de la saturation aux éléments eux-mêmes, il n'y avait qu'un pas à faire. On le voit, dans l'ordre historique, la notion de l'atomicité s'est introduite dans la science par degrés, et en trois étapes pour ainsi dire. Premièrement, on a découvert des combinaisons polyatomiques ; Deuxièmement, on a rattaché leur polyatomicité à l'état de saturation de leurs radicaux ; Troisièmement, on a étendu aux éléments eux-mêmes la notion de la saturation qu'on avait d'abord appliquée aux radicaux, et d'où découle leur atomicité. En effet, de même que les radicaux composés diffèrent par leur capacité de saturation , de même les atomes des corps simples ne sont pas tous sem- blables en ce qui concerne leur capacité de combinaison. Il y a des degrés dans cette propriété fondamentale des atomes, et ces degrés sont marqués par l'ato- micité. Tel métal est incapable de s'unir à plus de 1 atome de chlore, tel autre en prend 2, celui-ci se combine à 3 atomes de chlore, celui-Là en prend h pour former un chlorure saturé. De telles inégalités dans la capacité de combinaison des métaux pour le chlore sont inhérentes à la nature de leurs atomes; c'est pour cette raison qu'on les désigne sous le nom d'atomicité. Cette notion théorique domine aujourd'hui la science tout entière et il importe d'en rechercher avec soin l'origine et d'en suivre le développement. III lleportons-nous un instant à la théorie des types. Laurent ayant comparé avec l'eau les protoxydes métalliques et leurs hydrates, M. Odling a fait dériver les trioxydes et leurs hydrates de plusieurs molécules d'eau. Se souvenant que l'acide sulfurique hydraté avait été envisagé comme dérivant de 2 molé- cules d'eau par la substitution du radical sulfuryle à 2 atomes d'hydro- gène, le savant et ingénieux ami de M. Williamson avait fait dériver l'hydrate de bismuth de 3 molécules d'eau, par la substitution du métal bismuth à 3 atomes d'hydrogène. Un seul atome de ce métal était donc jugé équivalent à 3 atomes d'hydrogène, et cette valeur de substitution ou de combinaison était marquée par 3 accents superposés au symbole. Cette notation de M. Odling lxx DISCOURS PRELIMINAIRE. est restée, et le principe qu'elle a consacré, la non-équivalence des atomes des corps simples, s'est généralisé depuis. Les atomes ne sont pas équivalents et montrent entre eux des diffé- rences du même ordre que les acides monobasiques, bibasiques, tribasiques. Dans un mémoire publié en 1855, l'auteur a qualifié l'azote et le phosphore d'éléments tribasiques 1 . Il a essayé même de rendre compte de cette capa- cité de combinaison, en supposant que chaque atome de ces éléments était formé de 3 sous-atomes unis d'une manière indissoluble et pouvant se substi- tuer chacun à 1 atome d'hydrogène. Cette substitution ayant lieu dans 3 molé- cules d'eau, l'atome de phosphore formait ainsi le lien entre ces 3 molécules d'eau, qu'il rivait l'une à l'autre de manière à former l'acide phosphoreux. Ainsi non-seulement l'atomicité du phosphore et de l'azote était nettement accusée, mais on essayait même d'en rendre compte par une hypothèse qui a été reproduite depuis. Ce sont là les origines de la théorie de l'atomicité des éléments. En 1858 cette théorie a fait un progrès décisif. Dans un mémoire important sur les radicaux 2 , M. Kekulé a énoncé l'idée que le carbone est un élément tétratomique : il y a été amené par cette consi- dération que dans les composés organiques les plus simples 1 atome de car- bone est toujours uni à une somme d'éléments équivalente à h atomes d'hy- drogène. Il en est ainsi dans le gaz des marais, dans le perchlorure de carbone, dans tous les composés intermédiaires renfermant à la fois de l'hydrogène et du chlore. Ces 2 éléments se valent, puisqu'ils se remplacent atome par atome* Dans les composés dont il s'agit, leur somme est toujours égale à h. De même dans l'acide carbonique les 2 atomes d'oxygène unis à un seul atome de carbone valent h atomes d'hydrogène : chacun d'eux n'a-t-il pas le pouvoir de s'unir à 2 atomes d'hydrogène ou de s'y substituer? Mais, dira-t-on, 1 atome de car- bone peut se contenter d'un seul atome d'oxygène, et il le fait dans l'oxyde de carbone. Il est vrai que ce corps ne renferme qu'un seul atome d'oxygène* mais il n'est point saturé. L'affinité qui réside dans l'atome de carbone n'est point satisfaite par son union avec l'atome d'oxygène. Voilà pourquoi l'oxyde de carbone peut fixer directement soit un second atome d'oxygène, lorsqu'il se transforme en gaz carbonique, soit 2 atomes de chlore, lorsqu'il se convertit en gaz chloroxycarbonique. Dans l'un et l'autre composé le carbone a épuisé son affinité en fixant une somme d'éléments équivalant à h atomes d'hydrogène. Saturé, il est devenu tétratomique. C'est ainsi que la notion de saturation intervient dans la fixation de F atomicité. Elle est intervenue, de même, dans une autre considération fort impor- tante que M. Kekulé a développée dans le mémoire cité plus haut. Dans la série des hydrocarbures saturés, le nombre des atomes d'hydrogène n'est quadruple du nombre d'atomes de carbone que dans le premier terme ou gaz des marais, qui ne renferme qu'un seul atome de carbone. Comment se fait-il \. Annales de Chimie et de Physique, 3 e série, t. XLIV, p. 30G. G 2. Annalen der C hernie und Pharmacie, t. CVI, p. 4 29, 4 838. DOCTRINES ACTUELLES. lxxi que dans le terme suivant 2 atomes de carbone ne soient unis qu'à 6 atomes d'oxygène au lieu de 8? M. Kekulé rend compte de ce fait en admettant que les 2 atomes de carbone perdent chacun 1 atomicité en se soudant l'un à l'autre, en se combinant, pour mieux dire. Ayant ainsi échangé 2 atomicités, ils n'en gardent que 6 sur les 8 qu'ils renfermaient et ne sauraient fixer plus de ti atomes d'hydrogène. Il en est de même pour les termes suivants de cette série qui renferment 3, A, 5 atomes de carbone. Ceux-ci sont soudés entre eux, formant comme une chaîne dont les anneaux sont rivés par une partie de la force de combinaison. Une autre partie reste en quelque sorte disponible et sert à attirer et à fixer d'autres éléments qui se groupent autour des atomes de carbone. Ceux-ci constituent le noyau de la combinaison, sa charpente solide; les atomes d'hydrogène, de chlore, d'oxygène, qui s'y attachent, en forment comme les appendices 1 . C'est là une grande idée, car elle explique le fait de la complication des molécules organiques et permet de rendre compte de leur structure 2 . Pourquoi donc les atomes de carbone montrent-ils cette singulière tendance à s'accu- muler en grand nombre dans les molécules organiques? Parce qu'ils possèdent la propriété de se combiner entre eux, de se souder les uns aux autres. Cette propriété importante donne aux innombrables combinaisons du carbone un cachet particulier et à la chimie organique sa physionomie, sa raison d'être. Aucun autre élément ne la possède au même degré. Sans doute l'hydrogène peut s'unir à lui-même, ainsi que Gerhardt l'avait reconnu; mais un atome de ce corps épuisant sa capacité de combinaison par son union avec un second atome, nul autre élément ne s'ajoutera à ce couple dont la molécule saturée est réduite en quelque sorte à sa plus simple expression , étant formée par deux atomes. Seuls, les éléments polyatomiques , après avoir employé une partie de la capacité de combinaison qui réside en eux pour se souder les uns aux autres, peuvent en garder une autre partie pour fixer d'autres éléments. Ainsi font les atomes de carbone, ainsi peuvent faire les atomes d'oxygène. Ceux-ci sont gjo, eau. H|q hydrate de KJ ' potassium. KJq oxyde de KJ ' potassium, nitrate de ÎJJO, eau. (G " 2H !{!0, 'alcool. |ggl]}0,éther. (C 2 H 3 ) Kj 'potassium. (G 2 H 3 0) j ' acétique. 0. éther 0, eau. ide (G 2 H 3 0) aci( H ) ' acétique. (G 2 H 3 0)| o acétate de Kj ' potassium. (C 2 H 3 0) ) n acide acétique (C 2 H 3 0) r' anhydre. NOTE \ 2, PAGE L1V. Dans leur mémoire sur les amides [Comptes rendus, t. XXXVII, p. 86), MM. Gerhardt et (Shiozza ont décrit des amides primaires, secondaires et tertiaires, formées par la substitution de \ de 2, de 3 radicaux d'acide à 1, 2 ou 3 atomes d'hydrogène de l'ammoniaque Amide primaire. C 7 H 3 0) Hf Az. H) Amide secondaire. C 7 H 3 ) C 7 H 3 2 Az H ) Amide tertiaire. C 6 H 3 S0 2 ) C 7 H 3 Az C 7 H 3 ) Benzamide. Benzoyl- 'salicylamide. Dibenzoyl sulfophénylamide. Ils font remarquer que l'amide secondaire benzoyl-salicylamide, en solution alcoolique, rougit le tournesol et échange facilement I atome d'hydrogène contre I atome de métal, comme un acide proprement dit. NOTE 13/ PAGES LUI ET LIV. Les corps doués d'une constitution semblable sont rapprochés, mais non confondus, par la théorie des types. Les propriétés de ces corps doivent nécessairement varier suivant la nature des éléments qu'ils renferment, et peuvent môme passer d'un extrême à l'autre. Ce contraste est pleinement justifié par l'antagonisme des éléments eux-mêmes. C'est ce que montre le tableau suivant. EXTRÉMITÉ GAUCHE OU POSITIVE. TERMES INTERMÉDIAIRES. EXTRÉMITÉ DROITE OU NÉGATIVE. 1 0, hydrate de potassium. Na } ' „ ( 0, hydrate de sodium. H } hydrate d'hydrogène H S ' (eau). C2H* ) Q hydrate d'éthyle H ) ' (alcool). Cl / n hydrate de chlore H j 'ou acide hypochloreux. C 2 H 3 ) „ hydrate d'acétyle H S ' (acide acétique). Suivant l'idée de Gerhardt, les corps constitués d'une manière semblable y sont disposés sur la même ligne horizontale. On y considère l'alcool non comme alcalin et analogue à l'hy- drate de potassium, mais plutôt comme analogue à l'eau, en ce qui concerne sa neutralité. XCI NOTES. Dans un tableau publié en 1852 et reproduit dans le mémoire sur les acides organiques anhy- dres, Gerhardt avait placé l'alcool à l'extrémité gauche ou positive. En raison de son impor- tance historique nous croyons devoir reproduire ce tableau : Type eau, fi Type hydrogène, H H EXTREMITE GAUCHE OU POSITIVE. C 2 H= O, alcool. CH3 G2H3 ) ( O, éther méthyliq Type ac. chlor- H hydrique, Cl Type ammoniaque, H) H Az h) C 2 H* C 2 H3 } C 2 H« hydrure. d'éthyle. éthyle G 2 H3 ) CM Éther chlorhydriq. C 2 H5 « H | Az, éthylamine . . h) C 2 HS \ C 2 H 5 [Az, diéthylamine. H ) G 2 H* j C 2 H 3 ' Az, triéthylamine. C 2 H* ) TERMES INTERMEDIAIRES. EXTREMITE DROITE OU NÉGATIVE. G 2 H3 f H j O, ac. acétique. ^C 2 H3 | ac. acétique )C 2 H30i ' anhydre. G 2 H3 C 2 H30 O, éther acétique G H3 ) u C2H 3 | acétone. G 2 H3Q acétate ben- ' O C 7 H 5 ) ' zoïque. .G 2 H30 ) .... . \ _ t aldéhyde. ) ) G 2 H30 ) ta , ;c 2 n3oi acet ^ ie - C 2 H3 O ) Cl chlorur.d'acétylc 1 G 2 H30 , H Az, acétamide. i H NOTE lli, PAGE LYII. Les formules suivantes font comprendre l'idée des types condensés et des types mixtes et le rôle des radicaux polyatomiques dans les combinaisons rapportées à ces types : H ) u 2 molécules d'eau (type condensé). H [SO 2 ) H ~i& (S0 2 )") 02 h 2 r 1 molécule d'acide sulfurique. 1 molécule d'eau et 1 molécule d'acide chlorhydrique (type mixte). H SO 2 )" Cl Acide chlorosulfurique. NOTE J 5, PAGE LX. D'après le système des poids atomiques qu'il avait adopté en 4 815, Berzelius a d'abord envisagé l'oxyde ferrique et l'alumine comme renfermant 1 atome de métal et 3 atomes d'oxygène. Il modifia cette opinion plus tard (1826), attribuant au fer et à l'aluminium des poids atomiques moitié moins grands, et à leurs oxydes les formules Fe" 2 O 3 et Al 2 O 3 encore usitées aujourd'hui. NOTES. xcm NOTE 16, PAGE LX1. Voici la composition des acides phosphoriques dans la notation en équivalents. Nous avons placé en regard les formules atomiques. Formules équivalentes. Formules atomiques. Acide phosphorique PhO 5 , 3 HO, H 3 Ph0 4 . Acide pyrophosphorique PhO 5 , 2 HO, H 4 Ph 2 7 . Acide métaphosphorique PhO 5 , HO, H PhO 3 . NOTE 17, PAGE LXV. Le mot poly atomique n'était guère en usage avant l'époque où a été publiée la pre- mière note de M. Wurtz «sur le glycol ou alcool diatomique », bien qu'il ne fût pas absolu- ment nouveau. Dans un mémoire publié en 1845 {Annales de Chim. et de Phys., 3 e série, t. XIII, p. 442), M. Millon avait établi une distinction, d'une part entre les bases monato- miques et les bases polyatomiques, qu'il représentait comme formées de plusieurs molécules d'une base monatomique, d'autre part entre les acides monatomiques et les acides polyato- miques, ces derniers résultant de même de l'union de plusieurs molécules plus simples. J'ajoute que dans ses excellentes Leçons élémentaires de Chimie, 1853, p. 331, M. Malaguti avait substitué la dénomination d'acides monatomiques, diatomiques, triatomiques aux termes plus généralement usités d'acides monobasiques, bibasiques, tribasiques. NOTE 18, PAGE LXV. Les formules suivantes rendent compte de la formation du glycol et de l'idée énoncée par M. Wurtz concernant les fonctions du radical éthylène : C»H«0{ C2H 3 0) (C 2 H 4 )"l 2 + ^ =2AgI+(C*Hr O 2 . Iodure „ tn ÎE lodure C 2 H 3 d' éthylène. C 2 H 3 0) d'oxygène. 2 molécules 1 molécule d'acétate d'acétate d'argent. d'éthylène. On voit que les 2 molécules d'acétate d'argent, perdant % atomes d'argent auxquels se substitue le radical diatomique et indivisible éthylène, sont rivées en une seule molécule de diacétate éthylénique. Celle-ci donne le glycol par l'action de la potasse : C 2 H 3 0) Slo H) (C 2 H 4 )" 2 + ^ =(G 2 H 4 )"J0 2 + 2 r G2H3 £!°l- C 2 H 3 0) kS° h * Diacétate éthy- 2 mole- Dihydrate éthy- 2 molécules d'a- lénique. cules de lénique (glycol). cétate de potas- potasse. sium. NOTE 19, PAGE LXVI. Les formules suivantes expriment les relations entre l'alcool et le glycol et les acides qui résultent de leur oxvdation : G 2 H 5 | C 2 H 3 0) Q (G 2 HM"1 . 2 (G 2 H 2 0)"( 02 (G 2 2 )") Q2 Ftp Hp H 2 ) U ' H 2 ^ u ' H 2 J U Alcool. Acide acétique. Glycol. Acide glycolique. Acide oxalique. xciv NOTES. NOTE 20, PAGES LXXI, LXXÏI ET LXXXV. L'oxygène libre est formé de 2 atomes d'oxygène qu'on suppose rivés l'un à l'autre par l'échange de 2 atomicités. Cet échange est marqué dans les formules suivantes par des traits d'union simples ou doubles. 0=0, H-O-H, H-O-O-H, Cl-0-O-Cl, Cl-O-O-H, CI-0-O-O-H. Oxygène Eau. Peroxyde Peroxyde Acide Acide libre. d'hydrogène. de chlore. chloreux. chlorique. On voit comment les atomes d'oxygène peuvent se souder les uns aux autres pour former une chaîne aux extrémités de laquelle une seule atomicité libre est satisfaite par un élément monatomique tel que le chlore ou l'hydrogène. C'est ce qu'on nomme une chaîne ouverte. La chaîne peut être fermée lorsque tous les éléments polyatomiques qui la forment sont soudés entre eux. Il en est ainsi dans certains peroxydes, et, selon toute probabilité, dans l'acide sulfurique anhydre, dans le sulfate de baryum, etc. ^Ba S-0 O-S-0 Ba = Ô-h Ô-Ô Ô-Ba-Ô Oxyde de baryum. Peroxyde de baryum. Anhydride sulfurique. Sulfate de baryum. Dans ce genre de notation l'atomicité d'un élément se compte par le nombre de traits d'union qui entourent son symbole dans la formule. Les formules suivantes, où le carbone apparaît comme tétratomique, indiquent la consti- tution des carbures d'hydrogène saturés, homologues avec le gaz des marais : H HH HHH H H H H H-C-H H-C-C-H H-C-C-C-H H-C-C-C-C-H, etc H H H HHH H H H H Gaz des marais. Hydrure d'éthyle. Hydrure de propyle. Hydrure de butyle. NOTE 21, PAGES LXXII ET LXXIIf. Les formules suivantes indiquent les rapports entre les atomes dans les dérivés de l'hy- drure d'éthyle: H H H H H H H H H-C-C-H H-C-C-Cl H-C-C-OH H-C-C-AzH i i H H i i H H H H H H Hydrure d'éthyle (hydrocarbure saturé). Chlorure d'éthyle. Hydrate d'éthyle (alcool). Éthylamine. NOTE 22, PAGE LXXXIV. La substitution d'un groupe OH (oxhydryle) à un atome d'hydrogène d'un carbure d'hydrogène engendre un alcool. Celle d'un atome d'oxygène et d'un groupe oxhydryle à 3 atomes d'hydrogène engendre un acide. Un acide est donc un corps qui renferme un ou plusieurs groupes C0 2 H (carboxyle) : H 3 C-CH 3 , H 3 C-CH 2 .OH, H 3 C-CO.OH. Hydrure d'éthyle. Hydrate d'éthyle (alcool). Acide acétique. IARI3. — IMPRIMERIE DE J. CLAYE, RUE SAINT-BENOIT, T. — f "73 S 14 DAY USE RETURN TO DESK FROM WHICH BORROWED LOAN DEPT. RENEWALS ONLY— TEL. NO. 642-3405 This book is due on the last date stamped below, or on the date to which renewed. Renewed books are subject to immédiate recall. APR 1 6 1970 8 S REC'D LD JUN 1 5 70-10PM or t>ûe end of SPRING Quart© miz'UlfL %m l$L m DiD a tP ^ 272-3 P* 1 b LD21A-60m-3,'70 (N5382sl0)476-A-32 General Library University of California Berkeley éty V§ËF£ 'il LIBRAIRIE DE L. HACHETTE El C 7 . BOUI.IîVaHD SAINT- G K K MAIN. — PARI DICTIONNAIRE DE CHIMIE PURE ET APPLIQUÉE )' i ; B l i !•: r\ t; AD. WUttTZ M E M V> H K 1) E LINS T I TUT ( . M 1 T ! . K S SCIENCE Avec la <